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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mercredi 29 janvier 1997 - Vol. 35 N° 37

Consultation générale sur le projet de loi n° 79 - Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives


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Table des matières

Remarques préliminaires

Auditions


Autres intervenants
M. Christos Sirros, président
M. François Beaulne, président suppléant
M. Michel Côté
M. Yvon Charbonneau
M. Benoît Laprise
M. Robert Kieffer
M. Claude Boucher
M. Régent L. Beaudet
Mme Monique Gagnon-Tremblay
* M. Ghislain Dufour, CPQ
* M. Alexandre Beaulieu, idem
* M. Michel Guillemette, idem
* M. Bernard Cliche, idem
* Mme Christine Kark, FCEI
* M. Philippe Arnau, idem
* Mme Liane Flibotte, ATTAQ
* M. Claude Dallaire, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Quinze heures dix-sept minutes)

Le Président (M. Sirros): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons procéder à l'ouverture de la session en déclarant cette séance ouverte. J'aimerais rappeler le mandat de la commission qui est de procéder à une consultation générale et de tenir des audiences publiques sur le projet de loi n° 79, Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives.

Mme la Secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Charbonneau (Bourassa) remplace M. Cherry (Saint-Laurent); et M. Poulin (Beauce-Nord) remplace M. Gauvin (Montmagny-L'Islet).

Le Président (M. Sirros): Merci. Un court rappel de l'ordre du jour: on débutera avec des remarques préliminaires de part et d'autre, du gouvernement et de l'opposition. On procédera, par la suite, aux audiences de divers groupes, en indiquant que chaque groupe aura 20 minutes pour l'essentiel de sa présentation, avec 40 minutes d'échange avec les parlementaires, par la suite.

Le premier groupe que nous entendrons sera le Conseil du patronat. Mais, avant ça, on passera la parole au ministre pour ses remarques préliminaires et, par la suite, à l'opposition officielle. Alors, M. le ministre.


Remarques préliminaires


M. Matthias Rioux

M. Rioux: M. le Président, d'abord, j'aimerais m'excuser un peu pour le retard, parce qu'il y a eu des petites contraintes avec le Conseil des ministres. Alors, je m'en excuse.

M. le Président, MM. et Mme les membres de la commission, mes amis, je veux aujourd'hui m'adresser à tous mes concitoyens et concitoyennes, à tous les travailleurs et les travailleuses pour leur dire d'abord que le projet de loi n° 79 dont nous débattrons au cours des prochains jours comporte des mesures qui sont à leur avantage. C'est, en effet, les travailleurs et les travailleuses du Québec qui seront gagnants par cette réforme proposée par la CSST et le ministère du Travail pour déjudiciariser le régime québécois de santé et sécurité au travail.

S'il y a des points de divergence sur le projet de loi – puis je sais qu'il y en a – il y a surtout un grand consensus. Tout le monde s'entend sur la nécessité de simplifier le régime, de l'humaniser et d'accélérer le processus d'appel des décisions de la CSST – il y a tellement de plaintes qui circulent à cet effet, il était temps, à mon avis, qu'on agisse – un processus qui est grandement décrié depuis fort longtemps, non seulement par les employeurs mais aussi par les travailleurs accidentés. Pour ma part, c'est à partir de ce consensus, de cette base commune que je veux entreprendre les débats qui auront cours dans les prochains jours. J'espère que tous les interlocuteurs et toutes les interlocutrices auront la même ouverture et surtout la même conscience de l'enjeu de cette loi.

Il y a eu un premier volet de la réforme de la CSST qui a été voté il y a quelques mois, quelques semaines à peine, c'est-à-dire la loi sur le financement. Il y a une deuxième pièce, qui est le projet de loi n° 78, qui vise à déjudiciariser le système. Il y aura un troisième volet qui s'en vient, qui va porter sur l'indemnisation des travailleurs accidentés. Je voudrais garder en tête que nous discutons du mieux-être des travailleurs et des travailleuses du Québec et, de surcroît, de travailleuses et de travailleurs qui vivent des situations difficiles, très difficiles, en raison d'une maladie ou d'un accident subi au travail.

(15 h 20)

Nous admettons tous, moi le premier, que le processus d'appel à la suite d'une décision de la CSST était et demeure encore très difficile pour les travailleurs. Et, sur un plan plus global, je dirais d'abord, bien sûr, en raison des délais considérables avant d'obtenir une décision finale, il est inacceptable dans le contexte actuel que ça prenne 36 mois et plus pour un travailleur pour obtenir justice; personne, dans cette salle, n'est d'accord avec ça, trois ou quatre ans. Il y a bien des aspects dans la vie d'un travailleur qui peuvent se dégrader. Et, on le sait, c'est qu'après des années ce n'est plus des blessures physiques, c'est des blessures psychologiques qui affectent la personne.

La première perte sur laquelle nous, les parlementaires, devons nous pencher sérieusement, c'est la perte de son emploi pour un travailleur. Le travailleur de 40 ans peu scolarisé qui perd son travail à la suite d'une accident se retrouve presque inévitablement en chômage et même sur l'aide sociale. Tous les députés ont sûrement rencontré à leur bureau de comté des cas semblables. Ce n'est pas un portrait que j'invente ni un cliché, vous le savez bien, c'est une réalité qui ressort clairement des statistiques qui nous sont fournies par la Commission de la santé et de la sécurité du travail et aussi une conséquence triste de la réalité économique du Québec. Nos lois, nos façons de faire administratives doivent protéger ces personnes.

Au-delà de ces délais qui posent des problèmes dans le processus actuel, il y a aussi tout l'aspect médical du dossier qui est difficile à vivre pour les travailleurs accidentés. L'arbitrage médical a mauvaise presse, on le sait; il fallait s'interroger aussi sur ce point-là. Il fallait décortiquer ça et faire en sorte qu'on en arrive à en débattre ensemble et à essayer de voir clair dans tout ça. Bref, les motifs de mécontentement sont nombreux, nous en convenons tous. C'est pourquoi, à mon sens, une déjudiciarisation s'impose pour, je le répète, humaniser, simplifier, accélérer le processus de révision d'appel des décisions rendues par la CSST.

Les changements qu'on propose vont dans le sens de la volonté du gouvernement de déréglementer la structure administrative. Nous voulons moderniser l'État du Québec, vous le savez, moderniser nos services publics par des allégements réglementaires. Dans ce sens, le projet de loi n° 79 présente des avantages réels pour nos concitoyens et nos concitoyennes, d'abord parce qu'on diminuera le nombre de paliers d'appel et aussi parce que la procédure d'évaluation médicale sera moins formaliste et plus près de la pratique médicale.

Le projet de loi prévoit la création d'une nouvelle Commission des lésions professionnelles en remplacement de l'actuelle Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, la CALP, et des bureaux de révision de la CSST. À mon sens, c'est une évolution positive qui ira dans le sens de la simplification. La présence de deux paliers n'est pas souhaitable; ça augmente indûment les délais et ça multiplie les coûts au détriment des travailleurs et des employeurs.

Ceci dit, nous avons fait le choix d'opter pour un tribunal administratif paritaire, pour ce qui est de la division de la prévention et de l'indemnisation. Pour ma part, c'est un choix que je tiens à défendre, et pour plusieurs raisons. D'abord, parce que, au Québec, la paritarisme a fait ses preuves en matière de santé et sécurité au travail, aussi bien à la CSST que dans les entreprises. On vit le paritarisme, au Québec, d'une façon assez intéressante, je crois, pour qu'on s'en inspire dans nos législations à venir.

Les comités de santé et sécurité qui s'occupent de prévention dans les entreprises regroupent des représentants des employeurs et des travailleurs, et les exemples de réussite sont nombreux. Et je peux vous dire que, dans certains cas, ça s'est avéré hautement intéressant. À mon sens, nous avons conservé cet acquis précieux en matière de santé et sécurité au travail et le retrouvons à tous les paliers décisionnels.

Le paritarisme a aussi fait ses preuves au sein des bureaux de révision. Dans 86 % des cas, les décisions sont rendues à l'unanimité et en autant de cas de décisions renversées que confirmées. En plus, les délais sont moindres qu'à la CALP qui n'est pas paritaire. Les victimes d'accident seront les premières à bénéficier d'un tribunal paritaire. On leur garantit la présence au tribunal d'une personne qui connaît bien le milieu de travail et qui est sensible à leurs intérêts. Des groupes importants se positionnent en faveur du projet de loi. C'est le cas de la FTQ, du Conseil du patronat, entre autres.

Comme on l'a rappelé publiquement au cours des dernières semaines, le Québec ne crée pas de précédent en optant pour un tribunal paritaire. Au contraire, la majorité des provinces canadiennes, dont l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique, ont opté pour un tribunal paritaire en ce qui a trait aux lésions professionnelles. C'est là un modèle de tribunal administratif qui a subi l'épreuve du temps et qui se retrouve dans plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, qui en a été d'ailleurs l'instigateur, et suivi en cela par l'Allemagne.

J'ajouterai enfin que, dans ses principes de fonctionnement, la Commission des lésions professionnelles ne sera pas si différente du nouveau Tribunal administratif du Québec institué en vertu du projet de loi n° 130 de mon collègue Bégin. Là aussi, la majorité des formations sera composée de deux ou trois membres, dont des représentants des milieux concernés par le litige, comme un médecin, un évaluateur agréé ou un travailleur social. Et ce sont aussi les règles émises dans le projet de loi du ministre Bégin qui guideront tous les mécanismes de nomination à la Commission, autant pour les commissaires que pour les membres patronaux et syndicaux.

Quant à l'impartialité des membres de la Commission, elle n'est plus questionnable, tant dans le cas des assesseurs prévus que dans le cadre de la réforme des tribunaux administratifs. Ils seront nommés par le gouvernement, après consultation auprès du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Il s'agit là d'un organisme officiel sur lequel siègent des représentants des milieux patronaux et syndicaux.

Mais, attention, s'il s'est vrai que les membres de la Commission des lésions professionnelles seront issus des associations patronales et syndicales, ils n'agiront pas en tant que représentants de ces associations. Vous comprendrez que rendu à ce niveau-là de décision on ne regarde plus si une personne a l'étiquette syndicale dans le front ou l'étiquette patronale. Je pense qu'on en est à un niveau de discussion, de débat et de décision qui va bien au-delà de ça.

Je vais maintenant vous parler de l'aspect médical de la réforme. On a entendu et lu dans les journaux de nombreuses objections sur cette question. À mon sens, il y a des malentendus qu'il faut absolument dissiper. Le premier concerne le rôle du médecin du travailleur, de son médecin traitant. Au Québec, depuis 1985, le travailleur accidenté a le droit de choisir son médecin traitant. C'est ce médecin qui pose le diagnostic, signe le congé, détermine les traitements. Et, il faut bien le dire, dans la très grande majorité des cas, les travailleurs ne voient aucun autre médecin. La CSST, de son côté, elle, est liée par les conclusions de ce médecin. Il s'agit d'une pratique unique en Amérique du Nord, et on ne la retrouve ni à la Société de l'assurance automobile ni à la Régie des rentes du Québec.

On a souvent dénoncé aussi le déséquilibre, au détriment du travailleur, lorsqu'il y a une contestation sur un point médical, parce que l'employeur, le plus souvent, a recours à des médecins-experts lorsqu'il conteste. Alors, on a dénoncé aussi le manque d'information en provenance du médecin traitant lorsqu'un cas est porté devant le Bureau d'évaluation médicale. De cette façon, l'information va circuler. Les gens vont être plus à même de juger à partir d'une masse d'informations qui leur échappent présentement. C'est justement pour corriger cette situation que le projet de loi donne un rôle accru au médecin traitant. Il pourra, à titre d'exemple, consulter un confrère pour compléter son rapport médical, lorsque le travailleur fait face à une contestation devant le Bureau d'évaluation médicale.

On a aussi beaucoup entendu parler du Bureau d'évaluation médicale dans les dernières semaines. C'est une instance qui relève du ministère du Travail. On a l'impression, dans le débat public, que le BEM relève de la CSST. Il ne faut pas se mélanger, le BEM relève de mon ministère. Plusieurs groupes, et ce n'est pas nouveau, en réclament l'abolition, ils voudraient qu'on abolisse le BEM. C'était ainsi une recommandation du conseil d'administration paritaire de la CSST.

(15 h 30)

Je veux aussi reconnaître la valeur et la qualité du travail réalisé au Bureau d'évaluation médicale, notamment au cours des derniers mois. Cet organisme a pris des mesures d'amélioration pour augmenter sa productivité, réduire les délais et assurer une bonne répartition des dossiers entre les médecins du BEM. Déjà, la mesure a porté fruit. D'ailleurs, on connaît mal la portée des contestations de nature médicale dans les cas de la CSST.

Là-dessus, il m'apparaît important de remettre les pendules à l'heure, parce qu'on va laisser s'accréditer dans l'opinion publique un tas de faussetés. C'est une infime partie des rapports médicaux qui sont contestés devant le BEM, et la majorité le sont par les employeurs. Sur les 900 000 rapports médicaux produits en 1995 par la CSST, moins de 800 ont été contestés par la CSST – les autres, c'était par les employeurs – ce qui représente moins de 0,1 %. J'espère qu'on s'entend tous sur la nécessité d'avoir recours à des médecins pour trancher dans les cas de litige qui portent sur des questions médicales. Il faut reconnaître – et ce n'est pas le but de défendre les médecins du BEM, loin de là ma pensée – que les cas qui se retrouvent devant cette instance sont des cas complexes, très complexes, parfois. Enfin, sur la question de la qualité et de l'impartialité des médecins du BEM, j'ajouterai simplement qu'ils sont, eux aussi, choisis sur une liste soumise par le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, sur recommandation des ordres professionnels.

Je voudrais, en terminant, mes collèges de la commission parlementaire et ceux qui nous rendent visite aujourd'hui, vous dire que j'apprécie que vous soyez là et qu'on puisse écouter. Les parlementaires écoutent ce que vous avez à dire. On va vous écouter avec le plus grand respect parce qu'on pense qu'il est nécessaire que le débat se fasse. Et ce que je souhaite au plus haut point, c'est qu'on puisse sortir de cette expérience avec une idée claire de ce qu'on veut tous et toutes. Merci.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. le ministre. M. le député de LaFontaine et porte-parole de l'opposition en matière de travail.


M. Jean-Claude Gobé

M. Gobé: Alors, merci, M. le Président. Tout d'abord, j'aimerais dire que je suis très heureux d'être ici aujourd'hui et de participer à cette consultation publique. Et je rappellerai que cette consultation publique se tient suite aux demandes pressantes de l'opposition officielle qui a insisté, avant d'adopter le projet de loi n° 79, pour que nous entendions les citoyens, les groupes de travailleurs ou d'employeurs qui étaient intéressés, qui étaient concernés par ce projet de loi là.

Et je tiens à saluer les collègues qui m'accompagnent du côté de l'opposition bien sûr, qui ont supporté ma demande, à l'époque auprès du ministre et auprès de mon caucus, d'obtenir et de demander ces consultations publiques Je tiens aussi à remercier les députés du côté ministériel – et je dis bien les députés – qui, pour certains, m'ont fait valoir qu'eux aussi étaient intéressés et apprécieraient, avant d'adopter ce projet de loi là, de pouvoir entendre les intervenants.

Alors, M. le Président, nous sommes ici aujourd'hui pour entendre et écouter les représentants des groupes organisés et des gens qui ont pris la peine dans un court laps de temps très rapide, malgré les Fêtes, de produire des mémoires sur le projet de loi n° 79. Je suis heureux encore plus parce que certaines déclarations du ministre, je le disais précédemment, laissaient entendre qu'il était inutile de tenir ces consultations et qu'on devrait procéder rapidement à l'adoption de ce projet de loi là avant les Fêtes. Donc, nous voyons aujourd'hui, avec tous les gens qu'il y a ici, que ça n'a pas été inutile, M. le Président. Et on doit remercier aussi, bien sûr, les gens qui, ailleurs, en dehors du bureau du ministre, ont aussi accepté et fait en sorte que le ministre tienne ces consultations.

M. le Président, nous avons reçu 38 mémoires sur la proposition, et 38 mémoires, M. le Président, qui sont des mémoires partagés. Aucun de ces mémoires ne peut être qualifié de mémoire inutile ou futile. Aucun d'entre eux, pour en avoir fait la lecture et en avoir fait des résumés, ne peut être négligé, car ils font le tour de l'ensemble des préoccupations des travailleurs et des travailleuses et aussi des employeurs en ce qui concerne les questions de santé et de sécurité au travail et bien sûr en ce qui concerne aussi les changements que le ministre veut apporter. M. le Président, c'est des questions très importantes, parce que, selon certains documents et certaines analyses qui ont été produits par le gouvernement, la fusion de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, qu'on appelle la CALP, avec les bureaux de révision paritaire, les BRP, ajoutée aux modifications aux procédures d'évaluation médicale, ferait, selon le ministre, épargner des dizaines de millions de dollars, entre 30 000 000 $ et 58 000 000 $, à la CSST et c'est là certainement un des points centraux qui avaient été amenés à l'époque. On disait: Il faut faire cela pour sauver de l'argent, pour économiser. C'était non seulement en filigrane, mais écrit en tout mot dans les présentations qui ont été faites par le gouvernement.

Alors, M. le Président, pour nous c'est important, lorsque l'on parle de couper, d'économies, eh bien, de voir à qui cela va être imputable, qui va devoir en subir les conséquences ou en profiter. Et lorsque l'on pense, lorsque l'on parle de vouloir économiser des dizaines de millions de dollars, force est de constater qu'on parle des travailleurs accidentés, que certainement ils peuvent en être les gens qui vont devoir en subir les conséquences.

Alors, M. le Président, nous avons pensé qu'il était important pour nous que les citoyens puissent se prononcer et les groupes nous dire: Oui ou non, nous sommes d'accord avec cette façon de procéder, oui, ça va mieux servir notre cause, oui, ça va mieux nous aider à être indemnisés, oui ça va être plus rapide ou non, c'est le contraire qui va se produire.

Alors, M. le Président, ça va nous permettre, dans les prochains jours, d'échanger avec 38 ou 39 groupes représentatifs et je crois que chacun des députés, qui est élu en cette Chambre, ne peut oublier que nous recevons régulièrement à nos bureaux de comté des cas de citoyens, travailleurs qui sont en difficulté suite à des accidents de travail et à des contestations vis-à-vis de leur dossier, de leur situation, de leur cas ou alors, M. le Président, la non-reconnaissance des lésions et des accidents ou des problèmes qu'ils ont pu subir dans l'exercice de leur profession.

M. le Président, lorsqu'on touche à ces situations, on touche à ce qu'il y a de plus précieux pour une personne: la santé et sa capacité de pouvoir gagner sa vie, de pouvoir fonctionner, de pouvoir subvenir à sa famille, payer sa maison, son alimentation, payer l'habillement pour ses enfants et de garder sa dignité d'être humain.

Alors, M. le Président, je crois que nous touchons là à ce qui est une des plus grandes richesses d'une société, car d'une société, la principale richesse, c'est les gens qui la composent, ce sont ces travailleurs et ces travailleuses. Et lorsqu'on touche chacun a sa richesse personnelle, on y fait très attention. Alors, lorsqu'on va toucher à la richesse collective du Québec, qui sont les travailleurs québécois et québécoises, nous devons y porter la même attention que si nous touchions à notre propre richesse personnelle.

Alors, M. le Président, nous ne pourrions bien sûr agir dans ce dossier, dans ces audiences, mais aussi par la suite dans ce qui va découler de ces audiences, avec légèreté et sans tenir compte de ce qui va se dire. Nous devons être à l'écoute; nous devons écouter et essayer de comprendre ce que les citoyens, ce que les gens vont nous dire, quelle que soit l'organisation dans laquelle ils sont. Et nous devons comme députés, par la suite, faire en sorte de faire un suivi, car, à écouter le ministre, on a l'impression que tout est déjà décidé. Et, moi, je pense que, comme porte-parole de l'opposition et comme député, représentant des députés, nous ne pouvons penser de cette manière-là. Nous croyons qu'aujourd'hui c'est le début, ce n'est pas l'aboutissement de son projet de loi. C'est le début, c'est-à-dire qu'à partir de ce qui va se dire en cette commission dans les prochains jours et les prochaines semaines nous aurons, les députés, à faire des recommandations au ministre. Sinon, à quoi servirait-il de faire venir des gens ici, de les écouter, de dépenser de l'argent, de passer notre temps ici, si c'était pour ne rien changer dans ce projet de loi là?

Alors, vous comprendrez que ce que vous allez nous dire est pour nous très important, et je pense que vous seriez déçus et vous auriez raison d'être insatisfaits de notre travail si, sortis d'ici, vous ne retrouviez pas dans le projet de loi, si projet de loi il y a encore, si encore il est nécessaire de le passer après ce que vous aurez dit, si vous ne retrouviez pas vos préoccupations ou vos demandes. Je crois que ça serait là, à ce moment-là, la preuve qu'on peut venir dans une commission parlementaire, mais, quand le gouvernement a déjà décidé, eh bien, on passe par dessus les gens et on légifère sans tenir compte de ce qu'ils disent.

Alors, M. le Président, je crois qu'actuellement nous avons un certain nombre de points et de questions qui vont se poser. Le gouvernement actuellement, il a une idée en tête, c'est de réduire, couper et arriver à un déficit zéro. Le ministre, il annonce des économies de 38 000 000 $, mais il ne nous dit pas qu'est-ce qu'il va faire avec. Ça, c'est la première question. Il ne nous dit pas où il va le prendre puis il ne dit pas qu'est-ce qu'il va faire avec.

En plus, le passé parle pour l'avenir. On se rappellera qu'à la fin de la session, alors que nous avions un projet de loi qui s'appelle le projet de loi n° 74 qui touchait déjà la CSST, le ministre avait reçu l'assentiment et l'aval de l'opposition suite aux consultations que nous avons faites avec les partenaires sociaux – que je salue ici en cette chambre – patronals et organisations de travailleurs ou populaires. Nous avions accepté de collaborer au projet de loi n° 74, donc de l'adopter en cette chambre pour l'amélioration du fonctionnement de la CSST.

(15 h 40)

Qu'est-il arrivé? L'avant-veille de la fin de la session, le ministre a passé un bâillon à ce projet de loi là parce qu'il allait collecter un 14 000 000 $ sur l'inspection de la CSST, contre l'avis des partenaires patronaux et des travailleurs. Alors, le passé parlant pour l'avenir, force est pour nous de nous méfier et d'être très prudents parce que, lorsqu'un gouvernement se comporte de cette manière-là, s'engage dans une collaboration sur un projet de loi avec l'ensemble de la société et l'opposition et que, par la suite, en catimini, en pleine nuit, à deux heures du matin, il passe un bâillon pour aller changer le projet de loi sans en parler à personne, bien, je pense qu'on a le droit de se questionner et d'être prudents quant à la manière dont il fonctionne en ce qui concerne les institutions comme la CSST, les droits des travailleurs et bien sûr le respect des institutions patronales.

M. le Président, la question suivante maintenant, c'est... Le ministre dit: Je veux déjudiciariser. Qu'est-ce qu'il va faire? Est-ce que c'est une organisation comptable pour ramasser 38 000 000 $? Est-ce qu'on cherche à diminuer les recours, les droits des travailleurs et des travailleuses, à diminuer les contestations? Est-ce qu'en faisant sauter un palier on veut diminuer le nombre de contestations? Est-ce qu'on cherche à diminuer le nombre d'avocats dans le système? Est-ce qu'on cherche à diminuer le nombre de fonctionnaires qui travaillent à la CSST? Est-ce que le projet de loi n° 79 répond à cette situation objective qu'on constate aujourd'hui? Est-ce qu'il est encore pertinent aujourd'hui d'arriver avec le projet de loi n° 79, alors que plusieurs témoignent de l'amélioration remarquable et des efforts louables qui ont permis au cours des dernières années de réduire les délais devant les tribunaux de la CSST? Est-ce que ça prend encore trois à cinq ans avant d'obtenir une décision finale aujourd'hui? C'est des questions que nous allons poser et c'est des réponses que nous aimerions avoir.

En tout cas, M. le Président, je crois que, lorsqu'on lit les 38 mémoires qui ont été déposés, on peut se questionner actuellement sur l'opportunité de la proposition gouvernementale et sur son éventuelle efficacité dans ce sens-là. M. le Président...

Le Président (M. Sirros): Je m'excuse, M. le député. Dois-je rappeler aux gens qui ont des cellulaires – merci, c'est fait – de les fermer?

M. Gobé: Merci, M. le Président. Je n'ai pas l'intention, à ce moment-ci, de faire le débat sur le fond de la proposition du ministre du Travail. Nous aurons le temps en cette commission, par la suite, entre députés et par la suite article par article. Cependant, je crois qu'il se dégage – comme je le disais précédemment – un questionnement très sérieux à la lecture de ces mémoires et je pense que nous devons être encore très attentifs là-dessus.

M. le Président, les questions suivantes devront faire d'après moi l'objet d'une attention particulière de la part des parlementaires en cette commission. Soit disant le paritarisme à la nouvelle Commission des lésions professionnelles, est-ce que réalisable? Est-ce souhaitable? Qui doit être le ministre responsable du tribunal de dernière instance? Le ministre du Travail ou le ministre de la Justice, afin d'assurer une meilleure indépendance de cet organisme?

L'abolition de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, la CALP, est-ce une bonne idée? Quels seront les effets de cette transformation sur la stabilité de la jurisprudence en santé et sécurité au travail? L'abolition des bureaux de révision paritaire, est-ce une bonne idée pour réduire les contestations? À quoi et à qui servaient les bureaux de révision? Sommes-nous en faveur d'un système à un seul palier d'appel? On fait quoi à ce moment-là avec les employés du bureau de révision qu'on ferait disparaître? La révision administrative prévue au projet de loi n° 79 est-elle perfectible? Est-ce que ce mécanisme est nécessaire? L'évaluation médicale prévue au projet de loi n° 79, est-ce une amélioration ou un recul pour l'accidenté et son médecin traitant? L'abolition ou le maintien du Bureau d'évaluation médicale, le BEM, semble susciter un débat très émotif et très important pour ceux qui le connaissent. Pour certains, c'est un palier qui s'est amélioré, pour d'autres, c'est infernal. Et, à ce titre-là, M. le Président, je citerais quelques chiffres de statistiques de 1994: Une fois sur trois, le diagnostic du médecin traitant est infirmé par le BEM. Trois fois sur quatre, le BEM est en désaccord avec la date de consolidation établie par le médecin traitant. Trois fois sur quatre, le BEM est en désaccord avec la nature, la nécessité et la suffisance ou la durée des soins. Quatre fois sur cinq, le BEM est en désaccord sur l'existence ou le pourcentage d'une atteinte permanente et trois fois sur quatre, le BEM est en désaccord sur l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles.

