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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le jeudi 14 octobre 1999 - Vol. 36 N° 27

Consultation générale sur la réduction de l'impôt des particuliers


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Sylvain Simard, président
M. Bernard Landry
M. Michel Côté
Mme Monique Jérôme-Forget
Mme Diane Leblanc
M. François Gendron
M. Serge Geoffrion
*M. Alain Kirouac, CCIQM
*M. Nelson Breton, idem
*M. Daniel Matte, idem
*Mme Jennie Skene, FIIQ
*M. Michel Kelly-Gagnon, IEDM
*M. Michel Boucher, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures trente-quatre minutes)

Le Président (M. Simard, Richelieu): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous reprenons les travaux de notre commission qui est réunie afin de poursuivre les consultations générales portant sur la réduction des impôts des particuliers.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements à annoncer?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. J'informe les membres de la commission que M. Maciocia (Viger) va remplacer Mme Houda-Pepin (La Pinière), et M. Gautrin (Verdun) remplacera M. Williams (Nelligan).

Le Président (M. Simard, Richelieu): Très bien, merci. Sans commentaire. Alors, les remplacements sont annoncés.

Alors, vous connaissez notre ordre du jour. Nous recevrons aujourd'hui trois groupes: d'abord, la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain, jusqu'à 10 h 30; à 10 h 30, la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec; et, finalement, à 11 h 30, l'Institut économique de Montréal. Et nous ajournerons à 12 h 30 précises.


Auditions

Alors, je souhaite la bienvenue à la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain, qui est représentée aujourd'hui par son directeur général. Enfin, les gens vont se présenter. Messieurs, je laisse votre porte-parole peut-être déjà se présenter et présenter ceux qui l'accompagnent. Vous avez 20 minutes pour nous présenter l'essentiel de votre mémoire.


Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain (CCIQM)

M. Kirouac (Alain): Merci. M. le Président de la commission des finances publiques. M. le vice-premier ministre et ministre des Finances, Mmes et MM. les députés. Mon nom est Alain Kirouac, je suis vice-président-directeur général de la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain. Et je suis accompagné ici, ce matin, par deux membres du comité de fiscalité et finances publiques de la Chambre, à ma gauche, M. Daniel Matte, associé de Hill & Knowlton/Ducharme Perron, à ma droite, M. Nelson Breton, fiscaliste, Le Groupe Mallette, Maheu. Et nous vous remercions de nous accorder audience ce matin dans le cadre de cette commission.

La Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain, avec ses 2 600 membres provenant de tous les secteurs de l'économie, constitue le plus important regroupement de gens d'affaires de l'Est du Québec. Regroupement de forces vives, elle permet à la communauté des affaires de participer activement au développement de la région et d'exprimer son opinion sur les sujets susceptibles d'influencer ce développement.

Lors de la commission sur l'efficacité et le financement des services publics au Québec de même que lors de la Commission sur les finances et la fiscalité locale, la Chambre s'est fait un devoir d'exprimer son point de vue. La Chambre salue les efforts déployés par le gouvernement pour remettre le Québec sur la voie de la prospérité et se réjouit qu'après l'atteinte du déficit zéro on s'attaque à un sujet aussi crucial que la réduction de l'impôt des particuliers.

La Chambre endosse la proposition de la Chambre de commerce du Québec selon laquelle une réduction de l'impôt des particuliers de 1 300 000 000 $ n'est pas suffisante pour réduire le déficit concurrentiel du Québec avec les autres provinces canadiennes.

D'abord, sans reprendre tout ce que l'on retrouve dans le document de travail du ministre Landry, la Chambre traitera de l'effort fiscal des Québécois puis de la nécessité de réduire les impôts, pour ensuite faire part de ses recommandations aux membres de cette commission.

En ce qui a trait à l'effort fiscal, les comparaisons avec d'autres juridictions sont à la fois évocatrices et inquiétantes. Par exemple, les recettes fiscales totales du Québec, en pourcentage du PIB, dépassent de 6,1 points de pourcentage la moyenne canadienne. Ainsi, les Québécois consacrent 42,4 % de leurs revenus au paiement d'impôts et de taxes. Quand on compare le Québec et l'Ontario, les résultats indiquent que les contribuables québécois supporteront, en 1999, 1 077 $ de plus par habitant que leurs voisins ontariens.

En fait, l'ensemble des comparaisons abondent dans le même sens. L'impôt sur le revenu des particuliers est plus élevé au Québec que partout ailleurs. Lorsqu'on examine la progressivité du régime fiscal québécois, on remarque qu'au cours des dernières années le nombre de contribuables ne payant pas d'impôts, c'est-à-dire ceux dont les revenus sont moins élevés, s'est accru de façon significative, augmentant ainsi la pression sur les contribuables ayant des revenus plus élevés. En effet, le nombre de contribuables non imposables a augmenté de 11,3 points de pourcentage entre 1982 et 1996.

À cet égard, le tableau V du document de consultation est fort éloquent. En 1996, les contribuables dont les revenus dépassaient 50 000 $, c'est-à-dire 10,4 %, supportaient près de la moitié, 48,4 % de l'effort fiscal total au Québec. En fait, le régime fiscal québécois est le plus progressif en Amérique du Nord.

Dans cette partie de son mémoire, la Chambre fera part des motifs pour lesquels elle estime nécessaire de réduire l'impôt des particuliers. Un retour sur les principales caractéristiques de l'impôt sur le revenu des particuliers nous permettrait de mieux mettre en perspective les fruits de nos réflexions.

(9 h 40)

D'abord, il importe de rappeler que, selon les spécialistes, cet impôt est un instrument pour redistribuer la richesse. Par contre, il apporte des distorsions sur le marché du travail. De plus, il peut générer du chômage dans la mesure où les entreprises sont obligées de fixer des salaires plus élevés pour retenir la main-d'oeuvre.

L'impôt sur le revenu des particuliers réduit les salaires reçus par les travailleurs. Cette situation entraîne diverses conséquences: plus d'attrait vers la non-participation au marché du travail; plus d'attrait vers le travail au noir; incitation à travailler moins d'heures; réduction de l'intérêt de l'individu à investir en éducation, puisque le rendement de l'investissement est diminué. La mobilité des travailleurs vers les emplois dans lesquels ils sont le plus productifs est réduite, puisque l'avantage d'un meilleur couplage travailleur-emploi est moins rentable. En somme, l'impôt sur le revenu des particuliers réduit l'offre et la quantité offerte de travail. Selon les spécialistes toujours, plus un système de taxation réduit l'offre de travail, moins il est efficace.

De plus, les taxes sur la masse salariale s'ajoutent au salaire des employés et augmentent le coût de la main-d'oeuvre des entreprises. Ces taxes peuvent avoir deux conséquences. D'abord, elles peuvent être reportées sur les travailleurs par une réduction des salaires que les employeurs sont prêts à offrir; cela accentue encore davantage la réduction de l'offre de travail. D'autre part, ces taxes, si elles ne sont pas reportées, contribuent à accroître le coût de l'emploi et à réduire le nombre de travailleurs embauchés, donc à créer des conditions propices au chômage.

Au sujet du report des taxes sur la masse salariale, la littérature démontre qu'approximativement 80 % du fardeau de ces taxes imposées aux employeurs sont reportés sur les travailleurs. En somme, avec le régime fiscal actuel, le Québec s'impose des pressions néfastes pour son développement, car, en plus de réduire l'offre de travail, dont les coûts sociaux sont inestimables, l'impôt sur le revenu des particuliers freine la consommation.

Bien qu'il soit difficile, on en convient, d'évaluer son impact avec précision, une réduction substantielle de l'impôt sur le revenu des particuliers aurait certainement une incidence positive sur la consommation de biens et services de la part des contribuables, puisque ceux-ci disposeraient de plus de liquidités. Une réduction d'impôts sur le revenu stimulerait davantage les contribuables à épargner à des fins d'investissement, ce qui constitue un moteur important de développement de la capacité de production et de croissance économique.

De plus, des chercheurs ont démontré que la fiscalité a un lien avec la décision d'investir en éducation. Nous sommes tous d'accord sur le fait que l'investissement en éducation, qui augmente la qualité de la main-d'oeuvre, favorise la croissance économique. Or, plusieurs études ont démontré que, dans les États où le régime fiscal des particuliers est progressif, les individus ont moins d'intérêt à investir en éducation. En effet, investir en éducation implique de réduire ses revenus d'aujourd'hui en vue d'obtenir des revenus supérieurs plus tard. Donc, plus le taux de taxe s'appliquant à un haut revenu est élevé, moins le revenu après impôts est élevé, alors l'investissement en éducation est moins rentable.

Le régime fiscal québécois, dans sa forme actuelle, n'incite pas les contribuables à épargner. L'épargne d'aujourd'hui correspond à la valeur de consommation de demain. Donc, on peut comparer la taxation des revenus de l'épargne à la taxation de la consommation future. Un impôt sur le revenu qui taxe au même taux les revenus de travail et d'épargne, taxe, en fait, à un taux plus élevé la consommation de demain que la consommation d'aujourd'hui. En fait, les revenus de travail qui servent à financer l'épargne sont taxés une première fois, et les revenus de l'épargne sont à nouveau taxés quand ils sont encaissés, ce qui diminue de façon significative le rendement de l'épargne.

Une baisse d'impôts sur le revenu des particuliers serait bénéfique pour les entreprises québécoises dans la mesure également où la situation actuelle détériore leur position concurrentielle. Effectivement, les entreprises sont soumises à des pressions constantes de la part des travailleurs, qui veulent obtenir des salaires plus levés afin de maintenir leur salaire après impôts. Ces pressions ont des répercussions sur la compétitivité par rapport à d'autres juridictions dans la mesure où, pour chaque emploi, il en coûte plus cher au Québec qu'ailleurs.

De ce fait découle une situation encore plus inquiétante, soit l'exode des cerveaux. Par exemple, à un revenu de 75 000 $, le taux d'imposition d'une personne vivant seule, donc plus mobile, s'établit à 38 % au Québec par rapport à 31 % en Ontario, soit un écart de 5 317 $. Un tel écart a un impact significatif sur le pouvoir de rétention du Québec envers ses travailleurs stratégiques. Le Québec est donc en proie à une double pression sur sa main-d'oeuvre stratégique. Les travailleurs sont attirés par des conditions fiscales plus clémentes ailleurs, et, pire encore, la main-d'oeuvre de demain hésite à investir en éducation, car l'investissement est plus ou moins rentable.

Nous croyons donc qu'une réduction de l'impôt des particuliers serait bénéfique à plusieurs égards. Elle serait favorable à l'emploi en stabilisant les coûts de la main-d'oeuvre, en favorisant l'incitation au travail, en réduisant les écarts d'imposition avec les autres juridictions et en réduisant l'importance des taxes à la production. Il est normal que le travailleur qui conserve une plus grande partie de son revenu soit davantage incité à travailler. Pour sa part, le travailleur à faibles revenus sera plus disposé à demeurer sur le marché du travail, tandis que le travailleur stratégique sera moins tenté d'exploiter ses talents ailleurs. Enfin, la main-d'oeuvre de demain sera plus portée vers de longues études puisque la valeur de son investissement sera plus rentable.

À la lumière de ces réflexions, la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain estime que les efforts déployés par le gouvernement pour réduire l'impôt des particuliers devraient viser les ménages dont les revenus sont de moyens à élevés, c'est-à-dire là où les écarts avec les autres juridictions sont les plus importants.

Au Québec, certains contribuables paient moins d'impôts que partout ailleurs au Canada. Ce sont principalement des couples avec enfants gagnant moins de 40 000 $ ou des personnes vivant seules et dont les revenus sont inférieurs à 15 000 $. Les autres contribuables en paient davantage et parfois beaucoup plus. Sans revenir sur tout ce qui se trouve dans le document de consultation du gouvernement, mentionnons qu'une réduction visant les ménages à revenus moyens et élevés permettrait au Québec de se comparer parfois avantageusement à l'Ontario, que l'on cite abondamment en exemple.

De plus, en tant que plus important regroupement de gens d'affaires de la région de Québec, la Chambre estime que de telles mesures de réduction d'impôts seraient favorables à la région métropolitaine, qui s'impose de plus en plus dans la sphère des hautes technologies où la qualité de la main-d'oeuvre est d'une importance capitale.

À cet égard, la région de Québec compte plus de 5 000 chercheurs et associés engagés dans les secteurs de pointe et une centaine de centres de recherche constituant autant de points d'appui technologique au développement à des entreprises. Il faut également mentionner que la région de Québec est la plus scolarisée et qu'une réduction de l'impôt des particuliers favoriserait grandement la rétention de notre main-d'oeuvre qualifiée et influencerait le développement de l'économie locale.

Selon les chiffres de Statistique Canada, dans les régions de Québec et Chaudière-Appalaches, 20,4 % des travailleurs verraient leurs revenus augmenter si le gouvernement réduisait l'impôt des ménages à revenus moyens et élevés. Concrètement, dans les deux régions, plus de 150 000 personnes bénéficieraient de plus d'argent pour consommer, épargner, investir. La Chambre croit fermement qu'une telle mesure influencerait positivement le dynamisme économique de la région.

En conclusion, la Chambre rappelle qu'elle a toujours soutenu le fait de laisser plus de marge de manoeuvre aux entreprises, tant sur le plan réglementaire que fiscal, et ce mémoire s'inscrit dans cette logique. La Chambre croit que le choix du système fiscal est, d'une certaine manière, dicté par le degré de redistribution que le Québec veut atteindre. Il y a de toute évidence des limites à l'étendue de la redistribution, et nous croyons que cette limite a été franchie.

Le régime fiscal québécois est reconnu pour être le plus clément envers les ménages avec enfants et les personnes à faibles revenus. Alors, nous suggérons et souhaitons que le gouvernement mette l'accent sur la catégorie de contribuables qui paie davantage et parfois beaucoup plus qu'ailleurs, bref, là où le régime fiscal est le moins compétitif. Il n'est pas possible d'arriver à une redistribution complètement égalisatrice, car les choix de nos voisins nous imposent des contraintes, tout comme notre désir de faire des affaires avec le monde entier. Je vous remercie.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vous remercie beaucoup, notamment d'avoir respecté les règles du temps. J'inviterais maintenant, en premier lieu, le ministre des Finances à réagir à votre intervention.

M. Landry: Bon. Alors, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt, puis surtout qu'on m'avait fait préparer de bons résumés et analyses par les fonctionnaires de ce que dit la Chambre de commerce de notre capitale nationale, qui est d'ailleurs classée par le rapport KPMG comme un des meilleurs endroits en Occident pour investir, et non pas à cause du «cheap labor», mais à cause des autres avantages qui sont assortis à l'implantation et à l'exploitation, dans la ville de Québec, d'une entreprise. Et, dans ces avantages, il y a, pour beaucoup, des avantages fiscaux pour les hautes technologies, en particulier, et la recherche et le développement. Est-ce que je peux conclure que vous préconisez, en matière de fiscalité des entreprises et de stimulation à la R & D, le statu quo ou est-ce que, pour satisfaire certaines autres de vos revendications, on pourrait faire des vases communicants puis aller chercher l'argent ailleurs?

(9 h 50)

Et ma deuxième question et dernière, mais les deux sont reliées. Vous demandez une réduction d'impôts supérieure à 1 000 000 000 $, ce qui est notre décision provisoire. Nous sommes d'accord avec vous. Mais je voudrais bien savoir si on est sur la même longueur d'onde. Nous sommes d'accord avec vous à condition que l'économie nous donne l'argent pour le faire. On va vous suivre volontiers si l'économie nous donne l'argent pour le faire. Mais je présume que vous ne souhaiteriez pas qu'on retourne sous la barre du déficit zéro et qu'on emprunte l'argent pour baisser les impôts. En tout cas, je ne veux pas vous mettre de mots dans la bouche, mais j'aimerais vous entendre sur la provenance de l'argent qui pourrait satisfaire aux baisses d'impôts supplémentaires que vous réclamez.

M. Kirouac (Alain): J'aimerais peut-être, dans un premier temps... Vous avez fait mention effectivement de l'étude qui a été récemment déposée par la firme KPMG et pour laquelle, je pense, vous avez fait une tournée provinciale, du moins à Québec et à Montréal. Cette étude démontrait, je pense, avec pertinence que les coûts d'exploitation et d'implantation des entreprises au Québec et particulièrement dans deux villes québécoises, Québec et Sherbrooke, étaient particulièrement significatifs.

Nous avons réagi à l'étude en question en nous réjouissant évidemment, parce qu'on a là un outil, je pense, excessivement intéressant et performant pour aller intéresser des investisseurs. Mais l'aspect que nous avons également mentionné, c'était qu'il fallait maintenant s'attaquer à la réduction de l'impôt des particuliers, qui était, je pense, l'une des dimensions ou l'une des pièces du puzzle qui manquait pour avoir les conditions idéales. On a des conditions, je pense, au niveau de la fiscalité des entreprises, et l'étude le démontre, des éléments excessivement importants et intéressants au Québec par rapport à d'autres provinces canadiennes, et j'oserais dire d'autres pays, mais il n'en demeure pas moins que la fiscalité des particuliers est encore, selon nous, beaucoup trop élevée. C'est donc une pièce manquante. Et c'est pour ça que nous nous réjouissons de voir cette commission s'attaquer et se préoccuper de la réduction de l'impôt des particuliers.

Pour ce qui est de votre deuxième question, maintenant, concernant le statu quo ou, je dirais, les avantages à conserver ou à améliorer au niveau de la recherche et du développement, je vais peut-être laisser la parole à M. Breton, qui est un fiscaliste spécialisé dans ces questions, peut-être lui donner le soin de répondre.

M. Breton (Nelson): C'est sûr que les incitatifs fiscaux que nous avons au Québec en recherche scientifique et développement expérimental sont très pointus. On vise la nouvelle économie. Et effectivement, on doit quand même la pousser parce que c'est un endroit où le risque financier est très élevé, donc c'est tout à fait normal qu'on favorise ces entreprises-là.

