L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission des institutions

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission des institutions

Version finale

37e législature, 1re session
(4 juin 2003 au 10 mars 2006)

Le jeudi 1 septembre 2005 - Vol. 38 N° 83

Consultations particulières sur le projet de loi n° 109 - Loi sur le Directeur des poursuites publiques


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-huit minutes)

Le Président (M. Simard): Si vous le permettez, nous allons commencer nos travaux. Je déclare donc cette séance ouverte. Et je rappelle le mandat de notre commission qui est de poursuivre les auditions publiques sur le projet de loi n° 109, la Loi sur le Directeur des poursuites publiques.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements ce matin?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Bédard (Chicoutimi) remplace M. Valois (Joliette).

Le Président (M. Simard): Alors, voilà. Je me permets, après cet été de détente, je pense, pour plusieurs d'entre vous, et de travail aussi, je me permets de vous dire mon plaisir de vous retrouver, M. le ministre, et de vous retrouver, chers collègues des deux côtés. J'espère que cet automne qui sera chargé pour nous, puisque nous aurons beaucoup de travaux, cet automne se passera dans le même climat serein qui a toujours présidé à nos travaux, et de façon intéressante et efficace.

Auditions (suite)

Alors, nous allons commencer nos travaux donc. Et nous avons déjà des invités avec nous. Je vais leur demander de s'identifier, dans un premier temps. Vous connaissez nos règles de fonctionnement: vous avez une vingtaine de minutes pour nous exposer l'essentiel de votre mémoire, et ensuite, de part et d'autre, ici, les députés et le ministre vous poseront des questions de façon à ce que nous ayons un dialogue constructif. Alors, je vous invite à vous présenter.

Association québécoise des avocats et
avocates de la défense (AQAAD)

Mme Joncas (Lucie): Alors, je suis Me Lucie Joncas, je suis présidente de l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense. Je suis accompagnée par mon collègue, Me Rodrigue Joncas. Et nous avons pensé que deux Joncas, ça faciliterait beaucoup la période de questions. Et vous pourrez adresser vos questions à Me Joncas, et celui qui en aura la réponse y répondra.

Le Président (M. Simard): Est-ce qu'il y a une parenté entre les deux?

Mme Joncas (Lucie): Très éloignée.

Le Président (M. Simard): Très éloignée. D'accord.

n (9 h 40) n

Mme Joncas (Lucie): Alors, tout d'abord, l'AQAAD tient à vous remercier, remercier la commission de l'invitation que vous nous avez lancée et de la possibilité d'être entendus. L'AQAAD représente près de 600 avocats de tous les coins de la province qui oeuvrent en défense en droit criminel. Mon collègue, Me Joncas, pratique exclusivement en droit criminel, également à l'aide juridique, à Rimouski, et il oeuvre en droit depuis 1976. Il a également un certain vécu en politique municipale.

Alors d'entrée de jeu l'AQAAD est favorable à l'adoption du projet de loi n° 109 dans ses grandes lignes et préconise la création du poste de Directeur des poursuites publiques. Tel que le mentionnait le ministre Marcoux devant cette commission le 7 juin dernier, il est important que nous puissions accroître la confiance de la population dans notre système judiciaire. Ceci, nous y aspirons quotidiennement sur le terrain, mais il est souhaitable que les prémisses de base soient clairement établies afin qu'une meilleure compréhension de la division des autorités de la poursuite puisse être envisagée.

Nous avons pris connaissance des représentations faites par le Barreau du Québec ainsi que l'Association des substituts du Procureur général du Québec et nous partageons certaines des préoccupations soulevées par ceux-ci, principalement au processus de nomination, mais je vais laisser mon confrère vous entretenir sur ce sujet, et par ailleurs, la deuxième préoccupation, parce que c'est deux points principaux que nous voulons soulever ce matin, soit la modification prévue à l'article 41, qui prévoit une modification à l'article 95 du Code de procédure civile.

Je me réfère aux propos... Je pense que tant les substituts du Procureur général que le Barreau du Québec ont soulevé des préoccupations à cet effet-là. Il y a beaucoup de requêtes qui sont formulées par les accusés, tant en common law que sur la charte, et nous pensons qu'il serait vraiment indu et... un fardeau indu qui incomberait à la défense de faire cet avis de 30 jours là. D'ailleurs, on comprend du projet de loi et on s'explique difficilement que le Directeur des poursuites publiques n'a pas l'opportunité de renoncer à ce délai. Alors, je pense que, pour les justiciables et même les membres du jury en temps et lieu, ça pourrait occasionner des délais que nous jugeons inutiles.

D'ailleurs, les règles de pratique prévoient déjà des règles relativement à la présentation des requêtes, et la jurisprudence est bien établie à l'effet que ce qui est important, ce qui est essentiel, c'est qu'il y ait un délai raisonnable à la signification. Or, un délai raisonnable peut être bien en deçà d'un délai de 30 jours. Le but essentiel de donner un délai raisonnable à son confrère relativement à une telle mention, c'est de ne pas prendre son confrère par surprise. Or, les règles de ne pas prendre son confrère par surprise sont déjà prévues au Code de déontologie, et nos membres y adhèrent.

Donc, en conclusion, relativement à l'article 95, nous pensons qu'un tel avis pourrait nuire au bon fonctionnement du système judiciaire.

Alors, je vais céder la parole à mon confrère, qui peut peut-être en rajouter sur ce sujet, mais également il va vous entretenir du processus de nomination.

M. Joncas (Rodrigue): Merci, Me Joncas. Sur la question de la nomination du Directeur des poursuites publiques. D'abord, je voudrais, un peu comme le font les gens qui ont le privilège de parler au Dr Mailloux dans les émissions de lignes ouvertes, je suis heureux d'être ici, ce matin, et d'avoir ce privilège de m'adresser à vous en commission parlementaire.

L'AQAAD, lorsqu'on s'est penché sur le projet de loi, lorsqu'on en a fait l'analyse, on avait évidemment à l'esprit la préoccupation que vous avez, M. le ministre, d'accroître la confiance du public dans le système de justice, du système de justice accusatoire, devrais-je dire, de moderniser l'État et d'assurer une transparence de ce système de justice. Peut-être une petite anecdote. Tout à l'heure, nous étions ici, à l'entrée, et j'ai rencontré des gens qui venaient à une autre commission parlementaire, des professionnels de la santé. Or, l'un d'entre eux me dit: Vous êtes à quelle commission, monsieur, ce matin? Je lui dis: Je suis à la justice. Ah! c'est quoi, le projet de loi? En gros, je lui dis: C'est un projet qui vise à diviser les fonctions de Procureur général et de celui qui se charge de... les systèmes d'accusation. Ah oui! Ah oui! Ils ont dit qu'ils feraient ça après le mégaprocès, hein, ils ont dit qu'ils le feraient. Ça, c'est quelqu'un qui n'est pas du tout versé dans le domaine juridique, mais c'est pour vous montrer... Et j'ai vu... j'ai lu les débats de vos travaux et j'ai vu que c'était aussi la réflexion de certains autour de la table, qu'il suffit d'un événement pour amener le législateur à réagir, et c'est bien que ce soit ainsi. Et, quand on prend ce souci-là d'assurer une meilleure transparence du système de justice et du système accusatoire, nous qui sommes sur le terrain, on entend quotidiennement les commentaires des justiciables sur ce qui a pu se passer la veille, sur ce que les médias ont pu faire valoir comme incidents dans un domaine qui touche la justice, et vous savez que... Moi, ça fait au-delà de 28 ans que je pratique le droit, et je ne me rappelle pas de congrès du Barreau auxquels j'ai participé où on n'a pas eu un atelier qui parlait de la confiance du public dans le système judiciaire, envers les avocats que nous sommes, plusieurs d'entre nous. Et c'est toujours à reconstruire, rebâtir, et il suffit justement d'incidents malheureux pour parfois foudroyer cette confiance-là qu'on est à construire.

Or, dans ce souci d'assurer justement une transparence, je pense que le mode de nomination du DPP devrait être selon nous peut-être reconsidéré. Au même titre et dans la foulée des commentaires que j'ai vus du Barreau du Québec, même de l'Association des substituts du Procureur général, il nous apparaît que ce mode de nomination devrait s'apparenter à celui des juges de la Cour du Québec, à savoir que ce soit justement un appel de candidatures ou un processus de sélection avec des conditions peut-être plus strictes que ce qu'on peut attendre dans d'autres types de fonctions. J'ai eu des commentaires de certains universitaires sur, par exemple, le fait de devoir être très spécialisé en droit criminel, voire même d'être bilingue; on a tout vu ça, ce sont toutes des choses pertinentes qui ont été dites, mais je pense qu'il faut s'assurer que personne, nulle part, puisse penser que la nomination en soit une qui revêt un certain caractère de partisanerie, et c'est à l'abri de ce genre d'insinuations et de commentaires qu'on doit toujours, je pense, se placer. Alors, pour nous, la nomination qui s'apparenterait à celle des juges de la Cour du Québec serait acceptable.

