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Version finale

34e législature, 1re session
(28 novembre 1989 au 18 mars 1992)

Le vendredi 8 novembre 1991 - Édition hors série

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Interpellation : Les propositions constitutionnelles du gouvernement fédéral


Journal des débats

 

(Dix heures deux minutes)

Le Président (M. Dauphin): Bonjour, mesdames et messieurs. Je déclare donc la séance de la commission des institutions ouverte. Le mandat de la commission pour cette séance est de procéder à l'interpellation adressée au premier ministre par le chef de l'Opposition officielle sur le sujet suivant: Les propositions d'offres constitutionnelles du gouvernement fédéral.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Fradet (Vimont) est remplacé par Mme Pelchat (Vachon); M. Gauvin (Montmagny-L'Islet), par M. Bélisle (Mille-Îles); M. LeSage (Hull), par M. Rémillard (Jean-Talon); M. Beaulne (Bertrand), par M. Chevrette (Joliette) et M. Claveau (Ungava), par M. Brassard (Lac-Saint-Jean).

Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, Mme la secrétaire. Alors, je vous signale qu'il y a eu une entente entre les formations politiques. Donc, nous pouvons procéder immédiatement avec le début de cette interpellation. Tout d'abord, je vais reconnaître M. le chef de l'Opposition officielle qui pourra adresser des remarques préliminaires pour une période de 10 minutes. M. le chef de l'Opposition officielle.

Exposé du sujet M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: Merci, M. le Président. Nous allons donc, ce matin, examiner les offres constitutionnelles, ou les propositions constitutionnelles plutôt, que le gouvernement fédéral a déposées il y a maintenant six semaines. Je veux remercier le premier ministre d'avoir accepté cette interpellation parce que je pense qu'il était temps qu'ici, à l'Assemblée nationale, nous discutions de ces propositions. On en a discuté un peu partout dans la société québécoise, comme au Canada, depuis déjà un certain temps. Beaucoup d'avis ont été exprimés. Une sorte de gêne, même chez les fédéralistes les plus convaincus, règne au Québec autour de ces propositions et, dans l'ensemble, on s'en rend compte, la plupart des Québécois considèrent que ces propositions sont inacceptables. Mais il s'en faut de beaucoup qu'ici, où les Québécois, après tout, doivent tirer l'essentiel de leurs réponses, à l'Assemblée nationale, nous ayons vraiment abordé ces questions, et bien qu'un certain nombre de députés, un certain nombre de ministres, même, se soient prononcés sur tel ou tel aspect de ces propositions, le premier ministre est resté jusqu'à maintenant évasif.

J'ai l'intention d'examiner trois grands sujets dans ces propositions constitutionnelles du gouvernement fédéral. Il y en a d'autres, mais il y en a trois qui me paraissent fondamentaux, qu'il faut éclaircir.

D'abord, les propositions fédérales, à l'égard du Québec, est-ce qu'elles sont en dessous de Meech, à peu près égales à Meech, ou supérieures à Meech? À peu près tous ceux qui se sont prononcés parmi les constitutlonnalistes reconnaissent que c'est en dessous de Meech, et même assez nettement en dessous. Je pense ici à des gens aussi différents comme constitution-nalistes, comme politicologues, que Daniel Proulx, Woehrling de l'Université de Montréal, Henri Brun, Léon Dion, Alain Gagnon de McGill, Claude Morin, Patrice Garant, dans la présentation écrite qu'il a présentée au comité sur les offres.

Le sujet, ici, est important. Je vous rappelle, M. le Président, ce que le premier ministre disait, il n'y a pas si longtemps, au sujet de cet accord du lac Meech et des clauses qu'il comportait. Par exemple, le 17 mai 1990: Je ne vois pas comment, à la lumière de tout ce qui a été dit et à la lumière des résolutions qui ont été adoptées en cette Assemblée nationale, je pourrais accepter une diminution des pouvoirs que nous avons obtenus avec l'accord du lac Meech. La Presse, le 10 novembre 1989: Le premier ministre du Québec a prévenu le Canada anglais que, même dans un avenir lointain, jamais un gouvernement du Québec ne pourrait consentir à revoir à la baisse les exigences minimales contenues dans l'entente constitutionnelle. D'où l'importance de la question.

Les propositions sur la table, est-ce qu'elles sont inférieures à Meech ou pas? J'aurai l'occasion de chercher à démontrer tout à l'heure, dans une intervention subséquente, que c'est nettement moins que Meech. Nettement. Deuxième grande question... Et je vais ajouter ici un mot à l'égard de Meech. Moi, comme souverainiste, que les conditions de Meech soient satisfaites, vous comprendrez que ça ne me secoue pas. J'ai toujours trouvé, à bien des égards, que le projet d'accord du lac Meech était plus un hochet qu'autre chose. Mais enfin, puisque le gouvernement actuel a fait son lit à l'égard de Meech, a cherché à convaincre les Québécois que c'était important de ne pas négocier en dessous de Meech, on comprendra que je pose la question.

Deuxième question. Depuis très longtemps, les Québécois demandent a Ottawa, et divers gouvernements du Québec ont demandé à Ottawa, d'abord, qu'Ottawa reconnaisse l'exclusivité des pouvoirs du Québec dans certains domaines et,

d'autre part, accepte de transférer les pouvoirs d'Ottawa à Québec. Les deux versions les plus récentes à cet égard sont le mémoire de la Chambre de commerce du Québec à Bélanger-Campeau, qui demandait un transfert massif de pouvoirs du gouvernement fédéral au gouvernement du Québec et, évidemment, le rapport Allaire, qui est maintenant la base constitutionnelle officielle du Parti libéral et qui a été signé par le premier ministre du Québec, et qui demande vraiment une dévolution massive de pouvoirs d'Ottawa vers Québec.

Là encore, sur le fond de la question, ce n'est pas ma grille d'analyse comme souverainiste. J'ai eu l'occasion de dire que je ne vois pas comment un pays pouvait accepter qu'une province ait les pouvoirs que veut lui reconnaître le rapport Allaire. Mais enfin, puisque c'est devenu la base officielle du programme du Parti libéral, il faut bien qu'on se pose la question: Dans les propositions fédérales, qu'est-ce qu'il y a qui rejoint le rapport Allaire ou qui rejoint les demandes de la Chambre de commerce du Québec, d'ailleurs?

Ma conclusion, c'est qu'il n'y a rien ou à peu près. La formation de la main-d'oeuvre transférée à Québec? Oui, mais le gouvernement fédéral veut garder un pied dans la porte, et, depuis quelques |ours, on volt la dimension du pied. Reconnaître les pouvoirs exclusifs du Québec sur les mines et les forêts? Mais il me semblait que tous les Québécois savaient depuis toujours qu'on avait compétence exclusive dans le cas des richesses naturelles. Reconnaître une compétence exclusive du Québec à l'égard des municipalités? Oui, ça, c'est depuis 1867. En fait, il n'y a rien dans ces propositions fédérales ou à peu près rien qui rejoigne le rapport Allaire. Et au fond, les libéraux ne sont pas dupes.

Mario Dumont, président des Jeunes Libéraux, 25 septembre 1991. "Le document d'Ottawa ne contient à peu près aucune correspondance avec le rapport Allaire. Même avec le minimum qu'était Meech, les correspondances n'y sont pas." Michel Bissonnette, le 25 septembre, exprésident de la Commission-Jeunesse et membre du comité Allaire: "Dans ce que proposait le rapport Allaire, Bélanger-Campeau et même Meech, il y avait un fil conducteur, la nécessité d'un nouvel ordre de gouvernement. Or, Ottawa propose, au contraire, une vision centralisatrice. Ils n'ont visiblement pas compris le message. M. Fernand Lalonde, ancien ministre - et à bien des égards, eminence grise de bien de choses qui se sont passées dans le Parti libéral - le 25 septembre aussi, dans Le Journal de Québec, comparait, et je le cite: "...le rapport Allaire et le projet fédéral, sur le plan des propositions, c'est très, très loin. Sur le transfert de pouvoirs, le projet fédéral n'offre pas grand-chose."

Troisième ordre de questions que je voudrais aborder: la centralisation des pouvoirs économiques. Le gouvernement fédéral, dans ses propositions, se donne des pouvoirs nouveaux d'une ampleur telle qu'en fait on a soutenu - je pense à juste titre - dans à peu près tous les milieux du Québec, et singulièrement dans les milieux d'affaires, qu'il s'agissait là d'une forme de centralisation qui est susceptible de faire courir des risques sérieux à un certain nombre d'institutions québécoises dans leur fonctionnement et des risques sérieux au caractère dis-tinctif des politiques économiques du gouvernement du Québec. Et ce n'est pas un droit de retrait pour trois ans, par exemple, qui est susceptible de corriger ce qui est vicié à sa base. Je reviendrai aussi là-dessus tout à l'heure, M. le Président.

Nous nous trouvons donc face à une situation où, moins que Meech, à peu près rien d'un transfert de pouvoir et, d'autre part, une tentative de centralisation économique par Ottawa qui peut vouloir dire la fin de cette originalité des politiques économiques dont Québec s'est doté au fur et à mesure du passage des années. Ce sont les principes mêmes de ces propositions que je soulève. Qu'on me dise, à l'heure actuelle, comme le premier ministre le disait il n'y a pas très longtemps: Les principes sont acceptables, mais ce sont les modalités ou l'expression qui est inacceptable. M. le Président, je soutiens que ce sont les principes mêmes de ces propositions qui sont viciés et je pense qu'il faut en tirer, ce matin, un certain nombre de conclusions.

Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. le chef de l'Opposition, pour vos remarques préliminaires. Alors, je signale aux membres que j'avais l'intention d'être très rigoureux sur le temps. Vous avez pris 10 minutes et 50 secondes au lieu de 10 minutes mais, à tout événement, je vais maintenant reconnaître M. le premier ministre également, pour ses remarques préliminaires, pour une période de 10 minutes. M. le premier ministre.

Réponse du premier ministre M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, j'ai été heureux d'accepter l'invitation du chef de l'Opposition à cette interpellation, même si on peut facilement constater que, pour le gouvernement, à l'étape actuelle des discussions avec nos partenaires canadiens, nous ne pouvons pas proposer la position définitive du gouvernement.

On me permettra de dire un mot d'historique, pourquoi nous en sommes là, pourquoi, ce matin, le chef de l'Opposition et moi-même discutons de propositions constitutionnelles qui ont été faites par le gouvernement fédéral, le plus brièvement possible. (10 h 15)

On sait que, historiquement, le gouverne-

ment du Québec a toujours refusé le rapatriement de la Constitution canadienne à moins qu'on actualise, si on peut dire, la Constitution de 1867. Les Québécois et ses gouvernements jugeaient que cette Constitution, qui avait été acceptée en 1867, un siècle plus tard à toutes fins pratiques, exigeait d'être modernisée, de relever les nouveaux défis des sociétés contemporaines ou des sociétés modernes.

