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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mardi 14 septembre 1999 - Vol. 36 N° 30

Consultation générale sur le projet de loi n° 47 - Loi concernant les conditions de travail dans certains secteurs de l'industrie du vêtement et modifiant la Loi sur les normes du travail


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Table des matières

Remarques préliminaires

Auditions


Autres intervenants
Mme Denise Carrier-Perreault, présidente
M. Guy Lelièvre, président suppléant
M. Stéphane Bédard
M. Robert Kieffer
Mme Manon Blanchet
*Mme Pauline Crevier, Les employées et employés de Barmish inc. de Magog
*Mme Irène Jacques, idem
*Mme Madeleine Lemay, idem
*M. Claude Lapierre, IMVQ
*Mme Louise Béchamp, idem
*Mme Aoura Bizzarri, Collectif des femmes immigrantes du Québec
*Mme Thérèse Sainte-Marie, CIAFT
*Mme Françoise David, FFQ
*Mme Odette Prince, Comité des femmes de l'Estrie travaillant dans
l'industrie du vêtement pour dames
*Mme Céline Hamel, idem
*Mme Denise Lawrence, idem
*Mme Marie-Claire Boisvert, idem
*M. Henri Massé, FTQ
*M. John Alleruzzo, SVTI
*Mme Laï Ha, idem
*Mme Lucida Pierre, idem
*M. Michel Audet, CCQ
*M. Martin Comeau, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures trente-huit minutes)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je déclare donc la séance de la commission de l'économie et du travail ouverte. Je voudrais vous rappeler que, ce matin, notre commission a pour mandat de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 47, Loi concernant les conditions de travail dans certains secteurs de l'industrie du vêtement et modifiant la Loi sur les normes du travail.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. M. Poulin (Beauce-Nord) remplace Mme Normandeau (Bonaventure).


Remarques préliminaires

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Je vous remercie. Alors, aujourd'hui, comme vous le savez, nous avons à l'horaire six groupes, qui sont à l'ordre du jour, qui vont venir nous rencontrer, dont deux ce matin. Alors, je procéderais donc immédiatement aux remarques préliminaires. Mme la ministre, est-ce que vous avez des remarques préliminaires?


Mme Diane Lemieux

Mme Lemieux: Oui, Mme la Présidente. D'abord, j'aimerais saluer les membres de la commission. C'est la première fois qu'on siège en ce début d'automne. Je salue aussi les gens du ministère du Travail qui ont collaboré très intensément à ce processus.

Alors, Mme la Présidente, le projet de loi n° 47 prévoit la fin du régime des décrets dans les secteurs de la confection pour dames, de la confection pour hommes, de la chemise et du gant de cuir. Ces décrets contiennent les principales conditions de travail de quelque 23 000 personnes qui oeuvrent dans près de 1 100 entreprises.

(9 h 40)

De manière générale, ce projet de loi vise à solutionner ou à atténuer les principaux problèmes auxquels est présentement confrontée l'industrie de la confection du vêtement, tels que le double assujettissement, la lourdeur et la rigidité du régime des décrets, la faible représentativité des parties patronale et syndicale dans certains secteurs, le travail au noir, le déficit du fonds de vacances de l'industrie de la confection pour dames.

Permettez-moi, Mme la Présidente, de rappeler brièvement l'origine de ce projet de loi avant d'en expliquer sommairement le contenu. Depuis plusieurs années des échanges soutenus ont eu lieu entre les intervenants de l'industrie du vêtement sur la détermination des conditions de travail des employés de ce secteur. Malgré tous les efforts et la bonne foi déployés par les parties, aucun consensus n'a pu être forgé à ce jour.

À la suite du Sommet sur l'économie et l'emploi qui s'est tenu en novembre 1996, le gouvernement a décidé d'entreprendre une révision majeure du régime des décrets. Cette révision s'est amorcée malgré les positions souvent divergentes des parties patronale et syndicale. En effet, la plupart des associations patronales consultées durant les mois qui ont suivi le Sommet demandaient l'abrogation du régime alors que les organisations syndicales favorisaient le maintien ou le renforcement de la réglementation. J'ai constaté, après avoir lu les 11 mémoires qui nous seront présentés durant les deux prochains jours, que ces positions sont globalement demeurées les mêmes.

Lors du discours du budget de 1998-1999, le ministère du Travail a reçu le mandat d'élaborer et de faire adopter un nouveau cadre réglementaire dans l'industrie du vêtement. Par ailleurs, je rappelle aux membres de la commission que le rapport Lemaire sur l'allégement réglementaire remis au premier ministre le 29 mai 1998 recommandait l'abrogation du régime tout en protégeant certains avantages des employés de cette industrie, qui sont supérieurs à ceux prévus par la Loi sur les normes du travail. Comme suite à l'engagement présenté lors de la présentation du budget 1998-1999, j'ai déposé à l'Assemblée nationale, le 13 mai dernier, le projet de loi n° 47 dont je présenterai maintenant les principales dispositions.

Ce projet de loi prévoit que le gouvernement fixe par règlement les conditions minimales de travail des employés des quatre secteurs: chemise pour hommes et garçons, confection pour dames, confection pour hommes et gant de cuir, à partir du 1er janvier 2000. En raison des délais nécessaires à l'élaboration et à l'adoption d'un tel règlement, les quatre décrets du vêtement qui devaient expirer le 30 juin 1999 seront prolongés jusqu'au 30 juin 2000.

Pour ne pas provoquer des bouleversements importants dans l'industrie, le projet de loi prévoit une période de transition de deux ans. Durant cette période, certaines conditions de travail actuellement en vigueur dans les quatre secteurs seront maintenues. Plus spécifiquement, il s'agit du salaire, de la durée de la semaine de travail, des jours fériés, des vacances annuelles, des congés pour des événements familiaux et des périodes de repas. Au cours de cette même période de transition, le gouvernement demandera aux représentants des employeurs et des salariés de proposer des modifications aux conditions de travail édictées par le règlement. Une fois que la consultation et la période de transition seront terminées, le gouvernement appliquera les mêmes normes du travail à tous les employés de l'industrie du vêtement qui étaient visés par les quatre décrets.

Aussi, le projet de loi n° 47 prévoit que la Commission des normes du travail sera responsable de la surveillance des normes du travail applicables à l'industrie du vêtement. Pour ce faire, la Commission se dotera d'un programme de surveillance adapté aux caractéristiques et aux besoins de cette industrie. Le financement de ce programme et les coûts reliés à l'intégration des inspecteurs des comités paritaires à la Commission des normes du travail seront assurés par une cotisation supplémentaire que verseront les employeurs.

Le projet de loi annonce la fin du fonds de vacances du secteur de la confection pour dames qui est constamment déficitaire depuis sa création, depuis 1983. Le déficit de ce fonds, qui s'élève à plus de 3 000 000 $, sera notamment résorbé grâce à une contribution des employeurs qui équivaut à 5,1 % des gains bruts des employés durant quatre mois. Les nouvelles entreprises qui n'étaient pas assujetties au décret le 28 février 1999 n'auront pas à verser cette cotisation provisoire.

Par ailleurs, le projet de loi n° 47 comporte des dispositions permettant l'intégration à la Commission des normes du travail des employés des comités paritaires qui effectuaient des activités d'inspection. Ces employés transférés seront réputés avoir été nommés conformément à la Loi sur la fonction publique.

Finalement, le projet de loi prévoit que la ministre du Travail doit faire rapport au gouvernement, au plus tard le 30 juin 2004, sur l'application du régime de normes sectorielles dans l'industrie du vêtement. Ce rapport est déposé à l'Assemblée nationale.

Avant de conclure, j'aimerais souligner que le dépôt du projet de loi n° 47 découle d'un constat malheureux mais évident que tous les intervenants de l'industrie du vêtement ont été à même de faire au cours des dernières années: le paritarisme qui était à la base du régime des décrets n'existe plus dans le secteur du vêtement. Des modifications à ce régime devront donc être proposées, et c'est ce que le gouvernement a fait.

Comme c'est souvent le cas en matière de relations de travail, c'est la difficile recherche de l'équilibre qui m'a animée lors de l'élaboration du projet de loi n° 47, l'équilibre entre la compétitivité et les conditions de travail, l'équilibre entre un régime en place depuis plus de 60 ans et les exigences de la nouvelle économie mondiale, l'équilibre entre l'intervention de l'État et le libre marché.

J'estime que le projet de loi que j'ai déposé en mai dernier répond à cet équilibre nécessaire au développement de l'industrie québécoise du vêtement qui constitue toujours l'un des pivots de notre économie. Par ce projet de loi, le gouvernement souhaite mieux adapter le régime des relations de travail aux contraintes de production et à la compétition qui sont de plus en plus grandes dans cette industrie tout en protégeant les conditions de travail de base d'un groupe de salariés dont plus de 75 % sont des femmes souvent peu scolarisées, ces femmes qui travaillent fréquemment dans un environnement difficile pour un salaire modeste et où la tentation du travail au noir est très forte.

En lisant les mémoires que les différents groupes m'ont fait parvenir, j'ai évidemment constaté l'écart important entre les demandes des travailleuses et des syndicats et celles des regroupements d'employeurs de l'industrie. Cependant, j'ai aussi constaté la volonté unanime de tous les intervenants de préserver et de développer l'industrie québécoise du vêtement pour que nous demeurions le leader de cette industrie au Canada. Pour ce faire, une main-d'oeuvre de qualité et des équipements modernes sont indispensables. Une telle main-d'oeuvre exige des conditions de travail correctes et de tels équipements exigent une capacité d'investissement soutenue. On retrouve ici encore cette quête de l'équilibre que j'exposais tout à l'heure.

C'est d'abord et avant tout la protection de l'industrie québécoise du vêtement et des dizaines de milliers de personnes qu'elle emploie qui motive l'action gouvernementale et que le projet de loi n° 47 concrétise. Je suis consciente que ce projet ne couvre peut-être pas tous les angles ou que certaines avenues n'ont pas été envisagées. C'est pourquoi j'attends beaucoup de cette consultation générale qui me permettra d'échanger avec des personnes qui possèdent une connaissance plus fine du milieu et la ferme volonté d'en préserver la pérennité.

J'assure tous les groupes qui participeront à nos travaux au cours des deux prochains jours que leurs commentaires seront analysés avec beaucoup de soin par l'équipe des fonctionnaires du ministère du Travail. Et, au besoin, je n'hésiterai pas à proposer au gouvernement certaines modifications au projet de loi qui m'auront été soumises durant cette consultation.

Finalement, même si j'adopte surtout une attitude d'écoute durant cet exercice de consultation, j'essaierai aussi d'apporter certaines précisions sur la portée du projet de loi n° 47. J'espère que ces précisions contribueront à réduire les inquiétudes de certains groupes et leur permettront de mieux comprendre la portée de l'intervention gouvernementale.

Je vous remercie. Et, en terminant, je dépose une analyse des impacts du projet de loi n° 47, qui a été produite par le ministère de la Solidarité sociale avec la collaboration du ministère du Travail. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, Mme la ministre. Je comprends que vous avez un document à déposer. Donc, on va en prendre connaissance avant de le faire distribuer aux membres de la commission. M. le député de LaFontaine, pour vos remarques préliminaires.


M. Jean-Claude Gobé

M. Gobé: Merci, Mme la Présidente. Tout d'abord, vous me permettrez de saluer les collègues députés de l'opposition comme du gouvernement qui sont ici aujourd'hui pour se pencher sur ce dossier très important. Je salue aussi bien sûr les représentants des travailleurs, des associations patronales, des associations syndicales aussi qui sont dans cette salle et qui sont, bien entendu, les premiers intéressés à ce qui va se dérouler ici, en cette chambre.

Mme la Présidente, avant de débuter mes remarques préliminaires, j'aimerais mentionner qu'il aurait été intéressant d'entendre peut-être, vu qu'ils sont très concernés par ce projet de loi, la Commission des normes du travail. Je vois qu'ils ne sont pas sur la liste des groupes et des personnes que nous allons entendre. Donc, je me réserve la possibilité – je vous en avise maintenant – lors d'une séance ultérieure, de demander que nous puissions les entendre, car nous aurions certainement un certain nombre de questions à leur poser car, selon le projet de loi, ils vont être puis ils seraient les principaux – si le projet de loi reste comme ça, en tout cas – gérants ou administrateurs des conditions qui vont découler du projet de loi pour les travailleuses et les entreprises.

(9 h 50)

Alors, ceci étant dit, Mme la Présidente, comme opposition, nous avons déjà indiqué que nous avons des difficultés sérieuses avec la proposition du gouvernement, telle qu'elle est formulée. Nous avons demandé un dépôt d'une étude d'impact économique et une consultation publique. La ministre nous annonce qu'elle dépose une étude d'impact par le ministère de la Solidarité. Est-ce que c'est l'étude d'impact économique que nous avons demandée? Nous n'en savons rien. Nous verrons, lorsque nous en aurons pris connaissance, à savoir si elle nous satisfait et si c'est cela que nous demandions.

Mme la Présidente, dans ce dossier, l'opposition va être à la recherche, tout au long des débats, de la logique, car nous avons un certain nombre de difficultés avec les points suivants, que je vais nommer.

Alors, tout d'abord, l'intention du gouvernement de surtaxer les entreprises visée par ce projet de loi pour financer un éventuel programme spécial d'inspection de la Commission des normes et pour supporter le remboursement du fonds de vacances de l'industrie de la confection pour dames, ces modalités nous apparaissent pour le moins, Mme la Présidente, discutables.

Aussi, nous trouvons paradoxal qu'une ministre du Travail – et nous allons voir son propre mémoire déposé au Conseil des ministres lors du dépôt du projet de loi – Mme la Présidente, prévoie dans son propre mémoire, et c'est à la page 15, que les coûts salariaux, donc la masse salariale... Des travailleuses et des travailleurs d'une partie du domaine du vêtement verront leurs conditions baisser de 2 %, ce qui veut dire, en clair, qu'on se prépare à baisser, quand on dit «le coût salarial», bien, probablement, les salaires de ces gens-là de 2 %. Ça me semble un peu plus paradoxal qu'actuellement le gouvernement offre à ses employés du secteur public 5 % d'augmentation. Alors, 5 % pour une partie des travailleurs, puis l'autre partie, qui sont parmi les plus démunis, pas de sécurité d'emploi, parmi les travaux peut-être les plus durs, eux, on se prépare, par un projet de loi, à inciter une baisse de 2 %. Je le répète, c'est dans le mémoire déposé par la ministre au Conseil des ministres.

D'autant plus, Mme la Présidente, que nous apprenons aujourd'hui que la ministre n'a pas l'intention bien sûr de réviser le salaire minimum au Québec, privant ainsi des dizaines de milliers de travailleurs et de travailleuses québécois parmi, aussi, bien sûr les plus vulnérables, bien souvent des femmes, d'une indexation ou d'une augmentation qui, même si elle est minime, leur permet de traverser les coûts d'inflation que nous connaissons et le coût de la vie toujours grandissant.

Mme la Présidente, nous nous questionnons, parce que c'est là le lot de l'ancienne présidente du Conseil du statut de la femme, censée représenter la relève sociale et communautaire du Parti québécois, et nous voyons que les décisions qu'elle prend vont à l'inverse du discours qui a été tenu en ce qui la concernait: on va couper des travailleuses, on n'augmente pas le salaire minimum. Mme la Présidente, c'est des questions où nous nous questionnons énormément et avec lesquelles bien sûr nous ne sommes pas d'accord.

Alors, Mme la Présidente, aussi, nous avons des difficultés bien sûr avec l'intention du gouvernement d'accroître le pouvoir réglementaire du gouvernement, parce que ce qui va arriver avec ce projet de loi là, c'est qu'on va étatiser les conditions de travail en fixant par décret unilatéral des conditions de travail sectorielles pour l'industrie du vêtement, qui sont inconnues et que la ministre se réserve le droit de décréter si elle le juge nécessaire. Alors, nous ne pouvons bien sûr... et beaucoup de participants et d'intervenants à ce dossier sont bien sûr eux aussi un peu beaucoup en désaccord avec ce principe. On est en train de surréglementer. On enlève une structure pour en remettre une autre qui, celle-là, va devenir gouvernementale.

Alors, Mme la Présidente, je rappellerai que, lorsque nous avons discuté du principe du projet de loi – je ne referai pas le discours au complet, il avait duré presque une heure – j'avais discuté de trois grands thèmes, les raisons de ce projet de loi.

Alors, la raison politique. Mme la Présidente, on se rappellera que le Parti québécois, le gouvernement dans lequel la ministre est élue, avant les élections, avait soigneusement caché à la population son intention, quelques mois après les élections, de s'attaquer à ce genre d'organisation de relations de travail. Est-ce que leur programme supporte cette action? À notre avis, la réponse est non. On a eu beau passer à travers le programme, nulle part nous n'avons vu que le gouvernement s'était engagé, avait dit aux travailleuses et aux travailleurs qu'il s'attaquerait à cela.

Le premier ministre, si on se rappelle, a refusé de modifier le Code du travail pour les travailleuses, les téléphonistes de Bell Canada, invoquant le manque de consensus minimal pour toucher au Code du travail et aux relations de travail au Québec. Malgré les engagements de la ministre qui, elle, s'était engagée auprès des téléphonistes à maintes reprises à abolir ou à modifier le Code du travail afin de préserver leurs emplois, bien, malgré cela, force est de constater que le gouvernement s'est défilé dans ce domaine-là et n'a pas donné suite aux engagements de la ministre et de son Conseil national aussi bien sûr où une résolution unanime avait été prise en ce sens-là.

Alors, Mme la Présidente, je comprends mal pourquoi, dans ce cas-ci, pour des milliers de couturières au bas de l'échelle, des milliers de femmes qui sont parmi peut-être les plus vulnérables du marché du travail, autant à cause de la précarité de l'emploi que des conditions de travail parfois extrêmement difficiles, des horaires extrêmement astreignants, je ne comprends pas pourquoi, malgré qu'il n'y a pas ce consensus, hein, que l'on réclame pour refuser de modifier le Code du travail dans le cas des téléphonistes de Bell pour faire plaisir peut-être à Bell Canada, je ne le sais pas, pourquoi le gouvernement va à l'encontre de ses propres principes et sans consensus décide de bulldozer et de sabrer dans des conditions de travail qui touchent des milliers de travailleuses.

Alors, deux poids deux mesures. Et force est de constater que le résultat est le même des deux côtés: à chaque fois, ce sont des femmes, des travailleuses qui vont écoper. Mme la Présidente, on sait que la ministre du Travail exécute peut-être les commandes de son gouvernement sans prendre soin de bien comprendre toute la dynamique des relations de travail et les dangers de légiférer contre la volonté des travailleurs et des travailleuses.

L'autre raison que j'avais invoquée, M. le Président, Mme la Présidente, pardon, vous m'excuserez, lors du premier discours, c'était la raison économique. La ministre nous avait indiqué – elle avait fait les manchettes dans un quotidien montréalais – que le fait d'abroger ces décrets créerait 8 000 emplois. C'était la raison principale qui avait été invoquée par la ministre. C'était beau. Tout le monde ici et tout le monde au Québec, actuellement, est à la recherche de la création d'emplois, tout le monde cherche à atteindre le maximum de possibilités pour les Québécois et Québécoises de se trouver du travail. Alors, nous avions bien sûr été fortement, comme beaucoup de Québécois et de Québécoises d'ailleurs, intéressés à savoir comment la ministre pouvait, en abrogeant ces décrets, créer 8 000 emplois.

Alors, force est de constater, Mme la Présidente, que nous n'avons pas eu, à date, de réponse satisfaisante dans aucune étude d'impact économique. Au début, Mme la ministre a déposé tout à l'heure une étude d'impact venant du ministère de la Solidarité. Je ne vois pas là, d'après moi, un ministère peut-être qualifié, capable, équipé pour prévoir la création d'emplois dans les secteurs économiques, mais peut-être que c'est dedans. Nous n'en avons pas pris connaissance. Nous verrons à le voir. Mais je répète que nous avons demandé le dépôt de cette étude d'impact économique qui démontrerait sans aucun doute que le fait de sacrifier une partie des conditions de travail de certains travailleurs ou travailleuses permettrait d'en créer 8 000 pour d'autres. Encore là, y a-t-il une équité sociale? Ça reste à discuter, mais, au moins, j'aurais aimé qu'on puisse le démontrer.

Et, dans le côté économique, Mme la Présidente, ce qui est criant dans cette industrie, ce n'est pas forcément les conditions de travail des travailleuses qui sont dedans, c'est les conditions de travail difficiles, peu attrayantes. Il est difficile de recruter du personnel. Ça, c'est le problème de cette industrie.

Il y a aussi, pour un certain nombre d'entre elles, et pour des raisons que nous connaissons, un retard important dans l'implantation des nouvelles technologies dans cette industrie et aussi un manque chronique de main-d'oeuvre qualifiée, et c'est lié aux premières conditions de travail difficiles. Et, quand on parle d'un manque chronique de main-d'oeuvre qualifiée et qu'on voit un peu ce qui se passe aujourd'hui à Emploi-Québec, bien ce n'est pas pour nous encourager à régler ce problème-là.

Alors, Mme la Présidente, toutes ces choses, toutes ces raisons-là sont écartées par la ministre du Travail, et je pense qu'elle aurait eu intérêt à se pencher sur ces raisons-là avant d'aller simplement et directement à ce qui pouvait sembler pour elle la solution magique: l'abrogation du décret.

Bien sûr, il y a la liberté et le pouvoir de négocier de ces travailleurs et de ces travailleuses qui conduit bien souvent à une plus grande efficacité, parce que, lorsqu'on va imposer des conditions de travail à un groupe, eh bien, ces gens-là qui sont peut-être mécontents ou qui sont insatisfaits de ce qu'on leur impose, ça se retraduit bien souvent par l'envie de travailler dans une entreprise ou dans une industrie en particulier ou alors par une productivité ou un goût au travail qui peut être moins intéressant.

Alors, le projet de loi devant nous, qu'est-ce qu'il nous amène? Une étatisation des relations de travail, et, je le répète, parce que c'est la ministre qui va décider et c'est la Commission des normes qui va gérer cela. Alors, est-ce que c'est le but recherché? Est-ce que c'est le but d'une vraie déréglementation? Nous ne le croyons pas et nous savons qu'un grand nombre d'entreprises et de gens du milieu économique dans l'industrie du vêtement ne sont pas en accord avec ce genre de chose.

(10 heures)

Maintenant, il y a la raison sociale. Mme la Présidente, la raison sociale, eh bien, c'est que la ministre accepte – et je le disais au début – de proposer une loi qui, son mémoire le dit, aura pour effet immédiat de réduire d'au moins 2 % les conditions salariales des milieux de travailleuses. Ça, Mme la Présidente, nous avons beaucoup de difficultés à accepter ça.

L'exercice que nous allons commencer aujourd'hui, c'est un exercice bien sûr avec un contenu et une dimension extrêmement humaine, sociale, économique, parce que nous allons entendre aujourd'hui des groupes, des associations patronales, syndicales, mais aussi, Mme la Présidente, des citoyens, des travailleurs, des travailleuses qui sont, tous ces gens-là ensemble, le coeur de cette industrie, le coeur de ce secteur d'activité. Et, je le répète encore, c'est bien souvent à 80 % et peut-être plus de la main-d'oeuvre féminine.

Mme la Présidente, le projet de loi n° 47 va toucher en effet les conditions de travail de 22 000 travailleurs et travailleuses au Québec. Et je rappellerai que 75 % de cette main-d'oeuvre est féminine, presque 80 %. Selon les études de Statistique Canada, 50 % des effectifs sont issus des communautés culturelles, 8 % ne parlent ni l'anglais ni le français, 54 % n'ont pas terminé leurs études secondaires et une partie d'entre elles travaillent à domicile, pour vous donner le portrait un peu. Et on voit que c'est là certainement des clientèles de travailleurs et travailleuses parmi les plus vulnérables et parmi celles qui ont une formation, une éducation très, très, très faible.

Mme la Présidente, elles sont aussi bien souvent à la limite du domaine de la pauvreté. Leur salaire, en effet, tourne autour de 8,92 $ de l'heure. Et on sait que, dans le secteur manufacturier ordinaire, normalement on parle de 16,11 $ de l'heure. C'est-à-dire que, dans l'industrie manufacturière du vêtement, c'est 8,92 $ de l'heure en moyenne et, dans les autres manufacturiers, que ça soit dans l'acier, dans le bois, dans d'autres domaines, c'est 16 $. On voit là la différence de ratio entre les gens.

En plus, bien je disais que c'est des petites entreprises. 60 % des entreprises de ce secteur comptent moins de cinq employés et échappent donc à la Loi sur l'équité salariale. Les travailleuses de très petites unités de production n'ont pas accès facilement à la négociation collective et à la protection du Code du travail. Le taux de syndicalisation est donc très bas dans le vêtement pour femmes, on parle de 12 %, et un peu plus élevé dans le secteur du vêtement pour hommes, 70 %, qui, lui, compte des unités beaucoup plus grandes de fabrication.

Est-ce qu'il existe un moyen d'alléger la réglementation, de revoir l'organisation du travail, de favoriser les investissements en formation de la main-d'oeuvre, d'accélérer l'implantation de nouvelles technologies autrement qu'en abrogeant les comités paritaires ou en étatisant les conditions de travail décrétées par Québec? Est-ce que la solution proposée par le gouvernement n'aura pas pour effet de créer plus de problèmes que d'en régler tout en diminuant les conditions de travail des plus pauvres? C'est les questions que nous posons, Mme la Présidente.

Je rappelle également que les conditions de travail pour les non-syndiqués dans ce secteur-là sont gelées depuis 1992 pour les travailleuses du vêtement pour dames et depuis 1994 dans le secteur du vêtement pour hommes. L'opposition tout au long de ce débat va chercher à obliger la ministre à trouver des solutions et un compromis juste, équitable et satisfaisant pour les employeurs et pour les travailleurs et travailleuses de ce secteur économique.

À notre avis, ce projet de loi tel que formulé représente pour l'instant un autre cafouillage incompréhensible de ce gouvernement à l'endroit de ce secteur d'activité et des plus démunis qui y travaillent. Comment la ministre entend-elle concilier la position des associations patronales et celle des représentants syndicaux? Nous avons l'impatience d'entendre la ministre.

Les deux groupes font au moins un consensus, pour différentes raisons, autour de deux mots: incertitude et inquiétude. Et les gens qui ont lu les mémoires qui ont été déposés savent ce que je veux dire. Et, lorsque nous entendrons les différents groupes, nous comprendrons pourquoi j'emploie ces deux mots. Pourtant, les deux principaux acteurs parlent de protection des acquis; les patrons parlent même de proposition de contrat social. Comment se fait-il que la ministre elle-même en tant que responsable politique de son ministère n'ait pas poussé plus loin ces idées convergentes avant de présenter une pièce législative qui appauvrira les femmes et indispose tout le monde, y compris le patronat sous certains aspects?

L'opposition, donc, va questionner les aspects controversés de ce projet de loi afin d'aider le gouvernement à prendre une bonne décision, parce que, Mme la Présidente, il s'agit d'un dossier qui touche des milliers de travailleuses. Ces femmes gagnent en moyenne entre 13 000 $ et 16 000 $ par année. Grâce à eux et à elles, le Québec est encore aujourd'hui la capitale canadienne de la confection du vêtement, et je crois que c'est un fait que nous ne devons pas manquer de souligner ici au début des travaux de cette commission parlementaire.

Alors, je voudrais remercier, à ce stade-ci, bien sûr tous nos invités qui viendront témoigner devant nous. Je les assure que leurs opinions à l'égard du projet de loi n° 47 vont constituer pour nous, de l'opposition, et je souhaite que ce soit de même pour les gens du gouvernement, une source essentielle d'inspiration et de réflexion. L'exercice que nous faisons sera donc important si nous le regardons de cette façon-là, car nous allons parler de déréglementation ou d'allégement réglementaire dans ce domaine extrêmement fragile au niveau de la compétitivité, il est vrai, mais aussi des rapports humains.

Je citerai en terminant, peut-être, la juge Claire L'Heureux-Dubé, de la Cour suprême du Canada, qui disait, dans l'affaire du Comité paritaire de l'industrie de la chemise, en 1994, et je la cite: «Ces objectifs à caractère social sont plus importants que les salariés visés par les décrets parce que ceux-ci comptent parmi les plus vulnérables.» Nous espérons que la ministre saura tenir compte de cette phrase, de cette pensée de l'honorable Claire L'Heureux-Dubé. Mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir donné votre attention tout au long de ces remarques préliminaires.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. le député de LaFontaine. Puisque le but de notre rencontre d'aujourd'hui, c'est d'entendre évidemment les groupes qui se sont manifestés puis qui ont l'intention de venir échanger avec nous, je demanderais aux employées et employés de Barmish, de Magog, de s'approcher, s'il vous plaît.


Auditions

Alors, mesdames, je vous souhaite la bienvenue. Je voudrais vous rappeler que vous avez, selon les règles de notre commission, donc, 20 minutes pour présenter votre mémoire, et par la suite chacun des groupes parlementaires disposera chacun de 20 minutes pour pouvoir échanger avec vous. Alors, la porte-parole principale du groupe pourrait-elle se présenter ainsi que présenter les gens qui l'accompagnent?


Les employées et employés de Barmish inc. de Magog

Mme Crevier (Pauline): Bonjour. Mon nom est Pauline Crevier.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Vous pouvez demeurer assise, madame, parce que le micro finalement... ça va aller mieux si vous demeurez assise.

Mme Crevier (Pauline): Bon. Je m'appelle Pauline Crevier. Je suis à l'emploi de la compagnie Barmish depuis huit ans. Je vous présente aussi ma compagne de travail Mme Irène Jacques, qui, elle, est à l'emploi de cette même compagnie depuis 13 ans, et ici, à ma droite, Mme Madeleine Lemay qui, elle, est à l'emploi de la même compagnie depuis 26 ans.

Alors, en introduction, pour commencer, j'aimerais, au nom des 192 employés de la compagnie, remercier Mme Diane Lemieux ainsi que tous les membres de la commission de nous accorder cette période afin de nous faire entendre sur un point crucial de ce que sera l'avenir de l'industrie du vêtement, de nos emplois et de nos conditions de travail.

Après avoir pris connaissance du projet de loi n° 47, nous nous opposons fermement à l'abolition des comités paritaires et des décrets parce que cette décision représente à nos yeux une très grande perte d'avantages et d'acquis pour les salariés, déjà que dans certaines entreprises les conditions de travail sont au strict minimum. Nous n'aurions plus aucune garantie du respect des normes; tout serait permis, et cela, au détriment des travailleurs.

Vous dites que l'abolition des décrets créera 8 000 emplois. Les employeurs prétendent qu'ils ne peuvent pas compétitionner dans le monde. Je n'y crois pas. Ce que je crois par contre, c'est que certains employeurs en profiteront pour exploiter les travailleurs en baissant les salaires. Qui, pensez-vous, voudra travailler à un salaire de 5 $ ou 6 $ de l'heure? Dans ces conditions, on arrêtera de travailler pour bénéficier du chômage et ensuite de l'aide sociale, et les 8 000 emplois qui seront créés le seront mais au travail au noir. Cela crée des sentiments de peur, de grande insécurité et même de panique, car plusieurs se demandent: Après la période transitoire de deux ans, qu'arrivera-t-il?

Les pressions de certains entrepreneurs seraient-elles tellement sérieuses que le gouvernement s'apprêterait à abolir les décrets qui tiennent lieu de convention collective depuis plus de 50 ans? Les excuses évoquées par ces derniers seraient-elles suffisantes à vos yeux pour prononcer un tel divorce? Nous refusons d'y croire.

Pour ces raisons, nous avons préparé d'une façon sincère, simple, un mémoire démontrant le plus clairement possible notre opinion sur ce projet de loi. Nous allons maintenant élaborer sur ce que nous croyons indispensable pour tous les employés et pour qu'une concurrence loyale puisse continuer entre les employeurs de cette industrie.

Je vous remercie de votre attention et je cède la parole à Mme Irène Jacques.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Jacques.

(10 h 10)

Mme Jacques (Irène): On va procéder à la lecture du mémoire. C'est: Un service indispensable... pour des conditions de travail décentes .

Pour les nombreux employés de Barmish inc., le comité paritaire représente un service indispensable. En effet, par le biais de visites périodiques à l'usine, des représentants de ce comité s'assurent du respect par notre employeur de nos conditions de travail: taux horaire et à la pièce. Nous doutons qu'un tel service soit offert à l'intérieur du cadre des normes du travail. Aussi, avec l'abolition du comité paritaire, nous craignons que les règles du jeu changent en faveur de l'employeur sans nous laisser aucun recours semblable au comité paritaire.

Actuellement, le comité paritaire permet aux employés de cette industrie de se référer à lui en cas de problèmes. Ce dernier a alors l'autorité d'intervenir sans délai auprès de l'employeur afin de rectifier la situation problématique. Madeleine.

Mme Lemay (Madeleine): Protection, vérification et justice. Soumis aux...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Lemay, hein?

Mme Lemay (Madeleine): Oui. Protection, vérification et justice. Soumis aux normes exigées par le comité paritaire dans l'industrie du vêtement pour hommes, l'employeur doit obligatoirement, de façon mensuelle, transmettre au comité un rapport des salaires versés à chacun des employés. Ce rapport indique les codes ou les classes C, D, E de chaque travailleur. Ces codes et ces classes varient selon plusieurs critères dont le type d'opération effectuée par un travailleur et servent à établir l'échelle salariale à laquelle l'employé a droit et à laquelle l'employeur doit se soumettre. À ce niveau, le comité joue un rôle de chien de garde scrutant ces rapports afin que les salaires soient bien versés selon les règles et rappelant à l'employeur qu'il n'a pas tous les droits et qu'il doit respecter des différentes normes.

Les nouveaux employés sans ou avec peu d'expérience se trouvent également protégés sous l'aile du comité paritaire. Ce dernier veille à ce que les nouveaux employés soient traités correctement et que les augmentations leur soient versées à intervalles réguliers jusqu'à l'obtention des taux horaires ou à la pièce, selon les codes C, D et E, et ce, à l'intérieur d'une période de deux ans. Est-ce que les normes du travail prendront la relève à ce chapitre si le comité paritaire est aboli?

Mme Crevier (Pauline): Des salaires à la hauteur des efforts. Dans le domaine du vêtement, la plupart des employés sont payés à la pièce. Si l'on compare avec d'autres milieux de travail ce que nous gagnons en salaire et ce que nous avons comme avantages sociaux, nous pouvons aisément dire que nous ne sommes pas gâtés. Nous sommes loin de nous plaindre le ventre plein.

Combien d'énergie et de sueur sont nécessaires pour sortir un salaire décent, voire, à la limite, intéressant? Aussi, l'abolition du comité paritaire pourrait entraîner la perte de tout contrôle en ce qui a trait aux règles salariales actuelles.

L'employeur pourrait alors transformer à son avantage les échelles salariales des taux horaires et à la pièce obligeant les employés à travailler d'arrache-pied pour maintenir les conditions actuellement garanties par le comité paritaire. Aussi, advenant l'abolition du comité paritaire, est-ce que les normes du travail se substitueraient comme contrôle à ce chapitre? C'est une question importante, car qui, sauf le comité paritaire actuel, s'assurera que les employés de l'industrie du vêtement pour hommes reçoivent un salaire à la hauteur de leurs efforts et cadrant avec la société québécoise actuelle, c'est-à-dire une société où le travail se doit d'être valorisé à sa juste valeur?

Mme Jacques (Irène): Qualité de vie et sécurité d'emploi. Le comité paritaire assure le respect de certains acquis par l'employeur, tels que les vacances, les horaires de travail – heures régulières – la rémunération du temps supplémentaire, les congés fériés et de fêtes qui nous sont payés, les obligations familiales pour décès, etc. Nous ne voulons pas perdre ces avantages. Certes, les normes du travail exercent à cet effet un certain contrôle mais bien aléatoire en comparaison avec les garanties offertes par le comité paritaire. Ce comité offre, en quelque sorte, une sécurité en ce qui a trait aux avantages acquis qui contribuent à la qualité de vie et à une certaine sécurité d'emploi.

Il y a quelques années, nous avons subi une baisse de salaire. À ce moment, nous n'avions pas eu le temps de nous renseigner sur nos droits, et le comité paritaire a été informé une fois la réduction salariale effective. Depuis, le comité travaille à cette cause. Son abolition annulerait toute chance de régler cette affaire importante pour nous, les employés de Barmish inc., et d'obtenir gain de cause. Est-ce que les normes du travail livreraient bataille à l'employeur et reprendraient ce dossier advenant la perte du comité paritaire?

Une voix: Des questions et des questions.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, madame. Mme Lemay.

Mme Lemay (Madeleine): Des questions et des questions.

Dernièrement, à la suite de nos démarches, vous nous avez fait parvenir des questions et des réponses concernant ce dossier. Ces questions et ces réponses sont tout de même assez claires. Toutefois, ce document ne mentionne pas ce qui se passera dans deux ans et omet de poser et de répondre à de très grosses interrogations. À la suite de l'abolition du comité paritaire, les inspecteurs de ce comité seront recrutés par la Commission des normes du travail. C'est bien, mais quels seront leurs pouvoirs de surveillance? Si ces pouvoirs ne s'appliquent qu'en cas de plaintes, cette surveillance n'est d'aucune force et n'empêche nullement l'employeur de profiter des nouvelles possibilités qu'offre l'abolition du comité paritaire.

Aussi, à notre avis, le seul moyen de maintenir un contrôle aide à garder en vigueur les inspections préventives, périodiques ainsi que les dépôts de rapports mensuels des paies des employés de l'industrie du vêtement. Pauline.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Crevier.

Mme Crevier (Pauline): Et l'échelle salariale?

Un passage de la note d'information transmise par la directrice adjointe du cabinet de Mme la ministre, datée du 22 juillet 1999, apparaissant à la page 3, nous laisse perplexes. Voici ce que le passage dit: «Il y aura un seul taux horaire minimal de salaire sans échelle de progression, sans référence à aucune catégorie d'emploi.» L'application de ce changement s'effectuera après la période de transition.

À quoi rime cette farce monumentale? Eh bien, il semble que cela se traduira par une réduction systématique des salaires et des conditions de travail, et ce, pour tous les travailleurs assujettis à un décret dans le vêtement. Nous croyons fermement que la mise en application d'une telle échelle salariale est on ne peut plus injuste, voire antisociale.

De l'utopie à la réalité. Selon les prétentions gouvernementales, une seule norme de travail pour l'ensemble des employés du vêtement favorisera la diversification de la production. Qui plus est, cette uniformisation entraînera même de nouveaux emplois sous-payés et une classe d'employés sous le seuil de la pauvreté.

Or, nous croyons que ces promesses ne sont que de l'air. En réalité, malgré les décrets, les fabricants de vêtements se sont spécialisés. Un fabricant de jeans fabrique des jeans. Un fabricant de pantalons habillés produit des pantalons habillés et ne fait que ça. De plus, tout le monde sait que, dans l'industrie du vêtement, deux décrets ne seront jamais appliqués en même temps dans une même compagnie, et, par entente avec le comité paritaire, c'est la règle de la production prépondérante qui s'applique.

Mme Jacques (Irène): La conclusion. Voici ce qui conclut notre mémoire. Nous espérons être entendus; cette cause nous tient très à coeur, c'est la nôtre. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Merci, mesdames. Alors, Mme la ministre.

(10 h 20)

Mme Lemieux: D'abord, Mmes Jacques, Lemay et Mme Crevier, je vous salue. Je vous souhaite la bienvenue à cette commission. Vous savez que vous êtes les premières personnes que nous entendons dans cette commission.

Je vous remercie d'abord d'avoir décortiqué ce projet de loi, de vous être posé des questions. J'imagine que vous en avez parlé dans votre milieu de travail; c'est ce que je comprends. Je sais que c'est un exercice auquel vous êtes moins habitué, mais, moi, j'apprécie énormément que vous soyez là, parce que je pense que c'est important lorsqu'on discute. C'est que c'est un projet de loi évidemment qui est dans un lot de projets de loi qui est présenté par un gouvernement, mais il faut qu'il ait un sens, ce projet de loi là, et touche des gens, touche aussi des gens qui travaillent, des employeurs aussi qui ont à coeur de garder leur entreprise vivante puis de créer de l'emploi. Alors, pour moi vos commentaires me sont extrêmement précieux.

Je pourrais revenir sur plusieurs des éléments que vous avez abordés, mais il y en a deux sur lesquels je voudrais revenir, puis vous allez me permettre de peut-être un petit peu clarifier, parce qu'une commission comme ça permet d'entendre mais aussi des fois clarifier, c'est quoi, l'intention – un projet de loi, c'est un peu aride, hein – derrière ça.

Sur la question des salaires, je sens que vous avez beaucoup d'inquiétudes: le fait qu'on vise, à terme, au bout de deux ans, avoir un salaire unique; vous êtes inquiètes à savoir – vous me direz si j'ai bien compris votre inquiétude – si le fait d'avoir un taux unique va faire en sorte qu'il y ait un grand nombre de travailleurs, de travailleuses dont le salaire serait réduit. Je pense qu'il y a des inquiétudes à ce niveau-là.

Mais, ça, j'aimerais ça vous entendre là-dessus, parce que vraiment d'abord je ne pense pas me tromper en disant que les décrets prévoient des salaires, même pour des salaires différents, dépendamment de la catégorie d'emploi, et qu'en général les salaires versés dans les faits sont un peu plus élevés que ce qui est prévu dans le décret. Or, j'ai parlé à beaucoup de gens qui sont dans l'industrie; on me parle beaucoup de pénurie de main-d'oeuvre, hein, on dit: Il manque de gens pour travailler. Vraiment, considérant que la pratique à ce moment-ci, c'est de même payer un peu plus cher que ce qui est prévu dans les décrets, je veux vraiment comprendre pourquoi vous vous imaginez que tout d'un coup tous les salaires vont s'écraser alors qu'il y en a une, norme, qui est prévue dans les décrets puis que ce n'est pas ça qui s'est passé.

L'autre chose que je sens très, très, très présente dans vos préoccupations, c'est vraiment – puis vous avez utilisé le mot «inquiétude par insécurité» – par rapport aux changements dans la manière de faire la surveillance, la vérification, c'est-à-dire qu'on passerait des comités paritaires à la Commission des normes. Ça, je sens qu'il y a beaucoup d'inquiétudes de votre part. Je ne pense pas me tromper en reformulant de cette manière-là. Je vais me permettre de vous dire, parce que je veux que ça soit bien clair: Oui, on abolirait les comités paritaires, mais pas pour que ce soit le vide total après, c'est remplacé par quelque chose. Premièrement. D'abord, ces inspecteurs-là seraient transférés à la Commission des normes du travail. Deuxièmement, la Commission des normes du travail aura comme obligation de développer un programme d'inspection et de surveillance. Donc, ce n'est pas le vide, hein, après; ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de comités paritaires qu'il n'y aura plus de surveillance et de vérification.

La Commission des normes heureusement commence à voir les résultats d'une attitude beaucoup plus proactive. Je pense qu'il y a eu une époque, il y a bien des années, où en gros ce type d'organisations là, lorsqu'il y avait une plainte, elle faisaient une enquête, puis en dehors de ça il ne se passait pas ce genre d'enquête là. Maintenant, ce genre d'institution là, comme la Commission des normes, prend les devants; elle prend les devants et elle prendra les devants dans ce secteur-là.

Et vous savez qu'il n'y a pas besoin d'une plainte nécessairement pour faire une inspection; ce n'est pas nécessaire, ce n'est pas automatique, ce n'est pas la seule raison pour laquelle il pourrait y avoir une inspection. Il peut y avoir une inspection parce que la Commission juge, ayant eu de l'information, qu'il y aurait lieu d'aller creuser certaines pratiques qui sont incorrectes. Alors, ça, je veux vous rassurer à ce sujet-là.

Mais la question que je voudrais vous poser, parce que je sens que cette question-là, elle est très importante, vous voulez que ce ne soit pas – pardonnez-moi l'expression, Mme la Présidente – le free-for-all après mais qu'il y ait des mécanismes, lorsqu'il y a des problèmes, qui vont gérer ces problèmes-là par des inspections, de la surveillance, des programmes d'information, etc. – moi, je suis au clair par rapport à ça qu'il y en aura, mais j'aimerais ça, vous entendre: Qu'est-ce qui vous rassurerait?

Parce que la Commission devra développer un programme d'inspection. Évidemment, il y aura une période de transition. Elle va travailler avec les inspecteurs qui sont déjà là. Il y en a une, expérience, qui est là; ils ne vont pas la jeter par-dessus bord, ils vont tirer le meilleur de cette expérience-là des inspecteurs qui seront maintenant à la Commission des normes. Donc, la Commission devra développer avec l'industrie, avec les employeurs, avec les travailleurs un programme vraiment assez offensif, qu'est-ce qui serait un bon programme de surveillance et d'inspection, à votre point de vue?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, qui répond à la question? Mme Jacques.

Mme Jacques (Irène): Moi, j'ai écrit un peu quelque chose là-dessus, là. Je vais le lire parce que, moi, je ne suis pas une habituée comme vous autres, là, hein.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Jacques (Irène): Ça fait que je vais lire ce que j'ai écrit. Dans le projet de loi n° 47, il est prévu que la Commission des normes du travail se dote d'un programme adapté de surveillance applicable à l'industrie du vêtement et qu'à cet égard elle consulte un organisme représentatif. Pour l'application du programme, le projet de loi prévoit que la Commission peut imposer, auprès d'un employeur des secteurs de l'industrie du vêtement, une cotisation supplémentaire.

Nous, les salariés assujettis à un décret régi par le comité paritaire, nous avons déjà en place un organisme de surveillance, de consultation, d'appui, de contrôle, de référence, etc. Pourquoi vouloir abolir les décrets qui nous apportent une protection et une sécurité pour nous, les employés dans le domaine du vêtement? Avez-vous pensé ce qu'il nous en coûtera en dollars pour abolir les décrets qui sont déjà en place, tous structurés et en fonction – avec place pour de l'amélioration sûrement?

Mme la ministre, ce sont nos dollars que vous allez prendre pour anéantir nos décrets dans le vêtement régis par le comité paritaire déjà en place et ensuite encore dans nos poches que vous allez prendre nos dollars pour rebâtir le fameux projet de loi n° 47 concernant les conditions de travail dans certains secteurs de l'industrie du vêtement et modifiant la Loi sur les normes du travail. Nous trouvons que la loi 47 nous conduira tous en bas du seuil de pauvreté. Nous disons: Assez, c'est assez. Nous voulons garder les décrets avec tous les petits acquis que nous avons. Nous voulons avancer et non régresser. Nous ne voulons pas que vous veniez chercher nos sous gagnés d'arrache-pied, à la sueur de notre front. Nous avons besoin de tout notre gain pour apporter à notre famille le pain sur la table.

Mme Diane Lemieux, nous espérons que vous prendrez en considération toutes les recommandations que nous vous avons faites, soit dans notre mémoire ou lors de notre lettre avec pétition, en début avril, vous sollicitant de ne pas mettre en action votre projet de loi n° 47. Aujourd'hui plus que jamais, nous voulons garder les décrets dans le vêtement. Nous nous sommes déplacés pour dire non au projet de loi n° 47 et un oui pour que restent en vigueur les décrets régis par le comité paritaire. Merci de nous écouter, et espérons que cette écoute sera pour nous de l'amélioration. Nous voulons la certitude de garder tous nos acquis avec de l'amélioration, parce qu'il y a place.

Moi, en tout cas, je trouve ça dommage, parce que ce que vous nous présentez, c'est comme si vous enleviez tout ce qu'il y a de fait, puis pourtant il y a des bouts, quand vous parlez, ça ressemble un peu... Vous parlez de réengager les gens du comité paritaire qui sont déjà en place. Mais pourquoi ne pas structurer... continuer à structurer les décrets, là, plutôt que d'abolir?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme la ministre.

Mme Lemieux: J'aimerais ça qu'on creuse cette question-là. Moi, je fais le pari que la surveillance, les enquêtes, la vérification et surtout, parce que c'est ça l'objectif, qu'on s'assure que les employeurs respectent leurs obligations, qu'on va être mieux équipé. J'ai décidé qu'on faisait ce pari-là. Moi, je veux savoir de votre part... Puis deux minutes, faisons l'effort de ne pas parler du passé, là. On part avec une équipe de base, des gens qui ont une expérience, qui sont les inspecteurs des comités paritaires. On part avec un organisme qui a une très grande expérience aussi, qui travaille dans des secteurs...

La Commission des normes, souvent elle s'assure de faire respecter les normes pour des travailleurs non syndiqués; c'est ça, son travail, parce qu'elle respecte les normes minimales de travail. Donc, des secteurs plus mous, des fois plus vulnérables, où les gens connaissent moins leurs droits, les employeurs ne sont pas au clair sur leurs obligations, etc., et on met ces expertises-là ensemble. Moi, je veux savoir, là, un meilleur programme de surveillance et d'inspection... Ne venez pas me dire que le système actuel est parfait, hein? Bon. O.K. Mais un meilleur...

