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Version finale

34e législature, 1re session
(28 novembre 1989 au 18 mars 1992)

Le mardi 5 novembre 1991 - Vol. 31 N° 59

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé


Journal des débats

 

(Vingt heures sept minutes)

Le Président (M. LeSage): À l'ordre, s'il vous plaît! Je déclare ouverte la séance de la commission des institutions. Je vous rappelle le mandat de cette commission, qui est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé. Est-ce qu'il y a des remplacements, Mme la secrétaire?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Camden (Lotbinière) remplace M. Gauvin (Montmagny-L'Islet), et M. Bourdon (Pointe-aux-Trembles) remplace Mme Harel (Hochelaga-Maisonneuve).

Le Président (M. LeSage): Merci, Mme la secrétaire. Je vous rappelle également l'ordre du jour pour ce soir. Nous entendrons en premier lieu l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec. Vous aurez 20 minutes pour faire votre exposé, et suivra par la suite une période de questions et réponses pour 40 minutes. Nous entendrons, à 21 heures, M. Yves Boulet: encore 20 minutes pour l'exposé et 40 minutes pour la période de questions. De sorte qu'à 22 heures nous ajournerons nos travaux.

Si vous voulez vous présenter, madame ou monsieur, ainsi que la personne qui vous accompagne.

Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec

Mme Jacques (Suzanne): Alors, M. le Président, je me présente, Suzanne Jacques, vice-présidente de l'Ordre des arpenteurs-géomètres. Et j'ai avec moi M. Gilles Legault, directeur général de l'Ordre des arpenteurs-géomètres.

Le Président (M. LeSage): Bienvenue chez nous. La parole est à vous, pour 20 minutes.

Mme Jacques: Merci. Alors, j'aimerais profiter de l'occasion pour remercier la commission de nous laisser passer notre message de vive voix. Alors, M. le Président, M. le ministre Cannon, membres de la commission, dans le cadre de la consultation générale concernant la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé, l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec désire donner son opinion sur ce sujet.

Les arpenteurs-géomètres sont des officiers publics. Le législateur a délégué aux arpenteurs- géomètres des pouvoirs spécifiques tels que décrits aux articles 34 et 35 de la Loi sur les arpenteurs-géomètres. La mission de l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec consiste à faire le nécessaire pour assurer la protection du public. À cet effet, l'Ordre a le devoir de prendre les moyens préventifs et correctifs requis pour assurer que ses membres pratiquent la profession dans le respect des standards les plus élevés de qualité et d'intégrité. Sa mission consiste également à assurer un sain développement de la profession, afin que la nature et la qualité des services rendus par les arpenteurs-géomètres soient adaptées à l'évolution de la société québécoise.

Les arpenteurs-géomètres sont des pionniers en matière de développement de systèmes d'information relativement aux données foncières. Nos activités professionnelles nous conduisent à agir à la fois comme agents associés à la collecte, au traitement et à la diffusion de cette information. L'informatisation des moyens de diffusion des données, concrétisée par l'arrivée sur le marché d'appareils modernes comme les ordinateurs, les télécopieurs et les modems, nous oblige à réfléchir sur le transfert de nos informations. La rentabilité est aussi un paramètre essentiel de nos jours à la production d'un document d'arpenteur-géomètre. Ces aspects sont des plus importants pour la protection des renseignements détenus par les arpenteurs-géomètres au profit de leurs clients. Alors, aujourd'hui, on transforme en bits non pas seulement des textes, mais aussi des plans, des images, des photographies. C'est l'ère de l'imagerie électronique.

Nous nous sommes donc penchés sur certains aspects de la question et nous analyserons la notion de confidentialité, les droits d'auteur et la qualité de l'information transmise et de son utilisation ultérieure. Ces aspects constituent l'ensemble des éléments du problème. Les éléments de solution passeront par l'établissement de règles strictes régissant ceux qui font la cueillette des informations et ceux qui en font la diffusion par la suite. Il nous est possible, à partir de notre expérience professionnelle, d'aborder plusieurs thèmes eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé: problèmes, par exemple, associés à la collecte de l'information par les organismes privés, au traitement de cette information et à sa diffusion, autant sur le plan national qu'international. Cependant, notre intervention se limitera à illustrer certaines difficultés liées au secret professionnel des membres de notre profession et au respect des droits d'auteur sur les

documents qu'ils produisent.

La notion de confidentialité. Dans l'exercice de ses fonctions, l'arpenteur-géomètre se doit en tout temps de respecter le secret professionnel qui le lie à son client. Cette contrainte fait partie de sa vie quotidienne. Il y a donc lieu d'évaluer l'impact de la transmission des données sur la pratique professionnelle. Les contraintes légales lui sont dictées par l'article 62 de la Loi sur les arpenteurs-géomètres et les articles 3.06.01 à 3.06.05 du Code de déontologie. Je n'en ferai pas la lecture, mais j'aimerais seulement lire les deux principaux. "3.06.01 L'arpenteur-géomètre doit respecter le secret de tout document ou renseignement de nature confidentielle obtenu dans l'exercice de sa profession." "3.06.02 L'arpenteur-géomètre ne peut être relevé du secret professionnel qu'avec l'autorisation écrite de son client ou lorsque la loi l'ordonne."

Nous constatons, à la lecture de ces articles, l'obligation du respect du secret professionnel pour l'arpenteur-géomètre. Par exemple, lorsqu'une municipalité exige d'un propriétaire une copie de son certificat de localisation, c'est dans le but avoué de vérifier la conformité de la position de la maison avec les règlements municipaux. Si elle l'utilise à d'autres fins, telles que la mise à jour de sa cartographie, de son rôle d'évaluation, de sa matrice graphique, de sa rénovation cadastrale, ou pour le mettre à la disposition de personnes désireuses d'en connaître le contenu, elle l'utilise à d'autres fins que le but avoué.

Ce n'est pas le seul exemple. Si on prend pour exemple les plans de travail que nous bâtissons, il y a généralement, sur nos plans de travail un surplus d'informations et il y a aussi plusieurs hypothèses de solution, parce qu'on travaille par la méthode d'essais et d'erreurs continuellement. On va essayer des solutions, voir le résultat, comment ça se répercute sur d'autres terrains. Lorsqu'on parie de subdivision aussi, ça devient important. On retarde souvent l'émission d'un permis de lotissement tant que les coordonnées ne sont pas remises à la municipalité. Alors, ça fait un moyen de pression supplémentaire indu sur les payeurs de taxes qui désirent développer certains terrains. Lorsqu'on regarde des projets de lotissement, ce sont des ébauches, généralement, et on en a plusieurs pour un même projet. Alors, le meilleur exemple que je peux donner pour tout le monde ici dans la salle c'est, par exemple, une maison où vous avez une vue illégale. Vous découvrez que vous avez une vue illégale en ayant un certificat de localisation. Votre certificat de localisation, si on le remet à la municipalité et qu'elle en distribue des copies, au lieu d'avoir peut-être une solution de bons voisins, vous allez peut-être vous retrouver avec une poursuite et avec un surplus financier parce que les gens vont probablement avoir mal interprété la solution possible de régler.

Alors, en exigeant de tels documents des propriétaires qui réalisent de nouvelles constructions ou des rénovations importantes, les municipalités se font remettre une opinion sur la situation et la condition générale d'un bien-fonds. Cette opinion contient beaucoup plus de renseignements que les municipalités en ont besoin pour vérifier la conformité de la nouvelle construction. Cette opinion contient des renseignements sur les empiétements exercés et soufferts par rapport aux titres et au cadastre. L'arpenteur-géomètre doit souvent apporter des commentaires sur les conséquences de ces empiétements en regard des droits des personnes concernées et des moyens à prendre pour régulariser la situation. Tous ces renseignements et opinions sont de nature privée et leur divulgation peut avoir des conséquences sur la valeur de l'Immeuble, détériorer les relations de bon voisinage ou empêcher de solutionner un problème à l'amiable. (20 h 15)

Le certificat de localisation est un document personnel préparé par un arpenteur-géomètre pour le seul bénéfice de son client. Il contient des renseignements nominatifs et techniques. Conséquemment, la municipalité, avant de l'intégrer à une base de données et d'en faire la diffusion, devrait suivre les procédures prévues aux articles 25 et 49 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Cette procédure n'est actuellement pas respectée et nous croyons qu'il est nécessaire que les créateurs de bases de données soient tenus de respecter les procédures concernant l'intégration et la diffusion des renseignements contenus au certificat de localisation.

De façon générale, il y a actuellement une tendance déplorable de la part d'organismes publics à utiliser leur pouvoir de réglementation pour des documents qui contiennent des informations confidentielles. Ces informations doivent demeurer confidentielles en vertu des règles du secret professionnel. Ces organismes copient intégralement, dans des bases de données, les documents qu'ils obtiennent. Les renseignements ainsi obtenus sont alors susceptibles d'être diffusés, utilisés ou interprétés par les différents services internes de l'organisation qui s'est vu remettre les documents. Ces informations seront, par la suite, utilisées dans un contexte qui n'a généralement rien à voir avec les fins pour lesquelles les informations ont été recueillies en premier lieu. Le meilleur exemple qu'on peut voir, c'est le suivant: Je suis un organisme et je décide d'acheter la banque de données de mon vendeur de pizza, de ma pharmacie - on peut en nommer plusieurs comme ça. On peut avoir comme résultat... Ils vont connaître mon numéro de téléphone, mon adresse, le nom, le plan des

appartements, le contrat d'achat, le chemin pour se rendre chez moi, le nombre de résidents, les films que j'ai loués, les maladies que j'ai eues. Alors, on se retrouve un peu devant l'ordinateur que le grand saint Pierre va avoir peut-être quand on va aller au ciel et qui va nous permettre peut-être d'accéder ou de ne pas accéder au ciel.

