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Version finale

34e législature, 2e session
(19 mars 1992 au 10 mars 1994)

Le jeudi 27 mai 1993 - Vol. 32 N° 29

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude détaillée du projet de loi n° 68, Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé


Journal des débats

 

(Dix heures huit minutes)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de la culture continue les travaux qu'elle avait entrepris, et le fait en continuant les consultations particulières qu'elle tient sur le projet de loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française.

Maintenant que la séance est ouverte, je demanderais à M. le secrétaire de bien vouloir m'indiquer s'il y a des remplacements.

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Leclerc (Taschereau) sera remplacé par M. Maltais (Saguenay); M. Boisclair (Gouin), par M. Bélanger (Anjou); et M. Paré (Shefford), par M. Brassard (Lac-Saint-Jean).

Le Président (M. Doyon): Très bien. Nous allons recevoir ce matin les représentants de Mediacom qui seront suivis, une heure après, par les représentants de l'Office des congrès et du tourisme du Grand Montréal. Ensuite, nous aurons, dans le courant de l'après-midi, à 15 h 30 ou à peu près, l'Union des artistes, suivie par la Fédération des commissions scolaires. C'a été confirmé, M. le secrétaire? Et nous finirons la journée par le Centre de linguistique de l'entreprise, suivi de l'Office du tourisme et des congrès de la Communauté urbaine. Donc, une journée assez occupée.

Je voudrais, avant de commencer, remercier les représentants de Mediacom. Je sais qu'ils avaient des problèmes d'horaire, et ils ont finalement fait des arrangements qui, probablement, leur ont causé un certain nombre de difficultés. Alors, c'est apprécié de la part de la commission, de les voir avec nous ce matin, à 10 heures.

Je vous indique que vous disposez de 20 minutes pour nous entretenir de vos réactions, votre façon de voir le projet de loi. Ensuite, les membres de la commission vont s'entretenir avec vous pour le restant du temps, divisé en parts égales entre les formations politiques, selon les règles que nous avons suivies jusqu'à maintenant. (10 h 10)

Je vous souhaite donc la bienvenue de nouveau, je vous demande de bien vouloir vous identifier pour les fins de transcription de nos débats, et vous pouvez commencer votre présentation dès maintenant. Vous avez la parole.

Mediacom inc.

M. Lacoursière (Gilles): Merci beaucoup. Mon nom est Gilles Lacoursière, je suis président pour l'Est du Canada chez Mediacom.

M. Deschamps (René): Mon nom est René Deschamps, je suis vice-président des affaires publiques et urbaines pour l'Est du Canada chez Mediacom.

Le Président (M. Doyon): Très bien.

M. Lacoursière: Alors, tout d'abord, M. le Président, j'aimerais vous remercier de nous donner l'opportunité d'exprimer nos opinions en regard du projet de loi 86. J'aimerais aussi mentionner que l'opinion que nous émettrons aujourd'hui représente aussi, en général, l'opinion de l'affichage extérieur au Québec.

Peut-être aussi une petite mise au point avant de commencer pour bien expliquer que l'affichage extérieur que nous représentons vise les panneaux-réclame de grande dimension qui s'adressent surtout aux automobilistes. Même dans les cas, par exemple, où nous utilisons les abribus comme messages publicitaires, c'est toujours en référence aux automobilistes qu'on s'adresse.

Le premier point que nous aimerions exprimer ce matin, c'est la difficulté que l'auditoire aurait de capter des messages publicitaires qui seraient bilingues. Comme vous le savez sans doute, nous avons entre 4 et 8 secondes pour vraiment capter l'efficacité d'un message publicitaire sur nos panneaux-réclame. Dans la majorité des cas, nous demandons toujours aux créatifs de s'exprimer avec le moins de texte possible et d'utiliser surtout l'image afin de bien capter le message. Donc, plus il y a de texte sur les messages publicitaires, il devient de plus en plus difficile pour les automobilistes de bien capter le message.

Comme vous le savez, plus on capte le message, plus le message est efficace. Les clients sont de plus en plus exigeants aujourd'hui pour avoir des résultats concrets de leur campagne publicitaire. Ils veulent avoir un résultat immédiat et bien fondé. Il faut toujours penser qu'en affichage extérieur nous ne représentons que 4 % de la tarte totale en publicité. Alors, il faut de plus en plus s'assurer de l'efficacité de notre média, sinon on encourt des pertes de revenus importantes.

Un autre point qu'il est, je pense, important de souligner, c'est que souvent les messages publicitaires au niveau de la province de Québec, on peut difficilement les traduire, ces messages-là. Par exemple, si on se réfère à la campagne du Barreau du Québec, depuis les deux dernières années, on utilisait beaucoup un message spécifique avec une image. Par exemple, pour employer peut-être un terme plus imagé, c'était: «Avant d'en manger une — et on voyait un couvre-chaussure pour dire «une claque» — consultez votre avocate.» Je suis certain que vous allez être en mesure de nous accorder le fait que c'est difficilement traduisible, un

message comme celui-là. Et pourtant, ce sont des messages qui sont excessivement efficaces.

L'autre point, je pense, qu'il est aussi bon de mentionner, vu le caractère excessivement émotif du sujet que nous abordons aujourd'hui, nous craignons chez nous aussi une abondance de vandalisme. Déjà, chez nous, nous dépensons au-delà de 150 000 $ par année pour contrer le vandalisme, surtout dans nos abribus. Parce que aussitôt que les caractères sont plus émotifs, il semble y avoir une progression de vandalisme. Et nous craignons, encore une fois à cause de l'état émotif du sujet que nous couvrons aujourd'hui, que nous pourrions voir engendrer plus de vandalisme à ce niveau-là.

Aussi, naturellement, les compagnies, depuis quelques années, nous ont accordé, je pense, au Québec, le fait que nous étions différents, le fait que nous avions une langue différente et, de plus en plus, plusieurs compagnies ont divisé leur tarte publicitaire entre le Canada anglais et le Canada français. Plusieurs compagnies ont leurs propres agences publicitaires pour le Canada anglais et une agence différente pour le Canada français, plus spécifiquement à cause de la langue. Si nous permettions des campagnes publicitaires bilingues, nous pourrions voir, à ce moment-là, plusieurs campagnes publicitaires être acheminées du Canada anglais vers le Canada français, ce qui pourrait donc créer encore une fois certains problèmes de la création.

En plus, je pense qu'il faut bien reconnaître que, chez nous, au Québec, nous avons des talents exceptionnels au niveau de la création des messages publicitaires. Plusieurs de nos messages publicitaires au Québec ont été primés à travers le monde dû à leur création excessivement différente et typiquement québécoise. Encore une fois, nous craignons que la venue des messages publicitaires bilingues sur les panneaux-réclame pourrait effectivement enlever certaines campagnes qui pourraient être acheminées du Québec, pour les Québécois, vers l'Ontario ou vers les provinces anglophones.

Nous pensons aussi que dans certaines villes qui sont plus typiquement francophones, encore une fois, des messages bilingues pourraient créer toutes sortes d'émotions. Parce que, comme vous le savez, nous avons au moins 40 % de nos campagnes publicitaires qui viennent au niveau national; donc, elles ne sont pas simplement émises pour le Québec, mais elles s'étendent à travers les provinces du Canada.

Je voudrais surtout, je pense, rajouter le fait qu'au niveau des créations il est excessivement important de garder nos talents créatifs ici, au Québec, afin de continuer à faire des campagnes qui sont absolument extraordinaires et qui sont reconnues à travers le monde. Je pense que la dernière qui a été remarquée par tout le monde, c'était la campagne de pizza de McDonald's. C'est une campagne qui a été primée dans le monde entier, qui était une création québécoise, et nous voudrions nous assurer de garder cette identité-là.

Alors, c'est les grandes lignes, en fait, qui nous poussent à recommander tout au moins le statu quo vis-à-vis de l'affichage extérieur dans les grandes dimensions, de conserver l'identité francophone sur les messages publicitaires.

S'il y avait des questions, je suis disponible.

Le Président (M. Doyon): Très bien. Merci beaucoup, M. Lacoursière. M. le ministre.

M. Ryan: II me fait plaisir de vous rencontrer, M. Lacoursière et M. Deschamps. J'ai déjà eu l'occasion de causer avec votre groupe à quelques reprises au cours des dernières semaines à propos, d'abord, d'un projet de loi qui concernait la ville de Montréal — je pense qu'on se souvient des échanges que nous avons eus là-dessus — et maintenant, plus récemment, à propos du projet de loi 86. J'apprécie la collaboration que vous nous avez apportée en nous fournissant vos idées, puis l'apport de votre expertise également. Je pense que nous continuons ce matin dans cette démarche de recherche commune de solutions qui pourraient être les plus adaptées à notre réalité.

J'ai pris bonne note des choses que vous avez dites. Peut-être que mes collègues auront des précisions à vous demander tantôt, ils n'ont pas eu l'occasion de causer avec vous autres, comme je l'ai eue moi-même. Je voudrais peut-être vous poser une question avant d'aller plus loin. Je voudrais que vous me parliez un petit peu de vos clients, parce que vous autres, vous existez en fonction de clients. Vous êtes des créateurs de messages sur des affiches de grande dimension, comme vous l'avez dit; la discussion est circonscrite à cet objet pour ce matin avec vous. Voulez-vous nous donner une idée de qui sont vos clients, combien il peut y avoir d'entreprises qui annoncent sur des panneaux-réclame au Québec de manière le moindrement fréquente? Et est-ce que, lorsqu'une entreprise annonce, elle achète ou réserve un grand nombre de panneaux-réclame ou s'il y en a qui le font seulement sur un nombre limité? J'aimerais ça que vous nous parliez un petit peu de cette partie-là de votre activité.

M. Lacoursière: d'accord. peut-être une précision. en fait, on pourrait dire qu'on a deux sortes de clients. on a tout d'abord la clientèle d'agences publicitaires. je dirais que les agences publicitaires représentent probablement 60 % de notre clientèle avec qui nous transigeons d'une façon régulière, et peut-être de 30 % à 40 % qui sont des clients qu'on appelle directs, où on va directement chez le client pour faire la publicité.

Donc, si je regarde à travers le Québec, je dirais que nous faisons affaire avec probablement au-delà de 150 agences publicitaires et le reste, comme je vous le disais tantôt, ce sont des clients directs. (10 h 20)

Les campagnes. Les agences avec qui nous faisons affaire représentent probablement... Pour 75 %, ce sont des campagnes québécoises, pour le Québec, c'est-à-dire qu'elles vont faire le message pour Québec, Montréal et

les villes principales comme Trois-Rivières, Sherbrooke, Lac-Saint-Jean. La différence va être pour des campagnes nationales, c'est-à-dire que la campagne va s'étendre en Ontario et dans l'Ouest.

Au niveau des clients directs au Québec, à ce moment-là, ce sont typiquement des campagnes majoritairement régionales, c'est-à-dire soit dans la propre ville où elles sont situées ou, parfois, elles vont s'étendre dans les deux grandes villes, Québec et Montréal, et très rarement nous aurons des clients locaux, qu'on appelle, comme je vous le disais tantôt, qui iront à l'extérieur du Québec; parfois en Ontario, mais, encore une fois, c'est assez rare.

Le nombre de clients total. Écoutez, je dirais qu'on fait affaire, de façon générale au Québec, probablement avec de 500 à 800 clients par année, et nous observons habituellement un taux de renouvellement autour de 60 % à 67 %. Les clients, habituellement aussi, vont demeurer chez nous pour deux à trois ans, vont laisser notre médium pendant un certain temps et reviendront, par la suite, à cause du fait que c'est un médium de masse. Est-ce que ça répond à votre question?

M. Ryan: Oui, oui, très bien, très bien. J'apprécie la précision de la réponse. Franchement, ça nous aide à mieux comprendre. C'a été concis à part ça. Ce n'est pas toujours la règle, mais je l'apprécie énormément. Je vais essayer de faire de même dans les questions! Ha, ha, ha!

Une question complémentaire là-dessus. Vos clients, lorsque vous nous adressez votre message ce matin, pensez-vous que vous exprimez également la pensée de vos clients, les attentes, en tout cas, de vos clients, d'après les rapports que vous avez avec eux?

M. Lacoursière: Je dirais que ça représente sûrement l'opinion des clients locaux, des clients régionaux; au niveau des clients nationaux, il peut y avoir certaines différences, mais pas à un niveau très élevé.

M. Ryan: Pas à un niveau très élevé? M. Lacoursière: Je ne pense pas.

M. Ryan: Est-ce que le degré d'adhésion aux attentes que vous formulez serait assez grand pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'obtenir par voie obligatoire?

M. Lacoursière: Je m'excuse, M. le ministre, je n'ai pas bien compris votre question.

M. Ryan: Est-ce que le degré d'adhésion de vos clients au message que vous nous apportez ce matin serait assez élevé pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'obtenir par voie obligatoire?

Supposez que la loi resterait ce qu'elle est actuellement, qu'il n'y aurait pas de règlement traitant des panneaux-réclame en particulier, qu'est-ce qui se produirait, d'après vous?

M. Lacoursière: C'est une bonne question, ça. M. Ryan: Ha, ha, ha!

M. Lacoursière: Comme je vous l'ai dit, au départ, si on parle au niveau de la clientèle, les agences de publicité, entre autres, elles, définitivement, je pense, seront unanimes pour conserver les messages unilingues francophones. Je pense que ça, c'est vraiment typique aux agences du Québec.

Au niveau du client, je pense qu'il faut voir, diviser les deux clients: le client qui s'adresse strictement à un marché plus local, encore une fois, lui, il va exiger le message francophone; s'il vise le marché extérieur, comme l'Ontario, un exemple, probablement que lui, il va tenter d'avoir des messages bilingues. Ce serait à son avantage de le faire.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le député de Rimouski.

M. Tremblay (Rimouski): En termes de publicité, quand vous avez affaire à vos clients nationaux, ce sont des grands panneaux-réclame qu'ils veulent et, nécessairement, le message qu'ils veulent passer, ils veulent avoir le message le plus direct possible et toucher la clientèle québécoise qui est francophone. Je serais un peu surpris que des gens disent: Nous, on veut atteindre l'objectif de rejoindre cette clientèle-là, mais on va partager le panneau-réclame, on va mettre ça deux tiers-un tiers. Vous ne pensez pas que votre client va dire: Aïe, là, je vais continuer, je vais afficher unilingue français? Vous ne pensez pas que votre client va vous exiger ça compte tenu qu'il veut frapper la clientèle, qu'il veut attirer l'attention de la clientèle, dans la pratique?

M. Lacoursière: Oui, je pense que vous avez raison.

M. Tremblay (Rimouski): Donc, il...

M. Lacoursière: Encore une fois, c'est comme je vous le disais tantôt, le client qui est vraiment régional ou local va définitivement pousser pour avoir un message francophone. Le client qui veut aller à l'extérieur, lui, à ce moment-là peut demander un message...

M. Tremblay (Rimouski): Parce que ça minimiserait son impact, à mon sens, sur le but à atteindre, le fait qu'il partage ce grand panneau-réclame et dise: deux tiers-un tiers. Bien, là, je veux dire, évidemment, ça aura moins de visibilité, puis ça aura peut-être moins d'impact. Par conséquent, je voudrais afficher seulement unilingue français. Ce serait peut-être sa décision, parce que c'est une question de marketing.

M. Lacoursière: Oui. Je pense que, de la part du client, il va toujours y avoir un blanc ou un noir, dans le sens où il y a un client qui va dire: Moi, c'est strictement francophone; je ne veux pas deux tiers-un tiers. Ou l'autre va dire: Moi, je veux vraiment deux tiers-un tiers. Je pense que ce dont il faut toujours se souvenir, c'est que si la loi le spécifie comme étant qu'on doit afficher strictement en français sur les panneaux-réclame, à ce moment-là, ça élimine celui qui voudrait essayer de faire l'entre-deux et créer toutes sortes d'émotions à travers les différents marchés. Je ne sais pas si vous me suivez, là.

M. Tremblay (Rimouski): Oui, ça va.

Le Président (M. Doyon): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Messier: Oui. Merci, M. le Président.

En termes de panneaux, que vous avez chez Mediacom, est-ce que vous faites la conception graphique ou la conception des messages publicitaires ou c'est fait par des grosses firmes comme Cossette et...

M. Lacoursière: La majorité des messages publicitaires sont créés par les agences de publicité, comme je vous le disais, pour les clients régionaux, nationaux. Pour les clients locaux, nous reproduisons la plupart des maquettes pour des dessins publicitaires.

M. Messier: Si on regarde la position de vos panneaux, on en voit un petit peu partout à travers le Québec, mais la grande majorité doit se situer dans la région de Montréal?

M. Lacoursière: Montréal et Québec.

M. Messier: Toutes proportions gardées, dans la région de Montréal, les panneaux sont situés là?

M. Lacoursière: Effectivement.

M. Messier: O.K. Vous parliez — on le vit, nous, régulièrement en campagne électorale ou en référendum — du vandalisme sur nos panneaux à nous, parce qu'on a tendance à utiliser sensiblement les mêmes modes que vous...

M. Lacoursière: Oui.

M. Messier: ...sur les panneaux, on le sait; on est victimes de vandalisme et en très peu de temps. Habituellement, ça débarque dans deux, trois jours; après ça, il n'y en a plus. Et vous pensez qu'advenant la permission ou, en tout cas, l'obligation de s'exprimer, lorsqu'il y a un texte, en français... s'il y a un texte, donc, de le faire en français et en anglais, qu'il va y avoir, que vous allez être victimes de vandalisme. Donc, vous êtes conscients qu'il peut y avoir des coûts de rattachés à ça, si on le permet.

M. Lacoursière: On est convaincus de ça. M. Messier: Définitivement? M. Lacoursière: Définitivement.

M. Messier: Peut-être une autre question, si le temps le permet.

Le Président (M. Doyon): Oui, oui.

M. Messier: Vous disiez tantôt: Si on permet le bilinguisme dans l'affichage sur vos types de panneaux, il va y avoir une sorte d'invasion des grosses firmes ontariennes ou américaines qui vont venir sur le territoire québécois pour faire possiblement de la conception ou nous inonder. Est-ce qu'on est capable...

M. Lacoursière: II faudrait peut-être spécifier l'aspect... Il y a un aspect qui demeure toujours très important en publicité, c'est les coûts de production. Automatiquement, déjà, lorsque les compagnies nationales veulent faire des campagnes au Canada anglais et au Canada français, ils doivent faire deux campagnes différentes et faire deux types de production. Alors, lorsque l'économie vit une période plus difficile, automatiquement, vous le savez, en publicité, on est porté à couper les coûts. Alors, il pourrait y avoir une tendance à vouloir couper les coûts de production au niveau de l'affichage et aller vers des messages bilingues plutôt qu'unilingues. Donc, c'est là qu'on dit qu'il pourrait y avoir une problématique à ce niveau-là pour minimiser des coûts.

M. Messier: Vous ne pensez pas qu'on est capable d'exporter, nous? Vous parliez, disons, de la publicité de McDonald's...

M. Lacoursière: Oui.

M. Messier: ...qu'il y avait une exportation à travers le monde de la publicité sur possiblement... c'était la pizza, là...

M. Lacoursière: Oui.

M. Messier: On est capable d'exporter, on l'a fait. Je regarde l'émission qui a été faite sur la publicité, «Fous de la pub»...

M. Lacoursière: Oui, «Fous de la pub».

M. Messier: ...où on avait tendance à être quand même performant au niveau de la conception.

M. Lacoursière: Encore une fois, il faut toujours se souvenir... Je ne pense pas que l'exportation soit le

problème, mais c'est toujours le client qui décide. L'agence de publicité n'est qu'un outil. L'agence publicitaire va faire une recommandation au client, mais c'est le client qui a le mot final, ce n'est pas l'agence; en tout cas, dans la majorité des cas. Alors, si le client, lui, décide qu'il veut faire un affichage bilingue, l'agence peut représenter beaucoup de points, mais c'est toujours le client qui a le mot final. C'est à ce niveau-là qu'il peut y avoir des dangers.

M. Deschamps: Si je peux me permettre de rajouter...

Le Président (M. Doyon): Oui, oui, M. Lacour-sière.

M. Deschamps: René Deschamps, mon nom, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): M. Deschamps, pardon. Je vous avais mêlés tous les deux. (10 h 30)

M. Deschamps: Si je peux me permettre de rajouter à ce que le président Lacoursière disait il y a quelques minutes, il est sûr et certain que le fait d'avoir peut-être de la publicité bilingue... Entre autres, je pense à la ville de Québec, par exemple, où il y aurait peut-être un annonceur ou il y aurait peut-être une entreprise qui voudrait faire de la publicité à Québec et, je ne sais pas pour quelle raison, mais désirerait avoir sa publicité bilingue. Je pense que cet aspect-là, dans les petites municipalités, je pense à Trois-Rivières, à Québec, partout où on a des panneaux-réclame dans la province, je pense que cet aspect-là nous créerait beaucoup de problèmes, créerait non seulement du vandalisme, mais aussi, des fois, peut-être, une attitude des élus municipaux envers notre médium de publicité qui serait plus ou moins intéressante.

Parce qu'il ne faut pas oublier qu'on vit, comme entreprise, avec la municipalité, c'est-à-dire qu'on n'est pas sur le territoire municipal si la municipalité décide, de par un règlement, qu'elle ne veut pas voir de panneaux-réclame, en principe. Donc, au départ, si on se met à dos — une façon de parler — les autorités municipales par des messages qui leur créent des problèmes avec leurs citoyens, ou elles ont des tollés de protestation, c'est sûr et certain que par ricochet l'entreprise, de l'extérieur, va en souffrir.

Le Président (M. Doyon): Merci. Oui, M. le ministre.

M. Ryan: Est-ce que le temps est terminé?

Le Président (M. Doyon): II vous reste quelques minutes.

M. Ryan: Alors, je vais laisser faire. On reviendra.

M. Messier: Une question. Est-ce qu'il y a seulement deux compagnies, Néon et Mediacom, au niveau des grands panneaux?

M. Lacoursière: Au niveau des grands panneaux, vraiment, il y a la compagnie Omni...

M. Messier: Omni.

M. Lacoursière: Omni, qui avait majoritairement les panneaux verticaux...

M. Messier: O.K.

M. Lacoursière: ...et maintenant, qui ont aussi les panneaux horizontaux parce qu'ils ont acheté la compagnie Gallop & Gallop. Il y a Urbanoscope, il y a Claude Néon et Mediacom.

M. Ryan: Le dernier, comment vous l'appelez?

M. Lacoursière: Claude Néon est encore dans l'affichage, certains affichages.

Le Président (M. Doyon): Oui, mais l'autre nom que vous avez donné?

M. Lacoursière: Excusez-moi. Urbanoscope, qui sont, eux, les panneaux qui sont illuminés par l'arrière. Nous en avons aussi, mais Urbanoscope...

M. Messier: Vous devez vous parler, parce que c'est quand même un marché relativement...

M. Lacoursière: Oui, on se parle de plus en plus.

M. Messier: Votre représentation représente aussi vos concurrents.

M. Lacoursière: Comme je le disais, oui, c'est vraiment le regroupement. On a discuté avec le regroupement avant de venir ici, en commission, et ils étaient d'accord avec les points de vue qu'on énonçait.

Le Président (M. Doyon): Merci. mme la députée de chicoutimi. .

Mme Blackburn: Merci, M. le Président. ' M. Lacoursière et M. Deschamps, il me «fait plaisir de vous accueillir au nom de l'Opposition officielle. Vous nous rappelez quelque chose qui est important et que je souhaite rappeler à ceux qui nous écoutent, que la publicité commerciale, la conception, la créativité, l'imagination de nos concepteurs québécois a été remarquée un peu partout dans le monde. Et je pense qu'il faut le dire pour le signaler. Il faut aussi dire que c'a été un peu beaucoup grâce à l'unilinguisme dans l'affichage qui a obligé une création plus originale,

différente, ici, au Québec, et qui, finalement, a trouvé à être utilisée ailleurs, ce qui est assez exceptionnel. Et là on a un secteur dans lequel on a réussi à performer. Je voudrais vous en féliciter. On n'a pas souvent l'occasion de le faire, mais je dois dire que j'ai lu souvent les commentaires et les éloges qui étaient faits à ce sujet-là, et on n'y pense pas souvent.

Il me vient à l'esprit certaines publicités dans certains aéroports, et qu'on trouve bilingues et pas très belles. Ils sont obligés de diluer la qualité du message parce que ça ne parle pas pareil. Un esprit, une âme, ça ne se traduit pas de la même façon. Alors, ça vous donne quelque chose de plutôt banal et sans vraiment beaucoup d'intérêt.

Ce que vous nous dites, finalement, le Conseil de la langue française l'a dit au ministre pas plus tard qu'au début d'avril, fin mars, et je me permets de citer quelques passages touchant précisément les effets sur l'affichage. Ce qu'on disait à la page 14: «II y a risque réel que le français redevienne une langue de traduction dans l'affichage et la publicité commerciale, alors que depuis 15 ans les manifestations de créativité lexicales et sémantiques du français ont connu un essor constant dans ces domaines».

Et il rappelait, à la page 17, que «le choix qu'a fait le ministre comporterait un risque de diffusion du bilinguisme sur le territoire québécois». Vous aurez remarqué que tout à l'heure le ministre n'a pas utilisé «bilinguisme» pour essayer de vous poser la question tant il est vrai qu'il essaie d'éviter de nous dire que ce sera bilingue tantôt sur les affiches.

Le Conseil poursuit en disant: «II existe, certes, des freins à ce risque de propagation du bilinguisme: les pressions de la clientèle locale, les décisions que pourraient prendre les gérants des établissements locaux en décidant de s'abstenir de recourir au bilinguisme et, bien sûr, l'inertie que pourrait entraîner l'application de l'interdiction générale des autres langues que le français en vigueur au Québec depuis 15 ans. «Néanmoins, disait le Conseil, il aurait subsisté un risque que le bilinguisme se répande partout sur le territoire à la suite de décisions individuelles prises par des gérants d'établissements locaux ou sous l'effet de pressions de la standardisation résultant d'une politique commerciale adoptée à l'échelle canadienne, continentale ou internationale.»

Le Conseil de la langue, là-dessus, rend exactement votre position. Ça ne semble pas avoir beaucoup influencé la ministre, et nous apprenons déjà que — hier, j'écoutais le bulletin de nouvelles à TVA — les affiches bilingues — évidemment, pas de prédominance du français — commencent à apparaître un peu partout ici même, à Québec. Vérification faite, les petites entreprises qui fabriquent ces petites affiches devant les boutiques, les magasins feraient du temps supplémentaire par les temps qui courent. Alors, c'est à vérifier. Comme quoi, finalement, on aura réussi à nous culpabiliser, à nous faire passer pour des gens intolérants sous prétexte qu'on n'affiche pas bilingue. Alors, les effets se sont faits sentir très rapidement ici même, à Québec. J'inviterais les députés, et le président de la commission de façon plus particulière, qui est de Québec, à voir s'il y a effectivement danger en la matière, tel que le pensait le commentateur hier, à TVA.

Vous craignez également le vandalisme. Pour avoir vu certaines de vos affiches barbouillées, on sait ce que ça veut dire. Je pense bien qu'on n'a pas besoin d'avoir là-dessus beaucoup plus de détails. J'aimerais savoir de vous: Est-ce que vous avez évalué les impacts? Vous nous dites, s'il y a bilinguisation, et particulièrement en période de crise économique, il va y avoir tendance pour le promoteur de ne faire qu'une série d'affiches qui, généralement, pourraient être produites à l'extérieur, comme ça a été le cas avant. Ce serait quel effet sur votre entreprise, sur la vôtre, et combien d'emplois pourraient être éventuellement remis en cause?

M. Lacoursière: Je pense qu'au niveau de l'affichage extérieur ce dont il faut toujours se souvenir, c'est que, comme je le disais précédemment, nous ne représentons que 4 % de la tarte totale qui se dépense en publicité. De ce fait, lorsqu'un publicitaire ne peut pas atteindre ce qu'il veut, exactement, il a beaucoup d'autres médias auxquels il peut se fier. Et nous, déjà, à cause du peu de la recette totale qu'on a en publicité, on ne peut pas se permettre de perdre beaucoup de clients qui choisiraient un autre médium. Je pense qu'il est trop tôt pour pouvoir évaluer les pertes, que ce soit au niveau de l'emploi ou au niveau des revenus.

Je pense, encore une fois, que l'idée qu'on a émise ce matin, c'est vraiment de parler de la crainte au niveau de l'industrie en tant que telle. Au départ, la mise au point que je fais, c'est que l'affichage extérieur, nous ne le considérons pas au même niveau que l'affichage commercial au niveau des rues. Principalement, encore une fois, parce que l'affichage que nous représentons est dédié à l'automobiliste, alors que l'affichage ailleurs peut l'être au piéton. Donc, le piéton, lui, peut avoir le temps de lire; l'automobiliste n'a pas le temps de lire. Alors, encore une fois, il est peut-être un peu trop tôt pour évaluer des pertes, mais je pense qu'il faut se souvenir, encore une fois...

Une chose que je vais peut-être ajouter aussi: Depuis quelques années maintenant, il était bien établi que l'affichage était unilingue francophone. Tout le monde le reconnaissait, les clients de plus en plus le reconnaissaient, et je pense que c'est de ça qu'il faut se souvenir: il ne faudrait pas retourner en arrière pour refaire poser des questions là-dessus. Je pense que c'était accepté de la part des clients et des agences, et il ne faudrait pas faire poser des questions à ce niveau-là.

Mme Blackburn: Est-ce que vous avez eu souvent des remarques désobligeantes ou simplement des questions sur la pertinence de l'unilinguisme dans l'affichage, celui que vous faites, les grands panneaux, ou si, finalement, c'était devenu aussi normal ou naturel de le

faire ici en français qu'en italien en Italie, ou en français en France?

M. Lacoursière: Je dirais que, maintenant, c'était établi: au Québec, c'était en français. Il n'y avait pas de questions posées. (10 h 40)

Mme Blackburn: Non? On avance deux choses lorsqu'on parle de l'affichage commercial et qu'on prétend qu'il devrait être bilingue, c'est l'image négative du Québec à l'étranger... Et, évidemment, avec le discours tenu hier par le ministre, on ne s'étonnera pas que la perception de ceux qui ne sont pas à même de vérifier les comparaisons que le ministre faisait du Québec avec l'Afrique du Sud, évidemment que ça peut ternir un peu l'image du Québec. Mais vous?

On invoque deux choses: l'image à l'étranger, et ça aurait des effets sur l'économie. Pourtant, on sait que M. Scowen, dans son livre, dans son rapport sur la déréglementation, avait bien dit en examinant cette question, après avoir dit bien autre chose dans les années qui ont précédé, que ça n'avait pas eu d'effets sur l'économie, pas d'effets réels. Mais vous, avez-vous une impression que l'unilinguisme au Québec, en matière d'affichage commercial, ça a vraiment pu nuire à l'économie du Québec?

M. Lacoursière: Selon la question que vous me posez, je devrais sortir de l'affichage extérieur.

Mme Blackburn: Pour parler de l'affichage de façon générale, oui.

M. Lacoursière: Oui. Parce que je pense qu'au niveau de l'affichage extérieur ça n'a pas été un problème, cet acquis. Au niveau de l'affichage commercial, si vous me demandez les commentaires que je peux avoir au niveau de l'industrie, au niveau de commerçants, au niveau de clients, il a été, à l'occasion, fait mention, effectivement, que la publicité unilingue pouvait apporter des pertes de revenus ou des manques à gagner pour certains commerces qui sont plus identifiés dans certains quartiers de grandes villes. Mais au niveau de l'affichage extérieur en tant que tel, je ne pourrais pas vous en faire mention parce que, encore une fois, ça été accepté d'emblée.

Mme Blackburn: Vous êtes appelés à vous déplacer un peu partout...

M. Lacoursière: Oui.

Mme Blackburn: ...en Amérique du Nord, en Europe, tout ça. Est-ce qu'on vous a souvent parlé de cette impression que le Québec serait intolérant vis-à-vis des anglophones et qu'on était en train de les mener à leur extinction au Québec?

M. Lacoursière: C'est... Ha, ha, ha!

Mme Blackburn: Je voudrais vous dire tout de suite qu'hier M. Daoust nous a dit que non. Et d'ailleurs, M. Scowen, qui est délégué du Québec à New York, a dit la même chose, après six mois...

M. Lacoursière: Je pense, encore une fois, qu'on sort un petit peu du sujet de l'affichage en tant que tel. C'est difficile pour moi de pouvoir répondre en tant qu'industrie.

Mme Blackburn: Oui, je comprends un peu votre...

M. Lacoursière: Vous m'amenez plus vers des questions personnelles que...

Mme Blackburn: Vous voyez que le ministre se réjouit, parce que s'il fallait que vous confirmiez, comme globe-trotter, qu'effectivement ce n'est pas vraiment ce qui empêche les habitants de la planète de dormir...

Je reviens donc à l'affichage. Pour mesurer l'impact sur l'industrie, vous avez... J'hésite à vous poser la question parce que je me dis... À des gens d'affaires, je ne sais pas. Vous avez combien d'employés, de façon générale?

M. Lacoursière: Au Québec, chez Mediacom, nous avons 250 employés.

Mme Blackburn: Dans l'ensemble de l'industrie?

M. Lacoursière: Dans l'industrie, on représente environ 600 employés.

Mme Blackburn: 600 employés.

M. Lacoursière: Au Québec, j'entends bien.

Mme Blackburn: Et ce que vous produisez actuellement, ce que vous nous dites, c'est 25 % de votre production qui est faite pour l'extérieur?

M. Lacoursière: je disais que les agences représentent 60 % de notre clientèle qui, elles, produisent leurs propres messages. nous, on représente, peut-être... où, nous, on fait les messages, peut-être 25.%, oui, où c'est nous autres qui faisons les esquisses pour présenter les messages. '

Mme Blackburn: Rappelez-nous quelle était la situation avant. C'était majoritairement fait à l'extérieur par des entreprises canadiennes, américaines?

M. Lacoursière: Oui. C'est-à-dire que les agences de publicité, souvent, pour les compagnies nationales, étaient à l'extérieur du Québec.

