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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mercredi 10 novembre 1999 - Vol. 36 N° 32

Consultation générale sur la réduction de l'impôt des particuliers


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Sylvain Simard, président
M. Bernard Landry
M. Michel Côté
M. François Gendron
Mme Monique Jérôme-Forget
Mme Fatima Houda-Pepin
Mme Diane Leblanc
M. Serge Geoffrion
*Mme Micheline Blain, ACDQ
*M. Yvan Brodeur, idem
*Mme Jacqueline Hekpazo, RAP
*M. François Grégoire, idem
*M. Denys Duchêne, idem
*M. Georges Pagé, idem
*Mme Geneviève Baril, FECQ
*M. Mathieu Laberge, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures trente-six minutes)

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, nous allons commencer nos travaux après une interruption d'une dizaine de jours. Je pense que nous allons reprendre avec d'autant plus de détermination. M. le secrétaire, est-ce que vous auriez la gentillesse de nous annoncer les remplacements pour aujourd'hui?

Le Secrétaire: Nous n'avons aucun remplacement, M. le Président.


Auditions

Le Président (M. Simard, Richelieu): Aucun remplacement, très bien. Alors, je vous rappelle que nous sommes réunis pour cette consultation générale portant sur la réduction de l'impôt sur les particuliers. Et, aujourd'hui, le premier groupe que nous recevons est celui de l'Association des chirurgiens dentistes du Québec. Alors, nous avons avec nous ce matin l'adjoint à la présidente et conseiller juridique, M. Yvan Brodeur, qui accompagne sa présidente, Mme Micheline Blain, donc, que nous allons écouter.

Vous connaissez, en tout cas j'imagine que vous savez les règles: une vingtaine de minutes de présentation maximum et le reste du temps des 40 minutes sera partagé entre le gouvernement et l'opposition. Mme Blain, je vous écoute.


Association des chirurgiens dentistes du Québec (ACDQ)

Mme Blain (Micheline): Alors, M. le Président, M. le ministre, l'Association des chirurgiens dentistes du Québec représente les dentistes généralistes du Québec oeuvrant en cabinet privé ou dans les établissements de santé du Québec. Au total, plus de 3 000 dentistes sont membres de l'Association.

L'Association a le mandat de défendre et de promouvoir les intérêts économiques et professionnels de ses membres. En particulier en ce qui a trait aux services dentaires dispensés aux enfants de moins de 10 ans et aux prestataires de la sécurité du revenu, l'Association agit comme organisme représentatif des dentistes dans les négociations avec le ministère de la Santé et des Services sociaux aux fins d'établir les conditions de participation de même que les tarifs appliqués par la Régie de l'assurance-maladie du Québec. L'Association est également très active dans le domaine de l'assurance privée, ayant créé et développé une carte de paiement direct, la carte Dentaide, actuellement utilisée par quelque 600 000 Québécois.

L'Association considère que l'intérêt économique de ses membres est intimement lié à la performance de l'économie du Québec. Par le présent mémoire, elle souhaite apporter une contribution aux efforts déployés pour améliorer le niveau de vie de ses concitoyens.

Lors du discours sur le budget prononcé le 9 mars 1999, le vice-premier ministre et ministre d'État à l'Économie et aux Finances a reconfirmé l'engagement du gouvernement du Québec de réduire les impôts des particuliers de l'ordre de 1 300 000 000 $ au cours du présent mandat. Tous, le gouvernement du Québec y compris, s'accordent sur le fait que le particulier québécois subit l'une des fiscalités les plus lourdes en Amérique du Nord. Cette responsabilité n'incombe pas uniquement au gouvernement québécois, l'impôt fédéral constituant également un facteur significatif du fardeau fiscal des contribuables québécois.

Ceci étant, il n'en demeure pas moins, puisque l'impôt fédéral est le même pour tous les Canadiens, que la portion des impôts des particuliers exigée par l'État du Québec explique en bonne partie le record peu enviable du régime fiscal le plus progressif en Amérique du Nord. L'engagement du gouvernement de réduire ce fardeau de 1 300 000 000 $ va donc dans la bonne direction, mais il n'y a pas de quoi pavoiser, puisque nous sommes d'avis qu'il est possible de faire plus.

Le plan proposé n'est pas suffisamment ambitieux ni en ce qui a trait au quantum de la réduction envisagée ni quant à la période de mise en oeuvre de cette réduction. La plupart des analyses affirment que la marge de manoeuvre du gouvernement est plus grande que celle préalablement envisagée, et par conséquent il y aurait donc lieu d'en profiter pour retourner un plus grand dividende fiscal aux contribuables québécois.

(9 h 40)

Le gouvernement du Québec doit planifier et mettre sur pied un programme de réduction d'impôts important et bien défini qui sera connu d'avance et qui s'échelonnera sur un nombre d'années précis, tel que cela fut le cas pour l'atteinte du déficit zéro. Cette certitude quant à un plan gouvernemental majeur et concret de réduction des impôts des particuliers constituera sans aucun doute un facteur positif et encourageant pour le développement économique du Québec.

Ceci étant dit, il est fondamental, dans le cas de l'utilisation des surplus budgétaires, d'accorder la priorité à la réduction des impôts des particuliers et au réinvestissement dans les domaines de la santé. Il faut saisir cette occasion que nous avons de réduire de façon importante le fardeau fiscal des Québécois, de prendre les mesures qui s'imposent afin que notre régime de l'imposition des particuliers soit un instrument de croissance économique plutôt qu'un facteur de régression.

Nous nous soucions également de l'impact des impôts sur l'incitation et la motivation au travail, le niveau de l'emploi et notre capacité comme société de concurrencer à armes égales nos partenaires économiques. Et, si la volonté du gouvernement de réduire à terme les impôts est réelle, elle devra nécessairement se traduire par une réduction significative et devra viser à corriger concrètement le positionnement concurrentiel du Québec en rapport avec ses partenaires économiques.

Aperçu de la situation fiscale au Québec. Dans le cadre d'une discussion sur la fiscalité des particuliers au Québec, il est pertinent, dans un premier temps, de rappeler et de mettre en relief certaines données de base quant à la situation fiscale actuelle du Québec. Ces faits doivent constamment être mis de l'avant afin de bien démontrer l'urgence d'agir, et ce, d'une façon décisive.

Les Québécois paient trop d'impôt sur le revenu. Cette conclusion est indéniable, puisqu'en termes de l'impôt des particuliers le Québec dépasse en pourcentage du produit intérieur brut toutes les provinces canadiennes et tous les pays du G 7. L'impôt des particuliers représente une partie trop élevée de recettes de l'État québécois. Au Québec, l'impôt des particuliers représente 43,4 % des recettes fiscales totales du gouvernement comparativement, par exemple, à 31,1 % pour la province voisine, l'Ontario, un de nos principaux partenaires économiques, et qui est régulièrement utilisé au document de consultation comme base de comparaison.

Cette constatation n'est pas nouvelle, puisque dans les documents budgétaires du gouvernement du Québec du 25 mars 1997, il y était mentionné que le Québec était la juridiction utilisant le plus intensivement l'impôt sur le revenu des particuliers. Rien ne justifie généralement que la charge fiscale de l'impôt des particuliers soit significativement plus élevée chez nous qu'ailleurs.

Deux, ce ne sont pas tous les contribuables québécois qui paient trop d'impôt sur le revenu, les contribuables à revenus modestes paient moins d'impôt au Québec que partout ailleurs au Canada. En 1996, le nombre de particuliers ayant produit une déclaration de revenus au Québec s'élève à 5 100 000. De ce nombre, 2 000 000 n'ont eu aucun impôt à payer. Ainsi, pour l'année 1996, 39,2 % de tous les contribuables étaient non imposables.

Il y a donc eu une augmentation importante et rapide du nombre de contribuables non imposables par rapport au nombre total de contribuables, ce qui a eu pour effet de reporter sur les épaules des personnes à revenus plus élevés une part démesurément plus grande de la contribution au financement de l'État québécois. La fiscalité constitue le premier moyen à la disposition de l'État pour répartir entre ses citoyens les revenus totaux gagnés par l'ensemble des contribuables. La société québécoise est attachée aux valeurs de solidarité et de compassion qui sont les siennes, mais on peut mettre en péril ces valeurs en demandant à un pourcentage toujours moins élevé de contribuables de pourvoir financièrement aux opérations de l'État.

Trois, les contribuables à revenus plus élevés paient plus d'impôts au Québec que partout ailleurs au Canada. Ce constat est le revers de la constatation précédente, alors que les contribuables à revenus modestes paient moins d'impôts ici qu'ailleurs, ceux à revenus plus élevés paient plus d'impôts au Québec qu'ailleurs. Cette caractéristique aussi banale soit-elle démontre clairement que le régime fiscal québécois des particuliers est le plus pénalisant en Amérique du Nord. On constate pour 1996 que les contribuables dont le revenu est supérieur à 50 000 $ représentent 10,4 % de l'ensemble des contribuables québécois. Leurs revenus se chiffrent à 32,8 % de l'ensemble des revenus, et ils ont assumé 48,4 % de l'impôt à payer.

Pour cette même année, 1996, les contribuables dont le revenu est supérieur à 100 000 $ représentent seulement 1,3 % de l'ensemble des contribuables québécois. Leurs revenus se chiffrent à 9,2 % de l'ensemble des revenus, ils ont assumé 15,4 % de l'impôt à payer. Ce fardeau démesuré quant à l'impôt sur le revenu se caractérise également dans le fait qu'au Québec le taux marginal maximum d'imposition est un des plus élevés en Amérique du Nord, après la Colombie-Britannique et Terre-Neuve.

Le seuil de revenu à partir duquel le taux marginal d'imposition s'applique est de 63 519 $, montant qui est égal à ce qui prévaut dans la majorité des provinces canadiennes, mais en dessous cependant du Nouveau-Brunswick pour 101 375 $, et très en deça de ce qui est en vigueur aux États-Unis, environ 275 000 $US.

Il est possible pour le gouvernement d'exiger en situation de crise un effort supplémentaire de certains contribuables en vue de dénouer la crise, mais il n'est pas possible d'être toujours en situation de crise et de demander constamment et invariablement aux mêmes personnes de contribuer aux dépenses de l'État d'une façon disproportionnée.

Quatre, les contribuables québécois a revenus plus élevés ont intérêt à quitter le Québec alors que les contribuables ontariens à revenus modestes ont intérêt à s'établir ici. À l'heure actuelle, la situation fiscale du Québec en tenant compte non seulement de l'impact de l'impôt, mais également du niveau du coût de la vie est telle que: un, un contribuable dont le revenu est élevé a intérêt à quitter le Québec pour s'établir en Ontario, et, deux, un contribuable ontarien dont le revenu est modeste a, lui, intérêt à quitter l'Ontario pour venir s'installer chez nous.

Cette constatation est navrante, et la situation ne peut être tolérée. L'un de nos objectifs n'est-il pas de retenir au Québec les citoyens les plus mobiles et compétents? Il va s'en dire qu'une telle situation ne peut avoir qu'un impact négatif au plan de la compétitivité du Québec en rapport avec les juridictions voisines. Du moment où le gouvernement reconnaît lui-même cette situation, il y a urgence de trouver une solution.

Donc, il ressort des données pertinentes qu'au Québec: les particuliers paient trop d'impôt sur le revenu; deux, mais ce ne sont pas tous les contribuables qui paient trop d'impôt sur le revenu, puisque les contribuables à revenus modestes sont moins imposés ici qu'ailleurs; trois, indéniablement les contribuables à revenus plus élevés sont surtaxés; et, quatre, compte tenu de l'écart si prononcé il y a un intérêt pour le contribuable à revenus plus élevés de s'établir ailleurs, même si le coût de la vie y est plus élevé.

À la lumière de ces conclusions, il ne fait aucun doute que la réduction des impôts devient une nécessité et que cette réduction doit amoindrir le fardeau fiscal de ceux qui en assument une part disproportionnée. En termes simples, le gouvernement doit s'attaquer à la progressivité trop prononcée de notre régime fiscal, donc doit diminuer l'impôt de ceux qui en paient le plus.

Comme le gouvernement l'affirme lui-même, les personnes à revenus plus élevés amélioreraient leur situation financière en acceptant, par exemple, un emploi comparable à Toronto. On s'accorde donc à dire que notre fiscalité constitue présentement un facteur d'encouragement à quitter le Québec, ce qui est en soi aberrant. Cela est d'autant plus ironique que la législation fiscale contient un certain nombre de mesures incitatives pour des étrangers à venir s'établir chez nous. Ainsi, à titre d'exemple, le gouvernement accorde un congé fiscal de cinq ans pour certains chercheurs étrangers. L'encouragement fiscal accordé à certains experts s'établissant ainsi devrait à tout le moins s'accompagner d'un régime fiscal n'encourageant pas la mobilité de ceux qui y sont déjà.

Les objectifs recherchés. Puisque globalement les Québécois paient plus d'impôts des particuliers qu'ailleurs, les contribuables à revenus modestes en paient moins qu'ailleurs, les contribuables à revenus élevés en paient plus qu'ailleurs, le régime fiscal encourage la mobilité des hauts salariés, l'objectif visé est simple: une réduction significative des impôts des particuliers pour ces personnes qui présentement en paient le plus. L'atteinte d'un tel objectif réduira le caractère trop progressif de notre régime fiscal, favorisant ainsi notre compétitivité et notre croissance économique. Le gouvernement nous affirme noir sur blanc que l'impôt des particuliers est plus lourd et plus progressif au Québec qu'ailleurs au Canada et aux États-Unis. La situation est donc limpide: réduction de la progressivité de notre régime fiscal.

Dans son document de consultation, le gouvernement indique une série d'objectifs qui pourraient être pris en compte pour les fins de la réduction de l'impôt des particuliers. Ces objectifs, qui ne sont en fait que des indications, pour reprendre les expressions contenues au document de consultation, se divisent en deux volets: maintenir un régime fiscal équitable et, deux, rendre le régime fiscal plus favorable à l'emploi.

(9 h 50)

Donc, maintenir un régime fiscal équitable. Une bonne part de la redistribution du revenu entre contribuables dont les revenus sont élevés à ceux dont les revenus sont plus modestes s'effectue par le biais du régime fiscal en place. Lorsque près de 40 % des contribuables québécois n'assument aucun impôt sur le revenu, on ne peut certes pas prétendre que le régime actuel soit défaillant à cet égard. De même, dans le régime actuel les écarts des taux moyens et marginaux d'imposition sont très importants entre les contribuables à revenus modestes et ceux à revenus plus élevés.

Il est ironique que le gouvernement insiste sur le maintien d'un régime fiscal équitable, puisque dans la réalité le régime actuel fait preuve d'iniquité envers ceux qui paient le plus d'impôts. De fait, une réduction des impôts pour ceux qui à l'heure actuelle en paient le plus aura pour effet de rendre le régime plus équitable. À notre avis, il serait impensable dans un contexte de réduction de la fiscalité des particuliers de maintenir la progressivité actuelle de notre régime fiscal.

Rendre le régime fiscal plus favorable à l'emploi. Le ministre d'État à l'Économie et aux Finances a clairement exprimé, lors de son dernier discours sur le budget, l'importance de la création d'emplois, et je cite: «Notre gouvernement s'est fortement engagé à mettre pleinement en valeur, et je dirais de manière obsessionnelle, le potentiel économique du Québec et à créer des emplois.»

À cela, le document de consultation mentionne qu'une réduction de l'impôt pourrait tendre, afin d'être favorable à l'emploi, à favoriser l'incitation au travail, à réduire les écarts d'imposition les plus prononcés par rapport aux autres juridictions et à réduire davantage l'importance de l'impôt des particuliers. Ces commentaires rejoignent l'objectif que nous recherchons, à savoir la réduction de la progressivité de l'impôt québécois.

Comme nous le mentionnions précédemment, le contribuable dont le revenu est le plus élevé a un intérêt à déménager pour s'installer dans une autre juridiction. Le contribuable dont le revenu est le plus élevé est souvent un travailleur mobile occupant un emploi spécialisé et consommant généralement plus que la moyenne. C'est là précisément le genre de contribuable que nous devons retenir si le gouvernement a véritablement l'obsession de pleinement mettre en valeur le potentiel économique du Québec et de créer des emplois. C'est également ce contribuable qui a été appelé à assumer une part disproportionnée de l'effort à la lutte au déficit.

La seule intervention concrète, immédiate et efficace que le gouvernement peut faire suite à l'effort consenti par ce contribuable tout en l'incitant à demeurer au Québec est de réduire significativement son impôt sur le revenu. Cette intervention aurait pour effet non seulement d'inciter ce contribuable à demeurer chez nous, mais encourager des résidents de l'extérieur du Québec à venir s'établir ici.

Un autre aspect qu'il ne faut pas non plus oublier malgré les efforts du gouvernement à cet égard est qu'un régime fiscal trop progressif stimule l'imagination à soustraire à l'impôt certains revenus. Un régime plus simple, plus clair et qui est perçu comme étant plus équitable permettra à l'État d'engranger des revenus qui présentement lui échappent. L'engagement de réduire l'impôt des particuliers de 1 300 000 000 $ d'ici la fin du présent mandat s'inscrit dans la volonté gouvernementale de réduire le poids de l'impôt des particuliers par rapport à celui d'autres juridictions, notamment l'Ontario.

Le gouvernement vise une première réduction à compter du 1er juillet 2000 de l'ordre de 400 000 000 $ et dont les modalités seront précisées au discours sur le budget 2000-2001. Il est important de bien souligner que, si les modifications au régime fiscal québécois ont été apportées en 1998 suite au discours sur le budget 1997-1998, ces dernières n'ont eu aucun impact positif sur la progressivité du régime. De fait, pour les contribuables les plus imposés ces modifications n'ont eu pour effet que d'augmenter leur fardeau fiscal compte tenu de l'augmentation de la taxe de vente. En d'autres termes, ces modifications n'ont eu aucun effet positif dans l'atteinte de l'objectif recherché.

De plus, les contribuables à revenus plus élevés ont participé intensivement à l'effort collectif de la lutte au déficit. Ainsi, de nombreuses mesures fiscales ont au fil des ans été introduites, ayant pour effet d'augmenter les montants en impôt sur le revenu payables par ces contribuables, et ce, sans qu'il n'y ait eu une augmentation réelle du revenu total. À cet égard, nous pensons particulièrement aux surtaxes, à la non-indexation des seuils d'imposition, aux déductions et aux crédits d'impôt, à la transformation des déductions en crédits d'impôt, à certains changements aux règles sur les régimes enregistrés d'épargne-retraite et aux déductions pour les dons de charité et frais médicaux.

Il s'agit donc maintenant de focaliser précisément sur l'effet démobilisateur du régime fiscal québécois, particulièrement l'impact négatif de l'impôt sur la croissance et l'emploi et les problèmes relatifs à la mobilité des travailleurs spécialisés. Il serait suicidaire de maintenir en place un régime fiscal favorisant la mobilité de nos gens les plus capables et, par le fait même, la croissance économique de nos voisins au détriment de la nôtre.

Réduire les impôts des salariés les plus rémunérés, voilà un programme exigeant une dose de courage politique. Les efforts à faire pour vendre un tel programme à l'ensemble de nos citoyens ne seront certes pas faciles, mais il faudra bien prendre les mesures qui s'imposent pour s'assurer que notre régime fiscal ne soit pas un boulet à la croissance économique, particulièrement à la lumière d'une libéralisation généralisée des marchés. Il faut présumer que la société québécoise est suffisamment mature pour comprendre qu'il n'est pas possible de distribuer la richesse avant de la créer, et un régime fiscal trop progressif limite cette création de richesse.

Alors, l'analyse générale des cinq scénarios proposés. L'Association s'en est tenue à analyser les cinq scénarios qui ont été présentés et, par la suite, d'en retenir un parmi les cinq. À cet égard, il aurait été possible de proposer divers amendements à notre régime fiscal autres que ce qui est proposé au document de consultation, et certaines des modifications y contenues nous apparaissent inutiles ou contre-productives.

