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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le jeudi 1 mars 2001 - Vol. 36 N° 115

Consultation générale sur le projet de loi n° 182 - Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-trois minutes)

Le Président (M. Sirros): Je déclare la séance ouverte. Je vous rappelle le mandat de la commission, qui est de poursuivre la consultation générale sur le projet de loi n° 182, Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant d'autres dispositions législatives.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Jutras (Drummond) remplace M. Kieffer (Groulx) et Mme Houda-Pepin (La Pinière) remplace M. Béchard (Kamouraska-Témiscouata).

Auditions

Le Président (M. Sirros): D'accord. Merci. Alors, je vous rappelle qu'on siégera jusqu'à 12 h 30 approximativement, en commençant avec l'Association de la construction du Québec, suivie par la Chambre de commerce du Québec et la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, pour qu'on puisse ajourner nos travaux autour de 12 h 30.

Alors, j'inviterais peut-être les gens qui sont déjà à leur place à se présenter. Vous connaissez, je pense, l'échange: 20 minutes de présentation suivies d'une quarantaine de minutes d'échange entre les deux partis qui sont ici représentés. Alors, M. Demers, je crois?

Association de la construction du Québec (ACQ)

M. Demers (Théo): Oui. M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les membres de la commission, nous tenons à remercier la commission pour l'audience qu'elle accorde aujourd'hui à notre Association. Sans plus tarder, il me fait plaisir de vous présenter la délégation de l'Association de la construction du Québec. Sont avec nous aujourd'hui, en partant de mon extrême gauche, M. Normand Leblanc, chef du contentieux de l'ACQ; M. Michel Hamelin, directeur des relations de travail pour notre Association; à mon extrême droite, M. François Morissette, chef de service, Affaires civiles; M. Pierre Hamel, directeur, Affaires juridiques et gouvernementales; et moi-même, Théo Demers, président de l'ACQ.

J'invite donc M. Hamel à vous exposer les préoccupations de notre industrie face au projet de loi n° 182. Merci.

M. Hamel (Pierre): Merci, M. le Président. Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les membres de la commission, nous sommes ici principalement pour rappeler au législateur l'importante distinction qui existe dans le monde du travail entre l'industrie de la construction et toutes autres industries confondues au Québec et pour demander que soit prévue à la loi une division construction au sein de l'éventuelle Commission des relations de travail. Nous n'aborderons aucune autre question dans le cadre de notre exposé. Nous avons tenté de ne pas sombrer dans la rhétorique et avons avec nous des exemples pratiques pour illustrer notre propos, qui pourront être soumis aux membres de la commission lors de la période de questions si les membres, évidemment, le jugent à propos.

Le législateur a fait de la construction une industrie distincte depuis plus de 30 ans, et son régime de relations de travail s'est développé, depuis ce temps, en marge de tout autre type de relations de travail. Depuis 30 ans, le Code du travail ne s'applique pas à l'industrie de la construction. Depuis 30 ans, seul le Commissaire de l'industrie de la construction rend des décisions en matière de champ d'application de la Loi sur les relations de travail dans l'industrie de la construction. Depuis 30 ans, la loi R-20, la Loi sur les relations de travail, exclut spécifiquement l'application du Code du travail des règles régissant l'industrie de la construction. Or, la réforme, bien qu'elle ne doive pas toucher ou intéresser l'industrie de la construction, vient faire disparaître le Commissaire de l'industrie de la construction pour le confondre et le diluer dans un tribunal administratif, la Commission des relations de travail.

En l'an 2000, environ 18 000 entreprises régies par la loi R-20 ont fait travailler plus de 100 000 salariés qui ont accompli près de 90 millions d'heures sur les divers chantiers du Québec. Toutes ces entreprises ont pu planifier, soumissionner et exécuter leurs projets partout au Québec en sachant à quoi s'en tenir quant à l'interprétation des différents aspects des lois qui les gouvernent. Or, ce pan de l'économie québécoise se voit convier, malgré ses particularités propres, à se soumettre à l'autorité de la future Commission des relations de travail sans aucune autre modification au régime actuel de relations de travail ni aucune assurance que l'expertise développée depuis 30 ans puisse se perpétuer. Nous croyons très important de souligner à la présente commission pourquoi le législateur traite cette industrie sur une base différente depuis 30 ans, en quoi elle est différente et pourquoi il est important de conserver l'expertise du Commissaire de l'industrie de la construction au sein de toute réforme qui sera complétée, quelle qu'elle soit.

Pourquoi? Rappelons-nous simplement que le régime spécifique de la construction fut conçu en grande partie, tel qu'on le connaît, suite à la réforme de 1968, par l'adoption de la loi 290. Cette réforme avait essentiellement deux objectifs: premièrement, enlever à la partie syndicale la possibilité d'utiliser simultanément deux systèmes de négociation, soit celui de l'extension juridique relevant de la Loi sur les décrets de convention collective et de l'accréditation en vertu du Code du travail, et, deuxièmement, elle avait pour objectif de parer aux inconvénients des rivalités intersyndicales qui avaient affecté l'industrie au cours des années précédentes.

De plus, avec l'avènement de grands chantiers de construction et la mobilité interrégionale qui en découle, le législateur a voulu standardiser les conditions de travail. En 1970, vu l'importance croissante du décret de la construction de l'époque et l'imprécision relative du domaine spécifique à l'industrie de la construction elle-même, il devenait impérieux de déterminer avec exactitude le champ d'application du décret. La loi 68, adoptée à ce moment, est venue préciser davantage la définition de l'industrie de la construction et, afin de résoudre les problèmes d'interprétation du champ d'application, elle met en place le Commissaire de la construction, qui, depuis, est devenu le Commissaire de l'industrie de la construction. Donc, pour mettre un terme à des pratiques qui mettaient en péril la paix industrielle, le législateur est intervenu en créant un système particulier de relations de travail pour l'industrie de la construction.

n (9 h 40) n

En quoi le régime de relations de travail est-il différent? Le législateur, depuis 1968, a développé un système de relations de travail qui est exclusif à l'industrie de la construction et qui s'articule de la façon suivante. Ce ne sont pas les entreprises qui sont syndiquées, comme le prévoit le Code du travail, mais bien l'industrie de la construction dans son entier. On parle de syndicalisation sectorielle. Les salariés doivent être syndiqués pour travailler dans l'industrie et obligatoirement appartenir à l'une des cinq associations représentatives reconnues par la loi R-20. On évacue toute question d'accréditation et/ou de choix d'être syndiqué ou non auquel il peut être fait référence dans le Code du travail. C'est donc dire que les syndicats ne sont pas accrédités mais reconnus directement par la loi. Les associations sectorielles d'employeurs, comme l'est l'ACQ, pouvant négocier avec les syndicats sont reconnues par la loi, et on ne parle donc pas de négociations par entreprise comme la plupart des cas reliés au Code du travail mais de négociations sur la base de quatre conventions collectives applicables aux quatre secteurs de l'industrie. On parle de syndicalisation obligatoire et les choix se font à l'intérieur de l'une des cinq associations syndicales reconnues par la loi.

L'enjeu devient, dans le cas de notre industrie, le champ d'application de la loi. Afin de déterminer si la loi s'applique, on ne fait pas simplement référence aux rapports employeurs et salariés, mais bien à l'endroit où les travaux sont effectués, sur le chantier, à pied d'oeuvre, la nature des travaux: réparations, rénovations, construction, démolition, le statut de la personne qui les effectue ou les fait faire: est-ce un employeur, un employeur professionnel, un salarié, un salarié permanent à l'industrie de la construction? toujours en fonction des définitions propres qui sont à l'industrie de la construction, qui sont prévues à la loi R-20.

De plus, dans le cadre d'application de la loi, on devra déterminer si telle ou telle tâche appartient à l'un ou l'autre des 26 métiers reconnus de l'industrie. Également, on aura à déterminer si le travail effectué en est un qui répond à la définition de l'un ou l'autre des quatre secteurs de l'industrie, décision qui aura une incidence sur les primes à payer, les horaires de travail et même le salaire à verser, donc directement reliée au système de soumissions.

Aucun de ces concepts ne se retrouve au Code du travail. Il s'agit d'un système étranger à tout autre système en place au Québec, qui s'est développé au fil des décisions du Commissaire de l'industrie de la construction. Non seulement le législateur a-t-il fait en sorte qu'il devienne l'expert, mais il a été reconnu comme tel dans le domaine de la construction. Le législateur s'est penché régulièrement sur le système de relations du travail dans l'industrie de la construction depuis 30 ans, mais jamais il n'a cru bon de le modifier au point de le rendre identique aux régimes s'appliquant aux autres secteurs de l'industrie du Québec. Il a plutôt opté pour concentrer les décisions relatives à l'industrie de la construction entre les mains du Commissaire de l'industrie de la construction.

Ainsi, en 1984, la loi est modifiée pour permettre au Commissaire de référer certaines questions à un ou des commissaires adjoints. En 1995, les pouvoirs du Commissaire sont étendus à l'audition de toute demande visant à régler des conflits de compétence relatifs à l'exercice d'un métier ou d'une occupation. En 1998, on ajoute à ces pouvoirs ceux d'entendre tout recours relié à l'article 164.1 de la Loi sur le bâtiment, l'article 41.1 de la Loi sur la formation et la qualification professionnelles de la main-d'oeuvre et l'article 35.2 de la Loi sur les installations électriques.

Ainsi, en 1998, le Commissaire de l'industrie de la construction s'est vu accorder, entre autres pouvoirs, le pouvoir de trancher les différends reliés à l'émission, le renouvellement, la suspension ou la révocation d'une licence d'entrepreneur émise par la Régie du bâtiment en vertu de la Loi sur le bâtiment. Il n'est nullement question ici de relations de travail. On fait référence à des notions d'entreprise. Un entrepreneur, qu'il utilise ou pas les services de salariés au sens de la Loi sur les relations de travail, doit détenir une licence délivrée par la Régie du bâtiment.

Sans vouloir trop insister sur l'importance que peut avoir une telle décision sur l'entreprise, permettez-nous de vous souligner qu'aucun principe de relations de travail n'est appliqué à ces questions lorsqu'en est saisi le Commissaire de l'industrie de la construction, encore moins des concepts reliés au Code du travail. Toutefois, la base de ses décisions repose sur une connaissance intime de l'environnement de la construction, les lois qui lui sont particulières et les règlements qui lui sont propres. Nous vous avons remis un document faisant état des règlements d'application pour les lois concernées afin d'illustrer sommairement leur caractère distinctif.

Le législateur a reconnu la nécessité de concentrer l'expertise en matière de construction en déléguant au Commissaire de l'industrie de la construction certains pouvoirs reliés à l'application de la Loi sur le bâtiment. Le législateur a ni plus ni moins créé une forme de tribunal de la construction sur la base du concept que l'industrie nécessite une expertise particulière. Il ne fait aucun doute que le législateur, au fil des ans, a traité l'industrie de la construction de façon particulière la rendant très dépendante des nombreuses décisions rendues par les tribunaux administratifs, tel le Commissaire de l'industrie de la construction. En confiant au Commissaire de l'industrie de la construction l'application de certaines dispositions de la Loi sur le bâtiment, le législateur en a fait un tribunal propre à la construction qui se penche sur des questions qui vont au-delà des relations de travail.

Il ne nous apparaît pas que le souhait du législateur dans le cadre de la réforme proposée soit de faire disparaître l'expertise au sein des tribunaux administratifs, bien au contraire. Le regroupement vise probablement le développement d'une expertise collective et d'une meilleure administration des relations du travail. Nous en sommes parfaitement conscients. Cependant, nous assistons à la disparition d'un organisme au sein duquel s'est développée une grande expertise aux frais des entrepreneurs et de l'État qui remplit parfaitement son rôle et qui vient se voir attribuer des pouvoirs supplémentaires il y a trois ans à peine. Si la réforme doit avoir lieu, alors, qu'elle permette le développement de cette expertise en reconnaissant d'entrée de jeu ce que le législateur a toujours maintenu et reconnu, le caractère particulier de l'industrie de la construction.

Alors qu'on assiste à la naissance de la Commission des relations de travail, le projet de loi permet d'y intégrer immédiatement les dispositions prévoyant une division construction afin de garantir le développement de l'expertise si précieuse à notre industrie. Telles dispositions correspondent avec les objectifs de la réforme, assurent la pérennité, la continuité d'une interprétation homogène des lois qui gouvernent l'industrie de la construction et ne nécessitent pas d'investissements particuliers pour l'administration publique.

Le Commissaire de l'industrie de la construction et les quatre commissaires adjoints actuellement en place ont rendu près de 100 décisions en l'an 2000. L'expertise continue à se développer et les acteurs sont déjà bien définis. Jamais une meilleure occasion ne se présentera au législateur québécois pour marquer le pas de l'expertise au sein de ses tribunaux administratifs en reconnaissant une division construction au sein de la nouvelle Commission des relations du travail.

En conclusion, nous devons souligner que les dispositions législatives mises en place dans l'industrie de la construction visent le maintien de la paix industrielle. Le système est complexe, unique et fragile. Le Commissaire de l'industrie de la construction fait partie des pièces qui maintiennent en place le système et qui assurent son bon fonctionnement.

Comme le mentionnait Mme la ministre dans son allocution d'ouverture alors qu'elle passait en revue les éléments qui ont guidé le gouvernement dans le cadre de la réforme proposée, et je cite: «Et comme quatrième élément qui nous a guidés, je pense qu'il est important qu'un État cherche une très grande efficacité des institutions qui sont chargées d'appliquer ces différentes législations. Nous avons le devoir de l'efficacité et de l'efficience de ces institutions.» La proposition de l'ACQ s'inscrit dans cette démarche et en valorise tout le sens. Merci beaucoup pour votre attention.

Le Président (M. Sirros): On vous remercie également et on débutera la période des échanges avec la première intervention, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, M. le Président. Je vous salue, M. le Président.

Le Président (M. Sirros): Merci également, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Alors, M. Demers, M. Hamel, je vous remercie de votre présence, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, que je salue également.

n (9 h 50) n

J'étais parfaitement consciente, lorsqu'on a rédigé, discuté, débattu du projet de loi n° 182, que ma proposition au sujet de la procédure d'appel, donc du Commissaire de l'industrie de la construction, donc ma proposition de l'intégrer à la Commission des relations de travail, provoquerait probablement un certain nombre de réactions, pas nécessairement négatives, mais que les gens seraient interpellés par cette proposition-là que je fais dans le projet de loi n° 182. Je suis aussi préoccupée du fait que gérer des décisions et prendre des décisions dans le domaine de la construction, ce sont des gestes éminemment complexes parce que les lois en cause sont spécifiques. D'ailleurs, lorsqu'on les lit... je me suis déjà fait comme lecture R-20, je peux vous dire qu'on ne s'endort pas sur R-20, ou alors on s'endort, ça dépend de notre état, c'est éminemment complexe et qu'il y a un danger d'expertise, j'en conviens tout à fait. On ne peut pas s'improviser décideur dans ce secteur-là.

Par ailleurs, donc je vais examiner les pour et les contre de ce scénario-là. Ce que je comprends, je veux bien saisir votre proposition, vous ne dites pas: Le Commissaire à la construction devrait être à l'extérieur d'une CRT. Vous dites: Il devrait y avoir, on devrait trouver une manière d'avoir une expertise particulière, de s'assurer que les gens qui vont prendre des décisions dans le secteur de la construction ont l'expertise qu'il faut. Donc, vous parlez d'une division, mais vous ne dites pas: Ça ne devrait pas être dans la CRT là, hein?

M. Hamel (Pierre): Exactement, Mme la ministre. Ce qu'on suggère, c'est effectivement qu'il y ait une division au sein de la Commission des relations de travail. L'important, l'enjeu important... vous parliez hier d'être plus terre-à-terre dans les propos...

Mme Lemieux: Ah! vous avez entendu ça? C'est bon, ça. Ha, ha, ha!

M. Hamel (Pierre): On a suivi avec beaucoup d'intérêt les travaux de la commission, Mme la ministre. Et ce qui est important pour nous, c'est d'avoir un point de chute unique. Et on est ici un peu accidentellement parce que, n'eût été, je dirais, de cette opération qui enlève ou qui est l'ablation de la Commission de l'industrie de la construction au sein de la loi R-20, on ne serait pas ici pour vous faire part de nos commentaires.

Ce qui nous inquiète d'autant plus... pas qui nous inquiète mais qui nous préoccupe par rapport au caractère exclusif et à une division propre au sein de la nouvelle Commission, c'est que les décisions ou les pouvoirs qui ont été attribués et qui demeurent au Commissaire de l'industrie de la construction dépassent largement le cadre de R-20 lui-même. Et on parle de la licence d'entrepreneur, on parle de toute décision de la Régie du bâtiment qui aura à se développer suite aux nouveaux ajouts législatifs du Code de construction qui, lui, s'en va vers un code par objectifs, va faire en sorte que l'incidence des décisions qui vont être prises par le Commissaire... elles vont toucher les relations de travail, vont toucher le droit de l'entreprise au travail et vont toucher les façons de faire de toute une industrie, incluant les architectes et les ingénieurs. Parce que la décision de déterminer si un élément peut être appliqué ou pas, selon le nouveau Code de construction ou le futur Code de construction par objectifs, demeure entre les mains de la Régie du bâtiment qui, elle, va en révision et donc, en bout de piste, le Commissaire de l'industrie de la construction peut en être saisi.

Alors, le rayonnement lui-même dépasse de loin et est appelé à dépasser encore plus loin le simple rayon des relations de travail. Alors, si vous souhaitez le laisser dans la loi R-20 et faire une refonte de la loi R-20 ? ce dont on ne veut pas discuter ici ? c'est un autre élément. Si, pour des raisons administratives, le législateur souhaite regrouper ça, à tout le moins il faudrait être certain, avec une assurance correcte, que c'est des gens spécialisés qui vont traiter ces questions-là.

