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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mardi 3 septembre 1996 - Vol. 35 N° 12

Consultation générale sur le projet de loi n° 40 - Loi modifiant la Charte de la langue française - ainsi que sur la proposition de politique linguistique


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants
M. Jean Garon, président
M. André Gaulin, président suppléant
M. Michel Côté, président suppléant
Mme Louise Beaudoin
M. Camille Laurin
M. Pierre-Étienne Laporte
M. Geoffrey Kelley
Mme Solange Charest
M. Michel Morin
M. Joseph Facal
M. David Payne
M. Michel Bissonnet
M. William Cusano
*Mme Nadia Assimopoulos, CLF
*M. Gérald Larose, CSN
*M. Claude Gingras, CSD
*M. Robert Légaré, idem
*M. Ivanoe Vellone, Mouvement souverainiste du Québec
*M. Gilles Rhéaume, idem
*Mme Nancy Beattie, Association des Townshippers
*Mme Marjorie Goodfellow, idem
*Mme Mireille Desroches-Palluy, Regroupement pour une Haute-Yamaska française
*M. Jean-Luc Nappert, idem
*M. Émile Roberge, idem
*M. Paul O. Trépanier, idem
*M. Jocelyn Jalette, RJSQL
*M. Simon Forget, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Garon): Comme nous avons quorum, je déclare la séance ouverte. Rappelons le mandat de la commission, qui est de poursuivre sa consultation générale et de tenir des audiences publiques sur le projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française, ainsi que sur le document de consultation intitulé «Le français, langue commune: promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec».

Est-ce qu'il y a lieu d'annoncer les remplacements, M. le secrétaire?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Facal (Fabre) remplace M. Beaumier (Champlain); M. Gauvin (Montmagny-L'Islet) remplace Mme Frulla (Marguerite-Bourgeoys) et M. Laurin (Bourget) remplace M. Morin (Dubuc).

Le Président (M. Garon): Alors, je donne lecture de l'ordre du jour pour le faire adopter: à 10 heures, Conseil de la langue française; à 11 heures, Confédération des syndicats nationaux; à midi, Centrale des syndicats démocratiques; à 13 heures, suspension; à 14 heures, Mouvement souverainiste du Québec; à 15 heures, Association des Townshippers; à 16 heures, Regroupement pour une Haute-Yamaska française; à 17 heures, suspension; à 20 heures, Rassemblement des jeunes souverainistes du Québec, section Lanaudière; à 20 h 30, M. Jean Alfred; à 21 heures, M. James Archibald; à 21 h 30, M. Michel Campbell; et ajournement à 22 heures.

Alors, est-ce que l'horaire est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Garon): Adopté. Alors, j'invite immédiatement le Conseil de la langue française à s'approcher de la table des témoins et le porte-parole à se présenter et à identifier ceux qui l'accompagnent, ceux ou celles... ceux. Vous avez une heure. Normalement, c'est une vingtaine de minutes pour votre présentation – je vous le dirai quand ça fera 20 minutes; ça ne veut pas dire que vous êtes obligé d'arrêter, vous pouvez continuer – et 20 minutes pour les députés ministériels et 20 minutes pour l'opposition officielle. Ce que vous prendrez en plus, ils l'auront en moins. Ce que vous prendrez en moins, ils pourront l'avoir en plus, s'ils veulent s'en prévaloir.


Auditions


Conseil de la langue française (CLF)

Mme Assimopoulos (Nadia): Merci. M. le Président, Mme la ministre, M. le porte-parole de l'opposition officielle, Mmes, MM. les députés, j'aimerais vous présenter, à ma gauche, le secrétaire du Conseil, Ghislain Croft, et, à ma droite, le directeur de la recherche au Conseil de la langue française, M. Pierre Georgeault.

C'est à la lumière du bilan de la situation linguistique, publié en mars dernier, que le Conseil de la langue française a étudié le document de consultation sur la politique linguistique préparé par le gouvernement. Le Conseil a retenu du bilan les enseignements suivants: il est toujours légitime d'avoir aujourd'hui un plan d'aménagement linguistique; il faut maintenir les dispositions générales de la Charte de la langue française; il faut réaffirmer les droits linguistiques fondamentaux inscrits dans la Charte de la langue française. Les succès obtenus par voie législative autorisent à croire qu'il faut maintenir le cadre actuel et renforcer certains articles de la Charte de la langue française, en particulier ceux qui concernent la protection des consommateurs, mais aussi, il faut une approche nouvelle qui tienne compte des progrès réalisés et des nouvelles tendances, comme la mondialisation et l'ouverture des marchés, qui viennent modifier les conditions de la concurrence des langues au Québec.

Pour le Conseil, il faut inaugurer une nouvelle phase de l'aménagement linguistique au Québec, dont l'essentiel sera la concrétisation du statut du français comme la langue commune de tous les Québécois et de toutes les Québécoises. Dans cette nouvelle phase, il faudra insister sur le fait que la maîtrise de la langue commune est nécessaire pour exercer pleinement son rôle de citoyen, pour assurer la cohésion sociale et le bon fonctionnement de la société. Par conséquent, il faut adopter une approche inclusive montrant bien que le français est l'affaire de tous les Québécois, peu importent leur origine ou leur langue nationale. La promotion du français doit, par ailleurs, prendre appui sur le rôle moteur et catalyseur de l'administration publique; le bilan de la situation linguistique est d'ailleurs fort critique sur ce point. Or, la mobilisation de l'administration devrait avoir des effets importants sur la promotion du français. Le gouvernement du Québec dispose en effet d'un pouvoir d'achat de 1 200 000 000 $, mais celui des réseaux de la santé et des services sociaux, des commissions scolaires et des municipalités est de 10 fois supérieur. Ce pouvoir d'achat francophone, si on réussit à le mobiliser, atteindra les 14 000 000 000 $.

La nouvelle phase de l'aménagement linguistique devrait aussi accorder plus d'importance à la notion de protection du consommateur. En effet, le nouveau contexte de mondialisation et d'ouverture des marchés risque de remettre en question le respect des dispositions imposant l'usage de la langue nationale dans l'étiquetage et les modes d'emploi ainsi que dans les nouvelles technologies. Car le poids de l'anglais ne se fait pas sentir qu'au Québec, il touche l'ensemble de la planète et particulièrement les pays industrialisés. Dans ces circonstances, l'intervention du gouvernement du Québec peut se révéler très limitée, puisqu'il s'agit de phénomènes d'anglicisation qui prennent leur source hors de ses frontières et ont une envergure internationale. La défense du français doit donc se faire non seulement en concertation avec les autres pays francophones mais aussi en coordination avec les autres grandes langues nationales.

Pour assurer la réussite de cette nouvelle phase, deux conditions doivent être remplies. Premièrement, il faut se donner des obligations de résultats, de façon plus claire que ce qui apparaît dans le document de consultation.

Deuxièmement, le dynamisme de la nouvelle phase doit reposer sur une volonté gouvernementale constante et régulièrement réaffirmée. En effet, au cours de la première phase, les progrès de la francisation sont dus au rattrapage effectué dans un certain nombre de secteurs. Or, les facteurs qui ont permis ce rattrapage ont déjà cessé de jouer ou vont bientôt le faire. Dans une optique d'approche sociale et de responsabilité civique, le moteur des progrès futurs de la francisation devra donc être la réaffirmation constante de la volonté gouvernementale de concrétiser l'objectif politique de vouloir vivre en français.

Le Conseil de la langue française est d'accord avec le rôle accru que le gouvernement entend donner à l'administration publique dans la promotion du français. Le comité interministériel proposé dans le document de consultation pourra être un acteur clé dans la coordination des actions de l'administration. Dans l'esprit d'obligation de résultats qui est celui qu'il a retenu, le Conseil de la langue française propose qu'une évaluation de ce mécanisme de comité interministériel soit faite dans trois ou quatre ans; au cas où cette évaluation se révélerait négative, le Conseil verrait alors à suggérer d'autres mécanismes qui seraient accompagnés d'obligations de résultats.

Le Conseil de la langue française estime que, sur certains points, la loi 86 a envoyé un message de bilinguisation, notamment en permettant à l'administration publique d'entretenir une correspondance bilingue avec les entreprises établies au Québec. Le Conseil propose donc de modifier la loi en réimposant à l'administration l'obligation de ne correspondre qu'en français avec les entreprises établies au Québec. De plus, le Conseil suggère d'étendre cette pratique de la correspondance unilingue française aux communications avec le gouvernement fédéral et avec les gouvernements des provinces où le français a un statut officiel, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick.

Si le fragile équilibre en matière d'affichage est menacé, il faut faire attention à ce que l'arbre ne cache pas la forêt. Nous croyons en effet que le gouvernement du Québec doit être très prudent et ne pas tomber dans le piège que certains lui tendent en faisant porter le débat uniquement sur l'affichage; ce domaine demeure un des éléments de la politique linguistique. Il reste en effet beaucoup à faire, notamment sur les plans du français, langue du travail, de l'intégration des nouveaux arrivants, de la qualité du français et des nouvelles technologies.

Nous rappelons l'importance de faire du français la langue du travail. Malgré les progrès substantiels accomplis en ce domaine, le français est encore loin d'être la langue de convergence dans le milieu du travail. En effet, les francophones du secteur privé de la région montréalaise qui déclarent travailler dans les deux langues et qui ont des supérieurs ou des collègues anglophones s'adressent encore à ces derniers en anglais dans plus de 50 % des cas. Par ailleurs, l'ouverture des marchés et la mondialisation de l'information demandent de redéfinir ce que veut dire «travailler en français» dans une économie ouverte. Nous ne pouvons non plus passer sous silence la pénétration massive des nouvelles technologies, qui exerce des pressions à la réanglicisation du milieu du travail.

Par ailleurs, le Conseil est inquiet de l'évolution de la situation de l'affichage. L'automne dernier, au moment où le bilan a été dressé, la situation était satisfaisante dans la mesure où, même si le bilinguisme était désormais permis, l'unilinguisme français prédominait autant que lorsqu'il était prescrit par la loi. Les choses ont depuis évolué et il apparaît de plus en plus aujourd'hui que la place du français dans ce domaine est fragile et que son statut pourrait se modifier rapidement. Pour l'instant, le Conseil ne propose pas de modification à la loi. Il suivra de très près l'évolution de la situation et interviendra auprès du gouvernement et de l'opinion publique dès qu'il se rendra compte que la situation se dégrade de façon significative. Le Conseil procédera dans les mois qui viennent à une mise à jour de l'enquête sur l'affichage dans l'île de Montréal qu'il a menée conjointement avec l'Office de la langue française à l'automne de 1995.

(10 h 20)

En ce qui concerne donc la question de l'affichage, le Conseil se prononce pour le maintien du régime juridique actuel. Toutefois, il constate que les événements récents menacent l'équilibre fragile qui s'est établi au fil des ans. Si la place du français dans l'affichage devait se dégrader au point de nécessiter l'intervention gouvernementale, le Conseil tient à rappeler qu'il avait proposé, en 1993, une solution qui encadrait davantage que ne le fait la loi 86 la possibilité d'utiliser une autre langue que le français dans l'affichage public et la publicité commerciale. Cette possibilité était réservée essentiellement aux petits commerçants, en pratique aux personnes physiques, alors que les personnes morales, y compris les commerces franchisés, auraient eu l'obligation de se conformer à l'unilinguisme français.

Le Conseil est d'avis que, lorsqu'une loi existe, il est normal qu'elle s'accompagne de mesures de contrôle pour voir à son application. Il se prononce donc en faveur de la remise sur pied de la Commission de protection de la langue française tout en déplorant que l'évolution de la situation du français dans l'affichage rende nécessaire le recours à cette solution.

Le Conseil est aussi inquiet de la situation de l'apprentissage du français. Les résultats obtenus au sortir de l'école obligatoire ne confirment pas une véritable maîtrise du français oral et écrit. Il faut remettre la langue au coeur de l'école, car c'est à l'école que la langue commune d'une société se transmet et se forge. Depuis 1986, le Conseil de la langue française a attiré l'attention du gouvernement et de la population à plusieurs reprises sur les déficiences de l'enseignement du français. Il est heureux de constater que ses propositions portent fruit, puisque plusieurs d'entre elles ont été intégrées au dernier programme. Le Conseil croit qu'il faudrait accentuer le virage déjà pris et qui consiste à accorder plus d'importance à l'enseignement de la grammaire.

La question fort complexe du système scolaire confessionnel, débattue depuis des décennies, demeure toujours irrésolue malgré un indiscutable consensus. Cette question prend toute son acuité au regard de l'intégration des immigrants. Le système actuel est souvent vu comme un obstacle de taille au plein accueil de la diversité des options, des croyances et des cultures, comme l'ont souligné à plusieurs reprises, notamment, le Conseil supérieur de l'éducation, le Conseil scolaire de l'île de Montréal et la centrale des enseignants du Québec. L'Assemblée des évêques du Québec a explicitement donné son accord dès 1982 à l'établissement de commissions scolaires linguistiques. À date plus récente, la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal a, elle aussi, pris position dans le même sens.

Le maintien d'une structure scolaire confessionnelle aura des conséquences pour l'avenir du Québec au chapitre de l'intégration des immigrants, et plus spécifiquement de leur intégration linguistique. Le Conseil estime qu'une telle option risquerait de compartimenter le système scolaire montréalais. Les élèves non francophones pourraient vraisemblablement opter en faveur d'une désertion de la commission scolaire confessionnelle, catholique ou protestante, pour se joindre à la nouvelle commission scolaire linguistique francophone, ou à la commission scolaire anglophone s'ils y sont admissibles. Les francophones, pour leur part, pourraient se regrouper en majorité dans les commissions scolaires confessionnelles. On se retrouverait alors avec deux réseaux d'écoles publiques, des cultures séparées, des collectivités vivant en parallèle, et la forte probabilité que des groupes minoritaires exigent, au même titre que les catholiques et les protestants, leurs propres écoles confessionnelles. La volonté gouvernementale d'intégrer harmonieusement les non-francophones à une culture publique de langue française s'en trouverait contredite dans les faits, et pour les générations à venir, puisque l'école est le principal lieu de socialisation après la famille.

Le maintien de structures confessionnelles, peu importe l'endroit exact où elles se situent dans le système scolaire – la commission scolaire ou l'école – constitue un obstacle à l'intégration des immigrants. Le Conseil souscrit donc entièrement au principe de structures scolaires non confessionnelles. Cela permettra le partage des clientèles sur une base linguistique et assurera du même coup l'existence d'un réseau scolaire francophone unifié, ouvert à tous, sans distinction de religion ni d'origine ethnique. Ce sera alors privilégier une école de quartier, école tolérante susceptible de rallier la majorité des parents, milieu d'intégration à la société civile dans lequel on apprend à vivre ensemble.

À la fin de ce mémoire, le Conseil de la langue française tient à rappeler deux conditions qui lui paraissent essentielles au succès de la nouvelle phase de l'aménagement linguistique. Le dynamisme de cette nouvelle phase doit reposer sur une volonté gouvernementale constante et régulièrement réaffirmée; en particulier, le discours gouvernemental doit être cohérent et soutenu. Enfin, il faut se donner des obligations de résultats de façon plus claire que ce qui apparaît dans le document de consultation. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. Bonjour, Mme Assimopoulos, M. Croft, M. Georgeault. Je veux aussi saluer les membres du conseil d'administration du Conseil de la langue française qui sont présents ici aujourd'hui: Mme Ceballos, M. Prujiner, M. Koutchougoura, M. Légaré.

Alors, merci beaucoup pour votre mémoire. Vous en avez fait un très court résumé, parce que c'est un long mémoire, extrêmement complet, qui englobe l'ensemble de la problématique, et que j'ai trouvé fort pertinent et fort intéressant.

Je voudrais, moi, d'abord, vous questionner sur une chose que je retrouve en page 29 de votre rapport et qui m'a beaucoup troublée. J'avais entendu ces chiffres, mais j'aimerais que vous élaboriez un peu, quand vous dites... À propos des groupes d'alphabétisation à l'intention de la population allophone, vous dites, dans le troisième paragraphe, donc, de la page 29: «Un phénomène particulier préoccupe le Conseil et l'incite à attirer l'attention du gouvernement sur une pratique qui peut aller à l'encontre de ses objectifs d'intégration linguistique. On observe qu'une proportion importante d'allophones, entre 40 % et 50 % – des adultes, dans un premier temps, si je comprends bien – s'alphabétisent en anglais plutôt qu'en français. Ce sont plus souvent des immigrants qui ne connaissent, à l'arrivée, ni le français ni l'anglais et pour qui le choix stratégique semble être l'anglais. Ce mouvement touche également plusieurs jeunes, pour qui l'intégration dans le système scolaire francophone s'est révélé un échec.» Donc, ils doivent aller, je présume, à l'éducation des adultes, à partir de ce moment-là.

Alors, vous dites: «Le choix du français ou de l'anglais semble influencé par plusieurs facteurs, dont la situation économique, le quartier de résidence, la langue d'origine.» Et vous dites: «Certaines pratiques administratives également – dans le paragraphe suivant – qui témoignent d'une forme de laxisme institutionnel quant à l'anglicisation des nouveaux arrivants semblent provoquer cette situation.»

Et dans l'autre paragraphe: «L'existence de services subventionnés en alphabétisation, offerts en français ou en anglais, au choix du client, ne cadre guère avec l'objectif déclaré de franciser les immigrants.»

Je dois vous dire que je suis en effet 100 % d'accord avec cet énoncé, avec ce que vous dites. Je voudrais savoir comment ça se fait, ça.

Une voix: Offerts par qui?

Mme Beaudoin: Oui. Comment se fait-il que nous en soyons arrivés là? Quels sont les mécanismes? Bon, parce que c'est quelque chose, quand même, d'étonnant et de surprenant que... je présume, c'est dans les commissions scolaires que ça se fait. En tout cas, expliquez-moi un peu mieux puis comment on arrive à ce résultat, qui m'inquiète, moi aussi, beaucoup, et qu'est-ce qu'il faudrait faire pour éviter cette situation. Parce que j'estime, je présume que, quand on arrive au Danemark et que l'on est Turc, eh bien, l'on apprend le danois, et que, quand on arrive en Suède et que l'on est asiatique, eh bien, spontanément, je veux dire, on n'a pas le choix, il n'y a pas ce choix qui est offert de s'angliciser ou de se suédiser.

Alors, c'est quelque chose... Parce que, qu'il y ait à la minorité anglophone – on est 100 % d'accord, je veux dire, on l'a écrit, on l'a explicité; on essaie de faire croire le contraire à certaines occasions, mais c'est faux... que toutes les garanties, donc, à la minorité anglophone sont là, sont sur la table. On les retrouvait, on les retrouve depuis toujours. On n'a jamais même fait comme au Canada anglais, avec des expressions comme «si le nombre le justifie», ou que sais-je, concernant les écoles. Je veux dire, c'est évident que tous les anglophones qui ont droit à l'école anglaise peuvent y aller, puis ils se rendent à l'école anglaise. Ils constituent à peu près, d'ailleurs, d'après les chiffres, 10 % de la population du Québec, puis il y a 10 %, grosso modo, des élèves du primaire et du secondaire qui sont à l'école anglaise actuellement.

(10 h 30)

En ce qui concerne les immigrants, j'aimerais savoir comment on en est arrivé à cette situation-là et de quels immigrants s'agit-il.

Mme Assimopoulos (Nadia): Bien, écoutez, Mme la ministre, je pense qu'il faut quand même expliquer ce phénomène selon l'évolution historique. Je pense que les immigrants viennent dans un pays qui est officiellement bilingue, le Canada, et même quand ils s'installent au Québec... Il y a 30 ans à peu près, les COFI, quand ils ont été implantés, ils ont commencé à demander aux immigrants, pour ceux qui sont analphabètes dans une ou l'autre des deux langues officielles – je m'entends, ils ne sont peut-être pas analphabètes dans leur langue d'origine... Mais, pour une des langues du pays, du Canada, où ils venaient, l'anglais ou le français, il y en avait un grand pourcentage d'entre eux, ceux qui n'étaient pas des professionnels, ceux qui n'étaient pas des cadres supérieurs, ceux qui n'étaient pas des gens instruits, qui avaient juste une éducation élémentaire en arrivant au Canada, forcément, le plus souvent du temps, ils étaient analphabètes soit en français soit en anglais, et la plupart du temps dans les deux langues.

Quand les COFI ont été implantés, on a commencé à donner le choix à ces immigrants-là de faire l'apprentissage de la langue dans la langue de leur choix. Et ça a expliqué qu'il y a eu une tendance qui s'est instaurée. Puis, effectivement, à l'époque, compte tenu de l'importance de l'anglais et de la domination de l'anglais dans les milieux de travail et dans les secteurs de l'économie en général, c'est bien normal que les immigrants analphabètes, quand ils apprenaient une langue en arrivant ici, au Québec, ils optaient en majorité pour l'apprentissage de l'anglais.

Ceci dit, c'est là où on juge que ce n'est pas tout à fait normal, depuis la Charte de la langue française, depuis, donc, la Loi 101, depuis que le français est... et même avant la Charte, depuis que le français est la langue officielle du Québec. C'est tout de même une anomalie qu'il va falloir corriger. Et d'où le sens de notre intervention au mémoire que nous vous avons soumis aujourd'hui. Merci.

Mme Beaudoin: Juste en terminant, rapidement. Mais les COFI, qui dépendent, donc, du ministère des Relations avec les citoyens, dorénavant, mais depuis assez longtemps, donc, du ministère de l'Immigration, ne donnent plus de cours au choix. Non. Je vois M. Georgeault...

Mme Assimopoulos (Nadia): Ils ne donnent plus de cours au choix récemment, mais, dans les commissions scolaires...

Mme Beaudoin: Ah!

Mme Assimopoulos (Nadia): ...la tradition était établie. Et c'est pour ça que nous disons qu'il faut quand même un discours cohérent, hein, et soutenu, et réaffirmer et faire en sorte que les secteurs public et parapublic aient un discours qui est coordonné et qui se tient.

Mme Beaudoin: Dites-moi, est-ce que ce sont des fonds, pour ces commissions scolaires – parce que j'entends bien que ce ne sont pas les COFI qui offrent ces cours-là mais bien les commissions scolaires – est-ce que ce sont des fonds fédéraux qui sont, comme on dit «earmarked», comme on dit en français, ou est-ce que ce sont des fonds québécois des commissions scolaires, donc du ministère de l'Éducation, je présume, là? Est-ce que quelqu'un peut répondre à cette question très précise?

Mme Assimopoulos (Nadia): Oui. Si je ne m'abuse, il s'agit effectivement de fonds du ministère de l'Éducation.

Mme Beaudoin: Merci.

Le Président (M. Garon): Je vous ferais remarquer, pour votre information, qu'une enquête avait été déclenchée sur l'éducation des adultes en janvier; les rapports doivent avoir été remis à la fin de juin. Parce qu'il y en a plusieurs qui disaient qu'il y avait beaucoup de faux noms dans l'éducation aux adultes. Sauf que les résultats de l'enquête n'ont pas encore été rendus publics.

Mme Beaudoin: Merci. Merci.

M. Laurin: M. le Président, pour ma part, j'aimerais vous poser deux questions à la suite d'un mémoire, encore une fois, très étoffé, qui couvre tous les aspects de la question. La première sur le travail, et la deuxième sur l'affichage.

Comme vous l'avez dit vous-même dans votre mémoire, la francisation des milieux de travail laisse beaucoup à désirer. La langue de communication entre patrons et employés est encore trop souvent l'anglais, alors que c'est contraire aux politiques et aux objectifs de la loi 101. Les comités de francisation sont devenus très souvent des organes décoratifs qui ne remplissent plus vraiment leur mission. Beaucoup d'entreprises fonctionnent exclusivement en anglais, dont celle de M. Galganov, qui l'a exprimé dans une émission en fin de semaine. Donc, la francisation des milieux de travail laisse beaucoup à désirer. Est-ce que vous connaissez un pays où plusieurs entreprises, 15 %, 20 %, en France, en Allemagne, en Italie, fonctionneraient exclusivement dans une langue autre que la langue nationale, la langue officielle, la langue commune? Et comment expliquez-vous alors qu'au Québec on en soit encore là? Et alors, quelles seraient les recommandations que ferait le Conseil à cet égard?

Mme Assimopoulos (Nadia): À ma connaissance, il n'y a qu'en Suède où, effectivement, on peut retrouver cette situation-là. Il n'y a pas d'autre pays au monde, à ma connaissance. Il faut peut-être vérifier, là, parce qu'on ne connaît pas toutes les situations. Ceci dit, il faut tout de même faire attention et faire le partage entre le besoin d'utiliser l'anglais comme un outil de travail, comme on peut utiliser un outil d'informatique, un logiciel, par exemple, suite à l'introduction de nouvelles technologies, etc., pour les entreprises, donc, qui sont des filiales de multinationales ou pour les entreprises qui ont à faire beaucoup avec l'étranger et qui exigent au moins de leurs cadres et de leurs professionnels qu'une part de leur travail soit faite en anglais quand ils ont affaire avec l'extérieur. La même chose peut se dire, d'ailleurs, des universités quand des professeurs assistent à des congrès internationaux.

Donc, il faut faire le partage des choses dans les situations, l'utilisation qu'on en fait parce qu'on est en contact avec un contexte de mondialisation des marchés et d'ouverture des échanges commerciaux, et compte tenu de l'introduction des nouvelles technologies et la nécessité – et c'est là où le bât blesse, au fond – quand on est en milieu du travail au Québec, parce qu'on a tout simplement des supérieurs ou des collègues anglais, de continuer à fonctionner en anglais. Et, là-dessus, les rapports montrent bien qu'il y a encore beaucoup de progrès à réaliser.

Moi, j'ai rencontré les représentants des centrales syndicales et j'ai échangé beaucoup depuis que j'ai été nommée, aussi, avec... parce que j'ai été récemment nommée, comme vous le savez, donc, il fallait que je m'en informe quand même à fond. J'ai échangé beaucoup aussi avec les organismes de la Charte pour voir quel est l'état de la situation. J'ai lu attentivement le bilan, et je trouve en effet que c'est un problème majeur que celui du fonctionnement des comités de francisation dans les entreprises. C'est pour cette raison que dans notre mémoire on propose de revoir la structure et la composition de ces comités, pour que, justement, les travailleurs et les employés d'une entreprise puissent être amenés à fonctionner en français dans la majorité du temps, surtout quand ils ont des tâches à accomplir à l'intérieur du Québec. Et, là encore, je fais le partage avec les communications que nous devons établir au niveau international avec des entreprises qui sont situées à l'extérieur du Québec et pour lesquelles, à un moment donné, ça va de soi, tout naturellement, qu'on puisse être amenés à fonctionner dans une autre langue que le français. Dans la majorité des cas, il s'agit de l'anglais, mais ça peut être aussi l'allemand ou l'espagnol, tout aussi bien.

M. Laurin: Merci. En ce qui concerne l'affichage, vous dites vous-même dans votre mémoire que la situation a évolué depuis avril, et on sait dans quel sens et à la suite de quelle campagne. Ne pensez-vous pas qu'il y a un risque que ce début de bilinguisation qu'on a constaté, particulièrement à Montréal, s'étende dans le reste du Québec? Pour la raison suivante, c'est que plusieurs grandes entreprises, comme Sears, La Baie, Zellers et Eaton, ont des succursales dans tout le Québec, et il en est de même pour des entreprises peut-être moins importantes, mais qui ont quand même des succursales, elles aussi, dans plusieurs coins du Québec. Je pense à Radio Shack, je pense à Aventure, je pense à Reitmans. Et ne pensez-vous pas que, pour ces entreprises, dont souvent, d'ailleurs, le siège social est à Toronto ou à Calgary, il est plus économique de fabriquer des affiches pour l'ensemble de leurs succursales que de faire des affiches, les unes en français, les unes en anglais, les autres bilingues, deux tiers, un tiers, pour certaines entreprises?

(10 h 40)

Est-ce qu'en raison d'économies d'échelle ou par souci tout à fait normal et logique de standardiser la fabrication des affiches on ne risque pas de voir bientôt toutes les affiches devenir uniformes à travers le Québec, quelle que soit la composition linguistique des milieux environnementaux? Même à 99 % de francophones, par exemple, on pourrait voir des affiches ou bilingues ou anglophones dans ces milieux environnementaux là.

Je sais que vous êtes préoccupés par la question, vous en avez parlé dans votre mémoire. Dès 1993, d'ailleurs, vous recommandiez au gouvernement de continuer dans la ligne de M. Ryan, c'est-à-dire de faire en sorte, par exemple, que les panneaux extérieurs soient en français uniquement, que la publicité dans les moyens de transport soit en français uniquement et qu'elle le soit aussi dans les grandes entreprises. Le gouvernement n'a pas retenu cette solution à l'époque, mais croyez-vous qu'elle pourrait être retenue si la situation se développe dans le sens qu'on peut l'imaginer, dans l'optique des questions que je vous pose? Et, si oui, est-ce que vous pensez que cette modification de la loi pourrait s'avérer incompatible avec le jugement de la Cour suprême de 1993 qui, comme on le sait, reconnaissait la valeur du français, mais qui était assez précis en ce qui concerne ses modalités? Est-ce que vous croyez aussi qu'il pourrait peut-être s'avérer incompatible avec le jugement de la commission des Nations unies qui s'est prononcée sur un sujet analogue?

Mme Assimopoulos (Nadia): Définitivement, à mon avis, il y a un risque réel pour que la bilinguisation de l'affichage soit introduite à l'échelle du Québec parce que les grandes entreprises, pour des raisons d'économies d'échelle, comme vous l'avez fort bien expliqué, risquent effectivement de commander des affiches qui ne vont pas uniquement pour un seul magasin – ça n'a pas de sens – mais qui sont donc à grande production pour l'ensemble des succursales. Donc, il y a un risque réel. C'est pour cela que nous jugeons qu'il faut suivre la situation très attentivement. Pour le moment, le Conseil de la langue française juge qu'il n'est pas urgent d'agir, qu'il faut d'abord évaluer la situation, aller sur le terrain, vérifier effectivement si cette tendance à la bilinguisation s'est intronisée partout. Si, effectivement, la situation se dégradait et que le français régressait beaucoup du paysage de l'affichage... Et il s'agit d'une question extrêmement symbolique, vous en convenez. Ce n'est pas la question de fond, l'affichage. Il y a d'autres questions, comme la langue de travail, comme on l'a dit, la qualité de la langue, l'éducation, etc., l'intégration des immigrants. Mais, tout de même, il s'agit d'une question extrêmement symbolique qui dit aux yeux de tout le monde, des visiteurs, des immigrants qui arrivent au Québec, etc., que le Québec est une société de langue française.

À partir du moment, donc, où c'est extrêmement important de façon symbolique, c'est important de suivre la situation et voir si cette situation se dégrade et si le français perd du terrain. Et, effectivement, nous, on se propose, enfin, le Conseil se propose de faire cette enquête conjointement avec l'Office de la langue française et de reproduire, avec la même méthodologie, évidemment, pour comparer des choses qui sont comparables, l'enquête que nous avons menée à l'automne 1995 dans les semaines ou les mois qui viennent.

Ceci dit, si la situation se dégradait, là, on recommande effectivement au gouvernement de revenir à nos propositions de 1993 qui réservent la liberté d'afficher dans une autre langue que le français aux personnes physiques et non pas aux personnes morales, qui devraient se conformer à l'unilinguisme français. Maintenant, il est de notre avis que cette proposition du Conseil ne va pas à l'encontre ni du jugement de la Cour suprême, ni de l'avis que la commission des Nations unies a émis, ni même de la Charte québécoise des droits de la personne. J'insiste particulièrement sur cette dernière Charte parce qu'il s'agit de la Charte que nous avons faite avant tout le monde, et qui est extrêmement progressiste, et qui nous fait honneur comme société.

Pour revenir au raisonnement qui me permet d'émettre cette opinion, je dirai tout simplement que la Cour suprême reconnaît le droit du Québec de légiférer en matière linguistique. En particulier en ce qui concerne l'affichage, elle reconnaît que le Québec a le droit d'imposer une langue, en l'occurrence le français, évidemment, donc la rendre obligatoire et la rendre prédominante.

La Cour suprême reconnaît également qu'en droit commercial on peut imposer des restrictions sans contrevenir à la Charte des droits et libertés du Canada. Le jugement qui a abouti à la loi 86, il est donc basé sur cette notion de liberté d'expression du commerçant et non sur les droits des consommateurs d'avoir des affiches dans leur langue. Et c'est une distinction extrêmement importante. La Cour considère donc que la liberté d'expression commerciale peut être davantage contrainte que la liberté d'expression des individus, d'où la nécessité de baliser. Et, là-dessus, la loi 86, à mon avis, malheureusement, n'a pas clarifié les choses. Notre proposition a donc l'avantage de tenir compte à la fois du jugement de la Cour suprême, à la fois de la Charte canadienne des droits et libertés, à la fois de l'avis de la commission des Nations unies et aussi, et plus important, à la fois de la Charte québécoise des droits de la personne.

Et je dois vous dire, là-dessus, que nous avons quand même demandé un avis juridique à M. Woehrling, qui nous a accompagnés au moment où, en 1993, le Conseil de la langue française établissait son opinion sur ces sujets. M. Woehrling doit nous émettre un avis assez bientôt, et je vous le ferai parvenir, ça me fera plaisir.

M. Laurin: Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. C'est très, très intéressant, en effet, ce que vous... Je l'ai vu dans les journaux en fin de semaine, mais cet avis, donc, du Conseil de la langue française, que j'ai ici devant moi, qui est un excellent avis, qui est un avis éclairé et qui est aussi un avis judicieux à bien des égards, j'aimerais vous en lire deux extraits tout simplement pour voir si le Conseil partage toujours ce qui est écrit page 10 et page 12. Page 10: «L'anglais a été longtemps la langue prédominante dans l'affichage public et la publicité commerciale au Québec. Le statut du français était souvent celui d'une langue de traduction – vous revenez là-dessus en effet dans votre mémoire, c'est très intéressant par rapport à la qualité de la langue, ce que vous dites – ce qui devait beaucoup favoriser, entre autres choses, ses emprunts au lexique de l'anglais et entraîner une détérioration de sa qualité [...].

«Dans une telle concurrence – je trouve que cette phrase-là est extrêmement importante – entre une langue plus faible et une langue plus forte, la première étant celle de la majorité linguistique – ce qui est en effet assez rare, je présume, dans le monde, que la langue de la majorité linguistique est la langue la plus faible – il était à prévoir qu'apparaîtrait une demande sociale visant à imposer des correctifs.»

Je pense que ça résume assez bien toute la situation de la langue française au Québec.

Et, page 12, le Conseil ajoutait: «...le Conseil considère que le véritable objectif de ces dispositions est que le "visage linguistique" du Québec contribue à modifier l'attitude psychologique des non-francophones à l'égard de la langue française, en les persuadant qu'il est nécessaire pour eux d'apprendre et d'employer cette langue.»

Alors, si je comprends bien, ce qui était vrai en 1993 et ce qui est donc... Puisque le ministre de l'époque avait posé, je pense, cinq questions, ce qui était vrai, donc, à l'époque vous semble toujours aussi pertinent, et l'avis qu'avait donné M. Woehrling et que vous venez d'expliquer – et qu'il redonnerait toujours, je présume aussi, là, trois ans plus tard – vous semble toujours exact, et le Conseil partage ce que je viens de lire, et qui était, sous l'autorité du député d'Outremont actuel, les recommandations et l'avis, donc, du Conseil de l'époque, et toujours celui du Conseil actuel? Trois ans plus tard, vous signeriez toujours la même chose?

Le Président (M. Garon): Vous pouvez répondre par oui ou par non, parce que c'est le temps de l'opposition maintenant.

(10 h 50)

Mme Assimopoulos (Nadia): Je dirais que, définitivement, nous partageons la même analyse.

Le Président (M. Garon): Alors, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, merci beaucoup. Mme Assimopoulos, Mme, MM. les membres du Conseil, chers invités. Madame, j'aurais deux questions à vous poser. Le Conseil se prononce en faveur du rétablissement de la Commission de protection de la langue française. Je dois vous dire, Mme la présidente, que l'argument du Conseil sur l'opportunité de rétablir la Commission nous paraît court, et j'irais même jusqu'à dire qu'en relisant votre mémoire pour une seconde fois là-dessus en fin de semaine, j'ai été un peu désappointé de constater que l'exercice de votre fonction réflexive à l'égard des recommandations, des décisions gouvernementales me paraissait manquer de rigueur.

D'une part, vous n'êtes pas sans savoir qu'ici, à cette commission parlementaire, Mme la présidente, et ailleurs, des doutes sérieux ont été exprimés concernant l'opportunité de rétablir la Commission de protection de la langue française. Nous avons eu des témoignages qui nous ont saisis de la possibilité que ce dispositif administratif de coercition légale renforcée pourrait poser des problèmes du point de vue de l'intérêt public, des libertés civiles. Par exemple, nous avons eu, la semaine passée, le témoignage du professeur Grey, qui nous laissait entendre que cette décision de laisser perquisitionner des commissaires sans mandat préalable, ça pouvait poser des problèmes légaux et constitutionnels spéciaux.

D'autre part, vous semblez justifier votre appui à la décision gouvernementale à partir d'une dégradation appréhendée du français. Évidemment, lors de votre exposé oral, vous avez fait certaines corrections, mais je me rappelle bien qu'à la lecture du mémoire ou du résumé du mémoire vous avez dit, vous disiez: Dès qu'il se rendra compte que l'affichage se dégrade de façon significative... Vous n'avez pas dit «s'il se rendait compte», mais «dès qu'il se rendra compte». C'est donc à dire que vous présumez, tout au long de votre démarche de réflexion, qu'il y a une dégradation du visage français et du statut des langues dans l'affichage à Montréal. Et j'ai relu votre texte là-dessus à deux reprises pour m'assurer que je vous avais bien compris.

Mes questions sont les suivantes. La première: Le Conseil s'est-il interrogé sur l'opportunité d'attribuer des pouvoirs aussi étendus à des inspecteurs et sur les conséquences possibles de le faire, du point de vue des libertés individuelles et publiques? En plus de vous soucier de formation, vous êtes-vous préoccupé du droit des gens et des dangers qui pourraient en découler par le rétablissement d'un organisme de contrôle au pouvoir plus étendu et potentiellement abusif? Donc, je conviens bien avec vous, Mme la présidente, qu'un peu de formation pourrait aider, mais il faut se faire une conception un peu naïve de la nature humaine pour penser que la formation des employés, lorsqu'on les place dans un cadre juridique aussi bizarre que celui qu'on a devant nous, pourrait prévenir tous les abus. Donc, ça, c'est ma première question: Avez-vous réfléchi à l'opportunité, avez-vous posé un jugement d'opportunité sur cette décision plutôt que de vous en tenir à dire: Il faudrait peut-être un peu de formation pour prévenir les abus? Première question.

Deuxième question. Vous êtes-vous interrogé, parce que c'est le rôle du Conseil de le faire... Mme la ministre, M. le Président, tantôt, soulignait la bonne qualité des avis que le Conseil a remis au gouvernement. Vous êtes-vous interrogé, non plus cette fois sur l'opportunité d'une décision, mais sur la possibilité d'avoir à envisager des alternatives? Par exemple, compte tenu du caractère assez provocateur du choix fait par le gouvernement, est-ce que le Conseil s'est interrogé sur l'alternative qui consisterait à confier le mandat de surveillance ou de contrôle à l'Office de la langue française, ainsi que j'ai moi-même suggéré que ça pourrait être le cas lors de mes remarques d'introduction?

Donc, il y a deux questions. La première, c'est: Avez-vous examiné l'opportunité de la décision que nous propose la ministre dans sa loi n° 40? Et la deuxième: Avez-vous examiné des solutions alternatives à cette première décision, une fois que vous en auriez évalué l'opportunité?

Et je conclus en disant qu'il me semble que le raisonnement, l'argumentaire que vous nous proposez pour justifier ou pour appuyer ou pour soutenir la décision gouvernementale me paraît tourner un peu court et que je me serais attendu, de la part du Conseil, à un travail de réflexion un peu plus précis, un peu plus pointu, sur une question qui est aussi importante, puisqu'elle, disons, compose un élément extrêmement important de la loi n° 40.

M. le Président, j'ai terminé mes deux premières questions.

Mme Assimopoulos (Nadia): Si vous permettez, M. le député, je vais répondre d'abord à votre deuxième question, parce que de la réponse à la deuxième découle réponse à la première.

Oui, effectivement... D'abord, il faut que je pose un principe. On l'a dit dans notre mémoire, il est évident qu'une loi, quand elle est votée par nos instances démocratiques, en l'occurrence l'Assemblée nationale du Québec, doit tout de même être appliquée. Donc, ça prend des mécanismes qui voient à l'application de la loi. Donc, une fois ce principe posé, il faut effectivement voir quel organisme serait le plus adéquat ou le plus en mesure d'assurer cet objectif.

On a effectivement réfléchi beaucoup sur des alternatives à la CPLF, à la Commission de protection de la langue française. Notamment dans notre mémoire, pour tout ce qui concerne l'étiquetage et les modes d'emploi, le Conseil de la langue française a proposé que ça relève plutôt de l'Office de la protection du consommateur, parce que, justement, la qualité du français qui est dans les modes d'emploi est importante quand on utilise un certain nombre d'outils ou de produits. On évite ainsi de possibles dangers à la santé et sécurité des travailleurs et du public en général. Donc, oui, effectivement, nous avons réfléchi sur les alternatives. Notre réponse est: Accorder le volet qui concerne l'étiquetage et les modes d'emploi à l'Office de la protection du consommateur, qui est plus habilité que la Commission de protection de la langue française, qui vérifie juste la présence, l'importance et la prédominance du français; il est donc plus habilité à répondre sur ces questions-là et à en juger de façon compétente.

Deuxièmement, en ce qui concerne vraiment la situation dans l'affichage, on a longuement évalué la possibilité de laisser l'Office de la langue française continuer à s'occuper de cette question, comme il le fait depuis que la CPLF a été abolie, il y a trois ans. Et nous avons rejeté cette solution pour la raison suivante. L'Office de la langue française a un mandat fort important au sujet de la francisation des entreprises. Il s'agit d'un domaine extrêmement important pour le Conseil de la langue française, et nous avons déjà constaté qu'il y a beaucoup de lacunes dans ce domaine. L'Office de la langue française a une mission première, à notre avis, qui est celle de voir à ce que, dans la vie publique commune, le français avance. Si, en plus, on lui donne la question de l'affichage, il se trouve à diverger un petit peu, à diluer un peu ses responsabilités. Et nous avons jugé qu'il est préférable de ne pas laisser à l'Office de la langue française de s'occuper de ces questions-là.

(11 heures)

Donc, c'était une commission... Le gouvernement a choisi la Commission de protection de la langue française. Nous sommes bien d'accord avec ça, compte tenu de ce qui précède.

Ceci dit, en ce qui concerne votre première question, effectivement, nous avons réfléchi. Vous n'êtes pas le seul, M. le député, à vous inquiéter de ce qui se passe dans les journaux. Le Conseil s'est inquiété longuement. Le Conseil, entre autres, il a des universitaires, il a des représentants des entreprises, il a des représentants des communautés ethniques et il a des représentants des milieux syndicaux. Il est formé, donc, par des gens qui sont représentatifs de leur milieu et qui sont quand même compétents. Nous avons donc jugé – s'il y a une formation adéquate, c'est la première précaution que nous prenons, et c'est pour ça que nous faisons cette recommandation dans notre mémoire – qu'il n'y a pas de raison, au moment où on se parle, de s'inquiéter quant à un éventuel abus de la part des commissaires qui font partie de la Commission de la protection de la langue française. Bien, si effectivement nous nous apercevons qu'il y a des abus, là on va revenir, mais les abus auraient pu provenir aussi bien des employés, qu'ils soient à l'Office de la protection du consommateur ou qu'ils soient à la Commission de protection de la langue française. Si les gens ont une formation adéquate, s'il y a des balises claires et précises sur ce qu'il faut vérifier et puis sur quel type de rapports il faut faire, il n'y a pas de raison de présumer que ces gens-là vont procéder à des abus de pouvoir.

M. Laporte: M. le Président, si vous me permettez, bien sûr que l'opposition aurait des réserves presque irréductibles à ce qu'on applique tels quels les articles sur la Commission, dans l'éventualité d'une décision de loger ces pouvoirs de contrôle et de surveillance à l'Office de la langue française. Écoutez, Mme la présidente du Conseil nous dit que les gens y ont réfléchi et qu'ils n'ont pas motif à s'inquiéter, à trouver qu'il pourrait y avoir des abus. Moi, je ne peux que vous recommander de... Évidemment, ici, c'est une question de pronostic, mais on a eu des témoignages tout de même assez forts là-dessus. Je pense qu'il y aurait peut-être...

Je répète ma question de tantôt. J'étais en train de relire votre texte. Je trouve que, vraiment, à la page 34, lorsque vous dites: «En effet, le Conseil de la langue française tient à souligner qu'il est essentiel, à l'heure actuelle, de donner le signal très clair d'une volonté ferme de faire appliquer la loi» et que vous continuez: «...le Conseil de la langue française suggère que l'on prenne un soin particulier dans la formation de son personnel pour s'assurer qu'il saura faire preuve de souplesse, de jugement et de doigté dans le traitement des plaintes», eh bien, ça me paraît... C'est ce que je disais tantôt, c'est-à-dire que c'est de la formation professionnelle, mais de la formation professionnelle dans un cadre juridique sur lequel vous ne semblez pas avoir réfléchi, sinon en me disant, comme vous venez de me le dire maintenant, que vous avez trouvé que ça ne posait pas de problème. Mais il n'y a pas de réflexion dans votre mémoire là-dessus, donc vous avez présumément conclu que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes en ce qui concerne l'article 168.

Mme Assimopoulos (Nadia): Puis-je vous...

M. Laporte: Vous êtes un peu exceptionnels en pensant ça.

Mme Assimopoulos (Nadia): Ha, ha, ha!

M. Laporte: Il y a des gens qui sont venus ici et qui nous ont dit tout à fait le contraire.

Mme Assimopoulos (Nadia): Bien, écoutez, il est tout à fait légitime, effectivement, que, dans une société démocratique, on soit attentif à ce genre de question, et je pense que M. Grey a parfaitement raison quand il commence à poser des questions de fond comme ça.

Nous, au Conseil, on croit qu'avec la formation du personnel, effectivement, il y a lieu d'éviter des abus. Ceci dit, la Commission de protection de la langue française existait quand même depuis quelques années, depuis plusieurs années, plus d'une décennie, au moment où elle a été abolie. Ça fait à peine trois ans qu'elle a été abolie. Est-ce que – pas à ma connaissance, en tout cas – vous aviez raison de croire, pendant que vous étiez président du Conseil de la langue française, mon prédécesseur pendant cinq années, ou quelque chose comme ça, est-ce que vous aviez lieu de croire qu'elle avait abusé de ses fonctions?

M. Laporte: M. le Président, pour répondre à cette question-là, il faudrait peut-être que je sois un peu indiscret. J'ai été moi-même président de la Commission de protection de la langue française...

Mme Assimopoulos (Nadia): À plus forte raison, donc, écoutez... Ha, ha, ha!

M. Laporte: ...à l'époque, et il existe des témoignages écrits, on en a cité l'autre jour, à l'effet que... Évidemment, on est toujours dans le domaine de la perception sociale, mais ce qu'il faut absolument noter, Mme la présidente, c'est que la Commission de protection de la langue française que j'ai présidée n'avait pas les pouvoirs qu'on est en train d'attribuer à la nouvelle Commission de protection de la langue française. Nous n'avions pas, à ce moment-là, un pouvoir d'initiative qui pouvait amener les commissaires à agir sans passer par la plainte, par exemple. Donc, il y a un pouvoir, il y a des pouvoirs, il y a des autorités qui sont conférés à ce corps, à cette organisation dans la loi n° 40 et qui sont – comment les qualifierais-je, M. le Président – qui ont plus de dents, plus de mordant, plus de capacité d'action que c'était le cas à l'époque, sous l'ancienne Commission, et c'est de ce point de vue là que je pense qu'on peut être justifié de s'interroger non seulement sur le rétablissement de cet organisme administratif, mais sur la décision qu'on prend de lui attribuer des pouvoirs de coercition légale accrus.

Et je constate malheureusement avec tristesse qu'il n'y a pas de réflexion critique sur cette question-là dans le mémoire du Conseil, le Conseil ayant comme priorité de nous aider à faire des évaluations sur des questions délicates comme celle-là. Donc, ma question m'apparaît toujours pertinente, M. le Président, et je considère toujours qu'on n'y a pas répondu à ma satisfaction. Mais, enfin, notre temps se...

Mme Assimopoulos (Nadia): M. le Président, si vous permettez, M. le porte-parole de l'opposition officielle, j'avoue que je ne comprends pas entièrement, parce que l'Office de la protection du consommateur possède déjà le genre de pouvoir que vous mentionnez, le pouvoir de saisie, par exemple, si je ne m'abuse. Donc, je ne vois pas pourquoi il y a lieu de croire que la Commission de protection de la langue française, à laquelle on attribue le même type de pouvoir qu'on a déjà attribué à l'Office de la protection du consommateur, pourrait agir. Ce serait présumer fortement, il me semble, de la mauvaise foi et puis de l'incompétence professionnelle des gens qui vont être appelés à faire partie d'une telle commission. Ce serait vraiment présumer de leur qualité de professionnel que de penser qu'ils vont abuser de ce pouvoir qui leur est conféré.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Vous avez discuté l'arrêt Ford dans votre exposé et dans l'échange avec la ministre, et, de mémoire, je pense, quatre des cinq entreprises dans ça étaient des personnes morales et non des personnes physiques. Alors, la distinction que le professeur Woehrling a essayé de faire à l'époque, en 1993, n'était pas basée sur les faits, dans la décision de la Cour suprême, parce que, comme j'ai dit, quatre des cinq compagnies, de mémoire, étaient des personnes morales.

À l'époque, le ministre a regardé cet avis du professeur Woehrling, et on a trouvé beaucoup de problèmes d'application, parce que, prenons le monde des dépanneurs, il y a souvent des dépanneurs qui sont propriétaires de leur compagnie, alors Provi-Soir, par exemple, est propriétaire d'un certain pourcentage de ses dépanneurs, il y en a d'autres qui sont des franchises avec un propriétaire unique, il y a d'autres dépanneurs qui sont à plusieurs propriétaires qui se forment une compagnie pour être propriétaires d'un dépanneur, alors nous avons vite perçu que c'était l'avis du ministère de la Justice à l'époque et que l'avis de M. Woehrling était inapplicable parce que ça créerait un régime fort différent dans juste le domaine des dépanneurs, par exemple.

Alors, est-ce que le Conseil a regardé les difficultés d'appliquer, et aussi, dans la décision de la Cour suprême, est-ce qu'il a regardé les personnes morales, les décisions qu'ils ont mises, à savoir que c'est la prohibition, que, les langues autres que le français, on ne peut pas justifier ça dans une société libre et démocratique? Comment est-ce que le Conseil réagit aux difficultés d'application, à la distinction que le professeur Woehrling a mise dans son avis il y a trois ans?

Mme Assimopoulos (Nadia): C'est une question fort juste, et ça me fait plaisir de vous répondre – ha, ha, ha! – qu'effectivement on y a pensé, à cette question-là, et c'est pour cela qu'on accompagne notre recommandation d'une demande, de l'intention, de l'annonce de l'intention – en tout cas – de mener une étude juridique qui va en profondeur pour effectivement pallier à ce genre de difficulté là.

(11 h 10)

Je voudrais ajouter que, justement, quand vous utilisez des exemples comme les dépanneurs, ou même des petits commerçants, ou un comptable qui, pour des raisons fiscales, s'est enregistré comme une compagnie – les ingénieurs, ils sont dans le même cas, un grand nombre de professionnels sont dans le même cas – effectivement, il n'est pas dans l'intention du Conseil d'étendre la définition de la personne morale à ce genre d'écart là. C'est pour ça que nous allons commander et mener une étude juridique sur la question dans les mois qui viennent, effectivement. En même temps, on a demandé M. Woehrling de mettre à jour son analyse de la situation juridique et de nous remettre son rapport, et je l'attends incessamment, dans les jours qui viennent.

La préoccupation du Conseil, je devrais ajouter, découle aussi du fait que nous ne voulons pas abuser des définitions qui sont strictement fiscales et légalistes, mais nous prenons une définition qui est relativement assez large, personne physique, personne morale. Et, une fois que l'étude juridique sera menée, là on verra effectivement quel type de recommandations beaucoup plus précises pour l'application de la loi va être fait.

Ceci dit, la recommandation du Conseil découle aussi de l'esprit, de la philosophie suivante: un commerçant, c'est normal, il s'insère dans un milieu social qui lui est environnant. Il a le droit de s'exprimer dans sa langue dans son quartier, dans un souci d'intégration dans sa communauté locale. Et c'est cette philosophie-là qui a guidé le Conseil dans l'analyse de la situation et dans ses recommandations.

Le Président (M. Garon): M. le député Laporte, il reste deux minutes et demie à l'opposition.

M. Laporte: Juste pour deux observations, M. le Président, si vous me permettez. D'abord, on peut s'indigner sur les décisions que peuvent prendre les commissions scolaires d'alphabétiser en anglais. Écoutez, dans mon comté, j'ai des concitoyens chinois. Je fréquente la communauté chinoise un peu plus particulièrement pour toutes sortes de raisons personnelles, mais j'en ai rencontré, j'en rencontre, j'en ai rencontré encore il y a une dizaine de jours, de ces gens qui sont des immigrants venus de Hong-kong ou venus de la partie sud de la Chine et qui sont effectivement des analphabètes, mais dont la seule langue des deux langues du Canada et des deux langues les plus courantes au Québec, l'anglais et le français, la seule langue qu'ils maîtrisent, disons, modestement, c'est l'anglais. Alors, je peux comprendre que, pour des raisons pratiques, on prenne des décisions comme celle-là.