Nous, on voit effectivement la baisse des impôts, comme disait M. Kirouac tout à l'heure, comme un complément à ça. Il est évident qu'à un moment donné si on baisse les impôts, il faut balancer le budget, puis ce qu'on donne ailleurs, il faut aller le chercher dans une autre poche – ce n'est pas trop pratique – pour pouvoir équilibrer. C'est plutôt regarder la notion de juste équilibre. Donc, si on désire réduire les impôts des particuliers et, à un moment donné, il faut aller piger ailleurs pour aller chercher les sommes manquantes, bien là ça devient un coup de savoir lequel on doit privilégier, en tant qu'État. Et, à ce niveau-là, je dois vous avouer, nous, on considère que déjà l'impôt des particuliers freine un peu les individus à vouloir être productifs. Ça n'empêche pas que vous devez continuer aussi à favoriser l'économie du savoir. Mais, de là à faire un choix, à dire: Bien, est-ce qu'on doit pénaliser un secteur plus qu'un autre? c'est assez difficile pour moi de répondre.

M. Matte (Daniel): Chose certaine – si je peux rajouter – ce qu'on a constaté, c'est qu'au niveau de l'impôt des particuliers le Québec n'est pas compétitif avec les autres provinces ou avec d'autres pays. Et, comme on est dans une situation de mondialisation, de concurrence à l'échelle globale, il faut peut-être prendre les efforts nécessaires pour être le plus compétitif possible.

On est conscient que l'effort serait très important, par exemple, pour être au même niveau que l'Ontario, mais on peut au moins essayer d'y tendre. De toute façon, je pense que c'est l'objectif du document, à tout le moins du document de consultation, qui retient... Les cinq scénarios évoquent des réductions d'impôts, la grandeur est différente d'un scénario à l'autre, mais on doit tendre vers là. Puis ce qu'on constate, c'est qu'il y a un déficit compétitif à ce niveau-là, au niveau de l'impôt des particuliers. Et les efforts doivent être déployés dans le sens de réduire ce déficit-là avec d'autres provinces ou avec d'autres pays.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Le député de La Peltrie, qui est le député de la région de Québec, veut vous interroger, maintenant.

M. Côté (La Peltrie): Merci, M. le Président. Alors, M. Kirouac, M. Matte et M. Breton, bienvenue à cette commission. En 1996, lorsqu'on a réfléchi sur les mesures à prendre ou examiné les pistes qui pourraient relancer l'économie au Québec et aussi comment assainir les finances publiques, on voit le résultat aujourd'hui, on est rendu au déficit zéro. Alors, je suis bien heureux de vous voir aujourd'hui pour réfléchir sur une autre avenue qui est la possibilité de réduire les impôts et pour exprimer votre point de vue sur ce sujet.

Dans votre mémoire, vous dites qu'il conviendrait bien sûr de réduire les impôts puis que cette décision serait particulièrement favorable à la région de Québec parce qu'on y compte une forte concentration d'emplois, particulièrement en haute technologie, qui emploie une main-d'oeuvre quand même spécialisée autant pour la rive nord que pour la rive sud. Mais on sait que, sur la rive sud, le taux de chômage présentement est de 7 %, je crois, selon les dernières statistiques, et puis qu'il manque de main-d'oeuvre dans certains créneaux spécialisés, entre autres machinistes, soudeurs, je pense. Et, sur la rive nord, bien, le taux de chômage est à 8,5 %. Bon. Une réduction d'impôts, qu'est-ce que ça changerait, en quoi ça changerait pour la région de Québec, avec ce que je viens de vous mentionner comme...

M. Kirouac (Alain): Oui. Écoutez, ce que nous constatons... Parce que là on parle évidemment de notre région, plus particulièrement de la région de Québec–Chaudière-Appalaches où vous avez spécifié, ciblé, disons, des secteurs assez pointus quand même. Mais on sait tous qu'avec la région les groupes d'intervenants socioéconomiques, nous avons identifié des secteurs de pointe, de développement et de diversification. On sait également que l'État, en tant qu'employeur, a pris des mesures, avec lesquelles d'ailleurs nous nous sommes montrés d'accord, pour rationaliser et diminuer la taille de l'État, tout en étant conscients évidemment que ces efforts faits par le gouvernement auraient des implications et des impacts surtout sur notre région, des possibles pertes d'emploi ou des gens qui, avant terme, décident de quitter la fonction publique.

On avait une région basée essentiellement sur les services, avec une forte proportion des services gouvernementaux. La diversification économique entamée depuis plusieurs années avec l'accord de l'ensemble des partenaires tant de la députation gouvernementale que de l'opposition fait en sorte qu'on a développé des créneaux qui nous sont particuliers. Nul besoin, je pense, de les rappeler ici aujourd'hui, on les connaît assez bien, les sept ou huit créneaux des secteurs de technologie. Et, dans ces secteurs particuliers, certaines entreprises – ce sont nos membres – nous font part de leur préoccupation de conserver l'expertise développée dans ces entreprises-là pour des questions bien souvent purement et simplement de fiscalité, de non-compétitivité avec d'autres pays ou avec d'autres régions canadiennes. Et ça, les entreprises nous l'ont signalé à plusieurs, plusieurs, plusieurs reprises.

Donc, on est devant un dilemme où on met énormément d'efforts, où on a démontré que les conditions d'implantation et d'exploitation des entreprises pour notre région, pour notre ville et pour l'ensemble du Québec sont bonnes, sont excellentes, mais la dimension emploi, la dimension de rétention des employés, elle, elle est là. Et, si on veut effectivement avoir une économie basée sur la nouvelle économie, on doit penser à conserver cette main-d'oeuvre qui se développe.

Et le danger, c'est de voir nos universitaires ou même nos gens des techniques de cégep, qui sont de plus en plus dans des secteurs de pointe, des secteurs ciblés, faire des choix très durs pour la région de Québec, c'est-à-dire aller s'établir là où les conditions de la fiscalité seront plus profitables. On croit sincèrement et fortement qu'une diminution de l'impôt dans ces groupes particuliers, ces contribuables, permettrait de conserver cette main-d'oeuvre qualifiée que nous avons et que nous développons actuellement dans notre région.

Et là on parle évidemment de la région de Québec, mais je pense qu'on peut l'appliquer aussi à l'ensemble du Québec, qui développe de plus en plus, dans toutes nos régions, la haute technologie où la nouvelle économie est basée sur l'économie du savoir. Pour nous, ça nous apparaît excessivement important, particulièrement dans la région.

(10 heures)

M. Côté (La Peltrie): Alors, vous mentionnez aussi dans votre mémoire – je pense que c'est un fait nouveau qu'on n'a pas encore entendu dans les mémoires précédents: C'est l'effet positif d'une réduction d'impôts versus l'investissement en éducation. Bon, nous le savons, ici, quand même, pour la région de Québec, on est une région qui est hautement scolarisée. Alors, qu'est-ce que ça apporterait de plus, le fait de baisser les impôts puis d'investir en éducation pour la région de Québec?

M. Matte (Daniel): Ce qu'on veut dire, puis ça répond aussi en partie à l'autre question que vous avez posée précédemment, c'est que le choix pour un individu d'investir en éducation, que ce soit une formation complémentaire à des qualifications qu'il possède déjà ou carrément un étudiant qui a à faire des choix, le fait, donc, d'investir de façon importante en temps, en argent en éducation pour aller chercher une qualification, si, en bout de piste, le salaire qu'il va avoir n'est pas... ou le salaire peut être intéressant, mais les ponctions fiscales sont trop importantes, ça peut décourager ces personnes-là de faire ces choix-là ou de faire cet effort-là puis se contenter d'autre chose qui va être peut-être un apport moins important pour l'économie québécoise.

Et, entre autres, il y a effectivement des secteurs ou des régions où il y a des pénuries d'emplois. Et peut-être que, si le rendement en éducation était plus attrayant, ces gens-là s'investiraient en éducation dans des secteurs de pointe et pourraient combler les secteurs où il y a des pénuries d'emplois.

M. Côté (La Peltrie): O.K. Je pourrais avoir une autre question, M. le Président? Lorsque vous parlez de réduction substantielle de l'impôt sur le revenu des particuliers, vous dites que ça aurait sûrement une incidence sur la consommation des biens et services. Est-ce que vous pouvez préciser ce que vous entendez par baisse substantielle? Parce que vous ne vous avancez pas tellement, je pense, sur le montant total de réduction d'impôts qui pourrait être abordé.

M. Breton (Nelson): Nous, ce qu'on désire, c'est que l'État envoie un message aux gens. Parce que, actuellement, on a un message défavorable, si on peut dire, où l'individu qui va s'éduquer ou qui va venir travailler au Québec, on lui dit: Bien, là, les impôts personnels sont très élevés. À ce moment-là, l'individu est moins incité à venir ici ou peut aller à l'extérieur.

C'est beau, on a des études dans le livre, le document de consultation, qui font part, entre autres, des coûts de la vie dans d'autres municipalités, par exemple, Toronto et ailleurs. Mais l'individu, quand il prend sa décision, lui, il regarde: Bon, je vais gagner tant comme salaire, je vais payer tant d'impôts, et il va me rester net... Même si le coût, ailleurs, il est là, il ne prend pas sa décision.

Donc, ce qu'on désire, nous, c'est qu'il y ait un message qu'on envoie comme quoi, pour l'avenir, le Québec va s'orienter pour pouvoir réduire les impôts des particuliers de façon à devenir compétitif avec les autres territoires, ses compétiteurs immédiats au niveau économique. On est conscient qu'on ne peut pas y arriver tout d'un coup, parce qu'il y a du rattrapage à faire. Il y aussi la santé économique de la province, on est conscient de ça. Mais ce qu'on désirerait, c'est qu'il y ait un message clair par rapport aux gens pour savoir que l'État s'oriente... a beau favoriser – une façon de parler – l'impôt des particuliers et le réduire de façon à devenir compétitifs. C'est d'avoir un message. Souvent, le message compte plus sur le résultat. Dans le fond, c'est de le déclarer et s'engager à cet effet-là.

M. Côté (La Peltrie): Vous dites également que le Québec a franchi la limite de la redistribution au niveau de l'échelle de l'impôt. Quelles sont les conséquences à avoir franchi cette limite-là? Quelles ont été les conséquences à ça? Vous en parlez dans votre mémoire, que le Québec a franchi la limite de la redistribution par rapport qu'on a, je pense qu'on a... le Québec est en avance sur d'autres provinces, on commence à payer de l'impôt beaucoup plus tard que les autres. Donc, c'est quoi, cette limite-là? Qu'est-ce que ça nous a empêchés de faire en franchissant cette limite?

M. Matte (Daniel): On retrouve la réponse à cette question-là dans le document de consultation. C'est que le Québec est probablement un des endroits les moins compétitifs au monde au niveau de l'impôt des particuliers puis ça a des conséquences sur l'investissement au Québec, sur la création d'emplois puis la stimulation de l'économie. C'est bien qu'on ait un régime fiscal qui est juste, qui est équitable, mais on pense qu'on a atteint la limite actuellement parce que, si on continue dans le sens actuel – de toute façon, ça ne semble pas être le cas avec le document qui est la table – on va être de moins en moins compétitifs avec nos voisins. La conséquence principale est très importante, selon nous, du régime actuel.

M. Côté (La Peltrie): Si cette logique-là est bonne au niveau de l'impôt des particuliers, est-ce que, au niveau des entreprises, on doit appliquer cette même logique?

M. Matte (Daniel): Bien, on ne s'est pas penché de façon particulière sur l'impôt des entreprises, mais ce qu'on peut constater, c'est qu'au niveau de la fiscalité des entreprises le Québec n'est pas dans une situation déficitaire par rapport au reste du Canada ou à d'autres États. Le régime fiscal des entreprises est, somme toute, assez compétitif. Mais là on ne s'est pas vraiment penché là-dessus, on a surtout regardé la situation des particuliers.

M. Côté (La Peltrie): Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vous remercie beaucoup, M. le député de La Peltrie. J'inviterais maintenant la porte-parole de l'opposition officielle, la députée de Marguerite-Bourgeoys...

Une voix: ...

Le Président (M. Simard, Richelieu): – Ah! vous savez, on n'est pas obligé d'utiliser tout notre temps, madame. – alors, à prendre la parole.

Mme Jérôme-Forget: D'abord, je vous souhaite la bienvenue. Vous vous posiez un peu la question, à savoir: Où est-ce qu'on pourrait possiblement prendre l'argent? Moi, j'aimerais faire un point, que je répète à plusieurs reprises, et c'est le suivant. C'est que, dans toute la foulée de documents qu'on nous a transmis, il y a un chiffre qui n'est pas présent, c'est-à-dire, ce chiffre, c'est de nous donner un estimé de ce qu'on appelle le surplus, le dividende fiscal. C'est bien dommage que ce chiffre-là ne soit pas là parce qu'il ne nous donne pas le portrait et l'envergure de la démarche qu'on pourrait entreprendre. C'est comme si on avait voulu mettre un carcan à l'analyse qu'on est en train de penser.

D'ailleurs, la réaction qu'on a, aujourd'hui, du ministre des Finances n'est pas différente de ce qu'elle était l'an dernier. L'an dernier, en décembre, on prévoyait toujours un déficit de 1 200 000 000 $. Trois mois plus tard, au début de mars, nous arrivions avec un déficit zéro. Aujourd'hui, tous les experts estiment que le dividende fiscal va être plus proche... va varier entre... le plus bas qu'on a entendu, c'était 500 000 000 $, hier, pour l'année en cours, et possiblement de 1 200 000 000 $. Alors, disons qu'il y a de l'argent. En plus de ça, il y a eu deux présentations, et tout le monde estime que, d'ici cinq ans, le dividende fiscal va approcher le 5 000 000 000 $: Pierre Fortin parlait de 4 400 000 000 $; John McCallum, de la Banque Royale, parle de 5 000 000 000 $. C'est donc qu'il va y avoir des sommes importantes.

Et ce pourquoi je mets beaucoup l'emphase sur ça, j'en parle souvent, c'est que je vois là, moi, une opportunité incroyable au Québec de repenser notre façon de faire et de voir quels sont les choix que nous avons à faire. Parce que l'écart entre le Québec et l'Ontario, il est grand – il est effectivement aux environs de 5 000 000 000 $ et quelques actuellement; il va probablement augmenter à 8 000 000 000 $ à cause des autres baisses d'impôts – mais il y a une possibilité de réduire l'écart, il y a une possibilité, il y a une fenêtre, il y a quelque chose, on est capable de poser un geste important.

Le ministre vous demandait si vous vouliez que le Québec aille emprunter à Boston ou New York. C'est une de ses remarques privilégiées actuellement. Il n'y a personne qui veut que le Québec aille emprunter à Boston ou New York actuellement. Il n'y a pas un Québécois. Tout le monde est d'accord qu'il faut avoir... Le déficit zéro, c'est quelque chose que les gens ont absolument endossé, et je pense que, à cet égard-là, il n'y a personne qui veut aller à Boston ou New York.

Par ailleurs, dans votre mémoire, vous faites référence à un point que je trouve très intéressant et qui me surprend un peu, et peut-être allez-vous pouvoir apporter un éclairage additionnel. Vous dites, en page 6 de votre document, dans le troisième paragraphe, et c'est au milieu du paragraphe: «Nous sommes tous d'accord sur le fait que l'investissement en éducation, qui augmente la qualité de la main-d'oeuvre, favorise la croissance économique.» Et ça, effectivement, tout le monde est d'accord. «Or, plusieurs études ont démontré que, dans les États où le régime fiscal des particuliers est progressif, les individus ont moins intérêt à investir en éducation. En effet, investir en éducation implique de réduire ses revenus d'aujourd'hui en vue d'obtenir des revenus supérieurs plus tard.» Donc, comme il n'y aurait pas ce «tradeoff», comme les impôts seraient trop élevés, je présume, il n'y aurait pas l'incitatif à vouloir poursuivre les études. Est-ce que vous pouvez peut-être clarifier cette position-là?

(10 h 10)

M. Kirouac (Alain): Je vais vous donner évidemment des exemples sans citer, malheureusement, de noms. C'est dans des discussions que nous avons à plusieurs reprises avec nos entrepreneurs, nos entreprises qui nous soulignent cet état de fait là, qui, pour améliorer la capacité de formation de leurs employés, offrent effectivement à leurs employés la possibilité d'améliorer leur sort sur le plan de la rémunération tout en ayant, évidemment, une amélioration au plan de leur formation. Quand on dit «formation», là, on parle de quelqu'un qui est en emploi. Il doit investir évidemment de sa personne, doit investir de son temps, doit investir pendant x nombre d'années pour améliorer ses compétences techniques ou professionnelles, en échange, évidemment, d'une amélioration de la rémunération.

Dans un cas très précis, un entrepreneur nous a illustré le fait que l'employée, après avoir considéré l'augmentation de salaire proposée versus le salaire net obtenu, après l'investissement personnel qu'elle aurait à faire – et je ne parle pas d'investissement en argent, mais l'investissement en temps – pour améliorer ses compétences pour occuper le nouveau poste, a tout simplement décliné l'offre en disant que ce n'était pas intéressant au niveau de l'amélioration de ses conditions salariales. Donc, c'est un cas où on s'aperçoit que l'amélioration des compétences qui peut être, bien souvent évidemment, accompagné... qui devrait être accompagné d'une amélioration de la rémunération, a eu un effet nul, dans le sens que la personne s'est dit: Bon, je vais investir tant de temps dans une formation qui, en bout de piste, n'améliorera pas nécessairement ma rémunération. Les gens étant ce qu'ils sont, on peut effectivement, par choix, s'améliorer sur le plan de la formation. On peut le faire également dans le but d'améliorer ses conditions de rémunération. Dans ce cas-là très précis, comme je vous dis, la personne a fait le calcul que ça n'en valait pas l'investissement, compte tenu que l'augmentation nette de son salaire ne correspondait pas à l'effort fourni en temps. Je vous donne un cas...

Mme Jérôme-Forget: C'est plutôt anecdotique...

M. Kirouac (Alain): C'est très anecdotique. Je suis d'accord avec vous.

Mme Jérôme-Forget: ...parce que toutes les études démontrent que l'éducation, ça paie, à la longue.