C'est donc pourquoi, en 1964, le gouvernement qui m'a précédé, l'un des gouvernements qui m'a précédé, le gouvernement de M. Lesage, n'avait finalement pas accepté une entente visant cette question. C'est pourquoi également MM. Johnson et Bertrand adoptaient la même attitude. C'est pourquoi, en 1971, lorsqu'il a été jugé que le partage des pouvoirs qui accompagnait le rapatriement de la Constitution, même si à ce moment-là - on se souvient - on accordait le droit de veto au Québec, aux différentes régions, lorsque nous avons jugé que le partage des pouvoirs n'était pas suffisant pour satisfaire les demandes traditionnelles du Québec, nous nous sommes opposés à ce rapatriement unilatéral. En 1976, ça a été l'un des thèmes de l'élection, comme vous vous souvenez.

Le Parti québécois a été élu et s'est engagé à faire un référendum. Il a fait son référendum sans être assuré de le gagner. Il l'a perdu. Le résultat a été le rapatriement unilatéral de la Constitution contre le consentement de l'Assemblée nationale, presque unanimement, et, même si ce rapatriement avait été l'oeuvre d'éminents Québécois, le gouvernement du Québec était le seul dont on n'avait pas tenu compte vis-à-vis de la décision qui avait été prise.

La défaite référendaire a abouti au rapatriement unilatéral, plaçant le Québec dans une position de faiblesse, et quelle illustration plus éloquente de cette position de faiblesse où se trouvait le Québec à la suite de la défaite référendaire que l'offre qui a été faite par le gouvernement du Québec, à ce moment-là, de négocier le droit de veto politique qu'il possédait. Le Québec possédait un droit de veto politique puisqu'il l'a exercé en 1964 et en 1971.

Lorsque nous avons pris le pouvoir en 1985, nous avons décidé de tenter de normaliser la situation. Alors que les défis économiques étaient particulièrement exigeants, alors que mon parti avait été élu sur la priorité à accorder aux questions financières et économiques, alors que la pression de l'opinion publique, à toutes fins pratiques à ce moment-là, n'était pas très forte pour aborder les questions constitutionnelles, mon gouvernement a décidé que, historiquement, il devait assumer ses responsabilités et faire tout en son possible pour que l'injustice de 1982 soit réparée.

Il a donc fait des propositions, les cinq propositions du lac Meech, qui dérivaient en partie, en très bonne partie, des propositions qui avaient été adoptées par l'ensemble des militants du Parti libéral; pas la totalité - nous n'avions pas pu accepter en totalité les propositions du Parti libéral - mais ça reflétait en très bonne partie ces propositions. Et nous avons négocié durant plusieurs années pour faire accepter ces propositions. Nous avons réussi, dans une première étape, à les faire accepter, en 1987, de nouveau en 1990 et, finalement, le processus constitutionnel nous a empêchés de les faire ratifier et qu'elles deviennent la loi du pays.

Comme en 1971, j'avais refusé d'accepter le rapatriement de la Constitution parce qu'à mon point de vue, au point de vue du gouvernement et de mon parti, ça n'allait pas dans le sens de l'histoire. En 1990, j'ai agi de la même façon, c'est-à-dire que je n'ai pas accepté qu'on rejette ainsi des propositions qui avaient été ratifiées à deux reprises. Nous essayons donc maintenant, à la suite de la loi 150 qui a fait presque l'unanimité au Québec, de pouvoir obtenir réparation de l'injustice de 1982, de même que de l'injustice de 1990.

Je me permettrai, M. le Président, de souligner que la crédibilité de mon honorable ami, le chef de l'Opposition, quand il invoque l'accord du lac Meech et quand il invoque le rapport Allaire, n'est pas particulièrement impressionnante. Son parti, lorsque nous avons proposé l'accord du lac Meech, l'a dénoncé en disant que c'était moins que rien. Aujourd'hui, il en fait un point de référence, admet-il pour fins de discussion, mais il le juge suffisamment important pour en faire un point de référence. Pour ce qui a trait au rapport Allaire, le chef de l'Opposition se souvient très bien que, lorsque le rapport Allaire a été rendu public, il l'avait interprété comme une agression sournoise vis-à-vis le Canada anglais et, aujourd'hui, il en fait une référence pour évaluer les propositions qui pourraient être acceptées par le gouvernement du Québec. Je pose simplement cette question parce que je trouve que les prémisses du chef de l'Opposition, dans sa discussion, me paraissent quelque peu vulnérables. Mais là n'est pas le fond du débat. Le fond du débat, c'est: est-ce que les propositions fédérales peuvent servir de base de discussion, peuvent permettre au gouvernement du Québec de poursuivre le dialogue?

Nous avons dit dans une première évaluation, en septembre dernier, c'est-à-dire le 25 septembre, que le document nous paraissait très incomplet, que dans le cas, notamment, de l'union économique nous ne pouvions pas accepter le libellé tel qu'il était - on aura l'occasion d'en discuter plus en détail - qu'il était possible d'arriver à la concertation nécessaire entre les différents partenaires du Canada, qu'il était possible d'arriver à cette concertation sans changement constitutionnel et que cette forme de fédéralisme autoritaire qui se trouve implicitement exprimée dans les propositions ne paraît pas très convaincante quand, on l'a dit, on examine la gestion économique du gouvernement

central depuis 20 ou 25 ans. Plus d'un tiers du service des revenus fédéraux est affecté au service de la dette. C'est deux fois plus que le Québec et beaucoup plus que la plupart des autres provinces.

M. le Président, je crois que nous ne pouvons pas - et je termine, on m'avise qu'il reste quelques secondes - alors que nous avons adopté la loi 150, donner d'opinion définitive sur des propositions préliminaires, alors que ceux qui ont fait ces propositions ont dit clairement qu'elles étaient préliminaires. On dit clairement qu'elles seraient vraisemblablement modifiées, lesquelles propositions ont été faites, dans plusieurs cas, sans libellé juridique qui nous permette d'avoir une opinion sur leur portée réelle. Nous avons dit que, sur le plan des principes, il y avait des progrès où il y avait des éléments qui permettaient une discussion utile, mais le gouvernement ne respecterait pas une loi de l'Assemblée nationale, la loi 150, s'il prenait position d'une façon finale sur des propositions qui sont là pour être discutées.

Le Président (M. Dauphin): Alors, je vous remercie, M. le premier ministre, pour vos remarques préliminaires, tout en vous signalant que vous avez rééquilibré les choses sur le temps. Vous avez pris 10 minutes et 45 secondes. Alors, nous allons maintenant débuter la période du débat et je vais dès maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition officielle pour une période de cinq minutes.

Argumentation M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, le premier ministre, en somme, dit: Je ne peux pas me commettre sur ces propositions, à l'heure actuelle, parce qu'il y a un comité de la loi 150, créé en vertu de la loi 150, qui doft examiner ça. M. le Président, puis-je rappeler que vous-même, en tant que président de ce comité, avez dit qu'il n'y aurait pas de recommandations à l'Assemblée nationale, faites à l'égard de ces propositions constitutionnelles fédérales puisque le mandat de votre comité prévolt que vous ne pouvez pas faire de recommandations s'il ne s'agit pas de propositions qui lient le gouvernement fédéral et les provinces.

Donc, si le premier ministre se sert de ce prétexte pour ne pas se commettre, bien, il risque d'attendre longtemps puisque, de toute façon, il est entendu que ce comité créé en vertu de la loi 150 ne fera pas de recommandations. Il va bien falloir qu'à un moment donné le premier ministre fasse, lui, des recommandations quant à ce qu'il veut trouver ou pas dans la formulation des propositions fédérales.

À cet égard, est-ce que le premier ministre convient qu'en restreignant la portée de la société distincte - on revient à Meech - à la langue, la culture et au Code civil, même en ajoutant le mot "notamment", la portée de la société distincte est considérablement diluée et, en fait, n'a à peu près plus de portée quant à la Charte et plus aucune portée quant aux autres dispositions de la Constitution. Est-ce que le premier ministre continue de penser qu'il lui faut un droit de veto qui n'apparaît pas dans les propositions fédérales? Il y a quelque chose qui vient de...

Le dernier numéro de la Société de droit international économique du Canada comporte une citation, une entrevue du premier ministre du Québec dont on tire la phrase suivante: "On comprendra donc pourquoi le Québec, État français dans le marché commun canadien, doit - doit - disposer de tous les pouvoirs nécessaires à la protection et à la promotion de son caractère distinct, tel un veto en matière constitutionnelle."

Ce n'est pas moi qui le demande, le veto! Qu'est-ce que vous voulez? Moi, je veux que le Québec devienne un pays. C'est le premier ministre qui dit: Je veux un veto, puis les propositions constitutionnelles disent: Vous n'en aurez pas. Est-ce qu'il est prêt à signer des propositions constitutionnelles, des offres fédérales qui ne comporteraient pas un droit de veto? Mais qu'il le dise si, pour lui, c'est fondamental. Ça veut donc dire que s'H n'y a pas de droit de veto dans ces propositions, il ne signera pas. Est-ce que je l'interprète correctement?

Qu'est-ce qu'il pense de ces dispositions de l'accord du lac Meech qui n'apparaissent pas dans les propositions fédérales comme, par exemple, la nomination des trois juges de la Cour suprême sur laquelle il devait faire des recommandations? Spécifiquement, comme gouvernement du Québec, c'est disparu. Qu'est-ce qu'il pense de cette disparition? Pour le Sénat, l'accord du lac Meech prévoyait que les nominations seraient faites sur des recommandations du gouvernement du Québec. Maintenant, on nous dit que ça sera élu et que la répartition des sièges sera plus équitable. Actuellement, le Québec a 25 % des sièges au Sénat. Plus équitable, ça veut dire moins. Qu'est-ce que le premier ministre pense de ça, d'avoir un poids au Sénat, un poids du Québec relativement plus faible? (10 h 30)

Là, nous parlons de Meech. Tout ça est nettement au-dessous de Meech et, pourtant, le premier ministre a dit: Je ne négocierai pas en bas de Meech. C'est un principe majeur, c'est un principe qui apparaît. Ottawa dit: Vous allez avoir moins que Meech. Est-ce que le premier ministre dit toujours: Je veux au moins autant que Meech? S'il le pense, mais qu'il le dise. J'allais dire: C'est important, même pour les gens à Ottawa, de savoir que le premier ministre tient toujours à négocier au niveau de Meech et

n'acceptera rien en bas de Meech. Mais je pense que c'est une responsabilité qu'a le premier ministre du Québec de dire ça à Ottawa, lui qui veut que le système fédéral fonctionne.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le chef de l'Opposition. Je vais maintenant reconnaître M. le premier ministre en réponse, pour une période également de cinq minutes.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, je comprends très bien que le chef de l'Opposition mette l'accent sur les éléments dans les propositions qu'on ne retrouve pas dans le lac Meech. Le chef de l'Opposition sait fort bien que le gouvernement fédéral, dans ses propositions - et admettons au passage que le gouvernement fédéral a respecté la loi 150. Je veux dire qu'il y en a plusieurs au Canada anglais qui auraient pu dire: Bon, si ça ne fonctionne pas, nous, nous allons fixer notre propre agenda. Que le Québec fasse son référendum sur la souveraineté ou sur une autre formule, et on verra après.