L'autre observation, si vous me permettez, que j'aimerais faire à l'adresse du Conseil de la langue française – parce que je ne voudrais pas qu'on en fasse un mythe – c'est que vous avez mentionné, et c'est parfaitement vrai, l'observation voulant que la langue utilisée dans les échanges avec des supérieurs, des collègues et des subordonnés anglophones par des employés francophones a toujours tendance à être plus souvent l'anglais que le français. J'en conviens, vos indicateurs linguistiques l'ont montré; c'était beaucoup plus fort que ça à la commission Gendron, ça a perdu de son importance depuis. Mais je voudrais vous faire remarquer que ça devrait être un des objectifs du Conseil, dans ses prochains sondages, d'essayer de nous faire comprendre pourquoi il en est ainsi.

Moi, je vais vous soumettre une hypothèse: c'est que ce n'est pas nécessairement la symbolisation d'un rapport de subordination, mais que ça découle largement de ce que les sociolinguistes appellent le sujet, le «topic», c'est-à-dire le manque de connaissance qu'on peut avoir, par exemple, de la terminologie technique lorsqu'on communique ensemble. Et, puisque la terminologie technique anglaise est souvent mieux connue que la française, bien, on a tendance, dans ses conversations, à utiliser plus fréquemment l'anglais que le français. J'ai déjà recommandé à l'Université McGill, par exemple, de mettre l'accent sur l'enseignement de la terminologie technique française précisément pour essayer d'éliminer cette situation que je trouverais souhaitable de corriger.

Mais je ne voudrais pas qu'on... Enfin, c'est une observation un peu technique. Cette observation revient continuellement, continuellement, continuellement, comme si on était encore dans une société colonisée. Je voudrais vous faire remarquer, M. le Président, que, en plus de la colonisation qu'il nous resterait, il y a certainement ce petit problème technique que les terminologies techniques sont encore trop peu enseignées, trop peu connues, ce qui fait que, dans nos entreprises, lorsque des gens communiquent entre eux et qu'ils communiquent sur des sujets techniques, ils auront tendance à utiliser l'anglais parce que le sujet s'y prête bien puis l'instrumentation langagière le renforce. Je recommanderais donc au Conseil de la langue française de nous éclairer là-dessus, et peut-être...

Le Président (M. Garon): Mais le temps est écoulé.

M. Laporte: ...de nous faire des suggestions. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Le temps étant écoulé, je remercie les représentants du Conseil de la langue française de leur collaboration à la consultation demandée par le gouvernement et j'invite maintenant les représentants de la Confédération des syndicats nationaux à s'approcher de la table des témoins. Il y a une heure qui leur est dévolue. Ça veut dire, normalement, une vingtaine de minutes pour leur exposé, ensuite, le même montant pour les ministériels et le même montant pour les libéraux.

J'invite le porte-parole de la Confédération des syndicats nationaux à se présenter, à présenter les gens qui l'accompagnent et à commencer son allocution.

(Consultation)


Confédération des syndicats nationaux (CSN)

M. Larose (Gérald): Merci, M. le Président. Je vous présente, à ma gauche, Michel Rioux, du Service de l'information de la CSN, et qui, depuis de nombreuses années, est affecté au dossier de la langue, et je vous présente Pierre Bonnet, qui est du Service d'appui aux mobilisations de la Confédération et qui est également affecté au dossier de la question nationale. En vous remerciant de nous avoir invités, je voudrais vous exposer très brièvement et si possible très clairement la position de notre organisation. Je n'ai pas à rappeler l'histoire de la CSN, qui est une histoire qui traduit à sa manière la volonté du peuple québécois, plus particulièrement des travailleurs et des travailleuses, de s'assumer pleinement au Québec.

On va constater que nous sommes dans une conjoncture difficile. Ce n'était pas notre choix de débattre de cette question, mais, puisqu'on nous sollicite, nous y contribuerons. Le climat est effectivement tendu. Beaucoup de personnes jouent avec nos nerfs. En fait, nous voilà replongés dans nos contradictions et exposés dans nos vulnérabilités, comme à chaque fois qu'un pacte est rompu, et c'est la situation que nous vivons. Le dernier pacte, celui de la loi 86, nous a été vendu par M. Ryan, M. Bourassa; même M. Dufour, du grand patronat, y a apporté sa contribution comme étant seulement une opération pour se conformer et se mettre à l'abri des tribunaux. Mais, dans la vraie vie, rien n'allait changer.

Ils nous ont trompés. Ils ont farci la société, puisque maintenant voilà ce beau monde ou ses acolytes réclamant l'application de la loi 86. Stéphane B. Dion dit que c'est là une grande loi canadienne; Jean Chrétien se surprend qu'on résiste à appliquer une loi qui protège les minorités. Mais les chevaliers sur le terrain nous indiquent que, là où ils veulent aller, ce n'est pas l'application de la loi 86, c'est le libre choix. En fait, il faut constater que c'est une pièce d'artillerie du plan B qui accompagne les appels à peine voilés à la grève du capital du premier ministre Chrétien la semaine dernière, qui accompagne également les opérations insidieuses et permanentes pour salir la réputation du Québec. Alors, devant cette situation, que faire? Céder? Enrager? Se défendre? Passer à l'offensive? Nous pensons qu'il faut prendre le problème par le bon bout, c'est-à-dire par le gros bout.

(11 h 20)

La langue est un élément central, un noyau dur, un lieu et un lien de tous les équilibres. La loi 101 rentrant dans sa vingtième année, nous estimons qu'il est peut-être important de faire le bilan social et politique, qu'il nous faut peut-être constater que, après 20 ans, on est dans un nouveau contexte économique, technologique, social, politique et que, depuis 20 ans, il y a eu plusieurs pactes successifs sur la langue, les uns ayant rompu après les autres. Donc, il nous faudrait peut-être rouvrir le débat, et c'est le sens de notre proposition en demandant la mise en place d'une commission nationale majoritairement composée de la société civile pour enquêter et élaborer des propositions qui pourront prendre la forme d'une législation et pour le faire à partir d'une réaffirmation législative claire disant que la langue française est la seule langue officielle et qu'elle doit devenir la langue commune et la langue de travail de tous les Québécois et de toutes les Québécoises.

Nous partirions volontiers des principes produits dans l'énoncé de politique qui indique que la langue française est au coeur de l'identité, que c'est le fondement de la cohésion de la société, que l'apport des minorités, c'est une richesse et un avantage pour notre société, que la connaissance d'une autre langue est un enrichissement personnel et social et qu'une approche législative doit être complétée par une approche sociale et aussi avec une dimension de concertation internationale. Nous ajouterions à ça ce que l'Assemblée nationale elle-même a voté et que la CSN défend depuis nombre d'années: la reconnaissance du statut national des 11 nations autochtones et la responsabilité du Québec de s'assurer du développement culturel, social et économique de ces nations. Et on rajouterait également la reconnaissance des droits spécifiques de la minorité anglophone dans la maîtrise qu'elle a de ses écoles de la maternelle jusqu'à l'université, également dans son droit de s'exprimer devant les cours de justice en anglais, d'être justiciée en anglais – et la même chose au niveau de l'Assemblée nationale, d'ailleurs – qui sont des droits historiques et qui n'ont aucune équivalence dans le reste du Canada.

Bref, on souhaiterait que le vingtième anniversaire de la loi 101 soit une occasion de rouvrir le débat non pas sur la direction, mais sur les modalités à mettre en place pour reconstruire et souder un pacte linguistique. Il s'agit, comme proposition, de refermer de façon définitive la parenthèse Ryan en abrogeant la loi 86 et de faire en sorte que la société puisse renouer avec un débat beaucoup plus large.

Le deuxième élément de notre proposition, c'est de surseoir à la remise en place de la Commission de protection. En soi, on n'a pas de difficultés avec les mécanismes d'application. Il n'y a pas de loi moins légale que d'autres, et il est tout à fait normal qu'on ait des dispositifs d'application. Mais, lorsque le principal instrument d'application est un ruban à mesurer, ça nous pose des difficultés. C'est proprement humiliant, ridicule, honteux, risible, et ça disqualifie à la fois la cause et ceux et celles qui la portent que d'être en train de promouvoir ce qui est un élément essentiel de la cohésion sociale, de promouvoir la langue de la majorité avec un ruban à mesurer. C'est toute l'énormité de la production Ryan dans la loi 86, à savoir de nous rendre ridicules. S'il vous plaît, cessons ce cirque, la langue est une question beaucoup trop importante pour qu'on soit ridiculisés au point qu'on doive se promener dans Montréal pour savoir si on nous respecte ou pas, et cela, en mesurant avec un ruban. La loi 101 nous grandissait, elle nous faisait nous respecter, elle nous faisait choisir; la loi 86 nous abaisse, nous avilit, nous rend ridicules. Bref, notre proposition vise à changer la donne, à changer le terrain, à changer la dynamique, à repositionner la question de la langue dans sa dimension sociale, dans sa dimension politique.

Y a-t-il un risque dans cette proposition qu'il y ait davantage de bilinguisation et d'anglicisation? Oui, il y a un risque, mais nous affirmons qu'avec l'application de la loi 86 ce n'est pas un risque, c'est une certitude, d'autant plus que, si on s'avisait de l'appliquer avec muscle, on pense qu'on viendrait compléter un cycle infernal. À notre avis, oui, il y a un risque, mais il interpelle toute la société québécoise et au premier chef la communauté anglophone.

Je termine par trois mots sur la langue du travail, l'immigration et l'administration. Nos enquêtes nous indiquent que le français dans les entreprises, depuis 20 ans, s'est amélioré. Par ailleurs, l'introduction des nouvelles technologies met en péril et fait régresser des endroits où nous avions progressé. Les certificats de francisation sont un peu reçus comme étant une francisation terminée, alors qu'à notre avis c'est un processus permanent. Nous indiquons aussi que les comités existants dans les milieux de travail exercent peu d'attrait et que, s'il y a une façon de s'assurer d'une francisation permanente des lieux de travail, c'est davantage en procédant par des approches directement liées à l'exercice du travail.

Sur l'immigration, nous voulons témoigner d'expériences concrètes que nous avons faites comme organisation syndicale en s'intéressant à la francisation dans les entreprises par une formation professionnelle en français, et ça donne des résultats exceptionnels.

Notre troisième point, sur l'administration. On voudrait exprimer notre désarroi quand, en 1994, on constate encore que seulement le tiers des ministères et organismes gouvernementaux a une politique ayant trait à la langue, alors que, depuis 1977, il y a des dispositions qui obligent toute l'administration publique à avoir une politique à ce chapitre. C'est dire que deux tiers des administrations lancent le message que le français, c'est un choix linguistique parmi d'autres. On estime qu'il y a là une responsabilité gouvernementale à voir les choses être changées le plus rapidement possible.

(11 h 30)

Conclusion. Nous souhaiterions qu'il y ait également une proposition formulée par le gouvernement qui verrait à la mise en place d'une commission québéco-canadienne sur le respect des droits des minorités dans ce pays, sur la préservation de leurs institutions et sur la promotion de leur culture visant essentiellement les communautés franco-canadiennes, acadienne et anglaise du Québec. On estime qu'une commission avec des pouvoirs d'initiative et d'enquête publique pouvant révéler les situations de l'ensemble des minorités de ce pays pourrait fort bien servir les intérêts de l'ensemble des minorités et, effectivement, restaurer un peu la crédibilité du Québec dans le respect et la promotion de sa propre minorité.

Bref, Mme la ministre, notre contribution vise à se mettre à l'abri du fédéralisme canadien, particulièrement dans sa récente version coloniale qui vise à nier le caractère national du peuple québécois, qui vise à nier son droit à l'autodétermination et qui vise même à nier son droit démocratique à s'exprimer sur son propre avenir. Nous estimons qu'il nous faut redresser l'échine, repasser à l'offensive en étant non pas outrancier dans l'application, mais tolérant, mais en faisant en sorte qu'on puisse débattre des essentiels et non pas se faire flouer dans les accessoires. Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui, bonjour, M. Larose, M. Rioux, M. Bonnet. Alors, merci pour votre mémoire. C'est un mémoire qui... chaque fois, en tout cas, que je vous entends, M. Larose, c'est toujours des interventions qui sont stimulantes, en tout cas, moi, personnellement, intellectuellement, que je trouve toujours fort intéressantes, même si on peut diverger d'opinion, bien sûr, à certains moments.

Il y a un certain nombre de consensus, bien sûr, qu'on retrouve quand vous parlez, par exemple, des principes qui sont dans l'énoncé de politique et que vous dites: On pourrait s'en inspirer dans une éventuelle commission nationale. On pourra revenir, d'ailleurs, sur ce point-là, mais il y a quelque chose que je voudrais d'abord préciser avec vous. C'est que je n'ai pas très bien compris. Quand vous dites: Abrogeons la loi 86, ça, c'est clair. Donc, on revient à la loi 101. En revenant à la loi 101, on revient à l'unilinguisme français, on revient aussi, ipso facto, à la Commission de protection de la langue française, qui a été abolie par la loi 86. Alors, je voudrais vous entendre là-dessus. Mais vous avez ajouté quelque chose que je n'ai pas très bien compris: donc, on reviendrait à l'unilinguisme français, mais vous dites qu'il y aurait quand même danger de bilinguisation en abrogeant, donc, 86 et en revenant à la loi 101. J'aimerais que vous me précisiez exactement ce que vous avez voulu dire par ça.

M. Larose (Gérald): Notre proposition vise effectivement à ramener la loi 101, avec la conséquence que les dispositions ayant trait à l'affichage sont frappées d'interdit par les tribunaux canadiens, donc inapplicables. Alors, nous, on est prêts à vivre avec l'inapplicabilité des dispositions concernant l'affichage. Quant à la résurgence de la Commission de protection de la langue française, eh bien, elle s'exercera sur les autres dimensions, mais nous ne voulons pas d'opération ciblée quant à l'affichage visant à faire respecter les dispositions de la loi 86.

Mme Beaudoin: Donc, M. Larose, quand vous dites: Ce sera inapplicable, on revient à la loi 101, mais il y a une partie, donc, celle qui concerne justement les articles qui ont été déclarés inconstitutionnels par la Cour suprême... Donc, vous dites: On ne les applique pas. Et c'est dans ce sens-là que vous ajoutez: Il y a, bien sûr, à partir du moment où c'est inappliqué parce qu'inapplicable, un risque de retour au bilinguisme, mais vous dites: Il n'est pas pire, ce risque-là, que celui que l'on a actuellement avec la loi 86.

M. Larose (Gérald): Non seulement il n'est pas pire, mais, à notre avis, il serait une interpellation permanente à la communauté anglophone, au leadership de la communauté anglophone, à savoir jusqu'où on peut aller sans mettre en péril à la fois le climat et l'équilibre social. Et, dans ce sens-là, on pense que c'est autrement plus stimulant et responsabilisant que de les voir se cacher derrière des «unknown men» qui font un travail d'application de la loi 86, mais en même temps de sape de la loi 86, parce que le véritable projet de ces gens, c'est effectivement le retour au libre choix. Et, quand on accompagne notre proposition de la mise en place d'une commission nationale, c'est précisément, comme société, être en mesure de faire en sorte que toute la société puisse réfléchir et recoudre un pacte, un nouveau pacte linguistique qui devrait nous amener à l'aube du XXIe siècle.

Mme Beaudoin: Un commentaire, puis une dernière question. C'est fort intéressant, ce que vous dites à propos des francophones hors Québec. Bon. On a déposé, le gouvernement actuel a déposé, suite à un avis, d'ailleurs, éclairé du Conseil de la langue française de l'époque, une politique. C'était la première fois depuis 1867 qu'un gouvernement du Québec déposait une politique par rapport aux francophones hors Québec. Ça m'a beaucoup étonnée, en 1994, quand... C'était dans mes responsabilités ministérielles, au Secrétariat des Affaires intergouvernementales canadiennes, de me rendre compte de ça. Je pense que ce que vous dites est fort pertinent à cet égard. Bon. C'est une idée que j'avais entendue, en effet, au moment du référendum, de la campagne référendaire, de la part des partenaires pour la souveraineté et que j'estime fort pertinente et fort intéressante. C'est un peu une idée, là, qu'il faudrait, je pense, en attendant, même, la souveraineté, revoir davantage en profondeur et voir si elle n'est pas immédiatement applicable.

J'aimerais que vous m'expliquiez un peu plus précisément votre idée de commission nationale. Dans le fond, vous dites: L'énoncé de politique a du bon, il y a des principes là-dedans, il y a un certain nombre de pistes, d'idées qui sont fort intéressantes, mais, par ailleurs, ce n'est pas suffisant. Dans le fond, vous proposez de refaire une commission Gendron 20 ans plus tard, donc, et la société civile serait fort impliquée, majoritaire dans cette commission. Vous pensez que c'est le temps de faire ça et que le moment est venu. J'aimerais que vous argumentiez un peu davantage, donc, cette idée précise.

M. Larose (Gérald): On fait cette proposition précisément parce qu'on estime que la question de la langue est une question qui déborde toute approche juridique, toute approche législative, qu'il y a toujours sur cette question-là une charge sociale et politique très importante. Donc, il faut se donner la chance, je dirais, de reconstruire un consensus minimal autour de cette question-là. Et avec une approche législative essentiellement axée sur, je dirais, des mécanismes d'application d'une loi qui est une turpitude en soi, on pense qu'on ne va nulle part. On pense même qu'on va dégrader les rapports dans cette société si on poursuit dans cette ligne-là. Il faut plutôt interpeller les vis-à-vis pour savoir comment on va organiser le vivre ensemble dans cette société en faisant en sorte que ceux qui représentent 2 % dans l'Amérique du Nord vont garantir leur propre pérennité. Je pense que c'est une question qui les intéresse et qui peut être facilement ou de façon fort intéressante débattue dans l'année qui vient. Parce qu'on ne veut pas non plus un contrat de trois ans ou de 10 ans là-dessus, là. On pense qu'on peut refaire ce travail-là en explorant toutes les formules.

J'entendais tantôt requestionner la formule Woehrling. Je vous dirais que, nous, c'est des pistes qui nous intéressent aussi, mais on est ouverts à regarder toutes sortes de formules pour, effectivement, composer aussi avec la réalité canadienne. Parce que je vous rappelle que la loi 86, c'est, en fait, la camisole canadienne sur la question de la langue. Alors, peut-être qu'il y a moyen d'avoir d'autres chemises qui soient moins humiliantes.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Rimouski.

(11 h 40)

Mme Charest: Merci, M. le Président. Bonjour. Merci pour le mémoire. Mme la ministre avait des questions qui étaient inhérentes, je pense, à ce que vous avez fait comme commentaires sur le projet de loi n° 40. Moi, je reviendrais sur la question de l'immigration.

Vous nous dites que, lors de la commission, vous allez nous faire des recommandations et vous allez nous en déposer concernant une meilleure intégration des nouveaux immigrants, des nouveaux arrivants. Et vous parlez, entre autres, de toute la question de faire connaître l'histoire du Québec aux nouveaux arrivants, vous parlez aussi de la qualité des cours de français. J'aimerais vous entendre de façon plus spécifique, plus élaborée là-dessus.

M. Larose (Gérald): Bon. La question de l'histoire, je pense que ce n'est pas propre aux immigrants, on a un déficit là-dessus dans l'ensemble de la société. Mais il nous semble qu'il doit y avoir une approche pédagogique plus substantielle pour faire en sorte que les immigrants puissent savoir dans quel pays ils arrivent, et quelle est l'histoire de ce pays, et pourquoi il y a ici un peuple, et c'est quoi les caractéristiques d'un peuple, et c'est quoi son projet qui a toujours été porté à travers tous les ans. Alors, il y a un minimum d'investissement à faire dans la prise de connaissance de l'histoire de ce peuple.

Deuxièmement, sur nos propres expériences concernant la francisation avec les immigrants, nous, on a mis au point, avec la CECM, notamment, et avec des employeurs, des cours de français sur les lieux de travail à partir de la réalité du travail. C'est autrement plus stimulant et les progrès sont autrement plus rapides que lorsqu'on a une approche qui est plus magistrale ou académique ou un peu sortie de la réalité quotidienne. Alors, nous souhaitons voir ce type d'approche être multiplié, même varié, enrichi, mais il y a là, on pense, une façon de s'aider collectivement pour une francisation plus efficace des lieux de travail et également des immigrants.

Mme Charest: Merci. Je reviendrais sur la question de l'administration publique, où, à la page 6 de votre mémoire, vous faites le constat que, bon, il y a eu une politique linguistique qui a été élaborée par le Conseil des ministres et dans laquelle on demandait à tous les ministères de se pourvoir d'une telle politique, et en 1995 vous faisiez le constat qu'un tiers des ministères n'avaient pas donné suite à cette directive. Et vous affirmez que l'administration donne souvent l'impression que l'anglais est aussi officiel que le français. Alors, ceci étant dit, ça, c'est votre mémoire.

Moi, je vous réfère au mémoire qui a été déposé tout à l'heure, juste avant vous, du Conseil de la langue française, où on dit que le gouvernement du Québec dispose d'un pouvoir d'achat de 1 200 000 000 $, et on dit aussi que celui de la santé et des services sociaux, des commissions scolaires, des municipalités est 10 fois supérieur, donc que, si on réussit à mobiliser toute l'administration publique et parapublique, on a quand même 14 000 000 000 $ comme pouvoir d'achat. Et qu'est-ce que vous pensez? Moi, ce que je lis entre les lignes, c'est qu'on pourrait peut-être utiliser le pouvoir économique pour réussir à convaincre tous les partenaires au Québec que le français est la langue commune, la langue officielle, et tout ça, et que, si on veut continuer de travailler et de bien vivre, comment je dirais, économiquement parlant, avec les instances, avec l'administration publique, ce 14 000 000 000 $ là pourrait jouer un rôle. Comment vous réagissez à cet énoncé?

M. Larose (Gérald): Oui, on n'a pas de difficulté à composer avec cette capacité qu'on peut avoir d'influencer et d'encourager les entreprises à avoir, je dirais, des véritables politiques de francisation. Mais ce dont on parle, nous, c'est davantage au niveau des administrations publiques. Dans leur propre rapport avec l'ensemble des corps constitués de la société ou des citoyens, il doit y avoir préséance ou, je dirais, prédominance du français. Ça n'exclut pas qu'on puisse correspondre aussi dans d'autres langues, mais ces politiques-là n'existent pas, pour le tiers des administrations publiques. C'est ce que le bilan du printemps dernier nous a révélé.

Mme Charest: Mais, moi, je vous posais la question sous l'angle de: Comment vous voyez ça que l'administration publique utilise l'argument économique, le 14 000 000 000 $ en question, pour inciter de façon... une forte incitation...

M. Larose (Gérald): Ce n'est pas à exclure, mais, à mon avis, il doit d'abord faire ses propres devoirs et, ensuite, s'il veut mettre un peu plus de tonus, c'est des choses qui peuvent être envisagées. Mais, d'abord, je pense qu'il faut que les administrations publiques se soient fait une tête sur leur propre politique.

Mme Charest: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: M. le président de la CSN, M. Rioux, M. Bonnet, vous avez dit en vos mots, tout à l'heure vous avez parlé de l'efficacité des statistiques. Le rapport qui se joue entre les langues est un rapport implacable, ça ne vient pas des bons sentiments. J'aimerais rappeler, à cet égard, des chiffres que j'ai souvent rappelés du temps où j'étais du côté du Mouvement Québec français, et qui sont toujours là, l'indicateur linguistique concernant la grande région métropolitaine, Montréal: 9,6 % des gens ne connaissent que l'anglais et 1,8 % ne connaissent ni le français ni l'anglais, ce qui donne, en chiffres absolus, pour l'un et l'autre, ce chiffre et ce pourcentage, 11,4 % et 350 000 personnes qui, à Montréal, ne parlent pas le français. C'est deux fois la population de Québec, quand on regarde ça. On disait: Montréal est la plus grande ville française de langue anglaise, pour prendre une formule drôle... qui n'est finalement pas drôle.

Alors, eu égard à ça... D'ailleurs, là-dessus, je sais que le député de Jacques-Cartier, par exemple, rappelait à juste titre qu'il y a des gens d'une certaine génération qui n'ont pas eu l'occasion d'apprendre le français. Il ne s'agit pas d'un rapport de morale, mais d'un rapport de statistiques et d'efficacité de la langue. Quand, dans une ville donnée, qui est le centre ou le centre nerveux du Québec, il y a autant de personnes qui ne connaissent pas le français, ça a des incidences, évidemment, sur l'ensemble de la société. Et ma question est la suivante: Vous dites que la langue française est le fondement de la cohésion de la société québécoise. On parle du français comme d'une langue nationale, on en parle comme d'une langue commune, ce qui revient à dire la même chose que la langue nationale, parce que cette notion de langue commune a été mal saisie aussi par certains. Comment vous voyez ce rapport des statistiques avec cet idéal que nous avons de faire du français la langue de cohésion au Québec?

M. Larose (Gérald): Moi, je commencerais par une illustration. Bon, dans les responsabilités que j'ai, il m'arrive d'aller ailleurs, dans d'autres pays. Ça n'existe nulle part. Ça n'existe nulle part qu'il y ait deux véhicules de communication. Même dans des grandes cités internationales comme Genève ou comme Prague, ou comme Amsterdam, il y a dans tout fonctionnement d'une société un véhicule commun, et il faut en convenir. Le problème est double au Québec, quand on est dans un continent nord-américain. Et, personnellement, j'ai toujours été contre toutes les opérations de culpabilisation des individus. Un immigrant qui arrive ici, c'est normal qu'il veuille aller du côté anglophone. Il n'y a rien de plus normal, parce que le rapport de force dominant, il est anglophone. Si, en plus, comme société, on lui dit: Tu as le choix... Écoutez, le choix est fait d'avance. Donc, c'est un choix collectif des francophones de dire: Même si on est rien que 2 %, on s'excuse, mais le vivre en commun va se faire en français, et on n'aura pas le choix, quand on vient ici, de s'intégrer à la majorité. Ça, c'est une décision collective, et les individus n'ont pas à être culpabilisés parce qu'on prend cette décision collective. Et, donc, les... j'allais dire le système de contrainte, parce que c'est de ça qu'on parle, il doit aller du côté de la majorité. Alors, oublions tout ce qu'on peut avoir comme sentiment par rapport au comportement des individus. Cela, c'est tout à fait normal.

Alors, pour répondre à votre question, il nous reste beaucoup de colonne vertébrale à avoir et de clarté à affirmer dans notre projet pour que, sans beaucoup d'hésitation, tous ceux qui se joignent à cette société fassent le choix de la majorité.

M. Gaulin: Merci, M. le président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Nicolet- Yamaska, pour une question brève.

(11 h 50)

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Oui. Bonjour, messieurs. Je voudrais juste, à la page 4, vérifier avec vous autres à propos de la langue de travail et les nouvelles technologies. Il me semble que vous passez assez rapidement sur ce problème-là, qui me semble très aigu dans le domaine de l'industrialisation et du travail. Parce que vous savez comme moi, et probablement plus que moi, que les logiciels, que vous le vouliez ou non, sont en anglais. Quel serait, selon vous, la meilleure solution pour une bonne mise à jour ou un bon suivi dans ce domaine-là?

M. Larose (Gérald): Écoutez, on pourrait en faire un long débat, mais je voudrais rien que vous citer la réaction d'un éminent penseur sur toutes ces questions-là, qui est Michel Carpentier, qui disait qu'il n'existe pas de problème à la traduction systématique de l'ensemble du dispositif informatique. Beaucoup tient à la volonté des entreprises ou des sociétés. Même pour Windows, le problème n'était pas une traduction, c'est un choix économique qui a été fait de faire en sorte qu'on envoie dans le trafic la version anglaise avant la version française, y compris que beaucoup de Québécois vont l'acheter, puis ensuite, bon, c'est sûr qu'il y en a qui vont racheter la version française, ça fait un peu plus de sous. Alors, nos problèmes ne sont pas des problèmes, je dirais, techniques ou de disposer des choses. Il y a beaucoup de la volonté politique ou, je dirais, la volonté de la direction de l'entreprise. Mais, si ça ne pousse pas de l'intérieur, dites-vous bien que ça ne poussera pas de l'extérieur. D'où l'importance, dans les lieux de travail... Au plan syndical, on essaie de faire des choses, mais il y a aussi des obligations qu'on doit imposer, comme quoi il faut que le matériel qui devient maintenant omniprésent dans l'entreprise soit disponible en français. Il faut ajouter là-dessus la formation, aussi, en français, pour que les choses puissent suivre.

Le Président (M. Garon): M. le député de Laporte.

M. Laporte: M. le Président, vous venez de me confier un nouveau comté, si j'ai...

Le Président (M. Garon): Pardon! M. le député d'Outremont. Je m'excuse.

M. Laporte: Deux comtés, moi, ça me convient parfaitement. Ça fait plus d'expérience concrète.

Le Président (M. Garon): ...

M. Laporte: M. le Président, je voudrais d'abord donner la bienvenue à nos invités. Mais, avant de lui poser une question, je voudrais signaler au président Larose qu'il y a des grandes villes du monde où on retrouve des situations linguistiques hétérogènes. Bruxelles, Barcelone, Helsinki, voici des villes où... Dans le cas de Bruxelles, on sait de quoi on parle. Dans le cas de Barcelone, on sait aussi de quoi on parle. Dans le cas d'Helsinki, c'est la cohabitation officielle, dans l'affichage, du suédois et du finnois, et dans les universités, dans l'allocation des postes dans les universités. Donc, la situation, disons, de bilinguisme pratique et, jusqu'à un certain point, de bilinguisme, disons, affiché à Montréal n'est pas une situation exceptionnelle. On retrouve aussi... Vous y êtes allé, M. le Président, à Jérusalem où l'affichage routier, par exemple, en Israël est complètement à la fois arabe et hébreux. Donc, il faudrait tout de même qu'on accepte que, dans ce monde, il y a beaucoup de variation, de variété, et que le Québec s'est inscrit un peu dans cette tendance à la variation.

Mais ce n'est pas ma question. Ma question n'est pas là, ma question est la suivante. Vous reconnaissez comme moi, M. le président Larose, qu'il existe au Québec deux communautés linguistiques principales – je dis bien principales – la communauté linguistique francophone majoritaire et la communauté linguistique – je dis bien linguistique – anglophone minoritaire. Factuellement, c'est très difficile de contester le fait que cette communauté-là est linguistiquement minoritaire, tout de même, à moins qu'on veuille réécrire les statistiques. Ces deux communautés linguistiques... Ici, je reviens à un article de Gregory Baum, dans une revue récente. On en reparlera plus tard parce qu'il y a des gens qui vont évoquer cet auteur. Ces deux communautés véhiculent des sensibilités politiques, je dirais des sensibilités morales qui diffèrent appréciablement sur la question des droits linguistiques, droits collectifs, droits individuels, de même que sur la question du rôle de l'État, de l'intervention de l'État dans un domaine comme celui de l'action sur les langues. Et je l'ai dit dans cette commission parlementaire, le mérite, le grand mérite de la loi 86... et je répète que, écoutez, toutes les données nous indiquent qu'il n'y a pas de dégradation du statut du français dans l'affichage à Montréal actuellement, là. Relisez, Mme Beaudoin, tout ce que vous avez bien voulu porter à notre attention. Ce que je dis, c'est que le grand mérite de la loi 86, à nos yeux, aura été de trouver un équilibre entre ces deux sensibilités.

Et c'est là que vient ma question. Est-ce que je dois comprendre, M. le président Larose, que vous avez la conviction qu'un retour à une loi 101 originelle, ou aux propositions que vous nous avez faites de déréglementation à peu près complète dans le domaine de l'affichage, est-ce que vous êtes d'avis que ça nous permettrait d'atteindre un équilibre entre ces deux sensibilités, politique et morale, qui serait meilleur que celui que nous avons atteint avec la loi 86? Si c'est votre conviction, je vous la concède parce qu'on a bien le droit d'avoir les convictions qu'on veut, mais je vous dis que je suis étonné, parce que, je le répète, à mes yeux, ça a été le grand mérite de la loi 86 de trouver un équilibre entre deux sensibilités, politique et morale, qui, sans être des sensibilités conflictuelles, sont tout de même des sensibilités en tension. Et je ne vois vraiment pas en quoi la loi n° 40, avec son dispositif contre lequel vous êtes, pour toutes sortes de raisons qui ne sont pas les miennes... Éventuellement, je ne vois ni la loi n° 40, ni un retour à une autre législation, ni, disons, la législation à laquelle on pourrait retourner compte tenu de vos propos, qui nous permettrait d'atteindre cet équilibre. Certains parlent de paix sociale ou de paix linguistique. Moi, j'aime mieux parler d'équilibre de ces sensibilités. Mais j'aimerais vous entendre commenter là-dessus parce que, sur bien d'autres points de vue, je pense qu'on pourrait se rejoindre, mais, sur ça, je trouvais que... Je vous pose la question: Est-ce que vous pensez qu'on peut atteindre un meilleur équilibre, en regard de ces sensibilités, que celui que nous avons atteint actuellement à Montréal? Et, si oui, je vous en supplie, décrivez-nous les modalités afin d'y arriver, ce serait une trouvaille fantastique. Alors, j'espère que vous avez compris ma question, M. le président.

(12 heures)

M. Larose (Gérald): Ah! très bien, très bien. D'abord, je vous dirai que je ne trouverai pas la formule magique ce matin. On vous propose d'en débattre, mais on peut vous promettre qu'on va en formuler, par ailleurs. On pense qu'il y a moyen à la fois de respecter les sensibilités dont vous parlez, les droits de chacun, tout en poursuivant le projet, dans l'Amérique du Nord, qu'il y a ait ici une société qui ne vivote pas en français mais qui s'épanouit et qui puisse même rayonner en français. C'est le défi qu'on vous lance.

Deuxièmement, je vous rappelle que la loi 86, contrairement à ce que vous dites, n'est pas un équilibre, c'est un artifice, et ça nous a été vendu comme ça. Prenons la loi 86 telle qu'elle existe, c'est pour se mettre à l'abri des barbes blanches de la Cour suprême, mais dans la vraie vie, ça ne changera pas. Ça ne changera pas. Aujourd'hui, ce n'est plus le discours. Stéphane D. et Jean Chrétien sont clairs: il faut appliquer cette grande loi canadienne. Je vous dirai que, quand c'est Stéphane D. et Jean Chrétien qui nous proposent de défendre la loi linguistique de l'Assemblée nationale, moi, je commence à être un peu inquiet. Alors, je répète: La loi 86, c'est un artifice qui nous a trompés, et aujourd'hui on tient un autre discours, et dans ce discours il y a des porte-parole qui ne sont pas... qui sont peut-être «unknown» mais qui reflètent très bien le sentiment majoritaire dans la communauté anglophone. Galganov, c'est à la langue ce que Clyde Wells était à la Constitution, un éminent représentant, peut-être le plus percutant, le plus fidèle.

Le projet, c'est effectivement un retour au libre choix. Alors, nous, ce qu'on dit: Non, ça, ce n'est pas négociable; notre projet est un projet français, mais nous allons, comme nous l'avons toujours fait, respecter profondément vos droits, vos institutions, puis on en met plus que quiconque, mais que ce n'est pas vrai que ça va se faire au détriment du projet français en Amérique du Nord. C'est ce qu'on dit.

Alors, la loi 86, surtout si on s'avise de l'appliquer avec muscle, on pense qu'on se tire dans le pied. On serait bien mieux avec un risque d'anglicisation faite de par la seule volonté de la communauté anglophone que d'arriver au même but avec la bénédiction d'une législation de l'Assemblée nationale. Et on pense que, pour le débat qu'on veut faire, dans l'année qui vient, on serait bien mieux d'interpeller la responsabilité des uns et des autres plutôt que de leur permettre de se réfugier derrière à la fois une législation puis un mécanisme qui contredit radicalement notre projet.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. M. Larose, évidemment, on parle de la loi 86. Je ne parle pas de tout ce qui pourrait, disons, surgir des rues de Montréal. C'est autre chose, là.

Vous dites, vous qualifiez la loi 86 d'un artifice – je n'ai pas le dictionnaire «Le Robert» devant moi – mais ce que je peux vous dire, c'est qu'à la suite des mémoires présentés par Mme la ministre, des études du Conseil de la langue française sur la place du français dans l'affichage à Montréal, si la loi 86 est un artifice, M. le Président, c'est un artifice qui fonctionne drôlement bien, parce qu'on trouve que l'intégrité du visage français s'est maintenue. Et, contrairement à toutes les prévisions apocalyptiques qu'on peut entendre ici, je serais prêt, moi, pour un, à faire la gageure qu'elle va continuer à se maintenir dans un avenir proche, et même dans un avenir éloigné.

Donc, je veux bien qu'on utilise les labels, les qualificatifs qu'on voudra, mais, je vous le répète, les faits sont là. S'il s'agit d'un artifice, il s'agit d'un artifice qui fonctionne dans la réalité, et puisqu'il fonctionne dans la réalité et qu'en plus de fonctionner dans la réalité il a contribué à atteindre ce que j'ai appelé cet équilibre entre des sensibilités, disons, fragiles, en tension, ça me paraît être, je dirais, une bonne loi et une loi que non seulement on aurait avantage à conserver, mais qu'on ne peut pas, comme ça, «discarter», comme on dit, «discarter» comme on veut, sans une évaluation des conséquences politiques, sociales, linguistiques auxquelles on pourrait être entraînés.

Et, là-dessus, je vous dis, M. le Président, que, sur l'artifice, nous n'avons pas la même évaluation, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit le cas, mais j'ai cru bon, nécessairement, M. le Président, de répéter une fois encore les faits qui nous ont été maintes fois signalés par la documentation officielle du gouvernement et de ses appareils. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Oui, M. le Président. Pour revenir sur les déclarations de M. Larose sur M. Galganov, je pense qu'il faut être prudent. Dans la mesure où, moi, dans mon comté, c'est deux tiers, ou 70 % d'expression anglaise, et de la manière que mes commettants aimeraient voir l'anglais sur l'affichage, oui, je dirais, il y a presque unanimité, le monde a dit que ce que la loi 86 permet, c'est de voir sur les affiches, dans les magasins dans l'ouest de l'île de Montréal, l'anglais et le français. Oui, c'est quasiment unanime parmi les commettants d'expression anglaise.

Du moment qu'on dépasse ça, et on parle des choses comme le libre choix, et mon collègue de Vachon pense que c'est vraiment ça qui est derrière le mouvement de M. Galganov, et tout ça.... La première des choses, ce n'est pas ça que M. Galganov, à date, a réclamé. On n'a pas vu dans ses déclarations publiques qu'il remet en question le fait que les affiches doivent être en français. Alors, je pense que, sur ça, il y a quasiment unanimité aussi dans la communauté d'expression anglaise. Parce qu'il y avait le cheminement, à l'époque, des deux causes devant la Cour suprême: celle qui était amenée par M. Singer, qui était le libre choix, qu'on peut afficher comme on veut parce que «he's king of his castle in his own store», et les choses comme ça, mais il y avait également le genre de compromis qu'on trouve dans l'arrêt Ford, qui est effectivement: On ne peut pas justifier la prohibition des autres langues. On peut insister sur le français, et ça, c'est quelque chose aussi que, je dirais, la grande majorité de la communauté d'expression anglaise accepte toujours, la nécessité d'afficher en français.

Alors, je pense que c'est très important de voir c'est quoi l'opinion. Vous avez l'impression, l'opinion dans la communauté d'expression anglaise et monolithe: On n'a qu'une opinion et on parle toujours des grands pactes linguistiques. Moi, je vois mal comment on peut même arriver à ça, parce que, dans la communauté d'expression anglaise, il y a 800 000 personnes avec pas loin de 800 000 opinions. Moi, même en fin de semaine, il y a quatre personnes que j'ai trouvées au coin de la rue qui ont commenté la décision de M. Galganov d'aller à New York: deux étaient pour et deux étaient contre. Et ils ont tenu leur opinion. Et je pense que ça, c'est sain dans une société libre et démocratique, que tout le monde puisse avoir une opinion. Alors, je n'impose pas, je ne demande pas qu'il y ait une opinion qui sorte de la communauté d'expression anglaise. Je souhaite qu'il y en aura beaucoup, parce que c'est ça, une communauté en santé.

Alors, je pense qu'il faut faire attention à ce que, à date, M. Galganov a exigé. Qu'est-ce qu'il entend faire dans l'avenir? On va voir. Il a parlé d'ouvrir un magasin, peut-être, pour contester la loi. Il en a parlé, mais il ne l'a pas encore fait, ça. Alors, on va suivre le cheminement du dossier. On va voir si une étape comme ça fera l'unanimité dans la communauté d'expression anglaise. Moi, j'en doute fort. Moi, je pense que la plupart de mes commettants trouvent que la situation actuelle n'est pas si mal. Et on a beaucoup d'autres dossiers qui sont nettement plus importants, comme le dossier économique, la création d'emplois. Et ça, c'est plus important. Alors, juste une petite nuance, et je pense que c'est très important de voir, dans la communauté d'expression anglaise, qu'il y a toute une gamme d'opinions.

Juste une question pratique: Dans votre proposition sur la langue, parce que, si on abroge 86, on revient sur les articles de la loi 101, inapplicables... alors, dans les faits, qu'est-ce qui arriverait sur les affiches dans mon comté?

M. Larose (Gérald): «Free choice».

Une voix: Le libre choix dans n'importe quel comté?

M. Larose (Gérald): C'est ce que je vous dis depuis tantôt.

M. Kelley: Mais pourquoi, au lieu... Ce que 86 a essayé de faire, c'est de baliser de la même façon que la Cour suprême a essayé de trouver un équilibre entre la nécessité de promouvoir le fait français et les droits des minorités de voir leur langue aussi. Alors, et c'est ça, le choix que l'on a fait au moment où on a retiré la loi 1 et que nous avons remplacé ça avec la loi 101.

Nous avons dit qu'au lieu de mettre la clause «nonobstant» de la Charte québécoise des droits et libertés on va laisser les deux évoluer en parallèle. Alors, c'est ça, le choix qui a été fait en 1977, parce qu'il y avait une clause «nonobstant» dans le projet de loi 1 qui a été retirée au moment du dépôt du projet de loi 101. Alors, notre idée était: Il y a certains droits des individus, au Québec, adoptés par l'Assemblée nationale, et on a une charte pour promouvoir le fait français au Québec; alors, on va essayer de faire évoluer les deux en même temps. Et ça, c'est le choix qui a été fait par M. Lévesque et son gouvernement il y a 20 ans, et c'est à l'intérieur de ça que les minorités ont contesté la prohibition des autres langues. La Cour suprême a donné raison. La loi 86 a essayé de baliser ça, parce qu'on ne veut pas le libre choix, on ne veut pas voir les affiches unilingues anglaises. La Cour suprême a donné raison au gouvernement de dire qu'on peut exiger l'usage du français. Alors, pourquoi le retirer de cette balise et provoquer le libre choix? Ça, je ne comprends pas.

(12 h 10)

M. Larose (Gérald): D'abord, je vous recommenderais de lire le journal The Gazette ...

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Il le lit.

M. Larose (Gérald): ...il est assez spécifique sur les intentions de M. Galganov, et, contrairement à ce que vous dites, il s'est exprimé plutôt deux fois qu'une sur son véritable projet. Et quand il veut aller à New York, ce n'est pas pour discuter de la grosseur des lettres, c'est pour qu'il n'y ait pas dans cette province, dit-il, deux types de citoyens. Alors, je n'ai pas à commenter davantage.

Deuxièmement, je vous rappellerai que le leadership anglophone n'a jamais appuyé, pris l'initiative d'appuyer aucune loi linguistique. Tout ce qu'il a fait, comme vous le faites présentement, c'est, quand ça chauffe, de vous mettre à la défense de ce qui existe. Mais le vrai pacte n'a pas encore été conclu, et je dirais, le vrai projet, c'est celui de M. Galganov. Alors, nous, on pense que si, après 20 ans de petits bouts en petits bouts et de ficelles qui dépassent qu'on coupe, on en est rendus à cette situation-là, peut-être qu'il ne faudrait pas se rajouter une autre ficelle qui, celle-là, pourrait nous pendre.

On pense qu'il vaudrait mieux ouvrir plus largement le débat et mettre la question principale sur la table, non pas sur là où on s'en va – ça, là-dessus, pour nous, ce n'est pas négociable – mais comment on y arrive, et il y a certainement des formules qu'on peut travailler et qui nous amèneraient, dans le respect des uns et des autres, à un sain équilibre et non pas à un artifice d'équilibre. C'est le projet qu'on met sur la table.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les porte-parole de la Confédération des syndicats nationaux, puisque les parlementaires ont posé les questions qu'ils avaient à poser, et j'invite maintenant la Centrale des syndicats démocratiques, la CSD, à venir à la table des témoins, en leur disant qu'ils ont une heure, qu'ils peuvent prendre normalement 20 minutes pour leur exposé, et les ministériels 20 minutes, l'opposition 20 minutes. Ce qu'ils prendront en plus sera soustrait aux députés. Ce qu'ils prendront en moins, ils pourront s'en servir s'ils le souhaitent. Alors, j'invite le porte-parole de la Centrale des syndicats démocratiques à se présenter et à présenter les gens qui l'accompagnent et à faire son exposé.


Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

M. Gingras (Claude): Merci, M. le Président. Alors, m'accompagnent pour la présentation de la position de la CSD le confrère Robert Légaré, à ma gauche, qui est le secrétaire de la Centrale des syndicats démocratiques, et, à ma droite, Hélène Dubé, qui est au service de la recherche de la Centrale.

La Centrale des syndicats démocratiques souscrit pleinement à la nécessité de relancer la politique québécoise de la langue française. Au cours des dernières années, la CSD n'a d'ailleurs pas cessé de réclamer qu'un sérieux coup de barre soit donné dans ce dossier, plus particulièrement en ce qui a trait à la francisation du travail.

Le dépôt par le gouvernement d'une proposition de politique linguistique répond donc, en partie du moins, à nos attentes. Cependant, nous nous posons plusieurs questions sur l'urgence d'agir sur une partie seulement de cette Charte. Pourquoi aller si vite? Pourquoi modifier quelques aspects de la Charte sans en toucher le coeur, soit la francisation du travail et de l'entreprise?

Pour la CSD, cette démarche ne peut s'inscrire qu'en continuité avec les actions déjà entreprises et devrait permettre de réactiver la politique linguistique tout en y apportant les correctifs nécessaires à une véritable généralisation de l'usage du français d'un bout à l'autre du Québec. Le défi de la société québécoise, qui est celui d'une société plongée au coeur d'une communauté linguistique anglophone de 250 000 000 de personnes, est de taille. Le gouvernement reconnaît lui-même que sa vigilance s'est émoussée au fil des années et que les efforts se sont relâchés à tel point que même l'administration publique s'est laissée gagner par une certaine atrophie. Si bien qu'aujourd'hui il a jugé nécessaire dans son énoncé politique de la rappeler à l'ordre en l'invitant à appliquer la Charte de la langue française. Si les fonctionnaires, en tant qu'agents de l'État, ne respectent ni la lettre ni l'esprit de la loi, qu'en sera-t-il de l'entreprise privée?

Près de 20 ans après l'adoption de la Charte, la francisation des entreprises n'a été trop souvent qu'administrative, de surface ou pire, simplement statistique, complètement en marge de la réalité quotidienne du monde du travail. Or, il est urgent de renverser la vapeur.

La politique linguistique nous interpelle comme organisation syndicale, mais, pour que nous puissions assumer efficacement notre rôle, nos responsabilités et générer des actions mobilisatrices, génératrices de résultats, il faut que nous puissions en avoir les moyens et, surtout, que l'on nous reconnaisse comme intervenants à part entière, de première ligne dans ce débat, ce qui, malheureusement, n'a pas été le cas à venir jusqu'à présent.

Quant à nous, toute vélléité d'augmenter la francisation des milieux de travail est vouée à l'échec sans la participation active et réelle des travailleuses, des travailleurs et de leurs syndicats, et c'est sur cette dimension que nous insistons.

La CSD n'a pas attendu le dépôt de la proposition linguistique pour agir. Or, depuis une dizaine d'années, la CSD s'est mise résolument à la tâche en collaborant aux travaux des comités de francisation actifs – malheureusement une minorité – en participant à la formation et à l'animation auprès de ses membres et de son personnel, en diffusant de l'information ou encore en mettant de l'avant certains projets innovateurs comme la boîte à outils lexicologiques que nous avons lancée dans le secteur du vêtement.

Aujourd'hui, le dossier stagne. Le monde du travail est confronté à l'enjeu névralgique de la protection de l'emploi dans le contexte des fermetures d'entreprises ou des réorganisations, auxquelles s'ajoutent les multiples changements technologiques qui entraînent dans leur sillage des modifications des procédures de travail et de production. Partout au Québec, ce n'est que trop souvent en anglais que sont rédigées les nouvelles procédures d'opération et qu'est donnée la formation entourant leur fonctionnement. Voilà des obstacles majeurs à la francisation du travail. Il ne faudrait pas cependant tomber dans le piège et attribuer uniquement à des phénomènes nouveaux comme la mondialisation des marchés et de l'information le relâchement que nous observons aujourd'hui vis-à-vis du dossier du français.

Chacun s'en sert à sa façon, la mondialisation est devenue le bouc émissaire de tous nos problèmes. Sans dénier qu'elle ait pu avoir un impact, elle n'est pas le seul témoin à charge. Or, le laisser-aller du gouvernement et son absence de rigueur face au dossier comptent pour beaucoup dans la situation que nous vivons aujourd'hui.

Le français a marqué des bons coups au cours des 20 dernières années. Statistiques à l'appui, le comité interministériel relève une dizaine de fronts où le français a fait d'intéressantes percées, qu'il s'agisse de l'affichage public, de la fréquentation scolaire, des secteurs de l'accueil et du service. Et on pourrait en ajouter. Les résultats obtenus sont certes intéressants, mais, plus que jamais, nous souscrivons à la recommandation du rapport de la commission Gendron qui, à la fin des années 1960, il faut se le rappeler, affirmait déjà que, pour faire du français la langue commune des Québécoises et des Québécois, il fallait commencer par en faire la langue de travail des francophones. Et c'est là précisément que le bât blesse, car la Charte a beau avoir promulgué le droit fondamental de tout Québécois de travailler en français, avoir consacré une trentaine d'articles à la langue de travail comme à la francisation des entreprises, elle est bien loin d'avoir atteint son objectif. Le gouvernement a fait timidement le constat de cette situation dans son document de consultation

L'automne dernier, la CSD a mené une étude quantitative et qualitative sur le français au travail auprès de ses syndicats affiliés à travers les grandes régions du Québec. Les résultats de notre étude ne laissent place à aucun doute: «la culture du travail n'a pas été francisée en profondeur», les milieux de travail n'ont connu qu'une «francisation de surface». Cette étude interne à laquelle ont collaboré 142 dirigeants et dirigeantes de syndicats, membres de comités de francisation, dégage des paramètres fort intéressants, dont une donnée importante concernant l'usage du français dans les entreprises.

(12 h 20)

Au chapitre des activités, cet usage est inférieur à 50 % quand il s'agit des manuels techniques, de logiciels, progiciels ou didacticiels; il dépasse à peine cette barre en ce qui a trait aux relations avec la clientèle et avec les fournisseurs. Pire encore, plus du tiers des termes utilisés dans l'usine par les travailleuses et les travailleurs pour nommer les opérations de travail, les équipements, sont toujours empruntés à l'anglais. Au niveau des départements, ce sont l'entretien des machines ou de l'équipement, l'administration, la production, la recherche et le développement où la présence du français est particulièrement déficiente.

Il est tout aussi surprenant de constater que les trois quarts des répondants pensent que l'entreprise qui les emploie n'a pas reçu de certificat de francisation, ce qui va carrément à l'encontre des statistiques compilées et diffusées par l'Office de la langue française. Ce constat tend aussi à prouver la faillite de la certification, du moins dans l'opinion des salariés.

En 1977, le gouvernement souhaitait, si on se fie au discours qu'il tenait, associer les salariés à cette dynamique, ce qui explique la mécanique des comités de francisation. Par contre, il a péché par ignorance en ne fournissant pas aux travailleuses et aux travailleurs les leviers nécessaires pour garantir leur participation pleine et entière à ces comités.

Bon nombre d'employeurs n'ont envisagé la francisation que sous le seul angle juridique. Il s'agissait pour eux de se conformer le plus rapidement possible à la législation et de décrocher au plus vite le fameux certificat pour ne plus en entendre parler. Certains ont requis les services de consultants pour présider le comité de francisation et satisfaire ses exigences.

Si la loi oblige les entreprises de plus de 100 salariés à mettre sur pied un comité de francisation, leur existence est souvent factice, leur fonctionnement éphémère. Ces comités n'ont très certainement pas occupé l'espace linguistique qui leur était dévolu.

Et que dire du rôle qu'y jouent les travailleurs. Au lieu de les former à ce rôle dynamique, on a plutôt eu recours aux experts, confinant les salariés à agir soit comme «rubber stamps» ou encore à servir de figurants sur des listes ministérielles.

Notre étude démontre clairement que l'Office de la langue française ne jouit pas d'une très grande audience auprès de nos syndiqués; 85,3 % de nos répondants affirment n'avoir jamais eu affaire avec cette institution. De plus, les lexiques et dictionnaires qu'il a produits n'ont que très rarement servi les travailleuses et les travailleurs auxquels ils auraient dû être initialement destinés.

