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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mardi 21 septembre 1999 - Vol. 36 N° 11

Consultation générale sur la place de la religion à l'école


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Table des matières

Remarques préliminaires

Auditions


Autres intervenants
Mme Madeleine Bélanger, présidente
M. Gilles Labbé
M. Jean-Sébastien Lamoureux
M. Serge Geoffrion
Mme Fatima Houda-Pepin
M. Jean-François Simard
M. Lawrence S. Bergman
M. Pierre-Étienne Laporte
M. Yves Beaumier
M. Claude Cousineau
*M. Glenn Smith, Table de concertation protestante sur l'éducation
*Mme Louise Laurin, Coalition pour la déconfessionnalisation scolaire
*M. Henri Laberge, idem
*Mme Carolyn Sharp, CJF
*M. Jean Bellefeuille, idem
*Mme Élisabeth Garant, idem
* M. Marc Pelchat, Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l'Université Laval
*M. Raymond Brodeur, idem
*M. Jacques Racine, idem
* Mme Marie-Andrée Roy, Département des sciences religieuses
de l'Université du Québec à Montréal
*M. Louis Rousseau, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures sept minutes)

La Présidente (Mme Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission de l'éducation débute ses travaux. Alors, je rappelle que le mandat de la commission est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur la place de la religion à l'école.

Alors, M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. M. Beaumier (Champlain) remplace Mme Charest (Rimouski); M. Morin (Nicolet-Yamaska) remplace Mme Papineau (Prévost).

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. Alors, j'aimerais faire remarquer aux membres de la commission qu'après une entente avec les deux leaders le député d'Outremont serait membre de la commission pour tout le temps du mandat. Est-ce qu'il y a des objections? Non? Ça va. Pour aujourd'hui, on demandera l'autorisation des membres pour que Mme la députée de La Pinière prenne la parole.

Je vais vous donner l'ordre du jour: d'abord, à 10 heures, nous avons les remarques préliminaires; à 10 h 30, nous avons la Table de concertation protestante sur l'éducation, représentée par M. Glenn Smith, président; nous aurons ensuite, à 11 h 30, la Coalition pour la déconfessionnalisation scolaire, représentée par Mme Louise Laurin, qui est la porte-parole; et, à 12 h 30, nous aurons la suspension.


Remarques préliminaires

Alors, nous en sommes aux remarques préliminaires. M. le ministre, il y a 30 minutes pour les remarques préliminaires, dont 15 minutes pour vous et 15 minutes pour le porte-parole de l'opposition.


M. François Legault

M. Legault: Oui. Merci, Mme la Présidente. Donc, chers collègues, au mois de juin, lorsque les membres du Groupe de travail sur la place de la religion à l'école sont venus nous présenter leur rapport, donc ici, devant la commission de l'éducation, j'ai indiqué à ce moment-là aux membres de cette commission que nous nous engagions dans un débat sur une question qui est complexe et susceptible aussi de soulever des passions.

Depuis, les différentes interventions publiées dans les médias ont confirmé – je pense qu'on va tous être d'accord avec ça – cette première impression. Donc, malgré d'importants changements de comportement dans les rapports que nos concitoyennes et concitoyens entretiennent avec la religion, il n'en demeure pas moins que, pour plusieurs d'entre eux, la religion demeure un élément fondamental de leur vie. Ainsi, lorsque nous essayons d'envisager de nouvelles façons de faire ou d'aborder la question religieuse à l'école afin de tenir compte des modifications de notre société, plusieurs personnes ou groupes ont l'impression de se faire enlever quelque chose pendant que d'autres ont l'impression de se faire imposer quelque chose dont ils ne veulent pas. Donc, Mme la Présidente, j'ai demandé que cette commission tienne une consultation sur le rapport Proulx parce que je veux prendre le temps d'écouter ce que la population a à nous dire à ce sujet.

(10 h 10)

Peut-être un peu d'histoire pour situer le débat. Il y a maintenant 35 ans, lors de la création du ministère de l'Éducation en 1964, un compromis est survenu entre les autorités gouvernementales et religieuses de l'époque. Par ce compromis ont été créés les comités catholiques et protestants qui sont rattachés administrativement au Conseil supérieur de l'éducation. Il a aussi été établi que la nomination de la grande majorité des membres du Conseil supérieur se faisait sur une base confessionnelle catholique ou protestante.

Le ministère de l'Éducation, pour sa part, compte depuis cette date deux sous-ministres associés, qui sont ici présents aujourd'hui, qui sont assistés dans leurs fonctions par deux directions, soit les directions de l'enseignement catholique et de l'enseignement protestant. Ces structures sont demeurées les mêmes, et ce, malgré les nombreuses transformations de l'école et l'évolution du contexte actuel de notre société.

Dans une société moins homogène aujourd'hui qu'il y a 35 ans, il faut le dire, on doit se poser des questions: Est-il toujours nécessaire de conserver des organismes et des personnes qui ont la responsabilité de veiller au respect des droits des catholiques et des protestants prévus par la loi dans le système scolaire?

Il avait aussi été prévu qu'un enseignement religieux catholique ou protestant serait inscrit au programme des élèves du primaire et du secondaire lors de la formation du ministère de l'Éducation. Donc, par leurs règlements, les comités confessionnels exigent des écoles qu'elles y allouent un temps actuel d'environ deux heures par semaine, soit un total d'environ 60 heures par année au primaire et 50 heures au secondaire. Donc, comme on peut le voir, c'est quand même beaucoup d'heures qui sont consacrées actuellement dans nos écoles à la religion, et ce temps prescrit confère à l'enseignement religieux un statut particulier, ce dont ne disposent pas les autres domaines de formation prévus au curriculum des élèves. Il y a seulement la religion où, dans nos lois, on prévoit un minimum de deux heures donc de 50 heures ou 60 heures par session.

Au secondaire, cet enseignement est assumé par des spécialistes. Au primaire, il est sous la responsabilité des titulaires de classe, et ce, malgré que le rapport des enseignants et des enseignantes avec la religion ait grandement évolué, comme dans l'ensemble de notre société au Québec.

Le rapport du Groupe de travail sur la place de la religion à l'école, demandé par ma prédécesseure, Mme Marois, nous donne une vue d'ensemble de la question. Et le groupe de travail a fait une étude fouillée, c'est un travail qui a été très bien fait. À partir de cette étude, il s'agit aujourd'hui d'ouvrir la discussion pour bien comprendre les aspirations et les attentes de la population au regard des recommandations qui nous ont été soumises.

Comme moi, vous constaterez que les personnes que nous allons entendre ont une même préoccupation, soit celle de trouver les aménagements éducatifs les plus pertinents. Plusieurs vont nous offrir leur collaboration; je les en remercie à l'avance. Je compte bien en profiter et me servir des travaux de cette commission pour en dégager un consensus en vue d'une solution réaliste.

Mme la Présidente, je m'engage dans les travaux de cette commission avec une volonté ferme de dialogue et de recherche parce que la question est sérieuse et les aménagements à réaliser sont délicats, mais non moins nécessaires. Donc, pendant ce débat j'essaierai de me laisser guider par ce que j'appelle ou ce qu'on appelle au Québec le «gros bon sens».

Notre société a beaucoup changé depuis 30 ans. Le Québec s'est grandement diversifié sur le plan culturel, ethnique et religieux. Il y a aujourd'hui une grande diversité de points de vue et les mémoires reçus à ce jour en témoignent. Il nous faut donc trouver ensemble de nouveaux accommodements et des compromis pour maintenir l'équilibre entre les valeurs communes de la société et les valeurs personnelles, entre les options des uns et celles des autres.

Il y en a certains qui vont évoquer des modèles qui ont été élaborés dans d'autres pays, le modèle français, le modèle belge, le modèle anglais ou d'autres modèles. Il s'agit pour nous de trouver l'application qui convienne le mieux à notre société et le mieux à notre réalité socioculturelle. Nous avons donc à inventer notre modèle, un modèle qui répond à notre réalité, à nos aspirations comme société, un modèle que je veux réaliste pour notre système d'éducation.

Je souhaite aborder le présent débat avec le moins d'idées préconçues possible. Au risque de me répéter, je réaffirme que je veux accueillir toutes les réflexions de nos concitoyennes et concitoyens avec l'espoir de trouver une solution qui soit le résultat d'un travail collectif. C'est la démocratie qui va agir.

Les valeurs de justice, de partage, d'équité et de démocratie m'ont jusqu'à ce jour inspiré dans ma vie personnelle. Aussi, j'aurai, tout au long de ce débat, certaines préoccupations qui vont s'appuyer sur ces valeurs dont je voudrais vous faire part.

D'entrée de jeu, comme plusieurs d'entre nous, il m'apparaît primordial de souligner que les droits et libertés fondamentaux sont des éléments essentiels de la démocratie québécoise. Le respect de ces droits et libertés constitue un devoir qui est parfois exigeant. C'est même un défi de taille mais un défi qui est emballant à relever. En effet, plusieurs situations sont contraignantes mais des difficultés qui hier semblaient insurmontables peuvent certainement aujourd'hui, grâce au dialogue et la volonté de tous et de toutes, être aplanies.

D'autre part, il nous faut bâtir l'avenir à partir d'un patrimoine culturel et historique important. Plusieurs nous le rappelleront, nous ne pouvons faire table rase de l'histoire, de la culture socioreligieuse du Québec. Je m'attends à ce qu'on m'éclaire sur des solutions qui prennent en considération cette réalité.

Donc, nous ne cherchons pas à évacuer de l'école le patrimoine religieux dont nous avons hérité. Notre réalité sociale et culturelle actuelle est aujourd'hui plus diversifiée. Cela exige de revoir la place qui est faite à ce patrimoine religieux à l'école pour tenir compte notamment de l'apport des nouvelles cultures et pour favoriser chez les jeunes un nouveau dialogue. Je crois que l'ensemble de notre société porte cette même préoccupation. Il semble que la population veuille éviter une coupure avec le passé qui soit trop brutale et qu'elle souhaite envisager un passage en douceur, une démarche progressive vers de nouveaux aménagements, comme cela a été fait en d'autres domaines au Québec.

Je veux aussi que l'on ait à l'esprit que le Québec a fait beaucoup d'efforts pour accueillir les immigrants et les intégrer à notre société. Le gouvernement s'est doté à cet égard d'une politique d'immigration et d'intégration culturelle qui vise la cohésion sociale. Plusieurs écoles sont appelées à mettre en contact des enfants appartenant à des minorités religieuses avec les enfants du groupe majoritaire. Les jeunes de ces deux groupes doivent apprendre à s'ouvrir aux autres, l'école étant un formidable lieu d'intégration où la tolérance et le respect sont des valeurs essentielles.

Enfin, nous devons garder à l'esprit que les orientations que cette commission dégagera s'incarneront dans le quotidien de l'école de quartier et dans celui des personnes qui la font. Nous devons tenir compte de cette réalité pour assurer la viabilité des solutions retenues ainsi que l'adhésion du plus grand nombre.

Mme la Présidente, je nous souhaite des discussions ouvertes et constructives, et ce, dans le meilleur intérêt des jeunes. Merci, Mme la Présidente.

(10 h 20)

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre. M. le député de Kamouraska-Témiscouata.


M. Claude Béchard

M. Béchard: Merci, Mme la Présidente. D'abord, je tiens à saluer le retour de la commission de l'éducation suite aux vacances de l'été et à souligner l'importance du débat aujourd'hui qui ramène, je dirais, les parlementaires en cette institution, et moi aussi y aller d'un aspect historique de la démarche qui nous interpelle aujourd'hui, mais un historique plus récent, c'est-à-dire au cours des quatre dernières années.

La question qui est au coeur des débats que nous aurons et des discussions et des échanges que nous aurons au cours des prochaines semaines, sur la place que doit prendre l'enseignement religieux dans nos écoles, se situe dans un débat qui effectivement est beaucoup plus long en temps et s'étire depuis une quarantaine d'années. Les dernières années ont vu différentes positions être mises de l'avant, différents comités étudier indirectement cette question-là tout en revoyant le curriculum et la façon dont l'on enseigne au Québec dans les écoles primaires et secondaires.

D'abord, vous souligner le travail du comité de M. Bisaillon qui avait comme mandat de revoir l'ensemble du fonctionnement du système d'éducation et qui a fonctionné par voie de consultations et d'analyses des vues exprimées, des travaux de recherche existants à ce moment-là et sur l'un des éléments dont la place de la religion à l'école. Le rapport final remis à l'époque, en 1996, à la prédécesseure du ministre proposait une laïcisation complète du système d'éducation en raison d'un potentiel discriminatoire.

Par la suite, en mars 1997, la ministre de l'Éducation de l'époque donnait, elle, les orientations du gouvernement sur cette question, à savoir, au moment de sa déclaration ministérielle sur la gestion et la diversité des attentes religieuses de l'école, elle indiquait que les orientations du gouvernement allaient viser à gérer les attentes dans la perspective d'une société pluraliste, dans le sens d'une démarche progressive et dans le respect de l'histoire et de la culture québécoises. De manière plus précise, le gouvernement annonçait à l'époque que le libre choix entre l'enseignement moral et l'enseignement religieux catholique et protestant continuera d'être offert en conformité avec l'article 41 de la Charte québécoise des droits et libertés.

Elle annonçait au même moment la mise sur pied du Groupe de travail chargé d'étudier la question de la place de la religion à l'école et la déclaration ministérielle de l'époque rassurait les autorités catholiques et protestantes qui ainsi donnaient leur aval à la demande du Québec d'être soustrait de l'application de l'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique afin de faciliter la mise sur pied des commissions scolaires linguistiques. Donc, un processus de déconfessionnalisation qui se poursuivait.

Par la suite, un Groupe de travail sur le curriculum, présidé par M. Paul Inchauspé, considère que la question de l'enseignement religieux ne faisait pas partie de son mandat. Toutefois, dans le rapport remis à la ministre en juin de la même année, en 1997, le groupe de travail proposait, contrairement aux états généraux, de maintenir le choix entre l'enseignement moral et l'enseignement religieux. C'est donc dire, Mme la Présidente, que ces questions, au cours des dernières années, ont été l'objet de plusieurs rapports, de plusieurs documents de spécialistes qui, de toutes parts, ont fait connaître leur opinion, ont fait connaître leur vision de la place de la religion à l'école, mais la commission parlementaire d'aujourd'hui nous donne une opportunité tout aussi intéressante, c'est-à-dire celle d'entendre des gens qui, jour après jour, dans leur quotidien, sont également touchés directement par la place que prend l'enseignement religieux dans nos écoles.

Le rapport du groupe de travail, qui a été remis au ministre en mars dernier, plus communément appelé le rapport Proulx, comprend un examen de la situation et des alternatives qui sont mises de l'avant. L'objet de la commission des prochains jours et des prochains mois, je l'espère, ne sera pas uniquement de voir si nous sommes pour ou contre le rapport Proulx et de quelle façon on peut s'y opposer ou y donner son aval. La discussion, selon nous, doit aller beaucoup plus loin et rechercher, dans tous les mémoires qui seront déposés ici et toutes les alternatives et les solutions présentées, celle qui correspond le mieux à notre réalité commune à tous.

Pour revenir sur le rapport Proulx, il indiquait clairement que deux avenues principales se présentaient: d'une part, l'approche dite communautarienne, qui consiste à conférer les mêmes droits et privilèges à toutes les religions, et, d'autre part, l'approche républicaine, qui consiste à ne conférer aucun droit ou privilège en matière d'enseignement confessionnel. Suite à ces analyses, le rapport souligne qu'à première vue l'approche communautarienne respecte les Chartes des droits et libertés mais, cependant, en pratique, qu'il serait difficile de la mettre en place.

De plus, l'enseignement confessionnel, selon le rapport, tout comme dans les écoles à statut confessionnel, serait un frein à l'intégration de la société québécoise des jeunes immigrants et nuirait à la socialisation des jeunes aux valeurs communes et, selon le rapport Proulx toujours, c'est pourquoi il faudrait préférer un système d'éducation fondé sur une approche républicaine des droits, ce qui, au cours des dernières semaines et des derniers mois, a donné l'occasion à plusieurs, au Québec, de critiquer, d'argumenter et d'apporter toutes sortes d'alternatives à la question de la place de la religion à l'école.

Nous avons déjà amorcé le débat sur l'enseignement religieux le printemps dernier par le débat qui a vu la reconduction des clauses dérogatoires pour les deux prochaines années. Les deux prochaines années sont donc protégées en vertu des clauses. Et, de mémoire, les propos du ministre à l'époque étaient sur le fait qu'on devait reconduire les clauses dérogatoires pour deux ans, pour se donner le temps de faire un débat et d'arriver avec des alternatives valables. La question est donc aujourd'hui: Nous devons rapidement nous retrousser les manches et travailler à ce que, justement dans ces deux ans-là, nous puissions arriver avec une alternative et des solutions à la question de l'enseignement religieux dans nos écoles.

Tout cela, lors du débat sur les clauses dérogatoires, se faisait sur un fond de volonté commune de changement, d'ajuster la place de l'enseignement religieux dans nos écoles et de faire en sorte que nous trouvions toutes sortes d'alternatives possibles pour éviter le recours aux clauses dérogatoires. Et selon ce que l'on mentionnait à l'époque et ce qui est aussi dans les différentes études et avis juridiques demandés par le ministère de l'Éducation sur cette question, il existe des solutions et des alternatives autant pour les tenants de la laïcisation complète, du modèle de sortir, je dirais, l'enseignement religieux du curriculum comme tel, que pour ceux qui souhaitent ouvrir à d'autres confessionnalités toutes sortes d'options qui permettent de ne pas avoir recours aux clauses dérogatoires. Et je pense que c'est un objectif commun que nous avons ici, au Québec.

Et juste pour vous en mentionner quelques-unes, Mme la Présidente, dans une étude demandée par le ministère de l'Éducation, dans le cadre du rapport Proulx, de Smith et Foster, il est indiqué que les solutions envisagées quant au respect des droits de la personne sont les suivantes: préserver le recours à des dispositions dérogatoires pour protéger le système contre des contestations – donc garder le statu quo et le système actuel; par la suite, dans un système purement laïc, les normes relatives aux droits de la personne sont respectées autant qu'il soit prévu des accommodements raisonnables pour ne pas influencer indûment ou négativement les convictions et les pratiques religieuses de chaque élève, de chaque membre du personnel, toute autre personne, et pour autant que l'enseignement privé et l'enseignement à domicile restent offerts à ceux qui souhaitent une éducation confessionnelle; et, troisième option, s'il est déterminé que le système doit conserver certains aspects confessionnels, deux solutions fondamentales sont possibles: la création d'écoles confessionnelles au sein des commissions scolaires linguistiques ou encore un enseignement religieux, des exercices religieux propres à différents confessions au sein d'écoles non confessionnelles. Dans un cas comme dans l'autre, ces droits doivent être accordés à toutes les religions. Dans les limites raisonnables, il faut prévoir des accommodements appropriés pour tous les élèves, tout le personnel et toute autre personne.

Donc, Mme la Présidente, beaucoup d'options s'offrent au gouvernement du Québec présentement. On parle beaucoup de déconfessionnalisation. Il faut faire une certaine distinction, je crois, entre la déconfessionnalisation des structures comme telles du ministère de l'Éducation, du Conseil supérieur de l'éducation, des commissions scolaires et, par la suite, la question de la confessionnalisation ou non de l'enseignement comme tel. Et la plupart des mémoires qui nous ont été présentés font justement cette distinction qui est fort importante et qui, d'ailleurs, a fait en sorte qu'on a dû suspendre un élément de la réforme de l'éducation, c'est-à-dire la reconfirmation du statut confessionnel des écoles pour justement voir ce qui arriverait de la question de la place de l'enseignement religieux dans nos écoles, au Québec.

(10 h 30)

Je vous dirais, Mme la Présidente, que plusieurs éléments sont encore à observer, mais je crois que nous devons nous fixer un échéancier commun, réaliste et applicable. Et, pour nous, il semble que, parmi ces échéanciers-là, la commission parlementaire qui se déroule présentement est importante. Elle a été retardée pour permettre, pendant les quelques semaines dont nous avons demandé le report, aux commissions scolaires, aux conseils d'établissement de prendre le temps de faire de la consultation et de se pencher sur cette question-là. Mais cependant, par la suite, le ministre devra rapidement déposer un projet de loi pour que nous puissions l'étudier le plus rapidement possible pour que déjà, dès le printemps prochain, les commissions scolaires, le système de l'éducation québécois puissent voir où on se dirige pour pouvoir commencer à préparer le terrain de la mise en place du nouveau curriculum, qui est prévu pour l'automne prochain, et également voir si oui ou non et comment l'enseignement religieux s'intégrera dans ce nouveau curriculum-là.

Donc, c'est un nouveau échéancier extrêmement serré, Mme la Présidente, et je tiens à souligner l'excellent travail de tous les organismes qui, peu importe leur vision de la place de l'enseignement religieux, ont pris le temps d'élaborer des mémoires aussi documentés, aussi approfondis et qui vont, dans la majorité des cas, au-delà d'un objectif que nous devons avoir, c'est-à-dire: Est-ce qu'on est pour ou contre le rapport Proulx, mais qui, dans la majorité des cas, vont dans le sens de comment nous pouvons assurer de meilleurs liens, un meilleur développement et une meilleure vision du phénomène religieux face à la société québécoise, face à l'ouverture de la société québécoise sur le monde et face à tous ces nouveaux Québécois qui, aujourd'hui comme demain, forment une société plus diversifiée, plus ouverte et plus respectueuse, nous l'espérons, de jour en jour, des différences qui existent entre nous tous.

Donc, notre attitude en sera une d'ouverture, de collaboration, de compréhension. Cependant, nous sommes conscients – et nous tenons à en avertir le ministre – que les échéanciers sont là, qu'ils sont serrés et que nous devrons arriver à des résultats rapidement, sinon c'est l'ensemble des intervenants touchés par cette question

qui auront l'impression que le gouvernement n'a pas pris ses décisions en temps opportun. Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député de Kamouraska-Témiscouata. Alors, je demanderais à M. Glenn Smith, le président de la Table de concertation protestante sur l'éducation, de bien vouloir s'approcher.


Auditions

M. Smith, je tiens à vous rappeler que vous avez 20 minutes pour faire votre présentation, qui seront suivies d'une discussion, 20 minutes pour les ministériels et 20 minutes pour les membres de l'opposition. Alors, M. Smith, vous avez la parole.


Table de concertation protestante sur l'éducation

M. Smith (Glenn): Merci beaucoup, Mme la Présidente de la commission. Merci beaucoup aussi, M. le ministre de l'Éducation et les membres de cette commission. La Table de concertation protestante sur l'éducation remercie l'Assemblée nationale d'avoir mis sur pied la commission parlementaire sur l'éducation permettant un débat sur la place de la religion à l'école.

Nous reconnaissons que le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école a soulevé dans son rapport d'importantes questions qui concernent la communauté protestante. Nous nous rendons compte que les 14 recommandations proposées par le Groupe auront un profond retentissement si on les accepte et les intègre au système d'éducation.

La Table de concertation réunit 27 confessions ou dénominations protestantes au Québec autour des questions liées à l'éducation. On compte, dans ces confessions, quelque 900 églises et paroisses locales, dont 388 francophones, 440 anglophones et une centaine de communautés protestantes allophones. Comme le Groupe de travail l'a bien mentionné dans son rapport, il y a 350 000 protestants au Québec. De ce nombre, 40 000 élèves se déclarent protestants dans les écoles de notre communauté, devenant le groupe religieux minoritaire le plus important en nombre dans le système d'éducation.

Tous les protestants appuient, comme le fait le Groupe de travail, le principe d'équité pour tous les citoyens et le principe de neutralité de la part du gouvernement à l'égard de la religion. En tant que groupe minoritaire, les protestants considèrent ces valeurs démocratiques comme essentielles à l'existence de la société québécoise et à l'épanouissement de nous en tant que minorité.

Nous sommes très conscients des difficultés que vivent les commissions scolaires, qui doivent maintenant offrir trois programmes d'enseignement, un enseignement moral et religieux catholique, protestant ainsi qu'un enseignement moral. Nous avons constamment à faire face, en tant que protestants, à des écoles et des commissions scolaires qui essaient de contourner la loi et de priver les élèves protestants de leur choix de programme d'enseignement, comme il est écrit dans la Loi et la Charte. C'est peut-être un des irritants les plus... que les protestants vivent présentement. Mais nous sommes aussi conscients des autres irritants dans le système confessionnel, qui ont privé beaucoup d'enfants d'un traitement équitable devant la loi. Le gouvernement devra régler ces litiges de façon définitive afin que la loi puisse accorder non seulement aux protestants et aux catholiques, mais à tous les citoyens une véritable équité sociale.

Permettez-moi d'aborder trois réflexions préliminaires avant d'expliquer brièvement les six recommandations qui se trouvent dans notre mémoire.

Ma première réflexion préliminaire touche notre façon de penser, ce qu'on appelle nos visions du monde. Dans une communauté, la façon d'être de sa population se base sur un ensemble de principes ou de présupposés qui reflètent ce qui est le plus profond de son intériorité comme regroupement. Ces philosophies englobantes sont de nature publique. On les appelle des fois une religion, des fois une idéologie, souvent des visions du monde. Elles ne se pratiquent pas simplement au cours d'un culte religieux une fois par semaine ou lorsque le groupe se réunit informellement. Mais ces visions du monde se manifestent dans la façon dont les gens, par exemple éduquent leurs enfants, cultivent leur terre, pensent à l'avenir, conçoivent leurs arguments politiques. De ce point de vue, les catholiques romains, les tenants du sécularisme, les musulmans, les juifs, les protestants, même les adeptes du nouvel âge ne tiennent pas toujours le même discours sur la société. Donc, il y a deux conséquences.

Le but premier de l'éducation consiste à orienter les élèves dans le monde et à les préparer à une participation significative dans la société. On leur enseigne ce qui est important, ce qui est significatif, ce qui a de la valeur. De cette façon, l'éducation revêt, dans sa raison d'être, une nature qui est fortement idéologique, fortement religieuse, fortement orientée vers les valeurs enracinées dans une vision du monde. Une génération ne peut enseigner à la suivante sans lui transmettre une certaine compréhension du monde, une certaine façon de comprendre la vie. Donc, il est évident que le système d'éducation public est établi selon un noyau de croyances et de valeurs et il ne peut revendiquer la neutralité sur le plan des valeurs, sur le plan des visions du monde selon le plan religieux.

Le sécularisme, tel qu'il est rédigé et défini dans le rapport du Groupe de travail sur la place de la religion à l'école, est une vision de la vie basée sur le fait que la religion ou les considérations religieuses doivent être ignorées ou intentionnellement exclues. Le Groupe de travail a tenté maintes et maintes fois de communiquer que le sécularisme équivaut à la neutralité. La Table de concertation protestante sur l'éducation rejette cette association de concepts. Même, nous dirons: Il est impossible à la neutralité d'être neutre.

Notre deuxième réflexion préliminaire touche la place que la spiritualité joue dans les visions du monde. Les questions fondamentales de la vie touchent notre quête de sens, ce qu'on appelle la spiritualité. Elle se situe au coeur de notre coeur humain. Il faut pouvoir répondre aux questions comme: Qui sommes-nous? Où sommes-nous? Où allons-nous? Quel est le problème de notre existence? Quelles sont les solutions? si nous voulons donner un but à notre vie.

Je suis surpris, la Table de concertation est surprise que le rapport sur la place de la religion à l'école aille minimiser cette dimension spirituelle de l'éducation. Ils ont dit, et je cite... Ils ont jugé bon de proposer que le développement spirituel comme but dans l'enseignement culturel des religions soit écarté. Je crois qu'ils sont venus à cette position parce que leur définition de la religion est de loin trop étroite. Cette définition est trop liée à l'aspect institutionnel de la religion et pas assez enracinée dans la religion comme une idéologie ou comme une vision du monde.

Selon la Table, l'éducation doit viser au développement total et harmonieux de l'enfant. La vocation première d'une école consiste à présenter à l'élève le vaste monde des connaissances, à faire naître chez lui un sens de ses responsabilités sociales ainsi qu'à lui faire acquérir les habilités qui lui permettront de contribuer de façon significative à la société québécoise. Ce même élève qui reçoit cette éducation n'est pas uniquement un être intellectuel. Même pour un enfant qui est jeune, la dimension spirituelle joue un rôle important dans son développement. Elle joue aussi un rôle important dans la mission de l'école.

(10 h 40)

Ceci m'amène à la troisième réflexion préliminaire: la vision prédominante. En dépit de la longueur avec laquelle le rapport sur la place de la religion à l'école a défendu ladite neutralité égalitaire de type républicain, il est très clair, par ses réponses aux deux objections, aux pages 92 et 93, que sa vision, la vision du Groupe de travail sur la place de la religion, de la démocratie libérale, se veut la seule façon de traiter la pluralité au sein de la culture.

Le Groupe de travail désire créer un environnement où chaque personne peut réaliser ses choix de vie librement, où chaque personne fait montre de tolérance à l'égard d'autrui, où chaque vision du monde est respectée, où aucune vision du monde n'est imposée à l'autre et où l'État adopte la neutralité à l'égard des différentes valeurs qui se font compétition entre elles. Mais cette perspective ne mène pas vers une société ouverte, mais lui impose plutôt un individualisme qui fait d'une société pluraliste une société homogène. Le rapport du Groupe de travail se veut, à notre avis, une voix significative en faveur de l'homogénéisation de la culture québécoise.

Donc, le principal enjeu, selon nous, est le suivant: Est-ce que les citoyens à l'intérieur des écoles publiques sont libres de choisir une école qui reflète leur vision du monde avec l'assurance d'un traitement équitable devant la loi?

Nous avons besoin d'une nouvelle vision, d'une nouvelle vision pour la communauté scolaire qui responsabilise tous les partenaires à partir de l'établissement local. Notre société a le droit de s'attendre à ce que ses citoyens soient éduqués de manière à ce qu'ils puissent contribuer de façon positive à son mieux-être. Le gouvernement a le droit d'établir la mission de l'école, d'en fixer ses objectifs larges, d'élaborer le programme, le régime pédagogique, les critères portant sur les enseignants et les normes des établissements d'enseignement.

Les enseignants doivent eux-mêmes être libérés du carcan administratif pour éduquer et nourrir les enfants dans les savoirs, les savoir-faire et surtout le savoir-être dans une société en grande mutation comme la nôtre. Mais nous devons abandonner les solutions mur à mur enracinées dans un cadre juridique et fonctionnaliste qui, jusqu'à maintenant, nous ont conduits au présent dilemme. Si cette commission donne une telle vision, je suis certain que le gouvernement peut trouver des solutions aux problèmes légaux. Mais il faut commencer avec la vision.

Les parents doivent jouer un rôle prépondérant, pas exclusif, dans la mise sur pied des écoles que leurs enfants fréquenteront, que le projet éducatif porte sur les beaux-arts, sur les sports, sur certaines perspectives ou selon certaines valeurs religieuses.

Pour nos recommandations. Le Groupe de travail présente dans son rapport, comme vous le savez bien, 14 recommandations concernant le système, pour lesquelles la Table de concertation protestante a formulé six recommandations. Les voilà.

D'abord, nous croyons fortement que cette commission devrait appuyer le principe suivant. Si un groupe de parents veut implanter un projet éducatif dans une école et peut montrer qu'il peut être offert de façon responsable, le gouvernement devrait, par conséquent, statuer en faveur de cette éducation et fournir les fonds nécessaires à sa réalisation.

Donc, la Table de concertation protestante est entièrement opposée à la quatrième recommandation du Groupe de travail. Il n'y a aucune raison de créer des conditions pour déterminer quels types de projets éducationnels seront applicables ou non en vertu de la Loi sur l'instruction publique. Nous croyons que ce que la loi stipule à l'heure actuelle est déjà suffisant. Elle approuve des projets éducationnels qui sont axés sur la communauté et dont le conseil d'établissement des écoles en est responsable.

Néanmoins, nous croyons que l'approche actuelle d'attribuer un statut à l'école n'est plus nécessaire. Même, nous dirons qu'elle est discriminatoire. En modifiant la loi s'appliquant au Conseil supérieur de l'éducation, qui rédige les comités confessionnels ainsi que les articles subséquents de la Loi sur l'instruction publique, surtout l'article 218, cet aspect de la gestion de la communauté scolaire peut être éliminé. La Table est d'avis que la communauté scolaire n'a plus besoin de statut, protestant, catholique ou laïc.

Notre deuxième recommandation. La Table de concertation protestante sur l'éducation continue d'être satisfaite du programme d'enseignement moral et religieux protestant. À la lumière des six principes directeurs que le comité – le rapport Proulx – sur l'éducation au phénomène religieux a établis en vue du nouveau programme et des réactions très favorables que le Groupe de travail et l'autre comité ont eu à l'égard du programme protestant, nous n'avons aucune raison de vouloir adopter un nouveau programme. Pourquoi, selon nous, refaire ce qui a été déjà fait et dépenser des sommes inutiles?

Certains membres de la Table de concertation sont sympathiques à l'idée d'avoir un programme d'enseignement commun. Ils sont, par contre, opposés à ce que le programme proposé par le Groupe de travail soit mis en place. Selon nous, la transcendance et la spiritualité ont été écartées, même évacuées de ce nouveau programme proposé par le Groupe de travail. Nous sommes d'avis qu'il est impossible de bien enseigner aux enfants les croyances et le vécu spirituel qui en découle sans aussi aborder la notion de transcendance et de spiritualité qui font toutes deux partie de leur vision du monde.

Le programme proposé par le Groupe pourrait s'offrir peut-être dans le cadre du deuxième cycle de l'école secondaire. Mais la Table le considère inapproprié, sur les plans philosophique et pédagogique, pour l'élémentaire. Avant que l'élève fasse l'étude d'autres perspectives que la sienne, une bonne pédagogie verra à ce que l'élève comprenne d'abord l'histoire, la tradition et les valeurs de sa propre vision du monde.

Notre troisième recommandation. La Table de concertation protestante sur l'éducation suggère que le gouvernement entreprenne, à la lumière de la situation actuelle de la société, une évaluation rigoureuse des comités confessionnels et des postes des sous-ministres associés pour déterminer leur utilité à l'égard de la communauté scolaire. Le Groupe de travail n'a pas effectué une évaluation rigoureuse de leur rôle; il s'en est tenu juste à l'aspect juridique.

Nous suggérons que des nouveaux aménagements soient mis sur pied pour établir des normes encadrant les programmes d'enseignement, les projets éducationnels, la formation des enseignants et les services de nature spirituelle et religieuse à l'école. Parmi ces aménagements, nous suggérons qu'une commission interreligieuse permanente représentative de la diversité religieuse au Québec soit établie, dont le rôle sera de conseiller le gouvernement sur toute question d'ordre religieux et spirituel dans le réseau. De plus, nous considérons important qu'au bureau des sous-ministres il y ait du personnel compétent qui collabore avec les commissions scolaires et qui voie à ce que les choix des parents soient respectés.

Quatrième recommandation. La commission doit réaffirmer sans équivoque la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, ainsi que les autres pactes et accords internationaux qui accordent la priorité aux choix des parents en matière d'éducation.

Si la douzième recommandation du Groupe de travail portant sur l'article 41 était acceptée et s'implantait, nous trouverions ce changement désastreux pour le Québec. Même si on décidait de créer un seul programme commun, en raison de quel motif le législateur voudrait-il modifier la Charte et retirer ces droits? Une telle modification de cet article ne ferait que marginaliser une fois de plus les droits des parents sur le plan de l'éducation de leurs enfants. Alors que la Loi sur l'instruction publique promeut les choix des parents et leur participation à l'éducation de leurs enfants et que le préambule de cette même loi et la Loi sur le Conseil supérieur de l'éducation incitent les parents à exercer leur choix en matière d'éducation pour leurs enfants, la Table est d'avis que de modifier ainsi la Charte ne fait aucun sens.