Je ne suis pas sûr que le climat de stabilité politique qui est essentiel au Québec pour sa stabilité économique aura été amélioré. Le gouvernement fédéral a accepté le processus de la loi 150. C'est vrai que la formulation de la société distincte est différente. Mais c'est également vrai que les interprétations sont aussi différentes. Il y en a qui disent d'un côté - il y en a même qui ont témoigné à la commission parlementaire, et je ne suis pas pour m'introduira dans toutes les distinctions qui peuvent être apportées là-dessus, puisque le débat n'est pas terminé... Il y en a qui ont dit que c'était plus fort que dans le lac Meech. Il y en a même qui ont dit que ça pouvait conduire hypothétiquement à des gestes dramatiques de la part du gouvernement du Québec. Il y en a d'autres qui ont dit que c'avait moins de portée que dans l'accord du lac Meech.

Nous ne sommes pas ici ce matin, M. le Président, pour analyser d'une façon juridique alors que la commission a précisément pour objectif d'examiner ce concept-là. Je pense bien que le chef de l'Opposition, s'il est sérieux, ne s'attend pas à ce que le premier ministre aujourd'hui donne, s'improvise expert juridique et donne un avis final sur le concept comme tel, sur la portée du concept qu'on a largement débattu durant l'accord du lac Meech et qui continue d'être débattu de part et d'autre.

On doit admettre que malgré une opposition au Canada anglais sur ce concept-là, quelle que soit sa formulation, on le retrouve dans l'application de la Charte. On doit admettre que ceux qui s'opposaient à ce concept... Je pense au premier ministre de Terre-Neuve qui disait, l'an dernier, qu'il n'était pas question qu'on tienne compte des droits collectifs dans l'interprétation des droits individuels sur le territoire du Québec, que jamais il accepterait qu'on tienne compte des droits collectifs. On admet aujourd'hui qu'il dit qu'il est d'accord pour qu'on tienne compte des droits collectifs. Nous pourrions parler très, très longtemps sur cette question de la signification juridique de la société distincte.

Le droit de veto que nous devons récupérer, M. le Président, pas en raison d'une erreur de mon gouvernement... Quand je vois des doctes savants venir nous faire la leçon sur la perte du droit de veto, il y a quelques jours, alors que c'est eux qui ont conseillé le chef du gouvernement pour le mettre sur la table, ça prend tout un culot! On a beau avoir le goût de la publicité, il faut quand même rester un peu cohérent.

Alors, dans la question du droit de veto, il est quand même important de réaliser de part et d'autre, surtout de la part de ceux qui ont commis la tragique erreur de le rendre négociable, que notre gouvernement essaie de le récupérer. Il en avait récupéré une partie sur les institutions. Ça demeure, comme je l'ai dit, M. le Président, un objectif fondamental du gouvernement du Québec. Mais, dans une première étape, étant donné que ça suppose l'unanimité, et, d'ailleurs, dans les propositions, on s'y réfère comme à un objectif, nous insistons sur d'autres aspects qui nous paraissent également importants pour l'avenir du Québec: le transfert des pouvoirs, la question du pouvoir de dépenser. Le chef de l'Opposition, curieusement, n'a pas parlé des propositions sur le pouvoir de dépenser. Ça fait 30 ans qu'on demande, au Québec, tous les gouvernements, une limitation du pouvoir de dépenser. Il y en a une qui est offerte. Peut-être qu'elle n'est pas parfaite, mais pour la première fois et d'une façon élargie - ça avait été également proposé dans le cas du lac Meech - on a, de la part du gouvernement fédéral, formellement, juridiquement, la reconnaissance de limiter son pouvoir de dépenser, qui a été à la source de combien de chevauchements et de combien de gaspillages de fonds publics. Alors, ça, c'est un aspect des propositions que, curieusement, n'a pas signalé le chef de l'Opposition. L'immigration...

Le Président (M. Dauphin): M. le premier ministre, je vous signale que c'est termine, que les cinq minutes sont terminées.

M. Bourassa: Alors, je termine par une phrase, M. le Président. L'immigration, pouvoir fondamental pour l'avenir culture! du Québec, on retrouve cela dans les propositions. Ça aussi, on n'en a pas parlé, de l'autre côté.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Maintenant, M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, je ne comprends pas le premier ministre de venir nous dire que les avis sont partagés quant à la signification de la société distincte dans les propositions fédérales. J'ai lu à peu près tous ceux qui ont pu écrire là-dessus, et on n'arrête pas les citations. Il ne va trouver qu'une seule exception, je pense, parmi les constitutionnalistes dont je parlais tout à l'heure, c'est M. Patrice Garant - j'imagine que c'est à ça qu'il faisait allusion. Dans son témoignage devant votre commission, M. Patrice Garant a contredit le texte écrit qu'il avait déposé devant la commission. C'est à peu près tout ce qu'on peut trouver. Pour le reste, tout le monde est d'accord que c'est réduit.

Ça fait six semaines que le premier ministre nous a dit qu'il attendait des avis juridiques; j'imagine qu'il les a reçus. Mais, qu'il me donne donc un cas de constitutionnaliste - un cas! -qui dit que le concept de société distincte, tel qu'il apparaît dans les propositions fédérales, est plus large que ce qui apparaissait dans le lac Meech. Au contraire, c'est restreint. C'est tellement restreint que je voudrais, à cet égard, citer - et je vais le faire en anglais, je n'ai pas de traduction - une intervention du sénateur MacEachen au comité Castonguay-Dobbie, qui cherche à faire indiquer par le sous-ministre de la Justice, M. Tait, à Ottawa, le sens de la société distincte. Il lui dit ceci - c'est M. MacEachen qui parle: "Mr Chairman, I take it from the answer that it is the view of officials that the inclusion of the distinct society clause in this particular section or part of the Constitution would not affect the scope - l'étendue -or content - le contenu - of any right currently guaranteed in the Charter. That is the clarification and it is very helpful." Et M. le sous-ministre de la Justice, M. Tait, dit: "I would accept that way of putting it", ce qui veut dire qu'on comprend que M. Clyde Wells l'ait acceptée, la société distincte, ça ne veut plus rien dire! On comprend fort bien la réaction que M. Clyde Wells donnait à la presse le 23 octobre, en disant - et là, c'est traduit en français: "Je n'ai jamais rejeté le concept de société distincte pour le Québec, mais le fait qu'on pouvait interpréter toute la Constitution par cette particularité." Ça n'existe plus. Ah! il est d'accord. Bien sûr, il est d'accord. C'est à ça que le premier ministre se range? Mais il a accordé une telle importance à cette clause de la société distincte! Pensez, M. le Président, que le premier ministre a déjà dit en cette Chambre que si la clause de la société distincte ne primait pas sur la Charte, ce serait pire que le statu quo. Mais, au moins, qu'il répète ça, juste pour qu'on soit tout à fait certains qu'il est toujours du même avis.

Sur le plan du veto, on n'a pas parlé de particularités, c'est-à-dire de tentatives d'avoir un droit de veto. Moi je n'ai jamais entendu le premier ministre dire ça. Encore une fois, qu'il ne s'appuie pas sur nos attitudes pour se justifier. Nous, on veut avoir un pays. Vous comprenez qu'un droit de veto, on ne sait pas quoi en faire. Dans cette optique-là, je ne sais pas quoi faire avec un droit de veto. Un droit de veto à l'égard de qui, quand on a son pays à soi? C'est le premier ministre qui veut avoir un droit de veto, mais aujourd'hui, il a l'air de dire que ça va être une tentative plutôt qu'une exigence? Hé!

D'autre part, il mentionnait le pouvoir de dépenser. Attention! le pouvoir de dépenser... Ce qu'il y avait dans Meech était assez particulier. On recule par rapport à ça, parce que maintenant, il y a la question des objectifs qu'il faut satisfaire les programmes nationaux. L'immigration, mais l'immigration dans Meech, il y avait la possibilité, par un vote du Parlement fédéral et de Québec, de pouvoir régler le problème de l'immigration entre les deux gouvernements. Et maintenant, nous apprenons, dans les propositions fédérales, que ça va prendre sept provinces, le fédéral, sept provinces et 50 % de la population. Il va me dire que ce n'est pas un recul par rapport à Meech? Et ce qui apparaît ce matin, c'est que le gouvernement est en pleine reculade, M. le Président.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le chef de l'Opposition. M. le premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Le chef de l'Opposition dit: Nous, on se bat pour avoir un pays. Ils ont fait un référendum qu'ils ont perdu. Avec quel résultat? Avec le résultat qu'il a fallu négocier en position de faiblesse. Il faut faire la distinction entre les objectifs et les risques qu'on assume en voulant les réaliser quand le peuple ne suit pas. Et si nous devons aujourd'hui combattre pour récupérer le droit de veto - et c'est pour ça que je ne vois pas pourquoi on ne peut pas citer l'histoire pour préparer l'avenir - si on est obligés de se battre aujourd'hui pour récupérer le droit de veto, c'est parce que vous avez placé le Québec en position de faiblesse. Ça, c'est une réalité qu'on ne peut pas éviter. (10 h 45)

Primauté de la Charte. Je ne crois pas que, dans la période qui nous est accordée, on devrait discuter sur tous les raffinements juridiques que peut comporter une clause constitutionnelle, mais je retiens un point soulevé par le chef de l'Opposition quand il m'a cité. Il a dit: Le premier ministre a dit que si on apporte un amendement qui se trouve à atténuer d'une façon spécifique l'application de la Charte, c'est pire que le statu quo. On est obligés de constater que l'amendement qui est apporté vise précisément à ce que l'interprétation de la Charte tienne

compte que le Québec est une société distincte, que, quand les juges auront à interpréter des lois du Québec pour protéger la culture... Et nous avons pu faire adopter des lois pour protéger la culture. Je ne pense pas qu'on puisse dire que la menace que le Québec ne possède pas des pouvoirs pour protéger la culture... Il l'a fait avec la loi 22, il l'a fait avec la loi 101, il l'a fait avec la loi 178, sans que le Québec ne soit reconnu comme société distincte. Mais là, nous avons une protection additionnelle dans la mesure où l'application de la Charte est considérée. Alors, je ne vois pas en quoi le chef de l'Opposition ne peut pas admettre que, dans ce contexte-là, ceux qui auront à interpréter les lois québécoises devront tenir compte que le Québec est une société distincte. Et c'est important, ça, c'est important parce que quand on a proposé le livre bleu avec 23 demandes, mon prédécesseur, M. Lévesque, avait dit: La plus importante, c'est la reconnaissance du Québec comme société distincte. Quant aux autres, on pourra négocier éventuellement, mais celle-là, elle doit être très importante.

Alors, je dis au chef de l'Opposition qu'il y a des avis; ils ne sont pas complets. Je ne vois pas l'utilité, alors qu'il y a toutes les questions de nature économique et financière à aborder, de prolonger un débat sur un concept juridique, alors que les avis, les analyses juridiques ne sont pas encore complétés. Tout ce que je dis au chef de l'Opposition, c'est quand il m'invoque, pour dire que ça ne doit pas affaiblir l'interprétation de l'article 1 de la Charte, je le réfère au texte qui mentionne que, dorénavant, non seulement les juges devront tenir compte des limites raisonnables aux droits des personnes, mais ils devront également tenir compte que le Québec est une société distincte.

