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Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs

Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le mardi 5 novembre 2019 - Vol. 45 N° 2

Consultations particulières et auditions publiques sur l’exploitation sexuelle des mineurs


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Service de police de la ville de Québec (SPVQ) et Projet intervention prostitution Québec
(PIPQ)

Alliance Jeunesse Chutes-de-la-Chaudière

Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions
à caractère sexuel (RQCALACS) et Direction générale de l'indemnisation
des victimes d'actes criminels (Direction générale de l'IVAC)

Mme Rose Dufour

M. Daniel Loiseau

M. Michel Dorais

Direction de la protection de la jeunesse de la Capitale-Nationale

Autres intervenants

M. Ian Lafrenière, président

M. Christopher Skeete

Mme Christine St-Pierre

Mme Lucie Lecours

M. Frantz Benjamin

Mme Isabelle Lecours

M. Guy Ouellette

Mme Kathleen Weil

M. Denis Lamothe

M. Alexandre Leduc

Mme Émilie Foster

Mme Méganne Perry Mélançon

Mme Nancy Guillemette

*          Mme Nathalie Thériault, SPVQ

*          Mme Nancy Delisle, idem et Direction de la protection de la jeunesse de la Capitale-Nationale

*          Mme Geneviève Quinty, PIPQ

*          Mme Véronique Duchesneau-Couillard, Alliance Jeunesse Chutes-de-la-Chaudière

*          Mme Lauryann Irazoqui, idem

*          Mme Maude Dessureault Pelletier, RQCALACS

*          Mme Marie-Michèle Whitlock, idem

*          M. Jean Rodrigue, Direction générale de l'IVAC

*          Mme Catherine Geoffroy, idem

*          M. Patrick Corriveau, Direction de la protection de la jeunesse de la Capitale-Nationale

*          Mme Jessica Gauthier, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Dix heures une minute)

Le Président (M. Lafrenière) : ...la séance de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs ouverte. Je vous souhaite la bienvenue et je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones. Je ne cible personne, mais je le passe en général.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, M. le Président. Il n'y a pas de remplacement.

Auditions (suite)

Le Président (M. Lafrenière) : Parfait. Alors, ce matin, nous entendrons en audition conjointe le Service de police de la ville de Québec et le Projet d'intervention prostitution de Québec et Alliance Jeunesse. Je vous rappelle que vous allez avoir 15 minutes chacun pour faire vos présentations, et, par la suite, ce sera une période d'échange, et j'ai bien dit une période d'échange, avec les membres de la commission. C'est une commission non partisane. On est très heureux de vous avoir aujourd'hui.

Alors, je vais laisser commencer nos gens de la ville de Québec, faire leur présentation de 15 minutes, et, par la suite, on aura nos deux projets pour leur présentation. Madame.

Service de police de la ville de Québec (SPVQ) et Projet
intervention prostitution Québec (PIPQ)

Mme Thériault (Nathalie) : Merci, M. le Président. Mmes et MM. les députés, bonjour. Merci de nous accueillir ici aujourd'hui. C'est avec un immense plaisir que nous venons vous entretenir sur ce phénomène qui nous préoccupe tant depuis si longtemps. Je me présente : Nathalie Thériault, capitaine au service de la ville de Québec. Et je travaille au phénomène depuis près de 20 ans. À ma droite, une collaboratrice, Nancy Delisle, chef de service de l'évaluation à la direction de la protection de la jeunesse, CIUSSS de la Capitale-Nationale. À ma gauche, une autre collaboratrice très importante pour nous, Geneviève Quinty, directrice, Projet intervention prostitution Québec. La particularité des gens qui m'accompagnent, c'est que Nancy Delisle est la coordonnatrice de la table régionale de Québec sur l'exploitation et la prostitution juvénile, alors que Mme Quinty et moi-même faisons partie des membres fondateurs de cette même table il y a 15 ans.

Dans un premier temps, je vais quand même élaborer sur ce que le service de police a fait depuis, peut-être, les débuts des années 2000. Et, dans un deuxième temps, j'aimerais vous entretenir sur la collaboration, la concertation qui a été mise en place depuis les années 2000, ce qui est extrêmement important pour la région de Québec.

Rappelons-nous, à l'aube des années 2000, le Service de police de la ville de Québec s'est retrouvé aux prises avec un phénomène émergent : la prostitution juvénile par les gangs de rue. À l'époque, plusieurs petits réseaux s'installaient et recrutaient dans les écoles, dans les centres d'achats, dans les centres jeunesse, dans les spectacles et dans les hôtels. Le proxénétisme, tout comme le crime organisé, est un réseau structuré où les proxénètes travaillent en équipe afin de trafiquer des jeunes filles sur qui ils exercent de la violence psychologique, physique et sexuelle. Elles sont déprogrammées, et leur façon de penser est remodelée à l'image de ce que les proxénètes ou la traite attendent d'elles, c'est-à-dire devenir des objets sexuels que l'on exploite selon l'offre et la demande.

Au SPVQ, des séances d'information sont offertes. Je vais vous expliquer en général qu'est-ce qui a été mis en place depuis les années 2000 pour que nos gens soient beaucoup plus outillés à mettre le filet de sécurité auprès de ces jeunes-là, parce que c'est une clientèle très vulnérable, et on a développé des moyens puis des outils de façon à bien équiper nos membres. Des séances d'information sont offertes et de la formation est diffusée à l'ensemble des effectifs, autant patrouilles qu'enquêtes, dans le but de les outiller afin de mieux intervenir auprès de ces jeunes vulnérables. Des séances d'information sont également offertes aux réseaux hôteliers, aux superviseurs de centres d'achats, aux étudiants en technique d'intervention en délinquance et en techniques policières ainsi qu'aux étudiants au certificat en sexologie. On s'entend que c'est notre avenir, c'est les intervenants de demain. Donc, pour nous autres, c'est important d'aller de l'avant dans ce sens-là.

L'unité intervention jeunesse et prévention est extrêmement importante chez nous. Il y a trois sergents qui s'occupent de cette unité-là, donc, il y a six préventionnistes, 15 policiers dans les écoles puis 10 enquêteurs jeunesse. Nos policiers dans les écoles ont des écoles secondaires attitrées dans lesquelles ils sont extrêmement impliqués au niveau des équipes multidisciplinaires. Ce sont des pivots autant au niveau du phénomène de la prostitution juvénile que de l'exploitation sexuelle, que pour d'autres phénomènes. Donc, ils sont partie prenante de la vie étudiante.

Ils font également des conférences. Juste pour vous en donner une, qui est quand même extrêmement importante, en lien avec l'exploitation sexuelle, c'est Nul n'est censé ignorer la loi. Elle est présentée aux jeunes de secondaire III, IV et V afin d'aborder les sujets de pornographie juvénile, du consentement sexuel et de l'exploitation sexuelle. Donc, il y a un volet préventif, il y a un volet aussi répressif lorsque nos... je veux dire, on a des sujets qui sont mineurs, bien, les policiers d'école peuvent intervenir.

Au niveau des 10 enquêteurs jeunesse, on en a deux dédiés à nos deux centres jeunesse de la région de Québec, donc, qui sont Le Gouvernail et le centre L'Escale. Ces enquêteurs-là ont comme, dans leur mandat... ça fait partie qu'ils doivent créer des liens, être à proximité. Ils sont disponibles pour nos centres jeunesse, ils font partie également prenante de la vie de ces centres jeunesse là. Donc, ils sont à proximité au niveau de l'échange d'information, la rapidité d'intervention puis ils sont en lien avec nos unités spécialisées en matière d'exploitation sexuelle. Il faut comprendre que dans chacun... que ce soit au niveau scolaire ou au niveau centre jeunesse, on a des bureaux dans lesquels on peut rencontrer des jeunes. Quand je vous dis qu'on fait partie de la vie active, on est extrêmement présents.

On a deux patrouilleurs de la surveillance du territoire, IKAT, donc, qui ont pour mission de créer des liens avec le réseau hôtelier ainsi que les centres d'achats. Les policiers contactent les filles ou les femmes qui offrent des services d'escorte sur les réseaux sociaux. Par la suite, ils se présentent en personne pour faire de la détection et de l'intervention avec celles-ci. Les patrouilleurs font également de la prévention en leur expliquant les dangers de ce phénomène, en plus de se rendre disponibles si elles sont victimes de violence ou si elles sont exploitées afin de les diriger vers les ressources adéquates, que ce soit au niveau communautaire, que ce soit au niveau social ou que ce soit lorsqu'il y a une dénonciation dans un processus judiciaire. Leur objectif est d'établir un lien de confiance avec de potentielles victimes. On s'entend par contre que, s'il y a une intervention immédiate à faire, ils vont intervenir, puis, à ce moment-là, il y a des enquêteurs qui vont rentrer pour venir les assister.

Un groupe de patrouilleurs, unité GRIPP... Unité GRIPP, c'est une équipe qui travaille en prévention et en intervention dans les bars et dans les bars de danseuses. Ils sont présents dans les endroits névralgiques du recrutement et de l'exploitation. Ils assistent également les unités d'enquête spécialisées lors d'interventions plus spécifiques. Pendant l'été, c'est une équipe qui peut être augmentée jusqu'à 20 personnes, puis, sinon, lors de l'année, bien, ils sont environ 10 personnes. Donc, pour nous, les gens qui sont aux enquêtes peuvent aussi utiliser cette unité-là pour se faire assister puis intervenir ou, lorsqu'on a de l'information spontanée à l'effet qu'il peut y avoir une victime ou possibilité qu'il y ait des mineurs dans un bar ou peu importe, on peut leur demander d'intervenir rapidement.

Depuis 2017, des enquêteurs... Je m'excuse. Un projet pilote en exploitation sexuelle sur les mineurs, unité ESM, a été mis en place en 2015 par le SPVQ à même nos effectifs. Son mandat est de contrer la cyberexploitation sexuelle, la pornographie juvénile, la traite et la prostitution juvénile. Il vise à protéger les victimes, à prévenir le crime, à procéder à l'arrestation et à la condamnation des suspects. Pour ce faire, les enquêteurs utilisent des outils de détection tels que l'infiltration virtuelle et procèdent à des opérations clients qui visent la répression de prédateurs qui tentent d'obtenir des services sexuels de personnes âgées de moins de 18 ans. Depuis 2017, des enquêteurs de cette même unité font partie de l'équipe intégrée à la lutte au proxénétisme.

Le deuxième volet dont je voulais vous parler, qui est extrêmement important, on parlait de... À l'aube des années 2000, on a eu à travailler plusieurs projets au niveau des enquêtes en prostitution juvénile, dont celui dont on a parlé pendant plusieurs années, dont on parle encore, le projet Scorpion. Le projet Scorpion, c'est un projet qui, en 2002, a permis le démantèlement d'un réseau de prostitution dans la région de Québec qui nous a permis de constater le phénomène émergent et de l'ampleur de celui-ci.

• (10 h 10) •

Juste pour vous faire un petit rappel, des centaines de jeunes filles, de parents, de ressources, d'intervenants ont été rencontrés à cette époque-là. On a pu dénombrer en tout 72 victimes. On a procédé à 35 arrestations de clients et de proxénètes, dont 34 condamnations ont eu lieu, et ce, pour un seul projet.

De ce projet-là, la conclusion qui a été extrêmement importante, le constat important, c'est qu'un projet de cette envergure-là ne peut s'accomplir par une seule organisation. L'enquête Scorpion a permis de comprendre l'importance du travail en partenariat avec le milieu tout en respectant les rôles et mandats de chacun. Cela a amené une collaboration innovatrice entre le SPVQ, le DPJ, les centres jeunesse de Québec, universitaire, le milieu scolaire et plusieurs autres organismes de la région et de la province. Déjà à l'époque, on a travaillé en partenariat, en collaboration avec les différents corps de police, avec les différents intervenants du milieu. C'est ce qui a permis de bien travailler ce dossier-là. Constat majeur, par contre, à la suite de ce projet fut le manque d'outils et de connaissances des intervenants pour aider les jeunes impliqués dans des activités de prostitution. Dans les années subséquentes, différentes mesures ont été mises en place afin de pallier ce manque.

En 2005, un premier comité de travail a été composé de membres du Centre jeunesse de Québec, de l'organisme communautaire Projet intervention prostitution Québec et du centre de recherche Giffard-Université Laval ainsi que du SPVQ. Le but de ce premier comité là a été de définir des zones de contribution et de collaboration entre les différents partenaires. Quand on parle de respect, de mandat et des rôles de chacun, il a fallu vraiment s'asseoir, se parler, puis se communiquer nos craintes, puis vraiment élaborer là-dessus, élaborer et diffuser un contenu de formation — c'était éminent, on ne peut pas bien répondre à nos jeunes vulnérables si nos intervenants ne sont pas bien outillés puis ne se connaissent pas bien — explorer des avenues de recherche, adopter un plan d'action.

Le comité a produit une analyse des caractéristiques de la clientèle signalée en prostitution juvénile dans la région de Québec. À l'automne 2005, il a mis en place un projet visant à formaliser les pratiques en matière de prostitution juvénile afin de rassembler les notions théoriques dans le but de mieux saisir le phénomène.

À ce moment-là, on a regroupé des spécialistes terrain qui pouvaient partager leur expérience, leur vécu avec les victimes ou avec les proxénètes, ou avec... peu importe. On a regroupé ces gens-là. Parallèlement à ça, on a fait un sondage Web dans les milieux de toutes organisations confondues en février auprès des différents partenaires. Les résultats confirmaient les besoins de formation surtout en lien avec le savoir et le savoir-faire, mais, pour certaines organisations, le savoir-être était important à développer davantage.

La table régionale de Québec a mis, découlant de ces étapes et grâce à une subvention du ministère de la Sécurité publique, un véritable groupe de concertation. La Table régionale de Québec sur l'exploitation sexuelle et la prostitution juvénile a été mise sur pied à l'hiver 2007 afin d'élaborer le guide. Ça a été comme le premier mandat qu'on s'est donné puis qui nous a permis d'avoir une vision commune, une façon de se rallier tout le monde malgré nos mandats puis nos rôles qui étaient différents. Cette table regroupe des représentants de divers milieux. Maintenant, on peut... Juste pour vous les mentionner, on a encore l'Université Laval, on a encore PIPQ, Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale, de la Rive-Nord, commissions scolaires des Découvreurs, de la Capitale et des Premières-Seigneuries, Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale, et chaque direction des organisations représentées a signé une entente écrite qui assure la libération d'une personne et son engagement. Ça, ça a été vraiment un élément majeur pour nous autres, de s'assurer d'avoir une signature de chacune de nos organisations. On a beau représenter notre organisation, mais, quand on a l'appui de notre organisation sur ce genre de comité là ou sur ce genre de table là, ça fait la différence. Maintenant, on a aussi la Sûreté du Québec puis on a le DPCP, le Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Pour les objectifs, je vais laisser ma consoeur Nancy Delisle continuer à vous entretenir.

Mme Delisle (Nancy) : Merci. L'objectif général de la table régionale, c'est d'assurer un filet de sécurité au plan de la région de Québec en matière d'exploitation sexuelle, prostitution juvénile. La table y arrive par deux principaux moyens, à assurer son objectif. Le premier, c'est la coordination d'un système de pivots. Dans le fond, les pivots, c'est des sentinelles sur le terrain qui font partie de chacune de nos organisations. Et le deuxième moyen, c'est par la formation des pivots et des intervenants de nos organisations.

Le fonctionnement de la table, c'est sous la coordination de la protection de la jeunesse au CIUSSS de la Capitale-Nationale, et, dans chacun des organismes partenaires de la table, il y a un coordonnateur d'identifié. Le rôle de ce coordonnateur-là... Les coordonnateurs se rencontrent, là, quelques fois par année pour échanger et remplir leurs mandats. Parmi leurs mandats, le premier élément, c'est d'informer ses intervenants, dans une organisation, de phénomènes émergents, là, dans notre région. Ensuite de ça, c'est d'animer, sensibiliser, informer son système de pivots à l'intérieur de son organisation. Il doit s'assurer aussi qu'il y a des pivots présents, là, je dirais, aux endroits stratégiques, là, de son organisation, d'identifier les besoins de formation et de s'assurer, là, de la pérennité du système des pivots, là, à l'intérieur même de son établissement. Il sert aussi de facilitateur. Il aide les pivots à se réseauter. Il peut aussi des fois faciliter, là, l'accès à certains services.

Au niveau des pivots, leur tâche, c'est de servir de sentinelle au niveau du terrain. Donc, c'est un peu les yeux sur le terrain, et il peut informer son organisation ou le coordonnateur si jamais il y a des phénomènes émergents. Le pivot, aussi, c'est un référent pour ses collègues. Donc, s'il y a un collègue qui est confronté à une situation d'exploitation sexuelle, il ne sait pas trop quoi faire, il peut aller consulter le pivot de son organisation. On a un bottin des pivots qui permet, là, à toutes les organisations de savoir, bon, bien, chez nous... Surtout dans des plus grosses organisations, comme les écoles, la police, ça permet d'identifier rapidement c'est qui, les pivots, là, et de se référer à ces gens-là au besoin.

L'autre volet qu'on a beaucoup développé... Je disais : On y arrive par deux moyens. C'est les pivots. L'autre, c'est la formation. Donc, on a développé trois volets de formation. Le premier, c'est une formation de deux jours qui s'appelle le Guide de prévention et d'intervention en prostitution juvénile. Donc, c'est un peu des notions de base au niveau de l'exploitation sexuelle. Et, la deuxième journée, on parle beaucoup de partenariats. Le deuxième volet qu'on a développé, c'est la cyberprédation, la cybermanipulation. C'est une formation d'une journée. Et le troisième volet qu'on déploie, à partir de janvier, qui se nomme Vulnérabilité des garçons, exercée ou subie, aussi une formation d'une journée.

Ces formations-là, ce qui est intéressant., c'est qu'elles sont toujours données par des formateurs en dyade, donc soit quelqu'un de la protection de la jeunesse avec quelqu'un de la police, quelqu'un de la police avec quelqu'un du PIPQ. Et les groupes aussi sont mixtes, c'est-à-dire qu'on s'assure, dans chaque groupe, qu'il y a la présence de différents intervenants, soit des milieux policiers, des milieux communautaires, des écoles, la protection de la jeunesse, des CSSS. Donc, toute cette mixité-là nous permet d'avoir une vision commune de la problématique et nous permet aussi de créer, là, justement, le système de réseautage et ainsi notre filet de sécurité. On est allés aussi... on a déployé, depuis à peu près un an, cette formation-là au niveau du provincial, là, suite à des subventions du ministère de la Sécurité publique.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, mesdames. J'invite maintenant la directrice générale, Mme Geneviève Quinty, du Projet intervention prostitution Québec, à commencer son exposé. Vous avez 15 minutes.

• (10 h 20) •

Mme Quinty (Geneviève) : Merci. Je vais démarrer mon chronomètre. C'est important pour moi, le temps. Je suis Geneviève Quinty, directrice du Projet intervention prostitution Québec. C'est vraiment un réel plaisir pour moi d'être ici avec vous ce matin. Je tiens à tous vous remercier. Pour moi et mon organisation, c'est vraiment une marque de reconnaissance de la part du milieu communautaire.

Vous avez entendu, hier, plusieurs partenaires de la recherche, d'autres corps policiers, des gens du CIUSSS aussi, centre jeunesse, qui vous ont entretenus beaucoup sur la réalité, sur le phénomène de l'exploitation sexuelle. Moi, ce matin, en fait, il fallait que je fasse des choix en 15 minutes. J'ai choisi de vous parler des actions qui sont réalisées par l'ensemble de mes collègues au PIPQ.