Cinquième recommandation. La Table a pris connaissance du mémoire préparé par les animateurs religieux protestants et elle appuie entièrement leurs recommandations concernant l'implantation d'un service d'animation à l'école qui reflète la pluralité religieuse de la communauté dans laquelle l'école se trouve. La Table considère que le portrait global de la réalité des jeunes d'aujourd'hui témoigne de la nécessité pour le système d'éducation d'avoir des références solides ainsi que des absolus. Ce système se doit de leur offrir de l'espérance.

Finalement, Mme la Présidente, le gouvernement doit chercher des solutions équitables en éducation pour tous les citoyens afin que l'on n'ait plus à faire appel à la clause dérogatoire. Nous sommes convaincus que, si le gouvernement met en place les cinq premières recommandations que nous proposons, il n'y aura plus besoin de faire appel à cette clause. Il devrait régler ce litige de façon définitive afin que la loi puisse accorder non seulement aux protestants et aux catholiques, mais à tous les citoyens une véritable égalité sociale.

Cependant, si le législateur n'arrive pas à un consensus politique afin d'entériner des lois qui accordent le droit aux parents de choisir le programme d'enseignement moral et religieux de leur préférence et de donner le droit au conseil d'établissement de mettre sur pied les projets éducatifs qui reflètent leur vision du monde, la communauté protestante comprendra pourquoi le législateur doit faire appel à la clause dérogatoire.

(10 h 50)

En guise de conclusion, nous sommes à une période de notre histoire et de notre culture où on cherche des racines morales et spirituelles dans un contexte de violence, de pauvreté, de discrimination, de mondialisation, de guerres, j'ose aujourd'hui même dire de tremblements de terre et de toutes sortes de tempêtes. Le législateur devrait s'assurer que, dans sa préoccupation pour une culture publique commune, il ne nous conduise pas à un vide spirituel. Mme la Présidente, merci beaucoup.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. Smith. Alors, M. le ministre.

M. Legault: Oui. D'abord, je voudrais vous féliciter, M. Smith, pour votre contribution à la cause de l'éducation, d'abord comme président de la Table depuis cinq ans et aussi pour votre mémoire. Je pense que vous avez fait preuve de réalisme et de modération aussi. Et puis je pense que c'est un bon début pour les discussions qu'on va avoir au cours des prochains jours, des prochaines semaines.

J'ai quelques questions. Ma première question, quand vous avez émis tantôt les principes fondamentaux sur lesquels vous voulez vous appuyer. Vous dites, dans votre mémoire, entre autres à la page 7, que tous les protestants appuient «le principe d'équité pour tous les citoyens et le principe de neutralité nécessaire de la part du gouvernement à l'égard de la religion». Ça pourrait nous amener à penser que vous n'êtes pas d'accord avec le fait qu'il y ait une discrimination au niveau du statut de l'école. Mais, plus loin, quand vous faites vos recommandations, la première recommandation que vous faites, à la page 11, vous dites: «Si un groupe de parents veut implanter un projet éducatif dans une école et peut montrer qu'il peut être offert de façon responsable, le gouvernement devrait statuer en faveur de cette éducation...» Est-ce que vous ne pensez pas que c'est un peu en contradiction finalement, ces deux affirmations?

La Présidente (Mme Bélanger): M. Smith.

M. Smith (Glenn): M. le ministre, la distinction que la communauté protestante fera sera la suivante. Un statut d'école est fait par les comités confessionnels d'une façon large. À l'heure actuelle, il n'y a que les deux choix: protestant et catholique. Depuis quelques années, quelques écoles ont retiré leur statut pour arriver à un statut laïc ou neutre, dépendant de la communauté. Mais, selon nous, ça nous mène dans un cul-de-sac.

Mais, si nous responsabilisons les parents à partir de l'école locale et nous donnons le droit aux parents, dans le cadre de la Loi sur l'instruction publique, tel que les projets éducatifs existent à l'heure actuelle, de cette façon, le choix est démocratique, le choix est local, le choix est fait en fonction de la communauté dans laquelle les parents et les élèves se trouvent. Le choix est fait localement. Et le choix est fait démocratiquement, qui représente les parents qui fréquentent une école.

Donc, nous faisons la distinction entre ce qui est fait de façon légale, juridique, globale, qui nous mène dans un cul-de-sal, qui est, selon nous, discriminatoire, et le choix qui est fait démocratiquement, à partir de l'école, selon les choix des parents, en consultation avec le conseil d'établissement.

Il y a des écoles au Québec où, même si nous enlevons le statut, il y a une culture qui est déjà enracinée. Des fois, cette culture est selon les sports. Des fois, cette culture est selon les beaux-arts. Des fois, c'est selon une promotion de l'alphabétisme. Des fois, cette culture est religieuse et spirituelle. Mais le choix est fait localement. Donc, quand ce choix est fait démocratiquement et localement, nous ne voyons pas de discrimination et de discordance dans notre discours.

M. Legault: Donc, si je comprends bien, s'il y avait une majorité qui souhaitait avoir l'enseignement d'une religion, vous oublieriez la minorité qui représente une autre confession, par exemple. Est-ce que c'est comme ça que je dois comprendre? C'est la loi de la majorité qui prévaudrait.

M. Smith (Glenn): Je fais la distinction, M. le ministre, entre le choix du projet éducatif de l'école et l'enseignement moral et religieux. Donc, le choix pour le projet éducatif est fait démocratiquement par les parents, les enseignants, la direction d'école, les personnes de la communauté qui font partie du conseil d'établissement.

Pour le choix des programmes, l'article 228 existe déjà dans la loi, qui donne le droit au groupe de choisir un programme local en consultation avec la commission scolaire. Donc, selon moi, cette loi doit continuer d'exister et donner le choix aux parents qui veulent un programme local d'en avoir un. Donc, je fais cette distinction entre le projet éducatif et les programmes à l'intérieur du curriculum. Mais, si un groupe de parents veut avoir un programme local, la loi leur donne ce choix et ce droit.

M. Legault: Est-ce que je dois comprendre aussi qu'au niveau de l'enseignement des religions vous seriez d'accord pour que n'importe quelle religion, suite à une demande de parents, soit enseignée dans les écoles ou est-ce qu'il y aurait une liste de religions admissibles?

M. Smith (Glenn): À ma connaissance, l'article 228 n'était pas beaucoup appliqué jusqu'à présent, au Québec. Donc, la liste est très courte, à l'heure actuelle, de ceux qui en veulent. Donc, il me semble que, s'il y a un désir pour une communauté localement constituée qui fait application avec la commission scolaire, moi, je n'aurais pas d'objection. Ce que la loi donne, la loi doit aussi responsabiliser les parents d'en offrir. Mais les demandes, jusqu'à date, depuis que la loi 107 a été adoptée par cette même Assemblée nationale, ne sont pas énormes, selon moi. Donc, moi, je ne vois pas de raison de créer une liste, d'abolir l'article. L'article est là pour que le choix des parents à l'intérieur de la Charte québécoise et de la Charte de l'ONU soit respecté.

M. Legault: Peut-être une dernière question, Mme la Présidente. Vous dites dans le mémoire que, si le législateur doit faire appel à la clause dérogatoire, la communauté protestante comprendra. Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu davantage dans quelles circonstances la communauté protestante comprendrait qu'on utilise la clause dérogatoire?

M. Smith (Glenn): Comme j'ai déjà dit devant vous tantôt et dans notre mémoire, la religion est une question de conscience et une question de choix personnel. Donc, pour cette raison, la communauté protestante est très réticente à l'égard de cette clause. Par contre, nous comprenons bien que l'Assemblée nationale s'est revêtue d'une clause pour lui donner une souplesse pour faire avancer la vision qu'elle adopte, pour donner du temps à la société de s'adapter aux nouvelles réalités. Donc, nous comprenons bien, dans cette optique, que l'Assemblée nationale doit l'utiliser.

Nous comprenons bien aussi que, s'il y a un mouvement pour implanter une vision au détriment d'autres visions et arriver avec un seul article sur l'enseignement ou sur l'école, peut-être que ça vaut la peine pour l'Assemblée nationale d'invoquer la clause dérogatoire pour bien développer et mieux articuler son projet de société et sa vision pour l'école. Donc, dans ce sens-là, la communauté protestante comprendra, malgré le fait que ce n'est pas son premier choix.

M. Legault: D'accord.

La Présidente (Mme Bélanger): Ça va? M. le député de Kamouraska-Témiscouata.

M. Béchard: Oui. Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Smith, bienvenue. Merci pour votre mémoire. Juste, en commençant, une distinction. Si j'ai bien compris, pour vous, l'enseignement religieux pourrait devenir la question d'un projet éducatif comme tel et pourrait également, indépendamment d'un projet éducatif qui donnerait une couleur particulière à l'école, s'ouvrir sur différentes religions, selon les articles 41 sur le choix des parents, selon, je vous dirais, les accommodements nécessaires là où le nombre le justifierait. Mais ça pourrait se faire indépendamment d'un projet éducatif. Ça pourrait se faire à l'intérieur, selon ce qui est déjà prévu dans la loi, comme vous l'avez mentionné, mais pourrait également ouvrir à cette hypothèse-là sans nécessairement donner une couleur particulière à l'école ou un projet éducatif particulier à une école. Ce qui pourrait faire que, dans certains cas, bien qu'une majorité, par exemple, de 70 % des jeunes puisse être protestante, vous seriez ouverts quand même à ce qu'il y ait d'autres types d'enseignement qui soient offerts si le nombre le justifie et sans nécessairement qu'on donne une couleur particulière ou un projet éducatif à l'école. Est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez mentionné?

(11 heures)

M. Smith (Glenn): Je pense que vous m'avez bien compris. Mais pour que je puisse me faire bien comprendre... L'article 228 accorde le droit aux regroupements locaux, en collaboration avec la commission scolaire, de développer un programme local qui accomplira les objectifs de l'enseignement moral plus ce que cette communauté développe. Donc, moi, je n'aurais aucune objection à ce qu'un tel programme local soit offert à l'intérieur d'une école. Et, vous m'avez bien compris, ça ne touche pas la question du projet éducatif de l'école. Mais que ça soit offert. Dans l'optique d'une pluralité dictée par les principes, comme nous avons essayé d'articuler dans notre mémoire, je pense qu'il est important que les groupes locaux, dans les conseils d'établissement, dans la communauté des parents, dans une école, soient responsabilisés à bien éduquer leurs enfants dans l'école. Je pense que vous m'avez bien compris à cet effet.

M. Béchard: Dans votre mémoire, vous mentionnez que vous n'êtes pas nécessairement opposé au concept d'un programme commun mais que celui proposé par le groupe de travail ne correspond pas à vos vues. Mais vous dites qu'un tel type de programme pourrait être offert plus tard. Donc, selon vous, il pourrait y avoir, selon même les niveaux, selon les classes, des types d'enseignement, je dirais, qui seraient de nature beaucoup plus évolutive. C'est-à-dire dire qu'en plus d'offrir la diversité là où le nombre le justifie et tout ça, il pourrait y avoir aussi, par exemple, au premier niveau du primaire, au deuxième cycle du primaire et au secondaire, un ajustement de l'enseignement religieux qui correspondrait aussi à l'évolution de l'enfant et à l'évolution des jeunes. Est-ce que, pour vous, ça, ça serait une approche?

Parce que je pense aussi, dans les différentes statistiques sur le choix comme tel des élèves au niveau du secondaire, on se rend compte qu'au secondaire IV et V, par exemple, beaucoup d'élèves vont vers l'enseignement moral. Donc, pour vous, il serait possible d'y aller avec ce type d'accommodement là. Et, selon vous, est-ce que c'est réaliste de penser qu'on peut mettre en place un tel système? Parce que, plusieurs personnes qui s'opposent à ce type de système plus ouvert, disent que c'est tout simplement irréalisable et que, de façon concrète sur le terrain, ça ne peut pas se faire. Est-ce que votre expérience à vous démontre le contraire?

M. Smith (Glenn): Nous disons aux pages 12, 13 et 14 de notre mémoire que, si deux sujets sont bien intégrés dans un programme d'enseignement moral et religieux commun ou, comme le groupe de travail l'a dit, un programme sur le phénomène religieux ou sur une étude culturelle des religions, nous disons que, si la transcendance et la spiritualité, cette quête de sens, sont bien intégrées, il sera possible d'avoir un programme dans peut-être le deuxième cycle du secondaire. Mais nous disons aussi qu'il y a trois choses importantes pour nous dans ce programme: Il faut, du primaire jusqu'au secondaire, qu'il y ait une transmission d'une connaissance de la Bible en tant que texte sacré et de la tradition judéo-chrétienne pour que la primauté de notre patrimoine religieux soit comprise par les enfants.

Deuxièmement, il faut que ce programme nourrisse chez l'élève une connaissance et une appréciation pour les grandes religions, leur vision du monde moderne, leurs valeurs et leurs textes sacrés. Et finalement, il faut qu'il y ait à l'intérieur de ce programme des principes qui vont cultiver une connaissance morale, éthique de l'élève. Je pense qu'un programme commun sera possible – moi, je n'ai pas de problème – au deuxième niveau du secondaire, au deuxième cycle, si la transcendance et la spiritualité sont valorisées. J'ai énormément de réticence sur un programme qui ira enseigner les religions de façon culturelle. Je ne peux pas imaginer qu'un enseignant va essayer d'enseigner l'islam sans explorer le Coran, Allah, les grands prophètes Mohammed et Jésus de Nazareth et la spiritualité islamique. Mais j'ai l'impression, en lisant le programme commun, que nous voulons évacuer ces éléments. Mais je pense que ça serait possible au deuxième niveau.

Nous avons maints et maints exemples dans le système où les élèves, à ce niveau, ont le choix de certains programmes. Moi, en tant que papa, je suis témoin, j'ai deux enfants qui étudient le violon. Elles sont dans une école publique, en plein centre de Montréal, et cette école a été très capable de trouver du temps dans le programme pour que mes enfants puissent perfectionner leur capacité en tant que violonistes. Donc, si on est capable de le faire pour une dizaine d'enfants dans une école, pour le violon, pourquoi pas dans l'enseignement moral et religieux protestant? Moral et religieux. Point.

M. Béchard: Mais vous garderiez le choix entre l'enseignement religieux et l'enseignement moral? Religieux à différents titres et moral.

M. Smith (Glenn): Oh oui. Définitivement.

M. Béchard: O.K. Je dirais, pour voir à l'application, à la mise en place et au suivi de ces différents programmes là, c'est-à-dire un peu où on commence, où on finit, qu'est-ce qu'on inclut pour inclure toutes les dimensions dont vous parlez aussi? Est-ce que, selon vous – vous mentionnez dans votre mémoire, entre autres, toute la question des structures, le Conseil supérieur, le ministère de l'Éducation – le fait d'envisager, je ne sais pas, au Conseil supérieur de l'éducation, un comité multiconfessionnel chargé de ces questions-là serait pour vous une alternative valable dans le suivi, dans l'application, et je dirais jusqu'à la formation des maîtres aussi?

M. Smith (Glenn): Oui. À la lumière de l'évolution de la société québécoise à l'heure actuelle, je pense qu'il est grand temps de mettre sur pied une commission interreligieuse permanente qui reflète la diversité religieuse. Et cette commission aura comme mandat de conseiller le gouvernement dans ces questions.

Maintenant, pour la composition de cette commission, pour son mandat, comment les membres vont être choisis, est-ce que cette commission sera rattachée au Conseil supérieur de l'éducation? Ça, c'est des choses que nous pouvons explorer. Mais il est grand temps, je pense, au haut niveau du ministère de l'Éducation, de prévoir une évolution des structures.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Masson.

M. Labbé: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Glenn, félicitations pour la qualité de votre mémoire et surtout, je pourrais dire, le résumé qui est très bien fait à ce niveau-là. Je vous ramènerais, si vous permettez, à la page 16, à la conclusion. On sait qu'une conclusion, c'est toujours important. C'est, en fait, la dernière phrase de votre mémoire qui soulève un aspect qui m'interroge, et je vous cite comme tel: «Le législateur devra s'assurer que sa préoccupation pour une culture publique commune ne nous conduise pas à un vide spirituel.» Pouvez-vous nous expliquer un petit peu les raisons qui vous ont motivé à faire cette mise en garde au niveau du gouvernement comme tel? J'aimerais ça vous entendre.

La Présidente (Mme Bélanger): M. Smith.

M. Smith (Glenn): Pas uniquement le gouvernement, l'Assemblée nationale entièrement. Ha, ha, ha!

M. Labbé: D'accord.

La Présidente (Mme Bélanger): Le législateur.

M. Smith (Glenn): Ça, c'est le législateur, oui. Je l'ai dit pour cette raison: La culture publique commune, telle qu'elle est définie à l'heure actuelle, représente le noyau de valeurs et de croyances que la société veut mettre en avant pour que la société puisse se rallier autour de ce noyau. Donc, chacun prend les valeurs démocratiques, les Chartes de l'ONU, les Chartes du Québec, du Canada, ainsi qu'une certaine loyauté envers les institutions. Moi, j'ai écrit sur le concept, j'aime l'idée. Je dois admettre que je le trouve incroyablement fluide, même des fois flou. Il est loin d'être assez compréhensible et concret pour un étudiant au secondaire et surtout pour un enfant au primaire.

Des fois, on essaie de faire de cette culture publique commune la chose qui est la plus inoffensive, on essaie de trouver le dénominateur le plus bas. Des fois, j'ai l'impression qu'on veut niveler vers le bas avec cette idée. Mais comme j'ai constaté dans le mémoire et dans le résumé, les cultures et les individus ont tous une vision du monde, les présupposés qui donnent une directions à notre vie, qui donnent les réponses aux questions fondamentales de notre existence. Tout le monde a une vision du monde, chaque culture a une vision du monde et, si nous ne donnons pas aux enfants un cadre, les points de repère pour développer cette quête de sens, cette spiritualité, moi, je crains que nos enfants ne soient jamais capables de comprendre, et d'interpréter, et de faire face au matérialisme, à la violence grandissante dans le monde, à l'injustice qui est perpétuée de plus en plus, au mépris qui existe même dans notre société québécoise à l'égard des démunis. Comment allons-nous donner les points de repère aux enfants afin de bien développer les foyers stables dans l'avenir?

Ce vide est très ouvert aujourd'hui à cause de l'analphabétisme religieux qui existe dans la société. Au rythme qu'on procède, moi, j'ai peur que nous allons amener, cette année scolaire, les enfants dans ce salon ici et ces élèves seront incapables d'interpréter ce que nous trouvons dans ce Conseil législatif, parce qu'ils sont analphabètes sur le plan religieux.

Je me souviens quand ma fille aînée était en quatrième année – elle est maintenant au cégep, deuxième année – dans une école de banlieue très normale, pas compliquée, les parents étaient des parents normaux comme moi. Si je suis normal!

Des voix: Ha, ha, ha!

(11 h 10)

M. Smith (Glenn): Mais son professeur a dit à mon épouse: Les enfants en quatrième année, ils sont perdus. Et elle parlait de leur état émotionnel, spirituel, leur vision du monde dans lequel ils se trouvaient. Donc, quand je parle de ce vide spirituel, je dis: Nous ne devrions pas avoir honte de notre tradition judéo-chrétienne et de la bien inculquer à nos enfants, de raconter les récits de notre histoire chrétienne, d'enseigner la Bible comme un texte sacré qui a influencé pas simplement la société occidentale mais le monde moderne, mais le faire d'une façon qui est non endoctrinante et non prosélytisante. Nous pouvons enseigner «sur» ces choses, pas nécessairement «de» ces choses.

Et, moi, je crains que nous allions niveler vers le bas et continuer de perpétuer cet analphabétisme religieux qui existe dans la société, qui va nous amener dans un énorme vide spirituel. Et, pour cette raison, je vous encourage fortement à avoir une vision qui va intégrer la dimension spirituelle dans nos curriculum et dans notre système d'éducation. Je suis convaincu que vous êtes capables de le faire et de trouver les solutions aux problèmes légaux qui sont devant nous. Ça, c'est la raison pour laquelle je l'ai dit.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député d'Anjou.

M. Lamoureux: Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Smith, pour votre exposé. Mes questions seront très brèves puis je pense que c'est des réponses qui assurément intéresseront les membres de la commission, particulièrement le ministre, c'est de savoir comment on peut appliquer en pratique certaines des recommandations que vous faites. Vous avez fait mention que vous étiez ouvert à ce que, lorsque, dans certaines communautés, le nombre le justifie ou qu'il y a un désir que d'autres religions soient enseignées... J'ai trois questions là-dessus, auxquelles vous pourrez répondre.

La première, c'est de savoir: Selon vous, dans votre vision du système tel que vous nous le présentez, qui offrirait ces cours-là, pour ce qui est d'une autre religion, puisque je crois comprendre de votre exposé que ce qui existe déjà continuerait dans la même voie? Donc, ma question est de savoir: Qui offrirait les cours pour une autre religion? Deuxièmement, est-ce que ce cours-là continuerait à faire partie du curriculum obligatoire, si on veut, au niveau des élèves? Et la troisième question: Est-ce que ce cours-là, dans l'optique qu'une autre religion serait enseignée, continuerait d'être évalué de la même façon que les autres, à savoir les examens, les exposés, ainsi de suite, pour que l'élève puisse avoir une note finale à ce niveau-là?

La Présidente (Mme Bélanger): M. Smith.

M. Smith (Glenn): À ma connaissance, l'article 228 n'était pas en question dans ces débats, comme le programme d'enseignement moral n'était pas mis en question par le rapport sur la place de la religion à l'école. Moi, j'appuierais la continuité de cet article.

Qui enseignera un programme local? Les professeurs accrédités par le commission scolaire une fois que le programme sera accepté par la commission scolaire et les commissaires. Donc, il faut que le professeur soit accrédité par la commission scolaire. Le cours sera offert en même temps que les autres programmes d'enseignement moral et religieux, selon la grille-horaire. Il sera évalué par les mêmes normes que le programme d'enseignement moral et religieux protestant est évalué à l'heure actuelle. Donc, moi, je le verrais comme un programme comme les autres dans cette partie du régime pédagogique.

J'ajouterais ceci. Dans les chiffres que je vous ai donnés dans notre mémoire, j'espère que vous avez pris connaissance que la communauté protestante est une minorité. Les chiffres le soulignent bien. Même les autres religions sont plus nombreuses ensemble que nous en tant que protestants, dans le système. Donc, c'est pour cette raison que nous voulons l'équité pour tous.

Il y a des écoles, il y a des commissions scolaires où il y a 10 protestants, 12 protestants, 15 protestants. Et, depuis l'année passée, les commissions scolaires travaillent fortement pour trouver des solutions. Mais je me souviens, quand l'enseignement moral a été institué dans les écoles, des fois, c'étaient deux élèves, trois élèves, quatre élèves qui ont choisi l'enseignement moral et pas l'enseignement moral et religieux catholique. Et le système était assez flexible pour le faire.

Dans la conjoncture actuelle, dans le contexte de cette pluralité religieuse qui est devant nous, moi, je pense que le système est aussi assez flexible maintenant pour que là où les parents désirent un programme d'enseignement moral et religieux autre que le protestant, le catholique ou l'enseignement moral, ils peuvent, eux, profiter de l'article 228. Moi, je pense que le système est assez flexible et peut le faire.

M. Lamoureux: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, M. le député de La Prairie.

M. Geoffrion: Oui. Bonjour, M. Smith. Vous êtes revenu tout à l'heure sur cette suggestion, à la page 14, d'une commission interreligieuse. Vous êtes revenu à deux reprises sur cette suggestion-là. Au début de cette recommandation 3, j'ai l'impression – corrigez-moi si je me trompe – que vous suggérez en douceur finalement l'abolition ou enfin la remise en question des comités confessionnels et des postes de sous-ministres associés. Est-ce que je me trompe?

M. Smith (Glenn): Vous m'avez bien compris. Avec douceur, merci beaucoup. Moi, une de mes grandes réticences avec le rapport, c'est le cadre juridique et fonctionnaliste avec lequel toutes les décisions ont été prises. Et, si nous allions commencer à abolir certaines positions juste parce que nous avons l'impression qu'une charte ici ou un article là ne va plus le permettre, moi, je dirais: l'Assemblée nationale va devenir un immense palais de justice. Moi, je vous suggère d'entreprendre cette évaluation rigoureuse dans l'optique de la mission de l'école et dans la mission du système d'éducation.

Mais ceci étant dit, je pense qu'il est grand temps pour les structures au plus haut niveau du ministère de l'Éducation d'évoluer. Donc, je pense que nous pouvons avoir des structures qui reflètent mieux la pluralité religieuse de la société québécoise à l'heure actuelle. Il est grand temps, à notre avis.

M. Geoffrion: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, M. Smith, pour l'éclairage que vous nous avez apporté. Dans votre mémoire, vous nous avez effectivement donné des statistiques sur la clientèle des écoles protestantes. Grosso modo, vous avez 91 600 élèves dont 40 000 qui se déclarent protestants, donc il y a 51 600 élèves qui ne sont pas protestants, de différents confessions.

Dans votre mémoire aussi vous dites qu'il faut attendre le deuxième cycle du secondaire pour exposer les élèves aux autres confessions, mais en même temps vous plaidez pour l'équité. Or, si je prends les données, il y a 51 600 élèves qui n'ont pas accès à l'équité que vous revendiquez pour les jeunes protestants. Comment expliquez-vous cette contradiction?

M. Smith (Glenn): O.K. Quand je parle de cedit programme pour le deuxième cycle du secondaire, je parle d'un nouveau programme d'enseignement commun qui est proposé mais qui n'est pas encore mis en vigueur. À l'heure actuelle, dans le programme d'enseignement moral et religieux protestant, dès la première année du primaire, les enfants sont enseignés dans trois modules parallèles: un module qui raconte l'histoire judéo-chrétienne, l'histoire des grandes religions... Au primaire, c'est surtout les symboles et les rites, l'histoire de ces religions; au secondaire, c'est plutôt une éducation sur leurs croyances, leur vision du monde, leurs textes sacrés; et le troisième module traite de toute la question du développement personnel de l'élève.

Donc, dans le secteur protestant, avec les chiffres que vous avez bien lus, même aujourd'hui, les enfants qui se trouvent dans ce programme, même s'ils ne se déclarent pas protestants, s'ils optent pour le programme d'enseignement moral et religieux protestant ils ont les trois modules qui sont enseignés – pas toujours mais dans un bon pourcentage des cas – ensemble. Donc, un enfant est inauguré dès son enfance aux religions autres que le christianisme dans son volet protestant.

(11 h 20)

Mme Houda-Pepin: Très bien. Mais il n'en demeure pas moins, vous en conviendrez, qu'il y a des élèves qui sont exposés à leur propre patrimoine religieux et d'autres qui ont un deuxième choix. Donc, l'équité dont on parle n'est pas si équitable que ça pour la majorité des élèves qui fréquentent le même réseau scolaire.

Mais j'ai une deuxième question, si vous permettez. Vous avez insisté à juste titre sur l'autonomie de l'école, la capacité d'avoir des projets éducatifs à caractère religieux. Dans la communauté protestante, il y a des gens qui ne sont pas nécessairement très protestants au point de vouloir donner une éducation religieuse à leurs enfants. Si, dans votre réseau protestant, il y a des parents ou un comité d'établissement qui décide d'avoir, à l'intérieur de votre réseau, des écoles laïques ou neutres, est-ce que vous allez l'accepter?

M. Smith (Glenn): Ah, définitivement. Oui. Si les parents, si le conseil d'établissement décide d'avoir un projet éducatif, et même si 51 % sont protestants mais qu'ils décident d'avoir un projet éducatif qui ne reflète pas les valeurs religieuses protestantes, nous n'avons aucun problème. C'est au conseil de décider.

Mais je retournerais aussi à la question du curriculum. J'ai décrit le programme protestant. Mes collègues catholiques peuvent bien expliquer, lorsqu'ils sont ici devant vous, que même dans le programme catholique il y a de plus en plus un enseignement sur les autres grandes religions. Donc, je ne veux pas vous donner l'impression à l'heure actuelle que les élèves, dans le système d'éducation, ne reçoivent aucun renseignement ni éducation sur les grandes religions du monde, non. Il y a une ouverture de plus en plus évidente dans le système.

Nous sommes réticents à aller à un seul programme commun, tel que proposé par le groupe de travail. Il y a des grandes lacunes, selon nous, mais je pense que nous pouvons continuer au primaire avec le même scénario qu'on a à l'heure actuelle et peut-être envisager une possibilité, rendu au secondaire, si certains paramètres, comme nous les décrivons dans le mémoire, sont respectés.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. Smith. M. le député de Montmorency.

M. Simard (Montmorency): Merci, Mme la Présidente. M. Smith, bienvenue parmi nous et félicitations pour la qualité du rapport que vous nous avez soumis. J'aimerais repartir de la réponse que vous avez donnée à mon collègue d'Anjou qui vous demandait qui devait dispenser les cours en matière religieuse. Et, pour l'essentiel, vous lui disiez: Bien, des professeurs accrédités par la commission scolaire.

En page 16 de votre document, dans la conclusion, vous dites: «Il est primordial de reconnaître la nécessité de la dimension spirituelle de la vie et de son rôle indispensable en éducation.» Et, dans la présentation de ce rapport, vous nous avez dit, vous avez reconnu que nous vivions dans une démocratie libérale et dans une société pluraliste. Alors, ma question est la suivante: Peut-on – et là de manière très générale, et je dépasse le statut stricto sensu de la profession protestante – obliger un enseignant à dispenser un cours en religion dont il ne partage pas finalement les fondements spirituels ou religieux?

M. Smith (Glenn): À l'heure actuelle, dans le cadre du règlement du comité protestant, il n'est pas nécessaire d'être protestant pour enseigner le programme d'enseignement moral et religieux protestant. Ça, c'est peut-être une différence avec le règlement du comité catholique. Donc, nous commençons déjà avec ce constat. Il est possible d'enseigner une religion sans être un adhérent à cette vision du monde ou cette conception de la réalité.

Beaucoup parmi nous avons déjà suivi, soit à l'école secondaire, soit à l'université, des cours où le professeur n'était pas du tout intéressé par la matière. Et je peux le dire en bon québécois: Il n'y a rien d'aussi plate que ça. Moi, j'aimerais mieux que mes enfants apprennent sur l'islam d'un musulman engagé que d'avoir ce même enseignement d'un jeune Québécois qui en a ras le bol de tout ce qui est religieux. Mes enfants vont avoir une meilleure compréhension de la réalité mondiale dans cette optique que si la religion musulmane, par exemple, est traitée d'une façon descendante. Donc, pour cette raison, il est important pour les commissions scolaires de bien accréditer ceux et celles qui vont dispenser ces cours. Et il faut que le corps professoral ait le choix de ne pas être obligé d'enseigner ces cours. Ça, c'est la vraie équité, selon moi.

M. Simard (Montmorency): Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, Mme la Présidente. M. Smith, merci pour votre présentation, on l'a trouvée fort intéressante. J'ai de la difficulté à réconcilier vos propositions d'égalité, de libre choix des parents et la question de la pluralité religieuse au Québec. Si je lis votre proposition d'égalité, à la page 11, vous dites que l'égalité, la vraie, requiert que les différentes communautés soient libres de vivre leurs convictions qui touchent les dimensions de la vie, et vous faites référence au libre choix des parents. Mais, quand vous faites référence à l'article 228, vous appuyez le fait que les choix actuels, le programme d'enseignement moral, l'enseignement moral et religieux catholique et l'enseignement moral et religieux protestant et les programmes locaux qui existent en vertu de l'article 228, respectent bien la pluralité religieuse au Québec.

Mais, si je lis l'article 228, je vois qu'il y a des balises spéciales attachées aux autres confessions. Alors, je me demande comment on peut réconcilier les mots «égalité», «libre choix des parents» et «pluralité» quand je vois que l'article 228 donne des balises spéciales aux autres confessions. On voit ici que les autres confessions doivent atteindre des objectifs obligatoires qui sont indiqués dans le deuxième alinéa de l'article 228. Alors, je me demande comment on peut réconcilier toutes ces propositions ensemble.

M. Smith (Glenn): C'est une tristesse pour moi de voir que cet article existe dans la loi mais que très peu a été fait jusqu'à présent pour responsabiliser les parents dans les commissions scolaires dans la voie d'accès à ce que la loi accorde, parce que les balises sont tellement restrictives. Peut-être une chose que cette commission peut faire, c'est que, à l'intérieur de cette nouvelle vision que vous allez articuler, vous vouliez accorder le droit aux parents d'avoir ces programmes locaux, et que ça soit plus facile d'en avoir, et que les différents obstacles soient ôtés pour qu'il y ait une véritable pluralité dictée par les principes, qui responsabilise les parents dans le choix de l'éducation de leurs enfants.

Maintenant, je me rends compte: 92 % des Québécois se déclarent chrétiens, soit chrétiens catholiques romains, soit chrétiens protestants ou soit chrétiens de foi orthodoxe. Donc, il y a un certain avantage par l'histoire, par le patrimoine religieux et par le système qui nous a accordé des droits supplémentaires depuis des décennies, même maintenant des siècles, mais il est temps d'avoir cette pluralité dictée par des principes qui vont donner une accessibilité aux parents d'avoir les programmes locaux qui reflètent leur vision du monde à l'intérieur des écoles financées publiquement par l'État. Donc, il est temps de responsabiliser davantage ces parents et les commissions scolaires pour que ceci puisse avoir lieu.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. Une petite question?

M. Laporte: M. Smith, c'est difficile de vous poser une petite question.

La Présidente (Mme Bélanger): Avec une réponse courte.

M. Laporte: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais vous interroger sur ce que je perçois comme étant les trois convictions qui soutiennent votre argumentation. La première me paraît être la suivante: c'est que vous êtes convaincu ou vous posez comme axiome que... Je pense que tous ceux ou celles qui ont réfléchi à la condition moderne sont d'accord pour dire que nous souffrons d'un déficit de sens ou de ce que le regretté Jean Delumeau appelait un «déficit d'espérance». Mais vous semblez être convaincu que l'État ou l'école est le meilleur agent de gestion de ce déficit de sens ou déficit d'espérance. Pourquoi êtes-vous convaincu que l'école est le meilleur acteur, le meilleur agent pour gérer ce déficit-là? Est-ce qu'il n'y a pas d'autres acteurs qui pourraient le gérer tout autant?

La Présidente (Mme Bélanger): M. Smith.

(11 h 30)

M. Smith (Glenn): L'école, elle n'est pas le meilleur agent; le meilleur agent est la famille. La famille est responsable de la transmission de la foi, de la dimension catéchétique. L'Église joue un rôle incroyablement important dans cette dimension, elle doit assumer davantage ses responsabilités.

Mais l'école ne peut pas être évacuée de son rôle à cet égard, parce que l'école appartient à la société civile. Elle doit assumer son rôle dans ces questions, telles que je les ai décrites aujourd'hui. Nous ne pouvons pas évacuer de l'école la spiritualité et la transcendance, sinon quelque chose d'autre va combler le vide, et je crains pour ce qui va entrer là-dedans.

Mais un partenariat doit être véhiculé, promu par cette commission parlementaire dans sa vision d'un vrai partenariat où le gouvernement, le ministère de l'Éducation, l'école, la famille, l'Église travaillent de concertation pour combler ce déficit, sinon la mutation que nous regardons, que nous examinons, que nous voyons, de tous les jours, va grandir. Et, moi, je reste confiant que nous pouvons le faire. L'école est un acteur important, crucial, mais pas le seul.

M. Laporte: Vous êtes aussi convaincu que...

La Présidente (Mme Bélanger): Je regrette, M. le député d'Outremont, c'est terminé.

M. Laporte: Bien, madame, j'ai demandé la parole tantôt...

La Présidente (Mme Bélanger): Bien oui, mais j'ai été par alternance à la demande, là...

M. Laporte: Bien oui, mais mes collègues ont eu le temps de poser leurs questions. Il me semble que je pourrais avoir le temps de poser les miennes.

