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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le jeudi 16 avril 2015 - Vol. 44 N° 31

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres


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Table des matières

Auditions (suite)

Coalition des familles LGBT

Action Santé Travesti-e-s et Transsexuel-le-s du Québec (ASTTEQ)

M. Jean-Sébastien Sauvé

Enfants transgenres Canada

Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)

Autres intervenants

M. Gilles Ouimet, président

Mme Stéphanie Vallée

Mme Carole Poirier

Mme Nathalie Roy

Mme Manon Massé

M. Jean-François Lisée 

*          Mme Mona Greenbaum, Coalition des familles LGBT

*          M. Samuel Singer, idem

*          M. Frank Suerich-Gulick, ASTTEQ

*          Mme Sara-Marine Rioux, idem

*          M. William Billy Hébert, idem

*          M. James McKye, idem

*          Mme Annie Pullen Sansfaçon, Enfants transgenres Canada

*          Mme Olie Pullen, idem

*          Mme Michèle Sirois, PDF Québec

*          Mme Diane Guilbault, idem

*          Mme Daphné Poirier, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures quarante minutes)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Prenez place, s'il vous plaît. Puisque je constate le quorum de la Commission des institutions, je déclare la séance ouverte. Veuillez, s'il vous plaît, vous assurer que vos appareils électroniques sont en mode silencieux pour ne pas perturber nos travaux.

Je vous souhaite à tous et à toutes la bienvenue à cette séance de la commission, qui est réunie afin de poursuivre les consultations particulières sur le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme D'Amours (Mirabel) remplace M. Martel (Nicolet-Bécancour).

Auditions (suite)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, souhaitons la bienvenue à la députée de Mirabel qui se joint à nous et la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques également qui se joint à nous pour la suite de nos travaux. Alors, bonjour à tous.

Sans plus tarder, je souhaite la bienvenue aux représentants de la Coalition des familles LGBT. Mme Greenbaum, vous allez disposer d'une période de 10 minutes pour votre présentation. Malheureusement et comme on a eu une petite discussion avant d'entrer en ondes... et j'en profite également pour vous offrir nos plus sincères excuses du retard. Les travaux parlementaires sont ainsi faits que, malheureusement, nous convoquons des personnes pour les entendre, et on ne peut pas toujours respecter l'horaire. Alors, je sais que je parle au nom de tous les collègues de la commission en vous offrant nos excuses, et on apprécie énormément votre patience.

Ceci dit, nous devrons limiter notre période d'échange avec chacun des groupes à une période totale de 40 minutes et... mais vous disposez tout de même d'une période de 10 minutes. Alors, sans plus tarder, je vous cède la parole.

Coalition des familles LGBT

Mme Greenbaum (Mona) : Merci beaucoup. Donc, je m'appelle Mona Greenbaum, je suis la directrice générale de la Coalition des familles LGBT. Et puis j'ai avec moi, aujourd'hui, Me Samuel Singer, qui est membre de la coalition et parent trans. Il est également le fondateur de la Clinique juridique trans, où il agit maintenant à titre d'avocat superviseur.

La coalition, il s'agit d'un organisme qui représente les familles avec parents et futurs parents lesbiennes, gais, bisexuels et trans. M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les parlementaires, je vous remercie de m'avoir invitée à présenter dans le contexte de cette consultation.

La Coalition des familles LGBT a accueilli, avec plaisir, l'adoption de la loi n° 35 en décembre 2013. Cette loi, qui permettra aux personnes trans de changer de sexe à l'état civil sans l'obligation de chirurgie, aura des impacts positifs sur la vie des personnes trans. Nous en avons attendu les règlements avec impatience. J'aimerais toutefois attirer votre attention, excusez, sur certains aspects des règlements qui nous inquiètent en raison de leur caractère potentiellement discriminatoire, voire dangereux pour les personnes trans.

Dans les 10 minutes qui me sont allouées, j'ai l'intention de n'aborder que brièvement les règlements proposés, puisque plusieurs autres représentants de la communauté LGBT aborderont ce sujet avec vous. J'aimerais vous parler des familles avec parents trans. Mon objectif est de vous convaincre de la nécessité d'apporter un petit changement à ces règlements, changement qui aurait un impact important sur le bien-être des familles.

Tout d'abord, donc, j'aimerais réitérer que certains aspects des règlements proposés ne sont pas dans l'intérêt de la communauté LGBT, et ce, pour les quatre raisons suivantes.

Raison un. Ces règlements exigent qu'une personne vive dans son identité ressentie pour deux ans, sans pour autant avoir en sa possession les documents qui reflètent cette identité. Exiger d'une personne qu'elle vive ouvertement dans une identité pour laquelle elle ne possède pas les papiers légaux est cruel, notamment parce que ça l'expose à un grand risque de violence corporelle et psychologique.

Raison deux. Les règlements exigent que la personne vive sous l'apparence du sexe pour lequel un changement de mention est demandé. En tant que directrice d'un organisme féministe, je trouve cette exigence questionnable. Que signifie vivre sous l'apparence d'un homme ou d'une femme? Ces critères sont pour le moins subjectifs. Quand est-on considéré comme assez homme ou assez femme si ce règlement est appliqué? Devrais-je moi-même changer mes papiers auprès du registraire de l'état civil?

Raison trois. Les règlements exigent qu'une lettre, écrite par un professionnel de la santé, vienne confirmer l'identité de genre de la personne trans. Cette exigence médicalise les personnes trans et désavantage les personnes à faibles revenus et celles vivant en région qui n'auront pas facilement accès à des professionnels adéquatement formés. Les règlements mettent aussi en doute la capacité d'une personne trans de prendre ses propres décisions concernant son identité de genre.

Raison 4. Finalement, les règlements proposés ne sont pas dans l'intérêt de la communauté LGBT, parce qu'ils exigent la déclaration, sous serment, d'un tiers à l'effet que la personne trans vit, en tout temps, depuis deux ans, sous l'apparence d'un genre ressenti. Pour les raisons que je viens de mentionner, soit les risques associés au fait de vivre sous l'apparence d'un genre quand les papiers légaux n'y correspondent pas et la subjectivité de ce qui constitue cette apparence, nous considérons que cette exigence obligera la personne, sous serment, à se parjurer.

J'aimerais profiter, maintenant, de l'occasion pour vous parler d'un enjeu qui touche spécifiquement les familles de notre communauté. Les personnes trans sont parfois parents. Les rôles parentaux apparaissant sur l'acte de naissance de tous nos enfants, au Québec, sont genrés. La mère est une personne qui a été assignée fille à la naissance; le père est une personne qui a été assignée garçon à la naissance. Ces rôles ne peuvent pas, actuellement, être modifiés. Concrètement, cela signifie que plusieurs enfants, au Québec, voient apparaître sur leur acte de naissance un rôle parental qui ne cadre pas avec leur réalité.

Je vous donne l'exemple d'une mère trans qui est membre de notre organisme. Sa fille était née avant sa transition. Elle a ensuite entrepris sa transition pour devenir femme. Après ses chirurgies, son changement de nom et le changement de ses documents officiels, elle est légalement reconnue comme femme. Il n'y a qu'un document qui ne correspond pas à cette réalité et à sa situation légale, c'est l'acte de naissance de son enfant. En effet, pour une mère ou un père trans ayant conçu son enfant avant la transition, l'acte de naissance de l'enfant ne reflète pas bien le statut parental. Par exemple, Marie Tremblay, une femme trans, sera désignée comme étant le père de son enfant. Les personnes peuvent changer leur mention de sexe sur l'ensemble de leurs documents d'identité. Ce n'est malheureusement pas le cas pour les enfants de ces personnes. En effet, comme le rôle parental est actuellement inchangeable, il est impossible de faire correspondre les papiers des enfants à l'identité de leurs parents.

Cette situation engendre plusieurs problèmes tant pour les parents trans que pour leurs enfants. Non seulement les deux sont-ils ainsi exposés à de la discrimination, mais cet état de fait constitue également une intrusion dans leur vie privée et une atteinte à leur dignité. Il s'agit d'une atteinte à leurs droits et libertés, mais aussi d'un accroc évident au principe fondamental selon lequel le meilleur intérêt de l'enfant doit prévaloir. Un enfant dont le certificat de naissance dit que Marie est son père ou que Jacques est sa mère est forcé de présenter sa famille d'une façon qui ne correspond pas à la réalité quotidienne en plus d'exposer toute la famille au ridicule. Les familles avec des parents trans sont dénigrées socialement par le simple fait que leurs enfants aient à posséder des certificats de naissance qui ne correspondent pas à leur réalité familiale.

En 2002, le Québec est devenu un leader mondial en permettant aux parents de même sexe d'inscrire leur nom sur les certificats de naissance de leurs enfants, scellant ainsi formellement le lien de filiation entre parents et enfants dans les familles homoparentales. Cela a non seulement permis à ma partenaire et moi de devenir les deux mères légales de nos enfants, mais nos garçons ont également vu leur réalité, celle d'avoir deux mamans, reflétée dans leurs documents légaux. Ce changement a permis à nos enfants d'accéder aux protections légales liées au fait d'avoir deux parents légalement reconnus, comme tous les autres enfants du Québec. Notre vie quotidienne s'en est trouvée d'autant facilitée à l'école, dans les milieux médicaux ou lors des voyages, notamment. Mais le changement apporté aux certificats de naissance des enfants a engendré des impacts encore plus profonds. En leur permettant d'être légalement reconnues sur les certificats de naissance de leurs enfants, le gouvernement du Québec a encouragé une plus grande acceptation sociale des familles homoparentales. Au cours des 13 dernières années, nous avons assisté à... incroyable évolution dans l'acceptation de nos familles à travers la province. Grâce à l'appui légal accordé à nos familles en 2002, nous avons pu sensibiliser les professionnels qui travaillent auprès de nos jeunes et de nos familles dans les écoles primaires et secondaires, dans les cégeps et les universités ainsi que dans les services sociaux et de santé. La légitimité qui nous a été accordée par le gouvernement nous a permis d'avoir accès à ces institutions afin de changer les coeurs et les esprits des gens. Nous avons la conviction que le monde s'en est d'autant amélioré pour nos enfants comme pour tous les autres enfants québécois.

Pour toutes ces raisons, nous demandons que le droit québécois soit adapté afin que soit rendue possible la modification des rôles parentaux sur les certificats de naissance des enfants. Nous voulons que ces rôles correspondent aux réalités telles que vécues par les parents et leurs enfants. En permettant ces ajustements, le gouvernement pourrait concrètement montrer son appui aux familles avec parents trans et soutenir leur intégration dans la société.

En outre, nous demandons qu'un troisième rôle parental soit créé, celui de parent. Toute personne, qu'elle soit trans ou non, pourrait faire usage de cette catégorie. Les Québécoises et Québécois auraient donc la possibilité d'être désignés comme mère, père ou parent de leurs enfants. Un tel changement permettrait de prendre en considération la réalité des rôles parentaux contemporains. Il permettrait aussi de mieux aborder la situation des personnes dont l'identité de genre ou l'expression de genre n'égale pas avec les rôles parentaux traditionnels. Nous espérons que le gouvernement adopte les mesures nécessaires afin que la désignation des liens de filiation des parents trans puisse être modifiée et que trois choix, soit mère, père et parent, soient dorénavant disponibles à toute la population québécoise. Merci.

• (11 h 50) •

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie pour cette présentation. Mme la ministre de la Justice, la parole est à vous pour un premier bloc d'intervention.

Mme Vallée : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue, Mme Greenbaum, bienvenue, M. Singer, merci de votre présence et de votre participation.

Dans un premier temps, je tiens à vous réitérer, comme je l'ai réitéré à tous les groupes hier, que notre objectif, c'est vraiment d'être en mode écoute, et on accueille les recommandations, les suggestions qui nous sont présentées; et l'objectif, c'est vraiment, là, d'intégrer tout ça, essayer de formuler, d'avoir un tout, un tout cohérent qui nous permettra de faire de réelles avancées et d'éviter de discriminer davantage. Alors, l'objectif, ce n'est pas de discriminer davantage.

Et, sur cette question, tout l'aspect, toute la question de l'apparence à laquelle on fait mention à l'article 23.1 et 23.2, c'est un élément sur lequel je pense qu'on convient tous qu'il serait opportun d'apporter peut-être un petit correctif. Maintenant, de quelle façon on l'exprime? C'est la question. On a parlé, on a abordé, hier, avec la commission des droits de la personne, l'utilisation du terme «identité sexuelle», puisqu'elle réfère à une utilisation qui existe actuellement en Ontario et qui a été jugée conforme par la commission des droits de la personne de l'Ontario. On pourrait peut-être aussi... certains nous ont suggéré l'utilisation du terme «identité personnelle», d'autres pourraient parler de l'«identité ressentie».

J'aimerais vous entendre sur le terme qui pourrait être le plus approprié pour, quand même, appuyer la demande. On doit tout de même encadrer la demande, encadrer les paramètres, et l'objectif, c'est d'utiliser les termes qui pourraient être les plus à propos.

Mme Greenbaum (Mona) : O.K. Mais moi, je crois qu'un terme que moi, je privilège, personnellement, mais je n'ai pas fait un sondage de notre communauté, mais je crois qu'«identité ressentie» est une bonne appellation. Donc, je ne sais pas pour «identité sexuelle», qu'est-ce que tu en penses?

M. Singer (Samuel) : Pour moi, vraiment, c'est l'identité de genre, là, mais je suis un petit anglophone juif, alors je comprends que j'ai des préférences qui sont peut-être un peu anglophones, mais c'est ça que je vois presque partout dans le monde, c'est l'idée de l'identité du genre. Et je pense que, dans le mémoire de la commission, ils ont mentionné que ça, c'est le terme qui est utilisé dans beaucoup de juridictions.

Alors, l'idée de l'apparence, c'est que c'est comme c'est qui qui décide, et, pour nous, qu'est-ce qu'on veut dire, c'est l'autodétermination, c'est ça?

Mme Vallée : Écoutez, en fait, puis, là-dessus, je dois vous rassurer, l'objectif n'était pas de permettre ou d'accorder au Directeur de l'état civil une discrétion quant à l'opportunité ou la non-opportunité de donner lieu ou d'accéder au changement de sexe sur la foi de l'apparence. C'était vraiment en lien... la personne demeurait celle qui déterminait à quelle identité elle appartient, et non... Et il n'appartient pas... Il ne s'agissait pas, là, d'aucune façon, d'accorder la discrétion au Directeur de l'état civil.

Par contre, on comprend que ça a été perçu comme ça de part des groupes, de la part de ceux et celles qui ont pris connaissance du règlement. Et, comme cette perception peut porter à confusion, on se dit : Bien, écoutez, nous, on ne l'avait pas vu comme ça, mais on va revoir le terme à utiliser, parce que ce n'est pas du tout l'intention que nous avions en présentant ce règlement-là, que de donner une discrétion. Parce que vous avez tout à fait raison, l'identité de genre qui s'exprime de différentes façons et en fonction d'un critère, d'un standard... S'il fallait le définir en fonction d'un standard social, on serait bien malheureux, je crois. Bien, plusieurs d'entre nous, ici, seraient malheureux, parce que je ne suis pas sûre qu'on corresponde tous à l'identité idéale.

Alors, là-dessus, là-dessus, on s'entend très bien, et puis j'ai très bien compris. Puis d'ailleurs, encore une fois, c'est notre collègue de Sainte-Marie—Saint-Jacques qui a été la première à m'interpeller sur la question d'une façon bien correcte, pour me dire : Écoute, moi, voici ma lecture du règlement; et puis ça a ouvert les yeux. Ça, c'était bien avant qu'on commence à recevoir les mémoires. Alors, là-dessus, je tiens à vous rassurer. Mais il s'agit de trouver le terme qui sera le plus... qui sera clair et qui évitera la confusion et l'interprétation.

Mme Greenbaum (Mona) : Peut-être l'identité de genre ressentie par.

Mme Vallée : L'identité de genre ressentie. Intéressant.

Même chose aussi sur la question de la corroboration. Je comprends que vous avez une préoccupation quant à la corroboration par un professionnel de la santé pour différents... À différents égards, vous aviez une crainte qu'on médicalise la question, ce qui n'était pas l'intention. L'intention, c'était de donner un caractère officiel, un caractère formel à la demande. Maintenant, encore là, on est très... on a été touchés, et je suis sensible à la question de la disponibilité aussi des professionnels, des professionnels qui sont ouverts à la réalité trans, ce qui n'est pas donné à tous. On a été sensibilisés à la question hier. Des professionnels aussi qui seront à proximité, parce que c'est l'autre élément... Ce n'est pas tous les professionnels qui seraient ouverts ou qui pourraient être disponibles à cette fin-là, et il pourrait y arriver des situations où, en région notamment, les professionnels ne soient pas à proximité, qui pourrait constituer un frein additionnel ou une tranchée additionnelle comme le disaient, hier, des intervenants.

Alors, là-dessus, je suis ouverte. On avait... bon, on avait... certains avaient soulevé la possibilité d'ouvrir davantage, c'est-à-dire de maintenir la corroboration par un professionnel, mais d'ouvrir à certains ordres professionnels, notamment aux travailleurs sociaux. Mais, encore là, je comprends très bien que nous sommes dans des situations où le recours aux professionnels, ce n'est pas automatique. Alors, dans un contexte comme ça, on crée un obstacle alors que l'intention est de faciliter la démarche et la transition.

Mme Greenbaum (Mona) : Si je peux...

Mme Vallée : Oui, certainement.

Mme Greenbaum (Mona) : ...juste ajouter à ça, je crois qu'il y a aussi peut-être un empêchement financier dans ça, car ce n'est pas seulement l'accès... même à Montréal, les personnes, qui sont des fois les plus vulnérables dans notre société, n'ont pas nécessairement les sous pour payer même un travailleur social pour faire une évaluation. Donc, ça, c'est un autre enjeu qui peut toucher la communauté trans.

Mme Vallée : Ça, vous abordez un bon point, parce que ce n'est pas dans le public, ce n'est pas tous les professionnels partout qui ont cette connaissance, qui ont cette sensibilité.

Mme Greenbaum (Mona) : Oui. Et ça ne va pas nécessairement être couvert par la carte RAMQ, j'imagine, donc il y aurait des frais associés à ça.

• (12 heures) •

M. Singer (Samuel) : Ce n'est presque jamais couvert par la carte RAMQ pour les psychologues, les sexologues, et il y a vraiment un manque d'accès aux docteurs, comme on le sait déjà, des docteurs de famille, et particulièrement pour les personnes trans. Alors, à la clinique juridique, on voit des personnes chaque mois qui n'ont pas accès à les lettres des docteurs, des sexologues, des psychologues, des psychiatres. Et c'est vrai... C'est parce qu'il y a déjà besoin... Les personnes trans ont déjà besoin d'une lettre pour un changement de nom. C'est plus facile si ces personnes-là ont la lettre pour un changement de nom. Alors, on voit déjà que c'est un très, très grand obstacle pour des raisons de frais, pour des raisons que c'est des personnes qui manquent d'emploi, qui vivent avec une vie quotidienne qui est assez difficile. Alors, aussi, il y a surtout la question de l'autodétermination. Et c'est pourquoi qu'on demande comme presque un traitement ou évaluation médicale pour dire que quelqu'un est vraiment trans.

Je peux parler un peu de mon expérience personnelle aussi. Moi, je suis trans, et toujours trans depuis des années. Aussi, ça fait des années que je n'ai pas eu un suivi psychologique ou avec une travailleuse, travailleur social. Alors, c'est qui qui va m'écrire la lettre? J'aurais besoin de retourner trouver un psychologue, ou un docteur, ou quelqu'un qui peut dire que oui Samuel est vraiment trans. Je serais obligé de payer ces frais de ma poche. Juste pour clarifier. Oui, et moi, je suis une personne très, très privilégiée comme personne trans. Oui.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Nous n'avons presque plus de temps, Mme la ministre, à votre bloc.

Mme Vallée : Mais, pour ce qui est de la corroboration par un tiers, j'aimerais vous entendre, parce que certains groupes nous disaient hier que, même cette exigence-là, c'était compliqué. Mais, en même temps, on essaie de simplifier le processus, mais ça demeure quand même un processus officiel et formel, et on doit trouver l'équilibre entre tout ça. Alors, qu'est-ce que vous pensez de la corroboration par un tiers?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Est-il possible de répondre en 30 secondes?

Mme Greenbaum (Mona) : Je crois que le plus minimal l'exigence, le mieux que ça va être, parce qu'à cause de toutes les raisons mentionnées, le manque de formation des professionnels, le manque d'accessibilité pour les gens en région et puis le manque de sous des personnes trans, n'importe où, d'avoir accès à cette lettre va être difficile.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, la parole est à vous.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Je suis un peu... Bien, je suis un peu surprise. Bonjour, dans un premier temps. Quand vous nous parlez de l'accessibilité gratuite à des services de santé, je suis toujours un peu surprise d'entendre que vous n'auriez pas accès à des professionnels de la santé gratuitement. Par exemple, il y a des CLSC partout au Québec. S'adresser à son CLSC pour aller rencontrer un professionnel de la santé, pour avoir ce qui représente l'exigence n° 2, là, quel est l'obstacle pour vous? Je regarde en Argentine, Danemark, c'est gratuit. Tout est vraiment gratuit et facilitant. Donc, qu'est-ce qui permettrait... Dans le fond, le but, c'est que vous me répondiez la solution. Quelle est la solution qui ferait en sorte qu'on se rendrait à la même solution qu'Argentine, Danemark, pour garantir, un, l'accessibilité gratuite aux professionnels et, deux, s'assurer d'avoir un professionnel compétent?

Mme Greenbaum (Mona) : On est un peu dans le projet de loi n° 20, peut-être, mais en général je crois que l'accès d'avoir un médecin de famille n'est pas donné, mais, dans le cas de la communauté trans, je crois que c'est l'accès à des personnes formées, à des professionnels formés. Donc, ce n'est pas le médecin de CLSC qui a nécessairement une expertise pour évaluer une personne trans. Donc, ce que ça fait, c'est que les personnes trans vont être obligées peut-être de consulter des psychologues ou des sexologues, et puis ces professionnels ne sont pas couverts par la carte RAMQ, donc ça va exiger des frais.

M. Singer (Samuel) : Mais même ces professionnels-là, leur association dit maintenant comme : Ce n'est pas notre rôle, on n'est pas là pour faire une évaluation de l'identité de genre de quelqu'un d'autre, ça, c'est une autodétermination. Ce n'est pas un psychologue, il n'a pas une formation spéciale qui peut dire... l'identité de genre. Qu'est-ce qui se passe? Est-ce que vous êtes vraiment confortable, dans quel rôle? Et c'est assez clair, il dit : Ne donne pas ce travail à nous, ce n'est pas notre travail à faire. On est là pour aider avec les autres problèmes, les autres enjeux, mais ce n'est pas notre travail d'être les évaluateurs officiels de l'identité des gens.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Bien, c'est intéressant, ce que vous dites là, parce qu'un des professionnels proposés est justement les psychologues, et vous me dites que les psychologues eux-mêmes ne se sentent pas la compétence de faire ce travail-là, alors là, déjà là, il y a un problème. Mais, s'il y avait un professionnel, s'il y en avait un, ce serait lequel, un sexologue?

Mme Greenbaum (Mona) : ...un professionnel pour toute la... Oh! un type, O.K. Mais je ne sais pas. Comme je ne sais pas, je crois que ça peut être des psychologues, mais ça doit être des personnes formées avec les normes internationales de WPATH ou d'autres associations qui ont une connaissance de la communauté trans. Donc, ce que ça va faire, c'est que la majorité, que ça soit psychologues, travailleurs sociaux, sexologues, la majorité ne vont pas nécessairement suivre cette formation pour la communauté trans. Donc, le nombre de personnes au Québec qui vont être disponibles pour ce genre d'évaluation va être difficile. Donc, la personne trans qui habite à Sept-Îles ne va pas avoir nécessairement l'accès à le ou la psychologue montréalaise qui fait ce genre de suivi.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Et actuellement quelqu'un qui veut, par exemple, aller vers la chirurgie, hein, il doit passer par un professionnel de la santé, au moins deux, en tout cas. Il a besoin d'une évaluation en tant que telle puis après ça il a un médecin chirurgien. Comment ça se passe, cet accès-là, actuellement? Parce qu'on dit que d'avoir le papier de la certification par un professionnel de la santé, c'est difficile. Mais actuellement quelqu'un qui est dans le processus, comment ça se passe?

Mme Greenbaum (Mona) : Tu veux expliquer le processus?

M. Singer (Samuel) : Je vais juste expliquer assez vitement que c'est... il y a des grands problèmes d'accessibilité déjà, et oui, avec tous ces frais-là. Même quand la «surgery» est couverte dans le système public, il y a même des frais pour ouvrir un dossier avec le chirurgien, alors... et ça, c'est même avant qu'on parle des frais pour faire les évaluations. Alors, oui, vous êtes absolument correcte, il y a des grands, grands problèmes d'accessibilité.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Mais, si on va plus loin, là, quand vous nous parlez de frais, là... Nous, on est là pour se renseigner, là, parce que, je l'ai dit dès le départ, on est sévères dans ce domaine-là, là, on apprend depuis deux jours, là. On parle de combien?

Mme Greenbaum (Mona) : Mais les frais horaires pour un psychologue, peut être, moi, j'imagine, 100 $ ou 150 $. Donc là, est-ce que l'évaluation se fait dans une heure? Moi, je n'ai aucune idée, mais j'imagine que ça... les frais vont aller dans les milliers de dollars. Et puis on parle des personnes qui sont les plus vulnérables dans notre société, donc de les exiger de payer pour quelque chose... Et pourquoi est-ce qu'on... Pourquoi la nécessité d'évaluer le genre ressenti?

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Ça, je vous ai compris. Mais je veux juste qu'on reste sur la question en tant que telle, là. Parce que ça a l'air de rien, là, mais, si le coût actuellement d'accessibilité à ces soins-là est... qu'il soit minime ou très important, ça a un poids dans l'évaluation des choses parce que ça en crée un frein en tant que tel, le fait que le prix est exorbitant, pour avoir droit actuellement à la chirurgie. Alors, c'est un peu ça que je veux établir, là, comme fait, là. Alors, c'est pour ça que je veux avoir plus d'informations sur finalement quelqu'un... Parce qu'hier on avait le délai de deux ans, là. Et je posais la question, hier : Ça commence quand, au début, au milieu puis à la fin? Alors, si j'inclus là-dedans une chirurgie en plus, en plus, bien ce processus-là du deux ans, il commence où, il finit quand? Parce que c'est à partir d'un moment x dans ma vie où je décide de faire cette demande-là de changement de nom et, à ce moment-là, il y a un délai de deux ans, là, qui s'installe, là. Alors, si là-dedans j'ai aussi une chirurgie, donc j'ai des coûts qui s'associent à ça. Ça veut dire quoi dans la vie de quelqu'un, là? C'est ça que j'aimerais que vous m'exprimiez.

Mme Greenbaum (Mona) : Vous voulez une estimation?

M. Singer (Samuel) : C'est un peu différent de quand... Je vais vous demander de parler un peu de cette question-là avec les intervenants de l'ASTTEQ qui vont parler après, parce qu'ils ont beaucoup d'expérience sur le terrain maintenant. Mais je peux vous dire que, pour moi, moi, ça a coûté des centaines de dollars juste pour avoir l'évaluation pour avoir accès à une opération que, dans ce temps-là, j'avais besoin de payer en privé, et que ça fait seulement... J'ai eu cette opération en 2003 et je viens finalement de payer les frais, ça fait sept mois.

Mme Greenbaum (Mona) : Et c'est un avocat.

M. Singer (Samuel) : Et je suis un avocat qui a travaillé dans un grand cabinet pour une cour pour des années, alors... Oui, c'est sûr qu'il y a maintenant accès à des opérations dans le système public, mais c'est une question très difficile d'avoir vraiment l'accès.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Vous dites que c'est difficile d'avoir accès à l'opération actuellement encore, même si c'est gratuit?

