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Version finale

34e législature, 2e session
(19 mars 1992 au 10 mars 1994)

Le jeudi 10 mars 1994 - Vol. 32 N° 75

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le régime d'aide juridique et sur le document intitulé « L'aide juridique au Québec: une question de choix, une question de moyens »


Journal des débats

 

(Dix heures onze minutes)

Le Président (M. Parent): Alors, la commission permanente des institutions poursuit ses travaux dans le cadre du mandat qui lui a été confié par l'Assemblée nationale, à savoir de procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur le régime d'aide juridique et sur le document intitulé «L'aide juridique au Québec: une question de choix, une question de moyens».

Alors, cette séance étant ouverte, Mme la secrétaire, pourriez-vous nous indiquer si nous avons des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Paradis (Matapédia) remplace M. Bordeleau (Acadie); M. Lemire (Saint-Maurice) remplace M. Hamel (Sherbrooke); M. Gobé (LaFontaine) remplace M. Maciocia (Viger); M. Bourdon (Pointe-aux-Trembles) remplace M. Boulerice (Sainte-Marie—Saint-Jacques); Mme Carrier-Perreault (Les Chutes-de-la-Chaudière) remplace M. Godin (Mercier).

Le Président (M. Parent): Merci, madame. Alors, je vous rappelle l'ordre du jour aujourd'hui. Nous accueillons, dans un premier temps, la Fédération des avocats de l'aide juridique du Québec; dans un deuxième temps, l'Association des techniciens en droit du Québec.

Nous suspendrons à 12 heures, pour reprendre à 15 heures en accueillant la Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés inc., qui sera suivie, vers 16 heures — tout dépend de l'heure à laquelle les députés quitteront l'Assemblée nationale — du Conseil canadien pour les réfugiés et, de 17 heures à 18 heures, du groupe de travail formé de diverses associations de femmes.

À 18 heures, nous suspendrons pour le dîner et nous recommencerons notre travail à 20 heures en accueillant deux groupes: en premier lieu, l'Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec; et, de 21 heures à 22 heures, le Mouvement action justice égale pour tous.

Alors, est-ce que l'ordre du jour est adopté?

M. Lefebvre: Adopté.

Le Président (M. Parent): Adopté. Merci. C'est la façon dont j'aime qu'on adopte les ordres du jour.

Alors, M. le ministre, nous avons devant nous les représentants de la Fédération des avocats de l'aide juridique du Québec, dont le premier porte-parole est

M. Paul Faribault, qui sera secondé dans son exposé par Me Suzanne Dame. Alors, M. Faribault, si vous voulez nous présenter les autres personnes qui vous accompagnent.

Et je vous rappelle, avant de débuter, que, selon nos règlements, nous avons une heure à consacrer à votre groupe et que le temps est réparti également ainsi: un tiers pour vous, un tiers pour la partie ministérielle et un tiers pour l'Opposition officielle. Alors, vous avez toute la latitude d'utiliser vos 20 minutes ou de faire une représentation plus succincte ou résumée de votre mémoire, et, après ça, nous procéderons à la période d'échange entre les membres des deux formations politiques.

Dans un premier temps, je demande au ministre de la Justice de faire la première intervention. M. le ministre.

M. Faribault (Paul): Je m'excuse. Je pense que c'est peut-être à nous à faire l'intervention, M. le Président.

M. Lefebvre: Je salue nos honorables invités... Le Président (M. Parent): M. Faribault.

M. Lefebvre: ...et je leur demanderais de faire maintenant leur exposé, M. le Président.

Le Président (M. Parent): M. Faribault, c'est la première fois qu'un avocat ramène le président à l'ordre, et vous avez raison.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Parent): Vous avez bien raison.

M. Faribault (Paul): Ça commence bien!

Le Président (M. Parent): Je vous écoute attentivement et sans préjugé.

Auditions

Fédération des avocats de l'aide juridique du Québec

M. Faribault (Paul): Très bien. Je vous remercie, M. le Président. Avant de présenter les gens qui m'accompagnent, je voulais vous préciser un peu comment on voulait procéder. Compte tenu que nous en

sommes à la sixième journée de cette commission parlementaire et que beaucoup des propos dans notre mémoire et des propositions que nous faisons ont déjà été exposés largement par les intervenants qui nous ont précédés, on a plutôt choisi de limiter la présentation qu'on va faire à certains points essentiels ou à des points qui ont été peu ou pas développés par les organismes qui nous ont précédés.

Essentiellement, ce que l'on voudrait vous livrer aujourd'hui, c'est la vision de praticiens à l'aide juridique, de gens qui, à tous les jours, sont sur la ligne de feu et ont à rendre des services aux bénéficiaires d'aide juridique. Et c'est pour ça qu'on préférait agrandir, si on veut, la période des questions pour vous livrer cela.

Je vais vous présenter les personnes qui m'accompagnent. Alors, à ma gauche, il y a Me Gilles Thériault, qui est du bureau d'aide juridique de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie. Ce bureau comporte deux avocats permanents. Me Thériault pratique environ la moitié de son temps en droit pénal et criminel, et l'autre moitié, particulièrement en santé et sécurité au travail et en droit civil général. Me Suzanne Dame travaille au bureau de Saint-Michel, à Montréal, qui est un bureau de quatre avocats, et pratique principalement en droit de la famille et en droit civil.

À ma droite, il y a Me Nicole Kirouac, qui travaille au bureau d'aide juridique de Val-d'Or, en Abitibi-Témiscamingue, un bureau de trois avocats. Elle pratique principalement en famille et en droit social avec une clientèle particulière mais importante, avec des gens qui ont des problèmes de santé mentale, ce qui implique un certain type de travail particulier.

Quant à moi, je travaille au bureau d'aide juridique de Magog, qui est un bureau de trois avocats, et ma pratique est surtout orientée en droit social, en droit de la famille et en droit civil général.

Alors, comme on vous dit, le mémoire qu'on vous présente est un mémoire qui a été préparé par les syndicats d'avocats, les permanents d'aide juridique. Mais c'est d'abord et avant tout un mémoire des praticiens qui, comme je l'ai dit, au-delà de la question des coûts, voulaient vous transmettre la réalité de la clientèle et des problèmes que nous rencontrons, de même que vous faire part de notre vision sur l'impact des changements qui étaient envisagés.

Je voudrais d'abord faire une considération préliminaire relativement à la question de l'information, de la prévention et de ce qu'on appelle le «travail communautaire». Beaucoup d'intervenants ont fait ressortir qu'il se faisait moins de droit de ce type-là et qu'il y avait moins d'interventions qui étaient faites par l'aide juridique là-dessus.

Alors, la première constatation, c'est qu'il se fait du travail. Et, dans le rapport annuel de la Commission, il y a plus de 100 pages d'activités qui ont été faites par les avocats d'aide juridique à travers le Québec avec un tas d'organismes. Donc, il se fait des choses. Par contre, il ne s'en fait peut-être pas assez, et il y a des raisons à ça. Et une des raisons les plus importantes, c'est l'importance du «caseload» ou de la charge de travail que les avocats doivent rencontrer.

On sait que, malgré la non-indexation des critères, à cause de la crise économique, la clientèle et la demande d'aide juridique n'a pas diminué. Donc, cette demande-là, on doit y faire face, et on est en concurrence, en quelque sorte, avec la pratique privée, donc on doit rencontrer des exigences au niveau de la production et du nombre de dossiers. Alors, évidemment, ça limite les possibilités et le temps disponible pour faire des activités d'un autre type. Alors, évidemment, toutes les mesures de déjudiciarisation qui pourraient favoriser moins de recours judiciaires seraient bienvenues de notre part.

D'autre part, au niveau des seuils d'admissibilité, je ne veux pas répéter tout ce qui a été dit depuis une semaine, mais ce qu'on peut vous dire, c'est qu'il est urgent qu'ils soient relevés. Nous, on a à tous les jours à refuser des gens à l'aide juridique, à lui dire, à la personne qui est en face de nous, qui travaille et qui dépasse un tant soit peu les barèmes: Non, monsieur, non, madame, vous n'avez pas droit à l'aide juridique, alors qu'on sait fort bien et on se fait dire — et les gens ont tout à fait raison — qu'ils n'ont pas les moyens de payer les services au niveau de la pratique privée. La seule chose qu'on peut vous dire, c'est qu'il est urgent que ce soit fait. (10 h 20)

II y a deux éléments sur lesquels, au niveau des seuils d'admissibilité, on voulait attirer votre attention davantage. C'est, premièrement, qu'il nous semble important de maintenir la discrétion au niveau des seuils d'admissibilité. Parce que, avec un seuil rigide, au dollar près, vous avez des gens qui, pour toutes sortes de raisons, à cause de l'importance, de la complexité de leur recours, etc., ne pourront pas avoir accès aux services, et il faut avoir une mesure qui va permettre de tenir compte du cas qui sort de l'ordinaire. Et c'est pour ça qu'on trouve important que la discrétion soit maintenue.

Deuxième élément, c'est que, quant à nous, les critères devraient être formulés en termes de revenu net disponible. Parce qu'on constate qu'il y a une injustice à fonctionner avec des critères de revenu brut. Parce que, la personne qui reçoit, par exemple, une rente d'invalidité, elle reçoit du revenu net. Et on la met sur la base de son revenu net parce que c'est la seule base qu'on a. Sauf que le travailleur qui a le même revenu net disponible mais qui, lui, a un revenu brut plus élevé, lui, se voit refusé. Pourtant, il n'a pas plus de dollars pour payer les services. Alors, on pense que les critères devraient être formulés en termes de revenu net disponible pour cette raison-là.

Dernier élément sur la question des seuils d'admissibilité. C'est un peu aligné sur la question de la couverture, que Me Dame va traiter. C'est qu'on s'oppose, évidemment, à la réduction de la couverture. Mais on voulait vous souligner que la contribution fédérale, dans le cas des services qui sont fournis aux bénéficiaires de l'aide sociale ou de la sécurité du revenu, est de

50 %. or, si, pour ouvrir à davantage de monde, on réduit les services aux assistés sociaux, on va perdre les 50 % de la contribution fédérale et on va devoir, à ce moment-là, fournir des services que le québec va payer à 100 %. donc, il faut y penser avant de réduire la couverture par rapport à ça. me dame.

Mme Dame (Suzanne): Quant à la couverture, les points qu'on voudrait souligner... le document ministériel nous demande si, effectivement, l'aide juridique devrait couvrir des services dits peu dispendieux. Si on regarde les services couverts, le service qu'on pourrait considérer le moins dispendieux serait la consultation. Alors, nous, il nous apparaît essentiel de conserver ce service-là.

Dans un premier temps, il nous apparaît que c'est dans la mission de l'aide juridique de donner de l'information, donc, de faire de la consultation. Et, au niveau pratique, pour nous, ça nous permet d'éviter bien des problèmes.

Ça permet, premièrement, aux bénéficiaires d'aide juridique de pouvoir nous consulter en temps utile. C'est important que l'aide juridique soit connue comme un service ouvert et que ce ne soit pas seulement procédures en main qu'un client puisse nous appeler. Alors, nous, c'est très important que cette ouverture-là soit maintenue.

En plus, elle permet souvent de régler des dossiers hors cour. Parce que le client vient nous voir avec une mise en demeure, vient nous voir avec des problèmes pratiques, particulièrement l'insolvabilité, ces temps-ci. Nous, on peut intervenir adéquatement, rapidement, et on évite à ce moment-là que le créancier prenne des procédures, vienne nous voir avec son acte de poursuite. Et on évite ainsi des procédures supplémentaires inutiles et on permet à ce moment-là des règlements qui sont plus à l'avantage... ou moins onéreux pour le client aussi.

Or, le plus souvent, on vient nous voir pour une consultation, et ça nous permet à ce moment-là d'éclairer le client sur des recours possibles. Que ce soit en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, en vertu de la Régie du logement, ça nous permet de les informer et effectivement de sauvegarder leurs droits et de faire valoir leurs recours. Cet aspect-là serait peut-être moins possible si la consultation était exclue de la couverture. Alors, ça nous apparaît important de conserver cet élément-là.

D'autre part aussi, dans le document, on se demande si l'aide juridique devrait couvrir les cas où il y aurait des poursuites et que l'emprisonnement ne serait pas une des issues du procès. Il faut comprendre que, dans notre clientèle, qui est une clientèle excessivement défavorisée, lorsque ces personnes-là se font poursuivre sur des lois de nature pénale et qu'elles se voient condamnées à des amendes minimales de 250 $ ou qui vont aller des fois jusqu'à 800 $ et 1000 $, c'est une catastrophe financière. On a à composer avec des gens qui ont des revenus minimes — on parle de salaires de 210 $, 220 $, 198 $ par semaine — qui, déjà, ont de la difficulté à rencontrer les comptes courants, qui ont des problèmes de paiement d'Hydro-Québec. Et vous avez par dessus ça le paiement de l'amende, qui est de 800 $ ou 1000 $, qu'ils traînent des années de temps et qui, souvent, empêche finalement de répondre aux besoins de la famille. Or, pour nous, l'emprisonnement, c'est sûr que c'est une «issue» qui est dramatique pour les clients, mais les amendes et les dettes engendrées par ces dossiers-là sont aussi importantes et catastrophiques pour nos clients, qui ont des situations financières très difficiles.

En plus, vous avez, par ricochet, ces gens-là qui ont des amendes et, s'ils sont incapables de les payer, vous vous retrouvez avec des dossiers au civil, vous avez des saisies. Or, vous retrouvez des fois la mère, la soeur, l'ex-conjoint qui viennent vous voir, qui ont été saisis pour non-paiement d'amende, parce que le contrevenant a l'adresse chez un conjoint, a demeuré ou a été hébergé pendant quelque temps là. Alors, vous avez à ce moment-là une multiplication des procédures parce qu'il n'a pas été défendu, ou a été mal défendu, ou n'a pas pu expliquer son point.

Or, il nous apparaît, dans le quotidien de ces personnes, que, même si elles ne sont pas susceptibles d'emprisonnement, il est aussi important que ces personnes-là soient défendues. L'autre aspect de la question, aussi: si ces personnes-là sont accusées de fraude, ce sont quand même des accusations importantes socialement, et elles ont droit, je pense, à une défense à ce niveau-là et à garder leur réputation ou à conserver finalement leur dossier.

Autre élément, dans la couverture, naturellement, qui est revenu, c'est la question des tribunaux administratifs. Il est clair pour nous que la présence des avocats est nécessaire à ce niveau-là. Le client est souvent dérouté devant le processus administratif, la multiplication des décisions et il n'est pas à même, finalement, de se débrouiller dans ces dédales administratifs là, et la présence des avocats est nécessaire.

De plus, la couverture de l'aide juridique, la couverture de ces services-là au niveau de l'aide juridique donne accès à un élément très important qui est les expertises. On sait que, devant ces tribunaux-là, on doit nécessairement avoir recours à des experts pour faire valoir ses droits. Refuser la couverture de l'aide juridique pour ces dossiers-là, c'est leur refuser l'accès à l'expertise, et ainsi, ils ne sont pas en mesure de défendre leurs droits devant les tribunaux administratifs, quand on parle de santé et sécurité au travail et autres.

La même chose au niveau de la sécurité du revenu. On intervient régulièrement, quotidiennement, plusieurs fois par jour, soit pour les régler en dehors des demandes de révision et autres, et on doit continuellement aller en révision et à la CAS dans ces genres de dossiers là. Les parties doivent, à ce moment-là, être représentées par avocat.

Un dernier mot sur l'administration du régime. Il est clair pour nous que l'on considère que le maintien de

l'indépendance et de la présence des corporations régionales est nécessaire, d'une part, pour que le client ait un avocat qui est autonome face au gouvernement et, aussi, parce que chaque corporation régionale est mieux placée pour déterminer les besoins de chaque région, qui sont différents. Les besoins d'aide juridique à Montréal sont différents de ceux de la Côte-Nord, et c'est les corporations régionales qui sont à même d'établir et de veiller à ce que ces besoins-là soient remplis.

Enfin, naturellement, nous sommes toujours partisans du libre choix de l'avocat et de la concurrence entre les avocats de l'aide juridique et de la pratique privée.

Le Président (M. Parent): Merci, madame. Est-ce que ceci met fin à votre présentation?

Mme Dame (Suzanne): Ceci met fin à ma présentation.

Le Président (M. Parent): Alors, je vous remercie et je reconnais, dans un... j'allais dire: dans un premier temps, mais c'est pratiquement dans un deuxième temps, M. le ministre de la Justice.

M. Lefebvre: Me Dame, Me Kirouac, Me Faribault et Me Thériault, je vous souhaite la bienvenue à cette commission de consultation sur un sujet que vous connaissez, évidemment, très, très bien. Je veux vous féliciter pour le contenu de votre document et également pour votre exposé. Tout à l'heure, j'aurai l'occasion d'insister sur certains points qui vous concernent précisément, autant les avocats de la pratique privée que les avocats permanents à l'aide juridique.

Je pense que je vais vous l'indiquer tout de suite. J'apprécie énormément que, à la page 14 de votre document, vous nous suggériez de ne pas intervenir au niveau du système du libre choix de l'avocat. Et je dois vous rappeler — et vous le savez déjà d'ailleurs — que le Barreau nous fait la même suggestion. Autant les permanents de l'aide juridique que les avocats du Barreau, de la pratique privée, suggèrent au gouvernement de ne pas intervenir au niveau du système du libre choix. Alors, ça nous indique, et, dans ce sens-là, je veux vous féliciter, que vous êtes capables, et vous le faites — moi, je le savais, mais je suis content de l'entendre dire et de le lire — de mettre d'abord et avant tout l'intérêt du justiciable au-dessus de vos propres intérêts personnels, que ce soient les permanents de l'aide juridique ou les avocats du Barreau. Je tenais à vous féliciter et vous remercier pour nous l'avoir dit aussi clairement. (10 h 30)

C'est vous, Me Faribault, qui répondrez à cette question-là. À la page 2 de votre document — en fait, c'est une remarque — vous dites qu'«il est évident que l'état des finances publiques impose au gouvernement de réexaminer la pertinence et l'efficacité de l'ensemble de ces services». Quand vous nous dites de façon aussi claire que l'exercice n'est pas facile pour le gouvernement, j'aimerais vous demander: Qu'est-ce qui vous apparaît être intouchable au niveau du régime? Quand vous parlez de pertinence, ça laisse entendre qu'on doive évaluer, pas nécessairement certains services, mais certains volets de tout ce qui existe à l'intérieur du régime d'aide juridique. Qu'est-ce qui vous apparaît être intouchable, fondamental, sur lequel on ne doit pas, d'aucune façon, intervenir?

M. Faribault (Paul): M. le ministre, le paragraphe que vous citez faisait référence à la pertinence du réexamen de l'ensemble des services de l'État.

M. Lefebvre: Oui.

M. Faribault (Paul): Et les services de l'aide juridique font partie de l'ensemble des services de l'État. Le message qu'on veut...

M. Lefebvre: Oui, mais je pose ma... C'est ça.

M. Faribault (Paul): D'accord. Le message qu'on veut vous livrer, c'est qu'il n'est pas évident pour nous qu'il y ait beaucoup de place pour couper ou pour réduire les services dans l'aide juridique, et que, peut-être, compte tenu que l'aide juridique est un choix social et que, en 1972, on a mis ce système-là sur pied parce qu'on jugeait important que les démunis aient accès à la justice, alors, il faut aussi se questionner en fonction de la pertinence de cet objectif social là qui, à notre avis, est encore tout à fait pertinent. Et, à ce moment-là, ça implique que, si le régime est performant et qu'il remplit la mission qui lui a été confiée, bien, il faut peut-être le maintenir intégralement et même y injecter davantage de fonds, parce que, pour augmenter la clientèle et ramener ça au taux de 1972, il faut injecter des fonds, et on en est tout à fait conscients.

Cependant, on vous dit: Bien, il y a peut-être ailleurs, dans l'organisation de l'État, où on peut regarder également. L'aide juridique n'est qu'une composante de l'ensemble des dépenses en matière d'administration de la justice. D'autres groupes qui nous ont précédés ont parlé de la perception des pensions alimentaires, ont parlé de développer les médiations, etc., et d'autres moyens de déjudiciariser en quelque sorte les choses. Il y a moyen de réduire les coûts d'expertise, je pense, par rapport à ça, et on y fait allusion un peu plus. Mais, dans la couverture et dans la clientèle, quant à nous, ça, ça devrait être intouchable.

M. Lefebvre: Me Faribault, vous avez tout à l'heure expliqué un peu ce qui se passait là sans aller aussi loin que je l'aurais souhaité. Un justiciable se présente chez vous, puis il n'est pas admissible. Je peux l'imaginer, là, assez facilement, mais j'aimerais vous l'entendre dire: Qu'est-ce qui arrive à ce justiciable-là, qui est un démuni, souvent et presque toujours, là? Vous n'avez pas de millionnaires qui vont vous voir, vous?

M. Faribault (Paul): Non, rarement.

M. Lefebvre: Bon, qu'est-ce qui arrive à un démuni...

M. Faribault (Paul): Bien, il lui arrive...

M. Lefebvre: ...qui n'est pas admissible? Qu'est-ce qui lui arrive avec sa procédure? Donnez-moi quelques exemples — et je me répète, j'ai une idée des réponses que vous allez me donner, mais c'est volontairement que je vous pose la question. Je veux vous entendre là-dessus.

M. Faribault (Paul): La réalité, je pense, est la suivante. C'est que, dans la plupart des bureaux, on a les informations au niveau des revenus de la personne et on va déjà avoir une bonne idée, avant même de rentrer dans le problème de la personne, si elle est admissible ou non.

Je pense que dans la plupart des bureaux, ce qu'on fait, c'est qu'on écoute quand même la personne et on essaie au moins de l'orienter soit vers d'autres ressources du milieu, les comités de travailleurs accidentés, par exemple, ou alors au moins de lui dire si ça vaut la peine qu'elle aille voir son avocat avec son problème.

M. Lefebvre: Autrement dit, même si la personne en question n'est pas, au niveau des ressources financières, au niveau de son revenu, admissible, vous l'aidez quand même.

M. Faribault (Paul): On essaie de lui donner l'information maximale qu'on peut faire, de l'orienter vers d'autres ressources et de lui expliquer au moins les règles du jeu et ce qu'il est possible de faire. Si vous avez quelqu'un qui arrive avec une poursuite sur une action sur compte, par exemple, et qui est en défense et qui n'est pas admissible, bien, on va pouvoir lui indiquer: Écoutez, vous pouvez peut-être vous référer aux ACEF ou aux services budgétaires populaires qui existent ou alors, bien, vous pouvez communiquer avec l'avocat de la partie demanderesse et faire une offre de règlement. Et, à un moment donné, on arrive à des cas où il y a la nécessité d'avoir les services d'un avocat, et les gens n'ont pas les moyens de s'en payer.

Au niveau matrimonial, ça va se produire également. La personne — et ça va souvent être le mari — à ce moment-là, qui a un salaire, à qui on réclame une pension et qui dépasse les normes et qui a besoin des services d'un avocat, mais qui n'a pas les moyens de s'en payer de toute façon, eh bien, on va lui dire: Bien, écoutez, vous pouvez négocier un peu avec l'autre avocat et, si vous ne parvenez pas à vous entendre, vous n'aurez pas bien, bien le choix, ça va vous en prendre un.

M. Lefebvre: Alors, vous faites, Me Faribault, de la consultation.

M. Faribault (Paul): Oui.

M. Lefebvre: Vous donnez de l'information.

M. Faribault (Paul): Oui.

M. Lefebvre: Vous avez, et Mme Dame également, à juste titre insisté sur le volet de la consultation, de l'information à l'aide juridique. Vous souhaitez que ce soit maintenu. Ça m'apparaît évident que ça doive être maintenu. Est-ce qu'il faudrait même pousser un peu plus l'action du régime d'aide juridique sur le volet de la prévention, de l'information, de la consultation, Me Kirouac?

Mme Kirouac (Nicole): Je pense que vous touchez un point extrêmement important. Peut-être que les situations sont différentes dans les grands centres. Je parle pour une région éloignée comme l'Abitibi, où c'est évident que, chaque jour, on a des demandes d'information. Ça peut être parfois de l'ordre de 25 à 30 téléphones par jour. Et qu'est-ce qu'on fait avec ces téléphones-là? Peut-être que dans les grands centres, ils ont établi un autre type de réseau ou un système de réseau différent, mais nous, c'est évident qu'en plus de la liste d'attente — et quand on parle des listes d'attente de nos clients qui tiennent absolument à ce que ce soit nous, ils sont prêts parfois à attendre deux ou trois semaines pour avoir tel avocat ou telle avocate de façon spécifique, même s'ils sont informés qu'ils ont le libre choix — à la fin de la journée ou à l'heure du midi, on a notre liasse de billets d'information, et, à notre avis, on se doit de le faire.

C'est une pression qui est énorme pour l'avocat et l'avocate de l'aide juridique, parce que, en plus d'être poussé par tes propres dossiers où tu es surchargé, tu es surchargé et tu es poussé par la liste d'attente — parce que, là, les gens, tu sais très bien que ça commence à presser après deux semaines d'attente — et en plus, tes informations quotidiennes, il faut que tu les donnes.

M. Lefebvre: Est-ce que...

Mme Kirouac (Nicole): Parce que tu peux éliminer, à travers de l'information, une foule de déplacements.

M. Lefebvre: Vous avez raison.

Mme Kirouac (Nicole): Et quand, moi, j'ai une madame de Lebel-sur-Quévillon qui m'appelle...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Kirouac (Nicole): ...c'est 120 kilomètres. Elle n'a pas d'auto et il n'y a pas de système d'autobus, c'est inexistant. Alors, je n'ai pas le choix. Et, si quelqu'un appelle du Grand-Nord, c'est encore pire. C'est évident qu'il faut que je donne l'information.

M. Lefebvre: Qu'est-ce qu'il faudrait faire, Me Kirouac, pour régler la situation à laquelle vous faites référence, là? Une demande incroyable de renseignements, d'informations, vous n'êtes pas capables de donner...

Mme Kirouac (Nicole): C'est-à-dire qu'on peut les donner...

M. Lefebvre: ...est-ce que c'est strictement une question d'effectifs ou s'il y a autre chose?

Mme Kirouac (Nicole): C'est évident qu'il y a des problèmes d'effectifs aussi. Parce que, si, par exemple... ou on sent peut-être cette pression-là ou on se dit aussi: Je me sens pressée, d'une certaine façon, d'avoir des dossiers et de travailler, etc. Je me sens la permission de donner l'information, mais je me sens aussi bousculée par la quantité de travail. Alors, si je sens que j'ai la permission ou la possibilité de donner cette information, c'est évident qu'un groupe communautaire...

M. Lefebvre: Pourquoi dites-vous la permission? Vous ne vous sentez pas en droit de le faire?

Mme Kirouac (Nicole): Ah oui, actuellement, j'ai totalement le droit de le faire.

M. Lefebvre: Oui.

Mme Kirouac (Nicole): Sauf que, comme je suis déjà débordée par la quantité de dossiers...

M. Lefebvre: D'accord, je comprends.

Mme Kirouac (Nicole): ...qu'est-ce que je vais privilégier? Là, j'ai deux demandes de la Cour d'appel à faire rapidement, donc je vais y aller selon mes priorités. Et, comme la demande d'information, pour le moment, n'est pas encore devenue prioritaire, parce que je ne sais pas encore ce qu'elle va me demander, c'est évident que, comme le client, lui... et le dossier est déjà ouvert, je mets le paquet là-dedans. Alors, si je sens que je peux, peut-être, ralentir un peu au niveau de certains dossiers, je vais certainement donner plus de temps et aller donner de l'information. Il y a des groupes communautaires qui nous en demandent, bien là, systématiquement, on dit: Ce n'est plus jamais le jour, c'est évident, c'est...

M. Lefebvre: Est-ce que, de façon générale, les questions qu'on vous pose doivent être nécessairement réglées par des avocats?

Mme Kirouac (Nicole): Personnellement, je vous dirais que la plupart du temps, oui.

M. Lefebvre: Oui?

Mme Kirouac (Nicole): Oui. En creusant avec la personne, souvent, bon, c'est un problème. Ça peut être un problème matrimonial, ça peut être un problème en protection de la jeunesse — parce que c'est vraiment la polyvalence dans les régions éloignées — c'est évident qu'il y a une connotation, une information juridique très pertinente. Parce que, effectivement, parfois on a le problème, elle a déjà, dans les régions éloignées, consulté la travailleuse sociale, et puis les intervenants sociaux vont lui dire: Appelle l'aide juridique parce que je ne peux plus te répondre.

M. Lefebvre: Souvent, ils aboutissent chez vous, à l'aide juridique, après avoir consulté à d'autres niveaux?

Mme Kirouac (Nicole): Très souvent. (10 h 40)

M. Lefebvre: Me Faribault, à la page 6 de votre mémoire, vous discutez, là, au milieu de la page, de la contribution: «Se pose maintenant la difficile question de la contribution des bénéficiaires, contribution — je saute des mots — [...] contribution proportionnelle au coût du service, mais échelonnée [...] etc. Notre première réaction est de considérer qu'il est de l'essence même d'un régime d'aide juridique [...] qu'il soit gratuit...» Ça, c'est votre première réaction. Ça serait quoi, votre deuxième réaction?

M. Faribault (Paul): Notre deuxième réaction est exprimée un petit peu plus loin, c'est-à-dire que, d'une part, au niveau du ticket modérateur, on était résolument contre, compte tenu de l'admissibilité...

M. Lefebvre: Parlez-moi pas de ça. Ce n'est pas ça que je veux entendre.

M. Faribault (Paul): C'est déjà...

M. Lefebvre: Ça, là-dessus...

M. Faribault (Paul): ...du passé. Voilà.

M. Lefebvre: ...je suis quasiment d'accord avec vous.

M. Faribault (Paul): Au niveau de...

M. Lefebvre: De la vraie contribution, oui.

M. Faribault (Paul): ...de la contribution, on parlait, à ce moment-là, dans le document de questionnement, d'un volet contributoire possible. Et on disait: Après, somme toute, avoir reporté les critères au niveau de 1972, c'est-à-dire 80 % du MGA, là, on peut envisager ce volet-là et on pourrait, effectivement, envisager une contribution...

M. Lefebvre: Et, rapidement, parce que je vais

permettre à mon collègue de Chapleau et, évidemment, à Mme la députée de Terrebonne aussi de poser leurs propres questions. Très rapidement, qu'est-ce que vous pensez des suggestions du Barreau? Vos collègues du Barreau du Québec. La contribution, le plan d'assurance, etc., tout ça en gros, ç'«a-tu» du bon sens?

M. Faribault (Paul): C'est une idée intéressante. On fait preuve d'imagination. Et, dans ce sens-là, c'est quelque chose d'intéressant. Bien sûr, le plan n'est pas précis à l'heure actuelle. Il se pose des questions. Ça suppose une tarification précise et qui soit connue des gens. Et ça, c'est essentiel, dans un programme comme celui-là, que les gens qui y seraient admissibles sachent c'est quoi le tarif qu'on va leur charger.

Deuxièmement, ça suppose également comment l'admissibilité à ce plan Barreau là va se faire. Et, sur ça, le plan n'était pas précis. Mais, à première vue, ça semble une voie intéressante et qui n'implique pas de nouveaux déboursés de fonds publics. Et, dans ce sens-là, c'est une avenue intéressante, comme l'assurance juridique, qui est aussi une avenue intéressante. C'est ce qu'on peut vous en dire.

M. Lefebvre: Merci, M. Faribault.

Le Président (M. Parent): Merci. En respectant la règle d'alternance, je reconnais la députée de Terre-bonne et, après ça, j'enchaînerai avec le député de Chapleau. Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, peut-être simplement rappeler que l'Opposition officielle, la députée de Terrebonne, a droit à son temps de parole. Elle n'a pas besoin de la permission du ministre.

Le Président (M. Parent): Nous vous écoutons. M. Lefebvre: Je m'excuse.

Mme Caron: Alors, Me Faribault, Me Dame, Me Kirouac et Me Thériault, merci beaucoup de votre participation. Je sais que vous avez suivi avec beaucoup d'assiduité nos travaux. Vous l'avez dit dans votre intervention, au début, et c'est pour cette raison-là que votre mémoire est extrêmement complet. Mais vous avez jugé bon de nous ajouter, suite à ce que vous avez entendu, certains éléments importants. Et je pense que vous aviez raison de le faire de cette façon-là.

Au niveau de l'information et de la prévention, vous avez rappelé que, effectivement, l'élément qui vous empêche d'en faire autant que vous le souhaiteriez, c'est évidemment le nombre de dossiers. Avec le ministre, vous avez abordé la partie information, consultation, qui est directe aux citoyens. Mais vous vous êtes aussi donné, et vous avez aussi dans votre mandat, de l'information et de la prévention qui touchent l'ensemble des citoyens et des citoyennes de la région. Et, cet élément- là, c'est évident que, quand on considère le nombre de dossiers, si on ajoute les consultations individuelles, l'information que vous devez faire, quand on arrive au volet d'information et de prévention pour l'ensemble des citoyens d'une région, c'est évident qu'il ne reste pas vraiment de temps pour le faire. Est-ce que vous pensez que ce volet de prévention et d'information plus générales auprès de la population... Qui devrait remplir ce mandat-là? Est-ce que vous pensez que vous pouvez le remplir en ayant davantage ou des stagiaires ou plus de personnel? Ou vous souhaitez que cette mission-là soit une mission qui soit accomplie davantage par le Barreau, au niveau de l'information en général? Ou si vous pensez qu'il faut accentuer sur les groupes communautaires, les cliniques juridiques, pour faire une mission plus globale?

Le Président (M. Parent): Ça s'adresse à Mme Dame.

Mme Dame (Suzanne): Oui. La question de l'information et de la prévention, je pense qu'il n'y a personne qui peut revendiquer l'exclusivité de la tâche. Je pense que l'aide juridique est bien placée pour en faire, à cause de la clientèle qu'elle dessert. Je vous dirais que l'idéal, c'est sûr que... La vocation de l'aide juridique, qui est, d'une part, de remplir des besoins individuels et de remplir des besoins communautaires... Comme la rentabilité du système sur mesure à fonction du dossier individuel rend effectivement notre implication communautaire plus difficile, je vous dirais que l'aide juridique doit remplir un rôle à ce niveau-là. Les avocats sont bien placés pour le faire et ils doivent le faire, d'après moi, avec les groupes communautaires qui sont déjà dans le milieu, qui ont une connaissance et avec qui on peut travailler ce qu'il est possible de travailler et, généralement, ça fait une association très efficace.

Le Barreau, il y a des avocats qui sont en pratique privée qui en font aussi. C'est un travail qui doit se faire ensemble, mais c'est sûr que l'avocat d'aide juridique a une expérience privilégiée à ce niveau-là, et, si on avait plus de disponibilité et si on était moins pris par les dossiers de la cour, on pourrait à ce moment-là avoir de meilleurs contacts avec les groupes communautaires et faire oeuvre plus utile à ce niveau-là.

Mme Caron: Oui, vous avez raison quand vous dites que ce n'est pas uniquement un groupe, sauf que, dans la pratique, on se rend compte finalement que, quand on se dit que, 20 ans après le système, plus de 20 ans, il y a encore des citoyens et des citoyennes qui ne savent pas que l'aide juridique existe. C'était la même chose au niveau du Code des professions: 20 après le Code des professions, beaucoup, beaucoup de citoyens et de citoyennes ne savent pas, ne connaissent pas le système disciplinaire des professions. Et c'est un petit peu comme si, quand la mission appartient à tout le monde, finalement, elle n'appartient aussi à personne.

Parce que tout le monde ayant tellement de tâches spécifiques à accomplir, et il faut les accomplir finalement, ce mandat-là, personne n'arrive à vraiment le faire et le faire d'une manière qui serait plus efficace.

Vous avez dans votre mémoire aussi spécifié, en page 2, un élément qui est important. On ne l'a pas dit souvent depuis les premières journées de commission, mais, pour moi, c'est un élément capital. Quand vous dites: «...comme les effectifs des avocats permanents augmentent peu et que ceux-ci ne peuvent augmenter leur nombre de dossiers qu'au détriment de la qualité du service, il en résulte que l'augmentation de la demande est en grande partie absorbée par les avocats de pratique privée; le budget à cet égard n'étant pas plafonné, cela oblige le réseau à demander régulièrement du financement supplémentaire.» Si on hausse les seuils d'admissibilité, automatiquement, pas dans la même proportion, mais on va quand même augmenter le nombre de demandes, à ce moment-là, est-ce que vous considérez et êtes-vous capable de nous chiffrer les besoins d'avocats permanents si on hausse les seuils d'admissibilité aux seuils de 1972-1973, disons 80 % du MGA? Est-ce que vous considérez qu'il va falloir hausser d'une manière importante le nombre d'avocats permanents?

Le Président (M. Parent): M. Faribault.

M. Faribault (Paul): Oui. Je pense que c'est clair que, si on veut que le réseau public absorbe une partie de cette nouvelle clientèle-là, il faut hausser le nombre des permanents. Pour nous, c'est clair, parce que le problème, c'est qu'on a de la misère déjà à suffire à la demande. Alors, évidemment, si on ajoute une clientèle supplémentaire, c'est clair qu'on ne pourra pas en prendre beaucoup plus que ça. Donc, ça va aller au secteur privé. Je ne veux pas entrer dans le débat des coûts: Est-ce que ça coûte plus cher l'un que l'autre? C'est une toute autre question.

Mais il demeure une chose, c'est que ce qui fait la force de ce réseau-là, c'est l'équilibre entre la permanence et la pratique privée. Et on est en concurrence, nous, et on est un des rares organismes gouvernementaux, sinon le seul, qui est directement sur le marché, en concurrence. Alors, par rapport à ça, je pense que toutes les études qui ont été faites, c'est que, dans le passé, quand le nombre de permanents fut haussé, il y a eu une hausse correspondante du nombre de dossiers, et le nombre de dossiers par avocat s'est maintenu. Or, ça, je pense que le passé est un peu garant de l'avenir là-dessus, et, comme vous avez déjà dit précédemment, on sait quels sont les coûts qu'un permanent engendre par rapport à l'article 52, qui, lui, est ouvert. C'est la réponse que je peux vous donner. (10 h 50)

Mme Caron: Vous nous avez parlé de l'importance du pouvoir discrétionnaire, de le maintenir, ce pouvoir-là. Je pense que c'est l'élément qui nous permet d'humaniser le système, parce que, lorsqu'on ne travaille qu'avec des règles précises, évidemment, on ne tient pas compte de la situation que l'être humain vit, et ça, je pense, moi aussi, que c'est important de le maintenir.

Vous avez de très bons exemples aussi sur l'importance des droits des personnes, en page 10, au début, mais j'aimerais attirer l'attention à l'avant-dernier paragraphe, lorsque vous nous dites: «Nous croyons qu'il serait plus opportun d'inclure dans les règlements sur l'admissibilité de façon claire la possibilité de refuser l'aide juridique lorsqu'il apparaît que le bénéfice escompté est futile et ne présente aucun caractère essentiel pour le requérant.» Donc, vous voulez aussi, par contre, que les critères soient resserrés sur cet objet-là. Est-ce que vous pouvez nous expliquer un petit peu cette demande-là?

M. Faribault (Paul): On va vous donner deux exemples.

Mme Caron: Oui.

M. Faribault (Paul): Me Thériault en avait un excellent, et je vais vous en fournir un, également, concret. Si on prend, en milieu rural, une question de bornage, quand il s'agit du fond d'une terre à bois et une chicane de deux pieds de terrain qui ne valent à peu près rien, est-ce que c'est un service essentiel pour la condition de vie de la personne? Je pense qu'on peut dire que non.

Le problème, c'est que, actuellement, il y a, d'une part, un critère économique et, d'autre part, une vraisemblance de droit. Alors, il peut très bien exister une vraisemblance de droit, mais que la question ne touche pas aux besoins essentiels de la personne. C'est pour ça qu'on mettait cette réserve-là, qui nous semble, en tout cas, éviter les quelques abus qu'il peut y avoir. Je passerais la parole à Me Thériault.

M. Thériault (Gilles): Peut-être pour vous raconter... on en parlait hier soir justement de ce point-là. Lorsqu'on en discutait, je donnais l'exemple d'un individu, un vieux monsieur qui était venu me voir — qui avait 73 ans à peu près — pour récupérer la médaille que son père avait gagné lors de la Première Guerre mondiale. Lorsque son père a gagné cette médaille-là, lui, il avait à peu près trois ans, alors son père est malheureusement décédé durant cette guerre. Il vient me voir. Alors, il est évident que, pour lui, c'est peut-être important, mais est-ce que, véritablement... C'est un monsieur qui est admissible économiquement. C'est un monsieur qui a une vraisemblance de droit, c'est-à-dire qu'il prétend que la médaille lui appartient, mais la fameuse médaille a été prise par sa fille lors du décès de sa femme, de son épouse.

Alors, j'envoie une mise en demeure à la fille pour lui demander de rendre la médaille à son père et, malheureusement, la fille a dit: Non, il n'est pas question que je rende la médaille à papa. Alors, à ce moment-là, on fait une action en revendication avec

saisie avant jugement pour récupérer la fameuse médaille.

Comme je le disais hier, heureusement, ce qui est arrivé, c'est que la fille, elle, n'était pas admissible à l'aide juridique et qu'elle s'est retrouvée chez un avocat où elle devait payer de sa poche. Alors, l'avocat, que je considère intelligent, lui a dit: Écoute, c'est évident que ça peut te coûter très cher si on doit se battre pour cette médaille-là. Alors, deux ou trois jours après la signification de l'action, j'ai reçu des mains de l'avocat la fameuse médaille. Je pensais que c'était une petite médaille, mais c'était super gros. Alors, je comprenais un petit peu pourquoi il y tenait. Mais c'est quand même un cas où, si l'individu, si la dame avait été admissible à l'aide juridique, encore une fois, l'État aurait eu à assumer des coûts d'un praticien à ce moment-là pour une médaille qui, dans le fond... qu'est-ce que ça changeait à la sécurité de ce monsieur-là et qu'est-ce que ça avait comme importance pour lui? C'est sûr que ça avait une valeur sentimentale, mais lorsqu'on regarde le régime d'aide juridique, est-ce qu'on est là uniquement pour régler ce genre de cas-là ou est-ce qu'on ne doit pas s'attarder à des choses un peu plus peut-être sérieuses?

Mme Caron: Est-ce que le pourcentage... Vous disiez que le pourcentage n'est pas très élevé; on se parlait de quoi, quelque 2 %?

M. Faribault (Paul): Ça demeure très minime... Une voix: Très minime.

M. Faribault (Paul): ...ce genre de cas limites là. Règle générale, les gens ne courent pas après les accusations, ils ne courent pas après les procédures.

Mme Caron: Ni après les médailles!

M. Faribault (Paul): Ça leur tombe sur la tête. Il y a des cas aussi qui vont relever de gens qui ont des problèmes de santé mentale, par exemple, et qui vont venir chercher une oreille qui les écoute. Mais ça demeure marginal et vous en avez dans vos bureaux de comté, effectivement. Ça demeure marginal par rapport à l'ensemble.

Mme Caron: Oui, je vous avoue que, moi, personnellement, j'en ai effectivement beaucoup. Je pense que je dépasse même la moyenne. Je souhaite, en tout cas pour la dame, qu'il va lui laisser la médaille...

M. Faribault (Paul): À son décès. Une voix: À son décès!

Mme Caron: ...en héritage. Alors, vous nous avez parlé aussi, Me Kirouac, tantôt, parce que, bon, vous travaillez en région éloignée et vous avez parlé du problème de la distance. Je suis très contente que vous en ayez parlé parce que je voulais pouvoir revenir là-dessus. Vous nous avez dit qu'effectivement dans certaines régions, il n'y a pas de transport, les distances sont extrêmement grandes et vous donnez l'information au téléphone. Mais quand, pour la personne, ça doit aussi déboucher sur des procédures et qu'elle a besoin d'un mandat d'aide juridique, que vous avez à la rencontrer, à lui faire signer des papiers et tout ça, il y a un problème au niveau des régions, au niveau de la distance. On en avait parlé dans Lotbinière et, bon, vous, vous nous dites aussi que chez vous il y a des problèmes à ce niveau-là.

Mme Kirouac (Nicole): C'est notre réalité et c'est encore plus criant depuis les dernières coupures, quand on en a eu, des coupures, parce qu'il y a certains bureaux volants où, personnellement, on a fait un choix de ne plus aller, compte tenu également des coupures et des budgets disponibles et du temps. Alors, cette personne-là, si elle m'appelle, elle n'a pas d'auto, il n'y a pas de circuit d'autobus, je ne pense pas que ce soit juste le cas en Abitibi. Il y a certainement d'autres régions éloignées où le transport en commun est extrêmement déficient.

En général, on va téléphoner à une intervenante communautaire. Je donne l'exemple de Lebel, je pourrais parler de Matagami. Moi, j'ai exactement le même problème. Et la travailleuse sociale, quelqu'un du CLSC ou... C'est vraiment une intervenante qui va essayer de trouver une amie, un dépannage, mais elle doit absolument se déplacer et c'est, pour parler en milles, à peu près 100 milles ou 110 milles qu'elle doit faire pour venir me rencontrer.

C'est évident que l'accessibilité à la justice, pour cette personne-là, ça pose des problèmes. Et la question de l'éloignement, comme vous le soulevez, pose également beaucoup de problèmes. On en a parlé par rapport au coût des experts. On a un problème très sérieux en régions éloignées. Le coût des experts... On les demande avec peut-être plus de parcimonie même que dans les grands centres, parce qu'on ne fera pas venir volontiers un expert de Montréal pour venir chez nous. On va y penser à deux fois, même si la maladie de la justice par expert est rendue également chez nous, parce que c'est des coûts astronomiques au niveau de la justice. Et je pense que ce qu'on souhaitait, on l'a signalé également dans notre mémoire: on devra, à notre avis, négocier des tarifs avec les experts parce que ça n'a comme plus de bon sens et ça prend une ascension au niveau des coûts, là, que c'est vertigineux.

Et ça, c'est encore plus marqué en régions éloignées. Ne serait-ce que le transport en avion, rajouté au coût de l'expert, c'est 2000 $, 3000 $. Alors, quand on songe à ça, et si, par malheur, on ne peut pas procéder ou il y a une remise ou il y a un pépin pour la journée de l'audition, ça devient une catastrophe.

Sauf que, pour revenir à la question initiale, effectivement, l'éloignement... et c'est peut-être pour ça qu'on se déplace parfois et c'est peut-être pour ça aussi

qu'on donne, qu'on se doit de donner l'information chez nous, ne serait-ce que, des fois, pour la rassurer, ne serait-ce que, des fois aussi, pour lui dire: Oui, on va vous prendre dans une semaine; oui, c'est urgent; ou non, ce n'est pas urgent. Si elle a reçu un papier puis elle ne sait pas... et les avocats de pratique privée, en général... Dans ces régions éloignées là, comme... je prends les zones limitrophes, parfois il y a des bureaux de firmes privées qui vont y aller une fois par mois, mais une demi-journée. Alors, si la personne vient de recevoir une saisie, elle ne peut pas attendre un mois. Alors là, ça devient paniquant. Alors, on n'a pas le choix, nous autres, d'accorder de l'attention et du temps aux informations téléphoniques, et on le fait souvent, je le dis, c'est à 16 h 30 ou à midi qu'on retourne ces appels-là.

