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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le jeudi 28 avril 1983 - Vol. 27 N° 28

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Examen de la décision de la SEBJ et du rôle du premier ministre et de son bureau lors du règlement hors cour de la poursuite intentée à la suite du saccage de LG 2


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît. La commission élue permanente de l'énergie et des ressources est à nouveau réunie aux fins d'examiner les circonstances entourant la décision du conseil d'administration de la Société d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard.

Les membres de cette commission sont: M. Vaillancourt (Jonquière), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Duhaime (Saint-Maurice), M. Bourbeau (Laporte), M. Laplante (Bourassa), M. Gratton (Gatineau), M. Lavigne (Beauharnois), M. LeBlanc (Montmagny-L'Islet), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Dussault (Châteauguay), M. Rodrigue (Vimont).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Perron (Duplessis), M. Desbiens (Dubuc), Mme Harel (Maisonneuve), M. Paradis (Brome-Missisquoi), M. Pagé (Portneuf), M. Doyon (Louis-Hébert), M. Tremblay (Chambly), M. Saintonge (Laprairie). Le rapporteur est toujours M. LeBlanc (Montmagny-L'Islet).

Au moment où nous nous sommes quittés hier, il y avait une décision à rendre. Mais avant, je dois vous dire que les invités d'aujourd'hui sont toujours, pour le moment, tant et aussi longtemps que la décision qui pourrait être prise ne sera pas connue, d'abord le juge Michel Jasmin et Me Rosaire Beaulé.

La présidence, à la suite de l'argumentation qui a été apportée hier, avait à rendre une décision dans les plus brefs délais. Notre intention est toujours de le faire de cette façon. Cependant, à la suite de la demande qui a été faite de part et d'autre, il a été convenu que, ce matin, avant de commencer les auditions, nous inviterions un représentant de chacun des partis politiques à faire ses représentations; également, la personne qui s'appelle l'amicus curiae du barreau du Québec, M. Larivière, et, s'il le désire, l'invité, Me Jasmin, pourront compléter leurs représentations relativement au respect du secret professionnel devant une commission de l'Assemblée nationale.

J'aimerais aviser toutes les personnes qui interviendront qu'il s'agit pour elles, cependant, de la dernière occasion qu'elles auront d'exposer toutes leurs vues sur ce sujet. II ne sera donc pas question d'y revenir ou d'ajouter de nouveaux éléments par la suite; encore moins lorsque la décision que j'aurai à rendre sera rendue, que celle-ci reconnaisse ou non le droit des membres de cette commission d'interroger notre invité, en l'occurrence, l'honorable juge Michel Jasmin. L'ensemble de l'argumentation que chacun voudra bien apporter à cette commission doit être soumis immédiatement pour que le président possède le meilleur éclairage possible et nécessaire afin de rendre sa décision. Je tiens à faire remarquer à Me Larivière que, d'après ce qu'il nous a dit hier, à savoir qu'il avait peut-être l'intention de revenir plus tard, dépendant de la décision, effectivement, il n'en sera pas question. Il devra donc faire toute sa représentation ici, ce matin.

Comme il n'est pas nécessairement au courant de ce que le règlement de l'Assemblée nationale prévoit, j'aimerais l'en informer en lui lisant l'article 43, deuxième paragraphe: "Lorsque le président rend sa décision, il indique ce qui la justifie et il n'est pas permis de la critiquer ni de revenir sur la question décidée; il en est de même lorsque le président décide de laisser l'Assemblée se prononcer sur une question."

Je dis donc que tous et chacun de ceux qui auront à intervenir, ce matin, devront donner tout l'éclairage nécessaire et il ne sera en aucune façon question d'y revenir. L'intention du président de la commission, en accord avec les personnes qui nous conseillent, est de rendre cette décision le plus rapidement possible. Je n'ai donc pas à dire à quel moment cette décision sera rendue; cependant, avec l'éclairage que vous nous donnerez, je pense qu'on pourra la rendre dans les plus brefs délais. J'ai l'intention, donc, de donner la parole à un représentant du parti ministériel, à un représentant de l'Opposition, à Me Larivière, qui est représentant du barreau ce matin, et, comme je le disais, à l'invité, s'il le désire. Une fois que chacun aura fait connaître tout ce qu'il a à dire sur le sujet, je déclarerai close la discussion et nous passerons ensuite à l'autre invité, Me Rosaire Beaulé.

Ceci étant bien clair, je demanderais donc à Me Larivière de commencer, si vous voulez.

M. Duhaime: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le ministre.

M. Duhaime: ...si vous me le permettez, je serais, pour ma part, prêt immédiatement à répéter essentiellement ce que je disais hier. Je suis très honoré, M. le Vice-Président de l'Assemblée nationale, que la présidence ait recours à nos lumières pour parfaire son propre éclairage, mais je croyais avoir tout dit hier.

Pour ma part, si Me Larivière n'y voyait pas d'objection, j'aimerais peut-être mieux entendre ce que le barreau du Québec pourrait nous dire ce matin, quitte à faire mon commentaire ensuite. Cela m'éviterait de prendre la parole deux fois, essentiellement là-dessus.

Le Président (M. Jolivet): D'accord, M. le député de Marguerite-Bourgeoys? Donc, Me Larivière, si vous voulez commencer.

Complément aux représentations du barreau sur le secret professionnel

M. Jean-Marie Larivière

M. Larivière: Substantiellement, M. le Président, je ne pense pas avoir, à cette phase-ci, quelque chose à ajouter, mais j'aimerais peut-être expliciter un point, cependant. J'ai mentionné hier que, selon nous, si cette commission en venait à la conclusion que l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne ne doit pas s'appliquer devant cette commission ou que l'article 9 de la charte ne doit s'appliquer que fragmentairement par rapport à un témoignage et non pas globalement par rapport à la qualification du témoin ou plutôt à son aptitude à rendre témoignage, nous pensons que l'Assemblée nationale, en vertu de l'article 3 de sa loi - je devrais dire le Parlement - exerce le pouvoir législatif. Je pense que, lorsque le Parlement a adopté et sanctionné une loi, il n'est plus de son ressort de l'interpréter. L'interprétation d'une loi, que je sache, est du ressort du pouvoir judiciaire.

C'est dans ce sens-là que j'aimerais faire une remarque importante. Si la décision de cette commission était de dire que: M. Jasmin peut témoigner et doit témoigner, qui, valablement, l'autorisera à répondre à une question donnée, advenant que lui-même estime ou craigne que son secret professionnel ne soit violé? Est-ce que c'est la présidence de cette commission qui, légalement, lui donnera l'ordre de rendre témoignage? Est-ce qu'au contraire la présidence de cette commission acceptera de se soumettre au jugement personnel du témoin?

On sait que cette loi, la Charte des droits et libertés de la personne, confère même d'office au tribunal le pouvoir de sanctionner l'obligation et le droit au secret professionnel. Je comprends qu'en vertu des articles qui sont propres à l'Assemblée nationale et à ses commissions une commission peut donner un ordre à un témoin. Quand je lis cela dans une loi, je comprends qu'il s'agit d'un ordre qui est dans le cadre de la légalité. Qui sera l'arbitre de la légalité de cet ordre? Est-ce la commission par rapport à chacun des points donnés dans un témoignage? Nous vous soumettions hier qu'il y a une tradition, qu'il y a des précédents en ce sens qu'un avocat ou une personne tenu au secret professionnel est admis à témoigner, globalement parlant, ou qu'on lui refuse la possibilité de témoigner, globalement parlant. Vous voyez que, dès qu'on sort de ces deux hypothèses, on se trouve à créer automatiquement une série de problèmes.

C'est le député de Marguerite-Bourgeoys, dans une de ses interventions devant cette commission - que je suivais sous l'angle du droit et de l'obligation au secret professionnel - qui posait une question à M. Laliberté à la toute fin de son témoignage et qui lui disait - je ne le cite pas, mais de mémoire - Voulez-vous vous assurer, M. Laliberté, que vos avocats du bureau Geoffrion et Prud'homme seront libérés de leur obligation au secret, de façon qu'ils puissent témoigner en toute liberté devant cette commission? Je crois qu'il y a quelque chose de très sage dans cette question. Je pense qu'un témoin doit ou bien témoigner en toute liberté ou alors c'est injuste et pour lui et pour ses clients et pour cette commission de le forcer à témoigner en ne disant que des bouts ou en ne relatant que des sections de faits, en ayant l'obligation de s'interrompre à mi-phrase parce que le secret professionnel entre en jeu. De la même façon que le secret professionnel est basé ou prend son assise dans la saine administration de la justice, je pense aussi que, pour assurer une saine administration de la justice, il faut qu'un témoin soit dans les conditions matérielles requises pour pouvoir rendre un témoignage en toute sérénité et en toute liberté.

Cela dit, je reviens à ma question: Qui tranchera chaque fois que le témoin estimera qu'il risque de violer son secret? Il est vrai que votre commission accorde, en vertu de la Loi sur l'Assemblée nationale encore, une certaine immunité au témoin, mais, indépendamment de cette immunité, d'autres lois, qui sont la Loi sur le barreau et la charte, créent des obligations au témoin qu'il se doit de respecter. Le code de déontologie adopté en vertu de la Loi sur le barreau crée également des obligations au témoin qui

est lié par le secret professionnel.

Nous pensons que, finalement, l'autorité apte à définir l'extension appropriée au secret professionnel, à défaut par cette commission de lui donner l'extension que nous lui suggérons, est un tribunal; le gouvernement, l'Assemblée nationale, le barreau du Québec peuvent saisir un tribunal, normalement la Cour supérieure, de ce problème et peuvent lui demander de le trancher.

Je pense qu'il serait plus prudent, advenant une décision de la présidence établissant que le secret professionnel doit s'appliquer partiellement ou fragmentairement, de ne pas immédiatement donner au témoin l'ordre de témoigner, parce qu'à ce moment, je vous le dis respectueusement, cela créerait une situation difficile. Je pense que nous pouvons convenir d'une façon de procéder qui respecte les droits et les obligations de toutes les parties intéressées dans cette affaire. Je ne pense pas que ce soit nécessaire mais, dans la mesure où la décision de la présidence serait d'appliquer fragmentairement ou partiellement, quant à notre interprétation, en tout cas, l'article 9 de la charte, il faudrait s'adresser à un tribunal de droit commun pour qu'il statue, conformément à la compétence que la charte lui accorde, sur l'extension que l'on doit donner dans les circonstances particulières de cette commission à l'obligation et au droit au secret professionnel. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le ministre.

Commentaires M. Yves Duhaime

M. Duhaime: M. le Président, je ne voudrais pas reprendre ce que je disais hier. Les textes qui sont devant nous sont très clairs. J'ai toujours compris, soit en rédigeant des lois ou en votant des lois à l'Assemblée nationale, comme législateur, qu'il y avait une Loi d'interprétation qui existait et que nous allions vers le tribunal lorsqu'il y avait litige ou matière à discussion quant à l'interprétation. Mais lorsqu'une loi est en toute clarté ou encore un règlement, son application peut suivre.

Je pense que c'est bon de relire l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne qui se lit comme suit: "Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel".

Lorsqu'il s'agit d'un membre du barreau ou d'un ancien membre du barreau, il est, bien sûr, quant à lui, régi par la Loi sur le barreau et les règlements qui en découlent.

M. le Président, j'émets une très sérieuse réserve sur l'interprétation qu'en donne le barreau du Québec, par la voix de Me Larivière, qu'on remercie à nouveau de faire ce travail d'amicus curiae; c'est ce que j'appellerais une interprétation très large. On lui donne la pleine extension. Cela me préoccupe non seulement pour l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui, mais pour l'avenir. Si j'ai bien compris l'interprétation très large que fait le barreau du Québec de l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, de la loi et des règlements du barreau cela pourrait et cela veut signifier -cela apparaît très clairement de vos propos - que, si une commission parlementaire avait à entendre, soit un avocat, soit un notaire, soit un ministre du culte ou, enfin, tout professionnel qui pourrait être lié par un secret professionnel, il pourrait être convoqué par cette commission parlementaire, décliner son nom, ses titres et sa profession, invoquer le secret professionnel et ne répondre à aucune question. J'avoue que cela m'inquiète. Cela m'inquiète comme citoyen, d'abord, et cela m'inquiète comme législateur. Je le dis en toute déférence maintenant, n'étant pas membre du barreau à l'heure où je vous parle, mais l'ayant été pendant plusieurs années: Cela m'inquiète aussi comme avocat.

Je retiens, cependant, de votre intervention d'hier une chose importante. Peut-être que les parlementaires auront intérêt à clarifier cette question. Cependant, si je lis l'article 9, il y est mentionné: "Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession" - c'est là que vous voyez l'extension: il faut, bien sûr, que ce soient, d'abord, des renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession - à moins qu'ils n'y soient autorisés... etc."

M. le Président, je veux dire à mon collègue de Marguerite-Bourgeoys que je ne peux pas dire que je parle au nom du gouvernement ce matin; je parle comme ministre, cependant. J'émets cette réserve très sérieusement et je suis bien convaincu que le président de cette commission, de même que le président de l'Assemblée nationale prendront connaissance de ce que je viens de dire.

J'aurais le goût de faire une contreproposition qui, suivant notre interprétation,

pourrait peut-être constituer ce que j'appellerais un honnête terrain d'entente. Je vais poser mes questions à Me Larivière pour qu'il puisse - si vous le permettez, M. le Président - faire un commentaire ou dire sa réaction à ce que je vais lui demander. Est-ce que nous ne pourrions pas procéder et, selon les questions qui sont posées d'un côté comme de l'autre et suivant l'évaluation que pourrait en faire l'honorable juge Jasmin en ce qui concerne le caractère confidentiel du renseignement relié au secret professionnel, il pourrait lui-même juger, au fur et à mesure, si ces questions posées risquent d'entraîner une réponse qui enfreindrait le secret professionnel? (10 h 30)

Ma compréhension des choses est que le secret professionnel n'existe pas en faveur d'un avocat, d'un notaire, d'un ministre du culte ou d'une personne liée par le secret professionnel, mais qu'il existe en faveur d'un client ou encore d'un patient ou encore d'un pratiquant d'une foi religieuse. Mon collègue me souffle le mot "pécheur". Je pense que cela fait toute la différence. Très souvent, les gens croient que le secret professionnel est le privilège d'un avocat, d'un notaire, d'un médecin ou d'un ministre du culte, peu importe l'exercice de sa foi, qu'il soit musulman, catholique ou protestant. Je pense que c'est important de bien situer le problème: le secret professionnel existe en faveur d'un client.

J'avoue, M. le Président, que j'ai beaucoup de peine à me rallier à cette extension très large. Je comprends que le barreau, dans son grand souci de protéger les membres de l'Ordre des avocats dans l'exercice de leur profession, fait ce matin, par la voix de Me Larivière, valoir son point de vue. J'émets cette réserve à cause de l'impact que la décision de la présidence aura sur les travaux de notre commission, dans un premier temps, et, deuxièmement, sur les commissions parlementaires futures.

J'ajouterais un autre élément par voie d'extension, puisqu'on a indiqué à quelques reprises depuis le début de nos travaux que nous sommes à établir un droit parlementaire nouveau par le déroulement des travaux de cette commission parlementaire. Je ne prétends pas que ce soit le meilleur droit parlementaire qui soit en train de s'établir. Enfin, il y aura sûrement des choses à dire, possiblement aussi à corriger dans l'avenir.

Je pense qu'il serait juste d'ajouter que la décision qui viendra de la présidence, si elle suit l'argumentation du barreau, aura aussi son effet d'entraînement non seulement sur les avocats, puisque c'est ce dont il s'agit ce matin, mais également sur toute autre personne ou professionnel lié par le secret professionnel. Si on donne une extension très large à l'interprétation qui est faite ici dans le cas d'un avocat, j'imagine qu'on va faire la même chose pour ce qui est d'un notaire, pour ce qui est d'un ministre du culte ou d'un médecin.

J'avoue honnêtement que, comme citoyen d'abord, j'émets cette réserve et comme député aussi. Je ne prétends pas que l'Assemblée nationale soit au-dessus de toutes les lois, même si c'est, sur le plan strictement juridique, de l'Assemblée nationale qu'émanent les lois et du gouvernement les règlements qui doivent s'appuyer sur des lois. Je reconnais bien volontiers, comme Montesquieu le faisait il y a plusieurs années, qu'il y a une très nette distinction entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif, l'un ne devant pas enfreindre l'autre.

Je vais vous concéder d'emblée une chose. S'il y a difficulté dans l'interprétation de la loi quant à l'extension qu'on pourrait donner au caractère confidentiel des renseignements ou encore à l'extension pure et simple de l'application du secret professionnel, sa définition, son application concrète, est-ce que cela est du ressort des tribunaux? Ma réponse est affirmative dans la mesure où il y aurait ou bien difficulté dans l'interprétation ou encore absence de législation. Je dois admettre avec vous que les textes que nous avons sont très courts. Si nous avons des difficultés d'interprétation, j'admets avec vous que nous devrons nous référer à un tribunal. Je ne dis pas que nous devrons le faire pour le cas qui nous occupe, mais je ne voudrais pas que ce débat reste, quand même, une pure théorie ou encore une fiction. Nous travaillons dans une réalité très concrète.

Je dirais, M. le Président, que le plus rapidement possible nous souhaiterions avoir une décision. Je ne sais pas si vous allez vous avancer à nous dire que nous pourrons l'avoir au cours de la journée. Toute votre nuit vous ayant sans doute porté conseil, à vous-même, comme à la présidence, j'espérerais qu'on puisse, très rapidement, aujourd'hui, savoir à quoi s'en tenir sur cette question. Cela étant dit, pour m'éviter de revenir là-dessus tantôt, je proposerais -j'imagine que mon collègue de Marguerite-Bourgeoys voudra dire quelque chose et Me Larivière également - pour les fins des travaux de la commission pour la journée, une fois que vous aurez pris le tout en délibéré, qu'on procède tout de suite avec Me Rosaire Beaulé, qui est présent ce matin et qui, lui, nous dira ce qu'il en est officiellement de son secret professionnel.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Fernand Lalonde

M. Lalonde: M. le Président, je comprends que Me Larivière aura le loisir de

répondre à nos questions, même si vous avez procédé d'une façon assez inusitée en lui donnant le droit de parole d'abord. Ce n'était pas pour le bâillonner ensuite, j'imagine. J'aurais des questions - d'ailleurs, le ministre en a posé - à lui poser.

Vous avez fait état de deux mandats, hier, le premier de M. le juge Jasmin, mais à l'intérieur duquel vous avez écrit au client pour demander de libérer M. le juge de son obligation à la confidentialité et votre deuxième mandat qui vient du barreau. Si je comprends bien, votre premier mandat est terminé?

M. Larivière: J'aimerais seulement préciser que les deux mandats sont du barreau.

M. Lalonde: Les deux mandats sont du barreau?

M. Larivière: C'est exact.

M. Lalonde: Ah bon! Je m'excuse. Je croyais avoir retrouvé dans la transcription un passage selon lequel vous aviez été consulté par M. le juge Jasmin.

M. Larivière: C'est exact que j'ai été consulté par M. le juge Jasmin, mais dans le cadre du mandat que je détiens du barreau du Québec. C'est pour cela que je dis que cela me mettait dans une drôle de situation, parce que M. Jasmin n'est pas mon client. Le barreau du Québec est mon client.

Cela étant dit, effectivement, mon mandat de communiquer avec les clients n'est pas terminé puisqu'il y en a un des quatre que je n'ai pas réussi à joindre. J'aimerais bien pouvoir le faire. Je vous avoue que j'y ai mis moins d'ardeur quand j'ai eu la réponse. Dès le lendemain de mon télégramme à M. Dupuis, il y a eu communication avec mon bureau alors que j'étais ici dans cette salle, M. Dupuis informant mon bureau qu'il ne relevait pas. Il est évident que cela a mis un peu moins d'importance.

M. Lalonde: Ce mandat-là n'est pas terminé, d'après ce que vous dites?

M. Larivière: Non.

M. Lalonde: Est-ce que, d'après vous, M. le juge Jasmin est libéré du secret professionnel quant aux communications qu'il a eues avec son ancien client, le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction, qui l'a libéré?

M. Larivière: II n'y a aucun doute.

M. Lalonde: II n'y a aucun doute qu'il est libéré de son obligation à la confidentialité quant à ces communications-là?

M. Larivière: II n'y a aucun doute.

M. Lalonde: Alors, si on devait appliquer l'interprétation la plus large possible, celle du barreau, on pourrait quand même entendre M. Jasmin sur les communications qu'il a eues avec ce client-là?

M. Larivière: Si vous posiez, par exemple, la question suivante à Me Jasmin: Quelles étaient les instructions du Conseil provincial des métiers de la construction, je pense que Me Jasmin devrait répondre.

M. Lalonde: Bon. Est-ce qu'il peut aussi répondre, en tenant compte de l'interprétation la plus large, par hypothèse, sur la nature du mandat ou des mandats qu'il a reçus de ses clients, c'est-à-dire non seulement du Conseil provincial des métiers de la construction, mais de ceux qui ont refusé ou qui n'ont pas été joints?

M. Larivière: Voulez-vous répéter? Je n'ai pas entendu le début de votre question.

M. Lalonde: Est-ce que M. Jasmin pourrait - toujours dans le cadre de l'interprétation la plus large - répondre à des questions sur la nature du mandat ou des mandats qu'il a reçus de ses clients? Je parle de ses clients qui ont refusé de le libérer.

M. Larivière: Si vous me demandez mon opinion, c'est non.

M. Lalonde: II ne pourrait pas, d'après votre interprétation...

M. Larivière: Non.

M. Lalonde: ...dire, par exemple: Un client, autre que le Conseil provincial des métiers de la construction, m'a demandé d'aller négocier à telle date telle chose. Il ne pourrait même pas parler de son mandat?

M. Larivière: Non.

M. Lalonde: Est-ce que le fait que Me Jasmin représentait quelques clients en défense publiquement devant le tribunal n'est pas une publication de son mandat de représenter son client?

M. Larivière: II y a, effectivement, par le simple fait de poser une comparution dans un dossier de cour, un acte révélé, un acte public. Il n'y a aucun doute. Cependant, je ne pense pas que le fait qu'un avocat comparaisse pour un client et enregistre sa

comparution au dossier de la cour ait pour effet de lui permettre de commenter de quelque manière la comparution qu'il fait, sous toute réserve que de droit, par ailleurs, parce que les comparutions sont toujours faites comme cela.

M. Lalonde: Si je tiens pour acquis que l'avocat Michel Jasmin n'a pas violé son secret professionnel, comment peut-on présumer qu'il a parlé avec MM. Boivin et Gauthier des choses de son client? C'est-à-dire que ce soit dans l'exercice de son mandat.

M. Larivière: Je pense qu'il est de tradition, dans la profession d'avocat que vous connaissez bien, qu'un avocat jouisse effectivement d'une certaine immunité dans les actes qu'il pose vis-à-vis des tiers et, notamment, vis-à-vis d'autres avocats. Mais vis-à-vis de tiers aussi, un avocat peut agir sans préjudice au nom d'un de ses clients. Un avocat peut, parce qu'il est précisément mandataire, s'asseoir avec les procureurs de la partie adverse, par exemple, ou s'asseoir avec un tiers et tenir des propos qu'il n'a pas à révéler à quiconque ensuite. Ce qu'il pose comme gestes dans l'exécution de son mandat, ce qu'il dit, dans l'exécution de son mandat, qui est de nature à révéler ou à laisser transparaître les instructions et les mandats de son client, je ne pense pas qu'il soit apte à en rendre témoignage.

Pour prendre un exemple, c'est toujours plus frappant en droit pénal parce que c'est là que cela se pose historiquement le plus souvent, si un avocat qui représente une personne accusée de meurtre reçoit instruction de son client de plaider coupable à une infraction moindre, pourvu qu'il y ait entente avec la couronne pour la sentence, je pense que ces instructions sont couvertes par le secret professionnel. Je pense également que ce que l'avocat de la défense va dire à l'avocat de la couronne dans, non pas la négociation, parce qu'on sait que cela n'existe pas, mais dans les pourparlers relatifs à une sentence et à un plaidoyer de culpabilité éventuels, sont des propos qu'il n'a pas à répéter sous serment devant quelque instance.

M. Lalonde: Je vous remercie de votre réponse. J'aimerais que l'on réduise le débat au point qui nous occupe. Vous me corrigerez rapidement, car je ne veux pas vous prêter aucun propos que vous n'auriez pas tenu. Je vous parlais des conversations. Si on calcule les heures que Me Jasmin a passées au bureau du premier ministre, d'après les listes qui nous sont fournies, c'est environ une vingtaine d'heures. Si je vous comprends bien, l'avocat des syndicats, Me Jasmin, avait le droit de tenir des propos concernant son mandat, c'est-à-dire de peut-être même révéler des conversations qu'il avait avec son client, à M. Boivin ou à M. Gauthier, mais il n'a pas le droit de nous les dire.

M. Larivière: C'est exact. La distinction étant la suivante: je pense qu'un avocat jouit d'une certaine latitude dans l'exercice de son mandat et dans l'exécution de son mandat. Cependant, je pense qu'il est très mal venu de se servir d'un avocat pour faire la preuve de choses dont il a acquis la connaissance dans l'exercice de son mandat. C'est là qu'intervient le secret professionnel. Il est vrai que c'est, à certains égards, embêtant pour l'administration de la justice, le secret professionnel. Mais c'est un choix qu'on fait. (10 h 45)

Effectivement, Me Jasmin peut dire des choses à Me Boivin. Prenons un exemple qui pourrait être pertinent ou ne pas l'être, mais je le prends. Supposons que Me Jasmin dit à Me Boivin: J'ai vérifié les états financiers de mon client, M. Untel, j'ai examiné avec lui ses relevés bancaires, j'ai examiné avec lui ses entrées de cotisation, ses sorties, etc., et je suis en mesure de te dire que mon client est insolvable, par exemple. Je pense que ce type de renseignement est un renseignement confidentiel. Je pense que la connaissance que Me Jasmin pouvait avoir de cela a été acquise en raison de sa profession et dans l'exercice de ses fonctions. Je pense qu'il peut le révéler à un tiers à l'occasion de tractations, mais je ne pense pas qu'il soit contraignable à témoigner là-dessus. C'est cela, la distinction importante: le secret professionnel empêche un professionnel d'être contraint sous serment à déclarer publiquement des choses dont il a acquis la connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

M. Lalonde: On ne parle pas de choses dont il a acquis connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Ce dont il a acquis connaissance lui a été révélé par son client. Ce qu'il en fait avec M. Boivin est simplement de lui passer le message. Il n'y a pas d'acquisition de connaissance, sauf de la part de M. Boivin. J'essaie d'analyser avec vous jusqu'à quel point l'extension de l'interprétation que le barreau fait peut créer des situations dont on doit quand même mesurer les tenants et aboutissants. M. Boivin pourrait venir ici, n'étant pas dans l'exercice de ses fonctions d'avocat, et nous dire tout ce que Me Jasmin lui a dit pendant des heures, mais Me Jasmin ne pourrait pas venir nous le dire.

M. Larivière: C'est exact.

M. Lalonde: C'est ce que vous voulez dire?

M. Larivière: C'est exact. J'ajouterais

qu'en matière de secret professionnel c'est toujours comme cela. Pour reprendre un exemple en droit pénal, quatre témoins peuvent venir dire au tribunal: On a vu M. Untel tuer Untel. Les quatre témoins viennent le dire, tout le monde dit que c'est lui, il n'y a aucun doute. Mais si vous mettez l'avocat de la défense dans la boîte et que vous lui demandez: Est-ce que votre client ne vous aurait pas dit qu'il a commis ce meurtre? cela ne doit pas entrer en preuve. Même si tout le monde est d'accord sur le fait que cette personne-là l'a commis, ce n'est pas par le biais de l'avocat de cette personne qu'on va étayer ou même faire la preuve. Un avocat n'est pas là pour faire de la preuve. Il est là comme auxiliaire de la justice. Il est là pour représenter un client. Il n'est pas là pour faire de la preuve à partir de connaissances qu'il a pu acquérir dans l'exercice de ses fonctions. C'est pour cela que le secret professionnel est là.

M. Lalonde: Alors, si vous le voulez, on va analyser un peu ce qu'on a dit hier. Il y a deux problèmes, selon moi, dans votre présentation: tout d'abord, l'extension que vous donnez au secret professionnel et, ensuite, le caractère indivisible que vous avez décrit hier. Il y a une école qui veut que le secret professionnel de l'avocat ne couvre que les communications verbales et écrites qui sont faites entre l'avocat et son client. C'est l'interprétation, je pense, assez générale qui a été maintenue par la jurisprudence. Hier, je vous ai mentionné l'arrêt Solosky, de 1980, et vous m'avez ensuite mentionné l'arrêt Descoteaux que vous aviez vous-même plaidé. J'ai cru comprendre à ce moment-là, quoique ce ne soit pas ce que vous avez dit, que vous invoquiez l'arrêt Descoteaux dans l'interprétation très large du secret professionnel. Je sais que vous l'avez invoqué pour dire que le juge Lamer, au nom de la Cour suprême, avait établi qu'il s'agit d'un droit fondamental. Croyez-vous que l'arrêt Descoteaux appuie l'interprétation du barreau, à savoir que le secret professionnel couvrirait toutes les informations, les confidences, les communications que l'avocat reçoit ou donne dans l'exercice de ses fonctions ou même à cause de la nature de sa profession?

M. Larivière: La raison pour laquelle j'ai référé hier à l'arrêt Descoteaux, c'est que vous aviez vous-même, dans votre question, référé à l'arrêt Solosky. Pour répondre à votre question: Non, nous n'entendions pas nous servir de l'arrêt Descoteaux au niveau de l'extension qu'il faut donner au secret professionnel puisque, dans l'arrêt Descoteaux, nous étions en droit criminel et non pas en matière de secret professionnel au sens des lois du Québec, mais en "sollicitor client privilege" au sens de la "common law".

Je ne crois pas qu'il y ait eu de test définitif en matière de législation provinciale sur la portée de l'article 9 de la charte. Pour répondre à votre question, si j'ai mentionné l'arrêt Descoteaux, c'est pour dire que contrairement à l'arrêt Solosky où on semblait maintenir la conception traditionnelle du "privilège client avocat" de "common law", l'arrêt Descoteaux réfère à l'arrêt Solosky pour, en quelque sorte, faire une affirmation d'une question qui avait été posée par le juge Dickson dans son jugement: Serait-ce un droit civil fondamental? Le juge Lamer cite ce passage dans l'arrêt Descoteaux comme si, de fait, il s'agissait d'un droit fondamental même en droit criminel canadien, ce qui était une primeur et ce qui a fait dire, je pense, au professeur Pépin dans son article, dernière livraison de la revue canadienne du barreau, qu'il s'agissait d'un arrêt extrêmement important.

M. Lalonde: J'aime vous entendre dire cela parce que je crois que l'arrêt Descoteaux confirme l'arrêt Solosky en ce qui concerne la nature du droit à la confidentialité. Pour la bonne compréhension, si on pouvait en citer quelques extraits, le juge Lamer, à la page 475 du volume dont j'ai une photocopie, dit ceci: "II n'est pas nécessaire de procéder à la démonstration de l'existence du droit d'une personne à la confidentialité des communications avec son avocat". Il continue un peu plus loin: "En effet, il est incontestable que s'attache à la personne un droit de communiquer en toute confidence avec un conseiller juridique, droit qui est fondé sur la relation exceptionnelle de l'avocat avec son client", Et il réfère à l'arrêt Solosky un peu plus loin, à la page suivante: "La règle de preuve est bien connue; elle a d'ailleurs été souvent énoncée. Encore récemment cette cour y référait dans la cause Solosky. On peut y trouver l'énoncé des conditions d'existence du privilège, de ses limites et de ses exceptions".

Le juge réfère à Wigmore à la page 2292 et en fait une traduction pertinente, je crois: "Les communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique... voulues confidentielles par le client et qui ont pour fin d'obtenir un avis juridique font l'objet à son instance d'une protection permanente contre toute divulgation par le client ou le conseiller juridique sous réserve de la renonciation à cette protection". Le juge Lamer parlant pour la Cour suprême dit ceci: "II est, je crois, opportun que nous formulions cette règle de fonds - vous me corrigerez si je fais erreur; je pense que c'est la dernière ou la plus récente décision de la Cour suprême sur cette question de droit à la confidentialité - tout comme l'ont fait autrefois les juges pour la règle de preuve. Elle pourrait à mon avis être

énoncée comme suit: Premièrement, la confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toute circonstance". Il s'agissait de savoir si on l'avait soulevée au bon moment.

M. Larivière: C'est cela.

M. Lalonde: "Deuxièmement, à moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de sa communication avec son avocat - toujours - le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité."

Je ne veux pas me répéter, mais tout au long de ce jugement on n'élargit aucunement l'interprétation ou l'application du principe de la confidentialité. On ne parle que de la confidentialité des communications entre le client et l'avocat.

Vous avez aussi invoqué l'article de M. René Pépin qui - je ne vous en fais pas reproche - avait écrit sur autre chose cette fois, mais c'est l'article suivant de Me Alain Cardinal qui touche...

M. Larivière: Non, non, je m'excuse. En tout cas, allez-y.

M. Lalonde: Peut-être qu'on n'a pas le même article. J'ai la revue du barreau canadien de décembre 1982. Je pense que c'est la dernière édition et on retrouve cela dans la chronique de législation et de jurisprudence. Est-ce que c'est celle dont vous voulez parlez?

M. Larivière: Écoutez, je ne l'ai pas avec moi malheureusement, mais cela va être facile de l'identifier.

M. Lalonde: J'ai pensé qu'il s'agissait simplement d'une erreur parce que l'article qui précède celui de Me Cardinal est celui de M. René Pépin et on voit son nom au-dessus.

M. Larivière: Très bien. Je ne voudrais pas, cependant, qu'on confonde parce que M. Cardinal a écrit un article également dans la revue du barreau canadien sur le secret professionnel avant que le jugement de la Cour suprême soit rendu dans l'affaire Descoteaux. Il est possible que j'aie confondu l'auteur, mais si on parle du même article il n'y a pas de problème.

M. Lalonde: Je n'ai pas invoqué celui de Me Cardinal avant l'arrêt Descoteaux parce qu'il...

M. Larivière: Très bien, très bien.

M. Lalonde: ...fait lui-même porter ses propos sur le jugement de la Cour suprême du 23 juin 1982. Ce jugement, rendu par M. le juge Antonio Lamer au nom de la cour dans l'affaire Descoteaux vs Mierczynski, est important à plus d'un point. Je pense que l'interprétation que Me Cardinal en fait est conforme à ce que je viens de vous dire, à savoir qu'on ne parle que d'une protection des communications entre le client et l'avocat. On ne voit nulle part dans ce jugement une extension telle que le barreau la fait.

Il faut donc, si je comprends bien, se rabattre sur l'article 9 de la charte pour soutenir la position du barreau. En lisant bien attentivement l'article 9 de la charte, je pense qu'on peut diverger ou demander à la présidence beaucoup de prudence quant à l'application de l'interprétation du barreau. Si vous voulez, on va le lire très attentivement. "Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences..."

Est-ce que la façon dont l'exception est libellée ne qualifie pas l'application des propos qui viennent de précéder? Autrement dit, si on peut être autorisé par celui qui nous fait les confidences, est-ce que ce ne sont pas les confidences de celui qui nous les a faites qui sont protégées et non pas toutes les autres conversations qu'on peut avoir avec des tiers?

M. Larivière: Je pense que l'article 9 s'applique à toute une série de professionnels et je pense que c'est la raison pour laquelle l'article est rédigé de cette façon. Celui qui leur a fait ces confidences, il est bien évident qu'au premier chef c'est le client, mais ce n'est pas nécessairement toujours le client. Par exemple, cela peut être, dans la préparation d'un procès, un témoin que vous convoquez à votre bureau, qui accepte de venir et qui va vous révéler des choses. Dans l'exécution de votre mandat, ce n'est pas votre client, mais c'est une personne qui vous fait des confidences en raison de votre profession. Je pense que ces confidences sont couvertes même si la personne n'est pas votre client en droit du Québec. (11 heures)

M. Lalonde: Pour revenir au cas qui nous occupe, si je lis bien cet article et que j'essaie de l'appliquer à l'exercice du mandat de Me Jasmin dans sa partie "bureau du premier ministre", est-ce que je devrais demander à M. Boivin et à M. Gauthier de libérer, c'est-à-dire d'autoriser Me Jasmin à révéler les confidences qui auraient pu être faites?

M. Larivière: Non. M. Lalonde: Non?

M. Larivière: Non, pour une raison très simple, c'est que l'article 9 doit se lire en corrélation avec l'article 131 de la Loi sur le barreau qui établit clairement qui peut libérer.

M. Lalonde: Donc, on n'a pas à demander la permission à M. Boivin. À qui devons-nous demander la permission? Aux clients de Me Jasmin?

