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Version finale

37e législature, 1re session
(4 juin 2003 au 10 mars 2006)

Le mardi 20 janvier 2004 - Vol. 38 N° 23

Consultations particulières sur le projet de loi n° 35 - Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-sept minutes)

Le Président (M. Simard): Nous sommes réunis afin de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 35, Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Létourneau (Ungava) est remplacé par M. Côté (Dubuc).

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Pardon?

Le Secrétaire: Excusez-moi, M. le Président, on m'informe que Mme Papineau (Prévost) est remplacée par M. Bédard (Chicoutimi).

Organisation des travaux

Le Président (M. Simard): Très bien. Merci. Vous m'avez aussi fait savoir, M. le secrétaire, qu'il y avait des modifications... au moins une modification à l'ordre du jour. Alors, pourriez-vous nous préciser, en ce début de journée, quel sera le véritable ordre du jour?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Bien, j'informe cette commission que, à partir de 9 h 30, la commission entendra Me Bernard Cliche suivi, à 10 h 30, de Me Jean Mercure; à 11 h 30, ce sera l'Association de la construction du Québec. Et, après la suspension de 12 h 30 à 14 heures, nous entendrons le Regroupement des accidentés de la route du Québec; à 15 heures, Me Jacques Forgues, président du TAQ; à 16 heures, Mme France Houle; et, finalement, à 17 heures, la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec.

Le Président (M. Simard): Alors, le changement, c'est que le Jeune Barreau, qui devait être en après-midi, s'est désisté...

Le Secrétaire: C'est bien ça.

Le Président (M. Simard): ...et c'est donc Me Forgues qui sera avec nous.

Le Secrétaire: Qui remplace.

Auditions (suite)

Le Président (M. Simard): Qui remplace, voilà. Merci beaucoup. Alors, nous sommes prêts à commencer nos travaux. Alors, notre premier invité, c'est Me Bernard Cliche. Mais, un seul Dieu en trois personnes, il ne vient pas seul, il est accompagné de Me François Bouchard. Il avait un autre accompagnateur tout à l'heure, mais, à la table, vous ne serez que deux. Alors, vous aurez la gentillesse de nous résumer ou de nous présenter l'essentiel de votre mémoire au cours des 20 prochaines minutes, à la suite de quoi, alternativement, la partie ministérielle et l'opposition entameront avec vous un dialogue. Alors, Me Cliche, je vous invite à commencer dès maintenant.

MM. Bernard Cliche et François Bouchard

M. Cliche (Bernard): Alors, bonjour. Effectivement, je suis accompagné de François Bouchard, qui est avocat et qui oeuvre dans le secteur de la justice administrative depuis une quinzaine d'années.

n (9 h 40) n

En ce qui me concerne, j'avais mis à l'annexe, pour ceux qui ne me connaissent pas, quelques notes relativement à mes activités professionnelles. Vous allez voir que j'oeuvre, en ce qui me concerne, en droit administratif depuis plus de 25 ans, en réalité depuis 1975. C'est un secteur que j'aime énormément, que je connais assez bien pour notamment y avoir enseigné ce domaine-là, le droit administratif, à l'École du Barreau, à Québec, pendant une quinzaine d'années, notamment la Loi sur la justice administrative. J'ai enseigné également à l'Université Laval, au niveau de la maîtrise, un cours en santé et sécurité au travail et j'ai publié une douzaine d'ouvrages, souvent en collaboration, concernant le droit administratif soit pur et dur, comme l'injonction ou les recours extraordinaires, ou beaucoup plus spécialisé, comme en santé et sécurité au travail ou en accidents de travail, maladies professionnelles.

Je pratique... j'ai fait partie aussi de différents comités du Barreau, là, notamment celui devant la commission Ouellette. Et je pratique couramment. À tous les jours encore, je suis devant soit la Commission des lésions professionnelles ou d'autres tribunaux administratifs. Et c'est cet intérêt-là qui m'a amené devant vous, et je profite de l'occasion pour vous remercier également de m'avoir invité.

Je vais résumer mes propos écrits que l'on retrouve au mémoire, comme vous l'avez souligné, M. le Président. Mais j'estime, dans un premier temps, qu'on ne peut pas étudier le projet de loi n° 35 sans tenir compte du contexte historique dans lequel ce projet de loi là se situe. Il y a un contexte historique qui est double à mon avis. D'abord, dans un premier temps, la Loi sur la justice administrative que l'on connaît maintenant, en réalité on en retrouve certains des principes qui évoluent depuis quelques centaines d'années, je dirais, puisque notre droit public, au Québec, est un droit public d'origine anglaise qui s'est développé souvent avec les règles de la «common law», et règles que l'on a importées ici, au Québec.

Pour n'en citer qu'une, il y a la règle du devoir d'agir équitablement de l'administration publique, le «duty to act fairly», que vous connaissez et qui est maintenant codifiée à la Loi sur la justice administrative en regard des tribunaux administratifs, bien sûr. Il y a eu plusieurs principes qui ont été codifiés. Par exemple, la règle de l'audi alteram partem, que l'on retrouve à l'article 23 de la Charte des droits, est le principe, là, de tribunal indépendant que l'on retrouve à l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, que je cite à la page 2 de mon mémoire et qui est une disposition législative fondamentale, puisqu'on l'a érigée en principe constitutionnel ou quasi constitutionnel et qui dit ce qui suit: «Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant.»

Outre ces grands principes de droit constitutionnel là d'origine britannique, au Québec, il s'est développé au fil des ans, tous partis politiques confondus, une approche commune en regard de la justice administrative. Depuis une trentaine d'années... Et j'ai vu que le Pr Garant vient devant vous dans quelques jours. Le Pr Garant a étudié ces questions-là beaucoup plus que moi. Il a été même mandaté, je crois, par le ministre Bégin pour lui soumettre une réforme, proposition qui a donné lieu à l'adoption de la Loi sur la justice administrative. Mais il reste que, depuis une trentaine d'années, il y a eu une multitude de rapports, commissions d'enquête et autres portant sur la question de la justice administrative et qui ont donné lieu à des tentatives, dans un premier temps, d'adoption de lois qui n'ont pas eu de succès.

D'abord, le ministre Marx s'y est essayé, puis le ministre Rémillard, et le premier qui a réussi ? réussi en partie, je dirais ? c'est le ministre Paul Bégin qui a fait adopter la Loi sur la justice administrative et qui était une grande avancée ? je le souligne ? dans le secteur du droit administratif et du droit public québécois. Et une partie des règles, que je mentionnais tantôt, de droit public anglais ont été codifiées. Et on en a profité pour regrouper un ensemble de tribunaux administratifs. Bien que le ministre Bégin dans son... que j'ai ici, la Loi sur la justice administrative, projet de loi n° 130, prévoyait le regroupement de la CALP à l'époque et du TAQ, il n'y est pas parvenu. Mais il a quand même fait avancer, je dirais, si je peux m'exprimer ainsi, la question du droit administratif en regroupant l'ensemble des autres tribunaux administratifs québécois.

La réforme proposée, en ce qui me concerne, va dans le sens des grands principes que l'on... ou de la spécificité que l'on... principes que l'on peut rattacher aux tribunaux administratifs. Parmi ces caractéristiques-là, aux grands principes, il y a la spécialisation, et le projet de loi n° 35 ne fait pas reculer, au contraire, l'état du droit sur cette question-là, puisqu'il perpétue la règle de la spécialisation. Il y a la question de la célérité également qui est abordée par le projet de loi n° 35, célérité qui, quant à moi, va se retrouver, en pratique, confortée par deux principes: premièrement, la régionalisation; et, deuxièmement, une conciliation, un recours à la conciliation plus grande pour ce qui est du TAQ. La proximité également, donc la régionalisation, je le disais tout à l'heure. Et, bien sûr, le maintien de la simplicité des procédures, procédures à faibles coûts et suivant une procédure accélérée et peu formaliste.

Pour moi, le coeur de la réforme, si je peux m'exprimer ainsi, c'est... on le retrouve à l'article 18. Pourtant, il a quelques mots, l'article 18, mais ça dit que les commissaires ? maintenant les décideurs ? vont devenir inamovibles, et cette inamovibilité-là, pour moi, est un principe fondamental. Pourquoi? Parce que ce n'est pas qu'une question théorique, c'est une question qui constitue un préalable essentiel à l'atteinte des objectifs d'impartialité et d'indépendance auxquels le citoyen est en droit de s'attendre lorsqu'il s'adresse à un tribunal. Moi, je suis souvent devant les tribunaux administratifs, je vous le dis, et souvent, une fois que la cause est terminée, porte close, le commissaire va me dire: Écoutez, il me reste six mois, moi, avant d'être renouvelé, je suis inquiet, est-ce que je vais être renouvelé? Et, quand on discute, on demande à cette personne-là de trancher entre l'État et le citoyen, ça n'a pas de bon sens que de lui laisser, entre guillemets, ce statut-là, si je peux m'exprimer ainsi.

En passant, deux parenthèses. Le projet de loi parle, M. le Président, de membres d'un tribunal administratif. Je pense qu'on devrait revenir à la notion du juge administratif. C'est comme si on avait peur d'appeler un chat un chat. Demandez à votre entourage, là: Aimez-vous mieux... aimes-tu mieux que ta cause soit entendue par un membre ou par un juge? J'ai fait le test, vous allez voir la réponse, il n'y en a pas beaucoup qui vont vous dire: Par un membre. Ils vont vous dire: Par un juge. Pourquoi? Parce que, au Québec, «membre», ça n'a aucune espèce de résonance. «Tribunal» égale «juge». «Juge administratif» devrait être le terme utilisé. Et il n'y a pas de honte à ça, puisqu'on leur donne en même temps des caractéristiques d'inamovibilité et autres d'un tribunal.

Deuxième parenthèse, le mode de sélection. Actuellement, on a un mode de sélection, c'est comme si on choisissait des cadres supérieurs de la fonction publique. Or, on choisit des juges administratifs, et le type de concours auquel, moi, j'ai pu prendre... Je n'ai jamais appliqué, mais j'ai vu un peu puis j'en ai entendu beaucoup parler surtout, eh bien ça favorise des catégories, ça défavorise d'autres catégories. Et ça défavorise particulièrement les praticiens en région, les gens qui n'ont pas le temps, hein, de se préparer pendant des journées de temps à préparer des concours qui sont souvent très théoriques. Alors, je vous invite à revoir les règles de nomination et de sélection des candidats. Et ce n'est pas juste théorique, c'est éminemment pratique.

Un mot sur la conciliation. La conciliation, d'autres que moi ont dû vous le dire, mais je vous le redis, c'est la clé de la célérité et la clé du succès si on veut ramener les délais à des délais raisonnables. Particulièrement devant la division TAQ par rapport à CLP, si on veut, là, dans l'état actuel des choses, on doit recourir systématiquement à la conciliation. Nous autres, on le fait tous les jours avec succès pour tout le monde. À part de ça, quand on a un jugement... une décision en conciliation, bien tout le monde est content, hein, les deux bords. Puis, quand on a un jugement, bien d'habitude il y en a un des deux qui n'est pas content.

Pour ce qui est de la décentralisation, l'article 77 du projet de loi consacre le principe là, ce principe. Je suis d'accord avec ça, et ça va permettre... Particulièrement, la CLP est fortement décentralisée, mais pas le TAQ, entre autres parce qu'il y a une question de volume derrière ça. Puis je regardais juste... Parce que je sais que le député de Chicoutimi est intéressé activement par ces questions-là de justice. Mais, dans son comté, je crois qu'il y avait autour de 380 dossiers TAQ. Ce n'est pas assez pour avoir un bureau régional. Par contre, la CLP en a autour de 900 000. Alors, additionnez les deux, et vous l'avez, votre volume suffisant. Et pourquoi pas... pourquoi on permettrait... on accorderait à des gens qui ont un accident de travail d'être entendu en région plus facilement et puis pas à quelqu'un qui a un accident d'automobile? Ça n'a pas de bon sens, puis la logique voudrait que l'on procède donc à cette régionalisation-là de façon importante.

J'aborde maintenant la question de la section des lésions professionnelles parce que je sais qu'elle est au coeur de vos débats, je sais que des gens disent: Bien, devrait-on ou pas fusionner les deux tribunaux, et ainsi de suite? Moi, je suis, j'allais dire, presque farouchement favorable au rapprochement des deux tribunaux. Le rapport Garant le suggérait, mais d'autres rapports aussi l'ont suggéré. Le ministre Bégin, dans son projet de loi n° 130, je le disais tantôt, dans sa première version, le prévoyait. Et les motifs à la base de cette fusion-là n'ont pas changé aujourd'hui, quelques années plus tard. Il y a plusieurs facteurs qui militent en faveur de ce regroupement-là. J'ai nommé tantôt la régionalisation, le volume que ça pourrait donner, mais je dirais qu'historiquement la Commission des affaires sociales, qui entendait en appel les questions d'accidents de travail, est devenue le TAQ, et donc la logique aurait voulu qu'on continue comme ça, dans un premier temps.

n(9 h 50)n

Mais, deuxièmement, on va vous opposer et on va vous dire la question... le domaine des accidents de travail est un domaine de relations de travail. C'est inexact. Au Québec, le domaine des accidents de travail, comme partout ailleurs en Amérique du Nord, est un domaine... en réalité, un «no fault» d'origine de droit civil. Nos régimes d'indemnisation d'accidents de travail remontent au début du XXe siècle. Et c'était comme ça d'ailleurs en France, en Angleterre, en Allemagne à la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle, c'était comme ça au Canada puis, je dirais même, aux États-Unis. Et donc on a troqué, en quelque sorte, la responsabilité civile contre un «no fault», et ce principe-là, que notre régime d'indemnisation des accidents de travail est un régime de droit civil, non pas un régime de relations de travail, a été consacré à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada et tous les auteurs. Il n'y a personne qui va vous dire que, juridiquement, c'est autre chose.

D'autre part, la Loi sur les accidents du travail n'est pas une loi de relations de travail, ce n'est pas une convention collective. On va vous dire: Écoutez, on a le droit à notre régime, c'est entre nous autres. Ce n'est pas exact. Une convention collective, en réalité, c'est un contrat privé puis qui a des effets publics à cause de la loi. Mais essentiellement c'est un contrat privé, et ce qui n'est pas le cas du domaine des accidents du travail. Il y a même un article, l'article 4, qui dit qu'on ne peut pas déroger par convention collective à la Loi sur les accidents du travail. Et en réalité les domaines d'exercice sont éminemment semblables. Quand on parle d'indemnisation, que ce soient les accidentés de la route, les accidentés du travail ou la Régie des rentes, ce sont souvent les mêmes experts, le même monde, les mêmes avocats, c'est vraiment... il y a une parenté de sujets qui est évidente.

Et je voudrais vous citer, si vous me permettez, rapidement le juge René Dussault qui prononçait une conférence devant l'Institut canadien de la justice administrative. René Dussault, pour ceux qui l'ignorent, est à la Cour d'appel du Québec, mais ça a été un des auteurs... Et il est encore fréquemment cité en droit administratif public. Il a été sous-ministre de la Justice ici, président de l'Office des professions, président de la commission Erasmus-Dussault sur le droit des autochtones. Et il disait sur le regroupement, je le cite: «Un tel regroupement favorise, en effet, la présence chez le tribunal concerné d'un certain nombre de facteurs susceptibles de justifier une application plus stricte des principes développés par la jurisprudence en matière d'indépendance judiciaire et une modulation à la hausse du niveau d'indépendance requis des membres.» On voit donc que, pour le juge Dussault, qui est à mon avis une sommité, là, canadienne, c'est un plus, entre guillemets, que de procéder au regroupement.

Quelques mots sur le paritarisme, et je vais passer la parole après à mon collègue. Le paritarisme, eh bien, c'est un peu, historiquement, un hiatus dans le secteur des accidents du travail. À l'époque, la Commission des affaires sociales, qui était le tribunal d'appel final ? fin des années soixante-dix, début des années quatre-vingt ? ne siégeait pas paritairement. Quand on a créé la CALP, elle ne siégeait pas paritairement non plus, en 1985. On avait du paritarisme, mais on retrouve d'ailleurs très peu de paritarisme, sinon pas du tout, à toutes fins pratiques, lorsqu'on parle d'un tribunal administratif final. On va retrouver le paritarisme au niveau intermédiaire. C'était le cas, avant, des bureaux de révision.

Alors, en transférant les membres patronaux et syndicaux avec l'abolition des BRP à la CLP, on a transféré ce paritarisme-là, mais avec un... on avait un problème, l'article 23 de la Charte que je vous ai mentionné tantôt. Alors, ce problème-là a été contourné, à mon avis... Je doute d'ailleurs... En tout cas, on pourra se poser des questions sur la validité juridique de ça, mais les membres ne peuvent pas être décisionnels, parce qu'on est devant un tribunal indépendant. Alors, on a dit: Ils vont être consultatifs. Puis là on vient vous dire en même temps: Bien, écoutez, ces gens-là vont aider les parties. Ils ne peuvent pas aider les parties, ce serait illégal de le faire. Donc, ils sont dans une situation un peu en porte-à-faux.

Enfin, au regard de la question du paritarisme, la spécialisation du tribunal, qui est nécessaire à un tribunal administratif, eh bien, comme caractéristique de la spécialisation, on n'y retrouvera pas le paritarisme. Actuellement, d'ailleurs, le TAQ est spécialisé, il n'est pas paritaire. On pourrait dire: Bien, écoutez, on va demander à des représentants d'associations d'assistés sociaux ou d'associations d'accidentés de la route de siéger. Puis ils ne siègent pas, puis ça n'en fait pas un tribunal qui n'est pas spécialisé, pas du tout. Vérifiez dans les autres juridictions canadiennes, à ma connaissance il y a peut-être une autre province où on a un certain paritarisme, là, mais c'est loin d'être la règle.

Puis en passant, en bout de ligne, il y a un danger à ça, c'est qu'à vouloir trop bien faire on fait mal. S'il y a trop de parties impliquées ? c'est un tribunal, c'est une loi d'ordre public ? bien on va arriver à ce qui arrive actuellement dans le domaine des accidents du travail, on va arriver avec des tendances jurisprudentielles, des courants. Suivant qu'on a un courant plus patronal ou plus syndical, bien le travailleur, lui, qui est le même, bien il n'aura pas le droit à la même base de salaire, il n'aura pas le droit à la même base d'indemnisation ou d'indemnité. Pour une loi d'ordre public, vous conviendrez avec moi que ça n'a pas de bon sens. Donc... Et je le dis ? moi, je travaille tous les jours avec ces gens-là ? avec respect pour les gens qui siègent comme membres patronaux, syndicaux, ils font leur possible, ils sont de bonne foi. Je n'en suis pas là, j'en suis au niveau des principes.

Je passerais donc la parole quelques instants, là... Il reste quelques minutes...

Le Président (M. Simard): J'allais vous le suggérer, sinon il ne lui restera plus de temps.

M. Cliche (Bernard): ...quelques minutes pour M. Bouchard.

M. Bouchard (François): M. le Président, M. le ministre, membres de la commission, ce ne sera que quelques courtes minutes, je n'abuserai pas de votre temps. Juste pour vous dire que, moi, je suis membre du Barreau depuis 1988 et je pratique quotidiennement devant les tribunaux administratifs et très régulièrement devant la Commission des lésions professionnelles depuis que j'ai commencé, finalement, à pratiquer. Alors, c'est vraiment à titre d'humble praticien que je me présente devant vous aujourd'hui, et je voudrais juste présenter rapidement trois aspects du mémoire.

Le premier élément, c'est celui du financement du nouveau tribunal administratif le cas échéant. Vous n'êtes pas sans savoir qu'actuellement la Commission des lésions professionnelles est financée par les employeurs québécois, par, évidemment, le système de cotisation à la CSST. Et on a vu ? et je pense que ça fait du sens ? qu'il y aura intégration des deux tribunaux, là, particulièrement en région. Il y a chez certains employeurs actuellement une crainte, qui, selon moi, je vous l'avoue humblement, est justifiée, que les employeurs québécois, dans ce processus-là, se mettent à subventionner un peu le Tribunal administratif du Québec un peu ou beaucoup. Je pense que c'est une question qui est sérieuse et importante, et on voulait la porter à votre attention.

Quant à certaines pistes de solution, je pense qu'il serait peut-être approprié qu'il y ait une méthode ou une méthode de calcul, quant au financement, qui soit proposée et discutée avec les différentes associations d'employeurs. Et on aurait pu, par exemple, penser à des méthodes qui se basent sur le nombre de dossiers traités, sur la durée de temps d'audience par différente division, le pourcentage de pieds carrés occupés. La méthode évidemment peut être perfectible, mais ce qui est important, c'est qu'on s'occupe de ce problème-là.

L'autre chose aussi dont il faudrait tenir compte, c'est évidemment qu'il y a eu des investissements qui ont été faits pour mettre sur pied la CLP. Il y a des immeubles évidemment dans chacune des régions du Québec, parfois importants, et il faudrait qu'on en tienne compte dans les calculs.

Et, autre chose, si, comme le projet de loi le propose, le paritarisme était réduit ou même éliminé le cas échéant, les coûts reliés à ce paritarisme-là, qui sont quand même relativement importants, là ? on parle de quelques millions de dollars ? devraient demeurer, si possible, affectés à la division des lésions professionnelles.

Deuxième sujet, que je voulais aborder rapidement ? et je pense que vous en avez entendu parler par d'autres avant moi ? c'est les délais de contestation. Je pense que l'objectif avoué du projet de loi ? et c'est un objectif qui est fort louable ? c'est d'accélérer le processus. Mais, avec respect, quand on regarde l'article 92 du projet de loi et les nouveaux articles 358 et 359, les délais qui sont proposés de contestation de décisions de la CSST semblent très longs, avec respect pour l'opinion contraire. On va de 90 jours en 90 jours, en 90 jours, et il est possible qu'entre une décision rendue de la CSST et le moment où le tribunal administratif a entre les mains le dossier de la CSST... On n'a même pas fixé d'audience encore, il y a un délai de 330 jours, ce qui est presque un an. Ça nous semble énorme. Alors, ce qu'on proposerait bien humblement, ce serait de ramener ce délai-là de 90 jours à... moi, j'irais pour 30 jours, là, entre 30 et 60 jours. On peut fonctionner très bien avec un délai de 30 jours, et vous raccourciriez ce délai-là de beaucoup.

Et il y a aussi le troisième paragraphe de l'article 359.1 qui propose un délai pour fournir une expertise médicale. Écoutez, je pense que ça rallonge peut-être inutilement. Et en pratique on ne voit jamais ça, et je pense que c'est des endroits où on pourrait réduire les délais.

Finalement, sans entrer dans les détails, vous savez que les bureaux d'évaluation médicaux sont contestés, et il faudrait peut-être aussi... Ce n'est peut-être pas nécessaire que les décisions qui font suite au BEM passent par le processus de la révision administrative. C'est toujours confirmé de toute façon, ça pourrait aller directement au tribunal administratif.

Et un dernier point très rapidement, M. le Président, à peine une minute, les révisions des décisions de l'inspecteur de la CSST. Vous savez que l'inspecteur de la CSST, c'est quelqu'un qui a beaucoup de pouvoir en droit québécois, il peut fermer un chantier, fermer une entreprise, il a un pouvoir qui est quasi réglementaire qui a été reconnu par la Cour d'appel, et évidemment les décisions, là, de cet inspecteur sont sujettes à révision. Mais actuellement, dans le projet de loi, c'est l'inspecteur qui, en première étape, révise lui-même sa propre décision, ce qui, pour un juriste, est un peu choquant. Que quelqu'un soit juge et partie, c'est curieux. Et ce qu'on vous soumet, c'est que les décisions de l'inspecteur devraient être, en contestation, acheminées directement au Tribunal administratif du Québec pour sauver du temps. Le tout respectueusement soumis. Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Vous êtes entré magiquement, à une seconde près, dans votre temps, Me Bouchard.

M. Bouchard (François): Avec votre aide, M. le Président. Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): J'en suis très heureux. Je suis toujours fasciné quand on reçoit ici des gens qui sont à la fois des chercheurs, des enseignants, des praticiens, ça donne des mémoires extrêmement intéressants. Je donne la parole immédiatement au ministre pour la première question.

n(10 heures)n

M. Bellemare: Merci, M. le Président. Alors, merci ? bienvenue ? Me Cliche, Me Bouchard, pour cette excellente présentation. Et je profiterai de l'occasion pour saluer Me Cliche, que je connais davantage comme adversaire que comme allié, puisque vous avez oeuvré et vous oeuvrez encore comme procureur patronal essentiellement, n'est-ce pas?

M. Cliche (Bernard): Absolument, oui. Et c'est vrai qu'on a été... on a eu de longs conflits l'un et l'autre.

M. Bellemare: Voilà. Et qui sont maintenant résolus, je l'espère, du moins.

Le Président (M. Simard): Le temps du gouvernement est maintenant du côté syndical, là. C'est intéressant.

M. Bellemare: Vous nous avez parlé de la fusion des deux tribunaux, et vous ajoutez l'opinion du juge Dussault qui a prononcé certaines conférences depuis quelques années relativement à l'opportunité de regrouper les tribunaux administratifs. Alors, le projet de loi n° 35 prévoit la fusion de la CLP et du TAQ dans différentes optiques, notamment la régionalisation qui serait facilitée bien sûr par le fait que ces deux tribunaux-là soient regroupés.

Concernant la question du financement, il en a été question la semaine dernière lorsque l'APCHQ s'est présentée ici, une association patronale de constructeurs d'habitations qui émettait un peu les mêmes réserves face à la fusion, non pas en termes de qualité de services offerts aux justiciables ? et particulièrement dans les régions, ce serait nettement plus avantageux ? mais par rapport au financement. Et les employeurs, dont l'APCHQ bien sûr, manifestaient certaines craintes quant au financement, de peur de devoir financer l'autre volet, c'est-à-dire l'actuel Tribunal administratif du Québec.

Et j'ai rassuré l'APCHQ en lui disant simplement qu'il m'apparaissait important d'assurer le plus possible l'étanchéité en termes de financement, pour la simple et bonne raison que le TAQ actuel est financé par les fonds publics et par les organismes, bien sûr, dont les décisions sont susceptibles d'être contestées devant le TAQ, et la CLP, elle, est financée par les employeurs. Donc, il y a une différence importante en termes de financement, et il est normal que, s'il y a des économies, elles profitent aux employeurs québécois.

Et c'est certain que, dans la mesure où le paritarisme occupe une place moins importante ou qu'il disparaît complètement, ce qui est aussi une hypothèse... Toutes les hypothèses sont sur la table, y inclus le statu quo, on les regarde attentivement actuellement. Mais, dans l'hypothèse où l'incidence paritaire était réduite, il m'apparaît tout à fait normal que les employeurs en profitent. Si le paritarisme coûte... actuellement, nos chiffres sont à peu près de 8 à 9 millions globalement, les salaires plus les coûts accessoires, comme les coûts administratifs, bien, s'il y a une diminution de l'incidence paritaire et qu'on passe de 8 à 3 millions, bien évidemment c'est normal que le 5 millions à mon avis profite aux employeurs québécois.

Même chose en ce qui concerne les coûts fixes. Par exemple, dans le cadre d'une éventuelle formule de financement, il est important qu'on décide qui va payer quoi. Mais actuellement, au Tribunal administratif du Québec, il y a une formule de financement qui s'applique, qui est négociée avec la Régie des rentes, le ministère de la Justice, la Société de l'assurance automobile qui contribuent en fonction de différents critères, notamment bien sûr l'achalandage, hein, l'utilisation de ce tribunal d'appel. Alors, il est normal à mon avis que, en ce qui concerne les coûts de la section des lésions professionnelles, il y ait une certaine étanchéité puis qu'il n'y ait pas de transit au plan budgétaire.

On peut également rassurer les employeurs en leur disant que, s'il y a régionalisation ? et c'est ce qui est hautement souhaité, à mon avis, par les Québécois ? les coûts de la régionalisation soient supportés par la section Tribunal administratif du Québec. En d'autres termes, c'est certain que, pour reprendre l'exemple de Chicoutimi que vous donniez tantôt, si le Tribunal administratif du Québec est décentralisé vers les régions et qu'il y a des juges administratifs, section Tribunal administratif du Québec, qui ont pignon sur rue à Chicoutimi, comme c'est déjà le cas pour les commissaires en matière de lésions professionnelles, bien à mon avis c'est normal que ce soit la section Tribunal administratif du Québec qui supporte les coûts de régionalisation. S'il y a des aménagements à faire en termes immobiliers, bien, que ce soit le nouvel arrivant, bien sûr, qui supporte les coûts parce que c'est lui qui arrive, et c'est non pas celui qui reçoit qui doit en principe supporter des coûts de ce nouvel occupant des locaux régionaux.

Ceci étant dit, j'irai tout de suite à la question du processus de nomination. Vous avez dit tantôt qu'à votre avis le processus de nomination était trop lourd actuellement et que ça favorisait certaines clientèles et que ça défavorisait les avocats qui seraient intéressés à postuler, les avocats qui proviennent des régions. J'aimerais que vous nous expliquiez ce que vous voulez dire par là.

M. Cliche (Bernard): Bien, si je prends peut-être le dernier concours de la Commission des lésions professionnelles, parce qu'on m'en a parlé à plusieurs reprises, la première partie, c'était la partie dite «in the basket». Je ne connais pas ça trop, trop, mais on a des lettres, on dit aux candidats: Il y a une situation x, là, et ils avaient un désastre environnemental, et vous avez des lettres sur votre bureau, vous êtes directeur de la ville, comment allez-vous faire? Première partie.

Après ça, il y avait une partie théorique, très théorique, des questions pointues, là. Moi, je vous avoue, là, je les aurais sans doute coulées, hein, puis je ne fais ça que depuis 25 ans et je dirais que, comme auteur, je suis incontournable. C'est sûr, si on m'arrive avec une sous-question technique, je ne le sais pas. Et il y avait aussi une autre étape où on mettait les gens dans une salle, puis là ils débattaient entre eux de questions, il y avait des gens derrière une vitre qui disaient: Bien, celui-là répond bien, celui-là ne répond pas bien.

Ça fait quoi, en pratique? Vous mettez sur le même pied, puis même vous avantagez des gens qui ont une culture livresque de ça, je n'ai rien contre ça, là, mais les bibliothécaires, les... Bon. Mais les praticiens, là, comme moi, ces concours-là, on risque de tout couler ça. Et ça met sur le pied tout le monde, ça ne tient pas compte du fait qu'on recherche un juge, donc quelqu'un qui pratique dans ce domaine-là ? c'est un tribunal spécialisé ? qui connaît ce secteur-là et qui le fait, peu importe le côté, là... peu importe, depuis des années, hein, depuis 10, 15, 20 ans. C'est ça qu'on recherche, puis d'ailleurs la loi parle de membres du Barreau depuis 10, 15 ans.

Et c'est un tribunal, ce n'est pas un directeur de service de la fonction publique. Donc, il faut que vous vous intéressiez à ce sujet-là. Autrement, je vous le dis, moi, je connais nombre de candidats ? peu importe, là, dans mon domaine, il y a ceux qui font plus des syndicats ou autres ? qui ont appliqué puis qui n'ont même pas pu passer à l'étape des entrevues parce qu'ils ont été bloqués là. Je ne peux pas continuer comme ça. Et, si on faisait ça pour les juges de la Cour du Québec, de la Cour supérieure, bien là on n'aurait pas les candidats qu'on a là, c'est certain... pas les candidats, mais les juges qu'on a là. Moi, je vous invite à vous enligner sur les critères retenus pour la Cour du Québec, c'est ça qu'on recherche.

Le Président (M. Simard): Mme la députée d'Anjou.

Mme Thériault: Merci, M. le Président. Me Cliche, Me Bouchard, merci d'être ici ce matin. Me Cliche, je vois que vous avez déjà été directeur du contentieux à la CSST, donc évidemment vous avez beaucoup d'expérience. J'aimerais vous parler de la conciliation. À la CSST, on sait qu'il y a 52 % des cas qui sont réglés par la conciliation devant la Commission des lésions professionnelles. Et, à la SAAQ et à la Régie des rentes du Québec, on parle de 10 % à 15 % qui sont réglés devant les tribunaux administratifs qui ont eu recours à la conciliation. J'aimerais avoir votre point de vue sur qu'est-ce qui peut expliquer cette différence entre les différents tribunaux? Est-ce que c'est une question de culture? Est-ce que c'est un manque d'ouverture devant le règlement à l'amiable? Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Cliche (Bernard): Dans un premier temps, vous avez parlé de mon passage à la CSST, c'est vrai, mais je me souviens qu'à l'époque il y avait un jeune stagiaire assez prometteur du nom de Marc Bellemare que j'ai connu dans ce temps-là, alors que j'étais moi-même jeune avocat. Pour ce qui est du volet conciliation, je peux parler de celui que je connais le mieux, à la CLP. Il est vraiment dans les moeurs. Peu importent les parties, la première question qu'on se pose, c'est comment y arriver? Alors, il y a une question de culture, pour répondre à votre question, et à mon avis, j'ai eu quelques dossiers récemment avec le TAQ, cette culture-là n'y est pas. D'abord, on a craint la conciliation pour je ne sais trop quelle raison et on ne l'a pas implantée de la même façon. On fonctionne souvent par conférence préparatoire, alors qu'on pourrait remplacer la conférence préparatoire par une séance de conciliation.

Donc, pour moi ? puis je vais demander à François peut-être de compléter, là ? j'insisterais beaucoup sur la culture. Il va falloir qu'on implante cette culture-là. Mais il y a des différences quand même. Évidemment, ça prend deux parties pour concilier aussi. Si, à la SAAQ, on décide ? je vous dis ça, là, je n'en sais rien ? qu'on fera peu ou pas de conciliation, ou à la Régie des rentes, bien là vous avez deux parties qui ne sont pas parties prenantes. Il faut donc que les parties, toutes, soient prenantes. Peut-être François veut ajouter quelque chose.

M. Bouchard (François): Ce que je voulais rajouter rapidement à cet effet-là: C'est effectivement un cas de culture. Et, moi, je n'ai jamais pratiqué devant les autres... devant le Tribunal administratif du Québec, mais je sais qu'au niveau de la Commission des lésions professionnelles les conciliateurs sont des gens d'extrême qualité qui prennent leur travail au sérieux et qui insistent et qui créent une dynamique. Il y en a dans chaque région. Et on sent que c'est favorisé de partout, les commissaires sont sensibilisés aussi. Donc, c'est une culture, mais une culture qui est appliquée et qui se donne les moyens d'exister. Donc, je pense que ce serait ça, là, la réponse.

M. Cliche (Bernard): Probablement une dernière intervention. Je sais que les conciliateurs vont venir devant vous, j'ai discuté un peu avec eux de leur mémoire ou de leurs prétentions. Moi, je les appuie. Dans la mesure où ils vont avoir un statut sérieux, reconnu, ils vont établir leur crédibilité, puis ils vont pouvoir concilier davantage.

Une voix: C'est un élément fondamental.

M. Cliche (Bernard): C'est un élément, oui, fondamental.

Mme Thériault: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Trois-Rivières, maintenant.

n (10 h 10) n

M. Gabias: Oui, bonjour, Me Cliche et Me Bouchard, merci de votre contribution. Sur le sujet de la décentralisation, là, je prends connaissance, ou du moins je cite dans votre mémoire, vous mentionnez: «L'article 30 du projet de loi, par la modification de l'article 77 de la Loi sur la justice administrative, précise que le juge administratif est assigné ? et là vous citez l'article ? "par le président du tribunal à l'une ou plusieurs des régions où le tribunal possède un bureau".» Et là vous mentionnez: «Si l'objectif est d'assurer ainsi la décentralisation, dans l'une ou l'autre des régions administratives du Québec, du tribunal administratif, je ne peux qu'appuyer cette mesure qui constitue également l'une des caractéristiques propres à un tribunal administratif ? c'est-à-dire ?  sa proximité avec le justiciable.» Est-ce que, selon vous, le texte actuel de l'article 30 est suffisamment clair pour assurer cette décentralisation-là ou si vous croyez qu'il mérite d'être précisé davantage?

M. Cliche (Bernard): En ce qui me concerne, il n'a pas besoin d'être précisé davantage, mais ça va dépendre... Évidemment, on donne la tâche au président de l'organisme, du tribunal, de veiller à cette décentralisation-là, donc il va y avoir une fonction administrative importante mais qui devra être exercée en regard de l'article. Moi, je me méfie toujours des textes trop longs, en passant, là, donc, pour moi, c'est suffisant.

M. Gabias: O.K. Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Groulx.

M. Descoteaux: Merci, M. le Président. Me Cliche, vous avez abordé brièvement dans votre mémoire la question du paritarisme. D'expérience, j'ai été impliqué au niveau des tribunaux d'arbitrage pendant au-delà de 17 ans et j'ai vu ce phénomène-là s'estomper au point que c'est devenu même exceptionnel qu'on ait des assesseurs au niveau des tribunaux d'arbitrage. À votre avis, à ce niveau-ci, est-ce que le paritarisme est source de lourdeur ou est-ce qu'en réalité c'est l'efficacité, là, à tous les niveaux, même avec un tel système?

M. Cliche (Bernard): Si vous le permettez, je vais demander à Me Bouchard de répondre. Il est tous les jours, et encore plus que moi, davantage, devant la CLP.

M. Bouchard (François): Merci, Me Cliche. Pour les gens qui n'ont pas le bonheur de fréquenter quotidiennement la Commission des lésions professionnelles, quand un travailleur ou un employeur s'y présente sur le banc, là, il y a quatre personnes, hein: il y a le commissaire qui décide, qui est parfois accompagné d'un médecin, et il y a un membre patronal et un membre syndical, le paritarisme. Et toutes ces personnes-là, à la fin d'un témoignage, peuvent poser des questions, et souvent le font. Donc, c'est sûr qu'à ce niveau-là il y a un alourdissement du processus. Par ailleurs, on voit souvent des dossiers qui sont ajournés, qui doivent être refixés à des dates plus tard ou quelque chose, et c'est sûr que, quand il faut convoquer quatre personnes juste au niveau du tribunal, là, ça alourdit le processus.

Donc, ma réponse à ça serait que, sans être catastrophique, c'est certain que le paritarisme n'allège pas le processus, et j'irai même jusqu'à dire que ça l'alourdit un petit peu. En matière de pourcentage, c'est peut-être difficile à dire, je vous dirais peut-être au moins de 10 % à 15 %, là.

M. Cliche (Bernard): Il reste que probablement qu'au niveau administratif la direction de la CALP pourrait vous en dire plus, puisqu'il faut gérer ce système-là. Il reste également que, devant la division, on l'oublie, mais du financement, la CALP n'est pas paritaire, elle n'est pas paritaire partout. Et en financement, moi, j'en fais régulièrement, là, des cotisations, classifications, l'employeur est-il bien classifié, cotisé, c'est quand même important, ça. Évidemment, c'est plus facile de fixer des dates d'audition, il n'y a que le commissaire, alors il n'y a pas d'assesseurs, il n'y a pas de membres. C'est plus flexible, là, on ne peut pas dire le contraire.

Une voix: C'est beau.

M. Descoteaux: Simplement au niveau de l'agenda, effectivement, ça peut être problématique lorsqu'il faut fixer des dates d'audition ou d'audience pour quatre personnes. Mais ce que je comprends bien de votre témoignage, c'est que, même au cours de l'audience, il y a un certain alourdissement par des questions diverses ou des répétitions, et c'est ce que je comprends en réalité, là. Ce n'est pas seulement une question d'agenda, c'est même au niveau du déroulement de l'audience, comme tel.

M. Cliche (Bernard): Oui. Moi, quand je plaide, là, chacune des parties après se mettent... Parce que souvent, moi, j'ai un adversaire qui est avocat, en passant, et là chacun des deux, avec le tribunal, se mettent à poser des questions. Bien là ça peut prendre trois quarts d'heure, une heure de plus. Moi, j'estime que mon collègue fait son travail aussi bien que moi et qu'il est membre du Barreau comme moi et que ça devrait suffire. On a un décideur qui est spécialisé. S'il n'était pas spécialisé, ce serait peut-être autre chose, mais il est spécialisé.

M. Descoteaux: Merci bien.

Une voix: On va revenir.

Le Président (M. Simard): Vous allez revenir. Très bien. Alors, j'invite maintenant le député de Mercier à poser la première question. Non ? pardon ? le député de Chicoutimi. Excusez-moi.

M. Bédard: Mais je suis convaincu que mon collègue député de Mercier...

Le Président (M. Simard): Oui, il m'avait fait signe, donc...

M. Bédard: ...qui nous fait le plaisir d'être ici aujourd'hui, va aussi participer à nos travaux. Alors, Me Cliche, Me Bouchard, merci de nous faire bénéficier de vos connaissances approfondies dans le domaine administratif, droit administratif. Votre mémoire est très clair. C'est pour ça que je vais me permettre... Et, comme mes collègues ont des questions, je vais être quand même assez précis et, pour bien comprendre... Un élément. Sur le processus de nomination, votre mémoire est très clair, mais, pour bien comprendre, ce que vous souhaitez, c'est un processus de nomination qui pourrait peut-être s'assimiler plus à celui des juges de la Cour du Québec, par exemple. Ou est-ce qu'il y a un processus... Parce que là je comprends que, lui, vous le trouvez lourd mais aussi un peu, je vous dirais, pas nécessairement dirigé vers les compétences que l'on cherche à avoir. Alors, disons, le meilleur test serait quoi?

M. Cliche (Bernard): Oui. Généralement, on a un peu tous partout le même modèle, pas seulement au Québec, mais ailleurs au Canada, pour ce qui est de la nomination, la sélection. Il faut d'abord une certaine expérience pratique. Et la norme, c'est généralement 10 ans, oui. Puis généralement un tribunal, bien, on demande à un juriste de siéger, d'être membre, d'être juge, hein, et non pas à une autre formation académique, deuxièmement. Troisièmement, les gens appliquent, et donc il faut répondre d'abord à ces critères-là. Il faut décrire aussi en quoi, à la Cour du Québec, j'ai fait, par exemple, du Tribunal de la jeunesse, en quoi j'ai fait de ce style de droit là. Et il y a un comité, et généralement il y a un représentant du tribunal, il y a un représentant du public et un représentant du Barreau. Je dirais que c'est un peu un classique pancanadien, peu importent les juridictions. Bon.

Puis après, bien, le gouvernement choisira ce qu'il veut à partir de la liste, c'est comme ça que ça marche. Et donc ces trois personnes-là, à mon avis, on pourrait faire le même type de comité pour les juges administratifs, ça pourrait être la même chose. Et donc, à ce moment-là, on va insister, on va mettre beaucoup plus l'emphase sur: cette personne-là, mettons, à Chicoutimi ou à Gaspé, elle a fait quoi dans ça. Elle en a fait, des accidents de travail, pendant 20 ans et elle connaît la poutine administrative, elle est allée devant les tribunaux. C'est ça qu'on recherche. On veut des décideurs qui décident. C'est de la justice de masse, donc il faut avoir des gens qui vont se revirer de bord vite au niveau de la procédure. On n'a pas besoin de traiter à ce niveau-là, on a un besoin de décision rapide pour que le justiciable sache à quoi s'attendre.

M. Bédard: Merci. Vous avez été aussi très clair sur la régionalisation quant à votre appui sur, bon, entre autres, les conséquences que ça peut avoir sur les délais. Il va quand même se positionner... Plutôt, il risque quand même d'y avoir des problématiques relativement au nombre de dossiers par rapport à des secteurs particulier. Et, en même temps, il va falloir... il ne faut surtout pas, je pense ? et là je fais plus une affirmation qu'une question ? favoriser la polyvalence des décideurs parce que le tribunal, par définition, est spécialisé. Les décideurs, dans leur domaine plus particulier, doivent normalement se limiter au champ de compétence, je vous dirais, et de connaissance dans lequel ils oeuvrent plus que régulièrement. Mais il risque de se poser quand même que dans certaines régions il y ait moins de dossiers dans des domaines particuliers.

Qu'est-ce que vous privilégiez comme façon de procéder, est-ce que ce serait, je vous dirais, de donner une moins grande... pas une moins grande spécialisation mais de plutôt permettre aux décideurs d'oeuvrer dans différents secteurs ou plutôt, je vous dirais, de laisser ? vous avez écouté un peu les différents questionnements qu'on a eus ? de permettre à certains membres résidents, juges résidents dans d'autres régions de pouvoir résider finalement dans plusieurs régions? Qu'est-ce que vous pensez qui est le mieux pour les fins de la justice?

M. Cliche (Bernard): Oui. Au niveau de la spécialisation, moi, je suis convaincu que la Cour supérieure n'interviendrait pas si on a un décideur, un juge administratif qui fait de l'assurance automobile puis des accidents de travail. D'ailleurs, en pratique, vous devez en connaître, on en connaît tous, moi, j'en connais plusieurs, des commissaires au TAQ, donc des membres du TAQ, qui étaient avant à la Commission des affaires sociales et qui pendant 10, 15 ans ont entendu des dossiers d'accidents de travail.

Donc, ces gens-là, demain matin, pourraient retourner aux accidents de travail, et il y a des gens qui font dans la juridiction accidents de travail qui pourraient très bien faire de l'assurance automobile. Les bases de ces régimes-là juridiquement sont les mêmes, c'est de l'indemnité de remplacement de revenus. Les experts sont la plupart du temps les mêmes, les mêmes médecins, on retrouve les mêmes orthopédistes, les mêmes physiatres, les mêmes... Là où le problème se pose, dans la mesure où il y a un regroupement, là, c'est avec la section économique. Évidemment, l'évaluateur financier qui va faire des accidents de travail, moi, je pense qu'il va perdre la qualité de spécialisé et inversement, mais c'est un petit volume.

Alors, on peut comprendre... Et puis je suis sûr que ce n'est pas votre préoccupation, à Chicoutimi, première, là, la division économique, ce n'est pas là qu'est le volume. Alors, moi, je pense qu'on pourrait très bien avoir à ce moment-là le membre de Québec ou de Montréal qui va aller en région. Il peut regrouper les dossiers, par exemple, mais il peut aller en région. C'est sûr que la régionalisation a ses limites, ce n'est pas une régionalisation... il ne va pas dans chaque village, là, hein, comme saint Louis sous son arbre, il faut quand même avoir des grands pôles.

M. Bédard: Absolument.

M. Cliche (Bernard): Donc, je pense que je réponds à votre question.

M. Bédard: Oui, très bien.

M. Cliche (Bernard): Oui, il peut y avoir une interpénétrabilité entre les juridictions, mais ça a ses limites.

M. Bédard: Parfait. Dernière question. J'en aurais plusieurs autres, mais, peut-être, je vais laisser mes collègues après, mais on a une réflexion ? je ne sais pas si vous l'avez entendue ? d'une avocate qui a fait des recherches approfondies sur, je vous dirais, les recours administratifs en général, sur les conséquences humaines qu'ont ces recours même sur les personnes. Et, en même temps, elle nous a fait part des délais... pas des délais, du nombre de dossiers portés en appel, finalement, dont les décisions par les instances administratives sont contestées. Et les chiffres sont assez étonnants. Au Québec, si vous avez entendu, vous avez pu voir que, bon, en Colombie-Britannique, pour à peu près le même nombre de décisions... on conteste quatre fois plus. En Ontario, pour deux fois plus de décisions... on va contester trois fois plus au Québec.

n (10 h 20) n

Alors, et elle disait: Il y aurait peut-être lieu d'allonger les délais, de permettre finalement aux gens de ne pas contester dans des délais stricts, bon, que ce soit 45, 90 jours, mais de laisser plus largement ces délais pour permettre aux gens ? et là je m'y connais moins, c'est pour ça que je vous pose la question, vous connaissez sûrement plus que moi ? en matière de lésions professionnelles par exemple, là, peut-être par un délai de six mois ou un an, de voir quelle va être leur condition, est-ce qu'il y a lieu effectivement de contester la décision. Est-ce que vous pensez que cela pourrait avoir un effet sur les contestations entendues par le tribunal administratif?

M. Cliche (Bernard): Oui. Vous faites sans doute référence aux travaux de Mme Lippel.

M. Bédard: Voilà, c'est ça.

M. Cliche (Bernard): Mais la différence... Je n'étais pas à son passage ici, mais je la connais quand même, là, je connais ses travaux et ses publications. La différence avec les autres provinces ne tient pas... ce n'est pas... C'est parce qu'il faut tenir compte d'un facteur. Je ne sais pas si Mme Lippel en tient compte ou pas, je l'ignore. Mais, au Québec, en matière de lésions professionnelles, toute décision de la CSST est appelable. Donc, le volume d'appels est beaucoup plus grand en soi qu'en Ontario, où on ne peut pas en appeler sur toutes les questions.

Alors, certains ont même dit: Devrait-on limiter l'appel, par exemple, à la question de recevabilité au quantum? Mais la CSST dit: Ton programme de réadaptation n'est pas correct, ou est correct, ou est ça. Contestation. Ta base de salaire. Contestation. Alors, le volume est nettement, en soi, à cause de la loi, des choix qui ont été faits, beaucoup plus grand. C'est le premier facteur. Il y a un danger à dire: Bien, écoutez, on va permettre de contester dans tant de temps, là. Tout ça, il faut que ce soit bon des deux bords. On parle d'accidents de travail, de lésions professionnelles.   