M. Thériault (Gilles): Ce que Me Kirouac vous expose, en Gaspésie, chez nous... et c'est peut-être un élément, je pense, qui est important lorsqu'on parle du maintien, dans le mémoire également, de la structure des corporations régionales. On avait ce problème-là également chez nous, le problème de l'éloignement, et les administrateurs de la corporation régionale chez nous nous ont demandé de collaborer et d'instaurer des bureaux volants. Or, ces bureaux volants là ne coûtent presque rien à l'État. Ils ne coûtent que le déplacement en automobile de l'avocat qui se rend dans un CLSC. Ça ne nous coûte absolument rien en location de locaux. Le personnel du CLSC prend les rendez-vous à l'avance et on se rend sur place et on donne le service. On amène des demandes d'aide juridique avec nous autres et on fait le travail à ce moment-là. Lorsqu'on revient chez nous, on peut compléter. (11 heures)

Alors, je pense que c'est une clairvoyance des administrateurs de nos corporations là-dedans. Et ces gens-là, je pense... et c'est là qu'on doit aussi maintenir le système des corporations régionales parce que ça nous permet de maintenir également la couleur locale et de satisfaire les besoins locaux de façon beaucoup plus efficace.

Je pense qu'à ce niveau-là c'est intéressant. Et, lorsque Me Kirouac nous parle au niveau des expertises également, c'est vrai que c'est très cher. Moi-même, je reçois des comptes d'experts, par exemple sur des causes d'ivressomètre où l'expert, le chimiste, va venir témoigner 10 minutes à la cour et on va recevoir des factures de 1200 $, et malheureusement, on n'a pas d'experts en région. Ces experts-là sont à Québec. Alors, lorsque ces gens-là viennent témoigner, c'est le prix qu'on doit payer. Et souvent, on tente, par le biais d'ententes avec la couronne, de déposer des rapports qui, eux, sont beaucoup moins dispendieux, qui vont nous coûter peut-être 300 $ ou 400 $, mais, tout dépendant du procureur de la couronne, il en accepte, il n'en accepte pas, il en accepte, il n'en accepte pas. Alors, je pense que, encore là, c'est peut-être un point qui devrait être regardé très sérieusement.

Le Président (M. Parent): Merci.

Mme Caron: Puisqu'il ne me reste qu'une minute, M. le président me l'a signalé, je vais poser une dernière question. Si le gouvernement décidait d'ajouter un volet contributoire, bon, une échelle progressive, du côté de l'administration, est-ce que vous pensez que vos bureaux seraient en mesure, seraient capables d'absorber cette administration-là? Et quelles seraient les conditions pour être capables de le faire?

M. Faribault (Paul): Je vous dirais qu'à première vue on est intéressés à être, je dirais, dans ce marché-là, et on n'est pas rébarbatifs à ça, sauf que, évidemment, si on augmente considérablement non seulement au niveau de l'accessibilité au volet gratuit, mais également au volet contributoire, il va falloir mettre des ressources pour gérer ça. Ça, c'est clair que dans l'état actuel des troupes, c'est impossible. Mais on est intéressés à ce volet contributoire et on ne veut pas en être exclus.

Mme Caron: Je vous remercie.

Le Président (M. Parent): Alors, je reconnais maintenant, M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: Merci, M. le Président. M. Thériault, vous avez mentionné un problème majeur dans le système, où des coûts sont exorbitants: la question des experts, le coût des experts, que ce soit dans des endroits éloignés, que ce soit à Montréal, que ce soit n'importe où, c'est un coût exorbitant. Je pense que le ministre doit avoir les coûts, combien ça coûte. Mais, quand vous avez mentionné un expert qui coûte, dans un cas d'ivressomètre, 1200 $ pour 10 minutes, je pense que c'est peut-être 10 fois plus que l'avocat qui est dans une cause A. Il y a beaucoup d'autres exemples que ça où, dans le même cas, il peut y avoir deux ou trois expertises. Vous savez, le choix d'un bord, de l'autre, là. Puis, quand il s'agit d'affaires de famille où il y a un enfant, où l'avenir d'un enfant est en jeu aussi, il y a une autre expertise, là. Là où je veux en venir dans ça, je pense que dans ce domaine-là, définitivement, il faut faire quelque chose.

Je vous pose la question de tarification des experts. Est-ce que vous avez élaboré sur ça beaucoup dans votre mémoire? J'aimerais ça entendre vos commentaires sur ça.

M. Faribault (Paul): Je pourrais vous dire la chose suivante. On dit qu'il faut faire quelque chose. Il faut qu'il y ait une tarification. Moi, je trouve absolument incroyable la situation suivante: la CSST a un bassin d'experts, et elle paie environ 150 $ ou 250 $ pour un rapport d'expertise médicale. Quand nous, notre client est soigné par un de ces médecins-là et qu'on demande une expertise à ce médecin-là, c'est 400 $, 500 $ et 600 $.

M. Kehoe: Le même médecin que dans l'autre cas?

M. Faribault (Paul): Le même médecin pour le même rapport. Mais la CSST a un volume et les médecins sont intéressés à prendre ces rapports-là à 250 $ parce qu'ils savent qu'ils vont en avoir 10, 12 et 15. Alors, nous, on ne comprend pas pourquoi, si les médecins les font à 250 $ pour la CSST, ils ne peuvent pas les faire au même coût pour nous. Alors, il est clair qu'il faut réduire les coûts, et ça, c'est un moyen. M. le ministre a parlé, cette semaine, de 5 500 000 $ de frais d'expertise. Il y a moyen d'organiser les choses, mais il faut qu'il y ait des ententes qui se fassent avec les regroupements de médecins experts.

M. Lefebvre: Les corporations.

M. Faribault (Paul): Avec les corporations professionnelles, pour que ça puisse se faire.

M. Kehoe: Autant les avocats sont obligés — ils ont un certain tarif pour chaque acte — pourquoi les autres professionnels, que ce soient des médecins, que ce soient des ingénieurs, que ce soient d'autres professionnels, pourquoi leur profession n'établit pas une certaine tarification lorsqu'ils comparaissent devant le tribunal et quand c'est pour un client de l'aide juridique?

Juste une autre question vite faite, M. le Président, je ne sais pas si je...

Le Président (M. Parent): Vous avez encore...

M. Kehoe: M. le ministre a parlé, puis la porte-parole de l'Opposition en a parlé, des personnes qui viennent chez vous et que vous êtes obligés de refuser. Qu'est-ce que vous faites à ce moment-là? De l'information, de la consultation, et ainsi de suite? La personne en charge du bureau a un certain pouvoir discrétionnaire, et vous demandez que ce soit retenu. J'aimerais avoir plus de détails sur ça, sur ce pouvoir discrétionnaire. Y a-t-il des balises? Est-ce que c'est limité? Est-ce que ça dépend de l'importance de la cause? Est-ce que ça dépend si la personne n'est pas eligible? Peut-être un peu plus de clarté sur la balise et comment ça opère en réalité.

M. Faribault (Paul): D'accord. Je vais essayer de vous préciser des choses. C'est-à-dire qu'il y a des critères d'admissibilité. Ce qu'on fait, c'est: plus la personne est proche du barème d'admissibilité, plus ça va être facile de justifier, en quelque sorte, de l'admettre, même si elle le dépasse, soit en raison des dettes, soit en raison de l'importance du service qu'elle veut avoir. Si la personne vient pour un testament, eh bien, on sait que ce n'est pas très dispendieux comme service. Donc, c'est plus facile de refuser. Mais, si quelqu'un arrive avec un dossier de divorce avec une garde d'enfant qui s'annonce contestée, etc., on sait que c'est des coûts qui sont faramineux.

Donc, l'importance de la cause, l'importance de la défense et la quantité de dépassement. On va tenir compte également d'autres situations: les frais de gardienne, par exemple, les frais de transport pour se rendre au travail dans les régions rurales, tous ces éléments-là. On essaie de porter un jugement global sur la situation de la personne en restant dans une application raisonnable des critères. Mais ça va varier selon chaque individu et chaque situation.

M. Kehoe: Et c'est la personne en charge du bureau qui décide ce qui est raisonnable dans un cas ou non, si c'est assez important et tous ces facteurs, ce sont tous des facteurs subjectifs.

M. Faribault (Paul): Oui.

M. Kehoe: II faut composer avec. Il n'y a pas de règle comme telle dans le pouvoir discrétionnaire, exactement où on coupe et où on...

M. Faribault (Paul): C'est effectivement discrétionnaire, donc c'est difficile de tracer des lignes. Ce qu'on fait souvent, c'est que, quand on a un cas qui est difficile, on va en discuter, l'ensemble des avocats du bureau, et on va dire: Bon, eh bien, qu'est-ce que tu en penses? Et on essaie de considérer l'ensemble de la situation de la personne. Ce n'est pas facile à assumer, mais par contre il y a moins d'injustice comme ça qu'avec un critère absolument rigide où, à 1 $ de plus, bonjour et merci, c'est fini.

M. Kehoe: D'accord. Merci beaucoup.

Le Président (M. Parent): M. Faribault, j'aurais une question, moi, à poser au monsieur à ma droite... M. Thériault. Est-ce que, parmi les critères que vous utilisez pour décider si vous acceptez un cas ou pas, la vraisemblance de droit est mise à partie? Est-ce que vous en tenez compte?

M. Thériault (Gilles): Oui.

Le Président (M. Parent): Et je reviens à l'exemple que vous avez donné tout à l'heure, votre fameuse médaille. Est-ce que vous vous êtes posé la question: Est-ce que la vraisemblance de droit existe pour cette personne de requérir une médaille à laquelle il croit avoir droit et d'entraîner par le fait même des frais?

M. Thériault (Gilles): Effectivement, dans la loi, c'est un des critères qu'on doit regarder, la vraisemblance de droit. Lorsqu'un individu arrive et qu'il est très clair qu'il n'y a pas de vraisemblance de droit dans son cas, il est évident qu'à ce moment-là ça peut même être un motif de refus de sa demande d'aide juridique. Sauf que, dans le cas que je vous ai mentionné, effectivement...

Le Présidait (M. Parent): C'est un exemple, le cas.

M. Thériault (Gilles): Dans ce cas-là ou dans d'autres, la vraisemblance de droit, souvent, elle va nous sauter aux yeux. Lorsque le monsieur nous dit: C'est à moi, la médaille, ça m'appartient, carrément, et ça me vient de la succession de mon père. C'est très clair qu'il y a une vraisemblance de droit à ce moment-là, ça saute aux yeux. Sauf que, la vraisemblance de droit, très souvent il faut faire attention, parce qu'on est quand même là également... on n'est pas des juges; on est des gens, on regarde la situation. Il y a une demande qui est faite par un individu, il y a une prétention qui est logée par un individu et, lorsque ça cadre dans ce qu'on connaît, dans la loi, est-ce qu'on peut réclamer? Est-ce qu'on ne peut pas réclamer? S'il peut réclamer, à ce moment-là il y a vraisemblance de droit et on va regarder également le côté économique de la chose: Est-ce qu'il est admissible économiquement, oui ou non?

Le Président (M. Parent): Merci. M. le ministre de la Justice.

M. Lefebvre: II me reste le temps de conclure. J'aurais aimé évidemment aborder...

Le Président (M. Parent): Je vais être plus permissif parce que j'ai pris de votre temps. Ce n'est pas mon habitude. (11 h 10)

M. Lefebvre: De toute façon, M. le Président, vous avez pris à peine une minute. Il me reste le temps qu'il faut pour conclure. J'aurais aimé aborder avec vous la question des honoraires. À la page 15 de votre mémoire, vous nous indiquez que, peu importe que les honoraires, particulièrement en matière criminelle, soient tarifés, forfaitaires ou à l'acte, il y aura des abus, et j'aurais aimé aborder la question avec Me Faribault ou l'un ou l'autre d'entre vous. Merci d'être venus nous exposer votre point de vue. Ça partait d'un mémoire extrêmement bien fait, et il n'y a pas de surprise. Évidemment, vous êtes des professionnels de l'aide juridique et ça apparaît dans votre document, dans votre exposé.

J'ai apprécié également la franchise avec laquelle vous nous avez pointé certains éléments. Certains points de vue ont été abordés avec la franchise dont on s'attend d'un avocat. Soyez assurés qu'il y a des éléments là-dedans qu'on retiendra dans l'évaluation de l'action du gouvernement après que la consultation sera terminée. Merci beaucoup.

Le Président (M. Parent): Merci, M. le ministre, merci les membres de cette commission et merci à nos invités d'être venus nous aider à cheminer dans notre démarche. Alors, nous allons suspendre pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 11)

(Reprise à 11 h 15)

Le Président (M. Parent): Alors, j'invite les députés à prendre place, et la commission va poursuivre ses travaux.

Merci. Alors, la commission va poursuivre ses travaux en accueillant notre deuxième groupe ce matin, qui est composé des représentantes de l'Association des techniciens en droit du Québec. Alors, je vous rappelle le mandat de la commission qui est de procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur le régime d'aide juridique et sur le document intitulé «L'aide juridique au Québec: une question de choix, une question de moyens.» Et nous avons comme invitée la présidente, Mme Jocelyne Durand. J'imagine, Mme la présidente, que c'est vous qui êtes la porte-parole.

Mme Durand (Jocelyne): Exact.

Le Président (M. Parent): Alors, je vous inviterais à nous présenter les gens qui vous accompagnent et à débuter la présentation de votre mémoire.

Association des techniciens en droit du Québec (ATDQ)

Mme Durand (Jocelyne): D'accord. Avant de commencer, je voudrais indiquer que nous allons prendre les 20 minutes auxquelles nous avons droit.

Le Président (M. Parent): Oui.

Mme Durand (Jocelyne): Alors, à ma droite, je vous présente Mme Brouillet, qui est trésorière de l'Association; à ma gauche Mme Ginette Longpré et Mme Maryse Groleau, qui sont membres et bénévoles actives au sein de l'Association des techniciens en droit du Québec. J'aimerais également ajouter que, en ce qui concerne Mme Longpré et Mme Groleau, elles travaillent actuellement à titre de techniciennes en droit au sein de l'aide juridique de Montréal. Quant à Mme Brouillet et moi-même, nous travaillons actuellement dans le secteur privé, au sein de cabinets d'avocats, Me Anne Moreau pour Mme Brouillet et Turcotte, Nolet, Perras, à Laval. Et, en ce qui me concerne, je travaille dans le domaine du droit commercial, et pour Mme Brouillet, droit du travail et sécurité et santé au travail.

Le Président (M. Parent): Alors...

Mme Durand (Jocelyne): Ceci étant dit, j'aimerais tout d'abord remercier tous les membres de cette commission d'avoir accepté de nous recevoir pour présenter notre mémoire.

Le Président (M. Parent): C'est réciproque, madame. Nous aussi, nous vous remercions d'avoir accepté de venir nous aider à parfaire notre travail.

Mme Durand (Jocelyne): Bon, ça fait plaisir aux deux, c'est beau. Alors, pour nous ici, notre présence est très significative pour l'Association des techniciens en droit du Québec, nom que j'abrégerai à l'occasion par les initiales ATDQ pour alléger le tout.

Alors, en effet, en acceptant de nous entendre, vous nous permettez, vous nous donnez l'occasion de vous faire connaître ce qu'est le technicien en droit. L'ATDQ constitue le seul organisme qui représente les intérêts des techniciens en droit diplômés de la province de Québec. Mieux faire connaître le technicien en droit, promouvoir ses intérêts, éliminer la confusion qui règne actuellement dans la communauté juridique quant à son titre et établir des relations avec les autres organismes professionnels, voilà quelques-uns des objectifs principaux poursuivis par l'ATDQ.

Vous comprendrez donc que c'est dans cette optique que nous présentons notre mémoire, un mémoire qui se veut sans prétention, un mémoire aussi qui se distingue peut-être des autres à l'effet qu'il apporte peut-être une nouveauté que personne n'a osé aborder à ce jour. (11 h 20)

En fait, comme vous l'avez sans doute remarqué, on ne se prononce pas sur l'augmentation des seuils de l'admissibilité, bien que nous la jugions essentielle pour accroître l'accès à la justice. On n'apporte évidemment aucune solution miracle au financement du réseau juridique, et on ne parle pas non plus de la privatisation des services juridiques. Notre recommandation est très simple: favoriser l'implication plus grande des techniciens en droit au sein du réseau d'aide juridique du Québec afin d'en accroître l'efficacité et l'efficience.

Le but ultime qui est visé par le dépôt de notre mémoire est de s'assurer qu'une place sera faite au technicien en droit au sein de l'organisation du régime d'aide juridique et de sensibiliser l'appareil gouvernemental à sa formation académique, qui fait de lui un collaborateur indispensable. Il est maintenant temps que le réseau d'aide juridique ajuste son tir pour apprendre à travailler avec les techniciens en droit, comme le fait actuellement le secteur privé. Mais, pour ce faire, il importe d'examiner de près quelle est notre formation académique.

Tout d'abord, comme son titre l'indique, le technicien en droit, ou encore le technicien juridique — car on peut utiliser les deux appellations — est titulaire d'un diplôme d'études collégiales en techniques juridiques, ou encore plus communément appelé un D.E.C., diplôme officiellement reconnu par le gouvernement du Québec, après trois années d'études. Suite à un besoin criant de personnel qualifié dans les greffes des palais de justice, le gouvernement a cru bon de mettre sur pied, en 1972, le programme de techniques juridiques. Le premier collège à dispenser le cours a été le collège Ahuntsic à Montréal, programme qui était à l'époque connu sous le terme «techniques judiciaires». Le cégep de Rimouski a emboîté le pas, un an plus tard et, en 1987, a transféré le programme au collège

François-Xavier-Garneau, à Québec. Alors, pendant plus de 20 ans, deux seuls collèges ont dispensé le cours, mais il y a deux ans, trois collèges se sont ajoutés à la liste, soit le collège O'Sullivan à Montréal, le séminaire de Sherbrooke et le collège de l'Assomption.

Au départ, les finissants étaient surtout formés pour se diriger vers la fonction publique pour combler des postes qui répondent à leurs qualifications. Or, comme vous le savez, les postes de technicien en droit adressés vraiment aux diplômés sont devenus de plus en plus rares au sein de l'appareil gouvernemental. Le technicien en droit a dû à ce moment-là analyser de nouvelles avenues.

C'est ainsi qu'au fil des ans les cours du programme ont été adaptés aux besoins des employeurs, et plus particulièrement au secteur privé, de manière à former des techniciens juridiques polyvalents, autonomes, responsables et fonctionnels.

Bien que notre formation soit avant tout axée sur la maîtrise des aspects techniques reliés à la pratique du droit, il n'en demeure pas moins que les cinq sessions de cours que les étudiants poursuivent sont consacrées à l'enseignement de connaissances de base dans plusieurs domaines du droit.

En résumé, l'ensemble des cours dispensés par des avocats et des notaires permet aux étudiants d'acquérir une très bonne base de connaissances théoriques, une bonne méthode de travail et d'analyse, un raisonnement logique et, surtout, un esprit juridique. Pendant les deux ans et demi que l'étudiant passera au collège, il consacrera son temps à environ 22 cours de concentration ou, si vous préférez, 22 cours de droit. Pour bien saisir l'étendue de sa formation, on se permet de vous les énumérer. Et on va essayer de faire ça court.

Nous avons: un cours de méthodologie du droit; cinq cours de droit civil, où l'étudiant passera son temps à analyser et à décortiquer notre fameux Code civil; deux cours de procédure civile, destinés à mieux apprivoiser le Code de procédure civile; un cours de procédures notariales; fonctionnement des greffes; laboratoire contentieux; droit corporatif; droit municipal; droit des assurances; terminologie juridique; histoire constitutionnelle du Canada; recherche juridique informatisée; laboratoire notarial; législation et procédures ouvrières; droit criminel; droit administratif; droit commercial.

D'ailleurs, par souci de professionnalisme, les techniciens en droit, tout comme les avocats, sont retournés sur les bancs d'école pour la réforme du Code civil. Alors, que ceux et celles qui pensent que, à ces cours, on ne nous inculque que de simples notions de droit se détrompent.

Afin de s'assurer que, sur le marché du travail, on retrouvera des techniciens juridiques polyvalents et autonomes, les professeurs s'efforcent de fournir aux étudiants un très bon bagage d'informations et de connaissances, des outils et des méthodes de travail qui permettront au technicien en droit de se débrouiller dans toutes sortes de situations.

D'ailleurs, la preuve: notre formation a sûrement

une valeur importante puisqu'en 1989 on la rendait obligatoire pour l'obtention d'un permis d'huissier. En effet, on s'est aperçu que, dans l'exercice de leurs fonctions, les huissiers devaient posséder des notions de droit propres aux techniciens juridiques. Si on apprend aux avocats à maîtriser la théorie du droit, on apprend aux techniciens à maîtriser les aspects techniques reliés à la pratique du droit.

D'ailleurs, pour s'assurer que les techniciens en droit maîtriseront bien ces aspects techniques, un stage pratique d'une durée de 15 semaines doit être effectué par l'étudiant à la fin de son cours. Mais, concrètement, qu'est-ce que tout cela signifie, tous ces cours? Grâce à son sens pratique et à son esprit juridique, plusieurs tâches peuvent être assignées au technicien en droit.

Dans le déroulement d'un dossier, dans le secteur privé par exemple, le technicien juridique a les compétences nécessaires pour: veiller à ce que la preuve soit bien préparée; rencontrer les témoins avant les auditions; rédiger des ébauches d'opinions; déterminer et rédiger les procédures appropriées au litige, le tout sous forme de projet; assister les avocats en audience; effectuer des recherches jurisprudentielles, doctrinales et législatives; gérer des banques de jurisprudence, tant informatiques que manuelles; analyser les dossiers afin de déterminer l'objet du litige; cueillir l'information nécessaire au bon déroulement du dossier et assurer son suivi pour, entre autres, voir au bon respect des délais.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'avocat qui peut être déchargé de toutes les tâches qui ne sont pas de son ressort exclusif peut consacrer plus de temps aux autres volets de sa profession. D'ailleurs, dans le secteur privé, plusieurs bureaux d'avocats ont compris que leur rentabilité pouvait être maximisée par l'embauche de techniciens en droit. L'avocat de pratique privée, assisté d'un technicien en droit, réussira à plaider beaucoup plus de dossiers dans son année.

Dans le cas qui nous intéresse, une implication plus grande des techniciens en droit permettrait aux avocats du réseau d'aide juridique de consacrer plus de temps aux plaidoiries et à la représentation devant les tribunaux et ils disposeraient également de plus de temps pour assumer le volet communautaire de leur profession.

Évidemment, l'éventail des tâches que nous venons de vous énumérer résume de façon très générale les fonctions que le technicien en droit peut accomplir. En effet, selon le milieu dans lequel il évolue et ses aptitudes, le technicien juridique verra lui-même à définir son cadre de travail, le tout sous la supervision d'un avocat.

En fait, au risque de se répéter, ce qu'il importe de bien saisir, c'est que le technicien en droit possède toute la formation académique nécessaire pour assister le juriste dans l'exécution de ses mandats et que, souvent, il n'en tient qu'au juriste d'exploiter et de maximiser le potentiel du technicien. Tout comme les médecins, les ingénieurs et les architectes, qui sont quotidiennement secondés par des infirmières, des techniciens en ingénierie et des techniciens en architecture, les avocats doivent également comprendre que les tâches de nature technique doivent être déléguées et assumées par un personnel technique compétent.

Nous sommes bien conscients que le monde juridique est conservateur. Mais il faut aussi que ce milieu s'adapte au rythme des autres secteurs professionnels québécois. Le monde juridique actuel compte quatre intervenants principaux: les avocats, les stagiaires en droit, les techniciens en droit et les secrétaires juridiques. Chacun a sa place au soleil et aucun de ces intervenants n'est menacé puisque chacun possède une formation spécifique.

Un technicien en droit ne deviendra jamais avocat, au même titre qu'une secrétaire juridique ne peut occuper un poste de technicien en droit faute d'avoir reçu la formation adéquate. Ce qu'il faut avant tout développer, c'est un travail d'équipe et une étroite collaboration entre tous ces intervenants.

D'ailleurs, l'un des premiers pas en ce sens serait probablement de cesser l'utilisation du terme «paralegal» lorsque l'on nous désigne. Le terme «paralegal» ne peut en aucun temps désigner un technicien en droit, puisqu'un paralegal, par définition, est une personne qui n'a pas de formation académique pertinente et qui n'a acquis ce titre que par l'expérience dans un domaine particulier.

Ces quelques précisions étant apportées, nous pouvons maintenant regarder de près la situation du réseau d'aide juridique au Québec. Quelle ne fut pas notre surprise de constater que sur 394 avocats du réseau, on ne compte que 12 techniciens travaillant au sein des corporations régionales d'aide juridique, et principalement à Montréal, dont neuf qui ne sont malheureusement pas utilisés à leur juste valeur et selon leur formation. (11 h 30)

II est à noter que la Commission des services juridiques a également à son emploi une technicienne en droit. Et pourtant, dans le mémoire présenté par les corporations régionales d'aide juridique, on indique clairement que leur gestion serrée des deniers publics résulte en grande partie de l'emploi des méthodes administratives généralement recommandées par le secteur privé. Alors, sachez que dans le secteur privé le ratio est d'environ un sur 10: un technicien pour 10 avocats. Ce qui est loin du ratio de un sur 32 que l'on retrouve à l'aide juridique.

Pourquoi l'aide juridique n'a-t-elle pas encore modernisé ses méthodes de travail? Pourquoi, à l'aide juridique, le traitement d'un dossier est-il effectué entièrement par l'avocat? Car ce qu'il ne faut pas oublier de mentionner, c'est que, oui, à l'aide juridique, il y a 13 techniciens en droit à son emploi, mais, malheureusement, le potentiel de tous ces techniciens est sous-exploité. Que leur fait-on faire? Des recherches, des suivis de dossiers, des projets de procédures? Mais non, on ne leur fait que compléter des demandes d'aide juridique, à l'exception de trois techniciens. Quel gaspillage de talent! Nos trois années de cégep nous ont préparés à plus que cela.

Jusqu'à aujourd'hui cette situation pouvait être tolérée, mais à partir de ce jour, maintenant que vous connaissez notre formation, une situation de ce genre ne peut plus être permise. Le réseau d'aide juridique du Québec se doit de regarder ce qui se fait dans le secteur privé. Si le technicien en droit réussit à assister l'avocat de pratique privée de façon remarquable, pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'avocat permanent des centres communautaires juridiques? Pour notre part, la réforme du régime d'aide juridique ne doit pas passer par la suppression de certains services, mais plutôt par la modification de la manière dont ils sont dispensés.

Soyons réalistes. Si la tendance se maintient, tout porte à croire que les seuils d'admissibilité seront augmentés. Cela signifie donc un accroissement de travail pour les avocats permanents du réseau. La seule façon de s'en sortir pour eux, en gardant la tête hors de l'eau, est de s'assurer de la contribution exceptionnelle et disponible des techniciens en droit. Si ces corporations régionales ont favorisé, au cours des années, des équipes formées d'avocats et de stagiaires en droit et qu'elles considèrent cette expérience heureuse, efficace et efficiente, nous ne voyons pas pourquoi elles favoriseraient également des équipes formées d'avocats, de techniciens en droit, sans pour autant empêcher une intervention des stagiaires en droit, contribution toutefois épisodique.

Il ne faut pas oublier qu'un stagiaire en droit, pour la plupart du temps, quitte après six mois, tandis qu'un technicien en droit bien formé peut assurer la stabilité d'une équipe. Lorsque l'on décidera de faire confiance aux techniciens en droit, il sera alors possible pour les avocats permanents d'assumer plus de dossiers. Si tout le réseau d'aide juridique exploite mieux le potentiel du technicien, cela se traduira indéniablement par des économies significatives, vu les différences salariales qui existent entre ces deux postes. De toute façon, avons-nous bien le choix? Les finances publiques sont si peu florissantes qu'aucune solution ne doit être rejetée du revers de la main.

De plus, le remaniement interne des tâches que l'on propose ne constitue pas uniquement une solution à caractère économique, mais également une solution visant à améliorer le cadre de travail des avocats, des techniciens en droit et visant également à améliorer l'efficacité du réseau. Ne vaut-il pas mieux un technicien en droit heureux d'assumer des responsabilités répondant à ses qualifications qu'un avocat démotivé à cause des tâches techniques devenues routinières pour lui?

Encore là, concrètement, comment devrait-on envisager ce remaniement des tâches? Permettez une petite seconde.

Premièrement, l'organisation interne du travail effectué par les avocats permanents doit être revue en profondeur et modifiée de façon à accroître le rôle du technicien en droit dans le déroulement des dossiers. Désormais, il faut que le technicien en droit intervienne au niveau des recherches à effectuer dans le cadre des dossiers, dans la rédaction des procédures et dans le suivi des dossiers. Tout ce qui n'est pas du ressort exclusif de l'avocat, en vertu de l'article 128 de la Loi sur le Barreau, peut être accompli par un technicien en droit.

Deuxièmement, l'examen de l'admissibilité des requérants doit être effectué par des techniciens en droit, tant l'admissibilité économique que la vraisemblance du droit. À cet égard, nous tenons à vous souligner que des paramètres précis sont prévus aux fins de déterminer l'admissibilité économique d'un requérant et la vraisemblance de droit de sa demande d'aide juridique. Sachez que notre formation nous permet de comprendre et d'appliquer un article de loi et les règlements qui s'y rattachent, et plus particulièrement le règlement sur l'admissibilité à l'aide juridique et le règlement sur les services couverts par l'aide juridique et les conditions de paiement des frais d'experts.

Nous croyons, par conséquent, qu'un technicien en droit dont la tâche est de déterminer l'admissibilité l'assumerait avec succès. D'ailleurs, dans l'un des départements de l'aide juridique où l'on a su exploiter à sa juste valeur la formation d'une technicienne en droit en lui permettant de travailler sous la supervision d'un avocat, des résultats plus que satisfaisants ont été constatés. Toutefois, il importe que la tâche de déterminer l'admissibilité à l'aide juridique ne soit pas confiée qu'à de simples préposés. Il ne faudrait tout de même pas passer d'un extrême à l'autre puisque, pour cette tâche, il est nécessaire de posséder des notions de droit, tâche qui revient alors au technicien juridique en raison de sa formation, formation que le gouvernement jugeait essentielle en 1972.

Troisièmement, nous croyons que, pour un meilleur contrôle des coûts, la facturation soumise par les avocats de pratique privée devrait être examinée par des techniciens juridiques, pour déceler les abus et les irrégularités. Un préposé connaissant peu le processus judiciaire aura de la difficulté à déceler ces abus et ces irrégularités.

Quatrièmement, plutôt que d'éliminer la couverture d'aide juridique lorsque le requérant demande à être représenté par un avocat devant un tribunal dont la loi constitutive ne précise pas que la représentation est du ressort de l'avocat, il y aurait peut-être lieu d'attribuer ce type de mandat aux techniciens en droit, qui seraient supervisés par des avocats. Cette solution pourrait être retenue comme un juste compromis.

C'est donc avec ces quelques recommandations que nous terminons notre exposé, en espérant que ces précisions permettront aux membres de la commission d'analyser la réforme d'un oeil différent.

Il y a 20 ans, le milieu juridique ne pouvait aucunement compter sur la collaboration d'assistants spécifiquement formés et compétents. Aujourd'hui, le technicien en droit constitue un atout important dans l'amélioration des services juridiques, de sorte qu'ignorer sa présence ou dénigrer ses qualifications constitue une grave erreur. D'ailleurs, chez nos voisins, tant américains que canadiens, cette façon de travailler est

exploitée au maximum. Il n'est pas interdit de jeter un coup d'oeil à l'extérieur de nos frontières québécoises.

Le technicien en droit ne doit pas être vu comme un rival, mais comme il est, c'est-à-dire un collaborateur qui mérite d'être mieux connu et mieux utilisé. Le technicien en droit est une réalité avec laquelle il faut maintenant composer, et ce, pour le bénéfice de la communauté juridique, de la population et des finances publiques. Croire en nous, c'est croire au programme de techniques offert dans les collèges et autorisé par le gouvernement.

À tous ceux qui nous craignent, nous désirons vous rassurer. Nous ne voulons remplacer personne, mais nous voulons tout simplement occuper la place qui nous revient. À cet égard, nous vous faisons confiance et nous sommes persuadés que vous comprendrez, membres de la commission, que le technicien en droit est un juste milieu. Merci.

Le Président (M. Parent): Mme Durand, nous vous remercions beaucoup. Je reconnais immédiatement, comme premier intervenant, M. le ministre de la Justice.

M. Lefebvre: Mme Brouillet, Mme Durand, Mme Longpré et Mme Groleau, je vous souhaite, pas au nom de la commission, c'est au président de le faire, parce que si je m'avançais, on me reprocherait, du côté de Mme la députée Terrebonne, d'empiéter...

Le Président (M. Parent): Et du côté de la présidence aussi.

M. Lefebvre: ...un peu sur votre... Alors, en mon nom personnel et au nom de mes collègues de la formation libérale, je vous souhaite la bienvenue à cette commission de consultation. Je vous remercie du mémoire que vous avez soumis à l'attention de la commission, à l'attention de chacun des membres de la commission.

Mme Durand, vous avez indiqué, en début d'intervention, que vous souhaitiez presque exclusivement réserver votre intervention pour nous expliquer en quoi consiste le travail d'une technicienne en droit ou d'un technicien en droit, et je pense que c'est de bonne guerre que vous profitiez de cette occasion pour nous faire bien connaître l'existence de l'Association des techniciens en droit et exactement en quoi consiste le travail que vous faites à l'intérieur du système juridique, du système judiciaire.

Ma première question, c'est la suivante: Est-ce qu'il y a 150 ou 200, ou entre les deux à peu près, membres de l'Association des techniciens en droit?

Mme Durand (Jocelyne): Actuellement, à l'heure où on se parle, il y a 196 membres.

M. Lefebvre: II y a 196 membres.

Mme Durand (Jocelyne): Nous avons, à titre d'information, des membres réguliers et des membres étudiants, mais, à l'heure où on se parle, on est 196.

M. Lefebvre: Mme Durand, il est exact, selon ce qu'on me dit, qu'il y aurait à peine 12 techniciens ou techniciennes à l'intérieur du réseau d'aide juridique. Je dois comprendre que les 160 ou 180 autres techniciens sont dans la pratique privée.

Mme Durand (Jocelyne): Pas nécessairement. M. Lefebvre: Non?

Mme Durand (Jocelyne): En fait, je peux vous donner...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Durand (Jocelyne): ...des statistiques...

M. Lefebvre: Rapidement. (11 h 40)

Mme Durand (Jocelyne): ...si vous voulez. En fait, il y a des techniciens qui travaillent dans des contentieux de compagnies; la majorité se retrouve dans des cabinets d'avocats, ce qui représente 46 % de nos membres réguliers; 25 % de nos membres travaillent à l'intérieur de la fonction publique, donc ailleurs qu'à l'aide juridique, parce qu'il y a tout de même d'autres organismes qui utilisent nos services.

On en retrouve également chez les notaires, les huissiers, à cause de la nouvelle loi. On en retrouve aussi au niveau des municipalités. On a quelques techniciens comme travailleurs autonomes. Mais le gros, c'est les cabinets privés, 46 % de nos membres qui y travaillent.

M. Lefebvre: Quel est, Mme Durand, selon vous, selon votre expérience, votre connaissance et, évidemment, vos... Vous consultez vos membres, vous vous parlez. Quel est le secteur d'activité... Vous venez de décrire, là, à peu près tous les secteurs que vous occupez: le municipal, les entreprises, la pratique privée, l'aide juridique. Dans quel secteur d'activité, selon vous, le technicien en droit est-il vraiment le mieux utilisé, en regard de sa connaissance et de sa formation?

Mme Durand (Jocelyne): C'est le droit civil où il est vraiment le mieux utilisé.

M. Lefebvre: Oui. Ça va. Mais est-ce que c'est au niveau de l'aide juridique, au niveau des bureaux de pratique privée, dans...

Mme Durand (Jocelyne): Au niveau des bureaux de pratique privée.

M. Lefebvre: C'est la pratique privée qui utilise le mieux vos talents?

Mme Durand (Jocelyne): Exactement. Vous avez tout compris.

M. Lefebvre: Et vos connaissances? Mme Durand (Jocelyne): Exactement.

M. Lefebvre: Mme Brouillet, vous semblez impatiente de...

Mme Brouillet (Lorraine): ...mon Dieu!

M. Lefebvre: Non, non. Allez-y. Allez-y. Soyez très à l'aise. Soyez très à l'aise. Qu'est-ce que ça fait, un technicien ou une technicienne en droit dans un bureau de pratique privée?

Mme Brouillet (Lorraine): Ça dépend du secteur où il se trouve. Moi...

M. Lefebvre: En droit civil. En droit civil.

Mme Brouillet (Lorraine): Personnellement, je fais...

M. Lefebvre: Vous êtes en pratique privée, vous?

Mme Brouillet (Lorraine): Oui.

M. Lefebvre: Allez-y. On va vous écouter.

Mme Brouillet (Lorraine): Je peux difficilement vous parler du droit civil. Moi, je fais du droit administratif, droit du travail, droit de la santé et sécurité. Je fais le suivi... On est deux, avec l'avocate, deux techniciennes. Il y en a une qui fait exclusivement les recherches de jurisprudence...

M. Lefebvre: Doctrine, jurisprudence.

Mme Brouillet (Lorraine): ...de doctrine, législative. Elle, elle fait ça. Elle s'occupe de ce niveau-là. Moi, je m'occupe de tout le niveau plutôt... procédures, témoins, clients.

M. Lefebvre: Est-ce que vous recevez des clients?

Mme Brouillet (Lorraine): Avec Me Moreau, quand elle les rencontre. Jamais seule.

M. Lefebvre: Jamais seule.

Mme Brouillet (Lorraine): Jamais seule. Quand elle les rencontre puis quand elle a besoin d'ajouts, parce que, naturellement, j'ai travaillé dans le dossier avec elle. Ça fait qu'elle sait qu'il y a des choses que je peux ajouter, des choses que je peux compléter avec elle. Mais, non, jamais seule.

M. Lefebvre: Est-ce que vous travaillez à préparer des dossiers qui sont portés en appel? Des factums là, ce qu'on appelait dans le temps des factums. Aujourd'hui, c'est très différent, la procédure. Travaillez-vous sur les dossiers qui sont portés en appel? Est-ce que vous préparez le dossier pour l'appel? Vous ou d'autres, à votre connaissance?

Mme Durand (Jocelyne): Oui, parce que, en tout cas, certains bureaux, souvent, le technicien a été impliqué dès le départ. Alors, si la cause a été portée en appel, à ce moment-là...

M. Lefebvre: II va monter le dossier pour l'appel.

Mme Durand (Jocelyne): ...le technicien va poursuivre son travail au niveau de l'appel, il n'y a aucun problème.

Mme Brouillet (Lorraine): Souvent, ce qui arrive, c'est que le travail du début pour démêler tout ça est fait par la technicienne ou le technicien, puis après ça, l'avocat complète avec elle ou avec lui.

Mme Durand (Jocelyne): Notre intervention se situe beaucoup aussi au niveau d'éplucher le dossier, d'analyser. On a l'information nécessaire pour l'analyser. Souvent même, un client de pratique privée... Bon, moi, personnellement, je ne travaille pas en litige ou en civil; je fais du droit commercial. Mais, je veux dire, le portrait global d'un technicien se ressemble un peu, peu importe le domaine.

C'est que, souvent, le client, par exemple, a facilement compris que, pour un certain type d'information, parce qu'il ne faudrait pas confondre l'information qui équivaut toujours à de la consultation, pour un certain type d'information, il n'est pas obligé de s'adresser tout de suite à l'avocat. Il peut passer par nous. Il y a des informations qu'on est capables de lui donner. Et le technicien, justement, par son sens des responsabilités, souvent, si on n'est pas capables de leur répondre, on va consulter l'avocat. Ça fait que c'est vraiment un travail d'équipe. Nous, le technicien, au départ, on va analyser le dossier, on va voir à son suivi, mais tout ça, en étroite collaboration avec l'avocat.

M. Lefebvre: Vous suggérez dans votre mémoire d'impliquer plus les techniciens en droit dans différentes tâches, et il y a un volet là, entre autres, sur lequel je voudrais vous interroger: le technicien devant le tribunal, devant la cour. Est-ce que vous croyez que les techniciens en droit ou techniciennes en droit, si on imaginait qu'ils puissent aller devant les tribunaux, que ça se limiterait aux tribunaux de droit administratif ou également à des tribunaux de droit commun?

Mme Durand (Jocelyne): Bon. Notre position, au départ, à cet égard-là, c'est de maintenir que ce

volet-là soit encore assumé par les avocats, justement pour ne pas qu'il y ait un déséquilibre de part et d'autre, comme on connaît.

M. Lefebvre: La poursuite et la défense.

Mme Durand (Jocelyne): Exactement. Sauf que, par contre, on aimerait tout de même porter à votre connaissance que, souvent, il y a des regroupements et des organismes à caractère social qui n'ont aucune... pas nécessairement une formation juridique, qui représentent ces individus-là. Alors, nous, le premier point, oui, on veut que ça soit maintenu par les avocats.

Par contre, advenant que le gouvernement voudrait éliminer cette couverture-là, il y aurait peut-être lieu, à tout le moins, qu'une structure à côté puisse exister, que le bénéficiaire à qui on a refusé cette aide-là soit assisté par un technicien. Ce n'est sûrement pas pire que ces regroupements sociaux là qui se présentent avec l'individu pour le représenter. C'est à peu près notre position par rapport à ça. Mais on veut...

M. Lefebvre: Est-ce que vous sentez, est-ce que vos membres vous indiquent qu'on sent une résistance à l'arrivée des techniciennes et techniciens en droit dans le milieu juridique?

Mme Durand (Jocelyne): Oui, parce que, en fait là, pour l'aide juridique, on regarde un peu tous les mémoires et tout ce qui se dit, jamais on ne parle de...

M. Lefebvre: Mais, dans le quotidien, là, pas dans les... Dans le quotidien, dans votre vie de tous les jours, est-ce qu'il y a une résistance?

Mme Durand (Jocelyne): Ah bien! Nous, on peut parler dans le quotidien de la vie privée, mon doux! Ça, je peux vous en parler amplement. Il n'y a aucune résistance.

M. Lefebvre: Non?

Mme Durand (Jocelyne): Absolument pas.

M. Lefebvre: Je parle du milieu. Je parle du milieu: les avocats, les stagiaires, la clientèle.

Mme Durand (Jocelyne): C'est sûr que, bon, si on aborde le sujet des stagiaires en droit, ils nous voient comme des rivaux.

M. Lefebvre: C'est ça.

Mme Durand (Jocelyne): Mais ça, à un moment donné, c'est une question d'éducation à faire, et nous sommes conscients qu'on est une jeune profession. Même probablement que certains d'entre vous, c'est peut-être la première fois que vous entendez parler de nous, et ça, on en est conscients. Mais il y a un travail encore à faire. Mais, règle générale, bon, premièrement, les jeunes avocats, je pense, ont compris, pour avoir travaillé avec nous, c'est quoi, notre formation. Ça fait que, tranquillement pas vite, la résistance diminue, et on est très optimistes que, dans les années à venir, cette résistance-là va disparaître.

Mme Brouillet (Lorraine): Dans des bureaux où les avocats y croient, naturellement, c'est sûr que, quand le stagiaire arrive puis qu'il a déjà cette idée-là et cette culture en tête, parce que les avocats qui sont là y croient, il arrive, puis il y a moins un conflit entre lui et nous autres, sauf que, naturellement, il y a des fois où il faut se battre et il faut l'expliquer.

Mme Durand (Jocelyne): C'est parce que, voyez-vous, c'est ça. C'est que tout dépend de la façon dont on y croit et dont on exploite le potentiel. Il y a des bureaux, on parlait du ratio de un sur 10. Ça représente à peu près le bon ratio.

Par contre, il y a des exceptions à ça. Qu'on prenne le bureau de Mme Brouillet ou de moi-même, nous, chez nous, on est deux avocats et il y a deux techniciens, une stagiaire technicienne et, quant à Mme Brouillet, pour une avocate, il y a deux techniciennes.

Donc, c'est que certains bureaux ont saisi l'importance. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais, règle générale, on constate que dans des grands bureaux d'avocats qui sont divisés par départements, ils peuvent compter sur l'aide des techniciens. Et, bon, les petits bureaux aussi y vont, mais il y a encore beaucoup, là, de travail à faire. Mais, règle générale, tranquillement pas vite, on est en train de faire notre marque à ce niveau-là.

M. Lefebvre: Vous parlez d'information, de consultation. Est-ce que c'est surtout à ce niveau-là que vous devriez être de plus en plus impliqués?

Mme Durand (Jocelyne): C'est un des domaines où on peut être de plus en plus impliqués, parce qu'il y a sûrement un travail... Au lieu que le téléphone, par exemple, soit tout de suite adressé à l'avocat, il n'y a rien qui empêcherait que le téléphone soit avant tout filtré, peut-être, par un technicien en droit. Il y a de l'information qu'on est capables, comme je le disais tout à l'heure, de donner sur le champ, alors que si...

Parce qu'il faut faire confiance aussi à notre sens des responsabilités. On sait qu'on ne doit pas donner des opinions juridiques, et, en aucun temps, les techniciens ne donnent une opinion juridique. Donc, si l'information, on la juge trop importante ou qu'elle n'est pas disponible et qu'on préfère en parler avec les avocats, il est bien sûr qu'à ce moment-là, dans ces cas-là, il n'y a rien qui nous empêche de dire: Bien, écoutez, madame, monsieur, on s'informe et on vous rappelle, ou encore: Me Untel va vous rappeler. Alors, déjà là, je suis persuadée que ça déchargerait les avocats permanents.

Le Président (M. Parent): M. le ministre.

M. Lefebvre: Vous dites, entre autres, que c'est surtout au niveau des tâches de nature technique qu'on devrait évaluer, là, votre implication. Qu'est-ce que vous entendez par des «tâches de nature technique»?

Mme Durand (Jocelyne): Bien, c'est un peu, là, tout ce qu'on disait, soit la recherche de...

M. Lefebvre: La recherche?

Mme Durand (Jocelyne): La recherche, les procédures. Voyons, si on parle du criminel, le fait que la preuve soit bien préparée, analyser les faits.

Mme Brouillet voulait peut-être rajouter...

Mme Brouillet (Lorraine): Les listes de témoins, les requêtes, les défenses, les...

Mme Durand (Jocelyne): On peut facilement préparer beaucoup, beaucoup de projets, et je peux vous dire par expérience que lorsque les projets sont bien préparés, qu'un travail est bien fait derrière tout ça et que l'avocat, ce qu'il fait, c'est de s'assurer avec son technicien que le travail a été bien effectué, que les questions pertinentes sont posées, ça accélère de beaucoup le déroulement d'un dossier.