La Présidente (Mme Bélanger): Bien, là, c'est terminé. Alors, à l'avenir, demandez la parole le premier.

M. Laporte: J'ai demandé la parole avant certains de mes collègues et j'ai eu la parole après certains de mes collègues.

La Présidente (Mme Bélanger): Je regrette, à chaque fois que quelqu'un me demande la parole, je marque le nom et j'y vais par alternance.

Alors, nous vous remercions, M. Smith, et nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 11 h 32)

(Reprise à 11 h 34)

La Présidente (Mme Bélanger): Nous reprenons les travaux. À l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais à la Coalition pour la déconfessionnalisation scolaire de bien vouloir se présenter à la table.


Coalition pour la déconfessionnalisation scolaire

Alors, Mme Laurin, vous êtes la porte-parole. Je vous demanderais de présenter les personnes qui vous accompagnent.

Mme Laurin (Louise): Bonjour, Mme la Présidente. Ça me fait plaisir de vous présenter les compagnons qui sont avec moi aujourd'hui, qui m'accompagnent aujourd'hui. Donc, à ma droite, vous avez Patrick Charles, de l'Association des enseignants haïtiens; vous avez Huguette Lachapelle, présidente de l'Association des professeurs de français; à l'autre extrémité, vous avez Mireille Rochon, qui représente la Fédération des coopératives d'habitation; et, à ma gauche immédiatement, M. Henri Laberge, qui est conseiller de la Coalition et aussi membre de l'Ordre des technologues du Québec.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, Mme Laurin, vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire, qui seront suivies de la discussion, comme vous avez pu le constater avec l'intervenant précédent.

Mme Laurin (Louise): Alors, Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes, MM. les membres de la commission, il nous fait plaisir de venir échanger avec vous sur la question de la place de la religion à l'école. C'est une question importante d'abord parce qu'elle touche les droits fondamentaux de la personne, elle est importante aussi parce que les orientations qui seront retenues influenceront notre façon de vivre ensemble dans le Québec pluraliste d'aujourd'hui et de demain.

Avant d'aborder le contenu de notre mémoire, je tiens à souligner l'extrême qualité du rapport Proulx qui devient un instrument de réflexion indispensable et j'aimerais vous dire quelques mots sur la Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire.

Notre Coalition regroupe 49 organisations démocratiques – et je tiens à souligner que la dernière association qui s'est ajoutée, il s'agit de la Fédération des femmes du Québec – alors qui représente au total près de 2 000 000 de Québécoises et Québécois. Ces gens proviennent de toutes les régions, de milieux aussi variés que le monde du travail, des relations interculturelles, de l'éducation, les organismes communautaires, la culture et la défense des droits. Il va sans dire que, dans une large proportion, ils sont parents d'élèves. On trouve dans nos rangs des personnes qui adhèrent à l'une ou l'autre des grandes familles de croyants et d'autres qui ne s'identifient à aucune religion. En somme, notre Coalition est largement représentative de la population québécoise.

Au cours des quelques minutes qui me sont allouées, j'aimerais traiter des aspects suivants: les droits fondamentaux qui sont la liberté religieuse et le droit à l'égalité; le rôle de l'école dans l'éducation aux valeurs; l'enseignement religieux culturel; et, enfin, les services d'animation. Je commenterai aussi brièvement une solution avancée par certains en toute bonne foi. Cette solution serait plutôt, selon nous, un énorme problème.

D'entrée de jeu, je veux vous dire que la Coalition approuve la plupart des recommandations du groupe d'étude sur la place de la religion à l'école. Dans mon exposé, j'aimerais vous expliquer le sens de nos propositions, ce qu'elles signifient dans la réalité quotidienne de l'école. Je ne m'attarderai pas aux dimensions juridiques même si elles sont majeures; vous pourrez en prendre connaissance dans notre mémoire.

Premier point: les droits fondamentaux. Tous le reconnaîtront, personne ne peut imposer à quiconque une croyance religieuse. Les croyances et les pratiques religieuses sont strictement une question de choix personnel. Dans une société démocratique, ni l'État ni aucune majorité si large soit-elle ne sauraient imposer à l'ensemble des citoyens les croyances particulières à une religion. C'est ce que l'on appelle la liberté religieuse. Elle s'applique aussi bien aux croyants qu'aux non-croyants.

(11 h 40)

La protection de la liberté religieuse implique la neutralité de l'État et des services publics en matière religieuse. Il n'y a pas de véritable respect de la liberté religieuse si l'État accorde des privilèges à certains citoyens sur la base de leurs croyances ou de leur appartenance religieuse. Il n'y a pas de véritable respect de la liberté religieuse si l'État assure dans les institutions qu'il contrôle et qu'il finance l'enseignement confessionnel d'une religion ou de quelques religions désignées. C'est pourtant ce que fait l'État québécois en perpétuant à tous les niveaux de l'organisation scolaire les privilèges accordés à deux groupes, les catholiques et les protestants. Évidemment, une telle pratique contrevient aussi au droit à l'égalité pour tous les citoyens pourtant reconnu dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Pour maintenir cette situation, le législateur doit d'ailleurs recourir aux clauses dérogatoires, ce qui est pour le moins gênant dans une société pluraliste qui se veut démocratique comme la nôtre.

La Coalition recommande donc que soient respectés dans les faits la liberté religieuse et le droit à l'égalité pour tous. Ceci implique que l'on mette fin au système de privilèges pour les catholiques et les protestants à tous les niveaux du système scolaire. Ceci implique aussi que tous les enfants puissent fréquenter l'école de leur quartier ou de leur localité sans distinction aucune sur la base de leurs croyances religieuses ou celles de leurs parents. Ceci implique, enfin, que les lois et règlements sur l'éducation soient modifiés pour les rendre conformes à l'esprit et à la lettre des chartes relativement à la liberté religieuse et au droit à l'égalité. En conséquence, nous demandons que l'effet des clauses dérogatoires actuellement en vigueur ne soit pas prolongé au-delà des deux ans prévus.

J'aborderai maintenant le rôle de l'école dans l'éducation aux valeurs. Lorsqu'on examine attentivement les motivations de ceux qui tiennent à l'enseignement religieux confessionnel, on constate qu'ils veulent que l'école inculque aux enfants certaines valeurs, un sens moral, une éthique. La plupart souhaitent aussi que les enfants acquièrent des connaissances générales sur le phénomène religieux. Ce besoin est exprimé même par les parents qui n'adhèrent eux-mêmes à aucune religion. Mais de qui relève alors la responsabilité d'offrir une éducation à la foi et à la pratique religieuse? Un sondage réalisé par la firme Sondagem, publié en septembre 1996, révélait que moins de deux Québécois sur 10 attribuent à l'école la mission de transmettre la foi. La vaste majorité considère que cette tâche doit être assumée par les familles ou par l'Église. Les recherches effectuées par le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école confirment cette orientation. Même chez les parents catholiques, l'option préférée par le plus grand nombre n'est pas l'enseignement confessionnel, mais bien l'enseignement religieux culturel commun à tous les élèves. Nous y reviendrons.

La Coalition partage le souci des parents et de la population: l'école doit transmettre des valeurs. La société elle-même, pour se perpétuer, doit reposer sur des valeurs et spécialement sur des valeurs morales partagées par l'ensemble de la population. Il faut rappeler que les religions ne sont pas seules à créer des valeurs ou à reposer sur des valeurs. Les philosophies humanistes laïques aussi bien que les grandes religions s'accordent sur des valeurs morales universelles, notamment les valeurs démocratiques exprimées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans les chartes des droits et libertés. Ces valeurs, tout comme l'honnêteté, la compassion, la solidarité et plusieurs autres, doivent être transmises par tous les éducateurs et dans toutes les activités de l'école.

À cette fin, la Coalition recommande que soient renforcées l'éducation aux valeurs et l'éducation à la citoyenneté dans le cadre du programme d'enseignement moral non confessionnel qui serait obligatoire pour tous les élèves du primaire et du secondaire. Ce programme devrait être enrichi et plus cohérent. Il devrait être doté de meilleurs outils pédagogiques, appuyé par une meilleure formation des maîtres et par des conseillers pédagogiques.

Je m'attarderai maintenant à cette notion relativement nouvelle qu'est l'enseignement religieux culturel. Précisons que, loin de vouloir sortir la religion des écoles, nous voulons, au contraire, lui accorder toute la place qu'elle mérite, étant donné qu'elle occupe l'espace dans le patrimoine culturel de l'humanité, étant donné l'espace qu'elle occupe chez nous également. Pensons simplement aux innombrables références au phénomène religieux dans la littérature, à l'importance de la musique sacrée, à la place des motifs religieux dans la peinture, à l'architecture religieuse, etc. Une initiation culturelle au phénomène religieux peut contribuer à fournir une clé pour l'interprétation des oeuvres d'art, de l'histoire, des grands débats politiques et philosophiques et même des grandes théories scientifiques. Cette clé, la Coalition recommande qu'elle soit offerte à tous les élèves dans le cadre d'un enseignement religieux culturel, un cours qui devrait être obligatoire pour tous.

L'enseignement religieux culturel a pour but de donner une information rigoureuse sur les grandes traditions religieuses, surtout celles qui ont marqué l'histoire du Québec. Il n'a pas pour objectif d'inciter les élèves à adhérer à telle croyance ou à adopter telle pratique religieuse.

Un des principaux avantages de l'initiation culturelle au phénomène religieux sera une meilleure compréhension interculturelle. L'enseignement religieux culturel contribuera à développer le respect mutuel entre personnes adhérant à des systèmes de croyances différents ou à des pratiques religieuses différentes et les amènera à admettre que diverses attitudes sont également légitimes et à comprendre que l'acte de foi n'a de sens que s'il est posé en toute liberté.

Il faut ajouter que l'enseignement religieux culturel que nous proposons n'est pas une innovation absolue. Il est encore moins une révolution. Ainsi, le réseau protestant étant multiconfessionnel, en ce sens qu'il regroupe plusieurs confessions protestantes et qu'il n'appartient à aucune église en particulier, a développé, au cours des ans, une approche qui ressemble à certains égards à une initiation culturelle au phénomène religieux. Les expériences réalisées par le réseau protestant peuvent aider à préciser nos orientations communes pour l'avenir.

Le comité catholique lui-même semble s'être orienté récemment vers une révision de l'approche confessionnaliste des programmes d'enseignement religieux. Sans abandonner pour autant leur caractère confessionnel, officiellement du moins, les nouveaux programmes se proposeraient à la fois d'initier de façon objective à la tradition chrétienne, d'ouvrir le jeune à la pluralité des traditions religieuses et d'assurer la transmission des valeurs civiques communes.

Autre exemple. Un programme religieux culturel a été implanté dans les écoles québécoises en 1977. Abandonné en 1984 pour des raisons obscures, ce programme mériterait de sortir des placards et d'être examiné attentivement. Aux yeux de plusieurs, il serait celui qui répond le mieux aux attentes et aux exigences du Québec moderne. Ce programme qui avait reçu à l'époque un accueil enthousiaste de la part des enseignants visait à élargir la culture religieuse des élèves en les initiant aux diverses formes d'expression religieuse à travers l'histoire et à travers notre civilisation. Il s'adressait à tous les élèves sans distinction de croyance et il respectait intégralement la liberté de chacun quant à son appréciation du fait religieux. Ceux qui n'étaient pas inscrits à l'enseignement confessionnel catholique ou protestant pouvaient tout de même acquérir une culture religieuse, donnant des clés pour l'interprétation des faits de civilisation. Il faut souligner que, dans les conditions actuelles, les élèves qui ne sont pas inscrits à l'enseignement religieux ne reçoivent aucune initiation structurée au phénomène religieux. Le programme de 1977 aurait sans doute besoin d'être réactualisé. Il pourrait aussi être enrichi à partir de certaines expériences étrangères, mais nous estimons qu'il pourrait constituer la base d'un programme commun, adapté aux besoins du Québec de l'an 2000.

Pour ce qui est des services d'animation, notre position diffère un peu de celle du Groupe de travail sur la place de la religion à l'école. Selon nous, la déconfessionnalisation des programmes d'études devrait s'accompagner d'une transformation des services d'animation pastorale ou religieuse en services non confessionnels d'animation. Le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école propose un service d'animation de la vie religieuse et spirituelle qui semble réservé aux seuls élèves qui appartiennent aux diverses religions marginalisant, par le fait même, les incroyants.

Notre position se rapproche davantage de celle qui était préconisée par la Commission des états généraux sur l'éducation. Cette dernière voyait dans de tels services, désormais non confessionnels, un moyen de favoriser l'aménagement d'une vie civique et une occasion de développer la compétence éthique. Il faut savoir que les services d'animation pastorale dans les écoles catholiques assument déjà, pour une bonne part, l'animation en matière de solidarité internationale, de compréhension interculturelle, de prévention de la violence, de protection de l'environnement. Ces activités devraient être maintenues, mais elles s'adresseraient dorénavant à tous les élèves sans distinction de croyance.

La Coalition recommande donc que les services confessionnels d'animation pastorale pour les catholiques et d'animation religieuse pour les protestants soient remplacés par un service commun d'animation ayant comme mission principale de soutenir l'engagement civique et communautaire des élèves et le développement de leur compétence éthique tout en tenant compte de l'aspect spirituel. Ce service devrait être considéré sur le même pied que les autres services complémentaires.

(11 h 50)

Avant de conclure, j'aimerais formuler quelques commentaires sur une solution qui a été évoquée et qui nous paraît pour le moins inquiétante. Mais voyons d'abord l'aspect positif de la question. On constate que de moins en moins de gens semblent défendre ardemment le statu quo, c'est-à-dire un système scolaire qui perpétue les privilèges de deux groupes, les catholiques et les protestants. Heureusement, cette vision des choses est depuis longtemps discriminatoire. Pensons simplement à la religion juive et aux religions amérindiennes qui ont toujours été ignorées même si elles ont marqué l'histoire du Québec. Le statu quo est un anachronisme dans le Québec pluraliste d'aujourd'hui. Qu'il suffise de mentionner que les sans-religion sont maintenant plus nombreux au Québec que les protestants et que certaines religions qui connaissent une nette progression telles que le bouddhisme, l'hindouisme et l'islam n'ont pas leur place dans nos écoles.

Et la diversité, ce n'est pas seulement une affaire d'immigrants ni un problème montréalais. Comme le soulignait la sociologue Micheline Milot, à l'intérieur même du catholicisme, on observe une variété de conceptions, d'interprétations. Il y a à peine 30 ans, quelqu'un qui ne pratiquait pas régulièrement était considéré par les catholiques pratiquants comme un mécréant. Aujourd'hui, le taux de pratique régulière de cette majorité est de moins de 15 %, et ils croient davantage à la réincarnation qu'à la résurrection. La plus grande proportion de non-croyants et de convertis aux groupes religieux tels que les Témoins de Jéhovah se retrouve en province parmi les Canadiens français nés catholiques au Québec.

Il est de plus en plus largement admis, du moins en principe, que catholiques, pratiquants ou pas, protestants, incroyants, musulmans, juifs ou autres, chacun a droit à la liberté religieuse, chacun a droit à un traitement égal de la part de l'État. Jusque-là, pas de problème. Le problème se pose lorsque, sous le prétexte de respecter le droit à l'égalité ou encore d'acquiescer au libre choix dont se réclament certains parents, on suggère d'offrir l'enseignement religieux confessionnel à tous les élèves selon les croyances de chacun. Quand on sait qu'il existe au moins 80 religions reconnues au Québec, on peut imaginer la tour de Babel qui en résulterait. A-t-on songé un instant à ce qu'il en coûterait pour élaborer des programmes d'enseignement religieux pour chacune de ces religions, pour produire des manuels pour chacune, pour former des enseignants pour chacune? A-t-on imaginé le cube Rubik que représenterait l'organisation des horaires? J'entends déjà la réponse. On posera comme condition: là où le nombre le justifie. Voilà réapparue sous une autre forme la discrimination que l'on voulait combattre. Voilà posée la limite du libre choix des parents.

L'effet le plus pervers de cette approche serait la création de ghettos formés de gens qui tiennent à l'enseignement religieux selon leurs croyances. On verrait émerger à plus ou moins brève échéance des écoles pour musulmans, des écoles pour bouddhistes, des écoles pour Témoins de Jéhovah, et combien d'autres, et cela, non seulement à Montréal. Cette conséquence tout à fait prévisible nous éloignerait de l'objectif pourtant largement partagé de favoriser une meilleure compréhension interculturelle, de favoriser l'harmonie et la cohésion de notre société. Cette solution qualifiée d'intermédiaire n'en est pas une, elle doit être écartée.

En terminant, la Coalition tient à souligner qu'un pas important a été franchi lorsque le Québec s'est libéré de l'article 93 de la Constitution de 1867, c'est ce qui a permis la transformation des commissions scolaires confessionnelles en commissions scolaires linguistiques. Nous croyons que le temps est venu pour le Québec de franchir un autre pas et d'adapter l'ensemble de son système d'éducation à la réalité contemporaine.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, Mme Laurin. Alors, M. le ministre.

M. Legault: Oui. D'abord, je voudrais, Mme Laurin et tout le groupe de la Coalition, vous féliciter pour votre rapport. C'est un rapport qui est bien fait, qui est complet. Vous avez touché à tous les aspects de la question. Je pense que c'est une réflexion sérieuse qui mérite toute notre considération. La Coalition avait fait connaître, lors des états généraux, en 1995, sa position. Je vois que vous êtes consistants et toujours aussi précis. Je pense aussi, comme vous le mentionniez tantôt, que c'est important de rappeler qu'il y a 49 organismes chez vous qui représentent les milieux syndicaux, communautaires et culturels. Donc, vous représentez beaucoup de personnes.

Ma première question. Comme vous le savez, aujourd'hui, je n'ai pas besoin de vous dire, on a encore au Québec, en 1999, à peu près 90 % de la population qui demeure catholique. Bon, c'est vrai, et il y a de nombreux auteurs qui font ressortir que la baisse de la pratique religieuse, c'est un indice d'une certaine distance qui est prise par rapport à la religion, mais pas nécessairement son rejet. Par ailleurs, c'est important aussi de dire, quand on regarde les différentes institutions au Québec aujourd'hui, c'est vrai, plusieurs se sont sécularisées, mais il y a quand même des institutions encore qui sont restées ouvertes au fait religieux. On a, par exemple, la pastorale hospitalière, la pastorale carcérale; on a, par exemple dans l'armée, encore la présence de ce qu'on appelle un «padre».

Ma question, c'est la suivante: Tout en respectant les droits et libertés des individus, est-ce qu'il y a des aménagements, selon vous, qui seraient acceptables pour essayer de tenir compte dans nos écoles de cette réalité que je viens de décrire ou si vous êtes en désaccord complet avec toute utilisation des locaux des écoles pour des activités religieuses?

La Présidente (Mme Bélanger): Mme Laurin.

Mme Laurin (Louise): Il y a plusieurs aspects dans votre question. Quand vous dites que la population catholique... ce sont les gens qui se déclarent catholiques. Moi, je connais des incroyants... Quand on vient à l'école, vous savez, remplir notre formule, la secrétaire, elle vous demande: Êtes-vous catholique, protestant ou autre? Ça fait qu'on a été habitué à dire «catholique» même si les gens... Puis on se rappelle la confusion que ça a créé lors... pas des dernières élections scolaires à Montréal, mais les autres élections scolaires à ce moment-là. Alors, on n'est pas du tout fermé à la question des locaux, là. C'est sûr que, comme l'école est ouverte sur sa communauté, l'école de plus en plus travaille avec les organismes communautaires, avec tous les agents de la communauté, bien, il est bien normal aussi qu'elle s'ouvre à la communauté des croyants. Alors, après l'école, il n'y aurait absolument aucun problème, en dehors des heures régulières de classe, que des locaux... Puis, d'ailleurs, ça se fait déjà. Quand j'étais dans mon école, M. le ministre, on louait déjà des locaux à des gens qui venaient faire des célébrations religieuses, et tout ça. Alors, ce n'est pas du nouveau. Alors, on demeure conscient que l'école doit s'ouvrir à la communauté et que la communauté des croyants, c'en est une aussi.

M. Legault: Parfait. Peut-être quelques questions sur comment vous voyez l'enseignement religieux culturel. Bon, ce que vous proposez, un peu comme c'est suggéré dans le rapport Proulx mais avec quelques petites différences, c'est d'enlever tout l'enseignement religieux confessionnel, mais d'instaurer un enseignement religieux culturel. D'abord – j'ai regardé le mémoire, là – vous ne précisez pas si la Coalition suggère un enseignement pour tout le primaire et tout le secondaire, pour chacune des années du primaire et du secondaire. Bon, il y a certaines personnes qui avancent que ça serait peut-être plus approprié de le faire seulement au secondaire. J'aimerais ça vous entendre là-dessus. Qu'est-ce que vous en pensez?

Deuxièmement, comment vous voyez que l'État pourrait procéder pour s'assurer que l'enseignement culturel des religions soit conforme au contenu des confessions qui y seraient enseignées? Puis une dernière question, toujours concernant l'enseignement culturel des religions: Comment vous voyez l'arrimage avec les cours qui existent aujourd'hui, les cours de morale... comment vous voyez l'arrimage entre ces nouveaux cours et les cours actuels au niveau moral?

(12 heures)

Mme Laurin (Louise): Mme la Présidente, à la première question, nous ne nous sommes pas posés en experts. Par rapport à la religion à l'élémentaire ou au secondaire, nous, tout ce que nous avons fait, c'est d'approuver les grandes orientations. Il y a des experts, à ce que je sache, au ministère qui connaissent le développement cognitif des enfants, leur développement intellectuel et qui peuvent adapter selon l'âge. Mais je regarde ce qui se passe en milieu protestant. Déjà, au niveau de la deuxième année, ils ont un thème sur les amis, puis les amis sont de différentes confessions. J'aurais aimé mettre la main sur le petit livre pour vous le montrer. Donc, ce qui veut dire que les jeunes qui sont dans ces écoles-là prennent conscience qu'il y a d'autres religions puis apprennent à les respecter. Donc, c'est ce qu'on veut. Et il y a différentes façons de procéder. Mais nous comptons qu'à ce moment-là les experts en pédagogie s'y penchent et que l'État, en fait, comme vous avez demandé, coopère, coopère dans le sens qu'il doit coopérer, puisque c'est le ministère qui va mettre à la disposition des gens une façon de travailler ce programme-là. Et, si l'État aussi... Je me dis: C'est l'occasion ou jamais pour les Églises d'avoir un comité, un genre de comité consultatif où les gens pourraient venir exposer les grandes lignes de leur religion, vérifier, et tout ça, pour que ce soit réellement conforme et que les gens qui ont des philosophies plus séculaires, plus humanitaires aussi puissent être consultés sur les contenus. Puis la troisième partie de votre question, c'était sur l'arrimage avec...

M. Legault: L'enseignement moral.

Mme Laurin (Louise): Mais je pense qu'il peut y avoir... C'est deux choses différentes, complètement différentes. Je pense que tous les enfants ont le droit à une solide formation morale, que tous les enfants ont le droit aussi de connaître les religions, tous les enfants, pas seulement ceux qui sont non croyants, non seulement ceux qui sont majoritaires, disons, au niveau... Alors, tous les enfants ont ce droit-là.

Aujourd'hui, les jeunes qui font de la formation morale ne savent pas qu'est-ce qui se passe trop, trop, sur le plan religieux. Moi, je me souviens, les parents me disaient: Je suis mal à l'aise, là, Jésus, ils ne savent pas qui c'est, je suis très mal à l'aise. Puis il y a des parents qui disent: Bien, moi, là, je l'ai mis en religion parce que je voudrais bien qu'il sache que la religion existe, mais, moi, je lui dis à la maison qu'il y en a d'autres, pour montrer qu'en fait le monde n'est pas fait autrement...

Alors, je pense qu'il peut y avoir des modules à l'intérieur d'un programme. Donc, à ce moment-là, ça serait: formation morale et initiation aux phénomènes religieux. Alors, c'est par modules que ça peut fonctionner et selon l'âge des enfants. Puis je pense qu'il y a assez d'experts au Québec pour être capable de bien appliquer ça.

M. Legault: Juste peut-être pour être certain que j'ai compris, d'abord, vous ne demandez pas nécessairement qu'on ait un enseignement culturel des religions dès la première année.

Mme Laurin (Louise): Non.

M. Legault: Vous dites: Il faudrait voir avec les experts à quel moment il serait approprié de commencer cet enseignement. Deuxièmement, concernant la deuxième question, vous suggérez, donc, la formation d'un genre de conseil interreligieux pour voir la base de la formation. Mais peut-être que j'aimerais ça vous entendre sur qui, vous verriez, pourrait composer ce conseil.

Et puis, si je reviens sur la troisième question, donc l'enseignement moral, vous voyez, en plus, de l'enseignement religieux culturel. Est-ce que ça veut dire que, dans votre conception, les deux enseignements seraient obligatoires pour tous? Je veux juste être sûr que je comprends bien.

Mme Laurin (Louise): Les deux enseignements devraient être obligatoires pour tous parce que je pense que tous les élèves... D'abord, on y tient à avoir une formation morale, à partager aussi des valeurs communes pour notre société. Et la dimension éthique des valeurs se trouve dans la formation morale, et tous les élèves ont le droit à ça, comme tous les élèves vont avoir le droit de s'ouvrir à d'autres religions et d'apprendre à se respecter eux-mêmes.

Et puis tous les élèves, je précise bien, les élèves qui sont partout au Québec, les élèves des régions aussi. Parce qu'on a tendance à dire: Ah! en région... c'est un problème de Montréal. Mais en région aussi les jeunes ont le droit. Est-ce qu'on va priver les jeunes, parce qu'ils habitent en région, d'une ouverture à la société? Ces enfants-là sont sur Internet, eux autres aussi, sont à la télévision. La plupart viennent faire des études universitaires dans les grandes villes. Alors, pourquoi on dit: Eux, il faut les mettre en vase clos, il ne faut pas les mettre en contact avec d'autres? Alors, je pense que tous les enfants du Québec devraient avoir une formation morale et un enseignement religieux.

Et, pour la constitution du conseil, je dois vous avouer, je n'ai pas fait une étude exhaustive, mais il y a quand même les grandes religions, les religions qui ont marqué l'histoire du Québec. Parce que d'ailleurs on le précise bien qu'il faut d'abord mettre l'accent sur notre patrimoine culturel, notre héritage culturel. Et cet héritage-là, les gens qui viennent d'ailleurs ou les gens qui n'ont pas de croyances, ils se doivent de le connaître aussi, ça a marqué notre histoire. Alors, ce n'est pas nécessairement... Donc, à ce moment-là, cet héritage-là devient strictement culturel, fait partie du patrimoine du Québec que doit apprendre et partager tout le monde.

La Présidente (Mme Bélanger): Ça va? M. le député de Kamouraska-Témiscouata.

M. Béchard: Oui, merci, Mme la Présidente. D'abord, M. Charles, Mme Lachapelle, Mme Rochon, M. Laberge et Mme Laurin, bienvenue et merci pour votre mémoire. Moi aussi, en le parcourant, j'ai vu la continuité et la suite dans les... adaptés au rapport Proulx qui a été déposé. Mais un des éléments qui... Vous savez sans doute que, parmi même les études qui ont été commandées à l'intérieur du rapport Proulx, dans les avis juridiques, celui de Woehrling, entre autres, on mentionne que, sur le contenu comme tel d'un enseignement religieux culturel, pour s'assurer de cette neutralité-là...

Il y a un auteur qui s'est penché sur la question, Stephenson, et qui fixe un peu les balises de ce que devrait contenir un cours d'enseignement culturel des religions pour ne pas entrer en contradiction... qu'il ne soit pas trop catholique, pas trop musulman, pas trop protestant. Un des pièges que l'auteur souligne, c'est le fait que, si on y va vers la perfection dans ce cours-là, que vraiment il ne heurte rien ni personne ni aucune croyance... Et je les cite, ils disent: «Un cours sur les religions qui voudrait éviter tout reproche de ce genre risquerait de sombrer dans la rectitude politique et de devenir intellectuellement insignifiant.» Et ça, ils le mentionnent là-dedans.

Là-dessus, j'aimerais que vous me traciez le parallèle avec ce que vous mentionnez qui était offert entre 1977 et 1984. Et est-ce que, selon vous, le programme qui était là à l'époque évitait, je dirais, les pièges qui nous sont identifiés dans l'étude de Woehrling? Et comment on peut en arriver à offrir un cours comme ça qui soit valable, mais qui, en même temps, n'entre pas en contradiction ou ne heurte pas les croyances des gens et des parents qui sont impliqués, et des enfants?

Mme Laurin (Louise): Je pense qu'il faut... D'abord, ce programme-là a eu beaucoup de succès. Même, ce programme-là, je veux dire... Puis je pense bien que, s'il a été discontinué, c'est parce qu'il attirait beaucoup de jeunes puis ça devenait compliqué sur le plan de la gestion d'une école d'avoir trois, quatre options. Ça, je pourrais vous en parler longtemps, ayant été directrice d'école. Mais je pense qu'on peut partir de ce... Il y avait un équilibre dans ce programme-là. Je ne pourrais pas vous le décrire en détail parce que je ne l'ai pas apporté avec moi. Mais il y avait un équilibre dans ce programme-là, je pense, qu'il faut retrouver et ensuite s'inspirer de personnes qui... – en Angleterre, par exemple, ils ont un programme d'enseignement religieux culturel – alors aller vérifier avec ces expériences qui se vivent ailleurs. Et on peut très bien... on le dit dans le rapport Proulx, ça, qu'on n'est pas obligé de prendre toute la panoplie, au point de départ. Qu'on commence par les religions qui ont marqué le Québec, on en a déjà pas mal à étudier, et, petit à petit, étudier les grandes religions.

M. Béchard: Dans cette optique-là, pour quelle raison et comment on peut défendre le fait que... Bon. On parle beaucoup d'égalité, on parle beaucoup que l'État n'a pas à favoriser l'une ou l'autre. Et vous optez, là, pour l'égalité républicaine par rapport à l'égalité communautarienne. La question est: Pourquoi on ne pourrait pas, selon vous, envisager un système où il pourrait y avoir le choix entre l'enseignement moral, à la limite, l'enseignement religieux culturel et aussi une ouverture sur les autres types de religion? Et, quand on regarde dans le curriculum, les gens disent: C'est surtout une difficulté pratique à mettre cela en place. Mais on parle d'une heure, une heure et demie, deux heures par semaine. Pourquoi, selon vous, on ne pourrait pas y aller avec une approche comme ça?

(12 h 10)

Et j'aime beaucoup l'argument que vous mentionniez: Il faut avoir une solution qui n'isole pas les gens en région ou qui ne crée pas de division de ce genre-là. Mais est-ce que l'ouverture à ces trois types, si on veut, d'enseignement ne serait pas une voie acceptable, c'est-à-dire d'avoir le choix entre l'enseignement moral, l'enseignement culturel des religions, pour ceux qui souhaitent s'ouvrir et qui souhaitent avoir cette approche-là, dépendamment des niveaux primaire, secondaire aussi, des cycles qui pourraient se faire, et finalement ouvrir en même temps à ceux qui veulent continuer d'avoir un enseignement religieux catholique, protestant et aux autres? Vous mentionnez vos doutes sur l'aspect du nombre requis, du nombre suffisant et des accommodements acceptables. Pourquoi cette solution-là ne pourrait pas être envisagée, toujours dans l'idée aussi de la déconfessionnalisation des structures, s'il y a lieu?

Mme Laurin (Louise): Bon. Tout d'abord, on va mettre un point très clair. Le rôle de l'école, ce n'est pas de transmettre la foi. Alors, si vous ouvrez une option sur une religion confessionnelle, à ce moment-là, vous... Historiquement, à cause de l'article 93 de la Constitution, on a toujours continué à se diviser et à confier à l'école un rôle qu'elle n'a pas. Et d'ailleurs, quand on le demande dans les enquêtes de Proulx, dans l'enquête que nous-mêmes nous avons faite, les gens disent que la transmission de la foi, ça regarde la famille, l'Église et, à un faible pourcentage, l'école. Alors, je ne vois pas pourquoi on continue à se pencher sur cette option-là quand on sait que les attentes, ce n'est pas celles-là?

Et pourquoi on a tant d'options? C'est ce que j'ai expliqué tantôt. D'abord, est-ce que notre société... On a déjà, dans notre société, posé des gestes très clairs, d'abord avec la Charte des droits et libertés. On a des politiques d'intégration. D'ailleurs, celle qui est à l'exemple, c'est la politique, en 1990, sur la question de l'intégration. Alors, on a déjà fait des choix de société. Est-ce qu'on veut être...

Et maintenant on parle beaucoup de l'apprentissage, de vivre ensemble. C'est dans la mission de l'école. On lui a donné cette mission-là. C'est la politique actuelle, que chaque citoyen soit égal, qu'on apprenne aux jeunes à la vivre, cette égalité, à connaître cette égalité. Alors, je ne vois pas pourquoi on défait tout ça. Puis il me semble que tous les enfants ont le droit strict d'avoir une formation morale puis aussi de s'enrichir culturellement sur ce que les religions ont apporté dans notre vie puis dans la vie de toute l'humanité.

M. Béchard: Dans votre réflexion, vous mentionnez, entre autres, qu'il faudrait également, si on suit vos hypothèses, modifier l'article 41 de la Charte des droits et libertés du Québec. Et, donc, il y a une certaine série de compatibilités juridiques et législatives qui s'enchaînent. Mais, justement sur cette lignée-là, toute la question des possibilités que les écoles ont d'avoir des projets particuliers, selon vous, est-ce qu'il faudrait aussi abroger ces possibilités-là pour, par exemple, des projets particuliers à caractère religieux? Et toujours dans la même lignée, toutes les possibilités que pourraient avoir, par exemple, les écoles privées à dispenser un enseignement religieux, est-ce que, selon vous, ça pose aussi problème?

Et, si on y va selon la voie de la déconfessionnalisation et la voie de la mise en place d'un cours sur l'enseignement culturel des religions, il faudrait à la fois légiférer pour éviter qu'il y ait des écoles à projets particuliers qui pourraient avoir un caractère religieux et en même temps s'assurer que, dans le secteur privé, on n'offre pas de possibilité au niveau de cours de religion, parce que ça viendrait créer, je dirais, une certaine discrimination par rapport à ceux qui ne peuvent pas avoir accès à l'école privée. Et, encore là, avec le financement de l'école dans le secteur privé, on pourrait dire que l'État favoriserait indirectement... enfreindrait le principe d'égalité aussi. Comment vous voyez tous ces rapports-là?

Mme Laurin (Louise): Par rapport aux projets particuliers, ça revient au même que tantôt, là. Le projet particulier religieux, c'est synonyme d'école religieuse, c'est la même chose. Donc, on ne peut pas distinguer un statut puis un projet religieux, c'est la même, même chose. Donc, si on dit que les écoles ont droit à des projets particuliers religieux, bien, là, on va se retrouver tantôt avec toutes sortes d'écoles. Puis, à Montréal, ça va aller vite, monsieur! Il y en a qui attendent juste ça, là, pour ouvrir leur école musulmane ou bouddhique, etc. Il y en a. Puis ceux qui vont savoir qu'ils ont le droit, ça va aller vite, ça. Alors, le projet particulier, c'est la même chose, dans le fond, que d'avoir un statut d'une école autre.

Maintenant, par rapport à l'école privée, si on regarde... Enfin, selon les pactes internationaux, et tout ça, on serait correct, je pense, de permettre l'enseignement privé... en fait, que les gens qui ont une confession particulière, s'ils veulent avoir leur propre école... Bon. Mais il reste que, en fait, nous, on ne le souhaite pas. Disons qu'on ne le souhaite pas parce que, dans le fond, on voudrait que tous participent au projet commun du Québec, qu'on ait une identité nationale. Et, si les gens veulent avoir leur école privée par rapport à la religion, bien, ils peuvent l'avoir avec leurs propres deniers, comme ça devrait. Parce que l'État finance beaucoup, actuellement – mais ça, c'est un autre problème – le secteur privé, ce qui normalement devrait être financé par ceux qui veulent avoir ce type d'école.