• (12 h 10) •

M. Singer (Samuel) : Oui. Comme je parle avec quelqu'un qui est sur le bien-être social, à cause du fait que leurs papiers ne sont pas encore changés, et ils n'ont pas la possibilité de trouver un emploi parce qu'ils ou elles ont toujours des papiers qui ne vont pas avec leur identité de genre... Cette personne-là, comment est-ce qu'il ou elle va payer pour les frais pour avoir l'évaluation en pratique privée pour avoir accès aux opérations dans le système public? Et, même quand cette personne-là arrive au bureau pour ouvrir le dossier pour avoir l'opération, il y a des frais d'ouverture de dossier. Et on sait que, le bien-être social, je pense que c'est 500 $ quelque chose, maintenant, par mois; 40 $, c'est comme la bouffe pour une semaine, alors...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange. Je me tourne maintenant vers la deuxième opposition. Mme la députée de Montarville, à vous la parole pour cinq minutes.

Mme Roy (Montarville) : Oui, Merci, M. le Président. Je démarre mon chronomètre.

Madame, merci d'être là, merci pour le mémoire, maître, merci à vous. Je vais tout de suite aller vers un élément que vous nous apportez, qui est nouveau, au-delà du règlement qui est à l'étude. Vous débordez le règlement qui est à l'étude puis vous arrivez avec des propositions, une demande relativement à l'acte de naissance des enfants, des enfants de parents trans, si je comprends bien, et vous nous dites, vous l'avez bien expliqué, ce que vous demandiez, et, juste pour le bénéfice des téléspectateurs, vous dites : «Pour ces raisons, nous demandons que le droit québécois soit adapté afin que soit rendue possible la modification des rôles parentaux sur l'acte de naissance des enfants.»

Alors, la question que je vais vous poser, je vais me faire l'avocat du diable ici : Ne croyez-vous pas que ça devrait être les enfants des parents trans qui fassent la demande auprès de l'état civil si bon leur semble et s'ils le souhaitent, compte tenu du fait que l'acte de naissance est l'acte de naissance de l'enfant, et non des parents, et que l'acte de naissance témoigne d'un état de fait, d'une situation qui était à un moment précis? Qu'en pensez-vous à cet égard?

Mme Greenbaum (Mona) : Mais je crois qu'il y a des enfants qui font déjà cette demande. Il y a des enfants dans notre organisme. En fait, dans le cas des consultations avant 2013, avant la loi en 2013, il y avait eu un mémoire qui était soumis, où un enfant a demandé ce changement-là. Je crois que les enfants... Bien, c'est sûr que, quand un enfant est né, il n'est pas capable de faire cette demande, mais à un moment l'enfant va se voir ridiculisé par le fait d'avoir un acte de naissance qui n'a aucune cohérence avec sa réalité, comme un acte de naissance qui dit : Marie Tremblay, père. Sa mère remet l'enfant... mais c'est une intrusion dans sa vie privée, que je suis sûre que n'importe quel enfant ne va pas apprécier, c'est sûr. C'est comme... ça montre à tout le monde, tout de suite, que cet enfant... bien, de la vue des autres, c'est un enfant qui a un père habillé comme mère, ou une mère habillée comme père. Donc, ça ridiculise la famille, puis ce n'est pas ce que ces enfants vivent. Ces enfants vivent dans des familles saines, des familles où eux autres, ils comprennent la réalité de leur famille. Oui, donc, pour...

Mme Roy (Montarville) : Croyez-moi bien, je ne remets pas en cause, là, le statut de la famille...

Mme Greenbaum (Mona) : Oui, mais c'est ça. Donc, c'est le désir des enfants. Nous, on a des familles trans dans notre organisme et puis c'est ça que les enfants veulent. C'est comme, c'est... il y a un manque de cohérence dans ce document qui remet leur famille en question.

Mme Roy (Montarville) : Oui, vous voulez vous exprimer sur la question, maître? Allez-y.

M. Singer (Samuel) : Oui, moi, je suis un parent trans, j'ai un enfant de 14 mois. Je suis très fier comme parent, je veux vous montrer une photo, mais je pense que ce n'est pas comme acceptable, je comprends, je suis inscrit sur son certificat de naissance comme mère, et je demandais d'être un parent, et que ça serait mère pour toujours dans l'opinion du Directeur de l'état civil.

Et mon enfant, il va commencer la garderie bientôt, peut-être à deux ans. Je serai obligé de montrer ce certificat de naissance, qui dit toujours «mère», et pour ma conjointe aussi «mère». Alors, chaque fois que j'ai besoin de montrer ce certificat de naissance, ça explique toute mon histoire personnelle. Et, pour mon enfant ça, c'est assez lourd, et c'est sûr que lui, il ne parle pas encore. Il dit : Ah! Ah!, toujours, et c'est presque tout, alors... Mais je pense, quand lui dit : Ah!, peut-être qu'il dit aussi : Je ne veux pas que vous soyez inscrits comme mères.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Roy (Montarville) : Vous lui prêtez des intentions, là. Cela dit... Oui, vous voulez ajouter quelque chose à cet égard?

Mme Greenbaum (Mona) : Oui, quand on lui montre l'acte de naissance, il commence à pleurer.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Roy (Montarville) : Et je reviens à l'acte de naissance. Je comprends que l'enfant peut vouloir le faire changer, mais ma question était la suivante : Est-ce que ça ne pourrait pas être uniquement... justement, comme l'acte appartient à l'enfant, que l'enfant en fasse le choix et la décision de le modifier puisqu'il arrêtait une situation à un moment précis? Par ailleurs, l'acte de naissance, dans une vie, on nous le demande très, très rarement : Inscription à l'école et passeport, pas souvent.

Mme Greenbaum (Mona) : Mais l'inscription à l'école est clé dans ça, parce que ça, c'est comme l'environnement où nos enfants sont la grande majorité de leurs journées, chaque jour, donc ça, c'est clé, et puis donc ça dévoile, comme ça montre tout de suite comme qu'il y a quelque chose dans la famille. C'est contre la vie privée de cette famille. Et puis malheureusement oui on est obligés de montrer l'acte de naissance quand on inscrit notre enfant à l'école.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Quelques secondes, Mme la députée.

Mme Roy (Montarville) : Quelques secondes? Je voulais juste soulever le fait qu'on veuille ici... que vous nous soumettez la possibilité de changer un acte qui n'appartient pas à la personne trans mais qui appartient à une autre personne. Je pense qu'il y a une petite difficulté à cet égard-là. Mais je...

Mme Greenbaum (Mona) : Mais à un certain âge peut-être. Comme moi, comme je ne serais pas contre l'idée qu'un enfant à 14 ans peut faire une décision légale, comme moi, je sais qu'avec mes adolescents ils pourront comme nous enlever leur acte de naissance totalement. Mais je ne sais pas, comme c'est un acte de naissance, c'est comme... en plus, ça montre qui sont les parents. Comme moi, je crois comme c'est quelque chose qui est donné à la naissance, donc je ne sais pas si c'est le choix des enfants, parce que c'est comme... ça désigne qui est dans la famille.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Il nous reste quelques minutes pour Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.

Mme Massé : Quelques minutes, M. le Président? 2 min 30 s, trois minutes? O.K., dans ce coin-là.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : On ne perdra pas de temps à discuter. Allez-y.

Mme Massé : Non, mais je voulais avoir... Alors, on ne perdra pas de temps. Merci d'être là. Je voulais voir avec vous, parce que je continue des réflexions que mes collègues ont amenées sur la corroboration. Alors donc, je pense, c'est clair, c'est-à-dire qu'en quoi un professionnel peut venir dire ce que je ressens de mon genre, hein? Ça, je comprends. Mais on sent aussi une espèce de besoin de dire : Oui, ce serait le fun quand même d'avoir une corroboration, pas juste une autodétermination. Une des choses qui a été explorée hier, c'était une déclaration de quelqu'un que vous connaissez qui dit : Oui, je reconnais que Mona est bien Mona. Ça, est-ce que vous seriez plus confortable avec ça?

Mme Greenbaum (Mona) : Oui, je crois que oui. C'est un peu comme pour un passeport. Donc, le même genre de chose, et puis je crois que ça, ça fait du sens. C'est sûr qu'il y a certaines personnes qui vont peut-être dire : C'est difficile pour moi, parce que je n'ai pas d'ami ou j'ai comme brisé beaucoup de liens avec mon entourage quand j'ai fait ma transition. Donc, ça peut être difficile, mais je crois que, pour la grande majorité des personnes, d'avoir un témoin pour dire que : Oui, je connais la personne, et puis la demande est faite comme une demande sérieuse, pour moi, ça fait beaucoup de sens.

Mme Massé : Et je terminerais peut-être, parce que je suis certaine que c'est là que j'en suis, pour dire : Je pense que j'ai été aussi touchée par votre appel comme quoi, lorsque le gouvernement du Québec a joué son rôle de leader pour arriver au XXIe siècle, ça a soulagé nos familles, ça a soulagé nos enfants et ça a surtout envoyé un message au Québec que, coudon, ils sont normaux, ces enfants-là. Alors, on le souhaite pour les personnes trans aussi.

Mme Greenbaum (Mona) : Merci.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, je vous remercie beaucoup pour votre participation à nos travaux. Sans plus tarder, nous allons suspendre quelques instants, le temps de permettre à notre prochain groupe de s'avancer. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 18)

(Reprise à 12 h 20)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, s'il vous plaît, nous reprenons nos travaux et nous accueillons avec plaisir les représentants d'Action Santé Travesti-e-s et Transsexuel-le-s du Québec. C'est bien ça? Alors, vous disposez de 10 minutes. Vous avez entendu les remarques que j'ai faites, qui s'adressent également à vous. On vous remercie de votre patience, nous sommes désolés du retard. Vous disposez de 10 minutes pour votre présentation. Dans un premier temps, je vous demanderais de vous présenter et de nous faire votre présentation.

Action Santé Travesti-e-s et Transsexuel-le-s
du Québec (ASTTEQ)

M. Suerich-Gulick (Frank) : D'accord. Je m'appelle Frank Suerich-Gulick, je suis coordonnateur finances d'ASTTEQ; il y a William Hébert, qui est bénévole de longue date à ASTTEQ et doctorant en anthropologie; il y a Sara-Marine Rioux, qui est une participante à ASTTEQ, qui utilise nos services; et James McKye, qui est le coordonnateur d'ASTTEQ. Donc, je vais parler puis je vais passer la parole à Sara-Marine Rioux.

Donc, ASTTEQ existe depuis 1998, c'est un projet par et pour les personnes trans. Notre mission, c'est de promouvoir la santé et le bien-être des personnes trans par le soutien par les pairs, l'éducation et la mobilisation. On travaille avec les personnes trans les plus vulnérables et marginalisées, dont les personnes racisées, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes migrantes, les personnes réfugiées et des personnes avec le statut légal précaire.

Malheureusement, comme a été expliqué plus tôt, la majorité des personnes avec qui nous travaillons vivent dans la pauvreté. Donc, une grande partie de notre travail consiste à aider ces personnes-là à accéder aux services sociaux et de santé pour leur permettre de survivre, mais aussi d'effectuer leur transition. Donc, encore, comme le groupe précédent, on veut vous remercier de nous avoir invités parce que ce règlement aura un impact énorme pour les personnes trans, pour toutes les personnes trans, et puis c'est une avancée majeure de retirer l'exigence de chirurgie avant de pouvoir avoir des documents qui correspondent à notre identité de genre. Par contre, encore une fois, on considère qu'il y a des détails du règlement qui reflètent une certaine ignorance des discriminations vécues au quotidien, notamment par les personnes trans les plus marginalisées qui sont obligées de vivre sans des pièces d'identité appropriées.

On va se concentrer — on est d'accord avec tous les arguments qui ont été très bien présentés par Mme Greenbaum — sur l'exigence d'afficher son identité pendant deux ans à temps plein avant de pouvoir obtenir des cartes d'identité. Cette exigence nuit à la capacité de la personne trans d'obtenir et de conserver un logement, un emploi et, souvent, à accéder à des services de santé et sociaux, dont des services d'hébergement d'urgence avec... que nous rencontrons souvent. De plus, ça ne reconnaît pas les stratégies de survie qui sont employées par beaucoup de personnes trans pour se protéger contre les violences et les discriminations. Donc, en effet, ça condamne les personnes trans les plus vulnérables et les plus marginalisées à deux ans de violence et de pauvreté. Donc, on considère que ce n'est pas nécessaire d'infliger ces violences et ces deux ans de pauvreté aux personnes trans les plus vulnérables.

Je voudrais aussi ouvrir une parenthèse. Un des groupes avec lequel nous travaillons, c'est les personnes trans qui sont ici comme réfugiés, donc qui ont été acceptées au Canada... des réfugiés et immigrants. Donc, c'est des personnes qui sont venues au Canada pour fuir des conditions où leur vie était en danger. Donc, on les reçoit ici parce qu'on reconnaît ce danger, mais on exige d'attendre qu'elles aient leur citoyenneté avant de pouvoir accéder à des documents qui reflètent leur identité de genre. Donc, ça, ça rend très difficile de s'intégrer et de vivre pleinement et en santé au Québec.

On comprend que ça suscite de l'inconfort et même de la peur de penser qu'une personne trans pourrait traverser la ligne entre homme et femme de façon officielle sans encadrer ça avec des exigences, des lettres de corroboration, des lettres de professionnels, mais on veut vous assurer qu'avant de même commencer à penser à faire une transition, la grande majorité de nous, on a pensé très longtemps et très sérieusement à ça, parce qu'on sait que c'est un processus très ardu et souvent très douloureux. Alors, ce n'est pas un processus qu'on entame à la légère. Donc, pour nous, ces exigences de corroboration, de lettres officielles ne sont pas nécessaires et puis ça inflige, encore une fois, ces violences à des personnes qui sont déjà très vulnérables.

Donc, on vous demande aujourd'hui de regarder, d'examiner pourquoi ça vous met inconfortables, pourquoi ça vous fait peur, puis de nous poser vos questions. On apprécie beaucoup votre ouverture, et puis... Parce que vous avez aujourd'hui un pouvoir vraiment incroyable de créer un règlement qui va créer des conditions plus humaines pour les personnes trans, aujourd'hui puis pour les années à venir, pour des centaines et peut-être des milliers de personnes trans, pour nous outiller à contrer ces discriminations qui continuent à exister.

Donc, encore une fois, on est venus, toute une équipe, pour répondre à vos questions. Il y a James, William et Sara-Marine, puis on a demandé à Sara-Marine de venir. Donc, c'est quelqu'un qui est venu à Montréal de Sept-Îles justement parce qu'elle ne pouvait pas accéder aux services où elle habitait. Et puis c'est pour vous donner une idée peut-être plus concrète de qu'est-ce que ça veut dire d'essayer de contrer les discriminations quand on n'a pas les documents pour légitimiser notre identité.

Mme Rioux (Sara-Marine) : Merci. Bonjour, mon nom est Sara-Marine Rioux, donc, Frank l'a déjà dit, mais j'aime ça l'utiliser souvent, ce nom-là, ça me fait du bien de m'affirmer. Oui, moi, je viens de Sept-Îles. Ma première discrimination, je l'ai vécue de la part de mon père. Quand j'étais jeune, en deuxième année, c'est là qu'il m'a humiliée et rabaissée pour me dire que je n'étais pas normale, que donc qu'il fallait que je commence à agir comme un garçon comme les autres puis à prendre exemple sur les autres garçons, ce qui a fait que, toute ma vie, j'ai toujours eu ça dans mon subconscient : Oh! il faut que je fasse attention à ci, il faut que je fasse attention à ça. Ah! eux autres... ce gars-là, il fait ça comme ça, ça a l'air à être populaire. Bon, je fais ça comme ça. Donc, j'étais prise dans cette spirale de discrimination.

Ça m'a pris 25 ans avant enfin d'essayer de sortir de mon trou noir. Puis, quand j'ai voulu le faire, justement en région, là, mon médecin de famille, il a fait preuve de discrimination envers moi, parce que justement je n'avais pas de support légal ou quoi que ce soit. Il m'a dit : Non, moi, je ne touche pas à ça. Je ne ferai pas de ça. Ça ne m'intéresse pas pantoute. Je ne sais pas... Je ne peux pas t'aider. Donc, après ça, j'ai essayé avec les CLSC, mon CLSC. Après ça, j'ai essayé d'avoir des rendez-vous avec des psychologues, puis ce n'était pas évident parce qu'ils ne voulaient pas toucher à ça. Ils n'osaient pas toucher à ça. Bon, ça partait-u d'une mauvaise intention ou non? Ça, je ne suis pas là pour me prononcer là-dessus, mais il n'y avait rien pour moi, donc...

Puis après ça l'autre discrimination qui aurait pu être effacée par des papiers légaux, c'est au travail. Mon patron, quand il m'a engagée, il savait que j'étais une femme trans, mais, après qu'il m'ait engagée, il a commencé à mettre des exigences : Ah, non! Je ne veux pas que tu portes des bijoux; je ne veux pas que tu te maquilles; je ne veux pas que tu portes des bottes avec des talons; je ne veux pas que tu utilises ton prénom féminin au travail. Tandis que, si j'avais eu la facilité d'avoir les papiers qui changent mon nom sur les papiers officiels, genre les chèques de paye et ces choses-là, il aurait été obligé de me respecter en tant que personne trans.

Donc, moi, j'ai été obligée de piler sur moi-même pendant trois ans, jusqu'à ce que je parte de Sept-Îles, parce que justement je n'avais pas beaucoup de sous, donc ça m'a pris du temps, puis je suis même venue sans argent. Je me suis ramassée à prendre le premier appartement du bord avec lequel... je n'ai pas eu les moyens de le prendre. Donc, grâce à l'ATQ, j'ai eu le numéro d'ASTTEQ, qui, eux, m'ont aidée à me trouver au moins un endroit pour vivre, au Pavillon Patricia Mackenzie, qui est une maison d'hébergement pour femmes, qui m'ont acceptée, ce qui prouve qu'eux autres ont déjà commencé la démarche de traverser la frontière de la discrimination puis d'accepter... m'accepter comme étant une femme et non pas comme étant un homme, puis sinon... bien, si ça n'aurait pas été d'ASTTEQ, justement, je n'aurais pas su toutes ces choses-là, puis ça... Je n'ai pas su, je veux dire, facilement, ça a été du bouche à oreille. J'ai eu un premier numéro d'une tierce personne, après ça, j'ai eu le numéro d'ASTTEQ, après ça, ASTTEQ m'ont donné des numéros, mais c'est des choses qui sont assez laborieuses. Ça fait qu'il faudrait juste trouver peut-être un moyen de faciliter le processus, puis la démarche, puis c'est ça. Mais je vous remercie de m'avoir écoutée.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Est-ce que ça complétait votre présentation?

M. Suerich-Gulick (Frank) : Oui.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, je vous remercie beaucoup. Nous allons sans plus tarder procéder à l'échange avec Mme la ministre. À vous la parole.

• (12 h 30) •

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci de votre présence. Merci aussi de nous avoir... Vous n'en avez pas parlé dans votre présentation, mais je comprends que vous êtes à l'origine de cette distribution d'un guide qui s'appelle Je m'engage. Et je comprends que dans ça vous avez aussi un lexique qui est fort utile, fort éclairant et... bref, vous démystifiez bien des trucs dans ce document-là, et je tiens à vous remercier, parce que je vous avoue, là, par politesse... je ne l'ai pas... je l'ai feuilleté brièvement tout à l'heure, mais c'est quelque chose que je vais regarder avec beaucoup d'attention. C'est quelque chose aussi, je pense, qui devrait... le type de documentation qui devrait être rendu accessible beaucoup plus... à bien des gens.

Je comprends, vous faites vôtres les recommandations des groupes qui vous ont précédés, alors je comprends que vous avez des préoccupations quant au règlement, de la façon dont le règlement est rédigé actuellement. Vous étiez dans la salle tout à l'heure, j'ai échangé avec la Coalition des familles LGBT sur certaines réflexions qu'on avait quant aux termes utilisés dans le règlement.

J'aimerais vous entendre sur ce qui pourrait, à votre avis, être un terme un petit peu plus représentatif. Parce que, vous savez, les exigences... le règlement, en fait, ce n'est pas tant un règlement basé sur des craintes, c'est un règlement qui vient mettre en place des critères pour pouvoir obtenir un changement à l'état civil. Au même titre que, lorsqu'il est question de faire un changement de nom, il y a des critères. Au même titre... parce que l'acte de l'état civil, notre état civil, c'est un document officiel, et puis on ne peut pas jouer avec l'état civil d'une façon ou d'une autre... puis, je comprends, là...et ça, que ce soit au niveau du nom, que ce soit au niveau de la mention de l'identité de genre, l'identité sexuelle.

Et, au niveau de l'état civil aussi, on ne peut pas prétendre être marié, divorcé, il y a quand même un processus qui est exigé, c'est-à-dire, lorsqu'on veut faire une modification à notre état civil, si on est marié, on doit déposer l'acte de mariage; au même titre, si on se divorce par la suite, on dépose le jugement de divorce. Donc, il y a un formalisme qui est associé à ça et qui est nécessaire pour maintenir une stabilité des registres.

Alors, ce n'est pas une question de crainte, c'est une question d'assurer une certaine stabilité de notre documentation. Mais, en même temps, je comprends que, dans la formulation, pour bien des groupes... cette formulation-là peut créer des obstacles puis pourrait être à l'origine d'une source additionnelle de discrimination, ce qu'on ne veut pas... ce n'est vraiment pas l'intention. Alors, là-dessus, encore une fois, on a dit hier... Je remercie la commission des droits de la personne et de la jeunesse, qui est venue nous éclairer sur l'impact de la formulation du règlement. Je pense qu'on a bien compris le message.

Maintenant, on doit quand même avoir un certain formalisme, pas parce qu'on a peur, parce que ça fonctionne comme ça, dans notre État de droit. Et là-dessus, tout en ayant un formalisme, ce formalisme-là peut quand même ne pas être un obstacle épouvantable comme le mentionnaient hier certains représentants. Il ne faudrait pas que ça soit un précipice, un barbelé et un trou de bouette, là, pour arriver à destination, il ne faudrait pas avoir à traverser toute une série d'obstacles. Il faudrait pouvoir le traverser de façon quand même correcte, bien qu'on comprenne qu'il y a un formalisme.

Alors, quant à la déclaration de la personne qui présentera la demande, on va mettre de côté la question de l'apparence. En effet, c'est subjectif; ce n'était pas l'intention, et ce n'était pas l'intention de donner une discrétion au Directeur de l'état civil. On parle possiblement... on a soulevé un certain nombre d'idées, alors, c'est-à-dire : Est-ce qu'on devrait plutôt utiliser le terme et l'expression «identité sexuelle»? Donc, la personne doit démontrer qu'elle assume soit l'identité sexuelle, ou l'identité de genre, ou l'identité personnelle. Alors, on a eu des discussions sur cette question-là.

J'aimerais vous entendre, parce que, comme vous mentionnez, vous avez, au sein de votre organisme... vous côtoyez des personnes extrêmement vulnérables qui vivent toutes sortes de réalités. J'aimerais savoir ce qui, pour ceux et celles que vous représentez et que vous côtoyez, pourrait être une rédaction correcte avec laquelle ce serait possible de travailler sans ajouter de la pression additionnelle.

M. Suerich-Gulick (Frank) : Bien, je vais juste prendre un moment... Ce qu'on a recommandé... En fait, en Ontario, ils ont formalisé ce processus-là avec une... de demander à la personne qui demande le changement de mention de sexe de... Comment nous, on l'a formulé, c'est : Le demandeur déclare sous serment que la mention de sexe demandée répond le mieux à son identité de genre. Donc, c'est très simple, c'est de dire : Voici, c'est ça, mon identité de genre, ça correspond à mon identité de genre. Je pense qu'on a eu une discussion avec... plusieurs discussions, mais spécifiquement lundi, avec les gens qui utilisent nos services, et puis cette approche répondait bien à leur vécu. Et puis, je pense qu'on peut... William a fait quelques recherches pour bien souligner que cette approche-là a été implémentée en Ontario en 2012, et puis il n'y a pas eu de gros problème, de grosse perturbation de mettre un... de faire confiance aux personnes trans de témoigner elles-mêmes de leur identité...

Mme Vallée : Identité de genre.

M. Suerich-Gulick (Frank) : Oui. Donc, je pense qu'«identité de genre», c'est le terme qu'on utilise couramment, avec lequel on est confortables.

Mme Vallée : D'accord. Et...

M. Suerich-Gulick (Frank) : Peut-être William voudrait...

Mme Vallée : Certainement.

M. Hébert (William Billy) : Si je peux ajouter aussi, je pense qu'un des gros problèmes avec la formulation, ce n'est pas seulement la question de l'apparence, mais bien la question des deux années que la personne doit confirmer vivre dans son identité ou s'auto-identifier de cette façon-là. Chez certains et certaines des participants chez ASTTEQ, pour plusieurs raisons, qu'elles soient dans des conditions vulnérables... elles ne peuvent pas revendiquer leur identité. Et Sara-Marine en a parlé, dans la vie de tous les jours, c'est souvent une stratégie de survie, pour des personnes qui n'arrivent pas à garder un emploi, à obtenir un logement.

Et je pense en particulier... dans mes propres recherches, j'ai côtoyé une personne que ça faisait deux années qu'elle était sans logis, et puis, pour elle, accéder aux services pour les femmes, c'était impossible. Malheureusement, elle n'avait pas accès aux services de Patricia Mackenzie, qui est un centre qui est ouvert aux personnes qui n'ont pas les documents légaux qui correspondent à leur identité. Par contre, pour elle, la vie de tous les jours dans la rue, ce n'était pas sécuritaire en tant que femme, donc elle se présentait en tant qu'homme pour ne pas vivre des violences et aussi pour accéder aux services de logement d'urgence.

Est-ce que cette personne-là aurait la possibilité de faire une demande, ou ce serait un parjure de dire : Oui, je me présente, je m'identifie comme une femme depuis deux années de temps? La question du deux ans, c'est vraiment quelque chose sur lequel on s'est beaucoup penchés parce que ça met les gens dans une situation très précaire, pour deux années de temps, au niveau du logement, de l'emploi, mais aussi la vie de tous les jours, je pense.

Mme Vallée : Vous avez mentionné dans votre présentation que, bien, avant de passer à l'étape de dire : Je veux changer les registres de l'état civil, il y a un long processus, bien souvent, qui précède cette démarche-là. J'aimerais vous entendre un petit peu davantage sur cette question-là, parce que, dans le fond, si je comprends bien votre intervention, vous nous dites : Écoutez, la réflexion, là... le sérieux, une fois qu'on s'adresse à l'état civil, le sérieux, il est là, parce qu'il est le fruit d'une réflexion individuelle, parfois qui a été accompagnée par un professionnel ou une professionnelle, qui a donné lieu à bien des questionnements. Donc, j'aimerais vous entendre, sur cet aspect-là, davantage.

M. Suerich-Gulick (Frank) : Est-ce que vous voudriez qu'on... On peut parler peut-être juste de notre expérience personnelle ou... je pense...

Mme Vallée : Comme vous voulez, oui. Bien, j'imagine qu'on... la meilleure expérience, c'est celle qu'on connaît personnellement.

• (12 h 40) •

M. Suerich-Gulick (Frank) : Oui. Bien, je sais que, pour moi, c'était un... je pense qu'il y a beaucoup de personnes trans qui vont dire : Ah! dès que j'avais huit ans, je savais que j'étais une personne... tu sais, que j'étais un garçon dans le corps d'une femme ou le contraire, et puis... Mais je pense que ça, c'est peut-être l'histoire qu'on entend le plus souvent, mais ce n'est pas le vécu de toutes les personnes trans. Donc, personnellement, je dirais que j'ai juste été une personne très mal à l'aise dans mon corps et qui se considérait un peu asexuée, parce que je n'étais pas capable de vivre... d'être une personne qui était vue comme une femme dans des relations plus intimes. Et puis, pour moi, c'est un long... pour moi, c'est... la transition, c'est quelque chose, dans un sens, qui est un processus qui se continue sur des années.