Une voix: Pourrais-je parler de...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Non. Un instant, là. Chacun son tour.

Mme Lemieux: On a la chance d'en construire un à partir de ces expériences-là, on doit en faire un meilleur, qu'est-ce qu'il y a dedans? Qu'est-ce qu'il y a dans ce programme-là à votre avis? De quoi avez-vous besoin pour être rassuré?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Lemay.

(10 h 30)

Mme Lemay (Madeleine): C'est parce que, dans les questions et réponses que vous nous avez données, il n'y a rien qui nous a indiqué qu'est-ce qui était pour arriver après deux ans. Puis l'après deux ans, c'est ça... Là, pour le moment, il n'y a pas encore de problème, mais sauf que, au bout de deux ans, je pense que c'est un gros point d'interrogation parce qu'il n'y a rien encore. Je réponds à la question, là.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Moi, j'ai quelques personnes. Je ne sais pas s'il vous reste des questions, Mme la ministre, parce que j'ai M. le député de Chicoutimi qui m'a demandé aussi la parole. Excusez, Mme Crevier, est-ce que vous aviez un complément d'information à donner suite à la question de Mme la ministre?

Mme Crevier (Pauline): Peut-être quelques petites recommandations...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme Crevier.

Mme Crevier (Pauline): ...que je verrais justement après les deux années, là: nous croyons qu'il est indispensable de garder en fonction des inspecteurs, en tout cas, qui enquêtent sur les lieux de travail et en plus de nommer à chaque usine un représentant ou représentante des employés qui agirait en étroite collaboration avec eux – il y aurait meilleures communication et compréhension de l'état réel des choses, car qui de plus représentative qu'une personne directement impliquée dans son travail de tous les jours pour donner l'heure juste; que ces mêmes représentants travaillent à la préparation du rapport sur l'application de l'article 92 qui doit être présenté par vous, Mme Lemieux, au plus tard le 30 juin 2004; et que, à l'application de ces règlements modifiés, ces mêmes représentants des employés puissent vous exprimer, en toute liberté et sans crainte de représailles de leurs employeurs, tout manque à la justice à l'application des normes du travail; qu'aussi, si vous voulez modifier les décrets, d'en profiter pour les adapter aux réalités des années 2000, car, depuis 1994, le salaire minimum dans le secteur du vêtement pour hommes est à 8,40 $ de l'heure. Donc, ça ferait presque 10 ans qu'il n'y aurait pas eu de changements dans ça. En tout cas, c'est quelques petites recommandations que j'ai.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, Mme Crevier. Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Je m'excuse, Mme la Présidente. Je veux juste vous dire, Mme Crevier: J'entends vos suggestions concrètes, notamment au sujet de la surveillance, travailler avec les inspecteurs en place, identifier quelqu'un dans l'entreprise. Je pense que c'est des idées qu'il nous faut évaluer très sérieusement puis on va le faire. Et sachez qu'on ne développera pas ces programmes de surveillance en vase clos; on va le faire avec les gens du milieu. Je vous remercie de ces suggestions.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Je voulais aussi vous remercier, sans répéter ce qu'a dit la ministre, de votre mémoire. D'abord, d'avoir pris le temps, parce que ce n'est pas évident sur les heures de travail, le soir – j'imagine que vous avez des familles aussi – de réaliser ce mémoire-là. Nous, ça nous permet d'avoir la réalité concrète, ce que ça représente auprès des gens qui sont dans le milieu. Alors, je vous en remercie. Je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt.

Ce que j'ai aussi constaté, comme la ministre l'a dit, c'est les craintes que vous avez, parce que votre mémoire était beaucoup sous forme interrogative. Il y avait d'ailleurs plusieurs paragraphes qui se terminaient par une question. J'ai noté entre autres le respect des conditions du décret suite à l'abolition du comité paritaire. Il y avait aussi le versement des salaires et l'augmentation aux nouveaux employés, la perte de tout contrôle en ce qui a trait aux règles salariales – je pense que c'est ce qui animait – ainsi que le pouvoir des inspecteurs.

La ministre tantôt vous a fait état un peu des pouvoirs dont sont investis les inspecteurs de la Commission des normes du travail. J'imagine que ça a eu pour effet un peu de vous rassurer, dans le sens qu'ils peuvent effectivement inspecter... être proactifs de leur propre gré, donc un peu comme le faisait le comité paritaire.

Ce que je me demandais, et ce que je constate aussi: pour la période de deux ans, vous semblez rassurés, aussi les conditions qui vous être maintenues vous rassurent quant à vos conditions de travail, dans l'ensemble.

Une voix: ...

M. Bédard: Pour deux ans, c'est ça, mais pendant cette période-là vous être rassurés. C'est ça. Donc, c'est l'après. Et, vous, ce que vous nous dites, c'est qu'on a peur du vide. On ne veut pas qu'il n'y ait rien. Donc, ce que je voulais vous dire au départ, c'est que le gouvernement a un objectif de déréglementation et dans ce cas-là il le fait mais il le fait d'une façon, disons, temporisée. Il ne veut pas déréglementer au complet. C'est la volonté qui est exprimée, c'est important que vous le sachiez.

Donc, l'après, il y a un processus de consultation qui se met en branle pendant la période de deux ans pour voir de quelle façon on va arriver à un consensus au niveau des gens de l'industrie et des employés. Moi, je me demandais, comme vous n'êtes pas représentés... vous venez ici mais à titre personnel, j'imagine que vous avez consulté quand même les gens de votre milieu de travail avant de venir.

Une voix: ...

M. Bédard: Je suis convaincu qu'à l'heure du café vous avez discuté avec eux. Mais je me demandais, dans le processus qui va s'ensuivre, parce que, vous, c'est ça qui vous inquiète, c'est après la période de deux ans, de quelle façon vous allez pouvoir vous insérer dans ce processus de consultation là? Est-ce que vous y avez réfléchi? De quelle façon vous pourriez vous inclure dans ce processus-là de façon à regrouper un peu les gens qui sont pris comme vous, qui ne sont pas syndiqués, qui travaillent dans une entreprise et souvent qui ont des familles, que ce n'est pas évident de gérer ça sur son temps de travail? Parce que votre point de vue est essentiel, il est important mais il est essentiel. Alors, je me demandais si vous vous étiez arrêtés un peu à savoir de quelle façon vous pourriez vous ingérer dans... de faire des représentations finalement à la ministre pour après la période de deux ans? Parce que c'est ça qui vous inquiète.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors...

Une voix: ...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui. Excusez, c'est pour les besoins de la transcription. J'aimerais que vous vous identifiez ou en tout cas, à tout le moins, qu'on puisse vous identifier. Mme Crevier.

Mme Crevier (Pauline): Je peux vous dire en tout cas qu'on est appuyé par nos employeurs aujourd'hui. D'ailleurs, notre journée ici est payée...

Une voix: ...

Mme Crevier (Pauline): Oui.

Une voix: Par notre employeur.

Mme Crevier (Pauline): Notre employeur, oui. Puis on a adopté, nous, un programme de qualité en 1992, qualité à tous les niveaux, je veux dire, du produit, des services et de la main-d'oeuvre. D'ailleurs, M. Barmish, qui est le président de la compagnie, dit justement – je peux citer un peu: «Notre grande force, c'est la qualité de la main-d'oeuvre. Barmish doit son succès à de nombreux facteurs qui peuvent se résumer en une seule phrase: Derrière les choses, il y a des gens.» Disons qu'on n'est pas maltraité, sauf que... C'est sûr que ce n'est pas lui qui est à l'usine.

M. Bédard: Ça, je n'en ai même pas de doutes.

Mme Crevier (Pauline): Mais je pense que, si on voulait s'impliquer puis qu'il y avait des consultations, et tout, je ne crois pas qu'il y aurait de problèmes.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Chicoutimi, est-ce que vous aviez d'autres questions? J'ai d'autres intervenants aussi qui veulent poser des questions. Oui? Alors, M. le député de Gaspé.

M. Lelièvre: Merci, Mme la Présidente. J'avais une interrogation à la lecture de votre mémoire, parce que vous mentionniez à la deuxième page que l'employeur pourrait modifier les taux horaires et modifier également la rémunération à la pièce selon son avantage. Ça, c'est à la première page, ou deuxième page, dernier paragraphe. Comment pourrait-il faire ça si il y a des mécanismes de contrôle qui sont mis en place? Par exemple, vous dites: «Les nouveaux employés sans ou avec peu d'expérience se trouvent également protégés sous l'aile du comité paritaire.». Et là vous donnez l'exemple qu'un employeur pourrait modifier le salaire horaire jusqu'à ce qu'il atteigne les maximums.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Jacques.

Mme Jacques (Irène): Disons que, si on n'a pas le comité paritaire... Je ne sais pas qu'est-ce que les normes de la loi n° 47 nous dicteraient, là, mais présentement on sait que l'employeur, il est obligé de donner à un rythme assez régulier une augmentation de salaire jusqu'à temps qu'ils atteignent le salaire normal – progression, là – en dedans de deux ans. Ça veut dire que le nouvel employé, il reçoit le même salaire que nous, en fin de compte, en dedans de deux ans. Mais je ne sais pas si... Autrement, là, je ne sais pas comment vous allez procéder dans le projet de la loi n° 47 là-dessus.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Gaspé.

M. Lelièvre: Vous n'avez rien découvert dans le projet de loi qui vous permet de vous rassurer que le respect des conditions de travail, tant au niveau salarial ou à la pièce, avec la modification des... rémunéré selon les codes – il y a trois codes, C, D, E; à ce moment-là, vous n'avez pas d'assurance qu'on va respecter l'échelle progressive de salaire. C'est ça que je comprends?

Mme Jacques (Irène): Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Crevier.

Mme Crevier (Pauline): Moi, j'aimerais ajouter que... J'ai cru comprendre que vous demandiez: Comment est-ce qu'on pouvait ne pas respecter les salaires des employés? Bien, je pense que dans plusieurs entreprises on emploie des moyens détournés. Disons qu'on peut modifier la vitesse d'une machine et demander... réduire la vitesse, disons, et demander la même production, O.K., à l'employé. Donc, automatiquement le salaire baisse. Ou bien on peut demander une production supérieure en faisant un petit changement de méthode et en disant que ça améliore nos conditions, mais le salaire baisse. C'est des petites choses comme ça qui se passent. Écoutez, c'est sûr qu'ils ne prennent pas les moyens tout à fait directs pour en arriver là, mais ils regardent pour leur poche, disons, assez souvent.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme Jacques, vous vouliez ajouter quelque chose?

Mme Jacques (Irène): Madeleine, elle a eu des commentaires d'employés qui ont bien voulu qu'on apporte leurs petites...

Mme Lemay (Madeleine): Des lettres...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme Lemay.

Mme Lemay (Madeleine): Une parmi les lettres qu'on a reçues après avoir distribué les questions et réponses, là. «Le projet de loi n° 47 est pour une durée de deux ans. Que va-t-il se passer après deux ans?» Il n'y a pas rien que nous qui se posaient des questions; c'était tout l'ensemble en fin de compte.

(10 h 40)

«Comme vous le savez dans notre industrie, ce sont des femmes qui travaillent et des mères de famille, des mères célibataires. Et aussi comment peuvent-elles survivre avec un salaire minimum? Le coût de la vie augmente toujours. Vous expliquez que, si le projet de loi n° 47 est accepté, il y aura un seul taux horaire minimal de salaire sans échelle de progression. Que voulez-vous dire par là? Que nous pourrions ne jamais monter de salaire?

«Si on perd le comité paritaire, est-ce qu'obligatoirement le syndicat fera son entrée dans notre entreprise? Si on baisse de salaire, est-ce que les cadres et les autres qui ne sont pas ouvriers vont baisser eux aussi de salaire? Pourquoi voulez-vous baisser notre salaire? Il y a plein de gens qui vont en grève pour avoir un salaire plus gros que nous; nous, on ne vous a jamais fait ça. Si on se bat, c'est pour ne pas vivre dans la misère, est-ce un crime, Mme la ministre? Vous feriez pareil. Accepteriez-vous de travailler fort pour le salaire minimum comme on fait à l'heure actuelle?»

Ça, c'est des cris d'alarme qu'on a, là, présentement, un peu partout, ici. Puis je ne sais pas si je peux lire, moi aussi, mon commentaire que j'ai amené ici, là. Ça serait peut-être le temps de le lire aussi.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Il vous reste moins de temps. On va continuer tantôt. Ça fait que...

Mme Lemay (Madeleine): O.K., c'est beau.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, un dernier commentaire, Mme la ministre. Il reste à peu près une minute pour les membres de votre formation politique.

Mme Lemieux: Bien, écoutez, ce que je retiens de votre participation, c'est beaucoup d'inquiétudes. Moi, je vais essayer – je vous invite vraiment à suivre la suite des choses – que les choses soient le plus au clair possible. Je comprends que vous ayez des inquiétudes sur l'après, hein, qu'est-ce qui va se passer au bout de deux ans. Il faut que vous soyez assurés, parce que c'est ça, le processus qui est prévu, c'est que pour déterminer ces nouvelles normes, ça ne sera pas en vase clos, ça va se faire avec des gens – puis je vais parler au cours de la journée, je vais poser des questions à des gens aussi là-dessus – des gens représentatifs du secteur de l'industrie du vêtement. Voilà. Puis je vous remercie de votre participation. J'ai bien enregistré vos préoccupations.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, Mme la Présidente. Bonjour, mesdames. Il me fait plaisir de vous accueillir et très plaisir de voir que votre mémoire ait pu se rendre à cette commission, car j'avais reçu une lettre de vous, et mon collègue député d'Orford, M. Robert Benoit, était intervenu auprès de moi et auprès de cette commission, Mme Nancy Ford, afin que vous puissiez être entendues et que votre mémoire soit reçu. Et c'était dans le milieu du mois d'août, si je me souviens bien. Alors, je suis très heureux de voir que suite a été donnée, et, en plus de ça, que vous soyez les premières à venir témoigner devant nous. Parce que, ma foi... Voyez-vous, quand on décide de se faire entendre et qu'on prend ses choses en main soi-même, eh bien, normalement le système doit donner suite et faire en sorte que ça se passe comme ça. Alors, je suis très content.

Votre mémoire d'abord est empreint d'une certaine humanité. On est dans les chiffres, on est dans la compétition internationale, on est dans le double assujettissement, dans les 8 000 emplois puis, vous, là, vous arrivez en premier puis vous dites: Wo! Un instant les gars, un instant les petits messieurs, les petites dames à Québec puis dans les grands bureaux; nous autres, là, c'est de nous que vous allez parler, c'est de notre job que vous allez parler, c'est de notre gagne-pain – le mot que vous avez employé – que vous allez traiter, alors écoutez-nous donc un peu.

Vous avez employé aussi quelques images. Vous avez dit à la ministre: Vous créez 8 000 emplois, rien n'est prouvé de créer 8 000 emplois. Vous avez dit aussi: Vous voulez défaire ce que nous avons déjà puis le rebâtir, le refaire ailleurs. En effet, on veut défaire ce que vous avez, prendre le personnel puis l'envoyer au gouvernement. C'est-à-dire qu'on prend vos inspecteurs puis le monde qui vient avec puis on dit: Maintenant, tu es dans la fonction publique, tu n'es plus dans le comité paritaire puis tu vas aller travailler là-bas. Vous posez la question: À quoi ça sert? C'est la question que le bon citoyen, simple... pas simple, que le citoyen normal se pose. Pourquoi défaire quelque chose quand ça fait votre affaire à vous pour l'envoyer ailleurs alors qu'on sait très bien que tout ce qui tombe dans le gouvernement et dans l'organisation gouvernementale devient lourd, compliqué, plus onéreux bien souvent à gérer, hein, et bien souvent moins efficace? C'est la question que vous posez.

Et là à la fin, vous êtes arrivé quasiment à la fin de votre mémoire, vous avez enfoncé un clou qui m'a frappé. Et je l'avais... En lisant les mémoires, j'avais... Je les ai lus, mais dit ici ça m'a frappé encore plus. En plus de l'argument de la création d'emplois, de 8 000 emplois qui nous avait été amené, envoyé pour justifier cette opération de démantèlement entreprise par la ministre, il nous avait été dit: Ça nuit à la compétition, on a des difficultés à garder nos marchés. Donc, il faut aider cette entreprise. Et j'en suis, moi, je suis là pour aider les entreprises, parce qui aide les entreprises, ça aide les travailleurs. Il y a un double assujettissement là-dedans, ce n'est pas facile à travailler. Puis, moi, je m'étais laissé un peu aussi influencer par ça puis ça faisait partie de ma réflexion.

Et là vous nous dites, et je vais vous lire: «Or, nous croyons que ces promesses – vous parlez des promesses... – ne sont que de l'air. En réalité, malgré les décrets, les fabricants de vêtements se sont spécialisés: un fabricant de jeans fabrique des jeans, un fabricant de pantalons habillés produit des pantalons habillés et ne fait que ça.» Et là vous allez plus pointu: «De plus, tout le monde sait dans l'industrie du vêtement que deux décrets ne seront jamais appliqués en même temps dans une même compagnie, et, par entente avec le comité paritaire, c'est la règle de la production prépondérante qui s'applique.»

Moi, j'aimerais beaucoup qu'on prenne un 10 minutes pour nous expliquer ça, parce que, si je comprends bien ce qui est écrit, vous êtes en train de nous démontrer que certains arguments qui nous ont été servis sont des arguments qui ne tiennent plus, ou qui peut-être existaient avant mais qui aujourd'hui sont simplement du domaine de l'imaginaire ou de la marginalité, peut-être. J'aimerais ça peut-être que vous nous expliquiez comment ça se passe dans la vraie vie, une manufacture, là, deux, trois productions. Puis c'est-u vrai qu'on applique deux, trois décrets, 20 minutes un décret et, une autre partie de la journée, un autre décret, puis que c'est compliqué, il faut faire des paperasses supplémentaires puis des salaires supplémentaires? Parce que c'est à peu près ça qu'on dit, hein? Vous, vous dites non. Expliquez donc ça aux députés puis aux gens qui nous écoutent. C'est vous là...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Crevier.

M. Gobé: ...si vous voulez, bien sûr.

Mme Crevier (Pauline): Moi, en tout cas, je pense que ce n'est pas faisable à moins que les gens, les entrepreneurs aient une très petite production. Parce que, nous, un exemple, nous sommes quand même presque 200 employés, ça prend un grand espace seulement pour faire des pantalons pour hommes. Donc, je me disais: Comment peuvent-ils... Sauf s'ils achètent peut-être un espace aussi grand qu'un centre d'achats, et encore là, je veux dire, c'est presque impensable parce qu'ils ne commenceront pas à mettre des machines côte à côte qui vont fabriquer des vêtements pour hommes, des vêtements d'enfants. Je veux dire, ça ne sera plus du travail à la chaîne. Peut-être qu'ils peuvent le faire faire par contre à domicile.

Une voix: À domicile, oui, des sous-traitants.

Mme Crevier (Pauline): À ce moment-là, je ne le sais pas, mais, moi, je ne vois pas possible cette façon de faire.

M. Gobé: Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Si je comprends bien, d'un point de vue strictement organisation du travail, dans les unités de production moyennes et grandes, ce n'est pas réalisable?

Mme Crevier (Pauline): Bien non.

M. Gobé: Donc, cet argument ne tient pas pour ce genre d'industrie...

Mme Crevier (Pauline): Mais ça...

M. Gobé: ...d'activité, d'entreprise. Bon.

Maintenant, on rentre dans les petites entreprises, plus petites, d'accord, peut-être plus amenées à faire preuve de plus de souplesse. Et là vous parlez de la règle de la production prépondérante qui s'applique par entente avec les comités paritaires. C'est quoi, cette règle-là? Est-ce que vous êtes en train de nous dire que les comités paritaires acceptent qu'à l'occasion des employés fassent une certaine production, sans changer leurs tarifs ou leurs conditions, qui n'est pas dans leur champ d'application? Parce que c'est ça que vous marquez, hein?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme Crevier.

Mme Crevier (Pauline): C'est un peu ce qu'on...

M. Gobé: «Et par entente avec les comités paritaires, c'est la règle de la production prépondérante qui s'applique». C'est dans votre mémoire.

Mme Crevier (Pauline): Oui, oui, oui, c'est écrit ça.

M. Gobé: C'est ça que j'aimerais ça que vous m'expliquiez, là.

Mme Crevier (Pauline): Je l'ai lu, mais ce n'est pas moi qui l'ai composé. Je pense que je serais mieux de laisser répondre Mme Jacques.

Mme Jacques (Irène): Bien, disons que, moi, personnellement, je me dis, comme elle expliquait, là, je ne vois pas comment on peut arriver dans une usine, là, on va fabriquer du vêtement pour femmes puis on va fabriquer par le même employeur, dans la même industrie, là...

Mme Lemay (Madeleine): Bien, moi, je vais... Est-ce que je peux répondre?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui.

(10 h 50)

Mme Lemay (Madeleine): Nous autres, à l'heure actuelle, on fait le pantalon de haute gamme. Déjà, il rentre beaucoup de machines plus sophistiquées que d'ordinaire pour répondre à la clientèle. Et puis je pense qu'on n'a pas besoin d'avoir d'autres produits pour arriver à fonctionner parce que déjà notre produit est de haute gamme, puis qu'on est quand même, nous autres, on est rendu... moi, je me considère asteur rendue une professionnelle pour arriver à faire un produit comme tel. Puis on connaît aussi qu'est-ce qui se passe de plus en plus dans l'industrie par rapport que, de plus en plus, ils sont conscients de la qualité du pantalon, et il rentre en tout cas de plus en plus des grosses machines qui viennent des autres pays, de l'Allemagne, un peu partout.

Ça fait que je pense que déjà, dans notre industrie à nous autres, du vêtement pour hommes, on vient ici justement pour garder un salaire moyen, pas arriver... Parce qu'ils disent bien ici, si on lit dans les réponses et questions, c'est... Attendez un petit peu, j'ai perdu ma feuille. L'as-tu, toi, ta feuille?

Une voix: C'est à la page 3

Mme Lemay (Madeleine): La page 3. O.K. Quand ils nous disent qu'on serait toutes sur le même pied d'égalité, c'est ça qui nous rend quand même un peu... «Il y aura un seul taux horaire minimal du salaire sans échelle de progression, sans référence à aucune catégorie d'emplois.» Puis «l'application de ce changement s'effectuera après la période de la transition».

Ça veut-u dire que, moi, la femme qui a travaillé pendant 26 ans, je m'en irais au salaire minimum après que j'ai quand même bâti un salaire jour après jour, à la sueur, puis que je m'en irais au même salaire que les jeunes qui rentrent? Moi, je dis: Bonjour! Salue! C'est fini! Et pourtant je suis une qualifiée de la couture, puis ça nuirait à la compagnie, ça, c'est sûr.

Je ne dis pas que je suis indispensable, mais, s'il en rentre d'autres, des jeunes, comment ça peut prendre du temps avant qu'ils peuvent prendre l'expérience de nous qu'est-ce qu'on... ça nous a pris à peu près de 17 à 20 mois pour apprendre vraiment à performer la méthode qu'ils nous demandent pour faire le pantalon pour hommes.

Je pense que c'est vraiment du professionnalisme, qu'est-ce qu'on fait à l'heure actuelle, puis je demande et je veux dire à Mme Lemieux qu'on a besoin d'avoir un salaire équitable pour nous pour nous encourager à travailler dans une ambiance qui est quand même... vraiment, le plaisir d'aller travailler, d'aller faire le vêtement pour hommes. C'est ça que je veux.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Madame, ça fait combien d'années que vous travaillez dans le domaine du vêtement?

Mme Lemay (Madeleine): Ça fait 26 ans, monsieur.

M. Gobé: Ça fait 26 ans?

Mme Lemay (Madeleine): Oui, M. le député de LaFontaine. Au début, j'étais fière d'aller travailler parce qu'on montait notre salaire puis on le faisait... Parce qu'on n'a même pas le droit de... si on va aux toilettes le moindrement, on perd du temps. On est toujours assidu, assidu à une qualité, puis le moindrement qu'on monte un peu de salaire, ils nous trouvent toujours une petite niaiserie pour baisser notre salaire. Bien, c'est ça aujourd'hui que je viens ici défendre.

M. Gobé: Parlez-nous de vos conditions de travail un peu. Comment ça se passe sur une chaîne de travail?

Mme Lemay (Madeleine): En général...

M. Gobé: Comment vous vivez ça, vous?

Mme Lemay (Madeleine): Pardon?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Lemay.

M. Gobé: Comment vous vivez ça?

Mme Lemay (Madeleine): Bien, à l'heure actuelle, c'est très stressant. Parce que déjà on a un nouveau contrat qui s'en vient. Je ne nommerai pas la marque, là, mais il va y avoir à peu près trois à quatre opérations de plus à faire sur la même braguette droite. Est-ce qu'on va avoir le salaire équitable quand on est rendu là? On se pose encore des questions. Puis, si d'ici deux ans ils nous baissent encore au salaire minimal, où vous pensez qu'on s'en va? Au seuil de la pauvreté tout simplement. Puis c'est ça qu'on dit non. Moi, je viens crier non aujourd'hui. Puis au nom des femmes qui ont peur, ont peur de pouvoir parler ou qui n'ont pas le don de la parole, comme on pourrait dire, je viens ici réveiller les femmes du Québec. Réveillez-vous! On a un métier dans les mains, des couturières.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Quand vous travaillez... dans une journée, vous faites huit heures par jour?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Lemay.

Mme Lemay (Madeleine): On fait huit heures par jour.

M. Gobé: Huit heures.

Mme Lemay (Madeleine): Huit heures et demie, mais...

M. Gobé: Est-ce que...

Mme Lemay (Madeleine): C'est 40 heures par semaine qu'on fait, 39 heures, c'est-à-dire.

M. Gobé: C'est 39 heures.

Mme Lemay (Madeleine): Oui.

M. Gobé: Est-ce que vous travaillez... Avez-vous des périodes de pause dans lesquelles vous bougez, dans lesquelles vous pouvez aller prendre l'air ou est-ce que vous êtes assises toute la journée sur vos machines?

Mme Lemay (Madeleine): Non, non, on prend de l'air. On s'en va dehors puis...

M. Gobé: Les conditions de travail, je veux dire, est-ce que vous craignez qu'elles deviennent moins plaisantes ou plus contraignantes advenant l'abolition des décrets, plus rigides?

Mme Lemay (Madeleine): Il y a présentement vraiment beaucoup de questions qui se posent à l'heure actuelle par rapport à tout ce qui se passe dans l'industrie du vêtement. Il y a beaucoup de stress maintenant. Qu'est-ce qui va se passer au bout de deux ans? Parce qu'on a vécu quand même une baisse de salaire qui était très importante. J'ai ici les taux aussi qu'on a parti... Le 24 mars... Attendez un petit peu, ça ne sera pas long, je vais me retrouver. On a parti à 10 $ et quelque chose et puis on est rendu à 7,91 $. On a baissé presque de 1 $ dans l'espace d'une semaine. Ça veut dire qu'on faisait peut-être un tel montant d'argent puis 40 $ de moins sur notre paie du jour au lendemain. Ça fait mal. Il y a un budget. Il y a le loyer, il y a toutes sortes de choses qui montent puis nos salaires baissent.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Dans le mémoire qui a été présenté par Mme la ministre au Conseil des ministres, lorsqu'elle a présenté le projet – je le mentionnais dans mon intervention tout à l'heure – elle dit: Une étude d'impact économique du présent projet a été réalisée, bon, dans le but de mesurer les effets de l'application des normes du travail proposées du décret sur l'industrie de la confection pour hommes aux autres secteurs d'activité visés par un décret. De façon globale, aucune hausse des coûts n'en résulte au cours de la période de transition. Bien au contraire l'application des conditions envisagées a pour impact de diminuer d'au moins 2 % à l'égard des entreprises non syndiquées le coût global de la main-d'oeuvre pour les secteurs du vêtement pour hommes, de la chemise, du gant de cuir et de maintenir au même niveau le coût pour le secteur pour dames.

Est-ce qu'on doit comprendre de cela que, selon les études du gouvernement, on aurait un autre 2 % de votre salaire minimum, d'au moins, qui baisserait?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Lemay.

Mme Lemay (Madeleine): Je n'ai pas tout à fait compris. Je ne sais pas si Pauline a compris là.

M. Gobé: Elle dit: De façon globale, aucune hausse des coûts ne résulte de passer la loi. Bien au contraire l'application des conditions envisagées, donc de ce qui va arriver là, si ça ne change pas...

Mme Lemay (Madeleine): C'est l'industrie de la femme, ça.

M. Gobé: ...voilà...

Mme Lemay (Madeleine): O.K.

M. Gobé: ...le coût global de la main-d'oeuvre pour les secteurs des vêtements pour hommes – ça, c'est vous? –...

Mme Lemay (Madeleine): Oui.

M. Gobé: ...de la chemise et du gant de cuir va diminuer d'au moins 2 %.

Mme Jacques (Irène): Hein? On va baisser de salaire encore?

M. Gobé: C'est ce que Mme la ministre a dit dans le mémoire qu'elle a présenté au Conseil des ministres lorsqu'elle a présenté son projet de loi. Je l'ai ici. Je pourrais vous donner une copie – c'est peut-être d'ordre public maintenant que je l'ai mentionné, là. Est-ce que vous trouvez que c'est dans cette direction-là qu'on doit aller pour relancer l'industrie?

Des voix: Non.

Une voix: Parce que j'ai justement quelque chose là-dessus, là.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Excusez, là. Mme Lemay.

Mme Lemay (Madeleine): Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Est-ce que c'est vous qui prenez la parole?

Mme Lemay (Madeleine): Oui.

M. Gobé: Avez-vous des propositions, vous, autres que baisser le salaire pour faire marcher votre industrie, pour la rendre compétitive?

Mme Lemay (Madeleine): Mme la ministre, le projet de loi n° 47, on ne retrouve à nulle part le type de contrôle et les pouvoirs qui seront attribués aux inspecteurs qui verront à l'application de la loi, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui par le comité paritaire – exemple: feuilles mensuelles de paie, inspection préventive dans les usines. Nous doutons de l'efficacité de la Commission des normes du travail qui, elle, ne s'occupe que des plaintes reçues. Dans notre industrie, les salariés ont peur de faire des plaintes, car, même si notre revenu est peu élevé, nous voulons continuer de travailler. Quand les employeurs prétendent qu'il faut déréglementer l'industrie du vêtement et que ça va créer des jobs par millier, Mme la ministre, ce n'est pas vrai, puis ce n'est pas vrai.

Vous savez très bien, Mme la ministre, que l'industrie du vêtement se porte déjà très, très bien depuis quelques années et que c'est une championne d'exportations. D'ailleurs, M. Landry, le ministre des Finances, le sait très bien, que les exportations vers les États-Unis ont augmenté de 300 % à 400 % au cours des dernières années. Imaginez donc, dire qu'on va créer des milliers de jobs? Mme la ministre, vous voulez les créer à des salaires de misère qui se rapprochent dangereusement de ceux en Asie ou au Mexique. Nous croyons que c'est votre intention en abolissant les décrets de l'industrie du vêtement.

Mme la ministre, savez-vous qu'une opératrice de machine à coudre dans l'industrie du vêtement pour hommes gagne 8,40 $ de l'heure comme taux minimal? C'est ce 8,40 $ minimum qui est dessous le seuil de la pauvreté. Que vous vouliez nous l'enlever, nous vous disons non. Votre projet de loi protège ce taux minimal que pour deux ans. Qu'arrive-t-il après? Personne ne le sait, mais nous sommes inquiets devant cette incertitude de la part du gouvernement.

Mme la ministre, saviez-vous que, dans les jeans, 5 000 à 6 000 employés, la majorité des femmes, confectionnent des jeans? Nous en connaissons des centaines. Tout près de chez nous à Sherbrooke, il y a une grosse compagnie – je ne nommerai pas le nom, mais je pense que tout le monde le sait – le taux horaire minimal est de 7,35 $. Le taux minimal du salaire au Québec, c'est 6,90 $.

(11 heures)

Mme la ministre, il ne faut pas exagérer. Quels bénéfices tireriez-vous en abolissant les décrets dans l'industrie du vêtement et en nous laissant en proie aux employeurs? C'est un salaire qu'on s'est bâti avec le temps en suant à tous les jours depuis des années.

Moi, Mme la ministre, je suis couturière depuis 26 ans dans l'industrie du vêtement pour hommes et j'ai connu et subi des baisses de salaire par le passé. Mais, avec l'abolition des décrets, il y a une autre baisse de salaire prévisible. Moi, je vous dis: Bonsoir, je m'en vais. Moi qui suis une professionnelle dans mon domaine et qui donne à mon employeur une qualité de travail certaine dans la fabrication du pantalon de haut de gamme, je vous dis: Votre projet de loi, qui va en souffrir? Eh bien, c'est toute l'industrie, tant dans la qualité que dans les conditions de vie. Je vous le répète, dans une industrie où on est payé et à la pièce et au taux horaire, des professionnelles comme moi doivent, pour se sortir un salaire modeste, coudre environ 1 200 à 1 300 pantalons par jour. Nous avons la certitude qu'avec l'abolition des décrets nous allons perdre ce que des années de travail nous ont permis d'acquérir.

En terminant, Mme la ministre, vous êtes supposée être une bagarreuse contre l'injustice faite aux femmes. Comment avez-vous le culot de présenter un projet de loi qui va à l'encontre du bien-être de la femme québécoise travaillant dans l'industrie du vêtement? Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de LaFontaine, avez-vous d'autres questions?

M. Gobé: Oui. D'abord, j'apprécie les remarques finales puis les suggestions que vous faites et j'espère que les membres de cette commission prennent bonne note de ce que vous dites.

Mme Lemay (Madeleine): J'espère.

M. Gobé: Si le projet de loi – et on va souhaiter que ça n'arrive pas là – était adopté tel que la ministre veut le faire adopter, vous seriez sous le régime de la Commission des normes du Québec, donc vous seriez assujetties au salaire minimum. Vous avez pu voir ce matin, dans les médias, on parle partout que la ministre n'a pas encore réfléchi, elle n'est pas décidée si on augmente de 0,05 $ ou pas le salaire de ces travailleurs et travailleuses. Bien souvent, c'est des travailleuses, hein.

Ça veut dire que, quand même vous travailleriez, vous mettriez votre sang et votre âme là-dedans, eh bien, votre salaire dépendrait du bon vouloir politique et des pressions politiques de Mme la ministre. Et, lorsqu'on sait que, dans votre industrie, les petites entreprises sont très nombreuses, on parle de 60 % de cinq et moins, ça serait donc le seul recours que vous auriez, c'est d'attendre une augmentation du salaire par la ministre du Travail à tous les mois d'octobre, comme il se faisait. Elle l'a gelé pour cette année, c'est ce qui est écrit dans les journaux. Là, il me ferait plaisir qu'elle annonce maintenant qu'elle va le dégeler. Pour les dizaines de milliers de travailleurs qui l'apprendraient demain, je pense que ça serait une très bonne nouvelle. Il y a au moins quelque chose qui dégèlerait dans un de ces ministères.

Mais est-ce que vous trouvez que ça serait une mesure intéressante pour attirer – parce qu'on a une pénurie de main-d'oeuvre – des nouvelles travailleuses dans ce domaine d'industrie, en région en particulier où on sait que c'est peut-être, des fois, les seules industries qui font vivre les petites villes, les petits villages ou alors est-ce qu'on ne risque pas, avec ce genre de salaires là et de situations, de se retrouver avec des industries situées dans les grands centres urbains avec une main-d'oeuvre immigrante ne parlant ni français ni anglais, venant juste d'arriver, comme réfugié ou autre, et qui n'aurait d'autre choix que d'accepter? Comment vous voyez ça, vous?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Jacques.

Mme Jacques (Irène): Ce n'est sûrement pas, en tout cas, en nous proposant des baisses de salaire... Parce que, là, moi, rendue à mon âge, je trouve que... Quand je pense aux jeunes qui commencent puis qui sont monoparentales, puis, quand tu regardes ça venir, là, tu ne restes pas assis sur ton derrière, là, tu te lèves puis... En tout cas, moi, c'est ça qui m'a motivée, là. Parce que, moi, je n'en ai plus pour des années à travailler, mais, quand je pense à ces jeunes mères là qui... Ce n'est pas en baissant le salaire qu'elles vont faire... Parce que les jeunes, elles rentrent, mais il y en a beaucoup qui partent parce que ce n'est pas suffisant, le salaire qu'elles ont. Ça fait que ce n'est sûrement en baissant de salaire. Je pense que, pour moi, ça devient dégradant, là, de voir ce qu'on peut nous faire subir. En tout cas...

Mme Lemay (Madeleine): C'est choquant. C'est choquant parce que...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme Lemay.

Mme Lemay (Madeleine): ...nous autres, ça a pris beaucoup de temps avant qu'on ait quand même un salaire moyen. À force de répéter et répéter toujours la même opération, on est devenues quand même très, très professionnelles dans notre... Mais la petite jeune qui rentre aujourd'hui, elle a de la misère à... Puis, bien souvent, elles ont un loyer à payer, elles ont plein d'affaires. Elles rentrent au salaire minimum. Quand elles savent la job, il faut qu'ils la changent pour une autre, parce que, déjà, elles ont appris une job. C'est: Elle est trop bonne, on la met ailleurs, on la met ailleurs, on la met ailleurs.

Moi, je trouve que ce n'est vraiment pas... Moi, je ne voudrais pas être jeune aujourd'hui. Je suis contente d'être rendue au point... parce que, si ça s'en vient comme ça, c'est bien de valeur, je ne pourrai pas rester, moi non plus, à travailler. J'ai travaillé jour après jour, j'étais là assidûment tous les jours pour élever mes enfants. J'ai été une mère monoparentale moi aussi, puis je le sais, c'est quoi. Puis je pense qu'il faudrait aller à un salaire moyen selon l'année, l'an 2000, tout simplement. On ne demande pas le salaire des infirmières, là, on demande un salaire quand même au-dessus du seuil de pauvreté, tout simplement.

M. Gobé: Si je comprends bien, en terminant, Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, il reste quelques secondes, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: ...contrairement aux prétentions qui peuvent être amenées à l'effet qu'une baisse de salaire pourrait encourager l'industrie, nous pourrions nous retrouver avec une industrie connaissant de grandes difficultés, comme certains secteurs actuellement au Québec, du fait d'une incapacité de recruter du personnel qualifié parce que les conditions de travail et les salaires vont être tellement, comme vous dites, dérisoires et si peu intéressants, les conditions étant difficiles, que les industries vont se déplacer et non pas cette fois-ci à cause des coûts qu'elles invoquent, mais pour la vraie réalité qui va être le problème de recruter du personnel.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je m'excuse...

M. Gobé: C'est ça que vous dites, là?

Mme Lemay (Madeleine): ...des filles qui ne voulaient pas rester parce qu'elles travaillent trop fort déjà en partant parce que le salaire est au minimum et puis... C'est terminé?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui. Je suis désolée, madame, mais c'est malheureusement notre temps qui est le temps qui nous a été imparti. C'est terminé. Puis je sais qu'il y a d'autres groupes qui attendent aussi pour passer. Alors, je vous remercie de votre présence ici, à la commission. Si vous permettez, pendant que les groupes vont changer de place, je vais suspendre les travaux pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 7)

(Reprise à 11 h 10)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, mesdames et messieurs, la commission va maintenant reprendre ses travaux. Nous avons avec nous l'Institut des manufacturiers du vêtement du Québec. Alors, j'aimerais que le porte-parole s'identifie et nous présente les membres de son groupe qui l'accompagnent. Qui est le porte-parole?


Institut des manufacturiers du vêtement du Québec (IMVQ)

M. Lapierre (Claude): Mon nom est Claude Lapierre de l'Institut des manufacturiers du vêtement du Québec et aussi de la firme Claudel Lingerie. À ma droite, vous avez M. Alvin Segal, qui est le président de l'Association des manufacturiers de vêtements hommes, qui est le président de Peerless Clothing et qui est aussi le vice-président de l'Institut des manufacturiers du Québec; M. David Balinsky, qui est le représentant aussi de l'Association des manufacturiers de vêtements hommes; et, à ma droite, Me Louise Béchamp, qui est conseillère juridique auprès de l'industrie, et Agar Grinberg, qui est aussi la directrice à l'Institut des manufacturiers du vêtement du Québec.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je vous remercie, M. Lapierre. Vous savez que vous avez 20 minutes qui vous sont allouées, à votre groupe, pour présenter votre mémoire. Par la suite, les membres de la commission auront chacun 20 minutes, pour chaque groupe parlementaire, pour échanger avec vous. Alors, si vous voulez y aller, c'est bien, monsieur.

M. Lapierre (Claude): Merci, Mme la Présidente. Mmes, MM. les membres de la commission, Mme la ministre. L'Institut des manufacturiers du vêtement du Québec vient vous présenter aujourd'hui sa position concernant le projet de loi n° 47. Nous n'entendons pas reprendre la lecture du mémoire, mais souhaitons cependant en particulier en articuler les principaux éléments et répondre ensuite aux questions que vous pourriez avoir concernant notre position.

Qui représentons-nous? Je pense que c'est important de le noter. Nous venons aujourd'hui vous livrer la position de plusieurs regroupements d'associations patronales présentes dans la plupart des décrets des industries de l'habillement que vous examinez aujourd'hui. De façon générale, ce mémoire vous est présenté au nom de l'Institut qui regroupe des manufacturiers de tous les secteurs.

Les associations suivantes sont toutes solidaires et signataires à notre proposition: l'Association des entrepreneurs en couture du Québec qui représente, qui regroupe la vaste majorité des entrepreneurs en couture pour dames et pour hommes, et qui vont présenter aussi un peu plus tard leur mémoire; l'Association des manufacturiers de la mode enfantine; l'Association des manufacturiers de sous-vêtements. De façon spécifique dans le décret de l'industrie de la confection pour hommes, se joignent également à la présentation que nous vous faisons l'Association des manufacturiers de vêtements pour hommes, Les Manufacturiers associés du vêtement de la province de Québec, l'Association des entrepreneurs en confection de Montréal, l'Association des manufacturiers et contracteurs en jeans du Québec, l'Association des fabricants de vêtements imperméables et de vêtements sport, l'Association des fabricants de vêtements d'extérieur pour enfants et le Conseil du patronat des fabricants de pantelons non assortis du Québec. Enfin, notre présentation a aussi le support et l'appui de la Guilde des manufacturiers de vêtements de mode du Québec qui est la partie patronale contractante dans l'administration du décret sur l'industrie de la confection pour dames.

On ne peut bien sûr exclure que des employeurs expriment des opinions personnelles différentes, mais nous souhaitons tout de même préciser que, dans l'ensemble, la position que nous vous exprimons a reçu l'approbation de l'association qui emploie la vaste majorité et tout près de 90 % des employés du vêtement du Québec. L'existence de ce consensus, c'est très important. Il diffère peut-être des présentations qui ont été faites il y a peut-être sept, huit années en d'autres commissions parlementaires. Le consensus établi est le plus haut consensus réussi dans l'industrie du vêtement face au problème des décrets. C'est l'ensemble de l'industrie qui a développé le consensus de questionnement nécessaire pour vous demander aujourd'hui l'abolition des décrets dans le secteur du vêtement.

L'industrie n'est d'ailleurs pas seule dans ce consensus. Lors du Sommet sur l'économie et de l'emploi en 1996 présidé par le premier ministre, les autorités gouvernementales avaient elles-mêmes tiré un certain nombre de conclusions et annoncé que les quatre décrets seraient abrogés rapidement après le Sommet. Le rapport Lemaire, du nom du président du Groupe conseil sur l'allégement réglementaire, au premier ministre du Québec avait également recommandé l'abrogation du régime des décrets dans l'industrie du vêtement, se joignant ainsi au consensus développé dans l'industrie.

Nous tenons à remercier le ministère de l'Industrie et du Commerce ainsi que le Secrétariat à la déréglementation exécutif pour leur collaboration dans les différentes discussions qui ont eu lieu avec les représentants du gouvernement pour expliquer la position de l'industrie sur cette question. Aussi, nous remercions le ministère du Travail qui a travaillé très ouvertement avec notre industrie dans ce dossier.

Le consensus dont on fait état existe pour des raisons claires qui reposent sur les conditions de l'industrie qu'ont pu constater l'ensemble des intervenants. La mondialisation grandissante des industries du vêtement les oblige maintenant à rencontrer des normes de flexibilité beaucoup plus importantes pour pouvoir compétitionner tant sur le marché local que sur celui des exportations. Au nombre des facteurs importants qui influencent cette flexibilité, mentionnons le coût des matières premières, le taux de change, les coûts de la main-d'oeuvre, les conditions d'opération et le mode de négociation avec les employés.

Il va de soi que, lorsqu'on parle de flexibilité, on ne parle pas évidemment de conditions qui prévalent au tiers-monde ou dans des pays en voie de développement; nous parlons simplement de conditions existantes chez nos voisins immédiats, ici et en Amérique du Nord. Le Québec est la seule province où l'on retrouve un régime de décrets de convention collective. De fait, dans les autres provinces canadiennes et dans les États américains voisins du Québec, les conditions de travail des employés du vêtement sont régies soit par une convention collective ou par des lois d'application universelle. Il s'agit là d'une constatation importante dans un contexte où le libre-échange a permis une libre circulation quasi totale des produits de l'industrie d'un pays à l'autre, où les méthodes de commercialisation ont grandement facilité les échanges entre les provinces.

La flexibilité qui rend nécessaire l'abolition des décrets se manifeste à plusieurs niveaux. D'une part, elle doit se refléter au niveau du contenu même des ententes de travail prévalant dans les entreprises. D'autre part, cette flexibilité doit également se refléter dans le processus de négociation des conditions de travail. Les entreprises doivent être capables de s'adapter avec leurs employés ou leurs syndicats individuellement et non par secteurs entiers d'activité.

L'évolution de l'industrie du vêtement a rendu nécessaire de revenir à la méthode normale de négociation par entreprise notamment parce que sa production et ses marchés peuvent varier de façon très importante et très rapidement. Lorsqu'on a à penser, dans le vêtement pour dames, à la fréquence des changements majeurs de matériaux, de couleurs, de styles des vêtements, qui entraînent tout autant d'adaptation aux méthodes de production, que ce soit par modulaire, par types d'opérations, vêtements au complet, travail à la pièce, «progress bundle system», le juste-à-temps sont tous des systèmes différents de production utilisés dans différentes usines, qui demandent une flexibilité beaucoup plus grande.

Le consensus sur l'abolition des décrets existe parce que ceux-ci imposent des contraintes administratives et des contraintes de production excessives aux entreprises. L'imposition de la classe d'emploi uniforme pour toutes les entreprises dans tout un secteur d'activité est un obstacle important à la polyvalence des salariés et à l'innovation tant technologique que des méthodes de travail. Nous estimons qu'elle pose un frein à la formation efficace de la main-d'oeuvre ainsi qu'à l'investissement dans l'équipement sophistiqué qui exige maintenant des employés beaucoup plus polyvalents mais que n'auraient pas nécessairement en tête les parties contractantes aux décrets.

(11 h 20)

De même, l'imposition, dans une même usine, à l'égard des salariés différents de deux ou trois normes différentes selon la production qu'ils effectuent entraîne aussi un fardeau administratif ainsi que des contraintes faciles à imaginer. L'on peut penser, dans la même usine, à des employés assignés à des tâches couvertes par des décrets pour hommes, à d'autres couvertes par le décret de la confection pour dames et enfin à certaines tâches assujetties. On retrouvera alors, compte tenu des différences de régime de travail, peut-être des listes de paie différentes à l'intérieur d'une même usine, des taux de cotisation différents, des taux de salaire différents, ce qui crée de la dissension, des régimes de congé peut-être différents aussi, des horaires de travail qui ne correspondent pas à tous les endroits. On peut difficilement voir comment de telles distinctions permettent une utilisation rationnelle de la main-d'oeuvre dans l'entreprise et améliorent sa situation concurrentielle.

Enfin, dans le contexte spécifique de l'industrie de la confection pour dames, le consensus pour l'abolition du décret se justifie en plus par la faible représentativité de la convention collective qui sert de fondement au décret. En effet, les entreprises syndiquées composent moins de 10 % de la main-d'oeuvre dans ce secteur. Il s'ensuit donc que la convention négociée pour ces 10 % d'employés est ensuite extensionnée au 90 % restant.