Par la suite, en vertu d'une interprétation douteuse des dispositions de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, des copies du même document seront transmises à quiconque en fait la demande. Le nouveau détenteur pourra, à son tour, utiliser cette information, la recopier intégralement ou partiellement, l'intégrer dans d'autres systèmes d'information et la traiter sans aucun contrôle; elle est même susceptible d'être utilisée à rencontre des intérêts mêmes de celui qui a payé pour la faire colliger. Elle peut être utilisée à des fins fiscales, commerciales, politiques, juridiques ou autres. Très peu de gens sont conscients des dangers associés à ces pratiques. Dans tous les cas il y a violation du secret professionnel, ce qui a pour conséquence de ruiner la relation de confiance entre le professionnel et ses clients.

Le droit d'auteur. À la lecture de la Loi sur le droit d'auteur, on retrouve, entre autres, les définitions suivantes: l'oeuvre artistique, qui comprend les graphiques, les cartes géographiques et marines et les plans et l'oeuvre littéraire, qui s'adresse aux programmes d'ordinateur. Le droit d'auteur est défini comme étant le droit de produire ou de reproduire une oeuvre, une partie importante de celle-ci sous une forme matérielle quelconque. Est aussi inclus dans la définition du droit d'auteur le droit exclusif d'autoriser ces actes. Quiconque, sans le consentement du titulaire du droit d'auteur, exécute un acte que seul le titulaire a la faculté d'exécuter, porte atteinte au droit d'auteur. Dans le cadre de cette loi, il est interdit de faire la transformation sous forme numérique de plans ou de cartes sans l'autorisation préalable de l'auteur. Actuellement, certaines municipalités utilisent les documents préparés à des fins légales par les arpenteurs-géomètres pour mettre à jour leur cartographie. Ils passent ainsi outre aux obligations de la Loi sur le droit d'auteur. La transmission d'un document à un organisme public ne lui donne pas le droit d'en faire des copies, même lorsque la transmission se fait par des moyens informatiques. Les protections actuelles de la Loi sur le droit d'auteur peuvent sembler suffisantes pour empêcher le plagiat par des entreprises qui commercialiseraient les banques de données; ce n'est pas toujours le cas. Il faudrait, toutefois, beaucoup d'énergie et d'argent si un arpenteur-géomètre décidait de se prévaloir de ses droits et il ne devrait pas en être ainsi. Le législateur québécois doit faire en sorte que la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels s'harmonise avec la Loi sur le droit d'auteur.

La qualité de l'information transmise et de son utilisation ultérieure. Dans le domaine de l'informatique, il est très facile de mélanger les unes aux autres les informations de différentes provenances, de qualités diverses et de précisions variables. L'apparence de l'information transmise est semblable, mais le résultat de l'intégration à une base de données pourra donner quelquefois des résultats surprenants. Les arpenteurs-géomètres procèdent à des levés topographiques pour différents buts et selon des méthodes variables et adaptées au besoin de chacun des mandats. La précision du résultat diffère selon les mandats. Le proverbe qui dit "garbage in, garbage out" est toujours vrai et restera toujours vrai. Les arpenteurs-géomètres produisent, selon les besoins, des plans de haute précision et aussi des croquis préliminaires à un projet. La précision varie selon chaque mandat. La numérisation de ces plans et croquis donnera en informatique un produit d'apparence semblable où il est impossible de déceler sa valeur intrinsèque. Nous devons contrôler la qualité des renseignements à verser dans les banques de données et contrôler l'utilisation ultérieure qui en sera faite. Si nous ne contrôlons pas l'utilisation de l'information transmise, comment pourrons-nous assurer que son interprétation ne sera pas complètement erronée? Notre responsabilité professionnelle d'auteur de cette information nous oblige à une très grande prudence en fournissant ces informations à d'autres qu'à notre client.

La loi devra s'attarder à limiter le pouvoir des diffuseurs de l'information. Le législateur ne devra pas laisser à l'arpenteur-géomètre l'odieux de faire respecter les lois existantes ou à venir dans ce domaine. Les règles édictées pour contrôler la saisie et la diffusion des données devront être nombreuses et strictes. Cela procurera au citoyen l'assurance du respect de la confidentialité des renseignements mis à la disposition de ceux qui font la saisie et la diffusion des informations. Les contrôles, comme je le répète encore, doivent être nombreux et efficaces. La grande facilité et la grande rapidité de transmission des données vous obligent à prendre ces précautions. Alors, je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. LeSage): Merci, Mme Jacques, pour cette présentation. M. le ministre.

M. Cannon: Oui. Merci, M. le Président. Merci, Mme Jacques, de même que M. Legault, d'avoir bien voulu participer à nos travaux, à la consultation et aux auditions publiques sur la protection de la vie privée. J'ai noté dans votre mémoire que vous faites l'exemple de décisions qui sont prises par une municipalité à d'autres fins que l'intention des autorités d'une municipalité. Vous parlez du certificat de localisation qui,

tantôt, peut servir de vérification sur le plan cadastral pour voir l'emplacement de la propriété - si la maison, la bâtisse ou les dépendances sont bien placées - mais que, en même temps, on s'en sert pour des rénovations cadastrales et d'autres fins. Dites-moi: Est-ce que, à votre connaissance, il y a eu des plaintes qui ont été apportées par des citoyens à l'égard de cette chose-là et, si oui, est-ce qu'elles ont été adressées à la Commission d'accès à l'information, puisqu'on traite ici, évidemment, d'éléments du secteur public?

Mme Jacques: Je ne peux pas répondre de façon très stricte, à savoir s'il y a eu des plaintes ou pas. Je ne crois pas que, dans ma région, il y ait eu nécessairement des plaintes, mais je ne pense pas que le public soit conscient de l'utilisation qu'on fait du document, une fois qu'ils en ont remis la copie à la municipalité, et je pense que c'est ça qui est important. On l'utilise vraiment pour mettre à jour le rôle d'évaluation, on l'utilise à peu près à toutes les sauces. Il y a même certaines municipalités où on peut se présenter, sans être le propriétaire de la résidence, et demander à voir s'il y a une copie du certificat de localisation, et la personne qui est en arrière du comptoir va la sortir et la lui présenter sans poser aucune question. Et c'est ça qui est grave.

M. Cannon: À l'exception, évidemment, des cas que vous citez ici, c'est-à-dire la mise à jour de sa cartographie ou de sa rénovation cadastrale, elle l'utilise à d'autres fins, et vous avez mentionné tout à l'heure, dans votre première réponse, qu'il s'agissait d'autres fins. Vous me donniez l'exemple d'une personne qui pourrait se présenter, alléguant je ne sais trop quoi, et obtenir d'un employé de la municipalité une copie du certificat de localisation qui a été fourni par le propriétaire du terrain. À votre connaissance, avec cet exemple-là, est-ce qu'il y a d'autres choses qui pourraient survenir à l'occasion de la transmission de ces renseignements? Bref, est-ce qu'il y a d'autres exemples que vous pourriez nous donner d'une autre finalité que l'intention initiale?

Mme Jacques: Si, par exemple, vous avez M. Legault qui se présente pour aller voir le certificat de localisation de ma propriété et, dessus, il y a un empiétement que, moi, je veux essayer de régler à l'amiable, ça peut envenimer les relations de bon voisinage en ayant accès à l'information à laquelle il n'aurait pas accès... Si, par exemple, il se présentait au bureau de l'arpenteur-géomètre, il ne pourrait jamais avoir accès à ce document-là sans l'autorisation de celui qui a demandé, celui qui a payé pour l'information, ou ses ayants droit. Alors, c'est un moyen détourné d'obtenir de l'information qui, de façon normale, ne serait pas disponible.

M. Cannon: Sans doute, vous savez que si, demain matin, je me présente au bureau d'enregistrement, et vous habitez la municipalité ou la corporation municipale de Saint-Augustin-de-Desmaures, - je prends ça comme exemple puisque c'est proche de chez nous et c'est dans mon comté - vous habitez le lot 148-16, et je dis: Mme Jacques habite là, je voudrais voir au bureau d'enregistrement toutes les transactions qui ont été faites sur cette propriété-là, moyennant un montant d'argent, je peux aller chercher ces informations-là. Est-ce que là aussi vous trouvez qu'il y a vraiment une infraction ou, enfin, une intervention directe auprès des informations privées d'un individu?

Mme Jacques: Les informations qui sont disponibles au bureau d'enregistrement ne contiennent pas nécessairement nos certificats de localisation. Elles ont trait aux actes, aux transactions qui s'adressent à une propriété. Vous ne trouverez pas les certificats de localisation. Vous allez peut-être trouver une mention dessus...

M. Cannon: Non. Ça, je comprends... Mme Jacques: O.K.

M. Cannon: ...sauf que, là aussi, je suis capable d'aller chercher des renseignements, notamment sur la propriété: qui détient l'hypothèque, à quelle banque, etc. Est-ce que, selon vous, c'est également une pratique qui est condamnable en soi et qui mériterait que nous examinions une action quelconque?

Mme Jacques: Lorsqu'on le fait à l'échelle d'une propriété, c'est raisonnable. Mais, lorsque des moyens électroniques nous permettent de le faire pour l'ensemble, de dire, par exemple. L'ordinateur, pesez sur un petit bouton, je veux avoir toutes les propriétés de M. Malenfant. Si vous le faites manuellement, ça va prendre beaucoup plus de temps et vous risquez d'en oublier et là on donne accès à une information très facilement et pas nécessairement utile ou utilisable de façon généralement adéquate. Pourquoi permettre, via l'informatique, de donner accès plus rapidement à une information que, normalement, on prendrait des mois à colliger?

M. Cannon: O.K. Avez-vous eu l'occasion d'examiner les recommandations du comité interministériel qui ont trait au rapport "Vie privée: zone à accès restreint"? Est-ce que vous avez eu l'occasion de voir...

Mme Jacques: Est-ce que ça faisait partie des documents? Si c'est le document qui nous a été remis, oui.

M. Cannon: Oui. Pouvez-vous me dire ce

que vous en pensez en gros?

Mme Jacques: J'émets certaines restrictions quant aux normes très générales. J'aimerais mieux voir des normes très spécifiques, parce que là on peut amasser de l'information de façon rapide et vertigineuse sur une personne. Et c'est ça qui m'effraie. C'est ça qui m'effraie en tant que citoyenne, qu'on puisse avoir accès à tant d'informations sur moi.