Vous savez, encore une fois, depuis les derniers mois, même si les conclusions ne sont pas connues, on ne peut pas être inconscient, devant les commentaires suscités par l'enquête Gomery, sur le mode de nomination des juges, et ça, c'est tout le monde qui est éclaboussé, ce n'est pas juste le fédéral, c'est tout le monde, c'est toutes les provinces qui le sont. Et, nous, c'est ce qu'on entend, hein, dans notre quotidien, les gens: Ah! as-tu vu ça, hier, qu'est-ce qu'il s'est dit aux nouvelles? C'est que les gens s'imaginent et croient que, oui, il y a de la partisanerie. Bon. Je pense qu'on doit s'assurer de plus en plus d'adopter des mécanismes lorsqu'on parle de nommer des gens avec des fonctions aussi importantes, qu'ils soient à l'abri de ce genre de commentaires. Voilà pour mon propos.

Mme Joncas (Lucie): Si vous me permettez un dernier commentaire. L'AQAAD préconise une solution alternative relativement à la modification à l'article 95 du Code de procédure civile. On voit qu'à l'article 16 du projet de loi le Directeur établit et publie à l'intention des poursuivants sous son autorité des directives. Or, il serait possible qu'il y ait une directive relativement au Directeur des poursuites publiques lorsque certaines requêtes sont présentées, qu'ils doivent en aviser leur supérieur, plutôt que de modifier l'article 95. Alors, c'est une solution alternative que propose l'AQAAD. Merci.

Le Président (M. Simard): Très bien. Ça complète pour l'instant, Mes Joncas ? maîtres avec un «s», au pluriel ? ça complète votre présentation. Alors, j'invite dans un premier temps le ministre et la partie ministérielle à poser des questions, ensuite je me tournerai vers le député de Chicoutimi et l'opposition. Alors, M. le ministre, pour non pas lancer les hostilités, mais débuter nos débats ce matin.

M. Marcoux: Alors, merci, M. le Président. Je voudrais souhaiter la bienvenue à la présidente, Me Lucie Joncas, et au vice-président de l'association, Me Rodrigue Joncas, et les remercier d'être présents et d'avoir accepté l'invitation qui leur a été faite de venir devant la commission, d'autant plus que vous représentez, vous me dites, 600 avocats, donc, dans le fond, privé, aide juridique, et qui à tous les jours travaillez dans ce domaine-là, donc qui avez l'expérience, et ça, c'est extrêmement important pour moi.

M. le Président, je voudrais également, à mon tour, vous souhaiter la bienvenue, vous remercier d'être là ce matin, après, je présume, un bon été, et également souhaiter la bienvenue, le retour aux membres de la commission du côté gouvernemental et également aux membres de la commission du côté de l'opposition officielle, et au porte-parole, le député de Chicoutimi.

n (9 h 50) n

Vous avez soulevé... D'abord, vous dites que vous êtes favorables au principe de la création d'un directeur des poursuites publiques, et un des éléments que vous avez soulignés est celui d'accroître la confiance du public dans tout ce qui touche les poursuites en matière criminelle et pénale et également d'accroître l'indépendance d'une personne qui est nommée en vertu de la loi, qui a des attributions particulières même en vertu de la loi, tout en demeurant dans le cadre de directives ou de politiques qui seraient approuvées par le Procureur général, donc, maintenant, je pense, une imputabilité aussi, mais au niveau des politiques et des directives.

Il y a deux points importants que vous avez soulevés, d'une part, Me Joncas et Mme la présidente, en ce qui a trait à l'avis de 30 jours. Est-ce que je comprends que, si nous donnions au Directeur des poursuites publiques le pouvoir de renoncer à ce délai ou... c'est une solution qui vous apparaît très satisfaisante, c'est-à-dire que, sans... d'ajouter que le Directeur des poursuites publiques peut, par l'entremise des substituts du Procureur, le Procureur chef, renoncer à cet avis-là de 30 jours, donc de pouvoir procéder plus rapidement?

Mme Joncas (Lucie): Ça ne paraît pas nécessairement une solution satisfaisante, parce que l'AQAAD juge vraiment que cet avis-là n'est pas nécessaire, et, tel qu'il est rédigé, on comprend qu'il paralyserait partiellement le processus quotidien. Par ailleurs, il est évident qu'il faut, si cet article est adopté, que les gens sur le terrain, les représentants du Directeur des poursuites publiques dans chacune des régions aient le pouvoir de renoncer à ce délai-là. Ça me semble absolument essentiel.

Donc, nous maintenons qu'effectivement cet avis n'est pas nécessaire. Mais un pas dans la bonne direction effectivement, pour ne pas avoir des résultats catastrophiques, serait que les gens sur le terrain, les représentants du Directeur des poursuites publiques puissent effectivement renoncer à ces délais-là et que le juge ait également le pouvoir d'intervenir. Est-ce qu'un juge pourrait juger que le délai est raisonnable? Je pense que ça aussi devrait être prévu pour pouvoir pallier à ce manque-là.

On comprend qu'il peut arriver... Un exemple concret: on arrive à pied levé dans un dossier, à deux semaines du procès, et après étude du dossier on se rend compte qu'il y a une problématique au niveau de la charte et qu'on veut signifier une requête. Là, est-ce qu'on est forclos de le faire? Alors, il arrive malheureusement, en droit criminel, que des individus ne sont pas représentés par avocat, également. Alors, ils ne sont pas informés de ces formalités-là. Je comprends que nul n'est censé ignorer la loi, mais il faut voir qu'il y a de plus en plus de gens, les critères d'admissibilité à l'aide juridique étant ce qu'ils sont, qui se représentent seuls devant les tribunaux. Alors, il faut prendre ça en considération aussi. Et ce qui serait intéressant, c'est également de donner un pouvoir discrétionnaire aux juges relativement à ce délai-là. Alors, je pense que c'est... ça répond à votre question?

M. Marcoux: Donc, si hypothétiquement les procureurs dans les régions avaient le pouvoir de le faire, que le juge également ? ce que vous dites ? ait un pouvoir discrétionnaire, c'est une solution qui vous apparaîtrait acceptable, pas complètement satisfaisante?

Mme Joncas (Lucie): Effectivement.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Joncas (Lucie): Non, mais je pense sincèrement que... Si vous me permettez l'expression anglaise, «If it ain't broken, don't fix it». Et l'article 95, selon moi, «it's not broken». Alors, c'est pour ça que j'ai de la difficulté à vous suivre relativement à la nécessité de cet avis-là. Comme le préconise l'AQAAD, si jamais il y a une requête ou un point qui est soulevé, les gens sur le terrain, les DPP pourraient avoir une directive d'en aviser leur supérieur à ce moment-là.

Alors, écoutez, il est certain qu'il faut qu'il y ait un amendement pour qu'on puisse procéder sur une base quotidienne dans les dossiers sans avoir des frais supplémentaires également pour les justiciables, parce qu'à chaque fois qu'on parle d'un avis ou d'une requête, bien, on décuple les prix... les coûts, les délais, etc. Alors, je pense que les procureurs, de la façon que ça fonctionne en ce moment, c'est tout à fait fonctionnel.

Mais par ailleurs, oui, je suis entièrement d'accord avec vous que, pour améliorer la situation, l'article tel qu'il est, il faudrait absolument qu'il y ait des balises où on peut soit permettre au procureur de produire hors délai cet avis-là ou au justiciable qui se représente seul de pallier à ce manque-là.

M. Joncas (Rodrigue): Si vous permettez, M. le ministre.

M. Marcoux: Oui.

M. Joncas (Rodrigue): Le projet de loi, actuellement l'article 41 prévoit que l'avis doit être donné au Procureur général, qui peut y renoncer. Dans votre question, vous faites allusion à l'avis qui sera donné au Directeur des poursuites publiques. Déjà là, ce serait une nuance importante, puisque qui dit Directeur des poursuites publiques parle de ses substituts sur le terrain, avec lesquels on négocie chaque jour. Déjà là, c'est améliorer selon nous la situation, mais ça ne fait pas... on ne met pas de côté notre première revendication ou commentaire, loin de là.

