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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le jeudi 15 septembre 2016 - Vol. 44 N° 118

Mandat d'initiative - Le phénomène du recours aux paradis fiscaux


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Table des matières

Auditions (suite)

Mme Marwah Rizqy

M. André Lareau

Assermentation

ATTAC-Québec

Assermentation de M. Roger Lanoue

M. Alain Deneault

Assermentation de M. Érik Bouchard-Boulianne

Assermentation de M. Alain Deneault

Assermentation de Mme Aline Tremblay

Autres intervenants

M. Raymond Bernier, président

M. Jean Habel

M. André Fortin

M. Nicolas Marceau

M. Jean-François Lisée

M. André Spénard

M. Amir Khadir

M. Michel Matte

M. Jean-Denis Girard

Journal des débats

(Neuf heures trente-six minutes)

Le Président (M. Bernier) : Donc, à l'ordre, s'il vous plaît! Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des finances publiques ouverte et, bien sûr, je demande à toutes les personnes de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques dans le cadre de son mandat d'initiative portant sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Non, M. le Président.

Auditions (suite)

Le Président (M. Bernier) : Merci beaucoup. Alors, bienvenue à tous. Bienvenue à cette commission parlementaire fort importante. Nous avons le plaisir de recevoir ce matin Mme Marwah Rizqy. Bienvenue, madame. On est très heureux de vous recevoir. Nous aurons l'occasion de recevoir, cet avant-midi également, M. André Lareau, le groupe ATTAC-Québec et, cet après-midi, M. Alain Deneault.

Alors, sans plus tarder, je vais vous laisser la parole, chère madame, et je vous invite à vous présenter pour une période d'environ une quinzaine de minutes. Par la suite suivront des échanges avec les parlementaires. Et merci de votre participation à cette commission fort importante.

Mme Marwah Rizqy

Mme Rizqy (Marwah) : Merci beaucoup de me recevoir, messieurs. Alors, je remarque, nous sommes très peu de femmes aujourd'hui. Alors, je suis Marwah Rizqy, professeure de fiscalité à l'Université de Sherbrooke, à la maîtrise en fiscalité. J'enseigne la fiscalité internationale, la fiscalité américaine, et mes projets de recherche portent souvent sur la planification fiscale internationale ainsi que le commerce en ligne.

Aujourd'hui, vous m'avez conviée ici pour vous parler des paradis fiscaux, et je dois vous avouer que c'est un sujet très large. Alors, je ne savais pas par où commencer. Alors, je me suis mise à écrire un petit mémoire pour, en fait, guider la réflexion d'aujourd'hui, trouver aussi des pistes de solution et aussi pour préparer la table à nos échanges qui suivront ma présentation.

Je me permets de commencer par un exemple afin de bien asseoir mes propos. Vous avez sûrement entendu parler de la décision Apple, qui est tombée le 30 août dernier, la décision de la Commission européenne. Je me suis dit que j'allais décortiquer avec vous la décision, les faits, afin de mieux comprendre comment qu'une entreprise milliardaire est capable de réduire son taux effectif d'impôt à 0,005 %. Vous avez compris le nombre de zéros.

Alors, Apple. Apple est une société américaine, Apple inc. En temps normal, le taux nominal d'impôt, aux États-Unis, est de 35 %. Toutefois, Apple, c'est sûr que 35 %, ça gruge beaucoup de profits lorsqu'on veut en remettre à nos actionnaires. Pour ce faire, Apple a plusieurs entités. Celle qui nous intéresse pour la Commission européenne, c'est Apple en Irlande, Apple Sales International. La structure d'Apple permet de transférer les profits qui sont générés en Europe. Donc, par exemple, les téléphones intelligents vendus dans un magasin à Paris, ou à Rome, ou à Madrid, en Espagne, seront tous transférés vers l'Irlande.

Ici, je vais faire une petite parenthèse. La décision de la Commission européenne n'a pas traité de ces transferts vers l'Irlande. Ça, ça s'appelle le prix de transfert. Et le prix de transfert, c'est la stratégie numéro un en planification internationale afin de délocaliser les profits. Moi, je me permets de traiter de cette question parce qu'elle touche notre fiscalité canadienne.

• (9 h 40) •

Les prix de transfert. Imaginez un téléphone intelligent. Moi aussi, j'en ai un. Disons qu'il coûte 200 $. Apple Irlande, c'est elle qui a le brevet pour facturer et manufacturer ce produit. Disons qu'il coûte 200 $, il est vendu 1 000 $ à sa filiale, en France. La filiale, son coût d'acquisition est de 200 $. Lorsqu'elle vend ce téléphone à 1 000 $, elle devrait générer un profit de 800 $ l'unité. Imposez un taux nominal en France de 33 %. 33 %, je vous le rappelle, c'est beaucoup trop pour une multinationale. Alors, pour venir réduire le profit de 800 $, Apple Irlande va facturer d'autres coûts au téléphone intelligent : manutention, publicité, communications, frais juridiques. Or, le coût va être artificiellement augmenté. Il va passer à 600 $, laissant environ 400 $ de profits imposables en France. Ça, c'est encore beaucoup trop. On va demander des redevances. Disons des redevances de 350 $. Or, le coût d'acquisition, pour la filiale, de ce téléphone de 200 $ va être, en bout de ligne, autour de 950 $, ce qui laisse environ 50 $ de profit par unité vendue en France. Donc, c'est très, très mince comme profit pour les Français ou même pour l'Italie.

L'argent, par la suite, va être transféré en Irlande. Donc, ça, ici, vous comprenez que ça, c'est le prix de transfert. Cette situation est vraiment encadrée dans nos lois, mais c'est très difficile d'établir le véritable prix d'un coût parce qu'un brevet, c'est un bien intangible, et là c'est très difficile de trouver des comparables pour bien établir le prix. Ici, la Commission européenne, dans la décision Apple, elle a très bien fait d'aviser les pays membres de l'Union européenne, de dire : C'est à vous, dans votre législation, de d'abord vérifier si vous êtes capable de changer quelque chose dans votre législation pour vous assurer d'asseoir correctement les ventes où est-ce qu'elles sont réellement générées. C'est-à-dire, une vente qui est générée dans un magasin Apple Store en France devrait être taxée en France.

Là-dessus, la commission a fermé la porte et est revenue juste ici, en Irlande. Qu'est-ce qu'on a regardé? La deuxième phase pour venir réduire les impôts, c'est-à-dire les ententes secrètes avec le gouvernement irlandais, ces fameux «tax rulings», qu'on appelle des «Advance Pricing Agreements». Ces «Advance Pricing Agreements» permettent de s'asseoir avec le gouvernement et de prévoir notre situation fiscale. Généralement, on peut prévoir notre situation fiscale avec un APA pour trois à cinq ans. Les «Advance Pricing Agreements» avec l'Irlande n'ont pas de date d'expiration. Donc, une fois que vous avez votre entente secrète avec le gouvernement, elle est bonne jusqu'à tant qu'on vous prenne la main dans le sac. C'est ce qui est arrivé pour Apple.

Apple, qu'est-ce qui est arrivé? 16 milliards de profits générés en Europe ont été transférés en Irlande. Sur ces 16 milliards de profits, Apple s'est entendue d'avance pour savoir combien qu'elle paierait d'impôt. Le taux nominal d'impôt en Irlande est de 12,5 %. Apple a décidé que c'était beaucoup trop. Donc, 0,05 %, c'est qu'est-ce qu'ils ont établi. Par la suite, ça a été 0,005 %, c'est-à-dire 50 millions. Sur 16 milliards de dollars, 50 millions ont été rendus en recettes fiscales à l'Irlande. Pour vous donner une certaine perspective, imaginez, vous gagnez 1 million de dollars, et votre facture fiscale est de 50 $. Ça vous donne une petite perspective du congé de taxes que vous venez d'avoir.

Certains parleront d'optimisation fiscale pour défendre ce stratège fiscal. Moi, je vais vous dire, l'évitement fiscal et l'évasion fiscale ont non seulement un dénominateur commun qui s'appelle un paradis fiscal, mais aussi, à quelque part, la complicité des gouvernements. Je me permets aussi de dresser un parallèle pour répondre à ceux qui parlent d'évitement fiscal comme de l'optimisation fiscale. Lorsque vous roulez sur l'autoroute entre 120 kilomètres-heure ou 140 kilomètres-heure, vous commettez quand même une infraction. On ne vous mettra pas en prison, vous ne serez pas poursuivi en manière criminelle, mais vous avez quand même un constat d'infraction. Donc, c'est illégal.

Quand vous roulez à plus de 220 kilomètres ou plus de 200 kilomètres-heure et que vous faites des dépassements, vous risquez de vous faire arrêter pour conduite dangereuse, et là on parlera sûrement d'évasion fiscale, si on veut faire le parallèle, parce que, là, ça, au niveau de la société, faire des dépassements, rouler à plus de 200 kilomètres-heure, c'est ce qu'on trouve un acte dangereux, donc conduite dangereuse. L'évasion fiscale, souvent, pourrait référer à ça, alors que l'évitement fiscal, on va peut-être le mettre dans la catégorie de rouler à 140 kilomètres-heure, un excès de vitesse. Ça, c'est quand on parle des MNE, des «multinational enterprises».

Apple, ce n'est ni l'un ni l'autre. Apple n'a pas fait d'excès de vitesse, n'a pas fait de conduite dangereuse. Apple a carrément demandé une voie de contournement au gouvernement, a demandé, au fond, l'équivalent d'un Autobahn européen. Un Autobahn, c'est des voies super-rapides où est-ce qu'il n'y a pas de limite de vitesse, où est-ce que vous seulement savez que cette autoroute existe. Cette autoroute est souterraine, et les autres n'y ont pas accès. C'est ça que la commission est venue dire. Les ententes secrètes qui sont seulement données à ceux qui sont triés sur le volet et qui se font derrière les regards indiscrets sont illégales. C'est des actes d'État illégaux.

Et là-dessus ça m'amène à mon autre point. L'Irlande n'est pas classée par l'OCDE de paradis fiscal. La Commission européenne a aussi condamné, dans la même année, la Belgique pour des pratiques sensiblement pareilles, le Luxembourg, le Pays-Bas. En fait, ces trois pays, qu'on appelle le Benelux, ont été condamnés pour des pratiques fiscales illicites. Pourtant, ces quatre pays, le Benelux ainsi que l'Irlande, ne font pas partie de la liste des paradis fiscaux. Alors, vous allez me demander : Mais, Marwah, si ce ne sont pas des paradis fiscaux, ils sont quoi?

La liste des paradis fiscaux a beaucoup évolué, elle est passée de 47 pays... À l'origine, ces quatre pays que je viens de vous nommer, l'Irlande, le Luxembourg, le Pays-Bas ainsi que la Belgique, faisaient partie de la liste officielle de paradis fiscaux. Ils ont été retirés de cette liste suite à des engagements qui ont été pris de respecter des accords d'échange de renseignements ainsi que de signer des conventions fiscales. Malheureusement, plusieurs auteurs-chercheurs pensent, et je signe avec eux, que ces retraits sont plus pour des considérations politiques, des considérations qui, en fait, font fi de la réalité. Ces pays, lorsqu'ils signent des accords d'échange de renseignements, doivent en quelque part faire preuve d'honnêteté et jouer franc jeu. C'est le principe sous-jacent de signer des conventions fiscales ainsi que des accords d'échange de renseignements.

Lorsqu'on fait des ententes secrètes, on n'en parle pas à nos parties signataires. On n'en parle pas au Canada, on n'en parle pas avec la France, on n'en parle pas avec l'Espagne ni l'Italie. C'est très malhonnête. Et, lorsqu'on regarde les critères de paradis fiscaux, il y a un critère qui s'appelle le manque de transparence, le manque de substance. Vous conviendrez bien avec vous que, lorsque tous les profits qui ont été vraiment réalisés en Europe ne sont pas taxés en Europe et lorsqu'on les attribue à l'Irlande et que, par la suite, on s'entend avec le gouvernement pour créer de toutes pièces une structure où est-ce qu'il y aura un siège social fictif fantôme, un siège qui n'existe pas, et que le gouvernement comprend aussi que ce siège fictif est fantôme, on est en quelque part très complice de cette structure.

Et je me permets aussi de rappeler que l'Irlande, c'est elle qui est poursuivie par la Commission européenne, ce n'est pas Apple. Alors, c'est la Commission européenne qui dit à l'Irlande : Vous avez droit à 13 milliards de dollars plus intérêts, presque l'équivalent de 18 milliards d'euros, alors, si on transpose en dollars canadiens, c'est presque 25 milliards de dollars, et que l'Irlande, sa réponse à la Commission européenne, dit : Non, je n'en veux pas, je vais en appel. Imaginez, si nous, l'ARC, la Cour d'appel fédérale, l'équivalent de la Cour d'appel fédérale, rendrait la décision de dire que l'ARC a droit à 20 milliards de dollars puis que l'ARC dit : Non, je n'en veux pas, ce serait très surprenant.

Le Président (M. Bernier) : Effectivement, ça nous surprend aussi. Ça nous surprend grandement, cette attitude-là.

Mme Rizqy (Marwah) : Effectivement. Et j'aimerais aussi rappeler qu'en 2010 l'Irlande a eu recours au Fonds monétaire international pour la somme de 17 milliards. Ce pays signe beaucoup d'accords d'échange de renseignements.

Pour revenir en fiscalité canadienne, le Canada a signé 92 conventions fiscales. 22 conventions d'accord d'échange de renseignements fiscaux avaient, pour la plupart des pays qui ont été... et je vous invite à prendre le mémoire et aller à l'annexe I. J'ai dressé la liste complète de nos accords d'échange de renseignements en vigueur ainsi que ceux qui sont signés mais pas encore en vigueur et ceux qui sont en cours de négociation. Vous constaterez que la très grande majorité figurait sur la liste des paradis fiscaux.

Lorsqu'on signe un accord d'échange de renseignements, on s'attend à recevoir des renseignements. Quand on a signé avec le Panama, je ne sais pas qu'est-ce qu'on s'attendait de recevoir, étant donné que le Panama n'a pas une très grande fonction publique. Ils n'ont pas l'équivalent de l'ARC ou de Revenu Québec pour aller collecter de l'information. Qui plus est, ils n'ont même pas de registre d'entreprises. Alors, comment que nous faisons pour recevoir des informations? Vous constaterez avec moi que ces accords, souvent, manquent de substance et de consistance.

Je suis contente d'être ici aujourd'hui avec vous. Je sais qu'on parle d'Apple, on parlera sûrement du Panama. J'ose espérer qu'on parlera du commerce numérique parce que c'est l'enjeu d'aujourd'hui et de demain...

Le Président (M. Bernier) : Parlons-en quelque peu.

• (9 h 50) •

Mme Rizqy (Marwah) : Déjà? Le commerce numérique. Vous voyez, si vous me permettez, je vais reprendre ce schéma. Si j'aimerais contourner davantage ce schéma, j'enlèverais tous mes magasins Apple Store et je ne ferais que de la vente en ligne. Et à ce moment-là je n'aurais aucun établissement stable, j'utiliserais des distributeurs. J'inviterais, un peu ce qu'Apple fait aussi au Canada... vous remarquerez que, pour la vente du nouveau iPhone 7, vous pouvez l'acheter en prévente en ligne. Il serait intéressant de voir, lorsque vous concluez la transaction, où est-ce qu'elle est réellement conclue.

J'imagine que vous allez sûrement nous parler des applications numériques du style qui qui voudrait se déplacer pour se rendre au point a au point b en commandant un taxi, mais qui n'est pas réellement un taxi, mais qui finalement est un taxi. Alors, parlons-en.

Lorsqu'une personne conclut, par exemple, avec Uber une transaction en ligne via une application, il y a un montant qui est facturé et remis au chauffeur, mais un autre montant qui est facturé et qui est remis à Uber B.V. Uber B.V., il n'est pas incorporé au Canada. Uber B.V. est incorporé aux Pays-Bas ainsi qu'aux Bermudes, Uber B.V. International. Ce 20 %, il ne sera pas imposé au Canada parce que l'application en ligne permet justement de s'assurer qu'il n'y a pas de présence physique de cette société étrangère, pas en territoire canadien, nonobstant qu'Uber Canada existe, nonobstant qu'elle a des chauffeurs en territoire québécois ou canadien. Alors, nos conventions fiscales, c'est ce qui le permet.

Là-dessus, tous les pays ont le même défi. Dans un premier temps, ce serait très impératif de modifier la législation actuelle. La loi de l'impôt, doit être modernisée pour faire face à l'ère numérique. Quand je dis qu'elle doit être numérisée, on doit s'assurer que toute transaction en ligne accessible en territoire canadien soit en fait une présence au Canada... avoir une exploitation d'entreprise au Canada, même si c'est une transaction en ligne. Par la suite, on doit s'entendre avec nos pays signataires de conventions fiscales pour venir s'assurer que le profit reste au Canada, où est-ce que la transaction a réellement été générée, où est-ce qu'aussi le service a été performé. Il a été performé au Canada. Donc, là-dessus, il faut vraiment s'assurer de changer nos conventions fiscales. On en a 92, je suis convaincue qu'on est capable de le faire. Vous me direz que j'ai beaucoup d'ambition. Mais oui, j'en ai beaucoup. Je suis encore assez jeune pour rêver et je sais...

Le Président (M. Bernier) : C'est pour ça qu'on vous a invitée. On sait que vous avez beaucoup d'ambition sur ce sujet.

Mme Rizqy (Marwah) : Bien, tant mieux. Et je pense qu'on est capables... Et je trouve que le climat est parfait pour le faire. La réflexion... Puis là-dessus j'aimerais vraiment m'assurer... je ne vise pas ni l'Irlande, ni le Benelux, ni le Panama. Je pense que c'est important aussi de ne pas vous parler juste d'une entreprise ni d'Uber ni de seulement Apple parce que c'est un problème qui est vraiment colossal et où est-ce que plusieurs multinationales s'adonnent à la même pratique.

Si je me permets une petite recommandation, présentement, la Commission européenne regarde 1 000 dossiers sur le même stratagème, dont 200 multinationales immenses. Et on parle de compagnies pharmaceutiques, on parle de compagnies de haut savoir, de haute technologie, on parle de ce Google de ce monde. On parle de Starbucks, on parle de Fiat. C'est toutes des entreprises qui font affaire au Canada. Alors, pourquoi que le Canada ne prendrait pas la peine d'appeler ses homologues européens pour avoir accès à cette information, pour pouvoir s'assurer que les entreprises qui sont nommées... Et d'ailleurs la Commission européenne fait le travail à notre place. On aurait juste besoin d'avoir un échange de renseignements avec eux pour vérifier si la pratique qui est faite en Europe est aussi faite en territoire canadien. Et, habituellement, une entreprise, lorsqu'elle trouve une recette gagnante, elle l'applique à l'ensemble de sa pratique. Là-dessus, je suis prête à répondre à vos questions.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Merci de votre présentation. Nos parlementaires sont impatients d'échanger avec vous. Donc, sans plus tarder, M. le député de Sainte-Rose.

M. Habel : Oui, merci, M. le Président. Très heureux de vous retrouver en commission parlementaire. J'en profite aussi pour saluer mes collègues ainsi que la personne qui nous a présenté un excellent document, sincèrement. Merci beaucoup pour cet éclairement au niveau de l'évasion fiscale et de l'évitement fiscal.

Ma première question se dirigerait vers le commerce électronique. Vous en avez parlé un peu en dernier. Dans la conclusion de votre rapport, vous mentionnez que «le grand enjeu d'aujourd'hui et de demain réside dans le commerce [électronique]. En effet, le marché numérique est devenu un vecteur central de croissance des transactions transfrontalières. Puisque les lois actuelles ne sont pas adaptées à l'ère numérique...»

Quelle loi ou quelle mesure en premier lieu devrait être adoptée ou pourrait être améliorée au point de vue de notre juridiction pour pouvoir contrer ce phénomène?

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : Merci de votre question. Alors, lorsque vous avez fait la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, présidée par mon ami et collègue Luc Godbout, j'ai participé à ses travaux par l'intermédiaire de la Chaire en fiscalité puis en finances publiques, où est-ce que je suis également chercheuse. J'ai publié, ainsi que d'autres collègues, Lyne Latulippe et Gilles Larin, un volumineux rapport sur la fiscalité internationale. Là-dessus, j'explique tout ce que le Québec peut faire et les pouvoirs constitutionnels du Québec, et là-dessus je vais répondre clairement à votre question.

Au niveau de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'article 253 prévoit que l'exploitation d'entreprise, ça prend un mandataire ou un intermédiaire. Un mandataire ou un intermédiaire... Une application n'est ni un mandataire ni un intermédiaire. Il faudrait prévoir spécifiquement le cas des applications. Il va falloir aussi prévoir spécifiquement qu'un site Web transactionnel équivaut à une exploitation d'entreprise. Évidemment, il faudra mettre un seuil parce que quelques personnes qui font quelques transactions, ça pourrait donner beaucoup plus de problèmes que d'autres choses pour l'administration fiscale. Mais là-dessus je suis convaincue que c'est la première étape, s'échanger notre corpus législatif. Et l'OCDE a regardé effectivement cette recommandation, et c'est un constat : la première étape pour tous les pays pour le commerce numérique, c'est de d'abord changer sa législation pour prévoir que le commerce numérique, un site Web transactionnel, occasionnera une présence assez importante dans l'économie pour être sujette à l'impôt, soit exploitation d'entreprise en territoire canadien.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Habel : J'ai déjà entendu, de la part, je crois, de quelques collègues, de quelques experts, que certains pourraient se référer, par exemple, à l'émetteur de carte de crédit pour charger, par exemple, la TPS ou la TVQ. Qu'est-ce que vous pensez de cette alternative?

Mme Rizqy (Marwah) : Bien, la personne concernée, c'est celle qui a rédigé la thèse dans ce projet. Alors, j'ai rédigé, en 2012, ma thèse de doctorat là-dessus. J'ai regardé toutes les avenues possibles et impossibles pour être en mesure de recevoir les TPS, TVQ, parce que, présentement, une société étrangère, puisqu'elle n'a pas de présence physique, c'est très difficile pour Revenu Québec d'aller la collecter.

Certains ont dit : On va demander aux services frontaliers de percevoir les taxes. Le problème des services frontaliers, le Vérificateur général a regardé, et, vous savez, on a acheté des scanners à coût de 2 millions chacun, et ils fonctionnent à 20 % de capacité parce que, trois fois sur cinq, ils sont en problème de maintenance ou... jusqu'à quatre fois sur cinq, ils sont en problème de maintenance. Donc, ce n'est pas efficace, et la priorité des douaniers n'est pas nécessairement le commerce en ligne.

Au niveau de Postes Canada aussi on a regardé cette solution, et l'OCDE constate que les postes, le service postal, pourraient jouer un jeu... pourraient jouer, en fait... un acteur très important dans la collecte de taxes et devrait le faire. Mais le problème, c'est qu'ils ne le font pas tout le temps. Alors, il faudrait vraiment s'assurer que Postes Canada est outillée parce qu'UPS et FedEx le font parce qu'au passage ils se prennent une petite cote. Alors, si UPS et FedEx sont capables de le faire, je pense que Postes Canada, qui d'ailleurs regarde présentement sa situation financière et cherche de nouvelles sources de revenus... ça pourrait être une avenue possible.

Pourquoi que je ne suis pas certaine que c'est la meilleure solution, c'est que les biens tangibles qui vont être livrés, il y en aura de moins en moins. Il y aura de plus en plus de biens intangibles. Les applications mobiles ne passent pas par... aux frontières. Donc, il n'y aura pas besoin d'intermédiaire pour venir livrer la marchandise. Donc, c'est pour ça que moi, je suis convaincue que la meilleure source pour s'assurer de recevoir les recettes fiscales, ça demeure les institutions financières. C'est elles qui sont au coeur de 99 % des transactions conclues en ligne. C'est en fait la porte d'entrée, c'est la porte de sésame de toutes les transactions en ligne. Donc, elles sont capables de recevoir, elles sont souvent capables de percevoir ces taxes, elles connaissent le montant, où est-ce que l'individu est situé. Et d'ailleurs, à d'autres endroits, elles sont capables, dans certains pays, de collecter et remettre les taxes de vente. Alors, c'est pour ça que je suis convaincue qu'encore, et je persiste et je signe, les institutions financières sont les mieux placées pour percevoir des taxes de vente en ligne.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Sainte-Rose.

M. Habel : Merci. J'aimerais aborder un autre sujet, soit peut-être une alternative que certains ont apportée, le «reporting» par pays pour, par exemple, afficher le pays dans lequel une personne opère, les noms sous lesquels elle exerce et les résultats financiers par pays. Est-ce que vous croyez que ce «reporting» pourrait être une alternative intéressante pour contrer le phénomène de l'évasion et des paradis fiscaux?

• (10 heures) •

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : Bien, le «reporting» existe déjà, hein? L'OCDE n'a pas vraiment réinventé la roue. On a regardé les pratiques qui existent partout dans le monde, incluant dans le Canada. Donc, nous aussi, au Canada, on a déjà des obligations de déclaration et des formulaires à remplir, ce qu'on appelle le fameux feuillet T106. L'ARC en reçoit à profusion. Le problème, c'est comment gérer toutes ces informations et s'assurer aussi que la main-d'oeuvre est qualifiée, à l'agence, pour traiter ce genre d'information.

Le problème, c'est que l'information émane de la multinationale. Il faut qu'elle soit conséquente avec qu'est-ce qu'elle a déjà signé comme entente secrète. Est-ce qu'elle va réellement le remplir conformément? On a vu qu'avec Apple ça n'a pas donné de suite. Le feuillet aurait dû être rempli pour venir dire c'est quoi réellement, le coût. Tout l'enjeu, en fait, va être de s'assurer, en quelque part, d'être capable de bien identifier chaque transaction puis, entre les groupes interreliés, quel est le véritable prix de transfert. Et c'est là l'enjeu d'aujourd'hui puis de demain. Là-dessus, il va falloir former les fonctionnaires à l'agence, tant à Revenu Québec qu'à l'ARC, d'ailleurs, pour s'assurer qu'ils soient capables de bien identifier correctement un prix de transfert.

M. Habel : Merci.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Pontiac.

M. Fortin (Pontiac) : Oui. Merci, M. le Président. J'en profite pour saluer les collègues, saluer leur retour ici, à Québec. J'espère que tout le monde a passé un bel été. Merci d'être avec nous, Mme Rizqy. Merci de partager ce que vous nous avez soumis aujourd'hui. C'est plaisant d'avoir des gens avec nous qui veulent être avec nous, qui veulent partager de l'information, qui veulent nous dire ce qu'ils ont à dire sur le sujet des paradis fiscaux.

Mon collègue, ici, de Sainte-Rose a parlé un petit peu plus de vente en ligne. Moi, je veux vous ramener peut-être aux exemples concrets que vous avez mis devant nous. Je pense qu'on va s'entendre que, s'il y a des paradis fiscaux, c'est parce qu'il y a des pays qui pensent qu'ils y trouvent leur compte en quelque part, qui pensent qu'ils y trouvent un certain avantage. Mais je vous écoutais avec l'exemple que vous avez mis devant nous, l'exemple d'Apple, et vous avez parlé de 16 milliards de profit, si je ne me trompe pas, déclarés en Irlande, pour lequel l'Irlande ne faisait que 50 millions en perception. Le stratagème que vous nous avez expliqué disait qu'essentiellement on y facturait toutes les dépenses de marketing, les dépenses juridiques, les dépenses typiques de siège social. Là, on s'entend que siège social n'est pas là. Donc, s'il n'y a pas les emplois rattachés au marketing, aux services juridiques, aux sièges sociaux, s'il y a très peu d'argent qui revient au gouvernement de l'Irlande, c'est quoi l'avantage, pour l'Irlande, de faire ça?

Le Président (M. Bernier) : Qu'est-ce qu'ils retirent de tout ça?

Mme Rizqy (Marwah) : Humblement, si je peux me permettre, 50 millions de dollars de taxes sans rien faire, pour une écriture comptable tout simplement, pour inscrire que vous avez une succursale qui équivaut à un siège social, c'est quand même beaucoup recevoir pour une simple écriture comptable. De plus, je rappelle qu'au départ lorsqu'il y a 30 ans ils se sont installés en Irlande, Apple n'avait que quelques emplois. L'Irlande avait des problèmes économiques qui persistent toujours et n'avait peut-être que 80 employés à Cork, où est-ce qu'il y a l'entreprise qui est installée là. Aujourd'hui, c'est 6 000 emplois, 6 000 emplois en haute technologie. C'est quand même considérable pour un petit pays. Mais je ne veux pas tirer de conclusions hâtives.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Fortin (Pontiac) : Selon...

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Fortin (Pontiac) : Merci. Merci, M. le Président. Il faut que je me réhabitue à la formule.

O.K., je peux comprendre ce que vous êtes en train d'avancer en théorie, mais le risque pour l'Irlande? Donc là, on a parlé de ce qu'ils peuvent gagner. Vous nous avez expliqué aussi exactement ce qui se passe. On a parlé d'un cas où la Commission européenne leur a dit : Bien, vous devriez aller chercher pas mal plus. Est-ce que l'Irlande risque quelque chose? Est-ce qu'il y a une pénalité d'associée à ce que vous nous expliquez, ce qu'ils sont en train de faire, essentiellement? Ils reçoivent 50 millions, c'est bien, ils ont des emplois, c'est bien. Mais c'est quoi qu'ils risquent en faisant ça, parce qu'en même temps ils retirent un certain avantage fiscal, vous l'avez dit, là, à l'Espagne, à la Grèce, à toutes sortes d'autres pays où Apple fait des ventes? Donc, est-ce qu'il y a mécanisme par lequel l'Irlande peut être vraiment pénalisée pour ce qu'ils sont en train de faire?

