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Version finale

34e législature, 3e session
(17 mars 1994 au 17 juin 1994)

Le mardi 29 mars 1994 - Vol. 33 N° 2

Consultation générale sur le régime d'aide juridique et sur le document « L'aide juridique au Québec: une question de choix, une question de moyens »


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. John J. Kehoe, président
M. Yvan Bordeleau, président suppléant
M. Jean-Claude Gobé, président suppléant
M. Marcel Parent, président suppléant
M. Roger Lefebvre
M. Réal Gauvin
Mme Jocelyne Caron
M. Pierre Bélanger
*Mme Louise Bélanger, Chambre des notaires du Québec
*M. Jean Morin idem
*Mme Nicole Dionne, BAIL
*M. Denis Cusson, idem
*Mme Diane Rainville, AMACQ
*M. Jean Leduc, idem
*Mme Lucie Lemieux-Brassard, COPHAN
*M. Dan Philip, La Ligue des Noirs du Québec
*M. Abdoulaye Diop, idem
*M. Gabriel Bazin, idem
*Mme Alya Hadjem, idem
*Mme Lucie Lemonde, Ligue des droits et libertés
*M. Dominique Goubau, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission
________________

Journal des débats


(Dix heures seize minutes)

Le Président (M. Kehoe): Attention, s'il vous plaît. Je constate qu'il y a quorum. Je déclare la séance ouverte.

Je rappelle le mandat de la commission qui est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur le régime d'aide juridique et sur le document intitulé «L'aide juridique au Québec: une question de choix, une question de moyens».

Je demande à la secrétaire si on a des remplacements.

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Richard (Nicolet-Yamaska) remplace Mme Bleau (Groulx); M. Gauvin (Montmagny-L'Islet) remplace M. LeSage (Hull); M. Bergeron (Deux-Montagnes) remplace M. Savoie (Abitibi-Est).

Le Président (M. Kehoe): Je vais procéder à la lecture de l'ordre du jour: à 10 heures, la Chambre des notaires du Québec; à 11 heures, le Bureau d'animation et information logement du Québec métropolitain (BAIL); à 12 heures, suspension; à 15 heures, Association des Mouvement action-chômage du Québec; à 16 heures, Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées du Québec; à 17 heures, La Ligue des Noirs du Québec; à 18 heures, suspension; à 20 heures, Ligue des droits et libertés; à 21 heures, Gilles Patenaude; à 22 heures, ajournement.

Est-ce que l'ordre du jour est adopté?

Des voix: Adopté.

M. Gauvin: Oui, adopté.

Le Président (M. Kehoe): Bon, je souhaite la bienvenue au premier groupe qui comparaît devant nous aujourd'hui, la Chambre des notaires. Je demanderais à la responsable de s'identifier et de dire les noms des personnes qui l'accompagnent.


Auditions


Chambre des notaires du Québec

Mme Bélanger (Louise): Merci, M. le Président. Alors, je suis Louise Bélanger, présidente de la Chambre des notaires du Québec.

Le Président (M. Kehoe): Bienvenue.

Mme Bélanger (Louise): Merci.

M'accompagnent: ici, à ma gauche, Me Daniel Ferron, qui est le directeur de la Formation, recherche et développement à la corporation professionnelle; Me Jean Poitras, à mon extrême gauche, qui est membre du comité administratif de la Chambre des notaires du Québec, mais aussi représentant du district de Québec; et, à ma droite, Me Jean Morin, représentant du district de Québec.

Le Président (M. Kehoe): Merci, Mme Bélanger. Bienvenue à votre groupe.

Avant de commencer, je tiens à mentionner que, comme d'habitude dans ses séances, la commission... Quand on a une rencontre de groupe, chaque groupe a 20 minutes de présentations, suivies de 20 minutes par le ministre. Puis, le côté ministériel peut poser une question. Ensuite, 20 minutes partagées avec l'Opposition pour poser des questions.

Alors, madame, si vous voulez commencer votre présentation.

Mme Bélanger (Louise): Merci. Alors, je voudrais d'abord remercier le ministre de la Justice, M. Lefebvre, évidemment, de nous avoir permis d'être entendus à cette tribune.

Dans une première partie, j'aimerais d'abord vous soumettre des commentaires préliminaires.

Je pense qu'avant d'entreprendre l'analyse des questions afférentes à la révision du régime d'aide juridique du Québec la Chambre des notaires veut formuler certains commentaires d'ordre général.

Dans un contexte de rationalisation de la gestion des finances publiques, il ne peut être discuté, à notre sens, des aspects économiques de l'aide juridique sans constater la nécessité de remettre en question le système judiciaire lui-même. Il est essentiel, à notre avis, de permettre que les problèmes juridiques qui opposent les citoyens puissent être résolus de façon moins onéreuse, plus expéditive, mais moins pénible moralement pour les parties. Ainsi, nous croyons qu'il est d'une importance primordiale de favoriser une plus grande utilisation des modes alternatifs de règlement des conflits, dans le cas de l'aide juridique également, ce qui constituerait une autre façon de diminuer les recours devant les tribunaux, donc de permettre de déjudiciariser le système, qui connaît actuellement trop d'excès – tout le monde est d'accord là-dessus – et par le fait même, donc, les coûts du régime d'aide juridique.

De plus – et j'insiste là-dessus – puisque le recours à une simple consultation juridique permet bien souvent d'éviter l'apparition d'un litige et le recours au tribunal, ce qui s'avère moins coûteux et moins pénible pour les parties, nous croyons qu'il serait opportun, dans le cadre du régime d'aide juridique, de favoriser l'accessibilité à la consultation juridique. Informer les bénéficiaires de leurs droits, c'est aussi les responsabiliser – il y a là une question d'éducation, je pense, importante – et les inviter à participer, à être partie prenante dans cette responsabilité qui nous concerne tous de l'administration de la justice.

(10 h 20)

Deuxième commentaire. L'introduction au Québec par le législateur de la force exécutoire de l'acte notarié – et je souligne que la force exécutoire de l'acte notarié existe notamment dans tous les pays européens qui connaissent le notariat – contribuerait en grande partie au désengorgement des tribunaux. Je vous dis ce qu'est la force exécutoire: c'est une caractéristique ou une particularité, si vous voulez, de l'acte, ou que possède l'acte notarié, de conférer par lui-même, sans besoin de recourir au tribunal, le bénéfice d'assurer aux bénéficiaires d'une obligation l'exécution forcée de cette obligation au cas de défaillance du débiteur. Alors, la force exécutoire de l'acte notarié, en termes plus simples, signifie ou équivaudrait, si vous voulez, à jugement, mais sans besoin de se référer au tribunal. Par l'attribution de la force exécutoire, l'acte authentique québécois atteindrait son plein potentiel juridique et constituerait une alternative plus humaine et peu coûteuse, tant pour l'État que pour les justiciables, à l'actuelle justice conflictuelle et à l'engorgement de plus en plus problématique, on le sait, des tribunaux.

Troisième commentaire. Au sujet de la demande de la Chambre des notaires du Québec – encore là, auprès du législateur québécois – de modifier un article de la Loi sur le notariat pour permettre aux notaires québécois de préparer et de présenter devant le tribunal des requêtes conjointes – donc, de consentement mutuel – en séparation de corps ou en divorce.

Vous savez que, le 13 avril 1992, le juge Jean Crépeau, de la Cour supérieure du Québec du district de Montréal, rendait jugement sur une requête en jugement déclaratoire – initiée par le Barreau du Québec et contestée par la Chambre des notaires du Québec – concernant la demande conjointe en séparation de corps et en divorce sur projet d'accord. On contestait... Si vous voulez, le Barreau contestait le droit pour les notaires de présenter et de préparer des requêtes, la procédure finale de présentation devant le tribunal.

Le juge Crépeau écrivait, et je le cite rapidement: «Le présent jugement n'en est pas un de valeur sur la compétence des notaires d'effectuer un tel travail, mais uniquement un jugement basé sur les textes, la jurisprudence et la doctrine.» Alors, les textes actuels permettent aux notaires de préparer le projet d'accord, mais non pas de présenter la requête devant le tribunal.

À plusieurs égards, ce jugement démontre combien la situation actuelle en cette matière est ambiguë pour le public. Ainsi, le couple qui désire aujourd'hui divorcer à l'amiable ne sait plus trop comment procéder: seul, avec ou sans conseil d'un notaire ou d'un avocat; en partie seul, et par un avocat ou par un notaire; en partie par un avocat et par un notaire; ou, enfin, par un avocat seul. C'est l'imbroglio total dans l'esprit de monsieur, madame le consommateur.

Il faut éviter de créer, pour le public, un sentiment d'insécurité en laissant croire que la procédure finale, pour en arriver à un divorce à l'amiable, est complexe. À l'heure actuelle, le Québec doit se tourner vers une justice plus douce, plus conciliante et moins coûteuse pour les parties, tant en matière d'aide juridique que pour l'ensemble des bénéficiaires du système judiciaire.

À cela, il faut ajouter que bon nombre de municipalités du Québec bénéficient des services d'un notaire, alors qu'aucun avocat n'y pratique. Ainsi, le couple qui veut divorcer avec l'aide d'un conseiller juridique... c'est-à-dire que, pour ce couple, il y a obligation de recourir aux services d'un avocat pour la préparation et la présentation de la demande conjointe, et nous considérons que ce n'est pas justifiable.

L'existence d'une telle situation juridique commande donc une modification des fonctions du notaire, en lui accordant le pouvoir, dans le cadre d'une demande conjointe sur projet d'accord, de préparer et de présenter cette demande. Il y a donc lieu de permettre à un couple qui le désire de recourir aux services d'un conseiller juridique, que ce soit un notaire ou un avocat de son choix, mais en permettant aussi aux notaires de mener à terme l'ensemble du dossier de divorce à l'amiable.

La situation qui prévaut actuellement est non seulement ambiguë, mais également injustifiable, tant du point de vue du coût que du temps nécessaire à l'obtention du divorce à l'amiable, qui se veut une procédure simple et efficace, telle étant bien l'intention du législateur au moment de l'instauration de cette procédure de divorce à l'amiable.

Nous abordons maintenant l'analyse des questions afférentes à la révision du régime d'aide juridique pour parler ou traiter, dans un premier temps, de la clientèle admissible et des bénéfices accordés.

Tous conviendront ici que l'accessibilité à la justice est un droit fondamental pour tout citoyen. L'objectif fondamental poursuivi par l'adoption de la Loi sur l'aide juridique en 1972 était d'accorder l'accessibilité à la justice aux plus démunis de notre société. Les critères d'admissibilité à l'aide juridique établis en 1973 permettaient que les personnes bénéficiaires de l'aide sociale, celles qui recevaient le salaire minimum de même que celles qui ne recevaient que les prestations de la sécurité de la vieillesse puissent être admissibles à l'aide juridique. Le principe de l'indexation automatique des seuils d'admissibilité a été retiré en 1983. La dernière hausse des seuils d'admissibilité remonte à 1985, et ne visait que les familles et les couples sans enfant. Les seuils économiques d'admissibilité se sont donc ainsi considérablement détériorés depuis l'instauration du régime. La situation actuelle est telle qu'il semblerait que seules les personnes qui reçoivent des revenus similaires aux bénéficiaires de l'aide sociale sont maintenant admissibles au programme d'aide juridique. Il en résulte donc que de moins en moins de citoyens peuvent bénéficier du régime. Plusieurs personnes qui auraient été admissibles auparavant ne le sont plus présentement. On doit donc conclure que le système actuel ne répond plus aux objectifs fixés lors de la création du régime.

Plusieurs des scénarios étudiés pour déterminer la clientèle qui devrait être admissible au régime d'aide font référence à un indicateur de la richesse collective, soit le MGA, utilisé dans le cadre de la Loi sur le régime de rentes du Québec. À l'occasion du Sommet de la Justice tenu en février 1992, la Chambre des notaires du Québec s'était dite favorable à la proposition assurant la gratuité des services aux citoyens dont les revenus sont égaux ou inférieurs à 80 % des résultats du MGA. Le niveau de 80 % du MGA correspondrait, à peu de choses près, au seuil d'admissibilité qui serait utilisé aujourd'hui si les seuils établis au début du régime avaient suivi l'augmentation de l'indice des prix à la consommation. Notre proposition permettrait ainsi que la clientèle admissible lors de la création du régime le soit à nouveau. La Chambre des notaires du Québec recommande ainsi que les seuils d'admissibilité à l'aide juridique soient modifiés afin d'assurer la gratuité des services aux citoyens dont les revenus sont égaux ou inférieurs à 80 % du MGA, en autant toutefois que l'augmentation des seuils d'admissibilité n'entraîne pas une diminution des services couverts.

Quant à savoir s'il est opportun que les bénéficiaires de l'aide juridique contribuent au coût des services qui leur sont dispensés – on a déjà parlé d'un ticket modérateur – la Chambre des notaires du Québec croit qu'il est de l'essence même du régime d'aide juridique que les services soient dispensés gratuitement aux bénéficiaires les plus démunis, qui se procurent déjà difficilement les nécessités de la vie.

Par ailleurs, nous considérons qu'il peut s'avérer désastreux de refuser à une personne le bénéfice de l'aide juridique parce que ses revenus dépassent de peu les seuils d'admissibilité. Il serait alors nécessaire de rendre admissibles certaines autres catégories de personnes défavorisées. Si le gouvernement acceptait d'augmenter les seuils d'admissibilité à 80 % du MGA, les professionnels du droit, notaires et avocats, pourraient, à titre de participation contributoire additionnelle au régime – je dis bien «additionnelle», parce qu'à notre sens il y a déjà une participation par l'instauration d'un tarif réduit – accepter de fournir aux requérants qui ont des revenus qui se situent entre 80 % et 100 % du MGA des services juridiques pour des honoraires équivalents à ceux du tarif d'aide juridique. Alors, la tranche entre 80 % et 100 % bénéficierait du même taux d'aide juridique de la part des professionnels du droit.

À notre avis, cette alternative représente plusieurs avantages, dont, notamment, celui de donner à des personnes qui ont des revenus relativement peu élevés, mais qui se situent à un niveau supérieur aux seuils d'admissibilité normaux, l'opportunité de faire valoir leurs droits moyennant des coûts raisonnables, et ce, sans que l'État n'ait à réinjecter de sommes élevées dans le système.

La Chambre des notaires et ses membres n'accepteront de s'engager dans une telle voie qu'aux conditions suivantes. D'abord, le gouvernement devra évidemment accepter de défrayer les coûts des services juridiques des requérants dont les seuils sont égaux ou inférieurs à 80 %. Deuxièmement, le tarif d'honoraires des notaires aux fins de la Loi sur l'aide juridique devra être ajusté de façon à le rendre conforme aux réalités d'aujourd'hui. Je rappelle que le tarif des notaires en matière d'aide juridique n'a pas été révisé depuis 1977. Troisièmement, le notaire de pratique privée devra toujours avoir le libre choix d'accepter ou de refuser tout mandat d'aide juridique, comme c'est le cas d'ailleurs actuellement.

(10 h 30)

Par ailleurs, si le gouvernement refusait de hausser les seuils d'admissibilité afin d'assurer la gratuité des services aux citoyens dont les revenus sont égaux ou inférieurs à 80 % du MGA, la Chambre des notaires recommande alors que les professionnels du droit, notaires et avocats, toujours dans un esprit de contribution sociale, fournissent les services juridiques aux personnes dont les revenus se situent entre le pourcentage du MGA que l'État couvrira et 80 % du MGA, toujours pour des honoraires équivalents à ceux du tarif d'aide juridique qui leur est applicable.

D'autre part, pour éviter que les seuils se détériorent, il y aurait lieu d'instaurer un mécanisme annuel de révision des seuils d'admissibilité. Ce mécanisme devrait tenir compte de la fluctuation de l'indicateur de la richesse collective.

En ce qui a trait à la période de référence, qui permet d'évaluer la situation financière du requérant, nous considérons opportun qu'elle soit exprimée sur une base annuelle plutôt que sur une base hebdomadaire. Cette façon de faire permettrait effectivement d'éviter qu'un requérant soit admis parce que, momentanément, ses revenus hebdomadaires le rendent admissibles, ou qu'un requérant soit refusé parce que ses revenus hebdomadaires, lors de la présentation de sa demande, sont supérieurs au seuil d'admissibilité. Il serait toutefois nécessaire, si la situation financière du requérant basée sur sa dernière déclaration de revenus ne correspond plus à sa situation financière réelle au moment de la demande, de tenir compte de ses revenus courants ou estimatifs.

La Chambre des notaires du Québec est également favorable au maintien de la possibilité d'admettre, sur une base discrétionnaire, des requérants dont les revenus sont supérieurs au seuil d'admissibilité, si le fait de leur refuser l'accès à l'aide juridique constitue une injustice grave ou peut entraîner un tort irréparable. Toutefois, dans de telles circonstances, la Commission des services juridiques doit prendre les mesures nécessaires pour s'assurer d'une application uniforme des critères d'admissibilité dans tout le réseau d'aide juridique.

Deuxième élément de l'analyse: l'étendue de la couverture de l'aide juridique. Les diverses pistes de réflexion dégagées par le document de consultation sur l'étendue de la couverture d'aide juridique ont inévitablement pour but de restreindre les services juridiques couverts. Présentement, la couverture de l'aide juridique s'étend à l'ensemble des services juridiques. Retranchée du système, la couverture de certains services juridiques constituerait, à notre sens, une atteinte grave au système juridique et priverait inévitablement les plus démunis de notre société. Ainsi, l'objectif principal de l'aide juridique serait lourdement hypothéqué. La prestation d'un service juridique en faveur d'un citoyen à faible revenu n'est plus considérée comme un acte de charité, mais bien comme un droit fondamental.

Définir et rechercher ce que constitue un besoin juridique essentiel pour le citoyen à faible revenu dans le but de réduire la couverture des services offerts afin de diminuer les coûts du système, c'est s'éloigner de l'objectif fondamental de l'aide juridique et nier aux gens défavorisés l'accès à la justice. Il faut, bien sûr, tenir compte de la problématique actuelle des finances publiques sans toutefois tomber dans un état de démesure en cherchant à couper dans les services qui rapporteraient le plus s'ils étaient abolis.

Certaines des hypothèses, en fait, certaines hypothèses de retrait de services ont déjà été envisagées afin de diminuer les coûts du régime. En 1987, par exemple, il a été question d'exclure les services professionnels des notaires dans le secteur du droit immobilier. Évidemment que la Chambre s'est alors catégoriquement opposée à l'élimination d'une telle couverture, à ce moment-là. Il faut comprendre que, en régions défavorisées, les transactions immobilières – ventes de propriété, transferts – se font souvent à l'intérieur d'une même famille à titre conservatoire du bien puisqu'il n'y a pas preneur sur le marché immobilier. Il faut aussi comprendre et savoir que les financements et refinancements de propriétés ont, la plupart du temps, pour objet de conserver la propriété. Donc, on obtient un financement pour des réparations urgentes. Les citoyens défavorisés doivent être assurés que ces services juridiques, dispensés par les notaires, leur demeurent accessibles, faute de quoi ils sont l'objet de discrimination.

Par ailleurs, le retrait complet des services notariaux a aussi été envisagé, services qui, selon le document de consultation, ne représentent, pour l'exercice 1991-1992, que 2,5 % des dossiers comparativement à 7,4 % pour l'année 1975-1976. La Chambre des notaires s'oppose avec véhémence au retrait des services notariaux et soutient fermement que la baisse des services notariaux est directement reliée au fait que le tarif d'aide juridique des notaires n'a pas été révisé depuis 1977.

Une autre hypothèse envisagée afin de réduire les coûts du système serait de retirer du régime les services reliés au droit civil en général. Nous nous opposons également à cette hypothèse, surtout avec l'entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec, depuis le 1er janvier dernier. Nous recommandons que l'étendue de la couverture de l'aide juridique, telle qu'elle existe actuellement, soit maintenue intégralement.

D'un autre côté, nous croyons que, notamment, en matières criminelle et pénale, des abus du côté des offensants se produisent. Dans le but de sensibiliser et de responsabiliser les justiciables dans ce domaine, nous croyons qu'il y aurait lieu qu'une étude soit faite afin de déterminer des moyens ou des façons de diminuer les coûts reliés aux récidives.

Quant à la structure et à l'organisation du régime, on sait qu'on connaît ici, au Québec, un système mixte: prestation des services par des professionnels de pratique privée, mais aussi par des professionnels à l'emploi de l'État. Et, soit dit en passant, évidemment que, dans le cas où le système mixte serait maintenu, la Chambre des notaires demande avec beaucoup d'insistance que la commission d'aide juridique et que tout le réseau emploient des notaires permanents.

Consciente de la problématique actuelle des finances publiques, la Chambre des notaires du Québec considère qu'une étude devrait être entreprise afin de déterminer la pertinence ou l'opportunité que l'ensemble des services d'aide juridique soient fournis par les avocats et les notaires de pratique privée, tout en assurant aux personnes à faible revenu les mêmes services juridiques de qualité. Je parle ici de privatisation; une étude devrait être faite pour évaluer. La privatisation s'avère peut-être l'un des moyens d'obtenir une structure plus simple et moins coûteuse. Quant on regarde le maintien, les coûts reliés au maintien de la commission d'aide juridique, incluant les salaires – on parle de quelque 61 000 000 $... Oui, M. le Président.

Le Président (M. Kehoe): Il reste une minute de votre temps, madame. Si vous voulez... Ça passe vite!

M me Bélanger (Louise): Bien, écoutez, je vais prendre simplement les grands thèmes et je vais vous donner nos recommandations.

Le Président (M. Kehoe): Parce que vous allez avoir le temps de... Si vous voulez prendre plus de temps, prenez-le, mais on aura moins de temps pour échanger des commentaires, et puis...

Mme Bélanger (Louise): Peut-être que j'emprunterai un petit cinq minutes additionnel...

Le Président (M. Kehoe): Oui, pas de problème...

Mme Bélanger (Louise): ...dans un esprit de... Merci beaucoup. Ha, ha, ha! Merci. D'accord.

M. Lefebvre: Consentement, madame, de ma part.

Mme Bélanger (Louise): Alors, je vous parlais de privatisation... et ayant bien à l'esprit, bien sûr, qu'il faudrait prévoir, dans cette étude, des façons d'éviter les abus.

Si cette solution de privatisation était retenue, l'ensemble du réseau d'aide juridique pourrait alors être rattaché à une direction du ministère de la Justice, et l'examen de l'admissibilité de requérants au régime pourrait se faire – c'est une excellente suggestion, je trouve – dans les bureaux régionaux existants d'autres ministères, comme ça se fait actuellement en Ontario. Alors, simplement une direction du ministère de la Justice, et on pourrait, par exemple, utiliser les centres locaux de services communautaires pour présenter les demandes d'admissibilité du côté des bénéficiaires.

Toutefois, si la recommandation relative à la privatisation, suite à l'étude, n'était pas retenue, la Chambre des notaires du Québec croit qu'il serait alors opportun de maintenir le régime mixte, et que, dès lors, le principe du libre choix de l'avocat et du notaire demeure un principe fondamental du système d'aide juridique québécois. Et je réitère la demande, évidemment, que des notaires – puisqu'on parle de libre choix de notaires ou d'avocats – soient engagés dans le régime d'aide juridique.

Au niveau du financement, le ministère de la Justice s'interroge notamment sur l'opportunité de faire contribuer les corporations professionnelles de juristes et leurs membres au financement du régime d'aide juridique, puisque les membres bénéficient financièrement de l'existence d'un tel régime. Je dois ajouter un large bémol en ce qui a trait aux notaires, compte tenu de ce que je vous disais tantôt, que notre tarification n'a pas été révisée depuis 1977.

Donc, au niveau de cette contribution possible des corporations de juristes, il y a d'abord une première option qui est envisagée, et c'est le versement au régime d'aide juridique d'une proportion des intérêts provenant des comptes en fidéicommis, ou, en fait, en fiducie, des notaires et des avocats. Les revenus des comptes généraux tenus en fidéicommis par les notaires dans l'exercice de leur profession sont versés au Fonds d'études notariales de la Chambre des notaires. Et le Fonds d'études notariales a pour but de promouvoir – c'est important de l'indiquer – la réforme du droit, la recherche juridique, l'éducation et l'information légale, la formation des membres ainsi que l'établissement et le maintien de bibliothèques du droit. Ainsi, les revenus produits par les comptes généraux en fidéicommis bénéficient déjà indirectement à la population en général, en permettant que soient dispensés des services juridiques de qualité, notamment par le biais de la formation continue des membres.

(10 h 40)

De plus, dans le contexte économique actuel, les comptes ou les revenus des comptes en fiducie connaissent des baisses substantielles et significatives – et je vous dirai que nous avons connu des baisses de l'ordre de 63 % en trois ans – et qu'une appropriation, donc, par l'État, ne serait-ce que d'une partie de ces fonds, entraînerait une diminution équivalente des ressources financières appliquées au maintien de la compétence des membres de la corporation professionnelle, dont la mission est la protection du public, qu'il soit ou non bénéficiaire d'aide juridique. Cette hypothèse ne peut donc être retenue. Et je vous informe que le Fonds d'études notariales, déjà, les ressources du Fonds d'études sont utilisées avec beaucoup de circonspection et dans le cadre restrictif des objectifs déterminés par la loi.

Au sujet de la contribution des professionnels du droit par l'exigence d'une contribution forfaitaire, soit à même la cotisation annuelle ou par le versement d'un montant fixe ou variable à même les honoraires perçus en vertu du régime, nous ne sommes pas d'accord avec cette proposition pour les raisons suivantes: le tarif, notamment, d'honoraires des notaires, n'a pas été modifié depuis 1977, malgré plusieurs demandes de notre corporation à cet effet. Les notaires qui acceptent actuellement des mandats d'aide juridique le font depuis plusieurs années pour une cause sociale, car les honoraires qui leur sont payés n'arrivent même pas à couvrir les frais du dossier.

Nous considérons donc qu'imposer une contribution forfaitaire aux notaires dans le but de financer le système d'aide juridique constituerait une grave injustice à leur égard, compte tenu qu'ils contribuent déjà indirectement, et depuis plusieurs années, au financement du régime en accusant un grave retard dans l'actualisation du tarif, de leur tarif d'honoraires.

Le financement du régime par les bénéficiaires; je me suis déjà exprimée là-dessus. La Chambre des notaires n'est pas d'accord, compte tenu de l'essence même du régime d'aide juridique, et, quant aux autres options, la Chambre des notaires recommande que la contribution des utilisateurs des services juridiques par l'entremise de la taxe de vente du Québec comme source de financement du régime d'aide juridique soit analysée plus en profondeur. Il serait peut-être effectivement très pertinent que les plus munis de notre société puissent assurer que les plus démunis aient aussi accès à l'aide juridique.

Par ailleurs, nous croyons que, pour une meilleure utilisation des deniers publics, la Commission des services juridiques devrait confier aux notaires tout mandat relevant de leur compétence et tout mandat où leur intervention est susceptible de générer une efficience économique optimale pour l'État. Et je vous donne l'exemple du testament notarié. Quand un bénéficiaire demande de faire un testament, il devrait systématiquement être référé... en fait, le mandat devrait être donné à un notaire, parce que vous savez que le testament sous seing privé doit faire l'objet d'un vérification devant le tribunal. Donc, c'est une procédure additionnelle comme telle que subventionne le régime d'aide juridique. C'est pour ça que je dis que tout mandat où l'intervention du notaire est susceptible de produire une économie pour l'État, évidemment, devrait être acheminé au notaire. Et retenez cet exemple du testament notarié, qui, lui, n'a pas besoin d'être vérifié par le tribunal pour amener le règlement de la succession.

Comme nous l'avons déjà démontré antérieurement, les notaires sont prêts à contribuer et à aider les moins nantis de notre société, et cette contribution consisterait à fournir des services juridiques aux requérants qui ont des revenus qui se situent entre 80 % et 100 % du MGA pour des honoraires équivalents à ceux du tarif d'aide juridique.

Je termine dans quatre ou cinq minutes avec quatre commentaires: d'abord, au sujet du tarif d'honoraires des notaires, aux fins de la Loi sur l'aide juridique, dans le cadre de la présente commission sur le régime d'aide juridique, la Chambre des notaires ne peut passer sous silence le dossier de l'actualisation du tarif d'honoraires des notaires, aux fins de la Loi sur l'aide juridique, lequel a sans doute été l'un des plus décevants pour les notaires du Québec au cours des dernières années.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le tarif d'honoraires n'a pas été modifié depuis 1977. Depuis plusieurs années, la Chambre des notaires du Québec tente, sans succès, de négocier avec le gouvernement du Québec un nouveau tarif d'aide juridique. Le système actuel fait en sorte qu'une discrimination inadmissible s'exerce entre les professionnels du droit, soit les notaires et les avocats, au profit des avocats, qui, eux, ont eu évidemment à renégocier leurs tarifs à plusieurs reprises. Dans l'intervalle, donc, la situation s'est détériorée, avec le résultat que les notaires, notamment dans les régions défavorisées, doivent refuser tout mandat d'aide juridique de façon concertée, chacun se faisant un devoir d'aviser la Chambre des notaires que les services juridiques aux plus démunis n'y sont plus accessibles.

La grille de rémunération est telle qu'il y a une urgence extrême, devant une telle situation sociale, inacceptable, qu'une solution soit apportée. À titre d'exemple, le testament notarié, c'est-à-dire l'entrevue, copies, correspondance, frais d'inscription au registre testamentaire, est préparé pour la modique somme de 35 $, alors que, dans la vie de M. et Mme Tout-le-Monde – qui peut, évidemment, se payer un testament – les coûts sont de l'ordre de 150 $ à 200 $. Actuellement, le tarif de l'aide est de 35 $ pour un testament notarié.

Par ailleurs, les nombreuses tentatives infructueuses de notre corporation pour négocier un nouveau tarif d'aide juridique ont clairement démontré que le ministre de la Justice, duquel relève l'application de la loi, n'a pas les mains libres pour négocier les divers tarifs. Nous savons, par ailleurs, que le Conseil du trésor, qui tient les cordons de la bourse... et le ministère de la Justice demeure tributaire des décisions puisqu'il doit négocier à l'intérieur d'un cadre financier fixé par le Conseil du trésor. Nous pouvons donc affirmer que les divers tarifs d'aide juridique ne sont pas vraiment négociés sur la base de critères sociaux, mais plutôt fixés en fonction des politiques et restrictions budgétaires du gouvernement au moment de chacune des négociations.

Compte tenu de la discrimination inadmissible exercée à l'endroit des notaires par le gouvernement dans ce dossier et du fait que les notaires qui acceptent des mandats d'aide juridique travaillent à rabais, à partir d'un tarif non modifié depuis 1977, la Chambre des notaires considère qu'il est plus que nécessaire et urgent pour les notaires d'obtenir un tarif juridique reflétant de façon réaliste la valeur réelle du travail fourni et assurant une rémunération à tout le moins décente aux notaires. En se contentant d'un tarif des plus bas depuis 1977, les notaires ont assumé plus que leur part des coûts sociaux du régime d'aide juridique. Il y a donc urgence de réparer ces injustices qui subsistent depuis déjà trop longtemps. Et c'est pourquoi la Chambre des notaires du Québec demande à nouveau que le tarif d'honoraires des notaires, aux fins de la Loi sur l'aide juridique, soit ajusté rapidement de façon à le rendre conforme aux réalités d'aujourd'hui.

Jusqu'à présent, seuls les notaires et les avocats de pratique privée ont contribué au système d'aide juridique en acceptant des mandats selon un tarif d'honoraires réduit. La Chambre des notaires du Québec recommande que les autres experts – sténographes, huissiers, par exemple – impliqués dans les dossiers d'aide juridique contribuent également au système d'aide juridique par la négociation d'un tarif réduit.

Embauche de notaires au sein de la direction du ministère de la Justice. Si la recommandation faite par la Chambre relativement à la privatisation était retenue et si l'étude entreprise sur cette question s'avérait favorable, la Chambre considère qu'il serait essentiel que des notaires soient employés au sein de la direction du ministère de la Justice qui gérerait le nouveau système d'aide juridique, afin d'évaluer les besoins de la population en matière de services notariaux et permettre que soient rendus aux plus démunis les services de qualité appropriés.

Également, si notre recommandation relative à la privatisation du régime n'était pas retenue et si l'étude entreprise s'avérait défavorable, nous recommandons que le principe du libre choix du notaire et de l'avocat demeure un principe fondamental du système d'aide juridique et, par conséquent, que des démarches soient entreprises afin que des notaires soient embauchés à plein temps au sein du régime d'aide juridique. Présentement, tous les services professionnels relevant de la compétence d'un notaire sont dispensés par des notaires de pratique privée. Le réseau d'aide juridique n'a actuellement aucun notaire à son emploi. La Chambre des notaires est d'avis qu'en l'absence de notaires au sein du réseau d'aide juridique, la Commission des services n'est pas aussi bien en mesure qu'elle pourrait l'être de vérifier quels sont les besoins de la population en matière de services notariaux. La situation actuelle fait en sorte que les personnes visées par l'aide juridique sont privées des services de notaires permanents au sein des bureaux d'aide juridique.

Le notariat a toujours manifesté sa volonté d'assumer une part des responsabilités liées à la justice, et c'est pourquoi il s'attend à être traité avec équité dans la gestion du programme de l'aide juridique au Québec. De plus, la profession notariale est celle des deux professions juridiques qui demeure la plus décentralisée quant à sa présence sur tout le territoire du Québec. Les notaires sont donc également susceptibles, au même titre que les avocats, de contribuer d'une façon particulière à l'étude et à la solution des problèmes juridiques des milieux défavorisés. C'est pourquoi – et je termine là-dessus – la Chambre des notaires du Québec demande que l'article 13 de la Loi sur l'aide juridique soit amendé pour permettre qu'un notaire, au même titre qu'un avocat, puisse être nommé président ou vice-président de la Commission des services juridiques.

Et je vous remercie de votre attention.

(10 h 50)

Le Président (M. Kehoe): Merci beaucoup, Mme Bélanger. Maintenant, j'invite le ministre de la Justice à faire ses commentaires et à poser des questions. M. le ministre.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Alors, Me Bélanger, Mes Morin, Ferron et Poitras, je vous souhaite la bienvenue à cette commission extrêmement importante qui a comme objectif, comme ç'a été indiqué par M. le Président tout à l'heure, de vérifier où on en est avec notre système d'aide juridique au Québec.

J'ai lu votre mémoire qui, d'ailleurs, Mme la présidente... vous l'avez parcouru, pour ce qui est de l'essentiel de votre mémoire. Vous l'avez bien explicité. C'est un mémoire, évidemment, qui est bien fait, c'est une analyse extrêmement pertinente que vous faites, non seulement... et j'ai apprécié votre contribution dans ce sens-là. D'ailleurs, on s'attendait à rien de moins de la part des professionnels du droit que sont les notaires. Vous faites une analyse, à travers le système d'aide juridique, de ce qui se passe, globalement, au niveau de l'accessibilité à notre système judiciaire au Québec. Et je vous indique tout de suite que votre analyse – l'analyse de la Chambre des notaires – et vos commentaires sont, pour la commission et pour le gouvernement, qui aura des décisions à prendre, extrêmement importants.

Je voudrais, Mme la présidente, Me Bélanger, que vous me commentiez un peu, avec un peu plus de détails, ce que vous dites à la page 8 de votre mémoire, dont vous avez donné lecture, en partie, à tout le moins, tout à l'heure; partie de la page 8. Vous dites qu'il «est essentiel à notre avis, de résoudre de façon moins onéreuse, plus expéditive, moins pénible moralement pour les parties, les problèmes juridiques qui opposent les citoyens.» C'est évident que, sur le principe, sur ce raisonnement-là, on doit se rallier, et vous n'êtes pas les premiers intervenants qui nous l'indiquent. On en est conscients, d'ailleurs.

Dans votre mémoire, parallèlement à ce raisonnement-là, vous parlez d'information, de consultations qu'on devrait servir, qu'on devrait donner aux justiciables. Comment en êtes-vous arrivés à constater cette situation-là, que les citoyens, en général, manquent d'information? Et, si je comprends bien, pour l'essentiel, votre message, c'est que des citoyens se retrouvent dans une mécanique de judiciarisation, alors que cela aurait pu être évité – si j'ai bien compris votre message, essentiellement, Mme la présidente.

Mme Bélanger (Louise): Oui...

M. Lefebvre: Comment en êtes-vous arrivés à ce constat, vous autres, les notaires, là? Ça m'apparaît être plus évident au niveau des avocats. Mais, les notaires, est-ce que vous constatez, dans vos relations avec votre clientèle, qu'il y a une méconnaissance de ce qui se passe au niveau du système judiciaire, l'accessibilité à l'aide juridique... système judiciaire, en général, au Québec?

Mme Bélanger (Louise): Moi, je pense que...

Le Président (M. Kehoe): Mme Bélanger.

Mme Bélanger (Louise): Oui. Je dois vous dire que, pour être une praticienne de quelque 20 années...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...de pratique, d'exercice, je dois vous dire de façon très claire – et c'est dommage, je le dis bien – que dans l'esprit du consommateur ou de la consommatrice, comme tels, l'exercice de ses droits, l'association, donc, à la justice, c'est le conflictuel: les gens connaissent leurs droits par le biais d'un conflit. C'est quand ça va mal que, là, on réalise que: Ah! Et c'est le canal, c'est le recours systématique comme tel...

M. Lefebvre: À la procédure.

Mme Bélanger (Louise): ...au tribunal, à la procédure, au tribunal. Et je pense que c'est pour ça, finalement, qu'on connaît cette situation absolument malheureuse: on parle d'engorgement des tribunaux. Alors, c'est une situation qui, effectivement, se doit d'être corrigée. Et, autant les professionnels du droit, je pense, ont à intervenir dans leur petite étude – pouce par pouce; les choses avancent souvent tranquillement – mais le geste, je dirais, modeste, peut quand même conduire à des résultats, à long terme, significatifs.

Alors, il est important, je pense, dans un premier temps, c'est un devoir du professionnel du droit d'informer les gens de leurs droits, et c'est dans ce sens-là que j'en ai parlé. Je sais que, dans des centres communautaires, au Québec, d'aide juridique, il se fait des séances d'information, de consultation. Ce que je suggère, c'est qu'on introduise – au niveau de la tarification, par exemple, que ce soit prévu au niveau de la tarification – des honoraires professionnels dans le cadre de l'aide juridique, la consultation juridique...

M. Lefebvre: C'est ce que vous dites à la page 9 de votre mémoire.

Mme Bélanger (Louise): C'est ça. Ce n'est pas prévu, ça, actuellement, dans l'énumération, donc, des mandats qui peuvent être confiés. Je pense que c'est par là, finalement, c'est peut-être le commencement d'un monde meilleur de la justice que d'informer les gens, particulièrement les bénéficiaires de l'aide juridique...

M. Lefebvre: Est-ce que...

Mme Bélanger (Louise): ...et de les responsabiliser.

M. Lefebvre: Est-ce que, Me Bélanger, vous pensez que cette consultation juridique à laquelle vous faites référence dans votre mémoire et que vous venez tout juste de m'expliquer pourrait être donnée au justiciable, au moment de l'étape de l'évaluation de la vraisemblable du droit?

Mme Bélanger (Louise): Je ne vous comprends pas, M. le ministre. Dites-moi ça autrement. Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Vous savez, lorsqu'un citoyen prétend, veut être admis à l'aide juridique, il doit, dans un premier temps, démontrer qu'il a un droit, une vraisemblance de droit et également démontrer que, financièrement, il est admissible à l'aide juridique. Alors, il y a deux démarches qui se font en même temps. Évidemment, le permanent de l'aide juridique ou l'avocat de pratique privée qui décide de représenter un client, un justiciable à l'intérieur du système d'aide juridique, doit, dans un premier temps, évaluer s'il a un recours, s'il a un droit. Est-ce que c'est à ce moment-là qu'on pourrait donner la consultation juridique? Autrement dit, dire au justiciable: Écoutez...

Mme Bélanger (Louise): Bien sûr, bien sûr.

M. Lefebvre: ...là, on peut régler votre dossier autrement que par le tribunal, par l'affrontement devant la cour, par la procédure.

Mme Bélanger (Louise): Tout à fait. Et c'est dans ce cadre-là, je pense, que j'indiquais l'importance qu'il y ait des notaires, si le système d'aide juridique est maintenu dans sa structure actuelle, dans le réseau. Il est important qu'il y ait des notaires, parce que je pense que les notaires sont aussi très bien placés pour ce genre de travail, et le conseil juridique comme tel. Et, je pense que, oui, c'est bien au moment où la demande est adressée qu'on pourrait évaluer si c'est pertinent ou pas, effectivement, de continuer le dossier. Mais, déjà, l'information initiale peut donner suffisamment d'éclairage, en fait, éduquer, d'une certaine façon, les bénéficiaires de ces droits-là de façon à les responsabiliser davantage. Je sais que ce n'est pas facile, mais, pour moi, ça commence aussi par là.

M. Lefebvre: Vous dites, Me Bélanger, à plusieurs reprises, dans votre mémoire – particulièrement à la page 17, mais également ailleurs – vous suggérez de rehausser les seuils d'admissibilité jusqu'à concurrence de 80 % du MGA. En introduction, vous pointez le problème des finances publiques, sans le dire. J'ai envie de conclure que vous êtes consciente qu'on ne dispose peut-être pas de tous les budgets nécessaires pour donner suite à votre recommandation, qui coûterait plus ou moins 26 000 000 $, là.

Mme Bélanger (Louise): Oui. Ce sont des choix, M. le ministre, et ces choix vous appartiennent.

M. Lefebvre: Oui, je comprends, mais pour arriver à faire des choix, on a décidé, justement, de vous écouter. Et c'est pour ça qu'existe la commission de consultation. Je voudrais avoir votre avis sur le problème suivant: Si on avait le choix entre rehausser les seuils d'admissibilité et, en même temps, réévaluer la couverture de certains services, ce qui nous permettrait de récupérer certaines sommes d'argent qu'on affecterait immédiatement au rehaussement des seuils d'admissibilité, quelle est la suggestion que vous nous faites, puisque vous évitez de vous compromettre? Et ça, je trouve ça correct, hein! Vous nous demandez de rehausser, puis vous nous demandez en même temps de ne pas intervenir au niveau de la couverture des services.

Mme Bélanger (Louise): Oui. Je pense que...