Le maintien des décrets est aussi un frein au développement économique. Nous l'avons vu, l'existence de contraintes de production inadaptées à l'évolution technologique freine l'intérêt de faire les investissements nécessaires pour acquérir les équipements complexes. Le choix d'acquérir de tels équipements revient bien entendu à chaque entreprise. Cependant, par sa forme sectorielle, la négociation des conditions de travail qui sont capitales pour la bonne marche des opérations est faite pour l'ensemble du secteur qui peut imposer ainsi ses priorités à chacune des entreprises visées, alors que les intérêts des uns et des autres ne sont pas nécessairement les mêmes. Au surplus, le maintien des différences entre les secteurs de la dame, de l'homme, du gant et de la chemise de nuit... au regroupement de certaines activités qui pourraient être compatibles entre les industries ainsi qu'aux investissements qui pourraient être faits dans ce sens.

On ne peut s'étonner que, devant le labyrinthe des règlements ou d'arbitrage et les incertitudes qui en découlent, un entrepreneur décide de rester bien sagement dans son secteur et de renoncer aux économies et à la productivité qui découleraient d'une production élargie.

L'autre chose qu'on doit noter, c'est la croissance en Ontario et au Nouveau-Brunswick versus le Québec. En 1997, la croissance, au Québec, des livraisons fut de 5,6 %; en Ontario, de 8,1 %; et, à l'échelle canadienne, de 18,8 %. Ces chiffres sont inacceptables car la création, le design et la main-d'oeuvre qualifiée sont fortement concentrés au Québec.

La croissance des industries – et c'est un autre point très important que je tiens à souligner – couvertes par les décrets versus celles qui ne sont pas couvertes, parce qu'il y a un taux majoritaire de tout près de 52 % qui ne sont pas assujetties aux décrets dans l'industrie. Entre 1996 et 1997, il s'est créé 6 150 emplois dont 4 500 proviennent des secteurs non assujettis aux décrets et 1 650 dans les secteurs assujettis. C'est donc dire que 73 % des emplois qui ont été créés entre 1996 et 1998 le furent à l'extérieur de la réglementation des décrets. Ce qui veut dire qu'on a eu un taux de croissance de 16,67 % dans les non-assujettis et de 8,20 % dans les assujettis.

Quelle est l'industrie du vêtement, en quelques mots? Ce serait fastidieux de définir dans tous ses détails et dans toutes ses composantes l'industrie du vêtement. Nous nous contenterons de rappeler certains chiffres: 10,4 % de la totalité des emplois manufacturiers au Québec, de toutes les industries, se retrouvent dans l'industrie du vêtement, ce qui en fait le plus grand secteur d'emplois manufacturiers; 58 % des emplois de l'industrie canadienne du vêtement étaient, en 1998, concentrés au Québec. Néanmoins, la valeur des produits au Québec par rapport au reste du Canada est en diminution importante. Alors que, en 1992, 61 % des biens produits dans l'industrie canadienne l'étaient au Québec, ce pourcentage, en 1996, est tombé à 51,9 %. Le même phénomène s'est produit sur le marché domestique au Québec où les manufacturiers produisaient, en 1992, 43 % des biens vendus, alors que ce pourcentage est descendu à 38 % en 1996. Enfin, soulignons qu'une étude de 1996 évalue à 28 % la capacité de production de l'industrie qui est actuellement inutilisée, privant ainsi cette industrie de nombreux emplois.

L'industrie par secteurs. Vous vous en doutez fort bien, l'industrie de l'habillement se divise en plusieurs secteurs d'activité. On remarquera d'abord que 42 % de l'industrie est actuellement couverte par la Loi des décrets de convention collective, alors que 57 % de cette même industrie voit ses rapports régis par le régime général des relations de travail au Québec.

Dans les secteurs sous décret, l'industrie du vêtement pour hommes regroupe 12 342 emplois, soit 54 % des emplois sous décret, et tout ça, sous l'égide de 240 employeurs, alors que dans l'industrie du vêtement pour dames on retrouve 9 394 salariés, soit 41 % des salariés, mais sous 1 034 entreprises. La fragmentation est beaucoup plus grande dans le secteur pour dames versus la concentration dans le vêtement pour hommes. L'industrie de la chemise et l'industrie du gant, la chemise regroupant 848 employés et 17 employeurs et l'industrie du gant avec quelque 80 employés et neuf employeurs pour une représentation d'environ 5 %.

Dans ce contexte, la démarche gouvernementale relative aux décrets applicables aux industries du vêtement était attendue depuis fort longtemps et suscitait de nombreuses attentes.

À ce stade-ci, pour commenter sur le projet de loi n° 47, j'aimerais vous présenter Mme Béchamp que j'ai introduite aussi tantôt, qui est la conseillère juridique de l'industrie. Pour vous apporter ses commentaires sur le projet de loi n° 47, Me Béchamp.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Me Béchamp, tout en vous rappelant qu'il reste à peu près trois ou quatre minutes seulement au temps qui vous était alloué. Alors, je tiens quand même à vous le mentionner.

Mme Béchamp (Louise): D'accord. Merci, madame. Alors, à ce moment-ci, je vais passer à l'essentiel, et peut-être l'essentiel est de bien voir et placer qui le projet de loi n° 47 vise.

(11 h 30)

Alors, il ne vise que les employés qui sont actuellement couverts par un décret de convention collective, c'est-à-dire 42,5 % du total des employés des secteurs de l'habillement au Québec. De ce pourcentage, on doit garder à l'esprit que le projet de loi qui veut édicter des normes minimales de travail vise également des entreprises syndiquées dans le même secteur du vêtement. Ces entreprises syndiquées ou... Toutes confondues, 40 % des entreprises qui seraient visées par ce projet de loi sont syndiquées, alors ne sont pas directement affectées par les normes minimales qui seraient régies. En d'autres mots, le projet de loi vise essentiellement 22,5 % de la main-d'oeuvre totale de l'industrie. Bien que non négligeable, il faut néanmoins évaluer dans cette perspective et tenir compte de ce total lorsqu'il s'agit d'évaluer si l'on doit maintenir un régime administratif et bureaucratique particulier et fort lourd pour régir cette partie de l'industrie.

Le projet de loi n° 47 propose d'abolir les décrets, ce avec quoi nous sommes d'accord. Le projet de loi n° 47 prévoit également une période de transition de deux ans pendant laquelle certaines normes particulières applicables aux industries du vêtement seraient maintenues. Même si nous croyons souhaitable d'appliquer rapidement le régime général des relations de travail, les représentants des employeurs comprennent qu'une période de transition aura pour effet de sécuriser le milieu et d'établir la bonne foi de toutes les parties et le bon fonctionnement du régime général de protection québécois sur les aspects des décrets qui auront été abolis et l'esprit général dans lequel les entreprises et les employés négocieront, à l'avenir, leurs conditions de travail.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Béchamp, j'aurais besoin, à ce moment-ci, d'un consentement pour que vous puissiez poursuivre votre intervention. Est-ce qu'il y a consentement?

M. Gobé: Mme la Présidente, de toute façon, on peut, à la limite, moi, en tout cas, mon cas, limiter notre questionnement et donner une partie de notre temps imparti pour qu'ils nous expliquent leur situation. Au lieu de questionner 20 minutes, je questionnerai 15 minutes si c'est nécessaire. Peut-être que la ministre acceptera le même genre de chose.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je comprends qu'il y a consentement, de toute façon, pour que vous puissiez poursuivre.

M. Gobé: En tout cas, moi, je l'accepte.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): J'ai entendu aussi sonner un téléphone cellulaire. J'apprécierais qu'on ferme complètement les cellulaires. Si vous voulez poursuivre, madame.

Mme Béchamp (Louise): Merci beaucoup, Mme la ministre, MM. et Mmes les membres. Il est intéressant de se rappeler que, parmi les entreprises qui étaient, à l'origine, contre l'abolition des décrets, plusieurs défendaient leur position en évaluant qu'une telle mesure aura non pas pour effet de baisser les coûts de production, mais bien de les hausser puisque, en l'absence de décrets, les industries du vêtement et notamment celle du vêtement pour dames qui est aujourd'hui syndiquée à moins de 10 % pourraient connaître à cet égard une hausse significative de leur taux de syndicalisation.

Nous sommes conscients de cette réalité et la constatons également. Nous croyons cependant que le régime de négociation du Code du travail adapté à chaque entreprise permettra aux intervenants syndicaux et patronaux de bénéficier de toute la souplesse nécessaire pour s'adapter aux marchés et d'assurer ensemble le développement et l'expansion d'entreprises plus concurrentielles dans l'industrie mondiale du vêtement.

Le projet de loi n° 47 prévoit une période de transition de deux ans avec laquelle nous sommes d'accord. Le projet de loi prévoit la possibilité pour le gouvernement de fixer, par règlement, des normes de travail définitives portant sur plusieurs matières importantes, des conditions de travail et des conditions de production existant dans une entreprise. Le pouvoir du gouvernement est clair. Il pourra dicter les normes de façon permanente, et ce, même, évidemment, après l'expiration de la période de transition. Nous sommes en total désaccord avec cette possibilité, et ce, pour plusieurs raisons.

D'abord, le maintien de la possibilité d'édicter des normes différentes de façon permanente perpétue les cloisonnements que nous avons déjà dénoncés parce qu'ils créaient des fardeaux administratifs et de production qui nuisent de façon sérieuse à la compétitivité de l'industrie.

Faut-il rappeler que 57,5 % des travailleurs du vêtement ne sont actuellement pas soumis à la Loi sur les décrets de convention collective. Dans ce contexte, le maintien de secteurs visés par des normes x alors que d'autres seront régis par des normes y maintient les problèmes de double assujettissement que le projet de loi avait précisément pour but d'assouplir. Car il ne faut pas s'y tromper, même des normes particulières maintenant des distinctions feront en sorte que, pour deux employés dans une même usine, l'un affecté à la production de biens couverts et l'autre affecté à la production de biens non régis par le régime spécial, cela exigera toujours le maintien de deux listes de paie, deux cotisations différentes aux normes du travail, possiblement deux horaires de travail différents, deux types de régime de vacances, deux types de période de repas, deux types de jours fériés et des régimes d'absence pour événements familiaux qui peuvent également différer, sans compter tout le fardeau administratif qui vient avec la définition des secteurs réglementés et non réglementés et l'arbitrage pour résoudre ces différends.

Dans un tel contexte, les problèmes d'évolution et d'adaptation que nous avons déjà énoncés demeurent évidemment présents. Une telle solution maintient également un frein à l'extension de la production dans une usine de produits assujettis et non assujettis de crainte de faire face aux deux systèmes de rémunération et aux difficultés administratives qui s'ensuivent.

Enfin, est-il besoin de préciser le caractère illogique et parfois choquant de situations où des employés faisant un travail comparable sont astreints dans la même usine à des lois différentes compte tenu de la production précise à laquelle ils sont affectés. Le fait de pouvoir réglementer pour une partie de l'industrie des conditions de travail différentes maintient également les rigidités propres à des décrets alors que l'objectif est d'accorder la flexibilité que permet une adaptation pour chacune des entreprises.

L'on peut également se demander comment les normes seront fixées. Par négociation? Peut-être. Mais cela constituera une négociation sectorielle à laquelle nous sommes complètement opposés. Par le gouvernement seul? Outre les questions de représentativité, les organismes consultés par le gouvernement dans cette démarche, cela posera évidemment la question de la compétence de l'administration pour arbitrer les conditions de travail de l'industrie et maintiendra la lourdeur du processus de consultation et d'approbation nécessaire lorsque le marché dicterait des changements importants aux normes en vigueur.

Le régime exceptionnel des décrets de convention collective et de normes particulières et permanentes pour une industrie exigent un consensus employeur-employés qui n'existe plus dans les industries du vêtement. Bien sûr, ce consensus a déjà existé dans la première moitié du siècle lorsque les décrets du secteur du vêtement ont été mis en place, mais le monde à l'époque était différent et a depuis grandement évolué. Les décrets constituent un régime d'exception, et le maintien de tout régime d'exception, y incluant l'inclusion de normes particulières selon les secteurs, ne peut se justifier dans le contexte de disparition du consensus pour les maintenir.

Le souhait déclaré du gouvernement est de réduire le fardeau imposé au secteur industriel et améliorer sa compétitivité. Maintenir l'assujettissement d'une partie de celui-ci à des normes particulières annule, selon nous, l'objectif clair que s'était donné le gouvernement lorsqu'il a entrepris ses démarches d'abolition des décrets.

Le maintien des normes d'exception est d'autant plus difficile à comprendre que le régime général est maintenant très efficace et a beaucoup évolué depuis la première moitié du siècle qui a vu l'adoption du régime des décrets. Nous l'avons déjà mentionné, 57,5 % des travailleurs du vêtement sont maintenant assujettis au régime général. Certains sont syndiqués, d'autres pas. Beaucoup sont des femmes. D'autres sont des immigrantes.

Les conditions de travail de ce milieu sont librement négociées dans chaque entreprise. À l'heure actuelle, le secteur non assujetti croît plus vite que les secteurs sous décret. L'on ne maintiendra certainement pas que 57,5 % des travailleurs du vêtement sont dans ce contexte astreints à des conditions de travail inacceptables.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Béchamp...

Mme Béchamp (Louise): Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): ...écoutez, je comprends qu'il y a eu un consentement, mais je comprends aussi que les deux groupes de parlementaires veulent quand même se conserver un certain temps pour échanger avec vous.

Mme Béchamp (Louise): Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je pense que ça pourrait s'arrêter ici pour laisser à chacun des deux groupes 15 minutes d'échanges avec vous.

Mme Béchamp (Louise): Je vous remercie, Mme la Présidente, de nous avoir permis cette extension.

M. Gobé: Je m'excuse, Mme la Présidente, avec votre sympathique écoute, j'aimerais peut-être faire valoir un point...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: ...peut-être pour le restant des travaux de cette commission. Il y a des gens qui viennent d'un peu partout dans la province de Québec, des chefs d'entreprise, des travailleuses, des représentants syndicaux, des gens qui viennent ici nous expliquer ce que nous allons faire, ce qu'ils trouvent bon ou pas bon dans leur vie, dans leurs entreprises, dans l'économie. Nous sommes ici, nous, payés par l'État, par les citoyens, pour faire ce travail. Il serait souhaitable que, même lorsqu'ils ont cinq minutes de dépassées ou 10 minutes, nous...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Là, là, c'est parce que... Écoutez, M. le député de LaFontaine...

(11 h 40)

M. Gobé: ... – permettez que je termine et vous statuerez après sur mon point – comme députés à l'écoute, soucieux de faire un bon travail, nous ne soyons pas trop rigides ni rigoureux sur un cinq minutes ou un 10 minutes. Il y a des gens qui ont passé des heures à préparer ce mémoire, tout à l'heure des travailleuses qui avaient des choses à nous dire, et on les interrompt. Moi, je souhaiterais que nous soyons assez ouverts et le plus larges possible. Quand même qu'on ferait une demi-journée de plus en commission parlementaire, je suis prêt à la faire et à demander le consentement à tout le monde. C'est là notre devoir, c'est ce à quoi nous nous sommes engagés lorsque nous avons dit aux électeurs québécois: Élisez-nous, nous allons vous représenter. Je souhaiterais que vous compreniez ça, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Je m'excuse. Écoutez, M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît! Je pense que tous les intervenants qui viennent ici sont au courant des règles; d'ailleurs, ça leur est très bien expliqué. Nous avons d'ailleurs reçu les mémoires. Je pense que chacun de nous avait comme responsabilité de prendre connaissance et de lire ces mémoires. Je veux bien, moi, avoir une certaine souplesse, mais je veux aussi qu'il y ait la possibilité pour les différents parlementaires qui ont pris connaissance des mémoires de pouvoir échanger et d'aller plus en profondeur par rapport aux questions qu'ils veulent... en tout cas, perfectionner leurs réponses.

Alors, à ce moment-ci, je reconnaîtrais, du côté du gouvernement, Mme la ministre. Est-ce que vous avez des questions?

Mme Lemieux: Merci, Mme la Présidente. M. Lapierre, je vous salue, ainsi que vos collègues. Je ferais une première remarque. C'est effectivement utile d'entendre des gens; ça, il n'y a pas de doute là-dessus. C'est encore plus utile que nous puissions creuser ensemble un certain nombre de questions. Et c'est pour moi l'intérêt. Nous avons un travail important, comme parlementaires, à faire. Et c'est aussi l'utilité d'avoir du temps d'échange pour nous permettre de creuser les questions.

Évidemment, il y a beaucoup de choses, parce que j'aurais plusieurs points que je voudrais bien aborder, mais je vais me concentrer sur deux éléments. J'ai pris connaissance avec attention de votre mémoire, de certains éléments historiques aussi, parce que je pense que ça fait plusieurs fois qu'on remet sur le chantier cette question-là des décrets, depuis une bonne dizaine d'années. Alors, il y a deux éléments qui me préoccupent.

Je vais aborder le premier. D'abord, il y a un message très fort de la part des gens de l'industrie, notamment des employeurs, que la structuration actuelle des décrets crée des obstacles en termes de développement, de développement de nouveaux emplois et d'investissement. Je pense que c'est ça, en gros, qui est apporté de votre point de vue.

Je veux vous rappeler – parce que je pense que c'est aussi utile, et je vais le faire avec les gens qui ont des préoccupations qui concernent davantage les travailleurs, mais je le fais aussi avec vous – je pense qu'il faut dépasser les clichés et il faut surtout bien comprendre le sens du projet de loi. J'imagine que vous reconnaissez, même si vous n'avez pas dans ce projet de loi tous les éléments que vous voudriez, qu'il y a quand même là des efforts importants d'allégement réglementaire. Par exemple, quand on parle d'un seul taux horaire minimal pour l'ensemble des décrets, il me semble que c'est un pas. On va même jusqu'à dire qu'il y aurait un taux minimal avec aucune catégorie d'emploi. Ça se peut même qu'on se crée d'autres problèmes en faisant ça. On va voir, là, la suite des choses. Le fait qu'il y ait une durée uniforme de la semaine de travail, le fait qu'on élimine le double assujettissement – puis je vous dirais qu'à ce sujet-là il y a beaucoup de gens qui se questionnent sur les problèmes réels du double assujettissement – le fait qu'au bout de la ligne le taux de cotisation des employeurs va être réduit, alors il y a quand même, là, des efforts importants.

Une des préoccupations – parce que j'ai pris personnellement connaissance de tous les mémoires et je pense que vous avez entendu les gens qui vous ont précédés à cette commission parlementaire – c'est vraiment autour de la pression sur les salaires, c'est-à-dire le fait de déterminer un taux unique. C'est le pari que nous faisons, que c'est possible d'avoir un taux unique et que ça peut aider l'industrie, sinon ça ne serait pas dans le projet de loi. Il y a une préoccupation très, très forte des gens, c'est donc une pression sur les salaires, mais une pression qui va baisser les salaires.

M. Lapierre, parce que je sais que vous êtes impliqué – puis je ne veux pas vous prendre à partie de manière brutale, sachez ça, mais, quand même, il faut aussi se dire les choses – vous faites partie de ceux qui ont été impliqués dans toutes sortes de processus depuis sept, huit ans, j'ai lu de votre part, dans les suites de Horizon 2000 , lorsqu'il était question, par exemple, d'un contrat social pour l'industrie, vous avez écrit que l'amélioration immédiate de la compétitivité du secteur de l'industrie du vêtement qui résulterait de l'abolition des décrets permettrait de respecter cet engagement de 8 000 emplois et même de revoir à la hausse ces 8 000 emplois. Vous utilisez même aussi l'importance de garder des emplois d'une certaine qualité. Alors, je pense que vous comprenez que l'enjeu est là, l'enjeu entre... Cet équilibre entre le libre marché et l'intervention de l'État, c'est beaucoup à ce sujet-là qu'il y a des préoccupations majeures.

Et je vous rappellerai... On compare souvent l'Ontario avec le Québec. Le taux horaire moyen versé en Ontario est quand même légèrement plus élevé qu'au Québec. C'est à peu près la seule fois de notre vie, mais on me le dit, là, j'ai des tableaux, des chiffres: avril 1999, en Ontario, le taux horaire moyen dans l'industrie de l'habillement est de 10,43 $ alors que, de notre côté, il est de 9,58 $.

J'imagine que vous voyez qu'il y a là un élément majeur, c'est-à-dire cette préoccupation de la pression sur les salaires à la baisse. Je vais poser la question crûment: Est-ce que d'avoir un taux uniforme, une fois que vous avez réglé le fait que c'est moins complexe à gérer, le seul objectif, c'est de baisser les salaires? Que faites-vous avec la pénurie de main-d'oeuvre? On parle de plus en plus d'une pénurie de main-d'oeuvre de qualité. Alors, comment on la résout, cette question-là?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Lapierre.

M. Lapierre (Claude): Oui. Je vous remercie. Cette question des salaires, naturellement, est au coeur du débat de même que le double assujettissement. La question des salaires, soyez assurée qu'aucune des associations membres chez nous et qui sont signataires de notre mémoire ont moindrement un objectif de couper aux employés soit des revenus, soit des gains acquis déjà, ou tout ça. L'objectif n'est pas là. L'objectif de l'abolition du décret, c'est le développement économique, et je vais vous dire comment.

Actuellement, dans le double assujettissement, il n'y a pas juste double assujettissement à l'intérieur des décrets, il y a aussi l'assujettissement partiel d'une entreprise à des décrets et les autres produits ne sont pas assujettis aux décrets. Une entreprise qui n'est pas assujettie au décret et à qui est proposée une commande dans laquelle ce produit-là est assujetti au décret, sa réponse aujourd'hui est facile, à cette entreprise-là: elle va se diriger vers les importations.

Si on regarde les importations qui étaient voilà quelques années à 20 %, elles sont rendues à 50 % et quelques. Il ne faut pas négliger cet aspect de développement économique là. Les importations qui rentrent au Canada, de vêtements, représentent 70 000 emplois actuellement quand on prend la valeur tant de personnes nécessaires versus les produits qui ont rentré. Alors, si on peut aller récupérer 1 % de ce champ d'activité là, déjà on va chercher tout près de... 10 %, on va chercher tout près 7 000 emplois.

Ça brosse un peu le tableau du côté économique avec le double assujettissement. Et tout le facteur aussi des investissements à l'intérieur qui rend les industriels sensibles, avant d'investir, de s'assurer qu'il va y avoir une certaine liberté.

De plus, la façon de penser de nos industriels aujourd'hui est que le champ d'application industrielle n'a aucunement sa place à l'intérieur de la Loi des décrets. Est-ce qu'aujourd'hui on doit se demander, madame: Est-ce qu'on doit référer à vos subalternes, à vos employés, pour savoir si je peux prendre une commande? Est-ce que je peux faire des blouses en même temps que je fais mes pyjamas? Ça ne tient pas en place. Le seul fait que ça existe aujourd'hui, le seul fait qu'on le questionne démontre clairement que le champ d'application industrielle doit être mis en totalité, sans exception, aux industriels.

Je reviens à la question des salaires. Les secteurs en croissance, on l'a démontré, 57 % sont à l'extérieur des décrets. Je ne veux pas dire qu'à l'intérieur des décrets il n'y a pas des secteurs qui vont en croissance, oui, il y en a, mais il y a une croissance plus grande à l'extérieur des décrets. Est-ce qu'on a accompli ça strictement en payant le salaire minimum? Vous savez, quand vous interviewez du personnel aujourd'hui, quand vous recherchez du personnel qualifié, si vous parlez de salaire minimum, oubliez de pouvoir engager quelqu'un.

(11 h 50)

Et, avec toute la technologie... Il y a quelques années, la technologie a pris beaucoup de temps à rentrer dans l'industrie du vêtement, mais, une fois qu'elle a rentré, elle a accéléré énormément. Alors, les salles de création, les salles de design, les salles de taillage sont complètement modifiées. Les systèmes de production sont complètement modifiés. C'est donc dire que, dans la création d'emplois qu'on fait actuellement, une forte proportion est dans la technologie, est du côté designing avec la technologie, est du côté du taillage avec la technologie. Alors, on se doit de faire beaucoup de formation. Et, quand on regarde aussi avec le 1 %, on s'aperçoit que le 1 % est utilisé en formation et que plusieurs entreprises l'utilisent, et davantage que le 1 %.

Or, en conséquence, on n'attirera pas ces gens-là avec des salaires minimums, et les hommes d'affaires, les industriels du vêtement sont parfaitement au courant de ça. Le problème se situe peut-être qu'il y a plus de 2 500 petites entreprises minuscules, de moins de quatre employés. Nous n'avons pas le contrôle sur ces entreprises, madame, et nous ne pourrons pas prendre le contrôle dessus. Nous pourrons changer cette situation par la formation, par le développement économique, par l'abolition des décrets à l'intérieur de ça. Ça va aussi permettre à ces employés d'accepter d'autres commandes, d'éliminer un peu du travail au noir, de se structurer davantage, ce qui actuellement est difficile parce que, avec ces minigroupes qui existent en diversification aussi grande, ça fausse toutes les statistiques quand on nous parle de certaines carences qui existent dans l'industrie du vêtement concernant les salaires.

Les entreprises majeures font du développement industriel, les entreprises majeures font de la recherche et du développement et les entreprises majeures engagent des spécialistes, mais tout ça n'élimine pas, madame... Il n'y a aucune technologie qui pointe à l'horizon pour éliminer l'aiguille, le fil et la paire de mains. D'ici 10 ans, il n'y a aucune technologie qui viendra éliminer ces facteurs-là.

Donc, nous allons demeurer, oui, nous allons demeurer en secteur intensif au point de vue main-d'oeuvre. C'est ce secteur-là que nous nous devons de protéger. Nous, les industriels, notre décision est simple: on le fait au Québec suivant les lois et règlements qui nous gouvernent ou on le fait à l'extérieur suivant les lois et règlements qui nous gouvernent. Si on le fait à l'extérieur, malheureusement, il y a une catégorie de personnes qui vont être affectées. Si on le fait avec des règlements qui conviennent, parce que la marge, la glace est mince, si on le fait avec une réglementation qui nous permet une certaine flexibilité, un meilleur développement économique, nous continuerons à créer les emplois et nous continuerons à améliorer ces emplois-là, parce que historiquement, dans les derniers 10 ans, on les a améliorés. Les conditions de travail ont été améliorées. Et d'autant plus qu'à l'intérieur de la Loi des normes et d'autres lois que peut-être Me Béchamp pourra expliciter un peu plus, il y a une quantité de lois qui sont venues protéger les droits de ces travailleurs-là. On a aussi à se reporter à l'équité salariale à laquelle on doit s'adresser, et on travaille actuellement en très bonne coopération et avec le ministère et avec les syndicats à l'accomplissement, à l'implantation de l'équité salariale.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): ...à peu près trois minutes. Vous avez d'autres questions?

Mme Lemieux: Il nous reste combien de minutes?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Trois minutes, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Je vais demander à mon collègue...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Groulx.

M. Kieffer: Il reste trois minutes? Merci, Mme la Présidente. Écoutez, la ministre a – M. Lapierre, mesdames et messieurs, pardonnez-moi – touché des éléments essentiels des préoccupations que nous ont formulées les travailleuses que nous avons rencontrées ce matin, et vous étiez là à les entendre. Vous avez donné, M. Lapierre, certaines assurances quant au maintien de la rémunération et que ce n'était pas votre préoccupation première. Moi, je le retiens et j'espère que les travailleuses qui sont ici encore l'ont retenu.

Moi, je me rappelle 1989, l'ALENA, quand on l'a signé. L'industrie du vêtement à l'époque prédisait les pires catastrophes possibles vis-à-vis la disparition de l'emploi dans l'industrie parce que nous ne serions pas compétitifs. Pourtant, vous avez relevé le défi. Bravo! Vous avez choisi vos créneaux, vous avez probablement réinvesti en recherche et développement, vous avez formé votre main-d'oeuvre, vous êtes maintenant de plus en plus compétitifs. La preuve, vous nous indiquez que vous êtes en croissance. Vous dites que les décrets ralentissent, alourdissent cette croissance-là, les salaires payés rendent plus difficiles, etc., sauf que, bon, Mme la ministre le mentionnait tantôt, l'Ontario paie plus cher et il connaît actuellement une croissance plus élevée que la vôtre. Ce sont vos dires de tantôt.

Moi, je pense que les décrets sont effectivement lourds, je pense que la paperasserie nécessaire pour gérer les décrets, c'est effectivement lourd dans la gestion d'une entreprise. Je pense que, quand vous êtes assujettis à deux décrets, à part de ça, ça doit être encore pire. Ça, je veux bien. Le projet de loi n° 47 de la ministre vise à alléger énormément sur une période de deux ans, une période de transition, et, après les deux ans, il faudra garantir aussi aux travailleurs et aux travailleuses le maintien de leurs acquis et des luttes qu'ils ont menées.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Groulx, je vous demanderais, s'il vous plaît...

M. Kieffer: Oui. Non, non, mais c'est parce que... Alors, tout ça pour vous poser la question suivante. Il y en a 53 % qui ne sont pas assujettis, là, actuellement aux décrets, hein, grosso modo. Quelle est votre position vis-à-vis le fait que le projet de loi n° 47 s'applique à l'ensemble de l'industrie, pas juste aux 47 qui restent, là, qui sont assujettis aux décrets, aux 53 % qui ne sont pas assujettis actuellement à quoi que ce soit, qu'il y ait une règle uniforme pour l'ensemble de l'industrie?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Lapierre.

M. Lapierre (Claude): La position de l'industrie... Que ça s'applique à l'ensemble de l'industrie n'est pas acceptable face à l'industrie. Un, le 53 % est satisfait actuellement du développement et veut garder sa flexibilité.

À combien de travailleurs ça s'adresse, la différence? Il faut penser qu'on s'adresse strictement à environ 22 % des travailleurs, là, dans l'ensemble de ce qu'il reste qui n'est pas couvert, actuellement. Ces 22 % là ont une garantie pour le prochain deux ans. Et, d'ici deux ans... On a été en négociations constantes, on a tenu le dialogue totalement ouvert autant avec les syndicats et autant avec le ministère du Travail pour que le comité de transition qui va exister durant cette période-là, durant ces deux ans-là, puisse ensuite recommander, faire des recommandations au ministère, à Mme la ministre, de faire les recommandations pour l'après deux ans. Parce que nous croyons qu'il est sage, premièrement, de vivre la transition, de voir l'évolution, de voir la création d'emplois, de voir le développement économique et de faire les recommandations d'usage.

Les salaires payés à l'extérieur du décret répondent aux besoins de l'industrie actuellement et les salaires différents payés à l'intérieur des décrets apportent des difficultés naturellement évidentes lorsqu'un employé change d'une usine à l'autre ou d'un produit à l'autre.

À nouveau, je maintiens que ce n'est pas dans l'esprit de l'économie que le champ d'application industrielle demeure à l'intérieur. Il appartient aux industriels. Si je veux prendre une commande de fabriquer des blouses la semaine prochaine, je ne veux pas être obligé de m'adresser à ou un comité paritaire ou un ministère: Est-ce qu'on peut faire ça et quelles sont les conditions si je fais ça? Parce qu'au moment où je veux prendre la commande je dois donner un prix, je dois me commettre. On a un système économique établi où est-ce qu'aujourd'hui c'est rapide et on doit répondre immédiatement. Ces contraintes-là doivent disparaître. Et les contraintes salariales, il faut tenir en mémoire que...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Lapierre, je m'excuse...

M. Lapierre (Claude): Quinze secondes, peut-être?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Vous avez peut-être des contraintes dans votre domaine, j'en conviens, mais j'ai les miennes comme présidente de cette commission.

M. Lapierre (Claude): Oui. D'accord.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, écoutez, je pense qu'on pourrait poursuivre parce que je sais que, du côté de l'opposition aussi, il y a des questions, et là on commence à déborder assez le temps.

M. Lapierre (Claude): Je vous ferai remarquer que toute personne qui désire par après avoir de l'information, nous demeurons disponibles en tout temps, et pour poursuivre.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Parfait, monsieur.

M. Lapierre (Claude): Tout notre groupe demeurera disponible.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): On apprécie beaucoup. Alors, M. le député de LaFontaine.

(12 heures)

M. Gobé: Oui, merci, Mme la Présidente. Je suis content de la question de mon collègue le député de Groulx. Il a touché là un point très, très important. Lorsque j'ai parlé, au tout début des remarques préliminaires, de confusion, d'inquiétude, d'étatisation des relations de travail et des conditions de travail dans le secteur de la couture, de l'habillement, bien, c'est à ça, entre autres, que je faisais allusion. Car, en effet, si on se fie au projet de loi tel qu'il est déposé, on pourrait et on se retrouvera certainement avec une imposition à l'ensemble de l'industrie, y compris les gens non assujettis, qui sont très nombreux, à des normes sectorielles particulières.

Donc, vous avez à juste titre fait valoir ce point, et la réponse de l'industrie c'est: Non, ce n'est pas acceptable pour nous, nous ne pouvons pas accepter qu'avec ce projet de loi là on impose à l'ensemble des gens, même ceux qui ne sont pas assujettis, des normes, qu'ils ne demandent même pas d'ailleurs. Bon, première chose. Alors, je suis content que vous ayez fait le point. Je viens de sauver quelques minutes, là, de questionnement.

D'abord, au passage, je voudrais vous saluer, M. Segal, M. Balinsky puis vous, M. Lafleur...

Une voix: Lapierre.

M. Gobé: Lapierre, je m'excuse. Ça fait plaisir de vous rencontrer. Je sais que vous travaillez très fort, certainement avec grande intégrité et grande envie d'aider, à développer l'industrie que vous représentez, dans laquelle vous êtes très, très ouvert.

Comme leader, vous, M. Segal, vous êtes certainement parmi les plus gros employeurs au Québec actuellement en termes d'industriels. Vous avez une situation particulière des grandes industries. Vous avez fait valoir aussi, M. Lapierre, qu'il y avait des petites industries, 60 %, des cinq et moins, situation différente. Il faut tenir compte de ces réalités-là. Et je crois que, lorsque vous venez ici, vous devez considérer que vous venez faire oeuvre utile vous aussi et participer à l'élaboration de ces conditions gagnantes de l'industrie et de l'économie québécoises. C'est dans ce sens-là que je voudrais que vous preniez acte des questionnements que nous nous posons et des travaux que nous faisons aussi, l'opposition, dans toute cette commission.

Vous avez parlé du double assujettissement, et c'est là un des points importants que les employeurs, les entrepreneurs ont abordé pour justifier cette lourdeur, cette bureaucratie, ou ces grincements, dans l'appareil de la facilité et de l'efficacité administratives. Bon. Vous savez que, en 1996, il y a eu – et c'est avec l'ancien ministre Mathias Rioux – des changements à la Loi sur les décrets de convention collective. Et à l'époque, je me souviens, pour avoir été déjà le porte-parole en matière de travail, nous avions amendé la loi et nous avions apporté à l'article 11.11 des solutions. Et je vais vous le lire, je l'ai fait sortir, devant moi j'ai le projet de loi. Alors, article 11.1:

«Un double assujettissement ou un conflit de champs d'application – d'accord, c'est ce dont nous parlons – peut faire l'objet d'une entente entre les comités et l'employeur professionnel concernés.

«Il y a double assujettissement lorsque plus d'un décret est susceptible de s'appliquer alternativement aux mêmes salariés d'un employeur professionnel et ce, de façon conflictuelle.

«Il y a conflit de champs d'application lorsque plus d'un décret est susceptible de s'appliquer simultanément aux mêmes salariés d'un employeur professionnel.»

Ça, c'est pour une partie, hein, les autres parties non assujetties, mais on parle de celles qui sont assujetties. Et le problème, c'est que, à ma connaissance, l'article 11.1 n'a pas été mis en application par le gouvernement. Il a été voté, mais il n'est pas en application. Je ne sais pas si le M. le sous-ministre qui est là pourrait nous le dire, s'il est en application, mais d'après moi, le gouvernement n'a pas mis cet article-là en application. Alors, je pense que, s'il avait été mis en application – vous le sauriez d'ailleurs probablement – eh bien, on réglerait là une partie importante du problème du double assujettissement par simple application de cette loi.

C'est vrai qu'actuellement il y a la règle non écrite ou la règle administrative de la prépondérance de production qui s'applique. Mais ça, c'est le bon vouloir entre les gens. Vous décidez plus ou moins de vous concerter; des fois, ça marche, peut-être que quelquefois, c'est compliqué, il faut se parler, il faut se rencontrer.

Mais, ça, ça m'amène à la question suivante. Vous avez mentionné, et j'en suis très heureux pour les travailleuses et travailleurs, que les problèmes n'étaient pas des problèmes de salaires. Vous avez mentionné, vous avez dit, et c'est tout à votre honneur et c'est là que je suis content de cette partie de votre témoignage, qu'il était hors de question pour l'ensemble ou la très grande majorité des employeurs de se servir de ça pour baisser les salaires, baisser les conditions de travail, hein, que ce n'était pas là le problème.

Dès le moment où on a vu que par voie de loi on a déjà commencé à trouver des solutions à certains problèmes comme le double assujettissement, dès le moment où on prend pour acquis que les problèmes salariaux et de conditions de travail actuelles, dans l'ensemble... vous-même d'ailleurs avez mentionné qu'on ne pouvait pas engager du personnel qualifié à des salaires de misère, et j'en suis avec vous, donc on élimine ce problème-là. Ce n'est pas pour ça que vous demandez l'abrogation des décrets, c'est simplement pour une efficacité de fonctionnement. On voit que par loi on a déjà pu commencer à le régler.

Est-ce qu'une solution à tout ça ne serait pas qu'au lieu d'abroger purement et simplement les décrets et de les étatiser, d'arriver avec des normes sectorielles spéciales qu'on impose à l'ensemble de l'industrie et même à ceux qui ne le demandent pas et qui n'en veulent pas, est-ce qu'il ne serait pas mieux peut-être de réingéniérer les décrets, ne pas les abolir mais les refaire? Les refaire dans l'optique de l'économie de l'an 2000, dans celle dont vous nous avez parlé: l'exportation, l'efficacité, la compétition, la souplesse. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu à ce moment-là d'avoir cette concertation qui a été à l'origine des décrets et qui a bien servi malgré tout les entreprises pour un certain nombre d'années?

Le monde a évolué, l'économie a évolué, les manières de fonctionner ont changé; d'après moi, la voie, elle est là. On n'a pas besoin du gouvernement, je crois – à moins que vous me disiez le contraire – pour aller décréter des normes, décréter des conditions de travail et réguler la liberté du marché. Et, quand on sait – et vous le savez comme entrepreneur – le fardeau de réglementation que l'application des lois professionnelles peut amener lorsque l'État s'en mêle, eh bien, je crois qu'il y aurait tout intérêt peut-être à prêcher pour aller dans cette direction de la concertation et de réingéniérer» entre les parties cette manière de fonctionner de votre industrie qui d'après nous est très importante pour des milliers et des milliers de travailleuses et aussi pour l'économie du Québec puis pour vous.

Ce qui vous tient à coeur, c'est vos créations. C'est votre vie. Vous avez créé ces usines-là. Vous avez créé cette activité-là. Vous y croyez profondément, vous êtes ici pour nous le dire.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, M. Lapierre.

M. Lapierre (Claude): Oui. Alors, rapidement je vais commenter. C'est dans cette orientation-là, de développement économique à l'intérieur de la réglementation générale, qu'on propose. Une négociation sectorielle aura toujours sa lourdeur et sera toujours difficile à l'intérieur, spécialement lorsque le degré de représentation à l'intérieur de l'industrie est moins que de 9 % dans certains secteurs et plus élevé dans d'autres secteurs. Alors, ça va devenir extrêmement lourd, extrêmement difficile.

Concernant les points de loi, je vais demander à Me Béchamp de commenter, si vous permettez, les différents points de loi de double assujettissement.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, Me Béchamp.

Mme Béchamp (Louise): Oui. Merci. Le double assujettissement, enfin, il est, d'une part – le double assujettissement visé à l'article 11, qui n'est pas en vigueur – entre deux décrets. Mais il y a au-delà de ça. Parce qu'évidemment avec l'abolition des décrets proposés par le projet de loi il n'y a plus double assujettissement des décrets, mais il demeure un double assujettissement qui a toujours existé. Il peut y avoir deux productions visées par deux décrets différents comme il peut y avoir deux productions, l'une visée par décret actuellement et l'une actuellement qui n'a jamais été visée par décret. Alors, ce problème demeure entier, il demeure réel avec le projet de loi.

Dans la mesure où des normes permanentes sont maintenues, il y aura un régime d'application générale pour des productions non assujetties. Parce que notre compréhension du projet de loi dans le moment ne vise que les employés qui seraient aujourd'hui autrement régis par les quatre décrets dont nous discutons.

Et, si vous me permettez, d'extensionner maintenant pour un régime d'exception à l'ensemble des salariés du secteur de l'habillement, donc le 40 et quelque pour cent actuellement visé, et de rajouter l'ensemble des employés et des employeurs non régis serait de remettre l'ensemble des conditions de travail, je ne sais à qui, à l'État. Alors, c'est l'État qui établirait un régime totalement distinct et spécial de conditions de travail pour tout un secteur alors qu'il n'y a pas de représentativité – ce serait un décret sous une nouvelle forme – syndicale, qu'il n'y a pas de partenaire véritable avec qui discuter.

Et au-delà de ça il y aurait peut-être la détermination de conditions de travail par un groupe limité de gens qui ne connaissent pas nécessairement les besoins de son voisin compétiteur ou de son voisin qui travaille dans une production un peu différente. Alors, ce serait de donner à un groupe limité la détermination et l'imposition des conditions de travail qui ne peuvent pas être les mêmes et équivalentes pour tout le monde parce que tout le monde a des besoins de production différents, des besoins d'ajuster ses méthodes de travail de façon périodique afin de rencontrer ses objectifs et de demeurer compétitif.

(12 h 10)

Le Président (M. Lelièvre): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Je comprends très bien votre réponse et j'en suis avec vous, bien sûr. On va avoir une nouvelle réglementation, un alourdissement de la réglementation du travail dans votre secteur, et vous aurez des conditions qui seront différentes de celles d'autres manufacturiers qui, eux, ne seront pas régis par des conditions sectorielles. C'est un peu ça que vous nous dites et, pour vous, ce n'est pas acceptable. D'accord. D'autant plus que l'on remarque, dans le projet de loi, qu'actuellement des manufacturiers paient à la Commission des normes 0,08 % de cotisation – d'accord? – sur leur masse salariale. Et on voit que, dans le projet de loi, vous, vous allez payer 0,2 %, soit à peu près 250 % plus cher que les autres manufacturiers. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça, de payer plus cher que les autres, dès qu'il fait du bois ou dans le plastique ou dans autre chose? Est-ce que vous pouvez nous expliquer si, vous, ça fait votre affaire, si vous acceptez de payer ça dans le projet de loi ou s'il faut le changer?

Le Président (M. Lelièvre): M. Lapierre.

M. Lapierre (Claude): Bon. Durant la période de transition, oui, on a discuté de ces chiffres-là. Et évidemment il n'y a jamais personne qui est heureux de payer plus cher pour un produit qu'un autre paie. Mais par contre, en faisant face à nos responsabilités, en tenant compte que tout le transfert des administrateurs et des inspecteurs des comités paritaires à l'intérieur de la Loi des normes, tout ça, va créer un excédent, une dépense excédentaire, et tenant compte aussi d'autres problèmes qui existent du côté du fonds de vacances, etc., alors pour le premier deux ans, en tenant ces objectifs là à l'intérieur du 0,2 %, oui, on est d'accord.

Et le comité de transition saura sûrement se pencher sur les problèmes qui restent après à régler dans les problèmes financiers, en somme, pour qu'on puisse revenir par après au 0,08 % qu'on fasse partie de la grande famille québécoise manufacturière, industrielle et qu'on soit au même niveau que les fabricants de biscuits, les fabricants de boulons, les fabricants de vêtements, qu'on soit tous réglementés par une même loi et que, lorsqu'on s'en va en mission commerciale, on sache à quoi s'attendre, on connaisse nos règlements et on s'en aille... tout le monde soit sur le même pied. C'est l'objectif visé par nos industriels.

M. Gobé: Très bien, M. Lapierre.

M. Lapierre (Claude): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Vous conviendrez avec moi que, dans le projet de loi, il n'est pas mentionné que ce tarif supplémentaire est fait uniquement pour la période de transition, hein, que...

M. Lapierre (Claude): C'est toujours dangereux, je suis d'accord avec vous. Ha, ha, ha! Oui, c'est toujours dangereux, je suis d'accord.

M. Gobé: Bon. D'accord? On sait qu'il y a eu un transfert il y a quelques années, il y a deux, trois ans, d'un 12 000 000 $ pour l'inspection à la Commission des normes, aussi, par un projet de loi, un article de loi qui avait été amené un peu avant Noël, pendant une session intensive, contre la volonté du Conseil du patronat, de l'Alliance des manufacturiers et de l'ensemble des intervenants...

Une voix: ...

M. Gobé: C'est-à-dire l'inspection de la CSST, je m'excuse, et qui venait contre la volonté des gens.

Alors, à date, nous devons constater qu'il n'y a aucune garantie qui fait que votre industrie, si elle était, selon le projet de loi, assujettie à la Commission des normes, sous un régime particulier de normes sectorielles – d'accord? – ne paierait pas pour administrer ces normes sectorielles là, différentes des autres normes du travail, un montant plus élevé de 250 % que les autres manufacturiers.

Et la raison qui m'amène à penser que c'est ça qui va arriver, c'est que vous allez devoir engager, pour administrer ces normes sectorielles là, des inspecteurs différents des autres dans un nombre certainement plus important. Ou alors on me dit qu'il y aura moins d'inspecteurs, donc on va se retrouver avec des normes pas appliquées, pleines de trous. Alors, si c'est vers ça qu'on se dirige, j'espère que vous avez, vous aussi, pris connaissance de ça. Et ce que j'aimerais savoir, c'est... Vous, votre position, c'est bien clair, c'est: deux ans, vous payez plus cher...

M. Lapierre (Claude): Deux ans.

M. Gobé: ...vous offrez même de payer une partie et de rembourser la dette du fonds de vacances avec ça, hein, pendant quelque temps, là? J'ai vu ça dans un mémoire à un moment donné...

M. Lapierre (Claude): Exactement, exactement.

M. Gobé: ...d'une association patronale qui dit: On pourrait payer...

Le Président (M. Lelièvre): M. Lapierre.

M. Lapierre (Claude): Bien, étant donné que le fonds de vacances, il n'y a pas eu de consensus de développé – il y a plusieurs solutions au fonds de vacances, mais il n'y a pas de consensus vraiment précis sur le fonds de vacances – alors on a cette marge du 250 %, qui est difficile à accepter, mais sur une base de deux ans, et ça va permettre à ceux qui siègent sur le comité de transition d'arriver avec des propositions efficaces pour éliminer le problème.

Maintenant, dans le fonds de vacances, là, il ne faut pas exagérer ce problème-là. Je pense qu'il faut s'assurer d'une chose, il faut être bien équitable là-dedans, qu'on ne mettra pas des entreprises en danger à cause du fonds de vacances en leur réclamant des sommes exorbitantes sur une période très courte. Et je pense aussi qu'on se doit de ne pas créer des injustices en demandant à des gens qui ont établi leur entreprise après 1986 ou 1987, des gens qui n'étaient pas là au moment où le déficit s'est créé dans la période de trois ou quatre années, des gens qui n'ont aucun lien, aucune connaissance, aucun assujettissement à ça, de rembourser ces fonds-là. Alors, on demande au gouvernement d'être équitable.

Et je pense qu'une somme de 2 000 000 $ dans toute l'abolition du décret ne fera pas la différence, là, actuellement et je désirerais qu'on prenne le moins de temps possible actuellement, quitte à réfléchir un peu plus tard, sur ce déficit-là qui est à combler. Déjà que l'industrie a consenti, comme vous le dites si bien, à une augmentation de 250 % pour une période de deux ans.

M. Gobé: M. Lapierre, c'est parce que, voyez-vous...

Le Président (M. Lelièvre): Oui, M. le député de LaFontaine. Il vous reste 1 min 30 s.

M. Gobé: ...vous, vous suggérez de prendre la différence entre le taux payé par les manufacturiers ordinaires et ce que, vous, vous allez payer pendant deux ans pour combler le fonds de vacances. Mais le projet de loi, lui, il ne prévoit pas ça. Il prévoit prendre cet argent-là pour payer les inspecteurs. Alors, il va falloir à un moment donné que quelqu'un se positionne quelque part.

Est-ce qu'on va prendre cet argent-là – que vous êtes prêt à donner d'ailleurs, on est d'accord – pour payer le fonds de vacances? Et qui va payer les inspecteurs?

Le Président (M. Lelièvre): M. Lapierre.

M. Gobé: Est-ce qu'il y aura des inspecteurs?

M. Lapierre (Claude): Le 0,2 %, là, il reste à établir... Il faut tenir compte que le 0,2 %, là, devient une somme importante. Alors, il y a des calculs actuaires encore à revérifier de ce côté-là pour arriver au chiffre exact et il y a des calculs à faire aussi sur le coût des inspecteurs. Il y aura peut-être des négociations à terminer de ce côté-là qui ne sont pas complètement terminées.