Ainsi, à titre d'exemple, dans les cas de tous les scénarios mis de l'avant, il y aura une augmentation du nombre de contribuables additionnels ne payant aucun impôt au Québec, ce nombre variant de 47 300 à 70 200 selon les scénarios retenus. L'augmentation du nombre de contribuables non imposables ne constitue pas à nos yeux un élément de fierté. Il n'y a rien de malsain, tout au contraire, de payer et de vouloir payer un impôt. Mais, afin de bien marquer l'urgence et l'importance d'atteindre sans équivoque l'objectif recherché, nous nous sommes limités à commenter généralement les scénarios proposés et à recommander l'adoption d'un seul scénario.

Par ailleurs, nous constatons que le document de consultation est muet sur le sujet de l'indexation des seuils de revenus imposables et des montants admissibles aux crédits d'impôt. Nous sommes d'avis que le régime fiscal doit être modifié afin de prévoir une pleine indexation des seuils de revenus imposables et des montants admissibles aux crédits d'impôt. Cet élément est fondamental, puisque la non-indexation constitue dans la réalité une augmentation annuelle des impôts, et ce, même si le revenu du contribuable demeure inchangé. Le retour à une pleine indexation des crédits doit s'inscrire dans le cadre d'un programme bien défini de réduction des impôts. Ça ne sera pas long, j'achève.

Notre analyse des scénarios s'est effectuée en gardant toujours à l'esprit l'objectif de réduire la progressivité du régime afin de diminuer significativement les impôts des particuliers à l'égard des contribuables qui en paient le plus. Avant de commenter chacun des scénarios proposés au document de consultation à la lumière des objectifs recherchés, il serait pertinent de rappeler que la détermination de l'impôt sur le revenu imposable s'effectue présentement selon une table de trois taux d'imposition applicables sur une base progressive, c'est-à-dire: la tranche de revenu imposable 0 $ à 25 000 $, pour un taux marginal d'imposition de 20 %; 25 000 $ à 50 000 $, pour un taux marginal d'imposition de 23 %; plus de 50 000 $, un taux marginal d'imposition de 26 %.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je suis obligé de vous demander de conclure très rapidement, s'il vous plaît, votre temps est déjà écoulé.

Mme Blain (Micheline): Alors, je vais conclure. Sur ce...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Rassurez-vous, on l'a lu avec attention.

Mme Blain (Micheline): De tous les scénarios mis sur la table, le scénario 5 rencontre le mieux l'objectif recherché. Il s'attaque de front au problème de la progressivité. L'adoption de ce scénario favorisera indéniablement l'emploi, puisqu'il réduit d'une façon significative les taux marginaux d'imposition, les taux moyens d'imposition et l'écart entre le Québec et les autres juridictions.

En résumé, l'adoption de l'un ou l'autre des scénarios 1 à 4 est définitivement à proscrire et le scénario 5 est à retenir, car il est le seul scénario qui s'attaque de front au problème du régime actuel et qui rencontre clairement l'objectif recherché.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci beaucoup, Mme la présidente. Je vais donc inviter le ministre d'État à l'Économie et aux Finances à poser les premières questions.

M. Landry: Bien. Il est facile de voir qu'il n'y a pas de grandes différences de philosophie globale entre ce que dit l'Association des chirurgiens dentistes et ce que préconise le gouvernement: Vous trouvez que les impôts sont trop élevés, nous aussi. Vous demandez qu'on les baisse.

(10 heures)

Je vais vous poser par ailleurs deux questions. Il y a des gens qui pensent qu'on ne doit pas baisser les impôts, il y a des gens assis aux fauteuils que vous occupez qui sont venus nous le dire, et c'est des opinions respectables aussi. Mais, parmi les gens qui veulent que l'on baisse les impôts, est-ce que vous vous situez dans le groupe de ceux qui ne voudraient pas qu'on les baisse en s'endettant davantage? Car une des causes des lourds impôts du Québec, c'est que chaque année 7 000 000 000 $ de nos recettes vont à un service de dette qui s'est gonflée par l'accumulation des déficits.

Alors, ma première question, c'est: Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que pour baisser les impôts plus vite il faut s'écarter du déficit zéro et aller emprunter pour baisser les impôts ou si on doit, plus prudemment, comme on l'a fait jusqu'à ce jour, baisser les impôts avec l'argent qu'on a et pas avec celui qu'on voudrait avoir? Première question.

Deuxième question. Vous savez, par l'actualité très répercutée dans les médias depuis quelque temps, qu'un autre ordre de gouvernement qui taxe les Québécois a d'énormes surplus et que ce même gouvernement a coupé dans la santé et l'éducation au Québec 5 000 000 000 $ par an. Si le gouvernement fédéral qui est en énormes surplus aujourd'hui ne les avait pas constitués sur notre dos, nous aurions eu 5 000 000 000 $ de plus cette année, et l'an prochain, et l'an passé, et l'année d'après pour baisser davantage les impôts ou faire des arbitrages pour les services. En particulier le soin dentaire aux enfants, qui doit être un sujet tout à fait brûlant en ce qui vous concerne, aurait pu être abordé d'une autre façon si on avait eu 5 000 000 000 $ de plus dans nos poches. Est-ce que vous avez fait des représentations auprès du gouvernement fédéral pour ces agissements qui sont de plus en plus cyniques, de développer des surplus et de venir les dépenser, souvent en gaspillant purement et simplement les ressources, dans des champs de juridiction qui ne sont même pas les siens? Alors, j'aimerais vous entendre sur ces deux questions.

Mme Blain (Micheline): Alors, je vais laisser la parole à Me Brodeur.

M. Brodeur (Yvan): Je pense bien, M. le ministre, que le ton et le sens et la direction du mémoire laissent bien entendre que, pour l'Association, il ne devrait pas y avoir un endettement accru de l'État québécois dans le cadre de cette opération de réduction des impôts aux particuliers.

Ceci dit, quant à votre deuxième question... C'est que je n'ai vraiment rien à ajouter à ça pour la première; pour moi, ça me semble quelque chose d'évident, qui sous-tend le mémoire. Ceci dit, la deuxième question est beaucoup plus glissante et difficile. L'Association des dentistes représente des dentistes qui vivent partout au Québec, qui à l'occasion sont francophones et à l'occasion sont anglophones, à l'occasion sont indépendantistes et à l'occasion sont fédéralistes, alors, je pense bien qu'une association provinciale évite de trancher des débats qui touchent les deux gouvernements, de façon habituelle, en tout cas. Alors, la question, donc, que vous posez, elle est difficile.

Je dirai simplement qu'il est regrettable que le gouvernement du Québec soit dans une situation où il nous dit: Il devient difficile de maintenir une qualité de services, notamment dans le domaine de la santé, et à la fois d'être en contrôle par rapport aux finances publiques et d'être en situation d'améliorer le niveau de compétitivité de l'État au Québec. C'est malheureux qu'on se trouve là, sûrement.

M. Landry: D'autres collègues?

Le Président (M. Simard, Richelieu): M. le député de La Peltrie, vous aviez des questions à poser.

M. Côté (La Peltrie): Merci, M. le Président. Mme la présidente, Mme Blain, M. Brodeur, bienvenue à cette commission. Dans votre mémoire, vous indiquez qu'il est fondamental d'accorder la priorité à la réduction des impôts. Mais, en contrepartie, vous dites qu'il faut aussi réinvestir dans le domaine de la santé. Alors, considérant qu'au Québec nous investissons beaucoup dans les services publics, beaucoup plus que nos voisins, que ce soit de l'Ontario ou des États-Unis, croyez-vous que dans ce contexte la marge de manoeuvre devrait être allouée principalement à la réduction d'impôts? Parce que, là, vous dites: On doit réinvestir dans le domaine de la santé et aussi baisser les impôts, donc il y a deux volets là. Est-ce que ça va être difficile d'aller aux deux endroits, d'après vous? Vous dites qu'il est fondamental de baisser les impôts. Est-ce qu'on doit aller aussi dans le domaine de la santé? Parce que, là, j'aimerais avoir vos commentaires sur les deux avenues que vous proposez.

M. Brodeur (Yvan): Je pense qu'on est en bonne compagnie quand on dit qu'il faut baisser le niveau d'impôt des particuliers et qu'il faut, au fond, que la progressivité de notre régime fiscal soit améliorée, ou que le système que l'on a au Québec en termes de progressivité de l'impôt soit amélioré. Je pense que c'est quelque chose qui est partagé par une grande majorité des Québécois, quand même, et par, essentiellement, je pense bien, les partis politiques à Québec, ici.

Ceci étant dit, bien sûr, on se trouve ici, comme dans tous les domaines, avec l'obligation de garder un certain équilibre et avec l'obligation de tenir compte de plusieurs choses à la fois. Je pense bien que prendre des décisions de cette nature-là c'est être capable de jouer avec plusieurs boules à la fois sans en échapper. Et, une des boules, c'est évidemment la structure fiscale. Les autres, c'est notamment les sommes d'argent qui doivent être et devraient être investies et réinvesties dans le domaine de la santé. Je ne veux pas parler ici de besoins au niveau des hôpitaux, par exemple, ou des urgences. Je laisserai ça; il y a des groupes qui sont plus compétents que nous pour le faire, même si on peut partager leur point de vue et leurs opinions.

Si on parle du domaine de la dentisterie, je vous soulignerai simplement que, par exemple, depuis huit à 10 ans, il n'y a pas de hausse des tarifs pour les dentistes lorsqu'ils dispensent des soins pour les enfants de neuf ans et moins ou pour les prestataires de la sécurité du revenu. Alors, les tarifs sont demeurés à peu près les mêmes, essentiellement, sinon qu'ils ont diminué, alors que, bien sûr, comme pour tout le monde, les dentistes, qui sont des entrepreneurs privés, voient leurs coûts de gestion de leur cabinet augmenter considérablement. Et on se retrouve aujourd'hui dans une situation où les honoraires chargés par un dentiste pour un Québécois qui détient une assurance privée, par exemple, et ceux qui sont chargés pour un Québécois pour l'assurance publique où il est rémunéré par la Régie, c'est du deux à un, c'est-à-dire qu'il reçoit deux fois moins lorsqu'il s'agit de l'assurance publique. À un moment donné, ça devient désincitatif à tel point que plusieurs dentistes trouvent que c'est un régime qui n'a vraiment plus d'allure du tout, là. Bon.

Je vous parle de ça pas pour déposer une complainte ici – ce n'est pas le but de l'opération, on se comprend – c'est pour répondre à votre question dans le contexte de la dentisterie. Il est sûr que, si on vous dit qu'il faut diminuer les impôts, je pense que tout le monde s'entend là-dessus. On est plus ici pour décider de la façon de le faire. Ça ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas d'autres besoins à côté. Et il y en a notamment en termes de négociation avec les partenaires du gouvernement pour arriver à des tarifs et à des conditions de pratique qui, quand même, soient acceptables en termes de contrat social.

M. Côté (La Peltrie): Mais, par contre, vous recommandez le scénario cinq, à ce moment-là, avec plein d'indexations. Bon. Le scénario cinq avec plein d'indexations, ça représente 1 800 000 000 $, alors que notre gouvernement et le ministre des Finances proposent une réduction de 1 300 000 000 $. Donc, là, il y a un 500 000 000 $ qui manque comme tel. C'est quoi, ce que vous proposez pour aller le chercher? Vous dites: On baisse les impôts, on réinvestit en santé, mais, par contre, vous privilégiez le scénario 5 qui demande beaucoup plus que le 1 300 000 000 $.

(10 h 10)

M. Brodeur (Yvan): Quand on dit: On baisse les impôts, je pense qu'on est tous d'accord là-dessus, on ne fait que dire la même chose que vous. Après ça, quand on parle du scénario 5 qui implique une diminution d'impôts plus importante, je vous ferai remarquer que c'est la même chose pour le scénario 3 où il y a un 600 000 000 $ de plus, aussi. Ce sont des scénarios proposés par le gouvernement, on vous les commente. Et ce qu'on dit, au fond, c'est d'aller chercher cet argent-là par d'autres types d'impôts, comme la taxe de vente, par exemple, pour le 600 000 000 $. C'est ce qui est dit dans la documentation de consultation, essentiellement.

M. Côté (La Peltrie): Alors vous proposez une augmentation de la TVQ pour combler la différence?

M. Brodeur (Yvan): Je ne veux pas poser en spécialiste de la fiscalité, mais il nous apparaît que ce type d'impôt là ou de taxe là serait plus approprié. Et ça rejoint essentiellement ce qu'on peut retrouver dans le document de consultation.

M. Côté (La Peltrie): J'aurais une autre question, M. le Président. Vous mentionnez aussi dans votre mémoire que, compte tenu de l'écart de fardeau fiscal des Québécois par rapport à nos voisins, on sait qu'on est les plus élevés en Amérique du Nord et puis que, ça, ça contribue à l'exode des travailleurs qualifiés, ou encore à des professions hautement reconnues. Dans votre Association, avez-vous dénombré un nombre significatif de départs parmi vos membres?

M. Brodeur (Yvan): Non, non. Il est certain que, pour ce qui est des dentistes au Québec, comme pour le reste de la population, l'ouverture des frontières au commerce et aux échanges a un impact. On note, par exemple, de plus en plus des ententes entre les universités américaines et les organismes de certification des dentistes, de telle sorte qu'un dentiste qui fait ses études dans une université américaine peut pratiquer de façon beaucoup plus facile, maintenant, au Canada. Il existe un examen qui est national, au Canada, qui est passé maintenant par tous les gens qui graduent en médecine dentaire et qui leur permet de pratiquer à travers le Canada. Donc, la mobilité de la main-d'oeuvre devient de plus en plus grande. Et il est certain qu'il y a une augmentation de la mobilité de dentistes du Québec vers les autres provinces canadiennes. Il y a une certaine augmentation de la mobilité pour les spécialistes également. C'est vraiment une tendance qui semble inscrite dans la réalité et qui ne va pas disparaître. Et je pense qu'on pouvait s'attendre à ça, mais il n'y a pas quelque chose d'alarmant actuellement.

M. Côté (La Peltrie): Vous ne la reliez pas uniquement au fardeau fiscal, cette...

M. Brodeur (Yvan): Il n'est pas facile de savoir à quoi c'est relié...

M. Côté (La Peltrie): Vous n'avez pas de statistiques à cet égard-là, hein?

M. Brodeur (Yvan): C'est très difficile de savoir, vous savez, pourquoi un dentiste du Québec s'en va pratiquer à Toronto. Le fardeau fiscal est sûrement un des éléments qu'il peut prendre en considération. Il peut y en avoir d'autres, c'est évident.

M. Côté (La Peltrie): Merci.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Le député d'Abitibi-Ouest m'avait mentionné qu'il avait certainement une question à poser.

M. Landry: Il n'y a pas un surplus de dentistes en Ontario, alors qu'il y en a un manque au Québec?

M. Brodeur (Yvan): Je m'excuse, M. le ministre, je n'ai pas entendu.

M. Landry: Est-ce qu'il n'y aurait pas un surplus de dentistes en Ontario, alors qu'on aurait plutôt tendance à en manquer au Québec?

M. Brodeur (Yvan): Non...

M. Landry: Ça a été corrigé, ça?

M. Brodeur (Yvan): ...il y a vraiment un surplus de dentistes au Québec actuellement, M. le ministre.

M. Landry: Et quelle est la situation en Ontario? Parce que, il y a quelques années, c'était le contraire. Ça fait longtemps que je n'ai pas vu les chiffres, là.

M. Brodeur (Yvan): Je ne pense pas que la situation soit bien différente entre l'Ontario et le Québec en termes de main-d'oeuvre et de nécessité ou non d'un contingentement. Je peux vous dire qu'au Québec il y a trois universités qui forment des dentistes; ça n'existe nulle part ailleurs, ça n'existe pas en Ontario, ni au Canada ailleurs. C'est un cas spécial d'avoir Laval qui, un peu traditionnellement, dessert maintenant l'Est-du-Québec davantage, dans le sens que ses gradués vont plutôt là, Montréal, bon, qui est peut-être plus provincial au sens large, et puis McGill qui a une vocation un peu particulière. Mais ça fait, quand on additionne tout ça, un nombre de gradués très important, qui est au-delà de 150 par année, et une augmentation de la main-d'oeuvre importante aussi, de sorte que ça crée actuellement, de l'avis de l'Ordre des dentistes et de l'Association des dentistes, un surplus de main-d'oeuvre. Quand on pense aux coûts de formation d'un dentiste, il y aurait peut-être des choses à regarder là.

M. Gendron: Oui. La question que je voudrais poser sur votre mémoire – je vous remercie d'être là – c'est que vous avez insisté, à la page 11... Et je trouve que c'est important parce que ça a été répété, ça, par à peu près tous les gens qui sont venus, toute la notion de la progressivité de notre régime d'impôts pour les particuliers. Alors, à la page 11, c'est clair, vous dites: «Le gouvernement doit s'attaquer à la progressivité trop prononcée de notre régime fiscal.» Puis là vous faites, à la page 14, une adéquation que je ne qualifierai pas mais qui est dans le même sens, qui est très claire. Vous dites: «Le ministre lui-même et le gouvernement affirment noir sur blanc que l'impôt des particuliers est plus lourd et plus progressif au Québec.» C'est clair, c'est un choix qu'on a fait, nous. Donc, on l'affirme, c'est vrai. Puis là vous dites: Bien, puisqu'on le dit, nous autres, la solution est très simple, très limpide, il s'agit de réduire la progressivité de notre régime fiscal.

J'aimerais ça qu'il y ait quelques phrases de plus. Avez-vous analysé un peu les conséquences de la réduction de la progressivité quand il y a 40 % des gens qui ne paient pas d'impôts? Puis ça, ils savent ça, ils sont venus nous dire: Écoutez, il ne faut pas baisser les impôts, il y en a 40 % qui n'en paient pas. Et c'est parce que je veux une réflexion pour contrarier un peu cette thèse.

Et on est en demande pour de meilleurs services: santé, éducation, réinvestissement en logements sociaux, et ainsi de suite, et on a fait une belle liste d'épicerie. Alors, avez-vous des suggestions dans ce que j'appelle le choix politique pour justifier de toucher à ce qu'on appelle la progressivité de notre régime fiscal? Autrement dit, est-ce que ça ne vous dérangerait pas, vous, est-ce que c'est bien ça, votre suggestion? Vous savez tout ça, mais vous êtes d'accord pareil que nous touchions à la progressivité de notre régime fiscal parce qu'il est trop progressif.

M. Brodeur (Yvan): Ce n'est pas en soi parce que le mot «progressif» est un mot à bannir, c'est parce que le fait d'avoir un régime aussi progressif fait que, par exemple, pour une compagnie qui vient s'établir au Québec, il est évident que c'est un élément qu'elle va prendre en considération. Et les gens qui prennent ces décisions-là et qui vont venir eux aussi, à l'occasion, s'établir au Québec savent très bien qu'ils vont payer plus d'impôts qu'ils en paieraient ailleurs. Il est évident que ça a des impacts négatifs, d'autant plus qu'il s'est passé ceci en Ontario qu'on a élu un gouvernement conservateur qui a pris des mesures très carrées dans ce sens-là, et puis il est évident que ça a un impact sur le Québec aussi.

C'est une question, en bout de ligne, d'efficacité de l'économie, de niveau d'investissements et puis, en bout de ligne, de niveau de chômage aussi, de création d'emplois. C'est une question économique. Je ne suis pas un économiste, puis je ne veux vraiment pas jouer à ça, mais je pense que, si je ne me trompe, il y a bien du monde qui utilise le même lieu commun, à savoir que de diminuer les impôts ça va créer des emplois. Moi, j'ai cru comprendre que c'est correct de dire ça.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci. Nous allons maintenant passer aux questions de l'opposition officielle. J'invite le porte-parole à poser la première question.

Mme Jérôme-Forget: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Blain et M. Brodeur, bienvenue dans cette enceinte. On a lu votre proposition avec beaucoup d'attention. Je vais faire quelques commentaires avant de vous poser quelques questions.