M. Kirouac (Alain): Ça dépend effectivement, madame, je crois, des niveaux. Il y a des niveaux de formation. Quand on parle d'un niveau de formation universitaire, oui, je crois que plus les gens sont formés au niveau universitaire, plus ils ont de chances de se trouver un emploi, un emploi bien rémunéré. Il y a des catégories d'emplois cependant... quand on parle des revenus catégorie moyens où l'effet inverse peut exister au niveau de la formation. Et ça, je pense que c'est très anecdotique, je vous donne raison totalement là-dessus, mais c'est une réalité quand même que les employeurs et les employés vivent.

Mme Jérôme-Forget: J'aimerais poursuivre un peu, M. le Président, si vous permettez. Prenant en considération ce que plusieurs experts ont dit à l'effet que le surplus serait plus près de 5 000 000 000 $, entre 4 000 000 000 $ et 5 000 000 000 $, d'ici les prochains cinq ans, est-ce que vous maintenez la position que vous avez développée ici, à savoir utiliser ces sommes-là pour baisser les impôts des particuliers et se rapprocher de l'Ontario le plus possible ou des autres provinces en général? Est-ce que c'est une position que vous maintenez? Parce que ce qui était proposé dans le document, si vous vous rappelez, pour les quatre prochaines années, c'était 1 300 000 000 $, ce qui était encore... qui nous mettait... Et l'écart entre le Québec et l'Ontario, si on ne le corrige pas maintenant, va être beaucoup plus important parce que l'écart s'agrandit tout le temps. Alors, c'est pour ça qu'il faut faire un virage.

M. Breton (Nelson): Nous, madame, lorsque nous avons fait notre mémoire, on s'est basé surtout sur le forum qui avait été fixé dans le document de consultation. Donc, il y avait cinq options qui étaient proposées, et, nous, on est d'opinion qu'on doit aller beaucoup plus pour favoriser les gens à revenus moyens et revenus élevés par rapport aux autres personnes ou par rapport à notre économie de la région de Québec, et tout. Si on nous dit qu'il y a un surplus budgétaire plus élevé, bien, ça va nous faire plaisir d'avoir plus de marge de manoeuvre pour pouvoir aller plus loin au niveau de la réduction. De là à dire que tout le surplus doit aller à la réduction d'impôts des particuliers, je crois que ça serait malvenu, parce qu'il y a probablement d'autres considérations monétaires et politiques économiques qui doivent entrer en ligne de compte. Mais, si on a un surplus qui nous permet d'aller plus loin dans la réduction des impôts des particuliers de façon à être plus compétitifs avec les autres provinces, on va s'en réjouir, madame.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme la députée de Beauce-Sud a des questions à vous poser.

Mme Leblanc: Merci. Bonjour, messieurs de la Chambre de commerce. Je vois que, dans votre présentation, vous n'avez pas parlé d'un scénario en particulier que vous auriez préféré. Toutefois, dans deux des scénarios proposés, le 3 et le 5, il y a une augmentation de la TVQ pour apporter une plus grande diminution, une plus grande réduction des impôts. Alors, j'aimerais savoir quelle est votre opinion à ce sujet-là.

M. Kirouac (Alain): Il est clair pour nous que... D'une part, je veux revenir tout simplement en vous disant que, oui, nous avons étudié, analysé attentivement les cinq scénarios, que nous n'avons pas retenu de scénario particulier, dans l'optique où, nous, ce qui nous est apparu important, et je me répète, c'est la compétitivité du système fiscal québécois par rapport à d'autres pays et à d'autres provinces, et que, quant à nous, ce qui nous apparaît important, c'est de réduire l'impôt des particuliers là où on n'est pas compétitifs, donc dans des groupes très particuliers. Et, par le fait même, ne retenant pas de scénario, nous n'avons pas, dans notre mémoire, évidemment abordé la question de la TVQ ou à quel endroit il faudrait aller chercher cet argent pour compenser les baisses de réduction d'impôts. Mais je peux vous dire que nous serions effectivement opposés à une augmentation de la TVQ pour financer une baisse, une réduction d'impôts des particuliers.

Mme Leblanc: D'autre part, le ministère des Finances a longuement parlé de l'étude de KPMG, celle qui est sortie, comme quoi le Québec serait un paradis pour les sociétés. Toutefois, il faut comprendre aussi que, malgré ce fait-là, le produit intérieur brut est moindre au Québec que chez nos partenaires, le chômage est supérieur, puis, au niveau des investissements aussi, on traîne de la patte. Alors, j'aimerais savoir comment, vous, la Chambre de commerce, vous expliquez ce paradoxe-là. Qu'est-ce qui, selon vous, freine les investisseurs au Québec?

M. Kirouac (Alain): Je pense que la réponse à votre question... nous y avons répondu sommairement tout à l'heure dans l'esprit où il y a une pièce manquante. Le rapport KPMG, en y apportant toutes les réserves qu'on voudra y apporter, démontre quand même qu'il y a des éléments intéressants à notre région et à d'autres régions du Québec sur le plan de l'exploitation et de l'implantation des entreprises. Ce qui, selon nous, est manquant pour être vraiment compétitifs sur la scène internationale, c'est ce dont on parle ce matin, c'est-à-dire une fiscalité des individus qui serait avantageuse. C'est une dimension qui, nous croyons, doit être prise en compte pour faire du Québec, de notre région, des régions vraiment attractives pour les investisseurs. Il y a beaucoup d'éléments qui peuvent expliquer l'investissement et le non-investissement. L'étude de KPMG a démontré quand même de façon intéressante des avantages concurrentiels que nous avons, qui se doivent, je pense, d'être dits et expliqués. Mais il manque une pièce du puzzle importante, qui est une fiscalité des individus intéressante pour conserver et amener de la main-d'oeuvre. Si les entreprises et les investisseurs regardent et analysent ou conviennent qu'il est difficile de conserver une main-d'oeuvre ici, au Québec, à cause d'une fiscalité moins avantageuse, on peut présumer que l'investissement, il devient moins intéressant.

Mme Leblanc: Est-ce que, selon vous, le fait que l'État prend plus de place, que la réglementation est plus lourde au Québec, ce sont aussi des facteurs qui influencent le choix des investisseurs?

M. Kirouac (Alain): Honnêtement, je vais vous dire que nous n'avons pas regardé cet aspect. Nous convenons que la réglementation est un élément important au niveau des entreprises. De là à vous signifier que nous avons fait l'analyse et les comparaisons entre les autres provinces ou les autres pays, non, nous n'avons pas ces études ou ces analyses. Ce n'est pas une dimension que nous avons spécifiquement regardée dans la cadre de la commission aujourd'hui, à savoir si la réglementation québécoise était plus lourde ou plus importante qu'ailleurs dans le monde.

Mme Leblanc: Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Eh bien, M. Kirouac, M. Matte et...

Une voix: Breton.

(10 h 20)

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...je vous remercie de votre disponibilité, du travail que vous avez fait, et de la réflexion et de la consultation que vous avez faites pour préparer ce mémoire. Je suis certain que tout cela va beaucoup aider le ministre des Finances et la commission à mieux comprendre et à prendre des décisions plus sages. Je vous remercie donc de cette collaboration et de cet esprit civiques.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Simard, Richelieu): Les membres de la commission ont retrouvé leur place. Nous allons maintenant entendre les représentantes de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec. Nous avons avec nous, ce matin, l'une des personnes les mieux connues dans cette enceinte, probablement, en ce temps-ci de l'année, Mme Jennie Skene, qui est la présidente, comme vous le savez tous. Elle est accompagnée d'une conseillère, Marie-Andrée Comtois. Une seule. Est-ce que l'on doit voir là le résultat de vos récentes coupures, madame? Nous allons avec plaisir écouter votre présentation qui devrait durer au maximum une vingtaine de minutes et, ensuite, les membres de la commission vont dialoguer avec vous. À vous la parole.


Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ)

Mme Skene (Jennie): Merci. Effectivement, je suis accompagnée, ce matin, d'une seule personne. Marie-Andrée est une de nos conseillères chevronnées qui travaille au secteur santé, donc tous les dossiers sociopolitiques. Il y a d'autres personnes qui ont collaboré au travail qui s'est fait autour du mémoire, mais elles ne sont pas présentes ce matin.

D'entrée de jeu, je vous dirai que nous ne sommes pas des expertes ni en fiscalité ni en économie, mais je pense qu'on peut prétendre à tout le moins avoir une bonne connaissance du réseau de la santé, des services publics et des conséquences qu'un appauvrissement de la population peut avoir sur la population en général, sur l'état de santé des individus en général.

Nous représentons une majorité très large de femmes, plus de 95 % des 47 000 infirmières que nous représentons sont des infirmières, et, dans cet exercice que nous avons fait, il nous a été clairement... ça nous a sauté à la face, disons, que la consultation entreprise par le ministre des Finances sur la réduction de l'impôt des particuliers nous interpellait au plus haut point, parce qu'elle remet, selon nous, en cause l'avenir des services publics en général, celui du système de santé en particulier, et, comme on sait que les femmes sont plus largement affectées par tout ce qui s'est vécu comme compressions, coupures à tous les niveaux, ça affectera aussi les femmes, nous en sommes convaincues. C'est dans ce cadre-là que nous souhaitons aujourd'hui annoncer que, selon nous, les réductions qui sont projetées à l'impôt des particuliers nous questionnent sérieusement et risquent de constituer un piège pour la population en général et pour les femmes en particulier.

Le projet gouvernemental est, selon nous, davantage idéologique qu'économique. Dans cette perspective, nous rappellerons des choix de société qui, n'ayant pas été collectivement remis en question, ont toujours cours au Québec. Finalement, nous exhorterons le gouvernement à surseoir à son projet de réduction d'impôts à court terme. À moins que M. le ministre des Finances ait des perspectives financières beaucoup plus intéressantes, des rentrées d'argent supplémentaires, nous croyons que ça n'est pas le moment de procéder à de telles réductions d'impôts.

On va faire un bref retour en arrière sur les principes qui ont guidé à l'établissement du Québec moderne, où on a fait des choix comme société. On a décidé que, peu importait l'âge, l'origine ethnique, la condition économique, l'état de santé, le handicap, etc., chaque citoyenne et chaque citoyen de ce Québec moderne avait les mêmes besoins fondamentaux et, partant, les mêmes droits. Que ce soit à travers la naissance de notre système d'éducation, de notre système de santé, lors de la mise en place de différents programmes sociaux, une valeur persiste, qui est toujours présente, c'est celle d'une solidarité collective. Nos choix collectifs ont suscité la recherche d'une qualité de vie en société basée sur la non-violence, la tolérance, l'accueil à l'autre et la non-discrimination. Tous ces principes qui ont servi à l'établissement du Québec moderne sont et doivent demeurer, et nous croyons qu'ils comportent des exigences quant à l'avenir des systèmes de services et de programmes sociaux au Québec.

À travers les immenses coupures, les immenses difficultés que notre société a rencontrées, comme d'autres sociétés du monde occidental, nous sommes à même de constater que les droits à la santé, à l'éducation, au travail, à des conditions décentes de vie et à des conditions décentes de travail sont des droits en régression pour une large partie de la population.

Des exigences de nos principes à l'égard des personnes, on dit que le respect des droits fondamentaux qui ont servi à construire le Québec, qui ont été notre moteur, s'applique à l'égard de tous les Québécois et de toutes les Québécoises. Mais nous sommes à même de constater au quotidien, dans l'exercice de notre travail, de notre profession, que certains ont moins de droits que d'autres.

(10 h 30)

Nous croyons que l'État a des responsabilités: des responsabilités envers les jeunes, non seulement pour les insérer sur le marché du travail, mais dans la société en général; des responsabilités envers les aînés qui ont bâti ce Québec et qui ont consenti des efforts extraordinaires pour en faire ce qu'il est aujourd'hui; des responsabilités envers les femmes qui ont un immense retard à rattraper autant quant à leur niveau économique que quant à leur participation à la vie politique ou à la vie de citoyenne; des responsabilités envers les travailleuses et les travailleurs du secteur privé qui ont moins de droits qu'hier et pour qui le droit à la syndicalisation est toujours extrêmement difficile; des responsabilités envers ses salariés qui, au cours des dernières années, ont travaillé avec le gouvernement à l'atteinte du déficit zéro, qui ont supporté des services, qui ont tenté par tous les moyens d'en maintenir la qualité au détriment parfois de leur santé physique et mentale – nous croyons qu'il est important d'agir; des responsabilités envers une population malade et dans le besoin à côté de laquelle on ne peut pas passer, au moment où on se parle.

C'est clair que, quand on regarde ce qui se passe et ce qui se vit, on est tout à fait conscient que les difficultés économiques, la crise économique, les divers problèmes de croissance économique ont fait en sorte que le rôle de l'État a été remis en question largement, souvent. Et l'universalité des programmes a souvent été mise en jeu. Et petit à petit on voit que cette universalité-là a été grugée. Que ce soit pour l'accès à l'éducation, aux services de santé, aux services sociaux, tout ce qui concerne les protections sociales, réduction des écarts, la société québécoise est redevable à l'État-providence. Et l'État-providence a globalement permis à la majorité des Québécoises et des Québécois de jouir d'une qualité de vie enviable.

Il nous apparaît aujourd'hui qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain mais plutôt se pencher sur le concept de l'État-providence. Que devrait-il être pour les années à venir? Comment doit-il assumer ses responsabilités passées et ses responsabilités nouvelles qui se dégagent – on le verra un peu plus tard – entre autres à l'égard du vieillissement de la population? Mais, pour nous, la redéfinition du rôle de l'État doit passer par le maintien des services institutionnels, des acquis institutionnels, une redistribution des ressources, une politique fiscale équitable. Et, dans ce sens, l'État doit continuer de percevoir les revenus nécessaires au financement des choix sociaux effectués démocratiquement par notre société.

Les exigences de la démocratie fiscale, pour aujourd'hui, doivent permettre, comme je le disais, que les ressources nécessaires à la dispensation de services de qualité, efficaces, efficients, en volume suffisant soient toujours disponibles pour l'ensemble de la population. Comme nous sommes dans le domaine de la santé, bien sûr plusieurs des exemples que j'apporterai sont des exemples qui relèvent de notre réseau: quand on parle de soins infirmiers en CHSLD, qu'on connaît le sous-financement de ce réseau; quand à peine les deux tiers des besoins des personnes âgées qui sont en centre d'hébergement ne sont pas satisfaits; quand on est tout à fait conscients jour après jour, nous, comme infirmières, nos administrateurs, les autres membres du personnel, que nous donnons le strict minimum vital alors que ces personnes-là ont contribué à bâtir la société dans laquelle nous sommes; quand nous voyons jour après jour les problèmes de débordement d'urgence.

Il y a eu des travaux d'effectués, on l'a vu la semaine dernière, par un forum qui s'est tenu. Mais des solutions, il y en a plusieurs qui ont été mises sur la table, certaines qui n'impliquent pas d'argent mais d'autres qui en requerront, ne serait-ce que quand on parle d'ouverture de lits supplémentaires à certaines périodes de l'année; d'ajouts de personnels à certaines périodes de l'année; en CLSC, une demande toujours plus grande pour les soins à domicile. Tout le monde, de notre côté, a été d'accord avec le virage ambulatoire, mais nous avons promis à la population qu'elle recevrait tous les services auxquels elle a droit pour faire la continuité posthospitalisation, ce à quoi les CLSC aujourd'hui sont incapables de répondre.

Qu'on pense aux victimes de l'hépatite C, faute de moyens, qu'on est incapable d'indemniser correctement. Qu'on pense aux différentes mesures sur l'allocation au logement. Quand on travaille dans le domaine de la santé, on est confronté régulièrement, dans notre quotidien, dans tous nos milieux, avec la pauvreté. Et, donc, toutes les décisions qu'on prendra à l'égard de réductions d'impôts auront un impact sur la qualité des services que nous serons capables de dispenser parce qu'il nous apparaît qu'à court terme il y a des défis à relever comme société.

Nous devrons investir pour lutter contre la violence et pour lutter contre la pauvreté des femmes. Ça passe par différentes mesures, dont des mesures d'équité salariale qui ont déjà été votées ici même, à l'Assemblée nationale. Il faut corriger les injustices et les inégalités. Il faut lutter contre la violence. Il faut donc investir dans des services d'hébergement et des ressources qui doivent être mises à la disposition des femmes qui sont victimes de la violence. En matière de santé et de services sociaux, vous le savez, les femmes ont vécu difficilement le virage ambulatoire parce que les services sont moins disponibles et qu'elles sont, comme aidantes naturelles, les premières interpellées. Toutes les fois que quelqu'un de la famille, qu'un membre de la famille est touché par la maladie, ce sont, dans la majorité des cas, les femmes qui doivent supporter la personne malade.

On ne peut pas passer sous silence le vieillissement de notre population. Les données à cet égard sont extrêmement significatives. Quand on sait qu'une personne de 70 ans requiert – et ce sont des données de l'OCDE – deux fois plus de soins, qu'une personne de 80 ans requiert trois fois plus de soins, tous les pourcentages qu'on gagne en âge, au Québec, au plan démographique, auront un impact certain sur les soins que nous devrons dispenser aux aînés, et nous ne pouvons pas passer à côté de cette responsabilité-là.

Est-ce qu'il est bon de se rappeler que, s'il y a un domaine qui n'attire pas beaucoup les compagnies d'assurances, c'est celui de l'hébergement des personnes en perte d'autonomie. On est prêt à vous faire des beaux foyers chromés quand vous êtes capable de vous déplacer seul, mais, quand il s'agit d'hébergement de cas lourds, de personnes qui ont une atteinte physique et souvent psychologique importante, il n'y a plus rien d'intéressant pour le secteur privé, et ce sera toujours à l'État de prendre en charge ces personnes.

On parle aussi beaucoup de nouvelles technologies, de nouvelles techniques qui permettent de sauver du temps d'hospitalisation, qui permettent de sauver de l'argent. Mais ce qu'on oublie de regarder, c'est que ces techniques-là ne remplacent pas l'ensemble des soins et qu'au contraire elles viennent ajouter des coûts supplémentaires. Quand on prend un exemple comme la recherche biomédicale, où il y a des avancées extraordinaires au plan technique, ce sont des secteurs de pointe qui permettent des améliorations significatives en termes de durée de vie des personnes, en termes de qualité de vie des personnes, que ce soit pour l'Alzheimer, la sclérose en plaques, le sida, mais ces avancées-là imposent des coûts supplémentaires parce que ce sont des traitements qui sont extrêmement onéreux.