M. Bédard: Oui.

M. Cliche (Bernard): Donc, ça va permettre également aux employeurs, là... En bout de ligne, je ne pense pas, moi, qu'on va réduire quoi que ce soit. Je crains ça, la stabilité des deux bords, même pour les travailleurs. Si vous donnez 60 jours, ou 90 jours, ou six mois, ça va ajouter quoi de plus? Tu n'es pas content ou tu es content de la décision. À mon avis, si on veut accélérer les choses, bien, il ne faut pas rallonger les délais, il faut les raccourcir. 30 jours, ce n'est pas très long. Est-ce que ça pourrait être 45 jours? Ça m'est égal. Mais, pour ce qui est du nombre de décisions, je vous le dis, ce qui fait qu'il y a plus de volume, c'est que tout est appelable ici, pas ailleurs.

M. Bédard: Mais je prends votre argumentaire, et je vais essayer de le contester un peu sans faire ce que...

M. Cliche (Bernard): On est ici pour ça.

M. Bédard: ...fait Me Lippel sûrement mieux que moi. Mais, quand les délais sont courts, évidemment le réflexe de toute personne, c'est d'en appeler, évidemment, pour se protéger. Parce que, quand le délai est passé, bien, même si tu as un droit, à ce moment-là c'est terminé. Donc, ce qui fait en sorte que, où une situation aurait pu être tolérée pendant un certain moment, on enclenche quand même un processus qui parfois ne mène à rien. Parce qu'il arrive des fois pendant un délai, si ce n'est que par le temps écoulé, on constate effectivement que, bon, il n'y avait peut-être pas lieu d'en appeler. Mais systématiquement maintenant les gens vont en appeler beaucoup plus, souvent pour ne pas perdre leur droit effectivement d'en appeler.

M. Cliche (Bernard): C'est possible, là, mais c'est presque une étude psychologique du profil de l'appelant, là, tu sais, moi, je ne suis pas capable de répondre à ça.

M. Bédard: De l'appelant, je vous dirais, et de l'avocat aussi. En général, c'est normal.

M. Cliche (Bernard): Je ne suis pas... Je vois, là, votre collaboratrice ou collègue. Moi, je ne suis pas d'accord, là, que...

M. Bédard: Parfait.

M. Cliche (Bernard): Non. Moi, dans mon cas, j'en appelle parce que je pense que ça n'a pas de bon sens ou je n'en appelle pas parce que je pense que ça a du bon sens. Et je dirais que les gens que je représente, là, ils n'en appellent pas, là, pour sauvegarder leurs droits de façon systématique. Je ne dis pas que ça ne se fait jamais, mais c'est marginal. On va en appel parce qu'on trouve que ça n'a pas de bon sens. Ce n'est pas une règle, le contraire, là: J'y vais pour sauvegarder des droits. Je sais qu'on entend ça dans la population, mais, moi, en tout cas, je ne fais jamais ça. Je n'en appelle pas pour le fun, j'en appelle parce que je pense que quelque chose doit être renversé.

M. Bédard: O.K. Je vous remercie. Je vais laisser à mes collègues...

Le Président (M. Simard): Alors, je vais maintenant passer la parole au député de Mercier, qui a sûrement une question intéressante à vous poser.

M. Turp: Merci, M. le Président. D'abord, merci à tous les deux d'investir du temps précieux de praticien à participer à ce débat public. Vous chargez à quel client?

M. Cliche (Bernard): Non chargeable.

M. Turp: Non chargeable. Mais, en tout cas, je pense que ça vaut toujours la peine de souligner qu'il y a des gens qui, comme vous, avez d'autres préoccupations professionnelles, investissent du temps dans le débat public, et préparez des mémoires, et venez le présenter et répondre à nos questions. Le mémoire dit de la question du financement qu'elle est importante, à ce point importante que, dans la conclusion, vous suggérez qu'il doit y avoir des dispositions plus précises concernant le financement. Le ministre a évoqué cette question dans ses remarques, mais vous ne précisez guère, dans votre mémoire, ce que devraient être ces dispositions précises. À la page 14, vous parlez des craintes qu'ont certaines personnes, là, au sujet du financement. Mais est-ce que vous pourriez peut-être, pour notre bénéfice et notamment le bénéfice du ministre, être un peu plus précis sur ce que vous souhaiteriez?

Et ma deuxième question porte sur le mode de nomination, mais peut-être aussi la formation de ceux et celles que vous ne voudriez plus voir qualifiés de membres du tribunal mais plutôt de juges. Alors, à ce sujet-là, est-ce qu'il y a vraiment une différence, ou quelle différence y a-t-il ou n'y a-t-il pas entre des juges judiciaires et des juges administratifs, selon vous? Et est-ce que, parce qu'il n'y a pas de différence, ils devraient être qualifiés de juges? Est-ce qu'on devrait penser à une autre formulation que «juges» lorsqu'il s'agit de personnes qui seraient appelées à être nommées au Tribunal administratif du Québec? Est-ce qu'on peut inventer une terminologie, est-ce qu'on pourrait avoir au Québec des magistrats administratifs?

Et ma dernière question, et je sais que c'est une préoccupation du président aussi, est-ce qu'on devrait, à terme, envisager, pour les personnes appelées à siéger à ce tribunal, une formation particulière et peut-être la création d'une école de magistrature administrative? Est-ce que ça pourrait être un premier pas vers peut-être un jour une école nationale de magistrature au Québec, dont devraient émaner à la fois des juges judiciaires et, disons, des magistrats administratifs?

M. Cliche (Bernard): Si vous le permettez, je vais répondre d'abord à votre seconde question, pour laisser mon collègue répondre à la première sur le financement. Sur la terminologie, bien sûr vous pouvez, au niveau des tribunaux administratifs, utiliser «magistrat», «juge» ou «membre», comme vous le jugez bon, vous, les légistes que je ne suis pas. Au niveau constitutionnel, oui, il y a une différence entre les juges de la Cour supérieure, où, dans notre Constitution canadienne, c'est prévu, là, dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique puis après notre Constitution. Évidemment, on a nos ordres de tribunaux, donc c'est prévu pour ce qui est de la Cour supérieure, et on dit que les provinces peuvent également avoir des tribunaux. Alors, il y a la Loi sur les tribunaux judiciaires qui prévoit cette nomination-là.

Quelle est la différence au niveau constitutionnel entre un juge de la Cour du Québec puis un juge du tribunal administratif? À part de la Loi sur les tribunaux judiciaires et du fait qu'on en fait mention à la Constitution, il n'y en a pas tant que ça. Il s'agit de créations, entre guillemets, des provinces, des législatures provinciales par lois. Et ces tribunaux-là sont, en soi, tous ? la Cour du Québec, le Tribunal du travail avant, des transports, le TAQ, la CALP ? soumis au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure par la voie des recours en révision judiciaire, l'ancienne évocation, mandamus ou autrement. Je sais qu'on est dans le constitutionnel lourd, là, mais c'est votre question.

Donc, oui, il y a une différence entre la Cour du Québec, les juges de la Cour du Québec et ceux des tribunaux administratifs. Quant à moi, il n'y en a pas tant que ça, parce que, dans l'ordre constitutionnel, ils sont soumis au même pouvoir de surveillance et de contrôle. Et c'est pour ça d'ailleurs que je me dis: Pourquoi les appeler «membres»? C'est comme si on voulait dire: Bien, ce qu'ils font, c'est un peu moins important que les juges de la Cour du Québec. Quant à moi, le volume traité par le TAQ, le volume de dossiers, l'importance monétaire, etc., c'est un volume, d'après moi, supérieur à ce qui se fait à la Cour du Québec.

n (10 h 30) n

Quant à la formation, je sais qu'il y a déjà, pour le TAQ et la CALP, de la formation, j'en ai déjà donné moi-même aux commissaires, là, en passant, en financement, mais... Et je sais que, à l'ENAP, il y a des cours qui se donnent aux commissaires, aux juges administratifs. C'est une excellente, excellente chose qui devrait être développée, il n'y a aucun doute là-dessus. Maintenant, en France, il ne faut pas oublier qu'ils ont un régime de droit administratif différent d'ici, où on a une... Du début à la fin, là, il y a comme une structure de droit administratif, alors qu'ici tout ça est chapeauté par nos tribunaux de droit commun: Cour supérieur, Cour d'appel, Cour suprême du Canada, alors que ce n'est pas le cas en France, où la juridiction administrative a en soi sa propre colonne, si on veut. Alors, c'est pour ça qu'on a une école de magistrature, entre autres. Est-ce qu'on pourrait avoir la même chose sans s'appeler «école de la magistrature»? À mon avis, on devrait développer la fonction formation possiblement au sein de l'École nationale d'administration publique où il y a des gens qui y travaillent déjà. On devrait développer cette formation-là, à mon avis c'est essentiel.

Pour ce qui est du financement, peut-être que mon collègue peut répondre?

M. Bouchard (François): Rapidement, M. le député. On n'a pas proposé de formule précise dans le mémoire, entre autres, je vous le dis bien candidement, parce qu'on n'a peut-être pas accès en détail aux chiffres de l'administration du TAQ et de la CLP.

Ceci étant dit, moi, il me semble qu'il y a trois paramètres qui doivent être essentiels dans ce calcul-là et qui permettent de faire des rapports entre les différentes divisions du tribunal. Le premier paramètre, c'est le nombre de dossiers traités administrativement proprement dits, traiter l'appel et le gérer par la suite. Le deuxième paramètre, c'est le pourcentage de dossiers qui viennent à audience, qui génèrent évidemment des démarches supplémentaires, et je sais qu'il y a des statistiques là-dessus à la CLP, à quel point détaillées... et on peut comparer par rapport au TAQ, et la durée de ces audiences-là. Et le troisième paramètre, c'est la valeur respective des immobilisations. Et je pense qu'avec ces trois éléments-là on peut arriver à une formule de calcul relativement équitable et c'est, je pense, ce qu'on peut vous soumettre, là. Aller plus en détail aujourd'hui, je pense que ce serait difficile.

M. Cliche (Bernard): Moi, j'aurais une suggestion administrative, ce n'est pas au projet de loi n° 35, il n'en parle pas, mais de faire circuler auprès des parties une formule, dire: Bien, écoutez, si on va de l'avant, la formule retenue va être sans doute celle-là. Je le sais parce que, comme conseil pour la CSST, on a déjà fait circuler des fois des formulaires, des formules de règlement ou autres, puis ça désamorce beaucoup. Parce que les gens, ils ne se disent pas: Bien là je vais me faire avoir; ils me disent: Ah! bien, ça va être ça, ça a du bon sens. Donc, je vous invite à en faire autant.

Le Président (M. Simard): Une dernière question qui viendra du député de Dubuc, s'il vous plaît.

M. Côté: Merci, M. le Président. Moi, je voudrais vous parler de l'indépendance et de l'impartialité du juge administratif. D'abord, je voudrais vous souhaiter la bienvenue à cette commission, vous remercier pour l'excellence de votre mémoire. Vous dites que l'article 18, sous une apparence anodine, mais je ne pense pas que ce soit anodin de la part du ministre d'avoir inséré cet article-là...

M. Cliche (Bernard): ...anodin, pas l'intention.

M. Côté: Mais, vous avez raison, c'est un article qui est important et qui est quand même fondamental dans le projet de loi, le concept de bonne conduite. Mais je voudrais aussi vous rappeler l'article 28 dont vous n'avez pas parlé, l'article...

M. Cliche (Bernard): Lequel? pardon.

M. Côté: L'article 28 du projet de loi.

M. Cliche (Bernard): D'accord.

M. Côté: ...qui dit que l'article 75 de cette loi est modifié:

1° par l'insertion, après le paragraphe 3°, du suivant:

«3.1° d'évaluer périodiquement, selon les règles établies [...] les connaissances, habiletés, attitudes et comportement des membres dans l'exercice de leurs fonctions...» Et c'est le président du tribunal naturellement qui fait ça.

Est-ce que vous ne trouvez pas que cet article-là vient un petit peu contrecarrer les effets de l'article 18 du projet de loi qui veut assurer une plus grande indépendance, une plus grande impartialité aux juges administratifs, alors que cet article-là vient un petit peu, là, atténuer cette impartialité ou cette indépendance? J'aimerais avoir votre opinion sur ça et si vous croyez que oui ou non et que, d'après vous, non, ça ne peut pas être ça... Par contre, comment, cette évaluation, on pourrait la faire? On a parlé de formation tout à l'heure, oui, mais il y a quand même toute la question de la déontologie. Est-ce qu'un autre organisme... Est-ce que le Conseil de la justice administrative pourrait justement prendre en charge toute cette déontologie?

M. Cliche (Bernard): Oui, votre question est très complexe et c'est difficile d'y répondre en quelques grands traits, larges traits, là, parce que, d'une part, ça porte... parce qu'il y a un peu deux, trois questions dans votre question.

Le Président (M. Simard): Vous devrez être très bref.

M. Cliche (Bernard): Très bref, c'est ça. Alors, c'est sûr que ça prend un mécanisme de traitement des plaintes, je parle des plaintes du public, là, du justiciable. Ça en prend un. On a aboli le Conseil de la justice administrative, je ne sais pas pourquoi, je l'ignore, je ne suis pas familier avec le conseil. C'est juste que, à l'oeil, vu de l'extérieur, le conseil semblait indépendant par rapport au tribunal. Donc, pour quelqu'un de l'extérieur comme moi, le conseil semblait plus indépendant que la procédure qu'on a là où on va impliquer plus le président. Bon.

Alors, on lui en met plus sur les épaules. Peut-être que c'est des raisons administratives, on a dit: Ça va être plus simple. Je l'ignore. Mais l'important, c'est d'avoir une procédure où le justiciable... procédure claire, transparente mais juste et qui va donner quelque chose où on peut avoir réponse à une plainte de quelqu'un. Vous allez devant le TAQ, vous n'êtes pas content, vous portez plainte parce qu'on vous a chanté des bêtises, bien il faut qu'il y ait une suite à ça. On a aboli le Conseil de la justice, est-ce qu'on a bien fait? Je l'ignore. On a une autre procédure, elle m'apparaît moins indépendante, entre guillemets, que l'ancienne.

Pour répondre à ce que vous... à l'article 28, deuxième volet de votre question, je suis convaincu que les décideurs vont venir vous dire qu'ils n'aiment pas ça. Je suis convaincu de ça. Moi-même, si j'étais décideur, je n'aimerais pas ça. Maintenant, c'est toujours une question d'équilibre, là. Qu'est-ce qu'on fait... Que fait le président s'il y a un décideur qui rend 10 décisions par année alors que sa moyenne est de 100? On fait quoi? On le laisse faire? On l'envoie siéger à Ville-Marie, parce qu'on se dit: On va l'éloigner de... il reste à Montréal, on va l'envoyer à Percé?

J'ai de la misère à répondre à ça, je vous le dis franchement, parce que, d'après moi, le mieux pour y répondre, ça va être celui qui me suit cet après-midi, celui qui occupe les fonctions de président du TAQ. Parce que, lui, il est saisi de ces questions de discipline là, pas moi. Moi, je vais être saisi par exemple de l'autre volet de votre question. Puis ça m'est déjà arrivé. J'étais très insatisfait d'un commissaire devant qui je suis passé, j'ai porté plainte contre lui. Puis il y avait une mécanique de plainte, puis ça a suivi son cours. Ça, c'est important que ça reste.

Je ne pense pas que ça change... Non. Entre 28 puis l'inamovibilité, l'inamovibilité, c'est autre chose. C'est une atténuation qui donne une poignée. C'est comme si on disait: Je te donne l'inamovibilité, mais je vais pouvoir un peu contrôler ce que tu fais. Ça se peut qu'il en ait besoin, je ne le sais pas. C'est une forme d'atténuation, vous avez raison, mais ce n'est pas fort, fort. À la limite, là, hein, le commissaire, il a juste à dire: Bien, moi, je reste ici, je rends mes 22 décisions par année, puis ça vient de finir. Ça doit être assez rare...

Le Président (M. Simard): Je dois vous interrompre, mais je sais que le ministre de la Justice aimerait à nouveau intervenir. Il lui reste cinq minutes.

M. Bellemare: Concernant le problème des délais dont vous avez parlé tantôt, la question du 30 jours, évidemment, dans le projet de loi n° 35, on l'allonge de 30 à 90 jours, parce qu'on pense que ça permet davantage aux accidentés et aux employeurs de réfléchir avant d'agir. Vous avez raison sur le fait qu'il y a effectivement un inconvénient à cela dans le sens que, actuellement, le délai de 30 jours procure une certaine sécurité aussi aux travailleurs, bien sûr aux employeurs, mais aux travailleurs aussi, parce que le délai s'applique aux deux parties. Alors, le travailleur, quand la décision lui est favorable, a un certain intérêt à ce que le délai soit court, et ça sécurise davantage à 30 qu'à 90 jours.

Le délai actuellement de contestation est de 30 jours quand il s'agit du droit à l'indemnité, et c'est comme ça pour toutes les décisions actuellement à la CSST, mais, il y a quelques années, c'était 30 ou 90 jours, selon que ce soit le droit à l'indemnité ou le pourcentage de diminution de capacité de travail, la, la, la, puis... Bon. Avec la CLP, on a introduit un délai de 45 jours, comme pour compliquer un peu les affaires, c'était déjà assez compliqué à 30. Est-ce que 90... Là, on en a ajouté un de 45 jours qui est un délai monstrueux à mon avis parce que essayer de computer un délai de 45 jours spontanément, comme ça, ce n'est pas facile, hein, puis, quand on n'est pas très scolarisé, c'est encore plus compliqué de s'imaginer: Bon, bien, j'ai jusqu'à quand pour contester?

De toute façon, 30 ou 90, l'APCHQ nous a dit la semaine dernière qu'elle souhaitait que le délai demeure à 30 jours, et on a invoqué dans le mémoire des arguments de nature économique en nous disant: Écoutez, plus les délais sont courts, moins ça coûte cher. Parce qu'une journée d'indemnité de remplacement de revenu coûtait à la CSST 15 millions, je crois. C'est ce que nous disait l'APCHQ. Je pensais que c'était 17, mais là j'ai compris que c'était 15, selon l'APCHQ, de sorte qu'il y a lieu d'avoir des délais plus courts.

Alors, hypothèse, si on laissait le délai à, puis c'est ce que j'ai dit à l'APCHQ la semaine dernière, si on laissait le délai à 30 jours comme il est depuis toujours à la CSST ? parce que le délai peut varier selon que ce soit dans telle ou telle division, on peut faire les aménagements qui correspondent aux réalités de chaque secteur ? lésions professionnelles, 30 jours, et qu'on prévoyait un appel direct d'une décision émanant du Bureau d'évaluation médicale, toutes les questions médicales, «fast track», direct au tribunal d'appel plutôt que de passer par la révision actuellement... Ce qui nous permettrait, si on avait un appel direct au tribunal d'appel en matière médicale, peut-être de laisser tomber le deuxième 90 jours. Parce qu'on prévoit le deuxième 90 jours pour une expertise médicale, mais là, si tous les volets médicaux s'en vont directement à la CLP, il n'y a peut-être plus matière à conserver ce deuxième délai de 90 jours. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Bouchard (François): Écoutez, M. le ministre, ça me semble être carrément dans la lignée de ce que je sais de ce que l'APCHQ proposait, de ce que je tentais de vous mentionner tantôt et de ce que le mémoire recommande aussi. Moi, ça rejoint nos préoccupations ici clairement, là.

n (10 h 40) n

M. Bellemare: O.K. Quant à la représentation... Me Cliche, je m'adresse davantage à vous parce que je sais que vous avez beaucoup travaillé dans votre carrière à la mise sur pied des mutuelles d'employeurs, et les mutuelles d'employeurs ont permis aux employeurs d'être davantage représentés en matière de lésions professionnelles. Il y en avait beaucoup moins il y a 10, 15 ans qui étaient représentés. Aujourd'hui, les employeurs sont davantage outillés et conscients de l'importance de s'occuper de leurs affaires en matière de lésions professionnelles. Et, par le biais des mutuelles, bien, c'est la mutuelle qui prend la décision, puis ça a favorisé... il y a eu une prolifération importante, là, au plan de la sensibilisation et du nombre de cas où les employeurs ont assumé leurs responsabilités face au régime, parce qu'ils doivent évidemment agir lorsque la décision n'est pas acceptable.

On a un problème de représentation qui est plus élevé en matière de justice administrative qu'en matière de justice judiciaire. Et c'est probablement du fait que, devant les tribunaux de l'ordre judiciaire, bien, seuls les avocats peuvent agir, sauf devant la division des petites créances, à la Cour du Québec. Mais, en matière de justice administrative, paradoxalement, là où le citoyen est touché... Parce que c'est la justice du citoyen, la justice administrative, des gens ordinaires qui sont souvent aux prises avec des difficultés importantes, tant au plan financier qu'au plan physique ou psychique, parce qu'ils sont par définition porteurs d'atteintes, d'atteintes... de déficits ou de difficultés au plan médical, CSST, assurance auto, des gens qui ont été blessés, par définition. Et on a un taux de représentation, bien, à peu près de 60 %, 70 %, selon les divisions. Ce qui est quand même étonnant et ce qui est un peu décevant aussi. Parce que le citoyen, dans ces circonstances-là, va se sentir souvent démuni. Puis là ça va augmenter peut-être le déséquilibre entre le citoyen et l'administration, qui, elle, n'a jamais de problème de représentation, n'a jamais de problème financier pour assurer sa défense pleine et entière.

Puisque vous avez mis sur pied ou en tout cas travaillé très fort à la mise en place de mutuelles du côté patronal, avez-vous des suggestions à nous présenter pour favoriser la représentation des citoyens face aux organismes publics dans le cadre de contestations devant les tribunaux d'appel? Le Barreau ou je ne sais pas qui, de quelle façon on pourrait augmenter peut-être le taux de représentation?

M. Cliche (Bernard): Oui, en deux minutes, là, parce que je vois le président qui me regarde. Encore là, vous soulevez beaucoup de questions. Vous tentez de répondre vous-même à une de vos questions avec l'article 39 de la loi qui dit que le tribunal peut exclure le représentant qui n'est pas avocat, qui n'est pas un bon représentant. Parce qu'il y avait un problème de représentant, de qualité du représentant. On sait que... Par exemple, vous êtes rayés du Barreau à vie. Bien là certains se recyclent en accidents de travail. Ça n'a pas de bon sens.

Par contre, il y a un choix qui a été fait, on a dit: Ce ne sera pas juste des avocats, particulièrement les représentants syndicaux ou les conseillers en relations industrielles, qui, en passant, sont excellents, hein, la plupart ont une excellente formation, ils font très bien ça. Donc, une partie de votre question, on y répond, sur la qualité, par ça. Certains diraient: Bien, écoutez, on pourrait ajouter représentant ou membre... même d'être membre d'une corporation professionnelle quelconque, l'Ordre des conseillers en relations industrielles ou autres. Je sais que certains ont évoqué ça.

Maintenant, pour ce qui est de la représentation dans la section des lésions professionnelles, c'est rare que, moi, je vois un problème, là, de quelqu'un qui n'est pas représenté. Parce qu'il y a des associations de travailleurs accidentés, il y a les syndicats puis il y a les avocats. Moi, j'ai tout le temps un adversaire. La pire situation pour moi, c'est quand je n'ai pas d'adversaire ? représentant, j'entends. Quand je n'ai pas de représentant, je déteste ça. Parce que c'est là qu'on n'est pas capable de régler notre dossier, le concilier. La personne est toute seule, elle est craintive. Mais, de toute façon, le tribunal y supplée. On va dire: Bien, écoutez, voulez-vous un avocat? Voulez-vous quelqu'un? On va suspendre. Au Québec, il y a quand même l'aide juridique également. Dans la division des accidents de travail, je ne trouve pas, moi, M. le ministre, que c'est un problème fondamental.

Le problème, peut-être, va être ? parce que je travaille dans des secteurs organisés, fortement syndiqués, et autres, et d'ailleurs je vous rencontrais souvent, ou les gens de votre bureau, comme représentant de travailleurs ? le problème se pose plus au niveau des divisions ou des sections comme les accidents d'automobile où, là, c'est l'État contre la personne, ou la Régie des rentes, ou l'aide sociale. C'est possible qu'il y ait un problème. Je sais qu'il y a des États qui ont réglé le problème ? pour répondre toujours à votre question ? en donnant, en subventionnant... un peu comme la loi... Vous portez une plainte à la Commission des normes, puis on va subventionner le procureur. Mais, écoutez, c'est des programmes sociaux, des programmes... Il y a des coûts reliés à ça. Jusqu'où vous voulez aller? Je l'ignore.

Mais, si je me résume, c'est une problématique qui se pose moins dans ma section des accidents de travail, entre guillemets, où je suis plus présent, qui, d'après moi, se pose plus dans les autres sections. Il y a des façons d'y répondre, mais, aux façons d'y répondre, il y a des coûts reliés à ça. Et vous êtes peut-être mieux de subventionner l'aide juridique ou les procureurs privés qui en font. En passant, dans notre domaine ? je termine là-dessus ? les meilleurs représentants, à mon avis, souvent sont les représentants de l'aide juridique. Ils sont très bien formés, ils connaissent ça. Alors, je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Juste avant de terminer, si la commission me le permet, juste préciser une chose, pour bien savoir de vous si j'ai bien compris et le mémoire et vos propos. Vous constatez, comme nous, que le projet de loi propose que les nominations soient permanentes, enfin la clause de bonne conduite, mais vous semblez privilégier en échange que le mode de sélection et surtout le mode de nomination soient à toutes fins pratiques calqués sur ceux de la Cour du Québec. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Cliche (Bernard): Oui. C'est mon choix à moi.

Le Président (M. Simard): Bon, très bien. Merci beaucoup. Merci beaucoup, Me Bouchard, Me Cliche, vous avez certainement éclairé la commission. Et j'invite le prochain groupe à se présenter pendant la petite pause.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Simard): Alors, nous allons reprendre nos travaux, et le prochain invité de la commission, c'est Me Jean Mercure. Bienvenue, Me Mercure. Vous faites partie de ces avocats qui, sans doute praticiens du droit administratif, venez éclairer la commission, qui prenez sur votre propre temps un temps qui ne peut pas être facturé à personne.

M. Mercure (Jean): Malheureusement.

Le Président (M. Simard): Vous prenez sur votre propre temps le soin de venir éclairer la commission sur des aspects essentiels. Je pense que c'est un devoir civique que vous accomplissez en le faisant et je vous en remercie d'avance. Donc, nous allons vous écouter et ensuite vous interroger. Vous ne dépassez pas une vingtaine de minutes, s'il vous plaît.

M. Jean Mercure

M. Mercure (Jean): Ça va. Alors, écoutez, moi, je pratique le droit depuis de nombreuses années. Particulièrement, mon étude est concentrée en droit administratif. Je représente exclusivement des victimes d'accidents de travail, d'accidents de la route, des gens qui ont subi des séquelles de différents régimes, alors tous les gens qui sont administrés par ces différents régimes là.

Je voulais remercier les gens, là, de m'avoir permis de pouvoir exposer mes commentaires. Alors, le projet de loi n° 35 revêt une très grande importance parce qu'il termine la réforme des tribunaux administratifs du Québec. Pour y arriver, l'instigateur du projet, le ministre de la Justice, Me Marc Bellemare, se devait d'avoir une volonté politique afin de faire face à toute l'opposition que suscitait le changement. Tous ces changements étaient nécessaires en vue d'en arriver à une uniformité quant à la juridiction du tribunal, quant aux délais, à la procédure, quant aux recours, tout en permettant une régionalisation de la justice et de rendre accessible la justice aux justiciables tout en ayant en arrière-plan un souci économique que nomme le présent gouvernement «la réingénierie».

n (10 h 50) n

Alors, quant à moi, le projet de loi n° 35, je retiens quatre éléments: alors, la nouvelle structure du tribunal, la régionalisation, la fusion TAQ-CLP; le deuxième point, c'est la modification des quorums des décideurs, un juge unique, sauf exception; le statut des juges administratifs, la nomination durant bonne conduite, principe qui peut être associé à l'inamovibilité, et des règles déontologiques, qu'on n'a toujours pas; puis, le quatrième point, ce sont les modalités relatives à la révision administrative.

Alors, quant au premier point, pour les praticiens, la nouvelle structure du tribunal, cela veut dire avoir un seul interlocuteur quant à l'organisation des agendas. Pour les justiciables, cela signifie une meilleure compréhension des recours, une meilleure accessibilité et avoir affaire à des juges résidents. Par ailleurs, cela signifie, à cause de la régionalisation, une meilleure compréhension des problèmes inhérents aux conséquences d'un accident en fonction de la résidence du justiciable.

Alors, ce que je veux dire ici, c'est que, à partir du moment où on a des juges qui résident dans l'endroit où les gens réclament des droits, bien, ils vont peut-être plus assimiler les problèmes des différents secteurs où résident ces gens-là.

Ensuite, bien, il y a la fusion CLP et Tribunal administratif du Québec, qui était non seulement souhaitable mais qui était essentielle. Alors, quand je vous dis «l'organisation des agendas», bon, bien, actuellement, les gens qui pratiquent dans ce domaine-là, les praticiens, font affaire avec la CLP et font affaire aussi avec le TAQ. Alors, des fois, il y a des conflits d'horaires entre les différents tribunaux. Parce que les horaires de causes sont fixés par les tribunaux. Alors, on doit s'y soumettre. Et, s'il n'y a pas de... lorsqu'il y a des problèmes d'horaires, bien, il faut faire affaire avec les deux tribunaux.

Alors, le deuxième point, c'est sur la modification des quorums des décideurs. Alors, on dit: Maintenant, un seul décideur. Enfin, les représentations seront faites à une seule personne, parce que, avant, plus particulièrement au Tribunal administratif du Québec, on avait deux personnes, un médecin et un avocat. Alors, on fait affaire à une seule personne, soit celle qui doit rendre la décision. Devant le Tribunal administratif du Québec, nous ne savons pas qui des membres rendra la décision. Alors, par la réforme, nous n'aurons qu'un seul interlocuteur, et, comme représentant, nous pourrons nous assurer que celui qui rendra la décision a bien compris les points soumis et qu'il décidera en toute connaissance de cause, et ce, sans se faire soulever un questionnement hors de la présence des parties.

Que le juge administratif décide de s'adjoindre les services d'un spécialiste afin de l'éclairer en regard de la complexité de la cause ou que ce soit à la demande d'une partie, tout cela nous apparaît satisfaisant. Cependant, nous avons des réserves quant au choix de l'expert ou du conseiller et quant aux discussions qui pourraient intervenir hors de la présence des parties. À notre avis, toutes les discussions hors de la présence des parties devraient être disponibles, notamment en cas de révision judiciaire.

Finalement, quant au tollé soulevé par certains à l'effet que, de par cette disposition, à savoir un seul juge administratif, le tribunal perdrait sa spécificité, c'est un non-sens. La spécificité du tribunal s'entend par rapport à la justice civile ou pénale et résulte de la nature même des recours qui sont entendus. Le tribunal y développe une expertise en fonction des caractéristiques particulières de ces recours et de la procédure spécifique.

L'abolition du paritarisme est non seulement souhaitable, mais... constitue, quant à nous, une erreur de parcours. À quelques rares exceptions, les assesseurs patronaux ou syndicaux ne jouent aucun rôle pouvant éclairer de près ou de loin la résolution ou la compréhension du litige, bien au contraire. Pour ce qui est des assesseurs syndicaux, ceux-ci, en confirmant une position qui nous est défavorable ? parce que, moi, je représente les travailleurs ? compliquent notre travail quant à une possible révision judiciaire. De plus, ils représentent un coût trop élevé pour l'intérêt qu'ils peuvent représenter. Finalement, pourquoi ces représentants auraient-ils le droit d'influencer une décision, alors qu'il y a 70 % des gens qui ne sont pas syndiqués? N'ont-ils comme seul intérêt que celui de leurs membres? Dans leurs propos, peut-on s'assurer qu'ils auront un sens d'équité et de justice, un sens de retenue ou de déférence? Par ailleurs, en plus de constituer une nuisance, ces assesseurs subissent une pression de leurs centrales syndicales et n'ont aucune compétence.

Troisième point, sur le statut des juges administratifs. Écoutez, je ne m'étalerai pas longtemps sur ça. Je pense qu'il y a d'autres groupes qui vont pouvoir y répondre beaucoup mieux que moi. Alors, nous souhaiterions qu'on nomme ces gens, ces décideurs-là, des juges administratifs, et non pas des membres ? un petit peu ce que Me Cliche vous disait tantôt ? et que leur nomination soit faite en fonction de la spécificité de leur pratique antérieure. Alors donc, il faut que ce soient des gens qui ont déjà oeuvré dans ce milieu-là. Il ne faut pas qu'on prenne des gens qui arrivent de n'importe où.

Alors, bien sûr, le projet de loi n° 35 prévoit des règles déontologiques. Cependant, jusqu'à ce jour, nous n'en avons pas eu le dépôt. Ce qui est important, c'est l'indépendance du tribunal par rapport aux organismes gouvernementaux, telles la CSST, la SAAQ, la Régie des rentes du Québec, etc. Nous ne croyons pas que le projet de loi respecte le principe de l'indépendance. En effet, le contrôle de la bonne conduite demeure sous l'égide du gouvernement, ce qui, à notre avis, interfère dans le principe d'indépendance. Il y aurait peut-être lieu de parfaire le projet de loi sur cet aspect.

Le quatrième point, les nouvelles modalités relatives à la révision administrative. Alors, les nouvelles modalités quant à la contestation des décisions. Le principal problème auquel font face les justiciables consiste en la lenteur de la justice administrative. C'est une situation alarmante qui affecte la crédibilité même des régimes. On peut mentionner les différentes causes: les délais à rendre des décisions ? les décisions initiales ? la révision administrative obligatoire, les remises, le problème des expertises médicales, le manque d'efficacité de la conciliation.

Actuellement, l'administration de la justice administrative fonctionne tellement au ralenti que les justiciables sont portés à se décourager, à abandonner leurs droits en pensant que c'est trop long, trop compliqué, que l'adversaire est beaucoup mieux équipé qu'eux. On n'a qu'à penser aux délais du Bureau de révision de la Société de l'assurance automobile, ils varient entre 12 mois et 30 mois, puis même là je suis généreux. C'est inacceptable, voire même indécent. Bien entendu, le projet de loi ne règle pas le problème des différents organismes d'État, mais, à tout le moins, on peut s'y pencher une fois qu'on aura réglé le problème du tribunal administratif. De plus, à cause des différents paliers procéduraux et après avoir été refusés à deux occasions ? toujours lorsqu'il y a le principe de révision ? ils se découragent et abandonnent.

Inclure la révision dans la procédure d'appel peut avoir un certain intérêt. Sur réception d'une requête, le décideur initial a le devoir de revoir sa décision avec pouvoir de la modifier dans un délai de rigueur. Le problème avec le projet de loi, c'est que la personne qui accepte que la décision soit révisée se désiste automatiquement de son appel. En fait, à moins de réaffirmer son désir de poursuivre sa contestation, il est présumé se désister. Quant à nous, c'est inacceptable.

Quand on connaît la manière dont sont administrées les lois sociales actuellement, notamment la Loi sur l'assurance automobile, il y a lieu d'apporter un bémol à cette règle. Nous considérons que la révision administrative devrait s'inscrire dans le cadre de la conciliation obligatoire. Les gens qui ont recours aux différentes lois de la juridiction du tribunal, du TAQ, sont des personnes qui en sont à leur premier contact avec la justice. Ils ne comprennent pas toujours les subtilités du système et, laissés à eux-mêmes encore une fois contre les gros organismes d'État, ils seront encore une fois dans une situation d'insécurité. Nous croyons plutôt que la conciliation comporte tous les avantages à un règlement complet des litiges.

Dans la mesure où il y a un intérêt à participer à la solution des litiges, et cela inclut la révision de la décision attaquée, certes, on doit favoriser la révision des décisions qui ont été rendues en l'absence de connaissances particulières ou d'erreurs, mais jamais il ne faut faire en sorte que la personne qui a pris la peine de contester une décision perde ses droits en introduisant dans le dispositif judiciaire une présomption de désistement. Nous croyons justement que le service de la conciliation a, comme le tribunal, une indépendance qui lui permet d'informer le justiciable et de faire apparaître l'équité. L'appel direct au tribunal, l'uniformité des délais pour les recours administratifs constituent des éléments clés dans la réforme.

Je vais vous parler après des représentants, je pense qu'il y avait des questions à cet égard-là.

Alors, en conclusion par rapport à ce que je viens de vous dire, la justice administrative ne doit pas être le parent pauvre de la justice, au contraire. Les décisions qui sont rendues touchent les problèmes de la vie quotidienne des administrés. La justice administrative doit être indépendante et impartiale, de qualité égale à la justice civile et sa spécificité se rapporte à son expertise et sa spécialisation. Le tribunal doit être accessible, disponible et rendre les décisions le plus rapidement possible et toujours dans un souci d'équité. Dans l'ensemble, on ne peut que se réjouir de l'initiative du gouvernement et surtout du ministre de la Justice qui poursuit et complète la réforme.

Quant au nom du tribunal, nous croyons que l'on doit conserver le nom actuel, soit Tribunal administratif du Québec. On a souvent tendance particulièrement au Québec à changer ce qui fonctionne bien, ce qui est reconnu. On jette à terre des édifices qui font partie de notre patrimoine autour desquels s'est développée une culture. En fait, le Tribunal administratif du Québec existe et la Commission des lésions professionnelles y est fusionnée. Bienvenue à cette dernière dans le grand Tribunal administratif du Québec!

Quant aux représentants, les gens qui peuvent être appelés à faire des représentations, nous croyons que le projet de loi ne règle le cas que des ex-membres du Barreau du Québec aujourd'hui radiés. Il faut aussi s'attarder aux cas de ceux qui représentent les administrés et qui ne sont pas membres d'une corporation professionnelle. Mis à part les recours concernant la Société d'assurance automobile du Québec, parce que là il y a seulement des avocats qui peuvent représenter les gens, toute personne peut prétendre représenter un administré devant le tribunal.

n (11 heures) n

Les administrés ont, au préalable, une réticence à faire affaire avec un avocat, mais, à partir du moment où ils ont pu entrer en contact avec un avocat, ils démystifient l'avocat et comprennent mieux son rôle. Ils sont par ailleurs assurés d'avoir une personne responsable, et ce professionnel a le devoir d'informer de ses compétences. Tout autre représentant non régi par le Code des professions peut profiter de la situation de détresse des administrés et leur vendre des services exorbitants, inappropriés et rendus par des incompétents. En fait, nous croyons que, à moins d'être membre d'une corporation professionnelle, d'être couvert par une assurance en responsabilité, aucune personne ne devrait pouvoir représenter un administré devant le tribunal. Alors, c'est ce que j'avais à vous dire.

Le Président (M. Simard): Je vous remercie beaucoup, Me Mercure. J'invite maintenant le ministre à vous adresser la première question.

M. Bellemare: Alors, bonjour, Me Mercure. Bienvenue devant la Commission des institutions. Et, encore une fois, félicitations pour votre travail, du travail accompli. Le fait que vous soyez présent ici est pour nous important, parce qu'on a entendu des représentations de plusieurs avocats et de plusieurs personnes qui représentent les citoyens devant les tribunaux administratifs, et c'est très important. Il est très important que les représentants viennent nous dire comment ça fonctionne et qu'est-ce qu'on devrait faire.

Je pense que vous êtes globalement favorable à la réforme, à vous entendre. Et vous avez abordé particulièrement la question de la possibilité, avec le projet de loi n° 35, de porter une contestation directement au tribunal d'appel, par rapport à la situation actuelle qui oblige le citoyen à contester devant le Bureau de révision pour, par la suite, si la décision lui est défavorable, aller en appel devant le tribunal d'appel. À votre avis, là, quel est l'avantage du fait que le citoyen puisse s'adresser directement au tribunal d'appel?

M. Mercure (Jean): Bien, écoutez, l'avantage, c'est justement ce que je disais tantôt, c'est le fait que la personne, dans un premier temps, a fait une demande, la personne croit avoir des problèmes qui sont inhérents à l'accident de travail, l'accident d'automobile qu'elle a subi. Cette personne-là a rencontré son médecin, a été traitée et elle reçoit une décision qui lui est défavorable. Alors, ce qu'elle doit faire actuellement, c'est qu'elle doit contester devant le Bureau de révision. On sait que le Bureau de révision, à 90 % des cas, va confirmer la décision initiale. Donc, cette personne-là reçoit une deuxième fois un avis de refus. Or, le fait de pouvoir contester directement au tribunal, c'est contester... ce qu'elle avait l'intention de faire préalablement. Alors, elle ne subira pas une deuxième fois un autre refus. Donc, elle va être beaucoup plus encouragée à faire les démarches pour pouvoir arriver à un point final, le point final étant la décision finale du tribunal.

Alors, d'une part, ça va régler ses problèmes économiques, elle n'aura pas à supporter des coûts qui sont excessifs, parce que des coûts d'avocat, ça coûte cher. Et elle n'aura pas aussi à attendre parce que là on va éviter les délais d'appel, notamment du Bureau de révision ou de la révision administrative, là, qui existent en matière d'accidents de travail.

M. Bellemare: Vous nous avez parlé des problèmes de délais qui sont, à vous entendre, assez importants. On a toujours un peu de difficultés à bien cerner le problème des délais. Et, je me souviens, il y a quelques années, j'avais demandé à la Société de l'assurance automobile de me transmettre les informations, alors que j'étais avocat, relativement aux délais en révision. Et on m'avait transmis un document qui établissait à peu près à 80, 90 jours les délais de révision, alors que chez moi, dans ma pratique, c'était plutôt 12 à 15 mois. Alors, j'avais insisté auprès de la société pour obtenir les véritables données, et là on m'avait dit: Écoutez, il y a un agent de liaison avant l'agent de révision. Puis l'agent de liaison, lui, il prenait six mois, puis l'agent de révision prenait six mois, ça faisait 12 mois au total, de sorte que de 90 jours le délai réel de révision passait à 305 jours. C'est en 2002, ça.

Alors, je suis toujours un peu sceptique quand je vois des rapports officiels qui nous disent: Voici les délais en révision, voici les délais en appel, parce que souvent la façon de computer les délais change d'un organisme à l'autre. Il y en a qui computent à partir du moment où le réviseur obtient le dossier pour réviser, donc il y a un délai avant que le dossier lui soit transmis qui n'est pas computé. Vous nous dites dans votre exposé que les délais sont de 12 mois à...

M. Mercure (Jean): ...mois.

M. Bellemare: Bon. Est-ce que ce 12 mois est un délai de révision? Puis, si oui, est-ce que vous le basez sur votre expérience récente?

M. Mercure (Jean): Basé sur l'expérience récente, effectivement, on a constaté qu'on a, à mon bureau, là, seulement, à peu près entre 150 et 200 décisions qui sont contestées devant le Bureau de révision et on a essayé de faire ressortir l'agenda de ces contestations-là. Alors, moi, ce dont je vous parle, c'est non pas de la prise en charge par le Bureau de révision, je parle du moment où je conteste la décision jusqu'au moment où je la reçois, la décision, du Bureau de révision. Alors, les délais réels varient entre 12 mois et 30, 36 mois.

On a des dossiers actuellement qui ont plus de 30 mois devant le Bureau de révision. Ce qu'on nous dit, au Bureau de révision de la Société de l'assurance automobile, c'est qu'on va privilégier les problèmes d'indemnisation, ce qui est totalement faux. On a des dossiers là-dedans qui... D'ailleurs, le Bureau de révision de la Société de l'assurance automobile nous a demandé de répertorier nos différents dossiers qui étaient en contestation, alors qu'ils n'ont qu'à peser sur un bouton pour le savoir, ils sont tous computés par représentant.

Alors, non, les délais sont, quant à nous, de la contestation jusqu'à la réception de la décision. Bien entendu, à certains égards, ces sociétés-là... Notamment, la Société de l'assurance automobile, ce qu'elle va faire, c'est qu'elle va computer son délai à partir du moment où la personne, le réviseur a charge du dossier, à partir du moment où on lui a transmis, n'est-ce pas? Ce n'est pas tout à fait ça parce que la personne, là, entre le moment où elle a contesté et la prise en charge d'un réviseur, il peut s'écouler des fois un an, deux ans.

M. Bellemare: On a prévu dans le projet de loi que le délai de révision ne pourrait pas excéder 90 jours, sauf, avec la permission du citoyen, ça pouvait être rallongé d'un autre 90 jours. Et évidemment, comme je l'ai expliqué à Me Cliche avant vous, il y a peut-être des possibilités d'aménager les délais en fonction de certaines réalités de chacune des sections, mais il demeure que j'aimerais que vous nous disiez, à votre avis, à l'heure actuelle... Je comprends que ce n'est pas scientifique, là, mais un praticien comme vous qui êtes sur le terrain tous les jours, les délais de révision actuellement ? je parle juste d'une révision, moi, là, je ne parle pas du processus d'appel qui suit la révision ? la révision en matière d'accidents de travail à Montréal, assurance auto, puis si vous pouvez nous le donner en matière d'IVAC pour les victimes d'actes criminels, à votre avis, actuellement, c'est de l'ordre de quoi dans la pratique à Montréal, là?

M. Mercure (Jean): En matière d'accidents de travail, les délais sont probablement un peu plus courts, on peut peut-être parler de quatre à six mois. En matière d'accidents d'automobile, c'est ce que je vous ai dit tantôt. En matière de Régie des rentes du Québec, ça peut prendre entre quatre et six mois aussi. Puis, en matière d'IVAC, là, c'est incommensurable.

M. Bellemare: C'est plus long qu'ailleurs?

M. Mercure (Jean): Ah! là, ça n'a pas de bon sens, c'est à peu près l'équivalent, peut-être un peu plus que la Société de l'assurance automobile du Québec. Ça, c'est l'organisme le plus bébête que la société québécoise a pu créer.

M. Bellemare: O.K. La régionalisation. Est-ce que vous agissez en région aussi? Est-ce que vous représentez des travailleurs, des citoyens en région?

M. Mercure (Jean): Oui, des régions qui sont avoisinantes à Montréal, oui.

M. Bellemare: O.K. Quelle est la différence entre ? s'il y en a une évidemment ? un juge administratif ou un commissaire qui quitte Montréal pour aller juger à Rouyn ou à Mont-Laurier et un commissaire qui réside à Rouyn ou à Mont-Laurier? Quelle est la différence pour le citoyen entre être jugé par quelqu'un qui va chez lui mais qui se promène, là, hein, qui n'est pas de la place et quelqu'un qui est de la place? Vous en parliez tantôt, là, la réalité locale, placez-nous, là, dans la situation d'une personne qui est jugée en région selon qu'elle soit jugée par un juge qui demeure là ou un juge qui est là de passage seulement.

M. Mercure (Jean): Par exemple, on n'a qu'à penser à la détermination d'un emploi convenable. Alors, lorsqu'on détermine un emploi convenable, c'est qu'on considère la capacité résiduelle d'une personne, et cette personne-là, avec cet emploi-là, doit pouvoir se réinsérer sur le marché du travail. Donc, une personne qui serait un juge qui serait résident, qui connaîtrait les aspects spécifiques de la région serait beaucoup plus en mesure d'apprécier les possibilités de réinsertion sur le marché du travail. Quand on parle de traitement, la personne serait beaucoup plus en mesure de comprendre les problèmes régionaux des traitements, des suivis médicaux, la disponibilité des médecins. Quand on est à Montréal, on peut peut-être dire: Les médecins sont beaucoup plus disponibles, il y en a plus. Mais, quand on est en région, c'est une considération qui est distincte.

n (11 h 10) n

Bien, écoutez, c'est les principaux aspects, là, que je pourrais retenir, je pourrais vous faire valoir. Mais je pense qu'il y a des spécificités régionales qui seraient beaucoup plus appréciées et à même de comprendre par une personne qui serait résidente de l'endroit qu'une personne qui vient de n'importe où.

Le Président (M. Simard): Maintenant, je vais passer la parole à la vice-présidente de la commission et députée d'Anjou.

Mme Thériault: Merci, M. le Président. Me Mercure, merci d'être avec nous ce matin. Dans votre exposé, j'ai entendu le mot «conciliation» avec «a une indépendance». J'ai le goût de vous reposer la même question que j'ai posée à Me Bouchard et Me Cliche versus les résultats qu'on a. Je vous répète les données, à la CSST, il y a 52 % des conflits qui sont réglés devant la Commission des lésions professionnelles avec la conciliation, tandis qu'à la Société de l'assurance automobile et au Régime des rentes du Québec on parle d'à peine 10 % à 15 %. D'après vous, c'est quoi qui explique cette différence? Est-ce que c'est réellement une question de culture?

M. Mercure (Jean): C'est définitivement une question de culture.

Mme Thériault: J'aimerais que vous extrapoliez.

