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Version finale

37e législature, 1re session
(4 juin 2003 au 10 mars 2006)

Le jeudi 22 janvier 2004 - Vol. 38 N° 25

Consultations particulières sur le projet de loi n° 35 - Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures quarante-trois minutes)

Le Président (M. Simard): S'il vous plaît! Nous allons commencer nos travaux avec quelques minutes de retard. Je vous rappelle le mandat de la commission, qui est d'étudier, ou plutôt de procéder à des consultations particulières et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 35, Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements aujourd'hui?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. J'informe cette commission que M. Létourneau (Ungava) sera remplacé par M. Côté (Dubuc) et que Mme Papineau (Prévost) sera remplacée par M. Bédard (Chicoutimi).

Le Président (M. Simard): Merci. Pouvez-vous, M. le secrétaire, pour nous rafraîchir la mémoire, nous donner l'ordre du jour pour aujourd'hui?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. À partir de 9 h 30, nous entendrons la Fondation des accidentés de la route; à 10 h 30, Me Sylvain Gingras; à 11 h 30, Me Denys Beaulieu; à 14 heures, après la suspension de midi trente à 14 heures, nous entendrons Me Janick Perreault; à 15 heures, le Syndicat de la fonction publique du Québec; à 16 heures, le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec; et, à 17 heures, le Conseil de la justice administrative du Québec.

Auditions (suite)

Le Président (M. Simard): Très bien. Merci beaucoup. Alors, nous allons sans plus tarder, puisque nous avons quelques minutes de retard, demander à la Fondation des accidentés de la route de bien vouloir se joindre à nous. Est-ce qu'ils sont parmi nous?

Une voix: Oui.

Le Président (M. Simard): Je vois que vous avez des copies d'un mémoire. C'est ça? Alors, je vous envoie quelqu'un qui va nous distribuer tout ça. Voilà. Et je vais vous demander de tout de suite vous asseoir, vous identifier dans un premier temps.

Je vous rappelle les règles qui régissent nos travaux: vous avez une vingtaine de minutes pour nous présenter l'essentiel de votre mémoire, et nous aurons ensuite 40 minutes, partagées également des deux côtés de cette commission, pour poursuivre le dialogue avec vous. Alors, vous êtes?

M. Sicotte (Éric): Alors, mon nom est Éric Sicotte, de la Fondation des accidentés de la route, puis je suis accompagné de Justine Boulais Laurier, qui est stagiaire en droit à la fondation.

Le Président (M. Simard): Très bien. Merci beaucoup. Alors, nous vous écoutons.

Fondation des accidentés de la route (FAR)

M. Sicotte (Éric): Merci beaucoup. Alors, premièrement, chers membres de la commission, Mmes et MM. les députés, M. le ministre, M. le Président, bonjour. Merci énormément pour cette opportunité. Alors, la Fondation des accidentés de la route, tant au niveau communautaire, social que légal, a mis de l'avant des mécanismes visant à améliorer le sort des victimes d'accidents d'automobile. Alors, c'est dans cet esprit que la FAR est d'avis que le projet de loi n° 35 règle plusieurs problématiques. En effet, plusieurs pans de cette réforme de la justice administrative correspondent aux points de repère énumérés dans le pacte social, qui permettent aux pouvoirs publics de se situer par rapport à ces impératifs et de réorienter leurs pratiques qui s'en écartent.

Alors, de multiples associations et juristes ont formulé et formuleront leurs commentaires à l'égard de ce projet de loi. Mais, malheureusement, ce n'est que très peu de citoyens qui vont le faire alors que la justice administrative existe pour eux. Alors, la FAR est ainsi heureuse de pouvoir émettre les commentaires de plusieurs de ces citoyens qui, par le biais de leur adhésion à la FAR, ont exprimé et expriment régulièrement leurs commentaires. De leurs commentaires et suggestions sont nés une sorte de synthèse de certains problèmes actuels: alors, quant à la structure du tribunal, quant aux décideurs et quant aux recours.

Pour ce qui est de la structure du tribunal, les citoyens comprennent mal comment il se fait qu'il existe deux tribunaux qui coexistent. Il suffit de relater la confusion pour certains citoyens recevant une décision conjointe de la SAAQ et de la CSST et qu'ils désirent contester. Alors, le choix qui s'ouvre à eux est de déposer un recours à la CLP ou au TAQ. Alors, devant un tel choix, beaucoup de questionnement survient, à savoir: Où serais-je mieux servi? Devant quel tribunal? Devant quels coûts? Lequel des deux rembourse les expertises médicales? Lequel des deux ne le fait pas? Alors, on se retrouve un peu à faire un genre de magasinage de tribunal puis on doute fort que c'est pour ça que la justice administrative est en place.

Également, la fusion s'avère être un avantage certain pour assurer des services à l'ensemble des citoyens du Québec, et ce, sur l'ensemble du territoire. Maintenant, qu'il suffise de relater les opinions des citoyens qui se retrouvent dans une salle d'hôtel à Saint-Jérôme ou dans une ville quelconque pour faire valoir leurs droits qui affectent leur vie entière ou qui se retrouvent à des endroits où il leur est impossible de rencontrer leurs procureurs dans une salle fermée assurant la confidentialité. Alors, d'autant plus, leur procureur peut difficilement rencontrer leurs témoins ordinaires et experts avant l'audition, faute d'endroits disponibles.

Pour ce qui est des décideurs, eh bien, les citoyens ont devant tout tribunal le droit fondamental d'être entendus par des décideurs indépendants et impartiaux. Également, compte tenu qu'il s'agit de justice, les règles de droit s'appliquant se doivent de l'être par des décideurs maîtres de ces règles ainsi que des règles de preuve, les juristes et seulement les juristes.

Pour les recours, un des principes à la base de la justice administrative est la célérité. Ainsi, toute mesure visant à assurer une qualité rapide et efficace se doit d'être mise en place. Compte tenu également du peu de succès de certains mécanismes de révision, il est clair que plusieurs instances en révision doivent être abolies. Également, en ayant à l'esprit la simplicité, un autre fondement à la justice administrative, le citoyen ne doit pas être confronté à des démarches inutiles et nuisibles, et, dans cette optique, il ne saurait être question de présumer qu'un citoyen se désiste de son recours simplement parce qu'il ne s'est pas manifesté plus qu'une fois.

Alors, afin d'assurer une justice qui est rapide et efficace, tout processus de médiation et de conciliation doit être favorisé, et, pour ce faire, cette volonté ne doit pas être laissée à la discrétion de l'administration. Et puis, toujours dans le but d'accélérer la justice administrative, les décisions du TRAQ devraient être exécutables afin de ne pas imposer le dépôt de la décision au greffe de la Cour supérieure par la suite. Alors, dans un souci de justice plus égale entre l'administration et l'administré, il importe que les décisions du tribunal soient non seulement accessibles, mais également repérables.

Mme Boulais Laurier (Justine): Maintenant, nous allons vous faire une brève présentation de la Fondation des accidentés de la route. Alors, communément appelée la FAR, la fondation oeuvre depuis 10 ans et est vouée à la défense des intérêts de toutes les victimes de la route. Elle a été constituée en 1992 par Mme Denise Gauthier, qui est elle-même accidentée de la route, et cette fondation fait preuve de leadership en agissant autant auprès des victimes que des organismes oeuvrant auprès de celles-ci. Elle est une référence pour des milliers de victimes d'accidents d'automobile qui ont fait et font appel à ses services et elle accueille parmi ses membres plus d'un millier de victimes d'accidents d'automobile. Alors, pour plus de détails, nous vous référons à la page 7 de notre mémoire.

n (9 h 50) n

Et la FAR effectue maintes interventions. Elle intervient notamment auprès des agents d'indemnisation, des intervenants médicaux, également auprès du ministre des Transports, qui est chargé de l'application de la Loi sur l'assurance automobile. La FAR intervient également auprès du ministre de la Justice, du Protecteur du citoyen et des membres de l'Assemblée nationale. Et d'ailleurs la fondation n'hésite jamais à exprimer publiquement la position de la majorité de ses membres face, entre autres, à l'indemnisation des victimes de la route.

Alors, maintenant, quant au projet de loi n° 35, le sujet du présent mémoire est le projet de loi n° 35 qui a été présenté à l'automne 2003 à l'Assemblée nationale, modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives. Alors, face à ce projet, la fondation souhaite exprimer ses commentaires et préoccupations sur quelques aspects. En effet, le Parti libéral du Québec s'était engagé, en mars 2003, à réduire les délais et à assurer l'indépendance et l'impartialité des juges administratifs. Afin de réduire les délais pour disposer des contestations élevées par les citoyens et pour une justice qui ne tarde pas, le gouvernement, en juin 2003, s'était engagé à quelques points ? ici, on vous réfère à la page 10 du mémoire ? ainsi qu'à assurer l'indépendance et l'impartialité des juges administratifs. Le gouvernement s'était également engagé à quelques points.

Alors, en général, la fondation est ravie de prendre connaissance du projet de loi n° 35. Cependant, elle profite de l'occasion pour rappeler au gouvernement que cette réforme ne saurait être complète sans la mise en oeuvre de toutes les priorités d'action politique en justice administrative dans le domaine des régimes de soutien de revenus et d'indemnisation. Alors, entre autres, la FAR réfère les membres de la commission aux conclusions tirées du document de travail en mars 2003 où il a été établi principalement d'apporter des changements à l'assurance automobile afin de contrer les comportements criminels sur la route et de rendre pleinement justice aux victimes. Également, la FAR tient à rappeler au gouvernement que, dans le cas des criminels de la route, une réforme s'impose, en pensant à la réforme du «no fault», et qu'une justice serait ainsi complète. On espère que la réforme sur la justice administrative ne mettra pas fin à la réforme sur le «no fault».

M. Sicotte (Éric): Alors, maintenant, pour ce qui est des arguments de la FAR sur la fusion, la régionalisation, on a un mémoire qui est assez long, dont je vous invite à lire peut-être les détails, mais c'est peut-être un petit peu plus de détails que les détails qu'on a donnés auparavant dans l'introduction. Alors, pour ce qui est de la fusion, la régionalisation, on en met un petit peu plus, on met un petit peu plus de détails à ce sujet-là, pour ce qui est des décideurs et l'indépendance des membres également. Maintenant, peut-être que tu aimerais parler du paritarisme.

Mme Boulais Laurier (Justine): Oui. Alors, un point important. Alors, la FAR est également heureuse de constater la disparition du paritarisme. Toutefois, elle souhaite l'exclusion totale du paritarisme même dans les cas d'admissibilité. Trop souvent, elle a pu entendre des victimes se plaindre de l'intimidation causée par le nombre de personnes siégeant sur le banc de la Commission des lésions professionnelles. Le but ultime est d'avoir l'assurance d'être en présence d'un décideur totalement indépendant et impartial. Alors, l'influence certaine ou probable des membres des associations syndicales et patronales est incompatible avec ce droit fondamental à l'indépendance et l'impartialité.

De plus, j'aimerais souligner un autre point. Pour le citoyen, un membre du Tribunal administratif est un juge qui a le pouvoir de décider de ses droits d'administré envers l'administration. Alors, les décideurs devraient porter le titre de juges administratifs, accordant une crédibilité à la justice administrative.

M. Sicotte (Éric): Par la suite, en ce qui a trait à la formation des bancs, alors la FAR est d'avis que, compte tenu qu'il s'agit de justice, les règles de droit s'appliquant se doivent de l'être par les décideurs qui sont maîtres de ces règles ainsi que des règles de la preuve, par conséquent des juristes.

Le projet de loi prévoit la nomination d'experts par le gouvernement pour un mandat de cinq ans qui est renouvelable. Alors, ces experts seraient des médecins, des psychiatres, des travailleurs sociaux, des psychologues, des évaluateurs agréés. Alors, le président du tribunal pourra, selon le projet de loi, pour la bonne expédition des affaires du tribunal, nommer des experts. Alors, la FAR veut s'assurer que leur rôle sera limité à celui d'assesseurs et qu'en aucun temps ces experts ne pourraient usurper la fonction d'un juge. Dans la même optique, la FAR désire que soient changées certaines dispositions transitoires du projet de loi qui édictent que les membres du Tribunal administratif deviennent membres du TRAQ, incluant les membres non juristes. Également, la FAR est préoccupée du fait que certains membres actuels, non juristes, deviendront membres du TRAQ et pourront instruire et décider seuls d'un recours, à l'exclusion de tout juriste, bien entendu.

Alors, de plus, quant à ces experts, la FAR suggère que leur mandat soit non seulement limité à cinq ans, mais également qu'il soit non renouvelable. Et à cet égard on aimerait vous référer aux recommandations du président du Collège des médecins, Dr Yves Lamontagne, formulées le 14 janvier 2004 devant vous ici même. Alors, maintenant, je vais vous citer une partie qu'on trouve fort pertinente et je commence dès maintenant: «Mais une de mes conditions pour les nommer experts: il faudrait qu'ils soient encore impliqués en clinique au moins à demi-temps. Moi, des experts que je vois que ça fait 20 ans qu'ils n'ont pas mis les pieds dans un hôpital, là, j'avoue que j'ai de la misère à croire ça[...]. Moi, je vous dirai que je ferai tout en mon possible pour essayer de les garder dans les hôpitaux et dans les cliniques quand on en manque 2 000 [...] qui quitte la pratique, il va être déphasé après quatre ou cinq ans.» Et plus tard il ajoute: «Vous savez, pour avoir la notion du malade, il faut continuer à en voir puis ne jamais perdre cette idée-là que c'est un humain et qu'on a un humain devant nous autres. Puis, quand on voit l'humain à travers un dossier après quatre, cinq ans, je suis loin d'être sûr que l'on voit l'humain au bout du dossier.» Alors, ce passage fort pertinent, comme je disais, a été relaté devant vous il y a à peine une semaine et est tout à fait conforme à ce que la Fondation des accidentés de la route pense à ce sujet également.

Donc, à l'appui de ces demandes qui visent les experts, la FAR reprend l'essentiel de ses arguments et en ajoute également. Alors, plus spécifiquement, la présence de membres médicaux impose un fardeau de preuve qui est trop élevé, ce qu'on a discuté durant le projet de loi n° 4, et entraîne l'introduction de preuves extrinsèques.

Mme Boulais Laurier (Justine): Justement, à ce sujet, la présence des membres médicals... médicaux, pardon, pourrait encourager l'utilisation de preuves extrinsèques. Alors, lorsqu'un membre expert se réfère à ses connaissances, à ce qui est médicalement reconnu, le tribunal contrevient à son obligation de rendre une décision fondée sur la preuve. En effet, lorsqu'un membre expert se fonde sur ses connaissances alors qu'aucune preuve n'appuie ses connaissances, la décision est alors fondée sur des affirmations non prouvées. Alors, on vous réfère à la page 20 de notre mémoire pour avoir plus de détails.

Même si le citoyen n'est pas représenté, le médecin membre ne peut pas suppléer à une carence de la preuve. Alors, il est inutile, pour qu'il y ait... il est inutile pour nous qu'il y ait un membre expert, pardon.

M. Sicotte (Éric): Maintenant, nous enchaînerons avec un thème de la plus haute importance pour les victimes. Vous comprendrez qu'on va parler pendant un bon moment des délais, des délais qui s'imposent. Les délais sont, je croirais, un des éléments que les victimes redoutent le plus, un des éléments que la FAR, depuis 10 ans, se bat avec le plus, et c'est très fondamental pour nous. Alors, la FAR est d'avis que, si les recours sont instruits et décidés par un seul membre, il s'ensuivra une amélioration des délais. Mais il faut souligner que le problème des délais ne se situe pas seulement au niveau du TAQ. Ainsi, ce projet de loi ne réglera pas toutes les problématiques des délais, et c'est là où on veut en venir. Encore faut-il régler les problèmes en amont.

Alors, le TAQ acquiert sa compétence seulement à partir du moment où une instance inférieure rend une décision et qu'un justiciable la conteste. Il en sera de même pour le TRAQ. Or, les victimes d'accidents d'automobile qui attendent des mois et des mois, voire des années, avant d'obtenir des décisions de la part de la SAAQ, alors c'est la situation devant laquelle ils sont. Alors, dans un objectif d'amélioration des délais relatifs à l'accessibilité de la justice, il faut abolir les instances de révision, de un, dans plusieurs organismes, là, dont celui de la SAAQ, et il faut de plus imposer un délai à ces organismes pour qu'ils rendent une décision à la suite d'une réclamation. Alors, présentement, les délais se situent, peu importe... entre une semaine et cinq ans. Ça, c'est à la suite d'une réclamation simple.

Alors, pour illustrer ces problématiques, qu'il suffise de penser, par exemple, aussi au père de famille qui, suite à un accident d'automobile, dépose une demande d'indemnisation à la SAAQ. Alors, privé de revenus, il se retrouve dépourvu jusqu'à ce que la SAAQ décide de rendre sa décision. Alors, la FAR suggère qu'à défaut, par l'administration, de respecter ce délai, qui devrait être prévu dans la future loi, l'administration serait réputée avoir rendu une décision défavorable à l'administré pour ainsi pouvoir permettre à cette victime d'avancer dans ses démarches juridiques sans attendre des délais variant, là, d'une semaine à cinq ans. Encore là, si c'est une semaine, c'est génial. Mais, habituellement, ce n'est pas de ce délai-là dont on parle.

n (10 heures) n

Mme Boulais Laurier (Justine): Alors, maintenant, quant à l'instance de révision, la fondation a à maintes reprises demandé son abolition. Un des principes de base de la justice administrative est la rapidité. Alors, toute mesure visant à assurer une justice rapide et efficace se doit d'être mise en place. Il est clair que plusieurs instances de révision doivent être abolies. Alors, pour des détails de procédure, nous vous référons à la page 23 de notre mémoire.

M. Sicotte (Éric): Maintenant, pour ce qui est de la présomption de désistement, je crois que c'est quelque chose que je n'ai pas lu régulièrement dans les mémoires précédents, et c'est une question qui est excessivement importante pour la Fondation des accidentés de la route. Alors, en ayant également à l'esprit la simplicité, un autre fondement de la justice administrative, le citoyen ne doit pas être confronté à des démarches inutiles et nuisibles, ce qu'on a mentionné dans notre introduction. Et, dans cette optique, il ne saurait être question de présumer qu'un citoyen qui se désiste de son... un citoyen se désiste de son recours simplement parce qu'il ne s'est pas manifesté plus d'une fois. C'est ce que le projet de loi prévoit. On ne peut imposer au requérant de se manifester de nouveau. Par conséquent, il y a plusieurs articles, en fait, en ce qui a trait aux victimes, qui sont touchés par ça: il y a 85, 92, 116, 124, 161, 175, 187. Il y en a plusieurs autres également, mais ça, c'est pour ce qui concerne les victimes dans divers domaines.

Mme Boulais Laurier (Justine): Et, quant à la conciliation, afin d'assurer une justice rapide et efficace, tout processus de médiation et de conciliation doit être favorisé, et alors cette volonté ne doit pas être laissée à la discrétion des administrations.

Un autre point important, c'est l'exécution de la décision. Bien que les décisions du TAQ soient exécutoires, toujours dans un but de célérité et de simplicité, la FAR suggère d'introduire une disposition prévoyant que les décisions de la section des affaires sociales et de la section des lésions professionnelles soient d'exécution forcée sans en imposer le dépôt au greffe de la Cour supérieure.

M. Sicotte (Éric): Maintenant, pour ce qui est du remboursement des dépenses, afin d'assurer l'harmonisation des régimes d'aide et d'indemnisation, la FAR suggère d'introduire une disposition stipulant ce qui suit: «Lorsque, à la suite d'une révision ou d'un recours formé devant le Tribunal des recours administratifs du Québec, une décision est modifiée en faveur d'une personne qui a soumis une expertise médicale écrite, celle-ci a droit au remboursement du coût de cette expertise, jusqu'à concurrence des sommes fixées par règlement» ? ou par les règles de procédure ? ce qui étendrait le traitement accordé aux accidentés de l'automobile à tous les administrés. Alors, on en parlait au début, mais c'est différent d'une place à l'autre. Ça nous permet, lorsqu'on est une victime CSST-SAAQ ou CLP-SAAQ, de pouvoir magasiner notre tribunal, et c'est ce qu'on veut éviter en harmonisant les régimes.

Alors, la FAR suggère au gouvernement de réfléchir à l'adoption d'une disposition relative au remboursement partiel ou total des honoraires des procureurs encourus par les administrés également, puis une telle disposition, dans ce cas-ci, pourrait se lire comme suit: «Lorsque, à la suite d'une révision ou d'un recours formé devant le Tribunal des recours administratifs du Québec, une décision est modifiée en faveur d'une personne qui était représentée, celle-ci a droit au remboursement d'une partie des honoraires judiciaires, jusqu'à concurrence des sommes fixées par règlement.» Ça, pour nous, c'est le gros bon sens de dire que la personne qui est victime d'une décision qui était erronée dès le départ et qui a dû se battre à coups de frais d'avocat devrait se faire rembourser. C'est le gros bon sens.

Mme Boulais Laurier (Justine): Un autre point important que la fondation veut cibler, c'est l'accessibilité aux décisions. Alors, dans un souci de justice plus égale entre l'administration et l'administré, il importe que les décisions du tribunal soient non seulement accessibles, mais également repérables. Alors, la FAR réitère sa demande de modifier les articles 89 et 90 de la Loi sur la justice administrative pour que les décisions soient nominalisées, à l'instar des décisions émanant de la CLP. Il est important de prendre connaissance ou d'assurer un suivi d'un dossier si les dossiers ne sont pas nominalisés.

M. Sicotte (Éric): Ça, j'en ai pour preuve le nombre de temps que ça nous a pris pour charger les quelques arrêts que vous avez en bas de page. On parle d'une couple d'heures pour à peine quatre ou cinq arrêts, pour pouvoir les citer proprement. Alors là on est quand même juristes. On peut un petit peu imaginer pour ce qui est d'une victime qui est supposée être capable, là, dans les règles, de se présenter seule devant le Tribunal administratif.

Puis maintenant, pour ce qui est des représentants, la représentation des victimes, en raison des histoires d'horreur qu'on a entendues par certains citoyens à cause de l'incompétence de leurs représentants, la FAR ne peut être qu'en accord avec l'article 39 du projet de loi qui prévoit, en ajoutant l'article 103.1 de la Loi sur la justice administrative, que «le tribunal peut exclure de l'instance le représentant d'une partie qui n'est pas avocat, s'il estime qu'il n'a pas la compétence requise ou n'exécute pas de façon responsable les devoirs de cette tâche».

Puis, afin d'améliorer la sous-représentation, la FAR suggère également qu'à l'intérieur de l'accusé de réception du TRAQ il y ait un avis clair indiquant au citoyen de prendre des arrangements dès la réception de cet avis afin de se constituer un procureur. On croit, à la Fondation des accidentés de la route, que la sous-représentation est définitivement causée par un manque d'information à la base.

Mme Boulais Laurier (Justine): Alors, maintenant, en conclusion...

Le Président (M. Simard): Oui, s'il vous plaît.

Mme Boulais Laurier (Justine): ...la FAR constate que bien des priorités du gouvernement sont considérées dans le projet de loi. Mais, néanmoins, il doit être modifié, et la FAR est d'avis qu'il ne saurait être adopté tel qu'il est libellé actuellement pour les motifs exposés dans le présent mémoire.

M. Sicotte (Éric): En terminant, la FAR a toujours vivement souhaité que le TAQ devienne pour les victimes d'accidents d'automobile et autres citoyens un véritable tribunal. Cet objectif, exprimé dans les mémoires antérieurs, est toujours au coeur des préoccupations de la FAR, et par conséquent elle espère que le TRAQ, le tribunal visé par le projet de loi n° 35, soit institué dans les plus brefs délais, après quelques modifications proposées dans le présent mémoire. Merci.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup. Alors, dans un premier temps, je vais inviter le ministre à faire part de ses premières réactions et de ses premières questions.

M. Bellemare: Alors, merci à la Fondation des accidentés de la route, Me Sicotte, Me Boulais Laurier, pour votre présentation de ce matin, une présentation dynamique et qui, je pense, rejoint tous les membres de la Commission des institutions, qui sont très heureux de vous accueillir ce matin. Je suis impressionné par la qualité du mémoire que vous avez présenté. Il est fouillé, il réfère à des jugements de cour, à des lois et des extraits même de mémoires qui ont été... ou même des extraits de présentations. Comme quand vous citez le président du Collège des médecins, le Dr Lamontagne, c'est que vous êtes au fait des débats qui ont eu lieu la semaine dernière, et c'est très important, pour les gens qui se présentent devant la commission, de savoir également ce qui a été dit avant pour pouvoir réagir et répondre à certaines affirmations qui auraient pu être faites par des groupes qui les ont précédés.

J'irai tout de suite à un extrait du mémoire qui m'apparaît fort pertinent, sur la question des délais. Vous soulevez, dans le haut de la page 23, la problématique des délais et vous nous dites qu'il faut prévoir des moyens pour s'assurer que l'administration les respecte. Vous avez raison, ça ne donne rien de mettre dans une loi des délais quand on n'a pas prévu la mécanique qui nous permet d'être certains que les délais vont être respectés. Et vous proposez une présomption, d'introduire une présomption en disant: L'administration serait réputée avoir rendu une décision défavorable à l'administré. Ce que vous voulez dire, si je vous comprends bien, c'est que, par exemple, le délai de 90 jours de révision...

M. Sicotte (Éric): Soit dit en passant, c'est une bonne idée.

M. Bellemare: O.K. Mais, si le délai n'est pas respecté, l'accidenté attend sa décision, ça fait 100 jours, la décision n'est toujours pas rendue, qu'est-ce qu'il fait? Il n'y a rien dans la loi de prévu là-dessus, dans le projet de loi. Je me permets de vous suggérer de vous référer à la procédure qui existe déjà en vertu de la loi sur l'accès à l'information, où la loi prévoit que, lorsqu'un citoyen demande des documents à une municipalité ou à une autorité gouvernementale en vertu de Loi sur l'accès et que le document n'est pas fourni, la loi prévoit une mécanique à l'effet que l'administration est réputée avoir refusé de communiquer l'information, ce qui permet au citoyen de s'adresser directement à la Commission d'accès en contestant l'absence de décision, qui équivaut à un refus. Alors, ça permet de saisir tout de suite l'autorité plus élevée, comme le Tribunal administratif dans notre cas, d'une absence de décision après 90 jours.

Si on introduisait une présomption semblable qui ferait en sorte qu'après 90 jours il y aurait une présomption de décision défavorable qui permettrait à l'accidenté d'aller plus loin, est-ce que ça vous apparaîtrait être une mécanique acceptable?

n (10 h 10) n

M. Sicotte (Éric): Bien, définitivement. C'est en plein... Je veux dire, c'est bien de le représenter avec l'exemple de la loi d'accès à l'information, qui est en effet un genre de processus dans ce sens-là, mais c'est exactement ce qu'on veut dire. C'est de donner une chance à un administré qui est organisé de pouvoir effectuer son recours de manière opportune, là, dans le temps qui lui convient, puis dans le temps légal surtout, parce que le délai, c'est un délai qui est requis par la loi qui n'est pas respecté. Alors, ce serait seulement un moyen pour l'administré de pouvoir se prévoir contre une activité qui n'est pas légale, en fait.

M. Bellemare: O.K. En ce qui concerne la régionalisation, on a entendu la semaine dernière plusieurs groupes, notamment l'Association des avocats de province, qui sont venus nous raconter des histoires qu'ils vivaient en région, où dans certains cas des juges manifestaient assez clairement leur intention de retourner rapidement à Montréal ou à Québec. Ça indisposait certaines parties. Vous, vous nous parlez des chambres d'hôtel. Expliquez-nous donc un peu plus la réalité dans les régions, à l'heure actuelle, en matière d'assurance auto, là.

M. Sicotte (Éric): Bien, présentement, écoutez, on parle... Je peux vous le caricaturer un peu, mais on parle de gens qui ont ? on va se le dire franchement ? des problèmes. J'ai plusieurs noms de victimes qui me viennent à la tête. Évidemment, je ne les nommerai pas, mais on parle de gens qui ont peut-être des problèmes d'impotence, des problèmes psychiques, des problèmes de rente à vie, des problèmes impliquant d'importantes sommes d'argent, des problèmes de santé. L'accès à ces hôtels-là, ce n'est pas dit que c'est fait pour les handicapés. Encore là, ce n'est pas...

Tous ces petits trucs là qui ont été... pris soin lorsqu'on crée un tribunal ne sont pas tenus compte dans une salle d'hôtel. Puis encore faut-il ajouter que le tribunal même est dans une salle d'hôtel. Bien, lorsqu'on rencontre les victimes, lorsque les procureurs se doivent de rencontrer les victimes, c'est dans les corridors que ça se fait. Alors, on est heureux qu'il n'y ait pas de mariage pendant la semaine, parce que je crois qu'on serait, en plein milieu d'une fête, en train d'essayer d'obtenir les informations confidentielles de la part de victimes. Pas seulement de la part des victimes, mais on peut penser au procureur qui essaie de communiquer avec un expert, et vice versa. Ce n'est pas des conditions qui sont souhaitables, qui sont normales. Pas au Québec, en 2004. Et puis c'est une solution qui pourrait être réglée de la fusion, du fait que la Commission des lésions professionnelles a dans chacune des régions administratives des bureaux, quoi, des installations.

M. Bellemare: Un élément ? ce sera le dernier que j'aborderai avec la fondation ? c'est la question du paritarisme. Vous avez avec justesse parlé des décisions conjointes. Il est vrai que les accidentés de la route, dans certains cas, peuvent se retrouver devant la Commission des lésions professionnelles, devant un banc paritaire, dans le cas des décisions conjointes où l'accidenté est en même temps victime de la route et victime du travail. Votre expérience avec le paritarisme... Vous nous disiez tantôt qu'il y a des accidentés qui sont intimidés par le fait qu'il y a beaucoup de gens sur le banc. Certaines personnes sont venues nous dire que le paritarisme ? je parle essentiellement de la FTQ et de la CSD qui sont venues promouvoir l'idée du paritarisme; elles sont les seules, en passant, mais leur opinion est quand même importante ? nous ont dit: On aide les travailleurs, on aide les victimes. C'est bon qu'on soit là parce qu'on peut jouer un rôle de support, et de conseil, et de... Bon. Mais, vous, vous avez l'air de le voir autrement, en nous disant que, au contraire, le fait qu'il y ait plusieurs personnes sur le banc ? parce qu'il y a un minimum de trois, un banc paritaire, et possibilité de quatre s'il y a un assesseur médecin ou un expert ? ça, ça causerait de l'intimidation. J'aimerais que vous nous expliquiez davantage le phénomène.

Mme Boulais Laurier (Justine): Bien, évidemment, c'est sûr que ça va créer un phénomène d'intimidation, parce que la victime va se retrouver face à peut-être des membres de l'association syndicale et patronale. Et, en plus de ça aussi, c'est qu'il y a un débalancement d'indépendance et d'impartialité aussi, en plus de l'intimidation. C'est tout ça que je voulais cibler par ça.

M. Sicotte (Éric): Alors, ce qu'on veut dire par là, c'est souvent que, veux veux pas, ces gens-là ont des pressions, exercent des pressions sur les décideurs, et puis que c'est une évidence même, là. Alors, ça, c'est un problème, je pense, additionnel que le paritarisme cause également, en plus du nombre intimidant de gens. Ça fait du monde à la messe, quatre personnes pour une victime, pour quelqu'un qui est dans le procédé depuis plusieurs années, qui est accidenté du travail ou de la route. Ce n'est pas nécessaire.

M. Bellemare: Ça va.

Le Président (M. Simard): M. le députée de l'Acadie d'abord, et ensuite le député de Trois-Rivières.

M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Bon, j'aimerais juste profiter de votre passage et de votre expertise au niveau des accidentés de la route et des relations avec la SAAQ pour vous demander au fond quelle est votre... Au niveau des députés comme tel, on a beaucoup de représentations qui nous sont faites par des concitoyens sur des difficultés qu'ils ont avec la Société d'assurance automobile du Québec. Mais j'aimerais, de votre côté, que vous nous expliquiez un peu plus, là, la perception que vous avez du fonctionnement de la SAAQ et des difficultés que ça suppose. Vous avez fait référence déjà au problème des délais. Je reviendrai peut-être sur cette question-là, mais, de façon générale, est-ce qu'il y a d'autres problèmes? Comment vous percevez la SAAQ comme telle en tant qu'acteur, là, quotidien avec...

M. Sicotte (Éric): Écoutez, M. Bordeleau, c'est incroyable. Ce que vous me demandez là serait le sujet d'un livre au grand complet. Mais, des problèmes avec la SAAQ, ça fait 10 ans qu'on en relève, ça fait 10 ans qu'on en prononce, ça fait 10 ans qu'on en règle quelques-uns à l'aide de comités. Souvent, on a communiqué avec eux directement. On a fait partie de comités, à la FAR, conjoints avec la SAAQ à quelques reprises. On parle de l'absence d'un ombudsman, qui n'est toujours pas présent, qu'on a demandé depuis 10 ans, qui est peut-être dans les projets, là. Qui sait? On parle des délais indus. On parle évidemment de gens qui nous... On a beaucoup de victimes aussi, je vous dirais, qui font souvent un... justement à leur député, comme vous avez mentionné. C'est des gens désespérés, c'est des gens qui sont accidentés, qui ne sont pas indemnisés, qui sont souvent sans revenu, et puis d'une période d'un à cinq ans, comme je vous disais, parfois plus. Il y en a des cas qui me viennent à l'idée que c'est plus de cinq ans. Alors, vous imaginez ces gens-là.

Écoutez, si c'était une police d'assurance privée, on aurait tous déjà changé de police d'assurance, je peux vous le garantir. Si après cinq ans vous êtes encore pas de maison après que votre maison... sans maison après que votre maison soit passée au feu, alors vous ne seriez plus avec cette compagnie d'assurance là, c'est un fait. Alors, l'image qu'on a, parce que vous avez parlé d'image puis comment est-ce qu'on voit ça, écoutez, c'est désolant, parce que encore une fois c'est une loi d'indemnisation qui se veut large et libérale, malheureusement interprétée de façon... bien, à chaque jour de façon stricte, de façon rigoureuse, à coups d'expertises médicales de 800 $ et plus.

C'est impossible, pour une victime d'accident de la route ? du moins, ce n'est pas ce qu'on suggère à la FAR ? de se présenter au TAQ sans avocat. Et pourtant c'est le but, c'est le but d'un tribunal qui se veut un petit peu plus convivial qu'une cour supérieure, qu'une cour d'appel, qu'une cour suprême, où on est censé pouvoir se présenter seul. On ne le suggère jamais, même pas en période de conciliation. Alors, la FAR a toujours voulu que les membres qui viennent la voir d'ailleurs soient les mieux servis du monde, et c'est pourquoi aussi on est en faveur justement que ce soient des avocats qui puissent représenter et seulement des avocats, parce qu'on sait comment c'est important. On sait quel niveau d'expertise est nécessaire malheureusement pour se battre contre un organisme comme la SAAQ.

M. Bordeleau: Mais comment vous expliquez... On parle des délais, on parle, bon, des coûts des expertises multiples, etc. Comment vous expliquez le comportement de la SAAQ à ce niveau-là? Quel est l'objectif de la SAAQ d'agir de cette façon-là? Est-ce que c'est inévitable? Est-ce qu'on a des intentions qui ne sont pas directement avouées? Est-ce qu'il y a une culture à la SAAQ qui va pratiquement à l'encontre des intérêts des citoyens, qui sont, au fond, des assurés et qui paient pour ces services-là? Comment vous expliquez cette attitude ou ces difficultés multiples qui ne se règlent pas, là, d'année en année?

M. Sicotte (Éric): Écoutez, c'est très subjectif, mais c'est clair que l'objectif de la SAAQ, c'est d'indemniser. Mais c'est clair qu'on a perdu ce point-là. Écoutez, je suis né en 1978. Ça ne vous aidera peut-être pas de vous dire comment ça se passait avant, mais, personnellement, je peux vous dire que, depuis 10 ans que je m'implique là-dedans, l'objectif n'est pas respecté; même, au contraire, c'est un objectif qui est bafoué, c'est un objectif qui est totalement ignoré, puis on se demande justement à quelle raison, à quelle... Les gens qui se battent contre la SAAQ, je peux vous assurer qu'ils sont traités... La journée où ils commencent, où ils formulent une déclaration d'indemnisation, une demande d'indemnisation, ils sont traités comme des usurpateurs du système, comme des gens qui veulent utiliser un système, comme des gens qui veulent se faire des sous de ça au lieu de se faire traiter comme des victimes, un peu comme on traiterait des clients, un service à la clientèle, là, rigoureux et normal. Alors, on les traite comme des usurpateurs dès la première journée. Or, dès la première journée, on doit faire attention. Il manque des correspondances, alors on doit faire commander le dossier médical. Après ça, dans le dossier médical, bon, il va manquer le diaporama informatique, alors on va le faire commander, le panorama informatique. Après ça, on doit aller faire des contre-expertises à l'expertise.

n (10 h 20) n

Premièrement, ils ont leur propre médecin, il n'y a pas d'ombudsman, il y a très peu de recours, les délais sont indus. Écoutez, si on englobe le tout ensemble ? puis, comme je vous dis, on pourrait s'en parler très longtemps, d'une liste de défauts à la SAAQ ? on n'est plus dans le but principal, qui est d'indemniser la victime. Puis, comme députés, je les plains, parce que souvent on reçoit des lettres. J'ai vu des lettres qui sont adressées à plusieurs députés, de découragement, une désolation totale. Il y en a qui sont quasi suicidaires. Bien, c'est ce que ça fait aux gens, c'est ce que ça fait aux gens, la SAAQ, puis c'est tout le contraire.

M. Bordeleau: Parfait. Merci.

Le Président (M. Simard): Alors, j'invite maintenant le député de Trois-Rivières à prendre la parole.

M. Gabias: Me Sicotte et bientôt Me Boulais Laurier.

M. Sicotte (Éric): ...dire en partant: C'est ce qui fait notre force. On n'est pas avocats, on représente des victimes. Et nous sommes, les deux, juristes. On a étudié à l'Université de Montréal, on va graduer bientôt. Mais, non, justement, on aime ça dire qu'on n'est pas avocats. Ça fait changement.

M. Gabias: Alors, bientôt.

M. Sicotte (Éric): Mais bientôt.

M. Gabias: Alors, tous les deux bientôt avocats. Alors, je joins ma voix à celle du ministre pour vous féliciter de la qualité de votre mémoire que vous nous présentez très bien ce matin. C'est certainement encourageant pour vous dans les années futures. Et je vous souligne que vous avez le droit également d'aller chercher les notes de la commission, si pour votre évaluation ça peut vous être favorable.

Ceci étant dit, je vous réfère à la page 13 de votre mémoire sur la question des... bien, en fait, de l'inquiétude que vous soulignez quant aux nominations des membres, que vous suggérez être des juristes et que vous nommeriez membres... non pas membres mais juges administratifs. Par contre, la notion de spécialiste ou de spécialité, je comprends que vous parlez de peut-être un assesseur, c'est-à-dire quelqu'un qui n'aurait pas à décider mais bien faire valoir ou conseiller le juge administratif sur la question de la spécialité, là, pour laquelle il serait là. Et je comprends que vous suggérez de réserver la nomination à vie selon bonne conduite au juge administratif et un mandat de cinq ans non renouvelable pour ce dit membre spécialiste. C'est ce que je dois comprendre? Et si vous pouviez préciser là-dessus. Et, dans un deuxième temps, est-ce que vous suggérez ce mode-là pour autant la section des affaires sociales, lésions professionnelles et affaires économiques?

M. Sicotte (Éric): Alors, premièrement, vu qu'on est dans le sujet de l'harmonisation, je vous dirais que oui. De prime abord, là, je peux vous dire que le plus c'est semblable ? je peux seulement vous parler du point des victimes ? et le plus c'est pareil, et le meilleur c'est, parce qu'il n'y en a pas, de confusion, il n'y en a pas tant, de questions. Alors, ce serait plus facile ? on représente également les accidentés du travail parfois ? ce serait plus facile de les orienter, dans ce cas-ci. On pourra aider un plus grand nombre de gens si les systèmes sont tous pareils. Parce que, à l'origine, si je ne m'abuse, c'était le but, ce qui n'est jamais arrivé, d'ailleurs, ce qu'on espère qui va arriver maintenant.

Maintenant, pour ce qui est des... je pense que vous avez référé un petit peu à l'objet du projet de loi n° 4 qui était en ce qui a trait aux décideurs médecins, aux experts médicaux. C'est ça? Eh bien, vous parliez aussi de la spécialité du tribunal. Ce que l'on croit, c'est que le Tribunal administratif du Québec est une entité qui est spécialisée en soi. Maintenant, pour ce qui est de la spécialisation singulière, je pense, de chaque membre, là on nous perd un petit peu, parce que, écoutez, à la Cour supérieure, où l'on va régulièrement avec des membres de la fondation qui se font renverser des décisions qui n'ont pas été justes, ou peu importe, il n'y en a pas, il n'y en a pas d'expert médical. Est-ce que la Cour supérieure n'est pas compétente? Est-ce qu'on a des décideurs médecins au sein de la Cour suprême? Non. Est-ce que ça en fait une cour qui est de moindre niveau? J'en doute fort.