M. Cannon: Peut-être juste une dernière question avant de céder la parole à mon collègue. Je reviens toujours avec le cadastre ou, enfin, le certificat de localisation. À votre connaissance, les renseignements personnels relatifs aux données foncières contenus dans le certificat de localisation sont-ils utilisés par le secteur privé, notamment les institutions financières ou des choses semblables, les bureaux de crédit ou des organismes qui sont intéressés et qui exploitent, à toutes fins pratiques, une matière première qui s'appelle l'individu et qui sont en mesure de colliger ces renseignements? D'après vous, est-ce que ces banques-là pourraient servir à colliger ces renseignements-là?

Mme Jacques: Pour reprendre votre question, pour être sûre que je comprends bien, c'est si, par exemple, une banque distribue l'information qu'elle a obtenue à partir d'un certificat de localisation?

M. Cannon: C'est-à-dire, non. Une municipalité... Vous avez indiqué dans votre document que plusieurs municipalités se servent des renseignements personnels contenus dans les certificats de localisation préparés par l'arpen-teur-géomètre...

Mme Jacques: Oui. (20 h 30)

M. Cannon:... pour les bénéfices du client. Et je vous demande si, à votre connaissance, une municipalité qui a en sa possession le certificat de localisation de même que les renseignements sur l'individu ou les propriétaires... Est-ce que vous avez connaissance de situations, ou est-ce que vous avez déjà vu une situation selon laquelle une institution financière pouvait aller auprès de la municipalité cueillir ces renseignements qui sont, comme vous l'avez mentionné, privés et personnels et ainsi colliger des renseignements sur l'individu?

Mme Jacques: Je ne peux pas parler au nom des institutions financières, je regrette. Je peux vous parler de mon expérience en tant qu'arpenteur-géomètre. Alors, je ne peux pas avancer quoi que ce soit du côté des...

M. Cannon: Non, mais c'est juste dans votre expérience, si vous êtes au courant, ou si vous pensez ou vous avez une idée que ça s'est déjà fait, ou si quelqu'un vous a approchée pour dire: Comment ça se fait qu'en faisant... Par exemple, si vous êtes mon arpenteur-géomètre et que je vais à la banque chercher un prêt personnel et je m'aperçois qu'il y a telle information, que je vous avais donnée ou que vous aviez colligée au moment où je me suis porté propriétaire d'une propriété, qui se retrouve dans mon dossier de crédit. Alors, vous interrogeant, je m'aperçois que ça ne vient pas de vous et comme le seul organisme à qui je l'ai donnée, c'est à une municipalité ou à la communauté urbaine, je me dis: Bon, bien, la fuite vient de là. Alors, c'est pour ça que je vous demande si vous avez déjà eu des représentations d'individus qui vous ont dit cette chose-là?

Mme Jacques: Non. M. Cannon: O. K.

Mme Jacques: Pas dans ma très courte expérience, non.

M. Cannon: O. K. Merci. M. le Président.

Le Président (M. LeSage): M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Alors, Mme Jacques, je veux d'abord vous remercier pour votre mémoire qui est d'une très bonne qualité. Vous dites dedans: "Les règles édictées pour contrôler la saisie et la diffusion de données devront être nombreuses et strictes. " De quelles règles parlez-vous là? Vous dites "nombreuses et strictes", mais est-ce que vous avez des exemples?

Mme Jacques: Le principal problème que je vois, c'est qu'on s'aperçoit que plusieurs données sont collectées et emmagasinées et qu'on n'évalue pas au moment de la collecte, généralement, la qualité de cette information-là.

L'exemple que je peux vous donner, c'est lorsqu'on fait un relevé topographique pour un bord de l'eau ou pour établir une limite cadastrale, on ne fera pas nécessairement le même relevé de la ligne de l'eau parce que la ligne qui va compter, dont on va se servir pour le cadastre, ça va être la limite des hautes eaux, et peut-être pour notre relevé topographique, ça va être tout simplement la ligne de végétation. La qualité n'est pas la même. Les besoins ne sont pas les mêmes. Et vous pouvez, par exemple, avoir un relevé que je vais faire pour l'aménagement paysager d'une propriété, je vais aller relever les arbres pas de la même façon que, par exemple, pour déterminer la superficie d'un boisé. La qualité de l'information n'est pas la même. Alors, si toutes ces informations-là se retrouvent dans la même banque de données, vous n'aurez pas un résultat homogène en tant que qualité. Et

c'est là le danger. Et il faut prévoir des mécanismes pour ne pas que n'importe qui emmagasine n'importe quoi, n'importe comment.

M. Bourdon: Mais, à ce moment-là, est-ce que vous songez à ce que l'organisme ou l'entreprise qui prend des données obtienne l'autorisation de la source de ces données-là avant d'en faire usage?

Mme Jacques: Elle devrait toujours. Il y a des droits d'auteur sur ces données-là. Et on ne le fait pas, de pratique courante, on ne semble pas le faire.

M. Bourdon: Et, à votre avis, si une loi contrôlait l'accès à ces renseignements-là, quel organisme devrait se charger de faire respecter cette loi-là? Est-ce que vous avez étudié cette partie-là du débat?

Mme Jacques: Je n'ai malheureusement pas étudié cet aspect-là. Je m'attachais plutôt à la qualité des informations qui seraient emmagasinées, qui est ma principale préoccupation.

M. Bourdon: D'accord. Je vous remercie.

Le Président (M. LeSage): Merci, M. le député de Pointe-aux-Trembles. M. le député d'Orford.

M. Benoit: Une courte question, Mme Jacques. Je reviens à une question que le ministre a commencé à vous poser. Je voudrais continuer. Je me suis réveillé un bon matin, lors d'une convention dans mon propre parti, où un adversaire est allé au bureau d'enregistrement, a mis la main sur l'achat d'un condo que j'avais fait, le montant que j'avais payé, etc., a photocopié ça et a distribué ça à 700 ou 800 personnes dans le comté. Il n'y avait rien de pas correct là-dedans, si ce n'est que ce n'est pas très agréable que la moitié d'un comté sache combien vous avez payé pour votre résidence, etc. Je dois admettre que c'est une des premières fois dans ma vie où je me suis senti persécuté dans de l'information personnelle. Ça ne m'était jamais arrivé et je ne pensais pas que ça m'ar-riverait un bon jour. Et la question que je vous pose, le ministre a commencé à vous la poser: Jusqu'où doit-on aller dans le contrôle de cette information, particulièrement au bureau des enregistrements? Au niveau de l'hôtel de ville, on m'a dit... Parce que, suite à cet incident, j'ai vérifié avec mon arpenteur, j'ai vérifié avec mon notaire, qui m'ont dit: Non, tu peux être assuré que ce n'est pas nous qui avons filtré l'information. Et c'était assez rapide de comprendre que c'était au bureau d'enregistrement, que c'est de là que l'information venait.

Jusqu'où doit-on aller dans le... Empêcher les citoyens, d'une part, d'avoir cette information et, d'autre part, je me suis senti brimé dans un droit fondamental d'avoir une résidence et ce n'était pas évident que tout le monde devait savoir ce que j'avais payé pour cette résidence-là. Je comprends que vous êtes arpenteur, ce n'est peut-être pas... Mais vous avez dû penser un peu à ces dynamiques-là avant aujourd'hui.

Mme Jacques: Moi, ce qui me fait le plus peur actuellement, c'est justement la rapidité avec laquelle on pourra aller chercher l'information sur votre propriété et, après ça, la diffuser pour faire plus de mal que de bien. Actuellement, le système d'enregistrement, tel qu'il est, c'est pour publiciser certains droits ou certaines charges sur un lot. Je pense que c'est nécessaire de le faire parce que moi, je ne voudrais pas acheter une propriété dont vous n'êtes pas le propriétaire.

Il est vrai que je peux m'assurer auprès de mon notaire, lui dire: Bon, bien, fais les recherches nécessaires. Mais, quand même, si je ne veux pas me servir des services du notaire, je veux être capable d'aller vérifier si ce que j'achète, c'est bien ce dont vous êtes propriétaire, pour ne pas avoir des problèmes après. Je pense qu'il y a une utilité, mais là où il faut faire attention, c'est que l'organisme a été créé à un moment où la transmission des données ne se faisait pas en une fraction de seconde. Alors, il y a peut-être lieu de l'améliorer, mais je pense qu'il faut prendre les moyens pour protéger les citoyens de façon rapide parce que là il n'y a pas de normes et on s'aperçoit qu'il y a plusieurs organismes qui vendent de l'information et qu'elle est intégrée partout...

Je suis sûre que vous avez déjà appelé votre vendeur de pizza et qu'il a dit: Ah oui, bonjour monsieur! Vous avez commandé une végétarienne, la dernière fois. Est-ce que c'est la même chose? Et moi, ça me dérange beaucoup quand je vois ça. Alors, je suis en partie d'accord avec votre problème et il y a des endroits où j'en mettrais encore plus, de façon à ce que ces choses-là ne se...

M. Benoit: Est-ce qu'on pourrait penser que, dans un bureau d'enregistrement, seuls les professionnels certifiés et agréés pourraient avoir accès à cette information-là, qu'un simple citoyen comme moi devrait passer par un arpenteur ou un notaire, et que je ne pourrais pas obtenir autrement cette information-là? Est-ce qu'on peut penser à des mesures comme celles-là?

Mme Jacques: Je suis sûre que ça va faire plaisir à plusieurs professionnels parce que vous allez augmenter leur volume d'ouvrage, si vous voulez le voir comme ça.

M. Benoit: Est-ce qu'on brimerait la société d'un certain nombre de libertés fondamentales, à

ce moment-là, ou...

Mme Jacques: J'imagine, j'imagine, oui. Parce que, moi, je suis peut-être un professionnel, mais je suis aussi capable de faire mes recherches au bureau d'enregistrement et je suis capable d'aider ma famille si elle en a besoin. Alors, oui, il y a une partie des droits qui serait brimée. Mais c'est l'utilisation qu'on ne contrôle pas, c'est ça qui est dangereux.

Le Président (M. Camden): M. le député de Hull.