M. Béchard: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. M. le député de Champlain.

M. Beaumier: Merci, Mme la Présidente. Dans les mémoires, même si on commence nos travaux de réflexion quant à non seulement la place de la religion dans l'école, mais aussi au rôle que l'école doit jouer par rapport à la dimension religieuse et aussi par rapport aux religions existantes, on soulève souvent la question du droit des parents. C'est très complexe, bien évidemment. Mais j'aimerais bien savoir de quelle façon, vous, vous envisagez ou vous concevez cette notion de droits des parents, qui sont des droits multiples, qui sont en complémentarité avec d'autres droits aussi, j'imagine. Alors, quelle en est la réflexion de la Coalition à cet égard?

Mme Laurin (Louise): Le droit des parents. Bon. De quels droits parlons-nous et de quels parents parlons-nous? Là est toute la question. Est-ce que c'est les droits des parents catholiques puis des protestants ou bien si c'est les droits de gens qui sont soit non croyants ou d'autres religions? Alors, c'est déjà la question principale.

Maintenant, les parents, leurs droits sont protégés. Ils ont le droit de faire des projets dans les écoles. Ils participent aux valeurs qu'on veut mettre de l'avant dans l'école. C'est protégé. Mais c'est toujours le fait que l'école, si on veut qu'elle soit pour tous les enfants du même quartier et du même village qui partagent ensemble la citoyenneté, il reste que les parents n'ont pas réalisé, je pense, que la transmission de la foi... Il y en a beaucoup de parents, je ne dis pas tous. Parce que, quand on fait un sondage, ils nous disent le contraire, que la transmission de la foi, ça relève de la famille. Alors, à ce moment-là, les droits des parents d'avoir un enseignement de qualité, d'avoir un enseignement généreux, ils l'ont, ce droit-là, mais il n'y a nulle part où il est écrit que les parents ont le droit de demander que l'école soit la transmission de la foi, de transmettre la foi. Ce n'est nulle part, ça. C'est parce que c'est devenu naturellement.

(12 h 20)

Puis pourquoi, à ce moment-là... Je pense qu'il y a une occasion unique, actuellement, que les Églises n'ont pas saisie, n'ont pas l'air d'avoir saisie, mais qu'elles devraient saisir pour améliorer leur communauté de croyants, pour améliorer la religion. Parce que, même les programmes actuels, on l'a vu, c'est tellement dilué sur le plan religieux qu'on se pose des questions: Non, ce n'est pas ça que j'ai appris à l'école. Alors, avec ce tournant-là, il faut aussi que et les parents et l'Église fassent leur part. On ne peut demander à l'État, qui est neutre, dont les institutions se sont laïcisées depuis la Révolution tranquille, même s'il y a certains services, les gens qui rentrent dans les hôpitaux, comme M. le ministre le soulevait tantôt... Je veux dire, il reste que tout... Puis les nouveaux collèges, les cégeps ne sont pas religieux, les universités qu'on a créées ne sont pas religieuses. Il reste un bastion. Et c'est pour ça qu'on crie si fort. Alors, moi, je pense que les Églises devraient en profiter pour augmenter cette ferveur qui manque dans la population.

Parce qu'on se rend compte qu'avec les cours qu'il y a actuellement la pratique a baissé. Qu'est-ce que ça veut dire? L'intérêt des jeunes, non plus, n'y est plus. Alors, il est temps qu'on effectue un coup de barre pour donner une solide formation morale aux jeunes. Puis je pense que c'est le droit des parents que leurs jeunes puissent partager des valeurs.

M. Beaumier: Est-ce que ça impliquerait, par exemple, comme hypothèse, si des parents demandaient qu'à l'intérieur même de la programmation, à l'intérieur même des horaires... Parce que, tantôt, vous parliez que ces aspects-là de religion pouvaient être après la classe, et tout ça. Mais cette dimension religieuse ou des religions, est-ce que ça répugnerait à l'esprit qu'elle puisse se faire à l'intérieur même de la programmation, du curriculum? Et est-ce que respecter le droit de certains parents empêcherait le respect du droit de l'ensemble des parents?

Mme Laurin (Louise): Bien, c'est ça, respecter le droit de certains parents. Tous les parents ont des droits. Alors, pourquoi on fait de la discrimination, encore?

M. Beaumier: Non, mais ça n'empêcherait pas...

Mme Laurin (Louise): Je pense que les aménagements, dans les écoles, ça dépend – je ne sais pas – des heures, des horaires. Il y a des aménagements possibles dans les horaires. Puis ça dépend d'où vivent les jeunes, puis etc. Ça, c'est de la mécanique qui peut... Les directions d'écoles vont régler ça avec vous autres. Mais, si on donne des droits à certains parents, il faut les donner à tous, à ce moment-là.

M. Beaumier: Oui, mais, je veux dire, le fait de permettre... C'est une hypothèse, c'est une réflexion, on est dans ce mode-là. Le fait que, dans une école donnée, il puisse y avoir de l'enseignement de telle confessionnalité, est-ce que ça contredirait le droit de l'ensemble des parents de cette communauté-là?

Mme Laurin (Louise): Bien, oui, c'est évident. Si les autres n'ont pas la même chose...

M. Beaumier: Je dois mal poser ma question parce que je ne m'attendais pas à ce que ce soit si évident que ça.

Mme Laurin (Louise): Non, mais c'est ça. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Beaumier: Mais l'exercice des droits de certains, est-ce que ça contredit l'exercice des droits des autres?

Mme Laurin (Louise): Oui, vas-y donc, là. Je n'ai pas compris la question.

M. Beaumier: Je m'excuse de ne pas comprendre. Mais ça m'arrive.

M. Laberge (Henri): Je ne sais pas ce que vous envisagez, au juste.

Mme Laurin (Louise): C'est ça.

M. Laberge (Henri): Est-ce que vous envisagez que tous les groupes religieux qui en feraient la demande puissent avoir un enseignement confessionnel de leur religion à l'école? Est-ce que c'est ça que vous envisagez?

M. Beaumier: Non, je n'envisage rien, je réfléchis, comme tout le monde, là.

M. Laberge (Henri): Oui. Bon, bien, alors, moi, ma réflexion, c'est la suivante.

M. Beaumier: Oui, allez-y.

M. Laberge (Henri): C'est que, si on ouvrait cette porte-là, on dit: Toutes les religions qui sont en demande, on accorde cet enseignement, l'école devient un supermarché des religions. Là, on dit: Bon, on donne un cours d'enseignement à la carte. Bien, à ce moment-là, il ne faut pas oublier aussi qu'il y a athées dans la population. Est-ce que les athées auraient le droit aussi d'avoir un cours sur l'athéisme, un cours d'athéisme, comme tel?

M. Beaumier: Non. Écoutez, là...

M. Laberge (Henri): Bon, vous dites non.

M. Beaumier: Je pense que le fait...

M. Laberge (Henri): Puis peut-être que oui, peut-être que non. Mais, en tout cas. Déjà, la raison principale, pourquoi le cours d'enseignement culturel sur la religion a été abandonné en 1984, selon toute l'analyse qu'on en fait, c'est la complication d'avoir une troisième option. Parce que, à ce moment-là, on enseignait seulement la religion catholique dans les écoles catholiques puis la religion protestante dans les écoles protestantes. Alors, il y avait deux options seulement, l'enseignement catholique puis l'enseignement moral. Puis là on ajoutait l'enseignement culturel sur les religions. Les directeurs d'écoles trouvaient que c'était compliqué d'administrer trois options.

Maintenant, on a les trois options à l'intérieur de chaque école, parce que, maintenant, les catholiques et les protestants vont dans les mêmes écoles, semble-t-il, en tout cas, à plusieurs endroits – pas tout à fait, mais à certains endroits. Alors, dans ces endroits-là, vous avez trois options, l'enseignement catholique, l'enseignement protestant et l'enseignement moral. Puis là il y en a qui voudraient qu'on ajoute une quatrième option sans supprimer les premières, qui serait l'enseignement culturel des religions, puis, en plus, d'autres options, l'enseignement confessionnel sur l'islam, le bouddhisme, le judaïsme. Ça n'a pas d'allure.

Mme Laurin (Louise): Là, on fait une confusion aussi par rapport au droit des parents. Je veux dire, c'est parce que c'est une habitude qu'on a prise, disons.

M. Beaumier: Non, c'est...

Mme Laurin (Louise): Ce droit-là, c'est le droit à l'éducation de leurs enfants. C'est à ça qu'ils ont droit, les parents. Puis je pense que, nous autres, comme membres de la société civile puis comme membres de l'Assemblée nationale, on veut aussi que l'éducation soit la meilleure pour nos jeunes, pour l'avenir de nos jeunes. C'est ça, le droit des parents. Puis, comme je disais tantôt, est-ce que ce droit-là, c'est le droit de certaines personnes puis ce n'est pas le droit d'autres?

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, Mme Laurin. Le temps est terminé pour ce côté-ci. Alors, M. le député d'Anjou, il reste 9 minutes.

M. Lamoureux: Merci, Mme la Présidente. Mme Laurin, félicitations pour votre exposé et tout le travail de longue haleine, pas seulement pour aujourd'hui. On a eu la chance de lire de nombreux documents que vous avez pu produire, qui ont soulevé, en tout cas, chez moi, des questions intéressantes, des éléments de réflexion.

La question que je vais vous poser va un peu dans le sens de la question que je posais préalablement. C'est que j'essaie d'imaginer quel genre d'école, de voir quel genre d'école on aurait si demain matin on appliquait les solutions que vous nous proposez. Durant l'été, j'ai eu la chance évidemment de discuter avec bien des gens, entre autres, avec des jeunes, avoir le pouls un peu de leur vision des choses, comment ils voyaient... où ils se situaient par rapport au débat. Ils m'ont posé des questions, m'ont donné des éléments de réflexion auxquels je n'avais pas nécessairement de réponse. Je ne sais pas si vous allez être en mesure de nous éclairer aujourd'hui.

De nombreux jeunes me faisaient remarquer que la religion... On parle beaucoup du cours, savoir: Est-ce qu'on doit avoir un cours de religion? l'histoire des religions, la place, et ainsi de suite. Mais la religion déborde largement le cadre, je pense, juste du cours ou de l'heure ou de la plage horaire qu'on peut attribuer. Je pense, entre autres: pièces de théâtre pour Noël, Pâques, les dessins dans les cours d'arts plastiques, bon nombre de jeunes, je pense, ont pu dessiner des crèches pour Noël, des choses comme ça, si on veut, tout ce qui déborde du cadre même du cours de religion.

Je veux savoir quelle est votre vision, qu'est-ce qu'on doit faire par rapport à ça, comment on doit aménager l'école. Est-ce qu'on doit supprimer toute référence? Parce que, veut, veut pas, quand on parle de la crèche ou de Pâques, on commence déjà à aller dans le sens de certaines religions. Et, pour paraphraser un des jeunes, ce qu'il me disait, et je vous laisse là-dessus: Est-ce que l'on doit faire en sorte que Pâques, ce soit juste du chocolat, dans l'école, telle qu'il serait proposé par le rapport Proulx? Je n'ai pas la réponse, ça fait que je vais attendre voir ce que vous allez nous dire là-dessus.

Mme Laurin (Louise): Je ne pense pas que Pâques soit la fête du chocolat. Je pense que, dans le rapport Proulx, c'est très clair que les traditions chrétiennes doivent être connues. Puis, quand bien même les enfants ne voudraient pas les connaître, hein, elles sont là, elles sont affichées partout. Alors, ça ne changera pas, au point de départ. Moi, j'ai eu la chance, je dirais, d'être dans une école où il y avait une multitude de confessions, réellement plurielles sur le plan confessions et sur le plan d'origines aussi ethniques. Alors, on en faisait pareil. Les jeunes, il fallait qu'ils sachent qu'est-ce qui se passe, pourquoi il y a un arbre de Noël, pourquoi il y a une crèche. C'est une tradition, c'est une fête. C'est une fête de l'amour. Puis je ne vois pas pourquoi je ne le dis pas aux musulmans parce que, les musulmans, ce n'est pas leur fête.

(12 h 30)

Alors, je ne vois pas en quoi, tout ce que vous dites, tous ces petits accessoires qui, normalement... Bon, on en profite toujours, lors du cours d'art plastique. Bien là, à ce moment-là, s'il y a un jeune d'une autre religion, il pourrait lui dire: Bien, écoutez, moi, ma fête, c'est elle, c'est cette fête-là que, moi, je... Ou bien, si le professeur est attentif puis le sait, bien là il va lui dire: Bien, toi, tu peux nous illustrer... Tu sais, pédagogiquement, on est capable de s'en sortir. Puis il ne faut pas se fermer les yeux. C'est comme ça, c'est une tradition. Noël, c'est une tradition. Puis qui connaît le vrai sens de Noël? Je serais bien curieuse... Quand une enseignante de deuxième année – par exemple, la fête de Pâques – explique avant de partir: Bon, Pâques, c'est important, Pâques, c'est la résurrection, puis, quand elle revient – puis dans une école catholique canadienne-française, blanche, francophone, tout ce que vous voulez – puis les jeunes reviennent – puis c'est en région – puis disent au professeur: Bien, là, je ne sais pas, on n'a pas... Tu sais, parce qu'elle explique, faire ses pâques, elle explique qu'est-ce que c'est. Il n'y a personne... il y en a deux, trois qui sont allés à l'église. Ils n'en ont jamais entendu parler, chez eux. Ça fait qu'il faut se poser des questions par rapport à ça.

Alors, moi, je pense que ce qui est traditions extérieures, on part de ce qui est extérieur, pour venir expliquer aux jeunes... Puis la même chose au niveau de troisième année – je pense aux sciences humaines, si je me souviens bien – on part du milieu ambiant pour expliquer aux jeunes le quartier puis on élargit. On part de la famille puis on élargit. La même chose. C'est la même chose. On ne peut pas enlever tous les symboles parce que...

M. Lamoureux: Parfait, merci. Je n'ai pas d'autres...

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, Mme la Présidente. Mme Laurin, il y a un problème qu'on retrouve dans le rapport Proulx et que vous n'avez pas traité à ma satisfaction. Pour évaluer une organisation scolaire, on peut faire appel à plusieurs critères. Mais il y en a un critère auquel, moi, je ferais appel, qui est celui de son impact sur l'estime de soi des enfants.

C'est très important, l'estime de soi, du point de vue de la trajectoire de vie, du point de vue du succès, du point de vue de l'actualisation. Or, et ça, vous l'avez répété à deux reprises, la conception que vous vous faites de l'enseignement culturel de la religion, tout comme celle que s'en fait Jean-Pierre Proulx, est une conception qui est pondérée par rapport aux traditions religieuses de la société globale dans laquelle se fait l'enseignement de la religion. Dans cette conception-là, il y a certaines religions qui, dans l'enseignement culturel de la religion, auraient donc une pondération, une place, un référentiel qui serait supérieur à celui d'autres religions. Ça pose un problème, ça, pour l'estime de soi des enfants qui sont exposés à cet enseignement pondéré des traditions religieuses.

Ma question, c'est: Comment... Moi, j'ai toujours une difficulté avec le rapport Proulx, de ce point de vue là, parce que le rapport Proulx ne préconise pas un enseignement sociologique de la religion. Il préconise un enseignement de la religion qui tienne compte d'un contexte patrimonial, de ce que j'appelle une pondération. Est-ce que vous acceptez cette conception de façon aprioriste ou si vous avez des réserves là-dessus? Vous n'y voyez pas de difficulté? Il n'y a pas de problème pratique pour vous?

Mme Laurin (Louise): Bien, on peut... Il y a d'autres personnes qui pourraient dire le contraire. Elles vont dire: Bien, le rapport Proulx oublie qu'on est de tradition judéo-chrétienne. Le rapport l'oublie, donc il le balaie. Mais je pense qu'il a essayé, le rapport, justement, d'accorder... Mais ils n'ont pas élaboré un programme, M. Laporte.

M. Laporte: Dans vos propos, vous avez bien dit, j'ai noté, je pense que je ne vous trahis pas quand vous avez dit: «Par les religions qui ont marqué le Québec.» Donc, vous pondérez, c'est-à-dire vous avez une conception qui pondère le contenu de l'enseignement culturel. Donc, il y a des gens là-dedans qui vont se sentir, disons, en situation... C'est discriminatoire, ça.

Mme Laurin (Louise): Je ne crois pas, Mme la Présidente, que ce soit discriminatoire. La pondération, telle qu'elle a été exprimée, c'est des grandes orientations. Il faudrait, je pense, s'y pencher sérieusement pour voir le dosage de ce que ça pourrait être, mais pas tout de suite de... Parce que le rapport propose des grands principes directeurs. Et je pense que, dans l'élaboration pédagogique, il va y avoir là cette question de pondération et de dosage. Peut-être que ça ne répond pas à votre question directement, mais...

C'est parce qu'on ne peut pas oublier où on est, qui nous sommes. Puis, si on veut que les jeunes s'intègrent, que les nouveaux arrivants, entre autres, s'intègrent au Québec, bien, il faut leur parler de qui on est, nous autres, au Québec, puis tout ça. Puis ensuite, bien là on leur... Je parle des nouveaux arrivants, mais il y a une infinité de distinctions même à l'extérieur de ça et même parmi les nouveaux arrivants. Tu sais, si on prend une origine donnée... je parlais avec des Chinois l'autre jour, des Chinois catholiques, charismatiques, bouddhistes, shintoïstes, etc., il y a toute une variété même à l'intérieur de ces gens-là. Puis ce que les nouveaux arrivants veulent, c'est de s'intégrer. Puis, pour s'intégrer, bien, je pense qu'il faut qu'ils sachent d'abord qui on est, nous autres. Puis ensuite ils viennent enrichir notre patrimoine culturel.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, malheureusement, c'est terminé.

Mme Houda-Pepin: Est-ce que je peux demander le consentement pour que l'on prolonge de cinq minutes?

La Présidente (Mme Bélanger): Bien, non. C'est parce qu'il y a quelqu'un de ce côté-ci qui a demandé la parole puis je lui ai dit que le temps était terminé. Alors, si on commence ça, on va finir très tard.

Il y aurait peut-être une chose à mettre au point. Si les réponses étaient un petit peu moins longues... parce qu'il y a plusieurs députés qui m'ont demandé de poser des questions, mais, malheureusement, le temps étant limité, on n'arrive pas à poser toutes les questions qu'on voudrait. Alors, je demanderais que les réponses soient plus succinctes, peut-être.

Alors, nous suspendons jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 37)

(Reprise à 14 h 8)

La Présidente (Mme Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission de l'éducation reprend ses travaux. Le mandat de la commission est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur la place de la religion à l'école.

Cet après-midi, nous entendrons le Centre justice et foi; à 15 heures, ce sera la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval; à 16 heures, le Département des sciences religieuses de l'Université du Québec à Montréal.

Je pense que les gens du Centre justice et foi sont présentement à la table. Alors, je demanderais à Mme Sharp de bien vouloir présenter les personnes qui l'accompagnent, étant donné qu'elle est la porte-parole.


Centre justice et foi (CJF)

Mme Sharp (Carolyn): Je vais permettre au nouveau directeur du Centre justice et foi de présenter le Centre; ensuite, je vais prendre la parole pour la présentation, si vous acceptez, madame. Je vous présente le père Jean Bellefeuille. Est-ce que c'est permis?

La Présidente (Mme Bélanger): Oui, oui.

M. Bellefeuille (Jean): Mme la Présidente, Mmes, MM. les commissaires, c'est avec plaisir que nous sommes présents cet après-midi. Nous vous remercions de cette invitation que vous nous avez faite de présenter le mémoire du Centre justice et foi dans le cadre du débat sur la place de la religion à l'école.

Je vous présente donc les personnes qui m'accompagnent cet après-midi: à ma gauche, comme vous l'avez vous-même mentionné, Mme Carolyn Sharp, qui est directrice de la revue Relations ; à mon extrême gauche, Mme Élisabeth Garant, qui est, au Centre justice et foi, directrice du secteur des communautés culturelles; et, enfin, à ma droite, Mme Françoise Nduwimana, qui est elle-même responsable du secteur des programmes. Alors, sans plus tarder, je passe la parole à Mme Sharp qui vous fera la présentation de notre mémoire. Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Mme Sharp.

(14 h 10)

Mme Sharp (Carolyn): Et je vous dirai peut-être un petit mot spécial de remerciement. La dernière fois que j'étais dans cette salle, j'avais 16 ans, j'étais une jeune étudiante américaine en visite à Québec. Je vous remercie donc de me permettre de prendre la parole en tant que citoyenne de cette société sur la question que nous allons aborder.

Alors, nous sommes venus ici aujourd'hui pour dire notre appui à la réforme du système scolaire dans le sens d'une laïcité ouverte. Notre première recommandation en réponse au rapport Proulx est que le gouvernement mette en place un processus qui vise, dans un esprit de laïcité ouverte, à déconfessionnaliser le système d'éducation. Par cela, nous entendons non seulement l'abolition des structures confessionnelles, mais aussi l'introduction d'un programme universel d'enseignement non confessionnel du phénomène religieux et le respect du vécu religieux des élèves et de leurs familles. Depuis le temps que nous réfléchissons sur cette question, nous avons précisé la vision d'ensemble sur laquelle repose notre appui de centre jésuite et chrétien d'analyse sociale à une laïcité ouverte et à sa réalisation au sein du système scolaire québécois. Vous avez retrouvé cette vision élaborée dans notre document, mais il y a quelques aspects que nous tenons à souligner.

Pour nous, l'avenir du Québec dépend de notre capacité à construire ensemble une société basée sur les principes d'égalité, de justice et de solidarité. C'est d'ailleurs au nom de la solidarité avec les démunis que nous avons poursuivi un travail de promotion de la justice, mais aussi que nous nous sommes engagés dans les questions d'immigration et d'accueil. Mais c'est aussi au nom de notre engagement pour l'avenir d'une société francophone que nous nous sommes engagés dans les questions d'ordre culturel et national, et c'est cette deuxième option qui nous a poussés à la nécessité de réfléchir ensemble et de travailler au développement d'une culture publique commune capable de rejoindre tous ceux et celles qui composent la société québécoise. Et c'est sa réflexion sur ce thème qui a amené le père Julien Harvey à mettre de l'avant sa proposition d'un enseignement non confessionnel du phénomène religieux et la laïcisation du système scolaire québécois dans un esprit de laïcité ouverte.

En arrière-fond de notre parti pris pour la laïcité ouverte, nous retrouvons donc une vision de société axée sur le bien commun, mais aussi un rêve, un rêve de voir les écoles québécoises contribuer à la formation d'une société démocratique, libre et pluraliste par la formation de citoyens et de citoyennes égaux, différents, qui se comprennent assez bien pour vivre ensemble et qui comptent davantage sur la solidarité que sur la tolérance pour construire ensemble un avenir commun.

Ainsi, dans le dossier de la confessionnalité scolaire, nous rejetons non seulement le statu quo, mais aussi une solution communautarienne, car cette dernière solution nous semble partager les faiblesses du multiculturalisme à un moment où la société québécoise a un besoin particulier de relever le défi de renforcer les dynamiques sociales d'intégration et de cohésion.

Il faut, nous croyons, relever ensemble un autre défi, celui de créer un nouveau modèle qui est à la fois respectueux de la liberté de conscience et de la diversité religieuse, tout en abordant le religieux comme une expérience primordiale de la vie humaine sur laquelle il faut que chacun et chacune acquièrent une culture. Un tel modèle correspond à l'évolution religieuse de la société québécoise, notamment en ce qui concerne l'autonomie du profane par rapport au sacré, la distanciation par rapport à la pratique religieuse traditionnelle, la plus grande diversité religieuse et des interrogations nouvelles sur le transcendant.

Notre vision insiste sur la richesse que la religion apporte à la vie humaine. Pour la grande majorité de l'humanité, la religion est un lieu privilégié non seulement pour établir des valeurs, mais aussi pour construire une relation à soi, une relation aux autres, une relation au monde et une relation au transcendant qu'on nomme, nous, le transcendant Dieu. Au-delà de la réflexion morale, la croyance, comme l'incroyance, permet de répondre aux questions ultimes de sens. Si, dans la modernité, la religion engage de plus en plus l'individu en tant qu'individu, elle a néanmoins une dimension collective, ce qui fait de la religion un phénomène social et culturel en plus d'une attitude personnelle et psychologique.

Dans une société démocratique et pluraliste, la séparation de l'Église et de l'État n'abolit pas le droit de cité des religions. Les religions demeurent présentes dans la vie publique et dans la société civile d'une société laïque, entre autres, par les convictions qu'elles inspirent chez les uns et les autres, convictions qui ont des conséquences importantes pour la participation politique et sociale des citoyens. La religion est aussi présente par le biais des institutions, organisations et réseaux que créent les croyants et qui, au même titre que d'autres mouvements sociaux, appartiennent à la société civile et ont un impact sur la vie de la société. Il nous semble donc simpliste d'aborder la religion simplement comme un phénomène de la vie privée. En autant que la religion permet aux membres d'une société d'accéder aux questions fondamentales de la vie humaine, de se doter de convictions et d'agir individuellement et de concert avec d'autres, elle constitue un bien pour la société. C'est pour cela qu'il faut fournir à chaque élève une connaissance de base du phénomène religieux.

Mais une telle vision n'est pas possible sans une reconnaissance de la liberté de conscience. Devant des questions ultimes, personne ne peut se substituer à autrui – et, dans notre mémoire, vous allez trouver une citation de Vatican II... Notre position est catholique. Personne ne peut se substituer à autrui devant des questions ultimes de vérité. Il revient à chacun et chacune de chercher la vérité, seul et avec d'autres, et de la faire sienne, de se l'approprier et de fonder sa vie sur elle. À l'égard de ce droit, l'État doit jouer un rôle positif non seulement en protégeant le droit de conscience, mais aussi en le favorisant par une promotion active, et cela fait partie des objectifs de la laïcité ouverte dans le milieu scolaire. Il faut éduquer à la tolérance, mais aussi et surtout au respect du vécu religieux et à la reconnaissance mutuelle de l'expérience de foi et d'incroyance des uns et des autres et, finalement, à la solidarité dans une société pluraliste.

Quant au droit des parents – et vous avez posé beaucoup de questions là-dessus ce matin – le respect de la liberté de conscience et de la religion exige le respect de leur droit de transmettre à leurs enfants leurs valeurs, leur foi ou leur incroyance. De même, le droit international reconnaît le droit des parents de choisir l'éducation de leurs enfants. Cependant, cette reconnaissance ne crée pas pour l'État une obligation de fournir ou de financer l'enseignement confessionnel. Par contre, l'État a une obligation formelle de veiller à ce que ces droits soient respectés non seulement pour les parents membres d'un groupe religieux majoritaire, mais pour l'ensemble des parents, quel que soit leur poids démographique ou leur force politique. Nous croyons que la déconfessionnalisation proposée par le rapport Proulx respecte cette exigence.

Je vous parlerai maintenant de notre appui à la proposition Proulx sur l'enseignement culturel des religions. Pour nous, un tel programme est un élément de base sur lequel fonder une laïcité ouverte et continue. Malgré cet appui, nous avons adressé certaines critiques, que vous allez trouver dans notre mémoire, au programme. Nous voulons ici revenir sur trois.

D'abord, il y a une question de nomenclature. Nous sommes très mal à l'aise avec l'expression «l'enseignement culturel des religions» et nous continuons de préférer «l'enseignement non confessionnel du phénomène religieux». Nous croyons que cette expression a l'avantage de rappeler la rupture avec la situation actuelle, de traiter de la religion comme une activité contemporaine de recherche de sens et de préciser que le programme ne vise aucun objectif d'acte de foi directement ou indirectement.

(14 h 20)

Quant à la quête du sens, nous reprochons au rapport de ne pas avoir suffisamment tenu compte de la contribution que peut y faire un programme d'enseignement non confessionnel du phénomène religieux. À travers l'histoire, et encore aujourd'hui, la religion est un lieu privilégié où les êtres humains abordent le sens de la vie non seulement pour poser la question du sens, mais pour partager ce questionnement, le systématiser, le ritualiser, le transmettre aux générations futures. Un des objectifs de l'enseignement non confessionnel du phénomène religieux devrait être d'initier l'élève à ce rôle de la religion tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. De cela découle l'importance d'aborder cet enseignement sous l'angle non seulement des connaissances à produire, mais aussi sous celui d'une exploration à mener, où des connaissances sont des outils indispensables rendus disponibles aux élèves.

Enfin, notre souci de la culture publique commune nous amène à souligner la contribution des traditions chrétiennes – au pluriel; pour cela, je vous renvoie à notre mémoire – du judaïsme et des spiritualités autochtones au patrimoine religieux québécois et occidental.

Le judaïsme est présent au Québec depuis plus de 200 ans et a contribué de façon significative, par sa présence, à l'évolution de cette société, ce qui n'est vrai d'aucune autre des grandes traditions religieuses ni pour le christianisme orthodoxe. Nous trouvons donc qu'il faut amender le troisième principe directeur du programme proposé par le rapport Proulx.

Dans la recherche d'un vivre ensemble harmonieux, en plus la société québécoise doit aborder la question de la place qu'elle fait aux peuples autochtones. Nous savons l'importance de la spiritualité chez les premières nations. Voilà pourquoi nous souhaitons que la spiritualité autochtone soit priorisée comme élément du patrimoine religieux québécois. De plus, cela nécessite un travail particulier de collaboration avec ces peuples. Et nous vous renvoyons à l'expérience du Musée de la civilisation sur ces questions dans la production de documents en collaboration avec le MEQ à l'intention des enfants du primaire.

La laïcité ouverte enfin devrait permettre de reconnaître l'importance de la religion dans la vie humaine et sa contribution à la société québécoise. Sur le plan scolaire, cela se traduit par le respect du vécu religieux des élèves et de leurs familles. Dans un système scolaire déconfessionnalisé, la religion continuera d'être présente par le fait que beaucoup de jeunes Québécois viennent de familles et de milieux où la religion continue de jouer un rôle vital. Les écoles sont appelées non seulement à respecter ce vécu, mais à veiller à ce que cette dimension de la vie des enfants et des élèves ne soit pas amputée de leur expérience scolaire. Nous accueillons donc favorablement les aménagements que propose le rapport Proulx quant aux arrangements possibles pour l'accès des groupes religieux aux locaux des écoles et nous sommes aussi favorables à ce que les étudiants du secondaire puissent, sur leur propre base, organiser des activités parascolaires de nature religieuse.

Enfin, nous sommes aussi favorables à la proposition – j'ai l'impression de dire souvent «enfin» – d'une animation à la vie spirituelle et religieuse. Par contre, nous constatons que cette proposition est fort mal comprise et demande d'être davantage développée. Nous croyons important que le gouvernement fasse rapidement appel à des personnes compétentes afin de se pencher sur l'avenir de ce nouveau service.

Au chapitre de la transition, nous proposons qu'il faut procéder par étapes. Un premier volet implique essentiellement les structures, et nous croyons qu'il est possible d'ici le 30 juin 2000 de déconfessionnaliser les écoles, d'abolir les comités catholiques, d'abroger tout ce qui fait en sorte que les nominations au Conseil supérieur soient sous le droit de regard des autorités religieuses, bon, et le reste, que vous trouverez dans le mémoire.

Pour le deuxième volet, nous croyons qu'il faut mettre cinq ans. Il concerne l'introduction de l'enseignement du phénomène religieux et aussi la transformation du service de pastorale. Pour l'introduction, nous croyons qu'il faut mettre en place des projets-pilotes. Nous croyons qu'il faut commencer l'introduction par le secondaire et nous croyons qu'il faut attendre trois ans après que l'introduction au secondaire ait été commencée pour l'introduction au primaire. Nous croyons que c'est la meilleure façon d'assurer que cette transition se vit bien au niveau des parents, de la population, des enseignants et des élèves.

Pour la transformation du service de pastorale, dans cette période de transition, nous trouvons ça hasardeux de remettre la décision aux conseils d'établissement. Donc, contrairement au rapport Proulx, nous croyons qu'il est préférable que le gouvernement maintienne l'obligation pour les commissions scolaires d'offrir un service commun d'animation religieuse et spirituelle et qu'après cinq ans il deviendrait possible de voir s'il faut que ce soit une obligation ou une décision des conseils d'établissement.

Enfin, il y a un autre volet, et nous avons présenté à M. Grégoire Mathieu un document que nous allons rendre public aujourd'hui, qui s'adresse à l'Assemblée des évêques du Québec et qui parle de la question de la responsabilité de l'Église pour la transmission de la foi. Ce volet ne concerne pas l'État, sauf que, dans l'éducation religieuse, l'État, par le biais des écoles confessionnelles, a suppléé au rôle de l'Église catholique. Le temps est venu d'y mettre fin, mais il faut aussi permettre aux paroisses catholiques de se réorganiser. Et, en contrepartie – et ce que je dis là est très important pour nous – il faut que le gouvernement du Québec demande formellement aux autorités diocésaines de cesser toute pression sur les parents qui ont le choix de l'enseignement religieux et moral catholique et il faut interdire aux écoles de distribuer de tels messages.

En conclusion, nous tenons à réaffirmer que notre appui aux propositions actuelles est profondément lié à la reconnaissance qu'on retrouve du fait religieux comme dimension essentielle de la vie humaine et de la vie scolaire dans le rapport Proulx. Cette reconnaissance est un élément majeur de la réception du choix que le gouvernement fera par la suite. Je vous remercie de votre temps.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, Mme Sharp. M. le ministre.

M. Legault: Oui. D'abord, je voudrais vous féliciter, Mme Sharp et tout votre groupe, donc le Centre justice et foi. Je pense que le rapport, c'est un rapport qui est très riche, de très haut niveau. Donc, je vous félicite.

Votre groupe – je sais – réfléchit depuis longtemps sur la place de la religion dans un contexte de diversité culturelle. Je pense aussi que votre mémoire est respectueux de l'histoire et de la culture du Québec, et de ses évolutions aussi, les dernières années. Aussi, j'apprécie votre souci pour une formation religieuse générale plus solide chez les jeunes; je pense qu'il faut apprécier. J'apprécie aussi, comme ministre, votre approche modérée puis vos périodes de transition, je pense que c'est très utile d'en parler.

Au niveau des questions. D'abord, dans votre mémoire, entre autres à la page 6, vous parlez de la vitalité de la religion dans la vie humaine, que la religion fait partie de la richesse humaine. Donc, vous reconnaissez la place importante de la religion dans l'espace public, même s'il y a une séparation entre l'Église et l'État. Pourriez-vous nous expliquer un petit peu comment vous voyez, justement, la place des religions à l'école? Et est-ce que vous êtes en désaccord avec l'utilisation des locaux de l'école pour des activités religieuses?

Mme Sharp (Carolyn): Il y a deux grosses questions là-dedans...

M. Legault: Oui.

Mme Sharp (Carolyn): ...et on m'a demandé d'être rapide dans les discussions. Je pense que, quand on parle de la séparation de l'État et de l'Église, il faut distinguer ça de la séparation de la société et de la religion. L'État n'occupe pas l'ensemble de la place de la société; la religion continue d'être présente dans la place publique. Quand 1 000 000 de Québécois se réunissent une fois par semaine pour une activité, on ne peut pas simplement parler d'une activité de la vie privée. Mais il y a au moins 1 000 000 de Québécois qui se rendent à la messe à tous les dimanches. Nous sommes donc devant une activité publique qui a des conséquences sociales et des conséquences politiques, et d'autres de vos confrères ministres ou consoeurs ministres pourraient vous en parler, entre autres dans le dossier de l'aide sociale. Et, nous autres, on essaie de le faire. Relations est une revue chrétienne présente dans l'espace public. Nos convictions chrétiennes sont profondément à la source de nos convictions de foi et nos convictions sur l'avenir du Québec. Alors, je pense que ça, c'est important, d'une part.