Ce qui m'a frappée dans votre mémoire, c'est effectivement qu'à plusieurs reprises vous mentionnez que des experts à l'extérieur, des documents fournis par le ministère des Finances avaient estimé les surplus beaucoup plus élevés. Ils avaient estimé que les surplus seraient beaucoup plus élevés cette année et pour les cinq prochaines années.

(10 h 20)

Et, ce que je trouve dommage, c'est de faire venir des gens comme vous, préparer des mémoires, faire un effort exhaustif, vous déplacer et ne pas avoir une connaissance de ce qu'est l'environnement et ce que va être l'environnement pour les cinq ans. Si on veut inviter des gens à nous soumettre des propositions, il me semble qu'on donne le tableau de ce qu'on va avoir autour de nous. Or, au contraire, ce qu'on nous a proposé... on nous a même dit l'envergure de la coupure des impôts: 1 300 000 000 $. Donc, on ne vous pose même pas la question de combien on devrait les couper, on décide que c'est 1 300 000 000 $ d'ici quatre ans, alors qu'on sait que, déjà cette année, le gouvernement devrait se retrouver avec un surplus de près de 1 000 000 000 $, peut-être un peu moins, peut-être un peu plus. Peut-être que le ministre des Finances le sait déjà quel va être son surplus. Il est clair que, d'ici cinq ans, le surplus va être à peu près de 5 000 000 000 $. Et, si on additionne tout ça, là, ça fait que, d'ici cinq ans, il va y avoir 15 000 000 000 $ qu'on va avoir accumulés. Et ça, je me base sur des données récentes. Le ministre avait fait ses projections sur une croissance de 2,1 %; on dit partout que c'est 3,4 %, 3,6 %.

Alors, ce qui est troublant dans notre analyse aujourd'hui, c'est qu'on n'a pas les faits, et donc on discute entre nous d'une situation, de scénarios figés, un carcan qui vous empêche et qui nous empêche de réfléchir, à mon avis, et de saisir cette opportunité qui arrive rarement dans l'histoire d'une société d'avoir des surplus et de pouvoir les dépenser.

Alors, ce pour quoi c'est si important de parler de ça, c'est que l'écart, par exemple, avec nos voisins de l'Ontario, qui eux ont opté pour baisser les impôts de 30 %, en 1995, l'écart entre nous et l'Ontario, c'est-à-dire si on appliquait le taux de l'Ontario au Québec, était de 1 900 000 $; aujourd'hui, l'écart est de 5 500 000 000 $. Et, considérant ce que le gouvernement entend faire, l'écart avec le Québec sera de 8 000 000 000 $.

Pendant que M. Harris faisait tout ça, par ailleurs, le vilain M. Harris, lui il baissait les impôts, puis ses revenus ont augmenté de 46 000 000 000 $ à 55 000 000 000 $ en quatre ans. Donc, quand vous dites qu'il est possible de baisser les impôts et d'avoir plus d'argent et d'avoir des revenus additionnels, c'est clair qu'il y a des gens qui en ont fait la démonstration. Bien sûr, ce n'est pas simplement à cause de ça, mais ils ont profité de la croissance économique en Amérique du Nord. Qu'est-ce que vous voulez, le taux de chômage aux États-Unis est à moins de 4 %. Alors, quand on se retrouve avec un taux de chômage de moins de 4 %, ça veut dire que tout le monde travaille. Effectivement, il n'y a pas de chômage: 4 %, c'est l'écart entre les gens qui se cherchent et qui trouvent un emploi ou qui sont en circulation pendant une courte période de temps.

Alors, ce que je trouve dommage dans toute cette démarche où on invite les gens qui présentent des mémoires, et qui se donnent beaucoup de mal pour nous arriver avec des propositions intéressantes, c'est que, si vous aviez eu le véritable tableau, votre mémoire aurait peut-être été différent. C'est comme une entreprise qui ne ferait pas une bonne analyse de son environnement, qui examinerait mal ce qui se passe autour d'elle puis qui penserait réussir. Vous savez, je veux dire, il faut connaître son environnement, les projections, pour faire une bonne analyse et ensuite décider de nos objectifs.

Maintenant, j'ai une question spécifique à vous poser. Vous avez parlé qu'il y avait trop de dentistes chez nous, il y a beaucoup d'écoles dentaires. Effectivement, si ma mémoire est bonne – et c'est pour ça, peut-être, que vous allez pouvoir rafraîchir mes données à cet égard – il me semble que les écoles dentaires au Québec étaient parmi les meilleures. En tout cas, elle se situaient dans la haute gamme en Amérique du Nord, et on avait une très haute réputation quant à ces écoles. Est-ce que vous avez l'impression qu'aujourd'hui – peut-être parce qu'on a dilué des écoles, on a trop d'écoles, possiblement – à cause de coupures un peu partout parsemées, les écoles n'ont plus la réputation qu'elles ont eue déjà dans le passé?

Mme Blain (Micheline): Pour l'Université de Montréal – je peux parler de l'Université de Montréal – les diplômés qui graduent vont peut-être avoir fait seulement une couronne en bouche ou une prothèse en bouche, pour cause de manque de temps. Il y a trop d'étudiants et, bien sûr, les coupures n'ont pas aidé dans ce domaine-là. Alors, c'est pour ça qu'on les incite, nous, à faire des résidences pour qu'ils puissent avoir la chance, avant d'entrer directement en cabinet privé, bien, d'aller sous surveillance de dentistes pratiquer un petit peu avant d'entrer seuls dans leurs cabinets.

Mme Jérôme-Forget: Maintenant, page 13, vous mentionnez de donner à certains chercheurs étrangers un congé fiscal afin de les inciter à venir s'établir au Québec. Est-ce que vous avez du mal à attirer des gens à venir travailler dans vos écoles? Page 13.

Mme Blain (Micheline): On en a, mais on n'en a pas de façon excessive, si vous voulez. Ils vont venir peut-être pour donner un cours ou deux, mais ils vont retourner dans leur pays ou dans leur province.

Mme Jérôme-Forget: D'accord. Je n'ai pas d'autre question.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme la députée de La Pinière, s'il vous plaît.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour, je vous souhaite la bienvenue, je vous remercie pour l'excellent mémoire que vous nous présentez. Vous semblez prioriser deux axes: la réduction des impôts et le réinvestissement dans la santé comme tel. C'est ce qui se dégage, en tout cas, de la présentation que vous nous avez faite, sans oublier le fait que vous avez mentionné que la société québécoise est une société de solidarité et de compassion, quand même.

Vous avez axé votre présentation sur la situation des hauts salariés; parce que vous êtes l'Association des chirurgiens dentistes du Québec, vous représentez cette catégorie de citoyens. Avant vous nous avons entendu des groupes qui nous ont présenté des mémoires où on nous sensibilisait à la problématique de l'exode des cerveaux, vous l'avez aussi mentionné.

Ma question est assez précise quant à la corrélation qu'on doit faire entre le taux d'imposition, surtout pour les hauts salariés, et l'exode des cerveaux. Est-ce que vous avez fait des sondages ou vous avez des informations internes qui vous indiquent que, de façon claire et précise, ce problème de taxation a un effet direct sur l'exode des cerveaux, ou si l'exode des cerveaux n'est pas un phénomène qui dépend d'autres facteurs qui sont peut-être plus déterminants?

M. Brodeur (Yvan): Comme je l'ai mentionné antérieurement, l'exode de dentistes, si on veut, ou l'émigration de dentistes est à un niveau quand même relativement faible au Québec, pour différentes raisons aussi, rattachées probablement à ce qu'est la pratique dentaire. J'ai mentionné aussi qu'il y a une tendance vers une mobilité de la main-d'oeuvre qui est accrue, et on voit ça prendre place, mais on n'a pas de statistiques ou d'études qui nous démontreraient une corrélation de la nature de celle à laquelle vous faites allusion.

On est un peu parti, dans notre mémoire, de cette prémisse-là qu'il fallait réduire la progressivité de notre régime fiscal. Je pense que les données qu'on détient et qu'on cite dans le document de consultation sont très claires à cet égard-là, il nous apparaît que c'est une mesure qui doit s'implanter. Et, si je vous amenais à la page 23 de notre mémoire, au tableau qu'on y voit, il ressort très clairement que, la seule façon d'arriver à une réduction du niveau de progressivité, c'est vraiment par le scénario n° 5 où on a une réduction d'impôts pour les individus qui ont un revenu de 20 000 $, importante, mais où on a également un effet très direct sur la structure d'impôt et sur la progressivité.

Dans le fond, la question est de savoir s'il faut ou non réduire le niveau de progressivité de notre structure fiscale. Nous, on dit que oui, puis on dit que c'est une question d'efficacité économique. Et, bien sûr, on ne cachera pas que c'est aussi dans l'intérêt de nos membres, ça va de soi.

Mme Houda-Pepin: Et donc vous priorisez le secteur de la santé parce que vous venez de ce milieu-là. Qu'en est-il de l'éducation? Est-ce que c'est aussi un secteur qu'il faut prioriser? Puis, pour boucler la boucle, ça peut avoir aussi un impact sur la santé parce qu'il faut former des médecins, il faut former des dentistes. Est-ce que vous ne voyez pas aussi cette priorité comme étant importante au point que le gouvernement puisse la prioriser au même titre que la santé?

(10 h 30)

M. Brodeur (Yvan): Vous savez, c'est sûrement très important de prioriser chacun des secteurs, et l'éducation, c'est quelque chose, c'est un secteur, évidemment, éminemment important. Je ne veux pas poser de jugement sur l'importance d'un secteur par rapport à un autre. On est du secteur de la santé, je m'en tenais à celui-là, et je ne veux pas porter de jugement sur le secteur de l'éducation en particulier puis le secteur universitaire, ou le secondaire, ou le cégep, ou tout ça. Bon. Disons que, dans le secteur de la santé, je m'en suis tenu aussi essentiellement aux dentistes parce que d'autres sont plus compétents que nous. C'est sûr qu'il y a des besoins criants au Québec, c'est évident. Il est évident qu'on essaie de faire beaucoup avec des moyens toujours limités, c'est certain. Madame, tantôt, donnait un certain nombre de chiffres qui indiquent qu'il est possible à la fois de réduire les impôts de façon très importante quand même, de façon déterminante, je dirais, et à la fois de pourvoir aux besoins qu'on rencontre en santé et, ma foi, sûrement en éducation aussi. Bien sûr que l'argent ne tombe pas du ciel au Québec, pas plus qu'ailleurs.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme la députée de Beauce-Sud.

Mme Leblanc: Merci. Bonjour, Mme Blain, M. Brodeur. C'est à mon tour de vous saluer. Vous avez dans votre mémoire suggéré que le gouvernement s'arrête sur le scénario 5, puisqu'il vise à réduire l'impôt des ménages à revenus moyens et élevés, là où l'écart d'impôts par rapport aux autres juridictions est le plus grand. Le scénario 5 réduit l'impôt sur le revenu des particuliers de 1 700 000 000 $, c'est ce qu'on voit dans les documents. Toutefois, il nécessiterait un financement partiel de 377 000 000 $. Et, ce que le gouvernement nous propose, c'est d'aller chercher ce manque à gagner dans une augmentation de la taxe de vente du Québec.

Il y a d'autres organisations, avant vous, qui sont venues nous parler justement de cette augmentation de la taxe de vente du Québec, qui pourrait être retenue dans les scénarios. Il y a, par exemple, l'Association des économistes du Québec, l'Association de la construction du Québec, le Conseil du patronat. Alors, ces organismes-là excluent totalement une augmentation de la taxe de vente du Québec pour financer une plus grande réduction des impôts, tout simplement parce qu'elle a un effet régressif et parce qu'elle pourrait aussi provoquer plus de travail au noir. On ne vous entend pas là-dessus. Est-ce que je pourrais savoir si vous avez une opinion à ce sujet-là?

M. Brodeur (Yvan): J'ai envie de dire tout simplement non. On ne se sent pas la compétence pour vous donner une opinion sur cette question-là, très précise.

Mme Leblanc: Peut-être que vous ne l'avez pas évalué, mais est-ce que vous ne pensez pas que ce serait préférable d'avoir une diminution des impôts d'un ordre peut-être un peu moins grand mais sans augmentation de la TVQ? Vous ne vous êtes pas arrêtés du tout ou...

M. Brodeur (Yvan): Non. Pour vous répondre intelligemment, il faudrait vraiment que l'on ait une étude sur les impacts directs et indirects, immédiats, à moyen et à long terme d'une situation par rapport à l'autre, et on ne l'a pas, et c'est une expertise qu'on n'a pas.

Mme Leblanc: Ça va.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vous remercie beaucoup, Mme la députée. Alors, ceci met fin à cet échange. Je vous remercie beaucoup, Mme Blain et M. Brodeur. Et j'invite tout de suite les représentant du Rassemblement pour l'alternative politique à se joindre à nous.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Simard, Richelieu): Nous allons reprendre nos travaux. Alors, je vais inviter notre prochain groupe, le Rassemblement pour l'alternative politique, à présenter son mémoire, d'abord à vous présenter, même si nous connaissons quelques-uns d'entre vous, à vous identifier aussi, pour fins d'enregistrement. Il faut penser au personnel qui doit identifier les noms uniquement en entendant les voix et en regardant sur une liste. Alors, ce serait utile, ce serait gentil de vous identifier. Vous connaissez les règles du jeu: une vingtaine de minutes – vous n'êtes pas obligés de les prendre – et le même temps pour les deux partis politiques, les deux côtés de cette Chambre qui vous interrogeront ou qui discuteront avec vous par la suite.

Alors, Mme Hekpazo, je vais vous écouter tout de suite. Je pense que c'est vous qui commencez.


Rassemblement pour l'alternative politique (RAP)

Mme Hekpazo (Jacqueline): C'est ça. Alors, je suis Jacqueline Hekpazo, porte-parole nationale du Rassemblement pour l'alternative politique. À ma gauche, Denys Duchêne, responsable du RAP à Québec, M. François Grégoire, responsable du RAP à Montréal, et M. Georges Pagé responsable du Comité économie pour le RAP.

Alors, tout d'abord, nous tenons à exprimer notre désaccord avec la décision du gouvernement de limiter cette consultation à la réduction des impôts des particuliers. Nous aurions préféré être consultés sur l'utilisation des surplus budgétaires, sur les orientations économiques de l'État, ses politiques fiscales.

Concernant le fait d'être les plus taxés en Amérique du Nord, ne pourrait-on pas se poser la question suivante: Est-ce que ce ne sont pas plutôt les autres provinces ou les États-Unis qui ne taxent pas suffisamment le capital, ayant plutôt ce qu'on appelle un préjugé des plus favorables envers ce monde du capital au détriment des services publics et des programmes sociaux, au détriment du monde du travail? La fiscalité québécoise a toujours été plus élevée que celle des autres provinces canadiennes en raison des coûts de la spécificité québécoise. Faudrait-il renoncer à cette spécificité?

Le gouvernement ne doit pas commettre la même erreur que pour la lutte au déficit quant au choix des moyens à prendre. Le choix de la réduction des impôts que le gouvernement nous propose va perpétuer le sous-financement du secteur public, donc appauvrir la collectivité. Baisse d'impôts égale baisse de revenus pour l'État, égale baisse de services publics et de programmes sociaux pour la population.

Concernant le revenu disponible et la consommation, ce que le gouvernement oublie de dire, c'est que les dépenses de l'État correspondent à une demande sur le marché. Les prestations remises aux bénéficiaires de l'aide sociale, les salaires consentis aux travailleurs et travailleuses des secteurs public et parapublic et l'achat de biens et de services par l'État sont beaucoup plus susceptibles de relancer la demande qu'une réduction d'impôts. L'argent mis dans les services publics et les programmes sociaux sert autant à acheter du matériel, de l'équipement, des installations aux entreprises qu'à distribuer des salaires aux travailleurs, donc contribue au développement économique et à la création d'emplois.

(10 h 40)

Concernant l'incitation à travailler, des impôts trop élevés, nous dit-on, démotiveraient les travailleurs et travailleuses. Nous croyons que c'est surtout l'absence d'emplois, surtout d'emplois à temps plein et d'emplois bien rémunérés, qui est la première cause de leur découragement. Ce que l'on constate, c'est que, dans un contexte de ralentissement économique, les revenus des travailleurs et travailleuses augmentent moins rapidement que les impôts. Les salaires en dollars constants n'ont pas augmenté depuis le début des années quatre-vingt; plusieurs travailleuses et travailleurs ont même subi une perte de pouvoir d'achat.

Le déplacement du fardeau fiscal vers les classes moyennes n'a fait qu'empirer les choses. La réduction d'impôts proposée par le gouvernement est loin de compenser pour les coupures et gels salariaux et le transfert du fardeau fiscal vers les classes moyennes, elle est nettement insuffisante. En outre, il ne faudrait pas oublier d'où viennent les soi-disant surplus, ça vient des coupures effectuées dans le monde du travail.

Prenons l'exemple de l'Ontario pour mieux comprendre que la réduction des impôts, telle que présentée par le gouvernement, n'est pas une avenue viable pour la société québécoise. Si l'on considère, en effet, l'exemple de l'Ontario où le gouvernement Harris a procédé à une importante réduction d'impôts de 30 %, la famille moyenne ontarienne a gagné 738 $ en réduction d'impôts, mais cette économie a été effacée par des coûts supplémentaires de 766 $ en frais d'utilisation de services, en augmentation de taxe foncière, etc. Le déficit social est encore plus grand pour les personnes à faibles revenus qui ont vu plusieurs programmes sociaux anéantis: par exemple, les prestations d'aide sociale ont été réduites de 21,6 %. Ce qu'on peut en conclure, c'est que les gens vont empocher d'une main ce qu'ils vont devoir dépenser de l'autre pour des services qui étaient auparavant accessibles, et cela aura un effet nul quant à la stimulation de la croissance économique et de la création d'emplois. Tandis que, si, par exemple, il y avait réinvestissement dans les services publics et les programmes sociaux sous la forme d'augmentation des revenus, des salaires et des prestations sociales, l'État augmenterait ses sources de revenus, lui permettant de remplir ses missions, apaisant ainsi les tensions sociales, et le cycle de développement économique et social pourrait repartir.

Concernant les investisseurs et la compétitivité, qu'est-ce qu'ils veulent, ces investisseurs-là? Les investisseurs veulent une entreprise rentable, c'est-à-dire qui réussit à écouler sa marchandise, à vendre ses produits. Si le marché solvable est limité, l'entreprise n'investira pas. Ce ne sera pas à cause d'impôts plus ou moins élevés. Si on regarde dans les pays du tiers-monde, malgré le climat plus que favorable aux investisseurs, ils ne s'y bousculent pas. En cas de délocalisation, on crée du chômage au Nord, donc on affaiblit le marché intérieur du Nord et on ne crée pas plus de pouvoir d'achat réel au Sud. Les exigences des investisseurs sont toujours des salaires bas, des impôts bas. Or, ces salaires et ces impôts font le revenu, le pouvoir d'achat de la population, qui permet d'acheter les produits des entreprises et les services.

Quelques notes sur la compétition. La compétition élimine des gens. Et qu'est-ce qu'on fait de ces gens-là? Ils sont à la porte, ils ont perdu leur pouvoir d'achat, une partie du marché solvable est donc éliminée. Dans le contexte d'un marché solvable restreint, les entreprises procèdent à des rationalisations, c'est-à-dire à la diminution de leur production, ce qui crée du chômage. Le manque de marché, donc de clients pour acheter les produits des entreprises, entraîne une concurrence féroce pour l'obtention du peu de marchés solvables restants, ce qui explique que nos ministres se transforment en représentants de commerce se répandant de par le vaste monde à la recherche de ces fameux marchés.

