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Version finale

35e législature, 1re session
(29 novembre 1994 au 13 mars 1996)

Le mercredi 22 mars 1995 - Vol. 34 N° 3

Audition du Conseil supérieur de l'éducation sur l'état et les besoins de l'éducation au Québec


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Table des matières

Journal des débats


(Dix heures sept minutes)

Le Président (M. Facal): Mesdames et messieurs, comme je constate que nous avons le quorum, je vous propose d'ouvrir cette séance. Est-ce qu'il y a des remplacements, M. le secrétaire?

Le Secrétaire: Il n'y a pas de remplacements à cette séance-ci.

Le Président (M. Facal): D'accord. Alors, je souhaite la bienvenue au Conseil supérieur de l'éducation, à son président, M. Robert Bisaillon, et à l'équipe qui l'accompagne.


Organisation des travaux

Je me permets une courte mise en contexte. Nous avions pensé inviter le Conseil parce qu'il nous était apparu, au moment où cette commission parlementaire est encore jeune et alors que le processus conduisant aux états généraux s'apprête à se mettre en branle, qu'il était pertinent de rencontrer l'instance qui est sans doute la mieux placée pour nous faire une sorte de première visite guidée, inévitablement rapide, de l'état actuel de l'ensemble du réseau éducatif et des principaux défis qui l'attendent. Trois heures, c'est peu, mais c'est un début. On avisera pour la suite.

Je vous propose le mode de fonctionnement suivant que vous trouverez à l'ordre du jour. Afin de maximiser les échanges entre les élus et le Conseil, et de minimiser les exposés trop didactiques – et je parle autant pour mes collègues, rassurez-vous, que pour nos invités – je vous suggère de diviser nos trois heures en trois tranches d'une heure, la première consacrée à l'enseignement primaire, la seconde à l'enseignement secondaire et la troisième à l'enseignement postsecondaire, étant bien conscient qu'il y a toute une série d'autres projets éducatifs et d'autres avis soumis par le Conseil qui ne s'imbriquent pas nécessairement dans cette division en trois niveaux. Et, à l'intérieur de chaque bloc d'une heure, le président du Conseil pourrait nous exposer ses vues pendant une quinzaine de minutes, ce qui, j'en conviens, va lui demander un véritable exploit au niveau de ses aptitudes synthétiques. Ensuite, nous nous garderions les trois quarts d'heure restants à l'intérieur de chaque bloc pour un échange que je souhaite aussi informel et amical que possible. Est-ce que cette façon de faire convient à tout le monde?

M. Désilets: Moi, ça me convient.

Le Président (M. Facal): Alors, M. Bisaillon, si vous voulez également commencer par avoir l'amabilité de présenter les gens qui vous accompagnent et, ensuite, enclencher dans votre premier bloc.


Enseignement primaire


Exposé du président du Conseil supérieur de l'éducation (CSE)


M. Robert Bisaillon

M. Bisaillon (Robert): Alors, M. le Président, je vous remercie, ainsi que les membres de la commission de recevoir le Conseil. C'est maintenant une tradition annuelle dont nous sommes très contents, parce que ça correspond à un des mandats du Conseil d'informer le gouvernement sur les besoins de la population.

(10 h 10)

Alors, je suis accompagné, à ma droite, de la vice-présidente du Conseil, Mme Judith Newman; à ma gauche, du secrétaire du Conseil, M. Jean Proulx; à côté de M. Jean Proulx – à sa gauche, donc – Mme Susanne Fontaine, du Service des études et de la recherche, un service très important, au Conseil, même s'il est petit, le service étude et recherche en appui aux avis et rapports que nous publions; et M. Jean-Robert Deronzier, qui est le directeur des communications et responsable de l'administration au Conseil cette année. C'est nouveau, cette année, j'ai demandé au personnel professionnel qui a travaillé sur les avis ou rapports dont il est possible qu'on discute ici d'être présents, parce que c'est important, pour les membres du Conseil, de connaître les préoccupations des parlementaires aussi à l'égard de l'éducation. Alors, je pense que c'est nouveau aussi, mais on trouvait ça utile de le faire de cette façon-là.

Alors, vous voulez qu'on commence tout de suite avec le primaire. Je vous ai fait remarquer, en aparté, tantôt, qu'on ne peut pas parler du primaire aujourd'hui sans parler du préscolaire et, faut-il le dire, même des services à la petite enfance parce que l'angle selon lequel le Conseil a examiné cette question, c'est l'angle des besoins éducatifs de la petite enfance, qui dépasse les besoins de garde, de sécurité ou de santé. Or, on constate que se sont développés un peu en parallèle deux réseaux de services à la petite enfance depuis un certain nombre d'années, de garde et de préscolaire, où l'on retrouve – et ce n'est pas tellement surprenant, avec le développement de ces réseaux – des expertises et même des compétences qui convergent: profil de formation des gens qui y travaillent, objectif de développement global. Bon.

Ce dossier-là de la petite enfance, on le voit bien, il refait surface depuis un certain nombre de mois dans les journaux, dans le débat public, sous l'angle de l'universalité – ce n'est quand même pas la majorité des enfants qui ont des services à la petite enfance présentement – sous l'angle de l'accessibilité aussi – ce n'est pas possible dans toutes les régions, dans tous les quartiers, à toutes les bourses – et sous l'angle aussi de la juridiction. C'est une nouvelle question qui ressort depuis quelque temps: Est-ce que ça devrait être Éducation, Santé et Services sociaux, Famille?

Ce qu'on avait dit au Conseil là-dessus, en 1987-1988, dans deux avis, essentiellement, un, c'est que c'était la période utile pour effectuer des bilans significatifs des habiletés acquises des enfants et vraisemblablement des retards accumulés chez certains; donc, c'est l'angle de la prévention. Et on avait dit aussi – ça fait déjà huit ans de ça – qu'une meilleure coordination s'imposait dans l'ensemble des interventions gouvernementales auprès des jeunes enfants. On dit encore la même chose aujourd'hui.

Je résume donc sur le préscolaire pour dire qu'il y a là des besoins de garde éducative, il y a là des besoins de prévention, il y a des nouveaux besoins, qui se sont ajoutés, d'intégration des enfants issus des communautés culturelles qui arrivent au Québec; d'où l'importance d'une orientation solide – je ne vous dirai pas d'une politique ou d'un plan d'action; vous déciderez ce que vous voulez faire avec ça – en ce qui concerne l'éducation de la petite enfance, qui devrait reposer sur deux assises: sur la reconnaissance de l'importance cruciale de la petite enfance pour le développement ultérieur – donc, c'est l'angle de la prévention – et l'importance de l'engagement de l'État, et de l'instauration d'une continuité et d'une cohérence dans l'organisation de ces services, sous l'angle de la coordination. J'arrête là pour le préscolaire, on pourra en discuter.

Au primaire, puisque vous avez situé la rencontre d'aujourd'hui dans la perspective des états généraux qui viennent, je dirais, en tout cas, que, du point de vue du Conseil, il y a deux grands problèmes. Un qui ne concerne pas seulement l'école primaire, mais l'école obligatoire en général, c'est celui de la mission de l'école, dont on dit qu'elle est encombrée, mais on ne s'entendra jamais, cependant, pour chasser les enfants qui véhiculent de nouvelles réalités. Et il y a la question du curriculum.

Nous, on a voulu, dans un rapport annuel, celui de l'an dernier, faire une distinction entre la fonction spécifique irremplaçable de l'école, ce qui fait qu'une école, ce n'est pas autre chose, donc qui la distingue des autres institutions, et l'exercice social de sa mission qui impose des tâches conjoncturelles à l'école. On l'a vu, lorsqu'il s'agit de nourrir des enfants, lorsqu'il s'agit d'organiser des services parce qu'ils ne sont pas disponibles pour une certaine catégorie d'enfants, ce n'est pas le rôle irremplaçable de l'école, mais c'est un rôle social dont elle ne peut pas s'écarter, au moins à titre de suppléante et au moins aussi, même si ce n'était pas à titre de suppléante, à titre de partenaire sociale d'autres lieux éducatifs ou d'autres milieux. Mais on ne peut pas dire que l'école est en réseau avec la communauté, actuellement. Il y a un problème de ce côté-là. Je résumerais ça comme ça, pour ce qui est de la mission.

Cette année, on a publié – la semaine dernière – un avis sur le curriculum du primaire ou du secondaire où on dit essentiellement quatre choses. On peut faire trois critiques principales au curriculum du primaire. C'est un curriculum qui est un peu incohérent, dans le sens qu'on a un ensemble de matières qui se sont additionnées avec les époques, dans des corridors, sans nécessairement qu'on ait une vision très claire de la formation. Autrement dit, il n'y a pas une compréhension commune de ce que les enfants devraient être quand ils sortent d'un ordre d'enseignement aujourd'hui ou même d'une partie d'un ordre d'enseignement, d'un cycle. C'est vrai pour le secondaire, ce que je dis là, mais je le dis aussi pour le primaire.

Et il se trouve qu'à l'heure actuelle il y a des matières pour lesquelles il est prévu d'occuper plus de temps que le régime pédagogique en permet. Autrement dit, on a un régime pédagogique où il y a de l'enseignement qui devrait prendre 25 heures par semaine, puis le temps-élève en classe est de 23 h 50 min, pour des raisons historiques sur lesquelles je n'ai pas l'intention d'insister dans ma présentation. Mais tout ça pour dire, donc, qu'il y a un écart d'une heure et demie. Et qui est-ce qui paie pour ça? Bien, c'est les matières qui sont toujours considérées comme les moins importantes: les arts, les sciences de la nature, les petites matières ou celles pour lesquelles l'évolution sociale n'a pas rejoint encore le monde, je dirais. On pourrait ajouter les nouvelles technologies. Donc, nous, on pense – on le dit depuis des années, mais on le répète dans cet avis-là – qu'il faudrait porter à 25 heures le temps hebdomadaire de travail scolaire des élèves; ça nous mettrait juste dans la moyenne et des autres provinces du Canada et du monde occidental. Il n'y aurait pas de drame là.

On pense aussi qu'il y a des programmes d'études qui ont pâli à cause de l'évolution des problématiques sociales. Il faut donc les enrichir. Le programme de sciences de la nature, c'en est un. Il faut en réviser certains autres comme le programme qu'on appelle sciences humaines, éducation civique, et il faut modifier les modes de travail entre titulaires et spécialistes, croyons-nous, moins en comptabilisant leur temps qu'en leur demandant de collaborer de façon différente.

Et la grande question pour les années à venir, je pense, ce qui est interpellé à l'école primaire, c'est sa capacité d'accueillir une diversité croissante, puis de donner des services différenciés à ces clientèles qui sont croissantes, soit à cause de leurs difficultés d'adaptation et d'apprentissage, soit par le fait que c'est le premier lieu de socialisation qu'elles rencontrent en arrivant au pays pour ce qui est des immigrants, soit parce qu'elles ont des handicaps importants. Mais on a une politique, au Québec, d'accueillir tous les enfants. Comment accueillir cette diversité-là, rendre des services corrects et permettre aux enfants de passer au secondaire? Il y a là un défi énorme pour l'école.

J'arrête là, compte tenu que j'ai cru comprendre que vous préfériez l'échange. Moi aussi, d'ailleurs.

Le Président (M. Facal): Alors, qui parmi les parlementaires veut casser la glace? Petite enfance, niveau primaire. Si personne ne le fait, je vais le faire. M. le député de Maskinongé.


Discussion générale


Dépistage des enfants à problèmes

M. Désilets: Je ne sais pas si la question est... On arrive dans le débat, on est des nouveaux parlementaires. Je ne sais pas si la question va bien à vous, ou à une commission scolaire, ou ailleurs, ou à notre ministre, mais la problématique de dépistage, tant au niveau de la petite enfance, qui peut être amorcé, qu'au niveau préscolaire, est-ce qu'il y a une emphase particulière à placer là-dessus? Travaillant à l'élémentaire, pour moi, c'est fondamental, en tout cas. Je vois tellement les enfants en difficulté en maternelle. On n'a pas de prématernelle à l'école où je travaille, mais on a de la maternelle. Les enfants à problèmes, on les voit en maternelle. J'arrive en sixième, on retrouve les mêmes enfants, les mêmes erreurs, il n'y a rien qui a été corrigé dans ce laps de temps. Le problème a seulement amplifié. Mais il y a tellement peu de personnel à la rescousse des jeunes que c'est le fiasco. On identifie le problème dès la maternelle, mais il n'y a rien de corrigé faute de personnel, faute de soutien, des fois, au niveau des familles, mais souvent au niveau de l'école. Ça, c'est une question.

(10 h 20)

Ma deuxième, ça s'adresse au primaire. On vit un drame, mais c'est encore dans la suite de celui-là: les jeunes, par exemple, qui n'ont pas le droit d'échouer plus qu'un an. Lorsqu'ils arrivent à 13 ans, ils s'en vont au secondaire. Problématique majeure: c'est qu'ils sont dans un constat d'échec. Sur une échelle, ils sont continuellement en situation d'échec. Les bulletins, nos fameux bulletins. Par exemple, chez nous, où j'enseigne, il y a des élèves qui arrivent en sixième année, ils sont d'âge de sixième année, mais il y en a quatre, cinq, des fois six dans la même classe qui sont de niveau deuxième, troisième, quatrième année. Le prof commence son cours: Ouvrez vos livres à la page une telle. Ils ne sont pas capables de le lire. Ils ont tous des livres de sixième, mais certains sont de niveau deuxième! Échecs encore par-dessus échecs. Les bulletins les mettent encore en situation d'échec. Il n'y a rien d'adapté pour eux autres. Il faut les maintenir dans le système, mais on les maintient dans un système d'échec. Puis les profs ont besoin d'aide pour préparer les cours parce qu'il y en a qui sont en deuxième, il y en a d'autres qui sont en troisième, d'autres en cinquième, d'autres en sixième. Bien, ils commencent à avoir du trouble, mais l'ouvrage est trop lourd pour suffire à la tâche.

Il y avait ça, puis une autre – une dernière, excusez, ha, ha, ha! – qui regroupe ou reprend tout le débat d'aujourd'hui, un peu plus large. La question, c'est le fameux financement des écoles privées. Alors, c'est pour connaître un peu votre vision là-dessus. Je vais vous laisser, pour tout de suite.

M. Bisaillon (Robert): Moi, j'ai deux minutes pour répondre à ces trois questions?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Facal): Non, non. J'inviterais les députés qui posent des questions à faire preuve de la même discipline qu'en Chambre et à raccourcir leur préambule.

M. Bisaillon (Robert): Je vois que vous connaissez bien l'école primaire. Sur la question du préscolaire, moi, je dirais que le dépistage, c'est trop tard au préscolaire, même si on doit dire en même temps qu'il n'est jamais trop tard. Mais comprenons-nous bien, des enfants qui ont deux ans d'écart ou de retard sur le plan de la motricité fine, par exemple, ou du langage, lorsqu'ils arrivent en première année, au bout d'un mois, ils ont trois ans de retard – je caricature, là – parce qu'on leur demande de faire des apprentissages formels qui n'ont pas été précédés des préapprentissages normaux. C'est pour ça qu'on parle des besoins éducatifs de la petite enfance, parce que, si on accepte la périnatalité, ce qui tourne autour de la première année de vie d'un enfant, où il y a un certain suivi, si on accepte les enfants qui sont en garderie – ce n'est quand même pas la majorité qui sont gardés, au Québec – à moins qu'un enfant soit très malade, il a la chance de n'avoir jamais eu de dépistage préventif entre deux et cinq ans. La première fois, ça va être arrivé à l'école. Et ce n'est pas évident pour tout le monde qu'il y a là des problèmes qui sont très graves en l'absence de pathologie évidente. Il se prend des retards, des retards, et on les découvre lorsqu'ils arrivent à la maternelle.

Donc, c'est pour ça qu'on dit: Un bilan fonctionnel plus tôt, vers deux, trois ans, des enfants, peu importe l'endroit où sera dispensé le service, ça permettrait déjà d'apporter des correctifs, de donner une chance à l'enfant. Parce que c'est assez chirurgical, hein, un enfant qui a deux ans de retard, qui commence à écrire en première année, parce que c'est ça qu'il faut faire, puis qui a des problèmes de langage, il est handicapé pour... Et c'est là que les écarts s'agrandissent très vite.

Pour ce qui est du redoublement des jeunes, il y a effectivement, actuellement, un jeune sur cinq, au Québec, qui prend une année de plus que l'âge prévu pour faire son primaire. C'est, je dirais, un choix qu'on a fait comme société. Nous, on avait proposé, au Conseil, il y a quelques années, de diviser le primaire en trois cycles de deux ans, qui nous paraissaient correspondre, d'ailleurs, à l'évolution psychologique de l'enfant, et, plutôt que de faire doubler une année, qu'on attende à la fin du cycle pour que l'enfant ait moins le sentiment que, dès le départ, il est sur une voie d'évitement.

Ça ne règle pas tous les problèmes, ce que je vous dis là, mais c'est pour vous dire qu'on avait commencé à regarder cette question-là. Et – comment dire – il va falloir trouver d'autres façons d'accompagner des enfants au primaire sur le chemin de la réussite que par le modèle uniforme que nous avons présentement, où on a un seul type de regroupement d'élèves. Je ne dirais pas un seul type de pédagogie, mais une pratique pédagogique plutôt uniforme, même si c'est moins pire qu'au secondaire. C'est ce que je vous dirais pour le moment.

Il va peut-être falloir que les classements, aussi, au secondaire ne tiennent pas compte seulement des mathématiques, puis du français, comme si les enfants qui avaient d'autres types d'habiletés, ça ne comptait plus lorsqu'ils arrivent au secondaire, parce qu'on classe beaucoup les enfants, au secondaire, à partir des mathématiques et du français, comme s'ils n'avaient rien fait pendant six ans de leur vie, comme s'ils n'avaient rien développé d'autre. Évidemment, quel sentiment vous avez, à ce moment-là, hein? Vous avez fait un an de plus au primaire, puis on vous met déjà sur une voie de garage en secondaire I. Alors, le décrochage s'explique aussi en partie par ça. C'est un effet de ces comportements-là.

Sur les écoles privées, je vous dirai que le Conseil ne s'est pas prononcé là-dessus depuis fort longtemps. Je ne vous dirais pas que c'est un tabou, au Conseil, mais presque. Vous savez qu'il y a une Commission consultative de l'enseignement privé. Théoriquement, on devrait s'occuper de tous les ordres d'enseignement, de tous les secteurs d'enseignement. Je vous dirai que la position, en tout cas, à ma connaissance, la plus récente, mais qui date beaucoup, du Conseil parlait des écoles privées dans le sens d'un rôle complémentaire au secteur public et non pas dans le sens d'une concurrence.

On a soulevé, dans un rapport récent sur l'école et les communautés culturelles – de façon très timide, je l'avoue, mais on l'a soulevée quand même – la difficulté qui pourrait se poser à Montréal si, via le financement des écoles privées, on finançait des écoles à caractère ethnique, puisque c'est ça qui se passe. Il y a un problème là. Il y a un problème de comportement culturel aussi. On «peut-u» se le dire, même si c'est parler franchement que de le dire? Il y a beaucoup, beaucoup de citoyens qui, étant par ailleurs tout à fait pour l'égalité des races et l'application de la Charte, envoient leurs enfants à l'école privée pour qu'ils ne soient pas contaminés par la présence d'immigrants qui, semble-t-il, d'après eux autres... ou qui déménagent en banlieue pour éviter que leurs enfants soient en contact avec des enfants qui sont immigrants, ou qui sont concentrés dans des écoles, ou qui ont des difficultés, de sorte que la moyenne leur paraît trop basse. Il y a un problème là.

Il y a aussi des manifestations de privatisation du secteur public ou de diversification; ça dépend du point de vue. Ça, c'est un débat qu'il faudrait faire, je pense, sur les écoles à cas spécial. Mais, en tout état de cause, dans tous les milieux où il y a actuellement une diversification, c'est là où ce n'est pas diversifié que les élèves paient le plus parce que c'est là qu'ils ont le moins de services. C'est l'école la moins équipée, finalement.

Le Président (M. Facal): Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Oui. Merci, M. le Président. Vous avez présenté, je pense, des points extrêmement importants autant du côté des besoins éducatifs de la petite enfance que de l'importance d'une meilleure coordination, je pense, pour arriver à donner réponse à ces besoins éducatifs là, l'importance de la prévention, du dépistage et j'irais aussi jusqu'à la façon dont on le fait, le dépistage.