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : Ils sont un peu déjà pénalisés au niveau des autres pays parce que l'Union européenne, présentement, je ne pense pas que tout le monde est très content de qu'est-ce qu'il se passe en Irlande ni d'ailleurs en Belgique ou ni même au Luxembourg. Mais c'est quand même une onde de choc.

Il faut comprendre que la première entente qu'il y a eu entre l'Irlande et Apple date de 1991. Alors, imaginez, pendant plus de 20 ans, vous eu un congé de taxe. Je ne pense pas que l'Irlande et Apple pensaient qu'un jour on serait en train de se parler de ça. C'est une entente qui était secrète. Il y a eu une fuite d'information. La fuite d'information est arrivée au Luxembourg puis aux Pays-Bas. Des employés d'une firme comptable ont eu accès à de l'information, l'ont remise aux médias. D'ailleurs, ces deux employés ont été condamnés à de la prison avec sursis et non pas remerciés avec louanges pour leur acte de bravoure.

D'ailleurs, je vais me permettre aussi une autre parenthèse, le scandale de UBS, l'Union de Banques suisses. Celui qui a parlé a fait de la prison. Oui, par la suite, on l'a remercié avec un chèque de 104 millions, mais ça a été grâce à la pression médiatique, qui a dit : Ça n'a pas de bon sens que quelqu'un qui dénonce une situation, qui apporte la preuve au FBI, c'est lui qui fait 40 mois de prison.

Le Président (M. Bernier) : Un lanceur d'alerte.

Mme Rizqy (Marwah) : Tous les sonneurs d'alerte font face au secret et font face à plusieurs sanctions ainsi que le journaliste qui a été poursuivi puis finalement blanchi. Ça, c'est très inquiétant, de savoir qu'un journaliste qui reçoit de l'information peut être aussi accusé pour avoir violé le secret commercial.

Mais, pour revenir à votre question, quel est le coût pour l'Irlande d'aller chercher 20 milliards de dollars, un, ce serait de dire et d'avouer en quelque part qu'elle est fautive. Je ne pense pas que l'Irlande veut être fautive aux yeux des autres pays membres de l'Union européenne. Donc, c'est pour ça qu'ils vont en appel. Mais aussi Apple s'installe là-bas, négocie. Sûrement que quelque part... et là c'est de la spéculation, ce que je fais. Est-ce qu'on peut tirer la conclusion qu'Apple a mis plus d'emplois en Irlande en échange de faveurs fiscales? Peut-être que, oui, on peut tirer cette conclusion. Mais ça ne fait pas l'objet de la décision qui a été rendue par la Commission européenne, c'est une conclusion que je pense que, oui, on peut en tirer.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Fortin (Pontiac) : Merci. Si demain matin, là, Apple ou une compagnie multinationale quelconque est en train de nous écouter en ce moment et dit : Ah! bien, vous savez, Mme Rizqy, elle connaît ça, les paradis fiscaux, elle semble bien connaître ce qui se passe, comment utiliser les règles en place pour le meilleur avantage fiscal possible. Vous nous avez expliqué la situation d'Apple, comment ils font pour réduire leur taux de taxation. Qu'est-ce que vous leur recommanderiez, comme consultante externe, pour en tirer encore davantage des différentes législations en place?

Le Président (M. Bernier) : Là, on vous demande de passer de l'autre côté de la clôture.

Mme Rizqy (Marwah) : Avec beaucoup, beaucoup de respect, j'ai fait un choix très conscient lorsque j'ai décidé de quitter la pratique privée pour aller vers le secteur public. Et ce n'était pas parce que j'étais une dernière de classe, loin de là. J'ai non seulement une maîtrise en fiscalité internationale, j'ai étudié aux États-Unis, j'ai fait ma maîtrise en fiscalité américaine internationale. J'ai aussi fait un doctorat en fiscalité et, oui, j'ai aussi fini première pour les planifications fiscales internationales dans un cours en fiscalité internationale. Et j'ai été capable de non seulement faire une facture fiscale de zéro, mais en plus de recevoir un remboursement pour des crédits remboursables.

Donc, je me permettrais de ne pas répondre à votre question pour le simple souci que ma démarche à moi a toujours été de s'assurer que tout le monde paie cette juste part. Et tout le monde va me dire : Mais c'est quoi, cette juste part? Mais la règle du gros bon sens, elle vient d'une certaine équité en traitement fiscal. Il faut s'assurer que, sur un spectrum, ceux qui sont plus nantis, bien, ils vont en payer un peu plus. Et il faut aussi se rappeler que toutes ces grandes multinationales dont on parle aujourd'hui, en quelque part, lorsqu'elles ont commencé, c'étaient des petites entreprises qui ont eu souvent des subventions gouvernementales. Le gouvernement, c'est qui? Bien, c'est nous. C'est nous tous ici puis c'est le citoyen.

Prenons juste, par exemple, Google. Google n'a pas été créé du jour au lendemain avec de l'argent uniquement privé, elle a été subventionnée par le gouvernement américain. Et aujourd'hui Google aussi se retrouve sur la sellette pour son téléphone Android pour avoir fait aussi une pratique sensiblement pareille à Apple.

Alors, je pense que, oui, il y a d'autres avenues possibles pour ne pas payer des impôts, mais je pense que ce serait peut-être plus préférable d'en parler avec mes homologues aux autorités fiscales dans un endroit plus privé.

M. Fortin (Pontiac) : J'aime beaucoup votre réponse. D'accord, connaissant votre parcours et le travail que vous faites pour gagner votre vie, le choix que vous avez fait d'être une personne qui veut comprendre ce système-là pour l'améliorer pour le bienfait de tous les citoyens... et je vous en félicite. Vous l'avez dit, dans le premier paragraphe de votre mémoire, que ce qui est en train de se passer alimente l'indignation du public, des bons payeurs de taxes, des gens qui le font de façon honorable et honnête.

Qu'est-ce que vous pensez de l'attitude... et, si vous avez écouté, disons, les travaux soit de notre commission ou du comité parlementaire fédéral, qu'est-ce que vous avez entendu de la part des certains des témoins qui sont venus, comme les banques, disons, qui étaient les premiers témoins, qui sont venus nous parler? Est-ce que vous pensez qu'ils nous ont dit tout ce qu'ils avaient à nous dire pour vraiment améliorer le système? J'aimerais savoir votre perception par rapport au système bancaire canadien. Est-ce qu'ils font vraiment tout ce qu'ils peuvent pour améliorer la situation?

• (10 h 10) •

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : C'est une très bonne question. Je ne veux pas généraliser, mais, si on regarde certaines planifications, il y a non seulement le gouvernement, mais il y a aussi les banques qui sont impliquées. L'argent ne dort pas sous un matelas. L'argent est réellement quelque part dans des banques. Vous savez, nous, on a mis en place... bon, on a d'abord retiré les billets de 1 000 $ parce que c'était facilitateur d'évasion fiscale. On a mis en place un mécanisme pour que, dès lors que les transactions ont plus de 10 000 $, les banques fassent un signal. Tout ça, c'est des très bons mécanismes. Mais, dans les faits, la voie de contournement — quand je vous dressais le parallèle avec les autoroutes — elle existe pour de vrai, et cet argent-là va quelque part. Mais, présentement, nos lois actuelles... les banques, c'est vrai qu'elles appliquent nos lois actuelles parfaitement. Elles répondent aux exigences des lois actuelles. Mais le problème, c'est que nos lois, on ne les a pas adaptées pour s'assurer de répondre à une nouvelle réalité.

Et là-dessus je vais aussi me permettre de défendre les banques. Avec l'arrivée du bitcoin... Le bitcoin, là, ça permet aisément de faire de l'évasion fiscale, et même de la fraude fiscale, et même des détournements de profits de certains États. Donc, là-dessus, il y a beaucoup d'enjeux, mais je ne doute pas que nos banques canadiennes font des efforts. Mais je pense que certaines pratiques sont douteuses et qu'on devrait regarder.

M. Fortin (Pontiac) : Il me reste du temps, M. le Président?

Le Président (M. Bernier) : Non, malheureusement, le temps est déjà écoulé. Nous allons passer du côté de l'opposition officielle avec M. le député de Rousseau.

M. Marceau : Oui, merci, M. le Président. Alors, bonjour, tout le monde. Bonjour, les collègues, chers amis. Bonjour, madame, merci d'être là. J'ai une question essentiellement qui porte sur les conventions fiscales. En fait, c'est sur la capacité du Québec à agir unilatéralement dans ce dossier parce qu'en fait la commission va devoir faire des recommandations, éventuellement, et on ne voudrait pas que les seules recommandations qu'on puisse faire soient des recommandations d'attendre qu'un autre acteur, dans l'ordre constitutionnel canadien, bouge. Alors, on aimerait bien que le Québec lui-même puisse agir.

J'ai lu votre texte. J'avais déjà lu aussi le texte précédent que vous aviez écrit avec Gilles Larin, entre autres, là, pour la commission Godbout. Donc, je reviens sur les conventions fiscales. Bien, écoutez, plusieurs éléments, puis je vous laisserai répondre, puis tout en laissant un peu de temps pour mon collègue aussi, de Rosemont, qui avait aussi une question.

Alors, en fait, si j'y vais dans l'ordre, bon, est-ce que, d'après vous, le Québec pourrait agir unilatéralement et se retirer? Je sais qu'en principe il peut le faire, mais quels seraient les impacts de ça, quelles seraient les conséquences? Et, bon, bien sûr, le gouvernement canadien, lorsqu'il signe une convention, renonce à son pouvoir de taxation dans certains cas ou plutôt il choisit d'aller vers des taux d'imposition réduits. Mais la question que ça pose au plan purement mécanique, là, c'est : Quand on renonce, est-ce que le gouvernement canadien renonce aussi à l'information qui permettrait de taxer?

Autrement dit, si le gouvernement canadien renonce, dans une convention fiscale, à son pouvoir de taxation et donne ça à l'autre pays, est-ce qu'il reçoit malgré tout l'information qui lui permettrait de taxer puis qui pourrait être refilée au Québec, qui, par la suite, pourrait, lui, choisir de ne pas appliquer un taux d'imposition de zéro? Je pense que vous voyez un peu l'affaire, là. Je pense que, moi, la difficulté, telle que je la comprends, c'est que le Québec n'aurait pas accès à l'information même s'il n'adhérait pas à la convention fiscale. En tout cas, je vous laisse élaborer sur ces questions-là. Voilà. En gros, c'est ça.

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : D'accord. Alors, si je comprends bien votre question... Dans un premier temps, voulez-vous que je réponde pour le pouvoir constitutionnel du Québec au niveau des conventions fiscales? Je pense que ça pourrait être pertinent.

M. Marceau : Ce n'est pas le constitutionnel, là. C'est vraiment plus au plan pratique, là. Est-ce que c'est faisable? Est-ce que ça... Moi, je sais que le Québec peut décider de ne pas adhérer, mais, si en pratique on n'est pas capables de le faire de toute manière parce qu'on n'a pas l'information... Bien, c'est bien beau de dire : Le Canada taxe 0 %, moi, je vais taxer 20 %, mais, si je ne suis pas capable d'avoir l'information sur les revenus et les dépenses de l'entreprise parce que ce transfert d'information se fait entre le fédéral puis le pays en question, bien, en pratique, je ne suis pas capable de taxer, de toute manière. Alors, c'est plus sur ces aspects-là que j'aimerais que vous élaboriez.

Mme Rizqy (Marwah) : Parfait. Je vais le décortiquer, si vous me le permettez.

M. Marceau : O.K. Oui, oui, allez-y.

Mme Rizqy (Marwah) : Alors, par exemple, dans mon schéma, je parlais de redevances. Nous, au Canada, on a l'impôt de la partie XIII, mais vous n'avez pas l'équivalent au Québec. Alors, ça cause problème parce qu'au Canada l'impôt de la partie XIII, les redevances, il y aurait une retenue de 25 %, mais là, oui, effectivement, la convention fiscale vient le réduire. Mais c'est sûr qu'en venant le réduire à 0 %, nous, on a abdiqué notre pouvoir de taxation. Et ces redevances peuvent être majorées de façon très importante artificiellement aussi pour s'assurer qu'il n'y a plus de recettes fiscales taxables au Canada. L'impact pour le Québec, c'est que, même si c'est un pouvoir uniquement fédéral, mais c'est toute l'assiette fiscale canadienne qui s'en trouve privée, de ces recettes, et, oui, il y a un impact pour nous au Canada, surtout au Québec, parce que nos transferts sont quand même importants, ceux qui viennent du fédéral.

Pour le Québec, ce serait peut-être pertinent de regarder comment s'assurer que ces recettes peuvent demeurer taxables au Canada. Tantôt, lorsqu'on parlait de l'exploitation d'entreprise, on a une disposition au Québec pour l'exploitation d'entreprise, on devrait la modifier. D'ailleurs, c'est ce que je recommandais avec mes collègues dans le rapport qui a été présenté. C'est d'abord s'assurer que les recettes qui sont réellement générées ici demeurent taxées. Puis, oui, on est capables de faire abstraction des conventions fiscales qui ont été signées par le Canada au Québec. Est-ce que c'est souhaitable de le faire? Ça, c'est une autre question.

Toutes les entreprises ne sont pas toutes dans le même panier, et c'est pour ça qu'il faut s'assurer que le cadre fiscal soit, un, normalisé et, deux, aussi stable pour nos entreprises parce qu'il y a un impact. Mais il va falloir qu'on ait une discussion très sérieuse avec les homologues fédéraux pour s'assurer que, lorsqu'ils prennent une décision et que cette décision a un impact immédiat dans la recette fiscale du Québec, mais qu'on doit s'assurer que le Québec ait aussi son mot à dire et que les considérations du Québec soient vraiment prises en compte pour s'assurer qu'à la fin de la journée l'ARC puis Revenu Québec communiquent directement ensemble lorsqu'il est question de prix de transfert, mais ainsi que d'exploitation d'entreprise et la notion d'établissement stable, qui est appliquée dans nos conventions fiscales.

Votre troisième élément de question, c'était l'échange de renseignements. Non, ils ne sont pas automatiques présentement. Il y a une disposition qui est prévue dans la convention fiscale, mais il faut la demander. Mais comment qu'on fait pour demander quelque chose qui n'est pas censé exister, qui est souterrain? On ne peut pas demander quelque chose qu'on ne sait même pas qui existe. Alors, c'est pour ça qu'il faudrait s'assurer que toutes nos informations et que nos signataires de conventions fiscales... lorsqu'on a une entreprise étrangère qui me demande, par exemple, une réduction de taxes parce qu'elle dit qu'elle paie ses impôts, on va dire, en Irlande, je devrais recevoir tout le dossier fiscal en entier, incluant le «tax ruling», l'«advance pricing agreement». Mais, là encore, on prend pour position que notre homologue est honnête à 100 % et qu'il joue franc jeu. Et là l'histoire nous démontre que, pour quatre pays, ça n'a pas été le cas.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Marceau : Je vous remercie.

Le Président (M. Bernier) : Allez-y, M. le député de Rosemont, la parole est à vous.

M. Lisée : Merci. Merci, madame, pour la clarté et la profondeur de votre réflexion. Je sais aussi que vous avez participé ces dernières années à la réflexion du Parti libéral du Canada sur ces questions-là. Vous étiez candidate. Je vous en félicite. Mais êtes-vous aussi déçue que moi de la timidité des gestes qui ont été posés depuis l'élection de M. Trudeau? Et, dans le dernier budget, pourquoi est-ce qu'il n'y a pas eu un grand coup de dénonciation des conventions fiscales, au moins de proposition d'ouverture d'un chantier? Comment expliquez-vous la timidité du gouvernement actuel, parce que nous, on essaie de trouver des façons d'agir malgré, autour ou en plus, mais c'est sûr que ça nous faciliterait le travail si le gouvernement Trudeau était actif dans ce dossier-là.

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : Malheureusement, je n'ai pas été élue. Écoutez, je comprends votre propos, et effectivement vous remarquerez que j'ai glissé une petite ligne, hein, à la fin de mon rapport, et que j'indique que la commission d'observation sur la fiscalité canadienne, par nos Canadiens, c'était l'objet qui a été lancé par le gouvernement fédéral en réponse, en fait, au scandale de KPMG. Pour moi, l'évasion fiscale, tout le monde est d'accord, l'évasion fiscale... j'ai fait l'exemple où est-ce qu'il y avait quelqu'un qui ne déclare pas son compte de banque à l'étranger, puis les intérêts, les revenus générés sur le compte de banque, ça, c'est ce qu'on appelle la fraude, l'évasion fiscale. Oui, c'est un problème qui est important, mais le véritable problème, c'est l'évitement fiscal qui est commis par les sociétés non canadiennes en territoire canadien. C'est ça, le véritable enjeu. Oui, je pense que c'est ça qu'on devrait parler principalement, pas uniquement, mais, oui, principalement. Et je pense que...

M. Lisée : ...dans votre compréhension, que des gens de bonne volonté, progressistes, qui, de toute évidence, aimeraient que ça n'existe pas, n'agissent pas? Qu'est-ce qui empêche le gouvernement libéral actuel fédéral d'agir là-dessus?

• (10 h 20) •

Mme Rizqy (Marwah) : Là, présentement, ils viennent de se saisir du dossier. Tout comme vous, là, il y a à peu près deux ans, on parlait encore d'évasion fiscale au Québec. Avec la commission Godbout, tout le monde a commencé à parler davantage d'évitement fiscal. On a arrêté de juste de parler d'évasion fiscale, d'évasion fiscale. Il faut comprendre ces deux concepts. Une fois qu'on a compris ces deux concepts puis le mécanisme que je vous ai parlé, le prix de transfert et, après ça, les APA, effectivement, oui, on est capable d'agir.

M. Lisée : Mais vous savez que les gens qui suivent ça de près comprennent la différence depuis plusieurs années. Vous leur avez expliqué, M. Deneault nous l'a expliquée, je veux dire, ça fait longtemps qu'on est là, là. Moi, lorsque je dis : Si j'étais élu, là, dès l'automne 2018 dans la mise à jour fiscale, je dénoncerais les conventions fiscales canadiennes pour commencer à dire à ces gens-là : Vous savez, votre argent, là, maintenant, il est imposé au Québec. Ça fait qu'appelez votre fiscaliste parce que vous allez tomber dans l'illégalité si vous ne le déclarez pas.

Ça aurait pu se faire dans le premier budget du gouvernement libéral fédéral. C'est très facile à faire, en fait à défaire ce que Paul Martin avait fait lorsqu'il était là. Et ça n'a pas fait ou défait, et j'essaie de savoir pourquoi.

Mme Rizqy (Marwah) : M. Lisée, je vous rappelle que je viens à titre de professeure chercheuse, aujourd'hui, et non à titre de candidate libérale.

M. Lisée : Non, mais vous connaissez bien, vous suivez ça de près.

Mme Rizqy (Marwah) : Mais je vais me permettre de vous rappeler...

M. Lisée : Alors, en tant qu'analyste de ces choses et des rapports de force politique qui font qu'on bouge ou qu'on ne bouge pas...

Mme Rizqy (Marwah) : En fait, j'analyse la fiscalité et non la politique. Mon rôle est de chercher et de comprendre des faits, et c'est ce que je fais. Et présentement je comprends votre propos et votre ardeur et j'ai la même ardeur et la même conviction que vous. Je vous assure que, même moi, je saute d'un cran lorsque je vois des pratiques aussi dommageables pas juste pour le Canada, mais pour tous les citoyens du monde, parce que lorsqu'une entreprise devient une supranationale, c'est-à-dire qu'elle opère partout puis qu'elle n'est responsable nulle part, elle devient en fait une société fictive, mais seulement sur papier. Oui, ça m'enrage, moi aussi.

Et j'aimerais, moi aussi, dire : Bien, demain matin, on change tout ça. J'ose espérer que ce sera fait. Mais 92 conventions fiscales, tantôt j'ai dit : J'ai beaucoup d'ambition, c'est vrai que c'est ambitieux, comme projet. On doit commencer la réflexion. Et ça ne veut pas dire que ce que moi, j'avance, c'est la bonne solution. Il y a d'autres personnes, d'autres parties prenantes, vous le savez, puis il y a aussi la courtoisie internationale qui exige de discuter avec nos homologues et de s'assurer de trouver un terrain d'entente.

J'ose espérer que la réflexion sera uniquement sur l'évitement fiscal pour les deux prochaines années, et qu'on trouve rapidement un terrain d'entente, et que, oui, on revoit nos conventions fiscales et surtout nos accords d'échange de renseignements fiscaux, qui, vous le savez, ne valent pas grand-chose présentement.

M. Lisée : Merci.

Mme Rizqy (Marwah) : Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Nous allons passer du côté de la deuxième opposition. Donc, M. le député de Beauce-Nord.

M. Spénard : Merci, M. le Président. Alors, bienvenue aux confrères en ce retour de l'été. Bienvenue, madame. J'ai bien apprécié votre mémoire, qui a la qualité d'être clair et d'être très concis, contrairement aux mémoires de certaines institutions financières, qui étaient très évasifs.

Là-dessus, on parle beaucoup de l'impôt. Et je pense que vous avez un confrère, à l'Université de Sherbrooke, qui nous en a parlé longuement voilà à peu près une couple d'années. Alors, on parle beaucoup de l'impôt sur les produits, mais on reste au point de vue impôt. Moi, j'aimerais savoir s'il n'y a pas des études qui ont étudié le sens de dire : Écoutez, pour les multinationales, il n'y a plus d'impôt, mais il y a une taxe sur les produits qui sont vendus dans le pays. Est-ce qu'il y a eu des études? Autrement dit, on revient à taxer l'activité économique dans le pays dans lequel ils font des affaires. Est-ce que cette option-là a été envisagée par vous ou des recherches dans votre centre universitaire? Je ne sais pas comment vous voyez ça, vous. Au lieu de parler d'impôt, on va parler de taxes directes sur le produit vendu. Ça toucherait en même temps le commerce en ligne. Ça engloberait tout le monde. Alors, comment voyez-vous cette avenue de solution, vous?

Mme Rizqy (Marwah) : Oui, effectivement, il y a eu toute une réflexion. Particulièrement, moi, j'ai fait la réflexion pour le commerce en ligne. J'ai fait impôt sur le revenu et taxe de vente.

Au niveau des taxes de vente, il y a aussi le rapport Godbout qui préconisait une hausse de la TVQ basée sur le modèle européen. J'ai émis, moi, des réserves, et mon collègue est très au courant de mes réserves. Lorsqu'on compare le système européen, c'est parfait parce qu'il opère en vase clos en Europe. Au Québec, nous, notre réalité est totalement différente. On est vraiment confrontés à des réalités économiques différentes. On a non seulement les provinces qui nous font compétition, et, si vous regardez sur les publicités en ligne, ça dit clairement que, lorsqu'ils achètent, il y a une économie de taxe et qu'ils ne paieront pas le même pourcentage qu'au Québec, même s'ils sont situés au Québec. Et d'ailleurs vous avez aussi les compagnies américaines qui font de la publicité agressive en territoire canadien qui invitent nos consommateurs à acheter en ligne pour ne pas payer la TPS, TVQ.

Si on augmente la TVQ, même de 1 %, les gens vont continuer d'acheter en ligne parce que ça coûte zéro taxe de vente. Alors, c'est sûr qu'il y a quelques études là-dessus qui préconisent une hausse. Moi, je me mets encore des réserves. La taxe de vente, veux veux pas, pour une personne qui gagne moins de revenus, elle est plus difficile à être absorbée qu'une personne qui gagne plus de revenus. Là-dessus, je pense qu'il faut d'abord s'assurer que la taxe qui existe présentement, le 15 %, soit collectée puis, présentement, n'est pas collectée.

M. Spénard : Je m'excuse de vous interrompre, mais on s'est mal compris. Moi, je ne vous parle pas d'augmenter la taxe pour les individus. Je vous demande de taxer le produit vendu par les compagnies aux compagnies.

Le Président (M. Bernier) : Avant qu'il n'entre.

M. Spénard : Pardon?

Le Président (M. Bernier) : Avant qu'il n'entre.

M. Spénard : C'est ça. Je ne parle pas d'augmenter la taxe de vente «at large» pour tous les citoyens du Québec, je parle juste de... On sait très bien que, je ne sais pas, moi, il y a eu 3 millions d'Apple vendus au Québec. Bien, écoutez, Apple, 3 millions de Apple vendus, voici ce que ça coûte ici. Bonjour. Vous ne payez pas d'impôt, mais vous payez la taxe sur le produit.

On est capable d'avoir ces données-là. D'ailleurs, on les a toutes. Même les commerces en ligne, on pourrait toutes les avoir si on faisait affaire avec les compagnies de crédit, avec les cartes de crédit, et tout. On pourrait tout savoir ça, quelle compagnie qui a vendu ici. On taxe directement la compagnie.

Mme Rizqy (Marwah) : Le problème...

M. Spénard : Ce n'est pas plus simple, ça?

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : Non, malheureusement, ce ne serait pas plus simple parce qu'au contraire vous allez accentuer le problème parce que la filiale canadienne vient d'augmenter son coût d'acquisition. Donc, vous avez encore moins d'impôt sur le revenu... son coût d'acquisition du bien.

M. Spénard : Oui, mais on n'aurait plus d'impôt. On aurait juste la taxe sur le produit.

Mme Rizqy (Marwah) : On n'aurait plus d'impôt corporatif?

M. Spénard : Du tout.

Mme Rizqy (Marwah) : Ah bien...

M. Spénard : Parce que l'impôt corporatif est trop facile à contourner. Alors, si on avait directement la taxe sur le produit, qui compense largement l'impôt qu'ils devraient payer, alors, on vient de régler le problème. Comment pourraient-ils contourner ça? À chaque produit vendu, vous nous devez tant.

Mme Rizqy (Marwah) : C'est ce que Tim Cook, le président d'Apple, aussi soutient, d'enlever l'impôt corporatif, mais il n'y a pas d'étude là-dessus, mais il y a beaucoup lobbyistes là-dessus pour éliminer partout dans le monde l'impôt corporatif. Je ne sais pas si moi, j'adhérerais à cette proposition. Et, non, je n'ai pas étudié la question d'enlever l'impôt corporatif. J'ai plutôt étudié la question de comment s'assurer que l'impôt corporatif et la taxe de vente, la taxe de consommation, soient récupérées et taxer au bon endroit, c'est-à-dire asseoir correctement nos revenus.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Spénard : On sait que la taxe de vente est facilement identifiable parce que c'est l'acheteur qui la paie. Tu sais, on se concentre beaucoup plus sur l'acheteur au lieu de se concentrer sur les corporations et les multinationales. Alors, moi, est-ce qu'on peut revirer ça, se concentrer sur les multinationales, les grosses entreprises, pour dire que, écoutez, on s'aperçoit que l'impôt sur le revenu, là, l'impôt des corporations, c'est détourné, c'est soit de l'évasion, soit de l'évitement? Bien, souvent, c'est de l'évitement fiscal avec les KPMG de ce monde, comme vous l'avez dit, et les Deloitte, puis amenez-en tant que vous voudrez. Mais, si on taxait directement le produit vendu aux compagnies, pas augmenter la taxe de vente, là. Moi, je vous parle, écoutez, là, vous sortez un produit, vous voulez en vendre, au Québec? Voici ce que ça coûte par produit. C'est tout. Ça ne serait pas plus simple?

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

Mme Rizqy (Marwah) : Je ne sais pas si ça ne serait pas plus simple et j'ai peur de vous décevoir parce que ma réponse est encore la même. Et je ne veux pas non plus gaspiller votre temps à vous dire que je n'ai pas plus étudié la question sur cet aspect. Je ne voudrais pas m'avancer, vérifier si, oui ou non, ça serait plus simple.

M. Spénard : O.K.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

Mme Rizqy (Marwah) : Désolée.

Le Président (M. Bernier) : M. le député, il vous reste environ une minute.

M. Spénard : O.K. Je reviens à la question de mon confrère de Rousseau. En ce qui concerne les conventions fiscales, vous marquez dans votre rapport qu'il y a 92 conventions fiscales de signées avec le Canada, et il y en a une seule que le Québec a signée avec la France. Et vous dites que c'est difficile parce que les conventions fiscales, le gouvernement fédéral... les conventions fiscales signées par le gouvernement fédéral peuvent influer sur l'assiette fiscale du Québec. Mais, d'après vous, à l'heure actuelle dans un système fédéral, qu'est-ce qui nous empêche de ne pas respecter les conventions fiscales canadiennes qu'ils ont signées, sauf celles-là qu'on signe nous-mêmes étant donné que nous faisons notre propre rapport d'impôt au Québec?

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy.

M. Spénard : Qu'est-ce qui nous empêcherait ça?

Mme Rizqy (Marwah) : Si je comprends bien votre question, qu'est-ce qui empêche le Québec de faire abstraction des conventions fiscales signées par le Canada?

M. Spénard : C'est ça, exactement. Dans un système canadien, là. Je ne veux pas faire de politique avec ça, là.

• (10 h 30) •

Mme Rizqy (Marwah) : Il n'y a absolument rien qui empêche le Québec de faire fi des conventions fiscales, mais c'est une question de courtoisie et aussi une question d'harmonisation, de s'assurer, pour nos contribuables, d'avoir un même régime qui est assez similaire, un même traitement. Le problème, ce n'est pas que Québec devrait agir seul. Est-ce qu'il a la capacité d'agir seul? Parfaitement, il a la capacité d'agir seul. Mais est-ce que c'est souhaitable dans le monde actuel, où est-ce que toutes les économies... en fait, les frontières n'existeront presque plus en matière d'économie? Alors, ce serait très difficile pour le Québec de faire fi des conventions fiscales. Il faudrait que lui-même, par la suite, commence à signer d'autres conventions fiscales pour s'assurer qu'il n'y a pas de problème de double imposition.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Mercier.