Par ailleurs, sans en faire non plus une recommandation de notre association, je vous dirais que, lors des discussions que nous avons eues, il y a un collègue qui a soulevé un élément qui peut être intéressant d'un point de vue strictement administratif. Vous savez qu'actuellement les règles de pratique nous obligent à donner un avis au procureur de la couronne ? permettez-moi d'employer toujours ce vocable de «procureur de la couronne», c'est en fait celui sur le terrain que tout le monde emploie ? et, cet avis-là, on doit le faire, hein? On ne peut pas arriver et plaider la charte si on n'a pas avisé. Dans certains districts, les juges requièrent des requêtes détaillées; dans d'autres, c'est un avis détaillé sous forme de lettre, mais c'est fait selon les règles de pratique. On sait, parallèlement à ça, qu'on a un système au Québec où chaque fois qu'un procureur ou chaque fois qu'un dossier soulève la suspension de permis de conduire, par exemple, la SAAQ est automatiquement avisée par les greffes, c'est automatique, il y a un avis. Ça pourrait être la même chose aussi. Si c'est d'un point de vue strictement administratif, dans tous les dossiers où l'avis est déposé au greffe et signifié à la couronne qu'on va soulever la charte, il pourrait y avoir une façon pour le greffier de l'envoyer au Procureur général ou au DPP, comme ça se fait à la SAAQ. Il y a des mécanismes auxquels ils sont habitués. Je vous dis, c'est un commentaire, ce n'est pas une recommandation de notre association, ça a été lancé, ça n'a pas fait... ça n'a pas choqué plus de gens qu'il faut lorsqu'on l'a fait.

M. Marcoux: Dites donc, est-ce qu'en pratique ? et là c'est simplement une question d'information personnelle ? il arrive souvent que la charte est invoquée? Est-ce que c'est fréquent ou c'est relativement rare?

M. Joncas (Rodrigue): De plus en plus. Le travail des policiers est tellement bien fait que c'est seulement ça qu'il nous reste à faire.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Joncas (Rodrigue): Non, de plus en plus, blague à part, là, oui. Et ce qu'on voit dans le quotidien ? je parle pour le district... moi, j'ai beaucoup pratiqué dans le district de l'Est, autant à Gaspé et Percé que Rimouski ? actuellement on voit des dossiers où le plaideur, suite au témoignage du policier, oups! parce que ce n'était pas communiqué dans la preuve écrite, voit un moyen de soulever la charte, l'annonce au juge, qui sur-le-champ va dire au procureur de la couronne: Est-ce qu'il y a des problèmes? C'est tellement toujours tous les mêmes éléments que les procureurs qui plaident quotidiennement connaissent le droit, la jurisprudence: Pas de problème, M. le juge, allez-y, on fait la requête parce qu'il y a eu un problème avec l'appareil de détection... par exemple, des choses comme ça.

Sur le terrain, c'est comme ça que ça se passe. Par contre, dans d'autres dossiers où c'est plus pointu... On vit dans le quotidien avec les substituts, hein, donc je dis: Regarde, moi, je vais soulever la charte. Bien, c'est correct, envoie-moi ta requête assez longtemps d'avance. On le fait. Certains se satisfont de cinq jours, d'autres veulent trois semaines, mais ils sont toujours avisés, on n'a pas le choix. Il y a des juges qui demandent que ce soit fait de façon systématique par requête, parce que le juge aimerait l'avoir au dossier, lui aussi, avant. C'est sain que ce soit ainsi. Le juge aime arriver sur le banc en sachant qu'est-ce qui s'en vient comme débat. Comme on le fait avec la procédure civile: le juge sait d'avance le débat auquel il va s'adonner le matin.

Alors, c'est dans ce sens-là, les juges veulent être informés. Mais on réussit, jour après jour, à s'entendre sur la façon de faire, puis il n'y a personne qui se scandalise. Mais est-ce que c'est partout pareil? Moi, je parle d'un district qui est particulier. L'Est du Québec, c'est particulier, on le sait.

M. Marcoux: Me Joncas, vous êtes dans le district de Montréal, est-ce que c'est un peu la même pratique que vous vivez?

Mme Joncas (Lucie): J'ai pratiqué une dizaine d'années en Estrie également, alors j'ai eu la chance de voir un petit peu la façon de faire dans différents districts, et j'ai rarement vu cette procédure-là poser problème. Même dans des districts plus petits, comme le district de Bedford où j'ai pratiqué, on pouvait aviser verbalement notre confrère de ce qu'on allait faire et, par lettre déposée au dossier de la cour, qu'on avait l'intention... Alors, le but, c'est de ne pas prendre notre confrère par surprise. Alors, c'est important qu'il soit informé des moyens que nous allons soulever. Bien qu'on n'a pas l'obligation d'annoncer notre défense, on a l'obligation, quand on soulève des questions de charte, d'aviser notre confrère.

Alors, ma façon de procéder, c'est de toujours envoyer un avis écrit, parce que les écrits restent, mais je ne vois pas ça comme posant problème. Par ailleurs, effectivement, c'est des requêtes qui sont fréquentes, qui font partie du lot hebdomadaire d'une pratique. Alors, les délais de 30 jours et attendre après Québec pour une renonciation, je pense vraiment que ça peut poser problème pour les justiciables.

n (10 heures) n

M. Marcoux: D'accord, merci. Alors, c'est un point d'ailleurs qui a été soulevé, comme vous dites, par le Barreau et par quelques autres intervenants aussi, dont l'Association des procureurs.

Mme Joncas (Lucie): Notez qu'on est ici pour répondre aux questions, mais des fois on peut peut-être, pour pouvoir être éclairés et mieux comprendre le processus... on comprend... Nous avons pris connaissance du mémoire du Barreau, des substituts du Procureur général, également des commentaires de Mme Boisvert, de l'Université de Montréal, et tous les intervenants dans le milieu s'entendent pour dire que les modifications à l'article 95 posent problème. Mais nous essayons de comprendre quel est l'élément catalyseur qui fait en sorte que le gouvernement veut faire cette modification-là. Alors, je comprends que je suis ici pour répondre, mais j'aimerais comprendre. Alors, si quelqu'un peut nous éclairer sur le sujet, peut-être qu'une meilleure compréhension du dossier nous aiderait à vous éclairer dans ce sens.

Le Président (M. Simard): J'ai parlé de dialogue, madame, tout à l'heure, alors je pense que c'est ce à quoi nous assistons.

M. Marcoux: Bien, écoutez, je pense qu'une des raisons c'était de pouvoir... disons, que l'information soit bien transmise, que c'est un élément important. Cependant, je puis comprendre que, dans la pratique, c'est... Parce que l'objectif n'est pas de vouloir retarder le processus, c'est évident, ça, je pense que... L'objectif, lorsqu'il y a des changements qui sont faits, c'est dans la perspective de vouloir accélérer le processus pour les justiciables ? je pense que tout le monde est d'accord là-dessus ? et non pas de le retarder.

Donc, je comprends que l'intention était peut-être bonne... n'aurait pas ou ne rencontrerait pas l'objectif de ne pas... d'accélérer, au moins de ne pas retarder le processus judiciaire, et que, dans la pratique, vous dites: Ça ne cause pas de problème pour nous, là, qui sommes... surtout qui avez à défendre quelqu'un. Et vous dites: Je pense qu'on peut le faire autrement, et on va maintenir les droits des justiciables, on va... Parce qu'autrement, même, ça peut peut-être avoir l'effet inverse vis-à-vis les justiciables.

(Consultation)

M. Marcoux: Je pense que c'est une question d'information. Parce que c'est toujours des... lorsque ça touche la charte, c'est toujours une question importante. Et toutes les questions constitutionnelles aussi.

Une voix: ...

M. Marcoux: Non. Ce que m'indique Me Lapointe, là, les questions de charte ne visent pas nécessairement uniquement les procureurs de la couronne, alors ça peut donc déborder, et ça peut toucher également les requêtes, si je comprends ? je ne suis pas un spécialité du droit criminel ? mais des aspects constitutionnels. Et, dans ce cas-là, le Procureur général évidemment a des responsabilités particulières quand ça touche des aspects constitutionnels. Donc, il faut avoir un système où il y a une information qui se transmet. Ce n'est peut-être pas la bonne façon de le faire, ou il y a peut-être justement un autre moyen de le faire qui en tout cas n'aurait pas pour résultat, si c'est le cas, de retarder le processus judiciaire. Alors, c'est pour ça qu'on va... moi, je suis très sensible aux arguments, et on va le revoir, on va en rediscuter, nous, à cet égard-là. Alors, nous, on prend en considération vos commentaires, ceux du Barreau, et on va réanalyser, là, cet aspect-là.

Le Président (M. Simard): Alors, est-ce que ça complète, du côté ministériel, vos remarques?

M. Marcoux: Non, si vous permettez, j'ai encore du temps, oui?

Le Président (M. Simard): Oui, M. le ministre, vous avez du temps encore à votre disposition.

M. Marcoux: Parce qu'il y a un autre sujet important qui est celui de la nomination, que vous soulevez. Et c'est bien sûr que l'objectif du projet de loi est de donner davantage d'indépendance dans les poursuites criminelles et pénales, et il est sûr que le processus de nomination doit converger avec cet objectif-là, puis je pense que... bon, c'est pour ça que nous parlions d'un comité incluant des doyens de faculté.