Donc, il y a de nouveaux défis à relever dans le domaine de la santé. Il y en a dans l'éducation et dans d'autres secteurs d'activités tout aussi importants sur lesquels nous ne pourrons pas discuter longuement.

Quand nous regardons le projet du gouvernement – et là je n'ai pas l'intention d'entrer dans toutes les données fiscales qui sont prouvées par une étude, avancées par une autre, contredites par une troisième – je pense que, nous, ce que nous retenons, c'est que, quand on fait des comparaisons, on doit les faire jusqu'au bout. Et on entend beaucoup parler de compétitivité avec l'Ontario. Moi, je ne voudrais pas compétitionner avec l'Ontario sur plusieurs domaines, que ce soit dans les soins de santé, que ce soit dans l'éducation, que ce soit dans toutes les tarifications qui ont été imposées par le gouvernement Harris dans les dernières années.

Je rencontrais des collègues infirmières du reste du Canada, il y a deux semaines, et ce que nos collègues de l'Ontario nous disaient, c'était que c'était devenu extrêmement difficile pour la population, en Ontario, d'avoir accès à l'ensemble des services de santé. Donc, je pense que, quand on veut faire des comparaisons, il faut voir aussi ce que le Québec a de bon. Et le Québec a réussi à maintenir, malgré tout, des services qui couvrent beaucoup plus d'individus, que ce soient les garderies, l'assurance-médicaments ou d'autres domaines. Et ces services-là, selon nous, seront remis en question si nous ne réussissons pas à réinvestir de l'argent pour les maintenir.

Donc, la priorité actuellement devrait être de consolider nos acquis sociaux avant de penser à réduire les impôts. Nous n'avons rien contre une réduction d'impôts et nous sommes comme tous les citoyens et les citoyennes du Québec, on en paie toujours trop. Mais est-ce qu'on en paie trop quand on regarde ce que nous en retirons chacun individuellement?

Dans les différents scénarios qui ont été proposés, ce qui nous apparaît, c'est que finalement ceux qui ont le plus d'argent seront les grands bénéficiaires et que, de toutes les façons, les personnes qui en ont le moins – parce qu'on parle de hausse de la TVQ, parce que, dans plusieurs domaines, on pense à des tarifications – en auront encore moins dans leurs poches, en auront encore moins à donner à leurs familles, en auront encore moins à mettre sur la table de leurs enfants. Et on a trop tendance à croire que ça, c'est quelque chose qui doit demeurer.

(10 h 40)

Je pense qu'on a un objectif, nous, c'est une plus grande justice sociale, une plus grande équité et de meilleurs niveaux de services, particulièrement pour une population qui, elle – et c'est plus de 50 % de la population, on se le rappelle, qui est à très faibles revenus, qui paie peu ou pas d'impôts – cette grande partie de la population, sera affectée à la baisse par toutes les tarifications qu'on peut imaginer et par toute hausse de la TVQ.

Dans ce contexte-là, nous croyons qu'il est prématuré d'aller vers une réduction d'impôts. Comme je disais au début, à moins que le ministre des Finances n'ait des surprises agréables qui se présentent, nous croyons que la marge de manoeuvre qui sera dégagée par le gouvernement à la fin de l'année financière devrait plutôt servir à consolider les services, devrait permettre au gouvernement d'amoindrir la pauvreté, de travailler à des programmes qui assurent une plus grande justice sociale, avant de penser à des réductions d'impôts, qui seront très minimes pour la majorité de la population.

Je ne peux pas passer sous silence des réponses que j'ai entendues pendant que j'étais assise à l'arrière, où on nous dit: Les gens n'iront pas étudier parce que leur salaire n'augmentera pas. Il y a plus du tiers des infirmières qui sont inscrites à l'université dans différents programmes qui touchent les soins infirmiers et dans d'autres programmes. Et toutes celles qui étudient en soins infirmiers actuellement n'ont aucune reconnaissance salariale quand leur formation est acquise. Donc, quand on parle de l'éducation qui doit automatiquement se traduire, en bout de piste, par de l'argent, les infirmières étudient, et pourtant ce que ça leur rapporte, ce sont des connaissances qu'elles sont prêtes à mettre à la disposition des autres, et toutes les revendications que nous avons pu faire sur ce sujet sont demeurées lettre morte en termes de reconnaissance salariale. Alors, si on veut parler d'équité, peut-être qu'on pourra aussi le regarder de ce point de vue là. Alors, moi, je suis prête à prendre des questions. Je pense que vous avez eu le temps de...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vois, Mme la présidente, que vous avez dévié, dans les dernières minutes, sur un sujet qui se rapprocherait davantage de vos occupations de cet été.

Mme Skene (Jennie): Et présentes.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Et présentes, sans aucun doute. Merci de votre présentation. À ce moment-ci, juste – parce que, dans la vie, ça vous arrive toujours à un moment ou l'autre – rendre témoignage aux infirmières. Je sors d'une maladie assez pénible. La générosité, le tact, le dévouement des infirmières sont remarquables. Vous avez fait allusion aux soins à domicile. Moi, j'ai pu juger, en tout cas, dans mon cas, puisque j'avais une antibiothérapie assez complexe, qu'ils sont bien organisés, ils ont bien fonctionné. En tout cas, c'est à ces moments-là qu'on vous apprécie beaucoup. J'invite le ministre des Finances maintenant à prendre la parole.

M. Landry: Je pourrais renchérir aussi, pour des raisons personnelles, sur ce que vient de dire le président. Mais il l'a bien dit. Alors, je vais vous dire d'autres choses sous forme de deux questions, avec une petite introduction d'abord pour vous remercier du temps que vous avez consacré à préparer ce mémoire et à venir à notre Assemblée nationale. Parce que, comme l'a dit le président aussi, cet été et maintenant, vous avez d'autres choses à faire que ça. Alors, je vous en rends hommage.

Puis je veux vous dire une chose aussi. Vous avez, d'entrée de jeu, dit que vous n'étiez pas des expertes en finances publiques, mais vous avez prouvé, par votre exposé, que vous étiez des expertes en santé publique de par votre métier même. Et ce que vous avez dit du système public recoupe profondément ce que croit notre gouvernement, contrairement à d'autres. Mais toutes les opinions sont respectables.

Une des belles réalisations du Québec moderne, c'est d'avoir un système de santé qui s'applique aussi bien à Pierre Péladeau qui fait une crise cardiaque qu'à un pensionnaire de l'Accueil Bonneau. C'est comme ça, et ça doit rester comme ça. Il y a des gens qui ont tapé sur le système de santé jusqu'à plus soif, avec l'arrière-pensée de le démolir par la suite et de le privatiser. Il faut faire attention à ça. Et, sur ce point, mesdames, le gouvernement est totalement en harmonie avec vous: une médecine à une vitesse, juste. Les gens de mon âge – moi, j'ai plus de 60 ans – se souviennent que, dans nos villages d'origine, des familles ont été réduites à la faillite et à la mendicité par la maladie. Alors, ça, là, ça ne risque pas de se reproduire dans le Québec auquel nous croyons.

Ceci dit, j'ai deux questions. Vous savez que le gouvernement central du Canada, qui est un gouvernement autoritaire et que mon prédécesseur, Gérard D. Levesque, d'une autre formation politique, qualifiait de prédateur, nous a coupé, cette année seulement, 5 000 000 000 $ essentiellement en santé et en éducation. Est-ce que, dans vos revendications pour la santé publique, que vous avez faites avec une sincérité remarquable, il ne faudrait pas en réserver de temps en temps pour le véritable responsable? Si j'avais eu, moi, 5 000 000 000 $ de plus cette année, pensez-vous que le ton des négociations avec vous aurait été exactement le même, même s'il est resté poli, mais je parle en termes de résultat? Alors, c'est ma première question, les vraies responsabilités, où elles doivent être. Et je pense que c'est bon de le souligner de temps en temps. Elle est claire, je crois.

Je vais passer à la deuxième, qui est claire aussi. Vous savez que nous sommes tous, autour de cette table, des députés. Alors, on est en contact avec notre électorat sur base quotidienne, si on pense au téléphone et aux bureaux de comté, puis hebdomadaire, si on pense aux présences qu'on fait dans notre comté. Je vous soumets le cas suivant. Vous avez parlé de justice, de non-discrimination. Disons une jeune ingénieure pétrochimiste à Varennes qui m'expose la problématique suivante.

D'abord, elle dit que la pétrochimie, qui la passionne, comme votre métier vous passionne, c'est difficile. C'est le chlore, c'est l'acétylène, c'est des substances, c'est des bruits, c'est des odeurs. Bon. Elle me dit: Moi, j'ai souffert des coupures, puis j'ai appuyé le déficit zéro, puis je vous ai appuyés. Puis là vous avez des surplus. Vous allez en donner une partie de ces surplus aux travailleurs du secteur public, 2-2-1 et plus. Qu'est-ce qu'il y a pour moi? Alors, je lui dis, à cette jeune ingénieure: Vous avez pour vous ce que vous allez négocier avec votre patron. Un. Est-ce que ce sera aussi bon que 2-2-1? Peut-être, mais peut-être pas non plus. Et vous aurez des réductions d'impôts.

Dans le cas des infirmières, éminemment méritantes, elles auront 2-2-1 et des réductions d'impôts. C'est ça, la justice. Si je ne réduis pas les impôts et que j'en remets dans les services publics, que je veux préserver comme vous, y compris dans les avantages matériels aux employés, comment je vais m'expliquer avec ma jeune ingénieure de la pétrochimie?

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, voilà, deux questions.

M. Landry: Pour vous donner encore un petit peu de temps pour répondre, je vais devoir m'absenter pendant que mes collègues et l'opposition... Parce que j'ai une rencontre avec la presse. Vous savez comment est-ce que c'est, vous en avez rencontré beaucoup de presse dernièrement. Et je leur ai dit que je les verrais à 11 heures, sur un autre sujet brûlant. Alors, je m'excuse auprès de vous. Mais mes fonctionnaires sont là, mes collègues sont là. Tout ce que vous allez dire est soigneusement noté.

Mme Skene (Jennie): C'est beau.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme Skene.

Mme Skene (Jennie): La première question, à l'égard du Canada. Je pense qu'on le mentionne quelque part dans le mémoire, et nous l'avons mentionné à plusieurs reprises, à différentes occasions où il y a eu des consultations sur la santé, où il y a eu des consultations sur la santé et sécurité, etc., le problème des transferts aux provinces. Nous l'avons fait aussi avec nos collègues des autres provinces parce que, comme nous nous rencontrons de façon régulière, il nous est arrivé à plusieurs reprises, directement à Ottawa, d'interpeller le gouvernement fédéral quant aux transferts qui devaient être maintenus vers les provinces.

C'est très clair que, si demain matin, avec tout l'argent qui est disponible à Ottawa, on pouvait rétablir des transferts, au Québec comme dans toutes les autres provinces, autant la santé, que l'éducation, que d'autres services sociaux seraient de meilleure qualité. Ça permettrait justement de donner de l'oxygène à ces systèmes-là et de mieux répondre aux besoins de la population. Mais vous n'avez pas été capables de les convaincre. J'imagine que nos représentations, à nous, comme infirmières, n'ont pas eu plus de résultats jusqu'à maintenant. On préfère investir l'argent dans de nouveaux programmes que de consolider des programmes de base aussi essentiels que la santé et l'éducation.

À l'égard d'une jeune ingénieure en pétrochimie, je pense que... Le 2-2-1, c'est 1-2-2, c'est à l'inverse. C'est vrai que c'est un dossier qui nous préoccupe grandement. Mais, quand on fait, nous, l'analyse à l'égard des services publics, n'importe quel jeune en a bénéficié et en bénéficiera au cours des prochaines années. Cette jeune ingénieure, peut-être que demain elle sera enceinte. Elle aura accès, si elle a un enfant, à des garderies à 5 $. Elle aura accès à différents mécanismes qui lui permettront de vivre sa grossesse adéquatement. Elle aura accès à un service d'éducation...

(10 h 50)

M. Landry: Ça s'applique à une infirmière aussi, ce que vous venez de dire.

Mme Skene (Jennie): Absolument.

M. Landry: Mais, elle, elle veut des augmentations de salaires, puis elle veut des baisses d'impôts, comme vous.

Mme Skene (Jennie): Bien, écoutez, on est comme tout le monde. Nous voudrions, nous, des baisses d'impôts, moi, individuellement, Marie-Andrée individuellement, si je parle à toutes les infirmières individuellement. La question que nous posons c'est: Avons-nous les moyens au moment présent de le faire alors que nos services sont en danger? C'est là la question.

Parce que nous ne disons pas: Il n'y a pas d'argent qui doit aller vers une réduction d'impôts. Nous croyons qu'il est trop tôt pour le faire. Si vous avez une marge de manoeuvre qui soit plus importante que celle qui était prévue, tant mieux, ça pourra donner au gouvernement un certain momentum, à un moment donné, pour permettre une réduction d'impôts, tout le monde sera d'accord avec ça. Mais nous croyons qu'au moment présent nous devons forcément, obligatoirement consolider des services publics qui en ont énormément besoin et qui sont incapables de répondre à l'ensemble des demandes de la population à l'égard de ces services-là.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député d'Abitibi-Ouest.

M. Gendron: Très rapidement. Mme Skene et Mme Comtois, je veux vous remercier d'être présentes. Je voudrais faire une mise au point que je crois être importante compte tenu de la télédiffusion de nos débats. Je veux vous dire, moi, très amicalement qu'il n'y a personne de mes collègues que je connais qui a du trouble avec votre visée légitime de hausser les investissements dans le domaine de la santé et des services sociaux, d'améliorer toute la condition de la pauvreté – je l'ai dit hier – d'offrir des conditions salariales de meilleure qualité.

Mais, rapidement, cette mise au point là est importante parce que, quand il a été question de surplus puis d'engagements, suite à la dernière élection, je ne crois pas qu'il y a qui que ce soit de nous qui n'a pas dit: La première réalité qui est la nôtre, c'est de remettre de l'argent dans deux grandes priorités de l'État, qui sont l'éducation et la santé. Donc, on en discuterait des heures, ce n'est qu'une question de niveau qui nous sépare pour le moment, mais pas de principe parce que nous partageons le même principe, puis sincèrement, là. Et ce n'est pas juste un discours, c'est des gestes qui ont été posés. Puis c'est tellement vrai qu'on a dit: Oui, mais, écoutez, même votre 600 000 000 $, ça n'a rien donné – je parle en éducation – ça a juste assumé les déficits de... Bon, j'arrête là. Quand on commente comme ça, qu'est-ce qu'on fait? On parle du niveau. On trouve que ce n'est pas assez. Mais, si on le commente, c'est parce qu'il y a eu de l'ajout.

Alors, moi, je ne veux pas continuer sur cette piste-là, je la partage, je n'ai aucune réserve, aucune réticence. Vous faites bien, compte tenu de l'expertise que vous avez. Et c'est votre droit le plus strict, le plus légitime de nous rappeler un certain nombre de réalités dans deux domaines vitaux.

Là où j'ai un problème, c'est que tantôt vous nous avez dit: C'est plus une question, nous, de moment pas assez... On n'est pas prêts, vous avez dit ça à deux reprises, alors que j'ai lu attentivement votre mémoire puis, là – amicalement, franchement, je n'ai pas de trouble, moi, à se parler directement, là – vous rejetez carrément le principe même d'une réduction d'impôts. C'est écrit, le mémoire conteste sans réserve – et c'est votre droit le plus strict, en passant, je n'ai pas de trouble avec a, là – l'orientation même d'une réduction des impôts des particuliers.

Alors, moi, je voudrais juste vous faire vérifier une question, qui est la suivante, puis j'en aurai une autre si le temps me le permet. Lorsqu'il y a 40 % des contribuables québécois et québécoises qui ne paient pas d'impôts, lorsque la grande majorité des mémoires, quel que soit le secteur de l'intervenant, nous dit qu'on a un système pour l'impôt des particuliers des plus progressifs en Amérique du Nord... Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ça, ça signifie qu'on tient compte des poches de pauvreté, des gens les plus démunis et tout de ce secteur-là que j'appelle... Une société doit se responsabiliser. Bon. Ça s'appelle la progressivité de l'impôt des particuliers. Troisièmement, lorsque nos partenaires voisins, peu importe les nominatifs, qu'ils soient américains ou canadiens, ils sont en train de nous distancer au chapitre qu'on discute qui s'appelle l'impôt des particuliers, moi, là, j'ai un mosus de problème de conscience.

Alors, là, ma question: Vous ne trouvez pas que requestionner la pertinence, avec des réalités aussi fortes que celles que je viens d'énoncer, pour lesquelles vous n'y êtes en rien puis moi non plus, là... Je veux dire, c'est des constats que, là, ça pose un problème. Je veux juste appeler ça... Ça m'apparaît un peu curieux, à ce moment-là, de dire: Ce n'est pas grave, on va laisser continuer ces écarts, plus de gens paieront plus d'impôts. Parce que c'est ce qui va arriver, si on continue à ne mettre de l'argent que dans les services, santé, éduc. Je parle comme province. Parce que c'est le drame que nous vivons, ça, vous le savez, vous l'avez dit tantôt.

Alors, ma question très précise. J'aimerais ça que vous me donniez un peu plus d'éléments – pas dans la santé, liés à ce qu'on discute – sur qu'est-ce qui vous amène à dire: Ce n'est pas pertinent, ce n'est pas pertinent présentement d'envisager de réduire l'impôt, sachant que vous y trouveriez votre compte puis que les contribuables y trouveraient leur compte. Et là j'aurais une deuxième question bien précise là-dessus.

Mme Skene (Jennie): Écoutez, d'abord, dans le texte – je vais vous trouver la place, là – c'est bien dit: Au moment présent, comme vous l'avez dit, présentement, nous croyons qu'il est trop tôt parce que la marge de manoeuvre qui va être dégagée devrait, selon nous, servir à des dossiers, santé, éducation, équité salariale, des dossiers de cette nature, garderies à 5 $, allocations au logement, etc. On devrait donc rétablir un niveau de services qui permette de répondre aux besoins réels de la population.