Vous savez, nous sommes une organisation qui existe... On a fêté nos 35 ans cette année, donc 35 ans en première ligne. À l'époque où l'organisme a été mis au monde, plusieurs personnes trouvaient un peu que c'était une folie de démarrer une organisation pour rejoindre les jeunes et les adultes ayant des activités de prostitution ou victimes d'exploitation sexuelle, mais on a persévéré. On est encore là aujourd'hui. Nous sommes 20 individus dédiés complètement au phénomène, sept travailleurs de rue. J'ai une équipe de quatre personnes en prévention et j'ai tout un... trois intervenants, parce qu'on a un milieu de vie où on accueille les gens. En fait, c'est une extension de la rue, des gens peuvent venir prendre un café, il y a tous les besoins primaires, distribution alimentaire, un vestiaire, une douche, produits d'hygiène, donc tout le nécessaire à la survie.

Je vais commencer par vous parler du volet prévention parce qu'on a toujours cru à la prévention. Travailler en amont, c'est aussi une clé. On touche trois niveaux de prévention : le niveau primaire, le niveau secondaire et le niveau tertiaire. Avec le développement... bon, oui, le développement du nouveau programme d'éducation à la sexualité, nous avons adapté nos ateliers, parce qu'on rencontre autour de 3 000 jeunes par année dans l'ensemble des écoles secondaires de la région de Québec et quelques-unes sur la Rive-Sud aussi, parfois on va dans Charlevoix. Mais, avec ce nouveau programme là, mes collègues ont ajusté, en fait, notre atelier de prévention pour qu'il corresponde aux objectifs du programme, au niveau d'âge aussi. Donc, on rencontre généralement les secondaires III, IV et V, bien qu'on voudrait davantage rencontrer le secondaire II. On est en train de travailler, en ce moment, avec certains sexos ou les porteurs de dossiers des commissions scolaires du programme d'éducation à la sexualité pour être capables, justement, aussi d'adapter nos ateliers en fonction des 13, 14 ans.

C'est important que ces ateliers-là soient donnés par des personnes qui sont formées, qu'il y ait un niveau d'aisance quand même assez élevé. Bien, on sait que c'est un sujet tabou, c'est un sujet délicat. Il faut savoir bien utiliser les mots. Donc, les gens qui travaillent chez nous sont formés. Il y en a qui ont une formation en sexo, d'autres sont éducateurs spécialisés. Et c'est arrivé et ça arrivera encore que, suite à nos ateliers, il y ait des dévoilements. Donc, il faut être capable après, quand on vit des dévoilements, d'accueillir les jeunes, les référer par la suite ou les référer tout simplement à nos intervenants, à nos travailleurs de rue chez nous.

On a été financés par la Sécurité publique Canada. C'est un gros projet de cinq ans qui nous a permis de s'arrimer avec mes partenaires qui sont ici, à ma droite, donc le service de police de Québec ainsi que... j'appelle encore ça le centre jeunesse, c'est plus simple pour moi, le Centre jeunesse de Québec. Et, à l'intérieur de ce projet-là, il y a un volet dédié à la prévention, où là on a voulu développer un programme spécifique aux jeunes qui... aux jeunes filles d'abord qui ont des facteurs de risque plus importants. Donc, on a ciblé davantage les filles qui sont en centre de réadaptation. Mais le constat qu'on avait aussi, c'était que la prévention... Il a fallu réfléchir à différentes stratégies, parce que prendre l'exploitation sexuelle de front, les jeunes n'écoutent pas, ne se sentent pas concernés, c'est loin d'eux autres. Donc, il a fallu prendre des portes d'en arrière, de côté, arriver avec des sujets... parce que les jeunes ont besoin de parler de sexualité puis ils ont le goût aussi d'en parler. Il faut simplement leur ouvrir la porte.

Et peut-être, Mme Lanctôt l'a soulevé hier, mais on travaille davantage avec les facteurs de protection. Donc, c'est toute la construction identitaire des jeunes. C'est leur donner la possibilité de développer leur jugement critique à travers des thèmes d'images de soi, à travers des thèmes de comment je mets mes limites ou quelles sont mes limites. L'idée comme adulte, ce n'est pas tant de donner les bonnes réponses aux jeunes, mais c'est surtout de trouver les bonnes questions à leur poser pour les amener un petit peu plus loin.

Donc, ce projet-là, on l'a développé en collaboration avec les intervenants du centre jeunesse, qui, eux aussi, détiennent une expertise qui est différente de la nôtre. Ils ont une vision centre de réadapt, tandis que nous autres, on avait une vision comme plus communautaire puis on a cru bon de mettre ces deux visions-là ensemble pour faire autrement. L'idée, c'est de faire autrement. Il faut être créatifs. Et on est rendus à notre troisième cohorte, donc il y a trois groupes de sept jeunes qui ont vécu ces huit ateliers, et le nerf de la guerre, c'est toujours mesurer les impacts. C'est difficile de mesurer les impacts en prévention.

Par contre, prochainement, en tout cas en voie de, ce programme-là devrait possiblement être évalué par la DEAU, le département — aide-moi donc un petit peu — des affaires universitaires. Merci.

Donc, voilà pour la prévention. Ah! il me reste encore... Oh mon Dieu! Je n'ai presque pas parlé du travail de rue, et pourtant il me reste une minute. Je ne peux pas passer à côté du travail de rue, mes travailleurs de l'ombre, que j'appelle.

La pratique du travail de rue a été mise de l'avant par le PIPQ parce que... pour répondre, en fait, aux limites des services publics. Donc, l'idée, c'est rejoindre ces jeunes-là dans les espaces naturels, rejoindre des jeunes qui sont en rupture, parfois, avec leurs familles d'origine, parfois avec le réseau. Donc, cette pratique-là se veut d'abord être une pratique de relations, étant donné que ces jeunes-là ont développé une méfiance envers le système, envers les adultes en général. Donc, bâtir une relation avec ces jeunes-là, c'est extrêmement long. Et la particularité du travail de rue nous permet de rester dans la vie de ces jeunes-là avant, en prévention, pendant leurs expériences d'exploitation sexuelle et après, quand ils ont atteint l'âge adulte aussi ou sont prêts à aller de l'avant, à se mobiliser pour justement sortir du milieu.

Le travail de rue, c'est d'abord une relation volontaire, égalitaire. C'est d'abord s'inscrire dans le quotidien des jeunes, c'est d'abord une relation établie sur une réciprocité. C'est une approche qui est non directive, c'est une approche qui permet d'établir un certain filet de sécurité pour nos fugueuses chroniques qui nous appellent, quand ces jeunes-là se retrouvent à l'extérieur du centre de réadapt, en fugue. Puis on est présents dans les centres de réadapt. On a une alliance avec le centre jeunesse, à Québec, qui nous permet d'être présents dans les unités et d'offrir aux jeunes, je vous dirais, un espace de confidence où il n'y a pas d'enjeu d'autorité, de relation d'autorité ou d'enjeu de gestion de placement. Et ça, c'est important et ça nous permet aussi de maintenir avec ce jeune-là un lien avec sa communauté.

L'approche du travail de rue, c'est aussi... Le travailleur de rue sert de pont entre les ressources et la rue. C'est aussi travailler dans l'entre-deux. En ce moment, l'équipe... en fait, on a suivi des formations non pas pour devenir des spécialistes en post-trauma mais pour être capable de soulager les symptômes reliés aux conséquences de l'exploitation sexuelle en attendant l'accès à des services spécialisés. Ici, j'ai une liste de recommandations, je pourrais vous la faire, mais, dans les recommandations de mon organisation, c'est de développer ou de rendre accessible, parce qu'il y a des professionnels, déjà, qui se sont spécialisés en trauma sexuel, mais ça... c'est rendre ces ressources-là disponibles et accessibles pour nos jeunes.

Je sais que c'est une commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs, mais je ne peux pas passer sous le silence la transition à la vie adulte. Ces jeunes-là demeurent... On poursuit l'accompagnement au-delà des 18 ans et on est en mesure d'observer les trous de services, peu ou pas de services pour ces jeunes-là. On travaille aussi avec le... Vous m'arrêtez, hein, si j'ai... Ah non! Il me reste encore un petit peu de temps.

Le Président (M. Lafrenière) : Vous avez encore cinq minutes. Tout va bien.

• (10 h 30) •

Mme Quinty (Geneviève) : O.K. Merci. J'ai beaucoup à dire. On a développé... en fait, les travailleurs de rue particulièrement ont développé des collaborations assez extraordinaires avec le SPVQ. Ils sont devenus assez complémentaires.

Vous savez, quand les jeunes décident d'aller de l'avant ou de dénoncer leur proxénète, c'est énormément d'investissement humain, en termes d'accompagnement, et pour nous, et pour les enquêteurs, et pour les intervenants qui les côtoient en centre jeunesse. C'est énormément de temps. Il y a un travailleur social du centre jeunesse qui me disait : Les jeunes signalés en protection de la jeunesse, c'est vrai qu'ils représentent un faible pourcentage, mais, en termes d'accompagnement, ça représente un 70 % de nos énergies.

Donc, ces jeunes-là sont accompagnés par nos enquêteurs, mais les travailleurs de rue sont là aussi lorsque les enquêteurs ne sont plus là, parce qu'ils rentrent à la maison, à un moment donné. Lorsque les heures... les services traditionnels, d'ouverture des services, mettons, disons ça comme ça, ferment, donc... Les travailleurs de rue sont là le soir, sont là le matin, de bonne heure, sont là lorsque les jeunes font des crises d'angoisse suite à un témoignage pendant la cour, pendant la journée. Donc, entre nous, j'appelle ça de la garde partagée. C'est qu'il y a des bouts qui sont faits en centre jeunesse, des bouts qui sont faits par nos enquêteurs, des bouts qui sont faits par nous autres. On a développé des savoir-faire, à mon avis, assez efficaces dans la région de Québec, et cette collaboration-là s'est construite avec les années. Nathalie le disait bien tantôt... capitaine Thériault, excusez-moi, qu'il a fallu qu'on se connaisse, qu'on se reconnaisse, qu'on dénoue des croyances, des mythes par rapport à nos pratiques, des préjugés — on en avait tous — pour, après ça, faire un pas de plus pour que cette collaboration-là puisse dépasser les individus.

Au début, notre collaboration a reposé énormément sur nous autres, sur nos épaules. Aujourd'hui, on est capables de s'engager dans des projets de cinq ans ensemble avec, oui, des lettres d'engagement, mais avec des ententes aussi de toutes les organisations où ils libèrent des gens du centre jeunesse pour participer à notre projet, où des enquêteurs sont libérés aussi pour participer à notre projet. Et, à travers ce projet-là, peut-être pour terminer, là, j'ai perdu le temps...

Une voix : ...

Mme Quinty (Geneviève) : Merci. On a mis sur pied un comité de dénonciation judiciaire, parce qu'on le sait, que ces dossiers-là sont excessivement difficiles à mener à terme, pour plein de raisons, probablement, qui vous ont été nommées depuis hier.

On a aussi, avec mes partenaires, évalué le nombre d'adultes qui pouvaient passer dans la vie d'un jeune, du signalement jusqu'à la plainte, voire jusqu'à la sentence, quand ça va jusque-là, et on a recensé autour d'une vingtaine d'adultes qui passent dans la vie de ces jeunes-là. Donc, c'est beaucoup de monde, beaucoup... les jeunes se racontent énormément de fois. Il y a aussi... Ce que ça occasionne, c'est des ruptures de lien dans leur trajectoire.

Donc, on s'est donné comme responsabilité, à travers ce comité-là, de revoir comment... on ne changera pas le système, on le sait, mais comment on peut adoucir le processus de dénonciation judiciaire, comment on peut l'humaniser davantage. Donc, on a eu un colloque la semaine passée, qu'on a organisé ici, à Québec, et il y a une volonté, il y a une volonté régionale, mais il y a une volonté provinciale de mettre en commun les expertises d'autres projets à travers la province. Et ça, ça fait partie aussi de nos recommandations, c'est qu'on puisse nous donner le support nécessaire afin qu'on puisse tous se parler.

Et ma dernière recommandation : Le milieu communautaire, 70 % de notre financement est par projets, ce qui — j'ai inventé un mot, là, hier — précarise nos ressources humaines. Et rendus où est-ce qu'on est rendus aujourd'hui... Parce que, lorsque je suis rentrée, voilà 25 ans, on était six employés. Nous sommes rendus 20, presque 22. On ne peut plus reculer. On ne peut plus retourner en arrière à être obligés de couper des ressources humaines. Et le financement, à la base, à la mission, pour nous autres, c'est un incontournable pour qu'on puisse continuer nos actions, pour nous sécuriser aussi à la base comme organisme communautaire. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre témoignage. Alors, nous allons passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. J'aimerais rappeler aux députés de faire des questions très courtes. J'ai déjà huit questions d'enregistrées. Alors, on va débuter avec le député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Merci, M. le Président. Mesdames, c'est touchant de vous entendre. Merci pour tout ce que vous faites pour le Québec.

Première question pour moi, elle s'adresse à SPVQ. Hier, on a parlé avec le service de police de Sherbrooke, et il y a eu question du niveau 2 et qu'est-ce qu'on peut faire avec le proxénétisme avec un niveau 2. J'aimerais ça vous entendre. Vous, vous êtes un niveau 3, si je...

Mme Thériault (Nathalie) : Niveau 4.

M. Skeete : Niveau 4, pardon. Donc, est-ce que vous... Selon vous, est-ce que ça serait pertinent de revoir un peu les niveaux 2 de certaines municipalités dans le but de leur permettre de faire un petit peu plus localement à ce niveau-là?

Mme Thériault (Nathalie) : Nous, déjà, en partenariat avec certains dossiers... Parce qu'on s'entend, Rive-Nord, Rive-Sud, on est appelés à travailler avec Lévis, avec... qui souvent vont se référer à la Sûreté du Québec, à ce moment-là. Je pense qu'il ne faut pas parler de niveaux, il faut plutôt parler de collaboration provinciale. Je pense que l'EILP est un bel exemple. Il faut bonifier puis consolider la capacité et la structure d'enquête de l'EILP dans notre région ou dans les régions en général. Je pense que, si on bonifie cette structure-là... C'est une belle structure qui a été mise en place en 2017. Bien, ça fait que, ça, on... je pense que, si on renforcit ça, qu'on bonifie ça mais régionalement... je pense que déjà on va donner de meilleurs outils à l'ensemble des services de police de la province de Québec.

M. Skeete : Merci. Et puis, ma deuxième question, rapidement, on entend très peu parler de la prostitution juvénile des garçons. Est-ce que peut-être, Mme Quinty, vous pouvez m'éclaircir un petit peu sur votre expérience à ce niveau-là et... Qu'en est-il?

Mme Quinty (Geneviève) : Effectivement, on en entend moins parler, et ça, depuis toujours. Sachez que, depuis 25 ans... Je vais commencer par «dans mon temps». Quand j'étais travailleuse de rue, la prostitution des garçons de rue était... en fait, existait dans la rue, donc était plus visible dans les espaces publics. Avec l'arrivée des médias sociaux, l'arrivée du Web, d'Internet, vraiment, les gars ont migré vers des plateformes, donc ce qui rend plus difficile pour nous autres aussi d'entrer en contact, de les rejoindre. Première raison.

Deuxième raison, c'est sûr que les garçons sont moins enclins à se confier ou à se livrer. Et ça, on l'a constaté aussi avec les intervenants qui sont en centre de réadapt, les gars ne reviennent pas de fugue en disant : Moi, hier, j'ai fait un client pour manger, parce que ça implique du jugement, c'est stigmatisant et ça implique aussi que... les relations de prostitution masculines, c'est souvent d'homme à homme, donc, et les garçons qui ont des activités de prostitution juvénile ne sont pas tous d'orientation, non plus, homosexuelle, ce qui fait que, pour nos hétéros, c'est encore plus difficile de se confier, parce qu'on sait qu'il y a encore beaucoup d'homophobie. Donc, ça implique deux étiquettes. Ça, on pourra peut-être en reparler plus tard, mais on a une responsabilité d'aller sur les réseaux sociaux aussi pour aller rejoindre ces jeunes-là.

M. Skeete : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci. Merci, M. le Président. Merci pour ce que vous nous avez présenté ce matin. Vraiment, ça donne confiance. On voit qu'il y a des choses qui se font depuis plusieurs années. On voit, depuis une vingtaine d'années, que vous êtes vraiment, vraiment actifs. Je me posais la question en vous entendant. L'opération Scorpion a eu un retentissement, ça a été un tremblement de terre dans la région. Il y a eu du travail qui a été fait, des ressources qui ont été mises en place. Moi, je me dis qu'il y a encore des cas de femmes, de filles et de garçons qui font de la prostitution. Comment on peut vraiment arrêter ce phénomène-là?

Et vous avez parlé très peu des clients, et c'est généralisé, depuis hier, vous n'êtes pas les seuls... Hier, là, ça a été la même chose. Bon, je pense qu'on va avoir pas mal ce même phénomène là pendant... Et il faut qu'on trouve le moyen de le responsabiliser et il faut qu'on trouve le moyen de le conscientiser. Est-ce que vous avez des interventions auprès de, entre guillemets, clients peut-être repentants ou clients qui sont potentiellement... de gens, d'hommes qui sont potentiellement des clients ou des portraits des clients? Et comment vous essayez d'entrer en contact ou d'essayer de convaincre que c'est vraiment terrible, ce qu'ils font? La question est peut-être bien large, là.

Mme Quinty (Geneviève) : En fait, de notre côté, notre organisation, on a peu ou pas de contacts avec les clients, et c'est un choix aussi d'organisation. Il fallait faire des choix, donc on a ciblé...

Mme St-Pierre : ...on doit dire «clients abuseurs», parce que c'est le terme qu'on a choisi. Vous auriez dû me reprendre, M. le Président.

Mme Quinty (Geneviève) : Donc... Mais je lisais, je sais qu'Edmonton... il y a eu des gens d'Edmonton qui sont venus présenter hier un programme, puis on en parlait encore au bureau ce matin, on se disait : Mon Dieu! ils sont en avant de nous autres! Offrir aux clients... En fait, les clients arrêtés, je pense qu'ils ont accès, après ça... une obligation de suivre, en tout cas, ou de rencontrer des victimes aussi d'exploitation sexuelle, d'être présents lors d'une sensibilisation. Je me dis : Qu'est-ce qu'on attend ici pour le faire?

• (10 h 40) •

Mme Thériault (Nathalie) : De notre côté, c'est sûr qu'il faut poursuivre les opérations clients. On s'entend que c'est ça, les... Quand on parle d'outils, ou de moyens, ou de façons de faire, il faut continuer à le développer. On s'entend qu'aussi, lorsqu'on fait ce genre d'opération là, bon, ça demande des stratégies particulières. Puis très vite, dans le milieu, nous autres, on s'en est aperçu en faisant les opérations clients, que très vite, bon, le mot se passe puis on... Tu sais, ça se sait dans le milieu qu'on est en train de faire une opération clients. Ça fait qu'il faut quand même... Je pense qu'il faut être mixte. Il faut être capable de faire et de la répression, de la prévention, de l'accompagnement. Puis l'ensemble de ces éléments-là font qu'on a une meilleure intervention dans ce milieu-là.

Nous aussi, on s'est penchés, dans la région de Québec, à se dire : Bien, allons plus loin que ça, allons auprès de nos jeunes qui sont dans nos centres d'accueil, qui sont en réadapt... en réadaptation, excusez le terme terrain, et qui... allons faire de la prévention sur les impacts, sur les conséquences. Ça fait que, d'abord, formons nos gens sur tous ces impacts-là, formons... continuons à se développer. D'ailleurs, n'ayant pas la prétention d'avoir la science infuse dans la région de Québec, on s'associe à Bishop's avec un intervenant social de la région de Montréal, qui sont davantage spécialisés peut-être dans ce domaine-là, qui ont développé certains outils. Puis nous, on a développé un contenu de formation avec le troisième volet sur la vulnérabilité des garçons, mais on va se chercher des gens terrain qui travaillent déjà dans ce phénomène-là.