Mme Blackburn: D'accord.

M. Lacoursière: Mais, de plus en plus, il y en a au Québec.

Mme Blackburn: Avez-vous examiné comment, dans l'hypothèse de la loi... Ce que la loi nous dit, c'est que, dans certaines occasions, en matière d'affichage commercial, ça pourrait être unilingue français, ça pourrait être le bilinguisme avec prédominance du français, unilingue dans une autre langue, et les raisons sociales, c'est égal. Alors, vous voyez qu'on a là-dedans à peu près toute la gamme des possibilités et, comme on n'a pas les règlements, on ne sait pas vraiment comment ça va s'appliquer.

Mais vous, qui êtes créateurs-concepteurs en ces domaines, comment allez-vous travailler avec l'idée de la prédominance, un tiers-deux tiers?

M. Lacoursière: J'ai dit un petit peu au départ que vis-à-vis de l'affichage extérieur, vis-à-vis de notre industrie, nous recommandons le statu quo, l'unilin-guisme au niveau des messages. Je crois que dans certaines sphères, il faut être spécifique, et c'est ce qu'on a voulu faire ce matin pour spécifier davantage au niveau de l'industrie de l'affichage extérieur, au niveau des panneaux de grande dimension, et c'est ce que nous représentons ce matin, et je ne voudrais pas dépasser cette borne-là.

Mme Blackburn: Oui. Ce que vous demandez, c'est que les panneaux, les grands panneaux, ce qui n'est pas sur les lieux du commerce...

M. Lacoursière: C'est ça.

Mme Blackburn: ...soient unilingues français. Mais j'imagine que vous avez réfléchi à la situation qui serait la vôtre si la loi passe telle qu'elle est. Il n'y a rien qui indique que ce soit sur les lieux, c'est-à-dire qu'on va le savoir par le biais des règlements qu'on ne connaît pas et, déjà, Alliance Québec annonce qu'elle va contester. Alors, donc, on sait dans quoi on s'embarque, mais, en même temps, vous allez vraisemblablement être confrontés à cette idée de concevoir des messages bilingues avec prédominance du français.

Moi, j'ai peine à savoir comment on va évaluer la compagnie pour savoir si vraiment elle a assuré la prédominance du français. Parce que c'est vous qui allez être évalués là, ce n'est pas le ministre. Il est supposé y avoir des vérificateurs. Je ne sais pas ce que ça fait dans la vie trop, trop là, mais il va y avoir des vérificateurs qui vont nous dire: Ah! vous n'avez pas bien respecté l'idée qu'on se fait de la prédominance. Comment est-ce que vous allez traduire ça?

M. Lacoursière: Nous espérons que la représentation qu'on fait ce matin va justement influencer certaines parties de règlements qui vont être plus spécifiques à l'affichage extérieur. C'est ce que nous demandons ce matin, et nous espérons qu'on va être entendus pour pouvoir répondre à ces attentes-là.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Lacoursière.

M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Libman: Merci, M. le Président.

M. Lacoursière, comme vous le savez, le ministre a un dilemme ici: tous les tribunaux ont jugé que l'affichage commercial tombe dans le domaine de la liberté d'expression. Alors, le ministre réalise que, s'il maintient l'interdiction contre l'usage d'autres langues sur les panneaux-réclame, il laisse la porte ouverte à certaines contestations futures, des contestations devant les tribunaux. Alors, lui, il doit décider s'il veut laisser cette porte ouverte, prendre ce risque. C'est pour ça que je veux savoir si vous pouvez nous éclairer un peu sur le processus qui existe.

Moi, je veux établir si l'interdiction de ma langue sur un panneau-réclame est toujours une violation à ma liberté individuelle de liberté d'expression qui existe, que les tribunaux ont jugé qui existe avec les autres types de commerce, les autres types d'affichage commercial. Si, par exemple, moi, comme client direct, je suis propriétaire d'un magasin ou je dirige une entreprise, je vous approche, je vous dis que je veux louer, par exemple, pour 30 jours, un panneau, c'est comme ça que ça marche? Je demande de louer, par exemple, pour 30 jours un panneau? Moi, je vous donne le message que je veux mettre sur ce panneau. Si, par exemple, je vous approche et que je vous donne une publicité bilingue, est-ce que c'est Mediacom qui va me dire: Je m'excuse, M. Libman, vous ne pouvez pas afficher d'une telle façon parce que les panneaux-réclame doivent rester toujours unilingues? Est-ce que c'est comme ça que ça marche? Est-ce que c'est vous qui interviendrez si, moi, je veux violer la loi existante et je veux mettre un message bilingue?

M. Lacoursière: Actuellement, c'est le cas. Actuellement, si vous venez nous voir pour avoir un message bilingue, nous vous dirons qu'on ne peut pas faire un message bilingue, sauf sur le territoire des aéroports, où les messages bilingues sont permis.

M. Libman: Alors, ça veut dire que de la même façon que quelqu'un qui loue un espace pour avoir un magasin et qui a le droit de s'afficher, alors que les tribunaux disent qu'il a le droit de s'afficher dans sa langue, c'est Mediacom qui va me dire, par exemple, si, moi, comme individu, je veux afficher ou annoncer mon commerce dans les deux langues, c'est Mediacom qui va me dire: Je m'excuse, mais vous... (10 h 50)

M. Lacoursière: Non. Encore une fois, vous touchez deux choses qui sont différentes. L'affichage extérieur, on l'a exprimé, ce sont les panneaux-réclame, et l'affichage au niveau des commerces, au niveau de la rue, ce n'est pas mon domaine et je ne veux pas

représenter ce niveau-là. Ce n'est pas la raison pourquoi je suis ici ce matin. J'ai voulu représenter l'opinion au niveau de l'affichage extérieur, et je ne pense pas que c'est le mandat que j'ai ce matin de représenter autre chose que ça.

M. Libman: Non, mais ce n'est pas ça que je dis exactement. Moi, j'essaie d'établir un lien entre la façon qu'on affiche... On loue un espace pour afficher un commerce. Si je veux faire une publicité sur un panneau-réclame, je vous dis que je veux louer ce panneau, en effet. Moi, je veux faire ce message. C'est moi-même, c'est mon commerce. Moi, je veux publiciser mon commerce de la façon que je veux. Si les règlements du projet de loi 86 disent «non, vous ne pouvez pas le faire», moi, je ne vois pas vraiment pas une différence sur l'aspect qui contraint mon droit individuel de m'afficher ou de m'exprimer commercialement comme je veux. En effet, c'est exactement la même chose.

Donc, la seule chose que je dis et que nous pouvons en déduire, nous pouvons présumer que les tribunaux vont réagir d'une même façon sur l'interdiction sur les panneaux-réclame qu'ils l'ont fait sur les affiches commerciales sur un commerce spécifique.

M. Lacoursière: Mais vous parlez de deux choses. Vous parlez du droit de la personne qui dit «je peux afficher dans la langue que je veux», puis vous parlez de l'autre côté qui est: S'il y a une loi qui dit qu'on doit afficher dans une langue plutôt qu'une autre, c'est celle-là qu'on fait. Encore une fois, je ne peux pas... Si j'étais ici pour émettre des opinions personnelles, ce serait une chose, mais je ne peux pas répondre à ces questions-là, qui ne sont pas du domaine de l'affichage extérieur.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Lacoursière.

M. le ministre, il vous reste quelques minutes.

M. Ryan: Je voudrais peut-être résumer la discussion en évoquant la position gouvernementale. Nous avons déposé un projet de loi qui prévoit que le français sera obligatoire partout dans l'affichage commercial, qu'une autre langue pourra être utilisée moyennant la règle de la nette prédominance du français, et un troisième alinéa qui indique que le gouvernement pourra déterminer, par règlement, les situations ou les cas où l'affichage pourra se faire uniquement en français, en français et dans une autre langue, mais sans nette prédominance, et peut-être, dans certains cas, même exclusivement dans une autre langue. On pense, en particulier, à des produits culturels. Un livre qui est écrit en anglais, il peut arriver que le producteur du volume décide de l'annoncer en anglais. Ça, ça ne crée pas de danger pour la langue française.

Alors, on a ces choses-là. Nous avons indiqué publiquement, à la suite, d'ailleurs, des orientations définies par le conseil général du Parti libéral du Québec, que nous examinons avec une attention particulière le cas des panneaux-réclame. Le conseil général a demandé que les panneaux-réclame demeurent unilingues français. Alors, le gouvernement s'évertue à trouver le moyen de réaliser cet objectif dans le respect des chartes de droits que nous avons au Canada. Nous pensons que c'est possible. Nous pensons qu'il y a moyen de définir, dans la réglementation, des conditions qui feront que les tribunaux, si jamais ils sont saisis de choses comme celles-là, considéreront qu'il s'agit d'une restriction raisonnable à des libertés que nous reconnaissons tous.

Quand c'était l'interdiction totale, comme c'a été le cas longtemps, les tribunaux ont jugé que c'était déraisonnable, et nous avons indiqué à maintes reprises que nous respectons l'opinion des tribunaux et que nous sommes intéressés à la respecter dans nos lois. Dans ce cas-ci, nous examinons la possibilité... Je pense que les éclaircissements que vous nous apportez, quant aux conditionnements concrets dans lesquels devront se prendre et s'appliquer ces décisions, sont extrêmement utiles, et je vous en remercie. Puis on va continuer de discuter ces choses-là avec vous, parce qu'il s'agit de l'un des points névralgiques qu'il reste à clarifier, mais nous travaillons à les clarifier dans le sens des orientations qu'a déjà fait connaître le gouvernement.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre.

M. Lacoursière, M. Deschamps, c'est tout le temps dont nous disposions. Il me reste, encore une fois, à vous remercier pour vous être rendus disponibles à l'heure dite et à vous souhaiter un bon voyage de retour. Vous avez pu voir, par les discussions qui sont engagées avec les membres de la commission, qu'il y avait énormément d'intérêt dans vos propos. Alors, merci beaucoup, encore une fois.

M. Lacoursière: C'est nous qui vous remercions. Le Président (M. Doyon): Suspension. (Suspension de la séance à 10 h 55)

(Reprise à 11 h 2)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous plaît! é

La commission de la culture reprend donc «ses travaux et le fait en invitant les représentants de l'Office des congrès et du tourisme du Grand Montréal à nous présenter leur mémoire.

J'indique aux membres de cette commission ainsi qu'à ceux qui nous font l'honneur de nous écouter que l'Office des congrès va présenter son mémoire de façon conjointe avec l'Association des hôtels du Grand Montréal, qui nous en avait informé par lettre du 21 mai.

Alors, nous prenons pour acquis que la

présentation sera faite de cette façon même si l'ordre du jour indique tout simplement l'Office des congrès et du tourisme. Il est entendu que ce mémoire est aussi présenté par l'Association des hôtels du Grand Montréal.

Alors, je souhaite la bienvenue aux représentants et à M. Lapointe, qui est là, devant nous, M. Bellerose ainsi que M. Bamatter.

Je leur dis que les règles normales s'appliquent, que vous disposerez de 20 minutes pour nous faire part de votre vision du projet de loi 86, comment vous réagissez à cette proposition gouvernementale. Ensuite, des discussions vont s'engager avec les membres de la commission qui vous poseront des questions et qui voudront peut-être en savoir plus sur vos prises de position. Ce temps-là qui restera après votre présentation sera séparé également entre les formations politiques, selon la règle que j'ai suivie jusqu'à maintenant.

Alors, bienvenue de nouveau. Juste vous identifier pour les fins de transcription de nos débats, et vous avez dès maintenant la parole.

Office des congres et du tourisme

du Grand Montréal (OCTGM) et

Association des hôtels du Grand Montréal

M. Lapointe (Charles): Merci, M. le Président.

M. le ministre, Mme, MM. les députés, je voudrais vous remercier de l'invitation que vous nous avez faite.

Alors, tout d'abord, j'aimerais vous présenter mes collègues pour les fins du débat. Mon nom est Charles Lapointe; je suis le président-directeur général de l'Office des congrès et du tourisme du Grand Montréal. À ma droite, M. Gustav Bamatter, qui est vice-président exécutif de l'Association des hôtels du Grand Montréal et, à ma gauche, M. Pierre Bellerose, qui est le directeur de la recherche et de l'accueil à l'Office des congrès et du tourisme. Alors, peut-être que mes deux collègues aussi pourront plus tard répondre à vos questions. Alors, encore une fois merci de nous avoir invités à présenter notre point de vue dans ce débat, qui est très important.

Et, en commençant, je voudrais vous dire que, pour nous, l'industrie touristique montréalaise est probablement l'activité économique québécoise qui est ou qui se situe sur la ligne de front la plus avancée et la plus délicate dans le dossier linguistique. D'une part, nous savons très bien que la valeur vedette, lorsque nous faisons la promotion touristique de la région de Montréal, nous savons très bien que notre valeur sûre et ce qui fait l'originalité du produit touristique de la région de Montréal, c'est le fait français. Mais, d'autre part, nous savons également qu'à cause de certaines contraintes légales actuelles — réglementaires ou politico-culturelles — cela peut devenir une épreuve de tous les jours lorsque nous voulons offrir à nos clients, qui sont majoritairement de langue anglaise, des services d'accueil qui défient toute concurrence.

Les clientèles américaines et canadiennes des autres provinces choisissent la région de Montréal comme destination vacances d'abord et avant tout à cause du fait français, à cause de l'originalité de notre spécificité culturelle et de notre dynamisme culturel.

Je pense que, dépassé le simple phénomène de curiosité, la survivance linguistique du Québec est devenue un modèle. Cependant, c'est un modèle qui est parfois éreinté par des actions, des prises de position publiques et des rumeurs d'intolérance linguistique qui dépassent à l'occasion nos frontières. Ces jours-là, notre image de destination accueillante, notre réputation de ville chaleureuse, amicale et culturellement enrichissante en prend pour son rhume.

Je pense qu'il nous faut, dans un tel contexte, tempérer nos émotivités, mettre une sourdine aux cris d'orfraie qui, trop souvent, caractérisent le débat linguistique au Québec. Il nous importe, tout à l'opposé, de réagir positivement et faire la démonstration que notre société, loin d'être isolationniste, recherche des solutions innovatrices pour satisfaire aux attentes et aux besoins de la population francophone, certes, mais aussi de ses citoyens qui maîtrisent mal la langue officielle et de ses hôtes internationaux qui utilisent l'anglais comme première ou deuxième langue de communication.

Pouvoir communiquer verbalement par voie d'affichage ou autrement avec ces visiteurs dans leur idiome ou dans la langue internationale qu'ils maîtrisent le mieux constitue hors de tout doute l'élément de politesse le plus difficilement contournable, sans compter que cette réalité correspond à des exigences fondamentales de sécurité, d'efficacité, de confort et d'hospitalité. C'est dans cette perspective, M. le Président, que l'Office des congrès et du tourisme et que l'Association des hôtels du Grand Montréal souscrivent totalement à la volonté du gouvernement de modifier la Charte de la langue française en matière d'affichage.

Qui sommes-nous, brièvement? L'Office des congrès et du tourisme du Grand Montréal, c'est une association qui regroupe à peu près 500 à 600 membres de l'industrie touristique de la grande région de Montréal. Nous avons été incorporés en 1919 et nous sommes un organisme à but non lucratif. Nous jouons également le rôle d'association touristique et régionale pour le territoire de l'île de Montréal. Nos principales missions ou nos principaux objectifs sont d'assurer la mise en marché, sur les marchés extérieurs, de la destination touristique montréalaise, de définir les orientations de l'industrie touristique de Montréal, de répondre aux besoins d'accueil des visiteurs que nous essayons d'attirer chez nous — d'accueil et d'information touristique — concerter les différents intervenants et, évidemment, comme nous sommes une association, soutenir efficacement nos membres et agir comme porte-parole de l'industrie auprès des instances municipales, régionales, provinciales et fédérales.

D'autre part, l'Association des hôtels du Grand Montréal est aussi un organisme à but non lucratif qui a été incorporé en 1949 et qui regroupe les 40 principaux établissements hôteliers de la grande région montréalaise

— ce qui totalise environ 13 000 chambres d'hôtel — et ils fournissent... l'Association fournit de l'emploi, directement, à plus de 8000 personnes dans la région de Montréal, ce qui représente une masse salariale d'autour de 250 000 000 $. Et plus de 65 % de la clientèle des membres de l'Association des hôtels du Grand Montréal provient de l'extérieur du Québec.

Alors, l'Association des hôtels a pour but de développer, encourager et maintenir parmi ses membres la courtoisie et l'hospitalité envers la clientèle et les visiteurs, promouvoir l'efficacité de ses membres et susciter un climat fructueux dans les relations de l'industrie hôtelière avec le grand public et les autorités gouvernementales.

Alors, nos deux organismes souhaitent que les décisions que vous allez prendre à cette commission et à l'Assemblée nationale concernant la langue d'affichage tiennent compte des contraintes et des spécificités de notre industrie, et nous voulons que les décisions que vous allez prendre viennent appuyer concrètement les efforts que les 31 000 entrepreneurs et employés de l'industrie du tourisme fournissent à chaque jour pour rendre la vie agréable à nos visiteurs.

En 1992, Montréal a accueilli environ 5 500 000 visiteurs, qui ont laissé dans l'économie montréalaise 1200 000 000$ et qui ont été responsables... Ces 1 200 000 000 $ ont été responsables pour 31 045 emplois. Alors, tout ça est calculé d'une façon très scientifique que je ne connais pas, mais on me dit que ces chiffres-là sont très valables. C'est une masse salariale de 645 000 000 $ dans l'économie montréalaise.

Tout au cours des années quatre-vingt, l'achalandage touristique a progressé, mais d'une façon assez lente lorsqu'on se compare à d'autres régions canadiennes. Au cours des 12 dernières années, soit de 1980 à 1992, nous sommes passés de 4 900 000 visiteurs à 5 500 000, soit une croissance d'un peu moins de 9 % sur 12 ans, ce qui veut dire une croissance beaucoup moindre à 1 % par année. (11 h 10) pour faciliter la discussion, mettons: 35 % des visiteurs à montréal viennent des autres régions du québec, 65 % viennent de l'extérieur du québec. la vaste majorité des 65 % qui viennent de l'extérieur du québec viennent du reste du canada et des états-unis, environ 10 % viennent des destinations d'outre-mer. c'est donc dire que les visiteurs, en grande majorité, qui viennent à montréal sont de langue anglaise.

Plusieurs d'entre nous, au sein de l'industrie, voyons le tourisme québécois sous un angle sympathique, dynamique, enrichissant, autant pour le visiteur que pour celui qui l'accueille chez lui. Nous sommes plusieurs à croire encore aux vertus civiques du tourisme, aux bénéfices autres que pécuniaires que cette activité peut engendrer. Toutes les tendances que les experts prédisent à l'heure actuelle, c'est que le touriste se convertit de plus en plus vers la convivialité; non seulement il va demander aux citoyens de l'endroit son chemin pour aller au restaurant ou aller à telle attraction touristique, mais il va essayer d'engager des échanges transculturels, et c'est la tendance qui se développe un peu partout à travers le monde.

Je pense qu'on a là une chance unique, en tant que Québécois, étant donné le multiculturalisme qui constitue la société de Montréal, étant donné le haut niveau de bilinguisme de notre population, je pense qu'on a une chance inouïe — tant si nous travaillons dans l'industrie du tourisme que comme citoyen du Québec — de faire du Québec une destination touristique par excellence parce que nous pouvons maîtriser les deux grandes langues internationales et faciliter ces échanges avec les visiteurs qui nous viennent du Canada, des États-Unis ou des autres pays du monde.

L'Office et l'Association des hôtels du Grand Montréal sont tous les deux conscients du rôle de moteur économique que nous jouons dans l'économie du Grand Montréal et ce que nous souhaitons — et ce sont les objectifs que nous nous sommes fixés — c'est d'augmenter le nombre de touristes à Montréal, de renforcer le rayonnement de Montréal sur la scène internationale et développer physiquement l'industrie touristique dans notre région. Alors, tels sont nos trois objectifs. Et, ces trois objectifs, nous les avons déclinés en sept grands défis que nous nous sommes donnés en tant qu'industrie, après une longue consultation qui a duré un peu plus d'un an.

Alors, tout d'abord, c'est de faire connaître l'importance de cette industrie: c'est le secteur industriel, à Montréal, qui crée le plus d'emplois directement et rapidement; c'est de doter Montréal d'une image et d'une identité promotionnelle; d'exploiter le potentiel de croissance des marchés; consolider l'offre; atteindre l'excellence touristique sur tous les plans; intensifier la concertation et assurer un financement adéquat pour la promotion.

Deux de ces grands défis — à savoir doter Montréal d'une identité et atteindre l'excellence touristique sur tous les plans — ont une incidence directe ou ont une prise directe avec la politique linguistique du Québec. Tous, jour après jour, dans notre industrie, nous entretenons des conversations avec les touristes. Nous savons s'ils sont heureux, s'ils sont malheureux, s'ils sont contents de ce qu'ils ont vu, ce qui leur a déplu, ce qui leur a plu. Et on sait un peu comment ils nous ont imaginés avant de venir. À l'année longue nous lançons une foule d'invitations à travers le monde, sur les marchés internationaux, pour les inviter à venir nous voir. Mais il est important de nous demander — parce \jue nous sommes professionnellement impliqués dans, ce métier — quel est l'élément clé qui motive un touriste américain, canadien, latino-américain ou d'ailleurs à choisir Montréal comme destination de vacances? Nos propres conclusions sont assez simples. Ce qui pique la curiosité, ce qui suscite le rêve et attire dans la région de Montréal les visiteurs, c'est le dépaysement, l'originalité, le fait français, parce que c'est notre grand atout dans le marché nord-américain.

À Montréal, c'est en français que les affaires se

brassent, et lorsque certaines affaires se discutent et se négocient en anglais, c'est généralement dans la même mesure, ni plus ni moins, souvent, qu'elles ne se brassent dans d'autres villes non anglophones du monde, qui aspirent, comme Montréal, à une longue et vigoureuse vocation internationale. Le seul prix à payer par les Québécois francophones pour consolider cet indéniable et irréversible gain, c'est la démonstration d'une volonté d'aménagement exemplaire, d'une bonne dose de confiance en soi, en sa destinée et en celle de nos compatriotes de langue anglaise.

Il y a à peine 10 ans — dans l'industrie touristique montréalaise, particulièrement dans l'hôtellerie et dans la restauration, et ça, beaucoup de nos concitoyens des autres régions du Québec nous le faisaient remarquer — les employés de l'hôtellerie, particulièrement au centre-ville de Montréal, avaient une tendance à s'adresser d'abord en anglais à la clientèle. Et, en 10 ans, on a complètement renversé cette tendance-là, de telle sorte qu'aujourd'hui chaque employé, chaque propriétaire d'hôtel et de restaurant est bien conscient que le fait français est notre plus grande force de vente, et que c'est ce qui plaît le plus à nos visiteurs.

Alors, on a joué, comme industrie, un rôle de tout premier plan pour intégrer également les nouveaux venus, les immigrants, qui sont venus s'intégrer à la société québécoise. Dans le secteur de l'hôtellerie, 54 % des employés sont des immigrants, et 28 % d'entre eux sont membres des minorités visibles. Au cours des derniers mois, de concert avec la CSN, les hôteliers du Grand Montréal procurent à leurs employés des cours intensifs de français pour leur permettre de présenter ce visage important pour nos visiteurs. Et, pour la plupart des employés immigrants qui participent à ces programmes d'apprentissage, il s'agit très souvent de leur premier contact avec les Québécois francophones. Alors, c'est une démarche qui est volontaire, mais qui porte également beaucoup de... qui a beaucoup de succès. Chaque employé d'hôtel sait désormais que les touristes recherchent le contact avec notre réalité française. Alors, d'une façon très pratique, qu'est-ce que ça signifie pour nous, les changements législatifs qui sont proposés?

Vous savez qu'en vertu de la loi actuelle, par exemple, il est interdit d'afficher dans les lieux publics d'une façon bilingue, trilingue ou multilingue et, dans un lobby d'hôtel, par exemple, il est interdit d'indiquer où est l'ascenseur en anglais. On ne peut pas mettre «elevator». Et ça, qu'on ne se fasse pas d'illusion: le visiteur qui nous vient des États-Unis, malheureusement pour lui, ne fréquente pas la langue française à tous les jours et, «ascenseur», il ne comprend pas ce que ça veut dire, et on a beau mettre un petit pictogramme avec des petits bonshommes qui ont l'air de monter ou de descendre, ces pictogrammes-là... Il faut le pousser au maximum l'utilisation du pictogramme, mais ce n'est pas utilisé aux États-Unis, et il faut regarder un peu d'où vient notre clientèle.

Un deuxième exemple: vous allez à l'hôtel Méri- dien et vous avez une piscine extérieure. Il y a une affiche qui dit: «N'apportez pas vos verres ni de nourriture à la piscine». L'anglophone, il ne comprend pas ça, cette affaire-là, lui. Il faut lui dire: «Do not bring your drink at the pool». Je veux dire, c'est assez élémentaire. On n'a pas le droit de le dire. On n'a pas le droit de l'afficher.

Encore cette semaine, un hôtelier du centre-ville de Montréal a reçu une amende parce qu'il y avait toujours un mélange quand les voitures arrivaient pour s'en aller au stationnement: elles ne s'en allaient pas dans le stationnement de l'hôtel, elles s'en allaient dans le stationnement de l'édifice à bureaux qui était à côté. Alors, l'hôtelier a décidé de mettre, à côté de «stationnement», «parking». Alors, il a eu une amende pour ça.

Alors, je pense que, dans la vie quotidienne, lorsqu'on veut accueillir les visiteurs, qui sont majoritairement de langue anglaise, on veut tout simplement — et c'est ce que propose le projet de loi, je pense — c'est de faciliter l'accès, de faciliter la compréhension des visiteurs de notre produit touristique, qui est Montréal.

Alors, on vous a déjà dit que notre industrie faisait vivre bon nombre de visiteurs... Je vois que mes 20 minutes achèvent, et j'aimerais tout simplement vous répéter qu'on est contents d'accueillir des visiteurs d'un peu partout au monde et particulièrement des États-Unis et du reste du Canada. On est contents de leur faire connaître notre société, mais, comme Montréalais, quand j'amène des visiteurs anglophones au Musée d'art contemporain, qui est un magnifique nouveau musée dont le gouvernement a doté Montréal... C'est interdit d'afficher en français dans le musée parce que c'est une institution d'État. Alors, moi, je veux dire, j'ai bien de la misère à expliquer tout le processus de créativité artistique lorsque les affiches ne disent pas aux clients de quoi il s'agit.

L'Américain qui rentre par Lacolle, on n'a même pas le droit de mettre un panneau pour lui dire «Welcome»; alors, je pense que les changements législatifs qui nous sont proposés — et c'est pourquoi nous sommes d'accord avec ça — vont au moins nous donner ces droits-là. À quelques kilomètres de Lacolle, il y a la Maison du tourisme. Alors, on n'a pas le droit non plus de dire «Tourism information», c'est interdit par la loi. Mais, pire que ça, probablement que l'Américain va comprendre tourisme, mais il va rentrer — pas dans cette bebelle-là, mais dans cette maison-là, et puis, en-dedans, comme ça appartient à l'État, c'est interdit de signaliser en anglais; il faut que ce soit signalisé en français. Mais on pourrait au moins... 95 % des personnes qui arrêtent à la Maison du tourisme de Lacolle sont des citoyens qui parlent anglais: c'est une réalité, ça. Alors, je pense qu'on a un devoir d'accueil à faire. (11 h 20)

Et nous, comme touristes, nous-mêmes, de temps en temps, lorsqu'on sort de notre province et qu'on arrive en Ontario, et qu'on voit «Bienvenue», bien, ça

nous fait plaisir; lorsqu'on descend vers la Floride en voiture et qu'à l'entrée de l'État de la Floride on a «Bienvenue», et qu'on se promène sur les rues de Fort Lauderdale ou d'ailleurs et qu'on dit «Ici on parle français», ça nous fait plaisir. Si vous prenez le «belt way» — le chemin de ceinture autour de Washington — et que vous voyez, encore une fois «Bienvenue» dans un immense panneau-réclame, ça nous fait aussi plaisir comme touriste.

Alors, tout ce qu'on veut, nous, dans l'industrie du tourisme, c'est faire plaisir à nos visiteurs pour qu'ils reviennent nous voir, pour qu'ils apportent de l'argent dans notre économie, pour qu'ils créent des jobs dans notre économie et pour qu'on puisse être plus accueillants et leur fournir un accueil exceptionnel.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Lapointe. M. le ministre.

M. Ryan: M. Lapointe, M. Bamatter, M. Belle-rose, je vous remercie du message que vous nous apportez ce matin.

Je pense que, avec l'élégance que nous admirons chez lui, depuis le temps où il était un parlementaire distingué à Ottawa, M. Lapointe nous a livré ce matin un message d'une exquise urbanité. Je pense qu'il nous a tenu le langage de l'industrie touristique, laquelle est synonyme du mot «accueil». L'industrie touristique n'a pas de raison d'être si elle n'existe pas pour accueillir des gens autres que ceux auxquels on est habitué dans le paysage immédiat où l'on vit. C'est sa nature même de se rendre accueillante et ouverte pour ceux qu'elle veut attirer et recevoir.

Vous nous avez donné, dans votre message ce matin, à la fois un rappel de certaines situations qui ne sont pas synonymes d'urbanité et de courtoisie, puis un message d'adhésion à certaines améliorations fort modérées que le gouvernement veut apporter à la situation actuelle par le projet de loi 86; je vous en remercie cordialement.

Et le message que vous nous apportez ce matin corrobore celui que m'avaient transmis des représentants assez nombreux de votre industrie que je me suis fait un devoir de consulter dans la préparation du projet de loi. M. Bamatter était présent à une réunion que nous avons tenue un matin, à mon bureau de Montréal, avec au moins entre 15 et 20 représentants de l'industrie de l'hôtellerie et de la restauration. Et le message qui nous fut livré à cette occasion était à peu près unanime, dans le sens de ce que vous nous avez dit ce matin. Alors, j'apprécie la consistance du message et vous assure que nous sommes bien convaincus que nous répondons à des besoins réels avec le projet de loi et que nous allons procéder suivant l'échéancier qui a été tracé dès la fin de l'année dernière.

Vous avez parlé de l'accueil aux frontières. C'est un point qui nous préoccupe particulièrement. Si vous allez en Ontario, là, vous avez une affiche de l'autre côté de la frontière qui dit «Bienvenue en Ontario,

Welcome to Ontario». Vous venez de l'Ontario vers le Québec, c'est marqué «Bienvenue», point. Le reste, bien, vous êtes supposés comprendre parce qu'ici il y a une langue officielle. La majorité des visiteurs ne savent même pas ça. Et ce n'est pas la façon de les attirer et de leur rendre agréable l'entrée au Québec, en tout cas. Alors, vous nous indiquez là un désir d'amélioration de ce côté-là. Grâce au projet de loi, il sera possible de remédier à cette situation par voie de réglementation, et nous en donnerons des indications à la commission parlementaire en temps utile, à ce sujet.

Vous parlez des salles communes dans les hôtels, par exemple, ce qu'on appelle le «lobby», la salle commune à l'entrée des hôtels...

Une voix: ...

M. Ryan: Pardon?

Mme Blackburn: Un hall d'entrée.

M. Ryan: Alors, «hall», ce n'est pas mieux que «lobby».

Mme Blackburn: C'est français, «hall d'entrée».

M. Ryan: «Lobby» sera francisé tôt ou tard, madame.

Mme Blackburn: ...doivent tous comprendre ça, quand on dit hall d'entrée.

M. Ryan: Les langues vivantes évoluent et s'enrichissent en s'appropriant des termes d'autres langues aussi, il ne faut pas s'énerver avec ça.

Mme Blackburn: Oui, c'est ça qu'on dit.

M. Ryan: Les langues qui veulent rester trop pures finissent par décroître, le plus bel exemple en étant la langue grecque, qui a connu des moments de très grand rayonnement et qui, après ça, était devenue tellement raffinée que la langue romaine est apparue beaucoup plus simple pour l'homme du commun, surtout pour le commerçant, et est devenue la langue du monde. Après ça, ça a été le français, l'espagnol; aujourd'hui, c'est l'anglais.

Une chose que vous avez soulignée et qui m'intéresse aussi: dans l'industrie touristique, deux caractéristiques, là, la clientèle qui vient dans nos établissements hôteliers est une clientèle, d'après ce que dit votre mémoire, qui est au moins 50 % anglophone, qui vient des autres provinces et du reste du continent. Et la proportion — d'après des renseignements qu'on m'a donnés — pour la région de Montréal est encore plus élevée. On ne peut pas être étranger à ça.

Et une autre caractéristique que vous avez signalée, c'est que, dans le monde du tourisme, il y a une langue qui est un petit peu une «lingua franca» aussi, à

travers le monde, c'est celle à laquelle se raccroche le plus grand nombre de voyageurs quand ils ont un besoin très immédiat ou une nécessité de communiquer, c'est la langue anglaise. On peut bien vouloir faire abstraction de toutes ces réalités, mais elles nous rejoignent tôt ou tard par la porte d'en arrière, quand on ferme trop fermement la porte d'en avant. Alors, ici, nous sommes très sensibles à toutes ces choses.

Vous avez parlé des musées, par exemple. Encore ici, dans la réglementation, c'est pour ça que nous demandons que la langue de l'administration puisse être l'objet de certaines exceptions. Nous voulons que la langue de l'administration reste le français, de manière très générale, et même généralement exclusive, la langue de l'administration. Mais nous voulons que cette règle souffre des exceptions dans le cas de certaines institutions — je pense au Musée d'art contemporain, dont vous avez parlé — il me semblerait plus efficace, plus désirable et plus civilisé qu'on puisse avoir des inscriptions dans une langue autre que le français, également. Et, comme la langue des visiteurs est principalement la langue anglaise, nommons-la par son nom et cessons de tourner autour du pot... Alors, ça, c'est la politique que le gouvernement met de l'avant. Je suis content de constater qu'elle répond aux attentes de votre industrie.