C'est vrai qu'individuellement comme je vous le disais, chacun peut être intéressé à une réduction d'impôts. C'est une question de niveau actuellement. Parce que les surplus anticipés du gouvernement seront-il ceux annoncés ou ceux que les économistes prévoient? On le saura dans quelques semaines, quelques mois. Mais la question est là aussi.

Nous croyons que la dégradation des services actuellement requiert qu'il y ait des correctifs immédiats d'apportés parce que toute difficulté qui est rencontrée accroît la demande de certaines personnes pour une privatisation plus large, autant de la santé, que de l'éducation que d'autres domaines. Et, dans ce contexte-là, la priorité devrait être d'abord et avant tout une mise à niveau des différents programmes sociaux qui interpellent l'ensemble de la population.

C'est une question de niveau pour certains. M. Landry parlait de hausse salariale. Les infirmières ont fait 23 jours de grève. Je pense que la question de niveau, elles sont capables de très bien la comprendre, elles la supportent encore au moment où on se parle. Donc, c'est quelque chose avec lequel elles ont fait des choix, elles ont assumé des choix. Mais on ne vit pas en dehors de la société. Et la demande de soins, la demande en éducation, la demande dans les différents secteurs et services, le gouvernement, actuellement, n'est pas capable d'en garantir un accès universel.

Pendant une journée et demie, la semaine dernière, nous avons parlé de la situation des urgences. La ministre de la Santé, Mme Marois, à plusieurs reprises, nous a dit: Nous allons tenté de faire avec ce que nous avons. Ça a été dit à de nombreuses reprises. Mais, quand on parle de faire face année après année à un achalandage hivernal qui, selon l'avis de l'ensemble des intervenants, se reproduira année après année parce qu'il est lié au vieillissement de la population, aux problématiques de santé qui entourent tout ça... Ouvrir des lits, c'est de l'argent de plus.

M. Gendron: O.K. Si vous permettez – c'est parce que le temps file – l'autre, rapidement. J'ai lu les mémoires. Vous avez probablement entendu ça dans votre vie, bon, il y en a plus que trois, là, mais il y a trois grands principes qui sont généralement largement partagés – puis il n'y a pas besoin d'être économiste – sur le mérite d'une réduction des impôts. Je les résume très rapidement. Puis je veux avoir votre avis si, vous, ces paramètres-là et ces constats-là, vous les rejetez ou pas.

Très rapidement. On dit: Une réduction d'impôts, ça augmente le revenu disponible puis, règle générale, ça améliore la consommation. Il n'y a pas grand monde qui conteste ça, à court terme. Deuxièmement, ça encourage plus à travailler puis à investir. Je connais des gens, moi, qui disaient: Si on n'était pas si clenchés quand on fait des heures supplémentaires... Et je ne parle pas nécessairement du cas des infirmières, mais règle générale. Puis je connais des gens sur l'aide sociale ou un peu plus démunis qui hésitent à poser le geste d'aller faire un emploi qui leur donnerait un peu plus de gains parce que: Tu vas tout me l'enlever complètement en impôts. Troisièmement, ça augmente la compétitivité du Québec puis ça diminue les coûts de nos exportations. Ça, c'est généralement agréé par à peu près tous les intervenants.

Est-ce à dire que, vous, c'est uniquement, encore là, le momentum, le temps qui fait que vous requestionnez ces paramètres-là ou c'est le fond même de ces paramètres-là, en disant: Moi, j'ai beaucoup de réserves là-dessus, d'acheter ça, puis je ne suis pas tellement d'accord que ça a tous ces effets positifs là, une réduction d'impôts? J'aimerais ça une phrase ou deux là-dessus.

(11 heures)

Mme Skene (Jennie): Dans le texte, effectivement, je vous dis que nous remettons en question certaines affirmations qui sont faites un peu partout. Quand, pour des salariés de niveau moyen, le gain risque de tourner autour de 400 $ par année, moins de 10 $ par semaine, il faut comprendre que la capacité de dépenser, ce ne sera sûrement pas dans des biens de luxe, ce sera probablement d'ajouter un peu plus de choses sur la table ou de changer les bottes du petit dernier un peu plus de bonne heure. Donc, en termes de consommation, et comme ça touche la majorité de la population à ce niveau-là, les effets de cette consommation-là, ils seront minimes pour la majorité de la population.

M. Gendron: Pour qu'ils soient plus forts, ça veut dire que ça prend des marges de manoeuvre très importantes, donc des...

Mme Skene (Jennie): Ça prendrait des marges de manoeuvre très importantes. Mais là où est le piège, c'est: Est-ce que, pour dégager ces marges de manoeuvre plus importantes, on imposera, comme on a commencé à le faire dans différents domaines, puis on le voit avec l'assurance-médicaments, des tarifications qui font en sorte que, moi, petit salarié, je paierai plus, pas en impôts, je paierai plus de différentes autres manières? Quand j'entre un jeune à l'école à la fin août et que ça me coûte 200 $, 250 $ de fournitures, alors que l'école est supposément gratuite, si ces montants-là augmentent encore, mon retour d'impôts très faible va y passer. Ceux qui vont en bénéficier réellement, ce sont les gens qui sont dans une tranche de revenus beaucoup plus élevés où, là, 1 500 $, 2 000 $ va faire une différence sur l'achat immédiat d'un bien moins essentiel que la nourriture pour les enfants.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Une dernière question.

M. Gendron: Merci beaucoup. Moi, une autre question que j'aimerais vous poser, tout en étant pas mal d'accord avec beaucoup de choses quand vous les liez au domaine de la santé. Si vous êtes venues nous voir sur le débat, on va profiter de votre présence pour vous parler plus de ce qui est sur la table.

Alors, une autre question que j'aimerais vous poser, c'est: Est-ce que vous pensez... Parce que vous avez rejeté tous les scénarios, et ça, je trouve que c'est votre droit le plus strict. Il y en a d'autres qui ont fait ça aussi. Quels que soient les scénarios qu'on a suggérés, 1 à 5, vous les avez tous rejetés. Est-ce que le rejet des scénarios, c'est après les avoir analysés ou c'est strictement dans la même logique de votre mémoire, puisque vous questionnez la pertinence et l'opportunité d'une réduction d'impôts? Vous avez dit: Ça ne donne rien de garder les scénarios puis comment ils amélioreraient tel scénario ou tel autre; moi, pour l'instant, je prétends que le moment n'est pas venu et c'est inopportun; puis, s'il y a des marges de manoeuvre, vous pouvez les mettre là où vous avez dit. Est-ce que c'est pour ça que vous rejetez les cinq scénarios?

Mme Skene (Jennie): Premièrement, oui, c'est pour ça. Deuxièmement, dans les scénarios qui maintiennent une plus grande progressivité, on trouve, si on passe au scénario 3, l'arrivée d'une hausse de la TVQ. Et, quand on entend le discours gouvernemental actuel et le discours des tenants des réductions d'impôts, il y a toujours derrière, sous-jacentes, des tarifications nouvelles qui s'ajouteront. Donc...

M. Gendron: En 10 secondes. Je peux jurer que non. C'est vrai dans le scénario 3, mais je peux vous jurer non, que ce n'est pas toujours, puis on en a discuté, puis il ne faut pas. Mais ça permettait d'avoir des avis. Si jamais on veut augmenter la marge de réduction d'impôts, est-ce que certains accepteraient de regarder des alternatives? Pour dégager plus de marge de réduction, est-ce que c'est envisageable, dans certains cas, une hausse de la TVQ?

Mme Skene (Jennie): Non.

M. Gendron: Puis c'est correct, vous dites: Nous autres, on ne veut rien savoir de ça. Puis il y en a plusieurs qui nous ont dit: Une hausse de la TVQ, ne pensez pas à ça.

Mme Skene (Jennie): C'est ça.

M. Gendron: Merci beaucoup.

Le Président (M. Simard, Richelieu): C'est un point intéressant, mais je dois l'interrompre, le temps imparti à la partie ministérielle est terminé. Donc, je passe maintenant la parole à la porte-parole de l'opposition, la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Jérôme-Forget: Bonjour, mesdames, je vous souhaite la bienvenue. Dans un premier temps, vous avez mentionné... Vous n'êtes pas économistes, donc vous ne pouvez pas questionner les chiffres. Mais vous savez que de ne pas avoir peut-être l'ensemble du portrait vous a peut-être empêchées d'examiner et du réinvestissement et des baisses d'impôts. Parce que, ce que je disais antérieurement, dans les documents du gouvernement, du ministre des Finances, on ne fait pas référence à l'envergure des surplus qui vont se dégager d'ici les prochains cinq ans. Moi, j'estime que le surplus, cette année, va être entre 700 000 000 $ et 1 000 000 000 $ et, d'ici cinq ans, le surplus sera de 5 000 000 000 $. Donc, c'est beaucoup d'argent. Et ce pourquoi je mets beaucoup l'emphase sur ça, c'est parce que j'estime qu'il y a une occasion unique de précisément regarder beaucoup plus loin qu'un scénario où on coupe les impôts de 1 300 000 000 $, et vous estimez que ça pourrait représenter quelque 10 $ de plus par semaine dans les poches des contribuables. Mais, si vous prenez une assiette de 5 000 000 000 $ et que vous la redistribuez aux Québécois, ça fait 1 600 $, par personne qui paie des impôts actuellement, de plus dans leurs poches. Et donc, pour un couple, c'est 3 000 $ net, ça. Ça, ça veut dire que c'est vraiment de l'argent qu'on a en main.

Mais je pense que vous avez traversé, à titre d'infirmières, une situation bien difficile à cause des coupures qui ont été faites et de la façon avec laquelle elles ont été faites et qui ont laissé, finalement, des séquelles. Et aujourd'hui vous interpellez le gouvernement de réinvestir dans ce secteur-là parce que vous sentez qu'il y a eu une hémorragie épouvantable. Alors, c'est clair qu'on ne peut pas faire autrement qu'être sympathique à vos demandes.

Maintenant, la question que je voulais vous poser plus spécifiquement. Vous avez deux choix dans le moment. Vous voyez que les services de santé ont été très perturbés. On le voit par les attentes, on le voit par des traitements qui doivent être effectués à l'extérieur de la province, on le voit par toutes sortes d'indicateurs qui font que, même si on veut vanter les mérites de notre système de santé, il n'en demeure pas moins qu'il y a bien des lacunes. Il y a bien des lacunes. Si vous avez à choisir, dans le fond, entre offrir davantage de services de santé – davantage de services – ou mettre plus d'argent auprès des gens qui sont déjà aux services – j'exclus bien sûr de ça les augmentations salariales qui sont sur la table – quels sont les choix que vous proposeriez à ce moment-là? Parce que, si c'est vrai que c'est une pénurie de services, alors il faut augmenter l'éventail de services, il faut élargir l'assiette de services.

Mme Skene (Jennie): Écoutez. Il y a d'abord les services qui sont déjà présents, je pense, qui doivent être maintenus. On a vu certains développements, on l'a vu avec les garderies à 5 $, avec des incongruités qu'on a pu mesurer aussi, par ailleurs. Il y a des nouveaux services, sans doute à cause du vieillissement de la population, qui devront être mis en place. Je pense qu'il y a des services de support qui sont fondamentalement essentiels si on veut maintenir à domicile, le plus longtemps possible, nos personnes âgées et nos personnes en perte d'autonomie. Et, malgré ce qu'on peut en penser jusqu'à maintenant, maintenir à domicile quelqu'un en perte d'autonomie et dans des pays où ça se fait à large échelle, entre autres en Scandinavie, ça implique un investissement d'argent aussi grand que l'institutionnalisation, sauf que la qualité de vie des personnes est nettement plus grande. Moi, je pense qu'il faut consolider des services, il faut explorer des services qui seront nécessaires par les nouveaux besoins qui se développent pour la population, mais il y a une première mise à niveau qui est essentielle dans les services actuels si on ne veut pas justement faire en sorte que la population ne soit plus capable d'avoir les soins. Quand on parle de compétitivité, d'exportation, on n'a jamais, personne ici, pensé qu'on serait obligé un jour d'envoyer nos malades aux États-Unis, et je pense que des situations comme celle-là, il faut les prévoir, il faut les intégrer dans notre fonctionnement pour tous les autres aspects, si on veut éviter que des situations en arrivent à ce point aussi critique. Ça va demander – nous en sommes profondément convaincues – un réinvestissement dans plusieurs domaines du réseau de la santé et dans des réseaux comme l'éducation. Donc, ça, c'est clair. Il y a des nouveaux services, mais d'abord consolider les services actuels.

Mme Jérôme-Forget: Je voulais faire référence aux services de santé exclusivement, là.

Mme Skene (Jennie): Oui, particulièrement.

Mme Jérôme-Forget: Je me penchais exclusivement sur les services de santé. Par exemple, selon vous, quels sont les choix à privilégier? Est-ce qu'on ouvre de nouveaux lits, embauche de nouvelles infirmières? Et c'est ça, essentiellement, la question que je vous pose. C'est l'ajout de nouvelles ressources pour enrichir le réseau? C'était ça, la question que j'avais.

(11 h 10)

Mme Skene (Jennie): Écoutez. On va y aller très, très pointu, face aux infirmières. Actuellement, le réseau de la santé manque d'infirmières. Il y en a, en nombre absolu, suffisamment au Québec, mais le réseau manque d'infirmières. Donc, avant de penser développer de nouveaux services, il faut s'assurer que ceux qu'on a là fonctionnent. Et, contrairement à d'autres domaines, chez nous, le recours au temps supplémentaire... on le voit beaucoup dans l'industrie que les travailleurs veulent faire du temps supplémentaire; dans notre domaine, c'est l'exception, les infirmières ne veulent pas faire de temps supplémentaire, et c'est là qu'on voit qu'il y a une pénurie d'effectifs qui a des conséquences. On nous parle beaucoup, en chirurgie cardiaque, de l'effet de la grève sur les listes d'attente. Ce qu'on oublie de dire, c'est qu'on est, aujourd'hui, régulièrement obligé d'annuler des interventions faute d'infirmières. Il y en a une qui est malade, on est obligé d'annuler l'intervention parce que l'équipe doit fonctionner avec du personnel habilité.

Donc, c'est clair que, oui, dans certains domaines, il y aurait besoin d'ajout de personnel. Entre autres, en CHSLD, de façon flagrante, nos personnes âgées manquent de soins. C'est admis par tous, par toutes, de toutes les manières. Oui, il y aurait besoin de ressources. Pas toujours des ressources infirmières; parfois, d'autres catégories de personnel de soutien qui vont être tout à fait à même de dispenser des soins qui sont requis. Mais il faut voir qu'à côté de ça il y a une pénurie, et ce n'est pas une baisse d'impôts qui va faire qu'il y aura plus d'infirmières au Québec. Ce n'est pas une baisse d'impôts qui va ramener au Québec celles qui sont parties pour l'Ontario. Ce n'est pas une baisse d'impôts qui va ramener celles qui ont quitté le marché du travail infirmier pour d'autres secteurs... qui va les ramener dans le réseau de la santé. Ce sont d'autres mécanismes qui passent soit par des conditions de travail, soit par d'autres conditions qui permettent aux gens d'effectuer un travail de qualité.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme la députée de Beauce-Sud.

Mme Leblanc: Merci. Alors, bonjour, Mme Skene, Mme Comtois, et bienvenue chez nous. Vous avez entendu comme moi tantôt le ministre des Finances nous parler que, n'eussent été les coupures de transferts sociaux du fédéral envers les provinces, on pourrait bénéficier de 5 000 000 000 $, seulement pour cette année, au Québec. Vous savez aussi comme moi que les coupures de transferts sociaux du fédéral vers les provinces n'ont pas que touché le Québec, mais l'ensemble des provinces canadiennes. Toutefois, on peut voir que, malgré toutes ces coupures partout au Canada, d'autres provinces, à l'exemple de l'Alberta et de l'Ontario, ont fait profiter leurs contribuables de réductions d'impôts. Alors, ma question, c'est: Pourquoi, selon vous, les contribuables du Québec ne pourraient pas bénéficier, eux aussi, de cet allégement fiscal au même titre que les autres citoyens du reste du Canada?

Mme Skene (Jennie): Théoriquement, tout est possible. Oui, malgré les pertes encourues par les transferts d'Ottawa vers les provinces, théoriquement on pourrait baisser les impôts. Mais la réalité sur le terrain, en Alberta comme en Ontario – et je vous dis, ça date d'il y a deux semaines, une rencontre avec mes collègues des autres provinces – l'atteinte à la disponibilité des services pour la population, elle est réelle, elle est constante, elle est, pour plusieurs cas – les infirmières me le disent – des choses qui ne sont plus assurées dans ces provinces-là.

Mme Leblanc: Voulez-vous dire que la situation au Québec, elle est pire en santé qu'en Ontario ou ailleurs au Canada?

Mme Jérôme-Forget: Non, elle dit l'inverse.

Mme Skene (Jennie): Non, elle n'est pas pire.

Mme Leblanc: Elle n'est pas pire.

Mme Skene (Jennie): Ce que je vous dis, c'est qu'en Ontario et en Alberta, oui, ils ont eu des réductions d'impôts, mais ils ont eu des réductions de services importantes et l'introduction de beaucoup de domaines avec des tarifications. Et ça touche la santé. L'Ontario, pendant les coupures du gouvernement Harris, a vu disparaître près de 20 000 postes d'infirmières. Alors que la population est beaucoup plus grande en Ontario qu'au Québec, nos collègues, qui étaient 60 000 et quelques syndiqués, sont aujourd'hui autour de 45 000. Elles ont perdu près de 20 000 infirmières. Et le gouvernement Harris a annoncé, il y a quelques mois, un réinvestissement en santé pour permettre l'embauche de 15 000 infirmières. On a vu nos infirmières de l'Outaouais être drainées de l'autre côté de la rivière parce que, effectivement, de ce côté-là, on leur offrait un poste permanent, on leur offrait de leur payer le déménagement et, en plus, on leur offrait 10 000 $ de plus par année comme salaire. Mais le réseau de la santé a subi des coupures qui, selon nos collègues infirmières, sont extrêmement douloureuses pour l'ensemble de la population. C'est vrai en santé, et, m'a-t-on dit, en éducation, et à l'égard des services sociaux de manière importante. Alors, je ne pense pas, moi, qu'il y ait de provinces canadiennes qui aient été épargnées. Qu'elles aient choisi de retourner de l'argent aux contribuables, c'est une chose, mais quelle qualité de services est maintenant accessible à leur population? c'est une autre question. Et il nous apparaît, à la lumière des échanges que nous avons eus, que cette qualité de services là, là comme ici, elle a baissé.