Ça fait qu'on va travailler déjà avec nos plus jeunes. Puis, pour nos plus vieux, bien, on va développer davantage de ressources. Puis c'est sûr que c'est un voeu. Il faut que nos clients soient conscientisés sur les impacts puis les... Absolument.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : ...un témoignage touchant ce matin. Ça ouvre la journée avec une réalité que, oui, on connaît, mais que, quand vous l'expliquez, c'est encore plus prenant. Merci beaucoup. Merci à mesdames aussi pour le travail que vous faites sur le terrain.

Deux questions rapides. Est-ce que vous faites... Vous l'avez mentionné, Mme Quinty, mais est-ce que vous faites de la veille sur les médias sociaux? Parce que vous avez, dans les dernières années, assisté justement à des vagues de... Ce n'est plus au même endroit que le recrutement se fait. Est-ce que vous faites des veilles de médias sociaux? Est-ce que ça fait partie de votre, j'imagine, de votre plan de match?

Mme Quinty (Geneviève) : Oui. Je vous disais tantôt qu'on a une responsabilité d'être présents sur les médias sociaux. Le ministère de la Sécurité publique nous a supportés et nous supporte encore. On a eu un premier projet, justement, de réflexion par rapport à comment être présent dans les réseaux sociaux aussi comme intervenant. Donc, il y a beaucoup de questions à se poser parce qu'il y a des enjeux éthiques à être présent dans le virtuel.

Et là le financement s'est poursuivi, et on a présentement deux intervenants qui sont en exploration sur le Web. Avant, le travail de rue, c'est encore le cas aujourd'hui, je vous disais tantôt qu'on rejoignait les jeunes dans les espaces publics, mais l'espace public, l'univers Web, c'en est devenu un. Et il y a des jeunes qui ne sortent plus physiquement dans les espaces publics, mais qui demeurent branchés.

Donc, on est à... Puis on a une responsabilité aussi de rester à l'affût de, tu sais, c'est quoi, la culture, les codes, les moeurs qui changent des jeunes aussi. Puis on est en mesure de les observer via toutes sortes d'applications, que je ne serais pas capable de vous nommer aujourd'hui, parce que ce n'est vraiment pas ma tasse de thé, mais j'ai des collègues qui adorent ça passer des heures sur Internet. Mais il y a des... On offre nos services via des sites où est-ce qu'il y a des jeunes femmes qui s'annoncent.

Donc, on est en train d'investir tranquillement, délicatement aussi, parce qu'il faut bien réfléchir aux impacts. On ne veut pas mettre les filles en danger non plus en textant des... Les écrits restent, hein? Il faut s'assurer que la personne à qui on texte est bien la fille qu'on a ciblée. Mais on est là. On est là. Les résultats vont venir peut-être un peu plus l'année prochaine parce qu'on débute actuellement.

Mme Thériault (Nathalie) : La vigie se fait également... On s'entend, bien, lorsque je parlais des projets clients, quand je parlais du projet IKAT... Bon, bien, nos patrouilleurs communiquent via les médias sociaux avec les jeunes filles. C'est la façon de faire. On a aussi la cyberinfiltration qui nous permet de rentrer en contact avec ces prédateurs sexuels là de façon... C'est une technique d'enquête qui nous permet de... en tout cas, qui nous facilite la tâche de rentrer en contact avec ces individus-là via...

On parlait tantôt des garçons, de la vulnérabilité des garçons. Bien, on a eu à travailler sur des dossiers ou sur le site Gay411, où les garçons s'en vont là pour prendre de l'information, tout simplement, puis se référer, puis être en contact avec des gens pour converser ou peu importe, et puis, à ce moment-là, il y a un prédateur qui est là puis qui les attend.

Donc, oui, on fait de la vigie puis, oui, on travaille ce genre de dossier là de cette façon-là.

Mme Lecours (Les Plaines) : Rapidement, parce que j'ai beaucoup de questions, je suis sûre que mes questions, les collègues vont les avoir : Si je peux me permettre, M. le Président, le guide de formation, est-ce que ce serait possible qu'il soit déposé? Est-ce que je peux demander ça?

Mme Thériault (Nathalie) : Ça a été transféré déjà. Il y aura une possibilité de vous le retransférer.

Mme Lecours (Les Plaines) : Parfait. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Bien, merci à vous. Donc, j'ai pu participer avec ma collègue la députée de Notre-Dame-de-Grâce à votre dernier colloque, et puis ça a été un moment très édifiant en termes de bonnes pratiques que vous avez dans la région de Québec.

Ma première question concerne... Dans le document déposé par le Projet intervention prostitution Québec, vous nous parlez de trous de services et vous nous parlez de trous de services notamment par rapport aux jeunes filles qui... le passage à l'âge adulte, donc... Et, dans le document du Service de police de la ville de Québec, un des défis à relever, c'est la création de lieux sécuritaires. J'aimerais vous entendre. Quels sont les défis par rapport à la prise en charge des victimes actuellement?

Mme Thériault (Nathalie) : Il faut penser que, dans ce milieu-là, on parle de violence physique, psychologique et sexuelle. Donc, un peu... Moi, je crois que... ou, en tout cas, on pense au service de police puis quand on en discute avec les différents partenaires avec qui on travaille, ce serait important de créer des lieux où ces victimes de traite ou de prostitution là auraient un lieu où on pourrait les accueillir mais sans préjugé, avec des intervenants vraiment spécialisés dans le domaine.

On s'entend que la prostitution, l'étiquette de la prostitution, l'étiquette de l'escorte, l'étiquette de la travailleuse du sexe, ce n'est pas tous les milieux ou tous les intervenants qui sont à l'aise de travailler avec ça. Ça prend des gens dédiés, qui ont une formation spécifique puis qui ont un désir particulier d'aider ces jeunes femmes là ou ces jeunes filles là. Je ne dis pas que, dans les centres actuels pour violence conjugale, ce n'est pas adéquat. C'est particulier à ce phénomène-là. C'est facile pour les proxénètes d'aller les rechercher à nouveau, ou de les recruter à nouveau, ou d'obtenir... de continuer le contrôle sur ces jeunes femmes là, même si elles veulent s'en sortir, puis même si elles ont dénoncé, puis même si on a des conditions à faire respecter. Il faut être en mesure de les sortir... Je vous parlais un peu, dans les débuts, de programmation. On les programme, on les déprogramme pour après ça les reprogrammer.

Mais là ça prend le traitement... Dans les défis à relever, il faut miser davantage dans l'avenir sur le traitement de ces jeunes femmes là puis ces jeunes filles là. Il faut avoir du soutien thérapeutique, il faut avoir des outils, des moyens qui vont nous permettre non seulement... pas juste d'intervenir, de faire de la prévention puis de les accompagner, mais de les traiter dans un avenir pas trop lointain pour être en mesure de les aider à se sortir de ce milieu-là.

M. Benjamin : L'autre question que j'aurais, c'est au sujet du travail que vous faites en amont. Vous avez parlé tout à l'heure des interventions que vous faites notamment dans les écoles, mais auprès des élèves de secondaire IV et de secondaire V. Les informations qu'on reçoit ici nous disent qu'il y a des enfants de 12, 13 ans. Et pourquoi pas plus tôt, pourquoi pas des interventions plus tôt, notamment en secondaire I, II, III?

Mme Thériault (Nathalie) : III, IV, V. III, IV, V, c'est un peu les volets dont je vous ai parlé, mais déjà il y a de la prévention qui se fait par nos préventionnistes dans les écoles primaires. C'est ajusté, c'est adaptable sur les choix. On a différentes conférences qui sont adaptées aux âges et aux milieux. Puis, de toute façon, en étant présents, dès qu'on est en mesure de détecter ou qu'on a des indices sur une jeune fille ou un jeune garçon, il y a une intervention immédiate qui est capable... qui se fait, là, de façon spontanée. Mais il y a d'autres conférences qui se font, mais pas nécessairement avec les mêmes titres dont je vous mentionnais un peu plus tôt.

• (10 h 50) •

Mme Quinty (Geneviève) : Je voudrais répondre à votre première question, d'abord, le trou de services. Il existe des programmes de transition à la vie adulte aux centres jeunesse. Par contre, ce n'est pas toutes les jeunes filles qui correspondent aux critères pour faire partie de ces programmes-là, quand on pense à des jeunes filles qui... les fugueuses chroniques, par exemple, et c'est là que, souvent... Ils atteignent l'âge adulte à 18 ans, mais ils n'ont pas été préparés parce que trop à risque de se recommettre dans des activités d'exploitation sexuelle ou de prostitution juvénile.

Donc, souvent, ces jeunes-là passent par des mesures d'encadrement intensif à répétition pendant leur trajectoire en centre jeunesse parce qu'ils sont chronicisés. Donc, c'est avec cette population-là qui est chronicisée qu'on doit être un peu plus créatif, essayer de trouver d'autres options pour justement faciliter ce passage-là. Parce que ce qui arrive, quand ils sortent de centre jeunesse, c'est qu'ils n'ont pas été préparés, pour plein de raisons, là, parce qu'ils n'ont pas été disposés à le faire non plus. Et j'abonde dans le sens de Nathalie aussi. Avoir un lieu qui peut accueillir ces filles-là, justement, pour développer leur autonomie, etc., ça manque.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Lotbinière-Frontenac.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bonjour. Tout à l'heure, vous avez parlé que vous aviez un manque d'outils. Je vois que vous avez travaillé fort puis vous avez maintenant plus de formation, un guide, une vision commune. Qu'est-ce qui vous manque pour bien faire votre travail?

Mme Quinty (Geneviève) : On a une belle liste d'épicerie. Non, non, non, vas-y.

Mme Thériault (Nathalie) : Des outils, les moyens, dans le fond... C'est un phénomène que... Tantôt, je vous parlais de bonifier et consolider la capacité d'une structure d'enquête du style... bien, comme une EILP mais dans notre région, mais encore plus... C'est complexe, ce genre de dossier là. C'est complexe, ce genre d'enquête là. Donc, c'est sûr que, quand on a une bonne structure régionale, avec la couleur aussi régionale, parce que je pense que chacune... Si on regarde dans chacune de nos régions... Tantôt, on parlait des niveaux, mais je voudrais plus dire, chacune de nos régions a sa couleur qui lui est propre. Même si le phénomène est répandu à la grandeur du Québec, je pense que...

Entre autres, les outils, c'est les moyens financiers, c'est le facteur humain, le facteur logistique, tout ce qu'on peut avoir. On parlait de cyberinfiltration. Bien, c'est sûr que, quand on a la capacité d'un, deux, trois, si on augmente cette capacité-là en cyber, bien, on va être en mesure...

On le sait, tout ce qui est cybercriminalité augmente de façon fulgurante, que ce soit en pornographie juvénile, en leurre ou dans le recrutement. Donc, on le sait, que le pourcentage est quand même élevé, peu importent les statistiques qu'on regarde. Ça fait que c'est avantageux de se développer davantage dans ces ressources-là. Donc, quand on parle de moyens, d'outils, bien, ça, ça en fait partie.

Mme Quinty (Geneviève) : Puis la force de la région de Québec, c'est notre concertation, notre partenariat, mais ce qui contribue à cette collaboration-là, c'est d'avoir une coordination.

Le programme Prévention jeunesse, actuellement, du ministère de la Sécurité publique, nous permet d'avoir un individu qui met en lien l'ensemble des pivots scolaires, du centre jeunesse, du communautaire, du service de police. Toutes les informations convergent vers cette même personne là. Ça facilite mais tellement la mobilisation! Puis ça la garde en vie, en plus.

Je vous parlais tantôt de... On est beaucoup dans la consolidation. Je vous parlais de notre financement tantôt. Il est le temps, c'est le moment, là, de consolider nos services, de sortir du financement par projets puis d'assurer une bonne base. On n'a pas à réinventer la roue, à mon avis. C'est vrai qu'on a beaucoup de moyens. On aimerait en avoir un peu plus aussi en termes de services spécialisés. L'accès aux services spécialisés, c'est...

Nos jeunes n'ont pas les moyens d'aller au privé, d'aller rencontrer des sexologues, des psychologues... ou, quand ils ont les moyens, c'est le délai d'attente, par moments, qui est... des fois, c'est un an, c'est deux ans. Mais on le sait, il faut saisir le momentum. Quand les jeunes sont prêts à faire un pas en avant, c'est là qu'il faut y aller. On ne peut pas attendre. Il y a un momentum qu'il faut respecter.

Mme Thériault (Nathalie) : Je veux juste... Par rapport aux outils, quelque chose qui est très, très, très important, c'est au niveau législatif, on s'est donné une entente multisectorielle. On a eu l'opportunité, dans les débuts des années 2000, de travailler avec l'entente multisectorielle qui avait été signée et entendue par les différents ministères, qui est une très belle entente. Il faut faire la même chose en matière de phénomènes. On le voit souvent, on est restreint avec les lois d'accès à l'information, où, selon nos organisations, il faut davantage développer en ce sens-là.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci. Il y a beaucoup de passion ce matin, depuis 10 heures, là, ça se sent. Et vous avez la chance, et je parle un peu par expérience, mais vous avez la chance d'être à Québec, qui est un modèle dans beaucoup de domaines. Et je comprends que vous n'avez pas tous les outils puis je comprends que vous n'avez pas tout le personnel puis tout ça, mais vous avez quelque chose d'extraordinaire que beaucoup de régions aimeraient avoir, c'est la cohésion entre les services. Je ne sais pas si ça s'est développé quand le service de police de Québec s'est retrouvé Gros-Jean comme devant, avec le projet Scorpion puis être obligé de s'organiser puis de mobiliser le milieu, mais vous avez pu bien vieillir avec ça et vous avez cette mobilisation du milieu qui fait l'envie de beaucoup de gens. Donc, il reste à vous donner certaines affaires.

En parlant de vous donner certaines affaires, j'aimerais ça que vous m'expliquez une chose. Vous me parlez de sécurité publique depuis tout à l'heure, mais vous me dites que vous êtes financés par Ottawa, par Sécurité publique Canada. Bon, je comprends que la formation qui est donnée est financée par Sécurité publique Québec. Bon, je comprends aussi que Sécurité publique Canada, dans cinq ans, oups! et voilà, donc vous allez retomber à six ou... Vous ne pouvez pas vous permettre, là, vous avez...

Mme Thériault (Nathalie) : Cinq personnes.

M. Ouellette : ...vous avez pris une erre d'aller et vous devez assurer une certaine pérennité si on ne veut pas, tout d'un coup, se retrouver avec rien. Je ne sais pas si vous avez fait certaines réflexions. C'est le temps d'en parler, là.

Mme Quinty (Geneviève) : Bien, on y a réfléchi, mais, en même temps, c'est la gestion du risque, ça. De risquer, de créer un projet d'envergure comme celui-là, de cinq ans, de 1,2 million, c'était un gros risque. On se disait, entre nous, on «think big», on est rendus là. Ce projet-là va nous donner les moyens d'aller plus loin dans nos collaborations avec nos partenaires aussi, parce qu'on avait une certaine maturité de partenaires, on était rendus à une coche plus loin et on s'est dit : Bien, ça, c'est le nerf de la guerre, au communautaire. Si on ne prend pas de risque, on n'avance pas. Donc, on a pris ce risque-là en sachant très bien que, dans trois ans, même deux ans et demi, on tire la plug, donc c'est cinq personnes qui partent. Mais là c'est mon travail. C'est mon travail après ça d'essayer de trouver d'autres sources, d'autres sources qui assureront la pérennité, mais ce serait bien dommage de reculer, bien, bien, bien dommage.

Mais on parle de Sécurité publique Canada, mais Sécurité publique Québec aussi, Prévention jeunesse, on ne connaît pas l'avenir du programme aussi. Donc, on crée... tu sais, nos bailleurs de fonds nous demandent d'être innovants, on innove, mais c'est pour ça que je vous dis : On est rendus à une intersection où, là, je pense qu'il faut penser consolidation, tu sais, mais c'est la gestion du risque. Je n'ai rien à dire de plus intelligent que ça pour assurer la pérennité, mais on va y arriver. Je suis une éternelle optimiste en le disant, mais, écoute, on sera entendus. Puis peut-être le fédéral, lui aussi, porte un plan d'action sur la traite des personnes. Donc, peut-être qu'il y aura cette volonté-là de poursuivre aussi. Donc, il faut avoir cet espoir-là aussi, sinon on n'avance pas.

M. Ouellette : C'est important qu'on vous entende parce qu'il faut la faire, cette fusion-là, nous autres, puis cet amalgame-là. Puis, je disais hier, à partir du moment où il y une volonté politique qui part d'en haut, c'est beaucoup plus facile après ça, d'en bas, de pouvoir vous donner les outils.

Et j'aimerais peut-être juste entendre Mme Thériault, là, sur la cohésion, parce vous avez un modèle extraordinaire, vous faites des jaloux. Je comprends qu'il vous manque des affaires, mais continuer de développer cette cohésion-là, c'est quelque chose qui revient dans toutes nos discussions. Il y a des perles dans plusieurs régions, et, dans plusieurs régions, on réalise que ce qui manque, c'est la cohésion que vous avez à Québec. Donc, il faudrait que ce soit un modèle exportable.

Mme Thériault (Nathalie) : C'est ce qu'on veut.

M. Ouellette : O.K. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Députée de Notre-Dame-de-Grâce, courte question.

• (11 heures) •

Mme Weil : Oui, merci. Alors, merci beaucoup de votre présence. J'étais à la formation, donc, il y a quelques semaines, on vous a entendus. D'ailleurs, c'est... Quinty? On avait Mme Quinn, hier, de l'Alberta.

Plusieurs questions pour vous tous. Bon, premièrement, vous avez, lors de votre présentation il y a quelques semaines, un peu parlé de votre parcours et votre évolution dans ce domaine. On était un peu, nous, en formation pour bien comprendre qui sont ces filles, les profils de ces filles, de quels milieux ils viennent, les parents, où sont les parents dans ce portrait, relation des parents. Vous avez même évoqué des jeunes garçons qui étaient peut-être des collègues de classe au primaire, qui soudainement sont des abuseurs par rapport à ces mêmes filles avec qui ils sont allés à l'école, je pense que c'était en Beauce, etc. Donc, ça, c'est bien important, parce que nous... Oui, vous avez besoin de financement stable, on l'a bien entendu, puis c'est bien important. Je connais bien le milieu communautaire, et c'est sûr qu'on va faire des demandes pour tout l'argent et le financement possible pour tous les projets parce que c'est comme ça qu'on évolue. Et on apprend, comme société, les gouvernements apprennent aussi en même temps que vous, vous apprenez. Puis vous êtes les premiers à alimenter les gouvernements. Donc, on a bien entendu ce message.

Mais il y a toute cette question de prévention, d'intervention. Et, si vous avez entendu Mme Quinn hier, elle a parlé d'empathie et la possibilité de travailler la mentalité de l'abuseur, donc, ce client monstre, franchement, dans certains cas, pour utiliser un peu les expressions de ma collègue hier en décrivant ces personnes. Mais ce qui était intéressant, dans son intervention, c'est que, ah! il y a possibilité de travailler, eux aussi.

Est-ce que vous... Mes questions, donc. Vous évoquez aussi accompagnement des parents, dans votre mémoire, parce qu'ils sont ébranlés, démunis, etc., donc parler de ça. Et votre compréhension, premièrement... D'où viennent les filles qui se retrouvent à Québec? De quelles régions viennent-elles? Parce que, pour nous, de comprendre le grand portrait sur le territoire du Québec... Est-ce que c'est des filles en mouvement, qui bougent? À Montréal, c'est le cas. Vous avez entendu qu'il y en a qui se retrouvent, évidemment, dans les provinces de l'Ouest. Donc, vous, votre expérience, d'où viennent ces filles?