Je pense qu'il y a lieu, peut-être... c'est à ce niveau-là qu'il peut y avoir des différences. On a abordé la question de l'information. On va aussi beaucoup au niveau des bureaux d'aide juridique, au niveau civil. Je pense que, là, on aurait une très grande contribution qu'on pourrait apporter. À l'heure actuelle, à notre connaissance, tout ce qu'on a, c'est que ce sont des stagiaires en techniques juridiques qui font actuellement leur stage dans deux bureaux d'aide juridique. S'il y a une place où on doit aller, c'est certainement là. (11 h 50)

Je peux peut-être même me permettre de vous conter une anecdote pour vous prouver comment notre formation, on est bien formés et qu'on veut la mettre en pratique. Actuellement, il y a une stagiaire au bureau d'aide juridique de Montréal au criminel. Et, comme on le mentionnait tout à l'heure, plusieurs de ces techniciens-là, malheureusement, sont confinés à compléter des demandes d'aide juridique. La stagiaire en question se retrouve dans ce contexte-là où, pendant ses 15 semaines de stage, on lui a donné ça. Eh bien, la stagiaire en question, qui ne possède aucune année d'expérience, a porté plainte en voulant dire: Eh bien, j'ai été formée pendant trois ans, je ne peux pas croire que c'est ça, ce qui m'attend dans l'avenir. Et cette personne-là, vu les tâches qui lui ont été confiées... En tout cas, on ne sait pas ce qui va arriver un peu avec elle, elle va peut-être changer de stage, en tout cas, ça, c'est de la spéculation, mais c'est un peu pour vous montrer que notre formation nous appelle à effectuer beaucoup, beaucoup de tâches, beaucoup plus que ce qui est fait actuellement.

Mme Brouillet (Lorraine): C'est un travail d'équipe qui est à développer avec les avocats.

Mme Durand (Jocelyne): Parce que, dans le secteur privé, ça fonctionne en travail d'équipe. Et il se développe des relations aussi avec les avocats avec lesquels on travaille. Il y a une certaine complicité. Il y a des atomes crochus à un moment donné dans tout ça. Bon. On connaît la méthode de travail, on sait que tel avocat préfère travailler de telle façon, avec des mémos. Ça, c'est l'expérience de travail qui fait en sorte qu'on se débrouille très bien dans ce contexte-là. Et on a été formés à se débrouiller dans ce contexte-là.

M. Lefebvre: Merci, Mme Durand. M. le Président, Mme la députée de Terrebonne, s'il y a lieu.

Le Président (M. Parent): II y a toujours lieu, M. le Président. Alors, je reconnais la porte-parole de l'Opposition officielle, Mme la députée de Terre-bonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Parent): Mme la députée, la parole est à vous pour 20 minutes.

Mme Caron: Merci beaucoup. Il y a toujours lieu, c'est un droit. Alors, merci beaucoup d'être présentes parmi nous ce matin, Mme Durand, Mme Brouillet, Mme Groleau et Mme Longpré. J'ai un seul regret, dans le fond, c'est que nous vous entendions après le groupe précédent. J'aurais aimé qu'on inverse. Ça aurait pu être plus intéressant aussi au niveau de nos questions, tantôt. Ce n'est pas grave, on va aller quand même questionner pareil.

Est-ce que, parmi vos membres — et je suppose — il y a une majorité, une grande majorité de femmes?

Mme Durand (Jocelyne): Oui, c'est la majorité. C'est la majorité. Je pourrais même vous dire les statistiques: sur nos membres, on a 19 % d'hommes et 81 % de femmes; ce qui est à peu près représentatif de la réalité des techniciens sur le marché.

Mme Brouillet (Lorraine): La plupart des personnes de sexe masculin qui suivent le cours en techniques juridiques se dirigent vers les huissiers. C'est pour ça qu'ils ne restent pas comme techniciens en droit et qu'on ne les a pas comme membres. Ils suivent le cours dans le but de devenir huissiers parce qu'ils n'ont plus le choix.

Mme Durand (Jocelyne): Et, malheureusement aussi, ce qui nous nuit un peu c'est que, souvent, les gens ont confondu technicien juridique, secrétaire juridique. Alors, quand vient le temps de faire un choix en

secondaire V: Ah! Je ne veux pas devenir secrétaire juridique. Faute d'information. Donc, c'est pour ça, en plus, qu'on retrouve une plus grande partie de femmes dans notre métier.

Mme Caron: Vous avez parlé un petit peu de certaines tensions qui pouvaient exister quant à l'acceptation. Je pense que ce que vous vivez, ce n'est pas unique. Je suis aussi porte-parole de l'Opposition officielle pour les lois professionnelles, et je vous assure que dans n'importe quelle profession on retrouve toujours ces tensions. Et j'oserais peut-être même dire qu'on les retrouve encore plus souvent lorsqu'un groupe est particulièrement représenté, lorsqu'il y a surtout des femmes. Et je donne l'exemple: dentiste, hygiéniste dentaire. Les batailles sont épiques, et c'est plus long, disons. Mais ça, c'est un peu partout. C'est de même dans le système parlementaire. C'est partout. Alors, nous avons à continuer le travail. Ce n'est pas seulement le 8 mars que nous avons à nous rappeler qu'il faut continuer à faire notre place.

Moi, j'aimerais vous questionner sur un point que vous n'avez pas abordé et je voudrais qu'on aille un petit peu plus à fond là-dessus. Dans votre mémoire, vous avez parlé de l'importance des cliniques juridiques communautaires, de l'importance d'en implanter. C'est sûr qu'en 20 minutes vous n'avez pas eu le temps d'aborder tous les points, je comprends bien ça. Et, dans vos recommandations, vous avez deux recommandations, et j'aimerais clarifier sur ces deux recommandations-là. La recommandation 6, c'est de favoriser l'implantation de cliniques d'aide juridique et l'embauche de techniciens en droit pour y travailler, évidemment. Et, le point 2, de modifier la manière dont sont dispensés les services afin de prévoir deux volets distinc-tifs: l'un, qui a plus pour fonction d'assurer la représentation des bénéficiaires devant les tribunaux, et l'autre, qui est plus de conseiller, d'informer, d'assister.

Est-ce que vous pensez qu'il serait bénéfique de séparer complètement les deux volets? Mais vraiment les séparer complètement, c'est-à-dire d'avoir des cliniques juridiques, des cliniques d'aide juridique où on aurait tout le volet prévention, information, conseil, etc., qu'on retrouverait dans les cliniques. Et l'autre volet qu'on retrouverait dans les bureaux d'aide juridique qui serait uniquement là où vraiment les bénéficiaires sont éligibles et qu'on a des causes à défendre.

Mme Durand (Jocelyne): Par rapport à ça, je pense, ce qu'il est important de noter c'est que, souvent, c'est confus. On mélange un besoin juridique avec un besoin d'information. Donc, le fait d'implanter des cliniques juridiques pourrait permettre de distinguer ces deux volets, de façon, peut-être, à libérer adéquatement les avocats pour qu'ils puissent se consacrer vraiment aux besoins juridiques, au stade où, finalement, la personne a reçu sa mise en demeure, ce n'est plus du «niaisage» d'information. Il faut que ça accélère le dossier. Donc, ça permettrait peut-être, à ce moment-là, d'être plus clair dans l'esprit des gens.

Donc, pour nous, à ce moment-là, l'implantation de cliniques juridiques devient importante, parce que, comme l'intervenant qui est passé juste avant nous l'a très bien mentionné, ils ont beaucoup de demandes qui sont des demandes d'information. Donc, je pense que l'implantation de cliniques juridiques pourrait répondre à ce besoin-là.

Les cliniques juridiques aussi, pour s'être un petit peu informés de ce qui se passe ailleurs, c'est, entre autres, pour répondre à des besoins d'une collectivité. Ça permet aussi, peut-être, une plus grande participation de la population. Donc, c'est vraiment pour répondre aux besoins d'une population d'une façon différente. Et je pense que c'est une alternative qu'il ne faut pas négliger.

Et si, justement — je me répète — ça peut permettre aux avocats d'être libérés, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas implanter des cliniques juridiques et, à ce moment-là, si c'est de l'information... Évidemment, il y aurait des avocats dans ces cliniques-là. Je vois peut-être du monde un peu paniquer. Ne soyez pas sur la panique. On en veut partout des avocats. Sauf qu'il y a tout de même beaucoup de travail qui pourrait être effectué par les techniciens, initialement.

Il s'agit, je pense, de bien définir le champ de chacun. On remarque, par exemple, on a l'article 283 de la Loi sur la fonction publique qui détermine les fonctions des techniciens en droit. Donc, si ça peut rassurer des gens, si les gens sont un peu inquiets de notre intervention, on pourrait peut-être prévoir mieux les tâches d'un technicien dans, par exemple, les cliniques juridiques.

Donc, à ce niveau-là, c'est un peu notre position par rapport à ça, et ça répond, à ce moment-là, à l'effet de séparer les deux volets. Parce qu'on considère que ça permettrait une plus grande implication de notre part et ça sécuriserait peut-être les avocats. C'est sûr qu'il y a beaucoup de travail pour implanter ça. Si c'est le cas, on aimerait bien peut-être être consultés pour pouvoir vous donner certaines recommandations. Ce sont peut-être des structures à mettre en place. Il faut peut-être vraiment bien comprendre comment le technicien travaille avec l'avocat. Mais c'est faisable et c'est dans le domaine du possible.

Mme Caron: J'avais une question tantôt, suite à l'intervention de Mme Brouillet, et je voudrais vous faire clarifier. Dans certains bureaux d'aide juridique, il y a des techniciens qui sont là et qui définissent s'il y a admissibilité ou non d'une personne qui vient se présenter pour recevoir de l'aide juridique. Donc, évidemment, je suppose que la personne, lorsque qu'elle définit s'il y a admissibilité, elle rencontre seule la personne. Il n'y a pas l'avocat à côté pour savoir si l'entrevue se passe bien. Moi, j'avais l'impression que le travail se faisait tout seul ou, quand on se parle d'information, que vous pouviez le faire aussi sans être en compagnie d'un

avocat. Et la réponse de Mme Brouillet, tantôt, au ministre qui disait: Non, on n'est jamais seul avec la personne, ça me faisait reposer la question. Parce que, par votre mémoire, moi, j'avais compris que vous pouviez faire l'information, vous pouviez répondre aux demandes d'admissibilité, tout ça, seuls, sans nécessairement une présence... (12 heures)

Mme Durand (Jocelyne): Ça dépend toujours du type de rencontre qu'on a avec le client. Moi, je peux vous dire, par mon expérience personnelle, j'en rencontre souvent seule, des clients. Quand il s'agit de faire signer les documents et d'expliquer comment j'ai constitué sa compagnie, je regrette, mais ça ne prend pas un avocat à 140 $ l'heure à côté pour faire ça et augmenter les frais de son dossier.

Donc, il y a des dossiers, eh oui, pour lesquels nous rencontrons seuls le client, au même titre que le client qui a compris que ça coûtait moins cher d'appeler la technicienne que d'appeler l'avocat va nous appeler directement. Alors, c'est tout simplement, je pense, de faire confiance au technicien, et on a un sens de responsabilité très développé à cet effet-là. Quand on n'est pas sûrs de notre coup ou quand ça dépasse notre juridiction, on arrête, et ce qu'on dit au client est très clair: On s'informe, on vous rappelle, ou on donne une parcelle d'information sous réserve de compléter plus tard.

Donc, oui, on en rencontre seuls, et il n'y a aucun problème avec ça dans la mesure où il n'y a pas d'opinions juridiques qui sont émises. Parce qu'il y a tout de même... il faudrait aussi comprendre que, lorsque l'avocat rencontre le client, ce n'est pas toujours pouf donner des opinions juridiques.

Il y a une partie des discussions qui sont, bon, sur les revenus, sur des faits, sur un historique du dossier. Bon. Ce qu'on appelle «éplucher le dossier», c'est ça. Où ça devient important que l'avocat intervienne, c'est souvent plus tard, quand c'est vraiment plutôt d'analyser le droit du dossier. Ce qui fait qu'il y a vraiment un travail d'épluchage de dossier qui peut vraiment être fait, et on peut le faire seul et au risque même, si, des fois, il y a des besoins, c'est immédiat, si le travail est bien structuré, il n'y a rien qui empêche qu'on se lève, qu'on aille voir l'avocat. Une question, à un moment donné, c'est une question d'efficacité et de produire. Il faut arrêter de s'enfarger dans les fleurs du tapis et prévoir comme il faut une bonne structure pour travailler en équipe.

Je ne sais pas si ça complète. Mme Brouillet veut peut-être compléter.

Mme Brouillet (Lorraine): Non, mais ça dépend juste du genre de pratique — c'est ça que je voulais dire — de la façon de procéder de l'avocat et du...

Une voix: C'est ça.

Mme Brouillet (Lorraine): C'est sûr que je fais des choses, mais c'est téléphonique. C'est au téléphone.

Mme Caron: O.K. J'ai vraiment une question sur l'organisation, là. Vous nous avez dit tantôt que, du côté des corporations régionales, il y a 12 techniciens, un technicien à la Commission des services juridiques et que, bon, sauf exception, trois où ça semblait fonctionner très bien. Ça fonctionnait moins bien ailleurs. Est-ce que vous avez entrepris des démarches auprès de la Commission des services juridiques devant ce fait-là, d'une non-reconnaissance, peut-être, des qualifications que vous aviez obtenues par vos diplômes? Est-ce que vous avez contacté certaines corporations régionales ou la Commission des services juridiques directement pour essayer d'améliorer la situation?

Le Président (M. Parent): Ayant obtenu le consentement des participants pour dépasser l'heure de midi, l'heure réglementaire, je vous reconnais, madame, pour répondre à la question de la porte-parole de l'Opposition.

Mme Durand (Jocelyne) La réponse est non, parce qu'en fait on a été sensibilisés à ça que lorsqu'on a vraiment décortiqué le problème. En l'analysant — de plus, il faut dire qu'on est chanceux, parce que, parmi nos membres, il y a des personnes de l'aide juridique. Parce que, le problème aussi, c'est que nos membres, malheureusement, bon, des fois on connaît certains problèmes, on peut intervenir, mais on est encore à ce stade-là. Donc, comme ça ne fait pas longtemps qu'on a été sensibilisés au problème et qu'on attendait probablement la commission parlementaire pour savoir ce qui se dégagerait de ça, on attendait un peu tout ça pour voir c'est quoi, les étapes subséquentes qui s'en viendraient à ça.

Probablement qu'on retiendra assez aisément ce que vous venez de dire, mais à l'heure actuelle, c'est non.

Mme Caron: Moi, je pense que...

Mme Durand (Jocelyne): Parce qu'en fait il ne faut pas oublier non plus qu'il y en a qui sont peut-être pas trop heureux, mais on en a tout de même qui sont heureuses, et, bon, c'est un peu dans ce contexte-là d'intervenir pour, bon, soit des comparaisons de travail... et c'est ça, mais il y a de l'ouvrage à faire, et je pense que ça va être fait dans les mois qui suivent.

Mme Caron: Je vous ouvrais la porte pour le faire.

Mme Durand (Jocelyne): Vous êtes d'une gentillesse!

Mme Caron: Sur les 13 techniciens qui sont dans les services d'aide juridique, il y en a combien qui sont membres chez vous? Est-ce que vous...

Mme Durand (Jocelyne): Ah, mon doux! Cinq, six environ.

Mme Caron: À peu près la moitié. Une voix: Six ou sept.

Mme Durand (Jocelyne): C'est à peu près ça. Parce que, en fait, c'est un peu le même problème qu'on rencontre. Bon. Il faut toujours prouver la crédibilité, on a de l'ouvrage à faire. Il y en a qui y croient. Souvent aussi, quand les emplois ne sont pas en jeu, il y en a beaucoup qui ne voient pas la pertinence d'un organisme professionnel, mais c'est une bonne moyenne. On a la moitié qui sont membres et qui travaillent activement.

Mme Caron: Est-ce que vous avez aussi — c'est vrai que votre association est jeune — entrepris des démarches afin d'être reconnus au niveau des corporations professionnelles?

Mme Durand (Jocelyne): On commence. En fait, c'est dommage, parce que, l'année passée, on a manqué un peu le bateau avec la commission sur...

Mme Caron: La réforme du Code des professions qui n'est toujours pas faite.

Mme Durand (Jocelyne): Exactement. Parce que, justement, c'est une association bénévole. On travaille toutes et, bon, le temps nous manque; les projets sont nombreux, mais le financement et le temps manquent un peu. Mais non, à ce niveau-là, on n'a rien entrepris, sauf que c'est un de nos buts. Est-ce que notre association va résulter dans cinq à six ans en une corporation professionnelle? On espère peut-être que oui. Il y a peut-être d'autres façons d'analyser le tout, pour peut-être réglementer la profession, justement parce qu'on les sent, ces craintes-là, et on en est conscients. Ce que le milieu juridique doit bien comprendre, que ce soit le Barreau ou les différents intervenants, c'est qu'on n'est pas contre eux, on veut travailler main dans la main et tout ce qu'on veut, c'est arriver à un terrain d'entente pour mieux définir les tâches respectives de chacun.

Alors, ce sera-t-il une corporation professionnelle? Ce sera-t-il par la voie d'une réglementation quelconque? Ce sera-t-il dans la Loi sur le Barreau, où on pourrait peut-être ajouter certaines dispositions qui nous toucheraient? On l'ignore encore, mais on y travaille fort parce que, justement, on sent que ce sera seulement par ça qu'on va pouvoir atteindre notre degré de satisfaction quant à l'utilisation de nos services, et, aussi, toutes les luttes qu'on doit mener par rapport à d'autres intervenants, que ce soient les paralégaux ou les adjoints juridiques qui s'approprient notre titre, etc., mais c'est un de nos projets.

Mme Brouillet (Lorraine): Le questionnaire de l'Office des corporations, c'est un questionnaire d'une quarantaine de pages. On l'a fait venir, on l'a lu à plusieurs reprises, on a essayé de le remplir à plusieurs reprises. Il y a énormément de questions très précises qui demandent plusieurs années d'existence pour être capables de répondre. Présentement, on est à peu près à la page 2 sur 40. Ça fait qu'il nous manque encore quelques années d'existence pour être capables de donner des statistiques qu'ils demandent puis de répondre à toutes leurs questions.

Mme Caron: Au niveau de la reconnaissance, il faut dire, et là je le dis à regret, que dans le domaine des lois professionnelles, il y a un certain élitisme entre certaines corporations professionnelles, et c'est évident que cet élitisme-là se retrouve encore plus lorsqu'il n'y a pas encore reconnaissance professionnelle. Et moi, je le déplore, parce que je pense que nous avons besoin de personnes qui ont une excellente formation, et ça, dans tous les domaines, pour arriver à offrir les meilleurs services possibles à la population.

Alors, moi, je vous remercie beaucoup de votre participation à nos travaux. Vous aviez raison de dire que votre mémoire était différent, mais il avait vraiment sa raison d'être. Merci.

Mme Durand (Jocelyne): Merci.

Le Président (M. Parent): Merci, madame. Je reconnais M. le ministre pour le mot de la fin.

M. Lefebvre: Alors, Mmes Durand, Brouillet, Longpré et Groleau. Mesdames, je vous remercie dans un premier temps de nous avoir soumis un mémoire qui touche un élément très précis, à savoir l'implication ou le sort de l'Association des techniciens en droit dans le système juridique, à toutes fins pratiques, dans tout le régime au Québec, pas seulement à l'aide juridique, mais également dans le monde judiciaire, dans le monde juridique. Alors, je l'ai dit tout à l'heure, mon premier commentaire, c'était que vous aviez l'occasion de nous sensibiliser à votre sort. Et, il me semble, il apparaît que vous avez une connaissance qui devrait être utilisée de la meilleure façon possible et qui est peut-être, au moment où on se parle, sous-utilisée. C'est l'impression qu'on a des commentaires que vous nous faites. Alors, merci beaucoup d'être venues nous rencontrer et d'avoir, Mme la présidente, particulièrement Mme Brouillet, là, expliqué plusieurs éléments de votre mémoire qui vont nous permettre de continuer notre réflexion. Je vous remercie beaucoup.

Mme Durand (Jocelyne): Merci.

Le Président (M. Parent): Merci, mesdames. Sur ce, la commission permanente des institutions suspend ses travaux jusqu'à cet après-midi, 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 10)

(Reprise à 15 h 41)

Le Président (M. Parent): J'invite les députés à prendre place. La commission parlementaire des institutions va reprendre ses travaux en accueillant comme premier groupe cet après-midi les représentants de la Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés inc. Le porte-parole, si mes informations sont justes, c'est Mme Rivka Augenfeld. C'est ça? Accompagnée de M. Jean-Paul Asselin et de M. Noël Saint-Pierre.

Mme Augenfeld (Rivka): Merci, M. le Président. Malheureusement, les deux personnes qui sont inscrites, qui devaient m'accompagner, ont été retenues, et j'ai demandé à Me Jean-François Goyette, qui, normalement, va comparaître avec le Conseil canadien pour les réfugiés, d'être à mes côtés, juste au cas où j'aurais des questions juridiques. Je vais essayer de procéder au nom de la Table de concertation.

Le Président (M. Parent): Parfait!

Alors, on s'excuse, madame, pour le retard que nous avons accusé à cause des travaux de l'Assemblée nationale. Alors, tous et chacun, nous allons faire un effort, de notre côté, sans négliger notre travail, pour tâcher de le faire avec le plus de célérité possible.

Alors, je vous écoute, et vous avez un maximum de 20 minutes pour présenter votre document. Si vous pouvez le faire dans moins de temps, étant donné que tout le monde l'a lu, j'imagine, ou je l'espère, libre à vous d'y aller et, après ça, on tâchera de faire en sorte que chacun ait la chance de s'exprimer. Nous vous écoutons, madame.

Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés inc.

Mme Augenfeld (Rivka): Merci, M. le Président, et merci de nous avoir accueillis ici.

La Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés est un regroupement d'à peu près 70 organismes membres qui inclut des organismes qui s'occupent de l'établissement des nouveaux arrivants, des réfugiés, des églises et d'autres institutions et organismes de la société qui s'occupent de la question des réfugiés et qui ont un intérêt pour cette question. La plupart de nos organismes travaillent d'une façon quotidienne avec une clientèle qui inclut les revendicateurs du statut de réfugié, les immigrants et des réfugiés sélectionnés à l'étranger.

Alors, vous avez reçu notre mémoire, et je ne veux pas le lire, mais je vais juste commenter certaines parties et, ensuite, vous présenter peut-être un peu comment nous voyons la situation. Dans toute cette question d'aide juridique, nous tenons à parler des conséquences pour les revendicateurs du statut de réfugié et certains autres types d'immigrants, si jamais l'aide juridique leur était enlevée.

Dans notre mémoire, évidemment, on parle de l'importance du maintien de la couverture du régime d'aide juridique, parce qu'il nous semble que, pour les revendicateurs du statut de réfugié qui arrivent au Canada, qui font face à une procédure très complexe, sans avocat et sans accès à l'aide juridique, les personnes ne pourront pas avoir accès à une vraie justice.

C'est vrai que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est un tribunal administratif, mais c'est très complexe comme procédure, et, si jamais une personne est refusée à cette Commission, le prochain recours, qui est à la Cour fédérale et que vous connaissez probablement mieux que moi... On ne peut pas procéder sans avocat. Alors, si le cas n'est pas présenté comme il faut, si le revendicateur de statut de réfugié qui arrive au Canada n'est pas préparé comme il faut, les conséquences peuvent être sérieuses et la personne peut être refoulée ou retournée dans une situation de danger à sa vie et à sa liberté.

Alors, nous croyons que pour un revendicateur qui arrive, pas toujours, mais très souvent démuni, qui arrive dans un nouveau pays où il doit pouvoir exercer ses droits et présenter sa demande dans un système qu'il connaît très peu, qu'il maîtrise très peu, l'importance d'un avocat et l'importance de l'aide juridique est primordiale.

Je voudrais vous dire que je ne vais pas m'attarder sur la question de la charte québécoise et de la charte canadienne. Je pense que vous avez entendu des arguments de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration et vous allez entendre d'autres arguments de Me Goyette tout à l'heure, dans la présentation du Conseil canadien pour les réfugiés. Mais, évidemment, on est solidaires de ces arguments-là, on croit fermement que la Charte canadienne des droits et la charte québécoise couvrent cette situation, et, si jamais l'aide juridique était retirée des revendicateurs de statut, ce serait contre les deux chartes; et il faut aussi se rappeler que le Canada étant signataire de la convention de Genève et d'autres conventions internationales de droits de la personne, pour chaque convention internationale que le Canada signe, les provinces sont d'accord, et puis ça veut dire que le Québec aussi fait partie de ces obligations internationales.

Déjà, les avocats qui travaillent avec les revendicateurs sont très peu payés. Déjà, même avec l'aide juridique, les tarifs actuels ne sont pas assez pour vraiment couvrir les heures et les heures de travail que ça prend pour bien préparer une cause, et surtout si un cas doit arriver jusqu'à la Cour fédérale, on sait d'avance que ça paie à peine le début du travail. Ça ne couvre pas du tout le travail que ça prend pour bien présenter un cas à la Cour fédérale.

Ce que je voudrais faire, M. le Président, c'est vous parler un petit moment de la vie d'un revendicateur qui arrive. On s'imagine parfois, et on l'a entendu souvent de personnes de bonne foi, que, si quelqu'un arrive et si la personne est réfugiée, que c'est très... ce n'est pas compliqué. On s'assoit, on raconte son histoire, et

puis c'est fini. Et c'est quoi le problème? Il y a beaucoup de problèmes.

Parfois, les plus vrais des vrais réfugiés — et ce n'est pas un terme que j'aime; on est soit réfugié ou pas — la personne la plus traumatisée, la personne qui était torturée, la personne qui était persécutée, qui est parfois démunie devant nos décideurs, ce n'est pas évident qu'on sait tout de suite comment parler devant les personnes d'une autre culture, qu'on sait comment raconter son histoire pour que ça soit compréhensible.

Notre système est conçu d'une certaine façon. On a des décideurs qui sont là pour écouter, on a une salle d'audience, parfois, qui est très intimidante, et il faut être préparé, il faut savoir, pouvoir raconter son histoire, préparer son histoire selon les normes de la convention, dans un certain ordre, dans une certaine logique.

Il faut imaginer, M. le Président, que, quand le revendicateur de statut arrive, il doit faire beaucoup de choses dans très peu de temps. On arrive, disons, à une porte d'entrée, on passe devant un agent d'immigration qui décide de la recevabilité de la demande. Il y a certains critères que je ne vais pas... je ne veux pas m'arrê-ter là-dessus, mais ce n'est pas automatique qu'on a le droit de faire une demande de refuge. Il faut passer par une étape de recevabilité. Pour le moment, la plupart des revendicateurs passent à cette étape. Mais il y a un rapport qui est fait à ce moment-là par un agent d'immigration, et, très souvent, certains des faits qui sont dans ce rapport que... le revendicateur doit passer tout seul avec un agent d'immigration, sans représentation. S'il y a des petites erreurs ou des questions qui n'étaient pas claires, ça peut porter préjudice à la crédibilité de la personne plus tard.

Ensuite, le revendicateur reçoit une trousse des mains de cet agent d'immigration, une trousse préparée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La personne doit, dans les prochaines semaines, faire plusieurs choses. Elle doit, dans les 21 jours, faire un examen médical; elle doit, dans les 28 jours, préparer un formulaire de renseignements personnels, FRP, qui est très complexe et sur lequel va se baser sa demande. Ce formulaire a beaucoup de pages, les questions sont compliquées, et on conseille fortement au revendicateur de ne pas compléter ce formulaire tout seul, mais de le préparer avec l'aide de son avocat.

Alors, dans ces premières semaines, la personne doit se trouver un avocat. Elle doit en même temps se trouver où habiter, parce qu'on ne peut pas faire ça pendant qu'on est dans la rue. (15 h 50)

Alors, le revendicateur qui est démuni doit, après avoir eu son premier papier du gouvernement fédéral, qu'on appelle l'«avis de revendication», aller se mettre dans une queue au ministère de l'Immigration du Québec pour recevoir un autre papier, qui s'appelle l'«attestation d'identité». Ensuite, avec ce papier, si elle est démunie, il faut convaincre quelqu'un qu'elle a besoin d'un hébergement; si elle est chanceuse, la per- sonne est envoyée au YMCA, à Montréal. Ensuite, elle doit aller au bureau du bien-être social pour avoir de quoi vivre. En même temps, elle doit commencer à essayer de se trouver un logement parce que, dès qu'elle va recevoir son chèque de bien-être, le lendemain, il faut qu'elle quitte le YMCA, il faut qu'elle ait un logement. Mais imaginons que la personne, même si, dans ces situations pénibles, elle se trouve un logement, elle n'a pas de meubles, elle n'a rien du tout. En même temps, elle cherche un avocat, elle essaie de préparer sa cause et elle espère aussi, cette personne, trouver un organisme qui va un peu l'encadrer et l'appuyer dans sa demande.

Évidemment, la personne, si elle n'a pas d'aide juridique disponible, elle va essayer de chercher quelqu'un pour l'aider pareil. Quand sa vie est en cause, on fait ce qu'il faut faire. Alors, où la personne prendra-t-elle l'argent pour payer un avocat? Ce n'est pas évident. Peut-être qu'elle va s'endetter, peut-être qu'elle ne mangera pas, peut-être qu'elle ne dormira pas, ce n'est pas clair, mais elle va... Le point central de son existence, c'est de faire passer sa revendication de statut de réfugié, sans ça, il n'y a rien d'autre qui va se passer dans sa vie. Alors, si elle ne peut pas avoir une représentation adéquate, elle est déjà... disons qu'il y a une situation extrêmement douloureuse.

Dans notre mémoire, qui a été écrit au mois de décembre, on vous a dit que les revendicateurs n'ont pas le droit de travailler. Depuis le mois de février, M. Sergio Marchi, le ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, a changé le règlement, et maintenant, c'est vrai que les revendicateurs ont le droit de travailler, mais, M. le Président, c'est seulement quand l'examen médical est fini. Ça veut dire qu'il faut faire sa visite médicale, il faut que ce soit envoyé à Santé Canada et il faut que le résultat revienne.

Entre-temps, on arrive aux 28 jours où la demande de revendication doit être prête pour la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Si on dépasse les 28 jours, il y a des conséquences. La Commission peut décider de procéder à un désistement. Alors, dans ces premières quatre semaines, la personne doit pouvoir préparer sa demande.

Ensuite, il faut se présenter à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Évidemment, il faut être accompagné d'un avocat. Sinon, c'est vrai qu'il y a certains consultants en immigration qui sont là, dans les parages, il y a des gens qui tombent dans les mains de certains consultants et, pour nous, c'est une situation assez malheureuse, il y a des consultants qui abusent de leurs clients. Il y en a qui sont corrects, mais il y en a... Et, si jamais on veut... Il n'y a aucune instance à laquelle on puisse se plaindre d'un consultant non scrupuleux. Si jamais il y a un avocat qui ne se comporte pas exactement comme il faut, il y a quand même un Barreau, il y a un code de déontologie, on a des recours. Ce n'est pas facile de se plaindre quand on est dans une situation précaire, mais, au moins, il y a théoriquement un recours. Pour les consultants, il n'y a

aucun recours. On a déjà vécu une période de consultants non scrupuleux. Il y avait déjà des rapports, il y a 10ans et plus, sur les consultants non scrupuleux; on ne voudrait pas revenir à cette ère à laquelle on croyait avoir déjà survécu.

Alors, si le revendicateur passe bien à la CSR, sa demande est acceptée et il peut procéder à une demande de résidence permanente. Si jamais c'est refusé, 11 a seulement 15 jours pour aller demander une permission d'aller en appel à la cour fédérale. et, là aussi, plus tard, me goyette peut vous l'expliquer, si vous le désirez. mais, sans avocat, on ne peut pas procéder à la cour fédérale, même si, théoriquement, à la csr, on peut procéder, on ne peut pas le faire à la cour fédérale. et, si jamais le cas n'est pas bien présenté à la csr, c'est difficile de trouver un recours, parce que, à la cour fédérale, ce n'est pas un vrai appel sur le contenu, c'est seulement un appel sur les points de droit, des questions de droit et s'il y a des erreurs de droit. alors, la seule chance que le revendicateur a, c'est à la csr, c'est là où il faut prouver s'il est réfugié ou pas, et la bonne représentation est très, très, très importante.

Je voulais vous dire que, même si on ne parle pas dans notre mémoire de certains autres points, nous sommes solidaires avec d'autres groupes qui ont fait des représentations devant vous en ce qui concerne quatre points essentiels. On est pour la réactualisation des seuils d'admissibilité à l'aide juridique parce qu'on trouve aussi que les seuils sont très bas actuellement. On ne veut pas l'imposition de frais pour l'examen des demandes d'admissibilité. Ça aussi, on trouve une barrière à l'obtention de justice. On est pour le maintien de l'étendue de la couverture, évidemment, qui couvre les revendicateurs mais qui couvre aussi les immigrants qui ne sont pas encore citoyens canadiens, et on est pour le maintien d'un service public d'aide juridique.

C'est ironique, M. le Président, qu'en 1989, quand le système de revendication de statut de réfugié a changé d'une façon importante, ici, au Canada, l'aide juridique a mis sur pied un bureau spécialisé en immigration et ils ont retiré le droit à d'autres bureaux d'aide juridique de faire de l'immigration. Au début, en 1989, ces bureaux avaient très peu d'expérience, mais, avec les aimées, ils ont acquis une expérience intéressante pour, éventuellement, se faire couper complètement en 1992.

Alors, toute une expérience en immigration à l'aide juridique, dans les bureaux d'aide juridique, a été coupée. La seule possibilité pour les revendicateurs était les avocats en pratique privée. Il y en a un certain nombre qui ont une bonne expérience, qui sont très compétents et qui sont très dévoués et, M. le Président, qui travaillent beaucoup plus que les heures payées par les tarifs qu'ils reçoivent. Mais on craint beaucoup que, si jamais cette aide juridique est retirée, les revendicateurs de statut qui nous arrivent, qui cherchent un asile au Canada, qui sont protégés par la convention internationale, la convention de Genève, et envers qui on a un devoir légal et moral, n'auront pas la justice qui est leur droit.

Alors, je vais m'arrêter là pour permettre les questions.

Le Président (M. Parent): Je vous remercie, madame.

Je reconnais, dans un premier temps, M. le ministre de la Justice, comme premier intervenant.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président.

Alors, Mme Augenfeld, je vous remercie d'être présente cet après-midi pour nous commenter le mémoire que votre organisme a soumis à l'attention de la commission des institutions. C'est un document qui résume très, très bien la situation que vous nous avez expliquée dans les 20 minutes auxquelles vous aviez droit.

Vous avez probablement compris que, à l'occasion de la discussion que nous avons eue avec l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration, on avait abordé plusieurs points que vous avez repris vous-même, mais d'une façon un peu différente, sous l'angle de l'avocat, du travail de l'avocat.

Je voudrais, dans un premier temps, vous demander: Votre organisme, Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés inc., vous le décrivez comme étant un organisme qui travaille en collaboration avec près de 70, c'est-à-dire 69 organismes qui sont membres de la Table de concertation. Alors, j'aimerais que vous m'expliquiez comment ça fonctionne, c'est quoi la mécanique. C'est un regroupement, vous représentez un regroupement des 69 organismes?

Mme Augenfeld (Rivka): Oui, c'est ça. Il y a beaucoup d'organismes à Montréal et dans les environs — et aussi dans d'autres villes au Québec, mais nous, on s'occupe du Grand Montréal — qui travaillent directement avec les immigrants et les réfugiés, ça veut dire les organismes d'établissement qui reçoivent de nouveaux arrivants, qui aident à leur établissement; il y a d'autres groupes qui sont plus là pour la défense des droits, par exemple, la Ligue des droits et libertés ou d'autres; il y a des groupes d'églises qui font du parrainage des réfugiés; il y a des groupes, des CLSC, qui n'ont peut-être pas comme première vocation les réfugiés mais qui ont un intérêt dans la question; il y a le YMCA, qui est membre de la Table, qui eux — vous connaissez tous le YMCA, je n'ai pas besoin de le décrire — ont un intérêt particulier mais qui hébergent les revendicateurs de statut et qui sont dans le dossier depuis l'arrivée des boat people dans le temps. (16 heures)

Juste pour reculer un petit moment, la Table de concertation est née en 1979, au moment de l'arrivée des boat people vietnamiens. Je pense que tout le monde se rappelle un peu de ce moment euphorique, ici au Québec et dans le Canada, où toute notre société s'est mise au parrainage et à l'accueil, à ouvrir bien leur coeur aux réfugiés. À ce moment-là, il s'est avéré un besoin de concertation, d'échange d'information et de

coopération pour recevoir tous ces réfugiés qui nous arrivaient. De là, on a trouvé que c'était intéressant et utile de travailler ensemble et on a décidé de continuer en concertation, mais en élargissant le mandat pour parler des réfugiés de n'importe où dans le monde. Ce n'était pas juste le Sud-Est asiatique, mais réfugiés.

Alors, on travaille en concertation. Chaque organisme garde son identité, évidemment, dans le travail quotidien. Nous avons aussi, pardon, des organismes complètement bénévoles: les groupes communautaires, les organismes de différentes communautés culturelles, tout le monde qui a un certain intérêt pour les réfugiés. La Table, elle-même, a un bureau qui reçoit des subventions du gouvernement du Québec, du multiculturalisme et d'autres. On a quelques personnes qui sont engagées, qui travaillent pour la Table et beaucoup de bénévoles. Et notre principale activité était toujours et continue d'être des réunions mensuelles qu'on organise, où on présente différents sujets d'intérêt commun où on essaie de se concerter sur des actions.

M. Lefebvre: Vous donnez de l'information...

Mme Augenfeld (Rivka): L'information, l'éducation sur les questions d'établissement, sur les questions de sélection de réfugiés à l'étranger et, évidemment, sur les questions de revendicateurs de statut. Et aussi, ce qu'on essaie de faire, dans notre possible, c'est un travail d'éducation du public. On se fait inviter à des conférences, à des colloques, à des sessions de formation et d'information pour parler de la question de réfugiés, immigration et sensibilisation interculturelle.

M. Lefebvre: J'ai omis, tout à l'heure, de saluer nos deux autres invités, Sr Langlais et Me Goyette, parce que je sais que, tout à l'heure, j'aurai l'occasion de le faire, mais j'en profite pour vous saluer immédiatement. Tout à l'heure, j'aurai l'occasion de m'adres-ser... Ou vous aurez l'occasion, au nom du conseil général pour les réfugiés, de faire votre exposé. J'en profite pour vous saluer, et on répétera la politesse, tout à l'heure, à nouveau.

Est-ce que, madame, vous avez, à l'occasion des réunions auxquelles vous faites référence, l'occasion de recevoir de l'information qui viendrait directement de permanents ou de personnel de l'aide juridique? Ou si ce sont... parce que j'imagine qu'à l'occasion il y a des avocats qui viennent discuter avec l'ensemble des organismes. Est-ce que vous avez eu l'occasion de recevoir la visite d'avocats permanents de l'aide juridique?

Mme Augenfeld (Rivka): On a déjà eu cette occasion dans le passé, mais, depuis un bon moment, il n'y a plus d'avocats de l'aide juridique.

M. Lefebvre: Non, avant 1992. Mme Augenfeld (Rivka): Pardon?

M. Lefebvre: Avant 1992.

Mme Augenfeld (Rivka): C'est ça. Il y avait le dernier... l'avocat qui faisait encore de l'immigration, qui travaillait à l'aide juridique, qui était Me Pierre Duquette, et était nommé récemment commissaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Alors, je pense que, depuis là, il n'y a plus d'avocats qui font vraiment de l'immigration. Peut-être qu'il y en a un ou deux, mais pas vraiment.

Mais, comme vous le dites bien, en 1992 on a coupé le bureau d'aide juridique. À l'époque, on a reçu du monde... on a essayé de travailler ensemble pour garder ces bureaux. Ça n'a pas marché.

Mais, évidemment, il faut dire que nos clients — disons les clients des organismes membres, dans différents types de recours — ont affaire avec l'aide juridique. Ça veut dire que, si jamais il y a des cas de parrainage, il y a des cas de famille, évidemment, il y a des cas, quand même, où les clients des organismes comme celui que représente Sr Lorette, par exemple, ont affaire avec l'aide juridique pour d'autres types de recours...

M. Lefebvre: Les organismes qui se retrouvent à l'intérieur ou autour de votre Table de concertation, est-ce que le travail que l'ensemble des organismes fait au niveau des revendicateurs de statut, est-ce que ça se fait surtout à la première étape? C'est-à-dire venir aider nos revendicateurs de statut lorsqu'ils arrivent ou si c'est... à cette étape-là, c'est aussi au niveau de la démarche devant la commission. Est-ce que c'est également après que le revendicateur ait reçu son statut? Où sont les interventions majeures des différents organismes que vous représentez, autrement dit, cet après-midi?

Mme Augenfeld (Rivka): Parce que, comme on a différents types d'organismes, je pense que c'est un peu partout dans le processus, mais évidemment, au tout début, c'est essentiel quand les gens arrivent, pour les guider dans leurs premiers pas, les guider aux services appropriés, de leur faire connaître leurs droits, de leur expliquer le processus dans lequel ils vont se retrouver.

Il faut vous dire, M. le député, qu'il n'y a pas... tout ce travail des organismes est complètement bénévole. Parce que, même les organismes qui sont subventionnés par le MCC, maintenant le MAICC, pour faire l'établissement des nouveaux arrivants, les revendicateurs de statut ne sont pas éligibles aux services, sauf un seul service. Ça veut dire, notamment, que les organismes d'établissement sont subventionnés pour référer les revendicateurs au logement.

Mais, depuis 1992, on a coupé l'éligibilité à d'autres services. Cela veut dire que tout ce qui est référence aux avocats, référence à l'école, référence à n'importe quoi, l'information sur toutes sortes de choses est complètement bénévole. Ce n'est pas couvert par le programme de subvention du ministère aux organismes d'établissement. C'est une chose qu'on essaie de rétablir, mais, pour le moment, on n'a pas encore réussi.

Les organismes font beaucoup de travail et ils se sentent un devoir moral d'accompagner le revendicateur dans toutes ses démarches. Ils sont là aussi si jamais les gens sont refusés, pour les aider avec leur demande humanitaire, mais c'est dur et c'est parfois très pénible quand les gens sont démunis et on ne sait pas comment les aider. Mais ce qu'on ne veut pas faire, c'est se substituer au rôle qui n'est pas le nôtre. On ne veut pas être les avocats et les conseillers juridiques de nos clients.

M. Lefebvre: Comment ça va avec les avocats? La collaboration est bonne?

Mme Augenfeld (Rivka): La collaboration avec un certain nombre d'avocats est très bonne. Il y a beaucoup d'avocats qui font un travail, comme je l'ai dit, un excellent travail et aussi au-delà des tarifs qu'ils reçoivent. Mais il faut dire aussi que les avocats, parfois aussi, à certains moments, on travaille ensemble, on se réfère des cas, mais pour le social, ils réfèrent leurs clients à nous. Mais c'est dur parfois, et moi, j'essaie personnellement d'encourager les intervenants des organismes à ne pas essayer d'être des avocats. C'est dangereux pour les clients. Ce n'est pas notre rôle. On n'est pas compétents pour le faire.

M. Lefebvre: Vous savez, lorsqu'on a reçu les avocats, de façon... il n'y a pas eu d'indication, selon ce que j'ai compris, selon, je pense, ce que les membres de la commission ont compris, que les avocats qui font de l'immigration, du droit de l'immigration, se considéraient, là, sous-payés, de façon... J'ai cru comprendre que les avocats qui font du droit de l'immigration se considèrent assez bien payés quant aux tarifs, et je le comprends un petit peu. Je vais vous donner quelques chiffres ici, sans vous nommer aucun avocat, des avocats qui font de l'aide juridique, probablement presque exclusivement, dans leur pratique. En 1991 et en 1992, il y a des avocats qui ont gagné des honoraires quand même relativement élevés de 138 000 $, de 136 000 $, de 134 000 $, de 129 000 $. Plusieurs avocats ont gagné au-delà de 100 000 $, et pas mal plus que 100 000 $, et c'est des honoraires, j'en suis convaincu, bien gagnés, là. Et je n'ai pas senti, je vous l'indique à titre d'information, madame, que les avocats qui font du droit de l'immigration sentaient qu'on doive intervenir au niveau du tarif. Je ne vous dis pas qu'ils ne seraient pas heureux là, mais ça n'a pas semblé faire l'objet, de leur côté, d'une revendication poussée. Merci, madame. M. le Président.

Mme Augenfeld (Rivka): Peut-être que Me Goyette pourrait répondre, s'il vous plaît.

M. Goyette (Jean-François): Avec votre permission.

M. Lefebvre: C'est parce que vous pourrez intervenir à l'occasion de votre propre présentation, tout à l'heure, Me Goyette.

M. Goyette (Jean-François): Oui. Je pourrai le faire plus tard, si vous le désirez.

Le Président (M. Parent): Je reconnais... M. le ministre, avez-vous terminé?

M. Lefebvre: Oui, oui, M. le Président.

Le Président (M. Parent): Mme la députée de Terrebonne et porte-parole de l'Opposition officielle.

Mme Caron: Merci, M. le Président.

Alors, bonjour Mme Augenfeld, Sr Langlais, Me Goyette. Bienvenue à nos travaux.

Je pense que l'existence de votre Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés est extrêmement importante, et vous l'avez bien exprimé dans vos commentaires, parce que, autant les réfugiés que les immigrants — parce que certains de vos organismes travaillent aussi auprès des immigrants — les besoins sont variés. Les besoins ne touchent pas spécifiquement les besoins juridiques, mais on parle aussi de besoins de logement, de besoins au niveau de l'éducation, au niveau de la santé. Donc, ça touche tous les aspects, là, de la vie des immigrants et des réfugiés. Donc, est-ce que vous avez avec vous ou vous pourriez nous faire parvenir — parce que vous regroupez quand même beaucoup d'organismes — une liste à jour de ces organismes que vous représentez, de l'ensemble des organismes, ce qui nous permettrait d'avoir une vision plus intéressante de l'ensemble des organismes que vous représentez? (16 h 10)

Mme Augenfeld (Rivka): Madame, j'ai avec moi une copie de notre rapport annuel de l'année dernière que je peux laisser ici. Je peux vous faire parvenir d'autres copies, si vous voulez. La liste est à jour jusqu'à mars dernier; depuis, on a eu d'autres membres. Dans notre mémoire, on a mis 69 organismes, et, depuis ce temps-là, il y en avait un nouveau. Alors, c'est pour ça que j'ai dit 70. On a tout le temps des demandes de nouveaux membres, ce qui est intéressant. Ça veut dire qu'il y a un besoin des organismes de se concerter, de se joindre à un regroupement pour travailler ensemble. Tout seul, on se sent très isolé. Il y a beaucoup de problèmes auxquels les groupes font face, et puis on se sent démuni, avec toute notre clientèle, si on n'est pas en réseau ensemble. Alors, avec plaisir, on pourrait vous faire parvenir la liste des membres et le rapport de nos activités.

Mme Caron: Je vous remercie. M. le Président, peut-être pour rafraîchir la mémoire du ministre, lorsque nous avons reçu en audience, mardi à 21 heures, l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration, Me Danielle Arpin, à une question du

ministre pour savoir s'ils étaient effectivement satisfaits des tarifs, puisqu'ils n'en avaient pas parlé au niveau de leur présentation, avait clairement exprimé que ce n'était pas l'endroit, qu'ils étaient venus pour défendre le maintien de l'aide juridique pour les réfugiés et que la négociation des tarifs n'était pas terminée, qu'ils étaient toujours en attente d'un renouvellement, qu'ils avaient vraiment l'intention de demander des changements au niveau des tarifs, mais que ce n'était pas le lieu pour le faire. Donc, ils avaient quand même manifesté qu'ils... ils n'avaient pas manifesté une grande satisfaction. Ils avaient indiqué...