M. Lefebvre: Avez-vous une suggestion sur l'un ou l'autre? Comment devrait-on procéder?

Mme Bélanger (Louise): J'irai plus loin, et c'est suggéré également dans le mémoire. Je suggérerais également qu'on regarde de très près, effectivement, jusqu'où peut être efficace toute cette structure qui existe actuellement. Et on parle, dans le document que vous nous avez transmis, d'une étude qui a été faite par la firme Martin, Paré, qui vous a fait des recommandations. Malheureusement, on n'a pas eu en main ces recommandations. Il aurait été extrêmement intéressant de regarder tout cela. Alors, c'est dans ce sens-là, finalement. Il y a une question d'économie de coûts, bien sûr, qui est là, omniprésente; c'est clair, quand on regarde les finances de l'État, actuellement. Mais je pense que la part contributoire des professionnels du droit, je l'ai aussi indiqué dans le mémoire...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...c'est cette participation...

M. Lefebvre: À la page 18. C'est apprécié.

Mme Bélanger (Louise): Tout à fait! ...cette participation au taux équivalent du tarif pour ces gens, finalement, qui serait un petit peu à la limite, si vous voulez, des seuils d'admissibilité.

M. Lefebvre: Mais, en même temps, vous nous demandez de rehausser vos tarifs, là, puis je trouve ça, encore là, légitime.

Mme Bélanger (Louise): Ah, bien, écoutez...

M. Lefebvre: Je trouve votre démarche légitime, Mme la présidente.

Mme Bélanger (Louise): J'aime vous l'entendre dire.

M. Lefebvre: Légitime. La démarche est légitime.

Mme Bélanger (Louise): Tout à fait.

M. Lefebvre: D'ailleurs, vous savez qu'on est en négociation. Hein?

Mme Bélanger (Louise): J'attends une rencontre, M. le ministre.

(11 heures)

M. Lefebvre: Une deuxième rencontre, Mme la présidente.

Vous parlez, à la page 9, vous indiquez que vous souhaiteriez que l'acte notarié ait une force exécutoire. Je ne veux pas tomber dans le juridique, mais c'est une convention entre les parties, un contrat, hein! Comment arrivez-vous à la conclusion qu'un contrat pourrait avoir la force exécutoire d'une décision de cour, c'est-à-dire d'un jugement? Juste vous entendre deux ou trois minutes là-dessus, parce que j'ai d'autres questions.

Mme Bélanger (Louise): Vous avez compris que c'était...

M. Lefebvre: Strictement là-dessus, là.

Mme Bélanger (Louise): Oui. Vous avez bien compris que c'était une façon, évidemment, d'alléger justement...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...tous ces processus judiciaires, la judiciarisation de notre système.

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): Moi, je vous dirai que, pour avoir vu ce qui se passe ailleurs, en Europe...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...et aussi ailleurs, là où existe l'institution notariale, je vous dirai qu'ici, au Québec, malheureusement, on exploite bien mal cette institution qu'est le notariat. Vous savez que nous sommes votre délégataire...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...du pouvoir public, comme notaires, pour authentifier, hein, donner la force probante, en fait, authentifier l'acte authentique. Ce que je veux vous dire, c'est que la force exécutoire... Actuellement, on sait que l'acte notarié a force probante. Il faut donc en faire la preuve devant un tribunal. Compte tenu des caractéristiques de l'acte notarié, par la force exécutoire, il y a tout dans un acte notarié pour qu'il y ait force de jugement. Il s'agit d'une volonté de l'État, simplement, d'attribuer à l'acte notarié cette force exécutoire. Et je ne comprends pas encore, dans une réflexion par rapport, donc, à ce que vit la justice actuellement, qu'il n'y ait pas une décision qui soit prise assez rapidement pour mettre de l'avant cette richesse-là, si vous voulez, qui existe, à savoir la force exécutoire de l'acte notarié.

M. Lefebvre: Vous dites, à la page 17, Mme la présidente, puis ça m'apparaît être...

Mme Bélanger (Louise): Est-ce que j'ai été claire, M. le ministre?

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): Parce que c'est peut-être technique de parler de ça là...

M. Lefebvre: Non.

Mme Bélanger (Louise): ...mais je vous ai déjà envoyé un document qui vous expliquait...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...les applications de ce que peut signifier la force exécutoire.

M. Lefebvre: Mais vous êtes consciente que...

Mme Bélanger (Louise): Ce serait une économie pour l'État.

M. Lefebvre: Oui. Mais vous êtes consciente également que c'est assez spectaculaire au niveau de la démarche, de l'exécution d'un jugement. La convention des parties, puis un jugement rendu par un tiers qui s'appelle un juge, c'est très différent.

Mme Bélanger (Louise): Mais vous savez aussi, M. le ministre...

M. Lefebvre: Et je ne nie pas...

Mme Bélanger (Louise): Oui.

M. Lefebvre: ...le bien-fondé de votre suggestion, Mme Bélanger.

Mme Bélanger (Louise): Je veux simplement spécifier, évidemment, que, dans le cadre de cet attribut, donc, qui donnerait sa plénitude, je dirais, à l'acte notarial et qui doit être une décision du législateur, je vous dirais que le notaire, à l'instar du juge, a un devoir d'impartialité.

M. Lefebvre: Oui.

Vous dites, à la page 17: La Chambre des notaires recommande que les seuils d'admissibilité à l'aide juridique soient modifiés afin d'assurer la gratuité des services au citoyen dont les revenus sont égaux ou inférieurs à 80 % du MGA, en autant, toutefois, que l'augmentation des seuils d'admissibilité n'entraîne pas une diminution des services couverts. J'en ai parlé, je vous en ai parlé tout à l'heure, si on avait un choix à faire. Mais, en même temps, vous nous dites aussi, ailleurs dans votre mémoire, que la Chambre des notaires est prête à contribuer – c'est à la page 18, en bas de page. Vous seriez prêts à contribuer, comme professionnels du droit, en concédant une partie de vos honoraires. Si je comprends bien, vous suggérez la gratuité totale de 0 % à 80 % du MGA, ou encore, si on s'arrêtait en bas de 80 % du MGA...

Mme Bélanger (Louise): De 0 % à 60 %, par exemple?

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): Entre 60 % et 80 %? À ce moment-là, ce serait le tarif d'honoraires applicable comme tel au niveau de l'aide juridique dont pourraient bénéficier ces gens qui se situeraient dans cet écart...

M. Lefebvre: D'accord.

Mme Bélanger (Louise): ...pour atteindre les 80 %.

M. Lefebvre: Au-delà, Mme la présidente, de 80 % du MGA, est-ce que vous avez évalué, vous avez réfléchi à la suggestion du Barreau et d'autres organismes de mettre à contribution le justiciable par un volet contributoire au-delà de 80 % ou de 100 % du MGA? Avez-vous évalué cette possibilité-là?

Mme Bélanger (Louise): Non.

M. Lefebvre: Est-ce que vous avez une opinion sur la possibilité de demander au justiciable de contribuer pour une certaine partie des services d'aide juridique qu'il recevrait, qui pourrait varier dépendamment du revenu...

Mme Bélanger (Louise): J'aurais besoin, M. le ministre, de voir des scénarios chiffrés de ce que ça peut signifier...

M. Lefebvre: Mais au niveau du principe?

Mme Bélanger (Louise): ...et j'ai peur que la dépense que ça puisse occasionner juste dans l'installation ou l'implantation d'un tel système...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...occasionne encore des frais, finalement, additionnels.

M. Lefebvre: Mais au niveau du principe?

Mme Bélanger (Louise): Je ne veux pas me prononcer, parce que, comme je vous le dis, j'ai besoin de voir des scénarios.

M. Lefebvre: D'accord. Merci, Mme Bélanger.

Mme Bélanger (Louise): Je vous en prie.

Le Président (M. Kehoe): Merci, M. le ministre. Mme la députée de Terrebonne, porte-parole de l'Opposition, c'est le temps de faire des commentaires ou de poser des questions.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, Mme la présidente, Me Bélanger, bienvenue, Me Ferron, Me Poitras, Me Morin. Nous sommes heureux de vous accueillir ce matin parce que nous pouvons discuter des problèmes qui touchent plus particulièrement les services d'aide juridique, services offerts par les professionnels que sont les notaires. Nous en avons parlé assez régulièrement lors de nos audiences, mais nous n'avions pas pu vous entendre encore.

Mais, avant de vous questionner, j'aimerais faire quelques commentaires, M. le Président, puisque, entre l'ajournement de nos travaux du 10 mars et nos consultations qui reprennent aujourd'hui, il y a eu un élément extrêmement important, il y a eu le dépôt des crédits. Le dépôt des crédits, c'est ce qui nous permet de voir la volonté du gouvernement dans les différents dossiers, et je vous avoue que je me suis empressée de consulter le document et de regarder ce que le ministère de la Justice proposait, quelle était la volonté du ministère de la Justice du côté de l'aide juridique, puisque nous étions en audience et puisque ces audiences devaient normalement conduire à des modifications.

J'avais quand même, au début de nos travaux, démontré un certain scepticisme sur cette volonté, et le dépôt des crédits n'a fait que confirmer ce que j'appréhendais. Évidemment, on retrouve une diminution des crédits prévus pour l'aide juridique. En 1993-1994, la Commission des services juridiques s'était vu octroyer des budgets de 110 116 200 $, et ce qu'on retrouve pour 1994-1995, ce sont des budgets de 107 628 100 $, donc une diminution de 2 488 100 $. Donc, il m'apparaît assez clair que, par ce dépôt, il n'y a pas de volonté de rétablir l'accès à l'aide juridique, il n'y a pas de volonté de corriger la situation qui a été déplorée autant dans le rapport Macdonald, au Sommet de la Justice que par tous les groupes qui sont venus nous présenter leur mémoire depuis le début des audiences. C'est extrêmement déplorable. On a l'impression que, finalement, on a demandé aux groupes de travailler, de présenter à nouveau ce qui avait été répété au Sommet de la Justice, et il n'y a toujours pas de volonté d'agir, et ça, c'est extrêmement déplorable.

Dans les choses les plus déplorables, aussi, il faut rappeler, et vous y avez fait allusion très brièvement tantôt, Mme la présidente, parce que vous savez que c'est un débat qui a été très long, les négociations, les fameuses négociations sur les tarifs des notaires. On l'a dit, il n'y a pas eu de modification depuis 1977. C'est peut-être bon de rappeler que M. Benoît, Raymond Benoît, avait été nommé comme mandataire, désigné en juin 1992 comme mandataire pour ces négociations-là. À l'automne 1992, il avait rencontré à deux reprises Me Jean De Charette, qui était mandataire délégué par le Bureau de la Chambre des notaires, et il avait finalement avoué, quelques mois plus tard, qu'il n'avait pas encore reçu le mandat de négocier du Conseil du trésor, de l'actuel premier ministre. Il n'avait toujours pas eu le mandat de négocier. Le dernier mandat a finalement été confirmé à la Chambre des notaires uniquement en juin 1993, et depuis, bon, il y a propositions, contre-propositions, et les débats se poursuivent.

Là non plus, on ne peut pas dire qu'il y a eu une volonté d'agir assez rapide. Je me souviens même que les débats avaient repris en juin 1993 suite à une question de la porte-parole de l'Opposition, qui dénonçait, finalement, que, comme il n'y avait pas de notaires permanents, on se retrouvait dans une situation extrêmement déplorable dans des régions où des citoyens qui avaient le droit, selon la loi de l'aide juridique, de recevoir des services étaient incapables de les recevoir parce que, effectivement, il n'y avait pas de notaires permanents. Donc, il fallait compter sur la bonne volonté des notaires. Et, comme les tarifs n'avaient pas été modifiés depuis 1977, bien, disons que, dans certains cas, la bonne volonté commençait à ne plus se démontrer, parce qu'on n'avait même pas d'espoir, il n'y avait même plus de négociations de reprises.

(11 h 10)

Donc, ma première question va être évidemment sur l'importance, si on veut respecter la loi telle qu'elle avait été définie en 1972, d'offrir des services professionnels de notaires aux citoyens. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, comme on le prévoyait à l'époque et comme vous le recommandez dans vos recommandations – page 5, les recommandations 28, 29 et 30 – qu'il y ait des notaires permanents engagés à la Commission des services juridiques pour offrir les services à la population québécoise? Sinon, on se retrouve avec un droit qui est uniquement sur papier.

Certains intervenants, lorsque j'ai posé la question à la Commission des services juridiques, nous ont dit que ce n'était pas possible, qu'il y avait un problème technique pour avoir des notaires permanents dans les services juridiques, que ça posait un problème à cause de la nécessité du greffe. Alors, moi, j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que c'est possible d'avoir des notaires permanents à la Commission des services juridiques?

Mme Bélanger (Louise): C'est tout à fait possible. Effectivement, vous faites référence au greffe. Vous savez que chaque notaire a un greffe. C'est cette conservation des actes officiels qu'il reçoit, et il doit élire un domicile d'exercice. Alors, il n'y a absolument rien qui l'interdit, que ce soit dans la Loi sur le notariat ou dans la réglementation afférente à cette loi, qui interdit qu'un notaire soit un permanent à l'aide juridique. Et je pense que... je réfléchissais aussi, en vous écoutant – vous m'inspiriez, madame – je pense que, si, dans le réseau d'aide juridique, il y avait des notaires et qu'on tentait l'expérience de référer la clientèle, dans un premier temps – première approche – à un notaire, peut-être qu'on serait surpris des résultats de l'exercice, en termes de coûts à moyen terme et peut-être même à court terme.

Mme Caron: Oui. Et vous êtes souvent revenue – vous avez d'ailleurs commencé votre intervention là-dessus – sur les modes alternatifs de règlement de conflits, et vous avez bien présenté, je pense, le fait que le consommateur et la consommatrice ne voient pas comment on peut, finalement, obtenir simplement un divorce à l'amiable.

Mme Bélanger (Louise): Oui.

Mme Caron: Il faut automatiquement que ça devienne un conflit. Il faut automatiquement qu'on se retrouve dans un processus judiciaire complexe où les deux intervenants se trouvent finalement à augmenter même le conflit, souvent, qui n'est pas nécessairement à la base. Parce qu'on peut choisir de divorcer sans vouloir faire des luttes épiques, là.

Mme Bélanger (Louise): Tout à fait.

Mme Caron: Ça peut être une décision, et on peut s'entendre à l'amiable aussi. Dans ce sens-là, je pense que vous prétendez que, pour les notaires, du fait que leur rôle traditionnel est davantage un rôle de conciliation, de règlement de conflit ou de prévention pour en éviter, par le fait de signature de certains actes, à ce moment-là, c'est beaucoup plus facile, comme, par exemple, quand vous proposez de pouvoir aller déposer la requête conjointe d'un projet d'accord.

Mme Bélanger (Louise): C'est ça, le rôle du notaire, essentiellement, c'est de contrôler, d'une part, la légalité de l'acte que les parties s'apprêtent à poser, mais aussi et surtout, je pense – c'est extrêmement important de le souligner, parce que je pense qu'on est mal connus – c'est d'éclairer le consentement que les gens s'apprêtent à donner. Et, ce que je veux illustrer par là, donc, c'est cette situation du notaire, je dirais, entre guillemets, d'être assis entre deux individus qui peuvent avoir des intérêts convergents mais aussi parfois divergents et d'arriver en expliquant les conséquences juridiques, donc, de ce qu'ils s'apprêtent à faire comme geste, comme personnes ayant des droits, d'expliquer ces conséquences de façon vraiment à éclairer l'ensemble de la démarche. Donc, pour nous, je pense que nous avons cette habileté d'expliquer des choses, de ramener des positions, de faire comprendre, et c'est dans ce sens-là que je dis que, oui, naturellement, nous sommes médiateurs, conciliateurs, médiateurs.

Et je dois vous dire que c'est extrêmement frustrant, pour l'avoir vécu avec de la clientèle, que de dire à des gens, à la dernière étape d'un travail: Bien, écoutez, maintenant je dois vous référer parce que le législateur, actuellement, ne me permet pas d'aller de l'avant pour cette petite procédure finale. Alors, donc, toute cette relation de confiance qui a permis, finalement, de faire cheminer positivement, je dirais, le dossier et d'arriver à un compromis heureux, en partie, pour les deux, je trouve ça dommage qu'à cause d'un texte législatif, finalement, on place les personnes dans une telle situation. Et cette requête est adressée déjà depuis au-delà de deux ans auprès du ministère, du ministre de la Justice.

Mme Caron: Vous avez fait une proposition qui me paraît extrêmement intéressante, la recommandation 6 ou 7, les deux étant liées. Et, lorsque le ministre vous interrogeait, tantôt, à savoir si vous étiez d'accord avec un volet contributoire, en fait, vos recommandations 6 et 7, c'est une forme de volet contributoire, un volet contributoire qui est à 100 %, finalement, du tarif de l'aide juridique. Moi, j'avoue que c'est une voie que je trouve intéressante parce que, quand on dit que les personnes à revenu moyen ne sont plus capables de s'offrir les services, que ce soient les services professionnels de la justice, c'est une réalité. Ils seraient, dans la plupart des cas, cependant capables de s'offrir les services s'ils pouvaient payer le tarif qui est en vigueur à l'aide juridique parce que – vous l'avez mentionné vous-même, vous avez donné des exemples avec le testament notarié – le coût est extrêmement différent, si on regarde les coûts au niveau privé et si on regarde les coûts au niveau de l'aide juridique. Et c'est évident que, même sans que l'État débourse un sou, même si les citoyens paient 100 % des tarifs de l'aide juridique, il est de beaucoup regagnant.

Alors, je pense que cette suggestion-là – et la suggestion 7 va dans le même sens, mais avec des barèmes différents – c'est une avenue qui peut ouvrir vers des services plus élargis, et on pourrait, à ce moment-là, toucher les gens qui sont à revenus moyens. Je pense que ça serait passablement intéressant.

Mme Bélanger (Louise): C'est une proposition, effectivement, extrêmement concrète, je pense, dans le sens d'une participation aux finances publiques, à l'allégement.

Mme Caron: Oui. Puis, il faut peut-être aussi, en utilisant davantage de modes alternatifs, réduire les coûts.

Mme Bélanger (Louise): Bien oui! Évidemment.

Mme Caron: Mais ce n'est peut-être pas mauvais non plus de rappeler, et vous l'avez dit vous-même, qu'il y a certaines priorités, des choix à faire, et rappeler que, pour 1993-1994, tout le coût de tout notre système de justice, les coûts du ministère de la Justice, c'était 491 000 000 $, donc 1,2 % de l'ensemble du budget de l'État.

Mme Bélanger (Louise): C'est beaucoup.

Mme Caron: Si on se parle de santé, c'est 30,6 %; si on se parle d'éducation, c'est 23 %. On peut se poser la question à savoir si la justice, c'est important aussi.

Mme Bélanger (Louise): Je voudrais juste préciser que la médiation comme telle n'est pas introduite dans le cadre de la tarification, si je ne l'ai déjà fait. Je pense que c'est extrêmement important que ce soit un service qui soit offert, ça, dans le cadre du régime d'aide juridique.

Mme Caron: M. le Président, mon collègue d'Anjou aurait une petite question.

Le Président (M. Kehoe): Il reste seulement une minute et demie, pour être exact.

M. Bélanger: Une petite question.

Le Président (M. Kehoe): Oui.

M. Bélanger: Je voudrais savoir, est-ce que vous avez des statistiques relativement à certains pays qui ont adopté la force exécutoire quant à leur contrat, quant à l'effet de désengorgement que ça pourrait avoir, de donner...

Mme Bélanger (Louise): Bien, en fait, ce que je connais comme statistiques, c'est qu'en France, par exemple...

M. Bélanger: Oui.

Mme Bélanger (Louise): ...on dit que c'est sept fois moins coûteux, le coût de la justice, que ça ne l'est aux États-Unis. On sait qu'évidemment la France connaît le notariat de type latin, donc ce notariat qu'on connaît ici aussi. C'est un exemple qui me vient à l'esprit, en réponse.

M. Bélanger: Est-ce qu'il y a d'autres pays que la France qui...

Mme Bélanger (Louise): Connaissent la force exécutoire? Me Morin a un exemple à l'esprit.

M. Morin (Jean): Simplement pour vous donner un élément de dossier qui est intéressant, l'Angleterre, qui est un pays de «common law», a signé la convention de Bruxelles pour faire partie de la Communauté économique européenne. En signant la convention de Bruxelles, l'Angleterre s'engageait, par le fait même, à reconnaître l'exécution des actes notariés français, par exemple, sur son territoire, de sorte... Je n'ai malheureusement pas de statistiques là-dessus, mais des notaires français m'ont dit qu'il y avait une espèce de migration occasionnelle d'hommes d'affaires anglais, qui traversaient la Manche pour venir à Calais, par exemple, signer un acte devant un notaire français, se disant qu'éventuellement, en cas de problème, il pourrait être exécuté sur le territoire anglais. Il sera intéressant, peut-être... On pourra vous fournir des statistiques là-dessus, pour autant que le conseil nous les fournisse également.

Le Président (M. Kehoe): Merci, M. Morin.

M. Bélanger: Je vous remercie.

(11 h 20)

Le Président (M. Kehoe): Maintenant, M. le ministre, pour le mot de la fin.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Me Bélanger, Mme la présidente de la Chambre des notaires, je vous remercie, avec vos collègues, d'être venue ce matin nous expliquer le contenu de votre mémoire.

Vous dites dans ce mémoire, et vous l'avez explicité, vous nous pointez des éléments extrêmement importants, extrêmement pertinents et des suggestions avec lesquelles je suis d'accord. Vous faites un constat global de ce qu'on vit actuellement au Québec au niveau du système judiciaire qui nous indique qu'il y a lieu de corriger des choses. Il faut effectivement plus d'argent, mais ce n'est pas rien qu'une question d'argent. Il y a une question de mentalité là-dedans, de réflexion beaucoup plus profonde, beaucoup plus profonde que semble le laisser entendre l'Opposition, qu'on pompe de l'argent dans le régime et dans le système, et c'est dans ce sens-là que votre mémoire, quant à moi, est extrêmement pertinent. Vous invitez les citoyens, vous invitez ceux et celles qui décident à une réflexion extrêmement moderne sur ce que doit être notre système judiciaire au Québec. Vous dites plein de choses avec lesquelles je suis d'accord, certaines suggestions avec lesquelles j'ai des réserves, et je pense que c'est normal, on va les évaluer.

Je vous remercie de votre contribution, Mme la présidente, et je vous dis tout de suite que, d'ici quelques jours, je communiquerai avec vous pour fixer une deuxième rencontre afin que l'on puisse discuter ensemble – je l'ai mentionné tout à l'heure en introduction – de vos demandes légitimes, de la Chambre des notaires, de vouloir réévaluer le tarif des notaires. Je les considère comme étant légitimes, je vous l'ai dit il y a plus ou moins un mois et demi à Montréal. Il y a évidemment, et vous le savez, qu'on vous a fait des propositions... Vous souhaiteriez qu'on soit un peu plus généreux. Je m'engage à vous rencontrer au cours des prochains jours pour qu'on reprenne la discussion sur ce dossier-là. Je vous remercie, Mme Bélanger, et vos collègues.

Le Président (M. Kehoe): Merci, M. le ministre, merci, Mme Bélanger puis les autres membres de votre équipe. Le temps est écoulé. Maintenant, je suspends les travaux pour quelques minutes pour laisser l'autre groupe se placer à la table. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 22)

(Reprise à 11 h 27)

Le Président (M. Kehoe): Attention, mesdames et messieurs. Nous allons reprendre nos travaux. Je souhaite la bienvenue au Bureau d'animation et information logement du Québec métropolitain, puis j'invite Mme Nicole Dionne, qui est le porte-parole pour le groupe, à introduire la personne qui est avec elle puis à faire votre exposé.

Je tiens à vous souligner que vous avez 20 minutes pour expliquer votre mémoire. Par la suite, le côté ministériel a 20 minutes pour vous poser des questions, faire des commentaires, et le parti de l'Opposition a aussi 20 minutes pour faire de même.

Si vous voulez nous dire qui vous accompagne puis présenter votre mémoire.


Bureau d'animation et information logement du Québec métropolitain (BAIL)

Mme Dionne (Nicole): O.K. Alors, je suis Nicole Dionne. Je suis coordonnatrice au Bureau d'animation et information logement. Ici, M. Denis Cusson, qui est aussi coordonnateur à l'organisme. C'est M. Cusson qui va présenter le mémoire.

Le Président (M. Kehoe): D'accord. M. Cusson.

M. Cusson (Denis): Bonjour. Je tiens à remercier M. le ministre de la Justice, M. Lefebvre, de nous accueillir pour présenter notre mémoire dans le cadre de cette réforme de l'aide juridique.

Tout d'abord, vouloir faire une réforme en mettant au départ comme critère qu'il ne faut pas que ça coûte plus de 1 %, c'est pour le moins impensable, d'autant plus quand l'éligibilité n'a pas été revue depuis 1983 pour les individus, et 1985 pour les familles, d'autant plus quand des actes sont sous-payés et que cela entraîne un désintéressement des avocats.

Une véritable réforme doit énoncer des principes clairs et des objectifs à atteindre. Elle doit énoncer clairement les besoins et les problèmes de la population en la matière. Sans les négliger, elle ne doit pas énoncer au départ les problèmes financiers du gouvernement. En agissant ainsi, on se ferme les yeux et on se bouche les oreilles sur toute idée de changement. Procéder à des changements sans qu'il en coûte un sou, c'est souhaitable mais pas toujours possible.

On mêle souvent l'accès aux tribunaux avec l'accès à la justice. L'accès à la justice n'est pas et ne sera pas l'apanage de notre société, qui repose sur l'exploitation des uns sur les autres. Tout au plus pouvons-nous parler d'accès aux tribunaux pour faire valoir les droits conférés par les lois. Ne nous y trompons pas, la loi et la justice sont deux choses bien différentes.

Comment parler de justice lorsqu'une loi permet d'évincer une personne habitant un logement depuis des dizaines d'années parce que le propriétaire veut y loger un de ses enfants, par exemple, et qu'aucune indemnité n'est versée à cette personne délogée? Comment parler de justice quand, en plus, cette personne est une personne âgée qui se retrouvera déracinée de son milieu de vie? Comment parler de justice lorsqu'on utilise l'exécution de travaux majeurs pour se débarrasser d'un locataire qui occupe un logement pas assez cher aux yeux du propriétaire? Les tribunaux ne peuvent pas rendre justice quand la loi est injuste.

Le ministre de la Justice précédent nous donnait la couleur de la réforme libérale et démontrait qu'il existe bel et bien une justice de classe dans notre société lorsqu'il disait, en introduction de son document: «C'est le devoir de l'État d'assurer aux plus démunis de notre société l'accès à la justice, mais sans que ce soit au détriment du citoyen à revenu moyen.» Est-ce dire que l'accès aux tribunaux pour les pauvres ne pourra être plus grand que pour les citoyens à revenu moyen et, par la même pensée, que celui du citoyen à revenu moyen ne pourra être plus grand que celui des citoyens à revenu élevé?

(11 h 30)

Dans cette justice de classe, on voit que le ministre veut mettre en opposition les intérêts des pauvres et ceux de la classe moyenne. On sait fort bien que les lois sont faites pour les mieux nantis de la société. Un réel accès à la justice et aux tribunaux se ferait au détriment de quelqu'un, c'est certain. Il ne saurait en être autrement. Il y a des gens qui tirent profit du fait que c'est coûteux d'utiliser un avocat ou de porter une cause devant un tribunal. Un réel accès aux tribunaux se fera au détriment de la domination exercée par ces gens et non pas au détriment du citoyen à revenus moyens.

Le Bureau d'animation et information logement du Québec métropolitain est une association de locataires créée en 1970 pour faire valoir les droits des locataires et surtout le droit à un logement convenable, à prix abordable pour tous et toutes. En 24 ans, nous avons rencontré des milliers de personnes qui n'ont pas fait valoir leurs droits, pour des raisons purement monétaires. Des personnes âgées sont terrifiées à l'idée de passer seules devant un tribunal, même administratif comme la Régie du logement. La représentation par avocat ou par la personne de son choix est primordiale afin que cette personne ait une quelconque égalité de chances de faire valoir ses droits devant le tribunal.

Le document gouvernemental passe sous silence deux éléments importants, soit l'admissibilité des corporations sans but lucratif et la tarification des services juridiques. Nous croyons que la réforme doit apporter des changements à ces éléments. La faible tarification pour certains actes et dossiers entraîne un certain désintéressement des avocats en rapport avec ces dossiers. L'exclusion des organismes sans but lucratif cause un préjudice important, particulièrement à ceux oeuvrant dans la défense des droits sociaux.

Une réforme de l'aide juridique devrait viser à permettre l'égalité des moyens entre les parties. Nous sommes actuellement en présence de l'existence de droits basés sur la capacité financière des parties en cause. Plus vous avez de moyens financiers, plus vous aurez de droits. «Tous sont égaux devant la loi» est un voeu pieux quand on n'a pas les moyens de les faire valoir.

L'égalité des moyens passe par la possibilité d'avoir un avocat spécialisé et la possibilité de faire la meilleure preuve possible. Une personne riche, une compagnie peut se permettre d'avoir des experts de toutes sortes, ce qui n'est pas le cas pour une personne pauvre ou à revenu moyen.

L'aide juridique devrait permettre de réduire cet écart, afin que le tribunal puisse rendre la meilleure des décisions. Sans cela, la prépondérance de preuve sera toujours le fait des plus fortunés. Dans le document ministériel, on nous indique que le programme d'aide juridique coûte 105 600 000 $. Pour ainsi dire, les pauvres coûteraient 105 600 000 $ en frais juridiques à l'État.

On passe toutefois sous silence l'autre aide juridique indirecte dont bénéficie toute corporation à but lucratif. Cette aide indirecte, c'est l'impôt sur le revenu. Vous n'êtes pas sans savoir que tous les frais juridiques d'une compagnie à but lucratif sont déductibles d'impôt. Ces frais sont des plus importants.

Au niveau des organisme gouvernementaux, des ministères, des société d'État, des municipalités, il y a des contentieux. Avec la facilité que ces organismes ont à se retrouver devant les tribunaux, on peut penser que les ressources sont illimitées. Combien les entreprises privées, les sociétés d'État, les organismes gouvernementaux coûtent-ils à l'ensemble des contribuables en frais juridiques? Ces mêmes contribuables ont quoi comme ressources lorsqu'ils doivent affronter ces organismes avec des avocats des plus spécialisés?

Un exemple concret vous permettra de constater qu'encore ici l'argent est garant des droits. Notre organisme a fait une demande d'accès à des jugements rendus par la Régie du logement auprès de la Commission d'accès à l'information. La Commission donna raison à notre organisme et ordonna à la Régie du logement de transmettre les décisions demandées. La Régie du logement demanda l'autorisation d'en appeler de la décision, ce qui lui fut accordé. Pour une requête gratuite au départ, la demande à la Commission d'accès à l'information, notre organisme a engagé une somme de près de 1000 $ pour la seule audience dans la demande au droit d'en appeler. Cette somme est énorme pour un organisme qui n'a que 45 000 $ de budget annuel. Qu'en coûtera-t-il pour l'audience sur le fond? Nous n'avons pas les moyens de débourser 2000 $ ou 3000 $. Que devrons-nous faire? Briller par notre absence? Assister à l'audition sans pouvoir intervenir? ou emprunter? Par contre, si nous avions un fonds juridique ouvert, comme cela semble être le cas à la Régie du logement puisqu'elle en a appelé de trois décisions semblables, nous serions en mesure de faire valoir nos prétentions et nos droits.

Voyons un autre exemple dans le domaine du logement locatif. Un propriétaire immobilier qui va à la Régie du logement voit toutes ses dépenses juridiques – avocat, frais de cour, poste certifiée, huissier – entièrement déductibles d'impôt, tandis que le locataire n'y a pas droit. Le coût des experts est déductible pour le propriétaire, mais pas pour le locataire. Comment parler d'une égalité des parties devant pareille situation? Considérant qu'il a été payé, en honoraires pour les dossiers touchant le logement locatif, la somme d'environ 1 295 000 $, que la tarification est largement en bas des coûts réels, que les propriétaires immobiliers utilisent des avocats dans la même proportion que les locataires, selon la Régie du logement, on peut imaginer la rondelette somme qui est donnée en aide juridique à des gens qui ne sont pas pauvres.

Une réforme de l'aide juridique en conformité avec une harmonisation des modalités de révision des différents programmes de transfert, tel que stipulé en page 25 du document, doit tenir compte des avantages fiscaux accordés à une certaine classe de la société qui n'est ni moyenne ni pauvre.

Un deuxième principe que doit atteindre le programme d'aide juridique est la possibilité, pour tous les citoyens, toutes les citoyennes, même corporatives, de faire valoir leurs droits. Sachant que l'autre peut avoir la possibilité de faire valoir ses droits, cela apporte un bon moyen de prévention des conflits. Les abuseurs et les plus fortunés assurent leur domination par le fait que la personne lésée n'a pas les moyens de faire valoir ses droits. Les droits sociaux, donc les droits collectifs, doivent pouvoir bénéficier du régime d'aide juridique. Les organismes de défense de droits sociaux sont limités dans leur travail par leur exclusion du régime d'aide juridique. Actuellement, on exige que tous les membres de l'organisme soient admissibles, ce qui est impossible.

La clientèle admissible et les bénéfices accordés. Tout d'abord, pour l'établissement de la clientèle admissible, nous croyons que les seuils de faible revenu établis par Statistique Canada sont les plus près de la réalité. Il faut tenir compte des revenus disponibles et monnayables. Les mesures sociales ne sont pas monnayables pour autre chose que ce pourquoi elles servent. La personne qui demeure en HLM ne devient pas plus riche. Elle consacre de 25 % à 30 % de ses revenus pour s'y loger, en incluant des frais divers. Si elle n'y habitait pas, elle ne serait que plus pauvre. Elle n'aurait pas de revenu supplémentaire. Les personnes âgées qui ont une subvention Logirente continuent à affecter plus de 30 % de leur revenu à se loger. Elles ne sortent donc pas de la pauvreté. Vouloir inclure ces subventions dans les revenus de la personne n'est qu'une façon de cacher l'ampleur de la pauvreté.

Une autre façon d'établir l'éligibilité serait d'établir le revenu disponible pour fins juridiques. Il est établi que consacrer plus de 25 % de ses revenus au logement place la personne dans une situation précaire pour tous ses autres besoins essentiels. En vérifiant les dépenses obligatoires auxquelles une personne ou un ménage a à faire face, on peut voir si cette personne a les moyens de payer des charges juridiques.

Il existe des solutions pour alléger le régime d'aide juridique dans les domaines des tribunaux administratifs et de l'information en particulier. Des organismes communautaires comme le nôtre font un travail d'aide juridique auprès des personnes pauvres. Ayant peu de ressources financières, il nous est impossible de faire face à la demande. Les associations de locataires sont plus sollicitées que les bureaux d'aide juridique en matière de logement. Les personnes rejetées du régime viennent nous voir. Notre intervention est limitée à l'information et à la formation, et ce, pour des raisons financières et juridiques. La loi de la Régie du logement ne nous permet pas de représenter les locataires devant le tribunal. Il en est de même si la cause va en appel. Le ministère de la Justice devrait voir à ce que les organismes de défense de droits sociaux, incluant ceux qui interviennent dans un secteur relevant d'un autre ministère que la Justice, aient un soutien financier adéquat afin que nous puissions répondre aux demandes d'information et de formation. Ce travail, en plus de décongestionner les organismes gouvernementaux, permet de rejoindre des personnes qui ont des réserves sérieuses sur ces organismes. L'économie serait appréciable. Chaque dollar que vous accorderiez à ces organismes vous ferait économiser 2 $ ou 3 $ en services divers. Alors, il ne serait pas nécessaire d'exclure certaines catégories de services.

(11 h 40)

Nous ne croyons pas qu'il faille réduire la couverture de l'aide juridique. Par le questionnement qui est amené à ce sujet dans le document, on peut s'interroger sur la connaissance qu'a le ministère des sujets ne relevant pas directement de lui. Les questions ne sont pas très à-propos. En répondant non à chacune des questions de ce chapitre, nous aurions le régime d'aide juridique suivant: la valeur du service juridique ne doit pas être minime; l'issue du dossier doit entraîner une conséquence sérieuse pour le requérant; la valeur du litige dans le domaine du logement doit être supérieure à 165,76 $; le requérant ne doit pas être en mesure d'assurer sa défense ou de faire valoir ses droits lui-même; le régime ne couvre pas les secteurs où les gens exclus du régime ne recourent pas aux services d'un juriste. Le régime ne couvre pas les tribunaux administratifs, ce qui enlèverait une partie de la Régie du logement; le requérant doit être citoyen canadien et résider au Québec; le régime ne couvre pas un dossier où un avocat accepterait de travailler à commission. Quel beau régime aurions-nous là!

Pour répondre à votre questionnement: Qu'entend-on par valeur d'un service qui est minime pour le requérant? Si vous n'avez aucun moyen de faire des économies, tout est coûteux; 20 $, c'est beaucoup quand on gagne 250 $ par semaine.

Qu'entend-on par «conséquences sérieuses»? On nous parle d'emprisonnement. L'éviction d'un logement est-elle une conséquence sérieuse? La mise en faillite est-elle une conséquence sérieuse? Pour l'exécution de réparations, faudra-t-il que la situation cause un danger pour la santé et la sécurité des occupants? Les conséquences sérieuses étant relatives à chacun, nous ne pouvons accepter ce concept pour juger de la couverture ou pas du service juridique.

Faut-il tenir compte du bénéfice escompté par le requérant par rapport au coût du service requis? Certes oui, dans certains cas. Cependant, il faut aussi tenir compte de l'impact social du dossier. Par exemple, un propriétaire coupe le chauffage. Comment calculer le bénéfice du locataire par rapport au coût du service requis? Les frais juridiques de la Régie du logement, rendus à 41 $, plus les honoraires de l'avocat – préparation et audition – seront sûrement supérieurs à la diminution de loyer que la Régie accordera au locataire. Ici, il faut regarder l'impact social. Doit-on laisser les propriétaires couper le chauffage à des personnes qui seraient admissibles à l'aide juridique, donc des personnes pauvres?

Comment évaluer qu'un requérant est en mesure d'assurer sa défense ou de faire valoir ses droits? Nous devons laisser au libre arbitre de chacun des requérants l'évaluation de sa capacité d'assurer sa propre défense ou de faire valoir ses droits, comme c'est le cas actuellement. De nombreuses personnes admissibles à l'aide juridique n'y font pas appel parce qu'elles se sentent capables de se représenter elles-mêmes. Nous l'avons constaté à plusieurs reprises, et nous travaillons en ce sens que les personnes soient les plus autonomes possible. Ce qu'il manque à ces personnes, c'est de l'information sur le déroulement d'une audition: comment présenter les faits, comment questionner les témoins, etc.

La non-utilisation des services d'un juriste par les personnes exclues du service d'aide juridique est facilement compréhensible. Actuellement, les personnes exclues du régime ne sont pas toutes à même de se payer les coûts d'un juriste si ces coûts ne sont pas remboursables, que ce soit par l'autre partie ou autrement.

Les tribunaux dits administratifs doivent être couverts par le régime d'aide juridique, à moins que le ministre puisse nous assurer que l'autre partie n'aura pas droit à un avocat. Encore là, l'autre partie pourra toujours compter sur des spécialistes. Par exemple, la compagnie immobilière qui possède 300, 500 ou même 1000 logements peut se faire représenter par un gestionnaire. Ce gestionnaire devient facilement un spécialiste par la pratique. Il peut se présenter à la Régie du logement 100 fois par année, tandis que le locataire n'y va qu'une fois ou deux. Le locataire serait encore une fois désavantagé.

De plus, le gouvernement adopte des réglementations de plus en plus complexes, et il devient souvent très difficile aux citoyens et aux citoyennes de connaître leurs droits. Il faut constater que les réglementations les plus complexes sont en matière de droits sociaux. Il est plus facile d'avoir une subvention à la rénovation que d'avoir des prestations d'aide sociale, d'assurance-chômage ou d'accident de travail.

Exclure les immigrants qui n'ont pas leur citoyenneté serait très grave et contraire à la Charte des droits et libertés. Cette question venant du ministère de la Justice est pour le moins renversante.

Une chose qui n'est pas remise en question dans l'organisation et la gestion est la composition des instances décisionnelles. Nous retrouvons, à la tête de la Commission des services juridiques et des centres de services juridiques, des avocats. Y a-t-il un besoin d'avoir un avocat à la tête d'un organisme pour en faire la gestion et l'organisation? La capacité d'étudier les problèmes juridiques de milieux défavorisés et la recherche de solutions à ces problèmes ne sont pas l'apanage des juristes. Au contraire, les juristes peuvent, à certains moments, se retrouver devant certaines situations de conflit d'intérêts. Il en est de même avec la présence obligatoire de représentants du ministère de la Justice et du ministère de la Main-d'oeuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle. Par exemple, établir des critères de pauvreté qui seraient supérieurs aux critères du ministère de la Main-d'oeuvre, de la Sécurité du revenu mettrait sûrement dans l'embarras ce ministère car il devrait logiquement augmenter les prestations d'aide sociale.

La décentralisation, avec les pouvoirs nécessaires, permet une efficacité administrative plus grande. On pourrait se questionner sur les frais de déplacement de la Commission des services juridiques, qui sont de 1 131 000 $, 10 % du budget, pour l'année 1991-1992, soit 94 300 $ par mois, ou même 7800 $ par membre de la Commission.

Le Président (M. Bordeleau): Je voudrais juste vous prévenir qu'il vous reste deux minutes.

M. Cusson (Denis): C'est suffisant.

Le Président (M. Bordeleau): Parfait. Merci.

M. Cusson (Denis): Le principe de l'avocat de son choix doit être maintenu. Le ministère de la Justice pourrait voir à ce que le principe du représentant de son choix, avocat ou représentant d'un organisme, soit adopté devant tous les tribunaux administratifs et validé devant les instances d'appel de ces tribunaux. Il est opportun de revoir non seulement la manière dont sont tarifiés les services juridiques, mais la tarification elle-même.

Il existe une situation pour le moins discriminatoire et dont les locataires font les frais. Un avocat qui accepte un mandat d'aide juridique lorsque le locataire est en demande ne reçoit que 131 $ pour ses services, tandis que si le locataire est en défense, l'avocat recevra 262 $. À ces tarifs, les locataires ne risquent pas d'avoir les avocats les plus expérimentés pour faire face à un propriétaire qui, lui, peut se le permettre puisque ses frais judiciaires sont entièrement déductibles d'impôt. Il est à noter que les plus bas tarifs de l'aide juridique sont pour ceux et celles qui représentent les locataires.

Le financement doit demeurer un financement étatique, puisque c'est le devoir de l'État de voir à réduire les inégalités, d'assurer aux plus démunis de notre société l'accès à la justice. Il y aurait lieu de récupérer de l'argent via les déductions d'impôt à ce sujet dont les compagnies et les propriétaires immobiliers bénéficient actuellement. Nous évaluons à 4 000 000 $ au moins les montants qui pourraient être récupérés auprès des propriétaires immobiliers seulement.