M. Gabias: Pour être plus précis, là, pour un accidenté, se retrouver devant le Tribunal des recours administratifs, quel est le banc idéal pour qu'il obtienne justice? Pas pour qu'il gagne nécessairement, mais pour qu'il obtienne justice.

M. Sicotte (Éric): C'est simple, c'est la plus simple des solutions: c'est un juge, un avocat, un juriste, qu'il soit notaire ou avocat, là. C'est tout ce qu'on veut. Donc, ça fait une personne, une personne à convaincre et non pas deux, un agenda à gérer et non pas deux, pas deux secrétaires, pas deux opinions. C'est deux fonctionnements différents, puis je suis conscient aussi...

J'ai lu le mémoire de Mme France Houle, de l'Université de Montréal, qui mentionnait comment... La Commission de la protection des réfugiés, je crois qu'il y avait deux... Ils ont réduit à un décideur. Alors là c'était... Elle a dit que les délais se sont trouvés rallongés, mais c'étaient deux personnes qui effectuaient la même tâche, qui travaillaient dans le même ordre d'idées. Alors, je peux voir comment deux personnes qui travaillent ensemble de façon parallèle, ça va plus rapidement. Et là on parle d'un médecin et d'un juriste, deux personnes qui ont totalement un différent champ d'idées, qui ne pensent pas de la même façon, qui ne sont pas allées à la même école, qui n'ont pas les mêmes... Tu sais, on a parlé du fardeau de preuve, mais c'est seulement une différence entre ces deux entités-là. C'est normal que ça prenne plus de temps, on a deux personnes à convaincre, on a une preuve quasi scientifique à établir parfois, ce qui n'est pas supposé être la norme. Mais c'est ce devant quoi on se retrouve.

M. Gabias: Et quelle suggestion faites-vous pour les membres actuels du TAQ ou de la CLP qui ne sont pas juristes, qui ont une notion de spécialité?

M. Sicotte (Éric): Bien, la suggestion, présentement, j'imagine, là, c'est peut-être la formation, la formation de juriste. Mais, encore là, je veux dire, ça ne les aiderait pas...

M. Gabias: Mais vous ne leur réservez pas un rôle comme assesseurs, ou comme personnes-ressources, ou...

M. Sicotte (Éric): Ah! bien sûr! Écoutez, c'est important. Je crois que c'est important pour la victime, lorsque c'est nécessaire, qu'il y ait l'accès, comme le projet de loi le prévoit d'ailleurs, qu'il y ait accès à ces experts, à cette expertise, comme la Cour supérieure le fait et comme la Cour d'appel le fait, comme la Cour suprême le fait, lorsque c'est nécessaire. Alors, ce serait idiot de ne pas l'offrir. Mais par contre ils ne sont pas nécessaires comme tels en tant que décideurs, seulement en tant qu'assesseurs.

M. Gabias: Et est-ce que...

Le Président (M. Simard): Je dois vous interrompre à ce moment-ci, on a dépassé le temps imparti à la partie ministérielle. Alors, je vais demander maintenant au député de Chicoutimi d'adresser aux représentants de la Fondation des accidentés de la route la première question.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, Me Sicotte, Me Laurier, c'est ça?

M. Sicotte (Éric): Bientôt.

M. Bédard: Pardon?

M. Sicotte (Éric): Vous parliez pendant que je l'expliquais, mais on n'est pas encore avocats. C'est ce qui fait notre force. J'expliquais ça plus tôt.

M. Bédard: O.K. Vous avez une force, de toute façon...

Le Président (M. Simard): Je peux vous dire que vous serez moins forts dans quelques semaines ou quelques mois.

M. Bédard: Voilà.

M. Sicotte (Éric): Bien, moi, je pense que oui.

M. Bédard: Et, même quand on dit qu'on l'est, effectivement, certains considèrent que c'est une faiblesse.

Alors, monsieur, madame, plutôt, ça me fait plaisir de vous recevoir ici. Bon, vous faites ressortir des éléments importants dans votre mémoire qui sont repris par d'autres au niveau, entre autres, de la publicité des décisions, qui est importante, et évidemment, là, pour ceux et celles qui sont appelés à plaider devant les instances administratives, que ce soit aussi au niveau d'éléments plus particuliers, soit la régionalisation... Je pense qu'il y a presque unanimité totale sur ces questions, où ceux et celles qui ont soit à représenter ou à... comme avocats ou à d'autres titres sont favorables à ces questions.

Des éléments par contre me questionnent dans votre mémoire, et, bon, la première question porte sur les honoraires judiciaires pour bien comprendre ce que vous réclamez. Vous dites, à la page 25 de votre mémoire, qu'il pourrait y avoir une disposition qui prévoit que, une décision modifiée en faveur d'une personne, celle-ci a droit en partie à ses honoraires judiciaires. Mais est-ce que vous parlez... Parce que, devant le TAQ, il me semble qu'il y a peu d'honoraires judiciaires. Est-ce que vous me parlez des honoraires d'avocats, des honoraires...

M. Sicotte (Éric): Exactement.

M. Bédard: C'est ça que vous me parlez. O.K.

M. Sicotte (Éric): Il n'y en a pas peu, là, je peux vous dire que ça monte vite.

M. Bédard: Mais, en termes juridiques, les honoraires judiciaires, ce n'est pas ça. Lorsqu'on est devant les cours civiles, le terme des honoraires judiciaires, ce n'est pas ça, c'est les tarifs qui sont prévus, et on parle plutôt d'honoraires extrajudiciaires, il me semble. Et là ça fait peut-être cinq ans que je n'ai pas pratiqué, je vous dirais, mais, vous, vous parlez vraiment des honoraires professionnels.

M. Sicotte (Éric): Non, non. Il y a ça également, mais, à l'intérieur du mémoire, il y a aussi le coût des expertises, de tout ça.

M. Bédard: Expertises. Voilà. C'est une autre chose.

M. Sicotte (Éric): Alors, c'est de ça dont on parle, puis l'idée qui est venue des avocats, c'était plutôt... Si je peux me permettre, ce qui est venu: beaucoup de questions sur la sous-représentation, l'aide juridique, comment aider les gens, les victimes accidentées de la route ou toute autre victime à se faire représenter. Alors, c'est de là où est venue l'idée...

n (10 h 30) n

M. Bédard: Oui, puis, je me dis, certains ont même proposé l'idée de créer un fonds, parce que l'aide juridique ne règle pas tout. Souvent, les gens, même... Ce n'est pas parce qu'on se frappe qu'on ne travaillait pas. Et, vous savez, les règles de l'aide juridique sont quand même assez fermées, assez... C'est peu accessible. C'est des gens qui ont vraiment des revenus très bas ou qui ne travaillent pas, tout simplement. Dès qu'on travaille, souvent on n'y a pas droit. Est-ce que vous pensez... Certains nous ont proposé, entre autres Me Lippel, je pense, de l'Université de Montréal, de créer un fonds, comme il existe dans d'autres provinces, permettant d'assurer la défense de ceux et celles qui se retrouvent devant le Tribunal administratif. Est-ce que vous pensez que ce serait une solution?

M. Sicotte (Éric): Un fonds, écoutez, comme étant une fondation qui représente les accidentés de la route, c'est...

M. Bédard: Un fonds serait un fonds créé à partir, je vous dirais... Bon, elle, elle donnait l'exemple, dans d'autres provinces, au niveau des maladies professionnelles... maladies professionnelles. C'est des fonds recueillis à partir des cotisations des employeurs et des employés. Est-ce qu'on peut penser...

M. Sicotte (Éric): Alors, comme je vous disais, étant une fondation qui représente des victimes accidentées de la route, c'est clair qu'un fonds, alors là, ce serait un cadeau du ciel, si l'on veut. Un fonds qui indemnise les victimes, qui peuvent aller chercher l'avocat qu'elles veulent, les services juridiques qu'elles veulent, se faire rembourser leur expertise, et tout ça, alors ça, ce serait, écoutez, ce serait trop beau pour être vrai, presque. Mais, si jamais votre idée de fonds, qui est fort intéressante... bien, qui peut être fort coûteuse aussi, dépendamment...

M. Bédard: Oui, bien, les bonnes idées sont souvent coûteuses.

M. Sicotte (Éric): Je sais qu'on fonctionne dans des contraintes. On pensait justement ? puis ça, je vous dis ça, avec les gens qui ont fait de la pratique, là, qui nous ont aidés à rédiger le mémoire, puis tout ça ? on pensait peut-être à un remboursement des frais d'honoraires, tout simplement, qui ne serait peut-être pas un fonds, mais peut-être qui serait une autre solution parallèle.

M. Bédard: O.K.

M. Sicotte (Éric): Sans l'avoir étudié de long en large, on pensait que, avec les quelques lignes qu'on a mises, c'était logique.

M. Bédard: Parfait. Sans vouloir faire un grand débat, là, sur d'autres éléments que vous avez soulevés par rapport au paritarisme et par rapport aux bancs multiples du TAQ, vous semblez avoir une opinion très tranchée sur le paritarisme. Moi, mon opinion... J'écoute beaucoup. Je vous dirais que je me renseigne et je n'ai pas votre certitude par rapport à ces éléments sur le paritarisme. Et là vous me parliez d'intimidation, et je trouvais quand même le terme, je vous dirais, assez fort, parce qu'on a eu quand même beaucoup de gens qui sont venus témoigner. Mais, simplement, et là ce n'est pas pour vous embêter que je vous la pose, mais est-ce que vos plaideurs ? parce que, vous, vous avez des gens qui travaillent avec vous, des avocats avec qui vous avez préparé le mémoire, j'imagine, qui vous parlaient de leur expérience plutôt ? mais est-ce que les gens qui sont appelés à témoigner ou à plaider se retrouvent plus souvent devant le TAQ ou devant la CLP? Est-ce que, des plaideurs que vous avez rencontrés, il y en a plusieurs qui ont plaidé devant la Commission des lésions professionnelles?

M. Sicotte (Éric): Oui.

M. Bédard: Et eux ont conclu effectivement que c'est néfaste pour eux quant à...

M. Sicotte (Éric): En fait, on représente des victimes. Je suis venu ici pour vous donner le point de vue des victimes.

M. Bédard: Oui, oui.

M. Sicotte (Éric): Mais c'est, en effet... Je veux dire, les procureurs qui vont venir me parler des sentiments de leurs clients, je n'en ai pas beaucoup, je pourrais vous dire, puis souvent, bon, bien, justement, c'est à l'heure, tout ça, on s'attarde peut-être moins à ça. Mais je peux vous dire que, du côté des victimes, c'est clair que ça fait une différence quand on entre dans une salle. Écoutez, vous êtes 11 aujourd'hui. C'est intimidant. Si vous seriez seul, M. le Président, on se rapprocherait puis ce serait plus convivial. C'est la logique, c'est la normale des choses.

M. Bédard: O.K. Intimidant, vous dites, comme toute personne qui rentre dans un endroit qu'elle connaît peu ou qu'elle ne connaît pas. Le fait d'avoir un banc plus élevé, plus de gens, amène peut-être une moins grande...

M. Sicotte (Éric): Pas seulement ça. On ne parle pas de toute personne, on parle d'une personne qui est accidentée, d'une personne qui est vulnérable, d'une personne qui s'est fait traîner à travers le système pendant plusieurs années, d'une personne qui n'est pas là pour la première fois, d'une personne qui est à bout. C'est de ça qu'on parle.

M. Bédard: D'accord. Merci. L'autre élément, vous citez dans votre mémoire quelqu'un d'assez éminent, c'est le Dr Lamontagne, vous savez, qui est bien reconnu ici, au Québec, qui est une sommité. Dans quelles fins le citez-vous dans votre mémoire? Et je le lis avant et après et j'ai de la misère à voir, parce que évidemment j'étais présent lorsque le Dr Lamontagne a dit ces paroles. Mais dans quel sens utilisez-vous ses propos?

M. Sicotte (Éric): Dans quel sens est-ce qu'on le cite? Écoutez, je croyais que... J'ai essayé d'être... on a essayé d'être le plus concis possible avec notre citation. Je peux laisser Justine répondre.

Mme Boulais Laurier (Justine): Oui. Non, c'est que je crois aussi que le but aussi de cette présentation-là, c'est qu'on ne veut pas que le mandat soit renouvelable. Alors, c'est la raison pour laquelle on a cité Dr Lamontagne, qui, dans sa citation de quatre petits paragraphes, ciblait bien l'objectif de la fondation, qui est le mandat non renouvelable.

M. Bédard: ...sur les experts.

Mme Boulais Laurier (Justine): Essentiellement.

M. Bédard: Mais pas sur l'aspect évidemment de la multidisciplinarité. Parce que, vous savez, le Dr Lamontagne, évidemment, est... Le Collège des médecins est venu défendre évidemment cet aspect de la multidisciplinarité, et là je voulais seulement être sûr que ce n'était pas à d'autres fins que vous aviez utilisé les commentaires qu'il faisait, parce que lui est un défenseur, comme d'autres, du maintien effectivement d'un banc autre que composé d'avocats et notaires, mais de d'autres personnes.

M. Sicotte (Éric): Ça se discute, oui, mais c'était...

Mme Boulais Laurier (Justine): Essentiellement, dans l'esprit de la formation des bancs.

M. Bédard: O.K. Effectivement. Bon, bien, je vous remercie.

Vous semblez effectivement avoir beaucoup de réserves sur le fait qu'il y ait des membres autres que des membres juristes sur les bancs devant le TAQ. Et c'était le cas lors du projet de loi n° 4, où vous êtes venus témoigner et d'autres sont venus faire part de leurs commentaires. Mais vous semblez faire beaucoup référence à l'aspect juridique. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il est de la nature des tribunaux administratifs, justement, sans s'écarter des règles évidemment qui doivent gouverner, mais d'avoir justement, d'adopter... d'avoir un cadre beaucoup plus souple en termes de procédure, en termes même de compréhension de la problématique? Par exemple, je vous dirais, un travailleur social va-t-il mieux comprendre la problématique d'une relation très humaine qui est racontée devant lui que peut l'avoir un avocat formé, bien que très bien formé, là, sur les règles de preuve et le droit? Est-ce que vous pensez qu'il n'est pas plutôt... que le citoyen s'en trouverait mieux servi que de voir que sa justice, celle qui est de dernier recours et pour laquelle il n'a pas d'appel, aurait cette sensibilité qui ne serait pas strictement légale mais qui reposerait sur d'autres principes?

M. Sicotte (Éric): Écoutez, là-dessus je peux vous dire que oui, en effet, les procureurs qui pratiquent au sein de ces tribunaux trouvent la formule plus conviviale, trouvent les procédures moins sévères, je dirais moins strictes que dans les tribunaux supérieurs. Mais maintenant le fait que votre travailleur social ou votre médecin soit plus sympathique à la cause, ou peu importe, il ne peut pas en apporter, de preuves, hein? Il deviendrait comme, si on veut, une troisième partie, là, je veux dire. Donc, sa preuve, elle ne peut pas être entendue. Tous les éléments qu'il apporte personnellement, ça ne peut pas être entendu. Alors, est-ce que ça aide, est-ce que ça... Je ne crois pas que ça aide la victime. Même que ça n'aide pas du tout, là.

M. Bédard: Non? O.K. Vous êtes avocats, vous avez...

Une voix: Pas encore.

M. Bédard: Vous avez une preuve... Vous n'êtes pas encore avocats.

M. Sicotte (Éric): Pas encore.

M. Bédard: Vous avez une formation juridique. Alors, vous vous trouvez à avoir des expertises médicales. Évidemment, on ne peut pas, avocat, et on le fait rarement, là, je vous dirais, contester des expertises médicales ou même questionner un expert sans avoir un appui professionnel qui est celui d'un expert médical. En tout cas, ceux qui...

M. Sicotte (Éric): Bien, on le fait à tous les jours en Cour supérieure puis en Cour d'appel.

M. Bédard: Non, en Cour d'appel, c'est...

M. Sicotte (Éric): Ils font appel à des assesseurs. Maintenant, est-ce qu'ils sont décideurs? Non.

M. Bédard: Laissez-moi terminer.

M. Sicotte (Éric): O.K.

M. Bédard: Ils ne font pas appel à des assesseurs en Cour d'appel. Je vous dirais: Si ces personnes... Un individu qui se représente seul, et, vous savez, il y a un nombre important de gens qui se représentent seuls, ou même ceux qui sont représentés, mais par autre qu'un avocat ? et ça arrive aussi souvent, vous le savez ? ou qui sont représentés par un avocat mais qui n'ont pas nécessairement les moyens de se payer des expertises parce que c'est très coûteux, est-ce que vous ne pensez pas que ces gens-là auraient accès à une justice de plus grande qualité s'ils ont quelqu'un justement qui est capable, par ses compétences professionnelles, d'apprécier et même, je vous dirais... Parce qu'il ne s'agit plus simplement... Il le juge sur le côté de la preuve, mais, sur son côté professionnel, de ses connaissances propres à titre de médecin, est-ce que ce ne serait pas plutôt à l'avantage de la personne qui n'a pas les moyens d'avoir un expert, d'avoir une telle personne sur le banc?

n (10 h 40) n

M. Sicotte (Éric): Pas du tout, parce que vous dites: Est-ce qu'il peut utiliser ses connaissances personnelles et sa preuve? Maintenant, tous les arrêts que l'on cite le disent clairement, que, non, ce n'est pas souhaitable. Cette preuve-là ne peut pas être apportée ultérieurement. Alors, s'il utilise une telle preuve pour aider la victime, soi-disant, au niveau du Tribunal administratif du Québec, alors cette preuve ne pourra pas être entendue de façon ultérieure, dans un tribunal supérieur. Alors, pourquoi, pourquoi l'amener, à ce moment-là? On va seulement nuire à la victime. Je ne vois pas où vous voulez en venir avec ça.

M. Bédard: Non? Ce n'est pas grave. Je vous dirais que c'est deux visions qui s'opposent, je vous avouerai. Et ce n'est pas de la nouvelle preuve, c'est apprécier une preuve. Tu n'ajoutes pas de la preuve lorsque tu l'apprécies; tu l'apprécies selon tes compétences. Un juge va l'apprécier... S'il a deux experts, il va choisir avec l'ensemble de la preuve et il va choisir à partir de ses connaissances qu'il a au niveau juridique. Mais, évidemment, il ne pourra pas ajouter dans ses connaissances... pas en termes de preuves, mais à partir de ses connaissances. Elles sont juridiques, elles ne sont pas médicales. Il peut avoir certaines bases de connaissances.

Moi, je peux vous dire personnellement, et pour entendre certains groupes qui sont venus: L'aspect de la multidisciplinarité est très défendu par ceux et celles qui utilisent le tribunal et qui ne sont pas effectivement représentés par avocat parce qu'ils y trouvent un intérêt ? d'abord, un travailleur social, un psychologue ou un médecin ? pour justement rééquilibrer les forces un peu. Parce que l'État, lui, a, je vous dirais, accès, en plus d'avoir accès à toutes les décisions, la jurisprudence, des avocats qui ne font que ça, à des experts évidemment formés, qui viennent dossier après dossier, qui sont réguliers, presque, alors que le citoyen, lui, a peu accès à cette... donc ce qui fait que plusieurs auteurs nous disent: Écoutez, il y a un déséquilibre des forces. Et comment le rééquilibrer? Plusieurs y voient là une forme de rééquilibrage des forces. Ce n'est pas ce qui va permettre un rééquilibrage total des forces, mais ce qui permet un rééquilibrage des forces entre le citoyen qui ne se présente pas là à tous les jours et l'État... ou l'organisme plutôt qui, lui, plaide à toutes les semaines.

Mme Boulais Laurier (Justine): Moi, j'aimerais... Excusez-moi.

M. Bédard: Allez-y, allez-y.

Mme Boulais Laurier (Justine): O.K. J'aimerais juste ajouter un petit point peut-être pour compléter un peu ce que M. Sicotte disait tout à l'heure. C'est que la victime ne pourra pas contre-interroger, puisque, disons, le médecin décideur va faire... Il ne pourra pas, excusez-moi, il ne pourra pas contre-interroger, tout simplement. Alors, ça fait violation à un principe fondamental de l'audition des parties. Audi alteram partem. Alors, c'est ça un peu, là, qui est important.

M. Bédard: Principe que nous connaissons bien ici.

Mme Boulais Laurier (Justine): Pardon? Oui, oui.

M. Bédard: Mais, non, effectivement, je ne vous parle pas de contre-interrogatoire mais d'appréciation de la preuve.

Mme Boulais Laurier (Justine): Non, non. O.K.

M. Bédard: C'est dans ce sens-là.

Mme Boulais Laurier (Justine): Oui, oui.

M. Bédard: Et sur l'aspect humain. D'ailleurs, je vous dirais... Et je ne fais pas ça pour vous convaincre et je n'ai pas le sens... je ne crois pas avoir la vérité, mais j'ai des convictions, comme vous avez les vôtres, que je respecte. Mais vous dire: Des fois, on a des opinions très tranchées. Tu sais, les travailleurs sociaux... Est-ce qu'un avocat peut avoir cette même sensibilité que quelqu'un qui va sur la route souvent, qui voit la réalité des gens plus souvent sûrement qu'un avocat, là, ou même qu'à peu près toute personne ici, dans cette salle, et qui voit cette réalité, qui, au niveau même médical, a suivi des cas particuliers qu'il connaît? Est-ce que vous ne pensez pas que cette sensibilité-là que l'État, normalement... ou que le citoyen doit s'attendre de l'État est mieux représentée que par un aspect plus légal qu'on retrouve à travers des cours, qui est normal, là, mais qui fait en sorte que le citoyen seul sort souvent de ces exercices totalement désabusé? Je vous dirais: J'ai vu des gens aller en Cour supérieure, là. Quand ils sont sortis... Ils se représentaient seuls, là. Ils sortent rarement avec l'impression d'avoir obtenu justice, ça, je peux vous le dire.

M. Sicotte (Éric): C'est la même chose présentement, là, pour ce qui est... Lorsqu'on se présente devant la SAAQ seul, je peux vous dire qu'on sort rarement en sentant que justice a été faite. Et puis, je veux dire, là, vous parlez de mettre un juge qui serait peut-être un tiers là-dedans, mais, si on veut égaliser les choses, pourquoi ne pas envoyer l'agent d'indemnisation simplement contre la victime ou une autre personne qui serait non juriste? Je veux dire, il y a d'autres... Je vois où vous voulez en venir avec votre... Comment vous appelez votre...

M. Bédard: Multidisciplinarité.

M. Sicotte (Éric): Multidisciplinarité du décideur. Mais il y aurait d'autres solutions à approcher avant ça, puis je crois, comme je vous dis, que les inconvénients sont plus grands que les avantages.

M. Bédard: Pour vous c'est le cas.

M. Sicotte (Éric): Dans notre cas, les inconvénients, on vous en a listé plusieurs, et ils sont plus grands que les avantages que vous me nommez d'une multidisciplinarité.

M. Bédard: Pour vous. Je respecte totalement votre opinion.

Je vous dirais: En dernier lieu, vous parlez de la révision. Il semble effectivement, et je vous avouerai que je ne me prétends pas spécialiste en accident de travail... en accident d'automobile, bon, il semble y avoir un climat d'opposition assez fort qui est très difficile, même au niveau de la conciliation ou au niveau de la révision, et qui ne donne pas de bons résultats. Et, à partir de là, on peut être tenté de vouloir faire du mur-à-mur, dire: Bon, bien, si ça va mal dans un endroit, ça va aller mal partout, ou plutôt imposons une nouvelle façon de fonctionner qui pourrait trouver de bons résultats dans une section en particulier du TAQ, parce que, vous savez, le TAQ est quand même assez large.

Hier, nous avons eu des gens qui représentent les assistés sociaux. Ils nous ont dit: Écoutez, nous, l'étape de la révision, nous la voulons dans le cadre qu'elle est établie actuellement. Nous ne voulons pas que l'administration se révise d'elle-même, nous voulons qu'elle se révise à notre demande. Et nous voulons avoir une instance, sans être judiciaire, quasi judiciaire, mais qui a un statut plus indépendant que la personne qui s'amende elle-même de sa décision. Et pourquoi? Et là ils sont arrivés avec une statistique fort intéressante et percutante, je vous dirais: 44 % des décisions trouvent leur... Finalement, les dossiers se règlent à hauteur de 44 % devant la révision, à l'étape de la révision. Alors, vous comprenez, c'est autant de décisions à peu près qui ne se seraient pas retrouvées devant le TAQ. Et ils disent: Si vous ne gardez pas cette forme-là, nous, à ce moment-là, on va engorger le TAQ, et vous allez nous faire perdre une étape où on n'a même pas besoin d'engager d'avocat ou même de représentant. Ça se fait un peu évidemment de façon très informelle, mais ça fonctionne. 44 % des dossiers sont réglés à cette étape. Alors, je vous dis: Je comprends que, au niveau de l'assurance automobile, ce n'est pas percutant comme résultat, mais est-ce que vous pensez qu'on doit faire du mur-à-mur? Est-ce que vous pensez que ce serait possible d'adopter une position particulière en termes de révision pour vous et en avoir une autre pour les dossiers qui traitent d'assistance sociale, par exemple?

M. Sicotte (Éric): Alors, dans ce que j'entends, j'entends, premièrement... Je ne sais pas si vous en êtes conscient, ou peu importe. Il y a le mot «conciliation» et il y a le mot «révision». Alors, ça, c'est deux choses totalement différentes à la SAAQ. Alors, l'instance de révision, c'est là où les succès sont... Je veux dire, la plupart du temps, je pense que c'est près de 70 % ? je ne suis pas certain de mes chiffres ? des décisions qui se confirment, et ça, ça peut durer trois ans. Vous voyez? Vous voyez? C'est là où on confirme seulement une décision pendant trois ans en révision. C'est là où on dit: L'abolition de la révision... C'est plutôt dans ce sens-là, parce que la révision, c'est un fonctionnaire...

M. Bédard: Mais là je vous parlais vraiment de la révision. Hier, on parlait de la révision. Vous savez, c'est dans un cadre informel.

M. Sicotte (Éric): O.K. La conciliation, c'est un autre procédé qui fonctionne très bien...

M. Bédard: Bien, ça peut arriver avant, mais ça arrive effectivement après. C'est le TAQ. Mais il peut y avoir, vous savez, de la révision faite par un... Ce n'est pas un tribunal administratif, c'est une instance informelle. On appelle ça la révision, mais, vous savez, les gens, ils se parlent.

M. Sicotte (Éric): On appelle ça passer le dossier à son collègue pour confirmer la décision en ce qui concerne les victimes d'accidents d'automobile.

M. Bédard: Bien, voilà, et c'est là que je voulais en venir. Vous, vous semblez avoir ? et je le comprends, là ? vraiment une attitude de: Sauvez-nous de cette étape-là, nous, on n'en veut pas. O.K.?

Le Président (M. Simard): Je suis obligé de vous interrompre à ce moment-ci de votre intervention.

M. Bédard: Alors, leur dire tout simplement... compléter en leur disant que d'autres par contre y voient plutôt quelque chose de très utile, pas en assurance automobile, dans d'autres domaines du Tribunal administratif du Québec. Et peut-être qu'il y a lieu d'avoir deux solutions, finalement, une pour l'assurance automobile puis une autre pour d'autres divisions du TAQ, et c'est là que je voulais en venir.

Le Président (M. Simard): Alors, sur ces commentaires, je mets fin malheureusement à votre présence parmi nous. Je vous remercie infiniment et je suspends notre séance pendant quelques minutes.

(Suspension de la séance à 10 h 48)

 

(Reprise à 10 h 57)

La Présidente (Mme Thériault): Alors, si vous le voulez bien, nous allons reprendre les travaux. Donc, j'invite Me Sylvain Gingras à faire la prochaine présentation, s'il vous plaît. Alors, Me Gingras, vous avez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire, votre point de vue. C'est à vous. Allez-y.

M. Sylvain Gingras

M. Gingras (Sylvain): Merci. Parfait. Merci, Mme la Présidente. Alors, d'abord, dans un premier temps, j'aimerais remercier le ministre de la Justice, les membres de la commission parlementaire et Mme la Présidente de cette invitation à participer à la commission et au projet de réforme.

D'abord, une brève présentation. Nous représentons, Mercure, Gingras, avocats, des victimes d'accidents de la route, des victimes d'accidents du travail, des gens en demandeur, ou en demande, devrais-je dire, de la Régie des rentes du Québec et des victimes d'actes criminels. Enfin, on regroupe, chez nous, comme clientèle, tout ce qu'on appelle l'inemployabilité ou l'invalidité. Alors, nous avons donc affaire à l'ensemble du tribunal actuellement ou des institutions actuellement mis en place, soit la CLP et le TAQ. Moi-même, j'ai une pratique depuis une quinzaine d'années, 10 ans en santé et sécurité au contentieux même de la CSST et deux ans chez Fasken, Martineau, alors avocat et représentant pour les employeurs. Depuis environ trois ans, je suis associé avec Jean Mercure.

Alors, pour présenter la présentation... pour débuter la présentation de ce mémoire, dis-je, d'abord, on nous suggère dans le projet de loi une réforme pour avoir un seul tribunal. C'est une nouvelle approche, une approche qui nous intéresse tous comme praticiens. Et pourquoi? Parce que ça regroupe l'ensemble des divisions administratives, alors qu'autrefois, enfin actuellement, devrais-je dire, nous nous retrouvons tantôt devant la CLP, tantôt devant le TAQ et que, de toute façon, c'est du droit administratif. Je crois que l'harmonisation proposée par le projet d'un seul tribunal est fort louable et intéressante.

n (11 heures) n

Dans un deuxième temps, nous constatons que cette nouvelle structure est en approche avec trois sections, dont celle sociale, économique et lésions professionnelles. Nous sommes également en accord avec cette approche-là. Nous croyons qu'elle sera efficace et qu'elle permettra donc au justiciable de se retrouver facilement à l'intérieur de cette nouvelle structure.

Peut-être un petit bémol au niveau du nom. On parle du TRAQ. Notre observation, notre constat sur l'abrégé évidemment du Tribunal pour les recours administratifs du Québec... est peut-être une appellation qui pourrait se voir être peu réconfortante, représentant pour le justiciable et certains citoyens administrés évidemment la crainte qu'ils ont justement lorsqu'ils vont devant un tribunal. Alors, là-dessus, le seul commentaire que nous avons à faire, évidemment, c'est que nous souhaitons que l'appellation actuelle demeure.

Au niveau de l'approche du projet sur les décideurs, dans un premier temps, on sait que le nouveau projet se voit... De façon exceptionnelle, il y aurait plus d'un décideur, mais on abolit le paritarisme. Il y a un seul juge administratif, et cela est évidemment une nouveauté, en particulier en ce qui concerne la Commission des lésions professionnelles. Alors, sur le sujet, notre point de vue est évidemment que nous sommes en faveur de ce nouveau quorum de décision, ou de décideurs, devrais-je dire, et qu'évidemment cela met en place, pour le justiciable et l'administré, un regard différent lorsqu'il arrive au tribunal, où il ne se sent pas intimidé par évidemment tout l'appareil, toutes les personnes qui sont devant lui ? et là je parle évidemment des lésions professionnelles ? et qu'il sait à qui s'adresser de façon directe pour témoigner.

Ensuite, cette approche-là, évidemment, avec la réforme qui a été présentée plus tôt à l'automne, élimine le décideur au TAQ actuellement médecin, parce qu'on sait qu'au TAQ effectivement il y a deux décideurs. Nous sommes également, comme nous l'avions annoncé cet automne, en faveur de maintenir cette approche-là, la nouvelle approche, pour qu'il y ait, au besoin, encore une fois, un assesseur médical pour éclairer le tribunal, mais qu'il ne soit pas décideur, que ce soit un juriste qui le soit.

Cette nouvelle structure là met en place aussi... a d'autres incidences, devrais-je dire, à l'effet d'abolir le paritarisme au niveau de la CLP qu'on connaît actuellement. Le paritarisme, il faut se poser la question: Est-ce qu'il a une valeur ajoutée? La réponse comme praticiens, pour nous, elle est non. Il n'y a pas de valeur ajoutée parce que ces gens-là font part de leurs observations au commissaire, interviennent lors de l'audience pour poser des questions, qui quelquefois apportent plus de confusion qu'autre chose, et donc on se retrouve avec un coût du système, statistiques à l'appui, et dont d'autres participants aux commissions parlementaires précédentes ? les dernières journées, je parle ? ont fait état. C'est-à-dire, on parle de, je pense, un coût de peut-être 8 millions au système. Ce sont des coûts importants, sans valeur ajoutée.

La valeur ajoutée, pour nous autres, c'est que l'intervention de quelqu'un au tribunal va-t-elle apporter, au niveau de la preuve ou pour le bénéfice du justiciable, quelque chose, un élément supplémentaire? Est-ce qu'il ne va pas plutôt apporter, comme c'est le cas actuellement, plus de sources de confusion, hein? Et surtout un autre élément qu'il m'apparaît fort important de considérer dans le système actuel, c'est le potentiel conflit d'intérêts, potentiel conflit d'intérêts qui est une réalité de tous les jours comme praticiens. Nous nous retrouvons souvent devant le tribunal avec des membres qui nous écoutent à côté du commissaire. Ces mêmes membres là, parfois, tantôt syndicaux ou représentants de l'employeur, représentent des gens aussi, hein, devant le tribunal, et ils ont le droit de représenter des gens, ces gens-là. Ce n'est pas des fonctions exclusives. Alors, tantôt, moi, on m'écoute, il siège sur le tribunal, il donne ses observations au commissaire, ce membre-là, tantôt c'est mon opposant. Il y a ici quelque chose que je crois qui est très important au niveau du conflit d'intérêts, d'apparence de justice et qui a de l'incidence, c'est bien évident, autant pour les administrés que pour le système judiciaire et son indépendance.

Alors, encore une fois, c'est pour ces raisons-là principalement que nous sommes en faveur de l'abolition de cette structure actuelle, et ce, en toute matière, hein, que ce soit l'admissibilité... Parce qu'on a remarqué dans le projet de loi... Je ne sais pas par coeur les numéros d'articles modifiant les lois, etc., mais il est certain que, même en admissibilité, cela posait un problème, parce que le problème, il est entier, bon, et je n'ai toujours pas plus de valeur ajoutée.

Ensuite, au niveau des recours, on a dans le projet de loi une nouvelle présentation de l'organigramme, finalement. C'est qu'on a 90 jours pour contester une décision de première instance, elle est inscrite au tribunal, et, durant ce temps-là, il y a une autre instance qui existe déjà, la Révision administrative ou le Bureau de révision, dépendant, là, des accidents du travail, Régie des rentes du Québec ou accidentés de la route, hein, les systèmes en place actuellement qui eux autres mêmes sont saisis effectivement d'une demande de révision avec ? on en a déjà discuté précédemment devant votre commission ? une présomption de désistement. Bon, évidemment, on n'est pas en accord avec cette présomption de désistement là, on trouve que ce serait une tendance qui pourrait être très... enfin pénible et dangereuse même pour les administrés et les justiciables, en sus du danger d'indépendance, entre guillemets, et de la façon de faire du réviseur avec le justiciable.

Alors, ce que nous proposons sur ce volet, c'est que, effectivement, au bout du délai de 90 jours pour la contestation d'une première décision, de première instance donc, dans tous les régimes, il pourrait y avoir la révision au sein des organismes qui soit maintenue, sous une forme ou une autre, avec un délai aussi de 90 jours, qu'on trouve qui est tout à fait respectable, tenant compte des statistiques que nous avons pour traiter l'ensemble des dossiers, mais que cette décision-là, si elle était modifiée ou pas, aille directement au service de conciliation du tribunal. Pourquoi? Vous savez, c'est une étape actuelle, pour l'administré, le justiciable, d'aller contester une première fois. Il présente ses observations, souvent par téléphone, dépendant des régimes. À l'aide sociale, souvent il y a des audiences. À la CSST, il n'y a pas d'audiences, c'est des observations téléphoniques ou écrites. Et là il y a déjà cette étape-là. Ensuite, la confirmation de la décision de la première instance, dans la plupart des cas, soit 85 % à 90 % des cas, du moins à la CSST, est confirmée.

Cette démarche-là fait qu'un justiciable se retrouve que... Premier refus. Deuxième refus, et là il va-tu aller au tribunal? J'ai souvent entendu de mes clients ou de d'autres personnes, qu'ils soient mes clients ou pas, hein: Écoute, le réviseur m'a dit: Voici pourquoi j'ai rendu cette décision-là, tu n'as pas de chance pour ça, ça, ça, ça, ça, hein? Et le réviseur, surtout s'il est avocat, lui aussi, même s'il n'est pas classé comme avocat mais qu'il est professionnel au gouvernement, va dire: Moi, je suis avocat, j'ai fait le tour de ça. Et l'approche qu'il a avec les justiciables, c'est: Tu n'as pas grand chances de gagner ça, puis la décision de première instance est très bien fondée.

n (11 h 10) n

Alors, il se fait dire ça, là. S'il n'a pas de représentant, lui, là, il est presque assuré, s'il ne connaît rien, même si la loi est d'ordre public, qu'il a peu de chances de l'emporter s'il continue son recours au tribunal. Cette étape-là actuellement a un seul but, c'est, à mon avis, un, dans une large majorité, à la CSST comme à la SAAQ, de confirmer des décisions de première instance, encore une fois, donc peu de valeur ajoutée, deuxièmement, allonger les délais, troisièmement, épuiser, essouffler et décourager le justiciable ou la victime. C'est ce qu'on constate comme praticiens. Et là je vous dis ça et je suis... Je ne sais pas si on peut appeler ça une chance, mais, moi, je suis un avocat qui a fait, à la CSST, qui a représenté la CSST, qui a représenté les employeurs, qui représente maintenant les travailleurs et les victimes. Alors, je vous dis: De tout temps, j'ai observé... j'ai fait le même constat que je vous rends là. Le problème plus pointu que ça à la Révision administrative de la CSST... Je ne peux pas répondre pour la SAAQ de façon précise, mais, comme vous le savez, le résultat à la Révision administrative de la CSST, c'est: 85 % à 90 % des décisions sont maintenues.

Vous savez, quand il y a eu la présentation avec la réforme en 1998, la CSST, à l'interne, a eu des présentations, et il a été entendu clairement que la Révision administrative n'allait pas renverser plus de 15 % des décisions. Alors, 15 % des décisions. On a beau faire état de statistiques de 40 000 ou 45 000 dossiers annuels amenés et traités, l'objectif et la valeur ajoutée, encore une fois, c'est quoi? On se retrouve avec 15 % de possibilités de modifier une décision, hein? Au surcroît, évidemment, on sait d'où ça vient, ce principe-là, c'est que la CSST... Un des éléments, dis-je, c'est que la CSST ne peut pas aller en appel elle-même d'une décision de la Révision administrative, hein, parce que la Révision administrative actuellement est partie à la CSST.

Également, la Révision administrative, on nous a promis: Elle va être indépendante. Regardons dans les faits un petit peu qu'est-ce qui se passe. La Révision administrative, au départ et dans la loi, relève du président et chef de la direction de la CSST. Actuellement, dans l'organigramme, depuis un certain temps, elle ne relève plus directement du président et chef de la direction de la CSST, à ma connaissance, mais du vice-président aux opérations. Donc, on a dévié encore une fois l'indépendance de ce nouveau palier là, hein, qui a été mis en place en 1998.

Aussi, malgré que le projet prévoie le maintien de la Révision administrative, avec une présomption de désistement, ce que je crois, pour ma part, et au nom des clients que je représente, et la pratique que j'ai faite: je crois que ce n'est pas une valeur ajoutée et que, si vous décidiez de maintenir la Révision administrative, les décisions modifiées ou confirmées devraient certainement aller, pour avoir plus d'indépendance, et d'objectivité, et d'équité envers le justiciable, au service de conciliation du tribunal pour que lui approche l'appelant pour lui donner le résultat qu'il va avoir reçu, évidemment, mais aussi les conséquences sur son appel ? va-t-il le maintenir ou pas? ? puis par rapport aux autres litiges. Ça, à mon avis, c'est important.

Deuxièmement, au niveau encore de la Révision administrative, mais du Bureau de révision de la SAAQ, on nous dit que les statistiques sont plus importantes, sauf que le délai... Mais les délais à la SAAQ, ça n'a comme pas de bon sens. Alors, vous avez entendu les autres personnes qui sont venues témoigner les autres journées. J'ai lu quelques-unes des représentations de collègues et je suis tout à fait d'accord avec eux autres. Écoutez, on parle d'un an à trois mois de traitement d'une demande de révision, en sus du temps qu'elle passe de la première instance au Bureau de révision, plus évidemment le temps que l'administré a eu à attendre pour avoir une première décision. On a des clients qui attendent depuis quatre, cinq ans avant d'aller au tribunal. Résultat: plus de fonds de pension, plus de maison, plus de famille. C'est ça, le résultat actuel de la révision telle que constituée à la SAAQ. C'est aussi le résultat dans certains cas, mais plus rares, à la CSST, parce que les délais sont plus courts.