Maintenant, vous avez dit une chose intéressante dans votre mémoire et sur laquelle j'aimerais avoir quelques commentaires additionnels. Vous dites: le nouveau régime va nous poser un problème. Ce n'est pas tout de dire: Là, maintenant, on a une loi et on marche... Vous dites: II va falloir que tout ça se fasse d'une manière judicieuse, de manière... vous avez employé l'expression «esthétique», à un moment donné; c'est très important.

Est-ce que vous pensez que c'est possible d'avoir un affichage où le français sera obligatoire, où le français occupera une place prédominante, où une autre langue sera autorisée, et tout ça de manière esthétique, de manière élégante, de manière qui soit réaliste aussi?

M. Lapointe: Moi, je pense que c'est très possible, M. le ministre. Je vous remercie pour les commentaires que vous avez faits suite à mon exposé. Je pense qu'il faut se fier un peu aux créateurs québécois. On a parlé un peu plus tôt de la haute qualité de la créativité, par exemple, de nos agences de publicité, qui gagnent des prix à travers le monde, etc.; c'est un fait. Et on a une multiplicité d'événements bilingues, multiculturels à Montréal, assez souvent. Qu'on pense, par exemple, au Festival de théâtre des Amériques, où il y a une majorité de pièces de langue anglaise, comparativement au nombre de pièces espagnoles ou françaises. Ou qu'on pense au Festival Juste pour Rire, Just for Laughs Festival, qui a une audience anglaise aussi grande que française. Alors, je pense que toute notre collectivité artistique et créatrice dans les agences ou dans d'autres maisons de production vont sûrement pouvoir trouver, en réfléchissant un peu, l'élégance voulue, l'esthétisme voulu pour transmettre à tout le monde un message qui est clair. Je ne suis pas un spécialiste en la matière, mais j'ai une bonne confiance qu'on va pouvoir y arriver.

Vous parliez de «lingua franca» tout à l'heure. En préparant ce mémoire, j'ai dû consulter plusieurs des... et mon collègue, M. Bamatter aussi, plusieurs de nos membres. On a parlé longuement avec Le Méridien, qui est une chaîne d'hôtels française, et Le Méridien a une politique internationale qu'il ne peut pas appliquer au Québec. C'est-à-dire que, pour eux, la politique, c'est qu'on utilise, premièrement, la langue du pays — donc dans notre cas, c'est le français — et, deuxièmement, dans l'affichage dans tout l'hôtel, on utilise la langue anglaise et, troisièmement, la langue française. Alors, nous, c'est le français, donc la deuxième langue devrait être l'anglais, mais ils ne peuvent pas utiliser l'anglais dans leur affichage. Mais supposons, Le Méridien à Bangkok, tout son affichage va être en langue — la langue qu'on parle à Bangkok, je m'excuse, je ne la connais pas — deuxièmement, ça va être l'anglais et, troisièmement, le français. C'est une réalité de l'industrie du tourisme que l'anglais est devenu la «lingua franca». (11 h 30)

Le Président (M. Doyon): Merci.

M. Lapointe, nous avons reçu le maire de Québec — et je m'adresse aussi en même temps à M. Bamatter — qui nous a fait état que, comme maire, il n'avait pas reçu de lettres de plaintes de touristes qui regrettaient de ne pas avoir pu voir certaines affiches ou certaines informations dont ils auraient eu besoin dans la langue qu'ils comprenaient le plus facilement, peut-être l'anglais.

Moi, ma réflexion à ça — et j'aimerais avoir votre réaction — c'est qu'un touriste, ça n'écrit pas pour se plaindre. Ça ne revient pas ou ça part. Je connais peu de touristes qui écrivent au maire de... ou au gouverneur de l'État de Floride pour se plaindre de ce qui s'est passé là-bas. Je pense que, pour en avoir fait un peu dans les quelques années que j'ai vécues, quand ça ne fait pas mon affaire quelque part, je n'écris pas au maire de la ville, je me plains à personne, je demande ma note à l'hôtel et je pars, et puis je ne reviens plus.

Alors, j'aimerais avoir votre réaction, parce que l'information que nous transmettait — et je ne la mets pas en doute — M. L'Allier à l'effet qu'il n'a pas eu de plaintes... Sauf que, pour évaluer vraiment ce qui se passe dans le milieu, il faudrait aller au-delà de ça et pouvoir évaluer les pertes, qui sont difficilement identifiables, mais qui, j'en suis convaincu, en tout cas, je parle d'expériences personnelles, et j'ai parlé à quelques personnes... Parce que ça m'a intrigué ce que M. L'Allier me disait; ça me paraissait un peu court comme conclusion, comme analyse, et j'aimerais, vous autres, les spécialistes du tourisme, et M. Bamatter ayant été assez longtemps au Château Frontenac — et je le salue à ce titre-là en même temps — a peut-être certaines idées là-dessus, et j'aimerais peut-être l'entendre là-dessus, si

la chose vous tente.

M. Bamatter (Gustav): Bien sûr, M. le Président.

D'abord, la réaction des touristes est exactement comme vous l'avez dit. C'est très rare que vous allez voir une lettre au maire, et la raison est très simple: si je suis allé, par exemple, à Cancun et que je me plains que l'affichage est ni en anglais ni en français, mais uniquement en espagnol, comment je vais écrire une lettre au maire de Cancun, si je ne connais pas l'espagnol? Si je le connais, bien, je n'aurai jamais eu un problème en première place.

Mais, dans les hôtels, les employés qui sont en contact direct avec le touriste, avec le visiteur, jour après jour, je peux vous assurer qu'il y a énormément de questions et, souvent, ce ne sont pas des questions que le touriste est vraiment en colère. Plutôt, il trouve ça dommage qu'il n'ait pas pu avoir la valeur de l'installation touristique ou de l'attraction touristique qu'il a voulu aller voir.

C'est beau d'aller dans un pays où je ne parle pas la langue. Par exemple, je vais aller au Venezuela. C'est beau de voir la statue de Simon Bolivar et toute une écriture en espagnol...

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Bamatter: ...mais si je ne sais pas que ça veut dire que Simon Bolivar a libéré le pays et que cette statue a son héros, comment je vais comprendre la signification de cet événement-là?

Comme je le dis, très souvent, ces touristes-là ne sont pas en colère, mais ils trouvent ça regrettable et ils nous disent: Vous faites quasiment de la fausse publicité. Vous m'avez contacté ou j'ai lu votre publicité à Atlanta ou à Boston ou à San Francisco en anglais le plus impeccable du monde. Je suis venu comme ça parce que vous m'aviez dit que Montréal est une ville qui est très, très hospitalière. Je viens ici et je ne comprends rien dans vos musées — rien, c'est peut-être exagéré un peu — mais je perds la plupart de ma visite parce que je ne comprends pas.

Et, évidemment, cette personne-là ne revient plus, et nous n'allons plus jamais voir la couleur de son argent non plus.

Le Président (M. Doyon): Oui. Ça rejoint ce que certaines personnes m'ont dit. Ils me l'ont dit à moi, et je suis sûr qu'ils ne prendraient pas la peine de m'écrire non plus pour me le dire. Ils me l'ont dit parce qu'ils m'ont rencontré, tout bonnement. Et ils ne prendront pas la peine de l'écrire non plus au maire L'Allier. Tout simplement, c'est une réflexion spontanée que les gens ont à partir de leur expérience personnelle.

Est-ce que vous pensez, ayant vécu, vous, M. Bamatter — et M. Lapointe connaît assez bien la région de Québec, compte tenu de ses antécédents et tout ça — que la région de Québec serait susceptible d'être l'objet d'un envahissement d'affiches à connotation anglaise avec une partie en anglais, en tout cas, advenant que le projet de loi 86, que nous étudions ensemble, soit adopté? Est-ce que c'est une crainte qui vous habite, ça, ou si vous avez plus confiance dans tout simplement la réserve naturelle qu'ont les gens de Québec et ceux qui sont dans le commerce touristique, en particulier, pour les connaître d'une certaine façon? Comment vous réagissez à ces craintes que M. L'Allier a exprimées, envisageant la possibilité d'un retour en arrière avec des photos qui étaient plus ou moins tendancieuses, parce qu'on montait à 1968, alors qu'il n'y avait pas, justement, de règles à respecter, alors qu'il continuerait d'y en avoir de très précises, obligation du français total. Il faut que ce soit bien clair, on ne le dit pas assez, avec possibilité d'anglais et aucune obligation d'anglais, prédominance du français et possibilité, tout simplement, d'anglais.

Est-ce que ce sont des craintes qui vous habiteraient, vous autres, si vous aviez à faire l'analyse d'une telle situation?

M. Lapointe: II est exact que notre situation, à Montréal, est un peu différente de celle de Québec.

Le Président (M. Doyon): Bien sûr.

M. Lapointe: Et M. L'Allier connaît très certainement Québec beaucoup mieux que je ne peux le connaître. Mais, lorsque je parlais de solutions élégantes ou créatrices ou esthétiques dans l'affichage, dans mon mémoire, j'avais en tête, particulièrement, Québec. Parce que, si vous regardez un peu l'affichage, l'uniformité, la haute qualité de l'affichage, particulièrement dans le secteur historique de Québec, c'est un modèle à observer ou à appliquer un peu partout au monde, bilinguisme ou pas bilinguisme. Ce n'est pas vraiment là où est la question, à mon avis. C'est qu'il faut que les gens, les opérateurs, les gens du secteur privé qui ont un produit à offrir puissent l'offrir à leur clientèle de la façon la plus attrayante possible.

Maintenant, moi, je ne pense pas — parce qu'il y a une telle homogénéité dans l'affichage dans la région de Québec — qu'il y ait... que le projet de loi soit adopté ou qu'il ne soit pas... que le projet de loi sera adopté, que ceci cause un très grand changement. Le changement va plutôt s'opérer, à mon avis, dans la région montréalaise. Et le projet de loi n'est pas coerci-tif. Le projet de loi, si je le lis bien, ne dit pas: À paVtir de demain, vous allez afficher bilingue. Le projet de«loi dit: On affiche en français partout au Québec. C'est ça que ça dit, le projet de loi. Mais on va permettre, dans certaines circonstances, l'affichage bilingue ou trilingue. Moi, je ne pense pas que ça ait un effet fondamental sur l'affichage dans la région.

Le Président (M. Doyon): J'aimerais juste avoir votre opinion en ce qui concerne certaines difficultés supplémentaires que la situation... le statut actuel

d'obligation et d'interdiction — avec tout ce que ça comporte de difficultés — peut avoir... l'influence que ça peut avoir sur l'arrivée et l'attraction que peut constituer Montréal et, évidemment, Québec, jusqu'à un certain point quand on aura — espérons-le — à un moment donné, notre Centre des congrès.

Pour les grands congrès internationaux, les grands congrès, qui viennent de partout, est-ce que c'est un problème que vous rencontrez?

M. Lapointe: Bien, je vous avoue que le... Pourquoi Montréal se place-t-elle comme première ville au Canada pour les congrès internationaux, pour la réception de congrès internationaux? C'est parce que, lorsque nous faisons notre «démarchage» auprès des grandes associations — qu'elles soient internationales, basées à Genève, Vienne, Paris, Londres ou Washington, jusqu'à un certain point — c'est que nous leur disons comme première phrase: Venez à Montréal, parce que nous sommes une ville bilingue; vous allez pouvoir opérer en anglais et en français. Ça va être moins compliqué qu'à New York; ça va être moins compliqué qu'à Paris — quoique à Paris, ils fonctionnent en anglais pas mal fort aussi, si vous y êtes déjà allé dans des réunions ou des congrès.

Mais le bilinguisme, pour nous, sur les marchés des congrès internationaux, est un atout, est le premier atout, la première carte que l'on joue. Alors, je pense que le projet de loi va renforcer cette image-là.

Vous savez, la question du... Moi, j'y fais confiance. Je suis un citoyen, je veux dire, comme plusieurs millions d'autres au Québec; je me fais confiance et je fais confiance aux citoyens en général. Je n'ai pas besoin de bien des lois pour me dire quoi faire pour être dans l'esthétisme ou pour me dire quoi faire pour attirer des clients. Il me semble que, comme opérateur, je le sais. Et, si je ne le sais pas, je vais perdre de l'argent, puis je vais fermer ma «business». Je veux dire, il faut faire confiance à l'individu et au citoyen. Et je pense que le projet de loi, en ouvrant la porte, donne cette confiance-là ou accorde cette confiance-là au citoyen. (11 h 40)

Le problème du bilinguisme au Québec ou de Punilinguisme est... En réalité, on est toujours aussi accueillants qu'on l'était, on est toujours aussi agréables qu'on l'était, et l'unilinguisme n'a pas fait de nous des fascistes ou des imbéciles ou quoi que ce soit. Mais c'est qu'on a un problème de perception: moi, deux fois par an, je me rends à Boston, New York, Chicago et Détroit rencontrer les grandes compagnies américaines qui organisent des tours en autocar vers le Québec — alors, c'est Peter Pan, Tauck Tour, j'oublie le nom des autres que je vais voir régulièrement — et on a une séance de travail; on dit: Bon, bien, qu'est-ce que je peux faire pour améliorer le produit touristique, pour vous rendre la vie plus facile, pour que vous ameniez plus d'autobus à Montréal? Moi, mon seul but, c'est d'amener des touristes. Et, immanquablement, même si je les vois deux fois par année, ils me reposent toujours la même question, parce que leur perception est fausse. Ils savent très bien, une fois qu'ils sont venus à Montréal, ils savent très bien qu'en général ils peuvent fonctionner assez bien en anglais dans la métropole. Mais leur perception: ils ont peur. Ils disent: «Oh! Will we be able to manage in English if we go to Québec? Or will I be understood if I go to Québec?» Le fait qu'il y ait une interrogation là, moi, ça m'inquiète, parce que le touriste, là, vous comme moi ou comme l'Américain ou n'importe qui du reste du Canada ou d'ailleurs, lorsqu'on prend des vacances, on ne veut pas de problème, puis on ne veut pas de trouble. Alors, on veut bien être dépaysé, mais on voudrait bien aussi — parce qu'on est en Amérique du Nord — avoir quelques... Si on vient au Québec, on aime ça venir vivre, expérimenter le fait français, mais on ne veut pas que ce soit une aventure trop dure.

Le Président (M. Doyon): Oui. Alors, merci, ça remet les choses en perspective. Il y aurait long à dire là-dessus.

Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Merci, M. le Président.

M. le président, messieurs, je vous souhaite la bienvenue au nom de l'Opposition officielle.

J'ai écouté, j'ai également lu des parties de votre rapport, que vous n'avez pas lu au complet parce qu'il est un peu long, je vous comprends, mais, en même temps, je dois vous dire tout de suite que je ne peux pas vraiment partager votre analyse.

Il y a deux remarques, en particulier: celle nous disant qu'il y a un gain irréversible du français au Québec — je me permets d'en douter — et la seconde remarque, qui, elle, me touche un peu plus, et je suis incapable non plus de partager votre analyse là-dessus, alors que vous dites à la page 17 de votre mémoire: «Au lieu de chercher à parfaire l'identité de Montréal et notre futur paysage publicitaire urbain en obéissant uniquement à nos émotions et à nos pulsions ataviques...» Je ne pense pas que c'est faire preuve d'atavisme que de vouloir protéger le français, vous permettrez que je vous le dise.

À présent, vous êtes, dans le fond, enfermé dans une espèce de dilemme, et il traverse toute la trame de votre mémoire. Vous répétez à au moins trois endroits dans votre mémoire que le fait français constitue la valeur vedette en matière touristique. Vous rappelez que les clientèles américaines et canadiennes-anglaises choisissent Montréal et sa région comme destination de vacances d'abord et avant tout pour ses spécialités culturelles, la vigueur et l'omniprésence de notre langue de même que le dynamisme culturel. Dépassé le simple phénomène de curiosité, la survivance linguistique du Québec est devenue un modèle.

Je voudrais juste vous rappeler que le projet de loi 86, qui est sur la table, dépasse largement l'affichage commercial. Il y a 65 articles dans le projet de loi: il y

en a 10 qui touchent l'affichage commercial, et les 55 autres articles déstructurent complètement la loi 101 et nous ramènent au bilinguisme institutionnel.

Et c'est de bonne guerre, le ministre a tout tenté pour minimiser l'impact de ce projet de loi. Mais, juste au plan de l'affichage, il y a une gamme d'hypothèses qui vont de Punilinguisme français, il faut le dire, à Funilinguisme dans une autre langue, à la prépondérance, dans l'affichage commercial — prépondérance du français — mais à l'égalité dans les raisons sociales.

Alors, vous avez vraiment toute la gamme. Et on est en train de procéder à un glissement qui risque de réduire, de porter atteinte de façon importante à ce qui constitue pour vous une valeur vedette: le fait français au Québec.

Alors, vous dites: C'est important, mais, en même temps, il faudrait qu'on soit bilingue. Moi, j'ai comme un problème de lecture là-dessus et je me dis que, si on a réussi à accueillir et à recevoir des touristes à travers le monde — et particulièrement de l'Amérique du Nord — dans ces conditions-là, ça ne devrait pas être un drame de le poursuivre.

Moi, je reconnais avec vous une chose, puis je me permets de le dire ici, et j'ai l'impression que ça pourrait être endossé assez rapidement par mes collègues, puisque ça avait déjà été avancé par l'ex-ministre responsable de la langue, M. Godin, je crois qu'effectivement, dans nos musées, il y aurait lieu d'avoir non seulement le français, l'anglais, mais au moins deux autres langues, peut-être trois, les plus courantes, je pense à l'espagnol, en particulier. Parce que là, il y a quelque chose. Si vous me dites qu'il y a juste ça, que le grand problème, c'est que, quand les touristes vont dans nos musées, ils ne comprennent pas notre histoire, je dirais que je serais assez prête à partager ça.

Mais si vous me dites que vous êtes heureux de voir l'accueil que vous avez quand vous arrivez en Ontario parce qu'ils vous marquent: «Bienvenue», alors, il faudrait voir comment le reste se passe, en français. Je n'ai pas trop le goût, moi, et je ne pense pas que les Anglo-Québécois aient le goût de se comparer beaucoup avec les situations des francophones de l'Ontario, et pas plus avec ce qui se passe non plus dans la région de la Floride. Je pense qu'il y a des petits bouts qu'on a un peu escamotés.

Alors, moi, je me dis: Est-ce qu'on n'est pas en train, avec le projet de loi 86 — parce qu'il faut le voir dans son ensemble, vous le voyez sous un aspect — de porter atteinte, à plus ou moins court terme, à cette image qui fait l'attrait touristique du Québec, le fait français?

M. Lapointe: Pas du tout. Je pense que nous sommes d'accord pour être en désaccord, Mme Blackburn. Si je remonte à ma lecture des guides touristiques de Montréal qui datent de la fin du XIXe siècle jusqu'à maintenant, alors que Montréal, jusque dans les années trente, était une ville avec un visage beaucoup plus anglais que français... Et, dès ce moment-là, on faisait la promotion du fait français montréalais, parce qu'on percevait déjà...

Mme Blackburn: C'était le folklore.

M. Lapointe: ...il y a 100 ans, que c'était une attraction, c'est ce qui fait notre différence sur le continent nord-américain. il ne faut pas oublier une chose: lorsque je rencontre des américains... et, croyez-moi, je veux dire, je ne suis pas en politique, donc, je défends les lois de la région où j'habite; je veux dire, la loi 101 est la loi du québec à l'heure actuelle, et lorsque je vais aux états-unis pour convaincre les américains de venir chez nous et que je leur dis: oui, vous n'aurez pas de problèmes, etc., et qu'ils me reviennent toujours sur la question de l'affichage, je leur dis toujours, ou je leur disais: bon, bien, oui, mais, quand vous allez en allemagne, c'est en allemand; quand vous allez en italie, c'est en italien; en france, c'est en français, etc. et ils me font une réponse très simple, à laquelle je n'ai pas d'objection à leur contrer. ils me disent: oui, mais, écoutez, on ne va pas en france ni en italie ni en allemagne en voiture. et, au québec, 70 % des visiteurs qui nous viennent des états-unis viennent en voiture. alors, le visage français, pour eux, les «insecure».

Alors, je ne pense pas que l'affichage, tel que proposé dans le projet de loi... Et j'ai lu le projet de loi, je sais qu'il n'a pas que quatre articles, qu'il y en a plus que quatre. Je l'ai lu et, personnellement, il ne m'inquiète pas. Mais ça, ce n'est pas notre propos aujourd'hui; notre propos, c'est l'affichage. Je pense que l'affichage ne viendrait d'aucune manière détruire le fait français québécois et que c'est tout simplement un service additionnel à offrir à une partie de notre population et à une très vaste majorité de nos visiteurs.

Mme Blackburn: Vous savez, j'en parlais un peu avant que vous arriviez, TVA, au bulletin de 18 heures — mais aussi le bulletin de 23 heures, puisque je l'ai vu — présentait une série d'affiches déjà bilingues dans le Vieux-Québec et sur le chemin Saint-Louis. La loi n'est pas adoptée, là, je fais juste vous le faire remarquer. Et, déjà, nous dit le journaliste, la tentation est forte, chez certains commerçants du Vieux-Québec, d'afficher en anglais. Alors, c'est parti. Je veux dire: c'est parti, et je ne pense pas qu'on puisse vraiment l'arrêter.

Vous nous parlez des problèmes de perception, à l'extérieur. Hier, M. Daoust nous rappelait que, à* sa connaissance, les gouvernements du Québec — le nôtre, comme celui actuellement — n'avaient pas fait de campagne pour expliquer la loi 101 et, particulièrement, celle ayant trait à l'affichage. Mais, évidemment qu'avec le discours que le ministre avait hier — comparant le Québec à l'Afrique du Sud — il faut compter sur les bons services d'une certaine presse anglophone et de certains Anglo-Québécois — pas tous, je dois le dire, parce qu'ils n'ont pas tous tendance à faire ce genre de

démagogie — mais on peut compter sur les bons services d'un certain nombre d'entre eux pour que la nouvelle soit répandue d'un océan à l'autre; ça, c'est évident, évident. Et vous allez revoir les titres de la presse anglophone dans les différentes provinces canadiennes, c'est: Le Québec... Le ministre responsable de la Charte compare le Québec à l'Afrique du Sud en matière d'affichage commercial. (Ll h 50)

Si vous pensez que c'est fait pour atténuer les perceptions négatives qu'on a à l'étranger, moi, je pense qu'on a comme un problème. Et, quand on fait ce genre d'excès de langage tout à fait irresponsable, évidemment, on ne peut pas s'attendre à ce que ça n'ait pas d'effet à l'extérieur.

Mais, si je vous dis que sur les musées... Et, effectivement, il y aurait lieu de faire quelque chose là-dessus, ça m'apparaît comme élémentaire. Je vais vous dire ma pensée là-dessus. Par ailleurs, dans les hôtels montréalais, que je fréquente beaucoup, puisque je vais à Montréal presque une fois par semaine, j'y vais régulièrement, et, comme je suis dans les lieux publics, je fréquente vos établissements et la restauration et les hôtels... Il y a quelque 20 ans, on avait peine à se faire servir en français, dans certains hôtels — il faut se le rappeler.

Mais, d'autres hôtels, vous retrouvez dans vos chambres des publications qui sont... je pense à... je ne veux pas faire de publicité, mais, au Hilton Dorval, où il y a sept ou huit langues sur les dépliants. Ils vous expliquent tout: de ne pas apporter votre verre à la piscine et un peu les pratiques courantes dans la ville de Montréal. Je trouve ça excellent, parfait.

M. Lapointe: Dans la chambre d'hôtel.

Mme Blackburn: Qu'est-ce que ça vous donnerait de plus qu'on marque «Welcome» quelque part ou encore qu'on explique, qu'on tapisse toute la ville de Montréal d'affiches bilingues? Est-ce que vous ne pensez pas que ça va venir atténuer la qualité d'attraction et l'image de Montréal? Parce qu'une affiche, c'est une fenêtre, ça.

M. Lapointe: Je ne crois pas.

Mme Blackburn: Bien. En ce qui a trait aux... Et, si ça s'avérait exact, vous seriez les premiers à en souffrir, j'imagine.

M. Lapointe: Je ne pense pas.

Mme Blackburn: Si on perdait de cet attrait.

M. Lapointe: Je ne pense pas que nous ayons à en souffrir.

Mme Blackburn: Le français au travail. Un sondage, qui a été réalisé en 1985, estimait que, dans les cas où il y avait du bilinguisme dans l'affichage, la tendance était plus forte d'utiliser l'anglais au travail compte tenu, évidemment, de la pression. On sait comment ça se passe. Pour y aller souvent, je constate que les employés dans les petits services alimentaires, dans les commerces, de façon générale, vous parlent en français, ça va très bien, mais, dès qu'ils se parlent entre eux, ils parlent en anglais. Ça, vous le savez. Je pense bien que vous seriez mal placé pour me dire le contraire.

M. Lapointe: Et ça vous scandalise.

Mme Blackburn: Parce que je connais... Alors, ils utilisent beaucoup l'anglais. Et, ce qu'on nous dit...

M. Lapointe: Et ça vous scandalise, Mme Blackburn?

Mme Blackburn: Je ne vous ai pas dit que ça me scandalisait, je vous disais que c'était un fait.

M. Lapointe: Ah bon.

Mme Blackburn: Un fait que la langue de communication entre les employés, à Montréal, dans les hôtels, dans les services alimentaires, c'était l'anglais. C'est un fait, ça, que vous ne déniez pas. Alors, je pense que... Vous savez, la langue qu'on ne parle plus qu'après cinq heures, c'est une langue qui n'a pas beaucoup de vitalité.

Mais, qu'est-ce à dire... Il y a eu un progrès remarquable pour le français au travail, dans vos entreprises, et je le signalais et je suis heureuse de le constater, mais vous ne pensez pas que ça va signifier un recul, d'autant que vos employés sont, selon vos chiffres, à 53,9 % composés d'immigrants et qui, déjà, si je vous en crois, parlent anglais entre eux?

M. Lapointe: Je vais demander à M. Bamatter de commenter parce qu'il a prise plus directement que moi sur le monde hôtelier.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. Bamatter.

M. Bamatter: M. le Président, je suis impliqué depuis 1977 dans la question de franciser l'hôtellerie. En 1977, j'étais nommé sur un comité consultatif pour la francisation de l'hôtellerie du Québec. Le progrès que nous avons fait est énorme. Je ne nie pas du tout les faits que vous avez cités, qu'il peut arriver qu'un employé anglophone avec un autre employé anglophone, ils vont se dire quelques mots en anglais. En ce qui nous concerne, comme on disait anciennement, ce n'est quand même pas un péché mortel. Ils ont choisi le moyen de communication le plus rapide pour améliorer le service à la clientèle parce que, partout et par-dessus tous les autres objectifs, il faut toujours s'assurer que- le client reçoive un excellent service, s'il le désire en anglais,

français, espagnol ou n'importe quelle autre langue, parce que c'est lui, en fin de compte, qui signe le chèque de paie de tous les employés et de tous les directeurs généraux aussi.

Je ne pense pas du tout que ce fait... que les changements des règlements de l'affichage aient un impact sur la langue officielle du travail, qui est le français dans tous les hôtels de notre région et, j'en suis certain, qui va demeurer le français, sans être mis en danger par les employeurs.

Mme Blackburn: Les remarques qu'on a souvent des visiteurs qui nous viennent de l'extérieur, c'est de dire: Malheureusement, je venais pratiquer mes quelques mots de français, il n'y a pas moyen, tout le monde me parle en anglais. Ça, on entend souvent ça, on voit ça dans nos journaux. Je pense bien que... ici, assez régulièrement. Mais là, voilà, ça, c'est l'autre version. Si, au Venezuela, on ne peut pas vous expliquer dans votre langue l'histoire du libérateur, ici, à l'Assemblée nationale, vous avez le «Québec Parliament Building» et vous l'avez aussi dans votre langue.

Dans la question de l'affichage commercial, est-ce que, selon vous — parce que ce n'est pas clair dans votre mémoire — ça aurait des effets bénéfiques sur le commerce, sur l'industrie touristique, parce que vous dites à la page — je ne sais plus — c'est la page avec un point de suspension, «À condition, toutefois, que...», en page 7 de votre mémoire?

M. Lapointe: Je pense que ça aurait un effet très bénéfique et que ce serait la meilleure façon de corriger les problèmes de perception que nous rencontrons sur les marchés américains et dans le reste du Canada concernant la destination Montréal.

Mme Blackburn: Oui, mais, déjà, Alliance Québec annonce qu'il va contester, là.

M. Lapointe: Ça, écoutez, moi, je...

Mme Blackburn: Dans l'hypothèse avancée par la plupart des intervenants que ça va donner lieu à du vandalisme, et ils craignent un peu pour la paix sociale... Vous ne croyez pas que ça va avoir précisément l'effet contraire?

M. Lapointe: Encore une fois, je vais répéter que j'ai confiance dans les citoyens et que je ne pense pas qu'en mettant des règles qui empêchent de faire des choses c'est la meilleure façon de gérer une société.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Lapointe. M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Libman: L'élément le plus frappant de votre mémoire et de votre présentation, ce matin, c'est la logique, c'est le sens commun. Et j'ose espérer qu'un peu de sens commun qui était dans votre mémoire aura un impact positif sur la députée de Chicoutimi, mais, malheureusement, il y a certaines choses dans la vie qui ne changent pas.

Mais, vraiment, vous amenez avec vous une perspective qui est très réaliste. L'industrie touristique sera, selon plusieurs analystes économiques et spécialistes, l'une des premières au monde dans l'an 2000. Ça, c'est quelque chose d'important à considérer.

Il y a aussi que le tourisme d'affaires et de congrès — donc, principalement axé sur la langue anglaise — est la plus importante forme de tourisme à Montréal, le tourisme de congrès et d'affaires. Ça, c'est ce qui amène les recettes les plus importantes à la ville de Montréal. Moi, je veux savoir, d'abord... Vous dites dans votre mémoire que les touristes ont dépensé un peu plus de 1 000 000 000 $, uniquement en 1992, dans la région de Montréal. Et, juste pour préciser, j'imagine que ça ne comptabilise pas tous les achats, c'est seulement les restaurants et les hôtels, ces chiffres?

M. Lapointe: Non, ça comptabilise tout, monsieur. M. Libman: Tous les achats dans les magasins... M. Lapointe: Ça comptabilise... M. Libman: ...dans les centres d'achats?

M. Lapointe: À travers tout le Canada, on applique la même formule de retombées économiques. On calcule tant pour le coût moyen pour la chambre, un coût moyen pour les repas, un coût moyen pour la consommation d'essence, un coût moyen d'achats dans les magasins.

M. Libman: Parce que l'information que j'ai me dit que ces chiffres représentent seulement les hôtels, les restaurants et toutes les dépenses dans ce domaine.

Mais, de toute façon, avec votre mémoire, est-ce que vous considérez que l'affichage bilingue pourrait être considéré comme une valeur ajoutée à la relance économique de Montréal? Est-ce que vous croyez que cela pourrait avoir un impact très positif sur la relance économique de Montréal, si on permet, à partir de l'adoption de la loi 86... sur l'économie de Montréal? (12 heures)

M. Lapointe: Moi, je pense que oui parce que ça va nous aider dans ces démarches que nous faisons à l'extérieur de Montréal. Ce n'est pas qu'il y a un problème de fonctionnement, à Montréal, mais c'est que, comme je l'ai expliqué plus tôt, il y a un problème de perception à l'extérieur du Québec et à l'extérieur de Montréal, une crainte qu'on ne puisse pas fonctionner dans la langue anglaise lorsqu'on vient chez nous. Je pense que cette ouverture permettant l'affichage bilingue — ou multilingue dans certains autres cas — va donner le signal que nous sommes une société... pas ce que nous sommes réellement, mais va changer la perception extérieure et mettre la perception à l'heure juste,

c'est-à-dire que nous sommes une société ouverte, réceptive, généreuse, etc.

M. Libman: Alors, vous affirmez ce matin que, si on permet l'affichage bilingue, ça va inciter plus de touristes à venir ici à Montréal et qu'il pourrait y avoir des retombées économiques très positives pour l'économie de Montréal.

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M. Lapointe: Je pense que oui.

M. Libman: Ce lien est très clair dans votre esprit?

M. Lapointe: Oui.

M. Libman: Merci, monsieur.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député de D'Arcy-McGee.

Alors, ça dispose du temps que vous avions prévu, et il me reste à remercier et M. Bellerose et M. Lapointe et M. Bamatter pour leur exposé. L'échange qu'on a eu avec vous témoigne de l'intérêt que nous portons à vos réflexions.

Donc, j'indique que nous suspendons nos travaux jusqu'à 15 h 30, moment auquel nous recevons les représentants de l'Union des artistes, et j'indique que la députée de Saint-Henri, Mme Loiselle, a accepté de me remplacer comme président, je la remercie. Donc, donnons-nous rendez-vous à 15 h 30 cet après-midi, pour recevoir l'Union des artistes.

Suspension.

(Suspension de la séance à 12 h 2)

(Reprise à 15 h 32)

La Présidente (Mme Loiselle): Bonjour! Bon après-midi à tous et à toutes. Nous reprenons donc les travaux de la commission de la culture en ce qui a trait aux consultations particulières et aux auditions publiques sur le projet de loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française.

Cet après-midi, nous avons le plaisir d'accueillir deux groupes: tout d'abord, l'Union des artistes, qui sera suivie de la Fédération des commissions scolaires du Québec.

Je demanderais donc aux représentants et représentantes de l'Union des artistes de bien vouloir prendre place, s'il vous plaît.

Union des artistes (UDA) M. Turgeon (Serge): Alors, Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Loiselle): Bonjour, M. Turgeon.

M. Turgeon: ...Mmes et MM. les députés, les ministres...

La Présidente (Mme Loiselle): M. Turgeon, tout d'abord, j'aimerais vous rappeler le temps qui vous est alloué.