Mme Lemieux: M. Hamel, supposons qu'il y a effectivement une division spécifique... Est-ce que vous me faites cette proposition-là par pragmatisme? Est-ce que votre idéal, c'est que le Commissaire à la construction soit à l'extérieur? Ou vous dites: Dans la mesure où l'expertise, elle est bien située, où il y a donc une spécialisation, une division ? appelons ça comme on veut, là ? mais particulière, trouvez-vous quand même qu'il y a certains avantages qu'une fonction comme ça soit greffée à quelque chose de plus large qui s'appelle une commission des relations de travail?

M. Hamel (Pierre): En principe, non. Un seul élément, pour être honnête, c'est que, dans le cadre de la Commission des relations de travail, il y a une possibilité ou un mécanisme de révision de la décision du Commissaire à l'intérieur de l'organisme, ce que nous n'avons pas actuellement. Alors, comme je vous dis, c'est un élément qui nous avantagerait de demeurer dans la Commission des relations de travail. Au niveau juridique, techniquement, on a tout à gagner à demeurer à la Commission des relations de travail.

Cependant, lorsqu'on a... Depuis 1985, en fait, depuis tout le temps, depuis la commission Cliche qui, elle, a suggéré très fortement la création d'un tribunal de la construction avec des recommandations précises au ministère de la Justice, ce qu'on a souhaité dans l'industrie, c'est d'avoir un véritable tribunal de la construction qui pourrait traiter et des questions de champ d'application, et des questions de conflits de juridictions de métiers, et des questions de licences, et aussi des recours pénaux qui seraient tous englobés sous un même chapeau d'un tribunal de la construction. C'est le modèle qui est suggéré en partie par la commission Cliche, qui a été suggéré en 1985 par l'AEC et qui, depuis, a été soutenu par les différentes associations de la construction. Ça serait, idéalement, cet aspect-là.

Mais, oui, effectivement, on vous l'a dit, on vous présente une position pragmatique, on vous présente une position qui souhaite trouver une solution, et, à tout le moins, c'est un minimum qu'on vous demande là, c'est de conserver notre expertise dans l'industrie de la construction, de quelque forme que ce soit. Et c'est pour ça que je vous mentionnais dans mon exposé: Peu importe la forme, entre guillemets, excusez, la forme de la réforme, quelle qu'elle soit, cette réforme-là devra prévoir et conserver ce caractère distinct et propre.

Mme Lemieux: Alors, M. Hamel, je veux vous rassurer, vous et les gens de votre Association, la question d'expertise, je partage tout à fait cette préoccupation-là. Il s'agit donc de trouver le mode organisationnel qui va le mieux respecter cet enjeu d'expertise. Alors, soyez rassurés là-dessus.

J'apprécie également l'honnêteté de la première partie de votre réponse, ça fait du bien, parce qu'une commission parlementaire, moi, je crois beaucoup à ce processus-là. Malheureusement, on a pris des mauvais plis au Québec. Il y a une tendance à monter les enchères et à saisir toutes les opportunités pour monter les enchères, et le processus n'est pas authentique et réel. Alors, j'apprécie votre honnêteté.

Je voudrais terminer sur une question davantage un peu plus large. Vous nous avez fait une longue description des particularités du régime de relations de travail dans le domaine de la construction. Je connais très bien ces particularités-là. Vous en avez refait des petits bouts d'histoire, on sait d'où il vient, ce régime plus particulier. Ça a eu beaucoup d'avantages, notamment d'avoir une certaine paix et que les choses se passent dans une certaine sérénité. Y a-t-il des jours tout de même où vous n'êtes pas un peu exaspéré par ces particularités? Y a-t-il des jours où vous vous dites: Ce serait donc plaisant si on était dans un régime général? Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire, parce qu'il y a des avantages aux particularités, mais, en même temps, c'est un régime qui est tricoté serré, hein, si vous me permettez l'expression. Donc, il est extrêmement difficile d'en sortir, si je peux m'exprimer ainsi. Alors, il y a un prix aussi au particularisme, non?

M. Hamel (Pierre): À ce niveau-là, Mme la ministre, on ne peut être qu'en accord avec cet énoncé général et, toujours à s'en tenir aux énoncés généraux... C'est vrai, effectivement, que le législateur a préparé, a mis sur pied un système qui maintient une paix industrielle dans l'industrie et qui est très lourde, par ailleurs. L'exemple qui me vient à l'esprit, c'est le conflit Québec-Ontario qui en est une source importante et qui a coûté très cher aux entrepreneurs du Québec à l'été 1999. Je ne suis pas préparé à critiquer cet encadrement-là, c'est le choix du législateur, et non seulement a-t-il choisi de procéder ainsi, mais il a également choisi, après chacune des réformes, de le maintenir en place, depuis déjà 30 ans. Et ce n'est pas parce qu'on l'a oublié, ce n'est pas parce qu'il a été mis aux oubliettes qu'il demeure comme ça, c'est vraiment un choix du législateur. Que ce soit durant la réforme de 1995, suite au Sommet de la construction de 1993, ça a toujours demeuré comme ça.

n (10 heures) n

Alors, tout ce que je peux vous dire, c'est que, au niveau de R-20 et du système, il est effectivement très lourd, mais il nous permet, depuis 30 ans à tout le moins, de le connaître et de pouvoir naviguer à l'intérieur de ce système-là. On aurait une liste, Mme la ministre, de demandes particulières à propos de R-20...

Mme Lemieux: Pas ce matin. Ha, ha, ha!

M. Hamel (Pierre): ...que je tairai ce matin, et il me fera plaisir de vous les mentionner plus amplement en audience, mais vous avez parfaitement raison, et je pourrais demander à mon collègue, M. Hamelin, peut-être de compléter cet aspect-là.

M. Hamelin (Michel): Ce que j'aimerais souligner par rapport à ça, c'est qu'effectivement le régime des relations du travail au Québec peut apparaître complexe. Cependant, un des points centraux de ce régime-là, c'est qu'on se retrouve avec une négociation de convention collective. On n'a pas à ce moment-là à répéter, pour chacune des 11 000 entreprises au Québec, une négociation. Alors, je pense que c'est un caractère particulier dans l'industrie de la construction qu'il faut reconnaître.

C'est vrai que, avec les projets de loi nos 142 et 46, on a divisé quatre secteurs dans l'industrie de la construction, avec ses imperfections et ses avantages bien sûr, mais je pense qu'il y a un net avantage dans le régime particulier de l'industrie de la construction, c'est éminemment la Loi des relations du travail qui est une loi complète en soi, qui remplace un peu en quelque sorte le Code du travail et qui établit les règles propres à une industrie qui est particulière. Et notamment, j'en reviens toujours au principe d'une négociation d'une convention collective, que ce soit dans le secteur industriel, que ce soit dans le secteur institutionnel ou commercial, pour les secteurs qui occupent l'ACQ, je pense que c'est tout un avantage pour une industrie qui se veut collée sur des réalités et tout un avantage aussi pour assurer une certaine paix industrielle et qui est une valeur importante au niveau économie pour le Québec. Alors, je pense que de tomber dans un régime à caractère général et sortir d'un régime particulier de l'industrie de la construction, il faut évaluer par contre les conséquences de cette démarche-là sur l'industrie. Et surtout, ce qui me frappe, c'est qu'on se retrouverait dans une négociation répétée pour 11 000 entreprises de construction au Québec, voire même des négociations par chantier, avec des dates différentes d'échéance de convention collective, avec des négociations potentiellement par métier dans l'industrie de la construction. Vous savez qu'on a 26 métiers dans l'industrie de la construction, et je pense que ça ne serait pas un avantage que de se retrouver dans un régime général, d'autant plus que, comme le gouvernement a toujours souhaité dans l'industrie de la construction, c'est que les parties se prennent en main. Je vous donnerai un exemple à propos de cet élément-là.

C'est qu'on a, dans les dernières négociations, introduit un processus de résolution de conflits de compétences sur les chantiers de construction au Québec, qui était une source quand même d'irritants importants pour les donneurs d'ouvrage. Alors, je vous dirais que, sur cet élément-là, déjà, dans les deux dernières années, il y a 40 conflits à peu près au Québec qui ont été réglés en dedans de 48 heures. Il y en a peut-être cinq ou six, conflits, qui ont demandé une requête au niveau du Commissaire de l'industrie de la construction, mais, quand même, c'est un pas important que l'industrie a fait elle-même dans ce dossier-là des conflits de juridiction de métiers sur les chantiers de construction au Québec. Alors, je pense qu'il faut conserver le caractère particulier avec ses avantages et ses inconvénients et continuer d'améliorer le régime des relations du travail au Québec.

Mme Lemieux: Alors, je terminerai là-dessus. M. Hamel, tout à l'heure, vous avez dit: C'est le choix du législateur. Je pense que votre collègue vient de démontrer que c'est plus complexe que ça. Ce n'est pas strictement le choix du législateur, c'est aussi le choix des parties. Et j'avoue que je suis non pas surprise, mais ça me fait un peu sourire, si vous avez suivi les débats ici, d'entendre tout de même une association de patrons, parce que c'est ce que vous êtes, vanter les vertus de la négociation sectorielle. C'est quand même assez... Je vois quelqu'un en arrière dans la salle qui représente aussi un patron et je suis pas mal sûre qu'il ne fera pas ce plaidoyer-là dans les prochaines minutes. Non, mais il n'y a pas... effectivement, il n'y a pas que des désavantages. On présente la négociation sectorielle quelquefois comme une catastrophe nationale, et vous venez d'en décrire un certain nombre d'avantages.

Alors, je ne veux pas aller plus loin sur cette question-là, je devais plus assouvir ma curiosité, et je vais compléter, à moins qu'il y ait autre chose qui émerge des prochaines minutes de discussion que vous aurez avec les autres parlementaires. Je veux compléter vraiment en vous rassurant que je suis très consciente de l'enjeu de l'expertise et que je vais m'assurer qu'on prenne les décisions les plus conséquentes eu égard à cet enjeu-là. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Sirros): Merci, Mme la ministre. M. le député de Mont-Royal, que je salue également.

M. Tranchemontagne: Merci, M. le Président. Je me permets de vous saluer aussi.

D'abord, je voudrais vous souhaiter la bienvenue, M. Demers, M. Hamel, ainsi que les gens qui vous accompagnent. Je voudrais vous remercier pour votre mémoire et vous dire d'entrée de jeu, tout de suite, que je partage évidemment votre recommandation dont vous n'avez pas parlé mais qui est sur l'élimination, si vous voulez, de l'élargissement de la définition du salarié pour inclure le travailleur autonome. Mais ce dont j'aimerais mieux vous parler, c'est de votre principale recommandation, celle dont vous nous avez entretenus ce matin.

Si je vous ai bien compris, vous nous dites que le champ d'application des décisions du Commissaire de l'industrie de la construction est beaucoup plus large que tout simplement des relations de travail, ou s'étend plus large, et vous dites: Non seulement ça touche la loi R-20, mais aussi la Loi sur le bâtiment, si j'ai bien compris ce que vous nous écrivez là-dedans. Alors, de là ma surprise, et c'est ma première question en tout cas, de voir que vous recommandez une division construction à l'intérieur du projet de loi n° 182, puisque vous avez à juste titre et très éloquemment fait la démonstration que l'autorité s'exerce sur... a une envergure, si vous voulez, beaucoup plus grande que seulement des relations de travail. Alors, essayez donc de m'expliquer pourquoi vous recommandez à la limite de dire: Bien, à la limite, on accepterait que ce soit une division de la construction. Parce que, moi, je suis convaincu que c'est un cas très particulier, vous avez été convaincant à ce niveau-là, alors c'est pour ça que j'ai de la difficulté avec votre recommandation d'intégrer la division construction à l'intérieur du projet de loi n° 182.

M. Hamel (Pierre): Merci beaucoup. Ce qu'il est important d'établir ici, c'est qu'actuellement le Commissaire de l'industrie de la construction est une institution qui est tellement différente qu'elle ne s'applique nulle part ou elle ne trouve niche nulle part ailleurs que dans la loi R-20. Si on la déniche, la loi R-20, elle peut aller n'importe où dans la mesure où elle respecte le contenu, la forme, la méthode et l'objectif qui est visé pour réaliser et régler rapidement les conflits.

Quand on dit «à la limite», on dit vraiment à la limite, on devra la garder dans la Commission des relations de travail, et on dit tout simplement de façon sécuritaire afin de s'assurer que, quelque soit la réforme, il soit prévu. Alors, si la réforme ne prévoit pas la Commission des relations de travail ou si les travaux de la commission donne une tangente différente au projet de loi, on veut quand même que ça demeure à ce niveau-là.

La spécificité, dans notre esprit ou, enfin, de la façon dont on l'a conçue, ne veut pas nécessairement dire avoir une administration totale, complète, différente; on le souhaiterait, évidemment on l'a mentionné. Si les travaux de la commission vont... analyse notre proposition de façon correcte et cohérente, ils sont peut-être même en mesure de nous créer un propre tribunal de la construction, complet. Mais, considérant le fait que ce n'était pas l'objectif de la réforme, mais l'objectif était vraiment le Code du travail, et qu'il semblerait que ce soit pour des raisons d'efficacité administrative qu'on aille récupérer un pan de la loi R-20, alors on a dit: Très bien, c'est des raisons administratives, c'est le gouvernement, à ce niveau-là ça ne touche pas l'essence, le coeur ou la raison d'être du Commissaire de l'industrie de la construction. Ce qu'on veut préserver, c'est l'expertise, peu importe quelle sera la forme de l'institution comme telle. Alors, on n'a pas vraiment touché à l'institution comme telle. Et ça, ça relève, je pense, des travaux de la commission de déterminer s'il y a lieu de faire une distinction au-delà de la Commission des relations de travail ou au sein de la Commission des relations de travail.

M. Tranchemontagne: Merci, M. Hamel. Deuxième question qui suit cette première-là. En supposant, bon, qu'il y a une division de la construction qui est créée à l'intérieur, à ce moment-là comment vous voyez ça, du moins à ce point-ci? Est-ce que R-20 continuerait d'exister comme telle, selon vous...

M. Hamel (Pierre): ...tout à fait.

M. Tranchemontagne: ...une entité propre, ou si vous verriez des accommodements pour intégrer à R-20 des parties du projet de loi n° 182, en supposant qu'il passerait tel qu'il est, là?

n (10 h 10) n

M. Hamel (Pierre): Absolument pas, absolument pas. Le Code du travail et la Loi sur les relations de travail, c'est deux antithèses, c'est deux mondes qui ne peuvent cohabiter. Et la source de R-20, c'est l'impossibilité de cohabitation justement du Code du travail dans l'industrie de la construction. Alors, de grâce, je demanderais, je prierais la commission surtout de ne pas étendre 182 au projet de loi R-20, tout le contraire.

Maintenant, considérant que la loi R-20 est autonome et que le Commissaire de l'industrie de la construction, peu importe à quel niveau administratif va se situer la gestion de ses opérations, lorsqu'il rendra des décisions... Quand on parle d'un tribunal de la construction, on parle de commissaires exclusivement attitrés à ces dossiers-là, c'est de cette expertise-là qu'on parle. C'est le risque de voir attribuer des dossiers à des commissaires de relations de travail qui ont fait du travail ou des relations de travail soit en fonction publique, soit en privé, peu importe, qui n'ont aucune connaissance et qui, pour une raison ou pour une autre, se trouvent saisis d'un dossier où c'est le renouvellement d'une licence d'entrepreneur, qui n'a rien à voir avec les relations de travail, et qui va peut-être mener à une jurisprudence qui va déstabiliser la paix, l'organisation avec le système qu'on a actuellement. Alors donc, on ne touche pas à la loi R-20, surtout avec les principes de 182. Et le tribunal, on le voit, des commissaires exclusivement dédiés et affectés, qui ne feraient que les relations de travail dans l'industrie de la construction, et les autres mandats qui leur sont confiés actuellement.

M. Tranchemontagne: Merci, M. Hamel.

Le Président (M. Sirros): Ça va, M. le député? Mme la ministre? Ou est-ce qu'il y a d'autres interventions? Ça va? Alors, il ne me reste qu'à vous remercier pour votre présentation. Je suis certain que vos propos ont attiré l'intérêt de tout le monde ici et je vous remercie encore une fois pour la présentation. J'inviterais le prochain groupe à venir prendre place et je suspendrais juste quelques minutes, le temps de faire l'échange.

(Suspension de la séance à 10 h 12)

 

(Reprise à 10 h 14)

Le Président (M. Sirros): On va suspendre pour 10 minutes suite à une entente. On va reprendre à 10 h 30 pile.

(Suspension de la séance à 10 h 15)

 

(Reprise à 10 h 31)

Le Président (M. Sirros): Je vous invite à bien vouloir prendre place. On va reprendre la séance avec les prochains invités. Il s'agit de la Chambre de commerce du Québec représentée par son président, M. Audet, qui pourrait nous présenter les personnes qui l'accompagnent et procéder par la suite à la présentation de son mémoire. Vous connaissez les règles du jeu: 20 minutes de présentation suivies de 40 minutes d'échange entre les deux partis représentés ici. Alors, M. Audet.

Chambre de commerce du Québec (CCQ)

M. Audet (Michel): Merci, M. le Président. Alors, écoutez, je vais vous présenter les gens qui m'accompagnent, précisément. Alors, à ma gauche, André Tremblay, qui est ici à plusieurs titres, qui a plusieurs chapeaux, il est vice-président du conseil de la Chambre, il est également président et copropriétaire de Scierie Saguenay et également avocat associé de Cain, Lamarre; à ma droite, Claude Martin, qui est avocat associé chez Heenan, Blaikie; et André Lavoie, qui est conseiller juridique à la Chambre.

Alors, M. le Président, depuis le dépôt du projet de loi en décembre dernier, la Chambre de commerce du Québec a consacré de nombreuses heures, avec des équipes multidisciplinaires, des avocats, beaucoup d'avocats, et avec des chefs d'entreprise, des PME surtout, pour évaluer les modifications proposées au Code du travail. Pour établir notre position, nous avons cherché à dépasser les technicalités pour voir les finalités des impacts des orientations proposées dans le contexte socioéconomique actuel. Je dois dire d'ailleurs que c'était une des préoccupations de s'inscrire dans le contexte socioéconomique des orientations mêmes de la ministre. Donc, on a essayé de voir si ça répondait à ces préoccupations.