Alors, au niveau des recours, avec le nouveau projet de loi, notre proposition, elle est claire, c'est celle que j'ai énoncée. Bureau de révision: comme révision administrative, si elle est maintenue, qu'elle soit acheminée au service de conciliation du tribunal.

Au niveau du service de conciliation, qui est un autre recours évidemment qui est prévu, je crois que la conciliation à la CLP, comme à la CALP autrefois, elle est excellente; pas en tous points, mais dans la majeure partie des points. Là où il arrive des petits problèmes, c'est qu'elle n'est peut-être pas uniforme. Elle varie peut-être d'une région à l'autre dans la façon de traiter les dossiers ou dans l'approche, dépendant peut-être aussi des conciliateurs. Bon. Mais, dans l'immense majorité des cas, il est clair que ce service-là réduit passablement le volume d'appels qui procèdent en audition, hein? Les statistiques nous démontrent, dans la CLP, je crois, environ 52 % des dossiers fermés. C'est important, et nous souhaitons que cette démarche-là soit la même pour l'ensemble du tribunal. Un seul guichet, hein: un tribunal administratif, un service de conciliation qui traite, avec peut-être des divisions, lui aussi, pour ses forces, chacun des litiges. C'est-à-dire, s'il y a un litige en accident d'automobile, s'il y a un litige en accident de travail, s'il y a un litige victime d'acte criminel, qu'il soit pris en considération qu'il a une grande équipe, peut-être avec des spécialisations. Ça, c'est de la régie interne.

Notre idée, pour nous autres, c'est l'efficacité et les délais. Alors, l'efficacité et les délais, ça veut dire: il y a moins de monde qui passe avec le justiciable, il est moins confus et on est assuré nous, comme représentants, qu'il y a plus de qualité. Par le fait même, il y a moins de coûts, parce que c'est sûr que, si ça passe par un service de conciliation, il y a moins de coûts certainement, s'il y a des résultats en conciliation dans plus de 50 % des dossiers, que d'aller en audition, pour le système judiciaire. Conscients de toutes ces améliorations-là positives, nous suggérons fortement au ministre et à la commission d'adopter les règles qui permettent au projet de loi n° 35 d'aller vers ce guichet unique en conciliation pour l'étanchéité, l'équité et l'indépendance.

Un mot sur l'indépendance au niveau des recours. Comme je l'ai dit tantôt, la Révision administrative ? et je suis persuadé que le Bureau de révision à la SAAQ a des modalités administratives qui sont à peu près identiques ? ils ont des politiques, ils ont des règles à suivre. Comment peut-on prétendre qu'ils sont indépendants et équitables? Par ma pratique moi-même au contentieux de la CSST jusqu'en l'an 2000, donc pas si lointaine, je peux vous dire que je doute fort qu'elle ait changé. Et, en matière d'indépendance, ce n'est pas évident toujours. Ce n'est pas évident parce qu'elle subit la pression du système, hein? Quand tu en renverses, la Révision administrative, un ancien collègue de travail, ça a des impacts dans le système, puis c'est normal. C'est des humains, ces gens-là. Je ne blâme pas les individus qui font ces emplois-là, je blâme la structure qui les a mis en place et la façon de faire.

Alors, la conciliation au tribunal, on aimerait qu'elle soit étanche et indépendante, que ce soient des gens qui soient nommés avec une impartialité et une indépendance, avec une certaine distance, hein, vis-à-vis le tribunal et vis-à-vis des organismes administratifs ? je parle de la CSST et de la SAAQ. Il y a beaucoup d'échanges d'information entre ces deux organismes-là d'appel, le tribunal et l'organisme, et il arrive parfois qu'on peut se poser des questions sur l'indépendance et conflits d'intérêts. Alors, moi, je peux vous dire que j'aimerais qu'il y ait un processus à l'interne qui soit mis en place, qui nous garantit le maximum d'indépendance et d'étanchéité de ces services-là pour le justiciable, pour que, mon client et moi-même, quand on va en conciliation, ce qui se dit là, ça reste là, et on est certains que, s'il y a un accord, il est fait dans les règles de l'art par une personne compétente et qualifiée.

La Présidente (Mme Thériault): Et sur ce, Me Gingras, je vais vous demander de conclure.

M. Gingras (Sylvain): De conclure?

La Présidente (Mme Thériault): S'il vous plaît.

M. Gingras (Sylvain): Alors, pour les autres aspects, sur les juges administratifs, en conclusion, nous croyons que, effectivement, leur nomination, basée un peu comme les autres juges des cours civiles que nous connaissons, est une bonne chose. Et nous croyons aussi que l'ensemble du projet, avec les modalités d'ajustement qu'on vous présente là, ce sont des solutions qui vont améliorer grandement les coûts, mais surtout les délais, et éviter que nos clients victimes soient victimes du système judiciaire également. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Gingras. Donc, sans plus tarder, je vais passer la parole au ministre, qui va débuter nos échanges. M. le ministre.

n (11 h 20) n

M. Bellemare: Merci beaucoup, Me Gingras. Et je profiterai de votre expérience multiple comme ex-procureur de la CSST, avez-vous dit tantôt, et patronal-syndical, pour vous parler d'un problème auquel on a été confrontés depuis le début des audiences relativement à la procédure, à la mécanique de révision. Vous nous dites qu'il faut prendre les moyens pour accélérer le traitement des demandes de révision. Nous avons prévu dans le projet de loi un délai de 90 jours pour rendre la décision, ce qui est, à mon avis, une avancée. Ce n'est peut-être pas... À elle seule, cette avancée ne règle pas tous les problèmes, mais le groupe qui vous a précédé nous suggérait d'introduire une présomption de décision négative, si vous voulez, où, au terme du délai de 90 jours, il y aurait une présomption dans la loi qui ferait en sorte que l'administration serait réputée avoir refusé, pour pouvoir initier immédiatement le transfert au tribunal d'appel et éviter que le dossier ne s'éternise en l'absence d'une disposition qui pourrait prévoir la possibilité de poursuivre devant le TRAQ, au cas où il n'y aurait pas de décision de rendue en révision. Avez-vous une idée par rapport à ça?

M. Gingras (Sylvain): Écoutez, je ne suis pas contre cette idée-là, mais ce qui me vient tout de suite à l'esprit, c'est que, évidemment, une présomption, ça se renverse. Alors, c'est une bonne chose qu'il y ait une présomption pour un refus, si la décision n'est pas rendue en délai. Mais est-ce que ça ne peut pas amener d'autres débats devant le tribunal? C'est un petit peu mon inquiétude.

M. Bellemare: Imaginons le cas où le délai n'est pas respecté. C'est pour pallier à cette éventualité. Le délai n'est pas respecté, ça fait cinq mois que l'accidenté attend sa décision, ça ne bouge pas. On le vit actuellement dans des dossiers. Alors, il faut déposer une requête en mandamus pour forcer l'organisme à se prononcer. C'est des coûts, ou bien des injonctions ? en tout cas, il y a toutes sortes de mécaniques ? ou des plaintes. Mais, si on prévoyait, comme c'est le cas dans la loi sur l'accès à l'information, la possibilité que, au terme du délai, il y ait une présomption comme quoi l'organisme a pris position, et le citoyen pourrait aller de l'avant sur la base du fait qu'il y aurait une présomption de prise de position? Parce que, autrement, on introduit un délai puis on ne prévoit aucune mécanique pour en assurer le respect.

M. Gingras (Sylvain): Oui. Bien, cette mécanique-là, effectivement, c'est un peu comme ? passez-moi l'expression ? la carotte ou le bâton, mais, effectivement, permettrait de dire qu'il respecte... ou il y a une conséquence. Oui, c'est fort intéressant. De ce point de vue là, oui, je suis partant. Moi, je suis partant parce que je pense que ça améliore le processus et les délais pour le bénéfice de l'administré ou le justiciable. Oui, effectivement. C'est un point positif. Mais je répète encore que, pour que l'administré se retrouve dans tout ça ? moi, je suis représentant, je sais les conséquences de tout ça, mais pensons à ceux qui ne sont pas représentés ? je pense qu'il serait quand même sage que, malgré cette disposition-là, le tout soit référé au service de conciliation pour informer l'administré, le cas échéant.

M. Bellemare: Le projet de loi prévoit également que l'appel, la contestation serait logée directement au tribunal plutôt que dans l'instance de révision. J'ai expliqué cette semaine la raison de cette nouvelle mécanique, c'est justement que ça permet à l'accidenté d'abord de savoir qu'il existe un tribunal d'appel et de faire en sorte qu'il n'ait pas à subir les inconvénients ou les effets pervers d'une révision. Vous avez parlé tantôt du fait que, devant l'instance de révision, souvent le citoyen se retrouve face à un réviseur qui est formé, payé et choisi bien sûr par l'administration et qui est bien souvent mieux outillé par rapport à la loi que le simple citoyen.

Et l'expérience a démontré qu'il y a un certain nombre de citoyens, une certaine quantité de citoyens qui sont en contestation, qui décident d'abandonner, du fait que l'instance de révision les a convaincus à tort ou à raison qu'ils faisaient fausse route, et beaucoup de citoyens abandonnaient au stade de la révision. Ça rentre dans les bonnes statistiques de l'organisme, qui dit: Voici, on règle 40 % ? par exemple ? des dossiers en révision, mais on sait bien que, le 40 % de dossiers réglés, il y en a qui auraient par ailleurs d'excellentes causes mais à qui on a dit: Écoutez, ça ne donne rien, la loi a été appliquée comme telle. Puis, comme il n'y a pas de contrepartie ou de représentant pour leur dire qu'effectivement ils ont raison sur certains aspects de la contestation, ils abandonnent. Et c'est pour justement pallier à ce problème d'abandon et ce déséquilibre causé par le fait qu'en révision l'organisme a un atout, bénéficie d'un atout considérable, du fait de sa position, qu'on prévoit l'appel direct au Tribunal administratif. Est-ce que vous y voyez un avantage, vous?

M. Gingras (Sylvain): Bien, on y voit tout à fait un avantage. C'est pour ça qu'on est en accord avec cette partie-là de la réforme à 100 %, puisque, effectivement, on est sûr, assuré pour le justiciable qu'il y a un contrôle dès le départ de sa contestation par une instance qui, elle, est indépendante assurément, qui est le tribunal. C'est une mécanique que je trouve fort louable et fort intéressante au niveau de l'efficacité. Et, peu importe ce qui sera pris comme décision pour la révision, avec une présomption de refus sur la décision au bout du délai s'ils ne l'ont pas rendue dans les délais ou si on abolit carrément la révision administrative, il n'en demeure pas moins que le fait que ce soit contesté, que ça aille directement au tribunal, c'est un plus, c'est un plus pour le justiciable et on est assuré au moins qu'il y a une personne, comme je le disais tantôt, qui est indépendante au tribunal ? je présume ? parce qu'il va y avoir des gens qui vont traiter ces dossiers-là au tribunal, alors qui va venir jouer dans la mécanique d'appel pour pouvoir ainsi... que l'administré se reconnaisse un peu plus puis qu'il y ait moins de séances de tordage de boyaux, comme on dit, là. Alors, je suis tout à fait en accord avec ça, oui.

M. Bellemare: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je vais passer la parole au député de Trois-Rivières.

M. Gabias: Bonjour, Me Gingras. Merci de votre participation. Sur un plan très pratique, hein, parce que, comme députés ? puis c'est le cas de mes collègues autant de l'opposition que du gouvernement ? nous recevons dans nos bureaux de comté des personnes qui ont eu non seulement le malheur d'avoir un accident d'automobile, mais en plus d'être confrontés à la Société de l'assurance automobile du Québec, ce qui est tout à fait anormal... Et, pour prendre une expression qui image bien, lorsqu'ils viennent nous voir dans nos bureaux de comté, ça fait un bon petit bout de temps que la pâte à dents est sortie du tube, et on nous demande d'essayer de la remettre dedans, et c'est, vous le comprendrez, presque impossible. Et, quand on étudie le projet de loi, évidemment on étudie un moyen, hein... ce sont des moyens pour assurer une meilleure justice administrative. Et, quand on prend... Et, moi, je veux m'attarder aux cas des personnes qui sont confrontées au problème de la Société d'assurance automobile du Québec.

D'une part, j'aimerais que vous précisiez la situation, comment ça se passe au niveau pratique, qu'est-ce qui se passe pour un accidenté de la route. Et, deuxièmement, j'ai entendu vos commentaires sur, bon, d'abord le fait d'aller directement au Tribunal des recours administratifs et, deuxièmement, espérons-le, d'avoir un processus de conciliation que je pourrais qualifier de tout à fait hermétique, compétent et indépendant. Ce que je veux dire, c'est: Selon vous, le fait que l'accidenté, suite à une décision de la Société de l'assurance automobile du Québec, le fait qu'il s'adresse directement au Tribunal des recours administratifs en sachant également qu'il y a un processus de conciliation hermétique, compétent et indépendant, est-ce que vous pensez que ça peut avoir un effet sur le service donné par les gens à la SAAQ? Alors, pour résumer, là, la situation précise, selon vous, quel effet correcteur ça pourrait avoir directement, là, dans les services offerts par la gens de la SAAQ?

M. Gingras (Sylvain): Bien, écoutez, ça devrait changer la culture actuelle. Du moins, c'est ce qu'on souhaite, parce que la culture actuelle, pour un accidenté de la route, à la SAAQ, ce n'est pas drôle. Il fait sa réclamation, ensuite il a besoin de...

Je vais prendre un de nos cas. C'est souvent des polytraumatisés, hein, les accidentés de la route. Alors, évidemment, en opposition avec les accidents de travail, tu as beaucoup plus de types de lésions, de diagnostics. Alors, il va rendre tantôt une décision favorable à l'administré: Oui, j'accepte ton entorse cervicale, je refuse le traumatisme crânien ? bon, la personne est passée à travers de la fenêtre, hein, de sa voiture, carrément, s'est retrouvée à 200 pieds, ou à peu près 100 mètres, mettons, et on a des détails sur son accident, et tout, bon ? un type de lésion est accepté, l'autre pas.

n (11 h 30) n

Alors là ce qui se passe, c'est qu'il chemine vers le Bureau de révision. Là, ensuite, il a besoin de d'autres éléments qui sont prévus à la loi, comme de l'aide personnelle à domicile. Enfin, je vous passerai les détails. Et ce qui arrive actuellement, c'est que chacune des décisions prend du temps par l'agent de première instance, et ils traitent litige par litige, tant au Bureau de révision qu'au tribunal, le cas de l'administré. Alors, je m'explique les conséquences: un élément qui est accepté, deux autres qui sont refusés. Dans le temps, un en six mois, l'autre un an plus tard qui est refusé. Le Bureau de révision ne va pas traiter les deux, même s'il n'a pas rendu la décision, la première. Souvent, on va voir des dossiers séparés, rendre une décision. Ça va au TAQ actuellement. Là, le TAQ, on est rendu, dans un des dossiers d'administrés, à procéder. On voudrait qu'il réunisse l'autre qui est rendu au Bureau de révision. Ça ne va pas.

Là, j'ai un autre problème. Notre homme ou notre dame a un autre accident ou une rechute, hein, un autre événement. Ça arrive, malheureusement, oui, plus souvent qu'on pense. Là, c'est un autre litige. Compte tenu qu'ils n'ont pas rendu des décisions en relation sur le premier, l'agent de premier niveau ne rendra pas de décision sur l'autre, carrément. Alors là on tourne en rond, on tourne carrément en rond, ce n'est pas compliqué. C'est ce qui fait qu'on procède étape par étape au tribunal.

Ensuite, la conciliation au TAQ, on s'en passerait, parce que, quant à moi, 5 % de résultats en bout de piste, là... Puis, bon, on ne parlera pas de la mécanique. Mais ça n'a pas de bon sens, on n'est pas capable de rallier un ensemble de litiges pour régler potentiellement tous les litiges ensemble. C'est étape par étape. Alors, pour l'administré, l'impact de ce que vous me posez comme question, finalement, c'est: Maintenant, il va y avoir un recours directement au tribunal qui va inciter l'agent, à mon avis, à changer la culture, ou enfin pas l'agent mais la société à changer sa culture, et ça, c'est important. Ça, c'est fondamental.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je me tourne maintenant vers le côté de l'opposition et je passe la parole au député de Dubuc.

M. Côté: Alors, merci, Mme la Présidente. Alors, Me Gingras, bienvenue à cette commission. Merci pour vos propos. Qu'est-ce que vous pensez... Vous avez dit vous-même que vous aviez une expérience assez générale, compte tenu que vous avez déjà représenté l'employeur, la CSST, et maintenant vous vous occupez de représenter le justiciable. Qu'est-ce que vous pensez du paritarisme?

M. Gingras (Sylvain): Pardon?

M. Côté: Du paritarisme.

M. Gingras (Sylvain): Bien, comme je l'ai dit un petit peu plus tôt dans ma présentation, écoutez, le paritarisme... J'emploie, moi, l'expression «valeur ajoutée», hein, «valeur ajoutée». Est-ce qu'il y en a? Bon, on ne vous parlera pas des cancans, des rumeurs qu'il y a dans les corridors depuis l'instauration du paritarisme, qui est parti du Bureau de révision, hein, à l'époque, au tribunal, mais on se posait beaucoup de questions comme juristes. Bon. Alors, le paritarisme, comme je l'ai dit, l'essence du paritarisme, ça vient d'où, ça? Ça vient parce que la Commission de la santé et sécurité, au conseil d'administration, est paritaire. C'est de là que ça vient. Il ne faut pas se poser 56 questions. Bon. Et c'est l'employeur qui par ailleurs finance le système. Alors, est-ce que, comme je le disais tantôt, il ajoute quelque chose? Il n'ajoute rien.

Le paritarisme, ce qu'il vient faire, c'est que ça fait plus imposant pour l'administré, et je vous assure, pour avoir vu des gens qui n'étaient pas représentés quand j'étais à la CSST ou représentant d'employeurs, parce que forcément c'étaient des victimes ou des accidentés de travail qui étaient des fois tout seuls... Bien, écoutez, ils ne savent plus où donner de la tête. C'est imposant. Ensuite, l'un pose des questions, il ne sait pas quoi répondre. Il s'adresse au commissaire souvent puis il va dire: J'ai-tu à répondre à cette question-là? Ce qu'on entend là, c'est assez particulier.

Alors, est-ce que ça aide à l'appareil judiciaire et est-ce que ça aide à la victime? La réponse, c'est: Non, ça n'aide pas; au contraire, il y a des sources potentielles de conflits d'intérêts. Comme je l'ai dit et je le répète, des deux côtés, sans nommer de noms ici, moi, je sais pertinemment qu'il y a des membres qui sont sur les «boards», comme on dit, là, qui entendent des gens et tantôt vont représenter quelqu'un d'autre. Écoutez, comment leurs collègues peuvent-ils être impartiaux, indépendants en les entendant quand ils vont plaider devant d'autres collègues syndicaux ou d'autres collègues patronaux alors qu'eux autres mêmes sont membres du tribunal? Ça fait des situations conflictuelles. Alors, en d'autres mots, pour moi... Et c'est un coût important pour le système. Alors, le bénéfice, ça va être pour tout le monde. Et le principal effet pervers du paritarisme actuellement, c'est que, lorsqu'on veut continuer une audition, les demandes de remise ou de continuation, principalement ajournement... Là, il faut que ce soient les mêmes membres qui l'entendent.

Alors là j'ai eu un téléphone du commissaire la semaine passée. On avait prévu le 19 février pour une cause qui avait débuté en novembre. Bel exemple. On est rendu au mois de mai peut-être parce que, évidemment, les membres, il faut qu'ils se déplacent, il faut qu'ils soient disponibles. Ça fait quoi, ça? Encore des délais. Mon client, moi, il n'est pas payé, ça fait deux ans. Et ça, là, c'est une histoire parmi tant d'autres.

Alors, encore une fois, ça ajoute quoi? Ça ajoute surtout des problèmes de délais, des coûts au système sans ajouter... pour le bénéfice de la victime. Et là, que ce soit un employeur ou un travailleur, vous savez, c'est des membres. Il y a un problème. Peu importe le litige, il faut se poser la question: Est-ce qu'il ajoute ou pas... En matière de financement, vous savez, il n'y en a pas de paritarisme à la CSST. Quand c'est un problème de cotisation avec un employeur ou de classification, c'est un commissaire qui l'entend, hein? Alors, il faut se poser la question. Moi, je pense que la réponse, elle est claire, il n'y a pas de... Il y a beaucoup de problématique plus que d'avantages. En fait, les avantages, quant à moi, il y en a très, très, très peu.

M. Côté: Alors, merci. Je voudrais revenir sur un thème que vous avez développé, sur la conciliation. Certains, très, très peu de personnes avant vous, je pense que c'est la minorité, se sont prononcées carrément contre la conciliation en disant à cette commission: Bon, écoutez, c'est traumatisant pour le justiciable. On a même utilisé des termes assez forts, là, pour dire: Ça n'a pas de bon sens, la conciliation. Mais c'est la minorité, comme je vous dis. Vous, vous êtes favorable à la conciliation. Croyez-vous...

Vous avez parlé surtout de compétence des conciliateurs. Vous voulez que les conciliateurs soient davantage des personnes compétentes. Mais de quelle façon vous voudriez que justement cette conciliation soit davantage reconnue au sein du tribunal, soit davantage utilisée ou qu'on y fasse appel de façon beaucoup plus fréquente? Parce que vous savez que, souvent, lorsqu'on va en conciliation, on a des grosses chances de régler le dossier. Ça ne veut pas dire que ça se règle à tous les cas, mais souvent le dossier se règle par conciliation. Mais ce que je voudrais savoir, c'est: Est-ce qu'il y a possibilité, disons, d'encadrer tout le processus de la conciliation autrement qu'il l'est présentement pour la favoriser davantage au sein de ce projet de loi?

M. Gingras (Sylvain): Bien, écoutez, l'encadrer... Moi, je ne suis pas au service du tribunal actuellement. Ha, ha, ha! Ce que je constate, c'est qu'il y a déjà un très bon encadrement à la CLP. O.K.? On parle de la CLP, là. Le Service de conciliation au TAQ, ce sont des commissaires qui concilient. Alors, tantôt ils ont le rôle de conciliateur, tantôt... en matière d'accidents d'automobile, par exemple. Alors là cet encadrement-là est fort différent et, à mon avis, il n'est pas étanche, il n'est pas indépendant. Écoutez, je me retrouve avec mon client...

Une voix: ...

M. Gingras (Sylvain): C'est ça. Bon. C'est un commissaire qui l'entend, qui explique, qui est commissaire, mais qui a un rôle de conciliateur ce matin-là, puis éventuellement, bien, il va rendre des décisions. Puis, dans son approche...

Je dois vous le dire, l'approche du commissaire en conciliation... Il va nous dire: Bon, si j'avais à décider de... maître, vous devriez peut-être réviser vos positions, hein? Puis au TAQ évidemment j'ai un opposant, je n'en ai pas deux. À la CLP, j'ai l'employeur puis la CSST qui prend souvent la place de l'employeur ou appui à l'employeur très majoritairement. L'avocat de la CSST, je parle. Ils sont un bon nombre, là. Au TAQ, j'ai les avocats de la SAAQ ou de la Régie des rentes du Québec ou le procureur pour l'IVAC. Bon. Alors, j'en ai rien qu'un, opposant, si on peut s'exprimer ainsi. Sauf que le conciliateur, dans la formule actuelle, il n'a pas d'étanchéité, il n'a pas d'indépendance et il nous demande comme règles d'imposer leurs règles à eux autres: Moi, je veux voir ton client ici, sinon je ne continue pas. Ou l'avocat de la SAAQ va dire: Si son client n'est pas là, moi, je ne concilie pas.

n (11 h 40) n

Moi, je n'en reviens pas, parce que, nous autres, notre approche en conciliation est fort différente. Moi, j'ai fait mes classes en médiation avec le cours que le Barreau a donné, là, médiateur accrédité, puis ça fait un petit 10 ans de ça, et la première approche, c'est justement que, le client, des fois, il faut qu'il soit distant du processus. Alors, ça, c'est important. Actuellement, les règles de conciliation au TAQ sont mal encadrées, et c'est évidemment des choses qu'on voit souvent. C'est la pression de l'organisme qui est en face de nous, notre opposant, comme je le disais, qui va imposer ses règles, lui.

Moi, quand je suis arrivé à faire des dossiers d'accident d'automobile, après à peu près une douzaine d'années de pratique, je vous dis, les deux bras m'ont tombé. C'est aussi simple que ça. Je n'avais jamais vu ça. Moi, de la conciliation, pour moi, ça prend un conciliateur qui est indépendant puis ça prend des règles, et ces règles-là ne sont pas présentes au TAQ, mais pas du tout.

M. Côté: Vous seriez en faveur d'une uniformisation pour toutes les divisions du TAQ.

M. Gingras (Sylvain): Oui. C'est pour ça que je parlais d'un guichet unique pour la conciliation, parce qu'on est sûr à ce moment-là que ça agit de la même façon tout en conservant évidemment... faire attention avec la disparité régionale parce que souvent ce qu'on fait face, c'est avec la régionalisation, des façons de faire, des approches qui sont parfois différentes, en sus, là, des visions des individus. Alors, c'est peut-être, disons, le petit bémol qu'on a, là, de faire attention à ça dans l'approche générale.

M. Côté: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): Donc, j'ai le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Merci, Mme la Présidente. Me Gingras, bienvenue. Vous avez une expérience tout à fait unique pour avoir travaillé, autant du côté patronal que syndical, à l'intérieur de l'appareil, dans le cas de la CSST, et en pratique privée. J'aimerais revenir sur la question du paritarisme. Vous avez décrit, je pense, assez clairement votre opinion là-dessus. Il y a certains éléments de précision que j'aimerais savoir. Notamment, la très grande majorité des groupes qui ont été entendus avant vous ont eu un jugement à peu près semblable quant aux conclusions sur l'intérêt de maintenir le paritarisme. Majoritairement, les groupes se sont exprimés contre le paritarisme. Nous avons entendu les représentants de la FTQ dans une séance antérieure qui ont expliqué qu'il s'agissait d'une question de culture, ce qui, parlant pour moi-même, est un argument un peu court pour militer en faveur du paritarisme. Et hier, et j'en suis au verbatim de la séance d'hier, les représentants de la CSD... le vice-président nous disait que le paritarisme finalement permettait de rééquilibrer la situation parce qu'il y avait des experts patronaux et des experts syndicaux qui conseillent les commissaires et peuvent intervenir pour rééquilibrer les questions et qu'il y avait un avantage surtout pour les travailleurs.

J'ai eu l'occasion de déposer dans une séance antérieure un tableau sur les taux de succès pour la période de la CALP, c'est-à-dire entre 1986 et 1997, où il n'y avait pas de paritarisme, et de la CLP postérieurement, entre 1997 et 2003, et on se rend compte qu'à l'égard du taux de succès le pourcentage en faveur des travailleurs baisse dans le cas du paritarisme de façon assez importante. Vous avez fait valoir votre point de vue. Je reviendrais sur deux éléments. D'abord, est-ce que vous estimez... Il n'y a aucune obligation dans la loi, à ce que je sache, à ce qu'il y ait une formation particulière pour les membres paritaires, contrairement à ce qui existe, par exemple, à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, où on exige une certaine formation universitaire, notamment. Qu'en est-il? Quelle est votre opinion à cet égard-là?

M. Gingras (Sylvain): Oui. Écoutez, actuellement, il y a eu de la formation interne ? ça, on est tous au courant de ça, je crois ? pour les membres tant syndicaux que patronaux. Il y a eu de la formation. De la formation académique exigée, il n'y en a aucune, effectivement. Est-ce que, si ça devait, disons, continuer, le régime de paritarisme, il devrait y en avoir? Bien, ce serait certainement un prérequis pour s'assurer d'une qualité de personnes, surtout quand on...

Je n'avais pas lu le verbatim de la commission d'hier, là, mais, si vous me dites que la CSD qualifie ces gens-là d'experts, j'ai un gros bémol à mettre là-dessus. La qualification d'un expert, ce n'est pas ça du tout, au sens juridique du terme et au sens propre, quant à moi. Ils peuvent être spécialistes, mais, encore là, spécialistes, il faut voir. Vous savez, il n'est pas rare de voir des organisations syndicales, avec leurs délégués, gérer leurs dossiers CSST. Je le sais parce que j'en représente. Mais ils font leur possible. Mais est-ce qu'ils sont des spécialistes parce qu'ils font de la CSST ou parce qu'ils sont membres d'un tribunal ou membres d'une association? Je ne suis pas sûr de ça, là. Est-ce qu'ils ont toutes les qualités requises pour se faire reconnaître comme experts? Pas du tout, à mon sens. Mais, oui, ce serait une approche intéressante.

Mais néanmoins le problème, c'est qu'on a à peu près 40 % de la population active, hein, qui est syndiquée. Alors là on a des gens, au niveau du syndicalisme, qui poussent beaucoup pour maintenir le paritarisme, et au nom de 40 % d'une population active, puis, pour la population totale du Québec, ça représente peut-être la moitié, hein?

Je vous dis, moi, je représente des gens qui viennent à mon bureau, qui sont non syndiqués majoritairement mais qui sont syndiqués aussi puis qui décident de faire affaire avec un avocat dans le privé. Je vous dis, je comprends mal qu'on insiste tant à quelque chose qui, je le répète encore, n'ajoute pas... Et là, si on les qualifie d'experts, bien là je comprends mal. Parce que le commissaire est la personne, dans un tribunal administratif, spécialisée. C'est l'essence. Lui, il connaît ça. Il peut avoir des observations, mais l'expert, c'est celui qui est entendu en preuve, hein? Un expert médical. Je ne sais pas, si on a un problème de plongée sous-marine, ça va peut-être être un plongeur qui va être reconnu comme expert. C'est fort différent.

Alors, en réponse à votre question, ça nécessiterait un niveau de formation minimal certainement et meilleur que ce qu'il y a là au niveau académique, mais ça ne réglera pas le problème, quant à moi, ça maintiendrait une situation qui pour moi... enfin qui n'ajoute rien.

M. Moreau: Le projet de loi dans sa forme actuelle prévoit d'abord un rétrécissement, je dirais, du champ du paritarisme pour le résumer aux questions d'accessibilité au régime ou d'option de la personne qui s'adresse à l'appareil en question, à l'appareil quasi judiciaire. Cependant, ce que l'on constate, c'est que toutes les centrales syndicales n'ont pas accès à la nomination des membres paritaires. Notamment, la FTQ, je pense, a un taux de nomination d'à peu près 60 %, et on a entendu les gens de la FIIQ qui nous disaient qu'ils étaient d'accord pour faire disparaître le paritarisme, mais, s'il se maintenait, ils aimeraient bien ça, eux, avoir la possibilité, eux également, de nommer des membres pour ne pas qu'il y ait une chasse gardée de certaines centrales syndicales. Avez-vous une opinion là-dessus?

La Présidente (Mme Thériault): Je vous demanderais de répondre à l'intérieur d'à peu près 1 min 30 s, parce que c'est le temps qu'il nous reste.

M. Gingras (Sylvain): Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. Gingras (Sylvain): Bien, écoutez, il est certain que ça va un petit peu avec mon discours de tantôt. On a un problème, c'est qu'il y a une majorité encore de justiciables qui font face au tribunal qui ne sont pas syndiqués, et les membres qui sont nommés sont représentatifs de seulement 40 % de la population active, mais pas la population totale, donc c'est un déséquilibre. Alors, peut-être qu'il y aurait lieu de rétablir ça, oui. Et j'en profite pour vous dire qu'il n'est pas rare non plus de trouver des dissidences d'un membre syndical dans une décision de la CLP à l'endroit du justiciable qui pourrait être même un membre syndical lui-même. Alors, on se pose des questions. Est-ce qu'il est là... Ajoute-t-il pour le membre syndical... Je ne suis pas sûr, moi, alors que le discours syndical porte sur ça. Il aide les gens, moi, je ne suis pas convaincu de ça. Voilà.

M. Moreau: Merci, Me Gingras.

La Présidente (Mme Thériault): Donc, Me Gingras, merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux. Nous allons maintenant suspendre quelques minutes pour que le prochain groupe prenne place.

(Suspension de la séance à 11 h 49)

 

(Reprise à 11 h 53)

La Présidente (Mme Thériault): Nous allons maintenant poursuivre nos travaux et nous allons entendre Me Denys Beaulieu. Maître, la parole est à vous.

M. Denys Beaulieu

M. Beaulieu (Denys): Merci, Mme la vice-présidente. M. le ministre, Mmes, MM. les membres de cette commission, je suis conscient des contraintes de temps qui me sont relativement accordées et j'ai l'habitude des plaidoiries écourtées, alors le mémoire que je vous présente a été rédigé avec l'esprit d'analyse. Sa présentation sera faite avec l'esprit de synthèse, je l'espère.

Je suis avocat depuis maintenant 24 ans et depuis 12 ans je consacre ma pratique au domaine surtout de l'indemnisation des lésions professionnelles. J'ai débuté dans ce secteur-là, je dirais, à rebours, en étant d'abord commissaire au sein du tribunal de dernière instance qui était la CALP à l'époque. J'y ai été commissaire pendant sept ans avant d'effectuer un retour sur le terrain, sur le plancher des plaideurs, depuis les cinq dernières années. Je représente indistinctement des travailleurs, des employeurs ou des associations d'employeurs qui sont regroupées en mutuelles de prévention. J'ai eu quelques interventions à faire devant le TAQ, mais d'une façon tout à fait sporadique. L'essentiel de ma pratique est consacré au domaine de la CSST en particulier.

J'enseigne également... j'ai développé un volet pédagogique à mon expertise. J'ai contribué à la formation, entre autres, des nouveaux assesseurs médicaux et des nouveaux commissaires de la CLP qui ont été nommés dans cet organisme en février 2000. Alors, en 1999 et en 2000, j'ai eu à participer activement à la formation de ces nouveaux éléments du tribunal.

Par la suite ? et je maintiens cette qualification-là ? je suis chargé de cours pour l'Université de Montréal. J'enseigne aux étudiants qui sont inscrits au Certificat de santé et de sécurité du travail qui est offert par la Faculté de l'éducation permanente. J'enseigne à Québec, Montréal, Laval et Longueuil. Et je suis également un formateur régulier à la formation permanente du Barreau du Québec, toujours dans le milieu de l'indemnisation des lésions professionnelles.

Le mémoire que je vous présente ? je vous ferai grâce évidemment de sa lecture servile ? vous constaterez qu'il a été divisé en trois parties principales, une première qui concerne la réforme comme telle dans son ensemble, une deuxième partie qui est consacrée plus spécifiquement à la section des lésions professionnelles, une troisième partie où bien humblement je soumets une proposition d'amendement à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour corriger, me semble-t-il, ce qui est une omission dans la loi actuelle et qui parfois complique l'existence des praticiens. Et j'aurai quelques remarques en conclusion qui sont des éléments de réflexion et des pistes de solution sur le projet de réforme présenté par le ministre de la Justice.

Je vous dirai, pour terminer cette introduction au sujet, que la réforme qui avait présidé à la mise en place de la CLP en 1997... La CLP a commencé sa vie juridique, comme le TAQ, le 1er avril suivant, en 1998, mais cette réforme-là avait été parrainée par la CSST. J'irais même jusqu'à affirmer sans crainte de me tromper beaucoup que cette réforme-là, à toutes fins utiles, c'était la CSST qui en était le législateur. Vous comprendrez un peu plus dans quel contexte je m'exprime de cette façon-là.

Une dernière prémisse par rapport au sujet qui est abordé, c'est que, dans la réforme des tribunaux administratifs dont on discute la mise en place, il faut toujours considérer qu'on traite de l'humain dans ces dossiers-là. On ne traite pas seulement des dossiers, on n'a pas affaire simplement à des problèmes, on a affaire surtout à quelqu'un, une personne physique qui vit un problème par rapport à l'administration, que ce soit la SAAQ, la Régie des rentes, la Régie de l'assurance maladie ou la CSST.

Pour ce qui est de la réforme comme telle, le projet de loi prévoit, entre autres, la présence du tribunal en région. Je salue cette initiative, c'est un bienfait. Ça permet au justiciable justement d'avoir accès souvent dans sa propre région à justement le tribunal, la présence du tribunal et même des infrastructures. Depuis 1998, entre autres, la CLP est présente dans une quinzaine de régions du Québec. Elle a des installations physiques, elle a du personnel qui est là, elle a des installations, ce qui fait en sorte que le justiciable n'a pas nécessairement à se déplacer dans les grands centres qui sont Québec et Montréal, où il devait le faire auparavant, du temps de la CALP.

n (12 heures) n

La présence du Tribunal des recours administratifs du Québec serait d'autant facilitée que ces installations actuelles de la CLP pourraient déjà être utilisées par le nouveau tribunal. Elles sont souvent sous-utilisées en raison notamment de la très grande efficacité de la conciliation à la CLP, d'une part, et, d'autre part, aussi par le fait qu'on y retrouve, comme devant n'importe quel tribunal, des remises qui sont inévitables et qui créent évidemment des périodes de vacances qui pourraient être comblées lorsque ces périodes-là sont connues suffisamment tôt.

Pour ce qui est de l'amélioration des délais de traitement des dossiers, le projet de loi n° 35 s'articule autour de trois thèmes principaux: une modification à la révision administrative, d'une part, une conciliation qui serait institutionnalisée et le respect des dispositions qui sont déjà prévues dans les lois existantes.

Pour ce qui est de la modification à la révision administrative, le fait de permettre à l'organisme de se réviser lui-même est une bonne chose en soi. D'y accorder un délai de 90 jours pour le faire me semble tout à fait raisonnable. Je dirais que le bémol que j'apporte concerne la présomption d'abandon du recours que l'on a retrouvée, entre autres, au nouvel article 359.1 de la LATMP, au nouvel article 8349.1 de la Loi sur l'assurance automobile. Et les autres lois des autres organismes sont modifiées en conséquence. Je m'exprime très clairement dans le mémoire, mais je vous implore ce matin de retirer cette présomption d'abandon parce que le justiciable va être échappé par cette façon de faire. Il y a beaucoup de... Et souvent, quand je parle du justiciable, je fais surtout référence au citoyen ordinaire qui ne mesurera pas la portée de cette présomption-là, ce qui va faire en sorte qu'il va croire que son recours est toujours maintenu, que sa contestation est toujours maintenue, même si l'organisme a rendu une décision modifiée. On risque d'échapper des gens avec cette façon de faire, et je ne crois pas, d'une part, que c'est l'intention visée par cet article-là, et cette modification-là devrait être retirée. Je sais que d'autres intervenants ont exprimé également des réserves au même effet, c'est pourquoi je n'insiste pas plus là-dessus. Je pense que l'effet de cette présomption-là serait catastrophique sur la clientèle.

Je m'exprime dans mon mémoire sur le fait également que, pour assurer, je dirais, une très bonne application ou une application optimale de cette mesure, il faudrait que ce soit le tribunal qui en ait l'initiative. J'entendais Me Gingras tantôt parler dans un autre contexte de guichet unique, mais c'est un peu ce qu'on veut créer dans ce cas-ci. Le justiciable produit sa contestation au tribunal, et c'est le tribunal qui a l'initiative d'en faire le suivi en termes de révision administrative par l'organisme et également de savoir si le justiciable persiste dans sa contestation lorsque la décision révisée est rendue. Ma foi, ce serait relativement facile à appliquer avec les ressources internes du nouveau tribunal. Et surtout je pense qu'une relance même par téléphone pourrait être faite au justiciable en question, et elle pourrait avoir de meilleurs résultats qu'un rappel écrit automatisé, dirait-on.

Deuxième aspect, qui concerne la conciliation. On voit dans le projet de loi, au nouvel article 119.6 de la Loi sur la justice administrative, que, la conciliation, on est tenu d'y participer. Généralement, la réponse du justiciable, elle est excellente. La conciliation n'a pas les mêmes résultats partout, mais, si on se fie à l'expérience de la CLP et de la CALP avant elle, qui remonte à pratiquement 15 ans, on y retrouve un très beau succès, et c'est dans l'esprit également, je dirais, des réformes qui ont été apportées à la procédure civile que l'on retrouve devant les tribunaux judiciaires. C'est dans l'ordre des choses d'offrir dorénavant de la conciliation, et toujours dans l'esprit du vieil adage qui dit que le pire règlement vaut toujours le meilleur jugement. On y retrouve également une économie en termes de délai, de frais et, ma foi, aussi en termes d'émotion. Lorsqu'une partie a concilié un litige, règle générale, les deux parties se sont, entre guillemets, dépouillées d'une façon plus ou moins égale, ce qui fait en sorte qu'on retrouve une forme de consensus, ce qui est beaucoup, je dirais, moins offusquant que, évidemment, de subir les affres d'un procès suivi d'une décision, d'un jugement où inévitablement il y a un gagnant et un perdant. Évidemment, la conciliation revêt énormément d'avantages de ce côté-là.