La CSD a toujours soutenu l'importance de «développer des outils lexicologiques qui tiennent compte de la réalité des milieux de travail et de la culture ouvrière». Or, des préoccupations qui, par leur nature, ont jusqu'ici échappé aux spécialistes de l'Office. Seul un partenariat entre les experts de la langue et ceux des milieux de travail que sont les centrales syndicales pourrait donner des résultats valables tant sur le plan linguistique que sur celui de l'utilisation sur le terrain par les travailleuses et les travailleurs.

Les résultats de notre enquête sur l'impact des nouvelles technologies démontrent également que l'anglicisation s'est rapidement accrue dans les milieux de travail, que ce soit au niveau des opérations, dans 13,3 % des cas, de l'équipement, dans 25,5 % des cas, des manuels techniques, dans 41,2 % des cas, et des documents de référence, dans 43,1 % des cas. Des données inquiétantes, d'autant plus que près d'une entreprise sur deux, parmi celles qui ont participé à notre étude, recevra cette année de nouveaux équipements ou implantera de nouvelles technologies, très souvent en provenance des États-Unis, soit 46,8 %.

Enfin, donnée importante, 91,4 % des syndiqués participant à notre enquête considèrent que le dossier du français au travail est important, voire très important, une donnée qui témoigne à quel point il s'agit d'un dossier sensible pour les travailleuses et les travailleurs et combien la stratégie de francisation appliquée à ce jour a failli, puisqu'elle n'a pas su exploiter ce potentiel mobilisateur à l'intérieur des milieux de travail.

La CSD recommande donc la réactivation du dossier de la francisation du travail en y associant les travailleuses et les travailleurs ainsi que leurs représentants; que la langue française soit au coeur de toute législation et que les travailleuses et les travailleurs soient partie prenante à toute démarche entreprise en ce sens; que soit recentré le processus de francisation sur les travailleuses et les travailleurs et que l'on définisse le milieu de travail comme un de ces secteurs à privilégier et que soit redynamisé le secteur de la francisation du monde du travail par la création de comités paritaires disposant de pouvoirs accrus et de moyens appropriés; que l'on encourage également la production de lexiques et de vocabulaires de spécialité en y associant obligatoirement les travailleuses et les travailleurs et que, finalement, on encourage la production et la traduction en français de logiciels, mais sans nécessairement accompagner cette mesure par des incitatifs fiscaux; enfin, que l'on redéfinisse le concept de la certification des entreprises pour lui donner sa dimension de progrès social plutôt que de limiter à une obligation juridique pure.

Le gouvernement reconnaît lui-même qu'une approche strictement législative ne peut assurer des chances de succès à sa politique linguistique, même revampée, redynamisée. Et la CSD croit qu'il est temps de recentrer l'action sur les travailleuses et les travailleurs et d'y associer étroitement les syndicats.

Cette fameuse solidarité que recherche le gouvernement dans l'usage public du français, ce sont les milieux de travail qui doivent en être les principaux initiateurs. Mais, pour y arriver, il faut vaincre l'indifférence, faire renaître chez nos syndiqués le sentiment d'appartenance au français, poursuivre, voire intensifier la démarche de sensibilisation et de formation enclenchée auprès d'eux et avec eux il y a quelques années.

Des modifications législatives s'imposent. La CSD croit qu'il faut rendre paritaires les comités de francisation. Il faut également en généraliser l'existence en étendant cette disposition aux entreprises de 20 salariés et plus pour démocratiser davantage la démarche, faciliter l'application des droits linguistiques fondamentaux et, surtout, reconnaître et promouvoir les syndicats comme agents de francisation.

Il est aussi impératif, et nous le rappelons, d'associer les travailleuses et les travailleurs à l'élaboration d'une terminologie française qui soit à l'image des réalités qu'ils vivent quotidiennement. Une terminologie pensée par eux et pour eux. Le patronat a, lui aussi, à assumer son rôle. Il est impérieux qu'il se commette en faveur du français langue de travail, qu'il modifie complètement son attitude vis-à-vis de la francisation des entreprises en cessant de la percevoir comme un irritant de plus que lui impose le gouvernement. Il est donc essentiel de responsabiliser les gestionnaires des entreprises en développant chez eux une approche d'imputabilité.

Dans cette perspective, nous souhaitons ardemment qu'à l'occasion du sommet économique de l'automne 1996 tous les partenaires présents, incluant le patronat, soient appelés à prendre l'engagement formel de respecter l'esprit et la lettre d'une charte renouvelée, renforcée, vivifiée, capable de répondre aux exigences des années 2000.

En outre, la CSD considère essentiel d'établir et de mener, tant avec les chefs d'entreprises qu'avec le gouvernement, une action concertée afin d'assurer la francisation des nouvelles technologies de l'information et des communications. Cette approche nationale est, pour nous, un prérequis incontournable à toute politique de concertation internationale. C'est là toute une nouvelle dynamique qu'il faut définir et traduire dans la législation. Il faut donc modifier la Charte afin de mieux identifier les personnes, les entreprises responsables du respect des dispositions relatives à la présence du français dans la commercialisation des produits informatiques.

Près de 20 ans après l'adoption de la Charte, la CSD considère que le processus de certification a atteint ses limites et son plafond. Pire encore, il n'a pas livré la marchandise. Ce processus a véhiculé le message déformé à l'effet que la francisation était limitée dans le temps et se terminait avec l'obtention du certificat. Elle a établi une confusion statistique entre le taux de certification et le degré de francisation des entreprises. Elle a donné aux salariés et à leurs représentants l'impression tenace qu'elle était l'affaire exclusive des employeurs.

Alors, la motivation et la collaboration des travailleuses et des travailleurs ainsi que celle des entreprises face aux objectifs de francisation se sont érodé. Les premiers parce qu'ils ont été évacués de la démarche, les seconds parce qu'ils ont conçu la francisation comme un irritant administratif, comme une mesure allant à contre-courant et incompatible avec la mondialisation des marchés, l'arrivée massive des nouvelles technologies. Même constat d'échec pour les comités de francisation, qui n'ont pas joué un bien grand rôle dans tout le processus.

La CSD considère que le gouvernement se doit de s'attaquer au coeur du problème, soit l'adaptation linguistique de la main-d'oeuvre. Il y a urgence de réarticuler le comité chargé du dossier de la francisation au sein des entreprises en l'axant sur la parité entre les travailleurs et les patrons et en lui donnant des pouvoirs accrus, une marge de manoeuvre élargie. À cela doit obligatoirement se greffer une formation dispensée aux travailleuses et aux travailleurs, particulièrement à ceux oeuvrant sur les comités de francisation. Ça pourrait être, en fait, le lot de l'Office. Les syndicats ont déjà fait leur bout de chemin et continuent de le faire en initiant des projets de sensibilisation, d'information et d'animation. Aussi, ce volet plus pointu de la formation devrait être pris en charge par les employeurs, dispensé à leurs frais durant les heures de travail, et ce serait là un juste partage des responsabilités sociales collectives.

(12 h 30)

En ce qui touche tout particulièrement les entreprises de 50 employés et plus qui n'ont pas encore réalisé entièrement le programme de francisation, le gouvernement envisage de leur donner un an de sursis pour compléter leurs devoirs. Nous applaudissons, bien sûr, chaleureusement à cette initiative qui, si elle était rigoureusement appliquée, témoignerait d'une volonté politique renouvelée de la part du gouvernement quant à l'urgence de la francisation. Il faudrait également déterminer à quelles sanctions s'exposent les entreprises récalcitrantes, sinon on risque, encore une fois, de voir les exigences linguistiques ne pas être prises au sérieux.

Pour ce qui est des entreprises de moins de 50 salariés qui n'ont pas, jusqu'ici, été tenues par la Charte de la langue française de se conformer aux exigences, elles ne peuvent être mises de côté, d'autant qu'elles constituent la majorité de nos entreprises et génèrent quantité d'emplois au Québec. Par contre, il nous apparaît évident que le processus de certification qui est présentement retenu pour les entreprises de plus grande taille ne leur conviendrait pas.

Alors, la CSD préconise pour celles-ci une approche sectorielle. Quoi qu'il en soit, le gouvernement a décidé de constituer un groupe de travail tripartite, dont la CSD fait partie. Alors, nous réservons, pour le moment, nos commentaires; nous les formulerons à l'occasion des conclusions qui émaneront de ce groupe de travail.

Au sujet de l'affirmation du gouvernement à l'effet qu'il entend s'assurer que, désormais, la Charte de la langue française sera réellement appliquée comme toute autre loi, avec fermeté et constante, nous voulons quand même apporter certains bémols. Ça devrait cependant nous rassurer, mais le passé est loin d'être garant de l'avenir. Même s'il reconnaît aujourd'hui le laxisme affiché par l'Office de la langue française, il n'en demeure pas moins incompréhensible qu'il ait pu tolérer aussi longtemps un tel laisser-aller sans agir vertement.

Le gouvernement fait preuve d'idéalisme ainsi que d'un optimisme débordant notamment lorsqu'il exprime son souhait de mettre en place une politique de solidarité de toutes les Québécoises et de tous les Québécois dans l'usage public de la même langue, le français, et le partage des mêmes valeurs fondamentales. Notre expérience de la francisation dans les milieux de travail nous laisse quelque peu sceptiques face à l'angélisme d'une telle proposition. Oui à la solidarité, mais celle-ci doit se bâtir sur un consensus social qui repose prioritairement sur le respect des lois en vigueur et, dans ce cas-ci, de la Charte de la langue française.

Le CSD se prononce en faveur du rétablissement de la Commission de protection de la langue française, mais d'une Commission, en fait, qui a des dents. Cette mesure permettrait à l'Office de la langue française de se défaire de son double chapeau de juge et de partie en se concentrant sur son rôle de maître d'oeuvre de la politique linguistique, tout en se départissant de tout le volet de surveillance, dont elle a pris charge en 1993, au moment de l'abolition de la Commission.

Il nous apparaît important qu'une fois réinstaurée la Commission se voit investie d'un mandat élargi qui lui permettrait de s'assurer pleinement du respect des dispositions de la Charte et, par conséquent, des droits linguistiques fondamentaux des Québécoises et des Québécois. Recevoir les plaintes des citoyens, c'est bien, mais disposer de tous les moyens susceptibles de corriger les entorses commises à l'égard de la loi dans des délais raisonnables, ce serait un autre pas en avant.

Nous recommandons donc de confier à la Commission de protection de la langue française le mandat de voir au respect de toutes les dispositions de la Charte et de lui donner les moyens de s'acquitter de cette responsabilité efficacement et dans des délais raisonnables, et d'évaluer également la pertinence de mettre sur pied le bureau d'information et d'aide en matière linguistique pour recevoir des plaintes des citoyens plutôt que de simplement confier ce rôle à la Commission, parce que nous croyons que ça devrait plutôt être le rôle de la Commission.

Alors, le rapport interministériel est clair: moins du tiers des ministères et organismes disposent actuellement d'une politique linguistique interne, et, pourtant, l'obligation leur en était faite. Nous ne pouvons que nous en étonner. Comment le gouvernement peut-il inciter et vouloir mobiliser la population à faire du français une des priorités constantes quand il n'est pas maître chez lui, quand il laisse impunément se perpétuer une situation qui va à l'encontre de ce qu'il préconise? Une plus grande harmonisation de toutes les politiques gouvernementales s'impose.

Alors, l'arrimage de la politique linguistique avec toutes les autres politiques adoptées par le gouvernement sera confié à un comité interministériel de coordination. Nous sommes d'accord avec le principe, mais nous nous opposons à ce que ce comité travaille en vase clos, ne réservant les résultats de ses travaux et de ses recommandations qu'aux comités ministériels de l'éducation et de la culture.

Il est essentiel que le comité interministériel soit tenu de rédiger un rapport annuel sur l'état d'avancement de la francisation de l'administration publique, et surtout que ce rapport soit rendu public. Alors, la visibilité de la nouvelle structure est importante; l'impact même de son action en dépend si on veut réellement susciter au sein des ministères et organismes gouvernementaux une approche de responsabilisation.

La CSD souscrit à l'objectif du gouvernement de faire de l'administration publique, y incluant les municipalités, les commissions scolaires, le réseau de la santé et des services sociaux, un de ses joueurs clés sur l'échiquier linguistique. Alors, la CSD recommande de plus que l'on incite tous les intervenants à se servir de leur pouvoir d'achat pour promouvoir le français.

Quant aux nouveaux arrivants, la CSD est profondément consciente de l'enrichissement que représentent pour la société québécoise les diverses minorités qui y sont nées ou qui ont choisi d'y vivre. Alors, pour ces derniers, souvent peu au courant au moment de leur arrivée de la place prépondérante qu'occupe le français au Québec, plusieurs choisissent de s'intégrer à la communauté anglophone. L'attraction de la langue anglaise constitue une réalité qu'il ne faut pas ignorer. Ce choix est d'autant plus facilité lorsque l'anglais est la langue dominante des communications dans leur milieu de travail. Ça aussi, c'est la réalité.

À ce chapitre, un phénomène pour le moins inquiétant touche les cours d'alphabétisation dispensés en langue anglaise aux immigrants allophones. La politique québécoise en la matière repose sur deux réseaux: celui des commissions scolaires et celui des groupes populaires. Pourtant, on se retrouve aujourd'hui confrontés au fait que dans environ 40 % des cas les cours d'alphabétisation pour les adultes allophones se donnent en anglais. Il y a là une incohérence avec la politique linguistique qui laisse bouche bée.

Pourquoi le gouvernement tolère-t-il que ces organismes largement subventionnés laissent à la personne immigrante le choix d'être alphabétisée en français ou en anglais? Pourquoi, en cette période de difficultés budgétaires, les gouvernements subventionnent-ils directement ou indirectement l'alphabétisation en anglais? Autant de questions auxquelles une politique linguistique revitalisée doit apporter des réponses.

Or, la CSD est d'avis qu'il faut revoir le programme d'alphabétisation à l'intention des nouveaux immigrants afin de faciliter leur intégration à la communauté linguistique francophone, revoir le régime des subventions soutenant le programme d'alphabétisation dans l'optique de maximiser l'intégration des immigrants à la communauté linguistique francophone.

En conclusion, la proposition de politique linguistique soumise à la consultation populaire devrait marquer, pour le Québec, le début d'une nouvelle phase de la francisation, tout en maintenant dans leur actualité les objectifs énoncés en 1977 par l'adoption de la Charte de la langue française. Or, le document de consultation livre, bien sûr, des pistes susceptibles de recentrer le débat linguistique sur le but ultime que s'était donné la Charte: faire du français la langue commune des Québécoises et des Québécois, et ce, dans tous les milieux de vie, dans tous les secteurs d'activité.

Nous regrettons, cependant, qu'à certains égards l'État se soit montré timide dans ses propositions, notamment au niveau du respect des droits linguistiques fondamentaux des travailleuses et des travailleurs ainsi qu'à celui de la francisation des entreprises. Il nous apparaît que cette nouvelle étape ne sera bénéfique au Québec que dans la mesure où elle ira au-delà de la surface, c'est-à-dire qu'elle touchera les travailleuses et les travailleurs, qu'elle les associera à leur syndicat étroitement et activement, et c'est à nos yeux une condition sine qua non à sa réussite.

Il faudra aussi que l'État mette fin au laxisme dont il a fait preuve au cours des dernières années et qu'il se donne l'obligation morale d'appliquer à toutes les entreprises avec la même et extrême rigueur les dispositions de la Charte. Il aura aussi la tâche de veiller à ce que l'administration publique assume pleinement ses responsabilités et se serve de son pouvoir d'achat, de sa position privilégiée à l'avant-scène nationale pour faire avancer de façon significative la francisation du Québec.

Le vrai travail commence, et c'est avec une volonté politique sans faille et un solide consensus social que le Québec devrait être en mesure de franchir le cap du troisième millénaire en français, dans le respect de lui-même et des autres. Alors, voilà nos commentaires, et nous sommes à la disposition des membres de la commission parlementaire pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Gaulin): Merci, M. le président de la Centrale des syndicats démocratiques. Vous avez pris 26 minutes, il reste donc 16 minutes de part et d'autre. La parole est à Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. Gingras, bonjour, M. Légaré, Mme Dubé. Merci pour votre fort intéressant mémoire qui contient beaucoup de consensus par rapport à notre énoncé de politique. Vous dites, en effet, que vous le critiquez pour sa timidité, pour certains manques, des manques à un certain nombre de choses, de votre point de vue, mais, quand même, il y a des consensus qu'on peut relever facilement: la Commission de protection de la langue française; aussi, cette question qui a été soulevée ce matin puis que vous resoulevez à votre tour et à laquelle je suis dorénavant bien sensibilisée, et dont je discuterai rapidement avec la ministre de l'Éducation, celle de l'alphabétisation en anglais des nouveaux arrivants.

(12 h 40)

Vous dites aussi, et on est d'accord là-dessus, on va en reparler un peu plus en profondeur – vous avez donc raison d'insister énormément sur cette dimension de la politique linguistique – la francisation des milieux de travail. Mais vous dites aussi, comme nous, qu'il n'est pas utile ou pertinent ou nécessaire et que ce n'est peut-être pas la bonne voie de toujours légiférer dans ce secteur-là, par exemple pour les entreprises de 50 employés et moins.

Comme vous le savez très bien, puisque, et je vous en remercie, vous avez accepté de travailler avec le professeur Grant, qui est responsable d'un groupe de travail qui doit nous remettre un rapport vers la mi-octobre sur les manières, justement, les approches ou une meilleure façon d'arriver à l'objectif que vous avez fort bien décrit. Les limites de la certification des entreprises, même des plus grandes entreprises, de celles de 50 employés et plus, nous sont apparues à nous aussi; il faut voir exactement à quelle réflexion puis à quelles conclusions on en arrivera là-dessus.

On compte beaucoup sur ce groupe de travail du professeur Grant auquel vous participez pour réfléchir et donc avoir les meilleures idées possible sur la francisation de ces milieux de travail, et aussi, comme vous le savez, sur les droits des travailleurs québécois de travailler en français. Ce droit-là, comment on peut l'articuler, comment on peut l'appliquer? Et c'est en marche, comme vous le savez.

Alors, donc, quand vous dites qu'on aurait peut-être dû aller moins vite et puis préparer une réflexion, on l'a fait en parallèle, c'est vrai, parce qu'il y a des choses qu'on peut réaliser par voie législative, mais on sait très bien que beaucoup de secteurs de la francisation, que ce soit l'intégration des immigrants, que ce soit l'école, que ce soit, justement, le français langue de travail, ça va au-delà. Il faut donc une approche sociale, comme on le dit, et, dans d'autres secteurs, une approche internationale pour arriver à notre objectif de francisation.

Je voudrais vous faire un commentaire avant de vous poser une question. Vous dites, page 39, concernant la protection des consommateurs – ça s'appelle «Des consommateurs mieux protégés» – vous dites: «C'est pourquoi nous ne pouvions que souscrire aux modifications que le gouvernement envisageait d'apporter à la Charte, et plus particulièrement aux articles 51 et 52, qui imposent la présence du français dans la commercialisation des produits.»

Page 40, vous dites: «Mais le projet de loi n° 40 est loin de répondre aux attentes qu'a suscitées la proposition de politique linguistique. Le gouvernement nous promet bel et bien de modifier les articles 51 et 52 afin d'en élargir – et là vous citez – "la portée aux produits informatiques, et pour mieux identifier toutes les personnes et entreprises qui peuvent être tenues responsables du respect de ces dispositions".»

Et vous ajoutez enfin: Pourtant, le projet de loi n° 40 est muet sur cette identification. L'article 52.1, ajouté par le législateur, ne fait en aucune façon écho aux préoccupations émises dans la politique.

Je vous fais remarquer qu'on retrouve cette identification, en fait, non pas à l'article 52.1, mais à l'article 205.1 du projet de loi n° 40, et je vous le lis: «Commet une infraction et est passible des amendes prévues à l'article 205 – donc, de la Charte – quiconque contrevient aux dispositions des articles 51 à 54 en distribuant, en vendant au détail, en louant, en offrant en vente ou en location ou en offrant autrement sur le marché, à titre onéreux ou gratuit, ou en détenant à de telles fins:

«1° un produit, si les inscriptions sur celui-ci, son contenant ou son emballage, ou sur un document ou un objet accompagnant ce produit, y compris le mode d'emploi et les certificats de garantie, ne sont pas conformes;

«2° un logiciel, y compris un ludiciel ou un système d'exploitation, un jeu ou un jouet non conforme;

«3° une publication non conforme.

«Il en est de même de tout exploitant d'établissement où des menus ou des cartes des vins non conformes aux dispositions de l'article 51 sont présentés au public.

«Il incombe à celui qui invoque les exceptions prévues aux articles 52.1 et 54 ou en application de l'article 54.1 d'en faire la preuve.»

En d'autres termes, ça n'est donc pas à l'article 52.1 qu'on l'a inscrit, mais à l'article 205.1. Alors, voilà. Je voulais quand même faire cette précision. Et, ensuite, vous demandez... En effet, en page 17 de votre mémoire, vous faites état de cette piètre situation des comités de francisation et vous dites que ça semble se situer, le problème, en général, dans le mandat ou dans la structure de ces comités.

Alors, plus précisément, j'aimerais que vous me disiez quelles sont les solutions que votre centrale, très concrètement, propose pour régler ce problème-là, sur les comités de francisation, concernant les comités de francisation.

Le Président (M. Gaulin): M. le président Gingras.

M. Gingras (Claude): Concernant 52.1, nous avons remarqué quand même que 52.1 fait une obligation, mais l'obligation est conditionnelle au fait que le logiciel existe en français. Alors, ça, je pense que ce n'est pas nécessairement d'inciter à la production de logiciels en français et puis de faire en sorte que, bon, on va avoir accès, comme société, quand même, à du matériel de travail ou à des outils de travail qui nous permettent de travailler en français, mais ça nous le permet uniquement dans la mesure où ce matériel-là est disponible.

C'est dans ce sens-là qu'on vous dit: Bon, bien, ça n'a pas satisfait nos attentes, et je pense que le projet de loi ne va pas aussi loin que ce qu'on aurait pu espérer, dans les déclarations qui ont précédé, justement, le dépôt de la politique. On croyait que ça irait plus loin et que ça favoriserait vraiment la production en français des logiciels et des didacticiels, au même titre qu'on pouvait exiger sur les produits l'affichage du français. Alors, dans ce sens-là, c'était l'objectif de notre remarque concernant l'impossibilité pour 52.1 de rencontrer les objectifs ou les attentes qu'on avait.

Et concernant les comités, bien sûr, les comités sur la francisation dans les établissements, à venir jusqu'à présent, ces comités-là ont agi un peu comme une commande que les entreprises recevaient de mettre sur pied des comités. On choisissait des travailleurs parmi les travailleurs de l'entreprise et, souvent, ces travailleurs-là, ça n'avait rien à voir avec ce qu'on appelle les travailleurs de la production dans l'entreprise. On choisissait un groupe de travailleurs qui étaient souvent des employés de bureau ou des employés... À l'occasion, on pouvait faire appel à un travailleur qui était dans le champ, si vous voulez, à un travailleur de production.

Cependant, ça se faisait, tout ça, un peu à l'insu des travailleurs. C'était comme pour répondre à une commande politique, là, qui disait: Bon, bien, on a un certificat, on a besoin de mettre sur pied un comité paritaire, un comité composé de travailleurs. Et on choisissait, comme ça, sur le tas, des travailleurs qu'on intégrait au processus pour agir comme des «rubber stamps» de l'entreprise ou du cheminement de l'entreprise par l'obtention de son certificat.

À tel point que même des syndicats n'étaient pas au courant que des employés, au sein même de leurs rangs, avaient été choisis pour faire partie du comité, de telle sorte que ça se faisait un peu en catimini. Et ça, c'est l'expérience qu'on a vécue sur le terrain. Donc, ce n'étaient pas des comités vraiment officiels où les travailleurs étaient partie prenante, on confiait à l'employeur le soin de mettre sur pied un comité d'entreprise, un comité composé entre autres des travailleurs.

Cependant, ce qu'on croit qui est le plus névralgique dans l'application de la Charte de la langue française et dans la francisation des milieux de travail, c'est la composition de comités paritaires, comités où, officiellement, les travailleurs ont une voix au chapitre, c'est-à-dire que ce n'est pas l'employeur qui leur demande de venir concourir à une démarche, mais où ils assument une partie des obligations de la Charte, c'est-à-dire qu'ils viennent là pour s'assurer que la Charte va être respectée quant à ses éléments concernant la francisation des milieux de travail.

Alors, c'est dans ce sens-là qu'on les voit, les syndicats et les travailleurs, comme des partenaires de la démarche et non pas comme des associés qu'on associe à la va-comme-je-te-pousse, quand les entreprises veulent bien les choisir. Parce qu'on a remarqué que, dans certains cas, même les employés de production avaient été laissés de côté carrément et que ça s'est fait exclusivement avec des employés de bureau et pratiquement à l'insu des employés de la production.

Comment peut-on s'assurer du caractère de permanence de la démarche de francisation quand c'est aussi limité en termes de participation? Alors, dans ce sens-là, pour nous, quand on parle de comités paritaires, on parle de comités où les travailleurs ont des droits et où les employeurs ont des droits, et ces deux parties qui vont présider à une démarche de francisation du milieu de travail vont faire leur travail en étant bien conscientes de leurs responsabilités respectives. Alors, c'est dans ce sens-là.

(12 h 50)

Et la nomination de ces gens-là devrait appartenir aux travailleurs. D'une part, les travailleurs devraient pouvoir désigner leurs représentants et non pas tout simplement assister à la parade des représentants que l'employeur aura choisis. Deuxièmement, ils devraient également être associés étroitement à tous les gestes et à toutes les séquences qui vont se dérouler dans l'entreprise pour favoriser la francisation du milieu de travail.

Et, quant aux gestes à poser, et tout ça, pour y arriver, c'est qu'à ce moment-là les travailleurs doivent pouvoir compter sur la possibilité, s'ils n'ont pas d'entente pour cheminer dans le cadre de la loi, s'ils n'ont pas d'entente, d'une espèce d'arbitrage de la Commission qui pourrait déléguer quelqu'un, à un moment donné, pour faire en sorte d'arbitrer certaines décisions qui ne peuvent pas se prendre dans un contexte paritaire parce qu'il n'y a pas de décision ou de consensus. À ce moment-là, on arbitre pour favoriser l'application de la Charte et la francisation des milieux de travail.

Et ça, c'est ce qui manque le plus, l'élément coercitif, à certaines occasions, pour vraiment s'assurer que la Charte est respectée dans le cheminement de l'entreprise vers la francisation. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on propose que de véritables comités paritaires soient mis en place, que ces comités paritaires là aient de réels pouvoirs de faire avancer la francisation dans les milieux de travail et que ça s'inscrive dans une volonté politique de faire en sorte que leur rôle débouche sur des résultats, résultats probants. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on dit: On doit revoir la mécanique pour s'assurer que ce soit une mécanique efficace.

Prenez l'exemple de la santé et sécurité, des comités de santé et de sécurité dans les établissements. Partout où on a atteint des objectifs, partout où on a des résultats, c'est où ces structures-là, permanentes, ont été mises en place, et ils se sont assurés de bien véhiculer les messages, de bien faire en sorte qu'on applique les bonnes mesures et de prévenir les accidents de travail dans ces milieux-là. C'est là qu'on a obtenu des résultats.

Et on pense que c'est avec une structure comme celle-là qu'on est capable, pour appliquer la Charte de la langue française, de le faire aussi. Et on croit que c'est la seule façon dont on pourra assurer la permanence de la francisation des milieux de travail. Parce qu'il faut se le dire, l'avènement d'outils nouveaux, l'informatique, entre autres, et tout ça, ça vient dégrader constamment... On a beau avoir un certificat de francisation au mur, mais, six mois après, on peut avoir une situation qui a complètement changé par rapport à l'évaluation qui a été faite. Et c'est dans ce sens-là qu'on dit, nous autres: Ça doit être des comités permanents qui s'assurent non pas seulement de la démarche, mais qui s'assurent également de la continuité de la francisation dans les milieux de travail.

Mme Beaudoin: Oui, merci.

Le Président (M. Gaulin): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui, une question très rapide avant de passer la parole à un de mes collègues. Je voudrais bien comprendre quand vous dites, justement, que... Bon, l'article 52.1 dit: «Tout logiciel [...] doit être disponible en français, à moins qu'il n'en existe aucune version française.» Est-ce que vous enlèveriez ça, vous? Vous laisseriez tout simplement: Tout logiciel doit être disponible en français, point, plutôt que de laisser «à moins qu'il n'en existe aucune version française»? C'est ça que je veux bien saisir, là, ce que vous voulez dire.

M. Gingras (Claude): C'est exactement ce qu'on a comme problème, c'est qu'on croit actuellement que cette mesure-là n'est pas assez incitative à produire le logiciel en français. Et le fait que, bon, on laisse cette permissivité n'encourage pas nécessairement l'élaboration de logiciels en français. Et, à ce moment-là, comme le disent certains, on commence toujours à travailler sur le logiciel anglais, jusqu'à temps que devienne disponible le logiciel en français, et, en bout de ligne, on est obligés d'acheter les deux pour en arriver à franciser les milieux de travail; on commence à travailler avec celui en anglais.

On aimerait qu'il y ait une solution qui soit trouvée pour faire en sorte que, bon, on puisse fournir aux milieux de travail le matériel informatique en français dès le départ, pour qu'on ne s'habitue pas, en fin de compte, à travailler avec un logiciel anglais puis, après ça, être obligés de réassimiler le fonctionnement d'un logiciel en français.

Le Président (M. Gaulin): M. le député de Nicolet-Yamaska, il reste une minute et quelques broutilles.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Bonjour madame, bonjour messieurs. D'abord, je voudrais vous féliciter pour la présentation de votre mémoire, la qualité de la présentation aussi.

Moi, j'aimerais ça qu'on regarde ensemble, si c'est possible, aux pages 21 et 22, où vous parlez de la question de l'alphabétisation. Vous dites, en bas de la page 21: «Un autre phénomène pour le moins inquiétant touche les cours d'alphabétisation dispensés en langue anglaise aux immigrants allophones.»

Ensuite, je vais à la page 22. Vous ajoutez: «...et pourtant, on se retrouve aujourd'hui confronté au fait que dans environ 40 % des cas, les cours d'alphabétisation pour les adultes allophones se donnent en anglais!»

Et là vous finissez par dire: «Il y a là une incohérence avec la politique linguistique qui nous laisse bouche bée.»

Est-ce que vous voulez dire par là que vous voulez restreindre l'accès à l'alphabétisation en anglais aux seuls anglophones ou si vous croyez qu'il faut abolir l'alphabétisation en anglais, tout simplement?

Le Président (M. Gaulin): Une réponse rapide.

M. Gingras (Claude): Nous croyons qu'il faille privilégier l'alphabétisation en français, dans un premier temps, et ça, on pense que si on a à faire de l'alphabétisation chez les allophones, c'est qu'on doit prioritairement exiger que cette alphabétisation-là se fasse en français, pour que ces gens-là adhèrent à la communauté française avec laquelle ils ont choisi de vivre. Alors, ça, c'est notre souhait, c'est qu'on veut vraiment que ça favorise l'alphabétisation en français.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): En français d'abord.

M. Gingras (Claude): D'abord. Et si on veut acquérir une deuxième langue, on fera comme les autres qui veulent acquérir une deuxième langue, mais l'alphabétisation commencera par se faire dans la langue de la société.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Donc, l'abolition...

Le Président (M. Gaulin): Le temps est malheureusement échu. M. le porte-parole de l'opposition officielle en matière linguistique.

M. Laporte: M. Gingras, M. le président Gingras, M. Légaré et Mme Dubé, d'abord, j'ai une petite question à vous poser. Avant de vous poser ma question, d'abord, je vais vous souhaiter la bienvenue au nom de l'opposition et, deuxièmement, je dois dire que vous avez vraiment produit un excellent mémoire. On peut être d'accord ou pas d'accord avec certains aspects de son contenu, mais j'ai eu beaucoup, beaucoup de plaisir à lire votre mémoire, d'autant plus que j'ai toujours été très sensible à certains des propos de la CSD depuis, d'ailleurs, le début, alors que Jean-Paul Hétu, qui a été mon ami d'enfance, en était le président.

Sur les comités de francisation, je trouve que vous répétez toujours, disons, un vieux mantra, si on peut se servir de ce mot-là, et je suis sensible aux idées que vous avez, de façon récurrente, exprimées là-dessus.

Ce sur quoi je suis absolument sensible – mais je pensais que ça avait changé, parce que j'avais donné des directives là-dessus, mais, à ma grande tristesse, ça n'a pas changé, c'est ce que vous me dites – c'est sur la critique que vous faites des orientations élitistes et même un peu snobs de l'Office en matière de normalisation terminologique.

Lorsque vous dites dans votre mémoire, ou, enfin, lorsque vous nous disiez, tantôt: «Les travailleurs ont besoin d'une terminologie qui est faite par eux et pour eux», j'ai toujours été à 150 % d'accord avec ça et j'ai toujours trouvé qu'il serait absolument opportun – je prie la ministre, M. le Président, peut-être, disons, de me supporter à l'occasion là-dessus – par exemple, que, dans sa normalisation terminologique, l'Office s'efforce de faire reconnaître un certain nombre de mots du métier, de termes du métier qui sont employés sur le plancher et non pas nécessairement par les spécialistes terminologues en contact permanent avec les grands organismes de normalisation francophones ou de la francophonie.

Que vous répétiez ça – vous le répétez d'une année à l'autre, d'un mémoire à l'autre – je trouve ça absolument extraordinaire, mais ce que je trouve moins drôle, c'est que ça ne change pas. À mon avis, il devrait y avoir, disons, une incitation à ce que cette orientation plus... je ne dirais pas plus populaire, mais je dirais plus adaptée à la langue ou au vernaculaire des gens dans les milieux de travail, soit respectée, représentée et véhiculée dans nos terminologies officielles.

Donc, là-dessus, vraiment, je trouve que c'est toujours rafraîchissant de lire les commentaires de la CSD, parce que vous êtes, à ma connaissance, à peu près les seuls à les faire comme ça, avec autant de détermination.

La question que j'ai à vous poser porte sur la recommandation 19 de votre mémoire. Vous dites qu'il faut «prévoir des sanctions exemplaires – je fais la liaison volontairement – pour les entreprises qui ne rencontreraient pas l'objectif de certification dans les délais requis».

(13 heures)

Évidemment, il y a déjà des sanctions de prévues dans la loi 101, telle que révisée, mais, je pense, à ma connaissance, que les sanctions sont toujours celles qui y étaient au début. Est-ce que vous pourriez préciser votre pensée là-dessus et nous dire ce que vous entendez par ce que seraient des sanctions exemplaires? Parce qu'il me semble que les sanctions qui sont déjà prévues et qui, dans certains cas, sont assez, comment dirais-je, draconiennes... Lorsqu'on prévoit, par exemple, qu'on peut suspendre un certificat et que ça entraîne un certain nombre de sanctions financières pour l'entreprise, j'aimerais savoir ce que vous voulez dire par «des sanctions exemplaires» parce que, disons, vous ne précisez pas cette pensée là-dessus dans votre mémoire, et je suis sûr que vous avez là-dessus des idées que nous aurions avantage à entendre. Alors, pouvez-vous préciser votre pensée là-dessus, M. le président, s'il vous plaît?

M. Gingras (Claude): Écoutez, il est bien sûr qu'il existe actuellement dans la loi, comme vous le dites, des sanctions qui sont prévues pour les entreprises qui ne rencontrent pas les objectifs de francisation qui y sont énoncés. Cependant, force nous est de constater que ça n'a pas nécessairement contribué pour tous à l'élaboration ou au respect de cette Charte, là, d'une façon intégrale. Alors, quand nous disons: Il faut quand même renforcer cette situation-là, nous pensons à des mesures qui feraient en sorte que, bon, on suspendrait même la possibilité d'obtenir des contrats de la part du gouvernement, des contrats d'approvisionnement. Nous pensons à toutes sortes de mesures qui feraient en sorte de ne pas continuer d'encourager ce genre d'entreprises qui se moquent éperdument, quand même, des droits de la société. Alors, c'est dans le sens de voir comment on peut les renforcer.

On n'a pas complètement inventorié toutes les mesures, mais on se dit: Étant donné que les mesures actuelles n'ont pas contribué, il faut aller plus loin que ça, il faut voir de quelle façon on est capable de vraiment décréter une enquête dans ces entreprises-là, vérifier les motifs pour lesquels on n'a pas livré la marchandise et, troisièmement, prendre les mesures appropriées pour qu'elles se conforment, ou, si elles ne se conforment pas, à ce moment-là, prendre d'autres mesures qui feront en sorte de faire comprendre que ce n'est pas la façon de traiter ici, au Québec, la société.

M. Laporte: M. le Président, juste un dernier commentaire à l'intention du président de la CSD. Vous savez, M. Gingras, que c'était l'une des sanctions qui étaient prévues dans la bonne vieille loi 22 et qui a été, à ma connaissance, M. le Président, si ma mémoire est bonne, soustraite de la loi 101, et on m'avait laissé savoir, à l'époque, que c'était à la suggestion de M. Parizeau. Mais c'était donc prévu, sous un gouvernement libéral, présumément... Comment dit-on dans votre rapport, Mme la ministre? Manquant de rigueur et de... je ne me rappelle pas du terme. Ce n'est pas de la lâcheté, évidemment, mais c'est...

Mme Beaudoin: Laxisme. Du laxisme.

M. Laporte: ...le laxisme. Bon.

Mme Beaudoin: Le laxisme.

M. Laporte: Alors, on avait tout de même à cette époque-là, disons, des velléités que je voudrais tout simplement rappeler à l'intention de cette commission parlementaire. Voilà donc une suggestion qui... Je ne sais pas si vous vous êtes inspirés de la bonne vieille loi 22, mais c'était, à ma connaissance, dedans, entre autres sanctions. Pas question des problèmes pratiques que ça poserait dans leur application...

Une voix: ...

M. Laporte: Il faudrait voir, mais... Non, moi, je ne suis pas du côté du gouvernement, vous comprenez. Alors, c'était simplement pour mentionner que la décision avait déjà été plus qu'envisagée, la décision avait même été prise. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les représentants de la...

M. Gingras (Claude): M. le Président?

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Gingras (Claude): Est-ce que vous permettriez une brève intervention de la part de mon collègue...

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Gingras (Claude): ...qui aurait peut-être quelques mots à vous dire avant la conclusion? Si vous permettez.

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Légaré (Robert): Alors, je vais être bref. Merci, M. le Président. Mme la ministre, M. le porte-parole de l'opposition, MM. et Mmes les députés, actuellement, comme centrale syndicale, nous sommes très préoccupés par tout le volet de la francisation dans les milieux de travail. C'est là notre accent, c'est là notre action au quotidien. Sans reprendre ce qui est dans le mémoire qu'on vous a présenté, j'aimerais ajouter que, pour nous, il y a des pans entiers qui échappent dans les milieux de travail, on les retrouve dans notre mémoire. Également, les gens dans les milieux de travail sont prêts à s'impliquer – notre enquête nous le révèle, de l'automne 1995 – ils sont prêts à s'impliquer en autant qu'on leur donne tous les outils, le support qu'il faut pour mener à bien, à terme les objectifs recherchés.

Quant à nous, il y a une stratégie de relance en quatre points, M. le Président, et je termine avec ça. Il faut vaincre cette indifférence qui s'est installée au fil des années, pour toutes sortes de raisons qui sont venues autour, prendre la priorité, que ce soit l'économie, les pertes d'emplois, etc. Il faut faire renaître le sentiment d'appartenance au français au Québec. Il faut stimuler le réflexe de revendiquer et de revendication du droit de travailler en français et mener sérieusement un combat concerté, syndicats, employeurs, gouvernement, pour que la francisation des nouvelles technologies, on s'en préoccupe, qu'on l'atteigne. Merci de m'avoir écouté.

Le Président (M. Garon): Je remercie les représentants de la Centrale des syndicats démocratiques pour leur participation à cette consultation, et je suspends les travaux jusqu'à 14 heures, où nous entendrons M. Gilles Rhéaume, au nom du Mouvement souverainiste du Québec.

(Suspension de la séance à 13 h 7)

(Reprise à 14 h 11)

Le Président (M. Garon): Alors, comme le quorum est en force et que Mme la ministre est présente, nous allons déclarer la séance ouverte immédiatement. Et j'invite les porte-parole du Mouvement souverainiste du Québec à prendre la place des témoins. Ils sont déjà rendus à la table des témoins. Vous avez une heure, c'est-à-dire que, normalement, vous prenez 20 minutes, normalement, 20 minutes pour les ministériels, 20 minutes pour l'opposition. Si vous en prenez plus, ça leur sera soustrait; si vous en prenez moins, ils pourront s'en prévaloir. Alors, si vous voulez présenter aussi les gens qui vous accompagnent. M. Rhéaume.


Mouvement souverainiste du Québec

M. Vellone (Ivanoe): Alors, M. le Président, j'aimerais avant tout remercier la commission de nous donner la possibilité de nous exprimer sur un dossier aussi chaud, si on veut, à l'heure actuelle, qu'est le débat sur la loi française. J'aimerais avant tout me présenter. Mon nom est Ivanoe Vellone. Je suis président du Mouvement souverainiste du Québec et je suis accompagné pour les circonstances par M. Gilles Rhéaume, qui occupe la fonction de vice-président au sein du même mouvement. Alors, si vous voulez bien, on va commencer tout de suite par la présentation de notre mémoire.

Comme nous le disons, une confusion extrême entoure toute la question de la langue au Québec. Politiquement et émotivement chargée, elle sert de révélateur de l'état réel des lieux dans le Québec de 1996. Le malaise profond qui entoure la question en dit long sur les problèmes fondamentaux de notre société à l'aube du troisième millénaire. Personne n'aime discuter de la langue au Québec. Notre fatigue linguistique est la seule à pouvoir rivaliser avec notre fatigue constitutionnelle. Et pourtant tout le monde le fait, et le plus souvent mal, c'est-à-dire à tort et à travers. Comment se fait-il que, depuis une génération de débats acrimonieux, après les lois 63, 22, 101 et 86, qui toutes, chacune à son tour, avaient été proposées par leurs auteurs comme la solution qui devait régler la question, nous en sommes encore à discuter du régime linguistique de notre nation? Nous croyons que c'est parce que le problème a été mal posé. Il y a des choses qu'on ne peut pas dire au Québec, des tabous collectifs sur lesquels règne la loi du silence même entre des adversaires politiques, parce qu'il y a là des blessures douloureuses et profondes que l'on n'ose pas regarder, sans doute parce que ce qu'on y verrait ne serait pas très flatteur pour nous. C'est parce que les paramètres du problème ont été mal définis que nous nous interdisons jusqu'à la possibilité d'y trouver une solution.

Commençons donc par une brève description du Québec de 1996. Le Québec n'est pas une société française, mais il devrait l'être. D'abord, le Québec de 1996 n'est pas une société française. Les Québécois doivent cesser de se berner avec des mythes patriotiques. Au mieux, le caractère français du Québec est un idéal à atteindre, au pire, c'est une pieuse illusion, quand ce n'est pas une cruelle déception. La mystification linguistique qui consiste à prétendre que le Québec est un État français dessert la cause de la langue française, dénature la réalité et rend même son intelligence incompréhensible. Il faut saisir la donne dans sa totalité concrète.

Il est peut-être vrai que la langue française est la langue maternelle de plus de 80 % de la population du Québec, mais dans les domaines du commerce, de l'industrie et de la finance, là où ça compte, là où sont les leviers du pouvoir, les réalités sont très différentes. Dans le Grand Montréal, où demeure presque la moitié de la population du Québec et qui est le centre, le coeur économique du Québec, la locomotive qui remorque tout le reste du pays, la langue de travail de plus de la moitié des résidents est l'anglais. Plus du tiers des Canadiens français de Montréal travaillent dans une autre langue que la leur.

Cette injustice, qui serait reconnue comme telle dans n'importe quel autre pays du monde, est aggravée lorsque l'on considère la nature des emplois en jeu. Les meilleurs emplois, ceux dont le prestige et le salaire sont les plus élevés, sont occupés de manière disproportionnée par des anglophones, qui sont, plus souvent que non, unilingues. Dans les secteurs de pointe, là où se déploie la haute technologie, dans les industries les plus porteuses d'avenir, la situation du français est tout simplement catastrophique, quand elle n'est pas inexistante. Il faut constater une lente mais certaine régression depuis 10 ans dans ces secteurs. La langue de travail de la grande industrie à Montréal, c'est l'anglais. Le français se cantonne frileusement dans les petites et moyennes entreprises, et même là... Le droit fondamental au travail dans sa langue n'est pas acquis au peuple québécois. Montréal est bien la plus grande ville française de langue anglaise dans le monde.

Tous les indicateurs socioéconomiques sans exception racontent la même histoire: que ce soit sur les plans du revenu moyen, de la scolarité, de la sécurité d'emploi, du temps de vacances, de la santé ou même de la longévité, les Canadiens français suivent parfois de très loin les anglophones et même les néo-Québécois. Cette situation est sans exemple dans le monde développé. Il y a là plus que des relents de colonialisme.

Certains porte-parole de la communauté anglaise, secondés sur ce point par le gouvernement d'Ottawa, aiment raconter que le Québec n'est pas une société française et qu'on n'a qu'à se promener dans les rues de Montréal pour le constater. Ils ont raison, mais ce constat qu'ils font avec complaisance doit être dénoncé comme l'aveu d'une injustice fondamentale. Il est possible aujourd'hui, en 1996, comme il l'était en 1840, lorsque le français fut mis hors la loi par les autorités anglaises, de mener une vie à Montréal ou dans l'ouest du Québec, et ce, du berceau jusqu'à la tombe, uniquement en anglais. C'est un privilège qui est réservé à bien peu de Montréalais d'expression française. Le développement séparé de la communauté anglaise du Québec est une réalité de fait. Elle n'a pas besoin d'un encadrement juridique, car elle a pour elle tout le poids de l'histoire et l'inertie des choses. Cet apartheid culturel est intolérable dans une société civilisée. Depuis longtemps, la communauté internationale s'est penchée sur des cas de ce genre, notamment en Afrique, pour les dénoncer. Il est grand temps pour les Québécois de le faire chez eux.

Ce qu'il y a de plus insidieux dans la situation, et de plus monstrueux, c'est que c'est à la majorité française du Québec qu'il revient d'assumer le coût du maintien de ce développement séparé. Ainsi, toutes les institutions anglaises du Québec, les écoles, les soins de santé, les services sociaux, etc., sont non seulement garantis par la loi mais largement financés par l'État québécois. Cette situation absurde explique la faible capacité d'intégration du français au Québec.

Pour le nouvel arrivant au Québec, la situation est claire: le Canada est un pays anglais, l'anglais est la langue de la majorité canadienne, c'est la langue du pouvoir, celle de l'argent, celle de l'avenir. Tous les services de l'État, et c'est aussi vrai de l'État provincial que de l'État fédéral, sont non seulement disponibles en anglais, mais leur accès est garanti par la loi. Dans ce cas, comment s'étonner de ce que la majorité des immigrants au Québec choisissent de s'identifier et de s'intégrer à la communauté anglaise? Lorsque la majorité française n'est pas en mesure de se faire respecter chez elle, comment peut-elle exiger le respect des étrangers? Lorsque des Québécois ne peuvent pas travailler chez eux dans leur propre langue, ils ne peuvent pas s'attendre à voir les néo-Québécois combattre pour leurs droits à leur place.

Soyons clairs, il n'y a pas de minorité anglaise au Québec. La communauté anglaise du Québec est un prolongement de la majorité anglaise au Canada et elle ne se considère pas autrement. Encore une fois, la mythologie patriotique québécoise doit céder le pas à la dure réalité. Par ses attitudes et ses comportements, la communauté anglaise du Québec refuse d'admettre le caractère français du Québec, qu'elle conteste de manière quotidienne et viscérale. Il en sera ainsi tant que le Québec sera tenu dans les serres du régime fédéral.

De la même façon, on ne peut pas parler d'une majorité française au Québec autrement que sur le plan descriptif ou sociologique, parce que, dans le régime fédéral, celle-ci n'a aucun statut juridique. Il n'existe aucune reconnaissance formelle du caractère français du Québec dans la Constitution canadienne. Au contraire, depuis la loi 22, le gouvernement fédéral s'est amusé à saboter soit de manière directe ou encore de manière hypocrite toutes les mesures actives que les gouvernements successifs du Québec ont pu prendre pour la défense du français.

(14 h 20)

La loi fédérale sur les langues officielles ne comprend aucune disposition territoriale, ce qui assure que le français sera minoritaire partout. Cette loi fédérale constitue une colossale escroquerie intellectuelle, car, en consacrant l'égalité formelle et abstraite des langues officielles, elle masque une inégalité de fait qu'elle sert à perpétuer. Pire, le gouvernement fédéral oblige la majorité de ses employés à travailler en anglais sur le territoire du Québec et refuse de respecter les lois québécoises sur la langue. Ce qui veut dire que le gouvernement fédéral, un des employeurs les plus importants du Québec, tant par son exemple et son prestige que par ses actions, contribue activement à maintenir la position hégémonique de l'anglais au Québec. Faut-il rappeler que ce gouvernement est largement engraissé par les taxes des mêmes Québécois qu'il traite en imbéciles? Pour le gouvernement d'Ottawa, les Canadiens français sont une minorité, et leur langue, une langue mineure. En vérité, et c'est là que blesse le bât, il n'y a pas un problème linguistique au Québec mais bien un problème politique. C'est le problème classique de la domination étrangère d'un peuple. Sa solution est tout aussi classique et elle passe également par le domaine politique.

Que faire? D'abord et avant tout, le gouvernement doit envisager la situation avec lucidité. Chaque recul du français au Québec est considéré comme une nouvelle victoire par les tenants de la suprématie anglaise et constitue un encouragement supplémentaire pour la cause de ces derniers. Chaque concession, chaque affaiblissement de la Charte de la langue française, aussi minime soit-il, est perçu comme un aveu de faiblesse, une nouvelle démission. Il ne peut y avoir de progrès pour l'anglais qu'à la condition d'un recul égal et complémentaire du français. L'inverse est tout aussi vrai. La politique de la main tendue ne peut réussir que lorsque sont réunies les conditions du respect mutuel des interlocuteurs et du sens élémentaire de la justice. Manifestement, ce n'est pas le cas en 1996. C'est la langue française qui est en danger à Montréal et dans l'Outaouais. Il n'y a pas de paix linguistique qui tienne parce qu'il n'y en a jamais eu, pas depuis la Conquête. Depuis, notre histoire est celle de la lente reconquête de nos droits et de nos libertés. La liberté ne sera possible qu'une fois achevée cette reconquête. On ne peut pas déclarer unilatéralement la paix, celle-ci ne peut être que le fruit d'un accord de bonne foi, librement consenti.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une guerre larvée de tous les jours, de tous les instants sur les places de travail, sur les bancs d'école, sur les lits d'hôpitaux. La lutte pour notre langue, le français, est l'oeuvre inconnue et ignorée de milliers et de milliers de Québécois qui reprennent le flambeau de leurs ancêtres. C'est dans l'obscurité et souvent dans un dénuement total que se mène ce combat. Et nous ne pouvons que saluer bien bas l'héroïsme de tous ceux et celles qui, contre vents et marées, contre toutes les formes de persécution, de discrimination et d'intolérance, n'ont jamais baissé les bras.

Nous rappellerons finalement à nos élus qu'ils sont les héritiers et les mandataires de toute la nation. Dans le contexte actuel, celui de la soumission du Québec au système fédéral, la seule paix acceptable pour les uns est celle de ces charniers pour la langue française que sont devenues les provinces de l'Ouest canadien. Il va sans dire que ce n'est pas notre choix.

M. Rhéaume (Gilles): La solution, c'est la souveraineté. Notre choix, c'est la souveraineté. Seule la souveraineté tranchera la question dans le bon sens, c'est-à-dire dans celui de la justice, de l'honneur et de la dignité. Seule la souveraineté permettra de rétablir la majorité dans ses droits. Seule la souveraineté assurera l'avenir de la langue française en Amérique. Il n'y a pas de loi 101 possible sans le bris du lien confédéral.

Les prétendues questions linguistiques disparaîtront d'elles-mêmes dans un Québec souverain. On saura alors qui forme la majorité et qui forme la minorité. Et comme dans n'importe quelle société démocratique, c'est la majorité qui déterminera l'avenir de la société. L'odieux chantage par lequel des extrémistes arrogants et hypocrites, autoconstitués en prétendus défenseurs des libertés, font valser la majorité qu'ils abreuvent d'un torrent d'injures et d'humiliations, tout cela cessera. Les choses seront alors claires. Mais il y a urgence, il faut crever l'abcès. L'instabilité politique du régime fédéral doit prendre fin, mais seule la fin de ce régime mettra un terme à son instabilité. La fixation sur la question de la langue a coûté extrêmement cher aux Québécois en énergies perdues, certes, mais aussi en emplois et en argent. Il faut qu'elle soit réglée une fois pour toutes sans que tout soit remis sur l'écheveau pour le prochain rendez-vous électoral. Nous pressons donc nos commettants d'agir, d'agir avec courage et célérité dans les intérêts supérieurs de la nation, et ces intérêts commandent indéniablement, comme partout ailleurs sur la terre, la souveraineté. Et la souveraineté maintenant. La souveraineté maintenant, parce que toute autre mesure ne peut être qu'un palliatif ou un remède de fortune. Au mieux, ses bénéfices ne peuvent être que temporaires, s'ils ne sont pas illusoires, dans la mesure où ils ne vident pas la question et perpétuent l'instabilité politique et, donc, par conséquent, la décomposition linguistique du Québec.