Et, à nouveau, je n'aimerais pas que ce seul problème là devienne un critère qui influencerait trop la loi n° 47. Je pense qu'il y a des solutions possibles et que le comité de transition pourrait, sur une base de deux ans... Et ce ne sera pas un désastre si le gouvernement avance 2 000 000 $ pour deux ans, puis après deux ans on arrivera avec les solutions vraiment équitables et les chiffres véridiques de ce que tout le point 0,2 % a apporté.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, M. Lapierre, vous avez eu le mot de la fin.

Je voudrais remercier les gens qui vous accompagnaient, mesdames, messieurs, et la commission ajourne ses travaux à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 18)

(Reprise à 14 h 3)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mesdames, messieurs, la commission va donc poursuivre ses travaux, les travaux que nous avons débutés ce matin. Vous savez que le mandat de la commission est de procéder à une consultation générale, tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 47, Loi concernant les conditions de travail dans certains secteurs de l'industrie du vêtement et modifiant la Loi sur les normes du travail.

Alors, cet après-midi nous avons le plaisir d'entendre quatre groupes. Mesdames, je vous souhaite donc la bienvenue. Je vois que le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail conjointement avec la Fédération des femmes du Québec et le Collectif des femmes immigrantes sont maintenant prêts à déposer leur mémoire. Je vous rappelle que le temps de présentation qui vous est alloué est de 20 minutes. Par la suite, 20 minutes sont accordées à chacune des formations parlementaires pour pouvoir échanger avec vous.

Alors, je ne sais pas qui est la porte-parole dans ce dossier. Si vous voulez, madame, vous identifier et aussi présenter les personnes qui vous accompagnent.


Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail (CIAFT), Fédération des femmes du Québec (FFQ) et Collectif des femmes immigrantes du Québec

Mme Bizzarri (Aoura): Alors, nous représentons aujourd'hui ici les femmes qui n'ont pas pu venir, les femmes qui n'ont pas de voix...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Madame, je m'excuse. Est-ce que vous pourriez, s'il vous plaît, vous présenter?

Mme Bizzarri (Aoura): Oui, je me présente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ah bon, d'accord.

Mme Bizzarri (Aoura): Et les non-syndiquées. Alors, à ma droite, il y a Thérèse Sainte-Marie, directrice générale au Conseil d'intervention pour les femmes au travail, le CIAFT, et Françoise David, présidente de la Fédération des femmes du Québec, et moi-même, Aoura Bizzarri, du Collectif des femmes immigrantes.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Je vous remercie.

Mme Bizzarri (Aoura): Alors, comme, moi, j'ai travaillé déjà en manufacture et je suis en contact avec celles qui y travaillent maintenant, avec les femmes qui travaillent maintenant, je vais vous donner un aperçu de la vie en manufacture. Après ça, Thérèse présentera le mémoire et Françoise en fera la conclusion. C'est comme ça que nos 20 minutes vont se dérouler.

Alors, nous voilà partis pour une journée à la manufacture. Soit qu'on soit payé à l'heure ou à la pièce, le matin arrivent les camions avec les sacs de tissus déjà coupés. Les couturières se garrochent l'une sur l'autre pour avoir les sacs, des pantalons ou des chemises à coudre, et crêpage de chignon. Pourquoi, si elles sont payées à l'heure dans certains cas, elles font ça? Parce que, si elles n'arrivent pas à avoir les sacs des pantalons ou des chemises à coudre, les boss les renvoient à la maison, car il n'y a pas de travail pour elles.

Elles travaillent à la chaîne: une coud les cols, l'autre les manches, l'autre les boutons. Chacune doit faire son travail à temps pour ne pas bloquer l'autre. Tu as ton stress à toi et le stress de toutes les autres. Et, si entre 8 heures et midi on a besoin d'aller faire pipi, on se retient, car, si on va aux toilettes, on bloque la chaîne, et, si toutes les femmes qui font la chaîne arrêtent à un moment ou à l'autre pour aller aux toilettes, la chaîne ne marche plus. Conclusion: on se retient jusqu'à midi. À midi, on a une demi-heure souvent pour manger et pour aller aux toilettes, ce qui veut dire, dépendant du nombre des ouvrières et des toilettes, qu'on attend de 15 à 20 minutes pour pouvoir y aller. Donc, il nous en reste cinq ou 10 pour manger.

Ça arrive aussi en manufacture comme ailleurs qu'on puisse avoir des accidents de travail. Vous savez, à force de coudre à la machine il arrive qu'une petite aiguille puisse nous rentrer dans le doigt. Donc, la femme va à l'hôpital pour arranger son petit accident. Qu'elle soit payée à l'heure ou à la pièce, cette femme-là, du moment qu'elle arrête le travail, elle n'est pas payée. La journée qu'elle perd, la journée où elle a eu son accident ne sera pas payée. Le jour après, elle retourne au travail, même avec un doigt gros de même. Et là la question: Mais pourquoi? Parce que, si je ne retourne pas au plus vite, on va me remplacer; il y en a beaucoup d'autres en arrière qui attendent de se trouver un emploi.

Maintenant, ça arrive aussi dans la journée de la manufacture que la machine à coudre se brise. Si elle se brise, si c'est une petite chose, la femme la répare elle-même, sinon elle appelle le contremaître. Dans un cas ou dans l'autre, le temps qu'elle perd, elle ne sera pas payée, car elle n'a pas produit.

Les conditions de travail. Bon. Elles sont toutes tassées les unes sur les autres. On parle des femmes, hein, ici. Souvent, c'est chaud. Il n'y a pas d'aération, pas de ventilateur, beaucoup de poussière. Et les quelques chanceuses qui ont un masque, si le masque n'est plus efficace avant le délai établi par l'entreprise, bien, on ne leur donne pas un autre.

Quant au temps supplémentaire, les femmes qui ne sont pas disponibles pour le faire, ce temps supplémentaire, le soir, le samedi, ou etc., elles sont considérées comme des mauvaises employées et susceptibles d'être renvoyées à la première occasion.

Dans tout ça, il ne faut pas oublier le harcèlement sexuel de la part souvent du contremaître. Beaucoup des contremaîtres, ce sont des hommes. Et il y a le harcèlement envers les femmes. La phrase typique, celle que j'ai entendue le plus souvent: Si tu n'es pas gentille avec moi, tu n'auras pas de travail. Alors, ce qu'il faut savoir, c'est un excellent chantage, hein, car une bonne partie des femmes, surtout les immigrantes, sont parrainées, n'ont pas le droit au bien-être social; donc, ce travail-là, c'est la seule source possible de revenu qu'elles ont. Donc, si la femme n'accepte pas les avances du contremaître, le contremaître lui rend le travail et la vie très difficiles. Jusqu'à quand? Un, la femme cède aux avances, ce qui en général est très rare, ou, deux, ce qui arrive plus souvent, la femme quitte le travail parce que sa vie est impossible.

Alors, lors d'une cessation d'emploi, les employeurs prennent beaucoup de temps avant de donner la dernière paye à la travailleuse, quand on la lui donne. Ça arrive souvent... ça nous arrive, au Collectif, que les femmes viennent puis elles nous disent: Bon, est-ce que tu peux appeler l'entreprise, parce qu'on ne m'a pas payée? Donc, nous, on appelle puis on explique: Bon, vous voyez, la femme a trois enfants à nourrir, est-ce que vous pouvez lui envoyer la dernière paye, s'il vous plaît? On nous niaise puis on nous dit: Bien, oui, ma chère petite madame, elle va l'avoir demain matin dans son compte en banque; ça va directement là. Ça, ça passe une semaine, deux, trois, jusqu'à quand la femme arrête d'aller chialer, arrête de demander, parce qu'elle n'aura pas sa dernière paie. Voilà. Ça, ce n'est qu'un bref aperçu de la vie en manufacture.

Alors, si la situation actuelle est honteuse, en abolissant les décrets ça va être encore pire. Alors, on sait pourquoi les employeurs demandent ça, mais, moi, ma question, c'est: Pourquoi vous, les gouvernements, se faire complices de cet esclavage? Parce que ce ne sont que des femmes ou c'est parce que ce n'est que la majorité des femmes immigrantes? Pourquoi? Pourquoi voulez-vous instaurer au Québec un esclavage qu'on condamne quand c'est fait dans les pays du Sud, quand c'est fait ailleurs? O.K.?

Mais qu'est-ce que ça va vous rapporter d'instaurer cet esclavage? Des votes aux prochaines élections? Moi, j'en doute fort. Alors, pourquoi?

(14 h 10)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Sainte-Marie.

Mme Sainte-Marie (Thérèse): Alors, comme on peut s'y attendre, les débats suscités par ce projet de loi sont très polarisés. Alors que plusieurs associations patronales du secteur de l'industrie du vêtement se réjouissent de l'intention gouvernementale d'abolir les décrets, les syndicats, quand à eux, la réprouvent, et, j'ajouterais, les femmes également.

Ainsi, s'il faut en croire les arguments évoqués par certaines associations patronales, les décrets nuiraient à la compétitivité des industries établies au Québec et seraient un frein à la création d'emplois. Pourtant, les décrets n'ont pas empêché ces mêmes employeurs de créer 1 500 emplois additionnels depuis deux ans grâce à la reprise des exportations vers les États-Unis. Les entreprises québécoises demeurent donc compétitives face à nos voisins américains, qui constituent en fait les principaux acheteurs des vêtements québécois.

Les décrets comportent-ils alors vraiment des contraintes sérieuses à la création d'emplois? Nous en doutons fortement. Pourtant, les employeurs québécois s'acharnent depuis quelques années à tenter de convaincre le gouvernement que leur principal problème est l'existence des décrets. Il se plaignent de la lourdeur administrative de ceux-ci et vont même jusqu'à les considérer comme étant un obstacle à l'entrepreneurship et à la création d'entreprises parce que, disent-ils, et je cite, «les décrets empêchent le bénévolat de l'entrepreneur lui-même, de parents, d'amis, obligeant de les rémunérer s'ils travaillent à la production». Un tel argument a au moins le mérite de bien nous situer sur la noblesse des intentions de ces employeurs envers la main-d'oeuvre qu'ils embauchent, fussent-ils leurs amis. Pour notre part, nous affirmons que ce n'est pas à ce prix que doit se faire la création des quelque 8 000 emplois additionnels que l'industrie prétend – et je souligne – pouvoir générer avec l'abolition des décrets.

Cela étant dit, nous ne remettons pas en question l'idée qu'il faille dépoussiérer les décrets. La proposition de fusion des quatre décrets dans l'industrie du vêtement serait selon nous davantage appropriée pour alléger la réglementation de ce secteur que l'actuelle proposition gouvernementale. En dépit des modalités alternatives proposées, l'abolition des décrets préconisée par le projet de loi n° 47 ne peut que conduire, à moyen ou long terme, à la perte des maigres acquis des travailleuses et travailleurs de l'industrie du vêtement.

Quand on regarde le secteur d'emploi de l'industrie du vêtement, on ne peut que constater que c'est un secteur d'emplois précaires et largement féminin. Plusieurs statistiques confirment en effet que 75 % de la main-d'oeuvre de ce secteur-là, ce sont des femmes. Elles sont, pour plusieurs d'entre elles, aussi immigrantes, sous-scolarisées, ne parlant ni français ni anglais. Quand on regarde aussi la rémunération qui est versée à ces travailleuses et travailleurs, on s'aperçoit aussi que personne là ne roule sur l'or et n'a surtout pas une rémunération qui empêche la concurrence.

De plus, l'étude comparative de la rémunération entre les quatre degrés d'emplois à prédominance féminine et ceux à prédominance masculine soulève quelques questionnements en regard de l'équité salariale. En effet, une lecture sommaire de la grille de rémunération du décret de l'industrie de la confection pour dames nous révèle que les catégories d'emplois à prédominance masculine, comme celles des coupeurs et presseurs, peuvent recevoir, à l'échelle maximale de la grille, une rémunération supérieure à plus de 3 $ l'heure comparativement aux opératrices, et même ça peut aller jusqu'à 5 $ l'heure. À cet égard, il est difficile de ne pas faire le lien entre cet écart salarial et le fait que les femmes syndiquées soient en nette minorité dans ce secteur.

La faiblesse des rémunérations et l'iniquité salariale ne sont pas les seuls problèmes vécus par l'ensemble de la main-d'oeuvre de l'industrie du vêtement. Tel que mentionné par ce même rapport des comités paritaires, travail à domicile clandestin, ateliers illégaux, heures de travail non rapportées, salaires impayés, mises à pied abusives, congédiements sans cause juste et suffisante, fraudes fiscales, etc., font partie du lot des conditions de travail dans ces secteurs-là.

Nous sommes donc en présence d'une situation où, malgré la présence des décrets, la main-d'oeuvre largement féminine et immigrante du secteur du vêtement demeure vulnérable et exploitée dans plusieurs cas. Cette situation-là a été reconnue par le ministère du Travail et reconnue par la ministre elle-même, Mme Lemieux. Alors, pourquoi le gouvernement québécois entend-il donc céder à une pression d'un secteur industriel qui a depuis longtemps la mauvaise réputation d'abuser et d'exploiter sa main-d'oeuvre? Pour sauver des emplois ou même en créer des nouveaux? Rien n'est moins sûr.

Quand on regarde le secteur industriel, on voit bien effectivement que nous sommes rendus à l'heure de la mondialisation des marchés et que, oui, c'est sûr, il y a une pression énorme venant des industries du vêtement qui sont situées dans le tiers monde. Est-ce que ça veut dire pour autant qu'il faudrait affaisser les conditions de travail pour pouvoir les niveler à celles, par exemple, du Mexique ou celles des Philippines? Nous croyons pour notre part que là où est-ce qu'on devrait davantage investir, c'est dans les nouvelles technologies et dans la main-d'oeuvre spécialisée, et en ce sens-là l'industrie n'a réellement pas fait ses preuves.

En conséquence, comment affirmer que la solution aux problèmes de compétitivité de l'industrie du vêtement réside essentiellement dans l'abolition des décrets? Cette industrie sera-t-elle plus concurrentielle en précarisant davantage les conditions de travail ... qu'elle embauche? Quoi qu'en disent différentes organisations syndicales, nous croyons pour notre part que les seuls bénéfices pouvant résulter de l'abolition des décrets se résumeront à l'augmentation à court terme de la marge de profit de quelques actionnaires et propriétaires d'entreprises. Ça ne réglera en rien les difficultés importantes des industries québécoises, dont celle de la compétitivité internationale qui est souvent soulevée par ces dernières pour justifier l'abolition des décrets.

Pour prendre le virage de l'an 2000, il ne faut pas utiliser les modes de production et de gestion du siècle dernier. Nous devons plutôt prendre les moyens nécessaires pour reconnaître la valeur de la main-d'oeuvre qui y travaille et lui fournir une rémunération et des conditions de travail qui favorisent tant son maintien en emploi que sa motivation à se former et à se perfectionner. Il faudra surtout, pour attirer les jeunes et la main-d'oeuvre qualifiée, que le gouvernement, de concert avec les entreprises du secteur et les organisations syndicales, aménage les conditions qui permettront de sortir de l'image d'ateliers de misère qui colle à l'industrie du vêtement.

Si on regarde le projet de loi qui a été déposé pour les fins de cette commission parlementaire, on propose effectivement une série de mesures modifiant considérablement les règles de fonctionnement de l'industrie. Il a pour effet, dans un premier temps, d'abolir les quatre décrets et les trois comités paritaires administrant ceux-ci, d'éliminer le fonds de vacances des employés, d'établir une période transitoire de deux ans au cours de laquelle une certaine forme de statu quo serait appliquée; les comités paritaires seraient remplacés, à partir du 1er janvier 2000, par la Commission des normes du travail, qui pourtant, nous le soulignons, ne détient aucune expertise en la matière. En un deuxième temps, soit à compter du 1er janvier 2002, de nouvelles normes sectorielles – on ne sait pas lesquelles – permanentes seraient établies, avec un seul taux horaire pour le secteur du vêtement. Voilà en substance ce qu'on propose effectivement d'adopter pour satisfaire aux exigences patronales.

Comme nous l'avons souligné, les conséquences d'un tel projet sont multiples. D'abord, la période transitoire de deux ans impose un gel salarial pour l'ensemble de la main-d'oeuvre visée alors qu'une large partie de celle-ci n'avait obtenu aucun ajustement depuis cinq ans, ou même sept ans dans le cas du vêtement pour dames. Faut-il rappeler que ce gel salarial frappera durement une main-d'oeuvre qui est bien loin de rouler sur l'or et que ça va constituer un réel appauvrissement pour celles-ci?

Le projet de loi va encore plus loin dans la réduction des contrats de travail. Il élimine à court terme le fonds de vacances du vêtement pour dames et nivellera substantiellement celui des industries de la chemise et du gant de cuir aux conditions prévalant dans le secteur du vêtement pour hommes à compter de l'an 2000. Si cette disposition réduit considérablement les acquis des travailleuses du secteur de la chemise et du gant de cuir, il en va encore davantage pour ceux du vêtement pour dames. Ces dernières bénéficieront des seules conditions prévues par la Loi sur les normes du travail, ce qui constituera un net recul en rapport à celles que lui offre actuellement le décret pour vêtement pour dames.

Le projet de loi prévoit aussi l'abolition de l'obligation des employeurs de produire des rapports mensuels de paie et entend limiter les inspections des entreprises, ce qui sera loin d'aider les travailleuses du secteur, parce que pour elles, ce sont les seuls remparts qui leur restent pour assurer un minimum de décence au niveau du respect de leurs conditions de travail.

Et enfin, en dernier lieu, la proposition du ministère du Travail de confier à la Commission des normes du travail la responsabilité de gérer la période transitoire de deux ans et de faire respecter les nouveaux règlements prévus par l'actuel projet de loi nous paraît guère de bonne augure pour la main-d'oeuvre concernée. Elle ne peut que favoriser le glissement graduel des conditions actuelles de travail des quatre secteurs de l'industrie du vêtement vers celles prévues par le régime universel où seuls le salaire minimum et la Loi sur les normes du travail encadreront les pratiques de gestion du personnel.

(14 h 20)

En somme, le projet de loi n° 47 ne peut qu'aggraver les conditions actuelles des travailleuses et n'offre pas vraiment de solutions aux problèmes de l'industrie. S'il est vrai que le décret dans le secteur du vêtement devrait être simplifié et modernisé, nous croyons qu'il n'est pas pour autant nécessaire de l'abolir complètement.

Peut-on réellement croire que les piètres conditions actuelles offertes à la main-d'oeuvre sont des obstacles à la concurrence des entreprises? Si la compétitivité des entreprises québécoises par rapport à celles des pays en voie de développement repose essentiellement sur la réduction des droits des travailleuses et des travailleurs d'ici, alors ça veut dire que c'est l'ensemble de notre société qui en paiera le prix.

Alors, d'emblée nous recommandons effectivement la fusion des décrets et évidemment nous proposons qu'il y ait une fusion des comités paritaires plutôt que de les confier à la Commission des normes du travail.

Par ailleurs, nous nous objectons aux modifications proposées au fonds actuel de vacances et particulièrement celles prévoyant l'abolition du fonds de la main-d'oeuvre des vêtements pour dames, du fonds de vacances. Sans ce fonds, bon nombre de ces travailleuses et travailleurs risquent de n'avoir guère d'autres choix que d'accepter d'être mis à pied durant les périodes prévues pour leurs vacances et de recevoir pour seule rémunération que celle offerte par l'assurance-emploi.

Considérant la très grande précarité des conditions de travail des travailleuses et des travailleurs du vêtement, il serait absolument inacceptable de leur enlever l'un des rares acquis que l'imposition des décrets leur a permis d'obtenir. D'ici le dépôt d'un nouveau projet de loi, nous demandons d'établir minimalement le statu quo sur les décrets actuels et de maintenir les cotisations au fonds de vacances selon la tarification actuelle.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme David, en vous rappelant qu'il reste à peine trois minutes à votre intervention.

Mme David (Françoise): Une va être assez. On est tout à fait conscientes que ce projet de loi là s'inscrit dans le sens des propositions du rapport Lemaire, le rapport Lemaire produit en mai 1998, et que ce rapport proposait effectivement des allégements réglementaires importants dans les normes environnementales, dans le régime de santé et de sécurité, dans les décrets et même dans l'application de la Loi sur l'équité salariale. Nous sommes donc très conscientes que le projet de loi n° 47, qui propose l'abolition des décrets dans l'industrie du vêtement, c'est la soumission gouvernementale au mot d'ordre des marchés, au mot d'ordre des patrons, et nous sommes obligées, ici, de faire des liens entre le projet de loi n° 47 et d'autres situations où le gouvernement du Québec recule, à notre avis, dans ses obligations vis-à-vis les plus mal pris de la société. Je cite seulement pour exemple le maintien des prestations d'aide sociale au niveau de 1993, le silence de la ministre du Travail quant à l'augmentation du salaire minimum, prévue pour octobre, et le caractère temporaire – je dis bien temporaire – de la loi sur les clauses dites orphelin, ce qui est presque une première au Québec.

Au nom, donc, de toutes celles qui n'ont pas de voix, pas de syndicat, pas de tribune, nous exigeons le retrait du projet de loi n° 47 et revendiquons du gouvernement du Québec qu'il assume le leadership dont il est capable pour amener les différents partenaires de l'industrie du vêtement à s'entendre sur une actualisation des décrets et non sur leur abolition.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, mesdames, je vous remercie. Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, Mme la Présidente. J'ai dit dans mes remarques d'introduction qu'une des choses qui a guidé et mon travail et le travail du ministère du Travail pour la rédaction de ce projet de loi, c'était la recherche d'un difficile équilibre, un équilibre entre la compétitivité et les conditions de travail, entre un régime en place depuis plus de 60 ans et les exigences d'une nouvelle économie, entre l'intervention de l'État et le libre marché. Et je ne veux pas faire de mauvais jeu de mots, mais honnêtement mes éléments de comparaison, ce n'est pas les conditions salariales qui sont dans les pays en voie de développement, c'est, par exemple, l'Ontario. C'est à ça que les industries du Québec sont confrontées. Et curieusement la moyenne salariale de l'Ontario est légèrement plus élevée dans le secteur de l'habillement qu'au Québec. On en a discuté ce matin d'ailleurs avec des représentants des associations patronales.

La difficulté de ce dossier-là, c'est que dans un monde idéal et s'il y avait encore du paritarisme, c'est-à-dire s'il y avait encore un minimum de cohésion, parce qu'on le voit dans certains secteurs, entre les organisations syndicales et les organisations patronales, on n'aurait pas besoin de forcer le jeu. Je ne vous referai pas l'historique, mais depuis le début des années quatre-vingt-dix, ça a tiré d'un côté et de l'autre au sujet de cette question-là, des décrets. Alors, cette question-là, elle a été dans l'actualité à des moments un peu plus intensément, elle l'est un petit peu plus récemment. Mais je vous dirais qu'il nous faut reconnaître que le gouvernement a choisi de maintenir un régime d'exception. C'est un régime d'exception qui est un peu contre vents et marées. On essaie de trouver la meilleure voie pour à la fois moderniser, oui, protéger des acquis, mais en même temps tirer vers l'avenir, tirer vers l'an 2000. Mais il s'agit d'un régime d'exception.

Et, ce matin, il y avait des représentantes d'une industrie de l'Estrie qui étaient très inquiètes, et je peux comprendre les inquiétudes. Je pense qu'il y a beaucoup d'aspects du projet de loi qui méritent d'être expliqués dans certains cas, d'être clarifiés aussi, on a mis quelque chose au jeu, mais il n'en demeure pas moins que – donc des inquiétudes, notamment, par exemple, au niveau salarial – nous restons dans un régime d'exception et que les normes auxquelles nous songeons actuellement, c'est des normes supérieures aux normes minimales du travail qui sont comprises dans la Loi sur les normes du travail. Alors, je pense que vous concluez un petit peu rapidement sur mes intentions et les intentions du gouvernement.

Maintenant, j'aurais beaucoup de choses que je voudrais aborder avec vous, mais je vais faire des choix. Je sais qu'il y a des collègues qui veulent poser aussi des questions. J'aimerais ça vous réentendre, parce que vous dites tout de même – bon, je reprends votre formulation – vous ne remettez pas en cause l'idée qu'il faille dépoussiérer les décrets. Un peu en boutade, de quelle poussière s'agit-il? Vous reconnaissez qu'on a besoin de moderniser cet instrument-là. Je veux dire, on a beau faire des raccourcis sur ces considérations-là, mais la production dans les industries du secteur du vêtement n'est pas la même qu'il y a 10 ou 15 ans, les volumes ne sont pas les mêmes. Il y a beaucoup plus de spécialisations, beaucoup plus de sous-traitance où là la question des décrets devient importante; c'est des gens qui peuvent avoir la souplesse de produire et d'accepter des contrats dans des champs différents. Je pense qu'on ne peut pas ignorer ces changements-là, et le potentiel aussi qu'il y a derrière ces changements-là en termes de création d'emplois.

Alors, j'aimerais bien que vous me précisiez, quand vous dites que, oui, on voit bien qu'il faut dépoussiérer, à quoi vous pensez, qu'est-ce qu'il faut moderniser. Et j'aimerais aussi vous entendre sur le fait, parce que vous dites: cette période de transition là – je n'ai pas votre formulation exacte – de deux ans est un facteur d'affaiblissement des conditions de travail. Et, moi, au contraire, je pense que c'est une période pour nous rendre à des normes acceptables, correctes, qui vont faire justement cet équilibre-là entre les besoins de l'industrie: le besoin de l'industrie d'être compétitive, des conditions de travail adéquates, entre les besoins de cette nouvelle économie puis l'intervention de l'État mais aussi un équilibre avec le libre marché. Alors, comment on peut la rendre, cette période de transition, la plus productive possible? Le mécanisme que nous prévoyons, c'est de remettre ensemble... Parce qu«,actuellement les mécanismes classiques, comités paritaires et autres, sont très peu représentatifs. Moi, ça m'inquiète beaucoup. C'est beaucoup des manufacturiers, ce n'est pas beaucoup des sous-traitants. C'est beaucoup plus des intervenants syndiqués, pas beaucoup de non-syndiqués. Comment on va faire en sorte que cette période-là nous rende à des normes sectorielles adéquates?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Sainte-Marie.

Mme Sainte-Marie (Thérèse): Oui. Sur la question de dépoussiérer les irritants concernant les décrets actuels, je pense qu'effectivement les employeurs en ont identifié plusieurs dans les mémoires qu'ils vous ont déposés. On peut comprendre que le fractionnement des différents postes de travail et le fait effectivement que ça empêche une certaine polyvalence au niveau de la main-d'oeuvre ça peut être considéré comme étant un irritant.

Un autre aspect aussi, c'est le fait effectivement que pour des tâches qui peuvent être relativement similaires d'un décret à l'autre, si je pense à la confection pour dames versus celui pour la chemise ou le vêtement pour hommes, les salaires ne sont pas effectivement parfois très comparables. Alors, il peut y avoir aussi une simplification à la fois au niveau des postes de travail et de la rémunération qui est accordée en fonction des postes de travail. Alors, ça, c'est un exemple, je pense, d'un des irritants, parce que souvent les employeurs ont mentionné que, lorsqu'ils voulaient faire deux types de vêtements qui touchaient deux décrets, ils étaient confrontés avec une double juridiction, et ça posait des problèmes.

(14 h 30)

Moi, je pense que la fusion des décrets permettrait, d'une part, un peu comme on le souligne dans notre mémoire, de voir une simplification des postes de travail à l'intérieur et aussi une rationalisation concernant les salaires, et, on le souligne, de façon aussi à respecter la Loi sur l'équité salariale, puisqu'effectivement au fil des années on pense qu'il y a eu un effet discriminatoire au niveau de la détermination des salaires des emplois à prédominance fortement féminine.

Concernant la question de comment rendre productive la période transitoire, moi, je pense que... nous, on a opté non pas évidemment sur le scénario qui est proposé par le gouvernement, mais on a plutôt opté pour un scénario que le gouvernement avait envisagé il y a déjà quelques années à l'effet effectivement qu'on puisse fusionner et réglementer ce large secteur-là qui est le secteur du vêtement. Et on pense que pour qu'elle soit productive elle doit être le plus inclusive possible et elle devrait inclure aussi les sous-traitants, parce que j'ai cru aussi comprendre qu'un des irritants, c'est le fait effectivement que les sous-traitants ne soient pas assujettis alors que les manufacturiers le sont. Et, nous, on considère effectivement que ça doit être le plus inclusif possible de façon à ce que ce soit le plus efficace possible au niveau de son application.

Pour ce qui est de la période transitoire qui est proposée par le gouvernement, bon, bien sûr le gouvernement peut vouloir tendre à faire en sorte que le salaire soit supérieur à celui du salaire minimum, mais il y a actuellement à peu près un écart de pas loin de 2 $ entre le salaire actuel, par exemple, qui est versé dans le décret pour les vêtements pour hommes et garçonnets. C'est déjà 2 $ au-dessus du salaire minimum. On n'a pas l'impression effectivement que des nouvelles normes sectorielles iraient au-delà de ce qui est déjà accordé dans le secteur.

Et comment on va faire en sorte qu'on va harmoniser et déterminer un seul taux horaire pour l'ensemble? Nous, en tout cas, on trouve qu'il y a un fort risque à l'effet qu'on prenne le plus bas salaire qui est versé dans l'ensemble de l'industrie. Et ça risque effectivement d'être une perte importante pour les gens qui gagnent 10 $ ou 13 $ de l'heure déjà dans le secteur.

Par ailleurs, concernant la comparaison avec l'Ontario, moi, je souligne... En tout cas, j'ai sous les yeux aussi les différents taux horaires qui sont payés dans différents secteurs industriels, manufacturiers du Québec, et celui des vêtements est nettement celui qui est en deçà de tous les autres taux horaires qui sont versés. En ce sens-là, je pense qu'effectivement il y a lieu d'y regarder de plus près.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Un autre sujet que vous abordez puis qui a été aussi beaucoup abordé ce matin, c'est des inquiétudes au sujet de la surveillance, de l'inspection, s'assurer que la loi soit respectée. Je pense que vous avez compris que la proposition n'est pas de strictement abolir les comités paritaires et en dehors de ça point de salut, mais de remplacer les interventions des comités paritaires, telles qu'on les connaît, par autre chose. Et la proposition, c'est de d'abord ne pas perdre l'expertise notamment des inspecteurs, des inspectrices qui sont dans les comités paritaires, de les transférer à la Commission des normes du travail qui aurait pour mandat l'inspection et la surveillance, le respect donc de ces normes dans l'industrie du vêtement comme la Commission a un mandat de respect des normes du travail au Québec.

Je sais qu'il y a beaucoup d'inquiétudes par rapport à ça. Certains voient ça comme un recul. Moi, je pense qu'on a une occasion en or, en or parce que c'est clair que et le projet de loi et aussi les attentes de la ministre, c'est de faire en sorte que la Commission des normes saisisse cette occasion-là de changement pour remodeler, repenser, réajuster, refocusser – enfin, je peux utiliser plusieurs mots – la question de l'inspection et la surveillance du respect des normes dans ce secteur-là.

Qu'est-ce qu'il devrait y avoir dans ce... Parce que c'est plein de trous jusqu'à maintenant. On ne peut pas s'en cacher, là. Il y a beaucoup de gens qui ont peur qu'on recule en abolissant les comités paritaires, mais, en même temps, il y avait aussi plein de trous. Alors, on a une occasion de se demander clairement comment on va travailler ce secteur-là qui a ses caractéristiques, ça, c'est clair, qui a évidemment des composantes similaires avec d'autres secteurs d'activité au Québec, mais qui a ses caractéristiques, ça, j'en conviens tout à fait. Vous en avez parlé, et je le reconnais très aisément.

Est-ce que peut la saisir, cette occasion-là? Ce programme de surveillance, parce que c'est des attentes que le gouvernement va exprimer à la Commission des normes, de quoi il doit être composé? Sur quels éléments on se doit d'être attentif particulièrement? Vous savez que la Commission a toutes sortes de possibilités. Elle peut avoir une attitude beaucoup plus proactive par rapport à l'inspection. Il n'y a pas besoin de plainte. Les possibilités sont quand même très larges. Alors, comment on saisit cette occasion-là? Sur quels éléments devrait être appuyé un programme comme celui-là?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Sainte-Marie.

Mme Sainte-Marie (Thérèse): Un des aspects qui a été éliminé dans le projet actuel, c'est l'obligation de produire des rapports mensuels. Et ça, effectivement, c'est un détecteur de problèmes qui peut prévaloir dans l'industrie, qui est extrêmement important et qu'il faudrait à tout le moins conserver.

Il y a d'autres éléments aussi dans le projet de loi au niveau des conditions de travail qui subissent aussi des diminutions importantes. On parlait tout à l'heure du fonds de vacances qui devrait continuer d'être administré par une entité distincte. Est-ce que la Commission des normes du travail va faire cette gestion du fonds de vacances? Ça ne m'apparaît pas du tout évident.

On parle d'un organisme consultatif dans le projet de loi, mais on a peu d'information sur ce qu'est-ce qu'il en serait. Est-ce qu'il remplacerait? Est-ce qu'il aurait essentiellement un rôle aviseur et non pas un rôle d'encadrement? Tous ces éléments-là ne sont pas très clairs dans le projet de loi actuel, et c'est des éléments qui nous permettent une plus grande garantie du respect des droits des travailleuses.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme la députée de Groulx.

Mme Blanchet: Crémazie.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Crémazie, excusez-moi, madame, je vous en prie.

Mme Blanchet: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais revenir, mesdames, sur votre point qui revient souvent, c'est-à-dire la fusion des décrets en lieu et place de l'abolition.

On sait que le régime des décrets, c'est basé sur le paritarisme, donc la concertation patronale-syndicale. Malheureusement, à la lumière des discussions des dernières années ou à la lecture des différents mémoires, on se rend compte que cette concertation-là n'est plus là. D'ailleurs, il y a trois ou quatre ans, le ministère du Travail avait déjà tenté une fusion de ces décrets-là, et malheureusement ça n'avait pas fonctionné.

Donc, sur quoi basez-vous votre argumentaire pour justement... Ou pourquoi revenez-vous avec encore cette idée de fusion, puisque ça a déjà été tenté, pour justement contre-proposer versus le projet de loi que l'on a devant nous, étant donné une mauvaise expérience peut-être? Je vous avoue, là, je ne connais pas tous les détails, mais comment tenir encore à cette idée-là de fusion?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme David.

Mme David (Françoise): Oui, je vais répondre à la question. Ça va permettre peut-être d'aller un petit peu plus loin dans le fond des choses.

Ça n'a pas fonctionné parce que les employeurs ne sont pas d'accord, point à la ligne. Et, en fait, on se retrouve aujourd'hui dans une situation qui est assez simple et claire. Il y a un projet de loi n° 47 sur la table parce que les employeurs ne veulent plus des décrets ni améliorés, ni fusionnés, ni quoi que ce soit. Quand Mme Lemieux dit: On cherche un équilibre entre la compétitivité et les conditions de travail, je me permettrais de dire qu'en fait, je pense, le gouvernement cherche une façon de s'en sortir entre les employeurs qui ne veulent rien savoir, et, dans certains cas, même pas le projet de loi n° 47, c'est encore trop pour eux, et les travailleurs et les travailleuses qui, elles et eux, qu'ils soient syndiqués ou non, veulent le maintien des décrets parce que ce sont des conditions minimales de travail, minimales un petit peu plus que le salaire minimum peut-être, ce qui est, de toute façon, en dessous de tout, mais minimales quand même.

Et, en vérité, là, il n'y a aucun autre motif à l'abolition des décrets que le fait que les employeurs québécois, comme bien d'autres, sont allergiques à toute forme de réglementation, que ça soit dans le domaine de l'équité salariale – on les a assez vus à cette occasion-là – que ça soit dans le domaine de la sécurité au travail et que ça soit dans le domaine des décrets. La vraie raison, elle est là. Ce n'est même pas une question de compétitivité, étant donné qu'avec les décrets dans les dernières années les patrons ont créé des emplois. Les décrets ne les ont pas empêchés d'en créer.

On n'est donc pas dans une situation où on a à choisir entre les conditions de travail des employés et le maintien ou le développement des emplois. Ce n'est pas vrai. Nous avons lu tout ce que les employeurs ont produit. Il n'y a pas l'ombre du début d'une démonstration qu'avec l'abolition des décrets ils vont créer 8 000 emplois. Ce n'est pas vrai.

(14 h 40)

À ce moment-là, ce que, nous, nous prétendons, c'est que l'abolition des décrets ne sert qu'une fin: ouvrir le maximum possible d'entreprises, que ce soient des manufactures ou des sous-traitants, avec les salaires les moins élevés possible et les conditions de travail les moins bonnes possible.

Je trouve très imprudent l'idée de penser que, après une période transitoire de deux ans, là il y aura, par miracle, concertation pour nous entendre sur un salaire décent dans cette industrie et sur des conditions de travail qui devraient d'ailleurs être grandement améliorées si on veut avoir une main-d'oeuvre spécialisée, une main-d'oeuvre qui peut se développer avec les nouvelles technologies, une main-d'oeuvre qui fonctionne bien, etc.

En ce moment, on le sait, il y a beaucoup de rotations, il y a beaucoup de fermetures d'entreprises, ouvertures de nouvelles entreprises. C'est une jungle, en fait, cette industrie-là. Et le fond des choses, c'est là qu'il est; ce n'est pas dans la recherche entre la compétitivité et les conditions de travail. Et là je n'en fais pas une question d'intention. J'aimerais ça qu'on se base un peu sur les faits. Dans les deux dernières années, il y a eu création d'emplois dans cette entreprise. Pourquoi abolir les décrets?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, Mme la Présidente. Je pourrais quasiment vous répondre, Mme David, mais auparavant je veux quand même vous saluer, vous et les personnes qui vous accompagnent, Mme Sainte-Marie.

Votre mémoire est comme une douche froide ou une douche chaude, brûlante qui nous arrive sur le dos. Quand j'écoutais votre première collègue qui parlait, on entendait ces mots «horaire fastidieux, problèmes de pauses, toilettes désuètes, renvois arbitraires, harcèlement sexuel, paies pas envoyées dans le temps». Est-ce que c'est réellement les conditions que vous avez pu constater sur le terrain, madame?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Bizzarri.

Mme Bizzarri (Aoura): Oui. Actuellement, au Collectif, on travaille avec les femmes immigrantes dont bon nombre sont en manufacture. Donc, moi, je n'ai pris que quelques petits exemples. Ça, c'est vraiment la vie de tous les jours, hein! Ce n'est pas des choses éclatantes. Ce n'est pas une question, comme vous dites, de paies en retard, souvent elles ne sont pas payées du tout, les dernières semaines, elles n'ont pas... Donc, c'est des choses qu'elles vivent tous les jours.

Alors, vous pourriez me poser la question: Mais pourquoi elles ne portent pas plainte? Pourquoi elles ne font pas ci, ne font pas ça? Il faut se mettre aussi dans la peau d'une femme dont le seul revenu est celui-là, qui n'a pas le droit même pas souvent au bien-être social, au cas où ça pourrait être ça, la solution. Donc, non, on ne va pas porter plainte parce que, après, on perd le seul travail qu'on a. Oui, ce sont les conditions de tous les jours, hein! Elles ne sont pas exagérées du tout.

Moi, j'ai travaillé moi-même plusieurs années et maintenant je les côtoie, puis voilà, c'est ça, la vie de tous les jours. Bon, je ne vous dis pas que, tous les jours, ils se rentrent l'aiguille dans le doigt et ça casse la machine, mais c'est des choses ordinaires. Donc, oui, c'est vrai qu'elles mangent en cinq ou 10 minutes à côté de leur machine parce qu'elles ont fait 20 minutes la queue pour aller aux toilettes. C'est des exemples très réels et pas gonflés du tout, malheureusement. On n'a pas besoin de gonfler pour faire le show, là, c'est vraiment la vie de tous les jours à la manufacture.

M. Gobé: Parce que ce que vous nous décrivez là... J'ai lu, moi aussi, beaucoup de choses sur cette industrie. J'ai rencontré beaucoup de groupes, parlé avec beaucoup de gens. Et les gens, certes, nous font part de certaines situations qu'ils trouvent un peu abusives ou déplorables, mais c'est la première fois que j'entends publiquement...

Mme Bizzarri (Aoura): Ah oui?

M. Gobé: ...avec des termes aussi précis et aussi courageux, la description de ce qui, selon vous, comme témoin privilégié, intervenante dans ce milieu-là, se passe dans ces entreprises. C'est quasiment du Charles Dickens, du Émile Zola.

Mme Bizzarri (Aoura): C'est la première fois parce que...

M. Gobé: Je pense que c'est la première question que, en tout cas, du côté du gouvernement, on aurait dû vous poser, de vous demander des éclaircissements. On ne peut pas tolérer, je crois, comme gouvernement, aujourd'hui que des situations comme celles-là persistent ou se produisent auprès de nos citoyens, des femmes, des hommes ou qui que ce soit, dans les entreprises.

Nous avons passé un arsenal de lois, de protection de toutes sortes au Québec pour essayer d'encadrer ces choses-là. Force est de constater – et je ne mets pas du tout en doute ce que vous dites, madame – que, malgré ça, il y a des secteurs où ces choses-là, ces choses inadmissibles arrivent et se produisent, en particulier parmi les plus démunis.

Je prends votre exemple – ça m'a touché beaucoup – de l'immigrante parrainée. Dans ma circonscription électorale, et là ce n'est plus le porte-parole au travail qui parle, du Parti libéral, c'est le député dans une circonscription d'immigrants, il y en a beaucoup, des femmes, moi aussi, dans ma circonscription, comme vous, particulièrement de votre génération peut-être, des années soixante, cinquante, qui sont arrivées, qui ont travaillé dans les manufactures pour aider à élever leurs enfants, pour les envoyer à l'école, pour les envoyer à l'université. Et, quand vous me dites ça, j'imagine... On ne peut non seulement ignorer ça, on doit, dès maintenant, essayer de prendre des mesures pour corriger cela, on doit donner les instruments aux gens pour remédier à cette situation, comme on le fait dans toutes les situations que nous connaissons. Là, on parle de violence sur les enfants, on parle de harcèlement sexuel dans toutes sortes d'endroits, on parle du tabagisme, on met des lois pour empêcher ça parce qu'on considère que c'est nuisible à la société. Mais là c'est plus que nuisible, ça touche un groupe particulier. Je crois que, en dehors de ce projet-là, premièrement, dont on parle maintenant, qui, d'après moi, va devoir changer beaucoup pour pouvoir rencontrer l'assentiment de l'ensemble des députés, dès maintenant, il devrait y avoir des gens quelque part dans le gouvernement qui se penchent sur cette situation, parce que je ne crois pas que, maintenant que nous la connaissons, nous, les élus, nous puissions l'accepter. Alors, c'est ce que je voulais vous dire.

Maintenant, on va aller plus sur le projet de loi comme tel. Mais je fais une demande officielle à la ministre. Mme la ministre, vous qui êtes la responsable des lieux de travail, du respect des gens et vous qui êtes ancienne présidente du Conseil du statut de la femme, nous venons d'apprendre qu'il y a des femmes, des travailleuses qui se font harceler, qui sont victimes de chantage, qui sont victimes d'intimidation, qui sont victimes de congédiement, et c'est ce que madame a dit, c'est dans les transcripts de cette Assemblée, c'est sur la bande vidéo des caméras qui nous filment, je vous demande de le regarder à nouveau, de l'écouter – je ne ris pas, madame – et de prendre des mesures pour vérifier les allégations et rapidement d'agir pour essayer d'apporter au moins des correctifs à ça. Et ça, ça peut se faire... Pas besoin d'adopter un projet de loi qui va tout couper dans leur protection par la suite, peut-être.

Je vous le demande formellement en cette commission, et à mes collègues aussi: Pouvons-nous, nous, députés, tolérer, au XXIe siècle, Québec, société moderne qui regarde vers le monde – on nous parle de compétitivité, d'efficacité, de liberté – qu'il y ait des femmes qui soient encore victimes de ça? Ou alors on ne croit pas à ce que madame nous dit. À ce moment-là, on devrait la remettre en cause. Mais, moi, je ne la remets pas en cause. Je crois que, comme tous les gens qui viennent témoigner ici, elle nous parle de bonne foi, elle nous livre son expérience. Alors, voilà la demande que je vous fais, Mme la ministre, comme je l'aurais faite à votre prédécesseur, M. Rioux, qui, certainement, était tout à fait sensible à ces choses-là. Il n'est plus là, je vous la fais à vous.

Dans votre mémoire, j'ai vu que vous demandez – on va repartir sur le projet de loi, maintenant que je pense avoir fait un petit bout avec vous – la fusion des quatre décrets. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a eu un groupe d'experts, un comité d'experts au ministère du Travail qui s'est penché sur cette situation et qui a produit un rapport, en 1996, qui recommandait la fusion des quatre décrets. Malheureusement, ce rapport – et je ne sais pas si ma copie est ici, mais j'en ai une copie qui m'a été envoyée; quelqu'un qui avait à coeur, probablement, l'avancement du débat m'a fait parvenir au début du printemps une copie de cette étude – ce mémoire a été totalement mis sur une tablette par le gouvernement, ignoré complètement au profit de la loi que nous connaissons.

Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, d'après vous, de ressortir ce rapport qui a été fait par des experts du ministère et signé par des gens en qui le gouvernement a confiance, pour lesquels nous payons des salaires très élevés vu qu'ils sont des hauts fonctionnaires, donc à qui on doit porter une crédibilité? Sinon, on devrait les changer de place rapidement, prendre leurs noms puis dire: Votre rapport n'était pas bon, vous avez travaillé pour rien, vous êtes donc des inefficaces. Changeons-les donc, mettons donc des plus efficaces que vous à cette job-là. Donc, je dois présumer que ces gens-là sont encore en place, donc qu'ils sont crédibles. Et, si ce n'était de la volonté politique d'ignorer ce rapport, on aurait donné suite à la crédibilité de ses auteurs et on l'aurait étudié, peut-être avec quelques modifications, peut-être avec quelques aménagements, que sais-je, mais, au moins, on lui aurait donné suite. Malheureusement, ce n'est pas ce qui est arrivé.

Alors, vous, Mme David, et vous, Mme Sainte-Marie, qui recommandez un dépoussiérage, moi, ce matin, je parlais de réengineering avec les gens du patronat. Peut-être qu'ils comprennent ces termes-là un peu plus. Réengineering, ça fait un peu plus business, là, même si c'est un peu anglicisme. Moi, je crois à ça aussi, à un réengineering, à une modernisation, un assouplissement, une aération, une oxygénation de lois ou de mécanismes qui ont été mis en place dans les années antérieures. On parle de 1934, 1935, hein, on parle de l'abbé Coiteux, qui était arrivé de France d'un voyage, là, puis qui a eu cette idée-là là-bas. Très, très bien.

(14 h 50)

Mais aujourd'hui on est à l'an 2000 puis on regarde la mondialisation, tout ça. J'en suis, moi aussi, hein. On n'est pas contre le progrès, contre le travail, le développement, mais est-ce qu'on ne devrait pas passer justement, comme pierre angulaire, comme base, par ce rapport d'experts, ce début de processus, au lieu d'arriver puis de tout mettre par-dessus bord puis donner ça à la Commission des normes, organisme gouvernemental? On ne sait pas trop ce qu'ils vont faire avec. Ils ne le savent pas eux-mêmes, d'ailleurs. Ils ne connaissent pas ça, vous l'avez dit vous-même. Ils ne savent même pas où sont les entrepreneurs. Ils ne savent même pas c'est quoi, ce milieu-là. Ils n'ont jamais touché à ça.

Mme Sainte-Marie (Thérèse): Je vais répondre.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Sainte-Marie.

Mme Sainte-Marie (Thérèse): Alors, bien sûr je pense qu'il faudrait ressortir ce rapport-là. Et, d'autre part, on sait qu'il y a eu un autre rapport, le rapport Lemaire, qui était beaucoup plus large et qui évidemment allait dans le sens de l'allégement réglementaire, pour reprendre le titre du rapport.

Nous, on trouve que la proposition qui avait été retenue par le groupe de travail il y a quelques années, en 1996, on doit continuer à l'étudier puis à voir comment on peut l'opérationnaliser de façon effectivement à ce qu'on puisse moderniser ces décrets-là plutôt que de maintenir des structures ou des décrets qui semblent irriter un certain nombre d'employeurs.

Moi, je ne sais pas la raison pour laquelle on a mis ce rapport-là de côté. On peut présumer que c'est parce que les employeurs ne voulaient pas du tout les conclusions, n'adhéraient pas du tout aux conclusions. Mais je pense qu'il y a un travail à faire auprès des employeurs pour les convaincre des bien-fondés d'un maintien d'une réglementation. Et on ne peut pas considérer que la loi n° 47, c'est une sorte de modus vivendi qui permettrait de faire en sorte qu'on puisse rallier toutes les parties. Nous croyons plutôt que la première proposition, de 1996, était nettement plus intéressante.