M. Mercure (Jean): Regardez, les dossiers qui s'en vont en conciliation au Tribunal administratif du Québec actuellement, premièrement, les conciliateurs, ce sont des juges administratifs, à part certaines exceptions, mais, règle générale, ce sont ces gens-là. Alors, il y a dans le milieu une culture qui fait que... La Société d'assurance automobile, d'ailleurs, n'a pas beaucoup de mandats pour pouvoir... Les avocats qui agissent en conciliation n'ont pas de possibilités de règlement. Actuellement, on règle la totalité du litige ou il n'y a pas de règlement du tout.

Quand on est en matière d'accidents de travail, un règlement peut être partiel. On peut offrir une somme monétaire forfaitaire à une personne pour, si vous voulez, acheter la paix ou compenser monétairement un problème, ce qui permet la solution d'un certain litige. À la Société d'assurance automobile, c'est tout ou rien. On te paie ou on ne te paie pas, il n'y a pas de possibilité d'arriver à un règlement qui pourrait satisfaire la personne. Quand on est en conciliation, on se dit: Je peux gagner comme je peux perdre. Donc, si je peux perdre, bien je vais laisser tomber certaines choses. Alors, avec la Société d'assurance automobile du Québec, on ne peut pas faire ça. Puis on ne peut pas faire abandonner les gens à des droits fondamentaux. Donc, il faut qu'il y ait un règlement, et il y a une manière de faire le règlement.

Alors, moi, c'est ce que j'appellerais la culture de la conciliation, le manque des organismes... des organismes qui ne permettent pas aux avocats, notamment, de pouvoir en arriver à des règlements.

Mme Thériault: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de l'Acadie.

M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Juste pour enchaîner sur une question, la dernière question du ministre, concernant la régionalisation, bon, je vois que vous êtes très favorable à cette démarche. Je voudrais juste avoir vos réactions par rapport à la présentation du mémoire des juges administratifs, qui sont venus nous dire que la régionalisation pouvait avoir un certain risque de voir ? si je me souviens bien des termes ? une certaine connivence se dégager, au fond, étant donné que les juges vivent à proximité des individus, vont vivre dans la région. On a parlé de connivence et on a parlé, si je me souviens bien, de copinage. Quelle est votre réaction par rapport à cette démarche-là?

M. Mercure (Jean): Je trouve que c'est une remarque qui est faible. Je pense que les gens qui sont formés pour rendre des décisions, ce sont des gens qui ont une conscience sociale, ce sont des gens qui vont baser leurs décisions sur des critères objectifs. Je ne vois pas en quoi le fait de résider dans un endroit va faire en sorte qu'ils vont plus favoriser une personne qu'ils connaissent. Ce serait un motif pour ne pas respecter l'inamovibilité puis de démettre de ses fonctions cette personne-là, je pense. Je trouve ça...

M. Bordeleau: L'autre point, toujours sur le même sujet de la régionalisation, est-ce que vous croyez que la régionalisation, selon votre expérience ou ce que vous connaissez, au fond, de la pratique en région, ferait en sorte que les causes pourraient peut-être être entendues plus rapidement? On a parlé dans certains cas de retards, au fond, à essayer d'organiser le rôle en région, de coordonner tout ça et la venue de gens de l'extérieur en région. Est-ce que vous croyez que ça pourrait accélérer, au niveau des délais, l'audition de certaines causes?

M. Mercure (Jean): Ça pourrait accélérer définitivement parce que... Mais, encore là, il faut faire attention parce qu'il y a beaucoup de gens qui sont représentés par des... Parce que ce qu'il faut savoir, c'est que dans ce milieu-là il n'y a pas beaucoup d'avocats qui y pratiquent. Je parle des avocats qui représentent des victimes. Alors, moi, je suis appelé à aller un peu partout, Valleyfield, Joliette, Saint-Hyacinthe, Sherbrooke, un peu partout, Hull, Montréal, des fois même à Québec. Alors, il faut quand même qu'il y ait... il faut que l'agenda des... il faut que les rôles soient établis aussi en fonction des praticiens, il ne faut pas juste tenir compte du phénomène régional.

Il y a, bien entendu, le fait que ce soit concentré en région, hein, que ça permette une certaine célérité au niveau de la prise de décision, mais il faut aussi tenir compte de cette condition-là. Parce que, comme je vous le répète, dans le milieu, il n'y a pas beaucoup d'avocats qui ont une spécialité ? même si c'est un terme que le Barreau ne veut pas qu'on utilise, c'est une réalité quand même, là ? qui sont spécialisés dans ces domaines-là. On doit dire «une pratique concentrée». Alors, il faut tenir compte de cet aspect-là, il faut tenir compte de ceux qui y pratiquent. Mais je pense qu'effectivement le fait que les dossiers soient traités en région, en fonction des caractéristiques régionales, c'est important, puis ça va faire en sorte que ça va être plus rapide.

M. Bordeleau: ...pas que le fait de régionaliser la justice administrative pourrait faire en sorte aussi qu'il y ait peut-être ? utilisons le terme «spécialisation» ? plus de gens en région qui pourraient être intéressés à se spécialiser dans ces domaines-là, un peu plus qu'ils ont l'occasion de le faire actuellement compte tenu...

M. Mercure (Jean): Probablement. Probablement. Il y a de la place pour beaucoup de praticiens dans ce domaine-là. Il y a à peine 60 % des gens qui sont représentés, alors il y a de la place pour beaucoup d'autres praticiens.

M. Bordeleau: Parfait. Merci.

M. Mercure (Jean): Praticiens avec les réserves que je vous ai données tantôt.

Le Président (M. Simard): ...tout de suite pour... on enchaîne parce qu'on a un petit peu de retard. Alors, j'invite le député de Chicoutimi à poser sa première question.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, merci, Me Mercure. Bien, finissons un peu par ce que vous avez... commençons, plutôt, par ce que vous avez mentionné. Vous dites effectivement, bon, que 40 %... il y a un nombre assez important effectivement des gens qui sont non représentés. Vous dites: Il y a un marché intéressant, mais, en même temps, il y a aussi une question de moyens, je pense, aussi qui fait en sorte que les gens, parfois, n'ont pas les moyens de... et le jeu même, parfois, n'en vaudrait pas nécessairement la chandelle, d'être représentés. Mais vous dites: On devrait ? et là je veux bien comprendre, là ? limiter, effectivement, les gens qui peuvent pratiquer dans le domaine du droit administratif. Vous avez... et de limiter strictement aux cas des professionnels, j'imagine, avocats dans le domaine. Avocats, notaires, ou vous iriez plus loin que ça?

M. Mercure (Jean): Beaucoup plus loin que ça. Pas nécessairement des avocats, il peut y avoir un représentant syndical qui est très, très bon et qui est capable de faire quelque chose.

M. Bédard: Je le pense aussi.

M. Mercure (Jean): Mais ce qu'il faut faire, c'est faire en sorte que ces gens-là... Parce que n'importe qui peut ouvrir une boîte sur le coin de la rue puis prétendre représenter des travailleurs ou des victimes d'accidents de la route, il faut absolument qu'on oblige ces gens-là à avoir une quelconque responsabilité. Qu'on parle d'une assurance responsabilité, qu'on parle de faire partie d'une corporation professionnelle, je ne sais pas, il y a quelque chose qui doit être fait pour éviter... Parce que ce que je vous ai dit tantôt, c'est que les gens sont placés dans une condition difficile, et les victimes, là, elles doivent faire des choix. Et puis il y a des fois ils vont prendre le premier venu. Ils ne le savent pas, ils sont faibles, ces gens-là, là. Alors, il faut encadrer, à mon sens, ce problème de représentants parce qu'il y en a, des gens, qu'on connaît, qui représentent, là, puis qui...

M. Bédard: Ah oui! effectivement. Vous avez, dans le projet de loi, un mode qui est assez particulier, est-ce qu'il y a... J'imagine, si vous continuez à réfléchir, vous avez des éléments qui vous permettraient de... Parce que celui d'autoriser le tribunal à déterminer qui est bon, je peux vous dire... Et, tout en étant conscient de cette réalité-là, j'en ai vu aussi, là, je me dis: En termes de justice, ce n'est peut-être pas le meilleur exemple à donner, là, créer une présomption irréfragable pour les professionnels, puis le reste, bon, on répartit. Alors que je vous dirais: Oui, j'ai vu des mauvais... qui n'avaient pas de profession particulière, mais j'ai vu aussi des très mauvais avocats, là. La seule différence, effectivement, c'est qu'ils sont assurés, là, vous me direz. Mais il reste que, pour le citoyen, ce n'est pas plus... en bout de ligne, souvent ça le met devant l'inévitable. Mais il y a peut-être une façon, effectivement, de bloquer la route, là, à certains, là, qui s'inventent procureurs dans le domaine ou représentants de travailleurs. En tout cas, si vous pouvez nous faire bénéficier de vos lumières, vous nous le direz, vous nous écrirez.

n (11 h 20) n

J'aimerais revenir sur la conciliation. Et là je connais peu, je l'ai dit à quelques occasions, le domaine. Il y a des domaines que je connais moins. Et ça m'étonne, là. Vous m'avez fait part des délais, entre autres, bon, dans l'assurance automobile, à Montréal, au niveau de la révision, ce qui est assez impressionnant, là, dans votre situation à vous. Et là vous me dites: La conciliation est très difficile. Alors que, moi, je me dis: Bon, dans le domaine médical, écoutez, ça peut... Je comprends que la CLP, c'est paritaire, je comprends qu'il y a une culture, justement, de la négociation, mais qu'il reste que, sur le fond, il y a des choses qui se ressemblent à travers ça, des preuves de même nature... pas de même nature, mais qui poursuivent le même but, l'indemnisation, la démonstration d'une maladie, d'une dysfonction quelconque, d'une... Et ce que vous me dites, dans votre pratique, c'est que la conciliation à l'assurance automobile, là, peu importe le projet de loi actuel, oublions ça, là. Il y a une culture qu'on gagne, on perd, puis tant mieux... Ce qu'on négocie finalement, c'est comment on va perdre. Je veux dire, si on baisse le drapeau, c'est correct, mais, à part ça, il n'y a pas de... c'est très rare, les cas de réelle conciliation.

M. Mercure (Jean): ...dire qu'il y en a, de la conciliation, mais ce qu'il faudrait, c'est que ? d'ailleurs, c'est ce qui apparaît dans le projet de loi ? on crée une conciliation comme celle qui existe à la Commission des lésions professionnelles, des gens qui sont totalement indépendants des organismes, des gens qui sont aussi encadrés, qui ont... qui peuvent arriver à amener les gens à régler.

Et, moi, ce que je disais aussi, c'est que, si on veut conserver le principe de la révision administrative, là, qui permet à l'organisme de pouvoir reconsidérer sa décision, il faut définitivement enlever le principe du désistement dans les... À partir du moment où la personne accepte ça, elle est présumée se désister à moins qu'elle réaffirme son droit d'en appeler. Moi, je dis: Ça, il faut que ce soit intégré dans le processus de conciliation, il faut s'assurer que la personne a bien compris. Et qui n'est pas mieux placé qu'un conciliateur? Pourquoi que ce ne serait pas, ça, intégré dans le processus de la conciliation au lieu de créer un autre élément qui fait en sorte que les gens pourraient perdre leur droit?

Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que les gens, là, ils sont là pour réclamer des droits. C'est un droit, l'indemnisation, qu'ils viennent réclamer. Alors, il ne faut pas leur faire perdre leur droit, il faut favoriser la reconnaissance du droit, c'est ça qu'il faut faire. Et je pense que c'est par le biais de la conciliation qu'on pourrait... qu'on devrait intégrer la révision administrative et de permettre au conciliateur de dire: Regarde, l'organisme vient de réviser sa décision, voici ce qu'elle peut faire avec les éléments connus. Puis là la victime ou le travailleur est à côté, puis il peut comprendre un peu. Je parle surtout des gens qui ne sont pas représentés.

M. Bédard: Comment ça se fait actuellement?

M. Mercure (Jean): À la CLP, c'est comme je viens de vous dire.

M. Bédard: Non, non pas pour la CLP, mais je vous parle pour l'assurance automobile.

M. Mercure (Jean): Au tribunal administratif, ce sont des juges administratifs, les membres, là, comme on les appelle, qui siègent comme conciliateurs, et ce sont des gens qui sont là depuis longtemps. Il y aurait intérêt à ce que ces gens-là soient un peu plus distants par rapport aux organismes. On sent souvent une manière... Le discours qui est maintenu, c'est un discours de gens qui savent que la société d'État est importante.

Par exemple, moi, lorsque je vais faire une conciliation, bien on me demande à ce que mon client soit assis là puis qu'on va lui poser des questions. Bien, je dis: Moi, en conciliation, là, mon client n'a pas d'affaire à être assis là. Si j'ai un mandat de le représenter, c'est moi qui vais dire ce qu'il veut vous dire. Alors, le tribunal, le membre qui agit en conciliation va exiger la présence. J'ai même vu un avocat de la Société de l'assurance automobile me dire: Si ton client n'est pas là, je m'en vais. Bien, j'ai dit: Va-t-en, mon client ne sera pas là. Ça a fini de même. C'est ça, le genre de conciliation qu'on peut avoir.

M. Bédard: O.K. Merci.

Le Président (M. Simard): Très bien. Le ministre m'a demandé... Il lui restait quatre minutes, alors je lui redonne la parole.

M. Bellemare: Dans la perspective de la fusion du Tribunal administratif du Québec et de la Commission des lésions professionnelles, on a envisagé la perspective que des juges administratifs puissent être transférés d'une division à l'autre, ce qui permettrait, par exemple, dans la section des lésions professionnelles, de demander à un commissaire d'agir dans la section assurance auto ou même dans la Section affaires immobilières. Déjà, au Tribunal administratif du Québec, même s'il y a des divisions très disparates, là, l'évaluation immobilière, l'assurance automobile, il y a déjà des juges administratifs qui passent d'une section à une autre, et il semble que ce soit un atout. La Conférence des juges administratifs nous a dit que c'est une bonne idée parce que ça assurait, disent-ils, la synergie et une forme de... quelque chose de positif pour les commissaires qui peuvent agir dans différentes divisions, au plan professionnel, que ce serait plus intéressant.

Voyez-vous un problème, vous, à ce que le président, par exemple, pour des raisons de volume ou des raisons de qualité, puisse assigner un commissaire ou un juge administratif qui est déjà dans une autre division à une autre division? Voyez-vous une difficulté à ce qu'il y ait des transferts?

M. Mercure (Jean): Moi, je ne vois aucune difficulté. Un juge à la Cour supérieure peut traiter des questions matrimoniales, il peut traiter des questions d'assurance, il peut traiter toutes sortes de questions. Alors, pourquoi qu'un juge administratif ne pourrait pas faire la même chose? Alors, le seul problème, là, c'était celui qui était soulevé par Me Cliche tantôt, à savoir, par exemple, dans les questions, là, administratives, là, municipales, etc., bon, qu'il y en a moins dans un endroit. Si, par exemple, on parle de régionalisation, à ce moment-là on pourrait peut-être avoir une personne qui est itinérante pour ces questions spécifiques là. Mais, quant au reste, je pense que tout juge administratif est en mesure de traiter toute question. Il a simplement à avoir la formation nécessaire pour pouvoir y arriver. Il est un juge, il est capable de décider. Alors, que ce soit d'une question ou d'une autre, il va être capable de faire la même chose.

M. Bellemare: En ce qui concerne maintenant le financement, avez-vous des observations à faire au ministre concernant la question du financement? Il y a eu, bien sûr, des associations patronales, il y a Me Cliche, qui vous a précédé, qui souhaitaient qu'il y ait une certaine étanchéité entre la section des lésions professionnelles et les autres divisions du tribunal dans le but d'éviter qu'il y ait des transits financiers entre la section des lésions professionnels et les autres divisions. Avez-vous des observations à faire quant à la formule de financement? Parce que ça va en prendre une de toute façon, ça en prend une devant tous les tribunaux administratifs. Qu'est-ce qu'on devrait... À quel facteur devrait-on s'attarder, d'après vous?

M. Mercure (Jean): Bien, moi, à mon sens, c'est comme... Ce qui se fait actuellement au Tribunal administratif du Québec, c'est à savoir que le financement est en fonction des causes qui sont pendantes devant le tribunal, et je pense que ce serait la meilleure formule à prendre. Mais, encore là, je ne suis pas un expert sur ces questions-là puis je n'ai pas vraiment d'opinion sur cet aspect-là. Mais je pense que ce qui se passe au tribunal administratif est excellent.

M. Bellemare: Quant à l'aspect de l'indépendance du décideur en matière de lésions professionnelles, vous avez parlé du paritarisme tantôt et vous avez soulevé la question de l'indépendance. Est-ce que, à votre avis, il y a un problème par rapport au paritarisme eu égard aux chartes, l'article 23 de la Charte qui garantit à tout citoyen du Québec une audience devant un tribunal impartial et indépendant? Est-ce que le paritarisme, à votre avis, crée une difficulté par rapport à l'article 23 de la Charte? C'est ce que Me Cliche nous disait tantôt. Partagez-vous ses craintes?

M. Mercure (Jean): Oui, je partage ses craintes. Moi, je considère que le paritarisme, c'est quelque chose qui est un accroc dans l'évolution normale des choses. On n'aurait jamais dû embarquer dans ce principe-là. Je pense que, lorsqu'on est en face d'un juge qui décide, on n'a pas à avoir l'opinion des différentes parties. Je pense que l'opinion est exposée lors de l'enquête, et le juge est en mesure de faire la part des choses.

Le Président (M. Simard): Alors, je remercie beaucoup Me Mercure. Je suspends pendant quelques minutes nos travaux en invitant tout de suite le prochain groupe à venir nous joindre, et il s'agit de l'Association de la construction. Alors, pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 28)

 

(Reprise à 11 h 31)

Le Président (M. Simard): Nous reprenons nos travaux. Nous sommes très heureux de recevoir, comme dernier groupe entendu cet avant-midi, l'Association de la construction du Québec. On devine bien que vous êtes régulièrement confrontés à des problèmes qui sont ceux qui réunissent la commission, notamment tout ce qui concerne la Commission des lésions professionnelles. Alors, nous allons vous écouter avec attention. Le porte-parole principal sera Me Hamel? Alors, j'imagine, Me Hamel, que vous allez nous présenter ceux qui vous accompagnent.

Association de la construction
du Québec (ACQ)

M. Paré (Michel): Alors, mon nom est Michel Paré...

Le Président (M. Simard): Pardon, excusez-moi.

M. Paré (Michel): ...je suis le vice-président aux affaires politiques de l'Association de la construction du Québec. Alors, la délégation de l'ACQ est composée de: deux avocats plaideurs en santé et sécurité au travail, à l'extrême droite, Me Éric Thibaudeau, et, à l'extrême gauche, Me Michel Lalonde; notre responsable des services de santé et sécurité au travail et des mutuelles de santé et sécurité au travail que nous gérons, M. Sylvain Parisien, qui est à ma gauche; et, à ma droite, le directeur des affaires juridiques et gouvernementales, Me Pierre Hamel, qui présentera le mémoire.

Alors, M. le Président, M. le ministre, membres de la commission parlementaire, nous vous remercions de l'opportunité que vous nous donnez de vous faire part des commentaires de l'Association de la construction du Québec sur le projet de loi n° 35. Mais, simplement pour vous situer un petit peu sur ce qu'est l'ACQ en matière de santé et sécurité au travail, simplement vous souligner que l'ACQ représente environ 15 000 entreprises de la construction à travers ses différents mandats de promotion et de défense des intérêts de ses membres et de gestionnaire de plans de garantie de bâtiments résidentiels neufs, connus sous le nom de Qualité-Habitation pour le secteur résidentiel. Et, également, nous sommes l'agent patronal unique pour la négociation des conventions collectives pour tous les employeurs de la construction qui oeuvrent dans les secteurs institutionnel, commercial et industriel au Québec.

Plus spécifiquement, en matière de santé et sécurité au travail, on fait environ 16 000 interventions annuellement en entreprise. Nous gérons également cinq mutuelles en santé et sécurité au travail. Du côté de la formation, en matière de santé et sécurité au travail toujours, l'ACQ, à ce jour, a formé plus de 4 500 représentants d'employeurs, dont 3 500 contremaîtres qui agissent à tous les jours sur les chantiers de construction au Québec. En matière de lésions professionnelles, notre équipe de gestionnaires intervient dans près de 1 000 dossiers annuellement. Et nos avocats plaideurs, en matière de santé et sécurité au travail toujours, ont une expérience cumulée de plus de 1 000 dossiers comme représentants d'employeurs de la construction.

Alors, c'est donc sur la base de cette expérience-là que nous allons vous présenter les commentaires de l'Association de la construction du Québec sur le projet de loi n° 35, et c'est Me Pierre Hamel, qui est le directeur des affaires juridiques et gouvernementales, qui va vous faire la présentation. Merci.

M. Hamel (Pierre): Merci. Alors, M. le... Mme la Présidente ? excusez-moi, ça a changé de poste ? M. le ministre, membres de la commission, comme l'a fait mon collègue avant moi, je tiens à vous remercier de prendre le temps nécessaire pour écouter les quelques commentaires de notre association à l'égard de l'important projet de loi qui est devant nous et sous étude actuellement. Nous avons été informés que c'est seulement hier en fin de journée que vous avez reçu notre mémoire. Nous nous excusons auprès de la commission pour le court délai.

Ceux qui, parmi vous, ont eu l'opportunité d'en prendre connaissance conviendront que nos remarques sont générales et ne visent pas la correction spécifique de divers articles du projet de loi, mais dressent plutôt un portrait des éléments essentiels de ce que la réforme proposée doit ou devrait contenir. Comme, également, nous sommes plus ou moins le 19e groupe à faire des représentations devant vous, on s'excuse déjà d'avance de la redondance que pourraient avoir nos propos. Et on va tenter, afin de faciliter les travaux de la commission, d'aller droit au but.

Aujourd'hui, nous désirons attirer votre attention sur trois types de dispositions du projet de loi: celles relatives à l'impartialité et à l'indépendance des juges administratifs, pour lesquelles nous sommes très favorables; celles relatives à l'expertise de ces mêmes décideurs, que nous croyons insuffisantes; et celles relatives aux délais, concernant principalement ceux qui mènent à la Commission des lésions professionnelles, à l'égard desquelles on est en désaccord en fonction du projet tel que rédigé.

Concernant l'impartialité et l'indépendance, sans vouloir présumer des représentations qui vous seront faites des groupes ultérieurs, la plupart des représentations, plusieurs d'entre elles ont été généralement très favorables à la notion d'indépendance et d'impartialité des décideurs. Il est difficile d'être contre la vertu, et l'impartialité et l'indépendance sont aux tribunaux un gage de vertu qui est tout aussi nécessaire pour le développement de notre système de justice administrative que pour l'administration des tribunaux de droit commun. Nos tribunaux administratifs ne doivent plus être considérés comme des tribunaux inférieurs, et le même soin qui entoure la nomination des juges de droit commun devrait s'appliquer à la nomination des juges administratifs.

Nous avons eu le privilège d'entendre les représentants de certains groupes et même certains avocats dire devant cette commission qu'ils attendent la mise en place de mesures d'impartialité, certains depuis 30 ans. C'est donc dire le délai que peut parfois prendre le législateur pour mettre en place des mesures qui semblent à première vue faire déjà l'unanimité. Le message que lance ce type de commentaire ou de témoignage devant la commission, nous le lisons de la façon suivante: N'attendons pas encore 20 ans pour reconnaître la place que doit prendre notre justice administrative et adoptons des dispositions modernes maintenant. Si on doit aller un peu plus loin qu'on ne le fait déjà avec le projet de loi, allons-y.

Plusieurs des dispositions proposées nous apparaissent déjà être des dispositions modernes. La disposition charnière du projet de loi à cet effet, l'article 18, qui vient modifier l'article 38 de la Loi sur la justice administrative et qui stipule: «Le tribunal est composé de membres nommés durant bonne conduite par le gouvernement qui en détermine le nombre en tenant compte des besoins du tribunal», nous sommes en parfait accord avec cette démarche. L'élimination de la notion de renouvellement de mandat d'un décideur est, selon nous, une garantie importante d'indépendance.

Quant à la notion d'impartialité, il est bien difficile de s'en prémunir. Comme on dit, c'est avec l'usage qu'on pourra se révéler partial ou impartial, hein? À cet égard, l'article 28 du projet de loi, qui modifie l'article 75 de la loi, nous apparaît fort intéressant. Cet article permet au gouvernement d'adopter des règlements permettant d'évaluer périodiquement les connaissances, les habiletés, les attitudes et comportements des membres dans l'exercice de leurs fonctions ? et là il y a place à la notion de partialité ou d'impartialité ? et aussi leur contribution dans le traitement des dossiers du tribunal. Le message qu'envoie cette disposition est, selon nous, très clair: Nous désirons doter nos tribunaux d'experts, d'experts sachant être efficaces dans l'administration des dossiers et surtout des experts efficaces dans l'administration des dossiers pouvant, par leur attitude, faciliter l'accès à la justice aux contribuables, quels qu'ils soient.

Nul besoin de dire toute l'importance que revêt l'adoption de ce règlement spécifique. Il va droit au coeur de ce qui distingue les tribunaux administratifs des autres tribunaux, c'est-à-dire l'expertise pointue et l'accessibilité. Sans avoir à subir une évaluation à tous les six mois et toujours rendre compte de ses moindres faits et gestes, nous sommes d'opinion qu'un mécanisme comme celui qui est suggéré a sa place dans la justice administrative. Si partialité il y a de la part d'un décideur, il faudra plus qu'un code de déontologie, selon nous, pour s'y attaquer. Donc, sans entrer plus en détail dans ces notions, nous croyons que les dispositions du projet de loi à l'égard de l'indépendance et de l'impartialité offrent d'excellentes perspectives.

n (11 h 40) n

En traitant des connaissances et de l'habileté des décideurs, l'article 28 du projet de loi introduit un élément qui nous apparaît tout aussi important que l'indépendance et l'impartialité, celui de l'expertise du tribunal. On parle de connaissances et d'habiletés. Au-delà du texte de l'article 28 du projet de loi, l'ACQ est d'opinion que la notion d'expertise doit être protégée au coeur même de la loi, d'abord au niveau de la nomination des membres. Si l'on se permet de juger des connaissances d'un décideur, en vertu de l'article 28, que l'on nomme pour une durée indéterminée ? certains diront à vie, bon ? encore faut-il bien déterminer les connaissances dont il a vraiment besoin pour être nommé, quelle expertise dont on a besoin pour le choisir et, lorsqu'on le choisit pour cette expertise-là, reconnaître les attributs pour lesquels on l'a nommé, c'est-à-dire s'assurer qu'on utilise ce membre-là en fonction de l'expertise qu'il a développée.

C'est dans ce contexte que l'on mentionne, à la page 8 de notre mémoire: «Nous croyons qu'avant d'accorder à une personne le privilège d'une nomination à vie sa candidature devrait être précédée d'un processus de sélection modulé à la hausse.» En somme, avant d'accorder à un tribunal administratif un élément qui particularise les tribunaux judiciaires, la loi devrait pouvoir assurer aux contribuables que le processus de recrutement qu'il met en place assure une représentation adéquate des juges étant issus de leur secteur d'activité.

D'où la première recommandation apparaissant à la page 9 de notre mémoire, la première partie de notre première recommandation, dis-je, qui se lit comme suit: «En conséquence, l'ACQ recommande la mise en place de mécanismes assurant la préservation de l'expertise au sein des décideurs administratifs, d'abord au moment de la nomination en s'assurant que les commissaires appelés à trancher un litige faisant appel à la connaissance des usages de l'industrie de la construction y aient oeuvré de façon significative.»

Le fait d'avoir une expertise suffisante dans son domaine et, ainsi, d'être nommé juge administratif ne garantit pas l'assignation d'une telle ressource là où elle devrait véritablement être. Donc, deuxièmement, l'expertise devrait être protégée au niveau de l'assignation des causes, d'où la seconde partie de notre recommandation en modifiant l'article 34 du projet de loi afin qu'il se lise comme suit: «Le président, le vice-président responsable de la section concernée ou le membre désigné par l'un d'eux détermine quels membres sont appelés à siéger à l'une ou l'autre des séances et désigne, le cas échéant, celui qui préside.» Notre correction serait la suivante: «Cette détermination est faite en fonction de l'expertise et des compétences particulières du ou des membres relativement au secteur d'activité mis en cause par la contestation.» Voilà une suggestion afin d'introduire cette notion d'expertise au coeur de la loi. On pourrait aller encore plus loin, mais on est conscients qu'il y a des problèmes d'administration de ressources au sein même des tribunaux.

Si un secteur de l'économie comme celui de la construction amène son lot de dossiers annuellement qui permettrait d'y affecter des ressources à plein temps, le regroupement par familles d'autres secteurs pourrait également être envisagé, si ce n'est déjà fait, afin de préserver l'expertise qui, rappelons-le, serait la base du choix du candidat. Donc, un tribunal administratif axé sur l'indépendance, l'impartialité et l'expertise de ses décideurs a, selon nous, tous les attributs d'un tribunal moderne.

Au niveau des recours reliés à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, nous croyons que la présence d'un seul décideur correspond aux critères ci-avant mentionnés et suffisants pour rendre justice. La présence des membres patronaux et syndicaux nous apparaît inutile, un peu laborieuse et allant, jusqu'à un certain point, à l'encontre même des principes d'indépendance et d'impartialité. Aussi, notre deuxième recommandation, apparaissant à la page 10 de notre mémoire, va en ce sens: la loi devrait aller plus loin et l'abolir complètement. Voilà pour ces aspects.

Célérité dans le traitement des dossiers. À cet égard, notre propos s'adresse au mécanisme de révision des décisions de la CSST, et plus particulièrement à la proposition d'abolir l'étape de la révision administrative. Nous sommes d'opinion que l'étape de la révision administrative doit demeurer et conserver son caractère obligatoire. Le travail actuellement effectué par la division de révision administrative constitue, selon nous, une mesure administrative elle-même qui tend à libérer le tribunal de dossiers qui ne devraient pas nécessairement y être.

Sans vouloir élaborer une théorie basée exclusivement sur des chiffres, nous vous proposons, dans notre mémoire, différentes données et différents délais qui nous laissent croire d'abord qu'en réglant près de 47 % des dossiers de contestation la division de révision administrative fait déjà un travail important. Compte tenu du très grand nombre de dossiers traités, les gains escomptés dans le temps de traitement d'un dossier ne peuvent qu'être, selon nous, mineurs. En donnant accès immédiatement au tribunal, il est plutôt à prévoir, selon nous, un engorgement du rôle et, partant, une augmentation du délai quel qu'il soit. Et finalement une telle augmentation des délais aura nécessairement un impact financier se chiffrant, selon nous, à plusieurs millions, tant sur les travailleurs que sur les entreprises. Comme on le mentionne à la page 12 de notre mémoire, une augmentation dans les délais de traitement des dossiers résulte en une augmentation à la hausse des cotisations payées par les employeurs à la CSST.

L'importance de l'impact financier à prévoir fait en sorte qu'il est préférable, selon nous, de modifier le régime actuel en lui imposant certains délais plutôt que d'éliminer une procédure administrative qui, bon an mal an, règle environ 18 000 dossiers. Nous croyons qu'il serait plus opportun de s'adresser à des mesures administratives visant à régler les principales causes de retard que d'éliminer un palier d'intervention. Des mesures comme celles actuellement prises à la CLP depuis quelques mois, touchant la mise au rôle de dossiers selon la disponibilité des parties, sont de nature administratives et s'attaquent au problème des remises qui aurait pu être évité. Et ce problème de remises constitue, on l'a entendu tantôt, une importante source de délais dans le système.

La mise en place d'une voie rapide pour certains dossiers dont les décisions ne peuvent véritablement être modifiées par la division de révision administrative et qui, de toute façon, iront en appel à la Commission des lésions professionnelles pourrait peut-être être considérée et permettrait aussi de gagner du délai.

Donc, des mesures administratives renforcées dans le cadre d'un greffe performant doivent, selon nous, être privilégiées, à tout le moins pour l'instant, à l'élimination de la division de révision administrative. Rien n'empêche, rien n'empêche d'ajouter des ressources supplémentaires pour le traitement des dossiers, pour la conciliation ou pour rendre des décisions. Mais ces éléments doivent s'ajouter au travail de la division de révision administrative, selon nous, d'où notre troisième recommandation, apparaissant à la page 13 de notre mémoire, qui se lit comme suit: «En conséquence, l'ACQ recommande que la procédure de révision administrative prévue actuellement à l'article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles soit maintenue. Cependant, il y aurait lieu de modifier cet article pour imposer un délai maximal de 90 jours pour le traitement d'un dossier à la Direction de la révision administrative.» Alors, c'étaient nos commentaires. Nous vous remercions pour l'attention que vous nous avez portée. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Hamel. Donc, sans plus tarder, je vais passer la parole au ministre de la Justice pour le premier 20 minutes.

M. Bellemare: Alors, merci beaucoup, messieurs, pour ce mémoire et ces recommandations qui, on le voit tout de suite, traduisent très bien des préoccupations patronales relativement au problème de délais. Et nous avons parlé précédemment avec Me Cliche qui est un avocat qui travaille beaucoup avec les employeurs et qui partageait la même préoccupation concernant le délai de contestation. Il est actuellement de 30 jours; on prévoit, dans le projet de loi, de l'allonger à 90 jours. Est-ce que vous avez des objections à ce qu'il soit prolongé à 90 jours?

M. Hamel (Pierre): Écoutez, essentiellement ce n'est pas tellement cet aspect-là qui nous touche, du délai, c'est véritablement l'importance de la division de révision administrative ou l'importance des dossiers qui sont traités déjà à ce niveau-là comme tel. Au niveau des délais, je peux peut-être demander à Me Lalonde de vous commenter cet aspect-là.

M. Lalonde (Michel): Écoutez, nous, que ce soit 90 jours, le délai, ou 30 jours, on ne pense pas que ça va nécessairement faire qu'il y ait moins de dossiers qui soient contestés. S'il y a une décision qui doit l'être, elle va l'être, de toute façon, par les parties. Le fait de rajouter à 90 jours, ça ne fait qu'ajouter, selon nous, un délai additionnel avant que le dossier soit traité au bout de la ligne.

n(11 h 50)n

M. Bellemare: Il y a différentes hypothèses et il y en a une que j'ai soumise à différents intervenants, à l'APCHQ notamment qui est venue témoigner la semaine dernière et à Me Cliche également, concernant la possibilité qu'on garde le délai de 30 jours actuel qui semble convenir. On voulait l'étendre à 90 jours pour l'ensemble des divisions, mais il y aurait une possibilité, bien sûr, qu'on le laisse à 30 jours parce qu'il semble que la situation actuelle convienne aux employeurs comme aux travailleurs. En tout cas, on verra ce qu'on nous dira à partir de maintenant.

Mais, si on laissait le délai à 30 jours et qu'on permettait que les décisions résultant d'un avis du Bureau d'évaluation médicale puissent être portées en appel directement au tribunal d'appel sans passer par la révision et si on abolissait le deuxième délai de 90 jours qui est prévu actuellement dans le projet de loi, dans la mesure où les problèmes médicaux iraient directement en appel, donc il n'y aurait plus de problèmes médicaux qui iraient en révision, de là l'importance moindre de permettre un délai de 90 jours additionnels pour une expertise. Est-ce que vous seriez d'accord avec cette possibilité-là?

M. Hamel (Pierre): En partie. Un des éléments ? et on revient encore à la division de révision administrative ? c'est que, même pour les dossiers médicaux ? et là je vais demander à M. Parisien de commenter ? il semblerait qu'une partie importante, plusieurs centaines, voire près de 1 500 dossiers sont, selon les informations qu'on a eues, réglés annuellement au niveau de la division de révision administrative. Alors, Sylvain.

M. Parisien (Sylvain): Merci. D'abord, les informations qu'on a, c'est qu'il y a un certain nombre de contestations qui émanent du BEM... à la décision qui fait suite au BEM, et il peut y avoir des questions de délai, de hors délai là-dedans, donc, et de forme. Donc, apparemment, la DRA règle et ferme un certain nombre de dossiers qui ne vont pas à la CLP sur les dossiers médicaux. Alors, nous, ce qu'on pense, c'est qu'il devrait y avoir une étude minimale de ça pour éviter que des dossiers irréguliers soient envoyés à la CLP.

M. Hamel (Pierre): Mais, sinon, le circuit qui est présenté nous apparaît intéressant. En latin, on dirait un «fast track». Je ne sais pas si on s'entend. C'est un peu ce que vous avez en tête.

M. Bellemare: C'est ça. Parce que, depuis 1998, toutes les décisions passent en révision administrative. Les décisions qui émanent du Bureau d'évaluation médicale ne peuvent pas être révisées quant à leur fond, quant au contenu, donc c'est juste les questions de forme qui peuvent être analysées. Mais tous les dossiers passent en révision administrative, de là un flot de dossiers considérable qui, dans bien des cas, sinon dans la totalité des cas, de toute façon, se retrouvent en appel. Alors, on pourrait en appeler directement. Et jusqu'à maintenant tous les gens à qui je l'ai proposé semblaient d'accord pour qu'on élimine l'étape de révision dans les cas d'avis du Bureau d'évaluation médicale.

Maintenant, en ce qui concerne le paritarisme, vous allez tout à fait dans le sens de tous les gens qui ont émis des opinions jusqu'à maintenant, l'APCHQ, la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec également qui maintenait sa position de 1997 à l'effet que le paritarisme était coûteux et inutile. Vous nous parlez de l'article 23 de la Charte et vous semblez croire qu'il y a un accroc, que le paritarisme, la présence d'un membre syndical et d'un membre patronal au sein même du tribunal, constitue un accroc au principe d'indépendance promu notamment par l'article 23 de la Charte québécoise. Voulez-vous nous expliquer en quoi la présence de membres paritaires constituerait un accroc au principe d'indépendance dans la pratique?

M. Hamel (Pierre): Alors, d'abord une précision. Nous n'avons pas fait mention de l'article 23. On l'a entendu un peu comme Me Cliche l'a si bien présenté. C'est plutôt au niveau de l'alourdissement du processus et au niveau de l'inutilité des interventions. Et, à cet égard-là, l'expérience qu'on en a... Je peux peut-être demander à Me Thibaudeau de vous en faire part.

M. Thibaudeau (Éric): Oui. Alors, principalement au niveau de la Charte et ce que vous soulevez, comme vous avez pu le voir dans notre mémoire, ce qu'on adresse surtout à la commission et, pour nous, qui est important ? puis je pense que ça se dégage de la plupart des groupes qui sont intervenus ? c'est l'indépendance du tribunal administratif qui va nous entendre. Et je pense que vous le savez très bien, ayant pratiqué régulièrement à la CLP tout comme Me Lalonde et moi aussi, il ne faut pas se leurrer. Quand les portes sont closes après une audition, fréquemment les membres autant syndicaux que patronaux, qui font un excellent travail dans le cadre qui leur est donné, vont quand même tenter ou essayer d'influencer la décision de la seule et unique personne, en fonction de la loi, qui doit décider, c'est-à-dire, bon, le membre, dans le projet de loi, ou le juge administratif, là, pour ceux qui préfèrent l'expression. Alors, quant à nous, pour se rallier à l'indépendance, au principe d'indépendance judiciaire, pour respecter aussi la Charte, on croit, à l'Association de la construction du Québec, qu'une seule personne est suffisante pour entendre les litiges.

M. Bellemare: En ce qui concerne le principe de l'évaluation, à l'article 28, c'est sûr que c'est un bémol par rapport au principe de la bonne conduite, parce que ça permet d'évaluer périodiquement la compétence du membre et aussi de tenir compte d'une série de questions comme les questions déontologiques, notamment. Est-ce que vous croyez que c'est correct que les mesures d'évaluation soient prévues dans un règlement plutôt que dans la loi? Avez-vous des questionnements par rapport à la formule qu'on a retenue?

M. Hamel (Pierre): Écoutez, au niveau de ce qui est déjà prévu dans la loi, on trouve que c'est un excellent pas vers l'avant. On trouve ça très important de d'abord préserver l'indépendance, c'est une chose, mais aussi de s'assurer que notre justice administrative demeure performante. Le problème ici... Même si on parle d'indépendance à plusieurs niveaux, qu'on est favorables à ça, ce n'est pas parce qu'on a des cas d'horreur, de partialité, c'est parce que ça favorise les gens. Mais, au niveau de la performance des tribunaux, là il semble y avoir beaucoup plus de plaintes comme telles. Et donc nous pensons que ces procédures-là sont fondamentales pour la performance de nos tribunaux administratifs, qui sont là pour être performants.

Maintenant, qui doit décider si un membre est rendu inhabile ou a un manque de connaissances, ou enfin... décider ça, est-ce que c'est le président, comme ça semble être le cas ici? Je pense que c'est un peu lourd pour un président de prendre ces décisions-là dans la mesure où on hausse d'un cran les juges et on les appelle des juges. Je ne ferai pas de sémantique ou de division. Pour moi, c'est des gens qui vont juger et qui vont prendre, administrer une partie importante des tribunaux au Québec. À partir de là, évidemment, lorsque tout ça aura pris son envol, si c'était prévu dans une loi et qu'on savait à quoi s'en tenir, on aurait possiblement des garanties plus importantes que, je dirais, de...

Écoutez, un règlement, ça se modifie en Conseil des ministres; une loi, ça a la vertu d'être présentée souvent en commission parlementaire, et, nous, ça nous permet, pour les groupes de pression, ou les groupes de lobby, ou enfin tous les concitoyens qui ont des mots à dire de pouvoir se présenter devant les élus pour participer. Alors, l'importance de ces éléments-là, selon moi, devrait être dans la loi, et c'est ce qu'on privilégie à ce niveau-là, comme tel, pour encadrer ou enchâsser cette espèce de nouvelle image qu'on veut, ou ce souffle qu'on veut donner au nouveau tribunal administratif.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va, M. le ministre, ça va pour vous?

M. Bellemare: Oui, ça va, merci.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, d'accord. M. le député de Trois-Rivières.

M. Gabias: Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs, merci de votre contribution aux travaux de la commission. Je voudrais revenir sur votre première recommandation qui suggère de modifier le texte de l'article 83. Je comprends bien l'objectif qui est visé par votre recommandation, mais ne croyez-vous pas que le texte actuel de l'article 83 rencontrerait quand même assez bien l'objectif que vous visez ou si vous craignez que, sans cette précision, cet objectif-là ne serait pas rencontré?

M. Hamel (Pierre): Ce qu'on craint... Non, de fait, toutes choses étant égales par ailleurs, l'article 83 est suffisant. L'article 83 va être là pour durer et l'administration des tribunaux va nous survivre. C'est-à-dire que là on va arriver dans la vraie vie et on va se retrouver dans une situation où peut-être, à certains niveaux administratifs, on va avoir à prendre des décisions puis à envoyer des commissaires, ou des décideurs, ou des juges à différents endroits, et peut-être qu'à un certain moment, au fil de la vie ou de l'administration de cette loi-là, on va perdre un peu ce pour quoi on a décidé de légiférer et la façon dont on s'est doté pour légiférer. Et c'est ce type de guide qu'on voudrait conserver dans la loi pour nous permettre de maintenir ça en toutes circonstances et en toutes occasions.

n(12 heures)n

On est d'accord qu'il y a des... au niveau administratif, administrer un nombre de juges, les problèmes régionaux, il va peut-être être plus facile d'y aller de façon regroupée ou de demander à des juges d'entendre plusieurs types de causes ou de siéger devant plusieurs types d'instances. On parle d'assurance automobile. Nous, ici, c'est seulement la CLP, on doit l'admettre, là, mais cependant oui, c'est possible, et on est d'accord avec une administration saine aussi de nos tribunaux administratifs.

Mais, même la Cour du Québec, en région, c'est le même juge qui siège en chambre criminelle qu'en chambre civile, alors que, dans les grandes régions, bien, il y a un juge qui siège seulement en chambre civile puis seulement en chambre criminelle. Alors, c'est en fonction évidemment des nominations, en fonction des disponibilités, etc. Mais, chose certaine, ça doit toujours demeurer une distinction entre les tribunaux de droit commun. Sinon, faisons une chambre administrative de la Cour du Québec, nommons des juges, et on vient de régler le problème. Mais ce n'est pas vraiment ça qu'on veut. Ce qu'on veut, c'est de l'expertise. Ce qu'on veut, c'est de l'accessibilité. Ce qu'on veut, c'est une façon différente d'aller chercher le citoyen comme tel. Alors donc, c'est ça qu'il faut préserver dans le projet de loi, et notre première recommandation est une suggestion en ce sens-là. On n'a pas l'habileté des législateurs, mais c'est ça qu'on voudrait préserver dans ce projet de loi là.

M. Gabias: Vous permettez?

La Présidente (Mme Thériault): Oui, allez-y.

M. Gabias: En fonction de votre troisième recommandation, vous recommandez de conserver le processus de révision administrative. Ne croyez-vous pas que, par un recours efficace à la conciliation, ce qui est suggéré dans le projet de loi, et un passage direct au recours devant le tribunal... est-ce que ce n'est pas un gage meilleur... en fait le gage d'une meilleure justice que de ? comme vous le suggérez, là ? conserver le processus de révision qui... on connaît ses lacunes, là?

M. Hamel (Pierre): La justice actuellement en matière de CLP est administrée par les... est payée par les employeurs, elle n'est pas payée par l'État. Il y a des coûts importants qui peuvent avoir cours ou qui peuvent se développer. Et on a eu des problèmes dans le passé, dans les années quatre-vingt-dix, qui ont fait que, plutôt que d'avoir des délais plus courts, on a eu des délais plus longs, ce qui s'est traduit en des millions et des millions que les travailleurs et les employeurs ont dû payer pour, toujours, l'administration du régime. Alors, à ce niveau-là, il nous apparaît difficile de prendre le pari tout d'un coup.

Si on met des ressources supplémentaires en conciliation, on peut quand même conserver la division de révision administrative. Si on met des ressources supplémentaires devant les tribunaux, c'est-à-dire des juges supplémentaires ou des décideurs supplémentaires, on peut encore conserver la division de révision administrative. Le problème au niveau de la division de révision administrative, ce n'est pas vraiment là qu'il se situe, au niveau du délai. Les données qu'on a, c'est que ça prend environ 90 jours en moyenne pour prendre une décision. Évidemment, il y a bien des décisions qui prennent cinq jours ou 10 jours. Le problème, ce n'est pas celles qui prennent cinq jours ou 10 jours, c'est celles qui font augmenter le délai, la moyenne à 90 jours, c'est celles de 180 jours puis celles de plusieurs mois.

Alors, ce qu'on dit, c'est: Conservez la division de révision administrative, mais imposez-leur l'obligation de rendre une décision à 90 jours. Ce qui va permettre, qui va faire en sorte qu'on va être certain d'avoir une décision, contrairement au projet de loi qui dit: Allez directement devant les tribunaux, attendez en file, et là peut-être qu'on aura, à la discrétion de la CSST, une révision de la décision. Je comprends qu'il y a peut-être certains administrés ou justiciables qui se découragent, tout ça, mais il n'en demeure pas moins que ce système-là permet quand même de régler un nombre très important de décisions. Et, avant de l'enlever complètement et de dire: On va faire un pari au niveau du nombre de conciliateurs... On a entendu le commentaire des conciliateurs... à propos des conciliateurs. Alors, je n'ai pas de problème à ce qu'on le développe, à ce qu'on le rende encore plus performant, on est favorable à ça. Et on est favorable, entendons-nous bien, on est favorable à une justice plus rapide. Cependant, en matière de CLP, il y a un prix à payer, et il faut être plus prudent, si on veut renverser la machine, pour s'assurer qu'il n'y aura pas de coûts supplémentaires. On n'a pas besoin de coûts supplémentaires, les employeurs du Québec actuellement, et on n'a pas besoin de ça, et on n'a pas l'assurance qu'on va gagner du temps. Et c'est dans ce sens-là qu'on demande d'être prudent. Si la conciliation fonctionne de façon extraordinaire, tant mieux, nous pourrons éventuellement enlever la division de révision administrative. Mais allons-y par étapes pour éviter que ça se transforme en coûts supplémentaires.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va? Oui?

M. Gabias: Vous me permettez, Mme la Présidente?

M. Hamel (Pierre): Oui.

M. Gabias: Vous ne me permettez pas?

La Présidente (Mme Thériault): Vous allez manquer de temps.

M. Gabias: Correct.

La Présidente (Mme Thériault): D'accord. Je vais passer la parole maintenant au porte-parole de l'opposition officielle, le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, merci, messieurs, de votre présentation des éléments, des propositions. Je veux bien comprendre la recommandation 1. Pourriez-vous... Le but ultime que vous recherchez par la recommandation 1, c'est quoi?

M. Hamel (Pierre): Le but ultime, c'est de s'assurer que des gens de l'industrie de la construction vont être prêts, vont pouvoir entendre des gens qui ont des problèmes dans des contextes de construction.