Et puis moi, j'ai eu, encore une fois, comme Me Singer soulignait... c'est un grand luxe de pouvoir justement dire : O.K., je vais prendre le temps, je vais me retirer. Moi, j'étais aux études et puis j'ai pris une pause d'un an et demi pour faire face au fait que je ne me sentais plus confortable quand on me traitait comme un homme. Et puis, pour moi, c'était vraiment bouleversant. Puis j'ai trouvé une psychologue, mais dont je devais payer les services, et puis j'avais le luxe d'avoir des réserves pour prendre ce temps-là. Et puis, je sais, je côtoie régulièrement des gens qui n'ont pas ces ressources-là, de dire : Je vais me retirer du travail ou je vais arrêter d'aller voir mon agent, à Emploi-Québec, parce que mon agent refuse d'utiliser le nom ou la désignation... Parce que, personnellement, puis, je pense, pour beaucoup de personnes trans, cette période-là où on est en train d'essayer d'accepter son identité, c'est un moment où on se sent très fragile, puis chaque fois que quelqu'un refuse de nous désigner avec le nom et avec le genre qu'on ressent, c'est comme un couteau ou un coup de pied dans la face. Et puis il y a... justement, ces personnes-là qu'on décrit, elles n'ont pas le choix de dire : O.K., je vais arrêter d'aller parler à tel agent, je vais arrêter d'aller demander à la banque alimentaire, parce qu'elles vont crever de faim, elles vont être dans la rue. Alors, d'être obligé de vivre ces... C'est une violence psychologique de se faire imposer... de dire : Non, toi, je suis désolé, tes papiers ne correspondent pas. Moi, j'insiste que je vais t'appeler madame. Et puis, surtout à cette période-là, c'est... oui. Donc, je vais laisser la parole à d'autres personnes.

M. Hébert (William Billy) : Peut-être une chose à ajouter, aussi, c'est qu'au-delà de ces violences quotidiennes, là, qui peuvent être vécues quand nos documents ne sont pas conformes à notre identité ou à notre apparence, c'est aussi la question qu'avant de prendre cette décision-là de faire une transition on est conscients et conscientes qu'il y a beaucoup de pertes qui sont devant nous non seulement au niveau des discriminations qu'on peut vivre à l'emploi et au logement, mais aussi dans notre entourage, notre famille.

J'ai fait une recherche sur le vieillissement dans les populations trans, et puis on voyait deux types de personnes : des gens qui ont fait leur transition très tôt dans la vie et des gens qui ont attendu que les enfants soient partis de la maison, d'être capables d'être indépendants financièrement, pour pouvoir, si on doit vivre un divorce très tard dans la vie, s'en sortir. Et donc c'est des décisions que les gens prennent très sérieusement et qui viennent souvent avec des coûts très élevés au niveau personnel et professionnel... et financier aussi. Donc, oui, je pense qu'on peut faire confiance aux gens quand ils et elles disent : Je suis telle personne; c'est ainsi que je me sens. Pas besoin de leur demander d'attendre deux années pour savoir qu'elles sont et qu'ils sont sûrs. Je pense que la réflexion est déjà faite à ce moment-là.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange avec la ministre. Je me tourne maintenant vers le vice-président de la commission, pour des échanges, pour huit minutes.

M. Lisée : Merci, M. le Président. Merci beaucoup d'être là, merci de vos témoignages. On comprend qu'on est dans un sujet qui touche l'humain dans ce qu'il a de plus tangible, de plus émotif aussi, puisqu'il s'agit de notre identité individuelle et du rapport que cette identité a avec le reste de la société. Et, on le sait, c'est une chose de dire qui l'on est et c'est une chose de se l'entendre dire par les autres. C'est un processus qui doit être fait, et la société québécoise, et donc à travers ce règlement, à travers l'article du Code civil qui a été modifié l'an dernier, est dans ce processus de reconnaissance mutuelle d'identité changeante.

Sur les questions relatives au règlement lui-même, on vous a bien entendus, vos demandes sont convergentes avec ce qu'on a entendu depuis hier. Mais, dans cette brochure — très bien faite, très intéressante, je vous félicite — il y a des éléments sur lesquels j'aimerais revenir, parce qu'ils ont aussi un impact sur des choses qui relèvent du gouvernement québécois et de l'Assemblée nationale sur le traitement des personnes trans dans des établissements qui sont séparés par le genre.

Et vous dites, en page 57 : «...les personnes trans sont — d'abord — surreprésentées au sein de la population carcérale. [Elles] deviennent souvent les victimes de transphobie — c'est-à-dire de discrimination aux trans — accompagnée de violence et de discrimination de la part des autres prisonniers et du personnel.» Vous dites aussi que, dans les centres d'hébergement... «En règle générale, l'accès aux centres d'hébergement se fait au cas par cas, [...]cela signifie que de nombreuses personnes trans sont refusées. Quelques centres d'accueil ont des règles officieuses qui établissent un certain quota de personnes trans par nuit, d'autres les logent dans des chambres privées plutôt que dans des dortoirs. [...]certaines personnes trans apprécient cette intimité, plusieurs autres peuvent le vivre comme de l'isolement.»

Alors, prenons la question des centres d'hébergement, de désintoxication et de réinsertion. C'est un phénomène qui est relativement nouveau mais pas complètement nouveau. Est-ce que vous sentez une évolution positive ou négative de la façon dont les personnes trans sont accueillies dans ces établissements?

M. McKye (James) : Bien, je dirais, oui, que ça a beaucoup changé depuis cinq ans. On fait beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail à propos de ces situations-là. Aussi, notre relation avec le Pavillon Patricia Mackenzie, ça fait, je pense, un cinq ans qu'on travaille là-dessus; ces gains-là, ce sont les fruits de nos efforts. On utilise beaucoup... on fait des formations auprès des personnes qui font les études médicales... En tout cas, les études qui devraient avoir un segment de la santé trans, de toute façon, de mon opinion. Mais, oui, je pense que nous, on travaille beaucoup là-dessus, puis les idées, puis les façons que les personnes trans sont accueillies dans ces logements urgence sont changées, je dirais, oui, mais avec — je ne peux pas stresser trop — beaucoup, beaucoup de travail là-dessus de ma part, oui.

M. Suerich-Gulick (Frank) : Je pense que ce qu'on observe, c'est : Dans le passé, il fallait frapper sur la porte juste pour commencer une conversation, alors que maintenant on reçoit des requêtes de venir parler à différentes institutions. Et puis, parfois même, ça peut être un centre d'hébergement qui dit : En ce moment, on ne se sent pas habilités à recevoir des femmes trans, mais on veut commencer une réflexion; est-ce que vous pouvez commencer cette réflexion avec nous? Donc, il y a encore de l'éducation nécessaire, mais il y a une bien plus grande ouverture à faire ce processus d'apprentissage.

M. Lisée : On va entendre, cet après-midi, un groupe, PDF Québec, qui est très critique du règlement, et même, en fait, de la modification au Code civil en disant : Bien, écoutez, en particulier pour les hommes trans qui, donc, deviennent des femmes et qui sont inclus dans des endroits qui sont genrés et réservés aux femmes, on considère que ça pose un problème.

Est-ce que vous, vous voyez ça en particulier, dans l'insertion d'hommes devenus femmes qui veulent être dans des centres de traitement, des centres de réfugiés ou même des centres de femmes violentées?

M. Suerich-Gulick (Frank) : Bien, je pense que... Oui?

Mme Rioux (Sara-Marine) : Excuse-moi. Je peux répondre. Moi, justement, comme je l'ai dit plus tôt, quand je suis arrivée ici, j'ai subi une situation d'être sans-abri, puis, grâce à l'aide de ASTTEQ, j'ai passé cinq jours à L'Exode, qui est un endroit de... bien, il y a une section pour femmes, une section pour hommes, mais on m'a acceptée dans la section pour femmes. Ensuite, j'ai pu aller enfin au Pavillon Patricia Mackenzie, où on m'a acceptée, la première nuit, dans la salle à manger, comme tous les accueils de nuit. Ensuite, j'ai rencontré une intervenante qui a fait mon évaluation puis qui m'a acceptée dans le programme. Donc, ça démontre quand même une certaine évolution dans la perception des trans dans les maisons d'hébergement.

Du côté des hommes, je ne peux pas dire, c'est plus... Je ne sais pas comment ça fonctionne, parce que moi, quand je suis arrivée ici, j'ai passé cinq jours à La Maison du Père. Quand je suis arrivée à Montréal, je n'avais pas un sou en poche, puis on m'a mis à part, on m'a posé des questions, on m'a dit : Tu veux-tu qu'on te traite d'une certaine façon?, après mon évaluation, parce que j'ai dit : Je suis une personne trans qui est venue à Montréal pour changer de sexe. Puis là ils ont dit : Oh! tu veux-tu qu'on te traite d'une façon différente? J'ai dit : Non, non, je veux juste être traitée comme un être humain, comme un être humain puis comme n'importe quelle personne qui est acceptée ici. J'ai passé cinq jours là. Je n'ai pas eu de problème non plus de ce côté-là.

Pour ce qui est de l'évolution de l'acceptation de trans hommes, qui veulent devenir des hommes, ça, je ne le sais pas, comment ça fonctionne, dans un centre d'hébergement pour hommes, mais je sais que, les centres d'hébergement pour femmes, il y avait même un deuxième qui aurait été prêt à m'accepter, mais il était plein. Donc, il y a quand même une certaine évolution, c'est très bien. Plus qu'il y a du... plus que le monde en parle, bien, plus que les inconnues s'effacent, donc plus ça évolue puis plus ça avance.

Une voix : Et... oui?

M. Suerich-Gulick (Frank) : Je voudrais juste souligner qu'on parle de Patricia Mackenzie parce que c'est de nos histoires à succès, mais, puisque, comme les médecins... Souvent, les centres d'hébergement sont pleins. Le fait qu'on ait juste une ressource où qu'il y a une ouverture, on a souvent eu des situations où quelqu'un arrivait, puis il n'y avait aucun endroit où cette personne pouvait rester. Et puis on sait aussi que c'est... tu sais, chaque fois qu'on envoie quelqu'un à Patricia Mackenzie, on essaie de mieux préparer le terrain, possiblement, parce qu'on sait que c'est la seule option, alors qu'il y a beaucoup d'autres centres qui vont dire : Non, on accepte seulement si elle a les cartes d'identité, si elle a eu la chirurgie. Donc, c'est un gros travail puis c'est une des situations les plus stressantes pour nous, à ASTTEQ, quand il y a quelqu'un qui arrive, qui dit : Je n'ai aucun endroit où dormir ce soir. Parce que ça brise le coeur de dire : Je ne suis pas sûre si tu vas dormir dans la rue ce soir, en tant que personne... une femme trans visible, qui est beaucoup plus à risque de vivre des violences dans la rue.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : La dernière minute d'échange.

• (12 h 50) •

M. Lisée : O.K. Sur les centres de détention, vous indiquez que, dans les centres québécois comme fédéraux, jusqu'en novembre 2010, il était possible de continuer un processus de chirurgie de réassignation sexuelle, mais que, dans les centres fédéraux, depuis novembre 2010, c'est interdit. Pourquoi?

M. Suerich-Gulick (Frank) : Je vais passer à...

M. Hébert (William Billy) : Bien, je pense que c'est une question bureaucratique et une question de couverture des soins offerts. Les personnes qui se ramassent dans des centres de détention devraient, dans certains cas, avoir accès à continuer la transition si elle a déjà été entamée. Par contre, ce n'est pas tous les médecins traitants, dans les institutions correctionnelles, qui ont la capacité de faire le suivi de ces personnes-là. Et donc, souvent, les gens n'ont plus accès à leurs hormones, ne peuvent pas continuer à prendre leurs hormones ou y accéder une fois qu'elles sont en détention. Donc, je pense que la question, c'est qu'il n'y a pas de professionnels comme à l'extérieur, à l'intérieur des institutions correctionnelles, qui sont en mesure de faire le suivi nécessaire.

Je pense à une personne qui était en détention dans une région éloignée, et c'est une professionnelle de Montréal qui, bénévolement — une psychologue — est allée jusqu'à cet endroit-là, qui était à comme 12 heures de route, pour aller rencontrer la personne et lui permettre de commencer ses traitements hormonaux. Donc, je pense que le manque de professionnels sensibilisés est flagrant partout au Québec.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète le temps disponible. Mme la députée de Montarville, à vous la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Merci à vous tous. D'abord, j'aimerais vous remercier pour votre témoignage, vos témoignages personnels, qui sont très touchants, qui sont vraiment votre senti, votre vécu. Et ça, je pense que ça prend beaucoup de courage pour venir ici nous raconter ce que vous avez vécu.

Vous nous parliez tout à l'heure... vous nous disiez d'entrée de jeu : On est ici pour contrer le fait... Si vous êtes inconfortables ou si vous avez peur, ne vous inquiétez pas, personne ici n'est inconfortable ou n'a peur.

Petite tranche de vie : personnellement, à une certaine époque, lorsque j'étais avocate de la défense, j'ai eu à représenter un client trans qui avait l'apparence d'une splendide femme, magnifique femme, et qui a dû se ramasser dans la prison pour hommes toute la nuit. Alors, ce qu'elle m'a raconté, c'est d'une grande tristesse. Et, la problématique, on la comprend très, très bien, et on est ici justement pour discuter de ce règlement qui nous impose des modalités pour pouvoir obtenir le changement de genre plus facilement au bureau de l'état civil.

Alors, c'est de ça que je vais vous parler, parce qu'on fait avancer le droit, le droit a avancé, il a avancé d'ailleurs dans le reste du Canada. La ministre nous a généreusement fourni un tableau comparatif, et on peut voir que, dans différentes provinces du Canada, ça a avancé, on peut modifier plus facilement les registres de l'état civil. Mais on émet certaines modalités d'application dans le règlement.

À comprendre ce que vous nous dites, vos témoignages et les groupes qu'on a entendus avant, la communauté aimerait pouvoir faire ce changement de genre de l'état civil sur une simple déclaration solennelle d'un ressenti de genre, sans autre formalité, du moins sans les formalités qui sont édictées dans le règlement qui nous préoccupe. Alors, moi, je me demande... On a évolué au Canada, le Québec est en train d'évoluer aussi à cet égard-là, de faire du droit nouveau. Pourquoi est-ce que le Québec devrait être la seule province où il n'y aurait aucune modalité?

M. Hébert (William Billy) : Bien, en fait, en Ontario, présentement, les deux modalités sont : déclaration solennelle, remplir des documents légaux, les frais d'administration et avoir le soutien, avec une lettre, d'un professionnel de la santé ou de la santé mentale, qui soutient.

Je pense, comme les intervenants précédents l'ont mentionné : L'accès à des professionnels sensibilisés, éduqués et prêts à faire ce genre de soutien là est non seulement difficile d'accès, mais aussi très souvent coûteux. Donc, c'est la raison pour laquelle, en tant que représentants d'un organisme qui travaille avec les personnes les plus pauvres, les plus vulnérables, on pense que cette condition-là peut mettre en péril la demande de personnes qui sont les plus vulnérables, en fait. Donc, c'est pourquoi la déclaration solennelle devrait être suffisante, selon nous.

C'est sûr qu'en Ontario ces deux conditions-là c'est déjà une très grande avancée au plan national, et je pense qu'on doit s'en inspirer, mais on n'est pas nécessairement aussi obligés de faire les deux mêmes conditions. Je pense qu'une seule de ces conditions devrait être suffisante.

Mme Roy (Montarville) : Alors, dans la foulée, je prends la balle au bond, dans la foulée... Puisqu'on est ici à étudier un règlement, puis il faut trouver une façon de l'améliorer et que toute la population se sente protégée, et vous au premier chef — et le reste de la population parce qu'on légifère pour l'ensemble de la population — à quel égard vous seriez prêts à faire une concession ou à accepter une portion ou une partie? Est-ce que ça serait au niveau, par exemple, du spécialiste de la santé, s'il y avait des aménagements particuliers pour aider l'accessibilité aux spécialistes? Là, quand je dis «santé», là, c'est large, là.

M. Hébert (William Billy) : ...financement plus grand pour les organismes, je vais vous soutenir là-dedans, c'est sûr.

Mme Roy (Montarville) : Mais ma question est : À quel type de compromis seriez-vous prêts à accepter, puis dans quelle mesure? Et, lorsqu'on parle du spécialiste de la santé, je ne veux pas non plus médicaliser la chose, je considère qu'un sexologue n'est pas un médecin, il pourrait peut-être être une personne-ressource qui serait intéressante. Parce que vous avez tous dit que vous avez, à certains égards, consulté ou pris de l'information auprès de personnes plus spécialisées. Alors, dans quelle mesure ça pourrait être quelque chose d'intéressant?

M. Suerich-Gulick (Frank) : Bien, moi, je pense que...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : En une minute.

M. Suerich-Gulick (Frank) : O.K., le compromis, moi, je trouve que c'est nécessaire, souvent. Donc, je pense que c'est bien de dire : C'est ça, notre idéal, puis de dire : Ça, c'est un compromis avec lequel on peut vivre. Je pense que moi, j'aimais bien l'idée de rendre plus flexible cette personne, peut-être, plus officielle qui pourrait corroborer. Moi, je pense que ça serait intéressant de donner une légitimité aux groupes qui font du soutien pour les personnes trans depuis plusieurs années. Quand on prend un poste dans ces organismes-là, on démontre qu'on a un long passé dans la communauté, et puis je pense que ça serait possible d'établir un... Je ne pense pas qu'on veut devenir des «gate keepers» non plus, mais je pense qu'on connaît les personnes trans, et puis peut-être que ça pourrait être une alternative, de désigner des personnes qui n'ont pas des diplômes de travail social, mais qui ont un long historique dans la communauté puis qui connaissent les réalités des personnes trans.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échange. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, la parole est à vous.

Mme Massé : Vous savez, j'ai très peu de temps. Alors, est-ce que, si cette personne-là en fait, c'était un témoin, ce que j'ai posé à Mme Greenbaum, qui pourrait être vous, les groupes spécialisés, mais qui pourrait, peut-être à Sept-Îles ou un jour, être aussi quelqu'un d'autre, un tiers, mais qui n'est pas nécessairement un professionnel de la santé, est-ce que ça aussi serait quelque chose qui pourrait être acceptable?

M. Suerich-Gulick (Frank) : William m'a dit : Fais attention de faire des suggestions.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Suerich-Gulick (Frank) : Honnêtement, je pense que... Tu sais, parce que, si des gens le prennent, ça peut... Je pense que ça serait quelque chose à examiner comme possibilité, mais qu'il faudrait consulter.

Mme Massé : Ça serait le fun que tu fasses de la politique. Ça va bien.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Massé : Vous avez d'entrée de jeu dit : Vous avez des peurs. Ma collègue dit : Regardez, ici, autour de la table, ce n'est pas le cas. Regardez dans l'Assemblée nationale et partout au Québec : c'est le cas. Je pense qu'une des peurs qui est nommée, puis mon collègue de Rosemont a commencé à l'aborder, c'est toute la question de traverser les frontières : Je suis-tu un vrai gars, une vraie fille? Puis à quel point je suis vrai puis je ne suis pas vrai?, etc. Je pense que ce besoin d'avoir des cadres, ils sont bien sûr pour faciliter l'état civil et tout ça, mais, entre autres, je pense qu'une des peurs c'est que la personne change d'idée, ou qu'on fait ça un peu à la légère, ou bien il va le faire, mais il va changer, ou bien il le fait par malveillance. Aidez-moi à déconstruire cette peur.

M. Suerich-Gulick (Frank) : Bien, comme on a dit dans le mémoire qu'on a déposé, nous, notre expérience, c'est que le... Oui, il y a certaines personnes qui peut-être vont faire une transition, vont aller faire plusieurs étapes de la transition sociale, légale, médicale et puis qui peut, à un moment donné, dire : Ah! en fait, cette identité, moi, je dirais, plus commune, peut-être cette identité plus binaire ne correspond pas à 100 % à mon identité, peut-être que je me sens plus au milieu ou... Je pense que les personnes qui regrettent ce changement ou qui vont changer, c'est très rare, de notre observation. Et puis on considère aussi que ce n'est pas une catastrophe. Ce n'est pas mauvais. Ça ne rend pas légitime leur identité. C'est plutôt... Ça fait partie aussi de notre vécu, on change à plein de niveaux au courant de notre vie, puis, à ce moment-ci, ça peut être, pour plusieurs années, vraiment important et nécessaire pour moi, et je peux être plus confortable à vivre avec telle identité. Puis peut-être ça pourrait changer dans le futur. Puis ça n'invalide pas cette expérience que j'avais au moment où j'ai dit : J'ai vraiment besoin d'être reconnu et de vivre comme un homme à ce moment-ci. Puis je suis prêt à faire toutes les procédures. Je ne sais pas si ça répond.

Mme Massé : Donc, ce n'est pas grave, c'est ça que vous dites. Ce n'est pas grave.

M. Suerich-Gulick (Frank) : Moi, je pense que ce n'est pas grave. Puis je comprends que ça fait peur aux gens, mais on a tous des peurs qu'on doit confronter.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète la période d'échange. Alors, au nom des membres de la Commission des institutions, je vous remercie infiniment de vous être déplacés et d'avoir partagé votre point de vue, votre regard sur cette délicate mais très importante question.

Pour le bénéfice de ceux qui nous suivent à distance, le document que vous avez produit sera déposé sur le site de la commission dans le cadre de nos travaux, donc il pourra y avoir une certaine diffusion. Alors, merci pour tout ça.

Et, compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures. On peut laisser nos choses ici.

(Suspension de la séance à 13 heures)

(Reprise à 15 h 8)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Oui, prenez place, s'il vous plaît! Alors, merci à tous. On voit que les collègues sont occupés à beaucoup d'autres fonctions en même temps, alors on est désolés. On est désolés.

Merci d'être là, merci à tous, on reprend nos travaux. Bienvenue aux personnes qui se déplacent cet après-midi pour venir participer à nos travaux. Nous reprenons le mandat de la commission, qui est de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres.

Nous recevons cet après-midi Me Jean-Sébastien Sauvé, spécialisé en droit des personnes trans. Merci d'être avec nous, Me Sauvé. Vous disposez de 10 minutes pour faire votre présentation. Il y aura ensuite un échange avec les parlementaires. Ceci dit, il est fort possible que les cloches appellent les députés à voter dans quelques minutes, auquel cas je devrai vous interrompre. À vous la parole.

M. Jean-Sébastien Sauvé

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Il n'y a pas de problème. Merci beaucoup, M. le Président. J'aimerais d'abord et avant tout remercier la Commission des institutions de m'avoir invité à participer à ces travaux. Sachez que c'est pour moi un vif plaisir d'être ici aujourd'hui, parce qu'au-delà du sentiment de participer à l'avancement du Québec, M. le Président, le sujet sur lequel se penche aujourd'hui la Commission des institutions fait directement appel aux travaux de recherche que je mène dans le cadre de la thèse de doctorat que je prépare.

Alors, les recherches doctorales que je mène, M. le Président, portent sur la catégorisation du sexe aux fins de l'état civil québécois. J'étudie, en d'autres termes, le régime juridique en vertu duquel une personne est légalement identifiée comme un homme ou comme une femme. J'ai eu la chance hier, M. le Président, d'écouter les travaux de la commission, où j'ai notamment pu déceler un brin de confusion quant à certaines notions qui étaient abordées, notamment le sexe et la mention du sexe. On va pouvoir y revenir dans la période de discussion. Mais, vous savez, M. le Président, ce qui m'a le plus marqué, c'est la volonté d'arrimer l'enjeu de la stabilité de l'état civil, qui est un principe qui découle de certains articles du Code civil, qui est une loi ordinaire, aux libertés et droits fondamentaux qui sont des normes quasi constitutionnelles et constitutionnelles.

• (15 h 10) •

La question amène certains maux de tête, M. le Président, et, d'une certaine façon, je peux comprendre. Et je pense que cette difficulté s'explique par le refus, volontaire ou non, dis-je bien, de poser une autre question, qui est celle de savoir si la mention de sexe est encore nécessaire, utile ou pertinente, aujourd'hui, aux fins de l'état civil. Quel rôle fait-on jouer à la mention de sexe et quel rôle veut-on y faire jouer? Et j'aimerais ici appeler à la prudence. Je ne parle pas des statistiques ou des mesures de discrimination positive, je parle encore moins du sexe comme motif de distinction illicite; je parle de la mention du sexe aux fins de l'état civil, donc la lettre qui apparaît sur nos documents d'identité. Tant et aussi longtemps qu'on ne remettra pas en question la mention du sexe, eh bien, je fais la prédiction que l'arrimage de la stabilité de l'état civil aux libertés et droits fondamentaux, bien, va demeurer un exercice difficile.

Le sujet, M. le Président, est passionnant, et j'ai choisi d'y consacrer une thèse, mais aujourd'hui le temps est compté, et, plutôt que de vous parler de la thèse et des conclusions auxquelles j'arrive, je vais revenir brièvement sur deux éléments que j'ai abordés dans le cadre de la lettre que j'ai fait parvenir à la commission.

Le premier de ces éléments, c'est qu'il y a tout lieu de croire que les conditions qui sont proposées dans le projet de règlement vont à l'encontre du droit à l'égalité, énoncé tant dans la charte québécoise que dans la charte canadienne. Et le deuxième point, M. le Président, sur lequel j'aimerais revenir, c'est qu'une seule condition devrait régir la possibilité d'obtenir le changement de la mention du sexe, et cette condition, c'est la suivante, c'est : que les personnes trans déclarent sous serment que la mention de sexe qui est demandée répond le mieux à leur identité de genre, à leur situation.

Alors, de façon aussi brève que possible, M. le Président, je vais commencer par le premier des éléments que je viens tout juste d'énoncer, qui est celui qu'il y a tout lieu de croire que les conditions proposées dans le projet de règlement vont à l'encontre du droit à l'égalité énoncé tant dans la charte québécoise que dans la charte canadienne. C'est, je pense, ce qui frappe le plus quand on prend connaissance du projet de règlement tel qu'il a été soumis. Et ça s'explique par la différence de traitement qui serait imposée lorsqu'il est question, pour une personne, d'obtenir des documents d'identité qui reflètent leur situation, des documents d'identité qui présentent une mention de sexe qui répond à leur identité de genre ou, si vous préférez le terme, à leur identité sexuelle.

Alors, dans la lettre que je vous ai fait parvenir, M. le Président, j'ai mis en lumière le fait que, pour obtenir un certificat de naissance présentant une mention de sexe conforme à son identité de genre, la personne trans se verrait obligée de respecter les conditions proposées par règlement et elle se verrait par le fait même imposer un fardeau beaucoup plus lourd sur ses épaules que celui que l'on met sur les épaules des personnes cisgenres, les personnes qui ne sont pas trans.

Alors, une telle situation, M. le Président, à mon avis, contrevient au droit à l'égalité, et, dans la lettre que je vous ai fait parvenir, je donne de plus amples explications sur le sujet. Mais, si vous me permettez, sur ce premier point, je vais réserver mes commentaires ultérieurs à la période de discussion, puisque je veux passer rapidement au deuxième élément de la lettre que je vous ai fait parvenir, M. le Président, qui est le suivant : C'est qu'une seule condition devrait régir la possibilité d'obtenir un changement de la mention du sexe. Et cette condition, c'est que les personnes trans déclarent, sous serment, que la mention de sexe demandée répond le mieux à leur identité de genre.

Cette condition, je pense, M. le Président, permettrait de prendre au sérieux le principe de stabilité de l'état civil tout en respectant les libertés et les droits fondamentaux des personnes trans. Elle permettrait aussi d'éviter les écueils posés par l'ambiguïté de l'apparence du sexe : Qu'est-ce qui est masculin, qu'est-ce qui est féminin? Et comment faire pour déterminer ce qui est masculin ou féminin, considérant que les hommes peuvent être féminins et les femmes masculines, surtout dans un contexte où, faut-il le rappeler, les conditions pour obtenir le changement de prénom et le changement de mention de sexe ne peuvent en aucun cas être subordonnées à l'exigence que la personne ait subi quelque traitement médical ou intervention chirurgicale que ce soit, selon la loi qui a été adoptée le 6 décembre 2013?