À défaut de ce faire, le gouvernement devrait accorder ce même privilège à tous les citoyens. Une réduction importante des coûts pourrait se produire par la réduction de dossiers, avec une amélioration des législations de matière sociale. La réglementation est souvent plus volumineuse que la loi elle-même, ce qui comporte des marges d'erreur plus grandes pour les personnes qui ont à les administrer.

Les directives douteuses de certains ministères, qui vont à l'encontre des lois, forcent ainsi les personnes démunies à utiliser les tribunaux et l'aide juridique. La paranoïa des fraudeurs qui a atteint le gouvernement coûte plus cher en frais juridiques de toutes parts qu'elle ne rapporte.

En conséquence, nous recommandons une accessibilité accrue. Nous demandons une modification des critères d'admissibilité à l'aide juridique afin de rendre admissible toute personne vivant sous le seuil de pauvreté, tel qu'établi par Statistique Canada. Nous demandons l'accessibilité à l'aide juridique à tout organisme sans but lucratif, reconnu comme étant un organisme de charité ou d'éducation populaire autonome, en conformité avec la Loi sur l'instruction publique. Nous demandons le maintien de la gratuité des services à tous les niveaux. Nous demandons le maintien de tous les services actuellement offerts, de même que le maintien des secteurs d'intervention.

Au niveau de la tarification, nous demandons que la tarification des actes juridiques soit revue et soit accrue, au besoin. On demande la parité de la tarification pour les demandes faites par les locataires, au même niveau que pour les actes similaires sur d'autres sujets, et que soit reconnu le travail d'égale valeur.

Au niveau de la fiscalité, nous demandons que toute personne ayant assumé des frais juridiques de recherche et d'expertise – dans le cadre du maintien de ses conditions de vie ou pour la défense de ses droits – bénéficie d'une réduction de son revenu imposable, tout comme c'est le cas pour les propriétaires immobiliers et les compagnies.

Financement des organismes de défense de droits. Nous demandons un financement récurrent des organismes de défense de droits pour qu'ils puissent intervenir adéquatement auprès des ménages sous le seuil de pauvreté, afin que ces derniers puissent faire valoir leurs droits.

Le Président (M. Bordeleau): Merci beaucoup, M. Cusson, pour votre présentation. Je laisse maintenant la parole au ministre, pour une durée de 17 minutes... jusqu'à midi sept.

(11 h 50)

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Mme Dionne, M. Cusson, je vous salue. Je vous remercie de nous avoir, dans un premier temps, soumis un mémoire qui touche évidemment une clientèle que vous connaissez bien – on le voit par l'exposé que vous venez de nous faire, M. Cusson – basé sur une expérience considérable. J'ai très bien compris, à la lecture de votre mémoire et par votre exposé, que, lorsqu'on parle des plus démunis, c'est avec ces gens-là que vous travaillez quotidiennement.

Je veux vous rappeler, M. Cusson, que l'aide juridique, qui a été instituée en 1972, l'a été par un gouvernement libéral, sous la responsabilité, à l'époque, du ministre Jérôme Choquette. Je veux juste vous indiquer que la volonté du Parti libéral et du gouvernement issu de ce parti-là a toujours été manifeste, soit de mettre en place les mesures sociales les plus généreuses possible, qui viennent en aide à nos concitoyens et concitoyennes les plus démunis. Vous avez raison lorsque vous dites que la justice devrait être accessible à tous. C'est la volonté du gouvernement, tout comme on veut le faire également – et c'est ce qu'on fait – je pense, en matière de santé et en matière d'éducation, mais on est confronté aux contraintes incontournables que sont les finances publiques et les budgets nécessaires pour donner suite à ces intentions. Dans ce sens-là, ce qu'on essaie de faire, c'est le maximum. C'est pour cette raison qu'on a pensé consulter ceux et celles qui sont les plus concernés par le système d'aide juridique, et vous en êtes.

La première question, M. Cusson, que je voudrais vous poser, ou à Mme Dionne: Est-ce que vous considérez que les citoyens, les justiciables avec lesquels vous travaillez quotidiennement, sont bien informés? Vous avez tout à l'heure fait référence au fait que les gens ont des droits, qu'ils les abandonnent, les laissent tomber – par la force des choses, tel que vous l'avez expliqué – incapables de se payer les services d'un avocat, non admissibles à l'aide juridique. Est-ce que – c'est ma première question – les gens sont bien informés de ce qui se passe au niveau du système judiciaire, de l'existence du régime d'aide juridique? Est-ce que les gens sont bien informés, en général?

M. Cusson (Denis): Je dirais: non. Première des choses, les gens ne sont pas informés de leurs droits, au départ. Comme le disait la représentante précédente, c'est que les gens s'intéressent à leurs droits quand ils se sentent lésés. Les gens, ce dont ils ont besoin, c'est d'une information, en général, rapide.

M. Lefebvre: Du droit préventif.

M. Cusson (Denis): Du droit préventif, c'est difficile. On considère, nous, que ça reste un secteur difficile. Ça reste un secteur difficile, parce que les gens vont s'intéresser à quelque chose quand ils se sentent concernés. Donc, quand ils se sentent lésés, ils vont se sentir concernés. On tente de faire du préventif beaucoup, nous. On fait des rencontres d'information, soit thématiques ou sur des sujets de la loi, ou bien, par exemple, de préparation à des auditions à la Régie. Donc, les gens qui vont venir à ces rencontres-là, c'est des gens qui ont déjà fait une démarche afin de faire valoir leurs droits, et on leur donne les outils. Ce qui nous manque, et c'est là que le moyen financier est important, c'est de faire ce travail préventif.

Ce qui barre la route des gens quand ils sont à la recherche d'information, c'est de ne pas pouvoir l'avoir rapidement ou d'en avoir une de qualité. Quand les gens communiquent avec les bureaux d'aide juridique, on leur demande de prendre rendez-vous, première des choses. Donc, à ce moment-là, on est reporté à une semaine plus tard, minimum, pour avoir la petite information dont on a besoin. Une fois sur place ou au téléphone, on évalue: Est-ce que vous êtes admissible? Donc, là, on ne donne pas de l'information à une personne qui aurait 3 $ au-dessus de la coche. Donc, il faut d'abord être admissible, puis ensuite, on a une information. Ce que, nous autres, on se permet de faire, c'est qu'on donne de l'information à toute personne qui en a besoin, parce que toutes les personnes... Aujourd'hui, on peut ne pas être admissible, puis demain, on peut l'être. Il ne faut pas attendre à demain pour prévenir, et, à ce moment-là, se retrouver dans la pauvreté pour faire valoir nos droits. C'est quand on est rendu pauvre qu'on ne peut plus les faire valoir.

M. Lefebvre: Qu'est-ce que vous suggérez pour améliorer, M. Cusson, cette démarche d'information à l'intérieur du système même d'aide juridique? Est-ce qu'on devrait élargir le service d'information au niveau même de la réception au bureau d'aide juridique?

M. Cusson (Denis): C'est à se demander si c'est au bureau d'aide juridique à faire ça, et s'il ne faudrait pas plutôt compter sur les organismes qui sont déjà établis dans le milieu.

M. Lefebvre: Comme les vôtres, par exemple.

M. Cusson (Denis): Comme les nôtres. On est déjà bien établi dans nos centres. Les gens se réfèrent beaucoup plus facilement à nous autres qu'ils vont se référer à un avocat, même si c'est gratuit. Nous, on aide énormément de personnes qui seraient éligibles à l'aide juridique, mais elles n'ont pas le goût d'aller voir un service gouvernemental, même si ça ne leur coûte pas un sou.

M. Lefebvre: Vous dites, monsieur...

M. Cusson (Denis): Il y a une question d'autonomie, et je pense qu'il faut développer chez les gens cette autonomie-là, de la prise en charge. C'est à ça que les organismes de défense de droits travaillent activement, la prise en charge des gens.

M. Lefebvre: Vous dites, à la page 11, que «les associations de locataires sont plus sollicitées – c'est ce que vous êtes à expliquer – que les bureaux d'aide juridique», mais que vous êtes incapables de représenter votre clientèle devant les organismes ou les tribunaux quasi judiciaires, tels que la Régie du logement.

Est-ce que, M. Cusson, vous considérez qu'il y a des associations comme les vôtres – et ceux et celles qui oeuvrent à l'intérieur de ces associations – qui auraient l'expertise nécessaire pour aller plaider, défendre les intérêts de vos clients et clientes adéquatement devant les tribunaux quasi judiciaires comme la Régie du logement, par exemple?

M. Cusson (Denis): Je le pense. On pourrait peut-être demander à M. Gougeon de «Tous pour un» d'organiser un «Tous pour un» sur le logement locatif...

M. Lefebvre: Ha, ha, ha!

M. Cusson (Denis): Je pense que les associations de locataires... C'est les gens des associations de locataires qui risqueraient de se retrouver comme concurrents, peut-être plus que les avocats.

M. Lefebvre: Vous ne seriez pas embarrassés de faire face à des membres du Barreau.

M. Cusson (Denis): Je...

M. Lefebvre: Vous avez peut-être raison, remarquez bien, là!

M. Cusson (Denis): Si le Barreau nous faisait passer un examen sur nos connaissances, je pense qu'on aurait de très bonnes notes, pour l'avoir expérimenté moi-même. J'ai représenté des personnes et je me suis représenté moi-même quand j'étais locataire.

M. Lefebvre: Avez-vous gagné vos causes?

M. Cusson (Denis): Oui, en général. Mais ce qu'il est important de comprendre, ce que les locataires recherchent... Ce qu'on sent aussi, c'est un sentiment d'insatisfaction des locataires qui ont eu des avocats. Parce que la différence entre nous et un avocat, c'est que, nous, on prend le temps nécessaire avec la personne, tandis que l'avocat va avoir un temps qui est calculé. Donc, pour une cause, nous, par exemple, on peut prendre 10 heures avec une personne pour la préparer, si nécessaire. Il n'y a pas un avocat qui prendrait 10 heures pour un dossier, à moins que ce soit un dossier qui comporte plusieurs locataires mis en cause. Par exemple, une démolition. Mais je pense qu'en termes d'efficacité et de rendement, si on parle juste en termes de chiffres, les associations de locataires seraient beaucoup plus rentables à financer, et on devrait permettre leur représentation devant les tribunaux. D'après les contacts que j'ai eus avec des régisseurs et les gens de la Régie du logement, ils ne sont pas contre le fait que les associations de locataires puissent avoir la possibilité de représenter les locataires.

M. Lefebvre: Vous avez indiqué tout à l'heure, M. Cusson, que vous seriez confronté au fait que, le propriétaire, lui... Même si vous semblez m'indiquer que ça ne vous ferait peut-être pas trop, trop peur, il y en a d'autres que vous, qui oeuvrent dans votre milieu, qui seraient peut-être un petit peu agacés de se retrouver face à l'avocat qui représenterait le propriétaire. Je voudrais vous entendre là-dessus.

M. Cusson (Denis): C'est...

M. Lefebvre: Qu'est-ce qu'on pourrait faire?

M. Cusson (Denis): ...que la barrière est différente.

M. Lefebvre: Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour équilibrer les débats devant la Régie du logement, par exemple?

M. Cusson (Denis): Déjà, au niveau de la Régie du logement et des tribunaux administratifs, en général, la procédure est de beaucoup réduite. On s'enfarge beaucoup moins sur le Code de procédure...

M. Lefebvre: Que les tribunaux de droit commun.

M. Cusson (Denis): ...que les autres tribunaux, effectivement. Donc, c'est plus souple comme procédure. Ce qui manque aux gens, c'est comment présenter leur dossier. Il y a aussi la gêne. Des fois, les gens sont gelés...

M. Lefebvre: Oui.

M. Cusson (Denis): ...devant cette instance-là. Ce que les gens qui travaillent dans des milieux communautaires ont développé comme capacité, c'est de briser ces barrières-là, de gêne, si on peut dire. Donc, ils sont en mesure de mieux représenter une personne ou l'accompagner. Nous, ce qu'on vise par ça, ça ne veut pas dire non plus qu'on veut envahir les cours de la Régie du logement. Ce qu'on veut...

M. Lefebvre: Est-ce que votre modèle, ce pourrait être ce qui se passe à la Cour des petites créances, où les deux parties sont seules, mais peuvent être, en vertu de la loi, assistées d'un ami?

(12 heures)

M. Cusson (Denis): Ce qu'on favorise, c'est l'assistance puis, à la limite, si besoin est, de parler au nom de la personne en la présence de la personne. J'ai vu des situations où – en tout cas, étant assis dans la salle, on accompagnait les gens – quand le régisseur pose une question d'ordre technique au locataire, il panique. Puis là c'est presque par signes qu'il faut lui dire: Tu réponds oui, tu réponds non à la question. Mais la personne, comme on n'est pas à côté d'elle, on n'est pas en mesure de lui expliquer la conséquence de son geste. Lors d'une audition, si elle pose un geste sans savoir la conséquence, c'est très dangereux.

M. Lefebvre: Vous suggérez, M. Cusson, que nous rehaussions le seuil d'admissibilité à 100 % du MGA; pour un couple avec deux enfants, 33 400 $, plus ou moins.

M. Cusson (Denis): Je ne sais pas si Statistique Canada, c'est le MGA, là.

M. Lefebvre: Oui. C'est à peu près ça. Votre proposition, votre suggestion – remarquez bien que je suis obligé de la pointer, parce qu'on est confrontés, je vous l'ai dit tout à l'heure, avec l'incontournable question des finances et de l'argent – ça coûterait plus ou moins 43 000 000 $. Est-ce que vous seriez d'accord si on évaluait la possibilité du volet contributoire pour une partie de la clientèle qui se situerait en-deçà du 80 % du MGA, ou du 100 %, peu importe, comme principe pour une certaine clientèle qui aurait des revenus relativement plus élevés que ceux et celles que vous côtoyez? Est-ce que vous seriez en désaccord avec le principe du volet contributoire? Je vous parle juste du principe.

M. Cusson (Denis): Concernant le principe, non. Permettre le volet contributoire... Nous, on l'a vécu, le volet contributoire, à la Régie du logement, et on constate un désengagement des locataires de faire valoir leurs droits parce que, maintenant, c'est rendu 41 $ pour inscrire une cause. Ça en coûte plus cher de faire une demande à la Régie que de porter cette cause-là en appel; 41 $, pour une personne qui est au salaire minimum, c'est quand même une part importante. C'est une journée de travail. Là, vous demandez à une personne de mettre une journée de travail pour inscrire une cause pour faire valoir son droit. C'est beaucoup, considérant que, à côté d'elle ou en face d'elle, la personne n'a rien à payer, que tout lui est remboursé. On préfère que vous regardiez l'alternative d'aller chercher l'argent là où il y a des déductions fiscales à ce volet-là, au volet juridique. À ce moment-là, on ramène peut-être une certaine équité entre les parties au niveau d'accessibilité de moyens.

M. Lefebvre: Je vous remercie, M. Cusson.

Le Président (M. Bordeleau): Merci, M. le ministre. Alors, je laisse maintenant la parole à Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Mme Dionne, M. Cusson, nous vous remercions beaucoup et de votre présentation et du mémoire que vous avez présenté aux membres de la commission.

Vos exemples sont extrêmement précis, et je pense qu'ils illustrent bien les principes que vous défendez. C'est important de le faire par des exemples, et vos exemples démontrent bien une connaissance de votre secteur particulier.

Vous avez fait aussi une nuance, en tout début de mémoire, entre la justice et la loi et, donc, l'accès à la justice et l'accès aux tribunaux, et je pense que c'était une différence réelle. Lorsqu'on présente aussi les exemples que vous avez donnés, effectivement, on peut se questionner parfois sur certaines lois, si, effectivement, on se parle de justice.

Vous le démontrez aussi en page 18, quand vous nous dites – et là on peut réduire des coûts aussi – des réductions importantes de coûts en réduisant des dossiers avec une amélioration des législations en matière sociale. Effectivement, lorsque la législation est mieux faite, on s'évite aussi des recours devant les tribunaux, et non seulement la législation, mais aussi la réglementation. Et vous le dites à juste titre, les réglementations sont souvent plus volumineuses que les lois. Il y a des marges d'erreur plus grandes. Il y a parfois aussi des directives qui font qu'on administre d'un bureau à l'autre d'une manière différente et que des gens sont pénalisés. Et il y a des coûts sûrement extrêmement importants là-dedans. Je pense que ça s'applique à votre domaine et ça s'applique aussi, je pense, à la CSST, la Commission de la santé et de la sécurité du travail. On sait que les modifications à la loi ont fait que, finalement, ça nous coûte beaucoup plus cher maintenant et que la loi est beaucoup plus difficile à administrer. Donc, il y a beaucoup plus de recours devant les tribunaux.

Vous avez soulevé... Votre mémoire, je me souviens que je l'ai lu dans les tout premiers, parce qu'il porte le numéro 2, et j'ai essayé de retrouver ces éléments-là dans d'autres mémoires mais, probablement par moins de connaissance du sujet, on ne le retrouvait pratiquement jamais. Vous parlez beaucoup de cette – bien, c'est une injustice, en fait – aide juridique indirecte dont bénéficient, finalement, les corporations à but lucratif. Et, moi, j'avoue que c'est un élément qui m'a frappé dans votre mémoire, le fait que, finalement, on se trouve à payer de l'aide juridique indirecte aux corporations à but lucratif. C'est des montants qui sont importants. C'est déductible d'impôt, alors que, pour le citoyen, lui, ce n'est pas déductible. Vous en faites même une recommandation. Vous en parlez en page 6. Vous en faites une recommandation aussi en page 18, qu'on pourrait aller récupérer des montants là, du côté des compagnies, du côté des propriétaires immobiliers qui bénéficient, à ce moment-là, de déductions ou, à tout le moins, si on ne va pas récupérer ces sommes d'argent là, on pourrait au moins accorder le même privilège à tout le monde. Je pense qu'il faut là-dessus pousser la réflexion. Vous dites que, selon vos calculs, on pourrait évaluer à peu près à 4 000 000 $ au moins le montant qu'on pourrait récupérer uniquement des propriétaires immobiliers. Ce chiffre-là vous vient du nombre de dossiers que vous avez pu traiter ou...

M. Cusson (Denis): C'est tout simplement à partir des données du document concernant les frais juridiques, concernant les dossiers logement au niveau du régime d'aide juridique, et considérant le fait que, d'après la Régie du logement, les propriétaires et les locataires utilisent des services d'avocats dans une même proportion, et considérant aussi que la tarification à l'aide juridique est de beaucoup inférieure au coût d'un avocat de pratique privée. Par exemple, le propriétaire immobilier, son avocat, il le paie beaucoup plus, je pense, que le 131 $ ou le 262 $; donc, considérant cela, on pense que c'est donc deux et trois fois ce que l'aide juridique débourse elle-même.

Mme Caron: Oui, parce que, si on regarde juste «testaments notariés», ce qui est payé par l'aide juridique, c'est 35 $, et dans le privé, si vous avez à en faire un, c'est 150 $, peut-être 200 $. Donc, les coûts sont pas mal plus élevés.

Votre Bureau d'animation et information, vous, c'est du Québec métropolitain, mais est-ce que ce type de services là est offert, finalement, à la grandeur du Québec?

M. Cusson (Denis): Oui, dans...

Mme Caron: Est-ce qu'on le retrouve dans toutes les régions?

M. Cusson (Denis): Dans la région de Montréal, il y a peut-être une dizaine d'associations de locataires; à Sherbrooke, je ne sais pas si elle fonctionne encore, mais il y en avait une; à Thetford-Mines, il y en a une; dans les autres régions... À Hull, il y a une association de locataires. Donc, dans l'ensemble du Québec, il y a peut-être autour de 20 ou 25 associations de locataires, comités-logements ou associations de locataires. À Montréal, ça s'appelle plus des comités-logement, mais c'est le même type d'intervention.

Mme Caron: C'est réparti un peu, mais on n'a pas de garantie qu'il y en a partout, dans toutes les régions.

M. Cusson (Denis): Il n'y en a pas dans toutes les régions à cause du fait qu'il y a une proportion aussi... parce que les locataires étant concentrés dans les grands centres urbains, à ce moment-là, donc, Montréal ramasse 75 % du lot de locataires, et, dans les autres municipalités, on peut voir que c'est peut-être autour du tiers des gens. À Drummondville ou à Victoriaville, c'est peut-être le tiers des gens qui vont être locataires. Donc, le besoin d'avoir une association se fait peut-être un peu moins sentir là, mais les problèmes financiers... À Victoriaville, il y avait une association, mais, pour des questions financières, l'association est tombée.

(12 h 10)

Mme Caron: Vous nous avez dit tantôt, M. Cusson, que, pour vous, ça ne posait pas de problème d'aller défendre les dossiers directement à la Régie du logement et que vous ne mettiez pas en doute, évidemment, votre connaissance des dossiers et votre capacité de le faire. Mais, compte tenu du fait qu'il n'y a pas nécessairement des bureaux partout, compte tenu du fait que les citoyens, même s'il y a un bureau, ne le connaissent pas nécessairement – on s'en est parlé tantôt – l'information ne se rend pas nécessairement à la personne, sauf quand elle en a vraiment besoin, puis elle ne trouve pas toujours tous les outils – est-ce qu'il est préférable, à ce moment-là, de maintenir les services d'aide juridique et de maintenir la représentation aussi par avocat pour ce tribunal-là en particulier?

M. Cusson (Denis): Oui. Ce qu'on veut dire, nous, c'est d'offrir une alternative au locataire. On parle, dans notre mémoire, de représentation par les associations. Depuis la production du mémoire, la réflexion s'est poursuivie, tant au BAIL qu'au niveau du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, à savoir est-ce qu'on tient à ce que ce ne soient que les associations? À cela, on a avancé en se disant: ce n'est pas que les associations. On devrait être en mesure de pouvoir demander à la personne en qui on a confiance. Donc, ça peut être un avocat. On souhaite que les bureaux d'aide juridique continuent à faire le travail qu'ils font, qu'ils l'augmentent même, mais ça peut être aussi quelqu'un qui est un professionnel qu'on a comme ami, qui a une facilité... Par exemple, qui travaille, je ne sais pas, moi, au ministère de l'Agriculture, mais qui a fait des représentations, qui serait en mesure de me représenter. Pourquoi ne pas lui donner... Pourquoi il ne pourrait pas me représenter pour m'aider à exposer mes affaires, pour faire la preuve, des choses comme ça?

Donc, nous, ce qu'on veut, c'est d'ouvrir, pour le locataire, cette possibilité-là d'être représenté par la personne de son choix, droit qu'a le propriétaire, à toutes fins pratiques, surtout si le propriétaire est une corporation, parce que, en plus d'un avocat, il peut se faire représenter par un administrateur ou par un gestionnaire.

Donc, ça ouvre le champ pour... Le propriétaire peut donc se faire représenter par tout le monde, mais le locataire n'est limité qu'à l'avocat pour se faire représenter. Puis il y a la question de confiance. Il y a des gens qu'on a référés à des avocats parce qu'on voyait que les personnes étaient incapables de se défendre elles-mêmes, sauf qu'elles continuent à communiquer avec nous autres, parce qu'elles se disent: bien, je téléphone à mon avocat, puis il ne me retourne pas mes appels. Je ne sais jamais où le dossier en est rendu. Bon. C'est toutes des affaires que, si l'association pouvait faire du travail de représentation ou d'accompagnement... Là aussi, ça ne veut pas dire qu'on va remplir les salles d'audience, parce que, nous, l'objectif, c'est de rendre les gens autonomes, qu'ils soient leur propre avocat. Donc, c'est leur donner des outils, mais on sait qu'il y a des gens qui, pour des difficultés personnelles, sont incapables de faire cette représentation-là. Donc, c'est de pouvoir leur donner un outil supplémentaire.

Mme Caron: Oui. Disons que ce principe-là va un petit peu, par contre, à l'encontre de ce qu'on recommande aux avocats eux-mêmes. On leur dit de ne pas être leur propre avocat parce qu'ils seraient de très mauvais défenseurs, compte tenu que, quand on est partie prenante directe à la cause, parfois, ça peut être un petit peu plus difficile de le faire. Et, compte tenu, souvent... Bon, je vous avoue que, au niveau du bureau de comté, on rencontre souvent des personnes que vous rencontrez dans vos organismes, et, pour elles, c'est extrêmement difficile. Juste de faire la démarche, juste de se décider à faire la démarche, donc, d'aller vers la représentation, dans beaucoup de cas, c'est vraiment même impossible, même avec beaucoup d'information. Bon, peut-être moins au niveau de la Régie du logement, mais je pense, en particulier, au niveau de la CSST, où les dossiers sont rendus extrêmement complexes, la jurisprudence... Je vois difficilement des citoyens être capables d'aller vers cette représentation-là.

M. Cusson (Denis): Sauf que, au niveau de la CSST, les associations de défense de droits des personnes victimes d'accidents de travail peuvent représenter les accidentés devant la Commission.

Mme Caron: Oui, mais les...

M. Cusson (Denis): Et ces gens-là ne sont pas nécessairement des avocats.

Mme Caron: Mais les résultats, là...

M. Cusson (Denis): Il y a des avocats dans les associations, mais il y a beaucoup d'associations où les représentants à la Commission ne sont pas des avocats.

Mme Caron: Ils ont à débourser aussi. Il faut le dire, au niveau des coûts, c'est des montants qui sont quand même importants. Au niveau des analyses de résultats, de causes gagnées et tout ça, en tout cas, là-dessus, je pense qu'il faudrait regarder un bon moment... Vous avez parlé aussi de l'importance de pouvoir donner accès aux organismes. Vous nous avez donné un exemple précis, en page 7, de jugements rendus par la Régie du logement, de votre demande d'accès à ces jugements à la Commission d'accès à l'information et, finalement, compte tenu des coûts, de votre impossibilité de pouvoir faire valoir les droits jusqu'au bout.

Est-ce que les demandes sont surtout à ce niveau-là, ou est-ce que vos organismes ont parfois aussi à se défendre dans certains dossiers, ou si la demande pourrait être aussi au niveau de la consultation? Parce que plusieurs organismes nous ont dit qu'ils sentaient le besoin d'obtenir de l'information, d'avoir des consultations et qu'ils auraient besoin d'aide juridique là-dessus.

M. Cusson (Denis): C'est aussi sur d'autres sujets et d'autres organismes. Par exemple, le BAIL fait partie d'un journal communautaire qui s'appelle Droit de parole , à Québec. Le journal Droit de parole a eu une poursuite de la part d'un propriétaire immobilier concernant un article. Est-ce que la poursuite était bien fondée ou pas? Nous, on prétend que non, sauf qu'il a fallu débourser des frais juridiques pour se faire représenter. Au bout de la ligne, étant donné que le journal a un budget d'à peu près 10 000 $, 12 000 $, ça s'est soldé par une transaction hors cour. Puis, même comme association, à la limite, le BAIL, par ses interventions, pourrait être poursuivi aussi en diffamation ou quoi que ce soit par un propriétaire immobilier. Donc, si on a à faire face à des situations semblables, on se débrouille comment? On n'a aucun moyen, finalement, pour faire face à une situation semblable, sinon que de payer un montant forfaitaire à la personne qui ose nous poursuivre, parce qu'on se dit: au bout de la ligne, ça va me coûter quoi, comme frais d'avocats? Donc, tu pallies les frais d'avocats par le dédommagement hors cour, finalement.

Mme Caron: Vous répondez très bien à ma question, parce que beaucoup d'organismes, les premiers organismes semblaient nous dire que, finalement, ce dont ils avaient besoin, c'était surtout de consultation. Ils ne semblaient pas avoir besoin de se défendre dans des poursuites. Je savais qu'au niveau des associations de consommateurs il y avait parfois des poursuites. Et les associations de consommateurs ont confirmé qu'elles avaient besoin aussi pour pouvoir se défendre, et je voulais savoir si c'était la même chose de votre côté, et vous me le confirmez.

Vous nous avez également fait part, dans votre mémoire, de l'importance, je pense, de revenir au seuil qui pourrait permettre l'accessibilité aux citoyens, au moins à ceux qui étaient couverts lors de la loi, en 1972. Dans les personnes que vous rencontrez, est-ce que vous pouvez nous confirmer que les seules personnes qui demeurent éligibles, finalement, ça demeure extrêmement limité, actuellement? On ne retrouve plus de personnes qui travaillent au salaire minimum. On ne retrouve plus de retraités. On retrouve presque uniquement des bénéficiaires d'aide sociale, et même certains bénéficiaires d'aide sociale, si on se tenait au barème, au seuil, ne seraient admissibles parce qu'ils gagnent parfois plus que le salaire minimum. Il n'y a vraiment plus, presque plus de personnes qui sont éligibles à l'heure actuelle.

M. Cusson (Denis): Effectivement, ça se limite...

Mme Caron: Et donc...

M. Cusson (Denis): Nous, pour voir si on va référer une personne à un avocat d'aide juridique ou aller se chercher un mandat à l'aide juridique, on vérifie: est-ce que tu es sur l'aide sociale? C'est le seul critère. On ne peut même plus demander: c'est quoi, ton salaire? Parce que, dès qu'elle gagne quelque chose comme salaire, elle n'est plus éligible, à moins que la personne ait une grosse famille puis que son conjoint ou sa conjointe ne travaille pas. C'est la seule situation, là. Au salaire minimum avec trois, quatre enfants, j'ai l'impression, je pense, pour être admissible, mais... Les personnes âgées, ça fait de nombreuses années qu'elles sont exclues du régime, et c'est peut-être les personnes, à ce que nous, on constate à l'heure actuelle, qui sont les plus lésées dans leurs droits étant donné que c'est une population qui est captive. Quand on parle de la question du logement, elles sont captives. Elles n'ont pas les moyens de déménager, de s'en aller ailleurs si elles ont des problèmes avec leur propriétaire ou avec la qualité de leur logement. Donc, elles sont obligées de subir soit des augmentations de loyer importantes ou soit des conditions de logement qui se détériorent. Donc, ça serait déjà, vu les conditions financières... Mais, encore là, on sait qu'on a une avenue possible, qui est certains abris fiscaux. S'il y avait à aller trouver une place pour rendre les personnes admissibles, ça serait au niveau des personnes âgées, particulièrement, qu'il faudrait faire cette ouverture-là.

(12 h 20)

Mme Caron: Alors, moi, il ne me reste qu'une seule minute, M. Cusson, Mme Dionne, pour vraiment vous remercier de votre participation. Lorsque, dans votre mémoire, vous nous dites que c'est un peu illusoire, finalement, de penser qu'on peut faire une véritable réforme, atteindre des objectifs sans qu'il en coûte un sou, je pense que c'est réel. Et je pense que ce que vous demandez, et ce que les autres groupes sont venus nous demander, et qu'ils demandent, il faut le rappeler, avant même le rapport Macdonald, avant le Sommet de la Justice, ce sont les mêmes demandes qui sont faites. Et il n'y a toujours pas la volonté politique de le faire. Et le dépôt des crédits, la semaine dernière, a démontré que la volonté ne semblait pas encore être là. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Bordeleau): Merci beaucoup, Mme la députée de Terrebonne. M. Cusson, il reste quatre minutes à la partie ministérielle pour les questions. Alors, je laisse la parole à M. le ministre.

M. Lefebvre: M. Cusson – c'est une question qu'on aurait peut-être pu vous poser dès le début de la période de questions qui nous était allouée – vous représentez l'association des locataires. C'est un regroupement de différentes associations de locataires. Combien y en a-t-il d'associations qui sont regroupées et au nom desquelles, en réalité, vous parlez ce matin?

M. Cusson (Denis): Nous, on est une association locale de Québec qui couvre le Québec métro. On est la seule association de locataires, si on fait exclusion des associations qu'il y a dans les HLM ou dans des associations de blocs. Donc, on est la seule association de ville ou de quartier dans la région de Québec. On regroupe, à l'heure actuelle, peut-être, comme membres cotisants, autour de 200 personnes. On a une affluence, en termes d'appels téléphoniques et de visites, de l'ordre de 3500 téléphones-visites par année.

M. Lefebvre: Dans un premier temps, ma question devrait être la suivante: Est-ce qu'il y a des échanges, des discussions entre votre association et l'association des propriétaires?

M. Cusson (Denis): Non.

M. Lefebvre: Est-ce qu'il y a déjà eu des tentatives, dans le passé?

M. Cusson (Denis): Il y a eu une tentative en 1981-1982 autour d'une rencontre entre l'association des propriétaires de Québec, la CORPIQ et les groupes qui travaillent auprès des locataires. À ce moment-là, le BAIL avait refusé de participer à cette rencontre étant donné qu'à la même période où la CORPIQ sollicitait cette rencontre avec les locataires on mettait sur pied un fichier de renseignements personnels sur les locataires.

Nous, on considérait inadmissible de rencontrer une association qui, en partant, se dit que les locataires, il y en a largement beaucoup de pas bons pour faire une liste noire. Nous, on se dit que ce n'est pas un type d'association comme ça que ça nous tente de rencontrer. On ne trouvait pas que c'était une rencontre de bonne foi que de faire ça. Ça ne veut pas dire que le BAIL ou les gens qui travaillent au BAIL n'ont pas des rencontres ou bien... Par exemple, on reçoit des appels de propriétaires, pour avoir de l'information, et on ne leur ferme pas la ligne, on ne fait pas de vérification: êtes-vous propriétaire ou locataire? Comme pour faire voir une éligibilité au service. On va donner l'information parce que, nous, comme on le dit dans notre présentation pour le BAIL, on travaille pour faire reconnaître le logement comme étant un droit social.

M. Lefebvre: M. Cusson et Mme Dionne, je vous remercie et je vous remercie d'avoir permis à la commission des institutions de prendre connaissance de votre mémoire et, aussi, des explications que vous nous avez fournies.

Je veux vous assurer d'une chose, c'est que le gouvernement et celui qui a la responsabilité du ministère de la Justice et, par conséquent, de l'aide juridique, feront l'impossible pour essayer d'améliorer le sort des plus démunis. Cette commission de consultation, on la fait parce qu'on veut évaluer, dans un premier temps, la santé du régime actuel. On veut l'évaluer parce qu'on a la responsabilité d'administrer les 110 000 000 $ dont Mme la députée Terrebonne parle abondamment ce matin. On a la responsabilité, dans un premier temps, de s'assurer que les 110 000 000 $ sont bien utilisés et on a également la responsabilité de vérifier si, à l'intérieur de l'exercice actuel – et c'est la première responsabilité qu'on a – on ne peut pas faire d'économies. C'est ça, notre première responsabilité. Et de décider, avant même que la consultation soit terminée, que le montant de 110 000 000 $ ne doit pas être questionné, c'est, quant à moi, faire fi de la responsabilité qu'on a comme parlementaires, dans un premier temps, d'être certains que toutes les sommes d'argent mises à la disposition de l'aide juridique soient bien utilisées. C'est ça, notre première responsabilité. Je vous remercie, M. Cusson et Mme Dionne, d'être venus nous exposer votre point de vue, ce matin.

Le Président (M. Bordeleau): Merci beaucoup, M. le ministre. Alors, merci encore une fois, Mme Dionne et M. Cusson, pour la présentation de votre mémoire. La commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures cet après-midi. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 26)

(Reprise à 15 h 32)

Le Président (M. Gobé): Mesdames et messieurs, la commission des institutions va maintenant entreprendre ses travaux, et nous allons continuer la consultation générale et auditions publiques sur le régime d'aide juridique. Alors, il me fait plaisir maintenant de vous lire l'ordre du jour pour cette fin d'après-midi. Alors, de 16 heures à 17 heures... de 15 heures à 16 heures, je m'excuse, il y a là un petit addenda, nous entendrons l'Association des Mouvement action-chômage du Québec; de 16 heures à 17 heures, les représentants de la Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées du Québec; de 17 heures à 18 heures, La Ligue des Noirs du Québec; à 18 heures, nous suspendrons jusqu'à 20 heures, où, là, nous reprendrons afin d'entendre les représentants de la Ligue des droits et libertés, et, de 21 heures à 22 heures, M. Giles Patenaude, et par la suite, nous ajournerons aux environs de 22 heures.

Alors, sans plus attendre, je constate maintenant qu'il y a quorum, que l'ensemble des participants sont prêts à procéder et j'inviterai donc les représentants de l'Association des Mouvement action-chômage du Québec à venir prendre place en avant afin que nous puissions commencer leur audition.

Alors, bonjour madame. Je vois que vous êtes toute seule. Vous êtes Mme Diane Rainville?

Mme Rainville (Diane): Oui, c'est ça.

Le Président (M. Gobé): Vous êtes donc membre du comité de service. Alors, sans plus attendre, vous êtes toute seule, vous ayant présentée, vous n'avez point à le faire, je vous demanderai de bien vouloir commencer votre présentation. Vous avez 20 minutes pour ce faire, 20 minutes étant imparties au côté ministériel et 20 minutes imparties à l'Opposition. S'il s'avérait qu'on dépasse un peu pour quelques minutes, d'un côté ou de l'autre, nous verrons à faire consensus dans le meilleur des intérêts des travaux de cette commission. Alors, Mme Rainville, vous avez maintenant la parole.


Association des Mouvement action-chômage du Québec (AMACQ)

Mme Rainville (Diane): Il y a aussi mon collègue, Jean Leduc, qui est ici. Il est présent, sauf qu'il est allé fumer une cigarette. Il va arriver, mais je vais commencer tout de suite la présentation.

Le Président (M. Gobé): Je rappellerai que, selon le règlement de l'Assemblée nationale, il est interdit de fumer dans les commissions parlementaires, et comme vous voyez, chacun des membres respecte scrupuleusement cette règle. Alors, on apprécie que M. Leduc ait pris cette précaution lui aussi. Vous pouvez commencer votre présentation.

Mme Rainville (Diane): Parfait. L'Association des Mouvement action-chômage du Québec est un regroupement d'organismes voués à la défense et à la promotion des droits des chômeurs et chômeuses du Québec. Elle est composée des Mouvement action-chômage de l'Outaouais, de Montréal, de Longueuil, de Trois-Rivières, de Québec, de Granby, des Chenaux, de Chandler, du Groupe action-chômage de Shawinigan, du Mouvement des sans-emploi de Lotbinière, du Regroupement des sans-emploi de Victoriaville ainsi que le Regroupement des chômeurs & chômeuses de Rouyn-Noranda et de Val d'Or.

Près de 50 000 personnes par an font appel à nos services d'aide et d'information sur la Loi sur l'assurance-chômage et à notre expertise juridique leur permettant d'en appeler des décisions de la Commission de l'emploi et de l'immigration. L'AMACQ se veut d'abord un lieu d'échange d'expertise et d'information juridique, politique et économique sur toute question touchant la problématique du chômage et du sous-emploi. Au plan politique, elle désire se donner une représentativité auprès des syndicats et autres groupes nationaux qui poursuivent les mêmes objectifs que l'AMACQ, à savoir la promotion d'un meilleur partage de la richesse collective, notamment par le maintien des programmes sociaux adéquats et d'une fiscalité équitable, le principe d'une création d'emplois socialement utiles répondant aux intérêts de l'ensemble de la population et la nécessité d'un État actif au niveau social.

En tant qu'organisme de défense des droits des travailleurs et des travailleuses et des sans-emploi, nous ne pouvons rester insensibles à la réforme que veut apporter le gouvernement provincial à la Loi sur l'aide juridique. Le ministère de la Justice nous soumet le document suivant, soit: «L'aide juridique au Québec: une question de choix, une question de moyens», dans lequel il mentionne qu'il est important d'améliorer l'accessibilité au régime. Il n'en demeure pas moins que la principale préoccupation du gouvernement est le coût actuel du régime d'aide juridique.

Nous reconnaissons que l'intention du gouvernement de rationaliser la question des finances publiques est louable, mais on comprend mal pourquoi ce serait encore les plus démunis qui en assumeraient les frais. Nous disons «encore une fois», car il faut se rappeler les modifications apportées à la Loi sur l'assurance-chômage, les projets de loi C-21, C-113 et, tout dernièrement, le budget qui a été annoncé par le gouvernement fédéral et qui a eu pour objet de couper encore dans les prestations d'assurance-chômage.

Le Président (M. Gobé): C'est M. Leduc qui vient d'arriver?

Mme Rainville (Diane): Oui, c'est M. Leduc.

Le Président (M. Gobé): Ça nous fait plaisir de vous accueillir ici...

M. Leduc (Jean): ...besoin.

Le Président (M. Gobé): ...votre cigarette étant terminée.

M. Leduc (Jean): Pardon?

Le Président (M. Gobé): Votre cigarette étant terminée.

M. Leduc (Jean): Bien, disons que le temps d'attente est...

Le Président (M. Gobé): Je vous en prie, allez-y.

M. Leduc (Jean): Je vais continuer?

Mme Rainville (Diane): O.K., je suis rendue ici. La réforme... en page 3.

M. Leduc (Jean): Et la réforme sur l'aide sociale créait deux catégories de personnes assistées sociales: les aptes et les inaptes au travail. Ces réformes, jumelées au contexte actuel du marché du travail, font en sorte que plusieurs Québécois et Québécoises n'ont d'autre alternative que de s'appauvrir pour finalement se retrouver à l'assistance sociale, ce qu'on appelle maintenant «dernier recours». La grande majorité des gens ne demandent pas mieux que de se trouver un travail rémunéré dans le respect des normes minimales prévues par les lois du travail, soit la Loi sur les normes du travail et la Loi sur la santé et sécurité du travail.

Il est malheureux de constater que les différents gouvernements ne semblent plus reconnaître leur responsabilité en matière de création d'emplois. Notre principale préoccupation concernant le régime d'aide juridique est celle de l'accessibilité au régime pour les personnes qui sont économiquement dépourvues. L'accès à la justice, tant au niveau de l'obtention d'information que de celui de la possibilité d'être représenté, nous apparaît comme étant un droit fondamental dans une société comme la nôtre.

Après avoir procédé à une analyse approfondie du document présenté par le ministère de la Justice, nous vous invitons à prendre en considération certaines réflexions que nous vous soumettons dans le présent mémoire. Il faut se rappeler le contexte dans lequel le gouvernement a décidé de créer un régime public d'aide juridique et les objectifs dudit régime, pour ensuite se pencher sur les questions de l'opportunité de hausser les seuils d'admissibilité tout en préservant le pouvoir discrétionnaire du directeur et la pertinence de maintenir la couverture pour les lois à caractère social, pour finalement aborder les questions de la structure et du financement du régime.

Je passe la parole à Mme Rainville.