À l'heure actuelle, les entreprises doivent composer avec un environnement très concurrentiel qui s'est développé au cours des dernières décennies et qui continuera de s'accentuer avec la libéralisation des échanges et avec l'explosion ? et ce n'est pas terminé ? des technologies de l'information dans le cadre de la nouvelle économie du savoir.

Le Code du travail doit, à notre avis, refléter cet environnement pour nous permettre de nous adapter à nos concurrents. La Chambre est d'accord pour que notre Code soit aussi favorable à la syndicalisation que ne le sont les législations des juridictions que nous voisinons. Ce que l'on comprend mal toutefois à l'écoute de ce qui s'est passé ces derniers jours, c'est qu'on ait réussi, avec un code que Henri Massé a qualifié de bazou, à se hisser en tête du peloton pratiquement mondial ou, en tout cas, au moins nord-américain de la syndicalisation et réussi à créer également des centrales syndicales qui ont plus des airs de formule 1 qui feraient même l'envie de Jacques Villeneuve, pour prendre une formule à la mode. Donc, avec un taux de 40 % au Québec par rapport à 32 % pour la moyenne canadienne et 14 % pour la moyenne américaine, un taux de syndicalisation, on s'entend, on ne peut donc pas dire que le Québec empêche les travailleurs de se syndiquer et que le Code du travail a joué contre eux. Dans ce contexte, est-ce que l'objectif premier de la réforme du gouvernement est de faciliter, comme on l'entend dire souvent, la syndicalisation ou ce n'est pas plutôt de créer un véritable équilibre qui permette de perpétuer un climat sain dans les relations de travail au Québec? Si le seul objectif du Code est de promouvoir le droit à la syndicalisation, à partir de quel seuil le gouvernement jugera-t-il que ce niveau est suffisant? Pour la Chambre de commerce du Québec, ce débat est mal engagé, puisque ce n'est pas là la mission de base du gouvernement. Pour la Chambre, la mission du gouvernement est de créer les conditions favorables à l'entrepreneuriat et à la création d'emplois, le tout dans le respect des droits des travailleurs comme des employeurs.

Les organisations syndicales, particulièrement les grandes centrales, sont bien équipées pour regrouper les travailleurs. Elles ont des moyens énormes, on le sait. Et, si c'est leur désir, les travailleurs peuvent le faire. On a l'habitude de dire chez nous qu'il faut produire de la richesse avant de la distribuer. J'ajouterais, par analogie, qu'il faut créer les emplois avant de les syndiquer.

La réalité d'aujourd'hui, c'est que la majorité des emplois ne se créent pas dans le secteur public, ils ne se créent pas non plus dans les très grandes entreprises ? en tout cas, pas beaucoup ? ils se créent surtout dans la PME, et je pense que c'est un peu le drame qu'on vit actuellement et peut-être aussi que vivent nos collègues du côté syndical. Je pourrai répondre à des questions sur ce sujet; je pense qu'il y a des statistiques effectivement éloquentes qui montrent l'évolution de l'emploi dans les organisations au cours des 20 dernières années qui confirment ce phénomène.

Tout le monde s'entend pour dire, par contre, que le démarrage d'une PME passe généralement par... contrats de sous-traitance de la part d'une grande entreprise. De nombreuses statistiques illustrent d'ailleurs cette observation. Je ne vous citerai qu'une citation d'un célèbre auteur pour appuyer mon propos, et je cite: «La forte création d'emplois par les petites firmes locales indépendantes, jeunes et dynamiques illustre bien l'essor de l'esprit d'entreprise qui anime l'économie du Québec d'aujourd'hui. Ce phénomène bénéficie aussi grandement du déploiement des nouvelles pratiques organisationnelles dans les grandes firmes, soit l'impartition, la sous-traitance, etc.» Et c'est une citation de Bernard Landry, tirée du discours du budget, l'annexe qui s'appelait Objectif emploi.

Nos propos à l'égard du projet de loi n° 182 prennent appui sur cette réalité économique décrite par le ministre des Finances. Si l'on veut créer la richesse collective qui nous donne les moyens d'être plus solidaires, il faut que les législations ne bloquent pas l'entrepreneuriat et, plus particulièrement, que le projet de loi n° 182 ne crée pas un déséquilibre à l'avantage des centrales syndicales. Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, que vous avez reçu, la Chambre de commerce du Québec réitère la nécessité d'établir un équilibre dans la dynamique des relations de travail au Québec si l'on souhaite qu'entreprises et syndicats aient recours à une véritable négociation. L'adaptation du Code aux nouvelles réalités du monde du travail et la nécessité d'en faire davantage un outil de développement et de démocratie de l'économie et de la société québécoise plutôt qu'un outil d'affrontement figurent parmi les objectifs de la réforme lancée par la ministre.

On a entendu le président de la CSN réclamer une mise à niveau avec les autres juridictions canadiennes. Ce que veut M. Laviolette, c'est le meilleur des deux mondes: les dispositions des autres juridictions qui seront bien sûr avantageuses pour les syndicats sans les contrepoids qu'on retrouve dans ces législations, le tout bien sûr en gardant les dispositions qui sont uniques au Québec: article 45, antiscab, précompte syndical, équité salariale, etc., nommez-en. En fait, le projet de loi n° 182 répond déjà largement aux voeux des centrales syndicales. La Chambre de commerce du Québec constate, en effet, qu'on s'est livré à une véritable opération d'écrémage qui retient essentiellement ou principalement des solutions favorables aux syndicats. On y retrouve en effet plusieurs points de déséquilibre. J'en présenterai quatre brièvement.

Le premier point de déséquilibre, c'est la démocratie syndicale. En plus de faciliter grandement le processus d'accréditation, le projet de loi impose peu de contraintes aux syndicats en termes de démocratie syndicale ou sur d'autres questions dont font état les lois des autres juridictions canadiennes. Ainsi, alors qu'il allège considérablement le mécanisme d'accréditation malgré le désaccord qui pourrait prévaloir sur la détermination de l'unité de négociation, le projet de loi maintient les dispositions qui, si elles étaient nuancées, donneraient une plus grande latitude aux entreprises dans la gestion des relations avec leurs salariés. Les exemples ne manquent pas: vote obligatoire sur la représentativité de l'accréditation syndicale ayant déposé la requête en accréditation, vote sur les offres patronales en cours de négociation, droit de l'employeur d'exprimer son point de vue à l'intérieur de certaines balises, invalidation du vote de grève au scrutin secret. C'est d'ailleurs ce qui amène la Chambre à recommander que les moyens mis en place dans les autres juridictions en termes de démocratie syndicale soient intégrés au Code du travail de manière à rétablir un certain équilibre entre la liberté d'association et les obligations qui s'imposent aux associations accréditées pour représenter les intérêts des salariés.

Au-delà de la démocratie syndicale, la Chambre de commerce du Québec fait d'autres suggestions de mise à niveau qui existent également dans d'autres juridictions et qui permettent de rétablir une certaine forme d'équilibre entre les employeurs et les syndicats, le tout en préservant le droit d'association. On n'a qu'à penser aux dispositions sur les briseurs de grève, à la reconnaissance volontaire des syndicats, au droit au lock-out des municipalités. Encore là, donc, la Chambre formule la recommandation suivante: Dans le cadre du processus d'accréditation, on propose de laisser à la Commission la discrétion de ne décider du contenu de l'unité d'accréditation que lorsque toutes les parties ont eu droit à une audition impartiale et qu'elle a fait les démarches nécessaires pour déterminer la volonté des salariés quant à la compétence de l'unité. Et, dans le cadre de l'exercice du droit de grève, on propose d'assouplir la prohibition d'utiliser des briseurs de grève de manière à harmoniser nos pratiques avec celles des autres juridictions, d'introduire dans le Code, à l'instar du fédéral, un mode de reconnaissance volontaire des syndicats de manière à faciliter la déjudiciarisation dans les relations de travail, de limiter la portée du vote de grève de manière à forcer l'association accréditée à retourner devant les salariés pour qu'ils renouvellent leur mandat, au bout d'une période de 60 jours, et d'autoriser, sous réserve du maintien des services essentiels, le droit au lock-out des municipalités. Donc, voilà pour le premier point de déséquilibre.

n (10 h 40) n

Le deuxième point de déséquilibre, la Commission des relations de travail. Le double rôle que la Commission est appelée à jouer dénature le pouvoir du ministère du Travail en matière de conciliation, de médiation et d'arbitrage, allant entièrement à l'encontre de la tendance nord-américaine. Avec un processus de nomination peu transparent et des larges pouvoirs lui permettant de s'immiscer dans la détermination du contenu des conventions collectives, la Commission rendra des décisions finales et sans appel qui seront pratiquement inattaquables en raison du libellé proposé par le projet de loi pour définir ses pouvoirs. Dans ce contexte, la Chambre de commerce déclare la disparition du Tribunal du travail, instance en mesure de corriger les erreurs de droit susceptibles d'être commises par la Commission. Dans l'état actuel des choses, on laissera un décideur, et non trois, trancher des questions qui risquent d'être fondamentales pour la productivité d'une entreprise.

Donc, afin de créer un meilleur consensus autour de la Commission, la Chambre recommande de rendre plus transparent le processus de nomination de la Commission pour assurer un véritable paritarisme, de limiter les fonctions de la Commission à un rôle d'adjudication et que la conciliation et la médiation soient confiées à un organisme clairement indépendant, relevant directement de la ministre du Travail, d'alléger le libellé du projet de loi qui consacre la compétence de la Commission et de maintenir l'instance du Tribunal du travail comme gardien de la légalité des décisions de la Commission, comme d'ailleurs le suggère, le lui a suggéré le Barreau, et avec les recommandations qu'on appuie également. Enfin, de circonscrire les pouvoirs d'ordonnance de la Commission de manière à ce que son action adjudicative se concentre sur les mécanismes de résolution des conflits et non sur la détermination des contenus des conventions collectives.

Troisième point de déséquilibre, M. le Président, la sous-traitance. En ce qui a trait à la demande traditionnelle des entreprises, qu'est la clarification de la portée donnée à l'article 45 eu égard à la sous-traitance et à la transmission des droits et obligations, la Chambre de commerce du Québec note qu'il y a encore là déséquilibre, puisque le projet de loi répond aux demandes syndicales visant l'élargissement du champ d'application de 45, d'une part, en retranchant l'exception concernant la vente en justice et, d'autre part, en reconnaissant la transmission d'entreprise lors d'un changement de compétence législative.

En contrepartie, la Chambre constate que, plutôt que de s'engager résolument dans la voie tracée par le groupe Mireault et repris par le groupe Lemaire, la ministre dit proposer une ouverture en permettant aux entreprises de se soustraire de l'application de 45 par la voie de la négociation. Cette ouverture est nettement insuffisante pour la Chambre de commerce, puisque, sous des airs de cadeaux, elle est fardée de conditions qui la rendent, à toutes fins pratiques, inopérante. Alors, il y a évidemment... on pourra y revenir au moment des questions, notamment avec l'impact de l'article 222, et également le fait de prévoir les effets de la sous-traitance sur les conditions d'emploi. À ce niveau, donc, la Chambre recommande donc d'exclure, dans la foulée du rapport Mireault, tout contrat d'entreprise ou tout contrat de fourniture de services et de biens, et ce, quel que soit le lieu d'exécution du travail, de la portée de l'article 45.

Enfin, quatrième point de déséquilibre, la notion d'entrepreneur dépendant. La Chambre a soutenu à l'occasion de la publication des orientations ministérielles et continue de soutenir que l'introduction de la notion d'entrepreneur dépendant n'est pas nécessaire pour clarifier le statut des personnes qui, au sens du Code, s'assimilent à des travailleurs qu'on appelle maintenant les faux autonomes, puisque la jurisprudence québécoise nous offre les outils nécessaires pour débusquer, soit dit entre parenthèses, ces faux autonomes, selon l'expression des syndicats. Cette avenue est dangereuse, puisqu'en voulant régler ce faux problème on risque d'en créer de plus importants en assujettissant au Code de véritables entrepreneurs indépendants par la réinterprétation de critères jurisprudentiels jusqu'à présent reconnus. Si les syndicats disent ne pas vouloir assujettir les travailleurs autonomes, pourquoi ouvrir la porte à une définition qui pourra toujours faire l'objet d'une interprétation? On l'a vu dans la présentation d'ailleurs de la FTQ, l'objectif recherché par les grandes centrales est vraiment de réduire au maximum les contraintes, de manière à aller chercher le plus de monde possible, soyons clairs.

Plutôt que donc de s'en prendre aux entrepreneurs dépendants, pourquoi ne pas envisager ? et là, c'est une ouverture qu'on a faite dans notre mémoire ? la possibilité d'interdire directement la transformation du statut de salarié dans le but explicite de nuire à la syndicalisation de l'entreprise. Cette solution permettrait de rassurer les syndicats et elle nous apparaît beaucoup plus judicieuse que l'avenue choisie dans le projet de loi qui risque de chambarder l'état du droit existant et de lui donner une portée qu'il n'a jamais voulu... qu'on n'a jamais voulu, à savoir l'introduction massive de véritables travailleurs autonomes dans la notion de salarié. La Chambre de commerce du Québec en a d'ailleurs fait des recommandations dans ce mémoire, et je les répète: que le gouvernement retire du projet de loi la définition d'entrepreneur dépendant, qui est déjà reconnue dans notre jurisprudence, et, si on veut sécuriser les syndicats, que le gouvernement évalue la possibilité d'inclure une interdiction d'ordre général de transformer le statut de salarié dans le but explicite de nuire à la syndicalisation de l'entreprise.

En conclusion, M. le Président, au cours d'une réunion tenue il y a, je crois, 15 ou 18 mois, à laquelle assistaient beaucoup de personnes, je crois même que la ministre était là, il y avait beaucoup de collègues également du monde patronal, M. Lucien Bouchard, le premier ministre, a affirmé que la réforme du Code du travail ne devrait pas se faire sans un large consensus. Moi, je ne peux pas parler pour les dirigeants syndicaux, mais je peux affirmer, après avoir discuté avec les autres associations patronales et après également avoir pris connaissance des différents mémoires, qu'il y a actuellement un large consensus pour s'opposer fermement au projet de loi n° 182 tel que déposé en décembre dernier par la ministre du Travail. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. Audet. Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, M. le Président. Alors, M. Audet, bienvenue à cette commission, bienvenue aussi aux gens qui vous accompagnent.

J'ai réfléchi beaucoup sur comment je vais amorcer cet échange avec vous, j'y réfléchis encore, comme vous pouvez voir. D'abord, bien, peut-être un commentaire plus technique sur la question de votre proposition au sujet des entrepreneurs dépendants. Vous nous faites la proposition donc de créer un modèle autour d'une interdiction de changer le statut de salarié, bon, avec un certain nombre de critères. C'est quelque chose que je vais examiner. Je ne dis pas que je vais... je ne m'engage pas sur l'issue de cette réflexion-là, mais je pense que c'est une piste qui vaut la peine d'être examinée.

Par ailleurs, je ne sais pas si c'est parce que je suis la fille d'un mécanicien qu'on utilise autant les images qui ont trait aux chars...

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Lemieux: ...je m'interroge: Y a-t-il un lien? Ha, ha, ha!

Alors, M. Audet, je ne veux pas revenir sur des aspects trop techniques, je pense qu'il y a des questions de fond qui sont soulevées par ce projet de loi, il y a des débats vraiment fondamentaux qui sont en cause. Hier, j'ai dit, et je le répète, et c'est une conviction profonde: Nous sommes dans un contexte économique particulièrement intéressant, et il faut se le dire, c'est formidable comment le Québec a su saisir les occasions que nous offre notamment l'ouverture des marchés, qu'il y a même des secteurs économiques qui étaient moribonds et dont tout le monde prédisait la mort et qui ont été carrément sauvés par le libre-échange. Je pense à l'industrie du meuble, par exemple; c'était presque mort, cette industrie-là. Les gens ont beaucoup eu peur du libre-échange, mais, finalement, ça leur a donné le souffle qu'il fallait pour se repositionner, puis c'est maintenant une quarantaine de milliers d'emplois au Québec. Alors, c'est un contexte formidable pour tous ceux qui ont un peu de tonus, qui ont des idées, qui sont bien entourés pour leur permettre, donc, de réaliser des projets d'entreprise, de création d'emplois, mais, en même temps, c'est un contexte formidablement féroce. Et je disais hier que les États qui, je crois, vont s'en sortir le mieux sont ceux qui seront capables de concilier ces deux réalités, à savoir: suivre le rythme imposé par cette ouverture de marchés, mais, en même temps, prendre soin de ces gens. Et je pense que c'est ça, le coeur de la discussion autour de ce projet de loi là.

Je connais bien les propos de la Chambre de commerce du Québec. Ce qui me trouble, c'est... et vous le dites dans votre mémoire à la page 4, vous dites à un moment donné: «La Chambre de commerce du Québec est donc très déçue puisqu'elle s'attendait à ce que la réforme du Code tienne véritablement compte des impératifs économiques auxquels la société québécoise doit faire face dans un contexte de globalisation.» La question que je me pose et que je vous pose, c'est: On va jusqu'où? On va jusqu'où pour tenir compte de ce contexte-là? Parce qu'à la limite, et là je vais charrier un peu, je vais exagérer mon propos, à la limite, les entreprises, pourquoi paieraient-elles de l'impôt? Elles créent de la richesse et elles créent des emplois. Pourquoi se préoccuperaient-elles de ce qu'elles déversent dans les cours d'eau? Pourquoi se préoccuperaient-elles d'avoir des procédures pour mettre à pied ou congédier les gens? Pourquoi se préoccuperaient-elles de santé et sécurité? Après tout, c'est aux gens à faire attention. Pourquoi aurait-on un salaire minimum? J'exagère, là, j'exagère, mais, en même temps, on va jusqu'où? C'est ça, la question.

n (10 h 50) n

Et là on est en face d'un instrument, qui s'appelle le Code du travail, qui consacre un droit, un droit qui a une histoire ici et qui est d'ailleurs cristallisé dans nos chartes, un droit aussi qui occupe pas mal d'espace sur la scène internationale. Il y a plusieurs conventions internationales et instruments internationaux qui la consacrent, cette idée de la liberté de négociation, la liberté de se regrouper pour négocier, la liberté donc de syndicalisation. On va jusqu'où, M. Audet?