M. Lefebvre: Je ne suis pas allé plus loin que de dire...

Mme Caron: ...qu'ils voulaient modifier.

M. Lefebvre: ...que j'avais senti que... pas plus que ça, là.

Mme Caron: Ah, il était très clair, il était très, très clair... Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Ha, ha, ha!

Mme Caron: ...si vous vous souvenez. Alors, je voudrais revenir sur un élément qu'on a entendu dans votre présentation et qu'on retrouve aussi dans votre mémoire. Dans votre mémoire, vous nous indiquez, en page 2, que, si on réduisait la couverture du régime d'aide juridique pour y exclure les services d'immigration, ça pourrait signifier que le requérant du statut de réfugié se sentirait faussement mieux représenté par un conseiller possiblement malhonnête pour décider de son sort, qui est souvent une question de vie ou de mort, et ça, c'est bien vrai.

Dans vos propos, vous avez parlé aussi de, parfois, certains consultants qui pouvaient abuser, et je pense que c'est une préoccupation que j'ai sentie aussi de l'Association québécoise des avocats et des avocates. Est-ce que la situation qui a... et vous avez fait allusion aussi à la situation qui existait il y a quelques années. Ça ne semblait pas être tellement intéressant pour les réfugiés; il semblait y avoir... Est-ce qu'il y avait vraiment beaucoup de consultants qui abusaient, beaucoup de conseillers malhonnêtes? Est-ce que vous considérez que c'est encore la situation, même si ça s'est atténué, si on peut dire, qu'il y a beaucoup de personnes qui tentent d'exploiter cette situation-là des réfugiés?

Mme Augenfeld (Rivka): Je ne sais pas, peut-être beaucoup. Il y a trop de consultants, et, le problème, c'est qu'il y en a qui sont relativement honnêtes, je dirais, sauf qu'il y a une limite à ce qu'ils peuvent faire. Si un consultant, même si un consultant défend d'une façon honnête un client à la CSR, si jamais la personne est refusée, elle ne peut pas procéder avec consultant à la Cour fédérale.

Et, effectivement, M. le ministre, à la Cour fédérale, on a tout le temps, comme organisme, on a tout le temps le problème que nos clients, quand ils cherchent un avocat pour la Cour fédérale, on se fait dire souvent: Ça ne paie pas, l'aide juridique, pour ce que ça fait comme travail pour présenter un cas comme il faut à la Cour fédérale. Alors, on le sent, parce qu'on a tout le temps cet écho, et, s'il y a certains avocats qui font du volume et qui font beaucoup de cas parce que c'est la seule... ce n'est pas avec ces avocats que nous, normalement, on traite. On a une banque d'avocats avec qui on est en lien, et puis on essaie de référer nos gens aux gens compétents.

Mais le problème avec ces consultants, c'est qu'il y en a de toutes sortes. Es sont connus dans le réseau. Malheureusement, il semble difficile de les amener devant les tribunaux et il semble difficile d'avoir les preuves nécessaires pour arriver comme il faut devant un tribunal, parce que, très souvent, les personnes qui sont les victimes de ces consultants ne sont pas dans une position de se sentir libres de faire une plainte, comme je l'ai dit tout à l'heure; ils sont très vulnérables.

On a vu, l'autre jour... finalement, il y a un consultant assez notoire ici qui s'est fait arrêter en France. Ce monsieur, maintenant qu'il est porté devant la justice, je peux le dire, est connu depuis des années, sauf que, semble-t-il, c'était très difficile et compliqué de faire quelque chose. Il y en a d'autres qu'on a vus. De temps en temps, il y en a un dont le nom surgit, qu'on arrive finalement... Mais, pour chacun qui est amené devant les tribunaux, il y a plusieurs autres qui circulent, qui font leur travail, qui cherchent des clients, qui envoient des rabatteurs au YMCA, au moment où les gens viennent d'arriver, parfois, et les gens sont très vulnérables. Au moins, avec un avocat, on a des recours, il y a un code, il y a un encadrement, et on ne voudrait pas retourner à une époque sauvage.

Mme Caron: Oui, M. le Président. Et c'est sûrement ce qui est difficile. C'est que, finalement, ces gens-là développent des habiletés aussi et ils n'attendent pas que les réfugiés aient eu l'information pour leur dire de faire attention à certaines personnes. Ils doivent développer aussi une certaine facilité d'aller chercher des clients et d'agir.

Toujours dans le même ordre, vous nous avez parlé que, du côté des avocats, il y a une possibilité de recours, une possibilité théorique. Et j'ai bien apprécié que vous spécifiiez le mot, parce que c'est loin d'être évident, pour la personne qui arrive ici, d'abord, qu'elle connaît notre système de plaintes, du Code des professions, ni qu'elle souhaite l'utiliser. Parce qu'on sait très bien que, au Québec, beaucoup de citoyens puis de citoyennes hésitent à déposer des plaintes, et ça doit être encore à plus forte raison, je pense, du côté des réfugiés, d'utiliser ce système de plaintes là... Vous le disiez vous-même, ce sont souvent des personnes extrêmement démunies, et non seulement démunies, mais souvent moins bien préparées que d'autres personnes pour exprimer

leurs besoins, puis tout ça. Donc, elles n'iront pas en plus essayer de déposer des plaintes dans un pays où elles veulent venir résider.

Donc, est-ce que, à votre connaissance, justement parce que certains considèrent que les tarifs ne sont pas suffisamment élevés et que les possibilités de plaintes, finalement, sont quand même assez réduites, des avocats — parce que ça se fait dans d'autres domaines que le domaine de l'immigration — qui ont des mandats d'aide juridique demandent aussi des sommes d'argent supplémentaires parce qu'ils considèrent justement que la tâche est plus grande que ce qu'on leur donne, comme des consultants le font, mais est-ce que, à votre connaissance, des avocats aussi le font?

Mme Augenfeld (Rivka): Alors, moi, je n'ai pas de clients ces jours-ci, et, à ma connaissance, je ne sais pas ce qui se passe. Mais, quand je sais combien d'heures ça prend pour préparer une cause et ce que ça paie, je me dis que, quelque part, il y a un problème, parce qu'on ne peut pas préparer une cause dans une heure ou deux. Juste s'asseoir avec un client et passer à travers le questionnaire, s'assurer que toutes les questions sont claires et, ensuite, la dernière question, la plus importante, qui est la base de la demande, ça prend des heures et des heures de travail, souvent avec interprète, parce que, n'oublions pas que l'avocat non plus ne parle pas la langue, souvent, du revendicateur ou de la revendicatrice.

Alors, il y a une question d'interprète, d'interprète qui peut bien traduire, interpréter, qui est convenable du point de vue... Parfois, si c'est une femme qui a besoin de me raconter une histoire terrible de torture ou de viol, ça prend souvent une interprète femme. Alors, il y a des heures et des heures de travail.

À ma connaissance, les avocats que je connais essaient de travailler avec ce qui est là, mais, je dirais, ce n'est pas un message qu'ils m'ont demandé d'amener ici; je le fais parce que je le sens. Moi, j'ai passé 17 ans en intervention. J'étais conseillère en immigration dans un organisme d'établissement, et je peux vous dire que, pour revenir à votre premier commentaire, je vais vous raconter... ce n'est pas une anecdote, parce que c'est un cas qui en illustre bien d'autres. (16 h 20)

Une jeune femme d'un certain pays, une jeune femme bien élevée et puis avec beaucoup d'éducation, avec un diplôme universitaire — ce qui n'est pas le cas, souvent, pour beaucoup de femmes réfugiées — qui a subi une histoire terrible dans son pays, de viol, torture, etc., qui arrivait ici et qui était vraiment dans un état émotionnel et psychologique très compliqué et qui a vu un avocat, le premier avocat qu'elle a vu qui, justement, essayait de l'amener à raconter une autre histoire parce que lui, l'avocat, trouvait que son histoire, pour lui, n'était pas assez bonne. Alors, il a essayé de la «coacher» dans une autre histoire. Elle, finalement, trouvait que ce n'était pas possible. Elle a quitté. Elle portait dans son coeur une rage contre cet avocat. On a réussi quand même à la référer à une avocate, une femme vraiment compétente qui l'a calmée, qui a préparé sa cause, sa vraie cause. Mais elle n'était pas capable, tout de suite, de porter plainte contre l'autre. Elle en parlait tout le temps. Elle n'oubliait pas ce type qu'elle trouvait... Comment il avait pu me faire ça? disait-elle. Mais c'est juste après que sa cause fut finie et qu'elle eut gagné qu'elle a été acceptée comme réfugiée. Et c'a pris encore plusieurs mois, et, ensuite, une fois qu'elle se sentait vraiment secure et qu'elle croyait vraiment qu'elle était là pour rester, c'est là qu'elle est allée porter plainte. Et c'était long.

Le Président (M. Parent):...

Mme Caron: Oui, M. le Président. Est-ce que vous considérez que les tarifs des interprètes... est-ce que ce sont des coûts qui sont très élevés, si on les compare aux tarifs des avocats?

Mme Augenfeld (Rivka): Mais je ne me sens pas compétente, parce que je ne connais pas quels sont actuellement les tarifs. Peut-être Me Goyette pourrait les commenter tout à l'heure.

Mme Caron: D'accord. On va la garder pour tantôt. Selon ce que vous en avez su, qu'est-ce qui justifiait finalement la fermeture du bureau d'aide juridique en 1992? Parce que vous l'avez dit vous-même, les gens avaient quand même développé une expertise extraordinaire. Bon, quand même... Ils avaient travaillé ensemble, ils avaient des connaissances qu'ils avaient partagées. Pour les réfugiés et puis pour les immigrants, c'était intéressant parce que le bureau était bien identifié. Donc, c'était beaucoup plus facile. Qu'est-ce qui justifiait cette fermeture-là?

Mme Augenfeld (Rivka): Je ne peux vraiment pas vous dire ce qui a vraiment justifié... Je sais qu'on pouvait dire qu'il y avait une coupure de x montant. Mais je pense que j'ai trouvé justement le communiqué, à l'époque, en 1972... pardon, en 1992, quand le bureau était fermé. Et il me semble, si on l'a calculé à l'époque, c'était que c'est vrai que, en fermant le bureau, il y aura une coupure de x montant. Mais les mêmes volumes de clients vus par la pratique privée allaient coûter plus. Mais le bureau allait être fermé. On pourrait dire: le bureau qui coûtait tant ne va plus coûter ça à l'aide juridique, à la structure, mais le coût pour... si on calculait les tarifs d'aide juridique des avocats en pratique privée qui allaient ramasser tous ces clients, selon notre calcul, ça allait être plus que ce qui était sauvé de l'autre côté.

Alors, je ne sais pas ce qui a vraiment justifié ça. C'était à une époque... c'était peu après le Sommet de la Justice, c'était après d'autres types de déclarations qui nous laissaient croire qu'on trouvait important de maintenir l'aide juridique, et il y avait une coupure.

Je ne peux pas vous dire, madame, ce qui était dans la tête des personnes qui ont pris cette décision.

Mme Caron: Le document de consultation qui a été déposé par le ministère a quand même donné beaucoup de mémoires, autant d'associations d'avocats en droit de l'immigration, votre Table de concertation. Dans les jours où nous aurons d'autres audiences, nous allons rencontrer plusieurs groupes. On a vraiment eu beaucoup de présentations de mémoires qui touchent les problèmes particuliers que vous avez soulevés. Et ça dénote sûrement que la lecture du document a inquiété beaucoup votre milieu, parce que, pour avoir réagi aussi fortement... Et donc, vous n'avez pas perçu que les questions qui étaient posées dans le document... Vous l'avez vu vraiment comme des hypothèses qui pouvaient vraiment se réaliser. Vous ne l'avez pas perçu uniquement comme un questionnement et qu'il n'y avait aucune inquiétude à y avoir pour les droits des réfugiés.

Mme Augenfeld (Rivka): Notre expérience, madame, nous montre que, quand on commence à se questionner sur certaines choses, ça indique qu'il y a certaines personnes qui voudraient couper. Alors, il faut évidemment venir à la défense de notre clientèle, qu'on trouve parmi d'autres clientèles qui vont être l'objet d'autres mémoires. Mais, si on regarde les revendicateurs de statut de réfugié, les personnes qui sont les plus vulnérables des vulnérables, dans le sens qu'elles arrivent ici en cherchant asile, les personnes qui arrivent pour nous demander la protection...

Et c'est une question de protection internationale à laquelle le Canada s'est soumis en signant la convention de Genève et à laquelle le Québec aussi est signataire, parce que le Québec est en accord avec toutes les conventions internationales que le Canada a signées.

Alors, il me semble que, si on dit qu'on a un droit d'asile et que les gens peuvent arriver et demander la protection, il faut leur donner les moyens pour avoir un vrai accès à notre système. Notre système est fait comme il est fait. C'est un tribunal administratif, mais très compliqué. Et c'est dans un cadre de la loi de l'immigration. Il y a une Cour fédérale qui suit. C'est très compliqué. On ne peut pas passer à travers ça tout seul.

Alors, ça prend des avocats. Ça prend des avocats compétents, et, si les gens sont démunis, ça prend l'aide juridique pour qu'ils aient un vrai accès à la justice. Sans ça...

Mais, pour revenir à votre question, pour nous, dès qu'on commence à questionner, il faut revenir avec les arguments pour, encore une fois... Parce que ce n'est pas la première fois qu'on en parle; en 1984, le gouvernement du Québec, à l'époque, dans une entente interministérielle, a pris charge de ces revendicateurs, a dit: II y a une obligation morale d'aider les revendicateurs. Même si, à l'époque, il y avait une question: Est-ce que c'est le fédéral ou le provincial qui doit payer? Ils ont dit — même si les ministres, à l'époque, croyaient que ça aurait dû être le fédéral: Mais vu que, eux, ils ne prennent pas la charge, nous, on a obligation. Alors, on revient aujourd'hui, ce n'est peut-être pas à la mode de parler de l'obligation morale, mais c'est ça, il faut en parler, c'est toujours notre obligation morale. Si c'était le cas en 1984, quand on a pris charge de tout ça, ça reste toujours pareil, il n'y a rien qui a changé.

On a acquis toute une expérience avec les revendicateurs, on voit c'est quoi, les réfugiés, on comprend mieux toute cette problématique, ce drame. On voit un peu ce qui se passe dans le monde. On voit que le nombre de réfugiés dans le monde ne cesse d'augmenter. Il y a une infime proportion de ces gens qui arrivent chez nous, il ne faut pas s'exciter non plus. Parfois, on essaie de faire croire au monde qu'on est en train de se faire envahir, ce n'est pas vrai. Il y a vraiment un pourcentage minimal qui arrive jusqu'à chez nous, et ceux qui arrivent chez nous ont le droit de protection, et on est là pour les défendre.

Si nous, les instances, que ce soit gouvernements, organismes et autres, ne les défendons pas, qui va les défendre? Et est-ce qu'on pourrait vraiment justifier le fait que même une seule personne serait retournée à une situation de danger? Je ne pense pas qu'on pourrait vivre avec ça sur la conscience. C'est pour ça qu'on est là pour les défendre, et, chaque fois qu'il y a même la possibilité qu'on enlève des droits à des gens, on est là pour dire: Ce n'est pas possible.

Mme Caron: Oui, et je pense que vous avez raison de souligner que, lorsqu'il y a coupure de subvention fédérale, parce que c'est ce qu'il y a eu aussi en 1992, il y a quand même la responsabilité du gouvernement du Québec, à ce moment-là, d'assurer quand même les services et de prendre la relève. Je pense que c'est important de le dire et c'est important de dire aussi que, au niveau des droits d'une personne, ce n'est pas juste une question de statistiques, même si c'est une seule personne, c'est une question de vie et c'est vrai qu'on ne peut pas passer à côté.

Alors, moi, je vous remercie beaucoup de votre participation à nos travaux. Vous avez bien présenté vos demandes, et je vous remercie beaucoup de votre participation.

Le Président (M. Parent): Alors, je vous remercie beaucoup, madame, de votre participation à notre commission parlementaire. Et, étant donné que nos invités sont déjà en place, nos invités suivants, nous allons immédiatement procéder à l'audition du Conseil canadien pour les réfugiés.

Alors, le porte-parole, on me dit que c'est Sr Lorette Langlais, avec Jean-François Goyette. Me Goyette ou Sr Langlais, qui est le porte-parole?

M. Goyette (Jean-François): Mme Langlais va présenter...

Le Président (M. Parent): Ma Soeur.

M. Goyette (Jean-François): ...commencer à présenter.

Conseil canadien pour les réfugiés (CCR)

Mme Langlais (Lorette): Bonjour, M. le Président. Je représente le Conseil canadien pour les réfugiés. Le Conseil canadien pour les réfugiés est une coalition pancanadienne regroupant environ 150 organismes non gouvernementaux à travers le Canada. Alors, il y a des organismes communautaires, des associations ethniques, des services sociaux, des regroupements d'avocats, des comités des églises et des centres de recherche.

Le Conseil canadien pour les réfugiés s'implique dans la défense et la promotion des droits des réfugiés au Canada et outre-mer et se préoccupe aussi des questions vouées à la sélection et à l'établissement des réfugiés. Le Conseil canadien existe depuis environ 17 ans. Il est une organisation sans but lucratif, avec une charte en vertu de la loi canadienne sur les compagnies. (16 h 30)

Dans ce cadre, le Conseil canadien pour les réfugiés s'intéresse, entre autres, aux questions ayant trait à l'accessibilité des services juridiques pour les personnes revendiquant le statut de réfugié au Canada. Et, lors de ses trois dernières conférences, l'assemblée plénière du CCR a adopté des résolutions ayant trait au maintien et à l'équité des services d'aide juridique dans les différentes provinces canadiennes. Vous en avez reçu copie dans les mémoires.

Alors, le CCR souhaite ardemment que l'accès aux services d'aide juridique soit maintenu à l'égard des personnes revendiquant le statut de réfugié sur le territoire québécois. Plusieurs arguments militent en faveur de cette prise de position. Comme nous l'avons déjà entendu, un revendicateur de statut de réfugié, c'est une personne qui fuit un pays à l'égard duquel elle allègue une crainte bien fondée de persécution. C'est une personne qui craint pour sa vie et pour laquelle il existe de sérieux risques d'atteinte à des droits fondamentaux tels que l'emprisonnement, la torture, l'exécution.

Alors, le système de détermination du statut de réfugié mis en place par le gouvernement fédéral prévoit la tenue d'une audience devant un tribunal administratif, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, où, à notre avis, la présence d'un avocat n'est pas uniquement souhaitable, mais nécessaire, surtout lorsque nous considérons les conséquences possibles d'une décision négative: le renvoi de cette personne dans le pays où elle craint la persécution. Et ce n'est pas une vision de l'esprit: dans l'organisme que je dirige, récemment, il y a eu des cas de Zaïroises qui ont été déportées, avec des conséquences très malheureuses. Alors, je pense que c'est très important qu'elle soient bien défendues.

Outre les conséquences possibles pour le revendicateur, plusieurs autres raisons militent en faveur du maintien de l'aide juridique, car il faut considérer la complexité de la Loi sur l'immigration et des règlements adoptés en vertu de celle-ci, de même que les règles de pratique adoptées par chacune des trois sections de la CISR. Ce secteur du droit a su développer au cours des années sa propre doctrine et sa propre jurisprudence, qui demeureraient inconnues pour un revendicateur ne pouvant avoir librement accès aux services d'un avocat. La définition de «réfugié», au sens de la convention de Genève, amène une complexité d'interprétation et d'application qui nécessite l'expertise d'un avocat. Et, outre la nécessité de recourir à l'expertise légale que représentent les avocats, les revendicateurs ont aussi besoin de l'expertise qu'ont développée ces mêmes avocats sur les conditions qui prévalent dans les pays d'origine.

De plus, la Loi sur l'immigration, dans son état actuel, reconnaît le droit des revendicateurs d'être représentés lors de leurs audiences, mais ne limite pas ce droit à la représentation aux seuls avocats, ce qui a mené à la présence de nombreux conseillers, souvent peu scrupuleux, pour représenter les revendicateurs, avec les conséquences que nous savons. Ce phénomène existe déjà à un moindre niveau, mais tout de même suffisamment pour que les organismes non gouvernementaux oeuvrant dans le domaine de la protection des réfugiés puissent se rendre compte des conséquences souvent néfastes d'une représentation pauvre ou inadéquate. Et nous tenons à faire remarquer que le Barreau du Québec a déjà donné des cours de formation pour ses membres sur le sujet particulier des revendicateurs du statut de réfugié. Dans ce même ordre d'idées, le Barreau est à même de sanctionner les membres à l'égard desquels il reçoit des plaintes si la représentation n'a pas été faite selon les règles de l'art, alors que le revendicateur représenté par un conseiller est laissé à lui-même.

Dans le cas d'une décision négative, la Loi sur l'immigration prévoit la possibilité pour le revendicateur de faire une demande de révision judiciaire devant la Cour fédérale du Canada, où, bien entendu, seuls les avocats sont habilités à représenter les personnes. Donc, l'élimination de l'aide juridique aurait pour effet, comme conséquence pratique, de virtuellement priver les personnes concernées des recours prévus à la loi.

Nous désirons aussi porter à votre attention la clientèle que constituent les revendicateurs du statut de réfugié. C'est une clientèle de gens démunis, qui souvent ont dû fuir leur pays dans des conditions difficiles et urgentes. Alors, durant tout le temps que dure le processus, le revendicateur est presque toujours un prestataire de l'aide sociale ou, s'il a un permis de travail, c'est souvent au salaire minimum. Alors, ils peuvent difficilement trouver le conseiller ou l'avocat qui puisse les défendre s'ils n'ont pas accès à l'aide juridique.

Finalement, il faut considérer les obligations internationales à l'endroit desquelles le Canada s'est engagé. En étant signataire de la convention de Genève sur les réfugiés et de son protocole, le Canada s'est engagé vis-à-vis de la communauté internationale à assurer la protection des personnes revendiquant le statut de réfugié sur son territoire. Eu égard au système de

reconnaissance du statut de réfugié que le Canada a choisi de mettre en place, la représentation légale des personnes concernées devient une facette importante du respect de ses engagements. D'autres conventions internationales peuvent aussi être invoquées au soutien de cette argumentation. Par exemple, la convention sur la torture, sur les enfants, la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il importe que le Canada, le Québec et toutes les provinces canadiennes soient conséquents avec les obligations découlant des engagements internationaux que nous avons contractés.

Alors, je vais passer la parole à Me Goyette pour terminer le mémoire.

Le Président (M. Parent): Me Goyette, nous vous écoutons.

M. Goyette (Jean-François): Oui, merci. Concernant le mémoire, il y a une autre partie qui porte sur l'accès équitable et dans laquelle le CCR mentionne, notamment, et fait un parallèle, si vous voulez, entre les personnes qui sont ni résidentes ni citoyennes au Canada et qui feraient face à des accusations au criminel. Je pense qu'il va de soi que cette personne-là ait droit à un conseiller, c'est-à-dire à une personne apte à la représenter devant les tribunaux judiciaires. Et le même parallèle, on le fait également pour les réfugiés, parce que ces personnes, comme on l'a souligné, sont des personnes dont la vie, la sécurité et la liberté sont en péril et sont donc des personnes, également, protégées par l'article 7 de la charte. C'est une particularité qui, à notre avis, nous semble des plus importantes et qui force, à notre avis, également les gouvernements concernés à faire en sorte que ces personnes soient valablement représentées.

J'aurais le goût de répondre tout de suite à certaines questions qui ont été posées et soulevées par le ministre de la Justice et également par madame — je ne me souviens plus de votre nom...

Le Président (M. Parent): Allez-y, là.

M. Goyette (Jean-François): Concernant... D'abord, je vais vous... Ça fait 13 ans que je suis avocat en immigration. Dans le milieu des avocats en immigration de pratique privée, c'est très vieux; je suis parmi les plus vieux avocats en immigration. Au début, lorsque j'ai commencé ma pratique, au début des années quatre-vingt, on était à peu près cinq à 10 avocats à Montréal qui faisions du droit de l'immigration. Aujourd'hui, il y a un bassin d'à peu près 150, 175 avocats en immigration.

À la question: Est-ce qu'on est satisfaits des tarifs d'aide juridique? je vous dirais un gros non. Je voudrais mettre des pancartes de 45 pieds de haut pour vous l'annoncer. Je pense qu'il n'y a aucun avocat qui peut décemment dire qu'il est payé, rétribué de façon équitable pour le travail qu'il fait. Je dois vous dire également que, dans le cas de représentations de clients comme telles, de réfugiés à travers tout le dédale des tribunaux, la partie où on présente notre compte d'aide juridique et où on est payé est probablement la partie la plus humiliante qu'un avocat ait à passer. Pourquoi? Parce que la plupart des avocats qui font du droit de l'immigration, en particulier pour les réfugiés, croient énormément. Il faut y croire de toute façon, parce que la clientèle qu'on représente, c'est une clientèle de personnes qui ne sont pas du tout appréciées, c'est-à-dire que, autant au niveau de l'immigration que des agents d'immigration, que même dans la presse en général, on dénigre les réfugiés pour toutes sortes de raisons qui n'ont rien à voir, souvent, avec la réalité. Et on présente un compte d'honoraires qui, souvent, représente de nombreuses heures de travail pour lesquelles on est rétribué pour à peu près... pour pas grand-chose, finalement. (16 h 40)

La deuxième chose — et c'est peut-être un peu choquant, mais je ne me choquerai pas là-dessus — lorsqu'on présente, lorsqu'on lance et... Du côté de la Commission des services juridiques, on a eu tendance à faire ce genre d'épandage d'avocats qui travaillent et qui gagnent 138 000 $, 130 000 $, 100 000 $, ces choses-là. Je dois vous dire que ça ne m'impressionne pas, ces chiffres-là.

M. Lefebvre: Je ne fais pas ça pour vous impressionner. C'est des chiffres que je donne.

M. Goyette (Jean-François): Oui.

M. Lefebvre: Je n'ai pas du tout l'intention de vous impressionner. Ce sont des chiffres, ce sont des faits.

M. Goyette (Jean-François): Oui, mais c'est des faits qui méritent une certaine interprétation.

Le Président (M. Parent): M. le ministre, nous allons laisser M. Goyette faire son intervention, et, après ça, tout le monde aura la chance de lui répondre. Mais il n'y a personne ici qui vous provoque, monsieur, et puis qui tient un discours de façon...

M. Goyette (Jean-François): D'accord.

Le Président (M. Parent): ...pour vous émouvoir, disons.

M. Goyette (Jean-François): Je dois vous dire que, personnellement, je ne fais plus de mandats d'aide juridique, ou à peu près plus, je me sens moins concerné. Et n'y voyez surtout aucune émotion si... Mais, quand je vous dis que...

Le Président (M. Parent): Allez, nous vous écoutons.

M. Goyette (Jean-François): ...je ne suis pas

impressionné... Je connais les avocats, en fait. Je pourrais probablement mettre des noms sur les personnes qui font ces... qui gagnent ces montants-là.

Ce qu'il faut vous dire, ce qu'il faut savoir également, c'est que, s'il y a des avocats qui gagnent 138 000 $, qui réussissent à faire 138 000 $, moi, j'en connais. Mon bureau de pratique privée comme tel, Goyette, Lanoue, Arpin, qui est un bureau de pratique privée de huit avocats en immigration essentiellement, il y en a là-dedans qui travaillent des heures épouvantables. Je veux dire, moi, j'arrive fréquemment à 8 h 15 le matin, puis il y en a qui sont au travail depuis 7 heures, des fois 6 h 45, et qui terminent souvent à 7 heures ou à 8 heures.

D'autre part, beaucoup d'avocats aussi, parmi ceux qui font plusieurs dossiers, ont des adjoints, ont des personnes qui remplissent certaines tâches dans l'accomplissement de leur mandat, soit des stagiaires ou d'autres personnes, une secrétaire supplémentaire. Alors, au bout du compte, lorsqu'on reçoit ces énormes montants de 138 000 $, il n'en reste pas tellement plus dans l'avocat qui pratique à ce niveau-là. Et je suis d'autant plus, ou d'autant moins impressionné que je pense que les avocats qui pratiquent en droit criminel... ceux qui sont les meilleurs ou les plus performants retirent beaucoup plus en droit criminel.

Ce qu'il faut également vous dire au sujet de ce qui se passe comme tel, je pense que l'aide juridique... Il y a une nécessité à l'heure actuelle d'avoir des avocats consciencieux et des avocats bien formés et également des avocats bien rémunérés pour pratiquer en droit de l'immigration, en particulier pour les réfugiés.

Le droit de l'immigration et le droit des réfugiés est un droit qui a connu, ces dernières années... qui s'est complexifié de façon exponentielle. Depuis l'époque où j'ai commencé, ce n'est plus le même droit. Il y a beaucoup d'avocats qui se sont spécialisés, je dirais même sur-spécialisés, soit dans des régions du monde, pour certains réfugiés, et dans le droit qui les concerne, soit en droit international, soit en droit des libertés, ces choses-là. Ce qui fait que les questions qui sont amenées devant les tribunaux comme la CISR et la Cour fédérale sont des questions de droit complexes qui méritent une attention soutenue et qui méritent aussi beaucoup de recherches.

Et, à ce niveau-là, si je pense... Je pense qu'on doit, à l'heure où on se parle... on doit faire... Les réfugiés qui revendiquent le statut de réfugié doivent, pratiquement obligatoirement, faire affaire avec un avocat s'ils veulent obtenir la meilleure chance possible pour obtenir le statut de réfugié.

Il serait également important de souligner que, à mon sens, c'est l'aspect le plus essentiel, finalement, de toute cette question de maintien de l'accès au service juridique. Je pense que l'alternative à considérer... c'est-à-dire que les personnes non résidentes ou les revendicateurs de statut de réfugié qui ne pourraient pas obtenir les services de l'aide juridique, à mon sens, ça m'apparaît comme étant une impossibilité. Ces gens-là sont totalement démunis. Ils arrivent ici et, s'ils n'ont pas accès à l'aide juridique, il faut qu'ils trouvent l'argent d'une manière ou d'une autre. Ça veut dire quoi? Ça veut dire qu'une mère de famille somalienne va se priver ou va priver ses enfants de lait ou ces choses-là pour pouvoir payer son avocat. C'est, je pense, inacceptable. Ça veut dire également que des personnes qui, autrement, se plieraient à toutes les lois, auraient ou pourraient éventuellement songer que la seule façon de s'en sortir, ce serait de se livrer à du vol à l'étalage ou des choses comme ça pour pouvoir survivre. Je pense que c'est inacceptable. Cette alternative-là ne permet pas, comme tel, de considérer autre chose que le maintien des services... l'étendue et le maintien des services juridiques. Merci.

Le Président (M. Parent): Merci, Sr Langlais, M. Goyette, je vous remercie beaucoup de votre exposé. Je reconnais maintenant le ministre. Je reconnaîtrai par la suite le porte-parole de l'Opposition officielle à l'intérieur des limites de temps qui ont été convenues. M. le ministre.

M. Lefebvre: Me Goyette, vous avez indiqué tout à l'heure, et on le savait déjà, qu'il y a plus ou moins 150 avocats, ou à peu près, qui font de la pratique presque essentiellement en droit de l'immigration. C'est ce que vous avez indiqué tout à l'heure, et vous avez dit qu'il y a... Parce que vous en faites, du droit de l'immigration, depuis environ 12, 13 ans. Vous avez indiqué, et je n'ai pas bien compris, combien il y avait d'avocats il y a 10, 12 ans. Il y en a 150 aujourd'hui; il y a 10, 12 ans, c'était à peu près le même nombre d'avocats?

M. Goyette (Jean-François): De cinq à 10 avocats.

M. Lefebvre: De cinq à 10?

M. Goyette (Jean-François): Oui. En 1980-1981.

M. Lefebvre: Quand vous avez commencé votre pratique, est-ce que, au début de votre pratique, vous avez immédiatement fait du droit d'immigration, vous?

M. Goyette (Jean-François): Oui.

M. Lefebvre: En parallèle avec d'autres pratiques, j'imagine.

M. Goyette (Jean-François): Oui, effectivement. Au début de ma pratique, l'immigration était une partie seulement de ma pratique.

M. Lefebvre: À l'époque, il y a 10, 12 ans, qui s'occupait de ces revendicateurs de statut de réfugié? À défaut d'avocats, parce qu'il n'y en avait à peu près pas, là. Vous me parlez d'une dizaine d'avocats.

M. Goyette (Jean-François): Oui. Il faut dire que, à l'époque aussi, le nombre de revendicateurs était...

M. Lefebvre: II y en avait moins.

M. Goyette (Jean-François): ...je pense, moins de 1000 pour tout le Canada, en...

M. Lefebvre: Madame, vous pouvez répondre, à droite. Il n'y a pas de...

Mme Augenfeld (Rivka): Bien, justement. On...

M. Lefebvre: Comment ça se passait, à l'époque?

Mme Augenfeld (Rivka): Bien, premièrement, à l'époque, on était dans un autre système, complètement, qu'on a presque oublié maintenant. On oublie vite. Il y avait un système qui était complètement différent. Il n'y avait pas de Commission de l'immigration et du statut de réfugié. C'est juste depuis 1989 qu'on a cette Commission. Les gens comparaissaient devant un officier supérieur d'immigration, où on faisait une déclaration, souvent accompagné ou peut-être pas accompagné d'un avocat. Il y avait une transcription de ce que la personne avait raconté et qui était ensuite corrigée. C'était pénible et long. Correction de la transcription, ensuite, il y avait un comité consultatif à Ottawa qui étudiait les transcriptions, et c'est souvent... et c'était une de nos grandes plaintes à l'époque, nous, je veux dire tout le réseau, c'était que la personne ne comparaissait pas devant les décideurs. Alors, c'était ce comité à Ottawa qui étudiait les transcriptions et décidait sur papier... qui ne décidait pas, excusez-moi, qui recommandait, c'était un comité consultatif qui avait un droit de recommander, et c'était finalement le ministre qui devait entériner.

Alors, tout un autre système, très inefficace et injuste en même temps. Ça traînait pendant des mois et ça accumulait un «backlog». Mais à l'époque, il n'y avait pas beaucoup de cas à travers le Canada parce que, originellement, M. le ministre, notre loi n'était pas conçue pour recevoir beaucoup de revendicateurs. Le Canada se considérait un pays d'établissement, et la loi ne prévoyait pas beaucoup de demandeurs d'asile. Je pense qu'on peut le dire, parce qu'il y a des fonctionnaires fédéraux qui vont encore vous le dire, à l'époque, la loi était conçue pour l'établissement des réfugiés sélectionnés. On ne voyait pas le Canada comme pays d'asile, parce qu'on n'avait pas de frontière avec des pays... Alors, très peu de revendicateurs. Mais, très vite, dans les années 1983-1984, il y avait une accumulation de plusieurs, ce qu'on appelle en bon français «backlogs». On n'a jamais trouvé le bon mot en français. On disait «arriérés», mais ce n'est pas le mot non plus. Alors, je pense qu'avec le temps il y a eu une accumulation de clients et de plus en plus d'avocats qui pratiquaient.

Le Président (M. Parent): M. le ministre.

M. Lefebvre: Me Goyette ou madame, j'aimerais que vous... Je veux vous rappeler, dans un premier temps, que le document que le ministère a soumis ou que le ministre Rémillard a soumis, c'est un document de réflexion. Ce n'est pas une opposition gouvernementale, je veux vous rassurer là-dessus. Et je l'ai dit à plusieurs reprises à à peu près tous les organismes qui se sont présentés et qui semblaient avoir une inquiétude là-dessus. C'est un document qui est le résumé de plein de réflexions qui ont été cueillies à l'intérieur de l'exercice du Sommet de la Justice, au moment où on a procédé à l'étude Macdonald, et tout ça. C'est un document de réflexion. (16 h 50)

Vous avez tous les deux indiqué, et vous l'avez indiqué à quelques reprises... Si, par hypothèse — c'est vous-même qui l'avez dit, ce n'est pas moi qui parle, là — ils n'avaient plus d'aide juridique, les revendicateurs de statut de réfugié seraient, à toutes fins pratiques, à la merci des rabatteurs. J'aimerais que vous me donniez quelques explications. De qui on parle, là? J'ai une petite idée là-dessus, mais de qui on parle? Parce que ça existe présentement, hein?

M. Goyette (Jean-François): Oui. Ça existe et c'est une plaie.

M. Lefebvre: Ces gens qui n'ont aucun scrupule à utiliser toutes sortes de méthodes et de moyens pour faire de l'argent sur le dos de ces gens-là. Je voudrais vous entendre là-dessus, Me Goyette, ou madame.

Mme Augenfeld (Rivka): Mais, M. le ministre, au moins, actuellement, comme organisme d'établissement, on peut dire à nos clients: Écoutez, vous n'êtes pas... On leur explique leurs droits, on leur explique qu'ils ont droit à un avocat et qu'ils ont...

M. Lefebvre: Mais, s'ils n'en avaient pas, par hypothèse, qu'est-ce qui arriverait? Je voudrais vous entendre là-dessus.

Mme Augenfeld (Rivka): On serait mal pris. On pourrait toujours leur dire: Vous avez droit à un avocat, mais vous devez le payer. Et ensuite... Et peut-être que quelqu'un arrive, qu'il convainc la personne que, lui, pour je ne sais pas combien, il fera une meilleure job. Les gens sont très vulnérables. Il y a des rabatteurs.

M. Lefebvre: Je suis conscient de ça, madame.

Mme Augenfeld (Rivka): Mais, vous savez, moi, je ne voudrais même pas connaître leur nom, aux rabatteurs, parce que ça me met dans une situation où je devrais faire rapport sur une personne qui ne sera pas amenée en justice, finalement.

M. Lefebvre: Me Goyette voulait ajouter quelque chose là-dessus.

Le Président (M. Parent): Je me dois ici de demander à M. Goyette, qui est le porte-parole officiel du Conseil canadien, s'il est d'accord avec les propos de madame.

M. Goyette (Jean-François): J'endosse les propos de madame.

Le Président (M. Parent): Oui, vous travaillez ensemble. Vous acceptez, d'ici à la fin, d'encore travailler ensemble?

M. Goyette (Jean-François): Tout à fait.

Le Président (M. Parent): Très bien. M. le ministre.

M. Lefebvre: Est-ce que vous souhaiteriez, Me Goyette, que, en matière d'immigration, nous revenions à la formule d'avant 1992, la formule du libre choix? Parce que, au moment où on se parle, depuis 1992, il n'y a plus de libre choix, à toutes fins pratiques. Il n'y a que des avocats de pratique privée, et c'a été un choix de la Commission des services juridiques. C'est dû à des décisions qui ont été prises. Est-ce que vous pensez, est-ce que vous croyez... De façon générale, tous les organismes qui sont venus devant nous nous indiquent que le libre choix du justiciable, en toute matière, est souhaitable. Avocats de pratique privée, c'est la position du Barreau, c'est également la position de l'association des permanents de l'aide juridique qu'on maintienne, qu'on permette la dualité de l'avocat permanent avec l'avocat de pratique privée. Est-ce que vous seriez d'accord si, par hypothèse, on revenait à la mise en place d'une structure d'avocats permanents pour des services d'immigration?

M. Goyette (Jean-François): J'ai toujours été pour une structure des avocats, c'est-à-dire d'un bureau spécialisé en immigration pour l'aide juridique.

M. Lefebvre: Parce que vous avez eu l'occasion de travailler avec eux autres, vous?

M. Goyette (Jean-François): J'ai eu l'occasion de travailler avec ces avocats-là, peut-être moins avec la direction; j'ai peut-être une autre opinion de la Commission des services juridiques. Mais, pour ce qui est des avocats des bureaux, je pense que c'a toujours été très agréable de travailler avec eux. Et ça me semble s'inscrire également... Puis là c'est l'ancien étudiant de sciences politiques qui vous parle. Lorsqu'on a fait le premier projet de loi sur l'aide juridique, par le ministre Choquette, on avait, dans un premier temps, dans le premier projet de loi, indiqué qu'on mettait l'emphase sur les cliniques juridiques comme telles. Et après, ce sont les centres communautaires qui sont apparus, les bureaux d'aide juridique sont devenus finalement ce que c'est aujourd'hui.

Mais un bureau d'aide juridique spécialisé en immigration m'apparaît une solution ou, si vous voulez, quelque chose qui m'apparaît important. À Toronto, ça existe. Il existe des cliniques spécialisées également. J'en connais également aux États-Unis, notamment à Cambridge, près de Boston, subventionnées par l'université Harvard. Et finalement, ce que ça a contribué à faire, c'est une ressource supplémentaire.

M. Lefebvre: Une ressource permanente.

M. Goyette (Jean-François): Permanente et supplémentaire, stable, qui permet, entre autres, d'assurer une meilleure protection des réfugiés. Et, à ce niveau-là, ça va bien.

M. Lefebvre: Je vous remercie.

M. Goyette (Jean-François): Si vous me permettez...

M. Lefebvre: Oui, allez-y.

M. Goyette (Jean-François): ...je voudrais répondre à votre question précédente concernant les rabatteurs. Personnellement, je trouve que c'est une plaie, parce que c'a presque toujours existé, en autant que je suis concerné.

M. Lefebvre: Oui. Pourriez-vous, Me Goyette, nous décrire le rabatteur type?

M. Goyette (Jean-François): Le rabatteur type provient du pays comme tel, est également un immigré qui vient du pays pour lequel il fait du rabattement. Alors, ça peut être des pays qu'on appelle «producteurs de réfugiés», et ces gens-là connaissent bien leur clientèle, connaissent bien leur concitoyens comme tels, ils savent leurs points faibles. Parce que, lorsqu'on parle de réfugiés ou de n'importe quel immigrant, on parle de personnes qui sont dans une situation démunie mais également difficile au niveau de la compréhension de ce qui se passe, des institutions, ces choses-là.

La plupart des pays producteurs de réfugiés sont des pays totalement corrompus et où les gens n'ont pas une attirance naturelle vis-à-vis des institutions ou une confiance naturelle. Donc, il est facile pour les rabatteurs, finalement, de leur dire: II ne faut pas avoir confiance. Avec moi, ça va fonctionner, et, si ce n'est pas avec moi, tu risques de te voir refusé. Donc, ils jouissent d'un certain avantage à ce niveau-là parce qu'ils sont sans scrupule et aussi parce qu'ils connaissent bien les gens et réussissent souvent à les amener dans l'appareil comme tel, à leur faire payer souvent des prix de fous. C'est des personnes contre lesquelles on ne peut

presque rien parce qu'elles ne sont pas couvertes par un code...

M. Lefebvre: Ds ont une influence énorme, évidemment, sur...

M. Goyette (Jean-François): Exactement. Le point sur lequel je veux vous amener, M. le ministre, et vous êtes probablement la personne la plus concernée, il y a quelques années, à l'époque où j'étais vice-président, et je le suis encore, de l'Association du Barreau canadien, section de l'immigration, on a demandé au ministre fédéral de l'Immigration d'amender la loi et de faire en sorte qu'on puisse, finalement, bannir des tribunaux administratifs fédéraux toute représentation qui ne serait pas celle d'un avocat dûment accrédité.

Or, je peux vous dire qu'il y a à peu près un an et demi, des gens du ministère de l'Immigration ont envoyé un projet de règlement, parce que la loi C-55 du projet de loi de l'Immigration prévoyait, à l'article 114v, qu'une telle chose puisse se faire, qu'un règlement, qu'un décret du gouverneur général en conseil puisse faire en sorte qu'on permette à ce que des avocats, et peut-être d'autres professions également, puissent être présents pour représenter. Sauf qu'au fédéral on m'a toujours dit que le ministre, entre autres, que les ministres des provinces ou les solliciteurs généraux n'ont pas tout à fait répondu, c'est-à-dire qu'on a consulté les provinces et, à ce qu'on m'a dit encore récemment, le ministre québécois n'avait pas encore répondu. Je dois vous dire que, ça, si on réussissait au moins à faire en sorte que les tribunaux administratifs fédéraux qui traitent du statut de réfugié bannissent les personnes qui peuvent conseiller comme tel, ça aiderait un peu aussi, nonobstant tout le processus...

M. Lefebvre: Merci. Je vous remercie, Me Goyette.

Le Président (M. Parent): Merci, M. Goyette. Je reconnais maintenant le porte-parole de l'Opposition officielle, Mme la députée de Terrebonne. Mme la députée.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, je pense que vous avez exprimé à peu près le même point de vue que le groupe précédent et que ceux qu'on a entendus à ce jour là-dessus. Le plus grand danger, finalement, c'est que, puisque la révision se fait à la Cour fédérale, et que cette révision-là, elle exige la présence d'un avocat, il y a un très grand danger si, au point de départ, le formulaire, qui est extrêmement complexe, est complété par le réfugié lui-même, qui risque d'indiquer certains éléments qui pourraient lui nuire, autant à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qu'en révision, et c'est aussi extrêmement dangereux qu'à la Commission, s'il n'y a pas un avocat avec lui, il nuise à sa cause et qu'il se retrouve finalement en révision et que, là, l'avocat soit quand même mal pris à cause des déclarations précédentes qui auront été faites. Le plus grand danger est vraiment là, si on n'a pas d'avocat tout au long de l'étape.

M. Goyette (Jean-François): II existe effectivement un grand danger. La tendance aussi, chez les personnes qui sont non avocats ou qui ne connaissent pas, c'est souvent, malheureusement, de fabriquer des histoires aussi. Et ça, je dois vous dire qu'une histoire fabriquée, c'est dur à rattraper après, d'autant plus dur à la Cour fédérale qu'on ne peut plus rien rattraper, en termes... comme tel.

Mme Caron: C'est même difficile pour le réfugié de s'en rappeler aussi.

M. Goyette (Jean-François): Oui, effectivement. Mais c'est définitivement... Il y a des écueils, à mon sens, épouvantables, finalement, à se servir des conseillers qui ne sont pas des avocats à ce niveau-là. (17 heures)

Mme Caron: Selon votre expertise, présentement, le pourcentage de personnes, de réfugiés qui, finalement, font confiance... qu'on les appelle, conseillers, consultants ou rabatteurs, le pourcentage de réfugiés qui font confiance à ces gens-là...

M. Goyette (Jean-François): moi, je dirais que probablement près de 90 %, 95 % des personnes qui revendiquent le statut de réfugié, qui passent à travers le processus, font affaire, font appel à un avocat, un conseiller juridique comme tel. le reste, des 10 %, il y en a peut-être 5 % qui y vont seuls et un autre 5 % qui utilisent des conseillers. mais, encore là, je dois vous donner... ma perception, c'est celle d'un avocat, je vois des avocats partout, alors...

Mme Caron: Est-ce que c'est en diminution, comparé à il y a quelques années?

M. Goyette (Jean-François): J'ai l'impression que c'est stable.

Mme Caron: C'est stable.

M. Goyette (Jean-François): Tant et aussi longtemps que l'aide juridique sera accessible, que ce sera un service gratuit, je pense qu'à ce niveau-là le nombre de personnes qui font affaire avec des avocats va rester le même.

Mme Caron: Avant de laisser la parole à mon collègue d'Anjou, je veux revenir à la question que j'avais posée tantôt au groupe précédent, soit les tarifs des interprètes. Est-ce que les tarifs sont très élevés? Parce qu'on s'est questionnés beaucoup, à la commission, sur les tarifs des différents experts, dans d'autres dossiers. Vous utilisez souvent des interprètes. Est-ce que les tarifs sont très élevés? Est-ce qu'il y aurait lieu d'avoir un tarif précis?