Alors, ceci étant dit, M. le Président, au-delà des quelques remarques préliminaires que je formule, il y a encore beaucoup à dire. Je vous dirais même qu'il y a une thèse à écrire, et d'ailleurs je dois la terminer cette année, je l'espère. Mais je ne dois pas omettre aujourd'hui de souligner, M. le Président, que, même après l'éventuelle mise en vigueur du projet de règlement... qui, je l'espère, amendé, bien évidemment... et la mise en vigueur de la possibilité d'obtenir le changement de mention de sexe sans subir quelque traitement médical ou intervention chirurgicale que ce soit, eh bien, le changement de mention de sexe doit rester, pour plusieurs personnes, inaccessible. Je pense ici à celles et ceux qui ne se retrouvent pas dans le parcours identitaire et transitoire qui est mis de l'avant par le législateur, ne serait-ce que les personnes trans mineures, au même titre que celles qui ne sont pas citoyennes canadiennes, pour ne nommer que celles-ci. Et je dis : Pour ne nommer que celles-ci parce qu'il y en a d'autres, bien évidemment. Alors, pour elles, M. le Président, la procédure de changement de mention de sexe va continuer de se présenter comme un obstacle, et on pourra encore questionner la conformité de cette procédure aux chartes tant québécoise que canadienne.

En outre, M. le Président, je vais dévier un instant, et un bref instant, du sujet sur lequel on se penche aujourd'hui, mais tôt ou tard on va devoir se pencher sur les mutilations que subissent encore les enfants intersexes dans nos hôpitaux au Québec. Et, par personnes intersexes, par enfants intersexes, je pense à ceux qui naissent avec des caractères sexuels qui sont perçus comme ambigus, selon les standards médicalement acceptés et appliqués notamment au Québec, c'est-à-dire avec des caractères sexuels que l'accoucheur ne peut interpréter comme pouvant se rattacher à la catégorie mâle-masculin ou femelle-féminin.

Tout ça fait dire, M. le Président, que l'on a encore beaucoup de pain sur la planche. Mais il faut agir, M. le Président, et il faut agir, et vite, parce qu'il y a des personnes qui souffrent en ce moment. Et, si je peux me permettre, M. le Président, j'ai pu noter hier la sensibilité dont a fait preuve la Commission des institutions face aux témoignages qui ont été entendus.

Je pense qu'on peut dire, M. le Président, que le processus de transition, c'est un parcours qui comprend de nombreuses épreuves difficiles, et c'est le moins que l'on puisse dire. On a fait hier, je crois, référence à la boue, aux barbelés, à un détecteur de métal, à une course à obstacles où c'est la vie des personnes qui est en jeu, pas seulement une mention qui apparaît sur des documents d'identité.

Et pourtant, M. le Président, face à ces témoignages, face à ces appels à l'aide, on continue de se demander s'il est possible qu'une personne puisse envisager une transition en vue de frauder, en vue de tromper. Honnêtement, M. le Président, je ne pense pas que ce soit une option envisageable pour une personne qui est animée par des mauvaises volontés. La crainte, elle est théorique, elle n'est aucunement pratique.

Aussi, M. le Président, on a semblé faire référence hier à une autre crainte, soit celle des changements de la mention de sexe, multiples, qui pourraient porter atteinte au principe, et je dis bien au principe de la stabilité de l'état civil. Mettre sur un pied d'égalité un principe qui découle d'une loi ordinaire aux libertés et droits fondamentaux, qui sont des normes quasi constitutionnelles et constitutionnelles, M. le Président, je pense que vous voyez comme moi le problème juridique qui se présente à nous.

Mais, au-delà de la pyramide de la hiérarchie des normes de Hans Kelsen et au-delà de cette pyramide qui est mise en place dans nos tribunaux, eh bien, la situation, M. le Président, des changements multiples est tellement rare qu'il serait injuste, et je dis bien injuste, de pénaliser toutes les personnes trans pour cette crainte de changements multiples, surtout dans un contexte où, faut-il l'avouer, M. le Président, la nécessité, l'utilité et la pertinence de la mention de sexe sur les documents d'identité, elle est loin de se présenter comme une évidence aujourd'hui.

Vous savez, M. le Président, hier, j'ai entendu une belle analogie avec le mariage et le divorce, qui entraînent eux aussi des modifications à l'état civil. Et, contrairement à la mention de sexe, M. le Président, le mariage et le divorce ont des impacts sur les droits et obligations des conjoints ou des ex-conjoints, de même que sur les droits et les obligations des tiers.

Lorsqu'on fait la comparaison avec la mention de sexe, qui n'a aucun impact — et il faut vraiment le reconnaître — sur les droits et obligations des personnes ou des tiers, l'analogie se présente quand même comme intéressante; sauf, M. le Président, qu'il faut reconnaître une chose : il y a énormément plus de mariages qui se soldent par un divorce que de personnes trans qui vont faire plus d'une demande de changement de mention de sexe dans leur vie. Et c'est tellement rare, M. le Président, ça fait six ans que je me penche sur la procédure de changement de mention de sexe, jamais je n'ai entendu un cas où ça s'est passé au Québec.

On a fait référence à certaines histoires où, peut-être, c'était fait, mais qu'une personne fasse le processus de transition au complet et décide de faire un changement de mention de sexe plus d'une fois dans sa vie, jamais, à ma connaissance, ça s'est présenté au Québec. Si vous avez un cas, merci de me le faire parvenir, je vais pouvoir bonifier ma thèse.

Alors, voilà, je pense, M. le Président, que ça fait le tour des remarques préliminaires que je souhaitais faire devant cette commission. Je vous remercie de m'avoir écouté, M. le Président, et je demeure évidemment disponible pour répondre à vos questions, écouter vos commentaires et peut-être prendre en notes vos suggestions. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Vous avez remarquablement bien respecté le temps qui vous était imparti. Mme la ministre, à vous la parole pour un premier bloc d'échange.

• (15 h 20) •

Mme Vallée : Merci. Alors, Me Sauvé, merci de votre présentation, merci aussi de votre mémoire, qui est on ne peut plus clair. On a eu la chance dans le passé d'échanger sur la question. Donc, si je vous comprends bien... Parce que, dans le fond, l'objectif de l'exercice aujourd'hui, c'est vraiment de se pencher sur le règlement; beaucoup d'autres enjeux qui planent et qui restent à être, peut-être, travaillés, mais, aujourd'hui, on est vraiment sur la question du texte qui est proposé, le projet de règlement...

Et, si je comprends bien... Bon, on a déjà eu des échanges avec la commission des droits de la personne et de la jeunesse, et, là-dessus, il y a des éléments qui ont été portés à notre attention. Je pense qu'on a clairement indiqué l'intention, là, de revoir le libellé. Donc, si je comprends bien, votre recommandation quant au texte, c'est vraiment de ramener à sa plus simple expression l'exigence que le demandeur ou la demanderesse devrait rencontrer pour pouvoir obtenir le changement auprès du Directeur de l'état civil.

Lors de nos échanges, bon, plusieurs groupes nous ont sensibilisés à la difficulté que pouvait comporter l'exigence d'une corroboration par un membre d'un ordre professionnel, de la préoccupation que ça soulevait quant à la médicalisation de tout ça, du processus, quant à l'absence de professionnels sensibles à la question et aux questions qui touchent directement les personnes trans; c'est une chose.

On a fait l'analogie par contre du formalisme de la demande de modification au registre de l'état civil, qui pouvait s'apparenter aussi, par exemple, à une demande de passeport. Puisque le document devient un document officiel de l'État, il y a quand même un certain formalisme qui est acceptable, qui serait acceptable. La commission des droits de la personne et de la jeunesse a reconnu aussi cette nécessité d'assurer une stabilité des actes de l'état civil. Alors, si je comprends bien, vous, pour vous, même la corroboration par un tiers... on met de côté l'obligation d'un ordre professionnel, là, que le tiers soit membre d'un ordre professionnel... mais la corroboration, même par un tiers, serait un élément... un obstacle?

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Ça dépend de qui on parle. C'est sûr et certain que, pour certaines personnes, ils vont pouvoir garder dans leur entourage des gens qui sont des alliés, des gens qui décident de ne pas les laisser tomber quand ils font leur demande de changement de mention de sexe, quand elles s'engagent dans un processus de transition. Mais, vous savez, M. le Président, les histoires qui sont les plus communes, ce ne sont pas ces histoires-là. Ce sont des histoires de personnes qui perdent leurs amis, qui perdent des liens familiaux, qui perdent beaucoup, dans une demande de changement de mention de sexe, dans un processus de transition, je devrais plutôt dire.

Donc, la condition de corroboration par un tiers, peut-être qu'elle va fonctionner pour quelques personnes ou pour une majorité de personnes, mais je ne pense pas que ça va fonctionner pour tout le monde. Et la préoccupation que j'ai, M. le Président, c'est de savoir : Mais, pour ces personnes-là, qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce qu'on fait? Parce qu'elles ont des droits, ces personnes-là aussi, elles ont des droits et libertés. Et c'est des questions qui sont difficiles. Je ne suis pas certain. Et je n'ai pas fait l'analyse juridique complète quant à savoir qu'est-ce que c'est... D'un point de vue juridique, est-ce qu'on pourrait dire que ça va à l'encontre des libertés et des droits fondamentaux? Mais mon hypothèse, M. le Président, c'est que ça pourrait, dans certaines situations, aller jusque-là.

Maintenant, est-ce que, dans toutes les situations que ça va se présenter, comment est-ce que ça va être mis de l'avant? Qu'est-ce qui va être demandé de formuler? Ça, c'est une autre histoire. Ce qui me préoccupe aussi, M. le Président, et je tiens à le mentionner, c'est... et je vais essayer de le... c'est difficile à dire d'une façon... Je vais y aller clairement : c'est l'espèce de présomption de mauvaise foi qui semble se dégager à l'égard des personnes trans. Et je ne dis pas, et je ne dis pas, M. le Président, que Mme la ministre de la Justice est de mauvaise foi, là. Ce n'est pas ça du tout que je dis.

Mme Vallée : Non, non, mais on va... Je vais prendre... Là-dessus, là, vous allez me permettre... La présomption de mauvaise foi, je pense que... je pense qu'on a été...

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Non...

Mme Vallée : Bien oui.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Oui.

Mme Vallée : Vous allez me permettre de rectifier le tir, là. Il n'y a pas de mauvaise foi là-dedans, là, c'est un projet de règlement qui est soumis pour approbation, puis, je pense, s'il y a quelqu'un autour de la table qui a fait preuve d'ouverture, là, c'est celle que vous laissez... dont vous laissez sous-entendre la mauvaise foi, là.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Non, non. Je...

Mme Vallée : Alors là, à un moment donné, je vais en prendre, mais...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je pense que... En tout cas, je ne veux pas intervenir dans un débat, mais j'avais compris de la remarque du témoin qu'il ne visait pas la ministre, que c'était une perception généralisée qui pouvait sous-tendre l'exigence. C'est comme ça que j'ai entendu la remarque.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Oui. Il y a plusieurs des personnes trans qui disent : Mais pourquoi est-ce que ma voix, pourquoi est-ce que ma déclaration à moi, elle n'est pas suffisante? Pourquoi est-ce que je dois aller demander à un tiers de confirmer que je suis légitime de faire cette demande de changement de mention de sexe alors que c'est quelque chose qui touche mon identité profonde? C'est dans ce sens-là. Et ce que je faisais référence, Mme la ministre — je suis vraiment désolé de voir ce que ça a causé, parce que ce n'était vraiment pas ça que je voulais dire — c'est que, de façon générale, il y a une crainte qui semble se dégager par rapport aux personnes trans. Peut-être que cette crainte, ce n'est pas celle que vous avez, et je ne prétends pas que vous avez une crainte par rapport à ça. Mais c'est quelque chose qu'on ressent quand on regarde la jurisprudence, quand on regarde la doctrine, c'est quelque chose qui se dégage.

Et c'est quelque chose qui, à mon avis, est malheureux, parce que les personnes trans qui font cette demande-là, bien elles sont vraies, elles sont légitimes de faire leur demande. Et on parle de leur identité, qui est quelque chose de très profond, qui est très ancré en soi, quelque chose qu'on ne peut pas demander à un tiers de venir confirmer. On peut à la limite demander au tiers de confirmer que la personne a fait la déclaration, que sa demande de changement de mention de sexe, elle était nécessaire, mais, encore une fois, M. le Président, c'est quand même se poser beaucoup de questions pour quelque chose qui... On peut douter de la nécessité, de l'utilité et de la pertinence de la mention de sexe. C'est dans ce sens-là que je l'avançais, M. le Président.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Oui. En fait, je pense que vous avez peut-être manqué l'introduction, hier, et les remarques préliminaires. Là où on en est, c'est d'arriver à trouver l'équilibre entre la stabilité des actes de l'état civil et le respect du droit des personnes trans de pouvoir procéder à ces changements-là sans trop de problématiques puis sans trop d'obstacles. Et c'est important pour les gens qui nous écoutent, c'est important de réitérer que l'objectif et le pourquoi de la mise en place d'un certain nombre de critères, c'était pour s'assurer... puis ce n'est pas tant envers les personnes trans, mais simplement que l'utilisation de la démarche ne puisse pas servir à d'autres fins. Donc, assurer le sérieux de la démarche, au même titre que lorsqu'on procède à un changement de nom, parce qu'on vient modifier le registre de l'état civil, qui est un acte officiel, qui est un document qui émane de l'État.

Bien, lorsqu'on fait une demande de changement de nom, même si... Si moi, là, Stéphanie Vallée, je décide demain matin que je souhaite prendre ou utiliser un autre nom, bien il va y avoir un processus formel. Pourquoi? Pour éviter de jouer avec des registres officiels. C'est cette préoccupation-là, au même titre que... Et le député de Rosemont a fait un parallèle bien correct, hier, en utilisant la demande... Le processus de demande de passeport est associé à un formalisme. Pourquoi? Parce que le passeport est un document officiel qui émane de l'État et qui requiert d'être soutenu par des documents officiels, par un certain formalisme, alors c'est cette stabilité-là que nous recherchons.

Maintenant, est-ce que, dans ce souci de maintenir un formalisme, le règlement proposé ajoute à la difficulté, crée des obstacles? Je pense que c'est assez unanime : on convient qu'il y a lieu de modifier puis il y a lieu d'apporter des amendements, puis on va faire un travail ensemble, tout le monde, et on va y réfléchir. Mais, de là à prétendre qu'il y a une présomption de mauvaise foi à l'égard des personnes trans, ce n'est pas du tout la question. Et je n'ai pas senti autour de la table, de la part des collègues, de la part des intervenants, aucune manifestation de cette présomption-là, au contraire.

Mais la préoccupation est à l'effet que quelqu'un, une personne qui n'est pas une personne trans, qui ne vit pas cette réalité-là se serve de cet outil-là à un dessein qui est tout à fait autre. Et ça, il faut éviter aussi. Puis on comprend très bien... Et je suis très, très, très sensible aux difficultés et aux obstacles que rencontrent les personnes trans, et on va tenter ensemble de trouver une façon de permettre ces modifications-là au registre de l'état civil, qui vont pouvoir respecter les personnes trans puis assurer cette stabilité-là. Mais il va y avoir des conditions, puisqu'on ne peut pas, malheureusement, jouer avec les registres de l'état civil au bon vouloir, et ce n'est pas tant face aux personnes trans que face à quelqu'un qui, pour de mauvaises raisons, voudrait effectuer un changement de la mention de sexe accompagné d'un changement de nom ou vice et versa. Alors, il y a un formalisme qui est nécessaire lorsqu'on vient modifier les registres de l'état civil, et c'est ça qui nous préoccupe, c'est d'assurer qu'on ne va pas, à un dessein qui est complètement différent, utiliser cette procédure-là. Et ça n'est pas destiné aux personnes trans. En fait, la préoccupation, parce que la personne trans qui va passer à travers le processus, cette personne le fait pour les bonnes raisons, et c'est pour elle, dans le fond, que le processus est fait. Mais, malheureusement, le monde étant fait comme il est, il y a des gens qui utilisent des processus légitimes pour des fins illégitimes. Et c'est à ces gens-là qu'on veut bloquer le processus, pas aux personnes trans.

Alors, là-dessus, là, je veux que ce soit bien clair, parce que... Et je sens, autour de cette table, une très grande ouverture, une très grande sensibilité aussi de la part des collègues puis des membres de cette commission, alors...

• (15 h 30) •

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Bien, Mme la ministre, je prends bonne note des commentaires que vous venez tout juste de formuler. La première des choses que je dis à Mme la ministre, parce qu'effectivement je note cette volonté d'arrimer la stabilité de l'état civil avec...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Malheureusement, on est obligés... On a dépassé le temps qui est alloué pour le premier bloc. On pourrait revenir. Je ne veux pas vous... J'essayais de... Je pense qu'on a fait... Le message de la ministre m'apparaissait très clair, je pense qu'on va céder la parole à Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve. Merci.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Merci, M. le Président. Bonjour. Je vais reprendre vos mots, j'espère je vais bien les réinterpréter, mais vous me corrigerez parce que, dans le fond, ce que je veux, c'est que vous alliez un petit peu plus loin. Vous avez dit : Les principes du code, c'est aussi en fonction de la stabilité versus les droits fondamentaux. Je fais une petite phrase courte, là, parce que, dans le fond, je veux que vous m'en fassiez une longue. Mais, versus ce que nous a dit la Commission des droits de la personne, j'aimerais ça que vous... La ministre nous parle souvent de la stabilité de l'état civil, la stabilité. Moi, ce que j'en comprends, selon des statistiques, on me dit qu'il y en a eu 68 l'an passé, changements de sexe. Ce n'est pas... Ça ne crée pas une grosse instabilité, à mon avis. Est-ce que le fait aujourd'hui de permettre... Et il n'y a pas eu de retour en arrière, c'est la même chose que nous dit l'état civil.

Alors, à partir du moment où cette reconnaissance-là d'un principe de stabilité... Moi, j'aimerais ça que vous m'expliquiez, à partir de vos recherches, jusqu'où on va quand on parle de ce principe de stabilité là?

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Mais, premièrement, M. le Président, le principe de stabilité, c'est quelque chose qui découle des articles qui régissent en soi l'état civil. Et la stabilité de l'état civil, c'est un principe, mais ce n'est pas un principe qui est incontournable, ce n'est pas un principe qu'on peut mettre au même niveau que les libertés et les droits fondamentaux; c'est un principe qui est important au niveau de l'état civil, parce qu'effectivement, M. le Président, on ne peut pas dire : On va changer tout, et tout, et tout, et tout tout le temps au niveau de l'état civil. C'est une chose.

Ce qu'il faut se rappeler, M. le Président, c'est que les changements de nom, les changements de mention de sexe, les modifications qui sont apportées à l'état civil d'une personne, bien, tous ces changements-là sont conservés au registre de l'état civil. Donc, même si une personne obtient un changement de mention de sexe, elle va pouvoir obtenir un certificat de naissance qui comprend la mention de sexe à laquelle elle s'identifie, à laquelle elle répond le mieux, sauf que le Directeur de l'état civil, dans ses documents, peut voir que telle personne, à telle date, a fait une demande de changement de mention de sexe et qu'elle a obtenu le changement de mention de sexe. Donc, le pedigree de la personne, lui, reste.

Quand on parle de la stabilité de l'état civil, ce principe-là a des limites, et l'une des limites, la plus facile à imaginer dans la société telle qu'elle est aujourd'hui, c'est lorsqu'on parle du mariage et du divorce. Le mariage, ça implique une modification de l'état civil d'une personne : on passe de célibataire à marié, et, lorsqu'on divorce, on passe de marié à célibataire. Et ça, ça entraîne une instabilité, si je peux dire, de l'état civil, qui est, à chaque fois, bien... Il y a les changements, et on suit la personne, et on est capables de savoir qu'est-ce qui en est.

Là où est-ce que c'est intéressant, M. le Président, c'est que la mention de sexe aujourd'hui, au Québec, elle n'est plus pertinente pour accéder à quelque droit que ce soit. Par exemple, l'orientation sexuelle — je vais prendre cet exemple-là — n'est pas inscrite sur les documents d'identité. On pourrait peut-être dire, M. le Président, qu'en consultant les actes de l'état civil on pourrait déceler l'orientation sexuelle, puisque, si on voit qu'une personne est mariée, par exemple, avec une personne du sexe opposé, on pourra se dire : Bien, cette personne-là est hétéro ou, à tout le moins, bi. Mais ça, ça implique des changements qui sont majeurs pour les droits et obligations tant des conjoints, ex-conjoints puis des tiers.

Quand on parle de la mention de sexe, que j'aie un M ou un F sur mes documents d'identité, j'ai le droit à l'égalité, hein? La discrimination fondée sur le sexe, elle va être interdite. Que j'aie un M sur mes documents d'identité et que j'accouche parce que j'ai pu obtenir le changement de mention de sexe sans devoir me faire stériliser, par exemple, donc en considérant que la loi serait modifiée, en fait que les modifications à la loi seraient mises en vigueur, je vais pouvoir demander mon congé de maternité, pas parce que je suis une femme, parce que j'ai accouché.

Et, ceci étant dit, M. le Président, ce qu'il faut se rappeler, c'est qu'il ne faut pas mélanger le sexe tel qu'il s'inscrit dans la charte québécoise, et je ne dis pas qu'on a atteint l'égalité entre les sexes, M. le Président, si... Ce n'est pas du tout ça. On ne peut pas comparer ça à la mention de sexe à l'État civil. Donc, quand on parle de la mention de sexe et de la stabilité, on se fait un grand... on tente d'arriver avec une image — l'image d'hier était bien — avec un détecteur de métal, d'un fil de barbelé, de la boue à un parcours, mais pour quelque chose qui au final change quoi? Quelle est la nécessité, l'utilité ou la pertinence de la mention de sexe aujourd'hui, de la mention de sexe, dis-je bien? Donc, ça devient un peu difficile, à ce moment-là.

Alors, la stabilité de l'État civil, c'est un principe, certes, mais c'est un principe aussi où on tentait d'évaluer la possibilité de justifier les atteintes aux libertés et droits fondamentaux qui pourraient découler de la meilleure version du projet de règlement qu'on pourrait trouver aujourd'hui, en fait que vous pourriez trouver aujourd'hui. Bien, quand on va vouloir parler de l'atteinte minimale aux libertés et droits fondamentaux, ça va être difficile parce que ça ne change rien. Le point que j'amène, c'est un peu ça, c'est qu'on se fait beaucoup de trouble pour finalement quelque chose qui, d'un point de vue juridique, n'est pas significatif.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : On a parlé tout à l'heure du changement de nom versus du changement de sexe. Je regardais le formulaire de changement de nom. Alors, si demain matin je veux changer de nom pour m'appeler Stéphanie au lieu de Carole, par exemple, je n'ai pas besoin que personne ne dise que je veux m'appeler Stéphanie parce que je ne change pas de sexe. Ça, c'est une notion. Je n'ai pas besoin que quelqu'un témoigne que je me fais appeler Stéphanie depuis deux ans. Donc, les barrières que l'on met actuellement dans le règlement n'existent pas si je veux juste changer de nom. Donc, quand on parle que le règlement vient... concernant le projet de règlement relatif au changement de nom, finalement c'est un peu faux, c'est plutôt le changement de la qualité... c'est le changement de sexe, point à la ligne. Parce que, dans le fond, ce n'est pas nécessairement sur le nom qu'est le problème, c'est sur le sexe, point.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Bien, M. le Président, je dirais... Bon, la procédure de changement de nom, elle est particulière, elle est distincte du changement de mention de sexe et elle comporte ses éléments de difficulté sur lesquels... je veux dire, on pourrait en discuter, mais c'est complètement différent. Effectivement, quand on parle du Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil, la raison pour laquelle c'est le titre du règlement, bien, c'est parce qu'à l'intérieur de ce règlement-là on parle du changement de nom et du changement de la mention de sexe, mais les modifications qui sont... du moins la façon avec laquelle j'ai compris le projet de règlement qui était proposé, on visait seulement le changement de la mention de sexe.

Ceci étant dit, la remarque que vous faites, M. le Président, elle est très intéressante, parce que le changement de prénom, en fait le changement de nom, c'est avec ça qu'on se présente généralement. On ne se présente pas en disant : Moi, bon, bonjour, je suis M, ou bonjour, je suis F, hein? Bonjour, je suis une telle personne. Et c'est avec ça qu'on s'identifie de façon générale dans nos échanges. Et, pour ce qui est de la mention de sexe, bien, généralement, les gens vont le savoir, à moins qu'ils aient un besoin de vérifier sur les documents d'identité puis que là, qu'on puisse voir, bien, les personnes qui ont obtenu ou non le changement de mention de sexe, ce qui par ailleurs peut être considéré comme une atteinte à l'endroit de la vie privée. Alors, voilà. Je ne sais pas si je répondais à votre question ou si...

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : J'aborderais un dernier sujet. Vous nous avez parlé de la mutilation intersexe à la naissance. Dites-nous-en donc plus un peu, parce qu'on n'a presque pas entendu parler de ça.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Oui. Et ça, je dois vous avouer, M. le Président, on s'écarte des travaux de la commission parce que ça ne vise pas le projet de règlement...

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Bien, pas tellement, parce que le groupe précédent, le groupe des familles, eux, nous ont justement parlé de la dimension du sexe des parents pour l'enfant. Alors, moi, je vous parlerais des parents versus le sexe de leur enfant, là, alors on va faire le chemin à l'envers, là.

• (15 h 40) •

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Oui, super. Alors, à la naissance, M. le Président, en vertu du Code civil du Québec, une personne doit obligatoirement être identifiée comme étant de sexe masculin ou de sexe féminin, hein, c'est l'article 111 du Code civil du Québec. Et le Code civil du Québec ne définit pas ce qu'est le sexe, hein? Si on cherche une définition à travers le temps, on ne trouvera pas la définition du sexe aux fins de l'état civil.

Généralement, M. le Président, ce qui est fait, c'est qu'on va se fonder sur l'apparence des caractères sexuels apparents ou sur l'apparence des organes sexuels. Donc, on va regarder l'enfant. Si on y voit un pénis, on va dire que c'est un garçon. Si on y voit une vulve, on va dire que c'est une fille. Mais il y a certains enfants, M. le Président, qui naissent avec des caractères sexuels qui sont perçus comme ambigus, selon les standards médicaux. On ne sait pas si c'est un pénis, on ne sait pas si c'est une vulve, on ne sait pas si c'est 100 % un appareil génital masculin ou 100 % un appareil génital féminin en fonction des standards médicaux qui sont apportés. Et là, pour ces personnes-là, M. le Président, bien, il y a un problème, parce qu'il y a une case qui est à cocher, qui est un M ou un F.

Mais le problème, M. le Président, il n'est pas tant légal, parce que l'identification en tant que telle, elle va devoir avoir lieu, peu importe qu'est-ce qu'il en est. Il n'y a pas de critère légal qui permet de savoir, bien, le clitoris, est-ce qu'il est trop gros ou est-ce qu'il est trop grand pour savoir si on est en présence d'un M ou d'un F. La mention de sexe va pouvoir se faire. Sauf que, d'un point de vue médical, et souvent sous la demande des parents, qui ne veulent pas que leur enfant soit victime de discrimination ou qu'il y ait un certain poids, bien, vont demander aux médecins : Est-ce qu'on ne pourrait pas corriger la situation et atteindre à l'intégrité des organes génitaux de l'enfant pour pouvoir donner une apparence sexuelle qui soit plus conforme aux normes sociales? Et c'est une pratique, M. le Président, qui a lieu au Québec, mais c'est aussi une pratique qui a été dénoncée par le Rapporteur spécial de l'ONU sur les traitements cruels, inhumains et dégradants. C'est une pratique qui, de plus en plus, est associée à une pratique de torture, et ce n'est pas la loi qui exige cette pratique-là, c'est un comportement que l'on voit dans les hôpitaux, et c'est un comportement qui pose problème. Je... Est-ce que vous voulez intervenir, M. le Président?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Il nous reste moins d'une minute à ce bloc d'échange.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Ah! O.K., bien, parfait. Bien, je vais m'arrêter là. Donc, ça pose un grand problème, et, tôt ou tard, il va falloir se pencher sur cette question-là. Mais ce n'est pas la loi qui exige les traitements médicaux et les interventions chirurgicales qui sont faites.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Mais qu'est-ce vous recommanderiez là-dedans?