Concernant le chômage élevé et l'appauvrissement de la société, les impôts élevés contribueraient à maintenir le chômage élevé et à appauvrir la société. Le chômage n'est pas le résultat d'impôts élevés mais le résultat de la crise économique accentuée par les politiques néolibérales mises de l'avant par le gouvernement fédéral et celui du Québec. La récession de 1991-1993 a été provoquée par la politique de haut taux d'intérêt déjà mise de l'avant par le gouvernement Mulroney dans le cadre de la lutte à l'inflation, à l'époque. Des centaines de milliers d'emplois ont ainsi été sacrifiés. Puis la lutte au déficit menée par le gouvernement fédéral et le gouvernement québécois s'est également traduite par des effets négatifs pour l'emploi en raison des outils néolibéraux qui ont été utilisés, essentiellement les coupures.

Les orientations du RAP. Ces politiques de diminution de la demande, c'est-à-dire gel ou réduction des salaires et des prestations sociales, menées tant par le gouvernement fédéral que par le gouvernement du Québec accentuent le chômage et l'appauvrissement de la population. Elles ont été présentées comme étant inéluctables en raison de la mondialisation des marchés.

Les travailleurs et travailleuses ont payé le prix de la crise dans le cadre de la mondialisation des marchés: perte d'emploi, accroissement de la tâche, gel ou diminution de salaire, précarisation de leur emploi. Les chômeurs et chômeuses ont vu leur accès à l'assurance-emploi réduit ainsi que leurs prestations. Les bénéficiaires de l'aide sociale ont subi une multiplication des règlements qui ont pour effet de les exclure de l'assistance sociale ou de réduire le montant de leurs prestations. Les retraités et retraitées ont également été touchés par différentes mesures qui sont venues gruger leurs revenus.

Nous répétons donc que la proposition de réduction des impôts est inefficace si l'objectif est la relance de la demande et de la croissance économique. Les gens les plus susceptibles de relancer la demande sont les citoyens et citoyennes à faibles et moyens revenus. Pour augmenter leurs revenus, il faudrait plutôt augmenter les prestations de l'aide sociale, de l'assurance-emploi, augmenter le salaire minimum. D'autre part, les contribuables les mieux nantis épargnent une grande partie de ces allégements fiscaux plutôt que de les réinjecter dans l'économie sous forme de dépenses nouvelles, ce qui réduit l'effet stimulateur de la réduction des impôts.

Le RAP privilégie une autre approche. Il propose que les surplus soient utilisés pour relancer la demande par une redistribution des revenus et de la richesse afin de reconstituer un marché national viable, ce qui favoriserait la création d'emplois. Dans le but de redistribuer les revenus et la richesse, l'État québécois devrait d'abord se montrer plus équitable envers les prestataires de l'aide sociale. Nous sommes d'avis qu'avoir un revenu décent garanti via un système qui intègre l'ensemble des mesures d'assistance en divers programmes serait non seulement un moyen de partager la richesse, mais aussi d'assurer à la population un pouvoir d'achat renouvelé qui profiterait à l'économie.

Le gouvernement devrait aussi se montrer plus juste envers les employés de l'État qui ont vu leurs revenus réels diminuer constamment depuis 1982. Des études démontrent que ces employés, qui étaient alors avantagés par rapport aux travailleurs du secteur privé, ont maintenant une rémunération globale inférieure. Il ne faut pas oublier que la majorité de ces travailleurs et travailleuses sont des bas salariés. L'État québécois devrait également négocier de bonne foi la question de l'équité salariale.

Nous proposons également une réforme fiscale axée sur la redistribution des revenus et de la richesse, donc un réaménagement de la politique fiscale dont l'objectif serait d'alléger le fardeau fiscal des classes moyenne et à faibles revenus et des PME et d'augmenter celui des contribuables à revenus élevés et celui des grandes entreprises.

Le RAP favorise l'établissement d'une fiscalité équitable en préconisant le rétablissement d'un certain équilibre entre l'impôt des entreprises et celui des particuliers. Cette équité serait graduellement atteinte par un allégement de la fiscalité des PME, qui serait compensé par des mesures touchant principalement la grande entreprise, telles que l'établissement d'un impôt minimum sur les profits des entreprises, l'application de taxes sur les transactions financières, l'abolition des abris fiscaux qui n'ont pas d'effets véritables sur la création d'emplois et la croissance économique.

L'État québécois devrait également, avec l'État fédéral, s'attaquer au problème des paradis fiscaux qui privent l'État de milliards de dollars. Le RAP préconise une taxe spéciale sur les profits des institutions financières. Il prône également le rétablissement d'une fiscalité progressive par l'augmentation du nombre de paliers d'imposition pour les contribuables ayant un revenu supérieur à 60 000 $, par exemple, ainsi qu'un impôt sur la fortune, l'imposition des fiducies familiales et l'imposition de la totalité des gains de capitaux.

Ces nouveaux revenus pourraient permettre une diminution graduelle de la TVQ, qui est une taxe régressive. N'oublions pas que le gouvernement a augmenté cette taxe de 1 % en 1998, privant ainsi les contribuables de 470 000 000 $. Ils permettraient également d'indexer les seuils d'imposition, ce qui favoriserait particulièrement les contribuables à revenus faibles ou moyens. Ils pourraient également augmenter le seuil en bas duquel les contribuables ne paient pas d'impôts ou augmenter les crédits d'impôt. Ce transfert fiscal favorisant les contribuables de la classe moyenne et à faibles revenus contribuerait réellement à relancer la demande sur le marché intérieur, ce qui serait bénéfique aussi pour les PME québécoises.

La redistribution des revenus et de la richesse passe aussi par des modifications du Code du travail et de la Loi sur les normes du travail. Tout d'abord, le gouvernement peut augmenter le salaire minimum qui a constamment fléchi depuis la fin des années soixante-dix. Les emplois au salaire minimum sont surtout concentrés dans les services et sont surtout occupés par les femmes et les jeunes qui ont vu leur pouvoir d'achat diminuer au cours des deux dernières décennies. Le gouvernement et le patronat prétendent que l'accroissement du salaire minimum aurait un impact négatif sur l'emploi. Or, selon Donald Johnston, ancien ministre fédéral et actuel secrétaire général de l'OCDE, un accroissement de 10 % du salaire minimum se traduirait seulement par une réduction de 1,5 % à 3 % de ces emplois, et toutefois ces mesures auraient un impact positif sur la demande et indirectement sur la création d'autres emplois.

Le gouvernement devrait également favoriser la syndicalisation en modifiant le Code du travail afin de permettre l'accréditation sectorielle ainsi que la création d'organisations réunissant les travailleurs autonomes qui sont, plus souvent qu'autrement, de faux travailleurs autonomes. Le gouvernement devrait également empêcher le développement de la sous-traitance en renforçant l'article 45 du Code du travail. Il devrait également légiférer pour empêcher le développement de clauses discriminatoires dans les conventions collectives. Enfin, il devrait lutter contre la précarisation des emplois, en commençant par les emplois dans l'appareil de l'État.

Nous proposons tout d'abord que l'État québécois réinvestisse dans les services publics. Cela craque de partout: pénurie de personnel dans le domaine de la santé, pénurie de professionnels et d'enseignants dans le domaine de l'éducation, surcharge de travail dans la fonction publique. Les travailleurs et travailleuses du secteur public sont exténués et ne pourront pas maintenir la qualité des services bien longtemps dans ces conditions. De plus, cette mesure permettrait la création d'emplois pour les jeunes. Suite aux coupures de postes dans la fonction publique, les moins de 30 ans ne détiennent que 1 % des emplois permanents. Entre autres possibilités qui s'offrent aussi au gouvernement, par exemple il pourrait favoriser la réduction du temps de travail sans perte de revenus. Comme on le voit, ce ne sont pas les possibilités qui manquent.

(10 h 50)

Il y a d'autres propositions qui sont également mises de l'avant par des syndicats ou des groupes populaires, propositions que le RAP appuie: l'investissement dans les infrastructures collectives; un ensemble de moyens législatifs, donc le recours à des réglementations pour que l'épargne québécoise contribue davantage au développement économique du Québec et pour que les institutions financières québécoises investissent une partie de leurs profits au Québec; l'établissement d'un certain nombre de taxes faisant preuve de créativité à cet égard: la taxe sur les transactions financières, la taxe sur les investissements directs, des écotaxes ou des taxes vertes, ça seraient des possibilités de nouvelles sources de financement pour les services publics.

Alors, pour terminer, les réductions d'impôts devraient favoriser les contribuables qui seraient les plus en mesure de relancer la demande, mais le choix de ce moyen ne sera pas suffisant à lui seul pour une relance significative de la demande. Car n'oublions pas c'est quoi la demande: c'est les revenus des gens, c'est ce qui est constitué essentiellement par les salaires et les mesures de protection sociale. C'est par l'augmentation de la demande, donc l'augmentation des revenus, que l'on déclenche le processus de création d'emplois. Les entreprises créent de l'emploi lorsqu'elles ont un marché solvable pour leurs produits, c'est-à-dire lorsque les gens disposent d'un certain pouvoir d'achat.

Actuellement, malgré le discours ambiant vantant les taux soi-disant élevés de croissance économique, nous sommes toujours en situation de ralentissement économique. Ce ralentissement a été amené essentiellement par la baisse de la demande, donc la baisse de pouvoir d'achat des gens qui a entraîné une baisse de l'offre. Alors, pseudocroissance qu'on peut qualifier d'improductive, car elle est basée sur l'épargne, la spéculation et le remboursement de la dette. Il faut dire aussi que le taux de croissance actuel est plutôt faible, autour de 3 % comparativement à 6 % qu'il a déjà été, donc le double, pendant les années cinquante et soixante.

Les cinq scénarios proposés ne vont pas dans le sens d'une relance de la demande. Ce que nous, nous proposons: un scénario alternatif, un ensemble combiné de mesures, que voici: une augmentation significative du revenu des gens, donc de leur pouvoir d'achat, au moyen d'un réaménagement de l'échelle fiscale permettant aussi un financement adéquat des services publics et des programmes sociaux. Alors, comment il y a de l'argent? Grâce à un rééquilibrage entre la part provenant des entreprises et celle des particuliers, un rééquilibrage également entre les particuliers à hauts revenus et ceux à moyens et faibles revenus, ainsi qu'entre grandes entreprises et petites et moyennes entreprises. Ce sont de telles mesures qui, à notre avis, pourront relancer la demande de façon significative, donc, par conséquent, qui auront pour effet de stimuler la croissance économique et la création d'emplois au profit de l'ensemble de la population.

Je terminerai avec une citation de l'économiste Michael Manford: «Là, et nous voulons le souligner, la force stimulante qui encourage la demande de consommation, c'est l'augmentation du revenu.» Et ce monsieur soutient que la stimulation de la demande de consommation passe à 96 % par les augmentations de salaire. Le deuxième facteur en importance, c'est la croissance de la valeur de l'actif des individus, comme les actions et les obligations; loin derrière arrivent les baisses de taux d'intérêt. Et, pour tout dire, il ne mentionne même pas les baisses d'impôts comme facteur de relance.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci beaucoup. J'invite tout d'abord le ministre des Finances à réagir.

M. Landry: Bon, d'abord, on ne peut que vous complimenter de tenir une position à la fois courageuse et difficile. Les grandes tendances contemporaines depuis une dizaine d'années – effondrement symbolique du mur de Berlin et de l'Union soviétique – sont à la pensée unique et au libéralisme aussi pur qu'Adam Smith pouvait le proposer. Et tout le monde sent bien confusément, en tout cas, beaucoup de gens sentent bien confusément que ça ne peut pas être vrai. Et, si la main invisible était si parfaite que ça, elle aurait réduit le chômage à zéro puis l'écart entre les riches et les pauvres et entre les pays riches et les pays pauvres.

D'un autre côté, des solutions nouvelles dans le contexte nouveau ne sont pas si simples. Vous avez peut-être suivi la réunion de l'Internationale Socialiste, des gens qui voudraient bien trouver aussi des alternatives, mais c'est moins manichéen que l'Internationale Socialiste des années cinquante. M. Schroeder puis M. Blair, ils ne tiennent pas les discours de leurs devanciers, puis même M. Jospin a privatisé un très grand nombre d'entreprises en France, ce qui a, paradoxalement, fait la fortune du gouvernement, d'ailleurs, dont Air France. Alors, au moins, vous cherchez des alternatives, et, de ça, je pense qu'on doit vous complimenter.

Nous, nous avons sur les épaules la responsabilité du pouvoir. Nous sommes des progressistes, mais notre marge de manoeuvre est moins grande que la vôtre. D'abord, votre première question: Pourquoi est-ce qu'on ne vous consulte pas sur l'ensemble de l'usage des surplus? Parce que nous avons été élus par la population avec la promesse de baisser les impôts. C'était déjà décidé avant que vous n'entriez dans cette salle que nous allions baisser les impôts, parce que le peuple nous a donné ce mandat dans l'exercice démocratique le plus sacré, l'élection législative. Alors, ce qu'on demande à la population, qui vient nous le dire, d'ailleurs, en général, c'est la façon dont nous allons nous acquitter de cette promesse de baisser les impôts, et non pas de la remettre en question. Alors, je ne sais pas si vous voulez commenter là-dessus. Je n'ai pas beaucoup de remarques, et ensuite vous pourrez, y compris sur cette question, dire votre idée aux députés.

Mais, plus spécifiquement, vous avez parlé à plusieurs reprises dans votre mémoire et votre exposé de la classe moyenne et des gens à faibles revenus, confondant les deux et prenant fait et cause pour les deux. Je voudrais vous entendre sur le fait que, justement parce que nous sommes dans un contexte de gouvernement progressiste, les prestations sociales du Québec pour les plus démunis sont déjà les plus hautes au Canada, et plus hautes, singulièrement, que celles de l'Ontario qui a un revenu national – un revenu qu'ils appelleraient provincial, eux – de 20 % plus élevé que le nôtre. Alors, comment réconcilier qu'on donne déjà plus tout en ayant des moyens moindres?

Quant à la fiscalité, notre fiscalité pour les personnes à faibles revenus est déjà la plus progressiste de notre continent. Les gens à faibles revenus sont très avantagés par la fiscalité québécoise, d'abord parce qu'ils ne paient pratiquement pas d'impôts – vous savez qu'il y a des millions de contribuables qui font des rapports d'impôts mais qui n'en paient pas parce que notre fiscalité est progressiste – et, en plus, on leur rembourse la taxe de vente, au-delà même de ce qu'elle leur coûte pour un très grand nombre d'entre eux.

Vous avez fait allusion au salaire minimum. Il est déjà plus élevé de 0,05 $ de l'heure que l'Ontario dont j'ai décrit la puissance. Voulez-vous dire qu'on devrait encore avantager par la fiscalité les plus démunis, alors qu'ils sont les plus avantagés d'Amérique, hausser le salaire minimum davantage, alors qu'on est plus haut que l'Ontario, et hausser les prestations sociales, alors qu'on est dans le même cas?

Ce qui m'amène à vous parler de ce que j'estime être la vraie classe moyenne. Et eux, d'après toutes nos études, ils sont essoufflés. C'est les travailleurs et travailleuses, disons, de la sidérurgie à Contrecoeur, ou de la pétrochimie à Varennes. Eux, ils trouvent, et ils ont raison, qu'ils sont les plus imposés de tous leurs collègues de notre continent, puis ils trouvent que c'est trop. Est-ce que vous n'avez pas une pensée pour eux, et est-ce que vous ne faites pas une certaine erreur en assimilant ceux-là aux plus défavorisés? Les chiffres sont là, les chiffres sont têtus, hein.

Enfin, dernière petite question, qui n'est pas petite, c'est sur les épargnes. Vous faites allusion aux travaux de Rosaire Morin. Vous savez que le gouvernement du Québec a appuyé puissamment les travaux de Rosaire Morin, les a subventionnés et est fier de l'avoir fait. Et Rosaire Morin, qui nous a quittés aujourd'hui, est un grand Québécois et un grand patriote. Par ailleurs, nous n'avons jamais souscrit à ses conclusion qu'on devrait empêcher le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec ou le Fondaction de la CSN d'investir à l'extérieur du Québec, de même que notre Caisse de dépôt et placement, et de même que les fonds de pension des travailleurs et travailleuses du Québec qui cherchent la sécurité, la diversification et les rendements, surtout dans l'optique que le Québec est importateur net de capitaux. Les étrangers placent plus au Québec que les Québécois ne placent à l'étranger. Alors, si on appliquait ce que vous préconisez, on aurait de très graves problèmes de financement d'Hydro-Québec, du gouvernement du Québec, de nos municipalités, et ainsi de suite.

Alors, voilà l'ensemble de la problématique divergente que j'ai avec vous. Mais, encore une fois, je vous redis, Mme Hekpazo, vous vous êtes illustrée au Québec comme une militante progressiste et vous l'avez encore témoigné ce matin, je vous en fais mes compliments. Et à dire «toujours plus», on finit pas susciter des problèmes de moyens. Ce que vous nous dites, c'est «toujours plus», puis, nous, on a des moyens limités à gérer.

(11 heures)

Mme Hekpazo (Jacqueline): Alors, pour commencer par le début, vous dites que vous avez eu le mandat du peuple. Je pourrais vous rapporter un petit peu, nous, l'analyse qu'on faisait à cette époque-là quand vous avez été élu avec ce mandat que vous dites, d'avoir à réduire les impôts. Je ne vous parlerai pas de ce qu'on appelle la «distorsion démocratique», à cause du mode de scrutin majoritaire, et que le gouvernement de l'ensemble des Québécois a été élu par un vote minoritaire, je ne vous le rappellerai pas.

M. Landry: Mais ceux d'en face, c'est encore pire, eux autres, ils veulent baisser les impôts plus que nous autres.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Je réponds juste aux questions que vous avez soulevées, alors...

M. Landry: Non, non, mais, madame, vous nous avez habitués à la logique dans vos interventions depuis quelques années.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Oui, oui, je réponds à vos...

M. Landry: Ceux qui sont en face, là, ils vont vous le dire, ils veulent encore plus baisser les impôts que nous autres. Alors, ils ont eu 44, on a eu 44 à peu près...

Mme Hekpazo (Jacqueline): Mais c'est vous qui êtes au gouvernement, c'est vous qui avez le pouvoir, M. Landry, alors...

M. Landry: Non, non, mais je cherche la logique, madame.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Oui, mais vous ne me laissez pas répondre, M. Landry.

M. Landry: Alors, 44 plus 44, ça fait 88. Où est la distorsion?

Mme Hekpazo (Jacqueline): Alors, la distorsion... il a fallu 483 000 votes, je pense, pour qu'il y ait un seul député de l'ADQ, il a fallu, je crois, 37 000 votes pour qu'il y ait un député libéral et il en faut à peu près 23 000 pour un député péquiste.

M. Landry: D'accord, mais, eux, ils veulent la même chose que nous, et plus encore.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Alors, ça aussi, ça fait partie des revendications durables. C'est la réforme du mode de scrutin pour le scrutin proportionnel.

Alors, je continue. Pourquoi la classe moyenne? Parce que, comme vous avez dû sans doute le lire correctement, c'est qu'ils ont fait plus que leur part justement au niveau des impôts. On ne fait pas un amalgame entre classe moyenne et faibles revenus, là. Quand vous comparez aussi avec l'Ontario, je me dis: Comparaison n'est pas raison. Je dis: Pourquoi prendre toujours modèle sur ce qui n'est pas un modèle pour nous autres et pourquoi pas justement continuer à faire de la spécificité québécoise quelque chose d'autre et justement, quand on repart sur les raisons qui font... en tant que gouvernement progressiste, comme vous le prétendez, être à l'écoute de ceux justement qui ne profitent pas de bonnes conditions de vie et de salaire? Alors, quand on sait qu'il y a une situation d'appauvrissement et d'écart grandissant entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas, vous comprendrez aisément qu'on essaie de voir à pallier ces choses-là.