M. Bédard: Est-ce que c'est le cas actuellement?

M. Hamel (Pierre): Pas nécessairement. Ça peut arriver, c'est une question de devant qui on plaide, mais le commissaire n'est pas nécessairement issu du domaine de la construction. Et on a un exemple, dans notre mémoire on a un exemple, et il y a bien des gens qui ne comprennent pas notre exemple. Et c'est justement ça, le cas, c'est qu'on parle d'un électricien qui travaille, qui fait du service, puis un électricien qui... pour surdité, qui fait des travaux industriels.

M. Bédard: C'est différent.

M. Hamel (Pierre): C'est complètement différent. Mais ça, ça nous permet peut-être d'aller plus rapidement à régler les problèmes et nous permettre d'avoir cette fameuse expertise là.

M. Bédard: Oui. D'ailleurs, c'est toute une expertise quand on travaille en construction. Je me souviens d'avoir lu des décisions qui assimilaient des... c'étaient des panneaux d'armoire à du matériel de construction... à du matériel de production. Je me souviens où, à une certaine époque... Effectivement, c'est un domaine qui fait appel à des connaissances... (panne de son)

M. Hamel (Pierre): Et, dans la réforme du Code du travail, il y a quelques années, de la mise en place de la Commission des relations de travail, tout le monde a bien compris qu'on a sorti le commissaire de l'industrie de la construction parce que ce n'étaient pas exactement les mêmes spécificités. On ne veut pas nécessairement sortir actuellement du giron de la CLP, mais on pense que certaines industries... Si on fait, au niveau de la nomination, des choix et on met en place des règles de nomination, prévoyons ces aspects-là pour les industries qui l'appellent.

Est-ce que les papetières ont le même problème que nous ou ont le même nombre? Je ne le sais pas, mais il y a sûrement des industries, des secteurs d'industrie qui, d'entrée de jeu, appellent à demander l'expertise tant par la nature que par le nombre, par le volume. Sinon, allons-y en famille. Allons-y en famille. Est-ce que c'est plus facile de regrouper des décideurs dans la section immobilière, mais avoir tout le volet de la section immobilière? Et là je parle de choses que je ne connais pas parce que, nous autres, c'est véritablement seulement la CLP. Mais il y a seulement une analyse au niveau de la façon dont on devrait regrouper. Et, même si les juges trouvent extrêmement rafraîchissant et stimulant intellectuellement le fait de passer d'une division à l'autre, ce n'est pas l'objectif, je pense, des tribunaux.

M. Bédard: D'accord.

M. Hamel (Pierre): Et je pense qu'on devrait être plutôt axé sur la performance de nos tribunaux administratifs. Et c'est la question que tous les juges, même de la Cour d'appel, de la Cour supérieure, de la Cour du Québec, ont: la performance de l'administration de la justice actuellement.

M. Bédard: Je suis tout à fait d'accord avec vous effectivement, parce que, même si on applique dans le domaine médical... Tout est différent de toute façon par rapport au domaine d'activité et même par rapport aux lois qu'on applique. Le domaine médical, dans deux secteurs différents, peut s'appliquer effectivement différemment parce que... même les paramètres juridiques ne seront pas les mêmes. Donc, il faut garder cette spécialisation. Mais, dans votre domaine, j'imagine que le système actuel ne vous convient pas non plus. C'est ce que je comprends aussi.

M. Hamel (Pierre): Bien, il est perfectible.

M. Bédard: Il ne vous convient pas tout à fait.

M. Hamel (Pierre): On s'y plie, mais il est perfectible.

M. Bédard: Oui, il est perfectible.

M. Hamel (Pierre): Et on a une fenêtre extraordinaire, là, et c'est là qu'on dit: On a une fenêtre extraordinaire pour moderniser notre loi et rendre nos tribunaux extrêmement efficaces.

M. Bédard: Et est-ce que vous avez estimé le nombre de décideurs par exemple que ça vous prendrait en termes... qui ont des connaissances particulières? Est-ce que vous...

M. Hamel (Pierre): On parle d'une dizaine ou d'une douzaine, là, mais c'est des estimations...

M. Bédard: Des estimations.

M. Hamel (Pierre): ...de discussion, là, ce n'est pas... on n'a pas pris, on n'a pas accès aux données pour... Mais on parle de pas plus qu'une dizaine de décideurs.

M. Bédard: O.K. Est-ce que vous l'avez déjà réclamé?

M. Hamel (Pierre): Oui, peut-être Michel.

M. Paré (Michel): Vous me permettez? Une des revendications traditionnelles de l'industrie de la construction, c'est de mettre sur pied un tribunal de la construction. On l'a un petit peu en matière de... on l'a en matière de relations de travail avec la Commission de la construction, le Commissaire... avec le Commissaire de la construction. Vous savez, l'industrie de la construction, ça représente environ 10 % du PIB. On a notre code du travail, qui est spécifique à l'industrie de la construction, qui est la loi R-20 sur les relations de travail, on a une syndicalisation obligatoire, on a toute une dynamique qui est très particulière. On le voit dans les lois sur les relations de travail, on le voit par le commissaire, on le voit par différents organismes qui encadrent l'industrie de la construction, et c'est assez difficile de s'y retrouver au niveau judiciaire. Alors, pour faciliter l'accès... alors, nous, on a toujours prétendu, on a toujours revendiqué d'avoir un tribunal de la construction. Maintenant, si on ne peut pas l'obtenir, la loi qui est sous étude nous permet, et c'est l'objet de nos recommandations, d'aller vers une spécialisation un peu plus construction à l'intérieur des tribunaux administratifs.

M. Bédard: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Mercier.

n(12 h 10)n

M. Turp: Merci, M. le Président. Dans le mémoire, vous suggérez que le processus de sélection soit modulé à la hausse, et ce que je comprends, c'est que, pour l'essentiel, la hausse c'est l'expertise. Donc, c'est ma première question: Est-ce que c'est autre chose que l'expertise, en matière de construction, des éventuelles personnes siégeant au Tribunal administratif du Québec?

L'autre question que j'ai, c'est peut-être que l'indépendance de ces personnes est importante aussi, et vous avez évoqué vous-même l'article 75 et le nouveau paragraphe 3.1° qui serait ajouté. Est-ce que vous ne voyez pas un problème d'indépendance et d'impartialité? Parce que l'évaluation périodique que ferait le président, cette nouvelle fonction qui lui serait accordée le serait selon des règles établies par règlement du gouvernement. Et je sais que ça a déjà fait l'objet de discussions ici, en commission. Mais, pour notre bénéfice et celui du ministre, est-ce que vous ne voyez pas un problème, que le président doive évaluer les personnes de son tribunal selon des règles établies par règlement du gouvernement et non pas par des règles établies par le tribunal lui-même?

Donc, c'est mes deux questions. Et juste pour la question de la terminologie, M. le ministre, c'est intéressant que la Cour suprême du Canada, elle, considère que des membres du tribunal administratif puissent être qualifiés de juges administratifs, et peut-être que ça pourra l'inspirer dans la terminologie à utiliser dans le projet de loi.

M. Hamel (Pierre): Alors, pour répondre à votre première question au niveau de l'expertise, d'entrée de jeu, oui, c'est principalement la spécialisation ou l'expertise que l'on vise. On trouve extrêmement, je dirais... ça pourrait être très avantageux, une nomination, un peu comme le proposait Me Cliche aussi. Mais on n'est pas des experts à ce niveau-là. Mais, pour nous, l'expertise est particulièrement importante, c'est ce qui est principalement visé.

Au niveau de l'indépendance, ce que je mentionnais à M. le ministre, je suis du même avis, c'est: Essentiellement, il n'appartient pas au président de supporter sur ses épaules, seul, d'abord, je pense, ces décisions-là. Et, d'autre part, je pense que ça devrait être inscrit soit dans la loi ou soit dans une autre loi, mais ça devrait procéder par voie législative plutôt que réglementaire. On pense qu'il y a des meilleurs... c'est plus difficile de modifier une loi qu'un règlement, selon nous, et ça permet d'avoir le pouls de la population de façon plus avantageuse.

M. Turp: Mais est-ce que vous êtes d'avis qu'il y a un problème éventuellement de conformité à la Charte des droits et libertés si ces règles sont établies par règlement?

M. Hamel (Pierre): Moi, je ne peux pas répondre à cette disposition-là, vous êtes peut-être beaucoup mieux placé que moi pour le faire. Mais je ne m'aventurerai donc pas sur ce terrain-là. Alors, je ne peux pas répondre à ça. Mais peut-être que Me Thibaudeau aurait un supplément de réponse.

M. Thibaudeau (Éric): Brièvement, sans entrer peut-être dans les détails de la Charte et tous les critères qui s'appliquent, là. Il fait partie effectivement de nos préoccupations à s'interroger sur la transparence ? un peu comme le soulevait Me Cliche ? d'un tel processus tel que proposé. Quand on avait, par exemple, dans l'état actuel, le Conseil de la justice administrative pour entendre les plaintes, un organisme indépendant, ça fait peut-être meilleure image auprès des citoyens. Pour ça, on est d'accord avec vous. On a juste à regarder ? et je suis sûr que Me Bellemare va s'en souvenir ? les requêtes en récusation qui ont déjà été présentées devant les divers tribunaux administratifs. Ce sont des requêtes qui se présentent au président de ce tribunal-là. Mais, si le taux... Je suis sûr que mes confrères qui les ont présentées avaient des bons motifs, comme Me Bellemare les avait, et les taux de réussite de telles demandes sont plutôt faibles.

M. Turp: Pour ne pas dire qu'ils sont...

M. Bédard: ...

M. Turp: En tout cas, ça vaut la peine d'y réfléchir. Il y a un problème de charte, à mon avis.

Le Président (M. Simard): Alors, je sais que le ministre a demandé d'utiliser ces quelques minutes qu'il lui reste pour intervenir. C'est maître... Ce n'est pas maître, c'est M. le député de Marguerite-D'Youville qui posera...

M. Moreau: Néanmoins maître.

Le Président (M. Simard): Et néanmoins maître.

Une voix: Maître de quoi?

M. Moreau: Maître de ses questions, en tout cas. Il nous reste peu de temps. Me Hamel, je vais vous lancer un défi. On a à peu près deux minutes, alors je sais que vous pouvez nous faire des réponses très concises, vous l'avez démontré.

Vous avez, à la page 8 de votre mémoire, justement dans le même sens que les questions de mon collègue de Mercier, parlé de hausser les modalités de sélection des membres du Tribunal administratif du Québec. Je vais vous poser une question qui est assez directe: Est-ce que, à votre avis, si on utilisait pour nommer les membres de ce tribunal administratif les mêmes critères que ceux prévus par la Loi sur les tribunaux judiciaires pour la nomination des juges de la Cour du Québec, ce serait de nature à rehausser la question de l'impartialité, du caractère public des nominations, et ça rentre dans les critères qui vous seraient acceptables?

M. Hamel (Pierre): Tout à fait.

Le Président (M. Simard): Ça, c'est une réponse.

M. Moreau: Ça, c'est court, ce qui nous permet une deuxième question.

Le Président (M. Simard): C'était trop beau pour être vrai.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Moreau: Alors, concise. Avant vous, la Commission des services juridiques, et je pense que vous êtes le deuxième mémoire seulement que nous avons là-dessus, où vous semblez dire: Écoutez, lorsque vous allez... bon, une nomination durant bonne conduite, c'est bien, mais faites attention, là, faites pas... Vous semblez vouloir dire ? je veux juste m'assurer est-ce que c'est ce que vous dites ou pas: Faites pas un transfert automatique de ceux qui sont là, à la CLP ou au TAQ, comme ça. Vous semblez avoir, ce que j'ai appelé lorsque la Commission des services juridiques est passée, un processus crépusculaire où vous modulez le... J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Hamel (Pierre): Ce n'était pas le... notre propos.

M. Moreau: O.K., ce n'était pas non plus le propos. O.K.

M. Hamel (Pierre): Véritablement, ce n'était pas l'objet de notre propos. Maintenant que vous posez la question... Tant qu'à faire du changement, faisons du changement et révisons tout au complet si c'est nécessaire de le faire, tout simplement. C'est plus ma vision de citoyen, là, que de membre, là. Si on doit refaire, reprendre nos tribunaux administratifs, revoir la façon de faire, revoir les critères, reprenons tout depuis le début, favorisons peut-être ceux qui sont déjà membres et qui ont des bons et loyaux services. J'en suis tout à fait d'accord, mais ce n'est pas une raison pour... Il n'y a pas d'ancienneté dans la compétence.

M. Moreau: Mais il ne faut pas non plus lancer une chasse aux sorcières, là.

M. Hamel (Pierre): Non plus, non, surtout pas, surtout pas. C'est dans ce sens-là.

M. Moreau: Parce qu'on a une qualité de justice administrative...

M. Hamel (Pierre): Exact, exact.

M. Moreau: ...qui existe au Québec.

M. Hamel (Pierre): Et ce n'est pas ça qui est discuté, d'ailleurs.

M. Moreau: Et ce n'étaient pas les propos non plus de la Commission des services juridiques lorsqu'ils nous ont expliqué leur phrase. Alors, c'est la raison pour laquelle je vous demandais d'élaborer là-dessus parce qu'il y a quand même...Il ne faut pas inquiéter tout le monde non plus. Ça va.

M. Hamel (Pierre): Non, il ne faut pas inquiéter tout le monde, mais il faut être quand même conscient que le virage que les parlementaires entendent amorcer est très important.

M. Paré (Michel): Et il faut ajouter... Si vous me permettez, M. le Président.

Le Président (M. Simard): Oui, je vous en prie.

M. Paré (Michel): Il faut ajouter l'expertise construction.

M. Moreau: Oui.

M. Paré (Michel): En profiter pour y ajouter l'expertise construction.

Le Président (M. Simard): Je veux simplement signaler au député de Marguerite-D'Youville ici qu'effectivement, sur le mode de nomination, ça inclut non seulement ce qui est dans la loi, mais la réglementation qui suit, parce que, actuellement, on se retrouve avec exactement le même texte dans la loi du Tribunal administratif du Québec que pour la Cour du Québec...

M. Moreau: Mais la réglementation est différente.

Le Président (M. Simard): ...mais avec une réglementation très différente.

M. Moreau: C'était le sens de mes questions, M. le Président.

Le Président (M. Simard): Merci. Alors, merci beaucoup, et ça met fin à nos travaux pour cet avant-midi. Nous suspendons jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 19)

 

(Reprise à 14 h 4)

Le Président (M. Simard): Nous allons reprendre nos travaux. Si vous voulez bien regagner vos places. Alors, le premier groupe que nous allons recevoir, nous leur souhaitons la bienvenue, c'est le Regroupement des accidentés de la route du Québec. Est-ce que vous nous entendez?

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Alors, je suis sûr que ça va s'arranger très rapidement. Donc, il s'agit du Regroupement des accidentés de la route du Québec. Sont avec nous M. Domenico Scalise ou... (panne de son) ...vous allez nous présenter. Alors, vous pouvez rester assis. Vous connaissez peut-être les règles de fonctionnement. En tout cas, vous avez 20 minutes pour faire une présentation. Ensuite, alternativement, des deux côtés, ici, nous allons vous poser des questions.

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Vous n'entendez pas. Alors là il y a un petit problème que nous allons régler. Est-ce que monsieur le preneur de son... Nous allons suspendre une minute de façon à nous assurer que vous ayez tout le son.

(Suspension de la séance à 14 h 5)

(Reprise à 14 h 6)

Le Président (M. Simard): Ça devrait fonctionner. Est-ce que vous m'entendez bien?

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Ah bon! Alors, c'est votre problème à vous. Alors, je vais donc... Prise 2, là, nous devons continuer. Alors, je vous demanderais de vous identifier, de présenter la personne qui vous accompagne et de résumer l'essentiel de votre mémoire, s'il vous plaît.

Regroupement des accidentés
de la route du Québec (RARQ)

M. Scalise (Domenico): Bonjour. Alors, mon nom est Domenico Scalise. Je suis le membre fondateur de l'Association des accidentés de la route, région des Laurentides, et qui est devenue plus tard le Regroupement des accidentés de la route du Québec. Alors, je suis ici pour émettre l'opinion de nos membres sur le projet de loi n° 35.

Le Président (M. Simard): Pouvez-vous nous indiquer qui vous accompagne, M. Scalise?

Une voix: Qui t'accompagne? C'est qui qui t'accompagne?

M. Scalise (Domenico): Excusez. C'est la secrétaire de l'association, Mme Danielle Gauthier.

Le Président (M. Simard): Est-ce que vous souhaitez avoir un peu plus de temps pour pouvoir mettre votre appareil?

M. Scalise (Domenico): Je vais essayer... C'est la première fois. D'habitude, je n'ai pas besoin de les mettre.

Le Président (M. Simard): Alors, si vous le permettez, nous allons à nouveau suspendre pendant quelques minutes de façon à vous permettre de faire cette opération.

M. Scalise (Domenico): Merci.

(Suspension de la séance à 14 h 7)

 

(Reprise à 14 h 8)

Le Président (M. Simard): Alors, je pense que tout est rentré dans l'ordre. J'espère, en tout cas. C'est nous qui allons vous entendre de toute façon. Alors, à vous la parole.

M. Scalise (Domenico): Merci. Alors, c'est Mme Gauthier, de l'association. Elle est membre fondatrice aussi et elle va présenter ses points de vue aussi sur... Parce qu'il y a des personnes qui ne sont pas présentes, ils ne pouvaient pas être présents, alors elle peut peut-être prendre leur position.

Le mémoire que nous avons présenté, vous l'avez tous, je ne le répéterai pas. La seule chose que je veux dire en partant, c'est de remercier tous les organismes, les associations, les défenseurs des droits des accidentés que, pendant les derniers 10 ans, on a côtoyés. Certains d'entre eux ne sont pas là, alors je voudrais quand même les remercier, tous ces gens-là, pour en arriver à faire ce débat-là sur le projet de loi n° 35, quelque chose qu'on attendait depuis longtemps. Je crois même... je pense qu'on a demandé une fois de se faire entendre lorsque le Tribunal administratif du Québec avait été formé, je pense, en... Ça se peut-u, 1995? 1994? 1996?

Une voix: ...

n(14 h 10)n

M. Scalise (Domenico): C'est ça. Alors, on a voulu se faire entendre à ce moment-là, on était en désaccord déjà des modalités qu'on a regroupées. Ça s'appelait à l'époque la Commission des affaires sociales qu'on a renommée le Tribunal administratif du Québec et on a gardé quand même toujours les mêmes gens là. Et, dans mon cas, la raison qu'on était en désaccord, c'est parce que... Voyez-vous, nous recevons beaucoup de personnes chez nous, c'est des victimes d'accidents de la route, des victimes aussi d'accidents de travail.

Dernièrement, nous en avons qui nous écrivent par courriel. Je vous dispenserai de... Ça, c'est juste de 2002 à 2004, aujourd'hui, c'est un millier de personnes qui nous disent qu'ils ont des problèmes et ils vivent ça tous les jours. Pourquoi qu'ils vivent ça? Parce que souvent ils se découragent, c'est un long processus avant de se rendre et avoir... On a souvent lu dans des journaux 20 ans pour avoir droit... 20 ans, on a déjà vu ça. Les gens attendent 20 ans avant d'avoir un jugement équitable. 10 ans, c'est plus fréquent, hein? Et on trouve que l'accidenté, avec tout cet espace de temps là qui passe, surtout qu'il a perdu une certaine mobilité, ou ses facilités, ou ses capacités de faire les choses qu'il faisait avant, il doit peut-être se réadapter dans d'autre chose qui est plus... moindre. Et souvent qu'est-ce qui se passe? Bien, moi, j'en ai vu souvent: familles brisées, des gens sont tombés dans l'alcoolisme ou les drogues, souvent parce qu'on est avec les pilules, hein?

Nous, on est d'accord, là, ce projet de loi, qu'il va amener la médiation obligatoire. C'est sur ces faits-là parce que ça, ça va raccourcir énormément le temps. Ce n'est pas le temps de guérison que ça va raccourcir, parce que la guérison est toujours identique, mais ça va raccourcir les problèmes psychiques que l'accidenté a suite à une épreuve qui était inattendue, hein? Un accident, ce n'est pas quelque chose qu'on veut, là, hein? On ne l'a pas commandé, là.

Puis un autre problème qui est très, très, très difficile pour les accidentés, vous savez, ceux qui se présentent devant les tribunaux administratifs qui ont la possibilité d'être représentés, il n'y en a pas beaucoup. Est-ce que je me trompe? Il y en a peut-être, quoi, 40 %, 60 % qui sont représentées, les victimes. Y a-tu quelqu'un qui a... à peu près? Les 60 % qui ne sont pas représentés, est-ce que vous le savez pourquoi? Ces 60 % là, premièrement, c'est des gens... Si c'était un professionnel, il n'avait pas de problème, il a une autre assurance qui le couvre. Mais c'est qui, ces gens-là? C'est les étudiants, les personnes âgées, les travailleurs autonomes, les gens à faibles revenus et des gens qui vivent de prestations d'aide assurée. Ils n'ont pas vraiment les moyens d'avoir une justice équitable actuellement. Ils ont de la misère déjà avec la Société de l'assurance automobile, avec la CSST, avec tout.

Regardez, à la Société de l'assurance automobile, là, il y a 52 avocats, et, même nous, si on se fait représenter par un avocat, quelle chance avons-nous? Est-ce que l'État veut vraiment un procès équitable, hein? Est-ce qu'on veut avoir un jugement équitable? Bien, c'est ça que... Ce projet de loi, il me semble qu'il s'en va vers la bonne direction. Alors, si on... Je ne dirai pas que les juges sont tous... Les juges ou les membres ? on les appelle les membres, on les appelle les assesseurs ? j'en ai vu beaucoup. J'ai passé moi-même en commission parlementaire, pas... à la Commission des affaires sociales, on a commencé par ça, et les deux qui étaient en avant, un docteur et un avocat, ont menacé le témoin docteur qui était dans la salle qui me représentait, on l'a menacé de l'expulser. Je n'ai jamais rien compris, on veut expulser un témoin. Alors, ça veut dire que, devant une personne ordinaire, ces personnes-là qui sont juges, c'est quoi, ils font de l'intimidation? Je ne sais pas.

Alors, on a vu que ce n'est pas facile d'avoir gain de cause devant un tribunal administratif, et surtout si vous n'êtes pas représenté, surtout. Dans mon cas à moi, là, je n'ai pas été... je n'ai rien reçu. Et, entre-temps, entre-temps, pour vous démontrer l'impartialité ou la partialité de ces tribunaux-là, là, un cas très typique qui m'est arrivé à moi, j'ai demandé une révision au tribunal administratif. Et finalement je n'avais pas reçu la convocation à l'audition et j'ai demandé de la reprendre. On m'a accordé de la reprendre. Et, entre-temps, je demandais d'avoir toute la documentation que les tribunaux ont sur la décision qu'ils doivent joindre ? ils se basent sur toute la documentation qu'ils ont en main qui a été fournie soit par la Société de l'assurance automobile ou soit par la CSST ? on n'a jamais fourni cette documentation. Et j'ai demandé d'attendre que le bureau, le contentieux m'envoie cette information-là, et je n'ai jamais eu ça, mais la commission a décidé de... c'est-à-dire le tribunal a décidé de rendre un jugement quand même sans ma présence, et ils ont rendu un jugement, là. Vous savez, si on n'est pas là, bien on a perdu de toute façon.

J'ai demandé une deuxième révision. La personne qui m'a écrit pour la deuxième révision ? et je vais vous nommer le nom ? c'est la vice-présidente du Tribunal administratif du Québec, Mme Marguerite Lamarre, qui est là depuis longtemps. Son époux m'a déjà évalué avec la Société de l'assurance automobile. Alors, si ce n'est pas un conflit d'intérêts flagrant, moi, je ne comprends pas. Si on laisse ces affaires-là faire, moi, dans ma tête, ce n'est pas juste. Je ne suis pas un expert, mais je ne pense pas que quelqu'un doit juger les choses quand ils sont dans le même... On ne le fait pas dans les entreprises, hein? Alors, c'est un de nos points qui... Vous savez, dans notre mémoire, on le dit, on veut éliminer les conflits d'intérêts, et c'est qu'est-ce que le projet de loi semble vouloir faire, hein, d'éliminer des conflits d'intérêts.

La réinstallation de l'impartialité. Je ne dis pas que tout le monde est pareil, là, il y en a peut-être des bons, là, il y en a des méchants. O.K.? Bon. Mais il faut vraiment avoir une impartialité. Quand vous allez devant un tribunal civil, là, quand quelqu'un se présente devant un tribunal civil avec un procureur, s'il veut défendre sa cause, est-ce que... si cette personne-là savait qu'à 25 % du temps il perd sa cause, pensez-vous qu'il aurait continué? Quelqu'un peut me répondre? Si quelqu'un savait que, 25 % du temps, on perd, est-ce qu'il aurait continué? À 50-50, oui, je pense qu'il y aurait été, mais 75-25, là, tu n'as pas de chance. Et c'est ça, les résultats. Au Tribunal administratif du Québec, 74 % des gens n'ont pas gain de cause. Pourquoi? C'est la question qu'on se pose. Alors, c'est pour ça il faut avoir de l'impartialité.

Maintenant, les gens qui sont là, je ne sais pas, je ne suis pas un expert, on les nomme au gouvernement pour telle place, telle place. Surtout que, moi, je viens de la région de Sainte-Agathe, on n'est pas loin de Saint-Jérôme, le juge il faut qu'il se transporte d'un autre... Ça fait que, quand on demande, mettons, à cette personne-là de régler si ce travail-là est... Mettons, on vous donne un travail présumé, là, vous savez. Après un accident, la SAAQ vous dit: Faites un autre travail. Mais le juge, lui, il vient, là, de Montréal. O.K.? Le type de travail, je vais vous donner un exemple: quelqu'un qui répare les lentilles cornéennes. Il dit: Vous êtes apte à faire le travail de lentilles cornéennes. Le travail n'est pas disponible dans les Laurentides, mais la personne qui vient de Montréal, ah bien, elle dit: Le travail est disponible. Certain, il est à Montréal. Mais pourquoi on n'a pas quelqu'un local qui connaît qu'est-ce qui se passe à Saint-Jérôme, qu'est-ce qui se passe à Sainte-Agathe? C'est quoi, les... Ça fait que c'est toutes ces affaires-là. Alors, ces juges-là doivent être bien formés et ils doivent rendre un bon jugement. On peut faire des erreurs une fois de temps en temps, mais là on en fait trop. On fait trop de jugements.

n(14 h 20)n

J'ai vu, monsieur, moi, dernièrement une évaluation médicale où on a accordé des points ? puis maintenant c'est gravité 1, gravité 2, gravité 3 à la SAAQ, là ? j'ai vu qu'une autre demande de rapport médical, après celui-là, a été demandée par la SAAQ encore parce que la SAAQ elle-même n'était pas satisfaite de son propre médecin. Bien, alors vous voulez arriver à... Je comprends qu'il y ait eu des pertes, je comprends que tout le monde a fait des pertes les derniers deux ans. Tout le monde, on l'a dit, ça, hein, on l'a tous dit. Tout le monde, on sait pourquoi on a eu des pertes aussi, hein? Mais il me semble que M. Péladeau est mieux traité que les accidentés de la route ou les accidentés du travail. Là, il va falloir faire attention, hein, ce n'est pas logique qu'on enlève 4 milliards à la Caisse de dépôt pour rayer une dette de M. Péladeau puis les accidentés de la route doivent se battre. Alors, qu'est-ce qui se passe, là? Je me demande qui est le plus croche dans tout ça. Puis, quand je vois quelqu'un qui me dit, à moi, il dit: Bien, lui, il fait exprès d'être malade, et tout ça... Je suis d'accord, il y en a peut-être qui...

Le Président (M. Simard): Je veux juste vous inviter... Ces travaux sont télévisés. Vous avez une totale liberté d'expression, mais je vous invite à la prudence, hein? Ça fait deux fois que vous nommez directement des gens qui ne sont pas ici pour se défendre, qui ont probablement une autre vision des choses. Ce serait préférable que, pour la suite, vous restiez dans des cas sans les identifier, s'il vous plaît.

M. Scalise (Domenico): D'accord. D'accord. C'est pour la même raison que je ne voulais pas vous donner les noms des gens qui nous ont écrit, c'est confidentiel. Mais, si jamais vous voulez les voir, c'est publié sur mon site Web quand même. Alors, vous pourrez quand même les voir, c'est avec leur permission.

Alors, c'est que dans un autre ordre d'esprit... Bon. Oui, ça, ça avait été fait. Je vais parler de l'item n° 3, là, l'abolition de la désinformation, là. C'est fréquent. C'est-à-dire souvent il y a des documents qui ne se retrouvent pas dans les rapports qui sont envoyés aux membres, au tribunal, on doit... Je ne sais pas pourquoi que ça se fait, mais ça se fait, c'est que...

Un autre problème qui nous tracasse, nous autres, là, c'est que, vous savez, comme je l'ai dit, à la Société de l'assurance automobile, il y a 52 avocats, peut-être plus maintenant, je ne le sais pas, qui plaident devant le tribunal administratif, et, à la CSST, c'est peut-être la même chose, là, au CALP. Vous savez, quand un juge ou un ? comment on appelle? ? un membre du tribunal, il l'a vu à peu près... ça fait 25 fois qu'il le voit, ce même juge là, ce même avocat là, qu'est-ce que vous pensez qui se passe, là? À un moment donné, là, il y a une camaraderie entre les gens qui travaillent au tribunal et les gens qui défendent les droits du gouvernement.

Alors, c'est quelque chose que... Ça se fait peut-être au privé, là. Des fois, il y a un juge qui a étudié avec un avocat, là, ils vont faire des ententes. Ça se fait peut-être, mais il faut faire attention à ça, parce que l'individu, lui, quand il va devant le tribunal administratif rien qu'une fois, il n'y va pas 20, 25 fois comme l'autre, là. Ça fait qu'il ne peut pas développer de camaraderie. C'est «unfair», comme on dit. Tu sais, il y a une balance, là, quelque part, qu'il faut régler, là.

Et c'est... On a parlé... Parce que ce n'est pas beaucoup, le projet de loi change... On demande aussi... Une autre affaire que j'ai vue dernièrement devant la Commission des lésions professionnelles, on a vu un juge représentant des syndicats puis un représentant des patrons. Je suis allé à quelques reprises. La seule bonne chose que la CLP a de bon, c'est que l'accidenté n'est pas obligé de se faire représenter par un procureur, il peut aller chercher quelqu'un d'autre pour se faire représenter. Au TAQ, on ne peut pas. Et on m'a demandé de l'aider, ce monsieur-là, parce qu'il n'avait pas assez d'argent pour se défendre tout seul. Et j'ai vu les deux personnages qui étaient là, là, qui m'ont regardé d'une façon en voulant dire: Qu'est-ce que tu fais, toi? Ça, c'est quelque chose que j'ai observé. Mais je me suis dit: L'accidenté, lui, là, qui est assis en arrière, là, et tout ça, pourquoi qu'il n'a pas de représentant en avant, lui? Pourquoi l'accidenté, il n'y a pas personne qui le représente, là, en avant? Pourtant, c'est lui qui est l'accidenté.

Je comprends qu'en droit, en droit civil, je comprends que le fardeau de la preuve, c'est à l'accidenté à le faire. Ça, on le comprend tous. Mais est-ce que le gouvernement veut absolument non indemniser l'accidenté pour combler des déficits? Je ne le sais pas. C'est ça que je n'aimerais pas voir, c'est ça que l'accidenté... Parce que, vous savez, une journée qu'on s'est constitué, nous, on pensait, on disait: Bien, dans cinq ans, on ne sera plus là, tout va être beau, tout... Ça va de pire en pire, puis j'ai eu plus de courrier dernièrement qu'avant. Parce qu'il y a des situations qui changent. La condition économique n'est pas la même, vous savez, alors les gens...

Et, surtout, c'est sûr, à qui voulez-vous qu'ils se plaignent? Il n'y en a pas d'autres, il n'y a pas beaucoup d'organismes de défense de droits d'accidentés. Vous êtes au courant, hein? Oui? Vous n'êtes pas au courant. O.K. Mais il n'y a pas beaucoup d'organismes de défense, il y en a peut-être quatre, cinq, six, quelque chose comme ça, puis ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile parce que, en réalité, les gens ne cherchent pas la... Des fois, là, ce n'est pas l'indemnisation qu'on cherche, on cherche la raison pourquoi que tout ça arrive. C'est ça qu'il veut savoir, pourquoi c'est arrivé comme ça, là. C'est pour ça qu'on est là. Alors, je vous laisse à vos questions. Je m'excuse.

Le Président (M. Simard): Alors, je vous remercie beaucoup, M. Scalise, de votre témoignage. Maintenant, je vais inviter la partie ministérielle à poser la première question.

M. Bellemare: Alors, merci beaucoup à l'association, M. Scalise, Mme Gauthier, de votre présence ici pour nous parler du projet de loi sur la justice administrative. Et j'imagine que vous êtes pleinement conscients de l'impact de cette loi ? de ce projet de loi, mais qui deviendra loi très certainement, à tout le moins en partie ? sur le devenir des victimes de la route. Mais j'aimerais savoir si votre expérience vous permet d'agir également devant la Commission des lésions professionnelles pour les accidentés du travail.

M. Scalise (Domenico): Oui, on nous a acceptés. On a accepté de représenter... La plupart des victimes, on me dit que... Bien, ceux qui sont syndiqués, ils n'ont pas de problème, ils sont représentés, mais ceux qui ne sont pas syndiqués, ils n'ont pas d'aide.

M. Bellemare: O.K. Vous avez parlé de la conciliation et que c'était obligatoire... que le projet de loi voulait rendre obligatoire à partir du moment où un accidenté le demandait. Actuellement, pouvez-vous nous dire comment ça fonctionne au plan de la conciliation? Quand vous demandez au Tribunal administratif du Québec une démarche de conciliation, quand vous souhaitez une démarche de conciliation, est-ce que ça fonctionne? Est-ce que vous êtes satisfaits de la façon que ça fonctionne actuellement?

M. Scalise (Domenico): ...à la Société d'assurance automobile, ça date de près de six, huit mois, et ça a été en... on l'a su comme ça, là. Alors, ce n'est pas officiel, là, ce n'est pas écrit, là. On le fait pour limiter les problèmes, mais on le fait surtout si la décision n'est pas une décision au gros impact, là. Vous savez, quand on commence à... je ne sais pas, là, pour payer certains frais, là, minimes, bien c'est sûr, là, pour ne pas faire un débat, là, devant... alors, ils le font sur ces affaires-là. Mais les accidentés ne sont pas au courant que ça existe, on l'a appris juste bonnement comme ça.

Mais, nous, on l'avait demandé en 1994, lors d'une table de travail avec la Société d'assurance automobile, et qui nous avait été accordé, d'avoir des médiateurs ou médiations dans tous les coins de la province pour aider ces gens-là. On l'avait demandé et qui nous avait été accordé avec les 92 recommandations de l'époque. Je ne sais pas si vous vous en souvenez. Et finalement quelque chose est arrivé, un nouveau gouvernement au pouvoir, et tout a été abandonné. Même les appels d'offres avaient été lancés pour avoir des médiateurs. Il y a des gens qui sont experts dans ça.

n(14 h 30)n

M. Bellemare: Est-ce que vous souhaitez... En ce qui concerne la procédure de révision, il y a des organismes quand même importants qui sont venus nous demander... la Commission des services juridiques, notamment, qui souhaite carrément l'abolition pure et simple...

M. Scalise (Domenico): ...de révision.

M. Bellemare: ...de l'instance de révision tant en matière d'accidents de travail qu'en matière d'assurance automobile. Alors, il existe une procédure de révision actuellement où les accidentés contestent devant le Bureau de révision, et, si la décision est insatisfaisante, ils peuvent à nouveau contester, cette fois-ci devant le Tribunal administratif du Québec. Votre expérience avec l'instance de révision, ça marche ou ça ne marche pas?

M. Scalise (Domenico): 84 % des gens chez nous... Bien, pas chez nous, sur le... 84 % sur le bilan annuel de la SAAQ. O.K.? Le bilan annuel de la Société d'assurance automobile, il dit que 84 % des gens qui se présentent au Bureau de révision, qui sont à peu près 75 000 décisions annuelles... 75 000, et 84 % de ces 75 000 là sont rejetées. O.K.? L'appel est rejeté. C'est un appel, là, mais il est rejeté. Alors, on se pose la question: Comment un accidenté peut-il aller directement dans le... ? comment on dit? ? dans le... tomber dans le panneau si, à 85 %, il va perdre? Et, s'il savait d'avance que... Parce qu'il n'est pas... On ne parle pas des gens qui viennent nous voir, là, on parle des gens en général. Parce que ce n'est pas juste les gens qui viennent nous voir qu'on défend ici, là, c'est tous les accidentés de la route, tous.

M. Bellemare: Mais est-ce que vous... Mais le projet de loi modifie la procédure en permettant que l'accidenté conteste directement devant le tribunal d'appel, et, une fois que l'appel est logé, l'organisme, donc la SAAQ en ce qui vous concerne particulièrement, aurait un délai maximal de 90 jours pour revoir sa position. Bon. Il y en a...

M. Scalise (Domenico): C'est très bien...

M. Bellemare: Vous me permettrez de terminer. Il y en a qui nous demandent... ils disent que c'est une bonne affaire, d'autres nous disent: Abolissez purement et simplement l'étape de révision. Il n'y en aurait plus, c'est-à-dire qu'il y aurait un niveau, ce serait le tribunal. Où est-ce que vous logez, vous, comme organisation, par rapport à ces deux hypothèses-là?

M. Scalise (Domenico): En premier lieu, qu'est-ce que je pense, c'est que, s'il y a volonté dans les organismes de l'État ? la Régie des rentes, la SAAQ ? s'il y a volonté à ces organismes-là de réaméliorer leur façon de rendre des décisions... Parce que souvent, là, la décision qui est rendue, l'accidenté n'a aucune connaissance de qu'est-ce qui est écrit sur la lettre. Aucune. On lit tous les deux la même chose, et il ne lit pas de la même manière que nous, lui, il n'a pas lu la même chose. Ils n'ont aucune connaissance parce qu'ils ne sont pas informés de leurs droits, hein? Ils pensent qu'une jambe, là, ça vaut 150 000 $; bien non, ça vaut 20 000, vous savez. C'est des choses qu'ils ne connaissent pas. S'ils étaient informés au départ, c'est-à-dire que, si je me coupe une jambe, là, l'accident, là, c'est rien que 20 000, je pense qu'ils feraient attention un peu, là, hein?

Et ça, c'est ça quand je parle de désinformation, là. On regarde, il y a beaucoup d'accidents qui arrivent parce qu'il y a quelqu'un qui n'a pas fait attention quelque part. Mais c'est... Le viaduc du Souvenir, écoutez, il y en a beaucoup de cas comme ça qui arrivent. Ah! c'est des cas isolés. Mais c'est tous des accidents, ça, c'est tous des accidents qui auraient pu ne pas arriver, hein? Quelqu'un qui veut aller à 150 km/h dans une zone de 30, est-ce que c'est un accident, entre moi et vous? Quelqu'un qui va à 150 km/h dans une zone de 30 et il frappe quelqu'un, c'est-u un accident? Moi, je pense que c'est une chose qui aurait pu être évitée, il n'avait pas d'affaire à aller à 150, là. C'est un choix qu'elle a fait, la personne, là, à moins qu'elle ait pris une crise cardiaque et que la voiture ait continué, là, je ne le sais pas, mais...

Alors, si la SAAQ donnait une bonne décision explicative au départ... J'ai déjà demandé à la SAAQ de publier un petit feuillet, qu'ils le donnent à chaque fois avec les permis de conduire, pour dire: Bon, bien, la valeur de l'être humain, c'est tant, là, O.K., vous êtes assuré pour tant. Un petit feuillet comme ça, on m'a dit que c'était trop cher. O.K. Mais, si la personne savait à quoi elle a droit exactement dans la loi, elle n'irait pas en révision. Si la décision est exacte à qu'est-ce qu'elle a droit ? vous comprenez? ? il n'y aurait pas de révision, elle ne demanderait pas une révision. Pourquoi elle demande une révision? Parce qu'elle est ignorante de qu'est-ce qu'elle a droit ou pas. Sauf avec procureur, elle a peut-être une chance.

M. Bellemare: Monsieur, pouvez-vous nous dire, en ce qui concerne l'instance de révision... Je vois sur l'avis, le calendrier de la journée d'aujourd'hui en commission parlementaire, qu'on associe le Regroupement des accidentés de la route à M. Scalise et à Me Pierre-Paul Bourdages, avocat. Or, on sait qu'en matière d'assurance automobile la Loi du Barreau exige que les gens qui représentent des victimes de la route soient des avocats, c'est encore le cas aujourd'hui. En assurance... en accidents de travail, il y a l'exception, depuis le 1er janvier 1979, qui fait que les non-avocats peuvent représenter également des accidentés ou des employeurs. Mais, en matière d'assurance auto, c'est la Loi du Barreau qui prévaut intégralement à toutes les étapes du processus. Et je sais qu'il existe de associations d'accidentés de la route au Québec, vous en représentez une. Dans la mesure où les associations ne peuvent pas représenter leurs membres devant les tribunaux administratifs, comment fonctionnez-vous? Comment...

M. Scalise (Domenico): On est témoins...

M. Bellemare: Je m'excuse. Comment réussissez-vous à assurer la représentation de vos membres devant les tribunaux administratifs tant en révision qu'en appel? Et, comme sous-question, j'aimerais savoir si la SAAQ, en révision, ou le Tribunal administratif du Québec, actuellement tolère que des non-avocats comme vous puissent représenter des accidentés. Est-ce qu'ils vous laissent aller, entre guillemets?

M. Scalise (Domenico): Bon. Premièrement, je veux vous rassurer d'une chose, j'évite le plus possible, à l'association, quand les accidentés viennent me trouver, j'évite de faire l'audition devant le tribunal administratif. Et on fait de la médiation entre-temps en cachette, là, on essaie de trouver des documents, là, qu'il y a, et on règle. C'est comme ça qu'on le fait, parce que ça prend trop de temps de l'autre manière et l'accidenté abandonne en cours de route.

Alors, si je me suis trouvé peut-être une fois cette année, je crois... l'année passée, c'était avec Mme Mendez, je m'en souviens, et une fois... La raison que je me suis trouvé là, c'est que Mme Mendez, elle a un problème d'une orthèse à la jambe, un pied plus court après un accident. Elle n'a pas pu voir son spécialiste pour lui donner les recommandations, ça a pris un an avant d'avoir un rendez-vous. Comme vous le savez, aujourd'hui les médecins, ce n'est plus... Ça a pris un an et, pendant cette année-là, ça faisait deux fois qu'elle était convoquée au tribunal administratif.

Mais j'ai dit: On ne peut pas y aller, on n'a pas encore l'évaluation médicale, on ne l'a pas, on vient là pourquoi? Ça fait qu'ils nous ont accordé les deux remises. Mais finalement c'est au mois d'octobre de cette année, je crois, ils nous ont demandé de... Et j'ai dit: Bien là deux remises, on va traîner ça trop longtemps, là, c'est aussi bien d'y aller quand même. Et je me suis présenté comme interprète pour Mme Mendez parce qu'elle ne parlait pas très bien la langue, et c'est comme ça que j'ai pu obtenir une autre remise jusqu'à temps... on avait la date du médecin qu'elle allait voir et là on savait qu'on allait... Mais, à cette journée-là de l'audition, on n'avait pas le document nécessitant qui était sa seule preuve, le document qui était là. Alors, c'est comme ça qu'on se présente, mais, comme je vous dis, on essaie d'éviter, j'aime mieux faire la médiation, c'est plus facile.

M. Bellemare: Quand vous faites de la médiation, je comprends bien que c'est vous qui la faites ou votre association qui la fait, la médiation?

M. Scalise (Domenico): On a un système de caucus où on parle, on discute comment.. est-ce qu'on va de l'avant ou non, on décide. Et, lorsqu'on a pris la décision, c'est sûr, c'est moi le représentant et c'est moi qui fais les démarches. Ils disent que je parle plus que les autres.

n(14 h 40)n

M. Bellemare: Ce n'est pas un avocat qui fait la démarche de conciliation?

M. Scalise (Domenico): Pardon?

M. Bellemare: Ce n'est pas un avocat qui fait la démarche de conciliation, c'est vous qui la faites?

M. Scalise (Domenico): On parle avec les agents d'indemnisation ou les agents de révision.

M. Bellemare: O.K.

M. Scalise (Domenico): Pour ne pas aller au tribunal administratif, on règle avant.

M. Bellemare: Et, quand vous entamez une négociation avec la société, par exemple en révision, au stade de la révision, la société vous reconnaît comme représentants...

M. Scalise (Domenico): En révision...

M. Bellemare: ...de la victime, même si vous n'êtes pas avocat?

M. Scalise (Domenico): En révision, on nous a tolérés, à chaque fois, on nous a tolérés. À chaque fois, j'ai... Vous savez, c'est dans notre région, les Laurentides. Alors, c'est peut-être toujours les même gens qui sont là et ils connaissent notre implication. Ce n'est pas une implication qui est... C'est une implication qui est... On est crédibles, hein, on ne fait pas ça pour...

M. Bellemare: Et, quand vous dites que vous faites des ententes avec la société, c'est suite à un processus de négociation où vous représentez la victime?

M. Scalise (Domenico): Actuellement, c'est... On peut utiliser le terme «représenter», mais ce n'est pas... La victime, qu'est-ce qu'elle fait, elle nous signe un mandat, une procuration. Elle nous signe une procuration que notre association a le droit d'intervenir, et on envoie cette autorisation à qui de droit, soit à la révision soit à l'agent d'indemnisation. Et là on peut intervenir à la réclamation même avant le processus de décision, parce que, à ce moment-là, nous, on dit: C'est quoi, le problème, là? Telle date, il y a eu une visite, O.K., mais regardez, à cette date-là, regardez ce qu'il dit, ce médecin-là, peut-être que vous ne l'avez pas vu, ce document-là. Alors, finalement, on règle, et c'est fini. Les prestations sont continues, on n'a pas besoin de... Puis je trouve que c'est mieux, ça fait perdre du temps à moins de monde.

Puis je pense que... Écoutez, quand on dénie, comme on dit, dénie le droit, quand on enlève le droit à quelqu'un d'avoir une indemnisation x, là, hein, il faut... La société ne devient pas comme... Payer tout le monde comme ça, ce n'est pas vrai. Mais, quand on agit selon la loi qui est écrite, puis on a toujours agi selon la loi qui est écrite au moment... Vous savez, la loi a été modifiée à sept, huit reprises, hein? La loi de 1990, la loi de 2000, la loi de 1980. Il y a beaucoup de choses qui sont différentes à certaines époques. Alors... Et, quand on connaît ce processus-là, bien, on dit: Oui, cette personne-là, on lui explique.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): Très bien, merci. Alors, je me tourne vers le député de Chicoutimi pour la prochaine question.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, je vais être relativement bref. Je vais continuer un peu sur... Alors, je vous salue d'abord, tous les deux. Vous faites partie d'une association nationale ou vous êtes... Il y a simplement...

M. Scalise (Domenico): Non.

M. Bédard: ...votre association ou il y a... Attendez, votre regroupement, c'est le Regroupement...

M. Scalise (Domenico): Aujourd'hui, c'est le Regroupement des accidentés de la route du Québec.

M. Bédard: Du Québec, O.K.

M. Scalise (Domenico): Oui.

M. Bédard: Alors, mais là vous me dites que vous oeuvrez principalement dans les Laurentides, c'est ça?

M. Scalise (Domenico): Au départ, c'était... on avait fondé... Notre association, elle s'est faite comme ça, avec 40 membres qui sont rentrés chez moi une journée, on avait mis un panneau, puis ils sont arrivés. 40 personnes. Et, cette journée-là même, ils m'ont dit: On commence l'Association des accidentés de la route, région des Laurentides. C'est les membres fondateurs, 40. Et plus tard...

M. Bédard: O.K. Pour bien comprendre... Vous, vous êtes... Excusez-moi, là, je veux bien comprendre. Vous êtes l'Association des accidentés de la route de la région des Laurentides.

M. Scalise (Domenico): C'est ça.

M. Bédard: O.K. Et il y a l'Association des accidentés de la route du Québec...

M. Scalise (Domenico): C'est ça.

M. Bédard: ...qui est un autre regroupement, qui n'est pas le vôtre.

M. Scalise (Domenico): Et le regroupement vient tout regrouper tous ces...

M. Bédard: O.K.

M. Scalise (Domenico): ...tous ces deux regroupements-là, plus d'autres gens d'autres...

M. Bédard: Et, eux... Et, eux...

M. Scalise (Domenico): Et qu'est-ce qui se passe...

M. Bédard: Écoutez... Non, je veux seulement aller un petit peu plus loin. L'Association des accidentés de la route, est-ce qu'ils ont un contentieux? Est-ce qu'ils ont des avocats, des représentants juridiques, des...