Et là, je vous donne deux exemples et puis à deux périodes très éloignées l'une de l'autre. Lorsque j'ai enseigné à l'élémentaire, en 1973 jusqu'en 1982, je me suis retrouvée, au début, à travailler avec des groupes en orthopédagogie et je m'apercevais que le dépistage qu'on faisait, principalement au niveau préscolaire, c'était souvent relié plus au comportement de l'enfant, finalement. L'enfant qui, parce qu'il avait été en garderie longtemps, puis que les travaux manuels, ça ne l'intéressait pas vraiment et, donc, qui était dérangeant au niveau préscolaire, se retrouvait dans une classe d'orthopédagogie et il n'avait absolument pas à se retrouver là, parce qu'il avait des aptitudes qui étaient autres, disons, que le côté manuel. Puis c'est toujours difficile, après, de pouvoir reclasser l'enfant, parce qu'il est étiqueté.

Plus de 20 ans plus tard, je m'aperçois que c'est encore ça. On vit encore cette difficulté-là, et elle est plus grande. Et j'étais contente de voir, dans votre rapport annuel 1993-1994, que les travaux de la Commission de l'enseignement primaire ont touché beaucoup les réalités psychosociales qui sont vécues par les jeunes. Et là, compte tenu que ces réalités-là sont plus graves, donc les troubles de comportement des enfants qui ont des habiletés, mais qui vivent des traumatismes profonds sont vécus directement à l'école. Et de là le danger de notre fameux dépistage, d'étiquette et puis de les embarquer tout de suite dans un système où finalement il n'y a plus d'issue.

Par les travaux que vous avez faits, comment on peut arriver à s'assurer qu'on peut mieux dépister et essayer d'éviter que les enfants se retrouvent à vie dans un système alors qu'on a mal dépisté? Et comment on peut revenir pour qu'il ne soit pas pris sur cette voie-là jusqu'à la fin? Et comment assurer, justement, une meilleure coordination?

(10 h 30)

M. Bisaillon (Robert): On n'a pas terminé nos travaux là-dessus, mais je suis content que vous en parliez, parce qu'on a voulu appeler ça les réalités psychosociales plutôt que les problèmes d'apprentissage. Les enfants ont changé parce que les familles ont changé, la société a changé. Et ça produit de nouveaux symptômes, que je ne qualifierais pas de pathologies, mais que plusieurs intervenants à l'école considèrent comme des pathologies. Bon, l'hyperactivité, l'hypersensibilité, l'hyperexcitabilité, les enfants Ritalin, on connaît tous ça quand on a travaillé au primaire. Mais ça confine aux troubles de comportement dans un groupe où tu as 27 à 30 élèves. Tu n'as pas eu la formation pour t'occuper de ça. Tu as, en plus, des fois – c'est maintenant régulier – une intégration d'élèves qui ont des handicaps, même des handicaps mentaux, des fois qui ont de l'accompagnement, des fois qui n'en ont pas. Et là, on n'a pas des – comment je dirais – modules d'apprentissage adaptés à ces enfants-là. Et, effectivement, les profs du primaire, actuellement, considèrent que c'est le principal problème qu'ils ont, bien plus que d'intégrer des enfants, même handicapés. Pour eux autres, c'est des troubles de conduite et de comportement.

Alors, là, il y a un certain débat qui commence – dans les journaux, on le voit – par les spécialistes, sur la classification et l'identification de ces types de difficultés qui ne sont pas assimilables à des difficultés d'apprentissage, mais qui se traduisent en difficultés d'apprentissage parce que l'école ne sait pas trop quoi faire avec ça; les parents, non plus, soit dit en passant. Bon. Ce sont des enfants, parmi ceux-là, dont le seuil de tolérance à la frustration est plutôt bas. Des fois, c'est parce qu'ils sont enfants uniques, uniques à tout point de vue, d'ailleurs. Ils sont seuls dans leur famille, ils ont développé un autre type de relation avec l'autorité. Ils se retrouvent dans un groupe. Ils doivent transiger socialement avec 27, 28 enfants, avec un autre type d'autorité qui est le prof.

Il y a plusieurs comportements comme ceux-là qui appellent, je dirais, non seulement à un dépistage différent, mais à des pédagogies différentes, comme la pédagogie de la coopération. Ça se fait même dans les premières années, des conseils de coopération. Il faut apprendre, aujourd'hui, aux enfants à vivre ensemble. C'est un des défis. C'est curieux, parce que c'est aussi le défi du XXIe siècle pour les sociétés. Mais c'est le même, à une petite échelle. Il faut apprendre aux enfants à vivre ensemble, à avoir des transactions sociales normales, à se parler avant de se taper sur la gueule, et ça, c'est un nouveau rôle de l'école. C'était plus facile à accomplir autrefois.

Le Président (M. Facal): M. le député de Marquette.


Services à la petite enfance et compressions budgétaires

M. Ouimet: J'aimerais vous poser un certain nombre de questions avec comme toile de fond les finances publiques de la province. Vous avez publié un certain nombre d'avis recommandant fortement aux ministres de l'Éducation, le ministre actuel et les ministres précédents, d'investir davantage en éducation. Vous en avez publié un sur des engagements pressants au niveau des nouvelles technologies de l'information. Dans votre avis le plus récent sur le curriculum – j'aimerais peut-être en citer quelques extraits – vous faites référence à la doctrine économiste qui semble conditionner les gestes posés par les gouvernements – en tout cas, aux États-Unis – depuis plus d'une décennie. Et, au Québec, également, on a l'impression que... Nous sommes à la veille de recevoir les crédits de dépenses du gouvernement, et le monde de l'éducation, je pense, peut s'attendre à une compression de 150 000 000 $. C'est ce qui avait été annoncé.

M. Bisaillon (Robert): Le Conseil aussi.

M. Ouimet: Un des extraits que j'aimerais citer, c'est à la page 8 où vous dites ceci: «Mais l'arrière-plan où s'enracine ce questionnement fait problème lorsqu'il dérive plus ou moins consciemment vers une idéologie économiste réductrice, c'est-à-dire une idéologie où tout doit s'ajuster en fonction de l'économie.» Et là, vous citez un extrait de Fourez qui dit: «Notre société occidentale a estimé important que certaines activités ne soient pas dominées par le rendement économique, mais par l'attention à des valeurs. Ce secteur non marchand comprend essentiellement les organisations de santé et d'éducation, de même que les services sociaux.»

Vous faites de nombreuses recommandations aux différents ministres de l'Éducation d'investir dans l'éducation, mais nous sommes à l'aube de compressions importantes au niveau du monde de l'éducation. Nous étions tantôt sur le sujet des services à la petite enfance. Je pense que nous sommes conviés, selon l'expression populaire, là, à faire plus avec moins. Je regarde les services qui se donnent en matière de garderies, les services de garde dans les écoles, l'office des garderies, est-ce qu'il y a des économies à réaliser? Est-ce qu'il n'y a pas des dédoublements ou des chevauchements à ces niveaux-là?

M. Bisaillon (Robert): Bon, il y a deux questions...

M. Ouimet: Comment allons-nous pouvoir répondre aux besoins pressants au niveau des services à la petite enfance? Parce qu'on sait que ça a un impact, également, sur le décrochage scolaire qui est vraiment un problème fondamental avec lequel nous sommes confrontés. Mais, pour revenir aux services à la petite enfance, comment pouvoir investir au niveau des services à la petite enfance dans le contexte économique actuel?

M. Bisaillon (Robert): Il y a deux questions dans votre question. Il y a l'allusion, qu'on fait de plus en plus, nous, à la vision étroitement économiste de l'éducation et il y a la capacité, dans le fond, des finances publiques par rapport aux recommandations qu'on fait. Sur la première question, moi, je dirais que, oui, l'école ne doit pas être dans la sphère marchande; elle doit même être protégée, parce qu'on va être porté, sans ça, à donner une valeur exclusivement alimentaire à l'éducation, rentable. D'ailleurs, les jeunes ne sont pas fous. Quand ils disent, au primaire: Ça «compte-tu», ce que je fais là? si ça ne compte pas, ça ne vaut rien, bien, c'est ça, un des effets de 20 ans d'économisme étroit où on considère l'homme par ce qu'il rapporte plus que par ce qu'il est, avant même qu'il se soit développé. Et, nous, au Conseil, on combat ça, parce que, si l'éducation n'est pas dans la culture, mais dans la sphère marchande, il n'y a plus d'avenir, finalement, pour la formation qu'on va donner. Là-dessus, on est assez clairs, effectivement.

Par rapport aux choix qu'on a à faire, vous avez parfaitement raison de laisser entendre qu'il y a des arbitrages rigoureux, sévères et difficiles à faire. Je ne prendrai qu'un exemple puisque vous avez fait référence vous-même à la petite enfance. La Commission royale sur l'éducation en Ontario vient d'arriver à la conclusion qu'il faut ouvrir à trois ans le préscolaire, pour des raisons d'économie de génération, soit dit en passant, même si c'est toujours un détour inutilement coûteux. Vous êtes dans le politique, vous autres, vous êtes dans le court terme et c'est très difficile, pour vous autres, j'imagine, de penser à 10, 15 ans. Ce n'est pas un blâme que je vous fais, mais c'est une constante qu'on retrouve dans le politique. La politique traduit très bien ça.

M. Désilets: On parle de l'indépendance, c'est parce qu'on pense à long terme.

M. Bisaillon (Robert): Je parle des finances. C'est pour ça qu'en Ontario ils ont dit: Il faut faire sauter une année complète au secondaire si on veut financer le préscolaire trois ans. C'est un choix assez dramatique, merci, hein! Donc, il n'y aurait plus de treizième. Bon, probablement que ça va tomber un peu dans l'oubli, il y a une campagne électorale qui s'en vient. Je suis cynique un peu, mais ça montre, oui, qu'il y a des arbitrages à faire.

Mais, par ailleurs, est-ce qu'on peut se dire qu'on paie très, très cher, comme société, l'absence d'éducation préscolaire, de dépistage? On la paie à tout point de vue. C'est pour ça que je dis: Quand on a des choix entre le court terme, puis le long terme, comment se fait-il que, quand ça fait 10 ans qu'on fait ça, on se repose encore les questions et que, toujours, la question qui nous soit posée, c'est la suivante: Oui, mais vous savez, l'état des finances publiques ne permet pas de faire la prévention? Mais on entendait la même chose il y a 20 ans.

C'est les arbitrages, et ça, ce n'est pas un conseil qui peut faire les arbitrages. Vous allez dire que c'est facile de dire ça, mais ce n'est pas notre rôle. Notre rôle, c'est de vous dire: Il y a des enfants; ils sont moins nombreux, ils devraient être plus précieux; ils sont l'avenir de la société; on compte sur eux autres, à bien des égards, les adultes. Est-ce que c'est un bien assez précieux pour qu'on investisse là-dedans, comme dans l'éducation, quitte à faire des choix ailleurs? Mais ce n'est pas moi qui vais vous suggérer de faire les choix, puis le Conseil n'est pas là pour ça, non plus.

Le Président (M. Facal): M. le député de Matane.


Prévention du décrochage scolaire

M. Rioux: Je vais essayer, M. le président du Conseil, de vous poser une question qu'on pourrait appeler en français, un peu «loadée». Je sais que vous avez déjà réfléchi, vous autres, au Conseil, à ce que l'élémentaire, le primaire soit divisé en trois cycles. Et, quand je vous vois énoncer quelques idées précises sur la petite enfance, en termes de reconnaissance par l'État, en termes d'engagements par l'État, et qu'il y a toute une dimension garde éducative et prévention, ça m'amène à comprendre qu'il y a une logique là, puis peut-être que, lors des états généraux de l'éducation, ça va nous permettre d'amorcer le débat de façon intelligente.

(10 h 40)

Quand un enfant arrive très tôt dans le réseau – très tôt, à deux ans et demi, trois ans – et qu'on peut avoir une attention particulière quant à sa santé, quant à ses capacités, quant à ses traumatismes, quant à ses problèmes même d'apprentissage lorsqu'on peut les détecter et que, par ailleurs, rendu à l'intérieur du cours élémentaire, on peut, après deux ans, c'est-à-dire sur une période de trois cycles, être capable encore de porter un jugement de valeur par les spécialistes sur l'état de l'enfant, son évolution et comment il s'en va vers sa réussite scolaire, la question que je pose, et ça pourra nous aider et peut-être qu'on va rejoindre, aussi, l'ancien président de la CECM dans ses réflexions: Est-ce qu'on n'a pas là une piste intéressante pour lutter contre le décrochage scolaire qui nous arrive au secondaire où on est obligé de travailler sur les effets, alors qu'il y a là, peut-être, quelques orientations qui nous permettraient de travailler intelligemment sur les causes et, ainsi, de sauver le capital humain et beaucoup d'argent?

M. Bisaillon (Robert): Oui. Sinon, on fait toujours, pour paraphraser une allégorie sportive, de l'école de rattrapage. Et, en principe, la formation, ça ne devrait jamais être du rattrapage; ça devrait toujours être un complément, et les enfants sentent très bien ça.

La question que vous posez, dans le fond, moi, je l'élargirais en disant que le débat va se poser aussi au niveau des valeurs. Autrement dit, compte tenu de ce qu'il va avoir à vivre dans la société et de la préparation la meilleure qu'on doit lui donner, puis compte tenu de notre richesse, aussi – on n'est pas dans des sociétés pauvres, là, sur le plan de l'attention qu'on pourrait porter à des enfants, on n'est pas dépourvus – donc, compte tenu de tout ça, l'enfant devrait être pris en charge plus tôt, mais en essayant toujours de rendre complémentaires et même interactives les contributions des parents et des réseaux, ce qui n'est pas fait présentement et, en rendant accessibles, surtout, à un paquet de parents pour qui ça ne l'est pas, ces services-là.

Il y a un vieux proverbe africain qui dit: Ça prend tout un village pour élever un enfant. Ça reste vrai, mais ça ne se passe pas comme ça aujourd'hui. L'enfant vit toujours des espèces de ruptures interrelationnelles, parce qu'il passe d'un milieu à l'autre sans qu'il y ait toujours un lien, une convergence, bon, et ça, il faudrait que ça arrête. Je pense qu'on sauverait même beaucoup d'argent, à terme, si on avait d'abord une politique familiale, une politique éducative à la petite enfance qui était intégrée: une politique, tandis que, là, on a soit pas de politique et des plans d'action, soit pas de politique, pas de plan d'action, soit des embryons de plans d'action, soit des engagements des partenaires additionnés ou juxtaposés, mais on n'a jamais, toujours pour employer une expression latine, le «mainstream». On n'a jamais le courant central par où une société s'en va vis-à-vis de ces enfants-là.

Ça, je pense qu'on est quasiment prêts à ça, là; ça ne prendrait pas grand-chose. Il y a eu une année internationale de la famille. Tous les organismes se sont commis à des engagements auprès de la petite enfance. Mais, moi, ce qui m'a frappé, c'est que le municipal l'a fait pour sa part, le communautaire l'a fait pour sa part, le scolaire, les services sociaux. Ça, ça risque de coûter rien que plus cher encore, parce que ce n'est pas coordonné. Donc, ça prend une politique.

M. Rioux: Petite additionnelle, M. Bisaillon. Plus un enfant entre dans le réseau jeune, est-ce que ses chances de terminer ses études secondaires sont plus grandes? C'est la question à quoi je voudrais que vous me répondiez de façon plus pointue, parce que...

M. Bisaillon (Robert): O.K.

M. Rioux: ...je sais que vous avez réfléchi là-dessus.

M. Bisaillon (Robert): Oui, et on a regardé les études qui ont été faites aux États-Unis, en particulier le programme Head Start, bon, qui avait précisément pour but d'aller dans des quartiers très défavorisés suppléer à des carences des enfants pour leur permettre un nouveau départ scolaire, comme le nom le dit. Or, les études démontrent que ça a des effets plus grands, un, dans la mesure où les parents sont impliqués, parce qu'il faut aussi travailler sur les compétences parentales. Les parents, il ne faut pas leur enlever leurs enfants; il faut les aider à être des meilleurs parents, aussi, par rapport à un certain nombre de questions. Et les effets durent le temps que le programme dure, jusqu'en deuxième, troisième année du primaire. Après ça, ça tombe. Pourquoi? Parce que le programme tombe.

Autrement dit, dans un milieu en difficulté, si les conditions objectives qui font que ce milieu-là est en difficulté ne changent pas, l'enfant, tant qu'il va être soutenu, va progresser. Mais, si on le laisse à lui-même à partir du moment où il a atteint un certain palier, il risque de redescendre, parce que les conditions objectives de son milieu vont le reconditionner et le redéterminer. C'est – comment je dirais – plein d'enseignement quant au type d'organisation communautaire qu'on devrait avoir autour de l'école, puis autour des enfants jusqu'au secondaire, moi, je pense.

Le Président (M. Facal): M. le député de Champlain.


Incohérences du système

M. Beaumier: C'est une référence que vous faisiez tantôt à notre système, tant au niveau primaire, je crois, qu'au secondaire, qui était incohérent comme objectif de formation selon les ordres d'enseignement. Moi, ça m'inquiète beaucoup, cette chose-là. Pas tellement qu'on n'y soit pas arrivé, à la cohérence, mais les raisons pour lesquelles on n'y est pas arrivé, ce serait important de les savoir, pas pour le passé, mais pour l'avenir, car il faudrait y arriver. Moi, vous m'avez inquiété presque un petit peu personnellement, mais, à part ça, ce n'est pas grave. J'ai une petite fille qui vient de terminer son primaire, puis j'ai deux adolescents qui viennent de terminer leur secondaire. Quand je vais retourner, demain, je vais voir s'ils sont si incohérents que ça.

Mais ce que je veux dire, c'est que c'est assez grave, parce que, ça, ça n'a aucun rapport avec la question monétaire, la question d'argent. Quelle est la difficulté qu'on a – puis je crois qu'il y a une difficulté qui est là – à pouvoir dégager quelque chose qui serait une formation plus cohérente par rapport à nos jeunes? On sait que la cohérence, c'est peut-être une des qualités, une des capacités qu'on doit le plus amener à nos enfants par rapport à tout ce qu'ils ont à vivre. Alors, c'est quoi, ça? Quelle est la difficulté de l'incohérence? Pourquoi ça s'installe ou ça s'est installé?

M. Bisaillon (Robert): Bien, c'est parce que le curriculum, c'est beaucoup l'addition de matières ou de disciplines qui se sont ajoutées, très souvent, pour répondre à des pressions conjoncturelles – c'est encore bien pire au secondaire, on va en parler tantôt – ce qui fait qu'on a pu passer de deux ou trois matières, trois ou quatre matières à six ou sept matières, mais qu'on va poursuivre les mêmes objectifs dans deux ou trois matières, ce qui fait qu'on ne sera pas capable d'intégrer, de moderniser notre curriculum à mesure, parce qu'on pense qu'un programme qui a 15 ans, c'est un programme qui est encore bon pour 15 ans.

Donc, c'est un problème de rigidité aussi. On n'a pas des changements continus de nos programmes. Le programme de français, qui vient d'être changé, il avait 15 ans, au primaire. Il est beaucoup meilleur, d'après nous, beaucoup meilleur. Mais pourquoi ça a pris 15 ans pour changer un programme quand on constatait depuis beaucoup d'années ses carences? L'éducation civique et les sciences humaines, c'est d'une pauvreté un peu lamentable, présentement, par rapport à ce qu'un enfant de cet âge-là apprend déjà ailleurs qu'à l'école. Il y a comme une régression, je dirais, d'une certaine façon. Et l'école a précisément pour fonction de mettre en relation, de faire comprendre les relations de cause à effet – ce qui est assez important en histoire, n'est-ce pas – d'espace, de temps, et ces apprentissages-là, qu'on appelle fondamentaux au Conseil, ne sont pas poursuivis ou recherchés comme des apprentissages aussi importants que ce qu'il faut apprendre dans chacune des matières, ce qu'on appelle des apprentissages transversaux.