Vous dites: Le remboursement de la TVQ, là, on l'a marqué. La TVQ, vous savez, on donne d'un côté ce qu'on prend de l'autre. Le salaire minimum, on vous a dit aussi dans nos représentations qu'une hausse du salaire minimum n'aurait pas d'incidence, sauf que ça aurait de l'incidence pour que les gens puissent consommer. Parce que vous savez très bien que plus de 54 % ont des revenus de moins de 20 000 $. Donc, qu'est-ce qu'on fait avec tous ces gens-là, donc à un salaire minimum pour accroître la richesse pour qu'ils puissent acheter puis pour qu'ils puissent vivre, en fin de compte? La sensibilisation, l'épargne, etc., j'en suis bien consciente, mais il y a aussi un effort de sensibilisation à faire au niveau de ceux qui gèrent justement ou qui placent l'argent selon une façon un peu plus éthique. Je ne vous rappellerai pas par exemple qu'Hydro-Québec, qui est quand même une société d'État que l'on connaît ici, a racheté une autre société d'État, par exemple au Sénégal, la Senelec etc., donc d'essayer de voir un peu que ça ne nuise pas aussi à d'autres pays. Il y a tous ces aspects-là. Alors, pour la classe moyenne, je pourrais donner la parole à M. Grégoire. François.

M. Grégoire (François): Oui, avant de parler de ça, je voudrais revenir sur le mandat pour la réduction des impôts. Ce qui nous différencie du Parti québécois et du Parti libéral, c'est que votre prétention... c'est qu'une réduction d'impôts va entraîner une croissance économique et que cette croissance économique là va permettre à plus de gens de travailler, qui vont payer des impôts à l'État, et ce qui va permettre de payer des services, des programmes sociaux comme la santé et l'éducation. Nous, on n'y croit pas, on n'y croit pas tout simplement, parce que la réduction d'impôts va bénéficier en grande partie à des gens qui ne se serviront pas de cet argent-là pour acheter des biens et services et relancer la demande sur le marché. Ça va servir à de la spéculation sur le marché international ou encore à exporter le capital tout simplement à l'étranger. Nous, on pense qu'on peut arriver à une réduction d'impôts, mais autrement.

M. Landry: ...baisse les impôts des travailleurs de la Contrecoeur, dont j'ai parlé, là, vous pensez qu'ils vont faire de la spéculation internationale avec ça?

M. Grégoire (François): Oui, mais disons que ce n'est pas ce qu'on entend dans les médias d'information de façon générale au niveau du discours gouvernemental, et du discours de l'opposition, ainsi que du discours du patronat. On ne parle pas de la réduction des impôts seulement du travailleur de Contrecoeur, chose avec laquelle je suis parfaitement d'accord, on parle de réduction d'impôts et on se demande à qui va profiter la réduction d'impôts.

M. Landry: Mais supposons que le gouvernement choisissait un scénario qui va faire baisser les impôts surtout de ce type de travailleur, Contrecoeur ou ailleurs, pensez-vous vraiment qu'ils vont aller faire de la spéculation internationale avec ça...

M. Grégoire (François): Non, non, non.

M. Landry: ...ou s'ils vont consommer davantage?

M. Grégoire (François): Si vous concentrez votre réduction d'impôts chez les gens à plus faibles revenus, je suis d'accord avec vous, ça va permettre une relance de la demande. Mais, si cette réduction d'impôts là profite à des gens qui ont des revenus supérieurs, sous prétexte qu'il y aurait une fuite de cerveaux – chose qui est questionnable, disons qu'il y a beaucoup de gens qui questionnent ça à l'heure actuelle – alors, cette réduction d'impôts là ne relancera pas la demande et ne permettra pas une nouvelle croissance économique. Vous allez déplacer la demande quelque part à une partie des contribuables à faibles revenus. Mais, si vous déplacez ça vers les contribuables à hauts revenus, à ce moment-là, l'effort va être inutile.

Nous, ce qu'on préconise, c'est des réductions d'impôts, mais de façon différente. On pense qu'en réinvestissant quelque part au niveau de la redistribution de revenus pour les assistés sociaux, les salariés de l'État, les gens à salaire minimum, etc., là, il va y avoir relance de la demande. Et cette relance de la demande là va permettre une croissance économique et ça va permettre de créer des emplois. Il va y avoir plus de gens pour payer des impôts, ce qui va permettre d'alléger le fardeau fiscal des gens. Et, si on rajoute à ça une réforme de la fiscalité de façon à pouvoir faire payer aux gens qui sont un peu plus riches leur juste part des impôts, à ce moment-là, disons que la classe en moyenne en bénéficierait beaucoup plus que la formulation que vous proposez à l'heure actuelle.

Une voix: Peut-être que monsieur...

M. Landry: Nos riches, je vous ferai remarquer que, d'abord, il y en a 1 %, et ils paient en diable. Ce que vous appelez nos «riches», là, disons 100 000 $ et plus, c'est les plus taxés, et de loin, là, du Canada, et ils font beaucoup plus que leur effort, proportionnellement aux revenus qu'ils gagnent puis à leur importance dans la société.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Est-ce que je peux...

M. Landry: Vous voudriez qu'on leur en demande encore plus?

Mme Hekpazo (Jacqueline): Oui. Je peux juste vous mentionner quelque chose avant de redonner la parole à mon collègue à gauche?

Les 300 000 contribuables qui gagnent plus de 100 000 $ par année, soit 1,5 % des contribuables, récoltent 45,3 % des dividendes. Ils bénéficient donc de 45,3 % du total des crédits d'impôt pour dividendes, ils récoltent 70,2 % des gains de capital, par exemple le gain que l'on fait en vendant des actions, et, en bons «free riders», bénéficient de 80,6 % des exemptions sur gains de capital, 25 % des gains de capital sont exemptés d'impôt – petite faveur de nos gouvernements – et ces derniers réclament 41,6 % des frais de placement, intérêts et commissions, qui sont déductibles d'impôt, contrairement aux dépenses des salariés. Alors, on peut trouver aussi ce complément-là.

M. Landry: Quel est le pourcentage de l'impôt qu'ils paient par rapport à ce qu'ils gagnent? C'est 50 %.

M. Duchêne (Denys): O.K. Je voudrais rajouter quelque chose suite à ce que disait François, mon collègue. D'abord, peut-être rappeler un commentaire de M. Landry. Je pense que M. Landry prend certaines libertés avec la vérité quand il mentionne que, bon, le gouvernement a été élu sur la promesse de réduire les impôts. Il faudrait juste lui rappeler que le fameux système de scrutin, le mode de scrutin nominal à un tour, qui est une parodie de la démocratie, a démontré en somme qu'il y a 57 % des gens au Québec, lors de la dernière élection, qui ont rejeté le gouvernement, qui n'ont pas voté pour le gouvernement.

M. Landry: Attendez, là! Je voudrais qu'on soit logique. J'ai beaucoup de respect pour vous et pour votre pensée. Les libéraux qui sont en face, qui ont eu autant de votes que nous, même légèrement plus, ils veulent plus de réductions d'impôts encore, eux. Alors, sur cette question, il me semble qu'il y a une logique à conclure que 88 % de la population a élu des formations politiques qui veulent baisser les impôts. Quel que soit le mode de scrutin, proportionnel, proportionnel modéré, mitigé, ça aurait donné le même résultat. Voulez-vous au moins convenir de ça sur le plan de la logique élémentaire?

Mme Hekpazo (Jacqueline): Sur le plan de la logique élémentaire, là, un réaménagement fiscal, ça ne ferait pas de tort. C'est ça qu'on essaie de vous dire. Quand on voit que la part des corporations pour les impôts, c'est de 19,5 %, si mes souvenirs sont exacts, et la part qui est demandée aux contribuables, c'est 70 %. Il y a un déséquilibre là qui est assez notable. Alors, on se dit: Pourquoi ne pas réaménager ça? Et si la réduction d'impôts, là, telle que vous la proposez, elle est nettement insuffisante, ça va faire un cataplasme, c'est un bonbon. C'est un bonbon, vous le dites vous-même, comme électoral. Et ce n'est pas suffisant quand on veut vraiment relancer l'économie, relancer la demande, à l'instar de tous les pays du G 7 d'ailleurs, qui demandent à tous les pays de relancer leur demande intérieure. Et comment on relance la demande intérieure? C'est en augmentant le pouvoir d'achat des gens, en augmentant les revenus. Les revenus, ce n'est pas seulement monétaire, c'est l'ensemble des services qui aident à la vie des gens, c'est-à-dire les services publics, les programmes sociaux, c'est-à-dire avoir un toit sur la tête – logement social – être en bonne santé, donc avoir des bons services de santé accessibles, aussi une bonne éducation, donc financer l'éducation.

(11 h 10)

Et d'ailleurs, comme je le répète, les maigres surplus qui sont là, ça provient des coupures. Alors, c'est un phénomène de vases communicants. On donne ici, on donne... On ne donne pas, on remet un petit peu, là, mais on va être obligé de redépenser. Alors, je me dis: C'est comme un cercle vicieux et ça a un effet nul en termes d'économie. Ça va satisfaire politiquement. Je veux dire, on ne rentre pas là-dedans non plus. Mais concrètement, dans la vie de tous les jours, c'est un cran de plus qu'on va se serrer la ceinture pour certains, pour beaucoup.

M. Duchêne (Denys): Je voudrais juste terminer. À l'instar de ce que disait ma collègue, un économiste de Desjardins qui, lundi, déclarait que les surplus étaient tellement minimes au gouvernement actuellement qu'il évaluait lui-même le montant à 112 $, qui serait retourné au contribuable, donc un montant quand même assez insignifiant. Et en somme, ce qu'il disait, c'est que ça ne pouvait pas permettre une véritable relance de l'économie avec un montant aussi insignifiant remis au contribuable. Lui l'évaluait à 112 $.

Mais il y a eu des précédents qui ont démontré que la réduction des impôts n'a pas permis de relancer l'économie. Il y a ma collègue à la droite qui parlait de l'Ontario, mais il y a eu aussi sous le premier mandat de Ronald Reagan où comment se sont comportés les gens à ce moment-là lorsqu'il y a eu une réduction d'impôts. Les 10 % de mieux nantis ont soit investi en achetant les actions dans les entreprises ou placé davantage leur argent. La classe moyenne, qui était évaluée à ce moment-là à 70 %, sous le premier mandat de Ronald Reagan, aux États-Unis, en ont profité pour payer leurs dettes et placer davantage leur argent, et les exclus économiques et sociaux, chômeurs et assistés, qui étaient évalués à 20 % – aujourd'hui, c'est un peu plus élevé – n'ont pu en profiter évidemment parce qu'ils n'en payaient pas.

Et il y a l'exemple aussi du gouvernement Mulroney qui a réduit les impôts et qui a démontré qu'il n'y a pas eu de relance de l'économie. Michael Wilson racontait à ce moment-là, quelques mois plus tard, au Globe and Mail , que le scénario escompté par le gouvernement n'avait pas permis de réaliser l'objectif de la relance économique. Je pense qu'il y a des précédents aussi qui démontrent qu'on fait une erreur de réduire les impôts, surtout avec un surplus aussi insignifiant que 1 000 000 000 $, qui pourrait être signifiant pour bien des gens, mais pas pour ce qui est du scénario escompté par le gouvernement.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Vous qui êtes sensible à la chose politique et qui dites que vous êtes un gouvernement progressiste, je me dis, la façon dont on comprend les choses: Pourquoi l'État devrait-il encore favoriser les entreprises privées au détriment des citoyens contribuables? Alors, l'État devrait pouvoir contraindre ces entreprises-là à assumer leurs responsabilités sociales. Ce sont des choses qu'on avait demandées aussi au dernier Sommet sur l'économie. Alors, comment contraindre ces certaines entreprises privées dans un contexte de réglementation généralisée, etc.? C'est là le courage peut-être d'un gouvernement progressiste de le faire. Et, par exemple, le meilleur incitatif qui obligerait justement les entreprises à s'ajuster à la hausse pour les salaires de leurs travailleurs, ça serait de hausser le salaire minimum et pas en se comparant 0,05 $ de plus ici. Ça ne permet pas plus de vivre, pas plus qu'à l'aide sociale qui permet de vivre, 502 $ par mois, avec les coupures qu'il y a eu, les difficultés d'accès, je ne pense pas que...

M. Landry: Je pourrais vous demander un conseil sur... Quel est le salaire minimum que vous préconisez au Québec, à l'heure?

Mme Hekpazo (Jacqueline): Votre économiste, M. Fortin, il n'était pas contre, je pense. Ça pouvait aller 8,15 $, 8,45 $ et 9 $, si vous avez un comité d'experts qui se charge dessus. Mais vous avez trop tendu l'oreille, je trouve, au patronat – il faut dire le mot – par rapport à l'ensemble de la population. Qu'est-ce qui fait un gouvernement représentatif de l'ensemble de ces citoyens? C'est sa population. Et la population, veut, veut pas, c'est 20,5 % de pauvres – alors, on ne va pas décrire les états de pauvreté, on ne va pas rentrer dans ce détail-là – et 54 % – certains disent 52 %, le chiffre le plus conservateur – de contribuables qui ont moins de 20 000 $ de revenu par année. Ils ne sont pas contribuables parce que, comme vous dites, on ne paie pas d'impôt, on est à régime progressif. Alors, moi, je pense qu'il y a matière à faire des actions conséquentes pour un gouvernement qui se dit progressiste.

M. Landry: Une autre question...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je dois malheureusement mettre fin à cette partie du dialogue, M. le ministre.

M. Landry: J'aurais voulu vous demander si vous souhaitiez que, pour faire ce que vous préconisez, on emprunte de l'argent.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Très rapidement.

Mme Hekpazo (Jacqueline): L'emprunt, l'histoire de dettes, tout ça, à qui on doit de l'argent, hein? Il y a de l'argent, il faut aller le chercher tant au niveau international qu'au niveau national. Comme je vous dis, le patronat, il ne demande pas qu'on touche à ses impôts ni quoi que ce soit, il veut juste des gens pour acheter ses produits. Et une mesure comme augmenter les revenus ou augmenter les salaires des gens, les mesures sociales, ça va leur donner des clients. Et qu'est-ce que le patronat veut de plus? C'est d'avoir des clients pour leurs produits. Alors, je me dis: Il y a des choses à faire, et le rôle du gouvernement ou... le patronat, qui a l'oreille du gouvernement, devrait pouvoir essayer de faire des choses qui ont de l'allure.

Il y a une surproduction de capital à l'échelle internationale et ici aussi, et ça ne s'investit pas dans l'économie ordinaire, ça s'investit dans la spéculation, dans les placements à x, y, z. L'argent est là, il faut aller le chercher. Au niveau fédéral, vous avez ce travail-là en tant que gouvernement qui se dit progressiste d'aller chercher cet argent-là.

M. Landry: Il ne faut pas que je laisse sortir les capitaux du Québec.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Comment?

M. Landry: Vous m'avez dit qu'il faut que j'empêche nos entreprises de placer des capitaux ailleurs. Comment est-ce que je vais pouvoir dire aux autres d'investir ici?

Mme Hekpazo (Jacqueline): Non. De façon équilibrée...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je m'excuse, à ce moment-ci, vous pourrez répondre, M. le ministre... Il faut bien comprendre que nos règles parlementaires sont assez strictes, quitte à ce que vous répondiez à l'objection du ministre tout à l'heure.

M. Landry: Le débat n'est pas fini.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Absolument, et il durera sans doute encore quelques années. J'invite la députée de Marguerite-Bourgeoys, porte-parole du Parti libéral en matière d'économie et de finances, à prendre la parole.

Mme Jérôme-Forget: Merci, M. le Président. Bonjour madame, bonjours messieurs. Alors, je vois que vous arrivez avec un mémoire qui suscite évidemment une controverse, vous n'êtes pas sans l'ignorer. Par ailleurs, vous affirmez quelque chose dans ce mémoire à l'effet que l'objectif est effectivement d'augmenter les salaires, d'augmenter le pouvoir de dépenser des citoyens. L'objectif, c'est au fait d'enrichir les Québécois et les Québécoises pour leur permettre de dépenser davantage. Là où nous différons d'opinions, c'est la façon d'y arriver. Je pense que l'objectif d'un gouvernement au Québec doit effectivement assurer que des Québécois ont un train de vie, sont capables de s'offrir des services de qualité et s'offrir de la consommation personnelle ou des services publics de qualité.

Or, vous, vous voulez, par toutes sortes de moyens, augmenter l'importance de l'État, augmenter son intervention, que ce soit par la hausse du salaire minimum, que ce soit par des hausses de salaires au niveau des employés de l'État, que ce soit l'enrichissement au niveau de tous les services publics, puisque vous dites: Ça crée de l'emploi. Jusqu'où vous pensez qu'un gouvernement peut aller et que ce soit soutenable? Dans le moment, le poids du gouvernement est de plus de 50 % du PIB. Je vous pose la question modestement: Jusqu'où vous êtes prête à aller?

Mme Hekpazo (Jacqueline): D'abord, peut-être, je voudrais répondre: Augmenter le pouvoir d'achat des gens, ce n'est pas pour dépenser n'importe comment, mais c'est pour satisfaire les conditions de vie et d'existence, tout simplement. Je me base toujours sur plus de la moitié de la population qui a des revenus de moins de 20 000 $, donc c'est des biens et services de première nécessité.

L'intervention de l'État, je vais laisser mon camarade répondre, mon collègue.

M. Grégoire (François): Bon. En ce qui concerne l'intervention de l'État, quelque part, il faut dire que l'État a considérablement maigri depuis 1984, disons. Le manque de revenus s'est traduit par un sous-financement chronique dans le domaine de la santé. Ça ne sert à rien de revenir sur les listes d'attente pour avoir des soins de santé. Dans l'éducation – moi, je suis enseignant – laissez-moi vous dire, lorsque tu apprends en début de session que tu as 7 $ par année pour t'acheter des crayons pour corriger ou avoir du papier, disons qu'on trouve que c'est un petit peu sous-équipé, quelque part. Donc, c'est clair, même le patronat dans le secteur de la santé et le patronat dans le secteur de l'éducation réclament l'ajout ou l'injonction de fonds à l'heure actuelle. À savoir jusqu'où on peut aller? C'est une question de financement. Et le financement, quelque part, le gouvernement du Parti québécois et vous-même, vous acceptez les contraintes du marché international. Nous devons avoir une fiscalité basse parce que nous sommes en concurrence avec l'Ontario, nous sommes en concurrence avec les États-Unis, etc. L'objectif du gouvernement doit être d'assurer des services de qualité et une accessibilité aux services. Si on ne peut pas, dans le cadre de la mondialisation, assurer ces services-là, il me semble que c'est le devoir du gouvernement de se poser des questions: Est-ce que la mondialisation, est-ce que le libre-échange, a été bénéfique pour l'ensemble de la population?

(11 h 20)

Actuellement, ce qu'on observe, c'est que les entreprises paient de moins en moins d'impôt, les citoyens, de plus en plus. Les citoyens s'appauvrissent de plus en plus; le revenu des travailleurs n'a pas augmenté depuis 1982. Les plus démunis, même si on nous dit qu'ils sont mieux desservis ici, au Québec, qu'en Ontario, c'est vrai, je suis d'accord avec ça, mais est-ce qu'ils ont suffisamment de fonds pour subvenir à leurs besoins? La réponse est non, tu ne peux pas vivre avec 500 $ par mois, là, il ne faut pas être ridicule. Quelque part, un loyer, à Montréal, en bas de 400 $, c'est excessivement rare, puis il faudrait voir de quoi ça a l'air. Bon, 500 $, ce n'est pas suffisant.

Se faire répondre qu'on fait mieux que l'Ontario, ce n'est pas suffisant non plus. Mike Harris, son objectif, ce n'est pas d'améliorer la situation de vie des jeunes. Est-ce que c'est l'objectif du Parti québécois ou du Parti libéral de ne pas améliorer la condition de vie des gens, à quelque part? Donc, accroître le rôle de l'État, pas nécessairement, mais revenir à un rôle qui a déjà été occupé par l'État, des fonctions qui ont déjà été occupées par l'État et assurer des services qui sont essentiels pour la population. Il ne s'agit pas de verser dans le communisme, dans le socialisme à tous crins, etc. Les réformes fiscales qui ont été entreprises depuis 1984 ont allégé le fardeau fiscal des mieux nantis de la société, des entreprises, et ne se sont pas traduites par une amélioration du niveau de vie des gens. Donc, il y a des questions à se poser par rapport à ça. Moi, je ne suis pas opposé à la mondialisation, à prime abord, mais, si la mondialisation empêche une redistribution de la richesse et qu'on assure un niveau de vie décent aux gens, quelque part, il faudrait qu'on se pose des questions: Est-ce qu'on est bien à l'intérieur de ça? La mondialisation, il faut savoir que ça profite à une minorité. Les entreprises qui exportent, au Québec, il y en a 2 500. Même si on rajoute les PME, qui sont des sous-traitantes d'entreprises exportatrices, on arrive à un gros total de 500 entreprises.