M. Turgeon: Oui.

La Présidente (Mme Loiselle): II y a 20 minutes pour votre présentation, et ça sera suivi d'un échange de 20 minutes avec le parti ministériel et 20 minutes avec le parti de l'Opposition. Et avant de débuter votre présentation, je vous demanderais de présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

M. Turgeon: Très bien. Alors, à ma gauche, Mme Lucie Beauchemin, qui est directrice des communications à l'Union des artistes, et, à ma droite, M. Serge Demers, qui est le directeur général de l'Union des artistes.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci.

M. Turgeon: Nous aimons les choses claires, nous aimons que les choses soient dites clairement, alors, c'est la raison pour laquelle nous avons accepté votre invitation de venir cet après-midi pour vous dire qu'à notre sens le projet de loi 86 est une démarche précipitée et qu'elle est irrespectueuse de la démocratie.

Pour les milliers d'artistes francophones que nous représentons, la langue française est plus qu'une simple langue d'usage et de communication dans la vie quotidienne. Elle est d'abord et avant tout langue de travail, langue d'expression artistique, langue de création et langue de culture.

Aussi avons-nous toujours été fortement préoccupés par l'évolution de la situation linguistique au Québec et par les législations gouvernementales en cette matière. Nous avons toujours considéré qu'il est de notre responsabilité collective de participer au débat public entourant cette question déterminante pour l'avenir de notre peuple, et de faire entendre haut et fort notre voix chaque fois que notre langue nationale nous semble menacée.

Voilà pourquoi nous avons accepté de répondre à l'invitation que le gouvernement nous a adressée et de participer aux travaux de cette commission parlementaire qui est chargée d'évaluer la pertinence d'apporter des modifications à la Charte de la langue française.

Toutefois, notre présence à cette commission parlementaire ne doit d'aucune façon être interprétée comme une approbation de la démarche entreprise par le gouvernement à l'occasion de la présentation de ce projet de loi. Au contraire, nous désapprouvons vigoureusement le fait que le gouvernement fasse preuve d'une telle impatience dans ce dossier et qu'il ait, de plus, délibérément décidé de ne pas entendre certains organismes intéressés, au premier chef, au débat linguistique.

Je pense ici particulièrement à l'Union des écrivai-nes et écrivains québécois. Il est tout à fait inacceptable que le gouvernement prive de son droit de parole, dans un débat aussi important, une association dont les membres font métier d'écrire la langue française et de contribuer ainsi à l'enrichissement culturel du peuple québécois.

Il n'est guère édifiant pour la population québécoise d'assister au spectacle déplorable d'un gouvernement qui nous semble indifférent, pour ne pas dire méprisant face à l'expression du point de vue des créateurs. Est-ce qu'on ne doit pas y voir la manifestation d'une intolérance beaucoup plus réelle que celle qu'on prête à tort aux défenseurs de la langue française dans notre société?

Par ailleurs, nous sommes quelque peu étonnés de voir l'empressement excessif avec lequel le gouvernement a entrepris de transformer en profondeur la Charte de la langue française. Mais où est donc l'urgence?

Le gouvernement a-t-il réellement mesuré l'impact qu'une telle remise en cause de la Charte de la langue française pourrait avoir sur la paix sociale au Québec, particulièrement dans la région de Montréal? Quel intérêt poursuit-il à nous replonger collectivement dans un nouveau conflit linguistique?

Depuis la promulgation de la loi 101, notre société a généralement connu, malgré quelques soubresauts, une relative paix linguistique. Or, le projet de loi n'est pas encore adopté qu'on sent déjà les tensions s'aviver entre les communautés francophones et anglophones à Montréal. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le choix que fait le gouvernement de provoquer aujourd'hui une nouvelle crise linguistique ne paraît guère opportun.

Dans le même ordre d'idée, est-ce que le gouvernement a mesuré adéquatement les conséquences qu'auront les modifications qu'il propose sur l'intégration des personnes immigrantes à la collectivité québécoise? Pour notre part, il nous semble que nous connaissons suffisamment de difficultés au Québec à assurer une intégration harmonieuse des personnes immigrantes sans que le gouvernement ne nous en impose de nouvelles. Il nous paraît tout à fait inapproprié d'envoyer à nouveau un message ambigu aux personnes immigrantes et d'accroître la confusion qui perdure dans certains milieux quant à la place que doit occuper le français dans notre société.

Nous tenons donc à souligner à cette commission parlementaire que l'Union des artistes dénonce vivement la précipitation et l'irrespect de la démocratie dont le gouvernement fait preuve dans le débat linguistique qu'il a lui-même relancé.

Le gouvernement se dit pressé d'agir par un supposé jugement de l'ONU qui considère que l'article 58 de la Charte de la langue française, tel qu'il a été modifié par l'article premier de la loi 178, violerait le paragraphe 2° de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En d'autres mots, l'obligation d'afficher en français à l'extérieur des commerces contreviendrait à la liberté d'expression. , Rappelons d'abord qu'il ne s'agit pas d'un jugement d'un tribunal international auquel l'État québécois serait contraint de se soumettre, mais d'un avis, un simple avis émis par le Comité des droits de l'homme de l'ONU.

Or, cet avis a été formulé suite à une demande effectuée par trois citoyens anglophones du Québec. Contrairement au Canada, non seulement de nombreux pays membres de l'ONU, mais je vous dirai la majorité des pays du G 7 ne reconnaissent même pas à ce Comité l'autorité d'entendre des plaintes émanant de simples particuliers. C'est le cas notamment de pays sérieux comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Japon, qui sont tous des pays démocratiques et qu'on ne peut certainement pas accuser d'irrespect envers les droits et libertés.

Le Canada, lui-même, d'ailleurs, ne s'est pas empressé de tenir compte des considérations de ce Comité dans le passé. Par exemple, dans l'affaire Sandra Lovelace, en 1981, le gouvernement canadien a mis près de deux ans à simplement répondre par écrit à l'avis de ce Comité, et deux autres années se sont écoulées avant qu'il ne légifère à ce sujet. Alors, dans ce contexte, on est en droit de se demander ce qui justifie l'actuelle précipitation du gouvernement québécois. N'est-ce pas, finalement, un simple prétexte qu'il utilise pour mettre en oeuvre sa politique de promotion du bilinguisme?

Plusieurs interrogations subsistent quant à la portée réelle de cet avis. Il n'est pas du tout évident, par exemple, que la liberté d'affichage commercial s'applique aux entreprises. Est-ce qu'il ne serait pas pertinent alors que le gouvernement invite la Cour d'appel du Québec à lui fournir une interprétation avant de légiférer?

En tout état de cause, les considérations du Comité des droits de l'homme de l'ONU portent uniquement sur la question de l'affichage commercial extérieur et ne légitiment en rien le gouvernement de modifier en profondeur les autres dispositions de la Charte de la langue française. contrairement à ce que laisse croire, depuis quelques semaines, le ministre responsable de la charte, m. ryan, de même que plusieurs de ses collègues, le projet de loi 86 va bien au-delà de la formulation de quelques assouplissements visant à effacer certains irritants en matière de langue d'affichage. >

(15 h 40)

Une simple lecture, d'ailleurs, du projet de'loi nous révèle assez clairement l'ampleur des modifications qui sont proposées. Il y a plus du tiers des 214 articles que compte actuellement la Charte de la langue française qui sont touchés par ce projet de loi, et ça, dans presque tous les domaines: la langue de la législation et de la justice; la langue de l'administration; la langue des organismes parapublics; la langue du travail; la langue du commerce et des affaires; la langue de l'enseignement; la francisation des entreprises.

Alors, il semble bien que ce soit la Charte de la

langue française dans son ensemble, comme dans chacun de ses aspects, qui constitue désormais un irritant aux yeux du gouvernement et, de surcroît, les assouplissements proposés vont étrangement tous dans le même sens, c'est-à-dire rétablir le bilinguisme au Québec.

Le gouvernement devrait au moins, nous semble-t-il, avoir la franchise d'afficher clairement ses couleurs et de déclarer publiquement son parti pris en faveur de la généralisation du bilinguisme dans la société québécoise plutôt que de prétendre, comme il le fait présentement, qu'il entend continuer à oeuvrer à la promotion du français. Mais aucune des modifications proposées par le gouvernement ne contribuera à renforcer de quelque façon que ce soit la place du français; elles expriment toutes une inquiétante volonté de nier que le français soit la langue officielle de la société québécoise et de son État.

Comment le gouvernement ose-t-il continuer d'appeler «Charte de la langue française» une loi qui, reconnaissant et confirmant tous les reculs enregistrés par la langue française au cours des dernières années, stipulera ou autorisera: que les lois et les règlements soient imprimés, publiés, adoptés et sanctionnés en français et en anglais; que l'article qui prévoit la primauté du texte français en cas de divergence entre les textes français et anglais soit aboli; que les personnes morales ne soient plus tenues de plaider en français devant les tribunaux; qu'il n'y ait plus l'obligation de rendre les jugements en français, ni même de les traduire, et que la version française ne soit plus considérée comme la version officielle en cas de divergence; que le gouvernement puisse communiquer avec les autres gouvernements et les personnes morales établies au Québec dans une autre langue que le français?

Mais comment le gouvernement ose-t-il continuer de désigner «Charte de la langue française» une loi qui, diminuant le droit des Québécoises et des Québécois de travailler et de recevoir des services en français, stipulera ou autorisera: que soient accordés des permis de travail temporaires renouvelables à vie à des professionnels incapables d'offrir leurs services en français; que les sentences arbitrales et toutes les décisions rendues en vertu du Code du travail par les agents d'accréditation, les commissaires du travail et le Tribunal du travail puissent être en anglais, sans obligation de traduction, et bien d'autres choses?

Alors, comment le gouvernement ose-t-il continuer de nommer «Charte de la langue française» une loi qui, reconnaissant pour la première fois la légitimité du coup de force constitutionnel de 1982, et amoindrissant la place de l'école française, stipulera ou autorisera: qu'en matière d'accès à l'école anglaise soit invalidée la clause dite Québec et que lui soit officiellement substituée la clause dite Canada; que soient multipliées et étendues les possibilités, pour les personnes immigrantes, de déroger à l'obligation d'envoyer leurs enfants à l'école française; qu'en cas de conflit entre les parents, la priorité soit accordée au parent qui réclame l'accès à l'école anglaise pour son enfant; que, sous prétexte de favoriser l'apprentissage de cette langue, l'enseignement de toutes les matières dans les écoles françaises puisse se faire en anglais, ouvrant ainsi la porte au développement systématique du bilinguisme dans l'éducation?

Il est clair que le gouvernement va bien au-delà de l'adoption de quelques assouplissements en matière d'affichage commercial. Il devrait minimalement avoir la décence et la transparence de le reconnaître.

L'Union des artistes refuse donc de donner son aval aux modifications proposées à la Charte de la langue française et dénonce fermement la volonté cachée du gouvernement d'instaurer, par le biais de ce projet de loi 86, le bilinguisme dans tous les champs d'activité au Québec.

Et puis, la loi 101 faisait de la défense et de la promotion du français une responsabilité nationale, une affaire d'État. Or, en proposant un transfert massif entre les mains du gouvernement et du ministre attitré des pouvoirs actuellement détenus par un organisme indépendant, l'Office de la langue française, on veut en faire une affaire, excusez-moi, de politiciens, soumise aux aléas de la politique partisane et aux pressions des lobbies.

L'Union des artistes rejette entièrement toutes les modifications qui permettraient dorénavant au gouvernement de modifier des aspects importants de la législation linguistique par voie de règlements et sans débat à l'Assemblée nationale.

Les nombreuses modifications que nous venons d'évoquer auront pour effet de transformer finalement, en catimini, la Charte de la langue française en une charte d'un Québec bilingue. Et cela est d'autant plus évident que se manifeste la volonté du gouvernement de transformer la loi 101 pour autoriser dorénavant le bilinguisme, non seulement dans l'affichage externe pour les petits commerces, mais plus encore dans l'ensemble de l'affichage public; dans la publicité commerciale; dans les raisons sociales; dans la signalisation routière; dans l'affichage de l'administration gouvernementale.

Et dans tous ces domaines le projet de loi 86, s'il était adopté, accorderait, par ailleurs, au gouvernement le pouvoir de permettre, par simple voie de réglementation, que l'affichage puisse se faire sans prédominance du français et même uniquement dans une autre langue.

En d'autres mots, non seulement assisterions-nous, par voie de conséquence, au retour massif du bilinguisme, notamment dans la langue du commerce et des affaires, mais nous pourrions même voir réapparaître l'unilinguisme anglais en certains endroits ou en certaines circonstances, au gré des intérêts immédiats du parti politique au pouvoir.

Il existe une expression populaire que vous connaissez bien pour décrire ce que le gouvernement met de l'avant en matière d'affichage, ça s'appelle «en donner plus que le client en demande».

Les modifications proposées vont, en effet, bien au-delà, d'une part, de la tolérance exprimée par la population dans certains sondages et, d'autre part, des

recommandations formulées par le Conseil de la langue française et par ce Comité des droits de l'homme de l'ONU qui concernent uniquement, je vous le rappelle, l'affichage externe pour les petits commerces.

L'Union des artistes refuse d'accorder son appui aux propositions gouvernementales qui vont dans le sens de la restauration du bilinguisme et de l'unilinguisme anglais dans l'affichage et dans la langue du commerce et des affaires au Québec.

L'Union des artistes considère que ces propositions mettent en péril l'avenir du français, bien sûr, à Montréal, où se feraient sentir plus rapidement et plus massivement les impacts pernicieux d'un tel retour en arrière, mais aussi, à terme et par effet d'entraînement, dans l'ensemble du Québec.

D'autres organismes sont venus rappeler devant cette commission la constatation que faisait René Léves-que en novembre 1982, alors qu'il s'adressait aux dirigeants d'Alliance Québec. Il écrivait ceci: «À sa manière, chaque affiche bilingue dit à l'immigrant: il y a deux langues ici, le français et l'anglais, on choisit celle qu'on veut. Elle dit à l'anglophone: pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit.» Fin de la citation. L'Union des artistes souscrit entièrement à ce point de vue de l'ex-premier ministre du Québec et le reprend à son compte.

Il est évident à nos yeux que cette restauration du bilinguisme dans l'affichage crée des conditions d'un recul majeur de la place du français dans toutes les autres sphères d'activité, et particulièrement dans la langue de travail et dans la langue d'enseignement. Comment le gouvernement peut-il prétendre que les entreprises et les commerces anglophones, étant désormais autorisés, pour ne pas dire incités, à s'adresser en français et en anglais, ou éventuellement en anglais seulement au gouvernement, à l'administration, aux tribunaux et à leurs clientèles, ne seraient pas amenés rapidement à faire de même avec leurs employés?

Comment le gouvernement peut-il soutenir que les personnes immigrantes, étant dorénavant soumises quotidiennement à un environnement commercial et publicitaire accordant, à toutes fins pratiques, le même statut au français et à l'anglais, ne seraient pas tentées, elles qui continuent de s'intégrer majoritairement à la communauté anglophone malgré la loi 101, ne seraient donc pas tentées de s'assimiler encore plus à la culture anglophone et de réclamer avec force le libre choix de la langue d'enseignement pour leurs enfants?

La restauration du bilinguisme dans l'affichage et dans la publicité commerciale comporte aussi un danger réel d'appauvrissement de la qualité de la création publicitaire et de la langue française dans ce domaine. Déjà, dans le milieu francophone de la publicité, on a commencé à s'inquiéter à ce sujet et à alerter l'opinion publique. Mais quelle sorte de langue française verrions-nous s'exprimer dans l'affichage et la publicité commerciale le jour où les grandes entreprises et les grandes chaînes de commerce entreprendraient de traduire simplement de l'anglais au français leur raison sociale, leurs concepts et leurs messages?

Qu'on ne s'illusionne pas, la bilinguisation et l'anglicisation de l'affichage et de la publicité commerciale ne seraient pas limités à Montréal. Il ne s'écoulerait pas beaucoup de temps avant que le mouvement ne s'étende à toutes les régions, à tout le moins dans le cas des grandes entreprises et des grandes chaînes de commerce, ne serait-ce qu'à cause des contraintes inhérentes aux coûts de production du matériel publicitaire.

Enfin, la restauration du bilinguisme dans l'affichage et dans la publicité commerciale comporte un risque sérieux de déplacement de Montréal vers Toronto ou New York d'une partie notable de la création et de la production publicitaires. Le jour où les multinationales anglophones prendraient conscience que leur principale raison de confier leur publicité à des agences francophones du Québec aurait disparu, combien ne choisiraient-elles pas de rapatrier leurs activités et d'accroître simplement leur budget de traduction? (15 h 50)

En somme, obnubilé par une excessive tendance à l'assouplissement en matière de législation linguistique, le gouvernement ne semble pas mesurer, à notre sens, adéquatement les périls qu'il fait courir à l'avenir de la langue française en restaurant le bilinguisme dans l'affichage.

La société québécoise, par son appartenance à l'espace économique nord-américain et par l'influence considérable que la culture anglo-américaine y exerce, est en quelque sorte plongée en permanence dans un bain linguistique anglophone. Or, l'Union des artistes considère que rien ne justifie que le gouvernement accentue, par ses politiques, ce phénomène déjà fort inquiétant pour notre avenir collectif.

En conclusion, je vous dirai que les acquis de la francisation de notre société demeurent bien fragiles, qu'il y a tant à faire pour défendre et promouvoir le français au Québec, à l'école, au travail, dans toutes les sphères d'activité, qu'il y a tant à faire pour assurer l'intégration harmonieuse des personnes immigrantes, particulièrement en consolidant le statut de la langue française comme langue officielle de l'État et comme langue commune de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, assurant ainsi l'indispensable cohésion de notre société.

L'Union des artistes ne peut accepter que le gouvernement décide, aujourd'hui, de baisser les bras face à ce défi majeur pour notre avenir, qu'il renonce aux objectifs qui ont présidé à la promulgation de la Charte de la langue française, qu'il compromette ainsi tous .les efforts accomplis à ce jour et qu'il tente de nous ramener collectivement 20 ans en arrière en restaurant et en promouvant le bilinguisme. L'Union des artistes demande donc au gouvernement de retirer son projet de loi 86.

Jusqu'à présent, le gouvernement a refusé, parfois avec une arrogance déplorable et inquiétante pour la qualité de notre vie démocratique, d'entendre la voix des nombreux organismes représentatifs qui sont venus

le mettre en garde contre le virage néfaste dans lequel il veut entraîner le Québec en matière d'orientation et de législation linguistiques.

Mais exploitant l'ouverture d'esprit et les valeurs de tolérance qui caractérisent la population québécoise, misant sur le désolant sentiment de culpabilisation qu'on s'est efforcé de lui inculquer depuis quelques années à chaque fois que se manifestait son aspiration à vivre en français au Québec et camouflant les véritables intentions qu'il poursuit en matière linguistique, le gouvernement pense le moment venu d'imposer impunément sa nouvelle politique de bilinguisme. Eh bien, le gouvernement se trompe. Il se trompe aujourd'hui comme il se trompait hier en croyant pouvoir entériner le dangereux accord constitutionnel de Charlottetown.

Nous avons la conviction profonde — et je termine là-dessus — qu'informée peu à peu de la portée réelle du projet de loi 86 et comprenant alors que les modifications proposées à la Charte de la langue française s'inspirent de la même attitude de résignation et de démission nationale que celle qui prévalait au moment de Charlottetown, la population québécoise servira au gouvernement le même démenti qu'elle lui a alors servi. C'est notre conviction. Je vous dirai que c'est aussi notre espoir et que c'est le sens de notre ferme opposition à cet illégitime projet de loi 86.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci, M. Tur-geon.

Nous commençons l'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Ryan: Mme la Présidente, je voudrais prévenir M. Turgeon tout de suite qu'il n'est pas question que le gouvernement retire ce projet de loi. Je veux que vous partiez avec une réponse claire.

M. Turgeon: Ah ça, je ne m'attendais pas à une autre réponse, M. Ryan.

M. Ryan: Vous avez dit que vous aimez les choses claires, au début de votre exposé; il en va de même pour moi.

M. Turgeon: Tout à fait.

M. Ryan: Et nous ne retirons pas le projet de loi pour une raison bien simple, c'est que, contrairement à la présentation faussée qu'en donne votre mémoire, c'est un projet foncièrement modéré. C'est un projet qui répond à des besoins précis et qui n'entraîne aucunement ce détournement de vocation de la Charte que l'on invoque dans certains milieux.

Le projet corrige d'abord la situation relative à l'affichage. J'ai remarqué que dans le mémoire que vous nous avez présenté, le souci de chercher un équilibre entre la liberté d'expression que garantissent et la Charte québécoise des droits de la personne et la Charte canadienne et le Pacte international des droits civils et politi- ques auquel a librement adhéré le Québec — librement, en acceptant de s'y soumettre — pose ce problème en termes crus.

Ce n'est pas nous qui l'avons inventé, on nous dit: Le discours commercial fait partie de la liberté d'expression. Un postulat qui sous-tendait certaines dispositions de la Charte parlait un langage contraire et supposait que ça ne faisait pas partie de la liberté d'expression, donc, qu'on pouvait limiter ça au gré des gouvernements ou des Parlements. Les droits fondamentaux sont situés au-delà de la volonté des gouvernements et même des Parlements, tellement qu'il faut toujours des majorités beaucoup plus fortes pour apporter des modifications à une charte de droits. C'est ça, le problème qui se posait à nous; nous ne l'avons pas inventé.

Puis, quand vous parlez de précipitation, je ne sais pas si nous vivons sur la même planète, mais nous avons pris tout le temps voulu. Le problème est posé depuis 5 ans. Nous avions dit, il y a 5 ans, que nous reviendrions en 1993, puis nous avons prévenu nos concitoyens dès le mois de décembre. On ne peut pas avoir eu une procédure plus ouverte, plus graduée que celle que nous avons observée, et pour plaire à certains, il faudrait que nous attendions indéfiniment. Ça, ce n'est pas l'attitude du gouvernement, parce que nous sommes au gouvernement pour agir et non pas pour attendre uniquement. Je pense que le cheminement que nous avons suivi, de ce point de vue, est un cheminement fort défendable.

Alors, le projet de loi lui-même apporte cette réponse au problème de l'affichage, une réponse modérée. Le français sera obligatoire partout. Deuxièmement, une autre langue pourra être utilisée dans l'affichage, mais à condition que le français soit toujours dans une situation nettement prédominante. Et le gouvernement se réserve le pouvoir, par règlements, de définir certaines situations où le français pourrait être utilisé de manière exclusive, où le français et une autre langue pourront être utilisés de manière équivalente, ou encore des situations où il pourrait arriver que seule une autre langue puisse être utilisée. C'est déjà, dans la Charte de la langue française, il y en a déjà, des exemples de ça.

Vous pouvez bien semer des épouvantails tant qu'on veut, mais on regardera les textes ensemble, quand on aura le temps, on verra qu'il n'y a rien d'inusité là-dedans. Et je répète ce que j'ai dit à maintes reprises depuis le début des auditions publiques de la commission: le gouvernement fera connaître en temps utile — j'espère que ce sera plus tôt que plus tard — les choix qu'il aura arrêtés en matière de réglementation, et on verra à ce moment-là qu'il s'agit de choix extrêmement modérés et responsables. Il n'est pas question d'ouvrir dans toutes les directions même si, personnellement, je n'ai aucune mauvaise idée du bilinguisme. Je pense que ça peut être un enrichissement pour une personne et aussi pour une société. Si ça peut l'être pour une personne, je ne comprends pas pourquoi ça ne peut pas l'être, à bien des égards, pour la société dont elle fait partie. Qu'il faille être prudent dans une société ou

un contexte comme le nôtre, nous le comprenons tous. C'est pour ça qu'il y a beaucoup de dispositions de la Charte que nous maintenons. Encore là, en matière de langue d'enseignement — et là vous posez la question bien simplement — je m'étonne, je me scandalise même — et je n'ai plus le scandale facile après 15 ans de vie politique et 16 ans de journalisme antérieurement, j'ai à peu près tout vu, tout entendu — qu'on veuille maintenir dans une législation l'interdiction de recourir à toute méthode, par exemple, d'immersion dans l'apprentissage de la langue seconde au Québec. Moi, je trouve ça passablement fort. Je pense que c'est manquer totalement de confiance envers le système d'enseignement, envers le ministère de l'Éducation, envers les commissions scolaires, envers les responsables de la pédagogie de l'enseignement des langues secondes dans les écoles.

On veut élargir un peu. On veut mettre un peu d'air là-dedans à la lumière de résultats fort décevants que nous observons depuis des années en matière d'apprentissage des langues secondes dans les écoles. Si c'est ça qui vous scandalise, qui vous fait redouter une catastrophe, j'aimerais que vous m'expliquiez comment.

M. Turgeon: Alors, M. Ryan, je reconnais vos 15 ans de vie politique et vos 16 ans de journalisme, et je ne doute absolument pas que vous sachiez écrire, mais nous savons lire. Et quand vous dites que nous avons un projet qui fausse la vérité, moi, je vais vous dire que nous avons fait un travail sérieux. Nous avons lu ce qu'il y a là à la lumière des mots qui sont là et non à la lumière d'une réglementation que vous avez peut-être en tête, mais qui n'est pas là et dont je ne peux pas préjuger présentement.

Vous avez en face de vous des gens qui savent ce que c'est que la liberté d'expression. Je pense que les artistes savent un peu ce que c'est que la liberté d'expression...

M. Ryan: Montrez-le.

M. Turgeon: ...et il n'est aucunement dans notre intention de vouloir brimer quelque liberté d'expression que ce soit. Sauf que tout ce que nous disons, c'est qu'au nom de cette liberté d'expression dans l'affichage commercial, où nous aurions pu élaborer si vous nous aviez présenté un projet là-dessus — on pourrait en discuter et en débattre, on est ouvert à ça — l'impression que nous avons, c'est que c'est un cheval de Troie que vous nous faites passer. En voulant faire passer ça, vous faites passer une bilinguisation dans plusieurs domaines de la société, et notamment partout où il y a une raison d'État, une raison institutionnelle, une raison sociale. C'est ça qui nous apparaît et c'est ça, uniquement ça, entendons-nous, que nous dénonçons.

Pour ce qui est du reste, on l'a toujours dit, et, moi, je l'ai dit à Bélanger-Campeau, les anglophones sont 800 000 au Québec, ils ont leur place, ils ont leurs droits et on va respecter ça. Mais on vit dans une socié- té. On parle d'une langue commune. La loi 101 faisait de la langue une affaire d'État. Votre projet de loi, M. Ryan, avec tout le respect que je vous dois, ramène ça à un autre niveau, ramène ça à l'humeur des politiciens, et ça c'est tout à fait inacceptable dans une société démocratique comme la nôtre. C'est tout ce que nous disons.

M. Ryan: Mais est-ce que vous admettez que, dans une société démocratique, le pouvoir de réglementation doit revenir au gouvernement, à ceux qui sont les élus du peuple? Est-ce que vous reconnaissez ça? (16 heures)

M. Turgeon: Oui, mais présentement, ce que j'ai à étudier, c'est ça. C'est le texte que vous avez ici. Je n'étudie pas la réglementation.

M. Ryan: Mais je vous pose la question...

M. Turgeon: Je suis d'accord pour dire que le pouvoir de réglementation vous revient, tout à fait. C'est très bien.

M. Ryan: Merci. Merci. Je suis content.

M. Turgeon: Mais ce n'est pas... Je ne l'ai pas, la réglementation, ici.

M. Ryan: En lisant le projet de loi, j'espère que vous serez d'accord jusqu'au bout.

La Présidente (Mme Loiselle): Ça va.

M. le député de Richelieu.

M. Khelfa: Merci, Mme la Présidente.

M. Turgeon, mesdames, messieurs, il y a quelque chose, un nombre qui me revient, et je me pose des questions. Est-ce que, en arrière de ça, vous voulez dire — peut-être que je me trompe, j'espère que je me trompe — que si le Québec devient anglicisé ça sera à cause des immigrants? Est-ce que je peux l'interpréter comme ça ou bien si je fais fausse route? J'espère que je fais fausse route. Parce que si je le lis, si je l'entends, il y a quelque chose qui me chicote un peu. Et si je pose la question, je la pose parce que je suis assuré que vous allez me répondre en me disant que j'ai tort.

Puis, j'espère que vous reconnaissez que la majorité des immigrants, à l'heure actuelle, la majorité, avec l'intégration... Le gouvernement actuel, même le gbu-vernement précédent, a essayé d'intégrer la majorité des immigrants à la réalité québécoise, ça veut dire la réalité francophone, puis l'effort était un effort positif, et la majorité de ces immigrants intègrent la majorité québécoise et ils vivent — puis j'utilise le terme de Mme la députée de Chicoutimi — après 5 heures en français.

Ce discours, moi, il y a quelque chose qui me chicote un peu. J'espère que vous allez me dire que ce n'est pas tout à fait ça, on ne pointe pas personne en disant que si le Québec devenait un jour

anglophone, ce sera à cause de ceux qui viennent de l'extérieur.

M. Turgeon: On vous dit que tout ça, c'est bien fragile, et que quand quelqu'un de l'extérieur s'en vient ici, en ce moment, il s'en vient au Canada peut-être avant de s'en venir au Québec. , M. Khelfa: Pas nécessairement.

M. Turgeon: Et il s'en vient ici. Ou s'il s'en vient au Québec et qu'on lui donne le message qu'il peut être ou dans cette langue-là ou dans cette autre, c'est là qu'il y a confusion.

Pour répondre à votre question, je vais vous citer ceci. Quelqu'un qui disait: «Si les nouveaux immigrants n'avaient pas un message très clair que la société québécoise est principalement francophone et qu'elle n'est pas bilingue officiellement et institutionnellement partout, ces immigrants auront un intérêt économique à aller du côté anglophone.»

Qui disait ça? Ce n'est pas Guy Bouthillier du Mouvement Québec français qui disait ça, ce n'est pas Jean Dorion de la Société Saint-Jean-Baptiste qui disait çà, ce n'est pas Mme Blackburn, ce n'est pas moi, c'est votre premier ministre, c'est M. Bourassa lui-même qui disait ça il y a cinq ans. Qu'est-ce qui s'est donc passé en cinq ans pour que, tout à coup, on change tout de bout en bout?

M. Khelfa: M. Turgeon, si vous me permettez, vous le savez très bien... Vous êtes un excellent journaliste et je vous félicite, je suis témoin, je vous écoute tous les jours.

M. Turgeon: Vous direz ça à mes patrons.

M. Khelfa: Pardon?

M. Turgeon: Vous direz ça à mes patrons aussi.

M. Khelfa: Je suis sur les ondes, je peux leur dire. Mais, vous savez très bien qu'il y a une politique d'immigration qui est mise sur la table par le gouvernement Bourassa, il y a une politique d'intégration qui est faite et il y a une sélection à travers le monde, il y a des programmes de francisation avant d'arriver, il y a des intégrations qui se font à tous les niveaux. Un message comme celui-là peut-être a été réel, mais en 1980.

Mme Beauchemin (Lucie): J'aimerais ajouter quelques...

M. Khelfa: Si vous me permettez, juste pour terminer...

Mme Beauchemin: Pardon. Je vous en prie. M. Khelfa: Allez-y, j'ai perdu le fil.

Mme Beauchemin: Oui, et c'est justement à vous que j'aimerais m'adresser, M. le député. J'ai eu l'immense privilège de vivre une expérience à l'étranger. J'ai été pendant trois ans en Israël où j'ai appris l'hébreu simplement parce que j'y étais obligée. Si j'avais été dans une situation où les panneaux-réclame ou la publicité à la radio et ainsi de suite s'étaient faits en anglais ou en français, je vous assure que j'aurais été enchantée de profiter de cette occasion parce que d'apprendre une langue dans un nouveau pays, c'est difficile, et chaque fois qu'il y a des échappatoires, l'esprit étant paresseux, on essaie de profiter des échappatoires.

C'est ainsi que va la vie, ça n'a rien de particulier au Québec ou au Canada ou ailleurs, c'est la même chose partout.

M. Khelfa: Je comprends votre point de vue. Nous avons une de nos collègues qui a passé quelques années dans un kibboutz en Israël, elle a appris la vie à l'extérieur. Mais, moi, ce que je veux dire, c'est presque le même discours qu'on entend aujourd'hui, de 1988, quand on a voulu mettre la loi 178. Cela a peut-être été un peu plus flamboyant en décembre 1988, je le sais comme député. Pour moi, vous êtes bien informée, la vie active et l'animation dans le coin chez nous.

Mais, moi, ce que je veux dire, c'est que l'ensemble des Québécois d'origine, et non pure laine, sont fiers d'intégrer la majorité québécoise francophone. Ils le font. Ils le font, et nous avons deux politiques. La citation que vous m'avez donnée est excellente; ça vient du premier ministre, il a agi en fonction de sa citation. Et je vous en remercie.

Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. J'ai besoin du consentement des membres. Le député... Non? Ça va? Oui, d'accord. Est-ce que ça va?

Alors, Mme la députée, pour 15 minutes d'échange, s'il vous plaît.

Mme Blackburn: Merci, Mme la Présidente.

M. Turgeon, M. Demers, Mme Beauchemin, il me fait plaisir de vous saluer et de vous souhaiter la bienvenue à cette commission parlementaire.

Je pense qu'il faut faire un certain nombre de mises au point. Vous savez, quand vous n'êtes pas d'accord avec le ministre, c'est soit que vous n'avez pas compris, que vous soyez réactionnaires, bornés, intolérants, ou encore, comme dans votre cas, vous avez faussé la vérité. Parce qu'on ne peut pas penser autrement que le ministre, sinon vous êtes fatalement dans l'erreur.

Vous rappelez avec beaucoup de justesse que c'est un projet de loi majeur qui dépasse très largement l'obligation qu'invoque le gouvernement de se conformer à l'avis du sous-comité des Nations unies et vous rappelez avec beaucoup de justesse, faut-il le redire, que dans une situation similaire, ce qu'on appelait la cause Lovelace sur le statut des femmes autochtones, le

Canada aura mis quatre ans à se conformer au même jugement, à un jugement similaire.