Donc, il n'y a comme pas de consensus dans les écoles – ce n'est pas par la mauvaise volonté des gens; c'est parce que les programmes sont bâtis comme ça – qui ferait qu'on s'entendrait sur un certain nombre d'habiletés à développer, quelle que soit la discipline qu'on enseigne, parce que les disciplines sont aussi instrumentales à certains égards, ce qui fait que, très souvent, on cloisonne. Nous-mêmes, on enseigne du français pendant tant d'heures, ferme la porte; mathématiques, ferme la porte; histoire, ferme la porte, etc. Et, soit dit en passant, on enseigne beaucoup plus de mathématiques et de français que ce que le régime pédagogique nous demande, beaucoup plus, vous savez; 70 % des profs enseignent beaucoup plus de français et de maths que ce que le régime prescrit.

Alors, qu'est-ce qui se passe? Bien, ce qui se passe, c'est qu'on va rogner sur tout le reste des matières. Il y a un problème de cohérence dans ce sens-là. Il faut se reparler. On a beaucoup de difficultés à trouver l'essentiel et, qu'on le veuille ou pas, la culture scientifique doit commencer par une initiation, dès le primaire, qui fasse place à l'expérimentation. C'est l'âge où les jeunes aiment ça observer, puis expérimenter. Or, on a un programme qui n'est pas bâti pour ça.

(10 h 50)

Alors, c'est tout ça qu'il faut revoir en s'enlevant de la tête une espèce de sentiment de: Il «faut-u» recommencer encore? C'est ça que le monde va être porté à dire: Aïe! ça fait juste 15 ans qu'on a ça. Bien, ça fait déjà 15 ans qu'on a ça. Et, là où c'est nécessaire, il faut prendre les virages. On ne peut plus enseigner l'histoire comme il y a 15 ans; la planète a complètement changé. On ne peut plus enseigner les sciences comme il y a 15 ans; la technologie a complètement changé, la science a complètement viré en technologie. Alors, il faut que ça rentre déjà en termes, bien sûr, d'initiation dès l'école primaire.

M. Beaumier: Si je vois bien, puis je le vis un peu tout en le voyant aussi, la chimie qu'on cherche, là, en termes de cohérence, j'imagine, c'est qu'on a, des fois, l'impression qu'il y a trop de matières. D'autres vont dire: Bien, il faudrait en mettre plus, mais en mettant plus de matières pour ouvrir davantage l'esprit. Ensuite de ça, il y a la question qu'on donne des préférences, beaucoup d'importance aux mathématiques et puis à la langue. Puis, en même temps, on voudrait aussi viser, au-delà de ça ou par cela, une formation de base.

Est-ce que je comprends bien que l'incohérence est dans l'espèce d'équation un peu équilibrée qui pourrait se trouver entre peut-on ouvrir, approfondir, puis, en même temps, réussir cette formation de base comme telle? Moi, j'ai l'impression, des fois, qu'ils en font trop, de matières, puis, des fois, que ce n'est pas assez approfondi. Pourtant, on dit qu'il faut ouvrir à tout. Alors, c'est ça que... Probablement que je suis incohérent aussi; donc, j'exprime bien le système. Ha, ha, ha!

M. Bisaillon (Robert): Non, mais je vais prononcer une hérésie, là, je vais prononcer une hérésie, en tout cas, ici. Si ça sortait, ça serait encore plus mal reçu, probablement. Je ne pense pas que le Conseil aille aussi loin que ça, mais, moi, je me permets d'y aller. Je me dis: Il ne faudrait jamais laisser les profs d'histoire bâtir un programme d'histoire seuls. Et c'est vrai pour toutes les disciplines, parce que, à ce moment-là, c'est le contenu qui prime et non pas ce que l'élève devrait savoir. C'est vrai au secondaire, c'est vrai au collégial, c'est vrai à l'université: des savoirs éclatés, juxtaposés, sans lien entre eux.

Oui, dans ce sens-là, si on avait une meilleure idée de ce que le monde appelle les profils de formation ou de sortie, au lieu d'avoir un programme de formation personnelle et sociale, de religion, de sciences humaines, on aurait peut-être un programme intégré. Ça ne prendrait pas plus de temps et ça serait plus substantiel. On pourrait peut-être avoir des thématiques plus intégrées: mathématiques-sciences de la nature. C'est ce genre de choses là. Mais, pour ça, il faut que les programmes soient bâtis en complémentarité, et ce n'est pas notre habitude culturelle ni professionnelle. Alors, ça nous oblige donc à ouvrir un autre type de professionnalisme dans l'enseignement, que j'appellerais le professionnalisme collectif.

Si on ne fait pas ça, on confie aux maisons d'édition le soin de nous fabriquer des kits d'intégration des matières et là on devient des techniciens qui enseignent «by the book» – ce n'est plus de l'enseignement, ça – ou, par héroïsme, on se paie individuellement, les profs, chacun, la job de faire de l'intégration des matières. Essayez ça pour le fun quand vous n'avez pas été formés pour ça, quand les programmes n'ont pas été bâtis pour ça. C'est une offre de déconstruction-reconstruction qui est considérable, et ça ne devrait pas être laissé à la volonté de chacun des individus. On a des poignées, autrement dit. C'est ça que je veux dire, on a des poignées. Le chantier est gros, mais on n'est pas dépourvus: on le sait où ça accroche. Mais il faut changer nos façons de faire.

Le Président (M. Facal): Mme la députée de Deux-Montagnes.


Maîtrise du changement en éducation

Mme Robert: Oui, bonjour. Effectivement, je touche assez à la... Au niveau de la formation, etc., les problèmes sont aigus. On sait que les enseignants, à l'heure actuelle, du primaire sont exacerbés, ils sont au bout de la corde, etc. Bref, je veux dire qu'ils ne sont pas dans un état pour dire: On va changer des choses, puis on va se mettre à travailler très fort pour changer les choses. Ils sont écoeurés bien net. En tout cas, moi, c'est ce que j'ai dans mon bureau, puis régulièrement. On a essayé tellement d'affaires, on a eu tellement de programmes à appliquer, etc., puis, au bout de la ligne, ça ne donnait à peu près rien. On est pris avec ces problèmes. Ce que vous avez expliqué au niveau socioéconomique, c'est là. Et c'est là, moi, que je me pose la question, parce que vous souligniez la pratique de changer un programme à tous les 15 ans. Il me semble que ça ne devrait pas exister. Il me semble qu'en éducation, comme partout ailleurs, ça se modifie, ça évolue...

M. Bisaillon (Robert): Continuellement.

Mme Robert: ...continuellement. Alors, moi, d'une part, c'est ça. Comment en arriver à ce que ces gens-là, qui seront impliqués dans la façon de faire – parce que ce n'est pas rien qu'une question de programmes, là; c'est avant tout une mentalité, une façon de voir l'affaire – s'impliquent dans cette transformation, si on peut dire? On va rejoindre le domaine de la santé. Et, aussi, est-ce que la question du profil de sortie, dont on parle depuis des années, on va la mettre vraiment en avant, là, comme telle? Et donner un peu plus de responsabilités, mais avec support et avec soutien au milieu, c'est-à-dire une école avec son environnement et tout ça, est-ce que ça serait une amorce de solution, etc.? Voir un peu comment on peut amorcer ce monstre-là qu'à l'heure actuelle les gens fatigués du milieu ne savent plus comment prendre, et les parents aussi.

M. Bisaillon (M. Robert): Votre question est très importante. Elle touche aux termes de notre prochain rapport annuel sur la maîtrise du changement en éducation, où on découvre qu'il ne se fera pas de changement en éducation si ça ne passe pas par l'école et les enseignants. Ça, c'est très clair. Donc, moi, je dis souvent, non pas en blague, mais avec un peu d'humour, quand je vais rencontrer des profs dans une école: Si vous aviez à écrire au fronton de votre école ce qu'on fait avec les enfants ici, en trois, quatre mots, est-ce que je trouverais d'autre chose que politesse, propreté, bon? Autrement dit, seriez-vous capables de justifier devant votre population quels types d'apprentissages intellectuels ou sociaux vous voulez faire faire? Non, parce qu'ils ne s'en parlent pas, parce qu'on pense que ça découle naturellement des programmes qu'on enseigne et de l'espèce d'éthique qu'on a sur le plan des relations avec l'autorité: bon, pas trop de batailles dans la cour, le moins de violence possible.

Mais, prendre en main de façon très proactive, ça suppose un nouveau modèle de gestion. On a fait un rapport assez important là-dessus. Ça suppose qu'on regarde les choses autrement et qu'on dise aux gens: Là, vous allez être responsables, mais la responsabilité, ce ne sera pas juste pour les résultats; ça va être pour la façon de faire. L'imputabilité va venir avec la responsabilité. Mais – comment dire – en même temps qu'on dit ça, il faut soutenir ce monde-là et il faut accepter une autre donnée, qui est corollaire, c'est que les écoles vont être plus différentes qu'elles étaient parce qu'il n'y a pas deux milieux pareils, il n'y a pas deux écoles pareilles. Nous, on a déjà dit, au Conseil, que la dynamique d'un établissement, c'est ce qu'il y a de plus important.

Il y a des études qui commencent à démontrer... À l'Université Laval, avec la CEQ, le CRIRES fait des études qui tendent à montrer que ce qui se passe dans l'école, à encadrements égaux sur le plan national, c'est plus déterminant pour la réussite des élèves que n'importe quoi d'autre. Alors, c'est important de regarder ça. Et c'est comme ça qu'il faut... Il ne faut pas dire au monde: Vous êtes fatigués, là, on va vous soulager d'un fardeau. Ça ne donnerait rien. Il faut dire au monde: Ce sur quoi vous avez de la prise et qui ne fait pas votre affaire, on va vous donner des responsabilités pour le changer. Et je dirais qu'il va falloir aussi former autrement les nouveaux maîtres. Ça, c'est une autre question.


Enseignement secondaire

Le Président (M. Facal): Il est 11 heures pile. Je vous propose, en vertu de l'entente qui est la nôtre, de passer au niveau secondaire. Je suis bien conscient que nous n'avons guère fait plus que nous mettre l'appétit en bouche, mais il y a tout de même là suffisamment de pistes pour que nous puissions aviser de la suite. Alors, M. Bisaillon, la parole est à vous.


Exposé du président du Conseil supérieur de l'éducation


M. Robert Bisaillon

M. Bisaillon (Robert): L'école secondaire est dans une situation difficile. C'est peut-être l'ordre d'enseignement le plus en difficulté dans le système parce que c'est là qu'on a le plus dramatisé les problèmes de décrochage. Soit dit en passant, il y en a pas mal plus à l'université par rapport aux inscriptions, mais ce n'est pas l'école obligatoire. Donc, l'école secondaire bénéficie ou souffre d'une attention démesurée parce qu'elle est l'école obligatoire. L'école secondaire, c'est aussi l'école de la bifurcation soit vers le marché du travail, pour un certain nombre de jeunes, soit vers des études supérieures. C'est donc l'école où l'enfant fait des choix. Est-ce qu'il est préparé pour les faire? C'est une autre question. C'est l'ordre d'enseignement où l'enfant fait des choix.

Nous, ce qu'on dit, au Conseil, c'est qu'il y a un certain nombre de problèmes. Le curriculum, même réflexion qu'au primaire: incohérence, éparpillement, etc. Mais plus que ça: au secondaire, à l'heure actuelle – et les programmes, c'est voulu comme ça – il y a un seul cheminement qui est permis, c'est celui qui mène à l'université et au collège. C'est ça qu'on offre comme menu. Les autres, là, on leur offre à peu près ça, le décrochage. Même en formation professionnelle, on leur dit: Vous allez attendre après votre secondaire V. Mais, quand tu as fait ta formation générale, tu n'es pas tellement porté à aller en formation professionnelle; tu vas plutôt aller en formation technique, tant qu'à avoir fait ton secondaire. Alors, après ça, on dit: Il n'y a plus de monde en formation professionnelle chez les jeunes. Les jeunes qui voudraient se rendre là, il y en a qui ne sont pas capables d'attendre deux ans pour toucher à des apprentissages pratiques. Ils foutent le camp, ils décrochent.

(11 heures)

Donc, on a un menu royal, je dirais, qui est très, très prédéterminé par ce qu'il faut pour entrer dans la majorité des options au collégial, c'est-à-dire mathématiques et sciences. Je n'ai rien contre les mathématiques et les sciences, mais, déjà, ça crée une image chez le jeune que, si tu n'es pas bon là-dedans, tu es déjà moins bon pour tout. Bon. Et, comme ça prend beaucoup de place dans les options, particulièrement au deuxième cycle du secondaire, bien, les options qui pourraient être intéressantes pour qu'un jeune s'essaie, au moins pour voir s'il découvre des intérêts et des talents – le théâtre, le journalisme, des options en sciences humaines, une troisième langue – c'est un peu perçu comme du moins bon, de moindre valeur, parce que ce n'est pas ça qui te permet de rentrer dans les grosses options au cégep. Alors, il y a un problème, là, d'engorgement, d'étouffement, je dirais, de l'orientation, de sélection, même, par l'orientation au deuxième cycle du secondaire. Bon.

Je commence par le deuxième cycle, parce que je pense que c'est plus dramatique là, d'une certaine façon, quant à ses effets. Nous, on dit: Diversification au deuxième cycle du secondaire. Ce «serait-u» possible que le menu soit plus riche pour des jeunes et qu'ils décident eux-mêmes, à partir de ce qu'ils expérimentent, où ils veulent aller au collège, plutôt que de se le faire décider par le système, puis de changer, à 50 % des jeunes, un sur deux, d'option rendus au collégial? Déjà, là, il y a quelque chose à regarder.

On pense aussi qu'il faut changer la répartition des cycles au secondaire, que le premier cycle devrait être de trois ans et le second de deux ans – et non pas le contraire, parce que ça correspond, trois ans de secondaire, à la formation obligatoire dans à peu près toutes les sociétés comparables – où il y aurait un curriculum plutôt commun, presque pas d'options. Mais, là aussi, on devrait remplacer des matières éparpillées par certains programmes, et en séquences. Que ça se suive, les séquences, en sciences en particulier. Donc, ça permettrait, des programmes moins nombreux, mieux intégrés, d'établir une continuité dans les contenus d'une année à l'autre. Et il faudrait aussi renouveler la perspective de certains programmes, comme je l'ai dit, au primaire.

On pense aussi que, toujours au premier cycle du secondaire, ça pourrait être faisable assez facilement si on procédait à des aménagements institutionnels qu'on n'a pas connus à venir jusqu'ici et, d'ailleurs, pour lesquels les profs ont beaucoup de résistance, mais qui sont regardables: la bidisciplinarité, enseigner deux matières. De toute façon, les nouveaux programmes de formation des maîtres sont faits comme ça. Il n'y a pas d'émeute à enseigner l'histoire et le français ensemble; ce n'est pas comme enseigner la physique nucléaire et l'agriculture. Il y a une parenté, là. Et, si on forme les jeunes enseignants comme ça à l'université, ils vont arriver au secondaire et ils vont enseigner deux matières, ils vont avoir moins de groupes et ils vont mieux encadrer leurs élèves. On peut aussi procéder à la «semestrialisation». Est-ce que c'est nécessaire d'enseigner à une période-semaine, une année de temps, une discipline, alors que tu pourrais l'enseigner à deux périodes et demie pendant la moitié de l'année et passer à autre chose après? Il y a des trucs organisationnels qui vont changer la routine, bien sûr, mais qui nous semblent propices pour ce genre d'affaires là.

Autre chose qu'on dit: La formation technique, la culture technique, pourquoi ça ne serait pas offert aussi en option en formation générale? Ça se peut qu'il y ait des jeunes qui, parce qu'ils ne sont même pas exposés à ça, ne penseront jamais à aller en formation technique avant d'avoir fait un bac universitaire. Et là, ils vont revenir au collège ou même au secondaire faire un D.E.C. ou un D.E.P. Ça se passe, hein, ce que je vous conte là; ce n'est pas des probabilités, là. Alors, si la formation générale était diversifiée jusque dans les options techniques, non pas pour devenir un soudeur ou un mécanicien, mais pour toucher à des apprentissages – ça fait partie de la vie, ça – il y aurait peut-être plus de monde qui s'orienterait au professionnel et il y aurait peut-être plus de monde qui s'orienterait aussi dans des techniques au collégial que dans du préuniversitaire.

Pour terminer, on est allés un petit peu plus loin depuis l'an passé, au Conseil. Ce n'est pas facile, et je ne dis pas que c'est l'unanimité totale. C'est un débat qui continue à se faire, là, mais on est obligés, pensons-nous, d'accorder plus d'attention aux vrais décrocheurs, qu'on peut identifier autour de 20 %. Pas ceux qui vont revenir à l'éducation des adultes après, pas ceux qui n'auront jamais de diplôme à cause d'un handicap, là, et qu'on peut prévoir d'avance, mais 20 % de jeunes qui sont dans des cheminements cul-de-sac à l'heure actuelle ou qui décrochent parce qu'ils ne peuvent pas mettre la main plus vite sur des apprentissages concrets.

Et on pense qu'une façon d'augmenter la fréquentation scolaire, ce serait d'ouvrir deux fronts nouveaux, l'un qui serait un accès à la formation professionnelle avant le D.E.S., avant d'avoir ton Diplôme d'études secondaires, donc diminuer les exigences à l'entrée, mais les maintenir à la sortie. Autrement dit, tu peux commencer ton professionnel plus jeune, mais il faut que tu fasses aussi ton D.E.S. Ça, c'est la voie. Sans empêcher ceux qui veulent faire leur D.E.S. avant de le faire, là, mais ouvrir déjà. Et là, on pourrait pratiquer l'alternance. Ça permettrait de garder du monde à l'école plus longtemps, je pense, et peut-être même d'en faire diplômer beaucoup plus, parce qu'ils auraient l'impression de toucher à des savoirs pratiques en même temps qu'ils poursuivent leur formation générale.

Par ailleurs, il y a le créneau des jeunes qui sont en insertion, en cheminement de formation continue. Je ne dirais pas à qui il faut dire: Ne courez pas après le diplôme. Ça ne se donne pas par exposition. Ce n'est pas parce que vous allez rester 10 ans à l'école que vous allez en avoir un. Mais, au lieu de toujours les comparer à ceux qui auront le diplôme, pourquoi on ne leur fournirait pas un type d'insertion sociale non spécialisée? Non spécialisée, qui ne mène pas nécessairement à un diplôme. Puis, mon Dieu, l'important, c'est qu'on ne bloque pas leurs possibilités de revenir dans le système, mais qu'au moins on leur donne une formation à l'insertion sociale plutôt qu'une formation académique. Je ne sais pas si on se comprend bien, là. Soit par contrat, soit par...

Il y a un comité qui a été mis sur pied, d'ailleurs, par le ministre de l'Éducation pour examiner ça, et on pense qu'il va falloir diversifier, parce que ce n'est pas vrai que ce menu-là qu'on a, il est fait pour tout le monde. Il faut l'accepter, un jour ou l'autre. Et il ne l'est dans aucune société, de toute façon. Alors, l'utopie de la diplomation à 100 %, à part d'être généreuse, ça ne donne pas grand-chose. Nous, on pense qu'on peut viser 80 % à 85 % de diplomation au secondaire, mais qu'il faut donner d'autres choses aux 20 % qui restent. Et ça, c'est plus juste, même si ça a l'air moins généreux pour chacun des individus.

L'autre problème au secondaire: on a augmenté les exigences. On était d'accord avec ça, au Conseil. On l'a nous-mêmes recommandé. Cependant, on n'a pas fait ce qui allait avec la recommandation. On avait dit: Augmentez les exigences, mais refaites les programmes. Oui, mathématiques de secondaire V, ça devrait compter dans le diplôme pour aller au collégial, mais non pas les mathématiques de secondaire IV actuel. Autrement dit, c'est une mathématique de secondaire V qui devrait être plus démocratique que sélective. Mais, quand on ne fait rien qu'augmenter les exigences, puis qu'on ne change pas les programmes, puis qu'on ne diversifie pas les approches, on crée plus de décrochage et plus d'échecs.

C'est probablement ce qu'on va constater dans les prochains résultats d'examens et là, pour la sanction, ça devient très, très pénible pour un jeune. C'est déjà pénible actuellement, dans le sens que, si tu n'as pas 75 % de moyenne, tu ne rentres pas dans plusieurs options collégiales, options techniques, si tu n'as pas 75 % et, dans certains cas, 80 %. Si on pénalise par la sanction des jeunes en plus parce qu'on a augmenté les exigences, mais qu'on n'a pas modifié les programmes, c'est quoi que ça veut dire, comme message, ça, là? Ça veut dire que vous ne serez jamais assez bons. Bon.