M. LeSage: Merci, M. le Président. Mme Jacques, j'aimerais qu'on revienne au plan de localisation. Dans votre exposé, vous avez mentionné que c'était un document qui était fait pour votre client et que son utilité en était personnelle. Bien entendu, un plan de localisation, il n'y a pas un propriétaire qui va s'en faire faire un de lui-même. Ce n'est que si la banque le lui demande pour un prêt ou pour une vente. Et vous faites toujours allusion aux droits de la personne, c'est-à-dire cet intérêt particulier qu'une personne peut avoir pour son propre plan de localisation et ses droits à elle. Mais la personne qui est la voisine dont vous parliez tantôt et avec laquelle vous vouliez entretenir de bonnes relations, elle, si elle ne voit pas votre plan de localisation, elle ne saura probablement jamais qu'il peut y avoir un empiétement, à moins qu'elle ne se fasse faire, elle aussi, un certificat de localisation. Elle devra payer des honoraires en plus. Ça, c'est pour un empiétement. S'il y a des constructions qui ne sont pas légales... Un droit de vision qui ne serait pas légal peut être apparent, mais si la propriété est trop près, ce n'est pas toujours apparent et ce n'est pas toujours évident. Il faut que quelqu'un aille mesurer. Et vous ne le laisserez pas aller sur votre terrain ou votre voisin ne vous laissera pas venir sur son terrain. Pourquoi vous objectez-vous à ce qu'un voisin puisse faire les vérifications? La municipalité a toutes les coordonnées à son rôle d'évaluation. Est-ce que c'est tout simplement pour faire en sorte que le voisin s'engage un arpenteur lui aussi et qu'il le découvre par lui-même? Le droit, est-ce que c'est seulement pour vous? Est-ce que ça s'applique également pour le voisin?

Mme Jacques: La municipalité n'a pas toutes les informations et l'expert de la mesure, c'est l'arpenteur-géomètre, ce n'est pas M. Jos Tout-le-Monde. Je regrette. Et il y a des façons, il y a des méthodes par lesquelles on peut vérifier rapidement et facilement et avoir une opinion sur la limite d'une propriété. C'est une opinion, encore une fois. Et je regrette, là, mais s'il y a un problème et que moi je découvre que j'ai un problème sur mon lot, je voudrais bien être capable d'essayer de le régler avec le moins de dommage possible parce que ça peut être une propriété que j'ai achetée et ce n'est pas de mon propre fait que j'ai des problèmes. Alors, je vais essayer de prendre les moyens les moins dommageables et aussi de conserver des bonnes relations avec mon voisin. Je vais vivre avec lui tous les jours à côté de moi. C'est vrai que je peux déménager, mais ce n'est pas une solution très rentable. Et c'est ça qu'il faut protéger. Il faut protéger nos relations de bon voisinage et ne pas créer de conflits inutilement.

M. LeSage: Vous ne pensez pas, Mme Jacques, que, justement, pour maintenir de bonnes relations, si j'ai un doute et si je vais vous en parler à vous comme ma voisine, on peut envenimer un peu nos relations? Si je peux aller quelque part comme à l'hôtel de ville et qu'ils ont l'information et qu'elle me satisfasse, il n'y a pas de problème, vous ne le saurez jamais et on va encore avoir des bonnes relations. Vous ne pensez pas?

Mme Jacques: Je ne pense pas que les personnes en arrière du comptoir d'une municipalité soient habilitées à donner des renseignements qui vont faire que mon voisin va ressortir de là avec une paix et dire: Oui, tout est beau, tout est conforme, là, je n'ai pas de problème. Je regrette, le professionnel a toujours sa place et c'est au professionnel de rassurer et de bien renseigner les deux parties.

M. LeSage: Alors, une dernière question, M. le Président. Si je comprends bien ce que vous dites, c'est que les renseignements ne devraient pas être à l'hôtel de ville, et si quelqu'un veut les avoir, il devrait aller voir un professionnel qui serait, entre autres, un arpenteur. C'est ça que vous me dites?

Mme Jacques: Actuellement, c'est ce qu'on voudrait voir parce que les municipalités ne nous disent pas l'utilisation qu'elles vont en faire. Et c'est là que ça crée des conflits. Et les conflits vont résulter beaucoup plus de la situation que vous avez proposée plutôt que de relations avec un professionnel.

M. LeSage: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Camden): M. le ministre.

M. Cannon: Peut-être en guise de conclusion, madame. Comme vous le savez, la loi d'accès à l'information rend responsable et crée une obligation auprès de la municipalité qui a ces renseignements-là, qui est propriétaire ou qui détient les renseignements dont vous avez expressément parlé tout à l'heure, notamment le certificat de localisation. Il est donc de la responsabilité, en vertu de la loi, que le préposé ou la municipalité obtienne l'autorisation de celui

qui est propriétaire du terrain, donc de celui qui a fourni le certificat de localisation, avant même de le transmettre. Et si tel était le cas, si l'autorisation avait été fournie, ça serait tout à fait légal. Mais, dans le cas contraire, le propriétaire peut porter plainte auprès...

Mme Jacques: En autant...

M. Cannon: ...de la Commission d'accès à l'information et la Commission d'accès à l'information a l'obligation de faire une enquête et de restaurer le mal ou le tort qui a été créé. Dans ce sens-là, je pense que, déjà, la loi existe dans des cas semblables. Je tiens à vous rassurer là-dessus. Si jamais, madame, des situations comme celles que vous nous avez décrites ce soir se produisaient, je vous invite... Parce que les municipalités doivent, compte tenu de l'application de la loi, se conformer à l'esprit et non seulement à l'esprit, mais à la lettre de la loi. Dans ce sens-là, je tiens à vous rassurer. Si jamais il y a des cas qui se produisent de cette nature-là, je vous invite à communiquer immédiatement avec les gens de la loi sur l'accès à l'information, ou bien à demander à l'individu de porter plainte le plus rapidement possible.

Mme Jacques: Vous me rassurez avec ce que vous dites, sauf que ces faits-là ne viennent pas de mon imagination, ils existent.

M. Cannon: Ah non. Je n'ai pas la prétention...

Mme Jacques: Et le citoyen ne connaît pas nécessairement la diffusion qui est faite de l'information qu'il fournit, et c'est là le principal problème.

M. Cannon: Ah non. Je ne mets pas en cause, madame, ce que vous nous avez expliqué ce soir dans votre mémoire. La seule chose que je tiens à vous dire, c'est que c'est déjà couvert.

Quant à moi, j'ai terminé mon questionnement. Je tiens à vous remercier, au nom des gens de la commission, d'avoir bien voulu prendre le temps de préparer votre mémoire et de venir livrer évidemment vos renseignements, vos préoccupations sur ce sujet et je vous souhaite un bon retour. Merci.

Mme Jacques: Merci beaucoup.

Le Président (M. Camden): Je remercie les représentants de l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec de nous avoir présenté leur mémoire. Afin de permettre à la prochaine personne de prendre place, soit M. Yves Boulet, je suspends momentanément les travaux de la commission.

(Suspension de la séance à 20 h 48)

(Reprise à 20 h 49)

Le Président (M. Camden): M. Boulet, d'abord, on vous souhaite la bienvenue devant cette commission. Je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour présenter votre exposé et que, pendant les 40 minutes qui suivront, le temps sera réparti entre les deux formations, afin de formuler des questions. Alors, nous sommes disposés à vous entendre pour les 20 prochaines minutes.

M. Yves Boulet

M. Boulet (Yves): Merci. Bonsoir, messieurs, bonsoir, mesdames. Je vous remercie d'abord de m'accorder votre attention ce soir. Je veux préciser, au départ, que le mémoire que je vous ai envoyé a été envoyé à titre personnel et non pas pour le Mouvement Desjardins, même si je travaille pour le Mouvement Desjardins. Donc, à titre personnel, j'ai pris quelques heures de mon été pour creuser quelques idées, les mettre sur papier. Je suis une personne curieuse de nature et je suis une personne qui aime discuter un peu de tous les sujets. Alors, je me suis dit: Pourquoi pas?

La présentation que je vais vous faire ce soir vise à compléter le mémoire que je vous ai présenté en abordant trois sujets qui n'ont été qu'effleurés dans le mémoire. D'abord, le premier point, que j'ai appelé ma société utopique, ma société idéale, c'est-à-dire l'image à laquelle je vais me rattacher pour ensuite essayer de mieux comprendre comment doit cheminer l'information. Le deuxième point, le comportement éthique des organisations, et le troisième point, les droits du citoyen.

La plupart des mémoires que vous avez reçus et qui tiennent mordicus à avoir une loi très contraignante sont fondés sur le droit à la vie privée. Je ne conteste pas le droit à la vie privée, au contraire, c'est un droit que je respecte et qui est important. Toutefois l'État n'a pas à faire la promotion de la vie privée, ne doit pas promouvoir la vie privée, seulement en promouvoir le respect. Sinon, ça risque de nuire à l'échange d'informations et, partant de là, au développement social.

C'est un peu gros ce que je viens de vous dire. Alors, je m'explique d'une façon plus précise. Lorsque deux personnes se rencontrent pour la première fois, le territoire de leur vie privée est immense; elles ne se connaissent pas. Je ne connais pas l'autre personne, l'autre personne ne me connaît pas. Donc, le territoire de la vie privée est très vaste. Les premières paroles qui vont être échangées vont donc être très générales, très peu implicantes. On va parler de météo, on va parler de hockey, on va parler des événements qui sont dans l'actualité. Au fur et à mesure qu'il y a échange d'informations, la confiance augmente, les sujets de conversation

s'ouvrent de plus en plus sur la vie de l'un et de l'autre. Ça va être des questions qui sont un petit peu implicantes et ça commence par: Dans quel coin de la ville est-ce que tu habites? Est-ce que vous êtes amateur de ceci ou de cela? Bon, on va commencer à y aller sur des choses plus pointues. L'échange d'informations fait que le territoire de la vie privée rapetisse quand la confiance augmente entre deux personnes, quand l'échange d'informations permet cette confiance-là. Lorsque la confiance s'installe, s'installe aussi une capacité d'entraide qui est plus grande parce que, pour pouvoir aider quelqu'un, aider une personne, il faut connaître ses besoins, il faut connaître ses préoccupations, il faut connaître ses goûts, ses buts. Et ça, c'est vrai autant dans les relations interpersonnelles qui sont plus intimes... Pour aider quelqu'un qui a de la peine d'avoir perdu un être cher, il faut le savoir. Pour aider quelqu'un qui a une peine d'amour, il faut le savoir, il faut avoir une certaine relation d'intimité, une relation de confiance avec cette personne-là. Et c'est aussi vrai pour les relations professionnelles. Un médecin va pouvoir poser un bon diagnostic, pas juste s'il connaît, je dirais, la plomberie, c'est-à-dire juste à faire un diagnostic du corps humain. Un bon diagnostic doit aussi s'appuyer sur la connaissance de son patient, de ses comportements, de son rythme de vie, etc.