À présent, vous rappelez également la fragilité et la vulnérabilité du français au Québec. Je vous rappelle que c'est essentiellement le discours que ce gouvernement, dans une plaidoirie auprès des Nations unies, faisait il y a seulement 14 mois. Qu'est-ce qui a changé depuis février 1992 pour qu'on soit capable de tout saboter? Qu'est-ce qui nous donne cette sécurité, ce confort, cette assurance que la langue n'est plus menacée au Québec? Alors, je pense que de poser la question, c'est s'interroger sur le pourquoi du projet de loi. (16 h 10)

Je voudrais rappeler que dans le projet de loi, vous le dites, il y a 10 articles sur 65 qui touchent l'affichage. Il ouvre à l'affichage unilingue français, mais unilingue dans d'autres langues. Partout, le ministre dit toujours la même chose: prédominance du français. Ça, c'est induire la population en erreur, parce qu'il y aura, oui, prédominance dans certains cas, oui, égalité en ce qui a trait aux raisons sociales, et il pourrait y avoir unilinguisme anglais également, et ça, il ne le dit pas.

Il y a donc 84 dispositions de la Charte sur 215 qui se trouvent touchées, c'est majeur et c'est capital. Le gouvernement a été accusé, et par la Cour suprême et par le Comité des Nations unies, d'avoir mal plaidé. Comprenez-vous? D'avoir mal plaidé. Et, sur la base du résultat, il dit: On doit se conformer. On n'appelle pas ça un peu faire exprès pour justifier le mouvement qui est en train de se faire? Ce n'est pas nous qui le disons, c'est, dans un cas, la Cour suprême, et, dans un autre cas, le Comité des Nations unies qui disent: Le Québec a mal plaidé.

Ce que dit José Woehrling, le conseiller du Conseil de la langue, un expert, il dit: Pourquoi n'allez-vous pas tester la loi 101 d'origine, même la loi 178, auprès des tribunaux? On pense qu'à la faveur de l'évolution des derniers jugements ça pourrait être considéré comme conforme. Non, il y a une urgence. Moi, je prétends que l'urgence, elle n'a qu'un nom: la partisane-rie. Parce que les élections approchent, et on a besoin de récupérer le vote anglophone.

Comme beaucoup d'autres organismes qui se sont présentés ici, vous craignez qu'on menace ainsi la paix sociale, et vous rappelez que le message qu'on envoie aux allophones est un message ambigu. Moi, je le dis et je le répète, quoi qu'en pense le député de Richelieu, je pense que le message qu'on envoie aux jeunes immigrants, c'est: Si on n'a pas besoin du français pour travailler — parce que les parents travaillent souvent en anglais — si, le français et l'anglais, on a le choix, on est en Amérique du Nord, on va choisir l'anglais; c'est légitime et normal, parce qu'on leur envoie un message ambigu. On leur envoie un message ambigu avec la conséquence, deux fois sur trois, quand il y a un transfert linguistique, c'est-à-dire, quand on adopte une autre langue à la maison, on le fait en faveur de l'anglais, encore aujourd'hui; alors, n'allez pas me dire que ça a changé beaucoup.

J'aimerais que vous me parliez de ces effets de fragiliser le Québec, la langue française, et particulièrement dans la grande région montréalaise.

La Présidente (Mme Loiselle): M. Demers.

M. Demers (Serge): Si vous permettez, je pense que, pour toutes les personnes qui vivent à Montréal, il est très évident que l'équilibre linguistique, dans la région de Montréal, est plus que fragile, et les modifications que le ministre se propose d'apporter à la Charte de la langue française, à travers son projet de loi, vont tout simplement favoriser un glissement supplémentaire des personnes immigrantes vers la langue anglophone. Nous avons pu, nous, la vérifier, cette fragilité, à travers quelques sondages ces dernières années, qu'on a fait faire par des firmes scientifiques sur, par exemple, l'écoute, des personnes immigrantes, des films diffusés en langue française ou en langue anglaise, des émissions de télévision diffusées en langue anglaise ou en langue française, et ainsi de suite, et on se rend compte que la tendance, parce qu'on est en Amérique du Nord et qu'on est une minorité à l'intérieur du Canada, c'est d'aller spontanément vers la langue anglaise.

Or, ce qui nous choque dans la présente démarche — M. Ryan disait que ça fait 15 ans qu'il fait de la politique; c'est peut-être qu'après 15 ans on a peut-être tendance à devenir un peu cynique — c'est qu'on utilise la langue de la majorité, la langue des Québécoises et des Québécois, en termes de «clientélisme» politique, et que, finalement, les pots cassés, c'est nous qui devrons les ramasser dans quelques années, et nos enfants par la suite. Et ça, je trouve ça, en quelque part, inacceptable et immoral. Je pense qu'on ne peut pas faire de la parti-sanerie politique à partir d'un débat aussi fondamental que celui de la langue française.

Et moi, je serais prêt à dire au gouvernement, et à M. Ryan, s'il est tellement convaincu de la justesse de son point de vue, s'il croit que la population du Québec supporte son projet de loi, il y a deux possibilités d'aller le vérifier d'une façon on ne peut plus démocratique, pas en utilisant sa majorité de parti à l'Assemblée nationale, c'est aller devant le peuple, soit en référendum ou en élection, sur cette base-là, et laisser la population du Québec décider. Ça demande un certain courage politique que, je suis convaincu, le gouvernement n'est «pas prêt à assumer, mais ce serait là l'ultime test sur un enjeu qui est fondamental pour notre société. Moi' je pense que je serais prêt à parier de l'issue d'une telle consultation.

Mme Blackburn: Vous qui êtes dans le secteur de la création et de la production artistique, pourriez-vous nous rappeler les effets d'une bilinguisation qui va, fatalement, nous faire glisser vers l'anglicisation, et déjà sur une clientèle qui a tendance à consommer beaucoup les produits culturels américains? C'est Uli Locher qui nous donnait un portrait là-dessus, un portrait assez

déroutant où, de plus en plus, les jeunes francophones, à Montréal, là où l'offre télévisuelle est équivalente en français et en anglais, consomment de plus en plus en anglais.

M. Turgeon: écoutez, regardez ce qui se passe autour de nous: à la radio, presque 50 % des musiques, chansons qui sont jouées, ce sont des musiques et des chansons anglophones; il y a deux canaux de télévision anglophones. chez nous, il n'y a personne qui brime ça, cette liberté d'expression. regardez ce que le crtc s'apprête sans doute à faire: on va autoriser les américains à nous asperger, par le satellite, de 200 à 300 ou 400 canaux américains de plus. on est dans une mer de monde anglophone. on est plus que dans le bain, on est dans la mer anglophone. donc, c'est évident que d'accentuer ce côté-là, bien ça met en péril la survie du français; c'est ça que nous disons.

Moi, je voudrais ajouter, si vous me permettez, une chose: II y a le linguiste célèbre Claude Hagège qui disait récemment ceci...

Mme Blackburn: Oui.

M. Turgeon: J'y souscris tout à fait, et je pense que M. Ryan va nous rejoindre là-dessus: Oui, c'est vrai que le bilinguisme individuel, c'est une richesse; il n'y a aucun doute là-dessus. Mais le bilinguisme officiel, ça, ça a sa raison d'être quand c'est égalitaire. Or, ici, dans ce pays, on ne peut pas dire que c'est égalitaire, parce que nous sommes dans cette mer, justement, anglophone, du continent. Alors, donc, c'est pourquoi, à notre avis, la loi, c'est la loi, comme le disait un célèbre ' adage: La loi 101 doit être la loi 101, ou alors elle n'est plus. C'est vrai que nous avons combattu, à l'époque, la loi 178, parce que nous considérions, et considérons toujours que c'est une mauvaise loi. Mais dans l'état actuel des choses, nous pensons qu'il vaut mieux reconduire une mauvaise loi que de nous faire imposer une loi carrément odieuse.

Mme Blackburn: J'aimerais que vous essayiez de nous éclairer sur les effets potentiels de cette loi sur les régions. On parle beaucoup de la grande région métropolitaine, ce qui a fait dire, je pense, à une chroni-queure dans La Presse que ça ne devait pas regarder les régions, ça ne regardait que Montréal. Montréal, c'est comme si ça vivait en dehors du Québec. Je ne sais pas trop comment, là, elle conçoit ça, mais, de toute manière, nous, on prétend que si Montréal s'anglicise, les régions, ce n'est qu'une question de décennies: deux, trois, peut-être.

M. Turgeon: Écoutez, j'entendais l'intervention du maire L'Allier, hier, à laquelle je souscris, et je pense que M. le maire avait raison de s'inquiéter: Si vous avez vu notre émission ce matin, M. le député, vous avez vu qu'on avait un reportage pour montrer que, déjà, dans la ville de Québec, les affiches bilingues commençaient à venir. Et quand je suis arrivé tantôt sur la Grande Allée, bien, il y avait déjà des affiches bilingues à quelques pas d'ici.

M. Ryan, je vous invite à aller faire un tour dans la rue: Vous allez voir que c'est comme ça que ça passe, en ce moment.

Mme Blackburn: On travaille beaucoup... J'allais dire: On travaille au corps les Québécois en leur assénant quotidiennement qu'ils sont intolérants. Et là le ministre est allé beaucoup plus loin hier, il a comparé notre législation en matière d'affichage à la pratique de l'Afrique du Sud. On continue de nous asséner, de nous marteler quotidiennement également qu'on a une mauvaise réputation à l'étranger alors que, évidemment, les Québécois, en ce sens, ils ont tendance rapidement à dire: Peut-être qu'effectivement, à 6 000 000, on est en train d'ébranler les colonnes du temple américain. Qui sait? Peut-être.

Alors, les gens se laissent facilement culpabiliser. Comment est-ce qu'on pourrait... je n'allais pas dire «comprendre», mais contrer cette espèce d'impression, ou l'expliquer, qu'on se sente toujours coupables, nous, minoritaires en Amérique du Nord? Il y a 6 000 000 de parlant français au Québec; il y a 7.000 000 de Québécois, mais il y en a 6 300 000 qui parlent français et là, on est en train de nous dire que c'est nous qui sommes menaçants.

Comment est-ce qu'on est capable de contrer une campagne qui semble, à sa face même, complètement aberrante quand vous examinez les chiffres et les données? Vous diriez ça à n'importe qui en Europe, qu'en Amérique du Nord, 6 000 000 sont en train de faire trembler l'Amérique, il y a comme un problème! (16 h 20)

M. Deniers: Moi, je vous dirai que, personnellement, madame, je ne culpabilise pas, et je suis convaincu qu'une majorité de notre population ne culpabilise pas non plus. Qu'on tente de nous culpabiliser, c'est un autre débat. Mais qu'on tente de nous culpabiliser alors que l'objectif visé, et le seul objectif visé, c'est de racoler les électeurs de M. Libman, moi, je trouve ça indécent dans une société.

Mme Blackburn: Le ministre nous a déjà annoncé qu'il n'était pas question de retirer la loi, mais, en même temps, il nous parle souvent, et d'abondance, des règlements. Tout à l'heure, à une question qu'il vous a posée, «croyez-vous qu'il soit de la responsabilité du gouvernement de faire adopter les règlements?», ça n'a jamais été autrement. Il n'y a aucun organisme au Québec qui n'est pas obligé de soumettre ses règlements au gouvernement. Ce qu'il a fait, et c'est une différence majeure — vous l'avez souligné, et je ne pouvais pas le passer sous silence — c'est qu'on avait choisi, nous, de garder cette question-là, je dirais, assez loin des tentations partisanes en donnant la réglementation à un office indépendant, autonome. Et ce que le gouvernement fait, c'est qu'il ramène ça dans sa cour et dans son bureau.

Quelques malins me diraient: Ça ne changera pas grand-chose puisqu'il a mis la Commission de protection de la langue en tutelle il y a déjà 3 ans, et comme il a déjà un peu beaucoup fait pour l'Office, si on pense au cas de Rosemère... Mais c'est une différence fondamentale que de laisser l'organisme proposer un projet de règlement que, peut-être, le gouvernement peut lui demander de corriger et une autre que de dire: Dorénavant, c'est le gouvernement qui va édicter les règlements.

Est-ce que vous êtes d'accord? Parce qu'il a laissé l'impression, tantôt, qu'il voulait donner l'impression, certainement aux téléspectateurs, que vous étiez d'accord avec cette idée que les règlements devaient être confiés dorénavant au ministre responsable.

La Présidente (Mme Loiselle): Une réponse brève, s'il vous plaît, parce que le temps est écoulé déjà.

M. Turgeon: D'accord avec l'esprit, avec l'esprit des choses, oui.

La Présidente (Mme Loiselle): D'accord, merci. M. le député de D'Arcy-McGee, pour 5 minutes.

M. Libman: Merci, Mme la Présidente.

Quelques choses. D'abord pour répondre à M. Demers, si le gouvernement veut vraiment récupérer largement l'électorat anglophone, il doit aller beaucoup plus loin dans ce projet de loi pour adresser d'autres questions, d'autres problèmes beaucoup plus sérieux que la question de l'affichage.

Aussi, pour Mme Beauchemin. Juste pour l'information de cette commission, en Israël, il y a des affiches en anglais et en arabe partout. Ce n'est pas strictement des affiches en hébreu, il y a l'affichage dans les trois langues partout, partout, partout en Israël.

Une autre chose que j'aimerais dire. Malgré le fait que M. Turgeon dise qu'il y a de la place ou qu'il devrait y avoir de la place au Québec pour les Anglo-Québécois, moi, je suis ici, j'écoute votre mémoire; moi, je me considère comme un Québécois autant que vous. Je suis un Québécois autant que vous, M. Turgeon. Mais, moi, je suis assis ici, et il y a certaines vibrations très négatives qui émanent de votre mémoire. Il y a certaines attitudes dans votre mémoire qui m'inquiètent sérieusement et, aussi, qui sont intimidantes, également, pour quelqu'un qui se considère Québécois mais ne fait pas partie de la majorité linguistique au Québec.

Il y a certains synonymes qui me viennent à l'esprit. Peut-être que vous pouvez me corriger, peut-être que vous pouvez dire que je suis alarmiste, mais, pour être très honnête avec vous, je m'assois ici et, quand je vous entends, des synonymes comme «haineux», «intolérant», des synonymes comme «ridicule», «irresponsable»... Votre mémoire ne reflète pas la réalité du Québec, la réalité de la société québécoise que je connais, dans laquelle je fais partie importante. Et j'espère que vous considérez que je fais partie intégrante de cette société québécoise.

Moi, je devrais avoir les mêmes droits de m'affi-cher dans ma langue, chez moi, comme je veux, d'avoir toute la liberté d'expression, comme je veux, chez moi, ici, au Québec, et j'aimerais bien, au moins, que vous commenciez une réflexion, à l'intérieur de votre mouvement nationaliste, afin de réaliser qu'il y a des Québécois ici qui se considèrent comme des Québécois. Leur langue maternelle n'est pas la langue de la majorité, mais ils doivent être capables de jouir des mêmes droits que la majorité des Québécois.

Moi, je veux vous demander d'abord une chose spécifique. Vous parlez de la paix linguistique. Vous dites, dans votre mémoire, que depuis l'adoption de la loi 101, il y avait une relative paix linguistique au Québec. C'est la même expression utilisée par M. Daoust de la FTQ, hier. Qu'est-ce que vous considérez comme la paix linguistique? Le fait qu'il n'y a pas d'anglophones dans les rues, depuis l'adoption de la loi 101, pour contester certaines choses? La communauté anglophone du Québec, d'une façon très responsable et très respectueuse, est allée devant les tribunaux pour contester certains aspects de la loi qui violent les libertés individuelles.

La Cour supérieure du Québec, la Cour d'appel du Québec, la Cour suprême du Canada ont trouvé raison dans ces arguments, que certains aspects de cette loi violent les libertés individuelles. Alors, comment vous pouvez prétendre ou comment vous pouvez avoir l'audace de dire qu'il y avait une paix linguistique au Québec depuis l'adoption de la loi 101 parce que les anglophones n'ont pas manifesté dans les rues? Ils sont allés devant les tribunaux et, finalement, 11 ans après l'adoption de cette loi, les tribunaux ont dit que oui, c'est vrai, il y a un problème, une violation des droits. Maintenant, le gouvernement tente de redresser ce déséquilibre qui était créé par la loi 101, où est le problème pour vous?

M. Turgeon: Bon. Écoutez, il y a plusieurs choses dans votre intervention. D'abord, oui, je considère certainement que vous êtes Québécois, comme tous ceux qui veulent vivre au Québec; il n'y a aucun doute là-dessus. Je considère que vivre au Québec, cependant, ce n'est pas vivre en Ontario, ce n'est pas vivre en Saskatchewan ou ailleurs, c'est vivre au Québec. Et ce que nous disons, c'est qu'on devrait reconnaître qu'au Québec, eh bien, c'est le français qui est la langue commune. On s'entend bien, «qui est la langue commune».

Quant au fait de la paix linguistique, je pense que la loi 101 a donné un coup, a fait réaliser beaucoup de choses aux francophones d'abord, et puis à certains anglophones ensuite. Qu'il y ait des choses à modifier, on veut bien, puis on en convient, même avec le ministre Ryan. Ce que nous lui disons, c'est: Modifions ça, puis parlons de ça, mais n'essayons pas de faire passer tout le reste avec. Et c'est là que ça va créer un déséquilibre,

et c'est là qu'il risque d'y avoir une paix moins tranquille, peut-être, que celle que nous avons connue.

Il y a déjà un journaliste qui a écrit que la question linguistique était une poudrière. Je ne voudrais pas qu'on attise le feu.

M. Libman: Laissez-moi juste terminer. Une autre...

La Présidente (Mme Loiselle): Le temps est écoulé.

M. Libman: Seulement, juste un autre petit aspect de cette question, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Loiselle): Je regrette, le temps est écoulé. Je regrette.

M. le ministre, il reste 5 minutes à votre formation.

M. Ryan: Mme la Présidente, en terminant — tantôt, je n'avais pas le temps de le faire — je voudrais relever, dans un esprit de conversation franche, certains passages du mémoire de l'UDA qui m'apparais-sent véhiculer des faussetés.

À la page 9, on dit que, dorénavant, il n'y aura plus l'obligation de rendre les jugements en français, ni même de les traduire. Dans le projet de loi, il est dit expressément que tout jugement sera traduit en français ou en anglais, selon le cas, à la demande d'une partie, par l'administration, tenue d'assumer des frais de ceci. C'est dit bien clairement que la traduction française ou anglaise, parce que nous respectons l'article 133 de la loi constitutionnelle de 1867, pourra être obtenue sur demande.

Ensuite, on dit qu'on va permettre au gouvernement de communiquer avec les autres gouvernements et les personnes morales établies au Québec dans une autre langue que le français. Ce que nous disons, c'est que le gouvernement devra communiquer en français, devra communiquer en français. C'est ça qui est dans le texte de la loi.

M. Turgeon: Dans la langue officielle.

M. Ryan: Pardon? Dans la langue officielle qui est le français.

M. Turgeon: Dans quelle langue officielle, M. le ministre?

M. Ryan: Le français. Ça, il n'y a aucun doute là-dessus.

M. Turgeon: Dans la langue officielle du pays avec lequel vous allez communiquer? Dans laquelle?

M. Ryan: Non, non. Non, non, non. Si c'est ça, votre problème...

M. Turgeon: Non, non, mais...

M. Ryan: ...on va le clarifier, il n'y a pas de difficulté. Nous nous entendons sur ce point, et on va corriger nos textes respectifs. Nous autres, nous ne sommes pas obligés de les corriger parce que partout, dans le texte de la loi, quand on parle de la langue officielle, c'est le français. C'est le français, il n'y a pas de problème là.

Ensuite, vous dites: Une loi qui diminue le droit des Québécoises et des Québécois de travailler et de recevoir des services en français. Je pense que c'est faux. Nous ne diminuons en aucune manière le droit des Québécoises et des Québécois de travailler et de recevoir des services en français, au contraire. (16 h 30)

Ensuite, on dit que nous amoindrissons la place de l'école française. Franchement! Franchement, c'est faux. C'est faux, nous maintenons la disposition de la Charte qui dit que l'enseignement se donne en français dans les écoles publiques du Québec, sauf, évidemment, dans les écoles anglaises. Puis là, nous disons: On pourra enseigner dans une autre langue, pour les fins de l'apprentissage de cette langue, selon des modalités et des conditions qui seront définies en temps utile dans le régime pédagogique, qui est un règlement officiel du gouvernement. Je pense bien qu'on doit donner au moins ce genre de liberté pédagogique au système d'enseignement. Mais on ne diminue pas la place de l'école française en faisant ça. On peut véhiculer des slogans, mais j'ai le droit de protester, puis je le fais en toute cordialité.

On dit qu'on multiplie et qu'on étend les possibilités pour les personnes immigrantes de déroger à l'obligation d'envoyer leurs enfants à l'école française. Mais j'avais compris que nous maintenions l'obligation pour les immigrants d'envoyer leurs enfants à l'école française.

Une voix: C'est vrai.

M. Ryan: Puis, Dieu sait, on a eu plusieurs organismes qui sont venus critiquer le gouvernement, précisément à cause de ça.

J'entends des remarques de l'autre côté, mais je vous suggère de vous en tenir au texte.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Ryan: Ensuite, on dit qu'on ouvre la porte au développement systématique du bilinguisme dans l'éducation: c'est faux. On ouvre la porte à une certaine liberté. C'est évident que, chaque fois que vous ouvrez la porte à une certaine liberté, il y a des possibilités de pécher. Bien, oui! Mais nous préférons qu'il y ait une liberté plus grande en matière pédagogique parce que, sous l'angle de l'apprentissage des langues secondes, nous trouvons que le dossier du Québec laisse beaucoup à désirer et nous avons le devoir, comme gouvernement qui consacre des millions de dollars chaque année à l'apprentissage de la langue seconde, de voir à ce qu'il produise

au moins des résultats plus satisfaisants. Puis, ici, c'est une porte qui est ouverte à une plus grande liberté d'exploration, pas autre chose. Mais, quand on dit qu'on ouvre la porte au développement systématique du bilinguisme, je crois que c'est irrecevable au titre de la vérité.

J'ai remarqué, finalement, un autre point. On dit que les entreprises et les commerces anglophones seront incités à s'adresser en français et en anglais, éventuellement, aux tribunaux et à leur clientèle. Ça, c'est faux. Nous maintenons toutes les dispositions de la Charte relative à la langue de travail. Il y a un point, l'article 44, qui traite des sentences arbitrales, où nous demandons qu'il soit abrogé parce que ça serait couvert par les nouvelles dispositions de l'article premier du projet de loi que nous présentons, le projet de loi 86.

Mais j'ai dit à M. Daoust l'autre jour: Si ce n'est pas assez clair pour vous — ça l'est pour nous — nous verrons à maintenir cet article-là dans la mesure où il sera compatible avec l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui affirme que, dans les matières reliées aux pouvoirs judiciaires, il faut respecter le principe de l'égalité des deux langues.

Alors, voilà une certaine...

La Présidente (Mme Loiselle): Le temps est terminé, M. le ministre.

M. Ryan: Merci. Je pense que j'ai terminé aussi.

Je vous dis ceci en tout respect, puis en tout souci de poursuivre la discussion n'importe où, n'importe quand, si vous le voulez.

M. Turgeon: Très bien.

Alors, si vous permettez, en simple conclusion...

La Présidente (Mme Loiselle): Un 30 secondes.

M. Turgeon: Trente secondes.

Je voudrais simplement dire que — et nous ne sommes pas les seuls — si vous constatez, M. le ministre, qu'il y a tant de divergences d'interprétation sur le texte que nous avons devant nous, c'est peut-être que le texte n'est pas clair, effectivement, et qu'il faudrait peut-être le revoir, et peut-être à la lumière des amendements que vous avez en tête.

La Présidente (Mme Loiselle): Madame, messieurs, il me reste à vous remercier au nom des membres de cette commission pour votre participation à nos travaux. Merci.

Je suspends les travaux pour une minute.

(Suspension de la séance à 16 h 34)

(Reprise à 16 h 36)

La Présidente (Mme Loiselle): Nous reprenons donc les travaux de la commission de la culture en ce qui a trait aux consultations particulières sur le projet de loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française.

Nous accueillons avec plaisir la Fédération des commissions scolaires du Québec. Bonjour et bienvenue à cette commission. Mme Drouin, je vous demanderais, s'il vous plaît... Je sais que vous connaissez un peu le déroulement de nos travaux: vous avez 20 minutes pour votre présentation, suivis d'un échange de 40 minutes avec les deux partis, et je vous demanderais, avant de débuter, de présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ)

Mme Drouin (Diane): D'accord, Mme la Présidente, merci bien.

Alors, à mon extrême gauche, M. Marc Sabourin, qui est le deuxième vice-président de la Fédération; à ses côtés, Mme Lise Côté-Lemieux, qui est première vice-présidente; et, en partant de ma droite, M. Fernand Paradis, qui est le directeur général de la Fédération, et M. Alain Doyer, qui est le professionnel en développement et recherche à la Fédération.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. Vous pouvez débuter.

Mme Drouin: D'accord. Merci bien.

D'abord, j'aimerais quand même vous présenter brièvement la Fédération des commissions scolaires. Notre Fédération, elle a été créée par une loi privée et regroupe, sur une base volontaire, les commissions scolaires au Québec, et, actuellement, les 137 commissions scolaires pour catholiques du Québec y sont réunies. Forte de cette représentativité, elle contribue efficacement à promouvoir l'éducation et défend avec détermination les intérêts de ses membres depuis 1947.

J'aimerais vous dire, avant de tomber dans le vif du sujet, qu'on regrette un petit peu le court laps de temps qu'on a eu pour pouvoir préparer notre mémoire. On devait se présenter le 20, on était cédulés, et, comme il y a eu le dépôt du budget, alors, on a été retardés, mais on a eu quand même très peu de temps pour se préparer. On aurait souhaité, peut-être, des consultations plus élargies ou, du moins, des analyses plus approfondies, mais, tout de même, on va y aller dans le sujet immédiatement.

Je voudrais d'abord préciser que la Fédération ties commissions scolaires a décidé de limiter son analyse et ses commentaires uniquement aux aspects du projet de loi 86 qui portent sur la langue de l'enseignement. Compte tenu de l'expertise que possèdent les commissions scolaires dans ce domaine, nous croyons utile que leur point de vue soit entendu au moment où s'amorce ce débat.

Nous avons étudié le projet de loi en ayant à l'esprit quatre prémisses. Elles constituent des principes auxquels adhère maintenant la majorité des Québécois et

des Québécoises et qui sont à la base même de la Charte de la langue française, c'est-à-dire: le français est la langue officielle du Québec; le français est la langue d'enseignement, sauf certaines exceptions qui sont bien identifiées; on doit assurer la survie et le rayonnement du français; et, quatrièmement, on doit viser l'intégration des immigrants à la communauté francophone.

De plus — et j'aimerais attirer votre attention là-dessus — notre préoccupation a été d'évaluer si ce projet de loi venait faciliter ou complexifier le rôle que jouent les commissions scolaires dans l'application des dispositions de la Charte touchant la langue d'enseignement. En matière de langue d'enseignement, les modifications proposées portent sur deux sujets, principalement, c'est-à-dire l'admissibilité à l'école anglaise et l'enseignement de l'anglais langue seconde. Alors, nous vous présentons nos commentaires sur ces deux sujets.

Au niveau de l'admissibilité. Au début des années quatre-vingt, les commissions scolaires ont connu des difficultés relatives à l'admissibilité à l'école anglaise, suite aux diverses décisions qui ont modifié les règles établies initialement par la Charte de la langue française. Le législateur ayant corrigé ces difficultés, aujourd'hui, ces règles sont bien établies et ne semblent pas poser de problème. À cet égard, le projet de loi 86 nous paraît correspondre aux pratiques que suivent déjà les commissions scolaires depuis que la Cour suprême a entraîné dans son jugement, il y a quelques années, le remplacement de la clause Québec par la clause Canada comme critère d'admissibilité à l'enseignement en langue anglaise. De plus, les avis que nous avons recueillis semblent indiquer que le nombre d'élèves qui deviendront admissibles à l'enseignement en anglais, en vertu des modifications proposées, sera, somme toute, assez restreint. (16 h 40)

Toutefois, l'article 26 du projet de loi nous laisse perplexes, et nous comprenons mal l'objectif visé. Cet article prévoit le remplacement du deuxième alinéa de l'article 76 par le texte suivant, et vous permettez que je le cite: «Elles peuvent également déclarer admissible à l'enseignement en anglais un enfant dont le père ou la mère a fréquenté l'école après le 26 août 1977 et aurait été admissible à cet enseignement en vertu de l'un ou l'autre des paragraphes 1° à 5° de l'article 73, même si le père ou la mère n'a pas reçu un tel enseignement. Toutefois, l'admissibilité du père ou de la mère est déterminée, dans le cas d'une fréquentation scolaire avant le 17 avril 1982, selon l'article 73 tel qu'il se lisait avant cette date en y ajoutant, à la fin des paragraphes a et b, les mots "pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu au Québec".» Fin de la citation. Or, nous nous interrogeons sur la portée de cette modification et sur les raisons qui la justifient. À première vue, elle semble permettre à un enfant dont le père ou la mère n'a pas fréquenté l'école anglaise, mais qui y aurait été admissible, de pouvoir y être admis.

Même si cette exception est limitée dans le temps aux pères et aux mères qui ont fréquenté l'école après le 26 août 1977, nous croyons qu'il s'agit d'une situation difficile à administrer, qui amènera un alourdissement de la gestion. En effet, les règles actuelles permettent aux commissions scolaires de s'appuyer sur une attestation de fréquentation de l'école anglaise par les parents pour déterminer les droits d'un enfant à cet égard. Cette modification obligera d'une certaine façon les commissions scolaires à enquêter pour déterminer si les parents de l'enfant détenaient un droit qu'ils n'ont pas exercé à une époque antérieure. La preuve de fréquentation étant un critère objectif et verifiable, sur quel autre critère pourra-t-on maintenant établir l'admissibilité sans risque de contestation judiciaire? Nous nous interrogeons là-dessus. On peut prévoir qu'une telle exception deviendra de plus en plus difficile à gérer au fil des ans, puisque les demandes d'individus susceptibles de revendiquer l'application de cette exception seront de plus en plus nombreuses.

Au regard de l'enseignement de l'anglais langue seconde, le projet de loi amène des changements significatifs. En effet, la Charte de la langue française, dans sa version actuelle, prévoit que tout l'enseignement doit se faire en français. La modification prévue à l'article 22 du projet de loi permettra au gouvernement d'autoriser les commissions scolaires à mettre sur pied des activités favorisant l'apprentissage d'une autre langue. Cette possibilité est susceptible d'être encadrée par le régime pédagogique établi par le gouvernement. Et d'ailleurs, en passant, on peut déplorer que le gouvernement n'ait pas rendues publiques ses intentions relativement à l'encadrement qu'il entend adopter. Il nous est difficile, en effet, de commenter adéquatement cette disposition sans connaître la réglementation qui l'accompagnera. À cet égard, nous croyons essentiel que les commissions scolaires soient consultées sur toute modification que pourra adopter le gouvernement à la réglementation actuelle. De plus, la modification proposée ne fait pas directement référence à l'anglais. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de préciser que c'est l'amélioration de l'enseignement de l'anglais langue seconde qui est visée par le gouvernement?

Toutefois, nous tenons à faire les remarques suivantes. Tout d'abord, nous croyons que la population et, de façon particulière, les parents, sont préoccupés par l'enseignement de l'anglais et l'ont manifesté à plusieurs reprises. Nous souscrivons à l'objectif de permettre aux Québécoises et aux Québécois d'acquérir une connaissance suffisante de l'anglais. La multiplicité des échanges et des communications dans le contexte nord-américain ainsi que l'ouverture de plus en plus marquée du Québec sur le monde démontre l'importance que revêt la connaissance de l'anglais comme langue seconde par les élèves francophones du Québec. Ainsi, la mesure envisagée pourra permettre dans certains milieux des expériences qui viseront l'atteinte de cet objectif.

Compte tenu de la diversité qui caractérise la réalité du Québec d'aujourd'hui, nous sommes d'avis que ces expériences qui visent à favoriser un meilleur apprentissage de la langue seconde ne pourront être

réalisées selon des modalités uniformes sur l'ensemble du territoire québécois. Aussi, les commissions scolaires devront se voir reconnaître à cet égard une marge de manoeuvre appréciable. Leur statut de gouvernement local et leur expertise acquise en éducation garantissent qu'elles sauront adapter l'enseignement aux particularités de leur milieu. Il faut bien admettre qu'en ce qui concerne l'enseignement de l'anglais la situation des élèves de l'Abitibi ou Saguenay—Lac-Saint-Jean n'est pas la même que celle de l'île de Montréal.

Bien que cette modification puisse permettre une plus grande diversité dans la méthode d'enseignement de la langue seconde, il faut admettre cependant qu'elle n'aura pas pour effet d'améliorer l'enseignement de l'anglais, de façon générale, pour tous les élèves. Elle ne touchera que les élèves qui auront le potentiel d'apprentissage requis pour vivre les expériences ainsi rendues possibles. Il convient de mentionner que le gouvernement détient déjà le pouvoir d'augmenter le temps d'enseignement de cette matière par règlement dans le cadre du régime pédagogique.

Ainsi, il faut conclure que, si l'intention gouvernementale est d'améliorer l'enseignement de l'anglais langue seconde, seule une modification au régime pédagogique permettra d'atteindre cet objectif pour l'ensemble des élèves du Québec, sans risquer d'entraîner une diminution du temps accordé à d'autres matières et tout en maintenant un objectif de formation intégrale de l'enfant.

Il faut également souligner les risques qu'entraîne une telle modification dans certains quartiers où l'on trouve une forte concentration d'allophones et d'anglophones. L'école étant bien souvent le principal lieu de contact et d'échange avec la communauté francophone, une intensification de l'enseignement de l'anglais dans ces milieux est susceptible d'entraîner la bilinguisation de certaines écoles, particulièrement dans la région montréalaise. La porte serait ouverte, au risque de voir diluer, dans les faits, le message que veut donner la Charte de la langue française aux immigrants et aux membres des communautés culturelles quant à la volonté du gouvernement de les voir s'intégrer à la société francophone.