Alors, ce que vous proposez, si je comprends, c'est d'être un peu plus large en termes d'initiation du processus, d'avoir, un peu comme nous le faisons maintenant au Québec pour la nomination des juges de la Cour du Québec ou des cours municipales, un avis public qui permet à toute personne intéressée qui rencontre les critères qui seraient déterminés de pouvoir poser leur candidature. Moi, je dois vous dire... et l'avis est publié dans le Barreau, dans Le Journal du Barreau, et ça, je suis très, très ouvert à cet égard-là, je pense que c'est une approche qui est intéressante.

Maintenant, sur la composition même du comité, est-ce que vous avez des commentaires sur la façon dont on prévoit la formation du comité, composé de trois membres nommés par le ministre sur recommandation du bâtonnier, des doyens et du secrétaire général du gouvernement? Est-ce que, pour vous, la composition du comité devrait être différente ou est-ce que ça vous apparaît correct et de nature à assurer une objectivité et une évaluation correcte des candidates ou des candidats?

M. Joncas (Rodrigue): On ne s'est pas prononcé sur la composition du comité idéal, je pense que les personnes qui se sont avancées dans le projet de loi, qui auraient pu faire des recommandations au ministre, sont des gens de grande responsabilité, des gens crédibles qui pourraient tout aussi bien, autour d'une table d'un jury de sélection, rencontrer les candidats et apprécier certains critères, les exigences de la tâche. Là-dessus, on n'a pas eu à échanger, et je ne pense pas que ça ferait difficulté, je pense qu'on les connaît, les intervenants en matière de justice criminelle qui sont capables ? et même en dehors de la justice criminelle, que ce soient des universitaires, par exemple ? d'apprécier un candidat. Pour nous, ce qui est important, c'est que tout le monde ait l'opportunité.

Vous savez, ça, ça va être un poste de grand prestige, hein? Être le DPP du Québec, c'est un poste qui fait appel à la dignité, à la prestance, c'est une grande responsabilité. Et je suis convaincu, puisque les gens auront sept ans à se préparer pour aller sur le concours, qu'il y en a plusieurs qui vont se préparer cinq ans d'avance pour y aller. Mais je voyais certaines remarques, dans les échanges que vous avez eus, où on se questionnait: Qu'est-ce qu'on va faire s'il y en a seulement un? Moi, je m'attends... vous allez en avoir plusieurs qui vont vouloir le poste. Nonobstant...

Une voix: Êtes-vous intéressé?

M. Joncas (Rodrigue): Non. Nonobstant le fait qu'on se soit questionné sur l'après-mandat, ça, c'est d'autre chose, mais je pense que c'est un poste qui va faire l'envie de plusieurs personnes versées dans le droit criminel et que le ministre n'aura pas de problème à aller chercher des candidatures.

Par ailleurs, une fois les critères et les exigences connus, je pense qu'il faut lancer l'invitation dans tout le Québec et éviter de se faire dire que certains candidats qui auraient souhaité y aller n'ont pas été invités parce qu'ils n'appartiennent pas à la bonne formation politique, hein? Il faut dire les choses comme elles sont. Je pense qu'il faut se mettre à l'abri de ça pour être, comme vous l'avez dit, convergent et cohérent avec l'idée maîtresse d'assurer une transparence dans le dossier.

M. Marcoux: La question de la durée du mandat, vous l'avez évoquée, d'autres l'ont évoquée également, est-ce que cette période de sept ans qui est inscrite dans la loi comme durée de mandat vous apparaît appropriée?

M. Joncas (Rodrigue): Oui, et je vais laisser ma collègue Lucie vous dire pourquoi.

Mme Joncas (Lucie): Nous nous sommes posé la question effectivement, pourquoi ce n'était pas un mandat de cinq ans, comme plusieurs postes le sont, et l'idée que le rôle soit maintenu, que se chevauchent plusieurs administrations, en tout cas au moins deux si c'est une période de sept ans, nous pensons que c'est souhaitable. Alors, pour ce qui est de la durée, nous sommes favorables à cette durée-là.

Le Président (M. Simard): Alors, nous allons...

M. Marcoux: Très bien. Alors, merci beaucoup de vos réponses.

Le Président (M. Simard): Voilà, le temps est épuisé du côté ministériel, et je me tourne vers le critique de l'opposition en matière de justice, le député de Chicoutimi, pour poser la première question du côté de l'opposition.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Donc, à mon tour de souhaiter la bienvenue à tous. Merci à Me Joncas et Me Joncas de leur présentation. Et peut-être de façon plus générale vous dire au début aussi... Vous avez vu par vos questions que l'intention du législateur, même en commission, parfois n'est pas très claire, alors je vais relire ce que nous a mentionné le ministre, mais je ne suis pas convaincu que la finalité de cet article sera bien comprise. Alors, j'opine de votre côté aussi, effectivement, que cet article ne nous apparaît pas effectivement très utile à ce qui existe déjà, d'ailleurs.

n (10 h 10) n

Sur la confiance, de façon plus globale, plus générale, je vous dirais, vous dites: Il est important d'accroître la confiance dans le système de justice en général. Et est-ce que vous sentez... mais là, évidemment, on parle des pouvoirs du Procureur général, des pouvoirs du ministre de la Justice comme Procureur général, est-ce qu'à votre connaissance vous sentez que cette confiance est entachée? Est-ce qu'elle a été entachée dans les, je ne sais pas, dans les 10, dans les 15, dans les 20 dernières années? Est-ce que vous avez senti ça à un moment? Parce qu'accroître la confiance dans la justice en général, ça, c'est un mandat qui est important mais qui est beaucoup plus large. Là, on parle vraiment du pouvoir du ministre de la Justice. Est-ce que vous sentez dans la population, et vous comme membres du Barreau, comme avocats de la défense, que cette confiance a été entachée à un moment?

M. Joncas (Rodrigue): Je pense que ce qu'on entend, ce qu'on a senti... Comme membre du Barreau, je suis surtout très sensible à ce que les justiciables que je côtoie quotidiennement, les gens de la base, là, ceux qui font peut-être 80 % de vos électeurs, les gens ordinaires, les gens qui écoutent les nouvelles, les gens qui colportent dans leur milieu de vie ce qu'ils ont entendu, ce qu'ils croient avoir compris... Il y a eu deux événements, je pense, qui se sont succédé, qui ont fait jaser, et je ne veux pas du tout porter de jugement là-dessus, là, mais c'est un fait.

Je vous ai fait allusion tout à l'heure au phénomène des mégaprocès, où on s'est interrogé sur l'intervention du ministre, du Procureur général. Mais, pour les gens ordinaires, là, au-delà de toutes les distinctions qu'on pourrait faire, c'est qu'un ministre serait allé voir dans un dossier comment est-ce qu'on pourrait le régler ? j'illustre, c'est caricatural, mon affaire. L'autre... Et on est en Gaspésie, ou dans l'Est, puis on en entend parler, évidemment. Je voyage beaucoup, et disons que je syntonise des radios qui aident les gens à colporter certains propos. Lorsque j'arrive sur le territoire de Québec... Vous avez connu ici le dossier de la prostitution juvénile, où là c'était l'inverse, hein? On soupçonnait que peut-être le Procureur général aurait peut-être dû se mêler... Les gens disaient: Ah! il ne s'en mêle pas, il devrait. Alors finalement, aussitôt que ce n'est pas clair, que ça touche une question de justice, que ce soient les médias, des groupes de pression, tout de suite ce qu'on va colporter sur la place publique, c'est que quelqu'un à quelque part s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas ou aurait dû s'en mêler.

Moi, ce que je dis quand je regarde ça comme citoyen et comme avocat: Quand on fera comprendre aux citoyens ou qu'on prendra des moyens pour leur illustrer qu'il y a une scission entre celui qui fait des lois, établit des politiques, que ce soient des politiques de justice réparatrices, préventives, ou peu importe, et celui ou celle qui par ailleurs s'occupe du système accusatoire, qui est différent... Ça a toujours été différent entre nous. Il n'y a pas un ministre de la Justice au Québec qui aurait pu se vanter de savoir ce qui se passe dans les dossiers des procureurs de la couronne du Québec, voyons! Ce n'est pas de même que ça marche, on le sait, et ça va être encore comme ça. Sauf que c'est petit à petit, je pense, qu'on sème des graines, pour dire aux gens qui nous mettent là puis qui nous confient des responsabilités: Bien, voici, nous, on fait tout pour s'assurer que cette transparence qu'on recherche, là, elle apparaisse finalement au grand jour et qu'on améliore justement la qualité du service qu'on vous rend. Ce n'est pas évident et ça ne se mesure pas facilement non plus.

M. Bédard: Je vais poursuivre votre raisonnement. Cette confiance, elle provient de cette transparence, vous me dites, et la transparence, elle, elle provient souvent de l'imputabilité. Autrement dit, le fait de rendre compte à des gens, le fait d'avoir l'obligation de répondre à des questions fait en sorte que tu es plus transparent, et, quand tu es plus transparent, normalement la confiance vient aussi.