M. Goyette (Jean-François): Idéalement — c'est une opinion personnelle — j'ai l'impression qu'on devrait avoir un tarif précis, qui soit en accord aussi avec l'expertise. Il existe... il commence à y avoir une corporation des traducteurs interprètes ou d'interprètes traducteurs...

Mme Caron: Oui...

M. Goyette (Jean-François): J'ai l'impression qu'il faut faire affaire... parce que, là aussi, c'est un point important dans tout le processus, si on n'a pas des interprètes compétents, on va échapper plusieurs cas qui mériteraient d'obtenir un statut de réfugié.

Maintenant, pour ce qui est du tarif, ça arrive très souvent que les interprètes gagnent plus que les avocats comme tels, et, lorsqu'on fait affaire avec d'autres experts, que ce soit le psychologue, bien, là, c'est sûr et certain qu'ils gagnent plus que les avocats. Et pourtant, le nombre d'heures consacrées par un expert est moindre que celui de l'avocat qui prépare son dossier et qui va le plaider. Ça fait partie de ce que je disais, de l'humiliation, je dirais, à être avocat à ce niveau-là. C'est assez difficile, ce n'est pas aisé.

Mme Caron: Je vous remercie. On avait l'information, pour les experts. Je voulais vérifier s'il y avait lieu aussi, au niveau des interprètes... Ça répond à ma question. Alors, M. le Président, mon collègue d'Anjou.

Le Président (M. Gobé): Merci. Alors, M. le député d'Anjou, vous avez maintenant la parole. Combien de temps reste-t-il, madame? Dix minutes.

M. Bélanger: Merci. Malgré qu'on nous ait, tout à l'heure, distribué un organigramme, un genre d'organigramme qui représente le processus du traitement, finalement, de la demande d'un réfugié, je voulais savoir: Est-ce que, présentement, à toutes les étapes, il y a possibilité d'avoir l'aide juridique?

M. Goyette (Jean-François): Pas tout à fait, au début.

M. Bélanger: Au niveau de la détermination de la recevabilité de la demande par l'agent principal? C'est ça? Il n'y a pas de représentation à ce moment-là?

M. Goyette (Jean-François): Que je sache, non. Ce qu'on doit dire, c'est que, dans la pratique, la question de la recevabilité se pose rarement. La plupart des dossiers sont référés comme tels à la CISR. Donc, c'est administratif. On pose quatre questions, finalement, et on réfère le dossier. Je ne suis pas sûr qu'on pourrait avoir un mandat d'aide juridique si on voulait accompagner un client qui fait face à un agent d'immigration qui évalue la recevabilité.

M. Bélanger: Je vous pose cette question parce que, tout à l'heure, on parlait du premier document que doit remplir le réfugié pour que sa demande puisse être traitée. Moi, je me demandais, à ce moment-là: À partir du moment où il y a la détermination de la recevabilité de la demande, le document est déjà rempli? C'est ça? Le document a déjà été rempli ou le document est rempli après cette étape?

M. Goyette (Jean-François): C'est-à-dire, c'est à une étape ultérieure que le document est rempli. Cependant, il peut arriver, lorsque... Et là, il y a deux grands canaux, si vous voulez, c'est-à-dire ce qu'on appelle les points d'entrée, c'est-à-dire qu'il y a des examens faits par des agents d'immigration, et la tendance à l'heure actuelle, c'est qu'on utilise l'examen, ou, si vous voulez, les questions posées par l'agent examinateur au point d'entrée ou à l'intérieur, pour le déposer plus tard dans le dossier, ce qui mène à des situations quelquefois baroques. Si cette situation-là perdurait au niveau du processus, j'ai l'impression qu'il y aurait des pressions beaucoup plus grandes pour que les personnes soient accompagnées de leur avocat au niveau des points d'entrée, au niveau de cet examen-là.

M. Bélanger: Donc, si je comprends bien, c'est un peu comme un témoignage par affidavit de la première personne, du premier inspecteur? Est-ce que c'est ça un peu?

M. Goyette (Jean-François): Non. Lorsqu'on parle de l'examen, soit du point d'entrée ou à l'intérieur, ou de la détermination de la recevabilité, c'est un agent d'immigration qui, dans son bureau, a le revendicateur devant lui, peut poser... souvent, pose des questions qu'il juge appropriées, fait un rapport, et ce rapport-là va être — même pas sous affidavit — il va être déposé.

M. Bélanger: D'accord. Quelle est la force probante de ce rapport-là? Est-ce que ça a une certaine force probante importante?

M. Goyette (Jean-François): C'est une question de crédibilité. Je dois vous dire qu'à l'heure actuelle c'est contesté à l'intérieur de la CISR, qui est prise avec le problème. À ce que je sache, il n'y a pas encore de réponse claire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de ligne directrice concernant ces rapports-là. Il y a certains commissaires qui acceptent de recevoir ces rapports-là; ils leur donnent également une force probante. D'autres refusent de donner quelque poids que ce soit à ces rapports-là. C'est une situation qui est ambivalente à l'heure actuelle.

M. Bélanger: D'accord. Je sais que, présentement, au niveau des critères d'admissibilité, il y a une liste de pays où, automatiquement, je pense, en tout cas, prima facie, on se classe comme étant potentiellement un

revendicateur de statut de réfugié politique si on provient de ces pays-là, et si on provient, a contrario, d'autres pays, à ce moment-là, votre demande est presque automatiquement rejetée. Est-ce que c'est ce genre de critère là qui sert, à ce moment-là, à déclarer l'irrecevabilité d'une demande?

M. Goyette (Jean-François): Non. La recevabilité, celle dont on parle ici... il faut mentionner que, l'année dernière, il y a eu une réforme comme telle.

M. Bélanger: Oui.

M. Goyette (Jean-François): Avant, il y avait ce qu'on appelait le «minimum de fondement». On a appelé ça le «minimum de fondement», c'est-à-dire qu'un revendicateur avait le fardeau de démontrer qu'il y avait un minium de fondement à sa revendication. Certains revendicateurs qui venaient de certains pays très producteurs de réfugiés passaient très vite cette étape-là, et on posait à peine quelques questions. Si vous veniez d'un autre pays, bien là, on était moins susceptible de vous accorder ce minimum de fondement là. À l'heure actuelle, ce processus-là n'existe plus. Ce n'est plus le minimum de fondement, c'est la recevabilité. Et la recevabilité comme telle, par l'agent, l'agent pose des questions concernant la personne pour savoir si, par exemple, elle est une criminelle de guerre, si la personne a déjà la protection dans un autre pays que celui dont elle dit avoir la protection...

M. Bélanger: Ah oui! c'est un nouveau critère.

M. Goyette (Jean-François): ...craindre la persécution, et des choses comme ça. C'est des questions tout à fait restreintes par rapport, disons, à la revendication, et la plupart des revendicateurs passent cette étape rapidement, sans problème comme tel.

M. Bélanger: Donc, quelqu'un qui, je ne sais pas, ferait une demande de réfugié politique et qui aurait comme pays d'origine la Belgique, disons, ne serait pas automatiquement, au niveau de la recevabilité... ce ne serait pas un critère pour être automatiquement. ..

M. Goyette (Jean-François): Non, ce ne serait pas un critère.

M. Bélanger: Ce ne serait pas un critère. D'accord.

M. Goyette (Jean-François): Ce ne serait pas un critère.

M. Bélanger: Oui, je pense que vous voulez compléter.

Mme Augenfeld (Rivka): Justement, cette question de liste des pays était une grande question pendant le débat sur C-86. Je sais qu'il y a toujours une certaine volonté de la part du gouvernement d'amener une liste des pays dits «sûrs». Mais c'était plutôt l'idée que, si le revendicateur est passé par un pays, un tierce pays où il aurait pu faire une demande de refuge, et qui est signataire de la convention, on aurait retourné la personne dans ce pays en disant: On ne juge pas que c'est un réfugié ou pas, mais ce n'est pas notre rôle; c'est la responsabilité de l'autre pays. Jusqu'à date, on a réussi à ne pas avoir de liste de pays, mais c'est dans la loi et, à n'importe quel moment, si le Canada réussit à signer une entente réciproque avec un autre pays... Le pays qui nous concernait le plus, évidemment, c'était les États-Unis, si jamais on signe... Et il y a un brouillon d'entente avec les États-Unis qui était presque signé, mais arrêté par l'élection du président Clinton, et avec un changement de gouvernement aussi ici, au Canada. Mais c'est là ce qu'on appelle en anglais, c'est le «memorandum of understanding» qui est là et qui, vraiment... Il y a plusieurs fonctionnaires, on les a rencontrés, qui voulaient beaucoup signer cette entente. Alors, il se peut encore que ça nous arrive.

Le Président (M. Parent): Merci, madame. Monsieur.

M. Bélanger: Me Goyette, je n'ai pas connu, moi, le nouveau système, comme avocat, le nouveau système de traitement des demandes de réfugié politique, mais je me souviens que, sous l'ancien système, il y avait, disons, peu d'écrits, peu de documents qui étaient impliqués. C'étaient surtout des représentations et de l'assistance verbale. Est-ce que c'est encore le cas ou s'il y a de nombreuses procédures à rédiger de la part d'un avocat pour traiter un dossier de réfugié politique? (17 h 10)

M. Goyette (Jean-François): C'est devenu très, très procédurier. Quand je regarde rétrospectivement mes 13 années, à l'époque, au début, c'était un examen sous serment, c'est-à-dire qu'il y avait un micro, on enregistrait puis il y avait une transcription. Et là il a fallu remplir un... Et il y a des règles de plus en plus sévères et importantes au niveau de la CISR, au niveau de la présentation de la preuve, de la façon de le faire, ces choses-là. La CISR est le plus gros tribunal administratif au Canada, canadien, comme tel. C'est devenu très, très, très procédurier et il y a beaucoup, beaucoup de choses à connaître si on veut bien présenter un cas. On ne peut plus le faire comme avant, avec peu ou pas de choses. Il faut vraiment...

M. Bélanger: Je vous demande ça, parce que, à l'époque, je me souviens que, souvent, les avocats qui pratiquaient en immigration avaient une secrétaire pour quatre, cinq avocats. Alors, je me demandais si c'était encore la même chose.

M. Goyette (Jean-François): Je serais tenté de vous dire qu'il y a beaucoup d'avocats... à cause des tarifs, il y a beaucoup d'avocats qui sont eux-mêmes secrétaires comme tels, parce que le processus est très exigeant à ce niveau-là. C'est la même chose au niveau de la Cour fédérale. Et j'attire peut-être votre attention... je pense que ça m'apparaît important à ce niveau-là... il n'y a pas de paliers d'appel au niveau de la décision de la CISR. On réfléchit à l'heure actuelle, au fédéral, pour repenser le système afin de permettre un niveau d'appel. Mais à l'heure actuelle, tout ce qui existe, c'est le contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

Or, à la Cour fédérale, c'est vraiment un endroit où on ne peut pas fonctionner sans avocat, et les règles de pratique comme telles — et je mets au défi n'importe qui de me trouver un autre tribunal qui est plus exigeant... Même à l'intérieur de la Cour fédérale, les règles relatives à l'immigration sont très exigeantes. On a 30 jours pour produire un mémoire complet: transcription, affidavit et tout; ça peut varier de 50 à 155 pages. C'est très, très procédurier. Pour ma part, je pense qu'il y a peut-être un effort de décourager les éventuelles personnes qui voudraient faire une demande de révision judiciaire. Mais c'est très exigeant.

Et en plus, l'aide juridique paie à peu près 150 $ pour une demande d'autorisation à la Cour fédérale. Ce qui, en regard de la demande comme telle, c'est-à-dire de l'effort que ça demande, n'est pratiquement rien et ce qui fait en sorte également qu'on est virtuellement dans une situation, au niveau des demandes d'autorisation en Cour fédérale, où à peu près personne, maintenant — et là je parle pour mon bureau, on est quand même huit avocats en immigration... Mais, à l'heure où je vous parle, il y a de moins en moins d'avocats qui acceptent des mandats d'aide juridique parce que c'est plus que faire du bénévolat. C'est très difficile.

Le Président (M. Parent): Merci. Mme la députée de Terrebonne, en conclusion.

Mme Caron: Alors, je vous remercie beaucoup, Me Goyette, Mme Langlais et Mme Augenfeld, de votre présence parmi nous. Vous avez répondu parfaitement à nos questions. Même à la dernière question qu'il me restait, vous l'avez abordée; je voulais l'aborder avec vous. Merci beaucoup de votre présence.

Le Président (M. Parent): Merci. M. le ministre, en guise de conclusion.

M. Lefebvre: Alors, l'Opposition a la responsabilité, tout comme moi, d'essayer de pointer les éléments qui doivent être évalués de façon particulière dans notre système d'aide juridique. Moi, j'ai l'obligation additionnelle de donner les faits. Et, cet exercice-là, on s'y prête depuis une dizaine de jours, Me Goyette. Et c'est dans ce sens-là que, tout à l'heure, et je l'ai fait à d'autres moments et je vais le faire à nouveau au cours des prochains jours... j'ai l'obligation d'indiquer à la population de quelle façon on a dépensé, l'an dernier, plus ou moins 110 000 000 $ pour le système d'aide juridique au Québec.

À l'intérieur de cette somme-là, il y a plus ou moins 41 000 000 $, un peu plus que 41 000 000 $ qui ont été versés en honoraires aux avocats. Je ne prétends pas que les honoraires des avocats à la pièce, ce sont des honoraires faramineux. Je n'ai jamais dit ça et je ne le pense pas non plus. Je veux cependant vous rappeler — et je m'adresse à vous trois et à tous ceux et celles qui sont venus devant nous, qui nous ont parlé particulièrement d'immigration — que, strictement au niveau du dossier de l'immigration, on a versé, l'an passé, un montant de 6 500 000 $. En 1993-1994, 6 500 000 $. Évidemment, pour chacun des avocats qui font du droit d'immigration à l'aide juridique, à chaque jour, ce n'est pas beaucoup d'argent, j'en suis conscient. Mais il faut mettre en perspective l'effort du système d'aide juridique en cette matière par rapport à l'ensemble, à l'ensemble de l'opération.

Alors, 6 500 000 $ par rapport à 41 000 000 $, c'est presque 16 % de la masse d'argent payé en honoraires qui va au dossier de l'immigration. Et je suis convaincu, je suis convaincu que ces honoraires-là, Me Goyette, ont été bien gagnés. Ça, j'en suis convaincu. Vous n'avez pas à insister là-dessus. J'ai assez d'expérience pour comprendre. Je vois le tarif; c'est des journées extrêmement difficiles, vous en avez parlé tout à l'heure avec le député d'Anjou, et j'en suis bien conscient, sauf que, moi, j'ai l'obligation de donner les faits — ce sont des fonds publics — et essayer aussi d'expliquer avec quelle situation on est pris au gouvernement.

Entre-temps, on a le problème du rehaussement des seuils d'admissibilité de la clientèle des plus démunis au Québec. Vous savez, de 1981 à aujourd'hui, ça fait 12 ans, ça, 13 ans, le seuil d'admissibilité pour la personne seule n'a pas été touché. Et ça, je dois vous dire que ça me préoccupe énormément. Le seuil d'admissibilité pour un couple avec deux enfants n'a pas été modifié depuis 10 ans. Ça, ça me préoccupe. Entre-temps, les honoraires d'avocats ont été rehaussés à trois reprises. C'est vrai que les avocats ne gagnent pas des honoraires suffisants. Mais je suis extrêmement préoccupé, je vous le dis clairement, par le seuil d'admissibilité des plus démunis, ce pourquoi le régime d'aide juridique a été mis en place en 1972. Et ça, ça me préoccupe. Je suis préoccupé par les honoraires des avocats et des notaires, mais je suis également extrêmement préoccupé par la clientèle, la clientèle dont on a fait, depuis une dizaine de jours, une démonstration absolument extraordinaire des problèmes qu'ont les plus démunis dans notre société, face à des décisions qu'on n'a peut-être pas prises au cours des 10, 12 dernières années. Ça, je veux que ce soit très clair...

Le Président (M. Parent): Si vous voulez conclure, M. le ministre.

M. Lefebvre: Et je comprends que le député d'Anjou et la députée de Terrebonne, ça les picosse un petit peu quand je parle des honoraires des avocats.

Le Président (M. Parent): En conclusion.

M. Lefebvre: Mais je vais continuer à le faire, parce qu'il faut que ces faits-là soient révélés. Il faut que je le dise, et je vais le répéter. Que les avocats gagnent 138 000 $ par année, pour vous, ce n'est pas beaucoup, peut-être...

Le Président (M. Parent): M. le ministre.

M. Lefebvre: ...mais qu'un plus démuni, un démuni à 13 000 $ ou à 14 000 $ par année n'ait pas droit à l'aide juridique, ça me questionne. Merci.

Le Président (M. Parent): Merci, M. le ministre. Merci, M. Goyette, Sr Langlais et madame. Merci beaucoup de votre participation à notre commission parlementaire. Nous allons suspendre pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 17 h 18)

(Reprise à 17 h 20)

Le Président (M. Parent): J'inviterais les représentants du groupe suivant à prendre place ici, à l'avant. Alors, nous accueillons, comme dernier groupe avant le dîner, le groupe de travail formé de diverses associations de femmes. Est-ce qu'ils sont présents?

(Consultation)

Le Président (M. Parent): Est-ce qu'elles sont là? Est-ce qu'il y a ici des représentants du groupe suivant, le groupe de travail formé de diverses associations de femmes? Oui? Ah! On vous attendait. On vous attendait anxieusement, à part de ça.

Alors, mesdames, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à l'invitation de cette commission. Nous accusons plus que quelques minutes de retard, dû à des impondérables sur lesquels nous n'avons aucun contrôle. Je vous invite à nous présenter votre mémoire, mémoire que les membres de cette commission ont eu en leur possession et qu'ils ont lu. Alors, libre à vous de nous en faire un résumé ou de nous en faire connaître le contenu dans son entièreté. J'ai à vous informer que notre commission siège jusqu'à 18 heures et que, passé 18 heures, je me dois de demander l'assentiment des deux formations politiques pour déroger au règlement. Alors, je vous suggère d'essayer de prendre 15 minutes, 20 minutes maximum pour présenter votre projet et, ensuite de ça, de participer aux échanges avec les membres de cette commission.

Alors, j'ai ici comme indication, comme porte-parole, Mme Fleurette Boucher.

Mme Boucher (Fleurette): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Parent): Ça me fait plaisir. Est-ce vous qui êtes la porte-parole?

Mme Boucher (Fleurette): Je représente tous les groupes de femmes qui sont cosignataires du mémoire, avec Mme Marie-Christiane Carrier.

Le Président (M. Parent): Mme Carrier, de la Fédération des femmes du Québec.

Mme Carrier (Marie-Christiane): Exactement, M. le Président.

Le Président (M. Parent): Alors, commencez. Je ne sais pas laquelle des deux va débuter. Alors, c'est Mme Boucher?

Mme Boucher (Fleurette): Oui.

Le Président (M. Parent): Mme Boucher, nous vous écoutons.

Groupe de travail formé de diverses associations de femmes

Mme Boucher (Fleurette): Alors, je vais commencer par énumérer la liste des groupes de femmes qui sont cosignataires du mémoire. On retrouve le Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale; le Regroupement des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel; la Fédération des femmes du Québec; l'Association des collaboratrices et partenaires en affaires; L'R des centres de femmes; le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail; la Fédération du Québec pour le planning des naissances.

Le mémoire a quatre volets. On va les prendre à tour de rôle. Je vais couvrir les volets 1 et 2, c'est-à-dire: la clientèle et les seuils d'admissibilité, et les recommandations que nous vous soumettons; et la couverture des services. Je vais couvrir ces deux volets-là. Mme Carrier va couvrir les volets 3 et 4, c'est-à-dire: l'organisation et la gestion des services; et le financement.

Le 18 juin 1992, le ministre de la Justice, M. Gil Rémillard, rendait public un document intitulé «L'aide juridique au Québec: une question de choix, une question de moyens». De même, il annonçait la tenue d'une commission parlementaire sur le régime d'aide juridique. Conscientes de l'importance de cette réforme et de son incidence sur les conditions de vie des femmes, quelques groupes de femmes ont choisi d'unir leurs voix afin de vous communiquer certains commentaires et suggestions.

Lors de son adoption en 1972, la Loi sur l'aide

juridique avait pour principal objectif de favoriser l'accessibilité à la justice à toute personne économiquement défavorisée. Nous souscrivons entièrement toujours à ce principe. C'est en période de difficultés économiques comme celle que traverse présentement le Québec que l'État doit supporter davantage les plus démunis. Nous croyons donc que le contexte économique actuel rend indispensable le maintien du financement du programme social de l'aide juridique.

Toutefois, nous constatons que la clientèle bénéficiant de l'aide juridique est de plus en plus restreinte. Si on réfère aux seuils d'admissibilité actuels, la majorité de la clientèle est composée d'individus sans revenus ou prestataires d'aide sociale ou d'un montant équivalent d'assurance-chômage. Donc, les personnes à faible revenu, tel que défini par Statistique Canada, sont exclues. Il est illusoire de croire qu'en 1993 cette population ainsi qu'une grande partie de la classe moyenne peuvent exercer leurs droits sans se priver de besoins essentiels. Paradoxalement, ces gens gagnent trop d'argent pour bénéficier de l'aide juridique, mais ne gagnent pas suffisamment d'argent pour payer des honoraires judiciaires et des frais de cour. puisque les femmes sont les plus pauvres parmi la population active — elles représentent 67 % de toutes les personnes payées au salaire minimum et 72 % des personnes occupant un emploi à temps partiel, et deux tiers des femmes sur le marché du travail gagnent un salaire annuel de 20 000 $ — ces mêmes seuils d'admissibilité affectent grandement leur accès à la justice. parce que les femmes composent la majorité économiquement démunie, nous vous soumettons des propositions qui convergent vers l'élargissement des critères d'admissibilité et l'amélioration de la mesure sociale qu'est l'aide juridique. le groupe de travail macdonald et son rapport ont inspiré plusieurs de nos recommandations. comme je l'ai dit précédemment, notre mémoire va se diviser en quatre volets.

Le volet 1, la clientèle et les seuils d'admissibilité. En vertu de la loi, l'aide juridique signifie «tout avantage accordé à une personne économiquement défavorisée, ayant pour objet de lui faciliter l'accès aux tribunaux, aux services professionnels d'un avocat ou d'un notaire et à l'information nécessaire sur ses droits et obligations».

Par ailleurs, pour bénéficier de l'aide juridique, la personne doit satisfaire à des critères économiques. À cet effet, les seuils d'admissibilité sont déterminés en fonction du revenu brut hebdomadaire de la personne requérante. En 1973, ces critères établissent l'éligibilité, entre autres, des personnes suivantes: les bénéficiaires d'aide sociale, les gens touchant le salaire minimum, les gens recevant les prestations de la sécurité de la vieillesse ainsi que les personnes ayant un faible revenu, établi par Statistique Canada. Soulignons que la loi prévoit que, par exception et selon certaines conditions, une personne ayant des revenus plus élevés que les critères établis pourrait profiter tout de même de l'aide juridique. Enfin, mentionnons qu'une corporation à but non lucratif peut profiter de l'aide juridique à la condition que tous ses membres individuels soient admissibles à l'aide juridique.

Recommandations. Considérant l'abondance des législations régissant notre quotidien; considérant que de plus en plus de situations donnent ouverture à l'exercice de nos droits; considérant que le pouvoir économique est un facteur déterminant pour l'accessibilité à la justice; considérant que les honoraires judiciaires et lès frais de cour ont subi une énorme inflation au cours des dernières années; considérant que beaucoup de gens à faible et moyen revenu sont actuellement inadmissibles à l'aide juridique et qu'ils n'ont pas les ressources pécuniaires pour faire appel à l'appareil judiciaire; considérant que, par manque de ressources financières, bon nombre de personnes à faible et moyen revenu ne possèdent ni assurance-vie, ni assurance-feu, vol et responsabilité civile; considérant que beaucoup de femmes font partie de ces catégories de personnes; considérant que, comme pour les régimes d'assurance-santé aux États-Unis, de nombreuses personnes risquent de ne pas avoir les moyens de souscrire à une assurance juridique; considérant que, pour beaucoup de femmes, il est indispensable d'entreprendre des procédures judiciaires afin de mettre fin à une union et ainsi protéger leur vie, notamment dans les cas de violence conjugale, nous recommandons — recommandation 1 — que la définition de l'aide juridique soit la même que dans le présent texte de loi, à savoir «tout avantage accordé à une personne économiquement défavorisée, ayant pour objet de lui faciliter l'accès aux tribunaux, aux services professionnels d'un avocat ou d'un notaire et à l'information nécessaire sur ses droits et obligations».

Cette recommandation-là, M. le Président, on l'a trouvée utile et nécessaire de faire partie de nos demandes, parce que, pour nous, il est indispensable que l'aspect information demeure un des services offerts aux gens requérant de l'aide juridique, et ce, parce que pour beaucoup de personnes, l'information pourra éviter d'entreprendre des procédures légales. Donc, tout l'aspect prévention peut se raccrocher à l'information et, pour nous, c'est indispensable que ce type de service là demeure dans les services offerts par l'aide juridique.

Au niveau de la recommandation 1.2, nous recommandons de modifier la Loi sur l'aide juridique de façon à rendre admissible la clientèle visée en 1972. Notamment, on réfère spécifiquement, évidemment, aux personnes bénéficiant de l'aide sociale, qui est maintenant devenue la sécurité du revenu, aux gens travaillant au salaire minimum, aux gens recevant des prestations de la sécurité de la vieillesse et aux gens ayant un revenu faible, tel qu'établi par Statistique Canada. (17 h 30)

Au niveau de la recommandation 1.3.1, nous recommandons de modifier la Loi sur l'aide juridique plutôt que de favoriser le développement d'un régime d'assurance frais juridiques, afin de rendre admissible une partie de la classe moyenne, et ce, en instaurant un mécanisme progressif, le plus large possible, de participation aux

coûts des services rendus. Le but de la proposition, évidemment, c'est de garantir l'accessibilité à la justice pour une partie de la classe moyenne qui, aujourd'hui, n'a pas les moyens d'assumer les frais judiciaires tels qu'ils sont en vigueur aujourd'hui, et d'ailleurs, le rapport de la commission Macdonald abondait dans ce sens-là.

Recommandation 1.3.2. Nous recommandons que le mécanisme progressif de participation aux coûts des services rendus via l'aide juridique soit basé sur un mode de calcul facile de compréhension et d'application et qu'il fixe un montant minimum et maximum de contribution. Donc, pour les clientèles qui auraient à participer au mécanisme progressif de participation, il nous apparaît essentiel qu'elles soient en mesure d'évaluer quels seront les coûts qu'elles auront à assumer. Compte tenu qu'on sait que les gens ont une marge de manoeuvre très restreinte au niveau de leur budget financier, il nous apparaît nécessaire que le calcul de ces montants-là, au niveau de la participation, soit facilement comprenable et assimilable.

Recommandation 1.4. Nous recommandons d'exclure les allocations familiales, le crédit d'impôt pour enfants, le montant reçu à titre de remboursement d'impôt foncier, les allocations de Logirente, l'aide financière aux services de garde à l'enfance, les allocations pour jeunes enfants, les allocations de naissance ainsi que le crédit fédéral pour taxe de vente dans le calcul des revenus d'une personne demandant son admissibilité à l'aide juridique.

Recommandation 1.5. Nous recommandons la révision annuelle des seuils d'admissibilité suivant l'indexation annuelle au coût de la vie. Cette recommandation-là vise justement à éviter la situation que nous vivons présentement. Il a sûrement été porté à votre attention que les critères d'admissibilité sont très bas et qu'il n'y a pas eu de hausse ou d'indexation depuis 1985. Donc, en indexant annuellement les seuils d'admissibilité, on va éviter la situation qu'on vit en ce moment.

Recommandation 1.6. Considérant que plusieurs organismes communautaires, notamment les associations coopératives d'économie familiale, les associations de consommateurs, les maisons d'hébergement pour femmes violentées, les centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, les centres de femmes, travaillent à la promotion et à la défense des droits des personnes et que la majorité de leur clientèle est économiquement défavorisée;

Considérant que ces organismes communautaires ne peuvent présentement bénéficier de l'aide juridique parce que certains de leurs membres ont des revenus trop élevés;

Considérant que le travail d'éducation et de prévention de ces mêmes organismes auprès de la population a pour conséquence de diminuer le risque de recours judiciaire;

Nous recommandons que toute corporation à but non lucratif bénéficie de l'aide juridique sous deux conditions, à savoir: la corporation doit avoir pour objectifs la promotion et la défense des droits des personnes, et le but du service juridique demandé devra être en relation avec cet objectif. À cet effet, la teneur de cette recommandation-là correspond à une des suggestions que l'on peut retrouver dans le rapport Macdonald.

C'était le bloc clientèle et seuils d'admissibilité.

Maintenant, au niveau de la couverture des services. En 1972, M. Jérôme Choquette, alors ministre de la Justice, disait, au sujet du projet de loi sur l'aide juridique: «Les économiquement faibles doivent pouvoir avoir recours à des avocats spécialisés dans ce qui a été récemment désigné par les mots «Poverty Law» ou, en français, «Droit et Pauvreté», c'est-à-dire à des spécialistes ayant une connaissance précise des lois et des règlements qui touchent cette catégorie de personnes dans leur contexte social spécifique, tout comme d'autres clientèles peuvent avoir recours à des spécialistes, par exemple, en responsabilité civile, en droit municipal, en droit fiscal, etc.»

Depuis l'entrée en vigueur de l'aide juridique, la ou le bénéficiaire obtient les services professionnels d'un avocat pour recevoir de l'information sur ses droits et obligations ou pour initier une procédure légale afin de faire valoir ses droits ou pour s'assurer une défense en cas de poursuite. Ces différents types de services couvrent le droit criminel et pénal, civil, matrimonial, administratif et le droit notarial.

Recommandations. Considérant que toute personne économiquement défavorisée a le droit d'avoir accès à la justice;

Considérant la complexité de l'appareil judiciaire;

Considérant que la représentation devant les tribunaux judiciaires et administratifs demande des connaissances précises, notamment en ce qui concerne les règles de procédure, les règles de preuve et l'évolution jurisprudentielle;

Considérant que la majorité de la clientèle de l'aide juridique en droit familial et civil est composée de femmes;

Considérant que les femmes forment une grande partie de la clientèle en droit matrimonial et que la dissolution d'un régime matrimonial et le partage du patrimoine familial peuvent impliquer des sommes d'argent au litige;

Considérant que plusieurs femmes immigrantes sont parrainées par leur conjoint, et donc particulièrement dépendantes de ces derniers, et qu'elles ignorent leurs droits et recours dans leur nouveau pays;

Recommandation 2.1. Nous recommandons que la couverture des services demeure la même pour les personnes admissibles à l'aide juridique. Tout ça, pour assurer le principe d'accessibilité à la justice pour tous et toutes, tant en demande qu'en défense.

Recommandation 2.2: Nous recommandons que les dossiers en matière matrimoniale impliquant des sommes en litige lors de la dissolution d'un régime matrimonial ou du partage du patrimoine familial soient couverts par l'aide juridique.

Poor nous, cette recommandation-là vise à protéger la clientèle de l'aide juridique, enfin, la clientèle qui forme majoritairement les dossiers en matière matrimoniale relevant de l'aide juridique, parce qu'on constate, dans les faits, que ce sont les femmes qui, en droit civil et en droit matrimonial, sont requérantes pour les mandats d'aide juridique. Pour nous, c'est important qu'on continue à couvrir ce type de services là justement à cause de la situation économique précaire des femmes, et on ne voudrait pas que ce type de dossiers là soit privatisé. Et c'est d'autant plus important qu'on veut qu'ils soient couverts toujours par l'aide juridique pour que les femmes aient la possibilité de choisir si elles veulent avoir recours à un permanent de l'aide juridique ou un avocat de pratique privée. Quand on sait que les avocats de l'aide juridique ont développé une expertise particulière en droit matrimonial, on considère donc que c'est important que les femmes aient la possibilité et l'opportunité de faire un choix au niveau de la mixité pour les représenter devant les tribunaux.

Recommandation 2.3: Nous recommandons que le volet immigration soit maintenu dans la couverture des services d'aide juridique. Et nous pensons, notamment, aux femmes immigrantes parrainées par leur conjoint qui ont besoin d'entreprendre des recours légaux afin de faire valoir leurs droits. Et, compte tenu que la loi régissant l'immigration est fort complexe, nous croyons qu'il est essentiel que ce type de service là demeure dans la couverture des services.

Le Président (M. Parent): Merci, madame. Est-ce que ça met fin à votre présentation ou si vous avez encore... Je vous ferai remarquer que vos 20 minutes ont été épuisées, mais vous pouvez quand même continuer si vous le jugez à propos.

Mme Carrier (Marie-Christiane): Oui. Alors, au niveau de l'organisation et la gestion...

Le Président (M. Parent): Allez, madame.

Mme Carrier (Marie-Christiane): ...des services. Les services d'aide juridique sont présentement dispensés par des juristes à l'emploi des corporations régionales réparties sur tout le territoire québécois. De plus, certains avocats de pratique privée acceptent des mandats d'aide juridique sur une base volontaire. Il en découle que, pour certains endroits de la province, pour des raisons pratiques, des raisons d'expertise, de disponibilité ou d'accessibilité, la clientèle admissible à l'aide juridique utilisera davantage les services de juristes du réseau d'aide juridique que les services des avocats de pratique privée. Par ailleurs, pour d'autres régions, le phénomène inverse se produit. Les utilisateurs de l'aide juridique auront davantage recours aux services des juristes de pratique privée.

Recommandations. Considérant que les gens habitant les régions éloignées des grands centres urbains ont aussi le droit à des services juridiques accessibles dans leur localité;

Considérant que les juristes du réseau d'aide juridique disposent d'un service de recherche et qu'ils ont développé, au fil des ans, certaines spécialités, notamment en droit administratif et matrimonial;

Considérant que les juristes du réseau d'aide juridique ont aussi pour mandat de promouvoir l'éducation et la prévention auprès de la population;

Considérant que l'éducation est un élément important dans la prévention des situations donnant ouverture à l'exercice de recours légaux;

Considérant qu'une meilleure information à la population diminue le risque qu'elle ait à investir le système judiciaire et diminue ainsi les coûts de l'aide juridique;

Considérant que la plupart des juristes du réseau d'aide juridique sont impliqués activement dans leur milieu;

Nous recommandons le maintien du libre choix du juriste pour la personne bénéficiaire de l'aide juridique. C'est dans le rapport Macdonald... et aussi du fait qu'à l'aide juridique il y a comme une expertise autour du droit de la pauvreté aussi.

Nous recommandons que toutes les corporations régionales ainsi que les bureaux locaux s'y rattachant demeurent opérationnels et qu'ils continuent d'offrir à la population les services juridiques offerts présentement.

Alors, quand on pense aux clientèles des régions éloignées des grands centres urbains, il est bien important que les services soient accessibles à ces gens-là et les frais de déplacement peuvent être un empêchement à l'accessibilité à ces services-là. (17 h 40)

Nous recommandons que les juristes à l'emploi des corporations régionales augmentent leur activité liée à l'éducation et la prévention.

Finalement, le financement. Présentement, les gouvernements fédéral et provincial sont les principaux bailleurs de fonds du régime d'aide juridique.

Recommandations. Considérant que l'aide juridique est une mesure sociale fondamentale pour assurer l'accès à la justice aux plus démunis de la société;

Considérant que le gouvernement doit demeurer le principal hailleur de fonds du régime d'aide juridique;

Considérant que l'imposition de frais d'ouverture de dossier rapportera peu à l'État et que, faute de ne pouvoir contribuer, les plus démunis économiquement n'auront pas accès à la justice;

Considérant que l'élargissement des seuils d'admissibilité de la clientèle entraînera des coûts supplémentaires;

Considérant que le groupe de travail Macdonald soulignait que certains utilisateurs du système judiciaire entraînent des coûts importants pour l'État — les litiges de 100 000 $ et plus, par exemple, ont un effet important sur le temps d'audience et sur l'utilisation des services judiciaires fournis par les palais de justice;

Considérant que, dans d'autres provinces, les fonds d'études juridiques du Barreau et fonds d'études

notariales de la Chambre des notaires contribuent au financement de l'aide juridique;

Nous recommandons, à 4.1, que le gouvernement demeure le principal bailleur de fonds pour le financement du régime d'aide juridique. Ça, c'est une question de choix de société que nous devons faire.

Recommandation 4.2. Nous recommandons que les services d'ouverture de dossier demeurent totalement gratuits. Donc, non au ticket modérateur. Et on s'est rendu compte qu'au moment de l'instauration de frais à la Régie du logement il y a eu une baisse des demandes. Donc, ça a eu un effet.

Recommandation 4.3. Nous recommandons que la clientèle admissible en 1972 bénéficie gratuitement de tous les services d'aide juridique.

Recommandation 4.4. Que L'État impose des frais spéciaux aux utilisateurs du système judiciaire, dont le ou les montants en litige seraient de plus de 100 000 $. C'est d'ailleurs dans le rapport Macdonald.

Maintenant, il a été aussi mentionné dans le rapport... On parlait des corporations, des personnes morales qui bénéficient de déductions d'impôt, lorsqu'elles utilisent des honoraires. Alors, il y a peut-être de l'argent à aller chercher là aussi.

Nous recommandons que l'État demande une contribution annuelle au fonds d'études du Barreau et au fonds d'études notariales de la Chambre des notaires, comme ça se fait dans d'autres provinces.

En conclusion, on veut revenir à la clientèle de 1972 et maintenir l'étendue de la couverture des services.

Maintenant, il y a peut-être aussi moyen d'étudier — c'est un commentaire qu'on fait — tous les modes alternatifs de résolution de conflits en ce qui concerne la médiation, l'arbitrage. Et la Fédération des femmes du Québec, en particulier, ça fait plusieurs années qu'elle se bat pour la perception automatique des pensions alimentaires. Je pense qu'il y aurait là une économie intéressante à faire en ce qui concerne l'administration de la Justice.

Le Président (M. Parent): Merci beaucoup, Mme Boucher. Merci beaucoup, Mme Carrier de votre présentation. Il nous reste 35 minutes à séparer également entre les deux formations politiques. Vous avez 17 minutes et quelques secondes chacun, et je reconnais le ministre de la Justice.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Mmes Carrier et Boucher, je vous remercie d'abord de nous avoir soumis un mémoire et d'être là aujourd'hui pour l'expliciter, le commenter. C'est un mémoire qui est bien fait, qui touche à peu près à toute la question du système d'aide juridique et qui est également extrêmement bien présenté.

J'aimerais, dans un premier temps, l'une ou l'autre de nos deux invitées, que vous m'expliquiez de quelle façon votre organisme, qui est un groupe de travail formé de diverses associations — c'est comme ça que vous le décrivez en quelques mots — travaille en collaboration avec tous les groupes qui apparaissent à votre mémoire, le Regroupement provincial des maisons d'hébergement, le regroupement des centres d'aide, les fédérations, etc. Est-ce que vous êtes en communication constante? Comment ça fonctionne?

Mme Bouclier (Fleurette): Je vous dirai que la plupart des regroupements provinciaux qui sont décrits...

M. Lefebvre: Les organismes qui apparaissent dans votre mémoire, là.

Mme Boucher (Fleurette): Oui, c'est ça. Les organismes qui apparaissent là sont membres de la fédération du Québec. O.K? Oui, la Fédération des femmes du Québec. D'autre part, sur des dossiers ponctuels, M. le ministre, il arrive que, oui, on va former des comités de travail, et c'est ce qui s'est passé quand on a annoncé les travaux concernant la réforme de l'aide juridique. Ce n'est pas...

M. Lefebvre: Alors, vous vous êtes... Allez-y, madame.

Mme Boucher (Fleurette): C'est beaucoup plus sur une base ponctuelle qu'on va s'associer en coalition, quand ça touche, évidemment, les intérêts et les droits des femmes.

M. Lefebvre: Est-ce que vous considérez que le système d'aide juridique au Québec va bien, de façon générale? Je pense surtout, là, à la gestion, à la structure du régime, à l'accessibilité dans nos bureaux d'aide juridique — je ne parle pas des seuils d'admissibilité, là — la collaboration du personnel qu'on retrouve dans nos bureaux d'aide juridique, la disponibilité des permanents, des avocats d'aide juridique, tout comme les avocats de pratique privée qui acceptent des mandats d'aide juridique, de façon générale, là — et, je me répète, sans tenir compte, évidemment, du seuil d'admissibilité — est-ce que vous trouvez que le système va bien, globalement, en général?

Mme Boucher (Fleurette): Je vous dirai que, dans l'ensemble, si on fait, comme vous l'avez mentionné, exception des critères d'admissibilité, la couverture des services, oui, ça couvre à peu près tous les domaines qui peuvent toucher les conditions de vie dés femmes. Et, à ce niveau-là, oui, pour les femmes, c'est possible d'être représentées, et ce, autant en matière matrimoniale qu'au niveau du travail. Là, je fais particulièrement référence aux femmes qui peuvent perdre un emploi, ou l'assurance-chômage, ou... Dans l'ensemble, la couverture des services, oui, ça va.

M. Lefebvre: Les avocats travaillent bien.

Mme Boucher (Fleurette): Au niveau des permanents de l'aide juridique, je vous dirai que, compte tenu

qu'on est en contact... En tout cas, nous autres, au niveau du Regroupement provincial des maisons d'hébergement, il y a 51 maisons membres réparties à travers tout le Québec et, dans l'ensemble, quand les intervenants des maisons d'hébergement demandent aux permanents du réseau d'aide juridique, dépendamment de leur localité, des séances d'information ou de formation ou des rendez-vous, habituellement, il y a une bonne collaboration. Évidemment, il faut asseoir les bases de collaboration, mais dans l'ensemble, quand les gens ne sont pas trop débordés par le boulot, parce qu'on sait que, dans certaines régions, il y a des «caseload» qui sont énormes, mais dans l'ensemble, ça va, je vous dirais.

M. Lefebvre: Vous venez de faire allusion à l'information, à des séances d'information avec des avocats, des permanents de l'aide juridique. Est-ce que vous...

Mme Boucher (Fleurette): Si vous me permettez, M. le ministre...

M. Lefebvre: Oui, oui, allez-y, madame.

Mme Boucher (Fleurette): ...c'est qu'on se rend compte, au niveau de certaines régions, que les permanents du réseau d'aide juridique sont impliqués au niveau des organismes communautaires, et particulièrement sur les conseils d'administration des maisons d'hébergement. Ça arrive que, dans plusieurs régions du Québec, les avocats permanents de l'aide juridique siègent sur des conseils d'administration.

M. Lefebvre: Est-ce que vous croyez qu'on devrait se pencher sur la possibilité de pousser plus au niveau de l'information?

Mme Boucher (Fleurette): Moi, je pense que oui, parce que, qui dit information, nécessairement, parle de prévention. Oui, ça, je n'ai pas d'hésitation, oui.

M. Lefebvre: Vous avez, une de vous deux — je pense que c'est Mme Carrier, et vous-même, vous l'avez repris, Mme Boucher — insisté sur le libre choix, qu'on maintienne le libre choix...

Mme Boucher (Fleurette): Oui.

M. Lefebvre: ...qu'un justiciable puisse pouvoir choisir entre un permanent ou un avocat de pratique privée. Vous avez semblé dire, lorsqu'on parle du matrimonial — je m'adresse à vous, Mme Boucher — que les avocats, les permanents d'aide juridique, ont développé une expertise, là. Je vous écoute là-dessus.

Mme Boucher (Fleurette): Oui, oui. Je faisais particulièrement référence à Me Jean-Pierre Sénécal, qui est permanent de l'aide juridique. On sait qu'il est rattaché au bureau d'aide juridique de Saint-Hyacinthe, qui, en matière matrimoniale, est quand même une référence de taille. Au niveau de certaines régions, comme c'est souligné dans notre mémoire, M. le ministre, il peut arriver que les femmes réfèrent majoritairement aux permanents de l'aide juridique. Mais, par ailleurs, il peut arriver aussi que d'autres femmes préfèrent faire affaire avec des avocats de pratique privée.

M. Lefebvre: Un avocat de pratique privée. Mme Boucher (Fleurette): Oui.

M. Lefebvre: À la page 6 de votre mémoire, à 1.3.1, au milieu de la page...

Mme Boucher (Fleurette): Oui. (17 h 50)

M. Lefebvre: ...vous parlez, là, en un mot, du volet contributoire «en instaurant un mécanisme progressif — le plus large possible — de participation aux coûts des services rendus». Pourriez-vous m'indiquer à quoi vous pensez, comme mécanisme? On a eu plusieurs exemples. Le Barreau du Québec, d'autres groupes, des avocats, des bénéficiaires eux-mêmes nous ont fait quelques propositions qui, dans certains cas, étaient différentes, mais qui visaient essentiellement le même objectif, permettre à plus de gens d'être admis au régime d'aide juridique, avec une contribution. À quoi vous pensiez, comme régime, comme système?

Mme Boucher (Fleurette): Là-dessus, M. le ministre, je vous dirai que le groupe de travail n'a pas vraiment travaillé à la mécanique comme telle, au niveau du mécanisme progressif de participation parce que, d'une part, on trouvait plus essentiel et plus urgent de s'arrêter aux grands principes qu'on aimerait voir maintenus dans la loi ou mis de l'avant. Toutefois, il y a le groupe de travail Macdonald qui fait référence au maximum des gains admissibles, qui pourrait servir de balise, et dans le document de travail qui a été déposé par M. Rémillard, là aussi, on faisait référence au maximum des gains admissibles. ceci étant dit, le groupe de travail ne s'est pas vraiment arrêté à chiffrer ce qui devrait correspondre au mécanisme de participation. toutefois, on a discuté autour de 80 % à 100 % du mga, qui pourrait être le critère de base pour la clientèle devenant admissible et devant contribuer à certains types de services.

M. Lefebvre: La contribution comme telle, vous ne l'avez pas évaluée...

Mme Boucher (Fleurette): Non. Ça, là...

M. Lefebvre: ...si c'est une contribution directe?

Mme Boucher (Fleurette): Non, non. M. Lefebvre: D'accord, madame. Mme Boucher (Fleurette): Non. M. Lefebvre: À la page 9 de votre...

Mme Boucher (Fleurette): Ce qu'on visait avant tout, M. le ministre, si vous me permettez...

M. Lefebvre: Oui, madame. Allez-y.

Mme Boucher (Fleurette): ...c'est qu'on veut que les gens soient informés des coûts précis, tant minimums que maximums, qu'ils auront à défrayer, mais au niveau de la mécanique et de la mise en place comme telles, on ne s'est pas vraiment arrêté à ça.

M. Lefebvre: D'accord, madame. Vous suggérez, à la page 9 de votre document, à la recommandation 2.2, l'exclusion de certains services: «Nous recommandons que les dossiers en matière matrimoniale impliquant des sommes en litige lors de la dissolution d'un régime ou du partage du patrimoine soient couverts par l'aide juridique.» Je m'excuse, tout à l'heure, je reviendrai sur l'exclusion.

Mme Boucher (Fleurette): Oui.

M. Lefebvre: Est-ce que vous ne croyez pas que ce sont des dossiers qui devraient être laissés strictement aux avocats de pratique privée? Parce qu'on parle de partage, de bénéfices à évaluer, à discuter, le partage du patrimoine, les actifs du couple.