Pour ce qui a trait à la question du pouvoir de dépenser, je répète ce que j'ai dit tantôt. Au moins, nous avons là, pour la première fois - et Dieu sait comment le chef de l'Opposition, comme conseiller de M. Lesage et d'autres premiers ministres, et comment nous-mêmes, durant des décennies et des décennies, nous nous sommes efforcés d'obtenir une limite à ce pouvoir de dépenser qui a déséquilibré le partage des pouvoirs entre les niveaux de gouvernement.

Si, aujourd'hui, nous devons nous battre pour récupérer des pouvoirs qui nous ont été accordés par la Constitution de 1867, c'est à cause du pouvoir de dépenser. Alors, admettons franchement que la formule est perfectible, mais que la volonté de limiter le pouvoir de dépenser, pour la première fois, d'une façon aussi précise, se retrouve dans des principes d'une proposition fédérale.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Je vais donc maintenant reconnaître de nouveau M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, limiter le pouvoir de dépenser... Je commence par la fin de la dernière intervention du premier ministre. S'il vous plaît, qu'il ne s'appuie pas sur M. Lesage. Qu'il n'ose pas prendre comme illustration M. Lesage. M. Lesage, lui, pour limiter le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, il a sorti le Québec de 29 programmes conjoints fédéraux d'un coup. Ah oui! Ça, pour brimer et pour rendre plus difficile le pouvoir de dépenser du fédéral, ça a été remarquable. On en a senti les effets pendant 15 ans. C'était autre chose, autre chose que cette clause qu'il y a, à l'heure actuelle, dans les propositions fédérales et qui, à toutes fins pratiques, va permettre à une province de se retirer à la condition qu'elle satisfasse les objectifs des programmes fédéraux, et les cours vont interpréter ça d'une façon telle qu'il va falloir avoir des programmes identiques.

Cela étant dit, j'aimerais en venir maintenant au deuxième point, le deuxième grand sujet que je voulais aborder, qui est celui du programme officiel du Parti libéral en matière constitutionnelle, plus souvent décrit comme étant le rapport Allaire. Le rapport Allaire que - encore une fois, je le souligne, M. le Président - le premier ministre a signé et dont il a dit beaucoup de bien jusqu'à un fameux dimanche après-midi où il a fallu qu'il mette le poing sur la table.

Qu'est-ce que c'est, l'esprit du rapport Allaire? Il s'agit essentiellement d'amener entre les mains du gouvernement du Québec un certain nombre de pouvoirs exclusifs, ceux qui lui ont été donnés par la Constitution de 1867 sans doute, mais d'autres. Et, parmi ces autres, on n'y va pas avec le dos de la cuillère. Je donne la liste rapidement: l'agriculture; l'assurance-chômage; les communications - les communications -avis au ministre des Affaires culturelles, les communications au complet; le développement régional dans sa totalité; énergie; environnement au complet, plus de ministère de l'Environnement; industrie et commerce; langue, compétence exclusive, la langue; recherche et développement; sécurité publique; sécurité du revenu.

Ce n'est pas rien, ça, M. le Président. C'est une façon de voir les choses qui, comment dire, donnerait au Québec une ampleur d'action qui, à bien des égards, moi, ne me satisfait pas, mais dont je dois reconnaître que c'est quand même, par rapport à un certain nombre de tentatives timides, dans les années passées, du Parti libéral, une certaine ouverture vers un plus grand degré d'autonomie du Québec. En fait, on ne laissait que cinq pouvoirs exclusifs au gouvernement fédéral: défense et sécurité du territoire, douanes et tarifs, gestion de la dette commune, monnaie et péréquation.

Quelle est la réponse des propositions fédérales à cet effet? Eh bien, la réponse du

gouvernement fédéral, c'est, en un certain sens, que Québec, si vous me passez l'expression, aille se faire cuire un oeuf. On consacrera le fait que ce qui est dans la Constitution de 1867 sera maintenu comme pouvoirs exclusifs des provinces. On indique qu'on acceptera que la formation professionnelle soit laissée aux provinces, encore qu'au nom de l'exclusivité dans le domaine de l'éducation on aurait pu penser que c'était de compétence exclusive provinciale depuis longtemps. Mais on dit tout de suite: Mais le gouvernement fédéral déterminera quel rôle il jouera là-dedans.

On reconnaît, comme je le disais plus tôt, qu'il y aura des discussions sur certains autres sujets pour voir comment les compétences pourraient être partagées. On annonce simplement... La bonne volonté va jusqu'à dire: On tiendra des discussions. Oui, eh bien, des discussions de ce genre-là, ça fait 30 ans qu'il y en a. Pour des discussions de ce type qui sont prévues dans les propositions fédérales, il doit y avoir quelque chose comme 200 comités fédéraux-provinciaux pour discuter.

Le Président (M. Dauphin): C'est terminé, M. le chef de l'Opposition.

M. Parizeau: Et, dans ce sens, je conclus seulement par une phrase, M. le Président. Vous comprendrez que... Au nom, au nom, en un certain sens, simplement de l'intégrité des gens que nous avons devant nous, ça ne vous déplaît pas de voir le gouvernement fédéral vous dire d'aller...

Une voix: Vous faire cuire un oeuf.

M. Parizeau: ...vous faire cuire un oeuf?

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le chef de l'Opposition. Maintenant, au premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Je réplique immédiatement au chef de l'Opposition qu'au nom de l'intégrité intellectuelle qu'il doit essayer d'assumer comme chef de l'Opposition, ça ne lui déplaît pas d'invoquer un rapport pour critiquer le gouvernement que lui-même a décrit comme totalement irréaliste, comme une injure au Canada anglais? Est-ce que, au nom de l'intégrité intellectuelle, il ne devrait pas faire preuve d'un peu plus de modération quand il demande au gouvernement d'appliquer ou de rechercher l'application totale d'un rapport qu'il a dénigré avec virulence lorsqu'il a été rendu public?

Ce que nous avons dit sur le rapport Allaire, c'est qu'il reflétait, pour nous, la volonté d'un changement en profondeur et qu'il représentait un changement en profondeur, mais qu'on doit quand même, comme gouvernement - le parti a sa responsabilité; il l'assume très bien, mais le gouvernement a aussi la sienne - examiner les implications financières des propositions qui sont faites. Si on récupère l'assurance-chômage, ça veut dire combien de dépenses additionnelles? Si on récupère l'assistance publique? Puisqu'il a cité la Commission-Jeunesse du Parti libéral, je réfère le chef de l'Opposition au plus récent document de la Commission-Jeunesse du Parti libéral, qui exprime clairement qu'on doit avoir une approche pragmatique, qu'on doit tenir compte de l'impact sur les finances publiques. C'est fondamental pour un gouvernement responsable, pas pour un gouvernement électoraliste.

Alors, ce que je dis au chef de l'Opposition, c'est que nous nous efforçons, dans le nouveau partage des pouvoirs, et on en retrouve un certain nombre... Je me référais tantôt au pouvoir de dépenser. Ah! Le chef de l'Opposition fait mine de s'indigner. Oh! J'ai osé citer le rôle qu'il jouait comme conseiller de M. Lesage au début des années soixante. Mais est-ce que le chef de l'Opposition ne peut pas faire la différence entre des changements administratifs et des changements constitutionnels? Dans les programmes conjoints qui ont été récupérés, il sait fort bien... L'honnêteté du débat en lui-même m'incite à faire cette mise au point il sait fort bien qu'il n'y a pas de garantie pour l'avenir qu'un nouveau gouvernement qui voudrait centraliser, qui aurait des politiques centralisatrices, pourrait vouloir récupérer cela, alors que nous parlons dans les propositions de changements constitutionnels. Est-ce que le chef de l'Opposition est incapable de faire une différence entre l'aspect administratif et l'aspect constitutionnel? Je m'étonne. Et ceci met en relief la faiblesse de son argumentaire.

M. le Président, nous nous efforçons, dans le contexte qui est le nôtre, dans une situation très exigeante sur le plan économique et financier, qui demeure pour nous la priorité, de dénouer cette impasse constitutionnelle. J'ai dit, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes l'a exprimé également, les autres ministres qui ont eu à parler l'ont fait également, que nous ne sommes pas satisfaits des propositions telles que formulées. Il y a trop d'ambiguïté, trop d'ambiguïté dans l'interprétation qu'on peut apporter à ces propositions. Mais au niveau des principes, restreindre le pouvoir de dépenser, nous donner ta sécurité culturelle, on verra ce que ça veut dire concrètement, mais le principe est là: on veut donner les pouvoirs culturels. On a plusieurs mois pour évaluer le sérieux des propositions, mais qu'on ne vienne surtout pas confondre l'administratif avec le constitutionnel.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Je vais maintenant reconnaître, pour un temps maximum de cinq minutes, M. le

député de Westmount.

M. Richard B. Holden

M. Holden: Merci, M. le Président. Mr. Chairman, in the brief time that I have at my disposal, I think I would like to ask to the Prime Minister if he might like to tell us a little bit about the future and how he sees the relations with other Premiers and other governments over the next few months. One of the things, I think, that was very productive was his meeting with Premier Rae, in Toronto, the other day, and one of the things I would like to have the Premier tell us is how he sees his . future relations with the other Premiers and with the other governments in Canada.

M. le Président, je ne demande pas au premier ministre de nous dévoiler dans les détails sa stratégie constitutionnelle, mais je crois que les Québécois et bien d'autres Canadiens dans le reste du pays aimeraient savoir si on peut envisager une possibilité d'éviter le référendum envisagé dans la loi 150. Pour ma part, M. le Président, je crois qu'il y a un moyen de le faire. (11 heures)

Ever since thé failure of Meech Lake, we have watched the "souverainistes" pushing for a referendum on their terms and I submit you, Mr. Prime Minister, that the mood In Québec has moderated. I do not see why we have to be steamrolled any longer. To me, it is obvious that Bélanger-Campeau was controlled by "souverainistes" and, in fact, on l'a vu clairement, l'autre jour, quand M. Campeau a montré ses vraies couleurs. Mr. Prime Minister, it is up to you to slow down the bulldozer.

Si le rapport Allaire est la position de base de votre gouvernement, alors, demandez aux Québécois un mandat pour négocier là-dessus. Je ne suis pas un ardent supporteur d'Allaire, mais c'est quand même mieux que la souveraineté. J'ose croire qu'avec les négociations, il y aurait des modifications. Alors, je recommande au premier ministre: Donnez-vous du temps, M. le premier ministre. Faites votre référendum sur un mandat pour négocier. Cette fois, je crois que la question pourrait être beaucoup plus simple et je crois que la réponse des Québécois serait oui.