Cela, M. le Président, pose le questionnement de la qualité de la médecine aussi, car, si des médecins traitants qui portent un diagnostic se voient réfutés dans un ordre aussi important que cela par le BEM, nous sommes en droit de nous poser comme question, comme députés: La qualité du travail ou des médecins traitants ou du BEM, qui dit vrai? Est-ce que c'est le BEM qui, en donnant des décisions qui renversent les médecins traitants, pénalisent les travailleurs ou est-ce que c'est les médecins qui font – et je questionne – des diagnostics de complaisance? C'est un débat et j'espère que cette commission, que les intervenants nous permettront de mieux éclairer cela, M. le Président.

Enfin, M. le Président, je pense que les principales questions qui sont devant nous et sur lesquelles nous allons devoir nous pencher... Bien sûr, M. le Président, le temps passe et je ne saurais passer sous silence certaines propositions qui vont nous être faites dans des mémoires. À titre d'exemple, je pense aux demandes que les représentants et porte-parole des chiropraticiens du Québec formulent à l'égard des services de soins qu'ils pourraient prodiguer à plusieurs accidentés pour certains types de lésions et, semble-t-il, entraînant des économies pouvant aller à 30, 40, 50 000 000 $ par année. Alors, c'est des choses, des dossiers sur lesquels nous devons bien sûr nous pencher, parce que, lorsqu'on parle d'économies, bien, il y a peut-être, en effet, des avenues qui peuvent être ouvertes – sans toucher aux droits puis à la qualité de l'indemnisation des travailleurs – et qui pourraient être réalisées.

M. le Président, on parle aussi, bien sûr... Il y a un mémoire qui parle d'ajouts à la liste des maladies professionnelles. Peut-être que ça permettrait d'éviter des contestations. Donc, aussi, de revoir toutes ces listes de maladies professionnelles et faire en sorte que là aussi, ça puisse simplifier le système. Et, M. le Président, bien sûr quelques mémoires ont relevé les lacunes dans la prévention des accidents de travail et je crois que, même si les lésions en nombre diminuent, on se rend compte, à la lecture des chiffres de la CSST, que la gravité des lésions dernièrement augmente à cause peut-être des nouvelles manières de travail et je pense que c'est une question intéressante sur laquelle nous devrons aussi en profiter pour nous pencher.

M. le Président, en terminant, l'essentiel de mes remarques, je voudrais vous dire, M. le Président, que je souhaite que la période des Fêtes ait permis au ministre du Travail de faire ses lectures, de réfléchir un peu, car en décembre dernier nous l'entendions parler dans son discours sur ce projet de loi n° 79 – il était le 3 décembre 1 heure du matin – le ministre disait: c'est une loi pour les travailleurs, c'est une loi qui est attendue par les travailleurs et seuls ceux qui ne l'ont pas lue en contestent la validité et la valeur.

Force est de constater, M. le Président, qu'aujourd'hui, à entendre et à lire les mémoires, beaucoup de monde qui l'ont lue sont ici et en contestent certainement le contenu, et non pas seulement ceux qui ne l'avaient pas lue. J'estime, M. le Président – je pense que j'ai terminé...

Le Président (M. Sirros): Très rapidement, en conclusion.

M. Gobé: ...une petite page, M. le Président, ça va être terminé – M. le Président, nous devons aujourd'hui relever le défi, le défi qu'attendent de nous les travailleurs du Québec et qu'attendent de nous aussi les employeurs pour faire en sorte que cette révision, ce changement dans la CSST, qui est un des premiers à survenir depuis très longtemps, corresponde à l'ensemble des gens qui vont y être touchés, soit faite avec justice, avec équité et aussi en tenant compte du contexte industriel économique qui change au Québec, qui a changé, du contexte aussi des nouveaux systèmes d'organisation du travail, des travailleurs autonomes, des travailleurs précaires et de tous ces gens, M. le Président, bien sûr qui sont touchés.

Et de notre côté, comme opposition, nous entendons mettre toute notre application, nous entendons faire en sorte de bonifier ce projet de loi là. Et si ça va dans le sens commun, dans le sens général des travailleurs et aussi bien sûr des employeurs, nous donnerons notre collaboration et notre aide au ministre. Sinon, bien, nous devrons malheureusement continuer à défendre les points qui nous sembleraient ne pas correspondre à un projet de loi équitable et juste pour l'ensemble des Québécois et des Québécoises dans le domaine des accidents de travail. Alors, Merci, M. le Président.


Auditions

Le Président (M. Sirros): Je vous remercie, M. le député. Alors, avec ces remarques derrière nous, nous procéderons à entendre le Conseil du patronat. Je demanderais aux membres de s'identifier en vous rappelant que vous avez 20 minutes pour votre présentation pour qu'on puisse passer aux échanges par la suite.


Conseil du patronat du Québec (CPQ)

M. Dufour (Ghislain): Alors, merci, M. le Président Sirros. Mesdames, messieurs, M. le ministre, M. Gobé, je vous présente d'abord mes collègues: à mon extrême gauche, Me Robert Borduas, qui est directeur des services juridiques en santé et sécurité du travail au Conseil du patronat; à ma toute gauche, M. Alexandre Beaulieu, qui est président d'une PME, qui vit bien ces problèmes-là, Alnico inc., qui est également membre du conseil scientifique de l'Institut de recherche en santé et en sécurité du travail; à ma toute droite, Me Bernard Cliche, qui est juriste au bureau de Flynn, Rivard; et à mon extrême droite, le Dr Michel Guillemette, qui est président d'une firme en santé, sécurité du travail qui s'appelle Prévexel. M. le Président, nous avons autour de la table toute l'expertise voulue pour rester ici et tenter aussi longtemps que vous voudrez, parce que nous avons beaucoup à dire nous aussi dans ce dossier-là.

Je voudrais dire, d'entrée de jeu, que le projet de loi n° 79, qui institue cette nouvelle Commission et qui modifie, par définition, diverses dispositions législatives, est conforme, M. le Président, conforme en plusieurs points au consensus qui a déjà été réalisé au conseil d'administration de la CSST en juin 1994. Je voudrais juste mentionner, entre autres, l'abolition des bureaux de révision paritaire de la CSST, je voudrais mentionner la bonification du processus d'évaluation médicale au service des travailleurs accidentés et la mise sur pied de cette nouvelle Commission paritaire des lésions professionnelles, le tout avec un objectif qui a toujours été rallié au conseil d'administration de la CSST: réduire les délais qu'engendre le régime actuel, et ça, tant à l'avantage des travailleurs que des employeurs.

(15 h 50)

Nous avons toujours été d'accord, nous demeurons d'accord avec ces éléments du projet de loi. En fait, nous n'avons qu'un problème avec le projet de loi, c'est, dans le dossier du paritarisme, l'absence, quant à nous, d'une reconnaissance véritable du paritarisme au sein de la nouvelle Commission, reconnaissance qui devrait, quant à nous, permettre aux travailleurs et aux employeurs de désigner eux-mêmes leurs représentants à cette Commission, sous réserve, bien sûr, qu'ils soient nommés par le gouvernement, parce que c'est une responsabilité gouvernementale que de les nommer. Pour nous, dans le contexte actuel de la loi, il ne s'agit pas de paritarisme véritable, et nous aurions de la difficulté à souscrire au projet de loi si on veut confirmer le paritarisme, si c'est du paritarisme gouvernemental.

M. le Président, nous sommes, nous, à la CSST depuis 1980. Nous connaissons ce dossier-là. Nous sommes là depuis les modifications faites par le Parti québécois lors de l'adoption de la loi 42 en 1985. Mais nous sommes là aussi en 1992, au moment où le Parti québécois, à la demande des parties syndicales, met sur pied le Bureau d'évaluation médicale. Nous avons fait tous ces débats-là et nous sommes très à l'aise de venir vous en parler aujourd'hui ayant vécu tout ce cheminement de la CSST, tant avec les libéraux qu'avec le Parti québécois.

Dans le mémoire, étant donné le seul 20 minutes qui nous est alloué, on n'ira pas dans des détails du projet de loi au niveau des articles, on va rester sur deux volets qui sont deux volets en débat, comme souligné par M. Gobé: le BEM, le processus d'évaluation médicale, et le paritarisme.

Je rappelle ce que je viens de dire, que les dispositions actuelles de la loi concernant le BEM sont en vigueur depuis le 1er novembre 1992. Mais je rappelle que la modification qui a été apportée à la loi, c'était une réponse aux demandes syndicales, ce n'était pas le patronat qui demandait des modifications à l'époque, et nous avons souscrit à ces demandes-là. Quelles sont-elles? Elles autorisent la CSST à exiger qu'un travailleur se soumette à un examen médical concernant sa lésion. Il, ce règlement du BEM, édicte les règles applicables lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale ne donne pas son avis dans le délai imparti – il en faut, des délais – et permet également à ce dernier de donner un avis sur les questions qu'il juge appropriées.

C'est vrai que le 6 mai 1994 un comité de la CSST présidé par Mme Durand déposait un rapport où, peut-être sans vouloir corriger le ministre, on proposait l'abolition du BEM, mais c'était le rapport Durand, ce n'est pas le conseil d'administration. Il n'y a jamais eu de proposition du conseil d'administration d'abolir le BEM, bien au contraire. Bon. On proposait, à ce moment-là, par ailleurs, que les décisions de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, que les décisions qu'elle rendrait puissent être portées en appel devant la Cour d'appel du Québec. C'est important, ça, les droits d'appel, il y a beaucoup de juristes autour de la table, ici. Après de longs débats, et Dieu sait qu'on a passé des nuits, M. le président de la CSST, à débattre de ces dossiers-là, qu'est-ce qui est arrivé? La partie patronale a abandonné sa demande concernant la possibilité d'en appeler à la Cour d'appel des décisions de la nouvelle Commission qui était proposée. La partie syndicale acceptait quoi? On est dans le domaine des relations de travail, là. Elle acceptait que le processus d'évaluation médicale demeure, que le BEM demeure, mais qu'il soit bonifié au bénéfice des travailleurs en faisant davantage appel au médecin qui a charge du travailleur.

Les améliorations proposées, M. le Président, au processus d'évaluation médicale, je le répète, en faveur des travailleurs furent entérinées par une décision du conseil d'administration de la CSST le 15 juin 1994. Une dissidence: la CSN. Mais tous les autres groupes autour de la table étaient d'accord. Et il y a eu d'autres améliorations dans le processus du BEM, notamment le 25 avril 1995, et même le projet de loi n° 79 vient encore bonifier. Je vous donne simplement un exemple. Dans les débats et les ententes qu'on avait vus, le délai pour la transmission du rapport du médecin, c'était 20 jours; dans le projet de loi, c'est passé à 30 jours.

Aujourd'hui, il s'en trouve pour critiquer parmi ceux qui avaient donné leur aval aux améliorations proposées au processus d'évaluation médicale, qui seraient devenues trop complexes à leurs yeux. M. le Président, M. le ministre, on n'a aucun problème, nous, à garder le BEM tel qu'il est actuellement. Ce n'est pas nous qui avons demandé les modifications qui sont proposées. Ce n'est pas nous qui l'avons demandé en 1992 lorsque les libéraux ont donné suite au BEM, sur lequel on était d'accord, et aujourd'hui à la bonification. On est très catégoriques là-dessus. Si l'amélioration proposée du processus en faveur des travailleurs est trop complexe, comptez sur nous, on est d'accord avec le statu quo.

Le Bureau d'évaluation médicale n'affiche-t-il pas, d'ailleurs, pour tous les observateurs, une excellente performance? Les dernières statistiques du Bureau d'évaluation médicale démontrent qu'au cours des trois dernières années – ce n'est pas un organisme qui relève de la CSST, c'est un organisme qui relève du ministère du Travail, qui relevait du ministère du Travail aussi à l'époque des libéraux – le délai moyen de traitement des demandes d'évaluation s'est maintenu en deçà de 20 jours, alors que le nombre de demandes d'évaluation, lui, a progressé de 8 200 à 9 300 en 1996. Quant à la qualité des décisions en 1994 et 1995, moins de 10 % des avis du BEM ont été modifiés par les tribunaux administratifs.

Le Bureau d'évaluation médicale, M. le Président, que vous avez voté à l'unanimité de l'Assemblée nationale, a fait ses preuves, il fonctionne très bien. On se demande quelles sont les raisons actuellement pour lesquelles on en demande la destruction. Là-dessus, sur ce premier volet, nous appuyons le BEM. Nous continuerons de l'appuyer. Et, s'il fallait que le législateur change ça, une décision qui a été prise à l'unanimité de l'Assemblée nationale, on est dans le trouble.

Le paritarisme. Bon, c'est bien sûr que le paritarisme, c'est quelque chose de propre au régime québécois de santé et sécurité du travail, mais comment pourrait-il être ignoré à l'intérieur de la nouvelle Commission, alors que pour toutes les structures de la CSST, le conseil d'administration, les divers comités du conseil d'administration, les associations sectorielles de santé et sécurité du travail, partout, c'est le paritarisme à la planche? Puis là on arriverait avec un nouvel organisme, puis il n'y en a plus, là. Il y a quand même une logique qu'il faut respecter, et, nous, nous sommes d'accord, mais pleinement d'accord avec cette logique-là.

Le ministre, il a fait référence à l'expérience externe au Québec dans sa présentation tout à l'heure. Je n'y reviendrai pas tellement, sauf pour dire que le paritarisme, au-delà de ce que le ministre disait tout à l'heure, a donné des résultats probants. En 1995, 85 % des décisions, M. le Président, ont été rendues à l'unanimité. Le taux d'unanimité se vérifie aussi bien dans les décisions confirmées que renversées. C'est donc dire qu'il ne faut pas prendre les représentants patronaux ou syndicaux comme des gens qui ne connaissent pas ça, la santé et sécurité du travail; ils sont capables, en plus, de faire abstraction des intérêts de classes et capables d'émettre des avis objectifs, contrairement à ce que présentent les opposants au paritarisme qui vont se présenter devant vous.

(16 heures)

On peut ajouter que l'an dernier les décisions des BRP ont été rendues beaucoup plus rapidement, même, que la CALP: huit mois, en moyenne, au BRP comparativement à 24 mois à la CALP – ce que vous êtes en train de remplacer pour faire la CPLP – ce qui prouve que le paritarisme, ce n'est pas ça qui contribue à alourdir le processus décisionnel. Il n'y en a pas à la CALP actuellement, 24 mois; il y en a au BRP, puis ça prend huit mois. Alors, trouvez-nous d'autres arguments que ceux-là.

Moi, j'aime toujours citer le professeur Ouellette, c'est probablement le plus grand spécialiste des tribunaux administratifs au Québec, qui dit ceci dans une lettre qu'il adressait au conseil d'administration de la CSST, en 1995: «Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le paritarisme quasi judiciaire dans l'application des lois sociales a subi avec succès l'épreuve du temps et que c'est la structure utilisée dans les huit provinces du Canada où il y a des tribunaux administratifs en matière de lésions professionnelles.» Et il ajoute – il ajoute, puis c'est important, c'est important pour le Journal des débats : «Le paritarisme dans les tribunaux administratifs offre l'avantage d'équilibrer et de compléter, par le gros bon sens, la vision généralement formaliste ou théorique du président juriste et donne l'assurance à chacune des parties qu'il se trouve, au sein du panel, au moins un membre qui est sensible à ses intérêts et à ses problèmes, qui est donc en mesure de bien les comprendre et dans lequel elles peuvent se retrouver.»

Finalement, quant à l'impartialité et à l'indépendance sur lesquelles tout le monde charrie actuellement, incluant le Barreau, il y a des décisions de la Cour suprême là-dessus auxquelles on voudrait référer, et je pense que celle, entre autres, que l'on cite dans notre mémoire, celle de l'affaire du Newfoundland Telephone versus Terre-Neuve Public Utilities est de très grand intérêt pour le législateur.

Pour notre part, M. le Président, sur la foi de telles autorités, sur l'expérience que nous vivons, nous sommes d'avis que le paritarisme est un pari rentable et un mécanisme qui a fait ses preuves et dont bénéficient les travailleurs accidentés. Nous l'avons dit, nous trouvons qu'il manque un élément fondamental, c'est la reconnaissance véritable du paritarisme au sein de la nouvelle Commission – c'est une modalité, mais elle est majeure – c'est la reconnaissance qui doit s'exprimer, quant à nous, par la possibilité pour les travailleurs et les employeurs de désigner eux-mêmes leurs représentants à cette Commission, sous réserve qu'ils soient, bien sûr, nommés par le gouvernement. C'est évident.

Je voudrais vous retourner, encore une fois, M. le Président, à l'entente conclue en juin 1994, reprise en avril 1995, au conseil d'administration de la CSST, où tout le monde s'entend sur la création d'une commission paritaire, et je vous lis juste deux petits paragraphes: «Des membres sont nommés selon les listes établies par les membres du conseil de la Commission qui représentent les associations syndicales.» La contrepartie: «D'autres membres sont nommés selon les listes établies par les membres du conseil d'administration de la Commission qui représentent les associations d'employeurs.» Ils sont nommés, et ce n'est pas le conseil d'administration qui les nomme, c'est le gouvernement qui les nomme, comme il nomme actuellement les arbitres de griefs, même s'il y a une liste qui est suggérée par le CCTM.

C'est comme ça que ça se passe dans les relations de travail. On n'est pas devant le tribunal administratif, on ne décide pas de cas de permis d'alcool ici, là; on décide de problèmes de surdité professionnelle, de milieu de travail, de tarification, de dossiers que vivent les parties très intensément et dans lesquels, nous, on veut les impliquer. Donc, pour les impliquer, il faut qu'on participe à leur nomination. Le statu quo qui nous serait confirmé par le projet de loi n° 79 quant à leur mode de nomination nous décevrait à un point tel que, dans le fond, on ne pourrait pas supporter le projet de loi.

Je veux juste – il me reste combien de temps, M. Sirros...

Le Président (M. Sirros): À peu près quatre minutes, M. Dufour.

M. Dufour (Ghislain): ...oui – parler de deux commentaires sur le projet de loi, avant de conclure. On a un commentaire qui est très important sur l'article 62 du projet. Pourquoi avoir écarté les présidents ainsi que les membres des bureaux de révision, alors que les commissaires de la CALP sont maintenus dans leur fonction? Autrement dit, on conserve le statu quo, là, pour les commissaires, mais on ne fait pas la même chose pour les présidents actuels et les membres des bureaux de révision. Quant à nous, on rejette, de cette façon-là, mais une expertise incroyable en santé et sécurité du travail des présidents puis des membres des bureaux de révision. Puis là on ne plaide pas pour le patronat, là, ce n'est pas des patrons, là, c'est des fonctionnaires du gouvernement qui sont formés justement pour entendre ces litiges-là. On pense, nous, qu'ils devraient demeurer là, puis ça ne nous apparaît, là, même pas débattable. Mais, en tout cas, on vous le souligne. Comme me dit Alexandre, ça va nous prendre deux ans à en former, des gars qui sont déjà bons ou des dames qui sont déjà bonnes actuellement. Alors, pourquoi perdre l'expertise qu'on a déjà?

Bon. J'aime mieux prendre mes trois minutes, M. le Président, pour lire la conclusion. Le projet de loi n° 79, je le rappelle, comporte des éléments importants de déjudiciarisation du régime québécois de santé et de sécurité du travail. Nous avons accepté le principe du projet de loi, nous y avons travaillé et nous nous en réjouissons. Nous accueillons favorablement l'abolition des bureaux de révision, la création de la nouvelle commission – vous avez remarqué que, dans notre mémoire, on le souligne – paritaire des lésions professionnelles, l'instauration de mécanismes structurés de sélection et de nomination des commissaires qui sont appelés à siéger à cette nouvelle commission. Parce que ça, c'est important, le mode de nomination des présidents des nouveaux tribunaux d'appel. Nous sommes en désaccord avec la procédure de sélection. Nous devons insister à nouveau – parce que ça, là, c'est notre grosse bibite avec le projet de loi – le paritarisme au sein de la nouvelle commission, quant à nous, n'est pas véritablement reconnu. Nous faisons des propositions pour en arriver à le reconnaître vraiment.

Finalement – et je termine là-dessus – comme certains de nos partenaires syndicaux sont insatisfaits de la réforme du processus d'évaluation médicale que propose le projet de loi au profit des travailleurs accidentés... Parce qu'on vient bonifier; tout ce qui est là, c'est dans un but de bonifier les demandes syndicales. Maintenant, on nous dit que c'est trop complexe. Mais ce qu'on vous dit, nous, c'est que le processus d'évaluation médicale doit être maintenu, et, si c'est trop complexe, bien, qu'on le maintienne dans sa forme actuelle qui a prouvé que c'était une bonne instance, une instance – d'ailleurs, je le répète, on ne le dira jamais assez – proposée par les syndicats et non pas par le patronat. Nous allons plus loin. Ce n'est pas nous qui sommes en demande dans ce projet de loi là, ce n'est pas nous qui sommes en demande, c'est les syndicats, les représentants de travailleurs accidentés, etc. Nous, on dit: Si ça crée tant de problèmes que ça, bien, essayons administrativement d'améliorer le processus actuel plutôt que de s'embarquer encore dans des choses qu'on recritiquera en commission parlementaire dans trois ans.

Le Président (M. Sirros): M. Dufour, je soupçonne des échanges intéressants. Sans plus tarder, je passerai la parole au ministre pour les premiers échanges.

M. Rioux: D'abord, je suis content que M. Dufour ait souligné que, lorsqu'on parle d'économies qui pourraient être faites, ce n'est pas une demande patronale, c'est une conséquence du projet de loi et c'est une conséquence de l'application de la loi. Alors, ce n'est pas une demande qui a été faite. Il faut dire aussi que, s'il y a des réductions de délai, c'est parce qu'il y a des coûts qui sont rattachés à ça. Les délais considérables, il y a des coûts rattachés à ça. Si les délais sont moins longs... Je pense que ça a été souligné avec beaucoup de justesse.

Moi, j'aimerais demander à M. Dufour... Étant donné que je vois que vous êtes plutôt, en gros, d'accord avec la réforme qui est proposée et que ce n'est pas une demande patronale – vous avez bien pris soin de le préciser – j'aimerais vous demander, à vous ou à un de vos collègues, peu importe: Est-ce que le paritarisme tellement décrié par certains... Le paritarisme décisionnel, pour certains, ça n'a pas la pureté d'un vrai tribunal. Moi, j'aimerais vous entendre épiloguer un peu plus là-dessus. Vous avez cité des exemples d'éminents juristes, de grands professeurs, mais j'aimerais vous entendre sur ce que j'appelle la vraie vie. Vous l'avez évoquée, mais trop brièvement à mon goût. Dans la vraie vie, comment ça se passe? Quand des juristes nous disent qu'on pourrait étoffer davantage les décisions, moi, j'aimerais avoir une version patronale des choses.

(16 h 10)

M. Dufour (Ghislain): Si vous me permettez, M. le Président, juste une petite question de coûts. Je suis content que le ministre réfère à coûts versus délais, parce que c'est évident qu'il y a un objectif là-dedans qui est de réduire les délais. Réduire les délais, c'est évident que tu sauces du côté de l'employeur, du côté du travailleur, mais ce qui est important, puis ça, là, dans le débat, ça ne sort pas, c'est qu'il n'y a rien qui est contre le travailleur là-dedans, il n'y a aucune pénalité. Des fois, dans les propos de M. Gobé tout à l'heure, je n'étais pas sûr que je ne comprenais pas qu'il disait que quelqu'un paierait puis que ce serait le travailleur. D'aucune façon. Le délai est moindre. Alors, le délai étant moindre, au lieu d'attendre 24 mois, là, tu sais, pour avoir une décision puis récupérer le travailleur au travail, ça va peut-être être 15, ça va peut-être être 18. Donc, pour l'entreprise, c'est bien sûr, ça coûte moins cher, mais il n'y a pas de pénalité pour le travailleur là-dedans, là. C'est le fait de réduire les délais qui devient rentable.

Je sais que c'était un point d'interrogation et non pas une affirmation. Mais c'est une question de réduire des structures, la machine bureaucratique, etc., c'est là que l'économie peut se faire, c'est ne pas sur les avantages. On ne travaille pas dans la loi 42, là, pour réduire des avantages, on parle sur les structures, sur le paritarisme. Le paritarisme, au plan du législateur, il a passé la rampe en 1980 lorsque vous avez fait la loi sur la CSST à la demande, à l'époque, des syndicats. Ce n'est pas nous qui avons demandé le paritarisme. Il a passé la rampe en 1985 lors de la loi 42 avec les libéraux, puis en 1992 avec la loi 35. Donc, c'est dans nos moeurs. Pourquoi vous ne l'avez jamais remis en cause, M. le ministre? Parce que ça se vit bien dans le champ. Je vais demander à mon ami Beaulieu de vous dire pourquoi ça se vit bien dans le champ.

Le Président (M. Sirros): M. Beaulieu.

M. Beaulieu (Alexandre): Les propos que nous entendons depuis quelques mois nous amènent à une mise en garde. Il faut faire attention de ne pas s'associer à ceux qui méprisent les représentants de travailleurs puis des employeurs. Parce qu'il y a des gens qui, présentement, dans les bureaux de révision paritaire, font un ouvrage extraordinaire de discussions, d'analyses, d'études, de formation, j'oserais dire même, d'aucuns, avec les formations qu'ils ont, sont peut-être plus avancés dans le domaine médical que certains avocats qui viennent plaider devant nous.