Et votre point sur comment on travaille... Puis vous l'avez bien fait, il y a deux semaines, ça a été évoqué par deux universitaires hier, il faut travailler avec cette femme, ne pas la juger, cette personne, cette victime, l'amener puis se rendre compte qu'il y aura des entrées, et des sorties, et des rentrées, et des sorties, et de ne pas juger et préjuger. Donc, votre expérience un peu, parce que vous l'aviez évoqué il y a quelques semaines, mais aussi des questions additionnelles sur d'où viennent ces filles puis vos constats par rapport à peut-être aussi l'évolution, parce qu'en 25 ans il y a beaucoup qui a changé, cette course contre la montre, contre le «dark web», etc., course contre ces monstres, je dirais même, aussi. Comment vous vous adaptez? Puis voyez-vous ça comme un enjeu majeur pour les années à venir? C'est qu'on ne peut même pas deviner comment ça va évoluer. Donc, vos besoins de formation, d'argent pour la formation aussi.

Le Président (M. Lafrenière) : Une minute...

Mme Weil : Donc, c'est un peu tout ça.

Le Président (M. Lafrenière) : Et tout ça en moins d'une minute, comme réponse.

Mme Thériault (Nathalie) : Si vous me donnez une heure pour répondre... C'est beaucoup de questions.

Mme Weil : ...ça permet de savoir qu'est-ce qui nous préoccupe aussi, je pense, c'est important de le savoir.

Mme Quinty (Geneviève) : Écoutez, c'est beaucoup de questions avec peu de temps. Je vais répondre pour les garçons, parce qu'on m'a énormément posé de questions par rapport à notre ambition, je dirais, d'accompagner les garçons. Le travail de rue nous amène à rencontrer ces garçons-là parce que généralement on est en lien avec les jeunes filles mais avec tout son réseau naturel...

Une voix : ...

Mme Quinty (Geneviève) : Non, non, j'y arrive. Donc, être en contact avec ces jeunes filles là nous met inévitablement en contact avec ces gars-là qui parfois les abusent, ou c'est des recruteurs, ou c'est des facilitateurs. Mais notre cible, ce qu'on cible, avec ces gars-là, c'est les plus jeunes, les 13, 14, 15, 16 ans, qui ne sont pas cristallisés encore dans un mode de proxénétisme. C'est des gars qui vivent encore de l'ambivalence. C'est des gars qui, une journée, ont le goût de faire de l'argent avec leurs blondes, puis, le lendemain, il a le goût de s'inscrire au cégep.

Donc, on s'est dit : On a... L'exploitation sexuelle, c'est un système. Il y a trois acteurs. On a parlé du client, tantôt, on parlé beaucoup des jeunes filles, des garçons, mais, celui qui l'organise, qui en profite, qui le gère, il faut... Pour avoir un impact, une plus grande portée sur nos jeunes filles, aussi, il faut répondre aux besoins de ces jeunes garçons là. M. Lafrenière me fait signe de...

Le Président (M. Lafrenière) : J'ai la pire job, aujourd'hui, c'est de vous arrêter. On aurait voulu vous entendre pendant des heures. Merci beaucoup, mesdames. Merci. Au nom de la commission, je vous remercie pour votre témoignage aujourd'hui.

On suspend quelques instants, le temps de laisser place au prochain groupe. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 6)

(Reprise à 11 h 8)

Le Président (M. Lafrenière) : Je souhaite maintenant la bienvenue à Alliance Jeunesse. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé, puis nous allons procéder à une période d'échange de 25 minutes avec les membres de la commission. Alors, je vous invite à vous présenter puis à commencer votre exposé.

Alliance Jeunesse Chutes-de-la-Chaudière

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Donc, bonjour. Mon nom est Véronique Duchesneau, je suis travailleuse de rue VIP pour Alliance Jeunesse, donc, le Volet Intervention Prostitution. Je vais vous présenter aussi ma collègue, là, Lauryann.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Oui. Donc, bonjour, tout le monde. C'est vraiment un honneur d'être là aujourd'hui parmi vous pour vous présenter notre Volet Intervention Prostitution. Moi, rapidement, bien, mon nom, c'est Lauryann Irazoqui. La raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui, c'est parce que j'ai remplacé ma collègue Véronique pendant son congé de maternité, dans les deux dernières années. Donc, je suis venue aujourd'hui, là, pour l'accompagner puis faire un peu de pouce avec elle, là, pour vous présenter notre beau projet.

• (11 h 10) •

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Donc, pour commencer, Alliance Jeunesse est un organisme communautaire qui est né en 1990, qui avait pour mission de soutenir les jeunes, là, les plus vulnérables, là, au niveau de la rue, donc, au niveau du secteur de Chutes-Chaudière, Saint-Romuald, dans ce coin-là. Donc, on voulait intervenir avec les jeunes du milieu, les accompagner pour améliorer leurs conditions de vie puis répondre à leurs besoins.

Donc, suite à ça, il y a deux volets qui se sont créés, le volet Hébergement, dans le fond, qui comporte 26 logements locatifs pour les jeunes de 18 à 25 ans ainsi qu'une flotte de travailleurs de rue, on est six, dont quatre au niveau de la jeunesse et une travailleuse de rue de proximité, qui travaille auprès des familles, hein, les enfants de zéro à cinq ans, et le Volet Intervention Prostitution, qui est moi, en fait. Donc, le travail VIP, c'est vraiment de promouvoir la santé physique, sexuelle et la sécurité des utilisatrices du service.

Les origines de VIP. Donc, de 2009 à 2010, il y avait une augmentation au niveau des demandes d'aide, de la part des partenaires du milieu, au niveau de la prostitution et au niveau aussi des HARSAH, c'est les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes. Et, au même moment, il y a eu beaucoup de plaintes de citoyens par rapport au regroupement des HARSAH au niveau des Chutes-Chaudière. La Sécurité publique avait des demandes d'éloigner, là, les HARSAH de ce secteur-là qui était prisé par les familles aux Chutes-Chaudière, et la Santé publique avait une demande de diminuer les... Dans le fond, ils avaient peur à l'augmentation des ITSS. Donc, cette inquiétude a mené à la création d'une table de concertation, dont faisait partie Alliance Jeunesse, pour vraiment agir à ce niveau-là. Alliance Jeunesse a mandaté un travailleur de rue qui allait auprès des HARSAH pour, dans le fond, faire de la prévention au niveau des ITSS, les affilier avec l'infirmière de rue et aussi fournir des condoms et du matériel d'injection.

En 2011‑2015, le ministère de la Sécurité publique a financé un travailleur de rue pour répondre aux besoins de la communauté. Donc, c'est un intervenant qui agissait au niveau de HARSAH mais aussi au niveau de la prostitution à Lévis. Et, de 2015 à 2020, donc, le projet sur lequel je suis présentement est financé par le ministère de la Justice, qui a accepté de financer, dans le fond, pour les cinq ans, de 2015 à 2020.

Présentement, on est à la fin, là, du mandat. Donc, ça se termine le 31 mars 2020. On a demandé une reconduction du projet, mais, dans le cas où ce que ce ne serait pas fait, bien, on travaille, là, d'arrache-pied, là, pour ramasser, dans le fond, des sous, pour la pérennité du projet VIP. Donc, je laisse Lauryann expliquer le projet.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Oui. Donc, je vais vous expliquer, en fait, c'est quoi, VIP, qu'est-ce qu'on fait concrètement, là, dans notre semaine, comme travail.

Bien, premièrement, ce qu'il est important de savoir, pour le Volet Intervention Prostitution, c'est qu'on travaille avec une clientèle qui est majeure et qui se veut volontaire de recevoir nos services d'intervention. Notre objectif prioritaire, en fait, par rapport au Volet Intervention Prostitution, c'est vraiment de promouvoir la santé et la sécurité sexuelles des travailleuses du sexe. Pour ce faire, on adopte une philosophie qui se veut style, bien, travailleur de rue, parce qu'en fait on est des travailleuses de rue. Donc, pour ce faire, on a une approche en réduction des méfaits. Ça, qu'est-ce que ça veut dire, c'est qu'on utilise beaucoup la sensibilisation, la prévention, on fait beaucoup d'accompagnement. Quand je parle d'accompagnement, c'est des accompagnements dans toutes les sphères de la vie des travailleuses du sexe, donc toutes les sphères biopsychosociales. On peut accompagner quand elles passent en cour, au palais de justice, on peut accompagner pour aller chercher de l'aide alimentaire, pour répondre aux besoins de base, on peut accompagner pour aller prendre un café au Tim Hortons parce qu'elles ont besoin d'écoute, elles ont besoin de parler. Donc, on a vraiment, là, une grande latitude, là, pour ce qui est de nos interventions.

Évidemment, cette approche-là, ça nous amène à avoir une ouverture d'esprit incroyable et puis ça nous amène également à n'avoir aucun jugement envers les travailleuses du sexe et les gens qui sont victimes d'exploitation sexuelle. Évidemment, notre approche ne vise pas à sortir, nécessairement, les jeunes femmes de ce milieu-là, mais à leur offrir des filets de sécurité afin qu'elles puissent faire leur pratique de façon sécuritaire et dans le respect d'elles-mêmes, et qu'elles gardent quand même une certaine dignité à travers tout ça. Donc, nous, c'est vraiment de mettre, de bâtir des facteurs de protection autour d'eux pour qu'ils soient en sécurité sexuelle et physique.

Évidemment, cette clientèle-là, c'est une clientèle qui est très susceptible d'être désaffiliée du réseau de la santé. Généralement, ils n'iront pas nécessairement consulter pour faire les tests de dépistage, d'emblée, là, au CLSC, par peur soit du jugement... Parce qu'évidemment, là, les questions... bien, la question qu'elle se fait souvent poser, c'est : Combien de partenaires sexuels as-tu eu lors du dernier mois? Si elle en a eu 96, bien, peut-être qu'elle ne le dira pas. Donc là, ça vient un peu biaiser les résultats, là, des tests de dépistage, et tout ça.

Donc, c'est pour ça que ça, c'est vraiment, là, un pilier du projet Intervention Prostitution. On a une infirmière clinicienne qui nous accompagne, chaque semaine pour aller dans les milieux prostitutionnels. Quand je parle de milieux prostitutionnels, c'est vraiment les milieux où est-ce qu'on intervient directement avec la clientèle, avec les jeunes femmes en prostitution et en exploitation sexuelle. Donc, on se déplace dans les salons de massage érotique, on se déplace dans les bars de danseuses, on se déplace directement dans les chambres d'hôtel, entre deux clients, rencontrer une escorte. On se déplace directement dans leurs domiciles. En fait, le but de ce programme-là, avec l'infirmière, c'est vraiment de les accompagner et d'essayer un peu, bien, en fait, d'améliorer l'accessibilité aux services de santé et de services sociaux, pour les jeunes filles, en matière de prostitution et d'exploitation sexuelle.

Évidemment, tous les services qu'Alliance Jeunesse offre sont gratuits, donc il n'y a aucuns frais qui sont rattachés à ça, c'est tout le temps gratuit, que ce soit l'infirmière... Bien, j'ai oublié de mentionner, aussi, mais on donne des quantités phénoménales de condoms à toutes les travailleuses du sexe, et tout ça, c'est gratuitement. Donc, c'est vraiment, là, pour prioriser, là, leur santé et leur sécurité sexuelles.

Je pourrais dire également que VIP, maintenant, depuis quelques années, on est vraiment rendus reconnus et ancrés dans notre communauté et dans la réalité de la prostitution dans l'industrie du sexe. Ce que je veux dire par là, c'est que, maintenant, c'est rendu un réflexe que nos partenaires nous appellent pour nous référer, pour nous demander conseil. Les filles, entre elles, ça se parle : Ah! Est-ce que tu connais Lauryann? Tu connais-tu Véronique, la travailleuse de rue, elle pourrait te mettre en contact avec une infirmière? Donc, on est vraiment rendus à un stade où on est rendus la référence sur la Rive-Sud de Québec pour ce qui est de la prostitution et de l'exploitation sexuelle.

Pour faire un peu de pouce là-dessus, bien, moi puis Véronique, on est bien fières de vous dire aujourd'hui, là, que le mois dernier on a remporté le prix Coup de coeur de la catégorie Amélioration de l'offre concertée avec la communauté lors du Gala d'excellence du CISSS—Chaudière-Appalaches. Donc, ça, ça a été une grande étape pour nous, là, d'avoir remporté ce prix-là. Et puis l'hiver dernier, en fait, moi puis Véronique, on avait également été convoquées comme conférencières, lors du Colloque de la prévention de la criminalité, lors... bien, organisé, orchestré par la Sécurité publique. Et puis on se fait également, là, contacter pour notre expertise, par exemple, pour... la firme Mourani-Criminologie, elle a fait appel à notre expertise, l'année dernière, pour faire une étude en recherche, là, par rapport au besoin des logements aux femmes qui ont quitté l'industrie du sexe. Donc, je pourrais dire en fait que VIP a vraiment développé une belle expertise, puis ça nous est reconnu.

Évidemment, expertise, oui, ça veut dire qu'il y a de la prostitution à Lévis. Souvent, on se fait poser la question : Est-ce que ça existe vraiment à Lévis? Oui, c'est une réalité qui est bien présente à Lévis. Puis la ville de Lévis est en constant développement. Donc, qui dit ville en développement dit demandes de la part... de services sexuels des clients, qui sont en augmentation, et, ceci dit, dit demandes de la part des travailleuses du sexe et des filles victimes d'exploitation sexuelle, qui ont besoin de plus de services de la part des intervenantes VIP. Donc, qu'est-ce que ça fait, ça? C'est qu'on est comme dans un continuum de services, mais... bien, malheureusement, tu peux dire ça comme ça, il y a seulement une intervenante attitrée, là, au poste VIP, donc c'est difficile de répondre à tous les besoins qu'il y a présentement, là, sur le territoire.

Aussi, en tout cas, je vais vous dire, là, qu'Alliance Jeunesse, on a été mandatés pour distribuer des trousses de naloxone. Ça, en fait, ça a comme objectif de réduire les risques de décès liés aux surdoses d'opioïdes. Parce que, je ne vous le cacherai pas, c'est très malheureux de le dire, mais évidemment, quand on parle de prostitution, on parle de consommation, puis, bien, notre but, c'est vraiment d'y aller dans la réduction des méfaits, donc on distribue, là, un grand nombre de trousses de naloxone.

Dernière petite chose, en fait, là, tantôt j'ai entendu qu'on a parlé un peu de la Beauce... Parce que nous, on a eu un VIP Beauce qui a été mis en place pendant trois ans. Ça, en fait, ça a été une demande, là, de la Santé publique de Chaudière-Appalaches, qui nous a recrutés pour offrir nos services VIP sur le territoire de la Beauce, mais ayant comme principal objectif de faire une étude de besoins, en fait, pour tout ce qui est matière de prostitution, de HARSAH, hommes ayant relations sexuelles avec d'autres hommes, et tout ce qui est jeunes en difficulté. Donc, nous, on est allés directement à la rencontre de cette clientèle visée là par le biais de bars de danseuses, de parcs, les sites d'annonces Internet où est-ce que les femmes vont vendre des services sexuels. Donc, on a fait ça.

Pour conclure, qu'est-ce que VIP? Je pense que c'est vraiment important, pour moi, de vous le mentionner, VIP, c'est un service... bien, en fait, c'est ce qui nous différencie beaucoup de d'autres services, on est un service qui est personnalisé, qui est fait pour travailler avec l'humain, avec la personne. Donc, nous, on ne travaille pas avec la travailleuse du sexe ou on ne travaille pas avec la fille qui va être victime d'exploitation sexuelle, on va travailler avec l'humain qui est en arrière de tout ça, l'humain qui a des besoins, qui a des sentiments puis qui a besoin d'avoir réponse à ceux-ci. Donc, comme ça le dit, c'est un service VIP qu'on offre aux femmes dans l'industrie du sexe.

Donc, je vais laisser ma collègue Véronique poursuivre.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Donc, le projet, bien sûr, a eu des retombées, des impacts sur le territoire, là, durant les quatre dernières années — donc je vais vous en citer quelques-unes — dont la diminution des relations sexuelles à risque et la diminution, par le fait même, des ITSS, des grossesses non désirées et des avortements, la diminution du partage du matériel d'injection, parce qu'on distribue aussi le matériel, là, aux UDI, la diminution des actes de violence et des délits aussi à ce niveau-là, l'augmentation des connaissances par rapport à la loi C-36, l'augmentation de l'estime de soi et le respect d'elles-mêmes, donc des facteurs de protection de la femme, la diminution des crises et désorganisation — donc, avant d'en arriver à commettre des actes irréparables, bien, des femmes, souvent, nous appellent, on désamorce la crise, on les réfère aux bons endroits, donc ça diminue, là, l'impact au niveau des crises — l'augmentation de l'accessibilité en hébergement, au niveau de la nourriture, au niveau de l'hygiène de vie, des besoins de base, et la réalisation de leurs projets de vie. Donc, elles ont maintenant un lendemain, ces femmes-là. Elles se perçoivent, elles se projettent dans l'avenir.

Le projet VIP augmente les facteurs de protection, diminue les facteurs de risque, donc on installe des filets de sécurité. Je dis toujours qu'on est des généralistes. Donc, nous, on accueille les besoins, souvent on en fait un bon bout parce qu'avant d'êtres capables de déceler vraiment c'est quoi, le besoin prioritaire, on a à faire, là, un bout de chemin avec la personne. Puis, ensuite de ça, on réfère vers les organismes du milieu. Donc, on est au début de ce que Geneviève Quinty a réalisé, là, au niveau de la Rive-Nord. On commence à s'arrimer et on s'organise, on se mobilise, là, sur la Rive-Sud, là, au niveau de la prostitution, que ce soit majeures comme mineures.

Au niveau des réflexions, bien, c'est sûr que nous, on est plus en prévention qu'en intervention, parce que je suis la seule à couvrir Chutes-Chaudières—Lévis, Desjardins, Lauzon aussi, donc c'est un grand territoire à faire seule. On est dans la réduction des méfaits, donc on pense aussi que... Dans le fond, on agit au niveau des adultes, mais on a quand même une conscience mineures. On sait que, si on agit au niveau de la prévention, au niveau mineures, bien, ça va peut-être avoir un impact, là, aussi au niveau majeures, là, à moyen court terme. Donc, c'est pas mal ça pour notre présentation. Je vais vous laisser...

• (11 h 20) •

Mme Irazoqui (Lauryann) : Moi, j'aurais un petit quelque chose à rajouter.

Le Président (M. Lafrenière) : Oui, allez-y.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Bien, en fait, là, oui, on dit qu'on travaille beaucoup, beaucoup avec les adultes, mais je vous dirais qu'on a énormément de demandes de la part des établissements scolaires par rapport à la prostitution juvénile et de l'exploitation sexuelle. Que ce soit aux centres de formation des adultes, dans les centres de formation professionnelle, les écoles secondaires, on a énormément de demandes puis malheureusement on n'a pas les ressources humaines et budgétaires pour répondre à ces demandes-là. Donc, on essaie de pallier du mieux qu'on peut en faisant de la prévention. On a monté des ateliers pour essayer de répondre le mieux qu'on peut, là, quand même, avec les ressources qu'on a, mais malheureusement c'est un besoin qu'on n'a pas les moyens de répondre présentement, là, à l'heure actuelle. Donc, je pense que c'était important de le mentionner.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour votre exposé. Avant de passer à la période de questions, je vais avoir besoin d'un consentement pour ajouter trois minutes à cette audition.