Mme Jérôme-Forget: Oui, mais, écoutez...

M. Grégoire (François): L'immense majorité des entreprises québécoises dépend du marché intérieur, et le marché intérieur, c'est contracté, parce qu'il y a tout un ensemble de politiques qui réduisent les revenus des assistés sociaux, des chômeurs – qu'on exclut des programmes, soit dit en passant – des travailleurs, qui n'ont pas d'augmentation de salaire et même des réductions de salaire. Si les gens n'ont pas de revenus, les gens ne peuvent pas consommer, et ça ne permet pas à la PME de vendre des choses aux consommateurs.

Mme Jérôme-Forget: Non. Écoutez, on sait bien que la majorité de la consommation des gens, elle est faite, effectivement, de produits qu'on achète localement. Mais vous mentionnez justement l'Accord de libre-échange. Vous n'êtes pas sûr que ça a été très favorable à l'économie québécoise.

M. Grégoire (François): Je suis même sûr.

Mme Jérôme-Forget: Je pense qu'il y a beaucoup d'études qui démontrent que ça a été favorable pour l'ensemble du Canada et l'ensemble... ne serait-ce que notre balance commerciale avec nos voisins et le fait qu'on exporte tellement plus vers les États-Unis qu'eux exportent au Canada, ça doit être quand même un signe. On a même dit que c'était à cause de l'Accord de libre-échange qui a fait qu'on a connu pendant quelques années un regain de croissance économique au Canada. Ce n'était pas notre propre consommation.

Alors, je pense que de dire que ça n'a peut-être pas aussi bien fonctionné qu'on le souhaitait, là, je pense que c'est peut-être un peu poussé. Mais, de toute façon, l'Accord de libre-échange, il est là, il ne va pas disparaître. La globalisation, elle est là, on n'a qu'à regarder sur Internet comment les choses se produisent aujourd'hui, puis c'est quelque chose qu'on ne peut pas réinventer. On ne peut pas fermer cette barrière-là et prétendre, au Québec, que ça n'aura pas lieu.

Vous mentionnez également une foule de mesures, et, moi, je me suis posé la question... Parce que, baisser les impôts, ça veut dire que, effectivement, vos citoyens, nos citoyens auraient plus d'argent en poche, ils auraient plus de ce pouvoir de consommer. Vous voulez déterminer qu'ils n'achèteront pas certaines choses, ils vont acheter d'autre chose, des biens, ils pourront décider. Et j'imagine que ce sont des êtres humains intelligents et autonomes, ils vont pouvoir décider comment ils veulent dépenser cet argent-là, je présume. Mais il n'en demeure pas moins qu'en donnant une baisse d'impôts on donne aux gens, à nos citoyens, aux Québécois de l'argent en poche pour pouvoir le dépenser eux-mêmes. Alors, c'est comme avoir une augmentation de salaire, ça, ça se traduit comme une augmentation de salaire. Et, dépendant de l'envergure de cette baisse d'impôts, ça peut être une très grosse augmentation de salaire.

Mme Hekpazo (Jacqueline): J'aimerais juste préciser quelque chose. Ce n'est pas être contre ou pour la mondialisation ou contre et pour le libre-échange, c'est de savoir si cet échange-là se fait de façon équitable ou pas. Alors, je voudrais préciser ça.

Concernant la baisse d'impôts qui serait de l'argent de poche, je veux dire, les gens qui paient des impôts, là, c'est sur leur salaire, leur travail, etc., ce n'est pas un cadeau que le gouvernement fait, c'est de l'argent qui nous appartient. L'argent des finances publiques, c'est à chacun des citoyens qui sont là. Et, si on donne, comme vous dites, de l'argent de poche de façon un peu maternaliste, là, si on a à dépenser, comme on le montre en Ontario, pour des choses qui étaient auparavant accessibles, je ne vois pas le bénéfice ni l'intérêt de la chose, sauf si c'était vraiment une réduction importante. Mais une réduction importante, ça veut dire une baisse de revenus pour l'État et puis une baisse des services publics et des programmes sociaux. Donc, c'est comme un cercle vicieux.

Pour continuer, je vais laisser monsieur et ensuite monsieur.

M. Grégoire (François): Oui, je voudrais répondre. Concernant l'ALENA comme tel, c'est vrai qu'il y a eu accroissement des exportations, mais les exportations sont le fait des grandes entreprises, à 90 %; les PME exportent très peu. Donc, 90 % des exportations sont le fait des grandes entreprises, et pourtant les grandes entreprises ont réduit le nombre d'emplois. Il y a eu 200 000 emplois de perdus au Québec suite au «downsizing», aux transferts d'opérations à l'étranger, aux fusions d'entreprises, etc. À ce niveau-là, la mondialisation n'a pas eu les effets bénéfiques qu'on nous a promis lors de la campagne électorale de 1988 au fédéral. La mondialisation, je n'ai rien contre, à condition qu'elle ait un impact positif pas uniquement pour les grandes entreprises, mais également pour les travailleurs les plus démunis de la société: les PME qui n'en tirent pas des bénéfices comme tels. Et les chiffres sont là pour le démontrer. Actuellement, le niveau de vie des travailleurs les plus démunis a diminué. Il n'a pas augmenté, il a diminué ou, du moins, s'est stabilisé depuis 1982. Il y a eu croissance de la richesse collective depuis 1982, et les travailleurs et les plus démunis n'ont pas eu leur part. Il y a du monde qui a empoché quelque part.

À savoir qu'on est pris avec la mondialisation, on est dans un cadre de mondialisation, mais c'est un choix politique qu'on a fait. Un choix politique, ça peut se changer. Si la mondialisation ne nous permet pas d'améliorer le niveau de vie de nos citoyens, ou bien on remet en question la mondialisation ou bien on essaie d'inventer au niveau mondial des mécanismes qui vont permettre de contrôler les mouvements de capitaux ou encore contrôler les multinationales, au lieu d'avoir un pacte qui s'appelle l'AMI, qui va mettre les firmes multinationales au-dessus de la loi, peut-être contraindre les firmes multinationales à respecter les lois des pays où ils vont investir. Donc, il y a deux possibilités: ou remettre la mondialisation ou civiliser le capital au niveau mondial. On n'a pas encore fait notre lit là-dessus, mais, nous autres, personnellement, on continue à étudier sur le sujet.

Concernant la réduction d'impôts pour relancer la demande, ça ne relance absolument pas la demande, c'est un déplacement de la demande. L'État qui dépense, c'est une demande; l'État qui dépense 1 300 000 000 $, il crée une demande dans la société; l'État qui réduit les impôts de 1 300 000 000 $ va déplacer la demande vers le secteur privé, mais on sait que cette demande-là va être inférieure parce qu'il y a des gens qui vont bénéficier de réductions d'impôts qui ne dépenseront pas l'impôt qu'ils vont recevoir dans leurs poches, qu'ils vont conserver dans leurs poches. Donc, ce n'est pas aussi efficace. Il y a une étude qui a été produite qui démontre que des investissements de l'État dans le secteur public, 1 000 000 000 $, créeraient de 24 000 à 25 000 emplois. Une réduction d'impôts de 1 000 000 000 $ ne créerait que 9 000 emplois dans le secteur privé. Donc, le moyen qui est préconisé par le Parti libéral et le Parti québécois à l'heure actuelle a un impact qui est moins favorable à la relance de la demande que celle qu'on préconise, nous autres.

Mme Hekpazo (Jacqueline): M. Pagé, vous voulez dire quelque chose?

(11 h 30)

M. Pagé (Georges): Oui, M. le Président, pour nous, la raison de l'État, c'est d'assurer une cohérence sociale et d'assurer une répartition de la richesse minimale, de telle sorte qu'il n'y ait pas des écarts aussi épouvantables comme ceux que l'on enregistre actuellement et que tous les indicateurs économiques nous montrent comme allant encore s'accroître, ces écarts-là. Alors, évidemment si le gouvernement du Parti québécois donne, en l'occurrence, des réductions d'impôts, eh bien, il se départit d'une capacité de répartir la richesse à nouveau. Et ça, cette question-là devrait être comprise de la part des élites, de la part des financiers, de la part de ceux qui possèdent le capital et qui s'enrichissent à même le système. Ce n'est pas rien qu'une question à court terme d'entrée et sortie. Il y a une dimension humaine et humanitaire là-dedans. Et ça doit être compris de la part de ceux qui profitent du système soit par leur intelligence ou à cause de la structure même du système.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. Alors, Mme Hekpazo et messieurs du Rassemblement pour l'alternative politique, je vous remercie pour votre présentation. Au préalable, vous dites: Le cadre qu'on vous propose pour la consultation ne vous convient pas, donc il faudrait se poser la question concernant l'utilisation des surplus. Donc, vous questionnez la pertinence même de l'objet de la consultation à laquelle vous êtes invité. Et vous vous prononcez en fait contre l'idée de la réduction de l'impôt parce que vous ne voyez pas là-dedans tous les bienfaits que les économistes et les spécialistes disent.

À la page 7 de votre mémoire, vous parlez du travail au noir et pour ne pas vous interprétez, je vais vous citer: «L'argument voudrait que les travailleuses et travailleurs travaillent au noir pour éviter de payer des impôts. La réalité est que, s'il y a des travailleurs au noir, c'est qu'il y a des employeurs au noir, aussi bien des entreprises que des particuliers. Il y a même des travailleurs qui sont obligés de travailler au noir s'ils veulent avoir un emploi.»

Moi, ça me préoccupe beaucoup cet énoncé-là, et je voudrais savoir si vous avez documenté ce phénomène, où une personne, pour travailler, pour avoir un travail, il faut qu'elle accepte de travailler au noir. C'est quoi, l'ampleur de ce phénomène? Il se manifeste où? Dans quel secteur d'activité en particulier? Si vous pouvez nous donner quelques éléments d'information là-dessus.

Mme Hekpazo (Jacqueline): Déjà, au départ effectivement on questionne le titre, là: la commission sur la réduction des impôts. On aurait mieux aimé être interrogé sur l'utilisation des surplus puis sur les orientations économiques plus générales, parce qu'en général on se préoccupe toujours que d'un problème à la fois ou d'une chose à la fois, puis c'est toujours en dehors de son contexte plus global; ce n'est pas replacé, ce n'est pas suffisant. Donc, on s'asticote sur des petits points pointus, etc., mais on a tendance à oublier dans quel contexte et le cadre global dans lequel ça s'insère.

Ce que je voulais dire d'autre aussi, je me disais: On fait un commission parlementaire sur la réduction des impôts de particuliers, peut-être que ce serait bien une commission parlementaire sur la contribution des entreprises au niveau de leur part. Ce serait intéressant aussi de déballer ça sur la place publique et de voir un peu qu'est-ce qu'il y a pour comparer, puis justement bien évaluer l'ensemble du problème de la fiscalité.

Alors, concernant le travail au noir, je pense que, vous, en tant qu'opposition ou le gouvernement, vous avez assez de moyens de recherche et de possibilités pour aller faire ces études-là. Et je pense, sans être «up-to-date» sur tous les détails du travail au noir, vous savez très bien que dans un contexte de chômage tout ce qui tombe sous la main de quelqu'un qui a besoin de travailler pour assurer sa survie, il va le prendre. Il ne va pas aller regarder si c'est un patron qui paie ses impôts ou pas. Et il y a une catégorie de patrons aussi puis dans certains secteurs qui font ça.

Il y a toute la campagne qui est faite aussi par le gouvernement sur l'économie, travail au noir, etc., mais ce n'est pas juste, bien qu'on mette... enfin, nous, personnellement, on met un bémol sur la façon dont c'est vu, comme quoi c'est toujours le contribuable qui fait du travail au noir. C'est plutôt voir du côté des employeurs, parce qu'il y a beaucoup de réglementation, de harcèlement sur les citoyens qui ne paient pas leurs impôts, mais il n'y a pas cet effort pointilleux de harcèlement du côté des entreprises et des entrepreneurs. Alors, il faudrait peut-être voir de ce côté-là.

Alors, je ne sais pas si un de mes collègues pourraient préciser. M. Pagé?

Mme Houda-Pepin: Oui, d'accord.

M. Pagé (Georges): Je pense, Mme la députée, que vous soulevez une question très importante pour la démocratie, à savoir que l'État, entre autres, devrait se donner les moyens d'analyser les situations avec des instruments appropriés de manière à ce qu'on puisse statuer véritablement sur des faits. La question du travail au noir, on sait que le gouvernement a des paramètres généraux très... D'abord, étant donné que c'est illégal, tout le monde s'assoit là-dessus pour dire: Je n'ose pas toucher à ça parce que c'est illégal. Mais il reste que, pour la vie démocratique, il faut trouver les moyens d'analyser ces situations-là pour vraiment trouver des solutions.

Un livre m'a très impressionné, par un professeur de l'Université du Québec à Hull, M. François Lacasse, son livre intitulé Mythes, savoir et décisions politiques , et là-dedans il fait état comment est-ce que... combien de fois les gouvernements sont obligés de prendre des décisions, hélas, à partir de mythes plutôt qu'à partir de faits véritables.

Il me semble que ça devrait être une priorité d'un service gouvernemental, d'analyser les situations pour, autant que possible, prendre des décisions à partir des faits au lieu de tout simplement à partir d'une spéculation. Et malheureusement on voit apparaître – étant donné que la conjoncture économique que nous traversons est de plus en plus complexe – eh bien, des trous un peu partout où, là, c'est strictement les questions d'opinions, les questions de tendances, etc. Or, malheureusement, s'il y a une chose que la mondialisation nous imposerait, doit nous imposer, c'est celle d'avoir des instruments pour vraiment aller au fond des choses, de manière à prendre les décisions appropriées par rapport aux différents problèmes, entre autres, même si ce n'est pas directement en cause, là, le milieu des affaires.

Historiquement, la croissance économique, c'est le résultat de l'innovation technologique. C'est ça qui a été historiquement le moteur, pas la restructuration puis la pression sur les salaires comme il existe actuellement, c'est le résultat de l'innovation technologique. Or, qu'est-ce qu'on constate? Un rapport récent montre le désengagement du milieu des affaires du côté de la recherche et développement, le gouvernement est obligé de prendre la relève.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Alors, nous sommes rendus à la fin de cet échange. Je voudrais juste faire une petite remarque en terminant. Vous avez raison, Mme Hespakzo...

Mme Hekpazo (Jacqueline): Hekpazo.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Pardon, Hekpazo – j'ai l'habitude de dire Jacqueline – cette consultation porte sur la diminution des impôts des particuliers. Mais je vous ferai remarquer que vous avez consacré 80 % du temps à discuter de l'utilisation des surplus et de la situation politique et économique en général, et c'est le cas de la plupart, d'une grande partie des groupes. Nous le savions très bien lorsque nous avons lancé cette consultation. Donc, je pense que ça ne vous a pas trop brimé. Merci beaucoup, à bientôt.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Simard, Richelieu): Il est 11 h 40, alors nous allons rapidement poursuivre nos travaux en invitant la Fédération étudiante collégiale du Québec et ses représentants à venir s'asseoir. Il s'agit de Geneviève Baril, qui est présidente – bonjour, madame – et de Mathieu Laberge, vice-président aux affaires sociopolitiques.

Alors, nous vous invitons à faire votre présentation et nous nous ferons un plaisir d'échanger ensuite avec vous.


Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)

Mme Baril (Geneviève): Tout d'abord, j'aimerais demander la permission à M. le Président de pouvoir distribuer certains documents que nous avons amenés, si c'était possible.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Nous les recevons avec plaisir. Donc, madame va chercher votre dépôt – je vois des crayons et du papier.

Mme Baril (Geneviève): Je voudrais juste commencer en disant bonjour à tous et bonjour, M. le Président. À l'instant, on va distribuer plusieurs documents. Ceux qui doivent attirer notre attention dès le départ sont les petits cahiers où il est inscrit les différents noms des députés ainsi que les institutions collégiales les plus près ou situées dans le comté même des élus.

(11 h 40)

Le Québec s'est doté d'un réseau collégial à la fin des années soixante à la grandeur du Québec; c'est donc une réalité québécoise, universelle, présente à la fois en région et en milieu urbain. Par conséquent, M. le Président, cette réalité devrait donc toucher la majorité des élus ici présents.

Pourquoi avons-nous décidé de distribuer un cahier? Tout simplement parce que nous sommes d'abord et avant tout des jeunes étudiants et non des économistes. Bref, nous sommes conscients que nous n'avons pas toutes les connaissances nécessaires pour assumer une guerre de chiffres avec vous. Néanmoins, nous considérons que l'opinion des étudiantes et des étudiants de niveau collégial mérite d'être entendue et notée, d'où le crayon.

D'entrée de jeu, soulignons, M. le Président, que nous sommes les représentants de la Fédération étudiante collégiale du Québec, qui représente pas loin de 90 000 étudiants répartis dans 11 régions du Québec, notamment sur la Côte-Nord, au Bas-Saint-Laurent, au Saguenay– Lac-Saint-Jean, dans la région de Québec, la Mauricie, Montréal, les Laurentides, la Montérégie, pour ne nommer que celles-ci.

Comme vous le savez, lors du discours d'ouverture, le premier ministre a pris l'axe des jeunes et de la jeunesse. On a parlé du Sommet du Québec et de la jeunesse, d'économie du savoir et d'intégration de la relève que sont les jeunes dans la société québécoise. Aujourd'hui, on vous tend une perche, et ce, avant même le Sommet du Québec et de la jeunesse. On vient vous voir pour vous dire ce que les jeunes étudiants pensent de l'utilisation des surplus budgétaires. La balle est dans votre camp, à vous d'en faire ce que vous voudrez.

Ceci étant dit, notre position est claire: les étudiants collégiaux ne sont pas touchés pour la plupart par les impôts progressifs. Par contre, le désengagement de l'État en éducation, dans la santé et les services sociaux touche directement les jeunes que nous représentons. Évidemment, nous sommes conscients que les Québécoises et les Québécois vivent des situations pouvant différer de celles des étudiantes et des étudiants de par leurs conditions socioéconomiques et leurs obligations de façon générale. Mais reste que néanmoins la baisse d'impôts, les étudiants collégiaux disent: Non.

Tout est question de priorité. On comprend qu'il y a d'autres impératifs que le réinvestissement, mais la question qui se pose actuellement, c'est: Qu'est-ce qui doit primer? Et maintenant je vais céder la parole à mon coéquipier Mathieu.

M. Laberge (Mathieu): Merci beaucoup. Alors, si on me permet de m'exprimer ainsi, M. le Président, je vous invite à ouvrir vos cahiers, la session va commencer. Alors, comme l'a fait remarquer ma collègue Baril, tout est donc une question d'ordre, de priorisation et de savoir-faire. Principalement – vous deviez vous y attendre – nous nous attendons, nous, de notre part, à un réinvestissement en éducation, en santé et en services sociaux.

Simplement pour vous expliquer notre position. Le contexte général qui prime depuis 1994 dans le réseau collégial, puisque c'est notre principal réseau d'action, se dégrade et va de mal en pis. Le désengagement de l'État a amené une baisse des services directs aux étudiants, des charges pour les gens qui nous encadrent, les professeurs, les professionnels et les gens de soutien, qui sont toujours croissantes. Et ça, les étudiants, ça les touche directement. Ils s'en rendent compte dans leur concret, au quotidien, dans leur vie: des livres dans la bibliothèque qui manquent, des centres d'aide qui ferment, c'est tangible pour eux. La baisse d'impôts des particuliers, c'est intangible. Ils ne peuvent pas y toucher, puisque pour la plupart ils ne paient pas d'impôts, n'ont pas de retour d'impôts. Donc, de ce côté-là, la situation pour eux, ça ne changera pas énormément.