M. Khadir : Merci, M. le Président. D'abord, je tiens à féliciter la professeure Rizqy pour sa présentation. Vous savez, Mme Rizqy, depuis son existence, Québec solidaire dénonce ces phénomènes d'évasion et d'évitement fiscal. Nous sommes contents... moi, sincèrement je salue l'activité de notre commission. Je prends pour acquis l'engagement, je dirais, sincère, de bonne foi, de tous les parlementaires à essayer de trouver des solutions et je pense que votre contribution va certainement nous aider.

Je vous signale — comme vous aviez eu des ambitions politiques avant, vous pourriez en avoir dans le futur — il ne faut quand même pas être naïf, l'Irlande a appliqué une recette néolibérale. C'est l'idéologie néolibérale qu'on est tous en compétition les uns contre les autres, que c'est la guerre de tout le monde contre tout le monde en matière économique. En fait, ils ont utilisé les moyens qu'on utilise dans la guerre, c'est-à-dire le secret, les ententes, les manoeuvres pour tirer l'assiette de leur côté. C'est tout. C'est une recette néolibérale, malheureusement, qui, aujourd'hui on se rend compte, détruit nos économies de manière... sur une large échelle. Et je suis content que tout le monde le reconnaisse aujourd'hui. Je pense qu'il faut en convenir.

Mais je ne vous apprendrai rien en disant qu'il me semble qu'un gouvernement n'a pas d'autorité morale, n'a pas vraiment moyen d'agir si sa parole est mise en doute. Si nous, on dit ici qu'on lutte contre l'évasion fiscale puis ensuite on conclut des ententes avec des fugitifs fiscaux, avec des évadés fiscaux, je pense que la population ne nous prendra pas au sérieux, et les entreprises elles-mêmes ne prendront pas notre volonté au sérieux. Je vous en parle parce que le gouvernement a conclu une entente avec Uber. Uber, vous l'avez dénoncé, fait partie de cet ensemble des fugitifs fiscaux qui veulent échapper à tout impôt et qui sont constamment en manoeuvre pour ne pas payer leur impôt. Est-ce que c'est la bonne manière d'agir? Parce que vous avez dénoncé une autre entente secrète, vous dites que ça n'a pas de bon sens quand on offre quelque chose de souterrain à des gens qui ne veulent pas payer d'impôt comme Apple. Est-ce qu'on peut dire ça d'Apple puis agir avec une entente avec Uber pour lui donner des avantages?

Le Président (M. Bernier) : Mme Rizqy. Question difficile?

Mme Rizqy (Marwah) : Toutes les questions sont toujours difficiles. Je vais commencer avec les fleurs, et le pot viendra par la suite.

Les fleurs. Dans un premier temps, c'est sûr qu'aller chercher pour le gouvernement du Québec déjà les taxes de vente, c'est un immense pas, considérant la situation actuelle d'Uber partout dans le monde.

Au niveau de l'impôt sur le revenu, le 20 % dont je vous parlais, je ne parle pas de l'impôt des chauffeurs parce qu'Uber va devoir donner de façon, je pense, trimestrielle les données sur les chauffeurs pour l'impôt sur le revenu, l'impôt sur le revenu corporatif, celui qu'Uber B.V. perçoit, ça a été une très belle opportunité. Et je n'étais pas partie des discussions ni des négociations. Donc, je ne sais pas si, durant les négociations, il y a quelqu'un quelque part qui a allumé puis qui s'est dit : Ah! bien, le 20 %, qu'est-ce qu'on fait avec ce 20 %? Et je ne sais pas si quelqu'un a allumé pour dire : Est-ce que, dans nos lois fiscales québécoises, on est capable d'aller chercher ce 20 %, d'avoir même une petite portion de ce 20 %? Je ne sais pas, mais je n'ai pas la réponse.

M. Khadir : Mais, Mme Rizqy, on peut l'avoir parce qu'on doit avoir les recettes pour pouvoir calculer l'impôt, les taxes de vente et l'impôt des chauffeurs. Donc, on connaît le 20 %. D'ailleurs, je vous signale qu'ailleurs quand Uber prend le contrôle du marché ça monte jusqu'à 40 %. Donc, ça va être de gros montants. C'est des centaines de millions de dollars.

Mme Rizqy (Marwah) : Je suis d'accord qu'on connaît leur recette, mais je... mais ma question...

M. Khadir : Non, il n'y en a pas eu, je peux vous l'assurer. Il n'y a rien dans l'entente parce que le gouvernement l'aurait dit. Nous avons quand même les grands termes de l'entente. Il n'y a rien qui a été prévu pour qu'Uber paie ses impôts. Alors, à ce moment-là, est-ce que ça peut marcher, un gouvernement qui dit que je lutte contre l'évasion fiscale puis conclut des ententes ici avec Uber, ensuite on donne des contrats à des gens qui sont sur la liste des Panama Papers, on les soutient financièrement? C'est-à-dire, on démontre qu'on n'a pas vraiment de volonté réelle d'agir en cohérence. Est-ce que ça peut marcher quand même?

Le Président (M. Bernier) : Si vous n'avez pas de réponse, le temps est maintenant écoulé, Mme Rizqy. Vous avez l'opportunité d'une courte réponse. Allez-y.

Mme Rizqy (Marwah) : Je peux répondre?

Le Président (M. Bernier) : Oui, oui, oui.

Mme Rizqy (Marwah) : Bon, parfait, merci. J'aime ça répondre. Alors, à la question qui m'a été posée. Il faut être conséquent, et, oui, effectivement, si vous parlez aujourd'hui d'évasion fiscale et d'évitement fiscal et que vous avez vraiment un intérêt sur cette question... Et, malgré l'entente qui a été conclue avec Uber, je pense qu'il est encore temps de changer certaines dispositions de la loi de l'impôt du Québec pour s'assurer que l'argent qui est vraiment généré au Québec par Uber ou par n'importe quelle société qui opère dans le même type qu'Uber, c'est-à-dire l'ère numérique, s'assurer que ces impôts soient vraiment perçus et collectés au Québec parce que les activités réellement générées sont au Québec.

Et je me permets aussi de conclure, et je fais de longues conclusions, qu'aujourd'hui on parle d'Uber. Demain, on parlera d'une autre entreprise. Si on n'agit pas aujourd'hui sur cette question, quand allons-nous agir? Quand est-ce qu'on va s'assurer que les activités réellement générées au Québec soient restées et taxées au Québec au niveau de l'impôt corporatif? Oui, il y a la loi, oui, il y a les conventions fiscales, mais on est capable de faire les petites modifications pour s'assurer, du moins pour le Québec, d'avoir nos recettes fiscales. Et, une fois qu'on va le faire, on va s'assurer que ce congé de taxe... Parce qu'en fait c'est de ça qu'il est question, hein? C'est un congé de taxe. Ces entreprises ont pris non seulement un congé de taxe, un congé de moralité, d'éthique et, à quelque part, de conscience sociale.

Le Président (M. Bernier) : Merci infiniment de votre présentation, Mme Rizqy. Ça a été très, très intéressant. Je pense que les parlementaires ont pu en bénéficier.

Mme Rizqy (Marwah) : Merci.

Le Président (M. Bernier) : Je vais suspendre quelques instants afin de permettre à notre prochain invité de prendre place. Je suspends.

(Suspension de la séance à 10 h 37)

(Reprise à 10 h 42)

Le Président (M. Bernier) : À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous reprenons. Donc, je souhaite la bienvenue à M. André Lareau, qui vient nous rencontrer ce matin. Merci de votre participation à la Commission des finances publiques sur ce sujet extrêmement important.

M. le secrétaire... Je vous invite donc, M. le secrétaire, à procéder à l'assermentation du témoin, conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale, et je vous demande de vous lever et de lire à haute voix la déclaration qui vous sera fournie.

M. André Lareau

Assermentation

M. Lareau (André) : Je, André Lareau, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président (M. Bernier) : Je vous remercie. Donc, vous bénéficiez donc de l'immunité pour votre témoignage et vous pouvez maintenant nous présenter votre présentation. Vous avez 15 minutes.

M. Lareau (André) : Je vous remercie de l'aimable invitation.

Je n'ai pas préparé de document puisque c'est une pensée évolutive qui, en fait, m'habite et puis qui fera l'objet de mes propos. Et cette évolution, ma foi, elle est alimentée... en fait, elle a été alimentée jusqu'à ce matin. Donc, somme toute, il n'y a aucun document. Voilà.

En résumé, Laurent Laplante m'a déjà dit il y a une vingtaine d'années, lors d'une conférence fiscale que j'avais organisée, il dit : On ne peut contrôler ce qu'on ne voit pas. C'est ça, la fiscalité internationale, et c'est ça, les paradis fiscaux.

Si je vous disais que le titre d'Apple, depuis la décision de la Commission européenne, est passé de 105 $ à 115 $ avec une dette de 13 milliards de dollars? Si je vous disais que l'article 6 de l'accord d'échange de renseignements entre le Canada et le Panama, l'État de Panama... l'accord entre le Canada et le Panama est le seul qui ne contient pas d'article 6, qui, lui, se retrouve dans les 21 autres accords, qui prévoit, cet article 6, que le Canada peut faire la demande de se rendre sur place pour investiguer, pour poser des questions et être physiquement sur place? Le Canada, dans son accord avec le Panama, ne contient pas cet article 6. C'est le seul. On peut se poser des questions. Pourquoi, avec le Panama, il n'y a pas de tel article? Enfin!

Je ferai un début, hein, un essai, finalement, portant, au départ, sur les distinctions qu'on doit faire, malgré ce que M. Lisée disait ce matin, sur la différence entre l'évasion fiscale, puis l'évitement fiscal, et l'optimisation. Je ne suis pas convaincu qu'on soit dans la bonne voie avec notre notion d'évitement fiscal.

Je vous dirai effectivement que, quant à moi, la question des paradis fiscaux, de l'évitement fiscal et de l'évasion fiscale... Je ne parle même pas de l'évasion fiscale des voleurs qui cachent ça sous le matelas. Ça, c'est autre chose. Quand on cache, on ne voit pas puis on ne peut pas découvrir. Je parlerai davantage de techniques visant à en arriver à ces résultats-là. On a une responsabilité partagée ici, responsabilité partagée, et ma collègue qui... Pre Rizqy, tout à l'heure... Rizqy disait tout à l'heure, effectivement, que la législation est en cause, donc problème législatif, un problème de tribunaux aussi. Les tribunaux ont froid. Les tribunaux, finalement, sont frileux. Les tribunaux refusent de parler de moralité fiscale et les tribunaux le disent clairement que la moralité fiscale n'a rien à voir avec l'interprétation de la fiscalité. Et, bien sûr, le troisième acteur important dans la cause des paradis fiscaux, ce sont les grands cabinets, les organisateurs, bien sûr, de stratégies fiscales qui se bousculent de façon à recruter une clientèle qui va permettre d'engranger davantage de profits pour ces cabinets.

L'évasion fiscale, bien sûr, est la notion d'ignorer délibérément une disposition de la loi, l'optimisation fiscale, à obtenir des avantages fiscaux de façon légitime en organisant ses affaires de façon correcte. Et l'évitement fiscal, et c'est là où est le problème, il y a des dispositions spécifiques dans la loi qui traitent d'évitement fiscal en matière internationale, en matière interne, et il y a une disposition générale qui existe maintenant, l'article 245, au niveau fédéral, notamment. Et l'article 245 vient définir l'évitement fiscal. Et il y a une définition, donc, de l'évitement. Et puis on nous dit que c'est une opération... donc, l'opération d'évitement est une opération... et c'est dans la loi qui est ici, là, c'est la Loi de l'impôt, hein, donc s'entend de l'opération dont découle directement ou indirectement un avantage fiscal. Bon, un avantage fiscal. Donc, toute opération dont découle l'avantage fiscal, c'est une opération d'évitement, «sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — je continue la lecture de la loi — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable».

Alors, le contribuable a le fardeau de démontrer ici qu'il y a un objet véritable, un objet d'affaires, un objet d'entreprise. Et donc, dans cette affaire-là, qui a donné lieu à l'article 245, on réfère à l'affaire Stubart, la Cour suprême en 1985. Et là-dedans le problème, c'est que la cour a eu à interpréter la loi actuelle, et l'Agence du revenu, le ministère du Revenu, à l'époque, tentait de dire au tribunal : Regardez bien, nous autres, on a un problème, là, parce que la Loi de l'impôt ne permet pas... en fait, on voudrait que vous, le tribunal, nous disiez, à l'agence, que les transactions effectuées pour des fins fiscales seulement sont des transactions qui ne passent pas le seuil, qui sont incorrectes au sens fiscal.

Et le tribunal, qu'est-ce qu'il a dit? Le tribunal a dit : On va évaluer ça parce qu'aux États-Unis il y a un test d'«economic substance». Il faut qu'il y ait une substance économique à cette réalité-là. Et le tribunal, donc, a étudié deux auteurs, Ward et Cullity, qui sont des fiscalistes de renom, qui, eux, Ward et Cullity, ont dit dans leur texte que la fiscalité faisait partie de la vie courante des... on disait des hommes d'affaires à l'époque, on ne disait pas des gens d'affaires, mais des gens d'affaires, et donc la réduction de l'impôt est une dépense commerciale légitime, disait-on. Puis la Cour suprême ayant dit ça, elle a dit... bon, elle dit : Ceci étant la réalité des gens d'affaires, donc, que la fiscalité constitue une dépense commerciale légitime, bien, nous, la Cour suprême, on n'ira pas conclure aujourd'hui qu'il faut avoir un objet autre que fiscal puisque la fiscalité est un objet commercial véritable. Et au surplus la cour a dit, elle dit : Si effectivement on pouvait mettre de côté des transactions pour des raisons fiscales, et c'est là la folie de cette décision-là, la cour a dit : Si on pouvait mettre de côté des transactions qui ont un objet fiscal, ça voudrait donc dire qu'on pourrait mettre de côté des transactions qui ont été effectuées à la lumière d'une disposition de la loi où le contribuable, corporatif ou autre, a dit : Moi, je voudrais profiter d'une disposition de la loi qui permet... par exemple, crédits de recherche et développement, c'est permis par la loi. Mais la Cour suprême a expressément dit : Nous pourrions alors, s'il y avait un test, donc, d'objectif autre que fiscal, mettre de côté les transactions qui visent la recherche et le développement.

• (10 h 50) •

Ça ne se tient pas. Ça ne se tient pas. Et donc la Cour suprême, voyant ça, a dit : Bien, il n'est pas nécessaire, dans notre loi, d'avoir un objectif commercial véritable. Et toutes les transactions qui ont été faites, même pour des objets fiscaux, sont valables. Et, si le législateur veut agir, c'est à lui à agir, ce n'est pas à nous, les tribunaux. On a donc créé l'article 245 à la suite de cette décision-là, qui est tout à fait aberrante.

Traitons un peu de l'assujettissement à l'impôt canadien et québécois. Bon, on prend le canadien puis on fait l'harmonisation québécoise. Un contribuable, c'est la notion de résidence qui est importante ici, au Canada et au Québec. L'assujettissement se fait par la résidence. Donc, le résident fiscal est imposé sur son revenu mondial, corporatif ou non.

La corporation de la société par actions, elle, sera résidente du Canada dans deux circonstances : si elle a été constituée au Canada depuis 1965, donc une société constituée aujourd'hui ici, au Canada, est résidente, ou bien si des décisions importantes se prennent ici. Alors, les décisions importantes qui se prennent ici, ça fera en sorte qu'elle sera donc résidente ici. Et, si elle est résidente, elle doit payer de l'impôt au Canada, donc sur son revenu mondial. Bien, payer, donc, de l'impôt sur le revenu mondial, ça veut donc dire que, peu importe qu'on fasse des affaires aux Bahamas, à la Barbade ou en Italie, on va payer de l'impôt ici. Mais les décisions importantes, jusqu'à maintenant, les tribunaux nous disent : Bien, allons voir où le conseil d'administration se réunit. C'est facile de prendre l'avion puis d'aller à la Barbade, prendre les décisions là-bas une journée puis on revient ici. On pourrait aussi modifier ce test de résidence pour en arriver à une conclusion un petit peu semblable à ce que la Cour suprême a dit dans l'affaire St. Michael Trust, l'affaire Garron, il y a quelques années, à l'égard d'une fiducie où on est allé voir... parce qu'il y a des Canadiens qui avaient créé une fiducie à la Barbade, et on est allé voir exactement ce qui avait été fait là-bas et qui prenait les décisions. Alors, les décisions étaient prises par des Canadiens qui étaient bénéficiaires de la fiducie, alors que les fiduciaires étaient à la Barbade. On a dit : Bien, les décisions sont prises en réalité par ces Canadiens-là. Donc, la fiducie est résidente canadienne.

Les tribunaux ont de la difficulté à franchir le pas à l'égard des sociétés par actions et d'en arriver à une conclusion comme celle-là ou bien c'est simplement que l'agence du revenu ait de la difficulté à cerner qui est le vrai preneur de décision. Mais il y a un problème, donc, au niveau de la résidence.

Pour les sociétés, le problème, c'est qu'elles ont une espèce de don d'ubiquité, ce que le particulier n'a pas, l'individu n'a pas. La société, elle, peut être résidente ici, mais, bien sûr, elle va se constituer des filiales à l'étranger. Or, il n'y a pas d'impôt canadien sur le revenu d'une filiale étrangère, sauf, bien sûr, dans des circonstances où on parle des règles de FAPI, donc du revenu passif. Alors, si une société A, canadienne, crée une filiale aux Bahamas, bien, il n'y aura pas d'impôt canadien pour sa filiale B des Bahamas sauf si le revenu des Bahamas est un revenu davantage d'ordre passif : revenus d'intérêts, revenus de placements. Puis, même encore là, les revenus d'intérêts pourraient effectivement se qualifier par d'autres façons. Mais, si c'est simplement pour aller faire du stationnement d'argent aux Bahamas, pour faire du placement, à ce moment-là, il y aura bien sûr l'application des règles de FAPI et imposition pour la société mère canadienne.

Mais, autrement que ça, la société des Bahamas pourrait très bien faire des affaires aux Bahamas et, dans le cadre d'une entreprise, ne pas payer un sou d'impôt au Canada. Et ceci, on ne parlera pas de fraude fiscale, on ne parlera pas d'évitement fiscal, on va parler d'optimisation fiscale. Pourquoi? Parce que la loi le permet.

Mais où est le problème? Mais le problème, c'est que le Canada a signé, et, ma consoeur l'indiquait tout à l'heure, il y a 22 accords d'échange de renseignements signés entre le Canada et les diverses juridictions, qui, la plupart, étaient... en fait, sont encore, donc sont des paradis fiscaux, bon.

Ça a commencé, ça, ici en 2007, à la suite du budget Flaherty, où il y a eu une pression de l'OCDE, où l'OCDE a dit aux États qui étaient davantage sur une liste grise ou même noire : Signez 12 accords d'échange de renseignements pour sortir de cette liste grise ou noire. Alors, les États, bien sûr, davantage paradis fiscaux étaient à la recherche d'accords d'échange de renseignements pour se rendre au chiffre 12, le chiffre magique. Et le Canada a levé la main puis le Canada a dit : Aïe! On est là. On veut signer avec vous. Les paradis fiscaux étaient enchantés de signer avec le Canada. Le Canada a dit : Non seulement on va signer avec vous, on va vous donner un bonbon. On va vous donner, finalement, la possibilité à vous, États étrangers avec qui on va signer un accord d'échange de renseignements, pas une convention fiscale, un simple accord d'échange de renseignements, on va vous donner l'avantage fiscal que nous donnons à tous nos pays, aux 92 pays avec lesquels on a signé une convention fiscale, on va vous donner la possibilité de créer des sociétés mères dans cet État étranger et de rapatrier les sommes ici, au Canada, sans impôt canadien s'il y a exploitation d'entreprises dans ce pays-là. Et c'est ce qui a été fait.

La notion de «surplus exonéré», qui se retrouve au paragraphe 5907, donc, des règlements de la Loi de l'impôt, prévoit que les sommes gagnées dans une entreprise exploitée dans un pays avec lequel le Canada a signé un accord d'échange de renseignements se qualifient, ces sommes se qualifient, comme surplus exonéré et bénéficient donc du rapatriement au Canada sans impôt. Résultat des courses : zéro impôt généralement là-bas, et la somme revient par voie de dividende, zéro impôt canadien.

Qu'est-ce qu'on fait du cordonnier qui est ici, qui a constitué sa société par actions et qui paie 15 % fédéral, bon, 10,5 % s'il a droit à la déduction des petites entreprises, il paie son 11,8 % ou un peu moins au Québec, selon les circonstances, peut-être 8 % au Québec? Donc, il paiera une somme d'impôt québécoise et canadienne, alors que l'autre, qui a décidé d'aller faire affaire aux Bahamas, au Panama, hein, bon, dans un des 22 pays, il n'y en aura pas, d'impôt canadien. Moi, j'ai de la misère à expliquer ça à quelqu'un sans dire : Il y a un problème à quelque part, il y a un déséquilibre, il y a une injustice flagrante. Et donc il y a un coût important ici pour le Québec et pour le Canada.

L'OCDE a bien sûr produit son rapport du BEPS. Bon, vous avez entendu parler du rapport du BEPS, je ne reviendrai pas là-dessus aujourd'hui. Il y a de l'ouvrage qui est fait de ce côté-là. C'est bien. C'est un effort concerté des pays, mais il faut regarder nous autres mêmes qu'est-ce qu'on peut faire, et qu'est-ce qu'on a fait, et qu'est-ce qu'on devrait faire.

Avec les accords d'échange de renseignements, bien sûr, bon, c'est un problème, mais il y a aussi le problème de la Barbade. Le problème de la Barbade, il est bien, bien simple. Depuis 1980, 1981, convention fiscale, ici, avec la Barbade, entre le Canada et la Barbade, l'article... et puis, bon, on prévoit bien sûr... convention fiscale, donc on peut rapatrier les profits sans impôt. Puis, vous le savez, donc, il y a eu, bien sûr, l'ancien premier ministre du Canada, Paul Martin qui y était. Et Canada Steamship Lines n'était pas à la Barbade au départ, il était au Liberia. Cette société était au Liberia en 1991. Quand le Vérificateur général du Canada a dit : Aïe! Un instant, là! Le règlement 5907, paragraphe 11, là, dans notre loi, ici, prévoit simplement qu'on peut rapatrier des profits au Canada d'une société qui était... d'un pays indiqué au paragraphe 11 du règlement 5907. Et le Liberia faisait partie de cette liste-là à l'époque. Et le Vérificateur général du Canada a dit : Bien, il y a un problème. Le Liberia, ce n'est pas vraiment un pays ami avec le Canada, notamment, entre autres, au sens fiscal, notamment. Donc, il faut enlever ça. Et donc CSL International était résidente du Liberia, a dit : Il y a un problème. Donc, on ne pourra plus rapatrier les profits sans impôt au Canada. On déménage à la Barbade.

Le déménagement à la Barbade pour s'apercevoir, et bien sûr, que les «international business companies» créées à la Barbade n'étaient pas des sociétés qui se qualifiaient en vertu de la convention fiscale Canada-Barbade. L'article 30 de cette convention-là excluait alors les «international business companies», les IBC. Or donc, il y a un problème parce que les dividendes ne pouvaient pas entrer en franchise d'impôt. Paul Martin, alors ministre des Finances, modifie le règlement. C'est un règlement qui est modifié, ce n'est pas la loi, donc le ministre fait le changement de règlement, et 5907.(11.2) est modifié pour ajouter simplement que, si la société est résidente d'un pays qui a conclu une convention fiscale, mais qui, compte tenu de cette convention fiscale, exclut expressément la société, bien, à ce moment-là elle sera réputée être valide au sens de la convention fiscale. Donc, on a ramené les IBC à l'intérieur de la convention fiscale, et puis tout était beau.

Le Président (M. Bernier) : Nous allons passer aux échanges, M. Lareau, avec les parlementaires. Vous êtes fort intéressant. Vous aurez l'occasion de poursuivre, mais on va débuter nos échanges avec nos parlementaires. M. le député de Pontiac, la parole est à vous.

• (11 heures) •

M. Fortin (Pontiac) : Merci, M. le Président. Merci, M. Lareau. Merci de votre enthousiasme lors de votre présentation et de votre évidente passion envers ce sujet-là. Je pense qu'on apprécie des gens comme vous, des gens comme Mme Rizqy, qui était ici avant vous, et qui n'hésitent pas à nous dire ce qu'il se passe vraiment.

Moi, j'ai une question. Je veux approfondir certains des sujets, là, que vous avez amenés. Le tout premier sujet que vous avez touché, c'est le Panama. Vous avez dit : Le Canada ne peut pas se rendre au Panama. Il y a une clause qui n'est pas incluse, là, dans l'accord. J'aimerais ça vous entendre là-dessus. Et je veux savoir concrètement, dans les pays où on est capables d'aller, qu'est-ce qu'on a comme avantage par rapport au Panama?

Le Président (M. Bernier) : M. Lareau.

M. Lareau (André) : Bien, la capacité de déceler l'information, de se rendre sur place, ce qu'on n'a pas avec le Panama. Notamment, avec la Barbade, j'ai fait le test. Je suis allé à la Barbade et je suis allé voir une société qui s'appelle Summit Asset and Management, qui était la Summit Bank. À l'émission Enquête l'année passée, on en avait parlé. Je suis moi-même allé voir, j'ai frappé à la porte, je voulais parler aux gens là-bas. Et, bien sûr, l'Agence du revenu pourrait faire exactement la même chose parce qu'on permet effectivement, bon, cette visite-là. Et j'ai demandé d'avoir des informations sur la Summit Asset and Management, qui est supposée finalement gérer 1 milliard de dollars de fonds pour une banque. Et puis j'ai demandé de voir les gens, puis j'avais des questions à leur poser, et je suis resté quatre jours ou cinq jours sur place, à la Barbade, en attendant leur coup de téléphone. J'ai fait deux demandes et je n'ai jamais eu, donc, l'accès à l'information.

Et donc moi, je voulais savoir qu'est-ce qui fait que cette banque privée, qui gère finalement les sommes qui proviennent de Développements Iberville, vente de centre d'achats ici, Galeries de la Capitale, Dix30, etc., là, que ça a généré 700 quelques millions de dollars de revenus ou 100 milliards de dollars de revenus, on a donc pris les profits sans impôt... et donc décision récente de la Cour du Québec du mois de juin dernier, du juge Bourgeois, où justement, dans une stratégie fiscale de KPMG, le juge Bourgeois a tassé ça et a dit : Ça n'a pas d'allure. Il y a de l'évitement fiscal, il y a de l'abus de droit ici qui se fait. Bon, et cette même somme-là était allée à la Barbade dans une banque privée.

Moi, quand j'ai une banque privée, j'ai une banque qui gère 1 million de dollars en argent, là, je m'attends à avoir une banque avec quelque chose, une espèce de cachet particulier. Alors, c'est le deuxième étage d'un édifice, j'ai les photos de l'endroit, avec le classeur en avant, trois petites chaises à l'entrée. Pour moi, ce n'est pas une banque privée. Or, si vous saviez que, depuis 1995, la Loi de l'impôt canadienne permettait justement que les banques privées soient créées à l'étranger dans la mesure où elles se qualifiaient comme banques dans ce pays étranger... La loi n'a été modifiée qu'au 1er janvier 2015, 20 ans plus tard. C'était connu de tout le monde qu'il y avait cette stratégie-là. La loi, ça a pris 20 ans avant qu'elle soit modifiée. Et, dans les notes fiscales, le ministre le dit bien, il y a des gens qui utilisent ceci pour leur «banking» personnel. Ce n'est pas pour faire de la banque pour les autres, c'est pour leurs affaires à eux.

Moi, j'invite l'Agence du revenu à utiliser toutes les stratégies pour se rendre sur place, pour aller voir ce qui se fait à la Barbade. C'est très simple. On a accès aux dossiers fiscaux de toutes les sociétés, le dossier papier, on vous le donne, prenez-le, travaillez avec ça, allez lire. Et, quand on peut aller sur place, on trouve une mine d'information. Et j'invite bien sûr, à l'égard de Summit Asset Management maintenant, l'Agence du revenu d'aller voir encore ce qui se fait là parce que, quant à moi, finalement, il y a encore un petit problème fiscal majeur à cet égard-là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Fortin (Pontiac) : Merci. Est-ce que vous avez trouvé l'information que vous cherchiez? J'ai cru comprendre que, même en passant quatre, cinq jours là, vous n'avez pas eu l'information que vous vouliez quand même.

M. Lareau (André) : Moi, je voulais simplement m'assurer que c'était une banque en bonne et due forme, que je pouvais faire des dépôts bancaires. Et, quand j'ai posé la question, on m'a dit : Non, non, c'est une banque privée. J'ai dit : O.K., je veux avoir davantage d'information, et on m'a dit : On va vous rappeler. «Don't call us, we'll call you». Et j'ai attendu quatre jours.

M. Fortin (Pontiac) : O.K. Et vous l'avez fait parce que c'est quelque chose qui vous intéresse, vous vouliez connaître le dossier, vous vouliez savoir ce qui se passait. Est-ce que le gouvernement utilise sa prérogative de pouvoir aller sur place et de faire ces enquêtes-là, si on veut? Est-ce qu'ils le font? Avez-vous des statistiques? Est-ce que le gouvernement vous dit publiquement : Oui, on a visité x nombre de banques dans les Barbades?

M. Lareau (André) : Je n'en ai pas la moindre idée. Tout ce que je sais, c'est qu'en 2004, il y a 12 ans, j'étais allé aussi dans l'affaire de CSL International et je sais que Radio-Canada était passé avant moi pour avoir une visite auprès des autorités fiscales. Les autorités fiscales ont dit : Non, non, regarde, là, on ne peut pas vous rencontrer. J'ai accompagné Radio-Canada à ce moment-là et je suis allé le lendemain, et on m'a dit : Aïe! Si vous saviez, hier, on a eu la visite de Radio-Canada. Vous, on peut vous parler, vous êtes prof d'université, eux autres, on ne leur parle pas. Bon, tu sais, c'est ça qu'il m'a dit. Mais les agences du revenu du Canada et du Québec, j'aimerais bien qu'ils aient des visites de faites. C'est une mine d'or à trouver là et dans les autres pays aussi.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Fortin (Pontiac) : O.K. Parlons des accords d'échange de renseignements...

