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Version finale

35e législature, 1re session
(29 novembre 1994 au 13 mars 1996)

Le mardi 23 janvier 1996 - Vol. 34 N° 61

Audition du Protecteur du citoyen dans le cadre de l'examen de ses rapports annuels 1993-1994 et 1994-1995


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Table des matières

Journal des débats


(Dix heures seize minutes)

Le Président (M. Simard): Nous allons commencer. Je sais qu'un certain nombre de personnes participant à la commission auront quelque retard, mais nous pouvons fonctionner. Nous avons quorum et nous pouvons fonctionner. Il est normal et, je pense, correct pour nos invités de ne pas trop les faire attendre.

Je vais d'abord rappeler le mandat de cette commission, qui est d'entendre le Protecteur du citoyen dans le cadre de l'étude de ses rapports annuels pour les années 1993-1994 et 1994-1995.

Avant de débuter, je vais demander au secrétaire de nous indiquer les remplacements pour la journée.

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Delisle (Jean-Talon) est remplacée par M. Quirion (Beauce-Sud) et M. Fournier (Châteauguay) par Mme Loiselle (Saint-Henri–Sainte-Anne).

Le Président (M. Simard): Merci. M. Jacoby, M. le Protecteur du citoyen, bienvenue parmi nous. Je vous demanderai, tout à l'heure, de nous présenter ceux qui vous accompagnent. Avant de débuter, je dois vous dire que nous sommes particulièrement heureux d'avoir ces séances de travail avec vous, l'une des raisons étant évidemment que la fonction de Protecteur du citoyen émane directement de l'Assemblée nationale et qu'il est on ne peut plus normal que les députés de l'Assemblée nationale puissent échanger avec le Protecteur du citoyen sur le contenu de son ou de ses rapports, dans le cas présent.

L'an dernier, pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir, d'agendas qui ne se sont jamais croisés, une situation politique dont tout le monde a un vif souvenir, les travaux de cette commission étant extrêmement intenses sur des sujets qui étaient d'urgence, vous-même aviez des activités au moment où nous aurions pu être libres, nous n'avons pu procéder à l'étude de votre rapport. Cette année, de façon, d'abord, à éviter qu'une situation comme celle-là se produise, je suis entré en contact avec vous quelques semaines avant la présentation de votre rapport et je vous ai demandé, à ce moment, d'envisager la possibilité de rencontrer la commission dès la parution, dès la publication de votre rapport, de façon à ce que les députés de l'Assemblée nationale soient saisis en premier de son contenu et puissent y réagir et entreprendre immédiatement avec vous et vos collaborateurs le travail d'analyse du rapport et, possiblement, de recommandation qui permettrait de donner suite à certains des aspects que les membres de la commission auraient retenus comme prioritaires.

Vous avez – c'est un constat, ce n'est pas, soyez-en certain, un jugement – préféré avoir directement une présentation devant la presse et vous avez préféré remettre à cette période-ci notre rencontre. Je vous manifeste, pour l'année prochaine, le voeu de l'ensemble des membres de cette commission, qui se sont réunis la semaine dernière en assemblée de travail, que, dorénavant – et nous vous invitons fortement à le faire – comme c'est le cas pour le Vérificateur général chaque année, ce soient les membres de l'Assemblée nationale qui aient le privilège de vous entendre en premier et de pouvoir, avec vous, couvrir les points principaux de votre rapport. Ce lien étroit entre le législatif et votre fonction de contrôle de l'exécutif et de l'administration s'en trouverait, je pense, renforcé, et c'est le souhait que, au nom de la commission, je voudrais faire à ce moment-ci.

(10 h 20)


Organisation des travaux

Pour notre fonctionnement aujourd'hui, évidemment, nous allons tenter d'être le plus souples possible. Je vais faire une proposition pour mettre en marche nos travaux. Je vous propose d'abord, M. Jacoby, de prendre la parole pendant un certain temps, d'essayer de synthétiser certains aspects ou insister sur certains aspects de votre rapport que vous voulez actualiser devant nous aujourd'hui. J'inviterai ensuite, du côté de l'opposition et du côté ministériel, des représentants à faire des remarques préliminaires, et ensuite nous fonctionnerons thématiquement ou en suivant l'ordre des ministères et organismes que vous avez vous-même identifiés comme étant ceux où les plaintes étaient les plus nombreuses. C'est au bon voeu des parlementaires de fonctionner alternativement comme cela ou de façon systématique. Je vais évidemment être très souple dans la conduite de nos travaux, essayant de respecter le plus possible l'alternance – à condition, évidemment, que les banquettes ministérielles se remplissent un peu plus, mais je pense que ce sera le cas dans quelques minutes, c'est déjà en train de se faire – mais, en même temps, n'ayant aucune rigidité là-dessus. Je pense que la commission, ici, travaille en équipe avec vous de façon à mieux connaître, mieux faire connaître et tirer les meilleures conclusions possible de votre rapport.

Alors, je nous souhaite à tous une bonne commission. Je vous souhaite la bienvenue, M. Jacoby. Je vous demanderais de nous présenter vos collaborateurs, et la parole est à vous.


Déclarations d'ouverture


M. Daniel Jacoby, Protecteur du citoyen

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Bonjour, Mmes et MM. les parlementaires. Je vais vous présenter, à ma droite, l'adjoint du Protecteur du citoyen, Me Jacques Meunier, et, à ma gauche, la directrice générale des enquêtes au bureau du Protecteur, Me Frances Hudon. Je vous remercie, la commission, de nous entendre aujourd'hui. Je pense que c'est un exercice absolument essentiel. Je déplore que, par les années passées, depuis déjà deux ans, nous n'avions pas eu l'occasion de pouvoir échanger et de pouvoir, finalement, ensemble voir comment on peut améliorer les services publics. On aime aussi avoir le son de cloche des parlementaires, parce que nous relevons de l'Assemblée nationale, et ne serait-ce que le souhait que vous avez formulé tout à l'heure de saisir d'abord les parlementaires avant la presse, j'en prends bonne note. C'est ce genre de choses qui peuvent être extraordinairement intéressantes, parce que, vous savez, le bureau du Protecteur du citoyen est une organisation qui se sent et qui est un peu isolée. Elle se sent seule, étant donné qu'elle exerce son pouvoir de surveillance sur l'exécutif et qu'elle a très peu de contacts avec son mandant, qui est le Parlement. Alors, je souhaite qu'on puisse reprendre annuellement ces auditions.

Deux mots sur le mandat du Protecteur avant de verser dans le rapport annuel que nous avons produit récemment. Le Protecteur du citoyen est une personne qui est désignée par l'Assemblée nationale, au même titre que le Vérificateur général, et son rôle, c'est d'agir comme officier de l'Assemblée nationale et, d'une certaine manière, aider l'Assemblée nationale à exercer son pouvoir traditionnel de surveillance sur l'exécutif et l'administration. Le Protecteur du citoyen a l'indépendance, de cette façon, par rapport au pouvoir exécutif, sauf en matière budgétaire. Le principal rôle du Protecteur du citoyen, c'est d'intervenir suite à des plaintes ou de sa propre initiative lorsqu'il a des motifs de croire qu'une personne a pu être lésée, et ça, c'est le lot de notre quotidien, c'est de traiter des plaintes individuelles. Également, le Protecteur du citoyen, dans ce cadre-là, intervient, lorsque les plaintes sont fondées, pour corriger les décisions, pour corriger les injustices, les erreurs qui ont pu se commettre dans l'administration.

Dans le cadre du mandat, également, il agit, d'une manière plus collective et plus globale et de manière préventive, en se prononçant ou en portant à l'attention du gouvernement et du Parlement des problématiques qui nécessitent des réformes d'envergure, qu'il s'agisse de réformes législatives, de réformes administratives, de réformes réglementaires. Donc, le Protecteur du citoyen, dans le cadre de son quotidien, aussi, intervient sur un plan plus systémique et plus collectif et de façon préventive.

La compétence du Protecteur du citoyen s'exerce strictement sur les ministères et organismes du gouvernement dont le personnel est régi par la Loi sur la fonction publique. Contrairement à tout ce qui prévaut à travers le monde, notre mandat est limité aux fonctionnaires. Et nous avons, pour agir, les pouvoirs des commissions d'enquête, même si, règle générale, nous ne tenons pas d'enquête publique comme le font d'autres organisations, mais nous agissons selon la loi, généralement, par la formule de l'enquête privée, qui est beaucoup moins formaliste et moins judiciarisée que l'enquête publique. Notre pouvoir est un pouvoir de recommandation et non pas un pouvoir de rendre des décisions exécutoires, donc, c'est un pouvoir moral. Je dirais, à cet égard, que les principaux outils du Protecteur du citoyen sont, d'une certaine manière, la raison et la persuasion. Nous intervenons sur les questions d'illégalité, aussi sur les questions de déraisonnabilité ou d'opportunité des décisions.

Alors, globalement, lorsque les recommandations du Protecteur du citoyen ne sont pas suivies et si le ministre responsable ou le dirigeant d'organisme concerné ne donne pas ou ne fournit pas des motifs suffisants au Protecteur du citoyen pour refuser une recommandation, à ce moment-là, la loi prévoit que nous pouvons, d'une part, en aviser le Conseil des ministres et, d'autre part, faire des rapports spéciaux ou le rapport annuel à l'Assemblée nationale ou, encore, saisir l'opinion publique par la voie des médias.

Pour ce qui est du rapport annuel qui couvrait, principalement, la période 1994-1995, je voudrais d'abord vous donner certains chiffres qui vont un peu illustrer certaines choses que je vais dire plus tard. D'abord, nous avons reçu au-delà de 22 000 plaintes et nous avons répondu à plus de 4 000 demandes de renseignement pour cette période-là. À la fin de l'année, c'est-à-dire en avril, nous avions complété près de 8 500 enquêtes.

Des indicateurs de la qualité des services. D'abord, ce que je peux vous dire, c'est que, pour la première fois dans l'histoire du Protecteur du citoyen, on a atteint un taux de plaintes fondées aussi élevé. Ça veut dire que jamais on a vu, par le passé, une administration qui commettait autant d'erreurs, autant d'injustices. 34 % des plaintes se sont révélées fondées pour la dernière année. Si je fais une comparaison avec l'année précédente, nous étions à 31 % de plaintes fondées. Et, si je remonte dans le temps, je constate que la situation a commencé, disons, à se détériorer à partir de l'année 1991-1992, où nous passions d'un taux de plaintes fondées de 28 % à 25 %, à 23 %, et les choses se sont améliorées. Et, ensuite, c'est remonté, à partir de 1993-1994, à 31 % et à 34 %. Donc, ça veut dire une chose: il y a deux ans, sur l'ensemble des plaintes que nous recevions, une plainte sur quatre, en moyenne, s'avérait fondée, et, pour la dernière année, qui fait l'objet de notre rapport annuel, nous sommes rendus à une plainte sur trois; alors, pour moi, c'est un indicateur – ce n'est pas le seul indicateur – qu'il y a une certaine détérioration des services publics.

(10 h 30)

Par ailleurs, je peux vous dire que les plaintes, les gros blocs ou les grosses typologies de plaintes fondées, je dirais que c'est la question des délais déraisonnables, les délais de service qui constituent, bon an, mal an, 27 % des plaintes fondées; 24 % des plaintes fondées visent la difficulté d'accès ou l'inaccessibilité aux services gouvernementaux; 11 % sur le caractère déraisonnable des décisions; et 7 % sur l'illégalité de certaines décisions administratives. Également, plus de 80 % des plaintes concernaient sept ministères et organismes, soit la Sécurité du revenu, le ministère du Revenu, la Sécurité publique, la CSST, l'Éducation, la Société de l'assurance auto et le ministère de la Justice.

Maintenant, comme autre indicateur de qualité des services, il faut regarder organisation par organisation les plaintes qui sont fondées, et, l'année passée, il y a eu des records. Par exemple, pour le ministère de la Justice du Québec, 62 % des plaintes concernant le ministère étaient fondées: trois plaintes sur cinq. À la Régie de l'assurance-maladie du Québec, 57 % des plaintes étaient fondées: plus d'une plainte sur deux. Même chose au ministère de l'Éducation et même chose au ministère du Revenu. Pour ces quatre ministères ou organismes, il y a donc plus d'une plainte sur deux qui s'avère fondée, et ceci m'apparaît des indicateurs aussi valables que des indicateurs sur le nombre de plaintes par ministère et organisme.

Alors, c'en était pour les chiffres. Maintenant, principalement, le rapport annuel du dernier exercice financier a ciblé certaines préoccupations de notre organisation. Nous avons pu constater, tant l'année dernière que l'année précédente, que de plus en plus nous avons l'impression qu'il y a une tendance à ne pas être aussi transparent pour l'administration qu'elle devrait l'être. Nous pensons que la transparence est un élément indissociable de la démocratie, que la transparence est également un élément indissociable de l'imputabilité et de la responsabilité des administrations gouvernementales, et nous avons de plus en plus de cas où cette transparence fait défaut. C'est un sujet qui me préoccupe beaucoup, ne serait-ce que sur des choses qui nous apparaissent des détails, l'accès aux renseignements et l'accès aux services. Vous savez, à première vue, ne serait-ce que la boîte vocale, on peut en rire, on peut dire: C'est un gadget. On peut faire ce qu'on veut. Mais, dans les faits, ce que ça veut dire, c'est que ça éloigne le citoyen des renseignements et des services, et, en démocratie, ce sont des problématiques auxquelles il faut réfléchir.

Nous pensons aussi qu'il y a une dégradation sur le plan de l'information qui est donnée par l'administration aux citoyens, information pertinente et information en temps utile. Nous pensons aussi qu'il y a, dans certains secteurs de l'administration, comme une culture organisationnelle qui empêche certaines organisations de motiver leurs décisions, et je pense que, en démocratie – et l'imputabilité, d'ailleurs, c'est quelque chose qui est très à la mode et très nécessaire au niveau des discussions, actuellement – les ministères et organismes doivent motiver leurs décisions. Nous pensons aussi que les ministères et organismes doivent avoir des mécanismes qui permettent de réviser une première décision avec laquelle on n'est pas d'accord. Je pense que c'est un droit essentiel pour les citoyens.

La transparence, pour nous, c'est également faire en sorte que l'administration se démocratise, en ce sens qu'elle établisse des façons de mieux cibler ses clientèles de programmes gouvernementaux, de mieux les connaître, de connaître leurs attentes et même de les consulter sur un plan plus administratif que politique. Les consulter sur les processus mis en place, par exemple, pour l'implantation d'un programme gouvernemental, je pense que ce n'est pas l'apanage du politique de faire ça. Je pense qu'il y a des aspects administratifs où l'administration, selon moi, devrait jouer ce rôle, et non pas décider unilatéralement de la façon dont un programme gouvernemental va être appliqué.

Aussi, je pense que trop souvent l'administration utilise un argument facile pour justifier un refus, qui est l'argument, aujourd'hui, qui est courant, du problème budgétaire. On entend ça de plus en plus: Nous n'avons plus d'effectif, nous n'avons pas d'argent. Ça justifie les délais, ça justifie le fait qu'on décide de ne pas accéder à votre demande, à votre réclamation. Ce sont pour moi des faux prétextes, et ça m'inquiète. Pour compenser, on a aussi l'impression que, dans certains cas, l'administration va promettre des choses qu'elle sait ne pas pouvoir tenir d'avance, et je considère que c'est un manque de transparence. Il faut également que l'administration rende compte de ses actes et de ses omissions, et c'est toute la difficulté de la question de l'imputabilité externe vis-à-vis des parlementaires. Je pense que l'obligation de rendre compte n'est pas véritablement intégrée dans l'appareil public.

Donc, c'était une des préoccupations que nous avions, dans le rapport annuel, de faire ressortir que l'administration se doit d'être la plus transparente possible. L'administration, ce n'est pas, pour nous, un cénacle qui oeuvre dans les officines, derrière les politiciens, les ministres et les parlementaires. On doit rendre compte de ses actes, on est imputable, on est imputable au même titre que peut l'être le ministre ou le parlementaire à tous les jours et à tous les quatre ou cinq ans. Je pense que c'est un problème, parce qu'on n'a pas toujours l'impression que l'administration comprend que la raison pour laquelle elle est là, c'est d'abord et avant tout le service aux citoyens.

L'autre préoccupation que nous avons eue dans le dernier rapport annuel, c'est de voir que les organismes de protection des droits comme l'Office de la protection du consommateur, l'Inspecteur général des institutions financières, la commission d'aide juridique, la Commission des droits de la personne, la Commission de protection des droits de la jeunesse sont des organisations pour lesquelles les coupures nous apparaissent drastiques si on les compare, bon an mal an, avec les coupures générales qui sont imputées à d'autres organismes ou aux ministères du gouvernement. Je pense que la plupart de ces organismes jouent un rôle important dans la défense des droits des citoyens ordinaires par rapport à l'appareil de l'État; je pense à la Commission des droits de la personne, à la Commission de protection de la jeunesse avec le réseau de la protection de la jeunesse et la DPJ, je pense à l'Inspecteur général des institutions financières. Toutes ces organisations donnent soit du renseignement, soit prennent en charge des causes contre l'appareil administratif.

Je trouve ça un peu inquiétant de voir que les coupures sont plus drastiques dans ces secteurs-là que partout ailleurs, d'autant plus que tout le monde sait que, au Québec comme dans beaucoup de provinces et plusieurs pays, plus de 80 % de la population n'a plus les moyens – et ça, ces chiffres datent un peu – de se payer les services d'un professionnel pour se défendre ou pour présenter des réclamations contre l'État, ce qui m'amène à penser que le déséquilibre est en train de s'accentuer. Vous savez, il suffit de lire les journaux tous les jours – et vous le faites – ou d'écouter les citoyens pour voir combien un gouvernement a des ressources absolument illimitées quand il s'agit de se défendre contre l'action d'un citoyen ou encore de contester ou encore d'initier des procédures contre un citoyen. Jamais on n'a vu un appareil gouvernemental dire: Moi, je n'irai pas en cour parce que je n'en ai pas les moyens, tandis que les citoyens, c'est tous les jours: Je ne peux pas aller en cour parce que je n'en ai pas les moyens. Ou encore: Je ne peux pas me défendre contre les actions du gouvernement, contre les actions judiciaires du gouvernement, parce que je n'en ai pas les moyens. Et c'est ça, la réalité que l'on constate et qui s'aggrave quotidiennement. Ça m'inquiète, parce qu'on dirait qu'on boucle une boucle, en ce sens que, d'un côté, on sabre dans les organismes qui protègent les individus contre l'appareil de l'État, d'un autre côté, on sait que plus de 80 % des gens n'ont pas les moyens de se défendre devant les tribunaux, et, parallèlement, l'État, lui, n'a pas de limites quant à ses ressources pour aller devant les tribunaux. Alors, c'est une tendance qui m'inquiète.

(10 h 40)

Une autre chose aussi que j'ai relatée dans le rapport annuel et qui m'apparaît véritablement, je dirais, plus qu'inquiétante, c'est que, profitant de... enfin, à l'occasion de la fusion de la Commission de protection des droits de la jeunesse et de la Commission des droits de la personne, le gouvernement a enlevé au Protecteur du citoyen son droit de regard sur le secteur jeunesse. C'est la première fois que ça se produit au Québec qu'on enlève sciemment une compétence, un pouvoir d'intervention au Protecteur du citoyen, dont la juridiction est déjà limitée, mais c'est unique au Canada et c'est unique à travers le monde. C'est très inquiétant de voir que, dans une société démocratique comme la nôtre, il se passe des choses où on enlève des droits aux citoyens, même au niveau du Protecteur du citoyen, qui est, d'une certaine manière, pour plusieurs personnes l'ultime recours.

Alors ça, ça m'inquiète, ça m'inquiète véritablement, alors que la tendance partout au Canada, dans les autres provinces canadiennes, c'est justement de voir que le recours au Protecteur du citoyen est un recours accessible au public, qu'il coûte généralement moins cher que le recours à des organismes quasi judiciaires, et de donner au Protecteur du citoyen une amplitude beaucoup plus grande qu'il n'a actuellement. C'est ce qui s'est passé en Colombie-Britannique, c'est ce qui se passe en Ontario, c'est ce qui se passe au Nouveau-Brunswick, partout dans le monde on élargit la compétence du Protecteur, mais au Québec on la lui enlève en connaissance de cause.

Ceci m'amène à une réflexion de fond. Si je prends la Commission des droits de la personne et la Commission de protection de la jeunesse et la nouvelle organisation, Commission de protection des droits de la jeunesse et de la personne, ces organisations sont des organisations où il n'y a plus de mécanisme de reddition de comptes, aucun mécanisme de reddition de comptes, parce que ces organismes qui relèvent de l'Exécutif sont indépendants. Ils sont indépendants et ils sont autonomes en ce sens que même des plaintes adressées à ces organismes-là sont traitées par l'organisme, et, après l'organisme, il n'y a plus rien à dire. Et, même lorsque des gens ne sont pas satisfaits de la réponse reçue par l'organisme en question, ils vont s'adresser aux parlementaires, le cas échéant au ministre, et le ministre, aussi, parce que ce sont des organismes dont il faut respecter l'autonomie, n'a pas les moyens, finalement, de voir pourquoi les choses se sont passées comme ça. On est obligé d'accepter d'emblée l'explication de ces organismes. Il n'y a plus de démocratie.

Ça n'existe nulle part ailleurs qu'il y ait des organismes qui ne puissent plus, par un mécanisme ou par un autre, rendre compte à la population de ces délais déraisonnables, de ces décisions douteuses à tort ou à raison. On ne peut plus et on ne peut pas critiquer l'explication donnée par cette organisation. Alors, vous savez, sur le plan de la démocratie, sur le plan des droits des citoyens que les parlementaires représentent, ça m'apparaît extrêmement grave, et je souhaiterais que les parlementaires aient l'occasion de réfléchir sur ces questions-là, parce que, au-delà de ces technicalités de compétence du Protecteur du citoyen ou ces choses-là, c'est tout le sens d'une démocratie, du respect des droits qui est derrière tout ça, et l'équilibre entre l'État et les citoyens.

Également, j'ai pu constater – et je terminerai avec ça, M. le Président – que la référence aux tribunaux est accrue, et ça rejoint un peu les préoccupations que j'évoquais tout à l'heure. Nous constatons de plus en plus que, devant des réclamations évidentes de citoyens où la responsabilité apparaît claire, on note, de manière isolée ici et là, cette tendance à dire aux citoyens: Si vous n'êtes pas satisfaits, poursuivez-nous, devant des choses qui sont relativement grosses, des cas d'erreur judiciaire notamment, et ça, ça m'apparaît inquiétant pour les mêmes raisons que j'ai mentionnées tout à l'heure. Je pense qu'il faut s'interroger sur ces façons de faire, parce que je peux comprendre la réaction de l'administrateur de dire: Moi, je ne veux pas dépenser, verser les indemnités pour lesquelles je ne suis pas légalement tenu, surtout dans une période d'un contexte financier, économique comme celui que nous connaissons.

Mais jusqu'où va-t-on aller lorsque les réclamations sont évidentes, que des gens ont été victimes de gestes administratifs? Est-ce que c'est ça, l'efficacité à n'importe quel prix? D'un autre côté, est-ce que ce n'est pas plus coûteux, sur un plan strictement financier, d'envoyer les gens devant les tribunaux? Socialement, est-ce que ce n'est pas plus coûteux que de laisser des victimes à elles-mêmes dans une société, même si ce sont des cas isolés et des cas uniques, des gens sans défense, des gens démunis, des gens qui ont subi des séquelles, qui ont été victimisés par des situations dont l'administration, au sens large, est responsable? Alors, véritablement, ces questions me préoccupent.

Finalement, dans la suite de ce que j'avais dit dans le rapport annuel précédent, où je proposais un pacte social qui contenait 56 règles pour améliorer la qualité des services et la qualité des décisions des services publics, je suis rendu à penser, M. le Président, qu'il est nécessaire, maintenant, que l'on aille plus loin au niveau de l'encadrement de l'appareil administratif. Je pense qu'il nous faut une loi ou un code des droits des citoyens à des services publics justes et efficaces, comme ça s'est fait dans des pays qui ont réalisé qu'il fallait d'une certaine manière contraindre et imprimer à l'appareil public un certain virage pour redonner aux citoyens différentes choses, y compris la possibilité d'accéder aux services publics et d'obtenir des décisions qui soient justes, raisonnables, et pour avoir une administration publique efficace. C'est peut-être un peu la conclusion de mon dernier rapport et la conclusion pour ma présentation.

Le Président (M. Simard): Je vous remercie, M. Jacoby. Je vais maintenant inviter le porte-parole de l'opposition officielle, le député de Beauce-Sud, à faire les remarques préliminaires au nom de l'opposition officielle. Auparavant, j'aimerais peut-être souhaiter, exprimer un souhait qui avait déjà été manifesté par plusieurs membres de cette commission: c'est que nous tentions de nous réserver du temps, à la fin de cette audition, pour discuter, puisqu'il y a déjà eu un mandat d'initiative de cette commission sur le mandat du Protecteur du citoyen, puisque vous faites beaucoup d'allusions dans votre rapport, beaucoup d'indications sur le mandat lui-même, puisque certaines de vos affirmations et prises de position soulèvent aussi des questions sur le mandat, que nous réservions, à la fin des discussions que nous aurons nécessairement sur les différents thèmes soulevés par votre rapport, la possibilité d'échanger sur votre mandat et la suite des événements. M. le député de Beauce-Sud.


M. Paul-Eugène Quirion

M. Quirion: Merci, M. le Président. Je voudrais tout d'abord saluer cordialement Me Jacoby ainsi que Me Jacques Meunier et aussi Me Frances Hudon, ainsi que tous les membres de la commission des institutions. D'une part, après avoir écouté les répliques de Me Jacoby, je pense que, dans mon devoir de porte-parole, on va s'y retrouver à quelques reprises.

(10 h 50)

Tout d'abord, à titre de porte-parole officiel de l'opposition concernant le Protecteur du citoyen, je suis tout à fait heureux de participer à l'étude des rapports annuels 1993-1994 ainsi que 1994-1995 du Protecteur du citoyen. Dans un premier temps, je tiens à souligner le renouvellement de son mandat, qui s'est effectué de consentement avec le gouvernement et l'opposition officielle. On sait que ce mandat a été renouvelé rétroactivement jusqu'au 13 avril 1997, soit pour une période de cinq ans. D'autre part, je tiens à féliciter le Protecteur du citoyen, Me Jacoby, pour le travail qu'il accomplit de façon générale. Le Protecteur agit sans parti pris. D'ailleurs, il agit actuellement avec la même rigueur que lorsque nous étions au pouvoir. Je tiens également à le féliciter pour la nouvelle forme de son rapport annuel, c'est-à-dire une nouvelle approche qui vise à rendre le rapport annuel du Protecteur du citoyen plus accessible à tous les citoyens du Québec.

Par ailleurs, j'apporterai quelques suggestions au cours de notre échange. À la lecture du dernier rapport annuel du Protecteur du citoyen, qui couvre la période du 1er avril 1994 au 31 mars 1995, on constate que ce fut une année particulièrement très difficile pour les relations des citoyens et des citoyennes du Québec avec l'administration publique. En effet, le Protecteur du citoyen nous indique que la proportion des plaintes fondées des citoyens insatisfaits de l'administration publique a augmenté au cours de cette période; elle est passée de 23 % il y a deux ans à 34 % cette année. Cela est certainement le reflet de l'inaction du gouvernement au cours de la première année de son mandat. De plus, le Protecteur du citoyen déplore et trouve immorale la compression dans l'aide sociale. L'opposition aussi déplore que les compressions effectuées par le gouvernement s'attaquent d'abord aux plus démunis de notre société. D'ailleurs, nous avons dénoncé vivement le projet de loi n° 115 adopté à toute vapeur en suspendant les règles normales pour l'adoption d'un projet de loi, lequel vise à faire absorber le déficit du gouvernement par les plus démunis de notre société. L'opposition avait insisté auprès de la ministre de la Sécurité du revenu pour entendre plusieurs groupes, dont le Protecteur du citoyen, ce qu'elle a malheureusement refusé d'accepter.

Le Protecteur du citoyen a également dénoncé plusieurs compressions budgétaires qui s'attaquent aux organismes voués à la défense des droits des citoyens, et on peut énumérer la Commission de protection des droits de la jeunesse, la Commission des droits de la personne, la Commission des services juridiques, l'Office de la protection du consommateur, l'Inspecteur général des institutions financières. Pour la première année de son mandat, le bilan du gouvernement est plutôt désastreux.

Le Protecteur du citoyen dénonce également la façon de procéder du gouvernement lorsqu'il adopte des réformes importantes, puisqu'il omet de procéder à des consultations auprès des groupes de personnes impliqués ou visés par de telles réformes. Bien que le gouvernement ait investi temps et argent pour faire une vaste consultation auprès des Québécois sur son option politique, en même temps il n'avait pas jugé utile de consulter les Québécois et les Québécoises sur les compressions qu'il voulait leur imposer.

Plusieurs commentaires du Protecteur du citoyen sont justifiés, et nous ne pouvons que déplorer que, durant la dernière année, le gouvernement en place n'ait pas gouverné. Au cours de la dernière année, le gouvernement a investi son temps et l'argent des contribuables au profit de son seul et unique but, celui de travailler au référendum pour séparer le Québec de la balance du Canada. Malheureusement, pendant ce temps, les Québécoises et les Québécois n'avaient aucun gouvernement qui travaillait pour leurs objectifs et leurs besoins, c'est-à-dire la création d'emplois, la réduction du déficit du Québec, l'amélioration du système fiscal au Québec, l'aide aux plus démunis de notre société ainsi que l'aide auprès des jeunes par des mesures concrètes afin de leur redonner confiance dans notre société.

Au cours de la dernière année, si on regarde l'ensemble des projets de loi qui ont été déposés par le gouvernement, on constate que bon nombre de ces projets de loi avaient pour seul et unique objectif d'effectuer des compressions budgétaires. Bien que des compressions budgétaires au sein du gouvernement soient inévitables, le gouvernement du Québec s'est acharné sur les plus démunis de notre société notamment en effectuant des compressions sur l'aide sociale. Le gouvernement s'est attaqué aux missions essentielles de notre État en effectuant des compressions dans notre système de santé sans prendre tous les moyens nécessaires pour mettre en place des structures permettant d'effectuer efficacement le virage ambulatoire. Il a fait ces compressions budgétaires en coupant sur des organismes chargés d'aider les citoyens sans prendre la peine d'en évaluer les impacts. Le ministre de la Justice a d'ailleurs dû refaire ses devoirs avec sa réforme de l'aide juridique. La façon de procéder du gouvernement pour effectuer de telles compressions budgétaires est tout à fait déplorable, puisque plusieurs réformes auraient dû faire l'objet d'analyses, d'études afin d'en connaître les impacts et les conséquences. Or, l'opposition a été à même de constater à plusieurs reprises, lors de l'étude de plusieurs projets de loi, que bien souvent les ministres responsables des dossiers n'étaient pas en mesure de répondre à des questions très importantes.

Maintenant que le référendum est terminé, nous savons que le gouvernement annoncera des compressions budgétaires importantes et, par conséquent, le rôle du Protecteur du citoyen devient d'autant plus important. En effet, le respect des citoyens et de leurs droits risque d'être bafoué davantage, avec les nombreuses compressions qui s'en viennent. Nous sommes convaincus que le Protecteur du citoyen, qui est un organisme neutre chargé d'intervenir pour aider et protéger les citoyens, continuera de jouer son rôle efficacement dans la mesure où le gouvernement maintiendra les pouvoirs dont il dispose pour ce faire.

En conclusion, M. le Président, l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui d'étudier les deux rapports annuels du Protecteur du citoyen est une occasion fort importante et plus particulièrement dans le contexte des finances publiques actuel. Il s'agit d'une occasion, pour mes collègues et moi-même, d'échanger sur de nombreux thèmes, sur les problèmes auxquels font face les citoyens avec l'administration publique, de même que sur des suggestions et des solutions pour l'avenir. Je pense notamment au rôle et au pouvoir que doit avoir le Protecteur du citoyen, au pacte social proposé par le Protecteur du citoyen et à l'approche que doit prendre le gouvernement pour effectuer ses compressions budgétaires tout en respectant les citoyens et les citoyennes du Québec. Merci, M. le Président.