Donc, j'opposerais jusqu'à un certain point la capacité d'entraide d'une société et le développement social à l'étendue du territoire des vies privées. Et le lien entre les deux ou le pont entre les deux, entre vie privée et capacité d'entraide, c'est la confiance, et la confiance ne peut se bâtir qu'avec de l'échange d'informations. Ma société utopique, c'est donc la société qui se parle, c'est celle qui fait de plus en plus confiance à autrui et c'est celle qui s'entraide ultimement. Avec ça, on est peut-être un petit peu loin du sujet qui vous préoccupe. Alors, j'essaie d'y revenir.

Lorsqu'il est question de faire une nouvelle loi et de créer un organisme, peut-être, on dit aux citoyens: Pour vous protéger, on va encadrer et on va limiter le comportement des entreprises en matière d'échange d'informations. Mais, par conséquent, on va aussi restreindre l'échange d'informations; on va aussi le limiter et on va aussi se prononcer ou limiter aussi le type d'information qui va être échangé. Ça va restreindre la capacité d'entraide d'une société. Je m'oppose donc à toute forme de restriction dans l'échange et le stockage d'informations entre deux personnes consentantes, deux personnes librement consentantes, que ces personnes travaillent pour une entreprise ou que ce soit dans les relations interpersonnelles.

Ce que ça aura pour conséquence... Entre autres, dans le document de préparation qui a été envoyé et aussi dans le mémoire de la Commission d'accès à l'information du Québec, on donne une définition du droit à la confidentialité ou de la confidentialité. Et, lorsqu'on pose des contraintes du type de ne stocker que l'information strictement nécessaire à la relation d'affaires, on vient de mettre un contrôle sur le type d'information qui va être véhiculé entre deux personnes consentantes. Et ce contrôle-là, sur ce que, moi, je dis à une autre personne, ça me fait peur. C'est un peu la vision du "Big Brother", d'Orwell. C'est l'État qui se mêle de mes relations. Quand je parle d'Orwell, je ne veux pas faire du drame où il n'y en a pas. Je suis bien conscient que les gens qui proposent d'avoir une définition aussi restrictive de la confidentialité n'ont pas de mauvaise volonté, sauf que je constate que, en cette matière-là, de donner trop de pouvoirs, trop de dents à la confidentialité, c'est créer un enfer qui va être pavé de bonnes intentions.

Je reprends ça par un autre exemple. Je trouve que c'est toujours important pour une personne de se faire interpeller par quelque chose qu'elle aime, quelque chose qui la fait vibrer. Et ça, c'est vrai si, par exemple, un citoyen est membre d'un mouvement social. Je ne sais pas, je suis membre de Greenpeace, un militant de Greenpeace, ou je suis syndicaliste. Pourquoi est-ce que mon médecin, pourquoi est-ce que mon dentiste, pourquoi est-ce que n'importe quel autre professionnel avec qui je travaille ne pourrait pas m'interpeller sur ces questions-là, ne pourrait pas me demander des nouvelles sur mes activités syndicales, si c'est quelque chose, si c'est un sujet que j'aime, dans lequel je m'épanouis et que je veux être contagieux avec mon environnement? Pourquoi ces gens-là ne pourraient pas s'informer et pourquoi ces gens-là ne pourraient pas stocker cette information-là, c'est-à-dire se prendre une note sur le coin d'un papier? C'en est une forme de stockage d'information. La rentrer dans la machine, l'ordinateur, c'en est une autre, mais c'est fondamentalement le même geste. Quand je dis à mon médecin que je pars en Floride le mois prochain, pourquoi il ne se prendrait pas une note et, à ma prochaine visite, m'en parler: "Pis, comment ça a été, ton voyage en Floride?" Ce n'est pas strictement nécessaire pour la relation d'affaires, mais pourquoi il ne le ferait pas, puisque c'est entre deux personnes consentantes qui ont une relation de confiance?

C'est sûr qu'on peut rétorquer que, si les entreprises abusent de l'information qu'elles détiennent, la confiance qu'a le citoyen dans les entreprises va prendre une débarque, que les citoyens ne voudront plus confier de l'information aux entreprises parce qu'ils vont avoir peur, et à bon droit. C'est là qu'on se rend compte que finalement c'est un équilibre fragile qui existe entre les droits des entreprises, les droits et devoirs des entreprises et les droits et devoirs du citoyen. Les tenants d'une loi contraignante et d'une loi qui serait la plus envahissante

possible semblent penser que les entreprises ont trop de poids, qu'elles sont dangereuses. (21 heures)

Mon deuxième propos de ce soir est de vous dire que l'entreprise n'est pas si dangereuse, n'est pas si pesante que ça dans la balance au point de l'encarcaner dans toutes sortes de contraintes. Le déséquilibre n'est pas si grand. Beaucoup d'entreprises ont utilisé de l'information de façon abusive dans le passé. Vous avez entendu des exemples, j'en suis sûr, devant cette commission. J'en connais aussi. J'irai même plus loin. Les entreprises ont souvent eu des comportements qui brimaient la personne humaine, ont souvent eu des comportements qui ont même aliéné les personnes humaines, et ça, depuis longtemps. Elles ont été des bourreaux pour leurs employés, très souvent, elles le sont quelquefois encore, et elles ont aussi, souvent, été inconscientes de leurs responsabilités face aux consommateurs.

Par contre, le dossier noir des entreprises a plusieurs causes historiques. J'aimerais vous en citer deux qui m'apparaissent plus importantes. D'abord, les débuts de la révolution industrielle. On se situe au début du XIXe siècle: progrès scientifiques et techniques immenses, machine à vapeur, machine à explosion, électricité, chemin de fer et tout ce qui s'ensuit. Ces découvertes-là vont exiger une attention considérable des gestionnaires, des propriétaires d'entreprises qui ont à mettre tellement d'efforts pour mieux comprendre et mieux gérer la machine et le capital que ça représente, qui ont tellement d'efforts à mettre pour que l'humain puisse bien faire fonctionner ces machines-là qu'ils en oublient peut-être leurs autres responsabilités face aux consommateurs et face au mieux-être de leurs employés. Et ça, ça m'apparaît être un événement majeur qui, sur des décennies et des décennies, va expliquer beaucoup le dossier noir des entreprises dans le passé. D'autant plus qu'en ce même début de XIXe siècle, milieu du XIXe, va aussi se passer une concentration extraordinaire du capital. Peu de gens vont avoir beaucoup d'argent, et le corollaire est aussi malheureusement vrai, beaucoup de personnes vont être dépossédées, vont avoir très peu de moyens. Le libéralisme économique, à cette époque-là, en est à ses premiers balbutiements. Et, pour survivre, c'est tellement contraignant, cette concentration, c'est tellement inhumain ce que ça peut faire à la population que vont commencer, à peu près à cette période, tous les mouvements syndicaux. Coopératisme, communisme vont naître à peu près dans ces moments-là. Le libéralisme économique va aussi se donner un nouvel outil qui va lui permettre de déconcentrer le capital. C'est la société par actions, un nouvel outil juridique de propriété.

Quelles que soient les causes qui expliquent le dossier noir passé des entreprises... Je vous ai parlé de la révolution industrielle et de la concentration du capital. Il y en a sûrement d'autres. Ce que je constate, par contre, c'est que l'histoire récente démontre bien une amélioration du comportement des entreprises. Il y a un comportement éthique des entreprises qui s'installe de plus en plus. Premier courant de pensée qui attire mon attention: le marketing. Depuis les années cinquante, le marketing professe, sans relâche, que la raison d'être d'une entreprise, c'est de satisfaire le consommateur. Les principes de marketing qui sont nés à peu près au début du siècle, de ce siècle, vont être enseignés auprès de tous les nouveaux gestionnaires, particulièrement en Occident, ce qui va faire tranquillement changer des choses. De nouveaux gestionnaires se font dire que leur raison d'être, c'est de servir le consommateur et de le respecter.

Plus récemment, le marketing va prendre un nouveau visage, celui de la qualité totale, celui de la qualité du service, dont on entend même parler dans la fonction publique depuis quelques mois. L'entreprise, dit-on, doit faire la bonne chose au bon moment pour satisfaire le consommateur. Ce n'est que la reprise du discours qu'avait initié le marketing, mais qui s'en va encore plus profondément dans le comportement des entreprises modernes.

Qu'est-ce qui va suivre la qualité totale? Il y aura sans doute d'autres concepts, mais je m'essaie avec un: l'approche relationnelle. L'approche relationnelle qu'on verra probablement de plus en plus présente dans les prochaines années, c'est de faire passer l'ensemble de la qualité d'une relation humaine faite de bons services et de confiance avant l'importance d'une vente momentanée dans le temps, qu'elle ait été de qualité totale ou non. C'est donc de faire passer la relation humaine avant la vente immédiate, la relation de l'entreprise avec le client. Et c'est, dans le fond, l'approche relationnelle, la relation d'affaires qui a toujours existé dans les petits villages du Québec, celle où les gens se connaissent bien et vont mettre la relation humaine avant la relation d'affaires.

Marketing, qualité totale, approche relationnelle et quoi encore? Certains n'y voient que des modes. Moi, je préfère y voir une lente évolution du comportement éthique de l'entreprise, de l'humanisation des entreprises et de l'humanisation de notre système économique. Il n'y a donc pas pour moi matière à légiférer à outrance. La plupart des entreprises ont une bonne volonté. Une loi supplémentaire ne ferait que restreindre l'échange d'informations et réduire les possibilités d'entraide d'une société.