M. Lareau (André) : Et j'ajouterais aussi là-dessus, bien sûr, l'île de Man avec KPMG, là. Il y a aussi bien de l'information à aller trouver chez KPMG. Je suis moi-même allé, entre autres, chez KPMG, à l'île de Man. Je n'ai pas pris rendez-vous, je suis allé frapper à la porte. Je voulais rencontrer un fiscaliste là-bas. Et je suis allé voir, j'ai demandé de parler à un fiscaliste, j'ai exposé la situation, j'ai dit : Est-ce que vous autres, vous feriez ça, ici, chez KPMG, à l'île de Man? Ah! c'est de la fraude, ça, ici...

Le Président (M. Bernier) : ...un peu plus général sans pointer directement, là, des... ce genre de choses là. Oui, allez-y.

M. Khadir : Est-ce que je peux vous demander la raison de cette réserve? Parce que je me l'explique mal, c'est une entreprise qui est au centre de beaucoup plus... plusieurs stratagèmes...

Le Président (M. Bernier) : Oui. Regardez, là, je laisse la présentation se faire comme elle doit se faire, mais il y a d'autres cas aussi qui peuvent être ciblés par rapport à ça. C'est ce qu'on veut, on veut avoir le plus d'information possible sur l'ensemble des activités parce qu'on a eu l'occasion de rencontrer ces firmes-là et, malheureusement, on a eu peu d'information qui nous a été livrée. Je sais que vous êtes un expert et que vous pouvez nous donner une foule d'informations sur plusieurs entreprises. C'est le but que je vise, tout simplement. Oui, allez-y.

M. Fortin (Pontiac) : Parlons des accords d'échange de renseignements. Je peux comprendre, et vous nous l'avez expliqué, Mme Rizqy nous l'a expliqué aussi avant vous, l'amélioration de l'image publique d'un pays qui signe un tel accord d'échange de renseignements avec un pays comme le Canada ou d'autres pays à travers le monde. Mais, pour nous, ici, au Canada, concrètement, qu'est-ce qu'on reçoit d'un tel accord avec un pays comme la Barbade? C'est quoi, notre motivation à nous? C'était quoi, la motivation du gouvernement fédéral à l'époque, quand ils ont signé des tels accords?

M. Lareau (André) : J'ai tenté de trouver la motivation principale en 1981, quand ça a été signé avec la Barbade, et, au-delà d'avoir accès, pour les gens d'affaires et les sociétés, à une juridiction à très faible taux d'imposition, qui était alors, pour les IBC, d'un maximum de 2,5 % et un plancher à 1 %, qui est descendu à 0,5 % et qui est descendu maintenant à 0,25 %, et, malgré 0,25 %, CSL International est parti aux Bermudes six mois après l'accord d'échange de renseignements signé avec les Bermudes... Donc, quel est le motif pour avoir signé avec la Barbade? De donner accès aux gens d'affaires canadiens à une plateforme, une juridiction à très faible taux d'imposition certainement à la demande de la communauté d'affaires, mais maintenant, au-delà de ça, c'est du politique qu'il faut voir.

M. Fortin (Pontiac) : Mais là vous parlez de la Barbade spécifiquement. Mais, pour d'autres pays, est-ce que vous voyez des avantages concrets? Est-ce que, par exemple, est-ce qu'on sait qu'il y a de... C'est un accord d'échange d'information. Est-ce qu'on sait que... Eux nous envoient de l'information. Est-ce que nous, on leur envoie de l'information? Est-ce qu'ils demandent de l'information au gouvernement fédéral? Le savez-vous?

Le Président (M. Bernier) : De quelle façon l'échange se fait, là?

M. Lareau (André) : Je ne suis pas dans ces secrets-là, je n'ai pas la moindre idée. Ce que je peux vous dire, c'est qu'en 2007 le ministre n'avait pas l'obligation de donner ce bonbon-là de la possibilité de rapatrier les dividendes quand il a signé ça. Et je sais aussi que, le lendemain, effectivement, de l'annonce du ministre dans les grands feuillets des cabinets comptables, tous les grands de ce monde, on disait : Wow! Il est arrivé quelque chose d'extraordinaire, là, ici. On peut rapatrier les profits sans impôt. C'était à la suite, en 1998... non, pas en 1998. En 2007 et 2008, il y avait eu effectivement ici une demande de la part d'un comité — 2007 — en fiscalité internationale qui a fait cette demande-là. Le fédéral a adhéré à cette thèse-là, mais les grands cabinets comptables, certainement, criaient de joie, là. C'est sûr, c'est sûr.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Fortin (Pontiac) : Et donc votre recommandation par rapport à ces accords-là, ce serait quoi? Est-ce que le gouvernement fédéral peut les annuler, les canceller? Est-ce que c'est souhaitable? Est-ce qu'il y a des effets qu'il faut mesurer par rapport à une telle... Est-ce qu'il y a des clauses pour l'annulation? Qu'est-ce que vous nous proposez concrètement par rapport à ces accords-là, qui... Vous êtes ici, vous nous dites : Ça ne marche pas. On n'y retrouve pas notre compte. Tout ce qui se passe, c'est qu'il y a des sociétés qui trouvent encore plus moyen de ne pas payer d'impôt. Alors, qu'est-ce que vous suggérez?

M. Lareau (André) : De faire comme... certains pays commencent à penser de modifier... Au lieu d'avoir des dividendes qui rentrent ici en franchise d'impôt, changer la mécanique pour donner un crédit d'impôt au Canada pour prendre en compte l'impôt étranger. Il y a eu 10 % payé à l'étranger, on va réduire, donc, notre facture fiscale pour prendre en compte ce qui a été payé à l'étranger. Il y a 0 % payé à l'étranger, il y a donc une réduction de zéro parce qu'il n'y a rien eu de payé à l'étranger. Donc, un crédit d'impôt canadien pour simplement prendre en compte ce qui est payé à l'étranger plutôt que simplement de recevoir un congé fiscal sans égard à l'impôt payé à l'étranger. C'est ça, la différence.

M. Fortin (Pontiac) : Nous, est-ce qu'on y trouve plus notre compte à une solution comme ça? C'est quoi, l'avantage pour le gouvernement canadien? Je comprends pour... La société finit par payer un impôt, j'imagine, mais c'est quoi, l'avantage?

M. Lareau (André) : Oui, c'est ça, d'aller chercher l'impôt. L'avantage, c'est d'aller chercher un impôt, alors que, présentement, on perçoit zéro.

M. Fortin (Pontiac) : Même si c'est payé à l'étranger. C'est ça que vous dites?

M. Lareau (André) : Bien, s'il y a un impôt payé à l'étranger. Présentement, là, dans tous les pays avec lesquels le Canada a conclu ou bien une convention fiscale ou encore un échange de renseignements, quand les dividendes entrent ici, au Canada, qu'ils proviennent d'une entreprise extérieure, les dividendes rentrent sans impôt canadien, zéro. Moi, ce que je vous dis : Changeons ça, ayons un système de crédit d'impôt pour faire en sorte qu'il y ait un impôt canadien, mais qu'il soit diminué du montant payé à l'étranger. Il a eu un impôt à être payé à l'étranger, aux États-Unis, qui est plus élevé que le nôtre, il n'aura pas d'impôt canadien. Mais il a eu zéro d'impôt payé à l'étranger, ayons un impôt canadien à ce moment-là.

M. Fortin (Pontiac) : Là, vous me dites qu'il y a des pays qui sont en train de prendre cette démarche exacte là? Est-ce que vous avez des exemples concrets?

• (11 h 10) •

M. Lareau (André) : Dans les pays européens. Écoutez, même, je parlerais du Luxembourg, je parlerais des Pays-Bas, on parle de clauses antiabus en 2016 dans ces mêmes pays là. Et on parlera donc d'abus... Et donc la mentalité même, c'est surprenant, de ces pays-là est telle qu'on commence à penser aux abus, effectivement. D'où provient l'argent? Est-ce que ça provient d'un pays... Puis je ne vous dis pas, là, que c'est la solution qui est trouvée. Je vous dis simplement qu'on pense à une clause antiabus. D'où provient l'argent? Est-ce qu'il provient d'une juridiction sans impôt? Tout ça fait en sorte qu'il doit revenir ici, au Canada, pour nous habiter dans notre conscience législative ici, oui.

M. Fortin (Pontiac) : Dernier sujet, je pense que mon collègue a aussi des questions, la divulgation volontaire. Je sais que mon collègue d'en face en a parlé ce matin. On a entendu, de la part de certains groupes, que ça permet de régler un problème, que ça permet de rapatrier de l'argent, qu'il y a plusieurs particuliers, là, qui retournent leur... bien, leur fortune, si je peux utiliser ce terme-là, mais leurs investissements au pays à cause de ce mécanisme. D'après vous, est-ce que ça fonctionne? Et il y a-tu encore beaucoup d'argent, à travers ce simple mécanisme là, à ramener ici, au pays?

M. Lareau (André) : Bon, pour ce qui est des sommes, on voit qu'il y a pas mal d'argent qui est rentré depuis une couple d'années. Mais ce n'est pas la solution. C'est une prime, finalement, à la fraude, la divulgation volontaire.

Le Président (M. Bernier) : Bon, expliquez-nous ça, là, parce qu'il y a beaucoup de folklore autour de ça, là. C'est important, ce que vous nous dites là.

M. Lareau (André) : Oui. Donc, la divulgation volontaire permet à un contribuable, pour au moins une fois dans sa vie, d'aller voir l'Agence du revenu et dire : Aïe! Je n'ai pas déclaré. Parfait. Pas de pénalité, et les intérêts généralement négociés à la baisse, comme on a vu avec KPMG, c'est exactement ce qui s'est passé, bon. Et, dans les circonstances de la divulgation volontaire, lorsque ça provient de l'étranger, les gens, simplement, craignent maintenant, craignent parce qu'il y a des accords d'échange de renseignements. Ils vont avoir un effet, ces accords-là, bien sûr. Il y a le LuxLeaks, il y a Panama Papers, il y a SwissLeaks, et tout ça, ce qui fait en sorte que les gens craignent davantage de se faire prendre. Et donc on leur dit : C'est correct. Vous avez fraudé le système. Tu sais, il n'y en a pas, de problème. On va accepter, finalement, que vous ne payiez pas de pénalité et que vous n'allez payer à peu près pas d'intérêt, vous n'allez payer que vos impôts, bon. Puis même qu'effectivement auparavant on négociait les impôts... M. Mulroney payait la moitié de la facture en impôts, bon.

Ceci, effectivement, à mon avis, doit être modifié. Les États-Unis ont trouvé un système qui s'appelle le «streamline». Le «streamline» fait en sorte que les divulgations volontaires sont autorisées sans pénalité, à peu près, bon, pour les petits montants, les cas de bonne foi. Mais, si on parle des... Et, par exemple, ça peut être quelqu'un qui vit en... un immigrant qui arrive au Canada, vient d'un pays étranger, ne connaît pas le système, il devait 1 200 $. O.K., ça va, ça, mais pas le fraudeur qui avait caché son argent, hein, au Panama et qui, maintenant, parce qu'il craint, bien, il va me divulguer. On ne le permettrait pas en vertu du «streamline» aux États-Unis. Donc, ayons un système semblable.

Le Président (M. Bernier) : Les successions?

M. Lareau (André) : Les successions. Bien, effectivement. Là, souvent, ça arrive de parents décédés qui avaient 10 millions à l'étranger. Malgré que ce soit une succession, malheureusement, si le parent a fait erreur, a fait la fraude, la succession doit payer, point à la ligne, et la pénalité doit s'appliquer. Tu sais, c'est... L'alter ego est là avec la succession.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Portneuf, vous avez une question?

M. Matte : Merci, M. le Président. Bien, je voudrais souhaiter un bon matin aussi à mes collègues. Nous sommes privilégiés ce matin. Je pense que nous sommes favorisés aussi de recevoir des gens d'une compétence, mais d'une passion aussi. C'est clair, mais il y a beaucoup de profondeur dans vos présentations.

J'ai un peu de difficultés quand vous nous expliquez, là, que, lorsque le Canada accepte, là, des ententes d'échange d'information, qu'on permet à des entreprises de se qualifier, d'exonérer et... leurs profits, de payer des impôts. Ce n'est pas dans la nature d'un gouvernement de faire en sorte de laisser sur le carreau des montants d'argent. Tous les gouvernements essaient d'aller chercher le maximum, là, de revenus d'impôt.

Comment expliquer ça, là, pour les gens qui nous écoutent, qui disent : Écoute, là, c'est-u possible qu'on permette à des entreprises, pour x raisons, qui ont fait de la fraude puis qui n'ont pas déclaré leurs revenus de pouvoir se qualifier, de revenir ici sans payer aucune pénalité et même sans payer d'impôt? Comment vous répondez à cette question-là?

Le Président (M. Bernier) : M. Lareau.

M. Lareau (André) : Écoutez, la trame actuelle est un peu différente. Je ne parle pas des gens qui ont commis de la fraude, je parle d'entreprises exploitées à l'étranger, dans un pays conventionné ou dans un pays avec lequel on a un accord d'échange de renseignements. Je ne parle pas de questions de fraude, je parle des... donc, profits tirés d'entreprises. De la fraude, ça ne se qualifie pas pour ça. Bon, bien sûr, si on camoufle de l'argent dans l'entreprise étrangère puis on le ramène ici, c'est donc... bon, on verra si on est capable de camoufler ou non, là. Mais ça se limite à ça. Mais c'est suffisamment important pour que ce soit dénoncé.

Et c'est le lobby, c'est le lobby. Écoutez, ce n'est pas compliqué, il y a un lobby d'affaires qui voulait avoir accès à une plateforme juridique avec peu d'impôt payable, et ça a fonctionné. Leur lobby a fonctionné. On les a écoutés et on leur a donné cette plateforme-là. Et le ministre nous disait : Bien oui, ça nous a permis, ça, ici, de signer des accords d'échange de renseignements avec ces juridictions qui ont accepté de signer avec nous. C'est le prix qu'on a payé. Le Canada n'avait pas à payer ce prix-là. Ce sont eux, ces pays-là, qui étaient en demande pour signer avec nous pour arriver au nombre 12. On n'avait pas à donner ce bonbon-là et on l'a donné, malheureusement.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Rousseau.

M. Marceau : Ah! merci. Bonjour, monsieur. Merci beaucoup pour votre présentation. Je vais commencer par une question plutôt large, très simple, en fait. Je l'ai déjà posée, d'une certaine manière, à Mme Rizqy, qui vous a précédé. Moi, je pense, pour revenir à ce que je disais plus tôt, un des grands enjeux pour nous, c'est : Qu'est-ce que le Québec peut faire de manière unilatérale sans attendre que d'autres agissent? Et, dans le fond, je vous pose une question, donc, très ouverte, très large : Vous, si vous aviez à nous faire des recommandations, quels sont les gestes que, de manière unilatérale, là, sans attendre après les autres, vous poseriez?

Le Président (M. Bernier) : M. Lareau.

M. Lareau (André) : Oui. Donc, accord d'échange de renseignements... pardon, divulgation volontaire. Divulgation volontaire, on balise, on modifie, pour faire en sorte que ce soit très limité justement aux situations de bonne foi, l'argent qui ne provient pas de l'international, des montants qui sont faibles et de bonne foi. Bon, O.K. Ça, ici. Pénalités. Des pénalités beaucoup plus importantes. La privation de la liberté est la seule chose qui pourrait arrêter les grands cabinets de ce monde qui décident de monter les structures qui sont utilisées dans les pays étrangers et qui sont davantage utilisées pour camoufler de l'argent. Donc, privation de liberté. Exemple, KPMG, 450 millions de dollars payés en pénalités aux États-Unis en 2005, ça ne les a pas empêchés de continuer. Privation de liberté, c'est important.

M. Marceau : Donc, dans le contexte plus général, là, pas strictement sur la divulgation volontaire. Vous dites : Dans le cas où on attrape quelqu'un et qu'on peut faire la démonstration qu'il y a eu évasion fiscale, fraude, dans ce cas-là, des sanctions pécuniaires ne sont pas suffisantes, il faut avoir des sanctions qui vont jusqu'à l'incarcération. C'est ce que vous suggérez.

M. Lareau (André) : Exact. Exact.

M. Marceau : O.K. Parfait. Donc, deux choses, effectivement, que nous pouvons faire. Je vous laisse continuer. Si vous avez d'autre chose dans votre liste, j'aimerais bien vous entendre.

M. Lareau (André) : Oui. On pourrait avoir notamment exactement ce que le Luxembourg et les Pays-Bas font présentement, en 2016, maintenant. Lorsqu'il y a des dividendes qui sont reçus ici, au Canada, sans impôt en provenance de l'étranger, ces juridictions ont décidé que, lorsque le payeur du dividende... en fait, de la somme pouvait déduire le paiement dans le calcul de son revenu, puisque c'était perçu, pour eux, comme un intérêt payable, et ici, c'est un dividende, je réfère à Bombardier avec le Luxembourg, hein, les «mandatorily redeemable preferred shares», le Luxembourg paie la somme... Pour le Luxembourg, c'est considéré comme un intérêt payable. Réduction du revenu, donc réduction de l'impôt payable. Bombardier reçoit la somme ici, c'est un dividende non imposé. Donc, et les Pays-Bas et le Luxembourg ont modifié leur loi qui fait en sorte qu'un pays qui reçoit un tel dividende, il sera imposé, ce dividende, puisqu'il a servi à réduire le revenu de l'autre côté.

Donc, tous les instruments hybrides, il faut regarder les instruments hybrides et se demander effectivement : L'avantage fiscal qui a été conféré ici, est-ce que ça correspond à une fiscalité qu'on veut avoir? Donc, faire la lecture de tous les instruments hybrides en matière fiscale, c'est, entre autres, ça ici.

C'est, entre autres, aussi l'impôt de la partie XIII, comme disait ma collègue tout à l'heure ici. Donc, par exemple, l'article 105 des règlements au fédéral, quant à moi, permettrait au gouvernement fédéral d'aller voir chacun des utilisateurs d'Uber. J'ai pris Uber, j'ai payé 20 $ de taxi, je suis redevable d'une somme au gouvernement fédéral parce que j'ai retenu les services d'un non-résident pour un contrat. Le règlement 105 prévoit que je dois payer un impôt fédéral.

M. Marceau : Là-dessus, est-ce que le Québec peut le faire? Parce que, moi, attendre après Ottawa, je pense que vous connaissez mes convictions là-dessus, puis, bon, connaissant aussi les volontés politiques qui s'y expriment.

M. Lareau (André) : Si on avait...

M. Marceau : Donc, dans votre exemple, est-ce le Québec, tel qu'il est présentement, là, avec les contraintes inhérentes à notre statut de province...

• (11 h 20) •

M. Lareau (André) : Écoutez, là, sous réserve, là, je pense que le règlement 105, il y a une contrepartie québécoise à ça ici, hein, et qui nous permettrait — mais sous toutes réserves, là, il faudrait que je vérifie, je n'ai pas ma loi québécoise avec moi — donc d'avoir effectivement une espèce de pendant de partie XIII pour ce qui est de l'impôt québécois, pour nous permettre d'aller chercher des impôts québécois sur les sommes payées, donc, à l'étranger.

M. Marceau : O.K. Puis, spécifiquement sur les conventions fiscales, que le Québec s'en retire de manière unilatérale, pouvez-vous nous dire comment vous voyez les choses?

M. Lareau (André) : Bien, s'en retirer, moi, je ne voudrais pas qu'on perde de bénéfices dans la capacité d'obtenir notamment de l'information parce que les conventions fiscales permettent aussi d'avoir de l'information. Donc, je ne veux pas qu'on perde ces informations-là. Et donc les conventions fiscales, dans la mesure où on est d'accord, ça va, mais dans la mesure toutefois où il y a des situations comme, par exemple, le paiement de royautés entre le Canada et l'Irlande, quand on paie une royauté à un résident d'Irlande et que l'Irlande... bon, auparavant ne percevait pas les royautés. Donc Plamondon s'en va en Irlande, ne paie pas d'impôt à l'Irlande. Nous, au Canada, on ne perçoit rien ici, bien, je trouve, le Canada est perdant ici, notamment. Donc, d'avoir, effectivement, la possibilité de sortir de cette convention ou certaines dispositions de conventions, certainement, au bénéfice, donc, du Québec, oui.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Marceau : Il me reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Bernier) : 4 min 30 s.

M. Marceau : Ah! O.K. Sur le commerce électronique, avez-vous des préférences quant à la solution qu'on devrait mettre en oeuvre?

M. Lareau (André) : Je pense que la solution que préconise notre collègue est effectivement institutions financières. C'est une bonne solution. Et c'est pour ça qu'avec le FATCA aux États-Unis, là, le système qui fait en sorte que les États-Unis vont chercher de l'information partout dans le monde, ils sont passés par les institutions financières. Ils ont compris que c'est là que ça se passe. Bien, je pense qu'avec le commerce électronique ça peut se passer à l'égard des institutions financières. Et moi, j'adhère à cette thèse-là.

M. Marceau : O.K. Comment, dans ce cas-là, expliquer le fait que ça ne soit quand même pas très, très répandu présentement parce que, bon, vous savez qu'aux États-Unis ce n'est pas véritablement mis en oeuvre pour l'instant, là? Évidemment, les institutions financières résistent de toutes leurs forces, et, dans le cas canadien, ça va être encore plus fort parce qu'on a vraiment très peu de banques, et puis donc ils sont de puissants intervenants à Ottawa, là, sur la colline Parlementaire. Mais, quand même, ce n'est pas le cas partout.

M. Lareau (André) : Non, c'est vrai. Peut-être une question, puis, bon, volonté politique, bien sûr, de temps. C'est l'Internet, hein? C'est la capacité Internet de gérer tout ça qui va faire en sorte qu'on pourra avoir l'information. Je pense qu'on y arrive, là, et, bon, c'est la volonté politique. Plus de volonté politique et on est là. C'est juste ça.

M. Marceau : Et donc, au plan technologique, d'après vous, il n'y a pas d'enjeux?

M. Lareau (André) : Je ne suis pas assez connaissant. Excusez, non. J'ai mon téléphone, mon ordi, puis le reste, là, non. Ça se limite à ça.

M. Marceau : O.K. Bien, peut-être... oui, peut-être... Écoutez, vous avez d'autres recommandations, je vais vous laisser là-dessus. En fait, dernière chose que vous auriez... que vous ajouteriez.

M. Lareau (André) : Donner des outils aux tribunaux parce que, dans mes premières remarques, là, hier, je parlais des tribunaux, là, donner davantage d'outils aux tribunaux, et je réfère seulement à une décision qui a été rendue il y a quelques semaines à peine, dans décision Gerbro, Gerbro comme dans Gerald Bronfman. Et puis il y avait des montants qui ont été investis par la société Gerbro, qui venaient du décès de M. Bronfman, et finalement investis dans des fonds étrangers. Et ces fonds étrangers là, donc, on s'est demandé : Est-ce que c'est visé par 94.1 de la loi? 94.1 nous dit simplement : Si vous avez des argents dans des fonds étrangers, là, vous serez imposés immédiatement, vous, comme résident canadien, même si ce sont des actions de fonds étrangers que vous avez, que vous ne rapatriez même pas, un peu comme les règles de FAPI, dans la mesure où vous avez investi dans ces fonds-là pour diminuer votre impôt, diminuer votre masse fiscale canadienne. Il y avait un témoin important, qui était la présidente de Gerbro, là-dedans. La juge l'a entendue. Les cinq fonds dans lesquels Gerbro investissait étaient les cinq fonds dans les paradis fiscaux, et la juge a néanmoins conclu que... la preuve a démontré que les fonds choisis étaient choisis pour la capacité du gestionnaire de fonds à réaliser de bons rendements. Et donc la juge a dit : C'est la raison principale. La fiscalité est accessoire, et je crois le témoin, qui est la présidente de cette société-là. Et donc l'aspect fiscal n'est pas primordial. Cinq investissements dans cinq sociétés qui sont dans les paradis fiscaux seulement, et là c'est la conclusion. Donc, donner des outils aux tribunaux pour rendre des décisions autres que celle-là.

M. Marceau : Très bon.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Marceau : Très bon, merci. Merci, monsieur.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Beauce-Nord, la parole est à vous.

M. Spénard : Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, M. Lareau. Au début, je vous perdais un petit peu, là, dans les affaires d'avocats puis de règlements, mais là, finalement, vous m'avez rattrapé, et ça a été bien.

Maintenant, le Panama et l'article 6, ça on va passer. Vous avez parlé des grands cabinets. Moi, pour vous, juste pour mon idée personnelle, là, comment vous voyez le rôle des cabinets et le rôle des institutions financières? Est-ce que c'est intimement lié, ou bien ce sont les grands cabinets qui font en sorte qu'il y a tant d'évasion fiscale et d'évitement fiscal au Canada, ou si les banques sont plus responsables que les grands cabinets, d'après vous?

M. Lareau (André) : Oh! écoutez, les banques ou les grands cabinets... Les banques et grands cabinets, je vous dirais que c'est comme un peu manger des hot-dogs puis des hamburgers, hein, c'est comme du fast-food tous les deux. Et puis les deux vont travailler de pair au bénéfice d'une clientèle d'affaires. Et je ne dénigre pas la nécessité, bien sûr, d'avoir de l'entreprise, d'avoir de la création de richesse, d'avoir des institutions financières solides, d'avoir des grands cabinets qui font du bon travail. Et c'est parfait, ça, ici. Mais, quand on en arrive à des situations comme celle de l'île de Man, où un cabinet va charger 100 000 $ pour une planification fiscale qui vise simplement à dire : Tu mets ton argent à l'île de Man, tu renonces à cet argent-là et tu auras la capacité de demander des dons... Et c'est ce qui est fait ici.

Les frères Cooper, notamment — la Cour canadienne de l'impôt va entendre la situation bientôt — avaient la capacité de demander des dons à cette société à laquelle ils ont donné 20 millions de dollars. Le 20 millions de dollars placé tellement habilement, donc, croît à chaque année, il y a du rendement là-dessus, personne n'est imposé au Canada parce que l'argent a été donné par les Cooper. Et les Cooper disent à un moment donné : Hé! j'ai besoin d'argent. Les Cooper, donc, demandent des dons, et, au hasard, la société donne de l'argent aux Cooper, qui reçoivent un don. Pire que ça, les Cooper, entre les années visées, 2003 à 2010, ont eu, pour les fins fiscales canadiennes, là, entre un dollar et 15 000 $ de revenus. Qu'est-ce qui se passe... de revenus en matière fiscale. Et qu'est-ce qui se passe quand on a peu de revenus? On a des crédits de TPS, accordés aux plus pauvres de la société. Les Cooper, qui entrent 20 millions de dollars à l'île de Man, ont bénéficié de crédits TPS. Donc, ceci parce qu'un cabinet les a aidés à obtenir ceci.

Donc, moi, ce que je vous dis c'est qu'il y a des agissements qui sont très bien dans les cabinets, grands cabinets, petits cabinets, mais des agissements comme ceux-là, ça ne fonctionne pas. Et pourquoi ça ne fonctionne pas? C'est, entre autres, parce que des juges, notamment, vont dire : La moralité n'a rien à voir avec la fiscalité. Les tribunaux le disent, les tribunaux à la Cour fédérale d'appel le disent, le juge Rossiter, le juge en chef de la Cour canadienne d'impôt, a prononcé une conférence il n'y a pas longtemps pour dire : La question de la moralité fiscale est une affaire de profs d'université, et nous, les tribunaux, on n'a rien à faire avec la moralité fiscale. Quand un tribunal nous dit ça, qu'est-ce que les cabinets vont faire? Ils vont dire : Hé! la moralité n'existe pas. On va aller voir dans la loi. C'est-u permis? Ce n'est pas permis. On va y aller, go! Il n'y en a pas, de limite. Et c'est ça le problème. L'exemple n'est pas donné.

M. Spénard : Vous parlez de mieux équiper la justice un peu, mais avez-vous des choses concrètes pour mieux équiper la justice? Passer des lois plus sévères sur l'incarcération des individus qui se prêtent à l'évitement fiscal, ou, je ne le sais pas, moi, alourdir les peines, ou faire des règlements pour dire... faire d'autres lois qui vont toucher les évasions fiscales?

M. Lareau (André) : Donc, bien sûr, alourdir les peines, j'en ai parlé. L'article 245, règle générale antiévitement, à qui appartient le fardeau de preuve ultime? L'Agence du revenu, via Justice Canada, doit démontrer l'abus de droit. La preuve appartient à l'agence de démontrer qu'il y a un abus ici.

M. Spénard : ...

M. Lareau (André) : La preuve de l'abus, bien...

M. Spénard : ...si je ne m'abuse, on est le seul pays au monde où la...

M. Lareau (André) : La preuve de l'abus ne doit pas être faite ici?

M. Spénard : ...preuve incombe à l'accusé.

M. Lareau (André) : Bien, la preuve de l'abus en matière de règle générale...

M. Spénard : La preuve d'innocence incombe à l'accusé

M. Lareau (André) : La preuve, en matière fiscale, incombe toujours au contribuable, toujours, sauf dans la règle générale antiévitement, la preuve de l'abus incombe à l'autre côté. On transfère le fardeau de preuve en matière d'abus. Et parce que, donc, l'article de la règle générale antiévitement ne sera applicable que s'il y a un abus, et l'abus, la preuve, appartient à l'autre côté. C'est pour ça qu'il y a peu de gains de la part de l'Agence du revenu en matière de 245, parce que, justement, la preuve est tellement difficile à faire, parce que les tribunaux, finalement, sont généralement frileux, parce que la moralité fiscale n'est pas prise en compte en matière fiscale, donc c'est pour ça qu'on a un problème. Mais, vous avez raison, la cotisation est réputée valide, le contribuable a toujours le fardeau de démontrer. En matière d'abus, toutefois, c'est différent.