Mme Boucher (Fleurette): Non. M. Lefebvre: Non?

Mme Boucher (Fleurette): On veut que les femmes aient l'opportunité de bénéficier du choix entre les avocats du réseau de l'aide juridique et de la pratique privée. On veut que cette liberté de choix là demeure. Au contraire, on veut éviter, justement, par cette recommandation-là, de privatiser.

M. Lefebvre: Supposons qu'une dame qui a été admise à l'aide juridique — je fais une supposition, là — suite à un débat devant la cour, un règlement hors cour, se retrouve avec une somme de plus ou moins 20 000 $, 25 000 $ à la suite du partage du patrimoine...

Mme Boucher (Fleurette): Oui.

M. Lefebvre: Est-ce que vous considérez qu'elle devrait subséquemment payer une partie des honoraires qu'elle a reçus de l'aide juridique?

Mme Boucher (Fleurette): Non, je vais être claire...

M. Lefebvre: Non?

Mme Boucher (Fleurette): .. .tout de suite, M. le ministre. Pour nous autres, si madame a fait une demande d'aide juridique, c'est parce qu'elle était dans une situation économique précaire...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Boucher (Fleurette): ...et si, en bout de ligne, effectivement, suite à la dissolution du régime matrimonial, la dissolution du patrimoine familial, elle peut en retirer un petit bénéfice, un petit pécule qui va lui permettre d'acquérir une autonomie, et ce, dans les plus brefs délais, au contraire, moi, je pense qu'elle ne devrait pas avoir à défrayer...

M. Lefebvre: D'accord. À la page 13 — là, on va parler de l'exclusion — recommandation 4.4, vous parlez de frais spéciaux aux utilisateurs du système judiciaire pour les montants de 100 000 $ et plus.

Mme Boucher (Fleurette): Ça, on a pris la suggestion telle que décrite dans le rapport Macdonald; c'est textuel.

M. Lefebvre: Oui, mais vous, vous êtes d'accord parce que vous avez constaté?

Mme Boucher (Fleurette): Non. Écoutez... M. Lefebvre: Non?

Mme Boucher (Fleurette): ..ça ne fait pas partie de notre clientèle, là. Ha, ha, ha! Quand on a pris connaissance...

M. Lefebvre: Non, non, non, non, non, je comprends que ce n'est pas votre clientèle.

Mme Boucher (Fleurette): Ça n'a rien à voir. Quand on a pris connaissance, en étudiant..,

M. Lefebvre: Vous trouvez que ça a du bon sens. La recommandation de Macdonald, vous trouvez que ça a du sens?

Mme Boucher (Fleurette): Oui, ça a du sens, dans la mesure où, effectivement, c'est vrai, j'imagine, que des litiges de l'ordre de 100 000 $ et plus, ça ne doit pas se régler devant le tribunal en l'espace d'une demi-heure, trois quarts d'heure; j'ai l'impression qu'il doit y avoir de la procédure qui est produite au dossier, des interrogatoires avant, production de défense, et tout. Effectivement, j'ai l'impression que ça doit mobiliser beaucoup de temps, et...

M. Lefebvre: Merci, madame.

Mme Boucher (Fleurette): ...on sait que ça se fait dans d'autres provinces aussi.

M. Lefebvre: Mme Boucher, Mme Carrier, je vous remercie. M. le Président.

Le Président (M. Parent): Merci. Maintenant, je vais reconnaître la porte-parole de l'Opposition officielle, Mme la députée de Terrebonne. Mme la députée, vous avez la parole.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, bonsoir, Mme Carrier, bonsoir, Mme Boucher. J'ai particulièrement apprécié votre mémoire, la qualité de ce mémoire, le questionnement que vous faites, et aussi, évidemment, vos considérants, qui sont extrêmement importants, les recommandations que vous faites, votre présentation.

Je vais devoir cependant, avant de vous questionner, faire une petite mise au point. Elle sera brève, mais je pense qu'il faut la faire. Durant votre brève absence, tantôt, de ces lieux, le ministre de la Justice a dépassé un peu le temps d'entente qu'on avait convenu et utilisé ce temps pour faire certains jugements sur le questionnement des membres de l'Opposition. Donc, c'est important de rétablir certains faits. Le ministre avait laissé entendre aux membres de la commission que l'Association québécoise des avocats et des avocates en droit de l'immigration avait manifesté sa satisfaction à l'égard des tarifs. Et il m'apparaissait extrêmement important de ne pas induire les membres en erreur, puisque Me Arpin avait souligné elle-même qu'elle n'était pas en accord avec les tarifs et que ce n'était pas le lieu pour le faire. Donc, je pense que l'Opposition a le devoir de rétablir les faits, et que ça ne veut pas dire qu'on prend position pour des tarifs, mais ça veut dire qu'on doit aussi rétablir des faits.

M. Lefebvre: J'ai dit que ce n'était pas une préoccupation majeure pour eux.

Mme Caron: M. le Président, est-ce qu'on peut respecter mon temps de parole? Merci, M. le Président. Deuxièmement, régulièrement, le ministre nous rappelle que son document est un document de questionnement et qu'on ne doit en aucun cas présumer qu'il y a des intentions du gouvernement dans ce questionnement. Alors, j'aimerais qu'il applique le même principe au questionnement des parlementaires, des deux côtés de la Chambre.

M. le Président, enfin, je pense qu'il est du devoir du parlementaire de s'assurer que les droits des démunis soient respectés et que ce ne soient pas des droits uniquement sur papier. C'est bien beau des droits sur papier, mais il faut que ce soient des droits dans la réalité. Et quand on constate que, du côté des services professionnels des notaires, on ne retrouve que 2,5 % de toute l'enveloppe, c'est qu'il y a un problème et qu'il y a des démunis qui n'ont pas droit aux services des notaires à cause d'une question financière. Et quand on nous dit, aussi, dans un document — et c'est ce que nous disait le document précédent — qu'au niveau des révisions judiciaires à la Cour fédérale il n'y a presque plus d'avocats qui acceptent ces dossiers, et quand on sait que ce sont uniquement des avocats de la pratique privée, on a à questionner pour s'assurer que le droit n'est pas un droit uniquement sur papier.

C'était la mise au point que je voulais faire, M. le Président, et soyez assurées, mesdames, que nous allons vous questionner sur votre mémoire et que nous allons être très heureux d'entendre vos réponses aussi. Et je pense que ces droits-là, ça concerne autant les femmes que l'ensemble des citoyens et des citoyennes. vous nous rappelez, dans l'introduction — et c'est important de le faire — que les femmes représentent 67 % de toutes les personnes payées au salaire minimum. on sait qu'actuellement les seuils ne permettent pas aux citoyennes et aux citoyens qui sont payés au salaire minimum de pouvoir bénéficier de l'aide juridique. vous nous rappelez aussi, à juste titre, que 72 % des personnes occupant un emploi à temps partiel, deux tiers des femmes sur le marché du travail gagnent un salaire annuel de 20 000 $. donc, il y a évidemment un besoin urgent au niveau de la hausse des seuils d'admissibilité, et ça touche particulièrement des femmes.

Vous rappelez aussi, à juste titre, l'importance d'offrir aussi des services qui sont autres que l'aide juridique: perception automatique des pensions alimentaires avec retenue à la source — et nous la réclamons, nous l'avons dans notre programme, nous la demandons nous aussi depuis longtemps — médiation aussi à la source et non une médiation après ordonnance de la cour. Pour nous, c'est aussi un moyen important. (18 heures)

Vous avez également abordé une multitude de sujets qui touchent à l'aide juridique. Ma première question sera sur le point de la violence conjugale. Dans votre considérant en page 6, vous nous dites: «Considérant que pour beaucoup de femmes il est indispensable d'entreprendre des procédures judiciaires afin de mettre fin à une union et ainsi protéger leur vie, notamment dans les cas de violence conjugale;». Quelques groupes — ils sont peu nombreux — nous ont dit que, du côté de la violence conjugale, on pourrait se permettre d'utiliser des procédures moins «judiciari-santes», qu'il pourrait y avoir conciliation, médiation. Je vous dis, c'est quelques groupes. Mais moi, je souhaiterais vous entendre là-dessus. Est-ce que vous pensez vraiment qu'il y des possibilités dans les cas de violence conjugale?

Le Président (M. Parent): Mme Carrier ou Mme Boucher.

Mme Carrier (Marie-Christiane): Bien, le

commentaire que j'ai fait à la fin sur les procédures alternatives, c'était toujours dans la mesure «si possible». Le «si possible» recouvrait ces situations-là où, souvent, ce n'est pas possible. Comme dans la question des perceptions de pensions alimentaires, il y a des personnes, il y a des individus... C'est très très difficile de pouvoir faire une perception automatique, parce que c'est des travailleurs autonomes ou... peu importe, là. Alors, ce «si possible» recouvrait — c'est tout ce que je veux dire — ces situations-là.

Mme Boucher (Fleurette): Je peux peut-être compléter, si vous me le permettez, comme je suis membre de l'exécutif du Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale. Relativement à la médiation familiale dans les cas de violence conjugale, le Regroupement provincial a adopté une position qui est claire. Nous considérons que ce n'est pas souhaitable de forcer les femmes à participer à une médiation familiale quand elles sont victimes de violence conjugale. D'ailleurs, à cet effet-là, en assemblée générale, on a adopté une proposition à l'effet que les cas de violence conjugale devraient être exclus d'une médiation obligatoire dans le cadre de procédures légales au niveau matrimonial. Est-ce que je réponds à votre question?

Mme Caron: Parfaitement. Lorsqu'on nous a fait cette proposition-là, j'avoue que, moi aussi, j'avais certaines...

Mme Boucher (Fleurette): Non.

Mme Caron: ...inquiétudes, certaines réticences.

Mme Boucher (Fleurette): Oui.

Mme Caron: Je me disais... Dans le fond, je voyais mal, là...

Mme Boucher (Fleurette): Oui.

Mme Caron: ...comment une femme victime de violence conjugale pouvait se retrouver dans un processus de médiation.

Mme Boucher (Fleurette): Non. C'est clair que, pour nous, les prérequis essentiels à l'application d'une médiation... Si on veut vraiment que ce soit une vraie médiation, il faut que les deux parties soient consentantes et disponibles à. Donc, si on se réfère à la dynamique à l'intérieur du couple en matière de violence conjugale, la relation fait en sorte que c'est impossible.

Le Président (M. Parent): Je m'excuse une seconde. Je me dois, selon nos règlements, de demander le consentement des deux partis pour dépasser 18 heures. Je prends pour acquis que j'ai le consentement. Madame, je vous reconnais.

Mme Caron: Consentement, M. le Président.

En page 10, dans vos recommandations, vous commencez par un premier considérant: «Considérant que les gens habitant les régions éloignées des grands centres urbains ont aussi le droit à des services juridiques accessibles dans leurs localités;». Est-ce que vous avez ajouté ce considérant-là parce que, à votre connaissance... ou parce que certains de vos groupes vous ont fait part qu'il y a un problème, dans certaines régions, d'accessibilité physique aux services juridiques?

Mme Boucher (Fleurette): Pour le moment, comme tel, l'accessibilité physique, au niveau des bureaux d'aide juridique dans les différentes régions du Québec, tout est sous contrôle, c'est-à-dire que tous les bureaux, à notre connaissance, sont demeurés opérationnels. Toutefois, ce qu'on sait, c'est que, dans certaines régions, compte tenu qu'il a fallu réaménager et faire des coupures budgétaires — on pense à des postes de stagiaires qui auraient été coupés, donc un personnel réduit, donc un service évidemment réduit pour la clientèle... Là, je fais particulièrement référence au Bas-Saint-Laurent—Gaspésie, où on sait que le nombre de stagiaires a diminué. Il reste peut-être un poste ou un poste et demi, mais à ma connaissance, on sait que le nombre de stagiaires a diminué pour la corporation Bas-Saint-Laurent—Gaspésie.

Mme Caron: Ce qui les a amenés aussi à réduire, ou même, dans certains cas, à éliminer les bureaux volants, qui permettaient de se rapprocher de...

Mme Boucher (Fleurette): Bien, à notre connaissance... Ça n'a pas été porté à notre attention qu'il y a des bureaux volants qui ont été fermés. Ça a été dans l'air à un moment donné, mais dans les faits, en tout cas, les bureaux volants seraient toujours fonctionnels.

Mme Caron: II semble qu'il y a une région où ils ont eu des problèmes avec...

Mme Boucher (Fleurette): C'est possible. Bon, vous m'apprenez quelque chose, à moins que ce soit... C'est peut-être récent, mais c'est possible. À un moment donné, on a entendu parler — oui, effectivement — de fermeture. On a discuté très fort de la fermeture potentielle, effectivement, de bureaux volants, c'est-à-dire de bureaux qui, au niveau des petites localités, vont offrir des services juridiques, du permanent, à raison d'une ou deux journées-semaine.

Mme Caron: C'est ça. D'autres ont réduit le nombre de jours, le nombre d'heures, etc.

Mme Boucher (Fleurette): Oui, c'est ça.

Mme Caron: Vous nous avez dit aussi, en page 11, à votre recommandation 3.3, qu'il fallait augmenter les activités liées à l'éducation et à la prévention. Je suis

parfaitement d'accord avec l'importance de cette recommandation-là. J'ai seulement un petit peu de difficulté... Compte tenu du personnel, actuellement, dans les corporations régionales, compte tenu du nombre de dossiers qui sont traités par les avocats, est-ce que vous pensez que l'éducation, la prévention pourraient se faire avec certains groupes communautaires, certaines cliniques juridiques? Est-ce que vous pensez qu'on pourrait utiliser aussi — on a entendu, ce matin, les techniciennes en droit — davantage les services des techniciennes en droit pour éliminer certaines tâches...

Mme Boucher (Fleurette): Oui, moi, je pense que...

Mme Caron: ...des avocats et faire un peu plus d'éducation et de prévention?

Mme Boucher (Fleurette): Oui, la collaboration entre organismes communautaires et bureaux du réseau, en tout cas, est souhaitable. Oui, effectivement, pourquoi pas? Les techniciennes et les techniciens juridiques feraient très bien l'affaire. On ne parle pas — c'est ça, là — d'opinions légales, on parle de séances d'information dans un cadre très général. Pourquoi pas? Ça risque d'avoir un impact bénéfique sur la population. On va démystifier. Ça va peut-être replacer — c'est ça — les choses dans leur contexte un peu plus terre à terre. Non, on n'a rien contre, au contraire.

Évidemment, l'idéal... Il faudrait peut-être qu'on pense — c'est ça — à injecter ou à ajouter des fonds supplémentaires pour alléger ou engager du nouveau personnel professionnel. Mais les techniciennes ou techniciens en droit peuvent le faire aussi.

Mme Caron: C'est ça, parce que les techniciens et les techniciennes... Je le voyais aussi dans le sens que, si on leur fait accomplir certaines tâches qu'ils pourraient faire, ça libère aussi, pendant ce temps-là, les avocats qui pourraient, eux autres aussi, travailler au niveau de l'éducation et de la prévention.

Mme Boucher (Fleurette): Bien oui, vous avez tout à fait raison.

Mme Caron: Je sais que ma collègue...

Le Président (M. Parent): M. le député d'Anjou? Est-ce que le député...

Mme Caron: Non, c'était ma collègue des Chutes-de-la-Chaudière, M. le Président.

M. Lefebvre: M. le Président, je suis prêt à consentir tout le temps qu'il faut pour permettre à nos invités et à mes honorables collègues de s'exprimer.

Mme Caron: Ma collègue des Chutes-de-la-Chaudière, M. le Président.

M. Lefebvre: Cinq, 10, 15, 20 minutes, il n'y a pas de problème pour moi.

Le Président (M. Parent): Mme la députée des Chutes-de-la-Chaudière.

Mme Carrier-Perreault: Je vous remercie, M. le Président. Je serai très brève.

Le Président (M. Parent): Par contre, étant donné que...

Mme Carrier-Perreault: Je suis toujours très brève, de toute façon.

Le Président (M. Parent): Non, mais étant donné qu'avec le groupe précédent le ministre a excédé son temps de quatre minutes, soyez bien à votre aise de reprendre le temps qui vous est imparti. Allez-y, Mme la députée.

Mme Carrier-Perreault: Écoutez, moi, personnellement, j'ai regardé le mémoire. Effectivement, je trouve qu'il est très réaliste, en tout cas, par rapport au dossier que j'ai à défendre ici à l'Assemblée nationale, le dossier des femmes. Les statistiques que vous mentionnez dans ce mémoire-là sont tout à fait justes, donnent un excellent portrait de la situation.

J'aurais une petite question, par exemple, par rapport à la recommandation 1.4. Dans la recommandation 1.4, vous nous donnez une liste de montants à exclure, si on veut, du calcul des revenus d'une personne pour avoir l'admissibilité à l'aide juridique. On voit les allocations familiales, plusieurs allocations, Logirente, l'aide financière, etc. J'ai été un petit peu surprise. Je m'attendais de retrouver aussi les montants de pensions alimentaires. Est-ce que c'est un oubli ou si c'est volontaire? J'aimerais ça avoir une explication.

Mme Boucher (Fleurette): C'est un oubli. Malheureusement, ce matin, j'en discutais avec ma collègue, puis effectivement, c'est un oubli. Oui, puis d'ailleurs, j'aurais dû le souligner tout à l'heure, puis je l'ai encore oublié! Ha, ha, ha! C'est gros, vous me direz, mais l'erreur est humaine. Effectivement, les pensions alimentaires devraient être incluses dans la recommandation, donc exclues pour calculer les revenus d'une personne demandant un mandat d'aide juridique.

Mme Carrier-Perreault: Bon! Je suis contente, on va pouvoir l'ajouter. Ça fera maintenant partie de la recommandation 1.4, les pensions alimentaires. C'est parce que j'étais un petit peu étonnée. Je suis très contente de voir que c'est un oubli. On sait comment on peut insister sur le fait, justement, que ces pensions alimentaires, c'est le droit aux aliments pour les enfants dont on a maintenant la responsabilité.

Mme Boucher (Fleurette): Pour les enfants, oui.

Mme Carrier-Perreault: Par rapport aussi à votre recommandation 1.6, quand vous parlez de la possibilité d'avoir le service pour les organismes communautaires. Je sais, Mme Boucher, que, dans votre cas, ça doit avoir un impact et que ça peut être très important, les membres des conseils d'administration, je présume, faisant partie des organismes. Alors, c'est bien évident. Vous nous disiez qu'il y avait déjà des avocats de l'aide juridique à plusieurs endroits qui étaient membres de vos conseils d'administration. Donc, quand on parle de revenus trop élevés, c'est bien évident que, là, on est en contradiction. J'aimerais quand même avoir, peut-être pour comprendre un petit peu mieux l'impact... Vous n'êtes pas les seuls à avoir demandé ça, il y en a d'autres qui sont venus le dire aussi. Est-ce qu'il y a moyen d'avoir des exemples de cas où vous pourriez avoir des besoins précis, concrets? (18 h 10)

Mme Boucher (Fleurette): Bon, pour le Regroupement provincial des maisons d'hébergement, je peux vous dire qu'on aurait besoin d'obtenir... Un exemple qui me vient en tête, c'est au niveau de la responsabilité civile d'une maison d'hébergement. Au niveau de la responsabilité, quel est le degré de responsabilité auquel une maison d'hébergement est tenue par rapport... Compte tenu qu'on doit assurer les services 24 heures sur 24, sept jours par semaine, ça engage quoi et ça implique quoi au niveau de la responsabilité, advenant le cas où une femme pourrait se blesser, ou un enfant, à l'intérieur de la maison? Bien là, je vous dis ça comme ça, c'est ce qui me vient le plus vite en tête.

Le Président (M. Parent): Est-ce que ça répond à votre question, madame?

Mme Carrier-Perreault: Oui. Bien, disons que c'est un exemple.

Mme Boucher (Fleurette): Ou des causes types qui feraient en sorte, aussi...

Mme Carrier-Perreault: J'essaie de voir.

Mme Boucher (Fleurette): ...qu'on pourrait mettre de l'avant ou répondre de façon plus adéquate aux femmes, sauf que, là, malheureusement, je n'ai pas d'exemple.

Mme Carrier-Perreault: À brûle-pourpoint, ça ne vous vient pas? Ha, ha, ha!

Mme Boucher (Fleurette): Ça ne me vient pas. Mme Caron: D'accord, je vous remercie. Mme Boucher (Fleurette): Je m'excuse.

Le Président (M. Parent): Est-ce que ça répond à votre question? Terminé? Oui, madame.

Mme Caron: Oui, j'aimerais peut-être compléter sur la même question. Les associations de consommateurs sont venues nous dire que, parfois, elles avaient des menaces. Elles avaient des menaces de poursuites et elles ont eu aussi... certains groupes ont eu des poursuites. Dans les groupes que vous connaissez, est-ce que, aussi, il y a...

Mme Boucher (Fleurette): Directement, à ma connaissance, des menaces de poursuite? Non. Mais par ailleurs, je pourrais vous dire qu'il y a certaines maisons membres du Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale qui ont déjà eu maille à partir avec des agences de détectives privés qui ont retracé les conjointes de leurs clients. Ça, ça pourrait être un bon exemple.

Mme Caron: Oui, c'est un très bon exemple. Merci beaucoup.

Le Président (M. Parent): Alors, il reste cinq minutes pour le parti ministériel. D'autres intervenants du parti ministériel? M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: j'avais une question, m. le président. j'ai sursauté tout à l'heure lorsque mme la députée de terrebonne a fait sa petite mise au point. elle a évoqué le fait, si j'ai bien compris — vous me reprendrez, madame — que seulement 2,5 % des gens, des démunis — c'est votre mot — avaient accès à l'aide juridique en ce qui concerne les notaires.

Mme Caron: non. il y a eu 2,5 %... M. Gobé:c'est ça que vous avez...

Mme Caron: ...2,5 % de dossiers qui ont été traités...

M. Gobé: ...par un notaire. Est-ce que vous voulez...

Mme Caron: ...pour l'ensemble de tous les dossiers. C'est tous des dossiers d'avocat, et il y a très peu de dossiers de notaire parce que les tarifs n'ont pas été modifiés depuis 1977 et qu'il y a très... Il n'y a pas de notaires permanents, il n'existe pas de notaires permanents. Donc, ce n'est que de la pratique privée, et ils ne sont pas obligés d'en faire.

M. Gobé: Parce que la question que je me pose, c'est...

Le Président (M. Parent): Alors, M. le député de LaFontaine, vous avez...

M. Gobé: Non, c'est...

Le Président (M. Parent): ...la parole. Après ça, s'il y a réaction, je reconnaîtrai la députée de Terre-bonne.

M. Gobé: Je pense que j'ai de la difficulté à comprendre en quoi un démuni — au sens du mot, quelqu'un qui reçoit des prestations d'aide sociale ou autres — peut avoir besoin d'un notaire. Dans quel genre de...

M. Bélanger: Testament.

M. Gobé: Est-ce que c'est pour des conseils juridiques?

M. Bélanger: Testament.

M. Gobé: Est-ce que c'est pour acheter des maisons?

Mme Caron: Testament. M. Bélanger: Testament. M. Gobé: C'est un testament? C'est quoi?

Mme Caron: Testament. Besoin de réhypothéquer sa maison; le cas qu'on avait amené à l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Parent): Ça va?

M. Gobé: S'il réhypothèque, c'est qu'il a de l'argent. Il me semble que...

Le Président (M. Parent): Bien...

M. Gobé: ...ce n'est plus de l'aide juridique, là.

Le Président (M. Parent): Ha, ha, ha!

Mme Caron: Non, non, c'est parce qu'il n'en a pas, justement...

M. Bélanger: Ha, ha, ha!

Mme Caron: ...qu'il réhypothèque.

M. Gobé: Alors, à ce moment-là, il n'aurait pas d'hypothèque. À ce moment-là, il n'aurait pas d'hypothèque.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: À ce moment-là, il n'aurait pas d'hypothèque, madame. Il me semble que...

Mme Caron: Ils ont le droit d'avoir des... Tu as beaucoup d'assistés sociaux qui ont une maison. Bien oui, tu en as beaucoup qui ont une maison, qui l'avaient avant, et c'est beaucoup moins dispendieux qu'un logement...

Le Président (M. Parent): II faudrait garder la...

M. Bélanger: ...en région. Mme Caron: ...en région.

Le Président (M. Parent): C'est plus avantageux de garder la maison que de s'en aller en logement, dans ce cas-là. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Lefebvre: je voudrais faire la mise au point suivante pour qu'on se comprenne bien. ce que mme la députée de terrebonne souligne, c'est un fait que les dossiers d'aide juridique traités par les notaires, c'est relativement marginal par rapport à l'ensemble de l'activité de l'aide juridique, mais ça a toujours été comme ça. aujourd'hui, c'est plus ou moins 2,5 % à 2,6 % de l'ensemble des activités, alors qu'au départ, en 1972 — en principe, c'est un régime, au niveau des tarifs, satisfaisant pour tout le monde — ça commençait. l'activité notariale, pour la première année, ça a été à peine de 6 %. ça n'a pas bougé beaucoup, hein. ça ne veut pas dire cependant qu'il n'y a pas lieu, également à ce niveau-là, de se questionner sur les ajustements financiers.

C'est toujours la même question, et là, je m'adresse à Mme Carrier et à Mme Boucher, que je veux saluer et remercier pour être venues expliquer le contenu de leur mémoire, qui présente plusieurs points de vue assez particuliers et intéressants. Vous avez soulevé des questions, pour certaines, qu'on n'a pas vues dans d'autres mémoires.

Le système d'aide juridique, on le sait, là... On retrouve à l'intérieur de ce système-là des dispensateurs de services que sont les notaires, que sont les avocats. On retrouve également des gens qui sont assez bien traités à l'intérieur du régime d'aide juridique, ce sont les experts. Quand Mme la députée de Terrebonne disait tout à l'heure que le ministre insiste pour dire que c'est un document de questionnement, effectivement, c'est un document de questionnement qui a permis à des gens de bâtir des rapports, des mémoires extrêmement intéressants, et s'ajoute à ça la consultation. C'est à l'intérieur de cette consultation qu'on apprend des choses aussi questionnables que ce qu'on a appris ce matin avec des avocats de l'aide juridique, qu'un expert en matière de droit criminel, pour un ivressomètre, facture, à l'intérieur du régime d'aide juridique qui est en place pour les plus démunis, pour une demi-heure à la cour, 1200 $. Alors, il faut se questionner là-dessus. Il y a des notaires, des avocats, des experts, puis il y a des démunis. Alors, c'est un questionnement qu'il faut faire tous

ensemble. Moi, je suis prêt à reconnaître qu'il n'y a pas un intervenant qui peut se dire satisfait des sommes d'argent qu'il retire directement ou indirectement du régime. On est bien conscient de ça, sauf que, comme gouvernement, on est confronté à des choix extrêmement difficiles. C'est avec des témoignages comme les vôtres, qui nous donnent un éclairage sur certains points très particuliers...

Vous avez insisté particulièrement sur le droit matrimonial, le choix de l'avocat, l'expertise particulière de l'avocat permanent à l'aide juridique en matière de droit matrimonial.

Le Président (M. Parent): Vos conclusions, M. le ministre.

M. Lefebvre: Alors, je conclus en vous remerciant puis en vous souhaitant un bon retour à la maison. Merci beaucoup, mesdames.

Le Président (M. Parent): Merci. Avant de suspendre nos travaux, je demanderais s'il y a consentement parmi les membres de cette commission à ce que nous débutions nos travaux à 19 h 45 au lieu de 20 heures.

M. Lefebvre: Consentement.

Le Président (M. Parent): On va tâcher de rejoindre les gens qui sont ici. S'ils ne sont pas ici, il n'y a pas de problème, on commencera à 20 heures. Mais on va tenter de les rejoindre ici, parce qu'on peut avoir un vote vers 21 h 45, puis ça peut être difficile.

Merci beaucoup, mesdames, de votre présence. Merci beaucoup, les membres de cette commission. Nous suspendons nos travaux jusqu'à 19 h 45.

(Suspension de la séance à 18 h 18)

(Reprise à 19 h 46)

Le Président (M. Parent): Alors, j'invite les députés à prendre place à leurs sièges respectifs, pendant que j'accueille en leur nom nos invités, qui sont les représentants de l'Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec, et qui sont représentés à la table par Me Stephen Fineberg, président, Mme Jacinthe Lanctôt, vice-présidente, et Me André Lortie, qui est un membre actif de l'Association.

Alors, je vous informe que nous commençons à 19 h 45; c'est que nous sommes assez serrés dans le temps à cause d'un imprévu dans le travail parlementaire, qui prévoit un vote durant la soirée, et on ne voudrait pas être obligés de priver personne de son droit de parole. Alors, je vous invite à nous faire un résumé de votre mémoire, qui a été lu et assimilé, j'imagine, par les membres de cette commission. Et, après ça, nous verrons à dialoguer ensemble, entre les membres du côté ministériel et les membres du côté de l'Opposition officielle. Alors, j'imagine que le porte-parole, c'est M. Stephen Fineberg?

M. Fineberg (Stephen): Non. Le Président (M. Parent): Non? M. Fineberg (Stephen): Ha, ha, ha! Le Président (M. Parent): Éclairez-moi.

Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec (AADCQ)

M. Fineberg (Stephen): D'abord, j'aimerais juste exprimer la grande satisfaction de l'Association des avocats et avocates en droit carcéral d'être ici ce soir, d'avoir la chance de vous exposer notre point de vue et d'échanger avec vous autres. Mais je vais passer la parole à ma collègue, Me Lanctôt.

Le Président (M. Parent): Alors, Me Lanctôt, encore une fois, moi, je vous accueille et vous remercie, pour ma part, d'avoir répondu à notre invitation pour nous aider dans notre cheminement et nous éclairer dans notre cheminement sur l'étude de la loi de l'aide juridique. Me Lanctôt, nous vous écoutons.

Mme Lanctôt (Jacinthe): Merci. En fait, mon objectif, ce soir, sera, premièrement, de vous présenter brièvement l'Association — c'est une association quand même relativement jeune; deuxièmement, de vous familiariser quelque peu, dans la mesure où le temps nous le permet, avec le champ de pratique qu'est le droit carcéral; troisièmement, de vous démontrer la nécessité de la représentation par avocat dans ce champ de pratique; et quatrièmement, également, la nécessité de la couverture, bien entendu, de l'aide juridique sur ce champ de pratique.

L'Association des avocats et avocates en droit carcéral est une association qui regroupe des membres qui, vous vous en doutez, pratiquent dans ce champ de pratique, mais qui regroupe à la fois également les avocats qui acceptent les mandats d'aide juridique et ceux qui n'acceptent pas les mandats d'aide juridique. C'est une association qui a été créée, en fait, en mai 1992, et nos objectifs sont les suivants, c'est-à-dire, entre autres, travailler à l'avancement de cette pratique du droit carcéral et à la défense des libertés individuelles et des droits fondamentaux des personnes détenues.

D'ailleurs, l'Association, à ce titre, est déjà intervenue à plusieurs reprises, soit devant les instances mêmes du service correctionnel, soit devant la Commission québécoise des libérations conditionnelles. Nous avons participé à certaines consultations publiques sur le droit correctionnel; nous avons proposé l'adoption de règles et de pratiques appropriées sur les lois et les règlements rattachés au régime carcéral.

En fait, il nous importe un peu de vous familiariser avec la nature et les fonctions de l'avocat qui pratique cette spécialisation juridique. Il faut d'abord préciser que les avocats qui pratiquent en droit carcéral sont mandatés par les détenus fédéraux et provinciaux qui... en fait, dans les pénitenciers à la fois fédéraux et provinciaux, et pour les représenter devant les différentes instances administratives, ce qui signifie... En fait, les instances administratives se retrouvent soit devant le tribunal disciplinaire, soit devant la Commission nationale des libérations conditionnelles ou la Commission québécoise des libérations conditionnelles. En fait, nous plaidons devant ces différentes instances à chaque fois que les droits des personnes détenues sont en jeu. Ces audiences se tiennent dans les pénitenciers, dans chacun des pénitenciers; c'est à l'intérieur, ce n'est pas au palais de justice, ce n'est pas dans les cours. Donc, ça cause — d'ailleurs, on pourrait vous en reparler un petit peu plus loin — une certaine difficulté dans la pratique. Ça demande donc une disponibilité assez importante pour les avocats. (19 h 50)

Le droit carcéral est très peu connu, mais il a connu quand même une évolution assez rapide ces dernières années, et ce n'est pas étranger, c'est intrinsèquement relié, je dirais même, à l'évolution du droit carcéral, du service correctionnel lui-même. En fait, le service correctionnel, le système québécois correctionnel, finalement, à la fois provincial et fédéral, a connu un développement assez important au cours des dernières années. Je veux également vous faire un petit rappel historique. Lorsque a été créée la Commission nationale des libérations conditionnelles, en 1958, le Canada ne comptait, à cette époque, que huit pénitenciers. Dans certaines statistiques, on retrouve maintenant que, dès 1988, on en comptait déjà 60, et semble-t-il que ça ne cesse d'augmenter. Et aussi, on peut ajouter à cela de nouvelles maisons de transition, de nouveaux champs aussi qui se recréent, qui sont rattachés, finalement, au service correctionnel. On ne doit pas oublier non plus que le Québec compte près du tiers des détenus canadiens, en plus des détenus provinciaux.

Donc, à ce développement assez important du service correctionnel au cours des dernières années, s'est greffée nécessairement une évolution aussi dans la sensibilisation des droits des personnes détenues, dans la reconnaissance de leurs droits, finalement, et de leurs options juridiques. En fait, je pense que ce qu'il est important de souligner, c'est qu'il ne faut pas oublier que l'incarcération n'est pas un état qui prive la personne détenue de tous ses droits. Encore là, depuis 1992 en fait, la notion de «mort civile» découlant de l'emprisonnement a été abolie au Canada.

Il y a d'autres événements marquants qu'il est important de souligner dans l'évolution, également, à la fois de la pratique en droit carcéral et du service correctionnel. Je vais vous rappeler le rapport MacGuigan; probablement que, peut-être, certains ici sont familiers avec ce rapport, sinon je peux vous en expliquer un peu, rapidement, le contenu. Ce rapport, qui date de 1977, déjà, recommandait justement l'implantation de la règle de droit à l'intérieur des murs — en fait, la «rule of law» de la «common law» — voyant là, en fait, la nécessité de soumettre tout ce qui est activité administrative, décision administrative, au contrôle judiciaire.

Aussi, en 1978, on a commencé à voir apparaître les comités de détenus, qui ont contribué également à la sensibilisation aux droits des personnes détenues. On peut maintenant affirmer sans aucun doute que, dans presque tous les pénitenciers, on retrouve les comités de détenus.

Il y a certains arrêts, aussi. Je pense qu'il est important de souligner que cette évolution du droit carcéral a été marquée par des décisions importantes par la plus haute cour de ce pays, la Cour suprême du Canada, et qui, à chaque fois, venaient confirmer l'importance de reconnaître les droits des personnes détenues. Je vous rappelle, entre autres, en 1979, l'arrêt Solosky, où la Cour suprême venait confirmer que, durant leur détention, les personnes détenues conservent les droits qui ne leur ont pas été enlevés par la législation expresse ou par nécessité implicite.

D'ailleurs, tout récemment, cette position a été concrétisée dans la législation, lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 1er novembre 1992, la nouvelle Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il existe maintenant une nouvelle disposition assez claire qui vient reconnaître ce fait. Et je vais quand même vous le mentionner, je vais vous le souligner, c'est le sous-paragraphe e de la loi qui stipule ceci: «Le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée.»

En fait, il y a eu d'autres décisions importantes également. Je pense à l'arrêt Nicholson, en 1979, qui est justement venu confirmer que des décisions purement administratives, souvent difficiles à différencier de situations quasi judiciaires, sont sujettes elles aussi au devoir d'agir avec équité, ce qu'on appelle le «duty to act fairly» de la «common law». En fait, il y a la célèbre cause Martineau aussi, en 1980, où la Cour suprême reconnaissait encore que les décisions des tribunaux disciplinaires pénitentiaires pourraient être contrôlées judiciairement par le biais de principes d'équité et par voie de certiorari sous l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

On ne peut pas passer sous silence non plus l'arrivée de la Charte canadienne, en 1982. Et, en fait, le droit des personnes détenues d'avoir recours aux avocats spécialisés en droit carcéral pour les représenter devant les démarches administratives et pour défendre leurs droits, je crois, a été acquis, donc reconnu, depuis quand même plusieurs années par les tribunaux.

Il y en a une autre, tout récemment encore, qu'il m'importe de vous souligner. En 1993, c'est la Cour fédérale, cette fois-ci, qui, dans la cause William Head

Institution contre la reine, a désavoué carrément la position du service correctionnel qui refusait aux détenus de participer au processus décisionnel affectant leurs intérêts. C'est, encore là, un trait assez important, parce qu'il se retrouve maintenant une disposition, également, dans la loi sur le service correctionnel qui indique que le service correctionnel doit consulter les détenus lorsque leurs intérêts sont en cause.

De très grandes parties du travail des avocats qui pratiquent le droit carcéral concernent... en fait, tout ce qui touche les statuts, les règlements, les politiques, la jurisprudence qui se plaide à l'intérieur du cadre administratif des institutions pénitentiaires, tout ce travail, finalement, juridique des avocats en carcéral porte à la fois sur la législation, les jurisprudences. On constitue des dossiers, et devant les différentes instances du milieu carcéral, incluant également les cours, on doit finalement faire nos représentations.

En ce sens, je pense qu'il nous apparaît, nous, évident que les personnes détenues doivent pouvoir recourir aux avocats. Elles sont confrontées, non seulement à une abondante jurisprudence, mais le régime carcéral lui-même est encadré d'une législation abondante, comme je le disais tout à l'heure, de toutes sortes de lois, de directives internes qu'il devient très difficile pour les détenus de pouvoir connaître et assimiler, et présenter des arguments ou une défense à rencontre de toutes ces dispositions ou pour faire valoir leurs droits qui sont reconnus dans ces dispositions.

En fait, l'étendue et la diversité des lois sont tellement importantes que le service correctionnel lui-même, de même que les différentes commissions de libérations conditionnelles, c'est-à-dire provinciale et fédérale, se sont, quant à eux, dotés d'un service de contentieux juridique, d'avocats qui leur permettent de les conseiller dans leurs démarches et de les représenter devant les différentes instances, le cas échéant. En fait, nous pensons qu'une seule, une personne vraiment versée en droit administratif va être en position de faire des représentations adéquates dans les différentes instances administratives.

La nouvelle Loi sur le système correctionnel consacre d'ailleurs le principe selon lequel, lorsque la liberté est en péril, la représentation par avocat devient un droit, ce qui n'était pas clairement identifié dans l'ancienne loi. Ça l'est maintenant, à l'article 31 des règlements, où on vient confirmer que le détenu qui fait face à une infraction disciplinaire et qui doit passer devant un tribunal disciplinaire à l'intérieur du pénitencier a droit d'avoir recours à l'avocat, et non seulement le droit d'avoir recours, mais on doit l'informer de ce droit lorsqu'il fait face à une infraction disciplinaire grave.

Au niveau de la commission de libérations conditionnelles, ce droit aussi a déjà été reconnu par les tribunaux, en 1980. Je pense, entre autres, à la cause Dubeau, où, en fait, la cour a confirmé... En fait, un détenu avait été révoqué de sa libération conditionnelle, et ce détenu s'est... un recours en certiorari, et on a effectivement... Il s'était fait refuser, lors de cette au- dience, le droit d'être représenté par avocat, alors que la commission de libérations conditionnelles le questionnait notamment sur des causes juridiques pendantes. Et la cour est venue confirmer que ce détenu avait le droit d'être représenté par un avocat devant la commission de libérations conditionnelles. C'est encore une preuve que la reconnaissance des droits... le droit d'être entendu comprend effectivement le droit d'être représenté par avocat.

Il y a plusieurs dispositions également qui démontrent, qui prouvent qu'un détenu sans avocat peut difficilement s'en sortir devant certaines... Comme, par exemple, je pense aux dispositions concernant l'appel des décisions de la commission. Je vais vous en lire quelques extraits. C'est l'article 147 de la loi qui nous dit que: Le délinquant visé par une décision de la commission peut interjeter appel à la section d'appel de la commission, et les motifs invoqués sont ceux-ci: «a) la commission a violé un principe de justice fondamental; «b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision; «c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151.2 ou ne les a pas appliquées; «d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets; «e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l'exercer.» (20 heures)

Alors, je pense que cet article parle de lui-même. L'importance d'être représenté, d'avoir une représentation adéquate pour défendre ces principes juridiques nous apparaît, encore une fois, incontestable. Ce qui nous apparaît incontestable aussi, c'est que le déni ou le refus de permettre aux détenus d'être représentés par avocat équivaut finalement à les priver de véritables recours adéquats ou d'une défense pleine et entière.

La mise en application des mesures pour protéger la liberté et la sécurité des personnes détenues, c'est devenu une nécessité, comme nous l'avons dit plus tôt, avec le développement des lois et des règlements. En fait, je peux vous donner quelques exemples d'incidents dans le milieu carcéral qui touchent et qui ont un impact direct sur le degré de jouissance de la liberté de la personne. Je vais vous parler, entre autres... Il y a, notamment, des transferts involontaires de détenus qui sont détenus dans des pénitenciers à sécurité moindre, et on les transfère dans les pénitenciers à sécurité maximum, par exemple. Il y a aussi l'isolement de certains détenus qu'on maintient dans des cellules d'isolement pour raisons administratives ou punitives, c'est-à-dire que les détenus sont maintenus dans les cellules 23 heures sur 24 pendant un certain nombre de semaines, de jours, d'heures, voire de mois. Il y a également les actions en cour disciplinaire, il y a les fouilles à nu, les tests d'urine, l'octroi de semi-libertés, d'absences temporaires, de libérations conditionnelles, les audiences relatives, également, à la perte de cette libération conditionnelle.

Il y a d'autres choses, aussi, qui peuvent vous paraître un peu moins évidentes, comme, par exemple,

l'obtention de soins médicaux, de soins psychologiques, psychiatriques, de diètes spéciales. En fait, ce qui est pris pour acquis par les citoyens en liberté ne peut l'être dans les institutions pénitentiaires. Dès que des intérêts importants sont en cause, je pense que le devoir d'agir avec équité s'impose aux décideurs. Ces décideurs — je parle des instances, des directeurs des pénitenciers, des directeurs des services régionaux du service correctionnel, et fédéral, de même que des décideurs au niveau de la commission de libérations conditionnelles — ont un énorme pouvoir discrétionnaire. La loi leur confère de tels pouvoirs.

Donc, je pense qu'ils n'ont, par contre, souvent, malgré tout, aucune formation juridique. Ce ne sont pas nécessairement des avocats. Même les membres de la commission de libérations conditionnelles, les directeurs des pénitenciers, n'ont pas nécessairement une formation juridique. Et donc, le danger d'ériger en système des décisions administratives arbitraires et déraisonnables, ou mal fondées légalement, nous apparaît évident. Il devient d'autant plus important d'assurer aux personnes détenues la possibilité d'avoir recours aux avocats; donc, comme garde-fous. Parce que les détenus, justement, à cause de la condition inhérente à leur détention, à la vie carcérale, n'ont pas nécessairement la capacité d'accomplir tout ce qu'un citoyen libre peut faire, quant à lui, pour se représenter ou pour présenter sa cause ou se défendre. On pense, entre autres, qu'un détenu n'a pas accès à une bibliothèque juridique, il n'a pas souvent accès à ses effets personnels lorsqu'il vient d'être suspendu d'une libération conditionnelle; donc, il n'a même pas ses documents, son dossier carcéral, il ne peut pas avoir recours à ses effets, ses appels téléphoniques sont limités, ils ne peuvent être faits qu'à des personnes qui acceptent les frais. Et sans compter que le climat carcéral lui-même ne favorise pas nécessairement la concentration pour faire une bonne préparation d'un dossier. En fait, la personne détenue n'est vraiment pas en position de force pour contester certains faits ou présenter certains arguments. Et c'est pour tous ces motifs, en fait, que nous croyons que les services d'un avocat spécialisé dans les sciences juridiques, dans le droit administratif carcéral, nous apparaissent essentiels.

Je vais essayer d'abréger. Nous pensons donc que la nécessité que l'aide juridique couvre les mandats des actes juridiques des avocats en carcéral est évidente, parce qu'il y a un lien direct entre la pauvreté et la population carcérale. Comme nous l'avons mentionné plus tôt, aussi, la majorité des détenus sont issus de milieux défavorisés, n'ont pas les moyens de s'offrir les services d'un avocat, ou encore, ont englouti tous leurs revenus dans les paiements des honoraires d'un avocat au criminel qui les a représentés dans leur défense au criminel. En institution, bien entendu, ils ont à peine de quoi payer leur cantine. Alors, s'ils ne bénéficient pas de l'aide juridique, c'est carrément les empêcher de se représenter, de faire valoir leurs droits, et c'est faire deux justices, finalement, parce que c'est seulement ceux qui sont les plus fortunés qui vont pouvoir se faire re- présenter par avocat. Et les plus fortunés, bien entendu, pour la majorité, font partie du crime organisé. Alors donc, il nous apparaît important, ce soir, de vous mentionner que, également, il faut collaborer avec les avocats de pratique privée pour continuer à faire cette pratique... et ceux qui acceptent les mandats d'aide juridique, et pour différentes raisons.

En fait, je ne sais pas si, ici, les membres sont au courant qu'il n'y a pas de tarification, actuellement, en droit carcéral. Nous subissons effectivement la discrétion de la Commission des services juridiques quant à l'émission des mandats et quant aux barèmes à être payés pour les avocats. Donc, notre recommandation va également, aujourd'hui, dans ce sens, lorsque, dans notre mémoire, nous en parlons à la conclusion. Il devient donc important que cette commission se penche sur l'évident besoin d'assistance juridique pour les personnes détenues soumises au régime carcéral, sur l'utilité de recourir aux avocats et aux avocates en droit carcéral et en pratique privée pour la défense des personnes détenues, sur l'indispensable couverture de frais d'assistance juridique en matière carcérale et sur l'élaboration, bien entendu, d'une grille de tarification uniforme pour les honoraires des actes juridiques.

Et, peut-être, lors de la période des questions et des réponses, nous pourrons également vous informer concrètement, dans la pratique, ce que ça signifie cette discrétion quant à l'émission et à la couverture de nos honoraires juridiques.

Le Président (M. Parent): Merci, Me Lanctôt. Vous nous avez présenté les gens qui vous accompagnaient. Je vais vous présenter aussi des gens qui forment cette commission. D'abord, le ministre de la Justice est avec nous, le porte-parole de l'Opposition officielle, la députée de Terrebonne, le président de la commission de l'aide juridique, Me Pierre Lorrain, qui accompagne le ministre, M. le député de LaFontaine et M. le député de Hull.

Et je reconnais le ministre de la Justice.

M. Lefebvre: Merci, M. le député de Sauvé, président de la commission des institutions. Je vous remercie. Je veux vous saluer, Me Lanctôt, Me Fineberg, Me Lortie, vous remercier pour nous avoir, dans un premier temps, au nom de l'Association des avocats et avocates en droit carcéral, soumis un mémoire, et aussi, évidemment, de venir le discuter avec nous en commission, ce soir.