Mme Leblanc: Mais vous pouvez constater comme moi qu'en Ontario on fait quand même des réinvestissements...

Mme Skene (Jennie): Oui.

Mme Leblanc: ...dans le secteur de la santé en même temps qu'on fait des réductions d'impôts pour les contribuables. Alors, vous pensez que cette façon de faire ne peut pas s'appliquer chez nous?

Mme Skene (Jennie): Bien, écoutez, ils vont aussi avoir un déficit encore cette année. Alors, il y a des choix qui sont faits par un et par l'autre. C'est pour ça que je vous dis: On peut se comparer à l'Ontario ou à toute autre province canadienne, avec les limites que ça comporte. Moi, je ne veux pas donner la bénédiction ni à un ni à l'autre, mais ils ont fait des choix de ne pas atteindre le déficit zéro, au moment où on se parle, pour privilégier des réductions d'impôts. À cause des coupures massives qui ont été faites, dans la santé entre autres, on se rend compte que le réseau est devenu contre-performant et on est obligé de réinvestir des sommes massives. Et vous savez que, quand on réinvestit après coup, il faut parfois corriger des erreurs qui nous coûtent plus cher que des choses qui auraient été maintenues à un niveau adéquat.

Mme Leblanc: Une autre question. Vous avez soulevé le fait que, dans les CHSLD, par exemple, on n'est pas capable de satisfaire les besoins de nos aînés malgré le fait qu'ils ont, eux aussi, contribué à l'édification du Québec. Aujourd'hui, on le sait, ils doivent se contenter du minimum vital en soins. Ça, selon moi en tout cas, c'est l'effet des compressions budgétaires pour l'atteinte du déficit zéro.

Vous avez aussi signalé le fameux virage ambulatoire qui a eu des impacts négatifs sur les femmes et qui va continuer, dans le futur, à avoir des impacts aussi sur les femmes, pas seulement les infirmières. Mais on voit que les femmes sont passées du rôle d'aidantes au rôle de soignantes. Pourtant, le virage ambulatoire devrait commencer à générer, cette année, des économies. C'était le but du virage ambulatoire, c'était de pouvoir faire mieux avec moins de ressources. Alors, ça, c'est sûr, c'était pour faire face aussi au vieillissement de la population. Donc, des économies pourraient être réinvesties à partir même des budgets des établissements de santé qui vont avoir moins... Par exemple, le personnel qui a été mis à la retraite va cesser de générer des coûts sur le budget des établissements, et il va y avoir des économies – donc, une marge de manoeuvre pour les établissements de santé – qui pourront être réinvesties dans les programmes, dans les services déjà offerts à la population. Est-ce que vous continuez à maintenir que ces investissements-là combinés avec une augmentation des dépenses de 2 %, qui a été annoncée par le ministre des Finances, en santé et en éducation, ça va être insuffisant pour être capable de donner les services nécessaires aux citoyens du Québec dans les trois prochaines années, par exemple?

Mme Skene (Jennie): Quand on parle d'économies suite au virage ambulatoire, les économies, elles se sont faites par des lits qui ont été fermés, compte tenu que quelqu'un pouvait retourner plus rapidement à la maison, ne demandait pas nécessairement un support très grand. Mais vous savez qu'il y a une clientèle qui, elle, ne peut pas retourner à la maison dans les mêmes conditions. Les économies liées au virage ambulatoire, elles sont minimes, et je pense qu'elles ont été, moi, au fil des années qui ont entouré le virage, surévaluées.

Quand on regarde avec d'autres provinces, d'autres pays, quand on regarde avec les données de l'OCDE, maintenir quelqu'un à domicile, ça coûte de l'argent, et souvent ça coûte autant d'argent dépendant de la catégorie dans laquelle vous vous trouvez. Quelqu'un qui a eu une intervention chirurgicale mineure et qui a besoin d'être revu une fois après son opération, ce n'est pas lui qui va coûter énormément d'argent. Mais, si vous avez, comme on nous le soulignait tout à l'heure, dû avoir... de façon très rapprochée, parce que vous étiez sous antibiothérapie intraveineuse, parce que vous aviez des pansements souillés à changer trois fois par jour, etc., le coût des services, il est aussi dispendieux, parce que vous devez déplacer une personne. Vous ne pouvez pas superviser le même nombre de personnes en soins à domicile avec les distances qu'on connaît. Dans les régions, ce sont les distances; dans une ville comme Montréal, c'est la durée du trajet entre les personnes elles-mêmes qui est en cause. Donc, oui, ces économies-là devraient être réinvesties, mais, selon nous, elles sont beaucoup plus faibles que ce qui pouvait être anticipé ou annoncé comme tel.

(11 h 20)

Le virage ambulatoire. Les CLSC ont, oui, dû prioriser des personnes. Les CLSC sont incapables, et ça, c'est de façon généralisée – les CLSC eux-mêmes nous le disent – incapables de donner tous les services à ceux qui se présentent et ils vont prioriser des gens qui ont besoin de soins plus pointus, qui requièrent une visite de professionnels. Et certaines personnes seront laissées pour compte parce que faute de ressources disponibles et faute aussi de personnel, dans certains cas.

Les CHSLD, ils ont été affectés par le virage ambulatoire, pas... Je dirais, le gros des problématiques sont liées, pas nécessairement à la coupure budgétaire pure, mais à cause du virage ambulatoire. Des personnes âgées qui avaient fait une chute à côté de leur lit, qui s'étaient fracturé une hanche, qui étaient envoyées à l'hôpital pour une prothèse, qui, souvent, antérieurement, demeuraient jusqu'à trois mois parce qu'on faisait toute la réadaptation, la rééducation, parfois plus, bien, on les ramène, après une dizaine de jours, dans leur CHSLD où elles doivent être prises en charge par un personnel qui est peu nombreux et qui n'avait pas à dispenser de soins aigus, parce que ce sont encore des soins aigus à dispenser. Donc, le débalancement, il est beaucoup lié à la clientèle, maintenant, qui se retrouve en CHSLD et qui demande beaucoup plus de soins spécialisés qu'antérieurement. Une pneumonie, on ne traitait pas ça, il y a cinq ans, dans un CHSLD. On ne retournait pas des gens qui venaient de sortir d'une hospitalisation pour une intervention chirurgicale ou pour une maladie grave, on ne les retournait pas rapidement dans leur CHSLD, alors qu'aujourd'hui, c'est ce qu'on fait. Et donc, comme le personnel en place est peu nombreux, il doit consacrer le maximum d'énergie à ceux qui ont des soins spécialisés à recevoir. Et tout le monde, finalement, se trouve en déficit de soins dans ces milieux-là. L'impact, il est... le virage ambulatoire et les coupures, mais beaucoup le déficit en personnel sur place pour dispenser des services.

Mme Leblanc: Peut-être une petite dernière question, qui n'est peut-être pas nécessairement en rapport avec le sujet d'aujourd'hui: La norme de 4,3 lits par 100 habitants, pour les personnes âgées, selon vous, c'est suffisant?

Mme Skene (Jennie): Écoutez, ça devrait être suffisant. Ça devrait être suffisant, mais ça veut dire qu'on doit avoir un support, dans la communauté, beaucoup plus grand. On a les CLSC au Québec, ce qui fait une différence par rapport à d'autres provinces canadiennes, et qu'on nous envie. Mais, vous savez, on a, de ce côté-là aussi, dû prioriser les soins, les soins à domicile entre autres, au détriment de la prévention, des cliniques de santé pour nos personnes âgées, des visites régulières. Elles n'ont pas nécessairement de maladies aiguës. Mais une personne âgée qui a un petit problème de santé, souvent, quelques jours plus tard, se ramassera dans une salle d'urgence parce qu'il n'a pas été détecté à temps, et on sait qu'on manque de médecins, souvent, pour faire le suivi en médecine familiale. Donc, il y a un espace qui est là, qui est vacant, qui pourrait permettre effectivement de sauver de l'argent à moyen terme si on avait un meilleur suivi de nos personnes âgées dans les milieux, dans la communauté.

Mme Leblanc: Merci beaucoup.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vous remercie beaucoup, Mme Skene et votre collègue, de votre mémoire, de vos réponses qui ont éclairé la commission. J'invite maintenant le prochain groupe, le prochain organisme, à venir nous retrouver, l'Institut économique de Montréal.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Simard, Richelieu): Nous avons le plaisir maintenant de recevoir les membres de l'Institut économique de Montréal. Je les inviterais à venir s'asseoir devant nous. Les représentants, qui vont s'identifier, sont M. Kelly-Gagnon et M. Boucher. Alors, peut-être que l'Institut économique de Montréal est bien connu des économistes; moi, j'avoue que je ne le connais pas. Alors, vous aurez la gentillesse en même temps, peut-être, de nous présenter votre organisme. Donc, vous connaissez nos règles de fonctionnement. Vous avez environ une vingtaine de minutes pour nous présenter l'essentiel de votre mémoire, en tout cas pas plus de 20 minutes.


Institut économique de Montréal (IEDM)

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, bonjour à tous. Mon nom est Michel Kelly-Gagnon, je suis directeur exécutif de l'Institut économique de Montréal. À ma gauche, se trouve le professeur Michel Boucher, détenteur d'un doctorat en sciences économiques; il a notamment étudié à la London School of Economics et il est actuellement professeur de sciences économiques à l'ENAP et membre de notre Conseil scientifique.

L'Institut économique de Montréal est une initiative nouvelle. L'Institut a débuté ses opérations le 1er juin 1999. C'est un tout petit institut qui compte deux employés et qui souhaite essentiellement favoriser la diversification du climat intellectuel au Québec, entre autres choses, et la vulgarisation de la science économique afin de peut-être donner un langage plus accessible à certains aspects.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Vous excuserez donc mieux notre ignorance.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Absolument. D'abord, c'est la première fois que j'assiste à une commission parlementaire. Je ne sais pas si j'ai le droit de faire ce que je vais faire, mais je demanderais aux membres de la commission qui sont favorables au scénario 5, c'est-à-dire au scénario d'un taux uniforme, de lever leur main.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Non, ce n'est pas une salle de classe; alors, vous passez donc à la partie suivante de votre exposé.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Kelly-Gagnon (Michel): À tout événement, ce que je voulais essayer d'illustrer par ce petit élément, c'est que je suis à peu près certain que, s'il y avait eu levée de mains, en fait, il n'y aurait pas eu levée de mains.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Ah! si vous présumez des choses.

M. Kelly-Gagnon (Michel): En fait, le sens de l'intervention, pour commencer, c'est de dire que notre Institut est conscient que l'instauration d'un taux uniforme ne fait pas partie, à notre avis, du paysage politique probable à court terme. C'est donc pour cela que nous allons vous faire grâce de mécanique et de petits calculs de schème de transition, et ce genre de trucs ennuyeux, dans la mesure où nous voulons discuter des principes inhérents à une telle proposition afin de semer une petite graine qui, peut-être, un jour, nous l'espérons, germera ou donnera lieu à des contre-propositions ou d'autres idées qui pourront être constructives. Alors, c'était l'introduction que je voulais faire.

Au fond, le mémoire, il est là. Je ne vais pas relire les quelques petites pages qu'on vous a soumises, mais peut-être essayer un peu de regarder certaines idées et certaines objections qui peuvent être couramment soulevées dans la littérature au sujet de ce genre de proposition. Vous savez que la «flat tax», comme on dit, c'est dans l'air. Aux États-Unis, il y a plusieurs États qui l'ont mise en oeuvre ou qui parlent de ce genre de projet. Au niveau fédéral, certains candidats à certaines élections en ont discuté. Et, de façon plus importante, en Alberta, il y a un taux uniforme de 11 % qui devait être mis en oeuvre au 1er janvier 2002 et qui va être mis en oeuvre au 1er janvier 2001, en principe, me disent les gens de Stockwell Day qui est le promoteur de ce projet.

(11 h 30)

Alors, d'abord, il y a un problème qui est généralement soulevé, qui est une question par rapport à ce que je dirais «what about the poor?», qu'en est-il des pauvres? qu'est-ce que c'est de faire payer le même taux d'impôt à un petit ouvrier d'une usine qu'à un milliardaire spéculateur boursier? Bon. Et on est conscient, c'est la grande objection. D'abord, pour aider les pauvres, la proposition en Alberta prévoit une augmentation relativement significative de l'exemption de base, ce que, vous, vous appelez dans votre mémoire le «seuil nul de taxation». Par exemple, en Alberta, 78 000 Albertains défavorisés ne paieront plus d'impôts lorsque... 78 000 Albertains de plus, et, de façon générale, la classe défavorisée, par la hausse du seuil d'exemption de base, s'en trouve favorisée. Et nous croyons que, pour qu'une telle proposition soit équitable, il faut avoir ce genre de

mécanisme.

D'autre part, les pauvres paient déjà beaucoup de taxes, relativement parlant, et ils en paieront de plus en plus en raison du phénomène de la non-indexation des tranches d'imposition, phénomène qui est très bien exposé à la fois dans le document de discussion et qui a fait l'objet de plusieurs discussions. Et nous croyons que, nonobstant l'adoption d'un taux uniforme... Autrement dit, s'il y avait adoption de ce scénario 5, nous serions favorables, mais, même si ce scénario-là n'est pas adopté, on pense qu'il faut essayer d'y aller avec, effectivement, une indexation pour stopper le phénomène que je viens de décrire.

Nous pensons aussi qu'une telle proposition est équitable et juste parce que cette proposition instaure l'égalité des règles pour tous et instaure des baisses d'impôts pour tous. Elle a un bénéfice de simplicité et d'efficacité, car l'instauration d'un seul taux est généralement accompagnée d'un corollaire usuel qui est l'élimination de plusieurs crédits particuliers ou de traitements de faveur sur le plan fiscal. Et, si effectivement on a à la fois un taux unique et l'élimination de beaucoup de crédits et de fligne-flagne fiscaux, si vous me permettez l'expression, on va en avoir, un système qui va être plus simple, un système plus simple pour les contribuables, c'est-à-dire qu'ils vont consacrer moins de temps à préparer leurs impôts et moins d'argent à investir en frais d'avocats et de comptables pour... Je suis avocat de profession, j'ai pratiqué dans le secteur privé, je peux vous dire que le secteur fiscal est une grosse business et une business croissante. Nous croyons qu'il faudrait essayer de permettre aux contribuables d'être moins obligés de requérir à ce genre de services et aussi faciliter, pour l'administration fiscale, une administration plus simple.

Selon une étude commandée par l'IRS, l'équivalent américain de Revenu Québec, la simple administration du système fiscal américain lui coûte environ 10 % des recettes fiscales totales, soit 50 000 000 000 $ par année. L'IRS a admis qu'un système intelligent d'impôt à taux uniforme permettrait de gigantesques économies à cet égard.

Un autre argument est de dire que, en fait, un taux uniforme, ce n'est pas un concept nouveau, ce n'est pas un concept utopique. Même dans la fiscalité québécoise, cette idée est déjà largement et fréquemment appliquée au niveau notamment de la TVQ, de la fiscalité municipale et de certaines taxes sur la masse salariale. C'est donc, nous croyons, un concept qui n'est pas aussi nouveau qu'on peut le croire.

L'autre argument important, c'est d'essayer d'éviter les distorsions, parce que, en ayant des traitements fiscaux préférentiels, nous croyons que c'est susceptible de créer des distorsions.

Et, finalement, avant de céder la parole à mon collègue M. Boucher, je voudrais un peu parler de la notion d'équité, parce que, que ce soit face à cette proposition-là, qui était décrite dans La Presse comme étant un scénario inéquitable – c'est ce que La Presse disait, le scénario 5 est inéquitable – je pense que c'est intéressant de regarder le concept d'équité. Avec une recherche sommaire, j'ai trouvé quelque chose comme 72 définitions. N'ayez crainte, je ne vous les lirai pas toutes. J'en ai retenu, par contre, une. Équité signifie «respecter les droits de chacun, être impartial, être en accord avec le mérite, consistant avec les principes généraux de la logique et de la preuve.» Si on retient cette définition-là, je crois que le scénario 5 n'est pas un scénario inéquitable et que, de façon générale, on devrait cesser de considérer les contribuables à hauts revenus comme étant des gens qui doivent être punis.

On doit tenter, au fond, de stopper le «brain drain» et le «cash brain», parce que vous savez qu'il y a une petite proportion de contribuables à hauts revenus qui contribuent pour une grosse proportion de l'assiette fiscale globale. Alors, quand on perd ces gens-là, ce n'est pas juste numérique, de dire qu'il y a 5 % qui est parti, parce que tout le débat sur l'exode des cerveaux, c'est un faux débat, parce que la question, ce n'est pas de savoir le nombre de personnes en chiffres absolus qui ont quitté, mais la qualité relative des gens qui nous quittent. Et on pense que le scénario 5 pourrait être un pas dans la bonne direction pour essayer de remédier à ça.

Maintenant, notre Institut, qui, comme je vous l'ai dit, a commencé ses opérations le 1er juin, a préparé une étude qui – tiens, tiens – s'appelle Fiscalité des Québécois et croissance , qui deviendra publique à partir du mercredi 20 octobre, mais dont mon collègue le professeur Boucher pourra vous parler de quelques grandes lignes. Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. Boucher.