En 1985, on a dit: Ah! Ils vont se battre. Hein? Les représentants des travailleurs puis des employeurs, ils vont se battre. Ce n'est pas ça qui s'est produit. Les gens, dans la majorité des cas, ce sont des gens compétents qui veulent comprendre, qui s'adressent à des syndiqués. 50 % n'en sont pas, des syndiqués, qui comparaissent devant les bureaux de révision, il faudrait tenir compte de ça. Il arrive tout seul avec sa petite affaire, là, puis il dit: Qu'est-ce que je fais avec ça? Il se produit des auditions humaines. Les gens qui sont là les aident à passer à travers le juridique, à travers les questions, et ça amène, à toutes fins, des décisions. Et c'est surprenant, plus de 85 % des décisions – 85 %, 86 %, selon qu'on regarde les statistiques – sont unanimes. C'est important de le dire. D'ailleurs, le ministre du Travail le souligne dans son papier, la loi n° 79 qu'il a publiée puis qui rapporte ça très bien.

Il faut relater que, parmi les décisions des bureaux de révision – puis ça, c'est important que vous teniez compte de ça – 88 % des décisions sont finales d'une façon ou d'une autre. C'est important de le dire, ça. Il y en a qui ont publié des lettres dans les journaux, puis ils ont dit que 38 % des décisions des bureaux de révision étaient renversées, mais je demande à cette commission de lire ça attentivement. Ils ne disent pas que c'est 32 % des décisions qui sont en appel. Puis une belle petite règle de trois: 38 % de 32 %, ça fait 12 %, ça fait 12 % qui sont renversées. Ça, ça a été écrit par Marc Bellemare, lui, là... Mais il ne donnait pas le nombre de décisions qui étaient portées en appel. C'est important qu'on tienne compte de ça. Or, les bureaux de révision doivent certainement rendre des décisions raisonnables puisqu'elles ne sont pas plus contestées ni renversées.

Je reviens au climat qui existe dans les bureaux de révision. C'est surprenant pour d'aucuns, mais c'est vivant. Les gens, en délibéré, prennent attention à ce qui se passe et ça donne généralement des bonnes décisions. Notre moyenne est bonne, aussi bonne que la Cour supérieure, je pense. On y reviendra.

M. Dufour (Ghislain): Je voudrais juste ajouter un mot. Parler longtemps d'expérience, là... Mais il s'agit de rappeler qui est en faveur du paritarisme. Au conseil d'administration de la CSST, ce qui a été en discussion, c'est le BEM, mais, à ce que je sache, la FTQ est favorable au paritarisme, la CSD est favorable au paritarisme, la CEQ est favorable au paritarisme, le syndicat des professionnels est favorable au paritarisme, le CPQ est favorable au paritarisme, l'AMQ, que vous allez voir, est favorable au paritarisme, le Conseil québécois du commerce de détail est favorable au paritarisme. Ça, c'est des groupes qui sont à l'intérieur du système. Il doit bien y en avoir un paquet d'autres qui sont contre, mais ils ne sont pas dedans. Et ça, je pense que vous devez évaluer... Tu ne peux pas faire 10, 12 ou 3, 4, ça dépend des gens qui vivent un système. Dans ce sens-là, je pense que vous devez tenir compte qu'on est dans un contexte de relations de travail et ceux qui vivent les relations de travail, pour l'essentiel, sont favorables au principe du paritarisme.

Le Président (M. Sirros): M. le député de La Peltrie.

M. Côté: Merci, M. le Président. Bonjour, M. le président. Bienvenu à la commission, ainsi que votre groupe. Vous êtes un assidu des commissions parlementaires. Alors, on voit que vous soulevez toujours une attention, je pense, particulière, et c'est toujours très intéressant.

J'aurais deux questions. Ma première, c'est relativement au mode de nomination des membres qui est proposé par le projet de loi et qui donne une garantie que le tribunal sera impartial et indépendant car les membres patronaux et syndicaux prennent part à la décision. Si une modification législative intégrait la proposition du CPQ sur la nomination des membres puis que les membres étaient des assesseurs, est-ce que cette proposition serait, selon vous ou selon le Conseil du patronat, une véritable reconnaissance du paritarisme au sein de la Commission des lésions professionnelles?

M. Dufour (Ghislain): Vous allez au coeur des questions, vous, là. Remarquez bien que, nous, notre insistance à être présents à l'intérieur de la structure, c'est qu'on n'a pas de droit d'appel. Rétablissez-nous le droit d'appel devant la Cour d'appel demain puis on ne plaidera pas le paritarisme de la même façon. Je vous ai fait état tout à l'heure des concessions qui ont été faites de part et d'autre.

Dans le contexte actuel, où il n'y a pas de droit d'appel, on veut être présents. Ça dépend des responsabilités que vous allez donner à ce que vous appelez des assesseurs. Nous, on continuerait de les appeler des membres, des membres à part entière de ce tribunal-là qui participeraient aux délibérés, qui pourraient interroger les témoins, qui pourraient faire une dissidence, un avis qui serait annexé à la décision. Mais, si c'est un drame au Québec de reconnaître le paritarisme et que seul, pour satisfaire le Barreau, c'est le commissaire en chef qui décide, on est ouverts à la discussion, mais à une condition, c'est que ça ne devienne pas juridique à mort et qu'à ce moment-là le corporatisme s'installe à l'intérieur de cette Commission-là. C'est un dossier de relations de travail, et ça, on insiste beaucoup pour le dire. Il y a des discussions possibles autour de votre question qui, dans le fond, est une ouverture au règlement éventuel de ce dossier-là.

(16 h 20)

M. Côté: Alors, merci, M. Dufour. La deuxième question, je la poserais peut-être au Dr Guillemette qui est un spécialiste en santé au travail: En quoi un représentant patronal puis un représentant des travailleurs au niveau de la Commission, de la CLP, peuvent apporter de plus au niveau des arguments qui permettraient de prendre une décision, là, tout ce qui a trait à l'aspect médical? Parce que c'est uniquement du côté médical. Qu'est-ce que ça peut apporter de plus, quelqu'un qui n'a pas une formation médicale qui peut influencer une décision?

M. Guillemette (Michel): L'expérience qu'on a à l'heure actuelle avec les BRP, où ces questions-là, les questions médicales, tombent aussi sous la juridiction du bureau de révision paritaire, démontre qu'en dépit, donc, des origines diverses, multiples ou de la formation, du background, pour être réaliste, académique ou autre des réviseurs l'analyse qu'ils peuvent faire d'une situation ou d'un contexte médical à partir des données qui sont disponibles au dossier est juste. C'est, je pense, avec l'expérience... Surtout que ces questions-là... Parce que ce n'est pas nécessairement des nouvelles lésions qui reviennent, des nouveaux types de lésions. On parle, la plupart du temps, des mêmes types de lésions qui vont intéresser le dos, par exemple, et les articulations.

Ces réviseurs-là vont apporter une touche de gros bon sens par rapport aux exagérations qui pourraient se présenter par le biais, par exemple, d'un rapport fourni tant par le médecin du travailleur, l'expert du travailleur ou l'expert de l'employeur. Je pense qu'ils ont une vision pratique. C'est des gens qui viennent du milieu de travail, qui connaissent bien la dynamique du milieu de travail, des relations de travail et qui sont capables d'apprécier ce qui appartient à la réalité des choses et ce qui relève de l'imagination fertile d'un expert médical – ça peut arriver – ou encore d'un contexte particulier de multiples facettes qui souvent affectent la vie du travailleur et qui se répercutent au niveau de sa lésion ou des conséquences de sa lésion.

Je pense que c'est important d'avoir, donc, des gens qui sont issus du milieu, qui comprennent la dynamique du milieu, qui ont finalement une compréhension globale du vécu du travailleur ou de l'employeur dans le contexte de la loi. Alors, à mon avis, c'est une note extrêmement positive qui fait en sorte que finalement – parce qu'il y a toujours un perdant – même la partie qui perd peut arriver à se rendre aux raisons qui ont été données ou à la justification qui a été donnée dans la décision par rapport à la question qui a été posée au tribunal.

M. Côté: Merci.

M. Dufour (Ghislain): Si vous me permettez, juste un petit ajout, très vite. De toute façon, ces deux représentants-là qui sont dans l'entreprise, qui vivent l'entreprise, ce n'est rien de négatif. Vous aviez l'avocat décideur. Entre vous et moi, l'avocat décideur n'en connaît pas plus.

M. Côté: C'est bien. Merci, M. le Président.

M. Rioux: Les deux questions de mon collègue ont éclairé pas mal le débat et ça a répondu aussi largement à l'interrogation que j'avais au tout départ. Donc, je voudrais dire au président du CPQ qui a soulevé une inquiétude – pas une question, c'était beaucoup plus une inquiétude qu'autre chose – quant aux présidents des bureaux de révision, j'aimerais vous dire qu'ils seront traités de la même façon que les commissaires de la CALP. L'expertise dont vous évoquiez tout à l'heure l'importance est prise en compte et, n'ayez crainte, on va y voir très certainement. On ne laissera pas filer ça.

M. Dufour (Ghislain): En leur nom, je vous remercie.

M. Rioux: Je vous en prie.

Le Président (M. Beaulne): Ça va? Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Oui. Merci, M. le Président. M. Dufour, je tiens à faire remarquer le sérieux de votre mémoire et l'acuité avec laquelle vous présentez votre position, mais je ne pourrais pas aussi vous adresser la parole à cette commission sans peut-être avoir une pensée en disant que c'est peut-être la dernière fois que vous le faites devant une commission parlementaire.

M. Dufour (Ghislain): Non, demain, c'est la sécurité du revenu.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Alors, je tiendrais donc à faire valoir quand même le travail et l'incessante présence que vous avez eue depuis une vingtaine d'années en ce qui concerne les lois et les relations patronales avec les travailleurs et les gouvernements au Québec. Je souhaiterais que cette commission soit pour vous, en fin de carrière comme ça, l'occasion de réflexion et de bonification et qu'elle ne se termine pas sur une note de frustration comme j'ai cru le déceler...

M. Dufour (Ghislain): Je compte sur vous. Je compte sur vous pour bonifier le projet.

M. Gobé: ...au moment de certaines remarques. Je peux vous assurer que, en ce qui me concerne, j'ai le plus grand respect pour le travail que vous avez fait depuis cette vingtaine d'années. Étant là depuis 12 ans moi-même, j'ai été à même... même si on ne partage pas toujours les opinions. Et je pense que c'est ça, une démocratie, qu'un parti politique ne soit pas forcément enligné sur un organisme de groupes d'intérêts, mais à l'occasion qu'il y ait conjoncture, à l'occasion qu'il y ait des divergences. Je pense que c'est comme ça qu'on sert le mieux nos concitoyens.

M. Dufour, ceci étant dit, j'ai relevé deux assertions de votre part. Tout d'abord, vous avez mentionné, en ce qui concernait le paritarisme, vous avez dit: Écoutez, il y a un large consensus sur cette affaire-là. Alors, là, vous avez nommé la FTQ, la CSD, différentes organisations. Moi, j'ai de la difficulté parce que je vois que la CSD, dans son mémoire, n'est pas du tout d'accord avec ce que vous avez nommé et n'appuie pas votre position. Peut-être qu'ils ont évolué dans le temps, depuis la dernière fois que vous avez parlé avec eux, de même que la CEQ. Je mentionnerai aussi la Fédération de l'entreprise indépendante, le Syndicat de la fonction publique, pour ne nommer que ceux-là. Maintenant, Je pourrais aussi nommer le Protecteur du citoyen et le Barreau du Québec.

Alors, comme vous voyez, mon idée n'est pas de confronter, mais cette commission, je l'ai dit dans mon intervention de départ, est l'endroit et le moment pour discuter. Alors, je crois qu'on doit se garder de mettre tout le monde dans le même panier, d'un bord ou de l'autre. Nous devons constater qu'il y a deux écoles de pensée et les deux regroupent des organismes, d'après moi, d'égales valeur et crédibilité. Je pense que, lorsqu'on parle de la FTQ et de la CSN au niveau des travailleurs syndiqués, on parle de poids lourds dans le système, de même que pour la CSD, la CEQ. Et je pense que, lorsqu'on parle de la Fédération de l'entreprise indépendante du Canada...

M. Dufour (Ghislain): Est-ce que je peux, M. le Président, tout de suite rétablir des choses, là?

M. Gobé: Quand j'aurai fini.

M. Dufour (Ghislain): Moi, je n'ai pas parlé du Barreau, je n'ai parlé de la Fédération de l'entreprise indépendante comme groupes qui supportaient le paritarisme. Je veux juste corriger ça. Et, quand j'ai dit que la CEQ et la CSD supportaient, ils ont peut-être changé d'idée, mais, moi, je suis au conseil d'administration de la CSST où ils siègent avec moi et ils ont voté unanimement. Ils ont le droit de changer d'idée, mais, moi, je me référais à quelque chose de très précis.

Le Président (M. Beaulne): Vos propos sont pris en considération, M. le président du Conseil du patronat.

M. Gobé: M. le Président, je ne veux pas faire un débat avec le président du Conseil du patronat. Moi, je me fie aux mémoires que j'ai reçus ici et je dois dire que c'est sur cela que nous devons nous questionner aujourd'hui. Nous avons des mémoires. Les gens ont pris la peine de les écrire. Ils nous mettent leurs positions clairement. Je crois qu'il ne serait pas juste à leur égard de nous baser sur des décisions ou des discussions qu'ils ont pu prendre il y a quelques mois. Je crois que nous devons nous baser sur ce que nous avons entre les mains actuellement.

Pour ce qui est, en effet, du Protecteur du citoyen et du Barreau du Québec, j'ai fait une petite mention en disant: Et je pourrais aussi nommer. D'accord? Je n'ai pas dit que vous les avez nommés. Pour équilibrer un peu l'assertion que vous avez faite à l'effet que l'ensemble des forces vives, semble-t-il, étaient de ce bord-là, je peux vous rétorquer qu'en effet, de l'autre côté, il y a une autre école de pensée. Je ne présume, moi, laquelle qui doit l'emporter, mais je pense que – et je le redis, M. le président du Conseil du patronat – nous sommes ici pour faire ce débat pour faire en sorte que les discussions s'engagent et que les parlementaires puissent faire les recommandations au ministre avant qu'il aille plus loin avec son projet de loi. C'est là le but du travail des députés.

Vous-même, dans un article, vous mentionniez, un peu après la période des fêtes, que vous trouviez que le rôle du député n'était pas assez bien reconnu, qu'on siégeait à des heures indues, ce qui nous empêchait de faire notre travail, des fois, comme vous aimeriez. Je pense que vous devez aujourd'hui être satisfait, parce que vous avez là des députés, en dehors de la session, qui se penchent sur un dossier très important, comme vous l'avez mentionné. Et je crois que ça mérite, à ce moment-là, toute votre attention et aussi votre compréhension si, des fois, on peut apporter des arguments qui ne sont pas forcément la direction que vous semblez aller.

(16 h 30)

Il y a aussi un sondage qui a été fait et qui a paru dans le magazine Les Affaires , le journal Les Affaires , que tout le monde connaît ici, qu'on ne peut pas taxer de magazine subventionné par des groupes populaires, mais c'est plutôt un magazine d'affaires qui fait en général la promotion des entreprises, entreprises privées, qui rapporte des nouvelles à saveur économique, financière au Québec. Ce sondage, qui a été fait par le Groupe AST pour le magazine Les Affaires auprès de 80 entreprises publiques et privées représentatives au Québec et qui a été publié dans son édition du 7 janvier 1995, disait que 96,5 % de ces entreprises qui ont été l'échantillonnage – un peu comme vous, le CPQ, vous faites un échantillonnage, à l'occasion, vous sortez des sondages sur le premier ministre, sur le chef de l'opposition, sur différentes politiques, probablement le même genre d'échantillonnage – s'opposaient à la composition paritaire du nouveau mécanisme d'appel proposé.

Bon, alors, on se rend compte que, là aussi, au niveau du terrain, parmi les entreprises, il y a des gens qui se posent des questions, qui disent: Moi, là, un instant, je m'oppose à ça ou je ne suis pas forcément en accord. Alors, je comprends mal votre assertion à l'effet que l'ensemble du consensus serait vers le paritarisme et que ça serait la solution à tous nos maux, d'autant plus que l'Ontario – et on sait qu'on aime ça, se référer à l'Ontario – vient de nommer une nouvelle commission un peu semblable à la nôtre dans laquelle le paritarisme n'est pas là.

M. Dufour (Ghislain): M. le Président...

M. Gobé: Moi, la question, M. le président du Conseil du patronat, c'est...

M. Dufour (Ghislain): Je ne voudrais pas, quand même, qu'on me fasse dire des choses que je n'ai pas dites. J'ai référé à quatre syndicats, CSD, FTQ, CEQ, syndicat des professionnels, qui, à l'époque – on rencontre ces gens-là, CSD, FTQ, CEQ – étaient au conseil d'administration de la CSST – je peux prendre à témoin le président de la CSST qui est là – qui ont voté en faveur du paritarisme. Qu'ils aient changé d'idée, je le respecte, mais, je veux dire, ça, c'est dans leur mémoire, ils ne nous ont pas prévenu de ça. Mais, si c'est ça, un conseil d'administration, puis que les gens peuvent changer d'idée comme ils changent de chemise, bien, là ils vont devoir nous prévenir dorénavant, parce que ce n'est plus vrai qu'on va faire des «deals» avec eux autres. Nous autres, on a laissé tomber la Commission d'appel parce qu'on avait des ententes de ce genre-là. Nous, en relations de travail, nous autres, là, on respecte nos «deals».

Mais, si vous allez dans les interrogations, on va y aller. Moi aussi, je suis comparu devant la commission parlementaire permanente sur le Tribunal administratif le 8 février 1996. Ce n'est pas vous qui étiez là, c'était M. Mulcair qui interrogeait M. Laviolette de la CSN. Puis là M. Mulcair – si vous voulez, je vais vous le dire – se prononce carrément en faveur du paritarisme. Lui, il n'hésite pas comme vous, là, il se prononce parce qu'il dit: Moi, je ne peux pas comprendre, moi, là, ce que tu viens de dire là. Le paritarisme permet qu'un point de vue ouvrier, si l'on peut dire, syndical soit présent, soit représenté, soit manifesté, soit exprimé. Donc, je m'étonne de voir qu'une centrale syndicale comme la CSN, aussi expérimentée que vous êtes, vienne nous dire que vous ne voulez pas être représentés.

Bon, alors, si on se met à faire des interrogations comme ça, on peut continuer longtemps, mais, de façon générale, ce que, nous, on représente au CPQ, nous sommes favorables au paritarisme. Une fois qu'on a dit ça, on «peut-y» passer à autre chose?

M. Gobé: Bien, M. le Président, ça nous démontre certainement qu'il y a là un problème, parce qu'on retrouve des gens de différentes visions, différentes opportunités pour la manière de gérer cette affaire-là et d'où l'importance de cette commission parlementaire, je le répète. M. le président du Conseil du patronat, vous avez dit que, si on ne s'entendait pas, si les gens ne s'entendaient pas, vous préféreriez le statu quo. Ça veut dire qu'on conserverait la CALP, telle qu'elle est actuellement, judiciaire, et qu'on oublierait cette commission d'appel paritaire.

M. Dufour (Ghislain): Bien oui.

M. Gobé: C'est cela.

M. Dufour (Ghislain): Non, notre position est très claire, hein, puis ce n'est pas quelque chose qu'on apprend. Je répète que, nous, on n'est pas en demande, puis je vous l'ai exprimé personnellement.

M. Gobé: Alors, est-ce que je dois en conclure...

M. Dufour (Ghislain): Non, mais regarde, là, on est d'accord pour faire la démarche, mais on n'est pas en demande, nous autres, là-dessus. On a concédé beaucoup de choses, dont le droit d'appel, par rapport à la commission Durand. Nous autres, on n'est pas malheureux dans le régime actuel, le BEM est efficace, les BRP sont efficaces. Si ça crée – moi, je trouve vos questions tout à fait pertinentes, vous en posez toute une série – tellement de problèmes que le monde va être malheureux, bien, on vous le dit clairement, nous autres, on n'est pas en demande, le statu quo, on va vivre avec. Il y a des façons de bonifier le statu quo et au BEM, et aux BRP, et à la CALP et de bonifier tout ça.

M. Gobé: Alors, c'était un peu ce que je voulais entendre de vous, c'est que le paritarisme n'est pas la solution magique à la situation problématique actuellement. Vous dites que ça peut être une des voies qu'on vous a demandé d'accepter, vous la voyez comme ça, mais ce n'est pas forcément pour vous, là, la nouvelle orientation que devrait prendre la CSST.

M. Dufour (Ghislain): Non, mais il existe, le paritarisme, aujourd'hui, là. Il existe.

M. Gobé: Mais pas dans la nouvelle... pas tel que le projet de loi le propose.

M. Dufour (Ghislain): Bien, oui, mais là c'était un droit d'appel. Il y a deux structures: il y a une décision puis un droit d'appel. Là, on n'en a plus, de droit d'appel, il n'y a qu'une instance. On l'a, là, le paritarisme.

M. Gobé: Est-ce que vous êtes conscient que les BRP actuellement traitent 20 000 dossiers par année, puis la CALP, 8 000? Est-ce que vous ne pensez pas que le regroupement de ces 28 000 dossiers arriverait devant ce nouvel organisme... que le traitement de ces dossiers par le nouvel organisme entraînerait des sommes beaucoup plus importantes, mais aussi des délais beaucoup plus longs, car comment traiter plus rapidement 28 000 dossiers en une seule commission, alors que, déjà, pour en traiter 8 000 par année, la CALP prenait 17, 18, 19 mois? Est-ce que vous pensez qu'il y a là occasion de réduire les délais, et comment?

M. Dufour (Ghislain): M. Beaulieu.

M. Gobé: Faire plus avec moins.

M. Beaulieu (Alexandre): Moi, je voudrais vous... Tantôt, M. Gobé, là, vous nous avez dit que – je vais attendre qu'il écoute, là – vous receviez des mémoires, que vous analysiez des statistiques, mais il faut aussi que... Ça apparaissait comme nouveau, nouvelle position. Mais ça ne vous empêche pas d'examiner les gènes des parties, là. Tu sais, si c'est le Barreau, vous devez vous attendre à ce que ce ne soit rien que le Barreau qui doive décider au Québec – ça, si vous avez oublié ça, vous n'êtes pas dans la bonne «track» – puis qu'ils fassent le nécessaire, puis toutes les manoeuvres possibles, puis vendre ça à gauche puis à droite pour dire que le paritarisme, ce n'est pas bon si ce n'est pas eux autres qui décident. On met en cause bien des tribunaux administratifs. Ce que je veux dire, là, avant de revenir à votre deuxième question, vous n'êtes pas capable d'oublier les gènes des personnes. Il faut que vous en teniez compte quand vous examinez les choses qui sont déposées.

Deuxièmement, vous parliez des coûts. C'est ça, votre question, vous parliez des coûts?

M. Gobé: Du nombre de... La CALP actuellement traite 8 000 dossiers par année.

M. Beaulieu (Alexandre): O.K. Ça va.

M. Gobé: Le BRP, 20 000. Vingt-huit mille dossiers seraient sous la nouvelle organisation.

M. Beaulieu (Alexandre): Non, mais on va s'en tenir au domaine des décisions...

M. Gobé: Comment on accélère le...

M. Beaulieu (Alexandre): ...c'est bien plus simple que de penser le paquet de dossiers qui rentrent puis ceux qui se désistent. Vous n'allez arriver nulle part. On va parler des décisions qu'il se rend. Il se rend 21 000 décisions au BRP, 21 000 et quelques cents. On va faire une règle de trois pour ne pas que ça se trompe.

M. Gobé: J'ai dit 20 000, moi.

M. Beaulieu (Alexandre): Pas besoin de petite machine pour calculer. À la CALP, il en sort 7 000. C'est un peu moins de 7 000, mais on va dire 7 000.

M. Gobé: Vingt-huit mille.

M. Beaulieu (Alexandre): Alors, ça veut dire... Non, ce n'est pas 28 000, parce que, quand vous entendez des causes au BRP, si vous transférez ça à la CALP, c'est les mêmes causes. Il ne faut pas que vous oubliiez ça, là. Il n'y a pas un ajout avec la CALP puis le BRP. La CALP va ramasser des causes qui viennent en appel des BRP. Je ne sais pas si on se comprend là-dessus, là?

M. Gobé: Oui.

M. Beaulieu (Alexandre): Hein? Ça ne s'additionne pas, ces chiffres-là. Évidemment, dans 21 000 causes – j'essaie de lui expliquer; il ne m'écoute pas... Ce que j'essaie de dire, c'est que, quand la CALP entend 7 000 causes, on prend, là, avec 50 personnes, ils sont 50 commissaires, à peu près, et le BRP, pour entendre 21 000 causes, ils sont 85. Si on fait une règle de trois, on va dire que ça va prendre 150 commissaires, puis 50 commissaires, puis 85 BRP. Il vous en manque 15. C'est un raisonnement.

Seulement, si vous êtes capable d'amener cette nouvelle CLP à la production que le BRP a présentement, là, c'est sûr que vous allez avoir un meilleur rendement. C'est clair. Au lieu d'avoir des décisions de 44 pages, 45 pages, 50 pages ou 365 pages, et ce n'est pas ça que le travailleur demande, si vous avez sept, huit pages pour rendre une décision, c'est ça qu'ils veulent. Alors, c'est pour ça qu'à la CALP il y a à peu près 150 personnels de soutien pour 7 000 causes, puis au BRP, t'en as 114. Bon, mais ça, ça veut dire que, quand il y a aura une fusion, il y a un rythme qu'il va falloir qu'il se prenne, et ça, ça va dépendre de l'administrateur qui va être là, qui va être capable de faire marcher ça.

Oui, il y a des économies si on fait attention et si on ramène ça... qu'on ne se prend pas tous pour des juges de la Cour suprême, là, hein, qu'on se prend pour un tribunal administratif, aidés en ça par le paritarisme qui va arrêter qu'on se prenne pour la Cour suprême, puis on va être capables de sauver de l'argent, c'est sûr. Puis, en plus de ça, il va y avoir une rapidité dans les décisions ou, n'ayant pas de deuxième palier, on va sauver énormément d'argent parce que ça va être plus rapide, les décisions.