M. Larivière: Voilà!

M. Lalonde: Ce qui a été fait en ce qui concerne le Conseil provincial des métiers de la construction du Québec...

M. Larivière: Oui.

M. Lalonde: ...qui a dit: Oui, allez-y, de la façon la plus complète et la plus large sans aucune...

M. Larivière: Réserve.

M. Lalonde: ...réserve. Comment se fait-il, si Me Jasmin a été libéré par son client, le Conseil provincial des métiers de la construction du Québec, que ce dernier ne peut obtenir la conséquence de son geste, à savoir que Me Jasmin révèle ce qui s'est passé?

M. Larivière: Je pense avoir dit tantôt...

M. Lalonde: Je ne parle pas des communications entre eux et l'avocat...

M. Larivière: Très bien.

M. Lalonde: ...mais en ce qui concerne le prolongement d'interprétation que vous en faites.

M. Larivière: D'accord.

M. Lalonde: Par exemple, on a dit et le ministre l'a répété: Le secret professionnel, ce n'est pas un privilège de l'avocat; c'est une obligation, c'est un droit du citoyen. Si ce citoyen est accusé de meurtre, par exemple, et que la seule preuve ou la seule corroboration - parce que, souvent, cela prend plus qu'un témoin - soit son propre avocat et qu'il le libère joyeusement de son secret professionnel parce que c'est le seul témoin qui puisse le sauver de la corde et que l'avocat dit: J'ai un autre mandat, j'avais deux mandats, j'en avais trois - là, je tombe sur la règle de l'indivisibilité qui est la conséquence...

M. Larivière: Oui.

M. Lalonde: ...inévitable de l'extension que vous faites - le client ne pourra pas avoir satisfaction ayant libéré son avocat à cause de l'extension que vous faites.

M. Larivière: Respectueusement, l'extension que je fais ne porte pas sur le caractère indivisible. Le caractère indivisible, quant à moi, ce n'est pas une extension, c'est une caractéristique essentielle: ou une chose est secrète ou elle est révélée. Une chose révélée n'est plus secrète. Une fois qu'un avocat a témoigné pour un, c'est évident qu'il a témoigné pour tous ses clients. Mais en réponse à votre question, cependant: si un avocat, dans votre hypothèse, était privé de venir à la rescousse par son témoignage parce qu'il représente d'autres clients, je pense qu'il s'est mis lui-même dans une situation extrêmement difficile et qu'il doit périr, si vous me permettez l'expression. On sait très bien qu'il y a des règles d'éthique en vertu desquelles l'avocat doit demander des procès séparés et l'avocat doit même refuser de représenter deux clients dont les intérêts risqueraient d'être divergents. Sur ce plan, je suis convaincu que l'avocat, qui se serait mis dans cette position serait un avocat bien imprudent, c'est le moins que je puisse dire.

M. Lalonde: Pour revenir au début à votre première réponse, vous dites que ce n'est pas à cause de l'extension que...

M. Larivière: Non.

M. Lalonde: ...l'indivisibilité peut créer un problème ici. Je vais vous décrire très simplement ma compréhension de pratique. Me Jasmin avait quatre clients, chacun lui a fait des confidences pour le consulter tout d'abord, obtenir son opinion juridique et, ensuite, pour la bonne marche de la défense. Ses communications, vous me dites, sont libérées par un client qui décide de le faire. Elles ne sont pas libérées par les autres, mais enfin! Il y a un client qui dit: Allez-y. Alors les communications avec l'avocat sont libérées.

Me Jasmin - ce n'est pas un reproche qu'on lui fait, parce que je pense bien qu'un avocat qui défend un client et qui veut la meilleure issue possible fera toutes les démarches dans la légalité et la légitimité -décide que la meilleure façon d'avoir le meilleur résultat est de rencontrer Me Boivin, le chef de cabinet du premier ministre. Enfin, d'après ce que le premier ministre nous a donné concernant les rencontres. Je pensais - plusieurs le pensaient - que la confidentialité s'arrêtait là, parce que Me Boivin est un tiers et que la démarche n'est pas nécessairement

exclusivement de nature judiciaire, elle peut être de nature politique. Elle peut donc ne pas être couverte par le secret professionnel.

M. Larivière: Là-dessus, si vous me permettez, je ne vous suis pas.

M. Lalonde: Me Jasmin a décidé de faire une démarche qui n'est pas strictement de nature judiciaire. C'est là que l'indivisibilité pose un problème, puisque vous étendez le secret professionnel à ce que Me Jasmin et Me Boivin ou Me Gauthier ont discuté dans le bureau du premier ministre pendant des heures. La libération que vous avez obtenue d'un client serait sans résultat, parce que vous en faites une extension.

M. Larivière: Je ne suis pas sûr de bien comprendre. D'une part, je dois vous dire que vous semblez associer le secret professionnel à une démarche à caractère judiciaire. Je ne pense pas que cela soit exact dans notre droit. Je pense que, dans notre droit, un avocat peut très bien avoir un mandat de nature ou d'exécution politique, par exemple, et que son client peut être quand même protégé par le secret professionnel. Le rôle d'un avocat peut être, par exemple, de venir faire des représentations devant une commission parlementaire. Je pense quand même que les confidences qu'il reçoit de son client dans le but d'aller faire des représentations devant une commission parlementaire sont des renseignements qui sont couverts par le secret professionnel. Il n'y a rien de judiciaire là-dedans.

M. Lalonde: Bien...

M. Larivière: Mais quand on vient... Oui, excusez-moi.

M. Lalonde: Si vous permettez, je ne veux pas vous interrompre, mais je veux bien m'expliquer. Si on revient à l'arrêt Descoteaux, le juge Lamer qui donnait les limites ou les exceptions, disait: II faut que la communication soit faite à l'avocat ou à ses collaborateurs en leur qualité professionnelle. La relation, au moment précis de la communication, doit être de nature professionnelle. Si elle est de nature politique, est-elle couverte?

M. Larivière: Si une personne confie à un avocat un mandat qui suppose de poser des gestes politiques, c'est quand même un mandat client-avocat. Il est bien connu que les avocats agissent dans bien d'autres domaines que le domaine judiciaire. Quant à moi, il y a toujours un secret professionnel là-dedans. Quand un avocat, par exemple, agit pour la négociation d'un contrat, d'une convention collective ou de toute autre convention, l'avocat est quand même sous le coup de la Loi sur le barreau et de la Charte des droits et libertés, même s'il n'y a rien de judiciaire là-dedans.

J'aimerais - je pense que c'est peut-être le moment de le faire - revenir sur l'arrêt Descoteaux pour bien vous mentionner que l'arrêt Descoteaux ne porte pas sur l'interprétation de l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, mais porte sur la notion de "sollicitor client privilege" au sens du "common law". Je pense bien vous avoir dit hier que le sens de mes propos et le sens des remarques du barreau n'est pas de vous dire que c'est le "sollicitor-client privilege" qui s'applique ici. Les conditions de Wigmore, telles que rapportées par le juge Lamer ou par le juge Dixon dans l'autre arrêt, s'appliquent en matière de "common law". Je pense vous avoir souligné hier qu'à notre avis l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne est une disposition unique, très spécifique, très différente de ce qui existe en "common law," de ce qui existe aux États-Unis, de ce qui existe en France.

L'arrêt Descoteaux n'était pas le forum approprié pour traiter de cette question puisque nous étions en matière criminelle, donc en matière de législation fédérale. Je ne pense pas que les conditions de Wigmore "se qualifient" nécessairement quand on parle de la Charte des droits et libertés de la personne, qui est une loi du Québec. De la même façon qu'il y a un texte unique au Québec, je pense qu'il faut lui donner une interprétation appropriée en faisant les distinctions nécessaires, ce que malheureusement les auteurs ne font pas toujours et font même rarement. Ils ont une fâcheuse tendance à associer la notion de secret professionnel qui existe au Canada avec celle qui existe au Québec. Je pense que c'est une association qui est courte.

M. Lalonde: Je vous remercie. Au lieu de faire développer un argument, j'ai pensé le faire par questions pour qu'on puisse s'éclairer mutuellement. De toute évidence, vous avez pu vous apercevoir que j'ai des réserves très fortes quant à l'application d'une extension comme le fait le barreau sur le secret professionnel. Je partage les inquiétudes que le ministre exprimait tout à l'heure là-dessus. Je conclus d'une de vos réponses toutefois que, quelle que soit l'interprétation retenue par la présidence, Me Jasmin devra quand même être à la disposition de la commission en ce qui concerne les communications qu'il y a eu entre son client, le Conseil provincial des métiers de la construction, et lui-même.

J'aimerais en terminant attraper au vol la suggestion du ministre sur la façon de procéder. Si la commission, ou la présidence, suivant sa décision, entend Me Jasmin, c'est

vrai qu'il est très inconfortable pour un témoin de devoir à toutes les questions se poser la question, à savoir: Est-ce que je suis en train de faire une violation de mon secret professionnel? Dans ces conditions, s'il pouvait être accompagné d'un avocat qui pourrait attirer l'attention à chaque question sur l'application de la décision de la présidence, peut-être qu'on pourrait faciliter son travail et le travail de la commission.

Le Président (M. Jolivet): Me Larivière avait une dernière réponse à donner à la question du ministre et à cette suggestion qui est apportée par le député de Marguerite-Bourgeoys?

M. Larivière: Je vous avoue bien honnêtement, M. le Président, et en répétant encore une fois que je ne représente pas M. Jasmin, que nous verrions comme un précédent, pour le moins fâcheux, qu'un témoin ait à s'exprimer dans des conditions comme celles-là. J'essaie d'imaginer deux secondes le scénario. La première image que je m'en fais, c'est celle des commissions sénatoriales américaines où, avant de prendre le cinquième amendement, comme on dit dans le métier, il y a des conversations de bouche à oreille entre le procureur et le témoin, et là, on juge de l'application du cinquième amendement. Je pense aux fonctions qu'exerce le témoin dont vous recherchez la version, ce serait pour le moins disgracieux. Je pense également que pour les anciens clients de ce témoin il y aurait un péril certain et constant à procéder de cette façon.

Je trouvais beaucoup de sagesse à la décision du juge Malouf dans l'affaire de la CECO de choisir de refuser globalement les témoignages plutôt que de demander à Me Michel Côté qui, je pense, à l'époque était l'un des deux avocats visés: Si telle chose, bien sûr, c'est le maire Drapeau qui vous l'a dite, très bien, ne témoignez pas, mais si vous l'avez apprise autrement que de la voix du maire Drapeau, à ce moment-là témoignez, et s'en aller comme cela de façon sinueuse à travers un témoignage.

Bien sûr, je comprends qu'il puisse être encombrant pour cette commission et fâcheux à certains égards de se priver d'un témoignage que tout le monde recherche. Je suis loin de penser que le témoin lui-même, comme premier intéressé dont on parle abondamment depuis une dizaine de jours de séances, en aurait envie, lui aussi. Mais, comme le disaient tantôt, je pense, tous les intervenants, ce n'est pas son droit au secret professionnel, c'est son obligation au secret professionnel. À ce sujet, je vous avoue que cette suggestion ne nous sourit pas. (11 h 15)

Le Président (M. Jolivet): Cela étant dit, j'ai cru comprendre de la part de M. le juge Jasmin qu'il n'avait pas l'intention d'intervenir.

M. Jasmin: Non, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: J'ai omis un point que j'aimerais mentionner à Me Larivière. C'est au sujet des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Je pense que nous aurions tous intérêt à examiner très attentivement quels sont les pouvoirs de l'Assemblée nationale qui n'est pas seulement un moulin à passer des lois. À l'occasion, les tribunaux se sont heurtés à l'existence méconnue des droits et des pouvoirs de l'Assemblée nationale. C'est pour cela que lorsque vous avez suggéré... Même le ministre parlait de soumettre au pouvoir judiciaire la conclusion ou enfin, ce qui pourrait s'ensuivre, non pas que je m'y oppose, mais je veux simplement qu'on sache bien que ce que nous faisons ici actuellement à l'Assemblée nationale, à la commission, est tout à fait conforme à la loi et qu'il a été reconnu dans le passé que l'Assemblée nationale a le pouvoir de régler ses propres problèmes. À l'occasion, des tribunaux ont décidé qu'ils ne pouvaient même pas s'en occuper. Enfin! Que la meilleure façon soit choisie. Mais ici, je ne pense pas que nous soyons en train de faire un abus de quoi que ce soit. L'Assemblée nationale, après avoir passé des lois, doit, fatalement, comme on le fait actuellement, appliquer son règlement, appliquer la loi sur l'Assemblée nationale entre autres.

Le Président (M. Jolivet): Me Larivière.

M. Larivière: Merci, M. le Président. Je pense que c'est avec beaucoup d'opportunité, encore une fois, que vous soulevez ce problème-là. J'aimerais, dans un premier temps, vous dire que je n'ai jamais prétendu que cette commission faisait un abus de pouvoir en siégeant. Ce n'est pas ce que je prétends. Il y a cependant une nouvelle réalité qu'il faudra considérer quand on entrera dans ce débat-là. C'est la nouvelle loi sur l'Assemblée nationale. Je pense que quand, dans l'article 133 de cette loi, vous rendez une infraction à l'article 55 de votre loi: poursuivable sur poursuite sommaire et donc passible sur poursuite sommaire d'une amende, vous avez fait un choix par rapport à la tradition parlementaire qui existe en droit public, en vertu de laquelle l'Assemblée nationale peut punir et sanctionner ses propres ordonnances. Je pense que l'Assemblée nationale a choisi dans cette loi-ci de donner à un tribunal de juridiction pénale le pouvoir de sanctionner ses ordres à des témoins autres que des députés. C'est en pensant à cela que je faisais mes remarques

hier.

Le Président (M. Jolivet): Cela étant dit, je remercie Me Larivière. Je remercie M. le ministre ainsi que le député de Marguerite-Bourgeoys de l'éclairage qu'ils nous ont donné. À la demande du ministre de savoir quand la présidence de cette commission rendra sa décision, je réponds: dans les plus brefs délais. Je ne peux dire si ce sera cet après-midi ou demain matin, mais dans les plus brefs délais, elle sera rendue. En conséquence, nous invitons donc Me Rosaire Beaulé à être le prochain invité et on vous libère pour le moment.

M. Larivière: Est-ce que je comprends que nous sommes libérés jusqu'à prochain avis du secrétariat des commissions?

Le Président (M. Jolivet): Je pense qu'il serait plus logique de penser comme cela pour vous laisser la chance de vaquer à d'autres occupations pour le moment.

M. Larivière: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Est-ce qu'on me permettrait de poser une question à Me Larivière?

Le Président (M. Jolivet): Je ne voudrais pas que cela ait pour but de... J'avais demandé qu'un seul intervenant de chaque côté ainsi que Me Larivière s'expriment. Mais si je commence avec vous, je risque de passer à d'autres qui voudront aussi poser des questions.

M. Gratton: Je n'ai pas d'objection, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): D'accord, allez, M. le député de Gatineau. On me donne le consentement.

M. Gratton: M. le Président, d'abord, vous me permettrez de me situer là-dedans. Je ne suis pas avocat. Je pense avoir compris le sens des discussions qui ont eu lieu ce matin. La question que je me pose est de savoir si le rôle de la commission est de faire avancer la science juridique ou de faire avancer les travaux de la commission qui a comme mandat de faire toute la lumière sur l'affaire du règlement hors cours du saccage de la Baie-James.

On a établi clairement que Me Jasmin est allé rencontrer Me Boivin ainsi que Me Gauthier au cabinet du premier ministre au cours de nos discussions. En fait, ce qui nous préoccupe, une de deux choses: ou Me Jasmin y allait dans l'exercice de ses fonctions de procureur de ses clients, notamment le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction qui l'a libéré de son secret professionnel, il y allait donc, dis-je, dans l'exercice de ses fonctions de procureur pour exercer un mandat et à ce moment vous prétendez qu'il est lié par son secret professionnel, même si le conseil provincial l'a libéré et parce que les autres clients ne l'ont pas libéré ou il n'y allait pas pour exercer son mandat. Si tel était le cas, il n'aurait pas de problème à répondre aux questions qu'on pourrait lui poser. Jusque là, est-ce que je suis...

M. Larivière: Je comprends aussi que, s'il n'allait pas là dans l'exercice de son mandat, vous ne seriez pas intéressé à savoir ce qu'il allait y faire.

M. Gratton: Oui, probablement.

M. Larivière: Écoutez, je fais peut-être une présomption mais, comme il n'était pas une des parties au litige, je le présume. D'autre part, comme il était convoqué, enfin comme son nom a été déposé ici dans la liste comme y étant allé en rapport avec la cause du saccage de la Baie-James, je suis obligé de conclure qu'il y allait dans le cadre de ses fonctions professionnelles. S'il en était autrement, c'est un tout autre débat.

M. Gratton: Justement, vous présumez et je peux aussi présumer. Comme je suis souvent accusé de présumer, je ne présumerai de rien, mais je vais plutôt vous poser la question suivante.

M. Duhaime: ...une précaution...

M. Gratton: Pensez-vous que c'est une question que je pourrais poser, ici, à la commission, à Me Jasmin, à savoir s'il a rencontré Me Boivin et Me Gauthier pour s'acquitter de son mandat ou pour d'autres raisons? Est-ce que ce serait là une question acceptable?

M. Larivière: Je pense qu'elle est pertinente.

M. Gratton: Mais est-elle acceptable, selon vous?

M. Larivière: J'ai toujours tenu pour acquis qu'il agissait en sa capacité professionnelle. Les remarques que je vous ai faites depuis deux jours, enfin, depuis hier et aujourd'hui, tiennent cela pour acquis. Il est bien évident que s'il en était autrement, c'est la question même du secret professionnel qui serait en jeu. S'il va là pour d'autres raisons que celle d'exécuter son mandat vis-à-vis de ses clients, je ne vois

plus ce que le secret professionnel vient faire dans le portrait.

M. Gratton: II est peut-être utile de relire quel était le mandat de Me Jasmin, enfin, celui qu'il avait reçu du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction. On le retrouve dans le procès-verbal de la réunion des membres de l'exécutif du conseil provincial, réunion tenue le 5 mars 1979.

M. Larivière: Est-ce un document qui est devant la commission? Je m'excuse, parce que je ne l'ai jamais eu.

Le Président (M. Jolivet): II n'est pas devant la commission à ma connaissance.

M. Duhaime: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: J'aimerais en prendre connaissance. J'ai la bonne habitude de déposer d'abord les documents.

M. Lalonde: M. le Président, sur une question de règlement.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: J'aimerais saisir la suggestion du ministre qui veut en prendre connaissance. Je pense que le meilleur témoin pour le déposer serait M. Maurice Pouliot, qui est président-directeur général du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction et que l'on a suggéré de faire venir ici. À la prochaine occasion, M. le Président, on demandera à M. Pouliot de le déposer et cela nous fera grand plaisir. Nous-mêmes ne sommes pas capables de le déposer, naturellement, étant donné qu'il ne nous appartient pas.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: M. le Président, si c'est cela qui cause un problème au député de Marguerite-Bourgeoys, je serais prêt à donner mon consentement pour qu'on prenne connaissance du document, comme on a donné notre consentement pour déposer ici des briques de documents.

M. Lalonde: On va examiner nos obligations au secret.

M. Duhaime: S'il n'a pas de consentement à me donner, je pense qu'en toute justice il ne peut pas parler d'un document qui n'existe pas.

M. Gratton: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Juste un instant, avant de continuer. Je croyais que le débat, pour la décision que la présidence a à rendre, était assez clair, à mon avis, pour qu'on puisse maintenant prendre cela en délibéré. Je ne voudrais pas qu'on puisse, par la bande, commencer une série de questions qui, finalement, présumeraient de la décision de la présidence. Dans ce contexte, j'aimerais mieux, si vous avez d'autres questions pertinentes à la discussion de ce matin, que vous les posiez sans entrer dans un débat qu'on aura à faire à un autre moment, si nécessaire.

M. Gratton: M. le Président, je l'ai dit dès le début de mes remarques. Je ne vise qu'à faire avancer les travaux et à faire éclater la vérité. Compte tenu de la réponse que Me Larivière m'a donnée tantôt, selon laquelle une question adressée à Me Jasmin sur ce qu'il faisait ou sur ce qu'il était allé faire dans le bureau, à savoir: allait-il, dans l'exécution de ses fonctions de procureur de ses clients, discuter, exercer le mandat qu'il possédait, me permettriez-vous de poser la question à Me Jasmin?

Le Président (M. Jolivet): En aucune façon, pour le moment.

M. Gratton: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Non, je pense qu'il est bien clair que ce que la présidence a demandé ce matin, c'est d'être éclairée sur la question du secret professionnel. Les autres questions pourront être posées en temps et lieu, à un autre moment, quand la décision de la présidence sera rendue.

M. Gratton: On se doit de respecter votre décision, ce que j'ai toujours fait et ce que je fais ce matin.

Le Président (M. Jolivet): Celle-là est claire quant à moi. Merci.

M. Lalonde: II y a une chose...

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: II y a une chose... Les gens ne comprendront rien...

Le Président (M. Jolivet): Je comprends très bien, cependant.

M. Lalonde: Si Me Jasmin n'était pas dans l'exercice de son mandat, que fait-il ici? Pourquoi la présidence aurait-elle à rendre une décision?

Le Président (M. Jolivet): Pour la raison suivante, c'est très clair. Hier, j'ai pris la précaution, parce que je savais, à la suite de ce que la présidence avait entendu de chacune des parties, qu'il y aurait un débat qui serait soulevé sur la question du secret professionnel. Par conséquent...

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Juste avant, je vais quand même terminer. En aucune façon, je n'ai demandé qu'on assermente Me Jasmin pour le moment parce que j'avais, à titre de président, à rendre une décision avant sur la question du secret professionnel. Après cela, on procédera. Je pense que la logique... Les gens comprennent bien pourquoi je refuse qu'on pose des questions à M. le juge Jasmin, ce matin. Nous avons un problème à régler, nous allons le régler et quand il sera réglé, nous verrons.

M. Lalonde: M. le Président, je voudrais simplement attirer votre attention sur la situation suivante. Me Larivière disait qu'il présumait que Me Jasmin était dans l'exécution de son mandat puisque son nom est sur la liste et à cause de tout ce qui s'est dit. Si Me Jasmin nous répond qu'en aucun moment, dans ces 20 heures de visite au bureau du premier ministre, il n'exécutait son mandat de procureur des défendeurs, à ce moment-là il n'y a pas de problème et la présidence n'a pas à rendre une décision sur le secret professionnel.

Le Président (M. Jolivet): C'est une interprétation que vous pouvez donner. Je pense que vous ne pouvez pas non plus présumer de la décision que la présidence aura à rendre sur cette question. Dans ce contexte-là, je refuse encore qu'on lui pose la question. Je demanderais à Me Rosaire Beaulé de venir à l'avant.

Pendant que Me Beaulé vient s'installer et que M. Jean Bédard procède à son assermentation, je dois vous dire que les travaux doivent se terminer à 12 h 30, reprendre après la période des questions, c'est-à-dire vers 15 heures ou 15 h 30 pour ensuite être suspendus à l'heure du souper et reprendre de 20 heures à 22 heures, ce soir.

Nous pouvons procéder à l'assermenta-tion dès maintenant.

Témoignages M. Rosaire Beaulé

Le greffier (M. Jean Bédard): M.

Beaulé, pourriez-vous mettre la main sur l'Evangile et répéter après moi: Je, vos nom et prénom, jure ou déclare solennellement que je dirai toute la vérité, rien que la vérité.

M. Beaulé (Rosaire): Je, Rosaire Beaulé, avocat, jure que je dirai toute la vérité, rien que la vérité.

Le greffier (M. Jean Bédard): Merci.

Le Président (M. Jolivet): Est-ce que vous avez une intervention préliminaire à faire?

M. Beaulé: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Je vous donne donc la parole.

M. Beaulé: J'en ai fait des copies pour les membres de la commission, s'ils le désirent.

Le Président (M. Jolivet): Est-ce qu'on pourrait avoir les copies pour qu'on puisse les distribuer? (11 h 30)

M. Beaulé: Si vous me le permettez, je n'ai pas l'intention de soulever l'exception du secret professionnel puisque j'en ai été libéré par Me Fanning et Me Wall et par le président de l'International Union of Operating Engineers. Je suis accompagné aussi de Me Denise Roy, avocate, avec qui j'ai travaillé à la préparation du témoignage que je dois rendre devant vous. J'espère que vous n'aurez pas d'objection à ce qu'elle soit là, puisqu'il sera peut-être nécessaire de référer à des documents et aussi de se consulter quant à certaines questions ou quant à certains faits.

Le Président (M. Jolivet): II n'y a pas d'objection.

M. Beaulé: Merci.

Avant de lire cette déclaration assez courte quand même, je veux préciser que j'ai été l'avocat de l"'International Union of Operating Engineers" du 20 avril 1978 jusqu'au règlement du 12 mars 1979. Lors de ce règlement du 12 mars 1979, comme vous pouvez le voir dans les documents qui ont été déposés devant la commission, j'ai également signé la transaction en tant que fondé de pouvoir de l'"International Union of Operating Engineers" et non seulement en tant qu'avocat de cette centrale.

Puisque vous m'en avez donné le privilège, je veux lire cette brève déclaration. Je veux ajouter aussi que je n'ai pas parlé dans cette déclaration du quantum, c'est-à-dire du montant des dommages réclamé par la SEBJ. Si des membres de la commission jugent utile de me poser des questions sur ce point ou sur les postes de cette réclamation, j'essaierai d'y répondre.

En matière d'avant-propos. À sa séance du 9 janvier 1979, le conseil d'administration de la SEBJ prenait connaissance d'un rapport

confidentiel préparé par des gestionnaires de l'entreprise dont, entre autres, M. Laurent Hamel, chef du chantier de LG 2 lors du saccage du 21 mars 1974. Nous désirons citer, comme l'a fait d'ailleurs M. Claude Laliberté le 30 mars dernier, certains extraits de ce rapport où les gestionnaires écrivent, parlant de cette poursuite de 1976 au montant de 31 000 000 $: "En instituant cette action, la société d'énergie était consciente du fait que la plupart des défendeurs ne seraient pas en mesure de pouvoir satisfaire à un jugement rendu dans cette cause. Cependant, elle était consciente qu'à titre d'entreprise à caractère parapublic, gérant des fonds et des biens du domaine public elle se devait de tenir les individus et organismes responsables de leurs actes dans le but d'établir un climat de confiance pour les travailleurs et les entrepreneurs présents et futurs sur les chantiers de la Baie-James. Il est important - soulignent toujours les gestionnaires - pour le maintien de ce climat de confiance qui est devenu apparent depuis la reprise des travaux à la Baie -James et l'institution de l'action que les responsabilités des parties soient déterminées par le tribunal et que la Société d'énergie soit reconnue comme un organisme qui ne fléchit pas dans la poursuite d'un but qu'elle reconnaît amplement justifié".

En regard de cette prise de position des gestionnaires de la SEBJ, nous croyons utile de mettre en parallèle un commentaire, déjà cité il est vrai, tiré du rapport de la commission d'enquête Cliche où nous lisons, à la page 68, ce qui suit: "Les commissaires ont acquis la conviction que les travailleurs ordinaires n'encourent pas la responsabilité de ce qui est arrivé. Il ne s'agit aucunement d'une réaction de masse mais bien d'une opération montée par un noyau de mécréants dirigé par Duhamel pour montrer, une fois pour toutes, qui était le maître à la Baie-James. L'impression - disait toujours la commission - que nous tirons de l'interrogatoire des témoins du saccage est que les travailleurs ont été de simples spectateurs et même des victimes des actes insensés posés par un Duhamel en délire".

Il est notoire qu'au moment où les gestionnaires soumettaient leur rapport au conseil d'administration de la SEBJ, le 9 janvier 1979, tous les auteurs du saccage de LG 2 avaient été écartés de la vie syndicale et dans certains cas condamnés et incarcérés. En décidant, le 9 janvier 1979, de continuer ses procédures contre les syndicats, la SEBJ recherchait en définitive une condamnation contre ces derniers et le paiement par les travailleurs de la construction des dommages résultant du saccage.

Il est donc évident que les gestionnaires de la SEBJ et son conseil d'administration adoptaient en janvier 1979 une attitude incompatible avec une des recommandations principales de la commission Cliche. En somme, au-delà des passions de l'époque et des débats partisans d'aujourd'hui - on m'excusera de cette remarque - il y avait et il existe toujours un désaccord idéologique quant à l'interprétation des événements de 1974 et aux conclusions à en tirer. Nous ne croyons pas être injustes à l'égard de ceux qui contestent le bien-fondé du règlement intervenu le 12 mars 1979 en disant qu'ils ne sont pas prêts à suivre la commission Cliche sous ce chef et que leur philosophie sociale diffère de celle de la commission Cliche.

La partie que je vais maintenant lire, M. le Président, est tirée en grande partie, si je puis dire, de la contestation de l'International Union of Operating Engineers dont Me Aquin a parlé et que nous avons déposée au dossier de la cour le 28 novembre 1978. Tout cela pour qu'il soit bien clair que les remarques qui suivent ou que les assertions de faits que je vais faire n'ont pas été faites pour les fins du témoignage de ce matin mais constituent le résultat d'une étude que j'avais conduite avec Me Ginette Lafortune, Me Michel Brisson et aussi avec le concours de Me Michel Jasmin depuis ma nomination comme avocat de l'International Union of Operating Engineers le 20 avril 1978 jusqu'au mois de novembre 1978. J'ai évidemment mis à jour ces éléments de contestation en tenant compte dans certains cas de témoignages rendus au cours de l'enquête qui a quand même duré 22 jours devant l'honorable juge Claude Bisson.

La première proposition est la suivante: les actes de violence du 21 mars 1974 survenus à LG 2 s'insèrent dans une toile de fond que la SEBJ a contribué à créer et dont elle doit assumer sa part de responsabilité. Dès 1971, la SEBJ en était venue à la conclusion que la réalisation de son projet de construction de quatre centrales hydroélectriques sur ce qu'il est convenu d'appeler le complexe La Grande ne pouvait se faire sans l'établissement d'un régime particulier de relations du travail sur les chantiers, c'est-à-dire une seule accréditation syndicale, soit le monopole syndical, et une dizaine d'années de paix syndicale reposant sur l'absence du droit de grève.

Dans le but de réaliser cet objectif, la SEBJ ou des personnes parlant en son nom et qui sont identifiées par la commission Cliche à la page 83 de son rapport, la SEBJ, dis-je, offrit à la FTQ-Construction le monopole syndical à la Baie-James et a tenu à cette fin de multiples rencontres avec les représentants de cette dernière au cours des années 1972 et 1973.

À la fin de l'année, les discussions entre la SEBJ et la FTQ-Construction traînaient en longueur alors que, parallèlement, les chantiers de la Baie-James

commençaient à prendre de l'ampleur et que de nombreux ouvriers membres de la CSN s'y présentaient pour travailler.

En janvier 1974, à la suite des démarches d'André Desjardins, la SEBJ accepta que la FTQ-Construction ait un représentant en permanence à LG 2, à savoir Yvon Duhamel. M. André Guitard, conseiller aux relations du travail de la SEBJ à LG 2, s'y opposa aux motifs que cette dernière - la SEBJ - n'avait pas alors, à cet endroit, un dispositif de sécurité suffisant pour contrôler Yvon Duhamel, mais ce dernier fut quand même admis à LG 2 dès le 14 février 1974 sur l'ordre de Gilles Gauvin, avec l'accord de Laurent Hamel, tel qu'il appert lors de son témoignage devant la Cour supérieure.

A partir de ce moment, le 14 février 1974, la situation à LG 2 se modifie radicalement et en très peu de temps le défendeur Duhamel, au vu et au su de la SEBJ, devient roi et maître de LG 2, intimidant les entrepreneurs, menaçant les travailleurs membres de la CSN et ignorant les règlements établis par la SEBJ à LG 2. Bien que pleinement informée de la situation décrite plus haut, la SEBJ la toléra jusqu'à la fin, la fin étant le 21 mars 1974.

La deuxième proposition est la suivante: les événements du 21 mars 1974 survenus à LG 2 étaient prévisibles et la SEBJ n'a pas pris les moyens adéquats pour les empêcher. Peut-être qu'en m'écoutant ce matin ou en m'entendant, on sera surpris de voir que je m'attaque à l'une de nos vaches sacrées, si je peux employer l'expression, la SEBJ ou Hydro-Québec. J'ai eu le privilège en 1963 de visiter Manic 5 et j'ai eu le privilège en 1978 de voir le chantier de LG 2. L'impression de grandeur, de dignité, de savoir-faire et de génie des ingénieurs et des hommes de chez nous m'a marqué comme tous ceux qui y sont allés, mais je ne crois pas que ce respect et cette admiration doivent m'empêcher, comme avocat, d'appeler un chat un chat. Rien n'établit non plus qu'une entreprise soit toujours à l'écart de toute critique ou de toute erreur. Alors, je poursuis avec votre permission.

Le 15 mars 1974, William St-Onge, délégué de chantier, est expulsé de LG 2 pour avoir assailli des travailleurs membres de la CSN. Yvon Duhamel prévient André Guitard: Cela va vous coûter cher. Laurent Hamel, chef du chantier, entend ces menaces et n'agit pas.

Le 18 mars 1974, Duhamel ferme le chantier de Lamothe Construction, cette compagnie ayant osé employer des travailleurs membres de la CSN. La SEBJ ne proteste même pas.

Le 19 mars 1974, M. Robert Boyd reçoit de l'un des avocats d'Hydro-Québec un rapport confidentiel et urgent soulignant les périls imminents qui menacent LG 2. Au cours de la soirée du 19 mars, Laurent

Hamel, de même que MM. Morneau et O'Beirne, cadres de la SEBJ, apportent leurs effets personnels à la résidence du sergent Fafard, près de l'aéroport de LG 2.

Le 20 mars 1974, Laurent Hamel apprend qu'Yvon Duhamel a, trois jours plus tôt, tenté personnellement de saboter les génératrices en introduisant des boulons dans leurs pannes. Le chef de chantier de la SEBJ, qui peut compter sur une douzaine de policiers dans la région de Matagami, Fort George, LG 2, dont trois à ce dernier endroit, ne juge pas à propos de faire arrêter ou expulser Yvon Duhamel du chantier.

Le 21 mars 1974, Laurent Hamel apprend qu'un détachement de la Sûreté du Québec arrivera à l'aéroport de LG 2 vers midi en provenance de Montréal. Il est aussi informé, au même moment, que Duhamel voudrait expulser du chantier certains cadres de la SEBJ. Laurent Hamel donne l'ordre à tous les chefs de service de la SEBJ et à leurs employés de se rendre à l'aéroport jusqu'à l'arrivée de la Sûreté du Québec. Un long convoi part donc de LG 2 à destination de l'aéroport pendant que le chantier est laissé à l'entier contrôle d'Yvon Duhamel.

Lorsque le convoi arrive à l'aéroport, Laurent Hamel se rend à la tour de contrôle et, ayant établi par radio un contact avec un pilote amateur qui survole le campement, suit les péripéties d'Yvon Duhamel, qui monte à l'assaut des génératrices avec son bélier mécanique.

Pendant ce temps, un détachement de la Sûreté du Québec arrive à l'aéroport en provenance de Montréal et procède à des exercices de réchauffement alors qu'il aurait dû être déjà parti pour LG 2. Laurent Hamel, qui les voit, ne leur donne pas l'ordre de se rendre à LG 2 pour assurer la sécurité du chantier et les policiers s'arrêtent plutôt au Lac Denise, à quelques milles de LG 2 pour se restaurer et y demeurer jusqu'au lendemain du saccage.

Avant de finir la déclaration, si vous me permettez, je voudrais prendre un verre d'eau.

M. le Président, les assertions que j'ai faites au cours des dernières minutes reposent sur environ 22 jours d'examens au préalable, donc hors cour, faits dans la cause dont l'audition a commencé le 15 janvier 1979 devant le juge Bisson et également sur la preuve faite devant l'honorable juge Bisson. Je dois qualifier cette assertion en disant cependant, quant au monopole syndical, que les affirmations que j'ai faites sont basées sur le rapport Cliche, l'honorable juge Bisson n'ayant pas entendu de preuve sous ce rapport. (11 h 45)

Je veux toucher en dernier lieu une question pour laquelle j'avais été engagé particulièrement, la non-responsabilité de

l'International Union of Operating Engineers.

Au moment du litige, l'International Union of Operating Engineers regroupe 253 unions locales qui lui sont affiliées et auxquelles elle a accordé une charte, conformément à ses statuts ou sa constitution. Chacune des unions locales est autonome, élit ses officiers et son gérant d'affaires, lequel possède l'autorité exclusive de nommer, engager ou congédier les représentants et les agents d'affaires de l'union locale.

Le 1er juin 1968, l'International Union of Operating Engineers acceptait la formation, au Québec, d'une union locale portant le numéro 791, à laquelle elle accordait une charte. Cinq ans plus tard, en 1973, hors de sa connaissance et sans l'autorisation expresse ou tacite de l'International Union of Operating Engineers, un syndicat fut constitué au Québec - en fait, c'était en janvier 1973 - en vertu de la Loi des syndicats professionnels, sous le nom de "Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec".