M. Boucher (Michel): Ce que je voudrais, c'est strictement vous donner le contexte dans lequel se situe la taxation et pour quelles raisons ce que Kelly-Gagnon appelle le «flat rate» ou une taxation proportionnelle a beaucoup plus d'avantages qu'on pense. Je vais prendre l'impôt sur le revenu des particuliers parce que c'est beaucoup plus facile. La progressivité de l'impôt sur le revenu des particuliers a comme impact de créer ce que, nous, on appelle en économique des coûts sociaux, de l'inefficacité. Ça veut dire que, au fur et à mesure que vous avez une progressivité telle que nous avons au Québec, les gens à la marge vont y penser lorsque... Par exemple, chez nous, dépassé à peu près 65 000 $, le taux marginal d'imposition, fédéral et provincial, est à peu près 51 %. Ça veut dire que, sur le dernier 100 $ gagné, vous en versez 51 $ à l'impôt, fédéral et provincial, et vous en gardez 49 $. Donc, il y a moins d'incitation à travailler. D'autre part, comme le taux marginal est élevé, ce que vont faire les gens – et c'est un autre des éléments des coûts sociaux – c'est qu'ils vont chercher à utiliser davantage ce que, nous, on appelle les dépenses fiscales, c'est-à-dire les échappatoires pour éviter de payer de l'impôt. Or, ce faisant, ce que vous faites, c'est que vous générez des dépenses ou des actions que les gens n'auraient pas faites si le taux d'imposition avait été plus faible.

Donc, l'idée de la fiscalité proportionnelle, c'est d'être universel, donc d'essayer d'avoir une assiette fiscale la plus large possible sans aucune échappatoire ou exemption, et, avec ça, vous êtes capable d'avoir un flux de revenus qui va être prévisible. Et, comme il en a été fait mention au départ, comme le niveau d'exemption ou de déduction va être relativement élevé, facilement entre 10 000 $ et 15 000 $, ce que vous vous trouvez à faire, c'est que vous vous trouvez, comme dans le système actuel, mais à un coût moindre, à donner un coup de pouce aux gens qui sont les plus démunis de notre société.

L'autre élément aussi, c'est que l'idée d'avoir une fiscalité de ce type-là, proportionnelle, elle est implicite aussi dans la taxe sur la consommation. Et seulement vous faire mention de quelque chose que le ministre des Finances a déposé dans son budget en 1987-1988, et je cite: «En effet, le poids de l'impôt sur le revenu des particuliers tend à alourdir les coûts de la main-d'oeuvre des entreprises. La taxe de vente est beaucoup moins dommageable pour la compétitivité de notre économie, puisque qu'elle est soustraite du prix des produits exportés. Elle est aussi plus respectueuse de la liberté de choix des contribuables qui utilisent leurs revenus disponibles comme ils l'entendent.»

Donc, c'est à partir de cette idée-là qui est pleine de bon sens, qui reflète la théorie économique qu'on a substitué à une diminution de l'impôt sur le revenu des particuliers une augmentation de la TVQ.

Donc, l'idée d'avoir une taxation qui réduit les coûts d'inefficacité du système commence à être acceptée chez nous. Or, le point, ce pourquoi c'est de plus en plus difficile, c'est que, mettons, depuis à peu près une quinzaine d'années, les Québécois ont un taux d'imposition qui est de plus en plus élevé, et ça a comme impact, en longue période, d'inciter les gens à devenir des resquilleurs. Ça veut dire trouver des subterfuges, des moyens qui coûtent cher, entre parenthèses, parce qu'un bon fiscaliste, un bon comptable, s'il vous aide à économiser des impôts, a aussi des honoraires relativement élevés.

Donc, l'idée de revenir graduellement à une taxe proportionnelle aurait comme conséquence d'atténuer et de réduire ces coûts-là, donc de permettre aux contribuables d'avoir davantage de revenus. Et, si les contribuables ont davantage de revenus, qu'est-ce qu'ils vont faire? Ils vont consommer. Or, en consommant, qu'est-ce qu'ils vont faire? Ça veut dire qu'ils vont créer de l'activité économique, ils vont envoyer des signaux auprès des commerçants et des producteurs qu'ils revalorisent certains types de produits plutôt que d'autres, et c'est comme ça que l'économie fonctionne.

(11 h 40)

Donc, la taxation fait partie de l'environnement qui permet à la province de Québec de devenir concurrentielle ou non. Or, ce n'est pas à vous que je vais l'annoncer, comme les taux de taxation, c'est la raison d'être de cette commission, c'est que le poids fiscal des Québécois ne cesse d'augmenter. Mais, où le bât blesse, c'est que les gens autour de la belle province diminuent leur taux de taxation, et c'est ça qui est le point. Ça veut dire que l'écart ne cesse de s'accroître, surtout en termes relatifs, ce qui va faire que les occasions d'affaires vont devenir beaucoup plus difficiles, et les entreprises vont y penser plusieurs fois avant de venir s'établir au Québec, d'où la nécessité que va avoir le gouvernement, comme réplique, de proposer ce que nous appelons, nous, des dépenses fiscales. Ça veut dire faire des prêts sans intérêt, inciter des entreprises à venir se localiser au Québec, alors qu'il y aurait possibilité d'éviter une partie de ces coûts-là en ayant un environnement qui soit plus concurrentiel. Et, pour qu'il soit plus concurrentiel, la taxation est un élément très important.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, ceci met fin à votre intervention. Je vais demander maintenant, tout d'abord, d'entrée de jeu, au ministre des Finances de vous poser les premières questions.

M. Landry: J'espère que vous me mettrez sur la liste des abonnés de votre publication, que nous attendrons avec plaisir.

Quand des économistes viennent nous voir, on a tendance à poser des questions économiques plus pointues, alors je vais vous en poser trois. Vous avez compris que vous n'avez pas à nous convaincre de baisser les impôts, puisqu'on a convoqué cette commission-là parce qu'on veut baisser les impôts.

Première question. Vous affirmez de façon, il me semble, un peu carrée que la macroéconomique d'une baisse d'impôts a un effet de relance considérable sur l'économie en disant que ça va augmenter la demande globale. J'aimerais entendre votre raisonnement en tenant compte du fait que ce que le contribuable va dépenser et qui lui aura été ristourné, l'État le dépensait avant. Alors, quelle est la différence sur la demande globale? Votre collègue Fortin nous a dit il y a deux jours que non seulement ça n'augmentait pas la dépense globale, mais, à cause d'un phénomène qu'il a mathématiquement étudié, ça la diminuait de quelques fractions de poussière. Alors, pourquoi est-ce que l'économie repartirait comme une fusée si la demande globale n'est pas augmentée mais peut même diminuer?

Deuxièmement, au sujet du taux unique, votre collègue Fortin était un adepte du taux unique – et c'est un homme pour lequel nous avons beaucoup de respect – sauf qu'il est venu nous dire pourquoi il l'était moins: parce que, dans d'autres juridictions à taux unique, il y a une série de «loopholes» et d'échappatoires qui fait qu'on finit par s'en tirer d'une autre manière. Mais, nous, depuis quatre ans, nous avons pourchassé les «loopholes» et on n'en a plus. Ça veut dire que le taux unique, là, ça devient le vrai taux unique, et là il va falloir que j'explique à un travailleur de Contrecoeur, dans mon comté, pourquoi il a le même taux que Pierre Karl Péladeau. J'ai un lourd contrat sur les épaules. Et votre comparaison avec la taxe de vente cloche un peu, en tout cas pour les ménages en bas de 25 000 $ parce qu'on les rembourse, on leur envoie deux chèques par année. On attaque la régressivité de la taxe.

Troisième question. Vous me dites de baisser les impôts de 7 000 000 000 $, je veux bien. J'espère que vous ne voulez pas que je le fasse avec de l'argent que je n'ai pas. L'opposition est d'accord là-dessus. Mais est-ce à dire que la théorie des cycles que nous avons étudiée naguère serait abolie et qu'on va jeter notre Samuelson, et qu'il n'y aura plus jamais de récession? Imaginez-vous l'horreur d'une baisse de taxes excessive qui devrait être suivie par une hausse des taxes en cas de récession qui fait qu'on a des rentrées moindres et des dépenses plus grandes.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, vous voyez, ce n'est pas les questions qui manquent.

M. Boucher (Michel): Je voudrais répondre aux deux premières. La première, c'est... Et le raisonnement que je vais faire est basé sur le principe suivant: que toute taxation va avoir comme incitation de réduire les transactions. C'est, par définition, ça. Ça veut dire que ce que vous avez comme revenus qui se trouvent taxés, ça procure des revenus à l'État. Un. En contrepartie, comme la taxation, c'est à un prix plus élevé que ce que vous allez payer pour les produits, vous allez modifier votre comportement, parce que, par définition, tout individu qui est taxé en longue période va chercher à modifier son comportement. Le plus bel exemple que nous avons, c'est, au Québec, avec le travail au noir où, dans les trois dernières années, mettons, jusqu'en 1998, vous avez été capable de rechercher 2 700 000 000 $. Pour un économiste, lorsqu'il y a du travail au noir, ça implique que le système d'incitation est tel que les gens vont préférer faire du noir plutôt que faire du légal.

Ceci dit, maintenant, je réponds à votre question, c'est que les consommateurs, avec leurs revenus, si vous leur baissez de la... Mettons, une baisse de revenus, ces consommateurs-là vont consommer. Et, d'autre part, l'autre élément – et exagérons – on va dire que tous les consommateurs, auparavant, utilisaient les fiscalistes à 200 $ de l'heure. Si le revenu des particuliers diminue, ces gens-là, ce qu'ils vont faire, vont moins utiliser les fiscalistes, et, ce faisant, les sommes gagnées vont être réparties dans l'économie. Et, moi, mon explication... Et, surtout, que ça me fait plaisir que vous me posiez cette question-là, parce que, ce matin, dans les journaux, on annonce que Robert Mundell vient d'avoir le prix économique, le prix Nobel. Or, quelle était sa trouvaille, qu'il a émise dans les années 1970-1971 et que tout le monde a niée, mais dont maintenant on vient de s'apercevoir? C'est que tout raisonnement macroéconomique qui ne tient pas compte des incitations au niveau des acteurs, ce que, nous, en économique on appelle de la microéconomique, donc tout ce raisonnement-là, toute cette vision mécaniste de la réalité ne tient pas.

Or, c'est ce que nous avons, et, moi, je trouve que le Québec – c'est malheureux de dire ça – c'est un excellent laboratoire pour un économiste qui fait de la fiscalité, parce que, au fur et à mesure qu'on augmente les taxes, vous avez une diversion des revenus. Ça veut dire que les gens vont faire du troc, du travail au noir, il n'y a rien qu'ils ne feront pas pour être capables d'éviter la taxation. Donc, la taxation implique un coût d'inefficacité, et c'est ça qui est le point. Donc, l'ensemble du raisonnement que je fais et qu'on m'a enseigné quand j'étais étudiant en sciences économiques, c'est que, en longue période, la taxation a des effets pervers, et c'est la loi des conséquences inattendues de Merton, notre grand sociologue, qui va entrer en considération.

Donc, c'est ça, le raisonnement. C'est que, si vous baissez les taxes au point de vue macroéconomique – ça veut dire pour l'ensemble des contribuables dans mon cas particulier, comme je donne – les individus vont réaménager leur consommation parce qu'ils ont moins de fiscalité, et ça va envoyer des signaux dans l'économie, et tout ça parce que les incitations vont le faire. Et, si les incitations sont mal coordonnées, ça va entraîner ce que, nous, en économique, on appelle les coûts d'inefficacité de la taxation, des comportements aberrants, dont un, c'est la recherche par excellence des échappatoires. Si je suis imposé, qu'est-ce que je vais faire? Je vais faire de l'action politique et je vais aller vous voir, et là je vais essayer de vous vendre ma salade. Et, si je suis un bon vendeur de salade et si...

M. Landry: ...facile à convaincre.

M. Boucher (Michel): Mais, effectivement, regardez...

M. Landry: Mais, ce matin, ça va bien parce que je suis d'accord avec vous.

M. Boucher (Michel): On l'a fait depuis 1960 au Québec. Depuis 1960, que c'est la stratégie qu'on utilise. Donc, c'est mon raisonnement.

Sur la deuxième, je suis totalement d'accord avec vous, et votre explication – excusez de vous dire ça – apporte de l'eau à mon moulin, parce que l'idée de donner des crédits d'impôt ou de donner des ristournes aux personnes dont le revenu est inférieur à un seuil donné, c'est absolument fantastique. Ça veut dire que, moi, j'ai ma vieille mère qui a 83 ans, puis, à chaque année, elle est capable de recevoir sa TPS, 250 $.

Or, l'idée – et c'est ça qui est en arrière de l'idée de la taxe proportionnelle ou du «flat rate», en anglais – c'est, graduellement, pour les plus démunis de notre société, d'être capable d'introduire ce qu'on appelle un impôt négatif. Ça veut dire que vous auriez... Mettons, on commencerait avec 15 000 $, mais... Et c'est ce que vous faites implicitement, parce que, dans le travail que j'ai fait pour l'Institut, il y a à peu près 35 % ou 36 % des Québécois qui ne paient pas d'impôts. Tous ceux qui font une déclaration d'impôts, c'est à peu près ça. Ça veut dire que, implicitement, il y a une forme, mettons, de taxe négative, donc de crédit d'impôt. Et, sur ça, ça pourrait être fait.

(11 h 50)

L'autre élément, brièvement. C'est évident que, si vous introduisez une taxe proportionnelle et, comme homme politique, petit à petit, vous concédez des dépenses fiscales, des échappatoires ou exemptions, notre système tombe à l'eau. Qu'est-ce que vous voulez? C'est ça. C'est pour ça qu'une des propositions que vous allez voir dans la monographie qui va être publiée, c'est la suivante: c'est que, à chaque fois que l'on réduit les impôts, il faut aussi réduire le volume des échappatoires légales. L'un ne va pas sans l'autre, là, il faut être relativement cohérent.

Dernier point – quitte à ce que Kelly-Gagnon concède – moi, j'ai une perspective assez particulière sur votre question sur les cycles économiques. Regardez, l'idée dans les années trente, c'est que le gouvernement, comme étant un organisme très sage, un genre despote bienveillant à la Voltaire, allait s'organiser pour atténuer les fluctuations du cycle économique, et ça veut dire que les sommes amassées en pleine expansion sous forme de revenus allaient servir, lorsque l'économie serait en baisse de régime, pour faire qu'au total l'ensemble des gains faits en fiscalité serviraient la sécurité sociale en général. On s'est aperçu que cette théorie-là, malheureusement, n'est pas conforme à la réalité. C'est ça.

Et le point – vous n'avez qu'à regarder la situation québécoise – c'est que bon an mal an depuis les années soixante – c'est un peu moins vrai depuis quelques années, je vous le concède – le taux de croissance des dépenses et de taxation augmentait quel que soit l'état de l'économie. Que l'économie soit en récession ou en activité, ça veut dire qu'on taxait puis on augmentait. Donc, l'idée, mettons, qu'une prescription implicite, comme vous dites... qu'il y ait quelqu'un qui veille au grain durant une certaine période d'années pour s'assurer que le cycle soit bien couvert, c'est-à-dire que ce qui a été gagné durant la période d'expansion serve à atténuer la déprime en période de récession, moi, j'y crois très peu.

C'est pour ça qu'aux États-Unis il y a une proposition qui est d'introduire une règle... Pas une règle fiscale, d'introduire dans la Constitution américaine... Ce qui ne passera pas, là, mais d'empêcher le gouvernement d'encourir des déficits, sauf dans des cas extraordinaires, qui seraient la guerre. Pour la raison très simple, c'est que, si – et tous ceux qui sont avocats vont comprendre immédiatement ce que je veux dire parce que c'est leur métier – vous avez une règle précise où il n'y a aucune exception, les individus vont adhérer à cette règle, et, à partir de ça, il va y avoir un impact sur le comportement des individus parce que les gens vont savoir que, si cette règle-là est en application, vous allez avoir telle sanction sur...

M. Landry: Bien, je pense que l'exemple québécois le prouve. Nous avons une loi votée par cette Assemblée rendant les déficits zéro obligatoires...

M. Boucher (Michel): Sauf que...

M. Landry: ...et je pense que ça a déjà changé des comportements dans la société québécoise.

M. Boucher (Michel): Sauf que le point... Regardez bien, comme notre système génère encore des revenus, parce qu'il est encore progressif, notre système... Mettons, en jargon des économistes, ça veut dire que... revenus par rapport au PNB, ça doit être 1,2 %, 1,2 % quelque chose. Donc, à chaque fois que le PNB nominal augmente de 10, vos revenus augmentent de 12. Ça veut dire que vous pouvez vous satisfaire de cette règle-là, sauf que, comme le volume des impôts augmente avec l'activité économique, votre règle vous discipline moins que s'il fallait introduire le principe, mais avec des revenus constants, alors que vos revenus augmentent.

M. Kelly-Gagnon (Michel): D'abord, l'Institut comme tel n'a pas nécessairement proposé une réduction de 7 000 000 000 $ des impôts mais a seulement mentionné que, pour rattraper nos voisins québécois, il faudrait une baisse de 7 000 000 000 $. Et où on prend le chiffre? C'est que les baisses annoncées, comme vous le savez, vont s'étaler sur plusieurs années. Comme vous le savez, en même temps, l'Ontario a annoncé, lui aussi, des baisses d'impôts qui vont s'établir à peu près sur la même période. Si on fait un point milieu à un temps x de 2002 ou 2003 et qu'on veut être au même niveau à ce moment-là, il faudrait que, d'ici à cette date-là, on ait des réductions d'impôts de 7 000 000 000 $. Alors, c'était notre point, on voulait simplement mentionner ce chiffre-là, qui est probablement déjà connu, mais on voulait le porter à votre attention.

Et aussi la question de la capacité de donner des réductions d'impôts, ça fait référence au concept de marge de manoeuvre. Or, la marge de manoeuvre, finalement, qu'est-ce que c'est? C'est, à un moment x dans le temps, ce qu'on considère être la capacité d'écart entre les revenus et les dépenses. Mais, nous, on pense qu'il serait possible de réduire les dépenses significativement de nouveau. Par contre, ce qu'on dit comme dernier paragraphe de la conclusion, c'est qu'on est d'accord que, si on fait juste parler de politique d'austérité, si on fait juste parler de couper dans le gras, comme dit l'expression populaire, il n'y a probablement pas 7 000 000 000 $ de gras à couper. On est conscient de ça. Par contre, il y a la question de savoir quel est le rôle de l'État. Autrement dit, est-ce qu'il y a des activités dans lesquelles le gouvernement est actuellement impliqué et dans lesquelles il ne devrait pas être impliqué du tout? Ce qui fait que, là, on ne parle pas d'une réduction de dépenses d'opération de 7 % ou de 8 %, on parle d'un retrait. Et ce qu'on dit, nous, c'est que...