Le Président (M. Bernier) : O.K., en matière d'abus au niveau des tribunaux, c'est ce que...

M. Lareau (André) : Pardon?

Le Président (M. Bernier) : Au niveau des tribunaux.

M. Lareau (André) : Oui. Oui.

Le Président (M. Bernier) : O.K.

• (11 h 30) •

M. Spénard : C'est vrai, nous avons un président qui a déjà travaillé à Revenu Québec, c'est ça.

Est-ce que le Canada pourrait modifier ses ententes avec d'autres pays pour hausser ses revenus fiscaux? Si les autres pays ne le font pas, vous ne craignez pas la concurrence? Vous ne craignez pas que la concurrence serait très, très forte?

M. Lareau (André) : La fiscalité internationale, ça se tient. C'est pour ça que le BEPS est là, avec l'OCDE, pour tenter, donc, bon, de gérer ça. Le Québec, bien sûr, peut faire cavalier seul, mais il y a des difficultés à ça. Si le Québec décide, demain matin, de modifier, par exemple, la notion de surplus exonéré, qui permet de recevoir les dividendes en franchises d'impôt, le Québec seul, alors que l'Ontario ne modifie pas, bien, il y a un problème.

Mais, à un moment donné, là, il va falloir que quelqu'un décide de mettre ses culottes là-dedans. À un moment donné, il y a quelqu'un qui va devoir agir comme chef de file. Il va y avoir un prix à payer puis il va y avoir des exemples à donner aussi. Et on est rendus à une croisée, là, des... Cette notion de surplus exonéré cause problème. Il faut dire que plusieurs États ont ce qu'ils appellent les «participation exemptions» en matière de dividendes, donc les dividendes sont souvent reçus en franchises d'impôt quand ça provient d'une société étrangère, souvent et très souvent. Les États-Unis, c'est l'inverse. Les États-Unis, eux, quand il y a un dividende qui est reçu par une société américaine, ça fait partie de son revenu. Ça crée un autre problème, ça a créé les inversions fiscales. Ça a créé, justement, le... Burger King avec Tim Hortons, là, bon, ça a créé ça ici, et les pharmaceutiques qui quittent les États-Unis. Bon, ils ont comme réglé le problème un peu, là, tout récemment aux États-Unis, mais tout ça pour vous dire qu'il y a des problèmes, effectivement, avec les deux systèmes, mais le Québec, néanmoins, doit réfléchir : Qu'est-ce qui est bon pour lui? Puis à quelque part, bien sûr, il y aura une concurrence avec les autres États, les autres provinces. Il y a un choix à faire à quelque part, il y aura un choix à faire.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Mercier.

M. Khadir : Merci, M. le Président. Ça nous amène, en fait, à notre propos. Mon collègue de Rousseau, à deux reprises, a mentionné qu'est-ce que le Québec peut faire, puis on en est là un peu. On connaît un certain nombre de contraintes. Mais c'est sûr qu'on peut, à la fin, même si nous-mêmes, nous ne pouvons pas agir, envoyer des messages, faire des recommandations, à l'issue de nos travaux, au gouvernement du Québec pour que le gouvernement du Québec demande au gouvernement fédéral de modifier un certain nombre de dispositions en matière de la Loi sur l'impôt, mais aussi en matière pénale et criminelle, parce que la Dre Rizqy en a fait mention, la Pre Rizqy. Vous, vous avez fait mention...

Bon, il y a des considérations de moralité, c'est-à-dire la morale fiscale, qui, à mon avis, est à la base de tout équilibre social depuis le début de l'humanité, en fait. Quand il y a une fiscalité qui s'introduit, qu'on paie pour l'effort collectif, on réduit la violence, on réduit les problèmes. Et, quand cette notion — c'est important — s'effrite, il y a toutes sortes d'anomalies qui surviennent, il y a toutes sortes de problèmes. Mais la Pre Rizqy a mentionné que, pour les grands excès de vitesse, habituellement, on emprisonne, on confisque, etc. Vous, vous dites qu'il faut vraiment une privation de liberté parce que vous avez donné l'exemple de KPMG, qui, malgré 450 millions de pénalités en 2005, ils ont continué à opérer de toutes sortes de manières qui sont fiscalement inacceptables, d'accord?

Alors, est-ce que ça veut dire que vous seriez d'accord avec le fait que le gouvernement... parce que ça, on a ce moyen-là, là. Mon collègue se demandait quels moyens on a. C'est le gouvernement qui donne des contrats, qui donne des subventions, qui donne des mandats. Aujourd'hui, le gouvernement du Québec donne des mandats à KPMG. Aujourd'hui, le gouvernement du Québec a conclu une entente avec Uber, qui est un fugitif fiscal, grand fraudeur. D'ailleurs, en France, on a emprisonné... il y a des mandats d'emprisonnement contre deux de ses dirigeants pour de la criminalité économique.

Est-ce que vous seriez d'accord, donc, que nous, on fasse des recommandations en ce sens, un, que le gouvernement fédéral change les dispositions de la loi criminelle pour faciliter des peines d'emprisonnement pour ce genre de fraude là et, deux, que le gouvernement du Québec montre l'exemple moral que, quand une entreprise est fugitive, est un évadé fiscal — moi, j'utilise ces deux termes-là — qu'aucun contrat, aucune entente ne soit conclus avec cette entreprise, qu'elle soit exclue du domaine des contrats de l'État où on donne des milliards de dollars de contrats?

Le Président (M. Bernier) : M. Lareau.

M. Lareau (André) : Bien, un genre d'AMF, effectivement. Et ce serait une excellente idée. Moi, j'adhère totalement à cette thèse-là.

Pour ce qui est des peines, donc, ce n'est pas la loi criminelle, ce n'est pas le Code criminel qu'il faut changer, quant à moi. Il faut que ce soit inscrit dans la Loi de l'impôt. Les fiscalistes ne travaillent pas avec le Code criminel, ils travaillent avec la Loi de l'impôt. Et donc c'est dans la Loi de l'impôt que ça doit se trouver parce qu'ils doivent, à un moment donné, tomber là-dessus, dire : Woupelaïe! Tu sais, le Code criminel, ils n'iront même pas le voir.

Mais cependant on a quand même déjà des outils. L'article 239, «Toute personne qui, selon le cas...», bon, a éludé, fait des inscriptions fausses, etc. Donc, l'article 239, déjà, permet... et 163.2, mais 239 particulièrement, donc, une amende et emprisonnement d'au plus deux ans. C'est prévu déjà.

Qu'est-ce qu'il faut? Ça prend des gens qui à, l'Agence du revenu, décident de porter des plaintes, monter le dossier. C'est ça que ça prend. Mais aussi la loi, bien sûr qu'on peut la rendre plus contraignante, plus difficile, mais monter le dossier.

Le Président (M. Bernier) : Merci, M. Lareau, de votre participation à cette commission parlementaire fort importante. Nous sommes très heureux que vous puissiez vous rendre disponible. Et merci également pour l'ensemble de votre présentation.

Je vais suspendre quelques instants afin de permettre au groupe ATTAC-Québec de prendre place. Je suspends.

(Suspension de la séance à 11 h 36)

(Reprise à 11 h 39)

Le Président (M. Bernier) : À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous allons reprendre nos travaux.

Donc, nous avons le plaisir de recevoir un représentant d'ATTAC-Québec en la personne de M. Roger Lanoue, membre du conseil d'administration. Est-ce que vous désirez être assermenté, M. Lanoue?

ATTAC-Québec

M. Lanoue (Roger) : ...

Le Président (M. Bernier) : O.K. Donc, j'invite donc M. le secrétaire à procéder à l'assermentation du témoin conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale. Je vous demande de vous lever et de lire à voix haute la déclaration qui vous sera fournie.

Assermentation de M. Roger Lanoue

M. Lanoue (Roger) : O.K. Je, Roger Lanoue, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président (M. Bernier) : Merci beaucoup. Merci, M. Lanoue, de votre participation à cette commission parlementaire. La parole est à vous pour une période d'environ 15 minutes.

M. Lanoue (Roger) : Bien, merci beaucoup. Je me présente d'abord brièvement. Roger Lanoue. Je suis économiste de formation. Je pense que j'avais fait circuler, là, au secrétaire de la commission que, comme antécédent, j'ai été vice-président Recherche et planification stratégique chez Hydro-Québec pendant quelque huit, 10 ans, jusqu'en 2004. J'ai par la suite... enfin, un autre fait d'armes a été que j'ai été coprésident de la commission Enjeux énergétiques du Québec en 2013‑2014. Ceci ne fait pas de moi un expert en paradis fiscaux, loin de là, mais je me suis par ailleurs bien préoccupé de questions de justice fiscale, justice sociale de façon à ce que, oui, j'ai collaboré à la rédaction du mémoire qu'on vous présente, là, à ATTAC-Québec. Je devais être accompagné de Mme Wedad Antonius, qui, malheureusement, n'a pas pu se joindre à nous à cause de problèmes de transport en commun à Montréal.

• (11 h 40) •

Alors, ATTAC, en soi, ça a été fondé en 1998 en France. Ça veut dire association pour une taxe sur les transactions financières et pour l'action citoyenne. C'est présent dans une vingtaine de pays, sur quatre continents. Au Québec, ATTAC-Québec est actif depuis l'an 2000, s'intéresse aux questions de fiscalité, défendant en particulier l'utilité et la nécessité d'une taxe sur les transactions financières et réclame l'élimination des paradis fiscaux. Particulièrement préoccupés d'enjeux de démocratie, de justice sociale, de justice climatique et la sauvegarde des services publics, c'est sous cet angle que nous abordons la question des paradis fiscaux.

L'évitement fiscal, vous le savez, vous en avez discuté longuement dans les jours que vous avez eus comme commission, là, repose sur une planification fiscale agressive et désigne des procédés qui, sans être illégaux, ne respectent pas l'esprit de la loi. L'évasion fiscale, par ailleurs, elle, de son côté, concerne la non-déclaration de revenus légaux ou dissimulation.

On ne reprendra pas ici l'argumentaire auquel ATTAC-Québec souscrit comme membre de la coalition Échec aux paradis fiscaux puisque vous allez les entendre cet après-midi. On va vous faire part brièvement de l'analyse que le mouvement ATTAC, à l'échelle internationale, fait des paradis fiscaux et des principales recommandations d'actions qui sont à la portée du gouvernement du Québec.

Alors, un des points, et vous venez d'en discuter, là, en partie, là, sans les banques, il n'y a pas de paradis fiscaux. Comme vous le savez, l'expression «paradis fiscaux» recouvre une nébuleuse d'institutions, de personnes, des conseillers fiscaux, des comptables, des banquiers, etc., et des mécanismes qui permettent à des entreprises, légales ou non, et à des individus généralement fortunés d'éviter de payer, légalement ou non encore, des impôts qui auraient dû être versés à des gouvernements.

Les banques ne sont pas nécessairement responsables de l'organisation de cette nébuleuse, mais il est clair que, sans leur collaboration et leur complicité ainsi que les mécanismes et outils qu'elles mettent à disposition, le phénomène des paradis fiscaux serait atrophié et non en expansion comme c'est le cas aujourd'hui. Leur collaboration encourage, en pratique, l'utilisation des mécanismes facilitant l'escroquerie. Or, les banques n'existent que grâce à l'encadrement législatif de chaque pays et à la protection que fournissent les divers gouvernements à ces appareils de gestion de monnaie. Donc, seuls les gouvernements peuvent obtenir des banques les collaborations ou, à défaut, imposer des mécanismes qui pourraient rendre non opérationnels les paradis fiscaux et ainsi éliminer les possibilités d'évasion et d'évitement fiscal qui sont facilitées par ceux-ci.

Voici une description du mode de fonctionnement moderne général faite à grands traits selon les expériences et l'analyse qu'en font les diverses ATTAC du monde. L'organisation de base des économies modernes est la corporation, la société par actions. Dans ce contexte de l'État de droit en Occident, les corporations sont des personnes à part entière ayant tous les droits, sauf le droit de vote, tout en ayant des responsabilités limitées à la valeur des investissements des actionnaires. Les corporations peuvent faire fi de diverses contraintes de temps et d'espace auxquelles les personnes physiques sont astreintes. Elles peuvent être éternelles et elles peuvent avoir le don d'ubiquité, c'est-à-dire exister simultanément dans de multiples pays, contrairement aux personnes physiques.

De plus, elles sont encouragées à maximiser la valeur de l'avoir des actionnaires, au détriment de leurs autres raisons d'être : la qualité du produit, service au client, le respect de l'environnement, le bien-être des travailleurs, etc. Les corporations sont donc encouragées à être prédatrices de leur environnement au bénéfice des actionnaires et elles sont les seules à pouvoir se payer, pour continuer à accroître ce pouvoir, la grande majorité des ressources en droit de la planète, les «think tanks» de la planète, et ce qu'on appelle maintenant des lobbys auprès des gouvernements et instances internationales.

Dans ce contexte, où les gouvernements incarnent le seul rempart organisé susceptible de légitimer les droits des citoyens ordinaires, de l'environnement et des travailleurs, le monde corporatif, dont les banques, a proposé et promu des instruments modernes de l'économie qui visent, entre autres, à affaiblir les gouvernements. La dynamique entre les détenteurs du pouvoir financier et les gouvernements a évolué durant les dernières décennies. Les paradis fiscaux sont un des trois principaux éléments structurants, à côté des dépenses aux bénéfices des corporations et des traités dits de libre-échange, qui définissent la dynamique entre les corporations et les gouvernements.

Les gouvernements ont particulièrement été sensibles aux argumentaires fournis par les corporations et leurs lobbys, ce qui a mené à leur propre affaiblissement. Les trois mécanismes principaux permettant d'y arriver sont les suivants. Un, affaiblir les gouvernements en augmentant leurs dépenses au bénéfice des corporations. Le cas le plus patent est l'augmentation inutile des frais financiers depuis le début des années 70 dans chaque pays d'Occident. Les gouvernements ont décidé de ne plus emprunter à leur propre banque centrale sans payer d'intérêt aux banques privées, ce qui explique une bonne partie de la dette accumulée par les gouvernements.

Deux, affaiblir les gouvernements en diminuant les revenus, c'est-à-dire les impôts perçus par le gouvernement, provenant des personnes qui contrôlent beaucoup d'argent. Grâce à la pression exercée par l'existence et la légitimité accordée aux paradis fiscaux, les gouvernements non seulement ne perçoivent pas les revenus qui s'y cachent, mais aussi tendent à être de moins en moins exigeants vis-à-vis des corporations et individus riches, fiducie, taxe sur le capital, report d'impôt, etc. Ce choix oblige les gouvernements à ne percevoir leurs revenus que chez les facteurs fixes de revenu, c'est-à-dire ceux qui ne déménagent pas, tels que la consommation locale, la classe moyenne, les PME locales, etc.

Et trois, troisième pan de mur de l'approche, c'est affaiblir les gouvernements en contraignant leurs capacités de légiférer et réglementer. Plus les économies dépendent de corporations étrangères en termes d'investissement, emploi, exportation, moins il est facile de protéger adéquatement les citoyens, travailleurs et l'environnement du pays. Et donc, avec les traités qu'on appelle de libre-échange, les gouvernements favorisent l'avènement d'économies de succursale non seulement au Québec, mais ailleurs dans le monde, en concentrant le pouvoir vers un nombre de plus en plus limité d'entreprises.

Les corporations étrangères ont toujours plus de marge de manoeuvre que les corporations locales. Par les traités de protection des investissements d'étranger, elles peuvent même poursuivre tout gouvernement adoptant une loi ou un règlement susceptible de priver la corporation étrangère d'éventuels profits. Un exemple bien connu ici, c'est celui de Lone Pine Ressources, une société canadienne incorporée dans la législation de complaisance du Delaware, qui poursuit actuellement notre gouvernement fédéral pour 250 millions US pour des pertes de profits escomptées entre 2012 et 2014, suite à l'annulation de son permis en raison de l'interdiction ou moratoire sur les forages pétroliers et gaziers durant deux ans dans l'estuaire du Saint-Laurent, qui avait été décrétée par le gouvernement du Québec.

Alors, le message des diverses attaques, en regardant tout ça, envers les pays, à leurs gouvernements respectifs, c'est : Ne vous laissez pas faire, chers gouvernements, résistez.

Alors, dans ce cadre-là, on a pensé quelques recommandations à faire parce que les moyens sont d'autant plus légitimes au Québec, qu'on ait des moyens vis-à-vis les paradis fiscaux, que le Québec offre aux corporations qui y opèrent des infrastructures, une main-d'oeuvre et des services qu'on peut qualifier de classe mondiale. D'autres intervenants vont mettre d'autres recommandations de l'avant, puis vous en avez reçu. Nous ne soulignons que les recommandations qui nous apparaissent les plus importantes.

D'abord, une première, le gouvernement devrait faire une estimation annuelle des revenus perdus en raison de l'existence des paradis fiscaux. Il peut le faire de deux manières : directement comme revenus non perçus, comme en a fait un exercice le ministère des Finances pour le bénéfice de cette commission, et indirectement comme revenus non perçus par la baisse des taux d'imposition applicables aux plus riches et aux corporations par crainte de voir les fortunes s'éclipser vers des environnements fiscaux plus cléments.

Une deuxième recommandation, c'est que le gouvernement du Québec n'a pas autorité sur les banques à charte fédérale, mais il peut exiger qu'elles rendent des comptes sur leurs activités au Québec et surtout il peut encadrer l'institution financière très importante au Québec qu'est le Mouvement Desjardins. Pourquoi ne pas trouver les moyens réglementaires obligeant la fermeture de toute filiale du Mouvement Desjardins dans les paradis fiscaux, notamment à la cité de Londres?

Troisième ensemble de recommandations, le gouvernement pourrait aussi exiger de la Caisse de dépôt et de placement du Québec qu'elle fasse pression auprès des entités où elle a des investissements pour qu'elles ferment toute filiale dans les paradis fiscaux. On a mis une annexe qui présente les renseignements tirés des documents publics de la Caisse de dépôt qui démontrent que la Caisse de dépôt, par ses placements, rend légitime l'existence des paradis fiscaux, sans doute pour d'excellentes raisons financières, mais encourageant du même coup ces mécanismes facilitant l'escroquerie.

• (11 h 50) •

Quatrième bloc, le gouvernement peut aussi exiger des entreprises fournisseuses de services, bénéficiaires de subventions ou associées à lui en tant que partenaires dans des PPP, par exemple, qu'elles démontrent qu'elles n'ont pas recours aux stratagèmes fiscaux impliquant des législations de complaisance notoires, à défaut de quoi elles seraient disqualifiées. Par exemple, il est inadmissible que les quatre principaux partenaires de Revenu Québec pour la transmission des déclarations de revenus aient leurs sièges sociaux ou des filiales dans des paradis fiscaux.

Pour le gouvernement du Québec, ensuite, le recours à la planification fiscale agressive devrait être un critère disqualifiant en matière de financement public, d'accès au crédit et aux subventions. Par exemple, Investissement Québec et sa filiale Ressources Québec ont octroyé du financement public à des entreprises du secteur minier faisant affaire avec des paradis fiscaux pour diminuer leurs contributions déjà largement inférieures à la moyenne canadienne.

Sixième recommandation, considérant que l'investissement dans l'embauche de vérificateurs pouvant enquêter au sujet de planification fiscale abusive permet de récupérer près de 30 fois la somme investie — on trouve ça dans les documents de Revenu Québec — ATTAC-Québec encourage le gouvernement du Québec à investir dans cette mesure recommandée, d'ailleurs, par la commission Godbout.

Septième, le gouvernement du Québec devrait faire pression sur le gouvernement du Canada pour qu'il soutienne fermement la lutte contre les paradis fiscaux dans sa politique étrangère. En particulier, le Canada devrait coordonner ses efforts avec ceux de l'OCDE sur le sujet, poser des gestes cohérents en cessant notamment le maintien de conventions fiscales aberrantes permettant justement l'utilisation des paradis fiscaux, exiger des banques canadiennes qu'elles ferment leurs filiales multiples dans les paradis fiscaux, criminaliser les organismes et les banques qui encouragent ou facilitent l'évitement ou l'évasion fiscaux.

Et finalement la loi sur la fiscalité d'un Québec assumant tous ses pouvoirs pourrait très bien prévoir d'imposer des revenus gagnés sur son territoire par les entreprises multinationales. À court terme, le Québec devrait signer des conventions fiscales avec les pays qui, entre autres, prévoient l'échange automatique d'informations financières et ne rendent pas légal l'évitement fiscal, vous venez d'ailleurs d'en discuter avec l'intervenant précédent. Voilà. Je vous remercie.

Le Président (M. Bernier) : Merci de votre présentation. Nous allons donc passer aux échanges avec les parlementaires. M. le député de Pontiac.

M. Fortin (Pontiac) : Merci, M. le Président. Merci. Merci de vous être déplacé. Merci de votre présentation. J'ai des questions. Je ne veux pas m'attarder nécessairement, là, à la partie initiale, qui est plus des constats que vous faites, mais plus à la partie recommandations. Mais, avant d'y arriver, j'ai une question pour vous. Donc, je comprends qu'ATTAC est un modèle, là, qui est un petit peu partout à travers le monde. Vous avez des organisations similaires un peu partout dans d'autres provinces au Canada?

M. Lanoue (Roger) : En Amérique du Nord, le seul ATTAC qui existe, c'est ATTAC-Québec, mais il y en a en Argentine, au Japon, en Espagne, au Maroc, divers pays francophones d'Afrique surtout, il y en a en Allemagne, en Angleterre. C'est surtout européen parce que ça a originé, comme je vous ai dit, là au début, en 1998.

M. Fortin (Pontiac) : Pourquoi ATTAC-Québec plutôt qu'ATTAC-Canada? Juste une question comme ça, mais c'est un dossier où il y a beaucoup des enjeux qui sont liés à ce que le gouvernement fédéral peut faire. Alors, pourquoi avoir une filiale simplement québécoise plutôt que de s'occuper de l'ensemble de l'organisme, ce qui ne vous empêche pas de vous occuper des questions du Québec en même temps?

M. Lanoue (Roger) : En fait, ATTAC...

Une voix : ...

M. Lanoue (Roger) : Pardon. ATTAC s'intéresse à toutes sortes d'enjeux en termes de finances internationales. Comme je vous dis, ça a commencé avec de la taxation sur les transactions financières, et je suppose, là, moi, je n'étais pas là lors de la fondation, en l'an 2000, d'ATTAC-Québec, je suppose que c'était parce que c'est surtout des participants canadiens francophones qui s'y sont intéressés puis ils se sont donnés comme nom ATTAC-Québec, là, mais ce n'est pas nécessairement relié au niveau d'intervention. Mais d'ailleurs ATTAC-Québec a déjà déposé des mémoires à des commissions parlementaires à Ottawa sur la question des paradis fiscaux.

M. Fortin (Pontiac) : Très bien. Ça répond à ma question. Alors, de ce que vous voyez au Canada, au Québec, là, parce que vous avez des organisations soeurs, disons, un peu partout à travers le monde, on se situe où dans notre approche, ici, comparativement à certaines de vos... parce que j'imagine que vous parlez à vos collègues de vos organisations soeurs. Qu'est-ce qu'eux voient d'ici? Qu'est-ce que vous voyez d'ailleurs? Qu'est-ce qu'on fait de mieux qu'ailleurs ou moins bien qu'ailleurs?

M. Lanoue (Roger) : Bien, on a justement eu l'occasion d'échanger pas mal sur ces questions-là durant le forum social mondial où certains d'entre vous avez participé, j'en ai vu quelques-uns.

Concrètement, donc, oui, il y a des choses qui évoluent un peu plus vite du point de vue européen, les choses sont plus articulées en France et en Allemagne. Il y a eu des réclamations de mesures qui ont été faites et qui, effectivement, sont en train d'être implantées au moins partiellement par l'OCDE, dont fait partie le Canada formellement. Puis ce qu'on décode, c'est que le gouvernement canadien, sous M. Trudeau, résiste moins que ce que le gouvernement Harper faisait il y a quelques mois à peine.

Mais, ceci dit, concrètement, bien, le constat est le même partout, à savoir, bien, c'est un système très puissant, le système des paradis fiscaux. Les législations de complaisance vis-à-vis de divers secteurs économiques existent, puis un des plus importants, c'est celui vis-à-vis de... permettant à des corporations et à des personnes riches d'éviter la fiscalité avec l'appui formel, certainement, de plusieurs institutions bancaires qui, de temps en temps, se font prendre, mais bon. Et c'est sûr que, du point de vue des ATTAC des pays du tiers-monde, comme en Afrique ou en Amérique du Sud, bien, eux le vivent différemment parce que, dans leur cas, c'est non seulement la question fiscale, mais c'est aussi les fortunes qui sont cachées par leurs commettants plus riches ou encore commettants politiques vers des paradis fiscaux qui sont en dehors de chez eux, ce qui limite leurs ressources disponibles. Alors donc, ils le voient, eux, avec un angle différent et sans doute plus dramatique. Voilà, c'est ce qui me viendrait comme réponse à votre question.

M. Fortin (Pontiac) : Très bien. Alors, peut-être qu'on peut parler de certaines de vos recommandations parce que je les lis, je les comprends, j'aimerais avoir peut-être un peu plus de viande autour de l'os, là, et peut-être commencer par celle dont on vient de toucher, la recommandation 7 que vous faites, qui est essentiellement... bien, disons, 7.a, là, que «le gouvernement du Québec devrait faire pression sur le gouvernement du Canada pour [soutenir] fermement la lutte contre les paradis fiscaux dans sa politique étrangère. [Et] en particulier le Canada devrait :

«a. coordonner ses efforts — ou mieux coordonner ses efforts — avec ceux de l'OCDE[...], plutôt que de faire cavalier seul...»

Expliquez-moi exactement qu'est-ce que vous voulez dire. Comment le Canada a fait cavalier seul et comment est-ce qu'il aurait pu mieux travailler avec l'OCDE?

M. Lanoue (Roger) : En fait, formellement, moi, ce que je comprends de ce qui est arrivé durant les dernières années dans les discussions à l'OCDE, le gouvernement Harper faisait un peu cavalier seul et résistait plus que la moyenne des autres. C'est un peu comme ça que... Et ça a pris du temps avant de pouvoir percevoir s'il y avait quelque changement d'attitude, que ce soit de... avec le gouvernement libéral élu en novembre dernier.

M. Fortin (Pontiac) : Mais est-ce que ça a mené à la non-participation du Canada dans certains éléments que l'OCDE voulait mettre de l'avant? Ou est-ce que ça a empêché l'OCDE de procéder sur certains éléments parce que le Canada ne voulait pas embarquer? Exactement, qu'est-ce que vous voulez dire par une résistance?

M. Lanoue (Roger) : Ce que je comprends, c'est que les représentants du Canada, dans les dernières années aux diverses tables de travail sur l'OCDE qui se préoccupaient du phénomène, c'était beaucoup plus de démontrer les difficultés, de démontrer comment les mesures n'étaient pas appropriées, et de sorte que ça a ralenti plutôt qu'accélérer l'adoption des mesures, qui finalement ont été adoptées quand même, là. C'est récent, mais ça vient d'être fait.

Ceci dit, ce que j'en comprends, d'après diverses informations qui sont certainement partielles, c'est que, bien, peut-être que ces choses-là auraient pu être adoptées plusieurs mois ou années plus vite si le Canada avait eu une attitude plus collaboratrice et plus positive que ce que ça a été.

M. Fortin (Pontiac) : O.K. Très bien. Merci. Je continue sur la recommandation 7, 7.d ou 7d : «Criminaliser les organismes et les banques qui encouragent [...] facilitent l'évitement et l'évasion [fiscale].»

Criminaliser, d'accord. Comment exactement vous... Qu'est-ce que vous voyez dans la loi? Qu'est-ce que vous aimeriez? Quels types d'évitement, d'évasion? Est-ce qu'il y a des mesures spécifiques qu'il faut criminaliser ou est-ce que c'est l'ensemble de la chose, n'importe qui qui touche à l'évitement ou l'évasion fiscale? J'aimerais mieux comprendre votre proposition.

• (12 heures) •

M. Lanoue (Roger) : Après avoir entendu l'intervenant précédent, je dois concéder que mes connaissances dans ce domaine-là sont beaucoup moindres que les siennes, de sorte que je n'oserais même pas vous dire une demi-phrase pour... Tout ce que je peux dire, c'est que, directionnellement, en termes d'orientation, ça nous semble clairement les choses à faire et que ce n'est que dans la mesure où des impacts concrets pour les personnes qui prennent les décisions ou... c'est dans la mesure où les gens vont être personnellement responsables et non pas responsables seulement d'argent dans lequel ils nagent de toute façon que les choses peuvent changer et que les choses peuvent être prises sérieusement par les institutions que ces personnes-là gèrent.

M. Fortin (Pontiac) : O.K. Je comprends.

Le Président (M. Bernier) : Je m'excuse. M. Lareau, ce qu'il nous mentionnait, c'est que ce n'était pas dans le Code criminel qu'on retrouvait ça, mais davantage au niveau de la fiscalité qu'on doit replacer les éléments en ce qui les concerne.