C'était le 15 octobre 1973 que ce syndicat enregistrait deux déclarations au greffe de la Cour supérieure de Montréal précisant, dans l'une d'elles, qu'il entendait faire affaires sous la raison sociale de "Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec" et, dans l'autre, sous le nom de "Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec, local 791".

Il va sans dire que ce syndicat aux vocables multiples - parce que, au-delà de sa déclaration faite au greffe de la Cour supérieure, la papeterie et cet organisme faisait voir d'autres noms dont on pourra parler, si vous le jugez utile - ne demanda jamais son accréditation à l'International Union of Operating Engineers et ne lui versa jamais, d'ailleurs, de cotisations ou redevances.

Le nouveau syndicat recruta non seulement une partie importante des membres de l'union locale 791, mais obtint aussi l'adhésion, par la suite, de plusieurs centaines d'ouvriers qui auraient normalement adhéré à l'union locale affiliée à l'International Union of Operating Engineers.

Deux rencontres eurent lieu à Matagami les 31 octobre et 1er novembre 1973 et les 23 et 24 janvier 1974, groupant les représentants de la SEBJ et du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction communément appelé FTQ-Construction. Au cours de ces rencontres, la FTQ-Construction exigea d'avoir à LG 2 un représentant, savoir Yvon Duhamel. Le 14 février 1974, Yvon Duhamel quitta Matagami où il avait un bureau à titre d'agent d'affaires de l'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec et vint s'installer à LG 2 en tant que représentant de la FTQ-Construction. La SEBJ l'accrédita comme tel. La SEBJ mit à la disposition d'Yvon Duhamel un logement et un bureau et, par la suite, elle expédia des factures à la FTQ pour le gîte et le couvert fournis à Yvon Duhamel.

Deux jours avant le saccage de LG 2, la SEBJ adresse une lettre au Conseil provincial des métiers de la construction que nous citons au texte, étant donné son importance à notre point de vue. Un exemplaire de cette lettre a été versé au dossier de la poursuite sous la cote A-30 et la lettre se lit comme suit: "Le 19 mars 1974. "Conseil provincial des métiers de la construction. Chantier LG 2. La Grande, Québec. "Attention de M. Yvon Duhamel. "Messieurs, "Une pièce de l'un des camps de 104 hommes vous a été allouée temporairement à titre de bureau d'affaires. "Toutefois, toute utilisation d'espace additionnel, propriété de la SEBJ, pour réunions ou quelque autre activité, doit faire l'objet, à chaque fois, d'une autorisation préalable de la SEBJ, ce dont nous vous avons fait part à maintes reprises. "Aujourd'hui, le 19 mars 1974, des espaces additionnels, dans le même bâtiment, furent utilisés pour une réunion, et ce, sans autorisation. "Nous espérons que ce genre d'incident ne se répétera pas, sinon nous serons dans l'obligation d'exiger le départ de votre Monsieur Duhamel du chantier.

Bien à vous, D.C. Alexander, chef de Service-Administration". Nous savons que cette lettre fut remise sur les instructions de M. Hamel, le chef de chantier.

En tout temps pertinent au saccage de LG 2, Yvon Duhamel n'était d'aucune façon le préposé, représentant ou mandataire de l'International Union of Operating Engineers, mais plutôt le représentant du Conseil provincial des métiers de la construction. Témoignant devant l'honorable juge Claude Bisson le 30 janvier 1979, Laurent Hamel déclara sous ce rapport, et je cite la transcription de l'enquête de la matinée aux pages 29 et 30: "En fait, j'ai ici une précision. Moi, j'avais accepté la présence de M. Yvon Duhamel au chantier comme représentant du Conseil provincial des métiers de la construction et c'est la condition que j'avais émise. En d'autres mots, je ne voulais pas avoir un représentant par syndicat au chantier, un représentant du 791, un représentant du 144, un représentant du 62. Là, je parle de la FTQ et je peux parler de la même façon pour la CSN, etc. Alors, moi je voulais un représentant par centrale, c'est-à-dire un représentant pour la FTQ, un représentant pour la CSN et peut-être, éventuellement, un représentant pour la CSD, qui existait je crois à ce moment. Lorsque

j'ai donné mon accord à M. Gauvin, il était clair entre moi et M. Gauvin que M. Duhamel venait au chantier de LG 2 pour représenter la FTQ, c'est-à-dire le Conseil provincial des métiers de la construction." Je répète qu'il s'agit du témoignage du chef du chantier.

Conclusion. À la lumière des faits qui précèdent, on comprendra que j'ai fait appel à la droiture, à la sagesse et au fair-play des personnes en autorité et des membres du conseil d'administration de la SEBJ afin que cesse ou cessât au plus tôt ce procès long et coûteux non seulement pour la SEBJ mais également pour l'"International Union of Operating Engineers."

On comprendra aussi le refus de ma cliente de reconnaître quelque responsabilité que ce soit dans le saccage de LG 2 survenu le 21 mars 1974. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le ministre.

M. Duhaime: Me Beaulé, je vais partir de la fin de votre déclaration d'ouverture. Je comprends que, tout au long des péripéties en cours, vous avez représenté une des parties défenderesses, l'"International Union of Operating Engineers" et qu'au nom de votre cliente, vous avez déposé au dossier de la cour une défense alléguant, et c'est sur ce point-là que je voudrais vous entendre, la non-responsabilité du syndicat américain.

Je voudrais que vous informiez la commission de votre opinion, comme juriste, du point de vue de votre cliente quant au lien de droit dont on a beaucoup parlé depuis le début des travaux de cette commission, ou du lien de droit "entre votre cliente, le syndicat américain, et les événements qui sont survenus lors du saccage le 21 mars 1974"?

M. Beaulé: M. le Président. Il est clair que je ne veux pas, même après coup puisque le procès est terminé, entrer en polémique avec des confrères de la SEBJ. Je crois que l'opinion la plus pertinente de mes confrères quant aux éléments de responsabilité recherchés contre ma cliente, est celle du 16 décembre 1975 dont vous avez copie.

Là, on se place en 1979. Il s'agit du cahier de correspondances et lettres du cabinet Geoffrion et Prud'homme, page 6 et suivantes, et plus particulièrement à la page 14 et suivantes également. Je ne crois pas que, sauf erreur, l'étude Geoffrion et Prud'homme ait apporté par la suite d'autres commentaires nouveaux quant aux éléments de fait ou de droit qui pourraient fonder un recours contre l'union internationale.

Il y a eu plusieurs opinions dont j'ai pu prendre connaissance depuis la production des cahiers devant cette commission. Mais, à partir de la fin de 1978 ou du début de 1979, les opinions des procureurs de la SEBJ portent surtout sur l'exemplification d'un jugement obtenu ici contre les Américains ou plutôt sur les problèmes de faire exemplifier ou de rendre exécutoire aux États-Unis un jugement qui serait éventuellement rendu ici contre l'union internationale. Je vous avoue que, en ce qui concerne l'union internationale, nous n'avons pas, au cours du procès et avant, fait tellement de recherche sur les moyens de fait ou de droit que nous pourrions opposer à une telle action si un tel jugement était rendu. Nous étions d'avis que notre défense était bien fondée en fait et en droit devant les tribunaux québécois.

Maintenant, j'ai tenté ce matin, M. le Président, d'affirmer et de fournir les éléments de fait, en d'autres mots, de relater les faits qui fondent ou qui établissent la non-responsabilité de l'union internationale. Les plus beaux principes juridiques ne peuvent pas s'appliquer lorsque les faits ne se retrouvent pas dans un dossier qui puissent les appliquer ou qui puissent en permettre l'application comme dirait monsieur de La Palice, Je pense que les faits que j'ai étayés dans le mémoire, parlent abondamment et établissent d'une façon claire et précise que Duhamel n'était pas sous l'autorité ou le contrôle de l'union internationale au moment du saccage. En fait, même s'il était au moment du saccage encore payé par l'Union des opérateurs de machinerie lourde qui n'a jamais été affiliée à l'union internationale et qui n'a jamais payé de cotisation, par voie de conséquence, et dont l'union internationale a appris l'existence vers le 16 janvier 1974, Duhamel, à partir du moment où il met les pieds à LG 2 est là comme le préposé et le mandataire de la FTQ - Construction, soit du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction. Je pense que le témoignage de M. Hamel, que j'ai cité tout à l'heure, est percutant sur ce point. Même si on a pu échafauder certaines théories, à savoir qu'à Matagami, antérieurement au 14 février 1974, M. Duhamel était agent d'affaires non seulement de l'Union des opérateurs de machinerie lourde, mais également du local 791 de l'International Union of Operating Engineers, il n'en reste pas moins qu'à partir du moment où il met les pieds à LG 2, il change de patron; son patron devient André Desjardins, son patron devient la FTQ-Construction. Qu'il ait continué à être sur la liste de paie de l'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec, à mon sens, ne change rien au lien de préposition qui s'établit entre lui et le conseil provincial ou avec la FTQ - Construction. Et même cependant - je ne veux pas en parler troplonguement, parce qu'à mon sens, cela m'apparaît hypothétique puisque les événements ne sont pas produits avant le 14

février, mais le 21 mars - même avant le 14 février 1974, même si Duhamel était agent d'affaires des deux unions locales dont l'une était affiliée aux Américains, il n'en résulte pas qu'il était sous l'autorité ou le contrôle de l'union internationale. Celle-ci, d'ailleurs, ne savait pas qu'il était agent d'affaires de l'union locale 791, n'avait aucune communication avec lui et qui n'avait d'aucune façon ratifié, si tel est le cas -parce que je n'ai jamais vu, malgré toutes les enquêtes qu'on a faites - le contrat d'emploi ou sa nomination comme agent d'affaires du local 791, affilié au syndicat américain. (12 heures)

Sur ces points, je veux bien préciser ce qui suit. Même si M. Duhamel a été agent d'affaires des deux unions d'opérateurs de machinerie lourde avant le 14 février, il était sous le seul contrôle de ces unions et non pas subordonné à l'union internationale et non plus sous le contrôle et la direction de l'union internationale qui ignorait tout du poste qu'il occupait et, également, de ce qu'il faisait. Elle n'avait pas, de quelque façon que ce soit, ratifié son engagement, si engagement il y eut.

Mais, par la suite, alors que les événements se produisent, il a changé de patron. Son patron est la FTQ-Construction. Jamais l'union internationale n'a été prévenue par qui que ce soit, incluant la SEBJ, des problèmes qui se posaient au chantier de LG 2 à partir du 14 février 1974.

On peut peut-être dire que l'arrêt de la Cour suprême, dans l'affaire Gaspé Copper Mines, ne s'applique pas mais, avec respect, je crois qu'il s'applique drôlement. Dans ce cas-ci, nul ne prétend que l'union internationale a fomenté ou a participé aux événements du 21 mars 1974. Je crois aussi que l'arrêt rendu par M. le juge Masson dans l'affaire de Reynolds, le 9 février 1979, est également utile. L'honorable juge Masson avait retenu la responsabilité de la CSN parce que le directeur régional de la CSN avait participé aux actes illégaux qui ont fondé l'action en dommages, après consultation avec le secrétaire général de la CSN. Vous ne retrouvez pas ces faits, de quelque façon que ce soit, dans le dossier du saccage du chantier de LG 2.

Pour conclure sur ce point, M. le Président, je respecte les hypothèses de travail, parce que je crois honnêtement qu'il s'agit d'hypothèses de travail, que l'on retrouve dans cette opinion du 16 décembre 1975 de la firme Geoffrion et Prud'homme. Je respecte ces hypothèses de travail, dis-je, mais je soumets qu'aucune de ces hypothèses de travail n'a pu être prouvée et que non seulement, aux yeux de notre droit québécois, l'union internationale ne pouvait pas être recherchée en dommages, mais a fortiori en vertu de la loi américaine et, particulièrement, en vertu du "Norris-La Guardia Act", si on parle d'exemplification d'un jugement éventuel aux États-Unis.

M. Duhaime: Me Beaulé, nous avons, bien sûr, comme vous le savez sans doute, soit par votre présence ou par le truchement de la télévision, beaucoup parlé du "Norris-La Guardia Act" depuis le début de nos travaux. Je voudrais vous référer au document qui a été déposé par la SEBJ devant cette commission, à la page 135. Cela correspond à une lettre transmise par l'étude Geoffrion et Prud'homme à Me André Gadbois, en date du 19 février 1979, et qui fait référence au "Norris-La Guardia Act".

Avant de vous poser ma question, je pense qu'il est peut-être utile de lire ce que je considérerais être la partie la plus pertinente de la lettre de Me Cardinal, de l'étude Geoffrion et Prud'homme, à Me Gadbois. Je commencerais la lecture au dernier paragraphe de la lettre du 19 février 1979, en première page: "Si la responsabilité de l'International Union of Operating Engineers était retenue, ce serait par effet combiné des dispositions de ses "statuts" et des articles 1054 et 1731 du Code civil qui imposent aux commettants et aux mandants une responsabilité présumée. Tandis que dans l'affaire Gaspé Copper Mines, il a été prouvé que des agents et représentants de l'union internationale avaient "fomenté, organisé, dirigé, soutenu et financé" la grève illégale et que certains actes de violence qui s'en sont ensuivis ont été commis "avec la participation, l'approbation expresse ou tacite, les encouragements, les incitations ou les appuis matériels et financiers des agents et représentants de la haute hiérarchie et direction" - il y a un renvoi en bas de page: United Steelworkers of America contre Gaspé Copper Mines Ltd, 1970, R.C.S., 362, à la page 366, pour préciser le renvoi de la même union, nous n'avons pas dans notre cas d'éléments de preuve permettant de croire que l'International Union of Operating Engineers aurait participé de semblable façon aux événements de mars 1974. "Or, sur une action en exemplification intentée devant la Cour fédérale du district de Columbia (comme le suggèrent nos correspondants américains), la sympathie de ce tribunal pourrait naturellement pencher en faveur du défendeur américain, habitué comme il l'est à appliquer l'article 6 du "Norris-La Guardia Act" qui stipule comme suit: "No officer or member of any association or organization, and no association or organization participating or interested in a dispute, shall be held responsible or liable in any court of the United States for the unlawful acts of individual officers, members or agents, except upon clear proof of actual

participation in, or actual authorization of, such act or of rectification of such acts after actual knowledge thereof." Les tribunaux fédéraux américains pourraient, dans ce contexte, être tentés d'appliquer la règle de réciprocité que la jurisprudence récente semble avoir répudiée."

Nous avons longuement entendu les procureurs de la SEBJ nous parler de cette répudiation, récente aux États-Unis, de la tendance jurisprudentielle à ne pas appliquer la règle de réciprocité. Je voudrais connaître votre opinion à la suite de l'exposé que vous avez fait tantôt. Je pense qu'il est clair pour tout le monde, de l'aveu de tous ceux que la commission a entendus, qu'il fallait chercher dans les moyens de droit pour établir la responsabilité de votre cliente ou bien une preuve d'omission ou encore une preuve de ratification de quelques-uns des gestes qui auraient pu être posés soit par Duhamel ou par d'autres personnes impliquées dans le saccage de 1974. Je voudrais peut-être que, comme juriste, vous nous donniez votre opinion, puisqu'on en a entendu beaucoup depuis le début de nos travaux, sur l'application possible, probable du "Norris-La Guardia Act" et en particulier sur la règle de réciprocité.

M. Beaulé: J'ai indiqué tout à l'heure qu'avant le procès comme au cours du procès nous ne nous étions pas penchés - quand je dis nous, je réfère également à Me Fanning, avocat de l'International Union of Operating Engineers, à Me Woll qui est le "general counsel" de l'AFL-CIO - sur ce problème parce que, à notre point de vue, la question d'exemplification était prématurée. Je le dis en tout respect pour mes confrères. J'ai indiqué tout à l'heure qu'à mon avis la seule opinion de Geoffrion et Prud'homme qui porte vraiment sur les éléments qui pourraient fonder la responsabilité de l'union internationale se retrouve dans cette lettre du 16 décembre 1975. J'ai dit aussi que, par la suite, on avait bifurqué sur une autre question, soit l'exemplification d'un jugement.

Je ne veux pas être simpliste, je ne veux pas être injuste non plus, mais si la SEBJ était incapable d'établir les hypothèses que nous retrouvons dans l'opinion du 16 décembre 1975 où la responsabilité a été établie devant nos tribunaux en fonction de notre droit, il m'apparaît prématuré, pour ne pas dire futile, de se poser la question si on pourra exemplifier ou exécuter aux États-Unis un jugement qu'on ne pourrait peut-être jamais obtenir. Quant à la question d'exemplification d'un jugement aux États-Unis, je vois que nos confrères Geoffrion et Prud'homme ont fait appel à des conseils américains. Je vous ai dit tout à l'heure, en blanc et en noir, que nous ne l'avions pas fait parce que, pour nous, c'était prématuré.

Je voudrais bien répondre à votre question, mais je pense que cela ne servirait pas nécessairement les fins de la justice et que cela n'éclairerait pas nécessairement vos travaux. Cependant, si vous m'y invitez fortement - mais ce n'est pas une invitation de vous garder trop longtemps ici - je pourrais peut-être y penser au cours des prochaines heures.

Mais, pour revenir à cette lettre de Geoffrion et Prud'homme du 16 février 1979 à Me André Gadbois que nous retrouvons aux pages 134 et 135 du document déposé par la SEBJ le 30 mars, je veux affirmer bien clairement - et, en disant cela, je ne crois pas manquer de respect à un condisciple de l'université et un grand avocat qui s'appelle François Aquin, également à Me Jetté et Me Cardinal - qu'en regard de notre droit québécois Duhamel n'était pas une personne sous le contrôle de l'union internationale; il n'y avait pas de relations de commettant et de préposé entre Duhamel et l'union internationale. Je suis obligé de le dire parce qu'on m'a posé la question: On a échafaudé la théorie suivante, appelons-la hypothèse ou théorie: si la SEBJ ne pouvait pas établir que Duhamel agissait sous le contrôle ou la supervision de l'union internationale, on voulait établir une responsabilité contre l'union internationale aux motifs que normalement son contrat d'engagement comme agent d'affaires aurait été ratifié par le président de l'organisation de l'union internationale, ce qui n'est pas le cas, ou aurait du l'être.

Je ne veux pas caricaturer cette opinion du 16 décembre 1975 parce qu'il y a beaucoup de fois le mot "possible". Ce qui m'a frappé le plus dans l'opinion du 16 décembre 1975 sur l'union internationale, c'est non seulement les hypothèses de travail qu'on y formule, mais la répétition du mot "possible". On a dit que la responsabilité de l'union internationale pourrait être engagée en ce sens qu'elle aurait ratifié le contrat d'engagement de Duhamel. Or, à ma connaissance, personne n'a encore vu ce contrat. S'il était vraiment agent d'affaires du local 791 affilié aux Américains, une chose est certaine, son contrat n'a pas été ratifié et je pourrai cet après-midi vous donner plus de précisions, parce que j'attends un dossier de Montréal qui touche cette question. Jamais son contrat n'a été ratifié. On disait: Bien, même si l'union internationale n'a pas ratifié son contrat, elle a pu, en le laissant agir comme agent d'affaires, poser un geste qui a les mêmes conséquences juridiques. Il n'y a pas l'ombre de la queue d'une preuve que les Américains savaient que M. Duhamel était agent d'affaires de l'union internationale ou plutôt du local 791 à Matagami et encore moins représentant de la FTQ à LG 2.

Pour l'information de la commission et comme je suis délié de mon secret

professionnel, je n'en ai qu'un exemplaire, mais je voudrais, M. le Président, - vous pourrez donner les instructions qui s'imposent, s'il y a lieu - déposer trois lettres; l'une du 16 janvier 1974 par M. Rowland Hill, qui était le directeur canadien de l'International Union of Operating Engineers, adressée au président général de l'époque de l'union internationale, le 16 janvier 1974. Vous pourrez vous rendre compte de quelle façon mes clients ont appris l'existence de l'Union des opérateurs de machinerie lourde qui s'était incorporée en janvier 1973, mais qui avait affiché ses couleurs au bureau d'enregistrement de Montréal le 15 octobre 1973 et qui a commencé à marcher sur les plates-bandes du local 791 affilié à ma cliente ou du local 793 de Toronto au début de l'année 1974. C'est la première. (12 h 15)

La deuxième lettre est également adressée à M. Wharton qui était alors le président général de l'International Union of Operating Engineers. Elle vient encore de M. Rowland Hill et fait état de rencontres qu'il a eues avec M. Robert Meloche à Montréal. Comme vous n'avez pas ces. lettres, je vais éviter de les commenter pour le moment. Elles sont très révélatrices. Elles établissent clairement que, même le 13 mars 1974, soit huit jours avant le saccage, mes clients non seulement n'étaient pas au courant de la situation à LG 2, mais venaient tout juste de se rendre compte de la compétition déloyale que leur faisait l'Union des opérateurs de machinerie lourde à Montréal et au Québec et qu'ils entendaient prendre des dispositions ou des mesures pour mettre fin à cette ingérence ou à cette concurrence déloyale.

Finalement, une troisième lettre du 16 août 1974 adressée par Lévesque et Brodeur et signée par M. Denis Lévesque alors avocat et maintenant juge à la Cour supérieure. C'est l'avocat que mes clients avaient consulté au printemps et à l'été 1974 au sujet de ce problème. Quand je parle de ce problème, je parle de la coexistence de deux unions, l'une affiliée aux Américains, l'autre ne l'étant pas et oeuvrant dans le même secteur.

Le Président (M. Jolivet): Nous allons aller les chercher pour en faire des photocopies pour cet après-midi.

M. Beaulé: Je soumets avec respect que ces lettres établissent hors de tout doute la bonne foi de ma cliente et son ignorance non seulement des événements de LG 2, mais qu'elle venait tout juste d'apprendre l'existence de cette union québécoise. '

M. Duhaime: Je vais revenir tout à l'heure, Me Beaulé, sur ces lettres. Je voudrais qu'on établisse, à la suite de ce que vous venez de nous dire, votre mandat comme procureur dans ce dossier en ce qui est de la responsabilité de votre cliente. Ce qui nous a été dit a toujours été pour nier la responsabilité du début jusqu'à la fin.

Me Beaulé, comme procureur, à ce qu'on sache, de la seule partie défenderesse solvable dans ce dossier, selon votre expérience, suivant votre propre évaluation...

M. Beaulé: Je ne veux pas vous interrompre, M. le ministre, sauf pour dire que l'évaluation de la situation financière de ma cliente a été faite par les procureurs de la SEBJ, mais j'imagine qu'elle est bonne.

M. Duhaime: Alors, je le dis sous réserve. D'après votre expérience de la pratique - on nous a parlé d'un procès de six mois en Cour supérieure à Québec - un procès comme celui-là, jusqu'à un jugement final en Cour suprême, peut coûter combien suivant une évaluation? Ensuite, j'aimerais avoir votre évaluation quant à la durée d'un procès comme celui-là, de la première instance en Cour supérieure ici jusqu'en Cour suprême.

M. Beaulé: Je vais d'abord parler pour ma cliente, si j'ai bien compris le sens de votre question. Non seulement pour les frais juridiques de l'étude Schwisberg, Benson & MacKay, mais également pour les frais d'une firme d'ingénieurs de Toronto, Acres - je n'ai pas les chiffres quant aux frais de déplacement et à ce qu'on appelle les frais afférents - mes clients avaient dû engager avant ma nomination une somme d'environ 200 000 $. À compter du début du procès, soit le 15 janvier, nous avions prévu environ 10 000 $ par semaine pour assurer la défense de l'union internationale parce que nous étions les seuls à pouvoir commander la transcription au jour le jour, et cela coûtait de l'argent, et il y avait les frais de traduction. Mes clients insistaient pour avoir la traduction de tous les débats. C'était leur droit. Il y avait également les honoraires. J'ai parlé de Ginette Lafortune, de Michel Brisson, et il y avait les miens. Donc, ce sont des frais qui étaient d'environ 10 000 $ par semaine à compter du 15 janvier 1979. Il y a eu, évidemment, les frais pendant cette période du 20 avril 1978 jusqu'à l'ouverture du procès.

Ce sont des frais qui auraient pu facilement atteindre, si nous parlons d'une cause qui va jusqu'en Cour suprême, en ce qui concerne l'union internationale, à partir du 15 janvier 1979 seulement, quelque chose comme 500 000 $. C'est pourquoi, avant l'ouverture du procès, rencontrant Me Jetté dans un petit restaurant de Montréal, que certains d'entre vous, messieurs, devez connaître, un excellent restaurant, qui s'appelle Le Cliché, dans un sous-sol au coin

de la rue Notre-Dame et Saint-François-Xavier, c'était cinq jours avant l'ouverture du procès et je parlais sans préjudice, cela va de soi, et sans avoir consulté au préalable mes clients, mais je pensais quand même que, si le conseil était judicieux il accepterait peut-être - j'ai parlé à ce moment-là d'un règlement pour un montant global de 250 000 $, non pas que nous reconnaissions notre responsabilité, mais parce que j'étais conscient des frais que mes clients allaient supporter au cours de ce procès.

J'ai été un peu mal à l'aise lorsque M. Jetté a parlé de cela, non pas que j'aie honte des propos que je tiens, même si je n'ai pas l'immunité parlementaire, parce que, entre avocats, il y a une chose qui s'appelle la confidentialité. On ne peut pas répéter devant les tribunaux les conversations privilégiées entre avocats et, règle générale, les juges ne l'acceptent pas, non plus. Devant cette commission, M. Jetté a jugé utile - je ne l'en blâme pas, c'est un excellent avocat et aussi un ami - de parler de cela. Il l'a fait avec beaucoup de franchise. C'est vrai que, le 10 janvier 1979, je lui ai parlé d'un montant global de 250 000 $ pour acheter la paix, mais toujours en fonction, M. le Président, des coûts qu'allait supporter ma cliente si le procès débutait le 15 janvier et sachant aussi - parce que les années de pratique passent rapidement - après 25 ans de pratique, qu'un procès est un peu comme une guerre: une fois que c'est commencé, c'est difficile à arrêter, de sorte que cela aurait pu aller jusqu'en Cour suprême. Dans ce cas, on se retrouve peut-être en 1985. Mais je ne suis pas aussi optimiste que les avocats de la SEBJ. Je ne crois pas que cela aurait été aux États-Unis. Je ne crois pas qu'ils auraient eu matière à prendre une action en exemplification de jugement, parce que, sans être téméraire, je pense respectueusement qu'ils n'avaient pas de cause contre les Américains.

M. Duhaime: Me Beaulé, vous venez de nous dire que vous êtes en pratique depuis 25 ans; je voudrais savoir exactement combien d'années de pratique vous avez au barreau.

M. Beaulé: J'y ai été admis le 15 juin 1957, mais j'étais de la promotion de 1956 où il y avait François Aquin - pourquoi ne pas le dire, cela évitera peut-être une question - Jean-Roch Boivin, Mario Beaulieu et bien d'autres. Enfin, si je pense à tous les gens qui se sont engagés dans la politique, je pense que cela a été une bonne cuvée.

M. Duhaime: Meilleure en vieillissant? Qui, comme les meilleures, s'apprécie avec les années! Au cours de votre pratique comme avocat, vous avez eu différents associés professionnels; est-ce que vous pouvez nous apporter des précisions? Est-ce que vous avez été en association d'affaires, comme avocat en pratique, avec Me Jean-Roch Boivin?

M. Beaulé: La réponse est oui. J'ai été associé avec Jean-Roch Boivin. J'en garde un excellent souvenir, parce que j'ai toujours considéré qu'il était un excellent juriste. On me permettra de dire, sans aucune partisanerie - je crois même que de part et d'autre, si je peux me permettre cette expression, certains l'ont connu dans la pratique; il a pratiqué 20 ans en responsabilité civile à Montréal et en droit du travail - qu'il a été un des avocats les plus brillants que nous ayons eus dans la pratique à Montréal, dans ce secteur en tout cas.

Donc, oui, j'ai été associé avec M. Jean-Roch Boivin et je voudrais bien préciser que cela a été de 1961 à 1965, donc il y a bientôt 20 ans. Je pense même que, si M. Boivin était juge, après tant d'années, j'aurais le droit de plaider devant lui. Peut-être aussi avais-je le droit de m'adresser à lui en 1978 sans qu'il y ait nécessairement un conflit d'intérêts ou qu'on y voie quelque chose, comme on dit en anglais, d"'improper".

M. Duhaime: Cela m'amène à vous poser quelques questions parce qu'on a fait beaucoup de tapage sur cela. Suivant une liste qui a été rendue publique par le premier ministre, il appert que vous avez eu avec Me Boivin une première rencontre le 11 décembre 1978, une seconde le 15 janvier 1979, en compagnie de Me Michel Jasmin, une troisième le 19 janvier, en compagnie de Me Jasmin, et une dernière le 2 février en compagnie de Me Jasmin. Voulez-vous dire à la commission quel a été le contenu de vos conversations avec Me Boivin?

M. Beaulé: Me permettez-vous, en rapport avec votre question, de préciser que, selon mon agenda, j'ai également rencontré brièvement M. Boivin à Québec en rapport avec ce dossier le 1er décembre 1978? Il ne s'agit pas du bureau du premier ministre à Montréal. Je l'ai rencontré le 1er décembre 1978. J'étais venu à Québec pour d'autres affaires, mais je lui ai remis à ce moment une copie de la contestation de l'action de la SEBJ déposée le 28 novembre, donc deux ou trois jours avant. Cela a été une rencontre très brève. Je lui ai remis le document et on a parlé d'autre chose. C'était vraiment une visite amicale. Cependant, je lui ai remis un document qui touchait le débat et qui était la contestation. Si vous jugez utile que cette contestation soit produite, il me fera plaisir

de le faire. Elle est, à toutes fins utiles, intégrée dans la déclaration que j'ai faite ce matin. Donc, je l'ai vu, le 1er décembre 1978, à Québec, brièvement. Je n'avais signé aucun registre. Cela a été fait d'une façon, même, un peu fortuite.

Maintenant, quant à la visite du 19 janvier 1979, j'étais accompagné non seulement de Me Jasmin, mais également de Me Woll qui est un des vice-présidents de l'AFL-CIO et en même temps le conseiller juridique de l'AFL-CIO et de Me Fanning, dont j'ai parlé, qui est ce qu'on appelle le house counsil de l'union internationale. Votre question porte sur les sujets qui ont été abordés. Je n'irai pas par quatre chemins en vous disant que je voulais le sensibiliser -pour autant que c'était nécessaire, parce que je ne mets pas en doute la conscience sociale de Jean-Roch Boivin - à cette poursuite de 31 000 000 $ prise contre les Américains, qui, à notre point de vue, était abusive, et aux conséquences que cette poursuite pouvait avoir sur le plan international, aux États-Unis.

Ce n'est pas pour rien que Me Woll et Me Fanning avaient demandé, même si l'entrevue a été plutôt brève le 19 janvier, à voir M. Boivin. C'était devenu un sujet de discussion aux réunions du conseil de l'AFL-CIO. Les syndicats américains sont habitués d'être poursuivis, mais, lorsqu'une poursuite leur paraît manifestement injuste, ils ne l'acceptent pas facilement. Je crois qu'on peut leur accorder cela et respecter leur sens de la dignité.

J'ai dit tout à l'heure - ce n'étaient pas des affirmations pour la forme; d'ailleurs, je suis sous serment - que nous n'avions aucun rapport avec Duhamel. Je pense que la vraie raison pour laquelle on a poursuivi l'union américaine, c'est qu'il était le seul défendeur solvable. Si vous me demandiez, M. le ministre - vous permettez, M. le Président - quel est le fondement juridique de l'action, je vous dirai que le défendeur, l'International Union of Operating Engineers, était solvable. Par voie de conséquence, il était recherché en responsabilité. J'aurais préféré ne pas faire cette affirmation, mais elle est venue, elle est sortie et je ne vais pas la rétracter.

C'était devenu un sujet de préoccupation et Me Woll voulait en sensibiliser les autorités québécoises. Je dois vous dire, parce que je ne vois pas ce que ma cliente aurait à cacher puisque, si elle est poursuivie injustement ou abusivement... Entre parenthèses, cela me rappelle une partie du témoignage de M. Aquin. Je pense que la SEBJ, au moment du règlement, a demandé à ses avocats une opinion, à savoir si elle pouvait être poursuivie à raison d'une poursuite abusive ou à la suite d'une poursuite abusive. Peut-être qu'elle ne pensait pas seulement aux défendeurs, aux personnes physiques, mais aussi aux corporations, en l'occurrence à ma cliente.

Le Président (M. Jolivet): Me Beaulé, je suis obligé de vous arrêter pour ajourner les travaux de la commission jusqu'après la période des questions, vers 15 heures, 15 h 30, cet après-midi.

(Suspension de la séance à 12 h 30)

(Reprise de la séance à 16 h 17)

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente de l'énergie et des ressources reprend ses travaux aux fins d'examiner les circonstances entourant la décision du conseil d'administration de la Société d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard.

Les membres de cette commission sont: MM. Tremblay (Chambly), Ciaccia (Mont-Royal), Duhaime (Saint-Maurice), Bourbeau (Laporte), Gratton (Gatineau), Lavigne (Beauharnois), LeBlanc (Montmagny-L'Islet), Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), Perron (Duplessis), Rodrigue (Vimont).

Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Vaillancourt (Jonquière), Desbiens (Dubuc), Dussault (Châteauguay), Mme Harel (Maisonneuve), MM. Paradis (Brome-Missisquoi), Pagé (Portneuf), Doyon (Louis-Hébert) et Saintonge (Laprairie). Le rapporteur est toujours M. LeBlanc, de Montmagny-L'Islet.

Nous en étions, lorsque nous avons terminé nos travaux à l'heure du dîner, avec Me Rosaire Beaulé. Je tiens à vous faire remarquer que, compte tenu de certaines discussions qu'il y a eu à l'Assemblée nationale, nous commençons nos travaux plus tard que prévu. Nous avions parlé de 15 heures, 15 h 30 et il est environ 16 h 15. Cela est dû à des discussions plus longues que prévu à l'Assemblée nationale. Je pense qu'il vaut la peine de le faire remarquer. On doit donc suspendre nos travaux à 18 heures. Nous reviendrons de 20 heures à 22 heures et, comme prévu par un avis à l'Assemblée nationale, nous siégerons demain matin, de 10 heures à 13 heures.

La parole était, au moment où nous nous sommes quittés, à Me Beaulé qui devait terminer la réponse à la question du ministre. Me Beaulé.

M. Beaulé: Je me souviens de la question du ministre de l'Énergie et des Ressources, mais peut-être pourrait-il la reformuler, si je peux lui demander ce

privilège.

Le Président (M. Jolivet): Juste avant, je vais, quand même, corriger une chose. Lors de la nomination des présences, j'ai oublié de nommer M. Laplante (Bourassa), à titre de membre, bien entendu. En même temps, on vous remet copie des documents qu'on avait fait photocopier ce matin.

M. le ministre, à la suite de la demande de Me Beaulé.

M. Duhaime: Merci, M. le Président. Je ne pourrais pas vous garantir que je suis en mesure de répéter mot pour mot la question que j'ai formulée avant l'heure du lunch. J'essaie même de me rappeler exactement où nous en étions. Je crois me souvenir que nous étions à parler de la responsabilité de votre cliente, l'union internationale. Je vous avais interrogé sur le mandat que vous aviez de nier la responsabilité jusqu'au bout et je vous avais demandé quels étaient les arguments, l'"allégué" principal que vous invoquiez au soutien de la défense qui a été produite au dossier de la cour; je crois que nous en étions là.

Me Beaulé, ce matin, vous avez fait une déclaration d'ouverture et, à la suite de mes questions, nous avons parlé du lien de droit entre les syndicats québécois et vos clients américains. Je crois que cela s'enchaînait; nous en étions à la responsabilité.

Le Président (M. Jolivet): Me Beaulé.

M. Beaulé: Pour ce qui est du volet de la responsabilité ou de la non-responsabilité, j'aimerais, si c'est possible, pouvoir y revenir, parce que j'attendais les documents que j'ai effectivement reçus tout à l'heure par messager en provenance de Montréal et j'aimerais avoir une occasion de les consulter. Il s'agit de documents qui émanent du président général de l'International Union of Operating Engineers. J'aimerais les consulter et peut-être revenir à ce moment, si c'est possible, sur la question de la non-responsabilité.

Cependant, un bref commentaire à la suggestion de l'avocate qui m'accompagne et qui me conseille aussi. Il y a lieu de répéter une chose qui est tellement acquise qu'elle a été oubliée ce matin, mais qui a son importance parce que ceux qui suivent ce débat ne sont pas tous familiers avec notre droit, avec notre procédure. Il est important de se rappeler que le fardeau de la preuve, ce n'est pas la défenderesse de l'International Union of Operating Engineers qui l'avait et qui l'a devant cette commission. Le fardeau de la preuve repose sur la SEBJ; c'est à elle d'établir ses dommages, c'est à elle également d'établir la responsabilité, ce qui ne nous dispense pas de vous présenter le point de vue de nos clients et de répondre, aussi, aux questions que vous nous posez, cela va de soi. Je crois qu'il est important de répéter que le fardeau de la preuve devant l'honorable juge Bisson reposait non pas sur les défendeurs - c'est un des acquis de notre système ici - mais sur la demanderesse, la SEBJ.