Mme Rainville (Diane): Pour ce qui est de la création et des objectifs de la Loi sur l'aide juridique, j'imagine que vous en avez amplement entendu parler, mais il reste que j'aimerais qu'on puisse les revoir ensemble.

Le régime d'aide juridique avait pour objectif de garantir l'accès aux services juridiques tout en contrôlant le développement des cliniques populaires et des autres lieux de mobilisation populaire des citoyens. En 1972, M. Jérôme Choquette, alors ministre de la Justice, faisait la déclaration suivante: La création du régime d'aide juridique était devenue nécessaire pour plusieurs autres raisons, dont l'une est la recherche, au-delà d'un simple outil de la lutte contre la pauvreté, d'un instrument de pacification sociale. Celui qui ne peut faire valoir ses droits par les voies normales le fera par la force. Cela n'explique pas toutes les contestations, mais les cliniques pourront sûrement être un canal contribuant à diminuer certaines tensions sociales.

En adoptant la Loi sur l'aide juridique, il y a reconnaissance que le gouvernement a le devoir fondamental de rendre accessible le système judiciaire aux plus démunis. À cet effet, nous vous citons une autre déclaration du ministre de la Justice de l'époque: Le gouvernement a le devoir fondamental de voir à ce que, sur le plan juridique, ceux qui ont un urgent besoin de défense dans le système juridique et l'appareil judiciaire complexes que nous connaissons se voient reconnaître le droit à la consultation et à l'assistance, alors que leur situation financière ne leur permet pas de jouir de la plénitude de leurs droits comme êtres humains.

Le corollaire est, bien entendu, la reconnaissance de certains droits aux bénéficiaires, ceux-ci étant les économiquement défavorisés; et ces droits sont: avoir recours à des avocats spécialisés dans ce qui a été récemment désigné par les mots «poverty law» ou, en français, «droit et pauvreté», c'est-à-dire à des spécialistes ayant une connaissance précise des lois et des règlements qui touchent cette catégorie de personnes dans leur contexte social spécifique, tout comme d'autres clientèles peuvent avoir recours à d'autres spécialistes, par exemple, en responsabilité civile, en droit municipal ou en droit fiscal.

(15 h 40)

Aujourd'hui, au ministère de la Justice, on parle de modifier le régime. Il nous propose différents scénarios et il invite les différents intervenants à choisir parmi les scénarios.

En ce qui concerne les seuils d'admissibilité, on sait qu'au Québec les seuils d'admissibilité sont établis par règlement, et la dernière indexation remonte à 1985. Les seuils d'admissibilité établis en 1973 n'ont pas suivi l'augmentation de l'indice des prix à la consommation – soit l'inflation – ni la hausse enregistrée par les autres programmes de transfert. On nous a fait la démonstration qu'il existe un écart important entre les seuils d'admissibilité à l'aide juridique et les seuils de faible revenu de Statistique Canada. Il nous apparaît important de donner un seuil d'admissibilité et d'accorder le droit à l'aide juridique aux personnes qui sont sous le seuil de la pauvreté.

Dans le document, à la page 23, le tableau 12, on nous démontre que les plus grands utilisateurs du régime sont les personnes assistées sociales, les chômeurs et les chômeuses ainsi que les personnes sans revenu. J'aimerais vous rappeler que le taux de prestation moyen pour les chômeurs et les chômeuses est de 254 $. Si on se réfère au barème actuel, bien des chômeurs et chômeuses n'ont présentement pas accès au régime d'aide juridique. Le pouvoir discrétionnaire permet l'accès à une personne ne répondant pas au seuil établi, mais qui, selon l'avis du directeur, subirait un préjudice sérieux en n'accédant pas à des services juridiques. Moi, j'ai travaillé surtout au Mouvement action-chômage de Montréal. On rencontre environ 12 000 personnes par année. Ces personnes-là, on vérifie si elles ont droit à l'aide juridique. Si elles ont droit à l'aide juridique, automatiquement, on les informe qu'elles ont droit au service des avocats, et ces personnes-là sont référées à des avocats. La clientèle restante... Parce qu'on représente ces gens-là devant les conseils arbitraux et, des fois, devant les juges-arbitres. C'est le manque de moyens financiers qui fait en sorte qu'on ne peut pas se limiter à donner des informations aux gens et de ne pas prendre leur défense. Dans le sens qu'on voit des situations qui sont pénibles pour certaines gens, et on sait très bien que, s'ils doivent intenter l'action et demander les services d'un avocat, ils n'intenteront pas leur action, surtout en matière d'assurance-chômage, parce que notre expertise se limite à la Loi sur l'assurance-chômage, et les différentes instances... La Loi sur l'assurance-chômage, c'est une loi fédérale. Il y a un agent de la Commission qui rend une décision au prestataire d'assurance-chômage, et cette décision-là est appelable par l'employeur ou l'ex-employeur ou par le prestataire. Si la décision est favorable au prestataire...

Je pourrais vous présenter un genre d'histoire de cas: c'est une madame qui quitte volontairement son emploi. La Commission lui dit: Vous avez droit aux prestations d'assurance-chômage, parce qu'on considère que vous êtes justifiée de quitter volontairement votre emploi puisqu'il y a une attestation médicale qui dit que votre emploi vous cause des problèmes de santé. Bon. Elle reçoit la décision comme quoi elle est éligible à l'assurance-chômage, sauf qu'on envoie la décision à son ex-employeur, et son ex-employeur décide d'aller en appel de cette décision-là. Quand la prestataire se rend compte qu'elle doit se présenter au conseil arbitral, elle se présente à la Commission de l'emploi et de l'immigration et leur demande: Est-ce que vous me conseillez de prendre les services d'un avocat? À ce moment-là, la Commission lui dit: Non, non, non. C'est un tribunal administratif, c'est un style «tribunal familial», vous n'avez pas besoin de vous présenter avec un avocat. De plus, ce que je pourrais rajouter, c'est que la personne avait une attestation médicale, donc, dans les justifications qui... les motifs qui justifient un départ volontaire, quand une personne a une attestation médicale, c'est presque la meilleure preuve qu'on puisse apporter. C'est sûr que la personne, à la Commission, qui lui a répondu se dit probablement la même chose que moi. Elle a la meilleure chance de gagner devant le conseil arbitral puisqu'elle a la meilleure preuve.

Donc, la personne se présente au conseil arbitral, elle est seule, et son employeur, bien entendu, se présente. Il ne fait aucune preuve que l'attestation médicale est non valide ou non véridique ou qu'elle est fausse. Cependant, à la majorité, les membres du conseil arbitral en viennent à la conclusion que cette madame-là n'était pas justifiée de quitter volontairement son emploi, et il y a une minorité – une personne – des membres du conseil arbitral qui, elle, émet une dissidence.

Quand elle s'est présentée au Mouvement action-chômage, c'est sûr qu'on a déposé un appel au juge-arbitre, parce que, nous autres aussi, on constate que la meilleure preuve qu'elle pouvait présenter, c'était un certificat médical. Mais ça va se régler dans trois ans, parce que l'appel au juge-arbitre à Montréal, ça prend trois ans avant que ça... Cette personne-là est exclue de la période de prestations, de ses prestations d'assurance-chômage pour une période d'un an parce que, bien entendu, c'est un cas qui s'est produit après le projet de loi C-113, soit après avril 1993.

Ce qu'on constate, c'est que les gens ont beaucoup plus de chances de gagner s'ils sont représentés par quelqu'un qui connaît minimalement la Loi sur l'assurance-chômage. Je dis «minimalement», mais, dans le fond, je ne devrais pas dire «minimalement». Parce que la Loi sur l'assurance-chômage, c'est une des plus complexes au Canada, après la Loi de l'impôt sur le revenu. Et ça, c'est des juges de la Cour suprême et des juges de la Cour d'appel fédérale qui disent que la Loi sur l'assurance-chômage est complexe. C'est sûr que c'est des tribunaux administratifs, on est conscient que les gouvernements tentent de simplifier les procédures, mais il reste que, pour le citoyen, se présenter devant le conseil arbitral, seul, quand il ne connaît pas les éléments qu'il doit apporter devant les membres du conseil arbitral, quand il ne connaît pas les procédures, les modes de preuve, c'est très difficile pour lui de se représenter seul.

La Loi sur l'assurance-chômage ne prévoit pas qu'on doive être représenté par des avocats. Dans le document que la Commission présente aux gens, on dit que vous pouvez être représenté par votre père, par votre mère, par votre soeur, par votre frère, et on ajoute que les frais qui sont entamés pour l'appel au conseil arbitral devront être payés par le prestataire. Pour la personne qui reçoit ça, elle se dit: Est-ce que c'est la procédure, est-ce que je dois payer les membres du conseil arbitral qui sont là? Est-ce que, en plus, je dois payer mon avocat?

Dans certains cas... bon, pour la personne que je vous ai présentée tantôt, ça représentait une période de prestations qui, pour elle, était environ 15 000 $. Mais, pour la personne qui est accusée d'avoir fait des fausses déclarations, il peut y avoir seulement une décision de fausse déclaration sans avoir une pénalité qui est rattachée à la fausse déclaration. Parce que, dans certains cas, la Commission va dire: C'est une fausse déclaration, on pense qu'ils ont fait sciemment une fausse déclaration, sauf que ce n'est pas trop grave, donc on ne donnera pas de pénalité. Les pénalités, ça peut être 100 % de votre taux de prestation. Pour une personne qui a le taux de prestation moyen de 254 $, 254 $, c'est sûr que, si vous prenez les services d'un avocat, ça va vous coûter plus cher, sauf que, dans votre dossier de la Commission de l'emploi et de l'immigration, vous avez une décision qui dit que vous avez fait une fausse déclaration. Même si le montant est minime, il peut être important pour les gens de se faire représenter par quelqu'un devant le conseil arbitral. Il n'est pas facile pour les gens de se présenter seuls devant les conseils arbitraux.

Ici, on a parlé des tribunaux administratifs, du tribunal familial. On n'est pas ici pour discuter de la déjudiciarisation, dans le sens que je pense qu'il va sûrement y avoir une réforme des tribunaux administratifs, où on pourra discuter de la chose, mais ici, c'est une question de l'accessibilité à la justice. Si les gens ne sont pas représentés, ils risquent de perdre.

Dans une étude qui a été faite par la Commission de l'emploi et de l'immigration, «Étude sur les appels accueillis au conseil arbitral», on dit que: Le pourcentage d'appels accueillis lorsque le prestataire est représenté est de 46,7 %, tandis que, s'il se présente seul, ce taux s'établit à 27,4 %.

(15 h 50)

À notre avis, ces chiffres sont, premièrement, très conservateurs, parce que, si la personne se présentait au conseil arbitral et gagnait en partie la décision, elle n'est pas comptabilisée dans l'étude qui a été faite. Si on regarde le taux de succès du Mouvement action-chômage, lorsqu'on se présente avec les prestataires aux conseils arbitraux, le taux de succès est presque de 80 %. C'est très élevé. Donc, on est en mesure de constater que, si les gens sont représentés, ils ont beaucoup plus de chances d'avoir accès à la justice. Et je ne parle pas de la déjudiciarisation, ce qu'on vous demande, c'est: Il faut prendre en considération que les gens qui n'ont pas les moyens doivent avoir accès au régime d'aide juridique.

Le fait qu'on puisse invoquer les chartes devant les conseils arbitraux, devant les juges-arbitres n'est pas pour simplifier non plus les procédures. Pour les gens, c'est assez difficile, par eux-mêmes, d'invoquer des dispositions de la Charte québécoise ou de la Charte canadienne des droits et libertés. Et il est impensable pour le simple citoyen qui n'a aucune formation en droit de pouvoir se représenter adéquatement devant les conseils arbitraux.

Il y a des cas où on pourrait dire que c'est beaucoup plus technique, dans le sens que c'est l'interprétation de la loi que l'on va invoquer devant les membres du conseil arbitral. Mais il reste quand même que, oui, il y a des questions de départ volontaire ou des questions d'inconduite où on va prendre en considération beaucoup les faits qui entourent la question. Le départ volontaire, si on parle de harcèlement, si la personne est victime de harcèlement – et je ne parle pas de harcèlement sexuel, je parle de harcèlement tout court – ou un conflit de personnalité... Les éléments qui sont importants à apporter devant les membres des conseils arbitraux, c'est des faits. Comment ça s'est présenté? Quelle était la situation au travail de cette personne-là? Les membres du conseil arbitral vont évaluer, en fin de compte, les faits et, bien entendu, la bonne foi et la crédibilité de la personne. Il y a des cas où c'est beaucoup plus technique, plus une interprétation des dispositions de la loi.

Les gens qui manquent leur coup au conseil arbitral et qui doivent se présenter au juge-arbitre, encore là, la loi ne prévoit pas que les gens doivent être représentés par des avocats. Mais ce n'est pas un procès, de nouveau, devant le juge-arbitre. Le citoyen doit démontrer qu'il y a eu une erreur de droit dans la décision du conseil arbitral. Ce n'est pas évident pour la personne qui n'a aucune formation. Des fois, ce n'est même pas évident pour nous, qui avons une formation en droit. Pour le simple citoyen, arriver devant un juge et dire: Écoutez, ils ont commis une erreur de droit ou des erreurs de fait manifestement déraisonnables, si la personne a manqué son coup au conseil arbitral et n'est pas représentée devant le juge-arbitre, vous pouvez être sûr qu'elle a peu de chances qu'on lui rétablisse ses droits.

Le Président (M. Gobé): Alors, Mme Rainville, c'est là la fin du temps qui vous était imparti. Il vous reste, pour conclure, peut-être 15 secondes.

Mme Rainville (Diane): Quinze secondes pour conclure? Je vais lire ma conclusion. Ha, ha, ha!

Le document présenté par le ministère de la Justice ne nous fait pas la démonstration de l'inefficacité du régime actuel. Dans le rapport Macdonald, on insistait sur l'intégrité de la couverture des services offerts et l'on précisait que de ne soustraire que certains actes moins essentiels n'entraînerait pas d'économies significatives. Nous soutenons que le maintien de la couverture des services juridiques devant les tribunaux administratifs est indispensable. Au Québec, le régime possède l'une des couvertures les plus avantageuses au Canada. On traite deux fois plus de demandes que dans les autres provinces canadiennes et trois fois plus qu'en Ontario. Et, malgré cela, les dépenses de l'aide juridique n'ont progressé que de 21 % comparativement à 130 % en Ontario et 107 % dans les autres provinces.

On nous parle des coûts trop élevés du régime public d'aide juridique pour des sevices qui sont dispensés aux plus démunis de notre société, sans s'interroger sur le coût des avocats de pratique privée au service des corporations ou individus munis de ressources et bénéficiant d'avantages fiscaux.

Une telle insuffisance dans le débat que le ministre désire aborder laisse nos organisations et leurs membres sceptiques. Encore une fois, il semble que ce soit aux plus démunis de payer la note. Cette impression va exactement à l'encontre des objectifs du programme et laisse présager d'autres coûts sociaux.

Le Président (M. Gobé): Merci, Mme Rainville. Cela met donc fin à votre présentation. Je passerai donc la parole à M. le ministre de la Justice. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Merci, Mme Rainville, de votre présentation, M. Leduc également, de nous avoir aussi soumis un mémoire qui, comme d'autres groupes ont eu l'occasion de le faire... de profiter de cette commission pour pointer, évidemment, un secteur très précis qui est, en l'occurrence, le vôtre: les problèmes des chômeurs et des travailleurs et des travailleuses qui, à un moment donné, se retrouvent en chômage et qui font face à des problèmes qu'on connaît, puis dont on imagine aussi, dont on connaît également la gravité, Mme Rainville, je veux tout de suite vous le souligner.

Ma première question. Vous avez indiqué tout à l'heure que votre association reçoit des demandes de plus ou moins 12 000 personnes, environ. Pourriez-vous me dire, Mme Rainville, si, essentiellement – puis j'imagine que c'est oui, mais je voudrais vous entendre sur l'autre volet – ce sont des problèmes de discussion avec la Commission de l'assurance-chômage, des débats avec la Commission? C'est ma première question.

Mme Rainville (Diane): Bon. Les 12 000 personnes, ce qu'il faut savoir, c'est... 12 000, ça, c'est pour le Mouvement action-chômage à Montréal.

M. Lefebvre: Oui, le groupe. Oui.

Mme Rainville (Diane): L'Association, c'est 50 000 pour l'ensemble des organismes au Québec. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on donne un service d'information. On donne des séances d'information les mardis, mercredis, jeudis, où on vulgarise la loi et où on essaie de faire comprendre le fonctionnement de la Loi sur l'assurance-chômage. Quand je parle de 12 000 personnes, ce n'est pas 12 000 représentations qu'on fait par année.

M. Lefebvre: Non, non. Je comprends. J'ai compris, madame. J'ai compris.

Mme Rainville (Diane): Ha, ha, ha! C'est surtout l'information.

M. Lefebvre: Oui.

Mme Rainville (Diane): C'est qu'on reçoit dans nos bureaux...

M. Lefebvre: À des groupes, par hypothèse, à l'occasion, c'est à des groupes que vous parlez.

Mme Rainville (Diane): C'est à des groupes, régulièrement.

M. Lefebvre: D'accord.

Mme Rainville (Diane): Trois fois par semaine, on rencontre les groupes et on les informe sur la Loi sur l'assurance-chômage, les modifications, chaque fois qu'il y a des modifications ou des réformes, ce qui arrive souvent...

M. Lefebvre: Est-ce que...

Mme Rainville (Diane): ...de ce temps-ci.

M. Lefebvre: Oui, excusez, madame.

Mme Rainville (Diane): Bon, 12 000 personnes, c'est les gens qui rentrent dans nos bureaux pour avoir des informations sur la Loi sur l'assurance-chômage...

M. Lefebvre: Est-ce que...

Mme Rainville (Diane): ...soit parce qu'ils font une demande de prestations – je m'excuse – et ils veulent, finalement, prévenir certains problèmes ou parce qu'ils embarquent dans un système et ils veulent en connaître le fonctionnement, et pour d'autres personnes, c'est plutôt parce qu'elles ont reçu une décision de la Commission et elles ne savent pas quoi faire avec. Ça fait que, là, à ce moment-là, on regarde les décisions et on regarde s'il y a une possibilité de faire quelque chose.

M. Lefebvre: Dans l'immense majorité des cas – je suis convaincu que ce sera oui, votre réponse – ce sont des gens qui, se retrouvant seuls, ne savent absolument pas de quelle façon débattre leur demande vis-à-vis... ou débattre la décision de la Commission.

Mme Rainville (Diane): Pour la plupart. Il reste qu'on est un organisme où on ne fait pas de publicité comme tel, c'est du bouche à oreille qui fait en sorte qu'on est connu, mais...

M. Lefebvre: Quel est, Mme Rainville, le pourcentage de travailleurs qui se retrouvent dans cette situation-là – selon vous, peut-être que vous n'avez pas de données ou de statistiques dans ce sens-là – qui, plutôt que d'aller chez vous, se rendent directement à l'aide juridique?

Mme Rainville (Diane): Je n'ai aucune statistique à ce sujet-là.

M. Lefebvre: À votre connaissance – il y en a, des travailleurs en chômage qui ont des problèmes avec la Commission de l'assurance-chômage – est-ce qu'il y a un bon nombre de ces travailleurs-là qui s'adressent directement à l'aide juridique?

Mme Rainville (Diane): Je serais portée à croire que les gens qui sont syndiqués, qui ont un syndicat, qui sont syndiqués dans leur entreprise, le syndicat peut les référer directement à l'aide juridique, et souvent, c'est surtout les gens qui ne sont pas syndiqués que l'on représente.

M. Lefebvre: Ma dernière question sur ce même volet: Est-ce que la majorité des travailleurs et des travailleuses que vous rencontrez, qui ont des difficultés de discussion avec la Commission, qui sont en pourparlers avec la Commission, dans certains cas purement et simplement en débat judiciaire avec la Commission, est-ce que la plupart des travailleurs et des travailleuses connaissent l'existence du régime d'aide juridique au Québec?

Mme Rainville (Diane): Comme je vous dis, nous, quand on les rencontre, qu'ils ont un problème particulier, la première chose qu'on fait, c'est qu'on vérifie s'ils ont droit à l'aide juridique. Aussitôt qu'on...

M. Lefebvre: Mais est-ce qu'ils savent qu'il y a un système d'aide juridique, Mme Rainville?

Mme Rainville (Diane): Pour la plupart.

M. Lefebvre: Oui?

Mme Rainville (Diane): Oui.

M. Lefebvre: Vous dites, à la page 2 de votre mémoire: «Notre principale préoccupation est celle de l'accessibilité au régime d'aide juridique pour les personnes qui sont économiquement dépourvues. L'accès à la justice, tant au niveau de l'obtention d'informations...» Est-ce qu'il y a une carence du côté des services d'aide juridique quant à l'information? Est-ce qu'il faudrait que la Commission des services juridiques améliore ce volet de son activité, l'information, l'information pure, je ne parle pas des débats devant les tribunaux, mais de l'information?

Mme Rainville (Diane): Moi, je serais portée à croire que, s'il y a 50 000 personnes qui passent dans nos bureaux, il y a un besoin. Je ne peux pas vous répondre autre chose. S'il y a 50 000 personnes qui passent dans nos bureaux, c'est parce qu'il y a un besoin et elles le trouvent chez nous.

M. Lefebvre: Quand, Mme Rainville, vous donnez de l'information à un travailleur à l'effet qu'il n'est pas admissible à l'aide juridique compte tenu des critères d'admissibilité financiers, qu'est-ce que vous faites avec le travailleur?

(16 heures)

Mme Rainville (Diane): On pose des questions, à savoir s'il y a une possibilité qu'il ait droit à l'aide juridique. Dans le doute, on envoie directement la personne à l'aide juridique pour vérification, parce que ce n'est pas à nous à décider si la personne a droit à l'aide juridique ou pas.

M. Lefebvre: D'accord.

Mme Rainville (Diane): On fait juste un genre de «screening»...

M. Lefebvre: D'accord.

Mme Rainville (Diane): ...puis, à ce moment-là, aussitôt qu'on soupçonne que la personne pourrait avoir droit à l'aide juridique, on lui mentionne qu'elle devrait aller faire une demande à l'aide juridique.

M. Lefebvre: Puis si vous êtes convaincus du contraire, qu'il n'y a aucune possibilité d'admissibilité, est-ce que vous aidez le travailleur dans ses démarches vis-à-vis de la Commission?

Mme Rainville (Diane): Oui. Oui. Soit par... Ça peut être un règlement par téléphone.

M. Lefebvre: Oui. Vous le représentez dans...

Mme Rainville (Diane): On le représente au conseil arbitral ou au juge-arbitre, parce que la loi ne prévoit pas une représentation exclusive des avocats.

M. Lefebvre: Vous suggérez, évidemment, comme d'autres organismes, de rehausser, d'améliorer les seuils d'admissibilité. Vous êtes plus ou moins précis dans votre suggestion quant à ce rehaussement, vous ne suggérez pas jusqu'où on pourrait aller.

Mme Rainville (Diane): Non.

M. Lefebvre: Peut-être à la page 3, vous en parlez à la page 3, entre autres. J'aimerais vous entendre là-dessus, Mme Rainville. Quelle est votre suggestion? Jusqu'où on devrait aller, selon vous?

Mme Rainville (Diane): Je pense qu'on devrait maintenir le pouvoir discrétionnaire du directeur afin d'empêcher, justement, la situation suivante, soit que la personne n'intentera pas son action parce qu'elle n'est pas en mesure financièrement de l'intenter. C'est pour ça que je pense que l'efficacité du régime tel qu'il est là, en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire... on ne nous a pas démontré qu'il était inefficace, de cette façon-là. Tout ce qu'on dit, c'est qu'on pourrait couper si on enlevait le pouvoir discrétionnaire, mais on ne nous parle pas de l'inefficacité du pouvoir discrétionnaire. Et, ce pourquoi on n'est pas entré dans le 100 %, 120 % du MGA, et tout ça... nous autres, ce qu'on se disait, c'est que, minimalement, les personnes qui sont sous le seuil de la pauvreté devraient avoir droit, accès à l'aide juridique, minimalement. Et si on maintient le pouvoir discrétionnaire, à ce moment-là, les gens pourront vérifier la situation financière de chacune des personnes, et s'ils se rendent compte qu'elles subiraient un préjudice sérieux, comme c'est présentement, ils pourraient, malgré qu'elles ne correspondent pas au barème actuel, leur accorder de l'aide.

M. Lefebvre: Ce que je crois comprendre, Mme Rainville, de votre suggestion ou de votre commentaire, c'est que vous suggérez de maintenir le pouvoir discrétionnaire pour éviter qu'un bénéficiaire qui dépasse de quelque 100 $ seulement le seuil d'admissibilité se retrouve seul et qu'il ne puisse pas. C'est ce que vous suggérez?

Mme Rainville (Diane): C'est ça.

M. Lefebvre: Est-ce que, dans ce sens-là, vous seriez favorable à ce qu'on évalue la possibilité de la mise en place du principe du volet contributoire pour éviter ces situations-là, que ça ne s'arrête pas d'un coup sec à 18 000 $, 20 000 $, 21 000 $, 22 000 $, mais qu'il y ait, dépassé un certain montant, une possibilité pour le citoyen d'être admissible, mais moyennant une contribution de sa part? Est-ce que vous seriez favorable à ce qu'on évalue cette possibilité-là?

Mme Rainville (Diane): C'est que si la situation financière d'une personne est étudiée, puis qu'on se rend compte qu'on lui causerait un préjudice important si elle ne pouvait pas intenter son action, comment elle pourrait contribuer, dans une certaine mesure, aux frais de l'action qu'elle doit prendre? C'est dans ce sens-là qu'on n'est pas pour la contribution des bénéficiaires. Mais on n'a pas élaboré beaucoup...

M. Lefebvre: Non, non, je comprends.

Mme Rainville (Diane): Le point important pour nous, c'était le maintien pour les tribunaux administratifs. Ce n'est pas vrai que les tribunaux administratifs, c'est simple.

M. Lefebvre: Vous, ce qui vous inquiète...

Mme Rainville (Diane): Ce n'est pas vrai que les lois sociales, c'est simple.

M. Lefebvre: Ce qui vous inquiète, c'est la couverture des services.

Mme Rainville (Diane): La couverture. Un barème... les personnes qui sont sous le seuil de la pauvreté...

M. Lefebvre: Ce que vous dites...

Mme Rainville (Diane): ...peut-être faire réaliser aussi que les gens qui sont en assurance-chômage, le taux de prestation est de 254 $ et, si on regarde le barème, la plupart des gens qui sont en assurance-chômage n'ont pas droit à l'aide juridique.

M. Lefebvre: Ma dernière question avant de laisser la parole à mon honorable collègue de Terrebonne. Je comprends, de la conclusion qui apparaît à la page 10 du document, que, de façon globale, générale, vous considérez que le régime d'aide juridique au Québec est bon, va bien.

Mme Rainville (Diane): Oui.

M. Lefebvre: C'est vrai, madame? Merci, Mme Rainville.

Le Président (M. Gobé): Je vous remercie, M. le ministre. Je vais donc maintenant passer la parole à Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Madame, vous avez la parole.

Mme Caron: Mme Rainville, M. Leduc, bienvenue à nos travaux. On peut peut-être partir de votre conclusion et dire qu'effectivement vous concluez que les services qui sont accordés présentement, le coût des dépenses aussi comparativement à l'extérieur du Québec, c'est positif, et vous n'êtes pas les seuls à le conclure. Je pense que le rapport Macdonald était arrivé aux mêmes conclusions, et les différents groupes qui sont venus faire des représentations aussi.

Vous avez, dans votre mémoire, rappelé en page 2 que, souvent, certaines modifications apportées à des lois, qu'on parle de la Loi sur l'assurance-chômage, la Loi sur l'aide sociale, la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité du travail... Ce sont des lois qui, finalement, lorsqu'on fait certaines modifications ou lorsque les réglementations sont plus ou moins bien appliquées... on place le contribuable, le citoyen dans l'obligation de faire appel aux tribunaux et, automatiquement, finalement, c'est l'État qui augmente la judiciarisation par ses législations et par les règlements et par l'application de ces règlements-là. Et je vous avoue qu'on s'en aperçoit de plus en plus, autant dans les bureaux de comté que quand on parle aux citoyens et aux citoyennes, que c'est l'État qui contribue à augmenter la judiciarisation et, en même temps, augmente aussi ses coûts au niveau de la justice, parce que c'est l'État qui doit représenter aussi... lorsqu'il y a des oppositions du côté de la CSST, par exemple, l'État repaie et paie aussi parfois pour des gens qui ont droit à l'aide juridique.

À ce niveau-là, il y avait deux recommandations du Barreau que je trouvais intéressantes et qui disaient: Que soient analysés les impacts financiers de toute décision judiciaire affectant les droits des citoyens, dont ceux des plus démunis, que des budgets additionnels soient, le cas échéant, affectés au système d'aide juridique – quand c'est finalement l'État qui, par son attitude, ajoute... il aurait à s'en rendre compte – et que tout ministère et organisme dont les politiques ou les directives forcent un bénéficiaire à utiliser les services de l'aide juridique, bien, qu'il rembourse les coûts qui sont engendrés par une telle utilisation. Qu'est-ce que vous pensez de ces propositions-là?

(16 h 10)

Mme Rainville (Diane): Souvent, les gens qui se présentent chez nous puis qui ont, mettons, un départ volontaire, donc ils se trouvent exclus pour toute leur période de prestations et n'ont pas fait de représentations devant le conseil arbitral parce qu'ils ne pensaient pas qu'ils pouvaient gagner, souvent, on leur dit: Tout ce qu'il vous reste, c'est peut-être d'aller voir à l'aide sociale si vous avez droit à l'aide sociale. Là, on leur dit: Comme vous n'avez pas réclamé vos droits à l'assurance-chômage, on exige de vous que vous déposiez, finalement, un appel au conseil arbitral. Souvent, ces appels au conseil arbitral sont hors délai. Donc, on doit invoquer... on doit se présenter au conseil arbitral pour justifier le «hors délai» de la personne et, ensuite, on doit aller au conseil arbitral pour plaider sur le fond. C'est sûr que cette façon de voir impose... Par ces mesures, le gouvernement impose au justiciable beaucoup plus de dépenses. Ça, c'est une constatation. Pour ce qui est de la proposition du Barreau, je pense que ça ne serait pas mauvais de vérifier l'impact de ces législations-là, l'impact de la judiciarisation des lois sociales.

Mme Caron: Je pense que votre exemple est très bon. On retrouve la même chose au niveau de l'aide sociale lorsqu'on demande... même lorsque la personne a fait des vérifications pour obtenir une pension alimentaire et qu'il n'y a aucun moyen qu'elle puisse récupérer cet argent-là, on lui demande quand même de faire la démarche. Finalement, c'est l'État qui doit repayer une autre fois pour une démarche qui n'aboutit pas.

Vous nous avez parlé que votre groupe plus particulier... Oui, en passant, dans la tournée régionale, nous sommes allés un petit peu partout au Québec et on a rencontré le groupe qui se trouve dans Lotbinière; ils nous ont expliqué un peu la façon dont ils travaillaient, et on a vu à quel point c'étaient des services extrêmement importants pour la population, un peu partout en région.

Le pourcentage, chez vous, vous dites à peu près 12 000 personnes-année, plus précisément. Sans donner des chiffres vraiment précis, selon vous, de ces 12 000 personnes que vous rencontrez, quel pourcentage, vous pourriez dire, n'est pas admissible à l'aide juridique?

Mme Rainville (Diane): Sur les 12 000, c'est difficile à dire, parce qu'il reste qu'on donne la séance d'information, mais, après ça, on répond à la question et on ne fait pas de statistiques pour leur admissibilité à l'aide juridique comme on n'a pas à représenter ces personnes-là ou à aller plus loin. Dans le fond, ça se limite à l'information. C'est difficile pour moi d'avancer un chiffre, pour savoir quel pourcentage serait éligible à l'aide juridique, parce qu'on ne fait pas d'étude à ce sujet-là.

Mme Caron: Sur ceux que vous rencontrez et dont vous vérifiez un peu l'admissibilité – vous ne faites pas une vérification exhaustive...

Mme Rainville (Diane): Non.

Mme Caron: ...mais, dans certains cas, vous vérifiez un peu pour les conseiller, s'ils devraient au moins tenter de faire vérifier l'admissibilité – est-ce que vous arrivez à définir, à ce moment-là, un pourcentage qui vous dit: Dans la plupart des cas, je suis obligée de leur dire: Bien, écoutez, c'est trop élevé, vous ne pouvez pas être admissible? Ou si c'est plutôt en proportions égales?

Mme Rainville (Diane): Comme on n'ouvre pas de dossier pour les gens pour lesquels on croit qu'ils seraient peut-être admissibles, pour moi, c'est difficile de répondre à cette question. Un soir, je peux rencontrer cinq personnes et, bon, il y en deux que je pense qui sont éligibles à l'aide juridique, donc je leur dis d'aller consulter à l'aide juridique. Et un autre soir, ça peut être cinq personnes sur cinq. Je n'ai pas de statistiques là-dessus. Je ne pourrais pas vous le dire.

Mme Caron: À partir du fait que vous nous disiez que la moyenne, c'est à peu près 250 $ par semaine...

Mme Rainville (Diane): 254 $.

Mme Caron: 254 $.

Mme Rainville (Diane): Ça, c'est pour l'année financière 1991-1992, mais comme les barèmes n'ont pas changé non plus pour l'aide juridique...

Mme Caron: Donc, la plupart de ces gens-là ne sont pas éligibles à l'aide juridique et, donc, la plupart, si on se fie aux chiffres, à la moyenne, les gens ne peuvent pas obtenir les services d'aide juridique, contrairement au moment où la loi a été votée en 1972, où les gens qui se retrouvaient sur l'assurance-chômage, les gens qui étaient retraités, les gens qui étaient au salaire minimum avaient droit à cette aide juridique. Donc, je suppose que vous souhaitez qu'on le rétablisse au moins pour cette catégorie de personnes là.

Mme Rainville (Diane): Comme je vous en ai parlé tantôt, c'est que le pouvoir discrétionnaire, à notre avis, nous permettrait de rendre éligible quelqu'un qui ne correspond pas au barème. Ça fait que, pour ça, le barème, qu'il soit au niveau du seuil de la pauvreté, s'il y a un maintien du pouvoir discrétionnaire, ça pourrait permettre à une catégorie de gens qui, autrement, ne seraient pas disponibles... Il me semble que c'est plus difficile d'établir un barème, faire des différents calculs pour un ensemble de la population plutôt que de garder un pouvoir discrétionnaire. Je ne suis pas sûre qu'on gagnerait vraiment à abolir le pouvoir discrétionnaire. Parce que, là, le pouvoir discrétionnaire, c'est: on rencontre la personne, on évalue sa situation financière, puis, s'il y a un préjudice grave qui peut lui être causé, à ce moment-là... Mais je pense que le maintien du pouvoir discrétionnaire répond plus aussi aux objectifs de la Loi sur l'aide juridique.

Mme Caron: Le pouvoir discrétionnaire, il est là actuellement. Personnellement, je ne souhaite pas son abolition du tout, parce que, peu importe le seuil qu'on choisit, il peut y avoir effectivement quelqu'un qui le dépasse légèrement et dont la situation mériterait que la personne obtienne l'aide juridique. Sauf que le pouvoir discrétionnaire qui existe actuellement, malgré qu'il est là, dans son application, ne permet pas de donner l'aide juridique à ceux et celles qui en ont vraiment besoin. Au niveau des disparités d'application aussi, dépendamment de la région où on demeure, il peut y avoir des incohérences assez marquées. Alors, le pouvoir discrétionnaire, comme vous le voyez, le souhaitez, il faudrait qu'il soit élargi par rapport à ce qu'on vit actuellement comme pouvoir discrétionnaire. Parce que ce qui se vit actuellement ne permettrait pas de répondre à ce que vous souhaitez vraiment comme demande. Ce serait peut-être possible de le faire en donnant des mandats plus larges, mais, actuellement, ce n'est pas tout à fait ce qu'on peut vivre.

Vous nous avez aussi mentionné des chiffres intéressants, en page 8. «Selon une étude réalisée par la Direction des programmes de prestations, pour le Québec, le pourcentage d'appels accueillis lorsque le prestataire est représenté est de 46,7 % tandis que, s'il se présente seul, ce taux s'établit à 27,4 %.» Et vous nous disiez que vous trouviez les chiffres conservateurs, que, selon vous, les pourcentages sont plus élevés. Vous iriez jusqu'à parler d'une différence de combien?

Mme Rainville (Diane): Dans l'étude qui a été faite, la personne qui obtenait gain de cause en partie de la décision n'est pas comptabilisée dans l'étude. Ça veut dire, ça, que si la personne se présentait pour une question de trop-perçu, de fausse déclaration, si elle gagnait en partie pour la pénalité... bon, si elle gagnait pour la pénalité, mais pas pour le trop-perçu, bien, à ce moment-là, ce n'était pas comptabilisé dans l'étude. Donc, on pense que l'étude est très conservatrice à ce sujet.

Mme Caron: Et, à votre connaissance, il y a souvent des décisions qui portent sur une partie?

Mme Rainville (Diane): Oui, oui.

Mme Caron: Vous nous faites mention aussi... Oui.

Mme Rainville (Diane): Je peux peut-être rajouter quelque chose. Surtout dans le temps où on avait des exclusions pour 7 à 12 semaines, il pouvait y avoir gain de cause en partie, parce que la Commission pouvait avoir imposé 12 semaines d'exclusion, mais, rendu au conseil arbitral, on pouvait avoir gagné cinq semaines, donc une exclusion de seulement sept semaines. À ce moment-là, la décision est gagnée seulement en partie, parce que l'exclusion, elle n'est pas complètement abandonnée, mais il y a eu un gain de cause dans le sens que la personne a gagné cinq semaines. Donc, ce gain-là n'est pas comptabilisé dans l'étude, dans ce sens-là.

Mme Caron: D'accord. Vous rappelez, en page 3, que l'objectif, lorsque le régime d'aide juridique a été créé, un des objectifs, c'était évidemment «de garantir l'accès aux services juridiques – mais c'était aussi – tout en contrôlant le développement des cliniques populaires et des autres lieux de mobilisation populaires des citoyens.» À cet égard, est-ce que vous pensez qu'il y aurait lieu d'offrir un meilleur soutien aux cliniques juridiques ou aux groupes comme le vôtre qui travaillent, finalement, qui offrent des services, des services qu'on peut aussi qualifier de juridiques? Parce que c'est de l'information au niveau des lois. Vous ne faites pas, évidemment, l'analyse des seuils d'admissibilité et tout ça, mais vous offrez les services à la population, vous faites de l'information, de la prévention, etc. Est-ce que ce rôle de l'État devrait être augmenté?

Mme Rainville (Diane): Si je ne me trompe pas, en 1972, quand il y a eu l'adoption de la Loi sur l'aide juridique, on avait parlé de mettre sur pied différentes cliniques juridiques et, à ma connaissance, il n'y a pas eu vraiment de développement de ce côté-là, sauf que le fait qu'on existe comme organisme de défense ou communautaire, d'information, il y a effectivement une demande, et je pense qu'il y aurait moyen d'avoir une certaine reconnaissance, à tout le moins, du travail que l'on fait dans nos organismes présentement.

(16 h 20)

Mme Caron: Une question peut-être un petit peu plus pointue. Il y a un programme, qui a été créé, de soutien aux organismes communautaires qui offrent des services au niveau juridique. Est-ce que vos regroupements se classent dans la catégorie de groupes qui peuvent obtenir de l'argent dans ces programmes?

Mme Rainville (Diane): Est-ce que vous parlez des programmes de soutien qui ressortaient du Sommet de la Justicet? Non, parce que nous sommes exclus. Parce que notre champ de pratique est justement la défense et l'information des droits, à ce moment-là, on n'a pas accès à ces programmes.

M. Leduc (Jean): Le programme, c'est l'accessibilité à la justice, quelque chose comme ça. On présente des projets. La plupart des groupes, membres de l'Association, ont présenté un projet, et la plupart, je veux dire, la totalité des organismes ont été refusés au niveau du projet parce que... Je ne me souviens pas au niveau textuel, il y avait: sont exclus... patitata... Mais ceux qui, je pense, en font principalement une pratique... vaguement, de mémoire un peu... Évidemment, il y a plusieurs groupes qui pouvaient compter sur cette source de financement, parce que chaque groupe est quand même assez limité. L'AMACQ de Montréal, c'est l'AMACQ de Montréal dans le sens qu'il y a une permanence, il y a quatre permanents, il y a des comités avec une permanence, tandis qu'au niveau des autres groupes, à l'extérieur... Nous autres, en région, souvent, c'est une personne qui travaille, qui doit faire au niveau de l'information, au niveau de la défense. Souvent, ils ne font pas de représentation au niveau des tribunaux administratifs parce qu'ils n'ont pas le temps, mais ils essaient d'encadrer les prestataires qui sont dans le besoin. Et eux aussi, leur taux de réussite, souvent, il n'est pas juste en partie, c'est total. Au niveau de la totalité, c'est 80 %. Si les groupes ne le faisaient pas et que les gens ne sont pas admissibles à l'aide juridique, ces gens-là... Il y a, je ne me souviens pas le pourcentage, je crois que c'est 6 % des gens qui contestent au niveau d'une décision. On ne peut pas faire, au niveau du MAC de Montréal, que ce soit aussi au niveau de l'Association ou des groupements, on ne peut pas faire plus de publicité que ça, parce qu'ils ne peuvent pas fournir.

Mme Caron: Je voulais vous entendre sur ce programme-là, parce que, lorsque le programme a été présenté, lorsque le programme a été annoncé, il a suscité quand même beaucoup d'espoir du côté des organismes communautaires. Et plusieurs ont effectivement présenté des demandes, et, à ma connaissance, beaucoup de groupes ont été écartés, et des groupes qui, à mon avis, touchaient à l'aspect juridique, peut-être pas de la même façon qu'une clinique juridique officielle d'organismes communautaires. C'est pour ça que je voulais vérifier, parce que, à ma connaissance, certains de vos groupes avaient été écartés. Aussi, les associations de consommateurs, certains groupes voulaient présenter un aspect beaucoup plus précis de cliniques au niveau juridique et se faisaient aussi écarter pour les mêmes raisons. Or, c'est pour ça que je voulais vous entendre là-dessus, pour vérifier si j'avais la bonne information.

Mme Rainville (Diane): Nous sommes aussi membres de SOS Fonds juridique, je pense qu'ils ont présenté leur mémoire ici. C'est ça, c'est qu'on est expressément exclus parce que notre champ de pratique, c'est l'information, le droit, la représentation. Ça fait qu'on était, pour plusieurs des membres de SOS Fonds juridique... les gens sont exclus, les organismes sont exclus.