M. Sylvain Simard, président

Le Président (M. Simard): Merci, M. le député de Beauce-Sud. À ce moment-ci, j'aimerais, au nom de notre formation politique, au nom de la partie ministérielle de cette commission, faire quelques remarques préliminaires. Tout d'abord, je répondrai, mais très brièvement pour ne pas m'y étendre, à mon collègue de l'opposition que les rapports du Vérificateur général comme ceux du Protecteur du citoyen sont toujours beaucoup plus doux à entendre lorsque nous sommes sur les banquettes de l'opposition qu'au pouvoir et qu'il s'agit d'un phénomène tout à fait normal. Nous avons eu l'occasion, pendant neuf trop longues années, d'en éprouver tout le plaisir et d'en épuiser tous les charmes.

(11 heures)

Pour ce qui est du contenu de votre rapport, M. le Protecteur du citoyen, nous sommes convaincus, tout d'abord, comme l'opposition, que le rôle que vous jouez est un rôle essentiel et je dirais même un rôle dont l'importance croît d'année en année. D'ailleurs, une bonne partie des remarques que vous nous avez faites ce matin et qui sont dans l'esprit de votre rapport vont dans ce sens-là. La crise que traversent depuis un certain temps les institutions et notamment l'administration publique, la crise financière comme la crise de croissance, amène un certain nombre de problèmes dans les rapports avec les citoyens qui rendent absolument nécessaire l'exercice de protection du simple – et ce n'est pas péjoratif – citoyen ordinaire que nous sommes tous et qui a besoin, de plus en plus, face à cette immense machine gouvernementale, bureaucratique, de pouvoir se reposer sur un recours gratuit, un recours qui soit ouvert parce qu'il ne coûte rien, mais ouvert aussi parce que l'accueil qu'il y reçoit est un accueil de compassion, de recherche de la vérité, de tentative de permettre au citoyen de recouvrer ses droits.

Donc, le besoin qu'éprouve le citoyen de l'institution du Protecteur du citoyen, ce besoin, loin de s'affadir et de disparaître, vous serez sans doute d'accord avec moi, s'accroît d'année en année et atteint même, dans ces années-ci, une nécessité qu'il n'avait jamais eue auparavant. Ça me permet de faire allusion, un peu en réplique, mais sans aucune volonté, en tout cas, de ma part, de ramener ça à un débat partisan... Il est bien certain que la crise des finances publiques à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure est au coeur de vos propos dans le rapport des deux dernières années et risque de l'être encore davantage au cours des prochaines années.

D'ailleurs, sur les choix que fait le gouvernement... Je pense que ce gouvernement a été élu démocratiquement, il est imputable au premier degré, puisque ce sont les citoyens qui, dans leur ensemble, ont eu le droit et ont eu la possibilité de poser ce choix et d'élire le parti au pouvoir; il est donc responsable, ce gouvernement, devant l'ensemble de la population des grandes directions politiques qu'il poursuit. Vous n'êtes pas sans le savoir, nous avons hérité d'une situation financière catastrophique. Ce n'est pas moi qui le dis, ce n'est pas, je pense, un propos de basse partisanerie, c'est une évidence. Et ce n'est pas uniquement au Québec, nous le savons, la plupart des pays occidentaux développés, industrialisés, traversent une crise semblable, les finances publiques sont dans un état désastreux. Dans la période d'expansion, les gouvernements n'ont pas hésité, pour mettre sur pied des nouveaux services ou pour satisfaire des besoins ou pour aller un peu facilement rejoindre les demandes, à créer des nouveaux programmes, à constituer des appareils bureaucratiques considérables qui coûtent très cher aujourd'hui. Et, pour ce faire, les États n'ont pas hésité à emprunter, à faire des déficits et augmenter la dette.

Nous sommes rendus, aujourd'hui, à un moment de vérité. Vous le savez, nous avons, nous, de la partie ministérielle, passé encore une longue journée là-dessus la semaine dernière. Le cabinet s'y est penché pendant deux jours. Nous continuons chaque jour cette semaine des rencontres en comité. Nous nous voyons en caucus la semaine prochaine pendant deux jours. Le gouvernement, c'est connu, le nouveau premier ministre qui sera bientôt assermenté l'a indiqué, fait de cette question une priorité absolue. La population s'attend à ce que nous assainissions les finances publiques. C'est un choix politique. Nous pourrions, et nos prédécesseurs l'ont fait, remettre à plus tard les solutions à ce problème grave, mais nous avons jugé que nous avions le mandat démocratique nécessaire pour mettre de l'ordre dans les finances publiques, et nous comptons le faire. Déjà, vous le savez, cette année, nous avons fonctionné – et les résultats budgétaires de mars l'indiqueront – avec un gel des dépenses publiques, et le gouvernement s'est engagé, en trois ans, à faire disparaître le déficit.

Évidemment, pour reprendre une expression populaire bien connue, on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs. Il est évident que des changements aussi radicaux ont des conséquences au niveau des phénomènes que vous êtes chargé d'observer. Ces choix, qui sont des choix fondamentaux, sont tous des mauvais choix pour les clientèles concernées. Nous pourrions, par exemple, entendre en audition, devant toutes les commissions spécialisées de l'Assemblée nationale, les clientèles de chacun des ministères et organismes qui seront concernés par les nouvelles coupures, et je peux prévoir à l'avance, sans beaucoup de risques de me tromper, que chacune des clientèles est opposée à ces coupures. Elles sont toutes favorables à des coupures dans les autres domaines, mais certainement pas dans leur domaine. Il n'y a pas de moyen de couper, de transformer les finances publiques, actuellement, sans que cela fasse mal quelque part.

Évidemment, c'est au gouvernement de prendre ses responsabilités et de s'assurer de protéger les plus démunis, de faire en sorte que le fardeau soit le plus équitablement réparti. Mais il n'en demeure pas moins que c'est là où les dépenses sont les plus élevées que, nécessairement, les coupures sont les plus grandes et que c'est dans les domaines où les dépenses sont les plus élevées que les sommes ainsi économisées se font malheureusement souvent sur le dos de ceux qui sont moins favorisés. Mais c'est un choix fondamental. Il faut réussir à faire ces choix avec précision, avec équité, en consultant, en s'assurant de faire, politiquement et socialement, les choix les meilleurs. La population en jugera.

Mais, si je tiens ces propos, M. le Protecteur du citoyen, c'est pour que vous compreniez bien que le gouvernement n'a pas décidé de s'attaquer à des clientèles, n'a pas décidé de faire souffrir. Le gouvernement, simplement, est obligé de faire des choix difficiles, et la population jugera évidemment de la qualité de ces choix. Tous les gouvernements, actuellement, ailleurs, font ces choix suivant des critères différents. On le sait très bien qu'il y a, dans certaines provinces canadiennes, dans certains pays, une tendance très, très forte à faire ces choix en s'attaquant presque exclusivement à la fonction sociale de l'État, en s'attaquant presque exclusivement à cette fonction-là. C'est l'écho de l'ultralibéralisme qui, depuis une dizaine d'années, a déferlé sur nos sociétés et qui est peut-être un retour de balancier qui répond à une période d'expansion économique, d'interventionnisme de l'État qui a caractérisé les années soixante, soixante-dix et même quatre-vingt.

Donc, les choix des prochaines années vont être très difficiles, et le citoyen que vous êtes chargé de protéger aura de plus en plus besoin de vos services, puisque, nécessairement, ces choix les atteindront, ces citoyens, ces choix les toucheront dans leur vie quotidienne. Il faut s'assurer que l'administration publique puisse transmettre l'expression de ces choix de la façon la plus équitable possible aux citoyens, que les services que nous avons choisi de préserver soient effectivement rendus à l'égard de tous les citoyens.

Vous avez beaucoup insisté, dans votre rapport, et le porte-parole de l'opposition y est revenu, sur les modifications que le gouvernement a faites à certaines commissions cette année, et notamment, à l'occasion de ces modifications, le fait que le mandat du Protecteur du citoyen ne s'applique plus maintenant à ces diverses commissions. On peut peut-être le regretter, mais je vous renverrai, sous forme de réflexion et d'interrogation, ma propre réaction. Vous avez exprimé, à quelques reprises, des critiques ou, en tout cas, des états d'âme sur la faiblesse des moyens dont vous disposez par rapport à l'ampleur de la tâche.

(11 h 10)

Dans des domaines où il y a des commissions spécialisées, avec des comités d'enquête, avec des bancs spécialisés, est-ce qu'il n'est pas normal que l'État décide que ces tribunaux administratifs, que ces commissions spécialisées n'aient pas, en plus, à être redevables à un autre niveau d'enquête et de décision qui serait celui du Protecteur du citoyen? Je pense qu'il y a, ici, une question de priorité, une question de choix, d'efficacité. Vous ne pouvez pas tout faire et bien faire. Vous vous plaignez, d'un côté, d'avoir de faibles moyens devant l'ampleur de la tâche. Il y a là des secteurs où il y a des moyens spécialisés qui sont confiés, justement, à des commissions spécialisées dont l'objectif, dont le mandat, d'après la loi qui a été encore révisée cette année, est évidemment concomitant avec le vôtre, la protection des citoyens face à l'appareil administratif. Alors, je ne sais pas si, en bonne économie des moyens, il n'était pas, justement, plus valable de laisser ces commissions faire jusqu'au bout leur travail. À la limite, vous savez, on pourrait aussi avoir un ombudsman de l'ombudsman. On pourrait avoir un appel aux décisions du Protecteur du citoyen. Rien n'est parfait, rien ne sera parfait, mais il nous faut baliser une situation qui permette la meilleure efficacité possible avec les moyens dont nous disposons.

Quant aux remarques sur la santé, vous en faites mention dans votre rapport et, sans doute, le rapport de l'an prochain contiendra-t-il des pages importantes sur cette question. Cette réforme de la santé, je pense, à part quelques esprits archaïques que je n'identifierai pas, était nécessaire, souhaitée et souhaitable. Il est bien évident qu'il nous faut rappeler le gouvernement, les administrations, les régies régionales, les dispensateurs de services sur le terrain au respect le plus entier des citoyens, à la nécessité, dans les décisions quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles, de toujours tenir compte, avant le bien-être des appareils, de celui des citoyens. Il est bien certain que des virages aussi importants ne se prennent pas sans quelques secousses, sans quelques réajustements importants nécessaires, mais je pense que la population appréciera que ce virage ait été fait, parce qu'il correspondait à un besoin, que des tentatives ont été faites à quelques reprises dans le passé sans succès et que, si l'on sait tenir compte de vos indications, si l'on sait toujours mettre la santé et les besoins des citoyens au premier plan de nos préoccupations, ce virage sera évalué, dans quelques années, comme ayant été un moment important dans l'évolution sociale au Québec, et à la satisfaction de tout le monde.

En conclusion, M. le Protecteur du citoyen, vos travaux quotidiens, votre rapport annuel, tout cela intéresse au plus haut point les parlementaires, qui sont des élus de cette population. Vous le savez, vous y faites allusion à quelques reprises dans votre rapport, nous sommes placés dans une situation un peu particulière d'être tous plus ou moins des protecteurs du citoyen. Chaque semaine, dans nos comtés, nous recevons un défilé de citoyens qui viennent, justement, aussi se plaindre auprès de nous d'erreurs administratives, de lenteur administrative, de bêtise administrative. Parce qu'il ne faut pas avoir peur de dire les mots, il y a de la bêtise administrative. Le citoyen qui est hospitalisé et dont un fonctionnaire du Revenu considère que sa maison est devenue une résidence secondaire peut parler de bêtise. C'est un cas que j'ai vu récemment. Il y a, dans notre système comme dans tous les systèmes bureaucratiques, des problèmes. Les élus qui sont avec vous aujourd'hui ont tous les jours à intervenir auprès de cette administration pour tenter de résoudre une partie de ces problèmes. Donc, nous sommes très sensibles au travail que vous faites, et nous allons tenter, avec vous, de mieux orienter le gouvernement, l'administration, de faire en sorte que l'esprit de votre rapport ne soit jamais absent dans l'esprit de ceux qui ont, tous les jours, à prendre des décisions. Je vous remercie.

M. le député de Laurier-Dorion... Et nous allons fonctionner en alternance en vous posant des questions. N'hésitez pas à faire appel à vos collaborateurs si vous en avez besoin, à nous demander de préciser certaines choses. Je tiens à ce que ce débat soit le plus équilibré mais, en même temps, le plus facile possible. M. le député de Laurier-Dorion.


M. Christos Sirros

M. Sirros: J'ai quelques remarques à mon tour, M. le Président, juste pour d'abord accueillir le Protecteur du citoyen et lui dire qu'on est effectivement très heureux de pouvoir l'entendre – et le voir – de vive voix. Je dois concourir avec les remarques d'ouverture du président qui aurait souhaité – je vois que vous y croyez aussi – qu'on puisse dorénavant, et dans l'avenir, saisir l'occasion, lors de rencontres comme celle-ci, d'entendre la présentation de votre rapport au Parlement, à l'instance même qui vous nomme. Je pense bien que ça pourrait consolider et renforcer le rôle très important que vous avez à jouer comme Protecteur du citoyen mais, dans une moindre mesure, nous permettre également, en tant que parlementaires et certainement en tant qu'opposition, de souligner la nécessité absolue qu'on doit avoir de concourir à ce qu'on puisse renforcer cette protection que le Protecteur du citoyen doit donner.

J'ai beaucoup apprécié l'insistance que vous avez mise sur la nécessité, pour l'administration publique et, par extension, le gouvernement, de se rappeler constamment que c'est au service des citoyens qu'on doit se donner et non pas l'inverse. Ce n'est pas le citoyen qui doit se conformer aux exigences de l'État, mais c'est à l'État de se plier en quatre, s'il le faut, pour se rendre aux besoins du citoyen. Et, dans le contexte où on se trouve, dans une nécessité d'assainir les finances publiques... Et je dois dire que je salue cette louable découverte qu'a faite le gouvernement de cette nécessité d'assainissement des finances publiques, nécessité qui avait été mise de l'avant et sur laquelle on a insisté à plusieurs reprises, à tel point que maintenant, semble-t-il, le nouveau premier ministre va emprunter largement du discours du gouvernement précédent quant à cette nécessité. Je ne peux que louanger cette découverte, et je les encourage à continuer dans cette veine-là.

Cela, pourtant, ne devrait pas être une excuse, comme vous l'avez si bien souligné, pour balayer du revers de la main soit les problèmes que les citoyens vont rencontrer dans ce contexte-là, soit de vous indiquer que le gouvernement a bien en tête ses responsabilités et n'a donc pas besoin d'avoir des gens qui vont lui rappeler des choses. S'il est vrai – et je dois concourir, encore une fois, que c'est vrai – que c'est toujours plus doux, quand on est dans l'opposition, d'entendre le rapport du Protecteur du citoyen, ça, c'est vrai, mais, jamais auparavant, à ma connaissance, un gouvernement n'a réduit le mandat de ce même Protecteur du citoyen. Un gouvernement responsable doit subir, en quelque sorte, le dérangement que lui fournit, des fois, le rapport du Protecteur du citoyen et doit toujours avoir en tête son ultime responsabilité d'améliorer le fonctionnement du système public en fonction des commentaires qui lui sont faits par une instance qui doit rester complètement à l'extérieur des influences et des réprimandes politiques quelconques, qui doit donc, par extension, voir non pas son mandat réduit, mais renforcé, dans la mesure du possible, et toujours en tenant compte de cette nécessité de bien utiliser les ressources financières que nous avons en nombre si limité à notre disposition.

C'est dans ce sens-là que je dois me distancer, en quelque sorte, des propos qui me semblaient plus être destinés à faire en sorte que les citoyens devraient normalement bien dormir parce que leur gouvernement pense à eux. Moi, je dormirais beaucoup mieux si je savais également qu'il y a un Protecteur du citoyen qui se voit renforcer, qui, lui, veille au grain quant à cette nécessité que je soulignais au départ, que l'État doit être là pour servir les citoyens. Tant mieux si le gouvernement y pense, mais ça serait quand même intéressant d'avoir un Protecteur du citoyen capable d'agir comme vous le faites, je pense, très bien, pour, justement, protéger le citoyen dans ses relations avec l'État.

(11 h 20)

Je pense, M. le Président, que nous avons devant nous une situation que je partage avec le Protecteur du citoyen. C'est inquiétant de voir un fléchissement vers le haut du nombre de plaintes fondées. Il faudrait examiner ça plus à fond. C'est très inquiétant, et inquiétant pour la qualité de notre démocratie, de voir qu'effectivement, dans un domaine aussi sensible que la protection des droits des jeunes et des droits de la personne, on a procédé, avec une excuse, à notre point de vue, très faible, au niveau de cette nécessité de limiter l'étendue du Protecteur du citoyen en fonction du fait qu'il y a déjà des organismes, qui sont des tribunaux administratifs, qui ont la responsabilité de leurs propres actions. De limiter son champ d'intervention dans ce domaine aussi délicat que la protection de la jeunesse, nous nous sommes objectés.

Je dois souligner, encore une fois, que je trouve très à propos ce rappel que vous nous faites du fait que, nulle part ailleurs, la tendance n'est allée dans ce sens-là, que, partout ailleurs, la tendance, surtout en période de restrictions budgétaires, surtout en période où on va remettre en cause le fonctionnement de l'administration publique et que, nécessairement, on va casser des oeufs, comme disait si éloquemment le président... Il ne faudrait pas, en cassant ces oeufs, limiter les moyens dont les citoyens disposent pour se protéger de cette omelette de décisions qui risquent d'être prises, qui pourraient leur rendre la vie beaucoup plus difficile que ce qu'elle est maintenant. Alors, quand partout ailleurs, dans la même condition et dans le même contexte de nécessité d'assainir les finances publiques, on l'étend et on l'élargit, le mandat de celui qui est chargé de veiller au grain quant à la relation entre l'État, l'administration publique et le citoyen, et que, ici, on le restreint, je ne voudrais pas voir là la caractérisation de ce qui nous distingue comme société. Je pense qu'il y a bien d'autres choses qui pourraient le faire beaucoup mieux. Alors, peut-être, je pourrais inviter, à un moment donné, l'ensemble des membres de cette commission à inciter le gouvernement à revoir ce geste, en particulier, et à ne pas penser à d'autres gestes de cette manière-là.

Je tenais à rappeler ces quelques points, M. le Président, pour que vous sachiez, en tant que président, et surtout pour que le Protecteur du citoyen sache que nous constatons cette nécessité que tout gouvernement doit avoir de penser au mandat qu'il a reçu de la population démocratiquement, mais que, en soi, il ne faudrait pas non plus banaliser le rôle du Protecteur du citoyen en le mettant au même niveau que toutes les autres instances, parce que, justement, on voulait qu'il ait un caractère tout à fait spécial en l'ayant parmi les très peu nombreuses personnes qui sont nommées par l'Assemblée nationale en fonction de ce genre de mandat. Et, avec vous, je souhaite que, dans l'avenir, on puisse, avec le Protecteur du citoyen, faire en sorte que ce lien que nous avons entre la commission des institutions et le Protecteur du citoyen puisse être l'occasion d'un rappel au gouvernement des différentes instances qui doivent être corrigées, des différents gestes qui doivent être posés pour qu'on puisse tous, comme parlementaires, jouer véritablement notre rôle, qui est celui de servir nos citoyens et ce pourquoi nous avons choisi de venir ici à l'Assemblée nationale, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Simard): Sachez, en tout cas, que nous partageons essentiellement cette même vision. À ce moment-ci, j'invite évidemment les membres de la partie ministérielle qui voudraient intervenir à le faire. Si je n'ai pas de demande, je vais demander au porte-parole de l'opposition... Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.


Mme Nicole Loiselle

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Tout d'abord, bonjour madame, messieurs, bienvenue à cet échange avec les parlementaires. Moi, je dois dire, je suis un petit peu divisée, parce que, suite aux remarques d'ouverture du président et aux remarques, aussi, de mon collègue de Laurier-Dorion... On vous a mentionné... D'ailleurs, ils ont exprimé le voeu qu'ils préféraient qu'il y ait un échange avec vous avant qu'il n'existe un échange soit avec les médias ou autres. Moi, je dois dire que je me suis réjouie de votre conférence de presse, en décembre dernier, avec les journalistes en ce qui concerne l'aide sociale, les coupures drastiques et insensibles qui ont été appliquées dans le projet de loi n° 115. Lors de votre conférence de presse, vous en avez fait état et vous avez démontré beaucoup d'objections à certaines mesures qu'on retrouve dans la loi n° 115 qui touchent les plus démunis de notre société.

Je comprends un peu pourquoi vous avez fait, peut-être, cette conférence de presse là: parce que vous aviez pris l'initiative d'écrire à la ministre de la Sécurité du revenu, en décembre, justement pour lui exprimer vos inquiétudes et votre désaccord sur certaines mesures qu'on retrouve dans la loi n° 115; et il y a aussi le fait que l'opposition avait fait une motion, en commission parlementaire des affaires sociales, demandant que vous veniez échanger avec nous, justement, sur les effets pervers de cette loi-là, et, en bloc, les ministériels et la ministre ont refusé de vous entendre. Alors, je dois dire que, moi, lors du débat en Chambre et en commission parlementaire, qui a été très court, aussi... Les échanges qu'on a eus en commission, du jamais vu dans l'histoire parlementaire, moins de 12 heures. On nous a mis le bâillon, en commission parlementaire, avant même qu'il y ait un bâillon en Chambre. On nous a cloué le bec en commission parlementaire, moins de 12 heures de travaux.

Alors, moi, je dois dire que votre intervention, en décembre, je vous remercie de l'avoir faite. Parce que, finalement, on se retrouve devant un gouvernement qui, on le constate encore ce matin, a toujours des beaux discours. Il est constant pour une chose, c'est dans ses contradictions. Ça, ce gouvernement-là, depuis qu'il est au pouvoir, a eu une seule constance, ses contradictions dans ses belles paroles, dans ses beaux discours, dans la main sur le coeur quand il fait des interventions. Autant les ministres, autant la ministre de la Condition féminine et de la Sécurité du revenu ont toujours des belles paroles. Mais, quand le geste et l'action sont posés, c'est deux mondes, deux mondes. Parce que vous vous rappelez, lors...


Discussion générale


Mécanisme de perception des pensions alimentaires

Je veux revenir sur un point avant d'aborder l'aide sociale avec vous, Me Jacoby, un point important au niveau de la loi sur la perception des pensions alimentaires. Vous étiez là lors de la consultation publique, lors des échanges, et, à plusieurs reprises, la ministre de la Condition féminine nous a dit qu'elle faisait cette loi-là sur la perception des pensions alimentaires en pensant aux enfants les plus démunis de notre société et en pensant aux familles et aux femmes les plus pauvres de notre société. Je me souviens, dans votre rapport, dans votre mémoire, vous aviez mentionné qu'il était peut-être important, si le projet de loi sur la perception des pensions alimentaires était pour les femmes et les enfants les plus démunis de notre société, qu'il y ait peut-être une modification qui soit apportée à la Loi sur la sécurité du revenu, afin qu'une certaine portion des pensions alimentaires qui sont données à des femmes qui, une fois séparées, se retrouvent sur l'aide sociale soit accordée sans que ça touche leur prestation d'aide sociale. Encore là, le beau discours, les belles paroles. On nous avait dit qu'on était pour regarder ça, qu'il y aurait peut-être une modification qui serait apportée. On n'a rien entendu parler depuis et, si cette loi-là sur la perception des pensions alimentaires était pour les enfants les plus démunis de notre société et les femmes les plus démunies de notre société, c'est bien ceux et celles que l'on retrouve à l'aide sociale.

Et, actuellement, rien n'est fait. Une petite modification à la Loi sur la sécurité du revenu apporterait une grosse différence à ces familles monoparentales qui se retrouvent malheureusement, à cause de séparations et de divorces, sur l'aide sociale. Mais, dans votre rapport, vous parlez un peu, justement, de cette loi sur la perception des pensions alimentaires. Et je refeuilletais, hier soir, votre mémoire que vous aviez soumis, que vous aviez présenté lors des consultations, dans lequel vous mentionniez combien il était important que les personnes qui vont travailler, mettons, au ministère du Revenu sur le dossier des perceptions alimentaires soient bien formées, qu'il y ait une campagne d'information et, aussi, que le système informatique soit prêt, que tout le système, finalement, avant qu'il soit enclenché, soit mis sur pied, soit vraiment prêt pour absorber cette nouvelle forme de perception de pensions alimentaires.

En pleine campagne référendaire, on a déposé un décret qui a comme précipité de six mois la perception des pensions alimentaires pour les nouvelles ordonnances, parce que tout devait être prêt pour le mois de mai. Et, là, en campagne référendaire, on a peut-être pensé, par un geste politique – c'était pour bien paraître lors d'une campagne électorale référendaire – de dire: Bon, là, on précipite le tout six mois avant. Alors, à partir du 1er décembre dernier, on a précipité l'entrée en vigueur du système des perceptions alimentaires en sachant très bien que le système informatique n'est pas prêt. Alors, tout se fait à la main au ministère du Revenu. Il y a même la directrice générale du Syndicat de la fonction publique qui a écrit à la ministre pour lui dire que, un, ce sont des occasionnels qui travaillent maintenant au ministère du Revenu pour la perception de pensions alimentaires. Ils sont formés sur le tas, ils n'ont pas été formés, comme on nous l'avait promis en commission parlementaire, adéquatement et sérieusement, et, finalement, tout se fait à la main.

(11 h 30)

Moi, j'aimerais savoir si, à ce niveau-là, depuis le 1er décembre, vous avez eu des plaintes soit d'avocats qui sont en droit privé ou soit de familles monoparentales, qui ont eu des nouvelles ordonnances puis que le chèque n'est pas rentré, et si vous avez l'intention de voir à faire des analyses quant à l'accumulation par le fait que, depuis le 1er décembre jusqu'au mois de mai, tout se fait à la main au ministère du Revenu et, aussi, le fait que ce soit des occasionnels non formés qui travaillent maintenant à ces dossiers-là, si vous avez l'intention de suivre ça de très près et de voir s'il n'y a pas une accumulation des dossiers et des retards qui vont se faire quant à l'émission des chèques pour ces familles monoparentales là.

Le Président (M. Simard): M. le Protecteur du citoyen, juste pour mentionner, avant votre réponse, que voilà une question, voilà un échange possible à partir de maintenant. Je pense que nous allons aller dans cette direction, des échanges. M. Jacoby.

M. Jacoby (Daniel): Oui. Effectivement, lorsque nous avons présenté nos préoccupations et nos commentaires sur la loi qui devait changer le mécanisme d'exécution des pensions alimentaires, nous avons, suite à des expériences que nous avions vues ailleurs, proposé, suggéré, recommandé qu'il y ait des choses fondamentales qui soient faites pour qu'un programme comme ça fonctionne de manière adéquate, de manière efficace et de manière efficiente. Notamment, nous avons insisté sur le fait qu'il fallait que les personnes qui oeuvrent dans ce secteur-là aient une certaine formation sur les enjeux, effectivement, de ce que représente la pension alimentaire. Parce qu'il faut faire très attention. Même si le programme est administré par le ministère du Revenu, il y a des raisons pratiques à ça, c'est que le ministère a accès à plus d'informations et qu'il est peut être plus opérationnel en termes de perception que d'autres ministères. Mais, cependant, il ne faut pas oublier que le programme de perception des pensions alimentaires ou de retenues à la source est un programme avant tout dont l'objectif est social. Et, ce faisant, je pense que le personnel qui doit oeuvrer dans ce domaine doit avoir une formation particulière sur les enjeux, les problématiques et la réalité de ce que veut dire le non-paiement d'une pension alimentaire. C'est fondamental.

Alors, ça, c'était une des préoccupations, parce qu'à travers les différentes expériences dont nous sommes saisis il est évident qu'on constate pourquoi les programmes gouvernementaux ne fonctionnent pas ou fonctionnent très mal. En général, ce n'est pas la loi elle-même. En général, c'est toute la mise en oeuvre de la loi qui crée des dysfonctionnements et des distorsions dans l'application d'une loi. Et ça, c'est l'apanage généralement de l'administration. Et, à moins que le politique n'exprime clairement sa priorité par rapport à tel programme, il est évident que l'appareil public va toujours fonctionner à partir de sa commodité, et il est plus commode pour l'administration de faire gérer un programme comme ça par des occasionnels, et avec le taux de roulement que ça signifie. Bon. Et on a vu dans d'autres programmes pourquoi ça ne fonctionnait pas. Quand ce n'est pas des problèmes de formation, c'est des problèmes de manque de planification, et ainsi de suite.

Maintenant, pour répondre à votre question précise: Est-ce que nous avons reçu des plaintes? nous n'avons pas reçu de plaintes encore, parce que ce n'est en vigueur que depuis le 1er décembre, et je ne m'attends pas à ce que nous ayons des plaintes avant quelques semaines, le cas échéant. Et je n'ai pas l'intention, à ce stade-ci, de faire une enquête sans avoir des raisons de croire qu'il peut y avoir des problèmes. Mais il est certain que, je l'ai dit et je vais le faire, à partir du moment où nous allons recevoir des plaintes, nous allons assurer un suivi très, très précis de ce programme-là pour la bonne raison qu'il ne faut pas, pour moi et pour les citoyens, à mon point de vue, changer le mal de place. On a vu comment l'ancien système, qui était excellent au début, le système de perception alimentaire qui avait été mis sur pied en 1981-1982, au début répondait bien à ses objectifs. Mais à l'usage on a pu constater que ce système-là ne fonctionnait plus par rapport aux nouvelles réalités. On a constaté que, par exemple, le percepteur manquait de pouvoirs; on a constaté qu'il y avait des problèmes d'effectifs au niveau du percepteur, et ainsi de suite, ce qui sont des facteurs qui ont, bien sûr, occasionné des ratés et des dysfonctionnements dans le système. Bien, je me dis que changer pour changer, il ne faut quand même pas. Mais il faut le changer et l'idée de changer et d'aller au ministère du Revenu, c'était de rendre ça plus efficace. Donc, je vais être extrêmement vigilant.

Le Président (M. Simard): M. le député de Saint-Maurice.

M. Pinard: Dans la même continuité, M. le Protecteur du citoyen, le nombre de plaintes relevées est de l'ordre de 26 310 demandes qui ont été formulées au Protecteur du citoyen et, là-dessus, environ 22 000 plaintes. Pourriez-vous nous donner approximativement le pourcentage que pouvait représenter, parmi ces plaintes, les demandes concernant les pensions alimentaires? Vous venez de nous dire que le système, en 1981-1982, était excellent, mais qu'il y a eu une dégradation dans le système de la perception des pensions alimentaires de 1981 à 1995, en décembre 1995. Lors des dernières années, parmi les 22 000 plaintes que votre bureau recevait, quel était environ le pourcentage, parmi celles-ci, qui émanait justement des problèmes de perception de pensions alimentaires?

M. Jacoby (Daniel): Ces dernières années, avant que nous décidions de faire une étude sur l'ensemble du mécanisme de perception des pensions alimentaires et, plus globalement, sur toute la question de la problématique des pensions alimentaires, il y avait bon an mal an, je dirais, de mémoire, entre 50 et 75 plaintes par année depuis quelques années.

Je voudrais juste, peut-être, préciser certaines choses que j'ai dites tout à l'heure. J'ai dit qu'il s'est passé deux choses depuis les années quatre-vingt. C'est que, d'un côté, vous savez, quand une loi est adoptée, on sait que les personnes qui sont visées par la loi et les spécialistes vont développer toutes sortes de mécanismes pour, dans certains cas, je dirais, ne pas être victimes de ces lois-là. Ce qui fait qu'il s'était développé des pratiques au niveau des pensions alimentaires – on l'a vu très souvent devant les tribunaux – à l'effet qu'il y avait une bonne partie des débiteurs ou des pères qui trouvaient toutes sortes de moyens pour échapper à leurs responsabilités, ne pas verser la pension alimentaire. Et ça s'est développé avec le temps. Ça se passe toujours comme ça.