Des voix : ...

Le Président (M. Lafrenière) : Consentement? Consentement. Alors, on va commencer avec une question par la députée de Lotbinière-Frontenac.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Moi, je voulais savoir... Bien, vous en avez parlé à la fin de votre présentation, votre clientèle, c'est plus des jeunes femmes adultes. C'est quoi, la proportion? Est-ce que vous en avez aussi des mineures ou vous n'êtes pas du tout capables pour une raison budgétaire?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Je peux y aller. Dans le fond, c'est sûr que nous, là, le volet VIP est vraiment plus au niveau majeures. Comme je le disais tout à l'heure, on fait de la prévention, on fait des ateliers au niveau de toutes les écoles secondaires du milieu, aussi au niveau des centres de formation pour adultes. Donc, on en côtoie, mais ce n'est pas nécessairement encore un réflexe, pour les jeunes filles, de venir demander de nos services, donc on est en train justement de concerter le milieu, les intervenants, les différents partenaires afin d'avoir cette courroie de transmission là entre les services du communautaire et l'institutionnel.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Puis je dois dire aussi que, tu sais, quand on s'en va, là, dans un salon de massage érotique, par exemple, bien on ne prend pas le temps de carter les femmes non plus.

(Interruption)

Une voix : ...comment on fait pour arrêter ça? Aïe! attends un peu, là.

Le Président (M. Lafrenière) : ...on avait un suspect, nous autres, autour de la table, puis ce n'est pas lui aujourd'hui, donc on est correct.

Une voix : O.K. Excusez.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Donc, tu sais, peut-être qu'on en côtoie puis qu'on ne le sait pas. Parce que, des fois, c'est sûr que... Tu sais, c'est arrivé que moi puis Véronique, on s'est dit : Elle a l'air jeune, mais, tu sais, en même temps, on ne la carte pas. Elle nous dit qu'elle a 18 ans, tu sais, on n'est pas là... ce n'est pas notre mandat d'aller valider l'âge qu'elles ont. Mais nous, on y va vraiment dans une optique qu'elles sont adultes puis consentantes de recevoir nos services. Je ne sais pas si ça a répondu...

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bien oui, là, mais... Bon, O.K. Puis je voulais savoir pourquoi avoir appelé votre programme VIP?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Bien ça, dans le fond, c'est un nom qui a été donné par Valérie L'Italien, une infirmière du milieu. Donc, quand on s'est posé la question, comment qu'on allait appeler ce programme-là, on a pensé que le VIP, comme «very important person» résonnait bien, puis ça rappelait, dans le fond, les trois mots du Volet Intervention Prostitution. Comme Lauryann le disait tout à l'heure, on offre vraiment un service individualisé, personnalisé aux femmes, puis elles sentent vraiment l'importance qu'elles ont dans notre intervention. C'est-à-dire qu'une femme, là, elle a l'impression que je n'en ai pas d'autres qu'elle à traiter, alors que j'en ai plusieurs sur le territoire. Ça fait qu'elle se sent vraiment VIP, à ce moment-là, ça fait que les femmes se reconnaissent bien.

Le Président (M. Lafrenière) : Députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation et surtout merci pour votre énergie. Vraiment, vous êtes très inspirantes. Et je vais juste partager une petite anecdote avec vous. J'avais, à un moment donné, couvert, j'étais aux États-Unis, une campagne de sensibilisation pour contrer les maladies transmises sexuellement et surtout le sida, et on était passé par le biais des coiffeurs et des coiffeuses pour distribuer des condoms. Alors, je me disais peut-être que vous pourriez passer par ces réseaux-là parce qu'on dit... La théorie derrière ça, c'était qu'un client se confie beaucoup plus à son coiffeur, sa coiffeuse qu'à son psychologue. Alors, ça peut être intéressant de donner votre numéro de téléphone un peu partout, puis vous allez peut-être en avoir.

Le Président (M. Lafrenière) : ...débat, si ça ne vous dérange pas.

Mme St-Pierre : Pardon?

Le Président (M. Lafrenière) : Je vais m'exclure de cette catégorie.

Mme St-Pierre : Je ne voulais pas parler de vous, M. le Président. Mais, évidemment, ce n'est pas un sujet drôle, là, le sujet dont on parle aujourd'hui, mais je me dis : Il faut vraiment être capable de rejoindre le plus de monde possible. J'ai deux questions.

Est-ce que vous avez aussi des interventions — je comprends que vous êtes une petite équipe, pas beaucoup d'argent, puis ça, c'est le nerf de la guerre, vous avez bien fait de le souligner — auprès des parents? Ça, je pense qu'aussi il faut l'aborder. Si vous avez des idées à nous transmettre là-dessus.

Mais ma curiosité, c'est par rapport à vos présences dans les bars de danseuses puis les salons de massage. L'idée, c'est que c'est tenu pas mal par du monde du crime organisé, ces endroits-là. Un, est-ce que vous avez peur pour votre sécurité? Et, deux, comment on vous accueille? On vous laisse entrer? On vous laisse faire? On vous laisse parler aux filles?

Mme Irazoqui (Lauryann) : Mais, bien, en fait, on n'a pas du tout peur, là, de notre sécurité. En fait, on rentre... Puis, je vous dirais, tu sais, ce qui est vraiment beau, là, avec le travail de rue, c'est qu'on développe tellement des liens privilégiés avec ces personnes-là, on sent tellement, là, qu'ils ont toute notre confiance. Donc, souvent on arrive puis, tu sais, on arrive avec plein de cafés du Tim Hortons, ça fait que, là, les filles vont être contentes parce qu'on leur amène des beignes, des cafés.

L'approche qu'on va avoir, en fait, là, c'est on va être vraiment humains, humains, égalitaires. Donc, tu sais, on ne va pas là... puis, tu sais, ça, je pense que ça se ressent beaucoup, on ne va pas là pour les juger. On ne les juge pas. On les accepte telles qu'elles sont. Comme je vous disais, on n'est pas là pour les sortir. À la limite, on leur apporte juste du positif parce qu'on donne des condoms, on leur offre du soutien, on leur offre de l'écoute. Donc, elles se sentent mieux. Ça a un impact positif pour eux.

Mme St-Pierre : Mais ceux qui les contrôlent, ils ne sont quand même pas loin, là. Ils voient que vous êtes là.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Oui. Mais, pour ma part en tout cas, je n'ai jamais eu problème vis-à-vis ça parce que, bien, on ne s'en va pas là dans une approche de sortir les filles de ce milieu-là. On s'en va les aider à le faire de façon sécuritaire. Souvent, ce que je m'étais déjà fait dire également, là, par des personnes qui contrôlent ces réseaux-là, c'est que ça a du positif parce que les filles n'ont pas d'ITSS. Parce qu'il y a comme des sites Internet où que les clients peuvent noter toutes les filles, puis là, bien, ça fait que, mettons, un salon va dire que toutes les filles sont... elles n'ont pas d'ITSS, elles sont propres, tout ça. Donc, ça a des impacts positifs pour leur milieu, en fait, si je peux dire ça comme ça.

Mme St-Pierre : Leur business.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Donc, c'est sûr que, si on arriverait en disant : On veut que tu te sortes de là, on ne veut plus que tu fasses ça, ce n'est pas bon pour toi, bien, ils nous diraient : Toi, va-t'en, là. Mais on n'y va pas dans cette approche-là. Puis c'est ce qui fait que c'est gagnant, en fait, pour nous, d'y aller dans une approche de réduction des méfaits.

Mme St-Pierre : Et les parents? Est-ce que vous avez des recommandations à nous faire?

Mme Irazoqui (Lauryann) : Moi, je n'ai jamais... Je vais te laisser, Véronique, répondre.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : On n'est pas vraiment en lien avec les parents, là, au niveau de la prostitution adulte. On a des mamans qui sont dans le réseau. C'est sûr qu'on fait, tu sais, tout ce qui est, là, par rapport aux... voyons, aux compétences parentales par rapport à leur propre enfant. Mais, tu sais, les mères de ces femmes-là, nous, on ne les côtoie pas dans notre «day-to-day», là, dans notre travail, là.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Mais c'est sûr qu'il y a de l'accompagnement à faire au niveau des parents, là, par rapport à ce qui se passe, là, les modes d'entrée dans la prostitution, tout ce... au niveau de la prévention, là. C'est sûr que les parents doivent être mis au courant de certains modes d'entrée dans la prostitution pour voir venir ça chez leurs jeunes, là, oui.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Député d'Ungava.

M. Lamothe : Bonjour.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Bonjour.

M. Lamothe : Club de danseuses, vous rentrez là. Pas de trouble avec le «doorman»?

Mme Irazoqui (Lauryann) : Non. Si je peux donner l'exemple, là, en Beauce, c'est quelque chose... En fait, on avait un mandat, c'était un cinq heures par semaine qu'on allait en Beauce, puis c'était vraiment notre activité principale, c'était d'aller dans les bars de danseuses. Puis, tu sais, on arrive là, puis les barmans, les barmaids nous connaissent toutes, les danseuses nous connaissent, ça fait qu'on rentre puis, tu sais, on se fait accueillir : Aïe! salut, c'est les filles de VIP, puis : Venez vous asseoir, puis, tu sais : Qu'est-ce que je te sers aujourd'hui? Ça fait que, tu sais, c'est vraiment dans une approche «friendly», là, si je peux dire ça comme ça. Tu sais, elles sont contentes de nous voir. On leur apporte du soutien, de l'écoute. On amène des condoms, on offre des... On arrive avec une infirmière. L'infirmière peut passer les tests de dépistage directement dans l'isoloir, dans les bars de danseuses. Donc, on a vraiment, comme je vous dis, une approche qui fait qu'on n'est pas une menace, si on veut, pour les «doormen» ou les gens qui contrôlent ces réseaux-là.

M. Lamothe : O.K.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Je ne sais pas si je réponds bien à votre question?

M. Lamothe : Oui, absolument. C'est juste que j'essaie de voir la dynamique puis... Mais c'est spécial.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Mais l'intervenante y est pour beaucoup aussi, là.

M. Lamothe : Pardon?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : L'intervenante y est pour beaucoup aussi. C'est-à-dire que, tu sais, on est ouverts d'esprit, un petit peu excentriques, tu sais, on s'adapte très, très facilement avec la dynamique du milieu. Ça fait que ça fait de nous, tu sais...

M. Lamothe : Oui, vous êtes sûrement très bonnes.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : ...des personnes, là, c'est ça, à part entière de l'équipe, finalement, là, oui.

M. Lamothe : O.K. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Député de Viau.

• (11 h 30) •

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Donc, merci pour votre présentation. 635 personnes rencontrées, je trouve ça... c'est du monde, c'est beaucoup, mais vous comprendrez, dans le cas du mandat de cette commission, je vais m'attarder en particulier à deux catégories de groupe d'âge. 1 % sont d'âge mineur, 36 % sont âgées de 18 à 25 ans. Parlez-moi un peu de la trajectoire de ces personnes, particulièrement des personnes âgées de 18 à 25 ans. Ce sont des personnes qui ont commencé alors qu'elles étaient mineures majoritairement? C'est quoi, le portrait de ces personnes-là?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Dans les deux dernières années, j'ai créé un formulaire, là, un questionnaire VIP, que j'appelle, sur la Rive- Sud, pour avoir une espèce de portrait de... plusieurs questions anonymes que les filles répondent. J'en ai recueilli, là, c'est ça, une bonne cinquantaine, ça fait que j'ai quand même un bon échantillonnage, puis la plupart des femmes rentrent dans la prostitution par manque d'argent, des séparations, des problèmes ponctuels de la vie. Le 1 %, c'est des fois des mineurs qu'on rencontre, qu'on se rend compte que, oui, il y a une vulnérabilité mais pas nécessairement cristallisée. Donc, oui, on lit ça dans nos stats mais ce n'est pas nécessairement les gens avec qui on intervient à tous les jours.

Puis, c'est ça, le passage de mineur à majeur, c'est sûr que les jeunes filles, pour la plupart, ont commencé à l'âge mineur, donc c'est pour ça qu'on croit que la prévention est vraiment importante, là, au niveau mineur pour enrayer, là, justement cette continuité-là. Mais, c'est ça, nous, c'est vraiment au niveau adulte, là, qu'on interagit. Je ne sais pas si ça répond...

M. Benjamin : Absolument. J'ai bien entendu le manque de ressources exprimé et notamment lorsqu'il s'agit d'intervenir dans les écoles, dans les centres. Mais vous avez quand même une certaine expérience d'intervention dans les écoles, et vous intervenez à quel niveau dans les écoles? Secondaire II, secondaire III, secondaire IV, primaire? Et qu'est-ce que vous faites dans les écoles?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Présentement, on a un atelier de prévention. Ce n'est pas de la formation, c'est vraiment de la prévention, qu'on anime, on est vraiment au début, là, de notre processus. Donc, on a eu une demande des écoles du milieu. Donc là, on commence, là, nos présentations d'ateliers, c'est vraiment au niveau, je vous dirais, des 14-16 ans, là, la compréhension, là, de notre atelier. C'est sûr qu'il n'est pas nécessairement adapté encore pour très bas âge, on va y venir, mais, c'est ça, le manque de ressources, comme on l'a dit, est criant. Donc, je ne peux pas, moi, me positionner en tant qu'intervenante adulte et intervenante mineure. Donc, c'est sûr que, de préférence, ce serait d'avoir un intervenant mineur et une intervenante majeure, là, pour couvrir l'entièreté des besoins du territoire.

M. Benjamin : Et dernière question, M. le Président. Beaucoup d'intervenants avant vous nous ont parlé de l'importance qu'il y ait ce travail de concertation qui soit fait entre les différents intervenants, dont la police, qui joue un rôle névralgique, évidemment. Quel est votre mode de collaboration avec la police?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Bien, moi, je dis toujours qu'où finit mon mandat, il y en a un autre qui commence. Donc, moi, j'ai mon mandat de travailleuse de rue. C'est sûr qu'on prend beaucoup de chaleur au niveau de la gestion du risque. Si une jeune fille, exemple, qui vient solliciter nos services, là, d'intervention VIP, on va regarder avec elle le niveau d'exploitation sexuelle, où est-ce qu'elle est rendue, parce qu'il y a quand même un continuum, là, au niveau de l'exploitation. Mais dans la... tu sais, il y a quand même la Loi de la protection de la jeunesse qui nous oblige à signaler, là, en cas d'exploitation. Donc, si la situation devient extrême, c'est sûr que nous, même sans le consentement de la jeune fille, on va signaler, là. Mais ça, ça devient une courroie de transmission entre nous, la DPJ et le service de police. On est à mettre en place, justement, là, des courroies de transmission à ce niveau-là, mais on est vraiment, là, au début, début, là, de notre...

Mme Irazoqui (Lauryann) : Puis tu as une table aussi...

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Puis on a aussi une table, là... Bien, ce n'est pas une table, dans le fond, c'est un comité de suivi, là, avec plusieurs personnes, là, qui justement, là, siègent, le service de police, le CISSS, plusieurs organismes du milieu, pour justement arrimer nos services puis essayer de soutenir ce beau monde là, là, dans leurs difficultés.

M. Benjamin : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci. Bonjour, mesdames. Effectivement, on est dans un avant-midi d'énergie. J'ai vu ça tantôt, et ça se continue très bien. J'ai trois petites questions. Vous avez réglé un problème en Beauce, mais il semblerait qu'il est réglé, là, parce que vous êtes allés trois ans avec un budget de santé publique. Et, depuis 2018, tout est réglé en Beauce, là?

Mme Irazoqui (Lauryann) : Non.

M. Ouellette : O.K. C'est beau, parfait. Vous répondez effectivement à ma question.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Ce qu'on faisait, c'était une étude... Comment tu appelles ça encore?

Mme Irazoqui (Lauryann) : Une étude de besoins. Ça fait que c'était vraiment, là, comme objectif, d'aller recueillir des données pour voir c'est quoi les besoins actuels qui sont présents sur le territoire de la Beauce. Donc, l'étude, elle a duré trois ans. Maintenant, le trois ans est échu, puis la balle est dans leur camp. Donc là, d'après moi, ils sont en évaluation, là, des rapports qu'on a rapportés par rapport à ça.

M. Ouellette : Est-ce que je me trompe de penser, puisque vous avez du financement de cinq ans, que c'est Sécurité publique Canada puis Justice Canada qui vous a financé?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Présentement, c'est Justice Canada. Il y a eu la Sécurité publique, là, dans les années précédentes, qui se sont comme chevauchées. Donc, présentement, c'est le ministère de la Justice.

M. Ouellette : Donc, vous n'existez pas sur le «payroll» québécois, là. Vous faites une job extraordinaire, mais vous ne nous coûtez pas une cent? Si je comprends ça, là...

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Bien, on a quand même le municipal qui fournit, là, tu sais, c'est un organisme communautaire. Ça fait qu'on... c'est sûr qu'on relève de plusieurs financements pour assurer la pérennité du service. Là, on est à la reconduction, là, de VIP, là, au niveau du ministère de la Justice. On a déposé le projet, là, à différents ministères. On est en attente, là, de réponses à ce niveau-là.

M. Ouellette : Est-ce que votre organisme, dans la région de Lévis, vous êtes tout seul à faire ça?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Oui.

M. Ouellette : O.K. Donc, en Beauce, il n'y en a pas. Ça fait que, donc...

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Il y a les infirmières de rue qui assurent un certain support mais pas de travailleur de rue ni d'intervenant, parce que c'est des intervenants jeunesse, au niveau de la Beauce, donc ça arrête à 18 ans, puis, après ça, il n'y a pas de suivi.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Bien, en fait, en Beauce, il y a une intervenante qui est là à temps partiel pour couvrir le grand, grand, grand territoire de la Beauce.

M. Ouellette : Si le financement n'est pas reconduit en mars, avril, mai, donc, dans quatre mois, ce monde-là va tout où? C'est Québec qui s'en vient prendre la relève ou on se retrouve avec un bris de service?

Mme Irazoqui (Lauryann) : Bris de service.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Bris de service dans l'optique où est-ce que, bon, si ce n'est pas reconduit, oui, il pourrait y avoir un bris de service. Mais on travaille très, très, très fort, là, à aller chercher, là, les subventions nécessaires pour reconduire le projet. Puis on s'arrime aussi avec les partenaires du milieu pour être capable de récupérer cette clientèle-là à différents niveaux, là, au niveau du CISSS, au niveau du service de police, au niveau du centre jeunesse, au niveau des différents partenaires aussi, le CAPJ, là, notamment, à Lévis. Donc, c'est sûr que c'est des organismes qui sont déjà en place, là, qui vont répondre à cette demande-là.

Le Président (M. Lafrenière) : Le député d'Hochelaga-Maisonneuve, s'il vous plaît.

M. Leduc : ...M. le Président. Bonjour à vous deux. Je veux vous dire que j'ai beaucoup de respect pour le travail des travailleuses de rue en général puis, visiblement, le vôtre aussi ici aujourd'hui.

Trois petites questions. D'abord, sur les termes, moi, je m'intéresse beaucoup aux mots qu'on choisit pour décrire les réalités de la vie, puis vous avez utilisé autant le mot «travailleurs, travailleuses du sexe», «personnes en situation de prostitution». Est-ce que, selon vous, si on est à 16 ou 17 ans, on peut être une travailleuse du sexe?