Si vous me le permettez, j'aimerais revenir plus tard sur la question de la responsabilité, si vous n'y voyez pas d'objection. Au moment de l'ajournement, vous m'aviez référé, M. le ministre, à la liste des rencontres de Me Boivin. Je me suis peut-être mal exprimé tout à l'heure quand je vous ai demandé de reformuler la question; je voulais plutôt vous demander de la répéter pour être bien sûr que nous étions sur la même voie.

M. Duhaime: Me Beaulé, si vous me le permettez, le bureau du premier ministre a rendu publique, a déposé, je crois, à l'Assemblée nationale la liste des rencontres effectuées au bureau de Me Jean-Roch Boivin. La première que j'avais datait du 11 décembre 1978. Quand on parle du bureau du premier ministre ici, on parle du bureau du premier ministre dans l'édifice d'Hydro-Québec à Montréal. À l'ajournement de midi, vous avez vous-même évoqué que vous aviez rencontré Me Boivin le 1er décembre 1978 à son bureau à Québec et que cela avait été une visite très brève.

Pour éviter de surcharger le débat de questions, si vous me le permettez, je voudrais vous suggérer, dans la narration que vous ferez des rencontres que vous avez vous-même eues, soit seul ou en compagnie de confrères qui ont des intérêts dans le même dossier, de suivre un ordre chronologique. Je pense que tout le monde pourra vous suivre beaucoup plus facilement, si cette proposition vous agrée.

M. Beaulé: Le 1er décembre 1978, j'étais de passage à Québec, comme je l'ai dit avant l'ajournement, et j'ai remis à M. Boivin une copie de la contestation ou de la défense de l'International Union of Operating Engineers à l'action de la SEBJ, copie qui était déjà en la possession des procureurs de la SEBJ depuis le 28 novembre précédent. Notre conversation n'est pas allée au-delà de cela. Je lui ai remis le document en lui demandant, s'il en avait le temps à un moment donné, d'en prendre connaissance et nous n'avons pas discuté du dossier. J'ai donc simplement remis copie de cette procédure.

Je vois ici, sur la liste des rencontres au bureau du premier ministre à Montréal, une rencontre avec M. Boivin, le 11 décembre, rencontre qui a duré 50 minutes selon le tableau que j'ai devant moi. Pour l'essentiel, ce jour-là, la conversation que nous avons eue a porté sur ce que

j'appellerais l'absence de lien de droit, ce que j'ai développé dans la troisième partie de ma déclaration de ce matin, intitulée La non-responsabilité de l'International Union of Operating Engineers. Évidemment, je n'avais pas tous les éléments que j'ai aujourd'hui; à titre d'exemple, je ne pouvais pas lui parler du témoignage de M. Hamel du 30 janvier, comme le dirait M. de La Palice, mais j'ai discuté avec lui ou, plutôt, je lui ai soumis certains faits qui étaient de nature ou qui indiquaient mon point de vue, à savoir que l'union internationale n'avait pas été mêlée au saccage, que M. Duhamel n'était pas le mandataire de l'union internationale, que l'union internationale n'avait pas eu connaissance de ces événements, qu'elle ne les avait pas fomentés, n'y avait pas participé, en somme, n'avait eu aucun contact avec M. Duhamel. J'ai tenté de lui démontrer, dans le cadre d'une conversation amicale, à partir des faits qui étaient à notre connaissance à ce moment, la non-responsabilité de l'union internationale et peut-être aussi le caractère que mes clients considéraient comme abusif de cette poursuite. Cela, c'est pour le 11 décembre.

Pour ce qui est de la rencontre du 15 janvier 1979, elle a duré, selon le tableau que j'ai devant moi, 26 minutes. C'était à la fin de la première journée de l'enquête et je crois que cela a porté uniquement sur le début du procès. C'était purement, si vous voulez, "une séance d'information" sur le début du procès.

Le 19 janvier 1979, je vous ai indiqué ce matin que j'étais présent au bureau de M. Boivin avec Me Jasmin, Me Woll et Me Fanning. Ces derniers désiraient le rencontrer et ils ont pu, pendant quelques minutes, lui exposer les préoccupations de l'union internationale. M. Woll, en particulier, lui a exposé les préoccupations de certains officiers de l'American Federation of Labor, l'AFL-CIO, devant cette poursuite. L'essentiel de la rencontre du 19 janvier 1979 se résume à cela.

Le 2 février, toujours selon le tableau, j'étais au bureau de M. Boivin. Il s'agit d'une rencontre qui a duré, semble-t-il, environ une heure et cinq minutes; évidemment, cela inclut aussi le temps d'attente, parce que tout le monde sait qu'il faut attendre son tour. Cela ne veut pas dire que les réunions duraient nécessairement une heure et cinq minutes; c'était une rencontre qui a duré vingt minutes, mais en tout cas! Le 2 février, je me souviens d'avoir remis à M. Boivin un document dactylographié à mon bureau qui s'intitulait: Y a-t-il un lien de droit entre la SEBJ et l'International Union of Operating Engineers? (16 h 30)

Vous pouvez trouver le même texte dans le cahier déposé par la SEBJ le 30 mars dernier, aux pages 93 et suivantes. Je réfère particulièrement à la page 93: L'absence de lien de droit ou la non-responsabilité de l'International Union of Operating Engineers. Dans ce document, il n'était pas question du quantum des dommages, mais strictement de l'absence de lien de droit. Je me souviens très bien lui avoir remis un mémo sur cette question, lequel était en tout point conforme au document que vous trouvez aux pages 93 et suivantes. J'avais indiqué à M. Boivin que je transmettrais le même document à Me Aquin, ce que j'ai fait le 5 février. Sauf que, lorsque j'ai écrit à Me Aquin, j'ai ajouté un chapitre sur le quantum des dommages réclamés; en fait, j'ai fait des commentaires sur la réclamation même de la SEBJ.

Je ne pense pas que M. Boivin m'ait fait part ce jour-là de la rencontre de la veille entre M. Lévesque et MM. Saulnier, Boyd et Giroux. En réalité, le 2 février 1979 c'est la dernière rencontre que j'ai eue au bureau de M. Boivin. En fait il y en a très peu. Je le vois rapidement le 1er décembre 1978, à Québec, je le vois le 11 décembre, le 15 janvier, le 19 janvier, avec Mes Woll et Fanning, et le 2 février. L'attitude de Me Boivin face aux informations que je lui transmettais sur cette cause, face aux documents que je lui remettais, était la suivante: Je vais prendre connaissance des documents, je ferai rapport à qui de droit. M. Boivin ne m'a jamais, en ma présence en tout cas, jusqu'au 2 février 1979, indiqué si une décision avait été prise au niveau politique ou plutôt si M. Lévesque, entre autres, avait pris une décision quelconque ou avait une opinion sur cette question.

Ce que je veux dire par là, c'est que l'attitude de M. Jean-Roch Boivin, du 1er décembre 1978 jusqu'au début de février 1979, a été d'écouter et de me dire qu'il allait transmettre à qui de droit les renseignements et les documents que je lui faisais parvenir. En fait, cela clôt, M. le Président, la liste des visites que j'ai faites au bureau de M. Boivin, incluant celles de Québec.

Le Président (M. Jolivet): Juste une petite correction. Vous avez parlé d'une rencontre le 1er février et vous avez mentionné M. Giroux. Je pense que vous vouliez dire plutôt M. Laliberté.

M. Beaulé: C'est cela, je m'excuse. Je n'étais pas là.

Le Président (M. Jolivet): C'est pour les besoins du journal des Débats.

M. Beaulé: Vous avez raison. Vous faites bien de me corriger.

M. Duhaime: Maintenant, Me Beaulé, au

cours de ces rencontres et discussions avec Me Boivin, chef de cabinet du premier ministre, est-ce qu'en aucun moment au sens du dictionnaire, vous-même vous avez "négocié" le règlement qui, ultérieurement, est intervenu dans ce dossier?

M. Beaulé: Non. Je sais qu'un journaliste, que je respecte, a récemment écrit, samedi dernier, pour être précis, que j'avais admis avoir négocié le principe du règlement. Je respecte ce qu'il a écrit et son droit de l'écrire. J'avais dit, vendredi dernier, à la suite d'un événement que je ne veux pas relever, que j'avais discuté du principe du règlement, et je m'en étais expliqué, en anglais, en disant que je tentais de convaincre, pour autant que besoin était, M. Boivin des implications sociales de cette cause et de la poursuite de ce procès aussi que du caractère abusif, à mon point de vue, de cette poursuite contre l'union internationale. Donc, j'ai tenté d'informer M. Boivin et j'ai tenté de le convaincre du bien-fondé du point de vue de ma cliente. Et c'en est resté, si vous voulez, à des rencontres d'information. Je n'ai rien à ajouter là-dessus.

M. Duhaime: Est-ce que le premier ministre du Québec, M. René Lévesque, a déjà communiqué avec vous pour discuter ou négocier le règlement de cette affaire?

M. Beaulé: Non, et je vais dire plus. Pendant toute cette période-là, donc de décembre 1978 à mars 1979, je crois que je l'ai entrevu une fois. J'attendais M. Boivin à son bureau d'Hydro-Québec. Il est entré, il m'a salué et ce fut une conversation très courte qui n'a absolument pas porté, d'ailleurs, sur la cause.

M. Duhaime: Me Beaulé, est-ce que vous connaissiez ou connaissez Me Louis Gauthier, notaire?

M. Lalonde: Yves.

M. Duhaime: Yves Gauthier, pardon.

Une voix: Comme Yves Duhaime.

M. Duhaime: Je m'excuse, M. le Président, c'est sans doute dû à des influences des gens de ma gauche quant au surnom.

M. Gratton: C'est Yves, comme dans "Ti-Lou".

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Duhaime: Et quand je dis ma gauche, M. le Président, je vous en exclus. Est-ce que vous connaissiez Me Yves

Gauthier, notaire et maintenant attaché politique ou conseiller politique au cabinet du premier ministre?

M. Beaulé: Écoutez, puisqu'on a tendance à remonter très loin dans le temps, je vais essayer de dire sommairement ce qui suit. J'ai connu M. Gauthier lors d'une première campagne électorale alors que je travaillais pour le maire Drapeau. Cela remonte à très loin. J'ai rencontré M. Gauthier à l'occasion de l'élection de 1962, alors que je militais pour le parti que représentent les gens qui siègent à la gauche du président. Je l'ai revu à plusieurs reprises, par la suite, règle générale, à l'occasion de campagnes électorales. Donc, je connaissais M. Gauthier, c'est sûr.

M. Duhaime: Est-ce que, en aucun moment, vous avez discuté, avec Me Yves Gauthier, du règlement ou d'un règlement qui est finalement intervenu dans ce dossier?

M. Beaulé: Pour donner une réponse complète, je dois vous dire qu'à la fin de mars 1978, alors que j'étais en vacances -peut-être qu'on va me demander avec qui -Me Albert Woll a téléphoné à mon bureau. Je l'ai rappelé à mon retour, le 12 avril 1978. Il m'a appris le décès de Me Menard B. Gold, que je connaissais; je n'étais pas au courant de son décès. Il m'a demandé si j'acceptais d'aller le rencontrer à Washington pour discuter du dossier de la poursuite de la SEBJ contre l'International Union of Operating Engineers. Effectivement, j'y suis allé le 20 avril. On m'a confié le mandat. À peu près deux mois plus tard, donc fin juin 1978, M. Gauthier a téléphoné chez moi. Il était, à ce moment-là, je crois, président du conseil de tutelle de certains syndicats dont l'Union des opérateurs de machinerie lourde, qui est une entité, et le local 791, affilié à ma cliente. Je l'ai rencontré à la fin de juin ou au début de juillet 1978 et il m'a parlé de cette poursuite, alors qu'il était responsable de la tutelle de ces syndicats.

Par la suite - j'essaie de me rappeler, je crois, non seulement je crois, mais j'en suis sûr - le 28 août 1978, j'ai rencontré M. le ministre Pierre Johnson, qui était ministre du Travail à l'époque, à son bureau du boulevard Crémazie, en compagnie de Me Gauthier, de Me Jasmin, de Me Woll et de Me Fanning. Évidemment, j'avais eu une entrevue avec les avocats américains pour les fins de la préparation de la cause, puisque nous savions, depuis le mois de juillet, que le procès commencerait le 15 janvier. Mes confrères américains m'avaient demandé de rencontrer le ministre du Travail. Je crois que j'avais communiqué, à l'époque, avec Me Gauthier qui avait organisé la rencontre. Encore une fois - je reviens toujours là-dessus - Mes Woll et

Fanning voulaient sensibiliser le ministre du Travail sur les conséquences de cette poursuite, sur la réaction des centrales syndicales américaines devant cette poursuite. La rencontre a porté là-dessus. Il n'a pas été question de règlement. C'était une séance d'information. Je le dis. La question pourrait m'être posée par le leader de l'Opposition et ma réponse serait la même. C'étaient des réunions d'information.

Par la suite, est-ce que j'ai revu M. Gauthier? Je ne le crois pas. J'ai pu l'entrevoir - parce qu'il est difficile de ne pas le voir quand on passe à côté de lui -en allant au bureau du premier ministre, en fait au bureau de M. Boivin, à Montréal, j'ai pu l'entrevoir, dis-je, mais je ne crois pas avoir eu par la suite de conversation au sujet de ce dossier. À la fin d'août, évidemment, M. Gauthier était toujours, je crois, président du conseil de tutelle.

M. Duhaime: Maintenant, Me Beaulé, je ne sais pas si vous avez en main ou dans vos dossiers une copie de l'article du quotidien La Presse paru en première page le 17 mars 1983?

M. Beaulé: Je l'ai lu cependant, M. le Président. Lorsque cet article a paru, je l'ai lu dans le journal et je l'ai relu hier soir précisément.

M. Duhaime: II y a d'abord un sous-titre important: Saccage de la Baie-James, règlement hors cour, et le gros titre, qui a fait son tour de presse - je pense que tout le monde sera d'accord là-dessus - René Lévesque a trompé l'Assemblée nationale. En dessous, c'est écrit: "Jean-Roch Boivin a négocié avec les avocats." Il y a deux paragraphes pertinents à la question que je voudrais ensuite vous poser. Je vais faire lecture de ces quelques lignes, et je cite l'article de M. Michel Girard, dans la Presse du 17 mars 1983. "Des nombreux témoignages et documents recueillis au cours de l'enquête de la Presse, il ressort que c'est dans le bureau du premier ministre à Montréal qu'une bonne partie de ces négociations ont eu lieu, mais tout cela à l'insu des membres du conseil d'administration de la SEBJ. En effet, deux hommes de confiance de M. Lévesque, soit son chef de cabinet, Jean-Roch Boivin, et son conseiller spécial, le notaire Yves Gauthier, ont été impliqués dans cette affaire. Pendant trois mois, soit de décembre 1978 à février 1979, ils ont mené des tractations visant à obtenir un règlement hors cour nettement favorable pour les syndicats de la FTQ. L'enquête, qui avait débuté en octobre 1978, s'est poursuivie intensivement jusqu'à l'ouverture du procès le 15 janvier 1979. Le procès a duré jusqu'au 28 février. Le 12 mars la SEBJ et les syndicats signaient l'entente hors cour."

Au cours de vos rencontres et des échanges que vous avez eus avec Me Jean-Roch Boivin ou encore au mois d'août 1978, lorsque vous avez rencontré un de mes collègues en compagnie de Me Gauthier, de Me Jasmin, de Me Woll, de Me Fanning - si j'ai bien noté - est-ce qu'à l'une ou l'autre de ces occasions-là vous-même avez négocié le règlement ou une proposition de règlement, soit avec Me Jean-Roch Boivin, soit avec Me Yves Gauthier? (16 h 45)

M. Beaulé: Je crois que j'ai déjà répondu tout à l'heure à cette question, enfin, je crois y avoir répondu. J'ai eu cinq rencontres avec M. Boivin, une à son bureau de Québec et quatre à Montréal, qui avaient pour but de le sensibiliser aux conséquences sociales de cette poursuite et aussi au fait que nous considérions qu'elle était abusive et de nature à nuire aux intérêts du Québec à l'étranger et particulièrement aux États-Unis. Si vous parlez de négociations, la réponse est non. J'ai dit tout à l'heure qu'au cours des rencontres que j'ai eues avec Me Boivin je lui ai communiqué les faits, les éléments et les documents que j'avais à ma disposition. Si on peut me permettre l'expression, il s'agissait de séances d'information purement et simplement et non pas de négociations. Jamais M. Boivin, en ma présence, n'a dit: Je vais faire une recommandation positive à qui que ce soit et, en particulier, au premier ministre. Il a été très discret et je peux vous dire que j'ai eu peu de contacts d'affaires avec M. Boivin depuis 1976.

Sur le plan amical, il m'arrive de le rencontrer à l'occasion, quoique les rencontres sont assez espacées. Jean-Roch Boivin n'est pas homme à s'engager, en ce qui me concerne en tout cas; c'est plutôt un homme qui écoute et il ne m'a jamais fait part de son sentiment personnel avant que la décision de M. Lévesque soit connue, je crois. Je sais que M. Aquin a déclaré dans son témoignage qu'à la fin de janvier je l'aurais informé que le bureau du premier ministre souhaitait un règlement. Je ne veux pas contredire M. Aquin sur la date, mais, à mon point de vue, c'est au début de février que j'ai été informé, que j'ai vraiment compris que le bureau du premier ministre souhaitait un règlement de cette affaire.

J'ajoute qu'au cours des rencontres que j'ai eues avec M. Boivin il n'y a jamais eu de négociations et encore moins avons-nous abordé des questions financières.

M. Duhaime: Me Beaulé, j'en ai terminé avec ce chapitre. Il m'en reste un dernier dans mes notes. Cela portera, d'une façon générale, sur le quantum des dommages. Je voudrais vous référer au document Correspondance et lettres du cabinet Geoffrion et Prud'homme qui a été déposé

par Me Aquin. Je voudrais vous renvoyer aux pages 55 et suivantes. Il s'agit d'une opinion transmise par l'étude de Geoffrion et Prud'homme, qui porte la date du 26 janvier 1979, qui touchait le point de vue des procureurs de la SEBJ sur la question du quantum, plus précisément aux pages 61 et 62. Je ne sais pas si mes collègues, à ma gauche, vont me le permettre, mais il n'y a rien comme essayer.

Quand j'ai posé des questions à Me Jetté sur chacun des postes de la réclamation en dommages - je n'ai, malheureusement, pas en main le texte pour pouvoir suivre le mot à mot des réponses qu'il m'a fournies - à la page 62, selon mes notes, Me Jetté nous a dit ici en commission qu'il abandonnait les postes de réclamation C pour un montant de 541 257,97 $; au poste

D, une somme de 2 926 000 $ et au poste

E, frais et déboursés encourus pour certains employés, 16 532 $, pour différents motifs, soit que les dommages étaient indirects, donc ne seraient pas admissibles à la suite des délits commis ou encore, que le montant de 2 926 000 $ avait déjà été calculé sous un autre poste de réclamation. Le poste E de 16 532 $ devrait être abandonné également vu la difficulté de prouver le montant, bien qu'il soit admissible en droit. Cela nous laisse avec, comme quantum, les postes A et B.

M. Paradis: Question de règlement.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Brome-Missisquoi, sur une question de règlement.

M. Paradis: Je n'ai pas, non plus, la transcription du témoignage de Me Jetté, mais je ne voudrais pas que le ministre lui impute des paroles qu'il n'a pas dites à l'occasion de son témoignage. Pour en être le plus fidèlement possible certain, au poste C où vous avez dit qu'il abandonnerait, ce n'est pas ce que je lis dans le cahier. Il dit: "Les postes de réclamation à l'item C, qui suivent sont juridiquement discutables - il avait donc l'intention d'en discuter puisqu'ils peuvent être considérés comme des dommages indirects, lesquels ne sont pas admissibles à la suite d'un délit." Discutables. Pour les autres, vous avez techniquement raison. Lorsqu'il dit à D, "est inadmissible", c'est clair et net et, lorsqu'il dit à E, "à être abandonné", c'est clair et net, mais à C, c'est loin d'être clair et net.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Je n'entreprendrai pas de débat là-dessus. On va consulter les "galées", comme on dit, parce que dans mes notes j'ai inscrit "poste rayé" et il y a une référence au témoignage de Me Jetté, mais je vais le vérifier.

M. Paradis: C'est parce que ce n'est pas exact, suivant le cahier.

M. Duhaime: Ce que je lis cependant ici, c'est: Au poste C pour 500 000 $, "les postes de réclamation qui suivent sont juridiquement discutables - mais tout est discutable en droit, tout le monde va en convenir - puisqu'ils peuvent être considérés comme des dommages indirects, lesquels ne sont pas admissibles à la suite d'un délit." On va le vérifier.

Cela nous remet donc, pour les fins de notre discussion, au poste de réclamation A et au poste B, à la page 61. Le poste A totalise une réclamation de 17 196 419 $. Le poste B totalise une somme de 2 292 344 $. Je vais peut-être vous dire tout de suite, M. le Président, qu'à sa face même on est loin du compte de 31 000 000 $, mais on aura l'occasion de refaire les additions mathématiques plus tard.

Je voudrais faire porter mes questions, Me Beaulé, pour que la commission puisse recevoir votre point de vue, sur le poste 6 du bloc A qui se lit comme suit: "Révision. Les postes suivants sont juridiquement - je lis essentiellement la lettre de janvier, à la page 61 - fondés et, selon notre opinion, devraient être maintenus." Il y a 1, 2, 3, 4, 5. À 6, révision du programme des travaux de Impreglio - vous m'excuserez si je n'ai pas le bon accent - et Spino Ltée, 12 000 000 $.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys, c'est une question de règlement, selon ce que j'ai cru comprendre.

M. Lalonde: Je regrette d'interrompre le ministre, ce n'est pas arrivé souvent, mais j'essaie de comprendre où il veut en venir. Tout ce que je veux, c'est qu'il se rende bien compte qu'il est en train d'interroger un avocat défendeur sur l'opinion de l'avocat du demandeur. Il n'a sûrement pas le bon témoin s'il veut des explications sur l'opinion. S'il veut avoir l'opinion du défendeur sur la demande, je pense qu'il serait mieux d'interroger Me Beaulé sur la défense qu'il a produite le 28 novembre.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Lalonde: On verra s'il nie les dommages, s'il nie, en plus du lien de responsabilité, aussi le quantum.

Le Président (M. Jolivet): M. le

ministre.

M. Duhaime: Vous avez une intuition qui ne laisse personne dans l'indifférence, comme vous le savez. Vous avez deviné exactement où je voulais en venir.

M. Lalonde: Bon, je voulais vous aider à aller plus vite, c'est tout.

M. Duhaime: N'importe quel avocat en pratique, en défense ou en demande, vous dira qu'il a eu un jour à donner une opinion à ses clients sur des postes de réclamation qu'un adversaire lui faisait. Je pense que c'est normal.

M. Paradis: II l'a produite au tribunal aussi.

M. Duhaime: Pardon?

M. Paradis: II l'a produite au tribunal aussi.

M. Duhaime: Mais oui, mais oui.

M. Paradis: Si on avait le document du tribunal, on pourrait savoir s'il nie ou s'il admet.

M. Duhaime: La contestation, je crois que Me Beaulé a offert ce matin de la mettre à la disposition de la commission. Je n'ai entendu personne de votre côté la réclamer à cor et à cri.

M. Paradis: On l'a déjà.

M. Duhaime: Vous l'avez déjà de toute façon?

Une voix: Oui.

M. Duhaime: Alors, je pense que vous parlez pour ne rien dire.

M. Lalonde: Je veux être bien sûr qu'on a le bon document. Si Me Beaulé pouvait déposer ou distribuer la contestation, c'est-à-dire la défense du 28 novembre, cela pourrait nous aider.

Le Président (M. Jolivet): Dans ce cas-là, Me Beaulé nous ayant fait dès ce matin son invitation, je demanderais à quelqu'un du Secrétariat des commissions parlementaires d'aller chercher le document pour qu'on puisse en faire faire les photocopies nécessaires.

M. Duhaime: M. le Président, j'aimerais profiter de cet intermède, pendant qu'on va nous remettre le document, pour féliciter le service de recherche du Parti libéral du Québec qui, très souvent, obtient des documents de sociétés d'État avant même que je les aie vus.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre, vous pouvez continuer.

M. Lalonde: On transmettra vos félicitations. Cela les encouragera à continuer.

M. Duhaime: Je ne cours pas le risque que vous les transmettiez. J'aime autant les dire à partir d'ici. Alors, ceux et celles qui sont concernés vont pouvoir les recevoir sans intermédiaire.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!

M. Lalonde: ...j'ai une question de règlement.

M. Duhaime: Cela restera une énigme longtemps.

Le Président (M. Jolivet): Oui, d'accord, je vais vous l'accorder, mais juste un moment. Je ne voudrais pas qu'il y en ait quatre ou cinq qui parlent en même temps. M. le député de Marguerite-Bourgeoys, vous avez une question de règlement?

M. Lalonde: Oui, parce que je viens d'entendre le député de Bourassa qui a parlé d'enregistrement. Est-ce qu'il y a eu des conversations enregistrées que le député de Bourassa connaîtrait? Il faudrait qu'il nous en fasse communication.

M. Laplante: Vous savez bien qu'avec vous on peut s'attendre à tout, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse, M. le député de Bourassa...

M. Laplante: D'ailleurs, vous en avez déjà fait la preuve à l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Jolivet): ...je ne pense pas que ce soit pertinent à la question actuelle.

M. le ministre.

M. Laplante: II y a peut-être des conversations téléphoniques qui sont...

Une voix: Les pornographies officiels.

M. Duhaime: M. le Président, sur ce poste de la réclamation, j'ai cru comprendre tout à l'heure que la cliente de Me Beaulé niait toute responsabilité. Me Beaulé, est-ce que vous avez fait valoir des arguments,

dans les procédures écrites que vous avez déposées à la cour, à savoir que vous ne reconnaissiez pas, non plus, le montant des dommages?

M. Beaulé: M. le Président, c'est évident que la défense a porté non seulement sur l'absence de lien de droit ou sur la non-responsabilité de l'International Union of Operating Engineers, mais que nous avons nié également l'existence des dommages. C'est normal dans une procédure d'imposer à la demanderesse le fardeau... enfin, c'est normal d'exiger qu'elle assume le fardeau de sa preuve. Alors, dans la contestation que je viens de remettre au greffier de la commission ou à son mandataire, vous verrez que le plaidoyer porte surtout sur des éléments que j'ai développés ce matin. Mais nous avons, cependant, nié, comme c'est courant, purement et simplement le bien-fondé de toute la réclamation, obligeant par là la SEBJ à en faire la preuve. C'est cette preuve qu'elle a tenté de faire ou qu'elle a commencé à faire le 15 janvier. M. Aquin vous l'a dit, nous avons eu 22 jours d'enquête.

Au cours de cette enquête, j'ai été présent chaque jour et j'ai contre-interrogé les témoins de la SEBJ, puisqu'il s'agissait de la preuve de la SEBJ; la défense n'avait pas commencé sa preuve. En cours de route, j'ai accumulé, évidemment, un certain nombre de faits et j'en ai tiré certaines conclusions qui touchent au montant des dommages. Est-ce que ces dommages existent? Est-ce que ces dommages découlent directement et immédiatement du saccage? Alors, c'était notre rôle et nous l'avons fait, de sorte que, pour préciser, dans la contestation, nous avons nié l'existence des dommages pour forcer la SEBJ à en faire la preuve, mais, tout au cours de l'enquête, lors des contre-interrogatoires, nous avons essayé de faire ressortir, soit que ces dommages étaient inexistants ou étaient moindres que ceux qu'on prétendait ou qu'on alléguait, ou encore n'étaient pas une conséquence directe et immédiate du saccage. Mais j'ai quand même préparé certaines notes là-dessus. D'ailleurs, si vous avez lu la lettre que j'ai envoyée à M. Aquin le 5 février 1979, qu'on trouve aux pages 93 et suivantes du cahier de la SEBJ, il y a un chapitre de cette lettre qui porte sur le quantum des dommages réclamés. (17 heures)

Alors, au point de vue des procédures, il n'est pas nécessaire, en défense, surtout quand on ne connaît pas la preuve que l'adversaire va faire, de détailler les motifs de contestation. Il faut laisser la demanderesse faire sa preuve et, par la suite, évidemment, on apporte la contre-preuve appropriée.

M. Duhaime: Me Beaulé, je voudrais vous référer à la page 4 de cette lettre du 5 février 1979 que vous avez transmise. Je comprends que c'est votre opinion. Je vais la lire: "Or, selon nous, la preuve faite depuis le 16 janvier 1979 révèle: "(a) Alors que l'échéancier original prévoyait l'ouverture des galeries de dérivation le 1er novembre 1974, la SEBJ s'était gardée néanmoins un coussin de deux mois, de sorte que l'ouverture des galeries aurait pu se faire même à la fin de décembre 1974, sans modifier l'échéancier du constructeur du barrage (témoignage de M. Laurent Hamel, le 18 janvier 1979 A.M., pages 65-70). "(b) Alors que l'ordre de remobilisation du chantier a été donné le 10 mai 1974 et que la réouverture réelle s'est faite le 19 mai 1974, il apparaît néanmoins que le chantier était déjà remis en état le 8 avril 1974 - il y a un renvoi au bas de la page qui réfère au "témoignage de Marcel Audet, le 23 janvier 1979, A.M., pages 81 et 88," témoignage, bien sûr, relié aux auditions de cette cause devant l'honorable juge Bisson en Cour supérieure à Montréal - et que l'ordre de remobilisation aurait pu être donné dès lors ou dès le 18 avril 1974, date où la SEBJ a ouvert les soumissions pour le barrage principal et a réalisé qu'elle avait un soumissionnaire acceptable, à savoir Impreglio et Spino. "Pourquoi l'ordre de remobilisation a-t-il été donné aussi tard que le 10 mai 1974? Ce retard n'est pas imputable au saccage du 21 mars 1974 mais à la réalisation des conditions posées par la SEBJ au premier ministre Bourassa, le 25 mars 1974, lors d'une rencontre tenue à Montréal, le même jour. Tout cela apparaît nettement de la preuve déjà faite et, plus particulièrement, d'un exhibit produit devant le juge Bisson (DI-5), savoir un communiqué de presse de la SEBJ remis aux médias d'information, le 8 mai 1974."

Ceci est tiré de la lettre que vous avez vous-même transmise au nom de votre cliente à Mes Geoffrion et Prud'homme le 5 février 1979.

Je voudrais que vous éclairiez davantage cette commission sur la réclamation de 12 000 000 $ et sur l'ordre de remobilisation qui a été donné le 10 mai 1974, selon votre lettre. C'est là-dessus que j'aimerais vous entendre.

M. Beaulé: On a référé, M. le Président, à l'exhibit DI-5. Il s'agit du communiqué de la SEBJ du 8 mai 1974. J'en ai quelques exemplaires. Si vous le croyez utile, je peux en remettre une copie pour qu'on en tire des photocopies puisqu'on y réfère dans cette lettre du 5 février. Il s'agit du communiqué de la SEBJ auquel on réfère dans cette lettre. Je voudrais mettre

ce communiqué à la disposition de la commission si vous ne l'avez pas déjà.

Le Président (M. Jolivet): ...

M. Duhaime: Voulez-vous m'en passer une copie?

M. Beaulé: M. le Président, si j'avais à réécrire cette lettre, je n'en changerais pas la substance, mais la forme, oui. À titre d'exemple, lorsque j'écris à la page 5, c'est la page 97 du cahier de la SEBJ, "Pourquoi l'ordre de remobilisation a-t-il été donné aussi tard que le 10 mai 1974? Ce retard n'est pas imputable au saccage du 21 mars 1974, mais à la réalisation des conditions posées par la SEBJ au premier ministre Bourassa le 25 mai 1974," je maintiens toujours que le retard n'était pas imputable au saccage. Je maintiens toujours qu'on aurait pu donner l'ordre de remobilisation le 8 avril et je vais m'expliquer là-dessus.

Lorsque je disais que ce retard est imputable à la réalisation des conditions posées par la SEBJ au premier ministre Bourassa, le 25 mars 1974, je pense que je ne peux pas parler d'une réunion à laquelle je n'étais pas présent. Je crois que cela servira mieux les fins de la commission que je me base sur des faits qui sont à ma connaissance. Je sais qu'il y a eu une réunion au bureau de M. Bourassa, alors qu'il était premier ministre, le 25 mars 1974. Je sais que M. Hamel était présent. Je sais que M. Boyd était présent. Je sais qu'il a été question du saccage de LG 2. Je l'ai appris au cours de l'enquête devant M. le juge Bisson. J'aimerais mieux, si vous me le permettez, je crois que ce serait peut-être plus utile de partir des faits qui sont à ma connaissance. À vous d'apprécier la valeur de ce que je vais vous fournir comme renseignements.

Ma réponse sera peut-être un peu longue mais je vais essayer de la structurer. Justement pour répondre à ce que j'ai compris être le sens véritable de la question. Il faut se rappeler que la poursuite intentée en 1976 est pour un montant de 31 275 000 $. C'est une réclamation, ce n'est pas un jugement. Je voudrais faire un commentaire à ce sujet.

Le dimanche de Pâques j'écoutais l'émission "Présent dimanche" et j'ai entendu le présentateur qui, parce qu'il parlait de cette enquête devant votre commission, parlait de dommages de 32 000 000 $, référant aux dommages résultant du saccage. En fait, ce que je veux dire, M. le Président, c'est que nous étions face à une réclamation de 31 000 000 $. Cela ne veut pas dire que le jugement eut été de 31 000 000 $.

Cependant au cours des séances de cette commission ou à la suite de certaines des séances, des journalistes ont écrit que les dommages avaient été établis à 32 000 000 $. Je me souviens d'un article de M. Adam dans la Presse, il y a quelques semaines, où il parlait de dommages excédant 32 000 000 $. Je crois qu'il y a peut-être lieu de rétablir les faits, du moins à partir des éléments dont nous disposons; et aussi se rappeler que ce qui peut être réclamé en pareil cas ce sont des dommages directs. Je ne faisais pas la leçon à qui que ce soit. Je veux dire simplement qu'à l'occasion des travaux de cette commission, des personnes ont l'impression que les dommages ont été prouvés à 32 000 000 $. Même pour M. Adam, les dommages excédaient 32 000 000 $. Je crois que la réalité des choses est différente.

Je vais essayer d'être très succinct. Je voudrais référer justement à cette opinion de Geoffrion et Prud'homme du 26 janvier 1979 à la page 56. J'y réfère parce qu'il en était question dans ma lettre à Me Aquin du 5 février à la page 97; c'était le dernier paragraphe qui n'a pas été cité tout à l'heure. À la page 56, il s'agit cette fois du cahier Correspondance et lettres de Geoffrion et Prud'homme. Les avocats de la SEBJ disent ou écrivent ceci: "Le quatrième poste de réclamation concerne les sommes payées aux entrepreneurs déjà sous contrat avec la société. Sous ce chef, nous avons réclamé des défendeurs 1 965 582,25 $..." Il va sans dire que cette somme est incluse dans les 32 000 000 $ ou dans les 31 275 000 $. Et les avocats de la SEBJ continuent - je serai très bref - "Nous avons eu l'opportunité de vérifier à la fois les principes de base qui ont guidé la société dans ses négociations avec ces entrepreneurs de même que le détail des sommes que la société a éventuellement accepté de leur payer. Nous sommes d'opinion que le quantum réclamé pourrait être prouvé. Cependant, nous ferons certainement face à la même objection que celle à laquelle nous faisions allusion précédemment, savoir, que la SEBJ n'était légalement pas tenue d'indemniser ses entrepreneurs, parce que les événements du 21 mars 1974 constituaient une force majeure. De plus, si l'on considère que tels entrepreneurs avaient eux-mêmes un droit d'action contre les défendeurs, la société qui les a indemnisés n'a pas été subrogée dans leurs droits."

C'est que je disais - si je peux me citer - dans la lettre du 5 février, qui est reproduite à la page 97 du cahier de la SEBJ.

Et, à la page 57, toujours du cahier de Geoffrion et Prud'homme, les avocats de la SEBJ abordent le poste des assurances. Vous vous rappelez que, dans ce montant global de 31 275 000 $, il y avait un poste de 5 869 000 $ pour les assurances. Je veux simplement citer ce que disent les avocats

de la SEBJ sous ce chef: "Sous la rubrique majoration des primes d'assurance imposée par les assureurs de la société à cause des événements de mars 1974, nous avons réclamé une somme de 5 869 132 $. D'une part, la somme réclamée couvre la majoration des primes d'assurance, non seulement pour le chantier de LG 2 lui-même mais pour tous les chantiers du complexe La Grande. Il se pourrait fort bien que même si, de fait, les événements de mars 1974 ont provoqué une augmentation des primes d'assurance de 20% pour tous les chantiers du complexe La Grande, le tribunal pourrait décider de ne faire supporter par les défendeurs que les coûts additionnels applicables au chantier de LG 2. M. Marc Darby nous a précisé récemment que les coûts additionnels encourus à date se chiffrent, pour le chantier de LG 2, à 400 000 $ approximativement. En outre, les assureurs de la société, - écrivent toujours les avocats de la SEBJ - viennent de décider tout récemment de réduire de 20% les primes d'assurance actuellement payées par la société d'énergie, etc..."