M. Scalise (Domenico): Nous, comme je vous ai dit, nous... Il y a quelques avocats, il y a quelques avocats qui défendent nos accidentés, O.K., mais ce n'est pas la majorité.

M. Bédard: Non, non, je le sais, mais je parle de l'association.

M. Scalise (Domenico): Non, l'association, il n'y a pas d'avocat qui est membre chez nous.

M. Bédard: O.K.

M. Scalise (Domenico): Parce que, nous, chez nous, tous ceux qui sont membres, c'est des accidentés. O.K.? Tous ceux à l'administration, c'est des accidentés.

M. Bédard: O.K. Bon. Ce que vous faites ressortir, un peu, monsieur ? je veux bien prononcer votre nom ? M. Scalise, c'est ça?

M. Scalise (Domenico): Scalise.

M. Bédard: Scalise. Vous savez, on voit... Vous avez bien exposé au départ toute l'idée du déséquilibre entre ceux qui se retrouvent devant le tribunal, qui sont des individus qui ne le fréquentent pas souvent, face à l'autre partie, qui, elle, ce sont des gens qui sont habitués d'être devant le tribunal, et l'importance, en même temps, du traumatisme que ça cause pour ceux qui sont devant le tribunal, mais, en même temps, du déséquilibre qui existe entre les forces, entre la personne qui, une fois dans sa vie ou deux fois, va aller devant le Tribunal administratif du Québec et l'autre qui va plaider à peu près à toutes les semaines devant le tribunal.

Et, en vous écoutant, je vais vous dire qu'on a même des gens qui sont venus témoigner à l'effet qu'il serait important, peut-être, de s'assurer que les gens soient représentés, que l'État, je vous dirais, paie le représentant, d'une façon ou d'une autre, comme il existe ailleurs, devant le tribunal. Et ce serait la meilleure façon que finalement les gens puissent au moins obtenir justice, pas raison, parce que des fois on a tort dans la vie, là, ça arrive, mais que, au moins, ils puissent obtenir justice. Est-ce que vous pensez que ce serait une bonne chose?

M. Scalise (Domenico): Écoutez, souvent les accidentés que nous avons, comme je vous ai nommé tout à l'heure... L'accidenté qui vient nous voir, là, ce n'est pas le monsieur professionnel, là, qui... tu sais, c'est des gens...

M. Bédard: Il n'a pas les moyens de se payer un avocat ou même quelqu'un qui a des compétences...

M. Scalise (Domenico): L'aide juridique même est refusée dans certains cas, parce que... Dans certains cas, l'aide juridique est refusée parce qu'ils sont un peu en haut du seuil. Alors, ils n'ont pas les ressources. C'est vrai que ce serait intéressant. Nous, on l'a fait de notre propre chef, on n'a pas aucune ? comment on dit? ? subvention, nous n'avons aucune aide d'aucun gouvernement, nous le faisons de nous-mêmes. Moi, qu'est-ce que je fais, j'assemble des ordinateurs puis l'argent de ça va à aider les victimes. C'est pour ça qu'on est encore là. Alors, ces gens-là, quand ils viennent nous voir, c'est sûr qu'ils aimeraient... La première question qu'ils disent: Connais-tu un avocat pas cher? Première question. Bien voyons! Je dis: Regardons ça ensemble, voir qu'est-ce qu'on peut faire. C'est sûr qu'ils aimeraient ça, avoir un avocat. Mais comment? Qui? Premièrement, beaucoup d'avocats dans le droit corporel...

M. Bédard: ...votre rôle? Est-ce que ce serait important de créer, justement, vous, comme association... Parce que, vous le dites vous-mêmes, selon toute évidence, vous n'avez pas toutes les connaissances requises pour guider quelqu'un devant le tribunal. Comme association, votre rôle, est-ce que ce serait important, justement, de pouvoir, je vous dirais, référer ces gens-là à des... si ce n'est pas des avocats, au moins à des gens qui ont des compétences au moins reconnues dans le domaine? Parce que, vous savez, être mal représenté, c'est pire que de ne pas être représenté, hein?

M. Scalise (Domenico): Ça, on est très conscients de ça, et, à date, je ne crois pas que notre association ait subi des préjudices de cette manière-là. On a déjà dit... quelqu'un de la Société de l'assurance automobile a dit à un accidenté: Si vous remettez vos documents à l'association, ce monsieur-là va perdre vos documents. Ça, c'était du ouï-dire parce que je n'ai jamais perdu de documents, on les a encore. Et des fois, c'est ça, c'est sûr qu'il y a prise de bec entre nous et la... ça, ça arrive souvent. Mais c'est correct, ça, de l'opposition, ça en prend.

M. Bédard: M. Scalise, seriez-vous d'accord à ce que l'État assume des frais de dépenses ou assigne un procureur ou un représentant à ces accidentés-là de la route?

M. Scalise (Domenico): Aux accidentés qui n'ont pas les moyens, oui.

M. Bédard: Vous seriez d'accord?

M. Scalise (Domenico): Oui.

M. Bédard: Parfait. Je n'ai pas d'autres questions. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Simard): Très bien, merci. Alors, je vous remercie...

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Oui, deux minutes. Trois minutes, en fait.

M. Moreau: M. Scalise, en réponse aux questions de mon collègue le député de Chicoutimi, vous avez indiqué qu'il y avait quelques membres de votre regroupement qui, de fait, font de la représentation devant les accidentés de la route et que c'est très rare que ce soient des avocats. C'est exact?

M. Scalise (Domenico): Si?

M. Moreau: C'est très rare que ce soient des avocats qui, dans votre regroupement, représentent les accidentés de la route qui sont acheminés ou qui vont vous voir pour ça?

n(14 h 50)n

M. Scalise (Domenico): On a, je pense, quatre ou cinq avocats, de connaissance, qui font ce travail-là.

M. Moreau: O.K. Les autres personnes qui font des représentations...

M. Scalise (Domenico): Pardon?

M. Moreau: Les autres personnes qui font de la représentation pour des accidentés de la route n'ont pas d'avocat?

M. Scalise (Domenico): Non, juste moi.

M. Moreau: Juste vous. Quelle est votre formation?

M. Scalise (Domenico): Ma formation? Wow... Bien, je vous remercie d'avoir posé cette question-là. Écoutez, j'ai commencé par un diplôme de gestion hôtelière, où j'ai été gradué, et j'ai travaillé par la suite dans des établissements qui ont très bien réussi. Par la suite, j'ai fait des études en droit à l'Université de Montréal. J'ai perdu peut-être le droit constitutionnel, j'avais bien de la misère avec ça.

M. Moreau: Il y a le député de Mercier qui peut vous aider dans ce cours-là.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Scalise (Domenico): Et j'ai fait trois ans, mais, par la suite, j'avais un enfant qui devait venir au monde, alors je n'ai pas continué le droit. J'ai fait plus mon cours d'agent d'immeuble et puis je suis devenu courtier en immeuble. Et mon rôle en courtier d'immeuble, c'est drôle à vous dire ça, la manière que je travaillais, c'est de mettre deux personnes ensemble d'accord. C'est la même chose que je fais avec les victimes d'accidents de la route puis la SAAQ. Alors, c'est là qu'est mon expérience. Et j'ai vendu des propriétés de bon augure et de bon prix. Écoutez, j'avais 4 millions de portefeuille avant mon accident de la route.

M. Moreau: Merci. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Simard): Oui. Merci beaucoup, M. le député de Marguerite-D'Youville. Alors, ça met fin à cet échange. Je vous remercie, madame, M. Scalise. Et j'invite maintenant tout de suite Me Jacques Forgues, le président du TAQ, à venir nous rejoindre.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Simard): Me Forgues, si vous voulez bien vous approcher. Alors, bienvenue parmi nous au Tribunal administratif du Québec. C'est assez exceptionnel qu'un tribunal vienne se présenter devant une commission parlementaire, et je sais que vous avez l'intention d'aborder cette spécificité.

Je rappelle que nous avons eu des mémoires, pour bien situer le vôtre, déjà de la Conférence des juges administratifs du Québec ainsi que de l'Association des juges administratifs du Tribunal administratif du Québec, et nous aurons également, toujours par ceux qui font, qui pratiquent et qui exercent dans nos tribunaux administratifs... il y aura le Conseil des tribunaux administratifs canadiens qui viendra aussi devant notre commission.

Alors, je vous laisse non seulement la parole, mais le soin de nous présenter ceux qui vous accompagnent, Me Forgues.

Tribunal administratif du Québec (TAQ)

M. Forgues (Jacques): Merci, M. le Président. Bonjour, M. le ministre, Mmes, MM. les membres de la commission. J'ai le plaisir de vous présenter, à ma gauche, Me Odette Laverdière, qui est responsable de la Section territoire et environnement et de la Section des affaires économiques; et, à ma droite, Me Marguerite Lamarre, qui est responsable de la Section des affaires sociales. J'assure, pour le moment, la vice-présidence à la Section des affaires immobilières et je joue le rôle de président par intérim, au moment où on se parle.

Si vous avez pris connaissance du mémoire qu'on a préparé à votre intention, vous avez sans doute réalisé que ce mémoire-là n'est pas strictement le mémoire du président. C'est le mémoire du tribunal. Le fait d'être invités à la commission, malgré le devoir de réserve qui nous est imposé, a fait en sorte que j'ai pu réunir l'ensemble des juges administratifs du tribunal pour prendre leur pouls en regard du projet de loi n° 35, et, par ricochet, du projet de loi n° 4, qui sont actuellement devant l'Assemblée nationale.

Alors, je vais tout simplement vous souligner que l'optique dans laquelle nous avons regardé ce projet de loi là, c'est véritablement en essayant de découvrir qu'est-ce qui est de nature à assurer au maximum la confiance du public dans l'institution qu'est le Tribunal administratif du Québec, le TAQ. Alors, il n'est pas de mon intention de commenter ou de regarder ce qui se passe à la CLP, qui est un tribunal voisin du nôtre et pour lequel on veut promouvoir un regroupement. Alors, c'est la précaution que j'ai prise dans la première page de mon mémoire.

Je n'ai pas l'intention de vous lire ce mémoire-là. Je veux tout simplement attirer ici votre attention sur l'article 1 de la Loi sur la justice administrative que j'ai reproduit à la page 3 pour vous dire que le but de la Loi sur la justice administrative, tel qu'énoncé à son article 1, est d'affirmer la spécificité de la justice administrative, d'en assurer la qualité, la célérité, l'accessibilité et le respect des droits fondamentaux des administrés. C'est dans cette optique-là que le TAQ travaille, et on est heureux de voir que ces objectifs-là, ces objets-là ne sont pas changés par les projets de loi qui nous concernent.

Une brève présentation du TAQ, vous avez ça à la page 4. Le TAQ actuellement est composé de quatre sections: la Section des affaires sociales ? je ne vous décrirai pas quels sont les champs de compétence de chacune des sections, vous l'avez dans le document ? celle des affaires immobilières, celle du territoire et de l'environnement et celle des affaires économiques.

Je vous amènerai tout de suite à la question des délais, que vous allez retrouver plus loin dans le document, plus précisément à la page 17. Si on prend pour acquis que l'un des buts de la réforme, c'est de réduire, dans toute la mesure du possible, les délais, j'ai pensé qu'il était de bon aloi de vous indiquer, aux pages 17 et 18, quel était l'état de la situation actuellement, c'est-à-dire au moment où on se parle. Vous constaterez, si vous lisez la page 17, qu'actuellement, en inventaire au tribunal, nous avons 12 594 dossiers, alors que l'inventaire à l'origine était de 22 643, c'est-à-dire que l'inventaire que nous avons actuellement est un petit peu inférieur au nombre de dossiers dont nous disposons annuellement qui est de 12 600.

À la page suivante, vous allez constater les améliorations qui se produisent au tribunal administratif en termes de délais pour traiter les dossiers. Vous constaterez que, à l'intérieur d'un an, à la Section des affaires immobilières, à peu près 50 % des dossiers sont traités; aux sections de protection de territoire et environnement, à peu près 75 % des dossiers sont traités sur une période d'un an et qu'à la Section des affaires sociales la progression s'est faite en ce sens qu'en 2002-2003, c'est à 39 %, et qu'on est maintenant rendu à 47 %. Je n'en dis pas plus sur les délais, je suis convaincu que vous allez trouver des questions à me poser là-dessus.

Et je vous amènerai d'emblée à la conclusion, page 23. Pour sauver du temps, je vous commenterai tout simplement les énoncés que j'y ai formulés. D'abord, quant à la règle de siéger seul, cette règle-là, quant à nous, apparaît plus ou moins appropriée. On suggère, dans la recommandation, de maintenir la règle de siéger à deux, juriste et spécialiste, dans une discipline autre que le droit, les deux ayant le même statut. La suggestion qui est faite, c'est que, nonobstant les formations spécifiques qui sont exprimées au début de la loi dans chacune des matières, le président réduise la formation à un seul lorsque la double expertise n'est pas utile.

Vous pouvez me dire, actuellement, que vous avez à peu près l'équivalent à l'article 82 de la loi. J'attire votre attention sur les nuances que cette suggestion-là apporte. C'est qu'actuellement l'article 82 permet de réduire les formations de deux à un mais ne fait pas la référence aux compositions spécifiques des formations qui sont faites au début de la loi, d'une part, et, d'autre part, énonce que, pour réduire les délais ou pour aller plus vite ou pour accélérer le processus, on peut réduire les formations, et, deuxièmement, ne donne pas vraiment le motif que nous énonçons dans notre recommandation, le critère de l'utilité.

Pour vous parler franchement, je ne crois pas, personnellement, qu'il soit utile de réduire une formation pour aller plus vite. Je pense que la qualité prime sur la célérité et qu'on est capable de bien servir ces deux objectifs-là en même temps, c'est-à-dire de maintenir une qualité d'écoute, une qualité de décision tout en rencontrant l'objectif de célérité. Donc, c'est le sens de la recommandation qu'on vous formule au plan de siéger à deux juges administratifs.

n(15 heures)n

Le deuxième point relativement à cet énoncé-là, c'est de maintenir en nombre suffisant des juges administratifs spécialisés dans d'autres matières que le droit. Il y a déjà une garantie à l'article 40 de la Loi sur la justice administrative. Vous constatez ? d'ailleurs, je pense que ça vous a été souligné par l'Ordre des évaluateurs agréés ? que les évaluateurs agréés n'y sont pas mentionnés.

Autre recommandation, toujours au même chapitre, permettre que des juges administratifs évaluateurs agréés siègent en fiscalité municipale. C'est de réintroduire ou de maintenir l'article 33 de la Loi sur la justice administrative tel qu'il existe présentement. Enfin, enlever la référence à l'article 198 dans l'article 203 tel que proposé actuellement. L'idée de ça, c'est que, pour nous, les juges administratifs, qu'ils soient des juristes ou qu'ils soient des spécialistes dans d'autres matières, doivent avoir le même statut et par conséquent avoir les mêmes qualités pour entendre des causes et rendre des décisions.

Je passe à l'énoncé 2, quant à la nomination des juges administratifs suivant bonne conduite. Évidemment, on souligne qu'il faut aller de l'avant avec cet objectif-là, qui est de nature à enlever les doutes qui pourraient subsister malgré l'arrêt de la Cour d'appel dans Barreau de Montréal. On suggère de rétablir la mention, qui disparaît par le projet de loi n° 35, à l'effet que les juges administratifs du tribunal sont impartiaux et indépendants. Je sais que cette suggestion-là ne fait pas l'unanimité. Je souligne seulement qu'elle nous a été très utile jusqu'à présent, ne serait-ce que dans les cas de récusation, quand on demande la récusation d'un juge administratif pour des raisons qui peuvent s'avérer justifiées. Il a été très important de pouvoir mentionner aux gens qu'il y a une présomption à l'effet que le juge dont on demande la récusation est impartial et indépendant, et qu'il appartient à celui qui demande la récusation de faire une preuve de partialité ou d'apparence de partialité.

De confirmer que l'évaluation du rendement est un outil de gestion à des fins formatives, distinctes de la déontologie, c'est très confusionnant pour des gens qui ne sont pas experts de la déontologie de comprendre véritablement ce que c'est. La déontologie dans le fond, c'est la limite de l'indépendance, alors la règle... la ligne est ténue. On veut donner un mandat suivant bonne conduite, mais on veut dire au juge administratif: Si ta conduite est reprochable, tu seras sanctionné. D'un autre côté, on veut dire: Pendant que tu es en fonction, on va faire ton évaluation, on va voir si tu maintiens tes compétences, si tu donnes un rendement qui est suffisant, si tu t'impliques dans ton tribunal. Alors, ce sont deux concepts différents qu'il importe de distinguer. C'est dans ce sens-là que vont nos recommandations sur l'énoncé 2.

Vous avez une remarque sur le code de déontologie lui-même, et un code de déontologie qui a été élaboré de façon très sérieuse par les juges administratifs du tribunal, qui a été étudié au Conseil de la justice administrative, qui a été adopté à l'unanimité finalement et par les juges administratifs et par le conseil, et qui est en attente d'être publié par un règlement du gouvernement. Ce qu'on suggère, c'est d'adopter ce code-là ou, à défaut, si un autre doit être fait, c'est de s'assurer qu'il emporte l'adhésion des juges administratifs et qu'ils sont véritablement consultés pour en établir le contenu. La déontologie, c'est une question de pairs, alors il faut toujours insister sur la présence des pairs tant dans l'élaboration des règles que dans leur sanction.

Affirmer que le respect des règles déontologiques relève d'un organisme indépendant composé d'une majorité de pairs, je pense que je n'ai pas besoin d'élaborer davantage là-dessus pour vous. Parce que j'ai eu l'avantage de lire le mémoire qui vous sera déposé par le Conseil de la justice administrative, dont je fais partie, spécifiquement sur cette question-là de la déontologie. Je ne peux pas faire mieux que ce que le conseil vous a donné comme information ou vous donnera au moment où il se présentera devant vous ? parce que sa présence n'a pas encore été faite.

Mais ce qui est très important en déontologie, c'est de s'assurer que les sanctions sont imposées et que l'évaluation du problème déontologique est soumis à un organisme indépendant qui est composé d'une majorité de pairs. La présence de personnes qui ne sont pas des pairs a aussi une grande valeur. Il faut que cette participation-là soit significative pour que vraiment le public sache que ce n'est pas exercé à la légère, que ce n'est pas tout simplement des gens qui se rendent des services mutuellement, que la déontologie, c'est à la base de la confiance du public dans le tribunal et que l'organisme qui voit à ce que la déontologie soit assurée joue vraiment son rôle.

Enfin, la dernière recommandation à cet énoncé-là est de permettre aux juges administratifs actuellement en fonction d'opter pour terminer leurs mandats ou pour obtenir le statut de juges administratifs suivant bonne conduite. Nous avons été très heureux de voir que, dans les dispositions transitoires, on favorisait que les juges administratifs en poste actuellement soient automatiquement des juges administratifs du nouveau tribunal. Ça permet d'assurer une stabilité, ça permet aux gens d'avoir confiance dans ce nouveau tribunal là, d'être sûrs que les juges qui vont les entendre ont déjà une expertise ou une expérience d'appoint et qu'ils sont vraiment impliqués dans ce secteur-là et qu'ils connaissent les questions qu'ils devront trancher. Il est important aussi de prévoir une relève et de prévoir une méthode de transition. Donc, cette façon qu'on vous suggère, adoption, on pense, réalise l'atteinte de ces objectifs-là.

Je passe à l'énoncé 3, quant à l'indépendance du tribunal. En fait, la recommandation principale, sinon la seule, c'est d'éviter le chevauchement entre l'organisme ou le ministère dont la décision est amenée au TAQ et le TAQ lui-même. Vous avez pu voir dans le document précédemment un petit schéma qui vous indique le cheminement du dossier au moment de l'ouverture. On pense que, pour éviter toute confusion et s'assurer que les citoyens sont vraiment conscients qu'ils sont devant un tribunal impartial et indépendant, il faut démêler ces choses-là, leur dire qu'à un certain moment ils ont véritablement quitté l'organisme puis le ministère avec lequel ils sont en litige et qu'ils sont maintenant devant une organisation distincte, soit un tribunal impartial et indépendant. C'est le but de la recommandation que nous vous faisons à l'énoncé 3.

L'énoncé 4, la régionalisation. Nous concluons aussi qu'il faut aller de l'avant dans cette voie parce que c'est une façon de rapprocher le tribunal des citoyens. C'est une façon d'assurer une présence du tribunal dans les régions, que les gens connaissent mieux son existence, sachent qu'il existe, sachent à quel endroit ils peuvent le retrouver et enfin qui va aider à s'assurer que la justice administrative est la même partout, la même qualité, la même célérité partout à travers le Québec, qu'on soit à Québec ou à Montréal, à Chicoutimi, en Abitibi ou partout au Québec.

Donc, cet objectif-là, nous le partageons entièrement et nous sommes assurés qu'avec les moyens de communication aujourd'hui il nous sera possible de maintenir une qualité de cohérence des décisions qui sera très satisfaisante pour l'ensemble, avec les moyens électroniques de communication que nous avons et les bibliothèques auxquelles nous pouvons nous abonner et faire des relations d'une région à l'autre. Bref, avec les spécialistes qui vont nécessairement continuer de voyager en région à certaines occasions, toutes ces façons de communiquer vont permettre de maintenir une cohérence à travers tout le Québec. Parce que l'objectif de la cohérence est double de notre point de vue: d'abord, éviter que les organismes et les ministères reçoivent des décisions discordantes qui créent une confusion dans l'organisme et, deuxièmement, s'assurer que le citoyen qui se présente est traité de la même façon peu importe l'endroit où il se trouve au Québec. Donc, c'est les deux précautions que nous prenons quant à la régionalisation que nous souhaitons.

Je terminerai simplement en mentionnant un point sur la régionalisation. C'est qu'actuellement une des difficultés que nous avons avec la régionalisation, c'est de se trouver des salles bien adaptées aux besoins du tribunal. Et on pense que la façon envisagée par le projet de loi de régionaliser va aider à solutionner ce problème-là.

Quant à la conciliation, nous y participons aussi entièrement, à l'objectif énoncé par la loi. Nous avons toutefois deux petits bémols. La loi dit que la conciliation devrait se faire immédiatement à l'ouverture du dossier ou du moins s'offrir immédiatement. Il y a une certaine prudence, disons-nous, à exercer pour ne pas que les gens pensent qu'ils sont venus à une séance de conciliation et repartent déçus en disant: Bon, on a été invités à participer à cette séance-là prématurément, ou encore l'organisme avec lequel on est en discussion n'était pas ouvert à une véritable conciliation. Donc, ce qu'on dit: Il faut que le dossier soit prêt avant que les gens soient invités à de la conciliation, qu'ils aient en main tous les moyens qu'ils veulent faire valoir pour trouver une solution à leurs problèmes, en venir à un accord de conciliation. Et, deuxièmement, être incitatif, favoriser que les organismes puis les ministères participent de bon gré à cette conciliation-là. Et c'est ce à quoi le TAQ travaille depuis plusieurs années, et l'évolution se fait très positivement. Donc, quant à la conciliation, nous sommes partants allégrement.

Quant au regroupement des trois sections qui sont Protection du territoire, Affaires économiques et Affaires immobilières, il y a peu de choses à dire. Cet objectif-là nous convient tout à fait. On pense que notamment il permettrait de créer une meilleure synergie entre les juges administratifs qui travaillent dans ces trois sections-là et de favoriser une meilleure émulation puis, en bout de ligne, des meilleurs services aux citoyens et, finalement, une meilleure confiance dans le tribunal, ce qui est l'objectif qu'on souhaite avant tout.

n(15 h 10)n

Énoncé 7, quant à l'appellation des membres. J'ai écouté plusieurs interventions devant cette commission par la télévision, j'ai lu des mémoires et je constate que les habitudes du passé sont tenaces. Plusieurs parlent de «membres», alors que d'autres qui entendent ça ne savent pas trop ce que ça veut dire, «membres». Pourquoi ne pas parler de «juges administratifs», ce qui permettrait aux gens de comprendre vraiment à qui ils s'adressent quand ils se présentent en audience?

Régulièrement, on se fait demander: Comment dois-je vous appeler? Je me présente, moi, à une séance du TAQ, les gens me demandent avant de commencer: Comment on doit vous identifier, comment on doit vous parler? Alors, on leur dit «membre» ou «Mme la vice-présidente» ou «M. le président». Pourquoi ne pas tout simplement parler de «juges administratifs»? Les gens comprennent ce que ça veut dire «juges administratifs». Ça établit une crédibilité au tribunal, ça crée une relation qui doit être vraiment celle à laquelle les gens s'attendent. Ils s'attendent de se présenter devant un tribunal. Donc, je n'insisterai jamais assez sur cet objectif-là, qui a peu à voir avec le statut des membres eux-mêmes, dans le fond, mais qui a beaucoup à voir avec la perception que les citoyens en ont, ce qui est très important.

Quant au nom du tribunal, je sais que vous en avez entendu parler aussi, la recommandation que nous vous faisons, c'est de maintenir «TAQ». Maintenir «TAQ» pour une raison d'abord, c'est que la loi qu'on cherche à amender actuellement est celle qui a créé le TAQ et que, si le regroupement CLP avec les autres organisations, Commission des affaires sociales, Bureau de révision et d'évaluation foncière, ainsi de suite, avait eu lieu, bien, le TAQ comprendrait maintenant la section SLP, et ainsi de suite, comme les autres sections. Le fait aussi que ce nom-là commence à être connu, le fait que les gens ont une idée de ce que c'est que le TAQ, ils sont habitués de le voir mentionné dans les journaux, ils sont habitués de nous voir aller siéger en région, donc il y a une continuité, il y a une crédibilité à l'organisation. Et finalement un des derniers arguments, c'est de dire: Quand on crée des institutions, pourquoi ne pas tenter de les améliorer plutôt que de recommencer à chaque fois et de risquer ainsi de créer de la confusion?

Ma finale sera la suivante. Vous n'avez pas idée ? ou vous avez peut-être idée, peut-être que je me méprends ? comme le TAQ est regardé partout à travers le Canada et même à travers les États-Unis comme un animal spécial et un bel animal. Les gens envient actuellement, à l'extérieur, la façon dont la déontologie est exercée en regard de ce tribunal-là. Dans des tribunaux américains, il y a des gens qui sont nommés suivant bonne conduite mais pour qui la bonne conduite, dans le fond, veut dire peu de chose, parce que le président ou un fonctionnaire quelconque peut les relever de leurs fonctions, alors que chez nous il y a vraiment un mécanisme déontologique qui existe. Et, si vous décidez d'abolir le Conseil de la justice administrative, comme nous l'avons suggéré, maintenez quand même un organisme indépendant pour vous assurer de la déontologie.

Deuxièmement, la multidisciplinarité, qui fait aussi l'envie de bien des gens qui nous regardent. Le TAQ est étudié, on reçoit régulièrement des visiteurs qui viennent voir ce qui se passe chez nous parce qu'ils sont aux prises ailleurs avec les mêmes problèmes que nous, ils viennent voir de quelle façon on les a solutionnés. Les gens sont impressionnés de voir comme, en collégialité, on peut arriver à travailler en équipe et à rendre des décisions qui sont bien motivées et qui, en général à tout le moins, rendent service et rendent justice aux citoyens. Donc, je termine là-dessus et je me déclare disponible pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Simard): Alors, merci. Vous êtes vraiment très discipliné, vous êtes entré parfaitement dans les temps. Alors, j'invite maintenant le ministre à poser la première question. Je préviens tout de suite que, si la partie... l'opposition veut bien me garder une minute ou deux à la fin, j'aimerais faire une courte intervention.

M. Bellemare: Alors, merci, M. le président, Me Lamarre, Me Laverdière, pour votre présence ici et ce mémoire très fouillé et très instructif sur le quotidien aussi du tribunal. Quand vous nous dites, M. le président, que le Canada regarde ce qui se passe au Québec, je pense que vous avez raison. Et je m'en suis aperçu il y a quelques mois quand j'ai été entendu par le conseil canadien, qui était impressionné par nos ambitions quant à la réforme qui est actuellement sur la table, le projet de loi n° 35. Parce que les nominations selon bonne conduite pour tous les juges administratifs hors Québec, c'est une ambition, c'est ce vers quoi ils tendent. Et nous serions les premiers au Canada à introduire cette notion pour nos juges administratifs. Mais, beaucoup plus encore, évidemment, on aurait, je crois, un modèle avec le tribunal administratif tel qu'il serait constitué avec le projet de loi n° 35. Déjà, le Canada regarde au Québec ce qui se passe, et je crois qu'ils regardent les expériences québécoises avec beaucoup d'intérêt.

Il y a un sujet sur lequel j'aimerais vous entendre, concernant l'éventuelle fusion du TAQ avec la CLP. On aurait bien sûr un tribunal qui serait un peu à l'image de ce que le ministre Bégin, à l'époque, en 1995, avait souhaité par le projet de loi n° 130, donc créer une section des lésions professionnelles et faire en sorte qu'on ait un tribunal unifié, beaucoup plus unifié que ce qu'il est déjà. Parce qu'il y a déjà beaucoup de divisions, hein, plusieurs secteurs, plusieurs juridictions au sein du TAQ. Il y en aurait une de plus qui serait, et non la moindre, probablement la plus importante de toutes, la section des lésions professionnelles.

Et il y a un volet, je crois, qui gagne à être étudié et regardé, et c'est le volet de... la possibilité de transférer les compétences d'une division à l'autre, faire en sorte qu'un juge administratif puisse aller dans d'autres divisions, par exemple qu'il puisse passer de la section des lésions professionnelles à la Section des affaires sociales ou encore des affaires économiques, peu importe. Est-ce que vous voyez ça d'un bon oeil, vous, que les juges administratifs puissent circuler d'une division à l'autre, ce qu'ils font déjà dans bien des cas, mais, dans l'hypothèse où il y aurait une section des lésions professionnelles, qu'il puisse y avoir des transits, là, d'une division à l'autre, incluant celle des lésions professionnelles? Voyez-vous ça d'un bon oeil?

M. Forgues (Jacques): Bien, c'est une dynamique intéressante parce que ça permettrait des échanges, ça permettrait une complémentarité, ça permettrait une émulation. Le seul bémol que je mettrais, c'est la question de statut. Chez nous, on y tient, on le mentionne dans le mémoire, tous sont juges administratifs avec le même statut. À la CLP, il y a des statuts différents. Alors, un médecin, par exemple, qui passerait de la Section des affaires sociales à la section des lésions professionnelles aurait-il le même statut, aurait-il une adaptation à faire quant à la qualité du travail qu'il a à accomplir? Ça pourrait être un problème. Quant au reste, je pense qu'il y a toujours avantage à ce qu'un juge administratif ou un juge tout court, même, soit sensibilisé à des réalités sociales différentes, ça l'aide à former son jugement, ça l'aide à nuancer ses pensées et à nuancer... Donc, je vois ça d'un très bon oeil, qu'il puisse y avoir des échanges faciles et favorisés, facilités entre une section des lésions professionnelles et une section des affaires sociales dans un nouveau tribunal.

M. Bellemare: On a prévu la possibilité qu'il y ait effectivement des possibilités de transfert d'une division à l'autre. Évidemment, le statut d'assesseur change, hein? Il y a des assesseurs dans la section des lésions professionnelles, ce qui est déjà le cas, au fond on a simplement confirmé la pratique dans la loi. La section des lésions professionnelles fonctionnerait un peu sur le même modèle que la Commission des lésions professionnelles actuellement, avec un assesseur qui ne serait pas un membre. Alors que, dans les autres sections, les avocats, bien sûr, seraient membres, mais les non-avocats le seraient également. Mais ça n'empêche pas que les membres juristes puissent aller d'une section à l'autre parce qu'ils ont le statut exigé par la loi dans toutes les divisions.

M. Forgues (Jacques): Comme juriste, c'est certainement plus facile. On l'a vécu chez nous...

M. Bellemare: Oui.

M. Forgues (Jacques): ...des changements intersections. C'est une ressource et c'est une richesse de pouvoir permettre, à l'intérieur d'un tribunal spécialisé, que des gens puissent passer d'une section à l'autre avec une formation adaptée, une formation spécifique. C'est ce qu'il faut faire et c'est ce qu'il faut viser. Alors, ce sera faisable également avec la section des lésions professionnelles.

M. Bellemare: Il y a certaines personnes qui nous disent que le secteur des lésions professionnelles, c'est un secteur tout à fait unique, distinct des autres, et qu'il faut assurer une étanchéité totale entre la section des lésions professionnelles et le secteur général, peu importe ce qu'on fait des tribunaux, là, si on les fusionne ou pas, mais le secteur des lésions professionnelles et d'autres sections. Et, moi, je regarde la composition du tribunal administratif actuellement, avec une division d'affaires immobilières, affaires économiques, affaires sociales, c'est beaucoup plus disparate, finalement. Il y a beaucoup plus de différences entre la juridiction des affaires immobilières et celle des affaires sociales qu'il y en a entre la sous-section de l'assurance automobile et l'éventuelle section des lésions professionnelles. Il y a plus de liens entre les accidents du travail, les accidents d'auto qu'il y en a entre l'assurance auto et les affaires immobilières. Or, ça ne semble pas créer de problèmes chez vous actuellement, là.

M. Forgues (Jacques): Vous avez raison que, chez nous, c'est très diversifié en termes de champs de compétence. Ça l'est peut-être moins avec la CLP, mais je ne voudrais pas m'embarquer sur une comparaison directe avec la CLP, que je connais beaucoup moins. Je sais qu'il y a une culture propre à chacune de ces deux organisations-là, la CLP et le TAQ. Mais, dans un processus évolutif, on sait que la meilleure façon d'assurer une stabilité, bien souvent, c'est le changement, parce que, quand on refuse de changer, on finit par disparaître, on ne s'adapte pas aux réalités nouvelles. Donc, on est loin d'être rébarbatif au changement, on veut vivre le changement, on veut le vivre de façon raisonnable et rationnelle.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Marguerite-D'Youville, à votre tour.

M. Moreau: Merci, M. le Président. Alors, Me Laverdière, Me Forgues, Me Lamarre, bienvenue, particulièrement Me Forgues. J'ai eu le plaisir de plaider souvent devant vous et, curieusement, je ne vous ai jamais entendu parler aussi longtemps que vous ne l'avez fait aujourd'hui, vous écoutiez. C'est votre qualité de membre du Tribunal administratif du Québec, je vois que vous avez du talent à l'égard des deux, des deux systèmes.

n(15 h 20)n

J'avais une question qui me tracasse un peu, à la page 12 de votre mémoire, sur l'évaluation périodique. Je pense que vous êtes membre du Tribunal administratif du Québec depuis sa fondation, sauf erreur, et actuellement vous occupez le poste de président intérimaire. Et l'évaluation périodique, ça tombe exactement au coeur de la gestion, je pense, de la qualité de la compétence des membres du Tribunal administratif du Québec.

Et je vais faire le préambule suivant dans ma question: Je pense que nous avons, au Québec, une justice administrative de grande qualité, que l'objectif poursuivi par le projet de loi n° 35 est de l'améliorer dans la mesure du possible. Et la question que je vais poser n'est pas un jugement de valeur sur les individus en particulier, mais j'aimerais vous entendre sur ce point spécifique.

D'abord, mon collègue et député de Mercier tantôt se demandait si, à l'égard de l'indépendance des juges administratifs, la question de l'évaluation périodique, dans sa forme actuelle dans la loi, pouvait poser problème. Est-ce qu'il n'y aurait pas un problème de charte à ce que, notamment, la question d'évaluation fasse référence à un règlement adopté par le gouvernement? Vous pourrez discuter de ce point-là.

Mais ce que j'aimerais entendre de vous, comme spécialiste du Tribunal administratif du Québec pour y être membre, c'est ceci: S'il advient qu'un membre du tribunal administratif, même dans sa nouvelle version ? et ne faisons pas de particularité ? soit incompétent ou que son comportement à la longue, par exemple, parce qu'il est nommé durant bonne conduite, fasse en sorte que ce membre-là, qu'il soit homme ou femme, ne suive pas la jurisprudence, ne s'intéresse pas à la formation et devienne avec le temps, bien qu'il ait pu être très compétent au moment de sa nomination, quelqu'un qui est passé au niveau de sa mise à jour, à l'heure actuelle comment peut-on gérer cette situation-là et quelles seraient les recommandations que vous seriez prêt à faire à la commission pour qu'on puisse s'attaquer à cette question dans le cadre du projet de loi n° 35, à l'avenir?

M. Forgues (Jacques): D'abord, je vais exclure tout de suite, avec respect quand même, la question où vous dites «un juge administratif qui ne suit pas la jurisprudence». Je ne pense pas que le président puisse imposer quoi que ce soit à un juge administratif qui ne suit pas la jurisprudence. Chez nous, il y a un droit d'appel à la Cour du Québec à la Section des affaires immobilières et à la Section de protection du territoire et environnement. Il y a le contrôle judiciaire en cour supérieure. Donc, un président ne doit pas intervenir.

Ce que le président doit faire, c'est l'article 75 de la Loi sur la justice administrative qui le dit, c'est prendre toutes les mesures possibles pour assurer la cohérence, c'est-à-dire donner de l'information, permettre aux gens de se parler et s'assurer que les décisions qui sortent soient le moins disparates possible. Parce que ? je le dis régulièrement quand je fais moi-même un petit peu de formation ? les décisions que rend un tribunal administratif non seulement règlent le litige entre deux parties, mais souvent sont une indication pour l'administration sur sa façon de se comporter dans d'autres cas similaires. Il y a un aspect qui n'est pas réglementaire comme tel, mais il y a une information qui circule dans les organismes qui veulent traiter aussi toutes les personnes de la même façon. Donc, il y a une dimension spéciale dans une décision d'un tribunal administratif qu'on ne retrouve pas nécessairement dans un jugement de cour. C'est mon premier point. Donc, la jurisprudence, on oublie ça.

Pour le reste, je dois vous dire que j'ai déjà vu des gens partir de l'organisation dans laquelle j'étais avant, alors qu'on avait déjà des mandats sans terme, des mandats que... à ce moment-là... et des gens sont partis pour des raisons qui ont rapport à la déontologie.

Qu'est-ce que veut dire «évaluation du rendement» par rapport à «déontologie»? L'évaluation du rendement, ça veut dire: Président, assure-toi par tous les moyens possibles que les juges qui travaillent avec toi n'auront pas de problèmes déontologiques, donc donne-leur de la formation, travaille avec eux, descends sur le terrain puis sois toi-même un modèle pour eux autres. C'est ce qu'on dit dans le mémoire, c'est ce que je vous résume là-dedans.

Donc, l'évaluation du rendement, c'est bon. Mais une évaluation du rendement téléguidée ou télescopée par l'exécutif ou par un règlement, on ne peut pas se résigner à vivre avec ça, parce que c'est vraiment une mainmise, en tout cas, une apparence de mainmise de l'exécutif sur un tribunal qu'on veut indépendant. Donc, ce qu'on dit: Établissez donc, dans la loi, les critères d'évaluation du rendement, l'évaluation du rendement qui est une mesure de gestion, qui est une mesure qui doit être appliquée par les juges administratifs qui ont des mandats administratifs. Et, si ces gens-là ne l'appliquent pas bien, ce sont eux, ceux qui ont des mandats administratifs, qui auront à rendre compte, pas les juges administratifs qui travaillent dans le juridictionnel. Donc, ça résume ma pensée.

M. Moreau: Vous me permettrez de pousser un peu plus loin, peut-être que vous allez trouver que j'insiste beaucoup, mais je sais que le droit d'appel existe, je sais que révision judiciaire existe, mais je pense au justiciable qui, lui, son objectif premier, ce n'est pas de faire avancer le droit, ce n'est pas de corriger la décision du juge de première instance, c'est d'essayer d'avoir le plus rapidement possible que justice soit rendue, le plus rapidement possible et de façon qualitative dans son dossier.

Alors, je reviens avec cette question-là. Dans les faits, on sait que l'idéal, ce serait quelqu'un qui suit une formation, et tout ça, mais il n'est pas bon. On a un juge administratif, on a un membre du tribunal administratif qui n'est pas bon. Qu'est-ce qu'on fait pour régler le problème et faire en sorte qu'on assure la meilleure qualité de justice administrative, la meilleure qualité du membre d'un tribunal administratif au moment où le législateur s'apprête à nommer ces gens-là durant bonne conduite?

M. Forgues (Jacques): Alors, si vous me parlez au moment de la nomination suivant bonne conduite...

M. Moreau: Et après, et par la suite...

M. Forgues (Jacques): ...par l'effet de la loi, oui... Dans un premier temps, je dois vous dire que la presque totalité des juges administratifs du TAQ ont passé des entrevues de renouvellement, au moins une entrevue et parfois deux, parce que cette échéance-là revenait aux cinq ans. Donc, on peut penser qu'ils sont qualifiés à la base pour jouer leur rôle de juges administratifs, et je suis convaincu qu'ils le sont.

Deuxième étape, comment s'assurer qu'ils vont le demeurer, c'est par l'évaluation du rendement. Et, s'ils ne le sont pas aux yeux du président, le président peut lui-même les emmener en déontologie. Et c'est là que l'organisme indépendant prend toute sa valeur, un organisme indépendant du président qui va regarder ça de l'extérieur et qui va dire: Oui, écoute, le président a raison, cette personne-là ne doit pas continuer à faire le travail de juge administratif pour telle ou telle raison. Alors, je pense que c'est une garantie qui est très bonne pour les citoyens.

M. Moreau: Je vais vous poser une dernière question à cet égard-là. Cet organisme indépendant du président, est-ce qu'à votre avis ça pourrait être, avec des modifications législatives, le Conseil de la magistrature du Québec?

M. Forgues (Jacques): Si c'était le Conseil de la magistrature, l'avantage qu'on y verrait, c'est que ce conseil-là a déjà une grande expérience, une grande expertise en déontologie. Il suffirait que, pour traiter un cas d'un juge administratif, on fasse un comité, ou enfin un sous-comité ? ou appelons-le comme on veut ? qui contient une majorité de pairs, de juges administratifs, pour entendre cette affaire-là et en disposer. Donc, je pense que ça pourrait être une avenue à considérer.

Le Président (M. Simard): Très bien. Alors, je me tourne vers l'opposition officielle et j'interpelle le député de Chicoutimi, et j'imagine qu'il a une question à poser à Me Forgues, à ce moment-ci.

M. Bédard: Merci, M. le Président, oui. Bonjour, M. le président, je salue aussi les gens qui vous accompagnent.

Tout d'abord, première chose, vous dire: Vous plaidez très bien l'idée de la multidisciplinarité, qui est une caractéristique importante du Tribunal administratif du Québec, qui aussi ? c'est ce que vous disiez dans votre mémoire mais aussi un peu plus tôt, à l'effet que plusieurs nous envient sa composition du fait qu'il y a des gens qui n'ont pas nécessairement la formation juridique mais qui sont issus d'autres professions qui participent au tribunal ? fait en sorte que le tribunal a vraiment une couleur qui lui est particulière et qui, je pense, participe de sa nature de tribunal spécialisé reconnu.

Et vous dire que, bon, le projet de loi n° 4 effectivement avait pour effet peut-être, du moins, d'entamer de façon assez profonde ce principe ? et dans le projet de loi on y retrouvait certains adoucissements, mais le principe était encore celui du tribunal seul ? mais, simplement vous dire, le ministre ne l'a pas relevé, mais il nous a proposé de faire en sorte que le principe fasse que le tribunal siège en principe à deux membres, qu'on retourne à ce qui était, je vous dirais, l'essence même du tribunal, mais que, par contre, on donne plus de pouvoir au président du tribunal pour un peu ? comme vous le proposez d'ailleurs dans votre mémoire ? assigner au cas où c'est utile... Évidemment avec le critère de l'utilité, non de la nécessité, pour ne pas obliger à justifier au tribunal, mais de faire en sorte que le président du tribunal ait plus de latitude pour assigner, dans des cas des dossiers sur le fond, un seul membre du tribunal. Est-ce que vous êtes... Je comprends que vous seriez en faveur effectivement avec une telle proposition, puis elle rencontrerait une de vos recommandations?

n(15 h 30)n

M. Forgues (Jacques): J'ai assisté par le truchement de la télévision à cet échange-là, et ça m'a réjouit. Je me suis dit, et je vais arriver à point avec ma recommandation... Parce que l'objectif de réduire les formations dans toute la mesure du possible, quand ce n'est pas nécessaire... quand ce n'est pas utile, plutôt, d'avoir deux juges administratifs, pourquoi le faire? Mais le principe qui est très important, qui assure la spécificité du tribunal, qui assure aussi une qualité, qui assure les citoyens qu'ils sont vraiment bien compris, c'est la multidisciplinarité, le fait de conserver la règle de siéger à deux. Le principe m'apparaît tout à fait fondamental.

M. Bédard: Vous prêchez en terre fertile. On a eu une proposition des autres membres du tribunal, et je voulais le tester avec vous à titre de membre... de président intérimaire. Mais j'espère que ça n'atteint pas votre latitude que vous avez, le fait que vous soyez intérimaire... Le fait que les fonctions administratives soient exercées par des gens autres que des avocats ou notaires, on a eu une proposition des évaluateurs agréés que j'ai trouvée intéressante. Les gens se sentent, je vous dirais, à part entière membres de ce tribunal, donc, et dorénavant, maintenant, pourront même siéger seuls. Et ils pouvaient de toute façon, et ils disent: Bon, bien, alors pourquoi on n'aurait pas accès aux fonctions administratives du tribunal? Qu'est-ce que vous pensez d'une telle proposition?

M. Forgues (Jacques): D'abord, historiquement, ça a déjà existé. Au Bureau de révision d'évaluation foncière, c'était le cas. Et, deuxièmement, je pense que les gens qui ont à faire ces nominations-là ne devraient pas se priver d'avoir le plus grand bassin de compétences possible et de choisir, pour un poste donné, la personne qui a la meilleure qualification. On peut penser qu'il y a un préjugé favorable, dans le sens que, quand on parle de tribunaux, on parle d'avocats, puis je suis le premier à penser que c'est ça règle générale, mais pourquoi se priver? Pourquoi se priver d'un bassin, d'un potentiel dont on peut avoir besoin éventuellement pour assurer une meilleure qualité de justice? Je pense que ça va de soi, hein?

M. Bédard: Je suis de votre avis aussi, je vous avouerais. Ils m'ont convaincu...

M. Forgues (Jacques): Pardon?

M. Bédard: Je suis de votre avis aussi. Alors, ils m'ont convaincu. Mais évidemment vous exercez, donc vous êtes à même de constater peut-être des qualités ou des compétences qui seraient d'autre nature. Mais votre avis me réconforte et, je pense, va réconforter aussi ceux et celles qui sont venus le représenter.

Petite question très claire, vous avez dans votre mémoire... vous parlez de la conciliation et vous y faites état au début en disant que vous êtes favorable au principe de la conciliation ? et, je pense que tout le monde est favorable au principe de la conciliation, c'est comme prêcher la vertu ? et vous dites dans vos recommandations que vous êtes en faveur, mais en disant... évidemment, en tenant compte des recommandations que vous faites. Or, les recommandations que vous faites quant à la conciliation me semblent un petit brin... Et là ce n'est pas très clair pour moi. Le projet de loi actuel fait en sorte que la conciliation devient obligatoire et automatique. Est-ce que vous êtes... est-ce que vous pensez qu'il s'agit d'une façon correcte d'améliorer la qualité et de favoriser finalement les règlements des litiges?

M. Forgues (Jacques): Ce que je comprends du projet de loi actuellement, c'est que le projet de loi dit: Aussitôt qu'un recours est introduit au TAQ, offrez de la conciliation. Si le citoyen la veut, l'organisme ou le ministère...

M. Bédard: Je veux dire, sur demande.

M. Forgues (Jacques): ...est obligé de participer.

M. Bédard: Voilà.

M. Forgues (Jacques): Le seul bémol que je mets, c'est, premièrement, aussitôt que le recours entre. Je pense que ça peut être prématuré dans plusieurs cas, parce que les gens nous téléphonent après avoir introduit leur recours: Qu'est-ce qui manque? Qu'est-ce que je dois faire? Bien, on leur suggère... La loi dit spécifiquement qu'on doit prêter assistance, donc on le fait. Là, les gens réalisent que ça leur prend des papiers, un rapport médical ou... Alors, les convoquer à la conciliation avant qu'ils aient complété leur dossier, on pense que ça pourrait être un objet de déception pour eux, parce que se faire dire: Bien, écoutez, on retourne à la maison puis on reviendra plus tard... C'est la première précaution.

La deuxième, c'est qu'une conciliation forcée pour un organisme, ou un ministère, ou quiconque, il y a une étude qui a été faite en Ontario qui dit que ça porte fruit... ça conduit à un accord de conciliation moins souvent que quand la conciliation est volontaire. Ce qu'on dit: Continuons donc de faire comme on fait, c'est-à-dire d'inciter les organismes, la réponse est bonne. Les derniers qui avaient à franchir le pas sont en train de le faire pour convaincre que les organismes se présentent volontairement à la conciliation. C'est tout simplement ça, c'est une question de temps pour faire l'offre, faire l'offre au bon moment et puis de motiver les organismes à y participer. Parce que la conciliation, le grand avantage que ça comporte, c'est que la personne qui conclut l'accord comprend ce qui arrive, comprend la conclusion à laquelle on en est arrivé et en sort généralement beaucoup plus satisfaite que d'attendre une décision, hein?