Puis, il faut faire comme on a fait à Saint-Jérôme. Je ne veux pas faire de publicité pour une commission scolaire en particulier, une école en l'occurrence, mais il faut aussi responsabiliser le milieu par rapport à des phénomènes nouveaux, par exemple le travail rémunéré des jeunes. Il faut dire, par exemple, comme ils ont fait à la polyvalente: Nous autres, on a beaucoup de décrochage, mais vous êtes en partie responsables. Quand vous engagez un jeune, ça «serait-u» possible qu'il ne fasse pas 30 heures-semaine, sinon vous le congédiez? Ça «serait-u» possible que vous vous entendiez avec l'école pour que, les veilles d'examens, vous diminuiez le nombre d'heures, que ce soit dans une pharmacie ou dans une station-service?

Ça «serait-u» possible que la réussite scolaire ne soit pas juste la responsabilité de l'élève lui-même, puis des profs qui enseignent à cet élève-là, mais aussi des parents, puis des employeurs? Je pense qu'il faut aller vers ce genre d'éducation, comme responsabilité globale, plutôt que de dire: On attend les résultats, puis, là, on plante les profs à cause des mauvais résultats des élèves. Et ça, on n'est pas passés à ça actuellement, hein. C'est comme si, en confiant des enfants à l'école, on signait un contrat avec l'école et qu'il y avait une garantie de résultat. Ça ne marche pas de même.


Discussion générale


Causes du décrochage scolaire

Le Président (M. Facal): Moi, j'aurais deux questions à vous poser, M. Bisaillon, concernant le secondaire. Je n'ai jamais enseigné au secondaire et je l'ai complété en tant qu'étudiant il y a de cela trop d'années pour en avoir un souvenir clair. Vous avez dit que, selon vous, il y avait trop de matières que vous qualifiez d'éparpillées et qu'il faudrait un resserrement autour d'un tronc commun. J'aimerais que vous donniez des exemples un peu plus précis, quitte à attrister les gens directement concernés par ce que vous appelez les matières éparpillées.

(11 h 10)

Et la deuxième question concerne ce que vous avez appelé les vrais décrocheurs. Je sais bien qu'il y a plusieurs facteurs au décrochage, qu'il n'y a jamais une cause unique, mais, personnellement, j'ai toujours eu de la difficulté à faire les distinctions entre les causes essentielles et les causes accessoires. Est-ce que vous seriez capable de me les prioriser les unes par rapport aux autres, en me disant quels sont les principaux facteurs par rapport à ceux davantage circonstanciels? Et, bien entendu, je sais qu'il faudra nuancer votre réponse et la mettre dans son contexte approprié, j'en suis parfaitement conscient.

M. Bisaillon (Robert): Oui, là, on taille à la hache; on n'a pas le temps de faire toutes les nuances. C'est ça que j'ai compris.

Le Président (M. Facal): Exactement.

M. Bisaillon (Robert): Bon, j'espère qu'on ne paiera pas pour ça, là.

Le Président (M. Facal): Non, non, rassurez-vous, rassurez-vous.

M. Bisaillon (Robert): Je vais commencer par la dernière question. C'est parce qu'on confond souvent les jeunes qui sortent du secondaire sans diplôme avec les décrocheurs, mais ce n'est pas vrai, parce qu'il y en a une partie qui reviennent à l'école ou qui vont aux adultes faire leur Diplôme d'études secondaires. Donc, il faut faire attention à quel moment on identifie les gens qui décrochent. Ça, c'est une des choses. Deuxièmement, il y a des gens qui sont en cheminement particulier dès le secondaire II, dont on sait déjà qu'ils ne seront pas des diplômés. Mais est-ce qu'ils sont des décrocheurs? Ils sont là jusqu'à 18 ans. On les compte dans le décrochage.

Et, moi, je dis que, dans la mesure où on ne différencie pas les types de jeunes qui ont des difficultés et qu'on a des solutions générales contre le décrochage, on a des solutions inutiles contre le décrochage. Il faut qu'on ait des mesures qui correspondent aux types de décrocheurs. Bon. Bien sûr, il faut faire des liens avec l'échec au primaire. Sans parler de déterminisme, on «peut-u» se dire qu'un jeune qui arrive à 14 ans au secondaire, à 13 ans, il est déjà dans le trouble et c'est lui qui risque de ne jamais finir son secondaire, à moins qu'il arrive de quoi de bien spécial?

On peut mettre des noms, dans des écoles, là-dessus. Il y a des élèves à risque, et on est arrivé à une espèce de typologie des élèves à risque, assez intéressante. Même sans dire qu'ils ont telle gestuelle, on est capable de dire qu'ils vivent dans tel type de situation: ils n'ont pas de place à la maison pour faire leurs devoirs, ils n'ont pas d'encadrement à la maison pour faire leurs devoirs, ils travaillent 25 heures par semaine, ils ont des problèmes de toxicomanie, ils sont portés à s'isoler. Ça s'identifie, dans une école, ça, où tu es attentif aux élèves. Et ça, c'est un autre type de solution que tu peux apporter à ces jeunes-là.

Mais affirmer massivement: Il y a 35 % de décrochage au Québec, puis c'est une société sous-développée, moi, je trouve que c'est une insulte. Personnellement, je trouve que c'est une insulte à la fois à ceux-là qui décrochent, puis à nous autres comme système, parce que ce n'est pas de même que ça se passe. Ce n'est pas de même que ça se passe. Dire: Il y en a 35 % qui n'ont pas de Diplôme d'études secondaires au moment où ils devraient l'avoir, ça, c'est vrai, mais, c'est très différent. Alors, moi, je dis ça parce que, juste si on veut être utile aux jeunes, il va falloir qualifier un peu leur cheminement pour y apporter l'encadrement nécessaire.


Éparpillement des matières

Sur les matières, bon, écoutez, je ne veux pas qualifier, parce que je dis «petites matières», l'utilité, là. Mais, comprenons-nous bien. On a de l'éducation morale et religieuse, ou éducation morale, de la formation personnelle et sociale, de la formation d'éducation et choix de carrière, plus un certain nombre d'autres disciplines qui sont à très peu de périodes-semaine. On a, d'un côté, de l'initiation à la technologie, d'un côté ce qu'on appelle des sciences familiales. Ça pourrait être intégré, ça, précisément dans l'optique de la culture technologique. Bon. Et on poursuit, très souvent, les mêmes objectifs dans plusieurs de ces cours-là.

Il y a un problème, donc, d'intégration, d'éparpillement, là, et ça produit, bien sûr, des effets qui n'étaient pas désirés au départ, j'en suis bien convaincu, mais qui aujourd'hui sont réels: c'est que tu peux te retrouver avec 400 élèves par semaine si tu as le malheur d'enseigner ces petites matières-là. On pense qu'il pourrait y avoir un bloc qui pourrait s'appeler formation personnelle et sociale, éducation morale, formation sociale, civique, même services communautaires, tout ça ensemble, avec beaucoup plus de profit, puis avec des projets plus intéressants. C'est ce genre de choses là que je veux dire.

Le Président (M. Facal): Mme la députée de Terrebonne.


Importance du lien avec les entreprises

Mme Caron: Merci, M. le Président. Les éléments que vous avez présentés, je suis parfaitement d'accord avec; l'importance de la diversification pour répondre, finalement, aux véritables talents aussi, aux véritables goûts des jeunes; l'importance de l'accès à la formation professionnelle, d'offrir cet accès-là plus rapidement. Souvent, on l'a reliée aussi avec l'importance que le milieu, c'est-à-dire que les entreprises puissent nous offrir cet accès-là à la formation professionnelle aussi pour les jeunes. On sait qu'en formation professionnelle les coûts de l'équipement et les changements rapides aussi au niveau de la technologie font que c'est beaucoup plus difficile pour le système d'éducation seul d'absorber ces changements d'équipement, ces changements de technologie et, finalement, d'enseigner, puis de risquer d'enseigner ce qui est déjà dépassé. Donc, l'importance du lien avec les entreprises.

Lorsqu'on a rencontré les entreprises lorsqu'on travaillait sur la réforme du collégial, moi, je vous avoue, personnellement, que j'avais été un peu déçue du manque de motivation première de créer ce lien-là. Selon vos différentes études, comment on peut arriver à impliquer directement les entreprises et à faire ce lien-là pour offrir une véritable formation professionnelle à point, finalement, à nos jeunes?

M. Bisaillon (Robert): Bien, là, vous me demandez, dans le fond, de mesurer la distance entre le discours, puis le possible, en particulier le discours sur le très beau modèle japonais, puis le très beau modèle allemand que tout le monde véhicule, mais dont tout le monde sait, si on est honnête, que ce n'est absolument pas applicable au Québec pour une raison très simple: il n'y a pas de culture de formation dans les entreprises où il y en aurait le plus besoin, la petite surtout, la moyenne un petit peu moins.

C'est pour ça que je ne veux pas en faire un débat politique ici, mais le Conseil s'était prononcé, il y a trois ans déjà, sur le 1 %. Nous autres, on pense que ça ne peut pas se faire juste avec des prières. À un moment donné, il faut, pour la survie même des entreprises, puis de l'économie, qu'on prenne des virages et les virages dans ces domaines-là, c'est des choix sociaux, hein. On le fait ou on ne le fait pas. Mais, quand on ne le fait pas ou qu'on le fait autrement, ça ne donne pas ce que ça devrait donner.

Or, nous, on suspecte un peu la possibilité pour des entreprises d'accueillir, en plus, des étudiants en stage quand elles ne veulent pas former leurs propres travailleurs. Ils n'ont pas les moyens ou ils ne les forment pas parce qu'ils ont peur de se les faire voler – c'est des raisons qui sont bonnes, des fois – ou parce qu'ils n'ont pas l'infrastructure de formation, ou, ou, ou, ou. Bon. Ça ne sera pas simple.

Je serais porté à penser qu'on ne pourra pas, non plus, procéder universellement. Il va falloir diversifier toutes les formes possibles d'aide qu'il peut y avoir entre les entreprises, puis les écoles pour fins de formation des jeunes. À des places, ça va être de l'alternance; à des places, ça va être de l'échange de personnel; à des places, ça va être du prêt d'équipement; à des places, ça va être la formation des travailleurs d'une PME en scolaire pour diminuer les coûts de l'entreprise; à des places, ça va être d'envoyer du personnel du scolaire se perfectionner en entreprise, des échanges, donc, de services, de biens.

Il ne faudra pas, demain matin, qu'on dise, dans une politique: À partir de maintenant, tous les jeunes doivent faire des stages en entreprise. Ça, là, il n'y a pas d'avenir à ça. Il faut expérimenter. Et la décentralisation peut avoir des vertus dans ce sens-là parce que, des fois, dans des milieux, c'est plus facile de voir les possibilités. Mais il ne faut pas penser qu'au Québec on va être capables de bâtir dans toutes les régions des CIMIC comme dans la Beauce, à coups de je ne sais pas combien de millions pour reproduire dans l'école la plus grosse technologie de l'usine, puis fournir, après ça, à des entreprises qui ne veulent pas former leur personnel des travailleurs complètement formés. Voyons donc! Il n'y a pas d'avenir dans une société comme ça. En tout cas, nous autres, on ne le pense pas.

D'autres choses qu'il faudrait éviter quand on veut envoyer un enfant en stage ou en alternance: quand on va le faire accéder plus vite à la formation professionnelle, il ne faudra pas que ce soit un nouveau cul-de-sac qu'on lui présente et qu'on dise: La formation, c'est juste t'adapter à une nouvelle machine ou à un nouveau procédé, mais, pour le reste, nous autres, ça ne nous intéresse pas.

(11 h 20)

Alors, la culture de la formation, elle est toute à créer. Il faut être franc, il faut se le dire. Ce n'est pas un drame de se le dire. C'est un drame de ne pas en tirer les conséquences. Et, là-dessus, au Québec, on est bas sur pattes, pas mal. Alors, comment est-ce qu'on va entrer le modèle japonais ou le modèle allemand qui a 300 ans, là, parce qu'on est allé en mission, puis ça marche bien? Moi, je trouve qu'il y a de la poudre aux yeux là-dessus, puis on ment à du monde. Je l'ai dit au ministre, moi, je commence à être tanné d'entendre ça publiquement. Des fois, j'ai le goût de le dire: Demain matin, êtes-vous capable de mettre ça en place? Pourquoi vous ne le faites pas? Ça fait 10 ans que vous en parlez. Bon.

Autre mythe, je pense, et je suis très sévère aussi: j'aimerais ça avoir la liste des 100 000 emplois pour lesquels on n'a pas de monde de formé. Parce que, paraît-il que nos écoles forment tellement mal les étudiants qu'on manque de main-d'oeuvre. J'aimerais ça avoir la liste. J'ai entendu ça souvent, moi, de la part du Conseil du patronat en particulier, puis de l'Association des manufacturiers canadiens: Les écoles font une mauvaise job, il y a 100 000 emplois disponibles et on ne trouve personne. J'aimerais ça, avoir la liste. Voyons donc! Ça «voudrait-u» dire que, dans une société comme la nôtre, on ne serait pas capables de se revirer en trois, quatre mois, puis de dire à un cégep ou à une commission scolaire: Bâtissez un programme? Si c'est ça, là, c'est plus pourri que tout ce qu'on peut imaginer.

Alors, je ne suis pas sûr qu'on n'est pas très, très, très au clair dans nos liens entre les établissements de formation professionnelle ou technique, puis les besoins en professionnels ou techniques d'une région en particulier. Et ça, il faudrait peut-être regarder ça de façon plus organique. Bon, j'ai peut-être pris un grand détour pour répondre à votre question, mais...

Mme Caron: C'est excellent. Merci.

Le Président (M. Facal): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Oui. Deux questions. La première question touche la diversification. On sait que le gouvernement actuel attache beaucoup d'importance à la diversification. Le slogan qu'on entend souvent, c'est que le mur-à-mur, c'est fini. Dorénavant, on se dirige vers du sur-mesure. On sait qu'au niveau local, à tout le moins certaines écoles, par le biais du conseil d'orientation, vont élaborer leur propre projet éducatif pour que ça puisse correspondre, là, aux désirs du milieu par rapport à la couleur locale de ce milieu-là, les projets que l'école devrait développer. On sait, par ailleurs, que le ministère de l'Éducation – et pour des raisons administratives qu'on comprend assez bien – a tendance davantage à uniformiser, c'est-à-dire à appliquer les mêmes règles, les mêmes directives à l'ensemble des intervenants scolaires à travers la province.

Et, dans l'avis que vous avez publié récemment, toujours sur le curriculum, vous dites, vous également, à la page 11 – je vais citer l'extrait, là – deuxième paragraphe: «L'accueil de la réalité pluriethnique dans la société québécoise se reflète dans l'exigence d'une éducation interculturelle qui devrait normalement traverser l'ensemble du curriculum.» Je m'interrogeais là-dessus parce que je me dis: On sait que la réalité pluraliste est beaucoup plus forte sur le territoire de l'île de Montréal qu'elle peut l'être ailleurs au niveau de la province. Et on pourrait dire la même chose au niveau des difficultés que vivent les milieux socioéconomiques défavorisés. On sait que, dans des centres urbains, ces problèmes-là sont beaucoup plus visibles. Ils existent davantage. Et là, je me disais: Comment expliquer que le curriculum devrait s'appliquer à travers la province, lorsqu'on parle de deux réalités qui s'appliquent davantage à des milieux qu'on peut aujourd'hui identifier? Ça, c'est une première question.


Formation continue

Deuxième question, ça concerne un petit peu la formation continue et ce que disait le professeur Antoine Ayoub, dans La Presse , ce matin. Il disait que ce qui fait défaut au Québec depuis plus d'un quart de siècle, c'est que, semble-t-il, on n'a pas appris aux jeunes comment apprendre. Ça rejoint un petit peu ce que, vous, vous dites dans votre avis, aux pages 11 et suivantes, lorsque vous dites: «Le curriculum doit donc développer les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être qui permettront à chaque personne d'apprendre et de se former par elle-même.» Et vous placez ça dans le contexte de la société où on vit actuellement, où il y a une évolution, là, assez rapide, il y a des changements économiques importants, des changements sociaux et culturels, et, donc, ce qu'on doit donner aux jeunes, ce qu'on doit leur inculquer, c'est non pas plusieurs matières éparses, mais davantage, là, savoir comment apprendre des nouvelles matières pour pouvoir leur permettre de bien se réaliser dans la vie. Alors, j'aimerais savoir, de façon concrète, au niveau du curriculum, comment on peut articuler ça, faire apprendre aux jeunes comment apprendre.

M. Bisaillon (Robert): Oui, bien, je vais commencer par la deuxième question. D'abord, il faut se dire que, contrairement à notre génération, si vous permettez que je dise ça, là – je regarde la moyenne, je me base sur la moyenne observée, à laquelle je communie parfaitement – on ne peut pas dire à un jeune aujourd'hui, à nos enfants: Quand tu vas sortir de l'université ou du collège, tu vas avoir un diplôme, tu vas l'afficher au mur, puis c'est bon pour 30 ans. Ce qui a été notre cas, soit dit en passant, particulièrement dans l'enseignement. On ne peut pas dire ça. On est dans une société qui va être d'apprentissage, semble-t-il, où on va devoir être capable de changer de niveau de formation, de lieu de formation, régulièrement. Bien, ça ne veut pas dire tous les deux ans, là, mais plusieurs fois dans sa vie.

Donc, il faut se décentrer du contenu des matières – non pas que les connaissances ne sont plus utiles, là, ce n'est pas ça que je dis – pour que les jeunes puissent accéder à des savoirs qui sont un peu méprisés par certains parce qu'ils disent qu'ils sont instrumentaux. Mais, moi, je dirais qu'il faut, à travers les connaissances qu'on acquiert, développer des habiletés qui vont nous permettre d'apprendre de façon autonome dans tous les milieux et très souvent, bon. Et c'est à ça que l'école doit s'employer. Et on dit, à cet égard-là, que toutes les disciplines sont capables de le faire. Et ça va même plus loin que ça: on devrait être capable de développer en commun ou en consensus, dans un bloc de disciplines, une façon de faire acquérir ces habiletés-là aux élèves, qu'on soit en histoire, en français, en géographie. L'analyse, la synthèse, on devrait poursuivre ça, mais la poursuivre de façon délibérée et non pas accidentelle, et les programmes ne sont pas bâtis pour ça. Vous savez, c'est dans ce sens-là qu'on en parle.

Et la meilleure façon de se mettre dans un esprit de formation continue, donc de faire face à une société d'apprentissage plus que d'enseignement, c'est d'avoir ces capacités-là, pour ces jeunes, d'apprendre, de ne pas être dépourvus ou complètement dépaysés dans une situation nouvelle parce que le problème se présente différemment de ce qu'ils ont appris. C'est ça qu'on veut dire par la formation continue. Bon. C'est vrai pour les citoyens et les citoyennes, quels que soient leur âge et leur origine sociale, soit dit en passant. C'est vrai pour quelqu'un en alphabétisation comme c'est vrai pour quelqu'un en formation professionnelle.


Éducation interculturelle

Sur la première question, moi, je répondrais par un raccourci en disant que les gens qui vivent aujourd'hui à Montmagny, ils ont plus de chances de travailler dans la région métropolitaine que de finir leur vie à Montmagny. Un: la pluralité de la société, là, si elle ne les a pas rejoints déjà par les médias d'information, elle va les rejoindre dans leur avenir. Et, par hypothèse, qu'un jeune, quel que soit l'endroit où il est au Québec, veuille devenir un médecin ou un travailleur social à Montréal, il faut qu'il ait une compétence interculturelle pour travailler avec la société montréalaise. Ça, c'est des épiphénomènes qui montrent comment la société change. Un policier qui vient du Saguenay et qui veut travailler à Montréal, il peut avoir un moyen choc culturel si, dans sa formation, il ne sait pas c'est quoi, Montréal. C'est des épiphénomènes. Je veux juste montrer que ça change, la société.