Mme Irazoqui (Lauryann) : Bien, moi, c'est sûr que ça peut être vu différent d'une intervenante à l'autre, je vais parler pour moi. Moi, je pense qu'en bas de 18 ans, malheureusement, ce n'est pas possible d'être une travailleuse du sexe parce qu'on rentre directement dans l'exploitation sexuelle puis la prostitution juvénile. Donc, pour moi, en bas de 18 ans, ce n'est pas possible d'avoir... tu sais, de consciemment... Je ne sais pas comment l'expliquer. En fait, en bas de 18 ans, on ne peut pas être une travailleuse du sexe par choix, tandis que, rendu... en tant qu'adulte, je crois qu'il y a des femmes qui sont capables de le faire dans le respect, dans la dignité et qui sont capables d'être bien dans ce travail-là. Mais, par contre, mineures, non. Non, mineures, c'est vraiment de l'exploitation sexuelle.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Il y a une notion de consentement aussi, là, qui est à prendre en compte.

M. Leduc : Parfait. C''est très clair. Merci beaucoup. Sur, donc, la question des mineurs, justement, puisqu'on est là-dedans, on a parlé tantôt un peu des chiffres que vous mettez, à la page 3, et là je réalise, avec les explications que vous donniez à ma collègue tantôt, que c'est une autodéclaration par rapport à l'âge. Tu sais, quand vous dites : On a rencontré 1 % d'âge mineur, 36 % de 18-25, 34 %... bon, etc., plus haut, plus haut, c'est une autodéclaration parce que vous dites : On ne les cartait pas. C'est ça que vous m'avez dit tantôt.

Mme Irazoqui (Lauryann) : Oui. Puis on y va aussi un peu à l'oeil : Bon, O.K., elle a l'air d'être dans la vingtaine... tu sais, parce qu'on ne dira pas : O.K., bonjour, toi, c'est quoi, ton nom? Tu as quel âge? Il faut que je rentre tout ça dans mes dossiers. On y va : O.K., elle, elle est dans la vingtaine. Elle est dans la trentaine, dans la quarantaine, O.K. Elle a la quarantaine passée. Donc, je dirais, c'est vraiment un approximatif, là, de ce qu'on peut évaluer.

M. Leduc : Parce que je suis très surpris de voir ces chiffres-là, dans le sens où ce qu'on entend beaucoup, c'est que la demande, c'est pour les plus en plus jeunes, donc les mineurs. Ça fait que de dire qu'il y en a 1 % de tout... que vous verrez beaucoup de personnes, là, 635 personnes que vous avez rencontrées, 1 % d'âge mineur seulement, moi, je suis subjugué de voir ça, j'aurais pensé que ça aurait été l'inverse. Est-ce qu'on peut imaginer que, dans le 36 % des 18 à 25, il y en a un méchant paquet, là-dedans, qui sont en réalité des mineurs.

• (11 h 40) •

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Bien, vu que nos milieux où est-ce que... qu'on fréquente, c'est les salons de massage, les bars, les domiciles... Je veux dire, il faut quand même être adulte pour avoir une maison ou un appartement. Donc, c'est sûr que nous, on se fait voir dans les milieux où est-ce que la prostitution est là, et les tenanciers de salons, exemple, n'iront pas embaucher ou prendre des jeunes filles, là, en tout cas, pas sur la Rive-Sud, là, moi, je n'en ai jamais vu, ils ont quand même une conscientisation. Puis les jeunes, bien, ils ne connaissent pas nécessairement encore le service parce qu'on ne promouvoit pas le service nécessairement encore, là, dans les écoles et les... Ils sont au courant par l'entremise des travailleurs de rue qui travaillent avec nous, mais ce n'est pas une grande majorité qui va venir nous voir. Donc, les chiffres que vous voyez, c'est vraiment parce que nous, on se présente dans des milieux adultes. Ça fait que c'est pour ça qu'on a une clientèle, là, qui est majoritairement adulte, là, au niveau des chiffres.

M. Leduc : C'est très clair. Dernière petite question. Je trouve ça super le fun quand vous parlez de projets de vie positifs. On parle de la sortie, dans le fond, de la prostitution. Moi, une de mes obsessions dans cette commission-là, c'est : Qu'est-ce qui favorise une sortie réussie à moyen, long terme? Puis l'aspect, souvent, socioéconomique, je trouve qu'on l'écarte. Parce qu'il y a beaucoup, souvent, de pauvreté ou de précarité économique quand on sort de la prostitution. Quelle est votre expérience, vous, des conditions, autant les conditions sociales, les conditions économiques, qui favorisent une sortie réussie?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Bien, moi, je pense qu'autant que la personne va se retrouver dans un milieu prostitutionnel à cause d'éléments, justement, de la vie, santé mentale, consommation, faible niveau de scolarité, tu sais, vulnérabilité, autant qu'en travaillant sur ces aspects-là la femme, par elle-même, va s'organiser, va augmenter ses facteurs de protection, diminuer ses facteurs de risque puis va elle-même émerger, là, en actualisation. Au niveau de la pyramide de Maslow, là, les besoins de base vont être comblés, l'appartenance. On va désisoler aussi ces femmes-là en les impliquant dans différents organismes où est-ce qu'il y a des ateliers, des cuisines communautaires, on va créer des nouveaux réseaux sociaux, ce qui fait que la femme va finir par émerger d'elle-même, là, de ce milieu-là. Puis d'ailleurs on a 37 femmes depuis les quatre dernières années, là, qui se sont retirées du milieu, là, carrément.

M. Leduc : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. On va y aller avec deux dernières questions très, très courtes. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui. Vous avez déjà... Bonjour. Merci pour votre présentation, votre énergie, votre dévouement, là, vraiment à une cause. Donc, vous avez parlé, justement, d'essayer d'amener le jeune à... l'informer, essentiellement, lorsque c'est un mineur ou dans un cas extrême, et que, de toute façon, vous êtes obligés, en vertu de la loi, de faire le signalement. Donc, quelle est la clé du succès pour encourager ou vraiment persuader quelqu'un de faire cette déclaration?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : ...travailleur de rue, en soi.

Mme Weil : Et, deuxième question, la prévention auprès des proxénètes, qu'est-ce que vous faites? Comment vous agissez? Nous expliquer un peu, en quelques secondes, j'imagine.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Donc, la première question, c'est sûr que par le travail de rue les jeunes, tu sais, ne nous perçoivent pas nécessairement comme des délateurs, parce qu'on n'a pas ce mandat-là. On a le mandat d'accueillir le jeune, de l'accompagner, de le soutenir, donc le jeune va vraiment avoir confiance en nous. Ça fait que c'est pour ça qu'on n'a pas nécessairement le piton, là, très rapide, là, sur la dénonciation. On va y aller vraiment en cas de force majeure ou quand la chaleur est vraiment insoutenable par notre mandat et que c'est maintenant rendu à une autre personne, là, de continuer notre travail. Donc, à ce niveau-là, c'est... je pense que le travail de rue fait son oeuvre, là, avec le jeune.

Puis, au niveau des proxénètes, bien, nous, on n'est pas nécessairement en lien, on ne les voit pas. Oui, on croise des fois les clients, mais ce n'est pas dans une optique d'intervention, on fait seulement les croiser.

Mme Weil : Mais vous mentionnez quand même... Bon, vous dites : «Les travailleurs de rue font également de la prévention auprès des proxénètes, des clients [...] des acteurs indirects de l'exploitation. Encore une fois, notre organisme pense que plus ces gens seront informés des dommages qu'ils causent chez leurs victimes et des conséquences judiciaires qu'ils encourent, moins ils seront portés à commettre ce genre de délits.» On en a parlé hier, il y a un projet, donc, en Alberta où justement ils travaillent cet... donc on dirait que, quand même, vous croisez ces personnes. Ou c'est un souhait, d'éventuellement aller dans cette direction?

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Oui. C'est un souhait d'aller dans cette direction-là. On en croise, on discute avec eux, mais ce n'est pas nécessairement de l'intervention ciblée de réduction au niveau des proxénètes, là.

Mme Weil : Mais c'est intéressant quand même parce que, nous, c'est quelque chose qu'on veut regarder, les mesures de prévention, puis, après cette présentation qu'on a eue d'un groupe en Alberta, à Edmonton, qui ont eu du succès avec ça, c'est sûr que, je pense, cette commission est intéressée aussi par ces genres de mesures de prévention, oui, et de dévolution, si on veut. Alors, si vous aussi, vous trouvez que l'idée peut être intéressante, c'est intéressant.

Mme Duchesneau-Couillard (Véronique) : Puis, comme le disait tout à l'heure Geneviève Quinty, c'est sûr que les milieux criminalisés, cristallisés... Tu sais, il ne faut pas être utopique, là. Moi, c'est ça, je n'atteindrai peut-être pas ce niveau-là, mais c'est sûr qu'en agissant au niveau des mineurs, qui sont des fois ambivalents, c'est là, je pense, qu'on peut avoir du succès, oui, exactement.

Le Président (M. Lafrenière) : Dernière question rapide. Députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Bien, écoutez, merci beaucoup, monsieur. La plupart des questions ont été posées. C'était surtout, là, qu'est-ce qui se passe avec le 1 %, étant donné l'objectif et la mission de cette commission spéciale.

Par ailleurs, je tiens à vous féliciter parce que le travail que vous faites est important. Vous en avez mentionné les résultats. Et peut-être un petit commentaire. Justement, dans le continuum de services, ce que vous... les questions que vous posez, les... vous avez dit que vous aviez un questionnaire, et tout ça. Ça peut servir, ça aussi, pour, justement, les organismes qui gravitent autour et que vous essayez aussi de mettre en lien. Donc, je pense que ça aussi, c'est très important. Alors, voilà. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Mesdames, merci beaucoup. Au nom de la commission, merci pour votre présentation.

Nous allons suspendre les travaux de la commission. Nous serons de retour jusqu'après les affaires courantes. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 46)

(Reprise à 15 h 35)

Le Président (M. Lafrenière) : La Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Cet après-midi, nous entendrons en audition conjointe le Regroupement québécois des centres d'aide et de la lutte contre les agressions à caractère sexuel, les CALACS, et la Direction générale de l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Nous entendrons également Mme Rose Dufour et M. Daniel Loiseau.

Alors, je vais vous souhaiter la bienvenue. Je vais vous rappeler les règles d'usage. Vous allez avoir chacun 15 minutes de présentation, et par la suite ce sera une période d'échange de 30 minutes avec les membres de la commission. J'ai bien dit une période d'échange. Alors, ça se veut très agréable, ensemble. Je vais donc commencer par les CALACS en vous disant que vous avez 15 minutes. Alors, je vous demanderais de vous présenter et de débuter votre exposé.

Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions
à caractère sexuel (RQCALACS)
et Direction générale de
l'indemnisation des victimes d'actes criminels
(Direction générale de l'IVAC)

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Merci. Bonjour. Je m'appelle Maude Dessureault Pelletier. Je suis intervenante dans un CALACS, le CALACS Saguenay, qui s'appelle La Maison ISA. Je suis intervenante au niveau de l'exploitation sexuelle, donc, auprès des victimes. Avant de travailler dans les CALACS, j'ai travaillé pendant une dizaine d'années dans les maisons d'hébergement, donc, encore là, au niveau des violences faites aux femmes et auprès des femmes en difficulté. Aujourd'hui, dans La Maison ISA, je suis chargée de projet pour le développement des services pour les femmes et les filles qui ont vécu en lien avec la prostitution sur le territoire du Saguenay.

Le constat qu'on a fait, au CALACS de Saguenay, c'est que les femmes qui ont un vécu en lien avec la prostitution sont extrêmement marginalisées et ont des conditions de vie difficiles. Elles vivent avec tellement de traumatismes qui sont compliqués, et parfois il est difficile de les aider dans les dispositions actuelles.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Bonjour. Moi, c'est Marie-Michèle Whitlock. Je représente aujourd'hui le regroupement des CALACS, mais je travaille au CALACS-Agression Estrie, donc situé à Sherbrooke. Ça fait une dizaine d'années, en fait précisément 13 ans, que je travaille auprès des filles et des femmes qui sont dans l'exploitation sexuelle, dans la prostitution, soit en tant que travailleuse de rue, pendant sept ans, et sinon auprès des CALACS, donc, dans deux régions différentes.

Le constat qu'on apporte, en fait, aussi, en fait, personnellement, dans ma pratique, autant dans le travail de rue qu'au niveau des CALACS, c'est que, quand on a un passage dans l'exploitation sexuelle souvent à l'adolescence, ça peut se rendre jusqu'à l'itinérance au niveau de l'âge adulte, une des conséquences qu'on peut constater sur le terrain.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Je me permets de vous présenter un petit peu le Regroupement québécois des CALACS. Je vais aller très vite. Mais je veux que vous sachiez que le Regroupement québécois des CALACS existe depuis 40 ans. Il y a des CALACS dans presque toutes les régions du Québec. Les CALACS, c'est des organismes qui ont développé une expertise au niveau des violences sexuelles, violences sexuelles incluant l'exploitation sexuelle et toutes les formes d'agressions à caractère sexuel. On agit auprès des 14 ans et plus. On agit en prévention, en intervention mais aussi en matière de lutte, donc, au niveau des revendications.

Le constat que les CALACS font au sujet de l'exploitation sexuelle, c'est que la prostitution occasionne les mêmes conséquences chez les femmes et les filles que d'autres formes de violences sexuelles comme les agressions sexuelles à répétition ou l'inceste. Il y a peu de choses qui sont faites spécifiquement au Québec pour les femmes qui souhaitent quitter la prostitution. Puis une des causes de ça, c'est qu'il n'y a pas de reconnaissance comme quoi la prostitution adulte est aussi une forme de violence sexuelle puis qu'il y a une différence marquée entre les mineurs et les majeurs, dans la pensée populaire.

On va commencer par une petite définition pour avoir une base commune, c'est une définition qui nous vient du Secrétariat à la condition féminine : «À travers ses multiples manifestations, l'exploitation sexuelle implique généralement une situation, un contexte ou une relation où un individu profite de l'état de vulnérabilité ou de dépendance d'une personne ou de l'existence d'une inégalité des rapports de force dans le but d'utiliser le corps de cette personne à des fins d'ordre sexuel, en vue d'en tirer un avantage. Il peut s'agir d'un avantage pécuniaire, social ou personnel, tel que la gratification sexuelle, ou [...] toute autre forme de mise à profit.»

Donc, ce que je veux que vous reteniez, pour bien comprendre le reste de la présentation, dans cette définition-là on retrouve les concepts d'état de vulnérabilité, donc quelqu'un qui profite de l'état de vulnérabilité d'une autre personne. On a le concept de dépendance à une autre personne. On a le concept d'existence d'inégalités entre les rapports de force puis celui où il y a une personne qui utilise le corps d'une autre personne pour arriver à ses propres fins.

• (15 h 40) •

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Dans le concret, en fait, on inclut tout ce qui est les danseuses nues, que ça soit dans un bar ou que ça soit dans des partys privés. On inclut, en fait, tout échange sexuel pour d'autres services, donc de l'hébergement en situation de fugue, par exemple, mais aussi autres services en fin de mois quand une femme adulte n'arrive pas. On inclut aussi toutes les femmes qui peuvent se nommer escortes, qu'elles soient dans des agences ou qu'elles soient dites autonomes, massages érotiques, pornographie, prostitution de rue. Dans toutes ces formes d'exploitation sexuelle, on retrouve des jeunes filles mineures, entre autres.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : On est ici aujourd'hui — on va en profiter, on a votre attention — pour vous apporter un petit peu une vision sociale de l'exploitation sexuelle. Donc, plutôt que vous parler de spécifiquement qu'est-ce qu'on fait auprès des victimes, on va tenter de vous expliquer pourquoi, à notre avis, l'exploitation sexuelle des filles mineures n'est pas un phénomène qui prend fin le jour de leurs 18 ans. On va en profiter pour vous expliquer, vous démontrer pourquoi on considère que la prostitution s'inscrit comme une forme de violence commise à l'endroit des femmes et des filles. Puis on va aussi vous démontrer quelques actions gouvernementales qui seraient nécessaires pour offrir un projet de société qui permet aux femmes et aux filles de ne pas être happées dans l'industrie du sexe.

Donc, on commence avec le premier point. L'exploitation sexuelle des filles n'est pas un phénomène qui prend fin à leur passage à la majorité. Donc, est-ce que vous étiez au courant que l'âge moyen d'entrée dans la prostitution, au Québec, est de 14 ans? On ne connaît pas l'âge de sortie de la prostitution, mais il se situe bien au-delà de l'âge de la majorité. Donc, pourquoi considérer qu'il y a une différence à partir du moment où ces filles-là sont majeures? 80 % des femmes sont rentrées dans la prostitution en étant mineures. Puis, dans la majorité des cas, ces jeunes filles chercheront de l'aide une fois adultes pour se sortir de l'industrie du sexe et travailler sur les conséquences de leur passage dans l'industrie du sexe. Présentement, nous n'avons pas le filet social pour les aider à la majorité.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : On a peu de difficultés à reconnaître socialement qu'une jeune fille mineure ou une personne, en fait, qui est contrainte par un proxénète, soit par la force, par des violences physiques, sexuelles, sous contrôle, fait partie de l'exploitation sexuelle. Par contre, on a un problème lorsqu'on parle d'une femme adulte qui serait contrainte par des contraintes sociales, soit économiques, aussi sexistes, d'inégalité. Donc, les femmes les plus vulnérables, en fait, peuvent se retrouver aussi dans ce même milieu. On aimerait bien se faire accroire qu'il y a une ligne très claire, en fait, entre l'exploitation sexuelle et la prostitution dite volontaire, consentante, mais, malheureusement, sur le terrain, la zone est beaucoup plus grise. Les jeunes filles mineures côtoient les femmes adultes, et les mêmes processus, en fait, de recrutement, au niveau du leurre, de l'entrée dans la prostitution, sont les mêmes, que ça soit à l'âge adulte ou à l'âge mineur.

On trouve aussi que, puisque socialement on banalise la pornographie, l'hypersexualisation, l'industrie du sexe dans son ensemble, ceci facilite, en fait, le travail, entre guillemets, des proxénètes. Les recruteurs ont la vie de plus en plus facile puisque ce milieu est vraiment banalisé auprès de la population générale.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : On est rendus à notre deuxième point. Donc, on va tenter de vous démontrer pourquoi on inscrit la prostitution comme une forme de violence commise à l'endroit des femmes et des filles.

Je commence par vous dire que neuf personnes sur 10 quitteraient la prostitution si elles le pouvaient. Ça vient du Conseil du statut de la femme, en 2012. Dans la grande majorité des cas, la prostitution est un acte de survie. Le taux de mortalité des femmes dans la prostitution est de 40 fois supérieur à celui des femmes dans la population générale.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Une fois que tu as vécu de la violence sexuelle, que ça soit dans l'enfance, à l'adolescence... On sait que les femmes adultes qui se retrouvent dans la prostitution ont majoritairement vécu ces violences-là. C'est devenu comme plus facile de retourner, en fait, dans ce milieu-là. Les facteurs sociaux, dont la pauvreté, mais les violences... On voit une continuité, en fait, dans la vie de certaines femmes, où est-ce qu'elles vivent des violences avant d'être dans ce milieu-là, elles vivent des violences pendant dans ce milieu-là. Et parfois les conséquences sociales peuvent être aussi très, très violentes. Donc, il y a vraiment un continuum pour les CALACS. De la prostitution, de l'exploitation sexuelle, ça s'inclut dans un continuum de violences faites aux femmes, autant dans leur vie privée que publique.

Lorsqu'on fait une distinction claire, comme, présentement, la société québécoise peut faire, entre la prostitution adulte et la prostitution juvénile, l'exploitation sexuelle des mineures, on pense que ça fait un frein, en fait, à la lutte contre la traite des personnes et de l'exploitation sexuelle en général. On pense que ça peut entraver certaines initiatives ou la proactivité de certains corps policiers ou même des gouvernements.