Alors, au départ, il y a l'effet naturel d'une loi. On finit par bien la comprendre et on finit par trouver des moyens, à l'occasion, de ne pas tomber sous la coupe de la loi. Ce qui fait que la loi était ainsi faite qu'on réalisait que les services de perception des pensions alimentaires n'avaient pas les pouvoirs nécessaires pour contrer ce genre de difficultés. Par ailleurs, ce que l'on a constaté aussi, c'est que les moyens qui étaient mis à la disposition du percepteur avaient été réduits. On a assisté ces dernières années à une réduction drastique de l'effectif au niveau de la perception des pensions alimentaires. Mais comme ça criait, comme ça causait beaucoup de problèmes, on a remis un peu d'effectif dans le secteur.

(11 h 40)

Donc, il y avait des problèmes, évidemment, de délais. Tout le monde se plaignait du fait que ça prenait un temps considérable entre le moment de la demande au percepteur et le moment de la réalisation. Et nous avions découvert que, à travers les mécanismes, il s'était finalement développé un processus avec beaucoup, beaucoup de formalités qui faisait – comme c'est toujours généré par l'appareil public parce qu'on se sent très à l'aise quand on a de gros processus – qu'on ne peut pas se tromper. Mais ces processus ont généralement pour effet de créer des lenteurs au niveau de la prestation d'un service. Est-ce que ça répond à votre question?

Le Président (M. Simard): Merci. M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. M. le Président, je veux...

Le Président (M. Simard): Si c'est sur le même sujet, sinon on pourrait demander, peut-être, à la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne de poursuivre. C'est sur le même sujet?

Mme Loiselle: Je voulais juste une petite dernière sur le même sujet.

Le Président (M. Simard): Oui, je vous en prie.

Mme Loiselle: Moi, j'ai des appréhensions du fait qu'on a précipité l'entrée ne vigueur de cette loi-là en sachant très bien que le système n'est pas prêt. Et je me souviens, je le relisais tantôt, et vous l'aviez bien mentionné dans votre mémoire, vous disiez: En somme, il faut s'assurer que tous les processus soient fonctionnels avant l'entrée en vigueur de la loi. Moi, j'ai des appréhensions du fait qu'on a précipité tout ça en sachant que rien n'est prêt, que le système n'est pas prêt, qu'on fait tout à la main et que, finalement, ça va s'accumuler, les dossiers, parce que ça ne peut pas faire autrement. On me disait qu'à Montréal il y a 100 nouvelles ordonnances environ par jour depuis le 1er décembre. Si tout se fait à la main, si les gens ne sont pas formés, s'ils n'ont pas l'expérience au niveau des perceptions de pensions alimentaires, les gens qui travaillent au ministère du Revenu... Je ne sais pas. Je veux juste vous entendre sur ça, à savoir si, vous, vous ne pensez pas qu'on est en train de faire une montagne de dossiers qui ne seront pas prêts. En bout de piste, c'est les femmes qui ne recevront pas leur chèque à chaque mois parce qu'on a voulu précipiter l'entrée en vigueur.

M. Jacoby (Daniel): D'ailleurs, lorsque j'avais témoigné en commission parlementaire, c'était à partir d'expériences que nous avions vécues où l'administration avait – je parle de l'administration au sens étroit du mot – soit mal planifié des modifications à des programmes gouvernementaux ou encore s'était hâtée. Je pense, par exemple, à des programmes qui ont eu des ratés dès le départ, comme la carte-soleil, où toute la coordination administrative n'avait pas eu lieu. Je pense également aux problèmes qu'on a connus – je référais à ça, d'ailleurs, en commission parlementaire – avec la mise en oeuvre de l'état civil aussi, où il y avait eu des lacunes dans la planification opérationnelle. Bon, tout ça, toutes ces expériences m'amenaient à dire: Faites attention, à l'avenir, les administrations, quand vous implantez de nouveaux programmes, il faut être prêt, il faut que tous les éléments favorables à une bonne mise en oeuvre du programme soient là. Et je ne veux pas porter un jugement sur le fait qu'il y a une partie du programme qui a été devancée et je ne peux pas répondre à votre question, mais je peux vous dire que notre expérience montre que, généralement, lorsqu'on devance trop rapidement l'application d'un programme sans que tous les éléments du puzzle aient été mis en place, les risques sont très grands que ça crée des ratés importants dès le début. Mais je ne peux pas vous en dire plus à ce stade-ci.

Mme Loiselle: Nous partageons les mêmes appréhensions. Merci, Me Jacoby.

Le Président (M. Pinard): Merci. M. le député de Frontenac.


Responsabilité d'assurer la protection des plus démunis

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Alors, M. le Protecteur du citoyen, je veux vous saluer et saluer vos collègues qui vous accompagnent ce matin pour qu'on puisse, avec vous, commenter le rapport que vous avez déposé un petit peu avant Noël.

Vous êtes, M. le Protecteur du citoyen, avec le Vérificateur général du Québec, les deux organismes principaux qui ont la responsabilité de surveiller l'action du gouvernement. Le Vérificateur général a la responsabilité de protéger les deniers publics, de vérifier, à l'intérieur, si l'activité gouvernementale est conforme aux règles. Vous, vous avez, M. le Protecteur, une responsabilité beaucoup plus humaine. Vous avez la responsabilité de vous assurer, en vertu de votre mandat qui est large – mais, comme vous nous l'expliquiez ce matin, vous avez déjà dit que ce mandat-là n'est pas assez large – vous avez la responsabilité de protéger les droits du citoyen lui-même face à l'action gouvernementale, face au gouvernement et aux organismes qui dépendent de ce gouvernement. Le 15 décembre – et vous êtes en poste depuis plusieurs années – vous avez, à l'occasion de votre conférence de presse où vous déposiez votre rapport, été sévère comme jamais auparavant. Vous avez, à un moment donné, indiqué, souhaité très clairement que les parlementaires de l'Assemblée nationale comprennent votre message et donnent le coup de barre souhaité par vous quant au sort réservé particulièrement – et je reprends ce que je disais tout à l'heure, c'est ça votre responsabilité – à nos plus démunis.

Vous avez probablement été déçu de la réponse que vous avez entendue tout à l'heure de M. le député de Richelieu qui préside la commission des institutions. Il vous a clairement indiqué qu'il n'y aurait pas de coup de barre, qu'il n'y aurait pas de changement de cap et qu'on continue comme gouvernement supposément social-démocrate à tenir un discours mais à faire le contraire dans l'action.

M. le Protecteur du citoyen, je vous rappelle les commentaires que vous faisiez le 15 décembre, vous avez été extrêmement sévère lorsque vous avez dit qu'il devient – et je vous cite – inconvenant sinon immoral de réduire les prestations de personnes qui veulent briser le cercle de la pauvreté. Vous avez ajouté: Pire encore, le gouvernement – et vous parlez du gouvernement péquiste – coupe dans les budgets des organismes qui ont justement charge d'aider les citoyens. Tout à l'heure vous nous avez expliqué, vous avez donné des explications additionnelles, pour quelle raison vous avez reproché au gouvernement de M. Parizeau la fusion des organismes visant la protection de la personne et la protection de la jeunesse, de sorte que vous avez perdu la possibilité d'intervenir pour protéger nos jeunes.

Vous reprochez également, à juste titre, et dans ce sens-là vous avez repris le message de l'opposition officielle, de couper les subventions aux organismes non gouvernementaux, souvent, et presque toujours des organismes, M. le Président, qui sont gérés, dans lesquels on retrouve plein de gens qui font du bénévolat. Sauf que ces organismes-là ont besoin d'un certain montant, à toutes fins pratiques, pour payer le minimum des coûts de fonctionnement. Vous avez reproché, avec raison, à ce gouvernement supposément social-démocrate de couper les subventions à ces organismes-là. Vous avez parlé d'un mur qu'on construit autour de l'État.

En un mot, M. le Président, ce que le Protecteur du citoyen a indiqué à votre gouvernement, c'est que, contrairement au discours que vous nous avez tenu avant l'élection de 1994, au discours que vous avez tenu comme formation politique aux mois d'août, septembre et octobre derniers, dans l'action, vous faites tout le contraire. M. le Président, c'est ce que le Protecteur du citoyen a dit aux Québécoises et aux Québécois: Voici un gouvernement qui s'attaque aux plus démunis, qui s'attaque aux sans-emploi et qui s'attaque aux créateurs d'emplois soit directement ou par ses alliés. On attaque les sans-emploi et les créateurs d'emplois, mais on protège cette espèce de bourgeoisie que l'on retrouve trop souvent à l'intérieur du Parti québécois.

(11 h 50)

M. le Président, vous avez, M. le Protecteur du citoyen, la responsabilité de surveiller les activités à l'Office des personnes handicapées du Québec. J'imagine que vous avez sursauté lorsque le premier ministre a posé le geste suivant, il a permis au député de La Prairie de prendre la responsabilité de l'Office des personnes handicapées du Québec en soulevant à la présidente en place, Mme Thibault, comme seul reproche d'être identifiée au Parti libéral du Québec; geste qui a eu comme conséquence de provoquer une dépense publique d'au moins 400 000 $, c'est-à-dire provoquer une élection complémentaire, ça coûte au moins 300 000 $ une élection complémentaire, et obliger l'Office et le gouvernement à verser à Mme Thibault ce qu'elle avait le droit d'obtenir, une prime de séparation de 83 000 $.


Plaintes concernant la déontologie policière

M. le Président, et c'est ma première question, ces remarques étant terminées, ces remarques globales, générales, vous avez indiqué, lors de votre conférence de presse, M. le Protecteur du citoyen, percevoir l'intention du gouvernement de vouloir vous empêcher d'intervenir quant au pouvoir que vous avez présentement d'analyser les plaintes en regard de la déontologie policière. De quelle façon avez-vous l'intention de relancer votre message au gouvernement pour que vous puissiez continuer à surveiller les plaintes des citoyens en regard de gestes qui auraient été posés par des membres de la protection policière au Québec? Qu'est-ce que vous avez l'intention de faire au cours des prochains jours ou des prochaines semaines?

M. Jacoby (Daniel): Bon. Je n'ai pas, évidemment, en ma capacité de Protecteur du citoyen, à juger, à porter des jugements sur les nominations qui sont faites par le gouvernement.

Par ailleurs, il est clair, selon moi, que – ce n'est pas d'hier, mais la tendance s'accentue – de plus en plus d'organisations tentent d'échapper au contrôle du Protecteur du citoyen. Récemment, c'était une déclaration verbale du Commissaire à la déontologie policière, en disant que nous n'avions pas compétence. Il y a eu d'autres situations comme celles-là par le passé. Bien, moi, vous savez, le Protecteur du citoyen est dans une position extrêmement délicate. Je vais vous expliquer pourquoi j'ai besoin des parlementaires, autant les parlementaires ministériels que les parlementaires qui forment l'opposition. Parce que, tout simplement, quand le Protecteur du citoyen se plaint du fait qu'on lui refuse la compétence, on lui enlève la compétence, et ainsi de suite, il a l'air d'une personne qui a besoin de pouvoirs, qui a de grosses carences affectives et qu'il a besoin de pouvoirs pour s'occuper. C'est toujours très difficile et très délicat pour le Protecteur du citoyen de revendiquer des pouvoirs. Mais je vais vous dire une chose: Ce n'est pas comme ça qu'il faut voir les choses. On oublie trop souvent que le Protecteur du citoyen est un outil de l'appareil qui contrôle l'exécutif, un outil du Parlement, au même titre que le Vérificateur général. On oublie que les parlementaires, au-delà du fait qu'ils soient rattachés à un parti, ont des commettants, ont des citoyens qui défilent dans leur bureau, n'ont pas nécessairement toutes les ressources nécessaires ou les pouvoirs nécessaires pour faire certains types d'interventions que peut faire le Protecteur du citoyen en vertu de sa loi, au même titre que le Vérificateur général a des moyens dont ne disposent pas les parlementaires pour ce faire.

Déjà, de ce point de vue là, moi, je dis la chose suivante: Quand une organisation commence à contester la compétence du Protecteur du citoyen, cette organisation est en train de dire au Parlement: Je vous conteste le droit d'intervenir dans mes affaires. C'est comme ça que les choses se passent. Le jour où on retire au Protecteur du citoyen un pan de sa compétence, on est en train de dire au Parlement: Parlement, je vous enlève un moyen d'exercer votre surveillance sur le pouvoir exécutif et les administrateurs. C'est ça, la réalité, quand on regarde ça en termes politiques au sens large du mot, tout ce qu'on enlève, tout ce qu'on conteste au Protecteur du citoyen, on l'enlève à l'Assemblée nationale, qu'on soit ministériels ou d'autres formations politiques. Et, pour moi, ça met en cause la démocratie, fondamentalement, parce que j'ai beaucoup de difficultés à comprendre qu'on vienne m'expliquer, notamment, que c'est pour des raisons d'efficience et d'économie qu'on retire au Protecteur du citoyen son pouvoir sur la Commission de protection des droits de la jeunesse.

À ce titre-là, si je suis cette logique, je vais vous donner des suggestions. Je vais, vous, parlementaires, vous donner des suggestions. Je vais faire l'éventail des 85 ministères et organismes, je vais vous proposer de m'enlever la compétence sur 75 d'entre eux. Mieux que ça, je vais vous donner d'autres façons de gérer l'État. Tous les ministères et organismes ont des vérificateurs internes, les sociétés d'État aussi. A-t-on besoin du Vérificateur général? Moi, je vous le demande. On n'a pas besoin du Vérificateur général, soit qu'on a des vérificateurs internes, soit qu'on fait appel à des vérificateurs externes. C'est sûr, ça va être plus économique et plus rentable. Et derrière tout ça, M. le Président, il y a les citoyens que je représente et que vous représentez tous comme parlementaires. Et je commence, moi, à trouver ça un peu difficile de voir que les parlementaires considèrent que le Protecteur du citoyen est un organisme comme un autre alors que c'est un des bras droits du législatif, que c'est une institution démocratique et le produit d'une institution démocratique et de la séparation des pouvoirs, et c'est comme ça que c'est perçu à travers le monde. Je commence à m'inquiéter quand on me justifie qu'il faut réduire les coûts, même au niveau de la protection des droits, quand il s'agit des organismes qui relèvent de l'Assemblée nationale. Si je pousse la logique jusqu'au bout, on pourrait, peut-être, ultimement réduire l'Assemblée nationale. C'est grave quand on parle de démocratie et de citoyens. J'ai un peu de difficulté avec ça.

J'ai aussi un peu de difficulté comme Protecteur du citoyen à considérer que mon rôle de contrôle et de surveillance – et je le vois régulièrement – est perçu parfois comme un rôle de partisanerie politique. J'ai de la difficulté avec ça. Je le vois dans certaines réactions, quels que soient les gouvernements au pouvoir. Je vous dis que ce n'est pas facile. Et je vous dis une chose: c'est qu'il va falloir que l'Assemblée nationale, comme institution démocratique, et tous les parlementaires, de quelque formation politique qu'ils soient, réalisent qu'ils sont en train de perdre des pouvoirs. Donc, perdre des pouvoirs en termes démocratiques par rapport à la population. Ça, c'est fondamental. Il faut regarder les choses dans un ensemble.

Je réalise aussi que ce faisant, alors que les parlementaires, régulièrement, disent publiquement ou dans leur bureau de comté: On a perdu le contrôle de l'administration, et que, du même coup, les parlementaires disent que, pour des raisons d'économie, on va enlever des pouvoirs sur ceux qui ont encore des contrôles sur l'administration, je suis un peu étonné.

Pour ce qui est maintenant du Commissaire à la déontologie policière, je ne sais plus quoi faire. Si je me bats, si je vais sur la place publique, on va me traiter de faire de la politique. Alors, que reste-t-il? Bien sûr, il y a un recours en vertu de la loi où je pourrais m'adresser aux tribunaux pour faire déterminer mes pouvoirs et mes compétences. Si on est rendu là, dans une société démocratique, à forcer le Protecteur du citoyen à s'adresser aux tribunaux pour faire reconnaître sa compétence et ses pouvoirs, je me pose, en plus, de très graves questions. Alors, je ne sais pas quoi faire, M. le Président.

M. Lefebvre: M. le Président, sur le même sujet, déontologie. Une courte question, M. le Président...

Le Président (M. Simard): Oui, je pense qu'on tiendra compte de l'alternance tout à l'heure. Alors, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Sur le même sujet, M. le Président, la question est très simple.

Le Président (M. Simard): Sur le même sujet, M. le député de Frontenac. Mais j'aimerais me réserver quelques minutes de commentaires.

M. Lefebvre: D'accord. M. le Protecteur du citoyen, pouvez-vous nous indiquer si, au cours de la dernière année, il y a eu plus de plaintes en regard de la déontologie policière qu'au cours des années précédentes? Est-ce qu'il y a eu une augmentation des plaintes à votre connaissance?

M. Jacoby (Daniel): Je n'ai malheureusement pas avec moi les données, mais je pourrais les obtenir et vous les fournir cet après-midi.

M. Lefebvre: Merci.

M. Jacoby (Daniel): Nous regarderons sur les trois dernières années.

M. Lefebvre: Merci.

Le Président (M. Simard): Merci. Je ne veux pas répliquer au plaidoyer que vous avez fait qui nous semble, au point de départ, être tout à fait justifié, et tous les parlementaires qui sont ici, M. Jacoby, seront d'accord avec vous pour dire que le Protecteur du citoyen, qui est nommé par l'Assemblée nationale, qui est l'émanation de l'Assemblée nationale, doit rester fort et puissant et présent dans tous les secteurs d'activité.

(12 heures)

Cependant – et vous parlez ici devant des experts de l'amplification rhétorique – votre plaidoyer était très convaincant mais peut-être un peu, parfois, excessif. Les organismes qui ont été identifiés – enfin, que, moi, en tout cas, j'ai identifiés plus tôt – c'est-à-dire la Commission de protection des droits de la jeunesse et la Commission des droits de la personne, qui, maintenant, échappent au contrôle du Protecteur du citoyen, ne sont pas des organismes comme les autres. Hydro-Québec n'a pas pour mandat de protéger le citoyen face à l'administration; la Commission des droits de la personne a ce mandat dans son secteur.

Il ne faudrait peut-être pas non plus... Vous avez un peu généralisé lorsque vous avez parlé – je sais que c'est normal et nous sommes des spécialistes de ces généralisations – de 75 organismes et ministères qu'on pourrait supprimer. Je pense que nous n'en sommes pas là. Cependant, l'appel à la vigilance que vous nous lancez, la nécessité de s'assurer que, loin de diminuer, les pouvoirs du Protecteur du citoyen soient consolidés, je pense que ça, de part et d'autre de cette Chambre, nous l'entendons parfaitement. Mais je vous demanderais... En toute chose il est bon de mesure garder. Je pense qu'il n'est pas question, en aucune façon, de vouloir retirer au Protecteur du citoyen des pouvoirs dans les différents ministères et organismes, et la comparaison que vous faites me semble dépasser un petit peu la réalité que vous vivez.

Je comprends pour ce qui est de la question de la déontologie policière, et peut-être qu'il faudrait approfondir davantage cette question. Je suis très heureux de la question du député de Frontenac sur le nombre de plaintes, entre autres. Il y a là un sujet d'interrogation et je pense que vous aurez ici, autour de la table, des deux côtés de la table, des alliés dans cette démarche. En tout cas, je ne veux pas présumer, mais il me semble que vous aurez des alliés dans cette démarche, parce qu'en fait on a là un organisme qui est à l'intérieur de la Sûreté du Québec... à l'intérieur du ministère de la Sécurité publique, qui est un organisme interne et qui a besoin d'un regard externe et d'un recours possible. Et, en ce sens-là, je pense que vous auriez intérêt à le démontrer de façon très spécifique, de façon à ce que nous puissions, le cas échéant, vous appuyer dans cette démarche.

Vous semblez un peu excédé du fait de devoir toujours défendre l'intégrité du mandat et l'interprétation possible à laquelle cela peut mener. Je pense que – je reviens à mes propos du départ – avec un bon dialogue avec les membres de cette Assemblée, qui feront leurs vos principales récriminations ou, en tout cas, vos principaux sujets de préoccupation, ça évitera peut-être de trop personnaliser ce débat et nous permettra, ensemble, de maintenir l'intégrité du mandat du Protecteur du citoyen. Mais, en tout cas, je mets sur le dos de la passion avez laquelle vous exercez cette fonction un peu peut-être les débordements de votre plaidoirie. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Je sens instamment...

Une voix: M. le Protecteur veut répliquer à votre réplique.

M. Sirros: Oui, mais je...

Le Président (M. Simard): Oui.

M. Jacoby (Daniel): Je veux simplement faire un commentaire. Ce n'est pas déborder, M. le Président. Quand je parle de 75 ministères et organismes, il y a assez de mécanismes internes pour la protection des droits dans ces ministères et organismes – des bureaux d'examen des plaintes, des services à la clientèle, des bureaux de révision interne – que la logique voudrait que le Protecteur du citoyen ne soit plus dans ces 75 ministères et organismes. Ce n'est pas des mots et ce n'est pas du débordement.

Le Président (M. Simard): M. le député de Laurier-Dorion.


Champ de compétence du Protecteur du citoyen

M. Sirros: Je sens très fort le besoin, M. le Président, de me distancer quelque peu de vos propos, surtout les propos qui trouvaient excessifs les propos du Protecteur du citoyen quant à son exclusion maintenant de la question de la Commission de protection des droits de la jeunesse et celle des personnes. Je ne trouve pas ça du tout excessif. Au contraire, je la partage entièrement, et je suis convaincu que bon nombre de parlementaires partagent entièrement l'inquiétude du Protecteur du citoyen quant à la qualité de notre démocratie, dont une des composantes, c'est ce lien qui existe entre le citoyen et l'administration politique. Le fait qu'on tasse le Protecteur du citoyen de certains champs de compétence doit être source d'inquiétude parce que, justement, comme le Protecteur l'a si bien dit, c'est un peu comme si l'Assemblée nationale elle-même était tassée.

Je tenais à nous dissocier un peu de ce genre de propos parce que, au-delà de toutes les considérations partisanes, si on a pris le soin de constituer le Protecteur du citoyen comme institution au-delà de toutes les autres institutions, puis, là, on est en train de le banaliser en disant: Peut-être qu'il ne devrait plus avoir de mots... Il n'a plus de mots à dire quant à certaines commissions qui touchent des dossiers très sensibles et qui pourraient être vus non seulement en fonction d'une protection du citoyen par rapport à ces institutions-là, mais aussi comme un appui aux citoyens en venant en appui à ces institutions-là qui aurait renforcé la protection du citoyen pris avec des problèmes de protection de ses droits, et des jeunes davantage.

Avec ce même raisonnement, si vous dites: C'est parce que les organismes en question sont des organismes qui sont là pour protéger des citoyens, donc ils n'ont pas besoin de la protection supplémentaire, vis-à-vis du citoyen, du Protecteur du citoyen, bien, le Comité de déontologie policière est constitué pour protéger le citoyen de la police. Est-ce qu'on va appliquer le même raisonnement? On voit qu'il y a des efforts qui sont faits de la part de la commission de déontologie policière, comme le soulignait mon collègue, d'écarter le Protecteur du citoyen de ce genre d'investigations. On devrait vous dire tout de suite qu'on va s'inscrire en faux contre toute tentative de réduire davantage les champs de compétence, et en particulier quand ça touche un sujet aussi chargé que la relation du citoyen avec la police.

Donc, c'est dangereux de mettre dans le débat public cette argumentation qui dit que si des organismes constitués par l'État sont là – et je comprends la différence entre les deux, entre la commission de déontologie policière, qui n'est pas créée par l'Assemblée nationale, puis les autres – quand même, quand on met dans le débat public ce genre de raisonnement qui veut que des organismes, qu'on doit présumer qui sont là pour la protection du citoyen, n'ont pas besoin de la présence du Protecteur du citoyen, on ouvre des brèches qui peuvent mener loin. Je pense qu'on est loin de vivre, ici, au Québec, des dangers imminents à la démocratie parlementaire, mais c'est à juste titre que sont soulignées ces inquiétudes quand on voit des choses qui affectent la qualité de cette démocratie parce que, finalement, ce n'est pas parce qu'on se sent à l'abri des choses qu'on l'est toujours, M. le Président.

Alors, si j'avais une question, ça serait pour demander au Protecteur du citoyen comment il évalue, lui, cette argumentation qui veut que les organismes créés par l'Assemblée nationale qui ont pour mandat de protéger les droits des citoyens devraient être comme exclus du champ de compétence du Protecteur du citoyen. Pourquoi, lui, il ne partage pas cette vision des choses?

(12 h 10)

M. Jacoby (Daniel): Il faut faire les distinctions qui s'imposent. À part le Directeur général des élections, le Vérificateur général et le Protecteur du citoyen, il n'y a pas d'institutions créées par l'Assemblée nationale. La différence, c'est que plusieurs organisations comme la Commission de la fonction publique, notamment, la Commission des droits de la personne, la Commission de protection des droits de la jeunesse, ces organisations sont dans le pouvoir exécutif. Les budgets sont à même les ministères et organismes. C'est le ministre de tutelle, entre guillemets, qui va répondre en Chambre de ces organismes-là.

La seule différence, c'est qu'on tente de faire en sorte que les nominations sur ces commissions – fonction publique, Commission des droits et tout ça – soient les plus neutres possible, étant donné le mandat que jouent ces organisations-là. On pense à la Commission de la fonction publique qui, elle, doit statuer, par exemple, sur les problèmes de relations de travail entre les gestionnaires, les non-syndiqués et l'appareil de l'État, et tout ça. On veut, dans la mesure, dépolitiser ces nominations, et c'est pour ça que les lois ont prévu, depuis la Charte des droits, depuis 1975, que ces nominations devaient être approuvées par l'Assemblée nationale. Mais ce ne sont pas des organismes qui relèvent de l'Assemblée nationale. Ils ont l'obligation, bien sûr, de remettre à l'Assemblée nationale le rapport annuel, comme le ministre est obligé de remettre toujours ses rapports, et les organisations, à l'Assemblée nationale.

Alors, il n'y a pas de commune mesure entre les trois personnes désignées par l'Assemblée nationale et la Commission de la fonction publique, la Commission d'accès à l'information, la Commission de protection des droits de la jeunesse et celle des droits de la personne. C'est des choses différentes.

Maintenant, je voudrais aussi préciser que nous avons compétence actuellement, jusqu'à bientôt, j'imagine, sur le pouvoir de surveillance de la Commission de la fonction publique, dont les membres sont nommés par l'Assemblée nationale, ou approuvés par l'Assemblée nationale. Nous avons encore ce morceau-là.

Moi, je vais vous dire ce que je pense. Suite à des conversations que j'ai eues au niveau administratif, je pense que toute organisation est très jalouse de ses prérogatives et qu'il est normal que la réaction naturelle d'une organisation, comme la Commission des droits ou toute autre organisation, soit qu'elle ne veuille pas être assujettie au Protecteur du citoyen. C'est normal. C'est normal, c'est naturel, ça se passe partout comme ça. Si vous faisiez, demain matin, un sondage auprès des ministères et organismes du gouvernement sur lesquels nous avons compétence et que vous leur posiez la question suivante: Voulez-vous continuer à être assujettis au Protecteur du citoyen? je vous dirais qu'à peu près – et là je n'exagère pas non plus, c'est mon expérience quotidienne – je croirais que 85 % des présidents des organismes ou des sous-ministres de ministères diraient: Ah! Bien, on n'a pas besoin de ça, on a nos mécanismes internes.

Je dois dire, cependant, que je connais des administrateurs extrêmement responsables, au gouvernement, qui considèrent – des administrateurs administratifs et responsables – que le rôle du Protecteur du citoyen est absolument essentiel et qu'il les aide à améliorer, par exemple, leur fonctionnement et la qualité de leurs services. J'ai de la correspondance qui le dit. Ça représente un certain nombre de hauts fonctionnaires du gouvernement qui disent et qui écrivent: Si on n'avait pas des chiens de garde comme le Vérificateur et le Protecteur du citoyen, on risquerait de perdre complètement contact avec la réalité de la population. Parce que les députés font une chose, mais ils n'ont pas toutes les disponibilités qu'il faut. Ils ont beaucoup de choses à faire, les députés, y compris celui de jouer, en partie, le rôle d'ombudsman, et ce n'est pas que ça. Et ce sont des organisations originales, ce qui fait que...

Et il y a une autre chose qui est absolument incroyable. Vous savez, quand un dirigeant d'organisme ou un sous-ministre porte un jugement sur l'intervention du Protecteur du citoyen, on oublie toujours une chose. On oublie toujours une chose. Là, je vais répondre peut-être à un des éléments de questions que vous posez: Pourquoi la colère gronde de plus en plus chez les citoyens? Je vais vous donner un bel exemple.

Si j'ai 3 000 plaintes à la Sécurité du revenu mais que le taux de plaintes fondées est de moins de 20 %, ça veut dire qu'il y a une plainte sur cinq qui est fondée. Donc, quatre fois sur cinq, l'administration avait raison de poser le geste ou la décision qu'elle a posé. Et, ça, ni les politiques ni les administrateurs ne réalisent que c'est aussi une caution pour le bon travail effectué par l'appareil public. Parce que le Protecteur du citoyen n'est pas un organisme de pression, ce n'est pas une «advocacy agency», ce n'est pas un parti politique. Il ne part pas avec l'idée qu'il doit donner raison au citoyen à n'importe quel prix. Et c'est tellement vrai que les statistiques démontrent que, généralement, nous donnons plus souvent raison aux ministères et organismes, aux fonctionnaires qui ont rendu des décisions et, ultimement, au ministre qui dirige ou de qui relève ultimement tel organisme. Ça, on l'oublie.

Alors, je vais vous dire une chose. Quand un organisme est critiqué pour ses décisions, pour ses lenteurs, et qu'on s'adresse au Protecteur du citoyen et qu'on arrive à la conclusion que la plainte n'est pas fondée parce que l'organisme a fait la bonne chose et l'a fait correctement en plus – nous expliquons ça aux citoyens en moyenne deux fois sur trois – les citoyens ne sont peut-être pas très heureux, fondamentalement, puis ça ne répare pas ce qu'ils considéraient comme étant une injustice, mais le fait que nous ayons accès à tous les documents de l'administration, le fait que nous puissions porter un jugement sur l'efficacité, l'efficience des processus décisionnels, et ainsi de suite, fait en sorte que, quand on explique au citoyen pourquoi il a tort de se considérer comme une victime du système, il l'accepte et nous dit très souvent, il dit souvent à mes collaborateurs et collaboratrices: Si on nous avait expliqué les choses en autant de mots, on ne se serait même pas plaints. Alors, le Protecteur du citoyen évacue aussi des crises à l'intérieur des organismes, continuellement. Et ça, c'est une chose que ni l'administration ni le politique ne voient.

Et quand vous avez un organisme qui échappe au Protecteur du citoyen ou qui échappe, donc, au citoyen – nous ne sommes qu'un canal – que se passe-t-il? Par exemple, Commission des droits de la personne. C'est bien connu que, depuis plusieurs années, et pour des raisons difficiles à comprendre, ses délais de service sont rendus à 18 mois. La question: Est-ce que c'est un problème d'effectifs? En général, ce n'est pas des problèmes d'effectifs, des questions de délais, mais ça peut arriver. Ça peut être aussi le processus, le choix des dossiers.

Et alors, si, moi, Daniel Jacoby, je me plains personnellement, j'ai déposé une plainte à la Commission des droits, je trouve que ça prend du temps à rendre une décision dans le dossier, on va me répondre d'une manière bureaucratique. Et, moi, citoyen Jacoby, je ne serai pas plus heureux demain matin. Puis, si je vais voir mon député, je vais dire au député: Je n'accepte pas, moi, la réponse de la Commission, là, de dire que c'est normal, ce délai-là. Parce que c'est toujours ça que disent les ministères et organismes. Le député, qu'est-ce qu'il va faire? Il va communiquer avec le ministre responsable de la Commission. Et le ministre responsable de la Commission ou son personnel va communiquer avec la Commission. Et la Commission va répondre, par l'entremise du cabinet et tout le circuit, que ces délais sont normaux compte tenu de telle ou telle explication.

Et, là, que se passe-t-il? Il n'y a jamais un citoyen sur, mettons, 100 citoyens qui se plaindraient des délais à la Commission qui pourra trouver une explication satisfaisante, et 100 citoyens vont être en grogne contre un appareil administratif qui agit de manière monopolistique et unilatérale, duquel même les ministériels ont un peu de difficulté – les ministériels et les membres de l'opposition – à rendre compte, sous prétexte que ces organismes défendent des droits fondamentaux. Bien, qu'on défende des droits fondamentaux ou des petits droits de tous les jours, il n'y a pas de droits qui sont plus petits que d'autres. Mais ce sont des machines administratives, bureaucratiques, qui administrent des lois, avec tous les travers que connaissent les machines administratives, même si ce n'est pas fait de mauvaise foi: le dysfonctionnement, l'abus des procédures, la protection et la commodité de l'administration, tous ces symptômes qui font qu'une administration est déficiente et n'est plus au service des citoyens.