Là, ce n'est pas le forum, aujourd'hui, de présenter un plan détaillé de ce qu'on pense qui devrait être le retrait de l'État au Québec. Ce n'est pas la discussion, mais tout ce qu'on voulait dire, c'est que, si jamais un jour on veut atteindre, le gouvernement, le niveau ontarien – parce que tout le monde en parle du niveau ontarien – ce n'est pas vrai qu'on va l'atteindre juste avec les bons travaux de M. Landry. Il est bon, il est sympathique, mais ce n'est pas possible. Il n'y a pas 7 000 000 000 $ de gras dans le fonctionnement de la fonction publique. Alors, si jamais on veut atteindre ce niveau-là, il va falloir réaligner le rôle même de l'État. Voilà.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, à moins que le vice-premier ministre ait d'autres questions à poser...

M. Landry: Non, mais il faut laisser la chance à nos collègues.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...je vais me tourner vers...

M. Landry: Ah, j'en aurais eu d'autres parce que les réponses sont intéressantes, mais j'espère que nos collègues vont susciter des réponses aussi intéressantes.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors donc, je vais...

M. Landry: On n'a pas fini notre temps?

Le Président (M. Simard, Richelieu): C'est pour ça que je vous offrais la possibilité de poser une autre question.

M. Geoffrion: Bon, j'en aurais peut-être une, moi, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de La Prairie.

M. Geoffrion: D'abord, bienvenue. Sur l'augmentation de la taxe de vente, c'est un des points centraux de votre argumentation, là, vous dites: Bon, comme ce sont des taxes à la consommation, elles ne découragent pas les investissements. Ça, j'en suis, mais, à ce niveau d'augmentation là, est-ce que vous ne croyez pas que ça peut décourager la consommation? Vous avez fait une référence... Le professeur a fait une référence à 1987-1988, mais, bon, à ce niveau-là d'augmentation, on parle vraiment d'augmentation de la taxe de vente d'une façon, d'après ce que j'en comprends, substantielle, là.

(12 heures)

M. Kelly-Gagnon (Michel): Ça dépend, en fait, quel est le taux uniforme qu'on va appliquer. Si on se fie à la proposition du scénario 5, on parlait d'une augmentation... Je l'ai noté en quelque part, ici, on parlait de passer de 7,5 à 8,27. C'est ce qui est mentionné dans le document de consultation qui nous a été remis. Alors, de 7,5 à 8,27, ça ne va pas nécessairement créer une guerre civile. Maintenant, il y a aussi le fait que cette consommation-là... Ultimement, il y a un principe général... Je vous remercie pour votre question, parce qu'il y a un principe général important, je pense, qui n'a pas été vraiment mentionné, c'est que les gens, en général, devraient être taxés en fonction de ce qu'ils prennent dans l'économie plutôt que ce qu'ils y contribuent. O.K.? Alors, si on prend ce principe général là, ça veut dire qu'on devrait privilégier davantage de taxer la consommation plutôt que de taxer l'effort, le travail, l'épargne et l'investissement. Parce que, ultimement, bon, c'est toujours le vieux débat entre «supply and demand», là, on ne va pas recréer ce débat-là aujourd'hui, mais, essentiellement, si on augmente nos capacités de production, même si le coût ou les taxes à la consommation sont plus élevés, mais dans un milieu plus concurrentiel où les biens et services eux-mêmes sont vendus moins cher, il peut y avoir une discussion intéressante à ce sujet-là.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci beaucoup. Donc, je passe la parole à la porte-parole de l'opposition, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Jérôme-Forget: Merci, M. le Président. Moi, je voulais simplement donner un petit conseil au ministre des Finances qui se demande comment est-ce qu'il pourrait faire pour baisser les impôts s'il arrivait une récession. Je vais lui raconter qu'à Singapour, à la fin de l'année, les citoyens reçoivent une ristourne quand ils ont trop payé d'impôts, et ils reçoivent effectivement une ristourne.

M. Landry: Vous payez assez d'amendes de toutes sortes à Singapour. It's a «fine city», they say, parce que tu craches à terre, tu as une amende, tu mâches de la gomme, tu as une amende...

Mme Jérôme-Forget: Non, non, non, mon fils vit là...

M. Landry: ...je comprends qu'ils leur remettent à la fin de l'année.

Le Président (M. Simard, Richelieu): ...

Mme Jérôme-Forget: Alors, là, tout ça pour dire qu'il y a quand même une solution. Les gens reçoivent un chèque, à la fin de l'année, de leur ristourne.

Alors, moi, je voulais revenir à votre exposé et je veux vous remercier de l'exposé que vous avez fait. Et je voulais savoir, peut-être, l'écart entre la terminologie anglophone et, finalement, l'équivalent en français, parce que, en anglais, on parle du «flat tax rate» et, en français, on parle de la «taxe proportionnelle». Et ce pourquoi je pense que la taxe proportionnelle est plus appropriée comme description de cette taxe-là, c'est que, dépendant du déductible qu'on a au départ... D'ailleurs, l'Alberta va donner 11 000 $, je pense, d'un crédit tout de suite au départ. L'envergure de ce crédit-là, c'est que l'impôt que vous allez payer va être un pourcentage différent selon que vous avez un revenu élevé ou faible.

Je ne sais pas si je me fais comprendre, si vous gagnez 30 000 $ puis on vous donne un 10 000 $ de déductible et que vous êtes taxé à 10 %, ça va représenter moins que quelqu'un qui va avoir un déductible et qui va représenter moins, donc il va payer plus d'impôts. Alors, essentiellement, c'est que l'idée d'un «flat tax rate», là, ça ne reflète pas, la terminologie, ce qui se passe en réalité. C'est beaucoup plus progressif que ce qu'on le dit normalement.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Vous avez parfaitement raison. C'est notamment dû au fait que... Je dois vous avouer – pour vous raconter la petite histoire – que j'ai su le 15 septembre que la date limite pour présenter un mémoire était le 16 septembre. Alors, j'ai rédigé ça dans la nuit du 15, et mes racines irlandaises et peut-être mon manque de maîtrise, parfois, d'une certaine terminologie française m'ont peut-être amené à utiliser de façon erronée l'expression «uniforme», alors que, dans notre étude qui est ici, on parle bel et bien, exactement, de ce dont vous parlez, «proportionnelle», avec les nuances qui s'imposent. Mais, donc, je vous remercie, votre intervention est tout à fait appropriée.

Mme Jérôme-Forget: Maintenant, j'ai une deuxième question. Qu'est-ce que c'est qui peut nous faire croire que, avec une taxe proportionnelle, il y aura moins d'évasion fiscale, il y aura moins de marché au noir? Pourquoi, tout à coup... Est-ce que c'est parce que le taux serait seulement de 11 % ou 18 %? Qu'est-ce qui nous assure que les gens n'auront pas recours encore au marché au noir?

M. Kelly-Gagnon (Michel): D'abord, il y a ce qu'on peut appeler l'évasion fiscale, qui est un crime, et il y a l'évitement fiscal, qui est l'usage des nombreuses règles fiscales de façon à s'avantager. Et, généralement, ce n'est pas le simple ouvrier qui peut faire ça, c'est les gens qui ont l'éducation et les moyens de jouer le jeu des règles, et on connaît quelques exemples parfois célèbres de grandes familles canadiennes qui ont su, par exemple, utiliser de façon tout à fait légale des trusts à l'étranger ou d'autres mécanismes de façon à éviter presque complètement l'impôt.

Et, de cette façon-là, moi, le premier commentaire que je voudrais dire, c'est que ce que j'avais surtout en tête, je parlais surtout de l'évitement légal, c'est-à-dire en éliminant beaucoup de crédits et beaucoup de traitements particuliers en contrepartie d'un taux plus bas, on évite ce genre d'évasion légale de par le changement de la loi elle-même.

Quant au comportement des gens, effectivement, il est toujours très difficile de présumer que ceux qui ne se conforment pas à la loi s'y conformeront dans l'avenir, puisque ça fait référence à toutes sortes d'éléments de moralité, comment, de façon générale, la population respecte les institutions, etc. Il y a des caractères sociologiques, et, moi, je ne prétends pas du tout qu'il y aurait une baguette magique par laquelle, par l'instauration de ça, certains facteurs sociologiques qui ont amené la fraude illégale disparaîtraient automatiquement.

Par contre, comme le soulevait à juste titre mon collègue Boucher, il y a quand même une question d'incitatifs, et ce qu'on peut vous dire, c'est que, à la marge... Parce qu'il y a quand même un coût aussi à frauder, hein? Si on se fait prendre, il peut y avoir des pénalités extrêmement sévères, etc., donc il y a un coût. Et, si respecter la loi devient plus intéressant, plus payant parce que le système fiscal est moins lourd, on peut raisonnablement croire qu'au moins, à la marge, certains individus vont changer leur comportement. Mais penser qu'on réduirait à 0 % le nombre de fraudeurs est tout à fait utopique.

M. Boucher (Michel): Je voudrais renchérir sur ce point-là. Regardez ce qui s'est passé – étant donné que je suis un non-fumeur, donc, je peux vous dire qu'est-ce que ça implique – lorsqu'on a décidé de majorer le prix de la cartouche de cigarettes jusqu'à 50 $. Moi, la chose la plus aberrante qui, comme économiste et comme analyste social, m'a tracassé, c'est la chose suivante: c'est qu'à la fin presque 75 % de la consommation de cigarettes au Québec était des cigarettes de contrebande. Parce que, il y a une chose que vous devez savoir, il y a seulement les Canadiens qui fument des cigarettes canadiennes. Des cigarettes canadiennes, ça ne s'exporte pas. Les cigarettes qui s'exportent, ce sont les cigarettes américaines puis les cigarettes françaises. Nous, à l'École nationale d'administration publique, nous avons des Africains, puis, à chaque année, les seules choses qu'ils fument, c'est les cigarettes françaises ou les cigarettes américaines.

Alors, qu'est-ce qui s'est passé? Ça veut dire que, lorsqu'on a rebaissé, donc, c'est là qu'on s'est aperçu qu'il y a un taux sur la taxation de cigarettes qu'il ne faut pas dépasser si vous êtes dans une économie ouverte comme est le Québec. Or, qu'est-ce qui s'est passé lorsqu'on a rebaissé, mettons, le taux de taxation fédéral et provincial sur les cigarettes et que la cartouche est retombée à peu près à 25 $? Vous avez vu une décroissance très forte de ces activités au noir. C'est évident qu'il va toujours y en avoir encore un certain pourcentage parce que... Et ce qui est malheureux dans ce que je vais dire, c'est que, si vous avez créé un réseau, puis l'infrastructure est là, le coût marginal de l'utiliser, même si le prix des cigarettes est plus faible, ça en vaut encore la peine.

De là à vous dire, comme fait remarquer Kelly-Gagnon, que le taux, mettons, d'illégal soit nul, ce n'est pas possible. Tout va dépendre à la fois des pénalités et des sanctions du côté du coût, puis tout va dépendre aussi de la demande.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Il ne faut pas oublier aussi qu'il y a un secteur criminel au Québec comme dans toute société. Autrement dit, il y a des gens qui, même si le taux d'imposition était de 1 %, auraient un intérêt à ne pas déclarer leurs revenus parce que leurs revenus sont d'une origine qu'ils ne peuvent pas déclarer.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme la députée de Beauce-Sud.

Mme Leblanc: Merci. Alors, M. Kelly-Gagnon, M. Boucher, bonjour et bienvenue. Vous préconisez dans votre présentation une plus grande diminution d'impôts, de l'ordre de 7 000 000 000 $, par rapport aux 1 300 000 000 $ qui sont sur la table présentement. En même temps, vous suggérez une augmentation de la taxe de vente du Québec. Vous n'avez toutefois pas pris la peine de chiffrer cette augmentation-là et non plus le laps de temps sur lequel la réduction de 7 000 000 000 $ devrait être atteinte.

Il y a d'autres organisations qui sont venues nous voir avant vous, comme, par exemple, l'Association des économistes du Québec, l'Association de la construction du Québec, le Conseil du patronat, qui, elles, ont exclu catégoriquement toute hausse de la TVQ à cause de son effet régressif, aussi à cause, par exemple, de son impact sur le travail au noir.

(12 h 10)

Vous avez pris la peine, dans votre présentation, de mentionner que les taxes à la consommation devraient être relativement basses pour, finalement, avoir un effet plus neutre sur l'économie, est-ce que vous êtes capables de me fournir plus d'explications sur, justement, «relativement basses»? Ça doit être de combien pour être capable quand même d'atteindre votre objectif de 7 000 000 000 $ de réduction d'impôts?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, je reviens sur ce que j'ai dit tout à l'heure. D'abord, nous n'avons pas proposé une baisse d'impôts de 7 000 000 000 $, nous avons dit que, si le Québec avait pour objectif d'atteindre le niveau ontarien, il se devrait de baisser ses impôts de 7 000 000 000 $. C'est une différence importante, c'est un constat et non pas une proposition. Point un.

Point deux. Comme nous l'avons mentionné, nous savions d'avance que, d'abord, ce document-là – et, c'est très bien, on ne le critique pas – est truffé de tableaux et de chartes et de chiffres, et c'est très bien. Et on sait aussi – et je regardais La Presse encore ce matin – qu'il y a des débats de chiffres importants qui sont faits. L'un dit: 1 700 000 000 $, l'autre dit: Non, le double. Et ça devient un débat de chiffres auquel, moi, je vous dis que le Québécois moyen en perd son latin.

Et on a volontairement... Parce qu'on avait un choix d'opportunité qui était que, comme je vous dis, on a été avisé de la possibilité de présenter un mémoire 24 heures avant la fin de l'expiration du délai pour présenter le mémoire, alors on avait le choix de ne rien faire ou de présenter un mémoire qui aurait plus un caractère philosophique pour essayer de discuter de certains principes fiscaux, des notions d'équité, et autres qui, nous pensons, devraient gouverner le débat. Et, à tort ou à raison, peut-être que vous ne serez pas d'accord avec nous, mais, nous, on pensait qu'il y avait une plus value, au lieu de jouer la game... Parce que c'est facile, la game des chiffres, là, je veux dire, il suffit juste de s'y prendre un peu à l'avance, puis on peut vous noyer de chiffres, vous ne les verrez même plus. Nous, on pensait que ça serait beaucoup plus pertinent de venir ici pour avoir un échange ouvert sur les grands principes généraux. C'est ce qu'on a essayé de faire, et j'espère que vous en aurez eu utilité à ce niveau-là.

Et, par ailleurs, concrètement, on dit là-dedans que, à défaut d'une autre proposition, celle qui est présentée par le gouvernement au scénario 5 pourrait être une formule acceptable. Et celle-là, elle est chiffrée, on n'a pas besoin de reprendre les chiffres, là, 377 000 000 $ de manque qui était comblé par l'augmentation de 7,5 à 8,27. Donc, ça c'est chiffré, et donc, par référence, en mentionnant la proposition du gouvernement, vous les avez, les chiffres par ricochet. Et je pense qu'il y a un très bon travail qui a été fait, c'est un bon document là-dessus.

M. Boucher (Michel): Je voudrais ajouter quelque chose. L'idéal, c'est de réduire l'impôt sur le revenu des particuliers et, à partir de cette réduction-là, lorsque ça sera possible de le faire, de revenir le plus possible à une taxe qui serait proportionnelle, c'est-à-dire soit une taxe à la consommation ou l'équivalent de ce qu'on appelle le «flat rate». C'est ça qui est le point. Dans un premier temps, c'est qu'il faut réduire les impôts. Avec la stimulation, l'abolition des rigidités qui sont créées dans le système, ça va créer davantage de transactions, et il va y avoir davantage d'échanges, et l'économie va repartir.

Lorsque l'économie aura atteint un certain niveau de croissance, c'est d'avoir une taxation qui soit la plus large possible, donc une taxe à la consommation avec le moins d'exemptions possible où les gens vont faire le choix entre consommer ou épargner, parce que le système actuel de l'impôt sur le revenu des particuliers a comme caractéristique d'imposer deux fois l'épargne. Ça veut dire que, lorsque vous épargnez – enlevez le régime de retraite – et que vous mettez ça dans quelque chose, vous êtes imposé parce que vous l'avez gagné et, ensuite, lorsque votre investissement vous rapporte, vous êtes encore imposé.

Or, l'idée, c'est qu'il y a un arbitrage à faire dans n'importe quelle société et c'est à savoir quel genre de mesures sociales ou quelle est l'équité que l'on devrait avoir en regard de la croissance. Et, si vous augmentez votre fiscalité pour avoir un régime, mettons, plus favorable aux plus démunis de notre société, la contrepartie – c'est ce que nous vivons au Québec depuis belle lurette – c'est un taux de croissance plus faible. Or, c'est ça qui est le point, c'est ce type d'arbitrage qui fait partie de la philosophie générale de la proposition de l'Institut.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Et, d'autre part aussi, un petit point, c'est que, quand on parle d'épargne – il y en a peut-être qui l'ont compris que c'était implicite à notre propos, mais j'aime bien, des fois, expliciter l'implicite – c'est que l'épargne, ultimement, on parle aussi du capital de risque privé, parce qu'une société peut se développer et fleurir quand on a un capital de risque. Évidemment, par des mécanismes comme la SGF, ou d'autres, les gens diraient qu'on en a un mécanisme pour le capital de risque. Là-dessus, l'Institut, éventuellement, présentera des opinions, mais je pense que, nonobstant le rôle ou non qu'on serait prêt à concéder à la SGF, le fait d'avoir un secteur de capital de risque privé qui soit important est absolument crucial à notre capacité de faire face à l'avenir et d'être une société qui ne sera pas à la remorque des autres.

Mme Leblanc: Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, messieurs, je vous remercie pour un mémoire qui, sans doute, n'a pas fait l'unanimité – je me réfère à votre première question – mais qui a été, sans l'ombre d'un doute, très stimulant. Je vous invite à poursuivre, donc, vos travaux et à nous les faire connaître.

J'ajourne nos travaux à mardi, 9 h 30, et je remercie les membres de la commission pour leur travail.

(Fin de la séance à 12 h 17)


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