M. Audet (Michel): Écoutez, c'est une question évidemment très ouverte. Je pense que, comme vous dites, vous exagérez en disant qu'effectivement toutes nos lois, nos règlements sont un peu en cause par ça. C'est évident qu'il faut s'adapter. Mais, vous savez, j'ai un petit peu de vécu là-dedans. Je me souviens, dans la négociation du libre-échange en 1986-1987, il y avait beaucoup de tables. J'étais responsable de la coordination, à l'époque, de ces études-là et il y avait beaucoup de tables justement sectorielles ? vous parliez justement du meuble ? et il y en avait d'autres également de centrales syndicales qui clamaient qu'on perdrait, n'est-ce pas, toutes nos conditions de travail, que ce serait, comprends-tu... qu'il n'y aurait plus de salaire minimum, qu'il n'y aurait plus de soins de santé. J'ai entendu ça effectivement, les problèmes de la santé. Je pense qu'il faut éviter de tomber là-dedans, dans les extrêmes, et de jeter le bébé avec l'eau du vin... du bain, pardon. Je pense qu'il faut mettre les choses en perspective.

Ce qui est important, on ne demande pas... il n'y a rien là-dedans qui remet en cause les droits des travailleurs, madame. Je tiens à être très clair. Ce qu'on dit cependant, c'est: N'ajoutez pas des contraintes à un code qui est déjà assez bien organisé et, au contraire, il faut chercher à le rendre un peu plus flexible. C'est ça, le coeur de notre message. Ce n'est pas de dire de le rendre... de nuire à la syndicalisation. Quand on dit cependant qu'il y a un problème au Québec parce que la syndicalisation plafonne, bien, j'ai noté tantôt qu'il y a un problème principalement, c'est que l'emploi se crée dans la PME et puis syndiquer une petite PME, je comprends que c'est compliqué. Mais ça, ce n'est pas au gouvernement à régler ça. C'est aux syndicats à se remettre en question puis à repenser leurs affaires.

Et je donnais tantôt des chiffres. Depuis 15 ans, le pourcentage des emplois qui sont dans les entreprises de 100 employés et moins a augmenté de 4 %. Il est passé de 40 % à 44 %. Le pourcentage des employés qui sont dans des entreprises de 500 employés et plus a baissé, lui, de 4 %. Donc, pourquoi? Parce que justement il y a eu un déplacement, il y a eu une réorganisation. Au total, il y a plus d'emplois qu'avant, mais il y a eu des déplacements, puis, chaque année, il y en a régulièrement. Alors, ça, c'est une réalité qui existe, qui n'est pas d'hier, qui se continue depuis 15 ans, qui va se continuer. Et je pense qu'elle est accélérée par le phénomène actuellement des technologies de l'information, de l'explosion dans ce domaine-là, du fait que vous pouvez avoir par Internet justement... donner un contrat à un sous-traitant n'importe où dans le monde. Donc, le nouveau Code du travail peut empêcher de le faire au Québec, il va se donner ailleurs.

Donc, ceci dit, il faut tenir compte de ces contraintes-là pour faire en sorte qu'on ne se tire pas dans le pied. C'est ce qu'on vous dit, madame. Mais on ne dit pas de remettre en cause toutes les lois et les protections des travailleurs. En tout cas, il n'y a rien de tel dans nos propos. Si vous avez lu ça, on pense qu'on a été mal lu.

Mme Lemieux: Mais vous ne répondez pas à ma question, M. Audet. Qu'est-ce qu'on préserve dans ce contexte-là?

M. Audet (Michel): Madame, on essaie de préserver notre capacité de donner des emplois au monde. Je pense que c'est des entreprises, c'est des entrepreneurs qui créent des jobs.

Je l'ai mentionné tantôt, je donne des chiffres là, et ça, je pense qu'il faut s'assurer qu'on ne nuise pas, par exemple, avec une définition de salarié qui bloque par exemple... qui fait en sorte que, si on extensionne rapidement l'accréditation, ce qui va arriver, c'est qu'on va tarir la source des sous-contrats. Si, moi, je veux partir une entreprise, je vais aller voir une grande entreprise dans le but de dire: Écoute, un instant, moi, j'ai des syndiqués; ce que tu me demandes, c'est que, moi, je vais avoir des problèmes avec ça, je vais avoir des griefs; alors, il n'en est pas question; je vais donner mon contrat ailleurs. Comprenez-vous? C'est que, si vous entrez dans une définition trop serrée, vous allez tarir la source des sous-contrats qui est à la base de création d'entreprises. Ça ne part pas de rien, ça, une PME. Ça part d'un contrat habituellement qui va chercher dans une grande entreprise, ou au gouvernement, ou une sous-traitance, ou un sous-contrat quelconque. Parce qu'il faut que tu partes, il faut que tu vendes en quelque sorte quelque part, puis ça te prend un bloc important.

Alors, si tu dis que c'est la dépendance économique, c'est évident que tu vas aller le chercher, c'est automatique. La dépendance juridique, on l'a dit, tu peux toujours avoir un débat là-dessus. Jusqu'où tu peux aller? Ce qu'on dit, c'est qu'encore une fois notre droit là-dedans a trouvé une certaine sagesse, faisons en sorte qu'on évite... ce qu'on vous propose, trouvons une façon pour éviter qu'on détourne la situation, qu'on transforme des employés puis pour justement éviter la syndicalisation, donc c'est une proposition qu'on vous fait, mais n'empêchons pas le dynamisme de l'entrepreneurship de se faire valoir, c'est ça qui est à la base. Des entreprises d'hier... Je vais vous donner des exemples, que je pourrais ressortir. On a depuis 22 ans maintenant les Mercuriades. On a maintenant des gagnants des Mercuriades grandes entreprises qui ont été gagnants de PME il y a 15 ans puis ils sont maintenant gagnants grandes entreprises parce qu'ils sont passés de 50 employés à 500 employés. C'est ça, la création, le développement de l'emploi. Alors, il faut les laisser se développer, puis, moi, je pense que c'est ça qu'on essaie de préserver là-dedans. Ça ne nuit pas. Ces entreprises-là sont syndiquées. Mais on dit: Elles sont parties par exemple avec un contrat, la plupart du temps; elles sont parties avec un contrat important. Et ça, il faut laisser cette capacité-là de notre système économique d'opérer. Je ne sais pas si mes collègues veulent en ajouter.

Mme Lemieux: Vous avez dit, au sujet des articles 45 et 46, vous dites que, dans le projet de loi, il y a une ouverture par voie de négociation, mais une ouverture insuffisante. Mais est-ce que je comprends que vous concevez que c'est une ouverture?

M. Audet (Michel): Prenez-le entre guillemets. Peut-être que je vais demander à mes collègues de préciser là-dessus. Mais très brièvement, ce qu'on constate, madame, c'est que, dans les faits, ce que l'on dit, c'est qu'à tout le moins, s'il faut que ce soit une ouverture, il faudrait reconnaître de facto les conventions collectives qui ont été signées déjà, qui ont été signées par du monde vacciné, ils savaient ce qu'ils faisaient, et on les reconnaît, ils ont été... Là, ce qu'on dit, c'est qu'on oblige, par 222, à reprendre le processus de négociation. On va obliger les entreprises ? puis d'ailleurs j'ai entendu les syndicats qui ont les mêmes préoccupations ? à refaire une négociation. Ça va être éminemment complexe et, moi, je crains que, dans beaucoup de cas, on doive... Souvent, il a été payé une fois pour avoir une clause semblable; qu'on repaie une deuxième fois pour maintenir la clause, ça, ça nous préoccupe beaucoup et ça préoccupe beaucoup nos membres. Mais je demanderais à mes collègues peut-être d'être un peu plus spécifiques là-dessus.

Le Président (M. Sirros): M. Tremblay.

M. Tremblay (André): Oui. Bien, en fait, si je reviens à votre première question, Mme la ministre: Qu'est-ce qu'on protège? je pense que notre mémoire a comme objectif la recherche d'un certain équilibre. On n'est pas ici en train de modifier de façon importante le Code du travail. Ce qu'on veut, c'est: si on fait une mise à niveau, que ce soit une mise à niveau qui protège l'équilibre qui existe actuellement. On est en train de regarder comment le Code du travail va fonctionner dans les prochaines années, comment il va régir les relations de travail au Québec, et on dit: Il est important qu'il tienne compte enfin de ce qu'on rencontre tous les jours, la compétitivité de nos entreprises. Nos entreprises doivent faire face à une concurrence qui est de plus en plus féroce ? vous l'avez dit vous-même ? d'un ensemble d'autres... des entreprises qui viennent d'ailleurs. Il est donc important qu'on ait un contexte juridique qui tienne compte de ce qui existe ailleurs. Je pense que c'est l'économie du mémoire qu'on vous a déposé. Je voulais revenir à votre première question.

Mme Lemieux: Mais, en même temps, c'est parce que je sens beaucoup de vos propos que vous dites: On recherche un équilibre. Moi, c'est un mot que j'utilise beaucoup dans ma vie, mais on recherche un équilibre à partir d'un point de départ clair. Le Code du travail, je ne veux pas être rabat-joie, mais le Code du travail nous donne la méthode des règles du jeu pour exercer un droit qui est reconnu, celui de se syndiquer. L'équilibre, il part de là, là. Et ce que je sens beaucoup dans vos propos, M. Audet, quand vous donnez des exemples d'entreprises qui sont parties, entre guillemets, des gens qui se sont mis en affaires suite à des contrats de sous-traitance, ce que je sens, c'est: Il faut éviter que ces entreprises-là se syndiquent parce que c'est une contrainte, et c'est vu comme une contrainte.

M. Audet (Michel): Ce que je veux dire, c'est qu'il faut éviter que l'entrepreneur en question, l'entreprise qui donne le contrat, ne le fasse pas, parce que vous transférez l'accréditation. Alors, il dit: Moi, pourquoi? quel avantage pour moi à ce moment-là? je vais me retrouver... ou je le fais à l'interne ou je le fais avec quelqu'un avec qui je n'aurai pas de problème. C'est ça qu'on veut. On ne veut pas... Que l'entreprise soit... Moi, je veux dire: Il n'y a rien là-dedans qui empêche le Code du travail actuel de jouer: si les employés de ce sous-traitant-là veulent se syndiquer, ils se syndiqueront ? ça, c'est une autre histoire ? mais qu'on ne transfère pas automatiquement, parce que quelqu'un a un sous-contrat important, l'accréditation. C'est ça qui est en cause.

Mme Lemieux: Mais, si on transférait l'accréditation mais pas la convention collective?

M. Martin (Claude): Mme la ministre.

Le Président (M. Sirros): M. Martin.

M. Martin (Claude): Merci. Si vous me permettez, on va reprendre la démarche que vous avez faite. La Chambre de commerce, ici...

Mme Lemieux: Vous allez répondre à ma question, là.

M. Martin (Claude): Oui, oui, je vais répondre. Promis, je vais répondre à votre question.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Martin (Claude): La Chambre de commerce ne suggère pas en aucune façon de faire marche arrière sur la philosophie du Code du travail. C'est une mécanique qui existe pour accréditer. Alors, lorsque vous avez posé la question: Jusqu'où on veut aller? il n'est pas question de retourner dans un univers sans organisation. Premier élément.

n (11 heures) n

Si on prend 45 spécifiquement, ce que la Chambre a dit simplement, c'est: Il y a une particularité au Québec qui doit être regardée attentivement et c'est la question de la sous-traitance. Maintenant, la difficulté dans ce que vous dites, lorsqu'on dit: Bon, on ne transférera pas la convention collective, mais on va transférer l'accréditation, la démarche est vide de sens parce que qu'est-ce que ces gens-là, de l'autre côté, ont à ce moment-là? Et par ailleurs, si on va accréditer le sous-traitant par un mécanisme juridique, les employés de cette unité-là n'auront jamais eu l'occasion de se prononcer sur cette accréditation-là. Et 45, c'est un transfert automatique de l'accréditation et de la convention collective.

Mme Lemieux: De l'accréditation et de la convention collective. Puis, ce que j'entends beaucoup de vos propos... Prenons un cas hypothétique, mais qui se passe aussi dans la vie: un sous-traitant peut être dans un contexte totalement différent, par exemple une grande entreprise qui lui donne un contrat. Alors, ce que je comprends, c'est ? bien, dites-moi si j'ai raison, là, je teste des choses, là: Ne donnons pas le poids d'une convention collective qui a été négociée dans un contexte x avec des considérations bien particulières à une entreprise, n'exportons pas ça dans une autre entreprise qui vit toute une autre réalité. Le monde se reparlera et rebâtira ses rapports à partir de la réalité de cette entreprise-là.

M. Martin (Claude): D'accord. Mais, ceci étant dit, la durée d'un sous-contrat, madame, ça peut être d'une durée déterminée, et je ne peux tout de même pas transférer ? pour prendre un exemple là, aux extrêmes ? l'accréditation des TCA à un endroit, chez un petit entrepreneur, pour la durée de l'exécution d'un contrat.

Mme Lemieux: On se comprend qu'il faut que 45 s'applique, il faut qu'il y ait quelque chose qui se transfère, là. On a eu ici, en commission, des ingénieurs-conseils un peu préoccupés. Une entreprise qui sous-contracte parce qu'elle n'a pas l'expertise... Regardez bien, il n'y a rien qui se transfère. Il faut arrêter de donner un sens à 45 qu'il n'a pas.

M. Martin (Claude): La difficulté de 45 à l'heure actuelle, tel qu'il est interprété par les tribunaux, fait en sorte que, même s'il n'y a pas de transfert d'expertise, même si un employeur s'en va chercher un know-how particulier, 45 pourrait trouver application, et c'est ça, la difficulté...

Une voix: ...

M. Martin (Claude): Ou c'est une des difficultés, oui, effectivement, ce n'est pas que la seule difficulté, c'est une des difficultés. Maintenant, que, dans d'autres circonstances, l'aliénation d'entreprise, à la rigueur la vente en justice ? puisque vous proposez de la retirer ? fasse en sorte que et accréditation et convention collective puissent être transférées ou seulement accréditation puisse être transférée, ça, c'est une question. Là, c'est la même entreprise en quelque sorte qui ? comment dirais-je? ? change d'apparence. Dans le cas d'une aliénation, c'est carrément une entreprise qui se continue ailleurs.

Dans le cas d'une sous-traitance, ce n'est pas une entreprise qui se continue ailleurs, c'est une activité qui est transférée ailleurs, pour des raisons qui peuvent être purement économiques ou d'expertise, mais c'est une activité, ce n'est pas l'entreprise qui est transférée. Alors, à l'origine... Et, sans vouloir faire le procès de 45, je pense qu'à l'origine, lorsque 45 a été adopté, ce n'était pas la situation d'un transfert d'une activité qui était visée, mais beaucoup plus le transfert de l'entreprise elle-même.

Maintenant, le frein à la sous-traitance évidemment, lorsque vous parlez de l'hypothèse d'un transfert d'accréditation, c'est que le sous-traitant qui, lui, sollicite la possibilité d'exécuter un contrat et qui se verrait contraint d'être lié par une accréditation, risque de dire: Moi, cette hypothèse-là, ça ne m'intéresse pas. Et, ce faisant, ça constitue un frein au développement d'une entreprise, dans une certaine mesure.

M. Tremblay (André): Pour répondre à votre question, Mme la ministre, et pour faire suite aux propos de mon collègue, imaginez une entreprise qui veut impartir son service informatique, qui fait appel à une entreprise spécialisée en informatique où on transfère l'équivalent de deux employés-année dans cette entreprise informatique là, qui en compte peut-être 50 ou 60. On aurait une convention ou une accréditation ? parce que c'est l'accréditation du donneur d'ouvrage ? qui couvrirait deux ou trois employés, l'équivalent du contrat qu'on a transféré. Puis là ce syndicat pourrait vouloir négocier des conditions de travail pour ces deux employés-là, qui viendraient s'appliquer aux deux puis pas à l'ensemble des autres employés. Pratiquement, ça apparaît assez compliqué.

Le Président (M. Sirros): Ça va? Il restera trois minutes à la fin, étant donné que tout le temps de la présentation n'a pas été pris. Mais, pour l'instant, je vais donner la parole au député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, M. le Président. À mon tour, M. Audet, de vous souhaiter la bienvenue, ainsi qu'aux personnes qui vous accompagnent. S'il y a une chose que vous avez dite avec laquelle je suis entièrement d'accord, c'est qu'il y a un large consensus face au projet de loi n° 182 et que tout le monde s'y oppose quelle que soit la partie, qu'elle soit patronale ou syndicale. Le point de vue est différent, c'est sûr, mais l'opposition est là.

Je voudrais revenir toujours sur les fameux 46 et 45 pour ce qui est de la sous-traitance et peut-être poursuivre la discussion. J'aimerais ça qu'on trouverait un moyen de démystifier le problème de la sous-traitance. Les syndicats qu'on a vus, qui sont venus ici, semblent nous dire, si je conclus leurs interventions, que la sous-traitance est une atteinte à la syndicalisation. Autrement dit, parce qu'il y a de la sous-traitance, la syndicalisation disparaît ou a baissé au Québec; on parle d'une baisse de 48 à 40 % environ. Et, moi, je fais une distinction entre les deux. Ce n'est pas parce qu'il y a une sous-traitance que le syndicat n'a pas le droit d'aller syndiquer ce sous-traitant-là.