Alors, c'est ça, la rançon. S'il n'y a pas de soupape dans une organisation, au-delà des questions qu'il n'y a pas de démocratie, la grogne augmente chez les citoyens. À qui vais-je m'adresser pour savoir pourquoi mon dossier, il a pris... on est rendu 10 mois plus tard et puis je ne suis pas capable de savoir pourquoi, à part de me faire dire que c'est normal et que je suis sur la chaîne de montage. Il n'y a pas un citoyen aujourd'hui, en 1995-1996, qui accepte ce genre de réponse. Il n'y a plus personne qui accepte ça. Vous-mêmes, comme parlementaires, vous ne pouvez pas accepter ce genre de réponse, mais vous n'avez pas le choix, parce que la Commission, il n'y a plus de contrôle dessus. C'est ça, la réalité.

(12 h 20)

Bien, si c'est ça, la démocratie, si moi, payeur de taxes, Daniel Jacoby, je ne suis plus capable de savoir pourquoi mon dossier prend 10 mois et 12 mois et que je n'ai pas de nouvelles de mon dossier, que ce soit la Commission des droits de la personne, que ce soit le Curateur public, que ce soit le ministère de la Santé, que ce soit la Sécurité du revenu, non, je n'accepte pas. Je suis un payeur de taxes et toutes ces organisations sont des créatures gouvernementales. C'est ça, le problème, aussi, que soulève le fait qu'on enlève des pouvoirs aux citoyens. On enlève des pouvoirs aux citoyens, mais on enlève aussi la possibilité d'expliquer les choses aux citoyens et on empêche aussi des mécanismes de jouer. Je vais vous donner un bel exemple et vous allez voir comment c'est clair.

Avant qu'on ne retire au Protecteur du citoyen le secteur Commission de protection des droits de la jeunesse, nous sommes intervenus l'année précédente, depuis deux ans, parce qu'il y avait des plaintes énormes sur le traitement des dossiers à la Commission de protection des droits de la jeunesse, sur la façon de faire. Nous sommes intervenus, nous avons fait une enquête systémique, nous avons trouvé les problèmes qui faisaient que les processus étaient trop longs. Nous avons proposé des façons de faire différentes à la Commission de protection des droits de la jeunesse et la Commission de protection des droits de la jeunesse, elle a changé sa façon de faire de manière à ce que ces délais s'améliorent. Ça n'a l'air de rien, ça. Mais, là, c'est fini, les citoyens ne pourront plus s'attendre à améliorer les délais.

Bien plus que ça. Il y a trois ans, en Ontario, l'ombudsman, par rapport au Human Rights Commission, l'équivalent de ce qui existe chez nous, il y avait aussi, en Ontario, des plaintes sur les délais de services de Human Rights Commission, il y avait des plaintes sur les types de décisions, le caractère qu'on trouvait abusif des décisions de la Commission, et ainsi de suite.

Que s'est-il passé? C'était un bon moyen, d'ailleurs, sur un plan très opportuniste, pour le gouvernement de faire faire des enquêtes par les bonnes personnes, quand c'est gênant de toucher à ces organismes-là. On a dit: L'ombudsman a pris l'initiative, parce qu'il recevait des plaintes à n'en plus finir, d'ouvrir un dossier systémique sur le fonctionnement de The Human Rights Commission, en Ontario, et l'ombudsman est arrivé avec une série de propositions que la Commission a mises en oeuvre, qui ont amélioré le service aux citoyens, et qui n'a pas coûté un sou de plus à l'État. On a augmenté l'efficience et l'efficacité de l'organisation.

C'est ça le rôle aussi que joue le Protecteur du citoyen derrière toutes les grandes questions de démocratie qui sont remises en cause quand on parle d'enlever des pouvoirs aux parlementaires, au Protecteur du citoyen. Et, après, les parlementaires eux-mêmes et les ministres eux-mêmes disent: On n'a plus de contrôle sur nos machines. Alors, moi, je rêve! Si on n'a plus de contrôle, eh bien, ne prenons pas les moyens pour faire en sorte qu'on en ait encore moins. On est en train de perdre le contrôle de la bureaucratie. Vous savez, la différence entre la bureaucratie et la démocratie, c'est que la démocratie, elle existe depuis plusieurs siècles; la bureaucratie n'a jamais été rejointe par la démocratie, et c'est ça le drame, et ça ne changera pas à court terme, à moins d'une volonté politique ultime.

Moi, je vous dis une chose: Ça n'a l'air de rien, ces petits détails, d'enlever un petit peu de juridiction, de contester la compétence et pas de problème, mais, derrière tout ça, il y a des choses graves qui se passent, il y a des enjeux énormes sur le plan de l'efficacité des services publics, sur le plan aussi de valeurs démocratiques. C'est extraordinaire. Et je pense qu'il est important que nous ayons des discussions comme ça, puisque, de par mon expérience, je peux vous exposer non seulement les cas que je vois tous les jours, mais quels sont les enjeux derrière tout ça.

Alors, je dis: Assumons nos responsabilités. Il faut que l'appareil administratif, et surtout dans une période de compressions budgétaires difficiles, nous ayons un peu plus de contrôle sur ses façons de faire. Ce n'est pas le député ou le ministre qui va comprendre; il ne se fait jamais consulter sur la manière de mettre en oeuvre un programme. Tous les processus bureaucratiques qui créent des lésions, qui créent ci, le ministre n'est jamais consulté. Jamais! Toute une loi ou l'objet d'une loi peut être complètement compromis par la manière dont les fonctionnaires décident de faire fonctionner la loi ou le programme gouvernemental. Et là il n'y a plus de démocratie.

La démocratie. Si on discute aujourd'hui de l'imputabilité des sous-ministres, si c'est ça là, c'est un bon pas dans la direction, mais pourquoi faut-il qu'on soit rendus là aujourd'hui? On l'«a-tu» perdu, le contrôle sur nos machines? Alors, moi, je rêve quand on me dit: On perd le contrôle sur tout, mais il ne faut pas s'en faire. C'est inévitable, on va continuer à perdre du contrôle.

Ceci dit, je m'exprime avec passion, M. le Président. J'ai toujours été comme ça, même avant d'être Protecteur du citoyen, même lorsque j'étais sous-ministre de la Justice.

Le Président (M. Simard): Merci. M. le député de Gaspé et M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: M. le Président...

Le Président (M. Simard): M. le député de Chomedey, M. le député de Gaspé m'a demandé auparavant.

M. Mulcair: Pardon, excusez-moi.

M. Lelièvre: Merci, M. le Président. Alors, M. le Protecteur du citoyen, je regarde l'article 13 de la loi qui détermine la compétence du Protecteur du citoyen et les organismes publics auxquels on fait référence aux articles 14 et 15.

Je comprends, par vos interventions, que vous faites une association entre les organismes publics et le gouvernement et je vais vous référer particulièrement au communiqué de presse qui avait été émis le 15 décembre, à savoir le communiqué de presse n° 5. Vous répondiez à une question également, à cette date-là, d'un journaliste, à l'effet que le gouvernement, dans le fond, s'attaquait aux plus démunis de la société. Est-ce qu'en vertu de cette loi-là la compétence du Protecteur du citoyen peut aller aussi loin que de critiquer ou de commenter un choix politique, par exemple? On a parlé beaucoup, tout à l'heure, des modifications qui sont survenues à l'aide sociale. Dans le passé, il y en a eu des plus draconiennes; il y a eu des mesures plus répressives qui avaient été mises en place par l'autre gouvernement, le gouvernement précédent.

J'aimerais savoir à quel endroit vous pourriez faire une démarcation entre le choix politique des élus, qui relève, naturellement, de leur compétence, et la responsabilité du Protecteur du citoyen en vertu de cette même législation qui vous autorise à intervenir auprès d'organismes publics, ministères ou autres. Donc, est-ce que les élus ne sont pas redevables devant leurs électeurs pour les prises de position ou les décisions qu'ils vont prendre par la voie législative et, par le fait même, en même temps, remettre en question les décisions prises par l'Assemblée nationale qui, à mon avis, n'est pas un organisme public qu'on peut retrouver au sens qu'on l'entend? Je comprends que les effets d'une décision, lorsqu'on parle des plus démunis, peuvent être difficiles. Je connais personnellement la situation de ces gens-là, pour avoir pratiqué pendant de nombreuses années à l'aide juridique, mais la question philosophique qui est derrière tout ça, c'est: Jusqu'où le Protecteur du citoyen peut remettre en question une décision de l'Assemblée nationale, de par sa compétence qu'il tire de sa loi habilitante?

M. Jacoby (Daniel): Oui?

Le Président (M. Simard): Avant de vous laisser répondre... Enfin, je pense que, inévitablement, on se dirige vers ce type de questions, ne serait-ce que par vos propres interventions. J'avais souhaité qu'on remette cette question, ce débat sur le mandat à la fin, de façon à ce qu'on puisse poser des questions plus ponctuelles sur des aspects de votre rapport. Mais, si vous souhaitez, à ce moment-ci, répondre, vous le faites. Si vous préférez reporter à la fin de la discussion dans un débat plus large, c'est votre choix.

M. Lelièvre: M. le Président, si vous permettez...

Le Président (M. Simard): Oui.

M. Lelièvre: J'avais compris, des interventions – j'ai dû m'absenter quelques minutes – tout à l'heure qu'on en était rendu là. D'ailleurs, vous avez fait une intervention et le député de Frontenac est intervenu également là-dessus.

Le Président (M. Simard): Je suis d'accord avec vous, M. le député de Gaspé...

M. Lelièvre: Je pensais qu'on avait changé de sujet.

Le Président (M. Simard): ...il est bien certain que nous nous sommes dirigés petit à petit dans cette direction et que je ne veux pas empêcher ce débat à ce moment-ci, mais j'avais exprimé le souhait qui m'avait été manifesté que l'on reporte ça à la fin. Encore là, je ne veux pas empêcher ce débat à ce moment-ci. Alors, je vais laisser le Protecteur du citoyen réagir.

M. Jacoby (Daniel): Bon. Évidemment, là, vous me posez une excellente question, et je suis très heureux que vous...

Le Président (M. Simard): Je dois vous interrompre à nouveau. Je croyais que notre délai était jusqu'à 13 heures. En fait, on nous a convoqués jusqu'à 12 h 30. On pourrait peut-être laisser en suspens votre réponse, je ne voudrais pas vous couper en plein milieu d'une réponse.

M. Jacoby (Daniel): Non, j'en ai pour un bon cinq, 10 minutes à expliquer ça.

Le Président (M. Simard): Voilà. J'en suis bien convaincu. Alors, nous nous retrouvons à nouveau à 15 heures.

Une voix: 14 heures.

Le Président (M. Simard): À 14 heures, pardon. Excusez, il y a eu des changements.

Mme Loiselle: On n'a pas été convoqués jusqu'à 13 heures, aujourd'hui?

M. Mulcair: Nous, on a compris 13 heures.

Le Président (M. Simard): Voulez-vous, M. le secrétaire, nous lire la convocation? À la demande du président, je vous avise... Vous avez reçu ça à la date du 20 décembre. De 10 heures à 12 h 30, de 14 heures à 18 heures et de 20 heures à 22 heures. Sur la séance de soirée, il y a eu des pourparlers, elle ne sera peut-être pas nécessaire. Mais pour ce qui est de notre horaire interne, on doit respecter ça.

Mme Loiselle: À 14 heures?

Le Président (M. Simard): Alors, nous nous retrouvons tous à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 30)

(Reprise à 14 h 12)

Le Président (M. Simard): Alors, nous allons reprendre nos travaux. Je rappelle que le mandat de la commission est d'entendre le Protecteur du citoyen dans le cadre de l'étude de ses rapports annuels pour les années 1993-1994 et 1994-1995.

Je vais d'abord vous faire une suggestion, puisque nous sommes ici ensemble jusqu'à 18 heures. Vers 15 h 30, si vous êtes d'accord, on pourrait faire une pause d'une dizaine de minutes, ça nous fera tous, je pense, du bien. Ensuite, je vais demander au député de Saint-Maurice de présider la séance, comme c'est sa prérogative, de façon à ne pas trop confondre le rôle de président et celui de participant à ce débat. Alors, je vais donc demander au député de Saint-Maurice de présider, et je pense qu'ensuite il laissera la parole au Protecteur du citoyen, qui avait eu une question juste au moment où nous nous sommes quittés ce matin.

Le Président (M. Pinard): Alors, M. le Protecteur du citoyen, je vais vous remettre immédiatement la parole afin de répondre à la question que le député de Gaspé vous a formulée juste avant l'heure du dîner. M. le Protecteur.

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Alors, pour resituer la question qui m'a été posée: De quelle autorité le Protecteur du citoyen tient-il son pouvoir d'intervention quand il s'agit de projets de loi qui sont déposés devant l'Assemblée nationale? je vais être obligé de faire un peu de droit, d'interprétation. L'article 13 auquel vous avez fait référence par votre question dit que le Protecteur du citoyen peut intervenir chaque fois qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'une personne ou un groupe de personnes a été lésé ou peut l'être par l'acte ou l'omission d'un organisme public, de son dirigeant, de ses membres, etc. J'ai des arguments qui sont du type légaliste, des arguments autres aussi.

Un, l'article 13 dit bien que le Protecteur du citoyen peut intervenir lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a été lésée ou un groupe de personnes a été lésé ou est susceptible de l'être par l'acte ou l'omission d'un organisme public, de son dirigeant... Au départ, un dirigeant d'organisme public est, aux fins de cette loi-là, parce qu'on réfère aux ministères et aux organismes – on inclut, à l'article 14, «ministère» – le dirigeant d'un ministère et le ministre. Et, lorsque le ministre dépose et initie un projet de loi sous son autorité, il pose un geste qui est couvert par l'article 13, il pose un acte qui comprend la notion... «acte» au sens très large du mot, et un acte qui peut être susceptible de léser des personnes. Ça, c'est un argument de texte. Le mot «dirigeant» comprend le ministre. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, aux articles 26.2 et 27, on dit que, lorsque, par exemple, une recommandation n'est pas suivie par un fonctionnaire dans un ministère, le Protecteur du citoyen peut faire une recommandation officielle au dirigeant de l'organisme. Et, en l'occurrence, c'est toujours le ministre quand il s'agit d'un ministère.

L'autre – c'est toujours basé sur la Loi sur le Protecteur du citoyen – c'est l'article 27.3. L'article 27.3, qui est qualifié «prévention» dans les notes, dit: «Le Protecteur du citoyen peut, en vue de remédier à des situations préjudiciables constatées à l'occasion de ses interventions, pour éviter leur répétition ou pour parer des situations analogues, appeler l'attention d'un dirigeant d'organisme ou du gouvernement sur les réformes législatives, réglementaires ou administratives qu'il juge conformes à l'intérêt général.» Cet article de la Loi sur le Protecteur du citoyen permet de faire jouer à l'institution un rôle de réformateur, ou d'agent de changement, comme certains le disent.

Ensuite, il y a le fait, si je reviens à l'exemple qui a été évoqué, la sécurité du revenu... La sécurité du revenu est un programme gouvernemental qui est couvert par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, article 45, que je lis: «Toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures [...] sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent.»

(14 h 20)

À partir de ces trois dispositions, à partir aussi du fait que c'est la tradition que le Protecteur du citoyen a un pouvoir de recommandation sous quelque forme que ce soit, depuis toujours, comme ça se produit partout dans le monde, il arrive que le Protecteur du citoyen, pour corriger ou prévenir une lésion, recommande de modifier des lois ou des situations, donc intervient auprès de la législation et a fortiori auprès d'un projet de loi. Cette question a été également débattue lorsque la commission des institutions avait pris un mandat d'initiative en 1990 et avait soumis son rapport final le 5 novembre 1991. Une des questions qui avaient été abordées à l'époque, c'était la question de savoir si le Protecteur du citoyen devait ou non, compte tenu et de la loi et des besoins, intervenir au niveau des projets de loi.

Je me permettrais de citer ce que la commission a écrit sur la question, et, sur cette question, le rapport de la commission était unanime: On voit d'un oeil favorable les interventions du Protecteur du citoyen en commission parlementaire à l'occasion de l'étude de projets de loi. Le Protecteur du citoyen ne se prononce pas sur le but d'une loi. De l'avis de la commission – à la page 24 du rapport de 1991 – il est souhaitable que le Protecteur du citoyen intervienne de manière préventive et systémique. Il est opportun qu'il utilise l'article 27.3 de la loi, mais le PC doit être vigilant pour garder intègre la crédibilité de l'institution. Il est évident que le Protecteur du citoyen n'est autorisé... et dénaturerait son rôle s'il s'opposait, comme dirait Bossuet, au «pith and substance» d'un projet de loi.

Une voix: Bossuet a dit...

M. Jacoby (Daniel): Ha, ha, ha! Il était bilingue. L'objet d'un projet de loi, il est évident que cette décision est nettement politique. C'est un choix politique. Si je prends la loi n° 115, la sécurité du revenu, c'est un choix politique, que le Protecteur du citoyen ne peut remettre en question, que de vouloir réduire les dépenses de l'État tout court et de les réduire également au niveau des programmes, notamment le programme de sécurité du revenu. La distinction qui a toujours été faite, ici comme ailleurs, c'est que le Protecteur du citoyen ne peut pas se prononcer sur l'objet d'une loi ou d'un projet de loi mais se prononce sur les moyens, c'est-à-dire les mesures proposées dans le projet de loi.

Ce projet de loi, directement ou indirectement, avait une quinzaine de mesures de différents ordres – dans certains cas, c'étaient des économies et ainsi de suite – et la coupe envisagée était de l'ordre de 180 000 000 $. Nous avons émis notre avis à l'effet qu'il y avait des mesures qui étaient, selon nous, des moyens disproportionnés par rapport à l'objet de la loi – et je ne veux pas, à moins que vous le demandiez, revenir sur le fond des mesures – et c'est dans cet esprit-là et avec cette autorité législative là que nous sommes intervenus.

Je voudrais aussi signaler que ce n'est pas nouveau que le Protecteur du citoyen intervienne en matière de sécurité du revenu et je voudrais informer la commission d'autres interventions du même type. Ainsi, en 1993, un projet de loi avait été déposé pour modifier la Loi sur la sécurité du revenu, qui était le projet de loi 128, et, dans ce projet de loi, il y avait différents types de modifications qui étaient proposés par le projet de loi. Ce projet de loi avait été déposé par le ministre Bourbeau. Un des grands problèmes que nous avions vus dans ce projet de loi, c'est que les personnes âgées à partir de 55 ans pouvaient demander d'être considérées comme étant des personnes non disponibles à cause de la situation du marché du travail, et le gouvernement avait rehaussé à 60 ans l'âge où on pouvait demander d'être assujetti au barème de non-disponibilité. Nous avons fait la démonstration qu'il y avait un peu de contradiction entre les différentes politiques du ministère. Notamment, il y avait, nous l'avions montré, d'un côté le programme PATA pour les travailleurs âgés – c'est le programme d'aide aux travailleurs âgés – qui montrait bien que, pour les personnes de ces âges-là, le marché du travail était absolument fermé et qu'il y avait justement une législation de la Sécurité du revenu qui venait montrer que le marché était fermé de ce côté-là, et nous avions montré aussi que, finalement, on ne tenait pas compte de la réalité socioéconomique de ces personnes âgées. Le ministre avait retiré cette disposition du projet de loi.

Je peux aussi remonter en 1990 où nous sommes intervenus sur les projets de loi en matière de sécurité du revenu. Par ailleurs, je dois aussi souligner qu'il est arrivé plusieurs fois que, du côté ministériel, on nous demande concrètement de donner notre avis sur des projets de loi ou des projets de réforme, d'un côté, quel que soit le gouvernement en place. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

Le Président (M. Pinard): Vous voulez approfondir? Alors, M. le député de Richelieu.

M. Simard: Oui. Je sens bien, à votre réponse, que nous sommes dans un domaine où il n'est pas facile de tracer une ligne tout à fait précise sur des interventions souhaitables, nécessaires au niveau de décisions gouvernementales qui ont des effets administratifs précis, sur des interventions préventives en ce qui concerne des projets qui pourraient donner lieu à des lésions de droits des citoyens.

(14 h 30)

Mais je vais citer au verbatim quelques passages de votre conférence de presse lors de la présentation de votre rapport. Ç'est là où peut-être, la ligne étant interprétée... Et je pense que la discussion que nous avons doit se faire sereinement et sans agressivité, il s'agit d'essayer de déterminer quelle est l'ampleur de votre pouvoir d'intervention. Il y a le point de vue des ministériels, évidemment, mais il y a aussi le point de vue de l'opposition dont c'est la tâche de s'opposer et de mettre en évidence un certain nombre de choses. Vous dites, lors de votre conférence de presse: Vous savez, ces trois mesures auxquelles je m'oppose représentent 69 000 000 $; l'ensemble des mesures proposées par le gouvernement est de 180 000 000 $. Je ne peux pas croire qu'avec le budget dont le Québec dispose on ne peut pas trouver 69 000 000 $ ailleurs que dans le domaine de la pauvreté, oui, un peu plus... Vous aviez dit, d'ailleurs, un peu plus tôt, que ce sont des décisions qui non seulement ne sont pas démocratiques mais vont empirer la situation, qui n'est déjà pas drôle. Lorsque vous dites que ce sont des décisions non démocratiques, ça... Enfin, je pense que, là, la ligne est un peu franchie. Est-ce que ça pourrait aller, puisque vous affirmez que vous ne pouvez pas croire qu'il y ait de l'argent ailleurs, à suggérer au gouvernement où prendre l'argent? Enfin, quand on est lancé dans un jugement aussi global, avec autant de certitude, on peut même aller un pas plus loin et dire au gouvernement où prendre l'argent. Vous voyez le danger; il ne s'agit pas ici d'une décision, d'une réglementation qui risque d'avoir des effets négatifs sur les droits des citoyens, mais bien d'une décision politique, d'affectation de crédits à un endroit plutôt qu'à un autre ou de diminuer les crédits à tel endroit parce que l'État est en manque de ressources.

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Il est évident qu'il n'est pas facile de faire la démarcation entre ce qui est du ressort de l'administratif au sens large du mot, et non pas au sens étroit, et ce qui est purement du domaine politique. Il y a des frontières, mais ces frontières sont, je dirais, assez grises. Il est évident que, si on devait prendre cette interprétation étroite – enfin, pas étroite mais serrée, disons – des pouvoirs et de la compétence du Protecteur du citoyen, je pense que le Protecteur du citoyen n'aurait plus grande utilité. Parce que tous les programmes gouvernementaux sont créés par des lois ou par voie réglementaire, mais en vertu d'une loi et, nécessairement, le Protecteur du citoyen est obligé de remonter aux lois, aux projets de loi.

Moi, la démarcation que je ferais, c'est: Il y a, d'un côté, respecter la loi de la manière la plus honnête possible et aussi, peut-être, ce qui est peut-être difficile dans le contexte, c'est que je ne pense pas que l'on puisse, enfin que ce soit un problème que le Protecteur du citoyen intervienne sur des projets de loi ou des lois. Je pense que le débat commence lorsque ces prises de position... enfin, le débat peut prendre une allure particulière lorsque ces prises de position sont publiques. Et il est évident que c'est une question d'équilibre. Je ne suis pas du tout en mesure de vous trancher une ligne tout à fait exacte. Ce que je peux vous dire, c'est qu'ici comme ailleurs, ou ailleurs comme ici, les ombudsmans interviennent sur les réformes législatives, et il est reconnu que les ombudsmans doivent non seulement corriger des décisions qui sont le résultat de l'application d'un programme mais aussi faire de la prévention.

Par ailleurs, je dois vous dire que nous avons eu la chance ou la malchance d'avoir une décision de la Cour suprême du Canada sur le rôle du Protecteur du citoyen et sur l'interprétation de ses pouvoirs. J'aimerais, pour éclairer les membres de la commission, citer plusieurs affirmations de la Cour suprême du Canada. En l'occurrence, il s'agissait à l'origine de l'ombudsman de Colombie-Britannique qui a une loi qui ressemble beaucoup à celle du Québec et qui avait décidé d'intervenir sur les décisions d'une société d'État gouvernementale, et le Procureur général de la province avait contesté sa compétence et c'était monté jusqu'en Cour suprême du Canada.

Là, on dit plusieurs choses qui m'apparaissent importantes pour la démocratie. On dit, d'une part, que toute loi d'ombudsman – et je dois rappeler qu'à cette époque tous les ombudsmans étaient intervenus dans cette cause; cette décision a été rendue en 1984 par la Cour suprême – toutes les lois d'ombudsman doivent être interprétées de la manière la plus libérale possible. Pourquoi? Parce que la loi de l'ombudsman est la loi «remédiatrice» par excellence. Je vais vous citer ce que disait le juge en chef.

Considéré dans son ensemble, l'Ombudsman Act de la Colombie-Britannique énonce une procédure efficace par laquelle on peut enquêter sur des plaintes, mettre au jour des erreurs et des abus bureaucratiques, prendre des mesures correctives. Elle représente le paradigme des lois réparatrices. Elle doit, par conséquent, être interprétée d'une façon libérale, fonctionnelle et compatible avec le rôle unique que l'ombudsman est censé jouer. Il existe une jurisprudence abondante en ce sens, à laquelle la Cour suprême réfère.

La Cour suprême également, dans l'analyse de cette loi-là, parle de démocratie. À la page 459, le juge Dickson dit: Les contrôles traditionnels de la mise en oeuvre de l'administration des politiques du gouvernement, à savoir les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ne sont pas complètement adaptés à la surveillance qu'exige une administration croissante ni parfaitement capables de l'assurer.

Il manque souvent à ces... Je vais vous lire dans le texte, là: L'insuffisance de la réponse législative aux plaintes qui découlent des activités quotidiennes du gouvernement n'est pas sérieusement contestée et les demandes auxquelles on a à faire face des membres des corps législatifs sont telles qu'ils sont naturellement incapables de procéder à un examen minutieux des rouages de la bureaucratie dans son ensemble. De plus, il leur manque souvent les ressources nécessaires en matière d'enquête.

Ensuite, on parle de la limite des tribunaux.

L'ombudsman représente la réponse de la société à ces problèmes d'abus possibles ainsi que de contrôle. Ce qui importe davantage, ces pouvoirs d'enquête peuvent permettre d'étaler au grand jour des cas de mauvaise administration bureaucratique qui, autrement, passeraient inaperçus.

Je voudrais également ajouter qu'il y a quatre ans la Cour d'appel, la Cour suprême de l'Ontario, a rendu une décision: Toutes les lois d'ombudsman enlèvent du pouvoir de l'ombudsman celui d'avoir accès aux décisions qui se prennent comme telles au Conseil des ministres – c'est dit dans toutes les lois – et il ne peut pas enquêter sur les motifs. La Cour suprême de l'Ontario, il y a quatre ans, a rendu la décision suivante, s'inspirant de l'arrêt Dickson de 1984, disant que, même si le législateur avait exclu de la compétence du Protecteur du citoyen ou de l'ombudsman les décisions du Conseil des ministres, il a le pouvoir d'enquêter sur les conséquences des décisions d'un conseil des ministres, d'un cabinet. Ce que l'on peut constater, finalement, au-delà de la question particulière qui m'a été posée sur la loi n° 115, c'est que les tribunaux donnent à la loi de l'ombudsman une interprétation extensible en considérant que l'ombudsman joue un rôle unique dans la branche parlementaire de l'appareil de l'État.

(14 h 40)

Le Président (M. Pinard): Complémentaire?

M. Simard: Oui, rapidement. D'abord, pour vous dire que, personnellement, je suis d'accord avec tous les éléments que vous avez cités. Non seulement ce sont des arguments d'autorité, puisqu'il s'agit d'arrêts de la Cour suprême, de jugements, mais je pense que ça va dans le sens de l'évolution des rapports entre l'État et les citoyens, et je pense qu'il était bon que ce soit dit. Mais ce débat n'est pas nouveau, cette difficulté de tracer une ligne n'est pas nouvelle et, régulièrement, devant cette commission, vous êtes interrogé ou vous intervenez là-dessus. Et j'en veux comme témoignage quelques citations qui sont tirées du mémoire du Protecteur du citoyen présenté devant cette commission le 28 mai 1991, et je cite à la page 25: Il n'appartient pas au Protecteur du citoyen de se prononcer sur l'opportunité politique d'une loi. Cette fonction appartient aux élus du peuple et ce sont eux qui en ont la lourde responsabilité.

Dans la même page, un peu plus loin: Il est vrai que ce type d'intervention doit être fait avec une certaine réserve, puisque la démarcation entre l'opportunité politique et administrative n'est pas toujours claire dans certains cas.

Et, finalement, à la page suivante – je vais terminer là-dessus les citations de ce mémoire que vous aviez présenté: La mission du Protecteur du citoyen n'implique certainement pas de s'abstenir, puisque sa vision originale lui permet de repérer les anomalies administratives, les lacunes de certains projets de loi, les incompatibilités dans certains cas, et même encore le manque de coordination entre ministères et organismes qui produisent quelquefois des ratés au détriment des citoyens. Et la dernière phrase: Le Protecteur du citoyen est là pour les souligner afin d'améliorer la qualité des rapports entre le citoyen, l'administration et l'État.

Vous voyez, à une page près, une avancée assez substantielle sur la marge qui doit être celle du Protecteur du citoyen, mais, en même temps, un caveat que vous avez vous-même inséré en parlant d'une certaine réserve et en disant qu'il n'appartient pas au Protecteur du citoyen de se prononcer sur l'opportunité politique d'une loi. Vous aurez compris que, si nous posons ces questions, c'est qu'à la lecture des rapports de presse et, ensuite, du verbatim de votre conférence de presse au mois de décembre il nous semblait que l'opportunité de la loi était bien remise en question. Je ne vous cache pas que cette interrogation vient spécifiquement de cet exemple-là; on en trouverait peut-être d'autres, mais celui-là est le plus récent. Et le fait de poser la question, ce n'est pas y répondre dans ce cas-ci. Ce n'est pas parce que je suis parfaitement convaincu que vous n'aviez pas le droit d'intervenir, c'est que je pense que c'est une question qui doit se poser, parce que cette zone grise, qui constitue cette marge entre votre mandat d'après 27.3 et 15 et la nécessité de cette nouvelle fonction qui est encore aujourd'hui la fonction d'un ombudsman après... Dans le monde occidental, je pense que la Suède a été le premier pays à créer cette fonction, mais c'est une fonction qui remonte à quelques dizaines d'années seulement. C'est un droit nouveau, c'est une expérimentation quotidienne. Donc, il est assez normal que, étant plongé tous les jours dans des problèmes de relations des citoyens avec l'État face à certaines législations, vous mettiez en garde l'Exécutif face aux conséquences possibles des gestes qu'il a posés ou qu'il s'apprête à poser. Mais, sur l'opportunité politique, j'avoue que, là, certaines des phrases que j'ai citées tout à l'heure de votre conférence de presse me laissent croire que vous avez, en tout cas, passé très près de cette ligne, si vous ne l'avez pas traversée.

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Oui. Alors, je voudrais... D'abord, le mémoire que vous citez, c'est celui que nous avions déposé devant la commission des institutions qui nous posait des questions sur le sens que l'on pouvait donner à notre loi. Et il est évident que c'est clair pour moi que le Protecteur du citoyen ne peut pas dénoncer, critiquer l'opportunité politique d'une décision. Mais, comme il a été aussi dit dans ce mémoire et également par la commission des institutions, ça n'enlève pas au Protecteur du citoyen le pouvoir de se prononcer sur les moyens ou les mesures pour atteindre l'objectif de la loi, et c'est dans ce cadre-là que... Bon.