En dernier lieu, nous tenons à rappeler que la mise en place des modifications envisagées par le projet de loi 86, tant en matière d'admissibilité à l'école anglaise qu'en matière de l'enseignement de la langue seconde, entraînera des débats importants au niveaux local et régional.

En conclusion, le projet de loi 86 ne nous paraît pas devoir entraîner un élargissement sensible de l'admissibilité à l'école anglaise. Son impact réel, au regard de l'éducation, résulte plutôt dans les modifications qu'il permet à l'enseignement de l'anglais langue seconde. Ces modifications, quoique importantes, en principe, n'affecteront fort probablement pas l'ensemble des élèves. Finalement, pour nous, l'objectif poursuivi d'améliorer l'enseignement de l'anglais langue seconde passe aussi par des modifications au régime pédagogique auxquelles, bien sûr, les commissions scolaires devront être associées.

Je vous remercie.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci, Mme Drouin.

M. le ministre.

M. Ryan: Mme la Présidente, il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue, au nom du gouvernement, à la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec et à la délégation qui l'accompagne.

Comme vous le savez, le gouvernement actuel a déjà profondément remanié la Loi sur l'instruction publique, de manière que, bientôt, je l'espère, après que la Cour suprême aura rendu sa décision dans la demande d'avis qui lui a été transmise il y a déjà plus de deux ans, nous aurons, au Québec, des commissions scolaires fondées sur la langue plutôt que sur la dénomination religieuse. Ce qui veut dire que la plupart des commissions scolaires que représente Mme Drouin seraient, à l'avenir, des commissions scolaires de langue française. Il y aurait également, je le présume, une fédération des commissions scolaires de langue anglaise. C'est une autre mesure qui garantira le fait que nos écoles resteront françaises. Parce que, si vous avez des commissions scolaires de langue française, ça sera évidemment pour maintenir des écoles de langue française. Je pense bien que le mot le dit, comme le suggérerait le sens commun.

Alors, il n'est pas question du tout — je le dis parce qu'on a entendu toutes sortes de balivernes à ce sujet — dans l'esprit du gouvernement, de bilinguiser les écoles françaises au sens où on se retrouverait, dans les écoles françaises, avec deux langues qui seraient placées sur un pied d'égalité. Les écoles françaises demeureront françaises, et toute autre langue, y compris la langue anglaise, aura, dans les écoles françaises, le statut de langue seconde, suivant l'esprit du projet de loi. Ça, je veux l'établir très clairement, de manière qu'il n'y ait aucune équivoque à ce sujet.

Maintenant, dans votre mémoire, vous abordez deux sujets qui sont traités dans le projet de loi: tout d'abord, la question de l'admissibilité à l'école anglaise et, deuxièmement, la question de l'enseignement de l'anglais langue seconde. Je voudrais apporter quelques rapides précisions au sujet de questions que vous avez formulées à ce sujet. Il est juste, comme vous le soulignez, de croire que les avis disponibles à l'heure 'actuelle indiquent que le nombre d'élèves qui deviendront admissibles à l'enseignement anglais en vertu des modifications proposées dans le projet de loi 86 sera somme toute assez restreint. Ce sont les indications que nous avons de notre côté également. (16 h 50)

À cet égard, il y a une modification significative — vous y faites allusion, d'ailleurs, dans votre mémoire — c'est la modification évoquée à l'article 26 du projet de loi qui introduit ce que nous appelons une

clause grand-père. Vous vous interrogez sur la portée de cette clause-là. Je vais essayer de l'expliquer brièvement, puis on verra que la portée ne peut qu'être limitée et, surtout, ne peut aller qu'en diminuant au lieu d'en augmentant, comme semble le craindre votre mémoire. Vous dites, à la page 3, que l'application de cette exception pourrait donner lieu à des cas de plus en plus nombreux. Nous autres, nous estimons que ce serait le contraire parce que c'est un résidu dont nous entendons disposer avec cette mesure, puis voici en quoi il consiste.

Lors de l'entrée en vigueur de la Charte de la langue française, en 1977, il y a des enfants qui étaient inscrits à l'école française, mais qui auraient été admissibles à l'école anglaise en vertu des critères définis dans la loi 101 de l'époque. Puis leurs parents ne se sont pas chargés, à ce moment-là, d'aller chercher le certificat d'admissibilité. Ces enfants-là ont grandi, sont devenus parents à leur tour, puis là, se sont posé des questions à propos de leurs propres enfants. Plusieurs d'entre eux étaient des gens authentiquement de langue anglaise, puis ils se disent: Est-ce que, parce mes parents, à l'époque, m'ont inscrit à l'école française, je dois renoncer à mon droit de faire éduquer mes enfants dans leur langue maternelle, qui est la langue anglaise? Des gens qui sont des parents natifs du Québec, et tout. Nous avons voulu effacer ce résidu dont le nombre exact est difficile à déterminer parce qu'on ne sait pas combien se prévaudront de ça. Mais, de toute manière, ce n'est qu'un résidu parce qu'une fois que la Charte est devenue loi elle a comporté depuis les tout débuts une clause où il est dit ceci: c'est que les enfants dont l'admissibilité a été confirmée, conformément aux dispositions de la Charte, sont réputés recevoir de l'enseignement en anglais aux fins de l'article 73. Il faut lire ceci comme signifiant: même s'ils sont inscrits à l'école française.

Par conséquent, pour la très grande majorité des enfants inscrits à l'école française, c'est ce régime commun qui s'applique. Ils ont la garantie à perpétuité de pouvoir envoyer leurs descendants à l'école anglaise. Puis, ce que nous ajoutons, nous autres, c'est un résidu qui remonte au début de l'application de la loi. Puis, comme le temps joue contre ces personnes-là qui étaient là au tout début, avec les années, il y en aura moins plutôt que plus. C'est l'interprétation, je pense, que nous devons retenir de cet article.

Et, comme je suis sûr qu'avec ces explications les appréhensions que vous nourrissiez justement et dont vous êtes venus nous faire part d'une manière tout à fait légitime... Je pense pouvoir présumer qu'elles devraient disparaître. En tout cas, c'est ça qui est l'intention du législateur; il n'y a pas autre chose là-dedans.

Pour le reste, vous convenez comme moi que nous maintenons le régime actuel, en particulier en ce qui regarde les enfants d'immigrants qui continueront d'être tenus de fréquenter l'école française; il n'y a pas de relâchement de ce côté. Je pense que M. Libman pourra le confirmer, il l'a confirmé à maintes reprises par les critiques qu'il nous adresse à ce sujet. Et, si vous aviez été avec nous ici, vous verriez que tous les organismes anglophones que nous avons entendus ou que nous entendrons émettront une critique unanime là-dessus. C'est leur droit. Puis nous ne leur demandons pas de cesser ces critiques demain, ils vont continuer de les formuler. Ça fait partie du processus démocratique. Mais, pour l'instant, voilà ce que dit le projet de loi au point de vue de l'admissibilité à l'école anglaise. Le reste, ce sont des petits cas particuliers qui n'ont pas une grosse portée numérique. On pourra en discuter si des cas vous intéressent.

En ce qui touche l'apprentissage de l'anglais, je pense bien devoir rappeler un premier élément qui vous est bien familier à votre titre de représentant des commissions scolaires. Le régime pédagogique est un règlement solennel du gouvernement. Le régime pédagogique est considéré comme étant tellement important qu'il ne peut être modifié sans que le Conseil supérieur de l'éducation ait été consulté à ce sujet. Puis aucune mesure ne pourra être prise en matière de méthode d'apprentissage de la langue seconde si ce n'est après qu'auront été approuvés et mis en oeuvre des changements au régime pédagogique. C'est pour ça que, dans le projet de loi, l'article 59, vous voyez une modification à la Loi sur l'instruction publique qui ajoute un élément au pouvoir du gouvernement en matière de régime pédagogique. On dit: «prescrire les modalités et les conditions de l'enseignement dans une langue autre que la langue d'enseignement pour en favoriser l'apprentissage». Il n'y a pas de danger de dérapage, par conséquent, ou d'aventurisme. Tout ça devra se faire dans le respect le plus strict des exigences très sévères de la Loi sur l'instruction publique en matière de régime pédagogique.

Vous dites dans votre texte que peut-être que ça serait mieux de préciser, à l'article qui traite de cette question, que c'est l'amélioration de l'apprentissage de l'anglais langue seconde qu'on vise et non pas de toutes les langues secondes imaginables. Savez-vous qu'il y a un point important, ici, qui a été porté à mon attention, ces jours derniers, par le ministère de l'Éducation? On se demande si ça ne serait pas mieux de dire carrément, clairement, qu'il s'agit de l'apprentissage de l'anglais langue seconde. Parce qu'ensuite il y aura des obligations pour le gouvernement, en matière de réglementation; il pourrait y en avoir également pour les commissions scolaires. Puis, comme on ne peut pas tout faire en même temps, même si on a les intentions les plus généreuses du monde, cette remarque-là que vous nous faites retient mon attention de manière particulière, et je crois qu'il y aura lieu d'examiner la possibilité de proposer une modification au projet de loi sur ce point.

Ensuite, vous parlez de la volonté des parents, puis, là-dessus, je voudrais vous interroger. Vous dites que les parents sont préoccupés par l'enseignement de l'anglais; ils l'ont manifesté à plusieurs reprises. Deux petites questions là-dessus. D'abord, comment l'ont-ils manifesté? À quelles occasions? Puis, deuxièmement, est-ce que, selon vous, les parents sont satisfaits des

résultats actuels en matière d'apprentissage de l'anglais langue seconde? Est-ce qu'ils veulent des améliorations de ce côté-là, oui ou non?

Mme Drouin: Bien, M. le ministre, je vais répondre tout de suite à votre dernière question. Je pourrais peut-être passer des commentaires sur les interventions précédentes.

Effectivement, les parents — on le voit par des sondages et par des échos qu'on en a dans nos milieux — trouvent que, actuellement, les jeunes qui sortent de nos écoles n'ont pas une connaissance fonctionnelle de l'anglais, alors que ça devrait être. Et, encore dernièrement, je pense que Mme Lemieux, dans sa propre commission scolaire, a réalisé un sondage. Je pourrais peut-être lui demander de vous fournir des résultats et je pense que ça décrit assez bien le fait que les gens constatent que les jeunes francophones, au sortir du cours, actuellement, n'ont pas une connaissance suffisante de l'anglais, en tout cas, une connaissance fonctionnelle.

Mme Côté-Lemieux (Lise): Oui. En fait, il s'agit d'un sondage qui va être déposé ce soir au conseil et qui a été fait sur l'ensemble des parents — bien, pas l'ensemble, mais sur des échantillons très représentatifs à la fois des parents du primaire, du secondaire, des élèves de sixième année, des élèves de secondaire V — et la question qu'on posait aux parents du primaire était celle-ci. C'est qu'on expliquait la situation qu'il y avait trois heures que la commission scolaire consacrait pour l'enseignement des spécialités au primaire, au deuxième cycle du primaire — trois heures semaine — et qu'il y avait quatre spécialités qui y étaient enseignées. Donc, il fallait jongler avec ça. Et on demandait aux parents: Si on devait accorder de l'importance à l'une de ces spécialités, quelle serait celle que vous choisiriez? Alors, les parents, à 89 %, ont dit qu'ils accordaient leur préférence à donner une priorité à l'anglais. Alors, c'est assez significatif.

M. Ryan: 89 %?

Mme Côté-Lemieux: Oui. Des parents du primaire disent que, si on avait à rééquilibrer l'enseignement des spécialités, ce serait là-dessus qu'il faudrait tabler. Puis il y avait une question complémentaire qui disait, bon: Est-ce que vous seriez prêts à contribuer financièrement pour des activités parascolaires dans le domaine des matières enseignées dans des spécialités? Alors, les gens, évidemment, ils sont prudents. Us nous disent, à 60 %: Bien, il faudrait d'abord voir avant de s'engager. Mais, ce qui est quand même intéressant — bien, intéressant, en tous les cas — c'est qu'il y a quand même 25 % des parents qui se disent prêts à contribuer pour des activités parascolaires dans les spécialités. Mais, si on recoupe ça avec la réponse précédente, on voit bien que ce serait plutôt par rapport à l'enseignement de l'anglais.

M. Ryan: Alors, est-ce que je conclus, justement, en comprenant que la Fédération, tout en soulignant le besoin d'encadrement qui devra être soigneusement respecté en cette matière, n'a pas d'objection à la modification législative proposée dans le projet de loi concernant l'apprentissage d'une langue seconde? (17 heures)

Mme Drouin: Écoutez, c'est officiel que, pour nous, on reconnaît qu'il y a des lacunes, peut-être, dans l'enseignement de l'anglais langue seconde actuellement et qu'on souhaite qu'il y ait une amélioration. Et on sait que, souvent, ça passe par une intensification ou, du moins, une concentration de l'apprentissage de la langue, peut-être, dans un temps donné. Alors, ce qui est proposé — classes d'immersion ou «bilinguistiques» ou toute autre forme de jumelage qu'on vit actuellement — je pense que ça peut être intéressant de voir que les commissions pourront, du moins, s'en prévaloir.

Il reste qu'on vous parle aussi que ça demandera une modification au régime pédagogique, et on a quand même une mise en garde. Vous m'avez dit tout à l'heure que le Conseil supérieur de l'éducation serait consulté, mais les commissions scolaires, elles? On vous demande également d'être consultés là-dessus parce que, pour nous, c'est important de maintenir une formation intégrale de l'enfant. Il ne faut pas que ça se fasse au détriment d'autres matières, qu'on laisse tomber les arts, qu'on laisse tomber autre chose, particulièrement. Alors, il faudrait voir, là, dans l'ensemble, ce que ça peut donner. Et ça nous apparaît important qu'on puisse, en tout cas, s'entretenir là-dessus et vous faire part de nos réflexions.

Si vous permettez que je revienne au premier volet de l'admissibilité, vous avez passé quelques remarques. C'est certain qu'on comprend que la bilinguisation des écoles, selon l'esprit de la loi, ce n'est pas ce que vous cherchez, mais, dans les faits... On fait tout simplement une mise en garde. C'est que, dans certains milieux, il ne faudra pas se retrouver, quand il y a de très fortes concentrations d'allophones ou d'anglophones, avec une langue de scolarisation qui est le français, et une langue de socialisation qui deviendra l'anglais. Et c'est une mise en garde qu'on fait si on ouvre trop grand de ce côté-là. On sait que, dans nos milieux locaux, il y aura, dans certains endroits peut-être, des difficultés, et ça ne se fera pas avec facilité, mais on en est bien conscients.

Et pour ce qui est de l'article 26, quand vous dites que, pour vous, ça ira en diminuant plutôt qu'en augmentant, le nombre de demandes, on comprend que vous nous dites: C'est un résidu de personnes qui pourront se prévaloir d'un droit. Mais vous avez mis une date dans le temps: des gens qui ont fréquenté après le 26 août 1977. Mais, plus on ira, ce seront les enfants et les petits-enfants de ces résidus-là. Et, pour nous, le résidu ira en augmentant parce que ce seront les générations futures qui pourront s'en prévaloir, et c'est dans ce sens-là qu'on vous posait des interrogations.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. Ça va?

M. le député de Lac-Saint-Jean. M. Brassard: Oui...

M. Ryan: Je rappelle seulement à votre attention, Mme Drouin, l'article 76 de la Charte où il est dit clairement qu'un enfant inscrit à l'école française, alors qu'il serait admissible à l'école anglaise, garde son privilège quand il deviendra parent à son tour d'envoyer ses enfants à l'école anglaise. On ne sait pas ce qu'il fera, il pourra peut-être décider, ayant bénéficié d'un séjour à l'école française, de continuer avec ses enfants; c'est à souhaiter. Mais je pense qu'il y a cet article-là qui est là, qui dispose de la grosse masse des cas susceptibles de se présenter. Puis l'autre demeure un résidu. Et j'espère que... Quand on parle de la descendance, il faut inclure les petits-enfants, et j'en suis très heureux.

Mme Drouin: Ce qui nous apparaît aussi peut-être une difficulté, c'est: comment gérer ça? Comme on le mentionne dans notre mémoire, actuellement, une attestation de fréquentation... Mais là, est-ce qu'on devra retourner et faire des enquêtes? On pourra se retrouver devant la justice avec des problèmes.

Alors, ce sont des inquiétudes, et on veut vous en faire part, tout simplement.

M. Ryan: C'est bien. On est habitués à faire des vérifications. Avec les élèves en séjour temporaire, chaque année, on doit faire des vérifications de scolarisation à l'étranger ou dans d'autres provinces dans au moins 1000 à 1200 dossiers par année. Puis qu'on soit amenés à faire quelques vérifications par année dans des cas de scolarisation qui auront généralement eu lieu au Québec, je pense que notre système est capable de s'en charger. Nos commissions scolaires sont parfaitement capables de gérer cet aspect-là. Mais, encore une fois, le nombre de cas sera très peu élevé.

Mme Drouin: On va être capables de s'en charger, mais c'est parce que, vous savez, on a souvent aussi déploré le fait qu'on avait beaucoup d'administration à faire et qu'on voulait que ça diminue, la paperasse.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Pour en terminer avec cette question-là de l'article 26, il reste que, pour écrire ce que vous avez écrit, j'imagine que vous êtes en mesure ou vous avez entre les mains des données qui vous permettent d'affirmer ce que vous avez affirmé.

Qu'est-ce vous avez entre les mains comme information, comme données? On le demande au gouvernement, on ne réussit pas à les avoir. Le ministre continue de nous dire que c'est limité, le nombre est limité. Il y a beaucoup de fonctionnaires, dit-il, de plusieurs ministè- res qui se sont penchés là-dessus. Ils ont fait des évaluations d'impact. On lui demande, on ne peut pas les avoir. Il faut se fier à sa parole uniquement, exclusivement.

Mais, pour affirmer comme vous l'affirmez dans votre mémoire qu'il y en aura de plus en plus, ça va devenir de plus en plus nombreux, des cas d'élèves devenant admissibles à l'école anglaise, en vertu de l'article 26, vous vous êtes fondés sur quoi? C'est quoi, votre analyse? Et c'est quoi, les informations dont vous disposez pour faire une affirmation comme celle-là?

Mme Drouin: Écoutez, c'est d'abord... Particulièrement, là, vous parlez de l'article en question. On s'est particulièrement basés sur un principe beaucoup plus que sur des données précises. C'est que, pour nous, actuellement, on limite dans le temps, mais, comme je donnais tout à l'heure, c'est l'effet des générations. La personne ne s'en est pas prévalue et, l'année d'après, la génération suivante ou l'autre pourra... Alors, nous, on pense que, comme les générations, ça va dans ce sens-là, bien, on risque que ça s'élargisse. C'est simplement une question de principe. On a des chiffres sur l'admissibilité, là, mais, sur ce point-là particulièrement, c'est surtout une question de principe.

M. Brassard: Mais quels chiffres avez-vous sur l'admissibilité?

Mme Drouin: Bon, peut-être que M. Doyer peut vous donner des chiffres. Quand on dit que, pour nous — dans la première partie de notre mémoire, là — déjà, depuis le jugement de la Cour suprême, on applique la clause Canada, on se soumet au jugement exécutoire de la Cour suprême, et, à ce moment-là, l'augmentation du nombre d'élèves qui pourraient être admissibles, là, à l'enseignement en anglais, sera restreinte parce que, déjà, on applique, dans les faits ou dans la pratique, ces clauses-là.

Et, à ce moment-là, je ne sais pas si M. Doyer a les chiffres entre les mains pour vous les fournir.

M. Doyer (Alain): Je ne les retrouve pas dans mes papiers, mais je peux vous dire d'où on les tient. On n'a pas eu de misère, comme vous semblez le manifester, à les obtenir. Ils proviennent du ministère de l'Éducation, au niveau du service qui s'occupe de vérifier les demandes d'admissibilité qui sont traitées par les commissions scolaires. Et on a les chiffres pour l'ensemble de la province et on a les chiffres par région. Et on a les chiffres qui démontrent ce que c'était du temps de la clause Québec et ce que c'est en vertu de l'application de la clause Canada, et ce qui se passe pour les cas touchant l'enfance en difficulté d'apprentissage.

Alors, il y a un certain nombre de chiffres qui démontrent quelle est la progression des activités depuis une dizaine d'années, sur une base d'une dizaine d'années, là-dessus. Alors, ces données-là devraient vous être accessibles, je pense.

M. Brassard: Oui, oui. Bien, on en a, des chiffres. On sait fort bien, par exemple, qu'actuellement, dans les écoles françaises du Québec, il y a — ça, c'est des statistiques qu'on connaît bien — depuis de nombreuses années, entre 12 000 et 13 000 élèves qui sont admissibles à l'école anglaise, mais qui fréquentent les écoles françaises. C'est connu, bon. Mais...

M. Ryan: Pas 12 000, 7000.

M. Brassard: ...l'article 26, c'est une autre affaire. L'article 26, comment pouvez-vous identifier des parents qui n'ont pas demandé une attestation d'admissibilité?

M. Doyer: Ça, là-dessus, on n'a pas de chiffres, M. Brassard.

M. Brassard: Pardon?

M. Doyer: Sur ça spécifiquement, Mme la Présidente vous l'a mentionné, on n'a pas de chiffres. C'est une estimation, tout simplement, en fonction de notre perception logique des choses, là. Parce que, si les enfants de ceux qui ne se sont pas prévalus de ce droit-là antérieurement et qui deviennent éligibles à le faire maintenant acquièrent eux-mêmes ce droit-là, et leurs enfants, par la suite, nous, en tout cas, il nous apparaît difficile de prétendre, comme M. Ryan le fait à l'heure actuelle, qu'il va y avoir une diminution. En tout cas, ça n'est pas évident.

M. Brassard: Bien. Deuxième sujet, c'est l'apprentissage de l'anglais langue seconde. C'est vrai que tout le monde, au Québec, tous les parents sont favorables à une amélioration de l'apprentissage de l'anglais langue seconde. Il y a des lacunes, même dans vos commissions scolaires, Mme la Présidente, il y a plusieurs commissions scolaires qui ne respectent pas même le régime pédagogique dans les écoles primaires en termes de temps consacré. Vous le savez, c'est même assez important. Donc, il y a, évidemment, des lacunes dans l'apprentissage de l'anglais langue seconde; tout le monde en convient. Et il faut l'améliorer; tout le monde le réclame, aussi.

Mais est-ce que c'est nécessaire d'amender, de modifier la loi 101 pour ça? C'est ça, la question. Parce que l'intensification de l'enseignement de l'anglais langue seconde, ça peut se faire, présentement. Ça se fait même dans certaines commissions scolaires. Les bains linguistiques, ça peut se faire. Ça se fait même dans certaines commissions scolaires. Les classes d'immersion, ça, c'est une autre affaire. Parce que là, les classes d'immersion, Mme Pagé est venue nous le dire de façon très précise, en quoi ça consistait. C'est que les classes d'immersion, vous ne faites pas uniquement enseigner l'anglais langue seconde, vous enseignez toutes les matières dans une autre langue que la langue d'enseignement. C'est ça, les classes d'immersion.

M. Libman: C'est la meilleure façon d'apprendre.

M. Brassard: Ça, ce n'est pas sûr, ce n'est pas sûr. Sur le plan pédagogique, il y a beaucoup de réserves, et c'est justement sur cet aspect-là des choses que je voudrais vous interroger, et les réserves de Mme Pagé de la CEQ portaient là-dessus, c'est-à-dire la dimension pédagogique. (17 h 10)

Est-ce que c'est vraiment la recette miracle, les classes d'immersion? Est-ce que c'est vraiment le remède pédagogique par excellence en matière d'apprentissage de l'anglais? Moi, ce que j'ai entendu jusqu'à maintenant, c'est que ce n'était pas évident. Ce n'était pas une vérité absolue qu'on était en face de la recette miracle. Et comme Fédération des commissions scolaires, est-ce que vous avez fait une évaluation pédagogique — pédagogique — de cette méthode d'enseignement de l'anglais, la classe d'immersion?

Il faudrait aussi, d'ailleurs, faire une évaluation pédagogique du bain linguistique, de l'intensification de... des différentes méthodes. Pour en arriver à dire: On va améliorer l'apprentissage de l'anglais langue seconde dans nos écoles, il faut, au préalable, je pense, faire une bonne évaluation pédagogique des méthodes en cours ou utilisées, dont certaines sont considérées comme étant le remède miracle, le remède miraculeux.

Mme Drouin: Écoutez, c'est vrai que, actuellement, il y a des commissions scolaires, peut-être plusieurs, qui ne respectent pas le temps prescrit ou suggéré par le régime pédagogique, mais on a expliqué tout à l'heure que les commissions scolaires doivent faire des choix avec ce qui est suggéré comme temps d'enseignement pour chacune des matières. La semaine n'est pas assez longue; les enfants ne sont pas suffisamment longtemps à l'école. Alors, les commissions scolaires font des choix. Dans certains milieux, on choisit certaines spécialités et, dans d'autres milieux, on choisit d'autres spécialités. On a déjà même fait une demande à l'effet que la semaine, au primaire, le temps de présence des enfants soit rallongé d'une heure et demie pour nous permettre de donner toutes les matières, d'avoir le temps qu'il faut pour donner toutes les matières, et c'est sûr que ce sont des coûts, là, qui sont très, très élevés si on devait en arriver à ça. À ce moment-là, bien ,sûr qu'il se fait des choix.

Et quand vous dites que, bon, au niveau des bains linguistiques, ces choses-là, ça se fait déjà, c'est vrai que ça se fait, mais ce qu'on dit dans notre mémoire, c'est que, souvent, ces formules-là ne sont réservées qu'à un petit nombre d'élèves, à des élèves qui peuvent, par exemple, faire l'apprentissage d'une année scolaire dans une demi-année pour pouvoir prendre la deuxième partie de l'année pour le bain linguistique, et ce n'est pas ouvert à tous les élèves du Québec. Et, si on a objectif de vouloir améliorer l'enseignement de l'anglais langue seconde pour tous les élèves du Québec, il faudra

toucher au régime pédagogique. Il faudra toucher aussi... amender la loi pour qu'on puisse avoir une plus grande variété de moyens pour pouvoir atteindre tous les élèves.

Vous dites: Est-ce que vous avez fait une évaluation? Est-ce que c'est une recette miracle? Ce qu'on vous dit là-dedans, des recettes miracle, ça n'existe pas, même dans n'importe quel domaine. Mais on veut avoir un éventail de moyens, de choix d'activités. Et je vous disais tout à l'heure que le Québec est très différent d'un coin à l'autre, vous le savez. À ce moment-là, les milieux auront plus de possibilités de choix de voir si ce sont des classes d'immersion, si ce sont des bains linguistiques, si ce sont des jumelages. On en a des exemples en Gaspésie, de ce temps-là.

Alors, il y a différents moyens, et on dit: Faites confiance au milieu. C'est une forme de décentralisation. C'est une forme de respect des milieux, et les gens choisiront la meilleure méthode qui leur apparaît dans leur milieu à eux autres pour donner un bon apprentissage de l'anglais langue seconde. C'est l'objectif qui est visé pour le plus grand nombre d'élèves possible et non pas pour des groupes restreints, qui ont peut-être plus de facilité que d'autres.

M. Brassard: Dans votre mémoire, à la page 4, le dernier paragraphe, vous décrivez une situation qui nous inquiète. Nous avons exprimé à plusieurs reprises une inquiétude similaire. Bon. On s'est fait plutôt traiter d'obscurantiste ou d'être plus ou moins réactionnaires ou sectaires, mais voilà que c'est la Fédération des commissions scolaires qui affirme que, pour ce qui est des fortes concentrations d'allophones et d'anglophones dans certains quartiers — évidemment, on comprend que c'est à Montréal — «L'école étant [...] souvent le principal lieu de contact et d'échange avec la communauté francophone, dites-vous, une intensification de l'enseignement de l'anglais dans ces milieux est susceptible d'entraîner la bilinguisation de certaines écoles» et aussi de «diluer» — plus loin, vous dites — «de [...] diluer dans les faits le message que veut donner la Charte [...] aux immigrants».

Plusieurs intervenants l'ont mise en relief, cette dimension-là, cette réalité-là, et, évidemment, je suppose que vous vous fondez sur des expériences et sur une réalité vécue par plusieurs de vos membres pour faire une telle affirmation.

Mme Drouin: Particulièrement dans la région montréalaise, c'est certain que le danger est plus imminent, et c'est pour ça qu'on veut le soulever. Remarquez que c'est une responsabilité qui sera plus lourde à porter, peut-être, dans certains milieux. Mais, si on pense au niveau de l'étendue du Québec, on dit bien qu'on est ouverts à des activités d'apprentissage au niveau du Québec, mais on est conscients en même temps que, dans certains milieux, il faudra être beaucoup plus vigilants. C'est simplement le message qu'on voulait laisser passer.

M. Brassard: Et cette vigilance-là, puisqu'il va s'agir de modifications du règlement, du régime pédagogique, ça va prendre la forme... La modification du régime pédagogique, ça va prendre la forme de règlements pour encadrer, nous dit-on, cette réalité ou ces apprentissages, ces divers apprentissages. On ne les connaît pas, on ne sait pas à quoi ça va ressembler. Mais, cette vigilance-là dont vous parlez à propos de cette réalité-là, ça devrait, selon vous, prendre quelle forme dans le régime pédagogique ou dans les règlements qui vont accompagner et encadrer ces diverses méthodes d'apprentissage?

Mme Drouin: Je pense qu'on va d'abord être vigilants sur les règlements qui vont nous être présentés. C'est là que va commencer notre première vigilance. Et on déplore comme vous le fait qu'on ne puisse pas avoir cette réglementation-là parce que c'est toujours plus difficile d'approfondir à ce moment-là. Tout ce qu'on fait aujourd'hui, c'est d'essayer de sensibiliser aux dangers possibles et on vous dit qu'on veut être partie prenante, on veut être consultés, on veut vraiment participer à ça et, bien sûr, avoir la réglementation pour pouvoir se prononcer et voir plus en profondeur tout ce que ça impliquera. On pourra consulter davantage nos milieux à ce moment-là, également.

M. Brassard: Mais est-ce que vous pensez que les règlements devraient prévoir des dispositions spécifiques concernant les écoles où il y a de très fortes concentrations d'allophones, d'enfants d'immigrants? Est-ce qu'il devrait y avoir des dispositions spéciales? Parce que vous le signalez: dans une école où il y a, je ne sais pas, moi, 75 % ou 80 % d'enfants d'immigrants — c'est clair, il y a eu tellement de reportages là-dessus — c'est évident, vous le savez, le pouvoir d'attraction de la langue anglaise. Très souvent, dans les corridors, dans les salles de récréation, c'est en anglais qu'on parle. Vous... Ça arrive très fréquemment. Il y a eu des reportages là-dessus qui nous ont décrit cette réalité-là.

Est-ce qu'il y a lieu de songer à des classes d'immersion pour de telles écoles? Est-ce que, dans le règlement, dans le régime pédagogique et dans les règlements, il ne devrait pas y avoir des dispositions particulières, spécifiques concernant des écoles à forte concentration? Ils sont déjà en immersion, presque.

Mme Drouin: Vous savez que la réglementation, nous, comme gouvernement local, on en veut le moins possible; alors, je pense que, quand on parle des réalités de chacun des milieux, il faut également faire confiance aux commissions scolaires qui auront à gérer ces milieux-là. Pour nous, quand on verra la réglementation, je vous dis qu'on souhaite bien se prononcer et qu'on souhaite également consulter davantage. Mais, si vops me demandez si je souhaite une plus forte réglementation, une réglementation plus serrée, règle générale, je ne suis pas trop, trop forte là-dessus.

M. Brassard: Ce n'est pas ce que je disais. Je disais des dispositions particulières concernant ce type d'écoles, c'est ça que je disais. Ça ne veut pas dire nécessairement une réglementation plus serrée ou plus complexe.

La Présidente (Mme Loiselle): Mme Blackburn.

Mme Blackburn: Peut-être après... Est-ce qu'il y a... de l'autre côté?

La Présidente (Mme Loiselle): Non, il y a monsieur aussi de D'Arcy-McGee, mais vous pouvez...

Mme Blackburn: Bien. Peut-être une question brève. (17 h 20)

Vous n'avez pas abordé, dans votre mémoire, la difficulté qu'éprouvent beaucoup de jeunes Québécois à bien maîtriser la langue première, c'est-à-dire la langue maternelle, le français. C'est vrai aussi pour l'anglais, nous dit-on, mais, de toute façon, la langue maternelle. Et, d'ailleurs, on rencontrera, ce soir, un groupe du milieu des affaires qui estime que c'est capital, si vous voulez augmenter la productivité, de bien maîtriser votre langue maternelle, évidemment, la langue seconde également. Alors, comment va-t-on pouvoir mettre davantage nos jeunes à l'apprentissage d'une langue seconde si on n'a pas d'abord corrigé ces difficultés qui semblent affecter un nombre important des jeunes diplômés?

Mme Drouin: Écoutez, je pense que le projet de loi qu'on a devant nous et sur lequel on a été invités à se prononcer ne touchait pas cet aspect-là, alors, c'est la raison pour laquelle on ne s'est pas prononcés là-dessus, et on n'en parle pas dans notre mémoire. Mais il reste que je pense qu'on a toujours affirmé que, pour nous, l'apprentissage et une bonne maîtrise de la langue française, c'était primordial et c'était essentiel. Je pense qu'on ne déroge pas du tout à cet objectif, si vous voulez.

Mme Blackburn: Mais vous ne voyez pas que les élèves vont éprouver une certaine difficulté à maîtriser une langue seconde, alors que, déjà, ils ont de la difficulté avec la langue maternelle. Et, dans ce sens-là, votre réflexion, il me semble, devait couvrir ces deux aspects de la question, parce que ça ne sera pas indépendant l'un de l'autre, dès que ça va être admis. Je pense particulièrement aux immersions, aux bains linguistiques, et là, je ne parle pas de...