Et, d'ailleurs, si ma mémoire me sert bien, au niveau de la sous-traitance au Québec, on a moins de sous-traitance qu'il en existe ailleurs en Amérique du Nord, moins que dans les autres provinces canadiennes et moins aussi qu'aux États-Unis. Et, par contre, je ne peux pas faire autrement que de juxtaposer à ça qu'en même temps on crée moins d'emplois qu'ailleurs. Par exemple, en l'an 2000, on a créé 8 % de tous les emplois canadiens. Est-ce qu'il y a une relation de cause à effet? Les investissements privés ici, au Québec, sont plus faibles qu'ailleurs au Canada, par exemple. Et je me dis: On a moins de sous-traitance, on crée moins d'emplois, puis on attire moins d'investissements privés. Est-ce qu'il n'y aurait justement pas une cause de lien à effet, étant donné la restriction qui nous est imposée par cet article 45 de la loi? Et, à ce moment-là, je me demande s'il n'y a pas moyen de faire des accommodements.

Si on pense à une PME, souvent une PME va être appelée à transférer, à sous-traiter une partie de ses fonctions justement parce que ce ne sont pas des fonctions essentielles à la survie de l'entreprise. Ce n'est pas... L'entrepreneur indépendant, lui, ce à quoi il est intéressé, c'est à fabriquer le produit qu'il fabrique et puis de le vendre, le produit qu'il fabrique. C'est ça qui assure sa survie. Il y a plusieurs fonctions qu'il doit faire, mais qui sont vraiment accessoires, qui ne sont pas essentielles à sa survie. Et est-ce qu'à ce moment-là une ouverture de ce genre ne pourrait pas être couverte?

J'essaie de trouver un compromis parce que c'est deux positions irréconciliables. Les entrepreneurs, les patrons veulent absolument faire de la sous-traitance. Et c'est compréhensible, c'est ce à quoi ils font face en Amérique du Nord. Il y a de plus en plus de sous-traitance et, pour être compétitif, bien, il faut avoir des coûts plus bas puis ça, c'est une façon d'avoir des coûts plus bas. Alors, comment on fait pour réconcilier ça et réconcilier le drame syndical supposément créé par la sous-traitance? Je me dis: Est-ce qu'on devrait se limiter dans ce cas-là, permettre la sous-traitance à des fonctions non essentielles de l'entreprise, comme, je ne sais pas moi, le payroll ou ? vous parliez d'informatique tantôt ? parce que l'entreprise, elle, n'a pas la masse critique pour avoir peut-être la grosseur d'ordinateur que ça lui prend puis le nombre d'informaticiens que ça lui prend, etc.?

Je ne sais pas, j'essaie, avec toute la bonne volonté, je pense, dont on est capable de trouver ou d'essayer de trouver des éléments de solution. Et je vous dis encore, je vous répète que, moi, la sous-traitance, ce n'est pas quelque chose qui m'inquiète au départ. Ce n'est pas quelque chose que je vois comme un grand drame social, bien au contraire. Mais il faut peut-être trouver des éléments de solution pour en arriver à... appelez ça un compromis si vous voulez, mais pour qu'on finisse par avancer à quelque chose.

M. Audet (Michel): Bien, c'est ce que Réal Mireault en fait avait essayé justement de préciser dans ses recommandations. Ce que vous reprenez, c'est essentiellement un peu le coeur de l'argumentaire, je pense, de Réal Mireault, que mes collègues pourront préciser davantage. C'était exactement cette approche-là.

n (11 h 10) n

Je voudrais juste cependant vous dire jusqu'à point, quand on disait tantôt, quand on parle que ce n'est pas essentiel à l'entreprise... Par contre, ce qui est fondamental dans une dynamique de développement... Je vais vous donner une entreprise comme CGI, je pourrais en nommer d'autres. CGI s'est développé comment? Il s'est créé en allant chercher des contrats de sous-traitance dans des entreprises pour qui ce n'était pas important comme... Ce n'était pas dans ce qu'on appelle son «core business» Ce n'était pas dans sa mission de base. Et ils se sont développé des expertises là-dedans. Et je pourrais en nommer beaucoup d'autres. La plupart des emplois créés depuis plusieurs années sont justement dans le domaine des services aux entreprises, et c'est, la plupart du temps, des services sous-traités comme ça qui ne sont pas des fonctions de base dans l'entreprise. Alors, c'est un peu, je pense, l'idée qu'avait eue Mireault justement dans ce cas-là. Je pense que mes collègues sont peut-être plus familiers que moi avec la formulation, mais je crois que c'était le sens. Ce que vous reprenez, c'est un peu ce qu'a essayé de préciser Réal Mireault.

Le Président (M. Sirros): M. Lavoie.

M. Lavoie (André): Effectivement. Parce que, dans le cadre de Mireault, je crois que ? bon, vous en avez fait probablement la lecture, Mme la ministre, du rapport Mireault et vous le connaissez, sinon, vos adjoints vous ont certainement alimentée là-dessus ? la solution qui était proposée était dans ce sens-là, justement là dans le cadre d'une définition particulière pour certains éléments rattachés à certaines fonctions non essentielles.

En fait, je ne peux pas beaucoup rajouter, puisque, effectivement, c'est la voie qui avait été développée et c'est justement le fondement de notre proposition de s'en remettre à Mireault et de développer l'avenue de solution qui a été proposée qui faisait, soit dit en passant, contrepoids justement à la question de la vente en justice. C'est, en fait, la transmission de la convention collective, le transfert de la convention collective au sous-traitant là, dans le cas d'une vente en justice, dans le cas du transfert de juridiction des entreprises qui changent de juridiction, de la juridiction fédérale à la juridiction provinciale. Je ne sais pas si ça répond à votre question, M. le député?

M. Tranchemontagne: Oui, ça répond un peu à ma question, mais je ne comprends pas qu'on soit... Si on est d'accord avec ça ou si... Comment est-ce qu'on fait pour respirer dans un goulot d'étranglement comme celui qu'on a? En fait, c'est plus que ça, c'est un mur qu'on frappe. Puis je suis content que vous souleviez l'exemple de CGI. Dans mon ancien emploi, j'ai été le premier à faire de l'impartition avec CGI. Vous pourrez en parler au président de CGI, il va le reconnaître.

Au niveau de la sous-traitance encore une fois, j'aimerais revenir, parce que je ne sais pas s'il y a eu des essais de rapprochement entre le patronat et le syndicat pour essayer de s'asseoir à une table et justement d'en parler de ces... Et, s'il n'y en a pas eu, est-ce que c'est possible d'en avoir? Et, s'il y en a eu, pourquoi ça n'a pas fonctionné?

M. Audet (Michel): Il y a eu des discussions au CCTM sur ce sujet-là et on s'est mis d'accord pour nous dire qu'on n'était pas d'accord. C'est clair, c'est à peu près ça.

M. Lavoie (André): Quand vous parlez, M. le député, là-dessus, lorsque vous parlez d'un mur, je crois que les présentations qui ont été faites il y a 48 heures à peine en cette Chambre ont démontré qu'il n'y a pas beaucoup d'ouverture de la part des syndicats sur 45, alors que ce qu'on vient vous dire ici, et c'est le fondement de notre proposition, c'est que Mireault avait justement établi une certaine forme de compromis. Alors, ce qu'on dit, c'est: Pourquoi ne pas réintroduire la formule de Mireault qui était une forme de compromis, qui, soit dit en passant, ne répondait pas entièrement à la demande qui était traditionnellement formulée par le patronat et qui était l'exclusion entière, en fait beaucoup plus large que le patronat demandait initialement?

M. Tranchemontagne: Juste pour terminer là-dessus, je suis d'accord avec vous quand vous parlez, par exemple... Si j'ai bien compris M. Audet, il parle que le 46, surtout quand on le regarde avec le 222 ou en même temps que le 222, est sûrement une ouverture insuffisante. Et, si je me fie à la déclaration du président de la CSN, c'est clair que le syndicat, comme on disait hier, va mettre les brakes et ne voudra absolument pas négocier ou plus négocier de sous-traitance. Alors donc, j'abonde dans le sens que vous dites et il faut absolument trouver un compromis.

J'aimerais, dans la même optique un peu, parler deux secondes de ce qu'on appelle l'«entrepreneur dépendant» ou l'élargissement de la définition du «salarié». Vous avez mentionné, M. Audet, que vous seriez prêts à avoir une ouverture pour éviter ce qu'on a appelé les «faux travailleurs autonomes». Comment voyez-vous cette ouverture-là pour justement permettre au législateur de faire la distinction entre c'est qui, un vrai travailleur autonome et c'est qui, un faux travailleur autonome?

M. Audet (Michel): Bien, je pense que l'objectif, pour ce qu'on avance est basé sur la requête même de ce que nous dit Henri Massé. Il nous dit tout le temps: Ce n'est pas de syndiquer les vrais entrepreneurs dépendants, donc les vrais autonomes, mais ceux qui transforment, ceux dont le statut est transformé, strictement dans un but explicite, donc de nuire ou d'empêcher la syndicalisation. Alors, à ce moment-là, qu'on en fasse une disposition d'ordre général comme c'est le cas dans d'autres types de dispositions. Évidemment, ça devrait être interprété ? il va de soi, parce que c'est évident qu'il va falloir là-dedans aussi éviter que ça soit extensionné pour empêcher d'avoir le même effet ? mais sujet à certaines balises.

Si c'est ce qu'on vise, qu'on l'écrive. Il faudrait voir l'impact, comment est-ce que ça va être écrit, comment ça va être formulé. Mais, lorsqu'on est en train de redéfinir un nouveau concept, il se développe une nouvelle jurisprudence, c'est ce qui va arriver. Et notre crainte, c'est bien simple, c'est qu'il va arriver ce qui est arrivé à 45, c'est que, tôt ou tard, à un moment donné, les tribunaux, les jugements vont faire que ça va être finalement une fermeture complète au développement du travail autonome parce qu'on va l'interpréter de plus en plus d'une façon restrictive. On va dire: Actuellement, notre droit a déjà trouvé une façon de régler le problème quand ça s'est fait, quand les syndicats font des requêtes en ce sens. Si on veut leur donner un cadre, un principe général qui balise, bien, qu'on le fasse, mais qu'on ne réinvente pas toute une définition de «salarié», qui d'ailleurs ? l'entrepreneur dépendant ? peut évoluer. C'est très difficile d'imaginer ça.

On a, par exemple... Mon collègue, ici, André Tremblay peut vous en parler. Il s'occupe beaucoup de ce genre d'entreprises là. Mais il y a des gens là-dedans... On ne parle pas, par exemple, de risques de profits et pertes là-dedans. Alors, ça, c'est un point majeur. On a donné des cas là-dedans, comment on va faire... Dans l'évaluation qu'on fait, il y a des entrepreneurs dépendants qui ont des employés qui vont être syndiqués. Comment vous gérez ça? Il y a des gens qui ont des investissements importants, puis, parce qu'ils dépendent d'une seule entreprise, parce qu'ils n'ont pas le choix, ils sont dans la forêt, dépendants, ils vont être en quelque sorte également syndiqués même s'ils ont un investissement important. Ils ont, à la fin de l'année, des risques de profits et pertes. Et donc c'est ce qu'on voit comme interprétation. Je pense qu'André peut vous en parler davantage, il est familier avec cet aspect-là.

Le Président (M. Sirros): M. Tremblay.

M. Tremblay (André): Merci. Bon, essentiellement, M. le député, notre mémoire vous dit: On a actuellement des outils, la jurisprudence a développé des outils efficaces. Quand on est rendus à déterminer qu'un même travailleur a deux statuts, dépendant de ce qu'il fait dans la journée, là, s'il vit dans une chaîne ou s'il vit dans une maison privée, on peut dire que l'outil est relativement efficace. Et la crainte... Donc, on dit: Si c'est ça qu'on veut éviter, les pratiques qui ont peut-être existé il y a quelques années où les entreprises se départissaient d'un secteur d'activité en créant de faux autonomes, faisons-en une pratique déloyale, interdisons... que le transfert du statut de «salarié» au transfert du statut d'«entrepreneur» soit interdit si c'est pour contrer un mouvement de syndicalisation ou un syndicat qui existe, et n'introduisons pas une notion qui risque...

Et là M. Audet l'a invoqué ? je ne parlerai pas du monde de la forêt, je peux en parler, mais c'est relativement complexe, il y a d'autres dispositions qui pourront en traiter: Comment on va articuler cette nouvelle notion-là d'«entrepreneur dépendant»? C'est loin d'être évident. Est-ce que c'est une personne physique ou une personne morale? Déjà, le projet de loi est imprécis. Est-ce que l'entrepreneur qui est réellement un entrepreneur, un véritable entrepreneur, mais qui ne dépend que d'un seul donneur d'ouvrage ? il peut y avoir quelqu'un ? parce que le volume est suffisamment considérable pour justifier la totalité de ses activités, il va être considéré comme un entrepreneur dépendant? Bon, il y a la notion de «lien juridique et de lien économique», là, qui entre en ligne de compte. Mais c'est toutes ces notions-là qui nous font craindre qu'il y ait un déséquilibre dans l'application, en fait, dans l'interprétation qui pourrait survenir de cette notion d'«entrepreneur dépendant».

n (11 h 20) n

M. Lavoie (André): Si vous me permettez de renchérir, M. le Président, on a entendu, en cette Chambre, le président de la FTQ qui disait que, pour ce qui est de l'article 45, les employeurs n'étaient pas capables de documenter de cas en matière de sous-traitance. Et, aux questions de votre collègue M. le député, sur la question d'entrepreneur dépendant, on pourrait dire la même chose. Est-ce qu'il y a des études qui font en sorte que, au Québec, il y a un problème tel au niveau de l'entrepreneur dépendant, alors que la jurisprudence régit déjà ce problème-là, qu'on intervient, qu'il y a une intervention justifiée du législateur? Parce que le législateur, habituellement, lorsqu'il intervient, c'est pour résoudre un problème qui est grave et qui cause... en fait, lorsqu'il y a réellement une problématique. Donc, je pense qu'on peut servir l'argument inverse également pour ce qui est de l'entrepreneur dépendant, là. S'il n'y avait pas de solution au niveau jurisprudentiel, si c'était le bordel de ce point de vue là, ça pourrait être justifié. Mais là ce qu'on craint, c'est effectivement ce que M. Audet évoquait tout à l'heure, c'est un dérapage du point de vue jurisprudentiel éventuellement.

M. Tranchemontagne: Merci, M. Lavoie. À vous écouter tous les trois, plus ça va, on dirait, plus je me demande si c'est vraiment possible de délimiter par la loi qu'est-ce que c'est qu'un faux travailleur autonome et si, dans le fond, on n'est pas mieux de rester dans l'état actuel des choses où la jurisprudence a une liste de points de référence à vérifier pour... Je ne sais pas qu'est-ce que vous en pensez, mais...

M. Audet (Michel): Bien, ça a été notre position jusqu'à présent, sauf qu'évidemment on a transformé... On a fait un plat de quelques cas justement où il y avait eu des transformations. Et, soit dit en passant, les cas dont on parle ont été réglés par les tribunaux, la plupart. Donc, ils ont été tranchés. Alors donc, effectivement, ça confirme que la jurisprudence s'en occupe, sauf que je crois comprendre que, du côté des syndicats, ça implique une démarche. Bon, ils doivent évidemment plaider, mais ce qui n'est pas anormal. Puis ils ont gain de cause quand c'est des cas évidents de faux autonomes.

Moi, je suis d'accord ? ça a toujours été notre position ? qu'on ne voit pas pourquoi on embarque là-dedans. Mais ce qu'on disait, c'est que, si, effectivement, l'objectif, c'est vraiment d'éviter des cas particuliers, bien, au moins, qu'on soit précis, qu'on sache qui on vise, parce que, actuellement, on dit: Ça peut prendre une extension considérable à cause justement de l'évolution de l'économie. Avec ce qui va arriver sur Internet, par exemple, qui va être dépendant par le télétravail, là? Puis, ça va se faire comment, ça? Qui on va aller chercher? Tu sais, on n'a pas mesuré. Et c'est une des choses qu'on a notée en passant, c'est qu'on aurait beaucoup aimé, nous, ces propositions-là qu'on nous faisait, qu'elles soient mesurées davantage en termes d'impact sur justement l'économie. On avait demandé ça dans nos mémoires précédents. On aurait voulu qu'il y ait une étude d'impact davantage pour savoir combien de monde on visait, qui était visé par ces différents amendements.

M. Tranchemontagne: Merci.

Le Président (M. Sirros): Ça va? Alors, M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Ça va être très bref, il me reste quelques minutes. Un simple commentaire au départ: vous dire que le mémoire ? j'aurais aimé ça qu'on en discute plus ? m'a déçu ? on aura peut-être l'occasion d'en reparler ? par rapport aux éléments qui sont soulevés et par rapport aux questions, mais malheureusement le temps est trop court.

Un élément qui m'a surpris et je veux en discuter avec vous. Vous avez fait référence au rapport Mireault et, dans votre mémoire, vous parlez de la vente en justice en même temps ou de l'effet balancier. Et, vous savez, le rapport Mireault, bon, il y avait un ensemble de propositions qui ont été faites dont celle d'exclure la sous-traitance en matière de concession de fonctions ? ce qui était prévu ? d'abolir évidemment l'exclusion de vente en justice, de prévoir en même temps la possibilité de déclaration d'employeur unique ? je me souviens de ça aussi ? ainsi que l'impossibilité pour un employeur de congédier un employé lorsqu'il y a une telle concession, alors de garder le lien continu, et c'était une plainte qui était prévue à l'article 122 de la Loi sur les normes du travail.

Donc, j'aimerais savoir... Vous rapportez du rapport Mireault ? et on voit là l'équilibre que le rapport Mireault avait tenté de chercher à trouver ? est-ce que vous seriez d'accord pour accepter l'ensemble de ces recommandations?

M. Audet (Michel): Sincèrement, je pense qu'on a de grandes réserves sur la notion d'«employeur unique». Je crois que, là-dessus, il ne faut pas se le cacher.