Qu'elle soit obligatoire, j'invite le législateur à la prudence par rapport à ça. C'est toujours plus efficace lorsque c'est libre et volontaire. Qu'elle soit offerte systématiquement, comme c'est le cas présentement à la CLP, il me semblerait tout à fait correct... Les parties sont invitées à communiquer avec un conciliateur qui connaît leur dossier et qui peut à ce moment-là servir d'intermédiaire dans leur discussion. De l'obliger purement et simplement me semblerait mettre une pression sur les parties, ce qui n'est pas sans doute le but recherché par le législateur.

Une modification est apportée également ? et c'est un aparté que je fais, une parenthèse que j'ouvre, très courte ? sur le libellé du nouvel article 359.2 de la LATMP, où on fait passer de 20 à 30 jours le délai alloué à la CSST pour transmettre le dossier au tribunal. Un délai de 20 jours me semble tout à fait suffisant. Je comprends que 10 jours, ce n'est peut-être pas grand-chose dans la procédure, mais, lorsque c'est 10 jours qui en bout de ligne s'additionnent aux autres, il n'y a pas de petit délai, et cette économie de 10 jours pourrait être facilement réalisable. Le délai est plus ou moins respecté actuellement parce qu'il existe à l'actuel article 429.26, mais on pourrait faire en sorte qu'il soit respecté, purement et simplement.

Les assesseurs, j'aborde ce sujet dans mon mémoire. Le ministre propose dans son projet de loi que dorénavant les litiges soient entendus par un membre seul. Je vous dirai que, dans une bonne proportion, cette façon de procéder peut tout à fait convenir à la plupart des dossiers. Par contre, la présence d'un assesseur spécialiste peut s'avérer très importante et souvent déterminante dans certains dossiers qui sont plus lourds et qui amènent une preuve beaucoup plus élaborée. Cette justification-là est faite... Généralement ? et je le sais pour en avoir déjà discuté par le passé avec des collègues et avec d'autres intervenants ? devant les tribunaux judiciaires, les juges sont seuls. Ils n'ont pas généralement d'assesseur avec eux, à moins de procéder à la désignation d'un expert qui devient l'expert du tribunal. Cela est vrai, et évidemment la plupart des dossiers des tribunaux administratifs pourraient sans doute passer à travers le même moule.

Là où j'apporte un bémol, c'est que, devant un tribunal administratif, on doit décider des litiges en tenant compte de l'équité. Et c'est nommément écrit dans quelques lois, notamment dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Lorsqu'on fait appel à cette notion la plus noble de la justice, de l'application de la justice, on fait référence au fait que, le décideur doit, à ce moment-là... sa gestion de l'audience doit permettre de corriger les carences de la preuve et doit lui permettre également de faire abstraction soit des lacunes ou des omissions qui peuvent être commises par le plaideur qui est inexpérimenté, maladroit ou incompétent. Le juge du tribunal judiciaire va décider du litige en fonction du droit applicable et en fonction de la preuve qui lui est faite strictement. Il ne peut pas aller au-delà. C'est différent lorsqu'on parle des tribunaux administratifs. Et j'invite le législateur à la prudence par rapport au retrait systématique des assesseurs spécialisés. Le justiciable doit avoir le droit de procéder devant un tribunal qui est compétent.

n (12 h 10) n

Prochain sujet abordé: le statut des juges administratifs. On prévoit, au nouvel article 38 de la Loi sur la justice administrative, que les juges administratifs seront désormais nommés durant bonne conduite. Pour en avoir été moi-même, je salue également cette initiative du ministre, c'est un changement qui était ardemment souhaité. La précarité du statut des membres, des commissaires, des régisseurs, peu importe comment on les appelait, a toujours été un sujet délicat. Le justiciable ne mesure pas toujours l'inconfort qui peut même parfois être palpable lorsqu'un décideur est en attente du renouvellement ou non de son mandat. Il est même arrivé dans le passé que des mandats soient expirés depuis de nombreuses années sans même que le décideur n'ait aucune communication de la part de l'Exécutif à ce sujet. Si le justiciable connaît ? et ça arrive que le justiciable connaisse ? cette situation-là, c'est suffisant pour éveiller chez lui une crainte raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité du décideur. Ça ne devrait pas être.

Enfin, quant à la cohérence décisionnelle, il est souhaitable, dans un tribunal administratif quel qu'il soit, que la décision attendue, elle soit prévisible d'une région à une autre. Évidemment, dans un monde idéal, il faut éviter de créer un cristallisation régionale ou tout simplement une cristallisation d'une jurisprudence contradictoire. À ce sujet-là, je propose ? et c'est un commentaire général ? que le nouveau Tribunal des recours administratifs du Québec conserve la possibilité d'utiliser ce qu'on appelait dans le jargon courant des équipes volantes, des équipes de juges administratifs et d'assesseurs qui avaient pour mission de se rendre en région pour entendre des causes et en disposer.

La Présidente (Mme Thériault): Me Beaulieu, je dois vous demander de conclure, puisqu'il vous reste une minute, s'il vous plaît.

M. Beaulieu (Denys): Merci. Je vais aborder succinctement la section des lésions professionnelles. Pour ce qui est de la révision administrative qu'on retrouve présentement à la CSST, je me contenterai de vous expliquer que c'est plus ou moins un passage obligé, que les nouvelles dispositions qui sont prévues dans le projet de loi vont provoquer évidemment un changement relativement majeur en termes de philosophie et d'application. Je n'ai pas de pronostic ? il est réservé ? quant au succès éventuel de la révision, mais c'est tout à fait dans les normes de le changer.

Pour ce qui est des membres que l'on retrouve devant la CLP, les membres issus présentement ont une affectation qui est strictement territoriale. Leur désignation pour siéger avec un commissaire n'est pas fonction de leur champ de compétence particulier, de leur expérience passée. C'était le but de leur présence lors des commissions parlementaires tenues en 1996 et 1997, lors de la réforme qui a été mise en place à ce moment-là. Détail important à vous souligner, même si vous le connaissez, mais, pour l'avoir vécu moi-même, ces membres-là ont un rôle qui est essentiellement partisan à jouer. Par rapport à l'administration saine de la justice, cela heurte un peu les convictions qu'on peut avoir.

La présence de l'assesseur médical amène une distinction qui est très particulière par rapport à la section des lésions professionnelles, et c'est le fait qu'on doit toujours avoir en lumière que, en matière d'indemnisation de lésions, on n'a pas un problème juridique auquel on accole une connotation scientifique, c'est l'inverse qui se passe: tous les dossiers de CSST ont pour origine un rapport médical. On a donc un dossier médical auquel on accole un cadre juridique. C'est ce qui fait que la présence des assesseurs me semble très importante.

La Présidente (Mme Thériault): Et, malheureusement, je devrai vous interrompre, puisque le temps que vous aviez est passé.

M. Beaulieu (Denys): Et c'était prévisible. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Thériault): Et je passerai la parole au ministre de la Justice. M. le ministre.

M. Bellemare: Alors, merci, Me Beaulieu, pour cette présentation. Et j'irai tout droit à votre expérience pratique comme commissaire. Des associations de juges administratifs se sont présentées ici depuis le début des audiences mardi dernier, et, à mon avis, c'est tout à fait sain et essentiel. Les juges ont bien sûr un devoir de réserve, mais ça ne les empêche pas d'exprimer leur point de vue sur tous les éléments de la réforme, dans la mesure où ça peut faire progresser la justice administrative au bénéfice de tous les citoyens qui y ont accès.

Vous avez agi comme commissaire à la CALP. Est-ce que vous avez vécu le paritarisme à la CLP? Avez-vous été à la CLP un bout de temps?

M. Beaulieu (Denys): Oui, j'ai vécu le paritarisme à la CLP.

M. Bellemare: Bon. Alors, mes questions seront très directes. Nous avons entendu... Vous êtes le 28e à vous présenter ici, et beaucoup de personnes ont émis des opinions sur le paritarisme. La FTQ et la CSD ont défendu le paritarisme. Les autres ou bien n'ont pas d'opinion ou bien en ont émis qui sont plutôt à l'effet contraire, alléguant que le paritarisme serait ou bien coûteux, inutilement coûteux, aurait un effet à la baisse quant à la productivité aussi, plus lourd comme formule... D'autres également alléguaient ? et vous l'avez fait tantôt ? l'argument de l'indépendance, là, en disant: Oui, mais là il y a des gens qui jouent un rôle partisan ? c'est ce que vous dites ? et, du fait qu'ils sont partisans, c'est contraire à la notion même de tribunal, qui, par définition, ne doit pas être préjugé, d'aucune façon.

Comment ça fonctionne, le paritarisme? Vous, vous avez été commissaire, vous avez vécu ça, le membre syndical, le membre patronal. La dynamique qui s'installe, en quoi cette dynamique-là pourrait heurter les principes d'indépendance qui sont au coeur même de la réforme? Dans les faits, dans la pratique, comment ça marche?

M. Beaulieu (Denys): Pour l'avoir vécu ? ma réponse va être tout aussi directe que la question ? je vous dirai que ça va être fonction beaucoup de la personnalité du décideur. Pour certains, ils vont avoir, je pense, une belle dynamique avec les membres patronaux et syndicaux; pour d'autres, il va y avoir une forme de distance qui va se créer. Ce n'est pas toujours un exercice facile de devoir chercher à concilier les opinions des uns et des autres. L'exercice de rendre la justice, quel qu'il soit, présuppose une préparation préalable du dossier, une gestion efficace de l'audience et par la suite une période de délibéré qui est un exercice essentiellement intellectuel. Lorsqu'on a des membres patronaux et syndicaux qui accompagnent le décideur, il y a un échange qui se passe à ce moment-là. Si ces membres-là ont déjà un biais, le commissaire, bien qu'il soit le seul à décider ? parce que c'est comme ça que ça se passe à la CLP ? aura quand même une certaine tâche de conviction des deux membres ou de celui qui est, entre guillemets, dissident ou minoritaire. Ça peut compliquer effectivement l'exercice.

Par contre, je vous dirai ? et je vais être très honnête dans ma réponse ? il m'est arrivé, dans certains dossiers lourds médicalement où la preuve est contradictoire, dans la période du délibéré qui suit immédiatement l'audience, de pousser ma chaise et de regarder les deux autres membres avec un petit sourire en coin et de dire: Qu'est-ce que vous en pensez, vous autres? C'est arrivé très peu souvent, parce que, en réalité, il n'y a rien de plus simple que d'être le seul à décider. On décide en son âme et conscience et au meilleur de sa connaissance et de sa compétence. Le fait d'avoir des opinions qui sont de surcroît partisanes va devenir, je pense, un obstacle à la réalisation de l'objectif, parce qu'on doit, en plus de ça, l'écrire dans l'avis qui figure dans la décision.

n (12 h 20) n

Ce n'était pas pour moi un exercice qui était complexe. J'avais régulièrement, je dirais, bien préparé le dossier, l'audience m'avait rarement apporté de nouveaux éléments. J'étais donc très à l'aise pour discuter de ces questions-là avec les membres. Et je n'avais pas non plus à les convaincre ou à les rallier à ma position, je leur expliquais pourquoi je verbalisais, ni plus ni moins, le raisonnement juridique que j'allais emprunter. Mais de fait ça oblige à une discussion, et il me semble rare ? je parle pour moi, parce que je ne peux pas parler pour mes anciens collègues ? qu'on change d'idée dans le cours de ce délibéré-là avec les membres.

M. Bellemare: Je relisais les débats qui avaient eu lieu en 1996-1997 sur la création de la CLP. À l'époque, il y avait une opposition assez forte au paritarisme. La formule paritaire l'a emporté, le choix du législateur s'est orienté vers le paritarisme dans tous les cas, sauf pour le financement. Mais certains parlaient même de marchandage. Ils disaient: Si vous introduisez le paritarisme et l'obligation qu'il y ait un membre syndical et patronal, il y aura des deals qui se feront, il y aura... Bon, le matin tu as gagné, l'après-midi c'est moi, c'est à mon tour, etc.

Est-ce que c'est une impression qui n'est pas fondée chez certains ou si, de votre expérience, vous avez vécu des cas où les membres syndicaux et patronaux marchandaient des dossiers?

M. Beaulieu (Denys): Je ne répondrai pas à cette question-là particulière de cette façon ou de la façon que vous souhaitez l'entendre. Le problème ne se pose pas comme ça. Le fait d'avoir, disons, quatre causes à entendre une telle journée... Et il se peut fort bien que ce soit la partie qui est en demande qui soit, supposons, le travailleur, et il se peut fort bien, dans une journée, que les quatre causes où ce sont des travailleurs qui sont en demande, ce soit 4-0, si vous me passez l'expression. Ce ne sera pas nécessairement 2-2. Ce n'est pas véritablement comme ça que ça se vit sur le terrain.

Là où ça va être délicat, c'est lorsqu'un membre approche de l'échéance de son mandat et qu'il sait pertinemment que les membres issus, les membres patronaux et syndicaux, tiennent une forme de statistique sur sa performance. Ça, jumelé au fait qu'il y a cette souque à la corde, va venir peut-être le rendre très inconfortable dans la décision qu'il aura à rendre.

Le renouvellement des mandats fait en sorte que, n'ayant pas d'assurance malgré un dossier, ma foi, très bon, on n'a jamais aucune assurance du renouvellement de notre mandat; c'est laissé au bon vouloir du prince, avec, je dirais, la notion d'incertitude qui l'accompagne, d'où l'inconfort manifesté dans ces situations-là. Alors, je jumelle deux aspects à la question que vous me posez.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Je crois que le député de Trois-Rivières a une intervention.

M. Gabias: Merci, Mme la Présidente. Bonjour et merci, Me Beaulieu, de votre contribution. Je voulais aller davantage sur la question de la fusion de la CLP et du Tribunal administratif. Il y a eu des représentations à l'effet que la réunion des deux tribunaux et en fait la jonction, si on veut, des membres de ces tribunaux-là posaient problème, en ce sens que les compétences développées à la CLP n'étaient peut-être pas nécessairement compatibles avec les compétences développées au Tribunal administratif du Québec.

Vous qui avez agi comme commissaire à la CALP et à la CLP, est-ce que vous êtes de cette opinion-là ou si au contraire vous voyez un avantage peut-être de cette fusion des cerveaux?

M. Beaulieu (Denys): Le problème se pose dans le fait que, dans la Loi sur la justice administrative, on prévoit une permutation, si vous me permettez l'expression, des membres d'une section à l'autre. C'est sûr que présentement la section des lésions professionnelles est limitée à l'indemnisation des lésions professionnelles et au volet financement. À l'heure actuelle, on pourrait difficilement importer un juge administratif de la CLP dans une division, dans une section du nouveau tribunal sans lui donner une formation d'appoint. Ça se ferait, je pense, facilement. Les formations qui sont offertes soit à l'interne par les organismes ou encore par l'ENAP pourraient facilement permettre d'adapter la formule.

Je dirais qu'a contrario la même chose pourrait être vécue, de déplacer un membre du TAQ actuel pour l'envoyer à la Commission des lésions professionnelles. Ça l'obligerait à un exercice intellectuel intense mais qui est tout à fait réalisable, et ça, à cause de la spécificité des lois qui sont appliquées. C'est sûr qu'il faudrait qu'il y ait une période de flottement un peu pour permettre à ces juges administratifs là d'adapter leurs connaissances en conséquence.

M. Gabias: Si je comprends bien, la formation permanente vient facilement au secours de cette difficulté-là.

M. Beaulieu (Denys): C'est souvent un plus.

M. Gabias: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): C'est bien. D'accord. Donc, je céderai maintenant la parole au représentant de l'opposition officielle, le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, merci, Me Beaulieu, de nous faire profiter de toute votre expertise dans ce domaine. Je vais finir où est-ce que... je vais commencer plutôt où est-ce que vous avez fini avec le ministre. Il y a des choses obscures sur lesquelles on n'a pas d'emprise, encore plus en politique, je vous dirais, celui de la délibération, celui de... Comme plaideur, des fois ça m'est arrivé de dire: Les gens ne comprennent pas nécessairement les points de vue qu'on amène. Comment se fait-il que le processus... Il y a quelque chose de faux dans le processus qui m'amène à finalement... que la décision se retourne contre moi ou contre ceux que je représente. Évidemment, il ne faut jamais le prendre au niveau personnel, mais il reste qu'il y a quand même... Ça reste sous forme d'impression, parce qu'on n'est pas dans la tête du décideur, qu'effectivement il peut se créer des désavantages. Et une de ces impressions a été bien énoncée par le ministre, celle que la parité amène finalement la balance, le donnant-donnant ou presque, si on veut.

Et là vous avez sorti un élément qui est quand même assez percutant, celui du fait que maintenant les personnes étaient évidemment nommées sur périodes. Il y avait des statistiques qui faisaient en sorte qu'une personne pouvait se retrouver dans une situation assez inconfortable lorsque venait le temps de la nomination, en termes de recommandations, j'imagine.

M. Beaulieu (Denys): ...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bédard: Certains pourraient dire, remarquez ? et là je ne défends pas cette thèse ? mais, je vous dis, certains pourraient dire, par exemple: Par contre, c'est comme les juges qui sont issus de telle pratique. Vous savez, on est capable de situer un juge qui défendait des assurés versus un juge qui défendait des assureurs, hein? Quand on se retrouve devant le tribunal... Je me souviens de mes collègues parce que... Attention, lui, il était de l'autre bord. Alors, ça faisait en sorte qu'il n'était pas malintentionné, mais, évidemment, dû au fait qu'il avait invoqué plusieurs arguments pendant toute sa vie, il pouvait avoir une prédisposition à recueillir de telles choses. Et c'est pour ça que je vous dis: Ça ne met pas en doute ce que vous dites, et j'aurais tendance même à le croire, là, que ça avait un impact.

Est-ce que vous pensez que le fait de nommer les gens selon bonne conduite, maintenant, ça empêche, finalement, je vous dirais, le risque ou l'aspect inconfortable dans lequel se trouvait le décideur?

M. Beaulieu (Denys): Pour l'inconfort, c'est sûr et certain que ça va de beaucoup soulager certains décideurs qui sont plus sensibles à cette situation-là. Et, en bout de ligne, évidemment, c'est le justiciable qui va y gagner. Le problème se situe aussi à un autre niveau. Le paritarisme en général est dans les moeurs en matière de relations de travail. Et j'entendais l'autre soir M. Massé s'exprimer sur le fait que ça fait partie, je dirais, de l'héritage qu'on retrouve dans le milieu patronal et syndical. On est habitué à ça. C'est toujours le même public, c'est toujours les mêmes intervenants et c'est très vrai, à la différence cependant que, lorsqu'on applique une convention collective ou lorsqu'on la discute, on n'aborde pas l'application d'une loi. Et c'est là que les tergiversations qu'on va retrouver, à cause du paritarisme, viennent parfois heurter des convictions, dans le sens où, au moment où le juge administratif a à discuter de l'application de telle disposition de la loi, bien qu'il puisse avoir des échanges fort intéressants avec les membres patronaux et syndicaux, ces discussions-là ne devraient pas obvier de son devoir premier qui est de voir à l'application de la disposition législative, en fonction évidemment du contexte particulier qu'on y retrouve.

n (12 h 30) n

L'inconfort va se manifester d'une façon plus particulière chez certains individus. On ne fait pas abstraction de son passé. Un procureur qui a fait du droit patronal toute sa carrière ? et la même chose du côté syndical ? n'aura pas, au début de son exercice, nécessairement l'aisance voulue. Je peux vous dire, pour avoir côtoyé, par exemple, une grande majorité des commissaires actuels de la CLP, que je n'ai jamais noté chez mes collègues, mes ex-collègues de travail de connotation très campée, et même chez ceux qui n'avaient pas de formation juridique. Certains étaient d'anciens permanents syndicaux qui étaient devenus des commissaires, et d'autres n'étaient pas des avocats mais avaient une formation particulière en santé et sécurité du travail, et ces gens-là avaient tous, dans le cadre de leurs attributions comme commissaires, comme juges administratifs, je pense, une très belle objectivité.

M. Bédard: C'est de nature à nous rassurer. Bien content de l'entendre.

Un autre élément que vous abordez ? et sans vouloir, là, trouver une solution avec vous, peut-être ? au niveau de la cohérence des décisions...

M. Beaulieu (Denys): Oui.

M. Bédard: Et vous l'assimilez, bon, parfois peut-être à des réalités régionales différentes. Mais même je vous dirais que ça a toujours été un débat des tribunaux administratifs d'assurer cette cohérence, dû au fait qu'il n'y a pas d'appel. Alors, la règle de droit, même si... À la limite, même la Cour suprême pourrait ? c'est déjà arrivé, là ? établir certains principes, et les tribunaux administratifs vont quand même décider autrement, ce qui amène même... Des fois, on était capables de savoir, auparavant, en relations de travail particulièrement, dans le cadre de l'interprétation de certains articles, quelle va être notre finalité de la décision par rapport à devant qui nous sommes, ce qui fait que même les exercices d'assurer cette cohérence ont été un échec total.

Et j'ai donné comme exemple un peu plus tôt... Je pense que c'était sur l'interprétation de l'article 45, le lien de droit, souvenez-vous. Il y avait eu cinq d'un côté, cinq de l'autre et un qui approuvait les deux côtés, ce qui fait que, en termes de cohérence, on était à la limite, hein? Ha, ha, ha! Et là vous dites: Oui, mais comment d'abord assurer cette cohérence? Effectivement, bon, le président du tribunal ne peut pas forcer... Évidemment, il n'a aucun pouvoir administratif... judiciaire, plutôt. Administratif, il peut dire: Écoutez, voici... Et là vous semblez... Je n'ai pas poussé plus loin, mais vous dites: Il faut rechercher cette cohérence.

M. Beaulieu (Denys): Absolument.

M. Bédard: Mais comment, finalement? Et là vous proposez celui, bon, des membres de l'équipe volante... pas de... qu'il y ait quand même un mixage, ce qui peut régler une partie du problème.

M. Beaulieu (Denys): Effectivement.

M. Bédard: Mais le fond demeure cette cohérence. Qu'est-ce qu'on fait lorsqu'il y a une ligne minoritaire mais qui est maintenue? Des fois, elle peut être maintenue pendant 10 ans, et vous savez que la Cour supérieure n'intervient pas pour ces motifs. Qu'est-ce qu'on fait?

M. Beaulieu (Denys): Et surtout qu'on ne peut pas l'imposer non plus, cette cohérence décisionnelle de la jurisprudence du tribunal. Je ne veux pas entrer dans les détails de la décision de Noémie Tremblay il y a plusieurs années, mais, bon, enfin les votes à main levée, et ainsi de suite, sur tel ou tel sujet, ça avait été évidemment très dénoncé et empêché. Cependant, il y a une façon, je dirais, d'orienter l'ensemble des juges administratifs d'un tribunal en leur faisant connaître la jurisprudence rendue, les décisions rendues par leurs pairs. C'est sûr que c'est accessible. Ils peuvent avoir accès à toutes ces décisions-là. Aujourd'hui, avec tous les médias dont on dispose, c'est facile d'avoir accès à la jurisprudence. Mais d'avoir une forme de ressourcement périodique où ça peut être le contentieux, le service du contentieux de la boîte qui vient faire une présentation pour dire: Bien, voici, sur tel sujet cette année, il y a eu 122 décisions qui ont été rendues, il y en a 100 qui sont de telle façon orientées et il y en a 22 qui sont disparates...

On le sait quand on fait partie des 22 et qu'on est minoritaire, et il nous appartient, comme décideurs, à ce moment-là, lorsque le sujet est vraiment campé... La solution, il n'y en a pas plusieurs, parce que évidemment les opinions des uns et des autres peuvent parfois se valoir. Par contre, pour éviter que le justiciable soit piégé dans des courants qui sont minoritaires, il appartient au décideur, à ce moment-là, de voir à ne pas se saisir de ce genre de dossiers là.

Moi, ça m'est arrivé lorsque j'étais commissaire. Je faisais partie d'un petit groupe de six dissidents ? les irréductibles Gaulois ? et j'avais demandé au vice-président qui était responsable de ma division à l'époque de faire en sorte qu'aux opérations on ne me donne plus de dossiers de cette nature-là parce que, moi, je n'étais pas prêt à changer mon idée là-dessus. Mais, compte tenu que la majorité allait à l'encontre de ce que, moi, j'étais prêt à décider, je ne voulais pas pénaliser le justiciable qui était devant moi. Mais ça, c'est une question qui est plus personnelle qu'autre chose.

Le leadership corporatif va permettre aussi, sans, je dirais, imposer la jurisprudence, mais simplement d'affirmer que, dorénavant, sur tel sujet, c'est dans tel sens qu'on devrait aller pour assurer justement au justiciable d'avoir un traitement qui est assez équitable, ce qui est le but de l'exercice.

M. Bédard: Merci. C'est intéressant, effectivement, ce qui est peut être... qui est informel, évidemment, qui ne peut s'écrire dans une loi, mais qui a toutes les apparences de...

M. Beaulieu (Denys): Voilà.

M. Bédard: Mais je pense qu'il est arrivé certains courants où les gens demandaient, je pense, finalement à être assignés sur certains dossiers pour pouvoir peut-être un jour convaincre ou que leur ligne triomphe.

M. Beaulieu (Denys): Oui. Voilà!

M. Bédard: Ha, ha, ha!

M. Beaulieu (Denys): Renverser la tendance.

M. Bédard: Voilà. Il nous reste peu de temps. Il y avait certaines réalités que vous faites mention au niveau de la SAAQ plus particulièrement. Est-ce que vous avez eu beaucoup de dossiers avec la Société d'assurance automobile du Québec?

M. Beaulieu (Denys): J'ai eu quelques...

M. Bédard: Quelle est directement, là, la problématique culturelle qui semble exister, du moins par ceux et celles qui viennent devant nous, là?

M. Beaulieu (Denys): Pour être très direct, moi aussi, j'ai eu trois dossiers dans les cinq dernières années impliquant des décisions conjointes CSST-SAAQ. Ce sont des dossiers qui sont complexes, dont aucun des deux organismes ne veut prendre l'initiative, et ça devient ingrat pour les représentants, les procureurs de devoir défendre ces causes-là.

J'ai eu maille à partir avec la SAAQ sur des choses qui me semblaient évidentes de par mon expertise plus pointue, là, de l'indemnisation et je vous confesserais que, dans un cas en particulier, j'étais à la limite de la plainte au Barreau. Et ce n'était pas dirigé, je dirais, contre mon adversaire précisément, mais c'était plus contre la philosophie de la boîte qu'elle devait appliquer, et ça, c'est...

M. Bédard: Le refus de transiger, le refus de...

M. Beaulieu (Denys): Ah, ils sont étanches absolument à tout. Je vous dirai que l'épuisement de la victime me semble être un diktat à l'intérieur de la boîte dans les trois dossiers que j'ai eus, et je pèse mes mots. C'est évidemment des cas très spécifiques impliquant des problèmes qui étaient très complexes, je vous le confesse. J'avais ces dossiers-là à cause de ça et je me suis buté à un mur, entre autres, là, dans celui dont je vous fais état.

M. Bédard: Merci. Dernière question, sur la multidisciplinarité devant le TAQ particulièrement, et là laissons de côté la CLP. J'ai lu votre mémoire. Ce que j'en retire... Est-ce que vous jugez que c'est un avantage effectivement d'avoir un banc composé de deux personnes, un membre juriste et un membre... Pas évidemment dans tous les cas, là, mais... Parce que le ministre, bon, a fait certaines ouvertures en début de commission qui me semblent, moi, correspondre et être finalement un lieu d'atterrissage intéressant; autrement dit, ne pas forcer dans tous les cas où c'est inutile, mais maintenir une règle qui somme toute peut être à l'avantage de ceux et celles qui plaident ou qui font affaire...

Est-ce que vous trouvez que... Est-ce que c'est défendable? Est-ce que la multidisciplinarité dans, sans dire la plupart, parce qu'on n'a pas de statistiques, mais a des éléments intéressants pour la...

n (12 h 40) n

M. Beaulieu (Denys): Si c'est du cas par cas, ça me semble souhaitable et même indispensable. Je vous dirai que ça, ça appartient au juge administratif lui-même lorsqu'il prépare son dossier et qu'il constate que la sphère d'activité qui est impliquée dans le recours... S'il ne possède pas lui-même la matière, il doit à ce moment-là avoir l'humilité, d'une part, de le confesser, de le reconnaître, et ensuite de demander effectivement d'avoir le support d'un assesseur spécialiste. Ce sont souvent des assesseurs médecins qu'on retrouve dans le milieu. Que ce soit en SAAQ, en Régie de rentes, en CSST, ce sont souvent des assesseurs médicaux qui sont adjoints aux commissaires, et leur contribution est essentiellement scientifique. Les assesseurs n'ont pas à se prononcer sur le droit. Ça, c'est ce qui appartient aux juges administratifs. Ces assesseurs-là ont une contribution sur l'aspect strictement scientifique qui est débattu, et leur contribution est importante.

Quand je vous disais qu'il est souhaitable de le conserver, ce n'est pas dans tous les dossiers, bien évidemment, mais il est sûr et certain que, pour le justiciable, c'est souvent rassurant de voir qu'il y a un médecin qui est sur le tribunal. Et, moi, il m'est arrivé que le justiciable cesse de s'adresser à moi pour parler au médecin...

M. Bédard: Au médecin.

M. Beaulieu (Denys): ...parce que, de toute façon, j'avais l'air de ne rien comprendre, semble-t-il. Alors, ça, toutes choses étant égales par ailleurs, c'est que le fait d'avoir quelqu'un d'une spécialité particulière va avoir tendance à rassurer surtout le justiciable, qui est seul, qui n'a pas avec lui son médecin-conseil.

M. Bédard: Effectivement.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Beaulieu.

M. Bédard: Permettez-moi simplement une dernière...

La Présidente (Mme Thériault): Rapidement.

M. Bédard: ...une dernière affirmation.

M. Beaulieu (Denys): La réponse devra être plus rapide encore?

La Présidente (Mme Thériault): Oui.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bédard: Oui. C'est ça qui est malheureux pour vous ? ha, ha, ha! ? ça amène une contrepartie. Mais je vais tenter d'être clair, et c'est simplement sur cette question. Vous m'avez entendu un peu plus tôt, avec, pas le groupe avant ? avant, j'ai dû quitter ? mais le groupe précédent, prétendre ? et je ne crois pas avoir la vérité, mais quand même ? avoir une impression, confirmée par certains ? mais vous avez vécu à peu près tout ce qu'on peut vivre dans ces domaines ? que ça peut être effectivement et c'est souvent à l'avantage de celui qui n'a pas d'expert d'avoir un expert qui accompagne le décideur. Est-ce que vous pensez effectivement que cette affirmation se défend?

M. Beaulieu (Denys): Je mettrais quand même certains bémols par rapport à ça. Le rôle de l'assesseur n'est pas d'avantager une partie par rapport à une autre.

M. Bédard: Non, surtout pas. Non, non, non. On est d'accord. Oui, oui.

M. Beaulieu (Denys): C'est ça. Et je vous dirai que, pour l'avoir bien vécu depuis 12 ans à la fois comme commissaire mais aussi comme plaideur, les interventions qui sont faites le sont habituellement dans un caractère tout à fait scientifique, et la contribution qui est apportée, elle est bonne autant pour le justiciable que pour le membre du tribunal qui doit à ce moment-là trancher des litiges qui parfois ne sont pas tranchés dans la médecine.

M. Bédard: Et voilà. Oui, oui.

M. Beaulieu (Denys): Vous savez, lorsque la médecine n'a pas fait le ménage dans sa propre cour, quand on demande à un avocat de venir trancher, ça ne fait pas des enfants forts, parfois.

M. Bédard: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Sur ce, je vous remercie, Me Beaulieu. Il y a le ministre qui voulait encore poser des questions. M. le ministre.

M. Bellemare: Oui. Alors, Mme la Présidente, je demanderais le consentement de mon collègue pour déposer un tableau qui s'intitule Capacité des salles d'audience de la CLP. Ça va?

Document déposé

La Présidente (Mme Thériault): Consentement? Oui.

M. Bellemare: Alors, vous avez parlé de la fusion tantôt et de l'intérêt d'avoir un tribunal unifié au Québec en matière de justice administrative, particulièrement dans le secteur de l'indemnisation, avec lequel vous êtes manifestement très familier. Et, sur le tableau que je viens de déposer, on retrouve ce qu'on appelle le pourcentage d'utilisation des salles d'audience à la CLP en région. Le taux varie beaucoup, mais il atteint... Au maximum, je crois que c'est 35,91 % dans la région de Longueuil. Dans d'autres régions, il est beaucoup plus bas, mais il est en moyenne de 22,37 % dans l'ensemble du Québec. Ça veut dire que les salles d'audience de la CLP en région sont utilisées dans à peu près 22 % des possibilités, ce qui à mon avis établit le fait et prouve qu'il y a de la place pour d'autres auditions.

Alors, dans l'hypothèse d'une fusion, c'est bien certain que, nous, on envisage une utilisation plus marquée des salles d'audience et de l'ensemble des autres locaux. Parce que là on ne parle pas des salles de conciliation où les gens discutent, qui sont, j'imagine, aussi sous-utilisées. Dans le contexte d'une fusion, c'est sûr que, pour nous, régionalisation va de pair avec fusion.

Est-ce que vous croyez que, dans l'hypothèse où on ne fusionnait pas... Parce que ce n'est pas exclu qu'on décide en bout de piste de maintenir deux tribunaux administratifs, même si ce n'est pas l'orientation du projet de loi. Mais pensez-vous que c'est possible d'envisager une régionalisation sans fusion du TAQ?

M. Beaulieu (Denys): En réalité, il n'y a rien d'impossible. C'est que la cohabitation va être plus difficile à réaliser. Ce ne seraient pas les juges administratifs qui auraient la difficulté, ce serait l'administration. Ce serait complexe à gérer, probablement. Déjà d'avoir une quinzaine de régions, quelques bureaux satellites...

L'avantage pour le TAQ de profiter des installations de la CLP, je vous dirais, cependant, et pour l'avoir vécu avant la CLP: ça éviterait aux juges administratifs de devoir parfois tenir des audiences dans des lieux où parfois les scènes sont cocasses. Ça évite de voir le juge administratif à quatre pattes en train de brancher une rallonge pour que son enregistreuse fonctionne ou... bon, peu importe. Ou encore l'unité d'air climatisé coule et fait un train d'enfer dans la salle du motel Untel, à tel endroit. Alors, d'utiliser des installations qui sont fonctionnelles, qui sont relativement récentes en plus de ça et qui sont sous-utilisées... C'était le commentaire que j'exprimais dans mon mémoire. Je n'avais pas évidemment l'avantage de vos statistiques, mais, de par ma propre expérience en me présentant dans les bureaux de la CLP à la grandeur de la province, je constatais qu'il y avait toujours des salles qui étaient disponibles.

Alors, sans la fusion, je pense qu'administrativement ce serait peut-être difficile à gérer. Ce serait souhaitable. Tant qu'à faire quelque chose, autant garder la même philosophie. Et le projet de loi, de la façon dont il est construit présentement, me semble articuler une réforme qui est éminemment souhaitable et qui semble avoir toutes les chances de réussir, en tout cas plus que les précédentes.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Beaulieu. Sur vos propos, nous allons maintenant suspendre les travaux et nous les reprendrons à 14 heures, cet après-midi.

(Suspension de la séance à 12 h 48)

 

(Reprise à 14 h 7)

Le Président (M. Simard): ...nos travaux. Alors, changement à l'ordre du jour de cet après-midi. Le Syndicat des fonctionnaires du Québec et M. Sawyer ont eu un empêchement, donc ne seront pas avec nous à 15 heures. Leur mémoire sera évidemment déposé à la fin de nos travaux. Vous avez pu en prendre connaissance.

Nous allons passer dès maintenant à la rencontre de Me Yanick Perreault... Janick Perreault, plutôt, qui doit être parmi nous. Voilà, vous êtes là. Alors, vous avez des copies de votre mémoire que nous allons tout de suite faire distribuer. Vous pouvez les laisser sur la table, nous allons nous en occuper. Merci beaucoup.

Alors, je ne sais pas si vous avez déjà participé à une commission parlementaire. Oui? Donc, vous connaissez nos façons de travailler. Nous vous écoutons.

Mme Janick Perreault

Mme Perreault (Janick): Alors, M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés et membres de cette commission, bonjour et merci de me recevoir aujourd'hui pour écouter mes commentaires sur le projet de loi n° 35. Alors, moi, je suis avocate en pratique privée, membre du Barreau depuis 1994. Ma pratique est essentiellement de représenter des victimes d'accidents d'automobile, actes criminels et accidents de travail. Alors, par conséquent, je suis donc très régulièrement à faire des représentations devant les tribunaux administratifs. Je suis également chargée de cours à l'université, j'enseigne les régimes étatiques d'indemnisation. Donc, ça vise aussi les tribunaux administratifs. Et j'ai publié souvent sur le sujet.

Alors, mon premier commentaire sur le projet de loi n° 35 serait d'approuver, de dire bravo sur la fusion des deux tribunaux. Alors, il est difficile de justifier la coexistence actuelle de deux tribunaux comme la CLP et le TAQ. Et il n'est pas inutile, je crois, de rappeler que cette fusion a été à maintes reprises recommandée par différents comités. Donc, je suis heureuse de constater que le projet de loi n° 35 va dans cette voie-là. En fait, la fusion de ces deux tribunaux permettra une justice plus uniforme pour les accidentés et évitera parfois pour les citoyens... en fait pour les accidentés, évitera parfois des confusions.

Alors, ce matin j'entendais, entre autres, que, lorsqu'on parle de décisions conjointes SAAQ et CSST... Alors, pour représenter les victimes d'accidents d'automobile et les victimes d'accidents du travail, il arrive, là, qu'on ait des décisions conjointes, et, effectivement, pour un citoyen, il est difficile de comprendre qu'il peut s'adresser à deux tribunaux et que ça relève de son choix. J'imagine également aussi que cette unification permettra d'améliorer les délais. On pourrait croire que les membres de la section des lésions professionnelles pourraient être affectés à la section des affaires sociales et vice versa.

n (14 h 10) n

Et un des grands points de cette fusion, un des grands avantages de cette fusion, c'est la régionalisation. Alors, le projet de loi prévoit donc la régionalisation, et je crois que cette régionalisation, cet objectif qui est fort louable pour l'ensemble des citoyens du Québec, ne pourra se faire qu'avec la coexistence... pas la coexistence mais la fusion des deux tribunaux qui existent actuellement. Alors, comme on le sait, la CLP a des greffes dans plusieurs régions du Québec. Alors, la CLP, en fait, est disponible, accessible à peu près partout au Québec, ce qui n'est pas le cas pour le Tribunal administratif qui entend de multiples litiges. Bien entendu, le TAQ a des auditions dans certaines régions du Québec, sauf que ces auditions posent parfois problème.

Alors, ce matin on en a fait état, et je réitère que ces problèmes-là sont vécus. Notamment, les salles d'audience justement dans certains endroits particuliers, parfois c'est dans des sous-sols, d'autres fois c'est dans des hôtels. Alors, pour un citoyen, il est difficile de comprendre qu'on s'en va régler un de ses dossiers, un litige important qui représente des enjeux pour très souvent une vie entière et que ça se passe dans un hôtel. Et, comme ça avait été dit, eh bien, il n'y a pas de salle pour nous, les décideurs, ni pour les procureurs. Alors, il est difficile de rencontrer les citoyens, rencontrer les témoins experts, rencontrer les autres témoins. Donc, cette fusion est un point très positif de ce projet de loi qui est le projet de loi n° 35. Autre élément, c'est le paritarisme. On en a parlé beaucoup, le projet de loi l'abolit dans la majorité des cas mais le maintient dans certains cas. Or, moi, je vous dirais que le paritarisme ne devrait pas continuer d'exister. C'est un mécanisme, un processus, un concept, en fait, je devrais dire, qui est incompatible avec les valeurs d'indépendance et d'impartialité d'un tribunal. Or, ce projet de loi vise, entre autres, à assurer l'indépendance du futur tribunal, et le paritarisme est très difficilement conciliable avec ça. Un décideur se doit de pouvoir apprécier la preuve qui lui est présentée et de décider en toute liberté sans qu'il subisse des pressions ou qu'il puisse subir des pressions de d'autres gens qui n'ont pas de pouvoir décisionnel.

Il y a aussi, associés au paritarisme, certains inconvénients, des délais. Alors, vous savez, quand on commence une audition et qu'on doit continuer l'enquête lors d'une autre journée, on doit concilier des agendas d'énormément de personnes. Alors, ça devient difficile, ça allonge les délais pour les citoyens.