À partir de quel moment ça peut devenir politique? Bon. Ici, si on fait strictement mathématique, je dirais: Trois mesures sur 15, c'est 69 000 000 $ sur un objectif de compressions de 180 000 000 $; ce n'est pas 50 %. Bon. On pourrait dire, bon... Est-ce que le Protecteur du citoyen intervient sur l'opportunité politique à partir du moment où les mesures qu'il critique dépassent 50 % de la somme recherchée ou peut-être la totalité et tout ça? On peut se poser des questions comme ça. Mais je ne pense pas que ça puisse donner des solutions. Et, moi, je peux vous dire que, de mon côté, à chaque fois que nous faisons des interventions de ce type-là, ce n'est pas nécessairement de gaieté de coeur et nous nous interrogeons aussi sur le sens que l'on doit donner à nos interventions. Nous savons que c'est extrêmement délicat et nous savons que la crédibilité de l'institution repose sur différentes choses, y compris le fait que cette institution ne se substitue pas, pas plus au gouvernement qu'aux parlementaires, ne prend pas leur place, pas plus que le Protecteur du citoyen se substitue à l'administration quand il s'agit d'interventions sur un plan administratif. Et nous sommes conscients de cette zone qui est absolument grise, que ce soit avec ce projet de loi ou antérieurement par rapport à d'autres projets de loi. J'imagine que la sagesse doit nous amener, d'une manière ou d'une autre, vers un juste milieu. Je ne peux pas en dire plus.

Par ailleurs, il y a aussi à tenir compte de l'économie des lois d'ombudsman. Bien sûr, les ombudsmans ont des pouvoirs d'enquête sur différents secteurs, champs d'intervention, différents ministères et organismes, mais ces ombudsmans n'ont pas de pouvoir d'ordonner, ils n'ont aucune autorité pour changer une décision, pour renverser une décision. J'imagine que ceux qui ont créé les lois d'ombudsman avaient cette sagesse de dire: Puisqu'on ne veut pas que ces créatures-là puissent se supplanter à l'administration ou au pouvoir politique, il ne faut surtout pas leur donner un pouvoir de contrainte. Et c'est pour ça, dans la tradition juridique et politique, que les ombudsmans n'ont pas de pouvoir de contrainte et n'ont qu'un pouvoir de recommandation. Et les personnes visées par les recommandations du Protecteur du citoyen ont le loisir, le droit, le privilège de ne pas suivre la recommandation ou les recommandations du Protecteur du citoyen. C'est peut-être ça aussi, quand on parle de juste milieu, ça fait peut-être partie aussi de ce qu'on appelle en démocratie le mécanisme de «check and balance». Mais la balance de la justice, on ne sait pas exactement où le poids se situe.

Le Président (M. Pinard): Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

(14 h 50)

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Tout d'abord, je dois dire que je trouve ça tout à fait extraordinaire et aberrant que de façon bien subtile on reproche au Protecteur du citoyen, finalement, de protéger le citoyen. Parce que c'est ça qu'on est en train de faire depuis quelques minutes ici, c'est de dire à Me Jacoby, de lui reprocher, finalement, de s'être prononcé sur les impacts négatifs et les effets pervers des mesures qui se retrouvaient dans la loi n° 115, la loi sur l'aide sociale, les coupures à l'aide sociale, que, moi, j'appelle la gifle à la motivation. Il était tout à fait normal et de votre droit, Me Jacoby, d'avoir analysé ces mesures-là, les impacts de ces mesures-là dans la vie de tous les jours chez les plus démunis de notre société. Il était clair que l'on ne voulait pas vous entendre, que le gouvernement ne voulait pas vous entendre. Parce que, nous, je l'ai dit ce matin, on avait fait des démarches pour que vous veniez en commission parlementaire, justement, parce que, étant donné qu'on ne croyait pas l'opposition à cet égard-là, on voulait vous entendre et que vous veniez expliquer les impacts, justement, de ces coupures-là à l'aide sociale que l'on retrouve dans la loi n° 115.

Je suis en train de me demander cet après-midi si les ministériels ne sont pas en train d'envier votre courage d'avoir fait, justement, cette conférence de presse là et de dire vraiment ce qu'il en était. Parce que, il faut le dire, après avoir dépensé 82 000 000 $ en préréférendaire, juste avant d'apporter ces coupures-là à l'aide sociale, les ministériels n'ont pas dit un mot. Les députés ministériels n'ont rien fait pour essayer de défendre les plus démunis de notre société, pour essayer de faire changer d'idée la ministre de la Sécurité du revenu et ses collègues au Conseil des ministres afin de peut-être voir d'autres façons d'aller récupérer de l'argent que de le faire sur le dos de ceux qui en ont le moins dans leurs poches.

Puis, tout ça, M. le Président, c'était tout de suite – vous vous en souvenez très bien – après le référendum. Parce que le message – je reviens – le message de ce gouvernement avant le référendum et l'action et les gestes qu'ils ont posés après le référendum, c'est deux mondes. Ce que vous avez dit et ce que les députés ministériels et le Conseil des ministres ont dit avant le référendum aux plus démunis de notre société, aux organismes qui défendent les plus démunis de notre société... ce que vous leur avez fait accroire et ce que vous leur servez aujourd'hui, c'est deux choses. Et là vous reprochez ici, en commission parlementaire, au Protecteur du citoyen d'avoir défendu les droits des plus démunis et d'avoir dit que cette loi-là, la loi n° 115 et ses mesures, les conséquences que ces mesures-là avaient dans la vie de tous les jours des plus démunis de notre société... Puis, aujourd'hui, M. le Président, on a le front de venir dire au Protecteur du citoyen qu'il a été trop loin dans son mandat de protéger les citoyens et, surtout, on prend l'exemple des plus démunis de notre société, à qui on a coupé de l'argent sur leurs chèques. Bravo! MM. les députés ministériels, très bel exemple de démocratie.


Échange de renseignements entre ministères et organismes gouvernementaux

Pour revenir sur le projet de loi n° 115, Me Jacoby, dans votre avis que vous avez fait parvenir le 12 décembre à la ministre de la Sécurité du revenu, vous parlez de l'échange de renseignements, le couplage des fichiers. J'aimerais peut-être revenir sur ça. Dans votre avis, vous mentionnez que les informations colligées doivent être à portée très restrictive et limitées à l'essentiel; de plus, en raison de leur caractère très confidentiel, elles ne doivent pas circuler librement d'un dossier à l'autre ni d'un fonctionnaire à l'autre.

On se rappelle que la loi sur l'accès à l'information, qui avait été adoptée à l'unanimité, permet de façon exceptionnelle, par des exceptions, permet, justement, des couplages de fichiers. Mais il ne faudrait pas que ça devienne, comme on le voit depuis 14 mois, une pratique presque courante de demander qu'il y ait des informations qui soient échangées entre les ministères. Et il ne faudrait pas non plus qu'on se serve de la loi sur l'accès à l'information pour demander des exceptions et qu'on ait justement ces échanges de fichiers là pour essayer de gérer l'État et essayer de régler les problèmes de déficit, les problèmes financiers par le couplage de fichiers.

Moi, j'aimerais vous entendre, parce que je rappelle – vous en avez sûrement pris connaissance – que, dans le rapport annuel de la Commission d'accès à l'information en 1994-1995, on parlait justement du lien de confiance – pour ce qui en reste, d'ailleurs – le lien de confiance entre le citoyen et l'État. Et la loi de l'accès à l'information disait: Un citoyen accepte de confier ces données à une fin précise, les renseignements personnels. Il ne consent pas à ce que ces données fassent le tour de l'appareil de l'État ni que ces dernières soient éventuellement communiquées au secteur privé. Toute cueillette de renseignements personnels vise et doit viser un objectif précis et celui-là seulement. Au-delà du respect de ce contrat, c'est la confiance envers l'État qui est remise en cause, qui est sapée par ceux qui ont le mandat de faire fonctionner l'État.

Moi, je suis en train de me demander si, avec toutes ces exceptions qu'on accorde, on n'est pas justement en train de remettre en question, finalement, le rôle et la raison d'être de la loi de la Commission d'accès à l'information, et puis si, d'un autre côté, on n'est pas en train de mettre en péril, justement, ce lien de confiance là qui existe entre le citoyen et l'État en ce qui concerne toutes les notions de vie privée, finalement. J'aimerais vous entendre à cet égard-là, sur le couplage et la pratique de plus en plus courante de gérer l'État en faisant des couplages de fichiers et d'informations.

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): C'est très large comme question. Pour revenir à ce que je disais, avant d'aller plus large, tout simplement, je rappelais à la ministre... Je sais qu'il y avait eu un avis de la Commission que c'était très délicat de manipuler les informations sur les personnes, qu'il fallait utiliser les informations pertinentes aux fins spécifiques pour lesquelles la loi le permet, et il fallait aussi éviter la manipulation pour éviter que ça ne tombe dans les mains de tierces personnes. Je faisais un rappel.

Sur la question, maintenant, de l'échange de l'information, je dois vous dire que je réfléchis depuis deux ans sur le bien-fondé de certaines dispositions de la loi sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels, au risque peut-être de vous surprendre. Mais je n'ai pas pris de position officielle sur la question. Je réfléchis. Il est vraisemblable que, le cas échéant, je soumette une prise de position officielle.

L'état de ma réflexion... Bon. Le droit à la vie privée est un droit qui est reconnu par les chartes des droits et le droit à la confidentialité est là pour assurer le droit à la vie privée des citoyens. Il est évident que, lorsque, moi, je dois fournir des informations pour participer ou bénéficier d'un programme gouvernemental, je m'attends à ce que ces informations soient bien saisies, ne pas faire d'erreurs dans ce qu'on va remettre dans l'ordinateur ou dans la banque. Je m'attends à ce qu'elles soient utilisées pour les fins pour lesquelles on exige ces informations. Je m'attends à ce que ces informations ne circulent pas ad lib dans le ministère qui administre le programme et à l'échelle de l'appareil gouvernemental. Et je m'attends aussi à ce que l'appareil du gouvernement n'utilise pas ces informations et les transmette à des tiers, c'est-à-dire des personnes qui sont en dehors du gouvernement. Je pense que c'était, que ça a toujours été l'objet, un peu, de la protection des renseignements personnels derrière ces lois-là.

Cependant, je dois vous dire que, quand je regarde comment s'administrent les programmes gouvernementaux et que je regarde le citoyen de l'autre côté... Il existe une multitude de programmes et, pour la plupart des programmes, on requiert des informations. Alors, le citoyen Daniel Jacoby, je suis, moi, par rapport à l'ensemble des services publics, compartimenté. J'ai mon volet assurance-chômage si je réclame des indemnités, la loi fédérale. J'ai mon volet sécurité du revenu. J'ai mon volet subventions SHQ pour la rénovation domiciliaire. J'ai mon volet ci, j'ai mon volet ça. J'ai mon volet médical, RAMQ, et ainsi de suite. J'ai toutes sortes de volets. Mais je suis toujours le même citoyen, je suis toujours la même personne. Je paie des taxes, je suis payeur de taxes, ou je ne suis pas payeur de taxes si je ne suis pas dans une situation où je fais des revenus, et je m'attends, moi, à ce que l'État administre mes taxes et mes impôts de la manière la plus efficace et la plus juste possible.

(15 heures)

D'un autre côté, on a l'appareil de l'État qui, pour des raisons historiques qu'on peut très bien justifier, s'est morcelé. Si je regarde quel était l'État dans les années cinquante et que je regarde ce qu'est l'État dans les années 2000, avec le passage de l'approche «providence» et tout ça, et aussi le fait surtout – je n'aime plus employer ce mot, parce qu'il est devenu tellement péjoratif – un des rôles de l'État, selon moi, c'est de viser à éliminer les disparités, les exclusions, et ainsi de suite. Mais l'État est divisé en États. Alors, quand je regarde ça – parce que la position que j'occupe est un peu privilégiée – je vois qu'il y a, pour tel programme gouvernemental, un organisme qui l'administre avec un responsable. Je prends l'assurance automobile, je prends les accidents du travail, je fais la même réflexion. Je les prends tous les uns derrière les autres et j'ai vraiment l'impression que la notion d'État risque de ne plus vouloir dire grand-chose quand, à l'intérieur de l'État, il y a des ministères et organismes qui administrent des lois et qui ne se parlent pas très souvent au niveau de l'administration.

Alors, d'un côté, le citoyen, morcelé en autant de programmes gouvernementaux qu'il existe de ministères et organismes qui administrent des programmes gouvernementaux. Et là je veux imbriquer là-dessus la protection des renseignements personnels. Le citoyen Jacoby, si, aujourd'hui, je veux bénéficier d'un programme de la SHQ, je vais fournir des informations pour être certain que je suis admissible. Et parfois, très souvent, il y a la question de la situation financière du contribuable. Même chose si, par exemple, j'étais une de ces victimes qui, ces derniers jours, ont été inondées; j'ai des données à fournir, parce que je vais bénéficier d'un programme de la protection civile, là où les assurances ne couvrent pas mes dommages matériels.

Une autre fois, je suis malade et j'ai besoin de soins de santé. J'utilise ma carte et, au moment du renouvellement de ma carte, on va me questionner pour voir si mon état a changé. Une bonne fois, je peux non seulement être sur le chômage, mais devenir bénéficiaire, un client de l'aide sociale, et ainsi de suite. Je suis toujours Daniel Jacoby et je suis un citoyen qui, non seulement doit s'attendre à ce que l'État lui assure des services gouvernementaux efficaces et justes, mais, moi aussi, je suis une personne responsable. Étant une personne responsable, je dois normalement donner pour les mêmes questions les mêmes informations.

Or, la difficulté, c'est que la loi sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels fait comme si j'étais toutes sortes de personnes différentes, j'ai plusieurs personnes en moi – il y en a qui pensent comme ça, qui se prennent pour d'autres – mais je suis toujours la même personne. Alors, qu'il y ait des recoupements d'un fichier à l'autre – ce n'est pas ma position officielle, je vous le dis là, mais je réfléchis à ça – je n'ai pas de problème, dans la mesure où j'ai des garanties que l'État ne va pas utiliser ou ne va pas vendre ces renseignements, que l'État ne va pas les mettre à la disposition de trop de monde dans l'appareil de l'État, que les renseignements que l'on a dans les banques sont bien validés. Parce qu'on sait qu'il y a une foule de renseignements qui sont faux ou qu'il y a des erreurs.

À partir de ça, c'est la vie publique du citoyen Jacoby qui est dans le fichier de l'État. Alors, je n'ai pas de problème, pourvu qu'il y ait certaines garanties ou protections qui sont là. Donc, j'aurais tendance à dire à ce stade-ci que je serais plutôt ouvert à l'échange de renseignements dans la mesure où c'est fait à des fins spécifiques, avec toutes les protections dont je parlais.

Par analogie, je dirais la chose suivante: Je suis une compagnie d'assurances nationale. Je vends des polices à travers le Canada. Je vends différentes polices d'assurance de personnes ou d'assurance de dommages et puis j'ai différentes directions, dans mon entreprise, qui s'occupent de tel type de police et une autre branche qui s'occupe de telle autre type de police d'assurance, et ainsi de suite.

Moi, le citoyen Jacoby, je suis en Gaspésie; je suis né en Gaspésie, pour les fins de la discussion, et, à un certain moment, j'achète une police de cette compagnie X. Et, 10 ans plus tard, je m'en vais m'installer dans un milieu urbain et j'achète une autre police, d'un autre type, de cette même compagnie d'assurances et, trois ans plus tard, j'achète une troisième couverture d'assurances dans un autre secteur, et ainsi de suite.

C'est une entreprise et, cette entreprise, je ne pense pas, malgré la loi, maintenant, qui a été adoptée pour le secteur privé, je ne pense pas que cette loi empêche cette même compagnie d'assurances de se transmettre les informations qu'elle a reçues par rapport à une police d'assurance, par rapport à l'autre, et ainsi de suite. Et même, on dirait, on pourrait dire que la compagnie d'assurances qui ne fait pas de recoupements entre ses données risque de mal gérer son entreprise.

Moi, l'État, ce n'est pas une entreprise, c'est sûr, c'est une entité qui a été créée par la population pour la population et qui gère différentes activités dans bien des domaines. Pour moi, c'est d'abord un tout. Alors, j'en suis là dans mes réflexions au moment où on se parle.

Le Président (M. Pinard): En complémentaire? Allez-y.

Mme Loiselle: Le fait qu'on dise, comme dans l'article 65.1, sur la loi n° 115, qu'on a rajouté des amendes, justement, pour protéger, pour ne pas que des renseignements confidentiels soient donnés, est-ce que, pour vous, ça serait une garantie valable ou il faut aller beaucoup plus loin que juste d'avoir des amendes, si jamais une personne transmettait des renseignements confidentiels qu'elle n'avait pas le droit de transmettre à une autre personne? Est-ce que c'est suffisant ou il faut encadrer beaucoup plus que ça?

M. Jacoby (Daniel): Vous savez, ce sont des sanctions, et des sanctions ne font que constater un état de fait. Une sanction arrive toujours trop tard, quand le mal est fait. Moi, je pense que c'est plus profond que ça. Je pense que c'est toute la culture des organisations publiques qui doit être travaillée. C'est à ce niveau-là qu'il faut questionner les valeurs des individus qui vivent et qui travaillent dans ces organisations.

Je pense que c'est une question d'éthique, d'abord, et je le constate – parce que la question que vous me posez me permet de faire des recoupements avec d'autres constats que je peux faire comme Protecteur du citoyen – je dois dire que, autant il y a de moins en moins d'efforts qui sont mis sur la formation du personnel dans l'appareil public, autant je ne vois aucune formation en matière d'éthique au sens large du mot. Et, pourtant, l'éthique, au sens large du mot, pour moi, ça déborde les cas de corruption, de fraude et ces choses-là. C'est une question de valeurs et de bien comprendre que, lorsqu'on travaille pour l'appareil public, on travaille au service des citoyens, et que c'est d'abord là que les choses doivent se faire. Alors, pour moi, même si on mettait une pléthore de sanctions pour protéger le non-abus par l'appareil public, je pense que c'est un remède, mais c'est un remède absolument insuffisant.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Richelieu. Après ça, on passera...

(15 h 10)

M. Simard: D'abord, une petite remarque sur le préambule de la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne, qui n'a pas participé aux travaux de cette commission concernant la loi sur la réforme de la Loi électorale. Elle saurait qu'on pourrait très facilement citer une trentaine d'exemples, en cinq ans de décisions, de lois et de règlements du précédent gouvernement, concernant des croisements de fichiers. On pourrait ressortir le fameux exemple de la carte du chasseur, dont le ministre des Affaires municipales et de la Réforme avait parlé à plusieurs reprises. Donc, cette tendance à croiser des fichiers aux fins d'une nouvelle législation n'est pas apparue il y a 14 mois.

M. le Président, je pense que le Protecteur du citoyen pose des données extrêmement intéressantes. Enfin, j'espère que vous irez au bout de cette réflexion et que nous aurons l'occasion d'en prendre connaissance. Moi, je souhaiterais d'ailleurs que la commission des institutions, éclairée en cela par la Commission d'accès à l'information, par le Protecteur du citoyen et divers autres intervenants, réfléchisse à ce problème qui se pose maintenant au législateur, je dirais, sur une base quasi quotidienne. C'est une réalité nouvelle. Enfin, c'est une amplification d'une réalité qui a peut-être toujours existé, mais une amplification radicale.

L'informatisation des renseignements, la nécessité de donner aux citoyens des services dans un État – vous l'avez dit tout à l'heure – qui a fait éclater sa présence dans toutes sortes de secteurs rend nécessaire de se reposer des questions là-dessus. D'autant plus que, nous le savons maintenant, nous avons tous dans nos poches des cartes avec des bandes magnétiques, des cartes dont on sait très bien qu'elles sont croisées par nos entreprises bancaires, par nos compagnies d'assurances, par toutes sortes d'intervenants dans notre société. Nous savons aussi que nous avons affaire à l'État, comme vous l'avez mentionné: toujours la même personne a affaire à l'État à différents titres et on est sans cesse obligé de donner des renseignements nouveaux.

Il serait peut-être imaginable de penser que l'État puisse s'assurer de la cohérence de ces informations. On le sait notamment concernant les questions de l'aide sociale. Il y a des informations que possède le ministère du Revenu, il y a des informations qui sont possédées par différents organismes qui pourraient être utiles pour la gestion de ces programmes-là.

Je ne veux pas conclure, mais je pense que les questions que vous avez soulevées dans vos remarques sont tout à fait pertinentes et qu'il serait sans doute souhaitable, à moyen terme, qu'il y ait une réflexion du législateur et de toute la société sur cet important problème.

Le Président (M. Pinard): Si vous n'avez pas de commentaires à ajouter... Oui, allez-y.


Plaintes concernant la déontologie policière (suite)

M. Jacoby (Daniel): M. le Président, si vous pouvez me permettre de répondre à la question qui m'a été formulée ce matin sur les plaintes à la déontologie, j'ai les données. Pour l'année 1995-1996, nous sommes rendus à 53 plaintes. Et cette année n'est pas terminée encore, elle se termine au 31 mars.

Le Président (M. Pinard): Est-ce que vous avez des chiffres pour les années antérieures?

M. Jacoby (Daniel): Oui. Pour 1994-1995, 44 plaintes. Et l'année précédente, 43 plaintes.

Le Président (M. Pinard): Merci.

M. Jacoby (Daniel): J'inclus là-dedans les plaintes qui visent le Comité de déontologie et le Commissaire à la déontologie. Le Comité de déontologie policière, lui, il faut se rappeler, est un tribunal administratif sur lequel je n'exerce pas de compétence sur les décisions. Cependant, j'exerce une compétence sur les aspects administratifs du Comité: la question des délais; principalement la question des délais.

Sur le Commissaire lui-même, maintenant, les principaux types de plaintes sont les délais d'enquête. Les gens se plaignent du fait qu'ils trouvent que ça prend de plus en plus de temps pour obtenir le résultat d'une enquête, donc, une décision de la part du Commissaire. J'ai des plaintes qui portent sur le refus de remettre aux citoyens un rapport d'enquête et j'ai aussi la contestation des décisions du Commissaire de décider de porter la chose devant le Comité de déontologie ou pas. J'ai aussi des plaintes plus rares, mais qui mettent en cause certaines difficultés, le fonctionnement du Commissaire à la déontologie policière qui, par exemple, lorsqu'il s'agit de plaintes de déontologie sur des policiers municipaux, utilise souvent le policier municipal du même corps de police pour faire enquête. Alors, on questionne aussi la possibilité de conflits d'intérêts. On pourra déposer, le cas échéant, un tableau plus précis.

Le Président (M. Pinard): Merci. Alors, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. le Président, j'ai une question à aborder. Mais, avant d'aborder la question que j'ai à l'esprit, je voudrais questionner M. le Protecteur sur la déontologie. Vous venez d'indiquer que, dans les faits, vous intervenez au niveau de décisions ou d'absence de décisions ou de retards sur l'activité de ce tribunal, de cet organisme quasi judiciaire qu'est le Comité de déontologie. Vous intervenez, M. le Protecteur – ça ne veut pas dire, évidemment, que ce n'est pas important – sur les accessoires: les questions accessoires, les délais, toute autre question qui ne touche pas le fond, qui ne touche pas la plainte comme telle, qui aurait été portée par le citoyen au Comité de déontologie. Est-ce que c'est bien ce que vous nous avez indiqué?

M. Jacoby (Daniel): Non, je me suis mal exprimé. Le mécanisme, quand un citoyen se plaint sur le comportement d'un policier, il adresse d'abord et avant tout sa plainte au Commissaire.

M. Lefebvre: Voilà.

M. Jacoby (Daniel): Et, en vertu de la loi, ce Commissaire et son personnel sont les personnes investies pour faire les enquêtes, pour décider si la plainte est recevable ou pas, pour décider s'ils font enquête ou pas et pour décider, ultimement, si la plainte, si elle s'avérait fondée, en tout cas à première vue, devrait être portée devant, maintenant, l'autre instance qui est le tribunal qui s'appelle le Comité de déontologie.

M. Lefebvre: Oui.

M. Jacoby (Daniel): La Loi sur le Protecteur du citoyen lui interdit d'intervenir sur les décisions des tribunaux administratifs qui sont tenus d'agir judiciairement, c'est-à-dire qui fonctionnent comme un tribunal, avec les audiences et tout ça. Nous n'avons pas de compétence, au Québec, sur les décisions des tribunaux administratifs, pas plus que nous n'avons compétence sur les décisions des cours de justice, contrairement à l'Ontario; en Ontario, l'ombudsman a le pouvoir d'intervenir au niveau des décisions des tribunaux administratifs. Ce qui fait qu'au niveau du comité comme tel je n'interviens que sur des questions que j'appelle purement administratives, qui sont la question des délais ou des choses comme ça.

Par contre, au niveau du Commissaire lui-même, qui est la porte d'entrée pour le mécanisme, là, moi, je considère que c'est une personne qui est régie, qui est couverte par le Protecteur du citoyen, et, donc, si des citoyens se plaignent au Protecteur du fonctionnement du Commissaire, j'interviens, et je fais enquête, et je prends une décision une fois que l'enquête a été conclue.

M. Lefebvre: Vous avez, Me Jacoby, indiqué que le Commissaire à la déontologie – on parle évidemment du grand patron au Comité de déontologie – aurait laissé entendre qu'il allait contester votre pouvoir d'intervention. On est aujourd'hui le 23 janvier; ce sont des commentaires que vous nous faisiez le 15 décembre 1995. Qu'est-ce qui vous a amené à faire ces commentaires le 15 décembre, où en est cette intention manifestée par le Commissaire à la déontologie de contester votre pouvoir d'intervention, que vous avez eu et que vous avez encore aujourd'hui, en début d'année 1996?

(15 h 20)

M. Jacoby (Daniel): Si j'ai fait une déclaration le 15 décembre, je voulais montrer que, de plus en plus, soit par législation ou par décision administrative, on essayait de se soustraire à la compétence du Protecteur du citoyen. C'était dans la foulée de ce que je disais sur la compétence qu'on nous a enlevée en matière de jeunesse, et ainsi de suite. Je montrais qu'il y avait de plus en plus d'organisations qui contestaient notre compétence.

Ainsi, il n'y a pas très longtemps, aussi, le directeur de l'État civil a contesté notre compétence, parce qu'il se considère comme un tribunal. Et, là, je donnais ça comme exemple, justement, de cette tendance, dans l'appareil gouvernemental, au niveau de l'administration, à vouloir se prémunir contre les interventions du Protecteur du citoyen. C'était dans ce cadre-là.

Maintenant, cette déclaration de contestation de compétence a été faite à un de mes collaborateurs par rapport à certaines questions qui nous ont été posées. Au moment où on se parle, il n'y a pas de solution à cette contestation de compétence, sauf qu'il y a des rencontres qui sont prévues dans les prochaines semaines entre mes collaborateurs et le personnel du Commissaire à la déontologie policière pour essayer de régler ce problème-là et...

M. Lefebvre: M. le Protecteur du citoyen, vous sentez qu'on veut... Et, d'ailleurs, vous venez de nous l'indiquer, il y a déjà des discussions en cours où on veut remettre en question vos pouvoirs en regard de la déontologie. C'est exactement ce qui se passe présentement.

M. Jacoby (Daniel): C'est ça. C'était la première fois depuis que ça existe, l'organisation – ça remonte à 1989, le nouveau système – c'était la première fois qu'on nous invoquait des questions de compétence, d'une part. D'autre part, avant 1989, c'était la Commission de police du Québec et, à ma connaissance, jamais, lorsque nous intervenions au niveau de la Commission de police du Québec, on nous avait invoqué des questions d'absence de compétence.

M. Lefebvre: Mais est-ce que vous ne pensez pas que vous faites le jeu du Commissaire – puis je ne vous en fais pas le reproche, M. le Protecteur du citoyen – Me Jacoby, est-ce que vous n'avez pas l'impression que vous faites le jeu du Commissaire et du gouvernement que de vous prêter à des discussions où on veut attaquer vos juridictions, vos pouvoirs?

Et est-ce que, en sous-question, ça ne serait pas là une belle occasion pour vous que de dire, en faisant une déclaration publique très serrée, très sévère, que non, vous ne vous prêterez pas à des discussions qui visent à vous enlever des pouvoirs que vous considérez détenir, essentiels en regard de votre loi constituante, de sorte que vous puissiez mettre un frein à l'envahissement du gouvernement sur vos pouvoirs, vos prérogatives et vos juridictions? Il me semble que vous avez là une belle occasion, M. le Protecteur du citoyen, d'arrêter ce processus-là auquel vous avez fait référence abondamment avant la suspension de nos travaux d'aujourd'hui. Il me semble aussi que, de vous prêter à ces discussions-là, vous risquez que ça se perpétue. Vous avez une sacrée belle occasion, à mon sens à moi. Et je suis convaincu que mes collègues, du côté de l'opposition, sont d'accord avec moi, vous avez une belle occasion de freiner cette agression que fait ce gouvernement envers le Protecteur du simple citoyen que vous êtes, Me Jacoby.

M. Jacoby (Daniel): Oui. Je peux vous dire que ce n'est pas un phénomène nouveau, il faut dire que ça fait quelques années qu'ici et là on nous lance dans les pattes des motions de défaut de compétence, ces choses-là, mais j'ai l'impression que, depuis quelque temps, la situation ne fait qu'empirer.

Comme je l'ai mentionné, le Protecteur du citoyen est un organisme qui n'a pas de pouvoir de contrainte, qui, par ailleurs, doit, et heureusement, utiliser le dialogue, la raison et la persuasion pour essayer de convaincre l'administration, d'une part, de suivre ses recommandations. Aussi, je pense que je donne une chance, au moins la chance de discuter une fois ou deux avec les autorités concernées quand on nous invoque des défauts de compétence. Je pense que je me dois, dans un premier temps, d'avoir ces discussions.

Sauf que la question que vous posez, elle est lourde de conséquences. Elle est lourde de conséquences et c'est pour ça que j'y réfléchis depuis un certain temps. Vous savez, avec la tournure des événements et le fait que les administrateurs sont de moins en moins enclins à vouloir justifier de leurs actions dans l'appareil public – je parle au niveau des administrateurs, des gestionnaires et ainsi de suite – il y a fort à craindre que de plus en plus on conteste la compétence du Protecteur du citoyen. Et je n'ai pas l'intention de baisser les bras.

Il y a, dans la Loi sur le Protecteur du citoyen: Le P.C., le Protecteur du citoyen peut être partie à toute requête qui est adressée à la Cour supérieure, en vertu des articles 453 à 456 du Code de procédure civile, et porte sur sa compétence et ses pouvoirs. Donc, la loi autorise le Protecteur du citoyen à aller devant la Cour supérieure et se faire déclarer quelle est sa compétence et quels sont ses pouvoirs. Et c'est là. Et ce n'est pas là pour rien parce que le législateur, dans sa sagesse, a dû prévoir qu'un jour ça pourrait se poser, ce genre de question.

Par ailleurs, je dois vous dire, comme Protecteur du citoyen, qui est une organisation de justice douce et non pas de justice lourde, qu'on soit rendu à un stade où il faille que le Protecteur du citoyen lève les bras devant les tribunaux pour venir justifier sa compétence, je me dis: Il y a quelque chose d'un peu paradoxal dans tout ça. Mais, une fois que j'ai dit ça, si je n'ai pas réglé dans les meilleurs délais cette question avec le Commissaire à la déontologie policière et, un petit peu avant, avec le directeur de l'État civil, je n'aurai pas le choix que d'aller devant les tribunaux pour faire reconnaître, en tout cas pour plaider devant les cours de justice la compétence et le pouvoir d'enquête du Protecteur du citoyen. Mais, moi, je ferais un pas de plus. Si je reviens aux éléments de base, le Protecteur du citoyen, il est le Protecteur du citoyen pour tout le monde, ne fait pas de politique, est un bras du législatif, et ainsi de suite. Et, vous le savez autant sinon plus que moi, parfois les législations ne sont pas écrites nécessairement dans des termes très clairs, et ça peut porter à discussion, si on a compétence ou pas.

Moi, je dis une chose: Si on croit vraiment à l'utilité de cette organisation qui s'appelle le Protecteur du citoyen, si on croit qu'on perd le contrôle sur les administrations, qu'on soit ministériels ou qu'on ne soit pas ministériels, je pense que la première chose, ça serait que le gouvernement fasse son lit et dise: Oui, on croit que c'est nécessaire d'avoir un Protecteur du citoyen, on ne voit pas pourquoi il y aurait des pans complets de l'administration qui sont en train d'échapper au contrôle de tout le monde.