Vous savez, M. le Président, que la communauté que je représente est foncièrement fédéraliste, mais elle est aussi réaliste. Les anglophones savent qu'entre le gouvernement et l'Opposition, leurs espoirs sont beaucoup mieux servis par le Parti libéral que par le Parti québécois. Pour cette raison, je demande au premier ministre de nous assurer, aujourd'hui, qu'il y a de l'espoir, qu'il y de la place pour les anglophones dans le Québec et qu'il y a de la place pour le Québec dans un Canada renouvelé.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le député de Westmount. En réponse, M. le premier ministre, toujours pour un temps maximum de cinq minutes.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Oui. M. le Président, j'ai écouté avec beaucoup d'attention les propos du député de Westmount. Quand il demande d'aller devant le peuple pour un mandat pour négocier, ça fait 40 ans que les gouvernements obtiennent des mandats pour négocier avec le gouvernement fédéral. Je crois que le Québec, durant les années quatre-vingt particulièrement, a dû assumer deux échecs et le Québec a décidé, après l'échec de l'accord du lac Meech... Il ne faut pas oublier que cet échec suivait trois années de négociations et qu'il avait été ratifié à deux reprises - trois, si on tient compte d'avril 1990 et de juin 1990 - et que le Québec était arrivé à la croisée des chemins. Légitimement, il se posait des questions sur la volonté des partenaires canadiens d'accepter le Québec comme il est.

Dans l'accord du lac Meech, il n'y avait pas de demandes exorbitantes. Sur le plan historique, c'était des demandes très raisonnables et qui avaient été acceptées. Donc, nous avons le mandat, je crois, de procéder comme nous l'avons fait. Vous avez participé à une commission constitutionnelle qui a rassemblé un large appui dans la population. Le Parti libéral a changé son programme pour une raison bien simple, à savoir que celui qu'il avait adopté en 1985 n'avait pas été accepté. Mais je crois que l'attitude la plus sage, actuellement, ce n'est pas d'avoir une élection avec toutes les conséquences que ça peut comporter pour avoir un mandat de négocier.

L'attitude la plus sage, je crois, c'est celle que pratique le gouvernement, c'est-à-dire d'arriver à avoir des offres qui soient acceptables. On a respecté le processus, mais, par ailleurs, on a fait des propositions qui, le moins qu'on puisse dire, sont incomplètes et ne peuvent pas être acceptées telles que présentées par rapport aux demandes traditionnelles du Québec.

Alors, je crois que les pouvoirs et la volonté que nous avons, actuellement, de dénouer l'impasse doivent s'orienter vers des discussions et doivent s'orienter vers une solution constitutionnelle acceptable et tenant compte de la tradition de l'histoire au Québec.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Je vais maintenant reconnaître M. le député de D'Arcy-McGee, pour une période maximale de quatre minutes comprenant la question et la réponse. Alors, M. le député de

D'Arcy-McGee.

M. Robert Libman

M. Libman: Merci, M. le Président. Since the federal propositions were tabled on September 24th, Quebeckers have witnessed a bizarre spectacle. The Premier of Québec as well as the Leader of the Official Opposition are eminent economists, both have always favoured economic union, both have always favoured the dismantling of trade barriers to allow for freer circulation of goods, services, people and capital, and both were staunch supporters of the U.S. Free Trade Agreement. Yet, on September 24th, the Government of Canada put on the table proposals for an economic union, for freer trade in Canada. And what have we witnessed in Québec since? We have seen nothing but bitter denunciations from the Government and from the Official Opposition of an attempt by Ottawa to centralize economic power, a power grabbed by Ottawa, yet at the same time completely ignoring the reality of the propositions, proposition 15(3) for exemple, which allows a province to opt out of some of the legislation passed by Ottawa on economic union. There has been an ignorance of the fact that the provinces are given greater participation in the decisions of the Bank of Canada in proposal 17.

My first question to the Premier is: How can he explain this contradiction, this charade, this game, that when it comes to free trade with the Americans, he acts like Captain Courageous, yet when it comes to freer trade with the rest of Canada, with Prince Edward Island, for example, he acts like a mouse and cries foul from Ottawa? That's question number one, M. le Président.

Second question: I would like to have an opinion from the Premier on whether he feels this game he's been playing of good cop, bad cop with the Minister of Intergovernmental Affairs is beneficial to the negotiating process, if he feels that it sends out the right message to the rest of Canada. He can say as many times as he wants that they are saying the same thing, but this is not the perception that is being sent out to the rest of Canada. This is risking a deal and it is risking success of these negotiations. So, I would like to ask him to consider very strongly inparting to the members of his Cabinet to send out one clear message to the rest of Canada that these are positive propositions on the table that must be negotiated in good faith and that we have several months to get to the point where these proposals can be acceptable to Québec. Ça, c'est deux questions, M. le Président.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le député. M. le premier ministre, en une minute et demie.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Je crois que j'ai répondu à la deuxième question à l'Assemblée nationale avant-hier. Je ne crois pas qu'on puisse souligner la moindre contradiction entre les différents porte-parole du gouvernement. On peut cher hors contexte, c'est normal, ça fait partie des règles du jeu, mais si on examine les déclarations de part et d'autre, il n'y a aucune contradiction.

Concerning free trade, you know the situation. In rejecting free trade, what will be the reaction of the United States? We are more dependent on our export to the U.S. than they are dependent on their export to Canada. And we all realize these days what can be done by the U.S. Congress in pulp and paper, in magnesium and asbestos. So we have to be realistic when we are dealing in free trade with the United States. We were talking a few moments ago about if Québec becomes sovereign. What kind of bargaining power will we have in free trade with the United States? That will be an interesting question to debate with the Leader of the Opposition.

Concerning trade inside Canada, we signed an agreement last December to reduce, in certain sectors, some barriers, but that has to be done in a gradual way. With a rate of unemployment in some provinces of 18 %, of 15 %, of 20 % and 5 % or 6 % or 7 % in other provinces...

Le Président (M. Dauphin): C'est terminé, M. le premier ministre.

M. Bourassa: So, we have to live in the real world.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, nous allons aborder, maintenant, le troisième volet que j'avais annoncé, c'est-à-dire celui des propositions constitutionnelles proprement économiques. Je vous indique tout de suite, d'ailleurs, que dans ce domaine à peu près tout est rédigé en termes juridiques. C'est très précis. C'est très bien défini dans le document fédéral.

De ces propositions économiques, je pense que celle qui en a le mieux résumé la teneur, et d'ailleurs de l'ensemble de ces propositions constitutionnelles du gouvernement fédéral, c'est la vice-première ministre et ministre de l'Énergie et des Ressources qui disait, le 27 septembre, et je la cite: "Le gouvernement fédéral a laissé au Québec les aspects émotifs, comme la société distincte, mais a conservé ce qui est rationnel, comme l'économie. Je pense que ce n'est pas acceptable. Le Québec a prospéré avec le modèle

économique qu'on s'est donné et va en avoir besoin pour continuer. "

C'est remarquable. Je pense que ça dit tout. Ça dit tout. Le gouvernement fédéral se donne trois pouvoirs: celui de légiférer en toute matière qu'il déclare utile à l'efficacité du fonctionnement de l'union économique. Et l'union économique est définie dans des termes tels qu'au fond n'importe quelle politique du gouvernement du Québec qui voudrait s'adresser au Québec, à des entreprises québécoises par rapport à d'autres entreprises d'ailleurs, pourrait en pratique et juridiquement être interdite. Ça couvre pas mal de choses, M. le Président, ça.

Par exemple, je peux vous dire tout de suite qu'en vertu de ça, la Société de développement industriel, la SDI, dont notre ministre de l'Industrie et du Commerce bien-aimé chante les louanges constamment, la SDI devient inconstitutionnelle parce que tout son mode d'opérer consiste à favoriser des entreprises du Québec par rapport à des entreprises qui ne sont pas du Québec, On peut trouver une foule d'autres exemples de cet ordre.

Mais le gouvernement fédéral se donne aussi le pouvoir de déclarer des lois fédérales ou provinciales d'intérêt national. C'est-à-dire qu'il se donne le pouvoir de faire tout ce qu'il trouve utile pour l'union économique, mais aussi le contraire, tout ce qu'il jugerait utile et qui n'irait pas dans le sens de l'union économique. Alors, vous voyez par exemple... On se souvient peut-être de la ligne Border», de cette fameuse frontière entre le Québec et l'Ontario, qui a amené la disparition de la moitié du centre de raffinage pétrolier à Montréal et qui a fait courir des risques épouvantables aux Centres pétrochimiques, eh bien, ça serait constitution-nalisé, ça. Le gouvernement fédéral peut faire une chose et faire son contraire, s'il le juge bon.

Troisièmement, le gouvernement fédéral se donne le droit d'adopter des lignes directrices destinées à améliorer la coordination des politiques budgétaires et financières. Le premier ministre ne s'est pas beaucoup prononcé sur les deux premiers pouvoirs. En fait, il n'a pas dit grand-chose là-dessus. Il a plutôt essayé d'en atténuer la portée. Mais il est sorti sur le troisième et, là, je dois dire que je ne le comprends pas parce qu'il dit: Non, non, ces lignes directrices sur le plan budgétaire, ça peut aller trop loin. Je dis que je ne le comprends pas pour la raison suivante: ça fait des années que le premier ministre nous dit "quand il y a une monnaie commune, il faut qu'il y ait une politique fiscale commune ou, en tout cas, compatible, et c'est ça qui exige une structure politique commune".

Là, on a une monnaie commune au Canada. Le gouvernement fédéral dit: Aïe! On va harmoniser les politiques budgétaires, et je vais prendre les moyens pour les harmoniser, les politiques budgétaires, et le premier ministre du Québec dit: Non, non, non, je ne marche pas là- dedans. Je dis: Je ne comprends pas. C'était, il me semble, dans la ligne de ses convictions à la fois économiques et fédéralistes d'accepter cette initiative fédérale comme jouant exactement dans le sens de ce qu'il entend par une économie et une politique bien menée. (11 h 15)

II est clair que nous ne pouvons pas, comme Québécois, tous ensemble - la plupart des hommes d'affaires qui se sont prononcés sur cette question sont d'accord aussi - accepter ces propositions fédérales sur l'économie, cette centralisation, ce geste extraordinaire de centralisation économique par le gouvernement central. Nous ne pouvons pas l'accepter. Est-ce qu'on peut demander au premier ministre de le dire clairement, pas seulement au sujet de la troisième clause, mais des trois pouvoirs dont je viens de parler?

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le chef de l'Opposition. En réponse, au premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, je suis très heureux, enfin, qu'on aborde les questions économiques qui sont quand même, à mon sens, prioritaires dans tout cela, même si les autres aspects demeurent fondamentaux.

Il y a trois choix pour les Québécois. Il y a l'union économique proposée par nos amis d'en face. On me permettra d'en dire quelques mots. Il y a l'union économique proposée par les autorités fédérales, dans une forme de fédéralisme autoritaire que j'ai décrit comme inacceptable. Il y a l'union économique qui met l'accent sur la concertation intergouvernementale.