M. Bédard: M. Audet, seulement vous dire: Par rapport à l'équilibre, on voit là...

M. Audet (Michel): Voilà!

M. Bédard: Parce que vous rapportez du rapport Mireault et on voit là un bel exercice d'équilibre.

M. Audet (Michel): Je sais. Justement ce qu'on faisait remarquer, c'est qu'on en a d'ailleurs appliqué une partie, mais, l'autre bout, on n'est pas allé très loin, c'est ce qu'on mentionne. Là, vous dites: Est-ce que globalement il pourrait être appliqué? Je pense qu'il faudrait que ce soit évalué. C'est évident. On n'a pas, nous, évalué, puisque ce n'était pas sur la table dans les propositions. On n'en a pas fait une analyse détaillée. Sur la notion d'«employeur unique», peut-être que vous êtes familier avec ça, vous autres. Me Martin, peut-être, un peu. Qu'est-ce que ça pourrait vouloir dire comme impact?

M. Martin (Claude): La notion d'«employeur unique» est une notion très particulière où à vrai dire un deuxième employeur est à toutes fins pratiques contrôlé par les mêmes intérêts que le premier employeur, et c'est dans cette situation-là que l'«employeur unique» s'applique.

M. Bédard: Je le sais très bien, mais...

Le Président (M. Sirros): M. le député de Chicoutimi, pour préciser.

M. Bédard: Oui, simplement pour conclure effectivement, parce que je les sais très bien, les conséquences d'un employeur unique, j'ai pratiqué dans le domaine. Mais, quand je vous dis que... Vous avez référé au rapport Mireault. Or, le rapport Mireault tentait de trouver un équilibre, et, cet équilibre-là, il s'affirmait de cette façon-là. Alors, on ne peut pas prendre ce qui fait notre affaire puis laisser tomber ce qui ne ferait pas notre affaire. Alors, le Code est un exercice législatif d'équilibre entre des droits et, effectivement, il y a une possibilité pour l'employeur de se retrouver à travers ça. Et c'était un des exercices, mais qui sous-tendait des éléments que je vous mentionne. Donc, c'est pour ça que l'exercice qu'on fera aujourd'hui... et d'où ma déception de votre mémoire. Je vous le dirais, malheureusement, je n'ai pas plus de temps.

Mais, par rapport aux éléments qui, selon moi, amenaient un allégement au niveau des relations de travail, il y a une façon, je pense, qui est très intéressante, tant pour l'employeur que pour les syndicats, de travailler. Eh bien, moi, je lis le rapport, je l'ai lu, votre mémoire, du début à la fin, puis je n'y ai trouvé aucun élément positif. Et ça me surprend. Pour bien connaître le domaine et pour parler à des gens dans le domaine, il y a des éléments intéressants.

Le Président (M. Sirros): Vous avez un commentaire, M. Tremblay?

M. Tremblay (André): Non. En fait, ce que je voulais souligner, M. Bédard, c'est que, quand on a étudié les recommandations du rapport Mireault, ce qu'on comprend actuellement, c'est que, dans le projet de loi qui est sur la table, on parle de l'abolition de l'exception de la vente en justice du... Donc, il y a au moins deux éléments du rapport Mireault qui sont dans le projet de loi puis il n'y a rien en ce qui concerne toute la question de 45, enfin, si ce n'est 46, mais...

Donc, il y a peut-être, oui, une discussion à faire sur est-ce qu'on va au bout de l'application de 45 tel que suggéré dans Mireault, mais il y a au moins deux des éléments qui sont là puis le troisième qui ne s'y retrouve pas. Puis je comprends qu'il y a des discussions à faire sur le troisième.

M. Audet (Michel): Si vous me permettez, en regard de l'ensemble du mémoire, ce que le mémoire, comme ma présentation, essayait de refléter, c'est qu'on utilise beaucoup... Et c'est un discours que j'ai entendu, tant du côté du gouvernement que du côté syndical, qu'effectivement sur beaucoup de dispositions, notre Code du travail est en retard par rapport à ce qui existe dans le Code canadien ou dans d'autres juridictions.

On aurait aimé d'abord, nous, que l'exercice ait été beaucoup mieux fait du côté... justement qu'on nous dépose... pour montrer les écarts, mais l'exercice, on l'a fait. On l'a fait justement avec l'aide de bureaux externes, et c'est ça qu'on a voulu refléter. Et là, dans les propositions qui étaient faites, on est allé chercher des dispositions qui existaient ailleurs, mais il y a aussi des contrepoids ailleurs. Il y en a dans le Code canadien, il y en a dans le Code ontarien, il y en a dans le Code du Nouveau-Brunswick, il y en a dans tous les Codes à travers le Canada.

Et on ne peut pas juste faire du «cherry picking» puis prendre de l'écrémage. Vous dites: Effectivement, dans Mireault, il y a une forme d'écrémage. Je le reconnais effectivement. Si elle était sur la table globalement, la proposition Mireault, on en discuterait, mais elle n'est pas là. Alors donc, on dit tout simplement: Nous, prenons au moins cette partie-là concernant la sous-traitance. Puisqu'on y a accepté une partie, on a ramassé une partie de Mireault qui faisait l'affaire du côté syndical, bien on dit: Prenons la partie qui fait l'affaire du côté patronal. Ça fait partie de la discussion.

Mais le sens du mémoire, c'est ça. C'est de dire: Il faut justement comprendre que, dans chacune des législations, il y a justement un équilibre auquel référait tantôt Mme la ministre. Et, là-dessus, nous, ce qui nous a frappés, c'est que ce souci d'équilibre, il n'était pas là.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. Audet. Je me permettrai, au nom de l'ensemble des membres de la commission, de vous remercier pour votre présentation, qui a sûrement ajouté à la réflexion de la commission.

Et j'inviterais le prochain groupe, qui est la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, à bien vouloir prendre place. On suspendra quelques instants, le temps de permettre ce changement.

(Suspension de la séance à 11 h 28)

 

(Reprise à 11 h 32)

Le Président (M. Sirros): La commission va reprendre ses travaux. Et nous avons la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec qui est déjà installée. Je pense que, Mme Skene, vous pouvez présenter également la personne qui vous accompagne, et on pourra procéder à la présentation du mémoire.

Fédération des infirmières et
infirmiers du Québec (FIIQ)

Mme Skene (Jennie): Merci, M. le Président. Alors, je suis accompagnée ce matin de Daniel Gilbert, qui est vice-président de la Fédération, qui est responsable du secteur des relations de travail pour l'exécutif. On devait être quatre personnes ce matin, nos rangs sont décimés par la maladie, alors vous avez devant vous une infirmière et un infirmer, pas d'avocat; alors, on ne parlera pas beaucoup de jurisprudence, ça va vous changer un peu.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Sirros): Alors, vous allez prendre soin de notre cas, si je comprends bien?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Sirros): D'accord.

Mme Skene (Jennie): Alors, brièvement nous sommes très heureux de pouvoir nous présenter ce matin devant vous, vous faire part des réflexions qui sont les nôtres, Bien sûr, on traite d'un ensemble de sujets qui sont ceux qui sont traités dans le projet de modification au Code, et je pense qu'on apporte aussi des éléments qui sont des éléments qui sont propres au milieu de la santé, au secteur public peut-être et qui touchent également les femmes d'une manière qu'on vous mentionnera en cours de route.

Je ne ferai pas lecture du mémoire, bien sûr. Peut-être, d'entrée de jeu, seulement resituer que le marché du travail au Québec, comme dans le reste du Canada et du monde en général, fait face à des phénomènes qui sont relativement nouveaux. Avec la mondialisation, on a vu beaucoup de discours qui nous parlaient d'expansion économique. Je viens d'en entendre de la part de la chambre de commerce et tout le monde est d'accord avec l'expansion économique, je pense. Mais ces phénomènes-là, pour les travailleuses et travailleurs, pour les organisations syndicales qui les représentent, signifient trop souvent précarité et pauvreté.

Ce nouveau phénomène a fait en sorte que le marché du travail se scinde carrément: il y a des emplois réguliers, des postes rémunérés, souvent syndiqués, qui ont donc une certaine stabilité, et il y a un autre marché du travail où on retrouve de l'emploi atypique, de l'emploi précaire, sans attache à un groupe ou à un autre, avec des horaires de travail non fixés, souvent composé de personnes moins formées, mais il y a à travers ça un très grand nombre de personnes qui ont des formations professionnelles, qui se retrouvent coincées dans l'emploi atypique et dont les revenus frôlent trop souvent le seuil de la pauvreté.

Face à ce phénomène-là, bien sûr nous sommes interpellés comme travailleuses, comme travailleurs militant dans le monde syndical, mais nous le sommes aussi comme citoyens et citoyennes, et nous constatons que de plus en plus les femmes et les jeunes à travers ce phénomène-là sont ceux qui sont le plus désavantagés. Et il faut chercher des moyens pour faire en sorte de rétablir un équilibre qui leur permette d'avoir un niveau de vie décent.

On parle beaucoup de l'emploi atypique, mais je pense que ça suppose aussi pour les personnes qui le vivent, d'être constamment à la merci d'un appel qui ne vient pas parfois, qui conduit à un appauvrissement pour beaucoup de citoyennes et de citoyens. Au moment où ils travaillent ou ils tentent de travailler, ils ont une qualité de vie minimale. Et il y avait une très bonne émission cette semaine à Enjeux, un très bon reportage où on nous parlait justement de ces personnes qui travaillent à très petit salaire et qui, malgré le fait qu'elles accumulent les heures, ne réussissent pas à boucler la boucle budgétaire de la famille et qui doivent s'approvisionner dans des banques alimentaires, qui doivent aller habiller les enfants dans des endroits où on offre des vêtements gratuitement ou à très faible prix. Pourtant, ce sont des personnes qui travaillent et qui sont maintenues malgré tout dans un état de pauvreté extrêmement important. Ils sont pauvres en travaillant, dans quel état seront-ils au moment où ils arriveront à l'âge de la retraite? Et, comme société, on ne peut pas laisser ça de côté.

Si je reviens plus particulièrement du côté des infirmières, je vous dirai qu'on vient de terminer un exercice de planification de main-d'oeuvre avec les différents partenaires patronaux, syndicaux et le ministère de la Santé. Et les statistiques qu'on nous donne sont extrêmement accablantes. Au 31 mars 1999, à peine 40 % des emplois dans le réseau de la santé chez les infirmières étaient des postes à temps complet, 32 % étaient des postes à temps partiel, 28 % étaient sur appel, alors que la conjoncture actuelle, où on a une pénurie, entre guillemets, effective sur le terrain, devrait faire en sorte qu'on aille beaucoup plus vers du plein emploi. Pourtant, la réalité n'est pas celle-là. Dans un milieu fortement syndiqué, presque totalement, malgré tout on voit des situations comme celles-là.

Nous sommes préoccupés aussi que dans le Code du travail on se préoccupe de la syndicalisation et des droits collectifs, mais on sait aussi qu'on doit cohabiter, comme organisation syndicale, dans un milieu où toutes sortes d'autres lois viennent encadrer, que ce soit la Loi de la santé et sécurité, que ce soit la Charte des droits et libertés, que soit le Code civil du Québec sur certains aspects, il y a donc un ensemble de lois autour de nous qui protègent les droits individuels, il y a d'autres qui protègent les droits collectifs, et on pense que, entre les deux, on doit garder un équilibre et permettre que les deux s'exercent sans être en confrontation.

Il y a de nouveaux défis qui s'adressent à nous, bien sûr. On a l'impression que le mouvement syndical actuellement est un des groupes, avec de nombreux groupes communautaires, impliqués pour faire contre-poids aux intervenants qui prônent le libre marché et la déréglementation qui, trop de fois, ont eu comme conséquences de détériorer la qualité des emplois, de diminuer les conditions de travail des personnes et voire même de provoquer l'exclusion sociale. Et, comme je vous le disais tout à l'heure, nous sommes particulièrement préoccupés par ce qui se passe à l'égard des jeunes et des femmes actuellement et nous croyons qu'il est urgent d'intervenir pour clarifier des choses qui fassent en sorte que c'est bien beau que les entreprises puissent créer des emplois, qu'elles puissent faire des profits, mais que les personnes qui y travaillent puissent elles aussi pouvoir compter sur un enrichissement progressif. Et ça n'est pas la situation qui se vit actuellement.

n (11 h 40) n

D'entrée de jeu, au moment où on a regardé le projet de loi, une des choses qui nous apparaissait essentielle et qui n'y est pas... Pourtant, dans les propos de Mme la ministre tout à l'heure j'entendais que le Code du travail est là bien sûr pour favoriser, pour aider la syndicalisation. C'est un droit qui est reconnu, c'est un droit pour lequel on a mis en place un code pour préciser les conditions dans lesquelles cette syndicalisation devait se faire. Il nous apparaît qu'au moment actuel, ce code-là devrait, à tout le moins en préambule, réaffirmer ou affirmer clairement qu'il vise la syndicalisation des personnes et le droit à la négociation. On pense, nous, que, d'entrée de jeu, ça donnerait une indication des objectifs qui sont poursuivis dans le Code à travers les différents mécanismes qui y sont prévus.

Le taux de syndicalisation au Québec... On peut bien dire: Les syndicats, tout ce qu'ils veulent, c'est avoir plus de membres. C'est bête comme affirmation mais c'est une affirmation qui peut être admise. Mais un syndicat qui ne réussit pas à améliorer les conditions de ses membres ne les garde pas très longtemps. C'est donc que les personnes qui sont là, qui ont fait le choix d'une organisation syndicale quelle qu'elle soit, visent à améliorer leur sort. Alors qu'on dit: On a créé de nombreux emplois, malgré tout, au Québec, il n'y a que quatre personnes sur 10 qui soient syndiquées. Si le Code était si favorable aux organisations syndicales et aux travailleurs, il me semble qu'on devrait à tout le moins retrouver la proportion inverse, que deux tiers des personnes puissent être syndiquées. Et, actuellement, le développement qui se fait dans l'emploi, comme il est souvent de l'emploi atypique, des personnes qui ne sont rattachées à peu près à personne, à aucune entreprise ou à aucun groupe, on vient de leur couper les possibilités d'avoir quelqu'un qui intervienne pour améliorer leurs conditions de travail et de vie.

Le Conseil du statut de la femme nous disait, en 1998, que seulement 37,5 % des femmes étaient syndiquées au Québec contre 42 % chez les hommes. Quand on connaît l'écart salarial qui existe encore entre les deux groupes, on doit se demander si la syndicalisation plus forte n'améliorerait pas la situation. Et la réponse est oui, puisque d'autres études nous disent qu'une femme syndiquée gagne 6 700 $ de plus qu'une femme qui n'est pas syndiquée. Il y a donc, derrière la syndicalisation, un moyen de permettre un meilleur niveau de vie à un groupe qui est largement défavorisé au Québec. Alors qu'on n'est pas la pire province ni le pire pays dans ce cas-là, imaginez ailleurs. Et moi, j'aime mieux qu'on nous cite en exemple pour ce qu'on fait de bien que pour les droits qu'on enlève aux personnes. Donc, nous pensons que l'introduction d'un préambule qui confirme que le Code sert à la syndicalisation des individus pourrait aider et permettrait de clarifier tout ça.

Il y a un point, bien sûr, qui nous rend un peu chatouilleux, pour ne pas dire qui nous met carrément en maudit, c'est quand on nous parle de démocratie syndicale. C'est clair qu'on n'admettra jamais que quelqu'un vienne nous dire chez nous comment organiser un vote de grève ou comment organiser un vote sur des offres patronales. Chez nous, un vote de grève, ça s'est toujours fait à scrutin secret, en référendum pendant une journée complète dans tous les milieux de travail où nous sommes. Ça ne se fait pas à la sauvette, le soir, quand quelqu'un watche ? passez-moi l'expression ? ce que tu vas mettre sur ton petit bulletin. C'est vraiment un référendum structuré qui est organisé. De la même manière, il est organisé pour des offres patronales. L'expérience nous dit que chez nous, à la Fédération, même s'il y a recommandation de l'exécutif, même s'il y a recommandation d'une instance de 500 délégués, les membres qui jugent de la chose ont plein pouvoir, et, en 1999, ils ont rejeté très majoritairement, à plus de 80 %, des offres patronales de la même manière qu'ils l'avaient fait en 1989, en plein processus de grève. Donc, les droits syndicaux, selon nous, ne doivent pas dépendre de la démocratie des employeurs. On ne leur demande pas, à eux, comment ils ont fait les choix dans leur entreprise, comment ils ont fait les votes dans leur conseil d'administration; alors, de ce côté-là, qu'on respecte les choix des syndicats.

On voit de plus en plus dans le réseau de la santé, à cause de la réorganisation, de multiples syndicats chez un même employeur, entre guillemets, parce qu'on a fusionné deux, trois, quatre, cinq, six, huit, 10 établissements, dans certains cas, pour en faire un seul. Et on est extrêmement préoccupé que, de plus en plus, le fardeau de la preuve exigé de l'employeur pour obtenir une fusion d'accréditation, bien qu'il n'y ait aucun motif, pas de difficulté, soit presque accordé automatiquement, et on pense que le projet qui est devant nous confirme cette tendance-là alors que, sur le terrain, il y a des motifs extrêmement importants dont on pourra reparler, pour lesquels les infirmières que nous représentons veulent qu'on leur laisse le choix de leur accréditation syndicale.

On parlait tout à l'heure de montée de l'emploi atypique. On a entendu beaucoup parler tout à l'heure des nouvelles réalités d'entrepreneurs ou de prestataires de services qui transféraient à une autre entreprise ou qui sous-contractaient des parties du travail à faire dans leur entreprise. Nous sommes d'accord, nous, pour que soit accordé à l'entrepreneur et prestataire de services, dépendant, le statut de salarié, tel qu'il est proposé dans le projet de loi. Par contre, ce que ça confirme, c'est tout simplement l'état de la jurisprudence actuellement et ça n'apporte pas nécessairement de réponse aux nouvelles réalités qui se développent sur le marché du travail. Ça ne vient pas corriger les situations où des employeurs tentent de substituer du travail indépendant au salariat. Donc, on pense que, dans ce contexte-là, il faut intervenir.