Mais, plus profondément que cela, on parle souvent d'un contrat social qui nous permet d'accueillir les immigrants, en oubliant que ce contrat-là s'applique aussi à nous autres. Et ce qu'on propose comme non négociable à des immigrants, à des nouveaux arrivants, c'est-à-dire ce qui fait ce qu'on appelle, nous, la culture publique commune – bon, on ne s'obstinera pas sur les mots, là – ce qui fait que le Québec, c'est le Québec: la langue, les institutions, la démocratie, les chartes, pourquoi ça ne concerne pas juste les gens de Montréal qui accueillent des immigrants? Parce que ça concerne tous les citoyens québécois. Il faut qu'ils partagent ça si on veut arriver à accueillir et à intégrer des gens. Et c'est dans ce sens qu'on dit: L'éducation interculturelle ou pluriculturelle, l'éducation à l'accueil de l'autre, ce n'est pas juste bon pour celui qu'on accueille; c'est bon pour ceux et celles qui accueillent. Et c'est dans ce sens-là, c'est l'autre application moderne, l'actualisation du vivre ensemble dont je parlais tantôt.

(11 h 30)

Et, là-dessus – on «peut-u» se le dire, hein? – c'est chapeau à l'école à Montréal, parce que ce n'est surtout pas grâce aux autres si l'intégration s'est faite de façon non violente, de façon pacifique. Les gens ont porté ça à bout de bras dans les écoles, sans formation, sinon sur le tas. C'est des barils de poudre, hein, ça, qu'on manipule. C'est de la nitro qu'on manipule. Il n'y a même pas de politique d'éducation interculturelle au ministère de l'Éducation. Il n'y en a pas! Il n'y a aucun message clair dont les enseignants pourraient dire: C'est ça qui guide notre action. C'est pour ça que, quand on se retrouve avec des avis qui disent: École par école, réglez ça, ce n'est pas comme ça qu'on va accueillir des immigrants dans une société. Et, pourtant, on pense qu'on devrait être prêt à avoir une politique d'éducation interculturelle qui traduit ce que je viens de vous dire, quelles que soient les écoles où on est au Québec.

Le Président (M. Facal): Mme la députée de Deux-Montagnes.


Profil de sortie unique

Mme Robert: Je reviens toujours à mon profil de sortie, là aussi, au secondaire. Parce que vous avez dans votre exposé touché un peu comment est l'organisation au secondaire: le nombre de cours obligatoires, de cours optionnels – vous n'avez pas mentionné en trop, mais vous savez que ça existe – le nombre de crédits, vous savez, pour sortir d'un secondaire, le nombre de crédits, ensuite, pour entrer au cégep, qui peut varier selon l'option que tu as. Donc, quand un élève dit qu'il a son diplôme d'études secondaires, alors c'est un diplôme qui peut osciller entre je ne sais plus combien de crédits...

M. Bisaillon (Robert): Entre 130 et 180.

Mme Robert: Pardon?

M. Bisaillon (Robert): Entre 130 et 180.

Mme Robert: Entre 130 et 180. Bon. On sait combien ils vont les chercher, leurs crédits, etc. Ensuite, on a tout le phénomène de l'organisation qu'on n'a pas touché, c'est-à-dire la spécialisation; vous y avez touché un petit peu avec la question de l'interdisciplinarité, bon, qu'importe. On a le truc de la pondération aussi qui vient jouer un autre rôle, d'une certaine façon, pour comparer l'élève avec le grand groupe. Monsieur a parlé des projets éducatifs qui sont plus ou moins... Il y en a très peu qui existent. Il y en a très peu qui sont appliqués. Et je sais fort bien que, si le projet éducatif est assez différent de la classe aux quatre murs avec 34 élèves dedans, ce projet éducatif-là sera plus ou moins accepté et plus ou moins...

M. Bisaillon (Robert): Il dérange.

Mme Robert: Il dérange énormément et on cherche à le faire sauter. Donc, quand on regarde tout ça, parce qu'on touche aux conventions collectives, on touche aux mentalités, on l'a dit, est-ce qu'on peut arriver à un profil de sortie unique? Parce que vous avez touché à la formation professionnelle... Un profil de sortie unique, moi, j'entends par ça qu'un jeune qui a fait son secondaire, je sais qu'il a telle formation de base, il a développé telle habileté de base, minimale. Parce que, à l'heure actuelle, il y a des jeunes qui n'ont pas fait... Par exemple, en sciences humaines, je pense qu'il y a l'histoire qui est exigée, seulement. Donc, il peut avoir passé à travers son secondaire et il a juste fait l'histoire?

M. Bisaillon (Robert): Oui, oui.

Mme Robert: Bon. Est-ce qu'on peut en arriver ou est-ce que vous croyez qu'on doit en arriver rapidement à un profil de sortie unique, c'est-à-dire d'habiletés pour former un citoyen complet, ouvert, etc., qui est prêt à tout? Est-ce que c'est vers ça qu'il faut aller? Cerner ça et, ensuite, les bebelles alentour – qui ne sont pas des bebelles – les choses, on les greffera autour de ça. D'abord s'entendre sur un profil unique de sortie; ensuite, les écoles, les milieux pourront broder autour de ça ou pourront greffer leur façon de faire autour de ça.

M. Bisaillon (Robert): C'est particulièrement nécessaire pour le premier cycle du secondaire, s'il était à trois ans, pour ce que j'appellerais le tronc commun. Ceci nous permettrait de dire, au Québec comme dans les autres sociétés: À la fin du secondaire III, voici le type de formation obligatoire qu'on a dispensé à tous les élèves et voici quelle sorte d'élèves ça donne. C'est ça, le profil de formation, hein. Bon.

Ensuite, à travers les options, il faut continuer à offrir deux possibilités. Qu'un jeune s'en aille au collège ou sur le marché du travail, il faut qu'il commence à regarder un peu ce qui est nécessaire. Dans les deux cas, on ne doit pas négliger le fait que ce jeune-là va être un citoyen aussi. Il va voter, il va s'engager socialement, qu'il soit au cégep ou qu'il soit dans le milieu du travail. Donc, il y a des apprentissages qu'il faut qu'il continue à faire, qui sont d'un autre ordre.

Vous savez, dans une école secondaire, on oublie ça souvent, il y a des apprentissages qu'on peut faire sans que ça passe par des cours. La démocratie dans une société, ça peut s'apprendre dans une démocratie scolaire, par les conseils étudiants. Quelle plus belle façon pour un jeune de s'engager, de comprendre comment ça fonctionne, une société, qu'en s'engageant dans son école? Alors, est-ce que c'est nécessaire d'avoir toujours des cours pour faire faire un certain type d'apprentissage? Il faut offrir un menu d'activités parascolaires; c'est presque complètement disparu des écoles secondaires. C'est à travers tout ça qu'on fait aussi l'apprentissage de la vie en société et que, des fois, on découvre des talents. En tout cas, tout le monde connaît l'histoire, là, des gens qui ont découvert leurs talents, des fois, bien plus en participant à du parascolaire qu'en suivant des cours. Bon. En tout cas.

Ceci étant dit, il reste qu'il va falloir toucher à trois choses au secondaire, plus qu'au primaire, je dirais, parce que les jeunes, ils se différencient beaucoup plus. Il va falloir toucher à l'enseignement, il va falloir toucher à la pédagogie, il va falloir toucher à la gestion, Tout ça, là, dans une organisation scolaire qui va devoir être repensée, et je sais que ce n'est pas simple.

Il va falloir toucher à l'enseignement, parce que ça ne se peut pas qu'il y ait une seule méthode qui soit bonne à cet âge-là. On a écrit beaucoup là-dessus, nous. C'est des avis qui n'intéressent pas tellement, pour être franc là, un ministre de l'Éducation, parce que, quand on parle d'enseignement et de pédagogie, ça touche plutôt les acteurs qui sont dans les écoles. Mais on pense qu'il y a des réflexions à faire sur la diversification des approches pédagogiques et le fait qu'on enseigne peut-être trop pour ce que les élèves apprennent. Donc, s'il y avait moins de cours magistraux, moins de notes à prendre, si l'élève était plus considéré comme un travailleur semi-autonome, un producteur intellectuel, s'il y avait des défis de production intellectuelle à faire plus, peut-être que ça serait mieux. Vous voyez, ce genre d'affaires là qui sont des processus de mutation qui sont assez longs.

Diversifier les approches pédagogiques. On a parlé de la pédagogie de la coopération. C'est assez incroyable qu'on se rende compte qu'un des drames dans le monde, actuellement, c'est la compétition féroce; les sociétés exacerbent leurs différences et, à l'école, on pratique la même pédagogie. La pédagogie de coopération c'est trop compliqué, c'est un détour à faire, ça.

Et la gestion. Si, dans une école, on n'a pas une certaine vision de l'élève qu'on veut former, comment voulez-vous amener le monde à faire consensus autour de ça? Et la responsabilisation? C'est tout ça qui va faire que des écoles vont changer. Quand je dis ça, je ne voudrais pas que vous pensiez que c'est dramatique, que c'est noir dans toutes les écoles. Il se fait des affaires absolument extraordinaires au primaire et au secondaire, dans beaucoup de coins de la province, mais le modèle dominant, il n'a pas changé: c'est celui autour duquel on parle, là.

Donc, oui, si on avait les idées plus claires sur le tronc commun et le type de citoyen qu'on voulait former au terme d'une dixième année et avant d'entrer au cégep, ça nous aiderait peut-être à élaguer et à réorganiser le reste autour de ça. Là, tout ce qu'on sait, c'est qu'il faut faire du français, de l'histoire, des mathématiques et des sciences. On le fait. On roule de même depuis très longtemps, soit dit en passant. Ce n'est pas mauvais en soi, on finit par apprendre de quoi là-dedans, mais on perd un peu de l'énergie qui pourrait venir d'un facteur de cohérence.

Le Président (M. Facal): M. le député de Maskinongé.


Valeurs véhiculées à l'école

M. Désilets: Oui. Pour faire suite un peu à ma compagne de Deux-Montagnes, j'ai mes dadas, moi aussi. J'en ai deux. Un, entre autres, sur la frustration des jeunes. Je reviens là-dessus parce que dans les écoles on ressent le ressac. Pour le personnel enseignant et le personnel de soutien qui vivent à l'intérieur de la boîte, c'est important. L'autre dada, c'est leurs valeurs, les convictions qui sont véhiculées à l'intérieur de ça. J'ai deux questions qui se rapportent à ces deux points-là. Vous avez parlé tantôt de décrochage. J'espère qu'à l'avenir – c'est une réflexion vite – vous allez réagir vite quand il y a des statistiques comme ça qui vont sortir dans les médias, pour ne pas laisser les boîtes, surtout les enseignants, avec l'odieux de produire des incompétents. Dans ce sens, les enseignants ont besoin d'un support supérieur.

(11 h 40)

Ma question s'en venait aussi au niveau des jeunes. Il y a quand même un taux de suicide élevé chez les jeunes, de «burnout» élevé chez les enseignants. Vous avez mentionné tantôt que vous voulez donner plus de pouvoirs aux profs pour leur permettre d'intervenir et de devenir plus autonomes dans leur devenir, dans leur travail. J'espère que, dans la prochaine négo, ça va se refléter d'une manière quelconque dans un mandat à venir, parce que la coopération, comme vous parlez, c'est le dialogue qu'on retrouve régulièrement chez les profs en confrontation avec leurs supérieurs qui veulent des performances. C'est de deux niveaux différents: un qui exige la performance et l'autre qui parle de coopération avec ses élèves. En tout cas, il faut faire attention à ce niveau-là. C'était ma question ou réflexion. La deuxième: le rôle de l'aspect confessionnel de nos institutions face aux conflits interculturels que nous vivons actuellement, surtout dans les grands centres. C'est les deux...

M. Bisaillon (Robert): Sur la première question, j'ai compris que vous aviez des voeux.

M. Désilets: Oui.

M. Bisaillon (Robert): Nous, on n'est pas dans la négociation au Conseil.

M. Désilets: Non. Je sais.

M. Bisaillon (Robert): On est à distance.

M. Désilets: Je sais. Mais vous avez...

M. Bisaillon (Robert): C'est peut-être bon comme ça, d'ailleurs.

M. Désilets: Non, mais ma question était plus pour vous donner des pistes. Vous êtes quand même là pour...

M. Bisaillon (Robert): Oui, oui. On a parlé, nous, sur l'organisation du travail, sur la pédagogie, puis sur la gestion. On pense qu'on a assez donné de pistes pour qu'il y ait une réflexion importante qui se fasse. D'ailleurs, j'ai été très étonné, moi, le rapport sur la gestion, ça a été le gros vendeur, si vous permettez, du Conseil, au primaire, secondaire surtout. Les gens sont conscients qu'il y a un problème là. Il y a un modèle complètement dépassé, qui est très simple: Comment veux-tu faire faire des apprentissages de l'autonomie à un jeune si tu ne te sens pas autonome toi-même? Comment veux-tu rendre un jeune responsable si tu ne te sens pas responsable toi-même?

Alors, là-dessus, on pense qu'il y a des pistes intéressantes en disant toujours: La responsabilité, ça va de pair avec l'imputabilité. Plus on va être responsable de ce qui se passe dans l'école, plus il va falloir accepter d'être responsable des résultats aussi. Parce que, si on est content de se faire dire que c'est parce qu'on est bons que nos élèves réussissent bien, quand ils réussissent moins bien il faut accepter de regarder aussi ce qui peut expliquer que ça réussit moins bien. Autrement dit, il faut refaire à l'horizontale la communauté de l'école plutôt que les affaires se passent toutes à la verticale.

Sur la confessionnalité, bien, là, vous ouvrez un chantier qu'on ne réglera pas en 15 minutes. Mais, néanmoins, le Conseil avait dit, il y a maintenant presque 10 ans – et il s'était fait dire par le ministre de l'époque que ce n'était pas son meilleur avis, d'ailleurs – que la façon la plus – c'est assez curieux, hein – expéditive, qu'on avait dit, je pense, de déverrouiller le système, c'était encore par l'article 93. C'était en 1986 ou 1987. Quand on regarde qui ça touche, les protections constitutionnelles, ça touche deux provinces. Bon, voilà le genre d'entente qui aurait pu se faire, croyons-nous, entre une province et le fédéral sur la confessionnalité pour enlever l'hypothèque. Mais ça ne s'est pas fait, puis ça n'a pas l'air que ça va se faire demain matin.

Alors, entre-temps, vous savez que le Conseil est dans une position particulière. Nous logeons chez nous les deux comités confessionnels: le comité catholique et le protestant. Donc, nous logeons aussi chez nous les garanties constitutionnelles en matière de confessionnalité. Je ne vous cacherai rien, nous avons des points de vue qui peuvent être plus globaux, qui doivent être plus globaux quand on est un conseil. Mais, en matière de confessionnalité, les deux comités catholiques, comme on dit chez nous, peuvent parler directement au bon Dieu. Ils n'ont pas à passer par le Conseil. Bon. C'est ça, la situation, là.

Sur la confessionnalité, nous, on propose quand même trois ouvertures, comme Conseil, où on pense qu'on devrait aller plus loin. C'est très nettement des structures linguistiques que ça prend au niveau des commissions scolaires. Ça, c'est réglé ça fait longtemps dans notre esprit. Ça prend aussi des écoles non confessionnelles, en particulier en milieu métropolitain; ça prend des écoles non confessionnelles en milieu métropolitain. C'est plus important qu'il y ait des écoles non confessionnelles en milieu métropolitain que d'additionner d'autres types d'écoles confessionnelles, pour se faire comprendre, là. Sans ça, on joue avec les poignées de notre tombe. On est en train de se monter une facture.

Troisièmement, dans l'école même, on pense que – et ça pourrait être plus rassembleur dans le cadre d'une culture qu'on proposerait à tout le monde – une approche culturelle de l'enseignement éthique et religieux serait non discriminatoire pour tout le monde et permettrait d'avoir une compréhension plus commune de cette dimension-là de la vie humaine, qui est importante néanmoins, mais qui devrait être plus vue sur le plan culturel que sur le plan confessionnel. Ça, c'est la position la plus récente du Conseil, qui date de l'an passé.

Le Président (M. Facal): Il nous reste une quinzaine de minutes dans ce bloc et j'ai encore quatre intervenants. Alors, je ferais appel à un suprême effort de tous, tant pour la formulation des questions que des réponses. M. le député de Matane.

M. Rioux: Oui. Ça va être plus court que prévu, parce que le président a répondu, à partir des questions de Mme Robert, à une partie de mes interrogations. Quant à la confessionnalité, ça fait partie des tabous, là, que vous ne touchez pas trop, trop, comme l'existence des commissions scolaires, d'ailleurs.

On vit dans un contexte de difficultés financières considérables dans le domaine de l'éducation. Ça, c'est une réalité. Moi, depuis des années que je lis les avis du Conseil, ça fait des années que je lis ça de façon assidue, je me suis toujours émerveillé de constater que le Conseil avait une priorité, c'était le jeune, l'enfant, l'adolescent, et, dans ses réflexions, après avoir priorisé ça, il travaillait sur les moyens de faire en sorte que ce jeune-là évolue le plus normalement possible et devienne un citoyen responsable. Moi, je trouve ça formidable. Vous avez souvent parlé tout seul, pas trop, trop écouté, et vos messages n'ont pas toujours traversé. Ça, je pense que vous êtes habitués à vivre avec ça, d'ailleurs. Quand un avis ne faisait pas l'affaire d'un ministre, il envoyait promener le Conseil et ça finissait là. Mais, quand il était à court d'idées et qu'il ne savait plus à quel saint se vouer, vite, un avis du Conseil pour essayer de se sortir de la merde. On l'a connu, ça.


Démocratie scolaire

Moi, je voudrais vous demander, à la veille des états généraux de l'éducation, si on a encore les moyens, compte tenu qu'on finance les commissions scolaires à peu près à 94 % – ça émarge du budget de l'État – compte tenu qu'on a un problème d'école, de gestion de l'école, de responsabilisation des enseignants... On en parle très peu, hein, mais, si l'enseignant ne redevient pas l'acteur principal, avec des responsabilités nettes, je pense qu'on va connaître de très grands problèmes. C'est des gens qu'on a tassés, ça, au cours des 20 dernières années, on les a un peu marginalisés. Dans certains cas, ça faisait leur affaire, mais, dans d'autres, on sent bien qu'on leur a enlevé la parole. Et on a perdu des sources privilégiées d'information et d'expertise qui nous auraient permis de régler bien des problèmes en éducation. Mais j'espère que les états généraux vont nous aider là-dessus.

Moi, je me demande comment il se fait qu'à ce jour on n'ait pas eu un avis, là, sur la démocratie scolaire au Québec, cette espèce de mascarade où on a fait de la démocratie scolaire avec des participations de 11 %, 12 %, 14 %, 16 % de gens qui se déplacent pour aller voter. Je me demande aussi comment il se fait qu'on ne s'est pas encore posé la question: Est-ce qu'on doit se débarrasser de ces archaïsmes-là qu'on appelle les commissions scolaires, les gouvernements locaux? Est-ce qu'on en a encore besoin? Si oui, on les organise comment désormais? Et, sinon, bien, qu'on les enlève de la route, parce que souvent c'est des organismes qui empêchent d'évoluer, c'est des organismes qui nous empêchent de grandir, c'est des organismes qui freinent le progrès.

Il y en a quelques-unes qui sont assez admirables, il faut le dire. Mais, pour d'autres, je pense qu'il n'y aurait pas de pleurs collectifs de les voir disparaître, surtout à l'heure où on a besoin d'argent et où on aurait besoin de faire un peu d'air dans le système et de laisser rentrer l'oxygène. J'ai l'impression que c'est un système qui est en train de suffoquer de l'intérieur. Il y a des gens qui ont besoin d'air là-dedans, qui auraient besoin qu'on leur dise: Aïe! on a besoin de vous autres et on a besoin de vos idées. Moi, je pense que le système est malade et gravement malade, et je me demande si sa structure actuelle ne vient pas engendrer aussi nos problèmes de gestion.

Le Président (M. Facal): M. Bisaillon, si vous me permettez, j'ai demandé tout à l'heure que l'on raccourcisse les préambules, mais j'ai laissé aller le député de Matane parce que je dois vous dire qu'il met le doigt sur quelque chose, bien que nous soyons conscients qu'il y a d'heureuses exceptions, sur une inquiétude qui est partagée par beaucoup de ses collègues. Nous, les députés, sommes parmi les mal-aimés de la population. Nous sommes, avec les avocats, au dernier rang dans l'échelle de crédibilité. Il reste qu'à tous les quatre ans entre 80 % et 85 % des citoyens se déplacent pour nous élire. Nous avons donc une incontestable légitimité populaire. Et je dois vous dire que, moi et beaucoup d'autres de mes collègues, nous partageons les inquiétudes du député de Matane là-dessus. Voilà.