Mme Caron: Et ce qui est un petit peu... en tout cas, ce qui m'étonne un peu là-dedans, c'est que, finalement, on se dit tous que c'est extrêmement important, pour déjudiciariser aussi, d'informer – c'est la base, l'information aux gens; la prévention, ça commence par l'information – que c'est là qu'il faut axer et, lorsque les groupes font ce travail-là, au niveau de la reconnaissance pour soutenir, pour le faire, bien, là, ça n'existe pas. Alors, c'est un petit peu incohérent. Je pense qu'à ce niveau-là ça vous limite au niveau de votre action, puis votre rôle est, d'abord et avant tout, par l'information, de faire aussi de la prévention.

Alors, bon, moi, j'apprécie vos réponses là-dessus. J'aurais une dernière question.

Le Président (M. Gobé): Alors, il faut qu'elle soit très brève et très courte parce que nous arrivons à la fin du temps qui vous est imparti.

Mme Caron: Une minute et demie.

Le Président (M. Gobé): Ah! une minute et trente-cinq, même, si vous voulez.

Une voix: ...

Le Président (M. Gobé): Non, mais c'est... Je pense que...

Mme Caron: Oui, vous étiez en accord avec le fait que, finalement, l'important, c'était l'information et la prévention...

Le Président (M. Gobé): Ah! bien, là, vous ne pouvez pas dicter la réponse, là.

Mme Caron: Parce que M. le ministre n'avait pas eu la réponse, mais, moi, j'avais cru comprendre que étiez d'accord avec ça, que vos groupes devraient normalement être reconnus.

Mme Rainville (Diane): C'est exactement ce que j'ai dit tantôt. Justement, on aimerait que le travail d'information que l'on fait soit reconnu, ce qui n'est pas exact présentement.

Le Président (M. Gobé): Est-ce que c'est tout, madame?

Mme Caron: Mme Rainville, merci beaucoup, M. Leduc aussi, pour votre participation à nos travaux.

Le Président (M. Gobé): Mme Rainville, M. Leduc, merci. Cela met fin à votre présentation ainsi qu'aux questions qui vous étaient adressées par les membres du gouvernement et de l'Opposition. Alors, vous allez pouvoir maintenant vous retirer. M. le ministre, il vous reste une minute...

M. Lefebvre: Une minute...

Le Président (M. Gobé): Une minute et quarante-cinq.

M. Lefebvre: Alors, je n'utiliserai pas le temps qu'il me reste, M. le Président, si vous le permettez...

Le Président (M. Gobé): Non, c'est parce qu'on essaie de récupérer le temps en même temps. Vous comprendrez que...

M. Lefebvre: Oui, mais juste quelques minutes, si vous le permettez, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Allez-y, M. le ministre, vous avez le temps.

M. Lefebvre: Mme Rainville, lorsque vous suggérez que vos groupes soient reconnus, est-ce que je dois comprendre que c'est une reconnaissance qui aurait strictement une connotation financière? Qu'est-ce que vous entendez pas ça, que vos groupes... Parce que, si je comprends bien votre exposé, d'ailleurs très, très, très bien fait, précis, il y a plein de monde qui vous reconnaissent et qui ont recours à votre expertise, à vos services, qui utilisent l'Association des Mouvement action-chômage, vous êtes connus et reconnus. J'aimerais vous entendre là-dessus, Mme Rainville ou M. Leduc. Ça veut dire quoi, être reconnu? Selon vous, là.

M. Leduc (Jean): Au niveau de la reconnaissance, il peut exister une certaine ambiguïté, mais, sûrement, elle est moindre chez l'éventuel bailleur de fonds, si c'est le gouvernement. La pratique qu'on fait, c'est parce qu'il y a un besoin au niveau de la représentation, au niveau de la défense. Mais il y a un volet important au niveau de l'Association que chaque groupe pratique aussi, c'est au niveau de l'action politique. Il y a des modifications qui sont faites; entre autres, notre expertise est au niveau de l'assurance-chômage, et, à toutes les fois qu'il y a une réforme, alors là, c'est soit qu'il y a une hausse au niveau des admissibilités – et là, la prochaine, c'est le projet de loi C-17. Alors, c'est évident qu'on est un groupe de pression aussi. Habituellement, les gouvernements n'apprécient pas tellement les positions qu'on prend. Est-ce qu'ils seraient d'accord de subventionner strictement sur la pratique à partir d'expertises et, en même temps, en sachant que de se servir de ces sommes pour, éventuellement... pour critiquer les positions que, je pense que, de toute façon, si on est en démocratie...

M. Lefebvre: Bien sûr.

M. Leduc (Jean): ...ça doit être fait d'une façon ou d'une autre. La reconnaissance, elle doit être faite spécifiquement, je crois, au niveau de notre expertise, de notre principale pratique qui est au niveau du service juridique, effectivement.

M. Lefebvre: D'accord. C'est ça que vous souhaitez.

M. Leduc (Jean): Mais il y a l'autre volet, évidemment, que vous sembliez soulever aussi.

M. Lefebvre: Oui, d'accord. Vous dites, à la page...

Mme Rainville (Diane): Peut-être que je peux répondre.

M. Lefebvre: Oui, madame.

Mme Rainville (Diane): C'est parce que, quand on parle des programmes de soutien, où on est expressément, finalement, exclus des programmes de soutien, ce qui arrive, c'est que, si on a un cas type à présenter qui serait à l'avantage des bénéficiaires ou des prestataires d'assurance-chômage, on ne peut pas le présenter, ce cas type, parce qu'on ne peut pas réussir à avoir de programmes de soutien. Je ne sais pas si vous avez eu connaissance de la cause Tétreault-Gadoury. À ce moment-là, on avait réussi à avoir une certaine subvention pour pouvoir amener la cause devant les tribunaux. Si on n'a aucune reconnaissance ou accès à aucun programme de ce genre-là, c'est sûr qu'on ne peut pas aller de l'avant avec certaines causes qui seraient peut-être bénéfiques pour l'ensemble de la population, des travailleurs et des travailleuses.

(16 h 30)

M. Lefebvre: D'accord. Vous dites, à la page 6 de votre mémoire, Mme Rainville: «Nous n'avons nullement l'intention d'identifier les domaines de droit dans lesquels – vous parlez du ministre ou du gouvernement – il doit couper.» Je ne veux pas vous tendre de piège, d'aucune façon, ce n'est pas mon intention, Mme Rainville. Ma question, elle est beaucoup plus large que ça. Est-ce que vous considérez, en dehors des tribunaux administratifs... et vous avez raison lorsque vous dites que les tribunaux administratifs sont, pour un citoyen qui se retrouve seul devant ces structures complexes, vous avez raison de suggérer, vous n'êtes pas le premier groupe qui le faites, de suggérer qu'on ne coupe pas les services d'aide juridique. Vous savez, quand Mme la députée de Terrebonne dit que l'État a posé des gestes qui font qu'aujourd'hui le citoyen est pris avec des organismes extrêmement complexes, elle a parfaitement raison. La Commission de protection du territoire agricole, ça en est une de ces commissions extrêmement complexes; c'est un chef-d'oeuvre de M. Garon, ça a été bien fait. La commission des accidents d'automobile du Québec, c'est Mme Payette. Or, il n'y a pas une semaine, dans mon bureau de comté, où je n'ai pas des citoyens qui viennent me rencontrer, et où je suis pris à discuter avec des fonctionnaires qui, de bonne foi, demandent plein de renseignements: Commission de protection du territoire agricole, Commission d'accès, commission d'accidents automobiles du Québec.

M. Leduc (Jean): On faisait référence à l'État, pas au gouvernement comme tel.

M. Lefebvre: Non. Mais, moi, je rappelle des exemples précis pour éclairer Mme la députée de Terrebonne, et je lui donne raison, elle a raison. Est-ce que, Mme Rainville, il y a des secteurs d'activité, en droit pénal ou en droit criminel, où on pourrait imaginer la possibilité d'exclure les services de l'avocat, selon vous?

Mme Rainville (Diane): C'est justement là qu'on ne voulait pas embarquer.

M. Lefebvre: D'accord.

Mme Rainville (Diane): On mentionnait, dans le mémoire, qu'on ne voulait pas pointer... vous présenter différents scénarios, et on ne veut pas pointer certains domaines du droit. Notre expertise est en tribunaux administratifs...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Rainville (Diane): On vous dit que c'est nécessaire de garder l'admissibilité à l'aide juridique pour les gens qui ont besoin de se représenter devant les conseils arbitraux. Mais notre intention n'est pas de pointer des domaines de droit, parce que... On le sait, c'est toujours plus vert chez le voisin, ou, en tout cas...

M. Lefebvre: Oui, oui, je comprends, madame...

Mme Rainville (Diane): Ça fait que...

M. Lefebvre: ...Mme Rainville.

Mme Rainville (Diane): ...quand on n'a pas d'expertise dans un domaine particulier, on n'a pas à pointer du doigt ce domaine-là. On ne sait pas, en réalité, quels domaines du droit devraient... Notre intention, c'est de vous dire que c'est important de maintenir l'accès à l'aide juridique pour les gens qui ont besoin de se présenter devant les tribunaux administratifs. On ne veut pas pointer des domaines du droit.

M. Lefebvre: Non. J'ai compris, madame.

Mme Rainville (Diane): On ne veut pas étudier des domaines du droit et vous dire que vous devriez plutôt couper dans ce domaine-là.

M. Lefebvre: Mme Rainville, M. Leduc, je vous remercie de nous avoir donné un éclairage sur un point très précis, et vous insistez là-dessus: Les tribunaux administratifs, Mme Rainville – encore une fois, je me répète, là – je suis conscient qu'un citoyen qui est pris face à la CSST, légalement, ce n'est pas facile. Je suis très conscient de ça. Mme Rainville, M. Leduc, je vous remercie de nous avoir soumis un mémoire qui est bien fait et d'avoir bien voulu nous l'expliciter cet après-midi. Merci, madame. Merci, monsieur.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci, M. Leduc, Mme Rainville. Donc, vous pouvez maintenant vous retirer. Je vais suspendre les travaux deux minutes afin de permettre aux représentants du groupe suivant, soit ceux de la Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées du Québec, de prendre place. La commission est maintenant suspendue.

(Suspension de la séance à 16 h 33)

(Reprise à 16 h 36)

Le Président (M. Gobé): Si vous voulez bien prendre place. M. le vice-président de la Chambre, il me fait plaisir... Alors, il nous fait maintenant plaisir d'accueillir la Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées du Québec, qui est représentée par Mme Lucie Lemieux-Brassard, qui est la présidente de l'organisme.

Alors, bonjour, madame. Il nous fait plaisir de vous accueillir. Bienvenue dans cette Assemblée. C'est la maison du peuple et du citoyen. Alors, vous avez maintenant, à ce titre, la parole pour une période de 20 minutes. Par la suite, M. le ministre se fera un plaisir de discuter ou de dialoguer avec vous pour une autre période de 20 minutes, ainsi certainement que Mme la représentante de l'Opposition, Mme la députée de Terrebonne. Alors, Mme Lemieux, vous avez la parole.


Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées du Québec (COPHAN)

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Merci bien. Alors, je pense que ce qui est important pour nous, si on se replace dans un contexte historique, c'est vraiment de se replacer dans tous les débats et tous les travaux qui ont été faits par le sous-groupe de travail des personnes handicapées lors du Sommet de la Justice de 1992. Plusieurs des points que l'on soulève ont été très bien abordés par ce sous-groupe de travail. Ce qu'on trouve aberrant, c'est qu'aucune suite n'ait été donnée à aucune des recommandations de ce sous-groupe de travail. Je reviens aujourd'hui avec encore les mêmes recommandations parce que la situation est encore la même, sinon pire. Également, comme mes prédécesseurs, une des grosses craintes qu'on a au niveau de la coupure des services au niveau des tribunaux administratifs – c'est là que la clientèle des personnes handicapées se retrouve, lorsqu'elle se retrouve quelque part parce qu'elle a préalablement reçu de l'information, ce qui est notre problème principal... Et ça, c'est un problème qui a été soulevé par le sous-groupe de travail, qui avait été soulevé dans le rapport Macdonald aussi: l'accès à la justice. Mais l'accès aux intervenants juridiques, l'accès à l'information juridique, il n'est pas là pour les personnes handicapées, et pour la majorité d'entre eux.

Que l'on considère l'absence de médias substituts, que l'on considère l'absence de simplification de l'information, si on regarde toute la communauté sourde du Québec, déjà, au niveau du langage signé du Québec, ou même des oralistes, c'est bien de valeur, mais la technologie ou la terminologie juridique n'est pas traduisible dans leur langage gestuel. Sans simplification ou vulgarisation de cette information-là, l'information ne s'y rend pas. Simplification du matériel ou du contenu des droits ou des services offerts également pour toute la population des audi-muets, des déficients intellectuels légers, qui sont plus à même, eux, de travailler, mais toute la clientèle en général.

(16 h 40)

Dans le mémoire, je soulève des points très importants en termes des obstacles majeurs. Ce que je trouve un peu déplorable, c'est, finalement, qu'on se retrouve à ramener les mêmes obstacles qui ont été soulevés lors du Sommet de la Justice. Je peux vous dire, pour avoir pratiqué comme criminologue pendant 17 ans... Je vois que la chanson est toujours la même et que ça se répète continuellement. Sauf que, moi, je me dis: J'ai été une personne privilégiée de connaître les services d'aide juridique, de connaître la loi. Pourtant, quand on m'a envoyé mon congédiement administratif pour cause d'invalidité, suite à un acte de civisme, et que je n'ai pas pu me défendre auprès de la CSST parce que je n'avais pas d'argent pour me payer un avocat... Mais si moi, qui travaille dans le système depuis 17 ans, je ne peux pas le faire, qu'est-ce qui se passe pour la majorité des gens de la communauté des personnes handicapées? C'est déplorable.

Je vais aller directement, peut-être, aux points qui semblent être... des points qui sont oubliés ou qui ne sont pas connus, je pense, des services, à part, peut-être, de certains membres de l'Office des personnes handicapées. Des fois, on se demande même si eux reconnaissent également cette réalité-là ou, en tout cas, tous les aspects de notre réalité. Dans le mémoire, je parle, entre autres, à la page 3, d'«évaluer la situation financière des personnes handicapées en soustrayant tous les coûts supplémentaires inhérents à leur handicap et à leurs limitations fonctionnelles.» Je ne suis pas certaine que la majorité des gens, ici, savent exactement à quoi je réfère lorsque je parle de tous les coûts inhérents et de l'étendue réelle de l'importance de ce problème. Je pense que, de prime abord, c'est peut-être un peu plus flagrant au niveau des médicaments non couverts par l'aide sociale pour ceux qui sont sur l'aide sociale, mais non couverts par la Régie des rentes, pour les autres. On sait aussi que la majorité des personnes handicapées qui n'ont pas d'emploi et qui ne sont pas sur l'aide sociale n'ont pas d'assurance privée. Donc, il y a un coût supplémentaire très important au niveau des médicaments. C'est d'ailleurs quelque chose qui se soulève quand on parle du fonds de compensation universel, lorsqu'on parle d'intégration au travail comme faisant partie de l'intégration sociale. Mais quand une personne handicapée entre dans un poste pour un emploi, malheureusement, les programmes d'assurance collective excluent les personnes handicapées parce qu'elles ont déjà un problème médical existant avant la demande d'application de l'assurance. Donc, il faut exclure, dans la majorité des cas, le recours ou le support à une assurance privée, une assurance-médicaments.

En plus des médicaments, on parle d'équipements d'appoint. Que ce soit un coussin, des oreillers, des matelas – que ce soit coquille d'oeuf ou eau – de banc de bain et de banc de douche, de siège de toilette surélevé, d'ustensile spécial, d'équipement technique comme les triporteurs, tout ce que j'énumère maintenant n'est pas couvert par le régime d'assurance-maladie du Québec. Et ça, c'est dans la mesure où... Parce qu'il y a des frais qui sont couverts, dans la mesure où on qualifie pour et qu'on réussit à convaincre que, oui, on y a droit. J'attends personnellement un banc de bain depuis quatre ans, ce qui est aberrant. Mais c'est la réalité. On parle également de coûts supplémentaires face à un réaménagement à l'intérieur du domicile, soit dans le cas d'une maladie évolutive, d'une situation progressive ou de quelqu'un qui devient handicapé.

Jusqu'à tout récemment, on disait, dans le milieu: Si tu as à devenir handicapé, tu es mieux de l'être et d'être couvert par la SAAQ ou par la CSST, tu as plus de chances d'obtenir tes services. Sauf que, dans la dernière année, on reçoit énormément de plaintes également de cette clientèle-là, parce qu'ils n'ont pas plus les services. Les services sont de plus en plus coupés. Qu'on parle de niveau de maintien à domicile, qu'on parle au niveau d'orthèses, prothèses, ou d'avoir le support, l'expertise, il y a des contestations de tous côtés. On parle également de coûts supplémentaires au niveau des vêtements, des chaussures, des accompagnateurs, des aides, d'avoir à préparer la nourriture. Il y a des dépenses supplémentaires où je ne peux plus faire ce que je faisais avant. Juste au niveau de l'énergie et du temps supplémentaire qui est nécessaire, juste la planification préalable pour un rendez-vous médical... Oui, je peux prendre un rendez-vous, que ce soit médical, que ce soit à la Régie des rentes, que ce soit à la RAMQ, mais c'est toujours conditionnel à ce que, deux jours avant, j'appelle le transport adapté et que je l'aie pour me rendre chez vous. C'est aussi conditionnel à ce que l'édifice gouvernemental soit accessible, ce qui n'est pas le cas... Si on regarde le rapport et la liste que la SIQ nous a fournis lors du forum national, en mai dernier, où les 10 000 000 $ vont être mis pour rendre l'accessibilité, bien, il n'y en a pas gros. Et si on regarde, là-dedans, la liste des palais de justice qui ne sont pas accessibles, la liste des tribunaux administratifs ou des édifices gouvernementaux où se tiennent les audiences des tribunaux administratifs, ce n'est pas accessible, et encore moins les bureaux d'avocats. À ce moment-là, quand on parle de problèmes d'accès à la justice, ce n'est pas juste au niveau des coûts et de l'accessibilité à l'aide juridique, mais vraiment au niveau de l'accessibilité architecturale, de l'accessibilité à l'information et aussi de l'accessibilité à la qualité de services que tout citoyen, si on se fie au principe de base qui a été énoncé par le ministre Choquette, à l'époque, et d'autres depuis... Je veux dire, les principes de base sont très adéquats, pour nous. Le problème, c'est que tant et aussi longtemps qu'on va se limiter à étendre ces principes seulement à la population qui est sur l'aide sociale, je m'excuse, mais on passe à côté du principe de base, parce qu'on refuse l'accès à la justice et au maintien et à la défense des droits des personnes qui en ont besoin, dont la clientèle des personnes handicapées.

Quand on parle d'inaccessibilité, bon, il y a l'inaccessibilité physique. Pour les gens qui me voient en fauteuil roulant, c'est très évident. On s'attend à avoir des rampes, à avoir des couloirs qui se tournent. Bien, je peux vous dire que, pour entrer ici aujourd'hui, ça m'a pris trois quarts d'heure parce que la rampe d'accès à la porte 5, elle a 4 pouces de haut. Je ne peux pas la prendre. Il faut que j'attende qu'il y ait quelqu'un pour me tirer par en arrière. Pourtant, j'ai un moteur là-dedans. La personne qui est à mobilité réduite qui n'est pas en fauteuil, la personne qui est aveugle et qui a sa canne, bien, ça fait une butte de plus. Mais ça, on le rencontre partout.

Il y a un autre manque d'accessibilité qu'on a peut-être tendance à oublier ou qui n'est pas aussi flagrant, c'est le besoin d'interprétariat pour les personnes sourdes, les personnes sourdes-muettes, les audi-muettes et les médias substituts pour les personnes aveugles. Quand j'ai appelé pour avoir le document de base pour préparer le mémoire, j'ai demandé une copie en média substitut et une copie régulière. Au téléphone, la première réponse, ça a été: C'est quoi, ça? Bon. J'ai eu un téléphone par la suite, j'ai expliqué: Vous devez sûrement l'avoir sur traitement de textes. Je ne vous demande pas nécessairement une cassette audio; juste en WordPerfect 5.1, on va pouvoir le passer et, de là, le mettre sur Iris pour les personnes aveugles. Mais ça n'a pas été évident. Et du braille, bien, on n'ose pas en demander non plus parce qu'il y en a très peu, d'autant plus que les services pour mettre en braille, il n'y en a pas beaucoup. Ce sont d'ailleurs des coupures qui ont été absorbées dans la dernière année aussi. Donc, c'est comme ça qu'on essaie de s'arranger. Mais ça, c'est un problème au niveau de la simplification du langage aussi.

Il y a inaccessibilité, aussi, au niveau de l'accueil par le personnel dans les services juridiques en général, dans les services de justice, en général. Les gens ne savent pas trop comment nous prendre. Moi, je me considère chanceuse, je suis encore très articulée, mais je regarde des gens qui siègent sur mon C.A., qui sont très brillants, qui ont des doctorats, mais qui, quand ils se pointent à un service, parce qu'ils ont de la paralysie cérébrale, qu'ils sont tout croches et qu'ils ne sont pas capables d'être bien compris, la qualité des services, elle est grandement diminuée. Les gens ne savent pas vraiment comment nous approcher et approcher ces gens. De la même façon, de demander des services et que tu demandes un interprète...

(16 h 50)

Il est reconnu, dans le milieu, que les personnes sourdes développent une habileté à travailler avec certains interprètes gestuels réguliers. Malheureusement, ce n'est pas nécessairement reconnu dans tous les tribunaux, et, à l'heure actuelle, dans le système de justice, on fournit les interprètes. Mais ça, ça ne passe pas. C'est une réalité, c'est un autre obstacle qui se dresse, parce que le lien de travail, la communication entre cet interprète qui est catapulté dans la salle d'audience et la personne, ça ne répond pas. Alors, ça, c'est des... Ça rejoint aussi, finalement, tout ce dont on avait parlé, d'obstacles reliés à l'information. J'essaie de vous donner... Je n'ai pas vraiment l'intention de repasser tout le mémoire, je pense que vous l'avez tous eu. C'est plus de donner de l'information qui n'y est pas mentionnée et de faire le parallèle avec les recommandations du sous-groupe.

Je sais que, dans le sous-groupe, une des recommandations était à l'effet de la formation des intervenants de la justice et de former autant la magistrature, les professionnels, les employés de première ligne, les préposés au comptoir, les policiers, mais aussi les gens en milieu carcéral, parce que la réalité est que... Par exemple, une personne sourde qui se retrouve en détention, elle est mise en détention spéciale avec les cas très lourds, les agresseurs sexuels et tout autre, parce qu'on ne sait pas quoi faire avec elle. Les cas de mobilité réduite, bien, on en a justement eu un exemple durant le forum d'intégration, au mois de mai. Celui qu'on appelle Gino la terreur, ça fait plusieurs fois que le juge sentence sa détention, mais, comme il n'y a pas un établissement de détention accessible, il n'a pas de place. Sauf que, là, le juge a tenu tête et a obligé le directeur de Bordeaux ou de Parthenais à lui trouver une place. Mais la pratique est que ce n'est pas le cas. La raison de mon congédiement administratif pour cause d'invalidité, comme agent de probation et agent de liaison au tribunal était que, dans ma description de tâches, je devais aller rencontrer mes clients en détention et que les établissements de détention n'étaient pas accessibles.

Cette clientèle-là, on fait quoi avec? Parce que, dans le milieu, on dit aussi: Ce qu'on veut, c'est à qualité égale de ce que les autres ont. Il y a eu une époque où on a demandé beaucoup de discrimination positive pour obtenir un minimum, sauf qu'il y a des choses, il y a un minimum qui a été obtenu. La tendance est maintenant drôlement à: Parfait! Ce qu'on demande, c'est d'avoir au moins la même qualité de services et les services que M. et Mme Tout-le-Monde ont. À ce moment-là, c'est peut-être mon biais professionnel, mais je me dis qu'il y a des délinquants et des criminels qui sont handicapés aussi; il y en a qui le deviennent lors de délits, mais il y a aussi des services de ce côté-là. Ici, aujourd'hui, il y a tout l'aspect d'avoir accès à de l'aide, à du support professionnel pour permettre de défendre nos droits comme personnes à part entière, mais d'avoir accès au support, donc aux avocats; pour la majorité de notre clientèle, c'est l'aide juridique, à cause justement des coûts supplémentaires qui sont apportés.

Malheureusement, si je regarde les statistiques dans le document de base qu'on nous a envoyé, il n'y a, si je me rappelle bien, que 2,23 % des bénéficiaires de l'aide juridique qui recevaient de la Régie des rentes du Québec. Est-ce que ça veut dire que les 38,73 % des autres personnes étaient sur l'aide sociale? Moi, je peux vous dire que ce n'est pas le cas, parce qu'on reçoit des demandes, des appels à l'aide. Que ce soit au niveau de la Confédération ou des regroupements d'organismes régionaux de promotion, de défense des droits, il y a des personnes qui reçoivent une rente de la Régie ou qui reçoivent un minimum d'assurance-invalidité parce qu'elles ont déjà travaillé ou que le conjoint a un travail. Donc, elles n'ont pas d'aide sociale, alors elles n'ont pas accès au service, sinon en passant par le pouvoir discrétionnaire du directeur régional. Sauf que, ça, moi, je peux vous dire que, après avoir travaillé 17 ans dans le milieu et avec l'aide juridique – parce que la majorité de mes clients dans l'Outaouais et en Haute-Gatineau, à l'époque, c'étaient les permanents de l'aide juridique et les mandats donnés aux autres – je ne connaissais pas ce pouvoir discrétionnaire. Je l'ai connu pour avoir eu à y faire face, il y a deux ans. Et quand on dit: Bien oui, mais quand l'aide juridique est refusée, c'est écrit à l'endos du papier quels sont les recours. Bien, c'est écrit, pas en braille, pas en médias substituts; ce n'est pas non plus dans un langage qui est compréhensible par des personnes sourdes ou par celles qui ont besoin d'une simplification.

L'autre chose aussi, c'est: Si la majorité des édifices ou des bureaux d'avocats ne sont pas accessibles, toutes les démarches pour pouvoir se rendre devant le comité de révision, de dépendre et d'espérer avoir du transport adapté pour s'y rendre, c'est des démarches, c'est des obstacles supplémentaires. D'où la demande que, nous, on faisait, que les critères qui sont considérés lors de l'établissement du pouvoir discrétionnaire du directeur régional, que, dans le cas de l'évaluation d'admissibilité des personnes handicapées, ça puisse être standardisé dès le départ, parce que, effectivement, les coûts supplémentaires sont... En tout cas, à ma connaissance, dans ceux qui ont poussé plus loin et qui se sont servis du pouvoir discrétionnaire, ils sont considérés, mais qui... Il faut le savoir.

Le Président (M. Gobé): Alors, Mme Lemieux, il vous reste 15 secondes pour votre conclusion. Conclusion rapide – ça peut être 30 secondes aussi, remarquez bien, mais...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Conclusion rapide, oui, parce que...

Le Président (M. Gobé): C'est une manière de vous indiquer que le temps est terminé...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Oui, bien, c'est ça...

Le Président (M. Gobé): ...et qu'on va devoir passer à M. le ministre.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): De toute façon, je pense que ça pourra plus sortir durant les... ou en réponse aux questions. Je pense que, comme conclusion, ce que j'ai à mentionner, c'est la grosse insatisfaction du fait qu'aucune des recommandations du sous-groupe de travail des personnes handicapées lors du Sommet de la Justice n'a été entérinée et appliquée jusqu'à maintenant et que, quand on parle de compensations ou de partage des coûts, on a des politiques ministérielles, à l'heure actuelle, qui les reconnaissent et qui les absorbent, et qu'il pourrait très bien être possible de faire la même chose ou d'avoir la même chose au niveau du ministère de la Justice.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci, Mme Lemieux. M. le ministre, vous avez maintenant la parole.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Mme Lemieux, je vous salue. Je vous remercie d'être là au nom de la Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées. Ça regroupe beaucoup de personnes, au Québec, qui vivent des situations telles que vous les avez décrites, quotidiennement difficiles quant à l'accès aux services de justice; dans un premier temps, tel que vous l'avez décrit, des difficultés d'accès purement physiques, là. C'est ce que je comprends lorsque vous parlez de difficultés architecturales ou de barrières architecturales. Je veux, dans un premier temps, Mme Lemieux, vous assurer d'une chose: En principe, la règle, ici, c'est que les handicapés ont accès au parlement par la porte 5; j'ai fait vérifier au moment où vous nous indiquiez que vous aviez eu certaines difficultés. Soyez assurée que je fais immédiatement le message pour que... Et, de façon générale, on m'indique, moi, que ça va assez bien. Ça pourrait être un accident de parcours, un accident isolé, aujourd'hui, mais je veux tout de suite vous indiquer que je fais le message aux responsables de l'accès pour que, en tout temps, les handicapés aient un accès facile, facile, au parlement, que vous êtes chez vous ici, Mme Lemieux.

Je veux aussi... je veux vous poser une question. Est-ce que vous n'avez pas senti, au cours des deux dernières années, mais particulièrement cette année, un effort qu'on a fait, au ministère de la Santé et des Services sociaux, pour procéder à plein de travaux un petit peu partout, dans des édifices publics particulièrement, au niveau des palais de justice, pour les rendre plus accessibles aux handicapés? Il y a eu, d'ailleurs, un programme très spécifique...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Oui.

M. Lefebvre: ...d'intervention au niveau des palais de justice pour les rendre plus accessibles. Est-ce que vous l'avez constaté, Mme Lemieux?

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Oui. Bien, je l'ai constaté. Oui, je suis allée à Maniwaki...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): ...où j'étais l'agente de probation, et, depuis un an, ils essaient de mettre un ascenseur qui n'est toujours pas pas là, mais je sais que l'intention est là, parce qu'ils sont en train de le faire. Il faut aussi réaliser que, quand on parle d'accessibilité – et on regarde dans l'annonce, entre autres, que le président du Conseil du trésor a faite lors de la clôture du forum, au mois de mai – on parle d'accessibilité physique. Qu'est-ce qui arrive des sourds et des aveugles? Parce qu'on ne parle pas d'accessibilité universelle.

M. Lefebvre: Non, mais je vais y arriver, à ça, tout à l'heure, Mme Lemieux.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: C'est parce que vous... Dans un premier...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Il y a, dans certains... Si je regarde le document qui nous a été remis par la SIQ...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): ...il y a effectivement des palais de justice et certains centres de détention qui sont proposés, dans lesquels il y aura, effectivement, des modifications à être faites...

M. Lefebvre: Et dans plusieurs...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): ...et ça, je le reconnais.

M. Lefebvre: Et dans plusieurs cas, les travaux sont soit en cours...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): C'est ça.

M. Lefebvre: ...ou encore exécutés au cours de la dernière année. Vous êtes au courant de ça?

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Oui.

(17 heures)

M. Lefebvre: Est-ce que, Mme Lemieux... On me dit, et vous le savez sûrement, qu'il y a plus ou moins 110 points de service d'aide juridique au Québec; 110 environ, 110 bureaux d'aide juridique. C'est les informations qu'on me donne. Évidemment, je n'ai pas fait le tour, moi, de tous les points de service au Québec, mais on me dit que plus ou moins 75 % – et, évidemment, idéalement, il faut que ce soit 100 % des points de service – des bureaux d'aide juridique sont accessibles aux handicapés. Et, dans les cas où ils ne le sont pas, où on n'a pas eu le temps de faire les interventions, les avocats, les permanents de l'aide juridique se déplacent, soit se rendent à l'automobile de la personne handicapée et, dans certains cas, se rendent même au domicile. Est-ce que c'est à votre connaissance, Madame Lemieux?

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Je l'ai lu dans les documents, dans certains documents, mais ce n'était pas directement identifié comme la situation au Québec; c'est plutôt un dossier qui est proposé, de pallier, et qui est utilisé en Ontario. Quant aux recommandations qui ont été faites lors du Sommet de la Justice, on suggère la création d'un service-conseil ou d'un service juridique qui pourrait ressembler à celui qui se fait ou qui existait déjà en 1992 en Ontario, où les avocats, effectivement, se rendaient chez les clients. Je n'ai pas, à ma connaissance, l'information que ça soit le cas au Québec. Moi, je peux vous dire que, selon l'information que je reçois et ce que j'ai vécu, il y a des places où c'est carrément impossible de les rendre accessibles, et ça, juste par les lieux physiques, et c'est réaliste.

Ce que je reçois comme plaintes au bureau et ce je refile à l'Office, à l'OPHQ, c'est le fait que, premièrement, il y a un problème d'accessibilité, d'une part, il y a des façons d'y pallier. Et je pense que, dans la mesure où on peut le prévoir d'avance, il y a toujours des rampes temporaires, et tout le kit. Sauf que, là, ça revient aussi au supplément, que j'ai soulevé tantôt dans la planification préalable, et tout ce que ça implique. Ça peut se faire, mais, pour ça, il faut commencer par avoir l'information, savoir ce qui existe, ce qui n'existe pas. Et je doute que la majorité ou même une infime partie des personnes handicapées puisse se permettre d'aller faire un tour autour du palais de justice de sa ville deux, trois fois pour savoir: Par où je rentre? Qu'est-ce que je vais pouvoir faire quand je vais avoir à me présenter ici? L'information ne circule pas.

M. Lefebvre: Sauf que, Mme Lemieux, vous allez admettre avec moi – et c'est peut-être ce que vous suggérez, d'ailleurs – que cette information aux handicapés dans une région ou dans une ville précise peut être diffusée par l'association des handicapés, à savoir – remarquez bien que ça peut être également la Commission des services juridiques qui indique à cette clientèle-là qu'il y a des accès faciles à l'immeuble pour les handicapés en fauteuil roulant. Est-ce que c'est une information qui, à votre connaissance, dans certaines villes, est diffusée par l'association des handicapés?

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): L'association, je ne sais pas laquelle, parce que, au Québec, il y a plus de 2000 associations de personnes handicapées. C'est une information qui, dans certaines régions, dans les petites régions, pourrait facilement être passée par les regroupements régionaux d'information. Au niveau provincial, je doute que ce soit une information, parce que, au départ, il faut l'avoir. Et, moi, je vais vous dire qu'à la Confédération je ne l'ai pas. Même au bureau de Montréal, il a fallu voir. Et là, ça, c'est quand on parle juste d'aide juridique, d'avocats d'aide juridique, mais il est aussi dit dans les principes de base d'avoir un accès volontaire et un choix de l'avocat ou du représentant qu'on veut avoir, et aussi que ça soit un avocat qui connaisse la réalité et les besoins du groupe ciblé. Et ça, là-dessus, au début, je cite carrément le ministre Choquette, à l'époque. À ce moment-là, je m'excuse, mais, à l'heure actuelle, il y a très peu d'avocats qui ont cette connaissance de la problématique des personnes handicapées, et les avocats qui acceptent de prendre nos causes, ce sont les avocats qu'on appelle «communautaires» ou qui prennent des causes communautaires, puis ils sont en pratique privée. C'est plate, là, mais c'est la réalité à l'heure actuelle.

M. Lefebvre: J'arrivais à cette question-là, qui est extrêmement importante, Mme Lemieux. Vous soulevez dans votre mémoire, à la page 4, que vous souhaitez que «les intervenants de l'aide juridique soient informés et éduqués relativement aux besoins de toutes les personnes handicapées...» Pourriez-vous – c'est très important, ça, évidemment; vous étiez en train de l'aborder, là, ce sujet-là – nous dire quelles sont, à votre connaissance, les défaillances que vous rencontrez le plus souvent chez les permanents de l'aide juridique? Quels sont les commentaires les plus fréquents qu'on vous fait quant à cette faiblesse chez les permanents de l'aide juridique en regard des services à donner aux handicapés? Quels sont les commentaires les plus fréquents qu'on vous fait, Mme Lemieux?

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Ce que j'ai entendu, mettons, dans la dernière année et demie, c'est: Bien, écoute, il ne sait pas vraiment ce que je peux avoir; il va faire de la recherche, mais il faut que j'attende. Est-ce que j'ai droit à ça? Est-ce que j'ai droit à ce service-là? Qu'est-ce qui peut être fait? D'autre part, ce que j'entends aussi... ce que j'entends... ce que je reçois comme information de la part des sourds, parce que la majorité d'entre eux sont tout de même muets ou, en tout cas, parlent gestuellement, c'est qu'il y a une barrière entre l'avocat...

M. Lefebvre: La communication ne se fait pas bien entre les deux.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): La communication ne se fait pas...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): ...d'une part, parce qu'il y a un intermédiaire, mais aussi parce que les avocats, à l'heure actuelle... Et, je le sais, je veux dire, il y a cinq ans, c'était la même chose pour moi. Je trouvais fascinant de voir quelqu'un parler un langage gestuel, mais jamais il ne me serait venu en tête de réaliser qu'il fallait que je change mon vocabulaire, le contenu de mon discours parce que ça ne se traduisait pas en LSQ. Et c'est d'ailleurs une des raisons du format ou du contenu du mémoire.

Je rédige une thèse de doctorat; j'aurais très bien pu rédiger un mémoire très épistémologique, très sociologique, sauf que ma clientèle n'aurait absolument rien compris de ce qui aurait été dans mon mémoire. Et ça, c'est dès la base et c'est, dans le fond, exactement comme quand on parle d'accès à l'information: ce n'est pas juste que l'information existe, mais il faut qu'elle puisse être intégrée par les personnes handicapées. C'est parce que c'est flagrant pour des personnes sourdes. C'est-à-dire que, pour les personnes aveugles, on veut du braille, on veut un substitut, mais pour les personnes sourdes, ce n'est pas juste d'avoir un interprète, puis un interprète qui va être reconnu par les tribunaux ou là où la personne doit aller, mais la simplification du langage, parce que ça ne se traduit pas.

M. Lefebvre: Simplification.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Et, ça, on réalise très bien que c'est une réalité que les gens qui ne sont pas dans le milieu ne connaissent pas.

M. Lefebvre: La simplification de l'approche.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): De l'approche. Et les mots, le vocabulaire, la terminologie juridiques ne se traduisent pas. Ils se traduisent, dans une certaine mesure, dans le ASL, qui est l'American Sign Language, en anglais, mais pas dans le LSQ, qui est le Langage des signes au Québec, qui est français.

M. Lefebvre: M. le président de la Commission des services juridiques, qui est à ma droite, Me Lorrain, et le vice-président, M. Louis-Paul Allard, Mme Lemieux, ont pris bonne note de ce que vous venez de dire. Merci, madame.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. le ministre. Mme la députée de Terrebonne, c'est à vous.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, Mme Lemieux-Brassard, merci beaucoup de votre présentation.

Votre mémoire était déjà très étoffé, mais votre présentation nous a permis d'aller beaucoup plus loin et, je pense, par vos exemples bien précis, de mieux saisir la problématique. J'ai retenu aussi que... Et, ça, il ne faudrait pas l'oublier; je veux bien que le président et le vice-président aient bien compris le message, mais vous avez bien dit que, ce message-là, vous l'avez présenté à multiples reprises, vous l'avez réitéré, puis ça fait des années que vous le passez, le message. On a beau passer des messages, il faut qu'à un moment donné il y ait une volonté politique de mettre en application ces demandes-là.

Lorsqu'on parle de personnes handicapées, la première image qu'on a, on est porté à se limiter, effectivement, à la personne qui est en fauteuil roulant ou à penser peut-être aux personnes qui peuvent avoir d'autres difficultés, mais plus au niveau de handicaps au niveau de la santé mentale, mais on oublie facilement qu'il y a d'autres handicaps qui sont aussi importants et qui amènent d'autres types de barrières. Et, ça, vous l'avez bien présenté.

(17 h 10)

Dans votre mémoire, autant en page 3 qu'en page 12, vous faites référence à tous les coûts supplémentaires dûs à des limitations fonctionnelles, et, ces coûts-là, c'est important. Vous en avez mentionné plusieurs. Moi, je reconnaissais, quand vous parliez d'assurance collective, lorsqu'on avait parlé de couper les médicaments pour les personnes atteintes de fibrose kystique... J'ai un neveu de deux ans atteint de fibrose kystique, et ma soeur avait voulu l'inscrire à son assurance collective. Et elle a reçu une belle réponse: On accepte la famille, sauf le petit qui a la fibrose kystique, parce que, effectivement, on ne peut pas l'assurer. Et c'est ça, la réalité.

Actuellement, lorsque vous faites une demande d'aide juridique, aucun de ces coûts supplémentaires là n'est finalement déduit des revenus de la personne qui...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): ...de l'admissibilité, ils sont reconnus lors de la révision, lorsqu'on passe devant le comité de révision suite à une demande d'appel, finalement, d'utilisation du pouvoir discrétionnaire. Ils peuvent l'être jusqu'à un certain pourcentage et avoir... Bon, là, c'est encore de ramasser toutes les preuves, d'arriver avec preuves à l'appui que, effectivement, ce sont des services, des frais supplémentaires qui sont essentiels. Sauf que, lorsqu'on parle de frais supplémentaires pour de l'aide à domicile... Parce que, le maintien à domicile, il a été coupé avec la loi 120 et avec toutes les contractions budgétaires. Lorsqu'on parle de devoir prendre le taxi pour aller faire l'épicerie, parce que, dans le transport adapté, je ne peux pas amener plus de deux sacs parce que c'est ce qui peut s'attacher en arrière de mon fauteuil, ou pas du tout, bien, moi, je ne peux pas le prendre, le taxi, parce qu'à Montréal il n'y en a pas, de taxi adapté. Ça fait qu'il faut que j'aie quelqu'un. Je dépends donc d'un tiers pour apporter mon épicerie et venir avec moi. Ça, c'est des coûts supplémentaires. La même chose au niveau des vêtements, puis tout ça. C'est des coûts supplémentaires qui ne sont pas considérés, à l'heure actuelle, comme étant essentiels et pouvant mettre en jeu la santé et l'intégrité mentale et physique de la personne handicapée, donc qui ne sont pas reconnus, qui ne sont pas comptabilisés dans les dépenses.