Vous n'êtes pas le premier groupe qui soumettez un mémoire qui touche une activité très précise du droit à l'intérieur du système d'aide juridique, et je trouve que c'est bien, parce que ça permet à la commission d'avoir un éclairage très professionnel, très précis, par ceux et celles qui sont impliqués directement dans l'activité, sur des volets de notre système d'aide juridique.

Me Lanctôt, vous dites, dans votre présentation, ça apparaît dans votre mémoire, que l'Association des avocats et avocates en droit carcéral existe depuis mai

1992. Ça regroupe plus ou moins 25 à 30 avocats. Avant mai 1992... je devrais peut-être poser la question autrement: Pourquoi avez-vous trouvé souhaitable de vous regrouper en association? Parce que le droit carcéral n'a pas commencé en 1992, j'imagine?

Mme Lanctôt (Jacinthe): Non. Non. Et peut-être que je peux laisser à mon confrère, qui est beaucoup plus expérimenté que moi en droit carcéral, vous répondre exactement à cette question.

M. Lefebvre: Oui, Me Fineberg, on vous écoute.

M. Fineberg (Stephen): Oui. Merci beaucoup. On constate que, au Québec, on vit une évolution importante en droit carcéral, et on aimerait le situer dans le contexte de l'évolution globale du droit administratif et des droits de la personne, depuis les années soixante. Je pense qu'il n'est pas inexact de prétendre que, aux États-Unis, le droit carcéral s'est développé peut-être 10 ans avant qu'il se produise au Canada. Mais depuis, mettons, 1970, les détenus commencent à s'adresser aux cours. (20 h 10)

La Cour fédérale a été créée en 1971, et je peux vous dire que, selon l'expérience de mes collègues un peu plus âgés que moi, qui ont présenté les premiers cas à la Cour fédérale en 1971, la Cour fédérale, au début, né s'attendait pas à ce que les détenus fédéraux du pays présentent leur cause à la Cour. Les juges ont eu un choc, et au début, les avocats, ils ont trouvé très dur de convaincre les juges que les détenus avaient le droit de déposer une procédure à la Cour. Mais, avec le temps, les juges, ils s'habituaient; aujourd'hui, c'est quelque chose qui est très courant.

Le droit carcéral évolue au Québec, tout comme à l'extérieur du Québec. À un moment donné, on trouve qu'il y a maintenant plusieurs personnes qui travaillent en droit carcéral. Pour la première fois, on est en mesure de regrouper, de créer une association. À un moment donné, au Québec, je peux dire que, quand j'ai commencé en droit carcéral, il y avait peut-être deux avocats qui travaillaient à temps plein, spécialisés en droit carcéral.

M. Lefebvre: Vous en faites depuis combien d'années, Me Fineberg? Vous en faites, du droit carcéral, depuis combien d'années, à peu près?

M. Fineberg (Stephen): Ah, depuis 1985, à temps plein.

M. Lefebvre: 1985.

M. Fineberg (Stephen): Mais je suis dans le milieu depuis 1982, parce que, pendant 10 ans, je militais presque à temps plein avec l'Office des droits des détenu-e-s; je faisais mon bénévolat avec l'Office. Et, au Québec, on constate que c'était l'Office des droits des détenu-e-s, un groupe de pression, qui a formé les premiers avocats en droit carcéral. À un moment donné...

M. Lefebvre: C'est la question que j'allais justement vous poser, Me Fineberg. Vous travaillez — je vous interromps, je m'excuse, c'est parce que ça va peut-être nous permettre de bien situer ce que je voudrais évaluer avec vous — en collaboration avec des gens préoccupés du sort des détenus, hein?

M. Fineberg (Stephen): II faut absolument, en droit carcéral; il n'y a pas d'autre façon de le faire.

M. Lefebvre: L'association à laquelle vous faites référence...

M. Fineberg (Stephen): Je peux vous donner des exemples.

M. Lefebvre: ...protection et droit des détenus, de quelle façon travaillez-vous en collaboration avec ces bénévoles? Comment ça fonctionne? Est-ce que ce sont eux qui vous réfèrent certains cas à l'occasion?

M. Fineberg (Stephen): Ah, non. M. Lefebvre: Comment ça fonctionne?

M. Fineberg (Stephen): Non, les détenus s'adressent aux avocats, aux individus. Les détenus ne s'adressent pas à l'Association, parce qu'il faut respecter les règles de la pratique du Barreau.

M. Lefebvre: Oui, oui.

M. Fineberg (Stephen): Et, selon le Barreau, le client est le client d'un individu et pas d'une association.

M. Lefebvre: D'accord.

M. Fineberg (Stephen): Mais, par contre, l'Association essaie d'intervenir à plusieurs étapes. L'Association, bien qu'elle ne puisse pas représenter un individu, essaie de s'impliquer dans plusieurs forums. À titre d'exemple, nous avons déjà assisté au groupe d'étude du gouvernement fédéral sur la législation qui s'en vient, sur les offenseurs dangereux. Nous avons assisté aux consultations publiques, du côté parlementaire, à la Chambre des communes fédérale, sur le projet de loi C-36, qui est devenu la loi du pays, qui contrôle les établissements correctionnels et la mise en liberté sous condition. Nous avons adressé des arguments au bureau national de la Commission des libérations conditionnelles et aussi au service correctionnel à Ottawa pour essayer d'améliorer le sort des détenus, de convaincre le pouvoir de certaines choses, sans obliger le détenu, l'individu à prendre le fardeau et d'aller à la cour.

Mais aussi, les membres individuels de l'Association collaborent avec divers organismes. Si vous

prenez, par exemple, mon exemple: je travaille gratuitement dans les dossiers carcéraux de la Fédération internationale des droits de l'homme; je suis au comité d'orientation d'un regroupement national des avocats. Notre association est actuellement en cours d'organiser une conférence nationale sur le droit carcéral, qui va se faire à Montréal, en juillet. Alors, dès le début, nous avons essayé de nous impliquer à plusieurs étapes, selon les situations qui arrivent.

Je m'excuse. Je disais tout à l'heure qu'à un moment donné tous les avocats en droit carcéral de la province étaient formés par l'Office des droits des détenu-e-s, tout le monde militait à l'Office, tout le monde a fait son stage à l'Office des droits des détenu-e-s. Mais depuis un certain temps, on trouve qu'il y a des avocats qui ne sont pas passés par l'ODD. Il existe maintenant un certain nombre d'avocats en droit carcéral qui sont spécialisés, et on est assez nombreux maintenant — on serait peut-être 30, 31, à cette heure-ci — pour faire une association. Et on est beaucoup plus efficaces aujourd'hui — si vous me permettez mon commentaire personnel — on est plus efficaces, on est plus organisés qu'auparavant.

M. Lefebvre: Me Fineberg, vous savez que, dans notre système d'aide juridique, il faut, dans un premier temps, établir la vraisemblance du droit avant qu'un bénéficiaire puisse obtenir les services du système d'aide juridique. Comment, en droit carcéral — strictement au niveau du processus, de la procédure — comment procède-t-on pour évaluer la vraisemblance du droit?

M. Fineberg (Stephen): Est-ce que vous demandez comment l'aide juridique est en mesure d'évaluer...

M. Lefebvre: Comment l'avocat...

M. Fineberg (Stephen): ...ou nous autres, les avocats?

M. Lefebvre: Oui, vous, ou un de vos collègues, ou une de vos collègues. Comment évaluez-vous la vraisemblance du droit? Qui décide de la vraisemblance? Est-ce que c'est une rencontre que vous avez avec le détenu? Me Lanctôt?

Mme Lanctôt (Jacinthe): O.K. Il s'agit, en fait, comme j'expliquais tout à l'heure, de procédures... Ce sont des instances, c'est du droit... ce sont des auditions. À partir du moment où on reconnaît à un détenu ou à une personne le droit d'être entendu, je pense que doit être intrinsèquement relié à ça le droit d'être représenté, le droit de pouvoir avoir quelqu'un qui les conseille au niveau juridique et qui va défendre leurs intérêts. C'est intrinsèquement relié. Je pense que ça va de soi que, quant à moi, lorsqu'un individu doit être présenté devant la commission de libérations conditionnelles et que c'est sa liberté qui est en jeu, c'est quand même... Déjà, la nature même de l'audience, le fait que ce soit sa liberté qui soit en jeu, l'apparence de droit m'apparaît évidente. Et le fait qu'il y ait audience, eh bien, ça nous semble évident, également, qu'il doit être représenté...

M. Lefebvre: Mais, maître...

Mme Lanctôt (Jacinthe): Si vous me permettez... Au niveau du tribunal disciplinaire, c'est la loi elle-même qui le permet, qui indique que le détenu, lorsqu'il fait face à une infraction grave, a le droit d'être représenté par avocat, et non seulement ça, mais on doit lui fournir l'information et l'aviser de ce droit-là.

M. Lefebvre: Évidemment, lorsque vous faites référence à des questions aussi fondamentales que la liberté comme telle des remises de sentence, des sorties après un certain nombre de mois ou même d'années d'emprisonnement, ça m'apparaît évident que la vraisemblance, elle est acquise. Dès le moment où on pose la question, je suis d'accord avec vous: le client, même s'il est derrière les barreaux, a droit aux services d'un avocat. C'est ce que vous prétendez, c'est ce que vous demandez à l'État du Québec de continuer à donner comme services.

Et j'ajoute que la vraisemblance de la demande d'intervention de l'aide juridique, elle est, dans certains cas, évidente. C'est parce que j'ai une liste ici; on est dans la couverture des services, hein?

Mme Lanctôt (Jacinthe): Oui.

M. Lefebvre: Appel des décisions de la Commission. Demandes devant le tribunal disciplinaire: ça, ça m'apparaît évident. Mais, lorsque, par exemple... et je veux vous entendre là-dessus. Vous savez, en 1990, il y a eu 2640 dossiers qui ont été traités par le biais de l'aide juridique dans le droit carcéral. 2600 dossiers en 1990. Et, en 1993, à peine trois ans plus tard, on a traité 4700 dossiers. Alors, de 2600, on est passé à 4700. Je n'ose pas parler des honoraires; j'ai peur de me le faire reprocher. Mais j'ai les chiffres sous les yeux.

Je voudrais que vous m'indiquiez comment on établit la vraisemblance du droit en regard de demandes comme: réclamation d'effets personnels, par exemple; demande de... cas de... permissions de toutes natures, sorties de fin de semaine, etc. Comment évaluez-vous la vraisemblance? Vous comprenez ce que je veux dire, Me Lanctôt?

Mme Lanctôt (Jacinthe): Oui. Comme j'ai dit tout à l'heure...

M. Lefebvre: Je ne vous dis pas qu'il y a des abus. Je veux avoir des explications.

Mme Lanctôt (Jacinthe): Oui. La personne détenue... ce qui peut paraître pour acquis, finalement,

pour un citoyen ordinaire, ce ne l'est pas à l'intérieur des institutions pénitentiaires. Vous savez, les demandes d'effets personnels, comme je vous expliquais tout à l'heure, un détenu qui vient d'être suspendu de sa libération conditionnelle n'a pas accès à ses effets personnels. Des choses importantes peuvent s'y trouver, notamment son dossier carcéral, des documents qu'on a besoin de se procurer. C'est très compliqué, très complexe de pouvoir se procurer ces documents à l'intérieur des institutions pénitentiaires. On ne nous les fournit pas automatiquement. Donc, ça prend des démarches administratives pour arriver, effectivement, à obtenir ces documents pour contester cette décision, par exemple, de lui refuser ses effets. C'est un exemple. Les exemples d'autres, comme je vous dis... Il y a, entre autres, les contestations de transfert. C'est un domaine qui touche directement la privation... le degré de jouissance de liberté de l'individu détenu. Lorsqu'on prend un individu, et, sous la foi de soupçons, uniquement de soupçons qu'il aurait commis une infraction, ou soupçons qu'il aurait fait, par exemple, du trafic institutionnel, on décide de le transférer dans un établissement à sécurité maximum; ça représente, ça...

M. Lefebvre: Oui.

(20 h 20)

Mme Lanctôt (Jacinthe): ...une perte de jouissance de sa liberté. Et même les cours, telles que les cours supérieures, vont accepter même d'entendre et de réviser ces décisions.

M. Lefebvre: Vous savez, Me Lanctôt, je vous pose ces questions-là, ce n'est pas pour pointer de façon particulière le droit carcéral. Il y a des questionnements autant dans cette activité du droit qu'il y en a dans toutes les autres activités, que ce soit le droit matrimonial, que ce soit le droit criminel et pénal pour des clients qui sont en liberté, que ce soit le droit administratif dans son ensemble. On essaie ensemble de se questionner sur certains services à l'intérieur de la couverture globale des services.

Est-ce que...

M. Fineberg (Stephen): Est-ce que je pourrais ajouter quelque chose?

M. Lefebvre: Oui, Me Fineberg.

M. Fineberg (Stephen): Merci beaucoup. Ce qu'il est important de comprendre, c'est que, dans les établissements, toutes les décisions qui portent sur les activités des détenus, sur la vie de l'individu, ça provient du pouvoir. C'est l'État qui prend la décision, par le biais de ses effectifs: les gardiens, l'administration des pénitenciers, les commissaires de la commission des libérations conditionnelles; c'est l'État qui détermine tous les mouvements, tout ce que les détenus peuvent faire. Et, selon la Cour suprême, dans Martineau contre Matsqui, qui date de 1980, toutes ces décisions-là sont sujettes à la révision des cours, parce que, dans chaque cas, il faut que l'administrateur prenne sa décision avec équité. C'est son devoir comme administrateur. C'est maintenant bien établi à la Cour suprême que chacune des décisions des administrateurs fédéraux ou provinciaux sont sujettes au contrôle de la Cour. Et on peut invoquer des principes du droit pour faire évaluer les décisions qui sont prises. Ça, c'est très évident pour nous autres.

Il y a même des cas — peut-être pas beaucoup — mais il y a un certain nombre de cas de jurisprudence maintenant qui portent sur les conditions de détention prises globalement. Par exemple, il y a l'arrêt Maltby, qui date... je ne sais pas, ça fait des années déjà que ça existe à la cour de Saskatchewan. Dans l'arrêt Maltby, la cour a accepté d'examiner les conditions de détention globales des détenus dans une prison spécifique et a décidé que les conditions de détention étaient l'équivalent de traitements cruels et inusités, qui vont contre la Charte canadienne. Alors, toutes les décisions que vous venez de mentionner — à titre d'exemple, priver quelqu'un de ses effets personnels — ça fait partie des conditions de détention.

Un autre exemple serait l'arrêt McCann, à la Cour fédérale, de 1976. Dans cet arrêt-là, la Cour fédérale a décidé que les conditions qui régnaient en Colombie-Britannique, dans le pénitencier à sécurité maximale, étaient cruelles et inusitées, encore une fois. Et pourquoi? Entre autres, parce que la lumière était toujours ouverte dans les cellules. Est-ce que c'est quelque chose qui est sujet au contrôle des cours? La réponse est oui. Et il est possible que ça vous apparaisse peut-être anodin, innocent, le fait que la lumière soit toujours ouverte. Mais, selon la Cour fédérale, dans McCann, c'est quelque chose que la Cour peut examiner, c'est une décision légale prise par les administrateurs, et on a le pouvoir de faire examiner ces décisions-là, toutes ces décisions-là.

M. Lefebvre: Merci, Me Fineberg. M. le Président.

Le Président (M. Parent): Me Fineberg, je vous remercie. M. le ministre de la Justice, je vous remercie.

Je reconnais maintenant, comme deuxième interlocuteur, le porte-parole officiel... le porte-parole de l'Opposition officielle, pardon, Mme la députée de Terrebonne. Vous êtes porte-parole officielle quand même!

Mme Caron: Oui, merci, M. le Président. Me Lanctôt, Me Fineberg, Me Lortie, bonsoir! Merci de votre mémoire et de votre présentation.

Est-ce que les détenus sont véritablement informés de leurs droits ou des services que vous pouvez offrir? Je me pose la question, parce que je me dis: C'est un peu comme la plupart des citoyens et des citoyennes; souvent, ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui n'ont pas l'information. Et est-ce que l'information,

elle est là? Et est-ce qu'il y a une certaine facilité à pouvoir vous rejoindre? Du côté pratique, là, est-ce que c'est possible?

Tantôt, vous donniez certains exemples. Par exemple, un détenu qui se retrouve dans une cellule spéciale 23 heures sur 24, ce n'est pas évident qu'il peut vraiment vous rejoindre pour essayer de vérifier au niveau de certains droits, alors, au niveau de l'information et au niveau du contact qui s'établit avec vous.

Mme Lanctôt (Jacinthe): Effectivement, dans certains cas, comme je le mentionnais tout à l'heure, les téléphones sont limités. Bien entendu, pour téléphoner aux avocats, en principe, on ne compte pas le nombre de téléphones, mais c'est quand même limité dans le temps, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas le droit ou la permission, la possibilité de s'adresser ou de téléphoner aux avocats quand ils le veulent. Il y a des heures précises, des moments précis dans la journée pour ce faire. Ça, c'est un des facteurs qui, effectivement, rendent plus difficile l'accès à l'avocat.

Il y en a d'autres également. Il y a des délais administratifs. Quand le détenu est maintenu dans la cellule d'isolement pour raisons administratives ou punitives et qu'il a 48 heures pour contester son transfert dans un pénitencier à sécurité maximum, effectivement, là aussi, ça devient assez difficile. C'est beaucoup du bouche à oreille, finalement. C'est comme ça que se répand... C'est entre détenus. C'est vraiment un système clos, le système pénitentiaire, et c'est comme ça que se fait, finalement, l'information de bouche à oreille, et qu'ils sont au courant de l'accès ou de la possibilité d'avoir accès à un avocat.

M. Fineberg (Stephen): Est-ce que je peux ajouter quelque chose?

Mme Caron: Oui, certainement.

M. Fineberg (Stephen): Merci beaucoup. Vous avez demandé si les informations sont disponibles, si les détenus ont accès aux informations. Ils ont accès au fait qu'il existe des avocats à l'extérieur; ça, ils le savent tous. Mais il y a des informations sur la loi et sur les règlements, sur les politiques, sur les programmes qui existent, il y a des informations qui circulent dans les prisons. Puis on trouve que les informations qui circulent, les rumeurs qui circulent, c'est effrayant comment les informations sont erronées. Il y a toutes sortes de rumeurs qui circulent, et une partie de notre tâche est de corriger ces informations-là. Il y a des informations qui proviennent des lois qui n'existent plus. Et les anciens détenus retournent en prison, ils apportent avec eux les informations qui ne sont plus valables, ils partagent leurs informations avec leurs pairs; une rumeur commence, et tout le monde croit qu'il existe une certaine situation qui n'est pas la réalité. Ça fait partie du décor dans les prisons.

Mme Caron: Vous avez parlé, dans votre mémoire, en page 1, que vous aviez une certaine difficulté... Bon, vous dites que c'est en raison du manque d'intérêt, du manque d'orientation dans le système d'aide juridique, que l'aide juridique, finalement, est décidée souvent de façon arbitraire, qu'on coupe dans l'émission de certains mandats et que, pour vous, c'est souvent très arbitraire comme décision. Est-ce que vous pensez qu'il y aurait lieu de définir plus précisément le type de mandat qu'il faudrait accepter, parce que ça semble être variable aussi d'un bureau à l'autre?

Mme Lanctôt (Jacinthe): Oui. C'est que certains types de mandats que, par exemple, on prend pour acquis qu'ils sont émis, c'est souvent aussi des actes juridiques qui doivent être faits dans des délais assez rapides. C'est souvent des situations d'urgence. Et, du jour au lendemain, on peut apprendre que, tout à coup, l'aide juridique décide de ne plus émettre de mandats dans ce champ d'activité juridique. Ça se produit assez fréquemment. Et souvent, on va changer également — il y a d'autres exemples — changer de barèmes, des honoraires, des avocats, et ce, même rétroactivement. Alors, on nous a émis des mandats, on a accepté de nous les émettre, et on prend pour acquis que ça va être le même barème qu'habituellement. Et, après coup, après qu'on ait fait la facturation, c'est lorsqu'on reçoit notre chèque qu'on s'aperçoit qu'ils ont décidé de faire un changement dans les tarifs, et ce, rétroactivement. C'est des choses qui se produisent assez régulièrement. (20 h 30)

M. Fineberg (Stephen): Nous avons un peu le même point de vue que les avocats qui travaillent à l'immigration. Pour nous autres, les mandats constituent un contrat avec l'aide juridique. L'aide juridique engage les services des avocats en pratique privée pour faire des choses. Et ensuite, dans le dos des avocats, sans les aviser, ils changent les règles du jeu, ils changent les termes du contrat. On trouve ça incroyable qu'un système d'aide juridique qui se compose d'avocats puisse se permettre de changer un contrat dans le dos de l'avocat. On ne peut même pas avoir les informations. Il faut se demander entre nous, continuellement, quelles sont les conditions qui existent, est-ce que telle et telle corporation de l'aide juridique émet des mandats pour faire telle et telle chose aujourd'hui, ou est-ce que ça n'existe plus? Est-ce que ça existe à Trois-Rivières? Est-ce que ça existe toujours à Cowansville? On ne sait jamais. On ne peut pas savoir. Nous avons même adressé des lettres à l'aide juridique. Moi-même, j'ai écrit à l'aide juridique, en 1990, pour demander: Qu'est-ce que vous allez payer pour aller à la Cour fédérale? Parce que c'est ça, souvent, le dernier recours en droit carcéral, si vous ne pouvez pas persuader le pouvoir de changer sa décision, il faut aller à la Cour fédérale, normalement, quand il s'agit d'un détenu fédéral, pour contester la décision. C'est un grand ouvrage, ça! Intéressant de savoir à l'avance si on sera payé ou non. Et j'ai écrit, en 1990, à l'aide juridique pour savoir combien on serait payé, et si

l'aide juridique voulait payer pour toutes les étapes de la Cour fédérale; parce que ça risque d'être long, des fois. Aucune réponse! Alors, neuf, dix mois plus tard, j'ai écrit une deuxième fois à l'aide juridique à Montréal — je parle toujours de Montréal — pour savoir combien ça va payer. On estime qu'on a le droit de savoir si on signe un contrat pour faire quelque chose. Au moins, qu'on ait les termes du contrat! L'aide juridique ne pouvait pas répondre.

Alors, je me suis adressé au syndic du Barreau. Le syndic m'a écrit pour dire: Ça ne relève pas de mon bureau; vous devrez vous adresser à la Commission des services juridiques. Ce que j'ai fait. Et, enfin, la réponse de l'aide juridique: l'aide juridique répond ou explique certaines choses, mais écarte complètement la question de la Cour fédérale. La Commission des services juridiques était prête à me dire par écrit ce qu'ils voulaient payer pour faire certaines choses, mais pour la Cour fédérale, aucun mot, strictement rien. À cette heure-ci, on ne peut pas encore savoir ce que l'aide juridique est prête à payer systématiquement pour aller à la Cour fédérale. Vous voyez la situation qui existe au Québec? Il n'y a rien là pour encourager les avocats qui sont prêts, des fois, à travailler pour des montants minimes, d'aller à la Cour fédérale, parce qu'on ne peut même pas savoir...

Et le Barreau dit aux jeunes avocats qui commencent en droit: Faites très attention, ne faites pas une faillite! Il faut faire attention à votre business, il faut gérer votre business comme il faut. On ne peut même pas savoir combien on sera payé pour quelque chose qu'on est prêt à faire. Et voici les conséquences: il faut souvent citer les jurisprudences qui proviennent des autres provinces, les jurisprudences qui sont créées par les avocats en droit carcéral, nos collègues, avec lesquels nous sommes en contact, en Colombie-Britannique et en Ontario. Parce que, au Québec, il est presque impossible d'avoir des informations et des paiements satisfaisants ou réalistes pour s'adresser aux cours de la justice. On est obligés de se servir des jurisprudences créées par d'autres provinces comme si on n'était pas compétents ici, à cause du système d'aide juridique qui existe à peine. L'aide juridique, peut-être, ne sera pas d'accord, mais nous avons notre propre voix, et on se sert de notre voix, ce soir, pour vous aviser que le système d'aide juridique qui existe en droit carcéral, existe d'une façon très mitigée.

Le Président (M. Parent): ...madame.

Mme Caron: En fait, le problème, il est double. Vous le retrouvez autant au niveau des mandats, qui sont variables d'une corporation à l'autre, et autant au niveau des tarifs, qui sont variables d'une corporation à l'autre, aussi selon certains actes, puisque, finalement, il n'y a pas un tarif précis. Ce qui fait qu'au niveau de la gestion des finances publiques ça pose aussi un problème, parce que vous pouvez vous retrouver avec certaines corporations qui sont plus ouvertes que d'autres. Et le pouvoir, c'est presque un pouvoir discrétionnaire, autant au niveau des mandats que pour les tarifs.

Le Président (M. Parent): Me Fineberg.

M. Fineberg (Stephen): Oui, oui, c'est ça, la situation. C'est très discrétionnaire, c'est très flou comme situation. Il serait intéressant d'avoir un système de tarification en droit carcéral; nous l'avons proposé, il n'existe pas encore. Les règles du jeu changent tout le temps dans notre dos, et d'une corporation à une autre. Ça rend la situation très, très difficile, et il y a des avocats qui, de bonne foi, sont prêts à embarquer. Ils aimeraient faire des choses. On fait beaucoup, beaucoup de bénévolat, mais il est difficile de faire beaucoup de choses en droit carcéral. Les audiences en libération conditionnelle sont payées; ça, c'est bien établi. Alors, les avocats font des audiences en libération conditionnelle. On aimerait faire beaucoup plus, mais à chaque fois, dans certaines régions de la province, à chaque fois qu'on veut contester un transfert, il faut le faire de notre poche, ou si on veut contester d'autres décisions d'ordre administratif. L'aide juridique prétend qu'il ne s'agit pas d'un travail légal. Ce qu'on n'accepte pas.

Je vous donne un exemple. À Montréal, impossible d'avoir un mandat de l'aide juridique pour contester une décision par rapport à la diète spéciale d'un détenu. J'ai un client qui dit: Mon médecin à l'extérieur m'a dit: II faut absolument telle et telle diète. Le médecin du service correctionnel ne veut rien savoir. Alors, je me trouve sans ma diète spéciale, ce qui met en question ma santé. J'ai besoin d'aide. Je demande le mandat de l'aide juridique. Aucune question, aucune vraisemblance de droit; pour l'aide juridique, c'est une question médicale. Mais ce qu'il faut, c'est des gestes juridiques pour forcer les services correctionnels de permettre au détenu d'avoir sa diète, parce qu'il n'est pas à l'extérieur, il n'a pas l'opportunité de ramasser sa propre nourriture. Il est contrôlé par l'État.

Et dans une telle situation, si je vais plus loin, je le fais à mes propres frais. Mais j'aimerais savoir combien de dossiers on peut monter à nos propres frais avant de faire faillite?

Mme Caron: À l'extérieur du Québec, en droit carcéral, est-ce que la tarification est précise? Est-ce que les mandats sont précis?

M. Fineberg (Stephen): Je m'excuse, je n'ai pas...

Mme Caron: À l'extérieur du Québec...

Le Président (M. Parent): On vous demande si les mandats et les tarifs sont précis.

M. Fineberg (Stephen): Vous voulez savoir, dans les autres provinces, est-ce que la situation... La situation n'est pas pareille partout. Il y a des

régions où l'aide juridique, pour les détenus, existe à peine. Il y a d'autres régions où tout le monde dit que l'Ontario, c'est la Cadillac du système. En Ontario, les avocats qui travaillent en droit carcéral sont beaucoup plus payés que nous autres. En Colombie-Britannique, l'autre endroit où les détenus sont concentrés — parce que, au Québec, il y a presque le tiers des détenus fédéraux du pays, et en plus, la population provinciale, dans les prisons provinciale — en Colombie-Britannique, il y a aussi une concentration des détenus, et en Ontario.

Alors, ce sont les trois endroits les plus importants. Les détenus sont là. Alors, ils font un système d'aide juridique convenable, là. Alors, en Colombie-Britannique, il y a une clinique d'aide juridique. Ça fait partie de l'aide juridique à temps plein, qui s'appelle «Prisoners Legal Services», qui rend de très, très bons services, très importants aux détenus. Et les avocats de ce service-là ne sont pas obligés de courir après des mandats, parce qu'ils sont des salariés de l'aide juridique. De plus, la province est intéressée à permettre à ces avocats-là de cette clinique-là de prendre des causes à la cour, contrairement à la vision de l'aide juridique au Québec. Et je pense que l'exemple de Me Lanctôt serait utile.

Mme Lanctôt (Jacinthe): Oui. Récemment, j'ai contesté, donc, c'était une question d'interprétation de la loi. C'est une histoire de calcul de sentence qui touche tous les détenus qui sont révoqués de leur libération conditionnelle au Canada. Il y a une erreur qui s'est glissée dans cette loi. J'ai gagné à plusieurs reprises devant la Cour supérieure. Maintenant, la Cour fédérale, la couronne fédérale a porté en appel une des causes que j'avais gagnée, et en appel, j'ai perdu. Mais dans la décision de la Cour d'appel, vraisemblablement, il y avait une grande ouverture pour pouvoir aller plus haut à la Cour suprême.

Mais là, l'aide juridique de la région où résidait mon client — parce qu'il avait été libéré suite à mes procédures, notamment — a refusé l'émission du mandat en disant que mon client, sa sentence était terminée. Il n'avait plus d'intérêt direct, donc, bien que la Cour suprême, on le sait, a juridiction et entend les causes, même s'il s'agit, finalement, d'une question purement théorique ou d'une question d'intérêt public, a juridiction pour entendre ces causes-là. Parce qu'on sait très bien que la longueur que ça prend, des procédures, avant qu'on puisse arriver à la Cour suprême, bien souvent la situation qui était à la base n'existe plus. Ça devient souvent une question de principe.

C'était le cas. C'est une question qui touchait tous les détenus au Canada qui ont été révoqués; une question, donc, de jours, de calcul de sentence. C'est important. Et on m'a refusé l'émission de mandat pour ce motif-là. Et donc, je veux bien essayer de faire jurisprudence comme ailleurs dans les autres provinces du Canada, mais il semble qu'ici ce soit très difficile de le faire.

Mme Caron: Est-ce que, bon, en Ontario, par exemple, puisque vous avez dit que c'était la Cadillac, les mandats sont vraiment définis? Est-ce que les tarifs sont vraiment définis? Les actes? Est-ce que tout ça est défini?

Mme Lanctôt (Jacinthe): Dans les autres provinces?

Mme Caron: En Ontario, par exemple.

M. Fineberg (Stephen): Oui, en Ontario, si je ne me trompe pas, les choses sont tarifées et les avocats sont payés à l'heure, en Ontario. Et c'est possible qu'il y ait des paramètres, mais les avocats sont payés à l'heure.

Mme Caron: Et les mandats sont aussi définis là? M. Fineberg (Stephen): À ma connaissance. Mme Caron: O.K.

M. Fineberg (Stephen): J'espère que je ne vais pas vous induire en erreur, mais, à ma connaissance. (20 h 40)

Mme Caron: O.K. Il ne me reste que quelques minutes; donc, une autre question, peut-être. Vous avez fait allusion, Me Lanctôt, à un moment donné, au crime organisé. Vous disiez, finalement, bon: II y a comme deux justices: ceux qui sont démunis et qui n'ont pas nécessairement la possibilité de se défendre, et ceux qui font partie du crime organisé et qui, finalement, ont l'argent pour se payer des avocats et se défendre. Est-ce qu'il y a quand même une certaine vérification qui se fait? Est-ce qu'il y a des membres du crime organisé qui se retrouvent parfois à avoir des mandats d'aide juridique et que vous devez défendre?

Mme Lanctôt (Jacinthe): Ce n'est pas nous qui avons la discrétion pour émettre ou non les mandats, mais l'aide juridique, je peux vous dire, oui, fait une enquête, vérifie. Et il y a des détenus qui ne sont pas admissibles, par exemple, parce que leur conjoint travaille. Les mêmes barèmes, les mêmes tarifs qui sont établis pour les autres citoyens sont appliqués pour les détenus. Alors, s'il y en a qui fraudent l'aide juridique, là, je ne le sais pas, je ne peux pas vous dire. Comme il y en a probablement dans la société, oui, peut-être. Mais, en général, je peux vous dire que la grande, grande majorité des détenus sont totalement démunis, souvent sans personne-ressource à l'extérieur, sans biens. Et, s'ils en avaient, ils l'ont perdu, comme je vous ai dit, en l'engloutissant dans les honoraires d'avocats lors de leur défense au criminel.

M. Fineberg (Stephen): Et on peut ajouter qu'en général les membres du crime organisé sont fiers du fait qu'ils n'ont pas besoin de l'aide juridique. Ils sont fiers du fait qu'ils ont réussi comme criminels.

Le Président (M. Parent): Merci, M. Fineberg.

Mme Caron: Ha, ha, ha! Une dernière question, peut-être. Comment vous expliquez l'augmentation importante du nombre de dossiers de 1990 à 1993? Est-ce que vous l'attribuez, finalement, à une meilleure connaissance de droits de la part des détenus, ou si vous l'attribuez à ce que vous expliquiez un petit peu tantôt, une évolution différente dans la société de voir les droits des détenus, le nombre important de dossiers? Parce qu'il y a quand même eu une augmentation assez importante.

M. Fineberg (Stephen): Si vous demandez si — admettons, en 1985 — nous avons acquitté notre devoir, la réponse est carrément: Non! On n'a pas fait grand-chose, on n'est pas assez nombreux. Pour nous autres, il n'est pas surprenant que les coûts de l'aide juridique pour les détenus, les coûts ont augmenté dernièrement, parce qu'il existe maintenant des avocats, il existe maintenant des droits qui sont reconnus. Les détenus sont conscients du fait qu'ils possèdent des droits. Et je ne pense pas que la situation peut retourner à l'intérieur. Les détenus savent maintenant qu'il existe certaines lois. Et la nouvelle loi fédérale — je parle pour l'instant des établissements fédéraux — qui est entrée en vigueur le 1er novembre 1992, confirme noir sur blanc certains droits qu'on avançait auparavant, qu'on prétendait exister auparavant. Maintenant, c'est confirmé noir sur blanc dans la loi elle-même. Les détenus sont très conscients de ça et ils se servent de la loi. C'est pourquoi la loi est là, si je ne me trompe pas. Il y a maintenant beaucoup de choses dans la loi, qu'on peut confirmer ou qu'on est en mesure de mettre en application, tant qu'on peut s'adresser à la cour.

Au niveau de la commission des libérations conditionnelles, à un moment donné, quand le juge Bora Laskin était le juge en chef de la Cour suprême, il a bien dit dans une cause: Le pouvoir tyrannique de la commission des libérations conditionnelles ne se trouve pas ailleurs dans la situation canadienne; ainsi a dit le juge Laskin, à un moment donné. Il y a des choses qui ont changé depuis. La commission des libérations conditionnelles commence à comprendre qu'il existe des contrôles, il existe des limites, il existe des jurisprudences de la Cour d'appel fédérale et de la Cour suprême qui agissent comme lignes directrices. Les détenus sont au courant, et les avocats aussi, et il n'est pas surprenant que le monde embarque et que le monde veuille se défendre, que le monde veuille se protéger. Dans le passé, ils étaient sans aucune défense: la loi existait à peine; l'interprétation de la loi n'existait pas encore. Les avocats n'étaient pas là. Alors, il n'est pas surprenant pour nous qu'il y ait beaucoup d'activité maintenant. C'est tout à fait normal.

Le Président (M. Parent): Et sur ce,

M. Fineberg, je dois vous aviser que le temps est écoulé depuis quelque temps déjà. Et je demande à la porte-parole de l'Opposition officielle de conclure au nom de sa formation politique.

Mme Caron: Je vous remercie beaucoup de vos informations. Votre association était la seule capable de nous informer aussi bien sur le droit carcéral. Merci beaucoup!

M. Fineberg (Stephen): Merci bien.

Le Président (M. Parent): Alors, je reconnais, pour le mot de la fin, le ministre de la Justice.

M. Lefebvre: Me Lanctôt, je voudrais vous poser une question, et, vous et moi, on n'a pas le choix, M. le président est extrêmement sévère. Il me reste à peine deux minutes.

Le Président (M. Parent): Oui.

M. Lefebvre: Je voudrais vous entendre sur le libre choix. Est-ce qu'il vous apparaît possible que des permanents de l'aide juridique fassent du droit carcéral? Parce qu'on sait, là, que vous nous exposez que c'est à peu près rien que de la pratique privée.

Mme Lanctôt (Jacinthe): II y en a eu pendant un certain temps. Il y a eu quelques postes de permanents d'aide juridique...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Lanctôt (Jacinthe): ...qui faisaient du travail en droit carcéral. Ces postes ont été abolis, et, moi, j'endosse la position du Barreau, à l'effet —je pense que je peux me permettre de parler au nom de l'Association — nous sommes d'accord avec la mixité du...

M. Lefebvre: Vous n'auriez pas d'objection, évidemment, à ce qu'on...

Mme Lanctôt (Jacinthe): Non. Et je peux vous donner un exemple, peut-être, qui a été soulevé par d'autres associations ou groupes, un exemple de ce en quoi ça consiste, parce que, bien sûr, nous ne voulons pas que ça se fasse au détriment de la pratique privée.

M. Lefebvre: Non, je comprends.

Mme Lanctôt (Jacinthe): Nous pensons que c'est extrêmement important que la pratique privée demeure, pour différents motifs, dont certains sont exposés dans notre mémoire. Mais je peux vous donner l'envers de la médaille, c'est-à-dire les conséquences graves de la privation d'avocats d'aide juridique, de permanents d'aide juridique dans certains secteurs. Entre autres, la

Commission des services juridiques a coupé les permissions d'en appeler des sentences et des culpabilités au niveau criminel. Il n'y a plus d'avocats qui, maintenant, travaillent, qui acceptent — d'avocats salariés de l'aide juridique — il n'y en a plus qui sont mandatés pour pouvoir faire ce type de travail, et c'est catastrophique...

M. Lefebvre: Merci.

Mme Lanctôt (Jacinthe): ...c'est-à-dire, donc, que la majorité des détenus, des gens qui ont été condamnés ne peuvent plus se pourvoir de ce droit d'appel. C'est carrément leur nier ce droit, parce qu'on sait les honoraires qui sont généralement demandés pour aller en appel par les avocats. Et, donc, c'est catastrophique!

M. Lefebvre: Merci, Me Lanctôt. Me Lortie, Me Fineberg, Me Lanctôt, je vous remercie. Comme l'a dit mon honorable collègue, députée de Terrebonne, vous nous avez donné un éclairage sur une activité de droit assez particulière, et c'a été très bien expliqué et apprécié par les membres de la commission. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Parent): Merci. Nous allons suspendre quelques instants, et j'invite immédiatement le groupe suivant à prendre place.

(Suspension de la séance à 20 h 47)

(Reprise à 20 h 48)

Le Président (M. Parent): J'invite les députés à prendre place. Et nous accueillons, comme dernier groupe, aujourd'hui, le Mouvement action justice égale pour tous. Ce mouvement est représenté par M. Abdelhak Guessous, coordonnateur, qui est accompagné par M. Sion Counio, M. Lionel Eymard et Mme Lucille Périer. C'est bien ça? Alors, je vous informe que chacun d'entre vous, vous pouvez prendre la parole à votre choix. Mais vous avez... on a 60 minutes, normalement, pour faire une audition comme la vôtre. Mais, ce soir, il peut arriver qu'on ait un vote.

Une voix: Nous avons...

Le Président (M. Parent): Alors, si on avait un vote ce soir, on serait obligé d'ajourner. Alors, je vous conseille, je vous suggère, pardon — soyez bien à votre aise, je ne veux pas brimer vos droits — mais, peut-être, d'être concis dans la présentation de votre document, que nous avons tous lu, et, après ça, que nous puissions passer à la période de questions ou d'échanges avec les membres, les deux formations politiques.

Et, sur ce, M. Guessous, je vous invite à débuter. Ça va s'ouvrir automatiquement, votre micro.

Mouvement action justice égale pour tous

M. Guessous (Abdelhak): Mmes, MM. les membres de la commission, les représentants de la population auprès du gouvernement provincial, M. le député titulaire du ministère de la Justice et Procureur général, M. le Président. Le Mouvement action justice égale pour tous, qui se présente devant vous aujourd'hui, prend une minute de silence à la mémoire d'une femme inconnue de Laval qui s'est présentée au palais de justice, au 5e étage, et qui a mis fin à sa vie. Nous connaissons, en tant que mouvement, cette femme qui s'est tirée deux balles de chevrotine, une fois qu'elle eut laissé tous ses documents, incluant les enregistrements. Et l'ancien titulaire du ministère de la Justice nous a promis une enquête, à l'Assemblée nationale, et nous l'attendons toujours. Alors, nous prenons la minute de silence à la mémoire de la femme inconnue de Laval. (20 h 50)

Merci, M. le Président et les membres. Le Mouvement action justice égale pour tous a déposé, auprès de vous, plusieurs documents. Premièrement, le mémoire ainsi qu'une étude qui a été faite à travers tout le Québec et que nous avons déposée le 15 juin au Parlement fédéral, et que nous avons adressée à tous les chefs des partis politiques, étant donné que nous avons fait ce travail en commençant par un forum sur la justice, en 1991, au Saguenay—Lac-Saint-Jean et que nous avons continué à travers toute la province de Québec. Malheureusement, à partir du Saguenay—Lac-Saint-Jean, nous avons été obligés que tout notre travail soit fait vraiment dans la clandestinité jusqu'à ce que nous ayons publié et diffusé l'ensemble de nos documents.

Action justice égale pour tous a publié également un document qui a été distribué... un livre, plutôt, de droit, qui a été distribué à 2000 exemplaires et qui s'appelle «La rétractation du jugement», et qui a été utilisé par plusieurs personnes, qui sont des personnes qui n'ont pas accès... parce que la loi nous interdit d'avoir accès à la bibliothèque du Barreau, et les bibliothèques dont la responsabilité de droit, dans toutes les facultés, n'acceptent que les étudiants. Alors, ce document, qui s'appelle «La rétractation du jugement», qui a été distribué gratuitement, notamment parmi beaucoup d'avocats qui utilisaient l'aide juridique, a été envoyé à toutes les bibliothèques, à tous les juges, et a été épuisé, et nous n'avons reçu aucun centime de qui que ce soit.

Au moment où nous avons commencé à distribuer ce travail, le nombre de rétractations du jugement, dans les cours du Québec, était de 440. Nous ne parlons pas de combien elles sont aujourd'hui, parce que vous êtes un ministère et vous êtes une administration qui peut le savoir.

Alors, je vais donner immédiatement la parole à Mme Lucille Périer, pour qu'elle vous définisse exactement quel est le but du Mouvement action justice égale pour tous.

Le Président (M. Parent): Mme Périer.

Mme Périer (Lucille): C'est d'étudier des préoccupations populaires par des gens ordinaires qui ont vécu des problèmes avec la justice. Connaître les problèmes populaires avec les systèmes judiciaires. Identifier les sources des problèmes. Analyser les correctifs proposés et leur faisabilité. Organiser le forum «Justice égale pour tous» 1991-1992, dans toutes les régions du Québec. Proposer des textes de loi à l'Assemblée nationale du Québec et au Parlement fédéral, à Ottawa. Organiser des campagnes d'information et d'éducation dans le cadre des structures judiciaires existantes. Sensibiliser les membres de la société canadienne à leurs droits, obligations et responsabilités. Travailler de toutes manières légales et/ou légitimes à faire respecter tels droits, obligations et responsabilités. Travailler de toutes manières légales et/ou légitimes à la reconnaissance de la dignité de la personne humaine. Combattre tout ce qui s'oppose aux objets mentionnés dans les paragraphes précédents.

M. Guessous (Abdelhak): Et maintenant, je vais donner la parole à M. Lionel Eymard.

M. Eymard (Lionel): Bon, alors, mon nom c'est Lionel Eymard, comme M. Guessous vient de le dire. Je suis, dans le Mouvement, le seul qui a une formation juridique. Je suis avant tout un civiliste. J'ai pratiqué le droit à Montréal pendant 21 ans, avec une spécialisation en responsabilité plutôt civile, responsabilité à la fois contractuelle et délictuelle.

Alors, l'aspect du droit qu'on a couvert, puisque je suis le seul avec une formation juridique, est surtout l'aspect civil. Mais je pense que, pour bien définir notre position, il y a lieu de redéfinir, si vous voulez, la façon dont nous avons compris cette commission d'enquête. Autrement dit, nous l'avons vue comme une commission d'enquête sur l'accessibilité à la justice, et non pas nécessairement une commission d'enquête à l'accessibilité au domaine judiciaire, strictement. Alors, ce que je veux dire, c'est que notre mémoire a été conçu en fonction de l'évolution de la pensée du Québec.

Le Québec, au cours des années cinquante et soixante, les Québécois étaient formés, si vous voulez, à la pensée orientale, en ce sens qu'on croyait dans les maîtres, on croyait dans une autorité. C'était, si vous voulez, jusqu'à un certain sens, la formation religieuse qu'on avait eue. Alors que, au cours des années, on a cessé de croire à l'autorité, puis on en est venu à la connaissance de l'autorité, ce qui a changé complètement... Pas connaissance de l'autorité, mais on a voulu connaître tout ce qu'on pouvait connaître. Alors, ça a entraîné un changement, et il semble que les personnes qui ont conçu le droit ne se sont pas adaptées à ce changement complètement, en ce sens qu'on a tout de même formé le Small Court Act, qui donnait le droit aux gens d'intervenir dans le processus judiciaire. Mais, par contre, au niveau même des tribunaux judiciaires, on n'a pas donné aux citoyens la chance de connaître leurs droits.

Alors, moi, ce que j'ai conçu dans le système judiciaire, qui pourrait changer du tout au tout l'allure des tribunaux, c'est qu'il devrait y avoir un centre d'information qui donnerait l'information vraiment légale. Autrement dit, toute la jurisprudence est déjà sur ordinateur, on a une technologie extraordinaire, et les individus devraient avoir accès à ce centre d'information, dans une première étape. Et ce centre d'information devrait également être joint à un centre de médiation, pour que non seulement l'information serve à... — c'est surprenant, quand on nous dit les minutes — ce centre d'information là serve à ce que la cause soit limitée. En ce sens que, dans une cause au civil, il y a un paquet d'éléments qu'on place devant le tribunal qui ne devraient même pas être devant le tribunal, il y a un paquet de choses qui sont admises des parties, mais on ne fait pas la lumière aux parties. Puis les avocats — c'est vrai que j'ai été avocat pendant longtemps — mais les avocats, je dois dire qu'ils sont en conflit d'intérêts quasiment tout le temps avec le client. S'ils sont sur l'assistance juridique, ils sont en conflit d'intérêts parce qu'il faut qu'ils se déchargent de leurs obligations au plus sacrant pour que ce soit payant. Puis, s'ils ne sont pas sur l'aide juridique, si le gars paie, ils sont en conflit d'intérêts avec le client parce qu'ils ont intérêt à ce que ça dure le plus longtemps. Alors, ce que je dis, moi, c'est que le centre d'information devrait faire partie de la première étape, d'une étape préliminaire dans le processus judiciaire. Pourquoi est-ce qu'il devrait faire... Parce que les gens veulent savoir, je l'ai dit. Us ne croient plus à rien, ils ne croient plus au système judiciaire; alors, ils veulent savoir. Ils veulent savoir leurs droits, puis ils sont tannés d'être dans l'obscurité. Ils veulent qu'on leur fasse la lumière sur leurs droits. Alors, qu'on fasse un centre d'information où auraient accès toutes les parties, puis que ça soit un système obligatoire. Qu'on fasse un centre de médiation, puis qu'on débroussaille les causes, puis qu'on laisse devant le tribunal, strictement, les questions qui sont en jeu, les questions de droit, et puis j'ai l'impression que vous allez avoir des surprises sur le rendement des tribunaux puis sur la question de critiques des tribunaux. (21 heures)

Pourquoi est-ce que vous allez avoir... Regardez les tribunaux des petites créances, vous n'avez pas de critiques contre eux. Regardez la régie des loyers, vous n'avez pas de critiques. Pourquoi? Parce que les gens veulent savoir, puis ils veulent exprimer, et ils veulent... Si vous les placez en période de réflexion, je vous dis que vous allez avoir des changements importants.