(15 h 30)

Et, moi, je dis que la solution la plus souhaitable pour moi, c'est une solution politique et non pas une solution judiciaire. Mais, comme je vous le disais, comme c'est parti là, le rapport de la commission de 1991, la commission des institutions, était absolument très clair. Je me permets de rappeler ce qu'a dit cette commission, et c'était unanime. Cette commission a dit qu'il fallait songer à élargir la compétence du Protecteur du citoyen. Il fallait l'élargir, parce qu'elle constatait, la commission, que le Protecteur du citoyen au Québec avait une juridiction très limitée par rapport aux autres provinces et aussi très limitée, si on compare avec le rôle du Vérificateur général. Et la commission, au-delà de toute partisanerie, à l'unanimité a dit: Il faut élargir la compétence et même les pouvoirs du Protecteur du citoyen. La commission a même recommandé à l'unanimité que le Protecteur ait compétence sur les institutions du réseau de l'éducation, du primaire à l'université. Cette commission, à l'unanimité, a recommandé qu'il y ait un mécanisme de protecteur du citoyen dans le réseau de la santé et des services sociaux en laissant le choix que ça pouvait être le Protecteur ou une autre organisation. Cette commission a aussi recommandé que tous les organismes non assujettis à la compétence du Protecteur, parce que ce n'étaient pas des fonctionnaires, notamment la Commission des droits de la personne, l'aide juridique, les sociétés d'État, soient assujettis à la compétence du Protecteur du citoyen. Alors, je pense que ce rapport a été déposé au début de 1992, fin 1991, et je sais qu'il y a des réflexions qui se sont faites.

Et puis, évidemment, les choses étant ce qu'elles sont, il y a des dossiers qui s'oublient, mais je pense que la commission des institutions avait fait une réflexion, en tout cas, profonde et non influencée par le Protecteur du citoyen, parce qu'il y avait eu au-delà de 60 mémoires qui avaient été présentés par des groupes et par des individus.

Le Président (M. Pinard): En complémentaire?

M. Simard: Oui, juste pour terminer. Je sais qu'on doit suspendre pour quelques minutes, mais auparavant, sur cette question du Commissaire à la déontologie policière, et là j'avoue que les déclarations du ministre de la Sécurité publique, au cours des derniers mois, feraient sans doute plusieurs centaines de pages si on les recueillait toutes, mais je ne sache pas que le ministre ait manifesté l'intention de changer la loi et de donner raison à cet appel du Commissaire. Je n'ai pas entendu, en tout cas, ni lu en ce sens-là et je pense que, là, avant d'aller devant les tribunaux, il faudrait d'abord chercher l'appui des membres de cette commission, des parlementaires, qui seront, je le crois, tous d'accord pour maintenir intégralement et même peut-être accentuer le rôle du Protecteur du citoyen devant cette instance extrêmement délicate dans la vie des citoyens. Le Commissaire à la déontologie policière étudie les plaintes des citoyens face aux abus potentiels des policiers, des corps de police. C'est un sujet qui est toujours extrêmement délicat, et le législateur ne se donnera jamais suffisamment de moyens pour protéger les citoyens face aux abus possibles dans ce domaine-là. Alors, je ne sache pas que le ministre ait l'intention de donner suite à cette demande, mais sachez que vous avez, du côté ministériel, là-dessus un appui qui, à mon avis, serait unanime.

Le Président (M. Pinard): Alors, si vous le permettez, nous allons suspendre les travaux de la commission jusqu'à 15 h 45.

(Suspension de la séance à 15 h 34)

(Reprise à 15 h 53)

Le Président (M. Pinard): La commission reprend ses travaux, avec quelques minutes de retard.

M. Simard: Prévisibles.

Le Président (M. Pinard): Alors, nous allons filer jusqu'à 18 heures, ensuite nous allons ajourner nos travaux jusqu'à demain matin, 10 heures. Ça va?

Est-ce qu'il y a intervention, à ce stade-ci? M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour, il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue au Protecteur du citoyen et aux personnes qui l'accompagnent, ses collaboratrices, ses collaborateurs. J'ai trouvé très intéressant l'échange qui a eu lieu, tout à l'heure, entre certains représentants du côté ministériel, le Protecteur du citoyen et, par la suite, des gens du côté de l'opposition officielle concernant le mandat du Protecteur du citoyen et j'ai, bien entendu, eu l'occasion, comme tous les membres de la commission, de prendre avis des différentes opinions qui ont été exprimées et du mémoire auquel le Protecteur du citoyen a fait référence, qui émanait de cette même commission voilà cinq ans environ maintenant et qui donnait, entre autres, l'historique du mandat du Protecteur du citoyen. J'ai écouté aussi attentivement M. Jacoby lorsqu'il nous a dit, tout à l'heure, qu'il voyait le Protecteur du citoyen comme étant un peu la personne de confiance du législateur. Je vous avoue que c'est toujours comme ça que j'ai perçu le rôle du Protecteur du citoyen.

Ce n'est pas la peine de faire une longue analyse, mais je pense qu'historiquement, effectivement, le besoin d'avoir une institution qui sera là pour dire: Écoutez, vous avez voté cette loi-là, et la machine à laquelle vous l'avez confiée est en train de faire autre chose avec, pour le dire dans des termes très simples, c'est vraiment ça, clairement, ce qu'on demande au Protecteur du citoyen. Donc, même si, comme membre de l'opposition officielle – et c'est un peu le jeu politique au sens très propre – je suis moins préoccupé par ça lorsque je suis du côté de l'opposition que pouvaient l'être mes collègues lorsqu'ils étaient du côté ministériel, je comprends, par ailleurs – et je pense que M. Jacoby l'a très bien dit – qu'il y a effectivement cette ligne qui sépare notre travail comme élus du travail de la personne à qui on a confié cet important mandat.

Dans les documents que le Protecteur du citoyen nous a soumis, il nous a parlé de ce virage qui s'est effectué au cours des dernières années, où, lisant d'une manière très large et, oserais-je dire, libérale son mandat, il voit dans l'aspect préventif quelque chose qui risque d'épargner à la longue beaucoup à l'État, et je pense que c'est vrai. Si cette institution qu'est le Protecteur du citoyen existe depuis bientôt 30 ans au Québec – ou du moins qui a été conçue ça va faire bientôt ça – c'était sans doute intéressant pour tout le monde de tirer profit de cette expérience-là et qu'à chaque occasion que vous voyez quelque chose se répéter, que vous avez déjà vue, hein...

Je peux inventer un exemple: si un ministère ou un organisme devait inventer demain matin une nouvelle carte avec photo et exiger ça pour exercer un droit ou recevoir une prestation, je pense que de sonner l'alarme basé sur l'expérience désastreuse, et je sais de quel côté de la Chambre la responsabilité s'est retrouvée pour ça... Mais il faut le dire clairement, l'expérience désastreuse de la nouvelle carte-soleil, à l'époque, que vous avez dénoncée vertement et très correctement, je pense que c'est ce à quoi ça peut le plus servir, le Protecteur du citoyen et cet aspect préventif: J'ai déjà été là, j'ai déjà vu ça, vous vous apprêtez à commettre la même erreur, ne vous embarquez pas là-dedans, ce n'est pas une bonne idée.

Je pense que, là-dessus, on doit toujours être très ouvert à vos remarques, et, malgré le fait qu'à l'occasion ça puisse faire mal, parce qu'il en va de l'intérêt supérieur du public, je pense qu'il ne faut pas se tromper, on est tous là dans le même but. Mais, quand j'entendais le Protecteur du citoyen, tout à l'heure, expliquer un peu sa vision sociale que, je dois le dire tout de suite, je m'empresse de le dire, je partage... Vous avez une vision très généreuse du rôle de l'État, vous avez une vision sociale très progressiste. Je vous félicite et je trouve que vous représentez une vision très noble de ce que doit être le rôle de l'État. Mais autant, si je peux caricaturer un tant soit peu l'attitude de certains du côté ministériel qui sont un peu jaloux de leurs prérogatives... Je pense que ça se comprend, et, même de notre côté, comme opposition officielle, on se dit, des fois: S'il y a une critique à faire sur l'analyse qui est faite ou sur l'approche sociétale qui est prônée par un gouvernement, à moins qu'il s'agisse justement d'une expérience vécue par le Protecteur du citoyen qui vise à éviter des écueils de nature relativement objective et administrative, bien, à ce moment-là, peut-être qu'effectivement tous doivent être conscients du fait qu'il y a cette fameuse ligne à laquelle vous-même, M. Jacoby, vous avez fait référence.

(16 heures)

À titre de prolégomènes, M. le Président, je tenais à faire cette petite remarque, parce que, effectivement, j'ai trouvé l'échange très enrichissant, et, comme je le dis, comme on est de ce côté-ci de la salle, c'est bien plus facile d'entendre les critiques, les flèches qui peuvent être tirées, et on dit hourra, mais, si on veut être honnête et dire: Bon, objectivement, la fonction que M. Jacoby occupe aujourd'hui, qui est là depuis bientôt 10 ans... Peut-être qu'un jour ce sera quelqu'un d'autre. Je pense que, de part et d'autre de cette salle, on doit tenir un discours cohérent et qui reflète justement les préoccupations de cette Assemblée, des élus, du législateur, à l'égard de celui – on dit en anglais «watchdog», hein, «chien de garde» se traduit plus ou moins bien, mais l'idée est quand même là – qui est là pour s'assurer que le citoyen est protégé puis qu'il reçoit ce qui a été demandé par le législateur.


Directive d'un organisme contrecarrant l'intention du législateur

Ma première question pour le Protecteur du citoyen concerne justement la question des directives. J'ai vu un cas, dernièrement, où une directive d'un organisme est venue carrément, à notre sens, frustrer l'intention claire du législateur. Nous, on a toutes les difficultés du monde à mettre la main sur la directive, mais on sait qu'elle existe. Question de directive, M. le Président, est-ce que le Protecteur du citoyen peut nous dire ce que lui fait dans ce temps-là et ce que, nous, on peut faire comme élus pour mettre la main sur une directive qui, à notre sens, vient contrecarrer ou frustrer l'intention claire du législateur?

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Pour ce qui est des directives, et je vais inclure dans les directives les politiques administratives, les consignes, les pratiques, tout ce qui est normé par l'appareil public, l'administration, pour la plupart de ces directives, au sens large du mot, ce sont des documents publics, sauf qu'il ne suffit pas qu'un document soit public pour que le public y ait accès facilement. Et nous avons, à l'occasion, des difficultés, des difficultés surtout lorsqu'il s'agit de directives non écrites. Le monde de l'invisible dans l'appareil public est beaucoup plus grand, pas que le monde du visible, mais beaucoup plus grand que l'on pense. Il y a beaucoup de directives, de consignes qui sont purement verbales. Évidemment, quand il s'agit de consignes purement verbales, quand on fait enquête, on est obligé de véritablement interroger la structure pour savoir pourquoi il y a telle pratique, ce qui fait qu'on a telle pratique et ainsi de suite. Pour ce qui est des directives écrites, règle générale, on les obtient assez facilement, même si dans quelques cas on a une certaine difficulté, une réticence à nous donner ces directives-là.

Nous exerçons les pouvoirs des commissions d'enquête. Si, à défaut, l'administration refusait de nous fournir un document, cette administration pourrait être passible d'outrage et être condamnée à l'amende en vertu du Code de procédure civile. Nous n'avons pas eu à utiliser ce moyen-là, mais il nous arrive, à l'occasion, d'être obligé de rappeler aux gestionnaires que nous avons des pouvoirs de contrainte, que nous pouvons les assigner, leur envoyer des subpoenas et ainsi de suite. Ça nous arrive à l'occasion.

Maintenant, si je déborde un peu la question très précise, et je veux revenir aussi à une chose que j'ai dite ce matin, vous savez, le législateur et le gouvernement adoptent des lois. La gouverne de l'État se fait à travers des lois qui créent des programmes gouvernementaux, et ceci n'échappe pas au processus démocratique. Même si le processus démocratique a aussi quelques ratés, il n'en demeure pas moins que, lorsqu'il y a un projet de loi, les parlementaires, de quelque formation qu'ils soient, peuvent poser des questions, les groupes intéressés, parce que c'est un document public, peuvent faire les pressions nécessaires, parfois il y a des audiences, des auditions sur des projets de loi et ainsi de suite, donc le jeu démocratique se fait, je dirais, relativement bien à travers la législation. Mais, une fois que ceci est terminé, c'est là que les interrogations commencent, parce que, pour la mise en oeuvre d'une loi, il y a une série d'instruments multiples qui sont créés. On commence par des politiques administratives, ensuite des directives administratives, ensuite des manuels d'opération pour les agents de première ligne qui appliquent les programmes gouvernementaux, le tout agrémenté aussi de directives d'interprétation, de pratiques, enfin une foule de décisions qui se prennent à l'intérieur de l'administration, tant au niveau de la conception de ces normes administratives qu'au niveau de leur application.

Sur cet aspect-là, moi, je considère que, véritablement, peu de personnes ont de contrôle. C'est là que les problèmes commencent, parce que, on le voit à l'occasion, de la manière que les programmes gouvernementaux peuvent être appliqués par l'administration, ils peuvent, dans certains cas, amener même un détournement de l'objet de la loi. Et je ne dis pas que c'est fait de mauvaise foi nécessairement, mais souvent c'est fait pour des raisons de commodité.

Alors, la question qui se pose, c'est: Si une loi prend vie véritablement à cause de tout cet ensemble de directives, de politiques, d'instructions, comment se fait-il que, dans notre système démocratique et d'imputabilité, le politique n'ait pas plus de contrôle là-dessus? Ça, c'est une question que je trouve fondamentale, parce que je pense que c'est là que se joue l'imputabilité des fonctionnaires et des gestionnaires. Un fonctionnaire pourra toujours dire: La loi, ce n'est pas moi qui l'ai adoptée, c'est le ministre qui l'a fait adopter, tout ça, et on peut comprendre tout ça, mais l'application, ce n'est pas comme ça que ça se passe.

Nous, ce que l'on constate dans notre quotidien, c'est que, je dirais, 80 % des causes de lésions ou de préjudice aux citoyens découlent de tout cet amas d'instruments utilisés par l'administration pour la mise en oeuvre d'une loi. C'est pour ça que j'ai dit, ce matin, que la démocratie n'avait pas atteint la bureaucratie. Nous sommes dans des organisations extrêmement complexes, extrêmement organisées, extrêmement compartimentées, avec des personnes qui ont de l'expertise, des personnes qui ont des aptitudes, des compétences, une foule de spécialistes qui font même que le dialogue est très difficile parce qu'on a un jargon qui est très technique, qui n'est pas accessible à tout le monde. Ce sont des organisations qui se parlent entre elles et ainsi de suite. Moi, je dis qu'il n'y a pas tellement de solutions pour effectuer un virage.

Ne serait-ce que par le mécanisme d'imputabilité qui a été créé par la loi 198, comment peut-on penser que ça va changer quelque chose? Moi, je suis presque convaincu que ça ne changera rien, parce que l'imputabilité des gestionnaires va porter sur la façon d'appliquer les programmes gouvernementaux. Mais, s'il y a, à l'intérieur des ministères et des organismes, des éléments qui empêchent la responsabilisation de l'administration, même avec un mécanisme d'imputabilité, on n'arrivera pas à changer les choses, parce que l'imputabilité devant les commissions parlementaires, ce n'est pas autre chose que la vitrine ou la façade d'une vie qui est à l'intérieur des ministères et organismes du gouvernement. Donc, je dis: Il faut véritablement aller plus loin que ça. Il faut, je pense, donner un coup de barre. Et il y a eu plusieurs tentatives.

Je me rappelle qu'en 1991 le gouvernement a adopté une politique sur l'amélioration de la qualité des services à la clientèle, une politique qui couvrait à peu près tout, une politique qui avait été élaborée au niveau du Conseil du trésor principalement et qui donnait suite un peu à la commission Lemieux-Lazure sur la Loi sur la fonction publique. Le but de cette politique, c'était de faire en sorte, à toutes fins pratiques, que le citoyen redevienne le premier client de l'administration. Cette politique n'a pas eu de suite pour la bonne raison que cette politique n'était pas contraignante, que ce n'était qu'une politique émanant des politiques – ha, ha, ha! – sans aucune contrainte, ce qui fait que ce à quoi on a assisté, c'est simple, c'est le fait que ces politiques, pour la plupart, n'étaient pas connues par l'appareil gouvernemental, et, nous, nous nous servions déjà de cette politique de 1991 pour rappeler aux fonctionnaires qu'il faut faire ci et qu'il faut faire ça et qu'il faut le faire comme ci et comme ça. Et, souvent, c'est une véritable boîte à surprise: Qu'est-ce que c'est que cette politique? et ainsi de suite. On ne sait pas ce que c'est et ainsi de suite.

(16 h 10)

Alors, il y a eu une volonté, en 1991, de changer le cours des choses et de contraindre un peu l'administration à effectuer un virage client. Ça n'a pas donné de suite, ça n'a pas eu de suite véritable, sauf peut-être dans quelques ministères et organismes. Mais, vraiment, si je regarde l'impact réel, il est à peu près insignifiant, d'autant plus que, si je mets en parallèle cette politique de 1991 et les chiffres récents que je peux observer au niveau des lésions qui sont commises par l'administration, je constate qu'on a une politique de 1991, mais il y a de plus en plus de décisions administratives ou de politiques administratives ou de processus administratifs qui sont sources d'injustice, d'erreurs, voire d'abus de la part de l'administration.

Ça fait que, dans certains pays, on a pensé qu'il était temps d'aller un peu plus loin. En Angleterre, notamment, en France récemment, les gouvernements ont décidé d'adopter des chartes des droits des citoyens justement pour opérer le virage client, parce que les politiciens avaient réalisé que l'administration était en train de se détourner de plus en plus des clients et ne répondait plus, finalement, surtout qu'en Angleterre il y a ce mécanisme d'imputabilité que l'on a ici maintenant: le politique, lui, répond des orientations et des politiques, et l'administrateur, lui, répond de la manière dont il gère les programmes et l'application des politiques. Alors, on est allé plus loin, et je pense que ce n'est pas un caprice.

Moi, ce que je constate, c'est que l'histoire et le temps ont fait en sorte qu'on est rendu avec des organisations qui ne peuvent plus opérer le virage client; on est rendu là. Toute l'organisation du travail et toute la structure sont ainsi faites qu'il n'est plus possible de songer que l'appareil public va pouvoir changer, à moins d'un encadrement plus contraignant.

Alors, pour revenir à votre question précise, eh bien...

M. Mulcair: Merci. Ha, ha, ha!

M. Jacoby (Daniel): Ça va?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Mulcair: Oui.

M. Jacoby (Daniel): Bien, pour ce qui est de l'obtention des directives, je pense que vous êtes parlementaire, si vous ne pouvez pas obtenir la directive, vous pouvez aussi, étant donné que le Protecteur du citoyen est un officier de l'Assemblée nationale, le cas échéant, confier le dossier au Protecteur du citoyen.

M. Mulcair: Je me ferai un plaisir de faire ça, M. Jacoby, et on verra ensemble quelles peuvent être les suites. Et j'ai aussi pris bonne note, tout à l'heure, quand vous avez mentionné que, normalement, il s'agirait de documents publics, auquel cas peut-être cela, jumelé à une demande d'accès... Ce serait peut-être une voie intéressante à poursuivre, parce que l'exemple dont je parle concernait une directive qui est venue préciser que, dans l'esprit des fonctionnaires, le droit qui devait être accordé à des enfants d'un couple ne pouvait pas être accordé, puisqu'il s'agissait d'un enfant de fait mais qui n'avait pas encore été légalement adopté par la famille. Alors, enfin, le père n'était pas le père biologique, quoi. Je me ferai donc un plaisir d'essayer d'aller au fond de cette question-là.

M. Jacoby (Daniel): N'ayant pas compétence sur le secteur protection de la jeunesse, je ne pense pas qu'on puisse intervenir.

M. Mulcair: Ce n'était pas un cas de protection de la jeunesse.

M. Jacoby (Daniel): Non?

M. Mulcair: C'est un cas d'accès à l'école anglaise.

M. Jacoby (Daniel): O.K. Alors, ça, il n'y a pas de problème.

M. Mulcair: Il y en a eu, un problème – ha, ha, ha! – avec le cas, mais...

M. Jacoby (Daniel): Non, mais en termes de pouvoir d'intervention. Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Vous en parlerez à M. Garon.


Noms de personnes acquittées inscrits au registre de la cour

M. Mulcair: J'aurais un autre cas dont... Vous savez, on dit: Une image vaut mille mots, mais, parfois, illustrant nos préoccupations avec des cas précis aide à situer le débat. Je vais me permettre de vous lire une lettre qui a été adressée au chef de l'opposition officielle par un membre du public. Il est professionnel et il a été l'objet de quelques accusations, mais il a été acquitté de ces accusations-là. Cependant, comme vous le savez sans doute, son nom continue à paraître dans le plumitif de la cour pour les accusations contre lui, et je trouve une partie de la réponse reçue du responsable du bureau des plaintes au ministère de la Justice, M. Jean-Pierre Belle-Isle... Je trouve une phrase de sa réponse assez étonnante. Il dit à la personne: Je réponds à votre lettre adressée au ministre dans laquelle vous demandez une nouvelle fois de radier votre nom du plumitif criminel informatisé. Je suis sensible... Tout n'est pas perdu, au moins ils sont sensibles, M. Jacoby. Il est sensible aux inconvénients que la situation peut lui causer, mais il a le regret de réitérer qu'il n'est pas possible de donner suite à la demande.

Ainsi qu'il l'expliquait à une autre personne, le ministère de la Justice ne peut faire en sorte que son nom n'apparaisse plus au plumitif criminel informatisé. Et ça, c'est la phrase que j'ai trouvée assez étonnante: La loi oblige à conserver les archives de la Cour supérieure, et aucune disposition ne permet d'oblitérer les noms des personnes reconnues innocentes (sic), hein, reconnues innocentes. Parce que, la dernière fois que, moi, j'ai vérifié, on vivait dans une société où on était présumé innocent, et on était reconnu coupable seulement une fois qu'on avait apporté une preuve en dehors d'un doute raisonnable. Alors, ici, on a un bureaucrate, au ministère de la Justice, responsable des plaintes, qui nous dit: On ne peut pas oblitérer les noms des personnes reconnues innocentes.

Avez-vous connu d'autres cas de cette nature-là? Je vois que peut-être une de vos collègues connaît un exemple. Si oui, qu'est-ce qu'on peut répondre à cette personne?

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen. Si vous désirez que votre adjointe réponde... Mme Hudon.

Mme Hudon (Frances): Cette question-là, ça fait déjà un bon bout de temps qu'on en discute, et actuellement nous faisons une enquête conjointe avec la Commission des droits de la personne. On devrait conclure dans les prochaines semaines.

M. Mulcair: Je vous félicite pour l'initiative. Je vais pouvoir répondre à la personne en question que ce travail est en cours.

M. Lefebvre: O.J. Simpson a fait cette démarche-là aussi.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Pinard): M. le député de Beauce-Sud.

M. Quirion: Oui. Merci, M. le Président. Me Jacoby, pour faire suite au rapport de la commission des institutions et à votre proposition d'un pacte social, dans le contexte où vos pouvoirs sont de plus en plus affectés, une réforme législative de la Loi sur le Protecteur du citoyen est-elle à l'étude et serait-elle un pas dans la bonne direction?

M. Jacoby (Daniel): Évidemment, ce n'est pas moi qui, bien sûr, peux prendre l'initiative, mais je pense qu'il y avait eu, en 1990-1991, une étude – c'était la première fois au Québec que ça se faisait – sur le mandat du Protecteur du citoyen. Je pense que cette étude, même si je n'étais pas d'accord avec toutes les recommandations, avait été faite d'une manière très professionnelle par les parlementaires et aussi avec beaucoup de sérénité, sans partisanerie. Je pense que l'étude est là. Il n'y a pas eu, pour une foule de raisons que je n'ai pas à discuter, de suite, à date, mais je pense qu'une réponse aux préoccupations que je peux avoir comme Protecteur du citoyen et que vous pouvez aussi avoir comme membre du Parlement se retrouve en grande partie dans le rapport de cette commission de 1991, parce que tous les aspects importants, je pense, ont été étudiés par la commission, et je pense qu'il n'y a pas grand-chose à ajouter à ce qui a été dit dans ce rapport, sinon peut-être de l'actualiser et de montrer que peut-être les problèmes n'ont pas changé ou sont amplifiés, mais les solutions ne sont pas là.

(16 h 20)

Pour ce qui est maintenant du pacte social, moi, je me permettrais, puisque vous en parlez... Un pacte social, c'est autre chose. Les 56 règles que nous avons proposées dans ce pacte social sont des règles que, moi, j'appellerais des plus élémentaires. Ces règles-là permettraient, selon moi, de faire en sorte que l'administration prenne un virage client. Ce n'est pas la seule façon de le faire, mais il y a certainement là-dedans beaucoup de choses qui m'apparaissent tellement élémentaires qu'on pourrait songer, le cas échéant, à avoir un code des droits des citoyens pour des services efficaces et justes.

Le Président (M. Pinard): Complémentaire?

M. Quirion: Peut-être une autre question.

Le Président (M. Pinard): Oui, allez.

M. Quirion: Merci, M. le Président. À la suite de la fusion de la Commission de protection des droits de la jeunesse et de la Commission des droits de la personne, malheureusement vous avez perdu certains pouvoirs, vous avez perdu des pouvoirs. Malgré tout cela, avez-vous constaté une augmentation de plaintes concernant la protection de la jeunesse?

M. Jacoby (Daniel): Je ne suis pas en mesure de vous répondre, parce que, à partir du moment où on perd compétence sur une organisation, on ne tient plus tellement de statistiques. On en tient, mais elles ne sont pas très ventilées. Je ne peux pas vous répondre, mais il faudrait que... Je pourrais vous répondre et éventuellement déposer à la commission... voir s'il y a des plaintes qui concernent la nouvelle commission, finalement.

M. Quirion: Parce que j'imagine que, dans le contexte, il y a encore plusieurs personnes qui doivent communiquer chez vous.

M. Jacoby (Daniel): Ah oui! absolument, comme les gens communiquent chez nous dans tous les secteurs où nous n'avons pas compétence. C'est évident. Alors, il faudrait que je ramasse simplement les chiffres sur ça.

M. Quirion: O.K.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Richelieu.


Programme d'aide financière aux étudiants

M. Simard: Dans votre rapport, vous avez abordé énormément de sujets. Il y en a un qui me tient à coeur, et je dois vous dire que les commentaires que j'ai à faire rejoignent largement vos conclusions: tout ce qui concerne l'aide aux étudiants. À titre de député, c'est certainement, et à ma grande surprise, l'un des secteurs où, dans une proportion importante de nos interventions, nous constatons des erreurs et des dénis de justice. Ça a été pour moi un grand étonnement. Je sais que ce n'est pas la première année que vous faites des recommandations et que vous pointez du doigt ce secteur. Qu'en a-t-il été, dans le passé, de vos recommandations? Ont-elles été suivies? Et que faudrait-il faire pour que la loi soit parfaitement respectée, que les droits des citoyens, notamment dans ce cas-ci des étudiants, puissent être respectés?

M. Jacoby (Daniel): Je dois dire que prêts et bourses, aide financière aux étudiants a toujours été un programme gouvernemental qui génère énormément de plaintes, toutes proportions gardées. Nous avons pu constater, au fil des ans, que ce programme-là était administré – je me permets de le dire – avec passion, un peu comme si l'aide financière aux étudiants était un privilège plutôt qu'un droit. En d'autres termes, ce que nous avons pu constater au fil des ans, c'est que, ne serait-ce qu'au niveau des processus, les processus sont tels, dans ce programme-là, qu'il y a souvent des retards au niveau des prises de décision, au niveau de la remise du certificat à l'institution financière. Alors, il y a toute une problématique de délais et de difficultés d'accès aussi aux décideurs. C'est très difficile d'accéder à l'agent qui est responsable du dossier. On a connu et on connaît encore en partie tous les problèmes d'engorgement téléphonique au niveau de l'aide financière aux étudiants, aussi pour l'étudiant. Il y a eu des corrections qui ont été apportées. Donc, ce qu'on a vu, c'est un processus hyperbureaucratisé et centralisé.

Ce qu'on a pu constater aussi, c'est que le programme d'aide financière aux étudiants contenait des politiques que je pourrais appeler discutables, que je pourrais qualifier de discutables sur le plan de la raisonnabilité, et surtout le type de réponse qui nous était et qui nous est encore apporté. Vous voyez, il y a un programme spécial d'aide financière pour les personnes qui sont handicapées, les personnes qui ont des maladies chroniques. Il y a une liste, en vertu du règlement, qui permet de déterminer l'admissibilité à ce programme-là. Alors, on a réalisé que cette liste n'était pas toujours mise à jour et qu'il y avait des situations où il fallait modifier la liste pour y ajouter des maladies.

Le genre de réponse qu'on nous donne, c'est de dire: Même si on considère que ça devrait entrer dans le programme, on ne peut pas le faire parce que ce n'est pas dans la liste et on ne change pas la liste en cours d'année. Quand on fait un programme, on le fait pour un an. Puis on nous invoque, en plus, l'informatique. Alors, ça, c'est ce que j'appellerais une approche non-client. Pas du tout, c'est une approche purement bureaucratique et qui fait qu'on se retrouve avec différentes injustices qui ont été commises.

Il y a aussi des situations où nous intervenons depuis plusieurs années; c'est lorsqu'un étudiant a dû déclarer une faillite personnelle, n'ayant pas les moyens de rembourser l'aide financière. Bien, la règle veut que, si un étudiant fait une faillite personnelle, il est pénalisé pour ça. Il faut qu'il rembourse ses dettes. Ah! on dit: La Loi sur la faillite a toujours été faite justement pour libérer les gens. Mais, parce que c'est des étudiants, on dit: Les effets de la Loi sur la faillite ne s'appliquent pas. Je peux comprendre que derrière tout ça il y a peut-être un certain nombre d'étudiants qui systématiquement utilisent ce mécanisme de la faillite pour se soustraire à leurs dettes, mais il y en a, et il y a des témoignages et on a vu des cas, où les étudiants n'avaient vraiment pas d'autre choix que de déclarer faillite et ils sont pénalisés à cause de ça. Moi, ça, j'appelle ça de l'abus de pouvoir, un détournement des lois.

Il y a eu la création d'une commission, l'année dernière, la commission MacDonald, qui a été créée par le ministre de l'Éducation, et nous avons fait un rapport sur les changements qui devraient survenir au programme d'aide financière aux étudiants, un rapport que nous avons soumis à la commission, un mémoire, et qui comporte 48 recommandations pour améliorer le fonctionnement du système et faire en sorte aussi que les décisions soient plus équitables. Alors, ce rapport a été pris en considération. La commission MacDonald a rendu son propre rapport, retient une très grande partie de nos recommandations. Maintenant, pour le reste, bien, je pense que c'est la législation, c'est une décision politique que de donner suite à ce rapport.

Le Président (M. Pinard): En complémentaire?

M. Simard: Juste un complément là-dessus. Moi, je suis très heureux, d'ailleurs, de la fin de votre intervention, c'est-à-dire que, visiblement, quelqu'un quelque part a pris conscience qu'il y avait problème, et au moins, en tout cas, on peut se baser maintenant sur un rapport pour apporter les correctifs nécessaires. On verra si effectivement c'est mis en place et ça donne des résultats.

(16 h 30)

Mais, puisque vous touchez du doigt quotidiennement ces questions-là, comment expliquez-vous un nombre d'erreurs qui m'apparaît élevé dans l'administration de ce programme par rapport à d'autres programmes? Est-ce parce que toutes les demandes arrivent à peu près en même temps, chaque cas est très complexe? Est-ce que vous avez... J'imagine que c'était... Je vais vous faire répéter des propos que vous avez sans doute tenus dans ce mémoire que vous avez présenté, mais comment expliquez-vous que les plaintes soient aussi nombreuses et aussi souvent justifiées dans un secteur où il me semble que l'étudiant se trouve dans une position où il a peu d'influence sur la correction possible des décisions qui sont prises dans son cas?