Alors, de ce commentaire - et je vais quitter rapidement l'opinion de mes confrères pour en venir à des observations personnelles pour me conformer à votre question - dans cette lettre du 26 janvier 1979, sur un seul poste, M. le Président, qui est de 5 869 000 $, qui fait partie du grand tout de 31 000 000 $, les avocats de la SEBJ déclarent qu'en ce qui concerne LG 2, l'augmentation des primes a été de 400 000 $ de 1974 à 1979 et que, coïncidence heureuse, les assureurs de la société viennent de décider de réduire de 20% les primes d'assurance, donc rétablissant le statu quo. Donc, ce poste-là, pour autant qu'il soit retenu par le tribunal - parce qu'il n'y a pas de doute que certains des défendeurs allaient écoper d'une condamnation, cela crève les yeux, je pense qu'on n'a pas à revenir là-dessus, je fais abstraction, évidemment, de l'union internationale aussi, je pense que cela a été bien démontré. Mais ce n'est pas, au chapitre des assurances, 5 800 000 $ ou 6 000 000 $ que la SEBJ allait obtenir, c'était, de l'avis de ses propres avocats, quelque chose de l'ordre de 400 000 $. Alors, je mentionne cela parce que je crois que beaucoup de gens qui vous écoutent et qui lisent les journaux présentement ont l'impression que les dommages de la SEBJ étaient de 32 000 000 $ et même davantage. Si des éditorialistes comme M. Adam peuvent l'écrire, il n'y a pas de doute que des honnêtes gens, que d'autres honnêtes gens puissent le penser aussi.

Il n'y a pas de doute que cette réclamation était une réclamation et que le montant des dommages était bien moindre. On le voit par le poste "assurances" et je vais tenter de le démontrer sous d'autres postes. Sur ce point, si vous allez à la page 61 ou si vous vous référez à la page 61 de la même opinion de Geoffrion et Prud'homme, du 26 janvier 1979, au paragraphe A. que vous citiez tout à l'heure, les procureurs de la SEBJ écrivent ceci: "Les postes suivants sont juridiquement fondés et, selon notre opinion, devraient être maintenus." Et c'est là-dessus que je veux engager le débat et tenter, dans une certaine mesure, d'apporter ma contribution à la commission. (17 h 15)

Les procureurs de la SEBJ en viennent à la conclusion que "les postes suivants devraient être maintenus pour un montant de 17 196 000 $." Je fais grâce des postes 1, 2, 3, 4, 5 et, si on arrive aux postes 6, 7 et 8, on voit que ces trois postes de 12 000 000 $, de 1 683 500 $ et de 2 500 000 $ se rattachent aux sommes que vous trouvez à la page 59, la somme de 21 321 551 $. Je veux m'expliquer pour être clair là-dessus.

La SEBJ a payé à Impreglio et Spino Ltée 21 321 551 $, selon les renseignements que nous avons. Ces sommes, elle les a réclamées des défendeurs. Ces sommes font partie des 31 275 000 $. En bref, les deux tiers de la réclamation de la SEBJ consistent en ce poste de 21 321 000 $ que la SEBJ a payé à Impreglio et Spino. Lorsqu'on se reporte à l'opinion des mêmes procureurs, à la page 61, on constate qu'il sont d'avis que la SEBJ pourra recouvrer des défendeurs 16 183 500 $ de cette plus forte somme de 21 321 000 $.

En d'autres termes, si vous vous reportez aux postes 6, 7 et 8, ces trois postes forment un total de 16 183 000 $. Donc, je l'ai indiqué tout à l'heure, pour les assurances, la réclamation est de 5 800 000 $; grosso modo 6 000 000 $. De l'avis des procureurs, elle ne pourra pas être accordée pour un montant excédant 400 000 $. Donc, la réclamation de 31 275 000 $ tombe grosso modo de 5 000 000 $, simplement au chapitre des assurances.

Pour ce qui est des sommes payées à Impreglio et Spino, de l'avis même des procureurs de la SEBJ, leur réclamation de 21 321 000 $ tombe à 16 183 000 $. C'est donc encore 5 000 000 $ à déduire des 32 000 000 $ ou des 31 000 000 $. Tout cela, je sais que ce sont des commentaires superficiels. Je vais essayer d'arriver, si vous voulez, à ce que j'ai cru comprendre être le fond de votre question, M. le ministre.

Il n'en reste pas moins que, même si c'est superficiel, cela correspond à la réalité. À la lecture de l'opinion des procureurs de la SEBJ, cette opinion du 26 janvier 1979, donc, moins de deux mois avant le règlement, ces procureurs affirment que

l'action pourrait ou devrait être maintenue à 17 000 000 $ sur un total de 31 000 000 $. C'est là que je suis en désaccord et c'est normal. Je vais essayer, à partir de faits, de vous en convaincre. Je ne vais pas m'en cacher.

Si vous examinez les postes qui composent ces 17 196 000 $, que les avocats de la SEBJ croient ou pensent pouvoir recouvrer, par un jugement, de certains des défendeurs, on se rend compte que trois postes touchent Impreglio et Spino; trois postes qui font un total de 16 183 000 $. Pour être clair, de ces 17 000 000 $ que les avocats de la SEBJ croient pouvoir - enfin, recouvrer, mon expression était trop forte - disons avoir un jugement contre certains défendeurs pour 17 000 000 $, cela ne veut pas dire qu'ils vont recouvrer les 17 000 000 $. Je pense qu'il y a déjà suffisamment d'éléments devant cette commission. Mais sur ces 17 000 000 $, pour lesquels ils pensent avoir un jugement, 16 000 000 $...

Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse, Me Beaulé, mais j'ai vu le député de Brome-Missisquoi. Est-ce sur une question de règlement ou...

M. Paradis: Oui, oui. Si Me Beaulé me le permet, j'aimerais savoir si ce qu'il nous dit présentement, ce sont les représentations et les démarches qu'il a effectuées auprès de Me Boivin. Cela pourrait nous éviter d'autres questions. Est-ce que c'est ce que vous avez raconté à son chef de cabinet au cours de vos visites au bureau du premier ministre?

Le Président (M. Jolivet): Alors, juste un instant. M. le ministre.

M. Paradis: Juste pour faire avancer le débat.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Est-ce que je dois comprendre que vous voulez exercer votre droit de parole maintenant?

M. Paradis: Je demandais strictement à Me Beaulé s'il voulait bien préciser, pour éviter des questions plus tard, si c'est ce qu'il a plaidé devant Me Jean-Roch Boivin. C'est tout. S'il ne veut pas, il ne veut pas.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Si vous me le permettez, je sais que le député de Brome-Missisquoi m'est toujours d'un très grand secours quand j'ai oublié un élément de la question. Je voudrais lui donner l'assurance que, si à tout hasard j'oubliais des questions, je reviendrai. Je pense que l'intervention que vient de faire le député de Brome-Missisquoi ne contribue pas à faire avancer le débat. Je voudrais tout simplement qu'on laisse Me Beaulé donner son point de vue. Les procureurs de la SEBJ se sont exprimés là-dessus et je pense qu'on devrait laisser notre invité s'exprimer en admettant au départ que nos collègues à ma gauche auront très certainement l'occasion de poser leurs questions lorsque leur tour viendra.

Le Président (M. Jolivet): Me Beaulé.

M. Beaulé: Ce que j'affirmais et qui ressort du document de l'opinion des avocats de la SEBJ, qu'on retrouve aux pages 55 et suivantes du cahier Correspondance et lettres, l'opinion du 26 janvier 1979, c'est que ces procureurs sont d'avis qu'ils pourront obtenir un jugement pour 17 000 000 $ sur une réclamation qui, originairement, était de 31 000 000 $. Je pense que là-dessus on peut s'entendre sans débat. Si on regarde à la page 61, les divers postes qui forment ce total de 17 000 000 $, on se rend compte de toute évidence que trois postes 12 000 000 $, 1 683 500 $ et 2 500 000 $ - se rattachent aux sommes payées par la SEBJ à Impreglio et Spino. Ces trois postes forment un total de 16 183 500 $. Ceci m'amenait à dire que la réclamation ou plutôt que, de ce total de 17 000 000 $ pour lequel on croyait obtenir un jugement, 16 000 000 $ seraient justifiés ou proviendraient... Je vais essayer de m'exprimer plus clairement.

Les avocats de la SEBJ étaient d'avis que si d'une part la SEBJ avait payé 21 000 000 $ ou pratiquement 22 000 000 $ à Impreglio et Spino, on pourrait obtenir un jugement contre les défendeurs ou certains d'entre eux pour 16 000 000 $, 16 183 000 $. Je pense que cela touche une question qui dépasse les interprétations. En réalité si, pour un instant, on fait abstraction des sommes de 21 000 000 $ que la SEBJ a payées à Impreglio et Spino, si on fait abstraction de ces postes-là, la réclamation de la SEBJ ou que ses procureurs croient devoir être maintenue par le tribunal est de 1 000 000 $. Est-ce que je suis assez clair là-dessus? En fait, ils sont d'avis qu'ils pourront avoir un jugement de 17 000 000 $ et ces 17 000 000 $ incluent trois postes payés à Impreglio et Spino pour 16 000 000 $. Donc, pour tous les autres dommages, ils pourront obtenir une condamnation de 1 000 000 $.

Là où je ne suis pas d'accord avec les procureurs de la SEBJ - je pense que c'est normal et il est aussi normal que j'expose les faits sur lesquels je m'appuie - c'est que ces dommages... Je ne nie pas que la SEBJ ait payé 21 321 000 $ à Impreglio et Spino.

Ce que j'affirme, c'est que ces sommes payées à Impreglio et Spino ne sont pas des dommages directs découlant du saccage et je veux m'exprimer en me basant sur des faits, si vous croyez que cela est pertinent.

Le Président (M. Jolivet): Allez, allez.

M. Beaulé: Dans son témoignage du 18 janvier 1979, M. Laurent Hamel - j'ai ici la transcription du 18 janvier 1979, en matinée, pages 65 et suivantes - déclare, à la page 66: On avait prévu que les travaux nécessaires à la dérivation de la rivière, soit l'excavation de galeries et tous les travaux connexes, seraient terminés pour le 1er novembre 1974 et qu'on pourrait dériver la rivière La Grande vers le 1er novembre 1974.

M. le Président, j'ai ici une photocopie de cet extrait de témoignage, comme tous ceux que je vais citer. Si vous désirez les avoir au dossier, je les mets à votre disposition.

Le Président (M. Jolivet): ...chercher pour les photocopies.

M. Beaulé: Je ne vais pas lire tous ces extraits, je vais simplement référer aux assertions de M. Hamel, selon le cas, et aux pages pertinentes.

Donc, dans son témoignage du 18 janvier 1979, M. Hamel dit que les travaux préalables à la dérivation de la rivière devaient se terminer le 1er novembre 1974. À la page 67, il ajoute que les ingénieurs d'Hydro-Québec étaient d'avis qu'il était possible de terminer ces travaux pour le 1er octobre 1974. Cela veut dire quoi en noir sur blanc ou en blanc sur noir? Cela veut dire que la SEBJ avait un coussin, en termes d'échéancier, de deux ou trois mois, et je m'explique.

Selon M. Hamel, la dérivation de la rivière devait se faire à la fin de décembre 1974 ou au plus tard au début de janvier 1975. Si, de l'avis des ingénieurs de la SEBJ, on pouvait terminer ces travaux le 1er octobre, on avait un coussin de trois mois. Cependant, l'entrepreneur, qui était Spino Construction - à ne pas confondre avec Impreglio et Spino, qui est un autre contrat - devait terminer ses travaux pour le 1er novembre. S'il les terminait le 1er octobre 1974, il bénéficiait d'un boni de 450 000 $.

Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse. M. le député de Mont-Royal, sur une question de règlement.

M. Ciaccia: Je voudrais demander une directive pour savoir si le but de la question du ministre adressée à M. Beaulé - le ministre, celui qui est en charge d'une société d'État, la SEBJ - c'est d'essayer de justifier l'opinion de M. Beaulé au détriment de l'opinion que le ministre, le gouvernement et la société d'État ont reçue de Geoffrion et Prud'homme. Est-ce le but de la question? L'autre question de règlement que je voudrais soulever, c'est la question du mandat de cette commission, qui n'est pas de refaire le procès de la SEBJ, parce que, si je comprends bien, M. Beaulé ne voulait pas aller au procès.

M. Laplante: II vient de s'apercevoir qu'il y a un mandat.

M. Ciaccia: Est-ce que ce ne serait pas plutôt d'en venir aux éléments, c'est-à-dire à la considération de la façon dont la décision a été prise et du rôle du premier ministre?

Le Président (M. Jolivet): Pour répondre à la première question de règlement, je dois dire que c'était plutôt une question adressée au ministre, ce qui n'était pas une question de règlement. J'aimerais d'abord entendre sa réponse. M. le ministre.

M. Duhaime: Je vais répondre tout de suite aux deux volets. Le but de mes questions, je crois que chacun pourra en tirer sa propre conclusion. Ce que je veux dire, c'est que nous avons très longuement entendu en commission, depuis le début de nos travaux, M. Boyd en particulier parler exactement sur ce point. Nous avons entendu également, je crois que c'est M. Saulnier, le président du conseil d'administration qui a abordé la question du quantum, entre autres choses. Les procureurs de la SEBJ ont également fait état devant la commission, pièces à l'appui - et tous les documents sont sur la table - de leur propre opinion quant au quantum. Nous sommes en plein coeur du mandat de cette commission. Je n'ai pas le texte du mandat devant moi, mais il s'agit de voir dans quelles circonstances le règlement hors cour est intervenu. Je crois qu'il est très important, non seulement pour le député de Mont-Royal, mais pour tous les membres de cette commission et pour toute la population du Québec aussi, d'avoir la version des deux côtés quant à l'évaluation du quantum. (17 h 30)

Je sais que cela dérange le député de Mont-Royal qu'un montant de 32 000 000 $... Je n'ai pas fait de chicane quand Me Jetté, de lui-même, en répondant à mes questions sur chacun des postes de la réclamation, en rayait quelques-uns. La question des assurances, nous l'avons également abordée. Le but des questions que je pose, M. le Président, est très simple: c'est de faire toute la lumière et d'éclairer toute la population. Si, de votre côté, vous avez certaines craintes maintenant et que vous voudriez voir resserrer l'interprétation

qu'on pourrait faire du mandat de la commission, vous auriez intérêt à relire les questions que vous-même en particulier, M. le député de Mont-Royal, avez posées à plusieurs des témoins que vous avez interrogés.

Le Président (M. Jolivet): Juste un instant. Je vais commencer par essayer de régler un à un... Si vous voulez parler sur la même question de règlement... Sur la même question de règlement, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: À la suite des propos que le ministre a tenus, disant que nous voulons resserrer le mandat et que nous craignons certaines réponses, je veux assurer au ministre que ce n'est pas le cas du tout. Nous ne craignons pas les réponses que les témoins... Même, nous accueillons les réponses, et quand viendra notre tour de poser les questions nous allons faire la lumière sur le rôle du premier ministre, sur tous les aspects du mandat de cette commission.

Le Président (M. Jolivet): J'espère bien que oui, que vous le ferez. J'espère bien que oui.

M. Ciaccia: II n'y a aucune crainte, M. le ministre.

Le Président (M. Jolivet): Maintenant, comme j'avais à répondre à une deuxième partie qui était la question de règlement... Le ministre y a peut-être répondu, mais j'ai quand même le droit de donner mon opinion aussi comme président de la commission en faisant mention que, de la même façon que j'avais réfuté une demande du parti ministériel eu égard aux questions que posait le député de Brome-Missisquoi, sur la façon dont il les posait, je continue à dire que le ministre a un but qui est à l'intérieur du mandat qui nous est exposé depuis le début et qu'en conséquence ce n'est pas à moi, à la présidence, de déterminer s'il déroge ou pas, par ses questions, à ce mandat, sauf s'il allait directement en dehors du mandat. Au moment où on examine l'ensemble des circonstances entourant la décision du conseil d'administration, je pense que l'ensemble est actuellement...

M. Duhaime: ...le mandat, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Je peux vous le relire, si vous voulez, pour bien Je comprendre. C'est: Examiner les circonstances entourant la décision du conseil d'administration de la Société d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard.

Donc il est large, ce mandat, et je permets à Me Beaulé de continuer. Me Beaulé.

M. Beaulé: Ce que je voulais dire à la commission se résume à ceci, à ce stade-ci. Comme vous pourrez vous en rendre compte en lisant cet extrait du témoignage de M. Hamel du 18 janvier au matin, pages 65 à 70, la dérivation de la rivière La Grande devait s'effectuer à la fin décembre, au plus tard à la fin décembre 1974 ou début janvier 1975. Cependant l'échéancier prévoyait la fin des travaux de Spino ou la fin de l'excavation des galeries de dérivation pour le 1er novembre 1974. Les ingénieurs de la SEBJ croyaient qu'il était possible de terminer ces travaux même pour le 1er octobre; d'ailleurs, si Spino le faisait, il avait un boni de 450 000 $. Ce que je voulais dire, ce que je disais, je pense, à la commission, c'est que la SEBJ avait un coussin de deux à trois mois entre la fin des travaux d'excavation des galeries et la date ultime de la dérivation de la rivière. Je crois que cela appert très clairement du témoignage dont je vous ai remis l'extrait, M. le Président.

Maintenant, le saccage a lieu le 21 mars et l'ordre de remobilisation a été donné le 8 mai 1974. J'ai déposé sur votre table le communiqué de presse de la SEBJ qui annonçait cette remobilisation le 8 mai 1974. Nous savons, par le dossier, que le chantier, sauf pour les réparations et pour certaines constructions dont je parlerai, a été inopérant du 20 mars 1974 au 19 mai 1974, soit durant une période de deux mois. D'autre part, j'ai affirmé dans ma lettre du 5 février 1979 à Me Aquin, page 83 du cahier de la SEBJ, que l'ordre de remobilisation aurait pu être donné dès le 8 avril 1974, donc, grosso modo, quinze jours après le saccage.

Ce n'est pas une opinion personnelle, c'est le témoignage d'un témoin de la SEBJ, rendu devant M. le juge Bisson, le 23 janvier 1979 au matin. C'est le témoignage de M. Marcel Audet, qui était responsable de la remise en état du chantier. À nouveau, pour l'information de la commission, j'ai cet extrait du témoignage de M. Marcel Audet du 23 janvier 1979, pages 81 à 88, que je veux vous remettre. De plus, en examinant ce témoignage, vous pourrez vous rendre compte qu'effectivement la mise en état du chantier, sauf pour la reconstruction d'un dortoir de 104 hommes, était complétée le 8 avril 1974.

Pour qu'il n'y ait pas d'opinions qui puissent être considérées comme biaisées, je me permets ici, avec votre permission, de citer brièvement les questions du président

du tribunal, M. le juge Bisson, faites à M. Marcel Audet, le 23 janvier 1979, sur cette question que je soulève. Alors c'est à la page 82, le 23 janvier 1979, dans la matinée et c'était M. le juge Bisson: "Pour être bien clair sur ce point-là, M. Audet, on va se représenter surtout les services qui étaient fournis le 20 mars 1974, la veille du saccage. Le juge continue: Alors, cela prenait des endroits pour loger les gens, des endroits pour les faire manger, cela prenait de l'électricité et du chauffage, du carburant, de l'eau potable et des égouts. Je pense qu'on a fait l'inventaire". Réponse de M. Audet, qui est le témoin de la SEBJ, interrogé par les avocats de la SEBJ: "C'est exact, M. le juge". Question du juge: "Plus la nourriture qui ne relevait pas de votre service". Réponse: "C'est exact". Le juge continue: "Alors, c'était l'état au 20 mars 1974?" Réponse: "Affirmatif, M. le juge". Question: "Alors, si on se reporte à la date que vous venez vous-même de suggérer, le 8 avril 1974, outre l'élément de nourriture qui ne relevait pas de votre service, combien de personnes pouviez-vous accommoder au campement de LG 2?" Réponse: "Théoriquement, 46 dortoirs de 20 personnes". Question: "Et en pratique?" Réponse: "En pratique". Question: "À 50 hommes près, disons, on va donner un jeu de 50 hommes, dépendant du nombre de lits qui pouvaient être effectivement disponibles dans chaque dortoir." Réponse de M. Audet: "870, M. le juge, un calcul, c'est un chiffre très arbitraire". Question du juge: "Si je vous avais dit, le 8 avril 1974, M. Audet, "ce soir ou demain, il arrive 500 personnes à LG 2, êtes-vous en mesure de leur fournir tous les services - j'exclus l'alimentation qui ne relevait pas de vous - quelle aurait été votre réponse?" Réponse: "Oui, moins les personnes déjà sur place, M. le juge." Question: "Disons qu'il y en aurait eu 200 sur place?" Réponse: "On fait tout simplement la différence." Question: "Si je vous dis qu'il arrive 500 personnes, tenons pour acquis hypothétiquement qu'il va y en avoir 200 sur place, quelle aurait été votre réponse?" Réponse: "Oui, on peut les recevoir, M. le juge."

Je ne veux pas abuser du temps qui est mis à ma disposition, mais si vous lisez ce témoignage, vous verrez que le 8 avril 1974, à l'exception d'un dortoir de 104 hommes qui n'était pas reconstruit, le chantier était en état. Et pour reprendre la question de M. le juge Bisson, qui avait visité le chantier avec les avocats le 22 novembre 1978, quand je dis qu'on avait remis le chantier en état, on avait rétabli l'électricité, le chauffage, le carburant, l'eau potable, les égouts, et on pouvait loger grosso modo 870 personnes. Je vous rappelle qu'avant le saccage, le nombre de travailleurs, si ma mémoire est bonne, était inférieur à 1000 personnes.

Alors, le chantier était remis en état. Pourquoi l'ordre de remobilisation n'a-t-il pas été donné le 8 avril 1974? La réponse nous en est donnée par les témoins de la SEBJ, c'est qu'on a décidé de construire un centre de contrôle et de vérification à l'aéroport La Grande et un centre de contrôle et de vérification à l'entrée de la route de Matagami. Cela a pris un mois pour construire ces centres de vérification. La preuve a également été faite devant M. le juge Bisson quant à ces faits. Cela a pris un mois pour construire des centres de vérification. Si on reprend le communiqué de la SEBJ que je vous ai remis tout à l'heure, il y a une page couverture, ce n'est pas paginé, cela devrait être la page 1: "Communiqué de presse. "La Société d'énergie de la Baie James, dit-elle le 8 mai, a pris les mesures permettant de contrôler l'accès au chantier et d'assurer la sécurité et la protection des personnes et des biens. Les travaux reprendront donc cette semaine à LG 2".

M. le Président, je crois qu'il est indéniable que l'ordre de remobilisation a été donné le 8 mai uniquement pour une raison, sans doute justifiée, c'est que, le 8 mai, les centres de vérification étaient, avec tous les équipements que cela comporte pour contrôler l'accès des personnes, pour vérifier leur identité, pour émettre des cartes, des laissez-passer ou des permis de séjour, en opération autant à Matagami qu'à LG 2.

Je vais préciser encore davantage. Ces centres de vérification qu'on a pris un mois à construire, est-ce que c'était une conséquence directe du saccage? Est-ce que cela existait avant le saccage? Cela n'existait pas, M. le Président.

M. Hamel, dans son témoignage devant le tribunal, le 29 janvier 1979 - je pourrais également en fournir des extraits - dit que c'était là une condition sine qua non de la réouverture des chantiers: assurer la protection et la sécurité des personnes et des biens. À la suite du saccage, on a construit ces centres de vérification, cela a pris un mois. Ces centres de vérification n'existaient pas avant le saccage.

Je soumets, M. le Président, que si ces centres de vérification étaient nécessaires, ils devaient l'être autant avant le départ de Duhamel qu'après. D'ailleurs, la SEBJ a construit de pareils centres - je ne me base pas uniquement sur une opinion, mais sur les affirmations de M. Laurent Hamel devant le juge Bisson - à LG 3 et à LG 4, etc. La question qui peut se poser est la suivante: Pourquoi la SEBJ, à l'automne 1973, alors qu'elle transigeait avec André Desjardins et compagnie, qu'elle connaissait ces gens, qu'elle connaissait leurs moyens, leur capacité d'action, n'a-t-elle pas construit ces centres de contrôle et de vérification? Ce n'est pas à moi à dire s'il y a eu négligence

ou pas. Mais on ne peut pas dire que la construction des centres de vérification est une conséquence du saccage. Ces centres de vérification n'existaient pas et la nécessité, cependant, de ces centres existait bien avant le saccage. La question ou l'affirmation que je fais est la suivante: Le chantier a été fermé jusqu'au 8 mai à cause de la construction de ces centres de vérification. Il ne s'agit pas de mettre en doute, M. le Président, pour ceux qui pourraient nous écouter, que la SEBJ ait payé 21 000 000 $ à Impreglio et Spino. Elle a payé ces montants pour des raisons que je vais expliquer rapidement.

Il ne s'agit pas de mettre cela en doute. La question est de savoir si elle peut dire, parce que c'est l'affirmation de la SEBJ: Nous n'avons pas pu dériver la rivière La Grande avant le 27 avril 1975 ou avant le printemps 1975 à cause du saccage. Nous avons dû modifier notre échéancier qui prévoyait la dérivation de la rivière à la fin de décembre ou, au plus tard, au début de janvier 1975. Nous avons dû modifier notre échéancier à cause du saccage.

Par voie de conséquence, nous avons dit à Impreglio et Spino, à qui nous avons accordé un contrat de 221 000 000 $ pour la construction du barrage et des batardeaux: Nous sommes disposés, après négociation, à vous payer 21 000 000 $ si vous le voulez. Comprimez vos travaux de six ans à cinq ans pour respecter l'échéancier général, l'ouverture de la centrale, et nous allons vous payer 21 000 000 $.

Ce n'est pas à moi de dire si c'était une décision bonne ou mauvaise. La question qui se serait posée devant le tribunal et qui peut se poser devant la commission n'appartient qu'à vous. Ces 21 000 000 $ constituent un déboursé, il n'y a pas de doute, mais peut-on prétendre que le changement d'échéancier ou que la dérivation de la rivière n'a pas pu être faite avant le 1er janvier 1974 à cause du saccage?

Si je puis dire, rappelez-vous que l'échéancier laissait un coussin de deux à trois mois de sorte que, si on avait donné l'ordre de remobilisation le 8 avril, nous savons par les affirmations de M. Boyd et également de M. Laliberté que cela prenait un mois pour remettre le chantier en marche. Entre l'ordre de remobilisation et la reprise véritable de l'ensemble des travaux, cela prenait un mois.

Si on additionne ces délais, on se rend compte que dès le 8 mai 1974, si l'ordre de remobilisation avait été donné le 8 avril, quand le chantier était prêt, dès le 8 mai on pouvait reprendre les travaux à un rythme de croisière normal. À ce moment, entre le 21 mars et le 8 mai, vous avez moins de deux mois et encore moins de trois mois, ce qui était le coussin dont disposait la SEBJ.

J'espère que je suis clair là-dessus. Si on avait donné l'ordre de remobilisation le 8 avril on aurait pu, selon l'opinion des ingénieurs que nous avions consultés, dérivé la rivière à la fin de l'année 1974. On ne l'a pas fait - et c'est une décision qui n'appartenait pas aux défendeurs dans cette poursuite - parce qu'on a décidé de construire des centres de vérification et de retarder d'un mois la réouverture du chantier. Cette décision, aussi sage soit-elle, était aussi sage et aurait peut-être dû être prise en 1973. De toute façon, cela ne me regarde pas.

Ce que je dis, c'est ceci: Si la SEBJ a omis, en 1973, de faire construire des centres de vérification à Matagami et à LG 2 et qu'elle l'a fait à l'occasion du saccage et à la suite du saccage, c'est une décision qu'elle a prise. En fait, elle a dû modifier en conséquence son échéancier et payer 21 000 000 $ à Impreglio et Spino. Et la question qui se pose en droit est la suivante: Est-ce qu'elle peut recouvrer ce montant des défendeurs ou de certains d'entre eux si elle obtient un jugement contre eux? Je ne crois pas qu'il s'agisse de dommages directs. Et mon affirmation est la suivante: ce centre de vérification et de contrôle était aussi nécessaire, sinon plus, avant le 21 mars qu'après. Et sur ce point, je disais tout à l'heure que la SEBJ savait avec qui elle traitait. Je ne veux pas lire cette citation, mais pour ceux que cela intéresse, à la page 83 du rapport de la commission d'enquête, on relate les événements du 24 mars 1971, en cette propre enceinte où M. Desjardins, faisant irruption avec ses fiers-à-bras, avait mis fin à une séance d'une commission parlementaire. Je pense que vous êtes au courant de ces faits. Je vais lire ce paragraphe, parce que cela va illustrer ce que j'essaie de cerner. Au bas de la page 82 du rapport Cliche, M. le Président: "Certains hommes politiques ont eu des réactions analogues. Au moment de mettre en chantier les plus grands travaux de construction jamais entrepris au Québec, il fallait s'assurer du concours syndical. Avec qui traiter? Avec le plus fort - ce n'est pas moi qui parle, c'est le juge Cliche - c'est-à-dire, André Desjardins. Ne pouvaient pas douter de sa toute-puissance ceux qui l'ont vu à l'oeuvre, le 24 mars 1971, faisant irruption, avec une trentaine de fiers-à-bras, dans l'enceinte où siégeait une commission parlementaire. On était en train d'étudier un projet de règlement que la FTQ n'agréait pas. Dans le tumulte, des syndiqués de la CSN furent roués de coups: André Desjardins lui-même pourchassait en hurlant le président de la CSN, le tout sous les yeux des députés impuisssants. Ce chahut indescriptible fit suspendre les travaux de la commission, qui ne tint plus jamais aucune séance. Les manifestants se retirèrent ensuite, non sans endommager quatre voitures de députés,

garées à la porte du parlement. Desjardins et ses hommes ne furent jamais inquiétés à la suite de ces événements."

Mon affirmation est la suivante, M. le Président: Si un centre de contrôle et de vérification était nécessaire, c'est bien plutôt avant le 21 mars qu'après. Après le 21 mars, MM. Desjardins et Duhamel n'y étaient pas. Alors, sur ce point, mon commentaire de fait ou ma proposition est la suivante: La SEBJ -c'est un fait - n'a pris la décision d'ériger des centres de contrôle et de vérification à LG 2 et à Matagami qu'en avril 1974. Cette décision lui appartient et je n'ai pas de commentaire à faire là-dessus. Mais, si elle avait pris cette décision en 1973, au début du chantier... On peut tirer diverses conclusions, mais une chose en ce qui concerne les dommages, puisqu'il s'agit de cela: Je suggère que le retard à rouvrir le chantier du 8 avril au 8 mai est dû uniquement à la décision de la SEBJ de ne pas rouvrir le chantier avant que les centres de contrôle et de vérification soient installés. Et j'affirme qu'il ne s'agit pas là de dommages. Elle prend cette décision, elle fait ses travaux de construction; on érige ces centres de vérification et cela a pour effet de retarder l'ensemble des travaux du chantier de 30 jours. Ce retard, M. le Président, n'est pas un retard découlant du saccage. C'est un retard découlant d'une décision administrative qui a coûté à la SEBJ 21 000 000 $. Et, dans son action, elle demandait aux syndicats de payer la note. C'est aussi clair que cela.

Alors, je dis avec respect, M. le Président, que je ne suis pas d'accord avec les procureurs de la SEBJ quand ils écrivent, à la page 61 de leur opinion du 26 janvier 1979, que de ces 21 000 000 $ payés à Impreglio et Spino la SEBJ pouvait recouvrer des défendeurs, ou de certains d'entre eux, ou obtenir une condamnation contre eux pour au moins 16 000 000 $. À mon sens, ces dommages étaient des dommages indirects. De sorte que, finalement, n'oubliant pas que le fardeau de la preuve retombait sur la SEBJ et non pas sur les défendeurs, retenant aussi que nous avons des principes qui établissent clairement qu'on ne peut pas réclamer, à la suite d'un délit comme celui-là, autre chose que des dommages directs, ma conclusion, votre seigneurie... Je m'excuse. En fait, après toutes les décisions que vous avez rendues depuis le début...

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! En raison de l'habitude qu'a Me Beaulé d'être ailleurs plutôt qu'ici, je pense que c'est tout à fait normal. On ne devrait pas lui en vouloir d'avoir eu un lapsus. C'est tout à fait normal.

M. Beaulé: II s'agit d'un lapsus, M. le Président. Je termine là-dessus. Ce poste de...

Une voix: Appelez-moi monsieur!

M. Beaulé: ...16 183 000 $, que les avocats de la SEBJ se disaient assurés de voir octroyés par le tribunal - en fait, ils étaient d'avis qu'ils auraient jugement pour ce montant contre les syndicats ou certains d'entre eux - je soutiens, tout en respectant leur opinion, qu'il ne s'agissait pas de dommages directs. Donc, ce montant ne pouvait pas faire l'objet d'une condamnation contre certains des défendeurs. Finalement, on se retrouve face à des dommages directs de l'ordre de 1 000 000 $.

À mon sens, cette réclamation constituait un gros ballon. Je ne dis pas, M. le Président, que la SEBJ n'a pas payé 21 000 000 $ à Impreglio et Spino. C'est un fait. Je ne dis pas qu'elle n'a pas payé 2 000 000 $ aux entrepreneurs pour avoir la paix avec eux. Je dis simplement que, entre ce qu'elle a payé et ce qu'elle peut recouvrer comme dommages directs des défendeurs, il y a une marge.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Je n'ai pas d'autres questions pour le moment, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. M. Beaulé, je dois avouer que j'ai été très déçu de vos remarques préliminaires, que vous nous avez présentées au début de la séance de la commission parlementaire d'aujourd'hui, quand vous avez commencé votre témoignage.

Premièrement, de la façon que je lis le mandat de cette commission, c'est d'examiner les circonstances entourant la décision du conseil d'administration de la SEBJ de régler hors cour la poursuite. Ce n'est pas d'examiner les circonstances entourant le saccage. Pendant tout l'après-midi, nous avons revu tous les détails du saccage. De plus, M. le Président, dans le mandat de la commission, on lit "et plus spécifiquement le rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard". Vous avez à peine fait allusion à la réunion du 9 janvier. Il n'y a eu aucune allusion au rôle du premier ministre ni aucune allusion, dans votre introduction, dans vos notes préliminaires, au rôle du premier ministre et de son bureau. Des fois je me demande, si la cause était si bonne, pourquoi aller voir... Si la cause, si la position que vous venez d'exposer cet après-midi était si bonne, pourquoi aller voir Jean-Roch Boivin? Pourquoi faire venir vos collègues, vos

clients de Washington pour aller voir le ministre du Travail? Pourquoi toutes ces démarches? Si j'ai bien lu les documents, il y a eu aussi une requête de non-recevabilité. Quand vous dites qu'il n'y a pas de lien de responsabilité, c'est une position qui a été prise au début et les tribunaux ont rejeté cette prétention.

Je vais vous lire, pour expliquer ce qu'est une motion de non-recevabilité, l'article 165 du Code de procédure civile: "Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet: Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais." Je pense que les tribunaux avaient déjà rejeté une requête à cet égard. Ils ont jugé que la prétention selon laquelle il n'y avait pas de lien, ce n'était pas recevable à ce moment-là. Ils ont ordonné que la cause se poursuive.

M. Beaulé, je note aussi que vous avez une bonne mémoire de tous les événements qui se sont produits en 1974 et je vais présumer que votre mémoire sera aussi bonne pour tous les événements qui se sont produits en 1978 et 1979 quant aux différentes rencontres que vous avez eues soit avec M. Jean-Roch Boivin, soit avec M. Jasmin, toutes les différentes conversations téléphoniques. Si je comprends bien vous pratiquiez le droit et vous étiez associé avec Me Jean-Roch Boivin; quelle était le nom de votre étude légale à ce moment avec Me Bovin?

M. Beaulé: M. le Président, je vais répondre à la question. Mais, à mon point de vue, déjà il y a eu deux questions qui m'ont été posées. Je suis sûr que vous êtes membre du barreau. J'aimerais aux deux questions que vous avez posées - celle-là est la troisième, selon les notes que j'ai - répondre aux deux premières brièvement. "Si la cause était si bonne, pourquoi tenter de la régler?" C'était une de vos questions.