M. Bédard: Mais on comprend, entre vous et moi, que c'est beaucoup plus, disons, traumatisant pour un individu d'être en conciliation ? en tout cas, il y a plus de chances ? que pour une société d'État ou un ministère, par exemple. Si on obligeait, par exemple ? et je me suis mal exprimé au départ, là ? si on obligeait l'individu à la faire, je me dirais: Bon... D'ailleurs, on a même des sommités, des gens qui sont venus nous dire: Effectivement, l'exercice de conciliation apparaît souvent très traumatisant pour les gens. Mais, lorsque l'individu le réclame, la personne qui se sent lésée, moi, je peux vous dire, j'ai beaucoup moins de difficultés, d'autant plus qu'on me dit qu'il arrive, dans certains ministères où il y a une culture beaucoup moins développée de la conciliation et, je vous dirais même, de chercher à trouver des règlements sans passer par l'adjudication... Mais vous semblez quand même avoir des bémols parce que, là, vous me dites finalement: Gardons un peu la situation telle qu'elle est actuellement. Est-ce que je me trompe?

M. Forgues (Jacques): Non, ce que je dis, c'est: Ne faisons pas l'offre, obligeons-nous pas à faire l'offre de conciliation tout de suite le jour où le dossier entre.

M. Bédard: Au départ. O.K. Ça, je suis d'accord. O.K.

M. Forgues (Jacques): C'est ça. Quant au reste, je n'ai pas de problème à suivre le projet de loi tel qu'il est.

M. Bédard: Ça, vous êtes d'accord. Parfait. O.K. Je voulais seulement être sûr. Je vais laisser... Mes collègues avaient des questions. Si j'ai du temps, je reviendrai, M. le Président, parce que mes collègues...

Le Président (M. Simard): Très bien. M. le député de Mercier.

M. Turp: Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation et le mémoire, là, très utile, et je crois qu'il soulève des questions intéressantes. Il est intéressant de constater que le mémoire utilise 25 fois la formule «confiance du public». Vous l'avez d'ailleurs mis en caractère gras dans le mémoire pour qu'on le voie bien, et cela semble donc être un principe, là, que vous avez à coeur, au tribunal. Et donc j'ai une question très, très générale pour nous permettre de bien faire notre travail de législateur: Dans le projet de loi tel que nous l'avons, que vous avez analysé, est-ce qu'il y a une disposition particulière qui, à votre avis, pourrait mettre en péril la confiance du public dans le Tribunal administratif du Québec? Je vous demande de nous en identifier une. Si vous voulez en identifier davantage, je pense qu'on serait très intéressé.

La deuxième chose, je m'intéresse aux questions du vocabulaire, pas seulement à la question du nom du tribunal, mais vous vous y intéressez, et je pense que d'autres personnes s'y intéressent et interviendront là-dessus. Mais vous soulevez une question sur la façon dont on devrait dire ou ? comment dire? ? identifier le résultat de la délibération du tribunal. Vous n'aimez pas le mot «décision», n'est-ce pas? C'est ce que vous dites dans votre mémoire. Vous n'aimez pas que le tribunal rende des décisions, parce que parfois ce sont des décisions qui sont portées devant le tribunal. Et j'aimerais savoir comment vous voudriez qu'on appelle cela. Vous avez dit «jugement» que ça nous amène à penser et à faire le débat sur est-ce que vous êtes des juges, vous devriez être des juges, est-ce qu'on devrait clairement affirmer votre qualité de juges. C'est un débat intéressant parce qu'il y en a qui prétendent que, si l'on disait ça, vous réclameriez les mêmes salaires que les juges des tribunaux judiciaires ou des avantages qui sont analogues. Est-ce que c'est un argument qui devrait nous convaincre de ne pas le faire?

D'ailleurs, je souligne au ministre, on avait une discussion tout à l'heure. Au niveau international, vous savez, il y a une cour internationale de justice puis un tribunal administratif des Nations Unies, par exemple. Il y a aussi un tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail, le TANU pour les Nations Unies et le TAOIT, mais l'appellation pour les personnes qui sont nommées dans ces deux instances, c'est «juge». Il y a juge du TANU, un juge du TAOIT comme il y a des juges à la Cour internationale de justice. Mais, pour ce qui est de l'appellation de ce que vous faites, est-ce que ça devrait être un jugement? Est-ce que ça ne devrait pas être une sentence, parce que c'est réservé généralement aux tribunaux d'arbitrage, les sentences? Est-ce que ça ne devrait pas être plutôt une ordonnance, si on vous refuse la qualité de juge? C'est des questions que je veux vous poser.

Et la dernière chose, si vous voulez faire une remarque additionnelle, mais je pense que le mémoire propose des choses utiles. Vous proposez de scinder l'article 3.1... le paragraphe 3.1° de l'article 75 en un certain nombre de différentes sections. Le ministre l'a peut-être remarqué, je trouve que ces suggestions sont utiles, mais peut-être vous voudriez ajouter quelque chose.

Mais vous n'avez pas répondu ? mon dernier point ? à la question de mon collègue de Marguerite-D'Youville sur la destitution des éventuels juges ou membres du Tribunal administratif du Québec. Est-ce que vous favorisez une procédure analogue à celle concernant la destitution des juges judiciaires qui est prévue à la Loi sur les tribunaux judiciaires et qui fait intervenir le Conseil de la magistrature et le gouvernement en dernier ressort?

n(15 h 40)n

M. Forgues (Jacques): Alors, c'est tout un brin de questions. Je vais répondre à la première tout d'abord. Vous me demandez si je vois un inconvénient dans la loi pour la confiance du public. Il y en a un majeur, c'est que la centralisation des pouvoirs déontologiques entre les mains du président, à mon point de vue, est à peu près mortelle. Il faut sortir la déontologie des mains du président. Donc, s'il y a un point qui est négatif pour la confiance du public dans le projet de loi, c'est celui-là. Et je n'en vois pas d'autres pour le moment.

Vous me parlez de jugements plutôt que de décisions. Quand j'ai écrit le mot «jugement», il y a des collègues qui m'ont dit: Écoute, tu fais une faute de français parce qu'un tribunal administratif, ça ne rend pas de jugements. J'ai dit: Je le sais, mais il ne faut pas craindre d'évoluer parfois, quand on veut démêler le monde, hein? Les gens reçoivent une décision, une deuxième décision, des fois une troisième décision d'une organisation, puis à un moment donné c'est une autre décision qui arrive. Si on veut vraiment donner un son de cloche différent, dire: Écoutez, là, vous venez de changer de système, là, vous êtes rendus devant un tribunal, peut-être que «jugement», c'est une entorse au dictionnaire que d'employer le mot «jugement», mais je pense qu'il faudrait peut-être se creuser la tête un peu pour trouver un autre mot que «décision» parce que...

Et, si on veut vraiment marquer le changement ? puis je pense que c'est ça qui est important ? si on veut que les gens aient vraiment confiance et se disent: Bon, là, je viens de franchir une étape, maintenant je ne discute plus avec tel ministère ou tel organisme, je suis rendu devant un tribunal, puis woups! ce n'est plus une décision que je reçois, c'est d'autre chose, «jugement» ou un autre mot qu'on pourra trouver, c'était l'objectif de ça. Je ne vous dis pas que c'est orthodoxe de parler de jugements en regard du tribunal administratif, mais ce sur quoi je voulais attirer l'attention de la commission, c'est sur la nécessité de prendre tous les moyens pour que les justiciables sentent vraiment qu'il y a un changement, là, il y a une brisure à un moment donné.

Pour ce qui est de démêler évaluation du rendement et déontologie, l'article 78, 3.1, bien, à 181 ou 180, dans la loi, on définit vraiment ce que c'est que la déontologie. Donc, la déontologie, c'est une chose, et puis l'évaluation du rendement ou la gestion, c'est une autre chose. Alors, que le président ou quelqu'un d'autre puisse faire une plainte à un organisme indépendant qui va entraîner la destitution d'un juge administratif, ça peut arriver, et puis que ce soit calqué sur ce qui se passe avec les cours de justice ne serait sûrement pas mauvais parce que c'est un système qui a été éprouvé. Mais est-ce qu'on doit le prendre intégralement? Bien, ça mériterait une réflexion que je n'ai pas faite complètement jusqu'à présent. Oui.

M. Turp: Là-dessus, j'espère que je ne me trompe pas, mais le projet de loi n° 35 ne prévoit pas une procédure de destitution d'une personne qui assume des fonctions au Tribunal administratif du Québec. Et, s'il y a une règle qui veut que ces personnes-là doivent être nommées jusqu'à bonne conduite, la question doit se poser, là. Il devrait y avoir une règle relativement à la destitution, et une règle qui pourrait être analogue à celle qui est prévue par les juges pour les juges où il y a une intervention quand même d'un corps qui est, dans le cas des juges, le Conseil de la magistrature qui pourrait être, s'il existait encore, le Conseil de la justice administrative avec peut-être une intervention, comme le prévoit la Loi sur les tribunaux judiciaires, d'un tribunal. La Cour d'appel intervient avant que le gouvernement puisse destituer un juge judiciaire. Alors, est-ce que vous croyez que le projet de loi que nous examinons devrait comporter des règles relatives à cette question?

M. Forgues (Jacques): ...comporter des règles qui font en sorte que, si la destitution d'un juge administratif survient, cette décision-là est prise par un organisme indépendant qui connaît la déontologie. Et l'exemple que vous donnez qui vise les cours de justice en est un qui est parfait.

M. Turp: Mais la décision est prise par le gouvernement, pas par l'organisme...

M. Forgues (Jacques): Non, non, c'est ça.

M. Turp: ...qui recommande. Mais il y a une obligation de saisir la Cour d'appel. Est-ce que vous croyez que c'est un système comme celui-là qui devrait être adopté pour les personnes qui sont au Tribunal administratif du Québec?

M. Forgues (Jacques): C'est un système qui assurerait vraiment que les juges administratifs sont indépendants, et c'est ce qui devrait être adopté.

M. Turp: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Dubuc, s'il vous plaît.

M. Côté: Oui. Merci, M. le Président. Alors, mesdames, monsieur, bienvenue à cette commission. Moi, j'ai remarqué que votre mémoire est d'une clarté limpide, comme on dit. C'est très bien fait, c'est concis, et je pense que vous appliquez bien la maxime qui dit que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. Et je pense que, dans votre mémoire, c'est exactement ça qu'on voit.

Vous ne vous êtes cependant pas prononcé sur l'article 2 de la loi, je pense, sur l'abolition du... l'article 1, plutôt, l'abolition du Conseil de la justice administrative. Est-ce que c'est voulu de votre part ou si... J'ai manqué quelques minutes, peut-être que vous l'avez fait pendant que j'étais sorti quelques minutes, mais est-ce que c'est voulu, ou si c'est par souci de déontologie, ou...

M. Forgues (Jacques): Non, c'est que mon point de vue sera exposé dans le mémoire qui sera présenté par le Conseil de la justice administrative dont je fais aussi partie. Mais je peux quand même commenter là-dessus. Ce qu'on dit, c'est qu'un conseil de la justice administrative, tel qu'il existe actuellement, comme je l'ai dit tantôt dans mon introduction, fait l'envie de bien des gens qui nous regardent et qui disent: Le système déontologique que vous avez actuellement est un excellent système. Ce dont il faut s'assurer, c'est que ce conseil-là fonctionne avec une majorité de pairs quand il décide de questions déontologiques et puis que l'organisme qui le remplacerait éventuellement soit aussi composé d'une majorité de pairs. Alors, ce n'est pas qu'on souhaite la disparition du Conseil de la justice administrative, loin de là, parce que ce conseil-là a le même vécu que le tribunal, cinq ou six ans d'existence, et commence déjà à bien connaître les mécanismes déontologiques, donc...

M. Côté: ...le rôle que... de jouer à la place du président du tribunal en ce qui concerne les matières déontologiques.

M. Forgues (Jacques): Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut pas que ça reste entre les mains du président du tribunal.

M. Côté: Merci.

Le Président (M. Simard): Oui. La partie ministérielle a demandé à revenir et à poser de nouvelles questions. Je pense que c'est M. le ministre qui le fera.

M. Bellemare: Oui. Alors, M. le président, vous avez tantôt vanté les mérites d'une fusion éventuelle des deux tribunaux administratifs qui permettrait que des membres puissent être transférés d'une section à l'autre. Il y a un volet formation également qui a été abordé par quelques intervenants avant vous qui disaient: Oui. O.K. pour les transferts, c'est bon pour le membre, c'est bon pour le justiciable, ça permet une meilleure... une plus grande variété dans les cas analysés, une valorisation au plan professionnel, mais il faut s'assurer du fait qu'il y a une formation d'appoint qui garantisse la compétence et la qualité du membre qui agirait dans une division qui n'est pas la sienne, qui n'est pas sa division d'origine.

Actuellement, quand les membres, chez vous, passent d'une division à l'autre, est-ce qu'il y a cette formation d'appoint? Je sais qu'il y a des membres actuellement qui sont normalement... ou qui étaient, au moment où le TAQ a été formé, dans la division immobilière, par exemple, et qui ont agi en matière d'affaires sociales ? il y en a quelques-uns qui l'ont fait ? et la question, c'est de savoir est-ce qu'il existe actuellement une mécanique de formation ou une formation qui assure la qualification du membre qui s'en irait dans une autre section qui serait relativement différente de la première.

M. Forgues (Jacques): Si vous me parlez de la qualification d'un membre qui s'en va dans une autre section de façon permanente, il y a une formation d'appoint.

M. Bellemare: Permanente ou temporaire, mais qui va ailleurs, là.

M. Forgues (Jacques): Mais je fais une affectation pour un dossier, par exemple, pour une affaire. Dans ce cas-là, il n'y a pas de formation spécifique parce que celui qui est assigné, on considère qu'il l'a déjà. C'est justement pour ça qu'on fait une affectation temporaire pour un dossier. Ce cas-là est réglé. Quelqu'un qui s'en va dans une autre section pour une période de temps x, lui, il mérite de recevoir une formation spécifique pour le genre d'affaires qu'il s'en va traiter dorénavant. Alors, c'est deux situations qu'il faut distinguer. Un l'a déjà, c'est la raison pour laquelle on l'assigne spécifiquement à un dossier. Et l'autre doit l'avoir parce qu'il s'en va dans un nouveau secteur, un nouveau champ de compétence.

n(15 h 50)n

M. Bellemare: O.K. En ce qui concerne les représentants, les gens qui oeuvrent à titre de représentants dans les cas qui sont portés devant le Tribunal administratif du Québec actuellement sont, en général, avocats, sauf dans certaines sous-sections, au niveau des affaires sociales notamment. Je sais que les représentants du ministère de l'Emploi, Solidarité sociale ne sont pas tenus d'être avocats de par la Loi du Barreau, ceux qui représentent les victimes d'actes criminels et également ceux qui représentent les accidentés du travail. Pour ce qui en reste, là, au TAQ, il y a quelques cas encore qui sont portés à l'attention du tribunal à chaque année en matière d'accidents de travail.

Nous avons prévu, dans le projet de loi, une mécanique qui permet à un juge administratif qui est saisi d'une cause où le représentant fait preuve d'une incompétence manifeste... Je ne sais pas si ce sont les termes exacts qui sont prévus dans le projet de loi, dans le cas où un membre est saisi d'une cause où il y a un problème grave au chapitre de la représentation, le représentant qui n'est pas membre du Barreau fait preuve d'une incompétence manifeste, le projet de loi prévoit que le membre pourrait le destituer ou dire: Monsieur, madame, vous n'êtes pas compétent pour assurer la représentation de cette victime, de sorte que vous ne pouvez plus agir. Qu'est-ce que vous pensez de cette mécanique-là?

M. Forgues (Jacques): Bien, c'est une disposition qui est de nature à protéger les citoyens qui seraient mal représentés, donc l'intention est excellente. Le danger que ça comporte, pour celui qui va l'exercer, c'est de s'assurer qu'il le fait vraiment de façon impartiale et que ça paraisse impartial. Parce que, pour vous donner un exemple, avec le devoir qu'on a actuellement d'aider les parties, de prêter assistance, on vit déjà cette problématique-là, de jouer un rôle d'assistance envers une partie sans que l'autre pense qu'on a déjà un parti pris pour aider celle-là. Donc, il y a déjà une problématique, les juges administratifs sont déjà habitués de jouer avec ça et puis de bien se tirer d'affaire avec ça.

Celle que vous proposez dans le projet de loi va encore un petit peu plus loin: aller jusqu'à destituer un représentant. Alors, ça va demander des habiletés encore plus grandes, mais je pense que c'est de nature à assurer qu'un citoyen ne se fasse pas jouer de vilains tours, entre guillemets, par un représentant.

M. Bellemare: Deux choses sur la représentation. La première, la possibilité que la décision d'un juge administratif destituant un représentant puisse faire l'objet d'un appel à la Cour du Québec pour être encore plus sûr, verriez-vous ça d'un bon oeil?

M. Forgues (Jacques): Je vais sortir mes patins à glace pour ne pas faire de peine aux juges, mais je préférerais personnellement... Je pense que ça relèverait plus du contrôle judiciaire que d'un appel, mais, écoutez, je vous donne ça à brûle-pourpoint sans étude préalable. Si j'avais eu droit à mon trois mois de délibéré, peut-être que je vous aurais donné une autre réponse.

M. Bellemare: O.K. Actuellement, la loi ne prévoit pas cette possibilité de destituer un représentant qui n'est pas avocat. Qu'est-ce que vous faites comme tribunal administratif quand vous êtes devant un cas où il y a un problème de représentation manifeste?

M. Forgues (Jacques): Il y a de multiples possibilités qui se présentent, et chaque cas est un cas d'espèce. Par exemple, on peut ajourner et suggérer une conciliation. On peut suggérer un ajournement, on peut prendre des attitudes particulières, rencontrer les deux parties et puis convenir d'une autre façon de procéder, remettre l'instance ou l'ajourner. Bref, donner une recette générale sur cette question-là, il est difficile, mais les cas sont traités individuellement, et généralement on s'en sort bien. Je ne pense pas qu'il y ait eu de personnes qui ont vraiment été mal servies par des représentants et que le tribunal n'ait pas pu intervenir. Mais ce que vous proposez là est un remède qui pourrait être utile éventuellement.

Le Président (M. Simard): Si personne n'y voit d'objection, j'autoriserais le député de Trois-Rivières à poser une courte question.

M. Gabias: Merci, M. le Président, surtout qui amènerait une réponse courte. Alors, j'ai bien pris note également de votre souci, là, de maintenir la confiance du public. Et ma question vise la composition du banc. Et votre première recommandation est à l'effet de maintenir la règle de siéger à deux, évidemment le juriste et le spécialiste, et de laisser le soin au président du tribunal de réduire la formation à un seul lorsqu'une double expertise n'est pas utile, par rapport au texte proposé dans le projet de loi à l'article 34 qui propose évidemment la règle du banc unique. Et, par contre, au projet de texte à 82.2, on dit: «Le président du tribunal peut, s'il l'estime utile en raison de la nature d'une affaire et des faits soulevés, d'office ou sur demande d'une partie, prévoir une formation de deux membres.»

Est-ce que la confiance du public n'est pas davantage préservée dans la mesure où ils ont la possibilité... ou la partie a la possibilité de demander un banc à deux, alors que, dans votre proposition, c'est un peu laissé à la discrétion du président du tribunal? Autrement dit, est-ce que ça ne ferait pas en sorte de faire en sorte que le président du tribunal, il serait très, très, très prudent à réduire au banc d'un seul sur, je dirais, l'aspect, là, de possiblement la confiance du public qui serait un peu minée?

M. Forgues (Jacques): Comme on le dit dans le mémoire, jusqu'à présent la disposition équivalente qui est dans la loi a suscité beaucoup de prudence. Avec ce qu'on suggère, je pense que ça donne plus de latitude au président. Donner le choix à une des parties de choisir son juge, je ne pense pas que ce soit très approprié. J'ai des problèmes avec ça, surtout qu'une seule des parties puisse le faire. Il y avait eu un amendement qui a été proposé à un moment donné, je pense, pour que les deux puissent le faire. Dans le 4, il y avait une des parties qui pouvait le faire, et puis il semble que ça ait évolué. Mais, de toute façon, laisser le choix à une partie de choisir son juge, je ne pense pas que ce soit une bonne façon d'assurer une justice qui, aux yeux du public, a l'air vraiment indépendante et impartiale.

M. Gabias: Peut-être juste un... Je ne comprends pas, à 82.2, que le justiciable choisit son juge, mais bien demande d'avoir deux juges qui l'entendent. C'est toujours le président qui le nomme évidemment.

M. Forgues (Jacques): Oui, c'est toujours le président qui le nomme, mais mettez-vous dans... Bien, «choisir», le mot est peut-être fort, mettez-vous dans la situation où vous arrivez devant le tribunal, et il y a un juge administratif qui est là, qui vous attend, et vous dites: Bien, ce matin, je pense, la nature de mon dossier m'invite à demander une composition, là, de deux. Est-ce que ce n'est pas indiquer un manque de confiance dans celui qui est là et commencer à créer déjà un doute sur... alors que, si les deux sont déjà là ou que le choix a été fait par le président, pour l'autre partie du moins, l'apparence d'impartialité ne serait pas plus grande? Ça demeure une question...

Le Président (M. Simard): M. le député de Chicoutimi, une très courte intervention.

M. Forgues (Jacques): Ça demeure une question de perception, hein? Oui.

M. Bédard: Très rapidement, comme on n'a pas la chance de vous avoir souvent, alors on va en profiter. Vous faites état des délais qui existent au TAQ, de l'amélioration qu'il y a eu dans les dernières années, le nombre de dossiers, beaucoup plus important, qui ont été fermés par rapport aux dossiers ouverts qui fait que vous avez quand même atteint un certain rythme de croisière qui est, je pense, beaucoup amélioré, je vous dirais, par rapport à ce qui existait avant la réforme qui est rentrée en vigueur en 1998. Et là vous semblez dire en même temps: Écoutez ? à la fin, là, à la page 20 ? il y a une limite à ce que la justice aussi... il y a des délais inhérents, finalement, qui vont avec la justice, que ce soit... Là, vous avez cité le cas de l'expropriation, mais en général il y a, bon, la préparation de la preuve, les expertises.

Ce que je veux savoir, deux choses. Est-ce que vous pensez que la loi actuelle vous permet d'améliorer effectivement les délais, le projet de loi actuel? Et, deuxièmement, ce qu'on constate dans les statistiques du tribunal, c'est qu'il y a des domaines où il est plus difficile de comprimer ces délais et, je vous dirais, pas en termes de réalité des dossiers, par exemple l'évaluation municipale... l'évaluation plutôt... l'expropriation qui est passée de tout près de trois ans, je pense, de délai à des moyennes beaucoup plus acceptables, mais des domaines telle l'assurance automobile, et lui plus particulièrement parce que, à l'évidence, il ne semble pas s'amender ou les délais semblent encore très présents. Est-ce que c'est dû au type de dossiers, aux gens qui s'y retrouvent, je veux dire aux plaideurs, au tribunal, à l'allocation de ressources? À quoi finalement on peut expliquer que, dans certains domaines plus particuliers, les délais restent aussi importants et, dans d'autres, ils sont tout à fait normaux?

M. Forgues (Jacques): C'est presque toujours lié à la nature des dossiers. Si on parle d'assurance automobile, c'est lié au domaine médical, c'est lié aussi, excusez la répétition, aux dossiers liés, hein? Assez souvent, le même citoyen va avoir quatre ou cinq dossiers suite à un accident d'automobile, et on attend que l'évolution complète pour entendre les cinq dossiers en même temps. Et bien souvent il y a un désistement dans un dossier, on continue dans trois ou dans quatre. Exemple, en sécurité du revenu, le citoyen est avisé qu'on coupe sa prestation à compter de telle date, et plus tard on lui réclame ce qu'on prétend être un trop-versé pour... Alors, il faut attendre que les deux recours soient introduits pour régler... Alors, ça, ça occasionne des délais qui sont, à toutes fins pratiques, incompressibles parce que la multiplication des audiences dans ces cas-là serait beaucoup plus problématique et risquerait de créer des préjudices graves. Donc, ça fait des audiences globales qui regroupent plusieurs dossiers, d'où des délais qu'on appelle incompressibles compte tenu des matières.

M. Bédard: Est-ce que le projet de loi va vous aider à comprimer ces délais?

M. Forgues (Jacques): Pardon?

M. Bédard: Est-ce que le projet de loi dans sa forme actuelle...

M. Forgues (Jacques): Oui, dans le projet de loi, il y a un encadrement qui est de nature à réduire ces délais-là. Il faut distinguer entre le délai pour un recours administratif global et un recours administratif au TAQ. Si on regarde à partir du moment où l'accidenté, par exemple, fait sa réclamation à la SAAQ jusqu'au jour où son dossier est réglé au TAQ, je pense que ce qui est proposé peut contribuer à améliorer le délai. Quant à ce qui est strictement le parcours de ce délai-là au TAQ, je pense que celui-là est assez... En tout cas, il est comprimé presque à son maximum actuellement quoiqu'on travaille toujours pour le comprimer davantage sans priver les gens d'obtenir évidemment les outils dont ils ont besoin, là.

M. Bédard: Merci.

Le Président (M. Simard): Me Forgues, je ne voudrais pas vous laisser partir sans commenter votre dernière recommandation qui est le maintien du sigle actuel. Je ne pense pas que celui que vous mettez en alternative, le TJAQ, soit un grand progrès sur la proposition du ministre. Moi, je pense que...

M. Forgues (Jacques): ...

n(16 heures)n

Le Président (M. Simard): On ne passera pas des semaines là-dessus, mais il n'en demeure pas moins qu'il est très important, lorsqu'on adopte un sigle, de nous assurer que celui-ci ne prête pas à confusion. On vit dans un monde de sigles et d'acronymes. Je pense qu'un cégépien aujourd'hui ne sait même plus qu'un cégep, c'est un collège d'enseignement général et professionnel tellement c'est entré dans la langue, y compris la langue anglaise, au Québec. C'est donc dire que nous vivons dans ces sigles, et ils font partie de notre vie quotidienne. Et il y a donc un devoir très clair de la part du législateur ou de ceux qui créent ces sigles-là de s'assurer qu'ils ne soient jamais l'objet de quolibets, de transformations et qu'ils soient à l'image de l'objet qu'ils tentent de décrire.

Le trac, tous les gens qui connaissent, qui sont amateurs de théâtre savent ce que c'est, c'est un phénomène que tous les bons acteurs connaissent avant d'entrer en scène, c'est... Évidemment, le dictionnaire parle d'une peur ou d'une angoisse irraisonnée que l'on ressent avant d'affronter le public. Je pense qu'il ne s'agit pas du même trac, mais ce serait dommage de faire quelque confusion que ce soit. Il y a aussi évidemment, vous imaginez, tous les commentaires ironiques qu'on pourrait faire à partir de «tracasseries», de «tracas», de «tracassier». Je pense que ce ne serait pas très heureux.

Il n'en demeure pas moins que.... Cette question-là ne semble pas sérieuse, mais vous l'avez vous-même abordée. Dans la confiance du public, il y a cette nécessité d'une certaine permanence et continuité. Le TAQ commence à exister, et, à mon avis, il serait tout à fait dommage qu'on se retrouve avec à nouveau un sigle à ajouter, une nouvelle crédibilité à créer, alors que nous sommes en train de parfaire, d'améliorer ? en tout cas, c'est la tentative de ce projet de loi ? une réforme antérieure. Alors, je serais très malheureux que le ministre ne change pas d'avis là-dessus. Pour moi, ce serait rédhibitoire et ça m'amènerait certainement à considérer même mon vote, parce que je pense qu'on a une responsabilité. Je ne voudrais pas, en terminant, avoir l'air détraqué en abordant cette question.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): Je vous remercie de votre collaboration, de votre présentation. Je vais demander, avant d'entendre le groupe suivant, que nous suspendions une dizaine de minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 2)

 

(Reprise à 16 h 23)

Le Président (M. Simard): Nous allons commencer nos travaux. Alors, notre prochaine invitée nous avait envoyé un mémoire pour le projet de loi n° 4 cet automne. Alors, nous pouvons mettre un visage sur ce mémoire qui avait suscité pas mal de débats et d'intérêt. Me France Houle est donc parmi nous. Vous êtes accompagnée de M. Jean-François Lina. Alors, vous connaissez nos règles, nous allons vous écouter.

Mme France Houle et M. Jean-François Lina

Mme Houle (France): Merci, M. le Président, M. le ministre et membres de la commission. Alors, d'abord, bien sûr, merci de me donner la chance de vous exposer mon point de vue sur le projet de loi n° 35. Mais d'abord je vais vous présenter mon assistant de recherche, M. Jean-François Lina, qui détient un Baccalauréat en sciences politiques et qui terminera sous peu son Baccalauréat en droit, et il s'intéresse beaucoup à la justice administrative. Alors, quant à moi, j'enseigne le droit administratif général. Et j'insiste sur le mot «général», puisque ce qui m'intéresse, ce sont les grandes questions de ce domaine du droit.

Mes domaines de recherche qui touchent la justice administrative portent particulièrement sur le droit de la preuve devant les tribunaux administratifs, mais je m'intéresse aussi à la question de la sélection, la nomination, la destitution et la discipline des membres devant les tribunaux administratifs fédéraux. Alors, je viens de terminer une recherche, une collecte de données devant ces organismes. Malheureusement, je n'ai pas encore eu le temps de les analyser, ces données, mais je peux vous dire au moins une chose, c'est que le Québec ? et on le savait déjà d'ailleurs ? est en avance en matière de justice administrative et le sera encore plus avec la proposition du ministre concernant la nomination à durée indéterminée. La nomination selon bonne conduite va, comme d'autres l'ont déjà dit, aider à créer un climat de sérénité chez nos décideurs administratifs.

Toutefois, je veux insister sur l'importance de nommer des personnes, des décideurs compétents. Il y a plusieurs tribunaux administratifs au niveau du gouvernement fédéral, au Québec et ailleurs dans d'autres provinces qui ont beaucoup de difficultés à faire leur travail correctement parce que les décideurs ne sont pas... n'ont pas la compétence nécessaire pour... ou les connaissances, les habiletés nécessaires pour faire leur travail. Donc, pour arriver à nommer des commissaires compétents, il faut, bien sûr, avoir un processus de sélection qui soit adéquat, donc, d'abord et il faut aussi s'assurer que l'article 179.1, qui édicte que «les membres du tribunal doivent exercer utilement leurs fonctions, maintenir leur compétence et agir avec diligence», soit adopté. Donc, cette disposition est très importante. C'est un pas en avant, en ce qui me concerne, en matière de justice administrative et surtout dans le contexte où on se propose de nommer des personnes pour une durée indéterminée.

Au titre de mes remarques générales, je veux également saluer vos initiatives, M. le ministre, avec les projets de loi nos 4 et 35 pour une raison fondamentale, c'est que ça a pour effet de remettre à l'ordre du jour la question de la justice administrative au Québec. On en a, depuis lors, entendu beaucoup plus parler, notamment chez... dans nos universités, bien sûr, j'en parle beaucoup dans mes cours, mais aussi dans les journaux. Et on voit que les journalistes commencent à beaucoup mieux connaître et comprendre le système de justice administrative. Et, étant donné que ce sont eux qui, bien souvent, expliquent ces questions aux citoyens, c'est déjà un... donc c'est quelque chose, pour moi, qui est important.

Il faut bien le dire, que l'activité des tribunaux administratifs et de l'administration gouvernementale est beaucoup plus importante en termes de nombre de personnes puis de citoyens qui sont affectés par cette justice que l'activité des cours de justice. Et donc il faut prendre acte qu'il y a des systèmes... Pour cette raison, il faut prendre acte des systèmes administratifs québécois qui ne fonctionnent pas bien. Durant les commissions parlementaires, on a, entre autres, entendu parler de la SAAQ, qui semble être un véritable purgatoire pour les administrés. Donc, je ne peux qu'encourager toute initiative du gouvernement ou encore du Vérificateur général visant à cerner et à régler les problèmes de nos systèmes étatiques qui dispensent la justice administrative.

Pour revenir sur le projet de loi n° 35, je suis d'accord avec plusieurs de vos propositions, M. le ministre, qui visent donc à améliorer notamment les délais de traitement des dossiers, celles relatives à l'exercice du pouvoir discrétionnaire par les fonctionnaires eu égard à la révision administrative de leurs propres décisions ainsi que l'utilisation accrue de la procédure de conciliation. Là-dessus, j'ai insisté dans mon mémoire sur le fait que la conciliation devait être, bien sûr, conduite dans les règles de la déontologie, que les administrés comprennent très bien aussi ce qu'on leur propose, qu'ils acceptent cette procédure de manière libre et éclairée et qu'ils comprennent également qu'ils peuvent se retirer en tout temps.

Maintenant, ceci étant dit, je vais plutôt parler de deux propositions avec lesquelles je suis en désaccord, et vous connaissez sûrement déjà les points sur lesquels je suis en désaccord. Alors, d'une part, la réduction des formations, à titre de règle générale, de deux décideurs à un décideur. Des arguments qui ont justifié cette mesure sont la réduction des coûts, la réduction des délais, et ce serait également une manière de régler le problème du traitement du poids des preuves par des non-juristes. Sur ce dernier point, je dirais tout simplement que la solution préconisée m'apparaît nettement disproportionnée compte tenu du problème à régler et qu'il existe d'autres moyens, notamment la formation et, le cas échéant, les mesures disciplinaires, pour contrer les façons de faire de ces membres qui seraient récalcitrants à appliquer le droit comme cela devrait être.

n(16 h 30)n

Pour ce qui est de la réduction des coûts et des délais, évidemment je ne veux pas reprendre l'argument qui est dans le mémoire, mais il est utile de mentionner l'expérience de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, notamment la Section de protection des réfugiés, d'une part, parce que ce tribunal est très comparable au TRAQ. Donc, ce tribunal, comme le TRAQ, exerce une fonction, celle de rendre des décisions individuelles. En termes de volume de demandes à traiter, la SPR rend entre 20 000 et 35 000 demandes, donc va traiter ce nombre de dossiers par année. Quant au nombre de décideurs à la SPR, il y en a plus d'une centaine, presque 200. Et il y a également le facteur de régionalisation, là, au sein de la SPR. Et, lorsqu'en 2002, à la Section de protection des réfugiés, on est passé de deux à un commissaire, on a également justifié cette mesure en argumentant la réduction des coûts et des délais. Et jusqu'à maintenant ce qu'on peut constater, c'est que cette expérience n'a pas été concluante.

En examinant les rapports annuels de la Section de protection des réfugiés, on peut constater que non seulement le passage de deux à un commissaire a engendré des coûts supplémentaires, mais il n'a pas mené à la réduction des délais. Et d'ailleurs la question de la réduction des délais et des coûts repose sur plusieurs variables qui sont difficilement contrôlables ou qui sont encore très indéterminées, par exemple le nombre de demandes d'appel qui sera déposé devant le tribunal. Étant donné que les révisions administratives au stade de la décision initiale ne seront plus automatiques comme ce l'était, il est possible que le TAQ ait à faire face à un flot de demandes beaucoup plus grand, du moins durant les premiers temps de la mise en oeuvre des nouvelles mesures. De plus, si on ajoute les autres changements tels que la fusion du TAQ et de la CLP, l'organisation des bureaux régionaux, bref tous ces changements vont également avoir un impact sur le délai de traitement.

Alors, la réponse à la question de savoir combien de temps le nouveau système prendra-t-il pour absorber tous ces nouveaux changements et trouver sa vitesse de croisière devient encore plus aléatoire compte tenu de ces nouvelles mesures. Et la réponse dépendra beaucoup des administrateurs en place et du président qui sera en place, entre autres des décideurs, de leur compétence, de leur connaissances, du nombre de requêtes déposées, du budget mis à la disposition du tribunal, etc.

Donc, c'est pour ces raisons qu'enfin nous avons recommandé, dans notre mémoire, de laisser les compétences administratives relatives à la gestion du rôle du tribunal entre les mains du président et de son équipe administrative. Il nous semble qu'eux seuls peuvent faire ces déterminations quant à la formation des membres... des bancs, pardon, de manière efficace et équitable. Il nous semble aussi que, avec le temps, le tribunal va acquérir les connaissances et une expertise suffisantes sur l'éventail des litiges qui sont réglés par le tribunal. Il pourra ainsi mieux déterminer quelles sont les catégories de cas qui ne requièrent qu'un seul membre au lieu de deux membres.

La gestion du rôle d'un tribunal est une question de gestion interne, et d'ailleurs la Cour suprême l'a reconnu dans ses jugements portant sur l'indépendance des tribunaux administratifs lorsqu'elle a énoncé le critère de l'indépendance institutionnelle. Donc, rappelons brièvement que la notion d'indépendance institutionnelle porte sur les questions administratives qui ont directement un effet sur l'exercice des fonctions décisionnelles du tribunal. Donc, de manière minimale, le tribunal doit contrôler l'assignation des décideurs aux causes, les séances du tribunal et la confection du rôle du tribunal.

Sur le deuxième point, le contrôle du tribunal par des juristes, donc vous proposez, M. le ministre, que les futurs bancs d'un membre soient formés exclusivement de juristes, qu'ils soient avocats ou notaires. Cette mesure risque d'avoir un effet important notamment sur les normes de contrôle judiciaire applicables aux décisions du tribunal. À la suite des analyses que j'ai faites de la jurisprudence et qui sont étayées dans le mémoire, je conclus qu'il est fort probable que nos cours de justice appliquent dorénavant la norme de la décision simplement déraisonnable à toutes les décisions de toutes les sections du tribunal en raison du fait que le tribunal aura perdu sa qualité d'expert, de tribunal expert.

Donc, c'est, entre autres, pour cette raison que je recommande que vous n'alliez pas de l'avant avec cette proposition, car elle augmentera de manière considérable l'insécurité juridique qui est déjà importante en droit administratif en général et dans le domaine du contrôle judiciaire en particulier. En effet, plus la norme de contrôle est basse, plus les décisions des tribunaux administratifs peuvent et sont contestées, ce qui résulte, entre autres, en des coûts additionnels pour les administrés. Il faut évidemment rappeler ici qu'un des objectifs importants de la justice administrative est de faire en sorte qu'elle soit peu coûteuse. Alors, même si l'objectif n'est pas toujours atteint, il est toujours valable et il ne devrait pas être négligé.

Finalement, il y a une autre question que je n'ai pas traitée dans le mémoire, je vais tout simplement la soulever. Si vous voulez, on pourra en discuter plus avant durant la période de questions. Mais je me suis demandé s'il ne serait pas utile que vous demandiez à vos fonctionnaires d'évaluer les risques de contestation constitutionnelle du nouveau tribunal sous l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, si vous choisissez de maintenir votre proposition eu égard au contrôle de ce nouveau tribunal par des juristes. L'article 96, comme vous le savez déjà, édicte que seul le gouverneur en conseil, donc le gouvernement fédéral, a le pouvoir de nommer les juges des cours supérieures. En pratique, cet article signifie qu'une province ne peut pas attribuer les pouvoirs et les fonctions d'un juge d'une cour supérieure à un membre d'un tribunal administratif qu'elle aura nommé.

Et je me pose la question concernant l'article 96 parce qu'il va y avoir plusieurs éléments qui vont créer un modèle très unique dans la jurisprudence canadienne. Pour un purement juridictionnel, on va avoir un tribunal général d'appel sur presque toutes les questions de nature administrative au Québec. Et ça, c'est unique et ça crée une juridiction qui se rapproche plutôt du modèle français que du modèle de «common law». Et la question qui se pose, c'est: Est-ce qu'on peut remettre en cause la validité constitutionnelle de cette approche quand on va vers ce modèle?

D'autre part, étant donné que le tribunal sera contrôlé par des juristes qui auront un statut de juge ou un statut équivalent de juge, je me demande si ça aussi, ça ne fournirait pas de munitions supplémentaires à ceux qui voudraient contester la constitutionnalité du TAQ. Mais la jurisprudence de la Cour suprême sur la question et telle qu'elle est appliquée au purement juridictionnel, là, est encore trop peu développée pour dire avec certitude où on s'en va, mais je me demande si ça vaut la peine, à ce stade-ci du développement du droit canadien à cet égard, de faire ce saut aussi rapidement. Est-ce que c'est nécessaire d'aller là tout de suite ou ça ne vaudrait pas la peine d'attendre un peu que la jurisprudence se diversifie à la Cour suprême du Canada? Alors, je vais laisser maintenant M. Lina parler.

M. Lina (Jean-François): Merci. Mes commentaires se limiteront aux changements proposés par le projet de loi quant à la procédure de nomination et de destitution des membres du tribunal. De manière incidente, j'exposerai également quelques observations sur l'abolition du Conseil de la justice administrative et son remplacement par des comités ad hoc, particulièrement dans le contexte d'une éventuelle procédure de destitution.

D'abord, nous tenons à exprimer notre soutien aux changements proposés en ce qui concerne le mode de nomination des membres. L'article 18 du projet de loi propose, en effet, de remplacer le principe des mandats de cinq ans renouvelables par celui de la nomination selon bonne conduite. Bien que le système actuel ait été jugé conforme à l'article 23 de la Charte québécoise par la Cour d'appel dans l'affaire Barreau de Montréal, il faut souligner que, comme la Constitution, la Charte québécoise ne fait qu'assurer un minimum vital. Ainsi, compte tenu de la nature du TAQ et plus particulièrement de l'étendue de ses compétences et de la présence fréquente des intérêts de l'État en tant que partie aux litiges, nous croyons que le système de nomination des membres selon bonne conduite va accentuer l'apparence d'indépendance des membres du tribunal et, surtout, va renforcer la confiance du citoyen envers la justice administrative et conséquemment envers l'État.

J'aimerais également formuler un commentaire rapide sur le libellé proposé de l'article 38 de la Loi sur la justice administrative, qui édicte que le gouvernement détermine le nombre de membres en tenant compte des besoins du tribunal. Nous pensons que ce pouvoir discrétionnaire qu'on propose d'accorder à l'exécutif n'est pas incompatible avec l'augmentation du niveau d'indépendance des membres du TAQ telle que proposée dans le projet de loi. En effet, il apparaît nécessaire d'accorder cette marge de manoeuvre au gouvernement, puisqu'il pourrait s'avérer inutile, coûteux et surtout inefficace de fixer un nombre précis de membres sans prendre en considération l'évolution future du nombre de demandes portées devant le TAQ.

n(16 h 40)n

Par contre, nous tenons à souligner que le principe de nomination selon bonne conduite ne devrait être adopté que dans la mesure où l'article 179.1, relatif aux devoirs imposés aux membres du TAQ de maintenir leur compétence, soit également adopté. En effet, en accordant un niveau d'indépendance très élevé aux membres par le biais d'un mode de nomination similaire aux juges des tribunaux judiciaires, il est primordial de prévoir un mécanisme de destitution des membres jugés incompétents. Autrement, le tribunal devrait garder en son sein et pour une période indéterminée des décideurs qui risquent d'entacher fortement la qualité de la justice administrative ainsi que le niveau de confiance des administrés à l'égard de cette justice.

L'adoption du devoir de maintien des compétences est d'autant plus nécessaire en raison des particularités de l'actuelle procédure de recrutement des membres du TAQ, qui n'édicte que des critères généraux à évaluer pour décider si un candidat est apte à être nommé au TAQ. Le comité de sélection dispose donc d'une marge d'appréciation importante pour constituer la liste de candidats jugés aptes à devenir membres. Et actuellement le ministre de la Justice possède la discrétion de recommander au gouvernement la nomination de n'importe quel candidat jugé apte par le comité de sélection. Aucun ordre préétabli par le comité de sélection ne doit être respecté. Par conséquent, il y a une possibilité, du moins théorique, que le ministre de la Justice, malgré son jugement et sa bonne foi, ne recommande pas le nom du candidat le plus apte et surtout le plus compétent à pourvoir le poste à combler pour l'une ou l'autre des sections du tribunal.

Dans le système actuel, ces éventuelles erreurs peuvent être corrigées en ne renouvelant pas le mandat d'un membre qui ne dispose pas des compétences requises. Par contre, dans le système que le projet de loi n° 35 propose d'implanter, cette sanction n'existe tout simplement plus, d'où l'importance d'imposer aux membres un devoir de maintien de leur compétence qui, s'il n'est pas rempli, pourrait conduire à une destitution.

Par contre, encore faut-il que l'éventuelle procédure de destitution offre des garanties d'indépendance suffisantes. Actuellement, cette procédure est chapeautée par le Conseil de la justice administrative qui offre des garanties d'indépendance élevées en ce qui a trait à la destitution des membres. Nous croyons qu'il est dommage d'abolir une institution efficace, transparente et indépendante pour la remplacer par des comités ad hoc dont la composition paraîtra être davantage contrôlée par le gouvernement.

En effet, le projet de loi propose d'accorder au gouvernement le pouvoir de désigner, dans les faits, deux des trois membres formant le comité chargé des enquêtes disciplinaires. Ainsi, non seulement le ministre pourrait-il porter une plainte contre un membre qui rend des décisions défavorables au gouvernement, mais il contrôle la majeure partie des individus qui seront appelés à statuer sur sa plainte. Une personne rationnelle et bien informée pourrait certainement avoir une crainte quant à la possible ingérence du gouvernement dans le processus de traitement des plaintes.

Nous croyons qu'une telle situation est incompatible avec l'objectif central du projet de loi de renforcer le niveau d'indépendance des membres du TAQ et ainsi mettre un terme aux problèmes de perception du public qui ont été si justement notés par le ministre de la Justice. Par conséquent, si on maintient la décision d'abolir le Conseil de la justice administrative, nous recommandons que toutes les plaintes soient portées devant le juge en chef de la Cour du Québec, comme c'est le cas pour celles impliquant la président du tribunal en vertu de l'article 192.1 du projet de loi. Merci.

Le Président (M. Simard): Merci, M. Lina. C'est toujours intéressant de voir que des jeunes chercheurs comme vous avez l'occasion de faire vos armes dans un endroit comme celui-ci. Alors, maintenant, nous allons demander d'abord à la partie ministérielle de bien vouloir entamer le dialogue avec Me Houle. J'invite le ministre peut-être à poser la première question.

M. Bellemare: Alors, Me Houle, M. Lina, merci d'être ici. Nous avons effectivement pris connaissance de certaines remarques écrites de la part de Me Houle lors des audiences sur le projet de loi n° 4, les 10 et 11 septembre dernier, et nous avons apprécié la qualité évidente de son travail pour lequel je vous félicite.

J'aurai quelques questions concernant la Société de l'assurance automobile. Vous avez travaillé, bien sûr, sur le dossier de l'assurance automobile à chercher, j'imagine, et à tenter de trouver par tous les moyens possibles ce qui peut expliquer ce purgatoire que vous alléguez et qui est source d'insatisfaction chez plusieurs. Et vous avez utilisé un terme qui est drastique mais qui reprend bien beaucoup d'insatisfaction de la part de plusieurs personnes qui se sont présentées ici. Et je crois que tout le monde a constaté qu'il y avait un malaise en assurance automobile. Les associations nous l'ont dit, et on semble essayer, par tous les moyens possibles, de trouver une solution au problème.

On pense que, avec le projet de loi n° 35, en imposant au minimum un délai de révision de 90 jours, on marque au moins un pas dans la bonne direction parce que les chiffres officiels nous indiquent que le délai de révision, en 2002, était de 305 jours. Alors, on va au moins marquer des points de ce côté-là.

Êtes-vous en mesure de proposer des choses concrètes en ce qui concerne la section assurance automobile, tout le volet assurance automobile, la conciliation qui est déficiente, en termes de pourcentage, les résultats qui sont très ordinaires? Alors, de façon générale, avez-vous des hypothèses de solution pour nous?

M. Houle (France): Malheureusement, non, parce que j'ai fait un commentaire sur la SAAQ en disant que j'avais entendu ça durant les commissions parlementaires. Je ne suis pas, moi-même, une spécialiste de la SAAQ et, comme je le disais, je travaille surtout sur les tribunaux administratifs fédéraux.

M. Bellemare: En ce qui concerne la possibilité pour les membres de pouvoir circuler d'une division à l'autre, le président du Tribunal administratif du Québec, tantôt, nous en a parlé, les juges administratifs voient ça d'un bon oeil, ils parlent de synergie. C'était le premier groupe à être entendu ici le 13 janvier, la semaine dernière. Les associations de juges... l'Association des juges du TAQ également était favorable. En fin de compte, on n'a eu aucun commentaire défavorable face à la possibilité qu'il y ait des possibilités de transfert de compétences d'une division à l'autre dans l'hypothèse d'une fusion avec une nouvelle division en matière de lésions professionnelles.