M. Lanoue (Roger) : Je l'ai entendu comme vous, vu que j'étais assis en arrière, mais je ne peux pas...

M. Fortin (Pontiac) : Très bien. Je veux procéder à certaines des autres recommandations que vous mettez de l'avant. Si je regarde le point 4, et on parlait de M. Lareau, vous avez entendu, il a commencé sa présentation en disant qu'on ne peut pas contrôler ce qu'on ne voit pas, qui est un des grands problèmes dans tout ce qui a lien à l'évitement, ou l'évasion fiscale, ou à l'utilisation des paradis fiscaux. Alors, votre point 4 quand vous dites : «Le gouvernement du Québec peut — par "peut", j'entends "doit" — aussi exiger des entreprises fournisseuses de services, des bénéficiaires de subventions, [...]associées[...], qu'elles démontrent qu'elles n'ont pas recours aux stratagèmes fiscaux...» Donc, n'est-ce pas là tout le problème des paradis fiscaux, tout le problème de l'évitement fiscal? Alors, comment est-ce que vous demandez de prouver ce qu'on ne voit pas, ce qui n'est pas là?

M. Lanoue (Roger) : Ce qui n'est pas vérifiable, c'est l'argent, et les motivations, et ce qui n'est pas écrit, puis combien il y a d'argent exactement, etc. Ce qui est vérifiable dans le cas de toutes les corporations, c'est voir si leurs structures corporatives ont-elles ou non des filiales dans les paradis fiscaux. Et, à la limite, bien sûr, certaines entreprises peuvent avoir des filiales dans des paradis fiscaux pour des raisons belles, nobles et grandes, mais les questions peuvent être posées, de faire les... Quand on dit : Faire la démonstration que, bien, c'est au moins commencer par poser les questions. Pourquoi vous avez des filiales, à quoi ça vous sert, etc.? Puis là, bien sûr, certaines vont avoir une imagination qui va déborder celle de ceux qui posent des questions, mais au moins ça commence à mettre la pression à la bonne place, à savoir, si vous avez des filiales dans un certain nombre de pays, bien, pourquoi vous avez ça? Quelles sont les opérations économiques et autres que strictement financières, autres que cacher de l'argent, autres que d'éviter tel, tel mécanisme de paiement ou de responsabilité fiscale? Qu'est-ce que c'est que vous avez à faire là? Et je suppose que, dans plusieurs cas, bien, il n'y aura pas de réponse évidente ou facile. C'est sûr que, si, dans un local au Delaware ou aux Barbades, il y a un local grand comme ici dans lequel il y a 200 000 sièges sociaux de compagnies, ce n'est probablement pas pour des grandes opérations manufacturières.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Pontiac.

M. Fortin (Pontiac) : Merci. Je continue sur vos recommandations parce que, là, on parle de ce que les entreprises font à l'étranger, dans le fond, dans les paradis fiscaux reconnus à l'étranger, mais vous avez aussi une recommandation qui porte sur... et vous le dites d'ouverture. Sachant très bien que le gouvernement du Québec n'a pas l'autorité sur les banques à charte, qui sont fédérales... mais ils peuvent exiger de rendre des comptes sur leurs activités au Québec. Donc là, on ne parle plus des activités dans le reste du Canada ou dans les paradis fiscaux ailleurs. Vous parlez de leurs activités au Québec. Alors, qu'est-ce que vous voulez que ces banques-là rendent public ou qu'est-ce qu'elles doivent divulguer au gouvernement par rapport à leurs activités ici?

M. Lanoue (Roger) : Le détail...

M. Fortin (Pontiac) : Peut-être que je peux rajouter à ma question, là : Et comment ça peut influencer les rapports que le gouvernement du Québec doit avoir avec ces institutions-là?

M. Lanoue (Roger) : Excusez-moi, j'ai plusieurs idées en même temps dans ma tête, là. Donc, je vais commencer par les plus importantes. Les activités que les banques ont au Québec concernent évidemment celles de leurs clients aussi. Ça fait que, dans la mesure où... Ce que je ne connais pas dans la réponse, ce qui m'embête, c'est que je ne connais pas exactement le type de rendre compte qui peut exister et à partir de quelles bases de données... quelles sont les bases de données déjà disponibles, le type de rapports qu'il peut y avoir entre les banques actuelles et Revenu Québec, par exemple, ou autres, quelles sont les informations qui sont accessibles. Ce qui est clair, c'est qu'il y a une capacité d'exiger de l'information. Alors, quelles sont les informations additionnelles qui seraient utiles, requises, demandables, même si ce n'est pas un mot français, là, je ne peux pas le préciser, mais c'est l'orientation que prennent d'autres gouvernements, là. On a parlé tout à l'heure de ce que les Américains demandent, ils ont, bien sûr, des moyens de pression pas mal plus forts qu'une province canadienne, mais ce que font aussi certains pays plus petits en Europe et en Scandinavie en particulier. Donc, il y a des choses qui peuvent être demandées aux banques, étant donné la relation nécessaire entre la banque et ses clients, d'une part, et entre la banque et ce qu'il peut y avoir comme information à transmettre, par exemple, à Revenu Québec.

M. Fortin (Pontiac) : Il me reste du temps, M. le Président?

Le Président (M. Bernier) : Oui, il vous reste environ deux minutes.

M. Fortin (Pontiac) : O.K. Très bien. Encore dans cette même recommandation là, puis là je veux peut-être juste clarifier, vous demander : Pourquoi ne pas trouver les moyens réglementaires pour obliger la fermeture de toute filiale, disons, des banques, là, qui sont au Québec, vous en nommez une en particulier, le Mouvement Desjardins, si vous voulez, dans les paradis fiscaux, incluant la ville de Londres? Est-ce que c'est... Vous conviendrez avec moi que c'est très possible que les activités qu'une banque peut avoir dans la ville de Londres, qui ne sont pas nécessairement en lien avec de l'évitement ou l'évasion fiscale... C'est quand même un milieu financier et d'affaires important. Alors, comment est-ce qu'on s'assure que nos institutions peuvent demeurer compétitives? Est-ce que ce que vous proposez, c'est plus un moyen de pénaliser la juridiction qui a des lois fiscales trop «lax» ou est-ce que c'est plus la banque ou l'institution financière que vous visez?

Le Président (M. Bernier) : M. Lanoue.

M. Lanoue (Roger) : Enfin, moi, la raison pour laquelle on cite Desjardins, c'est que la seule institution qui est créée par le gouvernement du Québec, institution financière.

Le Président (M. Bernier) : Contrôlée par le gouvernement du Québec.

M. Lanoue (Roger) : Oui. Bien oui. Bien...

Le Président (M. Bernier) : Les lois, là, du Québec.

M. Lanoue (Roger) : Parce qu'on a parlé, là. Et, dans ce cadre-là, bien, donc on peut avoir des exigences de comportement. Et, bien sûr, je présume que les banques doivent avoir... ou le Mouvement Desjardins aussi, comme mouvement coopératif, doit avoir des instruments pour faciliter ce que les clients peuvent faire. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas poser de questions. Ce n'est pas une raison pour ne pas obtenir de renseignements sur ce qu'il se passe.

Une des choses qui nous inspire dans cette recommandation-là, c'est ATTAC France qui exige des banques françaises de fermer toutes les filiales dans les paradis fiscaux — «fermer» voulant dire évidemment que le gouvernement français le demande, le fasse — à moins d'avoir des justifications opérationnelles autres que celles de cacher de l'argent ou de cacher d'éventuels revenus fiscaux au gouvernement français dans ce cas-là.

Le Président (M. Bernier) : Merci. On va passer du côté de l'opposition officielle, M. le député de Rousseau.

M. Marceau : Oui, merci. Merci, M. le Président. Bonjour, M. Lanoue. Merci d'être là. Merci d'aussi représenter ATTAC-Québec, qui fait un travail de sensibilisation de la population à cette question-là qui est indispensable. Et je pense qu'on peut dire qu'il y a eu des changements dans l'opinion publique depuis quelques années et puis que vous faites partie, comme d'autres personnes, de ceux qui ont contribué à ces changements-là. Et donc, de ce point de vue là, bravo!

M. Lanoue (Roger) : Merci d'en faire mention.

• (12 h 10) •

M. Marceau : Ça me fait plaisir. J'ai quelques... Bien, moi aussi, je vais poser quelques questions sur vos recommandations, mais je vais commencer par une qui m'a, moi, sauté aux yeux rapidement, c'est votre proposition... votre recommandation n° 3 sur la Caisse de dépôt où vous dites que le gouvernement pourrait exiger ou on pourrait dire aussi les déposants pourraient exiger que la caisse fasse pression auprès des entreprises ou des entités où elle investit qu'elles ferment leurs filiales dans les paradis fiscaux.

Bon, évidemment, l'autre possibilité, c'est que la caisse cesse de faire des placements dans des entreprises qui... il y a deux possibilités, donc : ou bien... puis je trouve que c'est une solution intéressante, là. Donc, ou bien la caisse fait pression sur les entreprises dans lesquelles elle a un pouvoir, dans lesquelles, par exemple, elle est présente au conseil d'administration ou dans lesquelles elle prend des votes — et puis elle prend beaucoup de votes, là, dans une année, la Caisse de dépôt, on parle de centaines de votes — ou bien la caisse, carrément, cesse d'investir dans ces entreprises-là.

Avant d'aller sur ces deux possibilités-là, vous avez une annexe dans laquelle vous avez présenté les intérêts détenus par la caisse. J'aurais aimé ça que vous nous en parliez juste un petit peu. Première des choses, ça, est-ce que c'est une liste exhaustive ou ce sont simplement des exemples de placements?

M. Lanoue (Roger) : Ça a été tiré de... on le met au début, là, les sources dans les renseignements additionnels au rapport annuel. Alors, je ne peux pas dire si c'est complet ou si c'est incomplet. C'est la caisse, dans son rapport, qui peut dire si c'était complet ou si c'était exemplaire seulement.

M. Marceau : O.K., O.K., O.K. Je dis ça parce que, de notre côté aussi, on a fait un petit travail équivalent, mais on n'a pas la prétention d'avoir fait un travail exhaustif, là. Moi, j'étais allé... En fait, on avait regardé la liste des placements de la caisse, puis, bon, tout de suite, il m'était sauté aux yeux que la caisse était, par exemple, dans toutes les grandes banques canadiennes, lesquelles ont toutes des filiales dans les paradis fiscaux. Et le total des placements simplement pour les banques canadiennes et quelques autres gros placements, là, écoutez, on arrivait rapidement à 10 milliards, là. C'était... Après quelques heures de travail, j'étais à 10 milliards et je n'avais pas, à l'époque, en tout cas, fait la liste au complet, quoi. Puis là je me rends bien compte que vous en avez beaucoup que je n'avais pas vus.

Puis donc ma question, dans le fond, c'est : Est-ce que vous savez, pour la liste qui est ici, à quelle hauteur s'élèvent les placements de la caisse? Est-ce que vous avez fait ce travail-là ou quelqu'un autour de vous l'a-t-il fait? Savez-vous?

M. Lanoue (Roger) : Non.

M. Marceau : Non?

M. Lanoue (Roger) : Non, non. Tout ce qu'on a fait, pour parler un langage très simple, là, c'est du copier-coller de ce qu'on a trouvé dans le rapport annuel, qui faisait cette liste-là dans une de leurs annexes.

M. Marceau : Mais là il y a des dizaines de pages de placements, là. Alors, effectivement, je vois bien comment vous l'avez fait. Ma question, c'est... Bon, écoutez, on en reparlera, mais je pense que ce serait bien de documenter ça.

Bon, par ailleurs, je vous réitère, il y a deux choses qui peuvent être faites...

M. Lanoue (Roger) : En fait, moi, la réaction que me provoque votre question, c'est, un, il faut commencer par demander, puis, si la demande ne mène nulle part, bien, oui, évidemment, à terme, ce que ça veut dire, c'est : Bon, bien, la caisse avertit tant de mois d'avance que, si vous n'obtempérez pas, bien, nous allons sérieusement envisager l'option de retirer notre argent de.

Bon, en pratique, je présume que la caisse a des multiples critères de fonctionnement pour choisir d'acheter, ou de vendre, ou d'avoir une part selon les sommes d'action, les garanties, etc. Et, parmi les critères, il pourrait certainement y avoir ce critère-là. Évidemment, nous, on pousserait pour que ce soit le plus important possible comme critère. À la limite, c'est blanc ou noir, c'est acceptable ou non, mais je présume que, dans la grille des dizaines de critères probablement utilisés lors de l'analyse de leurs éventuels placements, bien, en tout cas, il faudrait au moins qu'il y ait une place pour ce critère-là. Puis, dans le moment, on soupçonne, étant donné la façon qu'ils le publient, que ce n'en est pas un.

M. Marceau : Regardez, moi, je suis tout à fait d'accord avec vous, première des choses, là. La deuxième, c'est... effectivement, la caisse a ce qu'elle appelle une politique d'investissement responsable... Mais, bon, de toute évidence, elle n'est pas très mordante, en tout cas, quand vient le temps d'investir dans les paradis fiscaux. M. Sabia, pour qui j'ai un énorme respect, là, puis il n'est pas présent puis il ne pourra pas se défendre, alors je ne veux pas lui attribuer des choses qui ne sont pas vraies, mais, essentiellement, ce qu'il m'avait répondu lorsque je lui ai parlé de ça, c'est que, dans le fond, sur la liste de l'OCDE, aujourd'hui, il n'y avait plus de paradis fiscaux, et donc la caisse ne peut pas investir dans un paradis fiscal puisqu'il n'existe pas de paradis fiscaux, si je résume, là. Puis là je ne fais peut-être pas justice à ce qu'il m'avait dit, mais, essentiellement, c'était ce qu'il m'avait dit à l'époque. Puis, encore une fois, je lui donnerai l'occasion de se défendre, mais je n'aime pas dire des choses à des gens qui ne sont pas présents, mais je pense que ça reflète à peu près ce qu'il m'avait dit. Bien, moi, évidemment, je n'étais pas d'accord avec ce type de réponse là puis, encore une fois, je lui avais fait valoir le fait que des banques canadiennes, dans lesquelles la caisse a des placements de plusieurs milliards, étaient très, très présentes.

Alors, on est d'accord, vous et moi, là. Il faut qu'il y ait une politique d'investissement responsable, mais il faut qu'elle soit mordante, avec des critères comme ceux que vous décrivez, on s'entend. Puis vous, vous suggérez que, quand l'entreprise dans laquelle la caisse a des placements n'obtempère pas, qu'éventuellement on se retire tout simplement de cette entreprise-là.

M. Lanoue (Roger) : Bien, enfin, c'est sûr que c'est l'instrument ultime. En fait, ça pose la question non seulement pour la Caisse de dépôt, mais aussi en tant que gouvernement comme investisseur en faisant des dépenses. C'est sûr que les paradis fiscaux, entre guillemets, c'est fait pour économiser, et donc rendre les entreprises profitables et les actionnaires qui vont avoir accès à plus de profits, bon.

Moi, je pense que ça devient, comme il a été discuté tout à l'heure, là, une question morale, à savoir... Il y a des entreprises dans le monde qui exploitent des enfants de 10 à 12 ans. Et, dans ces pays-là, c'est probablement légal. Il y a des entreprises qui coupent à blanc des forêts tropicales dans des pays où c'est probablement légal. Et ces entreprises-là font probablement plus d'argent que si elles ne le faisaient pas. Les paradis fiscaux, pour moi, c'est quelque chose d'analogue. Si on considère que c'est une injustice, au niveau fiscal, que les seuls qui paient... enfin, ou les principaux qui paient des impôts soient ceux qui sont fixes, ceux qui sont attachés au territoire, donc, comme je disais tout à l'heure, les personnes qui travaillent ici, les PME, la consommation, et tout, bien cette injustice-là, là, le fait que les entreprises multinationales, bien sûr, puis aussi les personnes les plus riches profitent des services d'une société rendus, comme le Québec, pour s'enrichir et faire légalement les choses, bien il y a...

À un moment donné, comme je vous dis, il faut mettre le pied à terre et décider que, non, ce n'est pas correct, ce n'est pas moral. Et donc, oui, ça risque d'être marginalement moins rentable à la Caisse de dépôt ou ça risque de coûter un peu plus cher dans nos achats, en tant que gouvernement, auprès de fournisseurs. Peut-être. Ce n'est pas sûr, mais on peut le... Mais, à la limite, il faut le faire quand même parce que c'est ça qui est correct vis-à-vis de l'ensemble des citoyens.

M. Marceau : Oui, bien, écoutez, pour vous dire ce que moi, je comprends, là, pour avoir lu un peu sur ces questions-là, c'est que la démonstration n'a jamais été faite que les taux de rendement dans l'investissement responsable étaient plus faibles. S'il y a quelque chose, effectivement, c'est peut-être l'inverse.

M. Lanoue (Roger) : Vous avez sûrement plus d'expérience que moi là-dessus.

M. Marceau : Par contre, ce que je ne sais pas, c'est la deuxième partie, c'est la question de l'acquisition. Quand le gouvernement veut faire des achats, donc tous les contrats de «procurement», là, les contrats d'achat, d'acquisition, là, c'est moins clair pour moi, là, si on veut acheter à un ou à l'autre, là, à un responsable ou un pas responsable. Moi, je n'ai pas de preuve de ça.

Ce que je sais, c'est que moi, je trouve que c'est aussi une voie intéressante que celle-là parce qu'on a déjà... Par exemple, vous le savez, le gouvernement auquel j'ai appartenu, la première loi qu'il a passée, c'était une loi qui faisait en sorte que, si vous voulez construire des infrastructures pour le Québec, avoir des contrats pour le Québec, bien là vous devez au moins faire la démonstration que vous vous êtes comporté correctement dans le passé. Mais ce comportement correct n'inclut pas le fait de payer ses taxes adéquatement ou, en tout cas, de ne pas avoir de structure fiscale complète. La difficulté, évidemment, dans ce cas-ci, c'est comment on va le faire, là. C'est d'avoir l'information qui permettrait de dire : Telle entreprise a une structure fiscale qui n'a pas de bon sens puis qui fait en sorte de payer des... entre autres, d'éviter l'impôt en allant dans les paradis fiscaux. Ça, c'est la difficulté. Et là-dessus, je me demandais : Est-ce que vous savez si d'autres pays ou d'autres juridictions ont mis en place quelque chose qui ressemble à ça?

Le Président (M. Bernier) : Courte réponse parce que nous sommes rendus...

M. Lanoue (Roger) : Pour mieux connaître s'il y a une planification fiscale agressive pour une entreprise ou pas, directement, je ne... Enfin, ceux qui me semblent les plus avancés, c'est les Allemands. En Allemagne, ils ont l'air à avoir... à systématiquement passer au peigne fin ce qui se passe, mais en termes de détails, de méthode de fonctionnement, il faudrait que je vous revienne, là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député, Merci. M. le député de Beauce-Nord.

• (12 h 20) •

M. Spénard : Merci, M. le Président. Merci, M. Lanoue, de votre présentation que je trouve très intéressante parce que vous y mettez des recommandations aussi. Maintenant, moi, j'ai juste une petite question. Pour ma gouverne personnelle, vous mentionnez trois choses, là, que l'économie fait aujourd'hui : affaiblir les gouvernements en augmentant leurs dépenses, affaiblir les gouvernements en diminuant les revenus d'impôt, ça, ça va, et, dans la dernière, affaiblir les gouvernements en contraignant leur capacité de légiférer et réglementer. Et vous dites, dans b : «L'acquisition de RONA par une firme américaine à l'aide de clauses inaccessibles aux concurrents canadiens qui auraient voulu l'acquérir.» Pourriez-vous m'éclairer là-dessus?

Le Président (M. Bernier) : M. Lanoue.

M. Lanoue (Roger) : Dans le détail, probablement pas. J'avais pris ça dans un article du journaliste Vailles de La Presse, je crois, qui avait démontré, dans une page assez complète, là, si BMR, société canadienne dans le même domaine, avait voulu acquérir RONA au Québec, il y a plusieurs choses qu'elle n'aurait pas pu faire. Puis il avait listé divers éléments qui n'étaient pas accessibles à BMR et qui l'étaient à Lowe's parce que Lowe's était une entreprise étrangère.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député.

M. Spénard : O.K. Il y a-tu quelqu'un qui est au courant alentour de la table? Non? O.K., ça va.

L'autre chose. Vous parlez... on pourrait agir juste avec des demandes aux différentes banques parce que ce sont des institutions fédérales, à charte fédérale. Maintenant, le Mouvement Desjardins est une coopérative. Et, lorsqu'on a reçu le Mouvement Desjardins, il me semble qu'ils nous ont affirmé qu'ils n'étaient plus dans les paradis fiscaux, puis il n'y avait aucune succursale dans un paradis fiscal. Il me semble que c'est ça qu'ils sont venus nous dire. Et vous, vous mentionnez qu'il en existe encore et qu'il y en a une à la cité de Londres. Cité de Londres, ce n'est pas Londres. Ça, cité de Londres, c'est un quartier, dans Londres, qui est considéré comme un paradis fiscal, là, je pense que Samuel... M. Houngué est au courant de ça.

Est-ce que ça existe encore, Desjardins qui a encore des succursales dans les paradis fiscaux, selon vos dires que vous avez là? Avez-vous vérifié?

M. Lanoue (Roger) : Je n'ai pas vérifié récemment. Moi, ce que j'en comprenais il y a quelque quatre, cinq mois, c'est que la société qui s'occupe du placement de capital de Desjardins avait beaucoup d'opérations à partir de la cité de Londres et que c'est à partir de cette base-là que se faisaient toutes sortes d'opérations pour les clients de Desjardins qui pouvaient avoir des velléités analogues à celles qu'on suggère aujourd'hui.

Qu'est-ce qui se passe exactement, quels sont les gestes concrets qui se font à la cité de Londres par Desjardins, je ne peux pas le dire et je ne peux pas non plus vous... Si les gens de Desjardins sont venus vous dire ici qu'il n'y avait plus aucune succursale dans des paradis fiscaux en termes de petits pays des Caraïbes, par exemple, ou autres, bien, ils le savent sans doute mieux que moi. Mais la vérification que j'avais faite, c'était au niveau de la filiale de Desjardins s'occupant des placements de capitaux internationaux, qui a...

M. Spénard : Qui était située dans les paradis fiscaux.

M. Lanoue (Roger) : Qui était située à la cité de Londres.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député.

M. Spénard : O.K. Parce qu'il me semble, M. le Président, que Desjardins...

Le Président (M. Bernier) : Oui. Desjardins, ce qu'il est venu nous dire, c'est qu'effectivement il y avait des succursales, mais ces succursales se limitaient en Floride, actuellement, là, trois succursales en Floride, et qu'il n'y avait plus de succursale dans des paradis fiscaux, tels que définis, là, dans la présentation.

M. Spénard : Merci de corroborer ma faible mémoire. Quand vous dites que les quatre principaux partenaires de Revenu Québec pour la transmission des déclarations de revenus ont leurs sièges sociaux, des filières dans les paradis fiscaux, j'imagine que, moi... il y a peut-être UFile pour ImpôtExpert. Pouvez-vous les identifier?

M. Lanoue (Roger) : Oui. Je sais que, de mémoire, il y a H&R Block.

M. Spénard : Ah! H&R Block.

Le Président (M. Bernier) : Pour économiser du temps, vous pourrez nous les transmettre.

M. Lanoue (Roger) : Oui, oui, oui. Le genre de compagnies... H&R Block en est un.

M. Spénard : O.K. Des compagnies comme ça, là.

M. Lanoue (Roger) : Oui, oui. C'est de ça que je parle.

M. Spénard : O.K.

Le Président (M. Bernier) : ...poser directement la question à Revenu Québec pour connaître ces choses-là. Je voudrais que le député puisse...

M. Spénard : Je ne sais pas si ça se poserait comme ça.

Le Président (M. Bernier) : Oui, oui, ça se pose.

M. Spénard : Des sièges sociaux dans les paradis fiscaux?

Le Président (M. Bernier) : Non, quelles sont les entreprises qui opèrent au niveau de la transmission des données, puis, à ce moment-là, il y aura toujours des validations quand ça va être fait.

M. Spénard : Merci. Ensuite de ça, vous dites, puis ça va terminer mon intervention, là : «...le Canada devrait :

«a. coordonner ses efforts avec ceux de l'OCDE sur le sujet...»

Vous avez dit : Bien, Harper, il passait pour être fermé sur le sujet. Est-ce que, depuis un an, avec l'avènement d'un nouveau gouvernement, il y a eu du déblocage dans ce dossier-là au fédéral, j'entends?

Le Président (M. Bernier) : M. Lanoue.

M. Lanoue (Roger) : La perception que j'en ai, c'est qu'il y a plus de discussions, ça discute plus. Est-ce que ça avance? Quel est le point jusqu'auquel le gouvernement canadien est prêt à collaborer... parce que ma caricature, ce serait que les équipes du fédéral actuel sourient plus.

Le Président (M. Bernier) : C'est votre mesure d'évaluation, le sourire.

M. Lanoue (Roger) : Alors, qu'est-ce que ça donne comme engagement concret plus avancé, je ne sais trop. Je prends pour acquis qu'à partir du moment où il y a quelque chose qui s'est décidé ce printemps pour mise en application très vite, bien, il n'y avait au moins pas d'objection formelle, aussi formelle, de la part du Canada.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Nous allons donc passer à M. le député de Mercier.

M. Khadir : Merci, M. le Président. Pour le bénéfice de... En fait, d'abord, je voudrais remercier M. Lanoue d'être là. Je crois qu'il faut reconnaître en ATTAC, au réseau international d'ATTAC... comme un des piliers du mouvement qui, depuis une vingtaine d'années, a réussi finalement à alerter suffisamment de responsables publics qui mettent de la pression pour qu'on en discute aujourd'hui, pour qu'on ait une commission ici, au Québec. C'est ATTAC... parce que, disons, ATTAC est basée... a été fondée en France. Et donc c'est dans le milieu plutôt anglophone et une partie de l'Europe. Mais les anglophones du Canada sont tout aussi mobilisés, les citoyens à travers le réseau Tax Justice Network, qui est un autre réseau international, et ceux-là collaborent ensemble. Et je crois que nous devons une partie des informations que nous disposons, une partie de la recherche qui a été faite par notre collaborateur ici, au Service de la recherche, aux travaux qui ont été initiés depuis une vingtaine d'années par ATTAC.

Alors, je pense qu'on doit boire littéralement — et je mesure mes mots — les recommandations qu'ils nous font. C'est le fruit de travaux immenses menés par de multiples citoyens économistes engagés à travers le monde. Les économistes qui ont fondé ATTAC France jouissent d'une réputation inébranlable.

M. Lanoue, vos prédécesseurs ont parlé de l'importance, donc, de faire des choses concrètement, ont parlé de l'importance de sévir plus sévèrement. Mon collègue libéral a mentionné d'ailleurs... vous a demandé comment on pourrait associer, disons, les mesures prises par des condamnations au criminel. Je rappelle que votre prédécesseur a mentionné qu'il y a déjà des provisions dans la loi de l'impôt, mais le problème, c'est une volonté qui semble manquer, au niveau des tribunaux puis au niveau peut-être des agences de revenu, de monter des dossiers. Donc, une partie de nos recommandations pourrait être pour, disons, rencontrer votre proposition, que notre commission appuie sur le fait qu'il faut absolument que Revenu Québec engage des ressources pour faire ça.

Maintenant, au-delà de ça, est-ce que vous pensez qu'il faudrait... c'est-à-dire, comment vous pensez qu'un État, un gouvernement peut être crédible dans sa lutte si, d'une part, il fait ça, puis, de l'autre part, il y a comme une espèce d'insensibilité de la part de plusieurs ministères qui donnent des contrats, qui donnent des mandats à des firmes d'avocats, à des firmes de comptables, à des entreprises qui sont reconnues comme étant une grande partie du problème ou son carrément, comme Uber, des fugitifs de l'impôt?

Le Président (M. Bernier) : M. Lanoue, veuillez nous répondre.

M. Lanoue (Roger) : Il y a clairement... enfin, le gouvernement du Québec et tout gouvernement occidental important est assez gros pour avoir des contradictions à l'interne, mais effectivement on peut... ce que vous citez comme exemple est notoire. Ce qu'on recommande ici, bien sûr, c'est de ne faire affaire qu'avec des entreprises qui sont capables de démontrer qu'ils n'ont pas ce type d'activité financière susceptible de faciliter de l'escroquerie, bon, maintenant, l'escroquerie voulant dire de ne payer la juste part d'impôt relativement aux autres contribuables qui le font.

Maintenant, il faut commencer à quelque part, et donc, oui, il faut doter Revenu Québec des ressources qu'il faut pour monter les dossiers, mais, par ailleurs aussi, pour être cohérent, le gouvernement devrait s'arranger pour ne faire des investissements, donner les subventions, être partenaire qu'avec des entreprises qui sont capables de démontrer leur moralité, ni plus ni moins, à ce niveau-là.

Le Président (M. Bernier) : Merci, M. Lanoue, de votre participation...

M. Khadir : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bernier) : ...à cette commission parlementaire. Merci à tous les gens et tous les députés qui ont participé.

Nous allons suspendre nos travaux jusqu'à 14 heures alors que nous aurons le plaisir de recevoir M. Alain Deneault. Je suspends.

(Suspension de la séance à 12 h 30)

(Reprise à 14 h 3)

Le Président (M. Bernier) : À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre nos travaux, et, bien sûr, je... aux quelques personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leur téléphone cellulaire. On sait que c'est un outil qui est très utilisé. Donc, je vous invite à éteindre la sonnerie.

Nous allons poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques dans le cadre du mandat d'initiative portant sur le phénomène de recours aux paradis fiscaux.

Nous avons le plaisir de recevoir, cet après-midi, M. Alain Deneault — M. Deneault, c'est un grand plaisir — Mme Aline Tremblay et M. Érik Bouchard-Boulianne, qui vont nous accompagner, qui vont nous faire une présentation. Merci de votre participation à la Commission des finances publiques.

J'invite donc M. le secrétaire à procéder à l'assermentation des témoins, conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale. Et je vous demande de vous lever et de lire à voix haute la déclaration qui vous sera fournie.