Vous savez qu'actuellement, souvent... et ce n'est pas que je suis contre le principe, mais actuellement ce que je m'inquiète, c'est qu'on sacrifie justement... Vous êtes conscients qu'en enlevant au ministre de la Justice cette responsabilité-là on lui enlève aussi la responsabilité de répondre aux questions, de justifier ses décisions, de justifier les décisions de ses procureurs, parce qu'évidemment, et vous le dites, on le sait tous les deux, le ministre de la Justice, le Procureur général ne prend pas une décision dans chacun des dossiers, ce n'est pas sa responsabilité, alors... Mais là, maintenant, lui n'aura plus la responsabilité de répondre des actes de ses procureurs, il n'aura plus la responsabilité de répondre des choix qui ont été faits. Alors, il va finalement, et là je le dis entre guillemets, et ce n'est pas de façon péjorative, mais... Je me place dans les deux situations que vous me dites actuellement... peut-être pas la première, qui est celle des mégaprocès, où il y a peut-être eu, il faut se le dire, un manque de jugement qui a été fait, et, bon... et ça, on n'est jamais à l'abri, un DPP ou peu importe qui, on n'est jamais à l'abri d'un manque de jugement de quelqu'un.

Ce qui m'inquiète, c'est que, dans le deuxième des cas, là, à ce moment-là, qui répond de quoi? Le ministre de la Justice dit: Écoutez, moi, non, ce n'est pas de mon ressort. Et la personne qui est nommée, vous savez, ce n'est pas quelqu'un qui va être rompu, là, rompu aux relations avec les médias, à la pression médiatique. Ça va être quelqu'un qui a des compétences juridiques. Mais, vous savez, avoir de grandes connaissances juridiques, ce n'est pas nécessairement aussi avoir une grande compétence face à la jungle qui existe par rapport... et vous le connaissez, vous le savez autant que moi. Alors, moi, ce qui m'inquiète, c'est plutôt le contraire. Est-ce qu'on aurait eu le résultat contraire? Si la personne n'est pas obligée de répondre, quelle aurait été la réaction de la population? Est-ce qu'il se cache? Qui doit répondre de quoi? Alors, moi, je vous dis... Et Me Boisvert le disait, et Me Viau: On sacrifie. Il faut être conscient, là, qu'on sacrifie de la transparence, qu'on sacrifie de l'imputabilité au profit de plus d'indépendance. Mais il faut en être conscient. Et, moi, je peux vous dire qu'actuellement cette confiance qu'on parle du public envers l'institution, ce n'est pas clair qu'elle va être desservie, que la justice, comme on la conçoit, va être desservie, va être servie par ça. Peut-être, peut-être. Le fait de donner encore plus d'indépendance... Et le projet de loi actuellement ne consacre pas l'idée d'indépendance. Il accorde une certaine indépendance, mais qui est très ténue. Mais on va sacrifier beaucoup d'imputabilité et beaucoup de transparence, alors.... Et j'ai peur, dans les... Dans l'exemple que vous m'avez donné, ça n'aurait pas donné lieu à beaucoup plus de dérapages.

M. Joncas (Rodrigue): Vous savez, là encore, ce n'est pas une question qui a fait l'objet d'un débat exhaustif des avocats de défense réunis en assemblée, mais permettez-moi, de façon réflexe, de vous répondre en vous disant que ma compréhension de l'imputabilité, c'est de finalement rendre compte à quelqu'un d'une responsabilité qu'il nous a attribuée. Cette imputabilité-là, à mes yeux, elle était présente dans le système. Elle l'est dans le système actuel. Aujourd'hui, même si le Procureur général, ministre de la Justice n'est pas au fait de tous les dossiers physiques, sur le terrain, de toutes les poursuites qui se prennent à l'heure où on se parle, il est imputable s'il y a des dérapages et si, en bout de ligne, le système ne marche pas bien. Le ministre de la Justice du Québec demeurera imputable à mes yeux et vis-à-vis... imputable vis-à-vis la population qui lui a demandé de faire son travail, à défaut de dire «par le premier ministre qui l'a nommé», mais... Le DPP sera imputable, comme ses substituts le sont à son égard à lui, il sera imputable envers son ministre qui l'a nommé à travers un projet de loi. Le ministre de la Justice choisit, en 2005, que dorénavant le système accusatoire au Québec, ce sera par un directeur des poursuites publiques, lui appliquera des politiques qui vont lui être dévolues, et, si en bout de ligne ça échoue, si en bout de ligne on fait le constat que le DPP, c'est un système qui ne fonctionne pas, qui a encore des ratés, le ministre et le gouvernement qui aura créé cette créature-là en répondront. C'est ça, l'imputabilité. C'est vis-à-vis la responsabilité qu'il a de gérer le système accusatoire du Québec.

Je comprends de cette initiative-là qu'il veut que la population comprenne que ce n'est pas le même individu qui à quelque part gère tout. Nous, nous le savons. Nous savons que le ministre de la Justice n'a pas sur son bureau copie de toutes les procédures qui se font dans les tribunaux puis les cours criminelles. Mais ce que je soupçonne qui a pu amener cette façon de réagir, c'est qu'à quelque part, par la façon de médiatiser certains accrochages en matière d'administration de la justice, ou certaines interprétations ou certains irritants, c'est que le public en était rendu à se dire: À quelque part, là, les élus se mêlent de la gestion du quotidien. C'est quoi? Ils vont dans les dossiers?

Là, j'essaie de comprendre ce qui est à l'origine de la motivation. Mais ce que je vois, c'est que ce qu'on nous propose ne peut qu'améliorer la situation et, dans le quotidien, ne compliquera pas la vie de personne, si ce n'est qu'il va falloir qu'on s'habitue à parler à nos copains les DPP plutôt que les SPG ou les gars de la couronne, puis que vous aurez... J'ai un voisin qui est un policier, un chef de poste de la Sûreté du Québec, qui me disait: Ah! il va falloir tout changer nos directives, les SPG deviennent des DPP. J'ai dit: Regarde, ça ne change rien, parce que, toi et moi...

M. Bédard: C'est un moindre mal.

M. Joncas (Rodrigue): ...dans le quotidien, on parle à la couronne. Ça, c'est un vocable qui est demeuré historiquement.

M. Bédard: Oui, c'est un moindre mal. Ça fait que c'est surtout...

M. Joncas (Rodrigue): Je réponds en mon nom personnel, évidemment.

M. Bédard: ...vous illustrer actuellement qu'on a un système qui fonctionne bien. Et effectivement on a eu des éléments très précis, mais je prends le cas le plus patent, c'est celui des grands procès, où il y a eu, moi, je pense, une ingérence non désirée et non souhaitable du Procureur qui a fait en sorte qu'il aurait pu y avoir un dérapage. Mais on parle de un cas sur 50 ans, et là je me dis: On fait une modification importante pour un événement précis où effectivement il n'aurait pas dû y avoir cette présence, même en termes médiatiques, du Procureur général, qui ne jouait pas le rôle qu'il avait normalement, soit celui de se garder en réserve, d'être...

n (10 h 20) n

Et le mauvais côté de cela, c'est que, si on dit: Bon, bien, cette personne-là qui était politicienne n'est pas la bonne... ? ma recherchiste me faisait le même commentaire... Est-ce qu'on va arriver à la même chose au niveau des policiers, au niveau des enquêtes de police? Il y a un ministre de la Sécurité publique, on sait très bien que le ministre n'est pas au courant de chacune des enquêtes et il n'a pas à s'ingérer dans les enquêtes, il ne s'ingère pas dans les enquêtes, il ne peut le faire, alors... Tu sais, il y a comme une réaction de dire: parce que c'est quelqu'un qui est nommé, qui est élu, quelqu'un nommé va avoir une plus grande indépendance, et, moi, ça ne me semble pas quelque chose qui est très évident. Et je me disais plutôt: pourquoi pas ne pas séparer d'ailleurs... entre le ministre de la Justice et le Procureur général... pourquoi pas avoir tout simplement un Procureur général qui, lui, est indépendant, qui a pour seule fonction d'être Procureur général, qui n'assiste pas au Conseil des ministres, qui est à l'écart de toute décision politique et qui est vraiment, lui, indépendant dans sa fonction, comme l'est, je vous dirais, dans une certaine limite, le président de l'Assemblée nationale? Et peut-être que là on va atteindre un degré d'indépendance, mais on ne sacrifiera pas l'imputabilité. Autrement dit, il sera tenu de répondre aux questions, il sera tenu de justifier les décisions.