Brièvement, tantôt, j'ai signalé que la crédibilité du gouvernement fédéral pour imposer ses objectifs économiques était faible. Quand je parle du gouvernement fédéral, je ne m'adresse pas uniquement à celui qui nous dirige actuellement. On pourrait même s'adresser davantage à ceux qui l'ont précédé parce que c'est eux qui ont déclenché cette spirale de l'endettement. Alors, ils ne peuvent pas dire aux provinces qui ont réussi, avec beaucoup de sacrifices dans plusieurs cas, à gérer d'une façon plus fructueuse: Vous allez nous donner les pouvoirs pour vous dire de faire ci et de faire ça. La concertation budgétaire, elle peut se faire entre les gouvernements avec, c'est évident, des propositions, une intervention ou un rôle fédéral.

On a les mêmes lectures, le chef de l'Opposition et moi. On rapportait, dans une revue économique qu'il connaît bien, qu'actuellement, on discute, entre l'Italie et le Marché commun, de réduire le déficit de l'Italie, en disant: Si on a une monnaie commune, on ne peut pas avoir des niveaux de déficit qui soient trop disparates, trop importants. Alors, nous, nous croyons en une union économique canadienne. On a posé des

gestes. Tantôt, je l'ai dit en répondant au député de Westmount et au député de D'Arcy-McGee. Nous avons posé des gestes, comme gouvernement, entre nous, pour réduire les barrières tarifaires, et c'est ce que nous privilégions comme union économique. J'ai, là-dessus, l'appui de tous les milieux d'affaires et des milieux des travailleurs, non seulement du Québec, mais de l'extérieur.

Mais parlons de l'union économique de nos amis d'en face, qui est le troisième choix, cette union économique par traité, où on est prêt à abdiquer totalement ou à asssumer un rôle minoritaire. Parce que la monnaie, les taux d'intérêt, c'est quand même un élément vital. On est prêt même à utiliser la monnaie canadienne contre la volonté de nos partenaires. C'est ce qu'a dit le chef de l'Opposition. Il a dit: Le Libéria le fait. Vous avez cité M. Laidler qui citait le Libéria.

Des voix:...

M. Bourassa: M. le Président...

Le Président (M. Dauphin): S'il vous plaît, messieurs, mesdames.

M. Bourassa: M. le Président, le chef de l'Opposition a cité plusieurs pays qui acceptaient, Panama et d'autres. Alors, Je dis au chef de l'Opposition: Comment peut-il rester crédible... Parce que là, on parle du bien-être de tous les citoyens. Une union économique boiteuse, ça a des effets, ça peut avoir des effets désastreux, il le sait fort bien. Comment peut-il demeurer crédible dans sa critique de l'union économique, alors qu'il propose une formule qui ne peut fonctionner en aucune façon d'une façon acceptable? Comment peut-il penser... Parce qu'il voit tout en rose: Ils vont accepter, il n'y aura pas de problème, ça ne coûtera rien, les Américains vont se ranger. Comment peut-il demeurer crédible?

Mais je suis quand même heureux que pour ce qui a trait à des propositions fédérales, il ait décidé d'appuyer le gouvernement du Québec de manière à empêcher d'avoir cette forme de fédéralisme qui irait contre l'intérêt, à mon sens, de la grande majorité des Canadiens.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Nous revenons avec le chef de l'Opposition officielle. Toujours pour cinq minutes. Question.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, je pense que, là, le premier ministre vient d'ouvrir une nouvelle porte en voulant discuter de la forme que peut prendre la souveraineté-association. Il est clair que ce n'est pas en fin de débat et en quelques minutes qu'on va passer à travers ces questions. Mais s'il est prêt à un autre débat comme celui-ci, ça, je l'accepterai volontiers et je lui en fais la proposition.

Des voix: Bravo! Bravo!

M. Parizeau: Oui, ce serait intéressant de voir comment va fonctionner le système monétaire dans un Québec souverain. Oui, ce serait intéressant de faire confirmer ici que, dans la mesure où un Québec qui devient souverain veut garder la monnaie canadienne, il peut garder la monnaie canadienne, et que la décision lui appartient. Tout le monde le reconnaît à l'heure actuelle. C'est fini les peurs qu'on pouvait faire aux gens autrefois avec ça. Oui, c'est vrai, c'est comme ça. Et, au fond, tous les techniciens qui ont été consultés ont tous conclu de cette façon. Oui, ce serait intéressant de discuter du maintien de l'espace économique canadien, comme l'ont souhaité à peu près tous ceux qui se sont présentés devant Bélanger-Campeau. Je pense que ça faisait l'unanimité de tout le monde. Oui, il est important, je pense, dans l'hypothèse de la souveraineté du Québec, que les liens existants avec le Canada demeurent. Il est important de dégager que beaucoup de ces liens vont, en fait, être maintenus de façon à peu près automatique.

Je pense ici à la libre circulation des capitaux, par exemple. Récemment, une étude du CD. Howe Institute était très claire à ce sujet. Il n'y a vraiment aucun moyen, enfin raisonnable, par lequel le gouvernement canadien pourrait empêcher la libre circulation des capitaux. Dans d'autres cas, sur le plan de la liberté des produits, des services, de la circulation des produits et des services, là, il y a un certain nombre d'exigences de notre époque qu'on appelle le GATT, qu'on appelle l'entente canado-amé-ricaine de libre-échange, qui vont faire en sorte que, oui, ces liens économiques de l'espace actuel vont être maintenus. Mais de là à reconnaître constitutionnellement - parce que c'est de ça dont nous parlons ce matin - des pouvoirs économiques au gouvernement fédéral absolument exorbitants qui, en pratique, permettraient - auraient permis, s'ils avaient existé dans le passé - d'empêcher une bonne partie de ce qui a fait l'originalité des politiques économiques et financières du Québec depuis des années... pas sous un gouvernement, le nôtre, sous tous les gouvernements, depuis celui de M. Lesage, et quel carcan ça représenterait pour l'avenir!

Et on répond souvent à Ottawa: Nous allons être raisonnables dans l'application de ces pouvoirs. Bien oui, on est raisonnables une journée et on ne l'est pas la journée suivante. Et, d'autre part, il n'y a pas de droit sur l'éternité en politique, les gens changent. On nous répond aussi: Ces pouvoirs pourraient être aménagés, arrangés.

Mais je reviens à ce que disait le premier ministre en parlant des propositions fédérales encore hier: Les principes sont acceptables, c'est la formulation qui est inacceptable. Les pouvoirs que le fédéral veut se donner, ces pouvoirs-là sont, dans leur principe même, inacceptables pour nous. Il y a une foule de choses qu'on n'aurait jamais pu faire si ces pouvoirs-là avaient existé. Ça va de la déréglementation des Institutions financières à Mon taux, mon toit, Corvée-habitation ou à toute une série de politiques d'aide aux entreprises; ça en couvre très large. C'est dans ce sens que je demande encore au premier ministre: Vous comprenez ces choses aussi bien que moi; vous comprenez quel effet ces pouvoirs auraient sur les offices de commercialisation des produits agricoles au Québec, sur le lait en particulier, vous le savez très bien. Pourquoi ne dites-vous pas non?

Le Président (M. Dauphin): C'est terminé.

M. Parizeau: Pourquoi ne dites-vous pas au fédéral: II n'est pas question de manger de ce pain-là?

Le Président (M. Dauphin): C'est terminé, M. le chef de l'Opposition. En réponse, M. le premier ministre, toujours pour cinq minutes.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, je vais être très bref parce qu'on est d'accord, finalement, sur l'union économique. On comprend que le fédéral puisse vouloir favoriser une union économique plus forte, mais on n'est pas d'accord avec les moyens, notamment l'utilisation de la Constitution pour arriver à cette fin-là. Donc, on est d'accord. Revenons aux autres choix. Ça ne donne rien de prolonger le débat quand on est d'accord. Mais on peut parler de l'union économique, parce que le chef de l'Opposition, curieusement, propose une monnaie, mais deux citoyennetés.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bourassa: Alors là, M. le Président, il faut examiner cela. Il faut voir comment on peut avoir une union économique qui puisse fonctionner, qui puisse être crédible. Comment on peut avoir une union économique par traité? Et ça, c'est une différence fondamentale. J'admets que le chef de l'Opposition et moi-même, on travaille dans l'intérêt du Québec, on est de vieux complices dans la défense des intérêts du Québec, mais on n'a pas les mêmes méthodes de calcul. On n'a pas les mêmes méthodes de calcul.

Et je dis au chef de l'Opposition que s'il veut, "les yeux dans les yeux des Québécois", pour prendre une expression, les assurer de la viabilité de l'union économique, il ne peut pas, honnêtement, sur le plan intellectuel, dénier qu'il faut, pour appuyer cela, une structure politique. Et je pourrais citer plusieurs personnalités qu'il respecte, je pourrais citer le chancelier de l'Allemagne qui, encore ces récentes semaines - et ça va se discuter dans quelques jours à la conférence de Maëstricht, qui va parler de l'union monétaire et des liens avec l'union politique et qui a pour objectif de faire le lien avec l'établissement d'une monnaie commune, avec l'union politique... Le chancelier lui-même le disait clairement: Si nous voulons avoir plus de pouvoirs communs, il nous faut accroître les pouvoirs du Parlement qui est déjà élu au suffrage universel. (11 h 30)

Et ça, ce n'est pas une question d'État nation, ce n'est pas une question de patriotisme, nous sommes d'accord, c'est une question simplement d'efficacité de la gestion. Si nous voulons garder... Comment voulez-vous... D'ailleurs, c'est le rapport CD. Howe qui... Le chef de l'Opposition a cité imprudemment le rapport CD. Howe, parce que dans le même rapport, on mentionne que cette union monétaire commune à deux pays souverains risquerait de ne pas être crédible, risquerait de laisser prévoir une monnaie différente, avec une fuite de capitaux. Le chef de l'Opposition a été ministre des Finances, il sait que le Québec doit emprunter 10 000 000 000 $ à 12 000 000 000 $ par année, incluant HydroQuébec. Il sait, s'il y a un climat d'incertitude et d'Instabilité, les taux d'intérêt qu'il faut payer, la prime. Il sait aussi, comme ex-ministre des Finances, que le revenu par tête des Canadiens est inférieur à la moyenne canadienne, donc, automatiquement, il y a des transferts fiscaux qui sont faits au Québec. Il sait tout cela, i'ex-ministre des Finances. Qu'est-ce qu'il attend pour se convertir? Il s'est déjà converti à la monnaie commune; il était pour la monnaie québécoise. Qu'est-ce qu'il attend pour se convertir à l'union politique de manière à réaliser l'union sacrée?

Des voix: Bravo!

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Il nous reste donc un dernier bloc de cinq minutes entre le chef de l'Opposition et le premier ministre, avant de procéder aux remarques finales. Donc, M. le chef de l'Opposition, pour cinq minutes.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: Alors, M. le Président, juste une chose en passant, pour déplorer un peu que le premier ministre ne soit pas davantage-enfin, mieux renseigné. Je ne demande pas, comme il le dit, la double nationalité, dans l'hypothèse où le Québec devient pays souverain. C'est dans la loi canadienne.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Parizeau: Si je peux citer au premier ministre cette petite brochure du Secrétariat d'État du Canada: "Contrairement à la Loi sur la citoyenneté en vigueur au Canada jusqu'en 1977, la loi actuelle permet l'acquisition d'une nationalité étrangère par un citoyen canadien sans perte automatique de la citoyenneté canadienne.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Parizeau: ...rien, moi. Qu'il se renseigne, le premier ministre!