D'autant plus que le montant global de la baisse d'impôts, on parlait, si je me souviens bien, de 1 300 000 000 $ environ, ce qui est le montant global dont l'éducation nécessite pour revenir au financement de 1994, c'est-à-dire 1 900 000 000 $. C'est un peu plus gros. J'en conviendrai tout de suite avec vous, probablement que, si on réinvestissait immédiatement toutes les sommes et qu'on revenait au financement de 1994 en éducation, on serait capable de faire plus avec autant. Tant mieux. Je ne vois pas ça comme étant une limite au réinvestissement et à l'engagement de l'État dans son réseau d'éducation.

Il faut voir aussi puis recadrer ça dans un contexte général. Je vous rappellerai comme ça une citation de l'empereur Tibère, qui disait en latin: «Boni pastoris esse tondere pecus, non deglubere». Excusez l'accent, la situation est telle que j'en perds mon latin. En français, ce que ça veut dire, c'est: Le devoir d'un bon berger est de tondre le troupeau, non de l'écorcher. Il faut sentir, il faut percevoir qu'au sein de la population québécoise il y a une claire différence entre dégraisser l'appareil public et carrément couper dans la chair. Présentement, il y a un gros travail chirurgical à faire pour recoller les membres, si on veut.

Donc, dans un cadre également encore global, on parle d'économie du savoir, on parle d'accès à cette fameuse économie là, quelque chose qui semble faire un point d'honneur au gouvernement. Eh bien, mon humble avis – et je me permettrai de vous le soumettre – c'est de dire que l'entrée à cette économie du savoir là, c'est l'entrée aux études postsecondaires, c'est le réseau collégial. Et présentement le réseau collégial se meurt.

Il faut voir ensuite qu'il peut y avoir un autre échelon, celui de la dette. On a atteint le déficit zéro, soit. La dette est néanmoins présente, et c'est une dette qui va – si on ne s'y attaque pas immédiatement – découler dans les générations futures, c'est-à-dire nous, les étudiants collégiaux, les jeunes Québécoises et Québécois. Ça sous-tend également toute une autre question. On sait que ce qu'on est habitué à appeler la pyramide démographique s'en vient à ressembler de plus en plus à un sapin démographique. De ce côté-là, pourquoi devrions-nous baisser les impôts maintenant pour ensuite devoir les réaugmenter afin d'assurer le même niveau de services sociaux? C'est une question, je crois, qui est importante à débattre, c'est une question qui est primordiale et sur laquelle nous devons nous pencher dans un bref délai.

Finalement, il y a la baisse d'impôts. La baisse d'impôts en soit n'est pas balayée du revers de la main, mais à long terme. Pour l'instant, ce n'est pas le temps de la baisse d'impôts selon les étudiants des collèges du Québec. La vraie priorité, c'est de donner à la population québécoise les services qu'elle est en droit de s'attendre, donc bonifier les réseaux d'éducation, de la santé et des services sociaux. Ensuite, donner aux jeunes l'avenir auquel ils sont en droit de s'attendre, s'occuper de la dette, préparer un plan de remboursement. Ensuite, les impôts pourront venir. Par contre, et d'ores et déjà on tient à mettre en garde le gouvernement, la baisse d'impôts ne devra jamais se faire – et j'insiste bien sur le mot jamais – par une hausse de la taxe de vente du Québec.

Les étudiants de collèges ne sont pas touchés par les impôts progressifs; s'il faut en plus qu'on leur fasse payer une baisse d'impôts par une hausse des impôts régressifs, bien là, ça ne va pas. Ça, il n'en est pas question, et je tiens à ce que le message soit passé clairement dès maintenant, même si dans notre opinion la baisse d'impôts, ce n'est pas pour tout de suite.

Cependant, c'est bien beau de mettre en garde, il faut aussi amener des solutions. Nous, à la Fédération, on a vu deux plans qui pourraient servir à baisser les impôts. D'abord, la lutte contre l'évasion fiscale. Ça pourrait être une méthode alternative de financement intéressante, de lutter contre l'évasion, pour permettre à ceux qui marchent dans le cadre des programmes d'avoir et de profiter d'une baisse d'impôts.

(11 h 50)

L'autre étant celui de cerner les vrais objectifs qu'on veut aller chercher par la baisse d'impôts. À notre avis – bien humble, toujours, mais nous croyons qu'il est important de le prendre en compte – le véritable objectif, c'est d'aider les moins bien nantis de notre société à payer moins d'impôts, donc à être plus facilement intégrés dans la société, à avoir un pouvoir d'achat plus élevé. À cet effet, on croit que la question d'hausser les paliers d'imposition pourrait être intéressante. Et à cet égard-là ça nous inquiète un peu de voir qu'il y a des propositions du gouvernement à un palier d'imposition. Pour nous, ce n'est pas la solution. Pour nous, la véritable solution pour aider à réduire les impôts des particuliers les moins bien nantis, c'est de monter le nombre de paliers entre sept et 11, ce qui permettrait en fait une hybridation avec le régime qui avait lieu dans les années quatre-vingt, où est-ce que, là, bon, on s'est retrouvé devant une restructuration obligatoire, et celui à trois paliers devant lequel on est contraint maintenant.

En terminant, je vais me permettre de vous rappeler un cas qui peut dire long sur les manières de faire des autres pays. Je peux comprendre qu'on se réfère souvent à l'Ontario, aux États-Unis, c'est les cas les plus proches de nous, avec qui on est en concurrence directe. Cependant, il faut aussi recentrer ça dans un cadre plus global. Puis je vous amènerais à réfléchir au cas de la Suède, simplement. Un vrai gouvernement social-démocrate en place là-bas a décidé, suite à l'atteinte du déficit zéro et envers et contre tous les organismes internationaux, dont l'OCDE, de dire: Nous réinvestissons d'abord dans les programmes sociaux, ensuite nous verrons la baisse d'impôts et nous verrons les mesures qui en découlent. Il y a aussi également plusieurs parallèles à faire entre la Suède puis le Québec au niveau de la condition socioéconomique, sociodémographique. De ce côté-là, je vous épargnerai les commentaires. Je prends pour compte que vous l'avez tous et toutes lu. Donc, c'est ce qui termine mon intervention. Puis j'ai bien hâte d'entamer le débat et la discussion avec vous.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Je vous remercie beaucoup. Enfin, nous sommes évidemment très sensibles au fait que de jeunes étudiants du niveau collégial prennent la peine de faire les recherches nécessaires et de présenter une opinion. Et j'invite le ministre des Finances à poser la première question.

M. Landry: Ah, bon, je pensais que c'était réservé à notre génération que de citer les grands auteurs latins en latin.

Le Président (M. Simard, Richelieu): C'est très encourageant.

M. Landry: C'est très encourageant de voir que la tradition humaniste continue. C'est très encourageant aussi de voir que la tradition critique et innovatrice persiste dans le monde étudiant. Si on ne la retrouve pas là, où est-ce qu'on la retrouvera? Je ne sais pas si la phrase était de lui, mais Daniel Johnson, ancien premier ministre du Québec, le père, avait coutume de dire que, si on ne commence pas sa vie politique à l'extrême gauche, on risque de la finir à l'extrême droite.

Alors, je vous remercie pour votre contribution. Votre mémoire a déjà été analysé. Il est intéressant. Vous ne vous inscrivez pas dans le courant majoritaire, la plupart des gens, comme vous le savez, veulent des baisses de taxes et d'impôts. Comme vous n'êtes pas encore à l'âge d'en payer, on comprend que ça vous intéresse moins.

Mais je voudrais vous entendre au sujet d'une chose. Vous savez, tous ces efforts qui ont été faits pour ramener le déficit à zéro, ça a été dur et, vous le soulignez dans votre mémoire, ça a laissé des traces. Mais est-ce que vous savez que c'est pour vous surtout que ces efforts ont été faits? Parce que, si on ne faisait pas ça, on continuait à ajouter à un déficit qui est déjà à 100 000 000 000 $ et que nous ne vivrons pas évidemment assez vieux, nous, pour payer. On vous le reporte sur les épaules, tout simplement. Malgré les progrès de la médecine, le taux de mortalité de l'espèce humaine est toujours de 100 %. Alors, ceux qui s'en vont laissent derrière eux les effets de leur négligence ou de leur manque de lucidité. Alors, est-ce qu'au moins, dans les milieux jeunes, on se rend compte que la principale motivation de poursuivre le déficit zéro, c'était de vous permettre d'avoir un avenir un peu plus gérable en termes de finances publiques?

M. Laberge (Mathieu): Certainement, on s'en rend compte. Sauf que dans notre manière de penser... Oui, on est à notre tout jeune âge, on n'a pas toutes les années d'expérience derrière nous que vous tous pouvez avoir, cependant, dans notre façon de penser, à la Fédération, le déficit zéro, c'est le premier pas. Le déficit zéro, c'est le premier pas vers plusieurs autres qui vont mener à laisser aussi un avenir plus gérable aux jeunes, donc s'attaquer à la dette. Ce que je vous dis ici: La priorité, c'est les programmes sociaux, la santé, l'éducation. Ça ne veut pas nécessairement dire de s'endetter encore plus et de recommencer dans la ronde des déficits. Ça, pour nous, je pense que c'est clair. L'exercice qui a été fait était à faire bien qu'il ait fait mal et qu'il ait peut-être poussé un peu loin dans certains réseaux, de là à couper dans la chair comme je le disais tantôt.

Le tout est une question de prioriser, pas de s'endetter, voir quelles sont les véritables priorités pour les jeunes Québécois, pour ce qu'on pourrait appeler la génération montante. Et ce que je vous dis ici, c'est que le déficit zéro, c'est bien; le réinvestissement suite à celui-ci, c'est mieux. Pourquoi? Parce qu'on doit, en tant que société, s'engager à garantir aux citoyennes et aux citoyens un minimum de base, et présentement ce minimum-là n'est même pas atteint encore.

La véritable social-démocratie, à mon sens à moi, c'est de savoir jusqu'à un certain point – on ne parle pas de socialisme, on ne parle pas de communisme – primer l'intérêt premier de la collectivité envers la base avant d'aller satisfaire les intérêts individuels. Ici, c'est ce qu'on voit. On est devant un dilemme: Est-ce qu'on réinvestit dans les services sociaux, la santé et l'éducation, donc pour l'intérêt de l'ensemble des citoyennes et des citoyens du Québec pour une société plus éduquée, en meilleure santé et qui a un filet social de base pour la soutenir, ou on donne... On parlait tantôt d'environ 100 $ par personne comme argent de poche. L'intérêt collectif, l'intérêt de la société versus l'intérêt des individus, c'est ce qui doit, je crois, mener la réflexion de cette commission.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Peut-être que j'aimerais poser quelques questions, si vous le permettez. Vous êtes étudiant au collégial, c'est donc dire qu'au Québec vous bénéficiez d'un régime d'instruction gratuite au niveau collégial. Même s'il y a des frais indirects, vous me répondrez, ils sont quand même proportionnellement très faibles par rapport aux autres niveaux d'enseignement supérieur.

Si on compare votre situation, et on l'oublie souvent au Québec, à celle de l'Ontario, par exemple – et c'est vrai des autres provinces, et avec les États-Unis la comparaison deviendrait excessive – si on compare votre situation, en Ontario, ceux qui sont dans les programmes généraux dans les cégeps sont au niveau universitaire, vous le savez, et, au niveau universitaire, donc, ont des frais de scolarité qui sont maintenant entre le double et le triple de ceux qu'il y a au Québec, Québec étant évidemment la province au Canada où les frais de scolarité sont les plus bas. Les vôtres, ils ne sont pas plus bas, ils sont inexistants. Ça fait partie, ça, d'un ensemble de mesures sociales de redistribution sociale-démocrate – on peut entre guillemets utiliser l'expression – qui caractérisent notre société.

Mais tout ça donne de résultats comptables au bout de la ligne. L'investissement dans l'ensemble des programmes des administrations publiques par rapport au pourcentage du PIB, il est de 38 % au Québec, il est de 30 % en Ontario, qui pourtant est beaucoup plus riche que le Québec, vous le savez, historiquement et la réalité actuelle, aux États-Unis de 29 %. C'est donc dire que nous sommes actuellement dans le contexte nord-américain.

(12 heures)

Vous avez parlé de la Suède, tout à l'heure. Je pense que tous les ministres québécois des années soixante-dix sont allés faire leur tour en Suède pour trouver un programme à créer ici, ça faisait partie d'un idéalisme fort louable. Il n'en demeure pas moins que c'est un modèle qui quand même a atteint aussi ses limites et que nos principaux concurrents ne sont pas les Suédois, mais les Américains, les Ontariens, les Albertains, et qu'il est difficile d'aller chercher uniquement dans un seul pays... Il faudrait d'ailleurs modérer beaucoup. La social-démocratie suédoise s'est beaucoup adaptée depuis quelques années, ne serait-ce qu'après l'élection de quelques gouvernements conservateurs, aux règles du marché mondial.

Je vous dis tout ça pour vous demander si, vous qui allez être bientôt sur le marché du travail – vous faites des études, ce n'est pas pour être étudiant permanent, encore que, nous, quand on faisait du syndicalisme étudiant, on avait tendance à le faire assez longtemps – donc vous allez travailler, vous aller gagner des revenus, vous n'avez pas l'impression que les chances que vous trouviez de l'emploi et que vous participiez à une économie riche, dynamique, tout ça est aussi lié à la capacité pour les citoyens de décider de leurs dépenses et d'avoir un peu d'argent dans leurs poches et de donner une proportion un peu moins élevée de leurs revenus à l'État? Il n'y a pas de lien automatique direct, diminution d'impôts égale relance économique, mais on constate... C'est une corrélation. Ce n'est pas une relation de cause à effet, là, mais il y a une corrélation: là où l'État se retire actuellement, il y a, semble-t-il, un effet d'entraînement et un effet dynamisant pour l'économie. Alors, j'aimerais un peu avoir votre réaction à ça.

M. Laberge (Mathieu): Oui. Bon, plusieurs aspects dans votre question...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Oui, oui. J'ai ratissé large.

M. Laberge (Mathieu): ...que je redoute d'aborder un peu à brûle-pourpoint comme ça. Oui, le cas de la Suède à pondérer, tout ça... Pourtant, je vous rappellerai – puis vous avez l'état à la page 10 de notre mémoire – que, oui, nos concurrents directs sont l'Ontario et les États-Unis, mais ce que je vous dis... puis vous m'avez demandé de mettre ça dans un contexte plus global, je ferai le même exercice pour vous. Regardez les pays européens de l'OCDE. La plupart ont un taux d'imposition, un taux de recette fiscale en fonction du PIB beaucoup plus élevé que celui du Québec. Je pense que c'est indicateur aussi des choix de société.

Je m'abstiendrai de plus de commentaires là-dessus, puisque vous avez touché à un domaine que je connais plus puis que je privilégie plus, celui de l'éducation, l'éducation collégiale. En effet, selon la Loi sur les cégeps – les collèges d'enseignement général et professionnel – l'éducation collégiale est supposément gratuite au Québec. Savez-vous seulement combien il en coûte pour un cas type d'étudiant avec les frais afférents, les frais d'admission, les frais d'inscription, les droits de toutes autres natures, les fameux frais «champignon» non réglementés – dont la plupart ici, autour de la table, n'avait probablement même jamais entendu parler, ou si ce n'est par les médias, ce qui est la pointe de l'iceberg – les droits tarifés en vente libre pour des copies de bulletin, des attestations de fréquentation scolaire? C'est 750 $ par session. La gratuité, elle est où? Elle est où la gratuité quand un étudiant est appelé à payer 750 $ par session et qu'en plus – en plus – dans plusieurs institutions, on ne respecte même pas le sens législatif de la gratuité scolaire. La gratuité scolaire, selon l'arrêté Biron en 1990, un juge nous a dit ce que c'était: «Une table, une chaise, un tableau et un local chauffé en hiver, climatisé en été.»

On vous a distribué des documents au début de notre arrivée. Ce document-ci, qui nous été transmis par une de nos associations étudiantes, l'AGECEM, le collège Édouard-Montpetit, Rapport d'inspection de la qualité de l'air intérieur réalisé par le groupe Environair. Je vais me permettre de vous lire le commentaire général qui est à la fin: «À la lumière des résultats obtenus lors de l'échantillonnage, il est clair que la ventilation est déficiente – première phrase. Sur 10 locaux qui ont été inspectés, 10 ne respectent pas les normes en ce qui a trait au gaz carbonique, neuf ne respectent pas les normes en ce qui a trait à l'humidité et cinq ne respectent pas les normes en ce qui a trait à la température ambiante.»

Est-ce que la gratuité scolaire est respectée, est-ce qu'on fournit des locaux aux étudiants? Commentaires sur un local, A-4 ou A-6, peu importe: «Des ventilateurs d'appoint ont été installés. Ces ventilateurs ne peuvent pallier à un manque d'apport d'air extérieur. En effet, dans ce local, les nombres de PPM de CO2 atteignent des niveaux très inquiétants.» Dans le café étudiant: «Le nombre de PPM de CO2 anormalement élevé démontre que la ventilation actuelle n'est pas efficace.» Ah bon! La gratuité scolaire, c'est fournir un local aux étudiants.

Je vous citerai aussi le cas de Rimouski où est-ce que, l'année passée... La norme, c'est 21 °C dans une institution. L'année passée, c'était autour de 20 °C. Cette année, ils vont baisser encore de deux degrés, comme 48 % des cégeps, par mesure d'économie. Est-ce que c'est ça, la gratuité scolaire? Je vous le demande.

Sur ce, je crois que Mme Baril voulait intervenir.

Mme Baril (Geneviève): Pour ce qui est de la deuxième partie de la...

Le Président (M. Simard, Richelieu): Selon vos critères, je m'excuse, on serait obligé de fermer l'Assemblée nationale où il fait à peu près 19 °C à l'heure où nous nous parlons, et nous nous sentons très bien. Mademoiselle.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Baril (Geneviève): Pour continuer avec la deuxième partie de la question, si je me rappelle bien, on parlait, bon... Un coup qu'on a fini nos études, on se dirige vers le marché du travail, et c'est important qu'il y ait des emplois à notre sortie. Je devrais répondre oui, que c'est nécessaire. On n'étudie pas pour, après ça, tomber sur le chômage, comme c'est le cas actuellement. Mais, pour ce faire, il faut que chacun et chacune ait la chance, justement, d'accéder à l'éducation, ait la chance de se rendre, justement, à l'école, et ça, on pense, dès l'adolescence, avec tous les moyens que l'État devrait fournir, des moyens préventifs pour assurer aux jeunes d'être habilités à se rendre aux études postsecondaires.

Et quand on sait que le Québec a le plus haut taux de suicide, il serait peut-être temps que, dans les services sociaux, on réinvestisse maintenant et qu'on arrête de guérir le bobo une fois que celui-ci est écorché, mais bel et bien avant, en ayant des mesures préventives d'appoint qui vont permettre justement aux jeunes Québécois, du moins de rester en vie jusqu'à temps d'arriver à leurs études postsecondaires de façon à ce qu'ils puissent avoir toutes les chances nécessaires pour réussir dans la vie, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Avant de passer la parole au député de La Prairie, juste quelques précisions, là, au sujet de l'imposition des pays européens. Je pense que vous ne faites pas la promotion d'une TPS à 22 %. Il faut faire très attention lorsqu'on dit qu'ils sont beaucoup moins imposés que nous. C'est vrai que l'impôt des particuliers est souvent moins élevé que chez nous, mais socialement, il ne faut pas penser que ce soit un progrès, bien au contraire, hein. Ça veut dire que les taxes directes sont beaucoup plus élevées.