M. Jacoby (Daniel): Il y a différents facteurs, et le fait que ça soit un système centralisé, contrairement à la plupart des programmes gouvernementaux, qui sont décentralisés ou qui sont déconcentrés, ça veut dire que les décisions se prennent à Québec, au central. Ça, c'est un facteur qui fait en sorte qu'on est très loin de la clientèle, au départ. Ensuite, il y a le fait que, très souvent, il y a toujours, presque tous les ans, un règlement d'aide financière qui modifie le règlement sur l'attribution, c'est adopté à toute vapeur et les processus ne sont pas en place. Ensuite, il y a tout le fait que les demandes sont acheminées à peu près dans les mêmes délais et, comme c'est une organisation centralisée, elle n'a pas la flexibilité de pouvoir y répondre d'une manière efficace. Il y a aussi le fait que – et c'est là que je trouve que c'est un symptôme comme dans d'autres organisations – le système est ainsi fait que les décideurs, les fonctionnaires, les agents qui travaillent sur les dossiers n'ont absolument aucune latitude, aucune marge de manoeuvre. Les directives sont là, la norme est là et c'est le règne de la norme. Alors, même si un cas se trouve «borderline» ou même si un cas devrait tomber, on l'exclut nécessairement parce que la norme a parlé. Et c'est tout le système de l'administration de fonctionner avec des normes et des processus. Si on respecte la norme et le processus, on ne peut jamais faire d'erreur. Ça, c'est une chose. Non seulement il n'y a pas suffisamment de marge de manoeuvre de la part des décideurs parce que tout est très normé, mais il y a aussi le fait, principalement, que toutes les demandes arrivent à peu près dans la même période, et ça, c'est un des éléments.

Alors, en somme, je pense que c'est un des rares programmes gouvernementaux qui est à ce point centralisé. Ce que nous avons proposé, c'est une décentralisation au niveau des établissements. Et aussi le fait que, pour ne pas avoir de surprise, l'étudiant puisse faire une demande prévisionnelle, par exemple, et tout se ferait à partir des institutions scolaires. Avec l'aide des services d'aide aux étudiants dans ces établissements, on pourrait décentraliser. Parce que je vais vous expliquer une autre chose: si, moi, je fais une erreur dans ma demande, comme étudiant, que j'envoie ça à Québec, là, tout arrive en même temps, ce n'est pas sûr qu'on va saisir le document, mais il ne sera pas traité tout de suite. Alors, après ça, il y a quelqu'un qui va prendre le document, qui voit qu'il manque une information, et là on commence: le fonctionnaire écrit à l'étudiant pour lui demander un complément d'information sur tel ou tel aspect, et là l'étudiant recommence, envoie encore son document, qui est saisi centralement, et ainsi de suite, ce qui fait qu'on n'en sort jamais, à un point tel... Et ça, vous savez, il s'est passé des choses absolument incroyables dans ce programme-là. Il y avait ce que l'on appelle, disons, le rôle normal pour les dossiers normaux. Ce rôle normal de dossiers normaux connaissait des délais, des lenteurs absolument incroyables. Alors, devant notre insistance, le ministère a mis sur pied un rôle spécial pour les cas les plus urgents, pour traiter plus rapidement certains types de dossiers. Et vous savez ce qui est arrivé? C'est que les délais au niveau du traitement spécial étaient devenus plus grands que les délais pour le traitement général. Alors, si ce n'est pas de la bureaucratie ou, je veux dire, des effets... Personne n'est de mauvaise foi dans tout ça, là, c'est sûr. Sauf que, quand le système, à la base, il est dysfonctionnel, on a beau mettre des «plasters» dessus, ça ne règle rien. Donc, il faut le changer radicalement.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Beauce-Sud.


Consultation préventive du Protecteur du citoyen

M. Quirion: Merci, M. le Président. Me Jacoby, dans votre communiqué de presse, on indiquait que vous dénonciez, et que dans plusieurs domaines dans l'administration on omet de consulter les citoyens au moment d'effectuer des réformes importantes. Et j'ai cité quelques exemples, du Parti québécois, effectués sans consultation ou avec des consultations restreintes: en matière de santé, aucune consultation; au niveau des compressions dans l'aide sociale, aucune consultation...

Une voix: Ou si peu.

M. Quirion: En tout cas... financement de l'Office des professions, très peu de consultation...

Une voix: L'aide juridique.

M. Quirion: ...l'aide juridique, consultation très restreinte; la fusion de la Commission de protection des droits de la jeunesse et la Commission des droits de la personne, encore de la consultation très restreinte. Est-ce que c'est normal que l'opposition doive se battre régulièrement avec le gouvernement pour être capable de procéder à des consultations avant d'adopter certains projets de loi? Trouvez-vous qu'au cours de la dernière année vous avez été suffisamment et adéquatement consulté dans ces divers projets de loi?

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Nous ne sommes jamais consultés.

Le Président (M. Pinard): Vous n'êtes jamais consultés?

M. Jacoby (Daniel): Non, jamais.

Le Président (M. Pinard): D'autres intervenants? M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Oui, allez-y.

M. Simard: Juste une petite remarque sur l'absence de consultations. Il s'agit bien spécifiquement de consultations du Protecteur du citoyen. Parce que, dans le cas de la réforme de la santé, on sait qu'on a eu droit à une année de consultations au niveau de chaque région; il y a eu consultation de la population. On est bien clair là-dessus, qu'il s'agissait d'une consultation du Protecteur du citoyen.

Le Président (M. Pinard): Vous savez, M. le député de Richelieu, il y avait pertinence au niveau de l'intervention du député de Beauce-Sud puisqu'il s'adressait directement au Protecteur du citoyen, mais vous avez également beaucoup de pertinence en soulignant le fait qu'il y a eu énormément de consultations au niveau, entre autres, de la santé, et ainsi de suite. Alors, à ce stade-ci, j'appelle le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Juste dans le même sens, le Protecteur du citoyen nous dit qu'il n'est jamais consulté. Est-ce que c'est quelque chose auquel le Protecteur du citoyen a pensé? Est-ce que dans certains types de projets de loi il souhaiterait être consulté de façon statutaire? On remarque beaucoup, dans le rapport, que vous parlez d'une approche préventive, des actions préventives. C'est une approche qui est pleine de bon sens, surtout dans le contexte d'un État de plus en plus complexe. Vous avez fait ressortir durant une conférence de presse, en déposant votre rapport annuel, des commentaires par rapport aux effets d'un projet de loi dans cette perspective de prévention. Dois-je comprendre par la remarque du Protecteur du citoyen qu'il n'est pas consulté mais qu'il souhaiterait l'être? Si oui, dans quel type de projets de loi ou de projets gouvernementaux et dans quel contexte? Est-ce que vous avez réfléchi à cette...

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Sur la question de la consultation, pour moi, la consultation, c'est une chose importante, ça fait partie de ce que j'appellerais la transparence et ça fait partie aussi – je parle par rapport au public – d'un droit démocratique, je pense. Maintenant, comme organisation, le Protecteur du citoyen, il nous arrive exceptionnellement d'être consulté, par exemple, au niveau administratif par des gestionnaires ou des administrateurs qui ont l'intention d'élaborer ou de modifier des normes ou des directives. Ça arrive, mais je peux compter dans une année tout ça sur les doigts d'une main.

Sur le plan des projets de loi, j'ai évoqué plusieurs fois cette possibilité de trouver un mécanisme pour consulter le Protecteur du citoyen avant que le projet de loi ne soit déposé. Je n'ai jamais, en tout cas, à date, eu une écoute très forte là-dessus, une réponse très forte là-dessus. Un des problèmes, c'est que, quand un projet de loi est déposé, nous devons l'examiner à toute vapeur, et ainsi de suite. Moi, je pense qu'il y aurait intérêt pour l'administration, sur certains types de projets de loi, à consulter le Protecteur du citoyen. Parce que, vous savez, notre expérience, nous avons, comme organisation, 25, 26 ans d'expérience maintenant qui fait en sorte qu'on peut à la lecture d'une disposition législative prévoir les effets pernicieux ou insidieux que pourrait avoir telle disposition législative et lésionnaire, et qu'un jour on sera obligé d'intervenir dessus, le cas échéant. Et je pense que c'est une expérience et une expertise qui est là et qui est mal utilisée par les pouvoirs publics, enfin qui n'est pas utilisée par les pouvoirs publics.

(16 h 40)

Je comprends par ailleurs le principe de la séparation des pouvoirs et le fait que le pouvoir exécutif a son indépendance, que le Protecteur du citoyen, qui relève du Parlement, a son indépendance, son autonomie, que le Parlement a son autonomie, mais il n'en demeure pas moins que, si on parle de prévention, il serait important d'établir des mécanismes comme ceux-là. Je pense, en tout cas, moi, que, peut-être, ça éviterait – je dis bien peut-être – le genre de situations qui nous ont amenés à réfléchir, ce matin et cet après-midi, sur des interventions publiques sur des projets de loi s'il y avait de la consultation qui se faisait de manière préalable tout en respectant l'initiative et le pouvoir de l'exécutif de ne pas être d'accord avec le Protecteur du citoyen, ce qui est tout à fait son droit et son privilège.

Mais je pense qu'il y aurait certainement intérêt à faire en sorte que... Mais est-ce que c'est dû aussi à cette culture plus générale? Est-ce qu'on consulte souvent le Vérificateur général quand on veut améliorer ses processus de façon à augmenter l'efficience ou l'efficacité de l'administration? Je l'ignore. Mais je pense qu'on ne profite pas suffisamment de toute l'information disponible au gouvernement pour faire de la prévention.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Richelieu.

M. Simard: Juste...

M. Ciaccia: Pour faire un suivi sur la question du député de...

Le Président (M. Pinard): Complémentaire?

M. Ciaccia: Complémentaire.

M. Simard: Moi aussi.

M. Ciaccia: Bonjour, M. le Protecteur du citoyen. Sur la question de consultation, au-delà de la question qu'il y a une séparation de pouvoirs entre l'exécutif, l'administratif et le législatif, est-ce que vous ne croyez pas que, si vous étiez consulté, ça ne pourrait pas affecter un peu l'indépendance de l'ombudsman parce qu'il faut que vous mainteniez votre indépendance et votre objectivité complète vis-à-vis du gouvernement et vis-à-vis des citoyens? Est-ce qu'il n'y aurait pas un danger, si le gouvernement vous consultait sur un projet de loi, que vous donniez votre opinion, vos recommandations, et que, s'il y avait une plainte, après, d'un citoyen, il y aurait une tendance humaine, normale, de dire: Bien, on a consulté, on a recommandé ça. Alors vous regarderiez un peu différemment la plainte du citoyen. Tandis qu'en n'étant pas consulté vous maintenez complètement votre indépendance et votre objectivité face à l'application de la loi.

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Alors, je pense que votre question est tout à fait juste et pertinente. Vous savez, c'est tout le problème que nous avons quand on veut faire de la prévention et qu'on fait des analyses systémiques. Jusqu'où doit-on aller dans nos recommandations? Il y a plusieurs approches possibles. On peut très bien dire: On n'est pas d'accord sur telle disposition de la loi pour telle raison. On peut très bien aller plus loin et dire: On n'est pas d'accord pour telle raison, mais on vous propose une alternative qui pourrait permettre d'atteindre les résultats, mettons, en préservant l'intégrité des droits.

On a le même problème quand on étudie un système. Tout à l'heure, je parlais du système de l'aide financière aux étudiants; jusqu'où doit-on aller dans nos recommandations? Parce que, si on se positionne en disant qu'il faut faire ci, qu'il faut faire ça, c'est sûr que, la nature humaine étant ce qu'elle est, comme vous le dites, ça va être difficile de reculer. Mais, là-dessus, je pense aussi que c'est une question de juste milieu. Vous savez, le rôle du Protecteur du citoyen n'est pas de se substituer à ceux ou celles qui élaborent des politiques, pas plus que de se substituer aux gestionnaires qui, eux, ont l'expertise pour mettre sur pied des systèmes. Chose certaine, c'est qu'au minimum on peut dire que tel élément d'un programme ou d'une loi est susceptible de créer des injustices ou des irritants inutiles. On peut aller un peu plus loin, et, là aussi – ça me fait penser un peu à la discussion qu'on a eue ce matin – jusqu'où on doit aller? Où se situe la marge de manoeuvre?

Je peux vous dire une chose aussi, c'est qu'il est évident qu'on peut se tromper et, après ça, on serait pris avec nos propres décisions. Mais je peux vous dire que la culture au Protecteur du citoyen est telle que nous avons décidé, au Protecteur du citoyen, que nous pouvions changer d'idée, le cas échéant. Nous avons reconnu que nous pouvions faire des erreurs. Nous avons reconnu que nous avions un certain droit à l'erreur et, ce faisant, il faut accepter qu'on puisse faire des erreurs. Et, ce faisant, il est arrivé que nous ayons modifié nos positions, à l'occasion, dans certains dossiers. Enfin, moi, ce que je connais de la culture de l'organisation chez nous, étant donné son caractère particulier, peut-être, de cette censée supposée neutralité, objectivité, et ainsi de suite, c'est de ne pas se trouver pris avec ce que j'appellerais les précédents. En d'autres termes, ce que je veux dire, c'est qu'on peut très bien avoir pris position dans un dossier il y a quatre ans, qu'on a pu prendre cette position parce qu'on était mal informé ou parce qu'on avait une vision des choses qui était différente, et quatre ans plus tard on avait une meilleure information, on avait une vision différente des choses et on peut changer d'idée. Mais je dois dire qu'il y a toujours un danger. C'est de trouver le juste milieu, c'est sûr.

Le Président (M. Pinard): Dans la même veine, M. le député de Richelieu.

M. Simard: Bien, en fait, M. le député de Mont-Royal m'a presque arraché les mots de la bouche. Je pense que, ministre expérimenté, il sait que, lorsque l'on prend une décision, nécessairement elle risque un jour d'être critiquée. Et, puisque l'institution du Protecteur du citoyen est justement d'être vigilante face à toute décision, impliquer en aval, dès le départ, au moment de la législation, le Protecteur du citoyen comporte un certain nombre de risques quant à l'examen objectif des décisions et des législations qui seraient issues de ses recommandations.

Donc, pour la question que le député de Beauce-Sud et que le député de Laurier-Dorion acheminaient tout à l'heure, d'abord ce n'est pas depuis 14 mois que ces consultations ne se font pas, elles ne se sont jamais faites, et il y a une certaine raison à cela. Ceci dit, nous sommes, évidemment, sensibles aux arguments que vous évoquez. Et sans doute qu'il y a peut-être matière à évolution ou, en tout cas, dans certains domaines, il serait peut-être prudent de vérifier, surtout lorsque l'expérience du Protecteur du citoyen est patente dans certains secteurs, que le ministre concerné s'assure qu'il ne va pas, en tout cas, au devant nécessairement – comme dans le cas de la carte-soleil qu'évoquait le député de Chomedey – d'un échec en prenant une décision.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président...

Le Président (M. Pinard): Excusez-moi. Est-ce que c'est complémentaire, M. le député de Châteauguay?

M. Mulcair: De Chomedey.

Le Président (M. Pinard): Excusez-moi. Vous n'avez pas d'inondations, vous, dans votre comté.

M. Mulcair: Non, je vais laisser...

Le Président (M. Pinard): Alors, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. M. le Président, le Protecteur du citoyen a des pouvoirs de deux ordres que la loi lui confère: les pouvoirs curatifs, c'est ce qu'on retrouve à l'article 13 de la loi constituante et à l'article 27.3 des pouvoirs qui ont été ajoutés en 1987, lesquels sont des dispositions légales qui permettent à M. le Protecteur du citoyen de prévenir. C'est des pouvoirs de mise en garde sur la base d'expériences vécues ou encore strictement sur la base d'expériences que peut avoir le Protecteur du citoyen. M. le Protecteur du citoyen, lors de votre conférence de presse du 15 décembre – on y revient – y compris, également, évidemment, dans votre rapport annuel, vous avez abondamment questionné le gouvernement sur sa politique d'agression vis-à-vis les plus démunis. Également, vous avez sonné l'alarme quant aux pouvoirs qu'on vous a enlevés de votre capacité d'intervenir pour la protection de nos jeunes. Vous avez mentionné, et à la conférence de presse et dans votre rapport et aussi aujourd'hui, que vous étiez très inquiet sur, entre autres, d'autres attaques dirigées contre vos juridictions, à titre d'exemple, la déontologie policière. Et on vous soupçonne d'avoir le goût, peut-être, de ce côté-ci de la commission, d'en dire un peu plus quant à d'autres appréhensions.

(16 h 50)

Dans un premier temps, je vous inviterais, M. le Protecteur du citoyen, à nous indiquer si vous craignez, de façon précise, spécifique, d'autres atteintes dans différents secteurs d'activité que vous couvrez présentement? Alors, ça, c'est ma première suggestion: Est-ce que vous êtes inquiet sur d'autres facettes de vos prérogatives, de vos pouvoirs, de vos juridictions, semblable un peu à l'attaque à laquelle vous avez fait référence du Commissaire à la déontologie policière? C'est ma première suggestion, je vous demande d'élaborer, de commenter, s'il y a lieu, là-dessus.

Également, est-ce que vous considérez que l'article 27.3 de la loi devrait être renforcé, réajusté, pour que vous puissiez exercer vos interventions préventives avec plus de succès? Est-ce que vous avez assez de pouvoirs? Et je me répète, là, on parle d'interventions préventives. Est-ce que 27.3 devrait être réajusté ou s'il est suffisamment... Les pouvoirs que vous avez en vertu de 27.3 sont-ils suffisants pour vous permettre d'exercer votre surveillance sur les gestes du gouvernement versus les pouvoirs curatifs que vous avez à l'article 13? Alors, 27.3, quant à moi, au moment où on se parle, en 1996, au Québec, c'est peut-être encore plus important que les pouvoirs que vous détenez en vertu de l'article 13. Alors, est-ce que 27.3 vous donne suffisamment de pouvoirs ou si vous souhaiteriez avoir des pouvoirs additionnels ou des modifications quelconques à 27.3 qui vous permettraient de mieux exercer encore vos importantes fonctions, M. le Protecteur du citoyen?

Le Président (M. Pinard): M. le Protecteur, on vous écoute.

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Sur la première question, vous me demandez si j'ai des craintes ou si j'anticipe d'autres secteurs de l'activité gouvernementale où on contesterait la compétence du Protecteur du citoyen. Je peux vous dire que je n'ai pas de craintes comme telles, au moment où on se parle, je n'ai pas de motifs. J'ai un motif, mais c'est un motif rétrospectif. En d'autres termes, je constate que depuis quelque temps on ferme la porte de plus en plus au Protecteur du citoyen. Je me dis: Est-ce que c'est le simple fruit du hasard ou une tendance qui va augmenter avec le temps, étant donné que la reddition de comptes, selon moi, est de plus en plus difficile de la part de l'administration sur ses façons de faire, et ainsi de suite? Alors, ma réponse: Non, je n'ai pas de craintes, je n'ai pas entendu dire, à ce stade-ci, qu'il y avait d'autres secteurs où on fermerait la porte ou on tenterait de la fermer. Mais ce que je peux vous dire, sur une base d'observations que je fais, c'est qu'il est possible que ça continue et que ça s'amplifie, étant donné que depuis un an et demi, si je regarde, dans l'espace d'un an et demi, là, deux ans, nous avons notamment une contestation de la part du directeur de l'état civil sur nos pouvoirs d'enquête, une contestation sur le Commissaire à la déontologie policière, qui est tout à fait plus récente, contestations qui ne sont pas réglées, et en plus, entre-temps, un secteur complet qu'on enlève au droit de regard du Protecteur du citoyen. Mais je ne voudrais pas non plus faire du «wishful thinking». Je vous dis qu'à chaque fois que ça se produira je le dirai publiquement parce que, selon moi, c'est véritablement entraver le processus démocratique.

M. Lefebvre: M. le Président, avant de répondre à la deuxième question, spécifiquement sur la contestation du Commissaire à la déontologie, M. le Président, Me Jacoby – et c'est une question que je vous avais posée en début d'après-midi – précisément quand, comment s'est faite cette contestation? Parce que je vous le dis tout de suite, moi, j'ai l'intention, jeudi de cette semaine, de questionner M. le ministre de la Sécurité publique spécifiquement sur ce cas précis, et vous comprendrez que j'ai besoin de détails précis au cas où M. le ministre ne serait pas informé aussi bien que l'est M. le député de Richelieu, qui nous a rassurés, cet après-midi, en disant que, d'aucune façon, il n'appuierait, ni lui ni ses collègues, le ministre de la Sécurité publique ou son gouvernement dans les ingérences reprochables en regard de votre pouvoir, M. le Protecteur du citoyen, que vous avez présentement quant à la surveillance du Commissaire à la déontologie policière. Alors, vous avez gagné beaucoup, aujourd'hui, vous êtes déjà rassuré et par l'opposition officielle, évidemment, et par les ministériels. Et j'espère et je prends pour acquis que le ministre de la Sécurité publique, jeudi, nous confirmera que vos craintes ne sont pas justifiées. Alors, j'aurais besoin, évidemment, de détails les plus précis possible, pour questionner le ministre, jeudi.

Le Président (M. Pinard): Alors, est-ce que vous êtes en mesure de donner réponse...

M. Jacoby (Daniel): Oui. Je pourrais dire que je déposerai au Secrétariat des commissions dès demain les détails de cette affaire tout en préservant l'anonymat du plaignant.

Le Président (M. Pinard): Que nous pourrons communiquer au ministre.

M. Lefebvre: Merci. Alors, ma deuxième question, l'article 27.3, est-ce que c'est suffisant? Ça vous donne assez de pouvoirs pour bien exercer votre responsabilité préventive.

M. Jacoby (Daniel): Oui. Je crois que 27.3 et même l'interprétation que l'on fait de 13 font en sorte que nous avons suffisamment de pouvoirs pour agir de manière préventive. Je crois que la problématique n'est pas une question au niveau du pouvoir, mais basé strictement sur notre capacité d'intervenir. En d'autres termes, vous savez, pour faire ce genre d'intervention préventive, collective et systémique, il nous faut, chez nous, développer véritablement une façon de faire et avoir des expertises que nous n'avons pas toujours au moment où on se parle. Parce que notre organisation, par le passé, a été orientée vers le curatif, plutôt que de régler des cas individuels. Mais on a réalisé très vite qu'il fallait aller au fond des choses et régler les causes profondes des problématiques plutôt que de s'attaquer continuellement au règlement des dossiers individuels. Alors, je dirais que c'est plutôt une question de ressources, M. le Président. La législation nous donne suffisamment de pouvoirs depuis 1987. C'est une question de ressources.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Richelieu.

M. Simard: Pour non pas répondre, mais aller dans le sens des remarques du député de Frontenac et pour le rassurer, je pourrais peut-être recommander à cette commission qu'à la fin de nos travaux, avant de nous quitter demain, nous puissions faire une recommandation visant à confirmer ou invitant le ministre à confirmer la compétence du Protecteur du citoyen à l'égard des organismes s'occupant de déontologie policière. Nous n'avons, de ce côté-ci, aucun problème avec cela. Qu'un individu, quelque part, ait pris l'initiative de contester votre rôle... Et vous le disiez à propos, ce matin, que, si l'on demandait à chacun si, dans un monde idéal, il préférerait ne pas vous avoir sur son dos, la plupart diraient oui. Mais la volonté du ministre là-dessus n'a jamais été exprimée dans le sens des craintes qui sont légitimes mais qui, à mon avis, n'auront pas de suite. Alors, si l'opposition se sentait plus rassurée avec une recommandation de la commission, nous serions prêts, nous, de ce côté-ci, à regarder ça avec attention.

Le Président (M. Pinard): Oui, M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: M. le Président, je vais peut-être dire tout de suite au président de la commission que nous n'aurions aucun problème, demain, avant la fin de nos travaux, à reprendre cette idée-là puis, justement, de viser à inclure cette recommandation, entre autres, dans le rapport qui sera acheminé à l'Assemblée nationale. J'accueille très favorablement cette initiative du président, M. le Président.

M. Lefebvre: Un président extrêmement alerte.

Le Président (M. Pinard): À l'écoute des concitoyens. Ha, ha, ha! M. le député de Vachon?

M. Payne: Pas avant mon ami de Frontenac, si vous voulez.

(17 heures)

Le Président (M. Pinard): Bon. O.K. Alors, nous allons poursuivre nos travaux. Je cède la parole au député de Chomedey.


Effet de la loi 198 sur l'imputabilité de la haute fonction publique

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Je tenais à demander au Protecteur du citoyen de préciser sa pensée de tout à l'heure lorsqu'il a affirmé devant cette commission que, selon lui, le travail de «oversight», le pouvoir de surveillance et de contrôle que peuvent dorénavant exercer, entre autres, les membres de cette commission en vertu de la loi 198, ça n'avait pas donné de résultats. Ça m'a un peu surpris parce que, tantôt... Pour avoir été administrateur d'État au moment de l'adoption de la loi 198, je peux assurer le Protecteur du citoyen que ça avait... «it got their attention», et que cette commission a l'intention d'exercer son mandat et de recevoir l'ensemble des personnes sous son égide. Et je suis surpris par sa déclaration de tantôt. Peut-être qu'il peut nous donner plus d'informations pour étaler sa position à l'effet que ça n'aura pas de résultats concrets sérieux.

Le Président (M. Pinard): Me Jacoby.

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Oui, je vais préciser ma pensée. Tout le mécanisme d'imputabilité de la haute fonction publique ne donnera pas les résultats escomptés ni à court ni à moyen terme, et je vais vous expliquer mon point de vue. Je vais vous donner différents exemples.

D'abord, le mécanisme d'imputabilité, c'est un mécanisme de reddition de comptes. En principe, en vertu de ça, on est responsables comme administrateurs de l'application des programmes gouvernementaux. On parle des dirigeants d'organismes, on parle d'organismes gouvernementaux, on parle des sous-ministres et, aussi, leurs collaborateurs. Alors, il faut bien penser que... On s'est posé la question: Sur quoi va porter la reddition de comptes? Si vous avez une organisation qui fonctionne sur la base du respect des normes et des processus, ce qui est le lot de la plupart des administrations gouvernementales, devant une question que pourraient poser les parlementaires: Comment se fait-il que, dans telle affaire, le citoyen, il y a une injustice, on est tous d'accord avec ça, et puis comment se fait-il que vous n'ayez pas traité le citoyen correctement, lui donner le service, et ainsi de suite? la réponse automatique, la réponse de l'administration, c'est de dire: J'ai suivi les normes et j'ai suivi les processus. Le système gouvernemental de l'appareil public n'est pas fait pour se responsabiliser. Au contraire, les normes et les processus font en sorte qu'on contrôle le respect des normes mais ça ne garantit en aucune manière qu'il y a des résultats. Et ça, c'est déjà une culture à l'échelle gouvernementale qui est très lourde de conséquences.

Si, par exemple, je ne sais pas, vous avez un accident qui est causé sur une route qui est sous la compétence de la voirie provinciale, puis que les gens reprochent à la voirie de ne pas avoir, mettons, déneigé en temps utile, et que l'administration va vous répondre: Mais nous avons suivi nos processus, que voulez-vous répondre? On ne peut pas être en faute. On ne peut pas commettre d'erreurs. C'est comme ça que fonctionne l'appareil public, puisqu'on a suivi des processus.

Et, maintenant, on a trouvé un autre truc. On a dit: C'est fini, l'autorité administrative par des normes et des processus, on va maintenant pousser l'imputabilité jusqu'à créer l'obligation de résultat. Ce qui fait que l'on crée des organisations, ce qu'on appelle les centres autonomes de gestion: la perception fiscale, la CARRA, les services de messagerie puis le transport aérien du gouvernement... On a créé trois organisations qui sont censées avoir plus de marge de manoeuvre et être garantes des résultats. Mais ça dépend ce que vous entendez par résultat.

Si je prends la perception fiscale, c'est évident que, les résultats, c'est parce que le gouvernement ou les administrateurs vont décider qu'on va ramasser cette année tant d'argent au niveau des taxes et des impôts. En supposant que la cible soit, je ne sais pas, pour les fins de la discussion, pour ceux qui ne paient pas d'impôt, d'une récupération, la prochaine année, de 500 000 000 $ ou de 1 000 000 000 $, ou peu importe, c'est ça, l'obligation de résultat. Je vais pouvoir dire: Oui, j'ai atteint ou je n'ai pas atteint. Mais, ça, ça ne change en rien le respect des droits. Comment va-t-on faire pour atteindre ces résultats-là? Moi, ma crainte, et ce que je constate depuis que c'est en vigueur, c'est que, pour atteindre des résultats financiers comme ça, on arrondisse les coins sur le plan de la protection des droits.

Je vais vous donner un autre exemple, la structure gouvernementale. La structure gouvernementale, les paliers hiérarchiques font en sorte qu'il y a une dilution complète de la responsabilité. Vous savez, dans une organisation, il y a plusieurs paliers hiérarchiques par voie de délégation. Il va sans dire que, si on regarde le problème à la base de la pyramide, rendu en haut, ce n'est plus un problème. En tout cas, il y aura des explications que chaque gestionnaire à son palier hiérarchique aura apportées dans le dossier. Et le sous-ministre aura... À la base, c'était un problème; rendu à ce niveau, ce n'est plus un problème. En tout cas, ça s'explique, parce que nous avons, dans la culture gouvernementale administrative, la religion de l'explication. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on peut tout expliquer, le mal comme le bien. On va expliquer qu'on a suivi des normes, on a suivi des processus. On va expliquer que, selon l'analyse que nous avons faite à l'interne et avec tous les spécialistes que nous avons à l'interne, tout a été fait correctement, et ainsi de suite et ainsi de suite.

La déresponsabilisation horizontale, maintenant. Aujourd'hui, l'appareil public est tel que les dossiers sont segmentés. Un même dossier est segmenté entre différents spécialistes, professionnels, tables de travail, peu importe. Dilution de la responsabilité, aussi. On ne peut plus, dans l'appareil public, mettre le doigt sur quelqu'un de responsable. Ce n'est plus possible. Je vais vous donner un exemple. Quand il y a eu des problèmes l'année passée avec toute la question des subventions aux garderies, quand un nouveau système a été mis en place avec le nouveau système informatique, et on sait le désastre que ça a créé, bon, ultimement, qui était le responsable? Je vais vous le dire qui était le responsable: un algorithme. Un algorithme, c'est mathématique. On ne peut pas tenir un algorithme responsable. On a toujours des explications. L'appareil public est ainsi fait qu'il peut tout expliquer et ne jamais être responsable de ce qu'il fait, à moins d'une faute absolument très grave.

Le Président (M. Pinard): En complémentaire, M. le député.

M. Mulcair: Oui. Écoutez, comme on dit en anglais, «only time will tell». Parce que c'est vrai que 198, son application commence, malgré le fait que la loi elle-même est adoptée depuis un certain temps, son application, du moins, je l'entends dans le sens de cette surveillance qu'entendent exercer les commissions parlementaires sur un très grand nombre d'organismes et de ministères qui sont de leur compétence.

Je comprends l'explication que vient de donner le Protecteur du citoyen mais je ne partage pas sa conjecture, sa manière de prédire les choses. Et, comme je disais au début, on saura une fois qu'on aura fait l'exercice. Je suis persuadé que le sous-ministre qui a retenu la firme, ou le dirigeant de l'organisme qui a retenu la firme, qui a travaillé le contrat, qui a décidé que c'était cette firme-là qui allait mettre le nouveau système d'informatique en marche et qui a tout piloté ça à travers le Conseil du trésor pour s'assurer que les fonds étaient là, etc., etc., je suis convaincu que cette personne-là... c'est qu'il y a un responsable pour l'algorithme auquel le Protecteur du citoyen réfère. Et, pour ma part, je demeure persuadé que 198 est une bonne idée.

(17 h 10)

Mais, de la même manière que tout à l'heure, lorsqu'on parlait d'un exemple: comment on fait pour obtenir des directives – on a échangé là-dessus, le Protecteur du citoyen s'est montré très ouvert et j'entends donner suite à son invitation en ce qui concerne cette directive-là. Je mentionnais que, bon, peut-être on pourrait faire, parallèlement à ça, quelque chose avec la Commission d'accès à l'information. Il me vient à l'esprit, M. le Président, une idée qu'il vaudrait peut-être la peine d'étudier de part et d'autre. Le Protecteur du citoyen voit des cas qui ne sont pas nécessairement de sa compétence et qu'il doit justement référer, et vous l'avez mentionné tout à l'heure, M. Jacoby, vous avez rappelé – et je partage votre désarroi devant ce fait – que vous n'avez plus compétence en matière de protection de la jeunesse et, de plus en plus, on sait comme vous qu'il y a des problèmes de non-respect des ordonnances en matière de protection de la jeunesse, par exemple, une ordonnance d'être vu par un psychologue, des choses comme ça. C'est carrément... Ils regardent ailleurs, ils font autre chose, ils ne répondent pas, ils n'obtempèrent pas à l'ordonnance en matière de protection de la jeunesse.