Il n'empêche que, d'ici la souveraineté, le gouvernement peut et doit agir pour protéger la langue française et rassurer la population. Nous suggérons donc un train de mesures concrètes que le gouvernement peut entreprendre, dont certaines immédiatement. L'adoption de ces mesures donnerait des effets positifs pour l'évolution de la langue française au Québec.

Nous proposons trois types de mesures: d'abord, des mesures à court terme qui sont d'une nature plus technique et qui portent sur des aspects juridiques de la Charte de la langue ainsi que sur sa surveillance, mais qui peuvent être appliquées avec très peu de frais et en très peu de temps; ensuite, à moyen terme, des propositions dont les modalités doivent être soigneusement étudiées quant à leurs conséquences; enfin, à long terme, un plan global dont les résultats devront être périodiquement évalués et, au besoin, révisés.

Recommandations à court terme. La Charte de la langue française doit être déclarée une loi d'ordre public. Cette disposition renforcera la Charte devant les tribunaux en lui conférant un prestige et une importance qui correspondent mieux aux intentions de ses créateurs. Ainsi, la responsabilité de son application relèvera directement de l'État et ne dépendra pas surtout du sens civique des citoyens.

Dans la constitution du Québec, une constitution qui n'a pas besoin d'attendre la souveraineté pour être adoptée, la Charte de la langue française doit être déclarée du même niveau juridique que la Charte des droits. Cette mesure va dans le même sens que la précédente. Il faut inscrire dans la Charte que, dans le cas de tout conflit de droit à l'intérieur de celle-ci, l'interprétation de la Charte devra s'inspirer du principe dit de territorialité plutôt que de celui dit de personnalité. C'est technique, mais je sais qu'il y a des amateurs de technique. Il faut créer un ombudsman de la langue française, pas un ombudsman de la langue, pas un ombudsman des questions linguistiques, un ombudsman de la langue française qui aura toute l'autorité voulue pour surveiller l'application et le respect de la Charte de la langue française. Trop souvent, les citoyens sont convaincus de l'inefficacité et de la lourdeur des procédures existantes pour gérer les plaintes reçues. Non seulement la nomination d'un ombudsman humanisera le processus, mais elle donnera un relief supplémentaire à son importance.

Nous croyons également que le gouvernement doit immédiatement donner l'exemple par la francisation de la marche de l'État. L'administration civile, les sociétés d'État, les grandes écoles françaises, l'UQAM, l'Université de Montréal doivent cesser immédiatement de pratiquer un bilinguisme rampant qui est non seulement injustifié parce qu'il ne répond à aucun besoin, mais qui coûte très cher par la multiplication bureaucratique des services qu'il entraîne. Il y a sûrement d'énormes économies à faire ici.

Recommandations à moyen terme. Il faut revoir toute la question des raisons sociales. Aujourd'hui, la situation frôle le grotesque, non seulement à Montréal, mais à l'échelle de tout le Québec. Il est clair que l'esprit, sinon la lettre de la loi sont bafoués avec impunité. Il ne sert à rien d'insister sur l'affichage à l'intérieur d'un commerce si l'appellation même de l'entreprise constitue un démenti, voire une dénégation du caractère français du Québec. C'est le visage français du Québec qui est ici en jeu.

L'État doit cesser de financer, que ce soit en totalité ou en partie, les activités et les événements culturels qui n'accordent pas la primauté au français. L'État doit favoriser, d'une manière impérative, les activités de recherche, les congrès et les colloques qui se font en français. L'État doit exiger que les événements sportifs qui se déroulent au Québec et qui, de ce fait, bénéficient de son soutien direct, ou même tout simplement de son soutien logistique indirect, respectent la Charte de la langue.

Le secteur collégial doit poursuivre le rôle d'intégration sociale auprès des néo-Québécois que jouent déjà les écoles primaires et secondaires. Il ne faut plus permettre au premier cycle de l'éducation supérieure d'annuler tous les effets positifs de l'école française au primaire et au secondaire. Les cégeps français doivent faire leur part dans l'inclusion des nouveaux arrivants dans le Québec d'aujourd'hui – comme ça se fait partout dans le monde, j'attends des exemples contraires.

(14 h 30)

Tous les nouveaux membres des associations, ordres ou sociétés de nature professionnelle qui auraient été accrédités ailleurs qu'au Québec doivent démontrer une maîtrise suffisante et fonctionnelle de la langue française avant de pouvoir exercer leur profession au Québec. C'est dans l'intérêt du public de pouvoir être servi dans sa langue.

L'obtention des diplômes secondaires, collégiaux et universitaires des institutions québécoises de langue anglaise devrait être conditionnelle à la démonstration d'une maîtrise suffisante et fonctionnelle de la langue française. Les épreuves d'évaluation devraient être administrées par le ministère de l'Éducation. On se retrouvait dans une situation aussi ridicule que les étudiants de cégeps francophones, pour entrer à l'université francophone, devaient passer des examens de français, alors qu'on pouvait, sans aucun examen, entrer directement à l'université anglaise. Ne vous demandez pas pourquoi beaucoup d'allophones allaient de ce côté-là, il y avait un test en moins. Il faut changer l'ordre des choses. La majorité n'a pas à être bilingue. Chaque individu qui le désire, bien sûr, mais l'État ne peut pas contraindre la majorité à adopter une langue étrangère.

Recommandation à long terme. Les dispositions de la Charte visant la francisation des entreprises doivent être renforcées et étendues, notamment vers les petites et moyennes entreprises.

Quant à la conclusion, pour nous, ce n'est pas compliqué. Le français est dans une situation extrêmement précaire en Amérique. Dans les provinces anglaises, le français est agonisant, lorsqu'il n'est pas mort. Au Québec même, l'érosion se fait de l'intérieur. S'il y a une langue en voie de disparition, outre les langues autochtones, s'il y a une langue en voie de disparition sur le continent nord-américain, c'est le français, et le gouvernement du Québec et les parlementaires de l'Assemblée nationale ont la responsabilité de protéger cette langue.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Ça a été pas mal précis: 20 min 12 s. Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. Bonjour, M. Rhéaume. M. Vellone, bonjour. Alors, moi aussi, mon choix, c'est la souveraineté, mais je ne suis pas certaine qu'on soit d'accord sur, je dirais, certaines des conséquences de la souveraineté. Je crois, moi aussi, que le meilleur amendement à la loi 101, c'est la souveraineté. Cependant, en vous faisant remarquer que, dans l'avant-projet de loi sur la souveraineté et dans tous les documents émanant du Parti québécois – moi, en tout cas, j'en suis membre depuis les tout débuts – les garanties à la minorité anglophone ont toujours été...

Vous vous souviendrez de M. Lévesque. Bon. D'ailleurs, au moment même de la fondation du Parti québécois, toutes ces discussions ont eu lieu. Donc, dans l'avant-projet de loi sur la souveraineté, qui est le dernier document officiel en date, si vous voulez, et dans tous les documents, donc, émanant du Parti québécois, ces garanties à la minorité anglophone ont toujours été bien établies. C'est le cas dans notre énoncé de politique aussi.

Et c'est pour ça que je voudrais vous poser la question suivante: Quand vous dites, page 3, je crois, de votre mémoire, que, bien sûr, l'accès en anglais à tous les services de l'État québécois est garanti par la loi, toutes les institutions anglophones du Québec, écoles, soins de santé, services sociaux sont largement financés par le Québec, par le gouvernement du Québec, par l'ensemble des contribuables québécois, et vous dites quelque chose comme: il y a quelque chose d'insidieux à ce que la majorité française du Québec assume le coût de ce que vous appelez ce développement séparé... Moi, j'aimerais savoir: Est-ce que vous pensez... Parce que vous dites: la minorité n'existe pas, la majorité non plus. Bon. Est-ce à dire, dans votre esprit, que l'État québécois ne devrait assumer aucuns services en anglais et qu'il devrait n'y avoir aucunes garanties à la minorité anglophone du Québec, telle que définie? Je veux dire, par exemple, ceux qui ont le droit d'aller à l'école anglaise, enfin, etc., d'après la Charte de la langue française... Et puis on sait, d'ailleurs, que, dans les écoles... En tout cas, dans le rapport interministériel qui a été déposé en mars dernier, on voit bien qu'il y a à peu près 10 % – grosso modo, 10 % – des élèves, dans nos écoles primaires et secondaires, qui sont dans le secteur anglophone, ce qui correspond, grosso modo, justement, à ce que représente la minorité anglophone.

Alors, donc, c'est sur la question de ces droits à la minorité anglophone et des garanties, oui ou non, que vous seriez prêts à lui accorder. Puis j'aurais une deuxième question tout de suite après.

M. Rhéaume (Gilles): Nous sommes tout à fait partisans de la reconnaissance constitutionnelle de droits aux individus de la communauté anglophone dans un Québec souverain. J'étais également au Parti québécois à sa fondation, je pense que j'ai la carte n° 29. Je me souviens très bien des débats à cet effet-là, puis vous le rappelez avec beaucoup de pertinence.

Effectivement, et en tant que partisan de la loi 101, la loi 101 a été la première législation qui a transformé des privilèges en droits, et nous sommes d'accord avec cette vision juridique. Lorsque nous dénonçons le coût d'un certain bilinguisme institutionnel, bien entendu, nous croyons que, dans la succession des États, vraisemblablement, la langue anglaise devra continuer à conserver les droits qui sont déjà prescrits dans la Constitution canadienne – il faudrait regarder de façon plus spécifique, mais disons que c'est le cadre général – le droit à l'enseignement en anglais, ce qui est prévu dans la Charte de la langue française, le droit aux services de santé et de soins en anglais. Nous sommes tout à fait d'accord avec ça, même pour améliorer dans certaines situations. J'ai participé à quelques comités de travail sur des cas de patients particuliers, atteints de maladies particulières, où il y avait, semble-t-il, peu d'accès, et je reconnais ce droit-là comme étant un droit formel et absolu.

Ceci étant dit, il faut éviter cette espèce de bilinguisme qu'on appelle rampant. Il n'est pas nécessaire que tout le peuple du Québec soit bilingue pour satisfaire aux besoins d'individus de langue anglaise. Actuellement, c'est ça, la situation. Tant et aussi longtemps qu'il sera possible de vivre en anglais du berceau jusqu'à la tombe, eh bien, c'est le peuple du Québec, dans sa majorité, qui devra être bilingue. Et ça, on ne connaît pas d'autres exemples dans le monde.

On demande simplement: garantissons des droits aux individus de langue anglaise, donnons-leur en plus s'il le faut, s'ils le jugent à propos après discussion, mais assurons-nous d'une chose, le poids du bilinguisme, ce n'est pas à la majorité de porter ça. Nulle part ailleurs dans le monde, sauf des majorités qui disparaissent. Mais le poids du bilinguisme, c'est la minorité qui doit le porter. Et lorsque nous nous opposons au bilinguisme, ce n'est pas au bilinguisme personnel – d'autres auteurs parlent de bilinguisme plus particulier – nous nous opposons à une certaine forme de bilinguisme social, nous nous opposons à une certaine forme de bilinguisme institutionnel.

Nous n'aimons pas non plus lorsqu'on entend toujours parler d'«anglais langue seconde». C'est «anglais langue étrangère» et non pas «langue seconde». Ça voudrait dire qu'il y en aurait deux, que c'est la deuxième, ou qu'il n'y en aurait que deux. On se promène partout dans le monde puis on dit: je parle les deux langues. Ça ne veut pas dire grand chose ailleurs qu'ici. Il n'y a pas de «les deux langues», on parle français. On peut apprendre l'anglais, l'allemand ou l'espagnol, mais on aimerait élargir cette formation linguistique à d'autres langues.

En conclusion, nous reconnaissons des droits aux individus de langue anglaise qui vivent au Québec. Nous souhaitons que ces droits soient perpétués dans le Québec souverain, mais pas de bilinguisme institutionnel.

Mme Beaudoin: Je voudrais donc seulement vous lire ce qu'il y avait dans l'avant-projet de loi sur la souveraineté, à l'article 8, une phrase, pour que ça soit très clair, là: «La nouvelle Constitution, disions-nous, garantira à la communauté anglophone la préservation de son identité et de ses institutions.» Est-ce que, donc, vous adhérez à cette...

M. Rhéaume (Gilles): Oui, la communauté étant, par définition, je dirais, une addition d'individus, nous sommes d'accord avec ça. Tout à fait.

Mme Beaudoin: Une petite question avant de passer la parole à un de mes collègues. Est-ce que vous ne dites pas quelque part qu'il faudrait cesser de financer, que ce soit en tout ou en partie, les activités et les événements culturels qui n'accordent pas la primauté au français?

M. Rhéaume (Gilles): Oui. C'est-à-dire, il me semble qu'on a mis là pas mal de souplesse: d'arrêter de financer en tout ou en partie. On voudrait que la primauté au français soit également perceptible. Non seulement audible et visible, mais perceptible dans les événements culturels, dans les événements sportifs ainsi que dans les activités de recherche.

Je parlais avec le professeur Wainberg, de l'Hôpital général juif, récemment, qui est une des sommités mondiales dans le domaine de la recherche sur le sida, qui me disait qu'il était très fier que son hôpital et son centre de recherche contribuent, par la rédaction d'articles en français, à l'avancement de la recherche dans ce dossier. Et ça, il disait même qu'une inquiétude qu'il avait face à la souveraineté, c'est: Est-ce que les mêmes sommes nous seront accordées? Et j'ai répondu spontanément que j'en étais absolument convaincu.

(14 h 40)

Je pense qu'il faut donner un coup de main à ceux qui font des efforts pour non seulement publier, mais faire des recherches en français et sur le plan culturel. Bon, tous les festivals, c'est très bien. J'ai participé à des festivals, moi, en Hollande. Je pourrais... En tout cas, je ne les nommerai pas tous, mais, dans plus d'une trentaine de pays en Occident, et la priorité à la langue officielle nationale, c'est quelque chose d'universel, à quelques exceptions près.

Mme Beaudoin: D'accord. Donc, on s'entend bien. Prenons un exemple, un exemple récent, le Festival des films du monde. Alors, comme tous les bons cinéphiles, je présume que vous préférez voir l'ensemble des films, et, on l'a dit ici la semaine dernière, un des avantages d'un festival comme le Festival des films du monde, c'est qu'on voit autre chose que des films américains.

M. Rhéaume (Gilles): Tout à fait.

Mme Beaudoin: C'est déjà extraordinairement intéressant. Beaucoup de films qui ne sortiront pas en salle parce qu'ils n'ont pas de distributeurs puis parce que la distribution est bien contrôlée, comme vous le savez; donc, des films japonais, des films italiens, des films allemands, qui sont en langue originale mais qui... C'est assez récent au Festival des films du monde, mais ils le font maintenant de manière généralisée. Même si, le soir de la première, en tout cas, les sous-titres n'étaient pas extraordinaires, c'était un film américain, puis les sous-titres, franchement, ce n'était pas extraordinaire.

Donc, ça vous semble raisonnable, on est d'accord pour dire qu'à un festival comme le Festival des films du monde, d'abord, que... Parce que le doublage, là, souvent, ça écorche. On préfère voir en version originale mais avec des sous-titres français. Ça, pour vous, c'est ça. On s'entend bien qu'au Festival des films du monde – je prends cet exemple-là – le français domine, prédomine, parce qu'il y a ces sous-titres. Et puis vous ne nous recommandez pas d'annuler le financement au Festival des films du monde?

M. Rhéaume (Gilles): Pas du tout. Quand j'écoute Pink Floyd chez moi, je n'ai pas de sous-titres.

Mme Beaudoin: Très bien.

Le Président (M. Garon): M. le député de Fabre.

M. Facal: Merci beaucoup, M. le Président. Je trouve qu'il y a dans votre mémoire une combinaison d'affirmations justes et vraies et d'affirmations qui, elles, gagneraient à être un peu plus nuancées. Il va de soi que vous avez raison, par exemple, lorsque vous dites que le problème linguistique est fondamentalement un problème politique qui ne peut être bien compris si on n'appréhende pas tout le contexte historique et politique qui l'a fait naître.

Vous avez également raison de dire que la souveraineté clarifierait énormément la situation, à la condition, bien sûr, que nous nous entendions bien sur le sens du mot «clarification». Vous avez aussi raison de dire qu'il n'y a, dans l'actuelle Constitution canadienne, aucune reconnaissance formelle du caractère français du Québec.

Cela étant dit, il y a dans votre mémoire des expressions si fortes que je voudrais savoir dans quelle mesure elles traduisent fidèlement votre pensée. Lorsque vous dites, au début de la page 3: «Que ce soit sur les plans du revenu moyen, de la scolarité, de la sécurité d'emploi, du temps de vacances, de la santé ou même de la longévité, les Canadiens français suivent, parfois de très loin, les anglophones et même les néo-Québécois.»

Pourriez-vous étayer cette affirmation selon laquelle, même au plan de la santé, de la longévité, du temps de vacances, de la sécurité d'emploi, de la scolarité et du revenu moyen, vous nous présentez un portrait des francophones qui m'amène à me demander si nous avons fait quelque progrès que ce soit?

M. Rhéaume (Gilles): Cette dernière question est tout à fait pertinente. On a commencé, lors de la commission Laurendeau-Dunton, à révéler ces éléments-là, qui ont été vérifiés même par les sociologues, la commission Gendron, plus tard. Il y a là une question de fait. Effectivement, lorsque l'ONU a sorti, a récemment donné sa médaille d'or au Canada sur la qualité de vie, qui comprenait, entre autres, la longévité, et ainsi de suite, il m'a été donné de discuter avec le responsable de l'ONU de ces recherches sociologiques, et, effectivement, dans une entrevue, un débat, si on peut dire, dans une émission en anglais, à Montréal, il a reconnu qu'effectivement, si on faisait, je dirais, un découpage linguistique, eh bien, on découvrirait qu'au Canada, que voulez-vous, les anglophones vivent généralement plus vieux que les autochtones. C'est triste, mais c'est comme ça!

Et, effectivement, chez les francophones, dans certaines couches de la société, ce n'est pas dû uniquement à la question de la langue, mais il s'adonne que c'est comme ça, c'est-à-dire qu'il y a une différence au niveau de la longévité, au niveau de la richesse personnelle. Il y a eu d'énormes progrès, c'est vrai, mais pas assez. On ne remarque, lorsqu'on étudie des progrès, que l'avancée des plus grandes, mais les personnes qui tirent de la patte, on est aussi là pour elles. Les messieurs, mesdames, qui travaillent dans un restaurant de Montréal, des mesdames ou des messieurs de 50 ans qui travaillent comme livreurs ou comme serveuses et qui sont contraints de travailler en anglais parce que le petit patron, non seulement il ne parle pas français, mais il ne veut rien savoir du français, ça, il y en a des milliers à Montréal. Des milliers.

Nous allons organiser bientôt une tournée en autobus, d'ailleurs. Quand je vais revenir de New York, on va organiser, dans les prochaines semaines ou prochains mois, nous allons faire une petite tournée pour les médias, qui pensent que tout est français dans les petits restaurants de Montréal. Je ne parle pas...

M. Facal: Vous organisez une contre-tournée à New York?

M. Rhéaume (Gilles): Une contre-tournée. Que voulez-vous, M. Galganov, il nous oblige à faire quelque chose.

M. Vellone (Ivanoe): Disons que les détails vont être dévoilés un peu plus tard au courant de la semaine sur cette tournée qui va avoir lieu incessamment.

M. Facal: Bon. Nous suivrons ça.

M. Rhéaume (Gilles): Mais, sans la tournée, on sera à New York la même journée que Galganov. On ne peut pas laisser le Québec voir sa réputation entachée par M. Galganov. Nous serons à New York la même journée que lui et nous dirons quelle est la véritable situation des anglophones du Québec, et les Américains jugeront. Ce sont des gens intelligents. Quand ils sauront le nombre de milliards consacrés aux anglophones du Québec dans l'éducation, dans la santé, et ainsi de suite, ils verront que la minorité anglophone du Québec est probablement une des minorités au monde les mieux traitées. C'est René Lévesque qui l'a déjà dit une première fois.

M. Facal: Vous suggérez également, à la page 8, de faire en sorte que la Charte de la langue française soit déclarée loi d'ordre public, et vous dites que cela lui conférerait plus de force. Je ne suis pas avocat, est-ce que vous pourriez m'expliquer un petit peu en quoi sa situation serait renforcée par le fait que nous en ferions une loi d'ordre public?

M. Rhéaume (Gilles): Une loi d'ordre public, c'est un concept qui est plus du droit français, mais on peut le retrouver également dans le droit britannique. Je ne suis pas avocat, moi non plus, mais j'ai fait la sociologie du droit. Mais, en tout cas... Une loi d'ordre public, ce que c'est, la façon la plus simple de l'expliquer, c'est une loi dont l'État voit activement à son application. Cela viendrait en quelque sorte ralentir ces espèces de campagnes qu'on présente comme étant de la délation, où les gens doivent porter plainte puis signer la plainte.

Il y a beaucoup de gens qui n'aiment pas, vous savez... Le monsieur et la madame dont je vous parlais tout à l'heure, ils n'aiment pas ça être obligés de porter plainte à l'Office de la langue française parce que leurs patrons les traitent de «maudits francophones» à quelques occasions. Disons que c'est exceptionnel. Ça n'arriverait qu'une fois, ce serait de trop.

Donc, une loi d'ordre public fait en sorte de changer l'image de la loi 101 et fait en sorte que l'État ait l'obligation non seulement de voir au respect de la loi, mais de voir à son application. C'est plus dynamique. M. Cholette, d'ailleurs, l'ancien président de la Commission, a écrit d'excellents articles sur ce point précis.

M. Facal: Vous proposez également de créer un ombudsman de la langue française qui aura toute autorité voulue – et je vous cite – pour surveiller l'application et le respect de la Charte de la langue française. Nous, on propose la remise sur pied de la Commission de protection de la langue française. Quels sont les avantages de votre formule par rapport à celle qui est dans le projet de loi?

M. Rhéaume (Gilles): Nous sommes ouverts et souples, c'est de notoriété publique. Donc, nous sommes ouverts et souples et nous ne rejetons pas du revers de la main le retour de la Commission. Peut-être qu'effectivement ce serait la meilleure formule, mais nous invitons le gouvernement à élargir sa réflexion sur le sujet. Il y a d'autres avenues que celle de la Commission de protection. Si c'est la meilleure, soyez sûr que nous serons parmi les premiers à nous rallier. Nous n'avons pas une objection de principe contre la Commission de protection. On n'a qu'à voir ce qui vient de se passer au Portugal.

Écoutez, les pays de langue portugaise viennent de se constituer en Internationale, viennent de se doter de moyens humbles mais efficaces pour faire en sorte que la langue portugaise puisse non seulement reprendre sa place en Europe, mais un peu partout dans le monde.

Donc, nous n'avons rien contre le principe de la Commission de protection, mais nous savons ce que les adversaires en font, cependant. Donc, nous disons: L'ombudsman de la langue française, c'est peut-être une autre avenue qui pourrait être attachée soit aux Relations avec les citoyens, soit à la protection du consommateur. Écoutez, quelqu'un qui ne reçoit pas de services en français dans un hôpital, n'importe où, cette nuit, la nuit prochaine, il doit être en mesure de rejoindre 24 heures par jour quelqu'un. Quelqu'un. Une famille qui voit ses parents mourir dans un hôpital, agoniser, et qui a une difficulté de communication, c'est des choses qui arrivent, vous savez. C'est des choses qui arrivent. S'il faut, on le démontrera.

(14 h 50)

Nous voulons qu'en tout temps... Un ombudsman, vous savez, c'est quelqu'un qu'on peut rejoindre en tout temps et qui peut immédiatement enclencher un processus. C'est pour ça que nous pensons que c'est à la fois plus souple et plus acceptable, dans une première réflexion, tout au moins, que celle de la Commission de protection qui... Je le rappelle, nous sommes en accord avec le projet, mais nous préférerions, pour le moment, la création d'un ombudsman. Nous sommes habitués aux ombudsmans; il y en a dans d'autres pays. La Commission de protection, ça pourrait être perçu de façon péjorative; c'est pourquoi nous avons tenté d'imaginer une autre instance.

Le Président (M. Garon): Est-ce qu'il y a un autre député? C'est aux députés libéraux. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Bonjour, M. Rhéaume, et M. Vellone. J'aurais quelques questions à vous poser, mais, avant, je dois vous dire que, vraiment, vous véhiculez là-dedans d'immenses faussetés. Moi, je n'ai jamais vu de données statistiques qui aient pu démontrer, pour les années récentes – je ne parle pas du XIXe siècle – que l'espérance de vie serait plus courte chez les francophones du Québec ou chez les francophones du Canada que chez les anglophones du Canada. Je n'ai jamais rien vu de cela et, si vous pouvez m'en trouver, je suis prêt à les publier à mon propre compte.

M. Rhéaume (Gilles): Ah oui!

M. Laporte: Oui! Deuxièmement – laissez-moi terminer – sur le plan des revenus moyens, vous êtes totalement dans l'erreur. Regardez les indicateurs du Conseil de la langue française. Ou bien vous êtes incapables de lire une table à deux entrées ou bien vous ne les avez pas lus, vous déformez les faits d'une façon éhontée.

Les données du Conseil là-dessus sont tout à fait catégoriques, démonstratives: les francophones unilingues – regardez les données du Conseil; écoutez, les anglophones unilingues, pour le Québec, chez les hommes, la différence... c'est un peu différent chez les femmes, on ne trouve pas la même différence – les francophones unilingues, en 1985, l'indice est à 100; chez les anglophones unilingues, l'indice est à 87,2. Chez les francophones bilingues, l'indice est à 105,9, alors que chez les anglophones bilingues, l'indice est à 96,5. Alors, je regrette, M. Rhéaume, mais vous charriez des statistiques qui n'ont rien à voir avec la réalité.

Pour ce qui est de la scolarité, il est de fait notoire que la population féminine francophone du Québec est parmi les populations féminines les plus hautement scolarisées au monde.

Une voix: C'est bizarre.

M. Laporte: Écoutez, c'est bizarre, M. le Président, Mme la ministre, c'est un fait bizarre, c'est un problème difficile à comprendre, mais c'est effectivement ce qu'on peut observer.

Donc, on ne peut pas, mais on ne peut pas, comment dirais-je, en tout respect pour la vérité objective, vous laisser répandre des... Sur le temps de vacances, évidemment, je vous avoue que je n'ai pas de données statistiques. Je sais que là où le temps de vacances est le plus bas au monde, dans toutes les sociétés industrielles, c'est au Japon. Je vous dis que ça n'a rien à voir avec le colonialisme, c'est juste que les Japonais ont des habitudes de travail qui sont fort différentes des nôtres. Alors, c'est peut-être ce qui se passe au Québec pour les francophones, là, mais disons que, pour l'instant, je n'ai pas de données là-dessus.

Donc, écoutez, je vous répète ma question. J'essaie d'être le plus calme possible.

Une voix: Hum, hum! Une chance!

M. Laporte: Où est-ce que vous prenez vos statistiques, M. Rhéaume?

M. Rhéaume (Gilles): M. Laporte, ça fait des années que j'attends ce moment.

Une voix: Bon!

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Le moment est venu.

M. Laporte: Ah! Moi aussi, M. Rhéaume.

M. Rhéaume (Gilles): D'accord. Je tiens d'abord à remercier le gouvernement pour lequel vous travailliez autrefois et qui m'a soutenu dans mes recherches de maîtrise et de doctorat à deux reprises. En toute justice, je dois le dire. Il faut dire que M. Bourassa a toujours démontré une sensibilité à la question de l'avenir du français, que peut-être on peut moins retrouver, mais je sais que M. Bourassa, de son côté, a toujours été très attentif à toutes les demandes et à tous les commentaires que j'ai pu lui faire concernant l'utilisation ou non de la clause dérogatoire ou des questions de ce genre. Donc, je veux, en toute honnêteté, remercier M. Ryan, à l'époque, qui était ministre responsable, et vous-même, qui étiez à la tête de différents organismes, qui m'avez permis de poursuivre des études que j'espère bien achever. Mais, tout au moins, je tenais, en toute justice, à faire cette mise au point.

Cependant, on pourrait en parler longtemps, des indicateurs du Conseil. Longtemps. Si vous voulez qu'on en parle, on peut en parler, mais je pense qu'il y aura un colloque bientôt. Je vous inviterai, vous serez le bienvenu. C'est: «Montréal, la plus grande ville française de langue anglaise au monde». Vous pourrez contester cela avec tous les chiffres que vous pourrez utiliser.

Mais il n'en demeure pas moins qu'au moment même où vous disiez que les anglophones étaient victimes de discrimination au Québec, dans un article du Devoir , deux jours avant, une semaine maximum, M. Victor Goldbloom, commissaire aux langues officielles, disait, sur la même période, dans son rapport annuel, que les francophones du Québec avaient toujours et encore des difficultés à travailler dans leur langue.

Bien sûr, comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a eu d'énormes progrès, mais si vous ne croyez pas possible qu'il y ait des différences, ne serait-ce qu'au niveau de la longévité, sur le plan linguistique, et que cela n'est pas chiffrable, honnêtement, on n'est pas dans le même monde. Mais, ça, on a le droit.

Deuxièmement, quant à la vérité objective – je me permets de dire «cher ami» – ça fait plusieurs années que je la cherche. Cette vérité objective est quelque chose, vous savez, d'assez particulier. La vérité... C'est difficile, une vérité objective. Comment peut-il y avoir de la vérité s'il n'y a pas de sujets qui l'observent? Et comment quelque chose peut rester objectif lorsqu'il y a des sujets? Je ne le sais pas. Si vous avez une réponse à ça, vous aurez un prix Nobel, la différence entre le sujet puis l'objet, puis la perception entre les deux. Il y a de très grands chercheurs qui se penchent là-dessus.

Donc, vous pouvez être en total désaccord avec certaines de nos affirmations. Les chiffres vous seront fournis lors d'un colloque où vous seriez convié en toute amitié, même si nos idées ne sont pas les mêmes. Ce que je sens derrière tout ce que vous dites, c'est la vision du bilinguisme, c'est la conception de la langue qui n'est pas la même chez vous que chez moi.

J'ai tout entendu ce que vous avez dit, du moins par les médias, depuis les débuts de la commission. Vous savez déjà que je ne peux pas être en accord avec votre conception de langue commune, surtout quand vous en parliez vous-même, M. Laporte. Vous en parliez vous-même, dans un colloque, à Bruxelles, les 18, 19 novembre 1993, du concept de langue commune. Vous le lirez, c'est votre article.

Mais vous savez ce que c'est qu'une langue commune. Et je sais que nous sommes en désaccord là-dessus. Que voulez-vous, moi, j'ai toujours été opposé aux idées de Pierre Elliott Trudeau concernant le bilinguisme, je ne peux pas être en accord avec vous. Je ne peux pas. Il y a ici un conflit de droit. Vous le savez. Mieux que quiconque, vous le savez. Vous savez qu'il y a le droit fédéral, qui s'inspire du principe de la personnalité, qui garantit aux individus des droits linguistiques, et, en même temps, vous avez une loi 101, une loi 101 provinciale qui, elle, s'inspire plutôt du principe de la territorialité. Et ces deux droits en conflit sur le même territoire génèrent une crise sociale. Puis on est bien chanceux que ce ne soit pas plus grave que ça.

Il y a là un conflit, il y a là une divergence idéologique, théorique, conceptuelle, fondamentale, mais qui est au coeur du débat. Est-ce que vous acceptez que la langue commune du Québec soit le français? Si vous n'acceptez pas ça...

M. Laporte: Vous me posez la question?

M. Rhéaume (Gilles): ...le Parti libéral n'est pas celui de mon grand-père, n'est pas celui de mon père, il n'est sûrement plus celui de Robert Bourassa.

M. Laporte: M. le Président, si vous me permettez.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Je ne voudrais pas me lancer dans des débats épistémologiques sur le rapport entre le sujet et l'objet avec M. Rhéaume. J'ai beaucoup d'admiration pour votre entêtement à vouloir atteindre ce que, dans votre document, vous appelez la totalité concrète. Je vais vous faire remarquer, sur la totalité concrète, que j'ai l'impression que vos propos sur la territorialité et le principe de personnalité ne sont pas des propos de totalité concrète, parce que, dans la grande majorité des cas où on applique ces principes, ce qu'on trouve dans la réalité concrète, c'est que ce sont des mélanges. En Belgique, vous avez un mélange de territorialité et de personnalité. À Bruxelles, on voit ces choses. C'est la même chose à Helsinki et ailleurs. Mais peu importe.

(15 heures)

Par exemple, je reviens là-dessus. Écoutez, peut-être que, finalement, on est dans un relativisme total et que, de part et d'autre, il n'y a plus de vérité, mais vous affirmez des choses, par exemple, des choses énormes quand vous dites: La langue de travail de la grande industrie à Montréal, c'est l'anglais. Écoutez, si c'est le cas, il faut tout de même qu'on arrive à m'expliquer comment il se fait que la propriété des entreprises contrôlées par les francophones augmente, et la proportion des postes de direction qui sont occupés par des francophones. Donc, il doit y avoir, dans nos grandes entreprises à Montréal... Je ne dis pas qu'on n'y utilise pas l'anglais comme langue instrumentale. Qu'est-ce que vous voulez, quand Bombardier fait des affaires avec l'Indonésie, il utilise la langue qui convient. Il y a donc une utilisation instrumentale de l'anglais. Mais, dans ces entreprises-là – moi, je les ai visitées, ces entreprises – il y a tout de même une ambiance qui est française, d'une part, qui est québécoise, d'autre part, et un usage du français qui, dans les conversations, dans les manuels techniques, de plus en plus, est fortement répandu. Donc, quand vous faites des affirmations comme celle-là, moi, qu'est-ce que vous voulez, je n'ai pas l'intention de partir des débats, disons, infinis avec vous, mais je ne comprends pas. Je me dis: M. Rhéaume, pourtant, c'est un homme éclairé, et voilà qu'il me dit des choses comme: La langue de travail de la grande industrie à Montréal, c'est l'anglais. Comme disait mon collègue d'en face, le député de Fabre, ça manque peut-être un peu de nuance dans l'affirmation qu'on fait. Et, donc, ce n'est pas parce que je veux vous prendre à parti et vous tasser au pied du mur sur la question des rapports entre le sujet et l'objet. Je me dis, écoutez, les données, je ne dirais même pas objectives, c'est-à-dire les données statistiques que nous possédons, elles ne sont peut-être pas aussi fiables qu'on le souhaiterait, mais ont tout de même tendance à nous montrer que la division du travail – linguistique – à Montréal n'est pas aussi au désavantage du français que vous l'affirmez dans votre document.

M. Vellone (Ivanoe): Écoutez, M. Laporte, je pense qu'en faisant ces affirmations-là, qui se retrouvent dans notre document, on ne les a quand même pas prises dans les airs, on ne s'est pas réveillés un beau matin pour marquer des incongruités. C'est quand même basé sur des témoignages. Vous dites que le nombre de cadres augmente. Bien oui, s'il était de 0 %, il est passé à 5 %, oui, il a augmenté, mais n'empêche qu'il est toujours en minorité.

M. Laporte: Mais non, mais non, mais non!

M. Vellone (Ivanoe): Et Dieu sait que, dans de nombreuses entreprises encore, les communications entre plusieurs services se font en anglais. Et j'ai pour expérience de travailler avec beaucoup de ces entreprises-là, et il y a bien des cas où, la plupart du temps, pour me faire comprendre d'un service à l'autre, je dois recourir à la langue anglaise, sinon, j'ai comme l'impression qu'on va passer une heure au téléphone et que le message ne passera pas. Donc, vous pouvez trouver qu'on y a été peut-être d'une façon raide, dit en bon québécois, mais, quand même, on ne les a pas pris dans les airs, on n'a pas écrit un mélodrame en disant: Tout va mal. Il y a quand même des témoignages, des cas vécus, des données qui ont été colligées pendant des mois et des mois et qui nous permettent d'arriver à certaines de ces conclusions-là. Maintenant, que ça vous déplaise, libre à vous, mais seulement, n'empêche que la réalité est toujours là. Et encore, de plus en plus, il y a des personnes qui ont de la difficulté à travailler dans leurs entreprises en français, et trop souvent elles doivent se soumettre à l'anglais pour pouvoir fonctionner, pouvoir même garder leur job.

M. Rhéaume (Gilles): Et je vous rappelerai, M. Laporte... Je m'excuse, M. le Président, je ne suis pas parlementaire, je ne connais pas toutes vos règles. Je vous rappellerai, M. Laporte, tout simplement ce que vous avez dit vous-même.

Le Président (M. Garon): Vous devez vous adresser au président.

M. Rhéaume (Gilles): D'accord. M. le Président, je rappellerai au...

Le Président (M. Garon): Au député.

M. Rhéaume (Gilles): ...député d'Outremont – au noble député d'Outremont, c'est vrai – au noble député d'Outremont ce qu'il a écrit, ce qu'il a dit au colloque, mot à mot, là, lorsqu'il parle de la langue transglossique, en parlant des travaux du professeur Truchot: «C'est ce qui se passe lorsque l'anglais est adopté comme langue de travail au sein du conseil d'administration d'une entreprise en France, aux Pays-Bas, en Suède ou au Québec dès lors qu'un étranger participe à la réunion. Il en est de même du rôle excessif – c'est votre mot, là, ce n'est pas moi qui suis excessif – de notre point de vue – pas du mien, du vôtre – que joue l'anglais lors des réunions scientifiques auxquelles participent des savants de plusieurs pays autres que francophones, que ce soit en France, en Europe ou au Québec.»

Vous savez que derrière la bataille de chiffres... puis on pourrait parler longtemps, mais derrière la bataille de chiffres, dont on pourrait parler longtemps, il y a une réalité. Et cette réalité-là: il y a ici un conflit entre deux langues. Il y a l'anglais, qui, sur la plan international, est... Vous le faites très bien quand vous rappelez les travaux de Fishman. Fishman, c'est très bien, mais il y a d'autres choses depuis, hein. Freud a inventé la psychanalyse, puis il y a d'autres choses après. Bon. Fishman, c'est très bien, c'est un des pères fondateurs, mais il y a eu autre chose depuis. Quand vous parlez de la langue transglossique chez Truchot, bien, je pense que vous présentez justement ce que vous me reprochez. Et vous le connaissez, Truchot, vous avez fait des articles sur lui. C'est vous qui avez écrit ça, voyons, c'est évident, tout le monde le sait. Donc, vous vous appuyez un peu sur lui. L'anglais, c'est plus qu'une langue ordinaire, au Québec, vous le savez. Ce n'est pas une langue seconde, ce n'est pas une langue étrangère. C'est encore, dans trop de domaines, la langue. Est-ce qu'on peut s'entendre là-dessus, que le Québec n'est pas encore assez français, ou si, pour vous, il l'est trop?

M. Laporte: Bien non, évidemment. Écoutez, M. le Président, je me suis battu 25 ans de ma vie pour la promotion du français au Québec. Et, évidemment, il y a de la place pour encore énormément de progrès.

Je voudrais vous poser une dernière question, mais celle-là, vraiment, c'est la question à ne pas poser. Vous dites d'une façon péremptoire: La solution, c'est la souveraineté. Moi, je n'en suis pas convaincu, là. Moi, je suis convaincu que la souveraineté, là-dedans, entre vous et moi, ça ne changera pas grand-chose, en ce sens que les multinationales du Québec vont continuer à faire un usage, généreux dans certains cas, de l'anglais comme langue instrumentale, que la composition sociolinguistique du Québec ne se modifiera pas radicalement, à moins d'un exode majeur ou du recours à des politiques linguistiques autoritaires. Donc, je voudrais vous demander de... Évidemment, pour vous, si c'est une évidence, on se retrouve mal pris pour vous demander de vous expliquer là-dessus, parce que les évidences, ce sont des évidences. Mais, moi, j'aimerais que vous m'aidiez à comprendre ce que signifie cette affirmation que vous avez faite avec une grande force de conviction à l'effet que, la solution, c'est la souveraineté. À mon avis, ce n'est pas le cas. La souveraineté, comme je vous l'ai dit, ça... On va se retrouver dans une situation linguistique qui va ressembler assez fortement à la situation dans laquelle on se trouve maintenant. À moins, évidemment, que vous ayez recours à des moyens que beaucoup condamneront. Donc, voulez-vous vous expliquer là-dessus? Sans que je puisse aller à un colloque, pourriez-vous m'expliquer là-dessus, pour que je puisse comprendre ça le plus rapidement possible, s'il vous plaît?

M. Rhéaume (Gilles): Je ne sais pas, mais je vais faire mon possible. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le Québec ne contrôle pas les tribunaux. Ça, c'est... On vit à l'intérieur du Canada, et l'appareil judiciaire est contrôlé par Ottawa. Tous les juges de la Cour supérieure, de la Cour d'appel, de la Cour suprême sont nommés par le gouvernement fédéral, et les règles interprétatives de toutes les lois, de tous les règlements qui existent au Canada – nous en sommes – tous ces règlements sont soumis à l'interprétation de la Constitution canadienne. Dans cette Constitution canadienne, ce qui est préconisé, c'est quelque chose comme la dualité linguistique, que vous aimez rappeler, qui voudrait faire du Québec un deuxième Nouveau-Brunswick. Ce n'est pas tout à fait ce qui m'intéresse. Donc, le Québec, là, on peut voter tout ce qu'on veut comme loi 101, comme mesures de francisation, nous sommes contraints à l'appareil de la magistrature fédérale qui va venir démolir... Il ne reste pas un chapitre de la loi 101 de 1977 qui n'a pas été charcuté par l'un ou l'autre des tribunaux dont tous les magistrats ont été nommés par Ottawa. Il n'y a rien de plus, à mon avis, naturellement.

Je vous ai dit tout à l'heure que la vérité objective n'existait pas, elle n'existe pas plus pour moi, mais l'argumentation et le raisonnement... nous allons nous rencontrer, j'en suis persuadé. Si le Québec ne contrôle pas les tribunaux, si toutes les lois sont soumises à l'interprétation des tribunaux, il n'y a qu'une façon pour que les lois soient interprétées à partir de la pensée parlementaire, politique d'un État, c'est qu'il contrôle ses magistrats. La seule façon pour le Québec de contrôler ses magistrats, c'est la souveraineté. Donc, C.Q.F.D., ce qu'il fallait démontrer: il n'y a pas de loi 101 possible, il n'y a pas de refrancisation du Québec, il n'y a pas de Québec français possible sans la souveraineté. Le Oui est nécessaire, sinon, il y aura encore des Pidgeon... Est-ce que j'ai droit à l'immunité, moi? Je ne pense pas, hein. Appelons ça des pigeons. Il y aura encore des pigeons, parce que les mangeoires sont nombreuses... Il y aura encore des pigeons qui viendront dire que le Québec n'a pas le droit de poser tel et tel geste dans tel ou tel domaine. C'est pour ça que ça prend la souveraineté, M. Laporte. Nous ne contrôlons pas les magistrats. Ce sont des confrères de Jean Chrétien, des avocats libéraux – j'en ai dans ma propre famille, je sais de quoi je parle – qui deviennent juges. C'est de même que ça marche.

M. Laporte: M. le Président, en terminant – j'aimerais que ça apparaisse à la transcription – je dois vous dire, M. le Président, en réaction à M. Rhéaume, que, dans les États de droit, j'ai une forte préférence pour des juges non contrôlés.

M. Rhéaume (Gilles): Mais, écoutez, il faudrait sortir du Canada. Moi aussi, je suis d'accord que, dans un Québec souverain, nous ayons une école de la magistrature et que les tribunaux cessent d'être un endroit où il y a, parmi de grands spécialistes, mais où il y a trop de gens qui sont là pour des récompenses politiques. Je suis d'accord avec M. Laporte, une école de magistrature dans un Québec souverain, qu'on apprenne à devenir juge comme on apprend à devenir dentiste.

Le Président (M. Garon): Alors...

M. Laporte: M. le Président, merci.

Le Président (M. Garon): Pardon?

M. Laporte: Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, comme les parlementaires ministériels et de l'opposition ont pu s'exprimer, je vais remercier le Mouvement séparatiste du Québec...

(15 h 10)

Une voix: Souverainiste.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Souverainiste.

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Ça ne nous choque pas.

Le Président (M. Garon): ...le Mouvement souverainiste du Québec d'être venu nous rencontrer et d'avoir contribué à cette commission parlementaire.

Et maintenant, je demande aux représentants de l'Association des Townshippers de s'approcher de la table des témoins.

Alors, je demande à la porte-parole de l'Association des Townshippers de se présenter et de présenter les gens qui l'accompagnent. Vous avez une heure devant la commission parlementaire, c'est-à-dire que, normalement, vous prenez 20 minutes, les députés ministériels prennent également 20 minutes pour vous interroger, de même que les députés de l'opposition officielle. Si vous prenez plus que 20 minutes, ils auront autant de temps en moins, si vous en prenez moins, ils pourront se prévaloir de la différence du temps que vous n'aurez pas occupé.


Association des Townshippers

Mme Beattie (Nancy): O.K. Bon, bien, M. le Président, merci. Mme la ministre, Mmes les députées, MM. les députés, merci de nous avoir invités à vous faire la présentation cet après-midi. Notre délégation compte plusieurs personnes à cause de notre inquiétude au sujet du puissant impact que le document de politique «Le français, langue commune» aurait s'il était mis en oeuvre.

Premièrement, permettez-moi de présenter notre délégation, soit les personnes qui m'accompagnent à la tête de cette table, et nos observateurs et observatrices. Je suis Nancy Beattie, présidente de l'Association des Townshippers; à ma gauche se trouve Mme Carol Bower, membre du conseil d'administration; à mon extrême droite, M. Scott Stevenson, notre directeur général, et à ma droite, Mme Marjorie Goodfellow, présidente du comité linguistique. D'autres membres du conseil d'administration nous accompagnent, dont Brenda Hartwell, Bill Jewitt et Suzanne O'Connor, responsable des communications.

Notre présence démontre le respect que nous portons envers le processus démocratique et notre confiance que vous nous estimez en tant que citoyens et citoyennes du Québec. L'origine même de l'Association des Townshippers, en 1979, résultait de notre respect pour le processus démocratique. Quand le Dr Camille Laurin, alors ministre d'État au Développement culturel, a tenu des consultations publiques à travers la province, un comité de langue anglaise des Cantons-de-l'Est s'est joint au processus avec enthousiasme. Je crois que M. Payne a lui aussi été témoin de cet enthousiasme. Bien sûr, le Dr Laurin est décrit comme le père de l'Association des Townshippers.

Permettez-moi de citer un extrait de notre énoncé de mission, rédigé à la suite d'une consultation publique, et je cite: «L'Association des Townshippers n'est pas dirigée contre nos voisins de langue française. La plupart d'entre nous comprenons leur ambition et nous sympathisons avec celle-ci. Nous désirons aussi poursuivre la relation harmonieuse qui existe depuis des générations entre les personnes de langue anglaise et de langue française des Cantons-de-l'Est. Nous comptons atteindre nos objectifs au moyen de différentes approches, dont la distribution d'information, l'action individuelle et une approche directe envers le gouvernement du Québec pour résoudre quelques-uns des problèmes qui nous font mal. Certaines de ces questions comprennent un accès plus large à l'éducation en langue anglaise, la fourniture de fonds particuliers pour prévenir la perte d'écoles locales de langue anglaise dans les petites collectivités, l'amélioration de l'enseignement de la langue française dans nos écoles afin que nos enfants puissent se préparer à participer plus activement au Québec, des services en anglais pour nos vieillards, nos personnes handicapées et nos malades unilingues, l'augmentation de recrutement de personnel de langue anglaise dans les secteurs public et parapublic, une meilleure attitude de gouvernement vis-à-vis des bibliothèques, théâtres, musées et autres institutions de langue anglaise.» Fin de la citation.

Depuis 1979 jusqu'à ce jour, nous avons régulièrement exprimé nos besoin dans ces domaines et d'autres. Nous l'avons souvent fait dans cette même salle. Nos objectifs de charte, également rédigée en 1979, demeurent les mêmes de nos jours, et je cite: «1° promouvoir les intérêts de la communauté de langue anglaise des Cantons-de-l'Est; 2° renforcer l'identité culturelle de la communauté de langue anglaise des Cantons-de-l'Est; 3° encourager la pleine participation de la communauté de langue anglaise à la communauté en général.» Fin de la citation.

Malgré 17 années de travail ardu et de participation diligente au processus démocratique, la communauté de langue anglaise des Cantons-de-l'Est se sent de plus en plus refoulée à l'écart. Comme vous pourriez le constater à la lecture des statistiques sur les niveaux de vieillissement et de revenus incluses dans l'annexe de notre mémoire, l'avenir de notre communauté est loin d'être prometteur. Pourtant, nous avons la ferme conviction que:

1° les Québécois de langue anglaise sont des citoyens à part entière du Québec, avec tous les droits et privilèges incombant à de tels citoyens, par exemple le droit à l'éducation, malgré les décisions des bureaucrates du Québec d'empêcher les parents admissibles de langue anglaise d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Aussi, notre responsabilité comprend celle d'agir en bons citoyens québécois et de devenir bilingues, comme nous avons prouvé être capables de le faire;

2° nous appuyons le Québec en tant que province majoritairement de langue française, mais aussi, nous insistons sur la place qui revient à la communauté de langue anglaise d'ici;

3° nous croyons que le bilinguisme est un atout qui ne devrait pas être refusé aux Québécois de langue anglaise et de langue française. Les Québécois de langue anglaise du Québec comptent parmi les plus bilingues au Canada;

4° nous croyons que nous avons la responsabilité, et c'est ce que désire notre communauté, de contribuer pleinement à l'essor économique du Québec. Par contre, les règles et règlements ainsi que l'économie stagnante nous empêchent de faire cela.

Je vais maintenant demander à Mme Marjorie Goodfellow de vous présenter les points saillants de notre mémoire.

Mme Goodfellow (Marjorie): Our brief deals with both the policy papers on language and the proposed Bill 40, but it is the policy papers which we will address at length. After reading «Le français, langue commune», we have never been so discouraged, never felt so unwelcomed in our own home. If these are your government's intentions, you may finally discourage even the most friendly and sympathetic people of other languages from remaining. But surely we realize that when Quebeckers feel pushed out, they leave their home with great discouragement and arrive in a new land with feelings of rejection and pain.

(15 h 20)

Concernant le principe langue officielle contre langue commune énoncé dans le document dont le titre complet est «Le français, langue commune: promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec», vous proposez de prendre la notion de français langue officielle du Québec pour l'amplifier jusqu'à devenir la langue commune du Québec. Non seulement voulez-vous que le français soit la langue commune du Québec, mais vous voulez aussi qu'il soit, et je cite: «la langue commune de tous les citoyens du Québec». Les Québécois auront le droit de connaître des langues autres que le français, et ils seront même encouragés à le faire, mais ces langues ne seront acceptables que dans des circonstances privées ou dans des activités publiques dans l'intérêt de l'État.

Votre position laisse entendre que ce n'est plus suffisant que le gouvernement, et je cite le préambule de la Charte: «fasse du français la langue de l'État et de la loi, aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires». Fin de citation. Maintenant, le gouvernement doit s'assurer que le français soit la langue commune de tous ses citoyens et de toutes ses citoyennes. Vous ne voulez sûrement pas, dans votre projet de culture, abolir le droit humain fondamental de la liberté de parole. Les Québécois peuvent sûrement décider eux-mêmes quelle langue ils désirent parler, que ce soit en public ou en particulier. Imaginez une réunion de conseil municipal à Lennoxville, à North Hatley ou au Lac-Brome. Est-ce que vous voulez vraiment que des particuliers de langue anglaise ne puissent pas s'adresser à leurs conseillers ou concitoyens en anglais dans un tel contexte? Ou encore, s'ils le font, qu'ils ne soient pas entendus?

Aussi, qu'entendez-vous par le paragraphe deux de la page 30 du document de politique, et je cite: «Même si le français est clairement la langue du travail de l'administration, une certaine incohérence demeure quant à la langue de service à l'égard de la population non francophone. L'administration, compte tenu de son importance à la fois stratégique et symbolique, ne remplit pas suffisamment le rôle exemplaire et moteur qui lui incombe.»? Fin de citation. Où est la place du citoyen de langue anglaise au Québec? Et pourtant, à la page 31, je cite: «...il faut faire en sorte que tant les personnes morales que les citoyens fassent du français leur langue de communication dans l'ensemble des activités publiques.» Fin de citation.

Jusqu'où ira ce gouvernement pour s'assurer que nous utilisons tous le français? Nos institutions ont-elles une place dans une société où la langue commune doit être le français? Aux pages 13 et 14 du document de politique générale, vous notez les limitations que les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés ont placées sur votre législation linguistique. Vous concluez par, et je cite: «En ce sens, il a réduit la latitude dont peut disposer le Québec pour assurer la qualité et le rayonnement de la langue française au Québec. Force est donc de constater que, sans des modifications constitutionnelles ou encore sans son accession à la souveraineté, le Québec ne pourra être totalement maître de sa politique linguistique.» Fin de citation. Ni le Québec ni aucune autre juridiction ne devrait avoir le pouvoir de transgresser les droits de la personne et les libertés.

Un partenariat historique. Depuis les tout débuts, l'histoire du Québec a été caractérisée par un partenariat entre des gens qui parlent français et des gens qui parlent anglais. Votre politique ne tient pas grand compte de 200 ans d'histoire québécoise. Lorsque les gouvernements éloignés de l'époque avaient fini de se quereller pour obtenir le contrôle d'un riche territoire, des gens ordinaires de différentes origines linguistiques entreprenaient immédiatement de vivre leurs jours ensemble. Ce partenariat est fort bien illustré par le fait que, de nos jours, beaucoup de Québécois d'expression française ont des ancêtres d'expression anglaise, et vice versa. De ce fait, nos racines sont entrelacées.