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Bien, là-dedans, je recommanderais... j'irais dans le même sens que le proposent les commissions d'éthique et le propose l'ONU : c'est d'attendre, de ne pas atteindre à l'intégrité des organes génitaux de l'enfant, et on s'entend, là, on parle dans un cas où est-ce qu'il n'y a pas de risque d'atteinte à leur vie. Donc, si la personne n'est pas en mesure d'uriner, bien, évidemment, on va lui permettre d'uriner, mais, quand c'est juste esthétique, d'attendre que la personne qui est concernée soit suffisamment grande pour dire qu'est-ce qu'elle veut faire avec ses organes génitaux, de maximiser son autodétermination.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce bloc d'échanges. Mme la députée de Montarville, à vous la parole.

Mme Roy (Montarville) : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Me Sauvé. Écoutez, d'entrée de jeu, je voudrais faire un lien avec ce que Mme la ministre a dit, parce que j'avais pris des notes ici puis j'avais l'intention de les dire, et vous m'avez enlevé les mots de la bouche, et je pense que c'est important de souligner le fait, lorsqu'on parlait de la présomption de bonne foi tout à l'heure, là, qu'on est extrêmement sensibilisés à la problématique, et... Mais j'avais pris des notes textuellement et je vais vous lire ce que j'avais écrit, puis je voudrais votre réponse, puisque vous êtes avocat spécialisé de la question, peut-être qu'on va pouvoir trouver des solutions ensemble.

Alors, à la lumière de ce que vous nous dites, vous voulez, dans votre mémoire, entre autres, que le changement de genre à l'état civil soit fait sur une simple déclaration d'un... je vais prendre le terme d'un «ressenti de genre», sans autre forme...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je suis désolé...

Mme Roy (Montarville) : Oui? Ça sonne?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Les cloches sonnent, sonnent, sonnent.

Alors, nous allons suspendre nos travaux.

(Suspension de la séance à 15 h 44)

(Reprise à 16 h 8)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, la commission reprend ses travaux. Merci, M. le député de Sherbrooke. Désolé, encore une fois, de l'inconvénient. Pendant la pause, là, on va essayer de réorganiser nos travaux.

Je cède la parole à Mme la députée de Montarville pour environ trois, quatre minutes. Mme la députée.

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Merci, M. le Président. Alors, on va poursuivre. Et je disais que Mme la ministre m'avait enlevé les mots de la bouche, parce qu'effectivement ce dont on veut s'assurer, c'est qu'effectivement qu'il n'y ait pas d'abus, mais personne ne prétend que l'abus viendrait des personnes trans qui ont vraiment un besoin. Et ça, je veux que ça soit clair, parce que je pense qu'on le comprend tous : être trans, faire la démarche, ce n'est pas quelque chose qu'on fait à la légère, et on ne pense pas que les gens vont changer de genre à toutes les minutes, là n'est pas la question.

Cependant, vous nous proposez que, sous le simple fait d'une déclaration, une déclaration ou déclaration solennelle, la personne puisse changer de genre à l'état civil. Alors, ma question, elle est la suivante : Comment est-ce qu'on peut s'assurer que ce seront uniquement les personnes de bonne volonté — vous parliez de mauvaise foi tantôt — des personnes de bonne foi? Comment faire pour s'assurer que ça sera uniquement les personnes de bonne foi qui se servent de ça et que ce ne soient pas des demandeurs qui veuillent changer de genre, des demandeurs qui sont, et je vais le dire, des agresseurs, des pédophiles, des bons à rien qui pourraient voir une opportunité puisqu'il n'y a aucune formalité et ce serait excessivement facile pour qui voudrait mal faire? Donc, comment protéger la société et protéger également les gens trans qui voudraient changer d'identité de façon tout à fait légale?

• (16 h 10) •

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : M. le Président, je pense que la réponse à cette question, elle se trouve dans les faits et elle se trouve dans les témoignages qui ont été présentés hier et qui ont été présentés également lors des auditions à l'égard du projet de loi n° 35. Ce que les personnes sont venues dire, c'est que de vivre avec des documents d'identité qui ne présentent pas une mention de sexe qui est conforme ou du moins qui répond de façon adéquate à son identité de genre, ça met leur vie en danger. Donc, une personne qui serait animée par des mauvaises volontés et voudrait frauder, ça impliquerait que cette personne veuille passer à travers toutes les difficultés qui ont été témoignées ici, donc des difficultés qui mettent la vie en danger, que vous avez pu entendre hier et qui ont été répétées depuis déjà un bon moment. Donc, bien sincèrement, c'est pour cette raison que je crois que la crainte, elle est beaucoup plus théorique que pratique, parce qu'effectivement en théorie on pourrait se poser la question : Mais une personne pourrait faire une demande de changement de mention de sexe puis, après ça, être une fraudeuse?

Mais, au-delà de ça, au-delà du volet théorique de la question, on peut se reposer : Mais à quoi elle sert, cette mention de sexe là? C'est quoi, son utilité? C'est quoi, son utilité? C'est quoi, sa pertinence? Elle est là, toute la question. Qu'est-ce qu'on fait avec cette mention de sexe là? Ce n'est pas la même chose que le prénom, si je peux me permettre, où est-ce que, là, c'est beaucoup plus présent. Et même, encore une fois, le prénom, bon, il faut voir, là. Il y a une obligation d'utiliser le prénom sur des documents d'identité officiels, mais il n'y a pas une obligation d'utiliser le prénom légal à tout coup. On est responsable des confusions qu'il pourrait y avoir.

Mme Roy (Montarville) : Si vous permettez...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : ...ayant très peu de temps, je suis obligée de vous couper.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Oui, oui, allez-y, il n'y a pas de problème, madame.

Mme Roy (Montarville) : Alors, ce que je vous dis — et j'y reviens — c'est que nous croyons à 100 %, à 110 %, à 200 % à la bonne foi des personnes trans qui veulent changer d'identité. Vous me comprenez?

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Je suis d'accord. Oui, je comprends très bien.

Mme Roy (Montarville) : Nous devons également légiférer pour l'ensemble de la société.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Voilà.

Mme Roy (Montarville) : Alors, s'il n'y a aucune formalité à remplir, comme vous le demandez et plusieurs groupes le demandent, pratiquement aucune formalité, comment peut-on s'assurer que le reste de la population et également les personnes trans, qui sont tous de bonne foi, ne seront pas abusées par quelqu'un qui pourrait changer de genre de façon très facile s'il n'y a aucune formalité? Alors, comment protéger la société? Et elle est là, la nuance, et puis c'est pour ça que... ce n'est pas une question de peur, là, mais c'est une question de protection de la société et également des personnes trans.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Mais, écoutez, M. le Président, je vais revenir avec le... Je sais que c'est plate, mais je vais revenir avec la même réponse. La personne qui voudrait utiliser ce moyen-là pour causer du tort, ce n'est pas aux autres qu'elle cause du tort, c'est à elle-même, parce que ça sera... elle va s'engager dans une situation invivable. M. le Président?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Bien, puisque vous avez dit que c'était la même réponse, je vais me permettre de passer la réponse... j'allais dire le crachoir... la parole à la députée de...

Mme Massé : Merci, M. le Président. Merci, maître, pour votre présentation. Vous avez dit, lors de votre présentation, que la mention de sexe, ça n'avait rien à voir avec les statistiques. Vous comprendrez, comme féministe, je suis extrêmement inquiète...

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Et vous avez raison.

Mme Massé : ...de voir qu'on pourrait se retrouver, tout d'un coup, des millions de femmes, beaucoup plus que la moitié du monde. En fait, aidez-moi à comprendre c'est quoi, cette différence-là que vous faites.

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Oui. Alors, on va commencer à la naissance d'une personne. À la naissance d'une personne, il y a deux documents qui vont être remplis. Le premier, c'est le certificat de naissance, c'est l'accoucheur qui va le remplir. Alors, sur le certificat de naissance, l'accoucheur va cocher une mention de sexe. Une fois qu'il a rempli les autres informations, il prend ce document-là et il l'envoie à l'état civil. Ça, c'est pour les questions d'état civil. La Cour supérieure est déjà venue dire, dans Blainville c. Directeur de l'état civil, que le Directeur de l'état civil n'avait pas pour mission de tenir des statistiques. Blainville c. le Directeur de l'état civil.

Il y a un autre document qui est rempli, M. le Président, c'est le bulletin de naissance vivante. Et ça, c'est un bulletin, c'est un document qui ressemble d'une certaine façon au certificat de naissance, qui demande certaines informations à propos de l'enfant, notamment la mention de sexe. Et ça, ce document-là s'en va... Avant, on disait : Le Bureau de la statistique; aujourd'hui, c'est l'Institut de la statistique du Québec. Alors, les statistiques, elles sont prises par l'Institut de la statistique du Québec et non par le Directeur de l'état civil. Donc, en ce sens-là, c'est pour ça que je dis que de toucher à la mention de sexe telle qu'elle figure à l'état civil, ça ne touche pas les statistiques parce que, de toute façon, le Directeur de l'état civil n'a pas pour mission de tenir des statistiques.

Mme Massé : Donc, si je voulais faire une analyse différenciée selon les sexes, j'aurais les outils pour le faire?

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Tout à fait, tout à fait.

Mme Massé : Je...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Oui, mais 30 secondes.

Mme Massé : Oui, à une minute? La Commission des droits de la personne est venue nous parler de l'évolution du droit. La Cour suprême a eu des énoncés de Morgentaler à Carter, qui ont, dans le fond, donné de plus en plus... reconnu, pardon, de plus en plus à la personne le droit de s'autodéterminer dans son corps. Vous dites quoi de ça, vous?

M. Sauvé (Jean-Sébastien) : Bien, je suis entièrement d'accord, et je pense qu'avec Carter... l'arrêt Carter, c'est une décision qui parle beaucoup. On parle du droit à l'autodétermination, et, la Cour suprême, ce qu'elle vient nous dire, c'est que l'État non seulement n'a pas sa place dans la chambre à coucher de la nation, mais l'État n'a pas sa place dans la prise de décision qui concerne sa propre personne. Et, la Cour suprême, ce qu'elle nous dit dans Carter, c'est qu'une personne peut déterminer le moment auquel elle préfère mourir.

Évidemment, il y a des nuances, là, M. le Président, mais vous savez comme moi qu'un arrêt de la Cour suprême est souvent rédigé d'une façon à ce qu'on puisse discuter, mais essentiellement c'est ça. Et, l'autodétermination, on ne s'en va clairement pas dans un sens où est-ce qu'on la restreint, au contraire, on l'élargit. Et la Cour suprême, dans l'arrêt Carter, en a fait preuve.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète le temps que nous avions à notre disposition. Merci, Me Sauvé.

Nous allons suspendre quelques instants pour permettre à nos prochains invités de s'approcher.

(Suspension de la séance à 16 h 15)

(Reprise à 16 h 16)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Alors, nous reprenons nos travaux. Nous accueillons maintenant Mme Annie Pullen Sansfaçon.

Enfants transgenres Canada

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Merci.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Et vous disposez de 10 minutes, et après ça il y aura une période d'échange. Donc, sans plus tarder, je vous cède la parole.

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Bien, merci beaucoup. Merci, M. le Président. Je voudrais vous présenter ma fille Olie, qui m'accompagne aujourd'hui et qui va partager le 10 minutes avec moi pour faire un petit témoignage.

D'emblée, je voudrais dire que je suis ici à titre de vice-présidente d'Enfants transgenres Canada et non pas professeure à l'Université de Montréal ou à titre personnel. Donc, les exemples que je vais rapporter, ce sont des exemples qui viennent des personnes qui côtoient l'organisme. Donc, je représente l'organisme aujourd'hui.

Je vais essayer de mettre l'accent un petit peu sur des parties de notre mémoire, parce que, bon, je ne suis pas ici pour tout le relire, en fait, surtout en lien avec ce qui a été dit depuis le début de la commission, parce que j'ai été attentive un petit peu à ce qui a émergé des discussions jusqu'à maintenant, et ce que j'ai noté, c'est que, depuis le début des consultations, il semble se dégager que les délais demandés pour obtenir un changement de mention de sexe seraient portés à amener les gens à avoir des situations de discrimination.

Et ce que je voudrais amener à la commission, à votre attention, c'est que ces délais-là, chez les mineurs, parce que, bon, Enfants transgenres Canada travaille avec des mineurs... Enfin, on les force à vivre une discrimination pas de deux ans mais une moyenne de 10 ans, parce que les jeunes qui viennent nous voir, à Enfants transgenres Canada, souvent vont faire leur transition vers l'âge de huit ans et vont vivre à temps plein dans leur identité de genre à partir de ce moment-là. Donc, c'est un petit peu là-dessus que je voudrais porter le mémoire aujourd'hui. Et donc, en l'occurrence, il semble qu'empêcher les jeunes trans d'obtenir un changement de mention de sexe avant l'âge de la majorité les force explicitement à subir un délai, donc ça les positionne directement dans des situations de discrimination forcée jusqu'à l'âge de la majorité. Et je voudrais vous dire que les recherches qu'on retrouve chez la transition des jeunes trans, donc les jeunes trans qui s'identifient ainsi, ça va être souvent à l'âge de 10 ans qu'ils vont se sentir ainsi. Donc, c'est pour ça que je parle d'une moyenne de huit à 10 ans de délai forcé ici.

Donc, aujourd'hui, on aimerait ça illustrer certaines des raisons pour lesquelles le changement de mention de sexe devrait être permis au même titre que pour les personnes majeures, et donc je vais vous donner quelques exemples. Je vais commencer par un qui nous a été rapporté récemment par un jeune qui fréquente l'organisme. Donc, il s'agit d'un jeune de 13 ans. Je vais le lire, parce que je veux être vraiment juste par rapport à l'histoire : Jeune de 13 ans, sa mère se rend à l'hôpital pour un rendez-vous. La mère se présente au comptoir des inscriptions pour faire un changement d'adresse pour la carte d'hôpital, comme ça arrive souvent quand on change d'adresse, et donc elle remet les papiers au commis et demande à la commis d'utiliser les pronoms féminins pour se référer à son enfant, parce que l'enfant se présente... a une identité de genre féminine. Le commis refuse de le faire, donc la mère doit commencer à expliquer au commis que son enfant est transgenre, donc mâle à femelle et que de respecter son identité de genre est essentiel. La mère demande aussi au commis de respecter leur vie privée et de ne pas les appeler à haute voix. Je pense que vous comprenez un petit peu les raisons pour lesquelles on demande ça. Et donc le commis, bon, agrée à cette requête. Pourtant, une fois la carte prête, l'enfant est appelée par les pronoms masculins devant plusieurs personnes dans la salle d'attente, ce qui est très humiliant, et cette situation-là a causé une angoisse telle à l'enfant que l'enfant n'a pas voulu rester pour le rendez-vous médical.

• (16 h 20) •

Alors, je veux juste soulever cette histoire de mention de sexe, qui a vraiment des répercussions ici de façon hebdomadaire dans la vie de ces jeunes-là. Et je vous dirais que cette situation-là fut angoissante à un point tel que maintenant l'enfant vit des anxiétés quand elle se rend à des endroits publics, comme par exemple la bibliothèque, où aussi on va avoir une carte d'identité, rendez-vous médicaux, bon, etc. Malheureusement, des cas comme celui-ci arrivent fréquemment chez les familles qui fréquentent l'organisme. Donc, nous, en tant qu'organisme communautaire, on offre un groupe de soutien pour parents et un groupe aussi pour lutter contre la transphobie avec les jeunes, et donc, ces exemples-là, on les entend à chaque mois par des parents qui viennent nous voir, O.K.? Donc, je vous ai donné un exemple en situation médicale ici, mais ça se présente dans plusieurs sphères.

Aussi, je voudrais peut-être mettre l'emphase sur — on a entendu puis on vient juste de l'entendre encore — la référence à la stabilité du registre de l'état civil. J'ai entendu beaucoup cette expression-là depuis le début de la commission, et je voudrais juste noter quelque chose par rapport à l'identité de genre des jeunes trans.

Il y a des nouvelles recherches qui existent et je veux juste vous en citer deux. La première, c'est une recherche qui s'est passée en Hollande avec une cohorte de 70. Donc, c'est une recherche longitudinale qui a regardé les jeunes en 2000 et en 2010, donc ils les ont suivis quand même sur une période de huit ans, des jeunes à qui ont été donnés des bloqueurs d'hormones à l'âge de 12 à 16 ans, et, en fait, après huit ans, 100 % de la cohorte ont continué avec la transition. Alors, quand on parle de stabilité de l'état civil, ce que j'essaie de souligner ici, c'est que le peu de recherches qu'on a, parce que vous comprenez que les jeunes trans, ça ne fait pas des années, des années, des années qu'on en parle, donc la recherche vient toujours à attendre, mais, pour ce qu'on a déjà présentement, on sait que c'est 100 % de la cohorte qui a continué avec la transition. Donc, je pense que c'est un point important pour la stabilité de l'état civil ici.

Et la deuxième recherche que je voudrais mentionner, c'est en fait une nouvelle recherche de 2015 qui est sortie en février 2015, qui a exploré le sentiment d'identité de genre chez des jeunes trans versus le sentiment d'identité de genre chez des jeunes cisgenre, donc non transgenre. Et, au niveau des mesures, le sentiment d'identité est aussi ancré chez les deux cohortes. Donc, l'identité, c'est vraiment quelque chose qui est ancré à l'intérieur de la personne. Deux points que je voulais vraiment souligner ici, devant la commission.

Je vais maintenant passer la parole à Olie, parce que je pense qu'elle a des choses plus intéressantes que moi à dire. Et donc, Olie, je te laisse la parole.

Mme Pullen (Olie) : O.K. L'an passé, quand j'étais en cinquième, j'ai commencé à passer mes examens d'admission pour entrer au secondaire. Lors d'un de mes examens d'admission, alors que nous venions d'entrer dans la salle, la responsable demande de cocher le M ou le F sur la feuille-réponse, car, selon la responsable, certains prénoms neutres pourraient rendre l'identification d'un enfant difficile lors de la correction des examens. Pourtant, les personnes responsables de l'examen avaient déjà été informées de ma présence. Cela dit, malgré le partage d'information, je me suis retrouvée dans cette situation qui m'a fait vivre un grand stress en ce début d'examen, car je ne pouvais pas cocher ni une ni l'autre des cases. Si je cochais M, j'avais peur de me faire dire que je n'étais pas la bonne personne à l'examen et, si je cochais F, j'avais peur que mon examen ne compte pas.

Je ne m'attendais pas à vivre cette situation, car mes parents avaient bien contacté l'école. Je me suis donc questionnée pendant un long moment à savoir quoi répondre et j'ai aussi perdu beaucoup de temps à stresser. En plus, la surveillante passait dans toutes les rangées pour vérifier que cette information était bien inscrite sur la feuille-réponse. Après 10 minutes, j'ai décidé de cacher ces cases vides avec ma main et de commencer à répondre aux questions d'examen.

Cette situation a provoqué beaucoup de stress, et je n'ai pas réussi à terminer mon examen. Des situations comme ça, j'en vis souvent. En fait, à chaque fois qu'on se retrouve à un endroit où je dois sortir une carte d'identité, ou mes parents, je stresse, car je ne sais jamais qu'est-ce que les gens vont dire. La dernière fois que nous avons voyagé en avion, j'ai eu peur, car mon passeport et mes autres cartes d'identité ne reflètent pas qui je suis. À chaque fois que nous passons les douanes, mes parents doivent dire à des inconnus que je suis trans. Étant donné que je ne peux pas changer mon M pour un F, je suis portée à vivre des situations de discrimination. Pourtant, je sais que d'autres enfants trans au Canada n'ont pas à vivre cette situation, car ils peuvent changer leur F pour un M ou leur M pour un F là-bas.

C'est pour cela, mesdames et messieurs, que je vous demande de me permettre de changer la mention de sexe sur mon acte de naissance, comme les autres enfants au Canada et les adultes au Québec. Avoir à attendre ce délai interminable n'est pas compréhensible, et injustifiable pour moi, qui tente de m'épanouir en tant qu'ado. J'espère que mon témoignage aujourd'hui vous fera comprendre notre réalité et les difficultés auxquelles nous sommes confrontés puisque nous sommes forcés à maintenir une identité civile qui ne nous convient pas. Merci.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie.

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Belle fille. Bravo! Et ma fille n'a que 12 ans, hein, je veux le mentionner, parce qu'elle est très grande et très mature, mais c'est beaucoup pour elle d'être ici aujourd'hui. Puis je la remercie parce qu'elle le fait pour les autres enfants du Québec. Je voulais juste le noter. Donc, je vais reprendre la parole très, très rapidement, puis après on pourra répondre aux questions, une ou l'autre. Je pense qu'Olie aussi, tu es prête à répondre à certaines questions, mais on va travailler ensemble sur celle-là.

Donc, je pense, comme vous pouvez le constater, ne pas permettre aux jeunes trans de pouvoir changer leur mention de sexe s'avère nuisible à leur bien-être et à leur épanouissement et les force à vivre des situations de discrimination jusqu'à l'âge de 18 ans, les délais suggérés dans le règlement étant problématiques et contribuent directement au nombre important d'obstacles vécus par ces jeunes. Rappelons-nous que les jeunes transgenres sont les plus vulnérables, surtout à l'école secondaire, où ils se retrouvent souvent dans un environnement hostile, où la direction ne les soutient pas. Et ça, c'est non seulement des recherches du Québec, c'est aussi la situation de ce qu'on voit à l'organisme. Et aussi, bon, je pense que vous connaissez déjà, on en a parlé hier... les statistiques les plus récentes nous indiquent que 43 % des jeunes font une tentative de suicide. Donc, ça nous montre l'urgence de faire quelque chose ici.

Finalement, je vais faire un point. J'aimerais vous dire, et Olie l'a déjà mentionné un petit peu, mais que cinq provinces canadiennes ont déjà reconnu le problème de reconnaissance de l'identité civile et ont modifié ou sont en processus de modifier leur loi, ainsi permettant aux jeunes mineurs de faire leur changement de mention de sexe. Il s'agit notamment de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, du Manitoba, de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse. Donc, je pense que ça nous dit quelque chose au niveau d'où est-ce qu'on est rendus au Québec. Et c'est souvent, ça, seulement avec un simple de dépôt de formulaire, la lettre d'un professionnel, et le consentement parental quand il s'agit de tout-petits.

Donc, compte tenu des législations déjà en place dans les autres provinces et des expériences particulièrement difficiles pour ces jeunes, Enfants transgenres Canada voudrait vraiment demander au gouvernement de permettre à ces jeunes de pouvoir changer leur mention de sexe, sans chirurgie, bien sûr, avant l'âge de 18 ans. De plus, Enfants transgenres Canada croit que ces changements devraient être autorisés aussitôt que possible sans consentement parental à partir de 14 ans, hein? À 14 ans, on peut faire des opérations, on peut faire toutes sortes de choses, donc on leur demande qu'à partir de 14 ans ces jeunes-là puissent le faire sans consentement parental, et avec consentement parental avant 14 ans.

Et je vais vous demander une dernière petite chose et on pourra discuter par la suite. J'aimerais vous faire la demande qu'en attendant un changement de loi, parce que je suis consciente qu'on est en train de parler de règlement pour le projet de loi n° 35, mais je profite de l'occasion d'avoir été invitée ici pour le faire, j'aimerais vraiment qu'on puisse considérer des mesures transitoires pour permettre à ces jeunes-là... Parce qu'à chaque jour, les jeunes, toutes les journées qu'on attend, ces jeunes-là souffrent. Et donc c'est ce que je voulais vous dire aujourd'hui, mesdames messieurs. Merci.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Je pense que la réaction spontanée des membres de la commission à la performance d'Olie est assez révélatrice. Merci. Mme la ministre de la Justice, la parole est à vous, pour un premier bloc d'échange.

Mme Vallée : Merci. Alors, Olie, Mme Pullen Sansfaçon, merci beaucoup. Merci, Olie. On avait eu la chance de se rencontrer. On a eu la chance d'échanger il y a quelques mois déjà. Tu grandis à vitesse grand V. Honnêtement, j'étais étonnée de voir à quel point tu es rendue une belle grande jeune femme, et merci de ton témoignage.

J'aimerais ça, moi, vous entendre sur le règlement aussi. J'aimerais ça pouvoir avoir votre point de vue. Je sais qu'on en a parlé beaucoup depuis hier... j'imagine, si vous avez suivi les échanges avec les parlementaires, que vous avez entendu toutes sortes de trucs. J'aimerais vous entendre, maman et Olie, parce que j'aimerais aussi entendre le point de vue d'une jeune qui va passer par là et savoir un peu comment tu vois le règlement, comment tu vois le processus devant toi.

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Il faudrait lui expliquer c'est quoi, le règlement, parce que je ne suis pas certaine qu'elle le comprend.

• (16 h 30) •

Mme Vallée : D'accord, parce que je présumais que ça avait été fait. Bien, écoute, Olie, tu es un petit peu au courant que la loi a été changée pour permettre aux personnes trans d'obtenir un changement du F ou du M, comme tu l'indiques si bien, sans nécessairement avoir à passer à travers une chirurgie qui modifie tout leur corps ou une partie de leur corps. Et maintenant notre travail, c'est de mettre en place les règles du jeu. Parce qu'avant, la façon dont c'était, c'était tout simple, c'est-à-dire que pour pouvoir passer de F à M, bien, tu obtenais ta chirurgie et là tu avais le corps qui représente la lettre. En fait, tu avais un corps qui était plus ou moins conforme à la lettre qui est normalement associée au corps. Mais là, maintenant, c'est... l'Assemblée nationale, les membres, les parlementaires ont décidé... et c'était M. St-Arnaud — que tu as rencontré, parce que, tu te souviens, tu m'en avais parlé, l'autre ministre de la Justice avant moi — qui avait déposé ce projet de loi là pour ne pas obliger les gens à être obligés de passer à travers... à passer sous le bistouri, à obtenir une opération qui est parfois très difficile, très douloureuse, puis avec tout ce que ça s'ensuit.

Alors, maintenant, une personne pourra faire une demande de changement de sexe, même si elle n'a pas subi la chirurgie, mais il faut avoir un petit peu des règles du jeu, c'est-à-dire : il faut trouver une façon de permettre ça, tout en ayant un certain... Là, j'essaie de trouver des termes très... plus simples, là, pour te l'expliquer, un certain formalisme. C'est quand même solennel, hein, parce qu'on vient changer ton certificat de naissance qui vient du Directeur de l'état civil. Alors, ça, c'est un document officiel, c'est un document...

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : ...si je peux me permettre, on a déjà fait ça.

Mme Vallée : C'est ça. Bien, c'est ça. En fait, donc, tu es familière avec le principe. Cette fois-là, ce n'est pas pour le changement de nom, c'est pour le changement de sexe. Alors, il faut trouver un formalisme.

Alors, nous, on a présenté un certain nombre de critères, parce que le critère formel, le formalisme est important, mais ces critères-là sont peut-être un petit peu trop exigeants, puis, c'est ce que les gens sont venus nous dire depuis hier avant-midi, que les exigences rendent les choses un petit peu plus compliquées. On voulait simplifier, puis finalement on ne simplifie pas tant que ça, parce qu'on demande notamment que la personne qui présente sa demande de changement de sexe déclare qu'elle vit sous l'apparence du sexe depuis plus de deux ans. Alors là, les jeunes disaient : Bien, l'apparence, ça veut dire quoi, hein? C'est quoi, une apparence d'homme? C'est quoi, une apparence de femme? C'est quoi, être un F puis c'est quoi, être un M? Alors, ça, on a dit : Bon, dans le fond, on peut peut-être... Je pense qu'on a tous convenu que l'apparence, ce n'est peut-être pas le terme approprié, que c'était peut-être plus une question d'identité.

On demandait que cette demande-là soit soutenue par un professionnel de la santé, un médecin, un psychologue, un sexologue, mais on nous a expliqué que, dans bien des cas, ça pouvait être difficile pour les personnes trans d'avoir recours à un professionnel de la santé. Et on demandait aussi qu'il y ait quelqu'un d'autre, un majeur, une personne majeure, qui puisse dire : Bien, c'est vrai, par exemple, que Stéphanie, elle s'identifie comme étant une femme depuis ce temps-là, puis moi, je la connais et je dis : Oui, c'est correct que Stéphanie fasse cette demande-là parce qu'elle est telle qu'elle vous dit qu'elle est.