Tantôt, on m'a posé des questions sur qu'est-ce qui pourrait manquer dans le projet de loi n° 47. Bon, évidemment, j'ai parlé des rapports mensuels. Bien sûr, les inspections doivent continuer de se faire, et ça, c'est un aspect qui est majeur parce que, quand on connaît le profil de la travailleuse dans une industrie du vêtement, quand on sait que, dans bien des cas, elle ne parle ni français ni anglais, elle ne connaît donc pas ses droits, elle ne connaît donc pas effectivement qu'il peut exister éventuellement une Commission des normes du travail qui pourrait entendre ses plaintes. Et, quand on s'adresse à la Commission des normes du travail, il faut aussi divulguer son nom. Alors, quand on a affaire avec un système plutôt de comités paritaires où est-ce qu'il y a des inspections qui se déplacent sur place, c'est comme le cas de le dire, bien effectivement ça limite cette gêne-là ou cette intimidation-là plus exactement que les travailleuses peuvent éprouver à porter plainte sur les situations qu'elles vivent.

Quant au reengineering, si je peux me permettre de faire un petit commentaire, pour nous, c'est souvent synonyme de mises à pied massives. Alors, on peut parler peut-être de réorganisation du travail, de réaffectation, d'une certaine rationalisation et non pas une rationalisation qui irait dans le sens évidemment, encore là, de mises à pied massives, mais dans une perspective qui viserait, à mon avis, une amélioration tangible à la fois des conditions de travail et des rémunérations des travailleuses et des travailleurs du secteur du vêtement.

M. Gobé: Mais, voyez-vous... Oui, Mme David, allez-y.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme David. Mme David avait un complément, je pense.

Mme David (Françoise): S'il vous plaît. J'aimerais ajouter très concrètement que non seulement la situation qu'on vous a décrite... Bon, il est peut-être vrai que les gens du gouvernement n'en avaient pas connaissance, je n'en sais rien, mais je suis un peu étonnée d'entendre que, vous aussi, vous entendez ça pour la première fois.

C'est plus grave encore que ce qu'on vient de dire parce qu'on n'a pas parlé du travail au noir. En fait, si on veut être très concrètes, ce que nous pensons, c'est que, s'il y avait, dans l'ensemble de l'industrie du vêtement, de meilleurs salaires dès maintenant et de meilleures conditions de travail, ce serait une incitation pour de nombreuses femmes qui travaillent au noir à aller travailler sur des lieux de travail où elles seraient mieux protégées et où elles auraient des conditions de vie, des conditions salariales, des conditions de travail beaucoup plus décentes que ce que l'on connaît.

Donc, il ne faut pas plaider pour le salaire le plus bas possible; il faut augmenter les salaires et il faut le faire dans l'ensemble de l'industrie du vêtement, pas seulement là où il y a des syndicats, pas seulement là où des travailleuses ou travailleurs sont couverts par des décrets, dans l'ensemble de l'industrie. On éliminerait d'ailleurs, de cette façon-là, ce que les employeurs appellent une concurrence déloyale, parce que dans certaines industries ou dans certains secteurs de l'industrie on est couvert par les décrets et dans d'autres pas. La façon, ce n'est pas de niveler par le bas; la façon, c'est de niveler par le haut et de donner à toutes les personnes qui travaillent dans cette industrie des conditions de travail convenables.

Ce qui nous inquiète beaucoup aussi dans le projet de loi qui est sur la table, c'est que, oui, il y a jusqu'à un certain point certaines normes, entre guillemets, exceptionnelles, mais c'est tout de même très inquiétant, par exemple, de savoir que, sur les salaires, on propose qu'il y ait un taux minimum, sans échelles de progression comme ça existe en ce moment. Je ne dis pas que les échelles actuelles sont les meilleures, on est d'accord avec le fait que tout ça doit être repensé, mais on est en désaccord avec le fait qu'il y ait simplement un seul salaire et qu'il n'y ait aucune norme pour la progression des salaires.

Ça, ce sont tous des reculs, l'abolition du fonds de vacances, l'abolition des inspections, la diminution des congés fériés, les pauses qui deviennent celles de la Loi des normes, c'est-à-dire qu'il n'y en a à peu près pas par rapport à ce qui existe et qui est déjà très peu. Donc, on n'avance pas, là, on recule. Ça, c'est très, très concret, ce qu'on est en train de dire.

Nous sommes convaincues qu'il y a d'autres solutions. Par exemple, il est vrai que, au niveau du comité paritaire ou des comités paritaires, en ce moment, il y a des trous. C'est tout à fait exact. Il y a des personnes qui ne sont pas là, les non-syndiquées ne sont pas là. Qu'est-ce qui empêcherait, dans une discussion, de revoir la composition des comités paritaires? Et on n'a pas besoin d'abolir les décrets pour ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Mais, Mme David, je pense que vous venez de nous faire la démonstration que, si, au lieu d'arriver d'une manière – comment dirais-je? – autocrate, avec un projet de loi qui abolit ces conditions de travail pour ce secteur-là, le gouvernement s'était assis avec les intervenants, hein, avec les gens qui sont dans ce milieu-là, les travailleuses, si on avait fait une commission parlementaire avant de passer le projet de loi, une consultation publique, comme ça s'est fait dans beaucoup de domaines, dans la culture et dans d'autres secteurs, sur les heures d'ouverture même des magasins... Je me souviens, dans le temps, sur les commerces le dimanche, vous vous rappelez, ça a duré... parce qu'on voulait aller chercher des consensus dans la société.

Est-ce qu'il n'y aurait pas eu lieu peut-être de réunir la commission de l'économie et du travail avec un avant-projet de loi ou avec un projet à soumettre et à discuter afin d'entendre les gens et de tirer là, après ça, certaines grandes lignes, certaines conclusions? Malheureusement, le gouvernement a décidé de faire autrement puis d'imposer sa vision à lui. On dit qu'elle est dictée par le patronat. Je n'oserais pas dire ça, mais chacun peut lui-même penser par qui ça peut être dicté en voyant à qui ça peut profiter puis à qui ça peut créer des problèmes.

Lorsque vous dites qu'il y a des reculs inacceptables, ça va plus loin que là. Le gouvernement était conscient de cela, il ne le découvre pas maintenant, car dans le mémoire au Conseil des ministres présenté le 25 février 1999... N'oubliez pas que l'élection a eu lieu le 30 novembre 1999 et que le Conseil des ministres s'est formé une quinzaine de jours après, hein. Donc, très rapidement, cette ministre a déposé un mémoire au Conseil des ministres dans lequel elle demande l'abrogation des décrets. Dans ledit mémoire, elle va jusqu'à mentionner, il est mentionné... Elle l'a signé. Alors, quand on signe un mémoire au gouvernement, c'est parce qu'on le propose, hein. Eh bien: «Aucune hausse des coûts n'en résulte au cours de la période de transition. Bien au contraire, l'application des conditions envisagées a comme impact de diminuer d'au moins 2 % à l'égard des entreprises non syndiquées le coût global de main-d'oeuvre pour le secteur des vêtements.» Ça veut dire que le gouvernement était déjà, tout en étant conservateur, conscient que cette mesure-là, ça coupait de 2 % la masse salariale. Bingo!

«En outre, il ne favoriserait aucunement l'accès à la syndicalisation.» Paf! On a regardé ça aussi, là, hein. On va les encadrer pour ne pas qu'elles puissent se défendre.

Alors, voilà un peu, ce n'est pas seulement des acquis de fonds de vacances, puis de la duplication, puis du double assujettissement; c'est un projet qui avait pour but vraiment d'enlever toute structure contraignante en termes de réglementation des relations de travail dans ce secteur-là. C'est ça qui est déposé.

Et, si on avait vraiment voulu régler les problèmes... Ce matin, je parlais du double assujettissement. En 1996, l'ex-ministre, le prédécesseur à la ministre, M. Matthias Rioux, député de Matane, et j'en étais, a fait modifier la Loi sur les décrets de convention collective, a rajouté l'article 11.1 et l'article 11.2 qui disaient: «Un double assujettissement ou un conflit des champs d'application peut faire l'objet d'une entente entre les comités et l'employeur professionnel concernés.» Et là il explique la manière de faire. «L'entente doit indiquer le décret qui s'applique aux salariés concernés de l'employeur.» Il y avait un mécanisme, donc, d'arbitrage facile à utiliser.

(15 heures)

Alors, si on avait voulu régler... C'est vraiment ce qui est un irritant. Là, on parle en 1996. On est en 1999. Alors, depuis 1996, vu qu'on avait identifié un irritant qui, semble-t-il, empêchait la création d'emplois, empêchait le développement de ce secteur-là, on avait la pilule, elle était achetée, elle était votée, elle était dans la loi, pourquoi le gouvernement ne l'a pas mise en application? C'est comme si quelqu'un de votre famille est malade, il lui reste trois ans à vivre, vous avez la boîte de pilules à côté de vous puis vous ne la lui donnez pas. C'est le même principe.

Puis là aujourd'hui on nous dit: Bien, non, l'assujettissement, il faut abolir les décrets pour régler le problème. Ce qui vous montre que ou alors ils ne connaissaient pas ce dont ils parlaient, puis là c'est très grave, c'est très dangereux, ou alors ils le savaient très bien et ils n'ont pas voulu l'appliquer pour pouvoir avoir une raison de donner suite à leur engagement du Sommet, où là on a fait des grandes promesses et on a besoin de symboles pour identifier qu'on tient des engagements.

Et un des symboles, entre autres, c'est celui de la déréglementation, et c'est vous, mesdames, qui avez été ciblées pour servir de symbole à cette déréglementation, à ce Sommet. Parce qu'il y a bien d'autres domaines où on va réglementer et où le gouvernement sur-réglemente encore. Il y a bien d'autres domaines où il aurait dû agir depuis très longtemps si vraiment il voulait aider la création d'emplois, entre autres la fiscalité où on n'a pas touché. Alors, vous êtes l'agneau que l'on sacrifie pour permettre au gouvernement, au premier ministre et à la ministre de dire: Notre gouvernement a tenu parole, 90 % des objectifs du Sommet ont été atteints.

Voilà la vraie raison pour laquelle, je crois, que ça a été fait. Et, malheureusement, moi, je déplore que ça va créer des problèmes, aux travailleuses, aux travailleurs mais aussi à l'industrie. Parce que ne nous trompons pas, il y a un impact sur les industriels, il y a un impact sur les hommes d'affaires. Au lieu de chercher un consensus, chercher une solution qui aurait permis à tout le monde...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député...

M. Gobé: ...de réorganiser le travail et de bien fonctionner, on a laissé perdurer une situation...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: ...puis aujourd'hui on est pris avec une division entre les employeurs et les travailleurs dans ce domaine...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député.

M. Gobé: ...de l'activité économique qui est très importante pour le Québec.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. le député. On a dépassé un petit peu le temps qui...

M. Gobé: Ça valait la peine.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): ...était imparti. Il reste deux minutes à l'autre formation politique. Alors, Mme la ministre, vous m'avez demandé la parole.

Mme Lemieux: Alors, je vais faire deux interventions. Je suis désolée d'un peu prendre à parti nos invités, mais, M. le député de LaFontaine, je pense qu'il faut dire une chose claire ici: les premiers qui ont été prêts à mettre la hache dans les décrets sans autre considération sont les Libéraux. En 1986, recommandation du rapport Scowen: Que le gouvernement annonce son intention de mettre fin aux décrets. Et la première ministre péquiste du Travail, Louise Harel, a repoussé un projet de son prédécesseur libéral du Travail qui était prêt à mettre la hache sans aucune considération. Alors, il y a eu beaucoup de tentatives ces dernières années pour essayer de corriger des problèmes qui étaient liés au fait qu'il n'y a plus de paritarisme. On met quelque chose au jeu mais qui est décent. Alors, la grande morale du député de LaFontaine, Mme la Présidente, vous me permettrez de la questionner.

Ceci étant dit, dans les dernières préoccupations que vous avez exprimées, il y a des petits éléments que je retiens, qu'il m'apparaît qu'il faudra creuser. Toute la question, par exemple, du rapport mensuel. Il y a toute une méthode dans l'industrie du vêtement, assez complexe. Les employeurs sont tenus, en vertu de la Loi sur les normes du travail, de tenir un registre. Il faudra voir si ça, c'est suffisant. Est-ce qu'il n'y a pas lieu, là... Il y a quelque chose qu'il nous faudra creuser par rapport à ça pour s'assurer de bien capter l'information pour faire en sorte que ces interventions-là, de la Commission des normes, soient pertinentes. Et je pense que, si vous avez des suggestions à nous faire, ça me fera plaisir de les entendre.

Je termine en disant, parce que je trouve important de bien mettre au clair son information: Il va continuer à y avoir des inspections. Je pense que ce n'est pas utile de laisser croire qu'il n'y en aura plus. Et je termine vraiment vraiment en disant qu'on a le défi de trouver un nouveau cadre réglementaire. Et je pense qu'il y a toutes sortes de points de vue qui ont été exprimés ce matin, qui le seront au cours des prochains jours. C'est utile que ces points de vue là soient exprimés et qu'ils le soient aussi dans le processus dans lequel nous nous engageons, et j'espère que vous y collaboriez. Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, mesdames, de votre présence ici avec nous aujourd'hui. Pendant quelques minutes, je vais suspendre les travaux de la commission pour permettre à l'autre groupe de venir s'installer pour présenter son mémoire.

(Suspension de la séance à 15 h 5)

(Reprise à 15 h 9)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Attention, nous allons reprendre nos travaux. Alors, je vous souhaite donc la bienvenue, mesdames. S'il vous plaît! S'il vous plaît! La commission reprend ses travaux; j'apprécierais qu'on ait un petit peu de silence pour pouvoir poursuivre. Alors, je vous souhaite donc bienvenue à la commission.

Nous accueillons maintenant le Comité des femmes de l'Estrie travaillant dans l'industrie du vêtement pour dames. Alors, si la porte-parole veut bien s'identifier, nous présenter le nom de celle qui l'accompagne. Je vous rappelle toutefois que vous avez 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire et que par la suite, de chaque côté, les deux groupes parlementaires disposent aussi de 20 minutes pour échanger avec vous, 20 minutes chacun. Alors, si vous voulez bien procéder.


Comité des femmes de l'Estrie travaillant dans l'industrie du vêtement pour dames

Mme Prince (Odette): Mme la ministre, MM. et Mmes les membres de la commission, je me nomme Odette Prince. Voici Céline Hamel, Denise Lawrence, Hélène Fréchette et Marie-Claire Boisvert.

(15 h 10)

On vous remercie de nous recevoir et de nous donner l'occasion de vous dire nos craintes de voir se dégrader beaucoup nos conditions de travail comme travailleuses du vêtement pour dames suite à l'abolition des quatre décrets, dont le nôtre en fait partie. Nous sommes cinq travailleuses de l'Estrie qui représentent les travailleuses du vêtement pour dames, qui sont très inquiètes des changements que le gouvernement veut nous imposer.

Nous avons tenu des assemblées informelles pour tenter de renseigner les travailleuses et pour obtenir leur opinion. À la suite de ces rencontres, plusieurs femmes vous ont fait connaître leurs craintes en vous faisant parvenir des lettres à votre bureau. Par l'entremise des journaux, nous avons fait paraître des lettres ouvertes. Nous avons envoyé des communiqués à la radio et aux autres médias.

Vous vous attaquez à un secteur de travailleuses très vulnérables. Vous comprendrez qu'il n'est pas facile pour nous de se faire entendre. Nous sommes un groupe de sept travailleuses qui ont décidé de se prendre en main. Fini le temps où l'association des patrons, les patrons eux-mêmes, quelques syndiqués et vous, comme gouvernement, prenez les décisions sans même nous consulter et sans qu'on bouge. C'est nous, les travailleuses de l'industrie pour dames, que ça touche, et ça fait mal. Et même pour les autres décrets, ce sont encore des femmes qui y travaillent.

Ça n'a pas été facile de s'organiser, puisque nous n'avons pas un très haut niveau d'études, nous ne sommes pas syndiquées, nous n'avons aucune association de travailleuses, nous ne disposons d'aucune ressources financières ou humaines particulières pour nous aider à faire valoir nos positions et revendications, contrairement à l'association qui représente nos patrons qui, eux, en ont les moyens financièrement. Nous sommes fières d'être devant vous aujourd'hui, Mme la ministre, pour vous dire enfin ce que nous ressentons.

Mme Hamel (Céline): Nous nous posons beaucoup de questions. Nous savons que ce sont certains de nos patrons qui ont demandé d'abolir ce décret. Ils disent que le comité paritaire leur coûte trop cher pour le travail qu'il réalise. L'abolir leur permettrait de ne plus faire de compte rendu à la fin de chaque mois pour nos heures accumulées et notre 8 % de vacances. Ainsi, ils ne seraient plus contrôlés, mais pour nous ce serait fatal.

Ça fait 60 ans que le comité paritaire existe. On ne comprend pas et c'est inacceptable qu'il puisse disparaître, car il est inacceptable de perdre le peu de droits, et je dis bien le peu de droits, que nous avons acquis au fil des années. Il est inacceptable de revenir 10 ou 15 ans en arrière en remplaçant nos conditions par les normes du travail.

Mme la ministre, voici ce que nous ne voulons pas perdre, même qu'une amélioration serait grandement appréciée. Nous ne voulons pas de baisse de salaire à 9,10 $, 9,25 $ de l'heure. Pour travailler sur des machines spéciales, ce n'est pas très élevé. Les plus chanceuses se rendent à 9,47 $. Et nous n'avons eu aucune augmentation de salaire depuis sept ans; c'est encore à la demande de nos patrons que le gouvernement a gelé nos salaires. Si ça continue, Mme la ministre, le salaire minimum, qui augmente à chaque année, va bientôt nous rejoindre. Après sept ans de patience, une augmentation serait grandement appréciée, pas une minimum.

Certains patrons disent qu'ils font de la confection pour enfants en plus de la confection pour dames. À ce moment-là, ils n'envoient pas au comité paritaire l'argent pour les paies de vacances ni de rapport d'heures accumulées parce qu'ils prétendent qu'ils n'en font pas assez. Cependant, ils font croire aux femmes qu'elles sont dans la confection pour enfants. Conséquence: certaines femmes, après un an, sont encore à la base du salaire. C'est d'après les heures accumulées que la base du salaire augmente. C'est le comité paritaire qui avertit les patrons que telle femme a eu une augmentation. Pour nous, c'est important et ce serait épouvantable que nos heures ne soient pas accumulées, car tous les moyens sont bons pour nous exploiter.

Mme Prince (Odette): De plus, nous demandons que la durée du congé annuel soit établie en fonction de nos heures accumulées à chaque mois au comité paritaire et non en fonction d'un service continue chez un même employeur, car dans ce secteur plusieurs se partent en affaires et plusieurs ferment leurs portes. Alors, nous sommes contraintes de changer souvent de manufacture. Par exemple, moi, j'ai 20 000 heures à mon actif dans ce domaine. Je crois que c'est bien représentatif comme expérience. Eh bien, après tant d'années j'ai encore deux semaines de vacances et la troisième je dois me battre pour l'avoir et la prendre à mes frais.

Pour ce qui est du 8 % de notre paie de vacances, nous tenons absolument à garder 8 %, nous ne voulons pas retourner 10 ans en arrière, et que nos patrons continuent d'envoyer le 8 % au comité paritaire, car, si ce sont nos patrons qui administrent nos paies de vacances, plusieurs femmes risquent de se faire exploiter. Quand notre 8 % de paie de vacances est envoyé au comité paritaire, nous payons l'impôt et l'assurance-chômage; cela veut dire que nous faisons nos semaines d'attente au chômage. Nous ne sommes pas coupés par rapport à nos paies de vacances; pour nous, c'est avantageux, car au lieu d'attendre six semaines nous attendons seulement que deux semaines.

Voici une autre raison pour que nos heures soient accumulées au comité paritaire. C'est comme un employeur qui fait faillite trois fois en 10 ou 12 ans. Il redémarre le lendemain sous une compagnie à numéro ou sous un autre nom, mais les femmes qui travaillent pour cet employeur n'ont pas eu d'arrêt de travail. Ces mêmes femmes continuent de travailler le lendemain. Si nos heures n'étaient pas accumulées, ces femmes auraient une baisse de salaire et retomberaient à du 4 % de vacances. Mais, s'il y a un jour férié, elles le perdent, car il faut un mois de travail à un service continu pour être payé.

Voyez-vous comment on peut être exploitées parce que nous sommes des femmes, des femmes soutiens de famille, car il y a de plus en plus de monoparentales? Non, nous en avons assez. Il est temps que ça change. Ça frise l'esclavage.

Mme Hamel (Céline): Pour ce qui est de notre semaine de travail, que ça reste à 35 heures. Nous sommes souvent appelées à faire du temps supplémentaire, car plusieurs employeurs nous feraient travailler jour et nuit s'ils le pouvaient. Tous les arguments sont bons pour que nous ne puissions refuser de faire du temps supplémentaire: qu'il va perdre beaucoup d'argent si ce n'est pas rentré à la date inscrite, car il ne refuse jamais d'ouvrage. Il faudrait souvent faire deux semaines dans une. Alors, les femmes se sentent coupables, menacées et se sentent obligées d'accepter. Ils font tellement pitié, ces pauvres patrons!

Actuellement, nous avons droit à 10 jours fériés. Nous désirons les conserver tous. Ça nous permet de refaire le plein d'énergie, puisque notre travail est très dur physiquement. On travaille comme des robots avec une concentration inimaginable, sept heures par jour, assises à faire des mouvements répétitifs, ce qui occasionne des tendinites, des maux de dos et beaucoup de stress, car nous n'en sortons jamais assez. Jamais de félicitations, quand nous savons très bien que, notre semaine terminée, le patron peut se réjouir de notre performance. Dans certaines manufactures, les femmes sont chronométrées. Vous ne pouvez vous imaginer toute la pression que nous avons. On ne se sent pas considérées comme des êtres humains mais comme des robots.

Pour ce qui est des événements familiaux, nous avons une seule journée payée par décès de conjoint, enfant, parent, frère et soeur. Nous demandons un peu d'humanité, au moins trois jours payés pour mortalité.

Les pauses-café, dans les normes du travail, il n'y en a pas. Actuellement, nous avons 10 minutes l'avant-midi et cinq minutes l'après-midi. Ce n'est pas suffisant. Imaginez: nous sommes 20 employées, toutes des femmes, avec deux toilettes maximum. Nous désirons 30 minutes de pause pour sept heures de travail et nous voulons conserver une heure pour le repas.

(15 h 20)

La CSST, Mme la ministre, je peux vous en parler; je suis au courant. Quatre lettres qui font peur à nos patrons. À quoi ça sert? Nous ne pouvons même pas en parler ni y penser. Il y a peut-être eu des abus, mais ce n'est pas une raison pour les rayer de notre vocabulaire. Il n'est pas question de prononcer ces mots-là. Ils font du chantage, menacent de la possibilité de perdre notre emploi. Même pour les congés de maternité, les femmes ont des problèmes.

Mme Prince (Odette): Est-ce qu'on peut rêver, dans un avenir proche, d'avoir des congés de maladie durant l'année? Nous ne pouvons même pas avoir une assurance collective, nos patrons disent que ça coûte trop cher. Nous n'avons pas le droit d'être malades trop souvent, nos patrons deviennent irritables.

Pour certaines femmes, elles vont travailler malades par peur et aussi parce qu'elles ont besoin de leur paie de 35 heures pour arriver à survivre.

On vous demande de ne pas vous laisser influencer par les lamentations de nos patrons, qu'on subit, nous, à tous les jours, qu'ils ne font pas assez d'argent. Nous constatons que plusieurs entreprises sont encore là après cinq, 10, 15, 20, 25 ans et, si on les regarde aller, ils font un train de vie très enviable que nous, petits salariés, ne pouvons nous permettre, car depuis sept ans nous n'avons eu aucune augmentation de salaire. Mais le coût de la vie, lui, a augmenté. Il faut bien gagner sa croûte mais pas à n'importe quel prix. Petite travailleuse mais un être humain à part entière.

Mme la ministre, vous dites que vous allez consulter une organisation que vous jugez représentative. Ça nous inquiète. Quelle est cette organisation?

C'est pourquoi nous désirons conserver notre comité paritaire avec un suivi plus adéquat pour nous, les femmes. Nous ne voulons pas perdre le peu de droits que nous avons. Nous avons peur d'être encore plus exploitées. Les femmes ne connaissent pas leurs droits. Exemple, si une femme va pour s'engager; le patron lui dit: J'ai besoin d'une coupeuse de fil. Il l'engage. Elle a droit à une augmentation de salaire après tant d'heures, mais cette même femme ne connaît pas ses droits. Le patron lui fait signer sa carte du comité paritaire. Sur cette carte, c'est écrit polyvalente au lieu de coupeuse de fil. Elle signe, sans savoir, elle ne connaît pas ses droits. Elle reste à la base de salaire 10 ans et plus. C'est juste un jeu de mots qui vient de lui coûter très cher. Les patrons devraient être obligés de laisser à la vue des employés leurs droits, et même les femmes devraient avoir un livre sur leurs droits. Les femmes devraient, dans un avenir proche, avoir plus de protection pour que les femmes soient encore moins exploitées.

J'espère que la représentation des métiers restera. Ce n'est pas logique que nous ayons toutes le même taux à l'heure. Si c'est le cas sur des machines spéciales, nous ne voulons pas de baisse de salaire. Vous voulez peut-être une égalité pour les quatre décrets, mais nous sentons que c'est la confection pour dames qui va être pénalisée dans cette égalité.

Mme Hamel (Céline): Je ne comprends pas que le gouvernement donne des subventions pour créer de l'emploi, pour l'ouverture de manufactures dans l'industrie de la confection pour dames, car plusieurs d'entre nous pensent ne pas continuer si nous ne sommes pas capables de garder le peu de droits déjà acquis.

La moyenne d'âge est de 35, 40 ans et plus. N'oubliez pas que la relève dans ce domaine se fait très rare. Vous risquez que plusieurs entreprises n'aient pas le choix de fermer leurs portes, surtout dans les petites municipalités ou villages, car c'est là le seul revenu pour les femmes. Ce n'est pas comme dans les grands centres où il y a beaucoup d'ethnies.

Nous pensons que le travail au noir va s'élaborer davantage. Pour nos patrons, c'est difficile d'avoir un prix raisonnable justement à cause du travail au noir. Mme la ministre, les augmentations accordées aux infirmières, accordées aux garderies, accordées aux juges qui gagnent un salaire faramineux, ils disent qu'ils sont débordés, alors que, nous, nous sommes toujours au bout de nos forces et attendons notre petite paie à chaque semaine pour un salaire de 12 000 $ par année. C'est la pauvreté même.

Nous sommes des mères de famille, notre semaine ne s'arrête pas à 35 heures, reines du foyer avec tout ce que ça comprend: éducatrices, infirmières, etc. Si nous avons le coeur d'aller travailler à 9,10 $ de l'heure, nous essayons de survivre dignement. Alors, si nous perdons ne serait-ce qu'un peu de nos droits acquis, Mme la ministre, vous voulez nous encourager à une nouvelle profession, le BS, qui nous donnerait plus d'avantages sociaux.

N'oubliez pas qu'il y a beaucoup de femmes monoparentales. On est 70 000 et on est la deuxième industrie face à l'économie. Nous travaillons pour des magasins à chaîne et des boutiques. Imaginez un instant si on décidait de faire un arrêt de travail. Cela toucherait plusieurs manufacturiers, comme l'industrie du fil et bien d'autres, enfin, tout ce que comprend la confection du vêtement. L'impact dans les magasins et les boutiques: cela occasionnerait fermetures et faillites.

Mme Prince (Odette): C'est un secteur où on est le moins favorisé et le moins valorisé. Nous sommes exploitées, une protection plus adéquate serait grandement appréciée. Que les femmes soient renseignées sur leurs droits, qu'elles n'aient plus peur de perdre leur emploi, que les patrons comprennent que nous sommes des êtres humains. Nous n'avons pas un très haut niveau d'études, mais il n'y a pas de sot métier. Ça en prend, des femmes comme nous, pour travailler dans ce domaine. Ce n'est pas une raison pour vous acharner sur des travailleuses où les conditions de travail frôlent souvent la médiocrité. Qui paiera le prix d'un tel pari?

Nous sommes par contre convaincues de l'importance de nous défendre. C'est pourquoi, malgré le peu de moyens dont nous disposons, nous sommes ici aujourd'hui pour vous sensibiliser et vous convaincre de respecter les travailleuses du vêtement pour dames, de ne pas faire reculer les conditions de travail déjà minimales de milliers de femmes travaillant souvent à la limite de leurs capacités physiques alors que l'on parle d'équité salariale pour les femmes, cette équité salariale dont on parle tant mais qui ne semble pas faite pour les travailleuses comme nous qui devons nous battre pour garder nos conditions de travail, auxquelles peu d'hommes sont soumis et que peu d'hommes accepteraient. S'il vous plaît, Mme la ministre, à l'avenir ne parlez plus d'équité salariale sans avoir une pensée pour nous. Si c'est le cas, au pire vous ne parlerez plus jamais d'équité salariale et au mieux vous améliorerez nos conditions de travail dans l'avenir.

Mme Hamel (Céline): Mme la ministre, voici ce que nous voulons conserver et améliorer: pas de baisse de salaire de 9,10 $ à 10,00 $ de l'heure, selon notre expérience; garder nos heures accumulées et continuer de les faire accumuler; avoir notre congé annuel d'après nos heures accumulées et non d'après un service continu; garder nos paies de vacances à 8 % et que les patrons continuent de les envoyer à chaque mois mais que ça ne soit pas administré par eux; garder notre semaine normale de travail à 35 heures; garder nos 10 jours de congés fériés par année; obtenir trois jours payés pour la mortalité de la famille proche; obtenir une pause de 15 minutes l'avant-midi et une autre de 15 minutes l'après-midi; garder une heure pour les repas; être capable de parler de CSST, fini les menaces; obtenir cinq jours de maladie dans l'année; faire en sorte que les femmes connaissent plus leurs droits; être appréciées à notre juste valeur; ne pas être obligées de faire du temps supplémentaire sur menaces ou sous pression.

Mme la ministre, merci de votre écoute et de nous avoir reçues.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci. Vous êtes entrées dans votre temps. Alors, Mme la ministre.

(15 h 30)

Mme Lemieux: Alors, Mme la Présidente, mesdames, je vous remercie. J'ai réécouté, mais j'avais déjà lu votre mémoire attentivement. Je l'ai dit à certaines de vos compagnes qui étaient là ce matin, je sais que ce n'est pas évident pour vous de participer à un processus comme ça, mais je suis très contente que vous l'ayez fait.

Je pense que vous témoignez d'abord... Et je pense que la difficulté du dossier actuellement, c'est, vous avez bien compris, qu'on essaie de trouver un nouveau cadre, des règles du jeu un peu rafraîchies qui vont faire que tout le monde va passer à travers, mais, en même temps, il y a beaucoup, beaucoup de préoccupations qui sont exprimées sur les conditions de travail en général. Évidemment, ce sont des sujets qui sont intimement liés, j'en conviens.

Bon. Vous me parlez de la CSST. J'aurais une tonne de questions à vous poser parce que je suis responsable aussi de la CSST, mais là, bon, le focus, c'est d'essayer de trouver un cadre dans lequel on est capable à la fois, et je l'ai dit, je vais me répéter, de tenir compte de conditions de travail correctes, adéquates, puis en même temps du fait qu'il y a un potentiel de développement d'emplois du fait qu'on est dans une économie de libre marché, mais en même temps que l'État a quelque chose à voir aussi puis que, de temps en temps, il doit intervenir. Alors, on essaie de trouver le bon chemin pour nous permettre, donc, de se sortir de ce dossier-là correctement en tenant compte de tous ces intérêts divergents.

Vous me parlez de ne pas me laisser influencer par des lamentations. Enfin, je ne commenterai pas cela, mais je pense que c'est complexe. Il y a des points de vue à considérer puis des points de vue qui sont difficilement réconciliables. Tout à l'heure, on en a parlé, on nous demande: Pourquoi vous voulez abolir le décret, et tout ça? Il y a eu toutes sortes de tentatives – je ne vous ferai pas l'historique, mais j'ai été moi-même étonnée de cet historique-là – mais le problème qu'on a, c'est que les principaux concernés, notamment ceux qui étaient au coeur des comités paritaires, les organisations patronales et syndicales, il n'y en a plus, de consensus. Alors, là, on est à une étape où il faut faire intervenir l'État pour faire les meilleurs choix puis forcer peut-être de nouveaux consensus.

Ceci étant dit, je sais qu'il y a bien des inquiétudes avec ce projet de loi là. J'en suis consciente. Je vais juste me permettre deux, trois petites informations, parce que, si on veut avancer, là, il faut être au clair sur les choses. Par exemple, vous véhiculez des choses qui, à mon avis, ne sont pas justes, ne sont pas vraies. Ou bien on n'est pas clair ou bien on ne se comprend pas bien, mais il faut être au clair.

Par exemple, quand vous dites, en tout cas, toute cette impression-là, qu'il n'y aura plus d'inspection, il n'y aura plus de surveillance, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai. Et je vais vouloir vous réentendre là-dessus. Le président de la Commission des normes du travail, il est ici, je l'ai obligé à être ici – je le dis à la blague – parce qu'il y a un mandat à la Commission des normes d'établir un programme de surveillance et d'inspection en fonction des enjeux d'aujourd'hui dans ce secteur-là, et on va l'établir, ce programme-là.

Bien, c'est la question que je vais vous poser, là, dans deux minutes. Moi, je pense qu'il faut faire une inspection serrée, intelligente, intelligente mais serrée. Qu'est-ce que ça veut dire pour vous, ça, une inspection serrée? Il y a plein de trous actuellement. C'est de ça dont vous m'avez parlé. Il y en a plein, de trous. Est-ce qu'on ne peut pas profiter de l'occasion pour faire en sorte que les employeurs soient plus responsables? Et ils ne sont pas tous responsables, mais il y en a qui ne connaissent pas, qui ne savent pas, qui ne veulent pas. Je le sais. Hein, il ne faut pas être naïf dans la vie. Est-ce qu'on ne peut pas rendre ce secteur-là un secteur plus responsabilisé par rapport aux conditions de travail? On peut-u profiter de cette occasion-là pour en construire un bon, programme de surveillance et d'inspection? Alors, je vais vous poser cette question-là tout à l'heure.

D'autres exemples que vous donnez. Bon. Par exemple, c'est un peu cette impression que les normes vont être automatiquement inférieures à la situation actuelle. Ce n'est pas si sûr que ça. Il faut être au clair sur ce qui peut se passer réellement. Actuellement, les décrets – je ne veux pas vous sortir tous les chiffres – les taux qui sont prévus dans les principaux décrets, vous les connaissez, hein, il y a des taux, des planchers minimums, mais, en général, les gens sont payés plus que les taux. Des fois, c'est quelques sous, des fois, c'est quelques dollars. Alors, ce n'est pas dit que toute cette situation-là va changer du jour au lendemain dès l'application de la loi.

Alors, il y a deux questions que je voudrais vous poser: Une inspection serrée... Parce que les exemples que vous nous donnez me font dire qu'il y a certaines réalités difficiles. Par exemple, vous me dites: Les gens connaissent très peu leurs droits. Qu'est-ce qu'on pourrait faire? On pourrait saisir le prétexte de cette nouvelle loi pour faire un bon programme d'information. Alors, qu'est-ce qu'on pourrait faire, donc, pour que les gens les connaissent davantage, leurs droits?

Et l'autre question que je vous poserais, vous me la posez, vous me l'avez posée, mais je vous la relance. Vous dites: Vous parlez, Mme la ministre, dans votre projet de loi d'un organisme consultatif. Alors, je vous explique en deux minutes. Dans le fond, d'ici la période de deux ans, je veux qu'on arrive à s'entendre sur des normes pour ce secteur-là, dans le secteur du vêtement. Effectivement, je voudrais avoir un organisme consultatif bien sûr, qui va nous recommander des choses, mais qui va être représentatif.

C'est quoi, ça, pour vous, un organisme représentatif? Qui, durant cette période de transition, devrait travailler sur ces questions-là? Qu'est-ce qui ferait en sorte que vous seriez rassurées sur la composition d'un organisme comme ça? Alors, je vous relance la question.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Hamel.

Mme Hamel (Céline): Des travailleurs.

Mme Lemieux: Voilà. Des travailleurs. O.K.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Hamel, vous pouvez répondre.

Mme Hamel (Céline): Bien, c'est ça, s'il y avait des travailleurs qui nous représentent, des couturières, des femmes qui ont cousu et qui savent ce qu'elles font, qui savent ce qui se passe dans les shops de couture, qu'elles en fassent partie de...

Mme Lemieux: De cet organisme.

Mme Hamel (Céline): ...cet organisme.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Et, sur la surveillance, sur l'inspection, qu'est-ce qu'on a besoin de renforcer pour faire en sorte que les gens comprennent mieux leurs droits, les font valoir correctement? De quoi on a besoin?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Madame, est-ce que vous pourriez vous identifier à nouveau, s'il vous plaît, pour...

Mme Lawrence (Denise): Je suis Denise Lawrence. Que cet organisme – comment je dirais ça? – il vienne voir les femmes et que les patrons permettent à cet organisme-là de parler aux femmes. Parce que, moi, mon patron ne veut pas que le comité paritaire parle aux femmes, disant que c'est une perte de travail pour lui, puis, nous autres, bien on n'a rien, là.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Pour moi, votre réponse témoigne d'une chose. Je comprends que vous disiez: On ne veut pas perdre les comités paritaires, mais les comités paritaires – puis je ne le reproche pas, je le constate – ce n'est pas magique non plus, ils ne parlent pas plus aux employés. Il va falloir se donner des consignes pour que ça puisse se faire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui. Alors, Mme Prince.

Mme Prince (Odette): Moi, je n'ai pas eu de problème. Le comité paritaire est venu à ma manufacture. Il a pu nous parler, on a pu échanger des choses. Maintenant, ce n'est pas dans toutes les manufactures que les patrons sont ouverts. Puis les femmes, elles ont tellement peur. Vous ne savez pas comment que les femmes ont peur. Eh, Seigneur! Ce n'est pas drôle. Ça fait que, si le comité paritaire, le patron ne leur permet pas de parler aux femmes, comment elles peuvent savoir leurs droits? Comment elles peuvent savoir... Elles n'oseront même pas téléphoner de peur que le patron sache leur nom, ainsi de suite.

Le comité paritaire, je trouve qu'il fait bien sa job, mais ils ne sont peut-être pas assez pour la faire. Ils ont déjà été beaucoup plus que ça, mais là ils sont tellement peu pour tout faire ce qu'il y a à faire qu'il ne faut quand même pas, là, trop... Qu'ils soient plus pour nous protéger, là, c'est peut-être de ça qu'ils ont besoin puis que, nous, on a besoin aussi, là.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Oui, pour compléter un peu ce que disait la ministre. Je suis content de voir ce qu'a mentionné la ministre par rapport à l'information, parce que ce que vous dites, c'est inquiétant. Je voulais d'abord vous remercier d'avoir présenté... parce qu'on a entendu des consoeurs à vous ce matin, puis c'est intéressant de voir sur le terrain ce que ça donne, je vous dirais intéressant, mais surtout inquiétant parce qu'on entend...

Moi, je viens d'une région où on fait plus ou moins de... où on est moins développé dans ce secteur-là, et ce que je constate, c'est qu'il y a un véritable problème. Le problème, il en est un... Bon, il y a toute la question du comité paritaire et des décrets, mais il y a pour beaucoup un problème d'information que je vois par rapport aux gens qui sont dans ce milieu-là. De voir qu'il y a des gens qui n'exercent pas leurs droits – parce qu'il y a des droits qui existent pour ces femmes-là – et qu'ils ont peur de les exercer, ça, c'est un problème de communication et d'information.

(15 h 40)

On aura un rôle sûrement à jouer et vous en aurez un vous aussi, vous êtes un peu des porte-parole, j'imagine, ensemble, de façon à faire en sorte que les gens exercent leurs droits. Mais le gouvernement va sûrement jouer son rôle. Je suis content d'entendre que la ministre va donner suite à ça, parce que c'est l'information qu'il faut donner à ces gens-là, que des droits, ça s'exerce. Il ne faut pas se gêner pour le faire.

Ce que je constate aussi à la lecture de votre mémoire... Et je vous invite à continuer d'ailleurs dans cette voie-là, parce que, je peux vous dire, c'est vraiment sidérant d'entendre ça encore de nos jours, d'entendre que des gens, dans l'exercice de leurs droits les plus démocratiques et des plus, je vous dirais, de base, ils ont peur de les exercer. C'est vraiment inquiétant. Comme élus, on ne peut pas faire autrement qu'être inquiets.

Je vois aussi que, au niveau des acquis, vous tenez à vos acquis. Ça ressemble un peu aux mémoires qu'on a eus ce matin, des travailleurs qui sont dans le domaine aussi et qui disaient que, bon, on a des acquis au-delà du comité. Il y a le comité paritaire, effectivement, qui surveille nos acquis, mais, nous, on veut s'assurer que nos acquis demeurent. Et je pense que le message que vous transmettez, il est bien reçu. J'entendais Mme la ministre tantôt, et je peux vous dire que, nous aussi, on comprend bien vos demandes, là. Et je voyais même votre liste, à la fin, des choses que vous jugez essentielles. Je pense que c'est des éléments... Entre autres, l'exercice de consultation est là pour ça aujourd'hui, pour entendre sur le terrain c'est quoi qui serait nécessaire, effectivement, pour assurer des conditions décentes dans l'industrie.

Je veux aussi vous rassurer. On sent une inquiétude, encore une fois – j'entendais les gens ce matin – beaucoup d'inquiétude par rapport à la Commission des normes, par rapport aux droits qui pourraient être exercés. Je peux vous dire qu'avec ce que vous mentionnez... Et je suis content en plus de savoir que le président de la Commission des normes est là pour voir qu'il y a un problème au niveau de cette industrie-là. Je peux vous dire qu'il va sûrement y avoir encore plus d'efforts pour conscientiser les gens et pour faire les actions proactives sur le terrain, de ne pas attendre les plaintes, mais vraiment d'agir directement. Et je pense que ça va être nécessaire.

Ce que je veux vous inviter à faire, c'est de continuer le travail que vous faites actuellement, soit celui d'informer la ministre, de nous informer, nous, des conditions que vous vivez. Parce que le processus dans lequel on se lance actuellement, c'est... Évidemment, il y aura d'autres consultations qui vont mener à une décision du gouvernement sur quelles conditions vont être appliquées au niveau de cette industrie-là. Et je crois que c'est essentiel que des gens qui ne sont pas représentés par syndicat, comme vous, qui ont souvent d'ailleurs, ce qu'on voit au niveau des salaires, des conditions salariales peut-être un petit peu moindres en moyenne, soient bien représentés. Alors, peut-être de trouver une façon – là, vous avez eu l'occasion de vous rencontrer, j'imagine que vous vous rencontrez ailleurs aussi – de penser à ça, sur la façon que vous pourrez faire ces représentations-là qui sont essentielles.

La dernière chose que je voulais vous mentionner, et là je me posais une question. Vous disiez dans votre rapport que le secteur de la confection pour dames serait le plus pénalisé par la réunion des décrets, par le fait d'instaurer une seule mesure, je veux dire d'appliquer un seul décret. Vous disiez ça dans votre mémoire. Et là je voulais savoir pourquoi plus particulièrement celui de la confection pour dames serait plus touché.

Mme Hamel (Céline): Parce que c'est nous autres qui avons le salaire, le taux horaire le plus haut entre les autres confections puis la nôtre.

M. Bédard: Ça répond très bien à ma question.

Mme Hamel (Céline): C'est assez bien répondu? Automatiquement, ça serait nous qui baisserions de salaire.

M. Bédard: C'est très clair. Alors, c'est tout simplement ça. Alors, je vous félicite encore.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, c'était un commentaire. Est-ce que...

M. Bédard: J'avais une question en bout de ligne, mais, effectivement, c'était un commentaire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): D'accord. Alors, je comprends qu'il n'y a plus de questions pour l'instant. Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, Mme la Présidente. D'abord, bonjour. Il me fait plaisir de vous accueillir. Je dois vous dire que votre mémoire est très semblable, même s'il vient d'une région un peu différente, à celui des travailleuses qui vous ont précédées tout à l'heure et ce matin. Je crois qu'on commence à avoir un portrait assez réaliste de la façon dont les travailleuses sont traitées dans cette industrie de l'habillement.

Je dois dire que, si on devait prendre à la lettre, et je crois qu'on doit y aller, tout ce qui est écrit tant par vous que par les autres, force est de constater que ce n'est pas tellement reluisant comme conditions de travail dans votre industrie, surtout au début du XXIe siècle. On le savait, tout le monde en avait entendu parler, mais là vous nous le mettez avec encore plus d'acuité devant nous. C'est vraiment des conditions de travail dignes de la fin du XIXe, début XXe siècle, hein, les conditions de travail avant les réformes sociales, les réformes du travail. Quand on voit qu'il y a deux toilettes pour 25 travailleuses et qu'il faut y aller pendant la période de manger – c'est ça, hein, si je comprends bien – chacun son tour, il ne faut pas qu'il y ait une chasse d'eau qui casse parce que, là... Je trouve ça... Vous demandez une heure pour manger, hein? Parce que vous avez combien actuellement pour manger?

Mme Hamel (Céline): On a une heure, mais on tient à la garder.

M. Gobé: C'est ça, hein?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Hamel.

Mme Hamel (Céline): On a une heure, mais on tient à la garder.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Vous demandez une pause de 15 minutes l'avant-midi et une autre de 15 minutes l'après-midi. Pouvez-vous me dire pourquoi vous demandez ça? Est-ce que vous n'avez pas de pause actuellement?

Mme Prince (Odette): On en a 10 dans l'avant-midi, cinq dans l'après-midi.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Prince.

Mme Prince (Odette): Oh! excusez.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Je m'excuse, madame, c'est pour les besoins de la transcription. Il faut que je vous identifie.

Mme Prince (Odette): Ha, ha, ha! C'est beau. C'est ça, on en a 10 dans l'avant-midi, cinq dans l'après-midi. On trouve que ce n'est pas suffisant.

M. Gobé: C'est vrai que cinq minutes, ce n'est pas beaucoup s'il faut aller à la toilette...

Mme Prince (Odette): Bien, cinq minutes, là!

M. Gobé: ...et qu'il y a deux toilettes pour 25, 30 personnes.

Mme Prince (Odette): Deux toilettes.

M. Gobé: Mais est-ce que c'est une pause en même temps ou vous pouvez la prendre chacune votre tour?

Mme Prince (Odette): Oui.

M. Gobé: Tout le monde en même temps?

Mme Prince (Odette): Oui, toutes en même temps.

M. Gobé: Bien là il y a un problème quelque part. Franchement!

Mme Prince (Odette): Bien, il est là. Ha, ha, ha!

M. Gobé: Écoutez, j'ai autre chose aussi dans votre mémoire, peut-être plus technique, puis personne n'y a fait encore attention depuis ce matin, mais, vous, vous avez l'avantage de nous l'amener. Je vais vous lire. J'aimerais ça que vous nous expliquiez qu'est-ce que vous voulez dire par là. Alors, c'est à la page 4, d'accord, dans le deuxième paragraphe: «Quand notre 8 % de paie de vacances est envoyé au comité paritaire, nous payons l'impôt et l'assurance-chômage. Cela veut dire que nous faisons nos semaines d'attente au chômage. Nous ne sommes pas coupées par rapport à nos paies de vacances. Pour nous, c'est avantageux, car, au lieu d'attendre six semaines, nous attendons seulement deux semaines.»

Il y a quelque chose que je crois comprendre, mais que je ne suis pas sûr de comprendre. J'aimerais ça que vous nous expliquiez à deux, trois, là, qu'est-ce que c'est que voulez dire par là, qu'est-ce que c'est que vous demandez ou de quoi vous avez peur.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, madame, pourriez-vous vous identifier, s'il vous plaît? J'ai mal compris tout à l'heure votre nom.

Mme Boisvert (Marie-Claire): Mme Marie-Claire Boisvert.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Boisvert?

Mme Boisvert (Marie-Claire): Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): D'accord, madame.