Il y a l'effet aussi... on a parlé de l'effet intimidant. Alors, effectivement, pour un citoyen, peu importe le tribunal auquel il va s'adresser, c'est intimidant de s'adresser à un tribunal, encore plus quand on arrive devant un tribunal où il y a plusieurs personnes. Et très souvent les gens qui s'adressent devant les tribunaux ont beaucoup moins de ressources que les gens qui vont les entendre. Alors, pour eux, c'est excessivement ? c'est ça ? intimidant et imposant de voir, là, qu'il y a plusieurs personnes. Et on a beau leur expliquer au préalable ce qui va se passer, ils sont souvent, la journée même, à demander: Mais c'est qui, déjà, tous ces gens-là? C'est un élément stresseur pour eux.

Il y a aussi les coûts associés au paritarisme. Alors, un des objectifs, comme je viens de le mentionner, qui était la régionalisation et qui est un objectif fort louable, je pense, pour que tous les Québécois aient accès à la justice, là, partout, peu importe où ils habitent... Alors, je pense que les économies qui pourraient être réalisées grâce à l'abolition du paritarisme pourraient être allouées à cet objectif-là de régionalisation.

Autre élément sur lequel je veux m'arrêter un peu, c'est au niveau des décideurs. Alors, d'une part, le projet de loi n° 35 prévoit une indépendance, accorde une inamovibilité aux décideurs, et c'est un pas en avant, et j'en suis très heureuse, de le voir dans la décision... dans la décision, votre projet de loi, c'est-à-dire, pour assurer qu'il y ait une justice impartiale et indépendante au sein du tribunal. Cependant, au niveau des décideurs, il semble y avoir quelques petits problèmes dans le projet de loi, selon moi, et je réfère donc les membres de cette commission plus particulièrement aux pages 10 et suivantes de mon mémoire.

Le principe général dans le projet de loi, c'est que ce sera un décideur unique. Alors, je pense que c'est tout à fait un objectif louable. Pourquoi faudrait-il qu'il y ait plus qu'un décideur pour entendre un dossier? La règle générale au Québec devant tous les tribunaux, c'est un seul décideur. Alors, il n'y a pas de raison qu'il en soit autrement pour le Tribunal administratif.

On prévoit dans le projet de loi que le décideur aura une formation juridique. Alors, je pense que, comme tout tribunal, c'est les règles de droit qui doivent être suivies, qui doivent être appliquées, et les gens qui sont formés pour bien comprendre le droit, les professionnels du droit, sont les juristes.

Et la fonction du TAQ est exclusivement juridictionnelle. Alors, je pense qu'il faut effectivement s'assurer que le décideur soit juriste. Or, il y a certaines dispositions dans le projet de loi qui semblent porter, là... amener un petit problème à ce niveau-là, notamment au niveau des mesures transitoires. Alors, on prévoit que les membres actuels deviendront membres du futur tribunal, ce qui inclut, si je comprends bien le projet de loi, ce qui inclut donc les membres non juristes. Alors, je pense qu'il s'agit d'une modification qui devrait être faite, et c'est plus particulièrement de l'article 203 des mesures transitoires.

Au niveau de ces membres non juristes, ce que le projet de loi prévoit, c'est qu'il y aura des experts, et ces experts seront nommés pour un mandat renouvelable de cinq ans. Alors, sur l'aspect du caractère renouvelable du mandat, j'abonde dans le même sens que ce que la Fondation des accidentés de la route avait mentionné ce matin en citant le président du Collège des médecins. Alors, en fait, on veut avoir des gens... enfin les personnes qui veulent avoir des gens non juristes au sein du tribunal, c'est pour assurer une certaine expertise. C'est leur argument. Encore faudrait-il s'assurer que ces membres non juristes aient donc cette expertise pour lesquels on veut les nommer. Or, le président du Collège des médecins disait lui-même: Quand quelqu'un n'exerce plus, après cinq ans on ne peut plus le qualifier d'expert. Alors donc, le mandat ne devrait pas être renouvelable pour la nomination des experts.

Au niveau toujours des dispositions du projet de loi, il y a certains articles qui amènent des questionnements sur le rôle réel de ces futurs experts. Il y a certaines dispositions ? et notamment c'est l'article 34 du projet de loi, qui modifie donc les articles 82.1 et 82.2 de la Loi sur la justice administrative ? où on parle de recours qui vont être instruits par une formation de trois membres et... de trois membres ou de deux membres, selon l'article, et on parle que l'autre membre, il sera un médecin, un travailleur social ou un psychologue. Alors, c'est comme si on assimilait donc l'expert à un statut de membre, alors que ce qui semble être prévu dans le projet de loi, c'est que les membres seront des juristes. Alors donc, je crois qu'il y aurait lieu de préciser le rôle des experts.

J'étais venue... Au début, on me demandait, M. le président me demandait si j'étais déjà venue en commission parlementaire. J'étais venue à l'automne dernier parler, entre autres, d'une problématique avec les experts. Alors, je vais de nouveau aujourd'hui encore parler de cette problématique. Je pense qu'elle est tout à fait appropriée encore avec le projet de loi n° 35. Et, notamment à la page 12 de mon mémoire, je mentionne que les experts ne devraient être en aucun temps des décideurs. En fait, comme je l'avais mentionné à l'automne ? et je vais réitérer dans ce sens-là ? le fait qu'ils soient des décideurs pose certains problèmes, et notamment il y a le problème du fardeau de preuve. Alors, je cite dans mon mémoire... Vous avez, aux pages 13 à 16, des décisions de la Cour supérieure, Cour d'appel et Cour suprême, des auteurs également, dont Me Lippel qui est venue témoigner devant... qui est venue présenter devant vous...

On fait état d'une dualité de langage entre des juristes et des non-juristes, et notamment les experts médicaux. Quand on parle de probabilité, la probabilité juridique n'est pas comprise par les experts médicaux. La probabilité, pour eux, atteint plus une certitude scientifique, et ça pose un énorme problème pour les citoyens. Or, tout citoyen qui se présente devant le TAQ ou un autre tribunal a le droit à la même justice, et par conséquent il ne saurait y avoir un fardeau de preuve plus élevé. Alors donc, j'ai cité, comme je vous disais, différents jugements et arrêts, et, comme je vous disais, la Cour d'appel et la Cour suprême reconnaissent cette problématique et cette façon de faire de la part des experts médicaux.

Également, il est reconnu parmi les autorités en matière juridique que la fonction d'un expert, ce n'est pas d'usurper la fonction d'un décideur. Un expert, ça ne doit qu'assister, éclairer, apporter, là... être une espèce de lanterne pour le tribunal. Alors, il faut vraiment être certain dans le projet de loi que les experts n'auront pas un rôle de décideur. Par conséquent, les dispositions où on les qualifie de membres, je pense qu'elles devraient être modifiées.

n (14 h 20) n

Une autre problématique avec la présence d'experts médicaux ? et à ce moment-là je suis rendue à la page 16 de mon mémoire ? c'est: non seulement il y a un fardeau de preuve qui est élevé lorsqu'on est en présence d'experts médicaux, mais il y a aussi également l'introduction de preuves extrinsèques, qu'on appelle, enfin que les tribunaux appellent. Ce qui arrive quand on a un expert médical sur le banc: il fait référence à ses connaissances médicales qu'il a acquises à un certain moment et sur une longue période, et il est régulièrement fréquent... il est fréquent dans les décisions de lire: Il est médicalement reconnu que... et on énonce, là, des conclusions sur la base de données scientifiques et médicales. Or, ce que la Cour supérieure, et la Cour d'appel, et des auteurs également ont dit, c'est qu'il s'agit de preuves extrinsèques ? on l'a qualifié comme ça ? et il s'agit d'une entrave à un principe de justice naturelle qui est le droit de se faire entendre. Et cette preuve-là qui est prise finalement dans les connaissances de cet expert ne peut pas être contredite, commentée par le citoyen. On n'a pas accès aux volumes, aux études scientifiques auxquels il réfère, donc il est impossible pour le citoyen de bien la contredire. Alors, il s'agit donc d'une violation, là, de la règle audi alteram partem qui est devenue très populaire au cours des derniers mois.

On a parlé ? et je tiens donc à apporter une précision ? sur le rôle de l'expert lorsque le citoyen n'est pas représenté. Alors, on semble accorder un rôle à cet expert qui est sur le banc pour pallier, là, au manque de représentants lorsque le citoyen est seul. Or, il est certain que cet expert ne peut pas suppléer à la carence de la preuve d'une des parties, que ce soit le citoyen ou l'administration. Donc, il ne saurait être un avantage pour le citoyen non représenté, puisqu'il ne va pas régler son problème de ne pas être représenté, il ne va pas pouvoir apporter de preuves nouvelles. Notamment, j'ai cité, là, à la page 17 de mon mémoire, des autorités qui vont dans ce sens-là, que le tribunal ne saurait suppléer à la carence de la preuve d'une partie. Et donc la présence du membre ne va pas régler ce problème-là.

Quand on parle des experts, on parle souvent de la multidisciplinarité et la spécialisation du tribunal. Il ne faut pas oublier que ces concepts-là... Et, en fait, surtout le concept de la spécialisation n'est pas un concept qui s'évalue en fonction du nombre de gens qui vont décider, qui vont entendre la cause. Cette spécialisation, elle est plutôt une caractéristique du tribunal lui-même. Et, en fait, dans l'arrêt célèbre, là, Procureur général contre Barreau de Montréal, la Cour d'appel avait rappelé que le TAQ lui-même était une institution spécialisée, et que ses membres acquéraient une spécialisation, du fait qu'ils entendaient au fil du temps des recours de même nature, et que par conséquent ils en devenaient des gens très spécialisés. Alors donc, ce n'est pas parce que sur le banc nous n'aurions pas d'experts de d'autres domaines qu'on va se retrouver devant un tribunal moins spécialisé que ce que nous avons actuellement.

En fait, la CLP est un tribunal spécialisé, et sur le banc il n'y a pas de commissaire décideur, là, qui a une formation médicale, et on n'a jamais contesté le caractère spécialisé de la CLP. La même chose si on pense à la chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Il y a un juge seul, et on a toujours reconnu qu'il s'agissait d'un tribunal spécialisé. Et, comme je disais, la spécialisation vient vraiment du fait de la nature des recours qui sont entendus devant un même tribunal.

Commentaire au sujet du rôle de ces experts: on a peut-être tendance parfois à penser que ce problème ne vise que les accidents d'automobile. Effectivement, ça a été dit et redit à maintes reprises, les accidentés d'automobile ont énormément de problèmes. On a un régime d'indemnisation qui, à la base, semble bien, avoir de bons objectifs, mais, de la façon dont il est administré, pour beaucoup de victimes c'est un cauchemar à vivre lorsqu'ils ont un traumatisme majeur. Mais, quand on arrive devant le Tribunal administratif, il y a aussi d'autres personnes, dont des victimes d'actes criminels, des gens aussi qui ont des démêlés avec la Régie des rentes, et tous ces gens-là sont aussi entendus par le Tribunal administratif, et ils vivent les mêmes problèmes avec la présence des experts médicaux sur le banc. Alors, il ne faudrait pas réduire, là, minimiser cette problématique-là seulement aux victimes d'accidents d'automobile, mais c'est plutôt un problème qui vise l'ensemble des gens qui sont entendus par la section des affaires sociales.

Mon dernier point que je parlerai, ce sera le recours lui-même. Alors, je suis maintenant rendue pages 19 et suivantes, là, de mon mémoire, et le premier point va être la révision. Je disais tantôt: Les victimes d'accidents d'automobile vivent un vrai cauchemar, et effectivement, entre autres, avec la révision et avec tout le processus décisionnel en place à la Société de l'assurance automobile. Alors, de voir que la révision obligatoire est abolie, de voir qu'on impose un délai à l'administration pour rendre une décision, je suis heureuse de lire ça dans ce projet de loi là. Cependant, il y a certaines modifications, je pense, qui devraient être apportées.

Commentaire également au niveau de la révision: on craint parfois, là, de... enfin certaines personnes craignent d'abolir le mécanisme de révision, ça pourrait poser problème. Écoutez, on a parlé des décisions conjointes SAAQ et CSST qui s'en vont soit devant la CLP ou devant le TAQ. Ces décisions-là ne sont pas matières à révision, et il n'y a jamais personne qui s'en est plaint, et ce ne n'est pas des décisions de moins bonne qualité quand elles se retrouvent devant le tribunal. Alors, la révision, pour la grande majorité des gens, n'amène rien de plus que des délais.

Et j'ai essayé ? et là je vais vous référer à la page 21 de mon mémoire ? j'ai essayé de faire ressortir cette problématique de délais. On en parle, il y a un problème de délais. Le projet de loi voudrait réduire ces délais-là. Il faut le régler. Et ça veut dire quoi réellement, ces délais-là? Alors, à la page 21, j'ai pris les dernières statistiques de la Société de l'assurance automobile et les statistiques du rapport annuel du Tribunal administratif. Alors, on est actuellement... Quand on demande, quand un citoyen demande la révision d'une décision, son dossier va être traité... en tout cas il va être sur le bureau d'un agent de liaison pendant à peu près trois mois. Qu'est-ce qu'un agent de liaison? La loi ne le définit pas. La loi prévoit qu'il y a des agents d'indemnisation, des agents de révision. Des agents de liaison, ce n'est pas prévu, mais la Société a créé ça. Alors, les dossiers se retrouvent donc à cette étape, une étape intermédiaire entre l'agent d'indemnisation et la révision.

Ensuite, on a le délai de traitement pour le dossier par l'agent de révision, et c'est sept mois, selon les statistiques. On verra après, il y a certains cas où c'est beaucoup plus long. Donc, le citoyen est insatisfait de la décision, il porte le recours devant le Tribunal administratif. On a un délai de réception du dossier qui serait actuellement de deux mois. Il y a eu une certaine époque où il était à cinq mois. Donc, il y a eu une amélioration. Mais, quand même, il y a un deux mois. Délai pour la première audience, on était à 27 mois, et, le délai moyen pour la décision, on est à deux mois. Donc, à partir du jour où un agent d'indemnisation rend une décision, donc, par exemple, dit au citoyen: Je cesse de vous payer, votre salaire que vous recevez aux deux semaines, c'est terminé, alors on est trois ans avant qu'il puisse avoir une décision du tribunal.

Ce que je veux dire, en terminant: à ce délai de trois ans, ce qu'il faut ajouter et ce qui est fondamental, c'est le délai que ça prend pour obtenir une première décision. Bien beau, aller en révision, bien beau, aller devant le tribunal, mais encore faut-il avoir une décision qu'on peut contester. Or, quand on fait une réclamation aux agents pour obtenir une décision, les délais sont exorbitants, et j'ai mis certains cas aux pages 21 et 22. Ce n'est pas des cas fictifs, c'est des dossiers qui sont dans mes filières. Ce n'est pas des cas isolés, j'aurais pu en amener encore plus. Mais j'ai voulu démontrer le délai que ça prend pour qu'un citoyen puisse obtenir une décision.

Alors, c'est terminé? Donc, le projet de loi devrait non seulement imposer un délai pour la révision, mais devrait également imposer un délai pour rendre une première décision. Et, à défaut que cette décision-là soit rendue dans un délai, eh bien, que l'administration soit réputée l'avoir refusée et que le citoyen puisse s'adresser au Tribunal administratif.

Le Président (M. Simard): Je suis désolé de vous interrompre, votre temps est écoulé. Je sais bien que vous nous auriez parlé de présomption de désistement, de conciliation, d'accessibilité aux décisions, les représentants, mais, habile comme je sais et nous savons que vous êtes, vous trouverez certainement le moyen d'en parler en réponse aux questions qui vous seront adressées. Alors, j'invite le ministre à poser la première.

M. Bellemare: Alors, bienvenue devant la commission, Me Perreault, et merci pour cette collaboration précieuse. Je vous connais comme auteur en matière d'accidents d'automobile. Je sais que vous avez été un auteur prolifique. Vous l'êtes encore, vous écrivez beaucoup, et bravo, parce qu'il n'y a pas beaucoup de plaideurs qui s'intéressent à l'assurance automobile au Québec. J'en sais quelque chose, j'ai été longtemps à peu près tout seul il y a une vingtaine d'années. Aujourd'hui, vous faites partie d'une équipe, d'un groupe beaucoup plus considérable, heureusement pour les victimes.

Et je parlerai de cette page 22 où on retrouve des exemples d'expériences vécues par différents accidentés. Au bas de la page 22, vous dites, et je cite: «L'appel immédiat au tribunal est nécessaire, sinon le citoyen se décourage; tel est le cas d'environ 20 % des accidentés d'automobile.» Il est, je crois, connu que, actuellement, plusieurs accidentés qui contestent en révision se retrouvent face à un réviseur souvent sans avocat ? il y a un taux de sous-représentation au Tribunal administratif; c'est encore pire au niveau de l'instance de révision ? donc à armes inégales, et il y a beaucoup de gens, de victimes qui contestent en révision et qui, pour une raison ou pour une autre, décident de ne pas aller plus loin, et souvent, malheureusement, c'est le résultat d'une explication ou d'une approche de l'agent de révision qui leur dit: Bien, écoutez, on ne peut pas faire plus, ça ne va nulle part, la loi est ainsi faite, etc. Donc, les gens abandonnent. Et l'intérêt de pouvoir en appeler directement au TAQ, c'est de faire en sorte que le citoyen insatisfait sache au départ qu'il existe un tribunal d'appel indépendant, externe à l'organisme dont la décision est contestée.

n (14 h 30) n

Et le simple fait de le savoir, à mon avis, c'est un plus pour l'accidenté qui dans bien des cas actuellement arrête au stade de la révision sans même savoir qu'il existe un tribunal d'appel au-delà de l'instance de révision. Parce que l'instance de révision, par définition, n'est pas impartiale, elle fait partie de l'organisme dont la décision est contestée.

Vous établissez cette proportion à 20 %. J'aimerais savoir où vous avez pris la donnée, de quelle façon vous l'avez évaluée, parce que 20 %, c'est un sur cinq, là. C'est beaucoup de monde.

Mme Perreault (Janick): Bien, en fait, on peut l'évaluer un peu par le nombre des décisions qui sont rendues par le Bureau de révision versus le nombre de dossiers qui s'ouvrent devant le Tribunal administratif. Alors donc, est-ce que la statistique est fiable à 100 %? Elle n'a sûrement pas une certitude scientifique, là. Mais on peut l'évaluer de cette façon-là. Donc, on regarde le nombre de gens qui contestent des décisions devant le Bureau de révision et le nombre de décisions donc qui s'arrêtent là, les litiges qui s'arrêtent là. Comme vous disiez, les gens ne savent pas qu'il existe un autre tribunal, et effectivement c'est un problème, ça, majeur. Et non seulement ils ne savent pas qu'il existe un autre tribunal, mais pour eux... Et ils obtiennent leur décision à la révision. Ça fait deux fois qu'ils se font dire non. Il n'y a pas un être humain qui aime ça se faire dire non une fois, encore moins deux fois, et là les gens se disent: Bien, de toute façon, ça va toujours être non «anyway», ils rendent toujours les mêmes décisions. Alors, le fait de justement créer un lien avec un autre tribunal, je pense que ce sera une avancée, et donc les gens sauront qu'il y aura une autre étape qui sera disponible, même si en révision ? si la révision est maintenue ? le résultat est négatif.

Alors, je pense que c'est fondamental, et, c'est ça, le 20 % est peut-être même sous-évalué. Enfin, en tout cas, ceux qui viennent nous voir dans nos bureaux, c'est des pourcentages impressionnants, là, de gens qui ont eu des décisions et qui... Très souvent, il a fallu plusieurs décisions où, là, à un moment donné, ils disent: Bien, peut-être qu'il y a quelque chose à faire, malgré que mon agent d'indemnisation me dit que non et malgré que l'agent de révision me dit non.

Et j'ouvrirais une parenthèse là-dessus. Il ne faut pas oublier que la victime parle souvent à son agent d'indemnisation, et parfois il y a une espèce de relation qui se crée, où la victime pense que c'est devenu un camarade, cet agent d'indemnisation. Elle ne comprend même pas non plus pourquoi il y a une décision qui lui est défavorable, à un moment donné, parce qu'elle se dit: Coudon, un ami ne peut pas rendre une décision comme ça. Mais, comme il pense que c'est un ami, entre guillemets, il va lui téléphoner de nouveau pour essayer de comprendre. Alors, cet ami va lui expliquer: Bien, c'est comme ça, et vous ne pouvez pas obtenir autre chose. Donc, qui croire? Ça semble tout à fait correct, ce qu'on me dit.

M. Bellemare: En ce qui concerne la présomption d'abandon d'appel, ce matin je crois que c'est Me Gingras qui nous a dit qu'il y avait une possibilité de confusion, du fait que l'appel était logé d'abord au tribunal d'appel et que, une fois l'effort de révision complété, si la décision était maintenue ou à peu près, le citoyen devait manifester son intention de maintenir son appel. C'est effectivement une mécanique très singulière. Et on nous disait ce matin: Bien, pourquoi demander au citoyen de réaffirmer son intention d'aller en appel alors qu'un appel est déjà logé?

Mme Perreault (Janick): ...dans une situation pire qu'auparavant, il va y avoir encore plus de citoyens pour lesquels leurs droits vont avoir été bafoués, puisque, pour eux, ils l'ont déposée, leur requête. Écoutez, le projet de loi reconnaît qu'il y a certaines problématiques auprès des gens, puisqu'il y a une disposition... Je n'en fais pas état dans mon mémoire, là, mais il y a une disposition qui dit: Si la requête est déposée devant l'administration, elle est réputée être déposée devant le tribunal et l'administration doit la transmettre devant le tribunal. C'est des choses, ça, qui ne sont pas rares, là. La personne fait affaire avec une administration. Donc, il veut contester une décision. Alors, il envoie sa contestation à cet endroit. Ça a créé, au fil des ans, même des cas où le citoyen devait donc au préalable se battre sur la notion de délai, puisqu'on lui disait, admettons: Ton appel a été logé hors délai. Alors, cette introduction dans le projet de loi est fort louable, mais ça dénote quand même cette problématique pour les gens.

Pour les gens, un coup que la requête est déposée... Et souvent les gens vont nous consulter lorsqu'ils ont leur date d'audition devant le tribunal, alors qu'ils ont déposé leur requête un an, un an et demi avant. Pour eux, c'était fait et il n'y avait rien d'autre à faire. Et, quand on leur demande: Pourquoi vous ne nous avez pas consultés avant? peut-être qu'il y a une expertise qui est nécessaire ou il faut obtenir d'autres documents, etc., les gens vont dire: Bien, je ne le savais pas, je l'ai déposée puis j'attendais qu'on me donne des nouvelles. Alors, j'imagine, si on laisse une telle disposition, il va y avoir énormément de citoyens qui vont s'être désistés, finalement.

M. Bellemare: D'abord, une hypothèse qui nous a été soumise par la Commission des services juridiques la semaine dernière était de changer le terme «réputé», «l'appel est réputé abandonné», ce qui est une présomption qui ne peut pas être renversée, ce qui crée une présomption qui ne peut pas être renversée, à la faveur du terme «présumé» qui fait en sorte qu'il y aurait une présomption d'abandon d'appel mais qui pourrait être réfragable.

Mme Perreault (Janick): On impose encore une étape au citoyen, qui va devoir, en première étape, enfin étape préliminaire du fond de son litige, démontrer qu'enfin il voulait maintenir son recours, etc. Alors, je pense que c'est plutôt: dès qu'il y a un recours qui est introduit devant le tribunal, il est là. Alors, s'il y a un désistement à y avoir, le citoyen le signera, le désistement, comme ça se fait actuellement.

M. Bellemare: Et, dans l'hypothèse où le recours est introduit au tribunal d'appel, l'organisme modifie sa décision à la satisfaction complète de l'accidenté. L'accidenté demande un taux de déficit anatomophysiologique de 15 %, on lui en donne 16 % en révision, ce qui arrive de temps en temps, exceptionnellement, mais ce qui arrive de temps en temps, et le citoyen ne se manifeste pas. Est-ce qu'il n'y a pas moyen de prévoir une mécanique qui ferait en sorte que le dossier pourrait se fermer un jour sans que le tribunal ne soit obligé de rendre une décision disant: L'appel est rejeté parce que vous agissez ultra-petita?

Mme Perreault (Janick): Bien, en fait, actuellement il y a des conférences de gestion. Donc, quand la victime va... le citoyen va être convoqué à une conférence de gestion, il va le dire, qu'il est content, maintenant, puis qu'il a obtenu ce qu'il avait. Si la conciliation est obligatoire et qu'il est convoqué en conciliation, il va probablement appeler le tribunal pour dire: C'est beau, je suis satisfait.

Est-ce qu'il y aurait lieu d'installer une autre mécanique pour justement peut-être forcer l'administration à ce moment-là d'aviser le tribunal comme quoi ils ont révisé la décision et qu'elle est favorable au citoyen, et le tribunal recommuniquera avec le citoyen à ce moment-là pour lui dire: Vous aviez déposé un recours chez nous; compte tenu que la décision est changée, voulez-vous toujours la maintenir? mais qu'il y ait toujours ce lien-là avec le tribunal? Sinon, je vous dis, il va y avoir beaucoup de gens qui vont être dans des situations désastreuses.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Groulx, maintenant.

M. Descoteaux: Merci, M. le Président. Bienvenue à nouveau, Me Perreault, et merci de vos lumières sur le sujet. Je voudrais reprendre avec vous le problème du fardeau de la preuve. Notre collègue d'en face, je crois bien, le député de Chicoutimi, lors de votre présence... Parce que le sujet avait été abordé, si vous vous souvenez, à l'automne. On parlait des experts ou des décideurs médicaux qui avaient une certaine difficulté à apprécier la preuve par la balance des probabilités versus la preuve scientifique, et vous y revenez, et notre collègue nous disait: Bien, ce n'est pas bien dur, c'est 15 minutes d'apprentissage pour comprendre qu'est-ce que c'est, le fardeau de la preuve et la balance des probabilités. Je me dis que c'est peut-être coupé court, puisque vous y faites mention par le biais d'une décision de la Cour suprême, l'arrêt Snell, qui nous dit que les médecins ne comprennent pas bien l'expression, car habituellement ils parlent de certitude scientifique.

Pourriez-vous élaborer un peu plus justement sur cette difficulté-là qu'ont les décideurs scientifiques, ou à base scientifique, pour appliquer un fardeau de preuve de cette nature-là?

Mme Perreault (Janick): Cette formation de 15 minutes sur qu'est-ce que la probabilité juridique, ils l'ont eue. Ils l'ont tous eue. Et même les experts médicaux qui font des expertises pour les citoyens ou l'administration connaissent cette notion. De là à la comprendre et à l'appliquer, c'est deux choses. Alors, oui, ils sont capables de l'expliquer, mais c'est une façon de penser. Enfin, j'avais dit et je répète: Il est heureux de voir que nos experts médicaux pensent de cette façon-là. Alors, avant de décider de procéder à une intervention, qu'on élève ça, là, à un niveau un peu plus élevé pour savoir si ça vaut la peine ou pas qu'on procède à l'intervention, bravo et c'est tant mieux, sauf qu'en matière de droit c'est différent. Alors donc, il y a un langage, et on a beau parler justement d'une formation, les années démontrent que cette formation donc ne règle pas ce mécanisme de pensée, cette façon de penser.

Et j'avais cité à l'automne, et je le recite dans mon mémoire, des arrêts récents encore de la Cour d'appel du Québec qui est venue dire au TAQ et à la CLP: C'est trop élevé, le fardeau que vous imposez, là. On vous rappelle qu'ici on est en présence de droit et, donc c'est une causalité juridique et non pas scientifique qui est exigée. Or, et je l'avais mentionné et je l'ai encore dans mon mémoire, un texte de Me Lesage, qui travaille à la SOQUIJ, qui avait regardé toute la jurisprudence qui suivait ces décisions-là de la Cour d'appel... Il n'y avait pas de modification des décisions. On imposait encore ce même fardeau. Si la Cour d'appel et la Cour suprême le disent puis qu'on a encore les mêmes décisions, je ne pense pas qu'une formation de 15 minutes va régler ça. Et, comme je vous disais, c'est leur formation qui les amène comme ça, et c'est heureux que c'en soit ainsi.

M. Descoteaux: C'est un scalpel à deux tranchants: donc, ça a une valeur au niveau scientifique pour l'application de soins ou de traitements; lorsque ça vient à défendre les droits des citoyens, il faut faire un exercice que le scientifique a plutôt de la difficulté à appliquer. Est-ce que je vous comprends bien?

n (14 h 40) n

Mme Perreault (Janick): C'est tout à fait ça. Et, comme... Excusez.

M. Descoteaux: Oui, allez-y.

Mme Perreault (Janick): Enfin, je voulais peut-être citer... C'est ça que le Collège des médecins est venu présenter devant vous. Comme il disait, dans le fond, les médecins devraient être dans les hôpitaux quand il en manque énormément actuellement. Alors, en fait, je pense que c'est dans cette optique-là aussi. Leur façon de penser, elle a été... Ils ont été formés pour faire autre chose que de rendre des décisions en droit.

M. Descoteaux: Avec votre permission, M. le Président, peut-être une deuxième question sur un autre sujet, sur le paritarisme. Me Perreault, effectivement, vous abordez très brièvement la question de l'efficacité au niveau du paritarisme, où vous indiquez que, bon, simplement concilier des agendas, c'est passablement difficile lorsqu'on augmente le nombre d'agendas à concilier, de décideurs. Mais, au niveau de l'audience comme telle, est-ce que vous pouvez nous éclairer un peu sur ce volet-là, sur le fait qu'il y aurait peut-être une efficacité aussi plus grande au fait de ne pas avoir de paritarisme? Et je pense qu'on a entendu Me Cliche qui a parlé d'entre 15 % et 20 % d'augmentation d'efficacité ou de meilleur rendement. Est-ce que, vous, avec votre expérience, vous pouvez nous éclairer?

Mme Perreault (Janick): Au niveau de l'audience, l'audience serait moins longue, parce que, en fait, après que le commissaire ait posé les questions, s'il en avait après que la preuve a été présentée devant lui, c'est lui qui va devoir rendre la décision. Alors là, chacun des membres, grâce à ce paritarisme, vont poser des questions à leur tour. Alors, on allonge le processus. Et parfois, après certaines questions qui vont avoir été posées, les procureurs vont vouloir réinterroger le témoin parce qu'ils vont vouloir préciser certaines réponses qui ont été données. Donc, la durée d'audition est allongée, il y a la conciliation d'agendas, la durée d'audition, comme je le disais, l'effet intimidant pour le citoyen ? alors, quand il témoigne, là, il est plus mal à l'aise lorsqu'il y a ces gens-là ? et il y a tout l'aspect, après ? et c'est pour ça que je parlais que ça fait ombrage à l'indépendance ? il y a l'aspect de l'influence qu'il peut y avoir dans les couloirs. Et finalement le but du paritarisme, c'est qu'on disait: Les membres qui vont être là, issus des associations syndicales et patronales, vont pouvoir aider. Bien, s'ils vont aider, c'est parce qu'ils vont influencer; s'ils influencent, on vient d'entraver l'indépendance judiciaire à laquelle tout citoyen a droit.

M. Descoteaux: Sans vous imposer une rigueur scientifique, êtes- vous en mesure de nous donner un aperçu, une évaluation en pourcentage de l'amélioration qu'on pourrait obtenir?

Mme Perreault (Janick): Oh! Je vous avoue que...

M. Descoteaux: Difficile?

Mme Perreault (Janick): Oui, c'est ça.

M. Descoteaux: Vous ne contesteriez pas le chiffre de 15 % à 20 %, toutefois?

Mme Perreault (Janick): Ah! sûrement pas.

M. Descoteaux: Merci.

Le Président (M. Simard): Terminé de votre côté. Alors, M. le député de Dubuc va maintenant vous poser des questions.

M. Côté: Oui. Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, Me Perreault, et félicitations pour votre présentation. Je pense que vous avez un mémoire qui est très bien fait et qui est surtout bien documenté, bien annoté, et je pense que ça vaut la peine que je le souligne parce que c'est beaucoup de travail, je pense, que vous avait fait comme présentation.

J'aimerais d'abord vous poser une question sur la régionalisation. Vous vous déclarez favorable à la régionalisation, vous trouvez que c'est un pas dans la bonne direction. Maintenant, le ministre, ce matin, disons, vient peut-être un petit peu confirmer, un peu de façon physique, là, vos prétentions, puisqu'il nous a déposé ce matin une liste sur la capacité des salles d'audience de la CLP, et ce tableau montre clairement que justement les salles d'audience sont sous-utilisées et que la moyenne à travers le Québec, là, est une moyenne environ de 24 %, donc ce qui laisserait énormément de place pour la régionalisation, pour utiliser les mêmes locaux. Alors, je pense que c'est une bonne chose. Et ça, c'est dans toutes les régions du Québec.

Maintenant, certaines personnes sont venues nous dire ici, en commission: La régionalisation, là, faites attention, parce que ça peut créer une espèce de jurisprudence régionale dans les différentes divisions. Le fait qu'un juge soit assigné en région de façon permanente, ça pourrait, bon, peut-être amener certaines relations d'amitié avec des personnes, etc. On a même parlé de copinage. Alors, imaginez.

Alors, est-ce que vous pensez, est-ce que vous croyez que ces choses-là pourraient arriver, dans l'optique de la cohérence aussi des décisions du Tribunal administratif? Et le deuxième volet de ma question serait ceci, c'est: Est-ce que vous croyez à la possibilité de transfert d'une division à l'autre? Un juge qui est en matière de travail pourrait aller en matière d'affaires sociales, etc.

Mme Perreault (Janick): En fait, pour la jurisprudence régionale, ce n'est pas d'hier qu'on a des tribunaux au Québec et ce n'est pas d'hier qu'on a des tribunaux dans toutes les régions du Québec ou à peu près toutes les régions du Québec et où la majorité des juges résident dans ces régions-là. En fait, même la Loi sur les tribunaux judiciaires... Lorsqu'on nomme un juge, on le nomme et on détermine son lieu de résidence. Est-ce qu'on a vu de la jurisprudence se développer dans la région de Québec, différente dans la région de Québec parce que les juges habitent Québec versus les juges qui habitent Montréal? Et là je prends deux grandes villes, là, mais... Alors, ça ne s'est pas vu. Pourquoi ça se verrait devant un tribunal administratif? Donc, je pense que c'est une peur, là, qui est non fondée et qu'il n'y a rien qui pourrait amener un tel événement.

Pour ce qui est d'affecter les membres d'une section à l'autre, comme je le disais tout à l'heure, la fusion a beaucoup d'avantages. Et notamment je disais: Si justement on pouvait affecter les membres d'une section à l'autre, on pourrait améliorer les délais. Je pense qu'un membre qui entend un litige en assurance automobile ou en matière d'acte criminel ou un litige qui oppose un citoyen avec la Régie des rentes, etc., versus un litige qui implique un accidenté du travail, je pense que le membre est tout à fait compétent pour entendre tous ces litiges-là. Alors donc, oui, je pense qu'on devrait affecter les membres de la section des lésions professionnelles à la section des affaires sociales, et vice versa, et ça permettra, j'ose croire, d'améliorer les délais.

M. Côté: Merci. Ma deuxième question porte sur les experts. Vous avez dit tout à l'heure qu'un expert... Parce qu'il y a une provision dans le projet de loi qui permet la nomination d'experts pour une période de cinq ans, et vous avez dit: Bien, après cinq ans, là, il ne devrait plus être expert, parce que, s'il a été cinq ans sans pratiquer, ce n'est plus un expert. J'ai un petit peu de misère à vous suivre dans votre raisonnement, parce qu'il m'apparaît qu'un médecin, par exemple, qui est médecin ou qui est docteur en médecine, même s'il ne pratique pas, c'est évident, peut quand même demeurer un expert de façon autre, soit par de la formation, soit par des lectures, soit par des congrès, en assistant à des congrès. Alors, j'ai un petit peu de misère avec ça, puis vous me répondrez tout à l'heure.

L'autre chose, l'autre volet de ma question, vous dites aussi que, lorsqu'on a une opinion d'un expert, c'est que le citoyen ne peut pas la contester. C'est bien ça que vous nous avez dit? C'est que l'administré ne peut pas contester cette opinion d'expert. Est-ce que vous proposez qu'il y ait une contre-expertise, que le citoyen puisse lui-même demander l'avis d'un autre expert qui viendrait contredire l'opinion de l'expert?

Mme Perreault (Janick): Alors, vos deux questions... On va aller à la première. Ce n'est pas moi qui dis que les experts ne sont plus experts après cinq ans.

M. Côté: C'est le Collège des médecins.

Mme Perreault (Janick): C'est ça, qui doutait donc de cette qualification d'expert après cinq ans. Je pense que ça demeure encore des médecins, mais... qualification d'expert. Alors, ce n'est pas moi qui l'ai dit, hein, je ne citais que les propos...

M. Côté: Est-ce que vous partagez cette assertion? Est-ce que vous la partagez?

Mme Perreault (Janick): Qu'il ne devient plus expert après cinq ans?

M. Côté: Oui.

Mme Perreault (Janick): Enfin, je vous dirais, c'est le Collège des médecins qui est le plus habilité, comme organisme, à répondre à cette question, c'est le Collège qui voit à la discipline et à assurer que ses membres qui ont encore un droit d'exercice sont compétents. Alors, je vais laisser le soin au collège de répondre à cette question.

À votre deuxième question, le titre d'expert pose peut-être problème quand on donne des explications. Ce que je mentionnais: l'administré qui vient devant le tribunal peut arriver avec un expert, bien entendu, et faire entendre son expert ou encore produire une expertise rédigée par un expert sans que l'expert vienne témoigner, l'administration de même. Et enfin, on le voit dans tous les litiges qui ont un aspect médical, ou presque tous les litiges, il y a expertise de l'administration et contre-expertise de la victime, parfois expertises, avec un s, de l'administration et malheureusement parfois contre-expertise, sans s, de la part du citoyen, puisqu'il n'a pas les mêmes moyens que l'administration. Alors, ça, ce sont les experts que chacune des parties décide d'amener devant le tribunal.

n (14 h 50) n

Mes points sur l'expert et l'histoire de suppléer à la preuve, c'est que... Enfin, votre collègue, M. Bédard, avait des propos, à savoir: Est-ce que le fait qu'il y ait un expert sur le banc et non pas un expert qu'une partie amène... Cette présence-là ne serait-elle pas susceptible d'aider un citoyen qui ne serait pas représenté, si j'ai bien compris ses interventions, à certains moments? Alors, moi, ce que je disais, c'est: le membre expert sur le tribunal, il ne peut pas suppléer à la carence de la preuve du citoyen. Si, dans mon exemple, donc, l'administration a plusieurs expertises et le citoyen n'en a pas, le membre qui est expert sur le banc ne va pas pouvoir changer cet élément-là, il ne va pas pouvoir déposer des expertises. Ça, c'est de un. Donc, il ne va pas régler un manque de preuves de la part du citoyen.

Et, de deux, non seulement il ne va pas régler ce problème-là, mais il va ajouter de la preuve que le citoyen ne pourra même pas commenter, et c'était de cette notion de preuve extrinsèque que je parlais. L'expert qui est là, il fait référence à ses connaissances. Alors, justement, quand il rend sa décision... Et, s'il dit qu'il prend l'opinion d'un des experts de l'administration pour x raisons, parce que dans la littérature scientifique il est mentionné telle, telle chose, cette littérature scientifique, il y en a peut-être une récente ou il y en a peut-être une certaine qui la contredit. Les études scientifiques sont un peu comme les jugements, on peut trouver un jugement dans un sens et parfois un jugement qui va dans un autre sens. Les études scientifiques sont comme ça, elles évoluent avec le temps. Dieu sait que la science évolue beaucoup. Alors donc, l'expert va peut-être dire...

Et, quand je parlais du fardeau de preuve, j'ai fait référence à des décisions où on parle de la fibromyalgie. L'expert sur le banc ? on va prendre un exemple concret ? pourrait dire: Écoutez, vous avez eu un traumatisme et vous voulez me dire que votre fibromyalgie est due à ça. Or, il est médicalement reconnu qu'un traumatisme ne cause pas la fibromyalgie. J'aimerais pouvoir commenter, comme citoyen, cette opinion-là de lui et qu'il me soumette ses... pas ses décisions mais ses articles scientifiques. Ils datent peut-être de certaines années. Il faut peut-être distinguer avec le cas qui est devant lui. Il y a peut-être des éléments qui sont différents et il y a peut-être des études scientifiques plus récentes qui démontrent: Ah, maintenant, peut-être que oui, il y a un lien entre un traumatisme et la fibromyalgie. Alors, c'est un exemple, mais c'est pour démontrer que je veux pouvoir commenter les notions auxquelles il se réfère. Or, je ne peux pas, il est là et il va rendre sa décision. Alors, l'auteur de cette opinion médicale, cet expert, je ne peux pas l'interroger, je ne peux pas le contre-interroger, je ne peux pas l'assigner et je ne pourrai donc pas commenter, et ça, c'est donc... L'introduction de preuves extrinsèques est ce qui a été reconnu par les tribunaux comme étant une violation au principe de justice naturelle, le droit de se faire entendre, là.