(11 h 50)

M. Bisaillon (Robert): Oui, mais la question du député de Matane était presque une question éditoriale. Vous comprendrez que, là, il y a comme un débat politique en dessous de cela que le Conseil n'a pas à trancher. Cependant, vous avez raison de dire que, sur la démocratie scolaire, on aurait pu parler. Puis je vais faire un lien avec la question des commissions scolaires, non pas pour me prononcer sur ce niveau de pouvoir, sauf pour dire qu'il y a un certain danger aussi à ce que les citoyens soient sans intermédiaire entre eux et l'État, je pense. Est-ce que c'est le pouvoir actuel? Il y a un certain danger aussi à faire payer des taxes à du monde pour un organisme où il ne serait pas représenté. C'est à ça qu'il faut penser aussi.

Mais la vraie question, je pense – puis, nous, on commence à regarder ça, la décentralisation, ce que ça veut dire – la vraie question en éducation, ça ne «serait-tu» pas de se demander: Pour faire tel travail éducatif, où sont les compétences, où est l'expertise? Et, quand on a trouvé où est l'expertise, pourquoi on ne lui donnerait pas le pouvoir correspondant. Et ça, ça aiderait peut-être à répondre à la question. Parce que vous avez parlé, dans votre préambule, de la démocratie scolaire, vous avez aussi parlé des finances publiques. Je ne pense pas que vous vouliez dire par là qu'on peut disposer d'un niveau de pouvoir juste parce qu'on a des problèmes financiers. Je ne pense pas que vous alliez jusque-là. Mais il faut des critères, une espèce de balise.

Nous, on pense que l'État a encore un rôle de leadership et de pilotage en éducation. On pense que des écoles laissées libres, sur le libre marché vis-à-vis un État tout-puissant, c'est peut-être plus de la centralisation qu'on pense. Mais quel type de pouvoir ça prend entre les deux? Là, il faut regarder: c'est pour faire rendre quels services? La question, elle est très pertinente, mais on n'a pas d'avis là-dessus et je ne parlerai pas...

Quant à la légitimité, c'est le fait d'être élu, puis c'est ce qu'on fait pendant qu'on est élu aussi. C'est pour ça que c'est rejugé après. Moi, je l'ai dit souvent aux commissions scolaires, dans la tournée que j'ai faite sur la gestion: Votre légitimité, elle ne viendra jamais du seul fait que vous soyez élus. C'est encore pire si tu es élu à 10 %. Mais, si tu ne fais rien comme commission scolaire, comme acteur public dans une communauté, c'est quoi, la légitimité de ton existence? C'est un débat, je pense, qui ne fait que commencer. Mais il ne faudrait pas qu'il se règle juste sur la base des finances publiques, parce qu'il y a des détours dans l'histoire qui nous font mal à un moment donné.

Je n'annonce pas de couleur en disant ça, là. Le Conseil n'a pas pris position, mais on regarde un certain nombre de principes sur le partage des pouvoirs. Il me semble qu'il y a des choses à regarder là.

Le Président (M. Facal): M. le député de Marquette et, après, on va finir avec le député de Lotbinière.


Calendrier scolaire

M. Ouimet: Deux questions. Une question qui s'adresse à M. Bisaillon, avec un très court préambule. Le contentieux du nombre des journées de classe. Devrait-on l'augmenter? Devrait-on le diminuer? Le minimum actuel, c'est 180 jours. On sait que le calendrier scolaire comporte environ 200 jours de classe, qui comprennent également des journées pédagogiques. Compte tenu de tout ce qui est dit par rapport au curriculum et au besoin de transmettre de nouveaux savoirs aux jeunes, est-ce que c'est une piste qu'on devrait envisager?

Deuxième question qui s'adresse peut-être à vous, M. le Président, suite aux propos du député de Matane et à vos propos. Juste à titre de curiosité là, est-ce que le ministre de l'Éducation fait partie des collègues qui partagent votre point de vue sur les commissions scolaires? Vous avez fait référence à un certain nombre de députés.

Le Président (M. Facal): Je n'ai jamais eu l'occasion d'entendre son opinion sur cette question. Voilà un merveilleux sujet sur lequel vous pourriez, vous, l'interroger en période des questions. Il vous répondra par la bouche de ses propres canons.

M. Rioux: Mais, moi, M. le Président, j'aimerais juste dire au député de Marquette que, quand je suis entré en politique, je n'ai pas laissé mes idées à la porte; je suis rentré avec, et mes principes, je vais continuer de les défendre. Quand on appartient à un parti politique ou à un gouvernement, on ne sombre pas dans la paralysie.

Le Président (M. Facal): La Chambre se réunit à 14 heures. M. Bisaillon.

M. Bisaillon (Robert): Le calendrier scolaire, ça fait partie des symboles en même temps que des réalités. Mais je vais parler de l'aspect symbole pour commencer. Il faut arriver, je pense, à un niveau, à une quantité de jours d'école au moins comparable aux systèmes avec lesquels ont doit se comparer. Là-dessus, il y a beaucoup d'inflation. Et là, on parle des symboles. Vous savez, on a regardé ça un tout petit peu, et 180 jours à un endroit et 180 jours à un autre, ça peut être des réalités totalement différentes. Il y a des systèmes d'éducation à 187 jours où les enfants ont des apprentissages académiques de 8 h 30 à midi. Ils font d'autres choses après. Est-ce que c'est comparable?

Ce que je sais, cependant, c'est moins sur le nombre de journées pédagogiques qu'il faut insister que sur ce qu'on y fait. Et il y a un problème énorme de formation continue chez le personnel et de formation, des fois, sur mesure. Je rencontre assez de profs pour avoir entendu, au point de le répéter comme étant, je pense, quelque chose qui doit faire consensus, que ce n'est pas parce que tu convoques, de façon obligatoire, 200 profs à la même activité de formation que tu viens de faire de la formation. Les professionnels qu'on veut traiter comme tels devraient être capables de déterminer c'est quoi leurs besoins de formation et l'organisation devrait être capable de leur donner accès à ces types de formation là. Ce n'est pas ça qu'on a dans le système scolaire, de sorte que, on ne sait jamais...

On a détruit, je pense, la notion de perfectionnement continu en définissant les journées pédagogiques comme étant une espèce d'espace de vacances, bon. Il faut redonner de la substance à ces journées-là en redonnant de la substance à la notion même de formation continue chez quelqu'un qui est un professionnel et qui, nécessairement, n'a pas les mêmes types de besoins que tous ses collègues. Et, là-dessus, je pense qu'on a du gros millage à faire. Mais je ne serais pas d'accord pour qu'on baisse en bas de la moyenne les jours de classe. On s'est bien fait comprendre là-dessus.

Par ailleurs, je ne tripe pas particulièrement sur le modèle japonais à 235. Il y a des calendriers scolaires aussi... L'autre variable, c'est les cycles. On a très peu fait d'études sur les meilleurs cycles pour apprendre dans une année. On découvrirait, peut-être, que ce n'est pas nécessairement nos 180 jours consécutifs. Il faudrait regarder ça. Il y a un rapport américain qui vient de sortir, «Prisoners of Time» – «Prisonniers du temps» – qui montre que c'est l'horaire qui compte. Le reste, c'est accessoire dans un système d'éducation. Des fois, on pense qu'il y a des affaires qui ressemblent à ça chez nous. Il y a des études qui démontrent que dans l'apprentissage les jeunes atteignent des sommets très rapidement; après ça, ils apprennent moins vite; après ça, ils ont des baisses. Il y en a même qui prennent des pauses mentales. Certaines vont jusqu'à six mois. On n'a pas tiré tous les enseignements de ce que c'est le cycle d'apprentissage par rapport au cycle scolaire qu'on a et par rapport à l'organisation sociale qu'on a maintenant du travail. C'est pour ça que je trouverais odieux de me prononcer juste sur un chiffre.

Le Président (M. Facal): Dernière question dans ce bloc. M. le député de Lotbinière.


Professionnel court

M. Paré: Au niveau de l'accessibilité de la formation professionnelle que vous avez touché tout à l'heure, dans l'historique de la formation professionnelle au Québec, comment ça se fait qu'on en est arrivé là? On se rappelle du professionnel court. On s'est débarrassé de ça à un moment donné. Pourquoi, selon vous? C'était quoi, les choix, à l'époque?

(12 heures)

M. Bisaillon (Robert): Je ne veux pas parler pour ceux qui étaient là à l'époque, mais à l'oeil je dirais qu'il y avait des formations cul-de-sac. Le professionnel court, on disait que c'était des formations cul-de-sac. Aujourd'hui, il y en a qui retrouvent des vertus à une formation qui, au moins, permettait à des jeunes de s'insérer socialement. Bon, en tout cas. Mais, essentiellement, c'était la reconnaissance que le niveau des emplois, le niveau d'exigences pour occuper un emploi, qu'il soit d'ordre professionnel ou technique, allait s'élever. Et c'est ça qui est arrivé. Donc, on avait raison d'augmenter les exigences, je pense, sauf qu'en le faisant on n'a pas tiré toutes les conséquences. Par exemple, on a dit: Dorénavant, la formation professionnelle va être après le secondaire, mais on n'a pas voulu en faire une formation collégiale de sorte qu'on se retrouve avec des drôles de situations où vous avez la formation générale au secondaire, suivie d'une formation professionnelle et, au collégial, vous avez en concomitance une formation technique et une formation générale en même temps pour le même élève de sorte que ça devient difficile, après ça, de faire une filière.

Je pense que c'est une question qu'on doit se reposer au Québec, la question de la filière professionnelle et technique. Ça permettrait peut-être à des jeunes de voir, dans une formation qui a l'air de rien comme ça, là, parce qu'elle est au niveau secondaire, qu'il y a tout un cheminement possible après ça jusqu'à l'université. Parce que vous savez que, actuellement, il y a 18 % à 19 % des finissants du secteur technique qui vont à l'université. Donc, voyez-vous que le niveau d'exigences augmente? Les jeunes s'en rendent compte. Les messages sociaux deviennent de plus en plus clairs.

Et l'autre réalité qui s'est produite au secondaire, vous le savez comme moi, c'est l'intégration jeunes-adultes. Il y avait des raisons budgétaires là-dedans. Moi, je pense que, le jour où on a intégré les jeunes et les adultes, on n'a pas répondu de la même façon aux besoins des jeunes et des adultes, qui ne peuvent pas être confondus tout le temps et en tous points, et il y a peut-être des jeunes qui n'ont pas pu supporter ce genre de nouvelle approche.

Et on a changé en même temps, faut-il le rappeler, parce que c'est tout ça qui s'est produit... On a décrété que, si tu avais le droit de voter à 18 ans, tu avais, cependant, le droit de devenir un adulte sur le plan scolaire à 16 ans. Sans interruption, tu pouvais passer du cours régulier des jeunes à celui des adultes, tu avais le statut d'adulte. Ça, ça a créé, à mon avis – ça se replace, là – un effet de ventilation épouvantable. Il y a beaucoup de jeunes qui n'ont attendu que ce moment, en se disant: Ça va être plus facile aux adultes. Ils se sont rendu compte que ce n'était pas plus facile et ils ont décroché, à ce moment-là.

C'est tout ça qui s'est passé en même temps et il faut retomber sur nos pattes aujourd'hui, parce que, de toute évidence, en même temps qu'il y a du décrochage, il n'y a pas une progression considérable du nombre d'inscriptions en formation professionnelle; ceux qui sont capables d'y aller vont préférer aller en techniques. Il ne faut pas, non plus, se servir de la formation professionnelle juste pour diminuer le décrochage.

M. Paré: Au niveau de l'exemple que vous avez donné tout à l'heure, au niveau du CIMIC, est-ce que vous pouvez développer un peu?

M. Bisaillon (Robert): Au niveau de?

M. Paré: Du CIMIC. Vous dites qu'il ne faut pas enlever, justement, les responsabilités de l'entreprise versus la formation de sa main-d'oeuvre.

M. Bisaillon (Robert): Moi, ce que j'ai compris, c'est que la Beauce, qui est une région qui s'organise très bien par elle-même, a fait un grand ramdam sur l'éducation il y a quelques années et ils sont arrivés à la conclusion qu'ils ne prendraient pas le virage du XXIe siècle sur le plan du développement économique avec le niveau de formation qu'ils avaient. Et là, à cause de la structure industrielle de la Beauce, qui est beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup des petites, petites, petites entreprises, on ne pouvait pas demander à toutes ces petites entreprises-là de s'équiper du jour au lendemain. Alors, on a fait l'option, je dirais, consortium entreprises-éducation pour construire un centre intégré de formation professionnelle secondaire, collégial et, de façon prévisible, technique, mais avec du génie appliqué – ils appellent ça du «génie mains sales», des ingénieurs aux mains sales – du génie de maintenance...

M. Paré: Ouvrier spécialisé.

M. Bisaillon (Robert): Ouvrier, bon. Sauf que, pour faire ça, ils ont construit un centre très dispendieux en termes d'équipement, très, très, très dispendieux et, pour rester à la fine pointe de l'équipement, il va falloir qu'ils... hein! Bon.

M. Paré: Renouveler le parc.

M. Bisaillon (Robert): Moi, je vous dis juste que ce n'est pas faisable dans toutes les régions du Québec. C'est rien que ça que je dis. C'est un modèle de suppléance, je pense, qui pouvait être compréhensible là, quand même ça serait rien que pour démontrer que ça prend des liens entre le marché de l'emploi et la formation professionnelle. En tout cas, la Beauce est un milieu, aussi, où tout le monde peut aller à ce centre-là; l'excentricité n'est pas terrible. Mais, dans les régions pas peuplées où l'excentricité est beaucoup plus grande, où les organismes industriels sont beaucoup moins vivants, moi, je pense que ce n'est pas un modèle qui est «reproduisible» comme ça. Je le pense, en tout cas.

M. Paré: Dans votre document, vous semblez favoriser aussi les stages en milieu de travail dans ce sens-là.

M. Bisaillon (Robert): Oui.

M. Paré: Donc, pour pallier à ça, eux l'ont fait, tout simplement. Mais les entreprises n'ont pas payé pour ça, justement, le CIMIC.

M. Bisaillon (Robert): Non, et c'est la question qu'on leur a posée quand on est allés les voir: Comment ça se fait que c'est financé à 100 % par le gouvernement à cause des bénéfices que ça donne, ça? En tout cas, ça a produit des effets extraordinaires dans cette région-là, soit dit en passant, mais est-ce que c'est un modèle exportable et généralisable? Il y aurait un petit débat à faire.


Enseignement postsecondaire

Le Président (M. Facal): Il nous reste 53 minutes. Alors, je nous inviterais tous à passer à notre troisième et dernier bloc. Je suis bien conscient, M. Bisaillon, que nous travaillons à la hache, mais, avant de jardiner, il faut défricher. Alors, défrichons aujourd'hui, et je suis sûr qu'on aura l'occasion de jardiner ensemble dans les semaines ou les mois à venir.


Exposé du président du Conseil supérieur de l'éducation


M. Robert Bisaillon

M. Bisaillon (Robert): Alors, là, je serai obligé de prendre le collégial, l'université, parce que c'est ça, le postsecondaire au Québec, et l'éducation des adultes parce qu'un élève sur deux est un adulte, aujourd'hui, dans le système d'éducation. Bon. Essentiellement, je vous dirai que la position du Conseil tient dans un avis qu'on a déposé lors de la commission parlementaire sur l'enseignement collégial et qui s'appelait: «L'enseignement supérieur: pour une entrée réussie dans le XXIe siècle», où on essayait de prendre acte des mutations sociales, de la mondialisation de l'économie et des échanges sociaux, de l'importance de la technologie comme prolongement de la science et, donc, des applications de la science, de l'importance du savoir comme étant le principal facteur de discrimination entre les individus dans l'avenir, même entre les sociétés.

Bon. Tout ça pour dire qu'il fallait que, comme société, on se fixe des objectifs de diplomation qui aient un visage quantitatif. On a quantifié les objectifs pour qu'ils aient un visage qualitatif de quel type de formation on devrait donner et qu'ils aient un visage stratégique. C'est-à-dire que, pour nous, il faut qu'on ait des objectifs stratégiques d'ordre institutionnel, qu'on encadre mieux les étudiants dans leur cheminement et qu'on s'occupe davantage de leur orientation, parce qu'on a constaté qu'il y avait des changements considérables de programme et d'orientation au collégial et à l'université. Bon. Même si on doit admettre que, dans beaucoup de cas, ces changements-là ont augmenté les taux de diplomation, ce n'est pas une raison pour ne pas s'occuper de l'orientation des jeunes, même là. Bon. On disait donc: En particulier, le collégial a nettement une fonction d'orientation.

Sur le collégial, toujours, on prépare actuellement un avis sur la réussite des élèves au collégial, sur les facteurs de réussite. Et – comment dire – ça confirme des préoccupations qu'on avait quant au faible taux de diplomation et de persévérance, puis on veut essayer de faire ressortir c'est quoi les facteurs les plus déterminants pour la réussite au collégial. Je ne vous cacherai pas, vous le savez, que, sur le collégial, on a été appelés à produire deux avis, récemment, à la demande du gouvernement. Vous les connaissez donc.

À l'université, il y a un problème, croyons-nous, autour de la mission de l'université, qui transcende les époques, qui dure dans le temps – heureusement d'ailleurs – mais qui, aussi, doit s'adapter aux conjonctures. Or, on constate, depuis une vingtaine d'années – 10 ans de façon plus claire – qu'il y a une demande qui est plus pressante de la part de secteurs particuliers de la société, en particulier du monde économique, parce qu'il y a – le savoir est devenu un potentiel économique considérable – des politiques gouvernementales de financement des universités et de la recherche qui ont accentué cette pression en provenance de certains secteurs de la société.

Et on a dit, nous: L'université doit s'ouvrir à ces demandes-là, oui, mais le faire avec lucidité et discernement, en se rappelant toujours que sa principale mission, c'est une mission de formation. Deuxièmement, la recherche, à l'université, doit continuer à se faire dans tous les secteurs, si on veut rendre service à la société, et cette mission-là doit s'exercer dans l'autonomie, une valeur importante dans le milieu universitaire, à condition, cependant, que les universités acceptent de rendre des comptes sur leurs activités. Bon. On sait qu'il y a des questions qui peuvent se poser autour de ça.

On a regardé, aussi, la relation entre l'enseignement et la recherche pour constater, comme tout le monde, qu'il y a un problème de valorisation de l'enseignement à l'université, qui est assez évident. Bon. Je dirais même qu'on est arrivé à structurer un modèle d'enseignement, un modèle de recherche, quasiment, avec du monde différent. Il y a un problème, de ce côté-là, qu'on invite les universités à regarder, et on appelle l'université à revoir l'exercice de sa fonction critique. Il nous paraît anormal que l'universitaire qui ne couraille pas après une subvention, qui fait de la recherche qui n'aura aucune utilité demain matin pour aucune usine en particulier, mais qui est une recherche importante pour la société, ne soit pas aussi financé, parce que ça fait partie de la fonction critique de l'université, dans tous les domaines d'activité, donc.

Je passe vite. Je vous dirai que, dans le cas du collégial et de l'université, on se rend bien compte qu'on s'en va dans des corridors de finances publiques, de dettes publiques, de coupures dans les transferts aux provinces au chapitre de l'éducation postsecondaire; qu'il y a un groupe de travail sur l'aide financière; que des enveloppes fermées vont s'accommoder difficilement des augmentations de clientèle. C'est tout ça, l'arrière-plan budgétaire des universités, de sorte que nos objectifs ambitieux de diplomation risquent de prendre du plomb dans l'aile; c'est ça qui nous apparaît comme étant l'avenir prévisible.

(12 h 10)

De façon plus particulière, je dirais juste deux choses. Au collégial, on est préoccupé actuellement, comme Conseil, par le rythme de croisière et l'intensité des mesures de renouveau collégial. Il s'est passé quelque chose dans les collèges, qu'on aime ça ou pas, en totalité ou en partie. Il nous apparaît qu'il y a une dynamique qui s'est installée; il ne faudrait pas la briser au moment même où elle prend son élan, même s'il y a des récriminations qui peuvent être tout à fait justifiables de la part de groupes. Le danger, c'est d'arriver à un certain cynisme qui laisse croire au monde que, quand tu lui demandes des efforts, ça peut durer, ça peut être bon juste pour six mois, donc il vaut mieux mettre les freins pour tout le temps.