Alors, c'est ça, le règlement. C'est un petit peu les règles ou le processus qui va permettre à la personne de faire son changement à la mention de sexe aux registres de l'état civil. Donc, c'est sur ça qu'on se penche aujourd'hui. Évidemment, on entend puis on entend les messages que vous nous portez, puis je pense que tout le monde, on est très sensibles à ce que vous nous apportez, puis, personnellement, j'étais au fait de certains... je n'étais pas au fait de... peut-être de certains éléments plus récents, mais tu m'avais quand même bien sensibilisée aux enjeux puis aux défis auxquels tu fais face, là. Tu nous as parlé de défis auxquels tu fais face au niveau plus officiel, mais il y a aussi les défis plus la réalité de tous les jours qui ne sont pas évidents non plus, là.

Mais on aimerait vous entendre sur les... Qu'est-ce qu'on peut demander? Quelles seraient les règles qui pourraient être mises en place ou qu'est-ce qui pourrait être exigé pour dire à quelqu'un : Oui, tu peux faire ton... Ta demande de changement de sexe se fait, mais voici de quelle façon tu dois la faire. C'est un petit peu ça, le règlement, c'est des règles du jeu. En gros, là, je le mentionnerais comme règles du jeu, je pense que c'est peut-être la façon la plus simple de le dire, parce que, quand on joue au Monopoly, on a des règles à respecter. Bon, des fois, on ne les respecte pas tout le temps, là, mais bon. Ça, c'est un autre...

Une voix : ...

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Vallée : Je ne parle pas de moi, je ne parle pas de moi, je ne parle pas de moi!

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Mme la ministre, est-ce qu'on pourrait juste peut-être donner un exemple de processus qu'on a fait face, par exemple, pour le changement de mention de sexe? Parce que je veux juste préciser qu'Olie a réussi à obtenir un F sur un document, c'est sur un passeport britannique. Olie est chanceuse, elle a une double nationalité. Et donc, maintenant, Olie, depuis trois semaines, elle peut voyager sans avoir à mentionner aux personnes qu'elle est trans. Maintenant, il faut expliquer pourquoi on n'a pas le passeport canadien, mais ça, c'est correct, on va passer à travers ça. On a le passeport canadien, bien sûr, aussi, mais, vous comprenez, on a maintenant un document qui a un F dessus et on n'a pas eu de changement d'acte de naissance en Angleterre, parce que ce n'est pas le processus là-bas. La seule chose qu'on a eu à faire, c'était d'envoyer une lettre, parce que, bien sûr, il s'agit d'une mineure, une lettre d'un médecin qui dit : Oui, effectivement, la personne est, bon, ta, ta, ta, et il me ferait plaisir de montrer le type de lettre à la commission parlementaire, si c'est désiré, mais on a seulement eu à envoyer ça avec un formulaire et, trois semaines plus tard, on avait un passeport britannique avec la bonne mention.

Si je peux vous dire ce que ça fait dans notre vie, on ne l'a pas encore utilisé, mais on va l'utiliser, on va se donner à coeur joie, cet été, je vous le promets, mais donc, pour nous, là... Puis là je parle des mineurs, parce qu'à Enfants transgenres Canada on travaille avec des mineurs. Est-ce que ça fait du sens? Je ne veux pas me positionner pour les majeurs, selon l'organisme, ça, je peux le faire de façon personnelle, mais, au niveau de l'organisme, je vous dirais que ce processus-là, il est vraiment efficace, et je crois que ça peut vraiment faciliter l'épanouissement de ces jeunes-là de façon très, très simple. Bon. Ça, c'est une expérience qu'on a eue et ça n'a pas pris de temps, ça nous a pris trois semaines, et donc c'est des moyens qui sont simples, qui sont efficaces et qui font une différence. On a célébré, quand on a reçu le passeport, ça a été une célébration majeure dans notre famille.

Mme Vallée : Bon. Donc, pour vous, pour vous, la nécessité ou le fait d'avoir une lettre d'un médecin, ça n'a pas été un obstacle, parce que certains nous ont dit : C'est difficile pour nous d'obtenir ce type de document là.

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Oui, et je vous remercie de préciser, parce que, comme je vous ai dit, et je le souligne ici, il est question d'une mineure de 12 ans, et je ne pense pas que c'est les mêmes règles de jeu, parce que, quand on a affaire à une personne majeure, bien, au Québec, les personnes sont considérées comme étant capables de prendre des décisions. Je ne suis pas quelqu'un qui fait de la loi, bon, j'ai un background en éthique, mais on doit considérer une personne comme étant autodéterminée. Et donc, si la personne est majeure et elle est autodéterminée... sauf s'il y a des exclusions comme la tutelle ou la curatelle. Donc, pour moi, si une personne est capable de prendre des décisions pour elle et qu'elle est autodéterminée, je crois que c'est suffisant, selon ma propre vision des choses, pour croire que la personne, ce qu'elle est en train de nous dire, ça vaut la peine d'être écouté. Mais ça, c'est ma position personnelle, parce qu'à Enfants transgenres Canada on ne s'est pas assis pour avoir une position plus formelle, quoiqu'on a signé collectivement le mémoire envoyé par le Conseil québécois LGBT. Donc, je ne sais pas si ça répond à votre question.

Mme Vallée : Oui.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre, ça complète ce premier bloc, il y aura un second bloc, il vous restera un peu de temps. Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Merci, M. le Président. Alors, bienvenue. Bienvenue, Olie. Tu sais que tu es la première personne d'âge mineur qui vient nous parler dans cette commission et qui apporte ce volet-là de façon aussi claire. Moi, je suis... bien, on a dit d'entrée de jeu : On est en apprentissage ici, nous, sur la situation que tu vis et qu'aussi les adultes vivent, qui sont trans.

Je comprends qu'il y a cinq provinces canadiennes, puis là c'est vraiment... moi, je veux vraiment aller sur le fond de ce que vous nous demandez, là, parce que vous nous demandez quelque chose que personne ne nous a demandé, là, à date, là, vous êtes dans l'autre catégorie, là. Il y a cinq provinces que vous dites qu'ils ont soit déjà légiféré pour reconnaître ce que vous, vous nous demandez, qui est, avant 14 ans, avec permission des parents et, après 14 ans, qui est...

• (16 h 40) •

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Bien, les âges changent, madame. Ça dépend des provinces, parce que, bon, nous, on l'a ajusté à la province... au Québec, avec l'âge de consentement pour les soins médicaux. Donc, c'est pour ça que l'organisme a choisi 14 ans. Mais en Ontario, si je ne m'abuse, c'est 15, il y a des petits... avec ou sans consentement, mais il n'y a pas de minimum d'âge. Donc, c'est les conditions qui vont changer, mais il n'y pas de minimum d'âge pour faire la demande de changement de sexe.

Mme Poirier ( Hochelaga-Maisonneuve) : Dans votre mémoire, vous nous parlez de moyenne d'âge où la personne fait un constat, là, 10 ans, 10,4, très... Ça, ça m'a un peu jetée à terre, je dois vous l'avouer, là. 10 ans, là, pour moi, ça m'a jetée à terre. Je trouve ça très jeune pour être capable d'affirmer que je suis trans, tout simplement. Mais, dans cette dimension-là, à 10 ans... Et vous, vous dites : Bon, bien, on est même prêts à attendre jusqu'à 14 ans, qu'est-ce qui... Puis je le regarde dans la fonction, parce que nous, ce qu'on a à statuer, ce n'est pas sur l'âge; on a à statuer sur après 18 ans, parce que, la loi, ce qu'elle nous dit actuellement, nous on a un règlement sur l'après 18 ans, on n'a pas un règlement sur l'avant. Alors, vous, vous nous demandez pour la prochaine fois, dans le fond, vous nous demandez... parce que ça prendrait un projet de loi pour faire ce que vous nous demandez, alors... On peut bien en parler, parce que, dans le fond, la commission ici ne peut pas faire le changement que vous nous demandez en tant que tel, mais ce que vous nous dites, c'est que, pour les jeunes, à partir de 14 ans, le seul document, ce serait une déclaration personnelle.

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Mais il faudrait voir. J'aimerais ça, peut-être que, si on arrive vraiment avec les petits détails, qu'on puisse s'en reparler. Je pense que le principe fondamental que je veux passer ici aujourd'hui, c'est que demander aux jeunes trans, sachant que les jeunes trans s'identifient en trans, c'est vers l'âge de 10 ans qu'ils vont le faire, que leur demander d'attendre l'âge de la majorité, c'est de forcer un délai de huit ans, de 10 ans, de... Olie a transitionné à sept ans. C'est un délai de 11 ans, et je pense qu'on a entendu depuis le début de la commission que forcer un délai de deux ans, c'est déjà une situation... ça les positionne dans des situations de discrimination. Alors, mon argument, aujourd'hui, c'est que je veux vraiment qu'on prenne le temps d'écouter le besoin des jeunes trans, parce qu'on les force à vivre dans une situation de discrimination pour une moyenne de 10 ans. C'est vraiment le point que je voulais apporter aujourd'hui.

Et ce n'est pas mes mots, c'est les mots des groupes qui sont venus présenter, c'est les mots de la Commission des droits de la personne hier. J'ai réécouté le... j'ai fait le visionnement deux fois, pour être certaine que je ne mettais pas des mots dans la bouche des gens aujourd'hui, mais j'ai vraiment entendu et je pense que j'ai même lu un communiqué de l'Assemblée nationale... En tout cas, ça va vite, là, en deux jours, mais qu'il y a... Ça crée des situations de discrimination, alors je veux vraiment porter à votre attention que de laisser les jeunes sans permission de changement de mention de sexe avant l'âge de 18 ans les force à vivre un délai, une période de discrimination forcée, et, à travers ces journées-là, de jour en jour, les jeunes souffrent.

On a donné deux exemples, je pourrais vous en sortir des centaines. Les gens viennent nous voir et ils vivent des souffrances incroyables parce que les documents d'identité civile ne sont pas cohérents. Et, quand le jeune est encore un enfant, souvent, c'est les parents qui vont prendre cette charge-là pour protéger l'enfant. Et je vous dirais que ça va bien dans certaines situations, ça va moins bien dans d'autres. J'en avais déjà parlé dans mon premier mémoire, ici, à la commission, qu'il y a différentes situations qui peuvent rendre, bon, les situations de discrimination plus intenses, mais, quand le jeune commence à être plus autonome, le jeune doit porter le fardeau, souvent sans avoir les habiletés pour être capable de le porter. Est-ce que vous me suivez?

C'est très, très difficile pour un jeune, disons, de 16 ans, de se trouver un emploi quand la carte d'identité ne représente pas l'expression de genre, l'identité de genre de l'enfant. Donc, ces jeunes-là, dès le départ, sont mis dans des situations différentielles. Elles n'ont pas la même chance de vie que les autres enfants du Québec, de pouvoir s'épanouir et se trouver un emploi. Vous me suivez? Je ne sais pas quoi d'autre dire, mais j'essaie vraiment de vous faire capturer ici le grand problème qu'on a de forcer les jeunes à attendre jusqu'à l'âge de 18 ans, puisqu'on a reconnu formellement hier, en tout cas, du moins, la Commission des droits, que c'était vraiment une situation de discrimination de forcer un délai de deux ans.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : À partir du moment... Puis on fait des pas... les lois, c'est des pas, hein? On fait des pas un à un puis on met un pied devant l'autre. À partir du moment où la loi a été changée, en 2013, pour introduire le fait que le changement de sexe n'avait plus besoin de chirurgie, parce que c'était vraiment ça, l'objet, là, en tant que tel... J'imagine que vous, vous aviez présenté ces motifs-là. Quelle avait été la réception de votre demande d'abaisser l'âge de 18 à 14 ans par exemple? Quelle avait été la réaction de la commission?

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Mais nous, on demande d'abaisser sans minimum. Je veux juste le souligner, le mettre très public : on ne veut pas mettre 14 ans. C'est sans consentement parental; sous 14 ans, c'est avec consentement parental.

Bon, là, ça fait quand même 18 mois de ça. On était le dernier mémoire à avoir été présenté. Donc, je pense qu'on avait, à ce moment-là, jeté un pavé dans la mare. M. Ouimet, vous étiez là, à ce moment-là, mais je crois que déjà, à cette commission parlementaire, on avait tous convenu qu'il fallait faire quelque chose pour les jeunes, mais qu'à ce moment-là, étant donné que c'était le dernier mémoire, on ne pouvait pas proposer un changement de loi et que proposer un changement de loi à ce moment-là ramènerait les choses, bon... en fait, ça retarderait, pour toute la communauté trans... et donc qu'il fallait attendre. Ça fait 18 mois qu'on attend, et merci de nous avoir invités encore, parce que ça nous donne l'occasion de faire valoir encore une fois les problèmes que ces jeunes-là vivent, mais on ne peut pas retarder ça un autre deux ans, un autre quatre ans, un autre 10 ans. Il faut faire quelque chose, parce que, ces jeunes-là, on les voit à chaque mois, on est en contact avec eux par Facebook, parce que les gens ne sont pas juste à Montréal. Il faut être capable de les soutenir, et c'est... toutes les familles vivent les mêmes situations, et c'est très, très, très difficile. Merci.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Il reste deux petites minutes.

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Mon collègue...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : M. le vice-président de la commission, la parole est à vous.

M. Lisée : Merci. En fait, ce que vous avancez est extrêmement intéressant et parfois troublant. Comment est-ce que les écoles réagissent à ces situations-là? Est-ce qu'il est possible de parler avec l'équipe-école ou de faire en sorte qu'il y ait... même si l'état civil n'a pas changé, de faire des aménagements?

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Merci de poser la question, M. Lisée. Écoutez, il y a des écoles qui vont bien travailler avec les situations des jeunes trans, il y a des écoles qui sont très fermées. C'est laissé vraiment à la subjectivité des directions d'école et c'est très problématique, parce que, d'un côté, on a des directions qui vont être ouvertes à aider ces jeunes-là, d'un autre côté, il y en a qui ne le seront pas, et on a aussi de la façon que les parents vont être capables de travailler à travers ça, parce qu'il y a des parents qui vont dire : O.K. Non, moi, je ne prends pas un non pour une réponse, donc, je vais continuer à pousser, mais il y a d'autres parents qui n'ont pas les habiletés, qui ne sont pas capables de rentrer dans les écoles puis de dire : Écoutez, l'identité de genre, ce n'est pas un choix, c'est quelque chose qui est inné, c'est quelque chose qu'il faut vivre avec, et donc ces parents-là vont souvent avoir des difficultés.

Dans le mémoire, j'ai ciblé une situation en particulier où la jeune a fait, bien, tente de faire une transition à l'école où la direction est totalement fermée à cette transition-là. Le jeune n'a pas le droit d'utiliser les toilettes et les vestiaires du genre auquel elle s'identifie. Donc, elle ne va pas à la toilette de 8 heures le matin à 4 heures l'après-midi. Elle ne peut pas avoir de vie sociale, parce qu'après l'école il faut qu'elle aille à la toilette chez elle. Vous me suivez? Et en plus de ça, clairement, cette enfant-là est en train de perdre ses notes, les notes... le dossier scolaire est à la dérive, et là l'école est en train de demander au jeune de partir, tout ça à cause d'une non-ouverture d'esprit de la direction. Et j'ai demandé à la maman de pouvoir parler de ce cas-là aujourd'hui. Donc, la maman sait que j'en ai parlé; elle sait que je l'ai écrit dans le mémoire.

Donc, c'est vraiment des situations qui se passent maintenant, des jeunes qui sont exclus de la société civile parce qu'elles n'ont pas une reconnaissance, et c'est une reconnaissance légale qu'on demande, et le Parlement, le gouvernement du Québec n'a pas encore donné cette reconnaissance civile et légale. Et donc comment voulez-vous que les parents aient un argument solide pour aller voir des commissions scolaires et dire : Bien, écoutez, mon enfant est trans, pouvez-vous faire des accommodements? Il y a des écoles qui disent oui.

Nous, personnellement, on a été absolument choyés. On a des écoles extraordinaires qui ont travaillé avec nous et qui ont fait — hein, Olie? — qui font un travail vraiment, vraiment génial. On passe au secondaire l'année prochaine. On a vraiment beaucoup d'espoir. L'école semble très, très ouverte, mais ce n'est pas la situation partout et c'est très difficile. On a des jeunes qui s'en vont vers l'exclusion sociale, et après ça, bien, ces jeunes-là, le gouvernement va avoir à travailler avec eux sous d'autres formes. Est-ce que vous me suivez? Parce qu'ils ne disparaissent pas. Vous avez eu un témoignage fantastique.

• (16 h 50) •

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je suis absorbé dans nos échanges et j'oublie de remplir mes fonctions de maître du temps. Mme la députée de Montarville, la parole est à vous.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Mme Pullen, Olie, merci. Merci pour votre témoignage, madame, et toi, mademoiselle — on n'est pas habitués de tutoyer ici, on se vouvoie — bravo! Ça prend du courage pour faire ce que tu as fait. Merci, vous nous éclairez sur une réalité qui est peu connue, qui se vit en famille, et, comme le disait ma collègue de la première opposition, à juste titre, le règlement sur lequel on doit travailler s'adresse aux majeurs. Alors, je pense que la sensibilisation ou la réalité pour les mineurs, vous l'avez mise en lumière ici.

Et j'aimerais aller un petit peu plus loin parce que j'aimerais vous poser des questions à cet égard-là. Vous êtes présidente d'Enfants transgenres Canada. Alors, c'est pancanadien. Dites-moi, l'organisme existe depuis combien de temps?

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : L'organisme existe informellement depuis 2011 et s'est enregistré à Entreprises Québec il y a environ un petit peu plus que 18 mois, mais existe quand même... les activités existent déjà depuis 2011.

Mme Roy (Montarville) : Pouvez-vous nous dire à quoi ressemblent les demandes que vous recevez et combien en recevez-vous pour ce qui est du Canada, parce que c'est pancanadien, mais pour ce qui est du Canada? Parce qu'on veut avoir une idée de grandeur. Hier, je posais des questions : La communauté trans représente quel pourcentage de la population? C'est très difficile puisque ce n'est pas nécessairement comptabilisé. Pouvez-vous nous donner un portrait?

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Bien, je vais vous donner un portrait qui est très partiel, et je vais vous référer au Dr Shuvo Ghosh, qui va venir présenter au mois de mai, parce que lui travaille à L'Hôpital de Montréal pour enfants, et donc il entre en contact avec beaucoup plus d'enfants et il va avoir des statistiques peut-être à vous donner.

Nous, on est un organisme vraiment communautaire de parents, et donc les gens ne nous connaissent pas toujours, parce qu'il faut savoir que, bon, la réalité des jeunes trans, ce n'est pas encore connu, ce n'est pas quelque chose qu'on entend parler dans toutes les conversations, les partys de Noël. On fait de plus en plus de sensibilisation, mais encore. Donc, on a une page canadienne, une page Facebook canadienne — parce que là on est tous à Montréal, donc, c'est difficile de travailler, là, en temps réel — où est-ce qu'on a présentement 150 membres. On a aussi un petit onglet réseautage sur notre page Web, qui a aussi environ une cent cinquantaine de membres qui ne sont pas nécessairement les mêmes que sur la page Facebook, et on a aussi une trentaine de familles dans la région de Montréal qui sont en contact avec nous de façon régulière.

On a aussi des demandes des commissions scolaires. On donne des présentations, on fait des présentations dans les commissions scolaires, on fait des présentations dans les écoles primaires, on fait des présentations dans les CSSS. On s'en va à Sainte-Justine dans deux semaines pour présenter aussi sur la réalité des jeunes trans. Donc, ça, c'est aussi un autre de nos mandats. Donc, on va chercher des... on rentre en contact avec toutes sortes de gens, et c'est souvent en faisant des présentations que les gens disent : Aïe! Bien, moi aussi, j'en ai, un jeune comme ça, dans ma famille, mais on ne savait pas c'était quoi, on ne savait pas que ça existait. Et souvent c'est vraiment un petit effet boule de neige.

Ça fait du sens, parce que, si on ne sait pas ce que quelque chose est, on ne sait pas comment le nommer, et peut-être que c'est pour ça qu'il y a plusieurs personnes qui vont grandir et que c'est à l'âge adulte qu'ils vont commencer à s'identifier, parce qu'ils vont avoir accès à de l'information et qu'ils vont être capables de mettre un mot, un nom, une étiquette, quelque chose sur ce qu'ils vivent depuis... Puis là, je ne suis pas en train de dire que toutes les personnes trans le savent quand ils sont enfants, là, c'est loin de ça. Ce que je suis en train de dire, mais je pense que... Donc, c'est difficile de mettre un chiffre, mais, je vous dirais, je serais confiante de vous dire qu'au Canada on doit travailler environ jusqu'avec 200 familles.

Il y a un groupe qui est établi aussi à Terre-Neuve, un groupe Enfants transgenres Canada, qui travaille avec des parents là-bas. Donc, on a des petits chapitres qui commencent à émerger, mais c'est un organisme qui est encore très jeune.

Mme Roy (Montarville) : Dans l'optique où il y aurait projet de loi pour des mineurs, parce que je n'ai aucune idée de l'agenda de Mme la ministre, il y a des conditions qui sont mises actuellement pour les adultes, c'est ça, qui sont... ces conditions qui sont contestées ou questionnées. Mais, lorsqu'on est — là, je m'adresse à la mère que vous êtes — maman, qu'on a Olie, qu'on vit cette réalité qui est nouvelle, qui est nouvelle pour vous aussi, est-ce que vous croyez que la demande à l'effet qu'un spécialiste x, y ou z puisse attester ou aider à définir l'identité serait important? On parle de mineurs ici, là.

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Oui, et je veux vraiment, vraiment souligner qu'on parle de mineurs ici, je ne veux pas qu'on mélange les cartes avec la réglementation pour les adultes. La philosophie à Enfants transgenres Canada, c'est de suivre le rythme de l'enfant, O.K.? Donc, c'est vraiment ne pas aller plus vite que lui, ne pas aller moins vite que lui, vraiment, suivre le rythme de l'enfant. Selon cette philosophie-là, je vous dirais que, pour les jeunes... et là, je ne veux pas donner d'âge, peut-être qu'on pourrait dire 14, mais je veux faire attention, c'est pour ça que je voudrais dire : Les détails, il faudrait les retravailler ensemble, le cas échéant. Mais je pense qu'avoir un soutien, une preuve d'un accompagnement, pas d'un diagnostic, d'un accompagnement que le parent, que la famille ont travaillé avec une personne x, qui peut attester que le jeune, bel et bien, exprime, vit... Vous me suivez? C'est plus au niveau de l'accompagnement que du diagnostic, parce qu'on ne veut pas diagnostiquer les jeunes pour rien, mais je pourrais vous dire qu'étant donné qu'on veut suivre le rythme de l'enfant, on ne voudrait pas — puis là, je veux vraiment faire attention à ce que je dis — qu'il y ait des parents qui aillent trop vite ou des parents qui n'aillent pas assez vite. C'est le rythme de l'enfant qu'il faut suivre. Ça fait que moi, je serais pour une lettre qui souligne l'accompagnement.

Mme Roy (Montarville) : M. le Président?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Une minute.

Mme Roy (Montarville) : Une minute. Mon Dieu! On a encore du... Et c'est bien que vous disiez ça, c'est la raison pour laquelle j'avais dit : X, y, z, dans la mesure où ce n'est pas une question de médicaliser la réalité, mais vraiment s'assurer que cette réalité-là existe et qu'elle est sérieuse. Et c'est la raison pour laquelle je me disais : En tant que maman, on doit se questionner aussi puis aller voir pour comprendre cette nouvelle réalité.

Bien, par ailleurs, pour ce qui est du projet de loi tel quel, je pense qu'il y a... du règlement, pardon, il n'y a pas de question à poser à cet égard-là ou... Tout a été dit, vous l'avez dit, vous l'avez bien dit. Alors, je vous remercie pour votre témoignage, et Olie, surtout, je veux te remercier.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Merci, Mme la députée. Mme la députée de... Sainte-Marie—Saint-Jacques, à vous la parole.

Mme Massé : Coudon, vous avez bien de la misère avec mon titre. Bonjour, merci d'être là. C'est intéressant d'avoir d'autres perspectives. En fait, j'ai envie de te poser une question, Olie. Beaucoup, on a entendu les discriminations, les préjugés que vivent les personnes trans. Toi, comment ça se vit, ça?

Mme Pullen (Olie) : Bien, comme quand je vis de la discrimination? Bien, comme, je ne sais jamais quoi faire, puis je stresse sur tout, puis je ne peux, comme, pratiquement rien faire quand je suis de même. Puisque, comme, j'ai toujours peur du monde, qu'est-ce qu'ils vont dire, et... Mais je suis chanceuse, je n'ai jamais eu des cas comme qu'ils disent quelque chose de mauvais, mais j'ai toujours peur qu'il y ait un cas de même.

Mme Massé : Parce que tu te sens comme pas... quelque chose de pas correct là, ou quelque chose, là?

Mme Pullen (Olie) : Oui.

Mme Massé : C'est ce que je pensais. C'est ce que les adultes sont venus nous dire aussi. J'aimerais ça, maintenant m'adresser à la maman, après ça j'irai à la responsable. Est-ce que c'est Olie, en fait, qui vous a fait découvrir le monde de la transsexualité, et, si vous aviez un merci à lui dire, ça serait lequel?

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Eh bien, oui, c'est Olie qui nous a introduits à ce beau monde, je dis bien : Ce beau monde, parce que c'est tellement rafraîchissant... Pardon?

Une voix : ...

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Diversifié, tiens, merci Olie, tu m'enlèves les mots de la bouche, mais c'est tellement... Oui, c'est Olie qui nous a... Parce qu'au début c'est certain que, comme parents, nous aussi, on a résisté à ça. Parce que tous les parents, la plupart des parents vont dire : Wo! Wo! Wo! Qu'est-ce que c'est ça, ici, là? Mais, bon, Olie a continué à persister, avec son expression, ses goûts, sa personnalité, son identité, et on l'a suivie. Et, Olie, je te remercie parce que tu m'as rendue une personne meilleure.

• (17 heures) •

Mme Massé : Et maintenant la directrice. Vous avez parlé, excusez, de mesures transitoires, j'entends. C'est vrai, là, c'est le règlement sur les adultes, mais je pense que, dans la mesure où on chemine ensemble, on peut amener aussi... Vous pensez à quoi, là? Parce qu'on a peu de temps.

Mme Pullen Sansfaçon (Annie) : Bien, écoutez, je n'ai pas eu le temps de regarder les règlements en détail dans les autres provinces, mais j'ai vu... Vous irez jeter un oeil sur ce qui se passe en Alberta. Ils sont en train de changer la loi pour les mineurs, et il y a présentement des mesures transitoires qui regardent les cas par cas, les jeunes trans qui demandent un changement de mention de sexe et qui les permet, même si la loi n'a pas été changée. Donc, c'est une décision qui est faite, qui a été prise par le gouvernement de permettre le cas par cas, et ils sont en train de développer la loi. Je pense qu'elle est en train... troisième lecture, ou quelque chose comme ça, mais c'est permis.

Et pourquoi je stresse ça, c'est que j'essaie vraiment de vous montrer que ces difficultés sont vécues au jour le jour. Et peut-être que, nous, dans notre famille, ce n'est pas si pire que ça, parce qu'on travaille vraiment les structures. On travaille très, très fort, avec beaucoup d'acharnement pour qu'Olie ne vive pas ces situations de discrimination là. Mais c'est un travail acharné qui ne peut pas être fait par tout le monde, et qui va peut-être, un jour... Donc, oui, des mesures transitoires, on apprécierait énormément, parce que c'est une nécessité de se pencher sur les jeunes. On ne peut pas les mettre de côté un autre deux ans, cinq ans, 10 ans. Comme j'ai dit, excusez l'expression : Ça presse.

Et donc, si on pouvait permettre, sur un cas par cas, de changer, avec des règlements, peut-être, avec ce qui vous enchante, ça me fera plaisir de vous parler, là, plus en détail de ça. Mais ce serait vraiment une aide qui serait appréciée. Et vous auriez, vous... Savez-vous quoi? Vous vous démarqueriez des autres provinces, parce que la plupart des autres provinces ont fait ces changements-là à cause de pressions, de commissions, de... alors, vous pourriez vous démarquer, en tant que parlementaires, et proposer des mesures transitoires et de rendre la vie des jeunes trans une qui est plus facile à vivre.