Ce que j'ai voulu faire, c'est vous dire que l'entreprise n'est pas si méchante que ça, ou qu'elle s'améliore de plus en plus, rétablir l'équilibre un peu. Il reste encore, je pense, un petit équilibre, un petit tour de roue à donner, pour donner aux consommateurs, aux citoyens un petit peu plus de droits. Et ce moyen-là

pourrait être le Code civil, qui est une loi statutaire que le Québec se donne, dans le droit français, une loi statutaire qui ne devrait donc pas nous inciter à créer d'autres lois statutaires. Le Code civil qui énonce déjà les grands principes du droit à la vie privée, et qui organise déjà l'échange d'informations, qui le balise d'une façon qui semble suffisante, y aborde le droit d'accès, le droit de rectification et le droit à l'information.

Une seule lacune qui m'apparaît devoir être corrigée, c'est que le Code civil, du moins dans la partie qui est abordée dans le document de consultation - je ne suis pas juriste, faites attention - c'est le droit de consentement qui n'est pas très explicite dans le Code civil actuellement, c'est-à-dire la reconnaissance qu'un citoyen est le seul décideur de l'information et le tout premier décideur de l'information qui le concerne. C'est une question qui m'apparaît importante. C'est un principe qui devrait même ne souffrir aucune exception. Et, j'insiste là-dessus, parce que même le mémoire de la Commission d'accès à l'information autorise certaines exceptions du droit de consentement. Par exemple, une petite entreprise qui ne vend pas souvent des banques de données pourrait le faire sans le consentement de ses clients, pourrait vendre une banque de données sans consulter ses clients. Je pense que cette exception-là ne devrait même pas être tolérée. Si je prends de l'information d'un client et que je la vends à quelqu'un d'autre, ce client-là doit être mis au courant tout le temps. Que ce soit une PME, ou que ce soit un organisme à but non lucratif, aucune exception au droit de consentement. Je ne vois même pas même pas pourquoi un tiers, qui pourrait être par exemple la Commission d'accès à l'information ou toute autre commission, aurait à se prononcer sur ce sujet-là. Ça ne regarde que deux personnes, le client et l'entreprise, les deux personnes qui sont en relation de confiance. L'amélioration du droit de consentement dans le Code civil vient rétablir l'espèce d'équilibre entre citoyen et entreprise, et apporte une confiance suffisante pour avoir des relations de confiance et des relations d'entraide.

Je termine en vous laissant sur le message que si vous décidez de légiférer, de faire une nouvelle loi, une nouvelle commission, ce qui n'est pas mon opinion, ce qui n'est pas ce que je souhaite, mais si vous en arrivez là, je vous demande de considérer cette dernière nuance qui n'est peut-être pas habituelle, mais qui me semble quand même importante. La responsabilité d'obtenir, d'emmagasiner, d'utiliser de l'information ne devrait pas relever d'une entreprise ou d'une corporation, qui est une personne morale, mais devrait toujours relever d'une personne humaine, physique qui soit, par exemple, un employé ou un représentant de l'entreprise: celui qui tantôt sera assis face à son client, celui qui tantôt établira une relation de confiance avec son client. Un peu à l'image de la responsabilité professionnelle de l'avocat ou du médecin, qui a toujours une responsabilité qui est individuelle, qui est personnelle, toujours basée sur le fait qu'une relation de confiance s'établit entre deux responsables de l'information: ce sont les deux personnes qui échangent cette information-là. Merci de votre attention.

Le Président (M. Camden): Alors, je vous remercie M. Boulet. J'invite donc maintenant le ministre des Communications à vous adresser quelques questions.

M. Cannon: J'ai été un petit peu saisi, un petit peu étonné que vous m'indiquiez que le nouveau Code civil est suffisant pour protéger convenablement la vie privée, mais que dans un deuxième souffle vous reconnaissiez la nécessité de renforcer la question de consentement. J'en suis avec vous là-dessus, mais une des raisons pour lesquelles on s'est réunis ici, c'est parce que nous avons aussi décidé que la sanction était aussi importante que la notion de recours. Et c'est principalement la raison pour laquelle nous nous retrouvons ici en commission parlementaire, pour davantage travailler ces aspects-là.

Au début de votre mémoire, vous nous avez parlé de la vie privée comme de la panacée des sociétés modernes. J'aimerais savoir ce qui vous fait émettre cette opinion-là. Pourquoi nous dites-vous cela?

M. Boulet: C'est le fait des grandes villes de laisser plus de liberté, plus de territoire à la vie privée et c'est une chose qui a été... Les grandes villes, c'est un fait de notre société moderne. Et c'est une chose qui a été très courue par plusieurs citoyens, par plusieurs personnes, d'aller chercher ce petit côté de la vie privée. Lorsque je dis que l'État ne doit pas encourager la promotion de la vie privée, c'est simplement que l'État, son rôle est davantage de promouvoir des valeurs communautaires, des valeurs d'entraide, des valeurs de solidarité, d'implication sociale, que de promouvoir un cloisonnement des individus, une non-communication des individus. Ce qui n'enlève pas l'importance de respect du droit à la vie privée, c'est-à-dire que moi, comme personne, vous devez me respecter dans mon rythme, ou tout citoyen, vous devez le respecter dans son rythme de se dévoiler à autrui, de se dévoiler et de faire confiance de plus en plus à la société. C'est important de respecter ce rythme-là du citoyen, ce que j'appelle le droit à la vie privée, mais ce n'est pas le rôle de l'État de promouvoir la vie privée, d'en augmenter la...

M. Cannon: J'ai de la misère à saisir, là. Vous dites que ce n'est pas le rôle de l'État de promouvoir la vie privée, mais comment l'État

doit-il procéder pour faire en sorte que vous, comme citoyen, votre droit à la vie privée, il puisse être promu?

M. Boulet: O.K. Je vous donne un exemple, là. Lorsque l'État précise ce qu'est la confidentialité et dit: Entre tel citoyen et tel professionnel, vous ne pouvez vous échanger que tel type d'information, l'État dit c'est quoi la vie privée, il l'encadre, il en fait la promotion, il aide la vie privée à se développer, puisqu'il empêche deux personnes de communiquer, de mieux se connaître, de se faire confiance.

M. Cannon: Et, dans la mesure où il y a consentement de part et d'autre, vous dites qu'il n'y a pas d'empêchement. J'essaie de suivre votre réflexion.

M. Boulet: Oui, oui, vous avez raison.

M. Cannon: Je pense que ce qu'on tente de faire ici, et ce qui a été démontré dans plusieurs mémoires, l'une des choses que je retiens, moi, c'est que l'information que je consens à vous fournir comme individu ou comme institution, etc., je le fais librement, sans aucune espèce de restriction quant à ma personne. Mais je m'attends par ailleurs à ce que les informations que je vous transmets à vous personnellement, puisque vous voulez me donner un service pour que je puisse vous fournir ces renseignements-là, je m'attends à ce que ces renseignements-là, par contre, demeurent, chez vous, confidentiels. Et lorsque, entre deux personnes, il y a ce respect mutuel, nous faisons la promotion de la vie privée. Mais que faites-vous de ces milliers de Québécois et de Québécoises qui, sans avoir préalablement donné le consentement dont nous parlons ici comme prémisse de base, qui, sans l'avoir donné, se retouvent fichés dans des institutions financières ou auprès d'entreprises qui se spécialisent dans la transmission de données et de renseignements personnels? Comment pouvons-nous, comme société, tolérer une chose semblable? (21 h 15)

M. Boulet: Vous avez raison, c'est intolérable. C'est ce que moi, j'appelle... C'est l'importance que je mets à renforcir le droit de consentement. C'est-à-dire que l'information que vous donnez à une entreprise ne concerne que vous et l'entreprise. L'entreprise n'a pas à la donner ou à la vendre à quelqu'un d'autre sans mon consentement à moi. Et, sur le premier volet de votre question, je suis aussi tout à fait d'accord avec vous. Ce que vous me dites, ou ce qu'un citoyen dit à un professionnel ou à une entreprise, lorsque c'est une relation libre et consentante, ils peuvent se dire tout ce qu'ils veulent, la seule limite, c'est la confiance mutuelle qu'il va y avoir. Ce contre quoi j'en ai, c'est d'affirmer, par exemple - et là je cite le document de consultation, lorsqu'on définit le droit à l'information et qu'on dit: "La cueillette de données devrait être limitée à ce qui est strictement nécessaire et pertinent à la réalisation des fins légitimes de l'entreprise." C'est que je ne veux pas qu'on soit restrictif au point de dire que, si je vais chez le médecin, je ne peux lui dire que ce qui est santé et ce qui est hors santé, ça n'entre dans aucun fichier, je n'ai pas à le lui dire.

M. Cannon: Je ne pense pas que l'intention du législateur soit de restreindre ce que vous voulez dire, au contraire. Ce n'est pas ça.

M. Boulet: Être fiché.

M. Cannon: Parce qu'il y a toujours la Charte des droits et libertés qui est là. Ce que nous voulons restreindre, c'est ce que vous et moi nous venons d'aborder ensemble. Je ne veux pas restreindre, moi... S'il y a quelqu'un qui est prêt à donner de l'information, ça va, mais dans la mesure où, évidemment, cette information-là sert la cause. Vous faites quoi, par exemple, pour l'Individu... Et je pense qu'on a discuté l'autre jour ici en commission des cas où, visiblement, la Charte des droits de l'homme était en cause. Par exemple, le député de Pointe-aux-Trembles, si je suis son employeur, je lui pose une série de questions qui n'ont ni queue ni tête par rapport à l'emploi qu'il postule, mais parce que je veux avoir d'autres renseignements. Il me les donne de crainte, peut-être, de ne pas avoir l'emploi. Je viens de commettre une infraction grave contre ses droits à lui. Mais ça, c'est couvert par un autre comité, ou enfin par une autre loi qui gouverne ça. Nous, ici, nous voulons voir comment on peut restreindre la circulation de ces informations là. C'est les seules précisions que je voulais vous apporter et je demande à mon collègue de continuer au niveau du questionnement.