Mais je pense qu'il y a une certaine synergie qu'il serait souhaitable de développer entre le Protecteur du citoyen et les commissions parlementaires, parce que, malgré le fait que certaines choses échappent pour l'instant au travail et à la compétence du Protecteur du citoyen, eh bien, à ce moment-là, peut-être qu'il y aurait moyen de dire: Écoutez, les législateurs, vous m'avez confié un mandat dans tel, tel, tel domaine; voici mon rapport, puis, par ailleurs, je vous ai déjà mentionné que, dans d'autres provinces, dans d'autres juridictions, c'est plus étendu, et voici quelques exemples de ce qui est en train d'échapper à ma compétence. Mais, vous savez, en vertu de 198, vous pouvez poser des questions là-dessus. Parce que, veux veux pas, le système même du Protecteur du citoyen constitue un pôle d'attraction pour les plaintes du public et, qu'elles soient acheminées souvent par des groupes sociaux, des organismes communautaires, des bureaux de députés, entre autres, et on ne peut pas toujours y répondre, bien, peut-être qu'une certaine rétroinformation à l'endroit des commissions parlementaires, du côté ministériel, et de l'opposition, s'il vous plaît, pour ne pas que tout soit perdu d'un côté, et qu'on puisse regarder ça ensemble, ce serait peut-être une manière intéressante de procéder. Qu'en pensez-vous, M. Jacoby?

M. Jacoby (Daniel): Bien, d'abord, sur la question de l'imputabilité, ce que j'ai dit, je n'ai pas dit que c'était mauvais, les mécanismes mis en place pour la... J'ai dit qu'on n'aura, selon moi, on n'aura pas les résultats escomptés à court terme et à moyen terme. Ça va prendre des changements aussi sur la manière de fonctionner à l'intérieur des organisations pour que, véritablement, ou puisse être assuré de services efficaces et justes de la part des services publics, de l'administration.

Sur l'autre question, il est évident que le Protecteur du citoyen peut apporter de l'eau au moulin, même dans les domaines où il n'a pas compétence, parce que, même si nous n'avons pas compétence... quand on parle de compétence, on n'a pas le droit d'enquêter; ça ne nous empêche pas de réfléchir et d'avoir l'information, et c'est pour ça qu'il m'arrive à l'occasion d'intervenir pour dire que, dans tel secteur, ça prendrait des mécanismes de protection, et ainsi de suite. La seule chose, c'est qu'on n'a pas le pouvoir d'enquêter. Ça ne nous empêche pas d'avoir des réflexions et de penser.

Bon. Maintenant, je pense que la loi 198 a été conçue et a été modifiée en 1995, d'ailleurs, pour y inclure, outre le Vérificateur général, le Protecteur du citoyen, et je pense que le Protecteur du citoyen, étant donné qu'elle est libellée de cette façon-là... On dit: «La commission parlementaire compétente de l'Assemblée nationale entend au moins une fois par année le ministre, si celui-ci le juge opportun et, selon le cas, le sous-ministre ou le dirigeant d'organisme afin de discuter de leur gestion administrative et, le cas échéant, de toute autre matière de nature administrative relevant de ce ministère ou organisme et signalée dans un rapport du Vérificateur général ou du Protecteur du citoyen.» Alors, ça, ça veut dire, à toutes fins pratiques, que la commission parlementaire peut demander au Protecteur du citoyen de venir exposer son point de vue devant la commission, sauf que j'y vois quand même un certain problème. C'est qu'on dit ici: «toute autre matière de nature administrative relevant de ce ministère ou organisme et signalée dans un rapport du Vérificateur général». Là, si je prends l'interprétation large de la Cour suprême du Canada et que je dis: Ça comprend même les secteurs qui sont sous la responsabilité du ministre, même s'ils ne sont pas sous compétence d'enquête du Protecteur du citoyen, ou l'approche plus restrictive, qui va dire que le Protecteur du citoyen ne serait pas compétent de parler en commission parlementaire sur d'autres secteurs que... Ça, je pense que ce n'est pas un problème de Protecteur, c'est un problème de commission.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Richelieu.

M. Simard: Oui, je peux faire suite un peu aux commentaires du député de Chomedey. Je suis étonné, d'ailleurs, que l'opposition officielle ne défende pas plus ardemment l'existence de cette loi qu'elle a fait adopter et qui n'a pas encore eu, vous le remarquez vous-même, la chance de vraiment être testée. D'ailleurs, c'est l'intention de cette commission de la tester très bientôt, puisque nous avons l'intention de recevoir, au cours des prochaines semaines, plusieurs dirigeants d'organismes, sous-ministres, devant nous.

La loi 198, il faut le rappeler, c'est la gestion administrative, d'abord. Les responsables d'organismes et les sous-ministres sont imputables de leur gestion administrative et l'un ou certains des aspects de cette gestion administrative comprennent notamment le suivi des recommandations du Vérificateur général et le suivi des rapports du Protecteur du citoyen. Il me semble qu'il y a là, non pas la garantie de succès, mais au moins une étape complémentaire de plus de vérification par les parlementaires, la possibilité de demander des comptes à ceux qui, quotidiennement, prennent des décisions qui affectent les citoyens. Je suis un peu étonné de voir que vous regardez tout ça avec un scepticisme qui presque annule dans votre esprit la chance du législateur d'arriver à des résultats. Je pense qu'il faut donner à cette loi la chance de faire ses preuves. Elle n'est certainement pas une panacée universelle. Elle ne résoudra pas tous les problèmes, tout le monde le sait. Il y a beaucoup d'autres étapes qu'il faudrait franchir pour que la transparence et l'imputabilité soient la marque de commerce de l'administration publique. Mais il y a là un premier geste, une première façon d'aborder les problèmes, et je suis un peu déçu de voir que vous ne faites pas beaucoup confiance à cette façon de voir.

Le Président (M. Pinard): Commentaires en réplique, M. Jacoby?

M. Jacoby (Daniel): Je vais répéter ce que j'ai dit tout à l'heure. J'ai dit que, au contraire, je considère que le Parlement n'exerce pas suffisamment son droit de regard sur les activités administratives de l'État, et je pense qu'il est important qu'on mette sur pied des mécanismes qui permettent aux parlementaires d'exercer leur pouvoir sur l'administration. Ce que j'ai dit tout simplement, c'est que je ne crois pas que ça, qui est absolument essentiel, donne les résultats escomptés à court ou moyen terme. Donc, je me dis, si je prends le langage économique, je ne pense pas que ça donne des résultats avant cinq ans, mais je pense que c'était absolument essentiel.

Le Président (M. Pinard): Autres interventions? M. le député de Beauce-Sud.


État de la curatelle publique

M. Quirion: Merci, M. le Président. Étant donné, Me Jacoby, que je suis aussi porte-parole du Curateur public, j'aurais peut-être une couple de questions là-dessus. Surtout dans une lettre qui était adressée au ministre de la Justice en janvier 1995, la députée péquiste de Terrebonne dénonçait les problèmes apparemment chroniques et les pratiques du Curateur qui semble agir dans de nombreux dossiers au mépris de sa propre loi. Est-ce que votre expérience auprès de cet organisme vous permet de confirmer ou d'infirmer des problèmes chroniques ou des pratiques illégales? Le cas échéant, que recommanderiez-vous au ministre responsable?

M. Jacoby (Daniel): C'est une question précise et très large aussi. Je vais demander à la directrice générale des enquêtes, Me Hudon, qui supervise de très près le secteur de la curatelle publique, de répondre à votre question.

Le Président (M. Pinard): Me Hudon.

Mme Hudon (Frances): Si vous pouviez être un peu plus spécifique, parce que «pratiques illégales» en ce qui a trait aux dossiers qui sont sous enquête présentement, je n'ai pas eu de cas semblables. Dans l'ensemble, on peut dire qu'il y a eu quand même une certaine amélioration depuis plusieurs années au niveau du Curateur public. C'est certain qu'on demeure avec certaines questions d'ordre systémique qu'on regarde présentement, comme toute la question du tarif, la question de consentement aux soins et autres choses semblables. Si vous pouviez m'éclairer plus précisément.

Le Président (M. Pinard): M. le député, est-ce qu'on est en mesure de donner un petit peu plus de précisions pour avoir une réponse?

M. Quirion: Je l'ai pris dans le journal. Moi, j'ai vu cette lettre-là qui a été envoyée...

(Consultation)

M. Quirion: En tout cas, ce serait pour m'informer s'il y a d'autres problèmes dans ce sens-là, si ces problèmes-là sont encore existants, s'ils sont connus, s'ils sont...

(17 h 20)

Mme Hudon (Frances): Il y a toujours certains cas où on va intervenir par rapport à certains types de délais pour faire accélérer la prise de décision. Il y a toujours certains cas où il peut y avoir eu une certaine négligence. Mais, en général, je ne peux pas dire que le Curateur a un fonctionnement illégal. Il y a aussi la question d'un manque de ressources en ce qui a trait à tout ce qui est le mandat de protection de la personne, tout ce qui est personnalisé, quand on sait le nombre de personnes qui sont quand même sous la juridiction du Curateur public et ce que ça demanderait en termes de ressources pour donner un consentement éclairé.

Là arrive quand même la question de ce qui peut être fait par rapport à ce qui ne peut être fait. Et, comme vous le savez, il y a toutes les restrictions, aussi, budgétaires dans le réseau. Alors, on se retrouve avec un certain problème, effectivement. Je pourrai vous donner ou déposer à la commission les commentaires généraux sur la situation avec le Curateur public.

M. Quirion: O.K.

Le Président (M. Pinard): En complémentaire, peut-être. Concernant la loi sur le régime de protection, il y avait des délais qui étaient mentionnés dans la loi pour refaire toutes les curatelles privées. Est-ce que, effectivement, le Curateur public y a donné suite et les délais sont-ils respectés?

Mme Hudon (Frances): Disons que toute la réforme du système a amené, malheureusement aussi, une judiciarisation et n'a pas eu les effets escomptés, c'est-à-dire que les familles, par exemple, reprennent à leur compte les curatelles, les «privées» si vous aimez mieux. Alors, ce qu'on constate, c'est qu'étant donné la situation familiale, globalement, le Curateur reste responsable d'énormément de tutelles et curatelles privées.

Le Président (M. Pinard): Puis-je me permettre également de vous demander si, effectivement, il y a des délais, que les délais sont toujours aussi longs devant le protonotaire pour l'obtention des curatelles privées?

Mme Hudon (Frances): Là, il faudrait que je vérifie.

Le Président (M. Pinard): Est-ce que vous avez des plaintes à ce sujet-là?

Mme Hudon (Frances): Sur cette question-là, ma collègue me précise qu'effectivement ça a augmenté. Mais dans quelle proportion? Il faudrait que je vous revienne là-dessus.

Le Président (M. Pinard): Merci. M. le député de Chomedey.


Plaintes concernant le ministère de la Justice

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Dans un domaine connexe de l'administration de la justice, M. le Protecteur du citoyen, on remarque qu'en 1993-1994, aux termes de votre rapport annuel, il est noté qu'il y avait 123 plaintes fondées. Un an plus tard, en 1994-1995, ce nombre est porté à 369, soit exactement trois fois plus. Est-ce que vous avez formulé des recommandations récentes sur un ministère que vous connaissez fort bien, bien entendu? Est-ce qu'il y a quelque chose de spécifique que vous prévoyez comme intervention pour stopper l'augmentation du nombre de plaintes auprès de ce ministère?

M. Jacoby (Daniel): Au ministère...

M. Mulcair: De la Justice.

M. Jacoby (Daniel): ...de la Justice. Je pense que la grosse partie des plaintes originent dans la mise en oeuvre du programme de l'état civil.

M. Mulcair: O.K.

M. Jacoby (Daniel): Je pense que c'est ça qui a fait le gros des plaintes. Et nous sommes en train de finaliser un autre rapport, sur l'administration de la Direction de l'état civil, qui devrait être terminé au mois de juin. Alors, l'état civil, ça a été le gros. Ensuite, il y a eu les problèmes d'accès téléphonique aux petites créances. Il y a eu les délais sous le régime du percepteur des pensions alimentaires; la perception des amendes aussi, la politique en matière de perception des amendes.

M. Mulcair: Justement, à propos des petites créances, est-ce que vous pourriez nous indiquer si vous avez eu spécifiquement des plaintes depuis que, au cours de l'été, on a aboli le service de perception à la Cour des petites créances? Il y a plusieurs éditorialistes qui sont intervenus là-dessus pour dénoncer cette coupure. À notre sens, c'était une coupure qui était invraisemblable. Pour sauver 500 000 $, on coupait un service qui avait fonctionné très bien pendant 25 ans et on remettait par la porte d'en arrière les avocats dans la Cour des petites créances. On trouvait ça vraiment une aberration et on avait tout fait pour essayer de faire comprendre au ministre que c'était une erreur. Avez-vous eu d'autres échos ou remarques là-dessus ou en avez-vous à nous formuler aujourd'hui?

M. Jacoby (Daniel): Effectivement, dans cette réforme-là, nous sommes intervenus pour dire que ça ne pouvait pas fonctionner, et même que, maintenant, les petites créances vont devenir pratiquement inutiles. Parce qu'il suffit de s'asseoir sur une décision puis de refuser de l'exécuter pour forcer d'autres parties à utiliser tout le système judiciaire. Alors, pour moi, c'est une décision qui aura des effets pernicieux à moyen terme sur l'administration des petites créances. Par ailleurs, à date, nous n'avons pas eu encore de plaintes, là-dessus, mais je suis à peu près sûr qu'on en aura dans le sens où je l'indiquais lorsque la législation a été adoptée. On a des plaintes actuellement sur la question de l'accès téléphonique aux petites créances, mais pas sur l'autre affaire. Mais le jour où le créancier d'un jugement va réaliser qu'il est impossible de l'exécuter, sauf à des frais absolument incroyables...

M. Mulcair: Un peu comme vous, nous, on effectue sans arrêt des sondages tout à fait non scientifiques, mais juste le nombre d'appels sur des dossiers donnés dans nos comtés nous donne parfois, justement, une idée de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Puis il y a une autre coupure récente, comme vous le savez fort bien, parce que vous l'avez aussi commentée à l'époque, les coupures très, très importantes qui sont intervenues à l'Office de la protection du consommateur. Et, là-dessus, un appel typique que, nous, on reçoit dans le comté... les gens viennent nous voir pour qu'on fasse du travail vraiment très technique pour eux autres, avec leurs plaintes, etc., puis on leur dit: Mais pourquoi vous n'êtes pas allés voir l'Office de la protection du consommateur? Et on nous répond que l'Office de la protection du consommateur leur dit maintenant: Bien, nous, on n'a plus les moyens, on ne peut plus vous aider, allez vous trouver quelqu'un pour faire ce document-là pour vous. Est-ce que ces informations correspondent à ce que vous vivez dans vos...

M. Jacoby (Daniel): Oui, parce qu'il y a des gens qui s'adressent chez nous, qui se plaignent formellement, puis d'autres qui appellent pour exprimer leurs commentaires. Et nous avons ce genre de commentaires là aussi, évidemment.


Méthode de traitement des cas de personnes en difficulté

M. Mulcair: Je vais utiliser le prétexte de votre dernière réponse pour vous poser une autre question. Vous l'avez dit avec votre humour qu'on vous reconnaît, que, parfois, les gens expriment de toutes sortes de manières leurs commentaires. Pour avoir, comme vous le savez, vécu plusieurs années à la tête d'un organisme qui a une fonction d'information auprès du public mais, aussi, qui doit répondre à des plaintes, du moins indirectement, parce que, dans le domaine des professions – je réfère donc à l'Office des professions du Québec – c'est, en premier lieu, l'ordre professionnel qui est censé donner satisfaction aux plaintes du public, et en faisant enquête le cas échéant, et en portant plainte devant le comité de discipline ou devant une autre instance, et seulement exceptionnellement ça revenait à l'Office des professions du Québec... Mais j'ai constaté pendant ce travail-là qu'il était vraiment difficile parfois de traiter avec certains cas. Parfois, il était question de personnalité. La personne a du mal à l'exprimer ou l'exprime avec une telle violence parfois même que c'est très difficile pour les personnes qui sont responsables de ces dossiers-là de donner suite ou de continuer à traiter avec la personne. Mais j'ai aussi pu constater que ce n'est pas nécessairement parce que la personne l'aborde d'une manière qui est vraiment très difficile à suivre que la personne a nécessairement tort.

Vous avez fait référence tout à l'heure au travail que vous faites auprès des organismes et ministères, vous et votre équipe. Vous pouvez y aller des fois et leur dire: Écoutez, si vous changez votre manière de procéder, ça va diminuer de beaucoup les plaintes du public. C'est un peu comme quelqu'un qui aide une entreprise privée à s'adapter à l'ISO 9001, hein? Il y a des gens qui se spécialisent là-dedans: On va changer vos procédés, faites ceci comme ça; ça va diminuer le nombre de difficultés. Est-ce que, par le passé, vous avez déjà organisé des séances de formation dans les organismes et ministères directement, par exemple, pour partager votre expérience avec les cas difficiles: comment traiter un cas difficile, comment traiter un personnage qui vous aborde de cette manière-là? Je sais qu'avec Bernard Perusse, qui écrit «Gazette Probe», qui reçoit toutes sortes de demandes... Aussi, on a souvent échangé pour constater qu'on avait parfois les mêmes cas difficiles. On les connaissait, puis il souriait, puis il disait: Bien, Daniel Jacoby m'a dit que telle ou telle personne était rendue chez lui aussi. Mais, encore une fois, ce n'est pas nécessairement le cas que ces personnes-là n'ont pas un point de vue valable à faire valoir ou une difficulté réelle parfois exacerbée par leur manière de l'aborder, bien entendu, mais pas dénuée de fondement. Avez-vous procédé à ce genre de travail de formation dans les organismes et ministères? Et, sinon, est-ce que c'est quelque chose qui pourrait éventuellement aider?

(17 h 30)

M. Jacoby (Daniel): Je dois vous dire que ces programmes sont connus des ministères et organismes. Même chez nous, nous avons, au niveau de notre personnel, invité des spécialistes sur le traitement ou la manière de traiter avec les personnes qui sont en difficulté. Alors, chaque ministère ou organisme est au courant, par sa direction du personnel, de ces programmes-là. Alors, je ne suis pas allé pour parler, pour montrer comment on traite avec les personnes dans les cas difficiles. Ce n'est pas mon rôle. Par contre, souvent lorsque je suis invité dans les ministères et organismes, je vais expliquer comment on peut régler certains types de problèmes, mais pas relier... Vous savez, le traitement des personnes difficiles, ça relève beaucoup de la psychologie puis de la psychiatrie, et ce sont des situations qui doivent être traitées par des spécialistes. Cependant, nous sensibilisons régulièrement les ministères et organismes. Parce que, des fois, il y a des ministères qui nous arrivent et qui nous disent: On n'est plus capables de le voir. Puis on m'appelle. C'est le président, Daniel Jacoby, on m'appelle: On n'est plus capables de le voir, on n'est plus capables de l'entendre; est-ce qu'on ne pourrait pas l'empêcher de fonctionner puis de déposer des plaintes? Alors, évidemment, je dis: Non, ce n'est pas comme ça qu'on va régler le problème. Alors, je mets en garde les ministères et organismes contre cette tentation que peut avoir l'administration, parfois, de penser à des moyens drastiques pour éviter ce genre de personnes qui sont en difficulté.

M. Mulcair: Merci.

Le Président (M. Pinard): Je serais porté à vous dire que c'est tellement humain. Je pense que, tous ici, nous avons eu l'occasion de pratiquer et, malheureusement, la situation que vous nous soulevez, je pense qu'il y a sûrement ici... Je crois que tous et chacun, nous avons déjà eu à vivre, malheureusement, ces situations où certains clients, on aime mieux les envoyer chez nos confrères et consoeurs.

M. Simard: Ou dans le parti d'en face.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Pinard): Alors, je cède la parole au député de Richelieu.

M. Simard: Une simple remarque, puis je vais la faire régulièrement, je le sens, dans les prochains mois, et je sais qu'on l'a faite toute l'année. Concernant une remarque du député de Chomedey, les demi-millions d'économies sont ce qui fera que, peut-être, on atteindra les milliards qui sont nécessaires pour rétablir l'équilibre des finances publiques. Deuxième remarque sur la question des modifications à la loi des petites créances, sur l'exécution des jugements, si tous les malheurs qui avaient été annoncés par l'opposition lors de l'adoption de cette modification s'étaient réalisés, sept mois plus tard vous auriez déjà probablement des centaines de plaintes. Vous me dites que ce n'est pas encore arrivé. Je pense qu'il peut peut-être y en avoir, mais ça n'a pas pris, en tout cas jusqu'à maintenant, les proportions catastrophiques qui nous avaient été annoncées.

Le Président (M. Pinard): Alors, autres interventions?

M. Mulcair: Oui, M. le Président. Sur cette question des coupures aux petites créances, je pense que le député de Richelieu a manqué une partie de la réponse du Protecteur du citoyen, parce qu'il nous disait, effectivement: Il n'y a pas eu de plaintes, disant: Ah! le système de perception n'existe plus. Mais ce qu'il a aussi dit, c'est que ça ne fait pas assez longtemps que ça a été adopté pour que les gens commencent à réaliser qu'ils vont se faire faire le tour du Code de procédure civile, ils vont commencer à être obligés d'aller chercher des avocats pour aller faire l'exécution et tout le tralala qui a été mis en place. Je demande au député de Richelieu...

M. Simard: On verra.

M. Mulcair: ...de bien retenir la date et l'heure, parce que, moi, je les retiens, puis je vais sortir le Hansard pour lui remettre ça à l'occasion, une fois qu'il sera ministre de je ne sais pas quoi avec le nouveau gouvernement qui s'annonce dans les prochaines semaines.

Le Président (M. Pinard): Alors, M. le député de Chomedey, je vous... Si j'étais dans la position du député de Richelieu...

M. Mulcair: Et, vous aussi, vous serez ministre sans doute, M. le Président.

Le Président (M. Pinard): ...je vous remercierais de cette nomination.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Simard: Il est généreux, le député de Chomedey.

Le Président (M. Pinard): À ce stade-ci, est-ce qu'il y a d'autres interventions? M. le député de Beauce-Sud.


État de la curatelle publique (suite)

M. Quirion: Merci, M. le Président. Pour revenir à la question de la curatelle, ma question par rapport à la curatelle publique plus spécifiquement consiste à savoir si, effectivement, il y a des problèmes ou non. Parce que, si je me réfère à la lettre de la députée de Terrebonne en date du 13 janvier 1995 et adressée au ministre de la Justice, qu'il y avait apparemment des problèmes chroniques... Est-ce que ça peut éclaircir davantage? Il y avait des problèmes particuliers à la curatelle.

Mme Hudon (Frances): Certains problèmes de système, effectivement, mais...

M. Quirion: Ce n'est pas précisé comme tel.

Mme Hudon (Frances): Est-ce que ce serait possible d'avoir une copie de la lettre?

M. Quirion: Oui. O.K. J'aurais peut-être une autre question. Dans un quotidien du Québec, le Journal de Québec , entre autres, du 6 février 1995, on rapportait que le Curateur public exigeait parfois des honoraires exorbitants. Est-ce que vous avez eu des plaintes par rapport à ça?

Mme Hudon (Frances): Effectivement. Sur cette question-là, on est en étude systémique. Nous avons des rencontres avec le Curateur public, et M. Jacoby, d'ailleurs, a dénoncé à plusieurs reprises le fait que les tarifs lui apparaissaient exorbitants, et on regarde toute la question de modalités possibles de la tarification. Mais on n'a pas terminé l'enquête, quand même, sur cette question-là. Or, ça fait partie, comme je vous ai dit, d'ailleurs, tout à l'heure, d'une des questions, d'une des analyses que l'on fait présentement.

M. Quirion: O.K.

Le Président (M. Pinard): M. le député de Frontenac.


Indemnisation pour dommages lors de perquisitions injustifiées

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. M. le Protecteur du citoyen, depuis de nombreuses années... J'en parle même si mes collègues d'en face pourraient tout de suite m'indiquer que c'est une vieille histoire; semble-t-il, ça remonte à aussi loin qu'il y a six ou sept ou huit ans. Vous avez, à plusieurs reprises au cours des dernières années, demandé au gouvernement d'indemniser les citoyens qui auraient été perquisitionnés par erreur ou encore... Le cas classique, c'est le propriétaire dont le locataire est perquisitionné et, à l'occasion de la perquisition, on force des serrures, on défonce des portes et, alors, en deux mots, on cause un dommage.

M. Boulerice: Octobre 1970...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Ha, ha, ha! On cause un dommage. Et, selon les informations qui apparaissent dans votre rapport, M. le ministre de la Sécurité publique, en poste depuis septembre 1994, n'aurait pas à date, malgré les engagements pris en campagne électorale de gouverner d'une autre façon, n'aurait pas bougé à date sur cette demande répétée et, on s'en souvient, à plusieurs reprises par vous et d'autres intervenants, M. le Protecteur du citoyen. Pourriez-vous nous indiquer où en sont les discussions? Est-ce qu'il y a des discussions? Est-ce qu'on a, à tout le moins, répondu à votre demande? Est-ce qu'on vous a fait des propositions de légiférer pour régler ce problème dont vous parlez aux gouvernements, au pluriel, depuis trop longtemps? Et je vous répète que j'aurai l'occasion de transmettre vos demandes à M. le ministre jeudi.

M. Jacoby (Daniel): Effectivement...

Le Président (M. Pinard): On voit qu'il y a une séance de travail qui se prépare. M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Effectivement, j'ai eu l'occasion de saisir le ministre de la question, qui a été réexaminée encore une fois par l'appareil administratif, et j'ai reçu, au début de novembre, une réponse de la part du ministère me disant que ma demande n'était pas justifiée pour différentes raisons. Qui plus est, quelques jours avant Noël, j'ai reçu une lettre du sous-ministre de la Sécurité publique m'accusant, à toutes fins pratiques, de dire des mensonges dans le rapport annuel. Ce dossier n'est pas terminé parce que je considère que...

M. Lefebvre: J'espère.

(17 h 40)

M. Jacoby (Daniel): ...encore une fois, l'administration trouve des explications mais ne justifie pas ses positions. Et elle nous invoque des arguments avec lesquels il n'y a pas un citoyen, un citoyen moyen qui peut être d'accord avec les explications qui sont données. Conséquemment, j'ai l'intention, et j'ai avisé le ministre par écrit, de rencontrer le ministre dans les prochaines semaines pour refaire une discussion sur ce dossier-là et, si on ne me donne pas d'autres arguments que ceux qu'on m'a traditionnellement invoqués depuis plusieurs années, je vais être dans la position de faire un rapport spécial à l'Assemblée nationale.

M. Lefebvre: Les dommages dont vous parlez, M. le Protecteur du citoyen, est-ce que ce sont des dommages strictement matériels ou si vous pensez à des dommages moraux pour... Si, par hypothèse, il y a une perquisition qui s'avère injustifiée parce que, subséquemment, la plainte aurait été rejetée, est-ce que vous considérez que la procédure de perquisition en soi qui s'avérerait subséquemment – je me répète – injustifiée parce que la plainte étant rejetée... Est-ce que vous considérez – et c'est votre opinion que je veux avoir – que la personne injustement perquisitionnée aurait droit à des dommages moraux pour trouble, pour inconvénient, pour humiliation, au-delà des dommages matériels causés à la propriété?

M. Jacoby (Daniel): Disons que, pour la très grande majorité des plaintes qui nous sont référées, la problématique ne se pose pas de cette manière-là. Il s'agit généralement de situations où les...

M. Lefebvre: Le propriétaire dont le locataire a été perquisitionné.

M. Jacoby (Daniel): C'est ça.

M. Lefebvre: Ça, c'est le cas classique.

M. Jacoby (Daniel): Ça, c'est le cas classique, et je dirai que la presque totalité ce sont ces cas où, finalement, les gens réclament des indemnités pour les dommages causés parce qu'ils sont tout à fait étrangers à ce qui est arrivé, et c'est surtout là-dessus que portent les problèmes, les dommages matériels de petits propriétaires qui n'ont pas la couverture tous risques ou qui ne peuvent pas y accéder, tout simplement.

M. Lefebvre: Oui. Est-ce que je pourrais vous demander, M. le Protecteur, de déposer demain la correspondance à laquelle vous avez fait référence tout à l'heure avec le ministre et son sous-ministre, autant vos demandes que les réponses?

M. Jacoby (Daniel): Oui.

M. Lefebvre: Merci.

Le Président (M. Pinard): Autres intervenants. M. le député de Beauce-Sud.


Pacte social État-citoyen

M. Quirion: Oui. Merci, M. le Président. M. Jacoby, dans votre rapport annuel de l'an dernier, 1993-1994, vous avez élaboré sur un pacte social, une sorte de charte État-citoyen. Dans le rapport annuel de cette année, 1994-1995, vous reprenez chacun des éléments de ce pacte et fournissez aussi des exemples de cas portés à votre attention. Selon votre pacte social, quelle serait, à votre avis, la meilleure façon pour le gouvernement de faire un ménage dans le processus gouvernemental? Et comment ce pacte social peut-il être mis en application pour apporter des résultats concrets?

M. Jacoby (Daniel): Le pacte social est le fruit de l'expérience que nous avons acquise au bureau du Protecteur du citoyen depuis un quart de siècle sur les dysfonctionnements de l'administration et, au fil des années, nous avons été appelés à rechercher les causes des dysfonctionnements, des ratés et des injustices qui étaient commises pour aller beaucoup plus au fond des problèmes. Les règles qui sont dans le pacte social sont des règles qui permettraient, si elles étaient appliquées, de faire en sorte qu'on ait un meilleur service de la part de l'administration publique.

Maintenant, il y a différentes façons d'aborder la question. Il y a la question tout simplement de dire à l'administration: Voyez ceci et tâchez de vous élaborer des politiques pour mettre en oeuvre... tenez compte des différents indicateurs qui sont dans le pacte social. Et il y a des choses d'une grande simplicité là-dedans. Je me permets d'en citer quelques-unes: fournir en temps utile au citoyen une information adéquate et accessible – ça, c'est élémentaire; instaurer des services d'accueil et de renseignements qui adoptent une approche personnalisée et respectueuse des individus et qui tiennent compte également des limites de la clientèle âgée ou handicapée ainsi que des barrières linguistiques. C'est une série de recettes, à toutes fins pratiques.

Ce que je peux dire, c'est que ce pacte social, il a commencé à influencer certaines organisations. On s'en sert un peu pour modifier nos politiques, les politiques de services à la clientèle. Mais, si je fais une analogie avec la politique qui avait été adoptée par le gouvernement en 1991 pour l'amélioration de la qualité des services à la clientèle, je pense que ce pacte social n'aura pas plus de vertu ou d'impact que la politique, qui était une politique non contraignante, qui avait été adoptée en 1991 par le gouvernement.

Je pense donc qu'à l'instar de ce qui s'est fait dans plusieurs pays il est venu le temps d'adopter une législation pour baliser l'action de l'administration qui soit contraignante et qui leur impose d'ajuster leurs politiques suivant un certain plan, un échéancier, de façon à ce que les objectifs qui sont là ou ailleurs puissent être atteints dans un délai raisonnable. Je pense qu'on en est rendu là, et pas seulement au Québec.

Le Président (M. Pinard): En complémentaire, M. le député de Beauce-Sud? Est-ce qu'il y a d'autres interventions?

Une voix: Non, je ne pense pas.

Une voix: Demain, M. le Président.

Une voix: Demain.

Le Président (M. Pinard): Alors, à ce stade-ci...

M. Lefebvre: On pourrait continuer, mais le député de Richelieu veut arrêter, alors...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Pinard): Si vous le permettez, nous allons ajourner nos travaux à demain matin, 10 heures. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 17 h 48)


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