D'autre part, pour la place de la religion à l'école – et je distinguerai l'école secondaire de l'école primaire parce qu'il y a une autre dynamique à ces deux niveaux-là – au niveau secondaire... Je pense que, en dehors des heures scolaires, nous rendons disponibles les locaux d'école pour toutes sortes d'activités. Je ne vois pas pourquoi les communautés religieuses ne pourraient pas avoir accès, sur des critères établis, objectifs, sans discrimination, à ces locaux-là. Dans beaucoup de communautés, dans les régions, l'école est comme la seule place où on peut faire des rencontres de moindre envergure. Alors, moi, je trouve ça tout à fait normal qu'on permette d'avoir accès aux locaux. Sur les heures d'école, nous sommes favorables à ce que les étudiants, sur leur propre base, sous le leadership étudiant, puissent organiser des activités de nature religieuse, y inclus des activités de prière ou d'étude biblique. Mais je pense que c'est important de parler du leadership étudiant. Nous ne sommes pas d'accord pour qu'un professeur de mathématiques organise un club biblique. Nous sommes d'accord pour qu'un groupe de jeunes en secondaire IV qui veut organiser un club biblique puisse avoir l'appui pour le faire de la même façon que le club d'échecs ou le club de théâtre.

(14 h 30)

M. Legault: Mais là vous parlez d'initiative qui viendrait d'étudiants, des gens de l'école. Mais vous dites aussi dans votre mémoire, à la page 7, que l'État doit jouer un rôle positif. Ça peut être quoi? Quelles sont les manifestations auxquelles on peut songer pour le rôle de l'État qui doit jouer un rôle positif?

Mme Sharp (Carolyn): Bon, je parle du droit de liberté de conscience.

M. Legault: Oui.

Mme Sharp (Carolyn): Je pense qu'il ne suffit pas de dire: Ah! on vous laisse faire des choix. Je pense que l'État a besoin de voir si, dans ces choix concrets, la liberté de choix est effectivement praticable, si la liberté de conscience est effectivement praticable. Ça, c'est un premier souci que nous avons. Nous croyons aussi que le cours d'enseignement non confessionnel du phénomène religieux est un moyen par lequel l'État, en... l'intelligence et en transmettant une culture générale sur l'expérience religieuse aux jeunes, rend l'étudiant, rend le futur citoyen davantage capable d'exercer son droit de liberté de conscience.

M. Legault: Mais je reviens au rôle de l'État. Vous avez parlé du financement. Quel rôle vous voyez que l'État doit jouer, par exemple, au niveau du financement de l'animation spirituelle dans les écoles?

Mme Sharp (Carolyn): Bon. Il y a une vision de laïcité qui dit que, quand l'enfant arrive à l'école, il n'appartient plus à aucune communauté religieuse, il appartient à la raison, à l'État, à la société abstraite. Moi, je pense que l'animation tient compte du fait – bon, j'aurais été mieux de te laisser la question; Élisabeth, elle s'y connaît plus – que l'enfant a un vécu religieux. Mais là je vais passer la parole effectivement à Élisabeth, si tu veux.

Mme Garant (Élisabeth): Au niveau de l'appui de l'État, il y a celui dans le curriculum que mentionnait Mme Sharp et il y a un appui qui peut se manifester, un appui concret de ressources, mais à la disposition de la mise en place d'un réel service d'animation religieuse qui ne serait pas un appui à une confession, à une tradition, mais un appui à ce que cette dimension de vécu religieux des enfants soit quand même prise en compte par l'ensemble de la vie de l'école. Et là, ça demande à ce que l'État donne aux écoles, donne aux commissions scolaires les ressources nécessaires pour que cette dimension de la vie scolaire soit aussi valorisée, soit aussi présente. Dans ce sens-là, oui, il y a une implication financière. Ce n'est pas une implication directe à une confession religieuse, mais c'est un appui concret à la reconnaissance que cette dimension de la vie de l'enfant est une dimension sérieuse, pour que l'école puisse investir à ce niveau-là et investir dans un sens de compréhension large du fait religieux.

M. Legault: Quelle serait à ce moment-là la formation de cette personne-là, de cette personne qui donnerait ces activités?

Mme Garant (Élisabeth): La personne qui serait au niveau de l'animation de la vie religieuse... Je pense qu'il faudrait aller beaucoup plus loin. On n'est pas des spécialistes de ces questions, mais il y a des personnes qui ont des formations religieuses, qui sont de différentes traditions, mais qui peuvent avoir, à l'intérieur d'un nouveau programme de formation, des compétences pour être capables de soutenir et d'accueillir des enfants qui ont des expériences religieuses diverses. Alors, les critères d'embauche devraient être élargis pour le personnel de ce service d'animation religieuse.

Évidemment, quand on dit qu'il y a des choses à repréciser dans cette proposition du rapport, c'est celle qui est la moins avancée. Il y a des expériences qui se sont tentées dans certaines écoles à caractère plus multiethnique et multireligieux, il y a des expériences, au niveau universitaire, qui se sont faites, entre autres à l'Université Laval, qui peuvent nous aider à voir quelles sont les compétences, quelles sont les dynamiques nécessaires pour mettre en place ces services-là.

Alors, je pense qu'il faut élargir les critères de compétence mais en s'assurant que la personne, qui doit appuyer les enfants, accompagner les jeunes, soit une personne formée à cette dimension religieuse. Évidemment, elle-même s'enracinant dans l'une ou l'autre peut-être, mais qui est capable de tenir compte d'un vécu religieux diversifié.

M. Legault: Et qui serait responsable de cette formation? Est-ce que c'est la commission scolaire ou c'est l'Église?

Mme Sharp (Carolyn): Pour sortir du milieu de l'éducation, il y a deux milieux où ce genre de système fonctionne déjà: dans les hôpitaux et dans les prisons, où nous avons des systèmes d'aumôneries. C'est des aumôneries où on a des personnes de différentes confessions qui offrent des services très différents dans le milieu des hôpitaux et le milieu des prisons; donc, il faut les imaginer très différents dans le milieu dans l'école. Ces personnes-là généralement ont une formation en pastorale, ou en théologie, ou en sciences religieuses, souvent doublée d'une formation en counseling ou en accompagnement.

Au niveau des hôpitaux, il y a un programme qui, en anglais, s'appelle le CAPE, Clinical Pastoral Education... Je ne me souviens pas du A, c'est quoi. Et là, nous autres, nous ne sommes pas clairs sur cette question-là. Comme on dit, il y a des débats à faire. Dans le milieu des hôpitaux et dans le milieu des prisons, on demande d'avoir un mandat d'une autorité religieuse, mais on s'assure aussi qu'il y ait une diversité de personnes. Donc, une fois qu'on a le mandat, on est au service de l'ensemble de la population, de l'institution, mais on demande une reconnaissance de l'autorité religieuse de la compétence de la personne sur le plan pastoral.

Est-ce que c'est approprié dans les écoles? M. Laberge, je l'entends poser la question des athées: Comment ils vont faire pour donner des mandats? Bon. Je pense qu'il y a des questions à débattre dans cette question-là, mais c'est un des modèles qu'on devrait regarder. On ne parle pas de réinventer la roue, on parle d'aller voir ce qui se fait ailleurs et de bien préciser. Je pense que pour la formation permanente, pour permettre aux employés actuels des commissions scolaires de faire ce travail-là, là, il y a les mêmes exigences de formation permanente que par rapport aux enseignants.

M. Legault: D'accord.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Kamouraska-Témiscouata.

M. Béchard: Merci, Mme la Présidente. Mme Sharp, Père Bellefeuille, Mme Garant et Mme Nduwimana, je tiens à vous remercier pour votre mémoire qui, au-delà de la prise de position comme telle, présente un véritable plan pour la mise en place de l'option à laquelle vous vous référez et que vous appuyez.

Il y a, bien sûr, plusieurs éléments dans votre mémoire, malheureusement – c'est le cas des commissions parlementaires en général – qu'on ne pourra approfondir et tous aller les chercher, mais moi, un des premiers éléments, en regardant votre mémoire, qui m'a frappé, c'est à la page 3, quand vous mentionnez: «En arrière-fond de notre parti pris pour la laïcité ouverte, nous retrouvons donc non seulement une vision de société axée sur le bien commun, mais aussi un rêve: celui de pouvoir voir l'ensemble des enfants du Québec se côtoyer dans les mêmes écoles et faire leurs classes ensemble.»

Je vous avouerai que je l'ai relu deux ou trois fois parce que je me suis posé la question: Est-ce que le fait d'avoir un enseignement religieux confessionnel, une heure, une heure et demie, deux heures par semaine, peut conduire jusqu'à cette limite-là d'en arriver à dire que les enfants ont peut-être des problèmes à se côtoyer et tout ça. Je vous dirais que je ne voyais pas jusqu'à quel point cette situation-là était, selon vous, dramatique. Parce que vous dites que c'est «un rêve: celui de pouvoir voir l'ensemble des enfants du Québec se côtoyer dans les mêmes écoles et faire leurs classes ensemble». Je n'arrive pas à voir en quoi le fait d'avoir un enseignement religieux une heure ou une heure et demie, ou même, à la limite, le fait de ne pas en avoir et d'avoir des cours après l'école en vient à amener une telle dissension entre les jeunes, entre le fait de nuire, je dirais, à leurs liens.

Est-ce que vous ne croyez pas plutôt, à l'inverse, que, si on en arrive à y aller avec une laïcisation complète on ne se verrait pas plus dans une situation où chacun justement essaie de faire ressortir la différence et vendre sa religion au lieu d'une autre? Moi, en lisant ça, ça m'a surpris. Est-ce que vous pouvez m'expliquer comment et jusqu'où ça va pour qu'on puisse en arriver à dire des choses comme ça?

Mme Sharp (Carolyn): Je vous rappelle que notre système actuel, ce n'est pas simplement d'avoir une heure et demie ou deux heures, dépendant du niveau, d'enseignement religieux. Nous sommes dans un système où les écoles elles-mêmes sont confessionnelles.

(14 h 40)

M. Béchard: Mais elles ne le seront peut-être plus.

Mme Sharp (Carolyn): Et ça, ça amène très clairement certains parents à choisir l'école francophone protestante à la place de l'école francophone catholique à Saint-Hubert ou à Québec, à Sainte-Foy. Notre histoire de confessionnalité – et là il faudrait remonter plus haut que le régime actuel – explique en partie qu'une moitié des enfants juifs du Québec ne fréquente pas les écoles publiques. Je pense aussi que le danger... On sait qu'il y a des commissions scolaires éloignées. Dans la région d'Abitibi-Témiscamingue, par exemple, j'ai parlé à un directeur d'école qui m'a parlé d'une expérience où les parents évangéliques ont retiré leurs enfants des écoles du village au niveau primaire parce qu'ils ne sentaient pas que la liberté de leurs enfants était respectée. Donc, il y a des cas dramatiques. Mais, dans le quotidien, il y a des cas beaucoup moins dramatiques.

C'est l'école de Montréal où, par simplicité d'organisation scolaire, les enfants qui sont en option morale sont tous avec le titulaire qui donne l'enseignement moral, et les enfants en enseignement religieux sont tous avec des enseignants qui donnent les cours d'enseignement religieux. Je ne sais pas à quel pourcentage ça existe; ce que je sais, c'est que c'était la situation dans l'école primaire de ma fille, sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal.

Alors, oui, ça crée des divisions. En autant que la pluralité religieuse du Québec augmente, cette division des enfants va augmenter parce que c'est plus facile, si la moitié des enfants sont en morale, une moitié en enseignement religieux catholique, de les diviser de cette façon-là pour le cours de français et de math et de... C'est ça qui se produit, tout comme dans l'école de ma fille qui est en concentration musique. Les enfants de musique sont ensemble pour les maths, pour le français, mais, au moins, là, nous ne sommes pas sur une base d'appartenance religieuse mais à partir de choix académiques.

M. Béchard: Donc, pour vous, une ouverture à un enseignement des autres religions, qui pourrait s'accompagner d'un enseignement moral et d'un enseignement culturel des religions, est à rejeter. Il faut y aller avec l'approche du rapport Proulx. Et, dans cet esprit-là – c'est un peu la même question que je posais ce matin – est-ce que vous êtes en même temps contre l'idée d'avoir des projets éducatifs basés sur une appartenance religieuse? Un projet éducatif confessionnel? Est-ce qu'on étend le même raisonnement aussi aux écoles privées au Québec?

Mme Sharp (Carolyn): Moi, je crois que ça ressemble à du multiculturalisme religieux. Alors, comme la spécialiste des questions interculturelles, c'est Mme Garant, je lui passe la parole.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, Mme Garant.

Mme Garant (Élisabeth): Concernant la possibilité d'offrir des projets particuliers, ça vient contredire les options de fond qu'on a choisies pour l'éducation et qu'on a réaffirmées tout à l'heure. Alors, je ne les rementionnerai pas. De favoriser ce genre de projet va contribuer à la même division, à la même situation au sein du système scolaire. Ce qu'on demande, c'est que les enfants puissent être initiés, à l'intérieur des mêmes écoles, aux questions religieuses mais que ce ne soit pas des projets confessionnels qui puissent guider les projets scolaires.

La partie de la confessionnalité revient aux communautés de foi qui doivent se donner des structures et des fonctionnements pour pouvoir transmettre cette dimension-là aux jeunes. Mais ce qu'on veut que les jeunes Québécois acquièrent à travers le système d'éducation, c'est des compétences, des compréhensions, des attitudes qui rendent le respect du fait religieux, le respect de l'appartenance religieuse importante au même titre que d'autres valeurs au sein de la société québécoise. À notre avis, c'est en permettant un système à laïcité ouverte, tel qu'on l'a mentionné, qu'on peut y arriver à long terme dans l'éducation de nos jeunes.

M. Béchard: Donc, que ce soit l'école privée, l'école publique et les projets éducatifs, on met en place le même système pour tout le monde partout.

Mme Sharp (Carolyn): Notre mémoire parle de l'école publique. Nous n'avons pas abordé, nous n'avons pas de position sur la question de l'école privée pour le moment, au moins.

M. Béchard: O.K. Parfait. Est-ce que...

Mme Sharp (Carolyn): Et je peux juste souligner peut-être...

M. Béchard: Oui.

Mme Sharp (Carolyn): ...qu'il y a deux choses à distinguer: la question des subventions aux écoles privées et le droit des parents d'établir l'école privée religieuse. Et le droit des parents d'établir des écoles privées religieuses est un droit reconnu sur le plan international.

M. Béchard: En ce qui a trait à votre période de transition, vous mentionnez que d'ici le 30 juin 2000 il faudrait déconfessionnaliser le ministère, le Conseil supérieur de l'éducation, les écoles comme telles qui sont en processus de reconfirmation ou de réarrangement au niveau de leur statut confessionnel mais, sur l'aspect des projets-pilotes, sur l'aspect de la mise en place progressive du cours d'enseignement culturel des religions, est-ce que vous croyez que pendant cette période-là il faudrait avoir recours aux clauses dérogatoires? Est-ce que vous pensez qu'une telle démarche progressive, qui annonce l'intention, pourrait éviter d'avoir recours aux clauses dérogatoires? Parce qu'à peu près tous ici, qui sont passés à date, il y a un élément commun, c'est celui de trouver une solution. Autant du côté de la laïcisation complète que du côté de l'ouverture à d'autres enseignements religieux, il y a un voeu commun, c'est celui de trouver une solution qui évite le recours aux clauses dérogatoires. Est-ce que vous pensez que votre solution, telle que présentée, pourrait permettre de mettre fin aux clauses dérogatoires, tel que prévu en juin 2001?

Mme Sharp (Carolyn): Je n'ai pas de formation juridique et je trouve que c'est une question très technique, ce que vous posez. Je trouve qu'il faut consulter d'abord les avocats du ministère de l'Éducation et du ministère de la Justice. Si on me dit que ces avocats-là disent que pour pouvoir mettre en oeuvre – parce que «implémenter» n'est pas français, on m'a dit ce matin – la transition que nous proposons, vous seriez prêts, avec une volonté politique claire, à avoir la reconduite des clauses dérogatoires, moi, j'aimerais ça que ça soit pour des périodes sensiblement moins qu'à tous les cinq ans, et je dirais même à tous les deux ans, pour que ce soit clair que c'est vraiment une période de transition.

M. Béchard: Merci. Il y a une dernière question que je voulais poser. Quand vous parlez, à la page 8 de votre mémoire, que pour vous, «Pour le Centre justice et foi, l'enseignement non confessionnel du phénomène religieux se construit à partir de quatre axes: le sens de la vie, le patrimoine religieux québécois et occidental, l'introduction aux grandes traditions religieuses et le développement de l'esprit critique en matières religieuses.»

Sur les points «patrimoine religieux québécois» et «l'introduction aux grandes traditions religieuses», vous abordez la question des traditions religieuses autochtones. Vous êtes, à ma connaissance, un des seuls groupes qui avez abordé cette question-là à date. J'aimerais peut-être que vous développiez un petit peu là-dessus pour qu'on voit jusqu'où... C'est la grande question, à partir du moment où on a un cours comme ça: Qu'est-ce qui sera inclus et qu'est-ce qui ne le sera pas, et sur quoi on se base?

Mme Sharp (Carolyn): Je pourrais peut-être dire: C'est l'esprit de Julien Harvey qui est avec nous quand on parle de la spiritualité autochtone. Et le souci que Julien avait est qu'on ne pouvait pas construire l'avenir de ce pays si on n'arrivait pas à trouver une entente pour vivre ensemble, avec les peuples autochtones, ce qui avait motivé sa participation au Forum paritaire autochtone-québécois.

Le groupe de travail sur l'histoire a relevé la question de l'enseignement de l'histoire autochtone dans les écoles québécoises. Moi, je pense que ça fait partie de comprendre ce territoire et de s'enraciner dans ce territoire sur lequel nous vivons, de comprendre la place qu'occupent des autochtones dans la société québécoise. Et, connaissant un peu les traditions autochtones, je ne vois pas comment on pourrait faire ça sans comprendre l'importance des traditions spirituelles de ces personnes-là. Parce qu'il y a une conception qui fait en sorte qu'on ne divise pas existence sociale, spiritualité et politique chez les premières nations. Le MEQ a travaillé avec le Musée de la civilisation à produire lesdits documents sur les différentes nations autochtones du Québec. Je pense qu'on pourrait travailler là-dessus. Et il faudrait travailler là-dessus pour éviter les dangers qui existent: interprétation nouvelâgiste, aussi traitement passéiste. Les autochtones vivaient ici avant qu'arrivent les Blancs. Comme s'ils ne vivaient pas encore tout proche de l'île de Montréal.

Et cette spiritualité-là, moi, j'ajouterais, comme théologienne catholique: Je suis consciente que ça traverse la question. Même chez les catholiques ou les chrétiens autochtones, on retrouve une spiritualité autochtone liée aux valeurs de la terre, par exemple, qui dépasse la question de l'appartenance confessionnelle.

(14 h 50)

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député de Kamouraska-Témiscouata, M. le député de Montmorency.

M. Simard (Montmorency): Merci, Mme la Présidente. Mme Sharp, membre du Centre justice et foi, bienvenue parmi nous et merci de cette belle contribution que vous apportez à cette commission.

Mme Sharp, on sent bien à travers vos propos qu'à l'instar d'une approche purement républicaine vous accordez, vous attribuez à l'école la mission de transmettre des valeurs communes. Et dans cette perspective, vous nous dites rejeter pour autant l'approche communautarienne suggérée d'ailleurs dans le rapport Proulx, «parce que, disiez-vous – et ça a piqué ma curiosité – cela met en relief la faiblesse du multiculturalisme» eu égard, je suppose, à la transmission de nos valeurs communes, comme Québécois, comme Québécoises. Alors, j'aimerais vous entendre davantage là-dessus.

Mme Sharp (Carolyn): Bon. J'ai ma collègue en arrière de moi, qui est d'origine française, et je sens qu'elle est en train de dire: La vision républicaine n'est pas dénuée de valeur. Et je pense d'ailleurs, le fait qu'on ait un système confessionnel depuis si longtemps au Québec fait en sorte qu'on mélange éducation religieuse, éducation morale, formation aux valeurs. C'était un petit peu une réponse à certains débats au moment des États généraux que, dans la partie où on a parlé de l'école comme lieu de transmission des valeurs, nous avons senti un besoin de nommer les valeurs qu'un État démocratique, tel le Québec, devrait par ses écoles chercher à transmettre à l'ensemble de leurs jeunes. La transmission des valeurs, ce n'est pas juste une question d'éducation religieuse. Et je pense qu'il y faut distinguer les deux plans.

Alors, comment vous présentez la question, vous mélangez les deux plans, et déjà ça fait en sorte qu'on essaie d'écouter le reste de la question, mais on dit: Mais non, il ne... Les distinctions ne sont pas tout à fait exactes. Et, en plus, je dirais, la religion – et ça, je vais me battre avec moi-même parce que je travaille beaucoup en théologie morale – ce n'est pas juste une question de morale. Prenons la question de la mort. Les enfants, ils font des expériences de mort. Ils voient mourir leurs animaux de compagnie, ils voient mourir leurs grands-parents, ils voient mourir leurs amis parfois – et ça, c'est une tragédie quand ça arrive dans une école. Ils posent la question de la mort. C'est quoi mourir? La religion fait partie des ressources auxquelles l'humanité fait appel pour répondre à la question de la mort. On n'est pas dans une question de morale, on est dans une question du sens: Qu'est-ce que ça veut dire être vivant? Qu'est-ce que ça vaut d'être vivant, si je vais un jour mourir?

M. Simard (Montmorency): Donc, la transmission de la foi, est-ce que ça participe à la cohésion sociale, selon vous?

Mme Sharp (Carolyn): Non, attention. La transmission de la foi est... Bon, distinction. La transmission de la foi, pour nous, c'est une activité que font les communautés religieuses. Et, pour reprendre l'expression de Fernand Dumont, ça se fait de main en main. La cohésion sociale, c'est se donner un projet commun de société de vivre ensemble. La religion peut y contribuer, oui. Et, en plus, vivre en commun n'est possible que si on reconnaît que les membres de notre société sont des sujets religieux; mais tous les membres, pas juste les membres de notre société qui appartiennent à la religion majoritaire. Voulais-tu ajouter quelque chose?

Mme Garant (Élisabeth): C'est ça. Au fond, le modèle communautarien, qui n'est pas proposé dans le rapport Proulx mais qui est parmi les éventualités qu'ils avaient analysées, fait encore appel à une compréhension que l'école est un lieu de transmission de la foi. Et ça serait important que vous jetiez un coup d'oeil au deuxième mémoire qu'on a déposé au niveau de l'Église et qui traite de cette dimension-là, où la transmission de la foi appartient à d'autres lieux. Ce qu'on demande à l'école, c'est qu'elle donne des outils aux jeunes pour reconnaître, respecter, comprendre comment les questions religieuses jouent dans la vie des individus, dans la vie des sociétés et dans les enjeux internationaux auxquels on est confronté. Mais ce qu'on attend des communautés de foi, c'est qu'elles jouent le rôle de la transmission de la foi. Et l'école n'est pas l'espace pour le faire. L'école donne une base commune à l'ensemble des enfants, les communautés de foi ont ensuite la responsabilité d'inventer, de créer, de trouver des lieux pertinents pour le faire avec les familles et avec leurs paroisses, quand il y a des paroisses, avec les mouvements qui leur sont propres.

M. Simard (Montmorency): Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Ça va? Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Sharp et les gens du Centre justice et foi. C'est très instructif, ce que vous nous dites. Mme Sharp, je me suis arrêtée aux facteurs de changement que vous avez énumérés pour positionner le Centre justice et foi autour de ce débat-là. Souvent, on entend parler de la diversité comme étant un facteur qui a amené à ces changements-là. Mais, vous, vous en avez énuméré un certain nombre. «La composition religieuse du Québec s'est beaucoup modifiée.» Je suis à la page 2 de votre mémoire. C'est vrai. Vous dites également que «la population traditionnelle a beaucoup évolué dans ses appartenances religieuses». Et il y a le phénomène des conversions, etc., on est dans une société libre.

Vous dites également que «La religion catholique n'est plus un facteur unificateur de la population québécoise, plus particulièrement, vous dites, chez le groupe majoritaire canadien-français». Ma question, c'est en rapport avec ce que vous affirmez: «L'identité québécoise est en mutation et nous sommes à redéfinir les éléments rassembleurs de cette appartenance.» Autrement dit, la religion, qui autrefois était un facteur, un ciment pour l'identité québécoise, vous présumez qu'aujourd'hui elle ne joue plus ce rôle-là. Je voudrais savoir sur quelle base, au niveau de la recherche ou des données, vous reposez votre affirmation pour dire que la religion, pour les Canadiens français – là, je vous cite – «n'est plus un facteur d'identité».

Mme Sharp (Carolyn): Je pense qu'il faut être clair que nous vivons une période de transition dans ces questions-là. Et, dans des périodes de transition, il y a des zones grises. C'est clair que, si on prend Recensement Canada, on voit que 85 % des Québécois, je crois, en 1991, ont dit qu'ils étaient catholiques. Mais c'est aussi clair que, quand le diocèse de Québec a fait un vrai compte du nombre de personnes à l'église un dimanche... Ils ont compté tout le monde dans toutes les paroisses catholiques de Québec, du diocèse de Québec, le même dimanche. Donc, ce n'est pas, tu sais, au téléphone: Avez-vous été à la messe depuis un mois? Là, c'était: Qui est à l'église? Dans aucun milieu ils n'ont trouvé des taux de pratique supérieurs à 40 %. Vous pouvez demander au diocèse les données exactes, je ne les ai pas devant moi, dans ma tête. Et, en disant 40 %, je fais toujours attention de me tromper dans les statistiques du côté généreux. Et, dans le milieu urbain, on parle de 10 % ou moins.

C'est clair qu'il y a un catholicisme nominal, mais de moins en moins précis, ce qu'on entend par «catholicisme». On demande l'enseignement religieux confessionnel en très grand pourcentage pour les enfants, mais 50 % des enfants au Québec sont nés hors mariage. Ce n'est pas tout à fait une pratique catholique. Il y a des questions de frontières. Nous avons aussi officiellement abandonné comme Église, mais comme société, la notion que, pour être Québécois, il faut être catholique, ce qui n'était pas tout à fait vrai la première fois, quand je suis arrivée au Québec, en 1970. Et vous, madame, vous pouvez sans doute en dire plus que moi. Ha, ha, ha!

(15 heures)

Mme Houda-Pepin: Non, mais ce que je voulais dire par ma question... Et je comprends les arguments que vous amenez, vous me parlez du taux de pratique. Je conviens avec vous que le taux de pratique a diminué, et pas seulement au Québec, mais à travers le monde, c'est un phénomène mondial. On entretient un rapport différent avec la religion, dépendamment des communautés: il y en a qui font une pratique régulière, il y en a qui font une pratique sélective, il y en a qui font une pratique ponctuelle pour les Fêtes. Mais ce qui m'a intrigué dans votre mémoire, c'est que vous identifiez l'identité québécoise et vous dites: Ce n'est plus, la religion, un facteur d'identité, et c'est là où je me questionne. Je me dis: L'identité, c'est d'abord et avant tout une expression individuelle, ça peut aussi être collectif, et je me dis: Est-ce qu'on peut vraiment affirmer de nos jours, sur la base du taux de pratique de la religion qui est diminué, que le facteur religieux n'est plus aussi important pour qu'il ne puisse être considéré qu'en faisant partie de l'identité des Québécois, du groupe majoritaire canadien-français?

Mme Sharp (Carolyn): Si vous êtes en train de me poser la question: Est-ce que la majorité des Canadiens français sont fiers d'avoir un héritage catholique? oui. Si vous êtes en train de me dire: Est-ce que la majorité des gens de souche canadienne-française croient que, pour être Québécois, il faut être un catholique? je crois que ce n'est plus vrai. On ne considère plus qu'il faut être catholique pour être Québécois ou Canadien français.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, il reste une minute pour M. le député d'Outremont.

Mme Houda-Pepin: D'accord, Mme la Présidente.

M. Laporte: Merci, Mme la Présidente. Bien, écoutez, je ne veux pas prendre personne... je ne veux pas rendre de service à personne, mais, si on lisait le rapport Proulx sur les attentes sociales à l'égard de la religion, il y a une réponse à ça dans ce rapport Proulx. On a demandé aux gens: Également, estimez-vous que votre religion occupe beaucoup, assez, peu ou pas du tout de place dans les valeurs de la société québécoise? 48 % des catholiques ont répondu peu; 33 % des protestants; et 44 % des autres. Donc, il y a une certaine, disons, perception de l'importance de la religion dans la vie québécoise qui est présente, mais qui est certainement inférieure à ce que c'était quand j'étais petit enfant, n'est-ce pas? Moi, j'aimerais...

Mme Sharp (Carolyn): Mais je pense qu'il faut distinguer, reconnaître que ça joue un rôle et dire que c'est un facteur unificateur de la société québécoise.

M. Laporte: Mais, moi, je voudrais vous poser une question – évidemment, vous n'aurez pas le temps de me répondre. Mais ce que je trouve dans votre rapport de fort intéressant, c'est l'idée d'une période de transition. Parce que, lorsque vous regardez les données de sondage qui ont été faits par Milot et Proulx, vous constatez – moi, je suis un sociologue, donc je sais lire les données de sondage – que, même si la disponibilité à la transformation institutionnelle est assez répandue, les parents qui ont été interviewés ici sont tout de même attachés au cadre institutionnel dans lequel ils ont vécu. Donc, il va y avoir une période de renoncement, n'est-ce pas – ce que Judith Viorst appelle Necessary Losses , O.K.? – et ça, c'est douloureux, cette période de renoncement, avant de passer au stade quel qu'il soit. Mais je trouve que, par ailleurs... enfin, je suis resté un peu sur mon appétit, par exemple, quand vous dites: Cette introduction au primaire – ce n'est pas une critique que je vous fais, c'est une demande de précision – comme au secondaire devrait être précédée d'une période permettant l'expérimentation par projets-pilotes. Pouvez-vous me décrire ça un peu mieux, cette période de transition là par projets-pilotes?

La Présidente (Mme Bélanger): Une réponse courte, s'il vous plaît. Mme Garant.

Mme Garant (Élisabeth): Ce qu'on demande, d'une part, c'est de permettre à des parents, qui, oui, ne savent pas très bien vers quoi on va aller si on laisse la structure actuelle, de voir en oeuvre, de constater par eux-mêmes comment ça pourrait fonctionner dans une école. Des projets-pilotes, c'est de s'assurer, dans différents milieux, et de ne pas oublier les régions, de tenir compte de la diversité des écoles, d'essayer à différents lieux ces expériences et de diffuser aux parents l'expérience, les acquis, le fonctionnement. Je suis parent de deux enfants à l'école primaire et je constate, dans les échanges avec d'autres parents, que beaucoup ont le goût d'autre chose, mais ne savent pas ce qui pourrait être fait autrement. Et le fait de donner, sur cinq ans, la possibilité d'expérimenter, de faire connaître et de réfléchir avec des parents de ces alternatives-là nous semble la meilleure façon d'assurer la mise en place d'un nouveau processus.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci.

M. Laporte: Vous laissez une latitude grande, petite ou moyenne à l'école pour ça, du point de vue de la décentralisation?

Mme Garant (Élisabeth): Je pense que c'est au ministère à définir les cadres dans lesquels le ministère veut que les projets s'inscrivent. Ce qu'on demande, c'est qu'il y ait une diversité de lieux et de milieux pour pouvoir porter un regard juste sur l'ensemble de ces projets dans la société québécoise.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. M. le député de Masson.

M. Labbé: Merci, Mme la Présidente. Alors, félicitations, Mme Sharp et votre équipe, pour la qualité de votre mémoire. En fait, une petite question qui va nous ramener, qui va peut-être vous permettre de faire la synthèse de ce qui a été dit, mais il y a un petit bout qui m'interroge encore. Vous reconnaissez que la religion a sa place dans l'espace public, et ce, même s'il y a une séparation entre l'Église et l'État. Vous dites aussi, à la page 6, que la religion constitue un bien pour la société. Pourtant, vous ne souhaitez pas que des religions aient droit de cité dans l'espace public qu'est l'école. Alors, ma question: Pourriez-vous nous expliquer, en fait, davantage votre point de vue sur la place de la religion dans les écoles justement à ce niveau-là?

La Présidente (Mme Bélanger): Mme Sharp.

Mme Sharp (Carolyn): C'est parce qu'on n'a pas dit qu'on ne souhaitait pas que la religion ait droit de cité dans les écoles. On ne souhaite pas que l'école offre des services confessionnels. Nous disons que la religion est présente dans les écoles par le fait que des enfants ont un vécu religieux. Je parlais tantôt de la mort d'un enfant dans une école. Quand le frère d'un collègue de classe de ma fille est mort, ils sont allés à l'église catholique chanter la messe, mais j'aurais aimé aussi qu'ils puissent aller à l'église pentecôtiste chanter le service funéraire si la paroisse l'avait désiré. Et ça, c'est un droit de cité, c'est reconnaître qu'il y a un effet de cohésion sociale – on en parlait – par le fait que ça nous permet d'aborder ce genre d'événement là dans la vie des enfants. C'est très tragique quand un enfant meurt, mais on a besoin de trouver un moyen de pouvoir le vivre selon les valeurs de chacune des familles, même selon les valeurs des familles, des groupes religieux avec lesquels nous nous sentons moins à l'aise; je pense, par exemple, aux Témoins de Jéhovah.

M. Labbé: D'accord. Merci, madame.

La Présidente (Mme Bélanger): Pas d'autres questions? Alors, nous vous remercions de votre présentation et nous allons suspendre quelques instants pour faire l'échange des groupes.

(Suspension de la séance à 15 h 7)

(Reprise à 15 h 12)

La Présidente (Mme Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! Veuillez prendre place. Nous reprenons nos travaux.

Nous sommes toujours en train de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur la place de la religion à l'école. Alors, je demanderais à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval de s'approcher. C'est fait. Alors, vous avez, comme je le disais auparavant, 20 minutes pour présenter votre mémoire, et je demanderais à M. Pelchat, qui est le doyen – je suppose que vous êtes le porte-parole – de bien vouloir présenter les personnes qui l'accompagnent.


Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval

M. Pelchat (Marc): Merci beaucoup, Mme la Présidente. Il me fait plaisir de vous présenter, à ma droite, le professeur Raymond Brodeur, qui est professeur, à la Faculté, en formation des enseignants en enseignement moral et religieux et qui est également directeur d'un groupe de recherche sur l'histoire de l'enseignement religieux au Québec, et, à ma gauche, le professeur Jacques Racine, qui est professeur d'éthique sociale et politique à la Faculté.

La Présidente (Mme Bélanger): Bienvenue.

M. Pelchat (Marc): Alors, Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés, d'abord, je veux vous adresser nos remerciements pour l'occasion qui nous est fournie d'apporter notre contribution à l'occasion de la commission parlementaire sur la place de la religion à l'école. Notre éclairage particulier, celui que nous voulons apporter aujourd'hui, que nous avons cherché à apporter dans notre mémoire et que nous espérons pouvoir continuer à apporter dans la suite de la réflexion, est sur la base d'une longue expérience, celle de la formation de futurs enseignants et enseignantes à l'enseignement moral et religieux, de la formation d'animateurs et d'animatrices de pastorale, de vie religieuse et spirituelle, de l'enseignement également des sciences des religions et des travaux d'observation et d'analyse de l'évolution de la situation religieuse des Québécoises et des Québécois.