M. Ciaccia: Non, pas "tenter de la régler". Excusez, ce n'était pas ma question. Je n'ai pas dit: si la cause était si bonne pourquoi tenter de la régler? J'ai déjà pratiqué le droit, tout avocat essaie de régler une cause. Non, relisez le journal des Débats. Pourquoi pour tenter de la régler il faut aller voir le bureau du premier ministre, Jean-Roch Boivin? Pourquoi faire venir vos clients de Washington pour aller voir le ministre du Travail? Pourquoi prendre toutes les démarches...

Une voix: ...pas légales. (18 heures)

M. Ciaccia: ...pas les démarches légales; pas des discussions avec Geoffrion et Prud'homme, cela est tout à fait normal et n'importe quel avocat, qu'il soit en demande ou en défense, peut discuter de règlement.

Ce n'était pas ma question. C'était: pourquoi avez-vous tenté de faire vos représentations au bureau du premier ministre?

M. Beaulé: M. le Président, sur la première question, j'ai expliqué ce matin, en réponse à une question de M. le ministre, que j'estimais à au moins 500 000 $ les frais de ce procès, incluant éventuellement les auditions devant la Cour d'appel et devant la Cour suprême pour mes clients.

M. Ciaccia: Une question, dans ces frais...

M. Beaulé: J'en ai déjà quatre.

Le Président (M. Jolivet): Juste une minute, M. le député. D'abord pour les besoins de Me Beaulé, il ne faudrait pas non plus ajouter questions par dessus questions avant même qu'il ait fini de répondre au moins à la première. La deuxième c'est que, vu le temps, je vais suspendre jusqu'à 20 heures et laisser à Me Beaulé le soin de faire en sorte qu'à 20 heures il revienne avec les réponses aux questions, en lui rappelant qu'il nous a aussi déclaré au début de l'après-midi qu'il avait l'intention de revenir après une étude du dossier qu'il a reçu par courrier spécial cet après-midi, à moins que, d'après ce que je peux voir, on ait la chance de le revoir demain matin. En conséquence, nous pouvons peut-être lui laisser jusqu'à demain matin, mais, entre-temps, suspendons jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 02)

(Reprise de la séance à 20 h 07)

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente de l'énergie et des ressources est à nouveau réunie aux fins d'examiner les circonstances entourant la décision du conseil d'administration de la Société d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard.

La commission, au moment de sa suspension avant l'heure du souper, avait Me Rosaire Beaulé comme invité et la parole était au député de Mont-Royal. Je tiens à faire remarquer que nous allons siéger jusqu'à 22 heures, ce soir, et que nous reprendrons nos travaux demain matin, de 10 heures à 13 heures. La parole est donc au député de Mont-Royal.

M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. Beaulé, si je comprends

bien, vous étiez associé à M. Jean-Roch Boivin, présentement du bureau du premier ministre, et je crois que le nom de votre bureau était Beaulé et Boivin. Est-ce exact?

M. Beaulé: M. le Président, je ne voudrais pas invoquer en vain l'article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne. Je soumets avec respect que j'ai le droit de répondre à trois questions qui m'ont été adressées. J'insiste là-dessus parce que je ne suis pas là simplement à titre personnel; je représente aussi un organisme qui a été intimement mêlé à cette poursuite. Je vous demande la permission de pouvoir répondre à trois questions qui m'ont été posées avant la suspension.

Le Président (M. Jolivet): Vous avez absolument raison, Me Beaulé. J'avais oublié qu'en réalité j'avais terminé en disant au député de Mont-Royal que vous aviez encore, à ce moment-là, le droit de parole. Je n'oublie pas, cependant, la dernière question posée par le député de Mont-Royal.

M. Beaulé: Merci.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Je voulais seulement assurer M. Beaulé que ce n'était pas mon intention de lui couper la parole. Vous m'aviez accordé le droit de parole, alors j'ai continué.

Le Président (M. Jolivet): Vous avez raison, M. le député; c'est moi qui ai fait erreur et j'accepte de dire que la parole est maintenant à Me Beaulé.

M. Beaulé: Merci, M. le Président. Alors, une des premières questions qui m'ont été posées était la suivante: Si la cause était si bonne pour ma cliente, parlant de la poursuite de la SEBJ contre l'International Union of Operating Engineers, pourquoi avoir tant recherché un règlement? Pourquoi avoir vu M. Boivin? Pourquoi avoir fait venir les Américains ici? Procédons à rétablir les faits. Ma réponse est la suivante...

M. Ciaccia: À voir le ministre du Travail, pas seulement à les faire venir.

M. Beaulé: D'accord. Alors, je dois, d'abord, dire que ce sont les avocats américains, Mes Woll et Fanning, qui désiraient venir à Montréal. Ils sont venus, d'ailleurs, à plusieurs reprises. Ils sont venus lorsque M. le juge en chef Deschênes a fixé la cause pour enquête et audition. Ils sont venus à la fin d'août. Ils sont revenus en janvier 1979. Donc, c'est eux qui tenaient à être présents et à prendre contact ici non seulement avec les personnes en autorité, mais également avec le milieu judiciaire.

Quant au deuxième volet de la question, il y a eu 22 jours d'enquête, n'est-ce pas, qui se sont terminés à la fin de février 1979 sur la question du quantum dont j'ai abondamment parlé cet après-midi. Il est évident, M. le Président, que je ne savais pas, avant que l'enquête débute, quelle était la nature de ces dommages, si ces dommages constituaient des dommages directs ou pas. Il est évident qu'on peut tirer des conclusions, règle générale, plutôt à la fin d'un procès qu'au début. Après 22 jours d'enquête et quelque 20 jours d'examen au préalable, je pouvais tirer certaines conclusions et je l'ai fait devant vous avec respect, d'ailleurs, pour l'opinion de mes confrères. Mais eux, non plus, ne se sont pas gênés pour tirer leurs propres conclusions et je pense que cela fait partie de notre débat démocratique.

Maintenant, je ne veux pas interpréter la deuxième question qui m'a été posée, mais je l'ai comprise ainsi: Est-ce que les prétentions des gens de l'International Union of Operating Engineers disant qu'il n'y avait pas de lien de droit entre eux et la SEBJ, disant que Duhamel n'avait pas été leur mandataire, leur représentant, n'ont pas été rejetées par le tribunal? Je crois avec respect que le député de Mont-Royal a même référé à l'article 165 du Code de procédure civile. Voici ce que j'ai à répondre là-dessus: Jamais aucun tribunal, à part le vôtre, n'aura statué sur cette cause, puisqu'il y a eu un règlement le 12 mars 1979. Il n'y a jamais eu de requête pour faire rejeter l'action de la SEBJ. Il n'y en a jamais eu. J'ai produit la contestation particularisée le 28 novembre 1978. Mon prédécesseur, M. Golt, n'avait pas eu le temps ou avait jugé utile de ne pas produire de contestation, sauf une dénégation générale dont les avocats connaissent la teneur qui est un simple "denial", en anglais, de la demande. Il n'y pas eu de requête pour rejet de l'action de la SEBJ. Il n'y a pas eu, non plus, de la part de la SEBJ une requête pour faire rejeter notre plaidoyer du 28 novembre 1978. Cela n'existe pas, ce n'est pas au dossier, il n'y a pas de requête, il n'y a pas de jugement.

J'ajouterai simplement ceci: On a parlé de l'article 165. L'article 165 dit que l'on peut faire rejeter une demande lorsque prenant pour vrais, avérés ou prouvés tous les faits qui y sont allégués, elle ne donne pas ouverture au recours demandé ou au recours formé. Il est évident qu'une requête en irrecevabilité, pour rejet de l'action de la SEBJ, ne pouvait être formée avec succès compte tenu des allégations de la poursuite. Elle ne pouvait être rejetée, cette action-là, qu'au mérite et il n'y a jamais eu de jugement sur le mérite.

Quant à l'autre question, j'ai déjà répondu que j'avais été l'associé de Me

Boivin. Je vais préciser, à la suite de la question qui m'est posée, que j'ai été l'associé de M. Jean-Roch Boivin de 1961 à 1965. La société portait d'abord le nom de Beaulé et Boivin et, finalement, elle a porté le nom de Phaneuf - il s'agissait de J. Emery Phaneuf - Denis - Norman Denis -Beaulé, Lagacé - Me Maurice Lagacé qui est maintenant juge à la Cour supérieure - et Me Boivin. Cette société, à la suite du décès dans la même année, en 1964-1965, de M. Phaneuf et de M. Denis, a été dissoute. Voilà.

M. Ciaccia: M. le Président, je pense qu'il faudrait qu'on s'entende, l'invité et moi. Quand je vais poser une question sur un fait précis ou que je vais faire une allégation précise, si vous retournez cela de façon à ne pas répondre à ce que j'ai demandé, je pense qu'on va être ici plus que ce soir et plus que demain; on va être ici toute la semaine.

Je n'ai pas dit que la SEBJ aurait pu prendre des procédures contre l'International pour rejeter la défense; ce n'est pas cela que j'ai dit. J'ai souligné seulement un fait, qu'il aurait été possible de prendre les moyens de non-recevabilité, et ces moyens, contrairement à ce que vous avez dit, ont été pris. Je vous réfère au document Extraits du registre des procès-verbaux qui a été déposé par M. Laliberté, et on lit à la page 9: "Suite à la signification de cette action - c'est-à-dire quand les procédures ont été prises - les défendeurs ont fait valoir certains moyens préliminaires." Les moyens préliminaires, c'est quand quelqu'un n'a pas de lien de droit, qu'il n'a pas de cause. Un défendeur, puisque M. Beaulé a allégué cet après-midi...

M. Beaulé: Pour ma gouverne, on me parle de la page 9. Je veux suivre.

Le Président (M. Jolivet): Le document, à la page 9.

M. Beaulé: Bon, d'accord. Merci beaucoup, M. le Président.

M. Ciaccia: C'est juste après la page 8. M. Beaulé: Merci beaucoup.

Le Président (M. Jolivet): M. le député, je pense qu'il faut quand même être juste envers l'invité qui a besoin de savoir où nous en sommes.

M. Ciaccia: Oui, oui.

Le Président (M. Jolivet): La numérotation est différente dans le document. Ce que je veux dire, M. le député de Brome-Missisquoi - je vais quand même être clair - c'est qu'il ne faut pas, à mon avis, user de moyens pour faire croire que l'individu ne sait pas où on se trouve. Il est arrivé à plusieurs occasions que d'autres invités demandent qu'on leur dise exactement où on se trouvait pour que les questions puissent être bien posées. C'est simplement une intervention pour protéger quand même l'invité qui est devant nous.

M. Paradis: M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le député de Brome-Missisquoi.

M. Paradis: Vu que vous avez mentionné le comté que je représente, je tiendrais à vous souligner que le député de Mont-Royal a mentionné la page 9 du document remis par la SEBJ. L'invité a mentionné qu'il ne la retrouvait pas. Il y a simplement une pagination là-dedans. Il n'y a rien de mêlant. Cela se situe entre 8 et 10.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Brome-Missisquoi, je voudrais simplement vous rappeler qu'il y a plusieurs pages dans le document. Je sais qu'il y a une pagination spéciale. Mais ce que je voulais dire, c'est qu'il y avait des documents aussi qui portaient les numéros de page 8 et 9 à plusieurs occasions. C'est tout ce que j'ai voulu dire pour le profit de l'individu qui est notre invité ce soir. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, je ne voudrais pas que l'invité ne puisse pas suivre ce que je vais citer. Alors, je voudrais lui demander s'il a trouvé la page 9 du document et...

M. Beaulé: M. le Président, ce document-là, pour moi, porte le numéro de page 2 et le numéro de page 9, mais j'y suis.

M. Ciaccia: Et c'est au deuxième paragraphe, s'il vous plaît.

M. Beaulé: Merci.

M. Ciaccia: Et je cite: "Suite à la signification de cette action, les défendeurs ont fait valoir certains moyens préliminaires et, notamment, les procureurs au dossier ont dû débattre certaines requêtes pour production de documents, pour particularités, pour radiation d'allégations. Au surplus, les procureurs au dossier ont dû plaider une requête en irrecevabilité initiée pour le local 134 de la Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique. Ces moyens préliminaires ont été vidés et certains représentants de la Société d'énergie de la Baie James ont par la suite été interrogés au préalable."

Le point que j'ai voulu soulever avant que nous suspendions nos travaux à 18 heures, c'était à la suite des remarques de M. Beaulé qui a dit que les procédures de la SEBJ étaient abusives, qu'il a été obligé d'aller consulter le bureau du premier ministre, qu'il n'y avait pas de lien de droit. J'ai seulement fait remarquer qu'il y a des procédures dans notre droit pour protéger, justement, ce genre de personnes qui se disent innocentes, qui prétendent qu'il n'y a pas de lien de droit. Elles peuvent aller devant les tribunaux. Elles peuvent demander aux tribunaux de déclarer l'action irrecevable parce qu'il n'y a pas de lien de droit. C'est ce qui a été fait dans cette action.

Une voix: Pas par M. Beaulé.

M. Ciaccia: Non, pas par M. Beaulé, parce que je ne pense pas qu'il était au dossier au moment où ces procédures ont été prises. Le point que je voulais souligner était que les procédures ont été prises. Mon collègue vient de souligner que Me Beaulé n'a pas entamé ces procédures. S'il se sentait lésé, s'il sentait que son client était lésé et qu'il n'y avait pas de lien de droit, le Code de procédure civile lui aurait permis en tout temps, même après sa nomination comme procureur de l'International Union of Operating Engineers, de prendre ce moyen. Je ne veux pas vous demander pourquoi vous ne l'avez pas fait. Le seul point que je voulais souligner, c'est que ces moyens auraient pu être pris. Il y a des moyens juridiques. Les tribunaux avaient déjà statué qu'à sa face même ils ne pouvaient pas dire qu'il n'y avait pas de lien de droit.

M. Beaulé: M. le Président, me permettez-vous de répondre à cette remarque?

Le Président (M. Jolivet): Me Beaulé.

M. Beaulé: Voici. Je ne veux pas être obligé de donner un cours de droit, mais il semble que oui. Lorsque vous faites une requête en irrecevabilité basée sur l'article 165, le tribunal, M. le Président, ne juge pas de la demande de rejet. Pour être bien précis, si, après ma nomination comme avocat au dossier, j'avais fait une requête pour rejet d'action de la SEBJ en alléguant tout ce qui est allégué dans le mémoire que je vous ai soumis ce matin et dans la contestation du 28 novembre 1978, le tribunal n'aurait pas pu statuer sur ma requête en irrecevabilité en s'appuyant sur mes allégations. La jurisprudence est bien claire là-dessus. Pour décider de la suffisance des allégations, le tribunal regarde les allégations de la déclaration et non pas de la défense, les allégations non pas de la requête pour rejet, mais de l'action elle- même.

Je regrette, M. le Président, mais je ne pouvais pas laisser passer cela, ceci dit avec beaucoup de respect pour le droit.

M. Ciaccia: Vous dites que l'allégation des avocats de l'étude Geoffrion et Prud'homme ne veut rien dire.

M. Beaulé: C'est tout à fait exact. M. Ciaccia: Cela ne veut rien dire.

M. Beaulé: Mais ce que vous soulevez, ce n'est pas cela.

M. Ciaccia: Moi non plus, M. le Président, je ne veux pas entrer dans un débat juridique...

M. Duhaime: Vous faites des cours du soir à McGill dans ce temps-là.

M. Ciaccia: ...sauf que je ne suis pas d'accord avec l'opinion de Me Beaulé.

M. Duhaime: Vous n'êtes pas d'accord, point.

M. Ciaccia: Je ne suis pas d'accord. Il y a eu une requête en irrecevabilité et les tribunaux l'ont rejetée. À sa face même, les tribunaux n'ont pas pu dire qu'il n'y avait pas de lien de droit. Ce n'était pas si abusif que cela. Établissons ce fait. Peut-être n'êtes-vous pas d'accord, mais c'est arrivé et c'est un fait qui a été démontré dans les documents qui nous ont été produits.

Est-ce que vous avez mentionné que vous connaissiez Me Yves Gauthier?

M. Beaulé: J'ai déjà répondu à cette question, M. le Président.

M. Ciaccia: II y aura peut-être quelques questions sur certains faits que peut-être le ministre vous a posées, mais que je vous reposerai. Est-ce qu'on s'entend?

M. Beaulé: Je suis simplement un témoin. Je ne suis pas député. Je n'ai que les privilèges que m'accorde la Charte des droits et libertés.

M. Ciaccia: N'étant pas membre du gouvernement qui a suspendu la Charte des droits et libertés par la loi 101, c'est-à-dire par la loi 111, je la respecte intégralement.

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! M. Duhaime: Question de règlement. Le Président (M. Jolivet):À l'ordre! M. Godin: C'est une obsession.

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! Vous n'avez même pas droit de parole ici, M. le ministre.

M. Duhaime: Si le Parti libéral, qui représente ce qu'on est convenu d'appeler l'Opposition loyale de Sa Majesté, a l'intention de transformer le salon rouge et la commission parlementaire en une cour de récréation, cela ne fonctionnera pas longtemps. Le député de Mont-Royal...

M. Gratton: À qui voulez-vous faire peur?

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! M. Lalonde: ...oh! on tremble.

Le Président (M. Jolivet): Je pense que le ministre a quand même droit de parole, M. le député. Il m'a posé une question de règlement et je vais quand même l'écouter.

M. Duhaime: Le député de Mont-Royal a commencé par nous dire que la loi 101 avait suspendu la Charte des droits et libertés de la personne. Vous vous êtes trompé de numéro.

M. Ciaccia: Je me suis trompé de numéro. C'est la loi 111. La loi 101 a suspendu d'autres droits, mais la loi 111 a suspendu la Charte des droits et libertés de la personne.

M. Perron: Certains articles.

M. Duhaime: Si vous êtes capable de nous en faire la démonstration, je vais vous écouter et je vous répliquerai là-dessus. On pourra le faire dans un autre forum, mais je voudrais dire très clairement que ce que vous venez d'affirmer est faux.

Une voix: Question d'opinion. M. Ciaccia: ...M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Je voudrais, quand même, qu'on procède à ce que la commission me donne comme mandat. M. le député...

M. Perron: De Duplessis.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Duplessis.

M. Perron: Je suis tranquille.

Le Président (M. Jolivet): M. le député, s'il vous plaît! Cela a très bien été jusqu'à maintenant et j'ai l'intention que cela continue comme cela. La seule chose dont j'ai besoin, c'est que chacun des membres de cette commission dirige ses questions à Me Beaulé et qu'on arrête les interventions à ma gauche et à ma droite, si ce ne sont pas des questions de règlement. M. le député de Mont-Royal à Me Beaulé.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Ce n'est pas faux que la loi 111 a suspendu la Charte des droits et libertés de la personne. Demandez-le aux syndicats et aux enseignants. Quel est le nom du bureau avec lequel vous êtes associé maintenant?

M. Beaulé: Le 1er novembre dernier, j'ai joint, si je peux employer l'expression, un bureau qui porte la raison sociale de Bélanger, Beaulé, Garceau, où il y a huit avocats.

M. Ciaccia: Si je comprends bien, vous êtes un spécialiste en matière de faillite.

M. Beaulé: Je l'ai été, mais, il y a déjà un bon dix ou douze ans, je ne dirai pas que j'ai essayé de me recycler, mais j'ai voulu ouvrir mes connaissances juridiques sur d'autres secteurs, dont la responsabilité civile.

M. Ciaccia: Pourriez-vous nous dire comment vous avez obtenu le mandat de représenter vos clients dans cette cause du saccage de la Baie-James?

M. Beaulé: C'est bien simple de vous répondre, peut-être de la même façon que les mandats arrivaient autrefois chez Chait et Associés. J'ai reçu un coup de téléphone à mon bureau, je l'ai dit, alors que j'étais en vacances à la fin de mars 1978 et, lorsque je suis revenu au bureau, vers le 12 avril, j'ai rappelé Me Woll à Washington, qui est le "general counsel" de l'AFL-CIO et également de l'union internationale dont nous connaissons le nom. Il m'a proposé de le rencontrer à Washington le 20 avril 1978. Je l'ai vu en présence de Me Fanning, j'ai même rencontré M. Turner, le "general president", et j'ai accepté le mandat. Il n'y avait personne d'autre que ces gens-là.

M. Ciaccia: En aviez-vous entendu parler avant d'avoir cet appel?

M. Beaulé: D'aucune façon de qui que ce soit. Cela a été une surprise totale.

M. Ciaccia: Y a-t-il eu quelques recommandations qui auraient pu être faites à votre égard?

M. Beaulé: Comme je pense saisir le sens de votre question, cela répondra à votre question, j'ai reçu un téléphone le 29 mars dernier d'un journaliste, M. Girard, me demandant s'il était exact que j'avais été

nommé avocat de l'union internationale à la suggestion de Me Yves Gauthier. Je lui ai dit que je n'avais jamais entendu parler d'une telle recommandation. Ce soir-là, j'ai appelé Me Fanning à sa résidence - j'ai son numéro ici - pour m'enquérir de cette question et il a m'a répondu ce qui suit: Après le décès de M. Golt, ils ont pris des renseignements à Montréal, ils ont obtenu une liste d'avocats et ils ont fait un choix. Je sais maintenant que, sur cette liste, il y avait le nom de M. Aquin, mais je pense qu'ils ont découvert en cours de route qu'il représentait la partie adverse.

M. Ciaccia: De qui ont-ils obtenu les renseignements?

M. Beaulé: Je n'en sais rien, sauf que cela vient du milieu syndical montréalais.

M. Ciaccia: C'est parce que j'essaie de comprendre. Vous avez mentionné: De la même façon qu'on recevait des mandats au bureau de Chait. C'est vrai, j'étais associé avec ce bureau.

M. Beaulé: Je ne voulais pas vous viser, monsieur.

M. Ciaccia: On dit tout. Cela s'adonne que j'étais avec le bureau de Chait. On était des spécialistes dans un certain domaine et les gens qui voulaient...

M. Laplante: C'est dans des centres commerciaux?

M. Ciaccia: ...obtenir des avocats dans certains domaines appelaient. On est combien d'avocats au Québec? On est à peu près 6000 avocats. Je me demandais comment ils étaient venus vous appeler...

M. Beaulé: Vous savez - je suis sûr que vous ne serez pas contre ma réponse - si on pense aux avocats reçus... Écoutez, cela va clarifier une question aussi. J'ai dit que j'étais de la cuvée de 1956. Évidemment, je ne comparais cette cuvée à aucune autre. J'ai été admis au barreau en 1957, mais je voudrais préciser que ce n'est pas parce que j'avais raté un examen; c'est que j'avais demandé mon admission au barreau après ma troisième année. Alors, on m'a imposé une suspension d'un an. Cela n'a rien à faire avec le résultat de mes examens.

Vous m'avez parlé tout à l'heure de la faillite. Oui, je me suis spécialisé en faillite et les rapports judiciaires de la Cour d'appel et de la Cour supérieure font état de plusieurs causes que j'ai perdues et de quelques-unes que j'ai gagnées. Mais j'ai essayé comme d'autres avocats, dont Me Jean-Paul Bergeron qui est maintenant juge à la Cour supérieure, à un moment donné, de bifurquer pour connaître d'autres sphères du droit. J'ai fait beaucoup de droit matrimonial au début des années soixante-dix et beaucoup de droit civil et je fais aussi beaucoup de droit commercial maintenant.

M. Ciaccia: Est-ce que vous avez fait beaucoup de droit dans les relations de travail à cette époque?

M. Beaulé: Je n'en ai pas fait, mais cette cause-ci est une cause de responsabilité civile.

M. Ciaccia: Le bureau qui était nommé, qui était au dossier, était le bureau de Schwisberg.

M. Beaulé: Schwisberg, Benson, Golt & MacKay, mais le mandat était donné à M. Golt que je connaissais très bien depuis de longues années.

M. Ciaccia: Quand vous êtes allé à Washington, avec qui y êtes-vous allé?

M. Beaulé: J'y suis allé seul. Je vous ai dit qu'il n'y avait personne d'autre.

M. Ciaccia: Vous y êtes allé seul, il n'y avait personne d'autre avec vous.

M. Beaulé: Et il n'y avait personne d'autre là-bas, non plus. Je n'avais pas de tuteur, ni de tutelle. (20 h 30)

M. Ciaccia: Le tuteur, vous vouliez référer à M. Yves Gauthier, le tuteur de la 791?

M. Beaulé: Je voulais me référer à ce canard qui a circulé à la fin mars que j'aurais été nommé grâce à M. Gauthier. J'ai même dit au journaliste qu'après 22 jours en cour j'espérais que les Américains n'étaient pas déçus de m'avoir choisi, peut-être aussi à cause de mes connaissances juridiques.

M. Ciaccia: Est-ce que vous pourriez nous affirmer que votre nomination est venue des milieux syndicaux et non d'une recommandation de Me Gauthier?

M. Beaulé: Ma nomination vient de M. Turner, de M. Woll et de M. Fanning. Qui ont-ils consulté? Ont-ils consulté dix personnes, 20 personnes ou 30 personnes? Je n'en sais rien. Si vous me posez 20 questions, ma réponse sera toujours la même: Je n'en sais rien.

M. Ciaccia: Alors, vous ne savez pas qui ils ont consulté?

M. Beaulé: Je n'ai pas refusé le mandat. Je trouvais qu'il était drôlement

intéressant. Je vais ajouter quelque chose, parce que cela se rattache à une question que vous m'avez posée ce soir: M. Jasmin a dit à M. Aquin qui s'en est ouvert devant vous qu'il éprouvait certaines difficultés avec moi vers le 5 février 1979. Je vais vous dire qu'à ce moment M. Aquin a dit qu'en réalité les négociations se sont surtout déroulées avec M. Jasmin. En fait, j'étais surtout en cour et, si vous regardez les transcriptions des 22 jours d'enquête, j'ai été là tous les jours à contre-interroger. C'est que j'ai pris goût à cette cause. Plus la cause avançait et plus je trouvais que la défense de ma cliente était bonne. Mais il y a d'autres intérêts supérieurs qui m'ont fait régler et que j'ai tenté d'exposer dans mon mémoire.

M. Ciaccia: Entre le 20 avril 1978, date de votre nomination et du mandat de vos clients, et le 1er décembre... Le 1er décembre, si je comprends bien, vous êtes allé voir M. Jean-Roch Boivin, du bureau du premier ministre, et vous lui avez apporté copie de votre défense. Si je comprends bien, le 20 avril 1978, M. Yves Gauthier était encore tuteur du local 791. Au moment où vous avez obtenu le mandat de votre client, Me Gauthier était encore tuteur du local 791.

M. Beaulé: Je crois qu'il l'a été jusqu'au 3 octobre 1978.

M. Ciaccia: Oui et, le 3 octobre, il s'est joint au bureau du premier ministre.

M. Beaulé: Je l'ai appris par les journaux.

M. Ciaccia: II est devenu attaché politique du premier ministre le 3 octobre 1978.

M. Beaulé: Je n'en sais rien personnellement.

M. Ciaccia: Alors, entre le 20 avril et le 1er décembre 1978, quelles communications, ou rencontres, ou lunchs avez-vous eus avec Me Boivin, du bureau du premier ministre?

M. Beaulé: En révisant mon dossier, à l'occasion d'une rencontre d'un tout autre ordre, je crois que vers le 26 juin 1978 j'ai indiqué à Me Boivin que j'avais reçu le mandat de représenter les Américains dans cette cause. Cela s'est borné à cela. On se rencontrait, si je me souviens bien, à un lunch où on ne parlait pas d'affaires. J'ai indiqué cela en passant. C'était le 26 juin 1978. Quant à M. Gauthier, j'ai déjà répondu. Il m'a téléphoné à la fin de juin 1978 pour la première fois et je l'ai vu au début de juillet. Je l'ai revu à la fin d'août 1978 au bureau de M. Johnson.

M. Ciaccia: À votre lunch du 26 juin avec M. Boivin, qu'avez-vous discuté avec lui?

M. Beaulé: Surtout des souvenirs d'autrefois.

M. Ciaccia: Vous n'avez pas mentionné votre mandat, vous n'avez pas discuté de la cause?

M. Beaulé: J'ai déjà répondu que je lui ai indiqué que j'avais été nommé avocat des Américains dans cette cause et on est passé à autre chose. On n'a discuté de la cause d'aucune façon.

M. Ciaccia: Vous n'avez pas indiqué du tout que vous pensiez que la SEBJ n'avait pas d'affaire à intenter une action contre vos clients et que vos clients avaient une bonne cause? Vous ne lui avez pas dit cela à M. Boivin à ce moment-là?

M. Beaulé: J'ai dit, ce matin ou cet après-midi, devant la commission que j'ai commencé par faire mes classes, par étudier le dossier; j'ai dit qu'il y avait 22 jours d'enquête au préalable. J'ai travaillé avec une équipe formée de Michel Brisson et de Ginette Lafortune, qui étaient de mon bureau, et j'ai tenté de me familiariser avec les faits, avec le rapport Cliche, la commission Delage. J'ai essayé de faire mes classes et c'est seulement, si vous voulez, en novembre que j'ai été capable de produire la défense, le 28 novembre 1978.

Pour répondre à votre question, je n'ai pas discuté de la cause ou du mérite, ou de quelque prétention que ce soit avec M. Boivin. Et même, le 1er décembre, je vous l'ai dit, c'était ici à Québec, je lui ai remis une copie de la procédure.

M. Ciaccia: Avant le 26 juin, quelle est la dernière fois où vous avez vu M. Boivin?

M. Beaulé: Je n'en sais rien, honnêtement.

M. Ciaccia: Mais vous l'avez vu après votre nomination, après avoir reçu votre mandat dans la cause comme procureur.

M. Beaulé: II n'y a aucun lien entre les deux. Je l'ai vu parce qu'il m'arrivait de le voir. Je l'ai vu peut-être une fois tous les deux ou trois mois. Je garde des relations avec M. Boivin comme j'en garde avec beaucoup de confrères, M. Aquin et d'autres.

M. Ciaccia: Le 3 octobre, vous avez communiqué avec Me Gauthier?

M. Beaulé: Quelle date, dites-vous?

M. Ciaccia: Le 3 octobre, Me Gauthier a été nommé au bureau du premier ministre.

M. Beaulé: C'est ce que je crois, d'après la lecture des documents ici.

M. Ciaccia: Quand l'avez-vous rencontré? Vous avez mentionné que vous aviez communiqué avec lui vers la fin...

M. Beaulé: Non, je n'ai pas communiqué avec lui. J'ai dit qu'il m'a téléphoné à la fin juin 1978 et que je l'ai vu au cours du mois de juillet 1978. Je l'ai revu le 28 août au bureau de M. Johnson, parce que les avocats américains étaient ici et désiraient rencontrer le ministre du Travail. J'ai pensé que le ministre du Travail serait peut-être intéressé à rencontrer un des vice-présidents de l'AFL-CIO qui désirait le voir et il a accepté de le recevoir.

M. Ciaccia: Quel était le mandat que vous aviez obtenu de vos clients?

M. Beaulé: Le mandat était d'étudier le dossier, de faire toute procédure pour faire rejeter l'action en temps utile et, pour moi, c'est au mérite. Finalement, au fur et à mesure que mon travail a progressé, que je me suis familiarisé avec les faits en discutant avec eux, j'ai cru que c'était mon devoir ou, à tout le moins, mon droit de sensibiliser les personnes en autorité sur les conséquences de cette poursuite. Je l'ai dit ce matin et je vais toujours répéter la même chose. C'est cela qui s'est produit et pas autre chose.

M. Ciaccia: Est-ce que le mandat de vos clients était écrit?

M. Beaulé: Le mandat d'agir était écrit, mais c'était un mandat, je crois - je l'ai ici, vous pourrez le voir si vous le désirez - de dix lignes, comme tous les mandats que les avocats reçoivent. Habituellement, les clients ne précisent pas en 26 paragraphes ce qu'ils vous demandent de faire.

M. Ciaccia: Quand Me Gauthier vous a appelé à la fin de juin, est-ce que c'était au sujet du règlement? Est-ce qu'il y a eu des discussions concernant la cause ou le saccage?

M. Beaulé: M. Gauthier m'a téléphoné et il voulait me voir au sujet de cette poursuite, oui. Je l'ai vu au sujet de cette poursuite au cours du mois de juillet 1978.

M. Ciaccia: Quelles étaient les discussions que vous avez eues avec lui?

M. Beaulé: J'étais à la période, à l'époque, où je m'informais, où je prenais connaissance du dossier. J'ai posé beaucoup de questions. M. Jasmin était aussi présent à cette rencontre, monsieur.

M. Ciaccia: Mais vous avez mentionné que M. Gauthier voulait vous voir au sujet de ce dossier.

M. Beaulé: C'est cela.

M. Ciaccia: Qu'est-ce qu'il voulait?

M. Beaulé: II faudrait lui poser la question. Quant à moi, je peux me rappeler ce qu'il m'a demandé. Ce qu'il avait dans la tête, cela? Mais à partir de ces questions, en réalité, on a parlé de la cause, certainement, on a parlé de la cause. C'était un dossier qui préoccupait M. Gauthier qui était, je crois, le président de la tutelle, à l'époque. Ce dossier le préoccupait manifestement.

M. Ciaccia: Quand vous dites que cela le préoccupait, est-ce qu'il a pris une position? Est-ce qu'il vous a fait une suggestion? Quelle était la nature des discussions que vous avez eues avec lui?

M. Beaulé: Je crois que notre conversation a porté sur les faits, parce que j'en étais encore à ma période d'information. C'est peut-être une mauvaise habitude, mais, avant de produire un plaidoyer, j'aime bien connaître les faits d'un dossier. Ce n'était pas un dossier simple.

M. Ciaccia: Le 1er décembre, vous avez apporté votre défense à Me Boivin, du bureau du premier ministre. Vous avez mentionné - corrigez-moi si je me trompe -que vous étiez venu le voir à Québec et que vous lui aviez apporté la défense.

M. Beaulé: J'étais passé à Québec, je ne me souviens plus pour quel dossier. Je suis arrêté, sans rendez-vous, pour le saluer. Je lui ai aussi remis copie de cette procédure. Sûrement que, si je l'avais dans ma serviette c'est que j'avais l'intention de le lui remettre si j'avais une chance de le voir. Je l'ai fait; mais on a parlé d'autres choses. Il m'a parlé d'un confrère qui venait d'être nommé juge, l'avocat Carisse. On a parlé du beau temps.

M. Ciaccia: Je présume que ce n'était pas la seule cause que vous aviez. Est-ce que vous aviez l'habitude d'apporter avec vous la défense de toutes vos causes pour la déposer à tous les gens que vous rencontriez? Il me semble que vous deviez avoir eu des discussions avec lui avant de le rencontrer.

M. Beaulé: Je n'ai pas deux paroles. Il n'y a eu aucune discussion. Sur ce point, me permettez-vous de corriger une réponse que j'ai donnée à la commission cet après-midi? J'ai dit que je ne croyais pas avoir été avisé avant le début de février 1979 de l'intention du premier ministre de voir cette cause se régler. J'ai discuté avec Me Roy ce soir, qui connaît bien le dossier comme moi. Au cours de la rencontre du 19 janvier 1979, alors que j'étais au bureau de M. Boivin avec Woll et Fanning de 15 h 36 à 16 h 31, je me souviens qu'on avait longtemps attendu M. Boivin qui était occupé ailleurs et, finalement, nous l'avons vu pendant une vingtaine de minutes. Il me semble, même si M. Boivin a été très réservé, que j'en avais gardé l'impression - en anglais, on dirait un "feeling" - que le premier ministre souhaitait un règlement de cette cause. Comme je suis sous serment et que je tiens à ce que tout soit clair, je pense que j'avais retenu -c'était une évaluation ou un "feeling", vous savez sûrement ce que le mot veut dire, M. le député - que le premier ministre souhaitait un règlement. Cela a été dit dans des mots très réservés.

M. Ciaccia: Le 19 janvier.

M. Beaulé: Alors, c'est pour cela qu'il est possible que le 26 janvier, rencontrant M. Aquin, j'aie pu lui dire, non pas pour le déstabiliser, que j'avais l'impression que le premier ministre souhaitait un règlement, qu'il souhaitait qu'il soit mis un terme à cette cause. Mais je n'en savais rien d'autre; c'était de l'intuition ou le résultat d'une évaluation des faits.

M. Ciaccia: Comme je n'ai aucune raison de ne pas croire votre témoignage, je n'ai aucune raison de ne pas croire la vérité de Me Aquin. Il a témoigné, si je me souviens bien, qu'il avait appris quand il avait parlé avec vous que vous étiez en contact avec le bureau du premier ministre, indirectement avec les clients que lui représentait, et que ces discussions avec vous l'avaient déstabilisé parce que lui était l'avocat de la SEBJ. C'est le mot exact, je me souviens du mot "déstabilisé"; je l'ai même lu dans les "galées", mais je n'ai pas la référence exacte. Il me semble qu'il a dû y avoir des discussions un peu plus... de la façon que M. Aquin... Il l'a dit ici et je vais vous le citer: "Je trouve toujours très déstabilisant ce genre d'information."