Mme Boisvert (Marie-Claire): Dans nos vacances, notre paie de vacances est envoyée au comité paritaire à toutes les semaines. Ça fait que, nous autres, on la déclare sur le chômage à toutes les semaines. Quand arrive la fermeture de la shop, nous autres, on n'est pas obligées de déclarer nos vacances parce que déjà on les a déclarées au chômage. Ça fait que, là, nos semaines qui sont fermées, on peut avoir du chômage, ou nos semaines d'attente. Ça fait que ça ne nous pénalise pas. Mais le comité paritaire féminin, je pense que c'est le seul qui a ça, puis la construction, je ne sais pas trop, là. Mais, si on n'a pas ça, ça nous ôte des semaines de chômage où on est obligées d'avoir moins d'argent. À la fin du compte, ça nous pénalise, mettons, de deux, trois semaines, quatre semaines.

M. Gobé: Si je comprends bien, c'est parce que l'argent est envoyé dans un compte probablement en fiducie par le...

Mme Boisvert (Marie-Claire): Oui.

M. Gobé: Donc, c'est ça qui vous permet de faire cette opération-là.

Mme Boisvert (Marie-Claire): Oui.

M. Gobé: Et ce que vous semblez dire, c'est que, advenant que la loi n° 47 soit adoptée...

Mme Boisvert (Marie-Claire): Bien, si on tombe sur les normes du travail...

M. Gobé: Vous allez perdre ça.

Mme Boisvert (Marie-Claire): ...on n'aura plus ça, là, parce qu'ils ne l'ont pas dans la loi du travail. C'est le seul, le comité féminin, où on a ça.

M. Gobé: Donc, ça veut dire que vous allez perdre deux, trois ou quatre semaines d'assurance-chômage.

Mme Boisvert (Marie-Claire): Oui.

M. Gobé: Donc, c'est une perte, aussi, importante.

Mme Boisvert (Marie-Claire): Oui.

M. Gobé: Parce que vous êtes les premières... Je n'avais pas vu ça. Je ne comprenais pas. Vous payez l'assurance-chômage. Je me demandais où est-ce que vous vouliez aller avec ça. Là, je constate que c'est quelque chose aussi, une autre perte qui n'était pas prévue.

Vous avez mentionné – je ne sais pas laquelle, peut-être Mme Prince ou, je ne sais pas, celle qui va répondre... Les travailleuses qui vous ont précédées, une en particulier nous a parlé de harcèlement sexuel, de congédiement abusif – je reprends ses mots, là, que j'ai écrits – de harcèlement, enfin de salaires non payés. En tout cas, c'était le musée des horreurs.

Est-ce que vous pourriez nous dire – je ne vous dis pas de dire si c'est vrai ou pas vrai, là – si, selon votre expérience, ces cas-là arrivent dans votre région aussi ou si ça peut être des choses isolées comme on sait que dans chaque...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Prince.

Mme Prince (Odette): Non. Dans notre secteur, nous, on reste dans un petit village et, à ce moment-là, ces problèmes-là, on ne les vit pas. Peut-être que ça se passe dans les autres villages, mais, en tout cas, je n'en entends pas parler. Je ne sais pas, je pense que mes compagnes non plus. Mais ce qu'on dit, je le crois, par exemple. Ça, je le crois fermement. Nous, on ne subit plus ça, là, les harcèlements, non, mais, par contre, dans les gros centres, probablement. Je n'en doute pas.

(15 h 50)

M. Gobé: Vous avez mentionné aussi, madame – c'est vous, je pense... C'est comment, votre nom? Excusez-moi.

Mme Hamel (Céline): Céline Hamel.

M. Gobé: Mme Hamel, voilà. Vous avez mentionné, Mme Hamel, que les femmes étaient sous-informées de leurs droits. Suite à une question sympathique de Mme la ministre qui vous demandait qu'est-ce qu'il faudrait faire pour qu'elles connaissent leurs droits, vous avez répondu un certain nombre de choses, mais est-ce que vous n'êtes pas sous l'impression que, si le projet de loi n° 47 est adopté, elles n'auront plus de droits autres que ceux de la Commission des normes? Alors, à quoi bon mettre un mécanisme pour les en informer? Je présume que la Commission des normes doit faire son travail d'informer tous les travailleurs du Québec de leurs droits. Je ne sais pas si vous voyez où je veux en venir.

Mme Hamel (Céline): Non.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Hamel.

Mme Hamel (Céline): Je n'ai pas...

M. Gobé: Le projet de loi n° 47 enlève les droits spécifiques que vous avez dans votre comité paritaire. Il n'existe plus, le décret est aboli. Donc, vous tombez sous la Commission des normes, à moins que Mme la ministre mette un décret ou des conditions particulières pour votre secteur, donc des conditions sectorielles différentes des normes du travail dans le régime général qui est applicable à tout le monde au Québec. D'accord? Bon. Alors, si elle met un régime particulier géré par le décret, en effet, il va falloir que vous soyez au courant de vos droits, et là, à ce moment-là, ça va incomber à la Commission des normes qui va devoir le faire. Mais, si vous êtes sur le régime général, donc soumis aux normes normales: salaire minimum, 4 % de vacances, enfin les mêmes droits que tous les autres travailleurs, je présume que vous allez avoir moins de nécessité d'être informées sur vos droits. Vous les connaissez déjà, ceux-là, je crois.

Mme Hamel (Céline): On les connaît, mais bien souvent...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Hamel, oui.

Mme Hamel (Céline): Excusez. On les connaît, mais bien souvent les employées ont... Présentement, j'en suis une dans ce cas. Je suis sur la CSST depuis le 5 juillet. Je n'ai reçu aucun paiement à venir à date. Le 9 août, j'ai essayé de rentrer au travail. Je me suis essayée de travailler par moi-même. J'ai fait deux heures et demie de travail. L'employeur n'a pas payé encore. Ça fait plus d'un mois de ça. Je n'ose même pas aller le voir pour lui demander qu'il me paie mes deux heures et demie que j'ai faites parce que je le sais que je vais me faire parler dans le casque, comme on dit, puis que je vais me faire descendre.

M. Gobé: D'accord.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Oui. Dans un autre ordre d'idées, tout le monde, je pense, ici, mais particulièrement aussi le groupe avec le CIAFT puis Mme David, a évoqué la possibilité, ou l'idée, ou le besoin – ce que je pense d'ailleurs – au lieu d'abolir les décrets, laisser ça tomber, de moderniser toutes les relations de travail et les manières de fonctionner en termes d'assujettissement de différents secteurs, toute cette industrie. Certains ont dit dépoussiérer. Moi, j'ai parlé de réengineering. D'autres ont parlé de réorganiser. En tout cas, qu'importe le mot, l'objectif semble être le même.

Est-ce que, vous, vous pensez aussi qu'il serait peut-être plus productif pour les entreprises et plus intéressant pour vous, pour les conditions de travail et la manière de fonctionner, de réorganiser, avec ce qu'on connaît déjà, tout ce secteur plutôt que de l'abolir complètement? Avez-vous une idée là-dessus? J'aimerais ça la connaître, puis je pense que les membres aimeraient ça, peut-être, l'entendre.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Prince.

Mme Prince (Odette): Moi, je pense que déjà, au départ, on a le comité paritaire. Ça fait 60 ans qu'on investit là-dedans. Je vois très mal qu'on enlève ça pour recommencer autre chose, peut-être qui peut être plus moderne, d'accord. Peut-être. Pourquoi ne pas, si on veut moderniser, prendre ce qu'on a, puis le moderniser, puis le transmettre là déjà? C'est acquis, ce qu'il y a là. On ne le recommencera pas. Recommencer toujours à zéro, moi, en tout cas, je ne trouve pas ça évident. Je trouve que c'est déplacer de l'argent encore peut-être puis... C'est comme ça que, moi, je prévois ça, en tout cas. On l'a déjà, notre comité paritaire, bien qu'on investisse dans eux autres encore puis qu'on continue à leur demander des choses, de l'amélioration peut-être, mais qu'on garde notre comité paritaire.

M. Gobé: Est-ce que vous avez l'impression, vous qui... Depuis combien de temps vous êtes dans l'industrie, madame, dans ce métier-là? Vingt-deux ans? Est-ce que c'est vous qui avez 22...

Mme Prince (Odette): Vingt-cinq ans et plus. Ha, ha, ha!

M. Gobé: 20 000 heures, c'est vous?

Mme Prince (Odette): Pardon?

M. Gobé: C'est vous qui aviez 20 000 heures, je crois?

Mme Prince (Odette): Oui.

M. Gobé: C'est ça. Donc, ça fait une vingtaine d'années, au moins.

Mme Prince (Odette): Oui, oui.

M. Gobé: Est-ce que vous avez eu, depuis ces 20 ans là, l'impression que le fait de fonctionner avec un comité paritaire vous donnait droit au chapitre des relations de travail, de l'organisation de votre vie à l'intérieur de ça? Avez-vous l'impression que c'était autre chose qu'un gardien de normes qui vous permettait une discussion ou qui vous permettait une participation ou une implication dans votre entreprise ou dans votre corps de métier?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Prince.

Mme Prince (Odette): Aujourd'hui, avec l'expérience que j'ai, le comité paritaire, je le comprends plus, je le connais plus. Au début, non, disons que je ne savais pas trop c'était quoi, mais, avec les années... Puis, s'il y avait eu des femmes comme nous – ha, ha, ha! – quand on était plus jeunes, pour nous secouer, peut-être que ça aurait été mieux. Mais, au début, non. Mais là aujourd'hui je sais c'est quoi, le comité paritaire, et je trouve que c'est important pour nous qu'on puisse le garder, très important.

M. Gobé: C'est-à-dire que, à la lumière...

Mme Prince (Odette): Parce que, moi, je vois très mal que les patrons, en tout cas, administrent nos paies de vacances. Ça, là, je vous le dis, on va être exploitées. Moi, je ne le serai pas parce que j'ai de l'expérience, mais je vois mes compagnes qui sont jeunes, qui commencent, puis qui vont être exploitées. Ça se fait déjà. Pourquoi ça ne continuerait pas?

M. Gobé: Les gens qui ont témoigné ce matin, tant du côté patronal d'ailleurs que travailleurs, nous laissent entrevoir ou même nous disent qu'il y a beaucoup d'entreprises qui ouvrent dans une année, qui ferment leurs portes, un roulement d'employeurs assez important dans cette industrie. Comment expliquez-vous ça? D'après vous, votre expérience, qu'est-ce qui fait qu'il y a tous ces mouvements de travailleurs qui changent d'usines, d'entreprises? Les entreprises ouvrent, font une production, ferment leurs portes. C'est dû à quoi, ça, d'après vous? Mauvaise organisation, mauvaise planification ou volonté délibérée de fonctionner seulement pendant quelque temps puis, après ça, de recommencer soit sous un autre nom?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Hamel.

Mme Hamel (Céline): Tout simplement, quand ils décident de faire ça, de fermer leurs portes puis ouvrir sous un autre nom, c'est pour ne pas payer les droits qu'il faut qu'ils paient au comité paritaire. C'est pour ne pas payer les dettes qu'ils ont avec ce nom-là. Ils changent de nom. Automatiquement, ils restent ouverts pareil. Ils font juste changer de nom, mais les employés restent là. Le lendemain, ils continuent à travailler pareil, eux autres.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Je pose beaucoup de questions, là. Ha, ha, ha! C'est parce que je pense qu'on a parlé abondamment ce matin puis jusqu'à maintenant des grands principes, puis les gens qui sont là les connaissent un peu. Je pense que c'est le temps qu'on rentre un peu plus dans le profond, et je commence avec vous.

On a évoqué aussi, et c'est le groupe de Mme Françoise David, et j'ai continué là-dessus, la possibilité de fusionner quatre décrets avec un seul comité paritaire. J'ai mentionné, moi aussi, avoir eu connaissance... Quelqu'un – je ne sais pas qui – m'a envoyé un rapport du ministère, qui a été écrit par un comité d'experts du ministère, qui recommandait la fusion, mais mettait différentes échelles de salaires, dépendant des catégories de travailleurs, puis qui semblait moderniser ça.

Est-ce que vous avez entendu parler d'un tel rapport? Avez-vous été consultées ou quelqu'un autour de vous, à votre comité paritaire, à votre connaissance?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Prince.

M. Gobé: Que le gouvernement s'est penché, en 1996, sur une étude de tout ça, de votre situation, pour essayer d'arriver à quelque chose et qu'il a été conclu, dans un rapport, qu'on devait non pas abolir les décrets, mais les regrouper et peut-être en assouplir l'administration?

Mme Prince (Odette): Non.

M. Gobé: Non, hein? Si vous en aviez entendu parler à l'époque et qu'on vous ait demandé vos opinions sur des choses à améliorer, pas forcément pour dire non, on ne veut pas, mais des choses à améliorer dans cette manière de fonctionner, auriez-vous été intéressées à y répondre? Si oui, qu'est-ce que vous leur auriez dit?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Hamel.

Mme Hamel (Céline): Oui. Moi, j'aurais été intéressée certainement à donner mon opinion. Parce que, depuis sept ans qu'on n'a pas eu d'augmentation de salaire, j'aurais donné mon avis certainement. J'aurais dit: Le pain, demain matin, il ne baissera pas de 0,10 $ parce que, moi, je ne remonte pas de salaire. Le frigidaire, ce n'est pas le voisin qui va me le remplir; c'est moi, avec mon salaire. Puis j'ai trois enfants à nourrir. Il faut que je travaille puis il faut que j'aie des salaires pour venir à bout de les nourrir, ces enfants-là. J'aurais répondu, certainement.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de LaFontaine.

(16 heures)

M. Gobé: Est-ce que, à ce moment-là, si un projet qui aurait découlé de cette consultation de vous et des autres intervenants, à laquelle vous auriez participé, d'après vous, aurait pu peut-être répondre aux préoccupations que vous avez aujourd'hui, aux inquiétudes ou aux craintes et aux questions que nous essayons de poser pour essayer d'influencer le gouvernement à réviser son action?

En d'autres termes, est-ce qu'on n'aurait pas dû à ce moment-là, au lieu d'arriver avec un projet de loi comme on est arrivé au printemps... Projet de loi qu'on a voulu adopter très vite d'ailleurs. On l'a amené en fin de session puis on a essayé de l'adopter rapidement, et heureusement qu'il y a eu des femmes comme vous. Je pense que c'est vous d'ailleurs parmi les premières à nous avoir sensibilisés avec des pétitions auprès de vos députés et qui m'ont amené, moi, rapidement à me pencher là-dessus en me disant: Oh, un instant. Il y a quelque chose qui n'est peut-être pas aussi clair que ce que le projet du gouvernement nous amène.

Et je me souviens que Mme la ministre avait parlé peut-être huit, neuf minutes sur le projet de loi, un soir. J'étais très surpris; je pensais que sur un projet aussi important, avec 22 000 travailleuses qui étaient prises là-dedans, on expliquerait au moins pendant une trentaine de minutes, 40 minutes qu'est-ce qui se passait. Alors, je pensais, voyant ça, que c'était quelque chose d'assez simple.

Grâce à vous, au moins on nous a avertis, mais, vous, là, si on avait fait la consultation avant, hein, vous auriez été d'accord de participer. C'est ça que vous m'avez dit. Est-ce que vous ne pouvez pas dire aujourd'hui à Mme la ministre du Travail qu'on devrait peut-être prendre un moratoire sur ce projet de loi là et puis recommencer l'exercice, puis aller rencontrer les gens, les parties, les écouter, aux commissions parlementaires ou dans un autre forum, puis à partir de ce que nous aurons entendu, ce que les gens nous auront fait valoir, des paramètres économiques...

Vous connaissez certainement, madame, vous, mères de famille... Les femmes, vous gérez ça, des budgets, vous savez que 1 $, c'est 1 $ puis 10 % de rabais sur quelque chose, c'est 10%, c'est influent. On connaît tous ça, puis je suis certain que vous ... dans votre tête. Est-ce qu'on ne devrait donc pas peut-être suggérer à Mme la ministre ce moratoire puis dire maintenant on recommence puis on le réécrit ensemble? Puis peut-être qu'on pourrait arriver à quelque chose qui serait plus productif pour la société, plus productif pour l'entreprise, puis plus respectueux des droits et de la condition de travail, de la condition humaine des travailleuses. Que pensez-vous de cette suggestion?

Une voix: ...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Lawrence. Oui.

Mme Lawrence (Denise): Oui.

M. Gobé: C'est une suggestion. Je vous le dis.

Mme Lawrence (Denise): Oui, oui, c'est sûr.

M. Gobé: Je n'ai pas le droit de la mettre en place.

Mme Lawrence (Denise): Non. Pourquoi vous n'en feriez pas un, Mme la ministre, un moratoire, là-dessus? C'est sûr que nous autres, on... Je veux dire, tous les – comment je dirais ça – pas les sondages, mais les statistiques, on n'est pas au courant de ça, je veux dire, on en saurait probablement plus que si vous déposez tout de suite votre loi. Pourquoi pas en faire un, moratoire, Mme la ministre, au lieu d'envoyer votre loi tout de suite? Ça ne presse pas de toute façon la loi, là, hein? Il n'y a rien qui presse.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Bien, écoutez, ça adonne bien, je pense que le temps du député de LaFontaine, l'enveloppe de l'opposition officielle est présentement terminée.

M. Gobé: Il reste une minute.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Non, on me dit que c'est terminé.

M. Gobé: Oui, alors je vous remercie et, moi, je prends bonne note de votre réponse, maintenant.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Par ailleurs, il reste quelques minutes du côté des députés ministériels. Alors, Mme la ministre si vous avez un commentaire ou des commentaires à formuler, il reste six minutes à l'enveloppe ministérielle.

Mme Lemieux: Je pense que tout le monde aura compris qu'il y a deux positions dans ce dossier-là. Il y a des gens... On peut être en colère, on peut... Moi, je ne porte pas de jugement là-dessus, mais il y a des gens qui, pour toutes sortes de raisons, font le plaidoyer qu'il n'y ait plus aucun décret. Non seulement qu'il n'y ait plus décret, mais que, même s'il y a une petite de transition, il n'y ait plus rien après. Bon. Et puis il y a d'autres personnes qui sont à l'opposé, qui pensent qu'on doit à peu près laisser les choses telles quelles. Moi, je pense qu'entre les deux il faut trouver une autre voie, parce que le tel quel on ne peut plus vivre avec; en même temps, le vide total, ce n'est pas plus acceptable.

Et, quand vous me parlez d'un moratoire, moi, je vous dis: Le projet de loi dans le fond, c'est un point de départ. On se donne une période de deux ans pour justement fixer des règles minimales pour le secteur de l'industrie du vêtement. Première chose que je vous dirais. La deuxième chose, je suis sûre que vous avez déjà entendu cette phrase-là: l'information, c'est le pouvoir. Et je me rends compte dans vos préoccupations, puis je vais me permettre d'en redire, là, qu'il y a beaucoup de choses que nous avons tous intérêt à être au clair sur le fait que vous ne perdez pas. Est-ce que tout le monde gagne tout? Non. Ça ne marche pas comme ça, la vie, hein?

Mais, par exemple, vous avez des préoccupations. Vous avez parlé de la... Votre liste, là, à la fin, quand vous dites: Voici ce qu'on ne veut pas perdre, c'est qu'on veut que ça soit clair, puis je comprends que vous vouliez garder cette prise-là sur vos conditions de travail...

Par exemple, vous avez parlé de la période de repas. Dans certains décrets actuellement, savez-vous que c'est une demi-heure qui est permis? Dans la Loi sur les normes du travail, tout le monde... Actuellement, on entend: La Loi sur les normes du travail. C'est comme si ce n'était rien. Mais ce n'est pas rien non plus, ce qu'il y a dans la Loi sur les normes du travail.

Dans la Loi sur les normes du travail, il y a une période de repas obligatoire d'une heure. Alors, il y a quelques-unes des personnes qui sont dans des décrets qui vont y gagner, qui vont y gagner. Dans certains cas, c'est plus avantageux dans la Loi sur les normes du travail.

Autre exemple. Vous êtes inquiets, par exemple, les congés pour événements, ce qu'on appelle les congés pour événements familiaux, décès, etc. La Loi sur les normes du travail, elle est très claire. Elle parle d'un jour avec salaire, trois jours sans salaire. Il n'y a pas toujours ça dans les décrets actuels. Alors, vous n'y perdez pas toujours.

Est-ce que tout va être maintenu exactement comme sont les décrets? Non. Mais tout n'est pas une perte. Alors, moi, je pense qu'on a intérêt... Puis je reviens un peu aux questions... Puis, si vous avez envie de continuer à y réfléchir, moi, je vous invite. Il faut être au clair sur ce projet de loi là. Il faut éviter de se lancer dans des peurs lorsqu'il n'y en a pas puis il faut travailler fort là où on a des craintes qui sont légitimes.

Moi, je retiens un certain nombre de choses de votre intervention puis des interventions d'aujourd'hui. Je retiens beaucoup qu'un des fondements d'un programme de surveillance de la Commission des normes doit être beaucoup tourné autour de la connaissance des droits. Ça, je retiens ça. Je retiens, par exemple, que ce mécanisme-là... Par exemple, je sais qu'il y a tout un système autour de la comptabilisation de vos heures, du repérage des heures par rapport aux personnes. Bon, c'est une méthode lourde, mais en tout cas il y a quelque chose à explorer là-dedans, là. Je ne sais pas quoi. On va l'explorer.

Alors, je vous invite à continuer de réfléchir. Si vous avez des suggestions, n'hésitez pas à les faire. Je vais même vous relancer à un moment donné. Peut-être que vous pourrez être un groupe témoin de ce programme de surveillance, vous pourrez tester notre matériel s'il le faut. Parce que l'important, c'est que les gens s'y comprennent et qu'on ait devant nous une industrie performante qui est capable de développer des emplois, de saisir des bons contrats pour créer des emplois, qui est respectueuse de ses lois et de ses travailleurs et ses travailleuses. Je pense qu'il y a moyen d'avoir ça. Alors, je vous remercie de votre participation.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, voilà. Merci, mesdames, de votre participation à la commission.

M. Gobé: Peut-être une précision...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député.

M. Gobé: ...d'ordre...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): C'est parce que votre...

M. Gobé: Oui, mais c'est d'ordre réglementaire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, question de règlement.

M. Gobé: D'ordre public. Juste dire que la Loi sur les normes a préséance sur les décrets actuellement, déjà, parce que c'est une loi d'ordre public. Donc, vous ne pouvez pas avoir de conditions de travail actuellement inférieures aux décrets, quoi qu'en dise Mme la ministre.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je vous remercie. Merci, mesdames, de votre participation à cette commission. Je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe de pouvoir prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 9)

(Reprise à 16 h 14)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): ...la commission va donc reprendre ses travaux. Nous accueillons maintenant les gens de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec conjointement avec le Syndicat du vêtement, textile et autres industries. Alors, s'il vous plaît, j'aimerais que le porte-parole s'identifie, présente les gens qui l'accompagne. J'aimerais aussi vous rappeler que vous avez 20 minutes d'intervention qui vous sont allouées pour présenter votre mémoire, par la suite 20 minutes de chaque côté des équipes parlementaires qui pourront échanger avec vous sur le sujet. Alors, c'est vous, M. Massé?


Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et Syndicat du vêtement, textile et autres industries (SVTI)

M. Massé (Henri): Oui, bonjour, Mme la Présidente. Henri Massé, président de la FTQ. Je voudrais d'abord, à ma droite, présenter Mme Laï Ha, qui est une travailleuse du vêtement pour homme, M. John Alleruzzo, qui est le directeur canadien du Syndicat du vêtement et du textile. À ma gauche, à l'autre extrémité, M. Célestino Ciampanelli, qui est le directeur québécois du Syndicat du vêtement et du textile et vice-président de la FTQ, et Mme Lucida Pierre, qui est une travailleuse du vêtement pour dames.

D'abord, je voudrais vous remercier de nous laisser l'opportunité, à la FTQ et au Syndicat du vêtement et du textile, de venir présenter notre position sur un sujet aussi important, aussi délicat. Et, d'entrée de jeu, on voudrait être très clair: les décrets du vêtement devraient rester en place. Les conditions qui nécessitaient leur création en 1934 sont réunies plus que jamais aujourd'hui. Plus que jamais, je dirais même, que la situation est probablement plus précoce aujourd'hui qu'elle l'était en 1934.

D'abord, il faut indiquer qu'il y a une multitude d'entreprises de petite taille là-dedans où l'accès au syndicalisme est pratiquement impossible, pratiquement impossible. Je ne veux pas vous inonder de chiffres, mais en 1998 75 % des employeurs du vêtement pour dames, par exemple, avaient 10 employés et moins. 75 %, 10 employés et moins. De 1980 à 1998, le nombre de grands manufacturiers qui faisaient eux-mêmes la confection est passé de 499 à 192. Et les sous-traitants sont, dans un même temps, passés de 441 à 842, le double.

Conditions de travail difficiles, on a entendu des intervenantes précédentes. Salaires très modestes, ça tourne autour de 9,00 $, 9,50 $ de l'heure. Avantages sociaux, on les connaît. Concurrence très vive. Et c'est un milieu où ce sont principalement les femmes qui y travaillent, avec une forte concentration d'immigrantes, et où on retrouve encore la statistique officielle – mais d'après nous, c'est pire que ça: 10 % de travail au noir. Et ça, il faut toujours avoir ça à l'oeil quand on vient jouer dans les décrets. Dix pour cent de travail au noir et d'après nous, c'est probablement le double.

Pourquoi faire sauter les décrets? Les arguments qu'on voit le plus souvent sur la place publique et créés à grand renfort par les associations d'employeurs, par certains employeurs, pas l'ensemble des employeurs... Nous, on vous le dit tout de suite, d'entrée de jeu, quand on vient nous dire que c'est pour créer des emplois, on vient vous dire tout de suite: Faites sauter les décrets et vous ne créerez pas un emploi de plus; faites sauter les décrets et vous ne créerez surtout pas un emploi de qualité de plus.

Il me semble qu'au Québec on a déjà assez de jobines sur les bras, on devrait regarder pour les emplois de qualité. Il me semble qu'un emploi de qualité ça vaut deux, trois jobines où le monde est au même rang ou même en bas du rang de ceux qui sont malheureusement sur le bien-être social.

Moi, je pense qu'il faut regarder la situation bien en face, regarder ce qui se passe dans ce secteur-là, comment ce secteur-là s'est développé au Québec, où on en est par rapport aux autres, et on va peut-être trouver quelques réponses là-dedans qui vont faire en sorte qu'on pourrait remettre cette espèce de mythe là, qu'il faut absolument faire sauter les décrets.

Malgré les décrets, là, il y a eu une augmentation des emplois dans le secteur du vêtement depuis 1996, une augmentation de 31 %, 31 % d'augmentation des emplois dans le secteur du vêtement depuis 1996. Trouvez-moi un secteur au Québec, même un secteur que vous avez déréglementé – même un secteur que vous avez déréglementé – qui a autant de succès dans la création des emplois depuis 1996. Il n'y en a pas.

Malgré les décrets, le secteur du vêtement tient et maintient la première place dans le secteur manufacturier au Québec: 65 380 emplois. L'exportation a triplé vers les États-Unis de 1992 à 1998. Bon, c'est bien évident que le dollar canadien-américain y est pour quelque chose un peu, mais pas tant que ça. Nous, on pense qu'on a une main-d'oeuvre qui est mieux formée, une meilleure technologie que dans les pays du tiers monde où il n'y a pas de salaire, puis ils essaient de faire concurrence. Puis on est en train de se trouver un créneau au Québec où c'est dans la moyenne et haute gamme. On n'est pas juste dans le cheap, cheap, cheap, puis avec cheap salaire puis cheap conditions de travail. On est en train de développer une niche qui a de l'allure.

(16 h 20)

Puis je voudrais juste vous rappeler que les autres provinces canadiennes, là, il n'y en a pas une qui a un système de décrets. Il n'y a pas une province canadienne qui a un système de décrets, puis malgré tout ça, au Québec, on compte pour 60 % de l'industrie du vêtement au Canada. Montréal, la capitale canadienne de la mode, puis on a fait ça avec des décrets. Je pense qu'il faudrait en être fier puis regarder un peu avant de vouloir tout démolir ce système-là.

Les conséquences de l'abolition des décrets. Je vais laisser mesdames tantôt vous en parler un peu, mais, moi, je voudrais vous dire d'entrée de jeu que ce n'est pas nos meilleures conventions collectives, dans le secteur du vêtement, quand on les compare à l'ensemble du secteur manufacturier. On est à peu près 5 $ de l'heure en moyenne plus bas que le reste du secteur manufacturier. Compte tenu du contexte, je pense qu'on a arraché des conditions de travail puis des conventions qu'on peut dire potables, mais ce n'est pas les plus belles en ville, là. On en a d'autres qu'on est bien plus fier de montrer que ça.

Si on abolit les décrets, demain matin, ça, c'est clair, clair, clair – nous, on représente 16 000 salariés syndiqués dans ce secteur-là sur 60 000 – que c'est des pressions à la baisse sur nos conventions collectives, et John et les dames pourront vous en parler tantôt. On a eu une expérience dans le décret du vêtement pour hommes qui n'a pas été facile – on vous avait demandé d'ailleurs, Mme la ministre, d'intervenir – et on va se ramasser avec des baisses des conditions de travail puis on va se ramasser aussi avec des mises à pied. Ça, c'est clair.

Il y a des employeurs qui sont pour le maintien du décret puis qui nous disent déjà: Si les décrets sautent, on ne sera pas capable de survivre. Bon, ces emplois-là, est-ce qu'ils vont tous être repris par la concurrence? Probablement en partie, mais on est convaincu qu'une bonne partie s'en ira dans l'économie informelle, autrement dit dans le travail au noir.

Moi, je voudrais encore une fois vous rappeler, puis ça vous a été dit par nos intervenantes précédentes, qu'on est dans un milieu de femmes, femmes immigrantes, aux conditions fort modestes. Devant le manque de volonté gouvernementale – et j'interpelle les deux côtés de la Chambre, c'est quand même un débat qui est parti depuis longtemps – on a regardé à la FTQ la possibilité de maintenir des normes sectorielles qui auraient pu remplacer les décrets – parce qu'on nous disait: On ne les maintiendra pas, les décrets. On a eu des discussions là-dessus, mais je vous dirais qu'à ce stage-ci le projet qui est devant nous est tellement plein de trous que pour nous ça équivaut à faire sauter les décrets.

En gros, le projet qu'on a devant nous, il nous dit: Établissons des normes de transition pour deux ans, mettons un comité en place puis placotons pendant ces deux ans-là, puis on verra s'il y a lieu. Parce que tous les textes qu'on a vus à date, c'est: On verra s'il y a lieu. On n'a jamais eu d'engagement clair qu'il y aurait des normes permanentes de maintenues. On nous dira: On verra s'il y a lieu. Pour nous, à la FTQ et au SVTI, c'est clair comme de l'eau de roche, s'il fallait qu'on accepte ça aujourd'hui, les pressions... Parce qu'une fois qu'on aura franchi le seuil psychologique de l'abolition des décrets les employeurs vont multiplier les pressions pour dire: Pas de normes dans deux ans.

C'est aujourd'hui qu'on a un petit rapport de force, là, nous autres. Les employeurs veulent faire sauter le décret, ils vont avoir un prix politique à payer quelque part certain, puis on va s'en occuper; on va faire la job qui s'impose. Mais, s'il fallait qu'on laisse passer ça, puis on va placoter pendant deux ans puis dans deux ans on verra si on tient des normes, s'il fallait qu'on accepte ça de notre côté, je pense qu'on passerait pour des incompétents, puis, comme je suis en commission parlementaire, je vais ménager mes mots.

Nous, on pense que les décrets devraient être maintenus. Si on veut nous proposer quelque chose qui se rapproche de ça et qui ressemble à ça, ça nous prend les conditions réunies tout de suite, ça nous prend des engagements clairs tout de suite et qu'on sache où on s'en va là-dedans. Encore une fois, on est dans un milieu: petits salaires, mises à pied, l'emploi n'est pas tellement stable, conditions de travail difficiles. On ne veut pas s'en aller dans une aventure de deux ans puis voir ce qui se passera après. Puis on le sait, ce qui se passer du côté patronal là-dedans.

Je vais laisser le confrère Alleruzzo vous expliquer les conditions que ça prendrait si on allait un peu dans un autre champ, et ensuite les deux mesdames vont venir vous parler des difficultés de l'abolition du décret.

M. Alleruzzo (John): O.K. Merci, Henri. Mme la ministre, membres de la commission, je voudrais profiter des quelques minutes qui me sont allouées pour souligner certains éléments cruciaux soulevés par le projet de loi n° 47. Les aspects que j'entends toucher concernent l'avenir de l'industrie du vêtement et celui des conditions de vie et de travail des femmes et des hommes qui y travaillent.

Comme l'explique notre mémoire, nous favorisons nettement le maintien des décrets dans l'industrie du vêtement, puisque ce régime demeure le plus efficace sur les plans économique et commercial et le plus juste sur le plan de la détermination des conditions de travail. Je rappelle que nous appuyons depuis longtemps l'idée de la fusion des quatre comités paritaires et de même qu'une fusion progressive des décrets. Ceci permettrait en même temps de disposer des irritants identifiés par certains intervenants. Nous demeurons donc convaincus que la voie des décrets demeure également la meilleure solution pour assurer la stabilité de notre secteur.

Par contre, si, pour apaiser les patrons, les intentions gouvernementales visent toujours l'abolition des décrets, nous vous exprimons notre opposition au projet de loi n° 47 dans sa forme actuelle. En effet, nous insistons sur la nécessité de maintenir par législation la réglementation des normes minimales spécifiques à l'industrie du vêtement.

Il faut également mettre en place un cadre administratif assurant le respect de ces normes. Le projet de loi actuel nous laisse très perplexes à cet égard. Nous recommandons fortement que, durant la période de transition de deux ans, les différents secteurs de l'industrie du vêtement présentement couverts par le décret soient soumis aux normes minimales suivantes, telles que stipulées dans leurs respectifs décrets: et ça, c'est, un, le salaire minimum, qu'il y a dans les différentes catégories, naturellement; les jours fériés et chômés et payés; la semaine de travail; la durée de la période de repas et des pauses-santé; la durée des congés annuels; le fractionnement d'un tel congé et l'indemnité afférente à ces congés; les analyses mensuelles des rapports des paies des employeurs; l'enregistrement des manufacturiers et des contracteurs; les inspections régulières et spéciales des ateliers; l'obligation des employeurs de déclarer les contrats de sous-traitance afin de pouvoir déterminer la responsabilité solidaire; le pouvoir de mener une enquête complète même dans les cas où une seule plainte a été logée; le maintien du personnel actuel des comités paritaires afin de s'assurer le respect de ces normes minimales; l'application générale des taux de cotisation actuellement prévus aux décrets du vêtement pour hommes; et la formation d'un comité consultatif représentatif des parties.

Le mandat de ce comité est de s'assurer que cette phase se déroule sans heurt et que les normes minimales soient respectées et appliquées. Et naturellement, une fois que cette période de transition se termine, selon nous il faut que le gouvernement définisse clairement les normes minimales qui s'appliqueront après ça.

Alors, ce que nous, encore, recommandons et proposons, c'est exactement ce que je viens de lire auparavant. Ça, ça veut dire les mêmes normes minimales qui s'appliquent pendant la période de transition. Et, concernant le comité consultatif, il devra également être maintenu afin de s'assurer l'élaboration et la détermination des politiques et des règlements adoptés dans l'industrie du secteur, et ce comité peut recommander à la ministre du Travail des modifications à apporter aux dites normes.

(16 h 30)

Encore une fois, pour nous, c'est très important que les normes minimales soient là et puis qu'il y ait des inspecteurs qui s'assurent que ces normes sont respectées. Et l'autre chose très importante, c'est que les employeurs envoient ces rapports, parce que c'est la seule manière de pouvoir vérifier et s'assurer que tous les travailleurs et travailleuses sont payés de la manière qu'ils doivent être payés.

En conclusion, nous croyons que l'abolition des décrets va à l'encontre d'une politique sociale de pleine intégration des immigrants et des femmes dans les milieux de travail et dans la société québécoise. La détérioration des conditions de travail, ça... en politique d'exclusion. Si le gouvernement persiste à abolir les décrets dans notre secteur, nous soumettons qu'il doit s'assurer qu'il devrait retenir nos suggestions minimales, à défaut de quoi le projet de loi n° 47 est totalement inacceptable.

Aujourd'hui, le Québec et plus particulièrement Montréal sont devenus les centres de la mode du Canada. En rénovant leurs usines, les employeurs ont réussi à pénétrer le marché américain et d'autres et ont fait des profits appréciables. Les employés eux-mêmes, s'ils gagnent moins en comparaison avec les autres industries, ils ont quand même des bénéfices marginaux décents et une moyenne salariale de 9,50 $ de l'heure. Tout ceci a été atteint pendant que les décrets étaient en vigueur.

L'abolition des décrets ou le projet de loi n° 47 tel qu'il est présenté augmentera les profits des compagnies et amènera les travailleurs et travailleuses de l'industrie du vêtement à un niveau comparable à celui des travailleurs du tiers-monde. Je suis certain que le gouvernement n'a pas l'intention d'appauvrir les travailleurs de l'industrie du vêtement du Québec. Merci.

M. Massé (Henri): Madame...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Tout en vous rappelant qu'il ne reste que quelques minutes, là.

M. Massé (Henri): Combien qu'il nous reste?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Il reste environ trois minutes à l'intervention.

M. Massé (Henri): Multipliées par deux, ça fait six.

M. Alleruzzo (John): Quelques minutes seulement.

M. Gobé: Je voudrais donner un peu plus de mon temps à ces messieurs pour leur permettre d'expliquer leur problème.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, c'est ce qu'on offre.

M. Gobé: Ils sont venus de loin. Je consens donc à questionner 15 minutes, si vous êtes d'accord, pour vous permettre d'expliquer votre affaire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Non, mais, écoutez, là, c'est parce que... M. le député de LaFontaine, vous savez comment ça fonctionne.

M. Gobé: Je suis libre de mon temps.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, sur consentement, effectivement, il est possible de faire ce genre de chose, mais à quelque part on perd du temps quand même parce qu'on s'enlève du temps pour échanger.

M. Massé (Henri): Je ne sais pas comment ça fonctionne, mais je trouve que c'est une belle offre.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, c'est ça, sur... Mais le député de LaFontaine sait comment ça fonctionne, je peux vous l'assurer, on a pratiqué ce sport-là ce matin. Alors, Mme Laï Ha.

Mme Ha (Laï): Oui. Bonjour, Mme la ministre et les membres de la commission. Je m'appelle Laï Ha. Je travaille dans une usine de vêtements d'hommes, syndiquée, depuis neuf ans. J'ai des conditions de travail acceptables pour le moment grâce à la protection de la convention collective.

En décembre dernier, je me suis trouvée dans la rue pour trois semaines parce que la compagnie où je travaillais a fait un lockout parce qu'elle ne voulait pas avoir de décret minimal de salaire dans la convention collective.

Si on veut abolir le décret, je peux m'imaginer à quelles conditions je serai obligée de travailler. Je suis certaine que mon patron, au nom de la compétition avec les autres compagnies non syndiquées, il fera pour baisser mes conditions de travail et on va travailler dans une condition péniblement. Déjà, avec le salaire que je gagne présentement, je ne veux pas faire de la richesse, mais, pour moi, si le décret disparaît, je crois que la condition que j'avais laissée dans mon pays, je vais la revivre encore au Canada. Si on n'est pas dans le décret, ils vont nous ramener au niveau de non syndiquées aussi. Et c'est pour cela qu'on voulait se mettre en lutte pour conserver le décret. Merci.

Mme Pierre (Lucida): Bonjour, Mme la ministre. J'ai travaillé dans des compagnies syndiquées, près de 25 ans, dans l'industrie du vêtement pour dames, syndicat SVTI. Présentement, nous avons le décret, une convention collective. Quand même, il faut se battre pour faire respecter nos droits, respecter nos conditions de travail. Si le décret saute, je pense que nous serons les premiers à souffrir des conditions de travail non respectées.

Par contre, vous dites qu'il y aura une période de transition. Qu'est-ce qu'il y aura après la période de transition? Présentement, il y a plein de sous-contracteurs qui donnent du travail au noir dans des compagnies de misère, c'est-à-dire dans des garages, dans le sous-sol, et ces gens-là, ils travaillent vraiment, c'est des travailleuses de misère. Nous avons besoin d'inspecteurs, de comités paritaires pour faire respecter nos droits et surveiller les conditions de travail dans lesquelles nous travaillons présentement.

La majorité des femmes, comme nous autres, comme les femmes monoparentales qui ont deux, trois enfants, qui doivent faire vivre leur famille, leurs enfants, nous demeurons convaincues que l'abolition des décrets sera injuste socialement et économiquement. Si vous abolissez le décret, c'est l'abolition des conventions collectives, c'est d'abolir les vacances, les jours fériés, les temps de repos, les salaires, nos conditions de travail.

Nous travaillons à la minute présentement dans des compagnies, nous travaillons à la pièce, des travaux répétitifs, c'est-à-dire qu'on doit travailler continuellement toute la journée pendant huit heures par jour pour gagner du pain pour mettre sur la table. Si on fait tomber le décret, qui est-ce qui va nous aider à nous en sortir? Parce que, présentement, on a assez de problèmes avec des salaires de misère de 9 $ et quelque chose. Et, si on n'a pas de décret, ça veut dire que c'est sûr que... Le syndicat a travaillé assez fort pour nous aider, en collaboration avec le comité paritaire. Au moins, quand on a un problème, on sait où se diriger. Mais, après ça, si le décret saute, je pense que nous ne savons pas où aller. Et c'est bien de dire qu'on peut aller aux normes du travail, mais très souvent il y a beaucoup de femmes, des personnes qui ne savent même pas où aller et puis il n'y a personne pour les soutenir. Je vous remercie, madame. C'est tout ce que j'avais à dire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je vous remercie. Ça met fin au temps que vous aviez pour faire votre présentation. On a dépassé de quelques minutes, pas plus. Alors, Mme la ministre, si vous avez des questions et commentaires.

Mme Lemieux: Alors, je voudrais vous remercier pour votre intervention, une intervention extrêmement riche où vous avez véhiculé un point de vue large, structurant, structuré et, en même temps, vous l'avez illustré par des préoccupations concrètes. Je pense que c'est très utile pour ce que nous avons à faire dans l'avenir.

J'aimerais vous dire – je l'ai dit en introduction dans mes remarques préliminaires et je vais le radoter jusqu'à la fin de mes jours probablement – que ce qu'on a cherché à faire – puis c'est une préoccupation bien personnelle, mais je pense que c'en est une qui est partagée aussi par le gouvernement et qui a guidé aussi des travaux du ministère du Travail – c'est cette recherche d'équilibre, cette difficile recherche d'équilibre entre la compétitivité, les conditions de travail, entre un régime en place depuis 60 ans, qui a ses bons côtés mais qui a ses côtés vieillots, et les exigences de la nouvelle économie, entre l'intervention de l'État et le fait qu'on est dans une économie de libre marché. C'est un équilibre qui n'est pas simple, et c'est ça qui m'a animée et qui a animé les travaux qui nous mènent à ce projet de loi n° 47.

Je voudrais aussi dire, avant d'aller plus loin dans les interventions – puis j'ai des questions aussi à vous poser – c'est beaucoup revenu, ça, aujourd'hui, j'ai jonglé avec beaucoup de papiers, j'ai parlé à beaucoup de monde et je pense que c'est assez clair, je pense ne pas me tromper – je ne suis pas une économiste – en disant que l'industrie du secteur du vêtement, il a fallu qu'elle se démarque. Et il y a des domaines où elle ne peut pas faire concurrence. On le sait, il y a des pays qui produisent à très, très peu cher des vêtements. On ne peut pas concurrencer ça. À moins qu'on décide de tout écraser, on ne peut pas. Et l'industrie – le libre-échange aidant; peut-être, ça nous a donné un petit coup de pouce – s'est vraiment concentrée vers une production où la concurrence, ce n'est pas les pays en voie de développement, c'est l'Ontario, c'est les États-Unis, c'est ceux qui sont le plus proche de nos propres conditions de travail. Alors, pour moi, les points de comparaison, ce n'est pas le salaire qui est donné dans le fond de l'Asie, c'est les salaires en Ontario, en Amérique du Nord. Je pense que c'est ça, la véritable comparaison.

Alors, je veux être claire là-dessus, que la mondialisation nous rend souvent impuissant. Il y a des batailles qu'on peut gagner face à la mondialisation, il y en a d'autres qu'on ne peut pas gagner, et c'est comme ça. Pour ce qui est des coûts de production, bien il y a des pays qui sont à beaucoup moins cher que nous, mais, écoutez, ce n'est pas notre point de comparaison et ce n'est pas l'objectif nécessairement que nous poursuivons.

(16 h 40)

Ceci étant dit, je voudrais, parce que je sens bien... Dans le fond, ce que je sens de votre intervention, c'est que vous dites: Ce n'est pas si bête, cette idée de normes sectorielles, mais on pourrait-u avoir deux, trois garanties avant? C'est ce que j'entends, en gros, de votre intervention. Alors, je veux être bien claire. Au terme de cette période de transition, il est de mon intention et de l'intention du gouvernement d'avoir des normes sectorielles dans la loi sur les normes du vêtement, donc des normes différentes, donc, dans certains cas, des normes supérieures aux normes minimales du travail qui sont prévues à la Loi sur les normes du travail.

Je m'engage aussi à ce qu'on travaille avec diligence, rapidement, pour qu'on y arrive. On s'est donné une période de deux ans, et vous savez que ça veut dire moins que deux ans. Finalement, si on veut mettre tout ça en route pour qu'à terme, dans deux ans, les choses soient mises en oeuvre, il faudra donc travailler intensément. On est donc condamnés, tous, à avoir des résultats. Parce que je constate comme vous – j'ai lu l'historique, il y a des bouts de l'histoire que je ne connaissais pas – qu'il y a eu beaucoup d'essais qui ont échoué. Je constate aussi que nous avions un régime de relations de travail finalement, mais qu'il y a des parties qui désirent s'en départir et qu'il faut donc faire ça, établir ces normes de travail là en dehors du régime classique que nous avons eu jusqu'à maintenant, celui des décrets. Alors, pour moi, d'entrée de jeu, je tenais à le clarifier.

Ceci étant dit, ce n'est pas parce que je dis ça que je veux verser non plus dans... Il faut aller au-delà quelquefois des clichés. Vous avez raison de dire que l'industrie, finalement, ne s'en tire pas si mal ces dernières années, qu'il y a eu des augmentations d'emplois, des augmentations d'emplois en général dues par une plus grande exportation, mais ce n'est pas impossible non plus, ce n'est pas impossible que cette création de nouveaux emplois se soit faite dans des secteurs qui ne soient pas couverts par les décrets. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

C'est vrai que l'industrie a avancé, puis elle a évolué, puis il y a eu des nouveaux emplois, plus d'exportation, mais c'est vrai aussi que certains carcans... Il y a des carcans dans les décrets qui sont un frein. Je veux dire, il y a des questions concrètes: Un sous-traitant peut-il se permettre de saisir au vol un contrat intéressant alors que, lui, il est surtout dans un créneau, donc qu'à partir du moment où il va réaliser ce contrat-là il devra rentrer dans une autre série de règles du jeu? On ne peut pas nier qu'il y a là un carcan qui freine et qui fait en sorte qu'on a de la sous-traitance probablement plus à l'extérieur qu'à l'intérieur du Québec. Alors, j'aimerais ça vous entendre là-dessus, parce que je n'accepte pas qu'on dise simplement: Bien, de toute manière, il y a eu une augmentation des emplois puis il y avait des décrets. J'émets l'hypothèse que ça se peut que ça soit dans des secteurs où il n'y avait pas de décret. Alors, il faut être conscients de ça.

Les deux autres éléments sur lesquels j'aimerais vous entendre. Il y a eu beaucoup, beaucoup de préoccupations de gens autour de tout ce qui est la Commission des normes, la surveillance, le pouvoir réel de la Commission des normes. J'ai dit tout au cours de la journée que, quand on fait des virages comme ça, c'est souvent l'occasion de rafraîchir nos manières de travailler, d'actualiser nos manières de travailler. Je me rends compte que les travailleuses et les travailleurs sont souvent des gens qui connaissent très peu leurs droits. La Commission des normes devra avoir, aura un mandat de développer un programme de surveillance adapté, spécifique par rapport à cette industrie-là. Ils ne le feront pas en vase clos, mais j'aimerais vous entendre là-dessus, sur les composantes d'un tel programme.

Et j'aimerais aussi vous entendre – parce que c'est aussi le constat de cet échec-là – sur cet organisme qui est prévu, qui aura pour mandat de conseiller la ministre et le gouvernement quant à la nature de ces normes dites sectorielles. Je constate qu'actuellement il y a bien du monde qui n'y est pas. Les manufacturiers sont relativement présents, les sous-traitants pas beaucoup; les travailleurs syndiqués sont relativement représentés, les non-syndiqués, peu. Comment on va faire pour avoir un organisme qui fera ce premier travail de recommandation à la ministre et au gouvernement, qui fera en sorte, donc, que cet organisme soit représentatif? Parce que je pense que c'est un problème qu'il y a actuellement, la représentativité des joueurs qui sont en cause.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Massé.