Des voix: Bravo!

M. Parizeau: Je suggère que s'il a des questions à poser, il les pose à M. Mulroney, pas à moi.

Une voix: II ne le sait pas. M. Parizeau: Cela étant dit... Une voix: ...bien renseigné.

M. Parizeau: Cela étant dit, le premier ministre veut encore discuter de souveraineté, puis je le remercie pour l'intérêt qu'il porte à cette question. Seulement, je pense qu'il ne saisit toujours pas - et puis j'aimerais ça pouvoir discuter, à l'occasion d'un autre débat, de ça, de façon beaucoup plus approfondie, avec lui - il ne saisit toujours pas que ces rapports entre une monnaie commune, une union économique et une structure politique pour tout ça, que les rapports entre ces trois éléments ne sont pas automatiques et, dans certains cas, ne sont même pas souhaitables et, dans d'autres cas, sont franchement impossibles.

Je vais lui en donner des exemples. L'Irlande devient indépendante en 1922, et ces gens-là se sont tirés dessus avec les Anglais pendant 100 ans, sinon davantage. L'atmosphère est empoisonnée. Qu'est-ce que fait l'Irlande pour sa monnaie? Elle adopte la livre sterling anglaise. Les Anglais sont furieux, mais ils ne peuvent rien y faire, et ça va fonctionner comme ça pendant 20 ans. J'aurais voulu voir, moi, le premier ministre du Québec, à cette époque, si lui et moi étions nés, aller se promener là-bas en leur disant: Vous savez, vous voulez avoir la même monnaie que la Grande-Bretagne, mais il vous faut une structure politique commune. Et ils cherchaient à s'en sortir justement.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Parizeau: Les liens commerciaux, la libre circulation des produits, des services. On vient de passer à l'entente de libre-échange avec les États-Unis...

Une voix: Le Canada.

M. Parizeau: ...le Canada et les États-Unis. Est-ce que le Canada a décidé de transporter Ottawa à Washington, d'abolir le Parlement à Ottawa, puis de le déplacer là-bas? Ou alors, est-ce que le Canada vise une superstructure par-dessus le Congrès puis la Chambre des communes? Mais non. Mais non, ils ont établi une grande zone de libre-échange à travers l'Amérique du Nord, enfin, à travers les deux pays, puis, maintenant, possiblement l'Amérique du Nord, puis, peut-être un jour, l'Amérique latine. Mais il n'y a toujours pas de projet pour mettre un gouvernement par-dessus ça.

Où est-ce que le premier ministre va chercher ces principes que, d'ailleurs, soit dit en passant, il est le premier à violer, comme je l'indiquais tout à l'heure, quand, le prenant aux mots, le gouvernement fédéral lui dit: Vous avez toujours dit, M. le premier ministre du Québec, qu'une monnaie commune voulait dire une sorte de structure fiscale et budgétaire commune? Je vous la propose. Et là, on volt le premier ministre du Québec dévoiler ses vraies couleurs. Il dit: Je n'en veux pas! Je répète: Où est-ce que le premier ministre va chercher certaines de ses Idées?

Mais Je reviens, pour terminer ce bloc de cinq minutes, sur ma question originale. Et je pense, là encore, que le premier ministre doit nous donner une réponse. Ces pouvoirs économiques que le gouvernement fédéral veut prendre, est-il pour ou contre? Est-ce qu'il trouve ça inacceptable ou non? Et s'il ne veut pas se prononcer aujourd'hui, quand est-ce qu'il va se prononcer? Ecoutez, on parle du pain et du beurre, on parle d'emplois, on parie d'implications sur le revenu des gens. Quand est-ce que le premier ministre du Québec va dire que ces pouvoirs économiques que le fédéral veut se donner sont inacceptables?

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le chef de l'Opposition. En réponse, le premier ministre, cinq minutes maximum.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Le chef de l'Opposition est quelque peu inattentif. Il me semble que j'ai été clair sur la position du gouvernement comme quoi les changements constitutionnels n'étaient pas nécessaires, qu'on pouvait agir avec plus d'efficacité par une concertation intergouvemementale. Pourquoi me demande-t-il de répéter ce que j'ai dit à deux ou trois reprises?

Un mot sur la citoyenneté, M. le Président. Il cite la loi canadienne. Je vois le député de Lac-Saint-Jean qui est perplexe. Mais comment ça se fait que son ami, Lucien Bouchard, n'est pas au courant de la loi canadienne puisqu'il n'a pas voulu être d'accord avec le chef de l'Oppo-

sltion sur la double citoyenneté? Qui connaît mieux la loi: Lucien Bouchard ou le chef de l'Opposition?

Des voix:...

M. Bourassa: M. le Président, c'est que le chef de l'Opposition...

Le Président (M. Dauphin): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bourassa: ...sur cette question-là, a créé une confusion et, le moins qu'on puisse dire, c'est que demander la destruction du fédéralisme et le maintien du Canada pour les citoyens n'est pas un exemple de cohérence facile à comprendre.

Dés voix: Bravo!

M. Bourassa: L'autre point du chef de l'Opposition, c'est: Mais on a un libre-échange avec les États-Unis, pourquoi on n'aurait pas une union politique? On m'a posé la question. Le chef de l'Opposition était absent à ce moment-là. Ça m'étonne qu'on ne lui ait pas donné la réponse. Il ne faut pas confondre le libre-échange avec l'union monétaire. Le libre-échange est la forme minimaliste de l'union économique; l'union monétaire est la forme maximaliste. Il y a le libre-échange, il y a l'union douanière, il y a le marché commun, il y a l'union monétaire, et c'est pour ça que ça mène à une union politique, surtout des économies Intégrées. Des économies intégrées comme celles du Canada anglais et du Québec.

On cite l'Irlande dans les années vingt, qui constituait 5 %, 7 % de la population britannique, et dont le commerce international n'était pas dominant dans son économie. Mais, là, on parle du Québec, en 1991, 25 % de l'activité économique, qui exporte 40 % de sa production. Alors, c'est pourquoi j'ai toujours soutenu - et ce n'est pas d'hier, dans les années soixante j'avais déjà commencé à émettre ce point de vue - que si on veut avoir une intégration économique aussi poussée qu'une union monétaire, pour éviter ce que j'appelle le déficit démocratique, il faut accepter une union politique. Parce que dans un cas, c'est un régime politique où la démocratie a le dessus. Dans l'autre cas, ce sont les technocrates qui se trouvent à remplacer les élus du peuple. Alors, simplement sur le plan de la gestion économique, simplement sur le plan de la sécurité financière et de la légitimité démocratique, il faut faire le lien entre l'union monétaire et l'union politique. Autrement, à sa base même et comme chef politique des Québécois, je ne peux pas accepter qu'on assume de tels risques. Accepter une monnaie contre le consentement du Canada, c'est, dès le départ, créer un climat d'instabilité monétaire, et le chef de l'Opposition sait comment tout cela est très volatile ou peut devenir très volatile. À cet égard-là, créer un climat d'instabilité monétaire peut entraîner des coûts financiers considérables pour la population québécoise.

Des voix: Bravo!

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. La période de débat étant terminée, nous procédons donc maintenant à la période des remarques finales et nous commençons par vous, M. le premier ministre, avec huit minutes pour les remarques finales. Ensuite de ça, M. le chef de l'Opposition pour dix minutes et une réplique au premier ministre pour deux minutes, à la fin. Alors, M. le premier ministre, pour huit minutes maximum.

Conclusions M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, ce qui pouvait paraître assez long - deux heures de débat - finalement, paraît très court. Nous n'avons pas abordé avec autant de profondeur que nous l'aurions souhaité tous les aspects des propositions constitutionnelles. Sûrement qu'à l'occasion des différents débats, des périodes de questions et de toutes les autres occasions qui se présentent, surtout les débats des commissions parlementaires sur la loi 150 et la commission sur les coûts de la souveraineté, sur les offres fédérales... Parce qu'il faut quand même, encore une fols et je le répète, constater que nous sommes à l'étape d'offres préliminaires et que, déjà, ceux qui les ont faites, comme je l'ai dit, annoncent qu'ils sont prêts à accepter des représentations.

Il y a une commission itinérante - vous allez dire que ce n'est pas la meilleure journée pour le souligner - présidée par M. Castonguay et Mme Dobbie, qui doit examiner les propositions constitutionnelles. Alors, attendons. Je crois que nous sommes en novembre; la commission doit rendre son rapport à la fin de février, alors ne concluons pas trop vite. Il y a cette commission-là qui va entendre les partenaires des différentes provinces et fera des recommandations. Le gouvernement du Québec aura à assumer ses responsabilités lorsque les offres finales seront faites. On a été très clairs sur le fait que ce qui avait été offert au Québec permettait de maintenir le dialogue, mais guère plus. Mais il y a des principes qui sont quand même intéressants par rapport aux demandes traditionnelles. Le chef de l'Opposition se référait aux programmes conjoints comme un exemple de progrès, mais je ne me souviens pas... Ça a été une période bénie dans les relations fédérales-provinciales, mais quand il a été ministre des Finances, je ne me souviens pas s'il a obtenu plusieurs "opting out",

comme on utilise l'expression couramment, plusieurs retraits de programmes fédéraux. S'il en a obtenu, j'aimerais bien qu'il les souligne.

M. le Président, pour résumer un peu les grands objectifs du gouvernement dans cette discussion constitutionnelle, il est important de dire le plus clairement possible que nous n'accepterons jamais que soient mis en péril les pouvoirs de l'Assemblée nationale sans son consentement. Nous insistons aussi, comme nous l'avons toujours fait - et ceci est une demande traditionnelle du Québec depuis des décennies - pour que le Québec soit reconnu comme une société distincte et que le gouvernement et l'Assemblée nationale puissent avoir le mandat de protéger et de promouvoir cette société.

Nous insistons également sur un nouveau partage des pouvoirs. Ceci va dans le sens de l'efficacité du système politique, et ceci va dans le sens des intérêts, non seulement du Québec, mais également du Canada. On a pratiqué durant des décennies ce qu'on appelle le fédéralisme compétitif, où deux gouvernements concurrençaient pour servir les citoyens. On pouvait admettre la noblesse de l'objectif, mais on est obligé de se rendre compte, à l'aube de l'an 2000, que les gouvernements n'ont plus les moyens d'avoir ce fédéralisme compétitif où deux gouvernements concurrencent pour faire face aux besoins des citoyens. Alors, nous, ce que nous disons, c'est qu'il vous faut un nouveau partage des pouvoirs, de manière à ce que le fédéralisme canadien soit plus efficace, plus fonctionnel. (11 h 45)

Nous avons insisté et nous insisterons, notamment - je donne un exemple - dans celui de la formation professionnelle et de la main-d'oeuvre. M. le Président, actuellement dans ce dossier-là, alors que deux gouvernements chevauchent l'un sur l'autre, alors qu'il y a des centaines de milliers de chômeurs et un certain nombre d'emplois vacants, nous assistons à une perversion du fonctionnement du fédéralisme. C'est pourquoi nous en faisons une priorité: arriver à un partage des pouvoirs qui puisse faire en sorte que la formation de la main-d'oeuvre et la main-d'oeuvre puissent être clairement dans l'esprit, dans la lettre, dans les faits, dans la loi et dans la Constitution de juridiction québécoise. Ça, c'est un exemple absolument important, incontournable pour le gouvernement du Québec, et ceci peut se réaliser. Ceci peut se réaliser - je l'ajoute pour l'information de nos amis d'en face - sans le démantèlement du pays.