M. Tremblay: Quel genre d'information?

M. Ciaccia: L'information que Me Beaulé faisait...

M. Tremblay: C'est cela qui est décrit? Dites-moi donc ce qui est écrit. Dites-moi donc cela.

Le Président (M. Jolivet): Allez.

M. Ciaccia: Est-ce que je pourrais suggérer que le député... À la réunion du 1er décembre...

M. Beaulé: Me permettez-vous de répondre à cette question?

M. Ciaccia: Oui, certainement!

M. Beaulé: Vous avez dit que j'avais eu des contacts indirects avec ses clients. C'est faux. Je n'ai jamais eu de contacts directs ou indirects avec la SEBJ. J'ai rencontré le président, M. Laliberté, pour la première fois ici le 30 mars. Je n'ai eu aucun contact avec les avocats de la SEBJ, ni direct ni indirect. Je ne considère pas qu'une visite au bureau de M. Boivin constitue un contact indirect avec la SEBJ.

M. Ciaccia: Indirect dans le sens que la SEBJ, c'était une société d'État; le bureau du premier ministre, c'est le gouvernement. Alors, quand vous visitez le bureau du premier ministre, dans mon esprit et puis, je crois, dans l'esprit de tout le monde, indirectement, vous avez contact avec le patron qui est la SEBJ. C'est dans ce sens-là.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Juste un instant, M. le ministre. (20 h 45)

M. Duhaime: Je ne sais pas si vous allez accueillir l'intervention que je vais faire comme étant une question de règlement.

Le Président (M. Jolivet): On va voir.

M. Duhaime: Ce qui se passe dans la tête du député de Mont-Royal a toujours été une source d'interrogation pour beaucoup de gens. Est-ce que je pourrais faire la suggestion suivante: que le député de Mont-Royal adresse ses questions à Me Beaulé, qui est invité par notre commission? Je crois savoir que c'est un avocat qui est en pratique et qui n'est pas ici comme amicus curiae, mais qui a autant d'honoraires et de frais qu'un amicus curiae. Le député de Mont-Royal peut avoir droit à ses propres opinions, faire ses commentaires. Mais si je pouvais lui faire la suggestion de les retenir et de les réserver...

M. Gratton: Question de règlement, M.

le Président.

M. Duhaime: ...lorsque, en temps utile, on aura chacun notre tour pour faire nos commentaires et faire avancer les travaux de la commission.

Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse, M. le ministre, question de règlement de la part du député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président, d'abord, la question de règlement que soulève le ministre n'en est pas une et lui-même - il l'a dit au début - l'admet. Mais je lui ferai remarquer que, chaque fois qu'il nous a cité des passages d'éditoriaux de Marcel Adam et de je ne sais trop qui, c'est toujours à un moment où on avait des invités devant nous. Si le député de Mont-Royal a l'intention d'exprimer une opinion à quelque moment que ce soit, ce n'est pas au ministre de juger si c'est le moment opportun ou non. Chaque membre de cette commission a un droit de parole qui lui est garanti par le règlement et le ministre n'a pas à s'immiscer là-dedans. Ce n'est pas parce que cela ne fait pas son affaire, ce que le député de Mont-Royal dit, qu'il peut tout simplement soulever une question de règlement à tort ou à raison. Il admet lui-même que ce n'était pas une question de règlement. Voulez-vous, s'il vous plaît, le rappeler à l'ordre, M. le Président?

Le Président (M. Jolivet): Merci de me suggérer cette position. Une chose est certaine, c'est que je ne voudrais pas, non plus, que les discussions se fassent, encore une fois, à ma gauche et à ma droite alors qu'elles doivent se faire avec les gens qui sont en face de nous. Me Beaulé avait une réponse à donner. Je lui donne la parole. Me Beaulé.

M. Beaulé: J'ai dit que je n'avais pas eu de contacts directs ou indirects avec la SEBJ. Quant au reste, dans quelles circonstances j'ai dit à M. Aquin que j'avais le sentiment que le premier ministre était favorable à un règlement ou à ce qu'on mette fin à ces procédures-là, je ne m'en souviens pas. Je sais qu'il a dit qu'il avait été légèrement déstabilisé, mais, connaissant bien Aquin, j'ai pris cela avec un grain de sel.

M. Lalonde: Pardon?

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! C'est M. le député de Mont-Royal qui a la parole.

M. Ciaccia: Comment dites-vous? Vous avez pris cela avec un grain de sel?

M. Beaulé: Quand M. Aquin a dit qu'il avait été déstabilisé, j'ai pris cela avec un grain de sel, parce que je le connais depuis 30 ans.

M. Ciaccia: Qu'est-ce que cela voudrait dire que vous avez pris cela avec un grain de sel?

M. Beaulé: Je ne pense pas être l'homme à pouvoir déstabiliser M. Aquin, pour être clair.

Une voix: Non. Mais le bureau du premier ministre, par exemple!

M. Ciaccia: Je ne pense pas que ce soit vous qui l'ayez déstabilisé. C'était le fait que vous aviez vu... Je vais vous citer ce que Me Aquin a dit. Cela peut peut-être vous rafraîchir la mémoire. Je ne ferai pas de commentaire pour le moment sur la mémoire de nos témoins, mais j'avais exprimé le désir et j'avais présumé, au début, que, les détails étant si clairs pour ce qui concerne l'année 1974, on aurait la même précision sur les rencontres et les événements de 1978 et 1979.

Je vais vous citer ce que Me Aquin a dit. C'est à la page 2, bobine 721: "Mais ils nous avaient dit qu'ils avaient eu des contacts avec le bureau du premier ministre au milieu du mois de janvier. Je ne sais pas quand ils avaient eu leurs contacts, mais c'est à ce moment-là qu'ils nous l'ont dit. Si je me souviens bien, M. Beaulé avait dit, je pense: II est plus normal entre avocats de vous prévenir que nous avons eu des contacts avec le bureau du premier ministre, que nous avons vu des gens du bureau du premier ministre. Dans un processus de travail avec d'autres avocats - et c'est là que ma curiosité entre en jeu - je trouve toujours très déstabilisant ce genre d'information. Alors, je voulais savoir si c'était exact."

C'est l'information que vous lui aviez fait parvenir qui l'a déstabilisé. Je ne pense pas que ce soit vous-même.

M. Beaulé: Je remercie M. le député d'avoir lu le texte, parce que cela me confirme dans mon sentiment de cet après-midi que, si j'ai pu lui dire que j'avais des contacts avec le bureau du premier ministre, je ne me rappelais pas l'avoir avisé que le premier ministre avait pris une décision ou en était venu à une conclusion quant à cette cause. J'ai dit, cet après-midi - j'ai vérifié le document à l'heure du souper - qu'aussi tard que le 29 janvier, qui est un lundi... Vous le voyez par les photocopies des documents que je vous ai remis cet après-midi. La cour a siégé les 29, 30, 31 janvier et 1er février. J'ai été en cour tous les jours. Le 29 janvier, j'ai préparé un document, à l'intention de M. Boivin, sur

l'absence de lien de droit entre la SEBJ et mes clients. Alors, si j'avais su que le premier ministre avait pris une décision ou en était arrivé à une conclusion, je pense que je n'aurais pas perdu mon temps, le soir, à pondre un document de trois pages.

M. Ciaccia: M. Beaulé, il y a des choses que je ne comprends pas et peut-être que vous pourriez m'éclairer. Vous avez mentionné, aujourd'hui, que vous vouliez sensibiliser des gens du bureau du premier ministre, M. Boivin, du bureau du premier ministre. Pourquoi, alors, avez-vous jugé nécessaire de préparer votre défense, d'en donner une copie le 1er décembre et de continuer toutes les autres démarches? Vous nous avez donné toute une liste qu'on examinera. Pourquoi était-ce nécessaire de faire cela?

M. Beaulé: En fait, je n'ai pas le droit de vous poser une question, mais je serais presque tenté de vous demander si vous n'auriez pas fait la même chose.

M. Ciaccia: Non.

M. Beaulé: Ma réponse est la suivante. Je crois que remettre ma contestation à M. Boivin, dans le contexte que j'ai indiqué, pour qu'il puisse en prendre connaissance à tête reposée, constituait un moyen de l'informer de la position prise par ma cliente. Ce n'est pas plus compliqué que cela, pas plus chinois que cela. Évidemment, c'était dans le but qu'il soit au courant de la contestation de ma cliente et je ne vois rien de dérogatoire à cela.

M. Ciaccia: Est-ce à ce moment-là que vous avez suggéré à Me Boivin que la cause soit retirée purement et simplement?

M. Beaulé: Comment dites-vous?

M. Ciaccia: Est-ce à ce moment-là, le 1er décembre, que vous avez suggéré à Me Boivin que la cause soit retirée purement et simplement, comme cela a été rapporté dans les journaux de vendredi?

M. Beaulé: Je vous ai dit tout à l'heure que j'ai rencontré M. Boivin, à Québec, le 1er décembre, que nous avons parlé de beaucoup de choses et qu'à l'occasion je lui ai remis cette contestation. Comme tous les avocats, habituellement, lorsqu'on pose un geste, on y a pensé, règle générale. Je voulais sûrement le sensibiliser à cette question, à la question de la poursuite, si vous voulez, contre les Américains, le sensibiliser à cette cause. C'est pour cela que je lui ai remis la procédure. Mais il n'a pas été question... Je l'ai dit tout à l'heure très clairement, ce n'est pas allé plus loin.

Si vous me parlez de journaux, d'abord, j'aimerais que vous me citiez l'article. Mais comme je les ai lus, enfin, ceux de Montréal, je peux vous dire que j'ai déclaré, de mon propre chef et je l'ai encore dit aujourd'hui... Ce n'était pas sur la liste des rencontres avec M. Boivin. J'ai jugé utile, parce que je crois que la commission veut avoir tous les faits, de dire que, même si je n'apparaissais pas sur l'agenda de M. Boivin du 1er décembre, de fait, je l'avais vu. Je n'étais pas obligé de le dire. Je l'ai dit.

M. Duhaime: Répétez donc cela, s'il vous plaît, à ma gauche! M. le Président, est-ce que le député de Marguerite-Bourgeoys pourrait répéter, pour fins d'enregistrement au Journal des Débats, ce que je viens d'entendre?

M. Lalonde: Sûrement.

M. Duhaime: Oui, dites-le donc!

M. Lalonde: Le témoin vient de dire qu'il n'était pas obligé de mentionner sa réunion du 1er décembre, il y était obligé par son serment.

Une voix: De dire toute la vérité. M. Lalonde: De dire toute la vérité.

M. Duhaime: C'est ce que je voulais vous entendre dire.

M. Beaulé: M. le Président, je ne peux pas invoquer des privilèges ici, sauf la Charte des droits et libertés de la personne. La question qui m'a été posée par M. le ministre est: Est-ce que j'étais au bureau de M. Boivin aux dates indiquées à la liste des rencontres? J'ai dit oui. C'était cela, la réponse. J'ai ajouté, parce que sa question ne comportait pas d'autres éléments, que j'avais vu M. Boivin plus tôt. Dans ce sens-là, je n'étais pas obligé de l'ajouter. La question était complète; la réponse aussi.

Je pense que je vais songer, ce soir, à examiner avec qui de droit la Charte des droits et libertés de la personne, parce que je soumets avec respect que vous avez insinué clairement quelque chose qui serait dérogatoire. Je n'accepterai pas cela puisque, à mon sens, nous avons heureusement une charte des droits et, quant à moi, je tiens bien à ce qu'elle s'applique.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: ...je n'ai rien insinué. J'ai dit que le témoin a le devoir de dire toute la vérité. S'il a, lui-même, de son propre

chef, comme il a dit, cru bon d'ajouter la réunion du 1er décembre, c'est qu'il pensait qu'il le devait à la vérité.

M. Beaulé: C'est exact.

M. Lalonde: C'est simplement ce que j'ai dit.

M. Beaulé: Bien. Alors, si c'est cela, nous sommes tous les deux d'accord.

M. Lalonde: J'espère que ce sera la règle jusqu'à la fin.

M. Beaulé: Cela, c'est une insinuation, M. le Président.

M. Duhaime: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: ...sur la question de règlement, j'aimerais que le député de Marguerite-Bourgeoys retire la dernière phrase qu'il vient de prononcer à l'endroit de Me Beaulé. Elle m'apparaît impensable venant d'un député, membre de l'Assemblée nationale et siégeant ici en commission parlementaire et, de surcroît, d'un ancien ministre, d'un ancien Solliciteur général et membre du barreau. Je vais peut-être être obligé de le faire à titre personnel, je vais demander au député de Marguerite-Bourgeoys de retirer ce qu'il vient de dire à un de ses confrères du barreau. Ceci m'apparaît très clairement être le genre de directive que j'ai déjà entendue de la part de certains procureurs de la couronne à des témoins qui avaient été déclarés hostiles par un tribunal dans une procédure normale. Sauf erreur, Me Beaulé est ici comme invité de cette commission parlementaire et j'ajoute qu'il est venu ici à ses frais, comme tous les témoins. Je vous dis que ce que je viens d'entendre de la part du député de Marguerite-Bourgeoys me scandalise au plus haut point.

Je lui demanderais de le faire pour la bonne marche de nos travaux, pour que Me Beaulé se sente ici comme étant quelqu'un qui veut contribuer à faire toute la lumière et à éclairer les travaux de cette commission, parce que tous, nous voulons connaître la vérité. J'ai la prétention de vous dire bien modestement et bien respectueusement que, depuis les quelques minutes avant 18 heures et depuis 55 minutes que M. le député de Mont-Royal a la parole, j'ai comme l'impression que nous sommes ici en présence d'une opération de contre-interrogatoire en règle qui s'attaque à la crédibilité et à la réputation de Me Beaulé. Il n'a pas l'immunité parlementaire; moi, je l'ai et, s'il faut que je mette mon immunité parlementaire sur la table pour protéger cet avocat qui est ici, je le ferai.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Le ministre me demande de retirer des paroles qui sont dans le sens que j'espérais que la vérité sera la règle jusqu'à la fin. Comment pourrais-je retirer une parole semblable? En la retirant, je souhaiterais que la vérité ne soit pas la règle jusqu'à la fin. Est-ce que le ministre...

M. Duhaime: Vous vous regarderez à la télévision, vous allez vous trouver joli.

M. Lalonde: En ce qui concerne le témoin, il a la protection de la loi, de l'Assemblée nationale et, jusqu'à maintenant, c'est le ministre qui a pris plus de temps avec le témoin que nous de l'Opposition.

M. Laplante: Ne changez pas de sujet.

M. Lalonde: Nous allons donc continuer à poser des questions en espérant que la mémoire de Me Beaulé soit aussi fraîche en 1978 qu'elle l'était en 1974. Nous espérons que la vérité éclatera. Je ne retire aucune parole.

Le Président (M. Jolivet): L'invité qui est devant nous a aussi droit à la protection de la présidence. À partir de ce droit qu'a notre invité, c'est un des principaux...

Une voix: Invités?

Le Président (M. Jolivet): Je pense que vous ne me mettrez dans la bouche aucun des mots que j'ai à dire, je vais les dire de moi-même. Ce que je veux dire, c'est qu'en vertu du serment qu'il a effectivement, à la demande du député de Marguerite-Bourgeoys, fait aujourd'hui, on doit au départ, tout comme par analogie je pourrais le faire en vertu de l'article 99.9 de notre règlement à des questions qui sont posées, accepter la parole d'une personne qui a prêté serment. Que ce soit par les mots ou par le ton, je n'ai pas le droit, à titre de président, de faire en sorte que l'invité se sente d'une façon ou d'une autre bousculé par qui que ce soit autour de cette table.

En conséquence, je le ferai respecter et c'est dans ce sens que, comme président, ce que je demande pour l'invité, c'est qu'il soit protégé par les droits qu'il a comme individu, mais aussi qu'il ne soit pas bousculé par nos privilèges à titre de députés. Je pense que cela est important. Si ce n'est pas par les mots qu'on dit, cela peut être par la façon et le ton. En conséquence, je pense que Me Beaulé, comme tous les autres invités, a droit aux mêmes privilèges, c'est-à-dire que chacun d'entre nous le respecte et

accepte que sa parole sous serment est la vérité. Je pense que, cet incident étant clos, ce qui est important pour nous est que Me Beaulé se sente à l'aise pour répondre à toutes les questions, en vue de faire respecter, le mandat que j'ai à faire respecter comme président et que je ne répéterai pas pour la quatrième ou cinquième fois aujourd'hui.

M. le député de Marguerite-Bourgeoys. (21 heures)

M. Lalonde: Naturellement, un témoin sous serment est présumé dire la vérité. Mais, dans nos cours de justice, le ministre, s'il se souvient de ses quelques années d'expérience au prétoire, sait que la crédibilité d'un témoin peut être testée par des questions. Ce n'est pas faire injure au témoin, à sa personne et tout le reste que de poser des questions qui peuvent viser à savoir si sa mémoire est bien fraîche ou, enfin, si elle complète. Je suis prêt à continuer l'interrogatoire du député de Mont-Royal, mais je pense qu'on devrait lui laisser toute la latitude que vous avez laissée jusqu'à maintenant pour poser des questions qui vont dans le sens de remplir notre mandat, à savoir de faire la vérité sur le mandat qui nous a été confié.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: D'abord, je vais prendre acte du fait que le député de Marguerite-Bourgeoys continue ce que j'appellerais une idée fixe depuis le début, de transformer les travaux de cette commission parlementaire en procès - il vient de le dire lui-même - et ce n'est qu'au cours d'un procès qu'on peut, par la voie d'un contre-interrogatoire, tester la crédibilité d'un témoin. Si le député de Marguerite-Bourgeoys veut retenir cette formule, je marche, mais nous allons appliquer à cette tentative les règles du Code de procédure civile ou la loi de la preuve en vertu du Code criminel du Canada, comme vous le désirez, en matière d'interrogatoire et de contre-interrogatoire d'un témoin, ce qui aura pour effet d'écourter très certainement les périodes de questions. D'abord, les questions qui sous-tendent ou qui sont reliées au ouï-dire ne pourront pas être admises. Il n'y aura pas, non plus, de questions à répétition et les questions ne pourront contenir ni un préambule, ni une opinion, ni un commentaire. Si c'est l'offre que me fait le député de Marguerite-Bourgeoys, je l'accepte tout de suite.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys, en espérant que nous allons terminer ce débat.

M. Lalonde: M. le Président, le ministre m'a fait une offre. Il a la mémoire courte. Il sait très bien que, dans l'interrogatoire comme dans le contre-interrogatoire, une latitude complète est laissée pour tester, justement, la mémoire, la crédibilité d'un témoin. Le règlement ne le prévoyant pas, il n'est pas question de faire déclarer un témoin hostile ici. Mais pourquoi déclarerait-on un témoin hostile? On ne le fait que lorsque le témoin qui a été appelé par la partie qui l'interroge peut permettre à l'avocat de lui poser des questions dans le sens du contre-interrogatoire.

Nous, ici, nous posons des questions, nous tentons d'avoir la vérité et nous ne voulons pas accepter les interférences du ministre - je ne veux pas lui prêter de motif indigne - qui pourraient être perçues comme allant dans le sens d'empêcher le témoin ou d'empêcher la commission d'avoir toute la vérité. Nous allons continuer à poser des questions. Nous avons plusieurs questions à poser à Me Beaulé, mais nous aimerions simplement que le ministre nous laisse continuer l'interrogatoire sans interférence.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Je ne laisserai pas passer celle-là, certain; c'est à peu près comme regarder passer un éléphant. Le député de Marguerite-Bourgeoys vient tout juste de dire, et tout le monde en est témoin, qu'il ne me prête pas d'intention. Je l'en remercie beaucoup. Mais, dans la phrase qui suit, il vient tout juste de dire que mes interventions allaient dans le sens d'empêcher que des réponses ne viennent. Cela commence à ressembler à un prêt d'intention. Je vous le retourne votre prêt, je n'en ai pas besoin.

Essentiellement - et c'est sur cela que la question de règlement a débuté - je suggère au député de Mont-Royal de poser des questions. Je réitère mon offre que, si le député de Marguerite-Bourgeoys veut l'accepter, nous allons retenir à partir de maintenant les règles de procédure normales qui s'appliquent en matière d'interrogatoire et de contre-interrogatoire des témoins, et je suis prêt à marcher dans ce sens tout de suite.

M. Lalonde: M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys, toujours.

M. Lalonde: Naturellement, j'hésiterais à changer les règles du jeu. Je sais que le ministre les a changées depuis quelque temps. Il a tripoté la liste des témoins. La liste maîtresse des témoins contenait, par exemple, le nom de M. Yvan Latouche, et il l'a complètement écarté. Un autre témoin,

M. Maurice Pouliot - alors que le ministre nous disait: Vous allez entendre tous les témoins que vous voulez - maintenant, est écarté. Le tripotage de la liste des témoins, le ministre s'en charge. Naturellement je lui en laisse la responsabilité.

Quant aux règles, si les témoins du ministre peuvent être contre-interrogés suivant les règles du contre-interrogatoire du prétoire par l'Opposition, je veux bien.

M. Duhaime: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le ministre.

M. Duhaime: ...je voudrais tout simplement...

Le Président (M. Jolivet): En terminant, j'espère.

M. Duhaime: Oui, cela va être très bref. Je pense que la vérité a ses droits. Je ne suis pas tellement familier avec le mot "tripotage". Je siège de ce côté-ci de la commission parlementaire et non pas de l'autre côté, et on ne viendra pas me dire ici que je "tripote" les listes. J'ai modifié une liste pour la raison suivante...

M. Lalonde: Faites-nous rire.

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!

M. Duhaime: À la demande expresse... M. Lalonde: De qui?

M. Duhaime: ...de M. Daniel Latouche, dont le nom a été suggéré par l'Opposition. Nous avons interrompu, si je ne m'abuse, le témoignage de M. Laferrière...

M. Lalonde: M. Laliberté.

M. Duhaime: ...de M. Laliberté, et nous l'avons entendu.

M. Lalonde: Un peu de mémoire, s'il vous plaît.

M. Duhaime: Si vous voulez mon sentiment, M. Daniel Latouche a répondu à des questions qui sont à peu près à 100 000 milles du mandat de cette commission. Tout ce qui est resté de son témoignage et que j'ai retenu, c'est une querelle de cousinage avec M. Yvan Latouche. Je l'ai dit à des journalistes hier, si M. Yvan Latouche a une querelle de cousinage, en faisant appel à des experts en généalogie, cela peut se régler ailleurs qu'en commission parlementaire, qui a un mandat bien précis. J'ai effectivement écarté M. Yvan Latouche parce que j'ai dit à des journalistes - cela a été rapporté dans le journal - et je vais le répéter à partir d'ici: Cette commission parlementaire n'entendra pas chacun que j'appellerais des "faiseux" qui n'ont strictement rien à voir, ni comme membres du conseil d'administration de la SEBJ, ni comme témoins ou comme personnes qui ont eu un rôle important dans ce dossier. Je maintiendrai cette opinion et cette décision, M. le Président...

M. Lalonde: M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Duhaime: ...même s'ils travaillent pour le Parti libéral...

M. Lalonde: Je regrette, M. le Président, mais le ministre est injuste à l'égard de M. Maurice Pouliot.

M. Duhaime: Je n'en ai pas parlé. M. Lalonde: Moi j'en parle.

M. Duhaime: D'accord, on va régler cela.

M. Lalonde: Ce n'est pas un "faiseux". Son seul défaut, semble-t-il, est de ne pas avoir fait des va-et-vient dans le bureau du premier ministre, et il est le P.-D.G. d'un des clients importants, d'un des défendeurs dans cette cause. Est-ce que c'est un "faiseux"? Et vous refusez de l'entendre.

En ce qui concerne M. Yvan Latouche...

M. Duhaime: M. le Président...

M. Lalonde: ...le ministre... Non, laissez-moi terminer, s'il vous plaît. Le ministre lui-même a posé à Me Beaulé des questions en ce qui concerne l'article de la Presse du 17 mars. Donc l'article de la Presse du 17 mars dernier, qui accuse le premier ministre d'avoir trompé l'Assemblée nationale, est totalement pertinent à nos débats. Or dans cet article M. Latouche, Me Jasmin, Me Gauthier sont impliqués - on dit qu'ils sont impliqués - dans une réunion et la seule partie de ce témoignage qu'on a entendue est M. Daniel Latouche. On n'a pas entendu l'autre partie. Si c'est le genre de justice que le ministre a à l'idée, je ne l'accepte pas.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Si vous ne l'acceptez pas, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, vous allez être obligé de vivre avec.

M. Lalonde: Pardon?

M. Duhaime: Parce que ce que je vous dis, M. le Président...

M. Lalonde: Question de règlement, M. le Président.

M. Duhaime: Je suis en train de parler sur une question de règlement.

Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse, je m'excuse, je m'excuse.

Une voix: II a une maudite...

Le Président (M. Jolivet): Juste un instant. S'il vous plaît! S'il vous plaît! M. le ministre.

M. Duhaime: Je voudrais terminer, M. le Président. En aucun moment ce soir je n'ai parlé de M. Maurice Pouliot. Maintenant que le député de Marguerite-Bourgeoys m'invite à le faire, je vais répéter ce que je lui ai dit: M. Maurice Pouliot, à l'époque où se sont produits les événements qui nous occupent aujourd'hui à l'intérieur du mandat de cette commission, n'occupait pas le poste qu'il occupe aujourd'hui.

M. Lalonde: C'était un officier supérieur.

M. Duhaime: N'occupait pas le poste qu'il occupe aujourd'hui. Et si l'Opposition veut que cette commission entende René Mantha, Yvon Duhamel, Paul Desrochers, André Desjardins et autres, nous allons terminer nos travaux dans un an ou deux. Je pense avoir indiqué à l'Assemblée nationale cette semaine, et le premier ministre l'a fait également, que nous voulons faire la lumière sur ce dossier et entendre les personnes qui ont un lien ou un rapport avec le mandat de la commission.

J'ai offert, il y a quelques jours, au député de Marguerite-Bourgeoys qui siégeait juste en face de moi dans le fauteuil qu'occupe ce soir le député de Louis-Hébert... Il n'y a pas de cachette là-dedans, je lui ai dit: Veuillez nous indiquer où est le lien ou le rapport et je considérerai votre demande. On l'a fait dans le cas de Daniel Latouche et on s'est rendu compte qu'on avait, tout le monde, perdu notre temps.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Un instant, je vais vous laisser la parole, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, mais j'étais en train de me penser un vendredi matin vers la fin des travaux. Je pense que je pourrais permettre une intervention de part et d'autre. On va passer le plus rapidement possible à la suite des questions que le député de Mont-Royal veut poser. Je ne voudrais pas que le dialogue entre vous, à ma gauche, et vous, à ma droite, puisse se continuer trop longtemps. Je pense que ce que je vous avais demandé lors des questions ici à cette commission, c'est de le régler ailleurs qu'ici. Je vais devoir commencer à penser que je devrais vous demander à nouveau de le régler ailleurs qu'ici, puisque le rôle de la commission n'est pas de voir si chacun, à ma gauche ou à ma droite, n'est pas d'accord quant aux personnes qui doivent être invitées ici. Ce que j'ai comme mandat, c'est de faire en sorte que les gens qui sont invités puissent être entendus dans les délais les plus rapides, en sachant qu'on doit éviter des dialogues à ma gauche et à ma droite, et plutôt aller en face de moi.

Comme dernière intervention, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, vous savez que le règlement me permettrait de faire une motion immédiatement, en tout temps, pendant nos travaux pour inviter un témoin. Je ne veux pas faire cette motion maintenant, mais ce n'est pas exclu, parce que nous avons un invité devant nous actuellement.

M. Duhaime: Mettez-la sur la table et elle sera soumise aux voix.

M. Lalonde: Oui, soumise aux voix. Mais ce que je n'accepte pas, et si le ministre ne connaît pas la signification du mot "tripotage", je n'accepte pas la manipulation de la preuve dont le ministre se rend coupable actuellement en excluant des témoins.

M. Duhaime: Qu'est-ce que vous êtes en train de me dire?

M. Lalonde: Manipulation de preuve en excluant des témoins dont l'un était déjà sur la liste maîtresse qui avait été préposée par le leader du gouvernement il y a plus d'un mois. Lorsque le ministre dit: Écoutez, M. Pouliot n'occupe pas actuellement le poste qu'il occupait lorsque les événements ont eu lieu, c'est-à-dire le règlement. Est-ce que M. Boyd, lorsqu'il est venu ici il y a deux semaines, occupait le poste qu'il occupait il y a cinq ans? Est-ce que M. Giroux l'occupait?...

M. Duhaime: II était P.-D.G.

M. Lalonde: Oui, et vous les avez invités parce que c'est vous qui décidez. Mais de plus en plus la population se rend compte, parce qu'on a des témoignages qui nous sont transmis, que vous faites preuve d'arrogance dans les travaux de cette commission...

M. Laplante: Oh! Bon Dieu!

M. Lalonde: ...parce que vous invitez les témoins que vous voulez. Je vous mets en garde contre ce danger et je vous demande de réfléchir sur la demande que nous avons faite d'inviter M. Pouliot et d'inviter M. Yvan Latouche. C'est tout ce que je vous dis. Je pourrais vous rappeler à part cela des propos que vous avez tenus le 30 mars, il n'y a pas tellement longtemps, à la première séance de cette commission, à savoir que tous ceux et celles qui pourraient avoir quelque rapport, être intéressés à témoigner, non seulement ceux qu'on pourrait demander, mais vous faisiez appel devant les caméras à la population entière, volontairement: S'il vous plaît! levez-vous et venez. Si c'est ce que vous voulez, ils vont être là prochainement.

M. Duhaime: M. le Président, j'ai... (21 h 15)

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre, comme dernière intervention.

M. Duhaime: J'ai dit ce que j'avais à dire et je n'entends pas répéter. Je veux essentiellement dire que ma réflexion est faite, je l'ai longuement mûrie. Je voulais vous rappeler, avec raison, des propos que j'ai tenus à l'ouverture de cette commission. J'avais à l'esprit que, à l'époque, l'Opposition libérale aurait un rythme de croisière et un rythme de travail qui nous permettraient de fonctionner. Je dois dire, M. le Président, que c'est une déclaration que je regrette aujourd'hui.

Le Président (M. Jolivet): Tout cela a quand même commencé sur une chose que je maintiens et que je devrai faire respecter...

M. Lalonde: Ne le regrettez pas...

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Ce que j'ai dit, c'est que je vais faire en sorte que mon devoir comme président soit accompli envers les invités que nous avons. Je n'accepterai pas que, d'une façon ou d'une autre, de quelque manière que ce soit, on fasse des menaces voilées ou directes à l'invité qui a droit à ce qu'on le respecte. C'est de là qu'est parti l'ensemble de cette fameuse discussion. M. le député de Mont-Royal.

M. Lalonde: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Jolivet): Sur quoi, M. le député de Marguerite-Bourgeoys?

M. Lalonde: Sur votre dernière déclaration à savoir qu'il y aurait eu des menaces qui auraient été faites. J'aimerais que vous nous précisiez, s'il y avait eu des menaces de notre part, quelles sont-elles?

Le Président (M. Jolivet): Ce que j'ai dit tout à l'heure concernait le ton, la façon de dire des choses, tous ici ont compris à leur façon. Je n'ai voulu dire d'aucune façon qu'il y avait eu des menaces, mais je dis que je n'accepterais pas qu'il y en ait.

M. Lalonde: II n'y en a pas eu.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. Beaulé, je voudrais revenir à la question que je vous avais posée au sujet de la réunion du 1er décembre. Je vous ai demandé: Avez-vous suggéré à cette réunion que la cause soit purement et simplement retirée, tel que vous l'avez déclaré et que cela a été rapporté dans certains journaux vendredi dernier? Est-ce que c'est à cette réunion que vous avez...

M. Beaulé: Je n'ai rien fait d'autre que de remettre le texte de ma contestation à M. Boivin et...

M. Ciaccia: Vous avez seulement...

M. Beaulé: En fait, la remarque "sans lui en parler" implique forcément que j'ai identifié la cause, cela va de soi. Mais nous n'avons pas été plus loin. Nous avons parlé d'autre chose. Je me souviens très bien que nous avons parlé de la nomination de M. Carisse comme juge à la Cour provinciale. J'étais très heureux d'entendre cette nouvelle. Mais ce n'était pas une réunion, M. le Président. J'ai profité de mon voyage à Québec pour lui remettre cette procédure. Il n'y a pas eu de discussion sur l'opportunité ou pas d'un règlement. J'ai remis un document. Évidemment, j'espérais que M. Boivin en prenne connaissance. En a-t-il pris connaissance? Je ne le lui ai jamais demandé.

M. Ciaccia: Vous avez dit - je vais vous citer - sur les ondes du canal 12 vendredi, je crois: "The negotiation took place between the lawyers. At no time, at no point, have we ever discussed with Mr. Boivin the amount of the settlement. The principle of the settlement was discussed with Mr Boivin, but the amount of the settlement, at no time, has been discussed with Mr. Boivin." On vous a interrogé...

M. Beaulé: Tout cela est exact.

M. Ciaccia: ...en anglais et en français. Vous avez dit: Quant à moi, au nom de mon client, le syndicat américain, je demandais qu'on retire purement et simplement cette

poursuite. La question que je vous pose est la suivante: Était-ce à la réunion du 1er décembre que vous aviez demandé...

M. Beaulé: ...Je répète: La réponse est non.

M. Ciaccia: Alors, ce n'était pas à la réunion du 1er décembre que vous aviez demandé cela?

M. Beaulé: Je pense que, respectueusement, j'ai répondu non au moins cinq fois.

M. Ciaccia: Est-ce que M. Boivin vous a dit quelles suites il allait donner à cette réunion que vous aviez eue le 1er décembre? Vous dites que ce n'est pas une réunion, mais vous l'avez rencontré. Est-ce qu'il vous a dit quelle suite il allait y donner?

M. Beaulé: Absolument pas. Je lui ai remis le document en lui demandant d'en prendre connaissance et cela s'est arrêté là. Je l'ai dit tout à l'heure. Je suis très conscient du serment que j'ai prêté. Même si je n'avais pas prêté serment, je suis conscient des obligations que nous avons devant la commission, parce que vous représentez le peuple québécois, avec toutes vos qualités et tous vos défauts.

M. Ciaccia: Le 1er décembre, vous vous êtes rendu au bureau... Le 1er décembre, il n'y a pas eu de discussion sur une suite qui devrait être donnée à votre réunion. Le 11 décembre, vous avez une réunion au bureau du premier ministre avec M. Jean-Roch Boivin.

M. Beaulé: Oui, c'est exact. Une réunion qui a duré, en fait, au maximum 50 minutes si je vois le cahier.

M. Ciaccia: Qui a convoqué cette réunion?

M. Beaulé: Je pense que c'est moi qui ai demandé à voir M. Boivin. Il est sûr qu'au cours de cette réunion je lui ai parlé de l'union internationale, dans le contexte que j'ai décrit vendredi.

M. Ciaccia: Avez-vous eu un entretien durant cette réunion?

M. Beaulé: J'ai rencontré M. Boivin à son bureau, qui est voisin du bureau du premier ministre à l'édifice d'Hydro-Québec.

M. Ciaccia: Quelle demande avez-vous faite à cette réunion?

M. Beaulé: J'ai discuté avec M. Boivin des questions qui sont à la base de la contestation, l'absence de lien de droit, l'absence de responsabilité, les conséquences de cette poursuite en ce qui concerne nos relations avec les syndicats américains. J'ai abordé ces questions-là. Est-ce que j'ai parlé aussi de la commission Cliche? Je ne m'en rappelle pas.

M. Ciaccia: Alors, la question de responsabilité a été discutée durant cette réunion.

M. Beaulé: Quand on parle de discuter, je pense que j'ai surtout expliqué à M. Boivin les fondements de notre contestation. Je pense que c'est cela que j'ai expliqué. J'ai précisé plus tôt que M. Boivin, à chaque réunion que j'ai eue avec lui, était plutôt la personne qui écoutait. Je peux vous dire qu'il n'a pas exprimé d'opinion ce jour-là sur la contestation ou sur la poursuite.

M. Ciaccia: Qu'est-ce qu'il vous a dit, M. Boivin, ce jour-là?

M. Beaulé: II m'a écouté, M. le Président.

M. Ciaccia: II n'a pas parlé.

M. Beaulé: Ecoutez, ce serait illogique de prétendre qu'il ne m'a pas parlé puisqu'il m'a invité dans son bureau et on a causé. On a pu parler d'une foule de choses avant d'aborder le sujet. Très simplement, ma réponse sera toujours la même. J'ai tenté de sensibiliser M. Boivin aux conséquences sociales de cette poursuite et au fait que les Américains, à mon point de vue, parce que je connaissais le dossier à ce moment, étaient poursuivis d'une façon abusive et que cela aurait des répercussions aux États-Unis. C'est évident que j'en ai parlé. J'aurais peut-être voulu parler davantage, mais le temps de M. Boivin est toujours très court. On voit ici que j'ai été là pendant 50 minutes, j'ai peut-être passé quinze minutes dans son bureau.