Cette réalité-là, on pourrait penser qu'elle ne nous touche pas. Mais, au contraire, on a eu une situation ? je vous en nomme une parce que ça a été la pire ? où, à l'hôpital Royal Victoria, l'employeur a créé lui-même une agence à l'intérieur de son personnel, et ça nous a pris 10 ans pour réussir à faire reconnaître que c'étaient les propres infirmières de cet employeur-là et qu'elles devaient être intégrées à l'unité d'accréditation existante pour la totalité des infirmières. Dix ans! C'est beau, la jurisprudence, mais les seuls qui s'enrichissent là-dedans, ce sont les avocats; les seuls qui y gagnent au change, c'est eux aussi. Parce que, pour ces infirmières-là, pendant ces 10 ans là, ça a été constamment des pressions et ça a été constamment un jeu de va-et-vient, sans savoir ce qu'il adviendrait d'elles.

Deux minutes. Je vais sauter quelques pages, là, vous l'avez...

Le Président (M. Sirros): Vous en avez encore pour trois, quatre minutes.

Mme Skene (Jennie): Oui, c'est ça. Je vais aller un petit peu plus loin, là. On a beaucoup parlé des articles 45 et 46, et, malheureusement, dois-je dire, on partage l'avis de plusieurs personnes qui sont ici: soit on donne, selon nous, trop de droits aux employeurs, soit ceux-ci se targuent-ils que tout ce qu'on veut, c'est leur mort. Il nous apparaît qu'il y a certains points effectivement qu'il ne faudrait pas ouvrir, et nous croyons que c'est extrêmement préjudiciable de faire en sorte qu'on puisse modifier la portée de l'article 45 uniquement par une clause de convention collective. Quand on connaît les difficultés pour régler des problèmes de relations de travail, ça ne nous apparaît pas évident de modifier cette approche-là.

Par ailleurs, au niveau de la création d'une Commission des relations de travail qui unifierait les trois types de niveau d'intervention, autant le soutien aux relations de travail, autant la direction ou la diminution des délais seraient affectés par la création d'une telle commission. Dans ce sens-là, on pense que oui, c'est intéressant d'avoir une instance unifiée qui nous permettrait d'éviter que des dossiers durent, s'échelonnent, s'étirent par toutes sortes de mécaniques, d'une manière ou d'une autre, qui viennent causer des préjudices aux travailleuses et aux travailleurs, il faut le dire.

Par ailleurs, ce qu'on pense, nous, c'est qu'il faudrait ajouter sans doute des pouvoirs à cette commission-là, parce que certains aspects ne sont pas suffisamment clarifiés. Et on voudrait, nous, éviter ce que nos prédécesseurs veulent faire ou nous proposent, c'est de se ramasser constamment devant les tribunaux pour apporter un éclairage différent, pour qu'un tribunal décide à la place des parties de ce qui sera le mieux pour elles. On en a fait beaucoup, de travail devant les tribunaux, et je pense qu'aujourd'hui on devrait concrétiser dans le projet de loi et dans la loi ce qui sont des avancées qui ont permis aux travailleurs et aux travailleuses d'avoir une protection qui soit la meilleure possible dans les circonstances que nous vivons actuellement dans notre société.

Alors, je vais laisser là puis on va passer aux questions, puis je pense que...

Le Président (M. Sirros): D'accord.

Mme Skene (Jennie): ...je vais ajouter sur certains aspects.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Mme la ministre.

n (11 h 50) n

Mme Lemieux: Merci, M. le Président. Mme Skene ? rescapée de la grippe, si je comprends bien ? d'abord, je vous remercie d'être présents. C'est sûr que vous représentez des salariés dans un secteur bien précis. Il y a deux questions que je voudrais aborder avec vous. J'apprécie quand même le ton de votre présentation et de votre mémoire, c'est-à-dire cette reconnaissance qu'on a à faire face à des nouvelles règles du jeu. Et, même si vous m'avez entendue tout à l'heure, avec les gens de la Chambre de commerce de Québec, une des choses également que je dis notamment aux syndicats, c'est qu'il faut se rendre compte que cet instrument du Code du travail a été conçu à un moment où notre économie était très fermée; on n'exportait pas beaucoup, c'était dans un univers beaucoup plus fermé. Et il nous faut considérer le fait que nous sommes dans une structure économique qui est différente, donc que des règles conçues dans un contexte x, appliquées dans un contexte y, peuvent finir par nous créer des problèmes d'étouffement et de carcan. Je pense qu'il faut convenir de ça.

Maintenant, je voudrais aborder précisément deux éléments un peu plus particuliers, notamment... Il y a des sections de votre mémoire qui en parlent, vous l'avez dit également dans votre présentation, et vous savez qu'à l'article 46 je fais des propositions pour éviter une application mécanique et un peu bête de l'article 45, notamment dans les cas où il y a des fusions d'organisations de travail, d'établissements ou d'entreprises privées. Je pense que le domaine de la santé illustre bien cette situation-là, et voilà un exemple où le Code du travail anticipe mal des phénomènes modernes qui se passent dans l'univers du travail. En 1964, là, les fusions d'établissements, il n'y a pas grand monde qui s'imaginait qu'on vivrait la vague qu'on a vécue ces dernières années. Le Code anticipe très mal ce genre de situations là, et ça a donné lieu à des décisions qui sont difficiles à gérer.

Vous dites qu'il est important de préserver ce droit fondamental pour les gens d'appartenir au syndicat de leur choix. Ça, c'est une valeur qui est importante dans notre système de relations de travail. Il y en a une autre aussi qui s'appelle le monopole de la représentation, une autre valeur, c'est-à-dire que, pour une même catégorie d'employés, on dit: Il ne doit y avoir qu'une seule unité de négociation. Or, c'est le cas actuellement. Notamment dans le système de santé, pour le même genre d'employés, il peut y avoir deux, trois, quatre unités ? et des fois c'est des petits nombres ? d'accréditation différentes. Alors, on a deux valeurs, appelons ça comme ça, ou deux principes à gérer, et ils sont en confrontation, et il faut tirer une ligne.

Moi, je pense ? je suis très sensible à ces questions-là parce que, je vais vous dire, j'ai une conviction profonde, mais il faut dire que l'univers de la santé ne m'est pas étranger ? que d'avoir, dans un établissement fusionné, deux, trois, quatre unités d'accréditation pour représenter ? prenons un exemple choisi au hasard ? des infirmières dans un même établissement, ça n'a pas de bon sens. Ce n'est pas gérable du point de vue de la gestion pure et simple du terme, mais ce n'est pas gérable pour le monde non plus. Ça veut dire que, pour les salariés, tout mouvement dans l'établissement que les salariés auraient le goût de faire est rendu beaucoup plus difficile, ça veut dire que les règles du jeu, que ce soient les listes de rappel, les vacances, les congés, les processus de promotion ? vous connaissez ça mieux que moi ? ne sont pas agencées. Ce n'est pas gérable non plus, ce n'est pas vivable pour le monde non plus.

Alors, moi, je veux que vous... j'espère que vous êtes conscients qu'on a là deux principes qui s'affrontent, qu'il faut tirer une ligne. Qu'en pensez-vous? Ha, ha, ha!

Mme Skene (Jennie): Écoutez, je comprends que vous me posiez la question parce que je pense que la problématique du réseau de la santé, c'est une belle illustration effectivement du phénomène de regroupement et de multiaccréditations pour représenter parfois le même groupe de travailleurs et de travailleuses. Par ailleurs, je pense que la problématique est surfaite, surévaluée, et je vais essayer de vous faire comprendre pourquoi.

Il y a différentes natures de fusion d'établissements qui existent actuellement dans le réseau de la santé. Vous avez sur le terrain, particulièrement en région, des fusions d'un petit CH avec un CLSC ou deux CLSC, trois ou quatre CHSLD, où il n'y a pas de personnel interchangeable. Prenons les infirmières: vous le pouvez pas déplacer l'infirmière du CHSLD pour l'envoyer au CLSC parce que le CLSC refuse de l'embaucher si elle n'est pas bachelière. Vous avez déjà au départ des règles qui font que, dans un secteur par rapport à un autre, vous ne pouvez pas, parce qu'il y a des barrières de ce niveau-là qui sont du côté des employeurs. Ça, c'est un point.

Le deuxième point, toujours à l'égard de ces petits établissements-là, ce qu'on vit actuellement, c'est qu'il y a un manque d'infirmières au Québec. Sur papier, on en a suffisamment mais il y a un bon groupe d'entre elles qui, compte tenu des conditions, ne veulent plus travailler à temps complet. Donc, on est en situation de pénurie. Si vous ouvrez la porte entre ces trois catégories d'établissements là, indistinctement, il y en a un qui exerce un attrait extrêmement important et c'est celui du réseau des CLSC parce que les infirmières peuvent y exercer avec plus d'autonomie, parce que, bien sûr, il y a moins de monde de nuit en CLSC qu'il y en a dans un CHSLD ou qu'il y en a dans un hôpital de courte durée. Donc, vous allez, en situation de pénurie, accroître l'attraction vers le pôle CLSC. Et c'est en CHSLD actuellement qu'on manque de personnel et c'est dans les hôpitaux de courte durée actuellement qu'on manque de personnel. Ça, c'est un phénomène... J'en ai discuté avec Mme Marois, on en a parlé au comité de planification de main-d'oeuvre et les employeurs qui sont là admettent cette problématique-là.

Il y a un autre point, prenons-le. Prenons le CHUM ou le CHUQ à Québec. Le CHUM, c'est un méga-établissement aujourd'hui. Il y a deux ans et demi à peu près, avant qu'on débute les négociations, le président du conseil d'administration du temps et la directrice générale du temps avaient demandé à nous rencontrer à la FIIQ parce qu'ils voulaient établir une liste de disponibilité entre les trois établissements. Vous savez que les infirmières ont tout le loisir de s'inscrire sur les trois listes de disponibilité, si elles le veulent. Parce qu'ils disaient: Occasionnellement ? ce n'est pas une régularité ? on a un besoin dans un puis on a du personnel dans l'autre qu'on pourrait transférer. On est parti de cet exemple-là et, ensuite, on leur a demandé: Vous faites ça comment?

Vous avez une infirmière aux soins intensifs à l'hôpital Notre-Dame, vous manquez d'une infirmière aux soins intensifs ou à l'unité des grands brûlés à l'Hôtel-Dieu de Montréal, êtes-vous prêts à orienter toutes les infirmières qui font des soins intensifs à Notre-Dame aux soins intensifs de l'Hôtel-Dieu? C'est cinq, six, huit semaines parce que les spécialités ne sont pas les mêmes. Vos règles à vous: vous ne pouvez pas la faire travailler dans ce contexte-là. Si vous nous dites que c'est occasionnel, ça veut dire que vous allez avoir investi plusieurs dizaines de milliers de dollars pour former du personnel et, s'ils n'y vont pas de façon régulière, ils vont perdre leurs compétences.

Donc, il y a des contraintes qui sont propres au réseau de la santé et avec lesquelles on n'est pas rébarbatifs, on ne veut pas maintenir, nous, des accréditations pour maintenir des accréditations. Mais quand on discute comme ça, ouvertement avec des gens qui n'étaient pas aux relations de travail, ils ne l'ont pas fait parce qu'ils ont probablement poursuivi la réflexion en ce sens-là. Pour que ce ne soit pas gérable, il faut des problématiques majeures. Et quand on fait la discussion sur le terrain, bien, il n'y en a pas au moment où on se parle de problématiques majeures qui n'ont pas trouvé solution.

n (12 heures) n

Au CHUM, les infirmières, pour permettre à l'ensemble d'entre elles de pouvoir changer de poste, ont accepté que les postes soient affichés dans les trois pour permettre justement un passage, un transfert d'expertise d'un établissement à l'autre. Au CHUS, Sherbrooke, l'ancien CUSE qui est revenu à son ancien nom du CHUS, les infirmières, de leur plein gré, après un cheminement qu'on a supporté, ont décidé de fusionner leurs accréditations. Donc, il n'y a pas, de notre côté, de fermeture à cette possibilité-là, mais on pense qu'il faut faire cheminer les gens. Il faut qu'ils apprennent à vivre ensemble et, à cause des fermetures d'établissement de 1996-1997 ? ce n'est pas si loin ? il a parfois fallu deux ou trois ans avant que les infirmières se retrouvent sur un siège d'un poste permanent, donc qu'elles recréent un environnement de travail qui leur apporte une plus grande sécurité et qu'elles puissent être ouvertes à ce moment-là à d'autres alternatives. Et on a réussi dans plusieurs cas des fusions d'unités d'accréditation.

Mais ce n'est pas en criant ciseau qu'on règle le problème, c'est en aidant les gens à cheminer. Quand votre établissement a fermé ? et je l'ai vu pour plusieurs infirmières ? vous étiez une experte, vous travailliez à l'hôpital Saint-Michel où se faisait beaucoup d'obstétrique, vous aviez 20, 25 ans d'expérience dans ce champ-là. Vous avez été relocalisée à Maisonneuve-Rosemont, vous êtes tombée dans un département de chirurgie, de médecine, peu importe, vous êtes devenue une «nobody». Et c'est comme ça que les infirmières nous le rapportent: Dans mon milieu, j'étais une experte qu'on venait consulter pour ce que je connaissais, on savait à qui se référer. Et j'arrive dans un nouveau milieu de travail où je suis devenue une «nobody» parce que personne ne me connaît, personne ne connaît mon expertise et que je ne suis pas, je ne pratique pas dans ce champ d'expertise là.

Donc, l'unité syndicale, quand elle a été maintenue, dans ces situations-là, les gens sont passés dans une nouvelle unité syndicale directement. Et vous comprenez l'importance, pour des personnes qui ont vécu des transferts, un jeu de chaises musicales où 10 000 de nos infirmières ont changé de chaise pendant cette période-là, comment c'est important pour elles le visage qu'elles connaissent et qui va leur donner des services. Je pense que ça tend à s'amoindrir. Et, nous, on travaille toujours ? et Daniel est bien placé ? au niveau des relations de travail, on a des rencontres régulièrement avec nos établissements pour dégager les plus d'une fusion d'accréditation avec eux.

Mme Lemieux: Bon. Je pense qu'on se comprend qu'on ne veut pas... L'objectif de mes questions n'est pas d'aborder toute la complexité et de résoudre la complexité de la situation du système de santé, mais je pense que nous convenons mutuellement que c'est une illustration qui est intéressante et qu'il y a des choses à examiner tout de même à court terme. Des fois, il faut se rappeler des choses de base, il faut aussi se poser la question: Qu'est-ce qui est le mieux aussi pour les citoyens, hein? D'un côté comme de l'autre, les corporatismes se véhiculent de toutes sortes de manières. D'un côté comme de l'autre.

Une autre question que je voudrais aborder, c'est sur les enjeux... appelons ça de démocratie syndicale. Bon. Vous avez dit ? je ne me rappelle pas le mot que vous avez utilisé ? que ça vous chatouillait. Ha, ha, ha! je pense que c'était un peu plus fort que du chatouillement. Vous dites, et vous avez illustré, vous avez expliqué les pratiques syndicales dans votre syndicat. Je n'ai pas à porter de jugement là-dessus, mais vous nous dites en quelques mots que c'est plutôt de l'ordre... La perfection n'est pas de ce monde, mais vous êtes plus près d'être assez impeccables sur la question des pratiques syndicales. On a eu quelques discussions en commission hier avec d'autres représentants syndicaux. Je vois bien que ça suscite beaucoup, beaucoup d'interrogations, ces dispositions-là. Je vais vous poser ma question crûment: Si les pratiques syndicales sont tout près de la perfection, sont relativement tout près d'être impeccables, qu'est-ce que vous craignez?

Mme Skene (Jennie): Moi, je pense que c'est de s'ingérer dans les mécanismes syndicaux que d'imposer, à un moment qui sera choisi par l'autre partie, un vote sur des offres; parce que, entre autres, c'est le point que vous amenez. Vous savez que, quand on amène des offres, il y a un objectif d'atteindre une convention collective. Et c'est dans cet objectif-là, nous, qu'on fait des consultations de nos membres. On fait des consultations avant et on fait des consultations pendant la négociation. Alors, de notre côté, de se faire dire à quel moment on va arriver et qu'on va exiger un vote de notre côté, ça ne passe pas. Ça ne passe pas chez nos infirmières non plus. Même avec des recommandations, dûment, des instances mandatées pour le faire, elles décident elles-mêmes de ce qui est bon ou pas pour elles.

Vous savez que, chez nous, pour convoquer une assemblée, ça ne prend pas beaucoup de monde. Dans mon propre établissement, la semaine dernière, il y a eu une assemblée spéciale. Il y a plus de 850 infirmières à L'Enfant-Jésus, 60 noms d'infirmières ont convoqué une assemblée spéciale pour débattre d'un point qui les préoccupait. Alors, je pense que les mécanismes qu'on a mis en place, ils s'appuient sur un passé et ils sont validés constamment par les personnes qui sont en place. Imposer un vote, c'est comme dire: Nous, nous sommes convaincus que de votre côté vous n'avez pas fait votre travail et que vous ne représentez pas vos membres. Vous ne représentez pas vos membres adéquatement, donc nous allons, nous, décider du moment où un tel vote va devoir se tenir. Pour nous. c'est inacceptable.

Mme Lemieux: Oui. Mais, Mme Skene, je veux rappeler le sens de cet article-là. D'abord, ce n'est pas parce qu'un employeur le demande qu'il l'aura automatiquement. On se comprend. Il faut qu'il y ait une évaluation et que la Commission estime qu'une telle mesure est de nature à favoriser la négociation ou la conclusion d'une convention collective. Ce n'est pas «il demande» puis... ce n'est pas un automatisme là, il y a une évaluation de ça. Mais en fait, ce que je veux vous dire, c'est que l'État ? parce que c'est l'État ? qui accrédite un syndicat, il pose un geste important, il accorde un monopole. On se comprend. Il dit: Pour une certaine période, c'est vous, uniquement vous. Il y a une contrepartie à ça, il y a des responsabilités à ça.