Pour ce qui est des frais afférents, les frais différents dans les cégeps, la comparaison que je faisais avec nos voisins joue aussi. Je vous assure que, si vous demandez une copie de diplôme à l'Université d'Ottawa, vous allez la payer, puis pas à moitié. Les frais afférents existent aussi dans des régimes où les frais de scolarité sont entre 3 000 $ et 4 200 $ pour la première année à l'université.

Je passe la parole au député de La Prairie, qui veut vous poser quelques questions.

M. Geoffrion: Quelques petites questions. Alors, bonjour à vous deux. Il y a une phrase dans votre mémoire qui m'a particulièrement frappé, à la page 17, dans votre position globale, vous dites: «Si les étudiants ne paient pas d'impôts, il ne faut pas non plus les pénaliser pour des économies dont ils ne verront la couleur que dans plusieurs années.» On parle beaucoup de solidarité entre les générations par les temps qui courent, j'aimerais avoir un commentaire sur... Bon, la classe moyenne, c'est souvent vos parents, hein, c'est des gens qui sont très fortement imposés, qui eux aussi mériteraient, je pense bien, un répit, qui sont une classe souvent endettée, pas tous des gens syndiqués, peu d'épargne, etc. Donc, dans votre phrase, implicitement, vous dites, dans le fond, qu'il y aura des économies, donc vous acceptez qu'il y a un effet bénéfique à la baisse des impôts, mais vous dites: On n'en verra pas la couleur avant quelques années. Ça m'interpelle un petit peu quand on pense à vos parents, qui eux ont le couteau sous la gorge au niveau de l'imposition, dans bien des cas. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Laberge (Mathieu): Très bien. Juste au niveau des frais, je ne veux pas relancer le débat, mais c'est un choix de société qu'on a fait d'avoir des cégeps gratuits. Et puis on ne le respecte pas, les administrations ne respectent même pas le choix même du législateur. Enfin, le débat pourrait être long, mais je crois que ce serait plus à la commission de l'éducation de le traiter.

Sur la solidarité intergénérationnelle. Oui. Qu'est-ce qui regroupe mieux les générations que des services de santé adéquats? Qu'est-ce qui regroupe mieux les générations qu'un filet social adéquat? Qu'est-ce qui regroupe mieux une société qu'une éducation de qualité qui assure cette même société de se poursuivre et de toujours garder, de la part des citoyens, un esprit critique, un esprit ouvert, un esprit qui permet à la société toute sa vitalité? Je crois que la solidarité intergénérationnelle est vraiment là.

Pour ma part, peut-être que je viens d'une famille d'extraterrestres ou de teletubbies, je ne le sais pas, mais dans ma famille on privilégie beaucoup plus le bien de la société, on privilégie beaucoup plus des soins de santé, des services sociaux et une éducation de qualité accessible à tous que 100 $ dans notre poche. Je ne sais pas si vous saisissez.

(12 h 10)

M. Geoffrion: Je saisis bien, mais ce n'est pas tout à fait le sens de ma question, là, par rapport à ce que vous dites. Alors, moi, je vous reporte à l'objectif de cette commission: la baisse des impôts. Je vous dis que la classe moyenne qui n'a pas de répit depuis plusieurs années, qui est souvent vos parents... On a eu d'autres groupes, entre autres l'ADQ, un jeune qui est venu nous dire: Bon, un jeune professionnel, bien souvent, après cinq, six ans, paie beaucoup d'impôts, et il paie beaucoup d'impôts parce que son salaire, à ce moment-là, comme jeune professionnel, est très élevé, et il peut faire des revenus semblables à ceux de son père qui va prendre sa retraite la même année. Vous savez, des jeunes professionnels qui font 30 000 $, 35 000 $ de revenus et des gens qui, à ce stade de revenus là, prennent leur retraite, vous voyez ce que je veux dire, c'est qu'il faut penser également à ceux qui n'ont pas ce répit-là.

Vous, vous êtes aux études. On a tous été étudiants puis on a tous, je pense bien, travaillé pendant nos études. Bon, vous dites même dans votre mémoire que vous faites partie de la classe des démunis. C'est une façon de voir les choses. Évidemment, lorsqu'on est étudiant, on n'a pas des gros revenus. Il y a un système assez généreux de prêts et bourses qui est en place. Tout ça pour dire qu'il faut penser aussi à ceux qui sont les plus sollicités. Et je voulais juste vous entendre là-dessus. Je ne veux pas vous faire dire votre histoire personnelle, là. Mme Baril?

Mme Baril (Geneviève): Oui. Investir maintenant dans l'éducation, c'est justement le principe d'équité intergénérationnelle qui va jouer, puisque plus tard c'est nous, les jeunes, qui allons payer les services de santé des gens plus âgés. Et il faut savoir, comme le soulignait tout à l'heure Mathieu, que la pyramide va être inversée, qu'il va y avoir de moins en moins de jeunes et, malheureusement, de plus en plus de personnes plus vieilles que nous. Ce qui veut donc dire que, si on a des emplois et une éducation qui vont nous permettre d'avoir un bon travail, on va être en mesure, après ça, de rendre la pareille de cette façon-là.

Voilà pourquoi nous demandons de réinvestir immédiatement en éducation et dans les services sociaux et la santé, puisque c'est des domaines qui ont été durement touchés par les coupes budgétaires, et nous croyons qu'il faut rétablir la situation dès maintenant.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci. Je passe maintenant la parole à la porte-parole de l'opposition officielle.

Mme Jérôme-Forget: Merci, M. le Président. D'abord, j'ai bien apprécié votre mémoire. Je l'ai lu attentivement, j'ai remarqué toutes sortes de commentaires pour pouvoir vous poser des questions.

Vous parlez qu'il faut réinvestir en santé, en éducation et services sociaux. Je pense que tout le monde ici, autour de cette table, est conscient qu'il va falloir faire quelque chose dans ce domaine-là. Je pense qu'il n'y a pas grand monde, ni du côté du gouvernement ni du côté de l'opposition, qui sous-estime l'importance de garder des bons services publics, en particulier en éducation et au niveau de la santé.

Par ailleurs, il y a quelque chose qui se passe chez nous et qui est troublant, et qui devrait, à mon avis, vous inquiéter, c'est le taux de chômage qui est quand même élevé. Puis les gens qui vont ordinairement payer à cause de ce taux de chômage, ce sont souvent les jeunes. Ce sont souvent ceux dont leur emploi est le plus précaire. Ils sont les derniers arrivés, donc, s'il y a des licenciements, ils sont les premiers remerciés. Je n'ai pas vu dans votre document beaucoup d'analyse à cet effet-là. Il me semble que ça devrait être un point qui devrait vous inquiéter beaucoup, le taux de chômage, parce que, si on a 9 % ou 10 % de chômage, c'est une main-d'oeuvre, ça, qui pourrait être active. Et la raison pour laquelle nous, on pense baisser les impôts, c'est qu'on a la conviction que ça va créer de l'emploi. Et la meilleure sécurité sociale, c'est d'avoir un emploi, de s'assurer qu'on a un choix, qu'on a une possibilité. Qu'est-ce que vous dites à ce sujet-là, au niveau du taux de chômage qui est beaucoup plus élevé au Québec qu'ailleurs?

M. Laberge (Mathieu): Oui. J'en conviens avec vous, en effet, le taux de chômage est assez alarmant. Si on ne l'a pas traité dans notre mémoire, c'est qu'on a fait d'autres études qui portaient sur ce sujet-là – sur ce sujet-là et bien d'autres, d'ailleurs. Sur le taux de chômage, nous, on croit que présentement, conjoncturellement, ce n'est pas nécessairement en baissant les impôts qu'on va réussir à remettre ces jeunes-là en emploi. De notre côté, on ne fait pas le lien de façon aussi directe.

Par contre, ce qu'on pense, et puis probablement que les gens autour de la table ici vont en convenir, du moins je l'espère, c'est qu'en investissant dans certains programmes sociaux, dont Emploi-Québec, il y a des moyens d'inclure ces gens-là plus facilement. Présentement, Emploi-Québec, c'est ce qu'on pourrait appeler, même si je n'aime pas le mot, une clique fermée qui est très, très distincte, et puis on n'admet pas d'autres gens. Une des manières, ce serait un décloisonnement d'Emploi-Québec. Ça permettrait de réintégrer des gens sur le marché du travail. Donc, de ce côté-là, je pense que ce qu'on vient vous présenter aujourd'hui, des propositions qui sont adjointes au mémoire, c'est ça aussi: comment intégrer les gens au marché du travail mais d'une façon autre que la baisse d'impôts, d'une façon qui serait probablement plus directe et plus efficace.

Vous conviendrez avec moi aussi – puis c'est une clarification que je veux faire, qu'on aurait fort probablement dû faire dès le début – qu'on a vu depuis les dernières élections que le vice-président du Conseil du trésor, notre ministre avec qui on transige le plus fréquemment, M. Legault, nous dit et nous martèle depuis le début que, dès qu'il y aura une marge de manoeuvre, ça viendra en éducation. Dès qu'il y aura une marge de manoeuvre, nous réinvestirons en éducation. C'est ce qu'on entend souvent.

L'éducation aussi, c'est une manière de réintégrer les gens. La formation continue, la formation professionnelle et technique, c'est des formations qu'on peut appeler courtes, qui permettent de réintégrer les gens assez efficacement sur le marché du travail en les réorientant. Donc, de ce côté-là aussi le réinvestissement en éducation peut être une piste de solution.

Puis, en tout cas, nous, au niveau collégial, je crois que les intervenants sont d'accord là-dessus. Vous verrez dans les documents qu'on vous a distribués, il y en a un de la Fédération des cégeps qui dit sensiblement la même chose sur les pistes de réinvestissement. Donc, nous, c'est notre position, de ce côté-là: un réinvestissement peut permettre la baisse du taux de chômage et de réintégrer les gens. Notre slogan, dans le fond, de ce côté-là, c'est Exclusion zéro , et c'est les moyens que nous privilégions pour y arriver.

Mme Jérôme-Forget: Vous avez parfaitement raison, il y a des études qui démontrent que plus un jeune s'éduque, plus il a de possibilités d'occuper un emploi et d'avoir des choix d'emplois, même s'il perd son emploi. Alors, de mousser l'idée d'investir en éducation pour s'assurer que les gens, les jeunes sont bien formés, c'est clair que c'est la meilleure police d'assurance.

Vous avez mentionné la Suède, et j'ai trouvé ça bien intéressant dans votre mémoire parce que, effectivement, comme disait notre président, on a tous été visiter la Suède. Et la Suède a quelque chose de remarquable en ce sens qu'il n'y a pas de pauvres en Suède. C'est un pays très égalitaire, c'est un pays où il n'y a pas de pauvreté. Sauf qu'on avait poussé la logique de l'importance de l'État presque à l'extrême, en Suède, si bien qu'on a entendu le fichu cas de Bergman, le grand cinéaste qui avait décidé un jour de quitter la Suède et de s'en aller parce qu'il était taxé à 105 %, et il a décidé qu'il ne pouvait pas supporter ça. Donc, suite à ça, ils ont mis en place la commission... je suis sûre que, puisque vous faites référence à la Suède, vous êtes au courant de la commission qui avait été présidée par Lindbeck, l'économiste, au monde, qui donne les prix Nobel, alors on peut dire que c'est un homme de grande réputation et d'une grande culture. Et il avait fait une critique très sérieuse de la Suède, et il avait une vision extrêmement négative de la Suède. Donc, le gouvernement suédois a fait des modifications, il a diminué son taux d'impôt.

Vous mentionnez ce modèle-là, qui, à bien des égards, nous a tous séduits. Il nous a tous séduits. Quand j'ai visité la Suède, moi, j'ai été complètement séduite. Quand je suis retournée, j'étais encore séduite. Il y avait quelque chose d'extrêmement positif là-bas. Mais, quand on parle aux gens là-bas, effectivement, il y a par ailleurs énormément de mécontentement parce que les gens nous expriment leur incapacité à pouvoir bouger rapidement, à pouvoir avoir le sens de l'initiative, à pouvoir s'organiser eux-mêmes facilement. Et je pense qu'il y a peut-être un danger également à prendre la Suède, même si c'est un pays qu'on doit surveiller attentivement, à cause de toutes les vertus qu'il a données jusqu'à maintenant.

(12 h 20)

Maintenant, à la page 18 de votre mémoire, au point 4, vous parlez de rétablir une véritable progressivité dans le régime de perception des impôts en augmentant le nombre de paliers de perception à sept. Vous savez, une des qualités d'un système d'impôts, c'est sa simplicité. Non seulement le régime d'impôts doit être équitable, économique, mais il doit préférablement être simple. Et si, vous et moi, on ne comprend pas notre système d'impôts puis on n'est pas capables de remplir notre formulaire d'impôts parce que c'est trop compliqué, je peux vous dire que le gouvernement ou le régime qu'on a, à ce moment-là, perd de la crédibilité. J'aimerais entendre pourquoi vous insistez pour augmenter le nombre de paliers, alors que ça augmenterait une telle complexité dans l'organisation du système?

M. Laberge (Mathieu): D'accord. D'abord, entendons-nous bien, là, sur la question de la Suède, vous n'avez pas devant vous deux militants pro-Suède qui veulent absolument qu'on déménage le Québec en Europe. Ce n'est pas là la question. Ce qu'on dit, c'est qu'on voulait apporter un cas d'espèce pour montrer qu'il y avait bien des gouvernements socio-démocrates qui étaient capables de respecter leur idéologie en privilégiant les réinvestissements avant la baisse d'impôts. En soi, ce n'est pas carrément amener le modèle suédois au Québec, loin de là. Je tiens à rassurer tout le monde là-dessus.

Sur la question de l'augmentation du nombre de paliers, en effet, un régime d'impôts doit être simple, efficace, peu coûteux, les qualités que vous avez mentionnées précédemment. Cependant, nous croyons qu'à trois paliers, oui, c'est simple, mais est-ce que c'est vraiment représentatif de toutes les classes de la société québécoise? C'est ça, la question. C'est un questionnement qui a eu lieu à la Fédération, sur lequel... Évidemment, on n'est pas des économistes, on ne prétend pas être capables d'établir les paliers avec les calculs actuariels que ça peut impliquer, mais le résultat du débat qu'on a eu, c'est qu'il y avait place tout de même, sans revenir au nombre de 21 paliers qui était auparavant... Là, j'en conviens avec vous, il y a une restructuration majeure qui devait avoir lieu. Ça a eu lieu, on a ramené les paliers à cinq puis à trois. On croit qu'il y aurait quand même place à une plus grande progressivité pour être plus représentatif de la société québécoise. Donc, de ce côté-là, je pense que c'est un souci de représentativité, bien qu'en effet il puisse arriver que ça alourdisse le processus.

Mme Houda-Pepin: M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour, Mme Baril et M. Laberge, je vous remercie pour la présentation que vous nous avez faite, pour la documentation, pour les petits cahiers qui nous renvoient à nos devoirs. J'ai trouvé ça bien «cute» la façon dont vous avez présenté ça. Je viens de recevoir, moi, un cahier d'exercices des étudiants du cégep Édouard-Monpetit, que je salue à travers vous et que je vais rencontrer dans quelques minutes. Il y a une dizaine d'étudiants qui sont ici.

Vous êtes peut-être les témoins les plus crédibles pour parler du réinvestissement dans l'éducation. Par contre, comme vous l'avez si bien dit, il y a tout un mythe autour de la gratuité scolaire quand vous dites qu'il y a 750 $ par session que ça coûte à un étudiant dans un système qui est censé être gratuit. Vous plaidez fortement pour l'investissement dans le secteur de l'éducation. Et je regardais le bulletin statistique de l'éducation, celui qui émane justement du ministère de l'Éducation – c'est le numéro 8, février 1999 – où on nous donne une indication des bénéfices fiscaux que le gouvernement peut tirer comme revenus d'un étudiant universitaire avec un baccalauréat. Dans sa vie, il paierait autour de 1 000 000 $ au gouvernement en termes de taxes et d'impôts. Alors, ça démontre que, effectivement, l'éducation, c'est une dépense, oui, mais c'est aussi une dépense qui se traduit par un investissement rentable pour l'État, en plus de créer éventuellement ou préparer la jeunesse à occuper des fonctions et puis à occuper des emplois. Donc, de ce côté-là, j'ai trouvé votre réflexion très pertinente et assez justifiée.

La semaine dernière, j'ai fait une rencontre dans mon comté avec des jeunes de différents horizons politiques parce qu'on a un Sommet de la jeunesse qui s'en vient, et les jeunes chez nous, en Montérégie, se préparent à tenir un forum le 13 novembre prochain. Donc, à l'échelle d'un comté, j'ai réuni les jeunes pour discuter avec eux, et surtout pour les écouter concernant leurs préoccupations.

Et ils m'ont parlé beaucoup du cégep. Parce que, dans votre mémoire, vous dites qu'il faut dégraisser l'appareil de l'État, l'appareil du gouvernement, entre autres. Et ce que les jeunes ont signalé – ça fait longtemps que j'ai quitté l'école, moi – c'est qu'il y a beaucoup de ménage à faire dans les cégeps au niveau des cours qui se donnent. Certains disaient qu'il y a des cours qui sont redondants avec ce qui se donne à l'université, donc il y a probablement le curriculum qu'il faut revoir. Certains allaient plus loin, jusqu'à questionner la pertinence des cégeps.

Mais je voulais vous entendre là-dessus: Dans cet effort de rationalisation, de réduction des impôts, etc. comment vous voyez, vous, le rôle du cégep aujourd'hui? Est-ce que c'est une institution qui répond toujours à un besoin? Est-ce que les besoins sont pris en charge dans toutes les disciplines, ou est-ce qu'il y a des disciplines, je dirais, nouvelles sur lesquelles il faut mettre plus de ressources et plus de moyens dans les cégeps? J'aimerais bien vous entendre parce que vous êtes les meilleurs porte-parole de ce dossier.

Mme Baril (Geneviève): Il faut savoir que la société québécoise s'est dotée d'un réseau collégial afin de rendre accessible à tous et à toutes le réseau postsecondaire qui va te permettre par la suite de te rendre à l'université. Évidemment, notre position à la Fédération, c'est de conserver les cégeps. Par contre, on est conscient que la société québécoise est en constant mouvement et évolue, surtout avec l'apport des nouvelles technologies et la mondialisation. Donc, dans ce contexte-là, c'est important, selon nous, de revoir le curriculum des programmes régulièrement. La révision des programmes faite par la Commission d'évaluation de l'enseignement collégial devrait se faire de façon plus récurrente qu'actuellement. On sait qu'actuellement les programmes sont revus à tous les 10 ou 15 ans, de façon générale, ce qui est donc trop peu. On sait que, actuellement, l'économie au Québec change, évolue, on sait qu'on a besoin d'une main-d'oeuvre qui est davantage qualifiée dans les technologies des communications, et tout ça.

Par contre, il ne faudrait surtout pas mettre de côté tout le secteur des sciences humaines parce qu'on sait que, bon, la société, oui, on doit former des gens spécialisés dans ce qui arrive au niveau des sciences et des technologies, mais on sait, par contre, qu'on va toujours avoir besoin de gens critiques qui vont avoir le contenu à divulguer à travers toutes ces sciences-là et avoir un sens éthique aussi par rapport à tout ce qui peut arriver dans le domaine des sciences. Donc, sur ce, on croit que c'est important de garder le réseau collégial.

Il y a beaucoup de choses à revoir. Je ne pense pas que c'est la place nécessairement pour en discuter ici, mais on est conscient que, pour l'arrimage secondaire- collégial-université, il y a beaucoup de travail à faire à ce niveau-là, puis c'est des choses qu'on compte amener pour le Sommet du Québec et de la jeunesse. Je vous inviterai peut-être à venir en discuter avec nous. On a plusieurs documents qu'on n'a pas pensé à amener à ce niveau-là, mais il y a eu une réflexion, là, qui était très intéressante.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Simard, Richelieu): Merci beaucoup. Alors, merci à nos deux représentants de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Geneviève Baril, la présidente, et Mathieu Laberge. Nous allons ajourner nos travaux au mardi 16 novembre à 9 h 30. Merci.

(Fin de la séance à 12 h 30)


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