M. Côté: Et, si le citoyen avait une expertise... était capable d'aller se chercher lui-même une expertise, il ne le fait pas souvent à cause des frais que ça encourt pour lui. Souvent, il n'a pas les moyens d'avoir les expertises, alors que, dans certaines divisions du Tribunal administratif, les expertises sont payées, je pense, entre autres, par l'assurance automobile. Est-ce que vous seriez d'accord pour que les expertises soient payées, cette façon de faire soit étendue à toutes les divisions du Tribunal administratif?

Mme Perreault (Janick): En fait, pour ce qui est des victimes d'accidents d'automobile, vu que c'est à eux que vous faites référence, la SAAQ a toujours des expertises. Quand le citoyen n'en a pas, il réduit de beaucoup ses chances. Alors, la grande majorité des citoyens qui veulent bien se défendre contre la SAAQ se voient dans l'obligation de payer des experts et de produire des expertises. Le coût de ces expertises, c'est le citoyen qui doit l'assumer, malheureusement. Il y a une disposition dans la Loi sur l'assurance automobile qui prévoit un certain remboursement si le citoyen obtient gain de cause: c'est 600 $ par expertise, maximum trois expertises. Essayer de trouver un expert qui va faire une expertise pour 600 $ au Québec, c'est très difficile, et ça, c'est sans compter le témoignage aussi à la cour. Alors, il y a un problème à ce niveau-là. Mais c'est simplement pour vous dire, enfin, que les accidentés, les victimes y vont avec des expertises. Il n'y a pas nécessité qu'il y en ait un troisième sur le banc. Il y a déjà assez que l'administration et l'administré ont leurs expertises, leurs experts qui viennent témoigner, on ne va pas en ajouter un autre.

M. Côté: Merci.

Le Président (M. Simard): Je vais peut-être à ce moment-ci vous poser une question, puisqu'il reste un peu de temps à l'opposition. Vous avez parlé du paritarisme. Je ne veux pas à ce moment-ci ? puis nous l'avons dit à plusieurs reprises ? prendre une position définitive, nous écoutons, nous entendons les différents arguments. Vous êtes, c'est très clair, opposée au paritarisme. C'est votre droit. Mais les arguments que vous utilisez n'ont pas tous la même valeur, je me permets de vous le dire, puisque vous dites, entre autres, que le paritarisme occasionne, par sa lourdeur, par le nombre de personnes impliquées, des délais supplémentaires. Mais en fait c'est le tribunal qui est le plus rapide, où les délais sont les moins... On n'a pas entendu ici de plaintes sur les délais de la CLP, le ministre a cité à plusieurs reprises à l'automne l'efficacité de ce tribunal. Cet argument ne me semble pas très fort.

Mme Perreault (Janick): Mais imaginez si vous pouvez faire encore plus vite. Alors, je ne pense pas qu'il y ait un citoyen... Même si les délais sont acceptables à un endroit, je ne pense pas qu'un citoyen va se plaindre que les délais soient encore plus acceptables.

Le Président (M. Simard): Oui, mais la justice doit être rapide mais ne doit pas être expéditive non plus. Si les délais actuellement sont acceptables et toutes les parties disent que ça fonctionne bien en termes de délais, pourquoi prendre cela comme un argument pour s'opposer au paritarisme?

Mme Perreault (Janick): Enfin, je dirais, ce n'est pas le seul, c'est un parmi tant d'autres. Alors, je regrette...

Le Président (M. Simard): Alors, le deuxième que vous utilisez, justement, c'est l'aspect financier. L'ennui, c'est que ce n'est pas payé par le gouvernement, le paritarisme, ce sont les utilisateurs, c'est-à-dire les entrepreneurs, c'est les patrons qui paient. D'ailleurs, le tiers dans cette opération, c'est la CSST, qui elle-même a un conseil d'administration de nature paritaire. Le gouvernement... Je le sais parce que, lorsque j'étais président du Conseil du trésor, nous étions représentés comme patrons, rien de plus. Nous avions un siège au conseil d'administration. C'est un organisme qui fonctionne, qui est entièrement financé par des cotisations.

Vous dites que ça permettrait de financer la régionalisation. Je veux bien vous croire, mais avez-vous convaincu les patrons qu'ils paieront dorénavant pour le financement de l'opération de régionalisation du TAQ en région?

Mme Perreault (Janick): En fait, dans la mesure où les patrons, comme vous dites... Et j'en suis moi-même une. Alors, nous payons sur les salaires versés, et enfin il existe donc un tribunal qui est financé en partie par des sommes qui sont versées justement par les patrons. J'ose croire... Et, dans les mesures transitoires... Et, justement, dans mon mémoire j'en parlais un peu. Il y a, dans les mesures transitoires où on parle des fonds, là, qui seraient donc transférés... J'ose croire que ce ne serait pas juste transitoire et qu'il y aurait encore une partie du financement qui serait assumée par la CSST pour ce tribunal-là.

Alors, ce que je disais, c'était: Au niveau de la régionalisation, il existe déjà des greffes. Comme je vous disais, grâce à la fusion, ils seront ensemble. Si on élimine des salaires versés à quelque chose qui m'apparaît inutile et voire même nuisible, on peut donc affecter ces sommes à autre chose. Si on ne peut pas les affecter, ces sommes-là, parce qu'elles disparaîtront, tant pis, mais on aura quand même amélioré la justice par le fait que cet aspect-là aura disparu, compte tenu, entre autres, comme je vous disais, de l'influence qu'elles peuvent avoir sur le décideur, et ça, ça m'apparaît une aberration totale et ça ne devrait pas exister, devant aucun tribunal. Et il n'y a pas de raison qu'un citoyen ait une justice différente devant un tribunal comparativement à un autre tribunal. Et en fait, la CLP, et c'est malheureux, mais la culture un peu à ce tribunal-là est plus comme si on voulait gérer des relations de travail. Alors, il n'y a pas de relations de travail à ce tribunal-là, c'est un tribunal qui décide des droits de gens.

Le Président (M. Simard): C'est votre point de vue, il est très clair. Je voulais simplement soulever ces deux aspects de délais et des coûts qui me semblaient problématiques en tout cas dans votre démonstration.

Le parti ministériel a encore cinq minutes. La députée d'Anjou voulait vous poser une question.

Mme Thériault: Merci, M. le Président. Me Perreault, bienvenue parmi nous. J'aimerais faire un constat avant de vous poser une question. Ça fait presque deux semaines que nous sommes réunis ici, les membres de la commission, nous avons eu le plaisir d'entendre une trentaine de groupes et il y a une chose qui me frappe, c'est de voir à quel point les citoyens ont des difficultés dans leurs relations avec la Société d'assurance automobile du Québec. Vous disiez vous-même que c'était un cauchemar à vivre. Ce matin, la Fondation des accidentés de la route parlait qu'elle ne souhaitait pas ce type d'assurance là à personne. Je vous avoue que je n'aimerais pas avoir un accident d'automobile. Et même Me Beaulieu parlait qu'il avait été presque jusqu'à faire une plainte au Barreau. Les relations semblent très difficiles et très tendues avec les citoyens.

J'aimerais avoir votre point de vue à vous. Qu'est-ce qui fait que c'est comme ça? Comment vous pouvez expliquer cela?

Mme Perreault (Janick): Le service à la clientèle n'est pas une notion, selon moi, qui est connue à la Société de l'assurance automobile. Alors donc, le citoyen qui est là n'est pas un client qu'on doit servir. Alors, il y a eu un beau slogan, La personne avant toute chose. À la société, si vous avez un accident mineur, ça va, vous serez bien servi, et vous serez content, et vous retournerez sur le marché du travail après quelques semaines, voire quelques mois, et vous direz qu'on a un bon régime qui est tout à fait enviable. Mais, si vous avez un accident lourd, et que vous avez plusieurs blessures, et que vos incapacités, la nécessité de traitements, etc., se prolongent dans le temps, là commencera votre cauchemar, et le cauchemar sera multiple. Il sera multiple du genre de relations qu'il y aura avec l'agent d'indemnisation. Ce ne sont pas tous les agents d'indemnisation qui sont ultra courtois avec les victimes. Une victime a déjà assez de vivre le traumatisme qu'elle a eu un accident qui affecte sa vie, alors elle se voit donc recevoir par l'agent d'indemnisation d'une façon un peu désolante, et, je dois souligner, ça, c'est lorsqu'elle arrive à se faire recevoir par l'agent d'indemnisation.

n (15 heures) n

On a aussi parfois un problème de communication, donc même rejoindre les agents. Alors, il y a ça, il y a ensuite le délai. Et, les exemples que je donnais, là, si vous les regardez comme il faut, on parle d'années. Écoutez, quelqu'un... Il en a, là, quatre ans pour une décision. Imaginez, vous ne travaillez pas, vous voulez donc votre salaire. Est-ce qu'il y a beaucoup de personnes dans cette salle qui pourraient passer quatre ans sans revenu? Si oui, tant mieux, vous êtes chanceux, mais, la grande majorité des citoyens du Québec, ce n'est pas le cas. Alors, ils ont besoin de leur salaire. Alors, ils font une réclamation, ils attendent quatre ans avant qu'on leur dise si, oui ou non... Si on leur dit non, c'est dommage, mais, au moins, il y a un processus qui pourra s'enclencher. Il y aura encore des délais, là. On l'a vu tout à l'heure, il y aura un autre trois ans qu'on pourra peut-être attendre, même pour avoir une première décision. Alors, ça, selon moi, c'est un mépris de la part de la société de ne pas rendre de décision lorsqu'elle reçoit des demandes.

Et, pour être procureur des victimes, le nombre de fois que j'envoie des lettres... Et, vous savez, l'article 1 de la Loi sur la justice administrative, qui parle de célérité, eh bien, je ne pense pas qu'on ait le même dictionnaire à la Société de l'assurance automobile que moi dans mon bureau. Alors, la notion de célérité n'est vraiment pas la même. J'écris, j'écris, j'écris, j'écris... des années et des années pour qu'on rende des décisions pour mes clients. Alors, selon moi, c'est un mépris envers la victime d'accident d'automobile, alors que notre régime est là pour justement que le tout se fasse rapidement et qu'on indemnise nos victimes. Alors, ça, c'est un réel problème.

L'autre problème est toute la révision. Alors, la révision, je l'ai dit à maintes reprises au fil des ans, selon moi, c'est une instance inutile, une perte de temps pour la victime. Ce sont des employés de la société qui vont réviser des décisions de leurs collègues de travail. Alors, déjà là on est dans une situation un peu plus conflictuelle. Ce n'est pas facile, dire à son collègue de travail: Ça n'a pas de sens, la décision que tu as rendue. Alors, il y a ça. Ces gens-là n'ont pas de formation précise, ils deviennent agents de révision, à devoir régler des dossiers où il y a des questions de droit. Ils n'ont aucune formation particulière. Il y a des délais devant cette instance. Et ensuite de ça, bien, c'est ça, ils reçoivent les décisions. Le résultat devant le Bureau de révision est désastreux. Écoutez, les dernières statistiques, c'est 74 % de décisions confirmées. Et ce qu'il faut dire, c'est que dans le fond c'est plus que 74 % de gens qui n'obtiennent rien devant le Bureau de révision, parce que, dans le pourcentage où on parle des décisions infirmées ou modifiées, il y a parfois des décisions modifiées en défaveur de la victime, mais elles tombent dans l'autre statistique. Donc, on est plus aux alentours, là, de 80 % qui vont à la révision, et c'est absolument pour rien.

Le Président (M. Simard): Alors, nous allons terminer.

Mme Perreault (Janick): C'est terminé?

Le Président (M. Simard): Il restait 30 secondes. Est-ce que voulez faire un dernier commentaire? Bon, merci beaucoup, Me Perreault. Deuxième présence sur des projets de loi très similaires. Alors, nous avons beaucoup apprécié évidemment votre travail et vos commentaires. Je vais suspendre pendant quelques minutes nos travaux et inviter tout de suite le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec à se joindre à nous.

(Suspension de la séance à 15 h 3)

 

(Reprise à 15 h 9)

Le Président (M. Simard): Nous allons reprendre nos travaux. Je tiens à remercier les représentants du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec d'avoir accepté de modifier leur horaire de façon à permettre à la commission d'avancer ses travaux. Vous, Mme Roberge, même si vous êtes présidente depuis très peu de temps, vous connaissez quand même notre fonctionnement en commission, je ne vais pas vous l'indiquer. Vous allez nous présenter ceux qui vous accompagnent, et ensuite nous allons vous entendre pendant une vingtaine de minutes nous présenter l'essentiel de votre mémoire.

Syndicat de professionnelles et professionnels
du gouvernement du Québec (SPGQ)

Mme Roberge (Carole): Alors, merci, M. le Président. Bonjour à toutes les personnes présentes ici, à cette commission. D'abord, j'aimerais remercier la commission de donner l'occasion au Syndicat des professionnels de s'exprimer publiquement sur le projet de loi n° 35 qui concerne la Loi sur la justice administrative.

n (15 h 10) n

Donc, peut-être quelques mots sur notre syndicat. On représente 10 000 professionnels au Québec, particulièrement dans la fonction publique, dans le parapublic, mais aussi dans le réseau de la santé et de l'éducation. On voulait s'exprimer par rapport à notre expertise sur cette question-là mais aussi en tant que citoyens susceptibles de bénéficier des régimes publics. Et notre syndicat représente plus de 300 personnes qui sont des experts sur ces questions-là, soit des réviseurs ou des conciliateurs à la SAAQ, à la Régie des rentes, à la CSST, à la RAMQ, au MESSF, au CLP et au TAQ.

Donc, plus précisément, je vous présente les collègues qui m'accompagnent. Je commence par mon extrême droite: M. Roland Colpron. M. Colpron est réviseur à la CSST. Il a un bac et une maîtrise en droit, donc il est avocat du Barreau, et il a aussi une maîtrise en fiscalité. À ma droite ici, tout près de moi, M. Gilles Dagenais. M. Dagenais est réviseur à la SAAQ et il a une maîtrise en science politique. À ma toute gauche ici, M. Pierre Eubanks, qui est le troisième vice-président du Syndicat des professionnels, responsable de ce dossier-là; et, tout près de lui, M. Normand Gagné, qui est conciliateur, qui est avocat, membre du Barreau, pour la CLP; et, à ma gauche, à mon extrême gauche, M. Louis Lévesque, qui est conseiller au SPGQ, qui a articulé la réflexion de nos experts sur cette question-là.

Donc, d'entrée de jeu, je dirais que la paire de lunettes du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec pour regarder cette réforme-là est la même que pour l'ensemble des réformes. C'est-à-dire, d'abord, nous, on tient à s'assurer que les réformes s'effectuent d'abord dans l'intérêt des citoyens mais aussi dans le respect des employés qui sont concernés. Et, à ce dernier chapitre, je dirais que les professionnels du gouvernement du Québec considèrent qu'ils sont des experts et des expertes des services publics ? ce sont eux et elles qui connaissent les besoins des citoyens ? et qu'ils sont très bien placés pour pouvoir évaluer les impacts, apprécier les impacts de toute réforme de la fonction publique. Donc, on s'attend, en tout cas le Syndicat des professionnels s'attend à ce qu'un employeur de marque comme le gouvernement, en l'occurrence la fonction publique dans ce cas-ci, mette vraiment à contribution l'expertise de son personnel professionnel dans toutes ses réformes. Et je dois dire que, jusqu'à maintenant, on déplore que ce ne soit pas suffisamment fait au moment où on se parle et particulièrement aussi dans ce dossier-ci.

Donc, au regard du projet de loi n° 35, ce qui attire d'abord notre attention, c'est la performance du système actuel au regard de la qualité des décisions qui sont rendues par les ministères et les organismes. En tout cas, selon les données qu'on a, selon les rapports annuels des ministères et des organismes pour 2001-2002, on voit que près de 11 millions de décisions sont rendues. Ce n'est pas du petit volume, c'est vraiment un traitement de masse, hein, une multitude de décisions à prendre. Et, lorsqu'on regarde les chiffres, moins de 70 000 des décisions rendues sont contestées en révision. Donc, pour nous, c'est moins de 1/2 de 1 %. Ce qu'on voit en regard de ça, c'est que, parmi ces décisions-là, il y en a 30 000 qui se retrouvent finalement devant les tribunaux. Donc, on peut dire que, même les gens qui vont en révision, parmi les 70 000 qui vont en révision, on voit qu'il y a au moins 40 000 personnes qui sont satisfaites des révisions. Donc, en conclusion de ça, nous, on dit: La marge d'insatisfaction est relativement faible en tout cas des citoyens, c'est moins de 1/2 de 1 %. En tout cas, si on était dans le privé, là, je pense qu'on dirait qu'on a pas mal une bonne performance. On pourrait être fiers de nous autres, puis on aurait raison d'être fiers de nous, puis on se dépêcherait peut-être d'aller se chercher un certificat ISO quelque chose, hein? En tout cas, c'est peut-être à considérer.

Et, au regard de ça, notre première conclusion, nous, c'est qu'on ne brise pas ce qui marche. On le bonifie, M. le ministre, mais on ne brise pas un système qu'on considère qui fonctionne relativement très bien. En tout cas, c'est l'humble avis des professionnels du gouvernement du Québec. Et d'autre part, je dirais, on est assez sceptiques puis agacés de la structurite aiguë, en tout cas ce qu'on observe des différents gouvernements. Notre expérience nous indique que la multiplication, la division des ministères et des organismes, et patati, patata, ça n'amène pas souvent grand-chose aux citoyens et ça leur coûte un bras. D'ailleurs, je mettrais au défi le gouvernement de nous mettre sur la table les coûts et les bénéfices de cette réforme-là. Pour nous, ce n'est pas évident. En tout cas, on aimerait bien pouvoir en faire l'analyse.

Par ailleurs, pour revenir plus précisément aux objectifs du projet de loi, je dois vous dire qu'on est tout à fait à l'aise par rapport à ces objectifs-là. On les applaudit, on y adhère fermement, particulièrement en ce qui concerne la réduction des délais. Je pense qu'on doit augmenter notre performance à ce chapitre-là. D'autre part, toute la question d'assurer l'indépendance et l'impartialité des juges administratifs, on souscrit à cela entièrement. Et évidemment une plus grande accessibilité pour les citoyens partout au Québec, ça va de soit.

Ce sur quoi on diverge plus particulièrement, c'est sur la manière d'y arriver, sur les moyens. On croit actuellement que le ministre fait erreur sur le chemin à prendre pour atteindre ces objectifs-là. D'une part, en tout cas pour nous, il importe très certainement de simplifier le cheminement actuel d'une contestation et non de le complexifier, et, pour nous, le projet de loi qui est sur la table complexifie beaucoup le processus pour le citoyen et la citoyenne. D'autre part, je l'ai mentionné tout à l'heure, on doit accélérer le règlement des litiges. À ce chapitre-là, c'est au coeur... ça devrait être au coeur de la réforme.

Un élément qu'on observe dans cette nouvelle réforme là, c'est la judiciarisation a priori du processus, et je vous dis qu'à ce chapitre-là on s'inscrit en faux et pas à peu près. Les tribunaux, vous savez, ça rebute les citoyens et les citoyennes, c'est le moins qu'on puisse dire. Les procédures juridiques, c'est toujours du chinois pour les citoyens et les citoyennes. Les coûts qui sont susceptibles d'être générés, qu'ils anticipent, c'est toujours un calvaire pour les citoyens et les citoyennes. Et la culture de la société québécoise, c'est d'abord de privilégier les consensus, donc les règlements à l'amiable, avant de régler nos affaires devant les tribunaux. Donc, la judiciarisation du processus, on n'est vraiment pas à l'aise avec ça.

D'autre part, ce qu'amène le projet de loi... On considère que ça enlève des droits aux citoyens et aux citoyennes. La question de la révision, pour nous c'est très important qu'à cette étape-là du processus, aussitôt qu'une décision est rendue, le citoyen puisse être informé, pouvoir échanger avec les ministères et les organismes sur toutes les décisions qui le concernent, lui, personnellement. Et d'autre part on considère que c'est vraiment un atout aussi pour le citoyen de pouvoir régler le litige qui l'oppose au ministère ou à l'organisme. Et, en dernier recours, il peut avoir recours aux tribunaux évidemment s'il n'a pas obtenu satisfaction. Donc, pour nous en tout cas, le nouveau projet de loi réduit largement les droits que les citoyens et les citoyennes du Québec ont déjà au regard d'une révision d'une décision qui est rendue à leur égard.

D'autre part, ce qui nous frappe aussi dans ce projet de loi là, on considère que ça amène une certaine déresponsabilisation des ministères et des organismes, puis on est vraiment étonnés de ça parce qu'on considère que ça va vraiment à l'encontre de tout le discours politique de la responsabilisation au niveau de la gestion des ministères et des organismes. Pour nous, les ministères et les organismes doivent conserver l'obligation d'une reddition de comptes envers tous les citoyens et les citoyennes sur toutes les décisions qui sont prises à leur égard, d'une part, et, d'autre part, on considère que les ministères et les organismes doivent conserver l'obligation de corriger leurs erreurs, s'il y en a, ou les litiges qu'ils ont avec les citoyens et les citoyennes. Pour nous, c'est bien important qu'ils puissent se corriger eux-mêmes avant de pitcher leurs problèmes dans la cour du voisin, les tribunaux. Donc, pour nous, le projet de loi va plus dans le sens d'une responsabilisation des ministères et des organismes.

n (15 h 20) n

Donc, ce que propose le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, c'est sept choses. D'abord, la première pour nous, c'est de conserver le processus actuel de révision, d'abord de conserver le système actuel dans son ensemble, en apportant, là, des bonifications aux éléments les plus stratégiques et les plus cruciaux, et pour nous un de ces éléments-là, c'est le processus de révision. On considère que le citoyen y a droit jusqu'à maintenant, et ça devrait être maintenu pour lui, et d'une façon très formelle et non aléatoire. Donc, bonifier ce chapitre-là. Et ce qu'on propose, c'est quand même un élément très important, c'est qu'on se doit de limiter le temps de révision à un temps très précis, et, nous, on considère que cette période maximale là devrait être de 90 jours tout au plus. Et, pour nous en tout cas, on considère vraiment que c'est la pierre d'achoppement principal du système actuel.

Et, au regard de ce délai-là, le citoyen devrait continuer à être un peu maître de son processus. Il devrait choisir s'il décide de poursuivre ses démarches en vue de régler ses propres litiges avec le ministère ou l'organisme qui le concerne ou choisir d'aller devant les tribunaux, mais la décision lui appartient au moment qu'il jugera opportun, compte tenu de ces délais-là. Pour nous, on considère que, ne serait-ce que cette bonification-là, globalement ça améliorerait beaucoup la rapidité et la simplicité en tout cas du processus par rapport à celui qui est proposé.

Donc, en tout cas pour nous, le projet de loi actuel, le cheminement qui est proposé, on trouve ça tortueux. On trouve que ça amène aussi beaucoup de confusion pour le citoyen, d'autant plus dans la première période des 90 jours où il arrive directement devant les tribunaux, mais sa demande se promène du ministère au tribunal, etc. Bref, on pense que ça va enrager le citoyen plus que d'autre chose. Il ne saura pas si son dossier est rendu, il ne saura plus qui traite son dossier, il va être obligé de courir dans la machine, comme on dit, pour savoir ce qu'il en est de ses choses. Puis d'autre part ce qu'on trouve, c'est que le projet de loi n° 35, pour nous, il est loin d'assurer une réduction des délais, loin de là. Donc, c'est notre première recommandation, la principale, c'est la bonification du système actuel, particulièrement au chapitre de la révision.

La deuxième pour nous, ce qu'on considère, c'est que les réviseurs devraient avoir le pouvoir de régler des litiges aussitôt qu'il y a une contestation qui est émise, de pouvoir conclure des ententes à la satisfaction des citoyens et des citoyennes, je dirais, à la lumière, là, du modèle qui se passe au ministère du Revenu, actuellement.

Notre troisième recommandation est à l'effet de garantir l'indépendance des réviseurs, cependant. Pour nous, les réviseurs dans les ministères, les organismes doivent être le plus loin possible des opérations, y compris les décisions, donc être le plus haut possible au niveau de la hiérarchie des ministères et des organismes. Et d'autre part on considère que les ministères et les organismes doivent faire une reddition de comptes sur leur performance en matière des révisions.

Notre quatrième recommandation est à l'effet de fixer un délai maximum de communication d'une décision d'un tribunal. Pour nous, ce délai-là devrait s'appliquer à tous les recours. Cependant, ce maximum-là pourrait varier selon les situations qui sont en cause, mais un délai maximum de communication des décisions.

D'autre part, notre cinquième recommandation, c'est confier tous les mandats de conciliation aux professionnels. Pour nous, on considère qu'effectuer de la conciliation, ça permet d'accélérer le règlement des litiges, et ça permettrait aussi, si c'était confié à des professionnels, de faire en sorte que les juges se consacrent aux devoirs qu'ils doivent exercer, c'est-à-dire à l'audition et au jugement des contestations. Et on considère qu'un tel processus contribuerait à désengorger les tribunaux mais aussi à réduire de beaucoup les frais engendrés par les tribunaux actuellement.

Notre avant-dernière recommandation, qui est au regard de celle de maintenir les deux tribunaux existants, j'avoue qu'on n'a pas finalisé vraiment notre réflexion à ce chapitre-là. Mais ce qui nous apparaît pour nous autres, c'est une autre restructuration, c'est des coûts supplémentaires. On ne voit pas vraiment ce que ça va apporter aux citoyens. Bref, c'est une nouvelle solution qui va générer son propre lot de problèmes. En tout cas, on n'a pas vraiment de données en main, on n'a aucune analyse coûts-bénéfices ou efficacité en tout cas qui nous permettrait de militer en faveur d'une fusion éventuelle des deux tribunaux.

Et en dernier lieu on voudrait bien, lorsque le gouvernement du Québec amène des propositions de réforme, qu'il nous présente une analyse des coûts et des bénéfices parce qu'on considère que beaucoup de problèmes budgétaires au gouvernement du Québec actuellement sont dus à des mauvaises décisions politiques. On prend des décisions, on n'en évalue pas les coûts ni les bénéfices et ni les impacts.

Donc, en conclusion, pour nous, le système actuel est à bonifier très certainement, mais, de là à le chambarder pour on ne sait trop quoi, pour obtenir quoi, quels pourraient être les effets vraiment majeurs, pour nous, c'est loin d'être évident.

D'autre part, c'est important pour nous de conserver les droits actuels dont disposent les citoyens actuellement pour contester une décision de leur ministère ou de l'organisme. On propose d'éviter la judiciarisation. Pour nous, la judiciarisation souvent engendre la cristallisation des conflits, ne facilite pas les règlements. Pour nous, c'est important aussi d'éviter la déresponsabilisation des ministères et des organismes au regard des régimes publics qu'ils gèrent et c'est important de mettre davantage l'expertise des professionnels à contribution. Et ces éléments-là, pour nous, devraient contribuer à aller dans le sens des intérêts des citoyens et d'augmenter ainsi, je dirais, leur confiance envers leurs institutions. Voilà, M. le Président, et je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Nous devons vous féliciter d'avoir réussi à résumer, à synthétiser ce mémoire qui était quand même assez touffu et d'être restée à l'intérieur des temps qui vous étaient impartis. J'invite tout de suite, sans plus tarder, le ministre de la Justice à vous poser les premières questions.

M. Bellemare: Alors, merci, Mme Roberge. Merci à toute votre équipe du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec pour ce mémoire qui porte sur différents aspects de la réforme proposée. Et j'aborderai immédiatement toute la question de la révision. Vous semblez déplorer le fait que, dorénavant, si le projet de loi est adopté tel quel, les appels soient logés directement auprès du tribunal d'appel, et vous semblez avoir tellement confiance dans les instances de révision telles qu'elles existent actuellement, ce qui est loin d'être le cas pour plusieurs personnes qui sont venues nous dire que les instances de révision causaient problème. Et plusieurs critiques étaient assez acerbes face aux instances de révision.

Pourquoi prévoir un appel directement au tribunal d'appel? C'est d'abord pour être bien certain que le citoyen connaît l'existence de ce tribunal d'appel. Actuellement, les citoyens... Vous le savez, moi, je le sais, qu'il existe un tribunal d'appel. Mais, pour le commun des mortels, c'est un peu plus compliqué. Victime d'un accident, la personne conteste et se retrouve face à un réviseur qui relève administrativement, financièrement et au plan de la formation de l'organisme dont la décision a été contestée, ce qui crée un problème manifeste de partialité. Et, malgré la toute bonne foi des réviseurs, le citoyen se retrouve face à un individu qui agit comme réviseur au sein de l'organisme. Alors, il faut se prémunir contre les problèmes de partialité que ça peut causer en instaurant un tribunal d'appel. Encore, faut-il que le citoyen le connaisse, le tribunal d'appel. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu un appel direct au tribunal d'appel pour qu'ensuite l'organisme puisse réviser sa décision.

Me Perreault, qui vous a précédée, a évalué à 20 % le taux de personnes qui abandonnaient, par découragement ou par mauvaise information, la démarche au sein de l'instance de révision. C'est à mon avis un drame et il faut y remédier et faire en sorte que le citoyen puisse immédiatement s'adresser à un tribunal véritablement indépendant, quitte à abandonner la démarche par la suite. Mais, au moins, il saura qu'il y a un libre arbitre, un tiers totalement impartial qui pourra agir immédiatement en son nom.

Concernant les instances de révision, vous déplorez vous-même, pour proposer des amendements à ce niveau, le fait que les bureaux de révision ne sont pas assez indépendants. Vous suggérez qu'ils le soient davantage et qu'on prévoie des mécanismes pour assurer davantage leur indépendance. Ça traduit, j'imagine, un malaise. Il y a deux réviseurs qui vous accompagnent, un de la CSST, un de la SAAQ. J'aimerais qu'on nous dise quels sont les malaises actuellement éprouvés par les réviseurs qui justifient qu'on modifie la loi pour assurer davantage leur indépendance.

Mme Roberge (Carole): D'accord. Merci, M. le ministre. D'abord, en ce qui concerne la question du taux d'abandon, etc., et à quoi est justifié le taux d'abandon, en tout cas je n'ai pas d'éléments d'information à ce titre-là, mais, en ce qui concerne toute la question de l'indépendance des réviseurs, je laisserais M. Colpron répondre à cette question-là.

Et, lorsque vous disiez que les gens ne sont pas au courant qu'il y a un mécanisme d'appel ou qu'il y a un tribunal, en tout cas à ma connaissance, lorsqu'il y a une décision qui est en révision, les gens sont informés immédiatement qu'il y a une instance supérieure, un tribunal qui peut les entendre.

Mais, sur la question de l'indépendance, je laisserais M. Colpron répondre à ceci.

n (15 h 30) n

M. Bellemare: Mais je me permettrai, juste là-dessus, d'être en désaccord avec votre affirmation. Lorsque l'individu conteste en révision, il fait face à un réviseur qui provient de l'organisme dont la décision est contestée et il n'est pas informé par l'État, d'aucune façon, de l'existence d'un tribunal d'appel avant que la décision de révision ne soit rendue. Et, au bas de la décision en révision, il est mentionné qu'il peut en appeler devant le tribunal d'appel s'il est insatisfait de la décision, puis il n'y a personne qui l'informe, il n'y a aucun mécanisme de prévu pour s'assurer que le citoyen ordinaire, surtout celui qui n'est pas représenté, sait qu'il y a un tribunal d'appel auquel il peut accéder, advenant une décision insatisfaisante. Puis ce n'est pas les réviseurs qui informent les accidentés du fait qu'il y a un tribunal d'appel, vous pouvez être sûre de ça.

Le Président (M. Simard): M. Colpron.

Mme Roberge (Carole): Je suis à l'aise avec votre point de vue, M. le ministre, mais je laisserais mon collègue expert-réviseur sur cette question-là y répondre.

M. Colpron (Roland): Sur la première question, en ce qui concerne, là, l'information transmise par la CSST auprès des travailleurs ou des employeurs qui contestent nos décisions en révision, le citoyen, qu'il soit travailleur, employeur, reçoit une notification, à même la décision, de ses droits d'en appeler auprès de la Commission des lésions professionnelles dans un délai de 45 jours. De plus, on lui transmet aussi, on lui transmet les formulaires nécessaires afin de joindre sa contestation auprès de la Commission des lésions professionnelles. Alors, on lui fournit toute l'information. Et il n'est même pas rare, des fois, lorsque la personne manifeste... Parce que, outre la décision écrite que je lui transmets, je prends le soin de transmettre verbalement le contenu de mes décisions aux parties afin qu'elles ne reçoivent pas uniquement une décision par écrit, mais qu'elles en soient informées par l'organisme, afin qu'elles soient informées non seulement du libellé final de la décision, à savoir si sa demande est acceptée ou refusée, mais les motifs aussi et les faits qui fondent ma décision. Donc, dans ces circonstances, s'il fait valoir encore fortement... outre la notification de son droit d'appel, je lui fais valoir même verbalement que je comprends qu'il a un litige et qu'il a droit, s'il le désire, d'en appeler auprès de la Commission des lésions professionnelles. Donc, il serait faux de prétendre, du moins à la CSST, que le citoyen n'est pas informé de ses droits lors de notre étape de révision.

En ce qui concerne l'indépendance, ce n'est pas tant un malaise présentement que nous vivons d'indépendance face... ou de dépendance face aux directions opérationnelles, parce que présentement, à la CSST, nous sommes déjà une direction distincte, direction distincte qui n'a pas de lien avec les directions opérationnelles. Nous sommes gérés par une équipe de direction qui n'a pas de lien, en tant que directeur, avec les directions opérationnelles. Donc, ça assure une forme d'indépendance. Toutefois, le projet de loi, ce qu'on a peur, c'est qu'en abolissant, notamment à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la disposition 358.4 qui faisait qu'en sorte que la révision relevait du président du conseil d'administration de la CSST, c'est qu'en abolissant cet article-là on ne chapeaute pas, au sein de l'organisme, de qui relève la révision. Et nous avons peur que, en abolissant cet article, l'organisme décide de déstructurer les structures actuelles qui nous séparent des directions opérationnelles et que la révision ne se fasse plus par une direction distincte pour laquelle le président du conseil d'administration a des comptes à rendre, compte tenu que c'est un pouvoir législatif qui lui confère ce droit de faire la révision.

Donc, le projet de loi n'apportant aucune disposition pour encadrer cette révision-là et pour en préciser une structure, nous avons peur effectivement que le projet de loi ait pour effet de rapprocher la révision des directions opérationnelles.

M. Bellemare: En ce qui concerne le premier énoncé que vous avez abordé, la question n'est pas de savoir si les instances de révision, lorsqu'elles rendent leurs décisions, informent le travailleur du fait qu'il peut contester, c'est évident. C'est prévu dans la loi. La question n'est pas là. La question est de savoir s'il n'est pas opportun de permettre au citoyen qui conteste en révision de savoir qu'il y a une étape ultérieure possible. C'est ça, la question. Et il est évident que, lorsque le réviseur reçoit une contestation, il interagit avec la personne qui conteste, mais la personne qui conteste et qui est face au réviseur ne sait pas, à moins bien sûr d'en être informée par ses connaissances générales, mais n'est pas instruite au départ du fait qu'il y a deux étapes, une de révision et potentiellement une autre devant un tribunal véritablement indépendant. La raison pour laquelle on introduit la possibilité d'un appel direct au tribunal d'appel, c'est parce qu'il nous apparaît que le tribunal d'appel constitue la meilleure garantie de justice, une justice indépendante, une justice externe à l'organisme qui a rendu la décision. C'est pour ça qu'on prévoit un appel possible directement au TRAQ.

En ce qui concerne l'indépendance des directions de révision, à la CSST, il y a une direction indépendante. À la SAAQ, il y a une direction indépendante qui relève directement du président. À l'IVAC, c'est la même chose. Puis, à l'aide sociale, depuis cinq ans, on a introduit des amendements qui font en sorte que la Direction de révision en aide sociale pour le ministère est davantage indépendante, et elle l'est structurellement, elle l'est de par la loi.

Alors, ma question, c'est: Dans cette hypothèse, dans la mesure où il y a déjà des rattachements administratifs distincts pour les instances de révision, qu'est-ce que vous souhaitez obtenir ? parce que vous le demandez dans votre mémoire ? comme normes, critères ou mécanismes garantissant davantage l'indépendance des services de révision? Parce que, administrativement, ils le sont déjà, distincts. Qu'est-ce que vous voulez de plus?

M. Colpron (Roland): Notre réponse, dans le cadre de la recommandation 3, c'est par rapport à ce que propose le projet de loi n° 35. Le projet de loi n° 35 propose l'abolition, dans le cadre de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, de la disposition 358.4. Donc, dans ces circonstances, en réponse à ce qui est proposé, nous, nous réagissons et nous recommandons, par rapport à ce qui est proposé, pour garantir l'indépendance de la révision administrative, le maintien de cette disposition. Donc, c'est en réaction à votre projet de loi.

M. Bellemare: Alors, je comprends que vous souhaitez qu'on maintienne 358.4.

M. Colpron (Roland): Entre autres, oui.

M. Bellemare: Et autre chose?

M. Colpron (Roland): Donc, ce que notre mémoire propose, c'est, dans le cadre de 358.4, d'assurer et de faire en sorte auprès des organismes que, dans l'application de 368.4, une procédure indépendante... pardon, des directions indépendantes de celles des directions opérationnelles, tel qu'il est le cas présentement, soient maintenues, qui n'ont pas de relation quelconque avec les directions opérationnelles, et qu'elles puissent prendre des décisions sans qu'elles soient influencées par les directions opérationnelles. Dans un sens, ce qu'on réclame à cet égard-là par rapport au projet de loi, c'est le statu quo, maintenir la situation actuelle, du moins chez nous, à la CSST ? je ne connais pas ce que vivent mes collègues auprès de leurs propres organismes ? mais, à la CSST, de maintenir le statu quo et de le garantir.

M. Bellemare: Je peux vous dire que tout ce qui peut être fait pour assurer l'indépendance des processus de révision va être fait. Et, si vous estimez que le maintien de 358.4 peut garantir davantage ce détachement des instances de révision, c'est un amendement qu'on suggérera très certainement lors de l'étude article par article.

Le Président (M. Simard): C'est tout? M. le député de Marguerite-D'Youville, maintenant.

M. Moreau: Merci, M. le Président. Mme Roberge, bienvenue. C'est la première fois depuis le début des auditions ? je pense que vous êtes le 32e groupe ? que nous avons, je dirais, presque la chance d'avoir un réviseur de la Société d'assurance automobile du Québec, société dont nous avons entendu parler avec des qualificatifs, je vous dirais, qui personnellement m'ont un peu surpris. Mais ma surprise a été plus grande de voir que ces qualificatifs-là sont revenus avec une belle régularité chez plusieurs personnes qui représentent des gens qui ont affaire avec la Société d'assurance automobile du Québec. Et là, écoutez, les qualificatifs se sont suivis, et c'était une succession de mots de plus en plus forts: aucune approche de service à la clientèle, un cauchemar, une situation où les gens passaient à travers un purgatoire. Je trouve que ce sont des mots qui sont très forts. Et, s'ils avaient été prononcés une fois ou deux, bon, on aurait pu dire: Bon, écoutez, il y a des éléments là-dedans, il y a des gens qui peuvent se présenter devant nous et exagérer, mais le nombre de personnes qui sont venues, la crédibilité de ces gens-là, que la commission ne peut pas remettre en cause sur des éléments factuels qui nous ont été présentés, rend la situation extrêmement troublante.

n (15 h 40) n

Vous êtes un syndicat qui représentez notamment les professionnels qui sont des réviseurs. Ceux qui représentent les victimes nous disent: Écoutez, la révision, c'est inutile et ça allonge les délais. Je regarde le dossier de la SAAQ, et, dans votre propre mémoire, à la page 15, vous indiquez que le délai de révision de la SAAQ est de 306 jours, 306 jours, alors que le délai moyen est de 137 jours. Dans certains cas, c'est 65 jours. Je reprends le mémoire de Me Perreault, qui vous a précédé, qui nous dit: Bon, le délai pour le traitement d'un dossier par l'agent de liaison ? qui n'existe pas dans la loi, là, mais qui est un concept administratif ? c'est trois mois. J'ajoute 90 jours, je suis rendu à 396 jours, de gens qui sont des victimes d'accidents d'automobile, qui souvent n'ont aucun moyen de revenus, n'ont plus de revenus, et, strictement pour passer l'étape de la révision, là, doivent attendre 396 jours. Ça, c'est plus d'un an.

Je ne sais pas si personnellement vous êtes restés un an sans revenus dans une situation où vous êtes physiquement diminués par un accident d'automobile, mais, je vais vous dire, parlant pour moi-même, je trouve que c'est une situation qui est inacceptable, c'est odieux, et j'aimerais savoir comment vous pouvez expliquer qu'à la SAAQ, parce que c'est un régime d'indemnisation au même titre que la CSST, là... Qu'est-ce qui explique qu'on ait des délais de révision de 306 jours à la SAAQ? Je pense qu'il y a un problème.