Mme Drouin: Je pense qu'il y a quand même de la souplesse qui pourra être... au niveau de la réglementation, et les milieux vont pouvoir choisir. Vous savez, il faut faire confiance. Est-ce qu'il est autant prouvé qu'un enfant qui apprend deux ou trois langues ne maîtrise pas bien sa langue maternelle du fait qu'il ait à apprendre deux ou trois langues? On peut se poser la même question aussi. Actuellement, l'enseignement ne se donne qu'en français, sauf exception, et vous dites que, justement, l'apprentissage de la langue maternelle n'est peut-être pas ce qu'il devrait être. Alors, ce sont toutes des interrogations.

Mme Blackburn: Je ne dis pas, je dis que l'on dit, puisque je n'ai pas la capacité d'aller le vérifier, je n'ai qu'à vérifier les taux d'échec aux examens de français dans les universités pour y être admis pour comprendre qu'on a un petit problème là. Mais, ça va, je vous remercie.

Mme Drouin: D'accord.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Libman: Mme la Présidente, juste, d'abord, pour répondre à la question du député de Lac-Saint-Jean. Le succès des cours d'immersion en français pour les jeunes anglophones, de maîtriser une langue seconde, démontre des résultats fantastiques, en effet. Et, si vous comparez la maîtrise du français comme langue seconde des étudiants qui ont fait l'immersion en français par rapport à ceux qui ont pris les études régulières dans les écoles pour une langue seconde, la différence est énorme. Alors, ça devrait agir comme exemple, au moins pour montrer qu'un cours en immersion a un succès très fort à apprendre à un étudiant la maîtrise d'une deuxième langue, mais d'aucune façon ne met en péril la langue maternelle de cet étudiant. Alors, je pense que, peut-être, vous pouvez examiner les taux de succès, les taux de bilinguisme pour les jeunes anglophones qui ont vécu une expérience dans les écoles... dans les classes d'immersion.

Moi, j'aimerais vous poser une question, effectivement, de l'autre côté de la médaille de l'autre formation politique dans l'Opposition. en 1972, il y avait 250 479 étudiants dans le réseau scolaire anglophone; aujourd'hui, il n'y en a que 100 000 — ça, c'est une baisse de 60 % — et, depuis 1972, un tiers des écoles anglaises au québec ont fermé leurs portes. et, pour la communauté anglophone, tout ce débat est très frustrant parce que les représentants de la communauté anglophone n'exigent pas la liberté de choix pour les immigrants. on fait des demandes tellement raisonnables, tellement raisonnables, qui n'affectent pas d'une façon importante le réseau scolaire francophone. par exemple, le rapport du groupe de travail chambers demande seulement que les parents qui viennent d'un pays anglophone aient le droit d'envoyer leurs enfants aux écoles anglaises du québec, ce qui n'affecterait même pas 1 % du nombre d'inscriptions dans les écoles françaises. si on regarde d'autres modèles, par exemple, d'autres suggestions ou recommandations qui sont faites, c'est de permettre à tous les enfants avec une langue maternelle anglaise d'avoir accès aux écoles anglaises.

Alors, nous voyons ici une situation où le déclin dans la communauté anglophone dans le réseau scolaire est très important, très alarmant, en effet. Et ce que nous demandons, nous ne demandons pas grand-chose, nous demandons quelque chose qui va affecter d'une façon négligeable le réseau scolaire francophone, mais, en même temps, peut donner vraiment un coup de pouce aux écoles anglaises, qui peut injecter un nombre importait dans le réseau scolaire anglophone, qui pourrait faire la différence, dans plusieurs cas, de certaines éooles qui vont rester fermées ou rester ouvertes.

Alors, moi, je vous pose la question: Si vous étiez dans les souliers des commissaires des écoles anglaises au Québec, les écoles qui ferment une après l'autre, qu'est-ce que vous pourriez suggérer au ministre qui, effectivement, est devant un dilemme politique dans toute cette affaire? Mais est-ce que vous pouvez trouver une façon pour donner une... une façon à la communauté anglophone de se renouveler, et quelque chose qui pourrait être acceptable pour la majorité des Québécois, ou est-ce que la majorité des Québécois ne réalise même pas que c'est une mesure qui n'affecte que d'une façon négligeable le réseau scolaire francophone?

Mme Drouin: Bien, M. Libman, d'abord, sur votre première intervention, quand vous parlez de comparer les classes d'immersion, je pense qu'on a dit, tout à l'heure, que c'est vrai que les résultats sont là: Je pense qu'on ne peut pas se le cacher. Ce qui nous apparaît important pour l'apprentissage d'une langue seconde, c'est l'intensification et la concentration dans le temps. Alors, ça, c'est une façon, les classes d'immersion.

Quant à votre deuxième intervention, je vous rappellerai qu'en début j'ai bien mentionné qu'on ne se prononçait que sur deux aspects, et je les ai développés. Et je vous dirai simplement que je n'ai pas de commentaires sur la dernière partie de votre intervention.

M. Libman: Mais vous dites aussi, au début, que vous avez étudié le projet de loi en ayant à l'esprit quatre prémisses. Une des prémisses est: ...doit viser l'intégration des immigrants à la communauté francophone. Mais aussi...

Mme Drouin: ...des immigrants à la communauté francophone.

M. Libman: ...vous parlez... Mais vous mentionnez à plusieurs reprises la question de l'admissibilité à l'école anglaise. Vous êtes la Fédération des commissions scolaires du Québec. Moi, je vous demande: Si vous étiez dans les souliers des commissaires des écoles anglaises, au Québec, qu'est-ce que vous demanderiez au ministre, tout en sachant le contexte politique difficile qui touche cette question? Il y a un déclin très important. Qu'est-ce que vous pouvez suggérer pour aider à la communauté anglophone à se renouveler, dans tout ce contexte-là?

La Présidente (Mme Loiselle): Une brève réponse, s'il vous plaît, Mme Drouin.

Mme Drouin: Écoutez, quand on s'est présentés, on a choisi de ne pas se prononcer sur certains sujets, et je voudrais m'en tenir à l'admissibilité, au niveau de la clause, des modifications de la loi qui sont là, actuellement. Comme on ne se prononce pas sur la langue d'affichage, on ne se prononce pas sur d'autres aspects de la loi, on a choisi le cadre dans lequel on voulait vous fournir des commentaires, et j'aimerais mieux m'en tenir à ça.

La Présidente (Mme Loiselle): Merci. M. le député de Rimouski.

M. Tremblay (Rimouski): Oui, Mme la Présidente. Je remercie la Fédération des commissions scolaires pour leur mémoire.

Une petite intrigue m'a... à la page 4, lorsque vous dites qu'«il faut admettre qu'en ce qui concerne l'enseignement de l'anglais, la situation des élèves de l'Abitibi ou du Saguenay—Lac-Saint-Jean n'est pas la même que celle de l'île de Montréal», ça m'intrigue un peu. Je ne pense pas qu'un régime pédagogique permette d'avoir tant de disparités. Il faut tout de même avoir des objectifs; les objectifs à atteindre sont ceux d'un meilleur apprentissage possible de l'anglais, ce qui est prévu, nécessairement, par l'article 22, présentement, du présent projet de loi. Mais je comprends que vous ayez une certaine appréhension pour Montréal, au sujet de la vigilance que vous avez mentionnée tout à l'heure, mais est-ce que vous ne convenez pas que le régime pédagogique devrait établir une liste de moyens à utiliser pour que l'apprentissage se fasse d'une façon la plus uniforme possible à travers le Québec? J'espère que c'est ça; j'espère que vous n'avez pas un régime pédagogique pour le Bas-Saint-Laurent, pour l'Abitibi et le Saguenay— Lac-Saint-Jean — peut-être pour le Saguenay—Lac-Saint-Jean, étant donné qu'il y a beaucoup de nationalistes là, mais, enfin... On va peut-être...

Mme Drouin: Écoutez, les régions qui sont mentionnées là ne le sont qu'à titre d'exemples...

M. Tremblay (Rimouski): O.K.

Mme Drouin: ...je voudrais bien qu'on se comprenne; ce n'est pas des régions qu'on visait en particulier, mais je pense que ça illustre bien le paragraphe qui précède, quand on parle des différences qui existent dans les régions du Québec. Et c'était simplement pour illustrer.

Quand vous nous dites: Est-ce que le régime pédagogique ne devrait pas donner des moyens? Ce que je veux vous dire là-dessus, c'est: qu'on définisse des objectifs, mais qu'on laisse les moyens aux milieux. Les moyens peuvent être différents. Qu'on nous fixe des objectifs, mais les moyens pourront être à la discrétion des milieux.

M. Tremblay (Rimouski): Bien, il pourra y avoir une définition de certains moyens, sans avoir une liste exhaustive.

Mme Drouin: II pourra y avoir des suggestions. M. Tremblay (Rimouski): Oui. Très bien. Merci.

La Présidente (Mme Loiselle): D'accord. Merci.

Alors, il me reste à vous remercier, encore une fois, d'avoir accepté notre invitation et d'être venus exprimer votre point de vue à cette commission. Merci.

Nous avons donc terminé nos travaux pour cet après-midi. Je suspends les travaux, pour les reprendre à 20 heures ce soir, afin d'entendre le Centre de linguistique de l'entreprise.

Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 30)

(Reprise à 20 h 14)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de la culture reprend ses travaux. Nous sommes maintenant un petit peu en retard, mais nous sommes prêts à entendre le Centre de linguistique de l'entreprise. Je les invite à prendre place et je vois qu'ils sont déjà prêts à nous faire part de leur représentation en ce qui concerne le projet de loi 86.

Donc, je leur indique que nos règles sont les mêmes depuis le début de la commission. Vous disposez d'une vingtaine de minutes pour nous faire part de vos réactions, de votre point de vue en ce qui concerne le projet de loi 86. Après ça, la conversation, les discussions s'engagent avec les membres de la commission qui disposent chacun d'une vingtaine de minutes pour vous poser des questions, demander des éclaircissements après quoi, comme président, je me verrai dans l'obligation de mettre un terme à ces échanges, compte tenu des ordres qui nous ont été donnés par l'Assemblée elle-même.

Alors, je vous souhaite la bienvenue et je vous demande tout simplement, avant de commencer, de nous donner vos noms de façon à ce que, dans notre Journal des débats, nous puissions vous identifier. Alors, bienvenue. Vous avez la parole à partir de maintenant.

Centre de linguistique de l'entreprise (CLE)

M. Guillotte (Michel): Merci, M. le Président.

Donc, conformément à la procédure, je vous présenterai les personnes qui m'accompagnent ce soir. À ma droite, Mme Geneviève Faribault, qui est vice-directrice du contentieux de la société d'assurance Standard Life et qui, depuis le 1er avril courant, est la présidente du conseil d'administration du Centre de linguistique de l'entreprise. À ma gauche, M. Christian

Van Houtte, président-directeur général de l'Association de l'industrie de l'aluminium du Québec. Il est membre du conseil d'administration du CLE et il était, au cours des trois dernières années, le président du conseil d'administration du CLE. Et je suis, moi-même, donc, Michel Guillotte, le directeur général de l'organisme.

Le Centre de linguistique de l'entreprise, pour les personnes qui sont moins familières avec notre existence, parce que nous ne sommes pas des abonnés de la place publique, est une association patronale qui regroupe 40 des plus grandes entreprises qui font affaire au Québec et dont la raison d'être est essentiellement d'aider le milieu des affaires à gérer efficacement les questions linguistiques qui touchent le fonctionnement des entreprises et, donc, au premier chef, évidemment, le mobile qui nous amène ici ce soir.

Le CLE existe depuis 20 ans, depuis 1972, et, à travers ces années-là, son approche a toujours été essentiellement une approche de gestionnaire de la question linguistique et non pas une approche plus traditionnelle, si vous voulez, que l'on reproche souvent aux lobbies, de contestation politique des législations. Je pense que ce préambule est extrêmement important pour les propos que je me permettrai de tenir plus tard.

Le Centre, donc, encore une fois, au cours de ces 20 années, s'est efforcé d'aider les entreprises à se conformer efficacement et au moindre coût aux différentes législations linguistiques qui ont géré le Québec depuis cette période-là.

Alors, pour les personnes qui ont eu l'occasion de lire notre mémoire, nos observations portent essentiellement sur quelques points du projet de loi 86. Ce sont les points sur lesquels nous pensons que les entreprises faisant affaire au Québec ont des intérêts ou une prospective dans l'action à envisager. Plutôt que de vous faire la lecture plate — surtout à l'heure qu'il est ce soir — de notre mémoire, je vais me contenter, dans les quelques minutes qui viennent, de vous rappeler très schématiquement les observations que nous avons faites, l'esprit et le sens dans lequel ces observations ont été faites.

Nous commençons, d'abord, par l'affichage et la publicité commerciale. Nous tenons à rappeler aux membres de la commission et au législateur que le milieu des affaires aura besoin de règles claires et qui s'appliquent à tous pour que l'éventuel nouveau régime linguistique puisse être appliqué dans l'harmonie, dans l'équité et dans l'ordre aussi. Nous vous disons cela parce que les décisions qui touchent les usages commerciaux, tous les usages de mise en marché, les usages de marketing, corrîme on les appelle dans nos milieux, ne sont pas toujours pris au Québec. Et ça, c'est très important à savoir quand on discute avec un groupe pris isolément. Selon qu'on s'adresse à des personnes dont l'aire de décision est proprement locale on peut avoir, disons, des points de vue et des prospectives qui soient raisonnablement optimistes. Quand on a affaire, par contre, et c'est notre cas, sur la ligne de feu, avec des milieux économiques qui sont généralement étrangers ou ignorants de nos usages linguistiques, il y a une mise en garde à faire.

II faut également garder à l'esprit que les entreprises attendent que le législateur fixe les règles du jeu et, ces règles étant fixées, elles appliqueront les règles fixées, donc, avec le maximum de flexibilité que leur accorderont les règlements. Le jeu économique est un jeu ouvert, c'est un jeu où les règles étant, donc, déterminées, les entreprises les appliquent en général au mieux de leurs intérêts.

Quelle est la mentalité des entreprises, maintenant, en ce qui concerne leurs intérêts? C'est la loi du marché. C'est très simple. La loi du marché fera que l'offre et la demande de biens et de services, en l'occurrence, en ce qui nous concerne ici, touchant l'affichage, l'offre et la demande d'affichage, donc, en français ou dans d'autres langues, seront, deviendront rapidement un déterminant des pratiques commerciales et un avantage que les différentes entreprises, établies ou non au Québec, compareront entre elles dans leur application. (20 h 20)

On peut illustrer le comportement prévisible des entreprises de la façon suivante. Nous avons, dans notre mémoire, invoqué des raisons pour lesquelles nous appelons le législateur à adopter des règles claires en matière d'affichage et applicables à tous pour la raison suivante: c'est que les entreprises qui sont traditionnellement implantées au Québec et qui ont une bonne habitude maintenant du régime linguistique, effectivement — et certains témoignages l'ont, je pense, corroboré jusqu'ici — appliqueront certainement beaucoup de discernement dans l'application d'un nouveau régime linguistique qui sera défini par règlements. Ça, je pense que, dans un premier temps, nous n'aurons pas de problèmes de comportement avec les entreprises, disons, à forte tradition québécoise.

En ce qui concerne les autres entreprises — et je vous rappelle que nous sommes dans un monde ouvert — avec les nouvelles règles du jeu économique, la mondialisation des échanges qui, pour nous, s'appelle plus particulièrement le traité de libre-échange nord-américain, il faut savoir que l'accroissement des échanges sera extrêmement important au cours des prochaines années et que beaucoup de décisions commerciales concernant, notamment, bien sûr, l'affichage et la publicité seront prises à l'extérieur du Québec par des personnes qui, et je le dis tout à fait «neutrement», ne sont pas familières, ni avec nos attentes, et encore moins avec nos exigences en matière linguistique; d'où risque qu'apparaisse à court et à moyen terme une sorte de régime à deux vitesses, si vous voulez, du comportement linguistique des entreprises en ces matières. Et, croyez-moi, ce n'est pas une vue de l'esprit, ce sont notamment des témoignages que j'ai reçus en consultant quelques-uns de nos membres justement basés à l'extérieur du Québec au cours des derniers jours.

Enfin, les personnes qui sont en poste au Québec, qui travaillent et disposent de certains niveaux décisionnels, sont constamment dans la logique que nous connaissons, à tout le moins dans les grandes entreprises, obligés de négocier, de façon perpétuelle, la place du français dans leur entreprise. Et je dis bien «négocier la place du français» pas seulement en matière d'affichage commercial, mais aussi en ce qui concerne toutes les autres dispositions. C'est un rapport de force continuel qui fait qu'il faut constamment justifier, documenter les raisons d'être et les mobiles qui justifient donc nos attentes et nos exigences en matière de langue. Voilà ce que j'avais à vous dire schématiquement concernant le premier point de notre représentation.

Passons maintenant à l'accès à l'enseignement en anglais. Nous n'avons absolument pas d'objection au CLE, aucune objection de principe, en tout cas, en ce qui concerne l'ouverture de la loi sur l'instruction publique et les différentes modalités opératoires que l'on voudrait nous suggérer pour améliorer, notamment, l'apprentissage de la langue seconde chez les enfants québécois. Donc, aucune objection de principe à ce niveau-là. Nous nous questionnons cependant sur l'efficacité de certaines des méthodes qui sont préconisées et sur l'éventuelle allocation de ressources qui serait appelée par leur mise en application.

Nous aimerions simplement appeler l'attention du législateur sur le fait qu'il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs, ni faire, en matière de régime pédagogique, ce que la France a fait avec son téléphone pendant les années soixante, c'est-à-dire acheter des nouveaux appareils pour les plaquer sur du vieux filage. Ce que je veux dire par là, c'est que nous avons besoin d'une réforme urgente du régime pédagogique du système d'enseignement québécois, à la fois en ce qui a trait à l'enseignement et à l'apprentissage de la langue maternelle et en ce qui a trait, bien sûr aussi, et nous y souscrivons comme entreprise, à l'apprentissage de la langue seconde qui n'est pas fait, selon nous, de façon efficace et compétente.

Nous disons donc simplement que dans l'ordre des moyens, il serait nécessaire d'opérer cette réforme dont je viens de parler et qu'ensuite, une fois cette réforme opérée et opérante, si je puis dire, bien sûr, toutes les mesures qui sont proposées ou évoquées dans le projet de loi pourraient ensuite, ultimement, faire oeuvre utile dans l'amélioration de l'acquisition, notamment, de la compétence en langue seconde. Donc, c'est une question, si vous voulez, de priorité et ensuite d'allocation des ressources, et puis de mise en perspective des objectifs recherchés.

Nous avons besoin de cette réforme. C'est probablement une des carences les plus importantes de la législation linguistique et après, il y aura donc, évidemment, possibilité pour d'autres ajustements. Nous avons besoin de cette réforme pour des raisons, encore une fois, économiques, et je vous le dis en tant que représentant d'associations d'entreprises. La valeur économique du français comme langue de travail sera, au cours des prochaines années, conditionnelle à la maîtrise de la langue dans toutes les situations de travail au Québec.

Passons maintenant, si vous le voulez bien, à la francisation des entreprises. Nous pensons, au CLE, que nous avons fait le plein, à date, de l'efficacité des mesures coercitives en ce qui concerne la francisation des

entreprises. Les choses relativement faciles ont déjà été réalisées. Que l'on songe à l'affichage, par exemple; c'était une mesure non récurrente. Que l'on songe à la traduction de documents, à la traduction de manuels d'entretien, etc. Les choses relativement faciles sont derrière nous, demeurent, évidemment, des défis extrêmement importants pour la place du français. Que l'on songe aux défis que nous posent les technologies, la place du français dans les technologies, dans l'information, la place d'un français de bonne qualité et d'un français viable dans la mondialisation des échanges et comme langue stratégique des échanges. Ce sont les défis qui attendent la francophonie en général, et le Québec, en particulier, qui en fait partie.

On peut, en bonne partie, reconnaître que, sur un plan positif, le français est devenu, au Québec, la langue à peu près commune de l'administration des entreprises. Les défis, encore une fois, auxquels nous demeurerons confrontés, sont de l'ordre de ceux que je viens de vous énumérer, donc: terminologie, informatique et mondialisation.

Nous pensons que les mesures proposées au chapitre de la francisation des entreprises, notamment en ce qui concerne l'abolition de la Commission de protection de la langue française et l'alinéa 9, introduit à l'article 141, relatif au programme de francisation des entreprises, sont des mesures à toutes fins utiles un peu contre-productives qui vont, finalement, à rencontre du partenariat que nous devrions rechercher dans l'administration du dossier linguistique. Je reviendrai sur le partenariat dans quelques minutes, et je m'attacherai, en quelques mots, aux deux articles du projet de loi sur lesquels nous avons des réserves.

La disposition concernant le transfert à l'Office de la langue française des pouvoirs de vérification exercés par la Commission de protection de la langue française ne pose pas de problèmes particuliers au niveau, bien sûr, de la rationalisation des ressources, de la bonne efficacité des économies d'échelle; de ce côté-là, aucun problème. Par contre, quand on crée une situation ou qu'on envisage cfle créer une situation où des personnes qui ont à la fois le statut de conseiller auprès des entreprises assujetties à un programme de francisation, quand, donc, ces conseillers pourront, dans un second temps, s'investir du pouvoir de commander la vérification, pour toutes sortes de raisons fondées, parce que, bien sûr, les raisons peuvent être fondées ou pas, quand ce rôle de juge «et partie sera introduit dans l'économie de la loi, quand on sait que, malheureusement, comme dans toutes les bureaucraties, les comportements, les rapports entre l»es entreprises et les représentants de l'État en matière: de francisation sont très souvent, malheureusement, d-es rapports statistiques et bureaucratiques, on peut se demander jusqu'à quel point on améliorera la valeur quialitative du suivi de l'avancement de la francisation des esntreprises à cet égard-là. (20 h 30)

En ce quii concerne, maintenant, la disposition touchant la francisation de l'informatique, l'objectif est excellent. Cependant, l'informatique fait déjà partie des éléments qui sont réputés faire partie des communications internes des entreprises et de la langue de travail; elle fait déjà partie des négociations qui sont tenues avec l'Office de la langue française dans le cadre des programmes de francisation de chacune des entreprises, et nous avons, dans un esprit de partenariat, justement, depuis cinq ans, mis sur pied, avec nos collègues du gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada, et bien sûr des grandes entreprises, un comité d'action, le CAFI, qui recherche très précisément des avenues précises, opérationnelles, qui permettent de faire avancer la place du français dans l'informatique. Alors, ajouter au pouvoir contraignant d'une régie d'État dans un contexte où, de toute façon, les comportements linguistiques des entreprises en matière d'informatique demeureront différents de ceux du gouvernement du Québec pour la simple raison que les grandes entreprises s'inscrivent dans des réseaux de communication qui sont extérieurs au territoire du Québec, nous apparaissent non pas non fondées dans leur objectif, mais, en tout cas, le moyen contraignant ne nous apparaît pas garant de l'atteinte de l'objectif.

Les ressources de tout le monde étant de plus en plus réduites, que l'on parle des ressources de l'État, que l'on parle des ressources des entreprises, nous pensons que le partenariat, en matière de francisation des entreprises, est de loin l'avenue à privilégier dans les années qui viennent. La résolution des problèmes à la pièce, il y en aura toujours. Nous ne contestons évidemment pas le droit de l'État, dis-je, de suivre les programmes de francisation des entreprises, nous reconnaissons même le bien-fondé de la mesure proposée au projet de loi demandant aux entreprises de revoir et de justifier aux trois ans l'avancement de leur francisation, mais nous voudrions que les choses se fassent dorénavant dans un esprit de partenariat, dans un esprit qualitatif et non pas dans un strict esprit de contrôle légal, réglementaire ou bureaucratique.

En guise de conclusion, nous aimerions attirer votre attention sur une approche qui nous apparaît extrêmement galvaudée en ce qui concerne les rapports entre la législation linguistique et l'économie. Nous entendons de toute part — et quand je dis «de toute part», je parle, bien sûr, des personnes qui s'expriment en public, qu'il s'agisse de personnalités politiques, de journalistes, de commentateurs, de gens qui ont des aspirations, etc. — très souvent, des commentaires à l'effet qu'on va régler le problème de la langue parce que ça nuft à l'économie. Je pense qu'il faut faire une mise au point très claire ici: la question linguistique n'a jamais été, n'est pas et ne sera jamais un avantage économique nulle part, dans aucune société, et notamment au Québec; la question linguistique a toujours été et sera toujours un coût. Ça, c'est clair.

Que l'on en parle en fonction de l'affichage ou en fonction de la langue de travail ou en fonction de tous les registres d'application de la loi, quand vous demandez à des investisseurs comment ils évaluent leurs

intentions d'investissement, notamment dans une société comme le Québec, ils font deux colonnes: ils font les avantages et les inconvénients. Or, parmi les avantages figurent toujours, bien sûr, les infrastructures, le coût de la main-d'oeuvre, les subventions gouvernementales, et parmi les inconvénients figurent inévitablement toutes les interventions de l'État par voie de lois ou de règlements. La langue en fait partie, tout comme l'environnement, d'ailleurs.

Je suggérerais fortement que nous évacuions dorénavant le discours économique du débat sur la langue parce que, encore une fois, il n'est pas à sa place, il représentera toujours un coût. Je vous dirais même que, dans cette logique-là, si on nous dit que, par exemple, l'affichage en français — on l'a dit, d'ailleurs, il y a quelques années et c'est ce que les entreprises de l'extérieur du Québec nous disent couramment, chez nous — représente un coût, ce qui est vrai, il faut garder à l'esprit, à ce moment-là, et si on suit cette logique-là jusqu'au bout, que toutes les dispositions touchant la langue de travail représentent un coût encore plus étendu. Je ne pense pas... et j'espère me faire bien comprendre, ce n'est pas notre propos, n'est-ce pas, de remettre en question les dispositions touchant la langue de travail. Je ne pense pas non plus que ce soit l'intention des Québécois de remettre dans la balance leurs acquis en matière de langue de travail, mais si, encore une fois, on suit la logique économique, eh bien, ça demeure un coût.

Encore une fois, comme société, je crois qu'il faut regarder l'aménagement linguistique comme une chose qu'on doit gérer, qu'on doit administrer. Je pense qu'on ne doit pas considérer le fait que le Québec soit une société francophone comme une chose qu'on ait à lui reprocher mais comme une chose qu'on devrait contribuer à administrer. Nous sommes nous-mêmes, au Centre de linguistique de l'entreprise, un coût direct pour les entreprises qui nous subventionnent, puisque nous les aidons à essayer de gérer les avantages et les inconvénients de cette législation linguistique au mieux de leurs intérêts économiques et au mieux de l'observance des objectifs que la société québécoise s'est donnés et sur lesquels, donc, nous soulevons des questions dans l'introduction de notre mémoire.

Alors, pour conclure, j'aimerais simplement rappeler au législateur que, quelles que soient les règles du jeu qu'il voudra adopter en matière linguistique — et, à cet égard-là, je n'ai pas de recommandation ou de pression particulière à formuler — nous souhaitons qu'elles soient claires, pour qu'elles puissent être appliquées par tous — parce que le principe d'équité est important en matière juridique, en général, et en matière linguistique tout aussi particulièrement — et que, enfin, nous puissions mettre en balance les justes aspirations de la société québécoise avec une application équitable des dispositions de la loi et des règlements. Je vous remercie.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Guillotte.

Merci beaucoup.

M. le ministre.

M. Ryan: M. Guillotte, M. Van Houtte et Mme Faribault, ça me fait plaisir que vous soyez venus nous rencontrer. Je vous en remercie au nom du gouvernement. Nous étions très intéressés à entendre le point de vue du Centre de linguistique de l'entreprise parce que ceux qui ont été associés à la mise en oeuvre de la Charte savent combien le rôle du CLE a été utile et bienfaisant. Le CLE a permis à l'esprit de la Charte de la langue française de pénétrer dans bien des entreprises, par les voies qu'a signalées M. Guillotte tantôt, c'est-à-dire beaucoup plus par l'engagement et la persuasion que par la coercition, et, sous cet aspect, le gouvernement est entièrement d'accord avec le CLE quant à l'approche qu'il convient d'adopter.

M. Guillotte a fait partie souvent de comités ou de groupes de travail qui assistent, dans l'exercice de leur mission, des organismes responsables de l'application de la Charte, et je l'en remercie.

Maintenant, je voudrais en venir à certains points qui sont traités dans le mémoire. Brièvement. Tout d'abord, je note que la démarche de rationalisation des structures ne semble pas créer d'angoisse trop forte chez vous. Je pense, en particulier, à la clarification du pouvoir en matière de réglementation; je pense également à l'intégration de la Commission de protection de la langue française dans l'Office de la langue française. Le deuxième point semble vous préoccuper un peu davantage, mais je voudrais vous expliquer ce que nous visons.

Nous visons précisément à rejoindre ce que vous disiez tantôt, quand vous mentionniez que vous mettez davantage d'accent sur la pédagogie d'accompagnement plutôt que sur les contrôles. Et en intégrant la Commission de protection à l'Office, nous voulons que cette fonction de surveillance et de vigilance soit exercée dans un esprit d'accompagnement et de soutien plutôt que dans un esprit policier. Et il nous semble que si cette tâche est assumée par l'Office, avec l'accent que l'Office met déjà et que nous souhaitions qu'il mette sans cesse davantage sur les fonctions que j'appellerais d'édification d'entreprises et de milieux de travail où le français sera la langue courante, je pense qu'on trouve une raison valable d'orienter la Commission de ce côté. La Commission en était venue à traiter de plaintes qui provenaient d'un groupe très limité de personnes, et les raisons qui avaient pu justifier son existence distincte au début nous apparaissaient plus ténues à mesure que le temps avançait.

Quoi qu'il en soit, j'aimerais peut-être que vous nous donniez quelques explications complémentaires sur la réaction que vous avez en face de ces propositions contenues dans le projet de loi concernant les structures d'intervention. (20 h 40)

M. Guillotte: Bon. Alors, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, ce n'est pas du tout un jugement de valeur quand à l'opportunité de rationaliser. Je pense

qu'à cet égard ça devient nécessaire, d'ailleurs, dans l'appareil de l'État, de tous les États, de tous les gouvernements; ça, nous l'avons clairement dit dans notre mémoire. Nos questions portent surtout sur les conséquences pratiques au niveau des comportements des personnes qui seront dans le même organisme.

Je pense que les solutions sont probablement aménageables aussi, mais, à vue de nez, il nous apparaît très clairement que des fonctionnaires de l'Office de la langue française deviendront juge et partie en ce qui a trait à l'évaluation du statut de la francisation dans les entreprises, parce que ces personnes vont, d'un côté, négocier avec l'entreprise — et c'est leur rôle, c'est le rôle traditionnel des agents de l'Office de négocier toutes les dispositions de l'article 141 avec les entreprises et de les suivre — donc, ces gens-là vont négocier et faire des recommandations aux entreprises, eu égard aux dispositions de la francisation, mais, dans l'éventualité où les discussions arriveraient soit à un cul-de-sac, à des impasses ou à des malentendus, eh bien, le risque est extrêmement grand que les mêmes personnes puissent demander à leurs collègues d'un autre service de l'Office de systématiquement procéder à ce que nous appelons dans notre mémoire — le mot est un peu fort, mais enfin — des mesures de rétorsion bureaucratique. C'est comme ça qu'on les vit parfois dans les entreprises.

Entre discuter des principes et voir comment ils s'appliquent dans la réalité, on a droit à toute la gamme des comportements humains et de tout ce que les modalités administratives peuvent permettre; donc, on risque de se retrouver, et je résume là-dessus, dans une situation où on va exJger l'application de choses recommandées par l'intervention d'un vérificateur. C'est un raisonnement de gestion, M. le ministre, ce n'est pas, encore une fois, une remise en question de l'opportunité de rationaliser.

M. Ryan: Près du tiers des articles du projet de loi traitent de la francisation des entreprises, vous l'avez remarqué. Nous avons réécrit cette partie de la Charte de manière à la rendre plus fonctionnelle, à distinguer plus nettement Les différentes étapes marquant l'intervention de l'Office, par exemple, ou le cheminement des entreprises. Nous avons mis un soin particulier à reformuler ces dispositions de la Charte, nous avons fait les consultations qui s'imposaient à cet égard, et je voudrais que vous nous d isiez ce que vous pensez de ces articles qui vont de 45 à 59 dans le projet de loi. Est-ce que vous y trouvez des améliorations par rapport à la situation actuelle? Vous en avez mentionné une, tantôt, quand vous avez; signalé l'obligation qui sera faite dorénavant aux entreprises munies d'un certificat de francisation de faire rapport tous les trois ans sur les progrès accomplis dans 1 a recherche d'une utilisation encore plus généralisée du français, mais pourriez-vous nous donner des commentaires additionnels sur ce gros tiers du projet de loi dont on a fort peu parlé jusqu'à maintenant et auquel le gouvernement attache beaucoup d'importance?

M. Guillotte: Écoutez, je l'ai mentionné brièvement dans mon exposé tout à l'heure — cela figure dans notre mémoire, d'ailleurs, c'est le premier libellé que nous faisons au chapitre de la francisation dans les entreprises — le CLE soutient depuis nombre d'années — et vous le savez, M. Ryan, on a fait des travaux avec votre appui sur la responsabilisation des gestionnaires — nous pensons que la francisation des entreprises devrait être envisagée comme une opération de gestion comme bien d'autres. Ça se gère comme on gère le personnel, comme on gère l'environnement, la fiscalité, etc.

C'est donc le message que nous-mêmes nous essayons de passer à nos membres et aux entreprises que nous pouvons éventuellement influencer; donc, évidemment, nous sommes tout à fait positifs à l'endroit de cette disposition-là qui introduit l'esprit de la permanence de la francisation des entreprises qui n'y était pas. Je ne veux pas dire qu'elle n'y était pas dans l'esprit du législateur et des personnes qui administrent la loi — comprenons-nous bien, ce n'est pas un procès d'intention — mais nous vivions dans un régime psychologique, si je puis dire, où on pensait qu'une fois le certificat de francisation obtenu, bien, ça y est, c'est le paradis pour tous, et puis, c'est mission accomplie et c'est un dossier, comme on le dit souvent, réglé, un peu comme pour l'économie dont je parlais tout à l'heure.