Ce qu'on reconnaît, c'est ce qui est médical: la nécessité de voir un psychologue. Puis, ça, c'est dépendant des régions. Parce que je pense que, tantôt, quand on parlait... C'est juste le terme anglais, là, les «discrepancies», les différences d'une région à l'autre, je pense que, dans le réseau des personnes handicapées, c'est quelque chose qui est très, très flagrant. Si je regarde juste au niveau des débats au sein de la Table de concertation des... au niveau de la COPHAN, c'est quelque chose qui sort beaucoup. Il y a des différences majeures d'une région à l'autre, et ça se retrouve partout, y compris dans l'application du pouvoir discrétionnaire: qu'est-ce qui est considéré, qu'est-ce qui ne l'est pas, combien de preuves vont être demandées, est-ce qu'il y en a? Bon. Juste sur simple attestation que la personne voit un psychologue afin de s'assurer d'accepter son état, ou tout ça; à d'autres places, ça prend absolument des lettres écrites, et tout ça.

Par contre, quand on parle de réaménagement à l'intérieur du domicile, ce n'est pas considéré, ça; d'être obligé de déménager, ce n'est pas considéré non plus parce que ce n'est pas essentiel, ce n'est pas une atteinte ou un danger pour l'intégrité du développement physique et mental de la personne. Ce n'est pas reconnu comme tel, la dépendance d'une tierce personne, la dépendance du système, toutes les frustrations qui sont soulevées par ça, et les besoins, par le fait même. Bon, hier, il a fallu que j'appelle ma voisine du troisième pour qu'elle vienne faire mon lavage pour que je sois capable de partir à 6 heures ce matin. Parce que mon maintien à domicile a été coupé au mois de novembre, dans les coupures, puis je ne suis pas une personne âgée, puis je fais un doctorat. Bien, si j'étais à la maison, j'aurais peut-être plus de temps pour faire mon lavage. Puis, comme je suis à l'université, je n'y ai plus droit, sauf que je ne suis pas plus capable de le faire. Puis, quand on me dit: Bien, il va falloir que vous baissiez vos attentes et que votre fils apprenne à aller à l'école avec des trous dans ses pantalons, et vous, vous promener avec des taches sur votre gilet. Je m'excuse! mais, quand on parle d'intégration sociale, bien, on passe à côté de la «track», carrément. Sauf que, ça, c'est un discours d'ergothérapeute qui... Selon la loi 120 et avec la régionalisation, on est complètement dépendant de ce que cette personne-là, au CLSC du quartier, décide. Je m'excuse, mais c'est un discours qui est à double message. Le ministère nous dit oui pour l'intégration scolaire, sociale et à l'emploi, mais, en même temps, les outils, au bout, nous sont coupés lorsqu'on essaie effectivement d'appliquer notre autonomie, notre possibilité d'être autonome. Et, ça, ce sont des coûts qui ne sont pas comptabilisés, qui ne sont pas considérés.

Mme Caron: Oui. Au niveau des barrières physiques, plus physiques, ça, vous en avez fait part autant en page 7 qu'en page 8. Vous avez rappelé ça à juste titre, autant du côté, je pense, des palais de justice, autant des services publics, finalement. Et, le mot le dit, je pense que la bataille est commencée depuis tellement longtemps que, l'accessibilité au niveau des lieux publics, ça devrait être quelque chose de réglé. Mais ce n'est pas uniquement de se dire: Oui, il y a un accès, il faut que cet accès-là, il soit dans les normes. Tantôt, le ministre nous disait: Bon, on va s'assurer, ce n'est normal que vous n'ayez pas pu entrer. S'il y a quatre pouces puis que.... Ils sont là, les quatre pouces, ils sont là tous les jours, les quatre pouces...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Si j'avais un fauteuil manuel et que j'avais les bras, donc si je n'avais pas eu mon fauteuil motorisé, payé par la RAMQ, j'aurais pu me «swinger» sur mes roues d'en arrière et les monter, les quatre pouces. Mais la RAMQ m'a payé un motorisé parce que je n'ai pas l'usage de mes membres supérieurs pour le faire. Et, le motorisé, quand j'ai pris les quatre pouces, j'ai fait «bump», et là, il a bien fallu que je demande au constable de me donner un coup de pouce en arrière. La rampe, elle est là; c'est l'accès à la rampe, de la rue, parce qu'il a fallu que je le fasse par la rue. Et c'est de passer de la rue à la rampe. Il y a un beau... Ah, c'est plus bas que le restant, mais il y a quatre pouces pareil.

M. Lefebvre: Le constable a été gentil avec vous?

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Il a été superbe.

M. Lefebvre: Bon.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Ah! Oui. Ça, il n'y a aucun problème là-dessus.

Mme Caron: Mais je pense que c'est important, parce que, je le sais, lorsque j'ai eu mon bureau de comté, la première chose que j'ai faite, c'est demander au propriétaire: Je ne peux même pas louer si votre bureau n'est pas accessible. Il m'a dit: Je vais vous faire une rampe, ça va être fait tout de suite, cette semaine. Il m'a fait une rampe...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Mais elle n'est pas réglementaire, 1.12.

Mme Caron: ...j'ai fait venir la présidente de l'Association des personnes handicapées de ma région, et je lui ai demandé d'essayer ma rampe, mais elle n'était pas dans les normes, la rampe, alors, on a repris la rampe. Parce que, effectivement, c'est évident que, quand tu n'es pas en fauteuil roulant, tu ne vois pas nécessairement qu'il y a un problème. La rampe est là, mais il faut que ce soit accessible vraiment.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Ça, ça réfère à la demande qu'on a faite plusieurs fois d'entériner l'article 69 de la loi autorisant l'exercice des droits des personnes handicapées, la loi E-20.1, qui crée l'Office des personnes handicapées. L'article 69 prévoyait – et prévoit toujours, sauf qu'il n'est pas en vigueur – d'appliquer les normes d'accessibilité aux bâtiments, aux immeubles construits avant 1976. Sauf que, ça, ce n'est toujours pas entériné ou valide. Et c'était une des demandes qui avaient été faites lors du Sommet de la Justice.

Mme Caron: C'est évident qu'à partir du moment où, du côté du public, le message n'est pas là qu'il faut rendre les édifices accessibles, c'est doublement plus difficile, c'est évident, du côté des professionnels qui ont des bureaux privés, qui se sentent sûrement moins... Il n'est pas là, le message, donc pourquoi eux rendraient leurs bureaux accessibles, alors que, règle générale, ça ne se fait pas. Alors, là-dessus, il y a aussi un message qu'il est important de passer.

Vous nous avez aussi parlé de l'importance de l'accès à l'information et des différentes difficultés, dépendamment des handicaps des personnes. Au niveau des correctifs pour cette information-là, cet accès à l'information, ça doit évidemment partir parfois du ministère de la Justice, parfois des corporations régionales, mais, moi, je me dis... Tantôt, on nous disait que, du côté des corporations régionales, parfois, la personne, si le bureau n'est pas accessible physiquement... C'est évident que, si la personne téléphone et qu'elle sait que le bureau n'est pas accessible, l'information... Elle n'y va pas nécessairement, ou on nous dit qu'on peut se rendre à l'automobile de la personne. Moi, je vous avoue que je vois mal comment on traite un dossier d'aide juridique à partir de l'auto de la personne. D'abord, ce n'est pas toutes les personnes handicapées qui ont une automobile et...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): C'est très peu de personnes handicapées qui ont une automobile.

Mme Caron: C'est très rare. Et, si vous prenez le transport adapté, bien, là, je ne sais pas si on fait une séance collective, dans le transport adapté, des dossiers...

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Ils ne resteront pas là, de toute façon, à m'attendre.

(17 h 20)

Mme Caron: ...pour régler, pour voir si vous êtes admissible ou pas. Ça m'apparaît important que cette lacune-là soit corrigée, qu'au moins on offre le service directement, que la personne, si on ne peut pas... Écoutez...

Du côté des services juridiques, on a vu que, dans des régions comme le Grand-Nord, il y a des coûts extrêmement élevés. On va payer l'avion, on va payer le déplacement. C'est des coûts extrêmement élevés. Et là, c'est quand même un service qui n'est pas si dispendieux que ça pour au moins pouvoir rencontrer la personne afin de lui donner le service auquel elle a droit au même titre que les autres.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): C'est exactement ce qui est demandé, parce que, souvent, on parle d'accessibilité physique, et si je regarde les propositions et ce à quoi M. le ministre faisait référence tantôt, partout on parle d'accessibilité physique, mais jamais on ne parle d'accessibilité universelle. La personne sourde qui se retrouve au palais de justice et qui n'entend pas par l'intercom qu'on l'appelle dans la salle d'audience, bien, au criminel, elle vient de se retrouver avec un mandat d'amener parce qu'elle n'est pas là. Ça, c'est une autre réalité. Ce qui a été demandé, c'est d'avoir des lumières qui «flashent». Ce n'est pas dur, là, une lumière. Que le greffier qui est en avant, en même temps qu'il passe son message, il pèse sur le petit piton puis la lumière s'allume. C'est des coûts supplémentaires.

La même chose pour les personnes aveugles, dans les ascenseurs, d'avoir une reconnaissance vocale qui dit à quel étage on est rendu. Il y a des palais de justice... Puis je regarde à Montréal, c'est tout de même un palais de justice qui est récent; il y a beaucoup d'accessibilité mais il n'y a toujours pas d'ATME. Les personnes sourdes ne peuvent pas utiliser le téléphone parce qu'il n'y a aucun téléphone avec l'appareil de télécommunications pour malentendants ou pour sourds. Ça fait des années que c'est demandé, et il n'y a toujours pas de reconnaissance visuelle pour les personnes sourdes et de reconnaissance auditive pour les personnes aveugles. Et pourtant, c'est un palais de justice qui est récent.

Le Président (M. Gobé): Si Mme la députée...

Mme Caron: Alors, c'est déjà rendu le temps de vous remercier, Mme Lemieux-Brassard, et je souhaite que, cette fois-ci, on tienne effectivement compte de vos demandes et de vos recommandations et que ça ne se limite pas à des voeux, mais qu'on passe enfin à l'action. Merci.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci. M. le ministre, vous avez demandé à garder deux minutes, on vous les a gardées précieusement. Alors, si vous voulez les prendre.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. J'ai apprécié, Mme Lemieux, le ton posé avec lequel vous avez discuté des besoins de votre clientèle extrêmement importante, préoccupante des handicapés de tous genres au Québec. J'ai apprécié le ton posé et j'ai apprécié également que vous reconnaissiez – pas nécessairement avec beaucoup d'enthousiasme, je le comprends – qu'on a fait des efforts, au cours de la dernière année à tout le moins, pour rendre plus accessibles, à tout le moins physiquement, les services, particulièrement aux bureaux d'aide juridique et dans les palais de justice en général. Soyez assurée qu'on va faire l'impossible pour tenir compte des commentaires que vous faites sur les autres difficultés, particulièrement le contact avec les permanents de l'aide juridique. Et je retiens cependant, quant aux commentaires de Mme la députée de Terrebonne, que ce n'est pas bien vu que des avocats de l'aide juridique se déplacent au domicile de certains handicapés. C'est ce que j'ai compris du commentaire de Mme la députée de Terrebonne.

Mme Lemieux-Brassard (Lucie): Je pense que c'est une question de crédibilité professionnelle.

Le Président (M. Gobé): M. le ministre a la parole, je m'excuse.

M. Lefebvre: Mais, en attendant, Mme Lemieux, en attendant qu'on puisse tout faire... Vous avez vous-même dit, dans certains cas: Physiquement, c'est impossible de rendre les lieux accessibles. Alors, en attendant qu'on prenne une décision qui est souvent, peut-être, la seule, à savoir le déménagement des bureaux, on a trouvé comme alternative que des avocats se déplacent aux domiciles. Je trouve que, comme alternative, ce n'est pas si mal. C'est les indications qu'on me donne. La Commission des services juridiques me dit que les avocats se déplacent aux institutions de santé ou aux résidences des handicapés. Alors, c'est peut-être une information que vous n'aviez pas. Je voudrais que vous repartiez avec cette information, Mme Lemieux, que les avocats, à la Commission des services juridiques, sont disponibles pour se déplacer au domicile en attendant de rendre accessibles – et c'est évidemment la solution idéale – aux handicapés en fauteuil roulant les bureaux d'aide juridique. Mais, en attendant, on se déplace, Mme Lemieux. Merci d'être venue nous saluer, et bon retour chez vous.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci, Mme...

M. Lefebvre: Merci, madame.

Le Président (M. Gobé): ...Lemieux, merci à tout le monde. Ceci met fin à votre intervention; vous pouvez donc maintenant vous retirer, et je vais suspendre une minute pour vous permettre de le faire – ou deux minutes, là, prenez le temps que ça va vous prendre, madame. Et, par la suite, j'inviterai les représentants de La Ligue des Noirs du Québec à bien vouloir prendre la place en avant afin que nous puissions commencer l'audition suivante. Alors, la commission est suspendue pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 17 h 26)

(Reprise à 17 h 28)

Le Président (M. Gobé): La commission des institutions reprend ses travaux. Mme la députée de Terrebonne, votre présence est requise à cette table car, sans elle, nous ne pourrions commencer étant donné la participation importante au sein de cette commission. Alors, merci beaucoup, madame. Je demanderais donc aux représentants de La Ligue des Noirs du Québec de bien vouloir prendre place en avant. M. Dan Philip, Me Gabriel Bazin, le Dr Abdoulaye Diop, et on me dit qu'il y a aussi Mme Alya Hadjem. Je m'excuse, le Secrétariat avait mal écrit; je suis désolé d'avoir mal prononcé votre nom, madame.

Une voix: Ce n'est pas mal écrit, M. le Président, c'est vous qui avez mal lu.

Le Président (M. Gobé): S'il vous plaît, du respect pour la présidence.

Alors, madame et messieurs, il me fait plaisir de vous accueillir en cette enceinte qui est, comme je le disais précédemment, la maison et l'endroit où les citoyens de ce pays, de cette province peuvent venir faire valoir leurs opinions, leurs droits et leurs idées. Je vous remercie d'être venus vous prêter à cette consultation générale et à cette audience publique sur le régime d'aide juridique.

Alors, sans plus tarder, je vous donne la parole, en vous rappelant que vous avez, pour faire votre exposé, une période de 20 minutes et, par la suite, vous aurez une période d'une quinzaine de minutes pour parler, discuter et échanger avec M. le ministre de la Justice, et la même chose avec Mme la députée de Terrebonne. Je vous préviens que je ne serai pas trop limitatif dans le temps non plus; on n'est pas ici pour faire une politique de rigorisme, mais pour essayer de dialoguer au maximum des possibilités permises par le règlement et par la disponibilité des parlementaires.

(17 h 30)

Alors, je demanderais au porte-parole officiel, celui qui va parler en votre nom, de bien vouloir prendre la parole.


La Ligue des Noirs du Québec

M. Philip (Dan): Allez-y. C'est le Dr Abdoulaye Diop et Mme Alya Hadjem qui vont présenter les grandes lignes du mémoire.

Le Président (M. Gobé): Alors, très bien. Si vous voulez commencer, docteur, vous avez la parole.

M. Diop (Abdoulaye): Merci. Alors, nous tenons, avant de commencer, en tout cas, à vous remercier de nous accueillir ici et, compte tenu même de l'objet de cette réunion, nous vous remercions aussi doublement. Nous vous remercions, parce que le problème comme tel nous concerne non seulement, mais il nous touche aussi parce que, en fait, nous sommes, comme vous le dites, non seulement des minorités visibles mais, plus que ça, des démunis aussi. Et, dans ce sens-là, je pense que le concept d'aide juridique nous touche vraiment profondément.

Alors, si vous avez bien lu notre mémoire, je pense qu'il y a certains points qu'on ne pourrait ou qu'on ne saurait en aucune façon ignorer. Et c'est dans ce sens que notre exposé va s'orienter, et c'est aussi dans ce sens que nous exposerons, d'une façon extrêmement brève, compte tenu du temps, et aussi d'une façon extrêmement claire les points sur lesquels nous aimerions, si vous voulez, avoir ne serait-ce qu'un feedback.

Je pense que la première idée qu'on pourrait retenir en parlant de l'aide juridique, c'est d'abord l'essence même du concept, c'est-à-dire du concept d'aide juridique. Pourquoi l'aide juridique a-t-elle existé? Pour qui elle existe? Comment elle fonctionne? Voilà des questions fondamentales, n'est-ce pas, auxquelles il faudrait, à mon sens, essayer de donner des réponses ou, du moins, tenter d'y répondre.

Alors, qu'on essaie, par exemple, de réorganiser l'aide juridique, bien, c'est sûr et certain que tout phénomène social, par sa définition même, n'est-ce pas... se doit, si vous voulez, d'évoluer. Mais qu'on essaie, par exemple, de changer les conditions d'existence même et de fonctionnement de l'aide juridique sans pour autant aussi tenir compte de l'essence même de l'aide juridique, alors, là, nous pensons que, dans ce sens-là, l'aide juridique peut être assimilable à ce que nous appelons une «ouverture fermée». Alors, par conséquent, la première question qu'on pourrait se poser, compte tenu des conditions ou des critères d'admissibilité de l'aide juridique, c'est: Où commence, d'abord, l'insuffisance pécuniaire devant déterminer l'éligibilité au service et où finit, en fin de compte, le concept de pauvreté?

Que l'on s'attarde, par exemple, sur un critère, en tout cas, qui semble être une des conditions sine qua non de l'admissibilité même à l'aide juridique, c'est-à-dire le concept d'«économiquement défavorisé»; là aussi, nous nous posons des questions. Nous nous demandons, en fait, n'est-ce pas, si ce concept comme tel devrait être appliqué d'une façon mathématique, quand on sait que le concept d'«économiquement défavorisé» est incapable de circonscrire ni encore de traduire la profondeur même de ce que ce concept-là peut, en fin de compte, renfermer. Et, dans ce sens-là, nous faisons face définitivement – pour revenir à la base du concept d'«ouverture fermée» – à des contraintes.

Le phénomène aussi qui nous semble extrêmement intéressant, c'est que, en fait, nous pensons que si on s'attaque uniquement au phénomène d'«économiquement défavorisé», bien, nous n'arrivons pas à établir d'autres phénomènes qui sont complémentaires et qui permettraient d'établir l'interaction avec d'autres phénomènes plus importants, c'est-à-dire l'aspect social, économique et culturel des communautés culturelles. Et c'est la raison pour laquelle nous pensons que l'application mathématique de ce concept-là, en tout cas, mérite d'être révisée.

Toujours dans l'aspect que j'appellerais «analytique» de notre présentation, nous pensons aussi que les communautés culturelles ont des spécificités – raison pour laquelle, d'ailleurs, nous les appelons, et on les appelle ici les minorités visibles – dont il faut définitivement tenir compte. Et, pour tenir compte de ça, nous pensons qu'une représentation beaucoup plus juste de ces membres devrait effectivement être repensée.

En fait, pour faire, si vous voulez, une synthèse de tout ça, que l'on s'attarde, en fin de compte, sur la structure, l'organisation, les conditions d'admissibilité et l'étendue de la couverture de l'aide juridique, bien, nous ne pouvons que constater que ces différents éléments ne pourraient et ne sauraient en aucune façon résister à l'analyse. Je pense que, dans ce cas-là, bien, je vous renvoie à un rapport que tout le monde connaît ici, c'est le rapport Macdonald, pour ne pas reprendre tous ces éléments-là.

Juste pour faire ressortir une idée qui me semble fondamentale dans ce sens-là, nous pensons que les conditions d'admissibilité et l'étendue de la couverture de l'aide juridique ne devraient pas être figées et unidimensionnelles. Elles devraient s'articuler autour de certains éléments sociaux, culturels, économiques et, surtout, être analysées par un personnel qui connaît la réalité des membres des communautés culturelles pour mieux cerner l'interaction. La détermination... Et, dans ce sens-là, je continue: la détermination mathématique ou linéaire risque d'étouffer toute forme d'interaction entre les conditions d'admissibilité, l'étendue de la couverture de l'aide juridique et, en dernière analyse, la réalité socio-économique du bénéficiaire. Et, si on pousse un peu l'analyse, il semble bien, n'est-ce pas, qu'il faille retenir que, si nous ne retrouvons pas, si vous voulez, tous ces éléments-là, bien, autant dire que le phénomène d'aide juridique ne serait pour nous qu'un leurre. Et, s'il est un leurre, on ne peut en fin de compte que constater une certaine paupérisation, pendant que l'aide juridique, n'est-ce pas, permet d'enrichir, si vous voulez, d'autres personnes qui se prononcent pour la protection des communautés culturelles.

Alors, notre démarche ne vise pas uniquement à faire ressortir des points noirs, plus que ça. Mais notre démarche vise aussi, en tout cas aujourd'hui, à vous proposer aussi certaines solutions. Solutions auxquelles nous pouvons, avec la période des questions, bien sûr, discuter et voir dans quel sens nous devons conjuguer ensemble pour améliorer la situation.

Nous n'ignorons pas, parce que nous sommes québécois comme les autres, la situation économique difficile que nous traversons. Mais encore faut-il se demander si la relation coût-accessibilité devrait, si vous voulez, constituer un frein à ce que, nous autres, nous considérons comme fondamental. Alors, quelles seraient, dans ce sens-là, les pistes de solution sur lesquelles, en fin de compte, nous devons tabler, pistes de solution que nous devrons élaborer pour essayer d'améliorer la situation, tout en tenant compte, bien sûr, de la triste réalité que nous vivons, c'est-à-dire la situation économique. Alors, dans ce sens, nos propositions visent principalement à faire ressortir, si vous voulez, quatre dimensions spécifiques. Nous aimerions réfléchir sur une redéfinition de l'aide juridique. Nous aimerions aussi réfléchir sur de nouveaux modes d'opérationalisation et aussi sur une nouvelle forme ou de nouvelles formes de créations de structures.

(17 h 40)

Alors, en ce qui concerne le premier point, c'est-à-dire la redéfinition de l'aide juridique, il nous semble fondamental de retenir ces quelques points. En ce qui nous concerne, bien sûr, c'est d'abord de s'attarder sur le concept de recherche: la prévention, l'éducation et l'accessibilité. Parce que, en fait, c'est bien beau, si vous voulez, qu'il y ait, en fin de compte, aide juridique, mais encore faut-il que nos membres, c'est-à-dire les membres des communautés culturelles, puissent vraiment y accéder. Et la réalité nous montre, depuis l'existence de l'aide juridique, qu'en l'absence, par exemple, de la recherche, de la prévention et de l'éducation, bien, autant de membres des communautés culturelles sont complètement exclus de ce qui a été créé pour les aider. Et la question, dans ce sens, qui se pose, c'est: Comment peut-on, dans un système qui essaie de protéger des exclus, comment ce système-là peut aussi exclure ces exclus-la? Alors, dans ce sens-là, nous faisons face à une sorte d'impasse.

L'autre point aussi qui nous semble important, toujours dans cette tentative de redéfinition, c'est d'abord de s'attarder sur certains éléments fondamentaux qui essaient, si vous voulez, de faire ressortir l'aspect socio-communautaire. Parce que, en fait, les gens, par exemple... les membres des communautés culturelles, je devrais dire, ne connaissent pas vraiment l'existence des institutions qui visent à les protéger, alors que les membres des communautés culturelles savent, par exemple, que la Ligue des Noirs existe, qu'un autre organisme, par exemple, de communautés culturelles existe. Alors, nous disons: Si, par exemple, le phénomène comme tel est tant social, bien essayons de le sociabiliser beaucoup plus au lieu de l'institutionnaliser. Et je pense que l'institutionnalisation, si vous voulez, du phénomène comme tel constitue une limite et anéantit définitivement ce qui est recherché, c'est-à-dire l'aspect socio-communautaire même, qui fait partie aussi de l'essence même de l'aide juridique.

L'autre élément aussi fondamental qu'il faudrait retenir, toujours dans la redéfinition de l'aide juridique, c'est certains phénomènes qui essaient d'établir l'aspect multiculturel. En fait, nous devrions, à mon sens, essayer de favoriser, par exemple, une définition qui puisse encourager l'intégration. Ceci permettrait, à mon sens, de créer une forme de conjugaison et non, par exemple, de catégoriser le monde en termes de Québécois pure laine et de Québécois polyester.

Le Président (M. Gobé): Excusez-moi, Dr Diop. C'est parce que vous avez mentionné au début qu'il y aurait deux intervenants dans votre groupe, et il vous reste environ sept minutes de temps. Alors, je voulais juste vous rappeler que, si vous voulez passer à madame, le temps coule.

M. Diop (Abdoulaye): C'est parfait. J'ai tout le temps qu'il faut.

Le Président (M. Gobé): Ah! D'accord. C'est votre décision.

M. Diop (Abdoulaye): On s'est bien organisés avant de venir, monsieur.

Le Président (M. Gobé): Comment?

M. Diop (Abdoulaye): Bien. Alors, si vous permettez toujours, cette redéfinition aussi devrait, à mon sens, prendre en compte d'autres éléments qui sont aussi importants que les autres éléments que nous venons de citer. Ce sont d'abord des éléments d'ordre économique et d'autres éléments qui sont ce qu'on pourrait appeler des «idéaux de service public». Donc, voilà les éléments qui devraient soutenir la définition ou, du moins, la nouvelle définition ou une redéfinition de l'aide juridique.

L'autre point que nous apportons aujourd'hui ici sur la table, c'est les modes d'opérationalisation, si vous voulez, du phénomène. Mais nous avons vu, n'est-ce pas, dans le fonctionnement même de l'aide juridique, que l'aide juridique permettait beaucoup plus – et je pense que, ici, tout le monde dans la salle serait d'accord avec nous autres – d'enrichir les avocats qui en profitent, à cause, par exemple, de l'expédition, et ne permet en aucune façon de protéger les gens qu'ils devraient protéger. Et, là, je vous renvoie à un reportage de Radio-Canada que vous avez suivi aussi comme nous autres.

Alors, dans ce sens-là, nous vous proposons aujourd'hui ceci: Nous voulons d'abord une forme de représentation. Deux avocats en haut et des membres des communautés culturelles ou bien d'autres qui seront chargés, pour l'opérationalisation de la nouvelle redéfinition que nous venons de vous donner – des stagiaires ou... qui peuvent être des membres des communautés culturelles, de préférence des membres des communautés culturelles – qui seront chargés de faire la recherche, la prévention, l'éducation et l'accessibilité. Car, en fait, même si l'aide juridique s'adresse à nos membres, encore faut-il souligner que nos membres sont complètement ignorants de, comme on dit en bon Québécois, ce que ça mange en hiver, l'aide juridique.

Alors, l'autre problème aussi qu'il faut bien regarder, c'est qu'en fait on ne peut pas, par exemple, parler de représentation quand le phénomène même, n'est-ce pas, de sous-représentation, si vous voulez, est beaucoup plus visible que le concept de représentation. Et, dans ce sens-là, nous pensons et nous restons vraiment convaincus qu'une augmentation des représentants des membres des communautés culturelles mérite aussi d'être retenue.

Alors, dans ce sens, nous pensons qu'au lieu de laisser, si vous voulez, l'aide juridique à des bureaux d'aide juridique, encore faut-il penser à une forme de décentralisation, c'est-à-dire, il faudrait ramener, en fin de compte, l'essentiel même ou l'essence même de l'aide juridique à la base. Les mettre, par exemple, dans les centres communautaires, où tous nos membres ont beaucoup plus accès et où ils pourront, n'est-ce pas, en profiter librement.

Alors, dans ce sens, nous vous proposons les organismes communautaires ou encore des guichets centralisés tels que les services sociaux ou les bureaux des centres Travail-Québec, etc. Alors, est-ce que je suis toujours dans le temps?

Le Président (M. Gobé): Il vous reste quatre minutes environ.

M. Diop (Abdoulaye): Merci. J'ai encore tout le temps. Je vous remercie. Alors, toujours en continuant, si vous voulez, dans le sens, en tout cas, de pistes de solution, nous pensons que les principes mêmes entourant la réforme doivent d'abord viser, n'est-ce pas, le phénomène d'équité. Équité pour tous. Car, en fait, si nous parlons de justice sans qu'il y ait équité pour tous, autant dire que nous faisons face à une forme de démagogie, et, quand, nous, nous regardons la réalité en face et que nous essayons, par exemple, de voir comment l'aide juridique a évolué, certes, changements, oui, il faut, mais encore faut-il que les changements puissent traduire nos aspirations, et encore faut-il que ces changements puissent correspondre à nos attentes.

Et, dans ce sens-là, nous pensons que le changement, si vous voulez, qui doit sous-tendre l'aide juridique doit s'appuyer d'abord sur deux critères qui nous semblent fondamentaux, c'est-à-dire qu'ils doivent répondre à une exigence d'équilibration et à une exigence d'adaptation, parce qu'en fait nous sommes sous-représentés, et l'adaptation comme telle n'y est pas parce qu'en fait les gens qui nous représentent ne connaissent pas nos réalités.

Donc, voilà en gros, n'est-ce pas, les grandes lignes qu'il faudrait retenir, en tout cas, dans notre mémoire et voilà aussi les points qui nous semblent les plus importants dans ce mémoire-ci. Nous ne saurions terminer, une fois de plus, sans vous remercier, n'est-ce pas, de votre attention, et nous pensons et nous souhaitons aussi, n'est-ce pas, que nos paroles ne seront pas uniquement entendues et que, effectivement, nous serons appelés, si vous voulez, à y penser. Merci.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci, Dr Diop. Et vous êtes en plein dans le temps, là, ne vous inquiétez pas.

Alors, nous allons maintenant donner la parole à M. le ministre de la Justice pour un dialogue avec vous. M. le ministre.

M. Lefebvre: Merci. Madame, messieurs, Dr Diop. Je vous remercie, dans un premier temps, d'avoir soumis à la commission des institutions un mémoire qui, de façon très précise, touche à la situation que vous avez, dans votre exposé, Dr Diop, détaillée, avec des commentaires additionnels qui touchent, évidemment, essentiellement aux problèmes auxquels fait face la communauté noire.

(17 h 50)

Je comprends, de par votre mémoire, que vous faites référence – et également dans votre commentaire – aux problèmes de la communauté, non seulement face au système d'aide juridique, mais aussi – vous débordez un peu, et je pense que c'est bien – au système judiciaire dans son ensemble. Si je me trompe, Dr Diop, vous pourrez corriger tout à l'heure. J'aimerais vous rappeler que... Vous avez, tout à l'heure, fait référence à... Vous souhaiteriez qu'il y ait une décentralisation des services, si je comprends bien, des services d'aide juridique spécifiquement, là. Je voudrais vous rappeler qu'il y a, au Québec, 110 bureaux d'aide juridique; sur l'île de Montréal, il y a 16 bureaux d'aide juridique; il y a plus ou moins une centaine d'avocats, un peu plus que 100 – 115 environ – 115 avocats permanents à l'aide juridique, aux bureaux d'aide juridique qu'on retrouve sur l'île de Montréal. Il n'y a pas beaucoup d'avocats de la communauté noire, il y a déjà eu plus d'avocats de la communauté, permanents à l'aide juridique, on en a déjà eu jusqu'à six ou sept, et je reconnais que ce n'est pas beaucoup. Il y a cependant, Dr Diop, je pense, une bonne représentation des communautés culturelles au niveau des avocats permanents à l'aide juridique. En 1994, les chiffres qu'on me donne, c'est qu'il y aurait, strictement en matière civile, 9 avocats sur 60, qui sont des communautés culturelles, en matière civile seulement. En matière criminelle, il y en a près de 10 %. Il y a des avocats également issus des communautés culturelles affectés strictement aux dossiers de la jeunesse et également même à la Cour d'appel.

Alors, ce que je veux vous indiquer, c'est que la Commission des services juridiques, je pense, en toute équité, on doit le reconnaître, fait des efforts pour permettre aux différentes communautés culturelles d'avoir accès à des avocats qui sont le mieux préparés possible pour comprendre les problèmes que la clientèle des communautés culturelles vit.

À la page 14 de votre mémoire, Dr Diop, j'aimerais que vous m'indiquiez ce que vous voulez bien nous faire comprendre de façon spécifique lorsque vous dites que la communauté noire, «les membres de la communauté noire éprouvent d'énormes difficultés non seulement à faire appel au système, mais plus encore à l'utiliser.» Est-ce que vous voulez nous indiquer que, dans des dossiers comme ceux qui relèvent du Code criminel, du droit pénal dans son ensemble, est-ce que la communauté noire a des problèmes, des difficultés particulières à recevoir des services des permanents de l'aide juridique? ou encore des avocats de pratique privée acceptant des mandats d'aide juridique? Je veux prendre un exemple très précis, en matières criminelle et pénale; comme la communauté blanche, si on veut, est-ce qu'il y a des problèmes spécifiques à recevoir les services d'avocats permanents? C'est ce que je comprends, à la page 14 de votre mémoire, Dr Diop.

M. Diop (Abdoulaye): Oui. Alors, moi, je vais essayer de vous donner une réponse cavalière, sans pour autant galoper, et, après ça, je passerai la parole à Me Bazin...

M. Lefebvre: D'accord.

M. Diop (Abdoulaye): ...qui est avocat et qui saura certainement vous répondre en termes beaucoup plus pratico pratiques.

M. Lefebvre: Oui.

M. Diop (Abdoulaye): Alors, je pense que ce qu'il faudrait retenir, c'est ceci: En fait, je me comprendrais mieux, n'est-ce pas, si je parlais le chinois, mais devant un Chinois, parce que, définitivement, en termes de communication, ça paraît beaucoup plus simple. J'ai été très impressionné en écoutant la madame qui était ici tout à l'heure. Vous lui avez demandé: Qu'est-ce que vous entendez souvent quand les gens que vous représentez viennent vous voir? Alors, moi, je vais reprendre sa réponse, mais dans un sens de raisonnement a contrario, pour déboucher sur un raisonnement par analogie.

En fait, nous autres, qu'est-ce que nous entendons, c'est ceci, c'est très simple: nous arrivons devant le bureau de l'aide juridique, le monsieur, il ne t'écoute même pas, et qu'est-ce qu'il dit? Bon, bien, plaide coupable. Parce que, en fait, le phénomène temps est extrêmement important. Nous sommes, si vous voulez, devant un phénomène de maximisation de profits. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai qualifié ça, si vous voulez, de «paupérisation». Et, par conséquent, en plus, nous avons... Et c'est ça, l'idée que les membres des communautés culturelles que nous représentons se font de l'aide juridique. Plus le monsieur a des dossiers qui se multiplient, plus il fait de l'argent. Et là je vous renvoie à ce que tous les journalistes et tous les recherchistes...

M. Lefebvre: ...avocats de pratique privée, Dr Diop.

M. Diop (Abdoulaye): Comment?

M. Lefebvre: Vous faites référence à des services donnés par des avocats de pratique privée.

M. Diop (Abdoulaye): Non. Même...

M. Lefebvre: Si je comprends bien, là.

M. Diop (Abdoulaye): Oui. Enfin... Si vous voulez, les deux confondus, en fin de compte.

M. Lefebvre: Oui.

M. Diop (Abdoulaye): Parce que, vraiment, les deux sont tellement intimement liés, et si on se fie à ce que, nous autres, nous vivons... Et, dans ce sens-là, ce que nous voulons dire... dans le texte, c'est-à-dire la page 4, c'est que la représentation à laquelle... afin d'arriver à... etc., ça nous prouve simplement, n'est-ce pas, que ces gens-là, effectivement, ne pensent pas qu'ils sont aussi bien représentés qu'ils devraient l'être et que l'aide juridique, comme telle, ne leur garantit pas ce qu'en fin de compte l'aide juridique leur promet.

M. Lefebvre: Est-ce que, en matière de droit civil, de droit matrimonial, de droit administratif, vous avez l'impression qu'il y a des problèmes semblables?

M. Diop (Abdoulaye): Oui. Alors, dans ce sens-là, je pense que...

M. Lefebvre: Dr Bazin... ou Me Bazin.

M. Bazin (Gabriel): O.K.

M. Lefebvre: Matière civile, matière matrimoniale, droit matrimonial particulièrement, parce que vous savez qu'il y a beaucoup de services d'aide juridique consacrés au droit matrimonial. Le droit administratif, la commission de la santé et des services sociaux, tous les tribunaux administratifs au Québec sont des... il y a beaucoup de travail fait par des avocats d'aide juridique devant les tribunaux administratifs. Est-ce que la communauté noire a des problèmes à ce niveau-là également?

M. Bazin (Gabriel): Moi, je vais plutôt, dans un premier temps, me référer à la question d'apparence de droit. Je pense notamment à certains dossiers d'immigration, où le client est d'abord jugé par l'avocat qui doit lui accorder le mandat et, dans bien des cas, des mandats ont été refusés, et ces clients-là vont vers un avocat dans le privé et obtiennent, finalement... Le tribunal administratif d'immigration arrive à établir, par l'acceptation de la demande d'une personne qui a sollicité le refuge au Canada, que la personne était effectivement en droit, avait bon droit de solliciter le refuge, parce que le refuge lui a été accordé.

Un autre exemple, sans me référer strictement comme tel à la communauté noire, mais bien pratique, c'est la question, quand on pense aux défavorisés, c'est la question de la non-rétroactivité des mandats. Ça m'arrive souvent de faire des comparutions. L'avocat doit s'arranger pour appeler l'aide juridique pour qu'il puisse avoir un mandat pour ce client-là, c'est-à-dire...

M. Lefebvre: Me Bazin, vous êtes en matière pénale ou criminelle? Je veux bien vous comprendre...

M. Bazin (Gabriel): C'est ça. Là, je suis en matière pénale. Alors, vous intervenez, vous faites une comparution pour un client quelconque, et il vous a été impossible de rejoindre l'aide juridique; il y a de fortes possibilités qu'il n'y ait pas de mandat pour ce client-là parce que vous n'avez pas appelé avant l'aide juridique. Vous pensez au médecin qui doit appeler avant de consulter un client, qui devrait appeler le ministère de la Santé ou bien le bureau de l'Assurance-maladie?

M. Lefebvre: Me Bazin, est-ce que vous faites du droit administratif devant les tribunaux quasi judiciaires?

M. Bazin (Gabriel): Oui, j'en fais.

M. Lefebvre: Est-ce que vous avez des problèmes d'admissibilité pour vos clients à l'aide juridique en ce domaine-là, le droit administratif?

M. Bazin (Gabriel): Non, pas dans ce domaine-là.

M. Lefebvre: Ça va bien. En droit matrimonial?

M. Bazin (Gabriel): En droit matrimonial, ça va bien aussi.

M. Lefebvre: Ça va bien également. Alors, je comprends qu'il y a deux secteurs, entre autres, auxquels vous faites référence quant aux difficultés que vous retrouvez: c'est en matière d'immigration et en droit pénal également.

M. Bazin (Gabriel): Oui. Et il reste la question de la représentation.

M. Lefebvre: Oui.

(18 heures)

M. Bazin (Gabriel): Les gens souhaiteraient effectivement qu'il y ait une certaine, non pas du favoritisme, mais une certaine équité, que ce soit dans le recrutement des stagiaires, et que la minorité visible soit moins visible... Parce que, présentement, il faut le dire, au niveau de l'aide juridique, c'est une minorité visible. Si on parle de la communauté noire, elle est totalement invisible, totalement; c'est-à-dire qu'il n'y a aucun bureau d'aide juridique, à ma connaissance, où il y a un permanent de l'aide juridique issu de la communauté noire, et, ma foi, je pense que, présentement, il y a beaucoup d'avocats de la communauté noire et, ma foi, je pense que, présentement, il y a beaucoup d'avocats de la communauté noire, et plus particulièrement à Montréal.

M. Lefebvre: Me Bazin, selon vous, combien y a-t-il d'avocats de la communauté noire à Montréal? Montréal seulement. À peu près.

M. Bazin (Gabriel): Actuellement, approximativement 30.

M. Lefebvre: Environ 30.

M. Bazin (Gabriel): Oui.

M. Lefebvre: Me Bazin, à la page 24 de votre mémoire – le Dr Diop y a fait référence rapidement tout à l'heure – on parle particulièrement de l'étendue de la couverture des services d'aide juridique. Vous savez que le système d'aide juridique au Québec, en ce qui a trait à la couverture des services, est un des plus généreux au Canada. On couvre à peu près tous les domaines du droit: le droit de l'immigration, le droit carcéral, le droit civil, de façon presque totale, à l'intérieur du droit civil, le droit matrimonial, le droit criminel, le droit pénal. Il y a même la possibilité de recevoir des services d'aide juridique quant au droit notarial. De façon globale et générale, la couverture des services que procure notre système d'aide juridique est reconnue comme étant pas mal complète. J'aimerais avoir des détails sur les commentaires que vous faites à la page 24 de votre mémoire quant à la couverture des services, qui serait déficiente, selon ce qui apparaît à votre mémoire.

M. Diop (Abdoulaye): Vous voulez dire à la page 24?

M. Lefebvre: Page 24, paragraphe 2.

M. Diop (Abdoulaye): Paragraphe 2. Alors...

(Consultation)

M. Diop (Abdoulaye): En fait, ce que nous voulons dire ici, il faudrait le comprendre pas dans un sens linéaire, mais dans un sens systémique. Ce que nous voulons dire ici, c'est aussi simple que ça. Ça veut dire uniquement que le paragraphe comme tel ne saurait en aucune façon se comprendre si on ne faisait pas référence à ce qui a été dit. Et, si on fait référence, par exemple, aux pages précédentes, 23, etc., en fait, une lecture attentive de ce paragraphe laisse apparaître définitivement que le phénomène ou, du moins, l'élément économiquement défavorisé comme tel va saper aussi l'étendue de la couverture de l'aide juridique. Et c'est la raison pour laquelle nous autres, nous proposons que les gens s'attardent beaucoup plus à établir l'interaction entre ces différents éléments qui sont cités dans ce paragraphe-là au lieu, par exemple, de considérer quelque chose comme tel. Mais là, je prends l'exemple de Me Bazin sur le phénomène d'apparence de droit. Alors, que ce phénomène-là serve au départ à déterminer quelque chose, veux veux pas, mais ça bloque l'étendue. Nous ne remettons pas en cause ce que vous venez de dire en disant: Effectivement, le Québec demeure la partie ou la province la plus généreuse en ce qui concerne ça, nous ne pouvons que constater ça avec vous.

Par contre, il n'en demeure pas moins que, quand nous tenons compte de tout cela, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je pense, dans ce sens-là, qu'on ne saurait en aucune façon analyser l'aide juridique élément par élément, mais il faudrait l'analyser dans sa globalité, en fin de compte, et c'est ça que ça veut dire, cette idée-là.

M. Lefebvre: Merci, Dr Diop.

Le Président (M. Gobé): M. le ministre, merci.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Mme la députée de Terrebonne, c'est maintenant à vous.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, Mme Hadjem, Dr Diop, Me Bazin.