Est-ce que, de votre côté, vous y voyez des avantages, à ce que les juges puissent aller d'une division à l'autre avec peut-être, à la limite, une formation d'appoint? Mais, dans la mesure où la compétence n'est pas contestée, pour le justiciable et pour le juge, est-ce que ça constitue un avantage, à votre avis?

Mme Houle (France): Je dirais que c'est une question assez difficile à laquelle répondre parce que, d'une part, tout le problème de l'expertise est là, est présent, et, si ces gens-là deviennent finalement des généralistes dans toute matière d'appel administrative, bien on perd encore plus cette qualité d'experts pour lesquels on a pensé au système administratif en premier lieu. Donc, ça, c'est la première difficulté que je vois.

Un avantage, c'est sans doute pour les juges, et même les juges administratifs ou les membres du tribunal, parce que, de fait, s'ils sont là pour rester à durée indéterminée, je peux fort bien comprendre que, de leur point de vue, ils veulent pouvoir bouger d'une section à l'autre de temps à autre ou même pendant quelques années. Et ça, c'est important pour une question que j'appellerais plutôt d'ordre psychologique. Parce que ce qu'on peut constater chez les membres qui restent trop longtemps ? du moins au sein du gouvernement fédéral ? dans la même section à faire le même travail, c'est la grande démotivation de ces personnes-là, et à un moment donné ils ne s'intéressent carrément plus à leur travail. Alors, je pense qu'il faut faire attention à ça. Et, en assurant la mobilité des membres, on assure que l'intérêt va toujours rester dans le travail.

Moi, j'ai l'impression que, en termes de coûts de maintien de formation pour vraiment faire en sorte que ces gens-là puissent vraiment bouger d'une section à l'autre de façon compétente, ça va demander un investissement énorme en termes de formation ponctuelle et de formation de base. Et je ne suis pas la personne la mieux placée pour répondre à la question, mais je me demande si le TAQ ou le futur TRAQ peut absorber ces demandes de formation de tous les nouveaux membres pour qu'ils puissent bouger d'une section à l'autre. Je sais qu'à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, lorsqu'ils font leur grande messe pour former leurs nouveaux commissaires, ça devient monstrueux comme machine parce qu'ils se rendent compte maintenant qu'ils doivent prendre au minimum trois mois, quelquefois jusqu'à six mois, pour les former correctement. Alors, au niveau de la gestion, ça devient compliqué.

n(16 h 50)n

M. Bellemare: ...il existe actuellement, déjà, au Tribunal administratif du Québec, plusieurs divisions. Vous parliez tantôt de généralisme, mais je ne pense pas qu'on puisse qualifier de généraliste un juge administratif qui... S'il peut siéger en matière d'accidents de travail, en matière d'assurance auto et en matière de régime de rentes, on comprend qu'on est toujours dans le cadre de juridictions très spécialisées. Ce ne sont pas des généralistes, ce sont des juges qui pourraient aller d'une division à l'autre. Pas tous les juges nécessairement. Il n'est pas question que tous les juges, une fois le tribunal d'appel fusionné et constitué, obtiennent une formation pour aller dans toutes les divisions. Mais il existe des juges administratifs, actuellement, en matière immobilière qui siègent en matière d'affaires sociales qui font un excellent boulot, incontestable. Ils ont la formation, ils ont l'expérience. Et le président juge qu'ils sont capables d'agir, alors ils le font.

Alors, il m'apparaît qu'il s'agit là d'un atout en termes de gestion du tribunal. S'il se produit, dans certaines divisions, une augmentation ponctuelle de volume, ça permet au président d'agir et d'affecter les ressources, en termes de juges administratifs, aux bons endroits. Alors... Mais il n'est pas question d'ouvrir sur d'autres juridictions que celles qu'on connaît déjà puis il n'est pas question de former tout le monde. Mais, en matière d'accidents de travail, d'assurance auto, vous savez, de 1975 à 1985, on avait la Commission des affaires sociales qui possédait deux divisions, une en matière d'accidents de travail, une en matière d'assurance auto. Et Me Cliche, ce matin, soulevait à juste titre le fait que plusieurs juges administratifs qui sont encore en poste actuellement ont agi pendant des années en matière d'accidents de travail. Je comprends que la loi a changé, mais ce sont fondamentalement des juristes chevronnés qui ont une expérience manifeste en matière de droit social. Alors, c'est une hypothèse, mais on n'a jamais pensé donner à tous les membres et exiger d'eux au stade de la nomination, par exemple, une formation ou une compétence dans tous les champs d'activité.

En ce qui concerne maintenant l'article 28 qui prévoit une évaluation des juges administratifs. On a bien sûr l'article 18 sur la bonne conduite, mais on a l'article 28 qui vient apporter certaines exigences en termes de compétence. Est-ce que vous croyez que l'article 28, tel que libellé, garantit suffisamment la compétence des juges administratifs à toutes les étapes de leur mandat?

Mme Houle (France): Est-ce que quelqu'un pourrait me faire la lecture de l'article 28, je ne l'ai pas en tête?

M. Bellemare: L'article 28, c'est l'article qui prévoit l'évaluation, les évaluations périodiques. Je crois bien, en tout cas.

Mme Houle (France): C'est l'article 75 qui est modifié, en fait. Ah bon! O.K.

M. Bellemare: O.K. Alors, qui prévoit l'évaluation périodique des membres. Est-ce que vous estimez que, tel que libellé, l'article garantit suffisamment la compétence des membres? Parce que c'est beau, nommer selon bonne conduite, mais on veut aussi assurer la qualité de la justice administrative, la compétence des juges administratifs en tout temps, et ça prend une mécanique d'évaluation. La mécanique qu'on a prévue, est-ce qu'elle vous convient?

Mme Houle (France): Moi, je suis tout à fait pour les évaluations de rendement. Je comprends les problèmes qui peuvent se poser pour le président du tribunal, d'avoir à faire ces évaluations-là, mais je suis tout à fait pour qu'on les fasse. Et j'irais même plus loin. Je suis même pour le fait que le président puisse dire à un de ses membres: Vous devez aller chercher la formation dans tel et tel domaine parce que vous ne connaissez pas encore suffisamment votre droit, le droit ou d'autres questions qui pourraient être pertinentes. Et ça, je crois à ça même si... C'est sûr que, quand on compare avec le modèle judiciaire, on a tendance à dire: Ah non! il ne faut pas faire ça parce que ça va aller à l'encontre de l'indépendance et de l'impartialité des membres, d'aller aussi loin... et éventuellement même d'utiliser ces évaluations de rendement et les rapports sur la formation additionnelle qu'un membre devrait faire comme étant une atteinte à leur indépendance.

Moi, je serais assez... Je dirais là-dessus que, si on compare les cours de justice et si on compare les tribunaux administratifs sur ce point-là, on peut faire une distinction importante entre les deux. C'est-à-dire que les juges des cours de justice ne peuvent pas, de facto, maintenir leur compétence dans tous les domaines dans lesquels on leur demande de juger, c'est beaucoup trop large, alors qu'on peut le faire dans le cadre du tribunal administratif et que c'est même le coeur même de la justice administrative, d'avoir des personnes qui sont spécialisées, qui ont une expertise dans un domaine. Donc, moi, je n'ai pas de difficultés avec cette question-là. Je peux reconnaître que ça peut être délicat pour un président de le faire, mais je pense que ça fait partie de son travail.

Le Président (M. Simard): M. le député de Marguerite-D'Youville va vous poser la prochaine question.

M. Moreau: Merci, M. le Président. Mme Houle, M. Lina, bienvenue. Mme Houle, j'ai écouté attentivement votre présentation où j'ai essayé de suivre en même temps avec le texte de votre mémoire, et notamment sur la question des critères de révision des décisions du Tribunal administratif du Québec advenant une réduction de la composition des bancs. On sait que, la semaine dernière, le ministre a fait une ouverture sur la modification de l'article 82 qui permettrait donc que le président puisse décider, outre les questions relatives aux mesures de gestion des recours, que les bancs puissent siéger seuls pour entendre des causes, au fond.

J'ai été un peu surpris de vous entendre dire que, si la composition des bancs était unique, exemple décideur unique, ça pourrait entraîner une modification des critères de révision des décisions administratives à un point tel que le critère qui serait maintenant appliqué par les tribunaux supérieurs serait l'erreur simple. Parce que, je vais vous avouer franchement, j'aimerais que vous développiez là-dessus. À l'heure actuelle, la norme est l'erreur manifestement déraisonnable. Je pense notamment que l'intervention des tribunaux se fait sur la base de l'interprétation de la clause privative qui se trouve dans la loi.

Et, particulièrement à l'heure actuelle, avant même la modification apportée par le projet de loi n° 35, la Loi sur la justice administrative prévoit notamment à l'article 33 que, par exemple en matière immobilière, les recours formés en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale puissent être entendus par un décideur unique qui est bien souvent un évaluateur. Et, que je sache, dans ce domaine-là, les tribunaux supérieurs n'ont pas interprété la clause privative d'une façon différente en raison de la formation spécifique, prévue par l'article 33, d'un décideur unique. Sur quels critères basez-vous l'interprétation que vous avez donnée à la commission et qui amènerait donc, dans une modification, une révision à la baisse des critères d'intervention des tribunaux supérieurs en matière de révision administrative?

Mme Houle (France): Alors, j'ai fait une revue de la jurisprudence sur cette question, là. J'ai utilisé des jugements de la Cour supérieure et de la Cour d'appel et j'ai également utilisé l'ouvrage de Suzanne Comtois, qui vient tout juste de terminer une petite plaquette qui est très bien faite, là, sur l'analyse pragmatique et fonctionnelle.

M. Moreau: ...disposition à une partie particulière de votre mémoire?

Mme Houle (France): Pardon?

M. Moreau: Est-ce que vous nous référez à une page en particulier dans votre mémoire?

Mme Houle (France): Attendez, c'est la page 29. Alors, à la page 31, l'application des principes au nouveau tribunal. Alors, dans la revue de la jurisprudence, ce qu'on peut voir, c'est que, d'une part, c'est plutôt le test de la décision simplement déraisonnable qui est utilisé pour la Section des affaires immobilières, si je ne me trompe pas... la Section des affaires économiques, pardon. Et, dans certains jugements, ce qu'on a utilisé comme critères ? et ils sont donc à la page 31 ? c'est le très grand nombre de lois en vertu desquelles la Section des affaires économiques connaît des recours, le fait que les membres peuvent être affectés temporairement à une autre section que celle mentionnée à son acte de nomination et, finalement, le fait que la loi n'exigeait pas de qualification particulière de l'autre membre formant le banc entendant une affaire relevant de la Section des affaires économiques.

Donc, en utilisant ces critères-là et étant donné que vous voulez fusionner la Section des affaires économiques et en faire une section incluant la Section du territoire et la Section des affaires immobilières, bien ces critères-là se retrouveraient et de façon encore plus présente. Donc, si on a utilisé ces critères par la... la Cour supérieure a utilisé ces critères pour en arriver à appliquer la norme de la décision simplement déraisonnable et non pas la norme de l'erreur simple, qui est différente, ils vont pouvoir d'autant plus les utiliser dans le nouveau contexte.

Pour ce qui est de la Section des affaires sociales, c'est plutôt le fait qu'on a maintenant tout simplement des juristes, si on maintient la proposition telle quelle. S'il n'y a qu'un juriste qui siège en règle générale pour régler tous les dossiers, alors là on perd le critère de l'expertise, si c'est fait de façon vraiment générale. Et, le critère de l'expertise étant un des critères centraux de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, bien c'est de cette manière-là que les juges peuvent en arriver à baisser la norme. Je ne dis pas dans mon mémoire qu'ils vont le faire, mais c'est une possibilité.

n(17 heures)n

M. Moreau: Bon. Exemple, justement pour la Section des affaires sociales, l'article 40 n'est pas modifié et prévoit à l'heure actuelle que 10 membres doivent être des médecins, dont quatre psychiatres, et au moins deux autres doivent être des travailleurs sociaux. C'est un critère de spécialisation du tribunal. Et le fait, par exemple, que pour certaines décisions... Parce que, quelles que soient les sections du tribunal que l'on examine, on n'a pas toujours la question qui va nécessiter à un banc de se pencher pour revoir l'ensemble du droit dans le domaine. Il y a des questions de volume. Et, dans bien des cas, que ce soit à la Section des affaires immobilières ou même à la Section des affaires sociales, de nombreuses personnes sont venues nous dire ici que, pour l'expédition des affaires, on n'a pas toujours besoin d'avoir un physicien nucléaire sur le banc, là, il y a des choses simples, des fois, qui se produisent, et il y a une question d'efficacité.

Maintenant, est-ce que le simple fait de donner au président la possibilité pour l'expédition des affaires, même, au fond, dans des causes qui sont simples et qui ne demandent pas une spécialité, alors qu'il peut le confier à un juriste qui siège au Tribunal administratif du Québec depuis 10 ans dans son domaine spécifique, il a quand même acquis une certaine spécialité... Est-ce que vous ne pensez pas que c'est de nature à compenser la crainte que vous exprimez à l'égard des bancs qui siègent avec un membre unique?

Mme Houle (France): Je vous répondrai là-dessus que c'est une question de preuve devant la Cour supérieure. Alors, même si l'article 40 demeure mais qu'on se rend compte, au bout d'un an, deux ans, trois ans, que les membres spécialistes du TAQ ne siègent plus ou pratiquement plus et qu'on en fait la preuve devant la Cour supérieure, on peut donner là un argument à la cour pour déterminer la norme, à mon avis. J'ai perdu votre autre question. C'était quoi déjà?

M. Moreau: Bien, je disais: Le fait que vous ayez parfois des causes qui sont simples... Quelles que soient les divisions du Tribunal administratif du Québec, on peut penser que, des fois, il y a des causes qui sont simples, qui sont répétitives et qui peuvent être entendues par un membre seul. Vous faisiez objection tantôt au fait que le membre seul puisse être un juriste, exemple dans un cas où on a une question médicale qui est soulevée. Mais, lorsqu'on est dans des cas répétitifs, ou des cas de volume, ou, par exemple, à la division des affaires immobilières, où on a un avocat qui siège sur un banc seul ou... et qui a à décider d'une question d'évaluation, après 10 ans, là, d'expertise au sein du même tribunal, est-ce que vous pensez qu'il n'y a pas là matière à rassurer les gens sur le caractère spécialisé de la décision...

Mme Houle (France): Selon l'expertise.

M. Moreau: ...et sur la qualité de la décision qui va être rendue?

Mme Houle (France): Je pense que, si vous le donnez, ce pouvoir-là, au président, donc, de déterminer quel est le banc approprié, ce sera une autre donnée que les juges des cours de justice pourront... qu'ils pourront tenir compte. Si vous maintenez...

M. Moreau: Et dans quel sens. Pour baisser le critère d'intervention ou pour monter le critère d'intervention?

Mme Houle (France): Non, non, non, non, pour le maintenir tout simplement, là...

M. Moreau: Pour le maintenir.

Mme Houle (France): ...pour le maintenir au manifestement déraisonnable, qui est de toute façon la norme la plus haute. Et, si c'est le président qui fait ces déterminations-là et qu'on sait qu'il y a un jugement qui est posé pour chaque cas ou pour des catégories de cas qui auront déjà été évalués au sein du tribunal, moi, ça ne me pose pas de problème. C'est le fait qu'à un moment donné un législateur qui ne connaît, en fait, pas nécessairement très bien le fonctionnement, la gestion interne de tout le tribunal puisse dire: Bien, la règle générale sera un juriste. C'est là où, à mon avis, il y a des problèmes, il y a des difficultés.

M. Moreau: Alors, si on intervenait, par exemple à l'article 82, pour donner la latitude au président de décider de la composition des bancs au-delà... et d'un banc unique au-delà des mesures relatives à la gestion des recours ou des questions incidentes, pour vous, il y aurait là un motif à se sécuriser quant à la norme d'intervention des cours supérieures?

Le Président (M. Simard): ...que oui ou non.

Mme Houle (France): Oui, et ce sera oui.

Le Président (M. Simard): C'était oui. Alors, je passe au député de Chicoutimi pour la première question de l'opposition.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Merci, Me Houle. Content de vous entendre pour la première fois. Nous avons eu l'occasion de lire votre premier mémoire lors de l'étude du projet de loi n° 4, qui s'est avéré, je vous dirais, très fouillé sur une question qui nous paraissait relativement simple. Vous avez permis à tous les membres de la commission d'aller un peu plus loin vraiment sur un projet de loi qui, comme je le disais tantôt, avait toutes les apparences d'être simple, mais finalement qui avait des conséquences assez importantes sur le droit administratif parce qu'elle touche, elle est au coeur du droit administratif évidemment, la modification du tribunal tel qu'il était actuellement, et ça nous a permis, chacun, d'évoluer à travers ça. Et je dois vous avouer que votre mémoire est encore une fois très fouillé. Il me permet même de mettre à jour certaines notions, y incluant celle de la notion entre le manifestement déraisonnable et la décision correcte. Alors, j'ai bien pris soin de lire la dernière jurisprudence, ce que malheureusement le travail de député m'empêche parfois de faire.

Et vous avez... peut-être pas, mais vous avez vu que le projet de loi a repris, mais le ministre a fait une ouverture, tel que le parlait mon confrère... Et, pour bien comprendre la proposition telle qu'elle est, c'est de ramener finalement le principe du deux, mais tout en donnant le pouvoir en cas utile et garder le critère de l'utilité. Parce que nécessité peut entraîner une justification au président du tribunal qui pourrait alors être interprétée comme, je vous dirais, une ingérence dans les attributions propres du tribunal, pour laquelle, normalement, on peut même être taxé, là, d'intervenir dans le principe de l'indépendance judiciaire. Mais le fait de donner ce pouvoir au tribunal en cas d'utilité, de mettre une personne, permettrait ? et là je vais être sûr ? de maintenir, de ne pas sacrifier le critère important de la protection qui est celui du manifestement déraisonnable. Vous croyez que c'est...

Mme Houle (France): ...il y aura eu l'exercice d'un jugement par une personne disant: Oui, on n'a pas besoin de deux membres.

M. Bédard: O.K. Bon, bien... Alors, je vous remercie de nous rassurer, parce que, pour eux, évidemment, ça a une importance assez fondamentale. Parce que, dès qu'on touche à cette norme ? et il faut l'expliquer ? ça a des conséquences évidemment ou ça peut entraîner le justiciable dans des délais épouvantables en termes de révision, d'appel et de coûts, évidemment, donc d'où l'importance de maintenir la force de la clause privative. Alors, ce qui nous rassure dans... accepter la proposition du ministre telle qu'elle est actuellement. Je vous remercie de nous rassurer.

De façon plus précise, j'aurais des questions vraiment... Étant donné que vous avez une très grande compétence dans ce domaine, en tout cas plus que moi, du moins, avez-vous étudié les dispositions plutôt relatives à la nomination d'experts, tel qu'il est prévu à l'article 36 du projet de loi actuel où on modifie l'article 86 et on y intègre la nomination d'experts qui, eux, vont être appelés à conseiller le tribunal, à agir, bon, tout ça? «Le gouvernement peut nommer ? je vais vous lire la disposition ? pour un mandat de cinq ans renouvelable, des experts, notamment des médecins, psychiatres, travailleurs sociaux, psychologues et évaluateurs agréés.» Et que, «en outre ? bon ? le président du tribunal peut, pour la bonne expédition des affaires du tribunal, nommer des experts à vacation ou à titre temporaire et déterminer leurs honoraires». Advenant le cas que, finalement, la proposition du ministre ferait en sorte que cette disposition-là disparaisse... Mais, si ce n'est pas le cas, est-ce qu'elle est de nature, vous pensez, à mettre en péril l'indépendance du tribunal, vu que c'est le ministre qui nomme selon bonne conduite, sans aucun processus autre que celui... et d'experts qui seront appelés à avoir un rôle de conseil, mais un rôle qui est quand même assez nébuleux, je vous avouerais? Est-ce que vous vous êtes penchée sur cette disposition?

Mme Houle (France): Bien, en fait, je ne savais pas à quoi ils serviraient, ces experts. Est-ce que c'est un prélude pour éventuellement modifier l'article 40 et là faire en sorte qu'on va avoir un tribunal dont le membre sera un avocat, et il y aura des assesseurs, et ces assesseurs seront des experts? Je n'ai pas vraiment bien compris. Est-ce que ces personnes-là joueront le rôle de conciliateurs? Si c'est ça qui est le rôle qu'on leur donne ou qu'on leur donnera, je pense qu'il faudra le dire. Et là il faudra peut-être procéder d'une autre manière pour ce qui est de la création des listes pour nommer ces personnes-là, parce que, évidemment, elles joueront un rôle central dans l'expédition des affaires, des décisions qui seront prises par le tribunal, là, en matière de conciliation.

M. Bédard: Merci. Ça me rassure un peu aussi si vous avez eu de la misère à comprendre. Je veux dire, on est deux, là, puis, en même temps, bon, on garde quand même des réflexes.

M. Turp: Trois avec...

M. Bédard: Oui, ça... Autre question. On a eu des représentations, évidemment, sur le déséquilibre qui existe entre l'administré ? et je l'ai repris à quelques occasions si vous avez l'occasion de regarder nos travaux ? entre la personne qui vient à l'occasion et parfois même une fois dans sa vie ou deux fois devant le tribunal versus l'entité qui, elle, se défend presque à tous les jours contre l'ensemble des administrés du Québec, qui a avec elle toutes les connaissances juridiques, mais aussi professionnelles, techniques qui font en sorte qu'il existe évidemment un déséquilibre des forces. Et ce déséquilibre est d'autant plus accentué lorsqu'une personne n'est pas représentée par avocat, ce qui fait qu'on a beaucoup prêché, évidemment, pour maintenir la multidisciplinarité si ce n'est que pour ce but. Mais il reste quand même que la personne qui n'est pas représentée souffre d'un certain désavantage, je pense. Quelqu'un est venu proposer, Me Lippel, je pense même de votre faculté d'ailleurs...

Une voix: L'UQAM.

n(17 h 10)n

M. Bédard: De l'UQAM? De la même ville, pardon. Alors, elle est venue nous proposer... Elle a fait plusieurs études, et, pour combattre ce déséquilibre, il serait peut-être nécessaire justement de permettre de financer les frais de défense. Et je vois que vous avez dans vos recommandations quelque chose qui est de même nature, finalement, pour rééquilibrer un peu les forces, de permettre à l'administré d'avoir l'appui financier de l'État pour se procurer finalement un représentant dûment compétent. Et vous pensez que c'est nécessaire pour maintenir cet équilibre des forces?

Mme Houle (France): Oui. Je pense que, de toute évidence, oui. Il y a des administrés, bien sûr, qui peuvent se représenter eux-mêmes, et ils le font très bien, mais je ne suis pas certaine que ce soit la majorité. Parce qu'il reste que ça demeure des domaines assez complexes bien souvent, et ce n'est pas vrai que des personnes ordinaires connaissent vraiment bien tous les dédales du droit et de l'administration gouvernementale. Oui.

M. Bédard: ...ce qui existait ailleurs. Elle nous parlait qu'il existait des fonds dans d'autres provinces, là, où c'était, bon, employeurs et employés qui payaient. Des fois, c'étaient des... Un peu comme la Commission des normes, c'étaient des avocats, le contentieux d'un ministère en particulier ou d'une... Est-ce que vous pensez que c'est pensable, que c'est souhaitable d'aller de l'avant avec de tels...

Mme Houle (France): C'est certainement pensable. Maintenant, c'est toujours une question de coûts, voir si l'État veut s'embarquer dans la création de ce type de programme. Maintenant, je ne les connais pas assez bien pour pouvoir vous expliquer la mécanique de...

M. Bédard: Qui existe ailleurs.

Mme Houle (France): C'est ça.

M. Bédard: Alors, nous allons le creuser. D'une façon plus particulière, sur la spécialisation, en passant, et peut-être, M. le ministre, il y avait un ou deux... Il y a l'APCHQ qui avait quand même des réserves sur l'idée de la spécialisation, du transfert de certains juges d'une compétence, parce que les juges sont venus nous dire: Effectivement, c'est le critère de l'aptitude, est-ce que je me sens apte à aller...

Et je vous avouerais que, moi aussi, j'ai certaines réticences. L'aptitude, je donnais plus tôt l'exemple que l'aptitude se mesure souvent par rapport à la confiance et non par rapport à la compétence. Et, comme il n'y a pas seulement la connaissance médicale même, il y a la connaissance des différentes lois qui encadrent chacun des domaines, et la CLP, le domaine du travail, est bien différent de celui des accidents de l'assurance automobile, là, je me disais: Il y a une réflexion profonde à faire par rapport à ce transfert qui peut exister d'un tribunal à un autre, en plus de celui qui pourrait même entamer cette spécialisation, donc, encore là, comme vous le prétendez, le critère de spécialisation. Est-ce que ce sont des choses qui vous questionnent aussi?

Mme Houle (France): Bien, si la proposition est de faire en sorte que, par exemple, tous les décideurs qui se penchent sur des questions d'indemnités seront rassemblés peut-être même dans une section particulière, là, il y a peut-être...

M. Bédard: Ça, c'est parfait.

Mme Houle (France): ...une façon d'éviter par la bande, là, que le tribunal administratif perde sa crédibilité auprès des instances judiciaires. Mais je pense qu'il faut faire attention à ça. La mobilité, c'est vrai, c'est peut-être possible, mais jusqu'à une certaine limite, et cette limite-là, à mon avis, est quand même assez réduite. Il faut faire la distinction entre des connaissances et des habiletés. Je pense qu'à peu près toute personne qui a le moindrement un jugement peut siéger lors d'une audience, peut faire un bon travail au niveau de la preuve et de la procédure, mais maintenant, au niveau des tribunaux administratifs, c'est vraiment les connaissances qui comptent, la connaissance du droit, entre autres, mais aussi de l'environnement dans lequel ce système juridique vit et fonctionne.

M. Bédard: Une dernière chose avant que mon collègue pose certaines questions. Concernant la décision, ça a été abordé par deux de mes collègues, y incluant évidemment le député de Mercier, mais aussi le député de Marguerite-D'Youville, vous faites beaucoup de commentaires. Et je trouvais un élément intéressant, là, sur le fait d'enlever le conseil... aurait pour effet de... Évidemment, à ce moment-là, ça va être des comités ad hoc. Donc, il peut arriver qu'il y ait moins de souci, évidemment, de cohérence des décisions d'évaluation des cas. Donc, ça pourrait avoir des impacts même en termes, bon, des plaintes qui sont portées concernant la conduite de certains juges ou... Et donc vous privilégiez le maintien du conseil ou du moins une instance stable au niveau du processus de décision. C'est ce que j'ai compris. J'ai bien compris?

Mme Houle (France): Oui.

M. Bédard: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Mercier. Je pense que vous connaissez notre témoin.

M. Turp: Merci, M. le Président. Je la connais. Et, comme vous l'avez entendu auparavant, je suis très fier de l'avoir eue jadis comme étudiante, mais je suis surtout très fier de la savoir ma collègue à l'Université de Montréal qui contribue, je pense, par son témoignage d'aujourd'hui et de son assistant de recherche qui l'accompagne, à ? comment dire? ? ce devoir qu'ont les professeurs d'université de rayonner dans la communauté, puisque c'est une des fonctions qui sont celles des universitaires, de contribuer au débat public par leur rayonnement. Et un mémoire de 57 pages, avec 88 notes infrapaginales, très bien présenté, très clair dans sa façon de présenter des recommandations au ministre et aux députés, je crois, contribue aux travaux de cette commission et de cette Assemblée, et je l'en remercie au nom de l'opposition officielle.

Je veux faire d'abord une remarque générale qui relève d'une réflexion que je fais en cette première journée de participation aux travaux de cette commission. Peut-être que vous voudrez la commenter. J'ai regardé la Loi sur les tribunaux judiciaires, et, comme l'a évoqué notre témoin, il semble se dessiner au Québec cette volonté d'avoir deux voies parallèles, une voie judiciaire et une voie administrative, un peu comme en France, plutôt que dans les juridictions de «common law», soit au Canada anglais, au Royaume Uni ou dans d'autres juridictions comme celles-là. Je ne sais pas si le ministre et ses fonctionnaires au ministère de la Justice ont déjà pensé qu'on pourrait peut-être envisager d'avoir une loi sur les tribunaux administratifs, une loi sur les tribunaux administratifs.

La Loi sur les tribunaux judiciaires est structurée de telle façon qu'il y a dans cette loi la Cour d'appel, la Cour supérieure, la Cour du Québec et qu'il y a des dispositions relatives à un conseil de la magistrature, du perfectionnement et d'autres choses qui sont communes aux tribunaux et à ces juges aux tribunaux judiciaires. Et donc ce n'est pas, de toute évidence, la façon dont a été pensée la loi à l'origine et les modifications qui sont proposées. Mais peut-être y a-t-il lieu de penser qu'il vaudrait mieux avoir une loi sur les tribunaux administratifs dont une partie importante, principale, serait consacrée au Tribunal administratif du Québec, mais d'autres à d'autres tribunaux administratifs qu'on pourrait intégrer dans un tout sur lequel s'appliquerait notamment... et où il y aurait une institution comme un conseil de justice administrative comme il y a un conseil de la magistrature ou un conseil de justice judiciaire. Alors, peut-être qu'on pourrait repenser cela parce que ça pourrait avoir un intérêt, de rassembler sous une même loi les tribunaux administratifs du Québec, y compris le TAQ.

Alors, je voudrais poser une question sur 96. Je ne sais pas si vous avez réfléchi plus longuement, mais est-ce que vous croyez que c'est une question à ce point importante qu'il faudrait inviter le ministre, le Procureur général, en définitive, à faire un avis ou à demander un avis à la Cour d'appel du Québec, à faire un renvoi devant la Cour d'appel avant que cette loi n'entre en vigueur? Parce que le problème de la constitutionnalité en est un qui crée une insécurité juridique importante pour les tribunaux administratifs. C'est vrai dans le passé, c'est peut-être vrai encore aujourd'hui. Le Tribunal des droits de la personne est un tribunal qui vit l'insécurité à cause de 96, et est-ce que, donc, vous recommanderiez au ministre de faire un renvoi devant la Cour d'appel à ce sujet-là?

n(17 h 20)n

Vous mentionnez la confiance du public, c'est intéressant. Vous le faites comme l'a fait le conseil... ou le Tribunal administratif du Québec par la voix de son président. Ma question à cet égard-là est: Pour cette confiance du public, qui vous semble être importante aussi, est-ce qu'il faut maintenir le Conseil de justice administrative? Est-ce que c'est une des raisons pour lesquelles on ne devrait pas envisager son abolition, son remplacement par un comité dont vous avez parlé des modes de nomination de ses membres?

Et une dernière remarque très terminologique. Vous parlez de la nomination à durée indéterminée plutôt que durant bonne conduite. Vous parlez aussi que «durant bonne conduite», c'est la terminologie utilisée pour les juges judiciaires, là, dans l'article 85 de Loi sur les tribunaux judiciaires. Est-ce qu'il y a une différence entre la bonne conduite et la durée indéterminée d'un mandat? Et est-ce que, parce qu'il y aurait une distinction entre les juges judiciaires et ? comment devrait-on les appeler? ? des membres, des juges, ceux qui siègent au Tribunal administratif du Québec...

Le Président (M. Simard): C'est presque une question d'examen, Me Houle.

Mme Houle (France): Bien, en fait, je vais les retenir, je vais les poser pour mon cours. Alors, je vais laisser M. Lina répondre à la question sur le Conseil de la justice administrative et je répondrai aux autres questions.

M. Lina (Jean-François): Pour ce qui est du Conseil de la justice administrative, je pense que son fonctionnement, dans le passé, a prouvé que c'était une institution indépendante, particulièrement dans le traitement des plaintes. Actuellement, la manière dont ça fonctionne, c'est le président du Conseil de la justice administrative qui choisit les membres du comité qui va statuer sur une plainte. Par contre, ce que le projet de loi propose d'implanter, c'est plutôt des comités ad hoc. Ces comités ad hoc là seront formés de trois personnes, la première personne qui sera choisie par le président du tribunal parmi les pairs après consultation de l'ensemble des membres du tribunal puis les deux autres par le président du tribunal, mais à partir d'une liste qui est conçue par le gouvernement, puis le président devra suivre l'ordre qui est établi sur cette liste-là, il ne pourra pas y déroger.

En fait, le problème, ici, c'est un problème d'indépendance de ce comité-là parce qu'on peut se demander jusqu'à quel point... Il n'y a pas de disposition sur la longueur de ces listes-là et non plus sur pour combien de temps elles seront valides. Donc, on peut avoir une crainte qu'à chaque changement de gouvernement ou même à chaque changement de ministre à la tête du ministère de la Justice cela pourrait être modifié puis il pourrait avoir une... en tout cas, au moins une apparence de contrôle du processus de traitement des plaintes par ce biais-là. Et je pense que ce serait important de maintenir le Conseil de la justice administrative, qui a fait ses preuves à ce niveau-là.

Mme Houle (France): Sur la question du renvoi à la Cour d'appel, c'est toujours une question extrêmement délicate, hein, parce que ces nouvelles structures sont tellement nouvelles au Canada, c'est tellement osé et c'est tellement des belles initiatives que je ne voudrais... Moi, j'aurais tendance à dire non, je préférerais ne pas les fragiliser en les amenant devant la cour. Je pense que j'aimerais mieux attendre plusieurs années, voir comment les institutions fonctionnent et voir s'il y a un plaideur en quelque part qui ose aller en Cour d'appel.

Par contre, si on maintient l'idée de la fusion entre la CLP et le TAQ et on conserve l'idée que ce ne sont que des juristes qui siégeront, à titre de règle générale, avec un statut de juge, eh bien, ce que je dis, c'est qu'il y a suffisamment d'éléments, là, pour un plaideur frondeur, là, pour aller tester ça à la cour. Parce que les critères sont très vagues, hein, sur l'article 96. D'une part, il faut prouver que les compétences exercées étaient des compétences similaires à celles exercées par des juges des cours supérieures au moment de la Confédération. Ensuite, on se demande s'il s'agit de pouvoir judiciaire. Alors, déjà là, ces deux critères-là sont nettement rencontrés.

Le troisième critère, alors, on se demande s'il s'agit d'un pouvoir subsidiaire, ancillaire ou implicitement nécessaire à une fonction administrative prédominante, ce qui n'est pas notre cas parce qu'on est dans le cas d'un purement juridictionnel, ou une fonction qui constitue une nouvelle forme de compétence. Alors là qu'est-ce que ça veut dire? C'est là où il y a vraiment... La Cour suprême s'est donné une porte pour faire à peu près n'importe quoi avec le purement juridictionnel. Alors, moi, je ferais bien, bien attention à ça pour ne pas...

Le Président (M. Simard): C'est sur cet appel à la prudence, Pre Houle, que nous allons terminer votre témoignage. Merci, M. Lina. Merci, Mme Houle. Alors, nous allons entendre... Nous allons suspendre quelques secondes et entendre ensuite les représentants de la Fédération des travailleurs du Québec.

(Suspension de la séance à 17 h 24)

 

(Reprise à 17 h 26)

Le Président (M. Simard): Nous allons reprendre nos travaux. Je tiens tout de suite à rassurer Henri Massé et son équipe que, même s'il est tard, 5 h 30, nous n'avons aucunement l'intention de siéger cette nuit. Et donc, contrairement à sa dernière visite parmi nous, nous serons chez nous dans une heure tout au plus.

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Absolument. Alors, écoutez, je ne vous apprendrai pas comment procéder devant cette commission, puisque vous êtes familier de cette opération, et nous allons vous écouter avec beaucoup d'intérêt immédiatement.

Fédération des travailleurs
et travailleuses du Québec (FTQ)

M. Massé (Henri): Je voudrais d'abord présenter le monde qui sont avec moi. Il y a Richard Goyette, de la construction et président du Comité de santé et sécurité à la FTQ; Louis Bolduc, Syndicat des TUAC et vice-président de la FTQ; Michel Arsenault, Syndicat des métallos et vice-président de la FTQ; Serge Cadieux, SEPB, Syndicat des employés de bureau et professionnels, vice-président de la FTQ; et Me Jean-Pierre Néron, qui est conseiller juridique à la FTQ.

D'abord, je voudrais vous remercier de l'opportunité que vous nous donnez de nous faire entendre devant cette commission parlementaire sur un sujet qui nous préoccupe passablement.

Laissez-moi d'abord vous raconter une petite histoire. Nous sommes dans la troisième semaine de janvier, quelques mois après l'élection d'un gouvernement libéral qui avait promis d'apporter des changements importants au Québec. La FTQ est à Québec pour y présenter un mémoire au nouveau gouvernement, mémoire portant à la fois sur l'indemnisation des accidents du travail et le rôle des tribunaux et de la magistrature du travail. La FTQ met le nouveau gouvernement en garde de ne pas revenir avec un projet de loi qui aurait fait reculer le Québec de 10 ans en remettant le soin de régler les réclamations pour accidents du travail aux cours de justice. Elle signale qu'une législation sociale revêt toujours un caractère d'exception au droit commun et que les tribunaux ne sont pas toujours aussi renseignés qu'ils ne pourraient ou devraient l'être à propos de cette législation sociale. La FTQ suggère la formation de tribunaux spéciaux bien versés dans la législation sociale auxquels incomberait le règlement de tout différend du travail entre patrons et ouvriers. Elle conclut alors de ne pas remettre inutilement en cause les principes fondamentaux du régime en vigueur, car l'énorme majorité des employeurs et des employés est plus que satisfaite du principe de cette loi.

L'histoire ne se répète peut-être pas, mais elle bégaie sûrement. C'était le 23 janvier 1940 que la FTQ présentait ce mémoire au nouveau premier ministre Adélard Godbout, un libéral, un vrai, et, nous, on reste assis sur les mêmes principes aujourd'hui.

n(17 h 30)n

Si je prends le temps de venir vous compter cette petite histoire là, c'est qu'aujourd'hui on n'est pas ici pour vous parler de bebelles techniques, et tout ça. On est ici pour vous parler d'un principe qui nous tient à coeur, la justice administrative, mais avec le paritarisme, puis proche de nos milieux de travail, puis beaucoup plus proche des relations de travail que de l'appareil juridique. Et on pense, nous, que le gouvernement fait fausse route en ne reconnaissant pas le domaine des relations de travail, qui comporte sa spécificité, son caractère distinct, ses règles particulières, et qu'il constitue un ensemble indivisible. Nous croyons que les relations entres les employeurs et les salariés ont leur dynamique propre qu'il convient de respecter. Le paritarisme constitue la pierre d'assise d'une philosophie moderne de régulation de ces relations et il doit être maintenu dans son intégralité. Nier cette réalité serait faire fi de la volonté même des parties en présence.

Enfin, nous croyons que le projet de loi, mal ficelé et farci d'ambiguïtés suspectes, non seulement n'apporte rien pour rencontrer les objectifs du ministre, mais qu'au contraire il risque de multiplier les récriminations à l'égard du règlement des causes en matière de lésions professionnelles.

Et, dans les délais, bon, nous ne croyons pas que la réforme proposée améliore les délais décisionnels pour les personnes accidentées du travail. Il est vrai que les délais à l'actuel Tribunal administratif du Québec en matière d'accidents de la route sont, selon les mots mêmes du ministre, un déni de justice. On parle ici d'un délai de 24 mois, mais ce n'est pas le cas à la Commission des lésions professionnelles où le délai moyen entre la réception de la contestation et la décision sur le fond est de 6,9 mois en 2002-2003, puis, en incluant les remises, on n'en arrive encore qu'à 11,4 mois.

Ne faites pas l'erreur de vouloir tout changer puis de vouloir changer des choses qui vont bien, je ne dis pas qui vont parfaitement ? c'est l'idéal ? mais qui vont bien. Concentrez-vous plutôt sur celles qui vont mal. Ce serait, pour nous, une grossière erreur que de placer présentement la CLP sous le chapeau du nouveau Tribunal des recours administratifs. Et, si vous y tenez absolument, M. le ministre, nous, on est prêts à rediscuter de cette question-là, mais quand les autres divisions du TRAQ auront atteint le même niveau de performance que la CLP, puis on est loin, très loin.

Il y a toute la question de la représentation syndicale qui nous inquiète dans le projet de loi. On ne peut que s'opposer, à la FTQ, à l'intention de donner au tribunal la possibilité d'exclure de l'instance le représentant d'une partie qui n'est pas avocat. La quasi-totalité des personnes représentant les travailleurs et travailleuses syndiqués ne sont pas des avocats ou des avocates, ce sont le plus souvent des conseillères et des conseillers syndicaux. Puis ça ne tient pas, chez nous, là, principalement puis surtout pas à une question monétaire, mais plutôt au lien évident qui existe entre les lésions professionnelles et les conditions de travail. Il faut aussi voir à corriger le problème à la source de la lésion professionnelle, et c'est là le bout de chemin qui ne peut pas être assumé par les avocats, même les plus brillants d'entre eux.

Notre présence comme représentants et représentantes se justifie par et relève du régime tripartite ? employeur, salarié, CSST ? et du contrat social intervenu entre les syndicats et les employeurs de ne pas faire trancher les réclamations selon les règles du droit civil. Nos représentants et représentantes sont des salariés. Ils ne travaillent pas à tarif, à honoraires ou à commission. Leur contribution est méritoire non seulement pour les membres, mais pour une application équitable de la loi.

À l'égard des coûts, de nombreuses réclamations importantes quant au principe en cause, mais monétairement insignifiantes, ne pourraient justifier le recours aux services tarifés d'un avocat.

Le même article donne au tribunal la possibilité d'exclure un représentant s'ils estiment qu'il n'a pas la compétence requise ou qu'il n'exécute pas de façon responsable les devoirs de cette tâche. Ça soulève un tas de questions. Peut-on en appeler de cette décision et devant quelle instance? Que se passe-t-il pour celui dont le représentant est exclu? Le tribunal lui en fournit-il un autre? Cette répudiation est-elle valable devant un seul commissaire ou pour l'ensemble du tribunal? Vaut-elle pour d'autres dispositions des lois du travail? C'est, pour le moins, très alambiqué. Voudrait-on tout simplement nous tasser de là et nous empêcher de représenter nos membres, de faire notre devoir syndical, au profit de qui? La question va être fatalement posée un jour.

Et l'autre élément qui nous inquiète, c'est de passer ? et je le dis en tout respect ? du giron du travail à celui de la justice. Le régime actuel de santé et sécurité est basé sur le modèle propre aux relations de travail. C'est un modèle que nous avons toujours voulu le plus déjudiciarisé possible, loin de l'esprit du droit civil. Tant la Loi de santé et sécurité au travail que la LATMP reconnaissent la spécificité de la relation tripartite employeurs, salariés, commission et son corollaire, le paritarisme. Il y a une véritable osmose entre le contenu des lois en santé et sécurité et nos conventions collectives. Pensons, par exemple, à l'exercice du droit de retour au travail depuis 1985. Cette spécificité doit être maintenue. La CLP doit demeurer sous le chapeau du travail.

Même chose pour le paritarisme. Dans le projet de loi, il se réduit comme une peau de chagrin. Dans le projet de loi, le tribunal peut désigner deux personnes représentant des associations patronales et syndicales pour siéger auprès du membre et le conseiller, et seulement lors d'un recours portant sur l'existence d'une lésion professionnelle autre qu'une rechute, récidive ou aggravation. Ça représente, selon nous, à peu près 15 % des cas qui sont, à l'heure actuelle, entendus avec les représentants des parties, seulement 15 %. On réduit les parties à un rôle discrétionnaire et accessoire, elles qui sont fondamentalement les premières concernées. En passant d'une commission à un tribunal, on s'écarte du modèle de relations de travail et de paritarisme pour tomber dans celui de la judiciarisation. La justice sera-t-elle mieux rendue avec la réduction du rôle des personnes issues des associations patronales ou syndicales? Nous, on est convaincus que non.

La vraie raison de la mise au rancart du paritarisme n'est pas liée à quelques difficultés de fonctionnement ou de délais supplémentaires. Elle semble, je pense, pour le ministre, de nature financière, de ce que je lis dans les journaux, à gauche et à droite. Et, à moins que ce soit une question idéologique, j'ose espérer que ce n'est pas ça. Mais je voyais encore ce matin que c'est pour sauver 5 millions, nous dit-on. Et, nous, on pense que c'est de l'économie de bouts de chandelles, à courte vue, parce que, même s'il y a de l'argent un peu dans le paritarisme, il y a moins de contestations devant les tribunaux supérieurs, moins de délais, et ça aussi, ça se paie. Et, quand on a mis ce système-là sur pied, on savait qu'il y avait un peu de coûts immédiats, mais pour en sauver dans l'avenir, et on est convaincus qu'on en sauve. Il n'est peut-être pas inutile de vous rappeler que la plus haute instance internationale dans le domaine des relations de travail, le Bureau international du travail, fondé en 1919, fonctionne sur la base du paritarisme. Il me semble qu'il n'y a rien de machiavélique là-dedans.

À la CLP, cette culture du paritarisme s'est imposée au fil des ans: les parties sont consultées pour la nomination aux deux postes de vice-présidence; elle soutient la coordination tant des membres patronaux que syndicaux; des sessions de formation sont offertes aux parties; il y a un état d'esprit, il y a une culture de tripartisme et de relation de travail. N'en déplaise à personne, les représentants des associations ne sont ni des pots de fleurs ni des loups dans la bergerie. Ils concrétisent une volonté commune d'obtenir une justice accessible et transparente. Il n'est peut-être pas inutile encore une fois de vous rappeler qu'en 2001... Puis c'est le même cas aujourd'hui, mais c'est parce qu'on n'avait pas les dernières statistiques officielles. Il y a sept provinces au Canada qui ont des représentants patronaux et syndicaux avec des pouvoirs décisionnels en appel de ces décisions-là.

Il y a toute la question de l'indépendance aussi qu'on nous soulève, où on nous dit qu'il faut nommer les commissaires à vie parce que, bon, selon la pression qu'ils pourraient avoir d'une partie ou de l'autre, peut-être que la justice n'est pas rendue. Nous, on est en désaccord avec ça et on trouve que ce qu'on nous offre à l'heure actuelle dans le régime, on n'est pas convaincus que c'est vraiment l'indépendance. On demande d'abord... on va demander aux commissaires de traiter 135 dossiers par année. À la CLP, à l'heure actuelle, la moyenne, c'est 106. C'est un accroissement important de la productivité d'environ 30 %. Et peut-on parler d'indépendance quand les décideurs sont tenus de rencontrer des quotas de décisions? Assisterons-nous à une baisse de la qualité des décisions, à une éventuelle standardisation forcée par des contraintes de temps ou de rendement? On se pose des questions puis on se les pose sérieusement.

On ne veut pas d'une justice à la façon du juge Roy Bean dans les aventures de Lucky Luke. Il y avait un seul jugement, un seul coupable puis une seule sentence, c'était: Pendez-le. C'était efficace, c'était rapide, mais on n'est pas sûrs que c'était juste. Et on dit que cette permanence devrait aussi attirer des candidats et des candidates de plus grande qualité. Si c'est ça, bien, nous, on pense qu'il faut un processus de sélection où le ministère du Travail, le monde du travail sera impliqué pour que vraiment on fasse les meilleures nominations possible.

Il y a toute la question des experts médicaux qu'il faut soulever aussi. À l'heure actuelle, à la CALP... à la CLP, il y a des experts médicaux qui viennent conseiller le commissaire, et ces experts médicaux là ne sont pas contre-interrogés, on ne peut pas... c'est une espèce d'éminence grise où ils conseillent le commissaire. Ça peut être avant, ça peut être pendant, ça peut être après l'audition du cas en santé et sécurité. Et, à l'heure actuelle, dans un régime tripartite où les représentants des parties sont là, bien ils questionnent cet expert-là au moment du délibéré et sont capables de prendre la part du plaignant qui fait une plainte. Ils sont capables de poser les questions, ils sont capables de voir ce qui se passe.

Et là on est en train de faire sauter une bonne partie du paritarisme sur ces questions-là, on est en train d'enlever les représentants syndicaux et patronaux, et il n'y a personne qui va questionner ce monde-là. Personne. Devant une cour de justice normale, ce seraient des témoins experts qui seraient contre-interrogés puis qui auraient... Bon. Et là on les laisse là. Par contre, on enlève les représentants.

n(17 h 40)n

Sur la procédure, les procédures qui sont changées, encore une fois on pense que ça va allonger les délais. Selon le projet de loi, la CSST peut, dans les 90 jours d'une requête au TRAQ, réviser sa décision. Le délai peut être prolongé si le requérant et la CSST conviennent de prolonger pour produire une expertise médicale. En notifiant sa décision révisée, la CSST demande au requérant de lui indiquer dans les 30 jours s'il entend maintenir son recours devant le TRAQ ou s'il désire se désister. À défaut de répondre à la CSST, il est réputé s'être désisté. Et ça, ça nous crée des problèmes.