(16 h 40)

M. Dufour (Ghislain): M. Gobé, juste une petite réponse du Dr Guillemette.

M. Guillemette (Michel): Oui, rapidement, tout simplement pour dire que le projet de loi comprend aussi des modifications au niveau du processus d'évaluation médicale, aux premières étapes, en tout cas, qui favorisent l'échange d'information entre le médecin traitant du travailleur et le médecin désigné par l'employeur ou éventuellement celui de la Commission, de sorte que l'idée générale qui sous-tend ce changement-là, je pense, c'est d'essayer d'arriver à un consensus là-dessus pour écarter le plus possible des questions médicales du processus de règlement du litige, et ça devrait conduire à une diminution des demandes d'appel sur ces questions-là, en tout cas, un certain pourcentage, certainement.

Le Président (M. Sirros): M. le député de Bourassa.

M. Charbonneau (Bourassa): Oui, M. le président, je voudrais, dans les deux, trois minutes qui nous restent, demander votre réaction aux propos de ceux qui s'interrogent sur ce projet de loi là ou même qui s'y opposent en raison de ce qu'ils appellent l'indépendance assurée, là, des tribunaux et la protection des droits individuels.

J'ai devant moi, ici, un article de Claude Masse, bâtonnier du Québec, qui dit, en vertu de la théorie des gènes, : «Il n'est pas déraisonnable de considérer que les décisions rendues par un tribunal dont plusieurs membres seraient obligatoirement issus d'associations syndicales ou patronales risquent d'être influencées par les organismes auxquels ces membres appartiennent.» On reconnaît la théorie des gènes, là. «Nous sommes d'avis que cette situation est incompatible avec les principes d'une saine justice administrative. Ils disent: La négociation patronale-syndicale constitue une activité liée naturellement au monde des relations de travail. Or, le processus d'adjudication quasi judiciaire n'a rien à voir avec la négociation. Les membres d'un tribunal doivent juger chaque cas à son mérite sans tenir compte de considérations étrangères.»

Et je voyais aussi un éditorial de M. Michel Venne, dans Le Devoir , où il a assez de sympathie pour le projet de loi, mais tout de même, il dit: «La perception dans ces matières est aussi importante que la réalité. Un citoyen aux prises avec la CSST aspirera toujours à un droit d'appel, à une instance externe dont l'indépendance sera indéniable.»

J'ai vu votre argument. Vous invoquez un jugement d'une cour, de la Cour suprême, pour fonder le paritarisme, mais c'est paradoxal, puisqu'il s'agit d'un argument provenant d'une cour, la Cour suprême. Comment passez-vous à travers cet argument? Comment en disposez-vous véritablement? Il y a quand même des sommes importantes de rémunération, des montants importants de rémunération. On parle de 4 000 000 $, je crois, 2 000 000 $, 2 000 000 $, pour tout l'ensemble de cet appareil-là. Comment répondez-vous vraiment sur le fond, au-delà de l'argument d'autorité de la Cour suprême, là?

M. Dufour (Ghislain): Comme je l'ai mentionné tout à l'heure lorsque la question a été posée sur le dossier assesseur, là, on sent qu'on est dans le coeur du débat. Je vais d'abord demander à un juriste de faire un premier élément de réponse, puis, après ça, je répondrai comme quelqu'un de relations de travail.

M. Cliche (Bernard): Oui, bien, brièvement, le Conseil du patronat, on était venu ici, devant la commission parlementaire sur la justice administrative, approuver les modalités de la nomination et de sélection de renouvellement des membres. Le projet de loi reprend, aux articles 385 et suivants, là, un peu la même chose pour ce qui est des présidents. Maintenant, pour ce qui est du paritarisme, on a cité une cause ici, vous y avez référé tout à l'heure. Il peut y en avoir d'autres. Mais, de façon générale, à ma connaissance, il n'y a pas de décision d'un tribunal supérieur, là, qui va annuler, sur le principe du paritarisme, un tribunal en disant qu'il ne sera pas indépendant. Au contraire, c'est sûr qu'il peut être indépendant, mais les parties vont y refléter leurs problèmes. C'est ce qui fait peut-être la substance de ces tribunaux-là, le paritarisme. Pour répondre à votre question, je ne pense pas que ça batte en brèche, en principe, son indépendance ou son impartialité.

M. Dufour (Ghislain): Moi, je dois vous dire, M. Charbonneau, que, si j'étais le président du Barreau, j'écrirais probablement le même article. Qu'est-ce que vous voulez? Moi, je me situerais dans une corporation, puis je souhaiterais que les avocats aient juridiction exclusive, je défendrais mes membres. Puis M. Massé les défend bien.

Mais, au-delà de ça, je trouvais intéressante la question de tout à l'heure. C'est la solution, entre guillemets, puis c'est le débat que vous allez devoir faire comme législateurs. Il n'y a personne d'entre nous qui veut que, demain ou après-demain, une décision rendue soit contestée parce qu'on dirait que ça n'a pas été en toute indépendance judiciaire, etc. Vous allez voir d'autres mémoires qui commencent à aborder... Parce que tout le monde est d'accord dans le paritarisme, avec mon groupe, là, mais on se dit: On n'est pas pour se faire débouter demain. Alors, on veut une présence. Je pense que vous allez être d'accord avec moi, M. Charbonneau, compte tenu de vos antécédents, avec une présence syndicale à l'intérieur d'une structure comme celle-là.

Bon. Une fois qu'on a dit ça, si vous participez au délibéré, vous avez le droit d'interroger les témoins, si vous participez à la décision, vous avez le droit de mettre au dossier que vous n'êtes pas d'accord pour des raisons x, y, z dont je ne me servirai pas, de toute façon, parce que je n'ai pas le droit d'appel. Mais actuellement je la veux, la dissidence du «p» au niveau patronal ou syndical, parce que c'est mon appel, ça, à la CALP. Dorénavant, je n'ai plus d'appel. Mais ne serait-ce que pour rendre le commissaire président meilleur en disant: Il est toujours tout croche, voici les avis qui sont donnés, là, par les parties patronale et syndicale, ça peut aider drôlement à bonifier le régime. Et, dans ce sens-là, nous autres, s'il a une participation vraie, si le droit québécois imbattable est qu'il ne doit y avoir qu'une seule signature, on est prêts à regarder ça.

Le Président (M. Sirros): Merci. Il reste trois minutes dans l'enveloppe du côté ministériel, au total. Alors, M. le ministre.

M. Rioux: Ce qui est intéressant dans le débat, c'est de constater qu'il y a des représentants patronaux et syndicaux. Ce qu'ils veulent, eux autres, c'est d'apprécier la preuve, au fond. Il n'est pas utile d'être avocat pour apprécier ça. Ce qu'ils veulent, c'est d'apprécier la preuve. Ça fait évoluer le droit, ça, et ce qui est intéressant, c'est que, dans un sens, ça le fait évoluer à la faveur des travailleurs. Je trouve merveilleux qu'un organisme patronal supporte ça. Ce n'est pas rien. Ce n'est pas fréquent non plus. Mais il faut dire que le paritarisme québécois, il est unique, il est exceptionnel. C'est pour ça que je trouve intéressant que le CPQ et la FTQ, notamment, s'entendent pour humaniser le régime. Ce n'est pas des considérations financières qui ont prévalu au départ. Ils ont dit: Il faut humaniser le régime. Il faut en arriver à régler le problème d'un travailleur avant trois ans ou trois ans et demi, mais idéalement ça devrait prendre six mois ou un an. Je pense qu'on ne peut pas réduire les coûts sans toucher à cet aspect-là de la question qui est importante, qui est délicate.

Moi, ce que je trouve intéressant aussi de dire à ce moment-ci, c'est que réduire les coûts, c'est une chose, mais on ne touche pas aux bénéfices des travailleurs; il n'y a rien dans le projet de loi qui l'indique. C'est une réforme de structures. Comme représentant du gouvernement, moi, il faut que j'essaie aussi de protéger le régime, protéger l'intégrité du régime. Comme ancien de la CEQ, je serais étonné que la CEQ s'oppose au paritarisme. Je pense que le député de Bourassa va certainement adhérer aussi à ça. Je voudrais vous rappeler, en reprenant le mémoire du Conseil du patronat, que le juge Cory, qui n'est pas un enfant d'école, juge de la Cour suprême, se prononce de façon claire, nette en faveur du paritarisme. Alors, on est en bonne compagnie. Se promener dans la vie avec, je dirais, M. Ouellet d'un bord et le juge Cory de l'autre, c'est, comme catholique, se promener avec deux encycliques, tu sais. C'est confortable.

Le Président (M. Sirros): Alors, avec ce commentaire, notre temps étant écoulé pour cette partie de la présentation...

M. Dufour (Ghislain): Alors, merci, M. le Président. Si vous voulez éventuellement nous réentendre, nous serons toujours disponibles.

Le Président (M. Sirros): Merci.

M. Rioux: Merci.

(16 h 50)

Le Président (M. Sirros): Et j'aimerais inviter le prochain groupe à se préparer à venir à la table, c'est-à-dire la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

(Consultation)

Le Président (M. Sirros): Sans vouloir bousculer personne, j'aimerais tout simplement vous indiquer qu'on est un peu coincés dans le temps. Alors, s'il vous plaît, est-ce que je peux demander aux membres de reprendre place? Je peux le demander, si personne ne m'écoute... Alors, merci.

Alors, j'invite de nouveau la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante à prendre place, s'il vous plaît. Alors, je pense qu'il s'agit de Mme Christine Kark.


Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI)

Mme Kark (Christine): Bonjour, M. le Président.

Le Président (M. Sirros): Merci, et si vous voulez aussi identifier votre coéquipier.

Mme Kark (Christine): M. Philippe Arnau, économiste.

Le Président (M. Sirros): Alors, on vous rappelle que vous avez 20 minutes de présentation, avec une période d'échanges de 40 minutes, par la suite. Alors, on vous écoute.

Mme Kark (Christine): Merci.

M. Arnau (Philippe): Bonjour, M. le Président, M. le ministre. Je m'appelle Philippe Arnau, Mme Kark est avec moi aujourd'hui. La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante est heureuse d'avoir aujourd'hui l'opportunité de vous présenter son point de vue sur le projet de loi n° 79. Comme vous le savez, la Fédération représente 17 000 entreprises au Québec, des PME surtout, d'assez petites entreprises dont le point de vue est souvent, enfin moins bien représenté, et puis 17 000 entreprises, c'est aussi 200 000 travailleurs au Québec. Donc, c'est un projet qui nous touche de très, très près. La Fédération, comme vous le savez, a deux mandats: d'une part, promouvoir l'intérêt et défendre les intérêts des PME, mais on essaie aussi de procurer des économies d'échelle à nos membres en les aidant à administrer la réglementation gouvernementale. Et c'est dans ce cadre-là qu'on administre, à la Fédération, plusieurs centaines de dossiers de CSST. C'est donc pour ça qu'on vous présente notre point de vue aujourd'hui, c'est un point de vue qui est très près des entreprises et de leurs préoccupations.

Alors, premièrement, je voudrais dire qu'on endosse les objectifs généraux de la loi instituant la Commission des lésions professionnelles, ces objectifs-là étant, selon nous, de simplifier et de rationaliser le processus de contestation, de réduire les délais afin de diminuer les coûts de la Commission. Il ne faut pas oublier qu'on est très intéressés par tout ça parce que ce sont les employeurs qui défraient ces coûts-là, comme vous le savez.

Alors, il y a deux points de vue qu'on va ici partager avec vous, qui sont des points de vue très précis, en fait, c'est ceux qui sont l'objet du débat. Alors, d'une part, selon nous, le paritarisme ne devrait pas constituer un tribunal de dernière instance. C'est un point sur lequel on a une position très ferme et un mandat très ferme de nos membres. Et le deuxième point, c'est que la révision du processus d'évaluation médicale tel que proposé dans la réforme ici nous semble aller contre les amendements de 1992 et, d'un certain point de vue, diminuer la capacité de la CSST à contrôler ses coûts, et ça, c'est aussi quelque chose qui nous préoccupe.

Alors, je vais demander à Mme Kark d'élaborer sur tout ça.

Le Président (M. Sirros): Mme Kark.

Mme Kark (Christine): Oui, M. le Président. Premièrement, pour commencer, je vais vous dire que, depuis quelques années, les préoccupations des employeurs en rapport avec les accidents du travail augmentent constamment. Et pour cause, les prestations qui ont été versées par la CSST relativement aux lésions professionnelles ont atteint près de 1 183 000 000 $ en 1995. Il est donc important de reconnaître que les entreprises québécoises jouent un rôle très important dans le processus d'indemnisation et de contrôle des accidents de travail, d'autant plus qu'elles financent seules, sous forme de cotisation annuelle, le régime.

En 1995, les cotisations des employeurs s'élevaient à 1 765 000 000 $. En comparaison avec les années antérieures, nous constatons donc une augmentation des cotisations de près de 87 % en 10 ans malgré le fait que le nombre d'accidents au Québec a diminué de 34 % durant cette même période. En contrepartie, la gravité et la durée des accidents sont constamment à la hausse. La durée moyenne d'indemnisation est passée de 28 jours en 1988 à 36 jours en 1995. Selon nous, il est important de reconnaître, de ne pas laisser de côté l'implication des employeurs, qui devient le facteur clé d'une saine gestion des programmes d'indemnisation.

Du côté des petites et moyennes entreprises, tout le monde sait qu'elles n'ont pas les mêmes ressources financières que les grandes entreprises. Elles n'ignorent pas que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles leur confère le droit d'en appeler des décisions rendues par la CSST. Néanmoins, elles ont l'impression d'être confrontées à une bureaucratie d'une telle envergure qu'elles estiment inutile de s'opposer aux décisions rendues. Alors, dans ce sens, nous appuyons la réforme qui vise à simplifier, à réduire les délais et à rationaliser.

Alors, depuis quelques années, ce qui a été confirmé par les données statistiques de la CSST, les demandes de révision proviennent des travailleurs dans une proportion de 71 % comparativement à 28 % des employeurs. Depuis quelques années, nous constatons une progression constante du nombre des dossiers présentés en révision et en appel. Ce phénomène a contribué à l'engorgement des instances administratives telles que les bureaux de révision paritaire et la Commission d'appel. La FCEI appuie la recommandation du gouvernement qui consiste à éliminer une instance d'appel au processus de révision des décisions de la CSST, car nous croyons qu'il est grand temps de simplifier et d'alléger les structures actuelles.

M. le Président, concernant le projet de loi n° 79 qui prévoit modifier la procédure d'évaluation médicale, on a certains commentaires, certaines inquiétudes de la part des PME. À l'heure actuelle, la loi prévoit que la CSST ou que l'employeur puisse exiger du travailleur qu'il se soumette à une deuxième expertise médicale avant de rendre une décision sur l'admissibilité d'une réclamation. Cette vérification des opinions médicales a été instaurée afin de mieux contrôler la nature et la durée des lésions, un mécanisme qui est devenu nécessaire au fil des ans lorsqu'on constate que la durée moyenne augmente, de 28 jours en 1988 à 36 jours en 1995.

Comme vous le savez, dans la majorité des cas, la CSST accepte les demandes d'indemnisation sur la foi du premier avis médical. Par contre, il est parfois nécessaire que la CSST obtienne plus d'informations médicales avant de rendre une décision. Dorénavant, la CSST s'est vu accorder, en 1992, le pouvoir d'exiger du travailleur accidenté de se soumettre à une deuxième expertise médicale, cette fois-ci chez le médecin nommé par la CSST.

Le projet de loi prévoit que la CSST qui voudra faire examiner un travailleur devra s'adresser à un des trois professionnels désignés par le médecin traitant. Ce n'est que lorsque le médecin du travailleur et ce professionnel désigné n'auront pu conclure un accord dans un délai de 30 jours que la CSST va pouvoir s'adresser au Bureau d'évaluation médicale. D'une part, la FCEI reconnaît la prépondérance du médecin traitant lors de la survenance d'une lésion professionnelle. Par contre, il est nécessaire que la CSST conserve sa liberté de choisir un professionnel de la santé et elle ne doit pas se faire imposer des contraintes, car elle croit opportun d'avoir recours à une deuxième expertise médicale, finalement. Selon nous, l'implication du médecin traitant dans ce processus ne devrait pas trouver son application.

Le projet de loi prévoit que l'employeur qui désire faire examiner le travailleur par un professionnel de la santé peut le faire en désignant un médecin de son choix. Mais, comme vous le savez, nous avons confié à la CSST le mandat d'assumer une saine gestion du programme d'indemnisation. Selon nous, elle joue un rôle de premier plan dans le processus et il est essentiel qu'elle conserve son droit de choisir un médecin, parce que les PME n'ont pas toujours les mêmes ressources. Alors, c'est l'employeur qui va devoir débourser pour l'expertise médicale et le gestionnaire d'entreprise n'a pas toujours les ressources pour s'occuper bien de la gestion de ses dossiers de CSST. Dans ce sens, on veut s'assurer que la CSST exerce un certain contrôle de ce côté-là.

En ce qui concerne la création, l'aspect, le volet de la réforme qui vise la création d'une nouvelle commission qui serait, elle, paritaire, pour parler un peu du concept de paritarisme, qui prévoit la participation des gens des milieux patronal et syndical à la prise des décision, pour nous, ce qui est important, c'est qu'il faut rappeler que ces décisions de la nouvelle commission, elles seront finales et sans appel. Alors, ce seront des décisions de dernière instance.

Afin de mieux comprendre l'expérience des PME avec les mécanismes de contestation de la CSST, nous avons effectué un sondage auprès de 400 entreprises en 1995. À la question «Êtes-vous en faveur d'une commission d'appel paritaire?», les propriétaires des PME interrogés ont répondu non à 96 %. Et les raisons invoquées pour s'opposer au paritarisme ont été principalement une plus grande impartialité, le désir d'avoir des commissaires nommés pour leur compétence et une réduction des coûts du système quasi judiciaire. Il nous paraît donc évident que les PME n'appuient pas le paritarisme à l'intérieur de la structure des tribunaux administratifs.

(17 heures)

Les préoccupations des PME au sujet de l'impartialité des décideurs se trouvent dans la Charte des droits et libertés, qui garantit certains droits et impose notamment aux tribunaux et aux organismes qui exercent des fonctions quasi judiciaires le devoir d'entendre les parties publiquement, et ce, de façon impartiale, avant de rendre une décision.

Le rapport du réputé professeur Patrice Garant, intitulé «Une justice administrative pour le citoyen», mettait de l'avant 42 recommandations pour réformer la justice administrative. L'une d'elles est justement d'éviter le paritarisme au sein des tribunaux administratifs. Ce rapport fait référence au principe d'impartialité des décideurs de la façon suivante, et je cite: «L'impartialité d'un décideur est évaluée selon la perception à laquelle en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique.»

Il va sans dire que la provenance des décideurs, que ce soit du milieu patronal ou syndical, crée, à ce moment-là, des situations personnelles de conflits d'intérêts. Il en résultera donc des manifestations de partialité. L'introduction du paritarisme au sein de ce tribunal administratif est de nature à compromettre l'impartialité de la justice, selon nos membres. Une réflexion s'impose par rapport à l'indépendance des membres de la nouvelle Commission. Le projet de loi prévoit que le gouvernement déterminera la durée des mandats par règlement. Ensuite, le gouvernement se réserve un pouvoir de destitution selon lequel il pourra démettre un membre de ses fonctions.

À l'égard de l'indépendance judiciaire, le juge Le Dain, dans un arrêt de la Cour suprême, dans l'arrêt Valente contre la reine, nous énonce les conditions essentielles. Ce sont l'inamovibilité des décideurs et les mandats pour une durée déterminée pourvu que l'essence de l'inamovibilité est respectée, c'est-à-dire que la charge soit à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable des nominations. Ensuite, il faut d'abord considérer que l'inamovibilité a généralement été acceptée comme l'essentiel du principe de l'indépendance judiciaire.

En résumé, la FCEI craint que le pouvoir de destitution créera une dépendance et fera en sorte que les membres seront surveillés, ce qui leur impose des limites dans l'exercice de leurs fonctions. J'ai terminé. Merci.

M. Arnau (Philippe): D'accord. En conclusion, je voudrais juste rappeler brièvement, donc, que 96 % de nos membres sont contre le paritarisme, pour les raisons qui ont été expliquées. Selon nous, le paritarisme ne peut pas être une dernière instance parce qu'il ne répond pas aux critères nécessaires. Comme un membre de l'opposition l'a rappelé tout à l'heure, le bâtonnier du Québec nous rappelait que l'impartialité des décideurs exige que ceux-ci n'obéissent à aucune considération extérieure. Pourtant, le paritarisme, lui, ayant des représentants patronaux et syndicaux, instaure nécessairement un climat de négociation qui ne garantit pas nécessairement les droits des travailleurs. Et, selon nous, M. le Président, l'application de la loi ne devrait pas se négocier, elle devrait être appliquée objectivement. D'autre part, l'inamovibilité des décideurs n'est pas, non plus, garantie par la proposition actuelle.

Un troisième point qui est relié à tout ça, c'est que le rapport «La déjudiciarisation du régime québécois de santé et de sécurité du travail», juin 1994, prévoyait une instance d'appel. Et, donc, là, on se trouve dans une drôle de situation parce que, si l'instance d'appel est abolie et les comités sont paritaires, les décisions de la commission ne garantissent pas les droits des travailleurs et des employeurs. Si, pourtant, l'appel est maintenu, ce qui n'est pourtant pas le cas dans la réforme, et disons qu'on décidait de donner aux gens l'appel auquel, selon nous, ils ont droit, à ce moment-là, il n'y a pas de simplification réelle du processus. C'est donc face à ce dilemme-là que nous proposons plutôt qu'une seule instance non paritaire soit maintenue, que des commissaires soient nommés pour une période fixe. Puis, s'il apparaît désirable que ces commissaires aient une expertise du monde patronal et syndical, il serait possible qu'ils puissent consulter un comité d'assesseurs qui, à ce moment-là, serait constitué de membres, de représentants patronaux et syndicaux.

Pour ce qui est de l'évaluation médicale, en fait, nous, on est pour le statu quo. On aimerait que la CSST conserve le droit de nommer un médecin pour la seconde opinion. Selon nous, ça a un impact important sur la capacité de la CSST à contrôler ses coûts via la durée de l'indemnisation moyenne. En 1991-1992, quand cet amendement-là a été passé, il y a eu une réduction importante de la durée de l'indemnisation moyenne. Je sais que ces corrélations-là ne sont pas toujours des causes directes, mais on note quand même que la durée moyenne d'indemnisation réduit, en 1991, de 39 jours à 33, en 1992. Alors, selon nous, c'est un impact important. Si le droit est retiré, on risque de se retrouver dans cette situation-là.

D'autre part, nos membres sont de très petites entreprises et, donc, si ce droit-là est retiré à la CSST, il y a seulement l'employeur qui peut faire la demande d'une seconde opinion qu'il faut qualifier d'entièrement objective et donc vraiment de l'extérieur. Et les PME ne le feront pas, elles n'ont pas les moyens financiers et elles n'ont pas toujours les ressources en personnel pour vraiment bien suivre un dossier. C'est la CSST qui a le mandat de bien gérer ces fonds et, selon nous, il faut lui donner toute l'autorité requise pour le faire comme il se doit.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. Arnau. On passera aux périodes d'échange de 20 minutes du côté ministériel et de 20 minutes du côté de l'opposition. M. le ministre.

M. Rioux: Oui, M. le Président. J'écoutais attentivement l'intervenante, tout à l'heure, qui parlait des délais au Bureau de révision paritaire et des délais au BEM. Les délais sont passés de plus d'un an à huit mois, maintenant; c'est donc une amélioration très nette du fonctionnement du Bureau de révision paritaire. Et quant aux délais au BEM, ils sont de moins de 20 jours. En tout cas, il y a peut-être une nuance... Mais ce qui m'étonne le plus dans les propos de monsieur, c'est lorsqu'il dit: Il y a 86 % des décisions au Bureau de révision paritaire qui sont unanimes. Ça, c'est un organisme paritaire. Et j'espère avoir mal compris, mais vous dites que, si nous avons un tribunal paritaire, on risque d'avoir des négociations entre les représentants syndicaux et patronaux dans le dossier. C'est grave, ce que vous dites là parce que ça pourrait laisser entendre dans l'opinion publique que, les décisions qui sont prises... les syndicats laisseraient tomber les travailleurs – j'aimerais que vous m'expliquiez ça un peu – ...ou les patrons.

M. Arnau (Philippe): Tout ce qu'on avance ici, c'est qu'en effet les décisions sont prises à 85 % à l'unanimité, ce qui est très, très bien. Mais malheureusement nos membres sont hautement insatisfaits de ces décisions-là. Donc, selon nous, le paritarisme n'ajoute pas à la défense de leurs droits. Et c'est jusque-là que je vais et pas plus loin.

D'autre part, au sujet des délais que vous avez mentionnés au BRP, qui sont de huit mois, et à la CALP, de 24 mois, je crois qu'il faut noter que ce n'est peut-être pas le paritarisme qui donne au BRP ces délais plus courts, mais tout simplement le fait que les dossiers qui vont en première instance sont plus simples et ceux qui se rendent à la deuxième plus complexes. Et, donc, ce n'est pas le paritarisme – bien, le paritarisme jusqu'à un certain point, il n'y a pas de doute – comme tel qui produit le raccourcissement des délais, c'est le fait qu'une deuxième instance a des dossiers plus complexes qui sont plus longs à traiter. Donc, si on les donnait tous à la même instance, le délai moyen serait sûrement quelque part entre les deux. Je voulais juste revenir là-dessus un instant.

M. Rioux: Mais vous reconnaissez que le volume des dossiers au Bureau de révision paritaire est plus grand.

M. Arnau (Philippe): Oui, mais, là, on parle de la durée de chaque dossier.

M. Rioux: Oui, mais, quant à la représentation, qu'est-ce qui vous empêche d'être présents dans la structure pour venir défendre votre point de vue?