La langue et l'économie, ça ne va pas ensemble. Eh bien, penser qu'on va régler le dossier linguistique au Québec ou au Canada, c'est tout autant une vue théorique de l'esprit. Alors, à cet égard-là, évidemment, la disposition est tout à fait bienvenue.

M. Ryan: Vous êtes l'un des premiers qui ait attiré mon attention sur cette déficience que vous aviez observée dans la Charte. Je me souviens que, à l'une des premières réunions où j'ai eu l'occasion de vous rencontrer, vous aviez insisté sur le concept de permanence. Vous aviez fait partie d'un groupe de travail qui avait soumis un rapport juste au moment où j'entrais en fonction, et je m'étais dit, avec le président de l'Office, que nous verrions à mettre l'accent sur la recherche de la permanence dans le processus de francisation. Dans cette perspective, je suis fort heureux des commentaires que vous avez formulés, puis je n'ai aucunement la prétention de suggérer que ce que nous faisons règle tout, mais je suis au moins content de vous entendre dire que c'est une amélioration notable. Et nous aurons besoin de continuer à travailler avec vous et le monde de l'entreprise et des syndicats également pour améliorer les choses.

Maintenant, M. le Président, peut-être que mon collègue de Rimouski voudrait soulever une question également.

Le Président (M. Doyon): Oui. M. le député de Rimouski.

M. Tremblay (Rimouski): Oui, M. le Président.

Je remercie le Centre de linguistique de l'entreprise pour la qualité de son mémoire. à la page 1, m. le président, vous semblez en avoir contre l'article 58 en disant: «à cet égard, le nouvel article 58 proposé dans le projet de loi 86 envoie un message contradictoire.» et vous en avez tout particulièrement au sujet du troisième alinéa.

Si on prend les paragraphes un par un, à l'article 17, par exemple, ou l'article 58: «L'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français.» Là, ça, ça ne pose pas de problème, il n'y a pas d'ambiguïté pour tout le monde, O.K., le premier paragraphe.

Le deuxième: «Us peuvent également être faits à la fois en français ou dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.» Là, ça ne pose pas de problème pour vous non plus.

Le troisième paragraphe: «Toutefois, le gouvernement peut déterminer, par règlement, les cas, les conditions, etc.» Ça, ça pose un problème pour vous ou votre organisme. De quelle manière l'auriez-vous formulé, si ça pouvait vous satisfaire, cette partie-là? Est-ce que vous pourriez nous faire une suggestion?

M. Guiilotte: Bon. Écoutez, les éléments de notre suggestion figurent dans les deux paragraphes qui suivent de notre mémoire. Nous n'avons pas de problème, nous... D'abord, nous ne sommes pas là pour discuter de la formulation telle quelle de la loi et des règlements, mais de l'objectif poursuivi. Notre objectif à nous, c'est d'envoyer un message clair aux personnes que nous avons pour mandat d'informer et d'assister dans l'application des lois linguistiques et nous pensons, nous en avons discuté entre nous au cours des deux dernières semaines, que tout ce qui n'est pas un objectif clair et facilement «apprehensible» par tous va compliquer l'application de la loi.

Ce que nous vous disons, c'est qu'il faudrait — et je ne dis pas que vous n'avez pas l'intention de le faire, on n'est pas dans le procès d'intention, on est dans les modalités opératoires — affirmer de façon plus convaincante l'objectif, qui est sans doute celui que vous poursuivez, que le français doit être obligatoire dans toutes les circonstances.

Prenez comme acquis que ce sont toutes, toutes, toutes les circonstances de l'affichage public et qu'ensuite, selon la règle du gros bon sens, comme nous le suggérons ici, les modalités d'exemption ou d'exception puissent découler elles-mêmes du gros bon sens. Je prends des exemples: Quand on parle — et je les ai entendus depuis hier dans cette commission-ci et c'était le cas ce matin, je crois — de l'affichage, des informations qu'on donne dans les musées que les touristes vont fréquenter, ça me paraît tomber sous le sens commun, sous le sens commun tout court, puis économique ensuite, puis touristique en troisième lieu que, bien sûr, il y aurait place pour un aménagement linguistique où le français serait très nettement prédominant et d'autres langues présentes. Bon.

Qu'un spectacle concernant une communauté culturelle autre que francophone, qu'une publication les concernant soit affichée dans la langue de cette communauté-là, il me semble que ça tombe sous le sens commun. Mais quand, par ailleurs, on commence à discuter des couleurs, des proportions, des tailles, de l'impact visuel, etc., là, je pense qu'on s'engage sur un terrain extrêmement glissant. Là, on s'engage sur le terrain de l'ensemble de l'affichage public et commercial et on ne distingue pas tout à fait ce qui tombe sous la règle du gros bon sens que j'ai essayé d'illustrer.

Tout le monde a ses histoires d'horreur dans ces matières-là. J'écoutais ce matin la députée de Chicouti-mi qui parlait d'un reportage à TVA, que je n'ai pas vu, hier soir, où on parlait d'apparition de bilinguisme. Je ne l'ai pas vu, là, mais il reste que — et Mme Blackburn pourra revenir là-dessus tout à l'heure — l'on nous dit: Bien, là, ça apparaît bilingue, etc. Bon. C'est probablement vrai. Les proportions? Je ne sais pas, je n'ai pas fait d'enquête là-dessus et je n'ai pas l'intention d'en faire non plus, mais les règles naturelles du comportement vont difficilement porter les gens à faire des distinctions: deux tiers, un tiers, trois quarts, quatre cinquièmes, deux huitièmes, 3.1416. Ça nous apparaît byzantin et difficile d'application. (20 h 50)

Je compléterai peut-être ma réponse à votre question en vous disant que, moi, mes histoires d'horreur là-dessus, elles ne sont pas, encore une fois, à l'échelle du Québec, pas à l'heure où je vous parle, mais c'est des affichages bilingues posés par des entrepreneurs québécois francophones qui posent un affichage bilingue «fifty-fifty», équivalent français et anglais. Je n'ai pas, encore une fois, de statistiques mais j'ai, comme tout le monde, mon petit sottisier personnel là-dessus.

Alors, je dis qu'en ces matières-là la règle des proportions risque d'être contestée de toute façon, elle risque d'être ridiculisée; on a fait l'expérience de la chose lors du début de l'implantation de la loi 22 en 1974. Je pense qu'on s'aventure sur un terrain qui va être difficile d'application et où l'absurde va très vite nous rejoindre.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Guiilotte.

M. Ryan: Juste une dernière question.

Le Président (M. Doyon): Oui, M. le ministre.

M. Ryan: Dans le prolongement de ce que disait le député de Rimouski, vous mentionniez votre ouverture à certaines exceptions comme, par exemple, les inscriptions qui sont placées sous les objets exposés dans les musées. Il nous faut une clé pour être capables de faire ça, ça prend un pouvoir réglementaire, on ne peut pas tout mettre ça dans la loi. Et, dans ce sens-là, est-ce que vous ne trouvez pas que le troisième alinéa de l'article 17 fournit justement la clé dont nous avons besoin pour faire des choses qui aillent dans la direction du sens commun dont vous parlez?

Je suis d'accord avec vous, il faut que ça soit des choses qui s'adressent au sens commun, qui soient d'observation facile, presque évidentes. Il y en a.

M. Guillotte: Oui.

M. Ryan: Est-ce que ça ne prend pas un certain pouvoir réglementaire pour faire ça? On ne peut pas tout mettre ça dans la loi.

M. Guillotte: Bon! M. le ministre, vous avez raison, on ne pourra pas, ni dans la loi, ni dans les règlements, disposer de toutes les modalités opératoires, ça, c'est certain, mais, il y a deux mots, dans l'alinéa 3, qui vont envoyer très clairement aux gens qui décident de l'affichage un message contradictoire — ce que nous disons dans notre mémoire — ce sont les mots «sans prédominance du français».

Nous, nous partons du principe, au CLE... Pourtant, nous ne sommes pas là pour faire de l'angélisme, là. Moi, je vous dis, si, demain matin, il y a une loi de bilinguisme proportionnel qui s'applique, je vais recommander à mes membres de l'appliquer, il n'y a pas de problème. Mais les mots «sans prédominance du français» nous apparaissent, dans son sens même, contradictoires à l'objectif initial de la législation. Et «uniquement dans une autre langue» nous apparaît presque superflu parce que, encore une fois, les cas que je vous énumé-rais tantôt, dont on dispose déjà, finalement, dans l'état actuel du régime de règlement, vont continuer de permettre à un particulier d'afficher en anglais sa maison à vendre ou de ne pas marcher sur sa pelouse. Ce sont des mots, tout simplement, qui vont envoyer chez les personnes appelées à prendre des décisions en ces matières-là un message contradictoire qui, évidemment, risque d'apporter de nouvelles contestations ou des demandes de clarification à la pièce chez vous ou, tout simplement, de donner cours à des comportements dérogatoires.

M. Ryan: Regardez, je comprends votre préoccupation, mais, quand vous verrez les exceptions que nous avons à l'esprit, vous trouverez qu'elles découlent directement du sens commun. Il n'y en aura pas une énormi-té, à part ça, ça va être très limité. Mais il y en a pour chacune... Je vous donnerai des exemples tantôt. Malheureusement, nous n'avons pas le temps de poursuivre, mais je peux vous assurer que j'ai bien pris note de votre préoccupation, et nous la partageons.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre. Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Merci, M. le Président.

Je voudrais simplement saluer Mme Faribault, M. Guillotte et M. Van Houtte et, avec votre permission, M. le Président, je passerais la parole à mon collègue qui doit aller en Chambre et qui aurait le goût de vous poser quelques questions avant d'aller prendre la parole.

Le Président (M. Doyon): Oui, d'accord. M. le député d'Anjou.

M. Bélanger (Anjou): Merci, M. le Président.

Bonsoir! Je constate, dans votre mémoire, que, pour vous, il est très important que le gouvernement indique d'une façon très claire les règles d'application quant à tout le problème de l'affichage. Vous avez remarqué aussi, je pense, le pouvoir réglementaire qui est très grand relativement à l'application de cette loi. Moi, je peux vous dire en tant qu'avocat que normalement, quand on a un règlement, le règlement ne vient que préciser une application. Il ne permet pas, comme je le constate ici, dans le projet de loi, de faire en sorte que, par le pouvoir réglementaire, on puisse, finalement, complètement annihiler l'effet du principe de loi justement en enlevant la nécessité du caractère prédominant du français.

Est-ce que ça ne vous inquiète pas? Parce que nous, ce qui nous inquiète dans ce projet de loi, tel qu'il est présenté présentement, c'est que nous n'avons pas les règlements. Nous n'avons pas de projet de règlements, nous ne savons pas quels seront ces règlements, et on nous dit que ces règlements ne seront prêts qu'après l'adoption du projet de loi. Est-ce que ça vous inquiète, ça?

M. Guillotte: Bon. Écoutez, il y a deux façons de répondre à cette question-là. Effectivement, l'absence des règlements nous empêche d'aller, de façon plus quantitative et qualitative, dans l'appréciation du régime linguistique; ça, c'est évident. Maintenant, les deux principes qui sont en présence, c'est: Est-ce que la loi doit être une loi-cadre de portée générale, qui définit de façon claire ce que doit être le régime juridique, le régime légal de la langue française au Québec? D'ailleurs, nous avons, dans notre mémoire, des recommandations. Nous suggérerions que l'objectif de la loi soit rappelé, si vous lisez la conclusion de notre mémoire.

D'autre part, il y a le débat entre la loi déclara-toire et les modalités d'application qu'on définit par règlement. Je sais qu'il y a une autre école de pensée qui nous dira qu'on n'aime pas les lois-cadres dont on renvoie la détermination des modalités à des règlements.

Nous ne prétendons pas nous placer sur un rjlan politique ici, ni même sur un plan juridique, nous nous plaçons sur un plan de conseillers en administration. Nous sommes là pour aider les entreprises à gérer et, pour gérer, il faudra connaître les règles du jeu. C'est pour ça que nous répétons très souvent l'expression que les modalités doivent être très claires. Si elles ne le sont pas dans la loi, il faudra qu'elles le soient effectivement dans les règlements. Mais, à ce stade-ci, on ne veut pas porter de jugement d'opportunité dans un sens ou dans l'autre.

M. Bélanger (Anjou): Ce que je semble comprendre de votre mémoire aussi, c'est que pour vous, si on s'embarque dans la question d'appréciation de la nette prédominance ou de la prédominance du français dans l'affichage sur des considérations comme l'aspect visuel de l'affiche et tout ça, d'après vous — en tout cas, c'est ce que je semble constater de votre mémoire — c'est qu'on s'embarque vraiment dans un marais ou dans une zone vraiment grise de problèmes d'interprétation. Est-ce que je me trompe?

M. Guillotte: Pas de problèmes d'interprétation, de problèmes de comportement.

M. Bélanger (Anjou): De comportement, d'appréciation.

M. Guillotte: C'est facile d'interpréter que deux tiers-un tiers, mathématiquement... Les statistiques, ce n'est pas un problème. Je veux dire, la gestion de la francisation du Québec repose sur les statistiques depuis 15 ans. Puis, on assiste d'ailleurs, même ici, à la commission parlementaire, à des échanges là-dessus entre madame et M. le ministre, justement, bon. Mais, des chiffres, ça ne marche pas dans la rue, ça. Avez-vous vu ça se promener dans la rue, des statistiques? Ce n'est pas ça qui compte, c'est le qualitatif des choses, c'est la façon concrète dont les comportements évoluent en fonction d'un objectif déterminé.

C'est ce que nous disons. Nous disons que nous avons besoin de règles claires pour continuer à administrer la loi et les dispositions, enfin, les trois dispositions sur lesquelles nous nous sommes penchés de façon constructive.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député d'Anjou.

Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Vous avez raison en ce qui a trait à la mesure d'évaluation du caractère de prédominance, puisque la loi qui a été adoptée en 1988, la loi 178, qui prévoit la prédominance pour l'affichage intérieur, il n'y a jamais eu une seule plainte parce que... allez donc mesurer ça avec votre galon, question de perception et, évidemment, d'attitude; c'est quelque chose qui va être extrêmement difficile à apprécier.

Moi, j'aimerais revenir... À la page 5 de votre mémoire, vous dites: «Plus près de nous, il faut également se rappeler la fonction pédagogique de l'affichage pour la diffusion de la terminologie: ce sont, en bonne partie, les identifications de produits et de services en français dans les établissements commerciaux et industriels au Québec qui ont, à compter des années 1970, augmenté la pénétration et l'usage de la terminologie française.»

Diriez-vous que, en introduisant le bilinguisme dans l'affichage, ça aura comme effet de faire reculer les progrès qu'on a réalisés en ces matières?

M. Guillotte: Ça, c'est difficile à apprécier dans un premier temps ou, disons, de façon catégorique, parce que, quand on se réfère à l'histoire, ici, on a introduit le français, au début des années soixante-dix; il y en avait peu ou pas. Donc, la fonction pédagogique, évidemment, a été importante. Notamment, dans les établissements industriels, une des pratiques assez couramment usitées à l'époque était tout simplement de mettre, avec des moyens très simples, genre dix mots, le nom des outils, des machines, des appareils que les gens devaient utiliser dans leur travail en français. Alors, bien sûr, la pédagogie a été importante, puisqu'elle a permis de familiariser les gens avec leur environnement de travail en français, ce qui n'était pas le cas auparavant. Donc, remettons en perspective historique l'affirmation que nous faisons ici. (21 heures)

Le fait d'introduire le bilinguisme, ça sera à apprécier. Les langues sont en concurrence, de toute façon. La gestion linguistique, ce n'est malheureusement pas une question de symétrie. Ça serait facile si c'était symétrique, mais ce n'est pas le cas. Donc, ça sera à apprécier. Il faudra apprécier deux choses: Est-ce que le fait d'avoir, disons, l'identification de produits, de biens ou de services en deux langues va affaiblir le français? Je ne suis pas équipé pour répondre à cette question-là ce soir. D'un autre côté, quand on se penchera sur l'aspect incontournable des aménagements linguistiques, il faudra bien fournir, aussi, des informations dans d'autres langues à des citoyens, puisque nous nous entendons tous, l'Opposition, le gouvernement et nous, pour dire qu'on va devoir trouver des modalités opératoires pour ne pas continuer d'interdire, là, de façon absolue.

Alors, à cet égard-là, quand on parlera d'identification de produits, il faudra peut-être penser que parmi les modalités, il y aurait lieu de songer à celles qui rejoignent les droits des individus. Et les droits des individus, ça peut être d'être informés en français, bien sûr, au point de départ, et éventuellement dans d'autres langues, sur ce qu'ils vont consommer. C'est à explorer.

Mme Blackburn: Dans un document, un rapport intitulé: «Réglementer mieux et moins», dont le comité était présidé par Reed Scowen, touchant la législation linguistique, ce que nous disait ce rapport, c'est que ça n'a pas eu les effets négatifs qu'on appréhendait et que, bien plus, ça avait préparé une main-d'oeuvre compétente et bilingue au Québec, ce qui constituait un atout. Et travailler en français, pour les personnes, pour les ouvriers, ça les avait rendus plus productifs. Ils maîtrisaient mieux les termes, mieux la technologie et le manuel d'instructions et, à cet égard, ça avait favorisé une plus grande productivité.

Vous avez parlé, tout à l'heure, de législation linguistique et économique, mais en disant qu'il y avait effectivement un coût à toute forme de législation, qu'elle soit environnementale ou autre."Est-ce que, si on

compare les avantages par rapport aux inconvénients, d'avoir une main-d'oeuvre bilingue, compétente, ou pas de législation et unilingue anglaise, parce que ça serait le cas, là...

M. Guillotte: Écoutez, Mme la députée de Chi-coutimi, moi, j'ai beaucoup de mal à disposer ou à discuter du rapport entre la langue, la productivité et l'économie — j'en ai parlé entre la langue et l'économie tout à l'heure — pour plusieurs raisons. L'école de pensée théorique voudrait que, bien entendu, les gens, les citoyens du Québec qui pourraient travailler dans leur langue maternelle seraient plus productifs au travail. Je pense que c'est certainement souhaitable, et c'est la vue de l'esprit naturel, en tout cas, qu'il faudrait avoir. Je pense aussi qu'il faut maintenir le cap là-dessus.

Mais quand on regarde, par ailleurs, l'état de la qualité de la langue, l'état des communications et le rapport à la productivité, en ce moment, dans les milieux de travail, je suis obligé de mettre de sérieuses sourdines sur ce savant objectif parce que mes données ne me permettent pas de croire que, quelle que soit la langue dans laquelle ils travaillent, en ce moment, au Québec, les ouvriers et les cadres, francophones comme anglophones, soient plus productifs pour des mobiles linguistiques. Comme on le souligne dans notre mémoire, il y a une réforme urgente touchant la maîtrise à la qualité de la langue qui, elle, pourra peut-être, une fois réalisée, avoir un impact sur la productivité.

Mme Blackburn: D'accord.

M. Guillotte: Mais dans l'état actuel des choses, c'est loin d'être sûr. Vous savez, pour un travailleur francophone, utiliser la terminologie — et ça revient aux questions que vous posiez sur l'étiquetage, tantôt, ou l'affichage — travailler en français, c'est souvent apprendre une autre langue et apprendre une autre terminologie. Alors, c'est un cercle vicieux dont nous sommes loin d'être sortis.

Mme Blackburn: Vous insistez beaucoup sur l'importance de la maîtrise de la langue maternelle, en pages 8 et 9, et vous exposez les difficultés que proposent le projet de loi en introduisant l'idée d'un «séjour temporaire à l'école anglaise des élèves du réseau francophone alors, dites-vous, que l'enseignement de la langue maternelle exige une réforme urgente et que l'enseignement de la langue seconde n'est pas faite de façon efficace et compétente».

Et vous rappelez que le véritable défi du réseau, c'est celui de la survie et de l'avancement du français comme langue de travail, et qu'il faut d'abord maîtriser le français. Vous l'illustrez par un paradoxe assez intéressant, que vous n'avez pas eu le temps de nous présenter, vous dites que les emplois futurs vont exiger des aptitudes supérieures de communication, entre autres, et que le manque de précision dans les communications, évidemment, ça se traduit par une perte de productivité, et la francisation a augmenté substantiellement l'aire d'utilisation du français. Et pendant qu'on perd la maîtrise du français, évidemment, là on recommence, un peu comme vous le disiez, et je trouve que c'est un peu beaucoup notre inquiétude.

Mais le ministre, là-dessus, nous dit: Attendez les règlements. Et, là-dessus, vous l'avez bien illustré lorsque vous parlez du flou que laissent toutes ces questions et du danger qu'on aurait, pour les entreprises en matière de langue de travail, d'une espèce de fonctionnement à deux vitesses, selon que vous vous êtes donnés beaucoup de mal à franciser votre entreprise ou ceux qui viennent s'implanter sentent les mêmes exigences et les mêmes obligations claires. Alors ça, je l'ai apprécié.

Vous dites, en page 14... J'aimerais, là-dessus, que vous me donniez un peu plus de précisions. Vous dites: «Nous aimerions, cependant, inviter le gouvernement à envisager la poursuite de l'application de la Charte de la langue française dans le cadre d'une stratégie renouvelée et cohérente. À défaut de cette réflexion politique et administrative, nous craignons que trop de décisions soient prises à la pièce et de façon arbitraire, que l'application de la législation linguistique soit vulnérable aux pressions de toutes sortes et que l'on perpétue l'éparpillement des efforts des ressources.»

Seriez-vous en train de nous dire qu'on n'est pas vraiment prêts ni mûrs pour procéder à de telles modifications et qu'il y aurait lieu de prendre un temps d'arrêt pour avoir là-dessus une réflexion plus large et aborder cette question dans une perspective plus globale?

M. Guillotte: Bien, nous ne posons pas de jugement de valeur. Nous avons une tendance au Québec, quels que soient les dossiers qu'on aborde, à regarder les choses à la pièce et non pas dans une perspective d'ensemble, que l'on parle de l'éducation, que nous avons évoquée, je pense, avec assez de précision dans notre mémoire, que l'on parle de la langue, que l'on parle de l'environnement — mais là, mon collègue, Christian, est mieux équipé que moi pour en disposer — nous avons une tendance intellectuelle — je ne sais si c'est un héritage de la formation que nous subissons depuis 20 ans — à regarder les choses à la pièce. Prenez la réforme des cégeps, alors que c'est l'ensemble de l'éducation qui doit y passer. Bon. C'est la même chose dans le dossier linguistique. Alors, on regarde l'affichage, on regarde un alinéa sur l'informatique dans l'article 141, pour taper davantage sur les entreprises alors qu'on s'occupe déjà de ce dossier-là.

Alors, pour essayer de résumer la situation, nous sommes, effectivement, dans ce dossier-là comme dans d'autres, dans une situation où — je ne renvoie le blâme à personne, je pense que c'est une structure mentale qui nous occupe au Québec — on regarde les choses isolément, à la pièce, sans regarder le fil conducteur entre elles, sans avoir de perspective d'ensemble, sans rappeler les objectifs, sans savoir quels sont les moyens qu'on

met sur ces objectifs, quels sont ensuite les délais et les ressources qu'on mettra pour y parvenir. Et ça manque, dans le dossier linguistique; ça manque, effectivement, les ressources sont éparpillées. On essaie...

Bon. Par exemple, j'en discutais avec M. Ryan tout à l'heure, abolir le titre 3, la Commission de protection de la langue française, ça se justifie dans le rationnel administratif, mais ça se justifie comment dans lef rationnel dynamique des objectifs qu'on poursuit avec les entreprises? C'est ça qu'il faut mettre ensemble. Il faut regarder les avantages, les inconvénients et la praticabilité des gestes qui sont posés et les mettre dans l'ensemble. C'est ce que nous vous disons, et il y a trois défis, pour nous, qui sont incontournables, que nous vous mentionnions, qui sont d'ailleurs des lieux communs. On les connaît tous, ces lieux communs là.

Mme Blackburn: Je vais vous rappeler ces défis: la mondialisation des échanges, la maîtrise de la langue maternelle et de la langue seconde et l'intégration en français des immigrants au marché du travail. Pensez-vous que ce dernier point pose un problème encore actuellement?

M. Guillotte: Bien, écoutez, il va en poser et il en pose, oui, c'est certain, et il va continuer d'en poser pour plusieurs raisons: Premièrement, regardez ça économiquement: le Québec a un niveau d'immigration nettement supérieur à sa capacité d'accueil économique. Ça, regardons ça, chiffres mis en place. Nous avons un niveau d'accueil, d'après les derniers chiffres que j'ai vus, qui est de l'ordre de quatre fois ce que les États-Unis, proportions gardées, évidemment, accueillent. Donc, les gens qui... Oui, ce sont des chiffres qui sont dans les études du Conseil de la langue française qui ont été publiées l'automne dernier; mais, ça, je ne veux pas en faire un élément de débat. (21 h 10)

Un immigrant s'installe ici pour gagner sa vie. Il faut donc, au point de départ, que l'incitatif soit là, c'est-à-dire qu'il y ait de l'emploi pour le recevoir. Bon. S'ajoute, dans notre contexte particulier, au Québec, le facteur de son intégration ou de son adhésion à la langue ou à la culture de la majorité. Bon. On parlait de modalités incohérentes de fonctionnement. Par exemple, l'enseignement qui est accordé dans les COFI, actuellement, s'arrête dès que les gens trouvent un emploi. Alors, le message qu'on envoie aux immigrants, c'est: apprendre le français dans le COFI, c'est une activité de chômage, parce que dès que vous avez trouvé une job, eh bien, on arrête de vous donner des cours. Ça, ce sont des choses que j'ai encore découvertes, là, au cours des derniers mois. Alors, on a une foule de messages discordants, incohérents, que nous envoyons à nos immigrants.

Je vous donne un troisième exemple, madame. Il y a trois ans environ, nous avons soumis au programme de recherche de M. Ryan concernant la francisation des entreprises un projet touchant l'intégration des immi- grants dans les grandes entreprises à la langue française, parce que les modalités d'application de la Charte de la langue française, de la francisation, sont axées sur la rivalité entre le français et l'anglais. Alors, ces gens débarquent en milieu de travail et ils sont appelés, disons, de par la loi et le discours officiel, à s'intégrer au fait français, mais la dynamique naturelle des choses, selon les milieux, là — toutes nuances devant être faites — fait que, bon, surtout dans les secteurs de haute technologie, ce qui est un phénomène naturel et normal, l'attirance, bien sûr, de la langue anglaise, s'exerce tout autant.

Alors, on n'a développé aucun discours, aucun contenu de programme, aucune approche stratégique pour aller chercher les personnes qui ne sont pas des francophones ou des anglophones, pour aller les chercher quant à l'appréciation et l'adhésion aux objectifs linguistiques du Québec. Il n'y a rien! Il n'y a rien! C'est le rapport de force entre le français et l'anglais, comme s'il y avait juste nous autres.

Mme Blackburn: Bien. C'est pourquoi vous rappelez à plusieurs reprises que le gouvernement aurait intérêt à énoncer de façon claire les objectifs de la loi et que, si on veut vraiment que ça ait un impact, il faut que tout le monde comprenne le message de la même façon. Si je comprends, et d'ailleurs vous le dites, pour certains points, ce n'est pas suffisamment clair, c'est sujet à interprétation et, qui plus est, ça laisse beaucoup de place à la réglementation. Et vous rappelez ce qu'on avait dit également, qu'il y aurait un conflit de rôles au sein de l'Office du fait qu'ils prennent à la fois la responsabilité d'être des conseillers et, ensuite, des vérificateurs.

Je ramène la question. Dans l'état actuel des choses, et compte tenu qu'il n'y a pas vraiment d'urgence, outre que celle qu'invoque le gouvernement, est-ce que vous pensez toujours qu'il serait préférable qu'on s'arrête un peu, qu'on prenne un temps d'arrêt, qu'on essaie d'examiner la question dans ses perspectives plus générales, plus globales avant de procéder?

M. Guillotte: Que ce soit maintenant ou plus tard, ce sera de toute façon nécessaire. La loi a atteint, je le disais tout à l'heure, les limites de ce qu'on pouvait faire par la coercition ou par la gestion à la pièce, et il va falloir que le discours politique et l'administration proprement dite de la loi s'adressent aux nouveaux défis avec des moyens modernes.

Nous sommes engagés dans une économie ouverte. Alors, continuer de penser que, bon, quelques gestionnaires québécois habitués aux questions linguistiques vont continuer d'appliquer la loi... Je crois qu'ils vont continuer de le faire, d'ailleurs, parce qu'ils y sont sensibles, c'est une chose, mais penser qu'en gardant le discours contingenté, n'est-ce pas, aux frontières du Québec, sans penser que nous nous adressons à des décideurs économiques ailleurs, sur le continent nord-américain, en l'absence de toute approche stratégique,

de tout discours — ça revient à ce qui a été dit, d'ailleurs, hier, devant cette commission — en l'absence de tout programme d'information — ce qui a été reproché aux gouvernements successifs du Québec depuis 15 ans — on pense que ne pas rappeler les objectifs et les moyens, et dans une vue d'ensemble... Il faudra que ce soit fait, que ce soit maintenant ou plus tard. C'est une lacune.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Guillotte.

Mme Blackburn: M. Van Houtte? Il n'a pas pris la parole.

Le Président (M. Doyon): Le temps qui est consacré à nos amis de l'Opposition étant terminé, vous me permettrez, M. Guillotte, premièrement, de vous remercier de la démonstration fort éloquente que vous avez faite, que, finalement, il est important que les coûts à l'intérieur de l'économie québécoise soient répartis équitablement, et de façon raisonnable, selon des règles qui sont bien connues.

Mais ce que retiens de cette plaidoirie que vous nous faites d'une façon fort éloquente et convaincante, c'est qu'il y a des coûts; et qui dit «coûts» dit que quelqu'un doit les payer. Dans les circonstances, le gouvernement a une responsabilité, c'est de minimiser ces coûts-là. Vous, votre préoccupation, c'est que les coûts soient répartis équitablement parmi les intermédiaires, vos partenaires, vos interlocuteurs; ça, on comprend ça parfaitement. Mais vous comprendrez aussi que le gouvernement a une responsabilité qui va au-delà de ça; qui va au-delà de ça, parce que nous, nous ne sommes pas nécessairement seulement en compétition entre nous, nous sommes en compétition avec l'Ontario, nous sommes en compétition avec la Nouvelle-Angleterre, nous sommes en compétition avec le Marché commun européen, et, dans les circonstances, nous devons minimiser ces coûts-là. Dans les circonstances, je pense que le gouvernement...

Je sais que le temps est déjà terminé et que vous ne pourrez probablement pas y répondre, mais je comprends votre préoccupation: Vous devez faire en sorte que les gens qui font partie du CLE soient traités équitablement, qu'il n'y ait pas de passe-droits, que, pour faire la bonne affaire de l'industrie de l'aluminium, on ne nuise pas à l'industrie touristique, que, pour... Bon, ça, on comprend ça. Mais vous devez, en même temps, avoir une vision — en tout cas, tenter de l'avoir — plus large, qui est celle du gouvernement, qui est une vision globale, qui est celle que... Même si vous autres, tout le monde, a un coût qui est déjà trop lourd et qu'on supporte également, ça ne règle pas notre problème. Ça ne règle pas notre problème.

Nous autres, comme gouvernement, ce qu'on a comme devoir, c'est de minimiser ces coûts-là; c'est ce qu'on tente de faire. Alors, vous nous convainquez que le gouvernement doit avoir un discours équitable, raisonnable, qui ne fait pas de passe-droits. On est complè- tement d'accord, on n'a aucun problème, le ministre s'en inspire et vous en a remerciés. Ce que moi, comme député, j'ai, comme préoccupation, c'est que les gens de mon comté, que les gens du comté de Rimouski, que les gens du comté de Richelieu, que les gens du comté de Saint-Henri et du comté de Chicoutimi, et puis je n'oublie pas le comté d'Anjou, et je pourrais tous les nommer, puissent supporter des coûts qu'on est capables de supporter. Alors, on n'a rien réglé en disant: On crève tout le monde ensemble, on crève égal! Essayons plutôt de vivre bien égal. C'est le but qu'on poursuit; c'est le but qu'on poursuit.

Alors, M. Guillotte, le temps qui m'était alloué est malheureusement terminé. J'aurais dû m'en garder plus...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Doyon): ...vous allez me dire, parce que je me sentais sur une bonne lancée. Merci beaucoup. Ha, ha, ha!

J'ajourne les travaux jusqu'à 11 h 30. J'indique à cette assemblée qu'on devait recevoir, à 21 heures — on est déjà en retard — la Communauté urbaine de Québec, qui nous a indiqué qu'ils n'étaient pas prêts à se rendre à notre invitation et qu'ils n'y seraient pas. Donc, dans les circonstances, je prends acte...

Mme Blackburn: M. le Président...

Le Président (M. Doyon): Non. Un instant, je vais terminer. Vous allez me permettre, comme président, que je puisse terminer ce que j'ai à dire.

Mme Blackburn: Je vous en prie.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, vous me gâtez.

Je vous dirai, compte tenu de l'absence de la Communauté urbaine de Québec, que je prends acte de cette absence et que, dans les circonstances, j'ajourne nos travaux jusqu'à 11 h 30, mardi matin. Merci beaucoup.

Mme Blackburn: Avant qu'on n'ajourne, M. le Président...

Le Président (M. Doyon): Oui.

Mme Blackburn: ...si vous permettez une question de courtoisie ou de respect pour les règles...

Le Président (M. Doyon): Oui.

Mme Blackburn: ...parlementaires. Vous avez dit, lorsque les organismes ne venaient pas, que c'était parce que...

Le Président (M. Doyon): Non.

Mme Blackburn: ...qui ne dit mot consent. Le Président (M. Doyon): L'ajournement... Mme Blackburn: La Communauté...

Le Président (M. Doyon): L'ajournement est fait...

Mme Blackburn: La Communauté...

Le Président (M. Doyon): L'ajournement...

Mme Blackburn: ...urbaine...

Le Président (M. Doyon): ...est terminé. Merci beaucoup, bonsoir!

(Fin de la séance à 21 h 20)

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