Un des premiers facteurs de risque à se retrouver dans la prostitution ou dans l'exploitation sexuelle, pour nous, c'est tout simplement d'être une femme. Bien sûr qu'il y a plus de vulnérabilité à l'adolescence comme pour plein d'autres problématiques, mais, pour nous, le fait d'être une femme, on a une chance dans notre vie de peut-être être vendue. Au Québec, on sait que c'est les femmes qui représentent une majorité de personnes dans la prostitution. Certains chiffres peuvent parler de 90 %. Quand on regarde du côté des clients, c'est, en fait, une grosse majorité d'hommes, on parle de 99 % des acheteurs d'actes... voyons, de services sexuels sont des hommes. On peut tout de suite constater, en fait, qu'il y a une inégalité entre les sexes dans cette problématique sociale là.

Cette industrie exploite la misère, la vulnérabilité des personnes et de certains groupes sociaux. On peut penser aux femmes autochtones, qui sont quatre fois plus représentées dans la prostitution. La pauvreté, la violence, les inégalités entre les sexes, je l'ai déjà dit, constituent des préalables, en fait, à se retrouver dans ce milieu-là. Même si parfois certaines femmes adultes pourront nommer ou diront qu'elles ont choisi ce métier ou consenti à être dans ce milieu, lorsqu'elles sortent, c'est à ce moment-là qu'elles nous nomment qu'elles ont eu l'impression d'être violées à répétition et d'être brisées. C'est à ce moment-là qu'elles réalisent que les relations sexuelles dites consentantes étaient, en fait, des agressions sexuelles. Les relations sexuelles n'étaient pas consentantes parce que, pour nous, pour consentir à une relation sexuelle, il faut faire un choix libre, éclairé, enthousiaste et partagé des individus qui pratiquent la relation sexuelle. Dans le cas de l'exploitation sexuelle ou de la prostitution, il n'y a pas de consentement. La prostitution, les femmes disent plutôt oui à l'argent, le service ou même sont obligées d'y être.

Les conséquences, ça a été nommé tantôt, sont très semblables à tous les types d'agression sexuelle qu'on peut nommer. Et une qu'on retrouve, où est-ce que les CALACS travaillent systématiquement avec les femmes qu'on rencontre, c'est la honte et la culpabilité. Socialement, on repose souvent la responsabilité sur les femmes, en fait, d'avoir vécu des violences sexuelles, mais particulièrement aux femmes qui sont dans la prostitution, parce qu'elles se sont mises, entre guillemets, les deux pieds dans le pétrin.

Si on regarde dans des situations de fugue, malheureusement, il y a encore beaucoup d'interventions qui sont faites auprès des jeunes filles au niveau de leur changement de comportement, leur apprendre à faire des bons choix pour ne pas se retrouver en danger dans ce milieu. C'est très délicat, la façon de travailler cette notion, en fait, cette honte puis cette culpabilité-là. Mais, quand on parle de la prostitution, les femmes adultes qui s'y retrouvent, qui sont là, ne voient même pas, en fait, une possibilité de demander de l'aide parce que, dans le fond, elles l'ont bien choisi. Les CALACS travaillent au quotidien, en fait, à tenter de dénouer cette honte et cette culpabilité qu'elles portent en elles.

• (15 h 50) •

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Le troisième point, on va y aller rondement...

Le Président (M. Lafrenière) : Je suis désolé, mesdames. Il vous restait environ cinq secondes. Je crois qu'on va être capables de revenir à vous dans la période de questions. Ça va?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : D'accord.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Merci pour votre écoute.

Le Président (M. Lafrenière) : J'invite maintenant la Direction générale de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, l'IVAC, à se présenter puis à commencer leur exposé.

M. Rodrigue (Jean) : Bonjour. Alors, je me présente : Jean Rodrigue. Je suis directeur général par intérim à la Direction générale de l'IVAC. Et je suis accompagné aujourd'hui de Me Catherine Geoffroy, de la Direction des affaires juridiques.

Je veux vous remercier de nous donner l'opportunité de venir parler de la Direction générale de l'IVAC et de vous parler des services qui peuvent être offerts aux personnes mineures. La présentation va se dérouler en trois parties : d'abord, une présentation générale, par la suite Me Geoffroy va vous entretenir du cadre dans lequel nous évoluons, et enfin une partie propre aux victimes mineures.

Le mandat de la Direction générale de l'IVAC consiste à indemniser les personnes victimes d'actes criminels. Il est important ici de souligner que la Direction générale de l'IVAC applique la notion de victime en vertu des critères prévus à la Loi sur l'IVAC ainsi que des orientations du ministère de la Justice. Ceci n'enlève en rien, bien entendu, le caractère victimisant des crimes qui ne sont pas couverts par cette loi ni le caractère malheureux des circonstances que peut vivre toute personne victime d'un événement tragique, nous tenions à le préciser. Donc, notre mandat : indemniser les personnes victimes d'actes criminels, leur offrir des services de réadaptation afin d'atténuer les conséquences de l'événement traumatique et les accompagner dans leur démarche de rétablissement.

La Direction générale de l'IVAC, en 2018, au 31 décembre 2018, c'est 8 969 demandes reçues. 80 % des demandes qui sont traitées sont acceptées. 16 571 dossiers dans lesquels des prestations ont été versées, pour une somme approximative de 121 millions de dollars. Au 30 septembre 2019, nous constations une augmentation des demandes de 3,5 %.

La Direction générale de l'IVAC a un statut particulier. Le régime d'indemnisation des victimes d'actes criminels relève du ministère de la Justice du Québec, et celui-ci a confié à la commission des normes, de l'équité, santé et sécurité du travail la gestion administrative de ce régime. Chacun a des rôles et des responsabilités bien définis. Le ministère de la Justice est responsable de l'exécution de la loi, également responsable de l'analyse, du développement et de l'évolution du régime de l'IVAC. De son côté, la Direction générale de l'IVAC détient un mandat de gestion administrative, comme je viens de vous le mentionner, détermine l'admissibilité des demandes en vertu des critères prévus à la loi, rend des décisions concernant les services et les indemnités, le cas échéant, bien entendu, et répond de ses activités au ministre de la Justice et lui fait rapport de l'application de la loi.

Avant de passer au cadre légal, permettez-moi de vous expliquer très brièvement le cheminement et le traitement d'une demande de prestations. Bien entendu, il faut remplir une demande de prestations à l'aide d'un formulaire et joindre tout document utile pour appuyer la demande de prestations. Cette demande sera analysée et pourra soit être acceptée ou refusée. Dans l'éventualité où elle est refusée, la personne victime pourrait toujours demander une révision de cette décision au Bureau de la révision administrative.

Lorsque la demande de prestations est acceptée, ce qui est le cas dans plus de 80 % des demandes traitées, alors la personne victime est prise en charge par la Direction générale de l'IVAC. Un plan d'intervention sera mis en place. Régulièrement, on s'assure qu'il est toujours adapté pour favoriser le rétablissement de la personne victime. Lorsque les blessures se stabilisent, alors il sera temps d'évaluer les séquelles permanentes et les limitations fonctionnelles qui pourraient donner droit à la personne victime à de la réadaptation soit sociale et/ou professionnelle.

Je passe maintenant la parole à Me Geoffroy, qui va vous expliquer le cadre légal sur lequel nous nous appuyons pour rendre nos décisions.

Mme Geoffroy (Catherine) : Bonjour. Il me fait également plaisir d'être ici avec vous aujourd'hui, là, pour vous parler du cadre légal dans lequel oeuvre la Direction générale de l'IVAC. Par cadre légal, là... vous le savez, ce n'est pas toujours simple. Donc, je vais vraiment tenter de vous résumer, en fait, là, le cadre légal le plus simplement possible.

La Direction générale de l'IVAC applique la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, qui est en vigueur depuis 1972. C'est cette loi qui va établir, là, comme je viens de vous le mentionner, les critères qui servent à l'analyse de l'admissibilité d'une demande de prestations. La Loi sur l'IVAC réfère à la Loi sur les accidents du travail, qui est en vigueur depuis 1931, pour tout ce qui est des indemnités, de l'assistance médicale et de la réadaptation qui peuvent être offertes aux victimes.

Comme je viens de le mentionner, c'est vraiment la Loi sur l'IVAC qui détermine les critères analysés pour l'analyse d'une demande de prestations. Ce sont aux articles 3 et 11 de la loi qu'on prévoit ces critères. Il y a quatre critères essentiels qui doivent être analysés, soit la territorialité... On doit vérifier si l'acte criminel figure à l'annexe de la loi. Il doit y avoir une preuve objective de blessure. Et la loi prévoit également un délai dans lequel la victime doit présenter sa demande de prestations. Donc, je vais prendre le temps de vous expliquer un peu plus en détail chacun des critères.

Comme je viens de vous le mentionner, le premier critère, c'est la territorialité. Donc, le crime doit avoir été commis au Québec. Si on a une personne, touriste ou un étudiant étranger, au Québec, qui est victime d'un crime, cette personne-là pourra bénéficier des avantages prévus par la loi. Par contre, une Québécoise ou un Québécois victime d'un crime à l'étranger ne pourrait bénéficier du régime prévu, là, par la Loi sur l'IVAC.

Maintenant, je vais passer au deuxième critère. Donc, la victime doit avoir été victime d'un crime qui se retrouve à l'annexe de la loi. Ce sont tous des crimes contre la personne et non contre des biens. On vous a soumis une... Notre présentation, je ne sais pas si vous l'avez entre les mains, mais, sinon, je vais vous inviter... Si vous l'avez, en fait, je vous invite à consulter la page 12, sinon vous pourrez la consulter ultérieurement. On a reproduit, en fait, la liste des crimes qui est prévue par la Loi sur l'IVAC. Cette liste-là a été modifiée pour la dernière fois en 1985. Je vais faire la lecture avec vous de certains crimes qui s'y retrouvent, dans lesquels, dans un contexte, là, d'exploitation sexuelle, en fait, un agent à l'admissibilité, là, en fait, pourrait considérer que le crime a été commis.

Donc, on a, par exemple, le crime de rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgée de moins de 14 ans ou de moins de 16 ans. Je veux vraiment prendre le temps de préciser qu'on a reproduit l'annexe telle qu'elle est rédigée actuellement. On réfère, dans la liste, à l'article 153 du Code criminel, et aujourd'hui l'article 153 est... en fait, le titre, c'est Exploitation sexuelle, mais, dans l'annexe de la Loi sur l'IVAC, c'est encore écrit, là : «Rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgée de moins de 14 ans ou de moins de 16 ans.» Donc, on y retrouve aussi l'inceste, tentative de meurtre, le fait de causer intentionnellement des lésions corporelles, voies de fait, agression armée ou infliction de lésions corporelles, voies de fait graves, toute forme d'agression sexuelle, enlèvement et séquestration illégale.

Donc, j'attire votre attention sur le fait que les formes d'exploitation sexuelle telles que le proxénétisme, la traite de personnes, la pornographie juvénile et le leurre informatique ne figurent pas à l'annexe de la loi. Par contre, je veux quand même prendre le temps de préciser qu'un agent à l'admissibilité qui reçoit une demande de prestations va prendre le temps d'analyser les circonstances dans lesquelles le crime a été commis. Donc, si, par exemple, on a une personne qui a rempli une demande de prestations qui nous dit avoir été victime de traite de personnes, mais qui aurait aussi vécu un enlèvement, par exemple, ou des voies de fait, bien, la Direction générale de l'IVAC pourra accepter la demande de prestations mais devra préciser, en fait, dans le dossier, sous quel crime, là, le dossier a été accepté.

Donc, je vais passer maintenant au troisième critère, soit la preuve objective de blessure. Donc, il doit y avoir la présence d'une preuve objective de blessure soit physique ou psychologique. La personne victime doit fournir un document attestant de la blessure physique ou psychologique, là, qui a été rédigé par un professionnel de la santé. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ce qui est indemnisé, c'est une blessure et non un crime. C'est la raison pour laquelle on demande à ce qu'il y ait une preuve de blessure qui soit déposée, là, dès l'admissibilité.

Maintenant, je vais passer au dernier critère, soit le délai pour présenter une demande de prestations, parce que, oui, la loi prévoit un délai. Depuis le 23 mai 2013, ce délai est de deux ans de la survenance du préjudice. Ce qu'il faut comprendre, c'est que, pour les mineurs, on ne peut pas leur imposer le délai, ce qui fait en sorte que le délai pour présenter leur demande va commencer à courir à compter de leur majorité. Par contre, pour différentes raisons, il est bien évident qu'une personne pourrait déposer sa demande dans le délai, ce qui fait en sorte que la loi a prévu qu'une victime peut démontrer, par des motifs raisonnables, qu'elle n'a pas renoncé à se prévaloir de la loi.

Donc, encore une fois, je vais illustrer par un exemple. Une victime, là, qui serait sous l'emprise d'un proxénète pendant plusieurs années et qui déposerait sa demande une fois qu'elle est défaite de son emprise, soit, par exemple, 15 ans plus tard, et qui déposerait une demande à la direction de l'IVAC, bien, sa demande serait considérée comme étant hors délai. Par contre, les agents à l'admissibilité vont prendre le temps d'examiner les circonstances et pourquoi, en fait, la personne n'a pas déposé sa demande dans le délai, et la personne pourra, à ce moment-là, être relevée de son défaut, et la demande pourra être acceptée.

• (16 heures) •

M. Rodrigue (Jean) : Troisième partie, maintenant, de notre présentation. Nous allons vous parler spécifiquement des personnes victimes mineures.

Quelques statistiques. En 2018, un pourcentage de près de 21 % des personnes indemnisées à la Direction générale de l'IVAC avaient moins de 18 ans. 58,7 % des délits perpétrés auprès des personnes mineures sont des crimes à caractère sexuel.

Depuis le 31 juillet 2017, et ce, suite au dépôt du rapport du Protecteur du citoyen sur l'administration du régime, dépôt qui a été fait en 2016, les demandes de prestations dont la personne victime est mineure sont présentées à l'aide d'un formulaire distinct, différent de celui des personnes victimes majeures. Un guide explicatif a également été développé pour faciliter la compréhension de ce formulaire.

Depuis le 1er juin 2017, les personnes mineures victimes d'agression à caractère sexuel sont également exemptées de l'obligation de fournir une preuve objective de blessure au moment de déposer leur demande de prestations. La présomption qu'il y a une blessure suffit. Les personnes victimes mineures ne sont pas soumises non plus à un délai pour déposer une demande de prestations, comme l'expliquait Me Geoffroy. La Direction générale de l'IVAC a également mis en place une équipe particulière pour traiter ces dossiers.

Mme Geoffroy (Catherine) : Maintenant, pour ce qui est des prestations offertes aux victimes, comme je vous l'ai mentionné, c'est ce qui est prévu par la Loi sur les accidents du travail, sachez qu'une personne victime mineure bénéficie exactement des mêmes avantages qu'une personne majeure. La particularité, c'est qu'il y aurait certaines indemnités qui pourraient être versées aux parents qui accompagnent leur enfant dans certains traitements. Par exemple, là, il pourrait y avoir des frais de déplacement qui sont payés au parent qui accompagne son enfant à une séance de consultation psychologique, par exemple.

Il y a également des mesures de réadaptation sociale et professionnelle. Par mesures de réadaptation sociale, je vous donne quelques exemples, là. Il peut y avoir des services de psychothérapie ou de psychoéducation qui peuvent être offerts. Il peut y avoir de l'accompagnement parental, de l'aide psychothérapeutique aux proches des victimes, de l'accompagnement scolaire, comme de l'aide aux devoirs, du tutorat, des mesures de protection. Il pourrait y avoir l'installation d'un système d'alarme. Il pourrait y avoir le paiement de cours d'autodéfense. Et, dans le cas de certaines blessures physiques, il pourrait y avoir des frais d'adaptation du domicile ou du véhicule, là, qui pourraient être également octroyés. Dans le cas où on serait face à une personne mineure en emploi, les mesures de réadaptation professionnelle pourraient également, là, s'appliquer à elle.

M. Rodrigue (Jean) : En résumé et en terminant, oui, la Direction générale de l'IVAC est soumise à l'application de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Les formes d'exploitation sexuelle telles que le proxénétisme, la traite de personnes, la pornographie juvénile, le leurre informatique ne figurent pas à l'annexe de la loi. Soyez assurés que chaque demande de prestations reçue au service de l'accès au régime fait l'objet d'une analyse approfondie pour déterminer la possibilité d'accepter la demande en vertu des critères prévus à la Loi sur l'IVAC. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Je vous remercie beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec les membres de la commission, pour une période de 30 minutes, en commençant par la députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré.

Mme Foster : ...votre présentation. Excellente présentation. Ma question s'adressera à mesdames du Regroupement québécois des CALACS. Vous êtes sur le terrain. Ce que j'entends dans votre message, ce qui semble assez clair, c'est que... là où la différence, dans la perception populaire, elle est très marquée, entre les mineurs et les majeurs. Donc, c'est comme si à 18 ans on traçait socialement une ligne sur la perception qu'on a de l'exploitation sexuelle versus la prostitution. Ce que j'en entends, c'est qu'au niveau de la vulnérabilité, de l'inégalité des rapports de force, il n'y a pas vraiment de ligne marquée à l'âge de 18 ans, c'est qu'on continue avec des problématiques qui se ressemblent. Ce qui fait que vous nous dites : Rendu à l'âge adulte, on n'a pas... Ce que j'ai entendu, c'est : On n'a pas les moyens autant de les aider. Qu'est-ce qui vous manque, là, au niveau des moyens pour pouvoir dire : On améliore considérablement l'aide qu'on peut apporter à cette transition entre les mineurs et les majeurs?

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Bien, en fait, il y a très, très peu d'organismes qui travaillent spécifiquement auprès de ces filles-là et de ces femmes-là. Et, dans une perspective de sortie, on peut parler d'hébergement, en fait, que ça soit de l'hébergement d'urgence mais aussi de l'hébergement à plus long terme. Ça a été mentionné ce matin, là, je pense, par ma collègue Geneviève. On peut parler aussi... Ça existe dans certains autres pays, mais on parle beaucoup des conséquences psychologiques. Clairement, il faut s'y attarder, reconstruire la personne, tout ça. Mais il y a des conséquences financières aussi. Souvent, ces femmes-là vont sortir avec des dettes, vont sortir plus pauvres qu'elles sont entrées dans ce milieu-là, et l'aide sociale est malheureusement insuffisante, et la pauvreté fait souvent qu'elles retournent dans le milieu.

Donc, il existe des programmes subventionnés de sortie à la prostitution. Donc, on aide financièrement ces femmes. On leur donne des outils et des moyens pour qu'elles puissent réellement avoir une alternative et non y retourner lorsqu'elles sont prises à la gorge financièrement. On peut penser à des services de toxicomanie spécialisés. Il y a très peu, en fait, de services de toxicomanie non mixtes destinés aux femmes, premièrement, au Québec; deuxièmement, très peu de services de toxicomanie qui vont être à l'aise de travailler, entre autres, avec ces femmes-là mais avec le trauma aussi de ces femmes-là, donc des services où est-ce qu'ils seront spécialisés, à l'aise de travailler avec des femmes qui vivent des chocs post-traumatiques et qui ont un problème de consommation, parce qu'on sait que c'est une réalité aussi sur le terrain. Plusieurs développent des problèmes de consommation d'alcool ou de drogues pendant le moment qu'elles sont dans ce milieu-là.