Ce processus ignore totalement la dimension tripartite des dossiers des lésions professionnelles. La CSST et le requérant, employeur ou travailleur, pourraient convenir d'une prolongation lors de la connaissance ou du consentement de l'autre partie, employeur ou travailleur, et ce n'est pas acceptable. Il est aussi inadmissible que le projet de loi prévoie une présomption de désistement. Le travailleur ou la travailleuse a déjà exprimé sa volonté de soumettre le litige au TRAQ, et c'est à la CSST d'obtenir et de produire un désistement.

Quelques effets pervers de la réforme. La réforme proposée peut avoir des effets certainement non voulus par le ministre dans le cadre d'une relation tripartite. En effet, que se passe-t-il si la décision révisée donne gain de cause au travailleur? Celui-ci va se désister naturellement ou va être présumé s'être désisté. L'employeur, quant à lui, pourra contester cette dernière décision. Si la CSST révise à nouveau, l'employeur se désistera ou sera ainsi présumé. Par contre, le travailleur pourra à nouveau la contester. En tout cas, nous, on pense que c'est de la bouillie pour les chats, et surtout du foin pour les avocats. Et, si entre-temps il y a eu des demandes de prolongation pour produire des expertises médicales par chacune des parties, on peut se demander dans quel délai le tribunal pourra se saisir d'un tel dossier à rebondissement.

Autre curiosité. Le projet de loi abroge l'article lié à la CSST et à l'avis du BEM ou du comité des maladies pulmonaires. Si la CSST n'est plus liée par cet avis lorsqu'elle révise un dossier, il faudrait donc en conclure qu'elle ne peut plus être liée par autre chose que l'avis prépondérant, le seul autre reconnu dans la loi du médecin qui a charge de la personne accidentée. Ça, là-dessus, on ne s'en plaindrait pas beaucoup.

Des délais accrus avec la réforme. Au pire, à la CLP, avec ce qu'on nous propose, on arrive à quelque 210 jours; au mieux, au TRAQ, encore une fois, avec ce qu'on nous propose, on arrive à 330 jours, et si on ne se trompe pas sur un dossier à rebondissement comme dans l'exemple fictif de tout à l'heure. Il y a toute une démarche entre l'intention du législateur et le contenu du projet de loi. Si le ministre veut voir couler le temps, je pense qu'il va se rendre compte qu'il y a des roches dans le sablier. La révision en matière de prévention-inspection. Là aussi, on a des questions très importantes. La loi prévoit que la décision d'un inspecteur peut faire l'objet d'une contestation devant le TRAQ. La réforme prévoit que la décision de l'inspecteur pourra être révisée et que c'est le même inspecteur qui fera la révision de sa propre décision.

Le projet de loi est flou quant à savoir si les décisions rendues en vertu de la loi de... de la LATMP seront toujours révisées par une personne différente, ce qui nous apparaît un minimum pour sauvegarder une apparence de justice. Afin de conserver le plus d'indépendance possible entre le décideur et le réviseur, nous considérons fondamental que la révision soit effectuée par une personne différente de celle qui a rendu la décision initiale.

Le reconsidération. La loi actuelle prévoit que la CSST peut reconsidérer une décision qu'elle a rendue dans les 90 jours pour corriger toute erreur de même que la date de la connaissance de tout fait essentiel pour le dossier. La réforme prévoit que la CSST pourra reconsidérer sans limite de temps sa décision tant qu'un recours n'a pas été logé au TRAQ. Si un fait essentiel est porté devant le TRAQ sans avoir été porté au préalable à la connaissance de la CSST, le tribunal pourra suspendre l'audience, retourner le dossier à la CSST pour éventuellement modifier sa décision.

La FTQ estime que la CSST, quand elle reconsidère une décision qu'elle a rendue, pour corriger toute erreur, soit tenue de le faire dans un certain délai et en vue d'assurer une stabilité juridique des décisions. Pour se protéger de l'utilisation abusive de demandes de reconsidération de l'employeur, on pourrait être tenté de contester toutes les décisions de la CSST afin de clore cette période où elle pourrait exercer ses pouvoirs de reconsidération. Ajoutez à cela le pouvoir du TRAQ de retourner un dossier à la CSST, ce n'est certainement pas, selon nous, de nature à réduire les frais et à écourter les délais pour les justiciables.

Toute la question de la conciliation, on est d'accord, mais on n'est pas d'accord avec la conscription. On rend la... La proposition qui est énoncée dans le projet ne nous paraît pas adaptée au monde de régulation des relations de travail. D'abord, à peu près tout le monde et son père au TRAQ peut s'improviser conciliateur, du commissaire à un membre non défini du personnel. Ça ne fonctionnera pas. On ne peut pas porter deux chapeaux, celui de conciliateur et celui de décideur. Il doit y avoir une étanchéité entre la conciliation et l'adjudication. Pour nous, la conciliation doit être volontaire et faite par des professionnels reconnus comme tels de la conciliation et des relations de travail. En matière de lésions professionnelles, il y a trop d'aspects touchant aux relations de travail pour ignorer ce volet fondamental d'un dossier.

La proposition avance également que, si un requérant accepte la conciliation, l'autre partie soit tenue d'y participer. Cette conscription à la conciliation forcée aura comme seule conséquence d'amener l'une ou l'autre des parties, employeur ou travailleur et syndicat, à assumer des frais de représentation qui ne sont pas sollicités. On s'inquiète, enfin, du fait que le projet de loi fait disparaître l'obligation d'avoir des ententes de conciliation conformes à la loi. Nous y voyons un risque sérieux d'ententes à rabais, notamment pour les personnes qui ne sont pas représentées.

Commentaires sur quelques autres questions. Il y a toute la question du caractère public des décisions du TRAQ. À l'heure actuelle, la CLP doit constituer une banque de jurisprudence de caractère public en vertu de la Loi d'accès aux documents des organismes publics. La Loi sur la justice administrative ne prévoit pas que l'ensemble des décisions du TRAQ ont un caractère public. Non seulement ces décisions sont essentielles pour le plaideur, mais elles sont de la plus haute importance pour la recherche. C'est ainsi que des travaux réalisés à l'UQAM ont constaté une différence de traitement entre les hommes et les femmes dans certains types de réclamations et que nous avons pu intervenir auprès de nos représentants pour les sensibiliser à cette problématique.

Les règles de preuve et de procédure. Le TRAQ ne pourrait relever une partie du défaut d'avoir respecté un délai que si cette partie lui démontrait qu'elle n'a pu, pour des motifs sérieux et légitimes, agir plus tôt, et ce, pour une période ne dépassant pas 90 jours. La justice administrative, ce n'est pas fait pour que l'administration puisse moudre les citoyens plus fin. Nous nous opposons à la notion de «motif sérieux et légitime» qui nous semble beaucoup plus restrictive que celle, actuelle, de «motif raisonnable» que l'on retrouve à l'intérieur de la loi. Nous n'acceptons pas non plus que ce délai puisse dépasser 90 jours sans égard à la spécificité de la demande ou des motifs.

Le Président (M. Simard): Je voudrais vous demander de vous diriger vers la conclusion, monsieur.

M. Massé (Henri): Vers la conclusion? J'y arrive.

La FTQ s'oppose aussi à toute la question de tarifs qui pourraient être émis au TRAQ.

Au niveau de la conclusion, ce qu'on dit, c'est que le projet de loi ne vient aucunement régler les problèmes qu'il est censé solutionner. Ses imprécisions, son absence de prise en considération du mode de fonctionnement tripartite du régime de santé et sécurité au travail vont, au contraire, créer une incertitude juridique, des délais puis des coûts additionnels par rapport au régime actuel, on en est convaincu. Il ne fait que complexifier le processus sans réel avantage au niveau des délais et des coûts, dont nous craignons qu'une bonne partie soient refilés en bout de ligne aux personnes accidentées.

La fusion de la CLP au TRAQ ne comporte aucun avantage pour les personnes accidentées. On y voit même le risque de perdre le statut de tribunal spécialisé en matière de lésions professionnelles reconnu par les tribunaux supérieurs pour celui d'un tribunal spécial qui décide d'une multitude de lois fort différentes les unes des autres. En méconnaissant les critères propres au fonctionnement de la conciliation, le ministre met en péril ce mode alternatif de solution des litiges qui a fait ses preuves.

Finalement, en réduisant la présence et la portée du paritarisme et en s'attaquant au pouvoir légitime et à l'obligation morale et légale des syndicats de bien représenter leur monde, le ministre dessert sa cause. L'absence, comme assesseurs, de représentants des parties ne pourra qu'alimenter la suspicion et diminuer la crédibilité du tribunal auprès des personnes accidentées. Le nouveau processus décisionnel sera de beaucoup plus décrié que l'actuel régime.

Nous sommes convaincus qu'à brève échéance la réforme proposée ne fera qu'augmenter les délais et les coûts du régime d'indemnisation des lésions professionnelles. Alors, dans un an ou deux, ne vous étonnez pas d'entendre d'autres récriminations. Les coûts vont augmenter pour la CSST. Alors, qui va payer? D'un côté, on va vouloir une hausse des cotisations, de l'autre, probablement des réductions des prestations. Chose certaine, ce n'est pas nous qui aurons à reconnaître s'être trompés. Nous tenons...

n(17 h 50)n

Le Président (M. Simard): Laissez-moi vous interrompre à ce moment-ci...

M. Massé (Henri): Je termine là-dessus, ma dernière phrase: Nous tenons à vous rappeler une chose. Il y a un vieux principe, vieux proverbe anglais qui dit: If it's not broken, don't fix it. Moi, je pense qu'on a un régime qui n'est pas idéal, mais qui va quand même passablement bien.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup, M. Massé. Je ne sais pas ce qui me fait dire ça, mais j'ai l'impression que le ministre a des questions ou des commentaires à faire.

M. Bellemare: Alors, merci, M. Massé, merci à toute votre équipe pour votre présence ici aujourd'hui relativement à un projet de loi qui, de toute évidence, soulève des questionnements à la FTQ, mais, quand même, présente certaines avancées. Et je vais tout de suite vous dire que votre préoccupation par rapport à la notion de «motif raisonnable», que vous avez invoquée à la toute fin de votre présentation, par rapport à la notion de «motif sérieux et légitime» est acceptée, on en a déjà parlé. Il y a déjà 21 groupes qui se sont présentés ici, groupes et individus, et on en a parlé, on a réglé cette question la semaine dernière à la faveur de la notion de «motif raisonnable» pour toutes les décisions d'extension de délai qui seraient abordées par le nouveau tribunal d'appel, dans toutes ses divisions.

En ce qui concerne les mécanismes d'appel, on en a discuté également la semaine dernière avec l'APCHQ, on en a discuté aujourd'hui également avec l'Association de la construction du Québec, de cette possibilité de faire en sorte que les décisions résultant d'un examen du Bureau d'évaluation médicale puissent être contestables en appel directement au tribunal d'appel. Est-ce que vous seriez favorables à cette hypothèse?

M. Massé (Henri): Directement au... Oui.

M. Bellemare: Les décisions émanant du Bureau d'évaluation médicale.

M. Massé (Henri): Oui, là-dessus, on est d'accord.

M. Bellemare: Vous seriez d'accord.

M. Massé (Henri): On serait d'accord.

M. Bellemare: Bon. Il y a aussi un volet en termes de délai. En termes de délai, il y a, dans le projet de loi, un délai maximal de 90 jours en révision, ce qui est une nouveauté même en matière de lésions professionnelles parce que, actuellement, il n'y en a pas, de délai. Et on se souvient de ce à quoi ça ressemblait, la révision administrative, dans les années 1999-2000, là, avec des délais qui allaient jusqu'à 14 mois dans certaines régions du Québec. Alors, nous, on impose un délai de 90 jours, avec possibilité de renouveler le délai, de l'augmenter d'un autre délai de 90 jours pour expertise médicale. Dans l'hypothèse où les travailleurs, les employeurs peuvent en appeler directement au tribunal d'appel en matière médicale, est-ce que vous voyez toujours l'opportunité de maintenir un deuxième délai de 90 jours ou si on pourrait l'enlever?

M. Néron (Jean-Pierre): Non, je ne pense pas. Je pense que, si... Ça, c'était la question que je veux vous poser. Sur le principe de la révision, il y a un certain nombre d'éléments que je voulais aborder avec vous.

M. Bellemare: Mais, sur la... Vous me permettez?

M. Néron (Jean-Pierre): Oui.

M. Bellemare: Juste sur la question du deuxième 90 jours, avez-vous une opinion?

M. Néron (Jean-Pierre): Bien, je pense que, si finalement la CSST est toujours liée par l'avis du BEM, il n'y a certainement pas de raison de maintenir ce délai-là.

M. Bellemare: O.K. Vous aviez des remarques sur la révision?

M. Néron (Jean-Pierre): Oui. Bien, c'est parce que vous avez répondu à certains éléments. C'est que le processus de révision, on a écrit qu'il était mal ficelé. Pendant un temps, avec mon ami Robert Demers, on regardait ça, puis on avait dit: Ah! peut-être qu'il est mal bâclé. Et Robert m'a dit: Non, non, il n'est pas mal bâclé, les gens qui ont fait ça, ils ont certainement révisé cette chose-là, ils ont fait... tous les mots qui sont là, ils les ont certainement pensés. Alors, nous, comme on se dit que la bonne foi, ça se présume, on a présumé que c'était de bonne foi et que les erreurs qu'on trouvait là, on pouvait faire une certaine lecture. Mais il y a possibilité de faire une autre lecture, et c'est pour ça que je veux avoir des précisions.

Quand on parle du processus de révision, le premier élément était l'article 6, où on parle des termes «prestation», «indemnité», etc. Ça, ce sont des termes qui ont fait l'objet, des fois, de débats. On ne retrouve pas ces termes-là au niveau de la prévention. On a aussi des réclamations pour les gens du secteur fédéral. Alors, ça, ça soulève certaines inquiétudes. Alors, ça, c'est un premier élément.

Deuxième élément. Dans ce même article là, on a utilisé le terme «modifier» alors qu'on est sous le chapeau de la révision et on l'a repris aussi à l'article 358. Alors, étant donné que le législateur ne parle pas pour ne rien dire, on peut se demander: Est-ce qu'il n'y a pas une certaine confusion avec ce terme-là?

On n'avait pas repris l'article 358.3 qui faisait en sorte que la CSST était liée par l'avis du BEM, alors, ça, c'est une question qui nous inquiétait.

La reconsidération...

M. Bellemare: Ce n'est pas un problème, ça, le fait que la CSST soit liée par l'avis du BEM, c'est à mon avis évident, là, mais on pourrait le corriger s'il y a une coquille.

M. Néron (Jean-Pierre): O.K. La reconsidération, je pense que, là, vous avez déjà... je ne sais pas si vous avez répondu là-dessus, sur le fait que... Vous avez répondu sur le motif, il reste encore la question du temps, hein, la question du temps, où on a éliminé ce délai de 90 jours. Le hors délai, les gens ne pouvaient pas... ne peuvent pas être relevés... qu'un maximum de 90 jours. Il y a également la présence de la CSST jusqu'à l'entente finale. Il y a l'élément de maintenir sa contestation, hein, c'est-à-dire de signifier qu'on maintient sa contestation .

Alors, nous, on l'a écrit en se disant... On a présumé la bonne foi et on a dit: Ce projet de loi est mal ficelé, voilà les erreurs que nous y voyons. Peut-être qu'on est... ce n'est peut-être pas ça, alors, là, on se demande... On peut faire une autre lecture, et l'autre lecture, c'est: On a laissé là beaucoup de pouvoirs à la CSST pour faire à peu près n'importe quoi, c'est-à-dire que, là, la CSST pourrait modifier... aucun délai, elle pourrait changer sans être liée. Si vous me dites que ce n'est pas le cas, il y a peut-être une autre lecture. Alors, c'est ça, la question, c'est: Quelle est la lecture qu'il faut faire de ces articles-là?

M. Bellemare: Ça va. Concernant le paritarisme, vous êtes le 21e groupe ou individu, là, à vous présenter devant la Commission des institutions et vous êtes le premier à défendre le paritarisme. Nous avons écouté et entendu plusieurs groupes, plusieurs représentations, notamment la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec qui regroupe 46 000 syndiqués. Vous allez me dire que vous en avez 550 000, là, mais il demeure que la FIIQ estime que ce système-là est coûteux et inutile. Ils ont fonctionné devant la CALP avant 1998 et ils étaient très satisfaits de la façon dont ça fonctionnait. Il y a également le Protecteur du citoyen qui est venu nous dire que la formule proposée dans le projet de loi n° 35, qui réduit le paritarisme aux cas de lésions professionnelles initiales, était une initiative heureuse. Il y a des groupes d'employeurs: l'APCHQ, qui regroupe 11 000 employeurs de la construction, l'Association de la construction du Québec, 12 000 employeurs. Il y a également la Commission des services juridiques qui a estimé ce système inutile et coûteux également et plusieurs intervenants qui sont venus nous dire que le paritarisme entraînait des délais et des dépenses sans ajouter quoi que ce soit. Alors, ce n'est pas votre position, je le conçois, mais nous devons agir en fonction de l'intérêt public et de l'intérêt de l'ensemble de la population.

Est-ce que vous êtes d'opinion que le paritarisme pourrait... Puisque vous prêchez la collaboration entre les parties, le dialogue entre les parties ? parce que c'est ce qui sous-tend toute la notion de paritarisme dans un secteur que vous estimez être le secteur des relations de travail, ce qui ne fait pas l'unanimité, loin de là, mais c'est votre position ? est-ce que vous êtes d'accord avec le fait qu'on pourrait rendre le paritarisme, peu importe si on le maintient dans tous les cas ou dans quelques cas exceptionnels, optionnel? C'est-à-dire que, si les deux parties, là, le travailleur et l'employeur, dans un cas précis ne veulent pas du paritarisme, êtes-vous d'accord avec le fait qu'on devrait leur permettre de ne pas avoir à agir dans une formule paritaire mais plutôt face à un juge seul?

M. Massé (Henri): L'option, l'option est habile, mais la question de fond... on va regarder la question de fond. D'abord, quand vous dites que le paritarisme n'est pas... il n'y a pas d'unanimité, il n'y en a jamais nécessairement eu non plus. Et, avec tout le travail que vous avez fait à date, ce n'est certainement pas vous qui avez aidé à bâtir l'unanimité autour de ça. Mais je vais rappeler que la FTQ représente 550 000 travailleurs et travailleuses au Québec dans des secteurs extrêmement difficiles où il y a des accidents de travail à planche.

Je ne veux pas utiliser le terme «utilisateur», là. Et, quand il y a eu des réformes importantes... Ce n'est pas pour rien que j'ai remonté à 1940 tantôt. Quand on a fait la bataille en 1940 pour aller chercher des tribunaux spécialisés en matière de santé et sécurité puis qui étaient à l'écart des tribunaux civils, il n'y a pas grand monde au Québec, là. Le Protecteur du citoyen, il n'existe pas, puis les autres groupes qui aujourd'hui viennent dire que le paritarisme, ce n'est peut-être pas... ce monde-là n'était même pas d'accord pour qu'il y ait des mécanismes pour la défense des droits des travailleurs et des travailleuses accidentés. On s'est battus là-dessus, nous autres, puis de longue date.

Et là on a un système qui est là, qui est là. Je ne dis pas que c'est le système idéal, mais on a un système qui est là et on dit qu'avant de le changer la preuve devrait être faite. Vous dites: Ça amène des délais. Ça en amène encore moins, en tout cas. Et, dans les autres divisions du TRAQ, il n'y en a pas, de paritarisme; les délais sont deux fois puis trois fois plus longs. Ça fait qu'on ne nous parle pas des délais là-dessus.

Et, pour terminer là-dessus, ce que je voudrais vous dire, moi, c'est: Optionnel, je suis convaincu que... Ça paraît bien, dire aux travailleurs ou aux travailleuses: Bien, tu veux-tu... ou à l'employeur, être présent... Bon. Ça ne donnera pas grand-chose et, d'après moi, ça va être compliqué à administrer. On va créer un monstre bureaucratique, on va créer encore beaucoup plus de problèmes qu'on en crée à l'heure actuelle. Et je pense que la formule qui est là, on le répète, on l'a dit: Sept provinces sur 12 qui ont la même chose. Au Québec, ça fait longtemps qu'on a cette formule-là et on ne voit pas pourquoi on le rendrait optionnel.

M. Bellemare: Vous nous parliez d'unanimité, M. Massé, tantôt. Mais je vous répète que vous êtes le 21e groupe puis qu'il y en a 20 à date qui se sont présentés ici et il y en a 18 qui ont émis des opinions qui étaient défavorables au paritarisme. Je ne vous parle pas d'unanimité d'un côté ou de l'autre. Je vous dis simplement que vous êtes les premiers à venir défendre le paritarisme, c'est tout.

n(18 heures)n

Quant à l'option, les deux parties sont d'accord pour qu'il n'y en ait pas, de paritarisme. Employeurs et travailleurs dans un cas précis, êtes-vous favorables à ce qu'ils puissent agir devant un juge seul où il n'y a pas de paritarisme ou si vous voulez qu'on leur impose le paritarisme malgré qu'ils ne le veulent pas?

M. Massé (Henri): Moi, je suis convaincu qu'il n'y a personne... Si vous ne placez pas cette option-là, il n'y a pas personne qui va réclamer. Moi, en tout cas, à date, au Québec, là, je ne connais pas de travailleur qui réclame de ne pas passer devant un tribunal paritaire, je n'en connais pas. On a la même chose au niveau de l'assurance chômage. Ça se fait devant un petit tribunal paritaire comme ça. Il n'y a personne qui réclame de ne pas entendre.

Quand vous posez la question comme ça, moi, je trouve que c'est une fausse question, c'est un faux débat, puis c'est d'essayer de nous dire: Bien, vous privez le monde du fait de. Il me semble, moi, qu'on ne fait pas de la justice administrative à la carte. Toi, tu veux-tu ça paritaire? Toi, tu veux-tu pas ça paritaire? Toi, tu veux-tu ça autrement? Ce n'est pas de même que ça marche dans une société civilisée. Ça prend un système qui est bien organisé, puis je pense que ce système-là l'est et qu'il n'y a personne qui s'en plaint comme tel. Et, encore une fois, on est convaincu que, si on mettait cette option-là là ? n'en voulez-vous, n'en voulez pas ? beaucoup de travailleurs qui sont non syndiqués, par exemple, non organisés ne sauraient peut-être pas ce que ça veut dire exactement. Puis, deuxièmement, comment on va administrer ça? Moi, je pense que ça ne se tient pas, je pense que ça ne suit pas la route, je pense que ce n'est pas administrable puis je pense que c'est un faux débat, complètement un faux débat puis un débat inutile.

M. Bellemare: M. Massé, je vous signalerais simplement, et avant de passer la parole à mon collègue, que la FTQ agit beaucoup en matière de construction. Vous prêchez le paritarisme, vous alléguez qu'il s'agit là d'un système où les employeurs et les travailleurs agissent en concertation. Les deux plus importantes fédérations d'employeurs en matière de construction, l'APCHQ et l'ACQ, sont venues nous dire ? ils regroupent 22 000 employeurs au Québec ? qu'ils sont contre le paritarisme. Alors, ce sont des partenaires de la FTQ, qui agit beaucoup en matière de construction, mais je tenais à vous le signaler, que les employeurs qui agissent dans ces secteurs-là sont contre.

M. Massé (Henri): ...d'autres organisations patronales qui vont venir vous dire le contraire.

M. Goyette (Richard): Pour l'industrie de la construction... Richard Goyette. Vous savez, dans l'industrie de la construction, les associations patronales seraient mal aisées de venir nous faire la leçon sur le paritarisme, puisque la Loi sur la santé et sécurité, toutes les dispositions de nature paritaire n'existent pas, ne sont toujours pas promulguées après 25 ans, et ils s'obstinent à ne pas vouloir les faire promulguer. Donc, il n'y a pas de culture de paritarisme dans l'industrie de la construction, si on me permet, surtout en matière de santé et sécurité. Et, si on parle du bilan de santé et sécurité dans l'industrie de la construction, avec 4 % de la main d'oeuvre, on a 14 % des décès de façon récurrente. Or, ce serait difficile d'adopter la position des associations patronales sur leur perception du paritarisme dans l'industrie de la construction, avec beaucoup de déférence pour l'opinion contraire.

Le Président (M. Simard): Merci. M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Non, c'est le député de Groulx.

Le Président (M. Simard): Ah, pardon! Député de Groulx.

M. Descoteaux: Merci, M. le Président. Merci, M. Massé, de votre présentation et à vos collègues aussi. Je pense que ça donne un son de cloche différent. Je voudrais poursuivre toutefois un tant soit peu sur la question du paritarisme. Je conçois tout à fait votre position à l'effet que vous vouliez garder l'aspect décisionnel, au niveau des lésions professionnelles, dans le giron des relations de travail. Je crois que c'est une position qui se défend.

D'un autre côté, je pense aussi que peut-être l'appareil par excellence des relations de travail qui a surgi tout au cours des années, c'est l'arbitrage de grief. Et on a vu un déplacement au niveau de l'arbitrage de grief où, il y a un peu au-delà de 25 ans, on se retrouvait toujours avec un tribunal à trois. Ensuite, les tribunaux sont devenus des tribunaux uniques parce que justement on considérait qu'il y avait des coûts qui étaient peut-être élevés et il y avait aussi une lourdeur, et cette lourdeur on l'a entendue ce matin. Au niveau des différends aussi en matière de relations de travail, on est passé de tribunaux à trois souvent pour se retrouver avec des tribunaux uniques.

Est-ce qu'il n'y a pas un parallèle à faire, M. Massé, à ce niveau-là et de dire que, dans certains cas ? et je rejoins ce que M. le ministre disait ? au niveau du fait de laisser aux parties le choix de décider ou l'option de décider... est-ce que les parties n'ont pas vu au cours des années un avantage à procéder devant un tribunal unique et, à ce moment-là, que le même système pourrait s'appliquer tout aussi bien en matière de lésions professionnelles?

M. Massé (Henri): Mais vous savez c'est quoi, la grosse différence, hein? Puis il y en a une très grosse. Puis j'avais eu la chance d'échanger avec le ministre, d'ailleurs, qui m'avait fait un parallèle à un moment donné avec la Commission des relations de travail, il y en a une très grosse. Et, comme vous êtes dans un grief, vous êtes dans une convention collective, un système qui est bien organisé, des parties qui sont face à face depuis des années, et là vous avez le syndicat sur un bord, bien outillé, puis l'employeur de l'autre bord. Même s'il s'agit d'un cas qu'on peut traiter de cas individuel, vous êtes face à un système de relations du travail bien établi, patronal-syndical.

Même chose au niveau de la Commission des relations du travail. La Commission des relations du travail, ce n'est pas un individu qui se pointe là pour aller ? règle générale, là ? défendre sa cause. C'est le syndicat qui se pointe là comme organisation pour aller défendre la cause de quelqu'un, mais structuré, puis organisé, puis tout ça. Ça fait que ce n'est pas tout à fait la même chose.

Là, on est devant la CSST. Tous les travailleurs et les travailleuses ne sont pas organisés, tu sais, il n'y a pas... ce n'est pas le même modèle, là. Ce n'est pas une partie face à l'autre puis... Ça fait que c'est une justice administrative où l'individu souvent est tout seul. Moi, je crois à ça, le paritarisme à ce niveau-là, puis j'y crois depuis des années. J'étais en Abitibi, je siégeais sur le comité de... Je ne me rappelle pas comment qu'on l'appelait, mais c'était l'assurance chômage arbitrale, assurance chômage... Souvent, j'ai vu des travailleurs puis des travailleuses ou du monde même pas syndiqué se présenter devant moi mal préparé, être en train de se faire embarquer comme représentant des travailleurs. À un moment donné, on est capable de leur donner un coup de main, de les défendre. La même chose se produit au niveau de la CSST... de la CLP. Ça fait que c'est une grosse, grosse différence.

C'est vrai qu'au niveau des relations de travail à un moment donné on a dit: Des tribunaux d'arbitrage à trois, il en existe encore, mais souvent on va prendre la formule d'arbitre unique. Mais c'est deux mondes, c'est deux mondes. C'est complètement différent. Un arbitrage, ça va durer une journée, deux jours, trois jours, les parties sont face à face avec leur batterie chacune de leur côté. Là on est dans un domaine de justice où c'est bien plus l'individu qui se présente. S'il est syndiqué, bien il est pas mal mieux outillé. Mais, s'il ne l'est pas, il l'est pas mal moins. Ça fait que c'est très différent.

Puis, encore une fois, moi, je dis: On a un système qui marche. J'entendais tantôt, là, bon: Est-ce qu'on pourrait mettre... Vous avez posé la question, qui venait du côté de l'opposition: Est-ce qu'on pourrait mettre cet argent-là pour payer d'autre chose si on l'enlève du paritarisme? Quand on a bâti ce système-là sur le paritarisme, on le savait qu'il y avait des coûts à court terme, là, mais ces coûts-là, on les sauve à moyen terme puis à long terme, puis il y a moins, encore une fois, de contestations.

La CLP, la CLP a, je ne le sais pas, je ne peux pas le quantifier, mais je dirais beaucoup, mais beaucoup plus de crédibilité que la CALP. La CALP, là, à la FTQ... Puis on n'était pas tout seuls, beaucoup de groupes dénonçaient la CALP à peu près à chaque semaine, chaque mois. Il y avait des conférences de presse, on avait des résolutions, au congrès de la FTQ, pour dénoncer la CALP à l'emporte-pièce, puis le monde n'avait pas confiance dans l'espèce de justice qui se rendait là. La CLP, je ne dis pas que c'est tout le temps parfait, mais on n'a pas ce genre de phénomène là. Ça fait qu'il ne faut pas juste qu'il y ait une justice, il faut qu'il y ait apparence de justice puis il faut que le monde y croie. Puis, encore une fois, je pense qu'on est dans un système qui a fait ses preuves. Il n'est pas parfait, il n'y a rien de parfait sur terre, mais qui a fait ses preuves. Ça fait qu'avant de le défaire on est mieux d'y voir comme il faut.

M. Descoteaux: Merci.

Le Président (M. Simard): Le temps est terminé de ce côté... de mon côté droit. Alors, j'invite maintenant le député de Chicoutimi à poser la question suivante.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, M. Massé, je vous remercie de votre présentation dans la défense du paritarisme. Effectivement, c'est quand même assez clair quant aux arguments. J'avais cette question, mais je pense qu'après 20 minutes d'écoute j'ai bien saisi l'ensemble des arguments que vous représentez. Alors, je vais aller sur d'autres questions.

n(18 h 10)n

D'abord, un petit éclaircissement sur le financement, la prétention que vous disiez que ça venait de l'opposition à l'effet qu'on pourrait se servir, là, de l'argent récupéré de la CLP et de la transférer de l'autre côté. Ça ne vient pas d'ici, et je ne pense pas que ça vienne de l'autre côté non plus. Je vous dis ça en passant, là. C'est rare que je me fais le défenseur du gouvernement aussi et de ma défense personnelle, mais la proposition n'est pas venue d'ici. Du moins, je ne l'ai pas entendue. Au contraire...

M. Massé (Henri): C'est mon imagination. C'est correct, ça m'arrive.

M. Bédard: Vous savez, on entend plein de choses, les murs parlent ici, hein? Ils ont tellement d'âge qu'on finit par... Et effectivement de s'assurer que les bénéfices... Étant donné que la CLP est financée en grande partie avec l'argent des employeurs et des employés, c'est normal que tout bénéfice, dans la grande majorité, évidemment, va bénéficier à ceux qui cotisent si c'est le cas.

Sur des choses plus précises, vous aviez un questionnement... D'abord, des constats qui sont les mêmes que plusieurs autres sur les délais, mais le ministre a assez éclairci sa position depuis quelques jours, ce qui fait en sorte que nous avons... On semblait effectivement, dans le projet de loi, malgré les bonnes intentions, ajouter des délais. Vous avez vu, là, la nouvelle direction qui va être donnée au projet de loi avec les modifications va permettre, je pense, peut-être de mieux encadrer ce qui finalement allongeait, là, dans le projet de loi actuel.

La publicité des décisions aussi, qui... Je pense que c'est un point qui a été soulevé à plusieurs reprises par ceux qui plaident souvent et qui crée un déséquilibre... par ceux et celles qui utilisent le tribunal moins souvent que les instances administratives. Donc, oui, c'est important d'assurer la publicité des décisions pour permettre une meilleure défense de ceux et celles qui se trouvent devant, particulièrement les citoyens, évidemment.

La question des tarifs aussi. C'est des questions plus précises, mais qui touchent l'accessibilité du tribunal. Alors, ça a été soulevé par d'autres. Je pense que c'est clair, toute question relative à l'augmentation des tarifs remet même en cause, je pense, le principe de la justice administrative, l'accessibilité de cette justice. Donc, ça a été repris.

Sur le représentant, l'article 103, vous avez des craintes que nous avons, celui de donner le pouvoir au tribunal de déterminer ex cathedra, là, qui a finalement les compétences et qui ne les a pas. Et je ne vous dis pas ça, là, pour caricaturer le... celui qui est devant le... qui prend la décision, mais il est assez surprenant de créer une présomption irréfragable de compétence pour ceux et celles qui appartiennent à un ordre, et les autres qui n'appartiennent pas, qui ne sont pas avocats ou notaires pourraient se voir exclure par la décision du tribunal. Et c'est peu encadré, c'est comme un pouvoir discrétionnaire qu'on donne. La personne ? et là on ne le sait pas dans quel cadre ? après trois jours, décide que finalement le représentant n'est pas bon, puis tu retournes chez vous. Il y a bien des avocats qui seraient retournés chez eux, hein, devant les tribunaux même de droit commun, je pense bien.

Alors, c'est... Par contre, le but n'est pas non plus... le but légitime, celui d'éviter plutôt ceux qui s'improvisent dans le domaine... Et ce n'est pas souvent, et je vous dirais même presque... Et ce n'est pas plus ceux des syndicats que les avocats, c'est plus ceux qui, tout d'un coup... et on l'a dit quelquefois, par exemple des avocats qui ont été rayés de leur profession mais qui décident de se refaire une carrière dans le domaine de la CLP, là, des représentations des travailleurs non syndiqués. Il y en a des bons, j'imagine ? et là je ne veux pas non plus, encore là, faire une règle générale ? mais il y en a effectivement des moins bons et même qui font en sorte que les droits des travailleurs sont mal représentés.

Alors là on se dit ? et tout en n'obligeant pas évidemment que ce soit simplement des avocats qui soient devant le tribunal ? comment on peut assurer cette compétence? Comment on peut faire en sorte que, particulièrement dans le domaine des travailleurs non syndiqués ? et, si vous savez, il y en a une bonne partie et devant même les autres instances du tribunal, du TAQ ? comment on peut s'assurer que les gens ont droit à une bonne représentation? Et là une des propositions qui nous est venue de certains membres, c'est celle de voir, par exemple, que soit membre d'un ordre professionnel soit aussi des gens qui sont assurés, qui ont une couverture d'assurance en cas de mauvaise représentation, là... Et là je me pose la question, vous, ceux et celles qui plaident devant le tribunal qui ne sont pas avocats et qui sont délégués syndicaux, est-ce qu'ils ont des couverture d'assurance? C'est précis, hein?

M. Cadieux (Serge): De façon générale, ceux qui représentent un employé soit devant la Commission des lésions professionnelles ou tout autre tribunal administratif par le biais d'un syndicat, le syndicat a un devoir de juste représentation, et il y a plusieurs décisions des tribunaux judiciaires qui sont venues dire que ça inclut aussi de représenter des travailleurs devant la CLP. Or, donc, vous savez, le travailleur qui n'est pas bien représenté, on n'est pas à l'abri de poursuites.

M. Bédard: ...avocats d'ailleurs aussi, même affaire.

M. Cadieux (Serge): Exactement, comme les avocats. Donc, le problème ne se trouve pas au niveau des associations syndicales. Vous savez...

M. Bédard: Aucunement?

M. Cadieux (Serge): Non. On représente... il y a des représentants syndicats qui représentent des travailleurs en arbitrage de grief, comme des avocats, et ce n'est pas parce que c'est un représentant syndical ou un avocat qu'on n'est pas passible de poursuite parce qu'on a failli à notre devoir de représentation.

M. Bédard: O.K. Mais comme critère... Autrement dit, cette volonté de vouloir exclure ceux qui s'improvisent, si le critère était celui de la couverture d'assurance, est-ce que ça aurait pour effet, vous autres, de... Parce que le but n'est pas... En tout cas, moi, ce que j'ai compris... Le ministre pourra défendre son article, mais ce que j'ai compris au cours des échanges, c'est que ce n'est pas ça, le but, ce n'est surtout pas... Et les gens ont même dit: Au contraire... Je peux vous dire même, dans ce domaine-là, les délégués syndicaux sont souvent beaucoup meilleurs que ceux qui... Un avocat qui arrive du jour au lendemain puis qui décide de plaider là-dedans, là, ça ne donne pas des très bons résultats.

M. Massé (Henri): Le problème, moi, je pense qu'il y a quelques charlatans à l'heure actuelle. Puis on les connaît.

M. Bédard: Qu'est-ce qu'on fait?

M. Massé (Henri): On les connaît...

M. Bédard: Qu'est-ce qu'on fait avec ça?

M. Massé (Henri): ...et une bonne gang là-dedans sont avocats.

M. Bédard: En plus?

M. Massé (Henri): Oui, oui, une bonne gang là-dedans sont avocats. Il y en a quelques-uns qui ne sont pas avocats, mais une bonne gang là-dedans sont avocats, on les connaît tous. Bon. Et là, moi, je ne dis pas que ce n'est pas quelque chose qui ne peut pas se... essayer de trouver une solution, mais pas le genre de solution qu'on a là. Et là, après ça, où est-ce qu'on trouve, là, qu'on est en train de judiciariser, puis tout ça? Là, si on exclut quelqu'un, après ça il va falloir lui donner la permission d'en appeler. Où on en appelle, devant la Cour supérieure, la Cour suprême? Où on arrête, là?

Ça fait que, moi, en tout cas, là-dessus, il faudrait que le ministre refasse ses classes puis nous revienne avec quelque chose de très simple. Puis, tu sais, je veux dire, nous autres, à la FTQ, notre monde qui sont là, là, je ne dis pas que tout le monde est parfait, mais je pense que le monde, en général, font un bon travail. Puis, quand le monde, on pense qu'ils n'ont peut-être pas fait un bon travail, les syndicats s'organisent puis ils font leur travail.

Puis, encore une fois, M. Cadieux vient de le dire, on pourrait être poursuivi. Puis il y a même la Commission des relations de travail qui a un nouvel article, qui dépasse les cas de congédiement, qui n'a pas été encore testé, mais la volonté de la Commission des relations de travail, c'est que, quand on est syndiqué... Puis habituellement on représente notre monde au niveau de la CSST puis au niveau de la CLP, on pourrait être poursuivi. Ça fait que les mécanismes sont là, là. Ça fait que, si on met quelque chose, il ne faudrait pas mettre quelque chose qui vienne nous enfarger puis qui complique les affaires, mais surtout permettre... Parce que, si on laisse ça de même, là, un commissaire qui n'aimera pas le représentant chez nous, puis il y en a, tu sais...

M. Bédard: Je suis d'accord, moi. Mais allons plus loin. Est-ce qu'on peut... Et là je veux aider le ministre un peu dans sa recherche, dans sa quête pour enlever les charlatans ? finalement, là, c'est ça, le but, là ? si on crée la même présomption pour le représentant du travailleur membre d'une association et, pour le reste, on crée... même si ce n'est pas cette procédure-là, mais on essaie de trouver un processus qui va empêcher justement ceux qui sont vraiment, là, je vous dirais, là... qui représentent mal, les charlatans comme vous dites, là, est-ce que ce serait de nature à plus vous satisfaire?

M. Massé (Henri): On est d'accord avec l'esprit, il s'agit de trouver la...

M. Bédard: Nommément... Si on disait nommément, et ça exclut les délégués syndicaux représentant les travailleurs.

M. Néron (Jean-Pierre): Oui, oui, bien, c'est ça. Bien, je pense qu'on regardera le langage à ce moment-là et... Parce que, tout à l'heure, on a dit, hein, depuis le 1er janvier 2004, la Commission des relations du travail a le pouvoir maintenant d'accepter toute plainte venant des salariés si les syndicats ont été négligents dans la représentation. Alors là il y a une ouverture importante, et la Commission des relations de travail a beaucoup de pouvoir.

M. Bédard: O.K. Autre point. Sur la conciliation, vous semblez émettre des réserves, là. Là, je lis votre titre: «La conciliation, oui! La conscription, non!» Pourriez-vous bien expliciter, là, les motifs qui vous amènent à avoir beaucoup de réserves sur les nouvelles dispositions concernant la conciliation?

M. Massé (Henri): Bon. C'est assez simple. À la FTQ, nous autres, on a toujours été contre la conciliation obligatoire parce que, quand on met une conciliation obligatoire, ça devient des fois un simple processus par lequel on est obligé de passer, puis on n'y croit pas, puis on perd du temps. Nous, on va perdre du temps pour aller représenter le monde, l'employeur va perdre son temps parce qu'il y a une des deux parties qui ne veut rien savoir de régler là. Conciliation, là, ça s'appelle conciliation. Ça a des chances de réussir quand les deux parties veulent se donner une chance, puis la CSST qui est le troisième, parce que, dans l'ancien système, le tripartisme... Ça fait qu'on en a eu en masse, là, des essais de conciliation obligatoire dans bien des domaines, puis ça n'a jamais rien donné. Ça fait qu'on pense qu'il faut que ça reste volontaire, c'est là qu'on a le plus de chances de régler nos affaires.

n(18 h 20)n

Le Président (M. Simard): M. le député de Mercier.

M. Turp: Dans votre mémoire, à la page 7, vous parlez de l'Organisation internationale du travail. Ce serait intéressant de vous rappeler le tripartisme à l'Organisation internationale du travail qui est une forme de paritarisme à trois, gouvernement, employeur, syndicat. Et ma question, c'est: Est-ce que, lorsqu'il s'agit de recours de type judiciaire ou quasi judiciaire... est-ce que vous considérez qu'à l'Organisation internationale du travail le tripartisme continue à s'appliquer ou est-ce qu'à l'Organisation internationale du travail l'esprit même de la lettre de ce que seraient les obligations internationales même du Québec, là, est d'assurer le paritarisme dans des organismes de nature judiciaire, ou quasi judiciaire, ou administratifs?

M. Massé (Henri): On ne l'a pas amené dans ce sens-là, on l'a amené plutôt dans le sens... Le paritarisme en soi, on part du Bureau international du travail, il existe, ça existe, c'est des vieilles façons de travailler, et on dit: Bon, c'est aussi simple aujourd'hui. Et on n'a pas l'intention de dire que «prône le paritarisme dans les tribunaux administratifs», ce n'est pas... Le Bureau international du travail ne se préoccupe pas de ces questions-là.

Le Président (M. Simard): D'autres questions? Vous aviez une courte question, M. le député de Marguerite-D'Youville.

Document déposé

M. Moreau: Oui. Merci, M. le Président. Avec le consentement des membres de la commission, je déposerais un tableau et j'aurais une question. On pourrait l'acheminer déjà aux représentants de... à nos témoins, et je pense qu'il y en a des copies pour tout le monde.

Alors, M. Massé, vous avez longuement parlé de l'intérêt, pour la FTQ, du paritarisme. Je ne reviens pas sur les commentaires qui ont été faits de part et d'autre sur cette question-là, mais j'essayais de voir de façon succincte. Vous avez un intérêt clair au maintien du paritarisme et vous l'exprimez, et j'ai cru comprendre que notamment vous l'exprimiez dans un contexte où vous y voyiez un avantage, notamment pour les travailleurs ou les employeurs, qu'ils soient syndiqués ou non syndiqués.

Je vous dépose ici un tableau qui est une compilation à partir des rapports annuels de la CALP et de la CLP. Alors, la CALP, où il n'y avait pas de paritarisme, entre 1986 et 1987; et la CLP, où il y avait du paritarisme, de 1997, donc, à maintenant. Et, lorsqu'on regarde le taux moyen de succès, pour les employeurs, sous le régime non paritaire de la CALP, on avait un taux de succès de 38,4 % et, pour les travailleurs, de 42,1 %. Pour la CLP, pour la période de la CLP, on voit que le taux est de 43,6 % pour les employeurs et 34,2 % pour les travailleurs au niveau des taux moyens de succès. Il me semble qu'on peut comprendre de ces chiffres-là qu'il n'y a pas eu, de la part du paritarisme, un effet positif sur le taux de succès pour les travailleurs, qu'ils soient syndiqués ou non syndiqués.

Le Président (M. Simard): Une courte réponse, puisque le temps est déjà terminé.

M. Goyette (Richard): Si vous permettez, dans ce tableau-là, si on compare deux tribunaux, il faut les comparer de la même façon. Et il faut se souvenir que, lors de la création de la CLP, on a instruit ou on a introduit un bassin de commissaires qui nous venaient de la CSST, qui étaient automatiquement les présidents. Et, pour ceux qui ont ? et sans faire le procès ? bien connu les débats CLP... ou CALP, plutôt, et Bureau de révision paritaire, et notamment plusieurs décisions depuis ce temps-là qui ont changé de cap entre la CALP et la CLP... Je pense entre autres aux décisions sur les contrats à durée indéterminée, je pense entre autres à certaines décisions en matière de rémunération qui deviennent, respectueusement soumis, plus conservatrices, parce qu'il y avait toujours un conflit sur certaines décisions, on s'en souvient, entre la CLP et la CALP. Ça peut être une raison, mais on ne peut pas comparer la CLP et la CALP uniquement en raison des membres syndicaux, patronaux, il faut comparer deux tribunaux qui auraient conservé les mêmes commissaires. Et, si vous regardez la composition de la CALP à l'époque, il y avait un nombre réduit de commissaires, alors que, quand on a créé la CLP, on s'est retrouvé avec un nombre assez grand. Alors, de le comparer de cette façon-là, ce serait assez difficile.

Où on le compare du côté de la FTQ, c'est dans l'exercice quotidien, les interventions qui sont faites en rapport, par exemple, avec des gens qui se présentent seuls de manière à faire... bon, quand c'est le temps de faire sortir la preuve, ou les bonnes questions, ou l'éclairage nécessaire, etc. Mais, pour les raisons que je vous dis, qui sont purement institutionnelles et qui sont propres à ces deux tribunaux, il serait difficile de les comparer tant qu'aux résultats... Si c'était demeuré les même commissaires intégralement, ça aurait pu être plus éclairant. Mais, si on a bien connu la différence ? pour ceux qui ont l'expertise de plaider devant ce tribunal-là ? entre la CALP et la CLP, il y a des coups de barre qui ont été donnés assez notables.

Le Président (M. Simard): Dernière... peut-être dernier commentaire, M. Massé.

M. Massé (Henri): Oui, une petite précision qu'il faut ajouter aussi, c'est que la CALP, il y avait un service de conciliation, mais il s'est appliqué juste dans les dernières années, dans le bout de 1993, et un service de conciliation qui était embryonnaire. Et, à la CLP, service de conciliation qui est très développé, où on règle beaucoup de cas en conciliation, beaucoup de cas en conciliation, et là il y a moins... Et, quand les cas qui viennent ensuite à... Bon. Ce qu'on n'avait pas à la CALP, ça fait qu'il y a une grosse différence.

Mais je veux rajouter: Moi, ce n'est pas un exercice mathématique qu'on est en train de faire, la FTQ, ici. On n'est pas venu dire que, s'ils enlevaient le paritarisme... ou qu'avec le paritarisme on a gagné plus de causes. Même avec le paritarisme, ça arrive aux représentants syndicaux de ne pas mettre de dissidence parce qu'ils sont d'accord sur la position. C'est du monde qui ont une tête sur les épaules, qui sont capables de rendre des bons jugements. Puis je les en félicite d'ailleurs, c'est de même qu'on travaille. Ça fait qu'il ne faut pas faire un exercice mathématique, comme vous tentez de le faire là, là.

Le Président (M. Simard): Alors, sur ces commentaires, nous allons terminer nos travaux.

M. Massé (Henri): ...non, non, un mot de conclusion. Je voudrais dire au ministre: Nous, on n'est pas contre la réforme de la justice administrative en général. On est d'accord avec ça, mais on dit: La CLP, il est trop tôt pour faire ça, puis il est trop tôt pour l'intégrer, puis on va empirer les choses au niveau de la CLP plutôt que de les améliorer.

Le Président (M. Simard): Écoutez, moi, je veux bien... Évidemment, par consensus, on peut tout faire, là, mais il me semble qu'on a dépassé le temps de nos travaux très sensiblement. Il n'y a donc pas consentement pour prolonger de l'autre côté, alors...

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Pardon?

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Oui. Si le ministre... Mais ce n'est pas le ministre, hein, s'il s'agit du député de Trois-Rivières. Alors, moi, j'ai décisions contradictoires du côté gauche, là. Alors, j'en conclus qu'il n'y a pas consentement. Et je mets fin à nos travaux, et nous ajournons à jeudi matin, 9 h 30.

(Fin de la séance à 18 h 27)

 

 


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