Et, je vais vous dire, il y a des employeurs... Parce qu'il faut comprendre qu'il y a des employeurs, au-delà du fait qu'ils peuvent avoir des réactions quelquefois clairement antisyndicales, les employeurs ordinaires, dans la vraie vie, un employeur qui reçoit une requête en accréditation, ce n'est pas nécessairement une mauvaise personne. Mais, en général, il y a un choc. Et souvent, cette requête-là, c'est comme l'évaluation de l'état de ses relations de travail dans son entreprise. Cet employeur se dit: Coudon, il me semble que ce n'était pas si mal. À tort ou à raison; probablement souvent à tort. Mais c'est comme l'échec de ce qu'il pensait, du climat de travail qu'il y avait, qui était présent dans l'entreprise.

Or, souvent les employeurs... Puis je ne parle même des porte-parole, je parle de cas bien particuliers, des employeurs bien ordinaires, des entreprises de 30, 40 employés. Ces gens-là ne sont pas des gens irresponsables, irrespectueux, ils sont justes sonnés. Ils sont sonnés de ça et ils veulent être sûrs que les choses soient ? passez moi l'expression ? «clean». Alors, quand on a un monopole, il faut faire patte blanche. Il y a une contrepartie à ça. Puis c'est un peu ça que les gens nous disent: Elle est où, la contrepartie?

Et la preuve que ce n'est pas toujours impeccable ? il faut se le dire ? le maraudage là, c'est quoi l'enjeu? Je ne suis pas une spécialiste, j'en conviens. Mais quand il y a du maraudage puis que ça penche d'un côté ou de l'autre, c'est souvent autour de ça: Est-ce que votre syndicat, il a été «clean» avec vous-mêmes? Alors, on ne peut pas ignorer... il y a un enjeu là.

Mme Skene (Jennie): Écoutez, peut-être qu'on est biaisés, nous, parce qu'on est dans le secteur public, et, comme les négociations sont très médiatisées, il n'y a pas grand-chose qui n'est pas étalé au grand jour, hein?

Mme Lemieux: Vous n'avez pas beaucoup de marge d'erreur. Ha, ha, ha!

Mme Skene (Jennie): Non, on est constamment jugés au fur et à mesure où les événements se produisent. Mais je pense que, qu'un employeur ait un sentiment d'échec parce qu'il y a une accréditation qui a été demandée pour ses salariés, je pense qu'il va falloir qu'on fasse de la formation sociale au Québec, puis de la formation syndicale même à nos employeurs. Je reconnais avec vous ? et je pense que c'est vrai pour toutes les couches de la société à n'importe niveau ? que la majorité des personnes chez les employeurs, c'est du bon monde. Bon. C'est vrai pour tous les groupes dans notre société, la majorité des personnes chez les plombiers, chez les assistés sociaux, chez le médecins ou chez des travailleurs en garderie, la majorité de ces personnes-là, ce sont de bonnes personnes. C'est la peur...

Mme Lemieux: Y compris les politiciens, Mme Skene? Ha, ha, ha!

Mme Skene (Jennie): Oui, y compris les politiciens. Absolument. Moi, je suis quelqu'un de nature positive et je pense que la majorité des gens sont sincères, font leur travail au mieux de leurs connaissances, avec les limites qu'ils ont. On peut appliquer la même dynamique, je pense, au monde syndical. Mais de voir une demande d'accréditation syndicale comme un échec... Moi, je pense que si on apprenait, du côté patronal, à se servir du syndicat pour faire progresser son entreprise, avec des relations de travail ordonnées, des contrats de travail connus et pas secrets...

n (12 h 10) n

Les travailleurs ne sont pas nécessairement en maudit tout le temps contre leur employeur mais ils ont besoin que quelqu'un les aide à avoir un contrat qui soit uniforme pour tout le monde, qu'ils n'aient pas à demander ou à quémander de pouvoir avoir des vacances, que ce soit inscrit quelque part, quel type de vacances ils pourront avoir. Que ce soit inscrit, s'il y a quelqu'un dans leur famille qui décède, qu'ils puissent avoir tel type de congé. Et ce n'est pas vrai que toutes les conventions collectives du Québec sont des conventions qui prévoient des salaires de haut niveau, ils sont adaptés au milieu où les gens travaillent. Mais ce pourquoi on veut se syndiquer, c'est pour avoir une parole qui soit orchestrée, qu'il y ait une mise en commun et qu'ensemble on détermine des règles du jeu qui s'appliquent à tout le monde de la même manière.

Le maraudage, ça permet de changer d'organisation pour toutes sortes de motifs. Puis c'est prévu au Code et on vit avec ça. Je pense que le fait que, chez nous, il y ait un très fort taux de syndicalisation, ça nous donne, entre guillemets, une espèce d'assurance que, d'une négo à l'autre, on sait avec qui on travaille. Mais ça nous met aussi pendant cette période-là ? puis on sait que ça commence un an avant ? pendant toute cette période qui conduit à la période ouverte de maraudage, ça nous pose des questions et ça oblige des réflexions dans l'organisation. Je pense que c'est ce qui fait qu'on chemine et qu'on progresse. Mais on n'est toujours pas d'accord, malgré ça, que quelqu'un doive venir nous dire quoi faire.

C'est sûr que, dans le secteur public, peut-être qu'on vit une conjoncture, comme je le dis, différente; je ne suis pas dans le secteur privé, mais on regroupe des petits établissements privés de huit, 10 infirmières, carrément privés, qui viennent se syndiquer et à qui on négocie une première convention collective.

Du côté national, tout ce qui relève de l'État, nous sommes bien placés pour le savoir, nous avons goûté à quelques reprises à des lois spéciales extrêmement dures, et, malgré ces lois spéciales qui ont suspendu la formule Rand, et dans certains cas actuellement pour cinq ans ? certains de nos hôpitaux, c'est pour cinq ans que cette formule Rand est suspendue ? pourtant, au moment où on se parle, plus de 95 % des cotisations syndicales sont versées au syndicat d'établissement ou au syndicat à sections, rigoureusement, à chaque semaine ou à chaque mois, selon la période qui a été déterminée par le syndicat.

Alors, quand on pense que la syndicalisation, ce n'est qu'un automatisme dans le secteur public, chez nous, et en 1989 et en 1999, on a pu valider que les gens veulent une organisation syndicale, puisqu'ils continuent à verser leurs cotisations. On est dans un processus actuellement de recouvrement de ce qu'on appelle entre guillemets des récalcitrantes et, en 1989, sur 40 000, on en a eu 400. Et on imagine que, quand on va finaliser ce processus-là, on en aura peut-être eu 400 encore cette fois-ci. Donc, les gens sont syndiqués, veulent le demeurer et ont pris les moyens pour ce faire.

Le Président (M. Sirros): Merci, Mme la ministre. M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, M. le Président. Mme Skene, M. Gilbert, bienvenue. Merci d'être ici, merci pour votre mémoire aussi.

Je voudrais vous amener sur un autre niveau. Vous connaissez sûrement l'expression: Avant de regarder la paille dans l'oeil du voisin, il faut regarder la poutre dans le sien. Je voudrais donc vous parler de votre... ou du patron des infirmières, c'est-à-dire le gouvernement du Québec.

Et vous avez dit des choses qui m'ont renversé, moi, tantôt, ou peut-être que je les comprends mal puis vous serez à même de me l'expliquer, que, dans le réseau de la santé ? puis là on parle du gouvernement qui nous parle de faire des lois, d'améliorer les lois dans le domaine du travail ? 32 % des postes sont des postes à temps partiel.

En tant qu'ancien dirigeant d'entreprise, je vous avoue que je suis renversé. Pouvez-vous m'expliquer comment on en arrive dans un réseau de la santé ? ce n'est pas un réseau qui a des besoins temporaires, etc., c'est assez permanent, le réseau de la santé, puis ça ne va pas en décroissant, ça ira en croissant, comme tout le monde le sait ? comment est-ce qu'on peut expliquer que 32 % des postes soient des postes à temps partiel? Ça me renverse.

Mme Skene (Jennie): Écoutez, je pense qu'après la négo de 1989, on avait réussi à monter un peu le taux de temps complet, on dépassait 50 %; 50 %, 52 %. Mais il faut être conscient qu'avec toutes les coupures qu'il y a eues dans le réseau, 1995, 1996, 1997, les fermetures d'établissement, il y a eu aussi, dans les établissements qui n'étaient pas fermés, des coupures de services, on a dû fermer des lits pour atteindre des niveaux. On savait que l'atteinte du déficit zéro se produisait en même temps que la réforme de la santé et ça a eu des conséquences, au moment où on se parle, extrêmement néfastes sur le type d'emplois du réseau de la santé.

C'est un réseau où on a besoin de continuité, on a besoin que l'expertise se développe pour donner de meilleurs services à la population, et malheureusement la situation est telle qu'aujourd'hui 40 % seulement détiennent un poste à temps complet. Je vous le disais tout à l'heure, je ne mets pas tous les employeurs dans le même bateau. Il y a d'excellents employeurs qui ont fait un travail pour rétablir la situation, mais je pense que le contexte d'insécurité financière: les transferts d'Ottawa qui ne sont pas arrivés, les fermetures qui ont amené du nouveau personnel dans différents établissements, etc., les départs à la retraite, malgré tout ça, aujourd'hui encore les employeurs ont peur. C'est comme ça que, nous, on l'interprète pour certains. Il y en a certains qui nous disent: C'est «just too bad», je peux faire ce que je veux demain matin. Au diable la continuité, je mets qui je veux au moment où ça se présente. Mais ce n'est pas le lot de la majorité. Et je pense qu'un très grand nombre d'entre eux ont peur de réafficher des postes permanents, que de nouvelles coupures arrivent et qu'ils soient obligés de gérer des chaînes de supplantation, des mises à pied pour certaines en bout de piste, puis, bon. Je pense que c'est à cause de ça.

Mais c'est totalement anormal qu'un réseau, comme vous le dites, qui a besoin d'une sécurité, d'une permanence pour garantir des services au moment requis par la population, soit dans cet état-là. C'est un des constats que le Comité de planification de main-d'oeuvre, qui a adopté son rapport fin janvier... Il est en impression actuellement, Mme Marois va réagir incessamment sur le sujet, mais, pour la première fois, il a fait une unanimité tant des organisations syndicales, dont nous sommes, que des associations d'employeurs, que de la Conférence des régies, pour dire: Il faut renverser la vapeur, nous avons besoin de plus d'emplois permanents, stables, et d'une meilleure formation, etc., je vous passe les détails. Mais c'est effectivement anormal, dans un réseau comme le nôtre, que la proportion de personnes ayant un poste à temps complet ne soit que de 40 % alors qu'on fait faire du temps supplémentaire à une échelle qu'on n'a jamais vue. Il se dépense des millions de dollars à chaque années, depuis les trois ou quatre dernières années, en temps supplémentaire parce que la personne dont on a besoin, si elle est occupée ailleurs, on fait faire du temps supplémentaire plutôt que de prendre quelqu'un et de l'orienter dans une unité où ça demande une préparation plus grande. Alors, c'est devenu un cercle vicieux.

M. Tranchemontagne: Merci de votre réponse, mais elle ne me satisfait pas tout à fait. Souvent, on entend les représentants syndicaux dépeindre le patronat comme un peu des méchants, etc. Et là, je regarde, on fait affaire avec le patron par excellence, c'est-à-dire le gouvernement du Québec, et puis je n'arrive pas à comprendre, même avec votre explication des rationalisations des dernières années, s'il y a quelque chose... Les rationalisations... S'il avait laissé plus de postes permanents et moins de postes à temps partiel, j'aurais compris, on commence par éliminer ces postes-là. Je n'en reviens pas: 40 % de postes permanents, 32 % de postes à temps partiel, ça m'apparaît inacceptable dans un réseau de la santé. On ne parle pas d'un domaine qui a des fluctuations entre l'été et l'hiver ou, je ne sais pas, moi, quelles que soient les variables qui influenceraient le besoin différent de main-d'oeuvre, on parle d'un réseau qui a besoin d'une permanence.

Comment le gouvernement peut tenir deux discours comme ça? On veut imposer des choses aux entrepreneurs, aux propriétaires d'entreprises, qui m'apparaissent bien souvent... Il y a très peu d'entreprises ? je suis prêt à gager avec vous n'importe quoi ? qui ont 32 % de postes à temps partiel dans leur entreprise. Et, s'ils en ont, c'est probablement parce que ce sont des entreprises qui sont extrêmement cycliques. 40 % de postes permanents, personnellement, je trouve ça inacceptable et je ne crois pas que ça soit la rationalisation qui soit une explication de ça.

n (12 h 20) n

M. Skene (Jennie): Écoutez, je partage votre avis que c'est inacceptable. Je pense, en tout cas de notre point de vue, qu'au gouvernement, dans la période de coupures budgétaires qu'on a vécue, ce sont les coupures budgétaires qui ont pris le pas sur ce qui était requis socialement pour le réseau de la santé, pour tous les motifs qu'on voudra, qui peuvent être de bons motifs dans certains cas, de moins bons dans d'autres. C'est clair qu'à ce chapitre-là je ne pense pas qu'on puisse citer le gouvernement comme un exemple d'une meilleure gestion ou d'une bonne gestion des ressources humaines, et particulièrement dans un contexte où on doit tout mettre en oeuvre pour attirer des jeunes. Mais il ne faut pas seulement les attirer, il faut les garder, et il faut garder ceux qui sont déjà en emploi et celles qui sont déjà en emploi. Ça a fait en sorte que ça a conduit énormément d'employeurs à une surenchère extrêmement grave parce qu'elle met en compétition des établissements de santé les uns avec les autres, où on a offert l'an passé des garanties de travail pour un an, deux ans, trois ans, à des personnes sur des listes de disponibilité, sur appel. Vous garantir trois ans de travail, y a-tu quelque chose qui ressemble plus à une permanence quand on vous garantit trois ans ou quatre ans de travail dans un contrat, là, qu'on vous offre à côté de la convention collective?

Et ça a accru encore la difficulté parce que le petit établissement, qui n'avait pas de budget ou qui n'avait pas de fondation qui pouvait l'aider en lui donnant un certain montant d'argent, ne pouvait pas offrir de telles garanties et s'est retrouvé à découvert de ressources. Et actuellement, ce qu'on nous annonce pour l'été qui vient, entre autres dans la région de Québec, les gens nous disent: Vous avez convoqué un congrès pour la mi-juin, on ne pourra pas y aller, il n'y a personne pour nous remplacer. Alors, on est confrontés à un marché de l'emploi, dans le réseau de la santé... Ce sont les chiffres pour les infirmières, mais sans doute que si vous scrutiez d'autres catégories d'emplois, j'imagine que vous retrouveriez à peu près le même phénomène, la même répartition entre les diverses catégories.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme Skene. Si je comprends bien, prêcher par l'exemple n'est pas le cas du gouvernement. J'aimerais vous poser une dernière question et vous demander comment vous pouvez m'expliquer le fait qu'aux États-Unis, avec 15 % de syndicalisation grosso modo, en Ontario, avec 32 % de syndicalisation, le salaire moyen est plus élevé qu'au Québec alors que nous avons 40 % de syndicalisation.

Mme Skene (Jennie): Écoutez, je pense que si on compare les secteurs qui sont syndiqués avec des secteurs qui sont syndiqués, les niveaux sont à peu près équivalents. Si vous regardez des secteurs qui ne le sont pas, là on entre dans des différences extrêmement importantes. Quand je vous disais tout à l'heure que quand on regarde du point de vue des femmes, des données qui sont sorties, qui nous sont offertes, soit par le Bureau de la statistique du Canada, du Québec ou encore le Conseil du statut de la femme, chez les syndiqués au Québec, chez les femmes, il y a une différence de 7 700 $ entre les deux groupes. Ce n'est pas uniquement des travailleurs qui n'ont pas d'expertise qui se retrouvent dans le groupe des moins bien nantis, c'est souvent des travailleurs qui sont des professionnels, qui sont des techniciens, mais qui n'ont pas réussi à intégrer un emploi dans un domaine où on leur assure une stabilité et où ils peuvent compter sur une organisation syndicale pour défendre leurs droits. Vous savez, les États-Unis, il y a plein de choses qu'on peut dire d'eux, sauf que je pense que, quand on veut faire une comparaison, en tout cas de notre côté, on doit regarder ce qu'il y a derrière. On peut avoir un salaire plus élevé, mais quelles sont les conditions qui sont associées aussi à ce salaire-là? Actuellement, je vous dis que les États-Unis exercent, même si on est un secteur syndiqué, un très fort attrait sur les infirmières, particulièrement chez celles du secteur anglophone à Montréal qui nous quittent soit pour les États-Unis ou encore pour l'Ontario. Parce que, même si on est dans un secteur syndiqué, les conditions d'emploi sont aujourd'hui difficiles, sont extrêmement difficiles dans le réseau, il y a un taux d'absence maladie extrêmement élevé. Et donc des gens font des choix que, parfois oui, ils vont y aller pour le salaire, mais souvent...

Et on le voit en Outaouais où on perd nos infirmières; semaine après semaine, on embauche et on les voit traverser la rivière. Ce n'est pas difficile, traverser le pont, et, de l'autre côté, en arrivant elles gagnent non seulement 10 000 $ de plus, mais ce qu'elles nous disent, c'est: On m'offre un poste permanent à temps complet immédiatement. Et ça, c'est un attrait. Mais je pense qu'on ne peut pas juste comparer les niveaux de salaire, il faut voir aussi les autres conditions qui entourent l'emploi.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme Skene.

Le Président (M. Sirros): Ça va? Alors, Mme Skene, il ne reste qu'à vous remercier pour votre présentation. Et la commission, ayant complété son ordre du jour, ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 25)



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