Ça n'enlèvera pas les préjugés. Ça, il faut travailler aussi, et on a présenté un mémoire à la lutte contre l'homophobie, donc il faut faire les deux, mais vivre avec des cartes d'identité... Imaginez que j'aie un M sur mes cartes d'identité; je vais avoir des difficultés. C'est la même chose pour vous, madame. Si on n'a pas les bonnes désignations sexuelles sur nos cartes d'identité, ça pose des problèmes. Essayez-le...

Des voix : ...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : On l'a essayé. Je vous remercie. Vous me permettrez un simple mot, parce qu'on a fait référence à notre rencontre dans un autre contexte, au projet de loi n° 35, et effectivement... Et tantôt, vous avez parlé de votre propre réaction, le : aïe, aïe, aïe, wo, wo, wo, là. Les parlementaires, ceux qui ont participé au projet de loi n° 35, lorsqu'on a été exposés — et dans mon cas, c'était pour la première fois, cette triste réalité — on a eu cette même réaction. Mais je pense et je suis heureux que, malgré les délais et malgré les reproches qu'on peut faire à notre système, que ce débat, ce débat, cette question importante de société, on en parle, elle chemine, et l'atmosphère, l'ambiance, l'approche de tous les parlementaires de cette commission témoignent de cette sensibilité de tous les parlementaires à cette question. Et moi, je suis plein d'espoir qu'on va trouver une solution le plus rapidement possible. Alors, merci de vous être déplacés. Merci pour votre témoignage. Merci, Olie, tu as très bien fait ça.

On va suspendre quelques instants pour permettre à nos prochains invités de s'approcher.

(Suspension de la séance à 17 h 3)

(Reprise à 17 h 5)

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : À vos places, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Nous accueillons maintenant les représentants du groupe Pour les droits des femmes du Québec. Bonjour, mesdames. Vous allez disposer d'une période de 10 minutes pour faire la présentation, dans un premier temps, et je vous demanderais de vous présenter, pour le bénéfice de ceux qui nous écoutent et les membres de la commission, et il y aura par la suite une période d'échange avec les parlementaires. La parole est à vous.

Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)

Mme Sirois (Michèle) : Bonjour, je suis Michèle Sirois, je suis anthropologue et présidente de Pour les droits des femmes du Québec ou PDF Québec. À ma droite, il y a madame — voyons...

Une voix : Daphné Poirier.

Mme Sirois (Michèle) : ...je suis un peu stressée, on dirait — Daphné Poirier, qui est membre de PDF Québec, et Diane Guilbault, qui est vice-présidente de PDF Québec.

Je tiens à remercier la commission parlementaire sur les institutions de nous avoir invitées à ces consultations particulières sur le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d'autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres. Si j'insiste pour nommer au complet le sujet de la consultation, c'est qu'il est emblématique de la confusion dans laquelle baigne cette question. En effet, le projet de règlement ne concerne en rien les personnes transsexuelles qui sont déjà opérées, qui ont déjà la possibilité de changer la mention de sexe sur leurs papiers d'identité; le règlement ne concerne que les personnes transgenres, c'est-à-dire les personnes qui n'ont pas subi de chirurgie de réassignation sexuelle et qui conservent donc leurs attributs sexuels.

Il y a effectivement un vrai problème, mais une mauvaise solution. Le projet de règlement vise à fixer les règles pour procéder à un changement de la mention de sexe à l'état civil. D'entrée de jeu, je vous informe qu'au nom du principe de précaution PDF Québec demande l'abandon de ce projet de règlement et un moratoire avant la mise en vigueur de l'amendement qui a été apporté en 2013. Avant de procéder à un tel bouleversement sociétal, il faut prendre le temps de mesurer tous les impacts.

Nous n'avions pas été informées des consultations de 2013, bien que ce sujet ait des impacts sur d'autres personnes que les personnes transgenres. Ce changement à l'état civil concerne aussi, et de façon très importante, les femmes, les groupes de femmes et la société en général. Dans notre mémoire, nous avons insisté sur l'important déficit démocratique qui entoure l'examen de cette question. Il n'y avait en 2013, et encore présentement, en 2015, pratiquement que des groupes et des personnes de la communauté LGBT. Or, il ne s'agit pas d'un simple changement administratif, mais bien d'une révolution qui concerne toute la société, qui est basée sur la reconnaissance de deux sexes biologiques qui sont des réalités pour tous les êtres humains. D'ailleurs, compte tenu des nombreux enjeux éthiques, sociologiques, juridiques et culturels, on comprend mal comment il se fait que la commission parlementaire n'ait pas inclus des éthiciens, des sociologues, des anthropologues pour leur donner l'occasion de se pencher sur ce sujet qui déborde largement les intérêts de la seule communauté LGBT.

Oui, il faut se préoccuper des personnes qui vivent une souffrance importante parce qu'elles se sentent différentes de ce à quoi la société s'attend d'un homme et d'une femme. Il importe d'autant plus d'apporter la bonne réponse pour faire diminuer ou disparaître cette souffrance. Et, selon nous, le changement de la mention de sexe n'est certainement pas la bonne réponse. Même avec des papiers d'identité, la personne transgenre vivra autant d'ostracisme de la part de sa société si celle-ci n'est pas amenée à évoluer.

Quand Simone de Beauvoir a écrit : «On ne naît pas femme, on le devient», elle ne cherchait pas à renforcer ces rôles de genre. Au contraire, elle a milité toute sa vie pour faire en sorte que les femmes ne soient pas réduites au sexe social que la société leur avait assigné. Enfin, la question qui nous est posée, c'est celle-ci : Est-ce le sexe ou le genre qui est au coeur de l'identité de la personne? Jusqu'à maintenant, le droit, et ce, de façon universelle, a privilégié le sexe tel que constaté à la naissance. La communauté transgenre plaide aujourd'hui pour que ce soit le genre. C'est un débat qui doit être fait avant de trancher.

• (17 h 10) •

En attendant de clarifier les concepts différents du mot «transgenre» et d'examiner les problèmes que causerait la mention de sexe telle qu'utilisée actuellement, PDF Québec demande à l'État de mettre en place une campagne de sensibilisation portant sur les conséquences psychologiques et sociales des stéréotypes sexuels. Quant à l'apparence, nous avons été complètement ahuries de constater que le règlement est totalement articulé sur les apparences de l'autre sexe. Qu'est-ce que l'apparence d'une femme en 2015? S'il est une chose qui a pu évoluer grâce à des femmes audacieuses, c'est bien la possibilité de se vêtir comme l'autre sexe, en dehors des normes de genre. Je mets au défi quiconque de statuer sur ce qu'est une apparence de femme. En ce qui nous concerne, baser le projet de règlement sur l'apparence est extrêmement réducteur de ce qui fait une femme; est-ce que c'est la jupe, les cheveux longs, la grosseur des seins, le maquillage?

Par contre, un tel règlement aurait des conséquences énormes pour les femmes. Notons qu'il y a trois fois plus d'hommes que de femmes qui souhaiteraient changer de genre. Une analyse différenciée selon les sexes permettrait tout de suite de voir que ce seront surtout les femmes qui vivront les impacts de ce changement à l'état civil. Or, malgré un automne marqué par la campagne des agressions non dénoncées, malgré une commission parlementaire qui a porté sur le sujet des agressions sexuelles, personne ne s'est préoccupé des impacts potentiels que peut avoir le fait de permettre à des personnes transgenres qui ont tous leurs attributs masculins, donc qui sont biologiquement des hommes, de permettre à ces personnes qui ne sont pas des femmes biologiquement de s'introduire dans les lieux réservés aux femmes : les toilettes, les vestiaires sportifs, les maisons d'hébergement pour femmes victimes de violence, les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, etc.

Selon Tandem Montréal, la sécurité des femmes commence par le renforcement de leur sentiment de sécurité. Nos échanges avec de nombreuses personnes sur ce sujet nous ont permis de découvrir que les femmes sont très majoritairement inquiètes de se retrouver dans ces lieux, où elles se sentent vulnérables, en compagnie de personnes qui sont encore biologiquement des hommes. Par contre, les hommes à qui nous en avons parlé nous disent ne pas comprendre cet enjeu de sécurité. Je vous invite d'ailleurs à poser la question aux femmes de votre entourage et à discuter avec elles de cette possibilité de se retrouver nues dans un vestiaire pour femmes à côté d'une personne transgenre ayant tous ses attributs mâles.

Les conséquences pourraient se faire sentir aussi pour les institutions de filles et de femmes. Les premières institutions qui vont vivre les effets de cet amendement, si le règlement est adopté, sont les prisons pour femmes. Déjà, en Ontario, des détenus mâles qui sont transgenres demandent d'être transférés dans les prisons pour femmes. On comprend très bien l'ostracisme de ces personnes... qu'elles puissent vivre, ainsi que pour les détenus homosexuels. Cependant, la solution est-elle de créer un problème dans les prisons pour femmes? Non. Notons que ce ne sont pas les transgenres de sexe féminin qui demandent d'aller dans les prisons d'hommes; non, c'est le contraire.

D'autres institutions de filles risquent aussi de vivre les contrecoups de cette révolution dans l'état civil. On pense ici aux centres jeunesse, aux écoles de filles, qui pourraient être dans la mire des groupes transgenres qui veulent faire appliquer le règlement même pour les personnes mineures. Un collège de filles au Massachusetts, un cas concret, Mount Holyoke College, a ouvert ses portes aux transgenres en 2014. Dès l'hiver suivant, le collège a dû annuler la représentation annuelle de la pièce féministe emblématique que sont Les monologues du vagin. Cette pièce était présentée depuis 20 ans par les étudiantes à chaque année. Pourquoi avoir annulé? Parce que la pièce n'est pas respectueuse des femmes sans vagin, c'est-à-dire des garçons qui se sentent femmes, mais qui n'ont pas leurs attributs masculins. On a ainsi fait taire les femmes sur un sujet qui touche la moitié de l'humanité.

D'autres groupes de femmes aussi pourraient être touchés. Le mouvement des femmes pourrait être affecté, parce qu'actuellement plusieurs organisations qui donnent des services aux femmes comptent sur du personnel exclusivement féminin, comme le permet d'ailleurs l'article 20 de la charte québécoise des droits et libertés; on pense ici aux centres de femmes, aux maisons d'hébergement pour victimes de violence conjugale. Eh bien, à Vancouver, une personne transsexuelle a poursuivi une organisation féministe qui donnait des services aux femmes victimes de viol. La personne voulait postuler à un emploi de conseillère auprès de victimes. Est-ce ce genre de poursuite que les groupes de femmes s'exposent avec le règlement?

En conclusion, considérant le déficit démocratique entourant l'examen de cette question; considérant les nombreux impacts appréhendés pour les femmes; considérant l'absence d'analyse différenciée selon les sexes; considérant l'absence de consensus sur la notion de genre; considérant l'absence d'analyse éthique; considérant l'absence d'analyse de solutions alternatives; considérant l'absence de données et l'absence de recul sur les expériences menées dans d'autres juridictions; au nom du principe de précaution, PDF Québec recommande d'abandonner ce projet de règlement basé sur les apparences et demande au gouvernement de faire un suivi des expériences en cours, notamment en Ontario et au Royaume-Uni. Merci.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie, Mme Sirois. Mme la ministre de la Justice, la parole est à vous pour un premier bloc d'échange.

• (17 h 20) •

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Alors, mesdames, merci. Bienvenue à la Commission des institutions. Une deuxième présence en quelques semaines, une deuxième participation en quelques semaines, en consultation.

Je tiens à vous rassurer : la question des apparences, je pense que c'est unanime, ça va être mis de côté. Mais je tiens aussi à vous assurer de quelque chose, puis je pense que ça aussi, c'est unanime, on doit aller de l'avant avec le règlement, je pense bien, à moins que mes collègues m'indiquent autrement. La loi, le Code civil ont été modifiés en 2013, un vote unanime à l'Assemblée nationale. De ne pas donner suite serait aller à l'encontre de la volonté qui a été formulée unanimement par les 125 députés dûment élus qui siégeaient en 2013. Je comprends, c'est un grand changement, c'est un bouleversement. La société, à mon avis, est rendue là.

Et c'est dommage que vous n'ayez pas été présentes ce matin et hier. Je ne sais pas si vous avez eu la chance d'écouter les commissions parlementaires, mais il y a des situations très difficiles qui sont vécues par des hommes et des femmes, au Québec, et des drames humains, et je pense qu'il est de notre devoir... Parce qu'en bout de ligne, puis comme je l'ai mentionné d'entrée de jeu, ce qu'on souhaite, ce que les femmes souhaitent, ce que les hommes souhaitent, ce que les citoyens souhaitent au Québec, c'est d'être traités d'égal à égal, peu importe justement notre apparence, peu importe l'identité sexuelle ou l'identité de genre à laquelle on s'identifie. C'est une égalité qui amènera les gens à ne pas être l'objet de discrimination fondée sur leur apparence, sur leur orientation sexuelle, sur ce à quoi ils ou elles s'identifient. C'est ça qui est à la base. Et c'est ça qui est à la base de la quête de l'identité. Et pour ça, je pense que, comme législateurs, on a ce devoir-là de travailler très fort à cette atteinte de l'égalité, et c'est ça qu'on fait.

Et, pour les gens qui se sont présentés devant nous, c'est ce que j'ai senti aussi, cette volonté d'être traités comme tout autre être humain, peu importe le genre à laquelle la personne s'identifie. Vous avez sans doute entendu le témoignage d'Olie. Et ce sont des situations très difficiles. Et moi, je dois vous dire bien honnêtement que je ne sens pas que, de poser un geste pour simplifier la vie des personnes trans, de ne pas les obliger à passer sous le bistouri, je ne sens pas que, ce faisant, je viens porter atteinte aux droits des femmes. Je ne le sens pas. Ce n'est pas ce que les collègues ont senti ou ont perçu, en décembre 2013, lorsqu'on a adopté ce projet de loi là. Et je pense qu'autour de la table vous avez des collègues qui sont aussi interpellés par les dossiers de la condition féminine, puisque, on l'a fait remarquer, on est quatre comparses qui siégeons aussi sur d'autres commissions parlementaires où on discute des droits des femmes. Mais en même temps de se préoccuper de la situation des personnes trans, c'est aussi important dans cette quête de l'égalité. Je tiens à vous le dire puis je vous le dis en toute honnêteté, en toute transparence, au même titre que j'ai, en toute honnêteté et en toute transparence, dit d'emblée de jeu que le projet de règlement pouvait être bonifié et amélioré. Mais je ne serais pas honnête envers vous d'échanger sur votre mémoire et de vous laisser entendre que nous le mettrions sur la glace, parce que ça fait déjà un an et demi qu'il y a une situation temporaire qui n'est pas claire, puis je pense que c'est notre devoir de voir à ce que cette situation-là puisse être clarifiée. Et on est même appelés à se pencher sur d'autres enjeux. Mais, pour moi, c'est important d'être transparente avec vous et de vous dire bien clairement là où je loge puis où... puis mes collègues pourront... où mes collègues logent.

Vous avez fait mention de certaines préoccupations à l'égard des femmes qui sont hébergées dans les ressources destinées pour les femmes. Vous avez fait égard de certaines préoccupations à l'égard de l'impact que ça pourrait avoir dans les vestiaires. On a eu beaucoup d'échanges là-dessus, et, bien honnêtement, moi, quand je vais dans un vestiaire pour femmes, je vais dans mon petit isoloir, je vais me changer, puis je ne regarde pas, et je ne me préoccupe pas de celles qui sont autour de moi. Et je ne me sens pas, comme femme, en danger si une femme trans est à mes côtés, parce que je pense que cette femme trans là est tout aussi préoccupée par le danger ou par sa sécurité.

Alors, c'est pour ça que j'ai de la difficulté à suivre, parce que je sens, chez les femmes trans, une fragilité qui est encore plus grande, même... qui est très, très grande, et une vulnérabilité aussi qui est très grande. Alors, je ne vois pas en quoi cette personne fragile et vulnérable pourrait constituer un danger, pour moi, en tant que femme, ou pour une autre femme.

Et, là-dessus, j'aimerais vous entendre, parce que je ne sens pas qu'une femme trans qui a recours à une ressource d'hébergement constitue un danger pour les autres femmes hébergées dans cette ressource-là. Je pense que cette femme-là, si elle cogne à la porte, c'est parce qu'elle est vulnérable, parce qu'elle n'a nulle part ailleurs où aller, comme, malheureusement, bien des femmes... Une situation qui est similaire à celle de bien des femmes qui doivent, à un moment donné de leur vie, cogner à la porte d'une ressource pour femmes. Je ne vois pas le danger. Je ne vois pas la dangerosité de la femme trans. Je m'excuse, je... Et, là-dessus, j'ai besoin de votre éclairage.

Mme Guilbault (Diane) : Alors, en fait, dans le mémoire, on ne parle pas nécessairement... bien, même, on ne parle pas du tout du fait que les personnes trans sont des personnes qui peuvent causer danger ou nuire à la sécurité. C'est que, comme tout à l'heure, il y a une députée qui posait des questions, oui, mais il y a peut-être des personnes qui sont peut-être malintentionnées. On a fait la campagne récemment, il y a eu la campagne de l'automne sur les agressions non dénoncées, il y a eu la commission parlementaire. Il y a un problème; il y en a, des agressions, ça existe. Alors, à partir du moment où on ouvre à des personnes qui ne sont pas biologiquement des femmes certains lieux, il y en a malheureusement qui vont peut-être être tentées de pénétrer dans ces lieux-là, et ce sera très difficile de leur dire non. On ouvre la porte; on ouvre une porte. Ce n'est même pas du tout les personnes trans qui nous inquiètent, et, dans le mémoire, ce n'est pas ça qu'on dit. On dit que ça ouvre la porte, dans les lieux réservés pour les femmes, à des personnes qui ne sont pas nécessairement bien intentionnées, parce qu'elles vont y voir une porte d'entrée pour faire toutes sortes de choses.

Mais prenons un autre exemple sur les lieux de femmes qui ne sont pas nécessairement au niveau de la sécurité. Par exemple, il y a eu une joueuse de tennis, à un moment donné, qui était un joueur de tennis. Le joueur de tennis a fait une carrière, une bonne carrière, puis il est devenu une femme, puis, après ça, il a voulu jouer dans les ligues de femmes, sans opération. C'est sûr que, physiquement, sa force n'était pas du tout la même. À l'époque, le changement lui a été interdit. Maintenant, avec un changement comme ça, on ne pourrait pas lui interdire l'accès à un sport, particulièrement comme ça, ou un autre, ou toute autre activité sportive. Et il y a une différence, encore, physique, biologique, de force physique entre les hommes et les femmes. Donc, quand on ouvre la porte, dans des lieux qui sont réservés aux femmes, à des personnes qui ne sont pas biologiquement des femmes, on n'ouvre pas seulement la porte aux personnes trans, on ouvre la porte à beaucoup d'autres personnes.

Et, une des choses pour lesquelles on plaide dans le mémoire, on plaide pour un principe de précaution. C'est sûr, on nous envoie la solution du changement de mention de sexe comme étant la solution pour régler des problèmes, qui sont très graves, et on est absolument d'accord avec ça, mais il n'y a nulle part, nulle part des données probantes qui nous montreraient que cette solution va régler le problème. Elle risque d'en créer d'autres, mais va-t-elle vraiment régler le problème de la souffrance psychologique des personnes trans? Est-ce que l'ostracisme qu'elles vivent, est-ce que la discrimination qu'elles vivent va changer complètement? Mme Michelle Blanc, récemment, témoignait — elle est transsexuelle, elle a été opérée, donc elle a son changement de mention — des vindications, des injures qu'elle recevait encore aujourd'hui. Le changement de mention de sexe n'a pas réglé son problème. Et, dans le passé, le Québec a fait preuve de beaucoup d'avant-gardisme dans beaucoup de domaines, et, dans certains cas, il a fait preuve d'une prudence très juste.

Je vais donner l'exemple d'un tout autre domaine, le cas de la méthode Zamboni pour le traitement de la sclérose en plaques. Je ne sais pas si quelques-uns d'entre vous vous souviennent, il y a quatre, cinq ans, il y avait le traitement du Dr Zamboni, qui, semblait-il, faisait des miracles pour la sclérose en plaques. Les personnes qui vivent de la sclérose en plaques sont très vulnérables. Il n'y a pas de remède. Il n'y a pas de guérison. Alors, évidemment, arrive un remède miracle comme ça, les groupes de patients ont fait des pressions énormes sur les gouvernements. Beaucoup de gouvernements sont allés de l'avant. Le Québec a préféré un principe de précaution, en disant : Regardons aller les choses, deux, trois ans, accumulons les informations pour voir si la réponse est la bonne, et, après ça, on pourra aller de l'avant. Bien, la réponse n'était pas la bonne, le traitement Zamboni ne fait pas les miracles annoncés.

Donc, quand on arrive avec des grands bouleversements, on peut avoir la sagesse, comme législateur, comme gouvernement, de dire : Peut-être que ça vaut la peine de vérifier cette méthode qui n'a pas été encore validée. On ne sait pas si ça va apporter les fruits espérés. On peut peut-être se documenter, on peut peut-être suivre certaines des expériences qui sont menées. On donnait l'exemple de l'Ontario, de l'Angleterre, donc, éventuellement, il y aura Malte, qui a adopté quelque chose la semaine dernière. C'est tout récent, on ne peut pas encore en juger. Donc, prenons le temps d'être prudents, pour nous assurer que le moyen qu'on met de l'avant, qui va entraîner des grands bouleversements, c'est le bon moyen pour répondre au problème qui a été identifié. Voilà.

Une voix : Peut-être rajouter Mme Daphné, oui, peut-être.

Mme Poirier (Daphné) : Ce que j'aimerais préciser, c'est qu'il y a un amalgame qui se fait depuis très longtemps entre les transsexuels et les transgenres, et ce n'est pas péjoratif de parler de transgenre. Ce n'est pas plus péjoratif de parler de quelqu'un qui est malentendant ou quelqu'un qui est malvoyant. C'est deux réalités qui se ressemblent, mais qui diffèrent légèrement. En général, les personnes qui sont transsexuelles savent d'avance qu'elles s'en vont directement vers l'opération, et ce n'est pas un mal de ne pas vouloir se faire opérer, et ce n'est pas un mal de se faire opérer, et la chirurgie n'est pas une charcuterie. Toute chirurgie est une charcuterie, de façon objective, que ça soit une opération au coeur ou autre chose.

Un autre aspect que je trouve un peu agaçant dans tout ça, je sais que ces gens-là éprouvent des difficultés dans leur vie quotidienne; je les ai éprouvées, les mêmes difficultés, moi, quand j'ai fait ma transition, il y a 17 ans. C'est aussi une question de savoir gérer ce genre de problème là. Moi aussi, je l'ai connu, le genre de truc. J'arrive à l'urgence de l'hôpital, puis, bon, je dois sortir mes papiers d'identité et je ne veux surtout pas qu'on m'appelle monsieur et par mon prénom masculin. J'ai pris la peine de l'expliquer lentement, en leur disant : Écoutez, c'est mon dossier médical et ça ne concerne que moi et mon médecin, et, malheureusement, si vous faites ça, je vais être obligée de faire une plainte en déontologie. Ça a été suffisant pour que la personne comprenne que c'était sérieux. Et on ne m'a jamais appelée monsieur dans une salle d'attente, on ne m'a jamais appelée par mon prénom masculin, et c'est resté discret. Et à chaque fois que j'ai eu à gérer ce genre de truc là, c'est toujours au cas par cas.

Je comprends qu'il y a des gens qui vivent des choses difficiles, mais la vie, c'est une suite de décisions et de choses difficiles, et ça, c'est une décision très difficile, d'être transgenre ou d'être transsexuel. On sait qu'on abandonne un pan de notre vie, on sait qu'on peut tout perdre, mais c'est une décision éclairée.

Je n'irai pas parler pour les gens qui commencent leur transition très jeunes, comme Olie. Ça, c'est autre chose, c'est vraiment autre chose. Je parle des gens qui sont à l'âge adulte. Moi, j'ai fait ma transition à 40 ans. Ce n'est quand même pas la même chose. Mais il reste qu'il y a beaucoup de choses qui peuvent être gérées au cas par cas. Je ne sais pas si de le permettre de façon... comme eux, ils le demandent, de façon tout à fait autodéterminée soit la bonne solution.

Il y a des paramètres dans la vie pour tout. Si je veux être médecin, je dois démontrer que j'ai les compétences, j'ai fait les études. Je ne peux pas m'autoproclamer médecin, ou dentiste, ou quoi que ce soit d'autre. Et je pense que c'est normal pour justement préserver un peu de stabilité au niveau du tissu social, que ça se fasse à long... avec des balises. Si on en vient à ça, qu'on garde des balises, qu'on ait des balises claires, qui sont justes. Après tout, ces gens-là, ils sont très souvent suivis par des psychologues ou des psychiatres pendant un certain temps. Ce n'est pas un processus... On ne peut pas obtenir des hormones en allant chez le pharmacien puis en disant : Donne-moi des hormones, j'en veux. Puis, en général, ce n'est pas les médecins de famille qui prescrivent ça. En général, c'est soit des hormonothérapeutes, soit des psychologues, soit des psychiatres ou soit des sexologues.

Donc, la réticence de faire intervenir un professionnel de la santé dans ce dossier-là, c'est une drôle de réticence, parce que, de toute façon, sauf erreur, si on veut obtenir des hormones, que ça soit pour aller dans un sens ou dans l'autre, il faut consulter un médecin. C'est une démarche sérieuse, ce n'est pas une démarche frivole, puis je le comprends très bien. Même pour les gens qui ne veulent pas se faire opérer, ce n'est pas une démarche frivole, c'est une démarche sérieuse. Donc, il y a forcément un suivi médical derrière, quelque part. Donc, pourquoi refuser des balises qui sont simples?

• (17 h 30) •

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète ce premier bloc d'intervention. Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, la parole...

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : Ça va être M. le...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Pardon. M. le vice-président de la commission...

Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve) : ...qui va commencer.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : ...la parole est à vous.

M. Lisée : Merci. Merci beaucoup d'être là. Merci beaucoup pour votre mémoire. C'est un point de vue discordant par rapport à ce qu'on a entendu jusqu'à maintenant, et c'est bien qu'en commission parlementaire on ait des points de vue discordants. Vous aurez peut-être d'ailleurs remarqué qu'ayant lu votre mémoire j'ai testé certains de vos arguments avec des gens qui sont venus avant pour voir comment ils les voyaient. Et on est très suivis en ce moment à la télévision, on le voit sur les réseaux sociaux, nos arguments, nos contre-arguments, alors je tiens à aviser ceux qui nous écoutent que c'est notre rôle de législateur de poser toutes les questions, et ça ne préjuge pas de notre position.

En lisant votre mémoire, évidemment, je suis très sensible à l'argument que vous avancez sur le sentiment de sécurité des femmes qui se retrouveraient, surtout des femmes vulnérables, les maisons d'hébergement pour femmes violentées, les centres de femmes, les refuges pour femmes itinérantes, donc des femmes déjà fragilisées, qui seraient en situation avec les femmes trans, c'est-à-dire qui sont parties d'un sexe masculin à un sexe féminin, mais gardant leur état biologique masculin. Cependant, ce sont des lieux qui sont extrêmement contrôlés, c'est-à-dire que les gens qui s'occupent de ça sont très formés, savent comment protéger ces femmes-là, et aux questions que j'ai posées aux groupes qui sont venus avant, on dit : Bien oui, justement, nous... les femmes trans sont souvent fragilisées, sont souvent violentées, donc elles vont dans ces lieux et soit c'est fermé à eux, mais, lorsque c'est ouvert à eux, bien elles sont bien traitées, et donc ne voyaient pas une difficulté sur la sécurité de ces femmes-là. Vous ne le voyez pas de la même façon?

Mme Sirois (Michèle) : Non. Non, je ne le vois pas de la même façon. À PDF Québec, d'abord, quand on entend... J'en ai parlé à des gens qui sont de la communauté LGBT. On n'a rien contre, on a des personnes... Daphné en fait partie, il y a d'autres personnes dans PDF Québec. Ce n'est pas ça, le problème. Le problème, c'est que les femmes qui étaient concernées n'ont pas été convoquées en 2013, et elles ne sont pas encore là. Nous allons avoir peu de temps pour parler, là, mais déjà en 2013, un député de Fabre, M. Gilles Ouimet, O.K...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Lui!