M. Alain Deneault

Assermentation de M. Érik Bouchard-Boulianne

M. Bouchard-Boulianne (Érik)  : Je, Érik Bouchard-Boulianne, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Assermentation de M. Alain Deneault

M. Deneault (Alain) : Je, Alain Deneault, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Assermentation de Mme Aline Tremblay

Mme Tremblay (Aline) : Je, Aline Tremblay, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président (M. Bernier) : Je vous remercie. Vous bénéficiez donc de l'immunité pour votre témoignage. Donc, bienvenue à tous les parlementaires en ce bel après-midi. La parole est à vous. Vous avez 15 minutes. Par la suite suivront des échanges avec les parlementaires. Allez-y, M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : Merci beaucoup. Je suis Alain Deneault, donc directeur de programme au Collège international de philosophie, mais plus actif sur ces questions en tant que chercheur au Réseau pour la justice fiscale. J'ai été l'auteur de différents ouvrages sur la question des paradis fiscaux, Paul Martin et compagnies, Offshore : paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Paradis fiscaux : la filière canadienne, Escroquerie légalisée, et aussi j'ai participé à la rédaction du rapport sur le Canada, édité par le Financial Secrecy Index du Tax Justice Network, une organisation qui établit un classement des paradis fiscaux beaucoup plus pertinent que celui de l'OCDE, par exemple.

Je suis accompagné d'Aline Tremblay, qui est chercheure au Réseau pour la justice fiscale, et d'Érik Bouchard-Boulianne, qui est avocat et économiste à la Centrale des syndicats du Québec. Érik Bouchard-Boulianne est également coordonnateur du collectif d'association Échec aux paradis fiscaux.

C'est un plaisir d'être ici. Merci de l'invitation. On peut saluer le travail que vous faites sur cette question aujourd'hui et ces derniers temps, surtout en période d'austérité. Alors que les citoyennes et citoyens se font dire depuis longtemps maintenant que le gouvernement n'a plus d'argent, qu'on doit fermer la bibliothèque du ministère de la Santé, qu'on doit revoir à la baisse la qualité des aliments dans les CPE, qu'on doit fermer des lits dans les hôpitaux, ainsi de suite, on comprend à quel point la question des paradis fiscaux est centrale quant à des enjeux de ce type.

Nous abordons la question des paradis fiscaux sous l'angle de la pensée politique. Ce qui nous intéresse, c'est de se demander ce qu'il advient d'un monde dans lequel la moitié des transactions financières internationales passe par les paradis fiscaux, dans lequel on estime qu'il y a entre 21 000 milliards de dollars et 32 000 milliards de dollars en circulation dans les paradis fiscaux. Ça, c'est 21 et 12 zéros. Et ces réflexions que nous menons nous amènent à nous dire que les législations de complaisance, dont les paradis fiscaux font partie, sont, comme État ou comme législation, des adversaires de l'État de droit. C'est-à-dire que ce sont des législations qui, dans leur nature même, ont pour vocation à neutraliser l'État de droit dans son fonctionnement ailleurs dans le monde.

Quand je parle d'État de droit, j'entends, avant de parler de politique publique, avant de parler de délibérations politiques, avant de parler de parti pris, j'entends le cadre même que les collectivités se donnent précisément pour délibérer sur les choix de société qu'ils veulent faire. Aujourd'hui, on est confrontés à des États ou à des législations, les paradis fiscaux, qui, dans leur pratique, votent des lois qui ont pour seule visée de neutraliser le droit en tant qu'il est en vigueur ailleurs.

Vous êtes un contribuable allemand, vous avez un certain nombre de contraintes, vous savez que ces contraintes-là s'estompent du moment que passez au Liechtenstein. Vous êtes un contribuable canadien, vous faites face à un certain nombre de contraintes et vous savez que les législations de complaisance et les paradis fiscaux élaborent des dispositifs qui visent à permettre à des acteurs de voir les contraintes du droit s'estomper dès lors qu'ils délocalisent leurs actifs dans une autre législation.

S'il s'agissait de ce point de vue, de parler des paradis fiscaux, on pourrait faire ce qu'a fait exactement Margrethe Vestager, la commissaire de l'Union européenne qui est à l'origine de l'affaire Apple, à savoir parler, en ce qui concerne les paradis fiscaux, d'abus de pouvoir. Un paradis fiscal est une législation qui abuse de droit à légiférer. Pourquoi ? Parce que... Prenons des exemples.

• (14 h 10) •

Lorsque les îles Vierges britanniques, lorsque le Panama, lorsque le Luxembourg, lorsque Hong Kong, dans leurs droits respectifs, prévoient la création possible de structures de droit, des sociétés exemptées, des compagnies internationales, des trusts, des fondations caritatives, le plus souvent, dans ces dispositions-là de la loi en vigueur dans les paradis fiscaux, on dira : Les créateurs d'une société exemptée ou d'une structure telle que celle que j'ai nommée, bénéficient d'exemptions d'impôt, ne font l'objet d'aucune surveillance digne de ce nom en ce qui concerne leurs activités éventuellement criminelles : blanchiment d'argent, corruption, ainsi de suite. Il n'y a pas de divulgation requise dans des registres des bénéficiaires réels, des structures, ainsi de suite, à la condition que cette entreprise n'ait aucune activité réelle chez nous. Il n'y a pas d'activité substantielle de prévue. Si on crée une structure à la Barbade qui va vendre des poissons au coin de la rue, dans un village, elle paiera des impôts. Mais, si on crée une structure dont il est convenu qu'elle gère un capital qui est en opération partout dans le monde sauf dans la législation, à ce moment-là, les avantages que j'ai donnés en exemple seront conférés.

Cela veut dire que les législations de complaisance et les paradis fiscaux créent des lois qui portent sur la façon dont le capital est administré partout dans le monde sauf chez eux. Ça fait que le Panama, quand il prévoit ses lois, il légifère sur un capital qui n'aura jamais, en quelque sorte, de lien avec l'économie réelle du pays. Et donc on crée une sorte de registre d'anomies, vous savez, des Québécois, une entreprise québécoise qui va créer une filiale dans un paradis fiscal, qui sera indépendante en droit, avec laquelle elle fera facticement des affaires, factures, emprunts, ainsi de suite, et on pourra toujours dire au fisc québécois et au fisc canadien : Oui, moi, entité québécoise, j'ai des actifs qui ont été générés par une activité que j'ai ici, mais ils relèvent d'une entité panaméenne, ou de Hong Kong, ou luxembourgeoise. Et ces actifs-là, qui relèvent de cette entité-là, dans le pays concerné, n'ont aucun lien avec l'activité réelle. Et donc on crée une strate, là, qui pose problème et qui pose problématique sur un plan diplomatique.

La question des paradis fiscaux est une question de très grande envergure. C'est une question politique. Ce n'est pas seulement une question technique. Oui, il y a des enjeux techniques en cause, on l'a entendu ce matin. Et l'immense majorité des propositions et des propos qui ont été tenus étaient fort pertinents. Mais l'idée, en plus de ces enjeux-là, il y a la question politique, et ça pose problème quand on soulève la question auprès d'un législateur qui n'a pas un rôle proprement national. Mais la question se pose quand même.

Et cela nous amène à vous dire aujourd'hui trois choses, à soulever trois points qui sont le fruit de nos délibérations. La première, c'est que le... s'il s'agit, pour le Québec, de penser à la lutte à l'évitement fiscal, la lutte aux paradis fiscaux en tant qu'ils sont en quelque sorte des adversaires de l'État de droit, d'après nos lectures, nos études et un livre que j'ai signé et que j'ai pu faire avec le concours de mes compagnons de route au Réseau pour la justice fiscale, Paradis fiscaux : la filière canadienne, vous avez là près de 400 pages de plaisir sur le rôle du Canada dans les paradis fiscaux depuis plus de 100 ans, étant donné qu'on évoque des situations où on dit : Relevant d'activités offshore avant la lettre, ce qu'on peut comprendre, c'est que le Canada n'est pas un allié crédible. Ce sont des Canadiens qui sont à l'origine de la création des paradis fiscaux des Caraïbes.

Le Canada, on en a parlé ce matin, a signé une entente de non double imposition avec la Barbade en 1980 et, comme le disait sans détour André Lareau, précisément pour permettre à l'establishment financier de contourner les règles de droit et de devoirs que nous nous donnons pourtant en collectivité ici. Hein, signer un accord de non double imposition avec un pays qui nous ressemble, ça a du sens. En signer un avec un pays où le taux d'imposition est de 1 %, c'est aberrant. Il n'y a rien qui le justifie.

On pourrait parler des conventions fiscales de même type ou la réglementation fiscale menant aux mêmes résultats avec des législations comme les Bermudes, Hong Kong, le Luxembourg, le Panama, on pourrait aussi parler du fait que le Canada partage son siège, à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international, avec 11 paradis fiscaux. Et lorsque... parce que vous savez que ces institutions Bretton Woods ne fonctionnent pas comme l'ONU, chaque pays n'a pas son siège mais partage son siège. Le Canada partage son siège avec 12 paradis fiscaux. Et je vous invite à lire le livre que je soumets à la commission, il arrive que, formellement, le Canada prenne fait et cause pour les paradis fiscaux dont il devient un en quelque sorte le lobbyiste au sein de ces instances parce qu'il parle en leur nom, «on behalf of». On lit ça dans les documents. Et, parmi ces paradis fiscaux là, il y a l'Irlande. Alors, le Canada plaide pour l'Irlande au sein de ces institutions internationales là. On pourrait parler longtemps de la faiblesse de la réplique canadienne sur la question des Panama Papers, qui n'était absolument pas à la hauteur de celle à laquelle on a assisté ailleurs dans le monde.

Pour une fois qu'on a compris qu'on a à avoir une relation de méfiance envers le Canada, et je vous parle aussi du point de vue de quelqu'un qui est en lien avec des homologues à l'échelle internationale, et le retour qui nous est fait. C'est de dire que, dans les instances, qu'est-ce que... Le Canada freine des quatre fers pour ne pas qu'on avance sur cette question des paradis fiscaux lorsqu'il est question de se concerter à l'échelle internationale.

Donc, qu'est-ce qu'on peut faire? Évidemment, établir un rapport de force le plus probant possible avec le gouvernement fédéral. Et on peut revenir sur ce qui a déjà fait l'objet de discussions ce matin, à savoir que le Québec est déjà maître chez lui en ce qui concerne la perception de ses propres impôts. Je renvoie à mon tour à la thèse de l'économiste Gilles Larin, qui a été développée notamment avec Marwah Rizqy, qu'on entendait ce matin. Le Canada n'a pas à se sentir concerné par les conventions fiscales signées par le gouvernement fédéral, c'est-à-dire que, lorsqu'une société... Je pourrais vous citer un cas, là, celui de Tregaskiss entre 1995 et 2000, une société qui a créé une filiale à la Barbade, et qui a transféré 14 millions de dollars en prétendant que c'étaient les quatre employés de sa filiale qui avaient généré ce capital pendant cinq ans, et qui a pu, en vertu de l'accord de non-double imposition signé par le Canada avec la Barbade, dire : Bien, voilà, j'ai payé des impôts là-bas, 1 %, c'est suffisant. Je rapatrie mes fonds sans être imposé une deuxième fois, ce qui est le sens du traité de non-double imposition ici, formellement. Le Québec pourrait toujours dire : Nous n'avons pas signé un tel accord et, en ce qui concerne notre droit constitutionnel à prélever nous-mêmes nos impôts pour financer les activités qui ressortent de nos prérogatives, eh bien, nous faisons comme si cette entente-là n'avait pas été signée.

Le Québec, et, si j'ai encore un peu de temps... Combien de temps est-ce que j'ai?

Le Président (M. Bernier) : Bien, regardez, il vous reste environ 2 min 30 s, mais je vais vous laisser un peu de temps additionnel pour que vous puissiez...

M. Deneault (Alain) : Oui. Merci, parce que j'aimerais simplement avancer quelque chose. Le Québec peut faire autre chose que simplement ne pas appliquer les conventions signées par Ottawa. Il peut innover. Il est souverain en la matière. Il peut proposer des choses de concert avec d'autres administrations fiscales et d'autres autorités politiques dans le monde. Et on sait qu'aujourd'hui un des problèmes, avant même de parler des paradis fiscaux, c'est la présence même, dans l'économie mondialisée, de multinationales.

Qu'est-ce que c'est qu'une multinationale? Ce n'est pas une entité une. Une multinationale, par définition, c'est une myriade d'entités indépendantes créées de manière multinationale, hein? Et ces entités-là sont imposées entité par entité, pays par pays. Elles peuvent, entre elles, s'envoyer des factures, s'emprunter des fonds, délocaliser les actifs de façon à concentrer le plus de capitaux possible là où le taux d'imposition est faible, c'est-à-dire dans les paradis fiscaux.

Bon, sans épiloguer, on sait qu'aujourd'hui on peut citer des références connues. Sol Picciotto, Kerrie Sadiq, Allison Christians ici, à l'Université McGill, le Centre for Research on Multinational, l'Observatoire des multinationales, le Tax Justice Network sont des organisations qui réfléchissent à la création d'une institution mondiale de la fiscalité pour les multinationales, qui imposerait les multinationales sur la base de leur bilan consolidé plutôt que d'imposer Google Jersey, Google Irlande, Google France, Google Canada entité comme entité comme si elles n'avaient rien à voir les unes avec les autres. Cette instance-là imposerait la firme multinationale par rapport à son bilan, à celui qu'elle se vante d'avoir auprès de ses actionnaires lors de ses assemblées générales, bon.

• (14 h 20) •

Nous pensons qu'il y aurait lieu, sans attendre le grand soir de l'organisation fiscale internationale voulue par l'ONU, parce qu'on sait qu'il y aura toujours des minorités de blocage qui produisent du dumping, il y aurait lieu de développer une telle approche en restant une autorité politique et fiscale particulière. Je m'explique et j'arrête là ensuite. L'idée du régime d'imposition du bilan consolidé des entreprises suppose qu'on impose une seule fois une multinationale et on distribue au prorata de la présence de l'entreprise dans le monde les fruits, hein, de l'exercice fiscal ainsi effectué. Rien n'empêcherait un gouvernement comme celui du Québec... Je n'arrive pas avec une solution miracle, mais on peut avancer avec des discussions pareilles, qui sont discutées internationalement. On pourrait imaginer que le gouvernement du Québec impose les multinationales qui sont actives chez lui à partir d'une méthodologie qui porte sur le capital, le chiffre d'affaires, le nombre d'employés, ainsi de suite, qui établit quel est le pourcentage des revenus d'une multinationale que ladite multinationale doit à sa présence au Québec et lui dire : Sur la base de votre bilan consolidé, nous estimons que 8 %, 5 %, 12 % de votre chiffre d'affaires relèvent de votre activité chez nous et nous vous imposons sur cette base-là, nonobstant que les transferts aient eu lieu ensuite aux îles Vierges britanniques, au Panama, aux Bahamas ou ailleurs. On procède sur la base d'un bilan puisqu'on sait que les multinationales sont des entités une, de fait, même si, de droit, on n'est pas arrivés encore à les reconnaître comme telles. Et ce serait là, je conclus là-dessus, une façon d'avancer à l'échelle internationale sans se dire qu'on ne peut pas agir seul, qu'il faut qu'à l'international ça bouge.

Ce qu'il faut comprendre, lorsqu'on parle de l'international, c'est que l'action internationale suppose des formes de solidarité et de convergence dans des initiatives prises par différentes autorités publiques dans un contexte favorable. Aujourd'hui, vous avez l'Union européenne qui fait valoir son autorité sur un grand nombre de multinationales, vous avez les États-Unis qui ont développé le FATCA, qui permet aux autorités fiscales américaines d'avoir accès à l'information de contribuables américains partout dans le monde, et vous avez aussi, en France, la région Île-de-France, qui a un budget de 7,5 millions de dollars et qui, à son échelle, a déjà décidé qu'elle ne ferait pas affaire avec des institutions financières qui ont un dossier opaque dans les paradis fiscaux. Et vous avez des municipalités en Suède et ailleurs, en Scandinavie, qui refusent d'accorder des contrats publics à des firmes qui ont aussi un dossier opaque dans les paradis fiscaux. Et donc, dans cet... agir à l'échelle internationale veut dire, pour le Québec, agir à son échelle dans une conjoncture qui est favorable. Et cette conjoncture-là, c'est la nôtre.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Merci de votre présentation. Nous allons aller du côté ministériel. M. le député de Pontiac, vous pouvez débuter.

M. Fortin (Pontiac) : Merci. Merci, M. le Président. Bon, bon après-midi, messieurs dame. Merci de votre présentation. Merci d'être avec nous aujourd'hui. C'est apprécié.

Vous savez, à l'étape où on est rendus dans notre étude, je vous dirais, on a entendu longuement parler de la situation actuelle, du problème de l'impact que ça peut avoir, que l'utilisation des paradis fiscaux ou que l'évasion ou l'évitement fiscaux peuvent avoir sur notre économie, sur les entrées de fonds dans nos gouvernements ici. Donc, ce que j'aimerais, c'est peut-être avoir une discussion davantage axée sur les recommandations que vous avez.

Et je vous entends bien par rapport à ce que vous dites, qu'on n'est pas obligés, disons, d'attendre d'autres juridictions, qu'on n'est pas nécessairement liés à ce que le gouvernement fédéral veut faire, mais il y a une chose sur laquelle vous avez touché qui est intéressante, c'est la création de l'institution mondiale pour des multinationales. Je sais, comme vous dites, là, qu'il y a beaucoup de chercheurs, ici ou ailleurs, qui se penchent sur la question. Peut-être pouvez-vous nous parler de l'avancée de leurs travaux et où est-ce qu'ils en sont rendus avec ça. Est-ce qu'il y a quand même une bonne collaboration de la part de différents gouvernements à l'échelle mondiale ou est-ce que c'est encore au stage du développement initial, là, d'une telle initiative?

Le Président (M. Bernier) : Oui, M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : Pour l'instant, c'est un objet de recherche théorique, en sachant que la théorie, ce n'est pas juste l'activité des beaux esprits, là, c'est un objet d'étude. Malheureusement, ça n'en est que là parce que l'OCDE, qui est à l'origine du BEPS, n'a pas encore engagé de réflexion pratique sur ce que l'on fait des multinationales, à savoir qu'on continue de les considérer comme des entités éparses qui n'ont aucun lien entre elles, si ce n'est que ceux qui les lient par contrat, par exemple, dans un cas précis... dans un cas ou dans un autre, quoi.

Très souvent, on parle de l'OCDE ou, en Europe, de l'Union européenne comme des grandes entités transcendantes qui, en quelque sorte, auraient des directives et nous parleraient de je ne sais trop quelle autorité, alors que l'OCDE, c'est nous. Et on fait comme si c'est elle qui nous parle, qui nous indique où ça en est, on attend après elle, de la même manière que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, c'est nous au sens du rôle que le Canada y joue et dont j'ai parlé. Et donc on a une responsabilité, en tout cas, comme citoyen canadien, si ce n'est comme parlementaire dans votre cas, en ce qui concerne les orientations et les propositions de ces organisations.

Mais, pour le moment, l'OCDE maintient sauve, finalement, toute l'architecture qui permet les paradis fiscaux. En gros, ce qu'on dit, c'est qu'on va mettre plus de policiers sur les routes ou on va améliorer, pour reprendre la métaphore de ce matin, là, autoroutière, on va peut-être améliorer la technique qui permet d'attraper les acteurs fautifs, mais on va maintenir en place les infrastructures. Et on voit là l'absence d'une conscience politique quant à la nature du problème.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Fortin (Pontiac) : Merci. Je comprends ce que vous me dites, mais est-ce que vous n'êtes pas en train de me décrire le problème pour arriver à la solution, là, par exemple, d'une création d'une telle institution comme étant ce que vous essayez d'éviter, tu sais. Vous me dites : Bien, l'obstacle principal, c'est que l'OCDE ne s'est pas penchée sur le problème encore, mais ça peut revenir à différentes juridictions de le faire. Est-ce qu'il y a des juridictions qui pensent sérieusement ou qui poussent des discussions... à l'intérieur ou à l'extérieur de l'OCDE, là, est-ce qu'il y a des juridictions qui poussent une sérieuse discussion sur la création d'un tel organisme ou pas?

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : Pour le moment, il s'agit d'un objet de recherche de la part de professeurs de droit ou de citoyennes et citoyens actifs sur la question. À l'intérieur des appareils d'État, à l'intérieur des partis politiques, il y a des discussions qui vont en ce sens. Et ce qui serait intéressant pour faire bouger la chose, là, pour activer la roue, ce ne serait pas de penser que, demain matin, le Québec va voter ça tout seul, là, mais ce serait d'établir une législation qui dise : Nous imposerons les multinationales correspondant à telle, telle, telle définition sur la base de leur capital consolidé, eu égard à la portion de ce capital qui provient de l'activité ayant cours chez nous, et cette loi entrera en vigueur le jour où x % de pays de l'OCDE représentant x % de la population de ces pays-là, de l'ensemble des pays, auront fait de même. On pourrait s'inspirer de ce que font les étudiants quand ils votent la grève. C'est comme ça qu'ils procèdent. Les étudiants, on peut les matraquer, parfois on peut les écouter, ils nous proposent des choses.

Une voix : ...

M. Deneault (Alain) : Non, mais c'est un mécanisme qui est très efficace pour, en quelque sorte, lancer des mesures novatrices sans s'exposer à des conséquences fâcheuses, parce qu'on reste réalistes aussi, on sait qu'on ne peut pas agir totalement seuls, mais on peut quand même être novateurs. Et être novateur, souvent, ça se fait seul au début.

M. Fortin (Pontiac) : O.K. Je vous entends parler, et peut-être une dernière question, M. le Président, je sais qu'il y a certains de mes collègues qui veulent poser des questions également, mais je vous entends parler et ce que j'ai entendu, c'est que, sur beaucoup de ces questions-là, selon vous, le Canada manque de crédibilité, disons, ou a un déficit de crédibilité et qu'entre autres on ne devrait pas appliquer les conventions signées par Ottawa, que les accords d'échange de renseignements ne sont, souvent dans plusieurs cas, pas nécessairement utiles ou même encouragent davantage l'utilisation de paradis fiscaux.

Est-ce qu'il y a un point sur lequel le Canada fait quand même bonne figure dans ce dossier-là? Est-ce qu'il y a une particularité sur laquelle le Canada... Sans nécessairement jouer un rôle de leadership, est-ce qu'il y a une particularité sur laquelle ils font un bon travail, d'après vous?

• (14 h 30) •

M. Deneault (Alain) : Bien, étant donné la personne du nouveau premier ministre, je dirais qu'il ne fait que bonne figure, mais au sens littéral. Pour le reste, je veux dire, ce n'est pas encourageant. Je ne dirais pas que le dossier est absolument noir. Le Canada, ce n'est pas encore les Bahamas, mais le Canada est un pays qui donne accès aux Bahamas au profit des multinationales et des grands détenteurs de fortunes. Mais, je veux dire, quand on ouvre les portes toutes grandes à un cabinet comme Maples and Calder ici, quand on s'inspire des logiques offshore qu'on a souvent même générées dans l'histoire, Graham Towers, l'ancien gouverneur de la Banque centrale du Canada, qui va conseiller le gouvernement de la Jamaïque au moment où elle devient un paradis fiscal, Jim MacDonald, un ancien avocat haut placé au Parti conservateur, qui va élaborer les politiques fiscales des îles Caïmans quand ils deviennent un paradis fiscal, Donald Fleming, un ancien ministre des Finances du Canada, qui va élaborer de toutes pièces les mesures fiscales des Bahamas au moment où ils deviennent un paradis fiscal à leur tour, dans les années 60, puis ensuite il y a tout le legs, tout l'héritage lié à ces initiatives, là, on peut dire qu'on est en face d'un pays qui a développé des travers offshore dans son histoire. Je vous réfère au bouquin, ce serait trop long, mais ce qui n'est pas étonnant parce que, très souvent, les paradis fiscaux sont d'anciennes colonies. Et le Canada est historiquement une colonie, s'il n'en reste pas une aujourd'hui.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Sainte-Rose, avez-vous une question?

M. Habel : ...Trois-Rivières.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Trois-Rivières.

M. Girard : Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour la présentation. Moi, je veux rendre ça le plus clair possible. On a des gens qui nous écoutent, puis ça devient relativement complexe. Juste pour qu'on s'assure qu'on comprenne bien, moi, je suis quelqu'un de solution, je veux voir, par en avant, comment on peut régler les problématiques. Ce qu'on voit, c'est qu'on a des entreprises qui font affaire chez nous, au Québec, au Canada, pour une certaine portion de leurs affaires, on ne nommera pas d'entreprise, mais qui sont également dans plusieurs autres nations à travers le monde. Et, selon le volume d'affaires qu'ils font chez nous, ils vont réussir à prendre une portion de ce volume-là pour transférer leurs affaires ailleurs pour éviter de payer des impôts ici.

Pour un particulier, quand on paie des impôts ici, au Québec, on a Revenu Québec et on a l'Agence de revenu du Canada aux endroits où on paie nos impôts. Si je comprends bien, dans une des solutions qui seraient possibles avec une institution mondiale, ce serait vraiment d'avoir une agence de revenu mondiale qui pourrait, en quelque sorte, collecter les impôts pour chacun des pays en fonction du chiffre d'affaires, du volume d'affaires, du bilan des entreprises dans chacun des pays où ils sont établis. Est-ce que ça ressemble un peu à ça, une des solutions qui pourraient être possibles?

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : C'est effectivement l'idée théorique, mais, comme je suis pragmatique moi aussi, je pense qu'il y aura toujours des City de Londres, des Luxembourg, des Canada, des Irlande qui bloqueront la possibilité d'un tel projet si, d'une manière stratégique, il n'est pas engagé, il n'est pas appliqué ou réalisé autrement. Et la façon de le faire, c'est de s'inspirer de ces modalités planchers de vote, qui consistent à dire : Nous votons une loi, et elle entrera en application lorsqu'il y aura suffisamment de législations dans le monde qui l'auront votée également. Disons que ça crée un encouragement, ça crée un effet d'émulation parce qu'on est dans un monde... je veux dire, soyons pragmatiques et citons, oui, un cas. La société Gildan, société québécoise dans le domaine du textile, elle reçoit de l'argent de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Elle lance et relance l'industrie du textile au Québec. Où? Au Bangladesh et en République dominicaine. C'est là qu'on crée de l'emploi quand on relance l'industrie du textile. On écoule la marchandise sur les marchés québécois et on thésaurise les profits aux Bahamas.

C'est ça et ce n'est pas un cas exceptionnel, là. C'est banal. Ce que fait Gildan, c'est banal. On va aux HEC, on apprend à faire ça, financé par l'État, c'est magnifique, et ensuite on applique les théories qu'on a apprises aux HEC dans l'entreprise qui nous embauche et on est pragmatique. Bon, bien, comment on contre ces logiques-là quand elles deviennent systémiques? Il n'y a qu'à regarder les étiquettes des produits qu'on achète. Il n'y a qu'à regarder la concentration pharaonique de capitaux dans les paradis fiscaux pour se rendre compte que, là, la question de la solution, elle suppose beaucoup de courage, et pas comme on en parle habituellement quand on dit : On va couper des lits dans un hôpital puis on appelle ça du courage, là, du courage dans le sens du progrès social. Mais il en faudra beaucoup.

Le Président (M. Bernier) : Merci. D'autres questions?

M. Girard : Est-ce qu'il n'y aurait pas d'autres possibilités, d'autres solutions de taxation, exemple, aux frontières? Bon, là, on parle d'un produit qui est fabriqué probablement ailleurs, qui est vendu par la suite ici et qu'on réussit à transférer nos profits vers un paradis fiscal où on ne paie pas d'impôt. Mais le produit est quand même acheté ici. Est-ce qu'il n'y aurait pas une solution, ne serait-ce qu'en travaillant soit avec nos frontières ou en travaillant différemment pour réussir à aller... parce que l'objectif, c'est que la province, le pays puisse récolter son dû par rapport à l'activité économique qui se fait par cette entreprise-là. Et il faut trouver des solutions où on peut aller rechercher ces sommes d'argent là de façon concrète et de façon, entre guillemets, réalisable dans un délai... avant le prochain 100 ans, si on peut le faire, mais que ce soit réalisable.

Est-ce qu'en travaillant les frontières, en travaillant certaines alliances... Comment on pourrait, de façon plus concrète, comme province ou comme pays, le Canada, le Québec, tenter d'aller rechercher ce qui nous est dû malgré ces... Est-ce qu'il y a des chercheurs, des gens qui se sont penchés sur des solutions qui pourraient être réalisables relativement à court terme, sans tout aller rechercher, parce qu'on sait que ça peut être difficile, mais avec des moyens de taxation, avec des genres... je ne sais pas, des impôts minimums pour certaines entreprises qui seraient chez nous, avec un meilleur contrôle d'arrivée de produits au niveau des frontières, au niveau d'importations? Est-ce qu'il y a d'autres pistes de solution qui seraient envisageables?

M. Deneault (Alain) : Bien, je m'intéresse surtout aux entreprises, aux multinationales, et, à cet égard, je reviendrais simplement au fait que, si le Canada n'avait rien fait pendant quelques décennies sur la question des paradis fiscaux, nous nous en porterions mieux aujourd'hui dans le sens où il a à son actif toute une série de mesures qui nous nuisent en ce qu'elles rendent possible le transfert d'actifs factices dans des législations de complaisance où il ne se passe rien. Il y aurait un employé, deux employés qui généreraient des millions de dollars de capitaux en quelques années? C'est invraisemblable.