M. Arnau (Philippe): Je vous demande pardon?

M. Rioux: Vous n'êtes pas contents des décisions qui se prennent.

M. Arnau (Philippe): Je représente des gens qui ne sont pas contents, oui, en effet.

M. Rioux: Alors, manifestez votre présence, si vous voulez les améliorer.

M. Arnau (Philippe): Bien, selon ce que je comprends, ces gens-là sont des entrepreneurs, ils ne sont pas là pour aller défendre leurs droits constamment, ils ont des tâches à accomplir qui sont quotidiennes.

Mme Kark (Christine): Je peux ajouter qu'étant donné que le processus est long et coûteux, incluant la première instance, le Bureau de révision, la CALP, ces processus longs et coûteux ont généré un mécontentement généralisé de la part des employeurs. Nous, on n'est pas contre le paritarisme, on est contre le paritarisme en dernière instance, parce que, là, c'est une réforme qui vise à réduire les délais, mais qui ne respecte pas les droits des parties en litige, parce qu'il n'y a pas de possibilité d'appel. Alors, quelqu'un qui ne suit pas son dossier, il n'y a pas de possibilité. Il y a une décision qui est rendue. Elle est rendue de façon paritaire. Et on sait fort bien que, les représentants patronaux, ça ne serait pas les propriétaires des PME qui seront présents, et ils ne se sentent pas bien représentés. Il n'y a pas de possibilité d'appel. Alors, le paritarisme, on n'est pas contre. On est contre le paritarisme en dernière instance parce que, selon nous, ça va à l'encontre des principes de justice naturelle.

M. Rioux: Quand vous allez défendre votre dossier devant l'impôt, vous le défendez parce que c'est vos intérêts qui sont en cause. Alors, devant une instance comme celle-là, vous auriez tout intérêt à être là. Ce que vous contestez, c'est les personnes qui sont choisies par les syndicats et les patrons. C'est ça que vous contestez, ce n'est pas le système que vous contestez.

Mme Kark (Christine): Non, ce n'est pas le système.

M. Arnau (Philippe): Bien, il y a deux points. Il y a la dernière instance, qui, pour des raisons juridiques, ne semble pas adéquate, et il y a le point aussi que les PME ne pourront jamais participer et être sur les comités paritaires, donc elles ne sont pas représentées par ces comités-là.

(17 h 10)

Le Président (M. Sirros): J'ai reçu des demandes d'intervention des députés de Roberval, de Groulx et de Johnson, par la suite.

M. Laprise: Dans votre intervention, vous semblez ne pas être d'accord avec l'implication du médecin traitant de la personne à participer au choix des spécialistes. Vous ne trouvez pas que ce qui est suggéré dans la loi permet justement au médecin traitant qui est proche du patient, qui est quand même au courant des besoins de cette personne... Il est bien placé pour recommander le choix d'un spécialiste.

Mme Kark (Christine): Bien, nous nous acceptons la prépondérance du médecin traitant. C'est la première personne qui reçoit le travailleur, qui l'examine et qui rend un diagnostic. Par contre, il existe des situations où la CSST va aller plus loin, a besoin d'autres informations. Alors, à ce moment-là, nous sommes d'accord qu'il y ait négociation entre... que le médecin traitant participe au choix d'une deuxième expertise. Alors, si je suis médecin traitant et que je dois référer mon patient à un des trois spécialistes, je choisis les spécialistes, je n'ai rien à faire, j'ai rendu mon diagnostic et je ne devrais pas participer à une deuxième expertise médicale, puis encore moins avoir la possibilité, le droit de soumettre un deuxième rapport supplémentaire. J'ai rendu un diagnostic selon les données qui sont données. Alors, le médecin traitant ne devrait pas être impliqué dans le processus d'une deuxième évaluation médicale parce que ça relève de l'employeur, c'est un droit de l'employeur, dans les cas de doute ou quand il a besoin d'avoir plus de renseignements, ou de la CSST d'obliger le travailleur à se soumettre à une deuxième opinion.

Le Président (M. Sirros): M. le député de Groulx.

M. Kieffer: M. le Président, moi, je suis très, très sensible à ce que vous dites. Parce que le Québec, c'est avant tout et fondamentalement des PME et, à ce niveau-là, vous êtes quelque part aussi, sinon plus représentatifs que le groupe qui vous a précédé. Mais j'ai des problèmes avec votre démarche ou, à tout le moins, avec vos analyses et vos critiques. Les causes m'apparaissent assez claires. Elles m'apparaissent claires. Vous les dites, et les gens d'affaires qu'on reçoit dans nos bureaux nous disent la même chose: la lourdeur de la démarche, les coûts de la démarche, la disponibilité de l'entrepreneur pour assumer cette démarche-là. Lorsque vous avez un gérant de production puis que vous avez 30 employés, qu'est-ce qu'il va faire, le gérant de production? Il va suivre le dossier ou bien il va s'occuper de faire marcher l'entreprise et s'assurer évidemment que le restant, les salariés puissent continuer à... Alors, ça, ça m'apparaît évident. Et vous n'êtes pas là. Et, à ce niveau-là, le Conseil du patronat ne vit pas nécessairement les mêmes problèmes que vous vivez. Ça, c'est clair aussi.

Ce qui m'apparaît moins clair, en étant très sensibilisé à cette réalité-là que vous vivez... Lorsque je vous écoute depuis tantôt, je ne vois pas exactement vos demandes et vos revendications, sauf sur des éléments très, très parcellaires et il ne m'apparaît pas évidents qu'ils vont régler vos problèmes. Par exemple, lorsque vous dites: Nous sommes contre la parité, il faut absolument quelque part rejudiciariser – c'est ça que vous dites, hein: Il faut quelque part..., c'est ça, en tout cas, je l'ai dit une fois, ça me suffit – je ne suis pas sûr, moi, que ça va réduire les délais et je ne suis pas sûr que ça va alléger le processus. On aura probablement l'occasion d'en reparler, mais j'aurais aimé que vous me précisiez, par exemple sur la nécessité que vous soyez présents, pas nécessairement chacune des PME, mais vous êtes une association qui représentez... Qu'est-ce que vous voyez comme votre rôle pour représenter les intérêts des PME québécoises dans ce type de structure là? Il faut qu'il y en ait une structure. Mais vos recommandations, quant à moi, n'allégeront pas et ne diminueront pas les délais, mais je suis conscient... Et je suis d'accord avec l'analyse que vous faites des causes.

M. Arnau (Philippe): En général, au niveau de l'évaluation médicale, notre préoccupation, c'est qu'on ne peut pas transmettre à l'employeur le devoir de demander la seconde opinion. Et, au niveau de la solution, ce n'est peut-être pas clair pour nous non plus, mais ce qui est clair, c'est que les PME ne seront pas en mesure de l'assumer correctement; elles nous le disent. Et on considère que c'est la CSST qui doit gérer ces fonds-là de son mieux. Et, selon nous, les secondes opinions ont un grand impact sur les coûts. Donc, c'est ça, notre position générale, si vous voulez, excluant les détails dont vous faisiez mention.

Mme Kark (Christine): Je peux peut-être ajouter que, nous, une de nos recommandations, c'est d'abolir le Bureau de révision, d'abolir une instance. Il y a deux instances. Ça suffit, une instance. Mais laissez la Commission d'appel telle qu'elle est aujourd'hui, avec des commissaires nommés pour leur compétence, avec des mandats à durée fixe. Et nous savons que ce n'est pas paritaire, la Commission d'appel, aujourd'hui. Alors, pourquoi elle le serait?

Alors, dans ce sens-là, nous, notre position: si vous rendez la Commission d'appel paritaire – vous avez des conflits avec la Charte des droits et libertés – vous devez permettre un appel. Alors, nous, on est contre le paritarisme à la Commission d'appel. Alors, on ne veut pas judiciariser; on veut éliminer une instance. Mais, advenant que vous la rendiez paritaire, vous devez donner aux parties le droit d'en appeler de ses décisions. Alors, on est rendu au point de départ. C'est pour ça, dans ce sens-là, que nous appuyons une réforme qui vise à éliminer une instance, à rendre le processus plus simple, plus accessible pour les entreprises, pour les travailleurs accidentés, pour que le travailleur, d'un côté, il ne perde pas son droit de réintégrer le travail. Le droit de maintien de l'emploi, on est pour ça. Mais, advenant que vous la rendiez paritaire, la Commission d'appel, vous devez... Vous ne pouvez pas la rendre paritaire et sans appel. C'est complètement inconcevable pour nous.

Le Président (M. Sirros): Merci. M. le député de Johnson.

M. Boucher: Justement, sur ce que vous venez de dire, parce que... Vous dites que c'est inconcevable. Je vous entends même dire que ça va à l'encontre de la Charte des droits et libertés. Mais j'aimerais ça que vous m'expliquiez ça.

Mme Kark (Christine): Mais, écoutez, c'est...

M. Boucher: En quoi ça va à l'encontre de la Charte des droits et libertés?

Mme Kark (Christine): Mais, écoutez, les gens qui vont rendre des décisions, c'est des décisions finales et sans appel, c'est des décideurs. Aujourd'hui, on a le paritarisme au sein du Bureau de révision, mais il y a une instance, c'est une instance administrative, c'est une révision administrative. Ce n'est pas un tribunal administratif. Mais la Commission d'appel, c'est très sérieux, c'est la dernière instance. Alors, les gens qui sont là peuvent être là comme assesseurs. Nous voulons des commissaires qui sont indépendants, impartiaux et qui rendent des décisions. C'est très important. C'est un recours de dernière instance. Alors, dans ce sens-là, en intégrant le paritarisme, ces gens deviennent des décideurs. Alors, nous, on n'est pas contre le fait qu'il y ait un commissaire, qu'il y ait des assesseurs du côté patronal et syndical, et qui, quand les besoins se manifesteront, peuvent les guider, peuvent donner leur opinion au commissaire qui a besoin de plus d'information ou des expertises, mais nous ne voulons pas que ces gens-là rendent des décisions et deviennent des décideurs.

M. Boucher: En tout cas, tout ce que je comprends, c'est que vous n'acceptez pas ce processus-là des assesseurs, et vous voulez réduire en même temps les coûts puis les procédures, mais vous rejudiciarisez, comme disait mon collègue...

Mme Kark (Christine): Non, je pense que...

M. Boucher: ...la procédure.

Mme Kark (Christine): ...que vous ne m'avez pas comprise.

M. Boucher: Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

Mme Kark (Christine): Non, on veut abolir une instance.

M. Boucher: Oui, mais vous permettez, par contre, les appels.

Mme Kark (Christine): Non, si la Commission d'appel est non paritaire, on n'a aucun problème que ce soit sans appel.

M. Boucher: Non, mais si elle l'est... Là, je ne comprends pas.

Mme Kark (Christine): Là, il y a un problème. C'est pour ça...

M. Boucher: Mais c'est ça. Je ne comprends pas.

Mme Kark (Christine): Je ne sais pas si je me suis mal exprimée ou...

Le Président (M. Sirros): M. le député de La Peltrie, je ne sais pas si c'est sur le même sujet...

(17 h 20)

M. Côté: Oui, s'il vous plaît. Merci, M. le Président. À la page 7 de votre rapport, lorsque vous parlez de la réduction des coûts du système... Là, vous dites que les PME sont contre le paritarisme, selon votre sondage. Puis les raisons qu'elles ont évoquées sont une plus grande impartialité des décideurs; vous l'avez abordée, tout à l'heure, un peu. Mais la réduction des coûts du système quasi judiciaire... On sait que ça représente environ 32 000 000 $ de réduction de coûts, avec le nouveau système. Est-ce que, dans votre sondage, il y avait une certaine information de la part de vos membres à l'effet que... Pourquoi ils disent qu'ils seraient pour le paritarisme s'il y avait une réduction des coûts du système? Alors, il y en a un coût du système, je pense. Je ne sais pas si c'est dans ce sens-là. Alors, vous dites: «Il nous paraît donc évident que les PME n'appuient pas le paritarisme.» Par contre, dans vos recommandations, à la fin, lorsque vous dites, à la page 10: «Une collaboration étroite des représentants patronaux et syndicaux à la prise de décisions serait possible et pourra donc avoir un impact positif sur la résolution des dossiers», il me semble qu'il y a deux versions. Est-ce que vous pourriez m'éclairer davantage sur votre recommandation par rapport à ce qu'on voyait dans le sondage que vous avez fait effectuer?

Mme Kark (Christine): O.K. Le paritarisme intégré à la Commission d'appel, avec un commissaire, avec deux représentants, un de la partie patronale, l'autre de la partie syndicale, qui prennent conjointement les décisions à l'unanimité ou à la majorité, selon nous, ils vont devenir décideurs. Nous, ce qu'on propose, c'est: mettez une commission d'appel avec un commissaire qui rend les décisions, qui a l'autorité de rendre ses décisions. Il pourra y avoir des assesseurs qui lui suggèrent, qui le conseillent, des conseillers, mais nous ne voulons pas que ces gens-là, étant donné leur provenance, deviennent des décideurs. Donc, c'est ce sens-là.

Pour revenir au sondage, c'étaient les trois préoccupations principales. C'est la nomination des gens pour leur compétence. Ils sont contre le paritarisme et ils veulent qu'on réduise les coûts du système. Parce que, toutes les instances, comme j'ai expliqué tantôt, étant donné que le processus est long et coûteux, se découragent, les PME surtout. Elles n'ont pas le temps. Elles n'ont pas les mêmes ressources que les grandes entreprises. Elles ne peuvent pas se présenter au Bureau de révision, à l'audition et revenir devant la Commission d'appel un an et demi plus tard. Elles ne peuvent pas se permettre d'avoir des causes qui sont en suspens pendant tout ce temps-là parce que ça leur coûte très cher au bout de la ligne.

Alors, c'est dans ce sens-là. C'était la troisième préoccupation des entrepreneurs, de réduire les coûts. Mais on n'a pas élaboré, c'est resté un sondage assez général. Alors, on n'a pas élaboré sur la façon de réduire les coûts, sur les...

M. Côté: M. le Président, au niveau des...

Le Président (M. Sirros): Très rapidement.

M. Côté: ...assesseurs, est-ce que vous accepteriez qu'ils soient désignés par un représentant patronal et un représentant des travailleurs, une liste qui serait proposée, puis que le...

Mme Kark (Christine): Ah, oui, bien sûr...

M. Côté: Vous êtes d'accord avec ça?

Mme Kark (Christine): ...ils viennent du milieu. Oui, le processus de... À ce moment-là...

M. Arnau (Philippe): D'une part, à ce moment-là, la décision finale reste au commissaire, qui est comme celui de la CALP en ce moment et qui peut bénéficier de l'expertise de ces gens-là sur les relations patronales-syndicales, s'il y a lieu. Du point de vue de nos membres, dans le sondage, leur perception du paritarisme, c'est simplement que ça ne leur donne pas d'avantages, à eux. Les PME n'ont pas un point de vue, disons... Hein?

Une voix: ...

M. Arnau (Philippe): Bien, disons, ils n'ont pas un point de vue philosophique sur la question. C'est qu'ils voient le comité paritaire comme ne les aidant en rien. Ils se disent qu'un homme compétent pourrait faire le travail tout aussi bien. Et, bon, je résume un petit peu, ici, puisque vous semblez assez ouverts à nos idées.

Le Président (M. Sirros): Merci.

M. Côté: Merci.

Le Président (M. Sirros): Alors, M. le député d'Argenteuil... De LaFontaine? Excusez. J'avais compris que... Voilà. M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Le comté d'Argenteuil est un très beau comté, aussi.

M. Beaudet: Le plus beau.

M. Gobé: Alors, merci, M. le Président. Mme Kark et M. Arnau, permettez-moi de vous saluer et, au nom de l'opposition officielle, de vous dire que nous sommes heureux de vous accueillir. Autant je soulignais que votre prédécesseur à cette table, c'était peut-être sa dernière apparition, pour vous, c'est la première?

M. Arnau (Philippe): Oui.

Mme Kark (Christine): Oui.

M. Gobé: Alors, je souhaite qu'elle soit comme la sienne, pendant une vingtaine d'années ou de nombreuses années, aussi productive. On voit là un changement de la garde, peut-être, qui s'opère devant nous, et je pense que c'est pour le mieux. C'est certainement très rafraîchissant pour l'ensemble du système québécois.

M. Beaudet: Il m'inquiète.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Beaudet: As-tu une question?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Alors, à la lecture de votre mémoire, nous avons pu constater que vous étiez en accord avec la philosophie du projet de loi. D'accord? Et je pense qu'en cette salle ici, tout le monde, que ce soit les parlementaires d'un bord ou de l'autre, les travailleurs, les employeurs, quelle que soit l'organisation qu'ils représentent, tout le monde est conscient d'un certain nombre d'organismes et de systèmes, au Québec, qu'il faut moderniser. Il faut faire en sorte d'accélérer le traitement des dossiers, essayer de faire en sorte que les coûts d'administration, qui sont très élevés dans certains cas, soient les moins élevés possible pour non seulement que ça coûte moins cher autant qu'il se peut pour ceux qui paient, mais aussi que les argents disponibles soient plus disponibles pour les gens qui vraiment en ont besoin, soit les bénéficiaires, plutôt que la machine. Alors, sur ce point de vue là, vous rejoignez, je crois, l'ensemble des gens. Et puis je ne pense pas que nous, nous puissions avoir une vision différente. Où ça diffère, c'est sur la manière, si je comprends bien?

M. Arnau (Philippe): Tout à fait.

Mme Kark (Christine): Oui.

M. Gobé: Bon. Vous, vous ne voyez pas le projet de loi du ministre tel qu'il est écrit en dehors de la philosophie dont il se réclame. Vous dites: Ce n'est pas comme ça que, moi, je ferais ça. Vous faites un certain nombre de propositions, d'abord de recommandations. Oui, le paritarisme, on ne voit pas ça comme étant la panacée aux problèmes de réduction des délais et des coûts. Parce qu'on parle beaucoup de coûts, mais il ne faut pas oublier non plus que, là, on traite d'humains. Ce n'est pas d'épicerie qu'on traite, là, quand on parle de coûts, il faut faire attention. On parle des gens, on parle des bénéficiaires, des gens qui sont touchés dans leur chair, touchés dans leur capacité de fonctionner, dans leur autonomie, dans leur habilité à gagner leur vie et aussi dans leur sécurité. Et je crois que – et c'est peut-être un des points qu'on peut discuter – moi, si j'étais employeur...

J'ai déjà été employeur, dans le temps. Il n'y a rien de mieux qu'un employé qui se sent bien protégé, satisfait et heureux pour donner le meilleur rendement. S'il se sent insécure, s'il sent que, s'il arrive quelque chose, il va être en contestation, je pense que ça nuit à l'ambiance de l'entreprise, ça nuit à son assiduité, aux efforts supplémentaires qu'il fait des fois en dehors de sa tâche ou le petit plus qui fait qu'une entreprise est performante ou qu'un client est satisfait, enfin, ou quelque chose. Il faut faire attention, ce n'est pas simplement une opération comptable – ça fait partie des questions que je posais au début – c'est une opération qui est administrative, mais qui a des impacts humains sur les gens, mais aussi qui peut avoir des impacts négatifs, pervers sur la productivité ou la bonne entente dans les entreprises. Alors, je ferais attention.

Quand j'entends des gens dire: Bien, ça «va-tu» réduire les coûts, ça «va-tu» faire ci? Oui, mais c'est une des facettes. L'autre facette, c'est: Est-ce que ça va être bénéfique pour l'ensemble de l'économie du système? Il faut se rappeler aussi que la CSST a été formée à une époque où les travailleurs, le seul recours qu'ils avaient, s'ils étaient accidentés, c'était de poursuivre au civil les employeurs. Je ne pense pas qu'il y ait des employeurs au Québec qui aimeraient avoir, pendant au-dessus de leur tête, la menace d'une poursuite au civil par des avocats qui diraient: Bien, on l'actionne pour x... La CSST, à cet effet-là, est aussi un paratonnerre pour les employeurs. Alors, je pense que c'est un équilibre qui est établi et qui doit être conservé. Là-dessus, on est d'accord.

Maintenant, vous, à part le paritarisme que vous voyez qui ne fonctionne pas, ça serait quoi, une réforme que vous apporteriez? Qu'est-ce que vous aimeriez que nous, les députés, nous disions au ministre: Dans ton projet de loi n° 79, pour qu'il soit bien fonctionnel... En tenant compte des principes que je viens d'énumérer et que vous partagez certainement, on fait quoi? Vous changez quoi ou vous amenez quoi?

Mme Kark (Christine): Premièrement, pour répondre...

M. Gobé: Clairement, parce qu'il y a un peu de mélange sur toutes sortes de choses.

(17 h 30)

Mme Kark (Christine): O.K. Premièrement, votre premier point, je suis très contente que vous l'abordiez. C'est vrai qu'il est essentiel de ne pas oublier que c'est important de faire de la prévention, c'est important de réduire les accidents de travail. Et c'est pour ça qu'on dit: Le nombre d'accidents diminue, mais la durée et la gravité augmentent. Alors, c'est un phénomène qu'on voit en apparition, et on dit: Qu'est-ce qui se passe? Il faut contrôler.

Justement, les PME, vous savez qu'il y en a beaucoup qui ont des difficultés financières, elles essaient de survivre. Le contexte économique actuel, ce n'est pas facile. Alors, on a beaucoup d'espoir avec – c'est peut-être une autre paire de manches – la réforme sur la tarification. Nous avons beaucoup d'espoir parce que cette réforme va faire en sorte que les entreprises... Il va y avoir un effet incitatif. Parce qu'à l'heure actuelle, vous savez, les PME sont toutes au taux d'unité. Alors, elles paient, peu importe si elles ont des réclamations d'accidents de travail, elles paient la même cotisation au bout de la ligne, et ça n'a pas un... Ça a un impact indirect, parce que, un jour, c'est sûr, ça augmente. Si tous les employeurs regroupés dans la même unité ont des lésions professionnelles et qu'ils ne font pas le suivi de leurs dossiers, à un moment donné, la cotisation augmente. Mais à l'heure actuelle, il n'y a pas d'effet incitatif qui dit aux employeurs: Vous devez faire de la prévention, vous allez avoir un retour. La gestion de votre dossier de CSST, ça a un impact sur vos cotisations. C'est comme ça qu'on va aller chercher les gestionnaires d'entreprises. C'est ça, c'est toujours une question de... Écoutez, il y a une responsabilité sociale. Il y a des travailleurs qui doivent être protégés, qui doivent travailler dans un milieu sain et sécuritaire, et on est tout à fait d'accord avec ça. Vous savez, dans la réalité économique, le propriétaire d'entreprise qui fait 70 heures par semaine pour arriver à «booker» ses fins de mois, c'est important qu'il ait un effet incitatif pour faire cette prévention. Mais, dans ce sens-là, on a beaucoup d'espoir avec la nouvelle réforme sur la tarification qui va faire en sorte que les petites entreprises vont voir un impact sur leurs cotisations, pour celles qui veulent faire de la prévention.

Et, pour la réforme, vous dites que vous voulez des suggestions, de quelle façon... Écoutez, les recommandations, c'est de réduire les coûts, d'abolir une instance. Je ne peux pas vous dire en détail ce que les petites entreprises, ce qui ferait en sorte que le régime... Il faut que ce soit plus efficace. Il faut simplifier, rationaliser.

M. Gobé: La Commission d'appel, en dernier recours, non paritaire.

M. Arnau (Philippe): C'est ça, on est toujours pour le maintien de la CALP.

M. Gobé: Pas d'appel, la Commission, en dernier recours, non paritaire. Ça, c'est assez simple.

Mme Kark (Christine): L'abolition du bureau de révision, garder la Commission d'appel telle qu'elle est aujourd'hui, avec les commissaires, et, à ce moment-là, ça va déjà réduire... Déjà, les coûts ont diminué beaucoup. Il y a eu un effort de la CSST. On voit beaucoup de dossiers en conciliation, on voit beaucoup de demandes de reconsidération qui aboutissent... Ces dossiers ne se ramassent pas au bureau de révision. Justement, on diminue les cas. Toutes les mentalités de rapprochement des employeurs, des travailleurs. À la CSST, on travaille beaucoup, on fait beaucoup d'efforts, à ce moment-ci, pour justement favoriser la conciliation, dégorger les instances. Il y a déjà un effort qui est fait de ce côté-là. Alors, si ça continue dans le même sens, en abolissant une instance, ça peut juste être bénéfique pour l'ensemble des...

M. Gobé: J'aime beaucoup votre approche sur la prévention. Ça rejoint aussi la formation. On dit toujours qu'un travailleur qui est bien formé pour faire son travail connaît bien sa machinerie, connaît bien les outils qu'il emploie et, ce faisant, bien, il évite peut-être de se blesser avec. Donc, la formation est très importante.

Au niveau de la prévention, est-ce que vous seriez en faveur que la CSST, d'un commun accord, en participation avec les travailleurs, le patronat, les associations telle la vôtre, le Conseil du patronat, les centrales syndicales, les organismes non syndiqués, ils établissent des normes un peu, là, de sécurité, un peu comme ont fait des entreprises, ISO 9000, ISO 9002, on ne devrait pas avoir sécurité 2000, sécurité 2003, des critères de plus en plus performants qui viendraient d'un effort du travail entre les travailleurs et puis les patrons, et qui seraient récompensés par des baisses de cotisations, même des bonus pour le travailleur? Enfin, en tout cas, ça aiderait tout le monde.

Mme Kark (Christine): Je crois qu'il faut aider le gestionnaire d'entreprise. Il faut l'aider puis il ne faut pas le laisser seul...

M. Gobé: Elle a raison.

Mme Kark (Christine): ...puis il a des droits et des obligations. Mais il faut que ça vienne des deux côtés. Il faut l'encourager, l'entrepreneur gestionnaire, à faire en sorte qu'il y ait une réduction, qu'il y ait un programme de prévention. De l'autre côté, il faut essayer de minimiser la réglementation, parce que, vous savez, on est en train de déréglementer partout finalement pour que nos entreprises demeurent compétitives. De l'autre côté, je crois que les gestionnaires seront prêts à faire un effort de prévention, mais il faut les aider. Il faut les aider, il ne faut les laisser seuls avec ça.