Mme Sirois (Michèle) : Hein, ça réveille un petit peu, hein?

Des voix : ...

M. Lisée : Mais, Mme Sirois, excusez-moi.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Qu'a-t-il fait?

Mme Sirois (Michèle) : Qu'a-t-il dit?

M. Lisée : Mme Sirois, ce n'est pas la question que je vous pose. Je comprends, vous avez bien dit qu'il y avait un déficit démocratique, mais moi, j'aimerais vous ramener — parce que j'ai deux points à soulever avec vous — sur la réalité de la crainte que vous exprimez, du sentiment d'insécurité dans les centres de femmes du fait que des femmes trans soient admises, et vous ne semblez pas faire confiance aux gens qui travaillent dans ces centres pour protéger les femmes qui y sont.

Mme Sirois (Michèle) : Les femmes elles-mêmes à qui on en a parlé, qui étaient des centres de femmes, ont dit : Oups! Et des maisons aussi d'hébergement pour femmes violentées : Hi! on n'aimerait pas trop ça. Alors donc, oui, il y avait des craintes. Ce qu'ils nous posent comme question : Oui, vous... Il ne faut pas glisser trop rapidement sur la question du déficit démocratique, parce qu'il est au coeur de la question. Mme la ministre de la Justice nous a dit : Le règlement a été adopté, et puis on va procéder. Moi, je pense...

M. Lisée : ...rediscuter avec la ministre tout à l'heure...

Mme Sirois (Michèle) : Mais je vais continuer encore, parce que vous me... Est-ce que je peux continuer?

M. Lisée : Bien, j'aimerais qu'on ait un dialogue sur la question que je pose et non sur celle-là.

Mme Sirois (Michèle) : Justement. Alors, si vous aviez des groupes de femmes de ces centres qui... s'ils étaient venus, vous auriez pu leur poser la question à elles directement. Là, vous me dites que vous l'avez posée à des groupes qui veulent avoir absolument le changement, et c'est ça, le problème. Nous voulons un moratoire pour qu'on ait le temps d'étudier tous les angles qui n'ont pas jamais été étudiés ni en 2013 et qui ne semble pas qu'ils vont être étudiés en 2015 aussi.

M. Lisée : Très bien. Mme Sirois, je vais évoquer dans les minutes que j'ai un autre élément que vous apportez dans le document. Vous dites, et là, on n'est plus dans le cas des femmes fragilisées et violentées, mais en général, et vous dites : «Nous sommes très nombreuses à ne pas vouloir nous retrouver dans un vestiaire sportif à côté d'hommes nus sous prétexte qu'ils disent se sentir femmes [parce qu'on a ouvert aux] hommes transgenres les portes des lieux d'intimité...»

Sans vouloir vous vexer, c'est à peu près l'argument qu'on entendait aussi aux États-Unis pour le refus de permettre aux gais de servir dans l'armée, en disant : On ne veut pas avoir des gais dans le vestiaire avec nous ou dans la douche avec nous. En quoi est-ce que c'est différent?

Mme Sirois (Michèle) : Je m'excuse, ce n'est pas une bonne analogie. Les hommes gais vont prendre la douche avec les hommes, gais ou pas, là, tu sais... Je veux dire, ça ne paraît pas, un homme dans une douche, c'est un homme dans une douche. Son orientation sexuelle n'a... il n'y a rien. Tandis que dans une douche pour femmes, arrive une personne transgenre biologiquement mâle, ça paraît. Je veux dire, c'est... la différence... Elle est peut-être très gentille, la personne, là, ce n'est peut-être pas ça, là, mais le sentiment de sécurité, quand on est très, très vulnérable, comme dans une douche, il est là. Le sentiment de sécurité doit être conforté et non pas mis à mal. Alors, il y a une différence, l'analogie n'est pas tout à fait juste.

M. Lisée : Très bien, mais je vous la soumets...

Mme Sirois (Michèle) : Oui, c'est très bien.

M. Lisée : ...comme je vous soumets que, sur le principe de précaution, on l'a souvent entendu, pour les droits des homosexuels, en disant : Bien, on ne sait pas qu'est-ce que ça va changer, surtout si on leur permet de... sur la question spécifique de l'adoption, on devrait avoir utilisé le principe de précaution, alors que le Québec a décidé, par respect pour les droits, de permettre l'adoption. Et de la même façon, cet argument que vous évoquez, c'est sûr qu'il y a des gens qui, même s'ils ont ce droit, vont être quand même victimes de transphobie. Bien, c'est vrai aussi pour les homosexuels. On leur a reconnu le droit à l'égalité, et ils sont toujours victimes de discrimination. Alors, ce n'est pas suffisant comme argument pour dire qu'on ne devrait pas le faire.

Mme Sirois (Michèle) : La société québécoise, vous remarquerez, a quand même beaucoup évolué, et, quand il y a eu le mariage des couples de même... D'abord, il y a eu l'union de fait, puis après ça il y a eu le mariage, mais, quand il y a eu... même l'union de fait, il y a eu un vrai débat de société. Il y a eu toutes les parties qui ont été invitées à venir faire partie... même des groupes religieux étaient là, tout le monde a pu venir dire son point de vue. Ce qu'on fait comme remarque ici, c'est que, dans ce débat où les conséquences...

Et on en fait quand même un listing et on n'est pas les seuls. Il y a même Me Jean-Sébastien Sauvé et Marie-France Bureau, dans un article qui a été écrit en 2011, un article juridique, faisaient état des mêmes préoccupations qu'on avait. Pour ces personnes, pour ces auteurs, ce n'était pas grave, mais il existait quand même... la liste était là. Donc, on ne les invente pas tout simplement, c'est qu'on dit : Ça existe. Ces questions ont été posées, doivent être posées, mais, actuellement, il n'y a pas de réponse. Quand il y a eu le débat en 2002 à l'Assemblée nationale pour l'union de fait — je pense que c'était dans ces eaux-là, en tout cas — il y a eu, quand même, un vrai débat de société dans les journaux, les gens écrivaient, tout ça. La société a pu avancer. Là, ici, on va mettre les gens, la société, les institutions, les centres de femmes devant un état de fait auquel elles n'auront pas été préparées.

Et, tout à l'heure, madame de l'association des enfants Canada transgenres faisait état des difficultés en milieu scolaire. Elle le vit, mais le milieu scolaire, il n'est pas ici présentement. Alors donc, je pense que, si on veut faire évoluer la société, il faut que la société puisse en discuter.

M. Lisée : Très bien. Est-ce qu'il me reste un peu de temps, M. le Président?

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Il vous reste deux minutes.

• (17 h 40) •

M. Lisée : Ah! très bien. Écoutez, sur la question de savoir si on doit avoir beaucoup de gens qui viennent présenter leurs points de vue, moi, je suis tout à fait d'accord avec vous, et d'ailleurs on a exprimé le désir qu'entre autres le Conseil du statut de la femme vienne également étoffer notre réflexion.

Vous faites une distinction entre les transsexuels et les transgenres en disant : Bon, la transsexualité, là, il y a un processus qui est fait, le sexe est vraiment changé. Qu'il y ait là un changement de désignation sur l'acte d'état civil, ça ne vous pose pas de problème, au contraire. C'est pour les transgenres, vous dites : On veut un moratoire. Alors, on a eu un grand débat sur le délai. Déjà, on disait... bon, dans le projet de règlement de la ministre, qui est maintenant sous étude, on disait : Bon, un délai de deux ans. Et on nous a dit : Écoutez, deux ans, vous nous condamnez à la discrimination pendant deux ans, alors qu'on est prêts à faire ce changement. Je me demande si vous êtes... Et vous demandez un moratoire. Est-ce que je peux vous demander pendant combien d'années vous proposez ce moratoire? Y avez-vous pensé? Et comment réagissez-vous à cet argument, de dire : Bien, plus on attend, plus on condamne les gens à la discrimination pendant cette attente?

Mme Sirois (Michèle) : Bien, moi, je pense que le moratoire, il va demander le temps qu'enfin on étudie la question, ce qui n'a pas été fait en 2013. On est devant un fait accompli sans que... et on y va à l'aveugle. Moi, j'aimerais que les gens ici prennent conscience que c'est ouvrir aussi une boîte de Pandore. On ne sait pas ce qu'il y a dans la boîte : peut-être qu'il n'y a que des choses bénéfiques, peut-être qu'on enlève toutes les discriminations, mais peut-être qu'on ouvre des points importants. Les associations sportives ne sont pas ici pour savoir : Que va-t-il se passer pour nous? Les écoles ne sont pas là, les groupes de femmes non plus. Qu'est-ce qu'on fait avec des groupes de femmes s'il y a des hommes qui sont là et qui sont poursuivis comme ce qui arrive à Vancouver? Ça, ça n'a pas été étudié. Ça, c'est des angles morts, et on fonce vers quelque chose. Dans la précipitation, je pense que ce n'est pas une bonne conseillère.

Donc, on voudrait qu'on étudie, nous, enfin, qu'on regarde les impacts autrement. Pendant toute l'année passée... On les a regardés, le verbatim, le Journal des débats, en 2013, on a regardé encore hier, et la question des femmes, la question des écoles, des associations sportives... ils ne sont même pas informés. On parle aux proches, et ils ne sont pas au courant, et pas... des gens qui suivent l'actualité tous les jours ne sont pas au courant, et pourtant ça a un impact de société. C'est un changement de société qui est traité comme un changement administratif.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie. Ça complète le temps qui était disponible à cet échange avec l'opposition officielle. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Mesdames, Mmes Sirois, Guilbault et Poirier, merci pour votre mémoire. Ce que vous dites me touche beaucoup. Et j'ai été interpellée quand vous dites : La population qui nous écoute actuellement, outre la communauté LGBT, les gens qui étaient peut-être en commission en 2013 — je n'y étais pas — donc beaucoup de personnes ignorent quel est ce changement-là que l'on demande précisément dans le règlement. Beaucoup de gens ignorent aussi que la loi, elle a déjà été changée. Donc, c'est sur le règlement que nous travaillons actuellement.

Et il y a quelque chose d'important que vous avez dit : Le principe de sécurité... En fait, il y a plusieurs choses importantes que vous avez dites. Quand vous avez dit, entre autres : La représentativité lors de ces commissions... et j'en suis, un, j'aurais aimé y être, et, deux, j'aurais aimé qu'il y ait une plus grande ouverture... comme le député de Fabre à l'époque avait soulevé également cette interrogation, je suis tout à fait d'accord avec lui, j'aurais aimé qu'il y ait une plus grande ouverture pour que plus de groupes, plus d'intervenants, plus de personnes, plus de femmes sachent quels seront les changements qui seront abordés, puisqu'on parle aussi ici de changement de genre sans avoir eu d'opération. Et ça, il y a des conséquences, mais il n'y a pas uniquement que des conséquences pour les transgenres; il y a aussi des conséquences pour la société, qui n'a pas besoin... qui ne fera pas ces demandes, et c'est ce que vous nous dites aujourd'hui si je comprends bien.

Alors, je suis d'accord avec vous, effectivement, nous aurions dû... et il aurait fallu, je pense, se poser la question, puisque les personnes transgenres, c'est important de le souligner, sont peut-être de genre... se sentent femme, s'habillent en femme, parfait, mais sont encore biologiquement des personnes masculines avec les attributs masculins, et il faut se poser la question et ne pas avoir peur de se la poser. J'ai l'impression que le travail a été fait un peu en vase clos. Alors, c'est pour ça que vous êtes ici, puis je trouve intéressant ce que vous soulevez. Et je trouve particulièrement intéressant le témoignage de Mme Poirier, Mme Poirier qui a... qui nous a fait part de son témoignage qui était très précis, qui fait... Je ne veux pas catégoriser les gens et dire qu'ils font partie d'une communauté. Vous nous avez parlé de votre réalité et vous nous dites : Effectivement, le principe de précaution, il faut l'appliquer, et ce que le règlement fait, c'est qu'il met des balises.

Alors, j'aimerais que vous nous expliquiez, dans l'éventualité où on doit travailler avec le règlement et qu'il sera impossible pour nous de le suspendre ou d'avoir un moratoire, dans quelle mesure les conditions qui sont rajoutées au règlement pour pouvoir obtenir le changement de genre sont importantes, lesquelles seraient les plus importantes, lesquelles seraient à prioriser, selon vous, particulièrement vous, Mme Poirier, qui avez passé par là, excusez l'expression, mais qui avez un cheminement de vie particulier.

Mme Poirier (Daphné) : Je vous avoue que le règlement, dans son état actuel, ressemble beaucoup à ce qu'on voit en Angleterre. Il ressemble beaucoup à ce qu'on voit aussi en Espagne. Donc, on a posé des balises, on n'a pas dit : C'est interdit; on a dit : On va le permettre, mais on va faire un examen de conscience avec la personne qui demande ce changement-là. Elle a fait son examen de conscience, elle démontre le sérieux de sa démarche, et on pose des balises. On pose des balises. Entre autres, il n'y a pas d'aller-retour possible à tout bout de champ, ça, c'est essentiel. On ne peut pas permettre aux gens de dire : Bien, je vais vivre cinq ans comme une femme, puis dans cinq ans, bien, je passe à autre chose.

C'est justement, ça ressemble un peu... le règlement ressemble à ce qu'on retrouve en Angleterre, à ce qu'on retrouve en Espagne, et ça, ça me semble être un compromis acceptable pour une personne qui ne veut pas se faire opérer, mais qui veut qu'on... Ils ont tout à fait le droit qu'on respecte leurs droits, c'est des êtres humains. Je n'ai jamais rien eu contre les gens qui ne se font pas opérer, c'est des êtres humains. Ils ont droit au respect de leurs droits, ils ont le droit de demander qu'on respecte leurs droits, d'être traités également.

Ce que j'ai toujours reproché un peu, c'est qu'on fasse l'amalgame, parce que les gens qui sont transsexuels opérés, comme moi, ce règlement-là, nous, ça ne nous touche pas, ça ne nous concerne pas

Mme Roy (Montarville) : C'est ça.

Mme Poirier (Daphné) : Je n'en ai rien à cirer, moi, de ça, parce que, moi, mon problème, il est réglé depuis longtemps. J'avais un problème différent. J'ai toujours considéré qu'être transgenre ou être transsexuel, c'est un niveau d'inconfort plus ou moins grand. Moi, j'avais un inconfort tel avec mon corps d'origine que je devais me faire opérer. Ça n'a jamais été une question : Est-ce que je vais me faire opérer? Non, c'était : Je vais me faire opérer. Si je meurs sur la table, je m'en fous. J'ai des amis qui sont cardiaques qui se sont fait opérer. J'ai des amis qui sont séropositifs qui se sont fait opérer. J'ai une amie qui avait 75 ans, puis qui est morte cinq ans plus tard, puis qui s'est fait opérer. Elle a dit : Je vivrai au moins les cinq dernières années de ma vie convenablement. Mais c'est sûr qu'on ne peut pas forcer quelqu'un à se faire opérer s'il ne veut pas se faire opérer. Si moi, je ne veux pas vivre de même, je veux déterminer ma vie, si je ne peux pas le faire au Québec, je vais aller le faire ailleurs. Je vais prendre des sous puis je vais aller dans un pays où c'est permis.

Mais le règlement, je pense que, dans sa forme actuelle, permet au moins de baliser la chose, de ne pas banaliser, parce que ce n'est pas banal. Et on ne parle pas d'une population de... Je ne veux pas non plus jouer sur les chiffres, mais on n'est pas 5 % de la population, là; on est peut-être 0,5 % de la population si on confond tous les problèmes d'identité de genre entre eux, autant les gens qui se travestissent plus ou moins à temps plein, les transgenres, les transsexuels, les gens qui se font opérer.

Mme Roy (Montarville) : J'aime beaucoup ce que vous dites. On ne banalise pas ça, effectivement. C'est très important, cette identité que les gens revendiquent. Et croyez-vous que le fait d'ajouter des balises fera en sorte que, justement, les gens de mauvaise foi, et on ne parle pas des gens trans, les gens de mauvaise foi, les gens y verraient une facilité de pouvoir adopter le genre de quelqu'un d'autre pour arriver... Et, je le disais tantôt, et je vais répéter les mêmes mots, des criminels, des pédophiles, des agresseurs, s'il n'y a pas de balise et si on peut simplement sur une déclaration changer de genre, c'est là que vous y voyez le risque, et le risque ne vient pas des transgenres si je vous comprends bien, là, et je pense que c'est important de le souligner. Ce n'est pas de la transphobie, au contraire. Et je pense que le sujet est tellement important, et je le répète, que nous aurions dû avoir plusieurs autres intervenants de la société pour qu'ils soient mis au courant, parce que, comme je vous dis... Oui, allez-y, je vous écoute.

• (17 h 50) •

Mme Poirier (Daphné) : Le sujet, on est sur le point de faire un changement important de société. Le législateur est sur le point de dire : Voilà, parce qu'il y a des gens qui souffrent, on va faire une redéfinition de ce qu'est un homme et une femme. On va élargir la définition pour aider ces gens-là à mieux vivre. Je suis entièrement d'accord. Là où j'ai un problème, c'est que la population en général, M. et Mme Tout-le-monde, ils ne sont pas au courant de ça. Ils ne sont pas au courant pour deux raisons : ils ne sont pas au courant parce qu'ils ne connaissent pas de personne transgenre ou transsexuelle ou ils n'en ont rien à faire. C'est le cadet de leurs soucis. Et ce que je crains, c'est que, si on mettait les choses de façon trop banale, si on banalisait trop le changement avec le règlement, il y aurait un ressac dans la population.

Ce n'est pas une chape d'invisibilité, d'avoir un F ou un M sur ses papiers d'identité. Moi, je ne suis fait opérer en 1999. J'ai commencé ma transition en 1996, j'ai été opérée en 1999. À l'époque, la loi ne me permettait de changer mon acte de l'état civil parce que je n'étais pas divorcée, et mon ex avait des réticences à ce qu'on divorce tout de suite. Donc, ça a trainé jusqu'en 2002. J'ai vécu de 1999 à 2002 étant physiquement tout ce qui était de plus proche possible de ce moi, je voulais être comme femme, mais pourtant j'avais encore des papiers qui disaient : Daphné Poirier, photo de femme, sexe masculin. Je n'en ai jamais fait une maladie, ça ne m'a jamais causé de problèmes, puis j'ai toujours réglé les problèmes au cas par cas. Et je ne me mettais pas dans des situations non plus où ça risquait d'être compliqué. Je ne voyageais pas à l'étranger de façon non nécessaire. Si c'était nécessaire, j'y allais, mais si ce n'était pas nécessaire... Je ne serais pas allée au Moyen-Orient, par exemple. Je ne suis pas folle.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Ça complète, malheureusement...

Mme Poirier (Daphné) : Je ne suis pas folle.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Ça complète ce bloc d'échange avec la deuxième opposition.

Avant de céder la parole à la ministre de la Justice, puisqu'on a fait référence abondamment à ma participation à ce débat dans la législature précédente, tout simplement pour le bénéfice de ceux qui n'étaient pas membres de la Commission des institutions et ceux qui suivent nos travaux, simplement rappeler qu'effectivement il y avait eu un débat lors de l'étude détaillée du projet de loi n° 35, et on avait... j'ai moi-même fait reproche à ce moment-là au ministre de la Justice de ne pas avoir procédé d'une certaine façon pour permettre un large débat.

Ceci dit, et je pense que c'est important, parce qu'au bout du compte l'Assemblée nationale, à l'unanimité, a adopté le changement au Code civil, et je suis, moi, tout à fait à l'aise avec ce changement dans la mesure où nous avons, entre l'étude détaillée et le conflit que j'avais avec le ministre de la Justice, qui était au printemps, et le mois de novembre, au moment où l'étude détaillée du projet de loi n° 35 s'est terminée et où son adoption a eu lieu... les parlementaires avaient fait des démarches pour consulter plusieurs groupes. Ce n'était pas public, et c'est la raison pour laquelle je le mentionne. Mais cette démarche-là a été faite pour consulter de nombreux groupes, des commissions scolaires, la Fédération des commissions scolaires, le ministère de la Sécurité publique, la SPVM, la SQ, Collège des médecins, et tous ces groupes avaient refusé de venir participer, éclairer nos travaux. Il y a quelques parties qui sont venues, et au bout du compte les parlementaires, à l'unanimité, ont adopté le projet de loi n° 35.

Alors, je voulais simplement clarifier, parce qu'on pouvait... il y a certains échanges qui pouvaient laisser entendre qu'il y avait eu un déficit démocratique, et c'est un point que nous avions débattu, et, au bout du compte, nous étions à l'aise que nous avions rempli notre rôle de parlementaires, et donc je voulais apporter cette précision.

Mme la ministre de la Justice, la parole est à vous pour trois ou quatre minutes.

Mme Vallée : Alors, je tente de comprendre, parce que je sens que vous avez... d'une partie, vous reconnaissez que le règlement est nécessaire. Donc...

Une voix : ...

Mme Vallée : Oui.

Mme Poirier (Daphné) : Oui, bien sûr que le règlement est nécessaire.

Mme Vallée : D'accord. Non, mais... Alors, et dans cette optique-là, c'est parce que j'essaie de voir, parce que le mémoire demande de suspendre l'ensemble de l'oeuvre, mais...

Mme Poirier (Daphné) : On se place dans une situation où on est très avancés.

Mme Vallée : Mais c'est ça, c'est qu'actuellement votre demande, dans le fond, c'est de dire : Écoutez, c'est de remettre complètement la pâte à dents dans le tube puis de recommencer à zéro, alors que le projet de loi... le Code civil a été amendé, c'est un fait, et là, ce qui arrive, c'est qu'on a une zone qui est un peu grise, parce qu'on a indiqué qu'il devait y avoir un règlement. Donc, on est placés devant cette situation-là, et le règlement doit aller de l'avant, et le débat s'est fait, comme le disait le président, il y a des eu des échanges avec des groupes. Il y a des groupes qui ont refusé de participer aux échanges. On peut comprendre et, dans tous les dossiers, je vous dirais, on comprend qu'il y a parfois des difficultés à accepter qu'on passe à une autre étape de la société.

On a vécu des situations similaires lorsqu'il a été question de mariage homosexuel. On a vécu des situations similaires tout récemment, avec les soins de fin de vie, lors de la commission sur le droit de mourir dans la dignité et lors des consultations sur le projet de loi de notre collègue de Joliette. Il y a des gens qui nous disaient : Au nom du principe de précaution, n'allez pas dans le sens d'autoriser l'aide médicale à mourir. Mais la société québécoise, elle n'était pas unanime, mais elle était rendue à cette étape-là, puis moi, je vois ce que nous faisons actuellement comme étant similaire, c'est-à-dire, c'est un changement de société.

Vous faites non de la tête, madame. Je comprends que l'unanimité n'est pas présente, mais l'unanimité dans la société, c'est utopique, on la retrouvera... je ne pense pas qu'on va la retrouver. Mais on est rendus à reconnaître des droits, et ce n'est pas que les parlementaires qui affirment ce droit-là. En fait, si le Code civil a été modifié, c'est qu'il y a eu des décisions, notamment en Ontario, qui indiquaient que de refuser de procéder aux changements de mention de sexe parce qu'une personne n'avait pas subi de chirurgie, ça portait atteinte aux droits qui sont protégés par la charte. C'est ce qui nous a amenés là et c'est ce qui a amené mon prédécesseur à déposer le projet de loi. Et, mon prédécesseur et moi, on ne s'entend pas sur tout, on n'est pas du tout de la même... on n'a pas la même allégeance politique, mais, là-dessus, on s'entend.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Mme la ministre de la Justice et responsable de la condition féminine, je suis obligé de vous interrompre parce que nous avons terminé nos échanges. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, pour le dernier bloc d'échange.

Mme Massé : Merci, M. le Président. Bonjour mesdames, merci d'être là et effectivement d'apporter une voix qu'on n'a pas beaucoup entendue. Plusieurs questions ont été soulevées par mes collègues, j'aimerais aussi apporter une dimension. Bon, d'une part, vous avez parlé de quelque chose qu'on a entendu beaucoup durant les deux dernières journées; c'est, effectivement, comment, à travers le Québec, à travers le monde, et je dirais à travers les parlementaires... pas les gens qui sont ici, parce qu'on s'est formés, quand même, depuis deux jours... mais, effectivement, il y a une méconnaissance.

Au même titre, et moi ça me rappelle, comme lesbienne au début des années 70-80, vraiment une méconnaissance, et, dans ce sens-là, j'aimerais nous rappeler que, des fois, le législateur, sa responsabilité, c'est de voir en avant. Et je prendrais comme exemple les familles homoparentales. Je me souviens d'un débat, j'étais dans Le Mouvement des femmes, j'avais des enfants et je me souviens d'un débat où les féministes me rappelaient que ça prenait un gars puis une fille pour élever des enfants. J'étais éberluée comme féministe. Je me disais : Bien, voyons donc! C'est comme... De quoi on me parle, là? Un enfant, ça a besoin d'amour, ça a besoin de manger, ça a besoin d'être bien dans son identité de genre, mais certainement pas d'un homme et d'une femme pour l'élever. Comme féministe, je trouvais que c'était, à la limite, un peu à contresens.

Besoin d'éducation, nous y sommes, on se l'est répété plusieurs fois, et, dans ce sens-là, je resouligne que le 17 mai, pour la première fois cette année, ça sera la journée nationale de lutte à l'homophobie et à la transphobie. Parce qu'on n'a pas besoin d'être dans un processus de changement de genre pour vivre les impacts de la transphobie, et j'en suis un phénomène clair depuis 2006, hein? Toute la théorie de c'est quoi une vraie femme, un vrai homme, et est-ce qu'on pourrait plutôt aller vers un homme vrai et une femme vraie, ça m'apparaît plutôt clair.

J'avais un grand inconfort, comme féministe... Je veux juste vous dire que je me suis assurée, avec les gens qui sont venus nous parler, au niveau légal, sur l'ADS, l'importance de l'ADS, est-ce que ça nous enlève le levier d'ADS? Puis, moi, la réponse qu'on m'a donnée c'est : L'ADS... pas l'ADS, les statistiques, ce qui relève des statistiques ne relève pas de l'état civil, mais plutôt de l'Institut de la statistique. Je tenais à vous le dire parce que vous m'avez rencontrée notamment à ce sujet-là.

Mais il y a un élément avec lequel, là — et ici il va vous rester probablement une minute — vous me dites : La réalité à travers le monde est basée sur la réalité des deux sexes, homme et femme. Biologiquement, c'est-à-dire les «males and females», comme on dit, effectivement c'est comme ça que les sociétés à travers le monde sont basées. Où est-ce que vous mettez les gens qui sont intersexes? Où est-ce que vous mettez les gens qui ne veulent pas être attribués à un sexe? C'est où, ça?

Mme Guilbault (Diane) : Je vais répondre...

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Pour 30 secondes. Malheureusement, nous sommes...

• (18 heures) •

Mme Guilbault (Diane) : ...la question n'est pas sur les intersexes, là, c'est... Je pense que la question un homme vrai, une femme vraie, vous avez dit quelque chose de très bien. Moi, je pense que c'est exactement ça qu'on partage et, quand on parle de pas en avant, je ne suis pas certaine. On fait un virage à 180 degrés ici, au Québec, parce que le Québec a toujours fait la promotion de défaire les genres qui emprisonnaient les hommes et les femmes dans des rôles spécifiques, des rôles sociaux particuliers; c'étaient des prisons. Le genre, c'est une prison. Le genre, il ne faut pas le consacrer, le cristalliser, il faut s'en défaire, de faire en sorte que, si un petit garçon veut faire des cours de chant, du ballet, porter un tutu rose, qu'il puisse le faire sans que personne... Et donc la lutte aux stéréotypes est fondamentale, et de consacrer et de cristalliser les stéréotypes, ce n'est pas un pas en avant, c'est un pas en arrière.

Le Président (M. Ouimet, Fabre) : Je vous remercie sur ces paroles. C'est malheureusement tout le temps dont nous disposions.

Et, compte tenu de l'heure, la Commission des institutions ajourne ses travaux. Merci, bonne soirée à tous.

(Fin de la séance à 18 h 1)

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