Le Président (M. Camden): M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Oui. Dans votre mémoire vous dites: "Dans le cas qui nous intéresse, l'ampleur d'un problème social n'est pas évidente. L'utilisation reprehensible de renseignements personnels n'est pas dommageable au point de justifier une loi supplémentaire." Une femme victime de violence conjugale, par exemple, qui doit appeler son ancien conjoint et à qui l'afficheur apprend le numéro de téléphone où il peut la rejoindre. Ou un conjoint qui, recevant un appel d'une clinique, apprend que sa conjointe a une MTS, ou bien est allée à une clinique pour se faire avorter. Il me semble, moi, que c'est suffisamment grave pour que le gouvernement songe à intervenir et doive, quant à nous de l'Opposition, intervenir. Parce que le monde que vous décrivez

est un monde presque idéal, champêtre. Les villages sont tous transformés en villes et vous parlez de relations de confiance et d'entraide entre les personnes et vous dites: L'État viendrait empêcher cette entraide-là entre les personnes en protégeant la vie privée. Mais, dans le fond, vous dites quasiment: La vie privée, c'est l'égoïsme individuel. Mais, dans notre société, il y a des relations de dépendance aussi. Il y a quelqu'un qui veut emprunter et qui donne son consentement à ce que l'institution financière fouille passablement dans sa vie privée, pas parce qu'il a envie de donner le renseignement, mais parce qu'il a besoin du prêt. Ou une personne veut prendre une assurance-vie parce qu'elle craint pour la survie de ses dépendants, de son enfant, de sa conjointe ou de son conjoint, advenant son décès. Ou une personne sollicite un emploi. Ce que je veux dire, c'est que je ne disconviens pas qu'il pourrait exister un monde idéal tel que vous le voyez, mais dans le vrai monde ce n'est pas comme ça que ça se passe et les intrusions dans la vie privée sont de plus en plus nombreuses, précises et peuvent être dramatiques. Prenez juste l'afficheur téléphonique... Et je m'excuse de développer un peu longuement, mais ça m'apparaît fondamental. C'est supposé que l'afficheur téléphonique a pour but d'empêcher que des femmes, par exemple, reçoivent des appels obscènes, alors qu'à l'évidence, c'est le répondeur téléphonique qui peut filtrer les appels obscènes. Le répondeur téléphonique est un plus dans la protection de la vie privée parce qu'il permet de filtrer les appels qui rentrent chez soi. Si c'est un importun, on peut laisser faire le répondeur et ne pas lui rendre son appel. Mais l'afficheur, lui, a pour but direct, obligé, nécessaire qu'une personne apprend sur l'autre personne un renseignement que l'autre personne n'a pas consenti à lui donner. Là, on en vient à dire - je reviens à la téléphonie -que pour ne pas être affiché, il faudrait payer. Pourquoi au juste faudrait-il payer pour ne pas divulguer des renseignements? Alors, moi, la question que je vous pose, c'est la suivante: Pourquoi l'État, par une intervention législative, viendrait-il enlever des possibilités de relation de confiance et d'entraide et qu'une entreprise qui a des renseignements sur, mettons, 3 000 000 ou 4 000 000 de Québécois, elle, son action irait dans le sens de la relation d'entraide ou de confiance? Je vous avoue que je ne vous suis pas à cet égard.

M. Boulet: Quand vous parlez de différents exemples où il y a eu des manquements au respect de la vie privée, je vous suis tout à fait. Je ne vous dis pas qu'il n'y en a pas et je ne vous dis pas qu'il ne faut rien faire. Sauf que, quand il est question de loi, je me dis: À la lecture, il me semble que le Code civil est suffisant. Il me semble qu'il couvre tout ce qui est traité dans le document de consultation et dans tout ce qui semble toucher le respect de la vie privée et l'échange d'informations, les balises qu'on doit donner à l'échange d'informations. Donc, je me dis: Oui, une loi, mais il y en a déjà une loi statutaire qu'il s'agira peut-être juste de renforcer à certains endroits, dont le droit de consentement.

Il y a un autre moyen qui peut être utilisé aussi, et je pense qu'on n'en a pas fait beaucoup usage, c'est la sensibilisation des entreprises. Les banques d'informations, les banques de données, c'est quelque chose de nouveau, l'échange de banques d'informations et la plupart des gens qui vendent et qui manipulent ces informations-là ne sont pas conscients souvent des manquements au respect de la vie privée qu'ils vont faire. Et, d'après moi, une sensibilisation avec une loi minimum pourrait très bien faire le travail.

M. Bourdon: Maintenant, je me permets de vous faire observer... Vous parlez de la loi statutaire et vous faites sans doute allusion au Code civil, mais les dispositions en cause n'ont pas été promulguées encore, depuis trois ans. Avant de les renforcer, il faudrait peut-être leur donner effet. Il y a un autre inconvénient majeur à se borner à dire que le Code civil, si on promulguait l'article que l'Assemblée nationale a voté il y a trois ans, ça serait suffisant pour protéger les citoyens. Là, après ça, pour exercer le droit, au cas où une personne a à se plaindre, il faut avoir le moyen d'ester en justice, d'embaucher un avocat et de se défendre, alors qu'une loi de portée générale quant à l'intention et spécifique quant aux moyens donnerait, par hypothèse, à un organisme qui est facile d'accès et qui ne coûte rien, le pouvoir de faire respecter les dispositions de la loi. Parce que, à cet égard-là, il y a comme une impossibilité. Et la question que j'ajoute à ça... Déjà la Loi sur la protection du consommateur donne au citoyen le droit de consulter sa fiche de crédit, entre autres. Les dirigeants d'Équifax qu'on a rencontrés nous ont donné des chiffres de consultation de fiches de crédit, qui sont de l'ordre de 30 000 $ par année pour à peu près 4 000 000 de personnes fichées. Est-ce que vous ne pensez pas que tout ça montre qu'il ne faut peut-être pas une intervention de l'État qui soit tatillonne, mais qui énonce des principes généraux et qui donne aux citoyens un recours réel pour faire respecter leur vie privée?

M. Boulet: La réponse va venir davantage des travaux de votre commission et des travaux de l'Assemblée nationale, à savoir les moyens à mettre en place pour faire respecter les grands principes et les lois qui seront édictés. L'idée de mettre des tribunaux administratifs parce que ça accélère ou facilite le recours et que ça accélère le traitement... Je suis d'accord que les tribunaux administratifs dans les dernières années ont

grandement aidé l'administration de la justice. Cependant, pour moi, c'est régler un problème en en créant un autre, c'est-à-dire l'encombrement des tribunaux. En faisant des tribunaux administratifs, ça ne fait qu'augmenter le volume de lois qu'on peut passer, ça ne fait qu'engourdir davantage la société dans différentes lois, dans des lois plus envahissantes, plus pointues et plus redondantes. Bien sûr, c'est un moyen qu'on peut prendre, mais c'est aussi un moyen qui a son prix sur une longue échelle quand on constate une accumulation des lois. Ça me fait penser juste à une anecdote que j'ai lue dans le mémoire de la Commission d'accès à l'information, où on dit que le citoyen ne s'y retrouve plus dans les lois lorsqu'il veut faire appel à un manque de respect à la vie privée. Je me dis, oui, c'est vrai que le citoyen ne se retrouve plus face à un paquet de lois et un paquet de tribunaux et, pour remédier à ça, on va faire une autre loi et un autre tribunal. Il me semble que c'est le moyen que vous avez, qu'on connaît actuellement, mais je me dis: II y aurait moyen d'être créatif et d'essayer de regarder d'autres avenues.

M. Bourdon: Mais, dans le fond, c'est qu'il y a dans nos sociétés trop de relations qui sont unilatérales. Par exemple, je demande un prêt à une institution financière, je lui consens par écrit le droit de vérifier des choses à mon sujet. Elle obtient des renseignements - il y a maintenant beaucoup de banques de données où elle peut les obtenir - elle les lit et elle sait sur moi des choses que je ne sais pas qu'elle sait. Ça ne serait pas très compliqué, très bureaucratique que de dire que l'institution qui obtient des renseignements sur une personne doit les photocopier et les remettre à la personne ou les mettre à la poste. Un exemple: les institutions financières, quand on contracte un emprunt nous font toujours parvenir par la poste après la copie du contrat avec les conditions qui y sont contenues. Pourquoi il n'y aurait pas là-dedans les renseignements que cette institution-là a obtenus, pour que la citoyenne ou le citoyen sache ce qui est dit et qu'un tiers peut voir? Ça peut être anodin. Il peut n'y avoir rien de reprehensible dans les renseignements qui auraient été obtenus. La personne serait rassurée que ce qui circule sur elle dans les banques de données est exact, est conforme et ne contient rien de mauvais. Sinon, quel est son droit de faire corriger ou de faire rajouter si elle ignore même ce qui circule à son sujet? C'est là-dessus, je pense, que notre commission cherche des moyens de mieux garantir le droit à la vie privée. Je vous soulignerai qu'en matière d'assurance-vie le consentement qui est donné par la personne va loin, parce que le consentement porte sur des renseignements de nature médicale, confidentiels, auxquels la société d'assurances peut avoir accès. Donc, moi, je pense que dans un monde idéal vous avez peut- être raison dans ce que vous dites, mais ce n'est pas ça que je vois dans le monde où on vit.

M. Boulet: Ce n'est pas ça que je vois moi non plus. La solution que vous proposez se défend. La solution que je propose, c'est d'y aller avec les dispositions qui sont déjà prévues au Code civil et qui me semblent suffisantes, sauf le droit de consentement, et une campagne de sensibilisation qui éduquerait les citoyens à utiliser leur droit à l'information, par exemple, pour aller requérir ce qui est fiché à leur sujet auprès d'une institution financière. C'est des moyens qui se valent.