Le Président (M. Sirros): Merci. M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Merci, M. le Président. Je tiens à vous remercier de venir nous partager votre opinion. C'est un petit peu surprenant de voir deux groupes de patrons s'opposer de façon aussi grande sur un même sujet, mais je comprends que vous n'avez pas les mêmes moyens que les grandes entreprises, puis c'est très compréhensible, et que, dans le dédale des demandes à la CSST, on finit par se perdre. On perd le dossier, on arrive trois jours en retard, puis on dit: Tu es trop tard pour venir en appel, tu as oublié de venir, «tough luck». Et, comme vous disiez tantôt, votre gérant de production, lui, il s'occupe de faire marcher la ligne. Pendant ce temps-là, le dossier continue, puis vous l'oubliez.

Je vais me référer un peu plus à ma vie antérieure. À la page 9 de votre dossier, vous parlez des médecins. On sait que la CSST choisit ses consultants. On lui reproche de choisir des consultants qui vont être plus sévères, moins acceptables des différents problèmes des travailleurs. Et là, dans la proposition qui nous est soumise dans le projet de loi, on fait l'inverse, on va demander au médecin traitant de choisir les consultants. Mais là ça va être correct, ça. Là, lui, il ne choisira pas des gens qui vont être favorables aux travailleurs, alors qu'on accuse la CSST de faire l'inverse. Pourriez-vous élaborer un peu là-dessus pour aider le ministre à bien comprendre...

M. Arnau (Philippe): Oui. Bien, je pense que...

M. Beaudet: ...le lien qui va se faire entre le médecin traitant et les consultants auxquels il va vous référer, qu'il va choisir, puis la situation actuelle que l'on reproche à la CSST, d'avoir le lien avec ces consultants qu'elle-même choisit?

Mme Kark (Christine): Bien, écoutez, le processus d'évaluation médicale fonctionne très bien à l'heure actuelle. Je ne comprends aucunement. Les parties peuvent s'opposer au Bureau d'évaluation médicale qui est en place aujourd'hui, où il y a un médecin traitant qui rend un diagnostic, il y a une deuxième expertise, s'il y a divergence d'opinions, ça s'en va au Bureau d'évaluation médicale. Les décisions qui sont rendues, les délais sont beaucoup plus courts. Je ne vois pas ce qui ne fonctionne pas, vraiment pas. Je ne peux aucunement comprendre ces parties qui s'opposent au processus actuel et encore moins de demander au médecin traitant de choisir. Là, je veux dire, on remet tout le système en question.

M. Arnau (Philippe): Surtout que la solution de rechange qui est proposée ne diminue en rien les possibilités de conflit, de contestation et de procédure. Donc, si à la limite on arrivait avec vraiment quelque chose de tranchant et de net... mais ce n'est pas le cas. Donc, on considère que le système actuel, si on fait l'hypothèse que tous les médecins font très bien leur travail, la personne qu'il nomme est somme toute sans importance. Donc, qu'elle soit nommée par la CSST ou le médecin traitant, c'est la même chose.

M. Beaudet: Ça devrait.

M. Arnau (Philippe): Oui, et on fait l'hypothèse que ça l'est. Donc, personne ne devrait contester ça. À ce moment-là, il est normal que la CSST, ayant besoin d'information supplémentaire pour évaluer un dossier, puisse demander une expertise. Il n'y a pas de raison. On a difficilement obtenu, en plus, cet amendement-là dans le passé, et là on veut retourner à la situation précédente. Ça, c'est aussi...

M. Beaudet: Au fond, ce que vous dites, comme c'est la CSST qui va avoir l'opinion, seconde opinion, c'est à elle à choisir la personne qui va la faire.

M. Arnau (Philippe): Ce qui est normal, ce qui est normal.

M. Beaudet: Ça vous apparaît normal; ça m'apparaît normal à moi aussi. Il me semble que ça n'apparaît pas normal au ministre, parce qu'il veut changer le système...

M. Arnau (Philippe): On comprend ça, monsieur.

M. Beaudet: ...puis enlever à celui qui pose la question. Vous allez dire: Bien, moi, je vais poser une question, mais, toi, trouve-moi donc la réponse. J'ai un problème à vivre avec le projet de loi comme tel, là. C'est pour ça que... Je pense que le ministre, s'il écoutait, il pourrait peut-être comprendre l'esprit que je veux transmettre.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Beaudet: M. le ministre, je sais que vous avez beaucoup de préoccupations. Mais j'aimerais qu'il comprenne l'esprit qu'on va lui transmettre. C'est qu'on va enlever à la CSST un exercice qu'elle a déjà puis qu'on lui reproche, de dire: Bien, écoute, tu le fais avec des consultants qui te sont rigides médicalement puis qui vont te donner la bonne réponse. On va prendre ça, puis on va le transférer au médecin consultant. Lui, il va être correct lui aussi. Alors, pourquoi changer le système s'il est fonctionnel actuellement? C'est pour ça que je voudrais que le ministre écoute très bien avec ses deux oreilles, et non pas échanger avec d'autres personnes, pour qu'on lui fasse comprendre que ce qu'il essaie de nous faire passer, ça n'a pas d'allure.

Mme Kark (Christine): Oui. Mais, comme je vous ai dit tantôt, dans la majorité des cas, la CSST accepte les demandes d'indemnisation sur la foi du premier avis médical. Je pense que c'est un point très important à souligner. Dans la majorité des cas, il n'y a pas de problème. Le travailleur s'en va voir son médecin traitant, il y a un accident dans l'entreprise, il est indemnisé, il ne faut pas oublier ça, mais il y a certains cas qui ne sont pas évidents, où la CSST veut avoir la possibilité d'aller plus loin. Alors, c'est impossible d'aller plus loin si on l'oblige à choisir un médecin parmi les trois professionnels désignés par le médecin traitant. Selon nous, ça n'a aucun sens, parce qu'à ce moment-là ça remet tout le système en question. Il n'y a pas de vérification d'une... On veut avoir quelqu'un d'indépendant, un médecin, pas un ami du médecin traitant, on veut un médecin qui est indépendant.

M. Beaudet: Si je comprends bien, d'après ce que vous venez de me dire, c'est que l'organisme le mieux positionné pour être neutre dans le choix des consultants, c'est la CSST, et non pas le médecin traitant.

Mme Kark (Christine): C'est la CSST, oui, c'est elle qui est... hein, alors c'est elle qui a le mandat d'assurer une saine gestion du programme. Alors, elle choisit un médecin sur une liste. C'est des médecins qui sont sur une liste.

M. Arnau (Philippe): Sinon, comme on l'a dit tout à l'heure, on transpose la responsabilité sur l'employeur. Et, pour ce qui est de nos membres, qui sont vraiment de toutes petites entreprises, ils n'ont souvent ni les moyens ni les ressources. Nos membres ont en moyenne 11 employés. C'est de la toute petite PME. 75 % des entreprises au Québec ont moins de 50 employés. Ça, c'est la vraie vie. Plus de 1 000 000 de personnes travaillent pour ces gens-là.

M. Beaudet: Je veux juste vous faire remarquer, par exemple, que la CSST, c'est paritaire.

Mme Kark (Christine): Oui. On est d'accord.

M. Beaudet: Non, non, mais ça fonctionne dans le cas du choix des médecins. Je veux juste faire remarquer ça, là. Alors, le paritariat, ça ne va pas nécessairement à l'encontre de vos demandes.

Mme Kark (Christine): Bon. Alors, encore une raison de plus. Pourquoi la CSST ne désignerait pas un professionnel de santé si elle est paritaire, justement?

(17 h 40)

M. Beaudet: Ne me posez pas la question, posez-la au ministre, parce que, moi, je suis d'accord avec vous.

Mme Kark (Christine): Alors, ça vient contredire le fait que le médecin traitant... Finalement, la CSST est en droit de choisir un médecin, d'autant plus qu'elle est paritaire. Alors, il n'y a pas de conflit là.

M. Beaudet: Moi, je l'apprécie, je n'ai pas de problème avec ça. Merci.

Le Président (M. Sirros): Merci. Mme la députée de Saint-François.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci, M. le Président. Je dois vous avouer mon étonnement également de constater que deux groupes représentant des employeurs aient des positions différentes.

Cependant, je les comprends. Je réussis à comprendre, suite à votre...

M. Arnau (Philippe): Madame, on passe notre temps à atténuer ces différences, si vous saviez.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Gagnon-Tremblay: Or, finalement, en somme, ce que veut le projet de loi, ce que j'ai compris du projet de loi, c'est que, en premier lieu, on veut déjudiciariser. On veut essayer de rendre plus flexible, plus de souplesse, moins de coûts, bon, entre autres, déjudiciariser. Mais, lorsqu'on déjudiciarise, inévitablement il faut se poser la question à savoir: Est-ce que, par contre, les individus ou les entreprises conservent les droits auxquels ils ont droit? Ça, je pense que tout est relié, tout est interrelié.

Donc, dans un premier temps, pour déjudiciariser, on enlève un palier. Si ce palier-là n'existe pas, c'est-à-dire si la décision est finale et sans appel, on est en droit de se poser la question: Est-ce que l'employé sera satisfait de la décision rendue? Est-ce que la décision sera rendue en toute justice, en toute équité? On pourrait poser la question, l'employeur pourrait se poser la même question à un moment donné. Alors, si on enlève un palier et que la décision est finale et sans appel, bien, que ce soit l'employé ou que ce soit l'employeur, chacun devra vivre avec la décision. Elle est sans appel, alors donc que ça fasse l'affaire ou que ça ne fasse pas l'affaire. Et c'est avec le temps, avec l'usage qu'on verra finalement si on a rendu les bonnes décisions. Mais on devra en prendre pour son parti et constater que cette décision-là est sans appel.

Mais cependant, ce que je comprends, c'est que, pour rendre cette décision, vous dites: Bien, si elle est finale et sans appel, elle ne peut pas être paritariste. Elle doit être prise en fonction d'un tribunal administratif, c'est-à-dire que, à ce moment-là, des gens qui, après avoir entendu le pour et le contre et après avoir eu les expertises, en bout de ligne, décident. C'est là que vous arrivez et que vous êtes contre le paritarisme et que vous suggérez que les assesseurs – s'il y a un comité d'assesseurs – soient plutôt comme des experts, des conseillers, mais, en bout de ligne, qu'ils n'aient pas à prendre la décision finale. Cependant, ce que je comprends, c'est que vous dites: Bien, écoutez, on peut faire ça, mais, si cependant ça ne fonctionne pas comme ça, ça serait préférable d'avoir un autre palier qui est l'appel plutôt que d'avoir le paritarisme. Mais là on judiciarise, on ne règle pas notre problème.

Alors, ce n'est pas facile nécessairement, parce qu'on veut déjudiciariser, donc enlever un palier. Si on enlève un palier, on risque d'enlever des droits pour certaines personnes qui croiront que la décision qui est rendue n'est pas nécessairement la meilleure. Alors, là, je comprends que, lorsque vous parlez de paritarisme, c'est uniquement au niveau... Si on décide d'aller dans ce sens-là, vous n'êtes pas d'accord pour la finale et sans appel.

Mme Kark (Christine): C'est ça. Moi, je voudrais ajouter aussi que ce ne sera pas la décision de la CSST qui soit... Il n'y aurait pas seulement une instance d'appel. Parce que vous savez que déjà la CSST a le pouvoir de reconsidérer ses décisions, et, de plus en plus, on voit qu'il y a la communication entre les parties, entre la CSST, le travailleur, l'employeur. Le pouvoir de reconsidérer les décisions. Alors, déjà, ça, c'est une petite instance aussi. Alors, on ne peut pas dire qu'il y a une décision, un appel, puis c'est fini. Il y a quand même beaucoup d'étapes. À l'heure actuelle, il y en a trop puis on veut éliminer certaines instances qui sont, selon nous, inutiles.

Mme Gagnon-Tremblay: M. le Président, je constate qu'il y a peut-être plusieurs étapes, mais j'ai comme l'impression que, si on raccourcissait les délais au niveau de chacune des étapes, peut-être qu'on aurait moins de difficultés, peut-être que finalement les étapes seraient acceptables. Mais c'est possiblement parce que les délais sont peut-être trop nombreux. Alors, c'est comme s'il fallait jouer autant sur les délais que sur la déjudiciarisation. Alors, là, il y a un choix à faire. Mais je commence à me demander si finalement ce n'est pas au niveau des délais qu'on en arrive à des coûts beaucoup plus considérables.

Le Président (M. Sirros): Merci, Mme la députée de Saint-François. En conclusion, M. le ministre.

M. Rioux: Je ne voudrais pas laisser passer, en tout cas, l'occasion qui m'est fournie de dire que, s'il y a des employeurs qui croient que la CSST va se substituer à eux pour contester des décisions médicales, je pense que là c'est un non catégorique. C'est ça qu'on veut. On veut sortir de ça. Et c'est pour ça qu'on a voulu bonifier ce qu'on appelle l'approche médicale.

Nous autres, on s'est dit: Est-ce que le travailleur y trouve son compte dans le système actuel? On découvre, à l'analyse, sérieusement que non. Donc, employeurs et syndicats se sont mis d'accord pour dire: Il serait heureux que le médecin traitant puisse avoir recours à une expertise qu'il va choisir. Parce qu'on a découvert que le travailleur était désavantagé face à l'employeur devant le BEM, que l'employeur arrivait avec une preuve et un dossier très bien monté et que le travailleur se faisait écraser littéralement dans certains cas. On a dit: Est-ce qu'il y a moyen de rétablir un juste équilibre et faire en sorte que la démarche médicale soit un peu plus équilibrée? On a dit: Oui, on trouve que ce serait intéressant que le médecin traitant puisse avoir recours à des avis de confrères spécialistes, puis il choisit. Il ne se le fera pas imposer par la CSST ou le patronat, il choisit. Et ça, on évalue que c'est un progrès qui est considérable.

Quant au dernier élément, M. le Président – je vais terminer là-dessus – je prends bonne note des remarques de la Fédération sur la paritarisme, mais je tiens à vous répéter qu'on commence à être en bonne compagnie au niveau de la défense du paritarisme décisionnel et quant aussi à la valeur et à la qualité des décisions qui peuvent être prises par un tribunal paritaire. Dans huit provinces canadiennes sur 10, ça existe, et les pays industrialisés s'orientent dans cette direction-là. On commence à se nourrir de l'expérience des autres.

Le Président (M. Sirros): Merci. J'aimerais peut-être en profiter pour remercier la Fédération pour leur présence et peut-être inviter le prochain groupe à venir à la table.

Mme Kark (Christine): Merci, M. le Président.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup.

(Consultation)

Le Président (M. Sirros): Alors, est-ce qu'on peut, s'il vous plaît, procéder à la prochaine audition? Parce que nous aurons aussi un consentement à demander de la part de tous les membres pour dépasser 18 heures. Alors, on arrêtera à 18 heures s'il n'y a pas consentement. Mais je crois comprendre qu'on passe à l'ATTAQ, l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec. Alors, si les présentateurs pouvaient se présenter, s'il vous plaît, on pourrait débuter cette partie.


Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec (ATTAQ)

Mme Flibotte (Liane): Bonsoir, M. le Président. Je suis Liane Flibotte. Je suis présidente de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec. Je suis accompagnée de Claude Dallaire qui est aussi membre du conseil d'administration de l'ATTAQ.

Le Président (M. Sirros): Merci. Avant que vous débutiez, étant donné qu'on va manifestement dépasser le temps de 18 heures, est-ce que je pourrais avoir le consentement de part et d'autre pour ce faire?

M. Gobé: Oui, oui.

Le Président (M. Sirros): Ceci étant acquis, on peut procéder, ce qui veut dire 18 h 30 maximum. Mais il faut qu'on le règle, parce que normalement il y avait une heure de prévue pour le groupe. On a commencé 15 minutes en retard. Est-ce qu'on peut avoir jusqu'à 18 h 45 pour terminer cette présentation? Consentement? Merci.

(17 h 50)

M. Gobé: C'est parce que le retard est dû un peu au retard du ministre, hein.

Le Président (M. Sirros): Je ne demande pas des personnes coupables. C'est acquis que c'est 18 h 45. Merci. Alors, on va procéder.

M. Flibotte (Liane): Merci, M. le Président. MM., Mmes les parlementaires, M. le ministre, vous comprendrez qu'une présentation de 20 minutes est peut-être plus difficile dans notre cas dans la mesure où on a de plus nombreuses critiques à adresser au projet de loi que les personnes qui ont parlé avant nous. C'est peut-être une preuve finalement que le projet de loi, bien loin de répondre aux demandes des travailleurs et des travailleuses, répond plutôt à celles des employeurs.

Alors, l'ATTAQ regroupe 11 associations de victimes de lésions professionnelles à travers le Québec et soutient, depuis sa création, depuis 1981 finalement, que le régime québécois d'indemnisation est porteur d'une judiciarisation indue. Alors, dans ce sens-là, l'objectif de déjudiciarisation est, bien sûr, un objectif auquel on souscrit. Cependant, on ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel projet de loi n° 79 a été présenté, à savoir, comme une première étape, là, dans le cadre de la promesse faite au patronat québécois de réduire les coûts du régime d'indemnisation. Évidemment, en tant qu'organisation d'accidentés, on ne souhaite pas que ces coûts-là soient les plus élevés possible, mais on ne souhaite pas non plus qu'on les réduise n'importe comment, surtout pas si ça doit se faire au prix d'une réduction de la justice envers les victimes. Alors, on espère que les parlementaires vont examiner la question du projet de loi n° 79 à partir d'un critère de justice envers les victimes et non pas seulement en termes d'économie possible pour le patronat.

Finalement, on trouve important de préciser que le régime d'indemnisation du Québec s'applique à tous les travailleurs et à toutes les travailleuses du Québec, que ces personnes-là soient syndiquées ou non, et qu'en ce sens il ne saurait appartenir à aucune organisation, quelle qu'elle soit, que ces organisations-là soient syndicales ou patronales, qu'elles siègent au C.A. de la CSST ou qu'elles n'y siègent pas. Le fait de siéger au C.A. de la CSST ne devrait pas faire en sorte qu'on considère que le régime d'indemnisation appartient aux gens qui le gèrent.

Alors, le projet de loi s'attaque à deux éléments fondamentaux. D'abord, la question de la structure d'appel qu'on va aborder dans un premier temps. Alors, ce qu'on propose dans ce projet de loi là, c'est purement et simplement l'abolition de tous les tribunaux existant actuellement, à savoir le BRP et la CALP. On les remplace par une révision interne sur dossier et par la création de la Commission des lésions professionnelles. Évidemment, la question de la structure d'appel est quelque chose de très important parce que, si la CSST reçoit des palmes d'or quant à son mandat de gestion, elle ne reçoit pas toujours des palmes d'or quant à sa façon d'appliquer la loi. On n'a qu'à lire les nombreux rapports du Protecteur du citoyen pour se convaincre que la CSST n'a pas toujours la réputation la plus enviable.

Il nous apparaît fondamental de dire que, à notre avis, une structure à deux paliers d'appel en matière de santé et sécurité doit être maintenue. Elle doit être maintenue parce qu'on sait que la Commission assume souvent un rôle de juge et partie, on sait que la CSST a des pouvoirs de contestation, on sait que les employeurs sont une partie intéressée au dossier, entre autres sur les questions médicales, et jouissent de pouvoirs de contestation importants et on sait aussi, parce que c'est dit depuis de nombreuses années, que la force des parties en présence qui s'opposent à la CSST est manifestement inégale, particulièrement pour les travailleurs et les travailleuses non syndiqués. Tant que cette situation-là sera maintenue et que le législateur n'interviendra pas pour la modifier en profondeur, on estime que deux paliers d'appel sont loin d'être de trop pour s'assurer de faire respecter nos droits.

Il y a des gens qui laissent entendre que le BRP, c'est une espèce d'instance bidon où on va faire une répétition générale, là, pour voir si on va plaider un bon dossier rendu au vrai débat qui se fera à la CALP. C'est une affirmation, à notre avis, sans fondement. Comme on le disait, le BRP renverse en moyenne 33 % des décisions qui sont portées devant lui et le deux tiers des décisions du BRP ne sont pas portées en appel. Et, de toute façon, s'il y a quelqu'un des parties en présence qui a les moyens d'aller se payer une répétition au BRP, ce n'est sûrement pas les travailleurs et les travailleuses. On pourrait peut-être jeter un regard sur de gros employeurs qui sont mieux organisés peut-être que certains autres et qui investissent des milliers et des dizaines de milliers de dollars dans la contestation des accidentés du travail. Alors, ce n'est certainement pas nous qui avons les moyens financiers de se payer des pratiques devant les tribunaux quand on sait les coûts qui sont rattachés à toute la question de la représentation.

On trouve d'ailleurs assez particulier que la proposition de revenir à un seul palier d'appel soit présentée par le Parti québécois, puisque c'est lui qui, en 1977, avait instauré la première structure à deux paliers d'appel et que c'est encore lui, lors de l'adoption de la LATMP en 1985, qui a maintenu cette structure à deux paliers d'appel. Alors, on comprend mal pourquoi le gouvernement du PQ voudrait détruire ce qu'il a lui-même créé et imposer un recul de 20 ans aux victimes d'accidents et de maladies du travail.

Il faut aussi réaliser que la structure d'appel qui est proposée dans le projet de loi est peut-être même susceptible de judiciariser davantage, dans le sens où, entre autres, sur les litiges portant sur des questions médicales, devant le BRP, on va souvent plaider ces dossiers-là sans nécessairement avoir une expertise médicale très, très, très définie. Souvent, on va avoir une opinion médicale, mais sans avoir l'expertise, là, de 20 pages. On ne fera pas nécessairement témoigner des médecins spécialistes en audition. Il faut comprendre que, si on n'a qu'un seul palier d'appel, évidemment les deux parties qui vont s'affronter au tribunal vont mettre le paquet pour appuyer leur dossier et, donc, présenter des preuves beaucoup plus élaborées et beaucoup plus coûteuses. Et ça, ça risque de faire en sorte aussi que de nombreux travailleurs et de nombreuses travailleuses vont tout simplement abandonner leur appel, et non pas loger une contestation qui serait pourtant légitime et fondée, à cause des coûts qui seraient entraînés.

Finalement, sur la question de la révision interne qui est proposée par le projet de loi n° 79, on ne peut pas accepter cette révision interne là, surtout qu'elle se fait sur dossier et sur la base d'une argumentation écrite. Et là je pense qu'il faut réaliser qu'on est dans un régime d'indemnisation qui est complexe et que, même s'il était déjudiciarisé convenablement, il est complexe, il comporte des questions difficiles. Il faut aussi réaliser que bon nombre de travailleurs et de travailleuses au Québec n'ont pas nécessairement la capacité d'écrire très facilement. On connaît notre taux d'analphabétisme au Québec qui est alarmant. Bon, ce n'est pas ici qu'il faut en parler, mais il faudrait quand même y faire quelque chose. Il y a aussi de nombreux travailleurs et de nombreuses travailleuses qui sont des nouveaux et des nouvelles arrivantes, qui ne possèdent pas nécessairement beaucoup notre langue commune encore et qui évidemment, là, sur la base d'une argumentation écrite, vont se retrouver dans de sérieuses difficultés.

Évidemment, même si on possède bien la langue française et même si on a des capacités d'écriture qui ne sont pas trop mal, il faut comprendre que la LATMP, c'est complexe, et que les travailleurs et les travailleuses qui vont en être à leur première lésion professionnelle, eux, vont devoir apprendre tout le processus de révision interne sur le tas, alors que les entreprises, elles, pourront bénéficier de l'expérience qu'elles peuvent acquérir de toutes les lésions professionnelles qui ont cours dans l'entreprise. Donc, l'employeur, lui, s'il a eu 15 accidents dans son année, a évidemment développé une certaine expérience, une certaine expertise des rouages de la révision interne et le travailleur qui est à sa première lésion professionnelle, lui, devra apprendre ça sur le tas, avec argumentation écrite par-dessus le marché. Alors, je pense que ce processus-là est manifestement inéquitable et, évidemment, on ne peut pas l'accepter.

Finalement, bien, dans un deuxième temps, la création d'un tribunal de dernière instance. On comprend mal pourquoi on voudrait remplacer la CALP qui existe actuellement et qui tranche depuis plus de 10 ans des litiges. Bon, évidemment, on peut avoir des critiques à adresser à la CALP, mais peut-être pas au point de jeter le bébé avec l'eau du bain et de tout simplement s'en débarrasser pour créer quelque chose de nouveau.

On nous parle des délais. Bon, pour les gens qui sont dans le domaine de la santé et sécurité depuis une dizaine d'années comme nous, et même un peu plus que 10 ans dans le cas de Claude, ça nous fait toujours un peu sourire, cette question de délais là, parce qu'en 1985, avec la loi 42, on nous avait promis des délais raccourcis parce que la CAS, c'était trop long, puis avec la CALP, ça allait être magique, et tout ça, et ça n'a pas fonctionné. On soupçonne que ça ne fonctionnera pas beaucoup plus davantage avec la CLP.

C'est vrai que la question des délais peut être importante. Cependant, la question de la rapidité avec laquelle on obtient une décision d'un tribunal, ça ne peut pas constituer le seul critère d'évaluation de la qualité d'un tribunal. Évidemment, le premier critère d'évaluation de la qualité d'un tribunal devrait, bien sûr, être la qualité des décisions qui sont rendues et la qualité des gens qui rendent ces décisions-là, parce que, si on a un mauvais tribunal, qui ne correspond pas aux garanties d'indépendance, d'impartialité, mais qui nous rend des décisions dans deux semaines, je ne pense pas qu'on va pouvoir dire que le tribunal est en soi bon. Donc, c'est important, oui, la question des délais, une question importante, mais ce n'est pas le seul critère d'évaluation de la qualité d'un tribunal. Et, si les accidentés du travail veulent avoir accès à une justice dans des délais qui soient raisonnables, ils veulent avant tout avoir accès à des tribunaux compétents, indépendants et impartiaux. Donc, dans ce sens-là, les coûts qui seraient entraînés par la création de la Commission des lésions professionnelles ne nous apparaissent pas très utiles.