Nous souhaitons également le respect de l'intégrité du territoire du Québec. Je rencontrerai cet après-midi des chefs autochtones. Je suis disposé à discuter avec eux et je suis très heureux de pouvoir les rencontrer. Je serai obligé de leur dire, quand même, que le gouvernement du Québec et le peuple québécois trouvent difficile à comprendre certains événements récents, notamment qu'on ait contribué à l'échec de l'accord du lac Meech - de bonne foi et avec de bonnes raisons, mais le résultat est là - qu'également on ait recouru aux armes l'été dernier pour faire valoir des revendications territoriales, privant une centaine de milliers de citoyens de pouvoir travailler normalement et, troisièmement, je leur soulignerai que les Québécois n'apprécient guère les propos diffamatoires qui se sont répandus sur le Québec, à l'extérieur du Québec et du Canada, dans certains journaux. Nous sommes prêts à les rencontrer. J'ai moi-même été l'objet, de leur part, de propos assez durs puisqu'on se souvient que l'été dernier, alors que je faisais tout avec des risques personnels également pour éviter un bain de sang, je me faisais traiter par les chefs autochtones de "dictateur sanguinaire".

J'ai tout oublié. Je suis prêt à discuter avec eux, mais ils devront respecter l'intégrité du territoire québécois. Voilà, M. le Président, les paramètres pour l'évolution et le progrès du Québec.

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le premier ministre. Je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition officielle pour ses remarques finales, à son tour, pour un temps maximum de 10 minutes. M. le chef de l'Opposition.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, "l'histoire des négociations constitutionnelles prouve qu'on n'obtient jamais rien de plus que ce qui est sur la table au début des pourparlers". De qui est cette citation? De M. Claude Castonguay. Il y a des années? Non, dans le numéro de ce mois-ci de L'actualité. Ça promet. En somme, le président de la commission qui doit réviser ces propositions constitutionnelles avertit déjà le premier ministre du Québec: il n'y en aura pas plus que ce qui est sur la table. Ce qui est sur la table, on a vu depuis deux heures en quoi ça consiste: moins, nettement moins que Meech; une société distincte ratatinée et qui n'a à peu près pas de portée juridique; des reculs dans bien d'autres domaines de ce qui constituait Meech; pas de droit de veto. Par rapport au rapport Allaire, à la base constitutionnelle du Parti libéral du Québec, signé par son chef, qu'est-ce qui est suggéré? À peu près rien. Troisièmement, une centralisation des pouvoirs économiques à Ottawa comme on ne l'a pas vu depuis le début du Canada.

Le premier ministre ne nous a dit à peu près rien à cet égard. Qu'est-ce qu'il pense de ça? Il dit: On peut continuer les conversations. Eh bien, conversons, conversons. Mais, qu'est-ce qu'on fait? On perd du temps. On dégage ce climat d'incertitude qui n'est pas très bon, pour qui que ce soit, et en particulier pour ces hommes d'affaires auxquels on se réfère telle-

ment souvent. Effectivement, ça fait baroque comme situation présentée par le premier ministre. Il ne se dit pas contre ces propositions fédérales. Il voudrait bien voir certaines choses atténuées, un petit peu arrangées, mais il ne se dit pas contre. Puis, d'un autre côté, il a toujours dans sa loi un référendum sur la souveraineté prévu pour octobre 1992. Or, il vient de nous dire que, pour lui, une union monétaire, ça implique une sorte d'union fiscale et une union politique. Bien, s'il envisage même, actuellement, la possibilité d'un référendum sur la souveraineté en octobre 1992, ça veut dire qu'il accepterait un oui comme conclusion à un référendum en octobre 1992. Mais il jugerait alors le résultat incompatible avec le fait qu'on garde la même monnaie au Canada. Est-ce qu'il est en train de demander une monnaie québécoise, là, lui? Non, non, mais il faut quand même être cohérent.

J'ai commencé, moi, cette interpellation de ce matin en me disant que je ne comprenais pas très bien où allait le premier ministre sur les offres fédérales, mais je commence à me poser des questions, à savoir où est-ce qu'il s'en va sur pas mal d'autres choses, y compris sur l'année qui vient, là!

En fait, je voudrais conclure certaines choses sur ces offres fédérales, puisque c'est de ça qu'on parle ce matin. Vous aurez noté, M. le Président, que ces propositions fédérales sont, au fond, essentiellement destinées à nous empêcher, nous, de bouger. On est en train de nous fossiliser, avec ce genre de choses là. Sur le plan culturel, on sait bien à quel point II nous faudrait disposer de nos propres instruments d'épanouissement culturel, au Québec; on le sait depuis longtemps. Eh bien, comme éteignoir, ces propositions, c'est quelque chose! Ne demandons pas à la ministre des Affaires culturelles actuelle ou au ministre des Communications de rêver du jour où, enfin, tous les instruments culturels et de communication seraient dirigés dans le meilleur intérêt des Québécois. C'est: Non, vous ne l'aurez pas. Vous serez contrôlés d'ailleurs. Toutes les grandes institutions culturelles, on nous avertit que ça échappera à notre contrôle: Amusez-vous avec ce qui restera.

Sur le plan des compétences que le Québec veut avoir, sur le plan du développement régional, M. le Président, il faut qu'on puisse bouger. Sur le plan de la recherche et du développement, il faut qu'on puisse bouger; sur le plan de la formation de la main-d'oeuvre, il faut qu'on puisse bouger. Ces propositions consistent, à toutes fins pratiques, à établir une sorte de statu quo. On est paralysés, puis on va rester paralysés, avec des propositions pareilles.

Sur le plan économique, c'est tellement tordu, cette proposition. Le gouvernement fédéral légifère,, ça doit être voté par le Sénat, ensuite à 7-50 par la Fédération et, pendant tout ce temps, on peut - puisque c'est constitution- nalisé - attaquer toutes ces politiques économiques devant les tribunaux. Ça va être une machine qui va nous empêcher de bouger complètement. Je ne sais pas exactement si elle produira quelque chose. Ah, mais pour nous empêcher de bouger, ça, ça va être efficace, par exemple!

Il faut, M. le Président, que le premier ministre dise non. Il faut que le premier ministre aille aussi loin que son ministre des Affaires intergouvernementales qui, tout à coup, pendant quelques minutes, devant les journalistes, a eu comme une sorte d'éclair en disant: Mais ces propositions sont inacceptables! Depuis ce temps, depuis deux jours, on fait de l'exégèse de ce qu'il a vraiment dit. Mais il y a eu un moment de grâce chez le ministre des Affaires intergouvernementales, il a compris!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Parizeau: II faut que, pour ces propositions fédérales, on dise: Non, ça ne va pas. Il faut qu'on puisse dire une bonne fois: C'est la fin des dernières chances du fédéralisme. C'est la quatorzième, ou la quinzième ou la seizième dernière chance. Il faut dire non. Et il faut dire non pas pour dire: Et maintenant ouvrez une dix-septième dernière chance du fédéralisme, mais pour dire: Ça suffit! Ça ne nous convient plus.

Ce dont le Québec a besoin, à l'heure actuelle, c'est d'être capable de bouger. Ce dont le Québec a besoin, à l'heure actuelle, c'est de se sortir de ces interminables conflits qui stérilisent et neutralisent tout ce qu'on cherche à faire. Ce dont le Québec a besoin, à l'heure actuelle, c'est de gens qui envisagent l'avenir avec optimisme parce qu'ils savent qu'ils seront responsables de ce qui va leur arriver.

Vous êtes, M. le Président, devant une société qui a tous les moyens de bouger, sait qu'elle peut bouger, se fait répéter par tout le monde qu'elle a ce qu'il faut pour bouger, mais se fait répéter aussi, par tout le monde: Mais qu'est-ce que vous attendez? Ce qu'elle attend, cette société, elle attend essentiellement qu'un gouvernement, un premier ministre, ceux-là, maintenant, puisqu'ils sont au pouvoir, disent: Non, c'est vrai, ça ne peut plus continuer comme ça. On ne peut pas accepter, même amendées ou corrigées un peu, ces propositions fédérales. Elles sont viciées à leur base même, on ne peut pas accepter ça. Donc, dans ces conditions, l'hypothèse qu'on avait soulevée dans la loi 150, en fait, c'était presque une promesse, c'est-à-dire un référendum pour octobre 1992. Je pense que le gouvernement du Québec, à l'heure actuelle, doit dire: La loi prévoyait un référendum sur la souveraineté entre juin et octobre, disons non à ces propositions fédérales. Disons non à un gouvernement à Ottawa qui, manifestement, ne comprend plus rien de ce que nous voulons être, et préparons un référendum sur la souveraineté

du Québec aussi rapidement que le prévoit la loi, c'est-à-dire pour juin 1992. Merci, M. le Président.

Des voix: Bravo! Bravo!

Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le chef de l'Opposition officielle. Toujours dans le cadre des remarques finales, il y a un droit de réplique pour le premier ministre, d'une durée de deux minutes. M. le premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: J'aime toujours la concision, M. le Président. Le chef de l'Opposition a cité M. Castonguay, je le citerai. Au moment où je parlais d'union économique et d'union politique, M. Parizeau - à ce moment-là, il n'était pas chef de l'Opposition - disait: "L'idée du séparatisme n'est pas forcément absurde dans l'ordre économique, mais les obstacles seraient nombreux et redoutables". J'en arrive à l'essentiel. Au moment où je parlais d'union politique et économique, à la fin des années soixante, c'est à ce moment-là que...

Une voix: ...il change d'idée.

M. Bourassa: Oui. M. le Président, il est normal...

Le Président (M. Dauphin): M. le premier ministre.

M. Bourassa: ...pour l'Opposition d'aller trop vite, trop loin. Par rapport à l'histoire, il n'est pas bon d'être en retard, mais il n'est pas bon d'être trop tôt.

Durant les années quatre-vingt, la fierté du Québec a été blessée à deux reprises, en 1982 et en 1990. Par ailleurs, à l'intérieur de la structure, fédérale ou canadienne, au niveau de la paix, de la justice, de la prospérité, le Canada et le Québec ont réussi à obtenir l'un des meilleurs niveaux au monde. Comment concilier l'honneur et le bien-être du peuple? C'est un combat, un combat très dur, comme tous les vrais combats, mais nous sommes prêts à l'assumer.

Des voix: Bravo! Bravo!

Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. le premier ministre. Je tiens à féliciter et à remercier autant le chef de l'Opposition que le premier ministre et les deux députés indépendants qui ont pris la parole pour le respect de l'entente et du temps qui nous était alloué.

En terminant, j'aimerais vous dire que la commission des institutions a accompli son mandat et ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 3)

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