Les gens ordinaires du Québec continuent de vivre et de travailler ensemble en bons voisins. Ils parlent le français comme langue officielle du Québec en nombre sans égal dans toute l'histoire du Québec. Ils parlent français en public par respect pour la majorité et en reconnaissance du fait français en Amérique du Nord. Les Québécois de langue anglaise parlent souvent français entre eux avant de s'apercevoir que la première langue de l'interlocuteur est également l'anglais. La politique proposée par votre gouvernement préfère ne pas tenir compte de ce partenariat. Elle préfère passer sous silence les progrès que les Québécois de langue anglaise ont accomplis par une utilisation accrue du français.

Vous remarquez, à la page 37, que l'avenir de la communauté de langue anglaise est garanti. Cependant, votre nouvelle approche de la politique linguistique met en doute cette affirmation. Si le français doit devenir la langue commune de tous les Québécois, il ne peut y avoir de place pour garantir les droits de la langue anglaise, encore moins la reconnaissance de notre communauté. Allez-vous conserver dans la loi les droits actuellement garantis de recevoir des services de santé et des services sociaux en langue anglaise? Allez-vous garantir dans la loi le financement continu des écoles et des universités de langue anglaise? Allez-vous accorder un soutien financier à une population en déclin, permettant de, et je cite, à la page 37: «maintenir un réseau de médias d'information – presse, radio, télévision – en langue anglaise»?

Dans une société libre et démocratique, ni un gouvernement ni son administration non élue ne peuvent maintenir un réseau de journaux, de radio et de télévision indépendant. Ça ne doit pas être le cas non plus. Le gouvernement ne peut pas contrôler la langue de tous ses citoyens. La politique de votre gouvernement vise clairement à faire cela, et, en ce faisant, vous risquez d'imposer un stress excessif sur une société démocratique. Que dire des personnes qui, chaque jour, tentent de gagner leur vie dans cette province? De quelle façon les citoyens ordinaires du Québec, de toute origine linguistique, cadrent-ils avec votre programme politique et bureaucratique? On ne tient pas compte de la réalité des personnes qui font l'effort de se débrouiller et de faire ceci dans la langue officielle du Québec.

Concernant le bilinguisme, nous avons trouvé les notions proposées de bilinguisme individuel et fonctionnel déroutantes et même trompeuses. Votre gouvernement est prêt à reconnaître l'importance du bilinguisme individuel et il donne au ministre de l'Éducation la responsabilité d'enseigner le français et l'anglais comme langue seconde, ce qui est excellent, mais vous n'affirmez pas l'importance du bilinguisme fonctionnel, qui semble être l'utilisation d'une langue autre que le français, et vous dites l'anglais le plus souvent, pour des raisons d'ordre économique. Y a-t-il vraiment une différence? Si vous affirmez l'importance du bilinguisme chez les individus et si l'économie mondiale exige de plus en plus la connaissance d'une deuxième langue, les Québécois, comme individus, ne devraient-ils pas être fonctionnellement bilingues aussi? Pourquoi se préoccuper de ces distinctions artificielles?

De la même façon, les Québécois d'expression anglaise qui ne sont pas encore bilingues seraient grandement aidés si votre gouvernement finançait et offrait des cours gratuits de français langue seconde aux adultes. Ceci démontrerait un réel engagement à aider les Québécois de langue anglaise à continuer de faire de cette province leur chez-soi. Jusqu'à maintenant, seuls les immigrants reçoivent cette aide. Nous avons demandé à plusieurs reprises que cela se fasse.

(15 h 30)

Concernant le projet de loi n° 40, les modifications proposées à la Charte de la langue française, telles que signalées dans le projet de loi n° 40, sont décourageantes et constituent du gaspillage à cause du retour à l'embauchage des inspecteurs linguistiques. Elles sont décourageantes parce que ces inspecteurs auront tous les pouvoirs de la police, sauf celui d'incarcérer. Elles constituent du gaspillage parce que ces modifications pourront coûter jusqu'à 5 000 000 $. Mais à quoi sert-il de mentionner ceci lorsque vous avez déjà embauché ces agents, sans la reconnaissance de la législation?

Cependant, nous sommes particulièrement préoccupés par les articles 174, 175 et 176, qui semblent accorder des pouvoirs extraordinaires de recherche et de saisie. Les Québécois préféreront sûrement que ces 5 000 000 $ soient dépensés à améliorer l'économie ou les services de santé. Qui voudra, parmi les Québécois ou autres, investir son argent dans une société où le gouvernement a embauché des inspecteurs qui ont le pouvoir d'entrer dans un bureau privé pour examiner des documents?

La croissance économique est rare de nos jours. Malgré certains rapports qui soutiennent hystériquement le contraire, la langue française est florissante au Québec. Le français est déjà la langue officielle du Québec et il est parlé par la vaste majorité des Québécois, même par les personnes d'autres langues qui s'adressent en public. Nous ne pouvons interpréter votre tentative d'aller encore plus loin et de faire du français la langue commune de tous les Québécois que comme un effort d'assimiler ceux dont la première langue n'est pas le français. Devrons-nous céder nos institutions de langue anglaise pour améliorer le sentiment de sécurité par rapport à la langue française? Que va-t-on nous demander de plus?

Il nous a été très difficile de répondre à votre proposition de politique. Notre communauté a dépassé les bornes de la frustration, elle est profondément découragée. Certains de nos membres sont déprimés, même les plus intégrés se sentent non bienvenus, vu les sentiments exprimés dans le document.

Mais vous avez adopté l'approche d'essayer de manipuler les aspects les plus personnels et privés de la société, au point que vous avez mis en danger le bien-être même du Québec et de ses citoyens, qu'ils parlent français ou anglais. À une époque où les Québécois ont désespérément besoin de leadership économique et d'aide, tant comme société que comme individus, vous agissez comme s'il y avait une bureaucratie massive – l'administration avec un grand A – qui puisse se permettre de s'étendre et de dépenser l'argent pour gêner la capacité des Québécois individuels à communiquer entre eux. Les Québécois n'ont pas 5 000 000 $ à dépenser, ils n'ont même pas les emplois pour gagner cet argent. La situation économique est honteuse. Vos politiques linguistiques, telles qu'exprimées dans le document consultatif, sont innommables. Vous voulez empirer la situation en décourageant davantage le monde des affaires et les investisseurs.

Et pourtant ce coin de pays pourrait être le meilleur endroit au monde où vivre pour la vie culturelle, pour les richesses économiques, pour tellement d'autres raisons, pour beaucoup plus que les politiques linguistiques.

In conclusion, we, as a community, have the following questions which we wish you to address. We join others in asking you to define «la langue commune». We ask you: What is the place of the English-speaking citizen of Québec? What public space is to be permitted to the English-speaking community? What are our collective rights to become? What individual rights will be left to us? To what extent will we, as a community, have linguistic rights, which are collective and not individual? The English-speaking community urgently needs answers to these questions, meaningful answers, not facile ones.

En conclusion, en tant que communauté, nous avons les questions suivantes auxquelles nous aimerions que vous répondiez. Nous nous joignons à d'autres personnes qui vous demandent de définir l'expression «la langue commune». Nous vous demandons quelle est la place des citoyens de langue anglaise au Québec. Quelle place publique sera consentie à la communauté de langue anglaise? Qu'adviendra-t-il de nos droits collectifs? Quels droits individuels nous restera-t-il? Dans quelle mesure aurons-nous, en tant que communauté, des droits linguistiques qui soient collectifs et non pas individuels?

Aussi longtemps que ces questions ne seront pas résolues, nous ne pourrons qu'en déduire le pire. C'est ce qui est suggéré dans le document de politique. La communauté de langue anglaise a un besoin urgent de réponses à ces questions, des réponses significatives. Nous espérons recevoir des réponses significatives aujourd'hui. Je vous remercie, M. le Président, mesdames et messieurs.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Oui. Bonjour. Bonjour, madame Beattie, Mme Goodfellow, Mme Bower, M. Stevenson.

Alors, ça me fait plaisir de vous rencontrer, parce que, en effet, je pense qu'il y a quelques malentendus, dans un premier temps, qu'il va falloir dissiper. Alors, je vais essayer, si vous me permettez, de commenter certaines de vos interrogations et certaines de vos affirmations et, ensuite, donc, de répondre le mieux possible à ce que vous demandez.

Je voudrais, dans une première remarque, vous dire que c'est votre étonnement qui m'étonne. Quand vous dites, page 2, «Le français, langue commune», vous dites: «Vous vous proposez de prendre la notion du français langue officielle du Québec pour l'amplifier jusqu'à devenir la langue commune.» Comme si c'était un tout nouveau concept, ça, la langue commune, que nous avions inventé dans ce document-ci, que vous avez cité, donc que vous avez lu! Et je voudrais vous rappeler quand même que, dès 1972, la commission Gendron proposait cette notion de français, langue commune. C'était une de ses premières propositions, un de ses premiers consensus. Donc, cette notion-là existe depuis 1972.

En 1990, et je l'ai dit dans mes remarques préliminaires la semaine dernière, il y a un document de Mme Gagnon-Tremblay, qui était ministre de l'Immigration dans le gouvernement précédent. Ça s'appelle «L'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration», et je vous cite ce qu'il y avait dans ce document du gouvernement libéral précédent, en 1990. Je cite: «Depuis le début de la Révolution tranquille, l'action en matière linguistique des gouvernements qui se sont succédé au Québec se fonde sur le principe suivant: faire du français la langue commune de la vie publique, grâce à laquelle les Québécois de toutes origines pourront communiquer entre eux et participer au développement de la société québécoise.» Alors, c'est une définition que l'on retrouvait une première fois à la commission Gendron, une seconde fois... Il a dû y en avoir plusieurs autres, là, mais je vous résume l'histoire des 30 dernières années dans ce document, donc, du gouvernement précédent, et que nous avons, en effet, tenté à notre tour de définir en page 35. Vous y avez fait, donc, allusion tout à l'heure.

Alors, le député d'Outremont s'est proposé, la semaine dernière, et j'ai vu, là, que M. Rhéaume, juste avant vous, a déposé un document qui provient d'actes d'un colloque à Bruxelles, je crois, je ne sais trop en quelle année, mais je vais regarder s'il n'y a pas là-dedans une définition encore plus pertinente. Enfin, on va tout mettre ça ensemble. Mais l'idée même de français, langue commune au Québec, du Québec, est une chose qui est donc inscrite dans le paysage linguistique québécois depuis 30 ans. Donc, nous n'avons rien inventé. Parce que vous parlez comme si on venait de changer d'idée ou de changer de paysage politique en passant de la langue officielle à la langue commune. Alors, c'est là depuis 1972. Je veux bien qu'on essaie, tous ensemble, d'en trouver une définition.

(15 h 40)

Il est bien évident, cependant, que ce concept de langue commune – vous y avez aussi fait référence en page 37 – mais, quand même, en effet, il dit des choses très précises sur les droits et l'avenir de la communauté de langue anglaise, donc les droits de la minorité. Et à votre prédécesseur – je pense que vous étiez là quand Gilles Rhéaume était à cette table, tout à l'heure – je lui ai relu ce qu'il y avait dans l'avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec. Alors, page 37, je pense que l'on dit... Et, donc, ça répond à un certain nombre de vos questions, parce que, le projet de loi n° 40, il ne revient pas sur ces garanties concernant la langue d'enseignement, sur ces garanties concernant le système de santé. Tout ça est, continuera et sera, je veux dire, financé par l'ensemble des Québécois, et ces garanties-là sont des droits inaliénables de la minorité anglophone et reconnus comme tels. Alors, honnêtement, là-dessus, j'ai de la difficulté à suivre votre raisonnement et à voir jusqu'à quel point vous vous inquiétez. Je veux au moins vous rassurer sur ce point-là, c'est-à-dire que le projet de loi n° 40 ne touche pas à ça, qu'aucun projet de loi au Québec ne touchera jamais à ça, que c'est là pour y demeurer, dans la perspective, justement, de la pérennité de l'existence de cette minorité anglophone. Là-dessus, il faut que ce soit très clair.

Deux autres points de commentaires, puis, après ça, si vous voulez commenter à votre tour. Sur la Commission de protection de la langue française, écoutez, c'est sûr qu'on peut diverger profondément d'opinion, mais je voudrais au moins vous faire remarquer que, là encore, le gouvernement n'a pas inventé quelque chose de pervers, de pernicieux, de méchant dans la perspective de punir d'une manière ou de l'autre la communauté, la minorité de langue anglaise. Il faut quand même voir que la façon dont... On peut en discuter, puis ça peut être parfaitement légitime d'argumenter dans le sens contraire, mais ce que vous retrouvez dans le projet de loi n° 40 sur ce corps d'inspecteurs, là, ça existe dans plusieurs lois du Québec, et on l'a pris, et c'est nos juristes qui nous l'ont recommandé. C'est une loi générale qui s'appelle la Loi sur les commissions d'enquête et que l'on retrouve dans une multitude de lois à peu près textuellement de la même façon au Québec. Ça va de la Loi sur les abeilles à la Loi sur les assurances, à la Loi sur le camionnage, j'en passe et j'en passe pour arriver à la Loi sur la protection du consommateur, la Loi sur la sécurité dans les sports, etc. On retrouve la même notion, les mêmes pouvoirs.

Donc, ce n'est pas des pouvoirs exorbitants qu'on est allé chercher pour appliquer à la langue. Ce sont des pouvoirs qui existent dans la Loi sur les commissions d'enquête et qui se retrouvent dans toute une série de lois au Québec. Et je vous rappelle ici que la Charte de la langue française a toujours prévu l'existence de commissaires-enquêteurs, d'inspecteurs ou de vérificateurs – vous aviez l'air de dire tout à l'heure que le Dr Laurin avait fait une excellente loi; eh bien, voilà, c'était déjà dedans, dans la loi 101 – et que la loi actuelle octroie déjà à l'Office de la langue française un pouvoir d'initiative ainsi qu'un pouvoir d'exiger tout renseignement ou tout document utile. Et j'ajoute là-dessus que ça a été rédigé en tenant compte, justement, de la jurisprudence et des chartes québécoise et canadienne. Donc, on peut discuter de la pertinence que ça soit là et de la résurgence de la Commission de protection de la langue française, mais il ne faut pas imaginer que ça sort, là, de nulle part. Bon.

Et en terminant, enfin, une dernière chose avant de passer la parole à mon collègue, vous faites grand état, 5 000 000 $ pour la protection de la langue, etc. Personnellement, je pense que c'est 5 000 000 $ qui n'iront pas tous à la Commission de protection de la langue française, mais beaucoup à la francisation, justement, des milieux de travail. On a entendu toutes les grandes centrales syndicales, puis je pense qu'on peut, là-dessus, s'entendre, il y a un miniconsensus que le français, langue de travail a du progrès à faire. Donc, il y a une partie de ces 5 000 000 $ là qui va aller à la francisation, justement, des entreprises pour permettre aux travailleurs de pouvoir travailler en français.

Et je vous dis un peu, en terminant, là, qu'on n'entend pas souvent les groupes anglophones du Québec. Par exemple, je voyais en fin de semaine, pas plus tard, qu'il y avait 23 000 000 $ pour le drapeau, le drapeau canadien, le drapeau gratuit que Mme Copps offre, et ça coûte 23 000 000 $ aux contribuables canadiens, donc Québécois, même s'il n'y avait que 8 % des demandes. C'est dans le Globe and Mail , le plus grand journal canadien. Et, donc, 23 000 000 $ pour ce drapeau qu'on peut commander gratuitement, et il y a 8 % seulement des demandes qui viennent du Québec.

Une voix: Jusqu'à maintenant.

Mme Beaudoin: Oui, jusqu'à maintenant seulement. Et, par ailleurs, il y a au moins 25 000 000 $ à Ottawa qui vont au multiculturalisme, multiculturalisme, lui, inventé, cependant, pour banaliser, depuis 1982, le rapatriement de la Constitution et les politiques de M. Trudeau, la présence du français sur l'ensemble du territoire canadien et la non-reconnaissance, comme c'était le cas dans l'entente du lac Meech, qui n'a jamais été signée, une des cinq conditions qui était la reconnaissance du Québec comme société distincte. Tout ça n'existe pas, il y a le multiculturalisme à Ottawa et il y a 25 000 000 $, au moins, minimum, là-dessus, sinon des centaines de millions – d'ailleurs, tout dépendant quels programmes on additionne – et qui sont là pour nier la réalité francophone du Québec et la réalité, je dirais, binationale du Canada. Alors, voilà.

Mme Goodfellow (Marjorie): Si je peux répondre ou faire quelques commentaires concernant le français, langue commune, que vous avez mentionné en premier... Vous avez raison, vous avez décrit à la page 37, je pense, la situation de la communauté d'expression anglaise. Vous avez mentionné l'enseignement. Mais quelle est la place de l'enseignement en anglais si la population est en déclin, si les budgets alloués à l'éducation sont coupés un peu partout? Quelle est la place de cette éducation? Quelle qualité aura-t-elle?

Concernant les services de santé et les services sociaux, quelle est la place de ces droits si les personnels ne sont pas disponibles pour donner des services en anglais? C'est très difficile quand vous avez accès à un hôpital qui est... de plus en plus, les employés sont des personnes d'expression anglaise, elles ne sont pas nécessairement bilingues. Quand vous allez au service d'accueil, il y a une personne qui peut vous répondre en anglais et qui pourra faire le triage nécessaire pour les cas d'urgence. C'est un vrai problème. C'est très bien de dire: Nous avons les droits, mais, si les services ne sont pas là, les droits ne sont pas là non plus.

De lier l'idée du français, langue commune avec la place de notre communauté... J'aimerais bien entendre plus en détail ce que nous avons comme place, avec une situation où le français est la langue commune, pas une langue commune pour faciliter la communication entre les gens, mais la langue commune. Nous avons un partenariat de respect dans les Cantons-de-l'Est et nous voulons le conserver. Mais nous ne voulons pas être dirigés par un gouvernement central qui nous dit quels sont nos droits. Nous avons des droits, je pense. Nous sommes des citoyens à part entière et nous allons conserver nos droits si nous pouvons.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Je vais passer la parole à mon collègue.

Le Président (M. Garon): Ah! M. le député...

Mme Beaudoin: Excusez, M. le Président.

Le Président (M. Garon): ...de Vachon.

M. Payne: Merci, M. le Président. À mon tour, je voudrais souhaiter la bienvenue à l'Association des Townshippers, Mme Beattie, Mme Goodfellow, Mme Bower, M. Scott. Oui, effectivement, je me souviens des origines de Townshippers Association, et surtout du colloque en question et du rôle remarquable joué par le Dr James Ross. Effectivement, c'était un happening dans le meilleur esprit des Townships. Et je partage beaucoup, comme vous le savez, surtout Mme Goodfellow, depuis longtemps vos objectifs et les idéaux en ce qui concerne le partenariat, qui, je pense, dans les Cantons-de-l'Est, est tellement évident. Votre approche, votre philosophie de travailler ensemble, de chercher le bien commun de chacun d'entre vous, collectivement et individuellement, c'est quelque chose qui, à mon avis, est absolument remarquable.

(15 h 50)

Il faut dire que je ne répéterai pas les préoccupations soulevées par ma collègue la ministre, parce que ce serait pour répéter, moi aussi, une certaine perplexité quant à l'interprétation donnée à la politique gouvernementale. Il y a beaucoup de points d'interrogation dans le mémoire, qui, à mon avis, indiquent les craintes, la méfiance souvent, qui ne sont pas faciles à dissiper. Et je pense que, nous, comme gouvernement, nous avons tous la responsabilité de regarder ça avec beaucoup de sérieux, parce qu'on ne peut pas légiférer contre les craintes.

Mais vous dites que, si le français doit devenir la langue commune de tous les Québécois, il ne peut y avoir de place pour garantir les droits de la langue anglaise, encore moins la reconnaissance de notre communauté. Et vous continuez: Allez-vous conserver dans la loi les droits garantis de recevoir les services de santé et les services sociaux en langue anglaise? Moi, je peux vous dire que si j'avais la conviction que le gouvernement allait à l'encontre de ce que vous exprimez là, je n'aurais pas d'intérêt à faire partie de mon parti politique. Mais ce n'est pas ma conviction. Je crois que l'interprétation du projet de loi et de la politique qui le précède, et la politique générale linguistique dans son ensemble, se retrouvent, grosso modo, dans la plupart des documents du gouvernement depuis une vingtaine d'années.

Et, Mme la présidente, Mme Beattie, je vous inviterais avec Mme Goodfellow, parce que vous d'une perspective récente, elle d'une perspective plus ancienne, pouvez apporter une réponse importante, je pense, à une question que je voudrais vous poser: Disons que c'est adopté tel qu'il est devant nous actuellement, la politique et le projet de loi, en quoi, d'une façon empirique, objective, en quoi ça changerait le statut des Townshippers?

Vous parlez d'accessibilité aux services de la santé. J'avais une réunion jeudi, je pense, à la fin de l'après-midi, avec le ministre de la Santé. Il y avait des représentants du comité provincial de l'accessibilité aux services dans la langue anglaise, la mère du député de Jacques-Cartier était présente, et nous avons convenu d'une approche pour faire en sorte qu'on puisse garantir, continuer de garantir les services.

Il y a des rencontres au ministère de l'Éducation, au moment où on se parle, pour s'assurer qu'on puisse voir et rendre beaucoup plus souple la façon d'administrer les critères d'application de l'accès à l'école anglaise. Nous sommes en train de discuter de la façon qu'on puisse, avec le projet de loi n° 130, faire en sorte que le Tribunal administratif devienne beaucoup plus souple. Et ça se fait en consultation avec le milieu anglophone, et ça fait beaucoup de progrès.

Dans tout le temps du Parti libéral, l'opposition, il n'y a eu aucun progrès. Nous avons travaillé très fort. Vous vous souvenez bien de la récente histoire sur le Centre hospitalier de Sherbrooke. Nous avons lu, entendu les représentations de Charles Bury, des Townshippers. Nous avons suivi de très près et rencontré beaucoup d'entre vous pour faire en sorte que, je pense, maintenant, il y ait un consensus entre Townshippers en ce qui concerne ces services de santé.

Le Président (M. Garon): Je dois vous interrompre, M. le député, parce que votre temps est écoulé. Alors, je dois passer la parole au député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, j'aurais souhaité que la ministre fut présente, mais je vais m'adresser à vous et à Mme la présidente, Mme Beattie.

M. Gaulin: M. le Président.

Le Président (M. Garon): Oui?

M. Gaulin: Point de règlement, article 35.

M. Laporte: Je m'excuse, M. le Président, mais je voudrais m'adresser à la présidente, Mme Beattie. Mme Beattie, ne vous laissez pas intimider, madame, vous êtes parfaitement justifiée de vous interroger sur le sens de la notion de langue commune et de ses implications pratiques.

J'ai relu en fin de semaine le rapport de la commission Gendron. Il en est question...

M. Payne: M. le Président...

Le Président (M. Garon): Question de règlement, on est obligé de...

M. Payne: Dans le règlement de l'Assemblée nationale, il n'est permis à personne des parlementaires d'insinuer des propos malveillants auprès d'un autre député. À aucun moment je n'avais des intentions d'intimidation dans ma présentation. C'était avec la plus grande compréhension de notre position. Et je voudrais que vous puissiez invoquer pour la deuxième fois cet article-là.

M. Kelley: Question de règlement, M. le Président. Mon collègue n'a pas questionné directement le député de Vachon, alors, je ne vois pas la pertinence de son intervention.

M. Laporte: Est-ce que je peux conclure, M. le Président?

Le Président (M. Garon): Oui, mais en vous adressant au président.

M. Laporte: M. le Président, à l'adresse de Mme la présidente des Townshippers, je lui répétais qu'elle devait se sentir justifiée de continuer d'interpeller le gouvernement sur cette notion de français, langue commune, parce qu'il s'agit d'une notion dont la sémantique a beaucoup évolué depuis la commission Gendron, et on est en présence ici, avec nos partenaires d'en face, d'une dérive sémantique, de ce qu'en anglais on appelle le «semantic drift». Je commencerai par vous citer un éminent sociolinguiste français, Louis-Jean Calvet, qui, dans un dernier ouvrage sur les politiques linguistiques, a une petite partie de son ouvrage sur la paix linguistique en Suisse. Je vous le cite, madame, pour votre intérêt: «La Suisse constitue un exemple qui vient s'inscrire en faux contre la conception romantique de l'État-nation qui fait de la langue commune à la fois le symbole et le garant de l'unité nationale.»

Dans la commission Gendron, madame, ou M. le Président, on entendait la langue commune – et je sais très bien pourquoi on entendait la langue commune dans ce sens – comme étant celle qui devait être utilisée dans les communications entre interlocuteurs francophones et interlocuteurs d'autres langues. On utilisait à ce moment-là une notion de langue commune, une langue corrigée des observations sociolinguistiques qui avaient été faites en particulier dans les milieux de travail, avec beaucoup de spécificités. Dans le cas du document gouvernemental, le référent, le sens est élargi. Et je répète, madame, avant de vous poser ma question, qu'il me paraît tout à fait opportun que vous interpelliez la partie gouvernementale sur le sens de cette notion et ses implications pratiques lorsqu'on décide d'en faire l'objectif opérationnel d'une politique linguistique.

Maintenant, ma question, M. le Président, si vous me permettez. Madame, j'aimerais revenir au tableau 1 de votre excellent petit document qui nous montre – je ne l'avais jamais vu avec autant de clarté – que dans les Cantons-de-l'Est la population de langue maternelle anglaise est sujette à un déclin démographique presque systématique, n'est-ce pas. Presque systématique. Il y a deux ou trois cas où il y a eu une légère augmentation, mais dans la grande majorité des cas et dans le cas de ce qu'on trouve au bas de la page, Estrie, Montérégie, Mauricie, Chaudière, Cantons-de-l'Est, le déclin est systématique. Donc, ma question est la suivante. Quant à votre mémoire, madame, sans l'affirmer comme tel, il peut être compris pour vouloir dire que la nouvelle politique linguistique gouvernementale pourrait contribuer à accélérer le déclin de votre communauté, tel qu'il est décrit au tableau 1 de votre mémoire. Ma question, madame, est la suivante: Pensez-vous que ce pourrait être le cas et pourriez-vous, si vous le pensez, nous éclairer sur les raisons pour lesquelles il pourrait en être ainsi? Est-ce que vous m'avez bien compris, madame?

Mme Goodfellow (Marjorie): Oui.

M. Laporte: Merci, madame.

(16 heures)

Mme Goodfellow (Marjorie): Je pense que c'est possible que le contenu de la politique «Le français, langue commune», le document de consultation, puisse contribuer à continuer le déclin déjà en train de notre population dans les Cantons-de-l'Est. C'est évident que, si vous faites la liaison entre le tableau sur la population et le tableau précédent sur les revenus, c'est très clair que, sans une attention très particulière à la situation économique de notre région, nous n'aurons pas accès aux emplois. Évidemment, il s'ensuit que les jeunes vont continuer de quitter notre région pour les autres endroits où ils iront trouver de l'emploi. C'est décourageant de toujours trouver les principes énoncés comme ça.

Et je veux revenir aux questions de M...

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon.

Mme Goodfellow (Marjorie): M. Payne, excusez-moi. Il a parlé de la notion de français, langue commune qui existe depuis longtemps. Vous avez mentionné aussi la mention au document Gendron. La date de mention de cette notion ne le rend pas du tout plus acceptable à nos yeux, parce que le message qui est livré à notre population est que nous ne sommes pas des citoyens à part entière. Et ça contribue, encore une fois, pour revenir à vous, M. Laporte, ça contribue de plus en plus à l'exode de nos jeunes de notre région.

Alors, c'est une situation que nous trouvons malheureuse. Je pense que le Québec va perdre un élément qui est un atout, et nous voulons, nous pensons que c'est notre devoir de vous faire part de notre situation et de la situation de nos jeunes et de notre avenir dans les Cantons-de-l'Est. Je pense que nous sommes un peu ennuyés de toujours entendre parler de la situation de Montréal. Nous ne demeurons pas à Montréal, nous demeurons dans les Cantons-de-l'Est, où nous sommes menacés comme population, comme collectivité. Et je pense que c'est très clair quand vous examinez les deux tableaux que nous avons fournis, c'est une situation qui crie pour qu'on y trouve des solutions.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Je vais dire un mot de bienvenue aux Townshippers, et je dois avouer que j'étais triste, mais pas surpris, de voir le ton que les Townshippers ont adopté dans le mémoire. Ce sont les plus grands optimistes dans la communauté d'expression anglaise au Québec. Ce sont toujours les Townshippers qui, règle générale, sont venus ici témoigner... un rayon de soleil. Ils ont eu une capacité de voir les choses d'une façon plus optimiste. Mais de voir le ton, les mots que Mme Goodfellow a utilisés au départ, de «unwelcomed», découragé, déprimé... Comme je dis, ce n'est pas surprenant, mais, pour les Townshippers, d'être rendus si loin dans leur réflexion, je pense que c'est un cri du coeur, et je pense que tous les membres de la commission doivent tenir compte qu'il y a des choses ici qui sont troublantes dans la situation, qui visent surtout la communauté d'expression anglaise à l'extérieur de la région de Montréal.

Et la ministre et le député de Vachon ont indiqué leur appui pour les droits historiques, entre guillemets, de la communauté d'expression anglaise, M. le Président, et je trouve ça un petit peu curieux, parce que je me rappelle le débat sur la loi 142, il y a 10 ans, qui donne la garantie des services en anglais. Le Parti québécois de l'époque a voté contre. Je pense que mon collègue, le député de Montmagny-L'Islet, peut confirmer ça, mais il y avait un long débat et le Parti québécois s'est opposé à la notion de mettre dans la loi certaines garanties, certaines protections pour l'accès aux services en anglais.

Également, on a parlé dans le projet de mémoire, ici, de la politique, de l'article 133 de la Constitution canadienne, qui me permet de temps en temps de speak English, which is the language that most of my constituents speak, and that was something that the Parti québécois took right away. Ça a été réinstauré suite à une décision de la Cour suprême, mais quand nous avons rendu ça conforme avec la loi 86, il y a trois ans, le Parti québécois, encore une fois, a voté contre. Alors, pour eux autres, de prétendre maintenant être les grands amis des droits historiques de la communauté d'expression anglaise, quand on regarde dans les faits, ce n'était pas toujours le cas. Et, comme j'ai dit, ici je cite surtout la notion de la santé, l'accès aux services de santé en anglais; c'est le Parti québécois qui a voté contre. Et également, quand on parle du droit, du pouvoir de parler en anglais dans l'Assemblée nationale, le Parti québécois a voté contre aussi.

Ma question pour les Townshippers, c'est juste... Je pense qu'il y a toujours une distinction qu'il faut faire entre la santé de la langue anglaise au Québec, à cause de la force internationale et de notre situation en Amérique du Nord, et la situation de la communauté d'expression anglaise. Et pour assurer peut-être un avenir plus prometteur pour les Townshippers et pour la communauté dans les Cantons-de-l'Est, c'est quoi, les mesures que le gouvernement peut envisager?

Mme Goodfellow (Marjorie): Pour assurer notre avenir? C'est difficile à dire, mais, pour une fois, il faut écouter notre demande d'enseigner le français comme langue seconde aux adultes gratuitement, parce que c'est un outil essentiel de travail. Et les gens qui sont sans emploi à l'âge de 40 ans, disons, ou à l'âge de 50 ans, et qui ne sont pas bilingues ou assez bilingues pour trouver un emploi facilement doivent avoir accès à l'enseignement du français langue commune. C'est quelque chose de très simple, qu'on peut faire. Nous l'avons demandé depuis quelques années, et jamais nous n'avons reçu une réponse positive. Nous avons reçu des fois des félicitations, et je rappelle que Mme Harel nous a félicités une fois parce que nous avions demandé cet outil de travail, mais nous n'avons jamais reçu une action positive en ce sens.

Il y a toutes sortes de choses qu'on peut demander. Nous pouvons demander un accès élargi à nos écoles, par exemple, parce que la population scolaire chez nous est stable depuis quelques années, mais nous avons perdu 40 % de notre population scolaire depuis 1974. Alors, c'est une perte énorme, et les commissions scolaires travaillent avec cette situation qui se traduit dans une situation financière aussi. C'est très difficile de maintenir un enseignement de qualité quand la population scolaire n'est pas comme il faut. Alors, nous avons continué de demander un accès élargi à nos écoles, et plus spécifiquement pour les immigrants de langue anglaise. Nous ne demandons pas pour les autres immigrants, évidemment, mais pour les immigrants de langue anglaise.

Nous avons besoin d'un encouragement général. Nous avons besoin de mots qui signifient quelque chose de positif, qui nous disent que nous sommes des citoyens à part entière, que nous sommes des citoyens qui sont valables au Québec, et c'est rare que nous entendons ces mots-là. Merci, M. le Président.

M. Laporte: M. le Président, s'il nous reste...

Le Président (M. Garon): Oui, il vous reste deux minutes et demie. M. le député d'Outremont.

(16 h 10)

M. Laporte: Mme la présidente des Townshippers, j'aimerais, en terminant, vous mentionner que, l'inquiétude que vous avez à l'égard des articles 173, 175 et 176, eh bien, cette inquiétude, l'opposition la partage, madame, parce que, lorsque la ministre – M. le Président, si vous me le permettez – nous rappelle que cette loi est inspirée de la Loi sur la protection du consommateur, eh bien, j'ai lu la Loi sur la protection du consommateur en fin de semaine, j'en ai en fait tirer une copie pour la partie qui est pertinente... Je n'ai pas lu tous les règlements, je ne sais pas ce que les règlements contiennent, mais je peux vous dire, Mme la présidente, que la Loi sur la protection du consommateur ne témoigne pas de la raideur, un peu, de nos anciennes institutions collégiales dirigées par une certaine classe cléricale que nous connaissons bien, n'est-ce pas, de cette raideur dont témoigne maintenant la loi n° 40. Donc je répète que, moi, je suis, en tout cas, en tant que porte-parole de l'opposition, fort sensible à vos préoccupations touchant ces articles, et je pense que c'est fort heureusement que vous avez décidé de nous les faire entendre et de nous les communiquer à cette commission parlementaire. Merci, Mme la présidente.

Le Président (M. Garon): Je remercie les représentants de l'Association des Townshippers de leur contribution à la consultation de cette commission en fonction d'un mandat donné par le gouvernement. Et, avant d'appeler les prochains, je voudrais demander au Regroupement pour une Haute-Yamaska française de s'approcher de la table des témoins, et j'aimerais dire et demander aux gens de la commission s'ils sont d'accord pour un changement à l'horaire, puisque... comme, à 17 heures, nous devions suspendre, parce que le groupe qui devait venir à 17 heures s'est désisté, M. Jean Alfred, qui est ici, dans la salle – je ne sais pas s'il est ici, il était ici tout à l'heure – a accepté de venir à 17 heures plutôt qu'à 20 h 30. Alors, s'il n'y a pas d'objection...

M. Laporte: L'opposition serait d'accord, M. le Président.

Le Président (M. Garon): S'il y a d'autres personnes qui doivent comparaître...

(Consultation)

Le Président (M. Garon): Bien, ce qu'on pensait, c'est de faire avancer les autres.

M. Bissonnet: Oui, mais il faut les rejoindre. Est-ce qu'ils vont être ici?

Le Président (M. Garon): Bien, habituellement, ils arrivent un peu avant.

M. Bissonnet: Alors, si je comprends bien, ça finirait à 21 h 30 au lieu de 22 heures. Alors, il y a consentement.

Le Président (M. Garon): C'est ça. Et, s'il y en a d'autres... Si, par exemple, M. Archibald était ici, M. Campbell, et qu'un des deux aimerait passer à 17 h 30 plutôt qu'à 21 heures ou à 21 h 30, bien... Je ne sais pas s'ils sont là.

M. Bissonnet: Oui, on va consentir à recevoir M. Alfred à 17 heures, puis on verra avec M. Archibald pour qu'il commence à 20 h 30 au lieu de 21 heures, etc. O.K.?

Le Président (M. Garon): Bien, s'ils sont dans la salle, mais j'imagine qu'ils n'arriveront pas à l'heure précise.

M. Bissonnet: Non, non, ça va. Ils vont arriver probablement ce soir.

Le Président (M. Garon): Et, s'il y a quelqu'un d'autre qui est ici et qui doit comparaître ce soir, on aura une place, pour une demi-heure, à 17 h 30.

Une voix: Moi, je suis bien d'accord avec ça.

Le Président (M. Garon): Vous êtes d'accord avec ça, vous?

Une voix: Oui, oui, oui.

M. Bissonnet: C'est correct.

Le Président (M. Garon): Alors, l'ordre du jour est modifié en conséquence. Est-ce que les représentants du Regroupement pour une Haute-Yamaska française sont ici? Je leur demande de s'avancer à la table des témoins. Ils disposent d'une heure, c'est-à-dire, normalement, 20 minutes pour faire leur présentation, 20 minutes pour les députés ministériels, 20 minutes pour l'opposition officielle. Si ça vous prend plus de temps, il y aura moins de temps pour que les députés vous posent des questions; si ça vous prend moins de temps, ils pourront se prévaloir du temps que vous n'aurez pas utilisé pour vous poser davantage de questions, mais ils n'y sont pas obligés. Alors, je demande à la présidente de se présenter, de présenter les gens qui l'accompagnent et de faire son intervention.


Regroupement pour une Haute-Yamaska française

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Alors, bonjour, M. le Président. Bonjour, chers membres de la commission. Je voudrais d'abord vous présenter, bien sûr, mes collègues. Alors, vous avez ici, à ma gauche, notre vice-président responsable aux communications, M. Jean-Luc Nappert; vous avez, ensuite de ça, un des membres du comité directeur, M. Émile Roberge; vous avez, ensuite de ça, à ma droite, notre trésorier, M. Paul Omer Trépanier, et notre registraire, Mme Lasnier. Alors, nous venons aujourd'hui vous livrer nos sentiments vis-à-vis d'un état de fait régional, n'ayant jamais eu en main le document de base de travail pour la consultation.

Alors, le Regroupement pour une Haute-Yamaska française est une association non partisane vouée à la défense et à la promotion du français dans la grande région de la Haute-Yamaska. Il a été créé le 19 juin 1996 par différentes personnalités de la région de Granby préoccupées par l'utilisation grandissante de l'anglais dans l'affichage et la dénomination sociale de certains commerces environnants. Je dois vous signaler ici que c'est un unilinguisme anglais que nous constatons dans la région depuis 6 mois, et ça grandit à tous les jours.

Notre territoire couvre la circonscription de Shefford et celle de Brome-Missisquoi. Notre région comporte des particularités qui rendent la protection du français une tâche constante. La proximité de la frontière américaine constitue une menace tangible, d'une part, et la présence d'une minorité anglophone bien vivante – vous l'avez constaté tout à l'heure – accentue cet état de fait. Pour notre part, nous avons cru qu'il était temps, vu l'urgence et la dégradation rapide de l'utilisation du français dans l'affichage à Granby et sa région, de nous regrouper afin de nous doter d'un outil fort et efficace. Ainsi, 18 ans après l'instauration de la loi 101, nous constatons qu'encore une fois nous devons regrouper nos forces et nos énergies pour défendre notre langue et notre culture.

Dans un premier temps, l'association a adressé une lettre courtoise aux établissements fautifs les enjoignant de respecter la Charte de la langue française. Je crois que vous en avez copie dans vos documents. N'ayant pas obtenu de réponse, le 10 juillet dernier, les membres du Regroupement décidèrent de porter des plaintes formelles contre neuf commerces établis dans la ville de Granby. Vous comprendrez dès lors que nous appuyons fortement la renaissance de la Commission de protection de la langue française, tel qu'énoncé par Mme la ministre Louise Beaudoin. J'ai ici, d'ailleurs, un collègue qui pourra vous donner plus d'informations s'il y a des questions à ce sujet à la suite de notre rapport.

Nous devons une fois de plus former une vigilance locale afin que notre gouvernement agisse dans le sens d'un renforcement de la loi 101. Nous croyons que nos représentants élus ont le devoir et le mandat de protéger notre langue et notre culture. Nous devons vous signaler ici qu'il est regrettable, en ce temps de restrictions budgétaires et de chômage, de devoir canaliser une fois de plus nos énergies dans un débat sur la langue. Est-ce dû au laxisme de nos gouvernements précédents? Nous croyons que nous sommes en droit de constater que notre question est pleinement justifiée. Notre gouvernement veut-il vraiment faire du Québec une terre résolument française? De surcroît, nous voudrions voir notre gouvernement mettre tout en oeuvre dans les plus brefs délais pour faire respecter la loi 101, notamment dans l'affichage commercial. Nous souhaitons conséquemment que toutes les régions du Québec, et particulièrement la nôtre, affichent une image francophone sans équivoque.

Je voudrais peut-être faire une parenthèse. J'étais dans un restaurant de la région dernièrement. Il y avait un groupe de touristes américains qui sont entrés dans le restaurant, on s'est empressé de leur répondre en anglais, et ce sont eux qui ont demandé à ce qu'on leur parle en français, disant que, quand ils venaient au Québec, ils cherchaient l'exotisme et ils ne voulaient pas se retrouver chez eux. Alors, comme vous avez sûremment pu le constater, partout se manifeste une volonté ferme de s'organiser avec promptitude devant tout recul anticipé, et cela avant qu'il ne soit trop tard, notamment dans les régions où la loi est bafouée, comme à Granby, à Montréal ou dans l'Outaouais, où l'on constate un réel relâchement.

À Granby, dans les six derniers mois, le visage linguistique français a pris un net penchant vers l'unilinguisme anglais dans l'affichage commercial. De cause à effet, nous sentons que l'utilisation du français risque d'être de nouveau bouleversée par toute dilution de la Charte de la langue française. Dans notre région, la vigilance s'impose donc avec beaucoup d'acuité.

En ce qui concerne l'affichage, les mises en garde abondent. Il en va de même dans le domaine de la publicité commerciale, de l'étiquetage ou même des modes d'emploi. Ce phénomène n'est pas unique à notre région; il est, nous le croyons, généralisé.

Le monopole de la langue anglaise sur les nouvelles technologies, les sciences et les communications, notamment dans le cas de l'Internet, est une menace réelle. Et que dire de l'anglais qui devient pour la jeunesse en quête d'emploi un préalable de plus en plus indispensable.

Ce qui se passe chez nous actuellement est précurseur du sort qui attend tout le Québec si certains crans d'arrêt essentiels à la Charte de la langue française sautent ou si la loi 101 continue d'être l'objet d'une désobéissance croissante. Que faire?

(16 h 20)

À la suite de la courte histoire de la loi 101 – histoire très bouleversée, d'ailleurs – le Québec se retrouve aujourd'hui devant une Charte diminuée, affaiblie, bien abîmée. Pourtant, la Charte de la langue française avait pour objet de promouvoir le droit du peuple québécois de vivre en français, tout en facilitant l'intégration des allophones au Québec. Le Dr Camille Laurin, qui est auteur de la loi 101, pourrait vous faire largement état de ces volontés au moment de la création de la loi 101. Nous en étions fiers, d'ailleurs, et nous l'en remercions.

Aujourd'hui, nous nous éloignons graduellement de cet objectif premier et nous subissons l'influence grandissante de la langue anglaise qui impose de nouveaux défis aux francophones du Québec. La mondialisation des activités économiques et la culture populaire américaine accentuent considérablement cet état de fait. J'écoutais, la semaine dernière, à la télévision, un des membres d'Alliance Québec qui était interviewé à la télé de Radio-Canada, et qui disait: Il est évident que si un groupe perd quelque chose, c'est que l'autre groupe gagne quelque chose. Ils ne sont pas intéressés à perdre; eh bien, nous non plus.

La décroissance des francophones de langue maternelle dans l'île de Montréal, le transfert linguistique des allophones vers l'anglais – les dernières statistiques le disent, c'est à deux contre un – le choix croissant des cégeps et universités anglophones par les jeunes allophones du Québec sont autant de facteurs significatifs qui modifient graduellement la prédominance du français au Québec. Or, nous le croyons, loin de se diriger vers une restauration de la loi 101 qui se traduirait par l'introduction de plus de français dans les divers domaines d'activité économique, sociale et culturelle au Québec, notre gouvernement a actuellement entrepris une démarche qui risque, si les tendances se maintiennent, de conduire à la situation suivante: moins d'enfants allophones dans les écoles francophones; moins de français dans l'affichage; moins de français dans l'étiquetage; moins de français dans les communications; moins de français dans la culture populaire; moins de français au travail. Ça se vit déjà dans chaque domaine que je viens de vous donner. Encore une fois, que faire, M. Bouchard? Parce que c'est notre premier ministre, c'est à lui que nous nous adressons d'abord.

Nos recommandations. La Charte de la langue française doit être restaurée dans son intégrité, et voire même renforcée à certains égards.

Vous devez redonner à tous et à toutes le droit de travailler et de vivre en français. Qu'à cet égard la loi 101 soit déclarée de nouveau d'ordre public afin que tous les travailleurs jouissent du droit de travailler en français.

Vous devez faire en sorte que soit maintenu et accentué le visage français du Québec par l'affichage unilingue français à l'intérieur comme à l'extérieur des commerces. Vous comprendrez par là que nous voulons l'abolition de la loi 86. Il est reconnu que ce dernier argument incite les allophones et les francophones à utiliser le français au travail; le contraire est très évident.

Vous devez redonner aux Québécois le droit à des services professionnels en français sur tout le territoire.

Vous devez assurer à la jeunesse québécoise une éducation en français, notamment en ne créant pas de catégories d'immigrants.

Nous demandons qu'on introduise plus de français dans tous les secteurs d'activité au Québec.

Vous devez faire en sorte que nul bail ou contrat d'adhésion ne soit valide s'il n'est d'abord rédigé dans la langue officielle du Québec.

Vous devez faire du français la langue de fonctionnement de tous les organismes gouvernementaux et municipaux.

M. Bouchard, nous vous enjoignons, ainsi que votre gouvernement, de redonner au français le statut de véritable langue officielle du Québec. La responsabilité du redressement et de la promotion du français incombe certes à tous et à toutes, mais en premier lieu revient au seul État francophone d'Amérique. Le pouvoir politique, rappelons-le, demeure l'institution légitime la plus puissante pour maintenir la vitalité d'une langue, d'une culture, d'un peuple. C'est pourquoi, M. Bouchard, nous réaffirmons aujourd'hui devant cette commission que le Québec doit être et demeurer résolument français.

Jules Verne disait: «Tout ce qui s'est fait de grand dans le monde l'a été à force d'espérance exagérée.» Nous vous convions donc, M. le premier ministre, chers membres de cette commission parlementaire sur la langue, à exagérer avec nous nos espérances et à récompenser nos efforts en portant très haut le flambeau de la vitalité du peuple québécois, sa langue. Vive le Québec, courageusement et résolument français!

Je voudrais insister ici... Ce n'est pas la première fois que notre région se présente devant ce Parlement pour déposer des mémoires. Le 6 juin 1974, la loi qui était préparée par la commission parlementaire chargée d'étudier le projet 22... Il y a des arguments... J'ai reçu il y a quelques jours ce document et je trouve... C'est incroyable, mais ce que nous avons dans notre mémoire, on peut le retrouver presque textuellement dans ce document, en 1974. On cite, par exemple: «...d'où l'importance pour l'État de protéger la langue, bien national de ses citoyens, instrument de socialisation de l'enfant, de perfectionnement et d'épanouissement de l'homme, de communication sociale.» Un petit peu plus loin, on trouve une phrase de M. Jules Léger, qui était, à ce moment-là, gouverneur général du Canada, qui parlait du bilinguisme en disant que c'était «une façon erronée et néfaste qui empoisonne une multitude de nos jeunes». C'est dit par M. Jules Léger, qui était, à ce moment-là, gouverneur du Canada.

Sur la nécessité d'une intervention ferme de l'État du Québec, on dit: «La situation du Québec est-elle si grave qu'elle justifie une intervention de l'État?» Et on répondait oui. «Est-ce qu'on peut laisser évoluer l'état de fait sans le recours d'une intervention politique? Ne risque-t-on pas de voir se détériorer définitivement la situation?»

Un peu plus loin, sur le chapitre du bilinguisme, on disait: «Tout homme n'a qu'un arbre généalogique. S'il veut chanter juste, il lui faut rester dans le ton.» Et c'était écrit, encore une fois, par M. Jules Léger.

Vous aviez, ensuite de ça, un autre document qui vous a déjà été déposé, celui-là en 1988, le 17 avril: «Le français, ça va mal à Montréal!... Et chez nous, comment ça va?» On y traitait, dans ce document... Dans un chapitre concernant l'Estrie, on disait: «De l'avis unanime de la vingtaine de témoins entendus en Estrie, le fait français se dégrade, et très rapidement, en Estrie», etc. Et on en ajoutait.

Et on se retrouve encore une fois aujourd'hui, en Estrie, avec le même problème, la même situation qu'on retrouvait en 1974, qu'on avait retrouvée en 1988. Nous retournons à l'unilinguisme anglais. C'est dans l'affichage, c'est souvent dans les services, c'est un petit peu partout. Je pense que nous sommes en droit de venir ici aujourd'hui et de venir vous demander d'exagérer avec nous nos espérances. Merci.

Le Président (M. Côté): Merci, madame. Vous avez pris 13 minutes de vos 20 minutes, donc, il reste aux deux partis chacun 23 minutes. Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Merci. Bonjour, Mme Desroches, M. Nappert, M. Trépanier, Mme Lasnier et M. Roberge, que j'ai connu dans d'autres fonctions, à France-Québec. Merci pour votre mémoire. Et j'aimerais, d'entrée de jeu, vous poser une première question parce que je n'ai pas très bien compris. En page 5, vous l'avez lu, d'ailleurs, dans vos recommandations, vous dites: «Vous devez assurer – en parlant de M. Bouchard, donc – à la jeunesse québécoise une éducation en français, notamment en ne créant pas de catégorie d'immigrants.» Qu'est-ce que vous voulez dire par là?

Mme Desroches-Palluy (Mireille): C'est que, à l'heure actuelle, on sait très bien qu'il y a des demandes qui affluent, et beaucoup de gens chez les allophones, ou même chez certains anglophones, demandent que les gens qui viennent de l'extérieur ou qui viennent au Québec pour un certain temps mais qui ont d'abord étudié en anglais, puissent le faire et puissent avoir le droit d'aller à l'école anglaise. Alors, nous, nous disons que c'est créer deux catégories d'immigrants. Pourquoi les uns y auraient-ils droit et pourquoi pas les autres? Alors, nous voulons que le gouvernement soit clair là-dessus et qu'on évite, justement, cet écueil qui ferait qu'à un moment donné on grossirait tellement le nombre de gens des communautés allophones qui viendraient grossir les rangs de la population anglophone. Et pourtant, ces gens-là, il serait si simple, en les envoyant à l'école française, de les intégrer à la population de la majorité. Voilà.

Mme Beaudoin: Bon. Très bien. Dans le fond, ce que vous dites, c'est à propos des séjours temporaires.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Voilà.

Mme Beaudoin: D'accord. O.K. C'est parce que je pensais que... Bon, c'est sûr qu'Alliance Québec et d'autres groupes anglophones réclament la liberté de choix en matière de...

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Oui.

Mme Beaudoin: Et même le rapport de Mme Chambers, il y a quelques années, demandait que les immigrants en provenance de pays de langue anglaise puissent aller à l'école anglaise, mais ça avait été refusé à l'époque, et il n'est pas, absolument pas question de revenir sur toute cette question de langue d'enseignement. Ça va demeurer tel quel. Mais, là, je vois bien que c'est à propos des séjours temporaires que vous intervenez, là. Bon.

(16 h 30)

J'aimerais savoir aussi, page 3, quand vous dites, et c'est une chose qui m'intéresse beaucoup: «Le monopole de la langue anglaise sur les nouvelles technologies, les sciences et les communications, notamment le cas de l'Internet, est une menace réelle.» Et là vous dites: «Et que dire de l'anglais...» Bon.

Qu'est-ce que vous proposez quand vous... C'est un constat, là. Je vois bien, c'est un constat. Mais, par rapport à l'Internet, quand on sait, justement, qu'il y a, disons, 95 % de tout ce qui circule sur l'Internet qui est en anglais et que le français est la deuxième langue, mais peut-être à 3 %, et puis ensuite qu'il reste un 2 % pour les autres langues nationales, est-ce que vous avez pensé à ça ou est-ce que c'est un constat que vous faites et puis que ça s'arrête là? Parce que je vois que, à la page suivante, vous dites que, dans le fond, ce qu'on est en train de faire...

Puis vous me permettrez, bien sûr, de diverger d'opinion, parce que vous imaginez bien que, si je pensais personnellement, comme ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, que l'énoncé de politique et le projet de loi n° 40 nous menaient à moins de français dans l'affichage, dans l'étiquetage, dans les communications – je présume que vous faites un peu... bon – dans la culture populaire, puis moins de français au travail, si je pensais ça, bien honnêtement, je présume que vous imaginez bien que je n'aurais déposé ni cet énoncé de politique ni le projet de loi. Je veux dire, ce n'est pas mon objectif, pas celui du gouvernement, pas celui du caucus des députés, pas celui du Parti québécois.

Vous, vous nous dites... Puis j'aimerais que vous interveniez un peu là-dessus en m'expliquant sur quelle base vous affirmez, en quelque sorte... quels faits que vous retrouvez dans l'énoncé de politique ou dans le projet de loi mènent à moins de français dans l'affichage, à moins de français dans l'étiquetage, à moins d'enfants allophones dans les écoles francophones, à moins de français dans les communications? Et, plus particulièrement, donc, que vous me parliez de l'autoroute de l'information, de la seule qui existe, en tout cas actuellement, et qui est l'Internet. Alors, les deux choses: une question plus générale, puis une question plus spécifique.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Bon. D'abord, je dois vous répéter que, votre énoncé de politique, nous ne l'avons jamais eu en main. Ce que nous sommes venus vous dire ici, c'est tout simplement les constatations de faits que nous vivons dans notre région et que, nous, après discussion avec des groupes d'autres régions, on s'est rendu compte que nous n'étions pas les seuls à constater ces choses. Donc, nous venons vous livrer nos craintes à ce moment-ci. Considérant la partie de votre question sur Internet et autres, je vais permettre à mon collègue de continuer la réponse là-dessus.