(18 heures)

Au niveau du paritarisme, bon, l'ATTAQ est opposée au paritarisme depuis toujours. Alors, on maintient cette position-là. On n'a pas besoin d'un tribunal composé de trois personnes, surtout quand certaines de ces personnes-là ne rencontrent pas les critères d'indépendance et d'impartialité qu'on est en droit d'exiger. De plus, les lourdeurs et les coûts qui sont entraînés par le paritarisme ne nous semblent pas très utiles, et on comprend très mal comment le patronat québécois, qui pleure depuis des mois que ses cotisations à la CSST sont trop élevées et que le régime d'indemnisation coûte trop cher – il demande même au ministre de réduire le taux de prestation des accidentés du travail – se découvre des largesses de quelques millions de dollars quand c'est le temps de financer le caractère paritaire d'un tribunal. Alors, ça, c'est sur la question du paritarisme.

Sur le fait que le tribunal de dernière instance serait transféré sous la responsabilité du ministère du Travail, il ne nous apparaît pas très judicieux que le ministre responsable de la CSST soit aussi responsable du tribunal qui est appelé à renverser les décisions de cette Commission-là. C'est important d'ailleurs de réaliser que le législateur a, par le passé, toujours reconnu la validité de notre point de vue, dans le sens où la CALP est actuellement non pas sous la responsabilité du ministère du Travail, mais sous la responsabilité du ministère de la Justice.

Et finalement il faut réaliser que les deux recours qui nous sont proposés dans le projet de loi de 1979, no° 79, pardon... C'est parce qu'on a tellement l'impression de revenir en arrière que – ha, ha, ha! – on met des 1900 avant le numéro. Mais les délais qu'on nous impose pour exercer les recours qui sont proposés sont inadmissibles. Qu'on pense à un délai de 30 jours pour aller devant un tribunal de dernière instance quand on sait qu'en matière de santé et sécurité il y a des questions légales, il y a des questions médicales, que les travailleurs et travailleuses, particulièrement les non-syndiqués, ont besoin de temps pour pouvoir consulter des personnes compétentes qui sont en mesure de leur donner un éclairage sur leur dossier et ce qui est à propos de faire ou de ne pas faire par rapport à ce dossier-là, un délai de 30 jours, ça n'a pas de bon sens. À l'ATTAQ, on a toujours revendiqué un délai de 90 jours, et, bien loin de répondre à notre demande, le projet de loi fait même pire que la situation actuelle, c'est-à-dire qu'on sait qu'actuellement le délai pour en appeler d'une décision devant la CALP est de 60 jours, et on réduit ce délai d'appel là de moitié. Alors, sur la question de la structure d'appel, il est évident qu'on ne peut pas donner notre aval à ce projet de loi là, et je vais laisser Claude intervenir sur la question médicale davantage.

M. Dallaire (Claude): Bonjour. Mon nom est Claude Dallaire. Je travaille depuis 15 ans avec les victimes d'accidents et de maladies du travail, majoritairement des femmes non syndiquées. J'imagine que le travail que je fais est quand même potable, puisqu'une partie de mes dossiers me sont référés par les attachés politiques des députés de la région: Mme Gagnon-Tremblay, M. Boucher, Mme Malavoy.

Mon intervention se situe au niveau du processus d'évaluation médicale, en pages 11 et suivantes du mémoire qu'on a déposé. Vous savez, la question médicale, c'est la pierre angulaire du régime d'indemnisation. C'est par là qu'apparaissent la majorité des problèmes qu'on a avec les victimes d'accidents et de maladies du travail et les problèmes avec la CSST, parce que c'est la CSST qui contrôle le processus d'évaluation médicale en entier.

Ce qui nous est proposé dans le projet de loi n° 79, c'est encore pire que ce qu'on a actuellement. J'essaie de vous expliquer assez brièvement, puisque Liane a pris quand même assez de temps, puis je ne veux pas vous étouffer dans les procédures, ce que le projet de loi n° 79 va nous donner. Le projet de loi n° 79, ce qu'il dit, c'est que, lorsque la CSST va vouloir contester le rapport du médecin traitant, elle va contacter le médecin traitant pour lui soumettre une liste de médecins désignés par la CSST. Donc, le médecin traitant n'aura pas à choisir parmi tous les médecins de l'Estrie ou tous les médecins du Bas-Saint-Laurent ou tous les médecins du Québec. La CSST d'une région va soumettre une liste de médecins désignés par la CSST, et le médecin traitant aura à soumettre, lui, trois noms, parmi lesquels la CSST, elle, elle va choisir un de ces trois noms-là pour faire expertiser le travailleur ou la travailleuse pour aller contre le médecin traitant.

Et là, lorsqu'on aura ce rapport-là, la CSST va appeler le médecin traitant pour lui dire: Est-ce que t'acceptes de modifier ton rapport en fonction du rapport qu'on a reçu? Si le médecin traitant accepte de modifier son rapport et suit ce qui est proposé par le médecin désigné par la CSST, le médecin traitant change son rapport et le travailleur, la travailleuse ne peut pas contester ce rapport-là. Donc, il peut perdre ses droits à la CSST. Fini l'IRR, fini la réadaptation, et il ne peut pas contester ça.

Si, par contre, le médecin traitant décide de garder son rapport et de dire à la CSST: Je ne veux pas modifier mon rapport, on envoie le dossier au Bureau d'évaluation médicale. Le Bureau d'évaluation médicale, vous savez, c'est le patronage médical organisé par la CSST. Vous avez en annexe tous les chiffres du Bureau d'évaluation médicale, vous avez aussi l'émission Enjeux qui a fait un reportage là-dessus. C'est du patronage médical qui est contrôlé, et c'est clair que, lorsqu'on embarque dans cette gamique-là, la majorité du temps, les travailleurs et travailleuses se font couper. Donc, c'est la procédure qui est proposée avec le projet de loi n° 79. Même chose, les employeurs ont les mêmes droits aussi de contester.

Ce qu'on voit comme très problématique là-dedans, c'est à plusieurs niveaux. Premier niveau: le médecin traitant. Le médecin traitant devra choisir parmi une liste de médecins désignés par la CSST un médecin qui va contredire son opinion. C'est quand même assez intéressant, on demande à un médecin de désigner quelqu'un d'autre qui va dire le contraire de lui. Premier problème.

Deuxième problème: la relation qu'on peut appeler «entre les médecins et les travailleurs, les travailleuses», les patients. Cette relation-là va être complètement brisée, puisque le médecin traitant, qui va faire un lien avec la CSST via le médecin désigné, qui va faire une expertise contre lui, et les téléphones qui vont se faire entre le médecin de la CSST et le médecin traitant, ça se fait dans le dos du travailleur, de la travailleuse. Le travailleur-travailleuse n'a pas de nouvelles de ça, ne sait rien. Tout ce qu'il sait, c'est qu'à un certain moment le rapport de son médecin traitant peut être modifié, et là il a perdu tous ses droits, il ne sait pas ce qui s'est passé, il n'a pas eu de téléphone, il n'était pas là. Ce n'est pas une conférence téléphonique, c'est un téléphone entre le médecin de la CSST et le médecin traitant.

Deuxième problème dans le projet de loi: on demande au médecin traitant... On va lui donner cinq jours pour désigner un médecin, cinq jours. On demande ça à un médecin, cinq jours. Pour les gens qui font des cas d'accidents et de maladies du travail, cinq jours, c'est à peu près comme une minute. C'est irréaliste de demander cinq jours à un médecin. Il voit tellement de patients que, dans sa pratique, cinq jours, pour lui, là, c'est un délai qui est beaucoup trop court. Donc, le délai de cinq jours est de beaucoup trop court, et, de toute façon, c'est la CSST qui va choisir le médecin, parce que le médecin traitant, il soumet une liste de trois.

Troisième problème: le harcèlement des médecins traitants. Vous savez, les médecins traitants qui acceptent d'aider les travailleurs et les travailleuses accidentés, il n'y en a pas des tonnes. Pourquoi? Parce que c'est des procédures, c'est des rapports. Deuxième rapport, troisième rapport, on se fait téléphoner. Il y en a très peu qui acceptent d'aider, parce que ce n'est pas dans leurs moeurs nécessairement de remplir des papiers et de remplir des papiers. C'est des médecins.

Et là le projet de loi, ce qu'il nous propose, c'est qu'il y ait encore plus de téléphones via le bureau médical de la CSST, via les médecins de la CSST puis le médecin traitant. Imaginez-vous, là, ça va être de la paperasserie, des téléphones, et c'est évident que ces médecins-là qui acceptent d'aider les travailleurs-travailleuses, ils vont disparaître. Ils vont dire: Moi, là, ma pratique, c'est d'aider les gens; je suis un médecin, je ne suis pas un fonctionnaire médical. Donc, la question du harcèlement, c'est évident que ça va faire un problème.

Autre problème que je vous ai soulevé: la question du téléphone entre le médecin traitant et le médecin de la CSST. Tout ça, c'est par téléphone, c'est obscur, on n'a aucune nouvelle, et le médecin traitant, lorsqu'il va modifier son rapport, le travailleur, la travailleuse va apprendre qu'il n'a plus droit à la CSST, que c'est fini, la CSST, mais il ne saura pas du tout ce qui s'est passé. Il ne fait pas partie de cette procédure-là. Donc, on élimine pour le travailleur-travailleuse la justice naturelle de savoir ce qui se passe dans son dossier. Donc, c'est clair que, au niveau du projet de loi n° 79, en ce qui concerne le processus d'évaluation médicale, ça ne va pas déjudiciariser. Ça va éliminer beaucoup de droits au niveau des travailleurs-travailleuses au niveau médical. Si on voulait vraiment déjudiciariser, je crois qu'il faudrait peut-être abolir le Bureau d'évaluation médicale qui, là, est le problème. J'ai terminé. Je laisse la parole à Liane pour finir.

Le Président (M. Sirros): Ha, ha, ha! Jamais mes gestes n'ont eu un tel impact.

M. Dallaire (Claude): Non, non.

Mme Flibotte (Liane): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Sirros): Alors, peut-être en conclusion pour les deux minutes qui restent.

Mme Flibotte (Liane): Oui, peut-être en conclusion pour les trois minutes qui restent. Alors, on pense qu'avec le projet de loi n° 79, s'il est dans l'ambition du ministre du Travail de pouvoir dire, après un an d'application de sa loi, que le nombre de contestations a diminué, ça va être vrai. Ça va être vrai parce que, entre autres sur la question médicale, on va nier le droit à de nombreux travailleurs et à de nombreuses travailleuses de contester les décisions qui seront rendues par la Commission. Mais ça ne veut pas dire qu'il va y avoir moins de contestations parce qu'on va avoir moins de raisons de contester. Peut-être qu'on va avoir moins de droits de contester, et, à notre avis, ce sera parce qu'on aura confondu déjudiciarisation et réduction de droits de contestation, ce qui nous apparaît être des choses très différentes.

Le projet de loi, à notre avis, ne s'attaque pas aux causes de judiciarisation mais bien plus à ses manifestations, et, dans ce sens-là, si le législateur veut véritablement déjudiciariser le régime d'indemnisation plutôt que de viser la structure d'appel, qui, bien qu'on puisse avoir certaines critiques à son endroit, n'est, à notre avis, pas le centre du problème de la judiciarisation, il devrait s'attaquer d'abord et avant tout à toute la question du processus d'évaluation médicale, mais, alors là, dans une orientation qui serait tout à fait différente de celle du projet de loi n° 79. Et on pourra en parler davantage lors de la période de questions, mais, à l'ATTAQ, on a toujours mis de l'avant une certaine proposition de fonctionnement, au niveau du processus d'évaluation médicale, qui serait pour un véritable respect de l'opinion du médecin traitant, dans les faits, par la CSST, une limitation des pouvoirs de contestation des employeurs en matière médicale et la modification des pouvoirs de la CSST en matière médicale et, comme Claude le disait si bien, bien sûr, l'abolition du Bureau d'évaluation médicale qui est dénoncé de toutes parts.

(18 h 10)

Alors, pour nous, déjudiciariser, ça veut dire faire en sorte que les travailleuses et les travailleurs n'aient plus de raisons de contester. Avec le projet de loi n° 79, ce qu'on est en train de faire, c'est de faire en sorte que les travailleuses et les travailleurs n'aient plus ni les moyens, ni le droit de contester. C'est bien différent. Alors, à notre avis, le projet de loi n° 79 ne peut pas être modifié de façon à répondre à nos demandes et, conséquemment, il doit être au plus vite purement et simplement retiré. On considère que les victimes d'accidents et de maladies du travail, depuis 1985, ont suffisamment reculé; on estime que c'est maintenant au gouvernement de le faire. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Sirros): Merci. M. le ministre.

M. Rioux: Décidément, tout le monde veut le bien des travailleurs, mais on n'utilise pas les mêmes moyens. Alors, on peut vous dire que les travailleurs sont à l'honneur, c'est le moins qu'on puisse dire, et j'en suis ravi, dans un sens, parce que c'est bon qu'on brasse des idées puis qu'on essaie de voir ce qui est le mieux, le meilleur. Mais j'aimerais dire une chose dès le départ: le CPQ n'a jamais demandé de projet de loi sur la déjudiciarisation. Il ne faudrait pas voir dans le projet de loi n° 79 un complot patronal avec le gouvernement. Quand vous affirmez qu'il y a un patronage médical, il va falloir que vous me prouviez ça.

Moi, je voudrais vous dire, entre parenthèses, quant au Protecteur du citoyen, que j'ai lu ça comme vous. Le Protecteur du citoyen dit peu de mal de la CSST, à moins qu'on lise les choses différemment.

Les délais, vous en avez parlé. Bien, là, je pense qu'on va s'entendre. Pourquoi on fait disparaître la CALP? C'est parce que ça prend trop de temps. C'est un engorgement dans le système. Ce n'est pas un tribunal qui règle nos problèmes, finalement, c'est un engorgement qui fait qu'après trois ans – puis j'espère que vous êtes sensibles à ça – après deux ans le travailleur a perdu son droit de retour pour travailler. À mon avis, respecter le travailleur, ça commence par là. Et vous ne me ferez pas accroire qu'en enlevant un palier on ne sauve pas de temps. Ça, ce n'est pas vrai. On ne me fera jamais accroire, moi, qu'en simplifiant une structure on maintient la lourdeur. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas possible, ça. Il y a une question de logique là-dedans. Les deux ans de la CALP à se tourner de bord, madame, je ne le prends plus. «C'est-u» clair, ça? Je ne le prends plus.

On a vécu des expériences quand même intéressantes au niveau du bureau de révision paritaire qui a rendu pas mal de décisions, hein? Pour 85 %, c'était unanime. Ça nous a inspirés, ça aussi. Ce n'est pas des sirènes du patronat québécois qui nous ont inspiré ça, c'est le gros bon sens puis les associations, comme vous autres d'ailleurs, qui ont eu la finesse de porter ça à notre attention puis de dire: Ça ne tient plus debout.

Délai de cinq jours, les fédérations médicales qui ont été consultées ont dit: Oui, oui, ça marche, on en a assez. À moins que vous me convainquiez du contraire, que cinq jours, c'est un drame, on regardera ça. Quant aux délais pour la révision – les demandes – au bureau de révision paritaire, c'est 30 jours. Il n'y a personne qui est venu malade avec ça. Vous autres, vous voulez 90 jours. Est-ce qu'on va négocier ça? C'est possible. Je ne le sais pas.

J'aurais une petite question. Je regarde ça, le patronat québécois quant au Bureau d'évaluation médicale. Ils n'ont pas de demande là-dessus puis ils nous ont dit qu'ils vivraient avec le statu quo. Tout à l'heure, monsieur disait – et vous aussi d'ailleurs – que la proposition de la loi n° 79 est pire que la situation actuelle. Savez-vous, je vais regarder ça, et, si vous êtes d'accord pour vivre avec le patronat québécois, on peut regarder si c'est possible de vous faire vivre avec lui. Vous n'avez pas toujours été en bonne compagnie avec ce monde-là, vous le savez, mais votre discours m'étonne. C'est une dénonciation en règle du projet.

L'élément le pire, l'élément, oui, où vous mettez le plus fortement l'accent, c'est sur le BEM. Moi, je vais réfléchir à ce que vous venez de raconter. Quant au paritarisme, vous ne m'avez pas convaincu. Vous avez de l'ouvrage à faire. Quant au bureau de révision paritaire, je vous le dis, quant au BEM, la CSN est contre, nous autres aussi. Bien, il y a une proximité idéologique entre les deux. On va penser à ça sérieusement. Voilà.

Le Président (M. Sirros): Alors, une réponse ou...

Mme Flibotte (Liane): M. le Président, je trouve ça un peu particulier que ce soit le ministre du Travail qui nous demande de l'éclairer sur le patronage médical qui a lieu au BEM alors que l'annexe qui est à notre mémoire est constituée à partir des chiffres que nous obtenons de son propre ministère. Alors, je trouve ça un peu inquiétant – ha, ha, ha! – que ce soit le ministre responsable du ministère qui nous a fourni les chiffres qui nous demande d'être éclairé.

M. Rioux: Je conteste vos affaires. Ha, ha, ha!

Mme Flibotte (Liane): Quant aux délais devant les tribunaux, je trouve ça aussi particulier que le ministre du Travail soit en commission parlementaire, en 1997, et qu'il nous serve les chiffres des délais de 1993, entre autres dans les publications qui ont été produites conjointement par la CSST et le ministère. Alors, en ce sens-là, moi, je pense que tout le monde va reconnaître que les délais, que ce soient devant la CALP ou devant le BRP, ont été significativement réduits. On peut juger que, dans certains cas, il y a encore des écarts importants qui méritent d'être corrigés, mais je pense que c'est important de ne plus parler de délais de trois à quatre ans avant d'obtenir une décision finale, parce que, là, sur le terrain, ce n'est pas ce qui se vérifie.

Le ministre semble très préoccupé de raccourcir les délais – et ce n'est pas la première fois qu'on l'entend – principalement pour sauvegarder le droit de retour au travail qui, comme on le sait actuellement, selon la taille de l'entreprise, est d'un ou deux ans à partir du moment de l'absence continue suite à la lésion professionnelle. Alors, si le ministre est si préoccupé par le droit de retour au travail des travailleurs et des travailleuses, il n'est pas du tout besoin de présenter un long projet de loi avec de nombreux articles, on a besoin d'un très court projet de loi avec un seul article amendant l'article 240 de la loi et prévoyant que le droit de retour au travail des travailleurs et des travailleuses est garanti. Alors, on pourrait être beaucoup plus efficace et passer beaucoup moins de temps sur la question. Si l'objectif est uniquement d'assurer le droit de retour au travail des travailleurs et des travailleuses, c'est un objectif auquel on souscrit, et un projet de loi d'un seul article suffira amplement à régler cette question-là.

Sur la question du paritarisme, j'ai entendu, depuis le début de la commission parlementaire, le ministre invoquer le 85 % ou le 86 % des décisions du BRP qui sont rendues de façon unanime et je trouve ça un peu paradoxal parce que, à notre avis, bien loin d'être un argument qui milite en faveur du paritarisme, c'est plutôt un argument qui milite contre le paritarisme, parce que, quand on dit que 85 % des décisions sont rendues de façon unanime, ce qu'on dit, c'est que la présence syndicale et patronale n'a rien changé et que la personne du centre aurait pu rendre exactement la même décision que la décision unanime, alors que le paritarisme a beaucoup plus de sens, en termes d'information de la personne qui siège au centre et de débats et de délibérés difficiles quand les décisions sont rendues à la majorité plutôt qu'à l'unanimité. Alors, ça ne m'apparaît pas, moi, être un argument très, très convaincant militant en faveur du paritarisme.

(18 h 20)

Sur la question du médical, nous ne sommes pas prêts à vivre avec le statu quo. Ça fait 10 ans, 11 ans, 12 ans maintenant que nous ne sommes pas prêts à vivre avec le statu quo. Ça fait depuis l'adoption de la loi 42 qu'on dénonce le processus d'évaluation médicale qui a cours dans le cadre de la LATMP. On ne veut pas du statu quo, on ne veut pas du projet de loi qui est sur la table, on ne veut pas de la proposition qui nous est faite en termes de réforme du processus d'évaluation médicale; on veut que cette proposition-là soit retirée dans les plus brefs délais et on veut que le législateur prenne du temps pour rédiger un projet de loi qui va convenir et qui va répondre aux nombreuses critiques que nous avons.

Si le législateur est en mesure de s'attabler et de faire sérieusement un travail dans une perspective d'une plus grande justice pour les victimes d'accidents et de maladies du travail, nous allons subir le statu quo pendant quelques mois jusqu'à ce que nous puissions revenir en commission parlementaire et discuter d'un projet de loi qui sera sans doute plus intéressant que celui que nous avons sous les yeux, ce qui, de toute façon, ne sera pas très difficile.

M. Dallaire (Claude): Au niveau de l'évaluation médicale, M. le ministre, si vous prenez le temps de regarder l'annexe, vous allez voir que, sur les quelque 250 ou 300 médecins à chaque année qui acceptent de faire des évaluations médicales au niveau du Bureau d'évaluation médicale, vous en avez une très petite quantité, sept, huit, 10 qui les font presque toutes, les évaluations médicales, et vous avez, en page 6 de l'annexe, combien ces médecins-là font d'argent depuis une dizaine d'années. Ils approchent le 1 000 000 $, et ça, c'est en «sideline», ce n'est pas des médecins à temps plein. Première chose.

Deuxième chose, M. le ministre, il faut savoir que, d'après la loi, c'est vous qui nommez ces médecins-là au niveau de chaque arbitrage médical. Vous êtes le responsable. La question est de savoir pourquoi vous en nommez sept ou huit sur 250 ou 300 qui sont capables d'en faire. C'est ce qu'on appelle le «patronage médical».

Le Président (M. Sirros): M. le ministre, avez-vous d'autres questions ou...

M. Rioux: M. le Président, j'aimerais rappeler que le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre fait des recommandations, et il faut tenir compte aussi de la disponibilité des personnes. Il y a des gens qui sont disponibles à faire ce genre de travail là, mais il y en a qui ne le sont pas. Il faut composer avec ce genre de contraintes là dans l'examen de la question. Mais je prends bonne note, par ailleurs, de toutes les remarques qui ont été faites par l'ATTAQ, et on aura l'occasion certainement de réfléchir à tout ça dans l'ensemble des mémoires que nous allons entendre et les discussions que nous aurons avec les groupes.

Je terminerai simplement en demandant aux représentants de l'ATTAQ: L'analyse que vous faites du système, c'est que finalement c'est un mauvais système. Bon. Qu'est-ce que vous proposez pour l'améliorer?

Le Président (M. Sirros): Est-ce que je peux vous demander de circonscrire un peu vos réponses à l'intérieur de quelques minutes?

Mme Flibotte (Liane): Absolument.

Le Président (M. Sirros): Parce que j'ai un autre député du côté ministériel qui veut aussi poser une question.

Mme Flibotte (Liane): C'est une question quand même assez vaste, parce qu'on a un régime qui mérite de nombreuses améliorations. Donc, vous comprendrez que la réponse peut s'étendre un peu, mais on aura l'occasion aussi, dans les échanges avec l'opposition, de compléter les informations qui sont demandées par le ministre.

À notre avis, la pierre angulaire de ce régime-là et de nombreuses injustices que vivent les travailleurs et les travailleuses origine du processus d'évaluation médicale. Alors, dans ce sens-là, le premier élément qui devrait retenir notre attention ou l'attention du législateur, c'est la question du processus d'évaluation médicale. Le premier principe qu'une réforme sensée devrait contenir, c'est le respect de l'opinion du médecin traitant. Et là on ne parle pas du respect écrit à l'article pour ensuite avoir 18 articles qui font en sorte que le médecin traitant n'ait plus grande valeur, rendu au bout du processus, on parle d'un véritable respect de l'opinion du médecin traitant. On sait que, effectivement, actuellement ce principe-là est inscrit dans le cadre de la LATMP, sauf qu'en même temps les employeurs et la CSST jouissent de pouvoirs de contestation médicale tellement étendus que ça ne prend pas de temps avant que le médecin traitant voie son opinion discartée. Alors, évidemment il faut refaire les choses d'une autre façon, et on pense que d'instaurer le respect intégral de l'opinion du médecin traitant, c'est une des avenues à explorer.

Évidement, on entend nos adversaires dire: Ah oui, mais la complaisance des médecins traitants, et tout ça, ça n'a pas de sens. Il faut bien réaliser que, dans le régime d'indemnisation actuel, la seule partie qui ne paie pas le médecin duquel elle demande les services, c'est l'accidenté. Les employeurs qui font faire des expertises pour aller au BEM paient les médecins, la CSST, qui désigne des médecins pour contester l'opinion du médecin traitant, paie ces médecins-là, les médecins du Bureau d'évaluation médicale sont payés à l'acte, à l'expertise et sont payés aussi par la partie qui fait appel à leurs services, et la seule partie qui ne paie pas le médecin – ha, ha, ha! – qu'elle voit, c'est l'accidenté. Donc, si on est questionnés par la question de la complaisance des médecins traitants, il nous apparaît que ce n'est pas tant du côté des médecins traitants qu'il faut la chercher comme des médecins évaluateurs pour les compagnies, pour la CSST et par les médecins du BEM.

Alors, c'est le premier principe duquel découlent d'autres qu'on aura l'occasion de discuter plus avant dans la période de débat qu'il nous reste.

Le Président (M. Sirros): M. le député de Johnson. Il vous reste deux, trois minutes.

M. Boucher: D'accord. Alors, Mme Flibotte, M. Dallaire, je suis très heureux et peu surpris d'ailleurs de votre présentation, nous avons eu l'occasion, dans le passé, d'échanger de cette façon ensemble. Je suis aussi agréablement surpris que vous souhaitiez que mon parti ne change pas des projets qu'il a déjà adoptés et ce que vous avez longuement contesté dans le passé sur plusieurs projets de loi que nous avons adoptés.

J'ai juste une question toute simple, puisqu'on pourrait en parler longtemps, mais... Vous êtes sûrement au courant qu'il y a 900 000 rapports médicaux qui ont été reçus en 1995. La CSST n'en a contesté que 200, soit 0,1 % qui ont été portés au BEM; 800, c'est-à-dire. O.K.? C'est dans nos statistiques, n'est-ce pas? Alors, je comprends mal comment vous pouvez critiquer à ce point le système alors que seulement 0,1 % des rapports médicaux sont contestés et portés au BEM.