M. Ciaccia: M. Beaulé, je voudrais comprendre un peu ce qui se passe ou ce qui s'est passé le 11 décembre. Je sais qu'en 1974 vous avez bien décrit, votre mémoire était très claire sur tous les événements en détail. Je vous ai demandé et vous avez dit que le 1er décembre vous avez rencontré M. Boivin; vous vouliez le sensibiliser. Pour faire cette sensibilisation, vous lui avez donné votre défense.

Le 11 décembre, vous le rencontriez encore. Il a dû vous dire quelque chose, le 11 décembre. Qu'est-ce qu'il vous a dit? Il a dû lire votre défense. Est-ce qu'il a réagi à votre défense?

M. Beaulé: M. le Président, quant à ma

mémoire de 1974, à laquelle on vient de faire allusion, je dois dire que c'était plutôt la mémoire de la commission Cliche. Je l'ai dit ce matin, j'ai puisé mes sources soit dans le rapport de la commission Cliche, soit dans l'enquête Delage, soit dans les 22 jours d'examen au préalable hors cour de la cause dont nous parlons, soit également dans les 22 jours d'enquête devant M. le juge Bisson. Je n'ai pas vécu les événements de 1974. J'ai dit que ma mémoire de ces faits me vient des études que j'ai faites.

Pour revenir à mon entrevue avec M. Boivin du 11 décembre, je répète que le 1er décembre je lui avais simplement remis ma contestation. J'ai voulu aborder avec lui, le 11 décembre, le contenu de la contestation. J'ai pu le faire pendant un certain temps, compte tenu du fait que son temps était limité. M. Boivin m'a écouté, m'a posé des questions.

M. Ciaccia: Quelles questions vous a-t-il posées?

M. Beaulé: On fait des précisions comme c'est normal.

M. Ciaccia: Comme quoi, par exemple?

M. Beaulé: Je regrette, mais je suis incapable de répondre à la question, M. le Président.

M. Ciaccia: M. le Président, je prends sa parole...

M. Beaulé: ...non pas que je ne le veuille pas, mais je suis incapable...

M. Ciaccia: ...je voulais juste...

M. Beaulé: Cela s'est passé en 1978...

M. Ciaccia: ...je prends sa parole...

M. Perron: Perry Mason de Earl Stanley Gardner, cela me fait rire, cela!

Le Président (M. Jolivet): ...juste un instant, M. le député, M. le député, je pense qu'on n'a pas à se...

M. Tremblay: ...c'est plate cela...

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Cela allait très bien. Je ne vois pas pourquoi on arrêterait. Maintenant, je fais simplement mention que j'acceptais, puisque je dois accepter, puisqu'il est sous serment, la réponse qu'il me donne, qu'il donne à la commission.

M. Ciaccia: Pour ne pas que vous interprétiez mal mes questions parce que vous êtes le président, c'est M. Beaulé qui a dit qu'il a donné des précisions. C'est lui qui a dit cela. Il a dû avoir quelque chose à l'esprit quand il a mentionné "précisions". J'ai seulement demandé quelles étaient les précisions.

Est-ce qu'il aurait pu y avoir discussion, à ce moment-là, d'une demande d'ajournement possible du procès qui devait commencer le 15 janvier?

M. Beaulé: Absolument pas.

M. Ciaccia: Est-ce que, à la réunion du 11 décembre qui, d'après l'entrée, a duré 50 minutes, M. Boivin a dit qu'il donnerait suite à cette réunion? Est-ce que vous lui avez apporté certains documents? Est-ce qu'il s'est engagé à donner suite?

M. Beaulé: Je ne crois pas lui avoir apporté de documents, M. le Président. J'ai discuté avec lui de la teneur de la contestation dont vous avez maintenant copie, celle du 28 novembre. Et c'est assez vaste comme question. On n'a pas fait le tour de la question pendant ce bref meeting. Il y a une note à cette liste des rencontres avec M. Boivin. Les heures font référence aux heures d'entrée et de sortie du bureau principal et pas nécessairement aux heures de durée de la visite elle-même avec M. Boivin. Je me souviens que cela a été une assez courte réunion. Et c'est impossible, si vous regardez la contestation - comme vous l'avez fait, j'en suis sûr - d'aborder toutes les questions en l'espace de 15, 20 minutes ou même d'une demi-heure, ou même de 45 minutes.

M. Ciaccia: Alors, c'est seulement durant 15 minutes que vous vous êtes rencontrés?

M. Beaulé: Je me rappelle que j'ai attendu. Chaque fois, je pense, que je suis allé à son bureau, j'ai attendu mon tour.

M. Ciaccia: Est-ce que vous vous êtes entendu avec M. Boivin à cette réunion pour vous rencontrer à nouveau?

M. Beaulé: Non. Il n'y avait pas de rencontre précise. C'était la période des fêtes et, effectivement, je l'ai revu le 15 janvier, à son bureau.

M. Ciaccia: Alors...

M. Beaulé: Pour préciser, M. le Président, M. Boivin était absent - je regardais mon ordre du jour et aussi je référais à ma mémoire, qui est assez bonne -au début de l'année 1979. Il était allé, avec le premier ministre, en Louisiane, en voyage officiel. Alors, je ne l'ai pas revu à son bureau au sujet de ce dossier-là. La

rencontre subséquente ou la première à son bureau, c'est le 15 janvier 1979.

M. Ciaccia: Est-ce que M. Boivin vous aurait demandé, à votre réunion du 11, de le tenir au courant des développements?

M. Beaulé: Non.

M. Ciaccia: Pardon?

M. Beaulé: Non.

M. Ciaccia: Ne vous fâchez pas.

M. Beaulé: Non, non, je ne suis pas fâché.

M. Ciaccia: Je ne vous avais pas entendu.

M. Beaulé: C'est ma voix qui commence à céder, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): C'est simplement pour les besoins du journal des Débats. Un signe de tête négatif à la télévision, cela passe très bien, mais pas dans le journal des Débats.

M. Beaulé: Je n'étais pas conscient de la télévision.

Le Président (M. Jolivet): Non, c'est plutôt pour le journal des Débats.

M. Beaulé: II faudrait peut-être que je sois député pour en être conscient.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Ciaccia: Le 10 janvier, vous auriez fait une offre de règlement de 250 000 $ à Me Jetté. Est-ce que vous pourriez nous expliquer comment il se fait que vous n'ayez pas maintenu cette offre de 250 000 $?

M. Beaulé: J'aimerais d'abord parler de ce que vous appelez une offre. Je vais préciser ce que j'ai dit au cours de la journée. Le 10 janvier - mon bureau était rue Saint-Pierre, à l'époque - je suis allé luncher seul au petit restaurant qui s'appelle Le Cliché, au coin de Saint-François-Xavier et Notre-Dame. J'ai vu que Me Jetté était assis quelques tables plus loin, lisant son journal et à la fin du repas, je suis allé le saluer. La cause commençait le 15 janvier. Je voulais le tester. Je voulais savoir si -parce qu'on avait envoyé une contestation qui était quand même assez articulée -... Je lui ai dit et je lui ai expliqué qu'il s'agissait d'une conversation privilégiée qui n'aurait été admise devant aucun tribunal. Je n'en fais pas reproche à Me Jetté, je l'ai dit cet après-midi. Mais devant aucun tribunal un juge n'aurait admis en preuve une telle déclaration. J'allègue, comme d'autres juristes ou avocats - je me considère comme un avocat - qu'en vertu de l'article 56 de la Charte des droits et libertés de la personne, lorsqu'un témoin est assermenté devant cette commission, il est peut-être face à un tribunal où vous êtes, je pense, tous nos juges et peut-être pas des avocats qui font du contre-interrogatoire, mais c'est une autre question. (21 h 30)

Je pense, honnêtement, comme d'autres membres du barreau, que devant cette commission parlementaire nous sommes devant un tribunal. Je pense que cette déclaration n'aurait pas dû être admise en preuve, mais elle est là, je dois vivre avec cela. Effectivement, c'était d'un bon naturel. Je n'avais pas de mandat de mes clients. Je sondais le terrain. J'ai voulu savoir si, du côté de l'étude Geoffrion et Prud'homme, on songeait à un règlement. J'avais une estimation des coûts de ce procès. Je savais que cela coûterait 10 000 $ par semaine et, si cela allait jusqu'en Cour suprême, cela pouvait coûter 500 000 $. Peut-être que je ne parlais pas tellement dans mon intérêt, M. le Président. Peut-être qu'il eût été plus normal pour moi d'occuper ce "scholarship" ou de recevoir ce "scholarship" pendant quatre ou cinq ans et d'aller devant la Cour supérieure, la Cour d'appel et la Cour suprême. Mais, comme j'avais un mandat de mes clients, dont j'ai donné les coordonnées, j'ai sondé M. Jetté en lui disant que, moi, j'étais prêt à recommander à mes clients un montant qui pourrait atteindre 250 000 $, si on mettait fin au litige avant le 15 janvier. De mémoire, c'est ce qui s'est passé.

M. Ciaccia: Oui, mais vous avez fait l'offre de 250 000 $

M. Beaulé: Ce n'est pas une offre, M. le Président. C'est une expression d'opinion personnelle. Quand j'ai fait des offres par la suite, elles étaient autorisées à l'avance par mes clients et, habituellement, par écrit. J'ai sondé le terrain pour voir s'il y avait une possibilité de règlement. J'ai parlé de ce chiffre, qui était à peu près la moitié de ce qu'il en coûterait à mes clients pour se défendre, même s'ils gagnaient leur cause. Je pensais que ma démarche pouvait servir les intérêts de mes clients, sinon les miens. C'est ce qui s'est passé et pas autre chose.

M. Ciaccia: Quand même, vous avez lancé le chiffre de 250 000 $.

M. Beaulé: J'ai donné une opinion personnelle en ce sens que j'étais prêt à recommander un montant de 250 000 $, si la cause ne débutait pas. Maintenant, vous parlez de baisse des offres. Il est évident

qu'à la fin, soit le 12 mars, mes clients ont déboursé au total 150 000 $. Mais dans l'établissement de ce chiffre, j'ai pour ma part tenu compte des frais qui ont couru entre le 15 janvier et le 12 mars, parce que ces frais ont été facturés à mes clients. Il y a eu presque deux mois qui se sont écoulés, deux mois très intenses. Alors, la logique des 250 000 $ était la même; 150 000 $ en mars, à mon point de vue, cela représentait 250 000 $ le 10 janvier.

M. Ciaccia: Un montant de 150 000 $ au mois de mars représentait 250 000 $...

M. Beaulé: Si on ajoute les frais que mes clients ont dû encourir pendant cette période. Si vous ajoutez, mathématiquement, 150 000 $ aux frais juridiques déboursés pendant cette période, vous arrivez au même chiffre.

M. Ciaccia: Oui. D'après votre vaste expérience dans les négociations de ce genre, est-il normal que vous commenciez par lancer un chiffre de 250 000 $ à la partie adverse, quand vous êtes défendeur, et que vous finissiez par un chiffre beaucoup plus bas? D'après votre expérience, n'est-ce pas l'inverse? Que vous commenciez...

M. Beaulé: Non.

M. Ciaccia: ...avec un chiffre à négocier...

M. Beaulé: Non.

M. Ciaccia: ...l'autre partie commence avec un montant plus élevé et vous vous rencontrez entre...

M. Beaulé: Non. Dans ma pratique, j'ai connu...

M. Ciaccia: Non.

M. Beaulé: ...si vous voulez, des situations nombreuses où des offres considérables ont été faites, refusées, et la personne à qui cette offre avait été faite s'est réveillée avec un jugement où elle avait perdu la cause ou avait obtenu un montant ridicule, de sorte qu'il n'y a pas de coutume là-dedans.

M. Ciaccia: Est-ce que c'était votre pratique?

M. Beaulé: Mais je veux répéter, M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): M. le député.

M. Beaulé: Je veux préciser, M. le Président...

M. Ciaccia: Non, je voulais juste...

Le Président (M. Jolivet): M. le député. Je pense que Me Beaulé a d'abord le droit de répondre et vous poserez des questions ensuite.

M. Ciaccia: Je voulais seulement préciser un point. Je vais le laisser poursuivre. Très bien.

Le Président (M. Jolivet): Me Beaulé.

M. Beaulé: Je voudrais préciser - peut-être que cela répond au voeu de M. le député - que, pour moi, si ce procès débutait le 15 janvier 1979 - je l'ai dit cet après-midi - il ne serait pas facile de l'arrêter. J'ai dit: Un procès, c'est un peu comme une guerre. Dans mon esprit, j'étais prêt à recommander à mes clients d'aller jusqu'à 250 000 $ pour obtenir le retrait de la poursuite, de la même façon que les compagnies d'assurance, de commune renommée et depuis un temps immémorial, dépensent chaque année des millions de dollars pour acheter leur paix. Je considérais qu'une somme de 250 000 $, même si nous avions une bonne cause, si on tient compte des frais qu'il faut assumer pour se défendre, pouvait être un bon règlement pour nous. Le 12 mars 1979, mes clients ont payé 150 000 $, mais ils ont dû également payer des frais pour la période du 10 janvier au 12 mars. Cela revient pas mal au même. J'ai tenu compte de ces frais-là. Je ne sais pas si on se comprend, mais je pense que mathématiquement...

M. Ciaccia: Non, je vous entends. Je vous entends. Quand vous dites que cela aurait coûté 500 000 $ pour aller jusqu'à la Cour suprême...

M. Beaulé: C'est une estimation.

M. Ciaccia: C'est une estimation. Je crois que dans la Presse il y avait le détail que votre client avait réclamé 400 000 $ -je crois - de M. Paré. Est-ce que cela représentait les honoraires que votre client vous aurait payés dans la cause?

M. Beaulé: Je ne sais absolument pas, premièrement, si mes clients ont fait une réclamation non pas à M. Paré mais j'imagine au syndicat dont il est l'agent d'affaires. Je ne le sais absolument pas et pourtant j'ai encore des rapports suivis avec eux. Je serais étonné qu'il y ait actuellement une poursuite. Je ne suis pas au courant. J'aime mieux vous répondre qu'à ma connaissance je ne connais pas l'existence d'une réclamation ou d'une poursuite.

M. Ciaccia: Est-ce que ces 400 000 $

représenteraient les honoraires que votre client a payés?

M. Beaulé: Vous voulez savoir combien j'ai reçu en honoraires. C'est cela?

M. Ciaccia: Les honoraires, oui. C'est que les autres avocats, Geoffrion et Prud'homme, ont soumis le compte détaillé de leurs honoraires avec tous les travaux qu'ils ont faits, et je me demandais si ces 400 000 $ représentaient les honoraires que votre client vous aurait versés?

M. Beaulé: Je vais répondre à la question de façon pleine et entière. Je crois que l'étude Geoffrion et Prud'homme a manifesté un grand professionnalisme en disant: Nous avons touché 435 000 $ d'honoraires. Il ne faut pas oublier, puisque vous êtes avocat, qu'il s'agit plutôt de frais parce que cela inclut souvent les déboursés. Je comprends cependant leur démarche. Ils représentaient la SEBJ, donc une société d'État. Quant à moi, mes honoraires ont été payés par les Américains. Ce sont des dollars américains qui sont entrés ici et ils ont peut-être contribué un petit peu à faire hausser le taux de change du dollar canadien. Je ne crois pas que ces honoraires...

M. Ciaccia: Vous avez reçu autant que celai Vous avez dû leur envoyer tout un compte.

M. Beaulé: ...aient "préjudicié" les Québécois en aucune façon parce que, selon les renseignements que je possède, le syndicat québécois affilié à ma cliente continue à ne pas payer de cotisations. J'ai effectivement reçu, à titre de déboursés et d'honoraires, incluant les frais de mon bureau, des avocats dont j'ai retenu les services, les frais de sténographie, les frais de transcription, etc. etc., un grand total de 280 000 $ en honoraires et déboursés. Cela inclut les services des avocats dont j'avais retenu les services.

M. Ciaccia: C'est 280 000 $...

M. Beaulé: Au total.

M. Ciaccia: ...en argent américain?

M. Beaulé: Non, en dollars canadiens.

M. Ciaccia: En dollars canadiens.

M. Beaulé: J'ai accepté des dollars canadiens. Je le disais simplement parce que j'imagine que vous avez bien saisi qu'il s'agissait d'entrées de fonds américains au Canada, même si j'ai été payé en dollars canadiens. Il fallait que les Américains achètent des dollars canadiens pour me payer.

M. Ciaccia: Alors...

M. Beaulé: Et par chèque.

M. Ciaccia: Vous n'auriez pas une copie du compte détaillé de la même façon que Geoffrion et Prud'homme?

M. Beaulé: Non et je ne le produirais pas. J'invoquerais la charte des droits. Je pense que c'est une question qui concerne mes clients et moi, sur ce point-là. De toute façon, ma réponse tout à l'heure a été on ne peut plus claire. Je vais vous donner une indication. Les syndicats américains, en vertu de la loi, doivent déclarer chaque année toute somme au-delà de 5000 $ qu'ils paient à qui que ce soit. Si vous allez voir les comptes déposés par les syndicats américains au ministère du Travail à Washington, vous aurez ces renseignements-là. Au total, en honoraires et déboursés de toutes sortes, c'est 280 000 $.

M. Ciaccia: M. le Président, je n'ai pas mis en doute le montant.

M. Beaulé: Déclarés à l'impôt à part cela. Il n'en reste plus.

M. Ciaccia: Je voulais seulement savoir si vous étiez prêt à nous fournir le compte en détail. Mais j'accepte votre réponse que vous refusez.

M. Beaulé: M. le Président, ce que j'ai dit c'est que je ne représentais pas une société d'État ni même un contribuable québécois. J'ai été clair et direct en répondant à la question. Quant au reste je crois que j'ai droit à ma vie privée.

M. Ciaccia: M. le Président, je n'aime pas l'insinuation que je veux entrer dans la vie privée de Me Beaulé. Mais quand une cause de 32 000 000 $ se règle, où la SEBJ reçoit 200 000 $ qui ne couvrent pas leurs frais juridiques, je crois que j'ai le droit, sans aller dans la vie privée de qui que ce soit, de demander le montant qu'eux auraient reçu comme honoraires et essayer d'obtenir autant d'informations que possible. Je n'ai d'autre souci que d'obtenir l'information totale pour voir exactement ce qui est arrivé aux contribuables québécois. Finalement c'est eux qui doivent payer la note dans ce genre de règlement. Ce n'est pas eux qui paient vos honoraires, je n'implique pas cela. Mais il y a eu des frais et des déboursés de 900 000 $ à la SEBJ. On rentrera plus tard dans la question des montants qui étaient prouvables de 17 000 000 $ où vous n'êtes pas d'accord. M. Jetté a donné une opinion le 26. Il a dit: On a une bonne cause, on peut prouver 17 000 000 $, il l'a répété ici.

Je prends cette opinion et j'y attache beaucoup d'importance. Il serait important dans tout le mandat de cette commission de savoir où l'argent est allé? Qui a reçu quoi? Qu'est-ce que vraiment cela a coûté aux contribuables québécois?

M. Beaulé: M. le Président, en ce qui me concerne, je pense que j'ai amplement répondu à la question de M. le député. Je lui ai dit exactement, en déboursés et honoraires, tant pour mon bureau que pour les avocats que j'ai engagés, ce qu'il en a coûté.

M. Ciaccia: Ce n'est pas à la réunion du 11 décembre non plus que vous avez demandé à Me Jean-Roch Boivin, le représentant au bureau du premier ministre, ce n'est pas là que vous auriez demandé de retirer purement et simplement cette poursuite?

M. Beaulé: M. le Président, je m'excuse auprès de vous, je m'excuse auprès du député. C'est que je consultais Me Roy sur une question et j'ai manqué malheureusement le début de votre question. Je m'en excuse.

M. Ciaccia: Je vais la répéter. Ne serait-ce pas à la réunion du 11 décembre avec Jean-Roch Boivin, au bureau du premier ministre, que vous auriez demandé de retirer purement et simplement cette poursuite, tel que vous l'avez déclaré vendredi aux journalistes?

M. Beaulé: En fait purement et simplement c'est une chose qui doit s'expliquer.

M. Ciaccia: ...ce n'est pas moi qui le dis, ce sont vos paroles à vous.

M. Beaulé: En fait, je ne crois pas que mon rôle ici soit d'argumenter, M. le Président, avec une personne qui me pose une question. Ce que je veux dire c'est que, premièrement M. Boivin n'est pas un homme à qui vous lancez des ultimatums; deuxièmement, il est un homme, à ma connaissance - pour ce qui est des dossiers que j'ai eus à traiter avec lui, peu nombreux d'ailleurs depuis 1976 - qui aime s'informer et qui aime avoir tous les éléments avant de faire une recommandation. Je ne suis pas arrivé au bureau de M. Boivin le 11 décembre pour lui dire: Je demande purement et simplement le retrait de la poursuite.

M. Ciaccia: Mais...

M. Beaulé: J'ai tenté de sensibiliser M. Boivin à cette cause, de lui exposer les faits, de lui fournir des preuves. L'essentiel est dans le mémoire que j'ai soumis ce matin. Tous ces faits peuvent être confirmés et vérifiés, tout ce qui est dans le mémoire.

M. Ciaccia: Mais sans donner de...

M. Beaulé: Alors, je n'ai pas demandé, le 11 décembre, le retrait pur et simple, mais c'est une façon de parler. C'est que, finalement, ce que les Américains voulaient, c'est que la poursuite soit retirée. C'est le sens des démarches, pour les raisons qui sont données dans le mémoire et qui apparaissent à la contestation.

M. Ciaccia: Et vous avez...

M. Beaulé: Je n'ai convenu de rien avec M. Boivin.

M. Ciaccia: Pardon?

M. Beaulé: Je lui ai exposé cette demande. Je n'ai convenu de rien.

M. Ciaccia: Non, non. Je n'ai pas fini, je n'ai pas dit "convenu". Est-ce que vous avez fait cette demande sans la faire sous forme d'ultimatum comme de dire: Mes clients veulent que ce soit retiré purement et simplement. Est-ce que c'était à la réunion du 11 décembre?

M. Beaulé: Ce n'est pas dans ces termes, vous le savez bien.

M. Ciaccia: Dans quels termes?

M. Beaulé: Si vous vous référez à mon mémoire, j'ai exposé à M. Boivin les tenants et les aboutissants de cette cause...

M. Ciaccia: Mais votre mémoire...

M. Beaulé: ...tel que c'est relaté dans le mémoire et cela a fait l'objet de quelques conversations. Il est évident qu'à la fin j'espérais qu'il en arrive à la conclusion de recommander le règlement de la cause, mais je lui ai soumis des renseignements - comme cela s'est fait, je pense, sous tous les régimes politiques - qui pouvaient l'amener à faire des recommandations négatives ou positives.

M. Ciaccia: Vous vous référez à votre mémoire mais, dans votre mémoire, vous ne vous référez pas du tout à aucune rencontre avec M. Boivin. (21 h 45)

M. Beaulé: Non. Je pense que, si j'ai bien compris le sens de votre question, c'est quels faits j'avais communiqués à M. Boivin. Je dis: Ils sont dans le mémoire. Ils sont tous dans le mémoire, je n'en ai pas invoqué d'autres.

M. Ciaccia: Non, non. Ma question était: Est-ce que c'est à la réunion du 11 décembre que vous...

M. Beaulé: Non, le 11 décembre, nous avons commencé à examiner la contestation.

M. Ciaccia: Je n'ai pas fini ma question.

Le Président (M. Jolivet): Je voudrais que vous entendiez tous les deux, aussi bien sur le droit...

M. Beaulé: D'accord. C'est peut-être la fatigue. Je m'en excuse auprès de vous et auprès de M. le député de Mont-Royal. Cela fait quand même quelques heures que je suis là.

Le Président (M. Jolivet): C'est simplement pour dire que je veux faire respecter le droit de poser des questions, mais je vais aussi vous demander, à l'inverse, de respecter le droit de réponse.

M. Ciaccia: Absolument, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Parce que je pense que, de part et d'autre, vous vous interrompez. Je vous laisse aller. Cela allait bien jusqu'à maintenant, mais je pense que, de part et d'autre, vous commencez à être un petit peu fatigués, si on prend le terme, mais je pense bien qu'on est capable de revenir à de meilleures façons de se poser des questions et de donner des réponses. M. le député de Mont-Royal.

M. Beaulé: M. le Président, je vous remercie. Je ne crois pas qu'il y ait d'agressivité.

M. Ciaccia: Non, je ne pense pas.

M. Beaulé: C'est plutôt la fatigue normale d'une longue journée.

M. Ciaccia: Je ne pense pas noter d'agressivité de ma part ou de celle de M. Beaulé. M. Beaulé, si ce n'était pas à la réunion du 11 décembre que vous avez exprimé ce désir, cette demande de retirer purement et simplement la poursuite, à quelle réunion avez-vous dit cela à M. Boivin?

M. Beaulé: Ce que je vous ai dit, c'est que cela n'a jamais été demandé dans ces termes. J'ai d'abord remis à M. Boivin, le 1er décembre, un document qui est la contestation du 28 novembre. Par la suite, j'ai abordé avec lui le contenu de cette contestation le 11 décembre. Il y a eu ces rencontres-là. J'ai eu quelques conversations téléphoniques dont je n'ai pas gardé de traces, où je lui ai reparlé du dossier. J'espérais que M. Boivin, après examen de ces faits, en vienne à une conclusion positive. Je pense que oui, l'histoire nous dit qu'il y a eu effectivement une conclusion positive, mais je n'ai jamais employé les mots "je demande purement et simplement le rejet". Si vous voulez, c'est un résumé d'une série d'interventions; c'est une façon de qualifier toute une démarche qui est beaucoup plus souple que cela. Je pense que la personne qui m'interroge a l'expérience des négociations. On ne pose pas d'ultimatum quand on essaie de convaincre quelqu'un que l'on sait de bonne foi.

M. Ciaccia: M. le Président, M. Beaulé, si ce n'était pas dans ces termes, "retirez purement et simplement cette poursuite", dans quels termes avez-vous exprimé votre désir que ce soit retiré? Dans quels termes l'avez-vous communiqué à M. Boivin?

M. Beaulé: Dans les mêmes termes, si vous voulez, que ceux employés par M. Woll, particulièrement, parce que c'était le "senior", le 19 janvier 1979. Nous avons invoqué, je l'ai fait et M. Woll aussi, à tour de rôle le côté ou le caractère abusif de ces procédures, compte tenu, je dirais, des faits qui apparaissent au mémoire et qui se sont véritablement produits à mon point de vue.

M. Ciaccia: J'essaie de comprendre... M. Beaulé: C'est cela, le sens. M. Ciaccia: Là, vous...

M. Beaulé: De mettre fin au litige, à cause des faits que nous avions portés à sa connaissance.

M. Ciaccia: Alors, vous lui avez demandé de mettre fin au litige, si je comprends bien. Vous venez de dire que c'est dans ces termes que vous avez discuté?

M. Beaulé: On n'a pas nécessairement employé ces mots-là, mais il évident que tout le but de la démarche, c'était d'informer et de persuader. Les démarches que j'ai faites étaient dans ce sens.

M. Ciaccia: Et d'obtenir la fin du terme...

M. Beaulé: Et d'obtenir que cette poursuite cesse, poursuite que je considérais, moi aussi, comme abusive et contraire aux intérêts du Québec aux États-Unis.

M. Ciaccia: Bientôt, ce sera une cause mondiale, s: on continue. Si ce n'était pas à la réunion du 11 décembre, à quelle réunion

avez-vous fait cette demande de mettre fin au litige?

M. Beaulé: M. le Président, on essaie de me mettre des mots dans la bouche que je n'ai jamais employés.

M. Ciaccia: Non, non, non.

M. Beaulé: Toute l'information que j'ai communiquée à M. Boivin avait pour but, finalement, de lui fournir les éléments lui permettant de conclure. La conclusion, il y est arrivé en mon absence parce que j'ai compris dans ses propos, le 19 janvier, que le premier ministre favorisait un règlement. Je n'ai jamais lancé d'ultimatum. De toute façon, quelle que soit la forme employée, mes clients soulignant, si vous voulez, tous les faits qui s'étaient produits dans ce dossier, remontant en 1974, étaient d'avis, à partir des faits que nous connaissions, qu'il s'agissait d'un recours abusif. En fait, c'est peut-être un argument qui me revient. Je pense que j'ai fait état devant M. Boivin que, comme Québécois, je trouvais un peu bizarre qu'on demande aux Américains de payer pour les actes posés par nos criminels québécois. Il me semble que j'ai dit cela à M. Boivin. C'est peut-être une des seules remarques sous forme de boutade que j'ai eue. Pour le reste, c'étaient plutôt des réunions assez sérieuses où on discutait des faits qui sont dans mon mémoire.

M. Ciaccia: Vous venez de...

M. Beaulé: Je pense bien lui avoir dit que je trouvais bizarre qu'une société d'État demande aux Américains de payer pour les actes posés par quelques individus - je me réfère au rapport Cliche - de payer, si vous voulez, pour les pots cassés ou les dommages causés par nos criminels québécois. Je trouvais cela un peu indécent qu'on s'adresse aux étrangers pour réparer cela. Je crois que j'ai dit cela. C'est peut-être une des seules remarques personnelles.

M. Ciaccia: Si je comprends, vous venez de mentionner - je ne veux pas mettre de mots dans votre bouche, j'essaie de répéter ce que vous dites - que, le 19 janvier, vous avez entendu des propos disant que le premier ministre favorisait un règlement; est-ce que c'est cela?

M. Beaulé: J'ai dit, M. le Président, au tout début de la séance ce soir et je l'ai repris tout à l'heure, que, lors de la rencontre du 19 janvier qui a été très brève et où était présent M. Woll qui a surtout parlé, j'ai compris des réponses de M. Boivin... J'ai dit: J'ai eu un "feeling" - je me souviens très bien d'avoir employé cette expression tout à l'heure - que le premier ministre souhaitait un règlement, mais c'était une déduction.

M. Ciaccia: Mais, dans quels termes...

M. Beaulé: C'est normal chez un avocat, comme chez tout être humain, par perspicacité, d'essayer de voir ce qui est dans la tête de l'autre.

M. Ciaccia: Dans quels termes Me Boivin vous aurait-il indiqué...

M. Beaulé: Je pense que, M. le Président, devant une cour de justice où la règle de la meilleure preuve s'applique, un juge dirait: Vous poserez la question à M. Boivin, ce sera la meilleure preuve. Ce qu'on me demande, M. le Président, c'est d'interpréter les propos que M. Boivin a pu tenir.

M. Ciaccia: Non.

M. Beaulé: À mon sens, c'est cela.

M. Ciaccia: Non, monsieur...

Le Président (M. Jolivet): Si ce n'est pas cela, M. le député de Mont-Royal rectifiera.

M. Ciaccia: Non, ce n'est absolument pas cela. Ce n'est pas du ouï-dire. Je veux qu'il nous dise ce qu'il a entendu. Quels termes M. Boivin a-t-il utilisés? Qu'est-ce qu'il lui a dit? Je pense que ma question est assez claire.

M. Beaulé: De mémoire, M. Boivin a dit qu'il étudiait avec sympathie ce dossier.

M. Ciaccia: Il... Quoi?

M. Beaulé: II étudiait avec sympathie ce dossier. Est-ce qu'il a employé d'autres phrases? Je pense, M. le Président, qu'on devrait lui poser les questions. De toute façon, la conversation s'est faite en anglais, de mémoire. Je pense qu'on devrait lui poser la question. J'essaie, bien honnêtement, de creuser ma mémoire. Je pense que j'y réussis assez bien, mais je n'ai pas pris en sténo tout ce que M. Boivin a pu dire. De toute façon, il est assez réservé.

M. Ciaccia: M. le Président, si j'essaie de suivre le processus, vous remettez la défense à M. Boivin et votre défense, c'est la défense à la poursuite. Comment M. Boivin devait-il savoir que vous vouliez que la cause soit retirée, si vous ne l'en informiez pas?

M. Beaulé: II est évident, M. le Président...

M. Ciaccia: Comment lui avez-vous demandé cela et en quels termes M. Boivin vous a-t-il répondu, et quand? C'est tout ce que je veux savoir.

M. Beaulé: Je répète que j'ai tenté à partir de documents d'informer M. Boivin sur la genèse de cette cause. Je n'ai rien invoqué qui ne soit pas dans le mémoire que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, même si je pense qu'il ne vous a pas plu. Il est évident que j'étais là comme avocat de l'union internationale, que nous voulions le retrait de la poursuite que nous jugions abusive. J'ai dit cela à M. Boivin que nous la trouvions abusive. J'ai dit qu'à mon sens ce n'était pas dans l'intérêt des Québécois parce que c'est assez considérable la force des syndicats américains. Si vous me posez d'autres questions, je pourrais préciser des choses qui auraient pu se produire ici sur le plan syndical. J'ai tenté de sensibiliser M. Boivin à tous les volets de cette question. Il est évident, comme M. Woll le 19 janvier, que nous demandions qu'il soit mis fin à cette poursuite qu'on considérait abusive pour autant que les Américains étaient concernés.

M. Ciaccia: Pourriez-vous détailler ce que vous venez de dire?

M. Beaulé: Je vous donne un exemple bien précis. En 1978, au complexe La Grande, la SEBJ est en train de négocier une convention collective avec l'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec, qui était accréditée et représentait tous les employés de Crawley McCraken. Comme le disait Napoléon, si vous ne pouvez pas nourrir votre armée, vous n'allez pas loin.

Je suis informé, mais là-dessus ce ne sera pas la meilleure preuve... Je pense que la question, si la présidence décide que M. Jasmin doit témoigner - ce n'est pas de mon ressort - devrait lui être posée. J'ai une connaissance moins précise de ces événements-là. Donc, je dis cela sous réserve. À mon sens, ce n'était pas la meilleure preuve. Je sais par exemple que l'Union des opérateurs de machinerie lourde en 1978, qui n'était pas obligée de signer une nouvelle convention collective, qui pouvait faire une grève légale en juillet 1978, aurait pu causer des dommages considérables à la SEBJ. En fait, je sais que l'Union des opérateurs de machinerie lourde aurait souhaité, à l'été 1978, que la cause soit réglée. J'en ai été informé. Je suis l'un de ceux qui ont demandé à M. Jasmin - et je crois que M. Jasmin était du même avis -que des démarches soient faites auprès des officiers, des agents d'affaires ou plutôt du gérant d'affaires de l'Union des opérateurs de machinerie lourde pour qu'on ne lie pas, à la signature d'une nouvelle convention collective... Je parle de la nouvelle convention collective, je parle de la SEBJ, c'est un lapsus c'est de la convention collective entre Crawley McCraken et l'Union des opérateurs de machinerie lourde qu'il s'agit. Cette convention-là n'avait pas été signée. Si une entente n'était pas intervenue à l'été 1978, les travaux à la Baie-James risquaient d'être interrompus pendant plusieurs semaines sinon pendant plusieurs mois. J'ai été de ceux qui ont recommandé à M. Jasmin - et je suis sûr qu'il l'a fait lui-même, il pourra répondre à la question - que les membres de l'Union des opérateurs de machinerie lourde ne posent pas ces conditions-là ou ce préalable comme condition du renouvellement de leur convention. Par sens civique et, si vous voulez, sens des responsabilités. J'indique seulement là à quel point des litiges, dans des secteurs aussi névralgiques, peuvent coûter beaucoup plus que le million pour lequel, éventuellement, on aurait pu avoir un jugement.

M. Ciaccia: Je vous félicite encore pour les faits précis de votre mémoire pour l'année 1978. Vous confirmez le rapport confidentiel qui a été soumis au conseil d'administration de la SEBJ, à savoir que la paix sociale, industrielle, était revenue sur les chantiers, malgré le fait que les poursuites pour le saccage étaient commencées et qu'on procédait, qu'on allait au procès. Alors, vous venez de confirmer que...

M. Beaulé: M. le Président, alors moi, j'ai mal compris ma réponse. J'ai dit un peu le contraire.

M. Ciaccia: Non, c'est en 1978.

M. Beaulé: Ce que j'ai dit, M. le Président, c'est que ce litige pouvait, à n'importe quel moment, et j'ai donné un exemple qui est un exemple vécu... Encore une fois, je pense que M. Jasmin est la personne la plus compétente pour y répondre, s'il témoigne. Crawley McCraken avait une convention collective qui expirait ou qui était expirée à l'été 1978. Si cette convention collective n'était pas renouvelée avec l'Union des opérateurs de machinerie lourde, il y aurait eu grève dans les cuisines. Et on sait ce que cela veut dire: la fermeture du chantier. Je suis de ceux qui ont recommandé - je suis sûr que M. Jasmin a fait de même - que les officiers de l'Union des opérateurs de machinerie lourde ne posent pas cela comme un préalable au renouvellement de leur convention. J'ai simplement voulu évoquer les conséquences de ce litige sur la paix sociale et comme occasion d'y mettre fin. J'espère avoir été bien compris. En tout cas, je pourrai préciser.

Le Président (M. Jolivet): Compte tenu qu'on ne pourra répondre à toutes les questions et qu'il est près de 22 heures, je vais ajourner les travaux à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 01)

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