Le Président (M. Gobé): Un instant, s'il vous plaît, Mme la députée. Je vois qu'il est 18 heures passées, et notre commission siège actuellement dans l'illégalité technique. Alors, je demanderais donc le consentement de tous les membres de cette commission afin que nous puissions continuer, dont la vôtre, madame.

Mme Caron: Consentement, M. le Président.

Le Président (M. Gobé): Alors, ayant le consentement, et ceci étant dûment enregistré dans le verbatim de la commission, nous allons pouvoir continuer jusqu'à la fin de cette audition.

Mme Caron: Merci, M. le Président, Et, M. Philip, bienvenue parmi nous. Je dois d'abord vous remercier, au nom de ma formation politique, pour nous avoir présenté ce mémoire, et aussi pour avoir accepté de venir répondre aux questions et présenter ce mémoire.

L'élément, je pense, qui m'apparaît central dans votre présentation, particulièrement dans le mémoire écrit, ce sont les aspects qui sont soulignés aux pages 15 et 16, où vous nous dites que vous constatez le peu de sensibilité que votre communauté trouve auprès des intervenants par rapport à la situation que vous vivez lorsque vous allez pour présenter une demande, le manque de compréhension des intervenants par rapport à la réalité qui est vécue par les membres de votre communauté. Et j'imagine aussi, si on parlait d'autres communautés, qu'on pourrait retrouver à peu près les mêmes demandes, je pense. La méconnaissance des spécificités de la situation, du contexte dans lequel les gens vivent, les préjugés, les jugements de valeur qu'on peut retrouver parfois et, aussi, le peu et même parfois l'absence d'écoute de la part des décideurs, des gestionnaires de l'aide juridique. En fait, Mme Lemieux-Brassard, qui vous précédait tantôt, nous parlait de barrières, de barrières physiques et de barrières souvent d'information, d'accessibilité, et vous, vous nous parlez de barrières systémiques, que ce soit formel ou informel. Et ce sont, évidemment, des barrières aussi difficiles à vivre et aussi difficiles à percevoir aussi, parfois, pour des gens de l'extérieur qui ne les vivent pas, ces barrières-là.

Moi, c'est l'élément central, là, que je retiens de votre mémoire. Et vous ajoutez un deuxième élément qui va très bien avec celui-là et vous nous dites, finalement: si nous étions davantage représentés, ces barrières-là, nous aurions moins à les vivre, parce que les gens qui nous représenteraient comprendraient toutes ces situations-là et pourraient nous donner réponse. Et on vivrait moins de barrières.

Je peux comprendre très bien ce que vous nous exprimez, et c'est évident que pour des membres d'une communauté qui, aussi, n'ont pas nécessairement les mêmes traditions de vivre, c'est sûrement extrêmement difficile.

En page 17, vous parlez de diminution du processus de judiciarisation, davantage d'ententes à l'amiable dans les quartiers entre les personnes qui vivent les mêmes réalités. Vous parlez aussi beaucoup de limiter les procédures, de régler les litiges d'une manière, je dirais, plus humaine, et je pense que ça correspond aussi aux traditions de votre communauté. En tout cas, moi, ça m'apparaît, pour avoir échangé à quelques reprises avec des gens de votre communauté, que vous favorisez davantage ces moyens-là, et, moi, j'endosse, parce que je pense qu'effectivement le Québec doit se donner des moyens autres que la judiciarisation, qui, finalement, ne fait à la longue que créer davantage de barrières entre les gens et augmenter les problèmes, augmenter les conflits, augmenter les tensions. Alors, ça, j'avoue que je comprends très bien ce que vous nous recommandez là.

Toujours dans le même sens, vous nous parlez de guichets davantage centralisés, par exemple, puisque vos communautés, dans le fond, font davantage confiance, parce qu'elles sont représentées et parce qu'elles partagent la même vision, à des organismes communautaires, parce qu'ils se retrouvent.

(18 h 10)

Donc, en page 31, vous nous proposez, finalement, au niveau bien, bien concret, qu'on pourrait retrouver davantage les services d'aide juridique dans les organismes communautaires où, déjà, les membres de votre communauté font affaire, ou encore dans des guichets centralisés. Et là vous parlez des services sociaux, probablement les CLSC ou les bureaux de centres Travail-Québec, puisque ce sont des services... Là, je vous la pose, la question: est-ce que ce sont des services qui sont mieux connus des membres de votre communauté, c'est-à-dire les CLSC, les centres Travail-Québec? Est-ce que ce sont des endroits bien connus des membres de votre communauté, des endroits où ils se rendent facilement? Est-ce qu'ils ont confiance, aussi, en ces organismes-là?

M. Diop (Abdoulaye): Oui. Je devrais d'abord vous remercier de la compréhension que vous avez du texte. Je vais juste dire, comme on dit par chez nous, en anglais, en tout cas, plus ou moins correct: «Who feels it knows it», ce qui veut dire, en fin de compte, quand tu pousses un peu l'analyse, que, «well, if you do not really feel it, you cannot know it». Et ça, je pense que c'est vraiment une vérité de La Palice. Je dirais même que c'est une tautologie, en d'autres termes. Et c'est la raison pour laquelle, tout à l'heure, en intervenant, j'ai dit: En fait, si je parle chinois, je me ferai mieux comprendre, n'est-ce pas, par un Chinois, ce qui me semble extrêmement clair.

Mais l'autre affaire, là où le bât blesse, c'est quand on regarde... Et, nous autres, moi, je me suis amusé, parce que je suis responsable de l'aspect juridique de la Ligue, et je me suis intéressé à travailler là-dessus, à travers les plaintes et puis tout ça. Les gens, quand ils reviennent de l'aide juridique, tout ce qu'ils disent: Ah, bien, le monsieur ou la madame ne m'a pas vraiment compris. Alors, en fait, la répétition, comme on dit chez nous, quand tu regardes, il y a quand même une part de vérité là-dedans et, pendant ce temps-là, bien, il me semble qu'il semble bien qu'il faille élaborer, si vous voulez, ou bien même trouver d'autres solutions pour changer un tout petit peu cela.

L'autre problème, ce n'est pas parce que les gens n'ont pas confiance vraiment à ça, mais, comme vous venez de dire, les institutions ne sauraient et ne pourraient en aucune façon se substituer au social, et, nous autres, le social nous semble beaucoup plus important que l'institutionnalisation. Et le nombre de personnes que nous recevons à la Ligue, bien, si on calcule au nombre de personnes qui s'en vont vers les institutions, est beaucoup plus élevée par rapport à ça. Alors, nous disons, du fait que nous existons comme organisme, et d'autres organismes, pourquoi, par exemple, ne pas nous aider dans ce sens-là? Si on veut aider vraiment les démunis à ce que, nous autres, dans le... Parce qu'il y en a beaucoup qui sont ici depuis très longtemps, mais qui ignorent même l'existence de ce que les gens considèrent comme extrêmement simple. Parce que, effectivement, c'est des choses qui sont complètement éloignées, si vous voulez, de notre réalité.

Et, c'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, dans le texte, je retiens deux hypothèses qui sont fondamentales, et la deuxième me semble beaucoup plus fondamentale, c'est le phénomène d'adaptation. Nous voulons non seulement que l'aide juridique descende l'aspect institutionnel qu'on lui accorde, pour rejoindre l'aspect humain, c'est-à-dire l'humain, et, dans ce sens-là, il me semble que les services communautaires traduiraient mieux, en ce qui concerne notre réalité, ce que nous voulons que ce qui est actuellement. Alors, voilà, et je pense que, dans ce sens-là, bien, non seulement nous gagnerons tous... Parce que le phénomène d'accessibilité serait beaucoup plus facile, le phénomène... D'ailleurs, quand je prends l'exemple de Mme Lemieux-Brassard, qui m'a beaucoup ému, qui était ici, c'est drôle combien les deux réalités se ressemblent, en fin de compte. À l'entendre parler, je pensais qu'elle parlait en notre nom, et je pense, en fin de compte, que c'est exactement la même chose.

Donc, dans ce sens-là, je pense définitivement que pour que la compréhension existe, encore faut-il que la personne puisse s'adresser à une autre personne qui puisse la comprendre; et cette tautologie-là me permet de dire qu'une décentralisation au niveau humain, au niveau communautaire permettrait à l'aide juridique de ne plus être ce que j'appelle une «ouverture fermée», mais, en tout cas, une forme d'accessibilité et d'équité à tous.

Mme Caron: Vous avez mentionné tantôt qu'il y avait environ 30 avocats de la communauté noire; vous avez fait référence aussi à l'importance d'utiliser les stagiaires, chose qui ne se fait pas ou pas suffisamment actuellement. À votre connaissance, est-ce que vous avez des données sur le nombre d'étudiants de votre communauté qu'on retrouve en droit?

M. Bazin (Gabriel): Je dirais que dans chaque faculté... À l'Université du Québec, on pourrait avoir trois étudiants par année et, à l'Université de Montréal, il y en a une assez bonne quantité. Je dirais peut-être 15, pour les trois années. C'est ça.

Mme Caron: Ce qui fait que, finalement – on dit qu'il y a 16 bureaux à Montréal – il y aurait possibilité, là, au niveau des stagiaires...

M. Bazin (Gabriel): Définitivement, il y aurait des possibilités d'engager les stagiaires de la communauté.

Mme Caron: Est-ce qu'on retrouve aussi des membres de votre communauté du côté des techniciens du droit? Parce qu'on a rencontré des techniciens...

M. Bazin (Gabriel): Du côté des techniciens du droit, pas vraiment. Il n'y en a pas en tant que tels. Mais, comme je l'ai dit tantôt, au niveau des permanents d'aide juridique, il n'y en a pas. Il n'y en a pas, malheureusement. Il y a déjà eu quelques stagiaires, mais jamais des permanents.

Mme Caron: À choisir entre les deux propositions que vous faites, parce que vous avez bien un «ou» entre les deux, c'est-à-dire que les structures se retrouvent au sein des organismes communautaires ou dans des guichets centralisés, CLSC ou centres Travail-Québec, la formule qui serait la meilleure selon vous, qui serait vraiment l'idéal, est-ce que c'est vraiment les organismes communautaires?

M. Diop (Abdoulaye): Définitivement, oui, parce que nous nous sentons beaucoup plus proches de ces communautés culturelles. Parce que, voyez-vous, il ne faut pas oublier aussi notre réalité première, et je pense que, comme vous venez de le soulever, ce n'est pas vraiment un phénomène de confiance comme tel, c'est que les gens, ils ignorent même l'existence de ça. Or, par exemple, tout le monde sait que M. Philip, il existe, n'est-ce pas. Et tout le monde sait aussi que l'autre organisme existe, etc. En fait, l'aide juridique comme telle, pour que ce soit vraiment bénéfique à tout le monde, il faudrait encore que les gens soient informés. Et les institutions sont, pour nous, extrêmement éloignées de notre réalité. Ce qui veut dire, en d'autres termes, que le phénomène communautaire ou «communautariste» nous permettrait définitivement d'avoir beaucoup plus accès à tout ce qui a rapport à l'aide juridique.

Mme Caron: Du côté de l'information, parce qu'il y a un problème aussi pour l'ensemble des Québécois et Québécoises, toutes origines confondues, un problème au niveau de l'information des services offerts. Souvent, c'est difficile, même pour les organismes communautaires, de rejoindre les gens et de leur donner de l'information, parce que les personnes sont plutôt portées à attendre d'avoir le problème et de ne pas s'informer avant; puis, lorsqu'elles ont le problème, là, elles commencent à tenter de s'informer, mais ne savent pas toujours où s'informer. Est-ce que, pour vous, c'est facile de rejoindre les membres de votre communauté et de donner l'information?

M. Diop (Abdoulaye): Oui, madame. D'ailleurs, on est vraiment... En tout cas, moi, personnellement, je suis vraiment très touché, enfin, de vos questions, franchement, parce que je les trouve extrêmement pertinentes et remplies de richesse, en termes de collaboration comme telle. Et, dans ce sens-là, permettez-moi de vous dire que dans le texte, effectivement, nous insistons beaucoup sur le phénomène, sur cette dimension prévention. En fait, on a bâti le texte à partir de réalités que nous vivons et à partir aussi de sondages vraiment directs avec les gens. Et je pense définitivement, comme on dit en bon français, que mieux vaut prévenir que guérir. En d'autres termes, si on traduit ça chez nous, dans ma langue, c'est le médecin après la mort. Si tu veux vraiment canaliser la mort, encore faut-il trouver le médecin avant la mort. Et, dans ce sens-là, le phénomène prévention... Parce qu'il y a beaucoup de choses qui se passent actuellement, et, pour nous, membres de communautés culturelles, nous faisons face, parce que, définitivement, il n'y a pas de phénomène de prévention. Il n'y a pas de phénomène, en tout cas, de connaissance. Et je pense que le rapprochement, le contact comme tel, n'est pas vraiment un phénomène extrêmement difficile. Nous appliquons toujours, comme on fait chez nous, le phénomène du tam-tam. Ce n'est pas le téléphone arabe comme tel, mais c'est le tam-tam. Je ne sais pas si je me fais comprendre.

Mme Caron: Oui, très bien.

M. Diop (Abdoulaye): Merci.

Mme Caron: J'avais participé d'ailleurs, il y a quelques années, à l'Association internationale des parlementaires de langue française, et le titre du colloque était: «Le rendez-vous du donner et du recevoir». Et on exprimait bien toute la tradition orale qui existait du côté des communautés. Finalement, on s'était rendu compte que, chez nous, tout était davantage axé sur l'avoir, alors que, dans d'autres communautés, dont la vôtre, tout était davantage axé sur l'être...

M. Diop (Abdoulaye): Effectivement.

(18 h 20)

Mme Caron: ...et non sur l'avoir. Et je pense que, au niveau de la justice, il faut effectivement retourner à l'être, parce que les tensions, les conflits, la judiciarisation nous ont conduits à nous tourner vers une société qui est carrément dirigée sur l'avoir. Et souvent, ce qui est à l'origine du conflit, ce qui permet de continuer le conflit, c'est une question d'avoir, ce n'est pas une question d'être. Et, en ce sens-là, votre participation, je la trouve très intéressante. Et je me dis qu'on retrouve des services juridiques – je pense, par exemple, à la Petite-Bourgogne, qui est un service d'aide juridique qui a une dimension différente des autres corporations régionales, et on pourrait peut-être s'inspirer de ce modèle-là pour offrir des services d'aide juridique dans les différentes communautés qui répondent davantage aux besoins réels de ces communautés-là. Je pense que c'est quelque chose qui est très plausible et qui permettrait au moins d'assurer cette accessibilité à la justice pour tous les citoyens.

Alors, moi, je vous remercie de votre participation à nos travaux. J'ai grandement apprécié votre mémoire et vos commentaires.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci, Mme la députée de Terrebonne. M. le ministre, il vous restait quelques minutes; si vous voulez les prendre, elles sont à vous.

M. Lefebvre: Oui. Merci, M. le Président. Dr Diop, en fait, dans votre conclusion, à la page 33 de votre document, sous le titre «Synthèse», je pense que vous résumez très bien vos préoccupations. Vous faites référence, entre autres, au fait que le système d'aide juridique, à l'origine, dans son concept, représentait beaucoup plus que ce que vous souhaiteriez, vous, aujourd'hui. Vous dites, à la page 33, comme je viens de l'indiquer, que maintenant le régime se limite obstinément à la représentation des usagers devant les tribunaux. Et, au paragraphe suivant, vous indiquez aussi qu'on n'y trouve pas les services adéquats et adaptés aux besoins réels des usagers, ainsi qu'en termes de représentativité dans la structure du système.

Dr Diop, si vous aviez une recommandation à nous faire, quelques gestes rapides qu'on pourrait poser pour améliorer le système d'aide juridique dans le sens que vous le souhaitez, qu'est-ce qu'il faudrait faire rapidement?

M. Diop (Abdoulaye): Bien, ce qu'il faudrait faire rapidement, je vais vous donner juste deux mots, pour passer la parole à mon cher président ici présent, M. Philip. Je pense, premièrement, qu'il faudrait d'abord essayer de rendre ça beaucoup plus humain, de le mettre vraiment à côté de nous autres. C'est-à-dire qu'au lieu de le mettre, par exemple, en termes institutionnels, il faudrait le mettre en termes communautaires; le faire descendre, par exemple, au niveau des organismes communautaires. Ça, c'est un premier point. Mais ce que nous...

M. Lefebvre: Entre autres, le volet information, peut-être?

M. Diop (Abdoulaye): Oui, formation, prévention, recherche, tout ce que vous voudrez.

M. Lefebvre: D'accord.

M. Diop (Abdoulaye): Et l'autre problème, aussi, qui me semble fondamental, c'est le phénomène de représentation. Il faudrait aussi essayer... Comme je le disais tout à l'heure, ce n'est pas parce que les gens ne veulent rien; au contraire, nous essayons de nous intégrer le plus possible.

M. Lefebvre: Oui, oui.

M. Diop (Abdoulaye): Mais encore faut-il que nous soyons aidés dans ce sens-là, et je pense que les deux conjugués, bien, nous permettraient certainement de faire quelque chose.

M. Lefebvre: Les deux éléments conjugués...

M. Diop (Abdoulaye): Voilà, effectivement.

M. Lefebvre: ...rejoindraient vos objectifs...

M. Diop (Abdoulaye): Définitivement...

M. Lefebvre: ...à tout le moins, pour l'essentiel.

M. Diop (Abdoulaye): Oui, oui, oui.

M. Lefebvre: Oui, Me Bazin.

M. Bazin (Gabriel): Non, je n'ai rien à ajouter. Philip.

Une voix: Oui. Philip va passer à Alya. Elle va...

M. Lefebvre: Si vous avez d'autres commentaires à faire, je suis prêt à vous écouter.

Mme Hadjem (Alya): Non, je pense que le Dr Diop a fait le tour de la question. Ne serait-ce que de rementionner le fait que le noeud du problème réside vraiment dans le manque de représentativité des membres des communautés noires au sein du système d'aide juridique. Quand on considère que, effectivement, il y a des critères d'admissibilité qui ont l'air, à prime abord, objectifs, il ne faut pas oublier non plus qu'il y a une espèce de culture, si on veut, qu'on retrouve derrière les critères, qui n'est pas une culture nécessairement universelle. C'était juste peut-être pour mentionner ou souligner ce point-là.

M. Lefebvre: Alors, à mon tour, je voudrais, Mme Hadjem, Dr Diop, M. Philip et Me Bazin, vous remercier, dans un premier temps, de la qualité du mémoire que vous nous avez soumis, qui contient des éléments extrêmement importants, pertinents. C'est une analyse extrêmement poussée que vous avez faite, qui est bien présentée. Et je veux aussi vous remercier pour l'exposé auquel on a eu droit cet après-midi, à l'échange que nous avons eu ensemble. Je conclus en vous disant que le ministère de la Justice, le gouvernement du Québec est très à l'écoute, sera à l'écoute. On essayera, au moment où on analysera les modifications à apporter au régime... Je pense qu'on peut l'améliorer. On fera l'impossible pour tenir compte des recommandations, Dr Diop, que vous nous avez présentées dans votre mémoire et expliquées à l'intérieur de votre exposé de cet après-midi. Je vous remercie beaucoup.

M. Diop (Abdoulaye): Merci beaucoup.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. le ministre. Madame, messieurs, merci. Ceci met fin à nos travaux pour cet après-midi. Je vais donc suspendre, et nous reprendrons les auditions ce soir, en cette salle, à partir de 20 heures. Alors, bon appétit à tout le monde. La commission est maintenant suspendue.

(Suspension de la séance à 18 h 26)

(Reprise à 20 h 7)

Le Président (M. Parent): S'il vous plaît! J'inviterais nos invités à prendre place, ainsi que les membres de cette commission. Nous accueillons ce soir, comme premier groupe, la Ligue des droits et libertés. Alors, les représentants ou les porte-parole de la Ligue des droits et libertés, je vous invite à prendre place à l'avant. Il y a des chaises qui vous sont réservées. Si je suis bien informé, la Ligue des droits et libertés est représentée par Me Lucie Lemonde, qui est membre du conseil d'administration, et par Me Dominique Goubau, membre de la Ligue.

Alors, je vous rappelle que nous avons une heure pour dialoguer entre nous et écouter vos commentaires sur ce projet d'actualisation de la Loi sur l'aide juridique. Alors, le temps est partagé également entre vous et les deux formations politiques, environ 20 minutes chacun. Alors, sur ce, je vous laisse la parole. Qui est-ce qui commence? Nous vous écoutons. C'est vous madame?

Mme Lemonde (Lucie): C'est moi.

Le Président (M. Parent): Alors, maître, la parole est à vous.


Ligue des droits et libertés

Mme Lemonde (Lucie): Bonsoir. Donc, je m'appelle Lucie Lemonde. Je suis professeure au Département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal et membre du conseil d'administration de la Ligue des droits et libertés, et mon collègue, Me Dominique Goubau, est professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval et membre de la section Québec de la Ligue des droits et libertés. Ça va?

Le Président (M. Parent): Oui.

Mme Lemonde (Lucie): La Ligue des droits et libertés est un organisme de promotion et de défense des droits et elle a fêté son trentième anniversaire cette année. Dans les dernières années, elle a été très active dans les dossiers concernant le respect de la vie privée, la pauvreté, les droits humains, la question autochtone, et elle reçoit quotidiennement des demandes d'information ou des plaintes concernant, notamment, la notion d'accès à la justice.

Nous pensons que plusieurs dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne au Québec et de la Charte canadienne des droits et libertés garantissent l'accessibilité de toutes et de tous à la justice ainsi que le droit à l'avocat dans diverses circonstances. Ces dispositions, selon nous, imposent des paramètres quasi constitutionnels et constitutionnels à toute tentative de réforme de l'aide juridique par le gouvernement québécois.

À l'heure actuelle, et ce n'est un secret pour personne, les seuils d'éligibilité à l'aide juridique sont si bas – en fait, ils sont les moins élevés au Canada – que seule une infime partie de la population peut exercer ses droits fondamentaux. À toutes fins pratiques, seuls les assistés sociaux, et même encore, ont accès à l'aide juridique. Les personnes économiquement démunies, pour lesquelles le régime avait été créé en 1972, ne peuvent plus se défendre ou faire valoir leurs droits devant les tribunaux. L'appauvrissement constant des classes moyennes et défavorisées rend la situation encore plus dramatique.

(20 h 10)

La Ligue des droits et libertés a toujours lutté pour la reconnaissance du droit d'accès à la justice des Québécois et des Québécoises et elle avait participé à la création du régime d'aide juridique en 1972. Elle réclame aujourd'hui, tout comme elle l'a fait en 1992 lors du Sommet de la Justice, l'augmentation des seuils d'éligibilité au régime d'aide juridique et s'oppose à toute forme de coupure dans l'étendue des services juridiques couverts par le régime actuel. Sur ce dernier point, la Ligue s'inquiète fortement de l'apparition de nouvelles tendances de coupures au niveau des services couverts par le régime actuel. Il semble en effet que des directives soient émises, dans les centres communautaires juridiques, de donner au terme «service juridique» un sens très restreint, de sorte que de moins en moins de mandats ne soient émis. Il est à craindre que, dans un proche avenir, seuls les actes exclusifs, au sens de la Loi sur le Barreau, ne soient reconnus comme étant des services juridiques. Le ministre Rémillard a soulevé lui-même la question dans son document «L'aide juridique au Québec...» en demandant, et je le cite: Est-il opportun de maintenir la coupure du régime d'aide juridique lorsque le requérant demande à être représenté par un avocat devant un tribunal dont la loi constitutive ne précise pas que la représentation est du ressort exclusif d'un avocat? Si une telle position était maintenue, il n'y aurait plus d'accès à la justice pour les démunis, et ce, dans presque tous les secteurs de la vie quotidienne couverts par le droit administratif. Nous n'avons qu'à songer, par exemple, aux plaintes à la Commission des droits de la personne, à la Commission des normes du travail, à la Commission de la santé et de la sécurité, à la Régie du logement, etc. Comme la représentation devant ces organismes administratifs ne constitue pas un acte protégé et n'est donc pas obligatoirement confiée à un avocat, elle ne constituerait pas, selon cette philosophie, un service juridique et, par conséquent, ne serait pas couverte par l'aide juridique.

Il ne faut pas perdre de vue que les justiciables ne sont pas toujours en demande devant ces organismes ou tribunaux administratifs, mais que, bien souvent, il s'agit pour eux de se défendre à l'encontre de décisions administratives unilatérales – comme, par exemple, une coupure d'aide sociale – et qu'ils doivent affronter, à ce moment, une batterie d'avocats représentant le gouvernement, une agence administrative ou une entreprise. Leur nier le droit à l'assistance judiciaire dans ces circonstances constitue une négation du droit à l'égalité devant la loi et du droit à un procès équitable.

Toutes les questions soulevées dans le document de M. Rémillard à l'annexe 3, principalement celles concernant l'étendue de la couverture de l'aide juridique, tendent vers un affaiblissement notable de l'accès à la justice. Ainsi, il se demande s'il est opportun de maintenir le service lorsque sa valeur est minime, lorsqu'il n'y a pas de risque de conséquences sérieuses comme l'emprisonnement, lorsque le requérant serait en mesure d'assurer lui-même sa défense, lorsque le requérant n'est pas citoyen canadien, etc. Comment va-t-on établir que la valeur d'un service est minime? Et qui établira cela? Et, même si une personne n'est pas condamnée à l'emprisonnement, les conséquences sociales d'un casier judiciaire sont énormes. En plus d'affecter directement le droit au travail par la perte d'emploi ou le refus d'embauche, les exclusions législatives sont très nombreuses. Par exemple, on refuse le droit d'occuper un poste d'officier syndical, le droit d'être juré; je pense qu'il y a en tout une centaine de lois où il y a une exclusion pour les personnes ayant un casier judiciaire. La Ligue s'oppose donc fermement à toute forme de coupure ou d'affaiblissement des services couverts par l'aide juridique, tant au niveau des tribunaux administratifs qu'en matières pénale et criminelle, en droit de l'immigration et en droit carcéral.

Dans un autre ordre d'idées, je parlerai maintenant de la hausse des critères d'admissibilité. Nous croyons qu'il est impératif d'augmenter les seuils d'admissibilité au régime d'aide juridique afin que les personnes démunies jouissent des mêmes droits constitutionnels d'accès à la justice que les autres justiciables, sans discrimination fondée sur leur condition sociale, leur âge ou leur citoyenneté. La grande préoccupation du gouvernement, du moins tel que le démontrait le document de M. Rémillard, est la question du financement du régime. Ce document insiste sur le besoin d'augmenter les seuils d'admissibilité, et, sur ce point, je pense que tout le monde est d'accord. Mais, dans le contexte de restrictions budgétaires... et il émet diverses hypothèses comptables pour financer le système.

Parmi les solutions envisagées, la Ligue s'oppose à l'instauration d'un ticket modérateur et à la fin du régime mixte. L'imposition de frais d'ouverture de dossier ne permet aucune économie substantielle et, dans les faits, constituerait une barrière pour plusieurs justiciables incapables de les payer. D'autre part, le droit à l'avocat de son choix est un principe fondamental pour assurer le droit à l'égalité devant la loi dans un pays démocratique fondé sur la primauté du droit.

La déjudiciarisation est un principe auquel la Ligue adhère et qu'elle encourage, mais cette déjudiciarisation ne doit pas se faire au détriment des plus démunis. Ainsi, il faudrait que les services de médiation ou de conciliation soient gratuits et que les parties soient en véritable position d'égalité, c'est-à-dire qu'elles aient accès aux mêmes services d'experts, etc. Ce sont les points que je voulais soulever de notre mémoire.

Le Président (M. Parent): Alors, ça met fin à votre exposé?

Mme Lemonde (Lucie): Oui.

Le Président (M. Parent): Je vous remercie. Maintenant je reconnais M. le ministre de la Justice. M. le ministre.

M. Lefebvre: Merci. Me Lemonde et Me Goubau, je vous remercie d'être ici ce soir pour nous donner des détails relativement au mémoire que vous avez soumis à la commission des institutions. C'est un mémoire qui, comme beaucoup d'autres mémoires qui nous ont été soumis – et j'oserais même dire la plupart des mémoires – touche des questions extrêmement importantes, qui touche évidemment des questions qui sont propres aux activités de votre organisme.

Ma première question, Me Lemonde. J'aimerais savoir de quel... On a de l'information quant aux membres qui forment la Ligue des droits et libertés, il y a des personnes physiques, des membres individuels et il y a également, je pense, des groupes, des entités qui, comme groupes, sont membres de la Ligue.

Mme Lemonde (Lucie): Pas vraiment, non.

M. Lefebvre: Non?

Mme Lemonde (Lucie): Il y a des membres individuels. Depuis quelques années, il y a des sections locales. Il y en a une à Sherbrooke, une à Chicoutimi et une, toute récente, qui est en train de se former et qui est à Québec. Par contre, à l'intérieur de la Ligue se forment des comités de travail spécifiques à certains dossiers, et il y en a un, justement, sur la question d'accès à la justice. Il y en a un autre sur la question autochtone, etc., mais ce sont des personnes physiques. Il va arriver, par contre, et très fréquemment, que la Ligue fasse partie de regroupements avec d'autres organismes quand ils travaillent sur des dossiers comme eux.

M. Lefebvre: Me Lemonde, la responsabilité que s'est donné votre organisme est de défendre les libertés individuelles et, pour y arriver, de donner le plus d'information possible aux membres qui se retrouvent à l'intérieur de votre organisme, comme au grand public en général. Est-ce que vous considérez que, de façon générale, au Québec, la population connaît bien le régime d'aide juridique? À tout le moins, dans un premier temps, connaît l'existence du service? Et, de façon générale, est-ce qu'on sait, au Québec, en quoi consistent les services ou l'organisme qui s'appelle la Commission des services juridiques et les différents points de service, les bureaux d'aide juridique qu'on retrouve un petit peu partout au Québec? Est-ce qu'on sait que ça existe et est-ce qu'on comprend bien ce que c'est?

Mme Lemonde (Lucie): Je pense que oui, l'existence est connue d'une façon assez généralisée, surtout dans les endroits où il y a des – je ne me rappelle pas exactement du terme – des centres communautaires, comme à Pointe-Saint-Charles...

M. Lefebvre: Des cliniques, des bureaux.

(20 h 20)

Mme Lemonde (Lucie): ...ou dans des endroits spécifiquement plus démunis où, là, c'est connu parce que les gens y font un travail de prévention et d'éducation, et il y a plus de liens avec les membres du public.

Par contre, le type de demandes qu'on a souvent à la Ligue concerne justement l'admissibilité à l'aide juridique: Comment ça se fait que j'ai été refusé? Je suis sur le chômage, ou je suis au salaire minimum, ou des trucs comme ça. Ça, ça va arriver. Et, là, ils se demandent ce qu'ils peuvent faire. Je dirais que, à ma propre connaissance, oui, il y a une connaissance assez bonne dans le public et, mise à part la question d'accessibilité, une assez bonne confiance aussi dans le régime.

M. Lefebvre: On connaît bien le régime. Vous venez d'indiquer qu'il y a des cliniques qui font un bon travail de prévention, un bon travail d'éducation. Dans votre mémoire, Me Lemonde, vous indiquez souhaiter, comme d'autres intervenants, qu'on tente le plus possible au Québec de déjudiciariser ou de ne pas judiciariser les gestes, les activités qui peuvent avoir été posés par nos citoyens. Autrement dit, on évalue, avec beaucoup d'efforts présentement, de quelle façon on pourrait éviter de judiciariser les crimes mineurs. On évalue de quelle façon on pourrait procéder pour sanctionner d'une façon non judiciaire les crimes mineurs. Je peux vous donner, par exemple, l'exemple du vol à l'étalage pour un citoyen ou une citoyenne qui en est à sa première offense. Je vous donne un exemple très concret pour qu'on se comprenne bien. Est-ce que, dans une démarche comme celle-là, l'aide juridique pourrait jouer un rôle plus actif au niveau de la prévention? Vous indiquiez, Me Goubau, par un signe de tête que vous êtes d'accord avec ce que j'allais amener comme conclusion: que l'aide juridique pourrait nous supporter dans une démarche comme celle-là au niveau de la prévention et de l'éducation.

M. Goubau (Dominique): Bien, M. le ministre, je pense que ça fait certainement partie du rôle que doit jouer l'aide juridique.

Mais, pour revenir un petit peu à votre première question: Est-ce que l'aide juridique est connue dans le public? Elle est connue des gens qui font appel aux services de l'aide juridique. Mais je pense qu'elle gagnerait certainement à être plus connue et que l'aide juridique pourrait être beaucoup mieux connue du public si les services d'aide juridique, actuellement, pouvaient jouer un de leurs rôles qui est justement ce rôle de prévention et d'éducation.

Il m'apparaît que la plupart des avocats, à l'heure actuelle, qui sont les permanents de l'aide juridique sont tellement submergés par leur travail, tellement submergés par le nombre de dossiers qu'ils en sont réduits à leur seule tâche de curatif, c'est-à-dire à plaider des dossiers, à défendre des cas par cas et à laisser, malgré eux, je pense, l'autre côté de leur travail qui est tout aussi important, celui de la prévention et de l'éducation. Je pense que c'est notamment par le fait qu'on manque d'effectifs, par le fait qu'il y a beaucoup trop de dossiers, parce que de plus en plus de gens vivent dans la pauvreté et sont donc admissibles aussi. Les avocats de l'aide juridique, à l'heure actuelle, sont submergés par le travail curatif et n'ont pas le temps d'utiliser du temps pour l'aspect plus préventif et éducationnel de leur travail, et je pense que c'est important.

M. Lefebvre: Merci. Dans quel secteur du droit cet énoncé que vous venez de nous expliciter serait le plus efficace, à savoir la prévention, l'éducation? Est-ce que c'est en matière de droit civil, et particulièrement au niveau du droit matrimonial? Je fais tout de suite un corollaire avec la conciliation et la médiation. Est-ce que tout ça ferait partie d'une approche globale?

M. Goubau (Dominique): M. le ministre, je pense que tous les secteurs peuvent être touchés. Je pense également, par exemple, à cette loi que l'Assemblée nationale a adoptée en 1989 et qui a introduit la possibilité pour les personnes de faire un mandat en cas d'inaptitude. On sait que la Commission des services juridiques, à cette occasion-là, a publicisé un document qui est un mandat type en cas d'inaptitude et qui, d'ailleurs, a été très bien reçu dans le public. Je pense que voilà le genre d'intervention qui est bien reçu et voilà le genre d'intervention que l'aide juridique devrait favoriser. Mais je pense que, malheureusement, les avocats de l'aide juridique, à l'heure actuelle, sont submergés par d'autres tâches et ne peuvent pas assumer ce côté-là de leur travail. Mais je suis d'accord avec vous et je pense que ces interventions concernent tous les secteurs du droit, aussi bien le secteur du droit familial, et peut-être même encore plus, le secteur du droit social.

M. Lefebvre: Vous indiquez, et c'est une correction que je veux vous apporter – ce n'est pas majeur, remarquez bien, là, ça n'a rien à voir avec l'essentiel de votre document – vous dites, à la page 5, que les tarifs des honoraires payés aux avocats n'ont pas été modifiés depuis 1980. Je veux tout simplement vous indiquer que, depuis 1980, il y a eu deux nouvelles ententes relativement à l'amélioration des honoraires des avocats: 1984 et une, relativement récente, qui est 1990. Est-ce que...

Mme Lemonde (Lucie): Je m'excuse...

M. Lefebvre: Oui, madame. Oui, maître.

Mme Lemonde (Lucie): ...de cette erreur.

M. Lefebvre: Non, non, ce n'est pas grave, ce n'est pas grave, Me Lemonde. Je voulais juste, tout simplement à titre d'information, et j'ai même précisé que ce n'est pas... Quant à moi, là, ça n'a rien à voir avec les idées de fond qui apparaissent dans votre document. Vous semblez, de façon générale, nous indiquer – et remarquez bien que je vous comprendrais si c'était le cas – souhaiter qu'on ne modifie pas la couverture des services. Mais, si, par hypothèse, je vous indiquais qu'on est, jusqu'à un certain point, coincé entre les choix douloureux qu'on aurait, soit de diminuer l'ensemble des services pour améliorer et rehausser les seuils d'admissibilité... Si c'était le cas – je vous pose la question, vous êtes libre de répondre ou pas – quels sont les services sur lesquels on devrait évaluer, là, la possibilité de ne plus donner la couverture? Droit pénal? droit matrimonial? droit administratif? Est-ce que vous pensez, entre autres – je vais vous donner un exemple encore précis – le droit pénal statutaire, où, de façon très claire, en vertu des dispositions mêmes de la loi, il n'y a aucun risque d'emprisonnement pour le prévenu... Et on pourrait également... et je pourrais ajouter que c'est reconnu comme étant une activité pénale ou un... des crimes mineurs ou des accusations mineures où, en dehors de l'aide juridique, un justiciable se défend seul devant les tribunaux. Infractions au Code de la sécurité routière, par exemple. Est-ce que ça pourrait être... est-ce qu'on pourrait imaginer la possibilité de ne plus couvrir ce genre de services?

Mme Lemonde (Lucie): Bien, j'ai l'impression que la perte...

M. Lefebvre: Est-ce que ça vous choquerait si on évaluait cette possibilité-là?

Mme Lemonde (Lucie): Ha, ha, ha! Bien, j'y...

M. Lefebvre: Comme juriste, comme juriste.

Mme Lemonde (Lucie): J'y verrais un certain danger évident, c'est que la personne qui ne pourrait se payer elle-même les services d'un avocat, si elle en veut...

M. Lefebvre: Oui.

Mme Lemonde (Lucie): ...est probablement la même personne qui se trouverait à être condamnée au paiement d'une amende et, si elle n'est pas en mesure de la payer, pourrait éventuellement être emprisonnée pour non-paiement d'amende. Donc, je ne suis pas certaine que l'idée de rogner, si vous permettez l'expression...

M. Lefebvre: Oui, oui.

Mme Lemonde (Lucie): ...un petit peu à gauche, à droite, comme ça, va apporter des solutions importantes au problème de financement.

Il y a d'autres problèmes où il serait peut-être... d'autres situations où il serait plus facile de couper. Bon, on pourrait peut-être penser à, par exemple, prévoir un plafond pour certains avocats de pratique privée qui font des demi-millions par année avec l'aide juridique, ou de placer un plafond là-dessus, donc qu'il y ait certains endroits où il serait possible... par exemple, peut-être couper l'enquête préliminaire, ou je ne sais pas, mais pas dans le financement des services comme tel, mais ailleurs. Si, par le biais de la déjudiciarisation, moins de choses vont en cour – donc moins besoin d'avocats comme tels – c'est un moyen aussi pour aller récupérer de l'argent. Mais...

(20 h 30)

M. Lefebvre: Ce que j'essaie de vous indiquer, maître... Je m'excuse, je vous ai interrompue.

Mme Lemonde (Lucie): Non, allez-y. Oui.

M. Lefebvre: Me Goubau, oui.

M. Goubau (Dominique): Je voudrais seulement ajouter ceci, M. le ministre. Moi, je trouve personnellement qu'il est dangereux de se dire: On s'est doté d'un système d'aide juridique en 1972; aujourd'hui, en 1994, avons-nous encore les moyens de maintenir ce système? Je pense qu'il faut se situer dans une autre perspective. Il faut comprendre qu'aujourd'hui le système d'aide juridique n'est plus du tout ce qu'il était en 1972. Les gens qui étaient admissibles en 1972 ne sont plus admissibles aujourd'hui. Alors, je trouve que mettre le débat sur tel type ou tel type de petits services qui pourraient ou qui ne pourraient pas être couverts est un débat qui est très mineur par rapport à celui de l'utilité de l'objectif même de l'aide juridique. Nous n'avons plus aujourd'hui, en 1994, le système d'aide juridique dont le Québec s'est doté en 1972.

Vous savez que les avocats de l'aide juridique, lorsqu'ils rencontrent leurs clients et qu'ils en sont à la première étape qui est celle de l'admissibilité, la déclaration d'admissibilité à l'aide juridique, qui se fait en deux étapes: la première, c'est l'admissibilité financière et, ensuite, l'admissibilité sur le fond... ils passent plus de temps à expliquer aux gens qui sont au chômage qu'ils ne sont pas admissibles à l'aide juridique, qu'ils sont trop riches pour être admissibles à l'aide juridique qu'ils n'ont de temps à leur expliquer le fond même de leur dossier. Alors, je pense que c'est là la perspective dans laquelle il faut se situer lorsqu'on débat de l'institution elle-même, parce que l'institution elle-même ne ressemble plus à ce qu'elle était au départ.

M. Lefebvre: Vous avez parfaitement raison, Me Goubau, au niveau des seuils d'admissibilité. Maintenant, il faut également comprendre les contraintes avec lesquelles le gouvernement a à composer. Lorsqu'on parle de rehausser les seuils d'admissibilité, vous n'indiquez pas dans votre mémoire jusqu'à concurrence de quel niveau. En supposant, par hypothèse, que vous souhaiteriez qu'on atteigne à peu près, qu'on rattrape la clientèle qui était admissible en 1972, c'est plus ou moins 80 % du MGA, et je veux tout simplement vous indiquer qu'on parle d'une bagatelle de 33 000 000 $. Si on ne réévalue pas la couverture des services, si on n'intervient pas au niveau de la gestion du régime d'aide juridique et que la seule solution qu'on évaluerait, ce serait tout simplement d'ajouter des sommes d'argent additionnelles, c'est 33 000 000 $. Et je vous rappelle que ce sont des fonds qui sont payés par l'ensemble des citoyens du Québec qui, pour certains, se plaignent – quant à moi, à tort – qu'on institue un régime comme celui-là, dont ils ne peuvent pas bénéficier parce que ayant un revenu toujours supérieur au seuil maximum. Mais il faut bien comprendre que ce sont ces citoyens-là qui ont à débourser les frais du régime d'aide juridique et qui, pour certains, et pour plusieurs même, lorsqu'ils ont à faire face, comme je l'indiquais tout à l'heure, à des accusations relativement mineures en droit pénal, se défendent seuls devant les tribunaux. Ce sont toutes ces questions-là auxquelles on est confrontés. Évidemment, je comprends votre raisonnement et je l'accepte, et même probablement que j'interviendrais dans le même sens que vous le faites. Vous vous en tenez aux règles et aux principes, et ça, je le comprends. Je veux juste, en terminant, vous indiquer que, nous, on aura à évaluer l'intervention de l'État en tenant compte des considérations d'ordre financier, on n'a pas le choix.

Une dernière question...

Une voix: Madame aurait quelque chose à ajouter.