Mme Roberge (Carole): Je vais laisser notre expert, M. Dagenais, de la SAAQ, répondre à cette question-là.

M. Dagenais (Gilles): Ce que j'entends, c'est que les délais sont inacceptables et que les gens n'apprécient pas le service qui est rendu.

M. Moreau: C'est un euphémisme.

M. Dagenais (Gilles): Là-dessus, d'abord il faut dire que ce ne sont pas toutes des personnes qui sont en attente de revenus, qui n'en ont plus, qui peuvent attendre aussi longtemps, premièrement. Deuxièmement, la principale question là-dedans, c'est la question des ressources qui sont mises pour la tâche, hein? Est-ce que c'est adéquat ou est-ce que ça ne l'est pas? Moi, il est clair que, si la réforme vise à limiter la révision dans ses délais, il faut qu'elle dise ça, il faut que les ressources appropriées soient mises à la disposition des directions de révision pour traiter les dossiers.

Ensuite, je dois dire que les dossiers sont priorisés aussi. Quelqu'un qui attend après une indemnité de remplacement de revenus n'attendra pas 300 jours, on va le traiter rapidement. Et ce que j'entends ici ne correspond absolument pas à ma pratique. Moi, je ne reçois pas de plaintes, concernant mon travail en tout cas. Quelqu'un qui appelle à mon bureau parce que son dossier est en retard, je vais le regarder immédiatement. Si c'est quelque chose d'urgent, je vais le faire tout de suite. Les décisions que je rends sont des décisions de qualité. Je suis peu contesté au tribunal, je suis peu renversé au tribunal. Je peux vous parler de ma pratique à moi. Je ne peux pas répondre ici pour l'organisme, je ne représente pas l'organisme, mais je constate qu'il y a beaucoup d'accusations qui sont lancées comme ça. Elles sont gratuites souvent, et ce n'est pas le fait qu'elles soient multipliées qui leur donne un fondement. Il est très important de comprendre que, dans un organisme où il y a 2 000 employés, si l'organisme en met seulement 40 affectés à la révision, il va peut-être y avoir un problème à la révision. Mais ça, ce n'est pas une réforme de cette ampleur-là qui corrigerait cette lacune-là.

M. Moreau: Non, mais on ne parle pas de la remise en question de la réforme, ici, et je ne parle pas de votre situation personnelle, mais ne me répondez pas qu'il n'y a pas de problème. Si, sur...

M. Dagenais (Gilles): Je ne dis pas qu'il n'y a pas de problème.

M. Moreau: Laissez-moi terminer. Si, sur 33 groupes qui ont été entendus, la très large majorité des gens qui représentent des victimes d'accidents d'automobile sont venus nous dire qu'il y avait un problème à l'égard de la qualité de la relation, la politesse, ce n'est pas une question de nombre d'effectifs, ça. La façon dont on approche les gens, ce n'est pas une question de nombre d'effectifs. Et, indépendamment de cela, on se rend compte que dans d'autres systèmes, par exemple à l'aide sociale, où on a aussi des questions médicales, on a des dossiers qui ont des complexités semblables, ça n'a rien à voir. On a 65 jours, 63 jours de délai au niveau de la révision. Il y a un problème. Je comprends que... Et je ne parle pas de votre pratique à vous, je ne dis pas que vous faites un mauvais travail personnellement, mais, quand même, là, il commence à y avoir pas mal de gens qui viennent nous dire la même chose, là. Ce n'est pas toutes ces affirmations gratuites.

Il y a même des cas qui nous sont rapportés dans les textes qui nous sont proposés, alors qu'on tait les noms des personnes ? et de façon correcte, d'ailleurs, parce que ça n'a pas à être rendu public ? où on voit des histoires d'horreur. Dites-moi pas qu'il n'y a pas de problème.

M. Dagenais (Gilles): Je ne vous dis pas ça. Non, ce que je vous dis, c'est que, moi, ce que j'entends, là, ça ne correspond pas à notre pratique, là où je travaille, moi. Je sais que mes collègues font le service à la clientèle tout à fait correctement. Je ne pense pas que ces accusations-là soient fondées quant à la qualité du service qui est rendu. Mais j'insiste sur le fait que, pour donner de meilleurs délais ? parce que c'est ça, la principale critique qui est adressée ? il faut qu'il y ait suffisamment de ressources, c'est élémentaire. Et, nous l'avons dit plusieurs fois, d'ailleurs nous les avons nous-mêmes déplorés, ces délais-là, parce que ça n'a rien de réjouissant lorsqu'on s'aperçoit que quelqu'un attend depuis trop longtemps. Et on le comprend, puis on sympathise avec lui, puis on fait l'impossible pour régler sa situation le plus rapidement possible.

M. Moreau: Avec respect, je vous dirais que, oui, le problème de délais est une des critiques qui vous est reprochée ? et pas à vous personnellement mais à l'organisme dans lequel vous travaillez ? mais que j'estime tout aussi sérieuse la question de l'approche et de l'attitude que l'on a envers les gens qui doivent bénéficier de ces services-là. Et on nous a même dit que les gens qui s'adressent à la SAAQ dans des cas d'accidents graves ou de lésions graves sont vus systématiquement comme des abuseurs de système. Ça, je dois vous dire, ça me trouble beaucoup. Et ce n'est pas, encore là, une question de nombre d'effectifs, et c'est une critique qui est revenue plus d'une fois.

Le Président (M. Simard): ...cette affirmation sans avoir la contrepartie, puisque nous devons maintenant passer au porte-parole de l'opposition officielle. Et j'invite le député de Chicoutimi à poser la première question.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, merci à vous d'être venus nous faire part de vos commentaires sur ce projet de loi. Tout d'abord, vous avez peu de commentaires sur un des éléments quand même assez importants du projet de loi, qui est celui de la fusion entre la CLP et le TAQ. Et là je lis tout simplement votre recommandation où vous manifestez de grandes réserves et vous dites: Effectivement, les avantages n'ont pas été démontrés. Tout simplement, poussons un peu plus l'exercice. Quels désavantages y voyez-vous?

Mme Roberge (Carole): Comme on vous a dit, on n'a pas vraiment étudié cette question-là, mais toutes les fusions administratives ou les défusions administratives génèrent en soi des coûts, hein, des coûts administratifs importants, ne serait-ce que ça. Mais, pour le citoyen qui bénéficie des services, on n'a pas fait l'évaluation des avantages et des désavantages. Comme on n'avait aucune information pour se prononcer positivement ou négativement sur la fusion, on ne se prononce pas sur la fusion, tout simplement.

M. Bédard: O.K. Et là vous poursuivez aussi au niveau des coûts. Vous dites finalement... Et c'est une de vos recommandations. C'est que vous êtes incapables de voir... La recommandation 7, publier une analyse... Ce que vous souhaitez, finalement, c'est d'avoir une analyse détaillée des coûts et bénéfices de la réforme proposée par le projet de loi n° 35. C'est qu'il n'apparaît pas finalement d'évaluation, tout simplement? C'est ce que vous...

Mme Roberge (Carole): Nous, on aimerait avoir beaucoup d'information sur les coûts, parce que, si on prend l'exemple, mettons, du ministère de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, on sait qu'un coût de révision pour avoir une décision, ne serait-ce qu'à la révision, le coût moyen est à peu près de 300 $. Et, lorsqu'on arrive devant les tribunaux, ça commence à plus près de 3 000 $. Parce qu'il y a nécessairement un litige qui est traité devant un tribunal, les coûts se multiplient au moins par 10. Et, nous, on se dit: Plus le citoyen va pouvoir faire un règlement à l'amiable le plus vite possible, à sa satisfaction et aux moindres coûts, pour nous c'est important. D'ailleurs, que le citoyen arrive au niveau des tribunaux, un, il y a des coûts qui sont engendrés pour aller devant les tribunaux, avoir un support pour pouvoir défendre son point de vue, ne serait-ce qu'un support juridique. Pour nous, c'est très certain qu'un règlement hors cour, un règlement à l'amiable ou un règlement hors les tribunaux est toujours moins coûteux qu'un règlement devant les tribunaux. Ça nous paraît indiscutable.

n (15 h 50) n

M. Bédard: Ah non, et c'est le cas, effectivement, dû au fait aussi, entre autres, qu'on n'engage pas souvent de professionnels. Ou du moins ce n'est pas dans un cadre, là, qui demande l'intervention de représentants payés. Donc, pour la personne, c'est beaucoup moins coûteux, effectivement.

Mme Roberge (Carole): En plus, lorsqu'une décision est rendue en révision, elle n'est pas contestable par l'organisme, hein? Donc, les coûts s'arrêtent là aussi. En tout cas, pour nous, il y a des questions de coûts importants.

M. Bédard: Et c'est pour ça que vous demandez dans votre recommandation 2... Et c'est venu d'autres, là, mais peut-être... de mieux l'expliciter pour les membres de la commission, que finalement le réviseur ait le pouvoir de conclure des transactions au sens de l'article 2631 du Code civil, autrement dit de finir le litige, parce que actuellement ce n'est pas le cas ? c'est ce que vous me dites ? et que, même s'il y a entente... Simplement pour que tous les membres de la commission comprennent bien, là, quelles sont les conséquences de ne pas donner suite à votre recommandation?

Mme Roberge (Carole): Bien, je laisserais M. Dagenais s'exprimer sur cette question-là.

M. Dagenais (Gilles): C'est un pouvoir supplémentaire. Parce que ce qui se produit actuellement, c'est qu'il y a des litiges dont l'objet représente très peu d'argent, alors que le coût du traitement du litige, surtout s'il va au tribunal, est excessif. Il en coûte autour de 375 $, 400 $ pour régler une demande de révision et il en coûte quelques milliers de dollars pour régler un appel au tribunal. Alors, lorsque, dans certaines situations, les sommes en jeu sont peu importantes et que la décision que rendrait le réviseur n'est pas nécessairement la meilleure option, il pourrait, à ce moment-là, suggérer une entente avec l'administré de manière à ce qu'on puisse éteindre le litige là, puisqu'il s'agit de... Parce que ce n'est pas toujours des questions d'indemnité pour des séquelles permanentes ou pour une incapacité de travail prolongée qui sont devant nous, ce sont parfois des questions de frais aussi et qui impliquent des sommes quand même peu importantes, d'où l'intérêt d'avoir un outil supplémentaire ajouté au pouvoir actuel du réviseur dans la loi de manière à ce qu'il puisse agir autrement que par une décision qui sera peut-être contestée s'il y a un problème, et les coûts de traitement sont encore plus grands.

M. Bédard: Actuellement, quand vous vous entendez ? parce qu'il arrive qu'on s'entend, quand même ? là vous faites approuver la décision par le tribunal?

M. Dagenais (Gilles): Non, non.

M. Bédard: Qu'est-ce qui arrive quand vous réglez actuellement?

M. Dagenais (Gilles): Non, mais actuellement on rend une décision.

M. Bédard: C'est ça.

M. Dagenais (Gilles): Et, bon, si ce sont... il y a un droit d'appel.

M. Bédard: Autrement dit, ce n'est pas un règlement au sens normalement que les parties, bon, signent une entente, et là on renonce, chacune des parties, à l'appel, c'est plutôt une décision que vous rendez, qui est souvent, vous me dites... Autrement dit, ce que vous me dites... Ça peut être un compromis entre... Mais, comme c'est une décision, elle peut être même portée en appel. Donc, ce que vous me dites... Ça a peut-être pour effet de vous empêcher justement d'adopter des décisions de compromis parce que ces décisions-là peuvent être portées en appel?

M. Dagenais (Gilles): Oui, c'est une... Ce pouvoir-là permettrait une plus grande flexibilité dans les litiges de moindre importance.

M. Bédard: O.K. M. Dagenais... bien, pas M. Dagenais, parce que vous êtes plus à l'étape de la révision, au niveau de l'assurance automobile, il y a un élément qui m'a troublé. Nous avons eu comme témoignage ? je ne sais pas si c'est le cas ? que la société refusait presque systématiquement la conciliation. Et là je m'adresse plus... Parce que, vous, vous êtes plus à l'étape de la révision. C'est plus compliqué un peu. C'est même après vous, là, finalement. Mais il semble ? et c'est les témoignages qu'on a, là ? qu'il y aurait une pratique interne, sans être écrite, évidemment, là, qu'il y aurait un refus presque systématique de la conciliation.

Est-ce que, dans votre pratique ou dans les éléments que vous avez pu constater dans la préparation du mémoire ou dans votre vie professionnelle, c'est des choses que vous avez eu connaissance?

Mme Roberge (Carole): En tout cas, je ne sais pas si M. Dagenais peut répondre à ça. En tout cas, si on refuse la conciliation... Comme on le disait tout à l'heure, peut-être qu'ils ne sont pas gentils, ils ne sont pas polis, les gens de la SAAQ, là, hein? Je ne le sais pas. Mais en tout cas on ne sait pas comment la réforme pourrait rendre plus gentils les gens, là. En tout cas, je n'ai pas encore compris ça. Mais, en ce qui concerne le refus ou pas de la conciliation, je ne sais pas si, M. Dagenais, vous pouvez répondre sur l'attitude de la SAAQ sur cette question-là.

M. Bédard: Autrement dit, c'est que d'autres organismes vont se présenter à la conciliation. Vous savez, le projet de loi actuellement va forcer finalement sur demande les groupes à se présenter en conciliation, et ce que j'ai compris, là, des... et je n'ai pas toutes les statistiques devant moi, c'est que des témoignages de ceux et celles... Puis, je vous dirais, il y a des fois, bon... On fait attention parce que, c'est normal, on peut avoir une impression due à un nombre de cas, et ça ne peut pas se refléter dans la réalité. Mais, quand une impression s'additionne, je vous dirais que ça laisse quand même des éléments plus tangibles de conclusion. Et cet élément-là n'est pas une question, je vous dirais, d'appréciation. On peut juger que la personne n'est pas gentille ou pas. Ça, c'est peut-être de l'appréciation. Mais, quand on dit qu'il y a un refus de participer aux conciliations, bien là, je vous dirais, c'est objectif comme fait, ils refusent. Alors, pourquoi on refuserait plus, dans certains organismes, cette conciliation, si c'est le cas? Si vous me dites, à votre connaissance, que ce n'est pas le cas ou que vous ne le savez pas, soyez à l'aise aussi, là, je ne veux pas...

Mme Roberge (Carole): Vas-y, puis je vais compléter. M. Dagenais va y aller, je vais compléter.

M. Dagenais (Gilles): L'attitude de la société en conciliation, on ne peut pas répondre pour ça ici, nous. Ça, ce sont des questions qui devraient être adressées à la société. D'autre part, lorsqu'on parle de la conciliation, on a tout de suite en tête l'image de la Commission des lésions professionnelles, où cette étape-là fonctionne bien, qui règle une grande partie des litiges, et tout ça. Ce sont des litiges, là, qui impliquent l'employeur et le travailleur, donc c'est très différent de lorsque c'est l'État et le citoyen. On ne sait pas si c'est aussi approprié comme type de litiges pour la conciliation. Il y a une question qui se pose, là. Est-ce que, par exemple, dans la réforme, lorsqu'on suppose qu'il y aura un grand taux de succès de la conciliation qui remplacerait finalement l'étape révision... Parce que là la révision, dans la réforme, ça devient plus une coquille vide qu'autre chose, parce que le droit du citoyen est disparu, parce que l'obligation de l'organisme est disparue et parce que les pouvoirs du réviseur sont disparus aussi. On a une sorte de fantôme de droit qui va subsister, et ça va être une coquille vide, ça va être un Val-Jalbert, ça. Donc, la conciliation, ce n'est pas certain qu'on peut obtenir autant de succès que la réforme le suppose. O.K.?

M. Bédard: Non, puis, effectivement... Mais où j'ai... On voit qu'à la CLP ça fonctionne bien, la conciliation. C'est le constat que tout le monde fait, et, je me dis, peut-être aussi une étape de conciliation, c'est que souvent les gens, quand ils ont quelque chose à perdre, ils ont tendance à plus s'entendre. Je vous dis le raisonnement, là, mais il est gratuit. Quelqu'un qui négocie pour la SAAQ, par exemple, il n'a rien à perdre. Pour un employeur, pour ceux qui vont représenter les employeurs, il y a un coût qui est indirect, mais un coût qui est réel, qui est associé à une procédure, à une décision, alors que ce n'est pas le cas pour les agences gouvernementales. En général, il peut se développer, je vous dirais, plus facilement une pratique qui serait plus dure. Parce que souvent, vous savez, les bonnes actions naissent de la nécessité, hein? Les bonnes actions en général naissent des bonnes valeurs des gens, mais d'autres naissent de la nécessité. Et là je me dis: Le projet de loi force finalement les gens à participer à cette étape, mais, au-delà de ça, comment on pourrait finalement mettre ceux et celles qui sont appelés à... un processus de conciliation dans une réflexion qui est celle de souhaiter un règlement autre que celui de la perte monétaire éventuelle? Vous comprenez un peu où est-ce que je veux aller, là? Comment on peut s'assurer que le processus soit finalement utile et utile pour tout le monde, là?

M. Dagenais (Gilles): Je peux répondre à ça qu'on n'a rien contre la conciliation, c'est un outil, Mais je pense qu'à la première étape du litige, lorsqu'on est révision, il est très important de régler là. On n'aurait pas besoin d'aller plus loin ensuite puis de se creuser la tête sur comment est-ce qu'on ferait pour mieux concilier, le litige serait déjà réglé. Lorsque, en révision, on entend les personnes et qu'elles nous expriment leurs doléances et les difficultés qu'elles ont, c'est l'occasion pour nous d'expliquer ce qui se passe, d'expliquer les fondements de la décision qui a été rendue, de rendre les décisions. On éteint quand même, en révision, 60 % des litiges. C'est une étape qui est peu coûteuse, qui satisfait donc un très grand nombre de personnes qui ont des réclamations à faire. Ce n'est pas à négliger. Il est là, l'outil. Il est là, il est peu coûteux. Les gens en sont généralement satisfaits lorsqu'on regarde les statistiques. Mais, lorsqu'on regarde les commentaires qu'on entend, et qui sont disgracieux souvent, et dont je ne connais pas le fondement, qui sont gratuits, là je pense qu'il y a un problème. C'est là-dessus, plutôt. Et, l'outil qui fonctionne déjà, qui est performant, je pense qu'on doit lui enlever peut-être les irritants qu'on constate, et puis c'est beaucoup plus productif, à ce moment-là.

Mme Roberge (Carole): Puis j'aimerais, M. Colpron, que vous ajoutiez quelque chose là-dessus.

n (16 heures) n

M. Colpron (Roland): Oui, j'aurais un commentaire à ajouter au niveau de la conciliation. C'est qu'il faut bien comprendre aussi que, au stade des lésions professionnelles, la conciliation se fait entre deux parties privées qui pourraient conclure, dans le cadre d'une transaction, d'une transaction en conciliation, une entente qui ne va pas nécessairement dans l'esprit de la loi mais qui répond aux intérêts particuliers de ces deux personnes privées là. Mais, dans le cadre d'une conciliation qui se fait entre l'État et le citoyen, il faut aussi que l'État reste redevable envers l'ensemble de ses autres citoyens. Il ne doit pas prendre non plus des décisions nécessairement qui vont à l'encontre de ce qu'on peut considérer comme l'équité pour l'ensemble des autres citoyens envers qui il est redevable aussi, alors que, devant la CLP, c'est deux intérêts privés et ils peuvent s'entendre sur des intérêts qui leur sont particuliers mais qui n'auraient pas pour conséquence de léser personne d'autre.

Et le projet de loi actuel est basé notamment sur l'aspect que le taux de règlement, suite à la conciliation dans les régimes autres que la CLP, va augmenter de 300 %, parce qu'on se base sur un taux similaire à la CLP, alors que les impondérables sont tout à fait différents. Donc, on se base sur une prémisse qui, on considère, on l'espère, serait réalisable, mais les circonstances ne permettront pas que ces chiffres demeurent de façon aussi optimiste, là. Alors, 300 %, c'est vraiment pécher par optimisme dans ce contexte.

Mme Roberge (Carole): ...la conciliation est un sujet vraiment qui vous intéresse, qu'on a moins fouillé. On a un groupe de professionnels qui va se présenter devant vous, au niveau de la commission, la semaine prochaine, qui a vraiment fouillé la question de la conciliation. En tout cas, ce qu'on peut dire au moment où on se parle, c'est que la conciliation, pour nous, une conciliation efficace, c'est une conciliation qui se base sur une base volontaire des parties. Dans le projet de loi, tel que stipulé, si une partie le demande, l'autre a l'obligation de la conciliation. Pour nous, ce n'est pas un atout, qu'on ait une obligation de conciliation. La conciliation doit être une volonté des parties, que les parties ne soient pas forcées à la conciliation. Oui, M. Colpron.

M. Colpron (Roland): Et, par notre...

M. Bédard: ...où je veux aller, parce que je vais revenir à une autre question. Mais la volonté des parties, vous savez, c'est plus facile ? et là je le dis en tout respect pour ceux et celles... sans prêter mauvaise foi à personne ? mais ça porte moins à conséquence pour une société de refuser la conciliation que toute personne en général dans la vie, je veux dire toute personne qui fonctionne en société. La conséquence est beaucoup moins grande. Et, moi, pour avoir participé à des litiges, même commerciaux... Vous savez, on emploie des arbitres. Dans les premières heures qui suivent le litige, tout le monde nous dit: Allez-y, là, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Quand ils ont reçu le premier «bill»... la première facture, plutôt: Est-ce qu'on peut avoir une... Y a-tu des choses intérimaires? Est-ce qu'on peut arriver... Est-ce qu'on peut régler, finalement? Alors, les gens ont comme une pression qui est normale, qui fait partie de la vie, parce que l'autre partie, elle l'a, elle. Le citoyen, il le paie, son avocat. Il le paie quand il est représenté. Donc, c'est pour ça que je vous dis: Oui, les deux parties doivent vouloir, et c'est ce qui se passe dans la vie en général. Et, vous savez, moi, je pense qu'il est beaucoup plus facile d'adopter une ligne dure pour une société d'État que pour à peu près toute personne autre qu'une société d'État. Mais c'est mon opinion, et je respecte la vôtre. Mon collègue avait...

Le Président (M. Simard): M. le député de Dubuc.

M. Côté: Merci, M. le Président. Avant de poser ma question ? d'abord, Mme Roberge, messieurs, bienvenue ? je voudrais simplement faire une petite rectification; je pense que ça s'impose. C'est que Val-Jalbert n'est pas une coquille vide, M. Dagenais. C'est un très beau site historique qui fait partie de ma région d'ailleurs et dont je suis fier.

Mme Roberge, vous avez fait deux assertions dans votre présentation. Vous avez dit d'abord au début de votre intervention que vous déploriez le fait que le gouvernement ne fait pas assez appel aux professionnels. Lorsque vous parlez de professionnels, j'imagine que vous parlez des gens que vous représentez, et j'aimerais que vous spécifiiez un peu plus qu'est-ce que vous voulez dire par là. Est-ce que c'est au niveau de la conciliation, au niveau de la révision?

Et ma deuxième question est celle-ci, c'est que vous avez également affirmé que le projet de loi complexifie davantage le processus pour les citoyens et les citoyennes. Et, dans votre sommaire, ou dans votre introduction, vous dites que c'est en regard du... c'est, entre autres, en regard du processus introduit par le projet de loi n° 35 lors de la révision administrative. Est-ce que, pour vous, c'est ce seul aspect de la loi qui complexifie justement le processus ou s'il y a d'autres endroits dans la loi où justement le citoyen risque de ne plus se retrouver?

Mme Roberge (Carole): D'abord, je dirais, mon assertion concernant la mise à contribution de l'expertise professionnelle au gouvernement du Québec, elle vaut pour ce projet-ci, mais, pour nous, elle vaut pour l'ensemble des projets. On trouve que souvent les décisions des réformes sont prises sans que les gens qui sont au coeur des programmes concernés soient mis à contribution. Et, à ce regard-là, nous, on considère que, même dans le projet de réforme actuellement, les réviseurs, les conciliateurs auraient dû davantage être mis à contribution dans l'analyse du projet qui est sur la table actuellement. Ce n'est pas pour rien qu'on est autour de la table, ici, c'est que les gens voulaient se prononcer sur cette question-là. Et ce n'est pas pour rien que vous allez avoir un autre groupe de professionnels spécialisés en conciliation qui va venir se présenter à vous la semaine prochaine. Donc, les professionnels, ce sont des experts et des expertes des services publics qui ont élaboré les programmes et les politiques au gouvernement du Québec, et, lorsqu'il y a des modifications, des ajouts ou des nouveautés, des fois des programmes des services publics, ils voudraient davantage être mis à contribution pour l'analyse des besoins des citoyens et pour la manière dont on va y répondre, le choix de la formule à y répondre. Ça, c'est une première chose.

Sur en tout cas la complexité du processus, en tout cas il nous apparaît très certainement que, ne serait-ce que le tout début du processus, où on dit vouloir le simplifier en envoyant directement le citoyen devant le tribunal, pour nous, le fait que le tribunal reçoive la demande, et que le ministère peut réagir dans un délai de 90 jours, et que le citoyen est en attente durant cette période-là, pour nous, ça cause un problème pour le citoyen parce que le citoyen ne sait pas où est-ce qu'est rendu son dossier, comment est traité son dossier. En tout cas, pour nous autres, ça nous apparaît une étape importante.

Pour les autres éléments du projet de loi, je ne sais pas si mes collègues auraient des choses à ajouter, mais en tout cas cette partie-là, particulièrement le début du processus, nous apparaît complexifier beaucoup la chose.

M. Côté: Merci.

Le Président (M. Simard): Je vous remercie beaucoup, Mme Roberge. Merci à ceux qui vous ont accompagnée et qui ont permis de répondre à plusieurs des questions posées par les parlementaires. Merci aussi d'avoir accepté de changer votre horaire pour nous accommoder. Alors, je suspends nos travaux pendant quelques minutes et j'invite tout de suite les gens du Conseil de la justice administrative du Québec à venir se joindre à nous.

(Suspension de la séance à 16 h 8)

 

(Reprise à 16 h 12)

Le Président (M. Simard): Alors, bienvenue parmi nous, M. le président. Vous connaissez nos règles de fonctionnement, vous avez une vingtaine de minutes pour nous présenter l'essentiel de vos remarques, ou en tout cas l'essentiel de votre mémoire. Je vous laisse tout de suite nous présenter ceux qui vous accompagnent.

Conseil de la justice administrative

M. McCutcheon (Laurent): Bonjour. D'abord, merci de permettre au Conseil de la justice administrative de faire ses représentations. Je vais demander aux personnes de se présenter elles-mêmes.

M. Gabay (Joseph): Joseph Gabay, représentant du public.

Mme Demers (Laurence): Laurence Demers, représentante du Barreau.

Mme Corbeil (Monique): Monique Corbeil, représentante de la Chambre des notaires, au sein de laquelle je cumule 10 ans d'expérience au comité de discipline.

M. McCutcheon (Laurent): Quant à moi, je suis Laurent McCutcheon, je suis le président du Conseil de la justice administrative depuis les tout débuts. J'ai été là à la première heure. Je suis issu de l'ancien tribunal des accidents de travail qui était la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, où j'ai siégé pendant 12 ans avant d'arriver au Conseil de la justice administrative, au moment où j'ai pris ma retraite. Donc, les personnes qui sont ici présentes sont des personnes engagées, bénévoles, qui ne sont pas des employés rémunérés, qui sont au service d'une cause à laquelle ils croient.

Les membres sont nommés pour des périodes de trois ans. On a droit à un mandat, donc toutes les personnes qui sont ici dans les prochains mois devront laisser leur place, ce qui nous confère un statut de totale indépendance et nous permet aussi de faire valoir nos arguments avec croyance et conviction.

Notre intervention sera limitée aux strictes questions de la déontologie et du Conseil de la justice administrative. Quant aux autres dispositions de la loi, nous ne ferons pas de représentations. Donc, à l'heure où la confiance du public dans la justice administrative est de plus en plus questionnée, nous intervenons dans le sens de soutenir la confiance du public. L'objectif de notre intervention ici sera de venir dire aux membres de cette commission que nous soutenons la mesure de nomination des membres selon bonne conduite, que nous soutenons l'objectif de célérité recherché par le projet de loi, que nous entendons proposer des mesures pour faciliter la confiance du public dans la justice administrative. Nous voulons aussi assurer l'adhésion des membres des tribunaux administratifs dans la justice administrative. Et enfin nous proposerons quelques modifications de façon à alléger les structures et diminuer les coûts.

La présentation du Conseil de la justice administrative. Je vais faire un résumé du mémoire que vous avez en main, qui est assez étoffé. Donc, je vais en faire un bref résumé, ce serait trop long d'en faire la lecture. Donc, la présentation du Conseil de la justice administrative. Il est né en 1998 avec l'entrée en vigueur de la Loi sur la justice administrative. Il a pour principal mandat de recevoir et d'examiner les plaintes en matière de déontologie en provenance de quatre tribunaux: le Tribunal administratif du Québec, la Commission des lésions professionnelles, la Commission des relations du travail et la Régie du logement.

Ces tribunaux regroupent 296 juges administratifs. On en retrouve 87 à temps plein au Tribunal administratif du Québec, 31 à temps partiel au Tribunal administratif du Québec, 116 à la CLP, 32 à la Commission des relations de travail, 30 régisseurs à la Régie du logement, et à cela s'ajoutent les membres issus des associations patronales et syndicales ? il y en a 222. Donc, le conseil a juridiction sur 526 personnes en matière de déontologie.

Je vais à la page 5, la mission du conseil. Dans les premières heures du conseil, on n'a pas été plus original qu'il le faut, on s'est référé à ce qui se fait dans le domaine, donc on a regardé la mission des différents conseils de la magistrature qui existent un peu partout dans le monde, dont au Canada, et on est arrivé à la conclusion que notre mission, c'était de soutenir la confiance du public dans la justice administrative et plus particulièrement sur les tribunaux sur lesquels on a compétence.

Bref historique. On est né en 1998. L'adoption de cette loi était le fruit de 30 années de réflexion, d'études, de rapports réalisés par divers groupes de travail ayant examiné en profondeur notre système de justice administrative. La situation prévalant à l'époque précédant l'institution du conseil était essentiellement caractérisée par l'absence de politique d'ensemble applicable aux membres des tribunaux administratifs en matière de déontologie.

Je vais à la page 7, au point 1.4, la composition du conseil. Je parlerais de l'ancien conseil et du nouveau conseil. À son entrée en vigueur, le conseil était composé de 11 membres et devait répondre aux règles suivantes: il devait y avoir une représentation de la direction du tribunal, une représentation des pairs, une représentation du milieu juridique, une représentation majoritaire de juristes. Et j'insiste sur cette question parce qu'on oublie souvent qu'au conseil de la justice administrative il y a une majorité de juristes et il y a une représentation significative du public. Donc, à l'époque, il n'y avait pas de représentants issus de d'autres tribunaux que ceux du Tribunal administratif du Québec. Donc, on a proposé de réformer le conseil, ce qui a été fait et ce que j'appellerais le nouveau conseil, en page 8.

Dans sa composition actuellement, le conseil, il y a 17 personnes. Donc, comme on a compétence sur quatre tribunaux administratifs, y siègent les quatre présidents, un représentant de chacun des tribunaux administratifs, donc on est rendus à huit représentants du Barreau et de la Chambre des notaires, qui sont ici présents, de même que sept représentants de citoyens, pour un total de 17 personnes. Et là-dessus nous proposerons probablement une façon d'alléger un petit peu la façon de faire.

2.2. L'abolition du Conseil de la justice administrative et les nouveaux mécanismes de réception des plaintes en matière de déontologie. Le projet de loi abroge toutes les dispositions de la loi concernant le Conseil de la justice administrative. Avec l'abolition du conseil, un nouveau mécanisme de réception et d'examen des plaintes est proposé. Les citoyens pourront porter plainte au président, qui verra à constituer un comité chargé de statuer sur la recevabilité. Incidemment, j'ajoute ici qu'on n'a pas prévu, dans le cas de l'abolition du conseil... Pour les employés du conseil, il n'y a aucune disposition transitoire pour savoir qu'est-ce qui arriverait des quelques employés du conseil. Donc, je pense que ce serait important qu'on n'oublie pas cet aspect-là.

Les dispositions concernant la Commission des relations de travail et la Régie du logement. Le traitement des plaintes déontologiques concernant les juges administratifs de ces tribunaux serait soumis à des mécanismes comparables à ceux qui sont proposés pour le nouveau Tribunal des recours administratifs. Les plaintes concernant un commissaire ou un régisseur seraient adressées directement aux présidents respectifs de ces tribunaux.

J'ai, à la page 12, objectif de maintien de la confiance du public. Quand on parle de déontologie, on parle de confiance du public. Je pense que, essentiellement, il y a un consensus là-dessus, tout le monde parle de confiance du public. Donc, la déontologie des juges administratifs contribue à soutenir la confiance du public dans la justice administrative et, pour ce faire, elle exerce une fonction préventive plutôt qu'une fonction disciplinaire.

n (16 h 20) n

Soulignons quelques éléments susceptibles de soutenir la confiance du public dans la procédure déontologique relative à la conduite des juges ? et là je suis à la page 12, en bas: l'existence d'un organisme de traitement de plaintes indépendant, impartial et apparaissant comme tel aux yeux du public; l'accessibilité pour la population au mécanisme permettant de porter plainte contre la conduite jugée inacceptable d'un juge; une représentation significative de pairs au sein de l'instance compétente pour disposer de plaintes; une représentation significative du public au sein de cet organisme; un organisme permanent capable de développer et maintenir une expérience et une expertise en matière de déontologie; l'assurance d'une uniformité dans les exigences de conduite entre les différents tribunaux administratifs; et la mise en vigueur d'un code de déontologie dont les valeurs correspondent aux valeurs attendues par la population. Donc, si on veut assurer la confiance du public, je pense que ce sont les éléments sur lesquels on doit compter. Indépendamment des structures qu'on mettrait en place, je pense qu'on doit retrouver ces éléments-ci si on veut vraiment parler de confiance du public.

4.1. Nécessité d'un organisme de traitement des plaintes indépendant, impartial et apparaissant comme tel aux yeux du public. Selon la Cour suprême et les auteurs, une des exigences pour qu'un décideur soit considéré inamovible est qu'il ne puisse être révoqué qu'après un examen indépendant. À cet égard, Yves-Marie Morissette, alors qu'il était professeur, écrivait, en se référant à l'important rapport réalisé sur l'indépendance à la demande du Conseil canadien de la magistrature, il rappelait: Friedland avance d'abord l'idée que, de nos jours, on ne peut plus parler d'indépendance judiciaire au Québec et au Canada sans concevoir en même temps une juridiction déontologique.

4.2. La représentation des pairs. Je n'insisterai pas là-dessus, je pense qu'à peu près tout le monde qui est venu ici vous a parlé de la nécessité d'avoir des pairs dans le processus de traitement des plaintes. Donc, je crois que c'est déjà acquis.

4.3. Représentation significative du public. Un élément indispensable au maintien de la confiance du public est sans conteste la participation des représentants de citoyens au sein du processus déontologique. Cette représentation permet d'en assurer la transparence.

4.4. Nécessité d'un organisme permanent pouvant développer et maintenir une expérience en matière de déontologie judiciaire. Il nous semble essentiel qu'un organisme puisse assurer une continuité, que les gens qui travaillent dans le domaine... Comment on peut imaginer que quelqu'un qui n'a jamais siégé en matière de déontologie puisse se retrouver du jour au lendemain, qu'il soit citoyen ou juriste ? et j'insiste, même si la personne est juriste ? se retrouver sur des comités d'enquête et rendre des décisions s'il n'a aucune notion de la déontologie, aucune préparation et aucune expérience en la matière? Et, pour assurer ça, évidemment il faut un organisme qui est capable de le faire.

La nécessité d'informer les citoyens, c'est aussi une fonction essentielle. Il faut informer les citoyens de leurs possibilités de recours en matière de déontologie, comme on le ferait dans tout autre domaine. À ce sujet, je pense qu'on ne parle pas souvent, quand on regarde le nombre de plaintes, qu'on examine les rapports, mais je vous dirais que les deux tiers des demandes qui sont adressées au conseil sont réglées finalement en donnant de l'explication aux citoyens, et à ce moment-là la plainte est réglée du même coup. Donc, c'est les deux tiers qui sont réglés à ce niveau-là.

L'uniformité dans les exigences de conduite des membres des différents tribunaux. Il y a la Régie du logement et la Commission des relations de travail qui sont laissées de côté, là, dans la réforme en matière de déontologie. On préconise des comités à l'interne sous la responsabilité des présidents. Nous croyons que l'ensemble des tribunaux administratifs devraient relever d'une compétence, d'un organisme compétent en la matière.

Page 17, le point 5, nécessité d'obtenir l'adhésion des membres, bien, je pense que ça va de soi que les processus qui seront mis en place pour assurer le traitement des plaintes doivent obtenir l'adhésion des membres. Et l'honorable Gonthier, dans l'affaire Ruffo, énonçait le principe voulant que l'efficacité de la déontologie judiciaire repose fondamentalement sur une adhésion volontaire et permanente, de la part de chaque juge, aux impératifs de la fonction qu'il exerce.

Le point 7, la liste des ministères et organismes. Il y a dans la loi une disposition qui confie au Conseil de la justice administrative le soin de dresser la liste, à l'article 178, de dresser la liste de tous les organismes qui agissent de manière administrative ou juridictionnelle. Cette disposition évidemment est abolie avec l'abolition du conseil, et on n'a pas trouvé de mesure de remplacement. Je ne sais pas si on entend le faire. Je souligne aux membres de cette commission qu'il n'y a pas de mesure de prévue à cet effet.

8.1. Le cumul des rôles du président. Le président a beaucoup de fonctions administratives. Il doit assurer la cohérence des décisions, coordonner et répartir le travail. Il a la responsabilité de voir au respect de la déontologie, d'évaluer les connaissances, les habiletés, les attitudes. Et on lui ajoute la responsabilité de recevoir les plaintes, de voir à la formation des comités de recevabilité, comités sur... des comités d'enquête, de suspendre le membre, etc. Il a aussi la responsabilité d'affecter les ressources nécessaires au processus, parce que, si on forme un comité d'enquête, évidemment ça prend des ressources, et il y a des comités d'enquête qui peuvent coûter excessivement cher. Donc, tout ça est sous la responsabilité du président, qui aura à faire l'arbitrage.

8.2. L'enclenchement du mécanisme de plainte. On peut facilement imaginer qu'un président va recevoir des piles de correspondance de gens qui vont se plaindre. Ça peut être de l'administration, de l'attitude d'un employé. Ils ne sont pas satisfaits d'une décision ou quoi que ce soit. Donc, il y a au départ un jugement à porter: Est-ce que la plainte qui est entrée au tribunal est de matière déontologique? Est-ce qu'elle doit entrer dans un processus de traitement déontologique ou si c'est dans un processus administratif? Ce qui impose... Et je pense qu'on ne voit pas trop ça dans le projet. Avant même d'entrer ça dans le processus, il faut que quelqu'un dise: Voici, cette plainte ou cette correspondance... Parce que ce n'est pas marqué en haut «Plainte en matière de déontologie», c'est une correspondance qui entre. Donc, il y a quelqu'un qui doit exercer un jugement pour dire: Voici une plainte en matière déontologique, la rentrer dans le système de traitement des plaintes. Donc, je pense que ça, c'est très important, et c'est une des fonctions qu'on fait au conseil, et on élimine, de cette façon, 70 % des plaintes.

L'affectation des ressources, bien, je l'ai dit tout à l'heure, le président doit affecter les ressources.

Plaintes logées par un président. À notre connaissance, c'est arrivé, et je pense que ça arrivera encore que le président voudra porter plainte et devra porter plainte. Donc, s'il est responsable de l'administration de la déontologie, il sera privé lui-même de la possibilité de porter plainte.

J'arrive à la conclusion. Vous savez, le Conseil de la justice administrative a une courte expérience de cinq ans. C'est un très petit organisme composé à peine de quelques employés. On a vécu des difficultés inhérentes à l'implantation d'un nouvel organisme. Moi, je dis: Il y a eu l'ancien conseil, le nouveau. Si j'avais dû continuer, après trois ans, selon l'ancien conseil, je serais parti. On a réformé le conseil au bout de trois ans, et j'estime qu'actuellement le conseil fonctionne adéquatement. Il est arrivé à maturité et il est capable d'exercer correctement ses fonctions.

Le Conseil de la justice administrative est à la justice administrative ce que le Conseil de la magistrature est aux tribunaux judiciaires. Si la nomination des membres selon bonne conduite est de nature à favoriser leur indépendance, elle suppose nécessairement du même coup que les mécanismes d'évaluation de leur conduite offrent des garanties d'indépendance suffisantes. Si le Conseil de la justice administrative devait être aboli, à notre sens il devrait être remplacé par une autre institution permanente, indépendante des tribunaux pour lesquels elle aurait juridiction et ayant sa propre personnalité juridique.