À l'université, vous savez très bien qu'il y a des débats à faire sur le réseau universitaire. Le ministre a sonné la cloche. En dessous de ce qu'il a dit ou de la façon dont il l'a dit, il y a débat sur la taille des établissements, la spécialisation des universités, la qualité de la formation dispensée, particulièrement au premier cycle. Ce sont des questions qui nous intéressent et qui devraient faire partie, croyons-nous, des états généraux. Il faudrait démocratiser ces débats-là pour que ce ne soit pas des chasses gardées d'ordres d'enseignement. Les citoyens ordinaires ont le droit de parler sur l'université.

Sur les adultes, très, très rapidement, parce que je vais me faire parler, actuellement, la réalité des adultes, c'est très imposant dans le système. Les masses démographiques se sont beaucoup déplacées. Ce n'est plus comme autrefois: 10 % d'adultes qui vont à l'école, puis 90 % de jeunes. C'est moitié-moitié. C'est ça que ça veut dire. Et c'est multiforme aussi, parce que les populations n'ont pas toutes les mêmes besoins. Or, on se rend compte que, depuis un certain nombre d'années – mais, là, c'est particulièrement vrai de ce temps-ci – on a fait disparaître le financement des formations à temps partiel en formation professionnelle et on facture l'individu de plus en plus, de sorte que, si tu veux aller te perfectionner sur mesure en professionnel collégial, par exemple, que tu ne fais pas partie des clientèles à chèque, que tu veux suivre un cours ou deux à ton rythme, bien, il faut que tu paies jusqu'à 200 $, 250 $. Ça nous apparaît contradictoire avec l'idée de formation continue.

C'est drôle, il y a quelque chose qui ne marche pas là. Ou c'est vrai qu'on s'en va dans une société d'apprentissage où les gens vont pouvoir à leur rythme se former selon ce qu'ils pensent être leurs besoins, puis on en tient compte ou, clairement, on priorise des formations qui sont toujours, jusqu'à un certain point, initiales, c'est-à-dire qui mènent à des sanctions qui sont concentrées dans le temps, puis c'est rien que celles-là qu'on finance. Il me semble qu'il y a des discours à réconcilier avec la réalité. J'arrête là.


Discussion générale


Autonomie des universités

Le Président (M. Facal): Moi, j'aurais deux questions très précises à vous poser, M. Bisaillon, qui n'ont aucun rapport l'une avec l'autre. La première est la suivante: Dans le panorama universitaire actuel, on observe un certain nombre de phénomènes précis qui peuvent donner lieu vraiment à des interrogations. Par exemple, pour la seule ville de Montréal, il y a quatre départements de philosophie. Autre exemple, à l'Université Laval, ici, le ministre y a fait référence, à l'examen de l'Ordre des comptables, le taux de succès des étudiants était à peine au-dessus de 20 %, ce qui lui faisait dire: On paie pour en former cinq et on en a un au bout du compte. Comment concilier ce nécessaire redressement avec le principe de l'autonomie des universités?

Et la deuxième question, c'est: Qu'avez-vous à nous dire sur ce que devraient être les états généraux pour que l'exercice en vaille la peine?

M. Bisaillon (Robert): Oh! c'est des grosses questions, ça.

Le Président (M. Facal): Et avec de courts préambules.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bisaillon (Robert): Moi, je dirais que le principal danger qui guette les universités, c'est que les débats se fassent juste dans les universités ou qu'ils se fassent juste à certains niveaux dans les universités, tant celui du financement universitaire que celui de la formation qu'on dispense. Il faut que ça soit démocratisé. Mais, pour que ça soit démocratisé et que l'université n'en paie pas un prix trop élevé ou plus élevé qu'elle ne devrait payer, il faut que l'université elle-même fasse ces débats-là à l'interne. Et ça va du type de formation qu'on donne aux étudiants, du soutien qu'on donne et aux étudiants ou aux profs dans leur formation, jusqu'au décloisonnement des programmes, surtout au premier cycle universitaire: en faire des vrais programmes plutôt que des cafétérias de cours. Ça va très loin. Ça va aussi dans des collaborations interuniversités ou intergouvernementales.

Je ne suis pas capable de dire, moi, aujourd'hui, que quatre départements de philo plutôt que deux, c'est mieux, là, ou pire; je ne suis pas capable de dire ça, mais, effectivement, il y a un débat à faire. Et, moi, je dis souvent: Si les universitaires ne sont pas proactifs dans ce débat-là, c'est la société qui va souffrir de choix qui pourraient être faits de façon étroite. Et il y a des choix de société qui s'en viennent de plus en plus sensibles, je dirais. Il y a toute une tentation de dire: Vous nous reprochez de ne pas donner des formations de qualité, on va en prendre moins d'étudiants, on va les former mieux. Même des gens qui ont des talents pour faire des études universitaires, on n'en prendra pas. Par ailleurs, on est financé par tête de pipe, donc on va en prendre le plus possible. Voyez-vous, c'est le genre de dilemme qui n'est pas facile à régler pour une université. Nous autres, au Conseil, on pense qu'il faut garder ouvert l'accès à tous ceux qui en sont capables. Sans ça, on revient dans des... on recule.

Comment concilier, donc, une fréquentation de masse – puisque c'est ça, maintenant, l'université, et l'université n'a jamais connu ça avant; je dis «avant»: dans l'histoire de la société québécoise, ça fait quand même 20 ans qu'il y a une fréquentation de masse – avec une qualité de formation, en n'exacerbant pas une de ces fonctions ou de ces missions et en ne valorisant pas un seul type de savoir, et en n'accordant pas toutes ces ressources seulement dans les applications technologiques? Le débat n'a pas été fait. Mais, nous, ce qu'on dit, c'est que c'est un débat qui n'appartient pas juste aux universitaires; il appartient à toute la société. Mais, si les universitaires ne le font pas, ils ne nous rendent pas service comme société.


États généraux de l'éducation

Sur la question des états généraux, le Conseil a écrit une lettre d'une quinzaine de pages au ministre de l'Éducation au mois de novembre, début décembre, donc approuvée en conseil, où on disait au ministre comment on voyait cette question-là, fond et forme. Quant au fond, on décrivait un certain nombre de... On faisait une petite mise au jeu très, très rapide, un paragraphe – ça ressemble beaucoup à ce qu'on discute, ici, d'ailleurs – sur ce qui nous paraissait être les problèmes, les réalités particulières d'un ordre d'enseignement et on disait: Il faudrait que le questionnement tourne autour des trois, quatre ou cinq questions suivantes. On le faisait pour le primaire, le secondaire, le collégial, l'université, l'éducation des adultes et pour des questions de systèmes. Parmi les questions de systèmes, il y avait la question de la démocratie scolaire et des pouvoirs locaux ou intermédiaires. On pensait qu'il fallait discuter de ces questions-là dans des états généraux.

Nouvelles technologies: on pense que c'est incontournable. Il faut poser des questions de cet ordre-là. Ça, c'était la première chose. Deuxièmement, on disait au ministre: Il y a des balises, d'après nous, qui sont à respecter quant à la forme. Un, ça ne doit pas être les états généraux de l'éducation, mais des états généraux sur l'éducation. Autrement dit, ça ne doit pas être réservé aux experts, aux spécialistes et aux groupes, qu'ils soient d'intérêts ou de compétences, mais à l'ensemble de la population. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut passer à l'extrême inverse, puis exclure tous les groupes constitués.

Deuxièmement, on dit: Ça prend une phase régionale d'expression, dans toutes les régions, de ce qui se produit, en tout cas, de points de vue des régions là-dessus, puis, ensuite, une phase nationale. Qu'est-ce qu'il y avait, à part ça?

(Consultation)

M. Bisaillon (Robert): Oui, c'est ça, puis traiter des questions particulières à des ordres, puis traiter des questions de systèmes. C'est les deux qui font qu'on peut développer l'éducation au Québec. Il y a des questions qui sont des questions de systèmes, aujourd'hui, qui sont des questions importantes. Le cheminement traverse tous les ordres d'enseignement. Il y a des questions particulières à des ordres d'enseignement qu'on ne peut pas exclure. Bon. Puis on avait offert nos services au ministre comme Conseil, évidemment, compte tenu du mandat du Conseil qui est un mandat d'écoute. C'était ça.

(12 h 20)

Le Président (M. Facal): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Oui, juste sur ce point, compte tenu que les états généraux, c'est une question qui intéresse tous les membres de la commission de l'éducation, est-il possible de demander au président du Conseil de déposer aux membres de la commission copie de la lettre qu'il faisait parvenir au ministre de l'Éducation?

M. Bisaillon (Robert): Là, j'ai un problème là-dessus, parce que ce n'est pas un avis. Alors, on a vérifié ça, on s'est même posé la question si on pouvait rendre ça public, puis on est arrivés à la conclusion qu'on ne le pouvait pas parce que la loi... M. Deronzier a fouillé ça, il pourrait vous expliquer ça dans le détail, mais la conclusion à laquelle on arrivait, c'est que ça appartient maintenant au ministre de rendre ça public; ça ne nous appartient plus à nous autres. Donc, c'est pour ça que je suis un peu en difficulté, ce matin. Mais, moi, personnellement, je n'ai pas d'objection à ce que vous l'ayez, aucune.

C'étaient quoi, les...

M. Deronzier (Jean-Robert): Il y avait une distinction, je pense, entre le fait, effectivement, qu'il s'agissait d'une lettre adressée à un ministre et que, dans ce cas-là, après, il appartenait au ministre de savoir de quelle façon il pouvait ou ne pouvait pas disposer de la lettre. Je pense qu'il pourrait en disposer, mais je pense qu'il faudrait la lui demander, à lui. Nous n'avons pas, nous, la possibilité de la déposer.

M. Bisaillon (Robert): Contrairement à un avis sur lequel on a le pouvoir d'édition. C'est une formalité aussi bête que ça, mais elle est importante jusqu'à un certain point. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Facal): Je soupçonne que le député de Marquette vient de trouver sa prochaine question en Chambre.

M. Ouimet: Non, pas nécessairement.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Ouimet: Je pense que tout le monde réfléchit sur les états généraux. Je me permettrais, si mes collègues de la commission sont d'accord, en passant par votre entremise, M. le Président, de demander au ministre de l'Éducation s'il voudrait bien la déposer pour alimenter notre réflexion collective.

Le Président (M. Facal): Moi, je n'ai aucune objection à cette demande qui m'apparaît parfaitement raisonnable.

M. Ouimet: Merci.

M. Bisaillon (Robert): J'ajouterais que, dans cette lettre-là, on disait au ministre que le danger, c'était... On ne le disait pas comme ça là, mais le danger, ça serait qu'une opération n'arrive qu'à additionner des demandes individuelles ou des récriminations. Parce que tout le monde est spécialiste de l'éducation au Québec, quand même ça ne serait que parce qu'on a tous été étudiants ou parents d'étudiants ou payeurs de taxes scolaires. Donc, on a tous quelque chose à dire sur l'éducation et, généralement, on sait plus ce qu'on n'aime pas dans l'éducation que ce qu'on aimerait.

Bon. Alors, on avait dit au ministre, dans cette lettre-là, je pense – puis je le lui ai répété – que l'objectif des états généraux devrait être aussi d'arriver à des engagements collectifs, à ce que les gens se compromettent par rapport à leur contribution, que ça soit comme parent, que ça soit comme groupe, que ça soit comme institution, à des réformes ou à des développements. Il faudrait arriver à ce niveau-là et là ça serait vraiment des états généraux, je dirais même, au sens du Moyen Âge là, où on voulait que l'ensemble des couches de la société ait une prise sur les développements dans un secteur donné, contrairement à ceux de 1986 qui n'ont été qu'une addition d'ateliers et aucun engagement à prendre au bout de la ligne. Ça, ça serait plate si ça finissait de même.

Le Président (M. Facal): Ce qu'on appelle, en jargon politique, la liste d'épicerie, éviter ça. M. le député de Champlain.


Tâche de l'enseignant

M. Beaumier: Oui. Bien, je ne sais plus si on doit poser cette interrogation dans le cadre «attentes des états généraux», mais je me permets quand même de la poser tout de suite. Sur la mission des universités, vous disiez tantôt, très justement, que c'est avant tout, leur mission, une question de formation, de formation en termes de transmission de connaissances, en termes de formation à la recherche et de recherche aussi, également. Il y a aussi l'apport à la société. Vous souleviez un volet qui... On parle souvent d'apport d'universitaires à la société, mais ça prend souvent des formes de conseils, des choses comme celles-là. Mais la fonction critique comme telle, moi, en tout cas, je ne la trouve pas comme je pense qu'on devrait la trouver, comme je pense que la société devrait en être privilégiée.

En fait, ça soulève toute la question de la tâche de l'enseignant. Dans la réflexion, j'imagine, que vous avez dû faire – je vais caricaturer pour bien voir la problématique – est-ce qu'un enseignant devrait faire toutes ces tâches-là? Parce qu'il y a de l'encadrement, aussi, académique...

M. Bisaillon (Robert): Oui.

M. Beaumier: ...de l'encadrement, des fois même...

M. Bisaillon (Robert): Administratif.

M. Beaumier: ...administratif. C'est beaucoup pour un seul homme ou une seule femme. Et on voit qu'il y a des gens qui font tout au cours de leur carrière, souvent, puis, des fois, presque souvent en même temps. Est-ce que vous auriez des orientations sur la question de la tâche de l'enseignant? Est-ce qu'il devrait être plus spécialisé, soit en recherche? Et la recherche elle-même, est-ce qu'elle est en fonction de la formation, de permettre la formation d'étudiants en recherche, ou si c'est une recherche qui est en fonction des besoins de la société, des commandites, comme il s'en fait? Vous avez quelque chose? Je sens que vous avez quelque chose à dire sur ça, là. Mais, c'est flou, c'est...

M. Bisaillon (Robert): Il y a trois ou quatre choses dans votre question. Ça n'a l'air de rien, mais c'est une question-parapluie.

M. Beaumier: Non, non, ça a l'air de quelque chose, j'espère.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bisaillon (Robert): Non, dans la façon de présenter ça, comprenons-nous bien.

M. Beaumier: Oui, c'est ça. Autrement dit – je vais terminer – comment, en ayant une conception des tâches que doit avoir l'ensemble des enseignants, réussir cette mission qui est à la fois de transmission de connaissances, de recherche, de formation à la recherche et de service à la société, avec l'aspect critique et l'aspect éthique aussi, qu'on oublie de temps en temps?

M. Bisaillon (Robert): Oui, tout à fait.

M. Beaumier: C'est beau.

M. Bisaillon (Robert): Même si on peut concevoir un modèle de modulation de tâches dans la carrière d'un professeur, moi, je pense qu'il faut a priori ne pas détacher l'enseignement de la recherche comme faisant partie de l'exercice de la mission universitaire portée individuellement par des professeurs, de telle sorte que, même quand on enseigne ou qu'on est en recherche, on ait le même objectif de formation. Ça, c'est important. D'ailleurs, un des critères dont on parlait dans notre avis sur les rapports entre économie et enseignement supérieur, c'est de dire que, quand une université s'engage dans des projets de recherche avec une industrie, par exemple, elle devrait toujours s'assurer qu'il y a des retombées sur le plan de la formation; sinon, ce n'est pas sa job. Sinon, ce n'est pas sa job. Ne pas perdre de vue l'objectif de l'université. Bon.

C'est aussi l'avancement des connaissances, bien sûr. Quand j'ai parlé de la fonction critique, j'ai voulu dire qu'il y a des professeurs pour qui la recherche de subventions dans des secteurs donnés, parce que c'est des secteurs de pointe, est tellement importante qu'ils peuvent s'attacher des fils à la patte. Et par, je dirais, contraste, il est possible que des professeurs qui parleraient sur des sujets qui ne sont pas rentables économiquement actuellement dans la société, ça n'aide pas du tout à l'avancement de leur carrière.

Mais on peut constater, je pense, un affadissement de la présence publique de l'université dans l'opinion publique depuis un certain nombre d'années, qui va de pair avec une présence énorme des universitaires qui ont travaillé, je dirais, dans le cadre des applications technologiques de la science. Il y a comme une apparence de débalancement. Ce n'est pas innocent, cette affaire-là; c'est des évolutions qui s'expliquent, et on pense que la collectivité a aussi besoin d'éclairage sur le plan démographique, sur le plan du développement régional, sur le plan du débat public, de la démocratie et pas seulement dans des secteurs dits de pointe. Et l'université doit arriver à gérer ces équilibres-là, ce qui n'est pas facile.

Alors, voilà, ce n'est pas simple. Je ne dis pas que chaque enseignant, tout le temps, doit porter tout ça, mais il n'y a pas tellement... D'ailleurs, quand on dissocie – c'est un petit peu ça qu'on a fait au premier cycle – «chargé de cours», «enseignement», puis les autres, «recherche et enseignement», à mon avis, on vient de mettre dans le trouble la formation. Pas parce que les gens ne sont pas des bons chargés de cours, mais parce que ce n'est pas intégré dans la mission de l'université de façon organique, ce que les chargés de cours font avec ce que font les autres profs.

Pour l'exercice de cette mission-là, ça prend l'autonomie institutionnelle. Je pense que chaque université... On ne doit pas revenir au temps de Duplessis où on dit à l'université: Si tu ne marches pas de même, il va t'arriver malheur. La liberté académique des profs aussi. En contrepartie, les universités, surtout dans un ordre d'enseignement financé à au-delà de 80 % par des fonds publics, doivent rendre des comptes. Moi, là-dessus, je pense qu'on ne doit pas reculer. Il n'y a pas de tour d'ivoire là-dedans; il n'y a pas de justification qu'une université ne soit pas aussi imputable qu'un collège ou qu'une école primaire, c'est les mêmes fonds publics. Et là, ça va s'accentuer, cette obligation-là, s'il est vrai qu'on s'en va vers des augmentations de frais de scolarité aux étudiants. Quand tu paies plus, tu en demandes plus.

(12 h 30)

Le Président (M. Facal): M. le député de Marquette.


Aide financière aux étudiants

M. Ouimet: Oui. Concernant la question de l'aide financière, est-ce que le Conseil pense que des modifications devraient être apportées au système d'aide financière aux étudiants? Est-ce que vous avez déposé un avis au ministre de l'Éducation à ce sujet-là? Non?

M. Bisaillon (Robert): Non, ni aux groupes de travail.

M. Ouimet: Ni aux groupes de travail. Parce qu'il a invité, je pense, des groupes à venir déposer des mémoires à la table de travail.

M. Bisaillon (Robert): On n'a pas été invités, soit dit en passant, mais je pense que ce n'est pas la manière de faire, non plus, d'aller devant des groupes de travail, pour un Conseil. Nous, ce qu'on avait dit dans le même avis sur l'enseignement supérieur: Autour de l'aide financière, il y a un certain nombre de questions qu'il faut clarifier, qui sont des questions – je ne sais jamais si c'est en amont ou en aval, mais, en tout cas – avant, là, préalables. On dit souvent: Les jeunes restent à l'école longtemps, ça coûte cher, on va mettre des barrières. Nous, on a constaté, au Conseil, qu'avec les moyens dont on dispose aujourd'hui pour étudier les cohortes, on est capables de dire je ne dirais pas la date précise, mais on est capables de vous dire: Après tant de sessions de plus, on augmente de tant le taux de diplomation. Et on a dit: En l'occurrence – et c'est là que je rejoins votre question sur l'aide financière – faites attention, si vous changez l'aide financière, de ne pas diminuer l'accessibilité à l'université, un, mais l'accessibilité au cheminement aussi, à la réussite.

Est-ce que c'est dramatique pour une société, alors que ça prendrait quatre sessions pour faire un D.E.C., puis que ça produit, au bout de quatre sessions, 28 %, qu'on en prenne six, puis que ça produise 50 % de diplomation? Est-ce que c'est un progrès, ça, là, qui en vaut le coup? Est-ce que, par ailleurs, quand tu atteins le niveau zéro de diplomation après tant de sessions, on doit continuer à financer? C'est des questions qu'il faut se poser. C'est comme ça qu'on les a abordées. Alors, nous autres, on a dit: Il ne faut pas briser le cheminement. Il y a des jeunes qui ne diplômeraient jamais s'ils ne pouvaient pas, après une session et demie, changer d'orientation. C'est assez clair, ils ne diplômeraient jamais, ils sortiraient du système. Alors, c'est sous cet angle-là qu'on a demandé de regarder ça.