Écoutez un peu! Nous autres, notre mouvement est né en 1988, on s'est restructuré en 1991. On n'est pas un gros mouvement: on a une section dans les Laurentides, on a une section anglaise, on a une section à Montréal, on en fait un peu partout dans la province. Mais, ce que je vous dis, c'est que les gens qui viennent nous voir, c'est des gens qui sont insatisfaits, insatisfaits de l'aide juridique telle qu'elle est parce que les mandats ne sont pas définis et ils sont pris entre l'arbre et l'écorce.

Alors, c'est un peu ça que j'ai exprimé dans mon mémoire, mais je ne pensais pas avoir... Quand j'ai vu que vous aviez lu tous les mémoires et que vous les aviez épluchés, et que vous posiez des bonnes questions, je me suis dit: Ces gens-là sont sérieux! Mais, nous autres, je dois vous dire qu'on a été traités comme des chiens dans un jeu de quilles chaque fois qu'on a essayé de coopérer avec le gouvernement.

On a fait un forum à Chicoutimi — je ne vous conterai pas tout ce qui nous est arrivé, mais on y a goûté. Mais, tout ce qu'on voulait faire, c'est que, étant un mouvement populaire, on voulait savoir les problèmes du peuple et on voulait essayer d'apporter quelque chose. Et aujourd'hui, bien, je vous ai vu opérer et je me suis dit: Ces gens-là... j'ai de l'admiration pour vous autres parce que vous faites un travail constructif et vous voulez savoir. Alors, moi, je suis venu ici et j'ai dit: Va leur dire ce qui se passe! Et c'est ça que je fais. Alors, si vous avez des questions, maintenant, je vais répondre.

Le Président (M. Parent): Très bien, monsieur, on vous remercie. M. Guessous, allez-y, soyez bien à votre aise.

M. Guessous (Abdelhak): Oui, M. le Président, avec la permission des membres, je voudrais donner la parole à M. Sion et je voudrais également la permission de... Parce que c'est un bénéficiaire de l'aide juridique. Il va vous raconter approximativement ce qui est arrivé. Et, le résumé de sa cause, si vous m'autorisez, je voudrais le déposer auprès de votre commission pour qu'elle puisse en prendre connaissance.

Le Président (M. Parent): M. Guessous, nous allons reconnaître M. Sion dans son exposé. Je regarderai votre document et je verrai s'il est recevable comme dépôt.

M. Guessous (Abdelhak): C'est très bien, mais il faut quand même qu'il fasse un petit peu son exposé.

Le Président (M. Parent): Allez-y! Soyez bien à votre aise! Le temps vous appartient, c'est vous qui décidez de quelle façon vous le gérez. On est ici pour vous écouter. On est ici pour se renseigner. On est ici à l'écoute des gens qui vivent des problèmes, et c'est pour ça que nous sommes ici.

M. Guessous (Abdelhak): Merci beaucoup.

M. Sion (Counio): Mon nom est Sion Counio. Je suis père de famille, seul soutien. Je suis marié. Ma femme, qui est âgée de 50 ans, suit des soins psychiatriques depuis 10 ans, et j'ai une fille de 18 ans qui est étudiante. À n'importe quel moment, la Banque Toronto-Dominion peut me mettre dans la rue, à cause d'un jugement par défaut de se présenter de l'avocat assigné par l'aide juridique.

Il y a eu une dation en paiement. Il y a eu com- parution de Me Howard Abrams. Il y a eu une inscription ex parte. Il y a eu le jugement par défaut de se présenter par Me Abrams. À noter que le jugement a été rendu avant même la fermeture officielle du dossier de la faillite par le syndic. Quand j'ai confronté Me Abrams avec la copie du jugement, il m'a carrément mis à la porte de son cabinet. J'ai demandé certains documents par la suite, et il en a profité pour m'infor-mer que ma femme avait refusé... J'avais signé un... Il a rédigé et écrit à la main et suggéré à ma femme comme quoi elle avait retiré le mandat.

J'ai donc demandé la restitution du dossier au syndic du Barreau, qui m'a remis le document, et j'ai eu accès à l'aide juridique avec un nouvel avocat qui s'appelait Me Neuer. Au bout d'à peu près une semaine, Me Neuer a décidé de clôturer le dossier. Et c'est là où on est rendu, à date.

M. Eymard (Lionel): Alors, dans ce problème-là, l'aide juridique... L'intervention qu'on a faite, c'est simple, c'est qu'on étudie, nous autres... Ce qu'on regarde, c'est justement le mandat de l'aide juridique, et c'est ce qu'on trouve qui est malheureux. Vous avez un exemple, là, du genre de clients qu'on reçoit dans notre mouvement. C'est qu'on essaie de les aider, compte tenu des circonstances, mais, ce qu'on trouve, c'est que les mandats de l'aide juridique placent souvent la personne entre deux chaises, en ce sens que le mandat de l'aide juridique n'est pas toujours très précis, puis le client, d'un autre côté, n'a pas de mandat... ne peut pas donner un mandat lui-même à son avocat de diriger... Autrement dit, M. Sion, ce qu'il a compris, c'est qu'il ne pouvait pas demander à l'avocat de faire une défense, alors que, dans une relation ordinaire, le client demande à l'avocat de faire ce qu'il veut qui soit fait.

Document déposé

Le Président (M. Parent): Merci. Alors, pour votre information, je déclare comme document déposé le jugement par défaut de se présenter de l'avocat assigné à l'aide juridique, Me Howard Abrams, dans le cas de M. Sion Counio. Merci.

M. Guessous (Abdelhak): Merci, M. le Président. Je voudrais simplement corriger une petite chose, parce que Me Eymard a mentionné qu'au Saguenay—Lac-Saint-Jean on a eu beaucoup de problèmes. Mais je voudrais simplement dire que le forum devait être présidé, à partir du 14 juin 1991, par M. le lieutenant-gouverneur en personne, et que nous avons collaboré avec le secrétariat de M. le ministre de la Justice, et qu'on nous a même donné par écrit la possibilité d'utiliser le palais de justice de Chicoutimi. Et puis, en fait, c'est arrivé, et on nous a demandé de tout arrêter, et nous n'avons rien arrêté et nous avons fait notre forum, qui a eu lieu.

L'autre chose que je voulais ajouter avant qu'on

passe aux questions — parce que c'est ce qui nous intéresse le plus — je voudrais simplement vous dire que vous avez entre vos mains un sondage d'opinion publique que j'ai fait moi-même et que j'ai payé, en 1991, et dans lequel le public disait que 51 % étaient en faveur de l'aide juridique. Et notre forum sur Chicoutimi, pendant une journée, nous n'avons parlé que du problème de l'aide juridique. Mais, dans les autres provinces, nous avons décidé d'aller chercher les bénéficiaires de l'aide juridique et leur demander exactement quelle est leur situation. Et, sur 640 personnes que nous avons interrogées individuellement dans tous les coins du Québec, nous avons un résultat qui est vraiment frappant.

Et vous avez, à la dernière page de notre mémoire, «La justice remise en question»; c'est un livre qui paraîtra au mois de septembre. Il y a un chapitre qui s'appelle «Combat pour la justice». Il est réservé exclusivement aux victimes du système de l'aide juridique. (21 h 10)

Alors, voilà, nous avons beaucoup de choses. Vous avez reçu notre mémoire, que nous avons déposé. Vous avez reçu le sondage d'opinion publique, où il y a vraiment tout le système judiciaire, les questions qui ont été posées, allant de l'école des hautes études de la magistrature à l'enfant kidnappé par l'un de ses parents. Vous avez également «La justice remise en question», conférence de presse du 15 juin 1993, qui a été d'ailleurs donnée au Parlement fédéral, puisque la justice est fédérale et provinciale. Et nous sommes prêts à répondre à vos questions. Mais, avant de clôturer, je voudrais vous dire que j'ai vendu trois propriétés, dans les périodes où nous avons opéré, pour financer la plupart de toutes ces opérations moi-même. Je ne le regrette pas et je suis très heureux de l'avoir fait.

Le Président (M. Parent): Merci, M. Guessous. Alors, est-ce qu'il y a d'autres interventions de la part de nos invités?

M. Guessous (Abdelhak): Absolument pas. On est en temps, M. le Président.

Le Président (M. Parent): Dans un premier temps, je vais reconnaître M. le ministre de la Justice. M. le ministre.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. M. Guessous, Mme Périer, M. Counio et M. Eymard, je veux vous saluer, vous remercier pour nous avoir soumis un mémoire qui traite d'un sujet extrêmement global, c'est-à-dire vous traitez de façon plus ou moins précise, plus ou moins... Ce n'est pas nécessairement de l'aide juridique que vous nous parlez. Vous nous parlez du système judiciaire dans son ensemble et à l'intérieur du système, et c'est une présentation qui, pour nous, est importante parce que... Vous savez, c'est une commission de consultation sur notre système d'aide juridique au Québec. Mais on comprend très bien qu'on ne peut pas nécessairement isoler la question, sauf pour certains groupes précis.

Moi, pour un, je considère qu'au Québec on a un système judiciaire très comparable à tout ce qu'on peut vérifier ailleurs dans le monde. Évidemment, je l'ai déjà dit à d'autres groupes, c'est un système qui est perfectible, où on peut, à l'occasion, constater que des erreurs se produisent, pour une raison évidente: c'est que c'est un système qui est administré par des humains qui, en toute bonne foi — et je parle autant des avocats que du personnel qu'on retrouve à l'intérieur de l'appareil judiciaire, que des juges eux-mêmes — il peut y avoir des erreurs — règle générale, des erreurs de bonne foi — et cependant, dans certains cas, il y a des erreurs plus reprochables. M. Counio a déposé une décision, et moi, j'ai encore mon réflexe d'avocat qui veut que, tant et aussi longtemps que je n'ai pas la version des deux parties, je réserve mon jugement. Cependant, votre jugement est déposé, et je pense que c'est ce que vous recherchiez, entre autres choses, que la commission des institutions puisse vous entendre et vous permettre de vous exprimer.

Vous dites, à la page 7 de votre document: Les «tribunaux populaires devraient toujours être formés de trois personnes. L'avantage se situe surtout au niveau de la participation du public en général». Ce que vous dites à la page 7 — j'essaie de résumer — c'est que vous suggérez qu'on remette au peuple le jugement des faits. J'ai envie de vous demander ce que vous pensez, en matière criminelle, du procès par jury, où c'est exactement la règle qui s'applique: le jury est maître des faits; le juge est maître du droit. Et vous savez que c'est un système qui est critiqué, dépendamment de la décision qui peut être rendue dans certaines circonstances. C'est ce que vous souhaitez, dans votre document; c'est ce qu'on a au Canada, c'est ce qu'on a au Québec, exactement le système que vous souhaitez. Le jury est maître des faits. Me Eymard, je voudrais vous entendre là-dessus.

M. Eymard (Lionel): Vous avez raison jusqu'à un certain point de dire que... Moi, pour un, en fait, je crois que le système par jury est excellent, même s'il est critiqué.

Le Président (M. Parent): MM. les députés, s'il vous plaît! On a de la difficulté à entendre les gens, ici. Allez, M. Eymard, je m'excuse.

M. Eymard (Lionel): Ce que je dis, c'est que, vous savez, quand on fait la critique contre les jurys, ça n'a pas la même virulence que quand on critique un juge comme Mme Verreault, par exemple; juste pour un exemple. Le poids de la critique est réparti sur un nombre de personnes. Et on dirait qu'il y a beaucoup moins d'animosité dans la critique qu'on loge contre un jugement d'un jury qu'on croit déraisonnable. Et moi, pour un...

M. Lefebvre: Mais pourquoi... C'est important, ce que vous dites là, et c'est un éclairage qui m'intéresse beaucoup, ce que vous dites là, et c'est très pertinent.

M. Eymard (Lionel): Pourquoi est-ce qu'on croit...

M. Lefebvre: Pour quelle raison la critique est, selon vous, moins sévère?

M. Eymard (Lionel): Parce que, justement, il y a participation du public au système judiciaire. Et je dis — en matière civile, surtout — je dis: On exclut le public du processus judiciaire. Et je dis: C'est mauvais. C'est pour ça, tantôt, que je suggérais qu'on les amène à participer au processus d'information...

M. Lefebvre: En matière civile.

M. Eymard (Lionel): En matière civile, pour que... Vous savez, il y a toute une éducation populaire à faire...

M. Lefebvre: Est-ce que, M. Eymard, vous êtes satisfait de notre système judiciaire en matière criminelle?

M. Eymard (Lionel): En matière criminelle, je trouve qu'on a un excellent système. Personnellement, je n'ai pas de critique à loger contre la façon... pas la façon criminelle, mais le processus...

M. Lefebvre: Comment pouvez-vous imaginer que, en matière civile, un jury, formé un peu comme celui qu'on retrouve en matière criminelle, pourrait interpréter les faits? Vous savez qu'en matière civile la preuve des faits est extrêmement importante, en regard de la conséquence qu'elle a sur le droit, les présomptions, tout le jeu des présomptions...

M. Eymard (Lionel); M. le ministre, je dois vous dire que j'ai assisté à des procès dans la province du Nouveau-Brunswick, où l'on procède à faire la preuve des faits devant le jury, et je dois vous dire qu'il y a une réception de la part du jury et une étude des faits qui sont surprenantes. Pour des avocats qui sont formés à notre droit, c'est tout à fait différent, mais ça vaut la peine de s'y rendre pour voir comment ça procède dans les provinces de «common law».

M. Lefebvre: Vous dites, à la page 8 de votre document...

M. Eymard (Lionel): Mais, est-ce que je peux compléter?

M. Lefebvre: Oui, oui, allez-y. Je pensais que vous aviez terminé.

M. Eymard (Lionel): Ce que je peux vous dire, c'est que, au Nouveau-Brunswick en particulier, il n'y a à peu près pas de critique du processus judiciaire. Vous ne retrouvez à peu près pas de critique dans les journaux. Pourquoi? Parce que le monde participe à l'administration de la justice.

M. Lefebvre: À la page 8 de votre document, vous indiquez, en haut de la page 8: «L'assistance juridique ne donne qu'un mandat général et non spécifique. Elle devrait, dans son mandat, forcer l'avocat à une étude préliminaire du cas, et lui-même rédiger un état détaillé des services qu'il entend rendre dans ce mandat, en donner une copie au client et l'exécuter tel que détaillé.» Je ne sais pas si je m'adresse...

M. Eymard (Lionel): Oui.

M. Lefebvre: Peut-être encore à vous, Me Eymard. Vous demandez plus au système d'aide juridique, qui est un système public, que ce qui existe dans le privé...

M. Eymard (Lionel): C'est que, effectivement...

M. Lefebvre: ...alors que le système d'aide juridique serait précurseur de ce qui n'existe pas encore dans le privé. Ça peut avoir du bon sens, ce que vous proposez, remarquez bien!

M. Eymard (Lionel): Remarquez bien que ce dont j'ai parlé, moi, c'est d'accessibilité à la justice, mais, vu que je suis devant une commission d'enquête sur l'aide juridique, je suis bien obligé...

M. Lefebvre: Ah oui! Ça peut avoir du sens, ce que vous proposez là.

M. Eymard (Lionel): Ce que je dis...

M. Lefebvre: Un peu comme le garagiste qui doit faire avec son client l'inventaire de ce qu'il entend faire au niveau de la réparation du véhicule.

M. Eymard (Lionel): Voyez-vous le problème? C'est que, quand le client n'engage pas l'avocat, c'est l'aide juridique qui l'engage; la relation qui se crée n'est pas la même, et je l'ai vécue, moi. Pourquoi elle n'est pas la même? C'est qu'en fait le gars dont c'est l'aide juridique qui paie son «bill» d'avocat, il peut faire à peu près tout ce qu'il veut à l'avocat.

M. Lefebvre: Mais c'est l'avocat, Me Eymard, qui décide.

M. Eymard (Lionel): C'est l'avocat qui décide.

M. Lefebvre: Et, parlons particulièrement d'un avocat permanent à l'aide juridique. Je pense que le

problème ne se pose pas, j'imagine, pour vous, de la même façon? Pour un avocat permanent?

M. Eymard (Lionel): Non, il ne se pose pas du tout de la même façon.

M. Lefebvre: D'accord.

M. Eymard (Lionel): Mais ce qu'on voit, nous autres, c'est que les cas qui nous viennent au Mouvement, c'est des cas qui ont eu des difficultés, que si le mandat avait été précis, le client aurait compris. Et vous en avez un exemple, là: le mandat était flou, l'avocat a négocié au lieu de faire une défense, et il n'a jamais dit au client qu'il n'avait jamais fait de défense. Je vous ai apporté ce cas-là exprès pour vous montrer les difficultés. Puis ça pourrait être la même chose, vous savez, dans le domaine strictement ordinaire, dans la relation entre l'individu et l'avocat.

M. Lefebvre: Est-ce que, selon vous, de façon générale, cette pratique-là — relation client et avocat — existe au niveau de la pratique privée?

M. Eymard (Lionel): Non. M. Lefebvre: Non, hein?

M. Eymard (Lionel): Non. Je suis d'accord avec vous.

M. Lefebvre: II faudrait peut-être l'examiner.

M. Eymard (Lionel): II faudrait que ce soit précisé, que les avocats soient obligés de préciser le mandat qu'ils entendent rendre à leur client. (21 h 20)

M. Lefebvre: Vous dites, toujours à la page 8, M. Eymard, et là, je vous trouve un peu sévère, qu'il «y a un laisser-aller inexcusable dans l'exécution des mandats d'aide juridique. Il faut un redressement». Je voudrais vous dire que, moi, personnellement, j'ai beaucoup de respect pour les avocats permanents à l'aide juridique. Les intervenants qui sont venus devant nous depuis une dizaine de jours semblent, de façon générale, nous indiquer que les avocats permanents à l'aide juridique sont des avocats dévoués, compétents, qui travaillent avec toute l'énergie qu'il faut pour bien remplir leur mandat. On dit également — et ça, c'est une évaluation qui a été faite par des agents extérieurs au régime d'aide juridique — que le système d'aide juridique au Québec, toutes proportions gardées, est... — le système est bâti autour de ces professionnels, les avocats, entre autres — on dit que c'est un des bons régimes au Canada. Je vous trouve un peu sévère lorsque vous nous indiquez être... qu'il «y a un laisser-aller inexcusable dans l'exécution des mandats».

M. Eymard (Lionel): Écoutez un peu. Moi, je vais vous dire l'expérience que j'ai, et je ne veux pas mettre plus de pression sur le gouvernement qu'il ne le faut. Mais, nous autres, dans notre mouvement, ce qu'on reçoit, c'est des gens qui sont en difficulté avec le système. Alors, j'ai jugé d'après ce que, moi, je vois. Mais M. Guessous aimerait prendre la parole et parler là-dessus.

M. Lefebvre: II y a 350 avocats et un peu plus à l'aide juridique qui reçoivent des...

M. Eymard (Lionel): Ah! Je le sais.

M. Lefebvre: ...dizaines de clients par semaine qui sont heureux. Peut-être que ceux-là ne vous appellent pas, mais il faut l'avoir à l'esprit. Oui, M. Guessous.

M. Guessous (Abdelhak): M. le ministre, premièrement, nous ne sommes pas contre l'aide juridique ni les avocats de l'aide juridique.

M. Lefebvre: Non, je n'ai pas dit ça. Je trouve...

M. Guessous (Abdelhak): Non, non. Et nous n'avons pas été sévères, mais c'est un rapport de la commission qui est collégial et nous l'avons discuté avec tout le monde. Me Eymard fait partie des gens qui ont vraiment rédigé la base.

Il ne faut pas oublier, M. le ministre, que j'ai assisté, le 1er mars, le 2, le 3 et les autres jours. Nous avons toujours un représentant d'une région qui était là, discrètement...

M. Lefebvre: Oui, oui.

M. Guessous (Abdelhak): ...pour savoir ce qui se passe.

M. Lefebvre: Je vous ai vu souvent, d'ailleurs. M. Guessous (Abdelhak): La plupart...

M. Lefebvre: Je l'apprécie, j'apprécie que vous soyez là.

M. Guessous (Abdelhak): Bien, M. le ministre, nous avons 650 interventions de personnes qui ont reçu l'aide juridique, qui sont insatisfaites. Nous envisageons, au mois d'avril de l'année prochaine, de faire une journée pour que nous puissions vraiment montrer quelle est la situation.

En plus de ça, la plupart des gens qui sont venus dire qu'ils étaient très, très heureux de l'aide juridique, c'est des avocats qui sont liés avec l'aide juridique, comme vous-même, M. le ministre, vous avez... Quand le bâtonnier du Barreau a fait sa présentation, il a dit: Moi, je représente les intérêts du public. Vous avez, dans votre réponse, répété la même chose, en disant:

oui, vous représentez l'opinion publique. or, m. le ministre et mm. les membres de cette commission, nous avons un sondage d'opinion publique où 80 % des gens ordinaires — il est fait scientifiquement par deux grandes maisons, pas par nous seuls — nous disent que le barreau ne représente que l'intérêt des avocats et qu'il ne représente absolument pas les intérêts du public.

Si vous voulez que je dépose des documents, depuis 1988, qui ont été déposés auprès du Barreau pour faire des enquêtes qui n'ont jamais été faites, les causes sont devant le tribunal des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies, M. le ministre. Vous devrez aussi écouter notre point de vue. Nous sommes sévères, ni contre les gouvernements ni contre l'aide juridique, mais nous, on a un mandat, indirectement, parce que, après avoir donné le souffle de notre vie à la cause, nous sommes à ce stade actuellement: On donne notre vie à la cause.

C'est la raison pour laquelle, M. le ministre, nous ne pensons pas... Et, en plus de ça, si on va un peu plus loin, l'ancien titulaire du ministère de la Justice, il nous a fait un Sommet de la justice. Je lui ai parlé personnellement cinq ou six fois, et on a demandé de regarder la base où sont les problèmes. Ce que nous proposons aujourd'hui, quand on parle d'un centre qui va s'occuper vraiment du problème, c'est le dialogue, c'est de résoudre les problèmes avant d'arriver devant la justice. Nous l'avons fait, parce que nous avons consulté dans une zone, qui est Côte-des-Neiges, 19 organismes multiculturels; nous avons consulté les prêtres, les imams des mosquées — puisqu'il y a 300 000 familles musulmanes à Montréal — nous avons parlé à la communauté juive. Tout le monde était tout à fait d'accord pour qu'il y ait un centre ou plusieurs centres pour parler des choses de l'aide juridique.

Essayez, M. le ministre, on vous conjure, vous et votre commission, d'installer une commission d'arbitrage, de discussion afin que ces problèmes puissent vraiment... Il y a des problèmes qui peuvent être résolus.

M. Lefebvre: M. Guessous, j'ai, évidemment... Je n'ai aucune difficulté, et c'est un exercice auquel je me soumets avec les membres de la commission depuis une dizaine de jours. Vous êtes le 33e organisme que nous recevons, et nous le faisons avec beaucoup d'ouverture d'esprit. Vous avez la liberté totale de vous exprimer, et moi, avec toute la connaissance que je peux avoir de l'institution qu'est l'aide juridique au Québec, en compagnie de mes collègues, en temps et lieu, on se fera une opinion sur le régime.

Et, là-dessus, on a eu devant nous... et, encore aujourd'hui, j'ai posé — et, à plusieurs reprises — la question qui est à peu près là suivante: Est-ce que, de façon générale, globalement, le système d'aide juridique au Québec fonctionne bien? Et c'est presque unanime: Oui, il faut corriger; oui, il faut améliorer, peut-être, les seuils — et ça m'apparaît évident, même — d'admissibilité. Mais, de façon générale... et il y a eu des sondages qui ont été faits, au québec, au cours des dernières années, et ça dépasse les 50 %, le taux de satisfaction du régime.

M. Guessous (Abdelhak): C'est moi-même qui ai fait ce sondage, M. le ministre.

M. Lefebvre: M. Guessous, vous parlez de plus ou moins 650 plaintes. Je veux vous rappeler qu'au cours de la dernière année on a traité, à l'aide juridique, 300 000 dossiers. Votre sondage ou inventaire, quant à moi, nous amène à être très prudents sur une conclusion que vous tirez, à savoir que le système est déficient. 650 par rapport à 300 000, ce n'est pas beaucoup! Je ne vous dis pas que ça n'existe pas, des gens qui se plaignent. Vous savez, il y a des gens qui se plaignent de la qualité des plombiers. Est-ce qu'il faut condamner toute la confrérie des plombiers? Il y a des gens qui se plaignent parce qu'un chauffeur de taxi a allongé le parcours. Est-ce qu'il faut condamner toute la confrérie des chauffeurs de taxi? Je vous trouve sévère par rapport au système d'aide juridique au Québec, et particulièrement quant aux permanents. Dites-moi qu'il faut l'améliorer: Oui.

M. Guessous (Abdelhak): Bien, M. le ministre, je vous répète ce que j'ai dit.

M. Lefebvre: Oui.

M. Guessous (Abdelhak): en 1991, quand le ministre de la justice a décidé qu'il fallait faire un sommet, on a fait un sondage d'opinion publique, et on a sorti 51 % qui sont satisfaits. nous avons fait le forum de chicoutimi. et, à partir de ce moment-là, on n'a pas eu que des gens qui sont vraiment insatisfaits. on a été les choisir, mais la majorité des gens que nous avons choisis dans des choses de la cour, ils nous disent qu'ils étaient insatisfaits, ou ça n'a abouti nulle part. je ne dis pas par là qu'il faut démolir l'aide juridique. je ne sais pas...

M. Lefebvre: Non, non. Je vous pose une dernière question, afin de permettre...

M. Guessous (Abdelhak): Oui.

M. Lefebvre: Pas permettre... c'est une expression qu'il faut que je corrige!

M. Guessous (Abdelhak): Oui.

M. Lefebvre: Afin de laisser la parole à mes collègues...

Si vous pouviez, vous, en quelques jours, améliorer le système d'aide juridique — et je m'adresse à vos collègues et à madame — quels sont les premiers gestes qu'il faudrait poser? Je ne vous dis pas que vous avez totalement tort. Je vous exprime mes réserves sur

certains éléments de votre mémoire. Où il faudrait commencer? Le libre choix de l'avocat? La formation des avocats? L'amélioration ou le rehaussement du seuil d'admissibilité? Il y a plein de choses qu'il faut corriger, mais je ne pense pas qu'il faille — et vous l'avez dit, vous venez de le dire — condamner le régime de façon globale. Quels sont les premiers gestes qu'il faudrait poser?

M. Guessous (Abdelhak): Bien, je commencerais immédiatement par doter chaque centre de l'aide juridique d'une région d'un certain nombre de personnes pour faire la médiation et essayer vraiment de régler les problèmes; au lieu de 300 000 cas, si on peut résoudre, mettons, 20 000 ou 30 000 cas par ce système. Je n'ai jamais dit ou mentionné — même si vous avez senti que c'était un petit peu sévère — nous n'avons jamais dit que l'aide juridique, il ne faut pas la garder. Nous disons qu'il faut la garder.

M. Lefebvre: Je ne l'ai pas pris comme ça, M. Guessous. Non, je veux vous rassurer, là; je veux vous rassurer. Ce n'est pas ce que j'ai compris. J'ai dit que je vous -avais trouvé un peu sévère, pas plus que ça. D'accord?

M. Guessous (Abdelhak): Bon. Alors, peut-être, on était sévère.

M. Lefebvre: Non, non, je n'ai pas compris que vous aviez dit qu'il fallait tout condamner, là. Je n'ai pas compris ça comme ça.

M. Guessous (Abdelhak): Quand vous donnez un mémoire à une trentaine de personnes pour le lire... Je l'ai envoyé au Barreau...

M. Lefebvre: D'accord.

M. Guessous (Abdelhak): ...pratiquement cinq semaines avant de le déposer. Quand, de toutes les régions, ils nous disent: Voilà notre position, nous ne sommes pas payés pour, ni par le gouvernement ni par qui que ce soit, nous n'avons jamais reçu un cent de qui que ce soit. Même au moment où le Barreau dit que l'institut de recherche du Barreau fait appel aux gens qui font des recherches pour qu'ils puissent participer, nous déposons nos documents. Puis, nous avons déposé nos documents quand le ministère a dit que tous les organismes populaires, il faut qu'ils déposent leurs dossiers. Nous n'avons jamais reçu de réponse.

Mais, ce n'est pas à cause de ça qu'on était sévère. C'est parce qu'on a trouvé des cas vraiment déplorables, M. le ministre. Et je ne dis pas, étant donné qu'il y a ces cas déplorables, qu'il faut vraiment... qu'on est contre l'aide juridique. Au contraire, on voudrait que l'aide juridique reste là, mais qu'elle soit bien structurée et basée sur le dialogue, et régler les problèmes, et éviter, peut-être, les tribunaux.

Le Président (M. Parent): M. Guessous, je vous remercie. Je vous fais remarquer que vous n'êtes pas ici devant le gouvernement; vous êtes ici devant une commission parlementaire, devant les membres de l'Assemblée nationale, et vous discutez avec un représentant du gouvernement. Il n'a pas à partager vos vues, comme vous n'avez pas à partager les siennes. On est ici pour échanger et se renseigner. (21 h 30)

Et, sur ce, je me dois de donner la parole à la représentante de l'Opposition officielle, Mme la députée de Terrebonne.

M. Guessous (Abdelhak): Merci beaucoup, M. le Président.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, M. Guessous et Mme Périer, M. Counio, Me Eymard, merci de votre participation à nos travaux, participation assidue, puisque, effectivement, vous avez eu des représentants qui ont suivi l'ensemble de nos travaux.

Il y a, dans votre sondage, certains chiffres qui sont importants à retenir. Je pense qu'ils donnent un signal quand même assez clair. Quand on parle de 84.2 % de personnes qui considèrent que la justice a un impact important sur l'avenir du québec, 84,2 %, c'est un chiffre important, quand on sait que le budget du québec qui est consacré à la justice, c'est 1,2 % du budget global de l'état. 91,3 % qui demandent d'importants changements; on demande d'améliorer le système juridique, l'ensemble du système juridique actuel. alors, 91.3 %, je pense que c'est un chiffre extrêmement significatif. du côté de l'aide juridique, le chiffre est un peu plus intéressant, évidemment, avec 51,8 % de satisfaction.

Vous parlez beaucoup, dans votre mémoire, de l'importance de réduire la lourdeur du processus judiciaire, et ça, je pense que c'est ce que les citoyens et les citoyennes pensent, en général, de rendre le service plus efficace. Quand vous parlez que les personnes à revenu moyen éprouvent des difficultés face à ce système-là, je pense que vous avez parfaitement raison aussi.

L'importance de la médiation. L'importance d'ajouter des solutions alternatives pour améliorer notre système, pour réduire la lourdeur, c'est important ça aussi. C'est sûr que 650 plaintes que vous avez, ou dossiers, sur 300 000, c'est sûr qu'on peut faire des statistiques, des pourcentages. Ce qui est difficile, c'est que, dans chacun de ces cas-là, ce n'est pas une statistique, c'est une personne qui vit une situation difficile et pénible. Et ça, c'est toujours difficile de traduire ça en statistiques, parce que ce sont des vies — on a un exemple, ici, avec M. Counio — ce sont des vies qui sont brisées, hein? Bon. Ça, ça ne peut pas juste s'évaluer en termes de statistiques. Mais, là, c'est toujours pour ça que c'est difficile. C'est évident que le nombre nous fait, à un moment donné, qu'on ne veut pas remettre en question tout un système, sauf qu'il faut s'assurer qu'il arrive le moins possible d'erreurs, parce que chacune de

ces erreurs est extrêmement grave pour chacune des personnes.

Vous avez suivi nos travaux; donc, vous savez que beaucoup de groupes sont venus nous dire qu'ils souhaitaient que les personnes puissent être représentées par des avocats, en nous disant que la personne qui devait se représenter seule n'avait pas l'information, les connaissances, et souvent, se sentait démunie pour se défendre. Elle n'avait pas les capacités de le faire, et vous, vous préconisez, dans votre document, sur les résolutions qui ont été faites, en page 4, vous accentuez beaucoup sur la possibilité que des personnes puissent se défendre seules, mais en leur donnant des outils, évidemment, parce que vous proposez tout un nombre de recommandations: l'accès à la bibliothèque du Barreau, la possibilité d'aider une personne qui voudrait se représenter seule, qu'elle ait droit à l'assistance juridique; de l'aide technique, finalement.

Moi, j'aimerais que vous m'expliquiez davantage pourquoi vous souhaitez que la personne puisse se représenter seule; parce que beaucoup de groupes nous disaient vraiment le contraire: que la personne, même avec de l'aide, même avec l'assistance, elle ne pourrait pas arriver, ce serait inéquitable par rapport à l'autre partie.

M. Eymard (Lionel): Je vais répondre à votre question, si vous me permettez. Pourquoi la personne doit se représenter seule, dans plusieurs cas? C'est qu'elle est insatisfaite des services des avocats, elle a l'impression que l'avocat défend mal sa cause, et ça, je l'ai vécu.

Tantôt, vous me parliez de 650 cas sur 300 000 cas, je pense. Si on élimine, mettons, tout le secteur criminel, peut-être qu'il ne reste rien que 150 000, mais c'est déjà énorme comparativement au petit peu qu'on a. Mais, moi, je regarde les critiques, je regarde ce qui se passe chez nous et je me dis: Le monde a une soif de savoir. Ils veulent participer, ils veulent en arriver à quelque chose, et puis, je me dis: C'est vrai qu'ils ne sont pas formés pour aller là. Je le sais, moi; j'étais spécialiste en responsabilité, comme je vous ai dit.

Alors, ce que je dis, c'est qu'on fasse une première étape dans le processus judiciaire où l'information est nécessaire. C'est pour ça que je dis qu'on devrait avoir un centre d'information avec toutes les données sur les ordinateurs pour qu'ils puissent y accéder. Puis, la deuxième méthode, c'est qu'on les habitue, si tu veux, à un processus judiciaire par la médiation puis qu'on débroussaille la cause, de sorte que, quand ça arrive devant le juge, que le juge ne soit pas obligé d'entendre pendant trois jours un paquet de choses qui n'ont même pas leur raison d'être, mais que les juges endurent, parce que, aujourd'hui, avec la justice naturelle, il faut quasiment écouter la dernière fois que le gars a eu une relation avec son épouse, ou je ne sais pas trop quoi.

Alors, c'est rendu que, devant les tribunaux, il y a une perte de temps absolument incroyable, puis on se demande si c'est la faute des avocats ou si c'est la faute du client. Puis, je ne sais pas... M. le ministre, lui, il a été avocat pendant longtemps, il doit savoir la même chose. On perd un temps fou avec des questions qui n'ont pas leur raison d'être.

Mme Caron: Oui, M. Guessous.

M. Guessous (Abdelhak): Oui. La deuxième chose que je voudrais ajouter, c'est que le système d'aide juridique, tel qu'il est, il doit avoir des fichiers chez lui pour l'ensemble des causes qui ont été faites; et là, d'abord, toutes les causes. Et il peut vraiment les sortir facilement, en nous disant dans combien de causes, vraiment, les gens, ils ont obtenu satisfaction. Qu'il y ait un fichier du client, que ce soit vraiment comme une information disponible, en disant: Nous avons traité 150 causes, mettons 100 000 causes. Sur les 100 000 causes, il y en a 10 000 où il y a eu vraiment un jugement par défaut, parce que l'avocat n'était pas là, qu'il y a telle chose et telle chose et telle chose. Et ça, c'est le ministère de la Justice, et c'est primordial avant d'aller vraiment, et dire: Bon, maintenant, il faut augmenter de 30 000 000 $, 50 000 000 $. je vous avoue que, moi, j'ai assisté à tous les congrès et les colloques des barreaux, que ce soit à l'échelon du québec ou des autres provinces. vous avez un document qui date de 1993 — le mois de juin — où il est clairement mentionné que pratiquement 52 % des avocats qui sont formés, ils sont sur l'aide sociale et ils sont sur le bien-être social, et il faut leur trouver du travail. je suis tout à fait disposé qu'il faut leur trouver du travail, mais je suis aussi disposé à poser la question: est-ce qu'il ne faut pas commencer à restreindre un petit peu, tous ces 600 avocats qui sortent par année? et le juge steinberg lui-même, dans son livre «les dessous du palais», il mentionne que 33 % des avocats, ce sont des avocats compétents, qui font leur travail; le reste, ce sont des paresseux, ce sont des parasites, ce sont des gens qui ne font absolument rien, ni pour les causes, ni pour la justice, ni pour les clients.

Alors, vous savez, si vous n'avez pas l'étude exhaustive qui était faite, du Barreau, où il est mentionné le nombre d'avocats qui sont sur le bien-être social et ceux qui n'ont pas de travail, qui n'ont rien du tout, que le gouvernement leur donne 50 000 000 $ ou 100 000 000 $, ça ne me dérange absolument pas. Mais si on veut vraiment aider les gens, il faut faire des structures pour nous aider. Parce que, dans la masse de la population du Québec, il y a énormément de gens qui viennent de l'extérieur, qui viennent de l'étranger, et, M. le ministre — et je m'adresse surtout, quand je dis «le ministre», aux membres de cette commission. (21 h 40)

Parce que, je l'ai mentionné à quatre reprises, vous avez aujourd'hui des tribunaux populaires de quartier où les gens ne s'adressent plus, absolument plus, aux tribunaux, parce qu'ils n'ont absolument pas confiance. Ils n'ont pas les moyens. Parmi les trois personnes qui devaient venir, mais qui ne sont pas

venues, parce qu'on devait faire un tirage au sort: qu'elle est la personne qui parle, parce que M. Counio, on ne l'a pas choisi, c'était un tirage au sort de six personnes. Bien, quand vous trouvez une dame qui vous dit qu'elle est de la Roumanie, et que, vraiment, elle était obligée de donner ses bijoux à l'avocat de l'aide juridique, bien, écoutez, vous vous posez des questions.

Quand on parle vraiment de harcèlement sexuel... et vous avez une Africaine, dans l'office, qui a été kidnappée par le père, et qu'elle était obligée, vraiment — je m'excuse de l'expression — de s'allonger au bureau de l'avocat pendant six mois, avec l'espoir que l'enfant va retourner, et qu'il faut faire un paiement de nature. Je vous assure que, quand vous avez entendu ces choses-là, vous commencez à dire: Est-ce que vraiment il y a quelque chose qui cloche dans le système?

Alors, nous, ce qu'on demande, on demande simplement... D'ailleurs, le Code civil, l'article 6 dit qu'on ne devrait pas du tout présenter une affaire en matière de famille devant les tribunaux — peut-être que c'est l'article 7 — qui dit qu'il faut d'abord faire la médiation. Combien de batailles ont eu lieu sur des familles qui sont déchirées? Leurs fortunes qui sont disparues de a à z, et je fus l'une des victimes de ce système en 1983, parce que la médiation n'a jamais eu lieu.

Tout ce que nous vous demandons, c'est simplement, au moins, de respecter les parties des lois et de donner à l'aide juridique tout l'argent que vous possédez, mais la structurer pour qu'elle soit efficace et rentable, parce que vous êtes responsables vis-à-vis ceux qui vous ont élus: la population.

Mme Caron: Quand vous parlez de certains avocats, je pense que, moi, en tout cas, j'ai toujours cru qu'on ne peut pas faire de généralités, que ce soit avocat, que ce soit professeur, que ce soit prêtre, que ce soit député, que ce soit médecin, que ce soit menuisier, peu importe le travail qu'on effectue, il y a effectivement des gens qui le font bien, il y a des gens qui le font très bien, et il y a des gens qui le font mal. Et ça, malheureusement, ça fait partie de la nature humaine.

Votre recommandation de vérifier au niveau des dossiers à l'aide juridique, ça correspond à une des recommandations du rapport Macdonald, la recommandation 22, qui demande effectivement une étude de l'évolution des besoins de la clientèle, un niveau de connaissance des services, le taux d'utilisation et le degré de satisfaction. Ça fait partie des recommandations du rapport Macdonald.

M. le Président, mon collègue d'Anjou souhaitait poser une question; alors, est-ce que vous pouvez lui donner la parole?

Le Président (M. Parent): Oui, avec plaisir, madame. M. le député d'Anjou.

M. Bélanger: Je vous remercie, M. le Président. Mme Périer, M. Eymard, M. Counio, M. Guessous, ça me fait plaisir de vous accueillir à la commission.

Au niveau de votre mémoire, à la page 4, quand vous parlez de la bibliothèque du Barreau, j'aimerais peut-être porter à votre attention... Bon, je connais bien la bibliothèque du Barreau, et je connais aussi bien celle de l'Université de Montréal. Vous savez, toutes les universités qui ont des facultés de droit ont des bibliothèques qui sont publiques, qui sont gratuites et qui sont ouvertes au public et qui sont, je peux vous le dire, beaucoup plus complètes que la bibliothèque du Barreau. Alors, c'est peut-être quelque chose à savoir, je pense, qui est intéressant pour vos membres.

Quant à la bibliothèque du Barreau, elle est payée entièrement par les cotisations des avocats — alors, c'est un autre point, je pense, qui est intéressant à savoir — et non pas par les contribuables, ni par le public en général. Et ça inclut aussi le loyer, qui est payé par le Barreau du Québec au palais de justice pour la bibliothèque du Barreau. En tout cas, je pense que c'est un point que je tenais à vous dire. Et, d'ailleurs, près du palais de justice de Montréal, en particulier, il y a la bibliothèque de droit de l'Université du Québec à Montréal, qui, elle aussi, est assez, je pense, complète, et qui est ouverte au public, et qui est gratuite. Il y a aussi celle de l'Assemblée nationale, qui est ouverte au public.

Quant à moi, il y a un point que je trouve intéressant dans votre sondage Léger & Léger. M. Guessous, on s'était rencontré à mon bureau, et vous m'aviez, à ce moment-là, fait part de votre sondage Léger & Léger, et je vois qu'il y a un accord de 74 % relativement à la création d'un comité permanent consultatif sur le système judiciaire. Je pense que, M. Guessous, vous êtes un observateur avisé des travaux de notre commission et de nos travaux à l'Assemblée nationale. Vous savez que le présent gouvernement a fait adopter une loi créant l'institut permanent de réforme du droit, à laquelle a concouru l'Opposition officielle. Pour nous, c'était essentiel d'avoir un tel instrument pour faire une réforme permanente de notre droit, surtout avec notre nouveau Code civil qui est maintenant en vigueur et qui, comme toute nouvelle chose, crée certains remous, un certain changement d'habitudes. Et ça, c'était prévisible, et on le savait. Alors, malheureusement, comme vous le savez aussi, le Conseil du trésor a refusé d'autoriser tel projet.

Cependant, le ministre m'a rassuré et m'a dit que le projet n'était pas encore enterré de sa belle mort, et que nous devions nous attendre, dans un avenir rapproché, à avoir sous une forme peut-être modifiée, peut-être même améliorée, un projet d'institut de réforme du droit. Je pense, quant à moi — et je pense qu'on se rejoint là-dessus — que c'est tout à fait essentiel d'avoir un instrument qui voit à ce que nos lois puissent évoluer en même temps que notre société, et Dieu sait que notre société évolue rapidement! Je me souviens que dans notre code criminel, d'ailleurs, il existait encore jusqu'à il y a quatre ans, le crime de séduction de passagère pour un capitaine. Mais c'était un crime au code criminel pour un capitaine que de séduire une passagère! Alors, c'est pour vous dire comme quoi il y a certains

crimes ou certaines choses dans notre droit qui n'évoluent pas aussi vite que notre société. C'est pourquoi j'ai toujours pensé que l'institut de réforme du droit, nous y avons concouru, nous y croyons toujours et nous espérons que le gouvernement saura aussi y donner suite. Mais je suis rassuré par les intentions du ministre de la Justice. Alors, c'est pour vous dire que j'étais tout à fait d'accord avec cette constatation.

Maintenant, l'abolition de l'immunité des juges. Moi, je me pose la question, j'aimerais entendre vos commentaires là-dessus. Je me demande si ce ne serait pas plus sage de donner une certaine immunité aux juges, parce qu'un juge, quand il rend jugement, s'il se sait à la merci d'une poursuite de la part d'une partie qui ne sent pas que le jugement a été rendu en accord aux principes, vous ne pensez pas que ça peut être dangereux quant à la sécurité que doit avoir un juge quand il rend un jugement? J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Guessous (Abdelhak): Bien, je vais donner à Me Eymard pour qu'il réponde à votre première question, et puis, je vais répondre également, si on a le temps, parce que j'entends les cloches pour le vote. Elles ont commencé à sonner.

Le Président (M. Parent): Alors, je vous invite à répondre rapidement.

M. Eymard (Lionel): Bon! Alors, il y a deux choses. Avant de répondre à votre question, je dois dire que je connais aussi bien la bibliothèque de l'Université McGill, de l'Université de Montréal, de l'UQAM, Saint-Sulpice; je les connais toutes. Mais ce que je dis, et j'invite le gouvernement à y penser, c'est que dans le palais de justice lui-même, même si la bibliothèque appartient au Barreau, que le gouvernement l'acquière et que le public ait le droit de s'en servir, parce que c'est là que ça se passe. Ça, c'est la première chose, et c'est dans le palais de justice.

Deuxième chose, pour ce qui est de l'immunité des juges, nous autres, on préconise, vous le voyez, la question de la création d'une école de la magistrature pour avoir une transparence de la justice. Je ne critique pas les juges, et je ne voudrais pas que notre intervention soit prise... Mais, dès qu'il y a quelque chose qui se passe, on est porté à blâmer celui qui donne le coup de bâton. Mais si vous avez des juges qui ne peuvent avoir aucune relation avec aucun des avocats, vous n'aurez pas ces problèmes-là. Mais je dis que si on a le processus d'information au tout début, ces questions-là vont être bien moins importantes. Est-ce que ça répond à votre question?

M. Bélanger: Tout à fait.

Le Président (M. Parent): Messieurs, on vous remercie, et la commission permanente des institutions ajourne...

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Parent): Rapidement.

M. Lefebvre: ...quelques minutes pour remercier. M. Guessous, Mme Périer, MM. Eymard et Counio, je vous remercie de votre visite. Vous êtes venus plaider avec beaucoup d'élan votre point de vue, et soyez assurés que, même si on peut exprimer certains désaccords — je m'adresse particulièrement à vous, M. Guessous — c'est avec beaucoup de sympathie que j'ai reçu votre message. Il y a plein de choses là-dessus qui font référence à des problèmes, effectivement, qu'il faut essayer de corriger dans notre système judiciaire. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Parent): Alors, les travaux sont ajournés au 29 mars, 10 heures.

(Fin de la séance à 21 h 49)

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