M. Massé (Henri): Bon. D'abord, sur votre hypothèse qu'il s'est créé plus d'emplois surtout dans les secteurs hors décret. Je pense que votre hypothèse s'avère fausse. Dans le vêtement pour hommes, par exemple, c'est en plein développement, l'exportation. Peerless à Montréal, 2 000 emplois, puis on pourrait vous en nommer cinq, six autres, assez que les États-Unis nous accusent un peu de sous-traitance puis qu'il y a du monde de l'autre bord de la frontière qui nous regarde. Le vêtement pour dames aussi, il s'est développé des emplois. Est-ce qu'il s'en est développé aussi dans les secteurs non couverts par décret? Je laisserai John répondre là-dessus, mais je pense qu'il s'en est développé partout. De la sous-traitance, il s'en fait à l'international. Il y a même des entreprises où le Fonds de solidarité, on a investi, et il s'en fait à l'international. Maintenant, les emplois où ils ont besoin de plus de technologie, où les vêtements sont un peu plus complexes, où ça prend du pressage et des... bon, c'est au Québec que ça se développe. Les industries de teinturerie, puis tout ça, se développent autour. Ça s'est développé avec les décrets de convention collective.

Est-ce que la Commission va être capable de suivre tout ça? Nous, on l'a dit d'entrée de jeu, on avait déjà eu des discussions là-dessus il y a déjà un an, mais, si vous vous en allez dans le modèle de la Commission telle qu'elle est à l'heure actuelle, avec un petit comité consultatif à côté, là, qui ne voudra pas dire grand-chose, nous, on pense que la Commission ne sera pas capable de suivre ça. Non, non, on est sérieux. La Commission ne sera pas capable de suivre ça. La Commission, elle en a plein ses bottines, à l'heure actuelle. On est dans un secteur où il n'y a pas grand monde qui va oser aller se plaindre. Il faut partir de là d'abord, là.

La Commission marche surtout sur plainte. On va nous dire: Oui, la Commission fait des grandes enquêtes, puis tout ça, mais la Commission fonctionne surtout sur plainte. Je vous dirais bien humblement... Je vais vous donner juste un exemple. On fait sauter les décrets, on fait sauter le fonds des vacances. Il y a 4 800 entreprises – je vais attendre que votre sous-ministre ait fini de vous parler parce que c'est important que vous compreniez ça – ...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Massé (Henri): ...qui ont disparu au Québec dans le vêtement au cours des 20 dernières années puis qui sont réapparues, d'autres qui ont été créées, 4 800. Tu sais, la Commission, quand elle va commencer à faire enquête, elles vont déjà être en faillite, puis les employeurs vont être partis, les petites entreprises vont être parties avec la paie de vacances de leurs employés dans leurs poches. On a connu ça dans la construction, puis on a été obligé de se mettre des fonds de recouvrement sur pied, puis des gnangnans, là. Tu sais, là? Ça, là, c'est du monde... À cause des faillites, à cause des fermetures d'entreprises dans ce milieu-là, des changements, on n'est pas équipé, à la Commission...

À moins qu'il y ait une ouverture d'esprit de la Commission puis qu'on veuille en faire un modèle, un modèle sectoriel spécial à l'intérieur de la Commission. On est capable de l'envisager. Mais embarquez-nous pas dans la bureaucratie traditionnelle où les parties ne sont pas là puis qu'ils ne sont pas capables de surveiller leurs affaires, on n'aura pas confiance. Ça fait que, si on veut faire ça... On vous en a déjà parlé, de modèles qui sont possibles, où les travailleurs puis les syndicats, le monde qui est dans l'industrie sera présent, mais laissez les partenaires être capables de jouer un rôle là-dedans.

Si c'est juste un comité consultatif pour conseiller la ministre puis la Commission fait ce qu'elle veut, là, moi, je vous le dis, on n'a pas confiance. Puis je ne veux pas décrier la Commission, je ne veux pas décrier la Commission sur le reste, je veux être bien clair. Je pense qu'on a une Commission des normes minimales qui se tient. Mais vous embarquez dans un secteur qui est très, très, très particulier, puis de la petite, petite, petite entreprise, puis qu'il faut surveiller.

L'autre élément, c'est que la Commission n'a pas les moyens. Là, on parle de transférer les inspecteurs, mais on ne parle pas de transférer, par exemple, les employés de soutien qui sont là, qui reçoivent les rapports des employeurs, qui reçoivent... savoir ce qui se passe dans l'industrie, où ça sous-traite, à quelle place on peut faire enquête, comment on peut être proactif. On va désorganiser complètement le comité paritaire puis on n'amène pas ce monde-là dans... Toutes les propositions qu'on a vues à date, on ne les amène pas au niveau de la Commission des normes. Ça fait que, ça, là-dessus, on pense qu'on passe à côté de l'efficacité qu'on recherche, puis finalement on ne frappera pas la cible.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: M. Massé, avant, je sais que vous avez posé d'autres sous-questions, mais je veux revenir là-dessus. M. Massé, je veux qu'on se comprenne. Vous dites: Si la Commission des normes n'adopte pas un modèle sectoriel, elle ne passera pas au travers. Moi, je vous parle d'un programme spécifique pour le secteur de l'industrie du vêtement. On peut-u convenir qu'on dit la même chose?

M. Massé (Henri): Continuez à développer un peu puis on va peut-être dire la même chose.

Mme Lemieux: Bien, non, mais, écoutez...

M. Massé (Henri): À ce moment-ci, je ne suis pas sûr.

Mme Lemieux: La Commission des normes se retrouve avec un mandat, celui de voir au respect des normes dans le secteur du vêtement. Tout le monde sait que c'est un secteur où il y a des caractéristiques communes avec l'ensemble des secteurs, où il y a une faible rémunération, par exemple, mais qui a des caractéristiques bien spécifiques. Bon. C'est un univers en soi. Elle a le mandat d'administrer ça. On sait qu'il y a une expertise dans les comités paritaires. On va récupérer la plupart des gens qui sont dans les comités paritaires.

M. Massé (Henri): Y compris les employés de soutien?

(16 h 50)

Mme Lemieux: Ça, ça reste à voir. Mais c'est clair qu'il y a un mandat spécifique à la Commission d'intervenir dans un champ où il y a à rebâtir, à l'aube de l'an 2000, comment on intervient pour le respect des conditions de travail des gens dans ce secteur-là. Puis elle ne le fera pas en vase clos. Elle ne le fera pas en vase clos; elle va le faire avec l'industrie, les travailleurs.

J'ai proposé tantôt... Il y avait des dames de la région de l'Estrie. J'ai dit: On va aller tester notre matériel auprès de vous. Toute la question de la connaissance des droits, c'est un point de départ extrêmement important. Il y a des éléments de vulnérabilité, si je peux dire, dans ce secteur-là.

Alors, pour moi, quand je dis: La Commission a comme mandat de développer un programme spécifique d'intervention, de prévention, d'inspection, de surveillance – appelez-le comme vous voulez – bien, je m'excuse, mais je dis la même chose que vous, je parle aussi d'un modèle sectoriel.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Massé.

M. Massé (Henri): Si vous dites la même, même chose, M. Alleruzzo vous l'a dit tantôt, ça prend une analyse mensuelle des rapports de paie, ça prend...

Mme Lemieux: Bon. Et j'irais plus loin. Par exemple, on a dit: Le rapport mensuel, là, tel qu'il est actuellement, c'est vrai que, dans le projet de loi, il n'est pas présent. La Loi sur les normes du travail prévoit la tenue... un employeur doit tenir un registre. C'est vrai qu'il faudra se poser la question si ce mécanisme-là, plus général, qui concerne l'ensemble des travailleurs qui sont au salaire minimum sera suffisant pour l'industrie du vêtement. Je me rends compte qu'il y a là des pratiques, puis il faut saisir l'information, j'en suis parfaitement consciente. Il faut saisir l'information. C'est vrai qu'il faudra travailler sur un mécanisme à la fois le plus souple, parce que, si on veut surveiller, il faut être au clair sur ce qu'on va surveiller. Mais il y a quelque chose là à creuser. On était silencieux sur cette question-là du rapport mensuel, mais je vois bien qu'il y a un mécanisme à trouver, un peu plus moderne, mais qui est présent quand même.

M. Massé (Henri): Là-dessus, Mme la ministre, je voudrais vous soumettre bien humblement qu'on a déjà du monde, là, très, très compétent au niveau des comités paritaires puis qui pourrait aller faire un travail à ce niveau-là.

Je vais vous dire, on va aller plus loin. On est prêt à aller plus loin. Dans le projet que vous soumettez, il n'y a pas de cotisation pour les travailleurs, il n'y a pas de cotisation pour les syndiqués. Nous, on est prêt, comme dans les décrets, à continuer à verser une petite cotisation pour avoir une équipe en place compétente. Mais on se fait dire: Wop! Wop! Wop! C'est-u possible? Moi, c'est là que je viens en beau... C'est-u possible? On a les normes minimales. Est-ce qu'on peut maintenir une petite cotisation? Ça va-tu déranger l'ensemble de la Commission des normes minimales? Il me semble que, si on veut dessiner un modèle original, soyons un petit peu plus audacieux. Arrêtons de nous enfarger dans ces virgules-là puis les pattes de mouches. Encore une fois, on est prêt à mettre quelques cents puis avoir quelque chose qui se tient debout, puis qui a de l'épine dorsale, puis qui va faire en sorte que, notre monde, il ait des conditions de travail qui soient respectées.

Nous, la productivité, on n'a pas peur de ça, à la FTQ, mais on voudrait faire le vrai débat, là. On ne voudrait pas que la productivité, finalement, ça soit sur le dos du monde qui se fait voler ses poses, qui se fait voler le temps supplémentaire fait mais qu'on ne veut pas payer, qui se fait voler des paies de vacances parce qu'il a été malade, puis tout ça.

J'avais, en fin de semaine... Quand on en parle, on a tout le temps le modèle des États-Unis dans la face, là. Il y a un bel article, un journaliste de La Presse qui reprend l'ensemble de ce qui se passe dans les journaux aux États-Unis, puis c'est éloquent, lire ça, c'est éloquent. C'est éloquent. Les États-Unis, c'est un beau modèle, mais on vient de nous dire que, dans le fond, il y a une bonne partie de la productivité qui n'est pas vraiment aussi bonne que la nôtre ici, la vraie productivité, la technologie, puis la formation, puis tout ça, mais que, souvent, c'est du vol des travailleurs et des travailleuses. Dans le secteur où on est, le vêtement, moi, je suis convaincu que, compte tenu des travailleurs et des travailleuses qui sont là, puis surtout des travailleuses, difficulté de porter plainte, certaines craintes, certaines peurs, c'est avec ça qu'on se ramasserait.

Le Président (M. Lelièvre): Mme la ministre.

Mme Lemieux: Est-ce que j'ai encore... Une dernière question. Enfin, j'en aurais plusieurs.

Le Président (M. Lelièvre): Il vous reste deux minutes.

Mme Lemieux: Vous avez dit dans votre mémoire, je sais que vous l'avez dit aussi en conférence de presse aujourd'hui, qu'un des enjeux, à votre point de vue, c'était de créer un peu des conditions favorables. Il y a des enjeux d'innovation technologique, renouvellement, formation des ressources humaines. On me dit aussi qu'il y a une pénurie de main-d'oeuvre, actuellement. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Lelièvre): M. Alleruzzo.

M. Alleruzzo (John): Oui. Quand on parle de formation, naturellement, dans l'industrie du vêtement, pour les travailleuses et travailleurs du vêtement, il n'y a pas beaucoup de formation. Nous, le syndicat, on vient de mettre sur pied un programme d'éducation avec l'aide du gouvernement, et ça, c'est afin de donner des cours de français comme langue seconde, des cours de base en mathématique et aussi des cours de base d'informatique. Ça, c'est le syndicat qui fait ça. Puis, concernant la formation, c'est ça, c'est au moins que le syndicat donne des cours dans l'industrie du vêtement.

L'autre chose. Quand vous parlez de la concurrence, oui, c'est vrai, c'est impossible pour l'industrie ici, au Canada, de faire la concurrence à l'industrie du tiers-monde. Encore une fois, quand on parle de l'Ontario, ici, au Canada, ou des États-Unis, bien, si vous regardez les salaires, ils sont presque les mêmes. Si on regarde les salaires moyens de l'Ontario ou des États-Unis, ils sont les mêmes qu'ici, au Québec. Pas seulement ça, mais aujourd'hui il y a beaucoup de compagnies américaines qui envoient de l'ouvrage ici, au Québec, pour le faire faire ici, au Québec. Ça, c'est de la sous-traitance des États-Unis qui vient ici, au Québec. Naturellement, s'ils font ça, ça veut dire que ça leur convient, pas seulement concernant la qualité du travail, mais aussi concernant les salaires qu'ils paient.

L'autre chose. Quand vous parlez d'un programme de surveillance de la Commission des normes, est-ce que vous vous référez à la période de transition ou c'est après la période de transition? Oui, c'est une question que j'ai posée dernièrement.

Le Président (M. Lelièvre): À ce stade-ci, le temps de Mme la ministre est terminé. Est-ce que, de consentement, madame peut répondre?

M. Gobé: Oui, si elle a la réponse, mais je crois qu'elle avait fait signe.

Mme Lemieux: J'en ai perdu un bout, parce que j'essaie d'avancer dans ce dossier-là au fur et à mesure, n'est-ce pas? Alors, votre question m'a échappé.

M. Gobé: Moi, je suis prêt à le donner à Mme la ministre, mais juste une petite mise au point. Ce matin, j'ai demandé que la Commission des normes vienne témoigner. Je vois que M. Boily parle d'abondance avec la ministre. Peut-être qu'on pourrait régler ça en acceptant que, dans une autre séance, il vienne témoigner devant tout le monde puis qu'il dise tout haut aux parlementaires ce qu'il dit tout bas à Mme la ministre.

Le Président (M. Lelièvre): M. le député de LaFontaine, je ne pense pas que... M. le député de LaFontaine, nous allons régler la question.

M. Gobé: À part ça, je donne mon consentement à Mme la ministre pour qu'elle réécoute la question de monsieur puis qu'elle puisse y répondre.

Le Président (M. Lelièvre): Vous l'avez donné ce matin. Nous allons régler cette question d'ordre procédural à un autre moment. Maintenant, à Mme la ministre, vous avez donné le consentement afin qu'elle puisse répondre. Est-ce que, M. Alleruzzo, vous pouvez répéter brièvement la question que vous avez posée?

M. Alleruzzo (John): O.K. C'est seulement parce que Mme la ministre parlait d'un programme de surveillance par la Commission des normes dans l'industrie du vêtement. Est-ce que ce programme de surveillance prend place pendant la période de transition ou après la période de transition?

Le Président (M. Lelièvre): Mme la ministre.

Mme Lemieux: C'est une question extrêmement pertinente. À ce moment-ci, il va falloir aussi prévoir une transition dans l'inspection et dans la surveillance. C'est clair. On va passer d'un régime à l'autre. Mais ça, on a encore du boulot à faire parallèlement à l'adoption de ce projet de loi là. On commence maintenant à s'intéresser à mettre en place ce qu'il faut, mais, oui, il va falloir une transition dans la surveillance et dans l'inspection dans le secteur.

Le Président (M. Lelièvre): M. Alleruzzo.

M. Alleruzzo (John): Encore une fois, pour nous autres, moi, je pense que... On a déjà expliqué ça, mais je vais répéter. Pour nous autres, c'est très important que ce... Il faut que le gouvernement définisse maintenant c'est quoi, quelles sortes de normes minimales on va avoir après la période de transition et comment l'appliquer. C'est ça qui, pour nous, est très important de savoir.

Le Président (M. Lelièvre): Maintenant, je crois que le temps est venu de passer la parole à M. le député de LaFontaine. Malheureusement, le temps est écoulé. On a pris bonne note de votre question.

(17 heures)

M. Gobé: Merci, M. le Président. M. Massé, mesdames, messieurs, il me fait plaisir de vous saluer. C'est avec grand intérêt que j'ai écouté, M. Massé, votre premier exposé. Il a l'avantage d'être clair, d'être concis et de dresser rapidement un tableau assez explicatif de la situation. Vous nous avez démontré, selon vos chiffres et selon les études que votre centrale a faites, que, loin de nuire à la création d'emplois, les décrets avaient au contraire permis au Québec de représenter 60 % du marché canadien de cette activité et que dans d'autres provinces, où il n'y a pas de décrets, eh bien, ils ont la part congrue.

Donc, vous avez certainement contribué, même si ce n'est pas peut-être complètement pour tout le monde, à démontrer que ce genre d'organisation du travail n'est pour le moins pas un frein à la croissance d'un secteur, comparativement à nos voisins qui, eux, n'ont pas ce que certains appellent ces embâcles ou ces entraves.

Alors, vous êtes le premier qui nous fait cette démonstration aujourd'hui, et je crois que c'est un des points – il y a eu différents points qui ont été amenés par les différents témoins – que les membres de la commission vont devoir retenir, que les décrets n'ont pas empêché le Québec de récolter 60 % du marché canadien alors que les autres provinces n'ont pas de décrets et se partagent, avec neuf provinces, 40 %. Ça, c'est un des points majeurs qui permettent de nettoyer un peu le portrait de la compétitivité de nos voisins.

M. Massé – ça va probablement être une première question – ce matin les employeurs qui étaient présents, l'Institut des manufacturiers, M. Alvin Segal, M. Lapierre... M. Lapierre, en particulier, nous a déclaré en cette commission qu'il n'était pas question dans la tête des employeurs, absolument pas question qu'ils se servent de l'abolition des décrets pour baisser les conditions de travail et les salaires des travailleurs. Ils nous l'ont dit, et M. Lapierre – c'est tout à son honneur – l'a répété ici quand je l'ai requestionné.

Donc, on doit comprendre de son positionnement que ce n'est pas les salaires ni les conditions de travail qui sont un handicap à son industrie, parce que sinon il nous aurait dit qu'il fallait les baisser pour assurer la progression de l'industrie. Il nous a par la suite laissé entendre que c'était plutôt l'organisation administrative des obligations contractuelles qui était plutôt problématique. À titre d'exemple, il a parlé de double assujettissement de certains travaux, de certains travailleurs à plusieurs décrets, et il semblait dire que, ça, c'était certainement le problème majeur qui nuisait à la compétitivité, à l'adaptation au marché, enfin à la souplesse de production. Alors, on se rend compte que, tout compte fait, si on croit M. Lapierre, le problème se situe à peu près à ce niveau-là.

Alors, pouvez-vous m'expliquer pourquoi on se retrouve aujourd'hui avec un projet de loi, selon vous, qui abolit les avantages et les conditions de travail des employés alors que les employeurs – ou un des employeurs, on va voir les autres – nous disaient ce matin que ce n'était pas problématique, et pourquoi on n'a pas plutôt suivi ce que vous venez encore de nous démontrer, le processus inverse, qui aurait dû être une concertation des différents intervenants de ce milieu, des centrales syndicales – particulièrement de la vôtre, de la CSD en particulier aussi, qui sont là-dedans d'après ce que je crois savoir – et des travailleurs, des comités paritaires et des entrepreneurs, des employeurs pour essayer de dégager quels étaient les vrais irritants, quels étaient ceux qu'on pouvait régler rapidement et arriver à une solution de consensus? Pouvez-vous nous expliquer, d'après vous, pourquoi ce n'est pas arrivé et si, vous, vous seriez en faveur d'un cheminement comme celui-là, quitte à arrêter celui-là pour l'instant, prendre un pas de recul et revenir par la suite après avoir fait ce processus?

Le Président (M. Lelièvre): M. Massé.

M. Massé (Henri): Je vais laisser John commencer à répondre et je vais compléter.

M. Alleruzzo (John): Oui. Après, peut-être M. Massé va continuer. Bien, quand les employeurs parlent qu'ils ne vont pas couper les salaires, ça, simplement, ce que les employeurs veulent créer, c'est un système des deux tiers à un système de clauses orphelin. C'est ça que les employeurs vont créer.

Le double assujettissement, moi, je vous dirais que ça n'existe plus. Mais, quand même, c'est vrai qu'il y a quatre différents décrets et qu'il y a des clauses différentes. Mais, quand même, ça fait déjà un bout de temps, ça fait depuis des années, particulièrement en 1996, que nous-mêmes, nous, le syndicat, on avait présenté un mémoire au gouvernement, et c'est là qu'on avait recommandé la fusion des comités paritaires et puis la fusion des décrets. En faisant ça, on aurait éliminé tous les irritants des différents décrets. Mais c'est simplement, selon nous, que les employeurs veulent se débarrasser des décrets complètement.

Et, moi, je pense que... Vous avez déjà entendu ce qui est arrivé au mois de décembre – et la ministre est ici – et, moi, je vous dis une affaire, là: Je voudrais remercier la ministre pour ce que c'est arrivé, parce que la raison que les employeurs ne voulaient pas intégrer le minimum des décrets dans la convention collective, ça a été simplement parce qu'ils nous disaient qu'une fois que les décrets tombent les usines non syndiquées tomberont au minimum dans la province. Ça, ça a été leur excuse pour ne pas nous donner le minimum. Et moi... Et, comme la madame vient de témoigner, le monde était sur le trottoir pour une période moyenne de trois semaines, et finalement on a réussi à régler la convention collective seulement après que la ministre ait envoyé une lettre à moi-même et une à M. Balinsky, qui est le président de l'association manufacturière.

Je vous lis seulement le dernier paragraphe de la lettre: «J'ai également l'intention de proposer au gouvernement le dépôt, à la prochaine session de l'Assemblée nationale, d'un projet de loi qui permettrait au gouvernement d'édicter par règlement le maintien, pour une période de transition n'excédant pas deux ans à compter de l'expiration du décret sur l'industrie de la confection pour hommes, des taux de salaire minima actuellement prévus aux décrets.»

Alors, moi, je vous remercie beaucoup, parce que c'est ça qui a réglé la convention collective à ce moment-là. Mais encore une fois qu'est-ce qui va arriver d'ici à deux ans quand on va négocier la prochaine convention collective si les décrets vont être abolis?

M. Massé (Henri): Moi, je crois que, si les employeurs vous ont dit ça en commission parlementaire ce matin, c'est parce qu'ils sont gênés. Ils sont gênés de venir vous dire qu'il faudrait couper les salaires et les conditions de travail de femmes, femmes immigrantes principalement, qui gagnent à peu près 9 $ de l'heure dans des conditions de travail extrêmement difficiles. Puis je les comprends, c'est gênant. Ils ont raison d'être gênés. Et, si c'était vrai, ce qu'ils disent, ils laisseraient aller le décret ou bien donc ils ne s'opposeraient pas à ce qu'il y ait des normes minimales permanentes.

Et ce que John vient de dire, c'est très sérieux, là. Quand on a vu que les décrets étaient pour être abolis en pleine négociation du vêtement pour hommes, on a dit: On va mettre les salaires minimum dans la convention collective. Les employeurs nous ont lock-outé pendant trois semaines. Je suis intervenu dans ce dossier-là; les associations d'employeurs m'ont appelé. Elles ont dit: On ne peut pas faire ça; si on met les taux minimum dans nos conventions collectives mais le gouvernement laisse tomber les décrets, nous, les entreprises syndiquées, on va se faire concurrencer à mort puis on va être obligées de fermer nos portes. Puis elles ont réglé quand la ministre – que j'ai dérangée dans un party de Noël – a envoyé cette lettre-là. Parce que la lettre, ce qu'elle dit pour les deux prochaines années plus la période, ça donne exactement la durée de la convention collective. S'il n'y en a pas, de normes permanentes, là, à l'autre bout puis si les décrets ne sont pas maintenus, on repart en chicane à la prochaine ronde de négociations, là. Nos conditions de travail tombent encore. Ça fait que ça, ce n'est pas de la fiction. Ça, c'est de la réalité, on l'a vécu, là.

M. Gobé: Vous venez de jeter un éclairage...

Le Président (M. Lelièvre): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: ...très intéressant sur cette période de transition là puis une des raisons, entre autres, pourquoi elle existe d'après moi. Et je crois que ça permet aux parlementaires un éclairage encore plus précis, là, des intentions du gouvernement.

Dans un autre ordre d'idées, M. Massé, vous avez tout à l'heure parlé de qualité de la main-d'oeuvre, vous avez parlé de bon emploi, hein, comparativement à du travail... des jobines. Tout travail est un travail, remarquez bien, là, mais je partage avec vous l'idée qu'on doive maximiser autant que possible la création d'emplois de bonne qualité pour hausser la limite entre l'aide sociale et le travail assez fort puis les revenus de travail assez élevés pour que les gens aient le goût de sauter de l'autre côté plutôt de retomber de ce côté-là.

(17 h 10)

Il y a aussi un côté qui m'inquiète. Une partie des entreprises sont situées en région. Est-ce que le fait que les salaires et les conditions de travail qui pourraient être revus à la baisse serait moins avantageux encore qu'ils sont aujourd'hui, et avantageux entre parenthèses, pour les travailleuses? Est-ce qu'on ne pourrait pas assister d'après vous à l'abandon par certaines travailleuses en région, les petites villes, les petits villages, de ce travail-là, parce que trop peu payé, trop pénible et trop astreignant, pour aller ou à l'aide sociale ou même sortir du marché du travail? Et est-ce que d'après vous ça ne pourrait pas – vous qui êtes au Fonds de solidarité – entraîner la fermeture en région de certaines entreprises et une concentration sur Montréal où là la main-d'oeuvre est plus docile, immigrante, parrainée et tout ce qu'on voudra?

Le Président (M. Lelièvre): M. Massé.

M. Massé (Henri): On n'a pas fouillé ça, mais c'est certainement une hypothèse plausible. Et c'est clair, clair, clair, comme on le disait tantôt, le vêtement pour dames: 70 % d'entreprises de moins de 10. Regardez, là, si les décrets sautent, les donneurs d'ouvrage vont avoir un bassin extraordinaire qu'ils vont se chicaner entre eux autres pour aller à peu près au plus bas pour être capables de sortir les contrats, parce que c'est de ça qu'on parle, là, la concurrence entre petites puis microentreprises pour être capables d'aller arracher les contrats. Il est clair que ça a des conséquences assez énormes, et, moi, je pense que tout peut arriver là-dedans.

Et, nous, à la FTQ, puis avec le SVTI, il y a une chose qu'on regrette de la période des décrets puis on pense qui devrait rester: on n'a peut-être pas été assez dynamiques puis proactifs dans certains cas. On aurait dû parler pas mal plus de formation professionnelle au niveau de nos comités paritaires. On aurait dû parler pas mal plus des maisons de commerce international puis voir comment on peut travailler ça avec le gouvernement. Mais c'est de ça qu'on parle depuis deux ans, de maintenir les décrets, élargir le champ d'intervention puis ne pas juste être là pour surveiller les conditions de travail.

Avec les employeurs – on se dit des gros mots de temps en temps, mais il y a quand même encore pas mal d'employeurs qui ont du bon sens là-dedans – on est capables de bâtir des choses extraordinaires. C'est déjà pas mal, ce qu'on a, mais on serait capable de bâtir quelque chose de pas mal plus extraordinaire.

Moi, je voudrais juste finir, le Fonds de solidarité, on a investi dans des entreprises dans le vêtement hors décret – je ne veux pas les nommer, là – puis, quand on a investi dedans, je peux vous dire qu'on a investi du reculons, des conditions de travail de misère, salaire minimum, pas de bénéfices sociaux, puis à Montréal, là, puis je ne parle pas des entreprises de 10 employés, là, des entreprises de 1 500 puis 2 000. Puis on a investi parce que c'est du monde qui était raides pauvres, puis dans la misère, puis qu'ils sont venus frapper à nos portes, puis ils ont dit: Venez nous aider. On entre là-dedans puis on a quasiment honte. Puis, là, on est en train d'essayer de bâtir quelque chose.

Des taux de rotation de main-d'oeuvre de 60 %, 70 % – je pourrai vous en parler en privé, vous pourrez aller voir, vous pourrez aller vérifier – 60 %, 70 %. Il y a des coûts, ça, quand on entre du monde dans une entreprise puis il reste là six mois, sept mois, puis il n'y a pas de conditions de travail, puis il fout le camp, puis on en prend un autre. Il n'y a rien qu'on n'a pas vu là-dedans. Puis on est encore pris, au Fonds de solidarité, dans ces dossiers-là où on a beaucoup de misère finalement à... Mais s'il était dans les décrets, moi, je pense qu'on aurait du monde un peu plus intéressé à rester, parce qu'au lieu de gagner 6,90 $ il en gagnerait 9,00 $ puis 10,00 $ puis 12,00 $, puis on serait capable de bâtir quelque chose de performant. On est capable dans le vêtement pour hommes et dans le vêtement pour femmes, pourquoi qu'on n'est pas capable dans les autres domaines?

Le Président (M. Lelièvre): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Vous vous êtes attaqué au dogme aussi ... en tout cas, de la création des 8 000 emplois. On se rappelle que c'est un chiffre qui avait été annoncé au Sommet en 1996. On est en 1999. Ce matin, les manufacturiers nous mentionnaient qu'il s'était créé 6 500 emplois. Si on va plus loin, on cherche Statistique Canada et on est rendu à 8 600. Donc, la commande a été atteinte.

M. Massé (Henri): Oui. Les décrets sont là. Ils disaient: Faites sauter les décrets, et on va créer ça. Les décrets sont en place.

M. Gobé: Mais elle est dépassée, la commande, là.

M. Massé (Henri): Les emplois sont là.

M. Gobé: Alors, est-ce que vous pensez qu'il ne serait pas temps, au lieu de les abroger, qu'on revienne à la case départ, qu'on regarde comment moderniser ça, comment réorganiser et élargir? Je trouve... Votre suggestion – en tous cas c'est ça qui est bon en commission parlementaire, il y a des gens qui amènent des idées – les maisons en commerce international, enfin toutes ces choses-là, l'aide des comités paritaires pour la promotion du vêtement québécois ou certaines choses, c'est plein de choses qui se font en Europe et qu'on voit. C'est donc des idées.

Est-ce qu'il ne serait pas utile de prendre un temps d'arrêt peut-être – je pose la question; moi, j'ai la réponse, mais j'aimerais entendre la réponse des gens – puis prendre un respir, puis on consulte les gens, on discute, on se parle, on se concerte, ce que peut-être la ministre aurait dû faire au début? Je comprends qu'elle ait plein de travaux, plein de dossiers et qu'elle n'a peut-être pas toujours le temps de le faire, mais là, maintenant, les gens disent tous non.

Les travailleurs disent non à date, depuis ce matin. Les travailleurs disent: Non, on ne veut pas. Les centrales syndicales disent: Non, ne touchez pas à ça, pour des raisons qu'elles nous expliquent. Les entrepreneurs ce matin nous ont dit: Nous, on ne veut pas un projet de loi qui nous met des normes spéciales de la Commission des normes, pour aucune raison inadmissible. Donc, ils ne sont pas en accord avec le projet de loi eux autres non plus, pas forcément pour les mêmes raisons que tout le monde, mais on se retrouve dans une situation où aujourd'hui, à 17 h 15, les groupes que nous avons entendus, pour des raisons peut-être divergentes, ont une opinion commune, c'est ce que ce projet de loi là les inquiète, ne correspond pas à ce qu'ils souhaitaient et il est inacceptable pour eux dans sa forme actuelle.

Alors, est-ce que fort de cette constatation-là on continue pendant deux autres jours à entendre des gens qui vont probablement nous dire, si on lit les mémoires, les mêmes choses ou on prend un moratoire, on peut appeler ça une pause, on recommence puis on se retrouve ici en commission parlementaire avec quelque chose de plus intéressant, de plus motivateur pour l'industrie, pour les travailleurs, pour le Québec, quoi? Je vous pose la question: Est-ce qu'on devrait aller dans ce sens-là d'après vous?

Le Président (M. Lelièvre): M. Massé.

M. Massé (Henri): Ah, si la ministre nous disait: Les décrets sont là pour rester mais venez vous asseoir, les deux parties, là, venez vous asseoir, les deux parties, il y a quand même des affaires qui pourraient marcher mieux, des affaires à changer, nous, on serait prêt à regarder ça puis on pense que ça serait la meilleure chose. Mais, ça, ça prend une volonté politique au départ. Les employeurs, eux autres, là, ils ne sont pas forcés d'aller s'asseoir quand ils pensent que les décrets vont sauter; il y va avoir des petites normes transitoires pendant deux ans puis après ça, bye, bye, tu sais, je veux dire, bon.

Mais, si on était convié, les deux parties, puis avec sérieux puis se faire dire: Aie, là... d'un côté, les employeurs se faire dire: Les décrets sont là pour rester, de notre côté pour dire: Il y a des affaires qui doivent changer, vous devez élargir le champ d'intervention, dépoussiérez un peu puis regardez des affaires, moi, je pense qu'on serait capable de créer un secteur du vêtement deux fois plus efficace.

M. Gobé: D'autant plus que, M. Massé, bon, il y a un échéancier au 31 décembre, hein? On invoque tous cet échéancier, la ministre pour nous dire: Il faut agir parce que les décrets vont tomber. Mais selon la Loi sur les décrets, hein, quand vous prenez l'article 2, Extension: Il est loisible au gouvernement de décréter qu'une convention collective relative à un métier, à une industrie, à un commerce, à une profession, lie également tous les salariés, tous les employeurs – j'en saute un paragraphe – dans le champ d'application défini dans ce décret.

En 3: «Toute partie à une convention peut demander au gouvernement l'adoption du décret prévu à l'article 2.» Toute partie, on ne dit pas toutes les parties. Donc, vous en avez fait la demande pour l'instant. La ministre pourrait donc décider de réadopter le décret pour une certaine période – d'accord? – suite à une demande et profiter de cette période-là pour trouver une formule peut-être plus intéressante pour les travailleurs, pour les centrales syndicales et aussi pour les employeurs, pour les patrons. C'est ce qui pourrait fait; la loi, le décret le permet. Je pense qu'il serait important peut-être qu'on l'explique à Mme la ministre. On n'a pas besoin de rien changer. Simplement, elle a juste à agir, elle.

M. Massé (Henri): Force est d'admettre que ce sont des suggestions très sages.

M. Gobé: M. Massé, je vous remercie. Puis je vous avais dit quelques minutes, alors je m'arrête de parler parce qu'elle va me les reprocher, en arrière. Vous avez parlé au nom de la voie du... du temps du Parti libéral, pardon. Ha, ha, ha! Ça m'a fait plaisir. Messieurs dames, merci.

Le Président (M. Lelièvre): M. Massé, est-ce que vous avez quelque chose à rajouter, il reste environ une minute? M. Alleruzzo.

M. Massé (Henri): Vas-y, John.

M. Alleruzzo (John): Bien, la seule chose à rajouter, c'est pas on rajoute, c'est simplement que nous sommes très contents d'avoir eu la possibilité de venir ici pour faire cette présentation. Nous espérons que le gouvernement... Parce que, encore une fois, quand on parle des décrets, ça prend toujours le consensus des parties contractantes afin d'avoir une entente. Évidemment, le consensus n'est pas là. Et c'est ça, la raison que nous sommes ici, nous demandons au gouvernement de faire quelque chose et aussi afin d'aider ces travailleuses et travailleurs.

Encore une fois, vous le savez très bien, je suis certain que vous avez déjà lu le mémoire, quand on parle du vêtement, on parle majoritairement des femmes, on parle aussi des immigrantes. On a des membres aussi aujourd'hui, si vous le regardez, qui représentent tous les différents groupes ethniques que nous avons, bien, pas tous mais un certain nombre de groupes ethniques.

Alors, c'est une industrie très importante ici, au Québec. Et naturellement ce que nous avons besoin, c'est l'aide du gouvernement afin que ces gens-là aient des normes minimales et des conditions de travail décentes et puissent travailler avec dignité et respect. Merci.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, le temps qui nous était imparti est maintenant terminé, écoulé. Au nom de la commission, mesdames et messieurs, je vous remercie beaucoup d'être venus nous faire part de vos commentaires et de vos appréciations du projet de loi. Nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 17 h 20)

(Reprise à 17 h 25)

Le Président (M. Lelièvre): Mesdames et messieurs, s'il vous plaît, si vous voulez prendre place, la commission va reprendre ses travaux immédiatement. Alors, j'inviterais les membres de la commission à prendre place ainsi que les représentants de la Chambre de commerce du Québec.

Alors, pour les fins d'enregistrement, j'inviterais les représentants de la Chambre de commerce du Québec à s'identifier, tout en vous rappelant que vous disposez d'un temps de 20 minutes et que chaque groupe parlementaire dispose également d'un temps de 20 minutes.


Chambre de commerce du Québec (CCQ)

M. Audet (Michel): M. le Président, merci. Alors, Mme la ministre, M. le député de LaFontaine et MM. et Mmes les députés, en fait, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour pouvoir présenter la position de la Chambre de commerce du Québec à propos de la loi n° 47 touchant l'industrie du vêtement.

En fait, la Chambre s'est intéressée depuis...

Le Président (M. Lelièvre): ...

M. Audet (Michel): Pardon?

Le Président (M. Lelièvre): M. Audet, si vous voulez vous identifier de même que...

M. Audet (Michel): Oui, excusez-moi. J'ai commencé très fort, très... Je suis déjà venu, je m'excuse, et je prenais pour acquis, comme j'étais venu la semaine dernière, qu'on me connaissait. Mais ce n'est pas la même commission, je m'excuse.

Le Président (M. Lelièvre): Pour les fins de notre enregistrement et des transcriptions.

M. Audet (Michel): Oui. Michel Audet, président de la Chambre de commerce du Québec. Je suis accompagné de Martin Comeau, qui est économiste à la Chambre.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, bienvenue.

M. Audet (Michel): Je disais donc que nous sommes heureux de venir vous faire part de notre positionnement qui n'est pas, soit dit, nouveau. Vous n'aurez pas eu de surprise à lire notre mémoire, puisque ça fait déjà depuis cinq ans que la Chambre plaide qu'il faut abolir les décrets de conventions collectives, dans le secteur manufacturier à tout le moins. Effectivement, nous sommes heureux de constater qu'il y a un bon bout de chemin qui s'amorce dans ce domaine-là.

Donc, la Chambre a à plusieurs reprises fait part de sa position, comme je viens de le dire. Elle a soutenu et soutient encore que les décrets de conventions collectives, particulièrement ceux du secteur manufacturier, n'ont plus leur place dans notre paysage actuellement des relations de travail, et pour les trois raisons... Et tantôt j'aurai l'occasion peut-être de répondre à un certain nombre de questions sur des commentaires que j'ai entendus tantôt et qui m'ont fait sursauter.

Les décrets réduisent, donc, la concurrence entre les entreprises d'un même secteur en bloquant l'accès à de nouveaux entrepreneurs. En effet, comment demander à une PME en démarrage d'appliquer les conditions de travail similaires aux entreprises oeuvrant dans un même secteur depuis des années et qui profitent d'économies d'échelle importantes? Je dois dire que c'est particulièrement vrai dans d'autres secteurs que le secteur du vêtement où là il y a peut-être un meilleur équilibre du côté des salaires que dans d'autres secteurs où l'écart est très, très grand.

Donc, il y a des pertes d'emplois et particulièrement, nous, on a toujours été préoccupés du fait que les régions... Parce qu'on représente l'ensemble des régions du Québec avec nos 205 chambres de commerce, et il y a des régions qui, à cause des décrets de conventions collectives, encore une fois pas seulement dans le vêtement mais dans d'autres domaines, ont vu les emplois diminuer et disparaître parce que les entreprises ont choisi de faire faire la sous-traitance ailleurs. Il faut dire les choses, appeler un chat un chat. Donc, c'est plus simple d'aller ailleurs, on va ailleurs. C'est comme ça que les gens fonctionnent dans notre économie de marché.

De plus, on l'a vu tout à l'heure, bien sûr que les décrets de conventions collectives ont développé une bureaucratie, et c'est normal, pour leur gestion. Et j'entendais tantôt des réactions qui m'amènent à dire qu'effectivement c'est devenu même une cause, une raison parfois pour dire: Il faut les maintenir, puisqu'on a des inspecteurs, on a du personnel de soutien, on a du monde qui travaille là; on a 400 ou 500 personnes dans le secteur des décrets, donc il faut maintenir les décrets. Je pense que c'est oublier pourquoi existent les décrets. Ils n'existent pas pour donner de l'ouvrage à du monde; ils existent parce qu'il y avait une autre mission et, quand on remet la mission en cause, bien, il faut se demander effectivement qu'est-ce que peuvent faire ces gens-là et les reclasser dans d'autres emplois.

Le régime des décrets favorise selon nous – et c'est très évident – la prolifération du travail au noir. Quoi qu'on en dise, dans beaucoup de secteurs la rigidité dans la gestion des ressources humaines et les lourdeurs administratives qu'entraîne le régime des décrets ont pour effet d'encourager ce travail au noir qui occasionne des pertes de revenus fiscaux. Le printemps dernier, la ministre du Revenu de l'époque, Mme Marsolais, parlait de plusieurs millions de dollars parce qu'elle parlait de 13 000 travailleurs au noir dans le secteur du vêtement. Il n'y en a peut-être pas autant que ça, certains parlaient de 5 000. Mais prenez la fourchette entre les deux, c'est énorme. Donc, ça, c'est favorisé précisément selon nous en bonne partie, pas seulement pour ça mais en bonne partie, à cause des décrets de conventions collectives.

Donc, on a applaudi Mme la ministre lorsqu'elle a déposé son projet de loi pour abolir le décret du vêtement. Et puis on estime cependant maintenant, après la lecture, qu'il y a un certain nombre d'éléments qui nous préoccupent.

D'abord, à la lecture attentive – et on l'a vu maintenant dans les discussions – on est, quand on voit les dispositions, de moins en moins sûr qu'il y aura une abrogation du décret, évidemment à cause de toutes les périodes de transition – et j'y reviendrai plus loin – le remboursement du déficit accumulé des fonds de pension auquel les associations patronales ont fait référence – et qui sont beaucoup mieux placées que moi pour discuter – et l'introduction à terme, qui est prévue dans le projet de loi, d'une commission des normes du travail qui va pouvoir fonctionner, ce que j'appelle, avec des normes à géométrie variable, c'est-à-dire qu'on va développer des secteurs avec des normes particulières. Je ne mets pas en cause la compétence de la Commission des normes du travail, mais je pense qu'on va créer une dynamique assez particulière, dans ce domaine-là, avec le temps. Et je voudrais qu'on l'aborde tout à l'heure.

Tout d'abord, un petit mot sur le contexte international. On en parle beaucoup, c'est très important. Le contexte international au sein duquel opère cette industrie est marqué par une importante ouverture des marchés. Depuis plusieurs années, le commerce mondial des vêtements progresse considérablement, soit au rythme annuel moyen de 18 % entre 1985 et 1990 et de 7 % de 1990 à 1997. Au Canada, en raison de l'Accord de libre-échange nord-américain, le tarif canadien sur les importations américaines de vêtements, qui s'élevait à 24 % en 1998, a diminué graduellement pour être éliminé de 1988 à 1998.

(17 h 30)

J'en profite, M. le Président, pour faire une parenthèse. J'entendais tantôt les gens qui justement étaient très préoccupés par ce qui arriverait avec l'abolition des décrets. Je dois vous dire qu'ayant été responsable pendant les années où j'étais sous-ministre au gouvernement du Québec de toutes les études qui ont été faites sur l'Accord de libre-échange j'ai entendu ces discours-là à l'époque, où l'industrie du vêtement devait complètement disparaître si on appliquait l'Accord de libre-échange. Tout ça pour dire qu'il faut prendre effectivement les scénarios catastrophiques avec un certain grain de sel, puisque maintenant on voit ce qui s'y passe.

Les accords de l'Organisation mondiale du commerce entrés en vigueur le 1er janvier 1995 supposent aussi une élimination graduelle sur 10 ans des restrictions quantitatives sur les importations de textiles et vêtements et une réduction graduelle du tarif douanier moyen de la nation la plus favorisée. Ainsi, au cours des prochaines années, la tendance déjà amorcée par le Canada de ramener les tarifs canadiens, notamment sur les importations de tissus, à un niveau relativement comparable à celui des autres pays industrialisés, en particulier aux États-Unis, va se poursuivre.

Donc, il semble cependant incontestable que la libéralisation des échanges internationaux a eu un impact sur l'industrie québécoise du vêtement. Sa production a chuté pendant une certaine période; cependant, l'industrie s'est consolidée, elle s'est restructurée, puis elle doit maintenant se développer dans des créneaux différents. Mais les données actuelles sont assez éloquentes, et je voudrais en nommer quelques-unes.

Les entreprises composant l'industrie du vêtement ont besoin de plus de flexibilité. Avant d'y arriver, je voudrais peut-être... Je citais le rapport du comité interministériel, j'y reviendrai tantôt.

On a mentionné effectivement tantôt la création d'emplois dans ce domaine-là. J'ai les statistiques qui ont été produites justement par une association de vêtements qui peut-être a comparu ou comparaîtra demain. Il s'est créé effectivement, de 1996 à 1998, 6 000 emplois dans le secteur du vêtement au Québec, mais il y a plus de 4 500 qui ont été créés dans le secteur non régi par les décrets. Donc, il faut placer les choses en perspective quand on disait tantôt que c'est grâce aux décrets qu'il y avait eu une création d'emplois. Je pense que les choses sont à mettre en parallèle. Donc, il y a eu une création d'emplois à n'en pas douter, mais effectivement, c'est surtout dans le secteur non couvert par les décrets qu'elle a eu lieu, je le répète.

La part québécoise dans le nombre d'établissements oeuvrant dans l'industrie de l'habillement est passée, de 1991 à 1996, de 66 % à 63 %. La part québécoise des investissements canadiens dans le secteur est passée, de 1991 à 1997, de 66 % à 53,9 %. La part québécoise des exportations internationales du Canada vers le reste du monde est passée de 59,9 % à 54,7 %. On dira: On reste un joueur dominant. Oui. Mais la tendance n'est pas à la consolidation, la tendance est vers le rétrécissement de cette industrie au Québec, et on veut justement éviter que ça se produise.

Je signale que le comité interministériel sur... Justement, tantôt on disait qu'on voulait faire une pause. En fait, ça fait six, sept ans que, moi, j'entends parler de ça, et même davantage, parce que c'est un sujet qui a été très discuté pendant toutes les années où j'ai été dans la fonction publique. Donc, ce n'est pas d'hier que ce sujet-là est examiné. Ce n'est pas un sujet facile, puis je ne prétends pas qu'on peut le régler facilement. Je trouve, Mme la ministre, que vous avez une attitude très correcte d'écouter les gens, de tenter de trouver une solution.

Mais je signale que l'étude, qui est justement de 1994, disait ceci, et je cite: «Les décrets forcent non seulement les entreprises à absorber une augmentation de leurs coûts de production, mais, à certains égards, une perte de flexibilité dans la gestion de leur main-d'oeuvre. Comme il s'agit souvent d'entreprises à forte densité de main-d'oeuvre dont la taille, du moins dans certains secteurs, est modeste, on comprendra que les règles de gestion passablement rigides réduisent d'autant la capacité des entreprises à s'ajuster à une conjoncture caractérisée par le changement.»

Ce qui était vrai en 1994 est encore plus vrai aujourd'hui. Le changement, ça fait partie de notre réalité quotidienne et les décrets de convention collective constituent une entrave pour les entreprises qui veulent précisément s'adapter aux marchés extérieurs et aux nouveaux contrats qu'elles obtiennent; on l'a évoqué tout à l'heure.

Le Comité interministériel ajoutait également que «l'abrogation de la loi créerait globalement, selon toute vraisemblance, des conditions plus favorables au développement de l'emploi, surtout dans les secteurs qui sont exposés à la concurrence extérieure». Alors, je le signale parce qu'on faisait tantôt allusion au fait que c'était un phénomène, c'était une étude qui devrait être faite. Elle a été faite. Je pense qu'on a demandé cependant, nous, effectivement, d'avoir une étude d'impact. J'ai compris que Mme la ministre en avait publié une ce matin. On apprécierait maintenant beaucoup que ces données-là soient mises à jour.

Ce qui nous inquiète dans le décret, Mme la ministre, c'est que les dispositions actuelles nous font craindre, et la discussion que j'ai entendue tout à l'heure encore davantage, que finalement on change les mots, mais que la réalité soit à peu près la même. C'est-à-dire que, nous, on est tout à fait d'accord pour qu'il y ait une période de transition, on l'a toujours proposé, comme ça a été le cas dans le cas du bois ouvré, et il y a deux ans d'adaptation, il y a des comités qui se mettent en place pour préparer une transition plus permanente, mais les dispositions actuelles et celles qui sont actuellement débattues feront en sorte que, finalement, il n'y en aura pas, d'adaptation dans le secteur, s'il n'y a pas un minimum d'échéance de prévue au terme d'une date donnée.