M. Lefebvre: Oui, madame, oui, maître.

Mme Lemonde (Lucie): Je voulais juste, là-dessus, expliquer la raison pour laquelle la Ligue n'a pas fait de proposition au niveau du financement. On n'est pas un organisme qui a les ressources nécessaires pour procéder à une étude comptable exhaustive des implications financières d'une augmentation. Il y a d'autres groupes qui l'ont fait; il y a le Barreau, la CSN, etc. Ce que je puis dire, c'est que la Ligue a déjà appuyé, en 1992, au Sommet de la Justice, la recommandation du rapport Macdonald sur la modulation des frais selon le revenu des justiciables.

M. Lefebvre: Volet contributoire, volet contributoire.

Mme Lemonde (Lucie): C'est ça. Et elle appuie aussi le principe de la déjudiciarisation et de la médiation, ce qui serait une façon d'aller chercher de l'argent. Ce sur quoi nous sommes contre à tout prix, c'est dans la coupure des services. Bon, de dire que quelqu'un a un ticket, je ne suis pas certaine, premièrement, que c'est...

M. Lefebvre: Vous parlez des frais d'ouverture, des tickets modérateurs?

Mme Lemonde (Lucie): Non, pas du ticket modérateur. Mais vous parliez de la personne qui va aller se défendre seule sur un ticket...

M. Lefebvre: Ah bon! Oui.

Mme Lemonde (Lucie): Je ne suis pas sûre que, là non plus, on parle d'économies substantielles.

M. Lefebvre: Vous nous suggérez aussi, Me Lemonde, dans votre mémoire, d'évaluer les coûts d'expertise, hein. Vous le dites à la page 3 de votre...

Mme Lemonde (Lucie): Oui, oui.

M. Lefebvre: Merci, Me Lemonde et Me Goubau.

Le Président (M. Parent): Merci, M. le ministre. Alors, selon nos règles, je reconnais maintenant la porte-parole de l'Opposition officielle, Mme la députée de Terrebonne. Mme la députée.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Me Lemonde, Me Goubau, merci beaucoup de votre participation. Je pense que les premières phrases de votre mémoire sont évidemment la base qu'il faut retenir lorsqu'on se parle de droit d'accès à la justice, c'est-à-dire que «l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne au Québec garantit l'accessibilité de toutes et de tous à la justice» et que «l'article 34 prévoit, pour sa part, que "toute personne a droit de se faire représenter par un avocat ou d'en être assistée devant tout tribunal"». Vous nous ajoutez, évidemment, que les articles 7 et 11 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissent le droit dans diverses circonstances, et c'est même une question constitutionnelle, finalement, de maintenir ces principes-là.

Lorsque vous nous dites aussi que de gruger sur certains services, finalement, ça n'amène pas d'économies substantielles et que ça ne vient pas soulager, finalement, le régime d'aide juridique, dans ce sens-là, vous allez exactement dans les conclusions du rapport Macdonald, qui disait que de restreindre la couverture, finalement, c'étaient des économies de bouts de chandelle. Par contre, il y a eu des propositions de certaines coupures. Vous parliez tantôt du plafonnement; c'est un bon exemple. Vous avez aussi parlé, dans votre mémoire, des frais d'experts, qui ont constitué des sommes extrêmement importantes dans les coûts et qui peuvent amener certaines économies.

Du côté du Barreau, on nous a parlé aussi de la notion d'honoraires forfaitaires, qui pourraient permettre d'amener des coûts un petit peu moins élevés, surtout lorsqu'on se parle des mandats au niveau des avocats privés qui, des fois, multiplient les procédures pour pouvoir arriver à un montant plus intéressant. On nous a suggéré aussi d'avoir un nombre de stagiaires peut-être plus important au niveau des bureaux d'aide juridique, donc de réduire un petit peu les coûts à ce niveau-là. Les techniciens en droit sont venus nous dire qu'on pourrait utiliser davantage leurs services dans les bureaux d'aide juridique, ce qui nous permettrait des coûts un petit peu moins élevés. Le rapport Raymond, Chabot, Martin, Paré proposait certaines mesures au niveau de la gestion qui permettraient de resserrer davantage.

Je pense qu'il y a eu plusieurs propositions qui peuvent nous permettre d'apporter, de remettre, finalement, les seuils à ce que... à redonner l'accès au moins à la clientèle de 1972. Lorsque le ministre nous parle de 33 000 000 $, 32 700 000 $, c'est évidemment en n'enlevant pas le pouvoir discrétionnaire qui est actuellement utilisé, ce qui fait qu'en réalité on se parle davantage d'autour de 25 000 000 $ pour rétablir, et ça, c'est en maintenant tel quel, sans faire les coupures dont on s'est parlé.

Il y a aussi au niveau de l'immigration; les dossiers d'immigration se retrouvent tous en pratique privée, donc il n'y a pas de permanents, de salariés dans ces dossiers-là, comme il y en avait avant, ce qui nous permettait d'arriver à des taux qui étaient déjà pré-établis.

(20 h 40)

Vous avez aussi, dans votre mémoire, parlé de directives, en page 5. Je ne veux pas vous faire dévoiler vos sources. Vous nous dites que «selon plusieurs sources, il semble que des directives soient émises dans les centres communautaires juridiques de donner au terme "service juridique" un sens très restreint de sorte que moins de mandats ne soient émis». À votre connaissance, ces directives-là, actuellement... quels genres de mandats ne seraient pas émis actuellement à cause de ces directives-là?

Mme Lemonde (Lucie): Ça c'est fait notamment dans le domaine... Il y a un exemple qui me vient à la tête, dans le domaine du droit carcéral, entre autres. Il a été reconnu par les tribunaux, et même des tribunaux supérieurs, que, par exemple, une condamnation d'un tribunal disciplinaire, dans un pénitencier, à l'isolement cellulaire était une privation de liberté, parce qu'on envoyait en prison dans la prison. Donc, ça demandait l'assistance d'un avocat parce que c'était un droit fondamental. L'article 7 de la Charte canadienne était en jeu, etc.

Évidemment, devant ces organismes-là, ça ne prend pas obligatoirement un avocat. Mais, d'une part, on se bat pour faire reconnaître le droit à l'avocat comme étant un droit fondamental et constitutionnel et, d'autre part, on dit: Oui, mais ce n'est pas obligé d'être un avocat; on pourrait mettre, je ne sais pas moi, des étudiants en droit ou des techniciens judiciaires, etc. Je sais que dans plusieurs domaines on commence à agir comme ça. Et, ça, ce n'est pas que c'est mauvais en soi, mais c'est dangereux si ce n'est pas... comme je disais, c'est comme la déjudiciarisation ou la médiation, ce n'est pas dans une position d'égalité. S'il y a quelqu'un qui est d'un bord, qu'il y a un médiateur dans le milieu, puis que, de l'autre bord, il y a des avocats avec lui, je veux dire, ça devient... On ne peut pas parler, non plus, d'accès à la justice, on peut parler de justice à deux vitesses, et c'est ça qu'on voudrait éviter. Mais, effectivement, je ne dévoilerai pas mes sources...

Mme Caron: Non, non, on ne vous en demande pas tant.

Mme Lemonde (Lucie): Je pense qu'en même temps ce n'est un secret pour personne qu'il y a de plus en plus d'appels qui sont portés devant la Commission... c'est ça, je pense? un comité d'appel à l'aide juridique, justement sur ces notions-là... qu'on a coupé pour ça dans des centres locaux, et ça va en appel là-dessus.

Mme Caron: C'est évident, quand on parlait tantôt des techniciens en droit, les représentantes que nous avons eues, en tout cas, des techniciens en droit, ne se disaient pas habilitées à faire ce type de représentation là. Elles limitaient leur mandat beaucoup plus au niveau d'examiner l'admissibilité, de donner de l'information, et non pas vraiment d'aller au niveau de la défense. C'est évident que c'est le même problème au niveau des tribunaux administratifs, quand on parle d'équité. C'est évident que si la personne n'est pas représentée par un avocat, surtout, par exemple, dans les dossiers de la CSST, l'autre partie a évidemment des connaissances extrêmement précises, et ça peut amener un certain déséquilibre.

Vous nous avez parlé aussi, évidemment, puisque vous êtes à la Ligue des droits, qu'il ne faut pas faire de discrimination, finalement, fondée sur la condition sociale, l'âge et la citoyenneté. Et c'est évident donc, que, dans ce qui était proposé dans l'hypothèse de travail, vous vous opposez sûrement à ce qu'on ne couvre pas les services au niveau de l'immigration ou au niveau des réfugiés, au niveau des non-résidents.

Mme Lemonde (Lucie): Oui, et même, je dirais, au niveau de la majorité des personnes qui se retrouvent devant les tribunaux administratifs qui, souvent, sont les plus démunies, que ce soit à la commission d'aide sociale, ou peu importe. Et, d'après moi, nier le droit d'avocat dans une circonstance comme ça, c'est de la discrimination fondée sur la condition sociale.

Mme Caron: À la Ligue des droits, est-ce que vous avez eu souvent des plaintes de personnes vous disant qu'elles ne pouvaient pas être éligibles? Bon, souvent à cause du seuil. Mais nous avons entendu cet après-midi des représentants de la Ligue... de la communauté noire. Nous avons aussi entendu une représentante, Mme Lemieux-Brassard, de la Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées du Québec. Est-ce que vous avez des plaintes du côté des différentes communautés culturelles au niveau des services d'aide juridique comme tels, au niveau de l'accessibilité? On nous parle beaucoup de barrières, finalement, de barrières par méconnaissance de leur culture, par méconnaissance de leur condition. Même chose du côté des personnes handicapées; là, on se parle de barrières au niveau de l'information, barrières autant pour les personnes qui sont malentendantes que pour les personnes qui sont aveugles, et aussi de barrières physiques au niveau des lieux. Est-ce que vous recevez des plaintes de ce type-là?

Mme Lemonde (Lucie): Évidemment, je ne suis pas permanente à la Ligue, donc je n'ai pas une connaissance très grande de toutes les plaintes qui peuvent rentrer. Mais je sais, notamment, que nous nous sommes occupés d'un dossier, justement, avec des handicapés et un palais de justice spécifique, je pense que c'est Saint-Jérôme, qui n'était pas du tout équipé, aucune rampe... en tout cas, impossibilité ou presque d'y aller, à moins d'avoir des porteurs. Ça, on a eu des plaintes de cet ordre-là. Ça, c'est ce dont je me souviens, là.

Mme Caron: Ça va.

Mme Lemonde (Lucie): On a eu beaucoup de plaintes aussi par rapport – et j'en glisse un mot rapidement – à des femmes monoparentales avec leurs enfants, des problèmes avec l'aide sociale quand elles ont un nouveau copain, etc., et on leur refuse l'aide juridique parce qu'elles sont supposément en situation maritale – donc on tient compte de l'ensemble des revenus – alors que les droits qu'elle est en train d'exercer lui sont très personnels et concernent ses enfants à elle, ou son ex-mari, etc. Ça, on a beaucoup, énormément de plaintes sur ce point-là.

Mme Caron: Ça va m'amener à ma question suivante. En page 6, vous rappelez que, souvent, finalement, les personnes se retrouvent devant les tribunaux parce qu'il s'agit de se défendre contre certaines décisions administratives unilatérales, et ça, on le voit régulièrement. Est-ce que vous pensez – et ça éviterait peut-être certains coûts au niveau de la justice – qu'il y aurait lieu d'améliorer l'application des règlements dans ces différentes décisions administratives? Et on se rend compte que, souvent, mais très souvent, les décisions se retrouvent contestées, et le citoyen, la citoyenne a finalement gain de cause, ce qui fait que l'État, finalement, a payé. Et si la décision avait été rendue dès... la décision administrative dans chacun des bureaux locaux d'une manière correcte, on s'éviterait beaucoup de frais. Est-ce qu'à votre connaissance il y a lieu de faire des choses de ce côté-là?

Mme Lemonde (Lucie): Je penserais que oui et, d'après la Ligue... évidemment, nous sommes un organisme de pression, entre autres, et on trouve que, dans plusieurs domaines, il y a une inflation judiciaire, c'est-à-dire que les gens ou les groupes, que ce soit de défense de droits, et tout ça, utilisent de plus en plus les tribunaux pour faire... pensant faire valoir leurs... et que ce n'est peut-être pas spécialement le meilleur forum, et que ça pourrait... pour faire avancer certaines causes, d'aller devant les tribunaux, ce n'est pas toujours le même... Mais il y a comme un mouvement, surtout depuis les chartes, je pense, d'utiliser beaucoup le système judiciaire dans l'espoir d'obtenir des gains. Ce n'est pas mauvais dans tous les cas, mais je pense qu'il y a effectivement une surenchère de l'utilisation judiciaire au détriment de la mobilisation politique, parfois.

Mme Caron: M. le Président, selon mes sources, j'ai su que Me Goubau avait une expérience pratique dans un bureau d'aide juridique. À partir de cette expérience pratique, est-ce que vous pouvez... Vous l'avez bien démontré tantôt en disant qu'effectivement les avocats se retrouvent avec énormément de dossiers, ce qui fait qu'au niveau de la prévention, de l'information, c'est extrêmement difficile; ça, je pense que c'est une réalité. Mais est-ce que vous voyez des moyens qu'il faudrait mettre en application, ou certaines... utiliser d'autres personnes... Qu'est-ce que vous voyez au niveau de la gestion? Est-ce qu'il y a des moyens d'améliorer la gestion au niveau, directement, des bureaux d'aide juridique?

(20 h 50)

M. Goubau (Dominique): C'est peut-être une question de détail qui me vient à l'esprit, à l'occasion d'une de vos questions, on n'en parle pas dans notre mémoire, mais vous avez signalé l'opportunité d'engager des techniciens. Moi, je pense qu'il y a là certainement des choses intéressantes. Il faut savoir, et ça va peut-être intéresser M. le ministre, que les avocats de l'aide juridique, actuellement, passent un temps fou à la seule tâche de la vérification de l'admissibilité financière des gens à l'aide juridique. Or, voilà une étape qui est très facile, une étape qui ne demande aucune formation juridique et qui pourrait fort bien être assumée par d'autres personnes que par des avocats qui sont payés temps/avocat. Et la loi prévoit actuellement que c'est le directeur général du centre communautaire qui doit donc déclarer cette admissibilité. Actuellement, ce qui se passe dans les bureaux, c'est que ce pouvoir est délégué aux avocats, et les avocats passent donc parfois des journées entières à cette seule déclaration d'admissibilité financière. Je pense que c'est là une moyennement bonne gestion du temps des avocats, et ce temps pourrait être libéré à des choses beaucoup plus utiles, pour lesquelles, d'ailleurs, ils ont été formés. Alors, voilà un exemple qui me vient à l'esprit, et je suis certain qu'il y en a bien d'autres.

Le Président (M. Parent): S'il vous plaît, Mme la députée.

Mme Caron: Oui. Au niveau de votre expérience toujours, vous avez sûrement dû vous apercevoir que, finalement, beaucoup de personnes se rendent aux bureaux d'aide juridique, mais beaucoup ne sont plus admissibles. Vous l'avez vu directement par votre expérience. Quand on nous dit qu'on retrouve des personnes qui sont au salaire minimum et qui n'ont pas droit à l'aide juridique et que, finalement, même certains bénéficiaires d'aide sociale ne seraient pas éligibles si on s'en tenait uniquement aux barèmes, qu'on pense même à certains chômeurs qui ne sont pas éligibles, les retraités...

M. Goubau (Dominique): La plupart des chômeurs.

Mme Caron: La plupart des chômeurs, vu qu'on nous disait que la moyenne était d'environ 254 $ par semaine. Donc, finalement, le nombre de personnes qui sont éligibles dans ces bureaux-là, ça devient extrêmement minime.

M. Goubau (Dominique): Oui, et un des résultats de cela, c'est qu'il y a des pans entiers de la pratique d'avocat qui étaient traditionnellement, en tout cas depuis 1972, assumés par des avocats de l'aide juridique, comme, notamment, le droit du chômage, ne sont à l'heure actuelle presque plus pratiqués dans les bureaux d'aide juridique, en raison justement du problème que vous souleviez.

Mme Caron: C'est pour ça qu'on les retrouve finalement, qu'ils vont consulter... On a rencontré, cet après-midi, les groupes des Mouvement action-chômage, qui essaient de leur donner de l'information.

M. Goubau (Dominique): C'est ça.

Mme Caron: Une dernière question. Vous avez abordé dans votre mémoire l'appauvrissement constant des classes moyennes, finalement, des revenus moyens qui sont de plus en plus limités, et si l'accès n'est pas là pour les plus démunis, l'accès est de moins en moins aussi là pour les personnes à revenu moyen. Ce matin, la Chambre des notaires nous parlait d'une proposition qui m'apparaissait intéressante, c'est-à-dire, si on maintient, si on remet les barèmes, le seuil d'admissibilité au taux de 1972, et on pourrait ouvrir pour, par exemple, de 80 % à 100 % du MGA... ouvrir ça au tarif de l'aide juridique, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de montant additionnel versé par l'État, sauf que le citoyen et la citoyenne qui se situent de 80 % à 100 % du MGA, ou même à 120 % du MGA, pourraient bénéficier du même tarif que le tarif de l'aide juridique, ce qui est beaucoup moins élevé que le tarif régulier.

Mme Lemonde (Lucie): Oui, mais qui accepterait ça?

Mme Caron: Si on élargit l'aide sociale selon nos barèmes, on parlait d'échelle progressive, alors l'échelle, ça peut être un volet contributoire qui pourrait être de cette façon-là.

Mme Lemonde (Lucie): Je m'excuse, j'avais peut-être...

Mme Caron: Les notaires le proposaient eux-mêmes, disons.

Le Président (M. Parent): Oui, madame.

Mme Lemonde (Lucie): Oui, mais c'est-à-dire que les avocats accepteraient d'être payés au tarif d'aide juridique pour ces personnes-là?

Mme Caron: À partir du moment où vous dites que l'aide juridique, par exemple, couvre telle «bracket»...

Mme Lemonde (Lucie): Oui.

Mme Caron: ...et que vous dites: De tel pourcentage à tel pourcentage, c'est la gratuité totale...

Mme Lemonde (Lucie): Oui.

Mme Caron: ...de tel pourcentage à tel pourcentage, il pourrait y avoir un volet contributoire – le ministre en a parlé à quelques reprises, son prédécesseur aussi... Et ce que nous dit la Chambre des notaires, vous pourriez aussi avoir un barème, et même dans les documents du ministre, on avait de 100 % à 120 % du barème, qui pouvait aussi se retrouver à être carrément le taux de l'aide juridique tout simplement sans montant additionnel de l'État...

Le Président (M. Parent): Est-ce que vous voulez réagir? Si vous ne voulez pas réagir, ceci...

Mme Caron: Vous êtes sceptique par rapport aux avocats qui accepteraient, dans le fond.

Mme Lemonde (Lucie): Oui, c'est ça. Mais, moi...

Mme Caron: Mais, à partir du moment où vous dites: Le nouveau régime d'aide juridique, ce sont ces tarifs-là de tel montant à tel montant... vous avez des avocats permanents, c'est évident qu'en augmentant votre clientèle il faudrait peut-être aussi augmenter le nombre d'avocats permanents pour y répondre. Mais, à partir du moment où vous avez des permanents, vous avez moins de problèmes.

Mme Lemonde (Lucie): Oui, le problème ne se pose pas. Je pensais que vous faisiez allusion au fait qu'il fallait, un peu comme le Barreau l'a fait, faire confiance à la bonne volonté des avocats qui accepteraient de... Ha, ha, ha! ce dont...

Le Président (M. Parent): Vous n'avez pas l'air d'y croire.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Caron: C'est très difficile, de cette formule-là...

M. Lefebvre: Il y a des exceptions.

Mme Caron: Ce qui était difficile, de la formule des avocats, aussi, c'est qu'on disait: On leur demande de donner, finalement, de couper de 25 %. Mais 25 % de quoi?

Mme Lemonde (Lucie): C'est ça.

Mme Caron: Les tarifs étant variables, c'était effectivement difficile à accepter.

Je vous remercie beaucoup, Me Lemonde et Me Goubau, de votre présentation et des réponses à nos questions. Merci.

Le Président (M. Parent): Merci, Mme la députée. Pour la conclusion et le mot de la fin, M. le ministre de la Justice.

M. Lefebvre: Me Lemonde et Me Goubau, je vous remercie de votre exposé, je vous remercie de votre mémoire. J'ai trouvé qu'on avait une approche, vous deux, de notre côté et du côté de l'Opposition, qui est extrêmement agréable. C'est, encore une fois, la preuve qu'on peut discuter de sujets extrêmement sérieux d'une façon détendue.

Je retiens globalement de votre mémoire que, sur plusieurs points, vous nous faites des suggestions qu'on retrouve dans d'autres mémoires, des suggestions qui nous ont été soumises par d'autres organismes, et, sur d'autres points, vous avez les mêmes réserves et la même retenue également que d'autres organismes. Je vous remercie, Me Lemonde et Me Goubau. Merci beaucoup.

Le Président (M. Parent): Merci, madame. Merci, monsieur. Nous allons suspendre pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 20 h 57)

(Reprise à 20 h 59)

Le Président (M. Parent): J'invite les députés, les membres de cette commission à prendre place, et nous terminerons cette fructueuse journée de travail en accueillant M. Gilles Patenaude. M. Patenaude, vous nous avez fait parvenir un document dans lequel vous expliquez pourquoi vous aimeriez vous faire entendre à cette commission. Les membres de la commission, j'imagine, ont pris connaissance de cette lettre que vous nous avez envoyée, et nous vous écoutons, M. Patenaude.


M. Gilles Patenaude

M. Patenaude (Gilles): Je m'appelle Gilles Patenaude. Je travaille présentement à la société Postes Canada, strictement comme expéditeur. Je suis, comme on dit, quelqu'un qui n'a pas accès à l'aide juridique, mais qui vient à bout de se défendre malgré tout.

(21 heures)

Le Président (M. Parent): Vous avez accès à la commission permanente des institutions, qui est ici pour vous écouter religieusement.

M. Patenaude (Gilles): Bien, là, disons que moi, ce que j'ai soulevé dans ce mémoire, c'est que je ne peux avoir aucune idée des coûts que ça peut engendrer et ce qui peut en venir. Mais strictement, ce que je demanderais, c'est que les seuils d'admissibilité qui sont présentement à l'aide juridique, tout ce qu'il y aurait, disons, au-dessus... disons qu'il y aurait un système de pourcentage, disons 5000 $ de plus, mais disons qu'il y aurait, je ne sais pas, moi, 5 %, 10 000 $ de plus, 10 %, 15 000 $, 15 %, 20 000 $ de plus que le seuil, 20 % de ce que quelqu'un aurait besoin, je veux dire, pour assurer sa défense par l'entremise d'un avocat. Strictement ceci. Ou, si vous trouvez même cette solution encore trop onéreuse, bien, je veux dire, laissez-nous rentrer dans les bibliothèques juridiques afin qu'on puisse se renseigner quelque peu, parce que, là, présentement, on ne peut pas rentrer dans les bibliothèques juridiques.

Le Président (M. Parent): Est-ce que vous avez l'impression actuellement, M. Patenaude, que les moyens d'information que le public a à sa disposition concernant l'aide juridique ne se rendent pas jusqu'à la clientèle, quoi? C'est ça?

M. Patenaude (Gilles): Non, non, non. Je ne parle pas strictement de l'aide juridique. Je parle des bibliothèques qu'il y a dans les choses. Je parle au niveau juridique, strictement, pas de l'aide juridique.

Le Président (M. Parent): Oui, au niveau juridique?

M. Patenaude (Gilles): Strictement.

Le Président (M. Parent): Vous trouvez que vous n'avez pas accès à toute l'information à laquelle vous devriez normalement avoir droit.

M. Patenaude (Gilles): Bien, disons que, présentement, c'est strictement réservé aux juges, aux avocats ou aux stagiaires. On aimerait peut-être pouvoir aller faire un tour, pouvoir se renseigner.

Le Président (M. Parent): Bon, la question est posée. Je pense que vous allez avoir la chance tout à l'heure, avec le ministre ou la porte-parole de l'Opposition officielle, de dialoguer avec eux. Est-ce qu'il y a d'autres sujets qui vous fatiguent le plus, pour lesquels vous voudriez que l'on discute?

M. Patenaude (Gilles): Non, personnellement, c'est strictement ça. C'est pour ça que le mémoire était très concis, je veux dire... Parce que, là, je n'ai pas les connaissances pour développer plus loin.

Le Président (M. Parent): Non, non, vous êtes ici avec des gens pour vous écouter, puis soyez bien à votre aise.

M. Patenaude (Gilles): Non, non, mais je veux dire, c'est que je ne peux pas épiloguer sur rien. Je veux dire, strictement, juste ces deux points-là, on va...

Le Président (M. Parent): On va reconnaître le ministre. On va lui demander son opinion sur ça. M. le ministre.

M. Lefebvre: M. Patenaude...

Le Président (M. Parent): Adressez-vous au président, M. le ministre.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Vous voyez, M. Patenaude, on se fait ramener à l'ordre ici...

M. Patenaude (Gilles): Tout partout.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Parent): Moi, je suis ici, M. Patenaude, pour défendre vos droits.

M. Lefebvre: M. le Président, je voulais, je voulais... vous m'avez décontenancé...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: ...féliciter M. Patenaude. M. Patenaude, je vais faire une entorse. Je veux vous parler à vous directement, vous féliciter...

M. Patenaude (Gilles): Ah bon! je vous remercie.

M. Lefebvre: ...et vous remercier de nous avoir soumis une opinion qui tient à une seule page, mais qui souligne des éléments qu'on a retrouvés dans des mémoires de 20, 25, 30 pages, et aussi d'avoir accepté de venir nous rencontrer, de nous donner votre point de vue et de nous permettre de vous poser certaines questions.

Je voudrais, dans un premier temps, savoir de quelle façon vous en êtes arrivé à décider de nous soumettre votre opinion par écrit et à venir défendre votre point de vue ici, à la commission des institutions. Comment ça s'est passé? Vous avez su qu'il y avait une commission des institutions sur l'aide juridique?

M. Patenaude (Gilles): Oui. Ça a passé dans le Journal de Montréal , et disons que je tenais à émettre une opinion. Je l'ai mise concise parce que je croyais qu'elle serait comprise. Je veux dire, si vous avez voulu m'entendre... Mais je n'ai pas les compétences juridiques pour l'expliciter plus avant. Comme on dit, je voulais justement simplement vous informer d'un fait pour, je veux dire...

M. Lefebvre: Vous demeurez à Longueuil, M. Patenaude?

M. Patenaude (Gilles): C'est ça.

M. Lefebvre: Est-ce que, dans votre région, chez vous, autour de vous, vos compagnons ou compagnes de travail, vos voisins, connaissent le régime, le système d'aide juridique?

M. Patenaude (Gilles): Oui, mais on n'y est pas admissibles, il faut bien s'entendre.

M. Lefebvre: Je comprends. Mais, dans votre entourage, tout comme vous, vous savez depuis de nombreuses années qu'il y a un régime d'aide juridique qui...

M. Patenaude (Gilles): Oui.

M. Lefebvre: Vous suggérez, au premier paragraphe de votre lettre – de votre mémoire parce que c'est un mémoire, c'est un document d'une page...

M. Patenaude (Gilles): C'est une page. C'est strictement ça.

M. Lefebvre: ...qui contient des éléments extrêmement importants. Vous suggérez qu'on puisse élargir le régime d'aide juridique, avec une contribution aux justiciables présentement exclus; c'est ce qu'on appelle, nous, dans notre jargon, le volet contributoire. Comment ça fonctionnerait, selon vous? Comment en êtes-vous arrivé à penser que ce serait bon qu'on fasse ça?

M. Patenaude (Gilles): Je ne peux pas vous dire exactement en quoi ça serait bon en tant que tel, mais, au moins, c'est que les personnes seraient moins démunies, par rapport à une personne qui a présentement accès à l'aide juridique et qui peut attaquer. Au moins, c'est strictement que, si vous prenez une contribution d'un avocat privé à 150 $, 200 $ ou 250 $ l'heure, je veux dire que s'il y avait la possibilité que, avec une contribution, disons, de sa part, mais pas à 100 %, parce qu'on n'a pas les moyens... Si la personne était admissible à 10 % ou 15 % de la facture, ça serait moins onéreux. C'est strictement là-dessus que je veux en entendre.

M. Lefebvre: M. Patenaude, est-ce que je comprends que, des expériences que vous avez vécues devant les tribunaux...

M. Patenaude (Gilles): Ce n'est rien de bien grave.

M. Lefebvre: Tout ce que je veux savoir, c'est si vous vous êtes présenté seul devant le tribunal.

M. Patenaude (Gilles): Tout le temps.

M. Lefebvre: Tout le temps.

M. Patenaude (Gilles): Et il n'y a pas eu de problème. À venir jusqu'à date, ça va bien. Ça va bien, et on se débrouille assez bien.

M. Lefebvre: Est-ce que vous considérez qu'il y a certains débats devant la cour qui pourraient se faire sans qu'il y ait d'avocats? Vous savez comment fonctionne la Cour des petites créances?

M. Patenaude (Gilles): Non, malheureusement. La Cour des petites créances, je n'y suis jamais allé. Moi, je me suis promené...

M. Lefebvre: Il n'y a pas d'avocat ni d'un côté ni de l'autre.

M. Patenaude (Gilles): Moi, personnellement, je me suis promené en Cour supérieure et en Cour d'appel. C'est ce que je vous dis.

M. Lefebvre: Vous étiez seul? Pas d'avocat?

M. Patenaude (Gilles): Aucun. Il n'y a pas de problème.

M. Lefebvre: Avez-vous gagné de temps en temps?

M. Patenaude (Gilles): Comme c'est là, j'ai deux causes certifiées en état. Le procureur général n'a pas fourni son mémoire, alors je vais attendre.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Patenaude (Gilles): Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse?

M. Lefebvre: Les avocats traînent.

M. Patenaude (Gilles): Ah! Bien là, on verra. C'est ça que je vous dis: Un de ces quatre matins, il va finir par se décider.

M. Lefebvre: Je trouve ça bien, ce que vous nous racontez, et je vous crois.

M. Patenaude (Gilles): Oh, non, non! C'est comme je vous dis...

M. Lefebvre: Est-ce que, selon vous, il y a des débats qui peuvent se faire devant la cour sans que le justiciable soit accompagné d'un avocat? Les petits billets d'infraction au Code de la sécurité routière?

M. Patenaude (Gilles): Malheureusement, je suis obligé de vous dire que c'est faisable, parce que je le fais, mais pour les autres personnes, c'est strictement...

M. Lefebvre: D'accord. M. Patenaude, je veux juste, avant que Mme la députée de Terrebonne vous interroge probablement à son tour, vous indiquer que les bibliothèques d'université, là, vous avez accès à ça. Je vous dis ça en passant. Vous avez le droit. Vous avez accès...

M. Patenaude (Gilles): Ce n'est pas... Je veux dire, ils ont les références en droit.

M. Lefebvre: Vous avez également accès à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, ici. Vous ne pouvez pas sortir de volumes, mais vous y avez accès. C'est ouvert au grand public, M. Patenaude. Et les bibliothèques des universités sont ouvertes au grand public, les bibliothèques de droit, les facultés de droit, la même chose pour l'Assemblée nationale.

M. Patenaude (Gilles): Je vous remercie du renseignement.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Parent): Merci, M. le ministre. Je vais maintenant reconnaître Mme la porte-parole de l'Opposition officielle, l'honorable députée de Terrebonne. Mme la députée.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, merci, M. Patenaude, de nous avoir exprimé votre point de vue. Je pense que ce que vous nous exprimez là, c'est évidemment ce que pensent beaucoup de citoyens et de citoyennes qui ne sont pas admissibles à l'aide juridique et qui auraient besoin de faire des représentations, donc qui auraient besoin d'information, qui auraient besoin d'aide technique ou qui seraient capables de se payer des avocats si les taux étaient moins élevés, finalement. Quand vous parlez de l'accès aux bibliothèques juridiques, je comprends. Plusieurs ont soulevé ce point-là, et c'étaient surtout, évidemment, des citoyens et des citoyennes qui venaient nous exprimer ça. C'est évident que vous avez accès aussi à la Bibliothèque du Parlement, mais vous ne pouvez pas sortir de volumes. Donc, vous, vous demeurez à Longueuil. Alors, ce n'est pas évident que vous pouvez...

M. Patenaude (Gilles): Malheureusement, oui.

Mme Caron: ...venir à Québec et passer quelques jours pour vous documenter. La même chose, quand on parle des bibliothèques à l'université; c'est sûr que, là, il faut que vous vous rendiez à Montréal et que vous... Bon.

M. Patenaude (Gilles): Ça, il n'y a pas de problème. J'ignorais que les bibliothèques d'universités étaient si férues en droit, parce que ce n'est pas, disons, aussi développé que la bibliothèque du palais de justice de Montréal, qui est très, très bien formée, soit dit en passant.

(21 h 10)

Mme Caron: Vous avez aussi mentionné votre intérêt, je pense, en parlant du magazine Justice . Donc, c'était un outil qui était à la disponibilité des citoyens et des citoyennes à revenu moyen, finalement, qui pouvaient aller chercher de l'information. Certains sont venus nous demander aussi... Il existe un outil informatique de questions-réponses sur des problèmes juridiques, un outil informatique qui semble être très complet, et on est venu nous demander de pouvoir rendre cet outil-là disponible dans les CLSC, ce qui serait beaucoup plus près des citoyens. Le citoyen pourrait, seul, manipuler l'ordinateur et avoir les données pour les dossiers qui l'intéressent. Est-ce que vous pensez que c'est un outil aussi qui pourrait être intéressant?

M. Patenaude (Gilles): Ça peut être très intéressant, mais ça prend quelqu'un qui a une facilité à travailler avec un ordinateur. Malheureusement, et je ne veux pas être méchant, mais, au Québec, il y a un demi-million d'analphabètes. Ça fait que, là, ça limite notre problème. Je veux dire...

Mme Caron: Remarquez qu'au CLSC il y a toujours aussi du personnel. Il y a du personnel qui peut aussi aider.

M. Patenaude (Gilles): Oui, oui. S'il y a de l'aide technique à avoir, oui, il n'y a pas de problème.

Mme Caron: Ce que vous proposez, ce que le ministre appelait tantôt le «volet contributoire», c'est ce que son prédécesseur appelait l'«échelle progressive». C'est finalement de demander aux citoyens qui ne sont pas admissibles à l'aide juridique de donner un certain montant. Vous avez raison de le souligner, parce que, si on regarde les tarifs actuels... Je vais vous donner juste deux exemples. Le tarif de l'aide juridique pour un testament, c'est 35 $. Par contre, si vous n'êtes pas admissible à l'aide juridique et que vous allez chez le notaire pour faire faire un testament notarié, bien, là, on parle plutôt de 150 $. Donc, j'irais même jusqu'à dire que, en fait, le citoyen et la citoyenne seraient prêts à payer le tarif complet de l'aide juridique, qui est de 35 $, plutôt que de payer 150 $. Si on regarde du côté des causes, par exemple, de séparation ou de divorce, on parle plutôt de montants autour de 430 $, au niveau du tarif de l'aide juridique, mais si on parle du privé, bien, là, on peut parler, dépendamment des causes... il y en a... on en a eu jusqu'à 100 000 $ là, mais, normalement, 1500 $, 2000 $, autour de ça, ce qui est beaucoup plus dispendieux que le coût de l'aide juridique.

Alors, votre point de vue, finalement, c'est de nous dire qu'il y a des personnes à faible revenu aussi... Parce que l'aide juridique, ce n'est pas uniquement à faible revenu. C'est très, très faible, le revenu. Donc, il y a des personnes à faible revenu, à revenu moyen qui n'ont plus accès actuellement à la justice parce que c'est trop cher, et on doit se trouver des moyens. Et vous faites certaines propositions. Moi, je trouve ça intéressant que vous ayez pris la peine de nous faire part de ces demandes-là. Est-ce que vous pensez qu'il y aurait – vous avez entendu un petit peu les débats, tantôt – d'autres éléments que vous souhaiteriez ajouter, ou si c'est suffisant pour vous?

M. Patenaude (Gilles): Non. C'étaient strictement ces deux volets là, parce que, pour d'autres volets, les autres éléments dont on parlait, c'était plutôt d'essayer de... autrement dit, d'enlever des services de l'aide juridique, puis ça, je ne crois pas que ce serait une bonne chose à faire.

Mme Caron: Vous pensez que l'étendue des services actuels, ça correspond aux besoins actuels?

M. Patenaude (Gilles): Oui, puis s'il y a... Je sais bien que le ministre ne m'aimera pas, mais, je veux dire, s'il y avait moyen de l'étendre... Ha, ha, ha! Mais là, comme je vous dis, c'est de savoir au niveau coûts, là. Ça fait que... C'est pour ça que je vous dis qu'il ne m'aimera pas. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Parent): Vous n'êtes pas ici pour vous faire aimer.

M. Patenaude (Gilles): Ha, ha, ha!

Mme Caron: Vous nous avez dit tantôt... M. le Président, tantôt, M. Patenaude nous a dit qu'il avait eu connaissance qu'il était pour y avoir une commission, par un article dans le journal, finalement.

M. Patenaude (Gilles): C'est ça, oui.

Mme Caron: Est-ce que vous aviez aussi eu accès au document qui avait été déposé par le ministre pour la commission sur l'aide juridique?

M. Patenaude (Gilles): Non, malheureusement. Malheureusement, mais disons que j'ai eu la commission. J'ai donné mon opinion, tout en disant: Bien, elle était complète, c'est tout. Ça fait que, là, pour les documents, je vais vous dire, ils devaient être disponibles strictement à l'Assemblée nationale, je présume.

Mme Caron: Bien, on pourrait vous en envoyer une copie pour... Au moins, vous avez pris la peine de présenter vos recommandations. Je pense que ça vaudrait la peine, au moins, que vous ayez le document de base.

M. Patenaude (Gilles): Je vous remercie.

Mme Caron: Alors, moi, ça va, M. Patenaude. Vous avez répondu à l'ensemble de mes questions. Je vous remercie beaucoup de votre participation, et je pense que ce que vous nous présentez, c'est partagé par beaucoup de citoyens et de citoyennes.

M. Patenaude (Gilles): Je vous remercie.

Le Président (M. Parent): Merci, Mme la députée. Avant de reconnaître le ministre, M. Patenaude, moi, je veux vous féliciter. Vous féliciter pour le courage, je dirais plutôt la détermination dont vous avez fait preuve en venant ici, à l'Assemblée nationale, tout seul, sans appui, sans soutien, venir sensibiliser cette commission à des problèmes que vous avez cru percevoir puis que vous voyez, que vous vivez peut-être quotidiennement.

M. Patenaude (Gilles): Hum, hum.

Le Président (M. Parent): Je voudrais aussi vous faire remarquer une chose: Vous êtes ici dans votre maison, dans l'Assemblée nationale du Québec, pas le gouvernement. C'est les députés que vous avez élus qui sont ici. L'institution est à votre service et elle vous entend aujourd'hui, à 21 h 15, le soir.

Souvent, on dit: On ne peut pas rejoindre la machine quand on est tout seul. C'est trop gros, ça nous prend de l'aide. Ça nous prend de l'appui. Les ministres ne sont pas accessibles. Les députés, on ne peut pas leur parler. Eh bien, aujourd'hui, vous avez eu la preuve que l'institution est à votre service, et je vous engage et je vous demande de le faire savoir aux gens, de faire savoir qu'il est toujours possible de venir ici, à la maison du peuple, qu'on appelle, pour faire connaître et sensibiliser les élus aux problèmes auxquels vous faites face. M. le ministre, je vous reconnais.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. C'est bien dit. C'est vrai, c'est exact, ça, M. Patenaude.

M. Patenaude, vous avez une bonne expérience de vie personnelle. Vous vous êtes promené devant la Cour supérieure, la Cour d'appel. Tout juste en arrière de vous, à votre droite, il y a le bâtonnier du Québec, qui vous écoute. Je suis convaincu que s'il avait eu la chance d'entendre ce que vous nous avez dit, il aurait été sûrement très impressionné.

Mme la députée de Terrebonne vous a questionné tout à l'heure, vous a indiqué que les services d'aide juridique, pour le moment... l'aide juridique est possible pour quelqu'un qui veut faire son testament. Vous savez sûrement qu'il existe ce qu'on appelle le «testament olographe».

M. Patenaude (Gilles): Oui, je comprends.

M. Lefebvre: Le...

M. Patenaude (Gilles): Mais c'est... Disons que, le testament olographe, ça implique des coûts pour les survivants aussi.

M. Lefebvre: Dans quel sens? Ha, ha, ha!

M. Patenaude (Gilles): Ça fait que c'est...

M. Lefebvre: J'ai dit à mon adjointe, tout à l'heure: Si je pose cette question-là et que je me fais avoir, là... Bien, vous m'avez eu un peu, là.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Je trouve ça bien, M. Patenaude. Alors, vous parlez de la procédure d'exemplification du testament.

M. Patenaude (Gilles): Oui.

M. Lefebvre: C'est de ça que vous parlez?

M. Patenaude (Gilles): Oui, oui, c'est ça.

M. Lefebvre: Ce qu'on n'a pas à faire pour un testament authentique. Je n'ai pas d'autre question, M. Patenaude. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: M. Patenaude, là, on finit un peu en badinant, mais je veux... Ce n'est pas la procédure d'exemplification, ça, c'est pour les jugements qu'on veut faire exécuter à l'extérieur de notre province.

M. Patenaude (Gilles): Hum, hum.

M. Lefebvre: C'est la procédure de vérification d'un jugement olographe.

M. Patenaude (Gilles): C'est ça.

M. Lefebvre: Je vous remercie, M. Patenaude, de votre témoignage. Je vous remercie, comme M. le président de la commission l'a souligné tout à l'heure, de vous être présenté à la commission des institutions pour donner votre point de vue. Soyez assuré d'une chose: c'est très apprécié. Il faudrait qu'on ait plus souvent l'occasion d'entendre des citoyens s'exprimer seuls, comme vous l'avez fait ce soir. Ça s'est fait d'une façon extrêmement détendue.

Je vais vous écrire pour vous dire de façon très précise les bibliothèques. Je veux que vous ayez des renseignements précis des bibliothèques, évidemment, à caractère juridique auxquelles vous pourriez avoir accès partout au Québec, et je vais vous envoyer un petit mot pour vous donner des renseignements justes, M. Patenaude. Merci beaucoup.

M. Patenaude (Gilles): Je vous remercie.

Le Président (M. Parent): Merci, M. le ministre, Merci, Mme la députée. Merci, M. Patenaude. La commission des institutions ayant terminé l'ordre du jour, ayant passé au travers de l'ordre du jour, ajourne ses travaux à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 21 h 20)