Notre point de vue, donc, c'est celui d'éducateurs et de formateurs d'éducateurs et, avant toute autre considération, nous avons voulu tenir compte, et je le dis non pas pour être «politically correct», mais notre premier point de vue a été celui de tenir compte des besoins des jeunes dans le projet éducatif, de quoi ont besoin les jeunes Québécois en ce moment à propos de l'enseignement de la morale ou de la formation éthique et de l'enseignement religieux. Ce qui, pour nous, compte lorsqu'on pense aux besoins des jeunes Québécois et Québécoises, c'est leur développement, dans toutes les dimensions de leur personne, qui s'inscrit dans une démarche intensive et permanente de construction de leur identité, aux plans psychologique et affectif, aux plans intellectuel et social, et cette démarche de construction fait nécessairement référence aux valeurs morales et religieuses transmises à travers la culture et qui circulent dans l'espace public.

Nous recommandons clairement dans notre mémoire, même si nous n'avons pas pu étudier ou faire des propositions concrètes dans tous les détails... mais ce qui est clair, c'est que nous recommandons une évolution significative du projet d'enseignement moral et religieux, une évolution rendue nécessaire par le contexte actuel. Donc, il est clair que nous refusons le statu quo. Le contexte actuel, il se définit ou se décrit par le pluralisme culturel et le respect de la diversité qui exigent une évolution des modalités de l'enseignement de la religion et de la formation éthique, et cette évolution doit permettre de mieux situer l'enseignement de la religion dans la mission globale de l'école sans faire table rase de l'histoire et de la culture socioreligieuses du Québec, comme cela a été dit d'ailleurs plusieurs fois depuis ce matin.

Notre position établit un certain nombre d'accords critiques avec le rapport Proulx, c'est-à-dire que nous sommes d'accord avec de larges pans du rapport Proulx, mais nous avons aussi un regard critique sur plusieurs éléments de ce rapport, et nous refusons la rupture radicale avec la réalité québécoise cependant qu'entraînerait l'application des conclusions, ou de la principale conclusion, en regard de l'enseignement religieux auxquelles sont arrivés les auteurs du rapport Proulx.

Pourquoi les conclusions sur l'enseignement religieux nous paraissent-elle inacceptables? D'abord parce que le rapport Proulx préconise une conception de la laïcité qui ne correspond ni à notre histoire ni à notre culture et qui ne tient pas compte des développements récents et continus survenus dans notre histoire dans l'aménagement de la confessionnalité jusqu'à aujourd'hui et qui vont continuer à évoluer. L'enseignement culturel unique qu'il recommande renvoie dans l'ombre, nous semble-t-il, l'expression d'un pluralisme véritable, concret. Le vrai pluralisme se manifeste dans le respect et dans la rencontre, au quotidien, des différences et des particularismes.

Nous n'avons pas trouvé, dans le rapport, des solutions éclairantes qui auraient été fondées, par exemple, sur l'examen approfondi. Il en est question, bien sûr, mais il nous semble qu'il n'y a pas d'examen approfondi d'autres systèmes scolaires qui nous ouvrent des possibilités. Pour celui, par exemple, de la province voisine, l'Ontario, le rapport n'a pas mis en évidence le fait que le système public comprend aussi un réseau d'écoles séparées, financées par l'État et fréquentées par 30 % des élèves en Ontario dans le réseau d'écoles séparées catholiques qui sont des écoles publiques. Nous avons plutôt, pour notre part, cherché à élaborer une solution globale qui permette une évolution graduelle et sans rupture: d'abord, un enseignement ouvert sur les religions et sur les diverses propositions éthiques; deuxièmement, un enseignement reposant sur la reconnaissance du libre choix des parents et des élèves; enfin, le choix d'un enseignement pouvant emprunter des voies diverses, donc le refus d'une voie unique, tout en s'inscrivant clairement dans l'école publique commune.

L'approche que nous proposons à l'État québécois cherche à tenir compte des pas qui ont été franchis graduellement sous les divers gouvernements québécois depuis 1964 et qui ont fait évoluer le système jusqu'à aujourd'hui. Et je rappelle quelques-uns de ces pas qui ont été franchis, rapidement; ils ont été évoqués par plusieurs personnes depuis ce matin.

(15 h 20)

Entre 1964 et 1974, par exemple, cette évolution bien réelle, elle est venue d'abord de l'intérieur même des écoles et des églises qui étaient elles-mêmes en profonde transformation et la question de la confessionnalité, entre 1964 et 1974, était déjà en pleine évolution. Après 1974, dans l'ensemble de la société, on était à la recherche d'une nouvelle conciliation des droits confessionnels et du respect des droits individuels. Le règlement du Comité catholique de 1974, par exemple, a accordé le droit d'exemption des enseignants ainsi que celui des élèves à l'égard de l'enseignement religieux. C'était un autre pas de cette évolution. Et après l'introduction, en 1982, de la clause dérogatoire pour protéger les droits confessionnels, c'est le décret gouvernemental de 1983 qui a aménagé le régime d'option entre l'enseignement moral et l'enseignement religieux en lieu et place de l'exemption de 1974. En 1988, la Loi sur l'instruction publique, la loi 107, remodelait en profondeur le système scolaire en prévoyant la création de commissions scolaires linguistiques et elle ouvrait la possibilité d'un enseignement religieux autre que catholique et protestant. Enfin, la déconfessionnalisation des commissions scolaires, qui a été complétée en 1997 avec la suppression des contraintes de l'article 94 de la Constitution, est l'une des dernières étapes avant celle que nous sommes en train de vivre.

On le voit, les aménagements de la confessionnalité scolaire n'ont cessé d'être réajustés, à juste titre, par l'Assemblée nationale. Et c'est ce que rappelait Mme Marois, dans sa déclaration ministérielle du 26 mars 1997, lorsque, devant le défi de gérer la diversité des attentes religieuses à l'école, elle proposait la voie, et je cite, «non pas de la rupture complète, mais de l'évolution graduelle et tenace que recherchent à la fois l'évolution et le consensus». Fin de la citation. Il est d'autant plus étonnant, à certains égards, qu'à peine deux ans plus tard le groupe de travail qu'elle a mis en place ait délaissé les orientations alors données en conformité avec l'article 41 de la Charte québécoise des droits et libertés qui prévoyait, et qui prévoit toujours, la possibilité d'un enseignement conforme aux convictions des parents.

Les recommandations que la Faculté adresse aux parlementaires tiennent compte de la nécessité de faire évoluer l'aménagement de la confessionnalité scolaire – c'est absolument clair qu'il faut faire bouger le système – et de resituer l'enseignement des religions à l'école. Je vous résume maintenant nos principales recommandations.

D'abord, les deux premières recommandations, que vous trouvez aux pages 16 et 17, qui portent sur le statut de l'école. Nous recommandons une école publique commune, que nous appelons aussi l'«école de quartier», une école sans statut particulier, ni laïque, ni confessionnelle, ni autre, l'école des Québécois, l'école québécoise publique et commune. Nous avons adopté cette position pour les raisons suivantes: d'abord, parce qu'elle permet de dépasser l'exclusion réciproque de deux visions trop rigides tant de la confessionnalité que de la laïcité; deuxièmement, elle permet d'envisager une école capable d'accueillir et d'exprimer les différences, même religieuses, tout en ouvrant aux valeurs communes de la société québécoise; enfin, cette école peut et doit garantir, d'une autre manière, ce que garantissait l'octroi du statut confessionnel à une école donnée en termes de ressources pour la mise en oeuvre de l'enseignement et de l'animation religieuse.

Nos recommandations principales, par contre, se trouvent surtout aux pages 18 à 21. Nous recommandons l'aménagement d'un enseignement moral et religieux offrant le choix de plusieurs voies possibles. Cette question du libre choix, à certaines conditions bien sûr, et du respect de la diversité est, selon nous, absolument cruciale. Nous estimons que, moyennant les ressources nécessaires qui doivent être mises à la disposition des commissions scolaires et des écoles, l'aménagement de voies, de profils ou de cheminements diversifiés est possible, y compris pour ceux et celles qui n'affichent aucune appartenance religieuse. Une telle solution est peut-être la seule qui puisse assurer la paix scolaire en regard de la religion à l'école. Elle permettrait l'aménagement de l'enseignement qui corresponde exactement à telle école de Montréal, à telle école de la Gaspésie ou de la Beauce, en respectant les différences.

La solution retenue dans notre mémoire propose donc le choix de voies diverses pour l'enseignement de la morale et de la religion. Tous les élèves québécois devraient recevoir un enseignement sur l'éthique et sur la diversité religieuse. Tous les élèves. C'est pour ça que nous cherchons à dépasser cette alternative ou ce choix entre enseignement moral ou enseignement religieux. Tous les élèves québécois, quelle que soit leur appartenance, devraient recevoir cet enseignement sur l'éthique et sur la diversité religieuse. Le choix qui serait offert à l'élève ou à ses parents dans les établissements publics présenterait deux voies de formation pouvant devenir une seule voie dans les dernières années du secondaire.

Donc, nous proposons, ce que vous retrouvez dans les pages que j'ai mentionnées, un cheminement possible de type général en enseignement moral et religieux conforme aux critères reconnus par l'État, donc un enseignement de type davantage culturel, ou l'un des cheminements spécifiques en enseignement moral et religieux reconnus par l'État compte tenu des critères appliqués par le ministre de l'Éducation, un enseignement relevant de traditions particulières, un enseignement qui serait de type confessionnel, et, enfin, un unique enseignement moral et religieux pour tous les élèves à la fin du secondaire.

Permettez-moi très rapidement de mieux expliciter chacune de ces voies. L'une des voies offertes au choix des parents et des élèves est donc le cheminement général, qui se rapproche d'ailleurs de la proposition du rapport Proulx, qui favorise l'enseignement culturel de la religion. Il s'en distingue toutefois par le fait qu'il n'est pas présenté comme la voie unique pour tous. Ce type d'enseignement religieux s'intéresse, comme fait culturel incontournable, au phénomène religieux tel qu'il se manifeste notamment dans les principales traditions au système de croyances. Et on doit s'assurer, bien sûr, dans le cadre de cet enseignement, de la présentation de chacune des religions en cultivant l'esprit critique, en respectant aussi l'intention des croyants, ce qu'ils disent d'eux-mêmes, les croyants de ces diverses religions et ce qu'ils disent de leur pratique. Cet enseignement doit accorder une place prépondérante ou importante aux traditions judéo-chrétiennes qui ont eu une influence sur ce que nous sommes devenus aujourd'hui, sur la culture qui est la nôtre.

L'enseignement moral, quant à lui, doit habiliter l'élève au discernement éthique. Il doit le former à une approche critique de la diversité des discours moraux qui circulent dans la société. Il est évident qu'aux premières années du primaire un tel enseignement doit tenir compte de l'expérience concrète des enfants et ne peut pas être un enseignement modelé sur les sciences humaines uniquement. Et la proportion du temps alloué à l'enseignement religieux et à l'enseignement moral pourra varier selon les ordres d'enseignement et les cycles, bien sûr, et les âges. Et, enfin, des personnes appartenant à diverses traditions, et non pas des autorités religieuses, pourraient être invitées à former un comité consultatif, disposées à donner leur avis, à apporter leur éclairage sur les contenus des programmes, de même que, éventuellement, un comité de spécialistes de l'histoire des religions.

D'autre part, la possibilité de s'inscrire à des cheminements spécifiques reconnus par l'État maintient la possibilité d'un enseignement religieux lié à une tradition particulière, et cette voie se rapproche de l'enseignement de type confessionnel, comme je l'ai dit tout à l'heure, cependant – c'est très important de le souligner – sans être la reconduction de la situation actuelle. C'est un enseignement de type confessionnel plus proche des convictions des parents, mais qui n'est pas la reconduction de la situation actuelle. Il reviendrait à l'État de reconnaître les divers profils d'enseignement pouvant faire l'objet d'un choix par les parents ou les élèves. L'acceptation d'un enseignement de ce type dans une école donnée devrait reposer sur des critères clairement définis qui sont l'adhésion aux valeurs démocratiques, une juste répartition du temps entre enseignement religieux et enseignement moral, une proportion de temps adéquate réservée à l'ouverture aux autres religions, un critère quantitatif reconnu là où le nombre le justifie. Et l'aménagement dans une école donnée d'un ou de plusieurs profils ou cheminements pour l'enseignement religieux lié à une tradition particulière ne nous ramène pas, selon nous, ne doit pas nous ramener à la mainmise d'une autorité religieuse sur l'enseignement, mais au droit quand même des parents et des élèves de s'inscrire dans une appartenance religieuse et à l'intérieur même de l'école.

Au sein de cette tradition religieuse d'appartenance ou de référence, cet enseignement doit permettre à l'élève de pouvoir continuer à comprendre sa propre histoire, les symboles qui y apparaissent, les divers modes de vie ainsi que les monuments, les oeuvres qui s'en inspirent. Cela aussi a été abondamment souligné depuis ce matin. Il est clair pour nous que l'enseignement religieux lié à une tradition particulière ou spécifique ne doit pas être un endoctrinement. Il ne s'agit pas de transmettre la foi, il s'agit de former et d'instruire. Il doit maintenir une large ouverture aux autres traditions religieuses et respecter ce que ces autres traditions disent d'elles-mêmes. L'enseignement moral dispensé en référence à une tradition particulière doit d'abord former l'élève au discernement moral que tout être humain doit acquérir. Et la présentation du discours moral propre à une tradition devrait toujours rester largement ouverte aux autres approches éthiques.

(15 h 30)

Et je voudrais souligner brièvement notre proposition d'un unique enseignement pour la fin du secondaire. Pour nous, il serait hautement souhaitable que tous les élèves québécois puissent participer à un unique enseignement moral et religieux axé sur les relations interreligieuses, et nous pensons que cette expérience d'un enseignement unique à la fin du secondaire serait bienfaisant, d'autant plus qu'il interviendrait pour plusieurs élèves à la fin du processus de scolarisation obligatoire avant l'entrée sur le marché du travail ou avant la spécialisation du collègue et de l'université. Jusqu'ici, le ministère de l'Éducation a compté sur un comité catholique, sur un comité protestant pour la gestion de l'enseignement de type confessionnel, qui ont eu pour mandat d'assurer le partenariat entre l'État et les Églises, catholique et protestante. Il faudra sans doute gérer autrement les relations entre les groupes religieux et le ministère de l'Éducation. Et on le fera... nous n'avons pas la formule toute trouvée, mais on devrait chercher une formule qui permettrait une représentation élargie des traditions religieuses et en aménageant les conditions de leur collaboration avec l'État.

En terminant, la solution proposée par les professeurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de Laval nous semble raisonnable parce qu'elle s'inscrit dans une démarche de définition d'un vivre ensemble qu'il faut trouver ensemble en respectant les démarches évolutives de la société québécoise, celles que nous avons parcourues déjà et celles que nous devrons encore parcourir.

Elle nous semble raisonnable aussi parce qu'elle tient compte de la réalité socioreligieuse des Québécoises et des Québécois. Et, tout en sachant qu'il est bien difficile d'interpréter les données statistiques à ce sujet dans un sens ou dans l'autre, on ne peut tout de même pas oublier qu'en 1998-1999 au primaire, 81 % des parents ont inscrit leurs enfants en enseignement moral et religieux catholique. Il n'est pas facile d'en savoir la signification exacte, mais ce n'est pas sans signification.

Le système actuel d'enseignement de la religion dans l'école québécoise a besoin sans aucun doute de connaître une évolution significative mais graduelle. Et cette évolution doit tenir compte du pluralisme culturel et démocratique que la modernité a fait émerger chez nous. Les ajustements que nous devons apporter à la place de la religion à l'école ne gagneraient rien à prendre la forme d'une rupture radicale. Une certaine continuité quant à l'aménagement de l'enseignement religieux doit être recherchée, sinon on risque de négliger les citoyens réels et de mépriser les multiples intérêts qui donnent naissance à la société civile. Et la société civile, pour nous, c'est un espace extrêmement important entre la famille et l'État.

Et, en terminant, je veux assurer de nouveau le ministre de l'Éducation de même que le gouvernement et l'Assemblée nationale de la collaboration d'une faculté comme la nôtre, qui est toute disposée à poursuivre la réflexion et à apporter dans le futur sa collaboration pour l'aménagement des nouvelles formes d'enseignement de la morale et de la religion, quelles qu'elles soient, qui seront retenues.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. Pelchat. M. le ministre.

M. Legault: D'abord, je voudrais vous remercier, vous féliciter, M. Pelchat et les gens de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval. On a devant nous un mémoire qui fait une lecture claire mais en même temps nuancée de la société québécoise et de son évolution, entre autres, de son évolution religieuse. Vous proposez plusieurs aménagements concrets qui recherchent un consensus, qui, dans certains cas, sont différents de ce qu'on retrouve dans le rapport Proulx. Vous faites le tour de pas mal toutes les questions: la question du pluralisme, le respect des libertés, les droits fondamentaux, la construction de l'espace civique commun, tous les aspects aussi, autant le statut des écoles, l'enseignement religieux, la formation des maîtres aussi, qui est un aspect important. Puis j'apprécie votre offre, que je vais retenir pour la suite des choses, parce que, effectivement, pour la suite des choses, on aura de nombreux chantiers à mettre en place pour réaliser les changements éventuellement qui seront retenus.

J'ai quelques questions. D'abord, vous préconisez que plusieurs traditions religieuses pourraient être enseignées à l'école, vous dites, «là où le nombre le justifie». Au niveau gestion de tout ça, ça peut devenir difficile. Comment vous voyez la gestion d'avoir un certain nombre d'enseignements différents dans la même école? On a eu des groupes, ce matin, qui nous disaient que, déjà, d'avoir deux ou trois choix, c'est difficile à gérer. Comment vous voyez l'aspect gestion de ces différents enseignements?

M. Pelchat (Marc): D'après notre connaissance du réseau scolaire, cela nous semble gérable. Cependant, nous reconnaissons que c'est un défi. Nous ne sommes pas habitués à cette gestion de la diversité, mais nous croyons que, moyennant les ressources nécessaires – évidemment les ressources devront être là – cela est gérable. Évidemment, nous-mêmes, nous ne sommes pas dans la gestion quotidienne d'écoles au niveau... nous avons peine à gérer l'université. Nous ne sommes pas dans l'ordre primaire et secondaire. Mais il nous semble que cela n'est pas un défi insurmontable, moyennant les ressources nécessaires, et que, moyennant également la définition de critères très précis...

Parce qu'il faut également éviter que ce soit, comme certaines personnes l'ont dit, la foire ou le marché religieux ouvert à l'école et que... Il y a le nombre, bien sûr, qui est un critère très important pour y affecter des ressources, mais également le respect d'un certain nombre de valeurs communes à la société québécoise, le respect des valeurs démocratiques, de même que la possibilité d'offrir aux enseignants, je dirais, un corpus qui permet d'enseigner, un corpus de connaissances qui est monnayable dans un système d'enseignement. Et nous pensons que, de toute façon, par exemple en milieu urbain, étant donné les concentrations de population, par exemple, il est facile d'imaginer qu'il pourrait y avoir des écoles qui, à toutes fins pratiques, seront presque monoreligieuses, juives, ou islamiques, ou catholiques, ou protestantes, et que, dans certains cas, ce seront tout au plus deux options ou trois options qui devront être aménagées à l'intérieur du système.

M. Legault: Et, au niveau de la responsabilité finale – je pense surtout à certaines traditions particulières – pour le personnel d'enseignement, à quel endroit on devra avoir la responsabilité finale? Est-ce que c'est les commissions scolaires qui seraient responsables, finalement, de la formation des maîtres et du contenu de cette formation?

M. Pelchat (Marc): Oui, j'estime que cela revient aux commissions scolaires, avec tous les autres partenaires, parce que les facultés de sciences de l'éducation, les facultés de théologie et de sciences religieuses contribuent aussi à cela, à cette formation. Et je pense qu'il faut effectivement que les enseignants, les enseignantes dans ces domaines soient qualifiés. Il faut éviter d'ailleurs qu'ils soient... Surtout si on pense aux profils de type confessionnel, il faut maintenir un certain régime d'exemption, bien sûr, la possibilité claire de ne pas être obligé de faire un tel enseignement. Et, donc, dans le corps professoral, je pense que, moyennant un certain appui et des structures de formation adéquates, on peut recruter un certain nombre d'enseignants, on peut pointer un certain nombre d'enseignants qui seront qualifiés et qui seront intéressés à enseigner ces matières.

Par ailleurs, lorsque, dans un lieu, le nombre justifie l'aménagement d'un profil particulier et que ne se trouve pas dans le corps professoral, dans le corps d'enseignants la personne, je dirais, qualifiée, on devrait pouvoir se mettre des mécanismes pour qualifier des personnes qui interviendraient comme spécialistes. On n'a pas étudié cela dans le détail, mais on sait que c'est une proposition qui a déjà été faite et débattue à l'occasion, l'hypothèse de prévoir des spécialistes, dans certains cas, pour ces domaines.

M. Legault: D'accord. Maintenant, une dernière question concernant le statut des écoles. Vous recommandez que le statut des écoles soit aboli, mais à condition qu'on donne certaines garanties concernant les services d'enseignement et d'animation spirituelle. Quelles sortes de garanties vous verriez?

M. Pelchat (Marc): La garantie, pour nous, fondamentalement, c'est celle des ressources, c'est de garantir les ressources. Parce qu'il serait trop facile de déclarer: En principe, vous avez le droit, mais, en pratique, on n'a pas l'argent pour que vous ayez le service d'animation religieuse et spirituelle ou que vous ayez l'enseignement. Le nombre le justifie, tous les autres critères sont remplis, mais, en pratique, on a d'autres priorités, et puis on a eu des coupures, et puis, bon, c'est impossible. Alors, c'est le genre de garanties auxquelles nous pensons, que, lorsque les critères sont rencontrés, pour ainsi dire – c'est un anglicisme – il y ait la garantie des ressources pour mettre en oeuvre les profils, pour aménager les activités et les rendre accessibles, activités d'enseignement ou activités d'animation, bien sûr. Cela s'applique, selon nous, aux deux, là.

M. Legault: Parfait. Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre. M. le député de Kamouraska-Témiscouata.

(15 h 40)

M. Béchard: Merci, Mme la Présidente. M. Pelchat, M. Brodeur et M. Racine, bienvenue à cette commission parlementaire, la commission de l'éducation. Et je vous dirais qu'à la lecture de votre mémoire on pourrait y aller d'une phrase cliché, qui serait le renouveau dans la continuité, si on veut, et qui semble être la présentation d'une solution alternative qui évolue, qui tient à respecter les chartes des droits, les droits des parents, le droit des parents de choisir comme tel l'enseignement religieux, mais, en même temps, une certaine protection ou reconnaissance des acquis actuels et de l'évolution.

Et je vous dirais qu'un des premiers éléments qui m'ont frappé dans votre mémoire, c'est à la page 12, quand vous présentez «l'école, lieu d'expression des singularités et des particularismes», ainsi que le paragraphe suivant sur «l'enseignement religieux et la constitution des identités».

Je vais citer une phrase que vous mentionnez dans le paragraphe 3.1.3 et qui est la suivante: «Il n'en va pas de la religion comme de question de goûts ou de préférence qui, par définition, ne peuvent pas faire l'objet de discussions argumentées dans un espace commun. Au contraire, la constitution même des identités, tant personnelles que collectives, s'effectue par et à travers des traditions sociales, culturelles, historiques et familiales dont la religion fait partie et qui ont toujours contribué à l'édification de l'espace commun.» Et je pense que c'est un peu à partir de là et du paragraphe précédent où votre argumentation de garder et de la nécessité d'avoir une place pour l'enseignement religieux dans le curriculum se base.

Donc, pour vous, il est clair que, quand on parle, je dirais, de formation de lieux collectifs et d'identité comme telle, il faut y aller non pas par une approche républicaine, comme le rapport Proulx, mais beaucoup plus par une approche communautarienne, qui est de reconnaître et de laisser une place aux différentes identités.

Et le lien qui est là et avec un élément qui est plus loin dans votre mémoire, sur celui d'avoir une solution qui tiendra compte des différences entre les régions, j'aimerais que vous approfondissiez le lien entre les deux. Parce qu'on a entendu, ce matin encore, des gens qui disaient: Il faut avoir une solution qui va s'appliquer partout à peu près de la même façon pour ne pas que, si des jeunes qui sont dans telle région reçoivent un enseignement religieux différent ou qui est aménagé différemment, et, éventuellement, s'il y a un déménagement ou quoi que ce soit, on soit pris finalement avec toutes sortes de systèmes parallèles qui, en bout de ligne, ne correspondent pas, je dirais, à l'idée qu'on se fait de l'enseignement religieux. Est-ce que vous pourriez développer un petit peu cet aspect-là, l'aspect de, un, la place de la religion comme lieu de construction de l'identité et, deuxièmement, sur cette particularité-là que vous voulez apporter au niveau de l'enseignement religieux, je dirais, par région?

La Présidente (Mme Bélanger): M. Pelchat.

M. Pelchat (Marc): Merci. Il est clair pour nous que notre approche est l'approche communautarienne; n'en faisons pas mystère. J'ai souligné, à la fin de mon allocution tout à l'heure, l'importance que nous accordons à la société civile et à l'expression, aux différents modes d'expression de la société civile dans notre société démocratique, et l'approche communautarienne en est le reflet. Pour nous, il est clair que l'école est l'un des lieux évidemment qui prend le relais de la famille pour la construction de l'identité, de l'identité personnelle, de nos identités singulières et de notre identité sociale. Et cette construction d'identité ne se fait pas dans la négation de la diversité.

On pourrait dire: Oui, l'école est pluraliste, mais on va faire l'école pluraliste en niant le pluralisme ou en fermant les yeux sur le pluralisme. On va faire l'école pluraliste, je pense, en acceptant, en instaurant un dialogue et des lieux de rencontre civilisée entre les particularismes et les diversités. Et, dans ce sens-là, pour nous, étant donné le Québec, la société pluraliste que nous connaissons, la meilleure façon de construire l'identité québécoise, c'est de le faire à travers la rencontre et le dialogue critique, bien sûr, entre les singularités et les particularismes et également dans le dialogue qui est toujours à la recherche de valeurs communes au plan éthique, au plan politique, etc.

Bon. Sur le fait de l'éclatement possible de l'école dans l'aménagement de la solution que nous mettons de l'avant, qu'on se retrouvait avec des écoles, autrement dit, multiples, extrêmement différentes, ce que nous proposons, je dirais, c'est une seule solution pour l'ensemble des écoles québécoises, une solution unique, en un certain sens, mais qui va donner lieu à un aménagement concret d'écoles différentes. Et ça, je pense que ça va en plein également dans la tradition québécoise, je dirais même récente – et je pense que cela n'est pas remis en question – où on favorise l'établissement de projets particuliers pour l'école, etc., que chaque école soit enracinée dans son milieu, qu'elle soit le reflet et de sa région et du milieu local.

Donc, nous ne voyons pas de problème au fait que l'école, une école dans Beauce-Sud, par exemple, qui ne serait pas une école confessionnelle, qui serait une école publique québécoise, mais qui dans la pratique, à cause même des enfants qui la fréquentent et de leurs parents, va prendre le visage sans doute... Moi, je suis de Beauce-Sud et je pense à certaines paroisses où même une école publique va prendre le visage un petit peu d'une école de type confessionnel, en pratique, j'entends. Et est-ce que ça pose un problème, s'il y a un déménagement à Montréal? Bien, tout dépend du quartier où ils se retrouveront. De toute façon, je pense que, dans l'école montréalaise, il y aura aussi une diversité qui sera aménagée par le modèle d'école que nous proposons, où diverses voies sont possibles.

Je pense, au contraire, qu'il faut favoriser, moyennant des normes communes, des normes québécoises communes – et ça, nous insistons aussi là-dessus – le fait que les écoles prennent une couleur particulière selon la région et même selon le quartier. C'est l'école, après tout, de la société, ce n'est pas l'école... Nous n'avons pas, dans notre tradition, une école étatique. Ce n'est pas l'école de l'État, c'est l'école de la société québécoise, elle appartient à... Mais l'État évidemment veille à ce que soient rencontrées certaines normes de qualité et certains critères qui font participer l'école aux valeurs communes de la société québécoise.

M. Béchard: Quand vous mentionnez, M. Pelchat, que, entre autres, sur le fait des structures, c'est dire que sur le fait du Conseil supérieur de l'éducation, du ministère de l'Éducation, des deux sous-ministres, même des commissions scolaires – c'est déjà fait – même des écoles... En ce qui a trait aux structures, vous n'avez pas, me semble-t-il, de problème majeur avec la déconfessionnalisation des structures, pourvu qu'il y ait certaines garanties au niveau de l'enseignement comme tel.

Mais, pour remplacer tout ça, pour suivre un peu, je dirais, que ce soit la multiconfessionnalité ou le développement de plusieurs enseignements religieux, il a été question déjà de mettre en place une espèce de comité multiconfessionnel pour suivre l'évolution de tout ça. Est-ce que, selon vous, c'est une solution adéquate? Et aussi, en même temps, est-ce que l'évolution comme telle de l'enseignement religieux... Parce que vous en venez à dire qu'à la fin du secondaire il faudrait que tout le monde ait un cours similaire d'enseignement culturel. Est-ce que cette évolution-là, ce suivi-là devrait, selon vous, être directement sous la responsabilité de ce type de comité là, qui verrait comment sont appliqués les programmes, quels sont les programmes, et qui jouerait peut-être un peu, à la limite, le rôle d'arbitre – s'il y a des cas, par exemple des commissions scolaires où on a des problèmes sur le nombre adéquat requis pour en avoir, les accommodements raisonnables, et tout ça – qui viendrait superviser la mise en place de votre solution? Est-ce que ça vous apparaît comme un modèle plausible et qui serait efficace dans la gestion de la question de la religion à l'école?

M. Pelchat (Marc): Nous n'avons pas exploré, évidemment, dans le détail cette question et nous n'avons pas fait de propositions très claires, mais nous avons montré justement une ouverture. Nous avons même posé quelques questions à ce sujet-là. Il est sûr qu'il faut élargir. Nous sommes ouverts et en faveur de la déconfessionnalisation de l'école et des structures en totalité ou en partie, mais ça pourrait aller évidemment jusqu'à la totalité.

Pour nous, c'est le ministre qui... tout l'ensemble de l'aménagement doit rester sous la responsabilité du ministre et un ou des comités devraient être mis en place. En fait, un comité interreligieux serait certainement pensable, mais placé toujours sous l'autorité du ministre. Il n'aurait pas la dernière autorité sur l'approbation des programmes.

Également, il pourrait très bien y avoir aussi un comité consultatif d'experts en histoire et en sciences des religions pour les approches davantage culturelles également. Il y a beaucoup d'experts – nous en avons à l'Université Laval, il y en a ailleurs, à l'UQAM et dans d'autres universités également – très, très compétents pour nous aider dans la confection de programmes, et tout ça.

(15 h 50)

M. Béchard: Juste une dernière petite question en ce qui a trait à l'échéancier. Vous parlez d'une période de cinq ans pour réaménager la question. Comment voyez-vous le fait de concilier ce réaménagement-là qui doit se faire sur cinq ans avec, à l'automne, la mise en place des nouveaux curriculum? Est-ce que, pour vous, on doit y aller, à l'automne, avec la mise en place de curriculum basés sur la situation qu'on connaît actuellement et prendre le temps d'étudier la question religieuse à part ou on ne devrait pas plutôt, déjà au printemps ou à l'automne prochain, commencer à envoyer le signal de quelle sera la place que l'on réservera à l'enseignement religieux pour ne pas y aller dans des étapes qui pourraient être non concordantes, un peu comme on l'a vu, s'il n'y avait pas eu d'amendements au niveau du statut confessionnel des écoles et la reconfirmation?

M. Pelchat (Marc): Oui. C'est une question difficile parce que, nous, nous croyons que ça arrive très tôt, la préparation des nouveaux curriculum à offrir, et que ça devrait être retardé. Ce qu'on pourrait sans doute mettre en place assez tôt, ce serait des projets-pilotes qui nous permettraient ensuite de travailler à élaborer les programmes pour les divers profils et surtout les divers ordres d'enseignement. Parce qu'il y a aussi un défi de passer de l'ordre primaire à l'ordre secondaire pour appliquer tout ça.

Donc, il faudrait sans doute allonger... c'est pour ça que nous parlons de cinq ans. Ça peut être six ans, ça peut être moins. Et ça prend un certain temps. De même que, vous savez, nous ne sommes pas prêts demain matin, nous, à offrir de nouveaux programmes adéquats pour la formation des futurs maîtres en enseignement des religions ou en enseignement moral et religieux. Et, donc, il va falloir se mettre au travail. On est prêts à le faire dès maintenant, mais ça va prendre un certain temps. Et, de toute façon, on ne peut pas tout simplement dire: Oui, c'est un nouveau curriculum, mais on continue avec les anciens programmes. Former un maître, actuellement, c'est cinq ans, avec les stages, et tout ça. Alors, il va falloir y aller graduellement, je crois qu'on n'a pas le choix. Mais on peut assez vite commencer des expériences-pilotes.

M. Béchard: Merci. Donc, il y a un consensus sur les expériences-pilotes avec certains autres groupes, mais pas sur le contenu des expériences-pilotes encore.

M. Pelchat (Marc): Non. Ha, ha, ha! De façon évidente, oui.

M. Béchard: Ha, ha, ha! Merci. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député de Kamouraska-Témiscouata. M. le député de Bertrand.

M. Cousineau: M. Couture, M. Pelchat et M. Brodeur, bonjour, merci pour votre mémoire. Vous avez parlé tantôt... bon, vous venez de la région de Beauce-Sud. On parle de réalités régionales et locales. Comment voyez-vous la position du conseil d'établissement par rapport à la religion dans les écoles? Quel pouvoir on peut donner au comité d'établissement? Est-ce que c'est ce comité-là qui devrait décider quelle religion, quels groupes peuvent...

M. Pelchat (Marc): Nous ne sommes pas allés jusque dans ces détails-là. Peut-être que ma réponse ne sera pas fondée sur une longue réflexion et un examen de tous les tenants et les aboutissants. Mais il faut bien donner l'autorité à quelqu'un, et nous pensons que c'est encore... Moyennant les critères, encore là, définis par le ministre ou par l'État, il faut donner ensuite la décision au niveau local, la décision pour l'application de tout cela et pour l'aménagement. Il en va de même pour l'animation de la vie religieuse et spirituelle. Il nous semble que c'est au conseil d'établissement de déterminer s'il y aura un seul animateur ou animatrice de vie religieuse ou spirituelle ou plusieurs, pour refléter la diversité, qui se partagent le temps utile.

M. Cousineau: Au niveau de l'école, vous considérez que c'est le conseil d'établissement qui aurait le pouvoir de mentionner, de préciser quel groupe serait favorisé par rapport à un autre?

M. Pelchat (Marc): Oui, puisqu'ils sont les représentants reconnus du milieu et, je dirais, de la communauté locale, pour ainsi dire, à qui appartient cette école. M'autorisez-vous à donner la parole brièvement à M. Brodeur?

La Présidente (Mme Bélanger): Oui. Alors, M. Brodeur.

M. Brodeur (Raymond): Oui. Je pense qu'un des aspects aussi qui est très important par rapport à la question qui est là et, quand on dit: Il y a quelque chose de commun pour l'ensemble du Québec, je pense que c'est un peu la façon dont on démêle tout d'abord la question du système. Bien sûr, quand on pose la question au niveau d'une approche communautarienne, tout ça, on vise le système scolaire, mais au regard de ce qui concerne l'enseignement religieux et le projet d'enseignement religieux.

Je pense qu'un des aspects, actuellement, qui est essentiel et, je dirais, qui a quelque chose de complètement nouveau par rapport à ce qui a existé depuis longtemps, c'est qu'actuellement ce qu'on peut attendre et ce qui est important par rapport aux enfants, ce n'est pas nécessairement un enseignement religieux qui va venir apprendre aux enfants qu'elle est leur religion, quelles sont ces religions, que sont les religions. Je dirais, traditionnellement, les gens appartenaient à une religion et ils apprenaient les contenus de leur religion. Aujourd'hui, ça n'existe pas. Et les modèles dans lesquels ils sont, sont des modèles, je dirais, qui sont, à ce niveau-là, éclatés.