Alors, c'est un peu l'état de ma réflexion. Je voyais à quel point ce n'est pas simple, et j'ai peur qu'on aille... Vous le disiez tantôt, on ne répare pas ce qui n'est pas brisé. Moi, je me dis: Il n'y a pas beaucoup de choses, là, qui est brisé actuellement. Au contraire. Mais on apporte peut-être un remède à... un remède de cheval finalement à quelque chose qui ne mérite pas autant, je vous dirais, de mesures.

Mais, comme on est dans l'indépendance, je vais aller un peu plus loin avec vous, et je suis soucieux de cette indépendance, là. Sur l'appel des candidatures, j'en suis avec vous. Si on est pour le faire, moi, il faut y aller par appel de candidatures, c'est normal. Vous avez vu... la destitution simplement pour cause, est-ce que vous ne pensez pas, tout d'abord, que la destitution devrait faire l'objet d'une procédure particulière, si on veut lui accorder un réel degré d'indépendance? Est-ce que vous ne pensez pas même que la nomination de l'individu devrait être, comme il a été proposé au fédéral... faire l'objet d'ailleurs d'une commission où les gens pourraient lui poser des questions, voir quels sont ses degrés de connaissance, de compétence et d'indépendance? Est-ce que vous ne pensez pas que finalement le processus devrait être amélioré pour assurer cette plus grande indépendance?

M. Joncas (Rodrigue): Là encore, l'AQAAD ne s'est pas penchée sur cet aspect-là, et, à bien des égards, vous avez des préoccupations que je qualifierais ? et là je parle en mon nom personnel ? beaucoup plus politiques que juridiques ? avec beaucoup de respect, là ? et je les comprends. Je vous dirais que, là-dessus, pour avoir parcouru le document des débats...

M. Bédard: Mais je vais... simplement vous dire: Ce n'est pas... Vous savez, un processus de nomination, il n'y a rien de plus juridique que ça, là. D'ailleurs, l'ensemble des tribunaux sont souvent invalidés sur la nomination, alors... C'est dans ce sens-là.

M. Joncas (Rodrigue): Je référais à la première partie de votre intervention...

M. Bédard: Ah! la première partie.

M. Joncas (Rodrigue): ...M. le député, sur le phénomène de l'indépendance, sur lequel on n'a pas eu à discuter, mais, en vous écoutant, je comprends votre préoccupation sur qui doit répondre de ce qui ne va pas bien dans la société. À un moment donné, vous parlez des enquêtes policières qui peuvent déraper. Qui va en répondre? En fin de compte, c'est tout... c'est l'Assemblée nationale qui finit par... à tous les quatre ans, de répondre... ou du gouvernement de répondre de ces actions-là. On n'en finirait plus de débattre là-dessus.

Quant à la destitution, on n'en a pas parlé, mais le réflexe que j'ai comme avocat, pour avoir parcouru aussi les documents, j'ai vu des suggestions intéressantes qui finalement vous disent: Écoutez, quand on commence à tout définir quelles seraient les causes de destitution, on n'en sortira pas, et il faut être avocat pour le savoir. Il suffit de choisir ? il y en a plein ? un mécanisme qui va permettre au moins d'éviter les longs délais, les longs débats et les frais pour tout le monde. C'est de s'assurer que ce soit quelque chose qui soit crédible comme processus auprès d'un organisme, d'un comité, d'un tribunal. Ça, vous avez l'éventail de choix, vous avez sûrement des comparables que je ne connais pas, là, mais je pense qu'il faut faire confiance à quelque part, que les juges, les avocats, les juristes qui auront à être saisis de ces questions-là le moment venu vont être capables de s'en sortir.

De toute façon, avec des critères de sélection pointus, gérés par un comité sérieux, vous n'en aurez pas, de problème de destitution, vous allez avoir des gens super compétents qui vont vouloir avoir le job. Encore une fois, là, on est sur un terrain que l'AQAAD n'a pas débattu. Ils vont peut-être me disputer, mais permettez-moi de réagir.

M. Bédard: Ils vont être indulgents, je suis convaincu. Mon collègue de Mercier a une question.

Le Président (M. Simard): M. le député de Mercier.

M. Turp: Merci, M. le Président. Je voudrais revenir sur l'article 95 du Code de procédure civile que le ministre veut amender. Je dirais d'ailleurs que l'intention de certains législateurs n'est pas claire là-dessus, pas tous les législateurs, et vous en avez parlé beaucoup, vous avez consacré une bonne partie de votre intervention à cette question, Vous avez rappelé avec justesse, pour avoir bien préparé cette commission, que d'autres intervenants ne veulent pas que le Code de procédure soit amendé dans le sens prévu par le ministre. Et, moi, j'ai tendance à être d'accord, M. le ministre, avec tous ces intervenants, et je pense qu'il faut en prendre acte, là, que ces praticiens voient cet amendement comme n'étant pas souhaitable parce qu'il pourra, comme vous l'avez vous-même signalé, retarder indûment des procédures, peut-être mettre en péril le droit que nous avons consacré dans notre charte d'un procès dans un délai raisonnable.

Et d'ailleurs, si on compare le texte de l'article 95, le texte actuel justifie l'avis, parce que l'on veut savoir qu'est-ce qui sera déclaré inapplicable, invalide ou inopérant au plan constitutionnel. C'est pour ça que le Procureur général veut le savoir, et veut participer, et veut pouvoir intervenir, pour assurer qu'il fait appliquer sa propre politique constitutionnelle ou assure de l'intégrité de la constitution ou de la charte et de son interprétation.

Mais là il s'agit de réparation, on est dans un domaine tout à fait différent. Et, même si la réparation, elle est fondée sur un instrument quasi constitutionnel comme la charte québécoise, encore s'agit-il de réparation. Et là je ne crois pas qu'il est tout à fait nécessaire et utile que le Procureur général puisse intervenir régulièrement, systématiquement, et même d'être informé des demandes de réparation, parce que je crois qu'il faut faire confiance à la fois aux procureurs et aux juges dans l'application des normes qui auront été élaborées par les tribunaux en regard de la réparation en vertu de la charte québécoise ou de la Charte canadienne.

Alors, je ne sais pas si je plaide comme vous le souhaitez, mais, au-delà des délais indus que cela pourrait causer dans les procès, est-ce qu'il y a d'autres désavantages que vous voyez à l'adoption de cet amendement, pour convaincre le ministre de retirer ce projet d'amendement à l'article 95 du Code de procédure civile?

Mme Joncas (Lucie): Oui, effectivement. Je pense qu'en matière d'application de la Charte canadienne la procédure ne doit jamais l'emporter sur le fond. Et qu'arriverait-il... si le délai n'avait pas été respecté, est-ce qu'on serait dans l'impossibilité de présenter des arguments de charte? Je pense qu'au niveau constitutionnel il est clair que la charte doit avoir préséance, et que les droits fondamentaux doivent être respectés, et qu'un délai administratif, bien que codifié, ne devrait pas faire perdre aux justiciables leurs droits. Et malheureusement, comme on l'a mentionné, en pratique, il peut y avoir des changements de procureur de dernière minute ou des gens non représentés. Comme je l'expliquais, les critères d'admissibilité à l'aide juridique étant ce qu'ils sont, il est clair que de plus en plus de justiciables ne sont pas représentés par avocat, donc je pense qu'il risque d'y avoir perte de droit si on n'est pas en mesure de respecter des procédures, ce que je ne pense pas que le gouvernement souhaite.

M. Turp: M. le ministre, notre témoin nous dit qu'il y a peut-être même une possibilité d'incompatibilité entre l'article 95 et la Charte canadienne, parce que, si la Charte canadienne assure le droit à la réparation, et tout ça, et que le fond doit l'emporter sur la procédure, peut-être que cet article 95 nouveau pourrait être vu comme incompatible avec la Charte canadienne lui-même. Mais tout ça pour dire que je crois que vous devez réfléchir sérieusement, là, à cet article parce qu'il ne fait pas l'objet de l'approbation du milieu.

Le Président (M. Simard): Alors, je vous remercie, M. le député de Mercier, sur ces derniers commentaires. Ce sont...

Mme Joncas (Lucie): C'est une chose. D'ailleurs...

Le Président (M. Simard): Oui, absolument, très rapidement.

Mme Joncas (Lucie): Très rapidement. Mme Boisvert, dans les représentations qu'elle a faites devant vous, appuie la même position mais de façon beaucoup plus éloquente que moi, alors je vous y réfère, et je pense qu'elle répond justement, elle soulève la question de la constitutionnalité de l'article tel qu'il est rédigé présentement. Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Mme, M. Joncas, nous vous remercions infiniment. Je pense que l'Association des avocats de la défense a l'habitude de venir ici lors de débats de cette nature, et nous nous en réjouissons toujours. Alors, merci de votre intervention et de la préparation de votre mémoire et de la façon de le livrer.

Nous en sommes maintenant rendus... Nous nous retrouverons dans deux minutes pour les remarques finales.