M. Nappert (Jean-Luc): Oui. Merci. C'est au sujet, bien sûr, d'Internet et d'autres réseaux. Lorsqu'on regarde ce qui se passe avec les milieux scolaires, étant enseignant moi-même, le réseau Internet, bien sûr, fait référence au monde, je dirais, au village global, et le village global est beaucoup plus souvent en anglais qu'autre chose, et c'est là que c'est un constat, parce qu'on dit: C'est un danger au niveau de la culture populaire. Auprès des jeunes et des moins jeunes, bien sûr, tout ce langage-là se fait davantage, et de beaucoup davantage, en anglais, et c'est un danger qu'on voulait souligner.

Mme Beaudoin: Si je peux me permettre, qu'est-ce que vous proposez? Justement, c'est un fait, c'est un constat.

M. Nappert (Jean-Luc): Oui.

Mme Beaudoin: Vous avez raison, je l'ai dit moi-même. Il y a Québec-Sciences qui a fait une étude il y a peu de temps, et je vous ferai remarquer une chose assez étonnante, puis je la dis tout de suite parce qu'elle ne sera probablement plus vraie dans deux mois: c'est qu'il y a plus de sites de langue française sur Internet, donc sur le World Wide Web, sur le W3, en provenance du Québec que de la France. Ça ne durera pas, parce qu'ils sont quand même 60 000 000, puis là ils s'y mettent. Alors donc, il va y avoir plus de sites de langue française sur Internet en provenance de la France que du Québec. Mais, jusqu'à aujourd'hui, c'est le cas, et je voyais que le président Chirac – je pense que c'est devant le Haut conseil de la francophonie ou, enfin, un organisme similaire – avait justement salué, je dirais, la vitalité francophone québécoise sur Internet.

Mais qu'est-ce qu'il faut faire? Parce que, dans le fond, ce sur quoi je vous interroge, c'est: On fait quoi? Parce que c'est vrai que toutes nos écoles vont être branchées sur Internet, disons, d'ici deux ans. Mme Marois a annoncé un plan massif. Je fais la même chose pour les bibliothèques, et j'y crois beaucoup, parce que c'est l'avantage de la délocalisation. Je veux dire, j'étais à Val-d'Or, et ils ont leur site Internet, à Val-d'Or, et puis on peut travailler avec le restant du monde à partir de Val-d'Or; plus besoin d'être à Montréal ou dans un grand centre. Et espérons, justement, que pour nos régions ça aura un effet positif.

Par ailleurs, le problème, c'est celui-là, je veux dire, c'est que... Ha, ha, ha! Heureusement qu'il y a beaucoup, beaucoup de choses sur Internet et donc qu'on en trouve toujours quand même en langue française, même si ce n'est que 3 %!

M. Nappert (Jean-Luc): Oui.

Mme Beaudoin: Mais je présume que vous ne dites pas: Interdisons Internet, ne branchons pas nos écoles ou ne branchons pas nos bibliothèques sur Internet parce qu'il y a trop d'anglais.

M. Nappert (Jean-Luc): Nous n'avons pas regardé, en tout cas dans notre mémoire, ce qu'on pourrait faire avec Internet. Internet vient, et c'est une réalité. Par contre, indirectement, il y a un son de cloche qu'on peut montrer très clairement: c'est le visage français du Québec, qu'ici, au Québec, la langue de communication, la langue commune, c'est le français. Et ça, je pense, dans notre document, ce que nous avons dénoncé, ce que nous avons soumis à la Commission de protection de la langue française, c'est notamment au niveau de l'étiquetage, au niveau de l'affichage. Je pense que la Commission et le gouvernement du Québec doivent être très clairs, envoyer un message clair comme quoi ici ça se fait en français. Alors, tout au moins, je dirais que, indirectement, si, sur Internet, la langue de communication semble être l'anglais, ce qui est un peu une réalité, alors qu'on regarde ce que je disais tantôt, ce village global là. N'empêche qu'ici les gens seront au courant et que les jeunes et les moins jeunes seront au courant qu'ici c'est en français.

Mme Beaudoin: Juste ajouter, avant de passer la parole à mon collègue, que je suis plus proactive que vous là-dessus et plus... Je crois à des interventions structurantes du gouvernement.

M. Nappert (Jean-Luc): C'est possible.

Mme Beaudoin: Il y a le Fonds de l'autoroute de l'information qui sert essentiellement... La phase II a été annoncée par le ministre Bernard Landry, le ministre des Finances, 20 000 000 $ par année pour des contenus de langue française. Dans le fond, l'idée, c'est qu'il y ait une offre en langue française. Donc, là-dessus, moi, j'y tiens beaucoup parce que ça me semble être... L'avenir passe par là, par les autoroutes de l'information. Ou bien on les subit en anglais comme on a subi la première révolution industrielle, ou bien on s'équipe avec les autres pays francophones – et, ça aussi, j'aurais aimé vous l'entendre dire – donc dans une concertation internationale, pour mettre le plus possible de contenus de langue française.

C'est juste parce que je veux vous démontrer par là que, quand vous dites que ça va donner moins de français dans les communications, bien, ce n'est pas vrai, je veux dire, ce n'est pas vrai. Je prends juste ce petit secteur là – ha, ha, ha! – on met beaucoup de moyens financiers puis d'interventions législatives, puisque c'est dans le projet de loi n° 40, sur les logiciels, les ludiciels et puis les systèmes d'exploitation des ordinateurs, parce qu'il faut quand même que l'interface soit en français, qu'on puisse naviguer en français et pas seulement en anglais, et ça, pour moi, c'est fondamental pour l'avenir.

Ceci étant, j'ai très bien compris. Je vais vous remettre quand même l'énoncé de politique pour que vous en preniez connaissance. C'est un projet global. Et je vois très bien... C'est fort intéressant. Bon, vous dites: C'est notre vécu, c'est ce qu'on vit, c'est dans notre coin de pays, puis c'est ça, la réalité.

M. Nappert (Jean-Luc): Oui.

Mme Beaudoin: Bon, vous avez entendu juste avant les Townshippers, l'Association des Townshippers qui nous disait, au contraire, qu'elle pensait qu'on était en train de... Non, mais, honnêtement, je veux dire... Bon. Puis je ne présume pas, je ne doute pas de la bonne foi des uns ni des autres, mais l'Association des Townshippers vient nous dire: Bien, on est en train de disparaître, puis vous êtes en train de faire en sorte que l'anglais disparaisse de l'Estrie. Et, vous, vous venez nous dire que, vous autres, selon votre expérience quotidienne dans l'Estrie puis dans la Haute-Yamaska, c'est l'inverse, c'est que l'anglais est envahissant à la fois visuellement et à la fois oralement, etc.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Dans le quotidien de tous les jours.

Mme Beaudoin: Très bien.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Oui, et nous croyons peut-être... Bon, je ne sais pas si le gouvernement serait prêt à aller jusqu'à légiférer ou tout au moins à créer une réglementation concernant l'utilisation sur les réseaux Internet ou tout autre réseau. Je ne sais pas jusqu'où vous êtes prêts à aller, mais je pense qu'on va peut-être vous faire confiance là-dessus. Mais, nous, nous venons, comme vous le dites, vous donner un état de fait et vous livrer nos inquiétudes à ce moment-ci.

Le Président (M. Garon): Concernant...

Mme Desroches-Palluy (Mireille): J'ai M. Roberge qui pourrait peut-être ajouter quelque chose là-dessus.

Le Président (M. Garon): J'aimerais vous dire seulement: Concernant l'autoroute de l'information, la commission de la culture et des communications va siéger là-dessus à la fin de septembre, au début d'octobre, justement pour ce que vous soulignez. C'est une préoccupation de la commission, justement, concernant ces questions-là. Alors, si vous voulez même venir présenter un mémoire, je ne sais pas s'il est encore temps, mais...

Mme Desroches-Palluy (Mireille): D'accord. J'ai peut-être M. Roberge ici qui voudrait ajouter quelque chose.

M. Roberge (Émile): Oui. Je pense qu'on a certaines inquiétudes, justement, à cause de notre vécu quotidien, et nous constatons que la loi 101 a été dépouillée d'une partie de ses griffes, si l'on peut dire. La loi 101 était une loi courageuse, et puis, selon nous, il n'y a que les lois courageuses qui changent les choses. Des fois, on a l'impression qu'actuellement on voudrait sauver la chèvre et le chou. Je pense qu'il nous faut revenir à la loi 101 dans toute son intégrité. On a peut-être des frousses injustifiées, mais, encore une fois, devant notre vécu, voyant ce qui se passe chez nous, on voudrait que la loi 101 soit rétablie dans toute sa plénitude. Et puis, ceux qui, il n'y a pas si longtemps encore, clamaient bien fort: Ne touchez pas à la loi 101, on ne voudrait pas que ces gens-là perpétuent aujourd'hui des lois qui ont été passées par après pour diminuer la loi 101.

(16 h 40)

Nous proposons donc qu'on abolisse courageusement les lois 68 et 142 – je pense que je ne me trompe pas de numéro – la loi 86, excusez, et qu'on rétablisse la loi 101 dans toute son intégrité. Au fond, on a des peurs à cause du quotidien que l'on vit. Parce qu'il ne faut pas oublier que, là, on a commencé par regarder ce qui se passait dans notre petite ville de Granby, on n'est pas encore allés voir du côté de Knowlton et de la partie la plus anglophone de notre région.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Mais on peut ajouter qu'il y a des plaintes qui nous arrivent présentement de Waterloo, de Saint-Césaire, de certains villages environnants. Alors, c'est pour vous dire que c'est en train de faire des petits. Et, encore une fois, c'est de l'unilinguisme anglais. Il y a un cinéma qui a ouvert il n'y a pas longtemps, et c'est unilingue anglais à l'intérieur. On ne comprend pas. Alors, comme vous voyez, ce qu'on vient vous dire ici aujourd'hui, ce n'est même pas sur le bilinguisme, c'est sur l'unilinguisme anglais. Alors, on constate encore une fois que, quand on donne... Je vous le disais tout à l'heure, quelqu'un d'Alliance Québec disait que, si quelqu'un perd, l'autre gagne quelque chose. Eh bien, c'est évident que, nous, nous perdons dans notre région et qu'eux gagnent quelque chose. Ils n'affichent pas bilingue, comme M. Galganov veut bien s'en vanter, ils affichent unilingue anglais. C'est impensable, c'est invivable. Et, quand on leur donne un pied, ils prennent un mètre. Alors, c'est incroyable. On ne veut pas continuer à vivre dans cette inquiétude et à perdre du terrain comme on en perd présentement. C'est impensable.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Alors, vraiment, cette fois-là, en terminant, je pense que c'est important que vous preniez en effet connaissance de cet énoncé de politique, parce que, dans notre esprit, tout ne peut pas être législatif. Le coeur de la Charte, en 1977 comme aujourd'hui, c'est la loi. Mais, autour de ça, ça ne peut pas se réduire à la loi, donc il y a une approche, justement, internationale, une approche plus sociale, etc.

L'énoncé de politique, on va vous le remettre, mais il était disponible justement sur Internet, en français, bien sûr, aux bureaux de Communication-Québec, sur demande à l'Assemblée nationale, sur demande à notre Direction des communications, etc., et je pense que ça vaut la peine, parce que c'est quand même un 75 pages qui est assez complet et qui fait le tour de la question telle qu'on la voit, nous, à ce moment-ci, alors que le projet de loi est très restreint, finalement, et ne comporte que quelques articles.

Alors, j'ai terminé, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Nicolet.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Bonjour, mesdames, messieurs.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Bonjour.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): D'abord, je voudrais vous féliciter pour la présentation de votre mémoire. Je voudrais aussi vous remercier de votre implication pour la défense de la langue française. Je suis d'autant plus interpellé que mon comté s'appelle Nicolet-Yamaska. Moi, je suis dans le côté d'Yamaska. C'est la Basse-Yamaska, mais c'est beau quand même.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Et Granby, c'est en banlieue de Saint-Marcel, hein?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Morin (Nicolet-Yamaska): À ce moment-ci, je pense qu'on est au coeur, aussi, de nos comtés les plus francophones de la province. Chez nous, dans mon comté, Nicolet-Yamaska, il y a 99 % de francophones. Ce que vous venez nous dire cet après-midi, c'est que vous nous interpellez du fait que le rouleau compresseur est en train d'envahir nos petits villages et nos petites villes.

Vous étiez là tantôt pour entendre le groupe précédent qui nous disait qu'il y avait l'exode des jeunes. À cause de la langue, les anglophones se sentaient menacés. On nous disait tantôt que nos jeunes anglophones quittaient les petites municipalités de votre région et des «townships». Qu'est-ce que vous pensez de cette réflexion-là? J'aurai d'autres questions ensuite.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): J'aimerais permettre à mon ami Trépanier de répondre, mais je vous dirais, avant de le laisser parler, que les jeunes francophones aussi quittent les régions.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): C'est ce que je voulais que vous répondiez. Ha, ha, ha!

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Ce n'est pas une question de langue, c'est une question de manque d'emplois. On vous le dit, que c'est incroyable de devoir parler de langue quand on est en pleine période de coupures et de chômage. Les jeunes francophones aussi. Il y a de très bonnes écoles anglophones chez nous, il y a des élèves qui les fréquentent, mais, s'ils ne restent pas dans les régions, ce n'est pas une question de langue, c'est une question d'emploi. C'est la même chose pour les nôtres: ils vont dans les grands centres, là où c'est attrayant, là où il y a possibilité de travailler dans leur langue et de trouver de l'emploi. Mais les nôtres font la même chose. Les villages se vident. Il y a beaucoup de cercles de personnes âgées dans les villages; les cercles de jeunesse, il n'y en a pas beaucoup. Si M. Trépanier veut terminer.

M. Trépanier (Paul O.): Oui. M. le député, je crois que votre gouvernement...

Le Président (M. Garon): M. Trépanier.

M. Trépanier (Paul O.): Pardon?

Le Président (M. Garon): M. Trépanier.

M. Trépanier (Paul O.): Oui, M. le Président. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): L'ex-maire de Granby.

M. Trépanier (Paul O.): Oui, 18 ans. Alors, je trouve votre question très pertinente, et, sans tomber dans la redondance, ça m'amène à commenter de la façon suivante tout en répondant à votre question: il y a un aspect du débat de la langue qui m'intéresse au plus haut point, et, à partir du fait que les francophones en Amérique du Nord constituent une infime minorité quant au nombre et une minorité assujettie à une grande force économique, à une hégémonie économique très forte, les anglophones du Québec ne peuvent aucunement se comparer à cette situation de minoritaire, parce que les anglophones du Québec constituent une minorité très forte, très forte quant au nombre et très forte quant à leur puissance économique.

Intéressé à cette question, j'ai demandé à mon neveu de naviguer un peu sur le réseau électronique Internet, avant-hier, et nous sommes entrés en Belgique, au Centre René Lévesque, dont fait partie le Québec et qui est le centre de documentation de la Conférence des peuples de langue française. Moi, je suis parti avec le problème suivant, M. le Président, Mme la ministre, M. le député, que le Québec devrait démontrer de façon soutenue que nos politiques sur la langue, depuis plusieurs années, ne revêtent pas un caractère d'unicité.

Si on compare la lutte, par exemple, en Suisse romande et en Belgique, entre les Flamands et les Wallons, on constate que la lutte est similaire et que les Wallons, en Belgique, ont des problèmes. À la fin du siècle dernier, selon les chiffres que j'ai obtenus, il y avait 42 % de Wallons en Belgique; c'est tombé à 32,6 %. Et la lutte est extrêmement forte. J'ai parlé à dessein tantôt d'hégémonie économique; c'est qu'on se bat actuellement pour avoir une présence. Les Flamands veulent une présence plus grande à Bruxelles et veulent que Bruxelles soit la capitale d'une Belgique renouvelée. Or, à Bruxelles, qui est en Wallonie, les Flamands ne constituent que 10 % de la population, et les francophones, les Wallons, 90 %. Malgré cela, de plus en plus, on constate que, au niveau du fonctionnarisme, on emploie de plus en plus de Flamands. On constate que la très forte hégémonie économique des Flamands influe sur le développement de la capitale, Bruxelles.

Donc, les luttes sont similaires, à mon point de vue, similaires en Belgique, similaires en Suisse, et je crois que, face au sursaut – parce qu'il faut employer le mot réel – que l'on constate actuellement de la communauté anglophone du West Island, le gouvernement doit démontrer de façon très claire que ses lois ne sont pas uniques. Il n'y a pas d'unicité. Ce sont des lois nécessaires, des lois essentielles pour assurer l'avenir d'un Québec français en Amérique du Nord, où on parle une langue correctement, où on l'écrit correctement et où on parle en français dans les affaires et dans les professions.

(16 h 50)

Moi, je peux vous raconter des histoires d'horreur que j'ai connues. J'ai l'âge de Camille Laurin, et, dans notre temps, je peux vous dire qu'on a connu des situations où on était minoritaires et où on devait travailler en anglais quand on travaillait avec des industriels. Or, pour que les succès obtenus continuent dans l'avenir, il me semble que le gouvernement doit continuer non seulement dans la même direction, mais démontrer qu'on doit le faire, que ça se fait ailleurs et que c'est nécessaire de le faire. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Merci. Le temps étant terminé pour les ministériels, maintenant, c'est M. le député d'Outremont. Non? M. le député de Viau.

M. Laporte: Non, c'est mon collègue de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. Mme Desroches, une question bien courte. Page 5, vous avez décidé d'englober dans la même phrase un bail et un contrat, qu'ils soient rédigés en français, à l'avant-dernier paragraphe. En ce qui concerne le bail, ça m'inquiète un peu, parce que, en décembre 1995, l'Assemblée nationale a adopté un projet de loi qui obligeait tout bail non seulement à être français, mais à se servir du bail de la Régie du logement. Est-ce que vous êtes en train de nous dire par ça, ici, que les baux en français de la Régie du logement ne sont pas utilisés, ne sont pas disponibles? C'est quoi? Est-ce que vous pourriez m'expliquer pourquoi vous avez englobé ensemble? Ou est-ce que vous faites une distinction entre les baux puis les contrats?

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Les baux, à l'heure actuelle, de la Régie sont utilisés par beaucoup de monde, mais il y en a encore beaucoup trop qui ne les utilisent pas. Il y a beaucoup de citoyens qui se font des baux particuliers. Il y a des baux, à l'heure actuelle, qui se font en anglais, et il y a des citoyens qui comprennent mal le bail qui leur est présenté en anglais et qui sont obligés, eux, de demander d'avoir un bail en français. Alors, on pense que c'est inacceptable et on voudrait que le gouvernement soit clair là-dessus ou que ça soit répété.

M. Cusano: O.K. Pas d'autres questions.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. Madame, évidemment, vous nous avez – enfin, si j'ai bien compris – presque exclusivement parlé de l'affichage commercial au sens étroit du terme et aussi des raisons sociales et des marques de commerce. Par ailleurs, je ne sais pas, il me semble que Granby doit être une ville où... Enfin, la dernière fois que j'y suis allé... Du point de vue, disons, de la langue de travail, est-ce que vous seriez d'avis que... Vous savez qu'il y a de longues études de faites sur Granby depuis la fin des années trente, et la francisation doit avoir fait des progrès considérables à Granby, donc il y a un contexte de francisation qui, si on veut, accompagne ces changements dont vous parliez tantôt. Est-ce que j'ai raison de percevoir la situation du français langue de travail à Granby comme étant celle-là ou si vous porteriez le même jugement que vous avez porté sur l'affichage et les raisons sociales?

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Nous devrons finir par porter le même jugement, étant donné que nous avons dans notre équipe des gens qui viennent des milieux syndicaux et qui nous disent que, à l'heure actuelle, la francisation des entreprises se fait très, très, très lentement. C'est à très, très, très petits pas. Il y a eu comme un arrêt de fait de ce côté-là. Et on constate que plus l'affichage se fait en anglais ou plus l'anglais prend de la place, plus les gens se sentent comme une espèce de liberté de recommencer à exiger que les gens travaillent en anglais.

J'ai moi-même fréquenté des restaurants, des endroits – puis pas seulement à Granby, à Montréal, ailleurs – où, avant, tout se faisait en français, puis on arrive maintenant et puis il n'y a plus un serveur qui nous répond d'abord en français, ils nous parlent en anglais. Puis, bien souvent, il y a des serveurs qui ne sont même pas capables de nous répondre en français, ils nous en envoient un autre. Alors, ça, c'est une constatation de faits. Et on nous dit, à l'heure actuelle, dans les milieux syndicaux régionaux chez nous, que le travail est très lent et que les gens ont l'impression que...

Vous savez, la situation d'inquiétude que nous vous apportons aujourd'hui est une situation d'inquiétude qui est largement répandue, puis on le voyait d'après des sondages qui sont sortis ce matin. Les gens ont peur de ce qui va se passer parce qu'ils sentent qu'il y a un laxisme qui est là et qui est présent depuis quelques années. Les gens ont l'impression que tout a cessé d'évoluer, à un moment donné, en faveur du français. On a l'impression... Puis il y a eu des déclarations de certains ministres, de certaines personnalités gouvernementales qui ont fait que, oui, peut-être que Montréal pourrait se bilinguiser, oui, peut-être qu'on pourrait permettre que... oui, peut-être... Mais c'est ça. Alors, la population, elle a peur, et, par l'entremise de groupes comme nous, elle vient vous le dire.

M. Laporte: Mais...

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Et, dans le travail, oui, monsieur, à l'heure actuelle, c'est très lent, la francisation, il y a comme un arrêt de ce côté-là. De plus en plus, on voit des gens qui sont obligés de venir nous dire: On n'utilise plus les termes français, on recommence à utiliser des termes anglais, on recommence à s'adresser à nous en anglais, puis on recommence à insister pour qu'on leur réponde en anglais aussi. On a l'impression qu'il n'y a pas de réelle volonté de faire du français la langue commune. On se croit une liberté et on prend cette liberté de dire: Bof! on va retourner en anglais, on va bilinguiser. C'est ça, le danger. Il est en train de se faire, le bilinguisme. Et quand on dit «bilinguisme au Québec», on sait ce que ça veut dire. Ça veut dire à court terme une glissade sûre vers l'anglais, puis vous l'avez, vous avez dans vos documents des photocopies de glissades vers l'anglais, sûr.

M. Laporte: Mais, M. le Président, si vous permettez...

Le Président (M. Garon): Oui, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: ...le sondage de ce matin... J'ai peu de doutes que nous soyons en présence d'une construction politique de l'insécurité linguistique, mais le sondage de ce matin... Vous avez peut-être raison, madame, il y a peut-être une insécurité, une certaine insécurité, mais, dans le sondage de ce matin, je le regardais tantôt, pour ce qui est de l'idée de régir l'affichage, pas l'affichage, mais de régir, disons, la francisation ou l'usage du français dans les raisons sociales, le sondage ne nous donne pas d'indications très fortes là-dessus. Par exemple, 57 % des répondants ne jugent pas utile que le gouvernement exige que ces raisons sociales soient dorénavant en anglais.

L'autre question que je voulais vous poser, c'est qu'à Granby, tout de même, ça m'arrive d'y aller, puisque j'ai une propriété dans les Cantons-de-l'Est. Je vais au cinéma, comme vous le mentionniez tantôt, dans le cinéma dont vous parlez. On n'est pas en présence d'un phénomène de domination ethnique, là. Quand vous parlez dans votre mémoire – et j'ai trouvé ça fort intéressant, votre mémoire, surtout l'article «L'anglais, c'est "in"» – de ce commerçant qui a décidé d'afficher «Central Park» dans cette maison du steak ou ce «steak house» où on veut créer une ambiance bien new-yorkaise, et c'est la même chose pour les gens qui sont interviewés sur Back Street Station, ou sur Cassy's, ou sur Bernie's, ces gens-là, ce sont des gens comme vous et moi, ce sont des francophones, des Canadiens français comme vous et moi, donc on peut s'interroger sur la... Je ne vois pas trop, trop comment on va s'y prendre pour réglementer ces comportements. Votre mémoire ne me paraissait pas... Enfin, je me posais des questions après l'avoir lu et relu. Il y a des exemples au Québec où on a essayé, par le recours à de l'animation linguistique... Je pense à Trois-Rivières, par exemple, ou à la région de la Mauricie, plus largement, où on a essayé de susciter un élan de la part des commerçants vers l'utilisation du français dans les raisons sociales, dans les marques de commerce.

Mais, dans ce cas-ci, étant donné qu'on est non pas en présence d'une domination ethnique ou d'une domination linguistique, mais de comportements qui sont ceux de francophones qui agissent, évidemment, pour des raisons d'affaires, je comprends qu'on puisse vouloir créer une ambiance new-yorkaise chez vous, à Granby. Qu'est-ce que vous nous suggérez comme intervention réglementaire? Vous suggérez qu'il y ait un retour à la loi 101, mais plus. Parce que, dans la loi 101, même cette question des raisons sociales, des marques de commerce... Il y a d'ailleurs un texte dans votre petit document qui est très utile là-dessus, lorsqu'on dit quelles sont les règles d'affichage, l'affichage et ses règles. Il faudrait presque revenir à une loi 101 encore plus – comment dirais-je – ...

(17 heures)

Mme Desroches-Palluy (Mireille): On vous ne le fait pas dire, cher monsieur.

M. Laporte: ...rigoureuse.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): On ne vous le fait pas dire, c'est exactement ce que nous demandons. Nous demandons plus de français parce que, justement, et on le dit quelque part ici, quand on commence à afficher, justement, unilingue anglais ou quand on donne une prédominance à l'anglais ou qu'on donne même l'égalité de terrain à l'anglais, même les nôtres, les parlant-français comme nous, sentent une espèce de liberté et disent: Bon, bien, oui, la loi le permet, ou il n'y a plus personne qui vient nous dire de ne pas le faire, donc, on le fait. C'est de l'ignorance, souvent. Ces gens-là ne le font pas de mauvaise foi, sauf que, quand on leur rappelle la loi puis quand on leur rappelle pourquoi nous insistons pour avoir du français, ils finissent pas comprendre et ils le font. Il y a un commerce, à Granby, qui vient de se franciser à la suite de notre plainte...

M. Laporte: Bravo!

Mme Desroches-Palluy (Mireille): ...qui l'a fait et qui a redonné à l'intérieur de son commerce une autre vie, et qui en est très fier et qui dit: Bien oui, c'est grâce au Regroupement si je l'ai fait. On l'a réveillé. Eh bien, c'est ce qu'on demande à notre gouvernement, d'établir clairement les règles et de réveiller la population, parce que, la population, elle sent à l'heure actuelle que ça glisse, et elle glisse avec, elle prend la liberté de glisser. On ne peut pas l'en accuser, de ça, c'est dans tous les domaines. Vous donnez un bonbon à un enfant puis, si vous lui mettez le plat devant le nez, il va en prendre d'autres.

M. Laporte: Mais, M. le Président, je ne questionne pas les observations de Mme Desroches, même si, des fois, je suis porté à me dire que cette espèce d'anglophobie... pas d'anglophobie, mais d'anglomanie est peut-être un peu un effet pervers de la sécurité linguistique que nous avons acquise avec la loi 101. Les gens se sentant plus sécures dans leur peau, ils sont plus portés... Vous savez, on a observé des phénomènes pareils dans beaucoup de pays aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'italophobie... Donc, il y a un très bon livre là-dessus, de Rhéault, sur le français au XVIIIe siècle, un excellent ouvrage que je vous recommande, mon cher collègue, si je peux le faire. M. le Président, je pourrais même déposer copie de l'ouvrage.

Mme Beaudoin: C'était quoi, l'ouvrage?

M. Laporte: Ça s'intitule...

Le Président (M. Garon): Est-ce qu'il y a consentement pour dépôt de la copie?

M. Laporte: ...«Le français à l'âge des lumières».

M. Payne: Non, c'est la référence qu'on veut.

M. Laporte: «Le français à l'âge des lumières», de M. Rhéault. C'est aux Presses universitaires de France.

M. Payne: C'est le VIIIe siècle?

M. Laporte: Les XVIIe et XVIIIe siècles. Encore ici, je me dis... Et, ça, c'est un très beau cas que vous venez de mentionner, c'est-à-dire qu'à l'aide d'une animation linguistique un commerçant a donc décidé d'aller vers du français plutôt que vers de l'américain. On pourrait même aller plus loin, c'est-à-dire qu'on pourrait aller jusqu'où ils sont allés à Trois-Rivières, c'est-à-dire donner des reconnaissances officielles à ces décisions-là. À Trois-Rivières, je me rappelle, quand j'étais président de l'Office, avoir présidé à des remises de prix. Mais la question que je vous pose: Est-ce que vous pensez que, par l'animation, par le bon travail que vous faites, on pourrait arriver à modifier cette situation, ou s'il faudrait vraiment aller vers une réglementation rigoureuse qui, dans certains cas, pourrait être assez mal acceptée de nos concitoyens, puisque, finalement, ce sont tous des concitoyens de langue française dont on parle?

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Je vous donnerai une partie de réponse, puis je vais permettre à M. Trépanier de continuer. Si ce commerce a changé, comme vous dites, vous, vous appelez ça une animation, mais, moi, j'appelle ça commission de protection de la Charte de la langue. C'est grâce à eux, c'est grâce à la plainte qu'on a formulée auprès de la Commission que ces gens-là ont réagi. C'est pourquoi, Mme la ministre, allez de l'avant avec la Commission, elle donne des résultats. Et les gens ne sont pas fâchés de cette Commission, ils reçoivent avec beaucoup de plaisir les lettres et ils finissent par changer leur commerce. On en a deux, gains, de faits depuis un mois, nous voulons en faire d'autres, madame. C'est ça que nous voulons. Allez de l'avant, nous allons vous supporter là-dessus. Et nous ne sommes pas, nous, en faveur d'un chantage éhonté auprès des commerces. Nous, nous passons par la Charte. Ce n'est pas une police. La police, on l'a vue quand elle est allée faire du piquetage devant les commerces. Ça, j'appelle ça faire de la police, mais la commission de protection, madame, c'est l'instrument idéal. Allez de l'avant avec. M. Trépanier.

M. Trépanier (Paul O.): Bon, alors, monsieur, vos deux questions sont fort pertinentes. La première question: Est-ce que la situation s'est améliorée? Oui, elle s'est améliorée, si je compare avec ce qu'on a vécu il y a 40 ans, parce qu'il y a 40 ans, dans l'industrie, c'était en anglais, mes plans d'architecte étaient en anglais. Vous pouvez venir voir dans mes dossiers, tous mes plans d'usine, c'est en anglais. On n'avait pas le choix, ça se faisait en anglais. Les plans que l'on faisait pour le gouvernement fédéral, c'était en anglais. Là on continue de nous exiger, puis c'est ridicule, de les faire bilingues. À Toronto, on n'a pas la même situation. Alors, oui, il y a amélioration au niveau de la langue parlée au sein de l'industrie.

Le deuxième aspect que vous avez traité, je trouve que, ça aussi, c'est très pertinent. À notre point de vue, à Granby, on vit une situation surprenante qui a surgi il y a à peine quelques mois. Comment se fait-il que des commerçants sont revenus à ce que M. Laurin et moi avons connu il y a quatre et cinq décennies, Laurin Shoe Store et Trépanier Delicatessen? Parce que – moi, je viens de Farnham, dans le milieu des Eastern Townshippers, où, à ce moment-là, les jeunes Anglais, grâce aux «high schools», pouvaient aller à l'université, mais nous, les francophones, c'était très difficile d'avoir accès à l'université. Et les films, dont vous avez parlé tantôt, c'était en anglais; on est devenus bilingues très jeunes. Alors, à ce moment-là, si on voulait être quelqu'un dans la vie et avoir un commerce qui était pour réussir, il fallait avoir une enseigne en anglais. Comment se fait-il – c'est ça qui est intéressant, puis je trouve votre remarque très pertinente – que, tout à coup, depuis quelques mois, on retrouve à Granby des annonces en anglais? C'est venu tout seul. Et ceux qui l'ont fait n'ont même pas réfléchi. Il faut donc, je crois, voir qu'ils étaient de bonne foi et qu'à cause de l'américanisme c'était mieux d'avoir «Central Park» puis «Back Street Corner», et ainsi de suite. Il y en a au moins une quinzaine à Granby, puis c'est venu tout à coup.

Alors, c'est là qu'on a surgi, puis notre association a été formée. Là, on se présente ici aujourd'hui, donc, c'est clair... Moi, je pense que la solution... Vous parlez d'une loi 101 renforcée. Moi, je crois, Mme la ministre, que la solution, c'est d'être alertes tout le temps. Il ne faut jamais lâcher.

Encore une fois, je suis un peu hors propos. Dans ma profession, nous avons été... Le système international, il est encore imposé par les gouvernements, mais dans l'entreprise privée, il n'y en a plus, on travaille en pieds et en pouces. Moi, j'ai deux règles, des règles en système international puis des règles en pieds et pouces. Pourquoi? Quand les conservateurs sont arrivés à Ottawa, il y a eu un relâchement. Il y a donc un ministre qui venait ici, de Québec, qui s'est vanté: Moi, je vais me vanter toute ma vie que je vais retourner au système anglais. Donc, la réponse, monsieur, à votre préoccupation, c'est: Il faut toujours, et sans cesse, et tout le temps, il faut rester alerte. Il faut toujours imposer, il ne faut jamais lâcher, il ne faut pas ouvrir les digues. Il ne faut pas. Nous sommes minoritaires en Amérique du Nord, et il faut se battre. J'ai cité Aldous Huxley pendant le temps de la commission, sur «Challenge», le défi, c'est toujours là. Alors, si on veut... D'ailleurs, on est cités dans les livres de Huxley, les Canadiens français. Alors, si on a un avenir, il faut se battre. Le défi est inhérent à notre condition d'être. Et c'est comme ça, je pense, monsieur, qu'il faut que le gouvernement soit là, sans relâche et tout le temps, pour supporter le fait que nous sommes des francophones en Amérique du Nord. Merci.

M. Laporte: M. le Président...

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: ...un dernier commentaire. Si j'ai bien compris ce que nous a dit Mme Desroches, la fonction de surveillance et de contrôle qui s'est exercée efficacement et civilement à Granby, c'est une fonction de surveillance qui est toujours logée à l'Office de la langue française. Et, sans les énormes pouvoirs qu'on lui additionne dans cette loi n° 40 – c'est évident, je l'ai dit dans mes notes d'introduction – ici, à l'opposition, nous sommes en faveur de cette vigilance, de ce réveil dont vous parlez. Mais ce contre quoi on en a, c'est dans l'excès de vigilance et dans l'excès de réveil. Donc, si la Commission... On vient de nous faire la preuve, Mme Desroches, que tout va relativement bien chez vous, puisque l'Office fait son bon travail, n'est-ce pas, et c'est ce que nous souhaitons qu'il continue à faire. Mais, pour ça, on n'a pas besoin de ces énormités qu'on trouve dans les articles 174, 175 et 176 de votre loi.

(17 h 10)

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Je vais vous répondre, M. Laporte, là-dessus. L'Office de la langue française était présent, et pourtant il y a eu laxisme, et pourtant il y a eu déclin du français. C'est la Commission de protection de la langue française qui a toujours fait qu'un jour on faisait des gains. En 1985, j'ai créé moi-même à Montréal ce qu'on appelait Citoyens et citoyennes pour un Québec français. M. Laurin a été mon premier membre officiel.

Pourquoi Citoyens et citoyennes? Qu'est-ce qu'on a fait? On a commencé par écrire à l'Office de la langue française. Les réponses étaient très lentes. On avait accumulé des boîtes et des boîtes et des boîtes de documents. Les réponses venaient – je vais être généreuse – six mois, sept mois après, quand ce n'est pas un an ou un an et demi, M. Laporte. Alors, je reviens en vous disant que, là où les gains se faisaient et les réponses venaient, c'est quand on s'adressait à la Commission de protection de la langue française de l'époque. Et, à cette époque-là, personne ne disait que c'était un État policier. Tout le monde s'en satisfaisait parce que la Commission agissait toujours de façon légale, mais aussi de façon courtoise. Et l'actuelle commission de protection de la Charte de la langue française mise sur pied par Mme la ministre joue exactement ce rôle. C'est à elle que, nous, nous nous sommes adressés, et c'est elle qui a envoyé des lettres, encore une fois très courtoises. Sans envoyer de police, sans faire quoi que ce soit, elle a envoyé des lettres aux commerçants, et les commerçants ont commencé à obtempérer. S'ils ne vont pas plus loin, nous devrons à nouveau nous adresser à la Commission. Mais une chance qu'il y a cette Commission, parce que l'Office de la langue française, souvent, il fait de beaux discours, mais il ne fait rien appliquer. C'est la Commission de protection qui est vraiment la protection des citoyens.

M. Laporte: M. le Président, si vous le permettez...

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Et notre organisme avait toujours travaillé dans ce sens-là, et l'organisme que je représente ici aujourd'hui veut aussi travailler dans ce sens-là et de concert avec la commission de protection de la Charte. Parce que nous croyons qu'au Québec nous devons être protégés, et être protégés, ça veut dire d'abord par ceux qui dirigent l'État du Québec. C'est eux qui ont le premier mandat de protéger, et ils doivent se donner les outils pour le faire. Ce n'est pas l'Office de la langue française qui possède les outils, mais bien la Commission de protection de la langue française.

Le Président (M. Garon): Il reste une minute et demie.

M. Laporte: M. le Président, j'ai devant moi des données de plaintes à l'Office, n'est-ce pas. Ce n'est pas des données de plaintes complètes, elles montent jusqu'au mois d'avril. Mais j'ai fait les calculs. Vous savez qu'on est en présence de huit plaintes par jour. Eh bien, je vous dis, M. le Président: S'il vous plaît, demandez à Mme la ministre – je m'adresse à vous – de le mettre au travail, cet Office. Mettez-le au travail. À huit plaintes par jour, tout de même... Supposons que c'est 12 maintenant, quoi, ils ne sont pas ensevelis sous les plaintes, non! Faites le calcul vous-même. Donc, finalement, on pourrait le rendre plus efficace, ce dispositif administratif, et c'est ce que nous pensons que nous devrions essayer de faire, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Combien de fonctionnaires?

M. Laporte: Oh! Vous savez, ces choses-là, je les calcule moins que... Ça doit... Je ne sais pas... Vous pouvez le... Ça doit être toujours dans les 200...

Le Président (M. Garon): Ça veut dire, huit plaintes, une pour 30...

M. Laporte: Non, non. Je n'ai pas calculé avec le nombre de fonctionnaires, j'ai calculé le nombre de plaintes divisé par le nombre de mois, divisé par le nombre de jours ouvrables pour la période en question, et ça me donne huit plaintes par jour. Mais, évidemment, si les plaintes ont augmenté depuis jusqu'à 3 000, c'est peut-être 12. Mais je me dis: Tout de même, 12 plaintes par jour, ce n'est pas la fin du monde, quoi. Donc, qu'on les mette au travail. Et, quand on les aura mis au travail, bien, mon Dieu! on verra. Si c'est toujours pertinent d'augmenter le nombre de millions qu'on consacre à cette tâche, donc... Mais les propos de madame, et je termine là-dessus, me rassurent parce qu'elle semble nous dire que, finalement, l'Office a agi, disons, efficacement, c'est-à-dire qu'ils ont tout de même eu des succès; et, pour le reste, bien, mon Dieu! il faudrait qu'ils soient plus laborieux.

Mme Desroches-Palluy (Mireille): Je regrette, M. le Président, ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai bel et bien dit qu'à l'époque, quand nous nous adressions à l'Office de la langue française, les résultats étaient tellement lents que ça ne fonctionnait pas. Et des plaintes, il y en avait des boîtes et des boîtes. Seulement notre organisme en a ramassé au-delà de 3 000, et d'autres organismes en avaient encore plus que nous. Je vous répète que c'est une commission de protection qui peut agir, et c'est avec eux qu'on a des résultats, pas avec les gens qui font du bureau à l'Office de la langue française.

Le Président (M. Garon): Je remercie les représentants du Regroupement pour une Haute-Yamaska française, puisque le temps est épuisé de part et d'autre, de votre contribution à la consultation demandée par le gouvernement.

Et j'invite M. Jean Alfred pour une période d'une demi-heure. M. Alfred a environ 10 minutes pour faire son exposé, 10 minutes pour les ministériels, 10 minutes pour l'opposition officielle. S'il prend plus de 10 minutes, le temps sera soustrait aux députés; s'il en prend moins, ils pourront se prévaloir du temps qu'il n'aura pas utilisé. M. Alfred.


M. Jean Alfred

M. Alfred (Jean): Bonjour, M. le Président, bonjour madame, messieurs. Bon...

Le Président (M. Garon): À l'ordre!

M. Alfred (Jean): Si je me présente ici aujourd'hui, c'est que le français est notre raison d'être. Sans le français, nous ne sommes pas, nous n'existons pas. Sans le français, il n'y a pas de Québec, il n'y a pas de culture québécoise, il n'y a pas de nation québécoise, il n'y a pas de Québec tout court. Or, l'avenir de la langue française se définit principalement à Montréal, et il faut entendre la notion de nombre. Parce que nous pouvons parler français, il y a le nombre qui augmente, qui parlent français aussi. Or, il faut bien le dire, cette langue est de plus en plus menacée parce qu'ils sont de moins en moins à la parler à Montréal.

Cependant, je vous citerai, M. le Président, Mme la ministre, qu'il faut, il faudra que Montréal demeure français. Il faut, il faudra que le Québec soit français. Il n'y a qu'un groupe et qu'un seul qui ait des droits linguistiques, ce sont les 7 % d'anglophones, 7 %! Or, j'ai entendu hier, à une émission animée par les représentants de The Gazette , qu'il y avait deux minorités au Québec, la minorité anglaise, la minorité allophone. Moi, je ne savais pas qu'il y avait une minorité allophone au Québec. Je savais qu'il y avait 7 % d'anglophones et des gens, des citoyens et des citoyennes qui, dans leur pays, avaient des difficultés, ont émigré au Québec. Mais les allophones, d'après moi, ne constituent pas une minorité. J'étais très surpris d'apprendre que le nouveau représentant de The Gazette était là pour défendre deux minorités: la minorité anglophone, la minorité allophone. Je n'en revenais pas.

Le français est notre réseau national. Donc, je le dis, seulement les 7 % d'anglophones ont des lois. Je vous dis, je suis fatigué d'en entendre parler, de traiter de distinct, de spécifique, d'unique. Je suis Québécois, un parlant-français oeuvrant sur un territoire français, et mon nationalisme n'est autre chose qu'un nationalisme territorial. Il n'est pas ethnique. Nous savons, je sais et vous le savez, vous qui êtes devant moi, M. le Président, tout le monde le sait, que seule la souveraineté que nous obtiendrons – et nous l'obtiendrons avec le prochain référendum – réglera nos problèmes linguistiques. Il y a urgence. Ce sera la fin de la descente de la majorité dans la rue pour parler sa langue. Ça n'a jamais été vu nulle part.

Depuis 1969, je vois les péripéties de nous, la majorité québécoise, ici. On a eu, en 1977, la loi 101. Merci, docteur, mais vous savez très bien que cette loi 101 a fait quelque chose, mais a réglé peu de choses dans le contexte. Pourquoi? Tant que nous sommes, tant que nous serons dans ce régime, dans le régime fédéral actuel où nos lois sont soumises à la Cour suprême, nous ne pourrons prétendre que notre Assemblée législative, ici, est efficace, à moins de recourir tout le temps à la clause «nonobstant». Tout le monde le sait, la Cour suprême, c'est comme la tour de Pise, elle penche toujours du même bord. La Cour suprême, dans sa logique anglo-saxonne, est là pour protéger les intérêts individuels au détriment des intérêts collectifs. Or, la langue, ici, n'est pas un fait individuel, c'est un fait collectif. Je ne comprends pas ceux ou celles qui prétendraient que la langue n'est pas menacée quand, par exemple, ceux que nous recevons chez nous parlent une autre langue. L'Église n'est plus là pour garder la langue.

(17 h 20)

Alors, pourquoi je parle de Montréal? Parce que la plus grande partie des immigrants et des réfugiés politiques sont à Montréal. Or, on ne dit pas réellement à ces gens-là qu'il y a au Québec une politique de francisation. Donc, il existe au Québec une politique de francisation et d'intégration, avec un gouvernement québécois qui dépense beaucoup d'argent. Mais j'affirme tout de suite que cette politique d'intégration et de francisation a été un échec quasi total. J'explique pourquoi.

Les immigrants disent qu'ils ne viennent pas au Québec mais au Canada. Or, le Canada a une politique multiculturelle et bilingue. Cette politique amène le Canada à financer ces communautés culturelles, ethniques, préserver leur culture et, la plupart du temps, ces communautés parlent anglais. Et vous savez que cette juxtaposition des cultures ne peut pas favoriser l'intégration. Donc, il faut cesser de parler réellement d'intégration et de francisation. Nous avons des COFI, des PAFI, des centres de cours sur mesure. Or, à l'instar du gouvernement qu'on avait, on ne précisait pas ce qu'on voulait, et les dirigeants et les profs, on a même peur de dire le mot «québécois», on a même peur de dire «Québec». La semaine dernière, je suis entré dans une classe, une question m'a été posée: Êtes-vous Québécois? Qui êtes-vous? J'ai dit: Je suis Québécois. Oh! Vous êtes séparatiste. On a peur de le dire. On a peur de définir... On a peur de dire à l'immigrant et réfugié politique qu'il est au Québec et que le Québec est différent du Canada. Il y a 10 provinces, neuf anglaises et une française. Alors, bien sûr, j'expliquais... Je voudrais qu'on cesse, bien sûr, de dire à ces gens-là qui viennent chez nous qu'on peut parler de francisation et d'intégration. Ça ne se fait pas, à cause du contexte.

La souveraineté est la solution. Et ça doit venir, sans quoi nous allons procéder nous-mêmes à la minorisation des francophones au Québec et au Canada. Et surtout, comme vous savez, on peut octroyer la citoyenneté avec beaucoup d'élégance pour aller voter non au référendum. Vous le savez très bien. Bon. En attendant, bien sûr, vous avez déjà lu cela, quoi faire? Dire clairement aux immigrants et aux réfugiés politiques que le Québec est officiellement français et leur dire, ceux qui choisissent le Québec, que nous sommes au Québec, ça se passe en français. Et s'ils veulent l'anglais, ça se passe au Canada. L'allophone, la personne qui immigre chez nous, qu'elle le sache. La clarté, ça n'a jamais fait de mal à personne.

Franciser les immigrants et les intégrer au Québec français n'est pas une job ordinaire, c'est une mission. Cette tâche doit être dévolue à des gens qui croient réellement à la culture québécoise et capables de propager avec objectivité que nous sommes différents, et n'avons pas peur de le dire.

Abolir la loi 86 et, surtout, s'abstenir de promettre aux groupes de pression des allégements à la Charte de la langue française. Incorporer la Charte de la langue française, la déclarer d'ordre public. On l'a déjà expliqué.

Cinq, modifier les dispositions de la Charte concernant la fréquentation obligatoire de l'école française. Je voudrais que l'école publique, que les immigrants et les fils d'immigrants soient obligés d'aller à l'école primaire, secondaire et au collège francophones. Alors, l'immigrant doit obligatoirement choisir l'école francophone. Je voudrais qu'on revienne à l'affichage, au visage, à l'intérieur et à l'extérieur, unilingue français, parce que l'État doit cesser de subventionner des organismes qui ne répondent pas aux exigences de la Charte.

Qu'on cesse de traiter de radicaux ceux qui disent que la langue française est menacée. Il y en a qui refusent de la parler. Je demande aux fédéralistes québécois, que je respecte beaucoup, cependant, de cesser de dire aux réfugiés et aux immigrants que les Québécois nationalistes sont racistes et xénophobes. Cela se dit, malheureusement. Il ne faudrait pas monter un peuple contre un autre pour gagner des élections. Là, vous jouez avec le feu. Et, moi, je parle créole, je peux dire en créole ce que je veux à mes compatriotes d'origine haïtienne, alors, je demande aux députés provinciaux d'origine étrangère, comme, moi, je l'ai été, d'être très vigilants dans leur discours avec les groupes dont ils sont issus afin que ceux-ci ne traitent pas les Québécois dits de souche de racistes parce qu'ils sont simplement patriotes.

Je demande une révision en profondeur de la francisation et de l'intégration des immigrants et de confier cette gestion à ceux qui y croient. Le gouvernement doit avoir le courage de dire clairement: On choisit le Québec, et pourquoi on le choisit.

Je demande aussi au gouvernement de relocaliser les centres de francisation. Vous savez, je ne sais pas pourquoi on a placé les centres à 415, Saint-Roch. On trouve tout là sauf du français. Tu sors pour aller acheter dans une épicerie, tous ceux-là qui vous vendent ne parlent qu'anglais. Alors, deuxièmement, on arrive là, je ne sais pas... l'immigrant a un environnement où il entend tout sauf du français. Dans la classe seulement. Il sort pour aller manger au restaurant, anglais; il sort pour aller prendre un café, anglais. L'environnement a été choisi, je regrette, par M. Christos Sirros, peut-être comme... mais ce n'était peut-être pas un environnement pour la francisation des immigrants, je le pense. Alors, je demande au gouvernement d'avoir le courage de relocaliser les centres de francisation des immigrants et des réfugiés politiques.

Comme je vous le dis, bon, c'est la souveraineté... Vous le savez, d'après l'entente signée, un nouveau partenariat avec le Canada pour qu'on puisse gérer l'immigration, gérer la francisation, gérer l'intégration des immigrants. Vous savez, vous connaissez la mission de ces centres que nous avons créés avec notre bonne volonté – nous sommes tellement bons, tellement généreux, tellement accueillants... Là, bien sûr, oui, on les a intégrés, oui, à l'autre culture.

Je m'excuse, il y a des résultats qui font frémir, quand 97 % des allophones, dont je fais partie, que nous étions censés franciser et intégrer à la société d'accueil, ont dit non. Ils ont le droit de dire non, mais quand c'est massivement non, comme ça, j'appelle ça, moi, un refus global. Les Québécois ont le droit de se demander si leur argent a été gaspillé inutilement. On les refuse globalement. Nous avons manqué notre coup? La réponse: Oui, nous l'avons manqué. Je pense que, permettez-moi de vous le dire – vous ne me traiterez pas de raciste parce que je suis un nègre... un beau nègre, d'ailleurs – quand 97 % disent non, d'une façon aussi massive, j'appelle ça un refus global, c'est un vote ethnique anti-Québécois francophone. Je m'excuse. Est-ce qu'il y a eu intégration? Oui, il y a eu intégration aux 7 %, non pas aux 80 %.

Alors, que les Québécois le sachent pour être plus ouverts, pour qu'on puisse penser faire mieux chez les autres. Il nous faut nous dire massivement oui à nous, comme peuple québécois, et après, le Québec est, a été, est et sera toujours une terre d'accueil, une terre d'accueil pour l'immigrant et les réfugiés politiques. Ça ne doit pas se faire à sens unique. Si le Québécois est accueillant, il faut que cela soit compris; seules la clarté et la solution à nos problèmes le diront.

Je vous remercie, comme Québécois qui sent que, si nous ne prenons pas des décisions rapides, nous sommes en train de courir à la minorisation, et c'est peut-être voulu et planifié. Je vous remercie.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. le Président, je vais tout simplement remercier M. Alfred d'être venu nous rencontrer cet après-midi et laisser la parole à un de mes collègues.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

(17 h 30)

M. Gaulin: Oui. M. Alfred, d'abord, je tiens à vous saluer comme un ancien député de l'Assemblée nationale. Vous avez dit de vous, puisque vous êtes quelqu'un qui avez le sens du comique, que vous étiez un «blackbencher». Vous avez été le premier député noir du Québec. Alors, je voulais vous saluer à ce titre. Je vous admire, parce que vous avez siégé cinq ans. Moi, ça fait deux ans que je suis là. Je sais que c'est beaucoup de travail. Et je le dis aussi à la faveur de tous mes collègues qui sont là et qui font leur travail souvent plus fortement que la réputation, enfin, le pourcent age, l'estime que nous avons dans la population.

Moi, je voulais vous poser peut-être quelques questions à partir de votre mémoire. C'est sûr que votre volonté d'affirmer le Québec français ne fait pas de doute. Vous y allez parfois très fortement et peut-être même pouvez-vous faire peur à l'une ou l'autre personne. Je voudrais vous demander d'abord, peut-être, où vous avez pris vos pourcentages. Quand vous dites, par exemple, qu'il y a 7 % d'anglophones au Québec, vous avez pris ça où?

M. Alfred (Jean): Sept pour cent d'anglophones, 7 %.

M. Gaulin: Sept pour cent, oui.

M. Alfred (Jean): Oui. Les statistiques disent: Nous sommes 80 % de francophones, 7 % d'anglophones et 13 % d'allophones.

M. Gaulin: Quinze pour cent, oui.

M. Alfred (Jean): Quinze pour cent. Allophones, 13 %.

M. Gaulin: Oui. Enfin, ce que nous avons ici nous donne 7 % d'allophones, 82 % ou 83 % de francophones et 10 % d'anglophones. Mais, enfin, ça diverge, là.