Si on dit: C'est la Commission des normes du travail qui va continuer de gérer ce qui tenait lieu de décrets en les fusionnant puis en faisant toutes sortes de structures, ça va être finalement des décrets, mais administrés par la Commission des normes du travail. Ce n'est pas l'abrogation des décrets.

Alors, ça, pour nous, on veut s'inscrire en faux contre ça. On pense que, maintenant, ça fait à peu près consensus. Ce n'était pas le cas il y a 10 ans, je le remarque, même il y a cinq ans. Maintenant, les gens de l'industrie sont à peu près... au moins, une partie des employeurs, je pense, se sont mis à peu près d'accord. Bien sûr, là-dedans, dans le domaine, il y a toujours des exceptions, mais, de façon générale, je pense qu'il y a un assez large consensus de ce côté-là qu'il faut l'abolir. Nous, on pense qu'il faut que la période de transition soit assez courte pour qu'on puisse justement faire la transition. Sans ça, il n'y aura pas de transition, et là, là-dessus, je rejoins tout à fait ce que disait tantôt M. Massé. C'est évident qu'on va dire: On va causer, puis on va attendre. Puis on dit: De toute façon, il va y avoir un autre décret qui va s'appliquer sous une autre forme dans deux ans, et puis, entre-temps, on va gérer les problèmes les plus pressants.

Donc, je pense qu'il faut, avant de prendre une disposition semblable ou accepter une telle disposition dans la loi, moi, à mon avis, se poser la question: Qu'est-ce qu'on change exactement? Qu'est-ce que ça va changer par rapport à la situation actuelle? Je ne suis pas convaincu que, à la fin, on va sortir de là avec une situation améliorée.

Le deuxième point qui nous préoccupe, mais je ne voudrais pas insister trop parce que je sais que ça a été abordé beaucoup par les gens de l'industrie, et ils sont mieux placés que moi pour le défendre, c'est le fameux fonds de vacances du décret de l'industrie de la confection pour dames. Je pense qu'il y a une récupération là-dedans que l'industrie trouve très forte. Donc, je pense qu'on leur demande de verser 3 000 000 $.

Alors, moi, je pense qu'il y a moyen de trouver des accommodements pour certainement à la fois probablement utiliser les fonds qui existent particulièrement dans le décret de l'industrie, je crois, pour hommes et également étaler la période sur une période beaucoup plus longue. Si jamais on devait faire une levée sur les entreprises, permettre... Puisqu'on a une période de transition très longue, il faudrait probablement étaler la facture sur une période au moins aussi longue plutôt que de leur demander, en trois mois, d'assumer des coûts aussi importants.

Enfin, je me permets de le proposer comme hypothèse de travail. Je n'ai pas vérifié évidemment si toute l'industrie serait d'accord, mais je trouve qu'actuellement on a une situation qui, à mon avis, taxe très fortement des gens qui effectivement ne sont pas nécessairement ceux qui devraient être taxés. Je pense que vous le décrivez bien dans le mémoire que vous avez déposé. Je sais qu'il faut le régler, le problème, mais je ne suis pas sûr actuellement que c'est de la bonne façon.

La troisième source de préoccupation, je l'ai déjà évoquée, c'est évidemment qu'à partir du moment où on aura à réintégrer le régime dit normal, si on devait tomber en quelque sorte dans un régime où la Commission des normes du travail gérait ce secteur-là avec des taux différents, bien on serait préoccupé par le mandat et la façon dont les normes du travail vont être appliquées parce que tu vas avoir des normes à géométrie variable, c'est-à-dire que, si tu es dans un secteur, tu vas être à un tel niveau. Or, dans ce secteur du vêtement, là on va dire: Ce n'est pas le secteur du vêtement, en réalité, c'est le secteur du vêtement autrefois couvert, parce que n'oublions que c'est 42 % seulement de l'industrie du vêtement qui est couvert. Alors, là, on va dire: Ça, ces gens-là vont être assujettis à un taux, les autres sont assujettis à un autre taux.

Alors, moi, je pense que plus le temps va passer, plus ça va devenir désuet et, à mon avis, inapplicable. Il va y avoir une pression très forte pour normaliser, de toute façon, tôt ou tard, parce qu'on va se trouver dans une situation qui va être intenable, à mon avis, au bout d'un certain temps parce qu'on va avoir à gérer, sur le plan sectoriel, des taux différenciés. Pourquoi on appliquerait, dans l'ensemble de l'industrie, un salaire minimum, supposons, à 6,90 $, puis il va être à 7,50 $ dans tel secteur, 8 $? Les gens vont dire: Mais... Parce qu'il faut comprendre que ça couvre les 3 000 000 et quelques de travailleurs du Québec, la Loi du salaire minimum.

Alors, je comprends que, pour une période de transition, on puisse y recourir, mais de là à l'intégrer de façon permanente, moi, je pense qu'on introduit un système de normes à géométrie variable et je pense que ça ne résistera pas avec le temps. Ça va créer des distorsions et des problèmes énormes dans l'industrie.

Donc, en conclusion, la Chambre recommande d'abolir les décrets – donc, Mme la ministre, on est d'accord avec votre projet de loi sur le principe d'abolir les décrets dans l'industrie du vêtement – en adoptant cependant la méthode utilisée à l'été 1997 lorsque ont été abolis les décrets du bois ouvré et du verre plat. Après une période de transition de deux ans, les dispositions particulières régissant les entreprises soumises aux décrets du vêtement doivent disparaître.

(17 h 40)

Deux, de revoir les dispositions visant à résorber le déficit du fonds de vacances de l'industrie de la confection pour dames. Et je pense qu'il y a là, là-dessus, un accommodement à trouver avec l'industrie soit pour une période plus longue soit évidemment aussi pour partager ou utiliser des surplus disponibles dans d'autres fonds.

Enfin que, après la période de transition, ne soit pas établi un régime particulier, encore une fois, qui viendrait modifier toute la structure et le fonctionnement de la Loi des normes du travail pour l'ensemble de l'économie du Québec. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. Audet. Mme la ministre.

Mme Lemieux: Bonjour. Merci, Mme la Présidente. Merci d'être présents, la Chambre de commerce du Québec. D'abord, nous avons tous un défi de trouver des équilibres – vous en avez bien témoigné – entre la compétitivité des conditions de travail correctes, entre le fait que le régime que nous avons actuellement existe depuis une soixantaine d'années et les exigences de la nouvelle économie, l'équilibre entre l'intervention de l'État et le libre marché. Je pense que c'est ça, le défi qu'on a devant nous.

Deuxièmement, je l'ai dit aussi à des représentants patronaux ce matin, je peux comprendre que vous n'avez peut-être pas sous les yeux tous les éléments que vous espériez, mais je pense que c'est important que nous reconnaissions mutuellement qu'il y a un effort d'allégement réglementaire important: par exemple, à terme, on n'aura plus ce découpage-là, décret pour dames, pour hommes, chemises, etc.; on parle d'un seul taux horaire minimal; on parle d'une semaine de travail identique pour tous les secteurs concernés; le double assujettissement, enfin il y a certains pour qui ça avait une grande importance, mais le fait, par exemple, d'appliquer des conditions de travail différentes au sein d'une même entreprise, on élimine cette réalité-là. Il y a donc des efforts importants.

C'est bien évident que, là où il y a des points de divergence... Parce que je reste quand même assez étonnée des points de convergence. Je pense qu'il y a pas mal d'intervenants, y compris du côté des travailleurs et des travailleuses, qui disaient: On avait intérêt à dépoussiérer tout ça. Ça, je pense qu'il y a une convergence de vues assez claire. Mais là où, évidemment, il y a un point de divergence très, très fort, c'est cette crainte que le fait qu'il n'y ait pas du tout de normes au sujet du taux salarial, ça crée une pression à la baisse sur les salaires. Mais ça, je veux revenir là-dessus tout à l'heure.

Je voudrais aussi vous souligner... Parce que c'est vrai que j'ai émis une hypothèse tout à l'heure que, parmi les nouveaux emplois créés, certains, en tout cas une portion importante de ces nouveaux emplois, l'auraient été dans les secteurs non assujettis. J'ai vu vos chiffres; j'en ai d'autres. Il va falloir creuser ça. C'est sûr qu'en apparence, là, avec les données que vous citez du mémoire de l'Association des entrepreneurs en couture, là... On va s'en reparler. Je pense qu'ils vont être présents demain. Je vais rediscuter ça avec cette Association, donc, parce qu'on n'a pas les mêmes informations. C'est pour ça que j'émets l'hypothèse, mais je ne suis encore pas sûre de cette information-là.

L'autre chose que je voulais simplement vous souligner. Sur la question du fonds de vacances et de son déficit, je pense que vous émettez une hypothèse plausible. On est ouvert à examiner la période pendant laquelle on va éliminer ce déficit-là. Alors, c'est des choses qu'on va examiner sans trop de problèmes.

Mais je voudrais donc revenir – je pense que c'est le coeur de la question – sur cette question-là, donc de cette crainte d'une pression à la baisse des salaires. C'est vraiment au coeur de la discussion. Comme je vous le disais, il y a pas mal de monde qui s'entend qu'il y avait intérêt à faire un peu de ménage. Vous avez dû entendre le président de la FTQ tout à l'heure qui, un peu dans un cri du coeur, a dit: On aurait peut-être dû parler davantage de formation et de développement de ce secteur-là.

J'avoue que j'ai bien hâte qu'au Québec on arrête d'attendre devant des ultimatums pour se parler, puis développer un secteur, puis régler les problèmes. Parce que, moi, j'ai revu l'historique de ce dossier-là. Vous allez comprendre qu'il y avait des bouts qui m'ont échappé. Mais ça part du début, début des années quatre-vingt-dix – bon, j'imagine que ça a dû se jaser avant, mais du début des années quatre-vingt-dix – où il y a eu des sommets, des rapports, des comités, nommez-les, on les a tous eus, ça fait pas loin de 10 ans qu'on roule avec ces mêmes questions là et qu'il n'y a pas eu d'avancées et que là tout le monde... Parce que, moi, j'entends, je les vois, les signes, je vois le signe de la FTQ, je vois le signe aussi de certaines organisations patronales qui disent: Bien là on serait prêt peut-être à régler. J'ai hâte qu'au Québec on n'attende pas ces ultimatums-là parce que, c'est un peu dommage, là on doit forcer le jeu. On force le jeu avec un projet de loi. Enfin, ça, c'est mon éditorial du jour.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Lemieux: J'ai le droit à un par jour.

Une voix: ...

Mme Lemieux: Voilà! Non, mais ça me frappe quand même qu'on soit tous au bout de notre corde avant de se parler des vraies affaires, avant qu'on se parle de formation, de comment on rentre la technologie dans une entreprise pour qu'elle soit performante, comment on fait en sorte que nos travailleurs et travailleuses soient bien dans les... ils gagnent leur vie, ces gens-là, comment on fait en sorte que la santé et sécurité soient bien respectées puis qu'au contraire ça permette à une entreprise de bien se développer, de se développer correctement. Alors, je constate que les principaux acteurs ne se parlent pas au bon moment.

Ceci étant dit, vous dites quand même assez clairement dans votre mémoire – je n'ai pas retracé la citation, mais ça m'a frappée: «La Chambre ne croit pas que les employeurs de ces secteurs concernés se mettraient à sabrer dans les conditions de travail de leurs employés.» Et j'ai constaté aussi... Je suis allée visiter... Entre autres, hier j'étais à Victoriaville dans une entreprise de confection de jeans. Les gens me parlaient là-bas de pénurie de main-d'oeuvre et me disaient même: Si on descend nos salaires trop bas, on va avoir de la misère à avoir de la main-d'oeuvre. Alors, théoriquement, je peux bien acheter ça, mais on peut comprendre que les gens aient de la misère à croire ça. Comment vous pouvez, quand vous dites... Comment vous pouvez être sûr de ça, que l'objectif n'est pas strictement de faire une pression des salaires vers le bas?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Audet.

M. Audet (Michel): Écoutez, je pense que, là-dessus, je vais juste... Vous citez un chiffre que je n'ai pas... Je n'ai pas eu le temps de lire votre étude, mais j'ai mis la main tantôt en catastrophe dessus et je voyais que... Puisqu'on parlait tantôt, nos collègues, Henri Massé parlait de l'importance justement des syndiqués de tenir le fort, je veux juste signaler un chiffre qui répond à la fois à votre question et à ce que j'ai entendu tantôt.

Le salaire moyen pour les employés non syndiqués du secteur du vêtement, hein, est très supérieur aux décrets dans la plupart des catégories, sauf un élément où il est pratiquement comparable ou un petit peu inférieur. Donc, le taux moyen – je n'ai pas eu le temps de faire le calcul, là – il y a une différence de quelque chose comme certainement, à l'oeil, là, un 10 % à 15 %, moyen, entre 10 % et 20 %, le salaire moyen plus élevé dans les secteurs non syndiqués, hein, donc couverts par les décrets.

Alors, quand je regarde ça, je me dis: Écoutez, ces gens-là, l'objectif d'une entreprise, c'est de s'assurer justement d'avoir une main-d'oeuvre compétente, qualifiée, puis de payer le prix qu'il faut pour l'avoir. Ce n'est pas de baisser les salaires pour baisser sa compétence. Au contraire, c'est un secteur spécialisé. Quand elles ont une main-d'oeuvre formée, leur difficulté, c'est de la garder puis de la maintenir. Puis le salaire, ça fait partie des «incentives» importants.

Alors, moi, je pense que ce n'est pas un problème que je vois immédiat. Mais, s'il arrivait que, par exemple, il y ait des entreprises qui exagèrent – c'est possible, c'est toujours possible – alors nos amis des syndicats, hein, ils seraient très heureux d'appliquer le Code du travail puis de les syndiquer. Alors, il n'y a absolument aucune... C'est prévu. Le Code du travail, les lois s'appliquent pour tout le monde, y compris ces entreprises de ce secteur-là. On a l'air de vouloir faire des cas d'espèce avec ce secteur-là en disant... mais le Code du travail s'applique pour eux, la Loi du salaire minimum s'applique pour eux, toutes les autres lois s'appliquent également pour eux, en plus de la syndicalisation, puisque, on l'a vu tantôt, une grande partie de ce secteur-là est également syndiquée.

Alors, le cumul, donc, c'est ça le problème que les entreprises ont. C'est que vous avez une convention collective, vous avez des dispositions convenues avec vos employés puis vous devez quand même faire une série de rapports, faire une série de paperasse pour vous assurer de rencontrer les demandes des comités paritaires. Bien sûr que, si je me place du côté des syndicats – je n'y suis pas, mais je me pose la question – ça peut servir peut-être dans la négociation. Peut-être. C'est peut-être une façon de...

(17 h 50)

Mais ça, moi, je pense que, si c'est ce pour quoi on garde les décrets... Ce n'est pas pour ça qu'ils ont été conçus. Les décrets, en 1934, quand ils ont été mis en place, c'est parce qu'il n'y avait pas de salaire minimum. Il y avait un problème majeur dans cette industrie. À l'époque, c'était vraiment le vrai «cheap labor». Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les gens sont protégés par des normes du travail, par la CSST, par toutes les lois qui existent au Québec. En plus de ça, elles sont fortement syndiquées. Et s'applique en plus de ça... Écoutez, dans le domaine, tantôt on entendait... Quand même, la FTQ représente 16 000 de ces travailleurs. C'est quand même une proportion importante à elle toute seule. Donc, je pense qu'il y a là-dedans... Il faut se rappeler ces faits-là.

On ne vise pas à ramener les gens à une autre époque, on veut remettre en cause des dispositions qui sont restées là. Puis effectivement, comme c'est toujours compliqué de changer quelque chose, ça change les réalités, et c'est pour ça que ça prend autant de temps à les changer. D'ailleurs, ça dérange du monde. Mais, moi, je pense qu'il ne faut pas laisser croire aux gens qu'ils vont se retrouver sans aucune protection, d'une part, puis, d'une autre part, que les entreprises vont profiter de l'occasion pour baisser les salaires. Le fait que, qu'elles soient syndiquées ou non, les entreprises de ces secteurs-là paient en moyenne plus que le salaire minimum démontre que, finalement, ce n'est pas à cause des... salaire minimum prévu au décret, j'entends, donc ça montre qu'il y a de la part des entreprises une volonté de s'assurer une main-d'oeuvre qualifiée puis de payer le prix qu'il faut. Sans ça, elles se colleraient strictement au salaire du décret puis elles attendraient. Donc, ce qui est en cause, là, c'est d'autres facteurs qui jouent là-dedans que strictement l'application des décrets.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, vous voulez ajouter un complément de réponse, M. Comeau?

M. Comeau (Martin): Au début de votre intervention, Mme la ministre, vous avez parlé de la question de l'équilibre. Moi, que voulez-vous, je suis un indécrottable économiste, et, au niveau de l'équilibre, on apprend en économique qu'il y a un mécanisme très efficace pour atteindre l'équilibre, et c'est le marché. Et qu'est-ce qu'on voit avec le marché? C'est que les salaires tendent à s'ajuster au niveau de productivité.

Alors, regardons qu'est-ce qui se passe dans l'industrie du vêtement. Pour ça, on peut faire référence à une étude qui a été faite par Price Waterhouse en 1997. C'est une étude qui a été faite en collaboration avec la Direction des études sectorielles du ministère de DRHC, que je connais bien d'ailleurs parce que j'y ai travaillé au début des années quatre-vingt-dix. Puis cette étude-là est faite en partenariat avec les employeurs et les syndicats. Alors, ce qu'on y retrouve, c'est que les progrès technologiques sont visibles dans les différents domaines de la fabrication du vêtement. On y trouve, entre autres, la conception assistée par ordinateur, l'information de la logistique de distribution ainsi que des équipements de coupage et de couture hautement automatisés. Les nouvelles technologies de production exigent une main-d'oeuvre plus éduquée. Les nouvelles technologies de production imposent de nouvelles structures de travail qui, à leur tour, nécessitent de meilleures compétences de communication. Et les travailleurs actuels ont besoin de perfectionnement et de formation afin de faciliter le travail en équipe et développer des qualifications pour leur permettre d'assumer différentes fonctions.

Ces éléments-là me portent à penser que l'industrie, elle est productive et qu'il est important de continuer de développer des produits à forte valeur ajoutée. Et c'est déjà le cas dans des secteurs importants de l'industrie. Donc, selon nous, c'est pour ces raisons-là qu'on croit qu'il n'y aura pas de baisse de salaire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Merci, M. Comeau. Alors, M. le député de Groulx.

M. Kieffer: Il reste combien de temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Il reste sept minutes à votre formation politique, mais, par ailleurs, je vais devoir demander un consentement à 18 heures.

M. Kieffer: Je veux juste m'assurer, Mme la Présidente, de réserver encore du temps à notre ministre. Alors, je vais tout simplement faire quelques commentaires, M. Audet, et vous poser une question à deux volets.

Ça fait cinq ans que je siège à l'Assemblée nationale, et ces cinq années-là, je les ai passées à la CET. Alors, j'en ai rencontré beaucoup, beaucoup, de groupes qui avaient à parler sur l'un ou l'autre des volets de la croissance économique du Québec. Je n'ai pas la sensibilité de la ministre sur la question du vêtement. Elle a préparé le projet de loi et elle vous a probablement tous rencontrés pour consultation. Alors, je vais vous dire ma perception comme législateur.

En cinq ans, c'est une des premières fois où je découvre un fossé aussi profond entre les positions défendues par les patrons, les organisations patronales, et celles défendues par les travailleurs et les organisations syndicales, y compris dans le discours. Henri Massé tantôt, de la FTQ, disait: Écoutez, les premiers décrets, ça remonte à 1933, 1934, et on retrouve maintenant des conditions qui sont encore pires qu'à cette époque-là. Vous venez exactement de dire le contraire avec faits à l'appui. Moi, je ne dis pas si l'un ou l'autre a raison, mais je note ces distorsions importantes. Vous avez dit tantôt: Écoutez, le secteur du vêtement est syndiqué dans une proportion forte. Alors, pour commencer, il a dit: Écoutez, nous, on ne syndique que 20 % du vêtement.

Dans votre mémoire, vous parlez d'une chute dans la production des entreprises québécoises du vêtement, entre 1988 et 1996, de 17 %. Henri Massé nous dit, lui: Entre 1996 et 1999, donc les trois années qui suivent, il y a eu une augmentation de la productivité, c'est-à-dire une croissance du secteur de l'ordre de 31 %. Alors, ce que je réalise, c'est que vous avez des visions très différentes.

Ma job, comme législateur, au bout de la ligne, ça va être de trouver un compromis, là, de trouver une route qui va pouvoir satisfaire un peu tout le monde. C'est un peu ça, la job du législateur, de tenter de saisir le compromis quelque part.

La FTQ tantôt, dans son exposé, a ouvert la porte à ce qu'elle considère être un compromis. O.K. C'est-à-dire, elle a dit: On pourrait aller ailleurs qu'uniquement le maintien intégral des décrets, mais aux conditions suivantes. À date, je n'ai rencontré aucun groupe patronal qui était prêt à ouvrir la porte quelque part, sauf, votre position, c'est de dire: Dans deux ans, il n'y en a plus, ce sont les lois générales qui s'appliquent. Il est où, le compromis, dans le cas de la Chambre de commerce?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Audet.

M. Audet (Michel): Écoutez, la question, c'est évidemment, puis vous avez raison de le dire, ce n'est pas nous qui devons trouver le juste milieu dans les deux. Donc, on prend pour acquis que la sagesse, n'est-ce pas, des parlementaires...

M. Kieffer: J'aimerais entendre votre perception, M. Audet. Ha, ha, ha!

M. Audet (Michel): ...va prévaloir et donc que vous allez en trouver un, compromis.

Ceci dit, ce que je dis tout simplement, c'est qu'on ne peut pas soutenir une chose et son contraire, tu sais. On veut abolir les décrets, mais on veut les maintenir sous une autre forme. C'est qu'il va falloir dire clairement: Ils sont abolis ou ils ne sont pas abolis, et, par la suite, qu'on trouve un mécanisme qui, lui... Le comité de transition, il ne sera pas juste temporaire, il peut continuer, mais la période de transition où vont s'appliquer, où vont être dictées les conditions, ça, c'est autre chose.

Alors, c'est ça, je pense, qu'il faudrait voir. Plutôt que d'avoir une disposition semblable, si on pense que deux ans, ce n'est pas assez, moi, je pense que les gens préféreraient qu'on y ajoute un peu plus de temps puis, à la fin, qu'on sache qu'il y a une échéance. C'est ça qui actuellement, à mon avis, fait un peu défaut, c'est qu'il n'y a pas d'échéance ultime. Même au terme, en 2004, il y aura un rapport qui sera fait et, à la limite, on pourra décider de continuer de faire appliquer par une forme de normes sectorielles, par la...

Alors, à ce moment-là, je dis: Écoutez, ne parlons pas d'abolition de décrets, parlons effectivement qu'il va y avoir une simplification, peut-être. Là, là-dessus, je vais être très clair, cet aspect-là, peut-être que c'est un progrès, mais est-ce qu'on aura fait tout ce travail-là, toute cette opération-là pour ça? Je ne suis pas sûr que le progrès est si grand que ça.

Deuxièmement, et ça me préoccupe beaucoup...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Audet.

M. Audet (Michel): Oui. Juste un tout petit point.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Je m'excuse de vous interrompre.

M. Audet (Michel): Oui, oui. Je vous en prie.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Non, c'est une simple formalité. À ce moment-ci de nos travaux, puisqu'on a est rendu à 18 heures, je me dois de demander un consentement aux membres de la commission pour pouvoir poursuivre. Est-ce qu'il y a consentement?

M. Gobé: Moi, je n'ai pas encore pu intervenir. Alors, vous comprendrez que je suis dans une position où je n'ai guère le choix.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, mais vous comprendrez que je suis obligée de le demander. Alors, je vous remercie. Donc, M. Audet, vous pouvez donc poursuivre.

(18 heures)

M. Audet (Michel): Et le deuxième point que vous mentionniez tantôt et qu'il trouve difficile... C'est parce qu'on pense à l'industrie du vêtement, mais il ne faut pas oublier que la Loi des normes s'applique à 3 500 000 travailleurs québécois, et peut-être davantage. La Chambre de commerce du Québec, pour un, on ne prétend pas représenter toutes les entreprises mais seulement que la Chambre directement on a 4 000 membres. Il y a 800 000 travailleurs là-dedans et il y en a à peine 5 000 ou 10 000 dans ce secteur-là. Donc, moi, je ne voudrais pas que les gens des autres secteurs, n'est-ce pas, se disent: Écoute, maintenant qu'on a fait des décrets sectoriels, là on va introduire... il y a un salaire minimum général puis, là, il va y avoir des séries de décrets sectoriels. Comprenez-vous? Imaginez qu'à l'abolition des décrets – on peut spéculer un petit peu sur l'avenir – à chaque fois qu'on abolit un décret, on va introduire une nouvelle disposition sectorielle. Donc, ça devient à ce moment-là le gouvernement qui dicte des conditions de travail par décret. Et ça, on dit que c'est encore pire que maintenant, parce qu'au moins il y a une discussion, et c'est convenu au sein des comités paritaires.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, écoutez. Bien, compte tenu de ce que vous m'aviez dit...

M. Kieffer: ...dit ce que ça ne devait pas être. J'aurais aimé que vous nous disiez ce que vous voyez. Et je ne voulais pas nécessairement dire une perpétuation des décrets. Merci.

M. Audet (Michel): Écoutez...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. le député.

M. Audet (Michel): Si vous me permettez 30 secondes. Je pense que... Et je l'ai dit tantôt, il existe, dans tous les secteurs, je veux dire, il y a une partie au Québec... les décrets couvrent environ 150 000, 200 000 travailleurs; les autres travailleurs sont assujettis à des règles qui existent de façon générale.

Donc, je dis: Il va falloir un jour ou l'autre sevrer le bébé puis dire: Maintenant on va passer au régime qui existe ailleurs. Et le régime, c'est le Code du travail, c'est les règles générales qui s'appliquent à tout le monde un jour ou l'autre. Et c'est ça qui est ma réponse, M. le député.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, Mme la Présidente. M. Audet, c'est avec plaisir et attention que nous avons écouté votre témoignage, bien que je pense que tout le monde ici connaissait déjà un peu votre position non seulement parce qu'on avait lu votre mémoire, qui est fort bien libellé d'ailleurs, mais aussi parce que vos interventions déjà dans les médias nous ont préparés ou informés des positions que vous faites valoir, et légitimement d'ailleurs et certainement en accord avec la très grande majorité des membres qui composent la Chambre de commerce du Québec.

Alors, je trouve intéressant que nous puissions peut-être un peu en discuter. Ce que je vois, M. Audet, si je comprends bien, vous êtes d'accord avec le principe, vous demandez l'abolition des décrets. Vous êtes prêt à concéder une période de transition... concéder, à accepter ou à demander une période de transition de deux ans, peut-être un peu plus longue, vous l'avez dit. Puis par la suite tout tombe, et c'est la règle générale des normes du travail au Québec qui s'applique. Est-ce que c'est bien ça? C'est clair, votre position. D'accord.

Là, M. Audet, il va falloir qu'on discute ... parce que Mme la ministre a dit précédemment, à plusieurs reprises mais elle l'a redit avant que vous témoigniez, qu'elle s'est engagée à faire des normes sectorielles pour après la période de deux ans. C'est ce qu'elle a dit. Alors, on pourra sortir les transcripts si des fois d'aventure elle disait avoir été mal comprise, mais je ne crois pas. C'est ce que tout le monde avait cru comprendre aussi en lisant le projet de loi. Mais c'était un peu en filigrane, alors on pouvait dire oui, non. C'est pour ça que les mémoires patronaux disaient, bien, qu'après la période de transition il ne soit pas établi un régime.

Les gens, d'ailleurs j'en ai rencontrés – ce n'est pas un secret pour personne que comme porte-parole de l'opposition j'ai rencontré à peu près tous les groupes qui ont jugé utile de me parler – et la crainte que je voyais, c'était, chez les représentants patronaux, les entrepreneurs, les organismes – puis il y en a d'autres qui vont venir demain, on va voir encore – l'établissement de cette norme parallèle. Là, on avait des clauses orphelin parallèles, là ça va être la norme parallèle des normes du travail pour l'industrie de la couture, des habits. Donc, c'est pour ça que ce matin, dans ma présentation de discours, au départ, préliminaire, j'ai employé le mot d'étatisation des relations de travail dans le domaine de l'habillement.

Les manufacturiers, M. Alvin Segal, M. Lapierre sont venus dire, en ce qui concerne cette partie-là, exactement la même chose que vous: C'est inacceptable pour nous d'avoir cette partie-là dans le projet de loi, on n'est pas capable de vivre avec.

J'ai l'impression que demain les gens du Conseil du patronat, lorsqu'ils vont venir témoigner, vont dire sensiblement la même chose, et encore un ou deux groupes de représentants patronaux qui, même s'ils n'ont pas envoyé de mémoire, ont envoyé des lettres à la ministre – parce qu'ils me l'ont fait savoir; peut-être les a-t-elle reçues par fax, peut-être pas, sinon elle va les avoir demain, si les gens donnent suite à ce qu'ils m'ont dit dans une réunion hier – où eux aussi jugent inacceptable l'imposition de normes particulières à cette industrie après la période de deux ans.

Alors, force est de constater qu'il y a unanimité du côté du patronat pour demander au gouvernement d'abolir les décrets, d'avoir une transition de deux ans – ça peut varier un peu là – et qu'après on redevienne sur le même pied d'égalité que les autres entreprises manufacturières du Québec.

Ça fait que, là, on a un problème, là. On ne peut pas accepter ce que ce projet de loi, dans votre cas, soit adopté, sinon vous allez être pris avec ces normes-là. Puis ça sera quoi, les normes? Vous le dites à juste raison. Et là autant je veux faire valoir les points des travailleurs et des travailleuses, comme je l'ai fait précédemment, autant aussi je peux comprendre vos appréhensions. Ce n'est pas forcément d'en faire les miennes d'un côté comme de l'autre mais de m'en faire l'écho comme porte-parole de l'opposition. Et je m'en fais l'écho en disant: Vos préoccupations, vous, ce sont celles-là.

Donc, je dois convenir avec vous que le projet de loi n'est pas adéquat pour vous, ne correspond pas à vos attentes et surtout pas à la philosophie dans laquelle, dans vos écrits et dans vos interventions publiques ou privées – vous me l'avez mentionné aussi, à moi, d'ailleurs – vous demandiez cette abolition de décret. On n'atteint pas l'objectif visé. Du côté des travailleurs, vous avez entendu tout à l'heure. Des fois, ça peut peut-être un peu être irritant pour vous, pas irritant mais un peu, disons...

Une voix: ...

M. Gobé: Comment?

M. Audet (Michel): On est habitué.

M. Gobé: Oui, de voir un député de l'opposition aller faire valoir des points un peu plus comme ceux que j'ai fait valoir précédemment. Mais force est de constater quand même une chose, c'est que de leur côté à eux aussi, il y a un problème. Ils ne sont pas capables de vivre et pour eux, c'est... Autant, c'est inacceptable pour vous dans cette partie-là, autant une autre partie est pour eux inacceptable. Bon.

Et pas n'importe lesquelles. Non seulement les petites dames de ce matin, qui sont venues de la Wabish ou... Comment s'appelait la manufacture?

Une voix: Barmish.

M. Gobé: C'est ça, merci, et celles d'après-midi, mais la FTQ. Demain nous allons entendre d'autres qui vont venir, et à la lecture des mémoires on peut déjà penser qu'elles diront la même chose.

Alors, vous, M. Audet, je sais que vous n'êtes pas un homme dogmatique, vous êtes un homme qui veut l'avancement du Québec. Moi, je n'ai aucun doute là-dessus. Je n'ai aucune espèce de pensée qui pourrait laisser croire que la Chambre de commerce du Québec, ses dirigeants sont des gens qui ne sont pas pour le développement des affaires, création d'emplois, économie, exportation, efficacité, sens humain aussi. C'est à votre honneur aussi, vous avez mentionné comme les autres, que dans votre esprit il n'était pas question de se servir de cette abolition des décrets pour sabrer sauvagement quelques avantages sociaux ou avantages salariaux.

Vous avez mentionné que les mauvais employeurs pourraient être peut-être pénalisés par le syndicat, pas pénalisés mais rattrapés par la syndicalisation. Par contre, il y a peut-être un petit bémol qu'on veut mettre à ce niveau-là rapidement, c'est qu'on sait qu'il y a 60 % des industries qui ont cinq employés et moins dans ce domaine-là, et ils ne sont pas syndicables avec la loi actuelle. Alors, peut-être que... c'est peut-être dans ce domaine-là plus particulier.

Monsieur, vous avez parlé aussi de la production assisté par ordinateur, enfin toutes ces choses-là. J'ai visité aussi quelques usines, suite à des rencontres d'employeurs, et j'ai vu ça aussi. Ça, c'est des belles usines, des grosses, et là je suis avec vous là-dedans, mais dans les plus petites, là, c'est aussi une réalité un peu différente, la sous-traitance, et puis enfin tout ça. Puis il y avait une partie de travail au noir – vous avez raison – qui nous échappe.

Moi, M. Audet, vous êtes un homme pragmatique, je vais vous poser la même question que je posais à M. Massé. Vu que personne ne trouve son dû dans ce projet de loi, personne n'y trouve sa voie, personne n'y trouve son avantage, par contre tout le monde essaie d'agir de bonne foi, essaie d'agir dans un but constructif, d'autres par crainte du changement, d'autres parce que le dialogue n'ayant pas eu lieu craignent de se faire imposer des choses avec lesquelles elles pourraient se retrouver perdantes – peut-être, selon elles – alors pourquoi... Vu que le procédé a été fait à l'envers, on impose, la ministre dit: Je force la négociation. Ce n'est pas ça qu'elle a voulait faire. Elle a amené un projet de loi, elle est arrivée ministre du Travail, plein d'autres dossiers, on lui a passé ce truc-là, elle a signé le mémoire, puis hop! c'est parti.

(18 h 10)

Je comprends ça. Je ne blâme pas la ministre, je ne dis pas que la ministre fait volontairement un projet de loi qui pourrait déplaire au patronat, déplaire aux travailleurs, déplaire aux entreprises, aux syndicats, je crois que la ministre se retrouve dans une position que tout ministre ou toute personne d'un gouvernement peut se retrouver. À un moment donné, on se retrouve au milieu d'une impasse, et nous sommes actuellement d'après moi dans une impasse. On peut bien continuer demain, puis on va continuer, puis c'est très plaisant, mais demain soir on fera le même constat, à peu près à cette heure-ci, qu'il n'y a pas de consensus d'abord entre les différentes parties qui composent cette industrie, mais qu'en plus il y a un rejet, pour des raisons différentes, du projet de loi ou de parties de projet de loi.

Alors, est-ce qu'on ne devrait pas recommencer l'exercice à l'envers, se servir des gens d'expérience comme vous, M. Audet, comme M. Massé, de l'expérience vécue de ces travailleuses, s'asseoir, débroussailler le terrain et regarder quels sont les irritants qu'on doit enlever, ceux qui nuisent réellement à la compétition, en dehors de tout dogmatisme d'un côté comme de l'autre, enlever les irritants, y amener même des stimulants qui ne sont peut-être pas actuellement dans cette loi-là, amener une nouvelle dynamique dans cette industrie et que ça devienne probablement avec un plus large consensus devant nous qu'un rejet pour différentes raisons?

Parce que, moi, je crois – et, Mme la ministre, sans arrière-pensée politique – que dans un secteur comme celui-là, un secteur qui vit un peu en autarcie vis-à-vis lui-même, qui a ses propres règles, ses propres manières de procéder, on ne peut pas se permettre de ne pas avoir un consensus si on veut qu'il soit dynamique. Si on impose un projet de loi au patronat, qui ne fait pas son affaire, le patronat va se traîner les pieds et ne sera pas content. Et il va en découler un certain nombre de problèmes et de situations qui seront négatives pour la productivité et, donc, pour l'économie. Si on impose aux travailleurs et aux travailleuses un projet de loi dont des parties, pour eux ou pour elles, ne font pas leur affaire et qu'ils le rejettent, on va retrouver sensiblement le même genre de situation et on n'en sort pas. Et là on va aux deux imposer quelque chose qui ne fait pas leur affaire.

Alors, moi, je suggère en toute bonne foi à Mme la ministre que nous continuions, les gens ont été appelés, à les écouter demain, mais qu'après ça on prenne un moratoire – pas forcément le mot «moratoire», on prendra le mot qu'on voudra – on prenne un recul et on demande aux parties... on crée une table de concertation ou une table de discussion du milieu qui verra, dans un certain nombre de temps, à nous proposer ses solutions, ses consensus, qui viendra nous les expliquer, et après ça, eh bien, nous verrons à prendre des mesures législatives, si ça s'impose, si c'est nécessaire, pour entériner tout ça.

Et ça sera certainement à ce moment-là le fruit d'un consensus, et tout le monde ira dans la même direction. Ça permettra de conserver 60 %, et peut-être plus d'augmenter, de perception, de progression canadienne, de la part canadienne du textile. Les relations de travail seront certainement de bonne façon, et les relations des employeurs avec les travailleurs seront aussi ... plus positives.

Alors, voilà ce que je dis. Je vous demande, vous, M. Audet, comme sous-ministre au Travail – parce que vous étiez au Travail, hein, c'est ça, M. Audet? Vous étiez sous-ministre au Travail, hein, dans le temps?

M. Audet (Michel): Non, l'Industrie.

M. Gobé: Industrie. Excusez-moi. Ne pensez-vous pas que ça pourrait, et je ne veux pas dire que ça doit – moi, je pense que ça doit, mais, à vous – que ça pourrait être une manière peut-être de sortir de cette impasse? Parce que là nous sommes d'après moi dans une impasse.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Audet.

M. Audet (Michel): M. le député, en fait, ce que vous proposez, c'est de faire ce qui s'est fait depuis des dizaines d'années finalement, c'est-à-dire, bien, à défaut de consensus finalement on laisse la situation se détériorer. Moi, je ne suis pas de cet avis-là. Je pense que Mme la ministre a mis quelque chose sur la table qui est un point de départ, je pense qu'il faut maintenant s'assurer qu'on va pouvoir mettre dans les faits ou exécuter les objectifs qui sont visés par la loi.

Parce que, encore une fois, on ne peut pas accepter votre proposition, ça équivaudrait à dire: On n'est pas d'accord sur le projet de loi. Or, on est d'accord sur l'objectif du projet de loi; on n'est pas d'accord sur les modalités qui en découlent à la fin et qui finalement vont créer peut-être des problèmes énormes. Et c'est ça qu'il faut voir maintenant.

Ce qui m'agace beaucoup, je dois dire, dans toute cette opération-là – je dois dire que ce n'est pas d'hier – c'est qu'on est les seuls en Amérique du Nord à avoir ces genres de décrets là, on l'a mentionné tantôt. Ça n'existe pas nulle part, ça. Et, quand on dit que dans notre société tous les gens bien pensant croient à l'entrepreneurship, si vous êtes un entrepreneur qui voulez partir une entreprise, dans la plupart des secteurs économiques, vous pouvez y aller, bon, puis vous respectez les normes minimales de travail, vous respectez un certain nombre de choses puis finalement vous partez en affaires et puis vous créez des emplois.

Si vous avez le malheur de tomber dans un secteur réglementé, oh, oh, là, un instant. Là, vous tombez sur d'autres dispositions. Et, si par malheur vous vous contentez de payer le salaire minimum, à titre d'exemple, de 6,90 $ de l'heure et qu'il est de 8 $ ou de 9 $ de l'heure dans le secteur, le comité paritaire va aller vous fermer. Donc, on va créer du chômage. Donc, ça, c'est le gouvernement, par le biais du comité paritaire, qui va fermer l'entreprise. Est-ce que, M. le député, c'est du développement économique, ça? Est-ce que c'est comme ça que vous devez percevoir le rôle des parlementaires? Moi, pas. Moi, je pense que leur rôle, c'est de dire: Si on croit à l'entrepreneurship, il faut enlever des embûches comme celles-là qui font en sorte que les entrepreneurs ne peuvent pas démarrer des entreprises dans ce domaine-là.

Ils font quoi, les entrepreneurs? Ils font de la sous-traitance, puis ils le font en cachette; c'est ça qu'ils font. Ou les entreprises, les grandes entreprises se retournent vers des gens à l'extérieur puis disent: Voici tel sous-contrat, tel sous-contrat, je ne peux pas le faire faire au Québec, fais-le à l'extérieur. Donc, on crée et on exporte de l'emploi. C'est ça qui va se passer si la proposition que vous faites, que vous mettez de l'avant, se réalise.

Moi, je pense que le débat a duré depuis longtemps, je pense que c'est très bien qu'on le prenne morceau par morceau. On est intervenus nous-mêmes dans une commission pareille sur le bois ouvré. Ça devait être épouvantable. On verra ce que ça a donné. Maintenant, ça fait deux ans, et je ne vois pas, il n'y a pas.. Il est sûr qu'il va y avoir des ajustements, mais en fait ça se passe relativement bien. Ça va se passer également, je suis sûr, dans deux ou trois ans, de la même façon là-dedans une fois qu'on aura passé par-dessus en quelque sorte effectivement – et là je vous rejoins – les vieux démons de dire: Aïe! c'est l'employeur qui veut écraser les employés. Ou inversement, du côté des employeurs, de dire: Effectivement, moi, je vais pouvoir réduire mes conditions. Ils vont se rendre compte que, s'ils réduisent les conditions de travail, ils vont perdre leurs employés. S'ils perdent leurs employés, ils vont fermer l'usine. Parce que leur force dans ce domaine-là, c'est la qualité de la main-d'oeuvre, et, s'ils baissent les conditions, ils vont la perdre, la main-d'oeuvre, parce que la concurrence est forte. Et puis, quand tu as une main-d'oeuvre qualifiée, tu ne veux pas la perdre.

M. Gobé: Alors, si...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Oui, merci, Mme la Présidente. C'est parce que, voyez-vous, M. Audet, vous nous dites à satiété qu'il n'est pas question de couper les salaires ni les conditions de travail des travailleurs. Puis je vous crois, je n'ai pas de raison de ne pas vous croire. On sait que, dans la Loi sur les décrets, l'article 11.1, on peut régler une grande partie des doubles assujettissements par l'application de l'article 11.1, qui a été voté en cette Chambre en 1996. J'étais porte-parole au ministère du Travail, à l'époque, le ministre étant Matthias Rioux.

L'article n'a jamais été mis en application – d'accord? – depuis 1996, nous sommes en 1999. Alors, il y a d'autres irritants qui doivent être présents, qui doivent exister; on ne les voit pas, parce que les gens nous parlent depuis ce matin et dans les mémoires des conditions de travail, du double assujettissement. À part de ça, je n'ai pas eu beaucoup d'arguments majeurs, fondamentaux, qui démontreraient qu'on n'est plus compétitifs au niveau international ou au niveau même canadien dans cette industrie. Au contraire, nous avons eu des arguments qui nous démontrent que, sous ce régime actuel, il s'est créé 8 500 emplois depuis 1996, 500 de plus que ce que vous aviez offerts en abolissant les décrets. Bon. Bien, c'est bien.

Donc, pourquoi vous voulez les abolir les décrets alors? Vous ne voulez pas toucher aux conditions de travail, et puis le double assujettissement on peut le régler. On peut même modifier un peu la loi, pas la loi, le décret, les gens sont prêts à le faire, à l'ouvrir. Donc, on peut encore peaufiner ça mieux. Ça sert à quoi? C'est-u un symbole?

M. Audet (Michel): Si vous me permettez, c'est parce qu'à ce moment-là vous confinez ce secteur-là à une stagnation à long terme. Moi, je pense qu'il va se créer de l'emploi, il va se créer de l'investissement, il va se créer même à ce moment-là une concurrence plus féroce et probablement des salaires plus élevés pour certaines des entreprises de ce secteur-là si effectivement c'est ouvert.

Moi, je vais vous dire un aspect vicieux des décrets, pas nécessairement dans ce secteur-là, je ne suis pas en mesure de le tester, mais je l'ai testé dans d'autres domaines. Un des grands problèmes qu'on avait comme association patronale, que certaines associations patronales ont – qu'on n'a jamais eu à la Chambre parce que les Chambres sont membres individuellement, donc quelqu'un qui n'est pas content, il démissionne et c'est tout – il y a des gens qui sont représentés par des associations sectorielles qui avaient des problèmes avec ça, parce que, si vous êtes un employeur puis que vous dominez, c'est vous qui êtes ... la convention collective qui est imposée à tout le monde, vous gérez en quelque sorte la concurrence du domaine.

Est-ce que ça, c'est dans une économie de marché, c'est une façon, M. le député, de faire valoir, de défendre l'économie de marché? Autant je crois au marché, autant je crois à la concurrence, je n'accepte pas cependant que ça devienne un instrument, tant pour les employeurs que pour les syndicats, pour aller chercher des parts de pouvoir qui ne leur appartiennent pas.

(18 h 20)

M. Gobé: Mais peut-être une ... dans l'historique des décrets de convention collective. On fait affaire avec des entreprises de cinq, six, sept, huit employés, 10 employés. En bas de 10 employés, pas d'accès à l'équité salariale. Enfin, c'est une nouvelle loi que nous avons amenée. Vous concédez pour les plus grosses la syndicalisation. D'accord? Hein, vous avez reconnu ça, là?

La différence entre une convention collective puis la syndicalisation, c'est quoi? La syndicalisation, le syndicat, c'est un contrat privé entre une entreprise et ses travailleurs, avec les syndicats qui représentent les travailleurs. Le décret de convention collective, c'est un contrat public dont les parties, plusieurs ou leur totalité, qui est négocié avec un groupe et qui peut être... ou qui sont étendues à l'ensemble des salariés du même secteur. Et où retrouve-t-on la majorité des gens qui sont sous les décrets? Dans les petites entreprises qui ne sont pas syndicables. D'accord? Et où retrouve-t-on les syndicats? Bien, dans les plus grosses entreprises qui, elles, ont des unités de négociation assez importantes. Alors, pourquoi reconnaît-on le droit à des grosses et moyennes entreprises de se syndiquer, parce qu'elles sont capables de le faire, avec un contrat privé entre eux, et qu'on renonce à laisser aux travailleurs des petites entreprises la possibilité d'avoir des conditions de travail sous type de décret de convention collective qui est un contrat négocié public?

Alors, je ne vois pas tellement de grandes différences fondamentales entre une convention collective d'une entreprise, Peerless, on va dire, qui, pour les 2 000 travailleurs de Peerless, négociait par le SVTI, et puis les petites entreprises, là, des femmes qui sont venues ce matin, qui sont sous l'emprise des décrets. Alors, en quoi ça va créer plus d'emplois de les enlever? Est-ce qu'on ne devrait pas à ce moment-là enlever complètement la syndicalisation quant à faire et puis toutes ces réglementations-là? Quitte à pousser là, moi, je ne suis pas en faveur de ça, mais quitte à pousser.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, ça met fin à l'intervention du député de LaFontaine. Vous aurez donc le mot de la fin, M. Audet.

M. Audet (Michel): Si vous permettez, je ne peux quand même pas laisser là-dessus, parce que, nulle part... au contraire, j'ai dit qu'il y avait une opportunité d'affaires pour nos amis les syndicats si effectivement les entreprises exagéraient. Ce que je veux quand même répéter, c'est que – vous l'avez évoqué – il y a effectivement beaucoup de PME qui existent dans ce domaine-là, puis c'est vrai à... C'est tellement vrai que ça paraît dans tous les discours d'ailleurs publics, là, d'affaires et de nos politiciens, qu'effectivement les emplois sont créés par les PME. Alors, si effectivement vous dites: Si tu vas dans les PME, tu as un régime tel que tu ne peux pas créer d'emplois, bien, il n'y aura pas de création d'emplois, c'est mathématique.

Donc, il faut, je pense, laisser aux entreprises de ce secteur-là la même liberté qu'elles ont dans les autres secteurs de pouvoir partir des affaires sans avoir les contraintes additionnelles des décrets de convention collective.

Enfin, M. le député, je ne vous ai peut-être pas convaincu, mais je pense que... Moi, en tout cas je crois à la création d'emplois, et ce n'est certainement pas par les décrets qu'on va créer de l'emploi, ça, je le répète. Je conclus là-dessus, parce que tantôt j'ai entendu une conclusion qui était à peu près celle-là. J'avoue qu'à part les emplois créés par le comité paritaire je n'en vois pas beaucoup. Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. Audet, M. Comeau. Merci bien de votre participation à cette commission. Là-dessus, donc, j'ajourne les travaux à demain matin, mercredi 15 septembre, à 9 h 30.

(Fin de la séance à 18 h 24)


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