Alors, si on voulait déjà partir à zéro puis dire : Nous, on n'a pas signé ces conventions-là et nous, politiquement, nous allons voir comment on peut élaborer un rapport de force avec les entreprises qui recourent aux paradis fiscaux et avec ces paradis fiscaux là pour faire en sorte que, lorsqu'on transfère des millions de dollars à la Barbade... Vous savez que la Barbade, c'est le deuxième pays au monde où les entreprises canadiennes investissent le plus après les États-Unis, là, sur papier, hein? C'est à croire qu'il y aura les Jeux olympiques là-bas dans deux ans, hein? Je veux dire avant l'Allemagne, avant la Chine, avant le Brésil, avant, je veux dire, la France, avant le Royaume-Uni. 71 milliards de dollars, selon Statistique Canada. Et ce n'est que des jeux d'écriture pour éviter de payer de l'impôt. C'est d'un cynisme fou. Et c'est parce que le gouvernement du Canada a rendu possible ce corridor d'amnistie fiscale permanente entre lui et ce pays, qui est de l'envergure, d'un point de vue économique et politique, de la ville de Gatineau, hein? Bon, je veux dire, c'est parce qu'il a fait ça qu'on est dans cette situation-là aujourd'hui, et on n'a pas à le suivre sur ce point-là, d'autant plus que, d'un point de vue constitutionnel, nous avons toute latitude pour agir à notre manière sur ces questions.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Une question, M. le député de Sainte-Rose? Vous me regardez depuis tout à l'heure.

M. Habel : Oui, M. le Président. Je salue les invités. Je suis des HEC, je tenterai d'être pragmatique de l'autre côté. Imposer globalement avec un prorata, c'est ce que vous avez parlé, est-ce que c'est un peu un synonyme du «reporting» par pays que propose le Tax Justice Network? Ou pouvez-vous nous expliquer la différence entre les deux?

M. Deneault (Alain) : Bien, le «reporting»... C'est semblable. Et le «reporting» pays par pays peut être intéressant quand il s'agit de suivre des petites entités qui feraient affaire avec une ou deux filiales créées dans un paradis fiscal. Là, on pourrait mieux la suivre à la trace. Pour les grandes multinationales, c'est vraiment complexe. Mais l'idée du «reporting» pays par pays, la divulgation d'actifs pays par pays, c'est ce que la France a contraint ses institutions financières à faire, là, c'est qu'on demande aux institutions de nous dire combien elles ont de capitaux aux Caïmans, combien elles ont de capitaux à Singapour, aux îles Seychelles, aux îles Marshall, ainsi de suite, qu'on le sache parce qu'aujourd'hui on peut très bien, auprès des actionnaires, dire : Voilà quel est l'état de nos comptes sans préciser, sans ventiler, hein, l'inscription de ces actifs. Et, en fait, la multinationale, encore une fois, elle n'existe pas, elle fait seulement additionner ses actifs quant à toutes ces structures qu'elle a créées dans le monde et en donner le bilan. Donc, ça, c'est la divulgation pays par pays.

Ce dont il est question ici, ce serait sous l'égide de l'ONU, par exemple, qu'on pourrait envisager la création d'une organisation internationale du fisc qui concernerait un certain type d'entreprises, les multinationales, et qui les imposerait directement à un taux unique, disons, qui ferait l'objet d'une négociation. Et ensuite, quant à l'existence de cette société-là dans différents pays du monde, ensuite, on redistribuerait les actifs. C'est un modèle. Et ce qui m'intéresse pour ma part dans ce modèle, c'est moins de chercher à l'appliquer que de voir comment il peut inspirer des mesures particulières de la part de tel ou tel législateur.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Nous allons passer du côté de l'opposition officielle. M. le député de Rousseau.

• (14 h 40) •

M. Marceau : Oui. Merci. Alors, bonjour à vous tous. Merci d'être là. Merci pour la présentation.

Quelques questions. Tout d'abord, une chose dont vous avez parlé, M. Deneault, vous avez parlé de ne pas faire affaire, donc, pour l'État, avec des entreprises ayant un dossier opaque, là, ayant des tentacules dans les paradis fiscaux. Vous avez mentionné l'Île-de-France. Moi, ça m'intéresse parce que... J'aimerais juste savoir comment ça s'est passé. Puis, d'après vous, l'Île-de-France se porte bien? Ils arrivent à faire leurs transactions financières? Il n'y a pas de... Alors, ce n'est pas... parce que ce qui va arriver dans la conversation qu'on va avoir ici, puis c'est assez normal, c'est qu'on va se dire : Si on agit de manière unilatérale, ça va causer de vastes problèmes.

Alors, moi, je cherche des exemples de gestes qui ont été posés, qui n'ont pas mené à des vastes problèmes. Alors, si vous êtes capable de nous dire ce qui s'est passé en Île-de-France ou bien pour les municipalités dont vous nous parliez, j'aimerais bien.

Le Président (M. Bernier) : ...

M. Deneault (Alain) : C'est difficile d'en parler longuement parce que, comme vous savez, les gens heureux n'ont pas d'histoire, et, je veux dire, il n'y a rien de notable qui se soit passé. C'est-à-dire qu'effectivement, s'il s'agit de contracter un prêt, bon, on ne se tournera pas vers l'institution dont on sait ou croit savoir qu'elle a des centaines de filiales dans des paradis fiscaux opaques et qui ne pratiquent pas la divulgation d'actifs, là, pays par pays. Et, bon, ensuite, il y a des standards qu'on peut développer, mais effectivement c'est une façon de marquer une prise de conscience à son échelle et c'est un exemple, hein, de ce que signifie être de son temps lorsque la conjoncture est favorable, hein? Très souvent, quand on dit : On ne peut pas agir seul, on enchaîne en disant : Il faut que les choses se passent à l'échelle internationale, mais on rentre dans un fantasme, comme si, tout d'un coup, il allait y avoir je ne sais trop quoi dans le monde qui allait faire en sorte qu'à l'unisson tout le monde parle donc de la même manière.

Donc, l'idée, c'est de voir comment on peut, comme les États-Unis l'ont fait avec... On sait qu'il s'agit d'un pays paradoxal, complexe, avec beaucoup de contradictions. Donc, il ne s'agit pas de dire que c'est parfait, mais on voit qu'il y a des acteurs politiques qui sont capables de faire bouger les choses à l'échelle des législations où ils se trouvent. Et nous avons ici, c'est le sens de notre mémoire, la conviction que le Québec a de très grandes marges de manoeuvre dont il ne profite pas.

M. Marceau : L'idée d'une Google Tax, par exemple, de l'équivalent de ce qui a été mis en place au Royaume-Uni, est-ce que, d'après vous, au Québec, on peut aller de l'avant avec ça?

M. Deneault (Alain) : Je n'ai pas entendu le début de la question.

M. Marceau : Pardon. J'ai dit : L'idée de la Google Tax, la taxe qui a été imposée, là, par le Royaume-Uni, je crois que ça fait un an, maintenant, là, que c'est commencé, est-ce que vous croyez que... parce que, bon...

M. Deneault (Alain) : Mais là, je veux dire...

M. Marceau : Allez-y.

M. Deneault (Alain) : Je vais répondre d'une manière très générale. Le Québec est, du point de vue de la constitution canadienne, absolument souverain en ce qui concerne son pouvoir de perception. Il peut inventer les impôts qu'il souhaite. C'est-à-dire que, tant que les impôts que le gouvernement du Québec prélève concernent les champs de compétence qui sont les siens et ses prérogatives quant au droit à dépenser dans tel, tel, tel secteur, à ce moment-là, il le peut. Je veux dire, on ne se demande pas... Si on augmente la taxe sur le tabac ou si on crée une taxe santé, par exemple, c'est rare qu'on se demande si on a le droit. On a le droit. On a le droit tant qu'il s'agit du champ de compétence qui est celui du Québec. Donc, oui, tout à fait, le Québec a le droit de concevoir tous les impôts qu'il veut.

M. Marceau : O.K.

M. Deneault (Alain) : Oui. Érik Bouchard-Boulianne voudrait ajouter.

Le Président (M. Bernier) : Allez-y.

M. Bouchard-Boulianne (Érik)  : Quand on a suivi les travaux de la commission, ce qui est assez... Bon, ce que vous recherchez, en fait, c'est des solutions qu'on peut mettre en place au Québec puis qui ne causeraient pas des tremblements de terre puis des problèmes plus grands que le mal qu'on veut régler. Bon, moi, ce qui m'a fasciné, c'est de voir à quel point on est si mal outillés en termes d'analyse sur, justement, les conséquences de mesures a, b, c qu'on pourrait mettre en place.

Quand on lit le mémoire du ministère des Finances, bon, c'est un premier pas intéressant, c'est un bel effort qui a été fait, mais ça reste somme toute extrêmement limité en termes d'analyse des effets de mesures qu'on pourrait mettre en place. Bon, on nous donne une série de mesures sur les planifications agressives, ce qu'on a fait, on a mis en place plein de trucs sur les planifications agressives, mais où est l'analyse des résultats? Aucun chiffre. On a plein de chiffres sur le combat de l'économie au noir, là. Tu sais, on sait qu'on est allé chercher trois point quelque milliards. Sur les planifications fiscales agressives, c'est 88 millions, on a eu un chiffre à un moment. Elles sont où, les analyses? Je pense, en tant que parlementaire, c'est une des choses à dire. On n'a pas d'information, mais il y a des gens au gouvernement du Québec qui peuvent donner des mandats pour dire : Bien, écoutez, il faut qu'on en sache plus.

Vous posez la question : Est-ce que la Google Tax est une bonne idée? Bien, elles sont où, les analyses? On devrait la poser, la question, au gouvernement du Québec. Est-ce que c'est une bonne idée? Puis, pour le débat public, on veut voir ces analyses-là publiquement.

Aujourd'hui, ce matin, moi, j'ai été là, j'ai assisté aux présentations de M. Lareau, de Mme Rizqy, ils ont donné plein d'idées. Et là, maintenant, ce qu'il faut, c'est analyser ces idées-là puis de voir quels sont les effets. Puis est-ce qu'effectivement les effets pervers seraient plus importants que... Si on décidait de modifier ou de ne pas reconnaître certaines conventions fiscales, quels seraient les effets? Est-ce que les multinationales fuiraient le Québec? Moi, je n'en suis pas convaincu, mais on n'a pas d'analyse. Et, à mon avis, le gouvernement du Québec, représentant les 8, 9 millions de Québécois, devrait mener ces études-là.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Merci de vos commentaires. M. le député.

M. Marceau : Oui. Bien, écoutez, je fais miennes vos demandes. Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est clair que, de mettre en place une Google Tax, ça permettrait de rétablir une certaine justice puis une certaine équité dans la fiscalité. En même temps, je vois tout de suite l'épouvantail qu'on va nous dresser puis qu'on va nous dépeindre si jamais on va de l'avant avec ça. Et c'est très difficile, effectivement, assis dans la chaise dans laquelle je suis présentement et sans avoir les informations, de porter un jugement éclairé. Alors, je suis tout à fait d'accord avec vous.

Cela étant, je me demandais si vous, de votre côté, vous aviez des... bien, enfin, vous qui connaissez mieux que nous la situation à travers le monde, ce que vous en comprenez de ce qui s'est produit ailleurs lorsque des taxes équivalentes... en tout cas, entre autres au Royaume-Uni, là. Évidemment, il est encore tôt, mais est-ce que vous avez de l'information quant à l'impact que ça a eu au Royaume-Uni?

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : Comme je disais d'entrée de jeu, notre approche porte davantage sur les effets du recours aux paradis fiscaux par les multinationales sur les États de droit. Et nous, on est un peu étonnés, et ce n'est pas un constat qui supposerait presque une approche sociologique, là, je ne suis pas en train de faire un reproche, là, de but en blanc, mais on est étonnés qu'on en soit à ce degré de balbutiements sur cette question-là en 2016, qu'au Québec... c'est-à-dire, alors que le problème existe depuis 1990 d'une manière très nette, très souvent, on se tourne vers des grands fiscalistes qui sont censés être à la pointe des réflexions sur ces enjeux, et ça a pris des années avant qu'on entende parler du problème.

M. Marceau : Une partie de l'explication vient de ce que, d'une part, la population ne s'est sensibilisée à ces questions-là que très récemment et que, deuxièmement, les correctifs qui doivent être apportés ne l'ont pas été ou commencent à l'être, et donc on a encore de la difficulté à mesurer laquelle des solutions est la meilleure.

Je finis avant de céder à mon collègue. Ce matin, on nous suggérait de demander à la Caisse de dépôt de revoir ses pratiques, de s'assurer qu'elle n'investisse... qu'elle ne fasse des placements que dans des entreprises n'ayant pas de tentacules dans les paradis fiscaux. Vous êtes, j'imagine, favorable à cela.

M. Deneault (Alain) : Tout à fait, oui.

M. Marceau : Parfait.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Lisée : Bon, d'abord, je tiens à vous féliciter — et je l'ai dit en privé à Alain Deneault ce matin, il était présent — de la qualité du travail, la résilience avec laquelle vous portez ce dossier. Moi, je m'y intéresse depuis un certain nombre d'années et je suis d'accord avec vous que le balbutiement auquel on assiste en termes d'analyse ici tient aussi au fait que c'est censé être le Canada qui s'en occupe, et, sous le gouvernement... bon, sous le gouvernement Chrétien, Martin, ils ont empiré le problème, et, sous le gouvernement Harper, on sait qu'au G8 et au G20 c'étaient ceux qui appuyaient sur le frein. Alors donc, c'était glauque. Et j'ai demandé ce matin à une spécialiste, madame... je vais retrouver son nom...

Une voix : Rizqy.

M. Lisée : ...Rizqy, qui était aussi candidate libérale fédérale, comment ça se fait que le gouvernement Trudeau, qui se targue d'être progressiste, n'a rien fait, alors qu'il y a déjà un certain nombre de mois qu'ils y sont. Et j'aimerais savoir pourquoi.

Donc, ce qui fait que nous sommes en situation d'envisager de recommander au gouvernement, ce que nous allons faire, un certain nombre d'actions québécoises. Et nous, on va en être, hein? J'ai mes collègues... on est prêts à faire ces propositions-là. Et, si elles ne sont pas mises en oeuvre avant 2018 et que nous sommes en position de le faire, j'ai déjà indiqué qu'en mon cas ça serait fait dans les tout premiers mois de la fin 2018.

Mais je vous soumets ce scénario parce que, ce matin, Mme Rizqy nous disait : Oui, mais il y a la courtoisie internationale. Alors, si nous, on décidait de dénoncer, disons, les 12 pires conventions fiscales avec les paradis fiscaux pour le Québec, et donc de rendre immédiatement imposables les sommes qui y sont à partir du jour où on dénonce, les gens disent : Ah! oui, mais ils vont simplement déplacer leur place d'affaires à Toronto ou au Nouveau-Brunswick. Qu'est-ce que vous répondez à ça?

• (14 h 50) •

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : Déjà, est-ce qu'on veut d'une société, j'entends une entreprise, qui souhaiterait profiter d'un régime qui ne serait pas un régime libéral, au sens philosophique ou référentiel, mais un régime d'un capitalisme assisté où l'entreprise dirait : Bon, moi, je veux pouvoir délocaliser mes actifs, évidemment, à la Barbade quand j'ai des profits, mais quand même profiter du système routier et du système de santé pour soigner mon personnel? J'aime bien que les ingénieurs soient formés par l'État. Ça fait mon affaire. J'ai droit à la sécurité juridique ici pour investir et engranger des profits tant que je veux. Est-ce qu'il est pertinent pour le Québec d'avoir une Canadian Malartic qui ne paie pas d'impôt et coûte beaucoup à l'État du Québec parce qu'on lui fournit, à cette entreprise-là, du savoir-faire, des infrastructures publiques, un territoire aménagé, un grand nombre de biens, d'une part?

D'autre part, rappelons-nous que les entreprises qui disposent de beaucoup de capitaux ne créent pas nécessairement beaucoup d'emplois. Avant de créer des emplois... Souvent, on les crée d'ailleurs dans les zones franches, qui sont les paradis fiscaux du travail, j'en ai parlé tout à l'heure. Mais sinon, elles vont investir dans des produits financiers qui ne sont d'aucun intérêt pour l'économie réelle. Alors, on va investir dans des produits à terme, dans des produits dérivés sur les marchés financiers à gros volumes quand il ne s'agit pas simplement de planquer dans un compte bancaire les actifs qu'on détient parce qu'on a fait des profits relativement à des activités ou parce qu'on a sauvé beaucoup d'impôt. 630 milliards de dollars, les placements cumulés dans leurs comptes bancaires de la part des entreprises canadiennes, c'est énorme. Hein, on dit : Il faut stimuler le capital, l'oxygéner, mais, quand la facture fiscale baisse, tout ce qui augmente, c'est le montant inscrit dans un compte bancaire.

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault, je vous remercie. On va passer maintenant du côté de la deuxième opposition avec M. le député de Beauce-Nord.

M. Spénard : Merci, M. le Président. À mon tour de vous souhaiter la bienvenue, M. Deneault, Mme Tremblay et M. Bouchard-Boulianne. J'ai bien aimé votre mémoire et j'ai bien aimé la teneur de vos propos. Vous vous rapprochez beaucoup, beaucoup de notre pensée, qui est que l'individu est rendu surtaxé au Québec, le plus taxé en Amérique du Nord, conséquemment des différentes politiques fiscales, qu'elles soient canadiennes ou québécoises. Et je pense que l'étude qu'on fait sur les paradis fiscaux comme tels, ce n'est pas une idée qui nous est sortie de la tête. Je pense que c'est commandé par les Québécois, qui nous disent de plus en plus qu'on est les seuls à payer des impôts et puis qu'ils sont étouffés, financièrement parlant.

Je pense que l'étude sur les paradis fiscaux, c'est ça, il faut déboucher, à un moment donné, pour aller chercher des revenus ailleurs, qui nous sont dus et qui nous sont volés. Et ça, je pense que la population québécoise est à même de constater qu'il y a du vol, mais attend, attend et attend depuis plusieurs gouvernements, et on a un ancien ministre des Finances ici, à nos côtés, attend de voir qu'est-ce qu'on va faire puis qu'est-ce que ça règle.

Vous me rejoignez parce que vous dites aussi qu'on devrait innover, et ça, je vous suis parfaitement. La crainte de voir les sièges sociaux s'en aller ou de voir l'activité économique s'en aller, je pense que c'est de la foutaise. Écoutez, lorsqu'il y a possibilité... Et moi, je reviens toujours à... Ce sont toujours les grosses fortunes, les grosses multinationales qui nous coûtent le plus cher en subventions puis en prêts. Ce n'est pas l'individu. L'individu, il paie, lui. Puis ce n'est pas les PME. Elles ont de la misère à avoir 0,05 $. Mais les grosses multinationales, comme la famille Beaudoin, prenons Ciment McInnis, prenons la CSeries, prenons Bombardier, c'est des fleurons de l'industrie. C'est correct que c'est des fleurons de l'industrie, mais, s'ils sont si fleurons que ça de l'industrie, qu'ils s'organisent eux autres mêmes, qu'ils ne viennent pas nous voir. Là, vous me rejoignez.

Maintenant, moi, j'aimerais savoir à court terme, parce qu'on sait que ça ne se mettra pas en place rapidement, là, parce qu'on a une foule de facteurs à tenir compte, à court terme, c'est quoi, les meilleurs outils pour essayer de récupérer notre dû compte tenu que les institutions internationales dont vous nous avez parlé, là, ça ne sera pas mis en place, là, à court terme, ça.

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : Bien, d'abord, je suis tout à fait ravi d'entendre votre raisonnement. Si on postule que les particuliers sont trop imposés... C'est un postulat parce que les Suédois, les Finlandais, les Danois sont plus imposés que nous, mais ils ne s'en plaignent pas. Pourquoi? Parce que l'impôt qu'ils paient a du sens parce qu'à côté on a l'université gratuite, la piscine gratuite, la bibliothèque municipale gratuite. Je veux dire, on a des congés de maternité, on a des avantages qui font que l'argent qu'on garde, c'est de l'argent de poche.

M. Spénard : Même les stationnements des hôpitaux sont gratuits.

M. Deneault (Alain) : Voilà! Donc, qu'on soit trop imposé dépend de ce que l'État fait des deniers publics. Ce n'est pas simplement une affaire de taux ou de débours. Bon, maintenant, effectivement, on peut enfin partir de votre raisonnement et aller ailleurs, ne pas dire : Ah! l'État dépense trop. Non, ce n'est pas que l'État dépense trop, c'est qu'il y en a qui ne paient pas leur juste part. Il y a une catégorie de gens qui ne paient pas leur juste part, on les matraque. Il y a une catégorie de gens qui ne paient pas leur juste part, on les encense. Ça dépend de la classe sociale à laquelle on appartient.

Qu'est-ce qu'on peut faire? Je serais obligé de revenir à ce que je disais tout à l'heure. Il y a seulement un point avec lequel je serais en désaccord, c'est quand vous dites : Ça ne bougera pas. Mais il n'en tient qu'à vous parce que la loi... on parle toujours de la loi comme étant une... sur les questions fiscales, hein, on parle souvent de la loi comme étant la traduction de la volonté des dieux, hein? On fait comme si la loi rend ça possible, mais la loi, c'est vous qui la faites. Faites-en une qui soit conforme à ce qu'est la loi, c'est-à-dire une traduction de la conscience publique. Votez-nous des lois qui traduisent ce qu'on considère, comme citoyennes et citoyens, acceptable, moral ou bien donc digne de sanction. Mais cette loi-là dont on parle, c'est celle que vous votez ici aussi. Et, je veux dire, il y en a, des solutions techniques.

Pire que ça, Jean Maillard, un juge français qui a écrit des livres sur cette question, nous dit qu'on pourrait très bien ne pas reconnaître une transaction financière dont on ne connaît pas la provenance ou la destination. On pourrait très bien. Il faudrait un petit peu remettre en cause le logiciel idéologique du libre échange, là, mais on pourrait très bien se dire : Lorsqu'un produit est fait par des enfants, hein, et par des femmes et des hommes qui n'ont pas droit à la syndicalisation, qui sont payés 1 $ par jour quand ils sont chanceux et qui oeuvrent dans des conditions dont on ne voudrait jamais, nous, pour nos enfants, pour nous-mêmes, pour nos proches, on pourrait dire : Mais ce produit-là, il sera taxé à la douane pour des raisons sociales. On pourrait.

Il faut sortir des sentiers battus et faire preuve — là, je le dis au sens philosophique — de souveraineté, c'est-à-dire penser par soi-même.

M. Spénard : Oui, la souveraineté, moi, je considère que nous avons la souveraineté fiscale.

M. Deneault (Alain) : Tout à fait.

M. Spénard : Je m'arrête là sur la souveraineté. Je vais laisser ça à mes confrères de droite. Je n'ai pas d'autre question, M. le Président.

M. Deneault (Alain) : Si vous permettez, Aline Tremblay aurait peut-être un mot.

Le Président (M. Bernier) : Attendez. Il y aurait peut-être une petite réaction de Mme Tremblay. Oui, allez-y. Vous avez l'occasion.

Mme Tremblay (Aline) : Moi, j'ai suivi tous vos travaux. Je ne suis pas venue ici même, à l'Assemblée nationale, mais j'ai suivi tout ce qui s'est passé et j'ai été particulièrement étonnée de voir que ce qu'on a fait jusqu'à maintenant, ce que le Québec a fait jusqu'à maintenant, c'est de tenter de manière civilisée de s'harmoniser avec le fédéral. C'est la ligne de fond qui est ressortie et de l'Agence du revenu du Québec et du ministère des Finances. Et là je me dis : Dans une ligne où il faut que le Québec s'approprie, s'émancipe avec ce qu'il a puis qu'il se mette en route, je pense qu'en même temps, vous pouvez très, très, très bien avoir une cohérence et un suivi très serré du fédéral en même temps.

Vous avez voté, il me semble, une loi... vous avez voté un appui unanime, je pense que c'est unanime, à l'Assemblée par rapport à la Barbade. Alors, il faut le suivre, hein? Et je pense que, tout en innovant ici, il faut se dire qu'on suit de près ce qu'il se passe au fédéral et on intervient d'une manière systématique.

• (15 heures) •

Le Président (M. Bernier) : C'est l'objet de nos travaux. M. le député de Mercier.

M. Khadir : Merci, M. le Président. Beaucoup de choses ont été dites. D'abord, bravo, Mme Tremblay, M. Deneault, M. Bouchard!

Parmi les solutions qui ont été évoquées par plusieurs personnes, que nous avons nous-mêmes abordées et suggérées à Québec solidaire depuis des années, c'est que l'État québécois soit cohérent dans ses propres actions, dans ses propres lois, dans ses propres juridictions entre les ententes, les investissements, les contrats donnés à des entreprises et sa volonté de voir ces entreprises-là respecter les règles fiscales, d'être d'honnêtes citoyens fiscaux, ce qui est très difficile parce que la plupart, malheureusement, ont des pratiques, parfois, qui frisent la fraude, mais, en tout cas, des pratiques qui sont légales, mais qui sont moralement et fiscalement hautement discutables.

Je voudrais attirer l'attention de mes collègues parce que c'est très important, parce qu'il s'agit quand même d'un domaine où le Québec peut aller chercher beaucoup d'argent. En juillet 2015, un article du Devoir permettait de faire le calcul que, sur les 12 dernières années, le Québec a perdu 1,4 milliard de dollars parce qu'on a dépensé 1,7 milliard de dollars en infrastructures et en dépenses fiscales de toutes sortes pour le secteur minier. En retour, sur 12 ans, on a eu 300 millions de redevances. Donc, quand on fait le calcul, pour chaque dollar qu'on a recueilli de l'activité minière, le Québec a dépensé 5,7 $, presque 6 $. On a dépensé six fois plus que ce qu'elle nous a rapporté. Ça, c'est en termes des redevances versus l'investissement qu'on a fait pour les routes, pour l'appui au secteur minier, direct et indirect.

Et en plus, pendant... les chiffres qu'on a, c'est que, de 2011 à 2015, chaque année, en moyenne, est sorti du sous-sol 9 milliards de dollars. Donc, 45 milliards de dollars de la valeur qui nous appartient sont sortis de notre sous-sol, puis en plus, pour que cette activité s'opère, on a payé, pour chaque dollar que ça nous rapporte, 6 $ de notre poche. Vous voyez l'ampleur du phénomène.

Mais, si c'est possible pour les multinationales de ne payer que 300 millions sur les 45 milliards qui sont partis... pourquoi? C'est parce qu'il y a un certain nombre de mécanismes d'échappement à la fiscalité, aux redevances, qui s'appellent notamment, dans le domaine minier, le prix de transfert. J'aimerais donc... nos amis de nous parler un peu de ce prix de transfert comme mécanisme, comme moyen d'échapper à l'impôt, qui fait si mal au Québec, notamment au secteur minier, pour qu'on puisse réparer ça et régler ça.

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault.

M. Deneault (Alain) : Bien, le prix de transfert est précisément ce que facilitent les accords que le gouvernement fédéral a signés avec bien des paradis fiscaux. Il faut déjà comprendre que, pour qu'il y ait prix de transfert, il faut qu'il y ait plusieurs entités. Et donc, quand on est une multinationale, c'est facile de pratiquer le prix de transfert. Qu'est-ce qu'on fait? On en parle assez souvent sur la base des brevets ou de la propriété intellectuelle, on créé une filiale en Irlande en lien avec une autre filiale aux Pays-Bas qui est en lien avec une filiale aux Bermudes et on fait ce que Google a fait en 2011, c'est-à-dire qu'une entité est propriétaire des droits de propriété intellectuelle de l'utilisation d'une marque, comme Google, et elle peut facturer à toutes les autres entités du groupe des redevances pour que soit concentré un maximum d'actifs dans la filiale qui est propriétaire des droits d'utilisation de la marque.

Donc, à la fin de l'année, Google paie 2,4 % d'impôt à l'échelle mondiale parce que sa filiale des Bermudes a été capable de concentrer plus de 10 milliards de dollars parce que chaque entité dans le monde qui utilise la marque Google paie des redevances à la filiale bermudéenne via tout un montage. Et c'est évidemment ce qu'on peut faire à la Barbade. C'est ce qu'on peut faire en Suisse. Et je reviens... Il y a beaucoup de choses que je n'ai pas pris le temps de dire parce qu'on a peu de temps.

M. Khadir : Est-ce que votre exemple s'applique aussi à Uber?

M. Deneault (Alain) : Il faudrait voir. Il faudrait avoir accès aux données. Mais ce qui est intéressant, c'est de voir que le gouvernement du Québec est, je veux dire, très... demande à son Agence du revenu d'être très dure avec la serveuse à pourboire, le restaurateur familial, le notaire de village, mais, quand il s'agit d'Uber, là, on a un interlocuteur avec qui on discute. Même chose au fédéral. Pendant que la firme KPMG couvre des clients qui font l'objet de négociations assez complaisantes, on a RONA qui doit donner la liste de ses clients qui sont, eux, des petits joueurs dont on devine déjà qu'ils vont passer au crible parce qu'ils n'ont pas les moyens de négocier.

Et ça rappelle la phrase de Charlie Chaplin, qui disait : Tuez une personne, vous êtes un criminel, tuez-en des millions, vous êtes un héros. Et on pourrait avoir le même genre d'échelle sur un plan fiscal, je veux dire...

Le Président (M. Bernier) : Monsieur...

M. Deneault (Alain) : Roulez l'État à fond et vous serez, en quelque sorte, en situation de légalité et en situation de négocier...

Le Président (M. Bernier) : M. Deneault...

M. Deneault (Alain) : ...et volez un peu, et ça sera répréhensible.

Le Président (M. Bernier) : ...merci de votre participation. Mme Tremblay, M. Bouchard-Boulianne, merci d'avoir participé à la Commission des finances publiques sur cet important sujet.

Je vais suspendre les travaux jusqu'à... sine die. Je vais suspendre les travaux sine die.

(Fin de la séance à 15 h 6)

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