(Suspension de la séance à 10 h 30)

 

(Reprise à 10 h 40)

Remarques finales

Le Président (M. Simard): Alors, nous allons maintenant aborder la phase de nos remarques finales, et j'invite dans un premier temps le député de Chicoutimi à faire part de ses dernières remarques à la fin de ces auditions.

M. Stéphane Bédard

M. Bédard: Alors, merci, M. le Président. Ce sera très bref. Vous dire... Bon, je remercie évidemment les gens qui sont venus présenter en commission leurs mémoires. On a eu un certain éclairage, quelques groupes, quoi, peut-être sept ou huit, là, groupes ou personnes qui sont venus nous faire part de leurs commentaires.

Évidemment, ce n'est pas le sujet le plus passionnant qui existe au Québec, ce n'est pas le débat le plus chaud, là, où les gens vont en discuter ce soir dans les restaurants. Mais c'est un débat, vous le savez, qui a toute son importance, dans notre conception du système de justice, mais aussi dans la valorisation qu'on doit... dans la valorisation, mais plus que dans la valorisation, le rôle que doivent avoir même les élus au sein d'un gouvernement et les responsabilités qui doivent normalement leur échoir.

Mais surtout, ce projet de loi arrive dans une conjoncture, il faut le dire, M. le Président, qui ne le justifie pas. Dans le sens que... et plusieurs l'ont dit, là: Il n'y a pas grand-chose de brisé actuellement, donc pourquoi réparer ce qui n'est pas brisé? Donc, le projet de loi arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, qui, il faut le dire, a souvent été examiné par différents procureurs. Bon, le ministère a souvent proposé des améliorations, comme il les conçoit, là, du fonctionnement actuel, mais qui ont toujours été rejetées.

Et je pense même que le projet de loi souffre d'une problématique particulière, c'est celui de ne pas aller jusqu'au bout de ses prétentions. Si on parle vraiment d'indépendance, M. le Président, moi, je pense qu'il faut assurer cette indépendance tant dans le processus que dans l'institution même du Procureur général. Là on est entre deux eaux, on joue dans un... on joue sur les deux tableaux: on donne les directives, en même temps il relève, on peut le congédier, à la limite, je nomme... je propose des noms. Donc, ce projet de loi, plutôt, ne répond pas, moi, je pense, à cette recherche. Et c'est un choix que doit faire le législateur: est-ce qu'il souhaite encore plus d'indépendance de son procureur?

J'ai proposé d'autres façons qui auraient pu amener un même résultat tout en ne sacrifiant pas quelque chose que je considère, vous le savez, très important et qui a assuré d'ailleurs cette confiance de la justice de nos concitoyens et concitoyennes: c'est la transparence, c'est l'imputabilité. Et c'est souvent ça qui a fait en sorte que les gens ont conservé cette confiance malgré les aléas et malgré les différents problèmes aux dossiers qui ont émergé et qui auraient pu entacher cette confiance.

Donc, ce que je constate, c'est qu'à divers égards ce projet de loi a des problèmes dans son fonctionnement, dans sa réflexion, je vous dirais. Je souhaite que, tant qu'à aller dans cette voie... Et je ne suis pas contre, je vous l'ai dit, moi, je suis pour un ou l'autre: soit on conserve les avantages et inconvénients que nous avons actuellement, soit on va vers une autre façon de voir, qui a aussi toute sa valeur, et on instaure vraiment un procureur général, mais là véritablement indépendant. Ce qu'il n'est pas. Ce qu'il n'est pas. Parce que, on le sait, tous les praticiens du domaine le savent aussi, le ministre de la Justice, le Procureur général, n'intervient pas dans chacun des dossiers, ce n'est pas lui qui prend la décision, il ne peut pas consulter chacun en disant: Vous auriez dû procéder autrement. Ce n'est pas comme ça que ça se fait.

Donc, ce projet de loi apparaît plus cosmétique que pratique, il ne va pas au bout de ses intentions, et j'en suis malheureux. J'aurais aimé, souhaité participer à une véritable réforme de ce système. Tout en vous disant que le système actuel, il fonctionne bien, et il faut faire attention, quand on modifie quelque chose qui fonctionne bien, si on ne fera pas en sorte plutôt que cette confiance du public s'en trouvera affectée.

Et j'espère que le ministre prendra tout le temps de réflexion, là, qui lui sied avant le retour de la session. On ne sera pas convoqués, M. le Président, avant le début octobre, donc j'espère que le ministre aura ce temps de réflexion pour juger et voir si le projet de loi rencontre les... pas simplement les attentes d'une amélioration telle que la conçoivent certaines personnes, mais plutôt d'une amélioration et d'une plus grande indépendance du système de justice. Et ça, si le ministre souhaite aller de l'avant dans cette voie-là, j'y serai avec plaisir. Et d'ailleurs les amendements, vous le verrez, s'il continue dans cette voie-là, les amendements vont aller dans le sens de clarifier à tous niveaux cette indépendance.

Et vous l'avez vu aussi, vous avez eu un questionnement là-dessus, le processus de nomination est, pour moi, fort important, même le processus de destitution. Donc ça, c'est un point important sur lequel nous serons très vigilants pour nous assurer de cette véritable indépendance jusque dans les détails, même, et pour ne pas finalement que le projet de loi soit plus cosmétique ou serve plus les apparences que finalement la finalité de cet objectif qui est d'améliorer, d'améliorer une plus grande... de s'assurer plutôt d'une plus grande indépendance de l'institution qu'est le Procureur général.

Donc, je n'irai pas plus loin. J'aurais aussi évidemment... Ma collègue, ma recherchiste me mentionnait l'article 86, qui nommait le sous-ministre associé aux poursuites publiques du ministère de la Justice à partir de l'entrée en vigueur. Et ce n'est pas que j'en aie contre le sous-ministre, au contraire, quelqu'un de très compétent, mais on ne peut pas tenter, chercher cette plus grande indépendance et, dans l'intérim, finalement de nommer quelqu'un qui ne rejoint pas, qui n'a pas passé le processus de nomination. Et c'est pour ça que je vous dis: C'est vraiment hybride. On est allé chercher un peu de choses pour tenter d'améliorer mais en même temps conserver le système actuel, alors qu'on aurait dû, dans ce cas-ci, maintenir les pouvoirs du ministre de la Justice jusqu'à l'entrée en fonction du nouveau DPP.

En tout cas, je lisais le projet de loi, et l'impression que cela me laisse, M. le Président: c'est inachevé, incomplet. Alors, nous tenterons, si le ministre... et souvent ça se fait d'ailleurs dans, vous le savez, dans un esprit de collaboration, nous tenterons... Et je dis ça, je vous dirais, M. le Président, évidemment avec beaucoup d'humilité, parce que les gens qui l'ont rédigé avaient de bonnes intentions, j'en suis convaincu, mais j'ai vraiment une sensation d'inachevé. Donc, nous tenterons d'y apporter notre grain de sel habituel, M. le Président.

Et je souhaite bonne réflexion au ministre et je le remercie des ouvertures et aussi des communications que nous avons eues. C'était dans un climat, je vous dirais, de grande camaraderie. Donc, je le remercie d'avoir été ouvert à nos commentaires, ouvert aussi à un processus de consultation, que j'aurais souhaité, il faut le dire, plus large, mais du moins qui nous a permis d'entendre différents commentaires sur le projet de loi. Alors, merci, M. le Président, et à bientôt.

Le Président (M. Simard): Je vous remercie, M. le député de Chicoutimi, pour ces remarques finales. J'invite maintenant le ministre de la Justice à nous faire part des siennes.

M. Yvon Marcoux

M. Marcoux: Alors, merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier tous les groupes et toutes les personnes qui ont pris le temps de venir devant la commission parlementaire, qui ont réfléchi sur la question et qui nous ont présenté leurs suggestions, leurs analyses, leurs réflexions sur un sujet qui m'apparaît extrêmement important dans une société de droit comme la nôtre.

D'entrée de jeu, je voudrais rappeler très brièvement les principes et les objectifs du projet de loi: c'est d'améliorer l'administration de la justice; c'est d'offrir des garanties d'indépendance plus importantes par rapport à tout ce qui touche le processus accusatoire en matière criminelle et pénale; c'est également de prévoir une plus grande transparence dans le processus; c'est aussi de pouvoir accroître la confiance de la population dans nos institutions.

n (10 h 50) n

Et on peut se demander, et je comprends, pourquoi ça arrive à ce moment-ci, parce qu'il ne semble pas y avoir d'urgence ou de problème majeur. Ma perspective est un peu différente, quant à moi, en termes de gestes à poser, et je ne veux pas attendre une crise ou une situation d'urgence pour légiférer. Je pense que ça, c'est toujours mauvais. Lorsqu'on peut l'éviter, il est souhaitable, si on peut le faire, d'améliorer nos institutions dans un climat de sérénité et de réflexion.