M. Alfred (Jean): D'accord.

M. Gaulin: En deuxième lieu, toujours dans le sens de vos statistiques, vous dites que 97 % des allophones ont voté non. Vous l'avez pris où, votre chiffre?

M. Alfred (Jean): Tous les journaux en ont parlé. Il y a eu beaucoup de bruit là-dessus. Drouilly a commenté largement, bien sûr, dans Le Devoir , ces chiffres-là. Bien sûr, c'était très évident, tout le monde le savait.

M. Gaulin: Mais est-ce que ce sont les chiffres de Drouilly? C'est ça que je...

M. Alfred (Jean): C'est 97 % qui ont dit non au référendum.

M. Gaulin: Oui. Parce que j'ai ici, par exemple, un article de Frédéric Tremblay, dans Le Soleil du 7 novembre 1995, et c'est des chiffres assez intéressants. Vous allez voir pourquoi, d'ailleurs, j'insiste peut-être sur ces chiffres. En principe, disons que je vais y aller de manière positive: 3 % des autochtones auraient voté oui; 4 % des anglophones; 4 % de la communauté grecque, 6 % de la communauté arabe; 7 % de la communauté italienne; 14 % de la communauté portugaise; 24 % de la communauté hispanophone; et 3 % pour les autres. Je voulais savoir...

M. Alfred (Jean): Quand on globalise, oui, ça devient environ 97 %.

M. Gaulin: Bien, ça donnerait 5 %, d'après le sondage que faisait Marcel Léger.

M. Alfred (Jean): Oui, environ, c'est les statistiques, oui.

M. Gaulin: Oui.

M. Alfred (Jean): Bien, alors, ce sur quoi j'insiste, c'est-à-dire que nous avons manqué notre coup, et je ne comprends pas, et on ne peut pas résoudre le problème tant que... Parce que, quand l'immigrant arrive dans un endroit multiculturel où on prône le multiculturalisme et quand on donne des subventions à des groupes uniquement pour... bien, pour prendre quelques rudiments de mots français... Quand, dans une réunion, la personne, le directeur, la directrice, bien sûr, vient pour avoir la subvention, pour parler de choses, il ne peut parler qu'anglais. Je n'ai rien contre les communautés; je suis d'une communauté moi-même. Quand, par exemple, des représentants des communautés jamaïcaine, etc., arrivent, et puis, tout d'un coup, ça défend le multiculturalisme à tout rompre, alors que notre politique québécoise, c'est une politique de francisation et d'intégration que nous savons très claire, je ne sais pas. Alors, si on n'accepte pas au départ ces principes, on manque notre coup. Et je pense que, tant qu'il y a deux gouvernements où on nous plonge dans une sorte de système où on fait exprès pour dire que nous sommes dans une région multiculturelle et bilingue... ça n'arrivera pas. Donc, il faut résoudre le problème... Le peuple québécois n'est pas dupe. Il est prêt à prendre une décision en accord avec... très généreuse. Le Canada n'est pas un pays... que nous ne voulons pas, nous voulons oeuvrer avec le Canada, mais nous voulons être nous-mêmes, être eux-mêmes, et collaborer d'égal à égal. Il y a des choses qu'on peut mettre ensemble, un nouveau partenariat. Mais on ne peut pas confier l'immigration, l'intégration et la question... C'est épouvantable. On ne peut pas faire ça. L'immigrant se moque de nous autres.

M. Gaulin: Est-ce que, M. Alfred, ce que vous dites à la page 2 vient confirmer ce que nous disait le Mouvement souverainiste du Québec cet après-midi, à une question du député d'Outremont, à savoir que, finalement, c'est les différentes cours du Québec et du Canada qui avaient infirmé la loi 101?

M. Alfred (Jean): La loi 101, c'est un bijou.

M. Gaulin: Tout à l'heure...

M. Alfred (Jean): C'est un bijou.

M. Gaulin: ...le groupe qu'on vient d'entendre nous disait qu'il fallait rétablir la loi 101, mais rétablir la loi 101 par rapport à quoi, c'est-à-dire: Est-ce qu'on recommence à refaire des lois que, à nouveau, les cours vont défaire?

M. Alfred (Jean): Pour le moment, j'ai fait confiance à ce qu'on veut appeler vulgairement police de la langue. Ce n'est pas vrai. On sait très, très bien que eux, il y a des gens qui voient pour qu'on ait... Alors, je pense que dire aux gens de respecter la majorité, ce n'est pas leur faire du tort, mais c'est parce que la police de la langue est plus intéressante que les boubous macoutes qu'on a connus dans le passé, quand même. Il faut quand même comprendre les choses: envoyer des gens... Oui, la loi 101 était bonne, est bonne, on pouvait la conserver, mais je pense que, pour le moment, il faut agir, et Mme la ministre agit, avec beaucoup de respect de l'autre. Mais il faut qu'on se fasse respecter, bonyeu! Ce n'est pas normal qu'on soit obligé... Je trouve triste qu'on soit obligé de leur dire qu'il faut qu'on comprenne, qu'ils nous comprennent. Je ne comprends pas. Que l'immigrant qui arrive ici interroge une histoire qui date de 1534 après quatre mois, cinq mois, il peut le faire, mais... et qu'il condamne... la majorité le traite de raciste, de xénophobe. Or, vous le savez, M. le député... et moi-même, nous le savons très, très bien; il n'y a aucun peuple aussi généreux que le peuple québécois. Nous le savons très bien. Il l'est trop, peut-être. Et ce trop pourrait être dommageable pour sa vie et sa survie française et culturelle.

M. Gaulin: Est-ce que vous n'admettez pas, par exemple, que pour la première fois, puisque nous avons eu deux référendums, pour la première fois, pour le troisième qui aura lieu – vous l'évoquiez – puisque vous faites appel beaucoup à la souveraineté comme un moyen...

M. Alfred (Jean): Oui, c'est l'urgence.

M. Gaulin: Est-ce que vous ne pensez pas que le prochain référendum va apporter un message très clair à la communauté qui vient ici, à savoir que pour la première fois, lors de ces deux référendums, les Québécois ont dit oui d'une façon... majoritairement, dans quelque 77 comtés ou un peu moins, il faudrait vérifier... Mais est-ce que vous ne pensez pas que c'est un message très positif?

Moi, je voudrais vous poser la question: Est-ce que vous, disons, vous ne forcez pas un peu la note en supposant que le vote des allophones pour le non, des anglophones, soit nécessairement un vote antiquébécois, étant donné que vous évoquez le double message qui est donné à ces gens-là...

M. Alfred (Jean): Non, mais...

M. Gaulin: ...quand ils arrivent dans un pays comme le nôtre?

M. Alfred (Jean): C'est-à-dire, pas au sens vicié du terme. On a voté contre parce qu'on a érigé un message qui le mêle et, bien sûr, deuxièmement, on le subventionne. Quand je rencontre une Haïtienne de 54 ans, alors que je travaillais pour le oui, cette Haïtienne de 54 ans a dit: Si le oui passe, M. Parizeau va me déporter. Parce qu'il y a des leaders haïtiens qui lui ont dit que M. Parizeau est raciste, il a dit: Si le référendum passe, on va vous déporter. Puis j'ai répondu bêtement, j'ai dit: Madame, je suis un nègre comme vous, pensez-vous que j'aurais travaillé pour lui s'il allait me déporter? Mais, malheureusement, ce que je reproche, c'est de propager ces choses-là; c'est haineux. Cette femme de 54 ans, ma compatriote d'origine, qu'on a empêchée de dormir parce qu'on a dit que, si le référendum passe, on va la déporter, elle n'a pas eu la chance de comprendre; elle le croyait réellement, et c'est triste.

Le Président (M. Garon): Le temps est largement dépassé.

M. Gaulin: Je vous remercie, M. Alfred.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont, pour l'opposition.

M. Laporte: M. le Président, je vous remercie beaucoup. M. Alfred, j'aurais une brève question à vous poser. Peut-être que, ma mémoire étant bonne, elle n'est pas phénoménale, il se peut que, sur les pourcentages, des fois, j'en manque un ou deux pour cent, mais, peu importe. Je pense que, là-dessus, le pourcentage que je vais vous donner est assez fiable. Vous avez dit que l'intégration des immigrants se faisait aux 7 %...

M. Alfred (Jean): Je n'ai jamais dit ça.

M. Laporte: ...et comme notre collègue d'en face, le député de Chauveau...

M. Gaulin: Taschereau.

Une voix: Taschereau.

M. Laporte: Taschereau. Je m'excuse, cher collègue.

M. Gaulin: ...libéral.

M. Laporte: Je m'excuse, cher collègue.

Des voix: Ha, ha, ha!

(17 h 40)

M. Laporte: C'est des fins de journée, vous savez. Donc, comme il vous l'a fait remarquer, je pense qu'on est plus du côté du 10 % langue maternelle et du 12 %, 13 % dans l'usage que 7 %. Mais, par ailleurs, depuis une vingtaine d'années, en particulier depuis la loi 101, les immigrants qui font des transferts linguistiques, et c'est encore la minorité de nos immigrants qui font des transferts linguistiques, le font très majoritairement vers le français.

M. Alfred (Jean): Non, monsieur...

M. Laporte: Non, mais laissez-moi terminer. Donc, c'est à 67 %, d'après les données les plus récentes du Conseil de la langue française. Donc, ma question est la suivante: Ne pensez-vous pas qu'en soutenant cette tendance et même en faisant en sorte qu'elle soit renforcée on ne pourrait pas assurer davantage la sécurité du français?

Juste en terminant, je vous dis: C'est un peu paradoxal, compte tenu des propos que vous avez tenus, que cette tendance-là vers la convergence au français qu'on observe dans les populations d'immigrés récemment arrivés au Québec s'est faite malgré tous les changements linguistiques, malgré la loi 86, et ainsi de suite.

M. Alfred (Jean): Je ne voudrais pas jouer avec le destin d'un peuple, monsieur. Vous êtes politicien, moi aussi. Votre question est une question politique, et je réponds avec honnêteté. La statistique... quand on joue avec les chiffres, un fait demeure, et vous le savez très bien.

M. Laporte: Que?

M. Alfred (Jean): Vous savez très, très bien que nous obligeons l'immigrant, bien sûr... c'est le seul pays francophone au monde, le seul pays normal qui reçoit des gens, et les gens reçus sont tellement très bien traités, puis, après, ils remettent en cause l'apprentissage du français. Ils ne savent pas que le français est notre langue nationale, notre langue commune. Quand vous me dites: Je reconnais que l'anglais, la langue anglaise a ses droits qui ont été reconnus par la loi 101, qui ont été protégés aussi, mais je vous dis que l'allophone comme tel, le Grec, l'Italien, pour moi... Alors, dans mes statistiques, d'après moi, les Grecs ne sont pas des anglophones. John Ciaccia, je regrette, n'est pas un anglophone, c'est un italophone. Christos Sirros n'est pas un anglophone, non. C'est des gens qu'on peut appeler des allophones. Et, à partir de maintenant, je veux qu'on soit clair. Quand nous recevons chez nous un immigrant ou un réfugié politique, les Québécois doivent savoir que... l'immigrant doit savoir qu'il vient au Québec, et je suis fatigué d'entendre dire qu'il vient au Canada, alors que... Je vais aller même plus loin, il peut choisir. S'il veut à tout prix le multiculturalisme et la langue anglaise qu'il peut parler tout le temps partout, il y a d'autres provinces.

Je suis fatigué de l'à-plat-ventrisme de la majorité. On a une majorité... Et ce n'est pas vrai... le discours économique tenu, celui-là qui voudrait, bien sûr, «minoriser» les Québécois, c'est un discours faux. Le million de dollars au Maroc parle arabe; à Toronto, le million de dollars parle anglais; et le million de dollars parle français ici. Je regrette, et je réponds à une phrase entendue. Vous savez, autrefois, il a fallu se battre pour qu'on puisse parler français dans l'air. Je suis allé au Maroc; j'étais très surpris, au Maroc, on parlait arabe; il n'y avait pas de crash, l'avion ne tombait pas. Alors, pourquoi tout ce qui est normal ailleurs n'est pas normal chez nous? Nous sommes un peuple normal, je pense. Nous ne demandons que la normalité, et nous voulons que, quand on choisit de venir au Québec, on sache qu'on a choisi le Québec, qu'on respecte ceux qui nous choisissent. C'est tout.

M. Laporte: Mais, M. le Président...

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, je suis le député du comté le plus cosmopolite du Québec, n'est-ce pas? Parce que, Outremont, ce n'est pas l'Outremont du stéréotype, c'est devenu Outremont–Côte-des-Neiges. J'ai presque 25 % de la population de mon comté qui n'est pas de langue officielle, n'est-ce pas, pour employer l'expression habituelle. Moi, j'ai fait campagne dans Outremont. J'ai visité 4 000 de mes électeurs, porte à porte. J'ai très rarement, très rarement dû recourir à l'anglais. Évidemment, dans certains cas, il arrivait que, oui, il fallait tout de même que j'accorde à ces concitoyens, à mes électeurs tout le respect auquel ils ont droit, mais... J'ai des Philippins, j'ai des Grecs, des Italiens, des Russes, des Jamaïcains, des Haïtiens, en petit nombre, des Chinois; j'en ai de tous les genres et j'observe dans mon comté ce que je retrouve dans les indicateurs du Conseil de la langue française, à savoir que, lorsqu'on y met un petit peu du sien, bien, on converge au français.

M. Alfred (Jean): Je regrette, monsieur. On vit au Québec, on respecte les Québécois. Je n'ai pas à me mettre à plat ventre, monsieur, pour qu'on m'apprenne la langue de la majorité. Je regrette. Ce n'est pas vrai qu'à Côte-des-Neiges on parle français. Non. Ce n'est pas vrai. Peut-être, pour faire plaisir, ils essaient de baragouiner quelques mots, pour vous faire plaisir, mais...

M. Laporte: Non. Monsieur, je n'essaie pas de vous faire plaisir. M. le Président, je prends l'autobus, parce que j'utilise le transport public...

M. Alfred (Jean): Je vis à Montréal, moi aussi, quand même.

M. Laporte: Je prends l'autobus à tous les matins pour me rendre au coin de Côte-Sainte-Catherine et Côte-des-Neiges. Je fais la correspondance du 129 au 168. À tous les matins, je me retrouve dans l'autobus avec des populations de jeunes étudiants, de toutes espèces d'origines ethniques et raciales, et – si vous voulez faire le voyage avec moi, je vous y invite – ce que je trouve d'absolument – et ça, c'est grâce au Dr Laurin, il ne faut pas en douter là-dessus – ce qu'on entend, ce sont des jeunes gens et des jeunes filles qui parlent en français dans l'autobus. Écoutez, il ne faut tout de même pas... Je n'habite pas une autre planète.

M. Alfred (Jean): Non, mais, monsieur...

M. Laporte: Non, non, je voulais tout simplement mentionner ce fait-là.

M. Alfred (Jean): ...M. le député d'Outremont, je voudrais que vous veniez parcourir le Parc-Extension, vous allez voir l'endroit où on a placé le centre de francisation à l'aide...

M. Laporte: ...

M. Alfred (Jean): Partout, on vous parlera grec, on vous parlera anglais, et si vous parlez français, vous n'êtes pas compris.

M. Laporte: Mais si vous voulez...

M. Alfred (Jean): Cependant... Et, deuxièmement, je vous réponds: Oui, peut-être! Il y en a qui apprennent quelques mots de français, mais avec toujours le mépris de la majorité, parce que la politique multiculturelle est une politique qui nuit à la croissance du Québec. Si nous avons des problèmes, c'est parce que nous avons une politique qui, volontairement, veut nuire au développement du Québec. La politique multiculturelle, le multiculturalisme et le bilinguisme, ça nuit énormément au Québec.

M. Laporte: M. le Président, je ne fréquente malheureusement pas le Parc-Extension, mais je fréquente le parc Kent, je fréquente le parc près de Westbury, et, je regrette... je ne suis pas en train de vous parler comme un politicien, je suis en train de vous parler comme un citoyen que nous sommes. Dans ces parcs-là, les gens avec qui je parle, et je dois leur parler parce que ce sont des gens qui, dans certains cas... nos immigrants n'ont pas eu d'emplois au cours des cinq dernières années; j'en sors à chaque fois en colère. Mais la langue dont je me sers pour parler à ces gens-là... Évidemment, des fois, ça m'arrive de leur parler dans une langue qui n'est ni le français ni l'anglais. Mais, à ces gens-là, je parle en français. Donc, je vais y aller, au Parc-Extension, pour voir au juste si, vraiment, c'est l'enfer. Mais, dans le cas des parcs que je fréquente, la convergence au français, surtout lorsqu'on y met un peu de sien, me paraît fort répandue.

M. Alfred (Jean): M. le député d'Outremont, pourquoi...

Le Président (M. Garon): M. le Président.

M. Alfred (Jean): M. le Président, psychologiquement, vous me décevez. Un peu de ci, un peu de charité. C'est épouvantable, ce que votre langage...

M. Laporte: Non, monsieur.

M. Alfred (Jean): ...votre façon de parler me décourage. Un peu de ci, un peu de charité, humilité, je regrette... M. le Président, je félicite Mme la ministre et je lui dis de rester ferme, et nous allons être là, mais nous vous demandons de faire respecter la majorité. C'est d'être clairs avec ceux qui choisissent de venir vivre sur cette terre qui sera toujours une terre d'accueil pour tous et pour toutes.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Alfred, de votre contribution à la consultation de la commission en vertu du mandat qui lui a été confié par le gouvernement. Et, comme le temps qui était dévolu de part et d'autre, aux députés ministériels et de l'opposition, est écoulé, je suspends les travaux de la commission jusqu'à 20 heures, au moment où nous entendrons le Rassemblement des jeunes souverainistes du Québec, section Lanaudière.

M. Alfred (Jean): Je vous remercie.

(Suspension de la séance à 17 h 50)

(Reprise à 20 h 7)

Le Président (M. Garon): Nous allons procéder, donc, selon l'ordre du jour que nous avons adopté ce matin, avec le Rassemblement des jeunes souverainistes du Québec, de la section de Lanaudière. Je vais leur demander de s'approcher à la table des témoins, en leur disant qu'ils disposent d'une demi-heure... pardon, non, une heure. Non, c'est une demi-heure. On a une demi-heure, je me suis trompé. Une demi-heure. Une demi-heure, ça veut dire que vous avez 10 minutes, normalement, autour de 10 minutes pour faire votre exposé, les députés ministériels 10 minutes, l'opposition 10 minutes. Si vous en prenez plus, ils vont en avoir moins; si vous en prenez moins, ils vont en avoir plus, s'ils veulent. Ils ne sont pas obligés de prendre le temps que vous ne prendrez pas. Alors, à vous la parole.


Rassemblement des jeunes souverainistes du Québec, section Lanaudière (RJSQL)

M. Jalette (Jocelyn): Merci beaucoup. Bonsoir, Mmes, MM. les députés de l'Assemblée nationale. Je vous présente...

Le Président (M. Garon): Si vous voulez vous présenter et présenter votre...

M. Jalette (Jocelyn): Je vous présente Simon Forget, membre des jeunes souverainistes de Lanaudière, et moi-même, Jocelyn Jalette, président des jeunes souverainistes de Lanaudière.

Notre mémoire. Lorsque, en 1993, Claude Ryan, alors ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, nous sert la loi 86, nous n'avons alors qu'une seule réaction: Voilà une autre tentative pour diluer l'essence même de notre nation, le français. Déjà passablement affaiblie par les quelques jugements de la Cour suprême du Canada et les nombreuses attaques des groupes anglophones, la loi 101 devait, une fois de plus, subir un affront, celui de se plier devant la majorité canadienne dont l'extension québécoise prétend être une minorité brimée lorsque ça l'arrange.

On craint, mais on respecte aussi ceux qui se tiennent debout, ce qui n'était plus beaucoup notre cas. Le mouvement de protestation à ce retour au bilinguisme pour le Québec, il faut se l'avouer, n'a jamais réussi à lever des foules nombreuses, alors qu'à peine quatre ans auparavant 70 000 personnes descendaient dans les rues pour contrer la loi 178 du gouvernement Bourassa, version 1989. À l'approche d'une élection générale au Québec et se fiant surtout aux sondages, la population ne voyait peut-être pas l'urgence d'agir. Et, effectivement, le scrutin du 12 septembre 1994 lui donna raison en amenant le Parti québécois de Jacques Parizeau au pouvoir, un parti qui avait et a toujours en toutes lettres dans son programme l'abolition de la loi 86 et même le renforcement de la Charte.

(20 h 10)

Mais, là encore, le débat sur la langue et les actions qui devaient l'accompagner furent repoussés. Le calendrier référendaire, canalisant beaucoup d'énergie et beaucoup d'efforts, provoqua ce report. Tous les souverainistes comprenaient que la prise en main de tous nos pouvoirs entraînerait le renouveau souhaité. Les événements furent malheureusement ce que l'on sait, la souveraineté du Québec est rendue en période supplémentaire, et la situation du français continue de se détériorer. Les demi-mesures ne peuvent nous mener bien loin. Par exemple, les francophones considèrent en majorité que le combat contre l'anglicisation de Montréal est perdu, tandis qu'une enquête nous démontre que le bilinguisme sert l'intérêt du plus fort. Les francophones hors Québec s'assimilent à des taux parfois très accélérés, allant jusqu'à 72 % en Saskatchewan.

Pour vous démontrer que la situation n'a pas beaucoup changé depuis 1993, la suite de notre texte est constituée intégralement du mémoire que nous avions déposé à la commission parlementaire étudiant le projet de loi 86. Certains points se trouvant dans ce texte ne sont pas nécessairement d'actualité, tandis que d'autres mériteraient d'être précisés ou vérifiés, mais c'était notre premier mémoire. Malgré ses faiblesses, l'essentiel reste, c'est-à-dire nos positions concernant la protection de la langue française. Pourquoi réécririons-nous ce que nous pensons toujours?

Par ce texte, vous comprendrez que nous demandons que le projet de loi n° 40 rétablisse les dispositions initialement adoptées en 1977 concernant l'unilinguisme dans l'affichage et dans la vie publique et parapublique. Nous appuyons du même souffle le traitement donné aux autres sujets contenus dans le projet de loi. En politique, il faut prendre des décisions aujourd'hui qui auront des impacts souvent plus tard. Et si, aujourd'hui, on n'est pas capables d'affirmer le caractère français du Québec, il risque fort de dépérir au fil des années. Ça clôt notre présentation. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Fabre.

M. Facal: Merci beaucoup, M. le Président. Alors donc, je souhaite, au nom de mes collègues, la bienvenue au Rassemblement des jeunes souverainistes du Québec, section Lanaudière. Votre regroupement, si je ne m'abuse, est un habitué des commissions parlementaires. La dernière fois que vous étiez venus ici, c'était, vous nous l'avez confirmé tout à l'heure, pour parler de la réforme électorale.

M. Jalette (Jocelyn): Oui, au mois de mai.

M. Facal: Au mois de mai. Je trouve, pour ma part, extrêmement positif de voir que des jeunes utilisent si fréquemment les tribunes démocratiques qui leur sont offertes.

Dans votre mémoire, il y a un certain nombre de phrases fortes qui m'ont frappé, notamment celle où vous dites: «...la loi 101 devait, une fois de plus, subir un affront. Celui de se plier devant la majorité canadienne dont l'extension québécoise prétend être une minorité brimée lorsque ça l'arrange.» J'aurais personnellement dit les choses de façon un peu plus nuancée, mais je dois dire qu'il y a là quelque chose qui mérite tout à fait réflexion.

Je vous suis également lorsque, à la page suivante, vous dites que le bilinguisme – et je crois comprendre que vous entendez ici le bilinguisme institutionnel...

M. Jalette (Jocelyn): Oui.

M. Facal: ...finit toujours par servir l'intérêt du plus fort. Et, là encore, je vous rejoins entièrement.

Je suis sûr aussi que, de ce côté-ci, nous vous suivrons tous lorsque vous dites que la souveraineté serait encore la meilleure chose qui pourrait arriver au Québec en matière de préservation et promotion du fait français. Il ne faut pas avoir longuement étudié la question pour comprendre que, si le gouvernement du Québec pouvait avoir la plénitude des pouvoirs législatifs en matière linguistique sans crainte de voir ces mesures être invalidées par des tribunaux ou des chartes autres que les nôtres, il en résulterait une série de moyens d'intervention qui aideraient beaucoup plus la cause du français. Il est vrai, comme le député d'Outremont le soulignait tout à l'heure, que la souveraineté en elle-même ne suffirait pas, car il y aurait toujours en jeu des tendances lourdes.

Par contre, j'ai été frappé tout à l'heure, et personne ne l'a remarqué, quelqu'un me l'a dit ici, que, lorsqu'on parlait de souveraineté, tout à l'heure, le député d'Outremont a fait valoir qu'à son avis la souveraineté n'entraînerait pas de changements importants dans la composition sociolinguistique du Québec. Vrai? je m'en réjouis, parce que cela voudrait dire qu'il n'y aurait pas d'exode massif des anglophones, puisque vous dites que la composition sociolinguistique du Québec resterait sensiblement la même.

Maintenant, j'aurais un certain nombre de questions. Vous avez... Oui, avant les questions, une mise au point qu'il est important de faire, puisque nos propos sont ici consignés. Vous avez, et je veux que les gens le comprennent bien, présenté textuellement le même mémoire qu'il y a trois ans.

M. Jalette (Jocelyn): Oui.

M. Facal: Donc, lorsque vous dites, par exemple, à la page 5: «Ce même gouvernement n'a su proposer que trois solutions mineures aux problèmes d'économie: les casinos, l'ouverture des commerces le dimanche et une nouvelle loterie qui fera sans doute sensation parmi la population québécoise. Loto-Bingo», je veux bien que l'on s'entende que «ce même gouvernement» réfère à celui qui était au pouvoir avant septembre 1994.

M. Jalette (Jocelyn): Oui.

M. Facal: Très bien. Et plus loin, lorsque vous dites: «Pour camoufler son échec économique, le gouvernement actuel n'a trouvé rien de mieux que de réouvrir le débat émotif qu'est celui de la langue», alors, «actuel», ici encore, réfère à l'ancien gouvernement et pas au nôtre qui, je vous le jure, aurait bien voulu se passer d'un débat linguistique.

Bon, ces précisions étant faites, des questions. Franchement, selon vous, la situation du français s'est-elle gravement détériorée au cours des dernières années? Gravement? Comment l'évaluez-vous? Est-ce que c'est un léger glissement ou véritablement... C'est parce que vous ne le dites pas, dans le fond.

M. Jalette (Jocelyn): Pour nous, c'est un glissement important qui se fait.

M. Facal: Important.

M. Jalette (Jocelyn): Mais ce n'est pas quelque chose qui tombe d'un coup comme ça, ça ne peut pas passer de 20 % à 5 %, c'est évident, mais c'est une tendance, et le problème là-dedans, c'est qu'on ne voit pas quand cette tendance pourrait remonter. Et, à notre avis, étant donné qu'on ne s'est pas encore donné un pays, il faut une législation solide. Et, de toute façon, si on est au point de faire une loi, il faut la faire appliquer, et c'est important que cette loi soit appliquée. Et, pour nous, pour s'être promenés dans Montréal, dans l'ouest de l'île de Montréal, la loi 86, même telle que rédigée, n'est pas appliquée. Souvent, c'est le bilinguisme, quand ce n'est pas uniquement l'unilinguisme anglophone.

Et, ça, le problème là-dedans, c'est essentiellement pour le message qu'on envoie aux immigrants. Les gens qui viennent se joindre à nous sont des gens qui sont accueillis par le Canada. Ils arrivent dans une province, ils ne savent pas nécessairement toujours qu'elle est francophone, ils l'apprennent au fur et à mesure. Mais si on n'envoie pas un message clair par l'affichage... ce qui n'exclut pas que, dans les petits commerces, on pourrait permettre l'affichage bilingue à l'intérieur, ça, on est d'accord avec ça, mais les grandes chaînes et les affichages extérieurs, pour nous, doivent envoyer un message clair. C'est la vitrine du Québec, et les immigrants, que voulez-vous, la loi 101, ce n'est pas à Joliette, chez nous, que ça touche beaucoup, on est à 97 %, 98 % de francophones. Ce n'est pas pour nous essentiellement que ça a été fait, c'est pour Montréal, essentiellement, et les régions frontalières comme l'Outaouais ou l'Estrie. C'est là que la loi 101 a toute son importance.

Et lorsqu'on voit que les sondages nous disent que la majorité des Québécois sont d'accord avec la loi 86 telle que rédigée, je comprends aussi qu'ils seraient d'accord si elle était appliquée, un, telle que rédigée, et, deuxièmement, c'est facile d'être d'accord avec une loi qui ne nous touche pas, quand on est en Gaspésie, au Lac-Saint-Jean ou à Joliette.

M. Facal: Mais, vous, vous êtes en faveur d'une loi 86 qui serait appliquée ou vous êtes pour l'abolition de 86 et le retour à 101? Je veux bien comprendre.

M. Jalette (Jocelyn): Pour l'abolition de 86 et le retour à la loi 101. Je tiens à vous préciser que, si on a mis, on a incorporé notre mémoire de 1993 ici, c'est pour deux raisons. Parce que, un, notre pensée a été celle-là en 1993, et à part les faits d'actualité et le gouvernement que ça concerne, notre pensée n'a pas changé. Nous continuons à prétendre qu'il n'aurait pas fallu qu'il y ait de loi 86, que ce sont les libéraux qui ont ouvert le débat là-dessus, qu'il aurait fallu maintenir la loi 101. Et il faut dire aussi qu'à l'époque notre mémoire n'avait pas été entendu. Il n'y avait à peu près aucun mémoire de groupes de jeunes qui avait été entendu par le gouvernement, à tel point qu'on avait été obligés, les jeunes souverainistes au niveau national, de tenir une commission extraparlementaire qui était à deux pas de la commission, en 1993.

(20 h 20)

M. Facal: Si vous êtes en faveur de l'abolition de la loi 86 et du retour à la loi 101, j'en déduis que, par exemple, le recours à la clause «nonobstant» est une chose qui ne vous trouble pas outre mesure.

M. Jalette (Jocelyn): Pas du tout.

M. Facal: O.K. Qu'est-ce que vous penseriez – simple hypothèse de travail – d'une attitude gouvernementale du genre: appliquons un certain nombre de mesures qui iraient moins loin que ce que vous souhaitez, donnons-nous un certain délai pour voir si c'est efficace ou non?

M. Jalette (Jocelyn): Ça, je pense que c'est une attitude qui est passée, parce que la perche a été tendue aux communautés anglophones, et je ne pense pas que, depuis quelques semaines, on ait répondu de façon, comment dirais-je... on ne fait pas preuve de bonne volonté. On n'a qu'à voir, et tout le monde le sait, M. Galganov qui va aller essayer de salir le Québec et que, dans le fond, on l'a vu en entrevue en fin de semaine, sa cible, ce n'est pas une question de droits et libertés, sa cible, c'est le mouvement souverainiste. C'est contre la souveraineté qu'il en a, essentiellement. Et ça, je ne pense pas que la bonne volonté fait partie du camp anglophone, ou, en tout cas, ceux qui essaient sont silencieux ou marginalisés.

M. Facal: Mais je vous soumets respectueusement qu'il ne faut pas réduire l'ensemble de la communauté anglophone à quelques porte-parole qui prétendent parler en son nom.

M. Jalette (Jocelyn): C'est des porte-parole qui sont quand même capables de ramasser en deux jours 1 000 personnes pour faire une manifestation, alors que d'autres groupes sont à peine capables de ramasser 50 personnes, les groupes modérés.

M. Facal: C'est vrai. C'est vrai. C'est vrai. Le retour de la Commission de protection de la langue française devrait vous convenir?

M. Jalette (Jocelyn): Ah oui! Évidemment. Comme on le dit dans notre mémoire, on est parfaitement d'accord avec ce qui est déjà déposé dans le projet de loi n° 40, sauf que, nous, on voudrait aller encore plus loin, c'est-à-dire le retour à la loi 101 intégrale. Mais c'est évident que c'est déjà un très bon pas comparé au bouquet de mesures d'il y a quelques mois, que ce retour de la Commission de protection de la langue. C'est anormal d'avoir une loi et de ne pas la faire appliquer. Le minimum qu'on puisse faire, c'est de la faire appliquer.

M. Facal: Mais, vous, vous allez au-delà de l'application de la loi actuelle.

M. Jalette (Jocelyn): Oui.

M. Facal: Vous êtes pour l'abolition des lois actuelles.

M. Jalette (Jocelyn): Le renforcement, c'est-à-dire le retour à la loi 101.

M. Facal: O.K.

M. Jalette (Jocelyn): La loi 86 était une loi qui abrogeait la loi 101. La loi 86, dans le fond, n'existe plus, là, comme telle.

M. Facal: Bon, alors, écoutez, je pense que votre position a certainement le mérite de la clarté.

M. Jalette (Jocelyn): Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: Non, M. le Président, j'ai...

Le Président (M. Garon): O.K. Alors, je passe au député d'Outremont.

M. Laporte: Alors, si j'ai bien compris, M. le président des jeunes souverainistes du Québec, section de Lanaudière, n'est-ce pas, vous êtes totalement, entièrement opposé, disons, au lit que s'est fait le gouvernement dans ce projet, à savoir que la Commission, la loi 86 serait maintenue et... Par ailleurs, j'imagine que vous n'êtes sûrement pas opposé au document de politique présenté par le gouvernement, qui contient tout de même des réflexions, comme je l'ai dit dans mes remarques «introductoires», disons, éclairées, généreuses, ambitieuses sur la promotion du français.

M. Jalette (Jocelyn): ...

M. Laporte: Vous êtes contre la loi 86, mais vous ne rejetez pas en bloc tous les efforts de réflexion de nos amis d'en face.

M. Jalette (Jocelyn): Oh non! On ne rejette pas en bloc, non. Ce qu'on fait dire, c'est qu'on voudrait voir ça majoré, tout simplement.

M. Laporte: Donc, est-ce qu'on peut reprendre un peu, là, disons, à froid les motifs pour lesquels vous vous opposez... vous demandez l'abrogation de la loi 86?

M. Jalette (Jocelyn): C'est simple...

M. Laporte: Il me semblait que vous aviez – M. le Président, je m'excuse, je devrais demander ça à vous – une vision assez noire de la situation linguistique de Montréal, alors qu'on a des indications tout de même assez nombreuses à l'effet que... Et d'ailleurs, nos amis d'en face l'ont même, disons, allègrement admis, que la situation du français s'est améliorée, qu'il y a eu des progrès dans un grand nombre de domaines. Ça ne pèse pas dans la balance, pour vous. Ce qui est important, c'est de se débarrasser de la loi 86, que vous voyez comme une loi complètement néfaste pour l'avenir du français.

M. Forget (Simon): Je me permettrai de répondre à cette question, M. le Président, en mentionnant que je réside actuellement dans le quartier Côte-des-Neiges, dont une partie de ce quartier est justement dans le comté du député d'Outremont. Nouvellement arrivé dans ce quartier, je suis quand même resté relativement surpris de la façon dont l'affichage du français reste plus ou moins adapté vis-à-vis des lois actuelles qui sont issues du précédent gouvernement, et je suis aussi surpris qu'on nous aborde, dans certains commerces, exclusivement en anglais, alors que la langue commune, telle que définie par notre société actuellement, est le français.

C'est dans cette optique qu'il faut voir le problème et qu'il faut aussi y mettre des solutions. Le Rassemblement des jeunes souverainistes du Québec, section Lanaudière, peut concevoir facilement que c'est seulement certaines régions du Québec qui sont plus touchées par rapport à d'autres. On ne peut pas considérer, on ne peut pas comparer le cas de la région de Montréal avec la région de Lanaudière, avec la région d'Abitibi ou celle de la Côte-Nord, mais de telles dispositions sont nécessaires pour l'ensemble du Québec, même si c'est seulement certaines régions qui sont concernées plus précisément par cette loi.

M. Laporte: Mais enfin, pour ce qui est... M. le Président, j'habite ce comté, comme je l'ai mentionné tantôt, je m'y rends au travail à tous les jours en utilisant les transports publics, je me promène, disons, abondamment sur Côte-des-Neiges, abondamment sur Reine-Marie, qu'on appelle Queen Mary road dans la carte officielle du député d'Outremont. Je vous ferai remarquer, ce n'est pas moi qui l'ai voulu comme ça, c'est une carte que l'Assemblée nationale a bien voulu m'envoyer. Écoutez, moi, en face de chez moi, devant le bureau où je me rends tous les matins pour faire mon travail – et, d'ailleurs, c'est tout à fait confirmé par les données qui ont été produites par le Conseil de la langue française – je n'ai rien vu qui soit, disons, des manifestations d'une dégradation du visage français. Bien sûr, je suis d'accord avec vous pour dire que dans certains commerces où je me rends à l'occasion, disons, la langue d'accueil est parfois l'autre langue, n'est-ce pas, et...

M. Forget (Simon): Et même la langue d'usage, M. le député.

M. Laporte: La langue d'accueil, je veux dire, la langue dans laquelle on nous accueille. Mais, à ce moment-là, moi, je m'empresse de faire remarquer à mes interlocuteurs que je suis francophone, puis ils convergent très, très agréablement. Donc, je ne sais pas, j'ai une impression, dans ma vie quotidienne, qui est fort différente de la vôtre. Et, évidemment, c'est peut-être parce qu'on ne se rend pas exactement dans les mêmes endroits. Mais, par contre, j'ai été fort heureux, en lisant les documents du Conseil, d'apprendre que cette impression personnelle était confirmée par l'impression des chercheurs qui avaient examiné la santé du français dans l'affichage à l'échelle de la ville de Montréal.

M. Forget (Simon): Je ne crois pas qu'il est opportun pour notre organisme de nier ou même de mettre en doute les données du Conseil de la langue française. Ce que nous tentons, par contre, de mettre en perspective, c'est que ce n'est pas nécessairement des données qui vont nous donner... Je me permettrais même de citer, jusqu'à un certain point, M. le Président... Les données du Conseil de la langue française sont un petit peu comme un sondage ou un petit peu comme une étude sur proportion. C'est une photo, à un moment précis, d'une situation, mais qui reste toujours floue. On peut tout de même laisser certaines interprétations à ces données, dépendant du point de vue puis dépendant du contexte dans lequel on les a prises. C'est là où il faut... C'est valable pour toutes les données, c'est d'ailleurs ce qu'on nous enseigne dans nos cours de méthode quantitative au cégep.

(20 h 30)

M. Laporte: Je m'excuse, on vous enseigne quoi exactement en méthode...

M. Forget (Simon): On nous enseigne – en sciences humaines, par la suite de la réforme – le traitement statistique des données et on nous enseigne aussi la façon de les interpréter. Mais, surtout, on nous met en garde dès le départ, justement, sur les marges d'erreur qui peuvent exister entre ce qu'on a sur une feuille de papier puis ce qui existe réellement sur le terrain. C'est généralement un bon portrait, mais qu'il faut toujours soumettre au point de vue et à l'adaptation.

M. Laporte: M. le Président, les marges d'erreur là-dedans, elles sont assez bien précisées, dans l'étude du Conseil. Ils ont examiné, si je ne me trompe, 3 000 commerces. Dans l'une des dernières publications du bulletin, on fait état de la présence du français dans les commerces à Montréal. Écoutez, la prévalence est très élevée, donc il y a peut-être une marge d'erreur là-dedans qui est une marge d'erreur normale. Mais, au-delà de la marge d'erreur normale, il me semble qu'on se promènerait entre 95 et 92 ou... Mais on est tout de même dans une situation de prévalence du français dans l'affichage qui est très élevée.

M. Forget (Simon): Effectivement, on peut parler, en quelque sorte, d'une prévalence, mais, lorsqu'on parle de prévalence, est-ce qu'on peut interpréter comme étant une prévalence 51 % de notre affichage?

M. Laporte: En tout cas, je pense que, là, je ne veux pas m'étendre indéfiniment sur ces données-là, mais je trouvais qu'il était un peu étonnant qu'en ayant pris conscience qu'on affirme comme ça, tout de go, qu'il faille abroger la loi 86 en invoquant son inefficacité. M. le Président, je voudrais aussi, à l'adresse de mon collègue de Fabre, bien, disons, n'ajouter que ce que j'ai dit cet après-midi au sujet de ce que j'ai appelé les conséquences de la souveraineté sur la vitalité du français, que j'ai bien dit, ça doit être sûrement dans la transcription, que c'était à condition qu'il n'y ait pas d'exode et qu'il n'y ait pas... et ça, je n'ai aucun doute là-dessus, je vous fais parfaitement confiance, du côté gouvernemental, qu'il n'y ait pas de recours à des mesures autoritaires.

M. Facal: Des mesures?

M. Laporte: Autoritaires.

M. Facal: Oui.

M. Laporte: Sur ça, je n'oserais pas mettre vos bonnes moeurs en doute, mais disons que, pour le reste, je pense qu'à condition qu'il y ait un exode massif, ce que je ne souhaite évidemment pas, je ne suis pas sûr que la souveraineté ait un tel impact sur la composition sociolinguistique du Québec, et ça, c'est une question que je pose à nos invités.

Évidemment, là, vous allez trouver que je me fais un peu l'avocat du diable, mais ne pensez-vous pas, dans l'éventualité de la souveraineté du Québec, que la disparition, par exemple, de toutes les protections pour la langue française, de la langue française, qui sont tout de même des protections réelles et qui découlent de la législation – vous allez m'accuser de tous les crimes, j'en conviens bien...

M. Jalette (Jocelyn): Non, non, non, non.

M. Laporte: ...mais de la législation fédérale, ces protections étant abolies, on se retrouverait dans un état, disons, de vulnérabilité qui, jusqu'à un certain point...

M. Jalette (Jocelyn): Mais, M. Laporte...

M. Laporte: ...serait un état de vulnérabilité accrue?

M. Jalette (Jocelyn): Des protections pour qui, M. Laporte? J'aimerais ça comprendre. Pour les francophones hors Québec?

M. Laporte: Non, non, pour les francophones du Québec. Écoutez, je vous donne un exemple...

M. Jalette (Jocelyn): Allez-y.

M. Laporte: ...qui est un exemple un peu bête et méchant, mais je ne voudrais pas, il me semble... je ne voudrais pas être cité trop généreusement là-dessus. Par exemple, l'Office de la langue française qui, il y a quelques mois, décidait d'agir dans le but de promouvoir l'usage du français dans les produits casher. Eh bien, si le même Office s'était allié aux organismes fédéraux qui visent à obtenir le même genre de résultats, il aurait peut-être eu des résultats un peu plus satisfaisants. On vit dans un pays où il y a un régime de bilinguisme, à ma connaissance, qui, disons, entraîne une certaine mesure de protection pour le français au Québec, et vous semblez faire table rase de ces protections en disant: La souveraineté, tout au contraire, devrait, disons, nous assurer une sécurité linguistique beaucoup plus grande que celle que nous connaissons maintenant.

M. Jalette (Jocelyn): Je pense qu'il y a une protection... La protection qui vient du fédéral est peut-être une protection qui envoie de la poudre aux yeux, là.

Là, on n'a qu'à regarder, comme on le dit dans le mémoire, selon une étude: le français en dehors du Québec et de l'Acadie, ça décroît à des taux épouvantables. Et si le français perdure au Québec, c'est par l'effort des Québécois. Je ne pense pas que ce soit le gouvernement libéral de Trudeau qui a amené la loi 101 au Québec.

M. Laporte: M. le Président, si vous me permettez. Encore une fois, là-dessus, il faut faire des nuances. C'est vrai, les statistiques sont là pour le démontrer... évidemment, on pourrait discuter longuement des prémisses que les démographes font lorsqu'ils identifient les transferts linguistiques à de l'assimilation; dans certains cas, c'est du bilinguisme, dans d'autres cas, c'est de l'assimilation. On me faisait remarquer, dans un téléphone que je faisais dernièrement à StatCan, par exemple, à Stat Canada, que l'indice de transmission intergénérationnelle des langues chez les francophones de l'extérieur du Québec dans des mariages mixtes s'est accru au cours des cinq dernières années, des 10 dernières années. Mais si on s'en tient...

M. Jalette (Jocelyn): C'est peut-être parce qu'il y a eu plus de mariages.

M. Laporte: Écoutez, si on s'en tient au français comme tel, au français et non pas aux seuls francophones, vous n'observez pas un déclin du français dans le reste du Canada mais une augmentation de la connaissance du français. Je l'ai mentionné ici à maintes reprises durant la commission. Par exemple, l'énorme contribution que peut faire à la diffusion du français l'immersion à l'extérieur du Québec. Donc, on ne peut pas dire comme ça que le français – le français, n'est-ce pas? – plutôt que les francophones comme tels, dans certaines situations, que le français est en déclin au Canada, même dans la région d'Ottawa, comme je l'ai mentionné la semaine dernière.

M. Jalette (Jocelyn): Vous citez des chiffres, M. Laporte.

M. Laporte: On trouve une augmentation de la connaissance du français.

M. Jalette (Jocelyn): Vous citez des chiffres, mais il y a d'autres chiffres qui nous disent que les taux d'assimilation vont jusqu'à 72 %. Ça, les chiffres, on peut faire dire ce qu'on veut. Mais, pour revenir à ce que vous disiez tantôt, il faut faire attention, ce n'est pas parce que 70 % des immigrants vont un peu plus vers le français que c'est quelque chose qui est positif pour nous. Ça veut dire quand même un recul, parce que les francophones au Québec sont 85 % de la population. S'il y en a 70 % qui viennent avec les francophones, et encore dans quel état – et on ne parlera pas de quelle télévision ils vont écouter et de quels médias ils vont écouter – 30 % qui vont avec les anglophones, ça veut dire un déclin pour le français au Québec. Et lorsque Montréal aura atteint le cap du 50 %, ce sera en bas du 50 % chez les francophones, ça risque d'aller très, très vite; et lorsque le Québec aura perdu Montréal, bien, vive l'Acadie!

M. Laporte: M. le Président...

Le Président (M. Garon): Le temps dévolu aux deux parties, de part et d'autre, est...

M. Payne: J'aurais une intervention, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Une intervention sur quoi?

M. Payne: Bien, on a commencé à 20 heures.

Le Président (M. Garon): Oui, je comprends, mais...

M. Payne: Il y avait un exposé. En vertu du règlement, nous avons la moitié du temps qui reste à chaque partie.

Le Président (M. Garon): Oui, sauf que les ministériels n'ont pas pris leur temps. Alors, comme on avait convenu, il n'y avait pas d'alternance, dès le départ de la commission.

M. Payne: Une enveloppe de temps, je pense.

Le Président (M. Garon): Non, non, ce n'est pas ça. Ce qu'on avait convenu, c'est que les ministériels prenaient leur temps, puis, après ça, l'opposition prenait son temps.

M. Payne: À ce moment-là, je demanderais, j'inviterais le député d'Outremont d'être consentant, de continuer la discussion et de prolonger par un peu d'échanges.

M. Laporte: Non, non, moi, je m'en voudrais de changer la règle à cette étape du processus. Écoutez! Non, mais on va se retrouver...

M. Payne: Ce n'est pas la règle. Je suis consentant.

M. Laporte: J'appuie... Il me semble que le président est un homme de grande sagesse.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Payne: Je voulais vous poser des questions.

Le Président (M. Garon): Moi, j'applique ce dont vous avez convenu.

M. Laporte: Ce n'est pas un jeune parlementaire comme moi, M. le Président, qui pourrait faire des recommandations pareilles.

M. Payne: Mais, en vertu du règlement, est-ce que je peux lui poser une question?

Des voix: Non, non.

Le Président (M. Garon): À qui?

Une voix: Oui, tu peux lui demander...

M. Payne: En vertu du règlement...

Le Président (M. Garon): Là, c'est parce que le temps est écoulé, il faudrait que vous le fassiez avec le prochain intervenant.

M. Kelley: Nous sommes ici pour entendre les témoins.

Une voix: Ce n'est pas les mêmes règles qu'à l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Garon): Alors, comme le temps dévolu au Rassemblement des jeunes souverainistes du Québec, section Lanaudière, est épuisé, je vous remercie de votre contribution à la consultation. Je demande maintenant à M. James Archibald...

M. Forget (Simon): Merci beaucoup, M. le Président.

M. Jalette (Jocelyn): Merci beaucoup, MM., Mmes les députés.

Le Président (M. Garon): ...de s'approcher de la table des témoins, en vous disant qu'il y a une demi-heure, 30 minutes...

Une voix: Une demi-heure?

Le Président (M. Garon): Une demi-heure, oui. Normalement, les gens prennent à peu près 10 minutes, les ministériels 10 minutes, l'opposition 10 minutes. Si vous en prenez plus, il leur en restera moins. Si vous en prenez moins, ils pourront en prendre plus. M. Archibald.

(20 h 40)

Une voix: ...

Le Président (M. Garon): Oui. Ça, je ne peux pas présumer que les gens étaient là.

Une voix: ...

Le Président (M. Garon): Je vous entends parler beaucoup de statistiques, de part et d'autre. Comme à mon premier cours de statistiques, mon professeur à l'Université Laval, qui s'appelait James Hodgson...

M. Laporte: Ah oui! Puis c'est le mien aussi.

Le Président (M. Garon): ...avait dit: Rappelez-vous toujours... Je vais vous donner mon cours, mais rappelez-vous toujours que «figures can't lie, but liars can figure».

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): M. Archibald.


M. James Archibald

M. Archibald (James): Je ne vais pas vous faire un cours de statistiques, ça c'est sûr.

M. le Président, MM. les députés, Mme la ministre, je vous ai remis des commentaires sous forme de mémoire sur le document de consultation et sur le projet de loi n° 40. Je n'ai aucunement l'intention de relire ce mémoire; vous êtes en mesure de le faire vous-mêmes. Cependant, j'aimerais peut-être faire quelques réflexions sur la façon dont je suis arrivé à un certain nombre de conclusions dans ce mémoire.

Évidemment, j'ai revu soigneusement la proposition de politique linguistique et les moyens que vous avez proposés pour l'implantation, pour la mise en oeuvre de cette politique. Vous avez détaillé également un certain nombre de principes qui appuient une orientation stratégique que le gouvernement semble épouser, dans ce document de consultation. Et le gouvernement propose également un certain nombre de mesures législatives, administratives, etc., pour appuyer cette orientation, pour mettre en pratique cette nouvelle stratégie, dont précisément le rétablissement de cette Commission de protection de la langue française, le renforcement de la fonction de la protection du consommateur, la question de l'affichage, le processus de francisation des entreprises et les garanties de pouvoir travailler en langue française ici, au Québec.

Ce qui m'a frappé dans le document, c'est qu'il m'a semblé que ce que vous avez proposé se qualifie comme, pour emprunter le mot que vous avez utilisé, un virage. Au Québec, nous parlons beaucoup de virage en termes de politiques. Et ce n'est pas simplement un virage qui se présente le long de la route, mais, pour reprendre l'expression utilisée dans le document de consultation, c'est un virage qui s'impose. Donc, c'est une imposition de la part du gouvernement qui est proposée.

Lorsque vous parlez de développement de stratégie, vous comparez une stratégie de rattrapage, qui était la stratégie que nous avons vue au Québec depuis déjà un certain moment, lorsque le Québec s'est doté d'une législation linguistique, remontant bien au-delà de 20 ans, et, dans une politique de rattrapage, évidemment, l'objectif semble être la réduction de cet écart qui existe entre la situation qui prévaut et une situation vers laquelle on voudrait tendre comme société.

Vous semblez dire maintenant que vous voulez remplacer cette stratégie de rattrapage par une stratégie de consolidation. Quelle différence y a-t-il donc entre une stratégie de rattrapage et une stratégie de consolidation? Il semble qu'une stratégie de consolidation consiste à trouver les moyens de résister aux menaces qui peuvent proliférer contre la langue officielle, consolider les positions acquises sur le pouvoir du Québec pour défendre cette langue et protéger la position acquise, un peu comme dans une opération militaire, n'est-ce pas. On a fait certains progrès, donc on doit protéger notre position pour pouvoir avancer par la suite. Donc, c'est une stratégie qui est logique dans ce sens-là.

Quand on regarde cette question de stratégie par rapport aux politiques linguistiques et à ce qui s'écrit sur cette question-là, évidemment, l'une des façons d'évaluer le succès de telle ou telle stratégie, ce sera de voir à l'avenir l'impact économique escompté de cette nouvelle stratégie, où ça va nous mener sur le plan économique et, donc, quel est l'impact économique prévu de ce virage, de ces actions législatives, réglementaires, etc., qui sont proposées.

Je crois que, pour revenir en arrière, l'un des objectifs de la première vague des législations linguistiques au Québec, et je ne crois pas que ça ait changé de nos jours, c'est de bâtir une société où il est normal et usuel d'utiliser la langue officielle dans la vie socioéconomique, où il est normal de pouvoir s'exprimer en français dans toutes les situations qu'on peut rencontrer dans la vie, donc de pouvoir mener une vie normalement en français.

Là où nous avons peut-être certaines difficultés, c'est quand il s'agit de définir ce que c'est que cette langue. Est-ce qu'il s'agit d'une langue d'usage? Est-ce qu'il s'agit d'une langue véhiculaire? Est-ce qu'il s'agit d'une langue d'origine, d'une langue nationale, d'une langue commune, langue commune partagée par la francophonie, d'une langue de civilisation, d'une langue des affaires, d'une langue des professions, etc.? Cette langue peut vouloir dire beaucoup de choses à beaucoup de personnes, et vous savez autant que moi que chacun peut avoir son point de vue sur cette question-là.