Mme Flibotte (Liane): Je ne sais pas si ces chiffres-là proviennent du ministère. À mon avis, ils proviennent plutôt de la CSST, parce que, bon... Mais, selon les occasions où on en discute, les chiffres changent un peu. Dans une émission de télévision avec M. Millette, j'avais eu droit à 900, là on me parle de 800 ou de 200, mais en tout cas.

M. Boucher: Huit cents.

Une voix: Neuf cents. Mettez-le à 900.

M. Boucher: En tout cas.

Mme Flibotte (Liane): On va mettre ça à 900. Ha, ha, ha! On va arrondir. On va arrondir à 900.

Une voix: Ça ne changera pas grand-chose dans le débat.

M. Boucher: Ça fait 0,1 % quand même.

Mme Flibotte (Liane): Oui. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il se produit énormément de rapports médicaux à la CSST, et évidemment la CSST peut aussi nous dire: Écoutez, on accepte la plupart des réclamations. C'est vrai, sauf que les gens que l'on conteste, eux se retrouvent dans une réalité très difficile et injuste. Et, même si ce n'était que 1 % ou 2 % ou 0,2 %, ça, ça représente des milliers d'accidentés du travail. On est en train de parler de gens, de travailleurs et de travailleuses. On n'est pas en train de parler de statistiques, ici, on n'est pas en train de se demander si ces gens-là représentent 0,2 % des dossiers que traite la CSST, on parle de travailleurs et de travailleuses qui ont une famille, qui ont des enfants, qui ont des logements à payer, qui ont une épicerie à faire, qui ont des enfants à vêtir, et je pense que ce n'est pas nécessairement en réduisant ce groupe important de personnes là à des demi-pourcentages qu'on va véritablement examiner la chose en fonction des intérêts des travailleurs.

En 1995, il y a eu 8 324 dossiers d'acheminés au BEM. Si le ministre peut me dire que les informations que nous avons obtenues de son ministère sont fausses, nous sommes tout à fait disposés à obtenir les véridiques et à modifier nos chiffres en conséquence. Cependant, les chiffres que nous avons obtenus du ministère du Travail lui-même sont à l'effet qu'il y a eu 8 324 dossiers d'acheminés au BEM, et ces dossiers-là n'ont pas été acheminés par la CSST dans une proportion de seulement 900. Et je suis convaincue que M. Shedleur, qui est ici, s'il fait l'effort de se rappeler du chiffre, pourra nous le dire.

(18 h 30)

M. Boucher: Je m'excuse, c'est «contestés» que je voulais dire, ce n'est pas «portés au BEM».

Mme Flibotte (Liane): Bien, oui, mais, là, c'est ça...

M. Boucher: Contester.

Mme Flibotte (Liane): Il faut comprendre que la CSST a deux façons de porter un dossier au BEM, c'est soit en le contestant, une fois que le rapport du médecin traitant est émis et qu'elle veut le contester, ou en demandant un avis au BEM, mais évidemment c'est un avis duquel habituellement elle s'inspire pour rendre une décision. Et, si on additionne ça, on arrive à un chiffre beaucoup plus élevé que 900 dossiers. Alors, plutôt que de jouer sur les mots, il faudrait peut-être se dire les vraies affaires.

Le Président (M. Sirros): Alors, merci. M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Oui. Merci, M. le Président. Mme Flibotte, il me fait plaisir – M. Dallaire aussi, d'ailleurs – de vous accueillir ici aujourd'hui. Pour avoir eu l'occasion de parler avec vous sur d'autres dossiers, j'ai toujours pu apprécier votre connaissance de ce que vous dites et, en général, de la justesse des chiffres et des faits que vous invoquez. S'il y a une qualité qu'on doit vous reconnaître – même que ça ne fait pas toujours notre affaire – c'est bien celle-là. Moi, ça fait mon affaire, personnellement, mais peut-être pas tout le monde.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Aussi, force est de reconnaître votre implication en ce qui concerne la défense des travailleurs, des gens qui, bien souvent, sont non syndiqués, non organisés et qui, sans vous, bien souvent, se retrouveraient à la merci de désistements ou de laisser-tomber des procédures ou des formalités pour faire valoir leurs droits. Et, à ce titre-là, comme élus de la population qui recevons une partie de ces gens-là à nos bureaux et qu'on dirige, comme M. Dallaire le disait, bien souvent, vers vos bureaux, nous vous devons certainement la plus grande reconnaissance parce que, lorsque ces cas-là nous arrivent, nous ne savons pas trop quoi faire avec, nous les élus, dans ce dédale administratif et dans cette boîte qu'est la CSST, qui a une attitude très souvent impersonnelle et plutôt basée sur la statistique et sur le rendement des chiffres que sur traiter vraiment le cas des citoyens puis des travailleurs.

En effet, trop souvent, on parle de coupures, on parle de budgets, de délais puis on oublie que, là-dedans, il y a quelqu'un, il y a un homme, il y a une femme qui a des enfants, qui a un loyer à payer, qui a une épicerie à payer, qui a une hypothèque et puis qui, du jour au lendemain, se retrouve démunie, totalement à la merci de décisions administratives.

Alors, moi, je trouve un peu dommage que le ministre adopte un ton un peu arrogant, à la limite de l'arrogance avec vous, suffisant, en tout cas, manquant de sensibilité. Je crois qu'au contraire au lieu de débrancher son fax, quand vous envoyez des fax pour faire des recommandations, parce qu'il trouvait qu'il y en avait trop à son cabinet, il aurait dû vous consulter avant d'écrire le projet de loi. Et peut-être que ça aurait évité le genre de situation que nous avons, où l'ensemble des groupes viennent dire qu'ils ne sont pas d'accord avec son projet de loi, et lui s'entête pour dire que tout le monde est d'accord avec.

Au mois de décembre, et je terminerai là-dessus puisque ma collègue de Saint-François a des questions à vous poser, il disait: C'est une loi pour les travailleurs, c'est une loi est qui est attendue par les travailleurs, et seuls ceux qui ne l'ont pas lue en contestent la validité et la valeur. Il y a un consensus global, il commence à se dégager, une opinion qui m'indique, moi, personnellement, que ce projet de loi, on ne retardera pas son adoption, comme le souhaite l'opposition, on va l'adopter avant Noël.

Il me semble que, s'il écoutait un peu plus souvent les gens comme vous, comme nous les écoutons, l'opposition, et les autres groupes aussi, il n'aurait pas dit ces paroles lorsqu'il a présenté ce discours. Et, s'il avait eu à les dire, c'est parce qu'il vous aurait parlé avant, il vous aurait rencontrés. Et moi, je dénonce aujourd'hui un ministre qui débranche son fax pour refuser de recevoir des fax, des lettres de groupes qui ont à faire valoir des points sur un projet de loi en gestation. Ça, c'est la première des choses.

La deuxième des choses, Mme Flibotte, moi, je souhaiterais que, dans ce projet de loi là, vous puissiez nous expliquer en quoi les travailleurs les plus démunis vont perdre leur droit de recours. Vous avez dit: Ils ne pourront plus se prévaloir de recours, ils n'y auront plus droit, ils ne pourront plus. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ça rapidement? Parce que ça m'a frappé, moi. Est-ce que c'est vrai qu'avec cette étape-là... Est-ce que c'est à cause des médecins experts, lorsqu'on aura choisi le médecin, puis que les médecins ont rejeté le dossier, que c'est fini, qu'il n'y a plus de recours, qu'il n'y a plus rien?

Mme Flibotte (Liane): C'est tout à fait vrai, mais je vais quand même laisser M. Dallaire répondre à votre question, si vous le permettez.

M. Dallaire (Claude): Au niveau médical – vous savez, ce que j'ai expliqué tout à l'heure au niveau de la question médicale – lorsque le médecin traitant du travailleur ou de la travailleuse va se faire téléphoner par le médecin de la CSST pour dire: Tu nous as donné les noms de trois médecins, on en a choisi un, tu l'as rencontré, il nous a fait un rapport, le bureau médical de la CSST va appeler le médecin traitant et va lui dire: Le médecin qu'on a choisi – parce que c'est la CSST qui le choisit – dit le contraire de ce que tu dis, est-ce que tu acceptes de changer ton rapport?

Le médecin traitant, vous savez, c'est un médecin de famille, c'est quelqu'un qui voit plein de patients, c'est votre médecin, c'est mon médecin, quelqu'un qui voit n'importe quoi. Et, là, du jour au lendemain, il se fait appeler par la CSST, lui expliquant ça rapidement. Et, là, c'est clair que le médecin traitant qui n'est pas... Ce n'est pas un fonctionnaire médical, le médecin traitant et, la CSST, il ne sait pas comment ça marche. On va lui demander: Veux-tu modifier ton rapport pour changer quelques petites choses? Et le médecin traitant va sûrement, dans la majorité des cas, dire: Oui, j'accepte, je change ça. Le fait de changer ça, ça fait que, au niveau juridique, au niveau des droits du travailleur, de la travailleuse... Il va perdre souvent la majorité de ses droits, les droits d'être payé par la CSST, les droits à la réadaptation, les droits de retour au travail, le droit de réintégrer son travail. Et, tout ça, vous savez, le médecin traitant, il ne comprend pas comment ça marche. Mais le travailleur, la travailleuse va l'apprendre quand la CSST va lui dire: On ne te paie plus, tu ne travailles plus, puis tu es chez vous; mais tu es sur l'aide sociale, tu vas avoir droit au chômage mais, après ça, l'aide sociale. C'est comme ça qu'ils vont perdre leurs droits, les gens qui sont non syndiqués, qui ne connaissent pas non plus comment ça marche.

Moi, je vous dis, je vous parle de shops comme Canadelle, dont on entend parler actuellement – j'ai vu ça au Téléjournal – des femmes qui travaillent, qui sont monoparentales et qui vont peut-être perdre leur job, elles vont tout perdre, simplement parce que le médecin traitant va modifier quelque chose suite à l'appel de la CSST. Et, ça, c'est ce qui va se passer dans la vraie vie, là.

M. Gobé: Oui, O.K.

Le Président (M. Sirros): M. le député de LaFontaine, c'est fini.

M. Gobé: Non, ça va, ma collègue de Saint-François, je pense, aurait...

Le Président (M. Sirros): Oui, Mme la députée de Saint-François.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Alors, Mme Flibotte et M. Dallaire, merci pour votre présentation. Et, comme vous le disiez si bien, M. Dallaire, en bout de piste, lorsqu'on n'a plus de solution dans nos bureaux de comté, on vous réfère les cas et vous vous en occupez toujours. Merci pour ce que vous faites pour l'ensemble de la députation.

Je reviens à ma réflexion de tout à l'heure, à ma première réflexion. Je me disais: Qu'est-ce qu'on cherche? On cherche à déjudiciariser. Mais, quand on veut déjudiciariser – et, là, de plus en plus, je le constate – nécessairement il y a danger, il y a danger d'enlever des droits. Il y a danger d'enlever des droits soit à l'employé ou à l'employeur ou aux deux, mais, dans ce cas-ci, c'est peut-être plus à l'employé, et je pense qu'il faut réfléchir là-dessus. Malheureusement, j'ai comme l'impression que, quand on s'est dit: Il faut déjudiciariser, on a peut-être oublié une chose. On a peut-être oublié de se dire, de se demander: Qu'est-ce qui fait problème, au fond? Pourquoi on veut modifier tout le système de la CSST? Qu'est-ce qui fait problème? On a déjà amélioré beaucoup au niveau de la gestion. Je pense qu'on est très fier de voir toute l'amélioration qui a été apportée au niveau de la CSST et je pense que, aussi bien les employeurs que les employés, en bénéficient.

Mais, là, on est rendu à se poser la question: C'est quoi? Est-ce qu'on déjudiciarise? Est-ce que c'est ça, le problème? Est-ce que c'est la question d'appel? Parce que, là, on se rend compte qu'on n'est pas tous d'accord au niveau de l'appel. Même, tout à l'heure, quand je disais que le groupe qui vous a précédés était en désaccord avec le paritarisme, je me suis rappelée une phrase, à un moment donné, de M. Dufour, qui avait précédé et qui disait, si ma mémoire est fidèle: Bien, écoutez, nous autres, on n'a pas demandé d'enlever nécessairement un palier, mais, si vous l'enlevez, on veut le paritarisme. Alors, donc, finalement, en bout de ligne, on veut peut-être tous dire la même chose. Aussi bien le patronat que les employés, j'ai comme l'impression qu'ils souhaiteraient conserver le palier d'appel, à la condition qu'on essaie, comme je le disais, de le rendre plus souple et de voir quels mécanismes on pourrait apporter pour que ça ne soit pas aussi lourd. Mais, le problème, à mon avis, c'est qu'on fait avec ce projet de loi comme on a fait avec d'autres projets de loi, comme le gouvernement a fait avec d'autres projets de loi récemment – je pense, entre autres, au niveau de la santé – on oublie une chose, on oublie de mettre au centre de nos préoccupations, à mon avis, le travailleur, à la satisfaction de l'employeur. Je pense que c'est ça.

(18 h 40)

Et, la première question qu'il faut se poser: Qu'est-ce qui fait problème? On a un groupe qui vient nous dire: Ce n'est pas nécessairement l'appel qui fait problème, c'est toute la question de l'évaluation médicale. Alors, si c'est l'évaluation médicale, comment on peut modifier l'évaluation médicale, comment on peut l'améliorer pour éviter qu'on ait à se retrouver devant la Cour de justice ou devant la Cour d'appel, comment on peut faire? Et, l'évaluation médicale, je pense que c'est... En tout cas, moi, je pense que ça vaudrait la peine qu'on regarde s'il y a possibilité de l'améliorer. Il doit sûrement y avoir des possibilités de l'améliorer, parce que, moi, écoutez, je ne suis pas une experte en la matière, mais je conviens que, quand vous avez un médecin de famille, dépendamment de ce qu'on fait du rapport médical, c'est comme un peu un rapport d'assurance. À un moment donné, l'employé ou l'assuré est porté à en mettre un peu plus parce qu'il sait qu'il va se faire couper quelque part. Mais, si, à un moment donné – je ne sais pas – on se fiait au secret professionnel puis à l'expertise d'un médecin qui est censé connaître ce que c'est vraiment qu'une maladie ou qu'une expertise médicale et qui n'était pas obligé d'en mettre plus pour être capable d'en faire couper par la suite,on aurait peut-être des expertises, on aurait peut-être des rapports qui seraient accélérés finalement. Mais, là, je me rends compte que c'est ça qui est le problème. Par contre, je n'ai pas nécessairement de solution, parce qu'il y a des cas, il y a des maux, entre autres, qui sont peut-être plus difficiles à déterminer que d'autres; je pense à des problèmes de dos. Je pense que c'est très difficile, parce qu'on n'est pas dans la peau du malade pour déterminer si vraiment ça fait mal ou non. Et je sais qu'il peut y avoir des zones grises, à un moment donné. Mais j'ai comme l'impression qu'il faudrait peut-être commencer par penser avant de chambarder tout un système d'appel ou de rendre des décisions. La base même, c'est peut-être le médical. J'en viens à cette conclusion-là, après trois représentants qui sont venus nous faire part de leurs propos.

Mme Flibotte (Liane): Ce qu'il faut comprendre, c'est que, sur la question médicale on n'a aucun problème, à l'ATTAQ, à reconnaître que la CSST, en tant qu'organisme tenu d'administrer le régime d'indemnisation au Québec, puisse avoir un droit de regard sur ce qui se passe au niveau du traitement médical. Notre objection ne se situe pas du tout à ce niveau-là.

Là où on a une objection, c'est qu'on ne voit pas, quand un complément médical est nécessaire parce que soit on juge que le rapport du médecin est insuffisant ou qu'on juge qu'un rapport de spécialiste, dans le cas où le médecin traitant est généraliste, serait plus à propos, que ce soit la CSST qui le choisisse; c'est ça qu'on ne comprend pas. Dans le fond, ce qu'on demande, c'est d'arrêter de mettre en place un système particulier pour les victimes d'accidents et de maladies du travail. Tout ce qu'on veut, c'est que les victimes d'accidents et de maladies du travail soient traitées comme l'ensemble des citoyens et des citoyennes du Québec.

Prenons pour acquis – et ça rassurera l'ensemble de la population – que les médecins qui pratiquent légalement la médecine au Québec sont des médecins compétents. Si la CSST ou les employeurs ont des raisons de croire que les médecins qui traitent les victimes d'accidents et de maladies du travail sont des médecins incompétents, ils ont tout le loisir de contester leurs compétences devant les organismes formés pour ça. Ils débarrasseront, premièrement, les accidentés du travail de médecins incompétents et l'ensemble de la population qui serait tout aussi mal servie par ces médecins incompétents là, s'ils existent.

Sauf qu'en attendant que ces gens-là soient déclarés incompétents nous allons prendre pour acquis que les médecins qui pratiquent légalement la médecine au Québec sont des gens compétents. Et, si la CSST veut un éclairage particulier sur l'opinion d'un médecin, qu'elle le demande et que le médecin traitant choisisse, en lien avec le travailleur ou la travailleuse, un autre médecin qui pourra être consulté et qui pourra faire rapport. C'est tout ce qu'on demande, dans le fond, c'est qu'on cesse le traitement particulier au niveau médical pour les victimes d'accidents et de maladies du travail.

Mme Gagnon-Tremblay: Sur ça, moi, j'ai compris que ce que vous dites, c'est que vous ne dites pas que le système est mauvais en soi, il mérite d'être amélioré, mais tout n'est pas mauvais. Je ne comprends pas que... Tout n'est pas mauvais, mais il y a une base à laquelle il faut s'attaquer. Et je pense qu'on ne peut pas perdre de vue... On ne peut pas essayer d'enlever des paliers d'appel parce qu'il y a... Au fond, on ne s'attaque peut-être pas suffisamment au fond du problème qui est l'évaluation médicale.

Mais je reviens cependant à la question, aussi, des délais. Lorsqu'on a des délais, les délais doivent normalement bénéficier ou encore être en faveur de quelqu'un. Normalement, quand on parle de délais, on veut réduire des délais pour essayer de rendre une décision le plus rapidement possible, de satisfaire les deux parties. Ça, je pense qu'on doit tous être d'accord, quand on dit: Peut-être que, dans le système, il y a possibilité de réduire des délais, c'est dans ce sens-là.

Par contre, je comprends que, lorsque, vous, vous dites: Nous, on ne peut pas réduire le délai, à ce moment-là, c'est un délai qui pourrait profiter à l'employé. C'est un délai qui pourrait profiter à l'employé dans le sens que ça lui donne plus de temps pour pouvoir contester ou pouvoir faire appel. Mais, d'un autre côté, je me demande, M. le ministre ou M. le Président, en quoi ça peut déranger l'employeur, à ce moment-là, que ce soit un délai de 30 jours par rapport à un délai de 90, parce que, comme la décision n'est pas rendue, ça signifie, à ma connaissance, que l'employeur n'a pas à payer immédiatement. Est-ce que c'est parce que c'est rétroactif, après? C'est la question de rétroactivité, c'est ça, parce que...

Le Président (M. Sirros): Si vous permettez, Mme la députée de Saint-François, il nous reste très peu de temps, et j'aimerais, peut-être avant que vous répondiez, demander au député d'Argenteuil de poser sa question également. Et, peut-être, vous pourrez répliquer aux deux ensemble.

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, il y avait cette question de délai. Je me disais que peut-être...

M. Beaudet: Ça va être difficile. Elle est très importante...

Mme Gagnon-Tremblay: ...que finalement c'est...

Le Président (M. Sirros): Je veux juste protéger le droit de parole du député d'Argenteuil. Il nous reste à peine trois minutes pour la question et les réponses.

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, je vais laisser l'autre question à mon collègue.

Le Président (M. Sirros): Alors, M. le député d'Argenteuil et, par la suite, en réponse finale, l'ATTAQ.

M. Beaudet: Oui, merci, M. le Président. Vous allez me permettre d'être un peu étonné des commentaires que vous faites aujourd'hui, en particulier en ce qui a trait à la pratique médicale. Il est amusant de voir que les spécialistes, et il y en a 157, dont plus du tiers sont des orthopédistes – donc, ça va avec les maladies du travail, parce que c'est souvent des maux de dos, des fractures, des choses du genre – sont à la solde de la CSST, mais pas à la solde juste à être payés, ils sont aussi dirigés et contrôlés par la CSST. Par ailleurs, vous dites, par exemple, que les médecins traitants, eux, ne sont pas complaisants. J'ai de la difficulté à prendre d'un bord et à ne rien prendre de l'autre. J'aurais un petit peu de problèmes avec ça.

Par ailleurs, vous allez aussi comprendre que les médecins spécialistes, qui ont fait 5, 6, 7 ans d'études additionnelles, sont à même d'en comprendre un peu plus que l'omnipraticien qui a arrêté sa formation médicale à la sortie de l'université. Vous allez aussi comprendre plus facilement que, quand le médecin de la CSST appelle l'omni pour lui demander de changer son diagnostic, il ne le fait pas en disant: Veux-tu changer ton diagnostic, il doit lui expliquer un petit peu: Au bout de la ligne, j'assume. Mais, comme vous dites, vous n'êtes pas au courant de ce qui se transige comme information. Mais il doit avoir les informations intelligentes. Et, là aussi, il y a le professionnalisme qui doit jouer. Il ne faut pas en faire fi, du professionnalisme, qui doit jouer aussi chez les médecins comme chez les comptables, les notaires, les avocats. Il faut leur prêter un peu de bon sens, aussi, quand même, là. Et, moi, j'ai regardé les noms des médecins, là-dedans, dont plusieurs que je connais sont des médecins qui sont sur la fin de leur carrière, qui vont s'occuper à faire une affaire qui est lucrative – et vous ne pouvez pas le leur reprocher, elle est là – et ils le font parce que... Pour certains, d'ailleurs, ils le font parce qu'ils sont malades, qu'ils ne peuvent plus pratiquer la pratique qu'ils avaient, des orthopédistes ou autres qui ne sont plus capables de passer la journée en salle d'opération, debout, à opérer, mais qui vont être capables de faire une expertise et qui vont la faire joliment bien.

Alors, je trouve ça un petit peu particulier, vos commentaires, je dois vous dire. Et j'aurais mieux aimé que vous vous attardiez beaucoup plus sur le bien-fondé des lésions pour lesquelles on fait appel. Parce que, quand vous nous citez que, si le spécialiste ou la CSST dit: Bien, écoute, le rapport ce n'est pas ça, tu avais un problème, mais ce n'est pas ça, le rapport, selon l'expert, et ton médecin traitant a accepté, vous dites que le travailleur perd ses droits. Il ne perd rien, le travailleur, parce qu'il ne les avait pas, les droits. C'est bien différent de dire: Il perd des droits, et de dire: Il n'y avait pas droit, c'est tout à fait différent. Sauf qu'à l'image que vous projetez c'est vrai que, si vous dites qu'il a perdu des droits, «c'est-u» effrayant. Mais, quand vous dites: Il n'avait pas droit, c'est tout à fait différent. Alors, bien que je sois sympathique à votre cause, il ne faut pas, quand même, dire des faussetés. Alors, quand vous me dites que ces orthopédistes-là ou les autres spécialistes ont fait beaucoup d'argent, qu'ils l'ont fait sur le dos du travailleur, je pense que je m'objecte à cette affirmation que vous faites, et que vous faites, je pense, trop gratuitement.

Le Président (M. Sirros): Alors, il semble que vous allez avoir le dernier mot.

Mme Flibotte (Liane): Sur la question des délais, très rapidement...

Le Président (M. Sirros): Alors, sur les deux questions, les délais et...

Mme Flibotte (Liane): ...je pense que c'est important de distinguer les délais pour obtenir une décision des délais pour contester une décision. Donc, nos interventions se situaient à deux niveaux.

Sur la question du médical, c'est intéressant que vous notiez que les orthopédistes sont pour à peu près le tiers; ils font 88 % des expertises, cependant. Et, qu'on me dise, parce que c'est souvent ce que la CSST invoque que, les lésions musculo-squelettiques, c'est un peu normal que les orthopédistes soient plus actifs que les autres médecins spécialistes dans ces dossiers-là, ça serait important aussi de se rappeler que les neurochirurgiens, que les physiatres, que les neurologues, ce sont aussi des spécialités compétentes pour traiter les lésions musculo-squelettiques. Et, si vous regardez les chiffres, vous allez voir que le taux de pourcentage des expertises qui sont faites par ces médecins-là sont d'un ridicule, pour les physiatres, entre autres, moins de 1 %, depuis le service d'arbitrage médical en 1985.

Sur la question de la complaisance, quand on dit: On met la complaisance d'un côté, on ne la met pas de l'autre, la raison pour laquelle on met la complaisance d'un côté et on ne la met pas de l'autre, c'est que il y a un côté où les médecins se font payer et il y a un côté où les médecins ne se font pas payer. Évidemment, on connaît le bon vieil adage, au Québec: On ne mord pas la main qui nous nourrit.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Flibotte (Liane): D'ailleurs, le reportage d' Enjeux était assez révélateur sur cette question-là, entre autres dans le témoignage du Dr Gaudet, qui est le grand spécialiste du BEM. Je tiens à vous souligner, parce que cela vous encouragera, que le Collège des médecins lui-même vient d'expédier une brochure à tous les médecins du Québec, parce qu'ils sont particulièrement inquiets de voir le pourcentage de plaintes qui est reçu par le Collège des médecins ayant trait à l'expertise médicale dans le domaine du travail. Et le Collège des médecins a jugé nécessaire de produire une brochure et de l'expédier à tous les médecins du Québec. Alors, je pense qu'il ne faudrait pas diminuer les préoccupations qu'on expose devant vous à ce niveau-là, je pense qu'il y a là des questions sérieuses à se poser. Sur ce, M. le Président, merci, beaucoup.

Le Président (M. Sirros): Ça me fait plaisir. Permettez-moi de vous remercier de la part de l'ensemble des membres de la commission.

On doit donc ajourner nos travaux à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 18 h 50)


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