Ce qui est proposé ici se retrouve dans plusieurs autres juridictions, que ce soit en Angleterre, où c'est un peu différent, en Australie, en Irlande, au Canada, en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. Je vous rappelle que, dans les deux autres provinces canadiennes, les changements sont survenus suite à une situation de crise. C'est le cas en Nouvelle-Écosse, avec ce qu'on appelle l'affaire Marshall, et également en Colombie-Britannique.

Je préfère, moi, l'approche de pouvoir discuter et d'arriver avec des propositions de changements pour améliorer nos institutions publiques, lorsqu'on peut le faire, dans un contexte qui est serein et qui permet une discussion qui est importante et qui va bien au-delà de la partisanerie politique. Ça n'a rien à faire là-dedans. C'est, et je pense que c'est comme ça aussi que tout le monde l'aborde à la commission: comment, si c'est possible, pouvons-nous améliorer le fonctionnement de nos institutions et également accroître la confiance de la population?

Puis il y a, d'une part, davantage d'indépendance dans ce qui a trait au fonctionnement et dans les poursuites lorsqu'on a porté des accusations, d'une part. D'autre part, il demeure une responsabilité, une imputabilité du Procureur général parce qu'il a à déterminer les politiques et les directives que doit appliquer le Directeur des poursuites publiques dans le cadre de l'exécution de ses fonctions. Et on retrouve dans la loi certaines prescriptions très précises quant aux responsabilités qu'il a à exercer. Donc, il demeure une imputabilité, et c'est un équilibre, moi, je pense, entre l'imputabilité à l'égard de l'Assemblée nationale et l'indépendance plus grande du Directeur des poursuites publiques dans l'exécution de ses responsabilités quotidiennes.

D'autre part, le Directeur des poursuites publiques devra également déposer un rapport annuel à l'Assemblée nationale et faire état de sa gestion. Il est également prévu que, s'il juge qu'il y a un sujet, un enjeu d'intérêt général ou de politique publique dans un cas particulier, il doit informer le Procureur général, et ce dernier peut intervenir. Et, s'il le fait, ça devra être public, et toute directive ou décision qu'il prendra, il devra la justifier et la rendre publique. Puis, quant à moi, ça, c'est une garantie de transparence et c'est un élément qui va permettre d'accroître la confiance de la population.

Ce que je retiens, je dirais, des groupes qui sont venus devant la commission ou des personnes qui sont venues à titre personnel et des personnes qui étaient impliquées dans tout le milieu, le domaine du droit criminel, qui est très important pour notre population, je pense que c'est ceci, et je voudrais résumer en quatre volets, sans vouloir présumer, là, évidemment, des intentions, mais je pense que c'est ce qui se dégage des présentations devant la commission.

D'une part, la très grande majorité ? je dis bien la très grande majorité ? des groupes et des personnes qui sont venus ont indiqué qu'elles appuyaient le principe et les objectifs du projet de loi. Je pense que ça, là, c'est la très grande majorité, à une ou deux exceptions près. Ils ont dit: Nous sommes d'accord sur les orientations qui sont prises et les propositions qui sont faites dans le projet de loi.

Cependant, il y a certains points importants qui ont été soulignés. D'abord, tout le processus de nomination, d'avoir davantage d'ouverture afin d'assurer une plus grande transparence, d'assurer l'égalité des chances, de permettre à tous ceux et celles qui rencontreraient les critères ? qui sont publics d'ailleurs ? de pouvoir présenter leur candidature, comme c'est possible de le faire maintenant au Québec pour la nomination des juges. Et c'est une préoccupation également des membres de la commission. Je suis très sensible et très ouvert pour apporter des modifications et avoir un système, là, qui permet un accès à tout le monde, toutes les personnes intéressées. Donc ça, c'est un aspect majeur, et je suis très, très sensible à ça. Et nous arrivons avec des propositions pour améliorer cet aspect-là.

Deuxièmement, il y a la question de la modification de l'article 95 du Code de procédure civile, dont nous avons discuté, plusieurs groupes également, les membres de la commission aussi. Et ça, nous allons aussi... nous prenons acte des commentaires qui ont été faits, et je vais le revoir, on va le revoir, quitte à avoir des discussions également ultérieures avec ces groupes-là pour... parce que c'est une question juridique, une question importante aussi pour le Procureur général, parce que dans plusieurs cas ça touche des questions constitutionnelles. Mais, d'autre part, on ne peut pas retarder le processus, je pense que ça, ce serait injustifié vis-à-vis les justiciables.

Il y a une autre préoccupation qui a été exprimée aussi par les personnes qui représentent les victimes d'actes criminels. Elles ont devant la commission exprimé une préoccupation, là... qui justement s'interrogeaient sur la collaboration future entre le ministre de la Justice et les victimes d'actes criminels ou les associations des groupes qui les représentent. Je voudrais ajouter à cet égard-là, et on va le revérifier pour que ce soit clair, mais que le ministre de la Justice et le Procureur général conserve l'autorité à l'égard des politiques publiques de l'État en matière d'affaires criminelles et pénales pour assurer la prise en compte des intérêts légitimes des victimes d'actes criminels. Et ça, pour moi, c'est important, c'est une préoccupation majeure. Et le Directeur des poursuites publiques devra intégrer dans ses directives des orientations qui seront déterminées par le ministre de la Justice et le Procureur général à l'égard de la prise en compte des intérêts légitimes des victimes d'actes criminels. Alors ça, si ce n'est pas suffisamment clair, nous allons en tout cas tenter de le clarifier. Et je puis comprendre la préoccupation des victimes d'actes criminels et je suis très sensible à leurs commentaires.

Alors, je pense que, M. le Président, c'est un projet de loi qui améliore nos institutions, où on peut évidemment avoir des désaccords sur le principe, mais je pense que le principe, il est bien accepté. Il ne s'agit pas non plus de vouloir être entre deux eaux. Je pense que c'est un équilibre entre d'une part une grande indépendance, une plus grande transparence et également de maintenir une imputabilité, dans notre système parlementaire, de la part du ministre de la Justice et du Procureur général. Et, tout en ajoutant que ce n'est pas inédit, ça s'est appliqué, ça s'est développé ailleurs dans d'autres pays du monde, dans certaines provinces canadiennes, je ne pense pas qu'on doit attendre des crises ou des urgences qui arrivent; lorsqu'on peut le faire, la discussion est plus facile, et de le faire dans la perspective où nous voulons tous ensemble améliorer nos institutions publiques, pour mieux servir la population et, dans notre cas, mieux servir les justiciables et accroître la confiance de la population.

Alors, M. le Président, je veux vous remercier, vous avez présidé plusieurs de nos séances avec beaucoup, comme d'habitude, beaucoup de doigté, beaucoup de compétence, avec beaucoup d'impartialité également. Je voudrais aussi, si vous me le permettez, remercier le député de Groulx, qui a également... à l'occasion, vous a remplacé avec également beaucoup de compétence, le remercier.

Je veux remercier tous les membres de la commission, autant du côté gouvernemental que du côté de l'opposition officielle. Je pense que les discussions ont été extrêmement intéressantes. Et remercier en particulier le député de Chicoutimi, qui est le porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice.

Je veux évidemment remercier encore une fois tous les groupes, toutes les personnes qui sont venues devant la commission, qui ont trouvé le temps de réfléchir à ce sujet-là, qui ont apporté leurs commentaires et leurs suggestions, incluant, ce matin, la présidente et le vice-président de l'Association des avocats de la défense. On les remercie.

Évidemment remercier le personnel du secrétariat de la commission, M. le Président, qui sont toujours présents et qui sont là ponctuellement pour que les affaires de la commission se déroulent correctement.

n (11 heures) n

Évidemment aussi les gens du ministère de la Justice qui ont travaillé sur ce projet-là, qui n'ont pas terminé leur travail, loin de là, donc je veux les remercier. Également nos adjoints politiques, tant du côté de l'opposition officielle que du côté du cabinet ministériel. On comprend que c'est toujours un travail de collaboration et de suivi qui se fait, donc je veux les remercier, et souhaiter évidemment qu'on puisse poursuivre, comme l'indiquait le député de Chicoutimi, le processus lors de l'ouverture de la session parlementaire, au début du mois d'octobre.

Donc, M. le Président, voilà les commentaires que je voulais vous faire, et en remerciant encore une fois tous les membres de la commission.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup, M. le ministre. Je voudrais maintenant déposer tous les mémoires qui ont...

Une voix: ...

Le Président (M. Simard): Il n'y a pas de mémoire, ce matin, à déposer? Donc, nous allons tout simplement, d'abord, vous remercier de votre collaboration, M. le ministre, et chers collègues des deux côtés, et nous allons ajourner nos travaux sine die.

(Fin de la séance à 11 h 1)


Document(s) associé(s) à la séance