Mais le rôle du français au Québec, c'est évidemment le fait que le français au Québec peut être ce lien qui peut aider le Québec à créer une certaine identité nationale. L'ennui pour le Québec, comme l'a soulevé le professeur Kedourie dans son travail, et il ne fait que suivre la tradition anglo-saxonne depuis John Stuart Mill, c'est que cette langue existe dans un organisme politique, un État politique, en présence d'autres langues. Donc, c'est une société mixte, de parents mixtes, et c'est là une source de conflits possibles – vous le savez parce que vous avez entendu beaucoup de positions là-dessus. Mill, en fait, dans son ouvrage sur le gouvernement représentatif, prévoit d'ailleurs qu'après les conflits, après la rupture, après le bris, après tout le dégât que ce type de débat peut provoquer, il y aura probablement un type d'ajustement qu'il qualifie de fédération. Donc, les parties en opposition finiront par retrouver une façon de s'entendre entre elles et de créer une fédération qui mettra en relief les valeurs de diverses langues parlées à l'intérieur... utilisées à l'intérieur de ce même État politique.

Évidemment, quand on soulève la question du français au Québec, on soulève aussi la question du bilinguisme, du multiculturalisme, de l'État polyglotte que nous sommes à cause de l'immigration. En fait, quand on évoque la situation des grands marchés de la Communauté économique européenne, l'ALENA, etc., nous avons des grands marchés internationaux qui utilisent plusieurs langues. Et, d'après un de nos collègues qui fait des recherches sur cette question-là à l'intérieur de la Communauté européenne, je me réfère à Claude Hagège, il dit que, dans ce genre de situation, l'une des plus grandes nécessités de ces grands marchés, c'est le bilinguisme. Ce que les gouvernements doivent faire, en fait, c'est de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux enfants de devenir bilingues ou trilingues dès un très bas âge, et le terme qu'Hagège utilise dans son travail dernièrement publié, c'est justement le «bilinguisme précoce». Or, je crois que je n'ai pas besoin de faire l'apologie des travaux de Claude Hagège, mais je crois qu'il est important de retenir cette notion de bilinguisme précoce et le fait que le bilinguisme contribue, selon lui, au bien-être économique de la société. Donc, on doit prendre les mesures en tant que gouvernants pour promouvoir le bilinguisme, à ce niveau-là. D'autre part, ça nous permet de promouvoir la diversité de nos sociétés de façon que la diversité de nos sociétés se reflète dans la composition de nos administrations publiques, de nos gouvernements, de tous les organismes, de ce que Drucker appelle le troisième secteur de la société, qui devient de plus en plus important.

(20 h 50)

Donc, au lieu d'intervenir en utilisant des méthodes négatives, que nous retrouvons dans une stratégie de consolidation, le courant qui prévaut actuellement veut plutôt mettre l'accent sur la diversité, veut plutôt mettre l'accent sur des mesures qui favorisent la mobilité sociale, qui favorisent la mobilité générationnelle et qui favorisent le développement économique chez les moins favorisés de notre société, nonobstant la question de race, nonobstant la question de langue, etc.

Donc, s'il y a des personnes qui doivent accéder à des professions au Québec, pourquoi ne pas aider ces gens-là à maîtriser le français, à pouvoir comprendre suffisamment bien le français pour pouvoir agir dans ce sens-là? Donc, c'est par le biais de programmes incitatifs, selon Kahlenburg, par exemple, dans ses dernières recherches, qui nous indique qu'il faut procéder, il faut donc aider les gens à atteindre les objectifs et non pas s'ériger des barrières pour empêcher le développement de ces sociétés mixtes.

Donc, ça nous permettrait, selon certains auteurs, d'établir une paix linguistique dans un État multilingue dans l'intérêt de tous les intervenants, que ce soit du ressortissant du pays ou que ce soient des personnes venant de l'extérieur du pays qui dépendent des échanges économiques avec ce pays-là.

Alors, dans le texte que je vous ai remis, je cite le texte de Calvet, où il dit précisément que le développement national et le développement économique ne se différencient, dans le fond, pas, que, lorsque vous faites une intervention de type linguistique dans un État, vous faites une intervention de type économique. Si l'intervention est bien faite, vous allez pouvoir mettre l'avantage du côté du développement de l'économie. Cette position est également le reflet de la position classique de Peter Drucker, évidemment, dans ses travaux, où il dit que le premier aspect de la gestion de la politique à évaluer, ce sera son impact économique, que ce soit dans le modèle constitutionnel ou dans le modèle mercantiliste des gouvernements.

Dans ses travaux les plus récents, il ajoute à cet aspect de la question ce qu'il appelle la cohésion sociale et la capacité du gouvernement d'administrer le développement national. Donc, ce que Drucker dit, c'est qu'il faut mesurer le succès de la politique du gouvernement en fonction de l'impact économique prévu, en fonction des conditions de cohésion sociale qui sont créées par le projet et la politique et, troisièmement, en fonction de la capacité du gouvernement d'administrer le développement national, donc linguistique. Est-ce que ce projet de loi, est-ce que ce virage politique va nous mener dans ce sens-là – parce que, dans ce même sens, il faut que le Québec soit concurrentiel dans un contexte de mondialisation – et est-ce que nous sommes en train de faire cela?

Hagège nous dit que, par exemple, pour être concurrentiel dans ce contexte-là, il faut carrément mettre le paquet sur l'éducation, il faut mettre le paquet sur les échanges. Il utilise, d'ailleurs, le terme «des échanges massifs» avec d'autres pays, à l'étranger. D'autre part, à l'interne, n'est-ce pas, il faut travailler sur des modèles d'inclusion, pas des modèles d'exclusion. C'est la tendance actuellement aux États-Unis, lorsqu'on regarde les nouvelles politiques d'inclusion sociale et les politiques qui visent la démarginalisation de personnes en société.

Donc, ce serait utile de voir des politiques qui visent une mobilité sociale, une mobilité générationnelle, une promotion de la diversité pour mieux intégrer tous les Québécois dans un projet de société en devenir où le français est à la fois langue véhiculaire, langue nationale et langue officielle. Je crois qu'il est important, donc, selon les exemples choisis, de procéder par incitation, de procéder par des mesures d'appui, n'est-ce pas. Je peux vous citer moult exemples d'auteurs qui appuient cette position-là.

Je me contente simplement de revenir peut-être à une de mes collègues de l'Université de Montréal, avec qui j'ai fait un travail de recherche au printemps sur le français dans les professions. Je me réfère à Gisèle Painchaud, doyenne de la Faculté des sciences de l'éducation à l'Université de Montréal, qui a fait beaucoup de travail sur ce qu'elle appelle la «littératie». Mme Painchaud estime que le Québec doit investir beaucoup plus dans la formation des maîtres, dans l'amélioration de la qualité du français dans les professions et dans l'insertion d'une formation linguistique à l'intérieur même de la formation professionnelle. Plusieurs pays le font.

Le Président (M. Garon): Je vous ferai remarquer, M. Archibald, que vous avez déjà...

M. Archibald (James): Je termine.

Le Président (M. Garon): ...depuis 15 minutes.

M. Archibald (James): Donc, je crois qu'au lieu d'épouser les stratégies réactives que nous avons vues, je crois que ce serait peut-être utile d'envisager des stratégies plus proactives. Je ne crois pas que le rétablissement de la Commission soit une stratégie proactive et je crois que le gouvernement devrait revoir sa position en ce qui concerne cette proposition. Et donc, c'est avec respect que je soumets cette idée d'activer une politique plus positive et de nous écarter de ce virage qui risque fort d'être perçu comme un virage négatif. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Bourget.

M. Laurin: Oui, M. le Président. Je voudrais d'abord féliciter le professeur Archibald pour son exposé extrêmement académique et approfondi. Je pense qu'il a dû y mettre beaucoup de temps, de pensée et d'efforts, ne serait-ce que pour identifier 24 points de litige auxquels il invite le gouvernement à réfléchir.

Ceci dit, j'aimerais poser des questions d'une façon très brève, étant donné le temps qu'il nous reste. Dès le début de son exposé, le professeur Archibald dit que la politique linguistique présentée par le gouvernement récemment constitue un virage. J'aimerais lui demander si, selon lui, elle constitue un virage par rapport à la politique du gouvernement libéral instaurée au cours des 10 dernières années ou par rapport à la politique instaurée par la loi 101 et ses accompagnements.

M. Archibald (James): J'ai emprunté le terme «virage» de votre texte, dans le document de consultation, n'est-ce pas. Et sans porter un jugement sur la politique ou les lois proposées par l'un ou l'autre des partis au pouvoir, n'est-ce pas, je crois que l'histoire nous prouve que l'objectif de rattrapage, en fait, a été un objectif social partagé, en fait, par plus d'un parti politique. Je n'essaie pas d'éviter de répondre à votre question, mais j'essaie d'être aussi apolitique que possible dans ma réponse.

(21 heures)

Je vais revenir à un auteur qui s'appelle Richard Kahlenberg, qui vient d'écrire un ouvrage excessivement intéressant qui s'appelle «The Remedy», «Le remède». Et ce qu'il propose, parce que c'est une question de développement de société, ce qu'il propose pour la société, c'est une politique de rattrapage basée sur la question de classes. Je suis arrivé au Québec – d'après mon accent, vous voyez que je ne suis pas du pays – il y a, quoi, 25 ans de cela et, à l'époque – vous allez peut-être reconnaître l'histoire – mais, à l'époque, l'un des professeurs ici, au Québec, a publié un livre sur le «management», et j'ai été très fasciné par cette publication, un texte qui s'appelait «Le management: textes et cas», et je lui ai demandé, à l'époque: Pourquoi vous publiez ce bouquin-là? Qu'est-ce que c'est, votre objectif, dans le fond? Alors, dans la bonne tradition druckérienne, n'est-ce pas, de l'histoire de la gestion, qui remonte à l'Autriche, n'est-ce pas, mais, enfin, dans cette tradition-là, il a dit: Écoutez, nous reconnaissons que, dans la gestion, il existe des classes, et Drucker l'a appelée, d'ailleurs, la classe managériale. Alors, les démographes peuvent très bien démontrer que, à cette époque, il y a 25, il y a 30 ans, la structure de la classe managériale au Québec était très différente de la structure de la classe managériale d'aujourd'hui. En fait, pour revenir à Kahlenberg, l'idée derrière tout cela, c'était de pouvoir restructurer une société, de permettre à ceux qui n'avaient pas accès au pouvoir, à ceux qui n'avaient pas accès au pouvoir politique et au pouvoir économique d'y avoir accès et de pouvoir fonctionner dans la langue du pays, à ce moment-là. Donc, je dirais que, dans ce sens-là, si on prend la démographie d'il y a 30 ans et la démographie d'aujourd'hui, il y a eu un gros rattrapage.

Mais est-ce qu'on doit oublier ce type de dynamique pour dire: Bien, voilà, nous sommes arrivés, nous avons atteint notre objectif; maintenant, on va ériger les barrières et on va vivre dans une sorte d'enclos où on va se protéger? C'est là où je vois un virage dangereux, parce que je crois qu'il ne faut pas laisser cet élan-là. Il faut continuer de bâtir une société qui reconnaît que le français peut être la langue de cette société ici, mais c'est aussi une société qui reconnaît que le français est une langue internationale de grande envergure, qui n'est pas en très sérieuse perte de vitesse, une langue qui est, par exemple, la deuxième langue étrangère en Amérique latine, et il faut faire tous les efforts pour promouvoir cette langue au pays et à l'extérieur. Donc, je m'excuse de cette non-réponse, mais c'est la façon dont j'ai réagi à votre question.

M. Laurin: D'accord. Je vous remercie beaucoup.

M. Archibald (James): Une histoire de famille, quoi.

Le Président (M. Garon): Bon, il reste deux minutes. M. le député de Vachon.

M. Payne: Il en reste combien?

Le Président (M. Garon): Deux.

M. Payne: Gardez-les.

Le Président (M. Garon): Hein? Bien...

M. Payne: Non, non, mais je pense...

Le Président (M. Garon): Je le dis, parce que...

M. Payne: On a 20 minutes de chaque côté, non?

Le Président (M. Garon): Non, mais c'est parce que M. Archibald a pris 16 minutes. Il a compris...

M. Payne: Bien, là, je ne vous comprends pas. On a adopté, ce matin, une heure par groupe...

Le Président (M. Garon): Non, non, non, non. Écoutez...

Une voix: Une demi-heure.

M. Payne: Une demi-heure par individu? O.K.

Le Président (M. Garon): Bien, pas une demi-heure par groupe, une demi-heure pour les individus puis une heure pour les groupes.

M. Payne: Ça va. Allez-y.

Le Président (M. Garon): Alors...

M. Laurin: Bon. Alors, je reviens à vos 24 points en litige sur lesquels vous invitez le gouvernement à réfléchir en fonction des droits individuels et collectifs. J'ai un petit problème, parce que la loi 101 a été contestée à plusieurs reprises, comme vous le savez, sur plusieurs points.

M. Archibald (James): Oui.

M. Laurin: Et pourtant, sur ces 24 points, aucun n'a été repris ou n'a été jugé incompatible avec l'une ou l'autre des deux chartes canadiennes des droits et libertés ou des droits et libertés de la personne. La Cour suprême n'en a jamais fait état dans les jugements qu'elle a donnés, et même la loi 82 faisait une exception en ce qui concerne la loi de l'enseignement, par exemple, où elle imposait des limites. J'avoue que j'ai un peu de difficulté à comprendre vos répugnances ou vos difficultés en ce qui concerne votre réflexion qui vous a amené à identifier 24 litiges en fonction des droits individuels et collectifs.

M. Archibald (James): Oui. Je soulève ces 24 points à titre indicatif; on pourrait peut-être soulever 24 autres points en plus. Je les soulève parce que, selon le modèle du développement stratégique dont nous parlons, il faut identifier un certain nombre de points sur lesquels des intervenants qui ne sont pas nécessairement des intervenants gouvernementaux peuvent avoir des points de vue divers. Par exemple, je prends, au hasard, la question 24, la question de valorisation de l'usage du français comme langue internationale tant au Québec qu'à l'extérieur du Québec. Donc, pour valoriser l'utilisation du français, il ne s'agit pas seulement du contexte législatif canadien ou québécois, mais il s'agit aussi des rapports intergouvernementaux, il s'agit des rapports avec des pouvoirs à l'étranger, il s'agit d'autres intervenants qui ont un intérêt direct à cette question-là. Donc, les points sont en litige non pas nécessairement au niveau des textes de loi, mais en litige avec toute une assemblée, si vous voulez, d'intervenants d'ordre social, ce que Peter Drucker appelle le troisième secteur d'intervenants. Et je crois que, selon l'état actuel des recherches, il est très intéressant, dans le développement des sociétés, de pouvoir examiner les points de vue, comme vous faites ici d'ailleurs, de plusieurs personnes à l'extérieur de l'administration publique, du gouvernement et les points en litige sur le plan purement législatif de la question.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Archibald.

M. Archibald (James): C'est pour ça que j'ai soulevé ces clarifications.

Le Président (M. Garon): Maintenant, ça va être au député d'Outremont.

M. Laporte: Professeur Archibald, j'aurais deux questions. La seconde, c'est plus une demande d'opinion qu'une question, mais la première porte sur le paragraphe de la fin de votre mémoire, dans lequel vous dites: «Dans l'intérêt de tous les intervenants, nous recommandons fortement le retrait du projet de loi et une nouvelle formulation de la politique linguistique sur un ton plus inclusif et plus proactif.» Sur la question du ton plus proactif, je pense que vous avez été très clair, mais j'aimerais peut-être vous demander de préciser votre pensée sur la question du ton plus inclusif. Je comprends ce que vous voulez dire, mais j'aimerais comprendre un peu mieux, et peut-être que vous pourriez nous apporter des précisions là-dessus.

M. Archibald (James): Bien, je me permettrais simplement de citer un exemple qui est connu de tout le monde et qui n'est même pas en litige. Si vous regardez la composition de la fonction publique du Québec, par exemple, nous savons fort bien que la diversité démographique du Québec ne se reflète pas dans la composition de la fonction publique du Québec, et je crois, pour reprendre un peu les termes des lois d'équité, etc., que le Québec doit mettre tout en oeuvre, n'est-ce pas, pour avoir un reflet plus représentatif de la diversité de la société québécoise dans l'administration publique. Alors, ça peut également se refléter dans les entreprises, dans les organismes non gouvernementaux, etc., enfin, partout dans la société. Il faut éviter ce cantonnement néfaste qui travaille à l'encontre, justement, des valeurs de la diversité.

M. Laporte: M. le Président, ma deuxième question n'en est pas une. Écoutez, professeur Archibald, vous êtes un éminent professeur de traduction. Dans le projet de loi n° 40, il y a un article qui traite des logiciels et des systèmes d'exploitation.

M. Archibald (James): Oui.

M. Laporte: Là, je m'adresse à vous comme à un expert. Je vous demande: À votre avis – et vous pouvez nous éclairer là-dessus, je pense – quel pourrait être le rôle de la traduction, par comparaison à celui de la création de logiciels et de systèmes d'exploitation et de logiciels, afin d'assurer la promotion du français dans ce domaine nouveau du savoir où, évidemment, vous êtes fort conscient, comme moi, que l'anglais occupe une large place? Quelle serait la contribution spécifique que pourrait faire la traduction, par opposition à la contribution que pourrait faire la création de toutes pièces de ludiciels, de logiciels ou de systèmes d'exploitation, que ce soient Windows ou d'autres systèmes d'exploitation? Quel est le rôle de la traduction là-dedans?

M. Archibald (James): Quelle tentation vous me lancez! Parce que je donne le cours de traductologie à l'université. Ha, ha, ha! Par contre, je ne vais pas vous faire tout un cours là-dessus, absolument. Souvent, on dit que la traduction, c'est la création, n'est-ce pas, car le texte que l'on traduit est une création. D'ailleurs, en termes de copyright, vous avez un copyright sur le texte traduit, parce que le texte traduit a une nouvelle forme. Enfin, je n'ai pas besoin de vous apprendre ça.

(21 h 10)

Il faut reconnaître la réalité des marchés de mondialisation, ici, où l'anglais est carrément dominant. C'est la langue dominante dans ce secteur économique. Il n'y a rien à faire, c'est la réalité. Ce qui est important, je crois, quant à moi, c'est d'appuyer le travail de conception, d'appuyer le travail de développement de façon à ce que, souvent, on ne soit pas en face de la traduction, mais qu'on soit en face d'un travail qui se fait conjointement, de façon à ce que, au niveau du développement, un logiciel puisse se développer de façon à pouvoir être lancé dans les deux langues en même temps. Mais, là, évidemment, il s'agit d'investissements, parce que, sur le plan purement économique, une société qui développe des logiciels va vouloir probablement sortir le produit en anglais au plus tôt, n'est-ce pas, et ensuite songer à la traduction. On n'a qu'à penser à l'histoire de Windows 95, par exemple.

Mais je crois que, évidemment, ça présente une certaine difficulté, surtout de nos jours, lorsque nous intégrons l'informatique à l'enseignement au niveau primaire, au niveau secondaire, par exemple. Les enfants dans les établissements de langue française doivent avoir accès à des logiciels de langue française. Il n'y a rien à faire. Donc, il faut prendre les mesures nécessaires pour promouvoir de façon proactive la production de ces logiciels-là. De là faut-il nier l'accès à ces marchés-là? C'est une question où il faut aller avec beaucoup de doigté.

M. Laporte: Mais vous semblez dire que la... M. le Président, si vous permettez. Vous semblez dire que, comment dirais-je, le clivage qu'on fait habituellement, chez les non-spécialistes que nous sommes, entre traduction et création, c'est un clivage qui est un peu artificiel.

M. Archibald (James): En effet.

M. Laporte: Donc, on pourrait, dans ce domaine-là... Mais comment verriez-vous... Si vous prenez le cas très particulier de Windows 95, quelle stratégie pourrions-nous prendre pour nous assurer que, dans la production du système d'exploitation du logiciel, on puisse s'assurer d'une traduction qui permette une parution, une production plus ou moins simultanée des deux versions?

M. Archibald (James): Là, il s'agit d'un produit d'importation, donc le problème n'est pas facile à résoudre, évidemment. Lorsque vous avez une production nationale, c'est beaucoup plus facile à résoudre, parce que vous pouvez demander une production parallèle ou un système de ce type-là. Malheureusement, si vous tenez à avoir les deux versions sur le marché en même temps, vous n'avez presque pas de choix, parce que vous êtes obligé d'interdire l'accès au marché à un certain moment. Vous allez avoir un marché très peu content – ha, ha, ha! – n'est-ce pas? Par contre, il n'y a presque pas d'autre solution, à ce moment-là.

M. Laporte: M. le Président, merci.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie M. Archibald, James Archibald, de sa contribution à la commission au nom de tout le monde et j'invite maintenant M. Michel Campbell, accompagné de Mme Céline Cochrane, à s'approcher de la table des témoins, en lui disant qu'il a une demi-heure; 30 minutes. Normalement, bien, 10 minutes pour son exposé, 10 minutes pour les ministériels, 10 minutes pour l'opposition. Mais, s'il prend plus de temps, c'est autant qui se soustrait aux deux parties. S'il en prend moins, les députés pourront se prévaloir du temps disponible s'ils le souhaitent.


M. Michel Campbell

M. Campbell (Michel): Merci, M. le Président. Bonsoir aux membres de la commission. Les événements récents à Montréal ainsi que les événements récents dans ma vie personnelle ont été les principaux facteurs qui m'ont incité à demander le privilège de vous adresser ce mémoire. Puisque tous sont au courant des événements dont il est question ici – en particulier, je parle des affrontements, donc du Québec Political Action Committee de M. Galganov, ainsi que du Mouvement souverainiste de M. Rhéaume, et ainsi de suite, il y a eu des affrontements, vous êtes déjà au courant de ça – permettez-moi alors de vous parler sommairement de mon histoire personnelle.

Je suis originaire des Cantons-de-l'Est, issu d'un père irlandais et d'une mère canadienne-française. Je suis père à mon tour de deux petits garçons de quatre ans et de huit mois. Je suis également marié et je vous présente ma conjointe, Mme Céline Cochrane, qui est venue m'appuyer ce soir parce que j'étais très nerveux, et je lui ai demandé de venir avec moi. Au mois de décembre 1995, j'ai été reçu au Barreau comme avocat et j'ai travaillé du mois de janvier 1996 jusqu'au mois de juin 1996. Malheureusement, il y a eu un manque de travail en date du mois de juin 1996, et je vis actuellement de prestations d'assurance-chômage.

Je crois que mon mémoire peut s'avérer utile pour les deux raisons suivantes, la première étant que je suis présentement sans emploi, et cette situation, qui ne fait pas de moi un expert en économie, me donne quand même l'occasion de réfléchir aux liens qui peuvent exister entre la politique linguistique et le nombre d'emplois disponibles dans la région de Montréal. La deuxième raison est que je suis membre de la communauté anglo-québécoise et que je crois pouvoir vous expliquer le point de vue de cette communauté d'une façon honnête sans pour autant prendre un ton accusateur, d'autant plus que je ne suis membre d'aucun organisme. Je parle ici seulement en mon nom personnel, donc je suis le seul auteur des opinions que vous allez entendre.

Donc, mon analyse du problème. Comme vous le savez, membres de la commission, l'opposition de la communauté anglo-québécoise à la politique linguistique du gouvernement du Québec est un phénomène bien connu. Depuis l'entrée en vigueur de la première loi, il y a 20 ans déjà, les problèmes d'application ont été le résultat de conflits avec cette communauté. Les raisons pour ces conflits sont nombreuses: philosophiques, mais surtout, elles sont psychologiques.

La communauté anglo-québécoise est en profonde mutation depuis plusieurs années, et les causes de ces changements sont incompris de la part de la communauté anglo-québécoise elle-même. Pour cette dernière, la Charte de la langue française présente un problème philosophique et psychologique. Je ne tiens pas à vous parler des divergences philosophiques entre les communautés pour les raisons suivantes: la première est que vous connaissez déjà ces arguments, puisqu'ils ont été présentés devant les tribunaux à maintes reprises; la seconde est qu'elles ne sont pas aussi importantes à l'établissement d'une vraie paix linguistique dans la ville de Montréal qu'on serait porté à le croire. Beaucoup d'anglophones sont comme moi, ils ont des enfants et ils sont essentiellement pragmatiques et sont prêts à faire des concessions philosophiques pour avoir la paix, et je pense que beaucoup de francophones sont comme nous aussi.

Les éléments psychologiques affectant la communauté anglo-québécoise sont reflétés par l'agitation actuelle de cette communauté. La population anglophone à Montréal ainsi qu'ailleurs en province est une population vieillissante. Bien qu'il soit vrai que ce phénomène est généralisé dans toute l'Amérique du Nord, celui-ci est plus prononcé chez les Anglo-Québécois qu'ailleurs en raison de l'immigration des jeunes anglophones. J'ai sorti ces données-là d'une étude qui a été publiée par l'Office de la langue française et intitulée «Les anglophones de Montréal: émigration et évolution des attitudes 1978-1983». Selon cette étude, le phénomène de l'immigration des jeunes anglophones est relié plutôt à la santé économique de la province qu'à la politique linguistique. Je crois aussi que l'intégration à l'économie américaine affecte les régions rurales de façon négative. Comme vous le savez, je suis un anglophone des Cantons-de-l'Est, et mon héritage est comme un anglophone d'une région rurale, une vieille famille anglo-québécoise.

Je vais juste retourner... Un instant, je vais retrouver ma place. Donc, je crois que l'intégration à l'économie américaine, accentuée par le libre-échange, est l'une des raisons pourquoi il y a beaucoup de jeunes anglophones qui quittent ces communautés, et ça, c'est un phénomène qui est ressenti non seulement au Québec, mais dans l'ensemble du Canada. Ces changements apportent les conclusions suivantes: premièrement, les populations vieillissantes craignent le changement, puisqu'elles vivent beaucoup de revenus fixes. Leur santé ne leur permet pas de subir beaucoup de bouleversements. Alors, le résultat référendaire du 30 octobre 1995, qui est, pour les membres de la communauté, signe d'un grand changement dans l'avenir, est la cause principale du phénomène appelé «anglo angst», phénomène qui, je vais vous dire tout de suite, est un phénomène temporaire; ce n'est pas un phénomène ou une institution permanente parmi les membres de ma communauté.

Deuxièmement, les motifs de ces changements démographiques sont mal compris de la part de la communauté anglo-québécoise. La majorité des gens de cette communauté à qui je parle dans mon quotidien croit que votre politique linguistique est la raison pourquoi il y a une décroissance démographique de leur présence dans la province. En grande partie, ça ne leur permet pas non plus de pouvoir prendre les mesures eux-mêmes pour contrer ces changements, et ils veulent continuer à exister comme communauté dans la province, comme vous voulez continuer d'exister, les francophones, comme communauté dans l'Amérique du Nord. Cette incompréhension a le mauvais élément de provoquer des réactions émotives chez ceux-ci, poussant parfois certains à dire des sottises.

Les deux facteurs mentionnés ci-haut font en sorte que la communauté anglo-québécoise de l'île de Montréal est actuellement très tourmentée. Cet affolement fait en sorte que les gens qui proposent des solutions faciles en arrivent à prendre une importance démesurée, ce qui témoigne de pourquoi on a parlé de partitionner la ville de Montréal et aussi qu'il y a du monde qui pense qu'en prenant des pancartes puis en menaçant par boycottage on va régler tous les problèmes de la communauté d'un seul coup. C'est des solutions faciles, c'est des gens qui parlent bien; malheureusement, ils n'aident personne à arriver à une solution finale pour qu'on puisse vivre à côté de nos voisins francophones.

(21 h 20)

Le climat à Montréal est d'autant plus envenimé par les agissements de la presse, particulièrement celle écrite et radiodiffusée, qui, de part et d'autre, autant la presse écrite et radiodiffusée anglophone que francophone, propage des opinions radicales, intransigeantes et irresponsables. Au cours du mois de juillet 1996, le chroniqueur William Johnson, du journal The Gazette , a évoqué l'image du Dr Martin Luther King pour décrire la campagne de boycottage de M. Galganov, ce qui dénigre autant le grand travail du Dr King que ça exagère aussi le degré de souffrance qu'on peut avoir dans la ville de Montréal. Malheureusement, il y a beaucoup de gens dans ma communauté qui croient M. Johnson. Ha, ha, ha! C'est la vérité, mais, si on leur expliquait d'une façon honnête ce qui se passe, M. Johnson, probablement, perdrait son travail.

Cette campagne, qui consiste à présenter la politique linguistique québécoise comme de la répression, a une longue tradition dans les médias anglophones de Montréal. Pour leur part, les médias francophones de l'île de Montréal participent à cette campagne de désinformation avec autant d'ardeur que leurs équivalents anglophones. En réaction aux commentaires de M. Johnson, Josée Legault, au Devoir , a écrit ceci au sujet de la communauté anglophone, et ça, c'était au courant du mois d'août: «Pour eux – nous, les anglophones – la paix linguistique, c'est lorsque le français recule, et la guerre, c'est lorsqu'il avance.» Dans cette même chronique, elle conclut que les gestes de modération et de rapprochement du premier ministre au théâtre Centaur étaient une erreur. Il serait facile de conclure que Mlle Legault désire vraisemblablement créer une brèche entre le premier ministre et une partie importante de sa population, dont les anglophones. Dans un tel climat, il est facile de comprendre qu'une telle démarcation divise les Montréalais francophones et anglophones.

Je voudrais aussi dire que l'effet cumulatif des messages véhiculés par les médias, c'est que, pour les anglophones, le gouvernement, vous voulez vous débarrasser de nous. On croit, beaucoup de mes confrères croient que le complot du gouvernement, c'est de se débarrasser des Anglais au Québec, et ça, encore plus depuis le résultat référendaire. Ça fait partie de notre manie, de notre «anglo angst».

Pour les francophones, l'effet cumulatif, c'est... Je lis beaucoup plus les journaux francophones depuis que je suis en chômage, puisque La Presse a une meilleure section Carrières que The Gazette . Alors, pour les francophones, l'effet cumulatif, c'est de croire que les Anglais veulent encore les dominer, comme au XIXe siècle, comme si les anglophones n'avaient pas évolué durant les 150 dernières années d'histoire. Franchement, c'est faire un mauvais service et une insulte à moi, personnellement. Mais tel est le climat qu'on vit dans la ville de Montréal.

Pendant ce temps, l'économie de la ville de Montréal est frappée durement par de nombreux facteurs. La crise des finances oblige les gouvernements à couper massivement au niveau de leur personnel et des programmes sociaux. Le déménagement des entreprises vers Toronto et l'Ouest canadien réduit le nombre d'emplois disponibles dans le secteur privé. Le gouvernement du Québec a pris des moyens exceptionnels pour réagir face à cette crise d'emplois en créant un ministère dont le mandat précis est de faire redémarrer l'économie montréalaise. Il est clair que l'économie anémique de la ville de Montréal est très préoccupante pour votre gouvernement, et je le reconnais.

Je tiens aussi à ajouter que les tensions linguistiques, presque ethniques, plus haut suggérées seront aggravées par le climat d'appauvrissement qui sévit actuellement à Montréal. Si quelque chose n'est pas fait directement par votre gouvernement pour intervenir dans la ville de Montréal, vous pouvez vous attendre à une hausse des tensions, pas à une réduction des tensions, même après que vous allez avoir passé votre loi. Possiblement que ça va s'étendre à l'extérieur de la ville, je ne le sais pas. Mais, chose certaine, c'est deux facteurs qui sont très dangereux ensemble. Ils attendent juste que quelqu'un mette l'allumette pour partir le feu. Ceci risque, comme j'ai dit, de créer une situation dangereuse pour tout.

Alors, c'est mon évaluation du problème, mon évaluation de la proposition de politique linguistique. Dans un premier temps, je suis malheureux de constater que la situation de l'emploi dans la ville de Montréal n'ait pas été discutée dans la version finale de la proposition de politique linguistique. Pourtant il semble clairement établi que Montréal ne pourra pas retourner au plein emploi si l'administration publique continue d'agir de façon contradictoire dans ses multiples domaines d'activité. Dans ce sens-là, je ne dis pas nécessairement que la loi 101 tue les emplois à Montréal, mais je dis que chaque département, chaque ministère, chaque employé d'État doit se poser cette question maintenant à Montréal si on veut retourner à un climat d'expansion économique, et que ça doit s'appliquer autant à l'Office de la langue française qu'à Travail-Québec ou qu'au ministère qui se charge de redémarrer l'économie montréalaise. Cette question aurait dû être traitée dans une rubrique autonome destinée à vérifier si la mise en application des diverses mesures proposées pourrait entraîner des conséquences négatives sur la disponibilité des emplois à Montréal.

Je suis d'avis que tant et aussi longtemps que le taux de chômage de cette ville restera élevé, il sera impossible aux Québécois d'exiger le droit de travailler en français, et ce, j'en suis un témoin direct; je ne dirais pas expert, mais j'ai travaillé pour le Mouvement Action-chômage et j'ai vu beaucoup ce que le climat de licenciement fait pour les conditions de travail des travailleurs et des travailleuses. Et, lorsque le taux de chômage est élevé, c'est très dur pour les travailleurs de même exiger ce qui est prévu dans la Loi sur les normes du travail. Alors, comment pourront-ils exiger le droit de travailler en français lorsque tout le pouvoir réside dans les mains du patron? Je crois qu'il serait prudent de rétablir la situation économique à Montréal avant de rétablir la Commission de protection de la langue française en matière de langue de travail, sinon son ingérence pourrait provoquer des pertes d'emplois.

Je suis aussi en désaccord avec la recommandation de rétablir la Commission de protection de la langue française, tel que suggéré, en matière d'affichage public. Premièrement, je reconnais que, pour qu'une loi puisse produire des effets, il est important d'avoir des organismes qui sanctionnent les cas de non-respect. C'est normal. Par contre, il est aussi reconnu que, même en l'absence de la Commission, la loi dans son ensemble a été respectée en matière d'affichage public. Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui contestent cette affirmation lorsqu'ils viennent témoigner devant vous, mais, moi, je crois le document «Le français, langue commune» et les études qui ont été faites et je dois tenir compte que ces faits, pour vous, ont été tenus pour avérer maintenant que la loi dans l'ensemble et que la politique linguistique du gouvernement du Québec ont été respectées dans leur ensemble, malgré l'existence de la loi 86 et l'abolition de la Commission de protection de la langue française.

Alors, les citations que je vous ai sorties sont celles, si vous me permettez, à la prochaine page, à la page 21 de cette même étude. On dit: «Selon les résultats de l'étude, un étranger qui déambule dans les rues de Montréal retient de l'image linguistique de l'affichage la place majoritaire occupée par le français». Alors, je ne comprends pas la décision de vouloir rétablir un système qui a semé la discorde dans les communautés linguistiques à Montréal par le passé, alors que l'intention et les buts de la loi sont respectés de prime abord. En anglais on dit: If it ain't broken, why fix it?

J'appuie les orientations recommandées par «Une approche sociale globale». En particulier, je retiens une impression favorable de la recommandation de diffuser une image pluraliste de la société québécoise dans la télévision et le cinéma québécois. Comme je l'ai déjà mentionné, l'intégration économique aux Américains affecte durement les communautés anglo-québécoises en région. Pour les jeunes anglophones, la musique et la télévision américaines sont la force culturelle prédominante dans leur vie. Cette communauté est désavantagée comparativement à ses voisins francophones, car aucune force culturelle alternative ne s'offre à elle, et la société québécoise a une culture qui est très riche, qui est très diversifiée et qui est très dynamique. Mais, malheureusement, la société anglo-québécoise n'a pas cette force. Aussi sont-ils lésés relativement à leurs voisins francophones parce qu'ils n'ont pas une langue différente pour agir comme rempart, protégeant ainsi leur culture locale. Je crois que les produits culturels québécois, tels que des programmes de télévision ou des films qui représenteraient la vie rurale anglophone et qui la valoriseraient, pourraient agir comme contrepoids à la culture américaine et qu'ils pourraient peut-être freiner, finalement, ce qui est une hémorragie de jeunes anglophones des régions rurales du Québec.

Enfin, je m'oppose aux interventions de la Commission de toponymie. Dans les endroits où la Commission est intervenue – et j'admets tout de suite que je n'ai pas vu tout l'ensemble des interventions de la Commission de toponymie – j'ai constaté que seulement des noms anglophones avaient été francisés. De plus, je remets en question l'affirmation qu'il soit nécessaire de franciser les noms de lieux pour assurer la prédominance du français. La ville de Détroit est une ville anglaise, et tout le monde le sait, la même chose est vraie pour la ville de Sault-Sainte-Marie; pourtant le nom de ces endroits est en français seulement. D'un autre côté, le tort causé à ma communauté est beaucoup plus grave. Les noms de lieux sont souvent les seuls indices qui démontrent que la communauté anglophone du Québec a elle aussi des origines dans les régions rurales. Et je peux vous donner un exemple, comment...

Le Président (M. Garon): M. Campbell, je dois vous dire que vous avez déjà pris la moitié de votre temps.

M. Campbell (Michel): Je vais vous donner, d'abord... Juste deux minutes, je vais finir mon intervention. Dans l'ensemble, je retiens une impression fort positive de la proposition de politique linguistique. Il est admis que les technologies de communication et d'information ont évolué grandement depuis les 20 dernières années et qu'une mise à jour s'impose, si ce n'est que pour cette raison. Aussi est-il important de renforcer la protection du consommateur. L'Office de la protection du consommateur a été durement affecté par les coupures budgétaires des dernières années. Si je peux me permettre un conseil à l'intention de votre gouvernement, il serait important non seulement de suivre la recommandation de la proposition de politique linguistique en cette matière, mais aussi de rétablir tout le pouvoir de l'Office de la protection du consommateur afin qu'il soit capable de couvrir les régions rurales aussi bien que les régions métropolitaines.

(21 h 30)

Je voudrais, en terminant, si vous me le permettez, vous faire quelques recommandations supplémentaires. Je désire que votre gouvernement continue de se rapprocher de la communauté anglo-québécoise de la façon faite au théâtre Centaur, lorsque le nouveau premier ministre est entré dans ses fonctions. Ceux qui disent que le rapprochement est une erreur rendent un très mauvais service à la démocratie québécoise et aussi à nos enfants. La situation des deux solitudes est très malsaine pour la société québécoise, et les intervenants de part et d'autre doivent faire leur possible pour y mettre fin.

Il est évident que votre politique linguistique est mal comprise de la part de la population anglophone. Il est aussi vrai que la population anglophone est incomprise de l'ensemble de la population québécoise. Je vous demande donc de convoquer des états généraux entre les membres des deux communautés, soit les dirigeants des groupes de la communauté anglophone et les dirigeants des groupes de la communauté francophone. Ces états généraux devraient se tenir dans les plus brefs délais afin d'éviter une nouvelle escalade des tensions linguistiques. Je vous inviterais aussi à établir une politique de communication qui contournerait directement les journaux et la presse radiodiffusée, les médias radiodiffusés.

Je voudrais vous demander de consacrer des fonds pour faire de la recherche historique et culturelle sur la communauté anglo-québécoise. Par exemple, j'admire beaucoup les dictionnaires généalogiques qui ont été préparés sur les vieilles familles canadiennes-françaises. J'aimerais bien que l'on puisse développer des outils semblables pour les vieilles familles anglo-québécoises. Je crois qu'il serait possible de créer un sentiment d'appartenance des anglophones à la société québécoise et aussi de souligner à l'ensemble de la société québécoise que les anglophones sont un attribut et une richesse indispensables pour le Québec et que, lorsqu'ils partent, c'est un appauvrissement collectif qui se produit.

Je voudrais aussi vous demander de modifier le préambule de la Charte de la langue française de façon à reconnaître à la communauté anglo-québécoise le droit de maintenir et de développer leur langue et leur culture d'origine. Cette modification tient compte du fait que, tout comme les autochtones et les vieilles familles québécoises, les anciennes familles anglo-québécoises ont développé des modes de vie, des valeurs, des alliances et un sentiment d'appartenance à leur communauté qui sont originaux et uniques. Il n'est pas suffisant, à mon avis, de garantir seulement à la communauté anglophone ses institutions; cette communauté doit également disposer de moyens suffisants pour garantir elle-même sa survie, celle-ci étant, dans certaines régions du Québec, beaucoup plus fragile qu'on le croit.

Finalement, je veux offrir mes remerciements à M. Jolicoeur, du Secrétariat des commissions, pour sa courtoisie et à vous, membres de la commission, de m'avoir accordé la chance de participer au processus démocratique. Je désire également souligner que mon seul désir en présentant ce mémoire est de voir que cette question linguistique soit réglée à la satisfaction de tous pour que l'on puisse connaître un jour une vraie paix linguistique à Montréal. Je suis certain que cette question vous préoccupera beaucoup lors de vos prochaines délibérations.

Le Président (M. Garon): Alors, comme vous avez pris plus de 18 minutes, il reste six minutes de part et d'autre.

M. Campbell (Michel): Désolé.

Le Président (M. Garon): Bien, vous avez le droit. Je n'ai pas de jugement à porter, j'ai dit comment ça marchait au début.

M. Campbell (Michel): J'avais pourtant «timé» mon affaire pour 10 minutes. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. le Président, tout simplement pour saluer M. Campbell...

M. Campbell (Michel): Merci.

Mme Beaudoin: ...et pour passer la parole à un de mes collègues, M. le député de Vachon.

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon.

M. Payne: M. Campbell, je vous remercie beaucoup, de la part du parti ministériel, pour votre exposé à partir d'un témoignage particulièrement touchant, subjectif et qui nécessite beaucoup de réflexion de la part des parlementaires. Moi aussi, comme le député d'Outremont, je représente un comté qui est, je ne dirais pas cosmopolite, mais où il y a quand même 20 % de non-francophones – 19 % – donc un peu le profil du Québec.

Je voudrais, moi, plutôt me faire le défenseur de ceux qui voudraient travailler en français, parce que c'est une commission qui discute le statut de la langue française au Québec. Ce qui me fait penser à ce principe, c'est-à-dire le droit des Québécois de travailler en français, c'est un peu le principe qui sous-tend votre présentation, à savoir qu'il y a, si je vous comprends bien, une corrélation entre le taux de chômage et les effets de francisation. Est-ce que c'est bien ça?

M. Campbell (Michel): Dans un premier temps, je ne peux pas dire que j'ai vu des études ni que j'ai une opinion à savoir que la Charte de la langue française a un effet dérogatoire sur la création d'emplois à Montréal. C'est possible, mais je ne le sais pas. Comme j'ai dit, je ne suis pas économiste. Ce que j'ai dit, c'est que la possibilité de rétablir la Commission de protection dans ces domaines-là peut causer quand même des conflits encore, et, tant et aussi longtemps que le taux de chômage à Montréal est aussi élevé qu'il l'est, le rapport de force entre travailleurs et employeurs est très déséquilibré.

M. Payne: Bon. Alors, voilà ma première question; vous avez déjà la réponse. Je vous en remercie. C'est que, effectivement, moi, je ne connais pas d'étude du genre qui puisse établir une corrélation objective entre le taux de chômage et les efforts de francisation. Donc, a fortiori, à mon avis, ce serait assez difficile d'indiquer, comme vous dites, qu'il semble clairement établi que Montréal ne pourrait pas retourner au plein-emploi si l'administration publique continue d'agir de façon contradictoire dans les multiples domaines d'activité. Et je suis d'avis que, tant et aussi longtemps que le taux de chômage de cette ville restera élevé, il sera impossible d'assurer les Québécois qu'ils pourront exiger le droit de travailler en français.

Or, comme député, j'ai plutôt l'expérience contraire, c'est-à-dire que, de plus en plus – c'est-à-dire, je dois dire «progressivement» – depuis 1976, qui est mon expérience, j'ai vu beaucoup, beaucoup de Québécois francophones qui ont dit: Bien, bon Dieu, on peut travailler au moins en français! Ils ne demandent pas de s'exprimer en anglais et en français... et, sur le chantier de travail, ou sur le «shop floor», comme on dit en anglais, qu'on puisse travailler en français, ce qui a des résultats. D'après leur propre témoignage non existentiel... ou plutôt non empirique, ils disent: Ça a un effet sur la productivité. Beaucoup de patrons ont dit la même chose aussi. Donc, non seulement il n'y a pas de corrélation, mais plusieurs pourraient... Et je n'ai pas d'étude non plus, pas plus que vous...

M. Campbell (Michel): L'orientation...

M. Payne: ... – laissez-moi finir – ...

M. Campbell (Michel): O.K.

M. Payne: ...concluant qu'il y a un effet direct sur la productivité. Donc, c'est le contraire qui est le cas.

M. Campbell (Michel): Je pense que vous avez mal compris ce que j'ai écrit. Je n'ai pas dit que la Charte de la langue française détruisait des emplois, j'ai dit que le taux de chômage à Montréal, actuellement, était élevé. Ça aussi, c'est un fait avéré. Si vous me permettez juste de me référer à mon mémoire, ce que j'ai dit, c'est que, avec le taux de chômage qui existe actuellement à Montréal, c'est inadmissible qu'un département important d'un gouvernement puisse produire un document de ce volume-là sans même poser la question une seule fois. Tous les départements du gouvernement doivent regarder la possibilité que la mise en application de certaines lois puisse peut-être, soit dans l'économie en général ou peut-être dans certains secteurs, avoir un effet négatif sur la création d'emplois. Je n'ai pas dit que c'était nécessairement le cas, mais, par contre, je trouve, surtout de la part d'une personne qui est sans emploi actuellement, malheureux que la question n'ait même pas été posée.

M. Payne: O.K. Je voudrais juste vous poser une dernière question, parce que le temps est assez court. Je trouve ça très intéressant, votre mémoire, mais vous semblez suggérer que c'est important, le principe de sanction; je pense que vous avez appelé ça le non-respect. Bien. Le Parti libéral a été au pouvoir pendant plusieurs années avant qu'il ait l'idée de vouloir abroger les dispositions administratives et législatives concernant la Commission de protection de la langue française. Peu importe, vous, en l'absence de la Commission de protection de la langue française, quel organisme de sanctions préconiseriez-vous?

M. Campbell (Michel): Bien, en matière de protection du consommateur, si vous pouvez rétablir l'Office de la protection du consommateur à sa pleine force, avant les dernières coupures budgétaires, particulièrement dans les régions rurales... En matière de langue de travail, possiblement la Commission des normes du travail. Mais, encore là, avant de mettre des agents du gouvernement sur la place du travail, assurons-nous que l'économie reprenne une certaine santé. Je sais que le plein-emploi est théorique; à Montréal, maintenant, on n'a pas vu ça peut-être depuis plus de 20 ans maintenant, mais, par contre, on est tous d'accord pour dire que l'économie de Montréal n'est pas en bonne santé.

M. Payne: C'est ça. Parce que...

M. Campbell (Michel): Alors, si vous me permettez juste de rajouter une précision, je reconnais qu'un organisme comme l'Office de la langue française doit avoir des agents qui sont là pour exiger le respect de la loi et mettre des contraventions dans des cas où il n'y en a pas, mais je vous demanderais peut-être de modifier les responsabilités de cet organisme en matière d'affichage.

M. Payne: Donc, vous, vous voudriez...

Le Président (M. Garon): Bon! Le temps est passé.

M. Payne: Juste pour finir là-dessus.

Le Président (M. Garon): Mais c'est parce que le temps est terminé. C'est parce que je suis obligé de respecter le temps. Alors, le temps...

M. Payne: Alors, est-ce que je peux prendre une demi-minute pour finir?

Le Président (M. Garon): Pardon?

M. Payne: Je peux prendre une...

Le Président (M. Garon): Vous avez déjà dépassé.

M. Payne: Je veux juste établir que vous voulez que...

Le Président (M. Garon): Est-ce que les règles s'appliquent à tous sauf à vous, M. le député de Vachon?

M. Payne: ...l'Office de protection du consommateur assume... Bah! laissez-moi finir la phrase!

Le Président (M. Garon): Oui, mais c'est parce que, si on ne respecte pas également, comment voulez-vous que je...

M. Payne: Mais non! Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Dans un cas, je laisse passer, dans l'autre cas, je ne laisse pas passer. Comment ça va marcher?

M. Payne: L'ex-député Jean Alfred, vous avez dit qu'il a largement dépassé son temps. J'ai parlé quatre minutes aujourd'hui.

Le Président (M. Garon): Oui, je comprends, mais, là, voyez-vous, ce n'est pas de ma faute, moi, si... Mais il y a 30 minutes. C'est les parties qui ont décidé ça au début. Moi, j'applique uniquement les décisions que les parties ont prises au point de départ.

M. Payne: Non, mais il est 21 h 40.

Le Président (M. Garon): Oui, je sais. Alors, M. le député d'Outremont.

(21 h 40)

M. Laporte: Je vais essayer d'être très bref, M. Campbell, pour ne pas dépasser mon temps, mais votre argumentation est tout à fait convaincante pour l'opposition officielle, puisque c'est fondamentalement la nôtre. On aura beau nous convaincre que les inspecteurs sont les équivalents des inspecteurs dans d'autres domaines et ainsi de suite, mais l'argumentation qu'on essaie de faire, M. Campbell, rejoint la vôtre en ce sens que les lois linguistiques sont des lois, comme je l'ai dit cet après-midi, qui visent à établir des compromis entre des sensibilités morales, sociales tellement difficiles à harmoniser qu'il y a toujours un risque qu'on en vienne, comme ça, à des escalades de tension linguistique.

Ma première question, c'est: Puisque vous partez de votre expérience personnelle, individuelle, est-ce que, dans le milieu où vous vivez, vous pouvez déjà percevoir des signes prémonitoires de ce que pourraient être des tensions linguistiques qui résulteraient de l'application des recommandations telles qu'elles sont faites maintenant par le gouvernement?

M. Campbell (Michel): Oui. J'ai parlé du rôle des médias dans cette tension linguistique et de comment les médias sont capables de rajouter à la colère d'un groupe ou de l'autre. Je soulignerais le congédiement de Mme Fraser de The Gazette parce qu'elle était trop molle sur les questions linguistiques. C'en est un exemple.

D'autres exemples, évidemment, rentrent dans le cadre des éditoriaux qui sont passés dans les journaux francophones. Je peux vous dire aussi que, ça, c'est quelque chose que je ne faisais pas lorsque je travaillais, mais, maintenant que je ne travaille plus, j'appelle parfois les lignes ouvertes sur la radio anglophone, j'essaie de leur donner un peu le même message que je vous ai donné aujourd'hui et je passe mon temps à me faire raccrocher la ligne au nez. Le dernier, c'est M. Schnurmacher, la semaine dernière, lorsque je lui ai dit que ce n'était pas vrai que le gouvernement voulait absolument se débarrasser de tous les Anglais. Bien, là, il a raccroché la ligne, puis, comme on n'a pas le droit d'avoir la radio quand on est sur une ligne ouverte, je n'ai pas entendu ce qu'il a dit, mais il y a des amis qui ont dit qu'il n'était pas trop poli.

Puis l'autre avant ça, c'était M. Lowell Green, d'Ottawa, sur CKGM, quand il était en train de chialer que le gouvernement du Québec faisait de la propagande séparatiste au Saguenay. J'ai dit qu'il n'était pas question de propagande séparatiste, que c'était tout simplement une question que M. Bouchard, c'est le député de la place et qu'il se doit d'être présent. Encore là, on m'a dit que j'étais un... puis que j'étais un ci, puis que j'étais un ça, puis on m'a raccroché la ligne au nez. Alors, je ne suis pas aimé des lignes ouvertes non plus.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: À la fin... Monsieur...

M. Campbell (Michel): Alors, c'est signe que ces gens-là ne sont pas prêts à abandonner la guerre; au contraire, ils sont en train d'aiguiser leurs armes.

M. Laporte: M. le Président, peut-être que j'ai encore du temps, mais vous avez... M. Campbell, vous ne nous avez pas donné l'exemple dont vous nous parliez pour illustrer le troisième paragraphe de la page 3 de votre mémoire, au sujet de la Commission de toponymie. Vous disiez: Oui, j'ai un exemple à vous donner d'une intervention de la Commission de toponymie qui m'était apparue un peu incorrecte, compte tenu des toponymes de la communauté anglophone.

M. Campbell (Michel): Oui. Oui, oui.

M. Laporte: Vous aviez quel exemple en tête?

M. Campbell (Michel): À Magog, il y a une rivière qui, lorsque j'étais jeune, s'appelait Cherry River. Cherry, c'est un nom de famille anglophone, et j'imagine que, lorsqu'ils ont décidé de donner le nom Cherry River, c'est parce qu'il y a un M. Cherry qui avait fait quelque chose de bien à Magog. Ils voulaient s'en souvenir. Lorsqu'ils ont changé de nom, ils ont appelé ça rivière aux Cerises. Alors, j'imagine qu'il y a beaucoup de gens à Magog qui cherchent des cerises au bord de la rivière, je ne le sais pas.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Vous savez, c'est toujours ce même problème de l'intégrité des espaces symboliques. On a un peu tendance à sous-estimer le rôle de ces espaces symboliques dans la vie collective. Mais c'est clair que passer de la Cherry River à la rivière aux Cerises, eh bien, ça peut avoir un impact sur ce que j'appelle ces sensibilités morales. Dans ce sens-là, je pense que l'exemple est tout à fait, je dirais, intéressant, mais aussi à propos. Merci, M. le Président. Je vous remercie beaucoup, M. Campbell.

M. Campbell (Michel): O.K. Si vous voulez...

M. Laporte: Je trouve que, vraiment, ça a été...

M. Campbell (Michel): ...M. le député de Vachon, je peux vous attendre à l'extérieur, si vous avez d'autres précisions.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Je remercie M. Campbell de sa contribution aux travaux de la commission.

M. Campbell (Michel): Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Et, comme le temps est épuisé, j'ajourne les travaux de la commission à demain, mercredi, 10 heures. Le 4 septembre.

Une voix: Parfait!

(Fin de la séance à 21 h 45)


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