Un organisme responsable de la déontologie des membres des tribunaux administratifs devrait pouvoir développer une expertise en matière de déontologie, assurer la compétence des membres. Et, je le répète, je ne crois pas qu'on puisse s'improviser pour siéger sur des comités d'enquête du jour au lendemain en matière de déontologie.

Quant à sa composition, l'organisme devrait compter sur une représentation de la direction des tribunaux, une représentation significative de pairs, une représentation significative de citoyens, une représentation du milieu juridique. Et ici je proposerais, avec évidemment l'accord des autres membres du conseil: 17 personnes pour recevoir et statuer sur la recevabilité d'une plainte, c'est effectivement gros est trop lourd, à notre sens. Donc, ce serait très facile de proposer, pour alléger la procédure, faciliter, de créer un comité à l'intérieur du conseil qui ferait la recevabilité des plaintes, ce qui laisserait à l'organisme les fonctions dont j'énumère ici... L'organisme pourrait se limiter à donner les orientations, édicter les codes de déontologie, être le gardien des règles déontologiques tout en garantissant l'intégrité des processus et en favorisant la cohérence des décisions. Et je pense que la cohérence des décisions en matière déontologique est aussi importante que la cohérence en d'autres matières. L'organisme devrait former les comités habilités à statuer sur la recevabilité des plaintes, fixer les règles de formation des comités, recevoir les rapports d'enquête, diffuser de l'information au public, prêter assistance au public qui veut se prévaloir de ces recours, favoriser la concertation, l'échange entre les représentants des tribunaux.

n (16 h 30) n

Enfin, les tribunaux administratifs que sont la Régie du logement et la Commission des relations de travail devraient être, eux aussi, assujettis à la compétence... gardien de la déontologie. Je ne sais pas si mes collègues veulent ajouter des choses. Est-ce qu'on est toujours dans le temps ou...

Le Président (M. Simard): À une ou deux minutes près, donc je pense que...

M. McCutcheon (Laurent): Donc, on est pas mal dans le temps.

Le Président (M. Simard): À moins qu'il y ait une intervention très courte.

M. Gabay (Joseph): Relativement, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Simard): M. Gabay, nous avons le plaisir de vous entendre.

M. Gabay (Joseph): Vous êtes gentil. Merci, M. le Président. Je pense qu'en tant que représentant du citoyen je me fais un devoir de dire que la réduction ou l'abolition de l'instance du Conseil de la justice administrative serait définitivement perçue comme un traitement au rabais du public. Le rapport de mise en oeuvre a eu des conclusions très positives en ce qui concerne le conseil, et on s'interroge toujours sur la raison qui prévaudrait pour justifier son abolition.

D'un autre point de vue, j'aimerais ajouter: je suis au conseil depuis sa création, c'est-à-dire depuis cinq ans. Il existe une culture de juriste comme il existe une culture d'à peu près n'importe quoi, et cette culture est refermée sur elle-même. Je pense qu'elle gagnerait à être alimentée par une perception extérieure. Si ce qu'on vise, c'est la confiance du public, il faut que le public soit et se sente adéquatement représenté. On ne s'improvise pas... on ne peut pas improviser en matière de déontologie, il a fallu quelques années et des échanges musclés pour qu'un dialogue fructueux puisse s'instaurer entre juristes et non-juristes. Certains juristes, au début, avaient tendance à une trop grande compréhension de leurs collègues. Certains non-juristes avaient tendance à une trop grande intransigeance, rigidité. Il a fallu du temps pour que le dialogue puisse s'instaurer, et c'est en tout cas le reflet de mon expérience. En d'autres termes, je voudrais dire qu'on ne peut pas faire de la déontologie à temps partiel, on ne s'improvise pas de ce point de vue là. Et mon expérience personnellement a été très enrichissante, et il me semble que du jour au lendemain je n'aurais pas pu faire ce que je fais aujourd'hui au sein du conseil. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Simard): Merci, M. Gabay, M. McCutcheon. Une minute d'intervention, s'il vous plaît.

Mme Demers (Laurence): Bien, je vais simplement parler un petit peu de la déontologie. La déontologie, on en parle partout, mais il y a très peu de gens qui savent exactement ce que c'est. Quand on regarde les auteurs, certains nous disent: C'est un domaine pointu du droit. D'autres disent: C'est plus près des sciences humaines. Mais de toute façon je pense que c'est important. Puis le Conseil de la justice administrative, comme a dit M. Gabay, ça n'a pas été facile parce qu'il s'agit d'établir des valeurs qui sont communes aux gens, déterminer les comportements, les attitudes qui sont acceptables, qui sont inacceptables. Vous avez un choc d'idées là-dedans. Heureusement, il y a eu de la formation, il y a eu des échanges. Il y avait la multidisciplinarité du conseil, puis ça a aidé aussi.

Alors, en plus de ça, je pense que le conseil devrait être permanent parce que l'expertise qui a été acquise là... Il y a eu des grilles d'analyse de faites, il y a eu beaucoup de travail de fait, alors, tout ça, là, il faudrait que ça serve. Alors, je me dis, il y a quelque chose là-dedans qui va rester, parce que ce n'est pas juste une certaine expertise, mais une expertise certaine.

Le Président (M. Simard): Merci pour votre témoignage. Vous aurez compris, Mme Corbeil aussi, qu'au cours de la période de questions vous aurez largement le temps de vous exprimer, si vous voulez passer un message. Est-ce que j'ai bien compris que vous étiez tous en fin de mandat ou est-ce qu'une partie seulement du conseil l'est?

M. McCutcheon (Laurent): Nous quatre.

Le Président (M. Simard): Vous quatre.

M. McCutcheon (Laurent): Il y a d'autres membres, mais les quatre personnes qui sont ici...

Le Président (M. Simard): Ce qui fait que votre témoignage est totalement désintéressé ici.

M. McCutcheon (Laurent): En tout cas, on n'a rien à gagner.

Le Président (M. Simard): Merci. Alors, j'invite maintenant le ministre à vous poser la première question.

M. Bellemare: Alors, M. McCutcheon, Me Demers, Me Corbeil et M. Gabay, merci pour votre présence ici. Et je vous donnerai ici... je vous ferai la lecture simplement d'un extrait du premier mémoire qui a été produit ici, le premier groupe entendu, qui est la Conférence des juges administratifs et qui propose que le conseil soit maintenu, mais en ce qui concerne son mandat déontologique seulement, en nous disant: «L'occasion est belle d'aplanir les différences entre les deux organismes ? en parlant du Conseil de la magistrature ? en faisant du Conseil de la justice administrative un organisme composé majoritairement de pairs, à l'instar de ce que l'on retrouve à peu près partout en matière déontologique autant judiciaire que professionnelle.»

En ce qui concerne la composition actuellement du conseil, pour ce qui est de la représentation des pairs, est-ce que vous croyez qu'il y aurait matière à amélioration si le conseil était maintenu?

M. McCutcheon (Laurent): Tout de suite en partant, en fusionnant deux tribunaux... On est 17 membres actuellement, parce qu'il y a une représentation des quatre. Donc, on diminuerait, on pourrait passer de 17 à 14, selon les mêmes règles. À présent, si c'est la volonté du législateur de diminuer, moi, je pense que c'est possible de revoir une autre composition. On s'est attardés aux règles de représentation. Moi, je pense que c'est important que les pairs y soient, c'est important que les citoyens y soient, que le monde juridique y soit aussi. On pourrait possiblement... Par contre, si on fait la distinction, pourquoi ça a l'air gros? C'est gros pour la recevabilité des plaintes. Mais, si on doit statuer, par exemple, pour déterminer des orientations, des politiques et qu'on avait un conseil...

Vous savez que le Conseil canadien de la magistrature, ils sont 39, que le Conseil québécois de la magistrature, ils sont 15. Si on fait l'ensemble des conseils au Canada, on est dans 12, 14, 15. Donc, on serait à peu près dans la norme pour donner des orientations. Mais je suis d'avis que c'est trop gros, 17 personnes nécessaires pour déterminer si une plainte est recevable. Donc, on pourrait régler cet aspect-là en gardant une orientation pour le conseil où les citoyens sont susceptibles d'avoir confiance.

Pour moi, ce qui importe, là... Je suis, moi... Qu'est-ce que vous voulez, ce n'est pas ma carrière, je suis à la retraite, là. J'y suis parce que j'y crois, et les citoyens peuvent avoir confiance. Est-ce qu'un citoyen va avoir confiance dans une instance qui va envoyer une plainte contre quelqu'un, ou même un procureur devant... sachant que ça va être entendu par son collègue? Est-ce qu'on peut être impartial si on a à juger son collègue de travail, son voisin de bureau? Moi, je pense qu'il faut une instance structurée, musclée, qui est capable d'assurer la confiance du public. C'est pour ça qu'on est là. Ensuite de ça, qu'on organise les comités d'enquête, qu'on organise la recevabilité des plaintes avec une représentation, bon, je pense que ça, c'est correct. Mais l'objectif, c'est d'assurer la confiance du public. Donc, il faut offrir au public une structure dans laquelle il va avoir confiance, si c'est ça, l'objectif.

Et ça ne coûte pas une fortune, là, hein? Moi, j'ai fait des calculs ici, là, et, si on allégeait un peu la structure, qu'on allégeait les comités, on est capables de fonctionner à peu près avec un budget de 250 000 $ par année. Vous pouvez envoyer ça où vous voulez, vous allez retrouver à peu près les mêmes coûts. Quand on forme des comités d'enquête, il faut mettre des avocats, il faut mettre une structure, une organisation. Donc, ça va toujours coûter quelque chose, peu importe où on va aller. Moi, je pense qu'il y a une organisation actuelle qui a fait ses preuves.

Le seul point qui reste en litige, à mon sens, là, dans les cinq ou les six années qui arrivent, qui fait litige dans tout ce qu'on fait, c'est que les pairs nous disent qu'ils devraient être majoritaires dans la composition du conseil. C'est à mon sens le seul et unique point qui ne fait pas consensus. J'ai entendu plein de gens qui sont venus ici. Il y en a d'autres qui vont venir. Je pense que le conseil a établi sa crédibilité. Et, si c'est la volonté du législateur de baisser le nombre de citoyens pour assurer une représentation majoritaire de pairs, ce n'est pas moi qui vais me battre sur cette question-là, mais, à mon sens, mon analyse, ma compréhension, c'est le seul point qui reste litigieux. C'est à ce niveau-là.

Le Président (M. Simard): D'autres questions du côté ministériel? Non? Alors, je passe au député de Chicoutimi qui est porte-parole pour l'opposition officielle en matière de justice.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, merci à vous. Encore une fois, votre témoignage et votre mémoire sont très clairs et très ciblés par rapport évidemment au mandat et, je vous dirais, aux problématiques surtout que peut soulever l'application du projet de loi actuel relativement à l'abolition du conseil et surtout aux missions qui lui étaient dévolues, et encore plus maintenant, à partir du moment où on les confie à d'autres qui pourraient amener des problématiques vraiment, là... qui ne sont pas, je vous dirais, évidentes pour des gens qui ne sont pas habitués à ces règles.

Tout d'abord, d'un côté plus pratique, le nombre de plaintes, sans avoir un nombre exact, là, que le conseil est appelé à évaluer par année, ça se situe, en termes de nombre... Sans avoir le nombre exact, là, mais...

M. McCutcheon (Laurent): C'est dans... La dernière année, là, ça a été 38.

M. Bédard: 38. Parfait. O.K.

M. McCutcheon (Laurent): Vous savez qu'au Canada... pour tout le Canada il y en a 180.

M. Bédard: 180? Bon, bien, on ne peut pas dire qu'il y a une tendance à avoir des difficultés avec ceux et celles qui sont appelés.

M. McCutcheon (Laurent): Non. Ce n'est pas...

n(16 h 40)n

M. Bédard: Mais, quand ça arrive, par contre, ça amène des situations limites parce que ce sont des... Évidemment, le souci d'avoir justice par rapport à la justice, c'est quand même assez périlleux comme processus, et vous m'avez, je vous dirais, convaincu quant au fait qu'il est impossible, je vous dirais, tant de l'apparence de justice, de confier ce travail au président du tribunal, qu'il joue un rôle aussi important, tant l'apparence... pour la confiance du public. Et, je vous dirais, j'aurais le meilleur individu devant moi, ayant une capacité incroyable de séparation entre ses émotions versus des jugements qu'il doit rendre, je crois personne ou peu de gens capables de rendre une décision impartiale avec quelqu'un qu'il fréquente. Parce qu'on parle d'un nombre limité de gens, là, et ce que vous dites très clairement, c'est que, vous, ici, vous avez la conviction que c'est du domaine de l'impensable, là, qu'on puisse arriver à l'impartialité réelle, finalement.

M. McCutcheon (Laurent): C'est ça.

M. Bédard: Aussi simple que ça.

M. McCutcheon (Laurent): Bien, vous savez, toute la déontologie, c'est fondé sur le principe de représentation des pairs. Mais, si vous regardez le Barreau, la Chambre des notaires, les professions, il y a un bassin de population là. Peut-être que Mme Corbeil pourrait... Voulez-vous ajouter...

Mme Corbeil (Monique): Alors, effectivement, au sein des corporations professionnelles, on va retrouver un très grand nombre de membres parmi lesquels on va être certains de trouver des gens qui sont impartiaux par rapport à l'individu contre lequel la plainte est portée.

M. Bédard: Je me faisais la réflexion, le Barreau, c'est la même chose.

Mme Corbeil (Monique): Exact.

M. Bédard: C'est parce que tu ne vois pas la même personne, tu n'es pas voisin de bureau, même, tu n'es pas dans les mêmes...

Mme Corbeil (Monique): Alors que, si on prenait l'exemple d'une plainte portée contre un régisseur de la Régie du logement, ils sont 30. Alors, comment assurer au membre même de la Régie que sa plainte sera traitée avec toute l'impartialité et tout le degré de distance que ça nécessite? Alors, à mon avis, le comité indépendant... ou la formation indépendante en dehors des membres doit être maintenue.

M. Bédard: À l'évidence, ces éléments devront être modifiés très clairement, d'autant plus qu'on parle d'indépendance et selon bonne conduite. Ce souci d'indépendance doit être aussi par rapport à l'individu qui aurait des récriminations, qui sont rares d'ailleurs mais qu'on doit traiter avec encore plus, je vous dirais, de souci d'indépendance.

M. McCutcheon (Laurent): On n'a qu'à penser, chaque fois que ça sort dans les journaux, qu'est-ce que ça peut créer, hein, comme émotion dans l'ensemble de la population de voir un juge qui a fait un écart de conduite. C'est excessivement important, la déontologie. C'est excessivement important.

M. Bédard: Ça placerait même le président du tribunal dans une situation intenable où, à la limite, même quand il serait contre dans son âme et conscience, il pourrait se faire accuser dans tous les cas. Alors, même pour lui je pense que... On va avoir de la misère à trouver un président du tribunal, finalement, là, qui risquerait d'aller de l'avant avec de telles... Parce que ça arrive quand même. 38, ça paraît peu, là, mais c'est important en termes de moyens qu'on doit mettre de l'avant. Il faut agir avec précaution. Ce n'est pas simple.

Vous dites aussi, par rapport à la déontologie... Évidemment, vous avez un problème, que d'autres ont manifesté, par rapport à l'adoption des règles du code de déontologie. C'est ce que j'ai compris. Le gouvernement doit... Il faut provoquer l'adhésion, là. J'ai regardé votre mémoire. Donc, la règle normale, c'est la proposition et simplement que le gouvernement donne suite à cette proposition, mais pas l'adoption par le gouvernement de telles règles. C'est ce que vous nous dites.

M. McCutcheon (Laurent): Bien, dans le milieu, vous savez, on a pris comme trois ans à réussir. Moi, quand je suis arrivé au Conseil de la justice administrative, on avait une juridiction sur trois tribunaux, à l'époque, les relations de travail n'étaient pas là, et il fallait rédiger un code de déontologie. Il m'a semblé essentiel de mettre sur pied un groupe de travail et dire qu'il devrait y avoir un code de déontologie qui serait similaire à l'ensemble des tribunaux. Donc, cette procédure nous a coûté beaucoup de temps, et en cours de route on a compris que, pour réussir en matière de déontologie, il faut avoir l'adhésion du monde ? je ne pense pas qu'on puisse arriver puis imposer un code de déontologie comme ça à des juges qui ne croiraient pas aux valeurs, parce qu'un code de déontologie, c'est un système de valeurs ? donc obtenir l'adhésion pour que tout le monde y participe. On a travaillé pendant trois ans à réussir à rédiger un code, et il y en a un qui est terminé, là, qui a été adopté par le Conseil de la justice administrative pour approbation par le gouvernement. Dans le cas de la Régie du logement, ça a été adopté et, dans les deux autres cas, c'est en cours de processus actuellement.

M. Bédard: Vous avez d'autres éléments que vous avez soulevés et que d'autres aussi ont soulevés. C'est pour ça que, quand il y a des constances, normalement il peut y avoir plus de chances, là, que le problème soit effectivement réel. Et je vous dirais que même une seule personne peut arriver à cela. Mais, dans des choses aussi précises que la cohérence des décisions ? parce qu'on n'est pas habitués; vous, c'est plus votre pain quotidien ? mais évidemment tout tribunal doit s'assurer d'une cohérence, et c'est vrai pour... On en parlait beaucoup pour les juges administratifs où il peut y avoir des difficultés justement d'assurer cette cohérence au niveau des décisions, et vous dites actuellement que le processus, tel que proposé par le ministre par le projet de loi, aurait pour effet de ne pas assurer cette cohérence. Parce que ce que je comprends, c'est que, évidemment, on y va par comités ad hoc différents d'une fois à l'autre. Qui seront d'ailleurs les membres? C'est encore un peu obscur.

M. McCutcheon (Laurent): ...à siéger.

M. Bédard: C'est ça, là...

M. McCutcheon (Laurent): Qui n'ont pas la préparation.

M. Bédard: ...alors qu'actuellement ce n'est pas le cas du tout, là. Je relisais la loi. Peut-être pour expliquer à tous les membres de la commission, c'est très clair, là, en termes de processus.

M. McCutcheon (Laurent): Il faut que les gens appelés à siéger sur des comités d'enquête ou à la recevabilité aient une connaissance... On a pris du temps, nous, au conseil, hein, quand on est arrivés, à se mettre en place, premièrement, en organisme public, après ça réfléchir, comprendre qu'est-ce que c'est. La ligne de démarcation entre la déontologie, par exemple... Puis vous pouvez lire la décision d'un juge et trouver un écart de conduite, par exemple, parce qu'il aurait exprimé une opinion dedans. Est-ce que c'est du fond de sa décision? Est-ce que c'est la justification, la motivation de sa décision ou on est en matière de déontologie de sa conduite? Bien, je vous assure que, si vous donnez ça à des gens qui n'ont pas l'expérience et l'expertise, ils vont avoir de la misère à s'y retrouver. Et c'est une question de confiance du public, c'est la vie, la carrière des gens qui siègent qui est en jeu. C'est des décisions à mon sens qui sont excessivement importantes, qui nécessitent que les gens qui y travaillent aient la préparation, la formation adéquate pour le faire, qu'il y ait des mécanismes de continuité à l'intérieur d'une structure, d'une organisation pour donner les mécanismes suffisants pour assurer la cohérence de ces décisions, puis c'est ça qu'on exprime ici.

M. Bédard: Je comprends de vos propos aussi... Et je n'ai pas suivi toute l'évolution du conseil. Deux petites questions. Ce que j'ai compris au départ, c'est qu'il y a eu quand même un certain temps avant que ça décolle, pour parler de façon, disons, plus simple. Autrement dit, bon, dû à ce que vous nous avez mentionné, avec, bon, les relations avec les juges eux-mêmes... C'est ce que j'ai compris. Aussi, le mode de fonctionnement, parce que ce n'est pas évident... Avant la composition du conseil, qu'est-ce qu'il y avait comme processus?

M. McCutcheon (Laurent): Il n'y en avait pas. Il n'y avait rien. Il n'y avait rien. Il y avait certains tribunaux. Moi, j'étais à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. Il y avait un code de déontologie, mais il n'y avait pas de mécanisme pour l'application. Donc, si quelqu'un portait plainte au président, le président pouvait en faire l'évaluation. Mais on était dans des processus de nomination avec renouvellement aux cinq ans. Dans un processus de nomination selon bonne conduite, à mon sens ça nécessite vraiment une structure pour assurer l'évaluation des plaintes en matière de déontologie.

M. Bédard: Le conseil existe depuis 1998.

M. McCutcheon (Laurent): Oui.

M. Bédard: Alors, c'est peu comme...

M. McCutcheon (Laurent): C'est l'entrée en vigueur de la Loi sur la justice administrative. Et évidemment les premières années n'ont pas été faciles. Dans les premières années, il n'y avait pas de... il n'y avait que des représentants du Tribunal administratif du Québec, et on faisait la déontologie des autres tribunaux, dont principalement la Régie du logement, et il n'y avait personne de la Régie du logement qui siégeait au conseil. Donc, c'était une anomalie importante, là, qu'on a demandé à corriger en cours de route.

M. Bédard: Et actuellement la composition, là, seulement me rappeler c'est quoi exactement.

M. McCutcheon (Laurent): C'est 17 personnes, dont les quatre présidents des quatre tribunaux sur lesquels on a juridiction ? Commission des relations de travail, Régie du logement, CLP, Tribunal administratif du Québec ? avec un membre en provenance de chacun de ces organismes qui est désigné par ses pairs, un membre représentant du Barreau, Chambre des notaires, et c'est cinq ou sept citoyens ? je ne sais plus le décompte, là ? pour le reste, donc un total de 17 personnes. Mais on n'a jamais siégé à 17, il y a des postes vacants qui n'ont jamais été comblés encore.

M. Bédard: O.K. Petite question simple... Bien, simple, je vous dirais, je regardais ça avec ma recherchiste, vous avez actuellement un nombre de dossiers qui sont ouverts actuellement. Imaginons, entre guillemets, je vous dirais, le pire, vous disparaissez comme organisme. Qu'est-ce qu'on fait avec les plaintes qui sont en processus?

M. McCutcheon (Laurent): Il y a des plaintes... Actuellement, il y a trois comités d'enquête qui sont en cours actuellement. Donc, je pense qu'il faudrait prévoir des dispositions transitoires pour assurer que les comités...

M. Bédard: Mais actuellement dans le projet de loi il n'y a pas de...

M. McCutcheon (Laurent): Bien, je ne crois pas que ce soit prévu. Je pourrais demander à...

(Consultation)

M. McCutcheon (Laurent): Il y en a? Oui, on me dit ? ma conseillère, Me Vaillancourt, ici ? qu'il y aurait une disposition transitoire pour assurer...

M. Bédard: Sur ceux qui sont en cours de route?

M. McCutcheon (Laurent): Pour ceux qui sont là. Donc, ça, c'est essentiel, effectivement.

n(16 h 50)n

M. Bédard: Merci. Au niveau de l'évaluation aussi, vous avez soulevé la problématique de l'évaluation par le président du tribunal, je pense, aussi et qui vous pose problème. Pourriez-vous un peu... Parce que évidemment c'est des domaines dans lesquels on est, je dirais, moins outillés, un peu moins connaissants, ayant moins d'expérience que la vôtre, là. Pourriez-vous un peu nous expliciter?

M. McCutcheon (Laurent): C'est que le président, il a des fonctions administratives, hein? C'est lui qui doit gérer le tribunal et qui doit voir à l'évaluation. Et, si on lui confie par surcroît la responsabilité en matière de déontologie, bien, en termes d'indépendance et d'apparence d'indépendance, ça nous semble difficilement conciliable. Je ne sais pas si Mme Demers aimerait ajouter...

Mme Demers (Laurence): Oui, mais même le jugement Dussault, là, qui est assez récent, en parle, de l'évaluation des juges administratifs. Mais il dit: Ça devrait se limiter à une évaluation formative pour savoir de quelle formation aurait besoin tel ou tel juge.

M. Bédard: Effectivement. O.K. Oui, dans le jugement de la Cour d'appel.

Mme Demers (Laurence): Mais, dans le jugement Dussault, on limite l'évaluation à ça.

M. Bédard: Petite question aussi relativement à... Vous dites que la loi ? et vous l'avez souligné tantôt dans votre témoignage ? que la loi fait disparaître l'obligation de publier annuellement la liste des ministères et des organismes constituant l'administration gouvernementale et celle des organismes exerçant des fonctions juridictionnelles au sens de la Loi sur la justice administrative, liste que, on se le disait d'ailleurs, nous nous servons parfois, des fois pour d'ailleurs même...

M. McCutcheon (Laurent): Au moins, quelqu'un l'utilise. On se le demandait. Ha, ha, ha!

M. Bédard: Bien oui. Bien, nous, je vous assure, nous... Mais je voulais savoir. Bon, effectivement, vous pouvez brimer l'opposition, mais je ne pense pas que ce soit assez pour faire en sorte que le ministre change d'avis. Mais d'autres, j'imagine... Ces listes sont utilisées, parce que nous nous en servons d'ailleurs pour parfois inviter des groupes intéressés lorsqu'il y a des modifications à la justice administrative. Mais, sur d'autres questions, lorsque, nous, nous avons des préoccupations... Mais quelles seraient les conséquences, finalement, autres que de brimer l'opposition, que d'enlever cette liste?

M. McCutcheon (Laurent): Bien, la Loi sur la justice administrative détermine qu'on doit agir selon des fonctions administratives ou juridictionnelles. Donc, ça, c'est les articles 3 et 9 de la loi qui viennent déterminer ça. Puis après ça, bien, la loi dit: Il faut que quelqu'un détermine ceux qui sont de façon administrative et juridictionnelle. Donc, ce que l'on fait: nous dressons la liste, ce qui nécessite un exercice quand même assez ardu, hein, il faut éplucher toutes les lois. Chaque fois qu'il y a des modifications, on a un employé qui fait ça. Donc, si ça disparaît...

Nous, le conseil, c'est sûr, on n'en a pas besoin. On le fait pour servir la fonction publique. Je sais que ça peut être utilisé par les tribunaux, par exemple, s'il y avait des contestations puis qu'ils devaient se référer sur: Est-ce que vous êtes une instance juridictionnelle? C'est déjà arrivé qu'il y a eu des décisions de rendues, où les tribunaux se sont référés à cette liste-là. En dehors de ça, je vous avoue que personnellement je ne peux pas vous dire que c'est d'une très, très grande utilité et que beaucoup de personnes seraient brimées si ça n'existait pas. J'ai attiré l'attention sur le fait, là, qu'il n'y avait pas de mesures de remplacement, et, comme je peux voir, on avait au moins un auditeur... un lecteur.

M. Bédard: Bien oui! Deux. Vous en aviez deux.

M. McCutcheon (Laurent): On a deux lecteurs. Ha, ha, ha! C'est déjà ça. Ha, ha, ha!

M. Bédard: Autre chose qui disparaît, c'est celui de... Vous nous dites ? et là je prends votre mémoire à la page 5 ? «de donner son avis au président du Tribunal administratif du Québec sur l'harmonisation et l'efficacité de la procédure applicable devant ce tribunal». Est-ce que c'est un pouvoir que vous avez exercé régulièrement ou... Bien, régulièrement, est-ce qu'il a été exercé par le conseil? Et quels ont été...

M. McCutcheon (Laurent): Non, pas vraiment. Les seules fois... Lorsqu'il y a eu l'adoption des règles de procédure, le conseil a été consulté, et on devait les approuver. En dehors de ça, on n'est pas intervenus à ce niveau-là. On pourrait aussi intervenir à la demande du ministre. Je pense que c'est un outil pour le ministre, si jamais c'était nécessaire. Mais, dans les faits, on n'a pas agi à ce titre.

M. Bédard: Parfait. Je vous remercie infiniment, je vous dirais, de l'aspect direct de vos commentaires. Je pense que c'était très, très clair à tout niveau, là. Alors, je vous en remercie. Parce que parfois c'est difficile pour des groupes comme ça qui ont des pouvoirs juridictionnels sur des questions évidentes... Pas évidentes, là, il faut parfois lire entre les lignes, ce qui est le cas lorsqu'on a l'Association des juges ? et c'est normal ? qui ont une certaine réserve. Je vous dirais que votre témoignage est très, très clair quant à...

M. McCutcheon (Laurent): Quand on n'est pas avocat, c'est plus facile. Ha, ha, ha!

M. Bédard: Ah! C'est vraiment une tare, hein? Ha, ha, ha! Merci.

Le Président (M. Simard): Avant de repasser la parole du côté ministériel, juste une précision. Vous avez parlé de 38 dossiers, cette année, ouverts. Combien de ces dossiers ont été jugés recevables ? quelle est la proportion? ? ont été reçus?

M. McCutcheon (Laurent): Bien, actuellement on a trois comités d'enquête, parce que, quand on reçoit, évidemment on forme un comité d'enquête. On en a trois actuellement qui sont en cours, trois comités d'enquête.

Le Président (M. Simard): Donc, il y a trois cas actuellement qui sont sous étude.

M. McCutcheon (Laurent): Oui, qui sont sous enquête actuellement.

Le Président (M. Simard): C'est bien. M. le député de l'Acadie.

M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Disons que c'était sur le même sujet, mais je vais juste tenter de clarifier. Vous parlez de 38 dossiers cette année. Est-ce que c'est typique d'une année à l'autre? C'est à peu près...

M. McCutcheon (Laurent): Je dirais que, depuis le début du conseil, à chaque année il y a eu une augmentation. Et j'ai fait la comparaison, le Conseil canadien de la magistrature avec le conseil québécois, et ils ont suivi exactement le même processus. Dans les premières années, ils n'avaient à peu près pas de plaintes, et, autant le conseil canadien que le conseil québécois, d'une année à l'autre il y a une progression. Et ça s'observe, la même chose, chez nous, on a une progression. On a commencé, la première année, à 12, 13, 22, 37, 38, et j'imagine que cette année ce sera peut-être encore...

Vous savez, il faut que la population connaisse, hein? Ce n'est pas tout de les mettre en place, il faut que ce soit connu. Donc, on a fait certains efforts, on a publié des dépliants, on demande aux tribunaux de les mettre à la disposition dans les salles d'attente, on a rencontré des associations syndicales, les intervenants. Donc, c'est en faisant connaître aussi le recours... Parce que ça n'existait pas autrefois. Ce n'est pas évident non plus, hein, pour quelqu'un. Les gens qui vont de façon régulière devant les tribunaux, les procureurs, là, qui vont régulièrement devant les tribunaux, qui décident de porter plainte contre un juge administratif, ils vont peut-être se retrouver devant lui la semaine d'après, là, hein? Donc, on n'est pas dans une manière très, très facile, là. Je pense qu'il faut souvent un certain courage pour les citoyens que de porter plainte contre un juge, parce que, le procureur qui va s'y retrouver, là, il faut qu'il y pense.

M. Bordeleau: Maintenant, une autre clarification. Quand vous nous dites qu'il y a actuellement trois cas d'enquête ouverts, est-ce qu'on doit comprendre que c'est des cas qui s'échelonnent sur toute l'année ou s'il y a eu plus, dans l'année, auxquels on fait référence, des 38 cas, s'il y a eu plus d'enquêtes qui sont maintenant fermées?

M. McCutcheon (Laurent): Bien, il y en a eu antérieurement, des dossiers fermés.

M. Bordeleau: Mais, dans les derniers 38, là, juste pour avoir une idée, dans les 38, il y a eu combien d'enquêtes ouvertes? Et ce que je comprends, c'est qu'il y en a trois qui sont encore ouverts.

M. McCutcheon (Laurent): Il y en a trois sur les 38 de cette année. Il y en a eu dans les autres années. Je vous parle de cette année, là. Sur les 38, il y en a trois en cours.

M. Bordeleau: Quand vous parlez de cette année, vous parlez de 2003?

M. McCutcheon (Laurent): 2003.

M. Bordeleau: Alors, sur les 38, il y a eu trois cas d'enquête ouverts?

M. McCutcheon (Laurent): Oui. Oui.

M. Bordeleau: Qui sont encore ouverts?

M. McCutcheon (Laurent): Qui sont toujours en cours d'enquête parce qu'il y a des personnes qui sont malades, donc on... Voyez-vous, ça peut faire des délais qui s'allongent, là. Si le membre, ou le commissaire, ou le juge administratif est malade, bien il faut attendre pour procéder.

M. Bordeleau: Suite à l'ensemble des années, dans les cas où il y a eu des enquêtes qui ont été ouvertes, quelles sont, en bout de ligne, les décisions et à qui elles sont transmises? Et quelles sont les suites qui sont données? À la suite de l'enquête, il y a des décisions, je suppose. On dit que c'était fondé, que ce n'était pas fondé. Mais qu'est-ce qui se passe par la suite concrètement?

M. McCutcheon (Laurent): On n'a pas la réputation d'avoir été très sévères, on n'a jamais émis de réprimande encore à date. Bon, je pense que ça s'explique beaucoup, là, avec la mise en place, l'apprentissage de la fonction. On a plutôt pris l'orientation de travailler au niveau de la prévention. On a certaines décisions que vous pourriez lire en matière de conciliation, où on a fait venir des experts pour venir témoigner et tout. On a rédigé des décisions très serrées, le comité d'enquête, pour établir les processus de conciliation, les règles de conduite à respecter de la part des décideurs en matière de conciliation. Donc, ça, ça a fait école. Je pense que ça circule, tout le monde le voit. Je suis convaincu qu'à ce niveau-là, au niveau de la prévention, ça va avoir été très, très utile.

On a plusieurs décisions où on n'a pas donné de réprimande, mais on a dit: Il me semble que ce n'est pas correct, cette conduite-là, puis il faudrait à l'avenir l'éviter. Et, maintenant que les quatre présidents des tribunaux... Et c'est là la synergie nécessaire et essentielle. Les quatre tribunaux siégeant au conseil, chaque fois que ces situations-là arrivent, le président est en mesure de prendre les dispositions pour faire la formation de ses membres pour éviter que ça se répète.

n(17 heures)n

Moi, là, l'objectif quand j'ai fait le tour des tribunaux, c'est que, les plaintes, s'il y en avait zéro au conseil, je serais satisfait. Donc, si on veut évaluer la situation du conseil par le nombre de plaintes, moi, mon objectif, c'est qu'il y en ait le moins possible. Bon. Et, la justice, moins il y aura de gens qui auront à se plaindre de la conduite des décideurs et des juges, mieux ce sera pour la population et pour tout le monde. Donc, on a peu de plaintes, on travaille plus à la prévention et j'espère que ça va demeurer comme ça.

Le Président (M. Simard): M. le ministre.

M. Bellemare: Oui. Vous avez invoqué tantôt, à l'intérieur de votre exposé, la question de la procédure de recevabilité qui pouvait être allégée, la composition du conseil aussi, ou le nombre de personnes qui siégeaient sur le conseil, et vous avez estimé grosso modo, j'imagine, que le conseil, s'il maintenait ou s'il était maintenu avec uniquement sa fonction déontologique allégée, pourrait fonctionner à l'intérieur d'un budget approximatif de 250 000 $ par année. Avez-vous établi des prévisions ou des estimés plus précis sur ces hypothèses?

M. McCutcheon (Laurent): Oui. Je peux vous faire ça rapidement. Voyez-vous, actuellement on a un budget de 529 000 $. On est un des rares organismes qui ne dépense pas son budget à chaque année. Je pense que, dans la fonction publique, c'est plutôt exceptionnel. On va finir avec 422 000 $. Ça a pris cinq ans pour aménager, payer l'aménagement des locaux. Vous savez, quand un nouvel organisme s'implante, on a un bail de location, on répartit l'aménagement avec la Société immobilière sur cinq ans. On finit au mois de février, donc on enlève 100 000 $ par année juste sur les locaux. Donc, on serait autour de 300 000 $, 325 000 $. Si on enlève la liste 178, ça va enlever un poste et, si on diminue le nombre de personnes au conseil et qu'on diminue, par exemple, en faisant un comité sur la recevabilité, bien on va couper dans les frais de déplacement et dans les réunions, donc ce qui nous amènerait autour de 250 000 $. C'est la prévision, là, que je fais. Et je pense qu'à ce moment-là ce serait difficile de trouver une mesure de remplacement moins coûteuse que celle-là, parce qu'il y aura toujours...

Là où il y a des coûts qu'il faut prévoir, c'est: s'il y a des comités d'enquête, c'est les frais de représentation. Vous savez, des frais de représentation, il peut y avoir... Dans un comité d'enquête, il peut y avoir jusqu'à trois procureurs dont les trois sont payés par le gouvernement en entier, et à chacune des étapes il peut y avoir des demandes de révision, de contestation, d'appel. On peut aller à la Cour suprême même sur des moyens préliminaires avec trois procureurs et ça peut coûter des centaines de milliers de dollars. Donc, ce qui est essentiel, c'est qu'il faut couper au départ. Il faut s'assurer que les décisions qui sont rendues, elles sont correctes, et qu'il n'y aura pas de difficultés, et que le travail est bien fait. C'est là qu'est l'économie à faire. Parce que, une décision qui prend le chemin, qui se rend à la Cour suprême, je vous assure que le budget du conseil pour 10 ans va être dépassé.

À ce moment-ci, je pense qu'avec la structure qu'on peut vous proposer en allégement, avec ces coûts-là, je pense qu'on est capables de réaliser le mandat pour lequel le conseil existe à des coûts qui me semblent tout à fait raisonnables. Vous savez, tous les gens qui siègent au conseil, ça ne coûte pas cher, ça, là, hein? C'est les présidents, c'est les membres, c'est des citoyens qui sont là, etc. Il y a quelques frais d'allocation de déplacement, et c'est à peu près tout. Il n'y a pas vraiment de frais. Il y a les employés, il y a trois employés, et ça pourrait être deux s'il n'y avait pas la liste 178.

M. Bellemare: Il y a eu beaucoup de représentations concernant le conseil, et je crois que tous les gens, tous les groupes qui en ont parlé ont plaidé, un peu comme vous le faites, en faveur du maintien du conseil, et je suis tout à fait sensible à ces préoccupations, pour ne pas dire de plus en plus convaincu que le conseil doit être maintenu. Il y a eu une autre hypothèse qui a été avancée, et vous ne l'écartez pas dans votre mémoire, et la Conférence des juges administratifs l'a elle-même évoquée, c'est la possibilité que la juridiction déontologique soit confiée au Conseil de la magistrature du Québec, avec certains ajustements tenant compte de la spécificité de la justice administrative. C'est une autre hypothèse que plusieurs ont soulevée. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. McCutcheon (Laurent): Si j'étais encore membre du tribunal administratif où j'étais, je vous dirais: Oui, j'ai hâte, parce que vous...

M. Bellemare: Vous préféreriez le Conseil de la magistrature?

M. McCutcheon (Laurent): Bien, c'est-à-dire que vous ramenez les membres dans le giron de la Cour du Québec. Est-ce qu'il faudrait leur donner le statut de juge de la Cour du Québec? Comment on procède? Parce que la déontologie, c'est l'affaire des pairs, hein? Essentiellement, c'est l'affaire des pairs. Donc, cette proposition à mon sens nécessite qu'à l'intérieur du Conseil de la magistrature on va créer un deuxième conseil qui serait à peu près l'équivalent du Conseil de la justice administrative mais qui serait à l'intérieur de la structure du Conseil de la magistrature. Donc, on va revenir à peu près au même. Mais c'est sûr que, là, on met une pression. On met une pression sur le statut des membres, hein, parce qu'on les rapproche, on les rapproche de la Cour du Québec. Et je serais encore membre que je vous dirais: Oui, ça me fait plaisir, amenez-moi là. Ha, ha, ha! Je pense que ça va de soi.

Mais, en termes de principe, si vous voulez respecter l'indépendance judiciaire, le principe des pairs en réorganisant... je pense que là-dessus on peut... Tous les principes qu'on a énumérés seraient praticables à mon sens dans cette structure-là. Mais c'est sûr que, là, on se rapproche du statut d'un juge administratif qui devient un juge de la Cour du Québec, là. En tout cas, on n'est pas loin, hein, parce qu'on les met dans le même univers. Et je ne pense pas qu'on pourrait demander aux juges de la Cour du Québec de faire la déontologie des juges administratifs, parce que, là, on ne serait plus dans le processus des pairs. Donc, on prend la structure, on la déplace puis on y met un autre chapeau. C'est à peu près ma compréhension. Je ne sais pas si c'est correct, là, mais...

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): Tout juste préciser ici: à titre de président qui écoute, comme tous les membres de la commission, depuis quelques semaines, des groupes, je suis très, très heureux de ce que je viens d'entendre de la part du ministre. Je pense qu'on va trouver... le ministre va trouver une formule qui nous permette de préserver l'essentiel. Je vous remercie de votre implication depuis plusieurs années dans ces travaux qui ne sont pas toujours, je n'en doute pas, faciles. Les débuts ont été difficiles, mais les résultats ont été certainement... ont permis de crédibiliser les tribunaux administratifs encore davantage. Alors, je vous remercie infiniment et j'ajourne nos travaux à mardi matin, 9 h 30.

(Fin de la séance à 17 h 7)

 


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