Mais ce qu'on peut attendre aujourd'hui et ce qui est essentiel, c'est beaucoup plus de savoir: Qu'est-ce que telle ou telle religion peut m'apporter? Qu'est-ce que je peux apprendre de la religion et qui peut m'aider, qui peut me servir à la fois dans mon identité, dans mon développement, dans mon épanouissement, dans ma façon de répondre à des questions? Qu'est-ce que je peux attendre de la religion? Et je pense qu'à ce niveau-là il y a un élément qui est commun. Et je peux attendre quelque chose de l'Islam parce qu'il y a là un patrimoine de l'humanité qui, au fil des siècles, a permis d'arriver à des découvertes, des compréhensions, des entendements de qui est la personne humaine. Il y a un patrimoine important du côté de l'histoire du catholicisme, du côté du christianisme, du côté du bouddhisme.

Et c'est pour ça que je me dis: c'est possible que, par rapport à certains conseils d'établissement, on dise: Bon, on est majoritairement peut-être islamique, ici, dans tel endroit, ou catholique dans un endroit. Je dirais, la responsabilité du conseil d'établissement n'est pas, à la limite, de voir: Est-ce que vous faites un bon catholique? mais, si on est dans un milieu catholique: Est-ce que l'enseignement qui se fait là, c'est vraiment fait de façon à permettre à l'élève d'apprendre quelque chose sur lui, quelque chose qui lui vient de cet enseignement de la religion?

Et, je dirais, c'est, quelque part, la même chose. Et c'est à ce niveau-là, quand on dit: C'est au ministre de l'Éducation également, avec ses critères... Parce que sa responsabilité à lui, ce ne sera pas de dire: Voilà tel ou tel contenu, mais toujours de vérifier: Est-ce que l'approche, la présentation de ces contenus-là sont vraiment faites dans l'optique de favoriser le développement de l'enfant, tel qu'on est en droit d'attendre que l'école offre le développement à l'enfant? Et cela, je pense que ça repositionne un petit peu notre approche même, je dirais, de l'enseignement religieux. Alors, c'est pour ça, la distinction entre ce qu'est l'enseignement religieux par rapport au système. C'est deux réalités, je pense, et c'est important de bien les distinguer.

M. Cousineau: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Ça va? M. le député de... C'est fini? Oui, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Oui. Merci, Mme la Présidente. M. le doyen, si je vous ai bien compris, vous n'êtes pas tellement un communautarien ou un communautariste. Ce que vous proposez, c'est une approche équilibrée, finalement, c'est une espèce de mixing de l'approche communautarienne et de l'approche républicaine. Ce que vous reprochez à Proulx, finalement, ce n'est pas qu'il soit républicain, c'est qu'il soit jacobin. C'est ce que je lui reproche, moi aussi, d'ailleurs. Je trouve qu'il est plutôt porté pour la rupture radicale.

Je voudrais vous demander deux questions. D'abord, vous, vous gérez la microdemande dans votre projet à partir du critère du nombre suffisant. La microdemande, c'est les 2 % de bouddhistes, les 5,8 % de musulmans, les 3,1 % d'orthodoxes puis les 9,3 % d'autres, d'après le rapport Proulx. Donc, vous gérez ça à partir du critère de nombre suffisant.

M. Pelchat (Marc): Dans un lieu donné très concret et non pas dans l'abstrait, là.

M. Laporte: Évidemment, ces microdemandes-là vont probablement évoluer dans le temps.

M. Pelchat (Marc): Oui.

M. Laporte: Alors, le critère de nombre suffisant va peut-être devenir un critère, disons, opérationnel ou opératoire assez en demande. Il y a des évolutions que vous ne connaissez pas puis que je ne connais pas, moi non plus. Bon. La question que je vous demande, c'est: Dans l'enquête Milot et Proulx, il y a 23 % des gens qui disent qu'ils n'ont aucune religion. Vous gérez cette microdemande-là comment, vous, dans votre approche?

M. Pelchat (Marc): Bien, clairement par la première... Excusez-moi, Mme la Présidente.

M. Laporte: Par la première alternative c'est-à-dire l'enseignement moral et de la religion diversifiée? Mais, moi, si je n'ai aucune religion, vous n'enseignerez pas la religion diversifiée à mes enfants. Il y a 23 % des parents qui sont des gens qui ont répondu à la question: Pouvez-vous nous dire quelle est votre religion? Ils ont répondu: Je n'en ai aucune. Vous les gérez comment, ces parents-là et les enfants de ces parents-là, dans votre approche?

La Présidente (Mme Bélanger): M. Pelchat.

(16 heures)

M. Pelchat (Marc): Nous les gérons par la première voie qui est offerte, c'est-à-dire que c'est un droit et, je dirais, un devoir, une obligation pour un jeune Québécois, quelles que soient son appartenance et les idéologies ou les fantaisies de ses parents ou leurs croyances, et tout ça, leurs valeurs, d'avoir le minimum de connaissances et de rencontres critiques avec le phénomène religieux, avec la diversité religieuse. On ne peut pas dire: Moi, parce que je n'ai pas de religion, je ne veux rien savoir du phénomène religieux. Je dirais, on est dans le monde de la connaissance et du savoir, et je pense que c'est un droit et même un devoir de donner accès à un minimum de contacts avec le savoir, avec la connaissance du fait religieux et des différentes visions du monde qui sont véhiculées dans les propositions morales, qui sont véhiculées dans la publicité, etc.

M. Laporte: Là, j'en conviens, vous avez raison là-dessus. Mais là je ne fais qu'une hypothèse, n'est-ce pas: si, moi, je suis un incroyant, j'aimerais bien que mon fils ou ma fille, ou mon petit-fils ou ma petite-fille puissent avoir une empathie pour mon choix religieux. Dans le cadre que vous proposez, il ne peut pas y avoir d'empathie pour ça. Les incroyants n'ont pas de place. Ont-ils une place?

M. Pelchat (Marc): Bien oui.

M. Laporte: Où est-elle?

M. Pelchat (Marc): Bien oui. Dans la première voie que nous proposons, nous proposons un enseignement de type largement culturel, dans la première voie. Dans toute école, il doit y avoir la possibilité de donner accès à un enseignement que nous avons appelé de type général, mais ça se rapproche beaucoup de la proposition Proulx d'un enseignement de type culturel. Et, ça, c'est un droit, une obligation pour tout élève québécois d'avoir un contact avec le fait religieux, dans le cadre d'un enseignement qui n'est pas un enseignement de type confessionnel, qui est un enseignement de type largement culturel. Et c'est la voie que nous offrons pour tous ceux qui sont sans appartenance religieuse et pour qui il sera utile d'avoir ce contact avec les symboles, les doctrines principales, les oeuvres qui en ont découlé, etc.

M. Laporte: Mais rien sur l'incroyance.

M. Pelchat (Marc): Bien, l'incroyance, ce n'est pas une religion, à ce que je sache.

M. Laporte: Non, non, je comprends, mais, justement, si, moi, je suis un incroyant, c'est tout de même un lien de solidarité que j'ai avec mes enfants et mes petits-enfants. Donc, je m'attends à ce que, dans l'école, puisque vous enseignez la religion à ceux qui sont des religieux ou qui ont une religion, vous devriez m'aider à soutenir ma propre identité personnelle en regard de mes enfants et de mes petits-enfants. Autrement, vous discriminez contre moi.

M. Pelchat (Marc): Personnellement, je ne vois aucune...

M. Laporte: Il y a 23 % des parents qui sont dans cette situation-là.

M. Pelchat (Marc): Je ne vois aucune discrimination, puisque, de toute façon, lorsqu'on parle de religion, de croyance, il y a toujours l'antithèse. S'il y a croyance, c'est parce qu'il y a non-croyance, et cela est dans tous les interstices, je dirais, de l'étude du fait religieux. Est-ce que c'est crédible? Est-ce qu'on peut adhérer à ça? Puis on se pose continuellement la question. Est-ce que c'est croyable, ça? Est-ce que c'est crédible? Donc, ça fait partie, je dirais, de l'enseignement même ou du contact même avec le fait religieux, que cette prise en compte de l'incroyance.

M. Laporte: Je vais vous faire une dernière intervention. Vous avez lu L'avenir d'une illusion de Sigmund Freud?

M. Pelchat (Marc): Non, je ne crois pas l'avoir lu.

M. Laporte: Pour un incroyant, c'est un livre très important.

M. Pelchat (Marc): Je n'en doute pas.

M. Laporte: Et c'est très important pour les enfants d'incroyants et pour les petits-fils et les petites-filles des parents incroyants, parce qu'il y a là-dedans une théorie de la religion qui, à mon avis, ne cadre pas du tout dans l'une ou l'autre des deux perspectives que vous avez présentées. Dans ce sens-là, c'est discriminatoire. Le problème est d'une grande complexité.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, M. le député de Montmorency.

M. Simard (Montmorency): Oui, merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Pelchat, M. Brodeur, M. Racine, bienvenue parmi nous. Nous sommes très fiers d'avoir des représentants de l'Université Laval parmi nous aujourd'hui. Si vous me le permettez, M. Pelchat, j'aurais une question à adresser à M. Racine.

M. Pelchat (Marc): Si la présidente nous y autorise, je suis tout à fait d'accord.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Bélanger): Il n'y a pas de problème.

M. Simard (Montmorency): Merci, Mme la Présidente. M. Racine, je vous adresse cette question parce que je sais qu'elle vous intéresse au plus haut point. Plusieurs personnes ne veulent pas accorder à l'enseignement de la religion à l'école une fonction politique. Quant à vous, pensez-vous qu'il puisse y avoir une fonction politique d'attribuée à l'enseignement, disons, du phénomène religieux à l'école et, si oui, laquelle ou lesquelles?

La Présidente (Mme Bélanger): M. Racine.

M. Racine (Jacques): Je ne croyais pas avoir utilisé de tels propos. Ce que je crois avoir déjà utilisé et que l'on retrouve un peu dans le mémoire, c'est que les religions, encore aujourd'hui, tout comme certaines idéologies athées, sont des lieux parfois subversifs par rapport à des discours un peu unitaires qui se développent dans les sociétés. En ce sens-là, je pense que les gens de Justice et foi tout à l'heure en ont été une illustration. Je crois qu'il y a dans des mouvements comme Développement et paix, etc., mais aussi dans une réflexion sur la technoscience ou sur la mondialisation des sociétés et sur la coloration de la mondialisation des sociétés... la réflexion religieuse peut avoir une couleur, entre parenthèses, subversive ou, plutôt, peut questionner des modèles qui sont trop unanimement reçus et qui, indirectement, laissent en place des gens qui sont plus exclus de ces sociétés-là. Je ne sais pas si c'est à ça que vous faites référence, mais c'est une référence.

Dans une société nord-américaine, où indirectement on cherche à dénier la mort soit par la technoscience soit par les problèmes qu'on a de vouloir prolonger la vie indéfiniment jusqu'à ne pas savoir si un jour elle s'arrêtera, jusqu'à ce que des gens veuillent se faire pratiquement congeler au cas où la survie arriverait, dans une telle société où cette survie-là n'est possible qu'aux plus riches, elle rappelle que la mort est un contact et une fin pour chacun de nous et elle a une réflexion là-dessus. Elle n'est pas la seule à avoir cette réflexion-là. Mais il est assez évident qu'encore dans la société québécoise, pour la très grande majorité des Québécois, qu'ils soient rattachés à une religion comme le catholicisme, le protestantisme, l'Église orthodoxe ou toute autre religion orientale ou autres, le lien entre cette condition de la vie qui est la nôtre et qui est la mort est probablement un des lieux où cette réflexion sur cette réalité qui est la nôtre est le plus présent.

Je crois que ça ne doit pas être réservé à des gens qui sont des pratiquants ou des adhérents, serrés et fermés, mais que cette réflexion-là doit être portée globalement comme la réflexion sur les autres religions. Tout à l'heure, on parlait par exemple de la Beauce, ou n'importe quoi; dans mon esprit à moi, le Beauceron est aussi confronté à la pluralité que le Montréalais. Il a, dans l'enseignement qu'il recevra au plan religieux, à être ouvert aux autres religions et aux autres traditions de la pensée. Mais, dans son école particulière, il n'y aura peut-être pas de groupes reconnus à cause de la population qui est là, mais l'enseignement, qu'il soit de type général ou de type confessionnel... même si je suis dans l'arrière-Beauce, à Sainte-Rose, je suis aussi frappé par la télévision chaque soir et mon identité est aussi plurielle que celle du Montréalais. La construction de ce que je deviens est autant touchée, peu importe où je reste au Québec, par le phénomène des moyens de communication, est aussi touchée par cette pluralité. Et, moi, ce que je dis, c'est qu'il faut que même l'école aide quelqu'un à se construire dans cette recherche d'identité et, dans cette construction, ça l'aidera à participer avec plus de vigueur à la recherche d'une identité collective également. Parce que notre démarche d'identité collective passe par notre démarche d'identité personnelle et, dans cette démarche d'identité personnelle, la question spirituelle joue aussi un rôle.

La Présidente (Mme Bélanger): Ça va, M. le député de Montmorency?

M. Simard (Montmorency): Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bélanger): Une minute et demie, Mme la députée de La Pinière.

(16 h 10)

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Pelchat, M. Brodeur et M. Racine, merci de nous avoir instruits. Je salue en vous mon auguste université en même temps. Vous proposez... enfin plusieurs solutions, plusieurs propositions sont sur la table dans votre mémoire. L'idée d'avoir un cours sur l'éthique et la diversité religieuse, en tout cas la dimension éthique, c'est assez novateur dans les propositions qui nous ont été faites. Et vous verriez ce cours-là comment? Il serait construit comment? Quel en serait le contenu?

M. Pelchat (Marc): Oui. Vous dites que c'est novateur, certains diraient que c'est conservateur. En fait, ce que nous proposons, c'est une recomposition finalement des liens entre «éthique» et «religion». Je sais que certains groupes, avec de bonnes raisons, proposent plutôt une distanciation des deux, une certaine séparation, et nous reconnaissons que, dans l'évolution du système d'enseignement québécois, ça a été un progrès à un moment donné de distinguer enseignement moral et enseignement religieux, ça a aidé à faire des pas. Mais nous pensons que nous pourrions maintenant réarticuler enseignement moral et enseignement de la religion ou des religions, mais dans la distinction bien sûr, en établissant toujours dans la pédagogie, dans l'enseignement, les distinctions nécessaires, puisque ce n'est pas la même chose. Mais il nous semble également que poser l'enseignement moral et l'enseignement religieux ou l'enseignement de la religion en antithèse, ça ne rencontre pas le réel de ce qu'a été, je dirais, l'émergence du discours moral ou des propositions morales et le développement du discours religieux, que souvent le discours éthique, les propositions éthiques sont influencées, et même ont trouvé un incubateur dans les diverses traditions religieuses, mais elles ont aussi leur pleine autonomie, surtout dans notre société, il y a tout un courant éthique qui a sa propre autonomie.

Donc, pour nous, il nous semble que ce serait une possibilité intéressante à envisager que de réarticuler l'enseignement de morale ou la formation éthique et l'enseignement de la religion pour revoir les liens et les distinctions également entre les deux, là où des propositions morales se distinguent absolument du discours religieux, là où il y a des liens évidents. Mais il faudrait bien sûr que, dans l'aménagement et de l'enseignement et du temps accordé à cet enseignement, ce soit bien distingué cependant, que les deux approches soient bien distinguées. Et nous imaginons, même si nous n'avons pas de proposition concrète à ce sujet-là, que l'on pourrait même trouver à certaines années, particulièrement au secondaire, peut-être même au primaire, mais spécialement au secondaire, certaines années où on fera surtout une réflexion éthique non religieuse et que l'enseignement religieux pourrait prendre finalement assez peu de place à certaines années du secondaire et que ce serait davantage une réflexion éthique.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, merci, M. Pelchat, M. Brodeur et M. Racine, de votre participation. Alors, nous allons suspendre quelques instants, le temps de saluer nos invités.

(Suspension de la séance à 16 h 13)

(Reprise à 16 h 15)

La Présidente (Mme Bélanger): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. S'il vous plaît! À l'ordre! Alors, je demanderais au Département des sciences religieuses de l'Université du Québec à Montréal de bien vouloir venir prendre place. Alors, nous sommes toujours à procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur la place de la religion à l'école. Alors, le Département des sciences religieuses... Alors, je demanderais au porte-parole de bien vouloir présenter la personne qui l'accompagne. Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire, et suivra une discussion, avec les ministériels et avec l'opposition, de 40 minutes.


Département des sciences religieuses de l'Université du Québec à Montréal

Mme Roy (Marie-Andrée): Alors, M. le ministre, Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Bélanger): Est-ce que vous voulez vous présenter, s'il vous plaît...

Mme Roy (Marie-Andrée): Oui. Marie-Andrée Roy.

La Présidente (Mme Bélanger): ...et la personne qui vous accompagne? Je m'excuse...

Mme Roy (Marie-Andrée): M. Louis Rousseau.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. C'est pour le bénéfice du Journal des débats .

Mme Roy (Marie-Andrée): D'accord. Alors, Mmes, MM. les députés, nous voulons d'abord vous remercier de nous accueillir aujourd'hui et nous voulons même rendre hommage à l'Assemblée nationale parce qu'elle accepte de se pencher sur une question qui est extrêmement difficile, mais qui, en même temps, est importante, c'est-à-dire celle de la place de la religion à l'école.

Notre mémoire, qui est intitulé Pour l'implantation graduelle d'un enseignement culturel des religions dans l'école québécoise , reflète le point de vue du Module des sciences religieuses du Département des sciences religieuses et du Module d'enseignement secondaire de l'UQAM. Je tiens à vous préciser que le mémoire a été préparé en collaboration avec les professeurs de notre département, avec les chargés de cours et avec les étudiants et étudiantes qui se sont impliqués au niveau de la discussion.

Je vais maintenant demander à mon collègue Louis Rousseau, qui est directeur du Module et qui a coordonné les travaux de préparation de notre mémoire, de vous en faire une présentation.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. M. Rousseau.

M. Rousseau (Louis): Mme la Présidente, M. le ministre, MM. les députés, membres de la commission. Je vous remercie de nous accorder ce temps de discussion avec vous.

Je ne sais si je dois imaginer que tout le monde a lu le mémoire dont nous allons parler; je fais comme si. Souvent, les professeurs, au début des cours, estiment que, comme ils ont demandé à leurs élèves d'avoir lu avant le cours un texte, cela est, et c'est d'ailleurs une situation pédagogique assez stimulante, puisque professeur et élèves font un concours d'intelligence et d'intuition pour s'assurer que, bien sûr, cette convention reflète la réalité. En réalité, ce que je souhaite, c'est qu'on ait le maximum de temps pour répondre à vos questions et échanger ensemble. Le temps de lecture et d'analyse sur papier, bon, il vous est loisible de le prolonger subséquemment.

Nous avons une position qui, à certains égards, aura l'avantage, je dirais, pédagogique de permettre une discussion pour autant qu'elle est sensiblement différente de nos honorés collègues de la Faculté de théologie de l'Université Laval, avec lesquels d'ailleurs, si nous ne sommes pas d'accord sur certains points, nous sommes bien en accord sur une foule d'autres. Mais, bon, vous voyez, les universitaires, comme les députés, sont souvent hommes et femmes sérieux et sérieuses, mais divergent profondément d'opinions.

Globalement, nous sommes d'accord avec les recommandations de ce comité. Nous travaillons dans le domaine de l'étude des religions depuis 30 ans. Ça fait 30 ans qu'on attend que l'État québécois développe une réflexion de fond sur cette question. Je dois dire que nous sommes extrêmement heureux, d'une part, qu'il y ait eu ce mandat venant de l'autorité politique et, d'autre part, de la qualité de la réponse à ce mandat. Il est peu de questions sur lesquelles le groupe de travail ne se soit profondément penché et nous ait fourni, par des études et par des réflexions des commissaires eux-mêmes ou des membres du groupe de travail, ample matière à réflexion.

(16 h 20)

Le problème de ce rapport, c'est qu'il est presque trop bon. Il couvre à peu près tous les angles de la patinoire. Et je dois dire que, sauf de dire que, bon, bien, ça, c'est une affaire d'intellectuel et qu'on la met à la poubelle, ce qui, bien sûr, est une parole que personne autour de cette table ne prononcerait, ce rapport force la réflexion. On peut diverger sur la lecture, l'analyse d'interprétation, mais il nous fournit une base extraordinaire pour développer une pensée de l'État québécois sur la place de la religion à l'école, chose que, pour des raisons historiques, nous n'avons pas encore faite et chose que, j'espère, dans la foulée de votre travail, vous pourrez en donner aux citoyens un début et même une élaboration forte. Nous avons besoin, hélas ou heureusement, d'avoir une idée politique commune sur la place de cette dimension-là dans l'école. On ne peut pas simplement dire: Que les parents se débrouillent. C'est déjà une opinion, sauf qu'elle a le désavantage de ne pas être profondément articulée. Bon.

Sur ce commentaire de fond, je vous dirai donc que nous souhaitons n'ajouter que quelques éléments à ce rapport. D'abord, insister – et cela sans doute est dû à notre existence montréalaise, plusieurs d'entre vous êtes un peu de la région – sur l'impasse profonde dans laquelle nous engagerait la solution communautarienne. J'emploie ce terme-là, il est devenu classique dans les débats autour du rapport Proulx, et ça nous permet d'aller plus rapidement. Pourquoi sommes-nous en désaccord avec cette solution-là qui, par ailleurs, a des avantages politiques à court terme évidents? On le voit autant que tout le monde. Si on la prenait, nous aurions la paix pour les prochains mois, et je suggère un chaos assez indescriptible pour un certain nombre d'années à venir. Bon. Alors, un peu de démonstration.

D'une part, cette solution-là ne fait, d'une certaine manière, que prolonger ce qui est un de nos héritages historiques, c'est sûr, et que j'appelle la tradition de l'école ethnique. Pour des raisons historiques bien connues, notre système scolaire au Québec, public, s'est bâti autour de deux groupes qui n'ont jamais souhaité reproduire leur culture en se mélangeant, mais plutôt qui ont tout fait pour chacun développer ses propres systèmes de reproduction culturelle: l'école catholique et l'école protestante, l'école francophone et l'école anglophone, grosso modo. Bon. Ceci nous amène dans l'impasse ou, en tout cas, dans la nécessité de creuser plus loin la question. Si nous multiplions les confessions religieuses à l'école, qu'est-ce qu'on fait? En réalité, on passe de l'école monoconfessionnelle à l'école pluriconfessionnelle ou l'école pluriethnique, multiethnique. Enfin, bref, on ne fait qu'aller plus loin dans cette espèce de fuite en avant de ce qui autrefois était le respect de solide majorité ou de solide minorité, mais qui maintenant deviendra de plus en plus le respect de multiples minorités allant se développant, comme un député le soulignait tout à l'heure.

Par ailleurs, ceux qui le proposent, me semble-t-il, sont des gens qui sont mal avisés de la diversité religieuse du Québec actuel, et celle que nous connaissons, hélas, c'est celle de 1991. Alors, tant le rapport Proulx que les données que nous vous avons fournies, y compris les cartes sur lesquelles nous vous invitons à réfléchir pour ceux qui disent que c'est simple, ces données-là sont déjà très dépassées. La diversité religieuse n'a fait que s'accélérer depuis 10 ans, depuis 1991, et donc le problème est sérieux. On vous a mis en annexe, pour ceux qui ne sont pas trop vieux et qui ont des bons yeux, une liste – parce qu'on voulait faire seulement une page – du nombre et de la diversité des groupes religieux à Montréal. Nous avons écrit à ce sujet quelques pages. Ceux qui penseraient que ce n'est pas très grave et qu'en réalité, avec un peu d'astuce, on est capable de s'en tirer, me semble-t-il, ne regardent pas les données sérieusement. Et on découvre dans ces données-là des choses tout à fait surprenantes. Par exemple, moi – pourtant, je devrais un peu le savoir – j'ai découvert que les citoyens québécois qui appartiennent à la grande mouvance qu'on peut appeler le christianisme orthodoxe, bien, ils sont rendus le troisième groupe religieux. Ils étaient, en 1991, déjà le troisième groupe religieux au Québec. Personne ne parle jamais des chrétiens orthodoxes. On dit: Il y a les catholiques, les protestants, et puis il y a les autres, et, dans les autres, on oublie les orthodoxes et on va chercher des traditions – et c'est très heureux d'ailleurs – qui n'ont rien à voir avec le monde de la chrétienté. Regardez-la bien, la diversité religieuse. Elle est considérable.

Nous avons une option. Ou, dans nos écoles, on dit: On a une tradition de respecter les choix, les opinions et la diversité des appartenances communautaires, multiplions-la, puisque nos communautés sont devenues multiples. Moi, je pense que c'est catastrophique. L'école publique doit promouvoir les aspects d'une construction identitaire commune, ce qui ne veut absolument pas dire qu'il faut empêcher la diversité, au contraire. L'option que nous pensons la plus sage et qui est celle du groupe de travail, au contraire, dit: Puisqu'il y a multiplicité, étudions-la. Il y a différents moyens de faire face à la multiplicité. On peut dire: La multiplicité, viens t'asseoir dans la salle de classe, ou: Entendez-vous avec la direction de l'école pour avoir les 18 cours confessionnels qu'il faudrait dans une école montréalaise où il y a 46 appartenances religieuses différentes, puis ce n'est pas juste un étudiant, il y a pas mal d'étudiants.

Et tous les pays occidentaux font face au problème du Québec. D'assez unifiés dans l'histoire, nous sommes devenus le lieu où, de partout dans le monde, on atterrit. Et on atterrit avec son identité. Et ce qui survit le plus, c'est l'identité religieuse. On laisse tomber les vêtements, enfin, des coutumes de village, mais l'identité religieuse joue au coeur et au fondement. Donc, cette diversité-là, elle est trop grande, je dirais, dans sa multiplicité externe. Et elle est devenue également, vous le savez autant que moi, extraordinairement grande à l'interne. Qu'est-ce qu'un catholique aujourd'hui? Qu'est-ce qu'un protestant aujourd'hui? Qu'est-ce qu'un bouddhiste aujourd'hui? Nous autres, on pense, parce qu'on a un vieil héritage catholique: Bon, il y a les bouddhistes, bang! Mais, enfin, les bouddhistes, c'est une multiplicité de traditions. Nous, les Occidentaux, on appelle ça le bouddhisme. Mais c'est une abstraction. L'islam, il y a au moins deux très grandes familles, qui ne s'entendent pas toujours dans l'interprétation des choses fondamentales, à peu près autant de chicanes qu'entre les protestants et les catholiques.

L'État voulant gérer une relation avec des organisations religieuses qu'on... Si on pense qu'on est capable, en d'autres termes, de projeter sur l'ensemble des diverses communautés religieuses du Québec le modèle relativement simple des relations entre l'État et le catholicisme, l'État et le protestantisme, bien, c'est qu'on n'a pas commencé à faire sa recherche. Donc, là-dessus, ce que nous disons: Il y a une recherche à faire. Nous en avons fait une toute petite partie; elle nous convainc d'entrée de jeu que cette solution-là est non praticable. Les Belges l'ont essayée. Qu'est-ce que ça donne? Premièrement, pour des raisons financières et autres, bien, on permet à trois, quatre communautés religieuses d'avoir droit à un enseignement, à une diffusion confessionnelle de sa tradition dans le cadre de l'école publique. Mais il y en a plein d'autres pour lesquelles on va lever les bras et on va dire: Écoutez, c'est tout à fait inéquitable. Et les principes de justice et d'équité que le groupe de travail a beaucoup creusés, je serais très surpris si on pouvait se conformer aux règles sages de droit et rendre compte véritablement de la diversité religieuse. Donc, nous avons un gros problème qui est aussi un problème légal. Les directeurs d'école – et ici je crois qu'il y a des gens qui ont été dans le milieu de l'éducation – ont les cheveux raides sur la tête quand ils pensent à l'hypothèse communautarienne. Et je pense que beaucoup de directeurs d'école ne savent pas d'ailleurs jusqu'à quel point ils ont bien raison de penser que ce n'est pas gérable.

Ce que ça donne en Belgique, c'est la guerre religieuse bien des fois dans l'école. Nous avons donné un exemple. À Beauce-Sud, il y a peut-être des Témoins de Jéhovah. En tout cas, j'ai vu, pas loin, une salle de réunion. Les Témoins de Jéhovah sont des Québécois francophones ceinture fléchée. O.K., là? Ce n'est pas des «aliens». C'est de nous autres, ceux qui parlent en termes de nous autres. Or, s'ils sont dans l'école, ils ont une définition de Jésus qui remonte, pour ceux qui ont fait de l'histoire, à Arius, un hérétique, disent les catholiques romains, du IIIe, IVe siècle. Ils ne croient pas en la divinité de Jésus. Mais, à côté, les catholiques, c'est essentiel. Bon, ils sont dans l'école. Mettons qu'on donne une classe pour les Témoins de Jéhovah puis une autre pour les... Ce qui va arriver, forcément la proximité d'un enseignement confessionnel va faire durcir les oppositions.

(16 h 30)

Je suis un spécialiste en histoire des religions. J'ai la triste situation de vous dire que les religions, ce n'est pas la tolérance, leur qualité principale, vous le savez assez. Pourquoi? Et c'est tout à fait naturel, on croit à ce qui est le vrai absolu. Bien, deux vérités absolues entre adultes civilisés, si on n'a pas trop bu, ça va, on peut avoir une conversation longtemps. Mais, moi, je pense que nous ferions une grave erreur d'introduire ce genre de situation, où, dans les écoles belges, malgré les normes du ministère qui disent: Tout le monde doit donner un enseignement conforme à l'esprit démocratique d'ouverture et de liberté, en réalité, c'est la bataille.

Bon. Voulons-nous ça? Il me semble évident que ce n'est pas ce que nous voulons. Et faisons attention! À première vue, cette solution est très attirante, politiquement. Mais je pense que vous n'êtes pas simplement des gens qui songent à donner une bonne réponse au téléphone tout de suite. Nous avons ensemble, et surtout vous, la responsabilité de l'avenir. Donc, à cet égard, nous sonnons une grande sonnette d'alarme.

Je dirais un mot de la question identitaire parce que c'est, en réalité, la plus grosse résistance que, moi, j'ai sentie, en tout cas, dans l'opinion, en particulier catholique, face aux recommandations. On se dit: Oui, mais c'est bien beau, les autres, mais, nous autres, on a bien le droit, et c'est notre identité qui est en jeu. Et je crois que ce réflexe est un réflexe sain, sauf que je pense qu'il faut travailler sur: Qu'est-ce que c'est que se construire une identité?

Et l'identité québécoise actuelle, elle a à voir avec ce qu'étaient nos ancêtres en 1608, en 1725. Mais, en fait, l'identité est un processus constant de redéfinition. Si on demandait à chacun d'entre nous quelle est son identité, on ne ferait pas simplement donner notre date de naissance. Il y a eu plein d'événements qui nous ont transformés, qui nous ont ouverts au monde. Notre présentation souligne que nous devons orienter la place de la religion à l'école comme un des facteurs d'une construction en marche, une redéfinition continuelle de l'identité québécoise.

Dans ce contexte-là, sa composante francophone catholique doit faire partie de la transmission. Il faut donner cette culture, mais il faut la donner à tous, comme il faut aussi donner à tous accès aux mémoires des différents groupes qui se joignent à notre aventure. L'identité, oui, la religion a un lien profond avec l'identité, mais c'est en s'ouvrant à notre propre héritage, pour ceux qui sont de tradition francophone et catholique, mais aussi aux autres héritages que nous allons ensemble bâtir une québécitude ouverte et enrichie de la contribution de tous. Donc, sur la question identitaire, le rapport du Groupe de travail était faible. Je pense qu'on peut pousser très loin, mais dans le même sens des conclusions, le problème qui est soulevé à propos de la question identitaire.

Par ailleurs, le rapport ne nous donne pas assez accès aux facteurs humanisant de l'étude culturelle des religions. Ce que nous faisons, dans notre domaine, ce n'est pas simplement épingler les photos, filmer les rites et puis éditer les textes des récits et des croyances. En réalité, pédagogiquement, nous soumettons nos étudiants au choc d'une rencontre avec l'autre, exactement comme chacun d'entre nous, un jour, découvre quelque chose qu'il ignore. Et ce que l'étudiant découvre à ce moment-là, c'est quelque chose qui le renvoie à sa propre culture.

Si nous avions, par exemple, un enseignement culturel dans les écoles québécoises, partout – pas juste à Montréal, partout – les étudiants, au primaire, par exemple, auraient entendu parler de la fête juive de la Pénitence et entendraient parler, la fin de semaine qui s'en vient, de la fête juive des Tentes, ce qui fait qu'ils seraient ouverts. Et, en même temps, ils se diraient: Mais, nous autres, on en a-tu, des fêtes comme ça? C'est le grand impact pédagogique qui a été goûté au Québec pendant les années où on a eu le fameux programme d'étude culturelle des religions, de 1974 à 1984, après. Ça n'a pas dérangé les esprits des étudiants. Ils revenaient à la maison puis ils sommaient leurs parents de leur dire: Coudon, on en a-tu, des prières, chez nous, dans notre tradition? Les parents, un peu... avaient légèrement oublié de transmettre la chose. Ce que ça fait, c'est que l'autre nous renvoie en question à nous-mêmes, et on rebondit sur l'autre. Et c'est ce dialogue-là qui a une fonction humanisante extraordinaire. Et nous serions à l'avant-garde, au Québec, d'offrir cela aux nouvelles générations. C'est ainsi que nous construirions une identité qui correspond véritablement à la conjoncture.

Sur la nécessité de connaître les autres cultures, je n'ai pas besoin trop, trop d'insister. Pouvez-vous sérieusement faire du commerce avec l'Orient si vous n'avez pas une idée de ce que c'est que le bouddhisme ou l'hindouisme? Vous allez arriver comme un catholique pressé ou un protestant qui veut «facts, facts, facts», alors que l'autre va vous faire attendre pendant deux mois, parce que c'est ainsi que des gens civilisés sont en interaction les uns avec les autres. Enfin, bref...

La Présidente (Mme Bélanger): En conclusion, s'il vous plaît.

M. Rousseau (Louis): Voilà. Je vous dis donc que nous...

La Présidente (Mme Bélanger): Très intéressant, mais...

M. Rousseau (Louis): Bien, les professeurs, il faut les arrêter, Mme la Présidente. Et je termine en disant que, si vous nous posez la question, on pourrait vous dire un peu aussi ce que nous pensons de la possibilité d'implanter graduellement ce type d'approche.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. Rousseau. M. le ministre.

M. Legault: Oui. Bien, d'abord, je voudrais vous féliciter, Mme Roy, M. Rousseau; M. Rousseau, pour la présentation dynamique aussi que vous venez de faire. Je pense que votre mémoire est complet, bon, est critique de la situation actuelle, comme vous venez de nous le présenter, même si votre critique quand même repose sur des assises sociologiques qui sont difficiles à contester. Bon. Par contre, il faut quand même se le dire, on a actuellement des groupes religieux dans nos écoles. C'est certain qu'il ne faut pas envenimer des conflits religieux, mais c'est un état de fait aussi. Il faut reconnaître et il ne faut pas nier ces états de fait.

Vous présentez des solutions qui sont neuves, entre autres, la façon dont vous proposez de présenter l'enseignement religieux de type culturel est différente. Vous parlez beaucoup d'un sujet qui est important, c'est toute la notion identitaire; on ne peut pas y échapper. Et puis, bon, vous n'avez peut-être pas eu le temps de nous parler un petit peu de la formation, mais, dans votre mémoire, effectivement, on comprend que c'est des défis importants. Et puis je vous remercie aussi de votre collaboration puis de la collaboration des gens de l'UQAM pour éventuellement la formation des maîtres en fonction des changements qu'on ferait.