Actuellement, on prépare un avis sur le financement universitaire, c'est-à-dire la structure du financement, et on se rend bien compte que ça se déplace comme des plaques tectoniques, la part du financement qui vient des étudiants par rapport au financement traditionnel qui venait du gouvernement et par rapport au financement qui vient des universités. Les équilibres se sont brisés, pas les équilibres, les proportions se sont brisées. Je ne traiterais pas ça en termes d'équilibres, ce serait un jugement de valeur. Et là, on se dit: Le genre de question qu'il faut se poser, c'est, avec nos objectifs d'accessibilité, de diplomation, jusqu'où c'est tolérable d'augmenter la part relative des étudiants, étudiantes par rapport à celle de l'État ou à celle des subventions du privé? Jusqu'où c'est tolérable en soi, puis quelles conséquences ça doit avoir sur l'aide financière? C'est comme ça qu'on réfléchit. Donc, c'est toujours par rapport à nos objectifs de diplomation et d'accès. Je dirais qu'on en est là pour le moment.

Le Président (M. Facal): Mme la députée de Terrebonne.


Décentralisation du système d'éducation

Mme Caron: M. le Président, concernant les états généraux, lorsque vous avez parlé du fond, vous avez parlé des réalités sur chaque ordre d'enseignement, évidemment, et aussi du système, de l'importance du système. Moi, j'aimerais vous entendre un petit peu par rapport au système parce que, lors des commissions régionales sur l'avenir du Québec, plusieurs individus sont venus nous présenter des documents fort intéressants sur la décentralisation et sur le système d'éducation.

Il y a trois commissions scolaires dans ma région et, à mon grand étonnement, sur trois commissions scolaires, deux commissions scolaires percevaient une décentralisation même sur la formation, sur les outils, le choix des outils des enseignants, etc. Ils remettaient ça directement à la commission scolaire, se voyant les seuls garants pouvant définir ce qu'on devait faire, et considéraient les enseignants uniquement sous l'angle de la masse salariale. Et j'avoue que ça m'a suscité beaucoup, beaucoup d'inquiétudes par rapport à notre vision du système. Alors, moi, j'aimerais bien vous entendre sur le système.

M. Bisaillon (Robert): Sur le système, c'est les sujets qui débordent un ordre d'enseignement. À notre avis, le principal sujet dont il faut traiter, c'est: est-ce que, comme société, on veut encore se donner des objectifs de scolarisation? La scolarisation étant comprise non seulement comme le fait d'accéder à un ordre d'enseignement, mais d'en sortir avec un diplôme, de s'insérer socialement avec quelque chose de valable. Si oui, ça ressemble à un projet de société, ça aussi, là, bon, mais sur le plan éducatif. Et, ce débat-là, il ne faut pas juste le faire en se demandant si, d'abord, ça coûte trop cher ou pas trop cher, s'il faut en mettre plus au primaire ou à l'université. Il faut se le demander en lien avec l'évolution des sociétés comparables et notre conviction qu'il faut se tenir dans le peloton, et, deuxièmement, dans ces sociétés-là, permettre à nos jeunes d'avoir une insertion sociale qui correspond à l'évolution souhaitable de la société, donc. Bon, c'est assez important comme projet.

L'autre grand projet social sur lequel il faut se prononcer – j'en ai parlé tantôt – c'est l'école et sa mission d'intégration. Ça se pose à trois égards: l'intégration des nouveaux arrivants, j'en ai parlé tantôt. Dans quelle école on va les intégrer? Dans une école confessionnelle ou non confessionnelle? C'est l'aspect de la confessionnalité. Et il y a toute la question, qui n'a pas été réglée à mon avis, de l'intégration des enfants en difficulté d'apprentissage et particulièrement des handicapés. Parce qu'on voit très bien qu'avec les chartes, les droits de la personne, on a évolué d'une conception de l'intégration qui était un moyen pour faire réussir mieux ces jeunes-là à une fin en soi. Aujourd'hui, l'objectif, c'est de les intégrer à l'école; ça doit être un objectif. Il y a des jugements de cour, même, qui existent; on a judiciarisé ce processus-là. Donc, l'école et sa mission d'intégration.

Vous savez qu'aux États-Unis, actuellement, il y a des poursuites de parents contre des écoles parce qu'ils prétendent, eux autres – on va dire que les Américains poursuivent pour n'importe quoi, mais, en tout cas – que le fait d'avoir intégré un enfant handicapé dans la classe de leur enfant, ça retarde le développement de leur enfant; ils poursuivent le conseil scolaire. Il y a toute une espèce de «moral majority» qui fait que... de sortie individuelle de crise où chacun veut avoir pour son enfant, pour soi-même, les meilleures solutions, quitte à se débarrasser... bon, ce qui est en totale contradiction, par ailleurs, avec nos chartes et le développement récent de la société. Ce n'est pas réglé, ces questions-là; moi, je pense qu'il faut en parler.

On prépare un avis, nous, sur ce que j'appelle la «montréalitude»; je n'ai pas trouvé mieux. On pense que Montréal ne doit pas être traitée comme le reste de la province. Il y a, à Montréal, une concentration de réalités qui ne sont pas juste des problèmes, qui sont aussi des atouts; une concentration de réalités qu'il faut regarder de très, très près, et ce n'est pas juste dans le domaine de l'école et des communautés culturelles, c'est dans le domaine de la réussite éducative aussi. On pense que, quand on parle de centralisation, de décentralisation, de gestion, de partenariat, de profession enseignante, c'est des sujets de système. C'est ce genre de questions-là qu'on aurait peur de voir évacuer – les nouvelles technologies – dans des débats qui porteraient juste sur les ordres d'enseignement ou qui seraient juste à partir des points de vue des clientèles.

Parce que M. X, puis Mme Y qui iraient se prononcer dans une table régionale, indépendamment des effets de ce qu'on voudrait voir sur l'ensemble du système ou sur une réalité plus grande que celle qu'ils voient, c'est utile de les entendre, mais ça ne dispose pas de ce qui s'appelle «le système», après. C'est aussi le rôle du ministère par rapport au local. Nous, on pense que l'État n'a pas à s'effacer en éducation. Moins d'État, meilleur état en éducation: très dangereux, très dangereux, autant qu'en santé. Maintenant, est-ce qu'il doit faire les choses autrement, est-ce que l'État doit bâtir des guides pédagogiques? Là c'est une tout autre affaire.

Le Président (M. Facal): M. le député de Lotbinière.


Spécialisation des universités

M. Paré: Au niveau des universités, au point de vue recherche et enseignement, il y a quand même un continuum au Québec, c'est-à-dire qu'à l'Université Bishop, c'est de l'enseignement et de l'encadrement des étudiants...

M. Bisaillon (Robert): De premier cycle.

M. Paré: ...au premier cycle. Et, à l'Université de Montréal, même au premier cycle, par contre, où les profs ont quand même de la recherche, il faut qu'ils aient des résultats de recherche ou ainsi de suite. Entre les deux, qu'est-ce que...

M. Bisaillon (Robert): Alors, c'est le problème de la spécialisation ou non des universités; c'est un choix particulier. Bishop, c'est une exception, je dirais, même, dans le...

M. Paré: Il y a un continuum à partir de Bishop jusqu'à l'Université de Montréal.

M. Bisaillon (Robert): Il y a un choix qui a été fait à Bishop, je pense, de faire du premier cycle. Paraît-il que c'est de l'excellent premier cycle aussi. Bon, dans d'autres universités, le choix, ça a été de donner la gamme des cycles.

M. Paré: Mais je parle de la tâche du prof.

M. Bisaillon (Robert): Ah, la tâche du prof?

M. Paré: Oui.

M. Bisaillon (Robert): Bien, moi, je ne trouve pas normal qu'on confie tout le premier cycle à des chargés de cours, si ça allait être ça, comme modèle, là.

(12 h 40)

M. Paré: Mais ce n'est pas ça à Bishop parce que c'est contre...

M. Bisaillon (Robert): Ah non.

M. Paré: C'est l'encadrement plus...

M. Bisaillon (Robert): Oui, oui, c'est ça.

M. Paré: O.K.

M. Bisaillon (Robert): Il se fait de la recherche aussi à Bishop, là. Les profs qui enseignent, ils font de la recherche aussi, là. Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faudrait pas qu'on s'assoie sur une pyramide qui s'appelle 85 % d'étudiants au premier cycle pour uniquement donner une meilleure formation en recherche, un meilleur encadrement en recherche. Je ne sais pas si on se comprend, là. L'université, c'est 85 % du monde qui va sortir au terme d'un bac. Il faut consentir là autant de compétences en enseignement et il faut que les gens qui sont là nourrissent leur enseignement de recherche également. C'est ça aussi, l'université, ça commence au premier cycle. Je ne suis pas capable de vous dire, concrètement, quelle tâche de prof ça doit faire, là, mais j'ai essayé de montrer qu'on ne peut pas séparer les deux sans qu'il y ait des effets...

M. Paré: Mais de là à ce que 85 %, comme vous dites, au niveau... Mettre l'emphase sur les étudiants, l'encadrement, donc, sur l'enseignement, contrairement à une autre institution où c'est 85 % des cours qui vont être donnés par des chargés de cours, dans d'autres universités où on met l'emphase, justement, sur la recherche par les profs qui sont là à temps plein.

M. Bisaillon (Robert): Oui, oui.

M. Paré: Qu'est-ce que vous...

M. Bisaillon (Robert): Il y a un écart.

M. Paré: Il y a un écart.

M. Bisaillon (Robert): Et, deuxièmement, c'est un écart qui ne doit pas se régler juste en disant, parce que vous ne seriez pas capable de supporter les effets de votre affirmation: À partir de maintenant, il ne doit plus y avoir de chargés de cours, c'est mauvais pour l'enseignement. On voit très bien dans quels troubles on serait. Cependant, les chargés de cours, on constate qu'ils ne participent pas à la vie institutionnelle, qu'ils n'ont pas accès au perfectionnement, qu'ils n'ont pas accès aux services pédagogiques dans une université, et ça crée, de fait, une deuxième classe de profs. Et là, c'est très difficile pour eux autres d'assumer des objectifs institutionnels plus stratégiques qui seraient de l'ordre de l'encadrement, par exemple, de l'orientation des jeunes, puisque ce qu'on leur dit, dans le fond, c'est: Tout ce qu'on veut savoir de vous autres, c'est de venir donner votre cours et allez-vous-en.

Alors, il y a une réflexion institutionnelle à faire dans les universités sur l'intégration des chargés de cours parce que, quand tu es rendu à 50 % ou presque de profs qui sont chargés de cours, on sait bien que la solution, demain matin, ce n'est pas de dire: On abolit les chargés de cours et on remplace ça par des profs. Ce n'est pas vrai, là, ça ne marchera pas de même. On peut en parler longtemps, mais ça ne donne rien. Alors, il y a une intégration plus dynamique dans l'institution des chargés de cours pour en faire des profs de qui on va exiger aussi qu'ils soient pédagogues, qu'ils fassent de l'encadrement, qu'ils soient attentifs aux étudiants.

Le Président (M. Facal): M. le député de Matane.


Arrimage entre le professionnel et le technique

M. Rioux: Oui. J'aimerais savoir si vous avez évalué comment s'est fait l'arrimage de l'enseignement professionnel au secondaire et au collégial. Vous vous souviendrez que ça avait été une priorité de la ministre Robillard. Elle s'était inspirée, d'ailleurs, de certaines recommandations du Conseil supérieur de l'éducation. Je ne sais pas si vous avez eu la chance de vérifier ça un tout petit peu. Comment ça s'est fait et est-ce que ça donne les résultats qu'on espérait?

Et ma deuxième question, je pense au développement régional, au chapitre de l'enseignement universitaire et de la recherche. Est-ce qu'on ne devrait pas, en région, privilégier la recherche appliquée? On sait que, dans des régions comme la Gaspésie, par exemple, et le Bas-Saint-Laurent, on est en difficulté économique considérable. Et on ne peut pas penser au développement sans qu'il y ait de recherche, ce n'est pas possible. À ce moment-là, est-ce qu'on devrait privilégier et privilégier très sérieusement la recherche appliquée, en tout cas, aller plus loin?

M. Bisaillon (Robert): Sur l'arrimage, oui, on a beaucoup écrit, au Conseil, là-dessus. Je ne sais pas vraiment où ça en est. On n'a pas fait un suivi – comment dire – au mois le mois, là, mais je sais qu'il y a des opérations, qui ont été menées et qui sont menées actuellement, qui, dans certains cas, sont même assimilables à des opérations d'incitation – c'est plus que de l'invitation, ça, c'est ça que je veux dire – à s'arrimer de façon plus sérieuse entre le professionnel et le technique. Il faut dire que ce n'est pas faisable spontanément dans tous les secteurs. Mais on note que l'harmonisation des cartes professionnelles est plus qu'un incitatif; c'est un facteur externe très déterminant qui oblige les gens à se parler. Je ne sais pas si ça va aller jusqu'au contenu de formation.

Moi, je pense qu'il faut regarder aussi du côté – et c'est pour ça que je parlais de filières plus tôt, là – des centres intégrés, là, peut-être pas avec tout l'équipement qu'ils ont, mais je ne veux pas, non plus, dénigrer ça nécessairement comme expérience. Mais l'école du bois et meuble, c'est secondaire, collégial, et ça permet à un jeune qui entre là de voir, s'il allait jusqu'au bout d'un cheminement, où ça le mènerait. Ce qu'il ne peut pas voir s'il n'y a pas d'intégration organique et même institutionnelle, dans certains cas.

Je pense qu'il faut regarder ces choses-là. Il y en a un ou deux au Québec qui s'organisent de cette façon-là. Je pense qu'il y aurait à regarder ça. Mais on ne changera pas la réalité de deux cultures différentes tant qu'on va avoir une formation professionnelle asymétrique par rapport à la formation collégiale où tu fais toute ta formation générale et tu t'en vas en technique, en professionnel, tandis qu'au collégial tu fais les deux en même temps. C'est dur d'arrimer ça. Il y a de quoi à regarder de ce côté-là. C'est pour ça qu'on s'interroge sur la filière. Mais ce n'est pas une position du Conseil.


Recherche appliquée en région

Sur le développement régional, une université en région ne pourra jamais être l'université universelle, là. C'est peut-être les créneaux régionaux qu'il faut regarder. Là – comment dire – il y a la part de choix institutionnel qui revient à l'université et il y a sa part de compréhension, de sensibilité à la région. Il n'y a pas d'avenir, je pense bien, à ce qu'elles fassent tout, partout. Est-ce que c'est appliqué à un créneau correspondant à la région? Je ne sais pas, la nuance, jusqu'où on peut la faire. Je pense que vous avez un programme de génie à Rimouski, d'ailleurs, qui est du génie appliqué. Je ne sais pas si ça s'appelle comme ça. Mais je présume que ça correspond à un type de besoin qu'il y a là. Comme le génie dans la Beauce, on veut des ingénieurs de plancher, des ingénieurs de PME. C'est un créneau qu'ils ont développé et qui correspond. Mais il ne faudra jamais qu'il y ait une correspondance totale, je pense, entre la situation régionale, à un moment donné, et les choix institutionnels parce que l'université va se faire «barouetter» aussi au gré des changements régionaux qui, des fois, ne sont pas voulus par la région elle-même. Alors, c'est ça. Ça prend une part, je pense, de...

Le Président (M. Facal): M. le député de D'Arcy-McGee.


Programme de formation des maîtres

M. Bergman: Est-ce que je peux vous demander quel est l'avis du Conseil supérieur sur le nouveau programme de la formation des maîtres?

M. Bisaillon (Robert): Quel avis?

M. Bergman: Quel est l'avis du Conseil supérieur sur le nouveau programme de la formation des maîtres?

M. Bisaillon (Robert): L'avis qu'on a donné est venu avant les nouveaux programmes. On n'en a pas donné après. C'est même un rapport annuel sur la profession enseignante. On a dit essentiellement trois choses. Vous faites appel à ma mémoire, là, ça fait déjà trois ou quatre ans. La première des choses, c'est que la formation des maîtres doit professionnaliser l'exercice du métier, c'est-à-dire doit déplacer l'accent des contenus – ça ne veut pas dire qu'il n'y a plus de contenu – vers la pratique professionnelle de l'enseignant. C'est déjà un premier accent. Deuxièmement, ce qu'on a dit, c'est que – et ça n'a jamais existé – on doit établir un continuum entre la formation initiale, les stages pratiques et la formation en emploi; donc, entre les milieux de formation initiale des universités, les milieux de pratique, les commissions scolaires, les écoles.

Parce que ce n'est pas vrai qu'on peut dire aujourd'hui que, quand tu arrives dans l'enseignement, tu es formé pour la vie; tu as le label de l'université ou du ministère et c'est réglé. C'est comme si c'était... Or, on constate que c'est des cultures qui ne s'interpénètrent pas, qui ne se parlaient pas avant. Ça commence, là, avec les nouveaux programmes. Et, surtout, l'augmentation du nombre d'heures de formation et l'obligation de faire presque l'équivalent d'un an en stage, forcément ça change les cultures. Mais ce n'est pas arrivé spontanément, cette affaire-là.

Ce qu'on a dit aussi, c'est qu'il ne faudrait pas que, parce qu'on veut mettre l'accent sur la formation à l'intervention pédagogique, on évacue tout niveau culturel de la formation des maîtres. Ça serait bien le drame, là, qu'on arrive avec des gens incultes, mais qui sont des bons techniciens de l'intervention pédagogique. Autrement dit, les reproches qu'on faisait autrefois à l'École normale et qu'on a fait à l'inverse à l'université, c'est-à-dire d'avoir oublié l'intervention pédagogique comme étant un savoir de seconde zone pour valoriser les savoirs universitaires et, effectivement, la profession s'est relevée au niveau de sa scolarité... Donc, par l'excès contraire, il ne faudrait pas qu'on revienne maintenant à de la formation de bons techniciens. Il faut donc un niveau de culture très solide à l'université et un niveau de formation fondamentale très solide en formation des maîtres; sinon, ça ne vaut pas la peine.

(12 h 50)

Et on a dit: Il ne faudrait pas faire, pendant quatre ans, ce qu'on faisait mal pendant trois ans. C'est une façon caricaturale de dire qu'enseigner, ce n'est pas juste de la didactique; c'est la compréhension d'un certain nombre d'enjeux sociaux, des fondements de l'éducation, des populations étudiantes et des développements de la recherche en psychopédagogie. Ce n'est pas rien, là. Il s'est passé beaucoup de choses depuis 20 ans. C'est tout ça, la formation des maîtres comme assise d'une intervention pédagogique.

Le Président (M. Facal): Je souhaite la bienvenue au vice-président de la commission, le député de Bourassa...

Une voix: Il est pas mal en retard.

Le Président (M. Facal): ...qui se joint à nous, malheureusement, un petit peu sur le tard. Mais enfin, il est avec nous et on s'en réjouit. Est-ce qu'il y a d'autres questions?

Alors, M. Bisaillon, je voudrais vous remercier, au nom de tous mes collègues, ainsi que l'équipe qui vous accompagne. Vous nous avez fait un vaste survol. Nous avons couvert beaucoup de terrain en peu de temps. Nous sommes parfaitement conscients que cela nous oblige à mettre en contexte vos propos. Évidemment, ça me rappelle un peu les visites au musée. La première fois, on fait les cinq étages du Louvre...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Facal): ...et, les fois subséquentes, on se concentre soit sur les momies égyptiennes, soit sur les impressionnistes.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Facal): Je pense que, probablement, nous nous reverrons. Je me permets également de vous demander si vous auriez la gentillesse de nous acheminer vos avis les plus récents touchant les questions que nous avons discutées. Vous nous en avez déjà fait parvenir un certain nombre; j'aimerais que vous vérifiiez, avec le secrétaire, s'il y en a que nous n'avons pas et que vous pensez qu'il serait important que nous ayons, à la lumière des intérêts qui vous ont été exprimés aujourd'hui.

M. Bisaillon (Robert): D'accord. Ça sera fait aujourd'hui.

Le Président (M. Facal): Alors, sur ce, je vous remercie infiniment, ainsi que les gens qui vous accompagnent, et je propose que nous ajournions nos travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 53)


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