Le Président (M. Camden): Est-ce qu'il y a d'autres questions? M. le ministre. (21 h 30)

M. Cannon: Tantôt, on refusait évidemment de dire que la société s'en va dans le "Big Brother", d'Orwell. Mais, vous avez sans doute, et je voudrais juste peut-être connaître votre commentaire là-dessus, fait l'acquisition de produits dans des magasins de toutes sortes. Et je présume que vous n'êtes pas différent des autres Québécois et des autres personnes sur la planète. Vous avez probablement une petite carte de plastique que vous remettez au préposé qui, évidemment, fait le total de tout ça, vous fait signer la copie et, en bas, vous dit: Voulez-vous inscrire votre numéro de téléphone? Je me suis toujours demandé pourquoi inscrire mon numéro de téléphone. D'abord, s'ils prennent ma carte de crédit puis qu'ils viennent de la passer dans la machine, il y a de fichues de bonnes chances que, parce que c'est marqué "autorisé", on va autoriser le paiement en bout de piste. Mais, pourquoi le numéro de téléphone? Parce que, peut-être, si ça ne passe pas avec la compagnie American Express ou avec une autre, on va pouvoir me rejoindre. Ou est-ce que c'est pour d'autres fins, de dire: Bien oui, il consomme ici régulièrement, il s'achète tel type de produits et peut-être qu'éventuellement on pourrait, à l'aide de son numéro de téléphone, connaître son adresse et lui envoyer des produits, ou je ne sais pas trop? En tout cas. Mais vous, comment voyez-vous ça? Moi, je n'ai pas consenti. Je vais vous dire bien franchement que, quand ils me demandent mon numéro de téléphone, je ne rouspète pas, mais je marque n'importe quel numéro de téléphone - 289-4595 - puis, habituellement, plutôt que de mettre sept chiffres, j'en mets huit et ça passe tout le temps comme un couteau dans le beurre.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boulet: Ils ne s'en aperçoivent pas.

M. Cannon: Ça, c'est ma petite façon de faire ma petite révolution à moi. Mais, d'après vous, comment est-ce que vous voyez ça?

M. Boulet: Pour moi, ça rentre dans la relation de confiance que vous avez avec l'entreprise avec laquelle vous faites affaire. Si on parle d'institutions financières, par exemple, des cartes de crédit, si, moi, j'ai de l'information comme quoi cette entreprise-là ne me respecte pas ou ne respecte pas l'information me concernant, la diffuse à tout un chacun, je change de compagnie tout simplement. C'est la même chose si, par exemple... Bon, un exemple qui m'est arrivé aussi: Je donne à un organisme sans but lucratif, ne sachant pas que cet organisme sans but lucratif fait partie d'un pool de six organismes sans but lucratif qui ont donc ma fiche, et là, je me fais téléphoner à toutes les trois semaines par ce même "pool". Moi, je n'ai accordé ma confiance qu'à un organisme, pas à six. Il l'a perdue, ma confiance; il n'y a plus d'argent maintenant quand il me rappelle, cet organisme-là. Et, plus loin que ça, si le droit de consentement était mieux spécifié dans la loi, je l'utiliserais, c'est sûr. Je trouve que c'est un manquement à la relation de confiance qui s'établit entre une entreprise et un individu. Le droit de consentement, pour moi, c'est sacré, et ne souffre d'aucune exception.

Lorsque je parlais d'Orwell, de "Big Brother", ce n'est pas tant dans la quantité d'informations qu'une entreprise va avoir sur moi, parce que c'est moi, toujours, qui la lui donne, cette information-là, c'est davantage sur l'information qui va être échangée librement entre moi et l'autre personne. Vous me rassuriez tantôt lorsque vous disiez que l'État ne regardera pas du tout ce qui va être échangé entre deux personnes consentantes. Vous me rassuriez parce que... Tantôt, j'ai cité le document de consultation. Je regarde aussi le mémoire de la Commission d'accès à l'information. Et, quand elle dit: "La collecte de renseignements personnels doit répondre à des impératifs précis et sérieux, elle doit se limiter aux seules données indispensables aux fins d'une démarche précises et aux exigences d'une loi", j'ai encore peur par un énoncé comme ça, qu'on dise: Tu peux dire ça à ton professionnel ou à l'entreprise avec laquelle tu fais affaire, et tu ne peux pas dire ça.

M. Cannon: Je pense que ce qui est important, c'est que nous n'interdisions pas le consentement, l'échange d'informations entre deux personnes qui sont consentantes. C'est de limiter après, compte tenu de la finalité pour laquelle cette information-là a été obtenue et consentie, donc fournie; c'est de limiter après.

M. Boulet: Oui. Qu'elle ne se promène pas partout.

M. Cannon: Voilà!

M. Boulet: Et, là-dessus, je vous suis totalement et vous me rassurez beaucoup quand j'entends ça.

M. Cannon: Oui. Ça, c'est comme une autre affaire ici. Ce soir, quand vous êtes arrivé ici... Vous portez un petit macaron là?

M. Boulet: Oui.

M. Cannon: Bon. Et, lorsque vous êtes arrivé ici, vous avez sans doute, volontairement ou pas... Parce que, quand vous êtes arrivé à l'Assemblée nationale, vous vous êtes dit: C'est la maison des députés, c'est la maison du peuple. Probablement que je peux entrer dans cette maison-là sans être obligé de fournir des renseignements. Mais, effectivement, vous avez fourni des renseignements ce soir.

M. Boulet: Oui.

M. Cannon: On vous a demandé une série de questions en entrant ici.

M. Boulet: Oui.

M. Cannon: Est-ce que, d'après vous, dans une société libre, ouverte et démocratique, on devrait être obligé de faire ça?

M. Boulet: Je ne vous suis pas. Faire quoi? Demander des renseignements?

M. Cannon: Transmettre des informations comme celles-là dans la maison qui est une maison vouée à la démocratie.

M. Boulet: Ah oui, oui! Si vous les demandez et que, moi, je vous fais confiance, je vous les donne. Si je ne vous fais pas confiance, je n'entre pas ici.

M. Cannon: Mais, justement, c'est ça. Vous étiez appelé à témoigner ici ce soir. Et si vous aviez dit au préposé à la sécurité: Non, je ne consens pas a vous donner ni mon adresse ni mon âge - et je ne sais pas trop quelle autre information qui est exigée - c'est quoi qui se serait produit? Vous n'auriez pas pu rentrer ici. Mais, alors que vous aviez soumis volontairement un mémoire et que vous veniez rencontrer des parlementaires, des élus du peuple, pour donner des renseignements, on vous a fait passer à travers un tamis en premier. Curieuse situation, n'est-ce pas?

M. Boulet: Mais, pour moi, je ne vois pas où il y a un problème.

M. Cannon: Mais c'est parce que... Comment on concilie ça avec un milieu où, évidemment, dans une... Parce que j'essaie de suivre votre mémoire et on parle un petit peu d'une utopie où tout devrait être beau. Mais ça, c'est la vraie

vie. Vous entrez ici et, évidemment, pour des raisons de sécurité, on ne vous connaît pas, on vous demande de fournir ces renseignements-là. Mais, comment on arbitre ça dans notre société? Qu'est-ce qu'on fait pour... Est-ce que vous êtes d'accord avec cette pratique?

M. Boulet: Absolument! Dans la mesure où, moi, je suis libre d'y adhérer ou pas. L'échange d'informations se fait entre deux personnes consentantes. Entre deux personnes qui ne sont pas consentantes, il ne se fait pas. C'est d'autant plus vrai dans le champ privé: si je ne vais pas à une place, je peux aller ailleurs. Quand vous parlez de la maison du peuple, du parlement, c'est évident que, si je ne me fais pas entendre auprès de vous ce soir, il n'y a pas grand place où je peux faire valoir mon point de vue.

M. Cannon: C'est parce que vous êtes obligé de rencontrer une condition.

M. Boulet: C'est ça. Et vous avez le monopole de la...

M. Cannon: Puis, si vous n'aviez pas voulu rencontrer cette condition-là, vous ne seriez pas devant nous ce soir. C'est ça, le point que j'essaie de mettre en évidence.

M. Boulet: Oui. Et comme vous avez le monopole de ce genre de pratique-là, ça va un peu moins bien que dans le secteur privé où c'est en libre concurrence. Si un médecin exige de moi une information que je trouve non justifiée et que je ne suis pas prêt à lui livrer, compte tenu de ma relation de confiance avec lui, je peux aller en voir un autre. Je suis libre à ce niveau-là.

M. Cannon: O.K. Ça va. M. Boulet: Merci.

Le Président (M. Camden): M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Mais, en passant, vous parlez de la relation avec un médecin, par exemple. Mais, il n'y a rien de simple. Par exemple, si votre employeur vous envoie voir son médecin, vous pouvez être tenu de le voir, de vous confier à lui. Il n'est pas lié au secret professionnel et, en arbitrage, il peut être appelé à témoigner contre vous. Si vous changez de médecin, c'est parce que vous convenez de changer d'employeur. Par les temps qui courent, ce n'est pas un choix que bien des gens se décident à faire. Et la plupart des gens qui vont voir le médecin désigné par leur employeur ignorent qu'il n'est pas du tout tenu au secret professionnel. Je ne dis pas ça sur un ton dénonciateur. C'est comme ça. Il y a des clini- ques médicales nombreuses, rentables, profitables, où les médecins qui y sont n'ont jamais soigné personne de leur vie. Ils ont juste cumulé des renseignements sur l'état de santé de personnes afin d'être partie éventuellement à un litige entre l'employeur et l'employé. Je vous dis que l'exemple que vous donnez... Rendu là, et là, je vous livre mon expérience, le conseil que j'ai déjà donné à des personnes, c'est de parier le moins possible. Vous n'êtes pas obligé de révéler des choses. Et quand le médecin auquel l'employeur vous réfère est un psychiatre et qu'il vous questionne sur votre sexualité, ce n'est pas simple. Vous êtes violenté dans votre vie privée. Puis, pour revenir à votre exemple, pour changer de médecin, il faut changer d'employeur. S'il n'y a pas d'autre employeur, on ruse.

M. Boulet: Je suis bien conscient que ce n'est pas une situation simple, qu'il n'y a que des situations complexes dans notre société, mais, pour le restant des travaux, je vous fais confiance.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bourdon: On vous remercie.

M. Cannon: Merci de votre présence ce soir.

M. Boulet: Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Camden): Je vous remercie, M. Boulet. Sur ce, les travaux de la commission des institutions prennent fin. J'ajourne donc les travaux au mercredi 6 novembre, à 20 heures.

(Fin de la séance à 21 h 40)

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