J'ai quelques questions sur votre mémoire. D'abord, si on revient justement à l'enseignement religieux culturel que vous proposez, vous proposez cet enseignement tout au long du primaire et du secondaire, donc durant 11 ans. Est-ce que vous pensez que c'est, d'abord, nécessaire? Et est-ce que c'est possible de maintenir l'intérêt des élèves pendant 11 ans?

M. Rousseau (Louis): D'une part, M. le ministre, vous savez plus que moi que ça s'appelle, dans le monde scolaire, une petite matière. Donc, si on regarde ça sous l'angle...

M. Legault: Est-ce que vous proposez toujours deux heures par semaine?

M. Rousseau (Louis): Je crois qu'il y a là aussi des trucs très pragmatiques. Baissez ça à 50 minutes, vous n'avez plus un seul professeur, parce qu'il faudrait qu'il voie je ne sais pas combien de milliers d'étudiants pour faire une tâche. Donc, à la limite, vous êtes coincés, comme nous d'ailleurs, avec des contraintes. Je ne pense pas que ça peut devenir moins.

Par ailleurs, nous avons rapidement esquissé dans le mémoire qu'il nous semble tout à fait faisable qu'entre enseignement religieux et formation morale, que nous souhaitons obligatoires pour tous – pas optionnel morale, d'un côté, et religion de l'autre – il pourrait y avoir des alternances entre... on n'a pas la moindre idée parce qu'on n'a pas étudié là la praticalité de ces choses-là, pour faire un autre anglicisme. Mais il y aurait alternance possible. Il n'est pas nécessaire de toujours avoir tout le temps morale, tout le temps religion. On peut faire des arrimages et des alternances entre ces deux enseignements qui nous semblent fondamentaux pour la formation des citoyens.

En réalité, quand on regarde, par exemple, dans le rapport, les auteurs esquissent un programme surtout pour le secondaire, mais même un peu pour le primaire. Et on se dit: C'est déjà un défi épouvantable de donner un peu de formation sur des matières aussi vastes. Donc, on n'a pas un problème que ça soit lassant ou qu'on ait trop de temps pour la matière. Je pense qu'au primaire on n'est pas en train de leur donner des cours de théorie, on partirait... Mais le travail pédagogique reste à faire, de didactique et d'invention de programmes. Tous les gens qui connaissent un peu la chose, suggèrent qu'au primaire on part des ritualités, des gestes, on ne part pas des croyances. Or, au hasard, par exemple, simplement du calendrier d'une année, en deuxième année, on pourrait faire le tour des fêtes, des principales traditions religieuses, et, autour de la fête, en dire un petit peu, regarder un bout de film, faire parler un élève de la classe qui est dans cette tradition-là, faire venir un parent. Enfin, bref, il y a toutes sortes d'activités qui, tout en ouvrant et en sensibilisant à la diversité et en apprenant à être un citoyen, pourraient s'échelonner dans le temps. Au secondaire, là, la composante apprentissage des contenus évidemment devient un peu plus forte. Mais le programme, tel qu'il est proposé dans le mémoire, nous semble simplement un premier jet. Et il n'est pas du tout sûr qu'il faudrait organiser la matière comme elle est proposée là-dedans. Ce n'est pas ça qu'on vous dit. On a un gros de travail de réflexion sur les programmes.

M. Legault: O.K. Parce que, effectivement, quand on regarde surtout au primaire, si j'ai bien compris, vous dites: L'enseignement, les deux principaux objectifs de l'enseignement seraient d'expliquer et de comprendre les récits, les rites et les règles des diverses religions dès la première année, donc du primaire...

(16 h 40)

M. Rousseau (Louis): Ceci désigne l'ensemble du corpus primaire, secondaire. Quant à savoir au primaire exactement quand, en réalité, nous n'avons pas d'opinion, à ce stade-ci, à vous donner.

M. Legault: Mais je veux revenir quand même sur le fait... Bon. Il y en a plusieurs qui pensent qu'il faut d'abord enseigner une religion avant d'enseigner les religions, un peu comme il faut enseigner le français avant d'apprendre l'anglais, l'espagnol puis les autres langues. Où vous vous situez concernant justement l'enseignement en même temps de plusieurs religions à des jeunes? Je pense surtout au primaire, là.

M. Rousseau (Louis): Écoutez, tout dépend de l'objectif. O.K.? Si vous êtes dans un objectif confessionnel, en d'autres termes, vous voulez transmettre vos valeurs, vos croyances à vos enfants ou à un groupe un peu plus large, bien, vous n'allez pas... Et là vous voulez leur transmettre leurs croyances, c'est-à-dire leur apprendre à prier, leur apprendre à identifier qui on prie, etc., que ça devienne vivant pour eux. Là, je parle d'une initiation à la foi. C'est à peu près ce qu'on fait quand on apprend à parler aux enfants: on passe toutes les connotations affectives, les contextes, enfin, c'est une... L'enfant devient un locuteur d'une langue.

Ce n'est pas ça, le projet d'approche culturelle à l'étude de la religion. On ne devient pas un croyant d'une ou on ne devient pas, surtout pas un croyant de plusieurs religions. On initie à la diversité comme on initie à la diversité des géographies. On ne voit pas d'obstacle à ce que les gens apprennent dès le primaire des choses sur l'Australie, l'Afrique, etc. Ça ne les empêche pas... même ça stimule leur intérêt pour la connaissance du Québec. Donc, tout dépend. L'objection qui est faite ne se tient que si on se place dans une logique de transmission de la foi. Ce n'est pas la logique qui est proposée par le Groupe de travail et ce n'est pas la logique qui est la nôtre.

Dans le contexte d'une transmission de connaissances et de sensibilité à... là, l'apprentissage de la diversité, il ne pose pas de problème pédagogique. Disons, on ne brouillera pas l'étudiant, parce que l'objectif de l'école par rapport à la religion, ce n'est pas de l'initier à une ou à sa tradition religieuse, dans notre hypothèse et dans celle du Groupe de travail.

M. Legault: Quand vous parlez de l'identité, à un moment donné dans votre mémoire, à la page 10, vous dites qu'elle «se fabrique sans cesse dans la petite histoire que se raconte chaque personne et les grandes histoires que se fabriquent les groupes». Est-ce que vous ne pensez pas justement que c'est la même logique qui s'applique aux jeunes enfants, pour bien construire l'identité qu'il ne faut pas d'abord parler d'une histoire, d'une religion et ensuite aller vers le plus général? Est-ce que vous ne le voyez pas de la même façon, justement?

M. Rousseau (Louis): Ça semble évident, hein, ce que vous dites semble évident, à première vue. Mais, par ailleurs, si on réfléchit, là... Moi, j'ai à la maison une petite fille de neuf ans puis un petit gars de trois ans et demi. Bon. Puis on vit à Montréal, mais ce n'est pas un quartier hypermultiethnique, là. En réalité, les enfants, déjà, ils ont accroché des choses d'à peu près trois, quatre, cinq, six cultures différentes. Ils appartiennent par ailleurs à un milieu qui leur transmet un certain nombre de valeurs. Moi, je pense que nos enfants construisent leur identité comme des virtuoses, présentement. À mon âge, le choix de mon identité culturelle était pas mal plus simple. Aujourd'hui, ils font des réseaux d'associations.

L'école peut aider en clarifiant tranquillement ces systèmes complexes de symboles et en faisant en sorte que les enfants, quand ils disent: Moi, je crois à la réincarnation, ils sachent que ça, ce n'est pas l'équivalent de croire en la résurrection, ce qui est, dans l'opinion commune québécoise, maintenant, pareil, parce que, bon, c'est des mots qui commencent par «re», etc. L'école a une tâche de clarification dès le primaire, et je ne vois pas...

Et on n'a pas de gros travaux empiriques. En d'autres termes, vous pourriez me dire: C'est votre opinion. Et je vous dirais: Bien sûr, et je respecte la vôtre et respectez la mienne. Il n'y a pas d'énormes travaux empiriques. Ça a l'air évident qu'il faut avoir d'abord une identité forte avant de s'ouvrir. En fait, nous construisons nos identités dans une espèce de jeu continuel de rapports alentour. Et c'est le défi de cette hypothèse qui nous est proposée. Elle est très moderne, de ce point de vue là, ou postmoderne, diraient certains.

M. Legault: Et justement, au niveau de la construction de ce cours, est-ce que vous voyez... Parce que je ne pense pas que vous imaginez un rôle pour les Églises, hein, ou un pont finalement entre ce qu'on peut faire au ministère ou le pont entre l'État et ce que les Églises peuvent apporter via un comité quelconque. Vous ne voyez aucune collaboration de la part des Églises dans la construction de ce cours.

M. Rousseau (Louis): Je ne crois pas que ce soit nécessaire, pour la raison très simple: c'est un domaine qui est un domaine d'expertise. En d'autres termes, sur le christianisme, il y a des experts sur le christianisme, il y a des revues savantes, il y a des historiens. Toutes les traditions religieuses du monde sont maintenant l'objet de travaux dont les arbitres de la valeur – c'est-u vrai, c'est-u faux – sont des arbitres scientifiques. En d'autres termes, on se critique les uns les autres. Dans ce domaine-là, c'est la même chose qu'en histoire, en géographie, en mathématiques, si vous voulez. C'est la qualité de la démonstration de la preuve des matériaux qu'on a. Donc, il n'y a pas besoin d'un arbitrage de l'Église.

L'arbitrage de l'Église est important et pose un très gros problème pratique si on veut diversifier la présence des confessions. Si le contenu de l'enseignement doit se présenter comme étant: voici le message de l'Église catholique, que l'Église, comme communauté vivante aujourd'hui, veut transmettre à ses fidèles, alors, là, bien sûr il faut absolument la collaboration des responsables de l'Église.

Sauf que le problème est plus compliqué que ça. Parce que, par exemple, nos parents catholiques qui, dans les enquêtes, veulent envoyer leurs enfants dans des cours de catéchèse... Parce que, en fait, en pratique, ce n'est pas trop mystérieux, il n'y avait aussi pas autre chose, hein. Si on introduit la culture, vous allez voir. Déjà, le rapport Proulx a fait le test. Quand on donne aux gens l'hypothèse de l'approche culturelle, c'est autre chose qu'on a comme réponse.

Donc, si c'est confessionnel, oui, il faut intégrer les Églises. Mais les parents catholiques, par exemple, veulent que ça soit les professeurs qui donnent les cours de religion puis ils ne veulent pas que ça soit le curé. C'est ça, la situation du catholicisme, par exemple, chez nous, c'est une référence et non pas une obéissance. Alors, l'État négocie avec l'Église catholique pour s'assurer du contenu catholique du cours catholique, mais les parents catholiques ne reconnaissent pas à cette autorité-là la validité pour dire qu'est-ce que je dois faire. On sait que 75 % à 80 % des parents qui se disent catholiques sont en désaccord avec le Pape sur les positions de morale personnelle. L'État, qu'est-ce qu'il fait, là-dedans, démocratique et libéral? Il donne l'autorité à l'autorité, qui, par ailleurs, n'est pas suivie par la majorité de ses citoyens qui se disent, par ailleurs, d'appartenance catholique. On a un petit problème de construction d'un pont, de collaboration entre l'État et les Églises – et j'ai pris cet exemple-là parce qu'il est plus familier – qui est...

Ils représentent qui, les évêques catholiques? Ils représentent certainement l'autorité reconnue. Je ne veux pas du tout contester leur représentativité. Mais, sur les contenus d'enseignement, il y a, même au niveau de l'enseignement confessionnel, un écart. Et c'est d'ailleurs pourquoi, je pense, au Québec, c'est géré au ministère et géré d'une façon intelligente qui respecte, je pense, un peu, l'opinion moyenne du citoyen catholique. Mais, dans l'hypothèse du Groupe de travail, la collaboration avec les Églises se ferait simplement dans le cadre de l'ouverture des écoles, de leurs locaux et l'établissement de quelques règles. On imaginerait mal que l'État ou les écoles permettent à des groupes religieux, enfin, de semer le désordre et la guerre et la haine. Mais ça serait là que ça se terminerait. À la limite, le ministère fait des normes très générales, c'est géré par les commissions scolaires et, à la limite, les comités d'école.

M. Legault: Vous montreriez quand même une ouverture à ce que les locaux des écoles soient utilisés, si c'est la volonté du milieu, pour que les Églises viennent faire certaines activités religieuses. Vous seriez ouverts quand même à ce que les locaux soient utilisés.

M. Rousseau (Louis): On serait ouverts. Et, à mon avis, là-dessus, l'État devrait dire très généreusement: Bien, écoutez, on fait l'expérience, on vous dit: Voici les balises, et, si vous ne respectez pas les balises, on va arrêter l'expérience. Mais je pense qu'au point de départ on doit se montrer ouverts.

M. Legault: Juste peut-être une dernière précision. Justement, les balises. Quelles seraient les balises que vous verriez, justement, pour l'utilisation des locaux de l'école par les Églises?

M. Rousseau (Louis): Il y a deux types de balises. Des balises comportementales. Bon, bien, alors, il ne faut pas casser les meubles et autres choses, respecter, à la limite, la matière, les matériaux. Les autres balises, c'est un peu plus compliqué. Qu'est-ce qu'on dit? Est-ce que l'État dit: Bien, vous pouvez venir dans l'école – par exemple, les Témoins de Jéhovah – et enseigner à vos enfants qu'il est tout à fait interdit, par exemple, les interventions chirurgicales impliquant des prises de sang, etc.? Comment on...

(16 h 50)

En d'autres termes, l'État n'a pas à sanctionner les croyances des groupes pourvu que ça ne perturbe pas l'ordre social. Quand ça s'approche de l'école, on se dit: Oui, mais l'infirmière qui est venue la semaine dernière dire à tout le monde: Il faut des vaccins... Bon. Comment dire? C'est une belle suggestion. Ça mériterait qu'un petit comité travaille et voie tous les obstacles possibles pour prévoir qu'il n'y ait pas trop de désaccord entre les normes démocratiques et libérales communautaires que nous avons, qui nous sont propres, et les choix de valeurs qui sont portées par différentes traditions religieuses. Plus on se rapproche de l'école, plus on se rapproche du lieu où on contrôle démocratiquement les messages et les valeurs. C'est le seul lieu démocratique qu'on a. Je suis ouvert en principe, mais, je vous dis, il pourrait y avoir quelque... Enfin, il faudrait traiter ça très sérieusement, quoi.

M. Legault: D'accord. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre. M. le député de Kamouraska-Témiscouata.

M. Béchard: Merci beaucoup, Mme la Présidente. D'abord, bienvenue à vous deux, Mme Roy et M. Rousseau. Un exposé des plus captivants, et on reconnaît les qualités pédagogiques en vous. Dans la suite des questions du ministre, un des défis, selon moi, du cours d'enseignement religieux culturel comme tel est de voir un peu la même chose quand on parle d'élargir au niveau des autres confessions qui pourraient être enseignées, c'est-à-dire: Qu'est-ce qui, dans le fond est une religion qui devrait être incluse dans le cours comme tel d'histoire culturelle des religions? Et l'exemple des Témoins de Jéhovah en est un. Est-ce qu'on l'inclut? Est-ce qu'on l'exclut? Et jusqu'à quel point?

Parce que la majorité des gens qui critiquent justement la mise en place de ce type de cours là, ils y vont à peu près avec les mêmes éléments que ceux qui critiquent l'élargissement de l'enseignement confessionnel à d'autres religions, c'est-à-dire: À partir de quand on commence et à partir d'où tout cela se termine? Et qu'est-ce qui est inclus et qu'est-ce qui ne l'est pas?

Et, selon moi, la question est aussi entière dans le cas du cours tel que prévu dans le rapport Proulx. C'est-à-dire, il y a des balises aussi à respecter. Vous mentionniez qu'il y a des éléments à voir pour l'après-école, quand on ouvre à d'autres religions. Selon moi, les mêmes balises existent pour la formation comme telle.

Comme vous le dites dans votre mémoire, à la page 15, on part de loin, on part de presque rien pour élaborer ce type de cours là. Est-ce que, je dirais, le débat ou la mise en place des outils de référence, ou avant d'en arriver vraiment à un consensus sur ce qu'est le cours comme tel qui sera enseigné et qui sera aussi – parce qu'il y a toujours une portée juridique – à l'abri de tout recours, de quelqu'un qui trouve qu'il est trop catholique et pas assez protestant ou trop musulman et pas assez autre confessionnalité... Et, dans les avis juridiques qui ont été déposés, c'est justement un des risques. On dit: À vouloir plaire à tout le monde, on risque de se retrouver peut-être avec quelque chose qui n'a ni odeur, ni couleur, ni saveur et qui peut être, à la limite, insignifiant.

Où est-ce qu'on peut vraiment déterminer qu'est-ce qui va être inclus, qu'est-ce qui ne le sera pas? Moi, il me semble que c'est un problème tout aussi entier que celui de l'autre approche communautarienne qui est d'ouvrir à d'autres confessions l'enseignement religieux.

M. Rousseau (Louis): Je ne vois pas que ce soit un si gros problème que ça. Il y a quelques critères, dont certains sont très fonctionnels. Je pense que, si on mettait en place un cours comme ça, on voudrait certainement qu'à un moment donné pendant au moins un certain nombre d'heures, chaque petite citoyenne et petit citoyen puisse savoir quelque chose sur les traditions religieuses ou les groupes religieux qui existent dans son pays, dans sa province.

Les Témoins de Jéhovah, pour rester dans cet exemple-là parce qu'il a des caractéristiques intéressantes, c'est généralement classé comme étant une secte, dans le vocabulaire vulgaire ou savant, bon, c'est-à-dire une tradition religieuse qui est née d'une réforme, d'un prophète, qui s'inscrit dans la grande tradition chrétienne d'une manière très générale, mais qui est divergente profondément sur certaines des croyances clés de la tradition chrétienne. Mais il y en a des Témoins de Jéhovah, et ça se développe beaucoup. C'est une proportion significative de l'innovation religieuse dans la société québécoise. Il est clair que, quelles que soient les opinions personnelles d'un professeur de culture religieuse sur les Témoins de Jéhovah, il doit donner de l'information, décrire avec à la fois de la sympathie et de la critique cette tradition religieuse là. Elle est pratiquée, elle se développe. Elle convient manifestement à beaucoup de jeunes familles, en particulier, qui cherchent un cadre de croyance et d'appartenance communautaire solide leur permettant de transmettre à leurs enfants quelque chose qui est autre chose que ce qu'ils appellent le flou de nos sociétés libérales relativement dégénérées. Bon. C'est une option religieuse.

Dans notre domaine, toutes les options religieuses se valent. Ça, ce n'est pas un jugement de Louis Rousseau en tant que personne. Louis Rousseau est situé, comme Marie-Andrée Roy, comme chacun d'entre nous, plutôt quelque part que partout, bien sûr. Mais le professeur est exactement comme un professeur d'histoire ou de littérature. Le professeur de littérature peut préférer Balzac, mais, quand il donne un cours sur Chateaubriand, il doit montrer à son étudiant Chateaubriand, premièrement, c'est quoi, il y a quoi, comment ça... et combien Chateaubriand est extraordinaire. Et ensuite on passe à un autre. À la différence, nous, c'est qu'on rend sympathiques toutes sortes d'options religieuses et on montre en même temps les limites de chacune. Parce qu'il n'y a aucune tradition religieuse qui peut prétendre avoir résolu tous les problèmes à la satisfaction de tout le monde.

Donc, il n'y a pas un si gros problème. Le problème du critère, si vous voulez, si vous avez, au Québec... s'il y a avait deux adventistes au Québec, on ne passerait pas très longtemps, ça se retrouverait dans une note en bas de page du manuel puis, pof! Mais la proportion, l'importance relative à la fois dans l'histoire de l'humanité comme dans la société québécoise fournirait des critères sur lesquels il serait, je pense, relativement facile de s'entendre.

M. Béchard: Vous mentionnez dans votre mémoire également que l'un des éléments est la volonté politique.

M. Rousseau (Louis): Oui.

M. Béchard: C'est parce que c'est un mécanisme que vous voulez enclencher. Puis, avec les échanges qu'on a cet après-midi, il est clair que ce n'est pas quelque chose qui se fait en trois mois ou en... Mais cette orientation politique là... On est quand même dans un délai assez court. D'ici deux ans, il faudra au moins qu'il y ait des orientations. La période de transition, comment vous voyez cette période-là? Est-ce que vous voyez une période uniforme partout où on garde le statu quo actuel pour tant de temps, et, après ça, c'est le statut confessionnel comme tel des écoles, les structures et, par la suite, l'enseignement? Comment vous voyez cette période de transition là?

M. Rousseau (Louis): Bon. Là, on ne vous a pas donné une proposition: tant de temps pour faire ceci, tant de temps pour faire ça. Ce qu'on vous souligne, c'est que la... Disons, nous pratiquons la formation des maîtres dans cet esprit-là depuis très longtemps, chez nous. Par exemple, nos collègues de l'Université Laval pourraient, avec quelques modifications, mettre en place et démarrer des programmes de formation des maîtres analogues, avec leurs notes propres mais analogues aux nôtres, permettant d'avoir des maîtres compétents. Nous en avons déjà formé pas mal qui sont à la fois capables de donner l'enseignement confessionnel actuel et capables de se glisser assez rapidement dans les orientations, par hypothèse, qui seraient prises par le décideur québécois. La formation des maîtres, ce n'est pas ce qu'il y a de plus long, mais c'est le recyclage des maîtres, bien entendu, qui, lui... Les maîtres en exercice, c'est un gros, gros... une grosse transformation d'attitude, plus un ajout de connaissances et de compétences qui sont requises. Ceci est faisable.

Ce qui sera plus long, c'est d'élaborer des programmes et de les tester. Nous reprenons tout à fait la proposition de nos collègues de Laval, il faudra procéder par projets-pilotes. C'est quand même une matière assez délicate. On peut faire des bêtises avec les meilleures intentions du monde, et personne ne va vous livrer... Le Québec ne peut pas acheter une solution clé en main. Ça serait le fun, mais nous devons inventer, en nous inspirant de quelques autres expériences, une solution qui nous convienne.

Dans ma tête, dans deux ans, quand la clause «nonobstant» va revenir au bâton, M. le ministre, j'ai bien peur qu'on n'aura pas résolu... et on ne sera pas encore capable de dire: Ça y est, on tire un coup de canon et on y va. Mais je vois comme étape première – et ça, c'est maintenant que ça peut se faire – la décision politique de dire: C'est là que nous allons, et nous allons y être dans un certain nombre d'années, et il y a un certain nombre d'étapes. Assez rapidement, dès que les programmes sont minimalement testés... Je dirais, à la limite, si on est capable de faire quelque chose dans deux ans, c'est que dans, deux ans, on pourrait commencer à implanter les nouveaux programmes dans les écoles qui disposent des enseignants compétents pour le faire. Bon. Et c'est plus qu'une école, hein, c'est beaucoup d'écoles. Mais ce n'est certainement pas généralisable au Québec.

(17 heures)

Pendant la transition, ce que nous recommandons, c'est qu'on ne change rien au système. En d'autres termes, on n'introduit pas d'abord la solution multiconfessionnelle pour ensuite dire: Non, vous n'avez plus le droit, on revient à la culture. On garde les choses telles qu'elles sont. J'imagine que, les cours statuant sur le cas de quelqu'un qui dirait: Oui, mais les catholiques et les protestants conservent quand même un privilège que, moi, comme bouddhiste, je n'ai pas, la cour, sachant que le législateur et, si possible, unanimement a dit: C'est là qu'on s'en va, mais on veut y aller avec précaution et en aménageant bien la chose, le judiciaire ne pourrait, à la limite, que dire: Dans l'école où va le fils ou la fille de monsieur X, nous exigeons que l'enseignement culturel des religions soit commencé. Le ministère dégage ce qu'il faut et, hop! on commence dans du «one-man shot». En d'autres termes, si l'État a dit: Nous allons là, alors ça devient simplement une question de calendrier, et on aménage une transition. Au fur et à mesure qu'on sait que tel programme a été validé pour la deuxième année du primaire et la première année du secondaire, on l'implante partout où il y a des professeurs capables de le faire. Puis les directions d'écoles, les commissions scolaires sont encouragées par le ministère à développer la compétence de leurs maîtres.

Je crois qu'on pourrait, dans ce contexte-là, avoir complété l'implantation de la nouvelle formule quelque part entre... Je ne dis pas fini de l'implanter partout à tous les niveaux, mais entre cinq ans et 10 ans, le Québec pourrait avoir complètement modifié la place de la religion à l'école dans le sens de la recommandation.

M. Béchard: Une dernière question, Mme la Présidente. Selon votre approche, le fait de mettre en place ce nouveau système-là s'étendrait aussi aux écoles privées? Et est-ce que, également, il inclurait, je dirais, le fait qu'il faut bien sûr modifier l'article 41 de la Charte et aussi revoir la notion d'école à projets particuliers, qui ne pourrait pas se faire sur une base religieuse ou... Par rapport à ces deux aspects-là, l'école privée et les écoles à projets particuliers?

M. Rousseau (Louis): Je crois que l'État dispose d'un certain nombre de moyens, qui sont le financement dans le cadre du système privé, qui permettraient à la fois pour des citoyens qui estiment qu'il en va, en leur âme et conscience... enfin que c'est une question absolue, d'aménager des types d'écoles privées où il y a une possibilité d'enseignement confessionnel. Par ailleurs, j'ai de la difficulté à penser que, si nous estimons que la diffusion aujourd'hui – et nous entrons dans le troisième millénaire – d'une culture religieuse qui ouvre à la totalité des expériences humaines...

C'est aussi essentiel que l'histoire et la géographie. Y a-tu des écoles privés au Québec qui ont le droit de ne pas suivre les programmes du ministère en géographie, en histoire? Si oui, je serais surpris. Mais, pour nous, c'est une matière, exactement comme la littérature, l'histoire et la géographie. Mais, alors que, dans l'école publique, il n'y aurait pas d'enseignement confessionnel, bien sûr une école privée, j'imagine, aurait le droit d'introduire des matières autres qui sont de ce type.

M. Béchard: Quand je parlais de l'école privée, ce n'est pas le fait qu'elle ne suive pas le cours d'histoire culturelle des religions, mais qu'elle se fasse une spécialité, par exemple, et s'identifie comme une école qui va offrir ce cours-là selon les normes, mais qui va également offrir un enseignement religieux catholique, protestant ou autre et s'identifier comme une école, à la limite, à projets particuliers qui va dans ce sens-là. Et c'est là que je me dis: Est-ce que vous laissez cette marge de manoeuvre là quand même, selon votre proposition, ou vous dites: On y va avec un système qui va être le même partout?

M. Rousseau (Louis): Non...

M. Béchard: Parce que, dans le cas où on laisse la possibilité, il y a toujours la possibilité d'une contestation sur le fait qu'une discrimination s'exerce, que, si on a les moyens d'envoyer son enfant à l'école privée et qu'on paie, bon, bien, on a un avantage sur les autres. On transporte le débat qu'on vivrait à l'école privée.

M. Rousseau (Louis): Pas si on enlève l'article 41. Là, je peux me tromper d'article. Mais enfin, si ça ne fait pas partie des droits fondamentaux que chaque parent puisse obtenir pour son enfant l'éducation religieuse de son choix, alors on ne lèse pas le droit de ce parent-là.

M. Béchard: O.K. Ça va.

La Présidente (Mme Bélanger): M. le député de Bertrand.

M. Cousineau: Merci, Mme la Présidente. Mme Roy, M. Rousseau, vous parlez abondamment, dans votre mémoire, de l'enseignement religieux culturel au niveau primaire, au niveau secondaire, donc sur les 11 années du curriculum de l'élève. Dans le rapport Proulx, on voit quand même un chapitre important sur l'animation culturelle, les activités culturelles puis, dans votre mémoire, on ne retrouve pas ça. Est-ce que c'est un oubli? Ou, sinon, comment voyez-vous le lien entre les deux, le pont entre les deux?

M. Rousseau (Louis): Écoutez, l'étudiant n'a pas eu le temps, le professeur ne lui a pas donné le temps d'écrire les trois paragraphes intelligents qu'il aurait aimé écrire sur le sujet. Vous avez fixé un calendrier de performance, pour des gens qui rouvrent des années académiques en même temps, disons, assez serré.

Nous avons une opinion là-dessus. Il y a une quinzaine d'années, je me souviens, nous avions, au Département des sciences religieuses de l'UQAM, formé un groupe qui devait essayer de nous élaborer le programme d'un animateur multiconfessionnel. On l'appelait un animateur religiologue, c'est-à-dire quelqu'un qui a une culture qui lui permet d'accéder avec compétence aux différentes traditions religieuses de l'humanité et qui, dans le milieu scolaire, peut servir de personne-ressource lorsque quelqu'un, dans ses cheminements, a des questions à poser, qui va savoir quelle réponse donner. Et, si le cheminement de l'élève est un cheminement de type évolution personnelle religieuse, être capable de dire: Écoute, tu fais partie de telle communauté, si tu veux, moi, j'ai deux, trois adresses, deux, trois noms, il y a un centre pour les jeunes animé par les juifs francophones, tu devrais peut-être aller là. En d'autres termes, quelqu'un qui marche avec les autres étudiants, mais n'est pas le transmetteur d'une tradition religieuse particulière. Ça nous semblait, il y a 15 ans, une nécessité.

Vous comprenez que la proposition du rapport Proulx nous semble – et ce n'est pas nous qui l'avons inspirée, je peux vous le dire, on n'a pas eu d'échanges confidentiels sur ce sujet – vivable et même intelligente, compte tenu, vous le savez aussi, de la place très importante que les animateurs, ce qu'on appelait les animateurs de pastorale, jouent dans la vie réelle et humaine et sociale et morale des écoles. Et c'est véritablement une des très belles suggestions, même si ça peut surprendre beaucoup. Mais, en fait, ça ne surprend pas les animateurs de pastorale, au moins de la région de Montréal, parce que, en fait, ils font à peu près ce que je viens de dire.

M. Cousineau: Merci.

La Présidente (Mme Bélanger): Ça va? Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Rousseau et Mme Roy, merci pour la présentation du mémoire. Vous avez commencé, M. Rousseau, en disant qu'il y a deux grands groupes majoritaires qui ont établi, entre les catholiques et les protestants, la voie et qu'ils se sont enfermés, finalement, sur la diversité, ce qui a fait qu'on a un système d'éducation éclaté avec différents types d'écoles.

Et tantôt, en réponse à mon collègue le député de Kamouraska, qui vous posait la question... Je voudrais revenir sur cet élément-là. Si l'école publique commune, qui est le lieu de l'intégration, qu'on souhaite être le lieu de l'intégration par excellence, parce que, en fait, c'est le seul endroit où les jeunes passent... Nécessairement, ils y passent une grande partie de leur vie. Donc, s'ils ne sont pas intégrés là, quand ils arrivent sur le marché du travail, etc., c'est un peu tard. Mais toujours est-il, si l'école publique commune ne trouve pas un accommodement raisonnable pour intégrer la diversité et la gérer de façon harmonieuse...

Parce que vous avez parlé, dans votre présentation, de problèmes sérieux, de situation catastrophique, de sonner l'alarme. Moi, j'ai plutôt tendance à voir la diversité comme une richesse collective à partager. Mais je conviens avec vous que ce n'est pas facile. On ne règle pas ça du jour au lendemain. Il faut être novateur, il faut trouver les moyens de gérer cette diversité-là et de la gérer harmonieusement.

Donc, si l'école publique commune n'est pas en mesure de faire de la place à cette diversité dans l'optique de l'intégration, on pourrait constater une multitude d'écoles privées qui vont répondre à ce besoin-là. Et, actuellement, sur le terrain, vous devez le savoir puisque vous avez des étudiants aussi qui vont sur le terrain, il existe un ensemble d'écoles du samedi où les communautés, celles qui ne peuvent pas se donner une école parce qu'elles n'ont pas encore suffisamment de ressources, enseignent la religion à leurs enfants, avec un peu la langue aussi qui va avec. Donc, on sait qu'il y a un besoin. Il est là, il est réel. Les parents, les communautés essaient de le satisfaire avec les moyens du bord qu'ils ont. Mais, si peut-être l'école publique trouvait le moyen d'intégrer ces jeunes et de les valoriser dans leur patrimoine, sans nécessairement créer un bazar des religions, peut-être que les parents se sentiraient plus – puisque vous parlez d'identité commune – appartenir à l'institution qu'est l'école publique. J'ai cette préoccupation-là. Je voudrais vous entendre.

(17 h 10)

M. Rousseau (Louis): Bien, nous la partageons tout à fait. Et c'est un vrai défi, et ça, c'est le vrai. Enfin, on est tous les deux un peu de la région montréalaise. Et c'est vrai qu'on voit la télévision partout au Québec, mais, à Montréal, on travaille avec des gens qui sont autres du point de vue de leur appartenance, donc on sent ça très vivement. Le défi, précisément, de la reconnaissance de sa tradition, lorsqu'elle n'est pas la tradition majoritaire et de longue date historique, est réel, et c'est crucial.

Et c'est pourquoi nous pensons que l'approche culturelle des religions, qui est ce que nous avons inventé en Occident pour regarder d'abord les non-Occidentaux – mais ensuite on commence à se regarder nous-mêmes, parce qu'on est rendus étrangers à nous-mêmes, mais simplifions – pour regarder les autres mais avec des yeux qui, d'impérialistes qu'ils étaient au XIXe siècle, sont devenus admiratifs et de plus en plus compréhensifs et dialogaux au fur et à mesure qu'on s'avance dans le XXe siècle...

La tradition d'étude des religions à la manière universitaire est une tradition qui combine l'analyse, la critique, le respect. Et je crois que c'est dans ces perspectives-là que, par exemple, la différence islamique pourrait se voir reconnue, que la différence autochtone pourrait se voir reconnue, parce que, en classe, tout d'un coup, on passerait une semaine ou deux à être en train de lire des sourates du Coran et à essayer de comprendre le fonctionnement de ce genre de textes religieux là. On le compare aussi à des textes analogues dans une autre religion, on voit comment ça fonctionne, qu'est-ce que ça veut dire, où sont les notes essentielles. Bien, alors, là, j'imagine, moi, que le petit autochtone ou le petit musulman d'appartenance, plus ou moins intensément lié d'ailleurs à cette tradition-là – les parents, ça varie beaucoup – se trouverait reconnu parce qu'on étudie sa tradition exactement de la même manière qu'on va étudier la tradition québécoise catholique dans ses lointains enracinements historiques. Moi, je crois que l'État se doterait, à ce moment-là, d'un instrument qui aurait la qualité d'être ouvert à tous de la même manière.

On ne traite pas une religion comme étant autre... Enfin, on les traite avec les mêmes critères, les mêmes jugements, la même méthode et le même mixte d'analyse critique et d'ouverture sympathique. Ça, c'est notre marque de commerce, si vous voulez. On est à la fois des gens qui savent que les gens qui écrivent les textes religieux montrent et cachent à la fois et on est des gens qui ont lu L'avenir d'une illusion . On est parfaitement capables d'élaborer pour nos plus grands étudiants qu'est-ce que c'est que les fonctions d'imaginaire, de sublimation, etc., l'ambivalence des religions. Enfin, bref, on est capables de se promener, à l'égard des religions, de la sympathie admirative au recul critique et analytique accessible sans doute à nos gens de la fin du secondaire.

Alors, je crois que ça répond beaucoup mieux et de la manière dont un État libéral est capable de le faire. On n'est pas un État confessionnel. On a la séparation entre l'État et les instances religieuses; c'est la base. C'est via une approche, une étude aussi rigoureuse de la religion qu'on le fait de toute autre matière humaine que, là, l'État québécois pourrait reconnaître la diversité.

Mme Houda-Pepin: C'est fini?

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, merci, M. Rousseau et Mme Roy, de votre participation. La commission ajourne ses travaux à demain matin, 9 h 30.

(Fin de la séance à 17 h 14)


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