Il faut penser... En fait, à chaque fois qu'on pense... Il faut réfléchir sur toutes les facettes, en fait, de la vie d'une personne, et les besoins sont nombreux. Je pense que vous allez rencontrer des survivantes. Elles sont mieux placées que moi pour détailler tous ces besoins-là. Mais sachez qu'il n'y a pas... Je pense qu'il y en a cinq, six, organismes spécialisés qui travaillent auprès de ces filles-là et de ces femmes-là, et, même ces organismes-là, certains ne sont pas financés de façon récurrente. Donc, on en a parlé ce matin, c'est des projets, parfois des services qui se coupent. Des fois, c'est des projets pilotes qui existent pendant trois ans. Woups! Après, ça n'existe plus. Bien, les personnes qui en écopent le plus, bien, c'est celles qui reçoivent des services, et ça ne les soutient pas, en fait.

Mme Foster : Donc, si je comprends bien, le financement à la mission n'est pas suffisant pour ces quelques organismes-là qui s'attaquent à cette problématique-là.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Entre autres.

Mme Foster : Entre autres?

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Oui.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Si je peux me permettre de rajouter... Il y a aussi tout ce qui vient après l'industrie du sexe, donc qu'est-ce qu'elles vont faire, qu'est-ce qu'elles veulent faire, ces femmes-là. Donc, il y a tous les enjeux de formation et d'employabilité, mais, spécifiquement, pour ces femmes-là, des enjeux de sécurité et de protection, donc comment les protéger, comment les protéger des réseaux de proxénètes, des gangs de rue, comment les sortir de ces milieux-là alors que c'est leur port d'attache, leur milieu d'appartenance.

Il y a tous les services au niveau judiciaire qui doivent être repensés pour accueillir ces personnes-là parce qu'elles ont des besoins particuliers. Quand elles arrivent, elles demandent parfois plus qu'une... On appelle ça les bonnes victimes ou les mauvaises victimes, là, mais, au niveau judiciaire, ce n'est pas particulièrement des bonnes victimes, hein? Ce n'est pas des enquêtes faciles à mener. Ce n'est pas des situations faciles à entendre, comprendre.

Puis il y a aussi tous les enjeux d'indemnisation. Donc, ces femmes-là vont se présenter avec, oui, des besoins au niveau des conséquences sur lesquelles, par exemple, les CALACS ont travaillé : les traumas, la honte, la culpabilité. Mais il y a aussi parfois des enjeux extrêmement pointus au niveau de la sexualité. Donc, ils ont besoin de voir des sexologues. Ils ont besoin de voir des psychologues. Parfois, ils sont polytraumatisés.

Donc, il y a vraiment plusieurs enjeux au niveau de la création de services spécifiques.

• (16 h 10) •

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Prochaine question, la députée d'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci, M. le Président. Alors, merci d'être venues nous éclairer pendant cette commission. C'est fort intéressant.

Moi, j'aimerais qu'on fasse... Dans mes questions, c'est surtout sur la question d'indemnisation... J'ai comme compris qu'à l'IVAC le terme «proxénète» n'a pas l'air à être intégré dans la possibilité d'être indemnisé, et il faut que ce soit le ou la fonctionnaire qui regarde le dossier puis qui décide que, peut-être, il y a eu quelque chose de criminel pour que la personne puisse être indemnisée. C'est un peu le constat. Je ne sais pas si j'ai bien compris, mais ça semble être ça. Je vous ai écoutées dire qu'il n'y a pas de filet social pour les aider. Donc, c'est du côté des CALACS.

Alors, moi, ça m'amène à la question suivante : Est-ce qu'il devrait, selon vous, y avoir un fonds spécial dédié, qui serait peut-être administré par l'IVAC, pour accompagner ces femmes-là dans leur sortie de l'enfer? Et j'ai l'impression... C'est beau, remplir un formulaire, puis rencontrer un fonctionnaire, puis de décider... C'est le fonctionnaire qui décide si ça marche ou pas avec une indemnisation, mais ça m'apparaît, pour une victime, assez compliqué, et ça devrait peut-être être plus simple que ça. Puis je ne vous reproche rien, là, je regarde juste comment ça se présente, puis avec votre expérience. Alors, je vous laisse la parole, l'une ou l'autre, puis je vais avoir une autre question après.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Je vais commencer par la partie du financement. Le financement, actuellement... Vous avez vu, avec... Mme Quinty, ce matin au niveau du PIPQ, vous a parlé du financement des organismes. Donc, les organismes, présentement, sont subventionnés en partie par du financement récurrent, qui n'est déjà pas assez pour répondre à la mission de base, mais, le reste du financement, on va le chercher en projets. On a l'habitude de dire, dans les organismes communautaires, qu'on passe la moitié de notre année à remplir des demandes pour financer l'autre moitié de l'année, O.K.? Donc, on est toujours à la recherche de financement dans les organismes.

Je vais vous parler de la situation spécifique des CALACS. Les CALACS, on est spécialisés, comme je vous l'ai dit, au niveau des violences sexuelles. On manque de personnel pour répondre à notre fonctionnement de base qui est d'aider les victimes d'agression à caractère sexuel. Quand on parle de victimes d'exploitation sexuelle, qui sont des cas encore plus longs, plus complexes, on est un peu démunis, O.K.? Donc, on est à penser comment les aider mieux, plus. Mais actuellement il n'y a pas de financement récurrent en exploitation sexuelle au Québec, et ça, ça en prend.

Mme St-Pierre : Alors, c'est pour ça que ma question était sur la création d'un fonds spécial pour... On l'entend bien, puis je ne veux pas être brutale, là, le fait que vous manquez d'argent, puis c'est sur des projets, puis que vous passez six mois par année à remplir des formulaires, ça devrait être corrigé, cette situation-là. Mais, nous, notre commission porte sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Puis j'ai beaucoup de respect pour ce que vous faites parce que je vous ai suivies longtemps, mais, dans notre mandat, dans le dossier sur lequel on travaille... Je reviens à votre phrase : Il n'y a pas de filet social pour les aider. J'aimerais juste savoir si vous pouvez réagir à ce que je propose comme...

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : La façon de le gérer, je dois admettre que je ne m'y connais pas. Par contre, il est clair que la pauvreté de ces femmes-là les ramène, en fait... Et on parle des mineures. Les jeunes filles qui sortent du centre jeunesse à 18 ans avec aucun moyen feront peut-être, entre guillemets, le choix pas éclairé d'aller dans la prostitution pour payer, justement, leur appartement, etc. Donc, oui, un programme de sortie et de soutien de ces femmes-là de la prostitution qui soit financé, qui pense à l'aspect économique et aussi aux autres besoins, d'hébergement, etc., c'est clair que c'est pertinent puis que ça va aider, en fait, à avoir une réelle alternative, en fait. Là, de la façon que ce soit géré...

Mme St-Pierre : Je reviens à ce que vous avez dit sur l'indemnisation et le fait que les proxénètes ne sont pas dans l'idée d'une indemnisation pour une victime qui est victime d'un proxénète. C'est normal?

Mme Geoffroy (Catherine) : Bien, c'est sûr que ça amène une situation un peu absurde, là, comme vous venez de le mentionner. On n'a pas abordé les partenaires. Par contre, il faut comprendre que les CALACS... Il y a aussi les CAVAC qui sont partout à travers le Québec, qui vont accompagner aussi les personnes victimes, là, pour compléter le formulaire de demande d'indemnisation. Donc, oui, il y a les agents qui vont prendre le temps de communiquer, là, avec les victimes pour comprendre le contexte. Il y a aussi les partenaires à l'extérieur qui sont outillés pour accompagner ou pour aider ces victimes-là. Mais c'est certain qu'actuellement, comme le régime fonctionne, on y va avec la liste des...

Mme St-Pierre : Si on voulait corriger la situation, il faudrait un changement législatif ou un changement réglementaire? Enlevons l'idée du fonds, là, spécial, là, mais mettons que vous avez devant vous une victime de proxénète puis... Pour qu'elle entre dans le... Pour que le carré rentre dans le rond, comme je disais souvent dans mon ancienne fonction, là, est-ce que vous avez... ça prendrait un changement législatif?

Mme Geoffroy (Catherine) : Bien, c'est sûr qu'actuellement, de la façon dont la direction applique le cadre légal, ils sont contraints de suivre la liste des crimes qui se trouvent à l'annexe de la loi. Donc, c'est sûr que, oui, si ce que vous dites, c'est : Comment on pourrait faire pour ajouter le crime de proxénétisme?, bien, il faudrait effectivement, là, que l'annexe de la loi...

Une voix : ...

Mme Geoffroy (Catherine) : C'est ça, il faudrait que ce soit concret à l'annexe de la loi, oui.

Mme St-Pierre : Très, très courte question, M. le Président, c'est la question des autochtones. Vous avez dit qu'elles sont quatre fois plus représentées. Donc, dans tout le portrait des mineures exploitées sexuellement, on trouve quatre fois plus d'autochtones?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Mineures, majeures confondues. Ces chiffres-là, c'est confondu, oui, effectivement.

Mme St-Pierre : O.K. Donc, pour 100 personnes, 100 femmes ou garçons, incluons femmes et garçons, vous allez avoir... bien, mettons 25, vous allez avoir 75... ou, enfin, 100 femmes, 100 personnes qui sont des Premières Nations?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Oui.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Si vous regardez, bien, juste à Montréal, en fait, il y a une surreprésentation des femmes autochtones dans la prostitution de rue. Si on regarde à Vancouver, je pense qu'on parle de 80 % des femmes autochtones qui sont dans la prostitution. Puis là on parle spécifiquement d'elles, mais on pourrait parler aussi, là, des femmes réfugiées, de communautés culturelles, etc., parce que c'est un système qui est hyperraciste, sexiste et colonialiste.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Prochaine question, le député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Quelques petites questions. D'abord saluer le travail que vous faites. Merci de votre présentation. Ensuite, je suis content que vous abordiez, mes collègues du RQCALACS, la question de la pauvreté. Moi, c'est une de mes obsessions, dans le cadre de cette commission-là, sur la sortie réussie à moyen, long terme. Puis on dirait que c'est toujours l'angle mort, cette question de la pauvreté. On parlait tantôt de programmes d'aide. Pouvez-vous m'en dire davantage sur ce que vous avez comme réflexion par rapport à ça?

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Bien, en fait, ce qu'on remarque, c'est que, comme ma collègue a dit, là, la majorité des femmes ont commencé à l'âge mineur. Elles ont été soit recrutées... Bon, peu importe la façon d'y entrer, pour la grande majorité ça se passe autour de 14 ans. Parfois, il y a un arrêt, que ça soit un arrêt d'agir par les centres jeunesse, tout ça, et, rendues à l'âge adulte, c'est majoritairement la pauvreté qui ramène les femmes dans le milieu. C'est le facteur de maintien des femmes dans le milieu de la prostitution, et c'est le facteur de retour, en fait, et, malheureusement, c'est parce que l'argent est rapide. Il n'est pas facile, il est rapide.

Donc, il y a l'illusion, puis ça, c'est une conséquence aussi au niveau de la gestion financière, d'avoir de l'argent rapidement et pouvoir s'en mettre de côté, mais finalement la réalité, c'est qu'elles ont différents problèmes de consommation, puis l'argent va être rapidement dépensé, puis c'est un cercle vicieux. Lorsqu'elles sortent du milieu, bien là elles sortent, comme je disais, d'autant plus pauvres, donc, soit parce qu'elles ont été aussi victimes de fraude...

Souvent, on peut revoir, là, des jeunes filles, là, où est-ce qu'il y a un proxénète autour d'elles, tout va être au nom de la jeune fille : la voiture, les cartes de crédit. Donc là, elle va sortir du milieu avec une dette. Ce n'est pas rare qu'on voie des dettes à l'aide sociale aussi, où est-ce que des femmes ont déposé de l'argent dans leur compte d'aide sociale qui vient, en fait, de la prostitution, qui vient du fait que... excusez-moi, j'étais pour dire «pimpée», là... qui est recrutée, et là l'aide sociale va lui couper... Moi, j'accompagne une femme présentement qui a son chèque de 700 $. En fait, elle a 450 $ parce qu'elle a une dette qu'elle doit, qui est due, en fait, par le fait qu'elle a été recrutée et qu'elle est dans la prostitution.

Donc, si on fait un programme, de un, je pense qu'il faut lutter contre la pauvreté des femmes en général. Et, si on fait des programmes spécifiques qui bonifient, qui soutiennent réellement, parce que l'aide sociale est insuffisante pour tout le monde, bien, ça va clairement aider. Ça va être un des soutiens, un des filets, une des mailles du filet social pour ces femmes-là.

• (16 h 20) •

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Dans le cadre d'une recherche à laquelle j'ai participé, on avait interrogé les femmes. Les femmes nous avaient amené toutes sortes de stratégies qui étaient quand même intéressantes, puis je peux vous les proposer. Vous verrez si c'est pertinent. Elles avaient parlé de faire un fonds spécial pour aider les femmes à la sortie de prostitution, donc leur octroyer un montant d'argent. Elles ont parlé d'un supplément à l'aide sociale lors de la sortie de prostitution. Et elles ont parlé aussi d'hébergement de deuxième étape. Donc, évidemment, là, quand on parle de pauvreté, on parle aussi, au niveau de l'itinérance, au niveau des difficultés à se trouver du logement, donc, d'ouvrir des maisons d'hébergement spécifiquement pour ces femmes-là, pour qu'elles puissent avoir accès à un logement, le temps de recevoir des soins pour traiter leurs traumatismes, se sortir complètement... aller chercher des formations, retourner à l'emploi, donc vraiment avoir quelque chose qui stabilise la sortie de prostitution au niveau de l'hébergement et de l'argent.

M. Leduc : Vous me donnez plein de belles idées pour aller voir notre collègue Jean Boulet, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale. On prend des notes.

Peut-être une dernière question, si vous permettez, M. le Président, par rapport... oui, très rapidement, toujours à mes collègues de RQCALACS. On parle beaucoup ici de vouloir casser la demande à la source pour qu'un jour vous n'ayez plus besoin de travailler, en fait, dans ce domaine-là. On peut rêver. Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour casser la demande?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : On a toutes sortes d'idées en matière de prévention. En fait, on voulait aussi saluer, là, le gouvernement, qui a réinstauré les cours d'éducation à la sexualité dans les écoles. Donc, évidemment, on part de l'éducation. On parle de l'éducation, des rapports égalitaires, du consentement, des limites, des relations saines, mais ça va aussi beaucoup plus loin que ça. Je vais laisser ma collègue continuer.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Il faut y aller sur tous les fronts. Donc, clairement, si on parle d'investir dans la sortie, il faut aussi s'attaquer à la demande, parce que, s'il n'y a pas de demande, il n'y a pas de proxénètes, il n'y a pas de femmes dans la prostitution. Je pense qu'il faut se doter de la vision commune, premièrement, et destiner une campagne directement aux garçons et aux hommes, qui les sensibiliseraient sur : Acheter du sexe, ce n'est pas cool, en fait, c'est non. C'est inacceptable. C'est une relation inégalitaire. C'est une relation de pouvoir. Ce n'est pas parce que tu as de l'argent que tu peux décider d'avoir des relations sexuelles avec une population plus vulnérable.

Entre autres, je pense que c'est nécessaire, au Québec, d'appliquer la loi. En fait, on a une loi, présentement, quand même, qui criminalise l'achat de services sexuels. Elle est peu appliquée, on va dire. C'est aussi une option. Je sais que vous avez beaucoup discuté, entre autres, là, de l'éducation des clients. Ça peut être aussi une avenue. En fait, toutes ces avenues sont saluées. Nous, ce qu'on dit, c'est : Il ne faut pas simplement s'attaquer à la demande. Il faut tout faire, malheureusement, pour que les femmes puissent sortir, mais clairement que la demande, il faut s'y attarder dans la prévention puis aussi dans l'application de la loi.

Le Président (M. Lafrenière) : On a trois questions à essayer de répondre en 10 minutes. Le député de Chomedey.

M. Ouellette : En 10... Oui, c'est bon, juste deux petites questions.

Rupture de service, pour moi, c'est bien important, puis je pense que, pour tous les membres de la commission... Vous avez du financement récurrent qui vient du provincial ou du fédéral?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : On a un financement récurrent qui vient du PSOC, provincial, oui.

M. Ouellette : C'est provincial?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Oui. Donc, les CALACS, c'est par le provincial.

M. Ouellette : C'est parce que vous avez fait référence à Mme Quinty, qui est venue ce matin, que son financement vient de Sécurité publique Canada. Donc, ça, c'est en projets?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Oui. Bien, Sécurité publique, je pense que ça parlait d'un financement par projets, comme nous, on a un financement par projets de Condition féminine Canada. Mais c'est trois ans. Là, il reste un an. Dans un an, on n'a plus rien.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : De notre côté, c'est effectivement le ministère de la Sécurité publique, qui termine cette année, en fait.

M. Ouellette : Fédéral ou provincial?

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Provincial. Et ça sera le poste exploitation sexuelle qui sera coupé si la subvention n'est pas renouvelée.

M. Ouellette : Mon autre question va être pour l'IVAC. Votre vision des crimes admissibles, elle date de 1985. Vous expliquez ça comment? Et, vous savez, on est des législateurs, c'est très facile... On a un projet de loi, là, un omnibus, là, le projet de loi n° 32, qui parle des mesures d'adaptabilité, on pourrait facilement déposer un amendement, si tout le monde, la machine est d'accord, pour l'actualiser, parce qu'il n'y a rien de plus bébête que quelque chose qui n'est pas écrit dans une loi quand il arrive la question de dire : Tu es admissible ou pas? Moi, je ne le sais pas, là, mais ça adonne que quelqu'un qui a une ouverture d'esprit puis qui regarde : Oui, ce n'est pas là, mais, c'est vrai, ça fait 20 ans que ça n'a pas été adapté... Mais, l'autre, vous ne pourrez pas lui dire qu'il ne fait pas sa job, ce n'est pas écrit. Ça pourrait facilement être réglé, les crimes admissibles.

Je vous le donne de même. On va en reparler entre nous autres, c'est sûr. Mais je pense que les contacts devraient être faits à la Justice pour qu'on puisse au moins l'adapter à la réalité d'aujourd'hui, là, pour aider vos fonctionnaires qui ont à... Vos employés qui ont à décider, là, mettez-leur pas tout ça sur le dos. On pourrait la prendre, celle-là.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. La députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. C'est vraiment intéressant de vous recevoir puis d'entendre vos réalités.

Je connais un peu certaines réalités du CALACS qui est le plus près de chez moi, en Gaspésie. Donc, j'aurais aimé ça vous entendre, simplement. Vous avez brièvement parlé que vous étiez en faveur de la sensibilisation dans les écoles. Je pense que vous aimeriez un peu prendre, je crois, en charge ce dossier-là. Donc, est-ce que vous seriez outillés présentement? Est-ce que c'est dans vos intérêts de le faire, donner des cours d'éducation sexuelle dans certaines régions? Je vois déjà un peu de doutes.

Et, bien, en fait, deuxième question, je vais tout de suite vous la mentionner, c'est de savoir... Bon, il y a les jeunes garçons aussi qui sont aux prises des fois avec des problèmes d'exploitation sexuelle. Ça, ça pourrait mettre en péril votre financement, si je comprends bien, si vous décidez de venir en aide à ces jeunes garçons là. Donc, est-ce que le gouvernement devrait se pencher sur élargir vos services et offrir de l'aide aussi aux jeunes garçons victimes d'exploitation sexuelle?

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Bien, j'espère que ça ne mettra pas en péril notre financement.

Mme Perry Mélançon : Parce que ça l'est, au niveau des hommes, pour certains CALACS, donc.

Mme Whitlock (Marie-Michèle) : Bien, en fait, les CALACS qui... On a besoin de services non mixtes, en fait, autant dans l'intervention, pour la sécurité des femmes, particulièrement en violence sexuelle puis en exploitation sexuelle, mais aussi au niveau de l'organisation. C'est une philosophie puis c'est de l'intervention féministe, tout ça. Il y a des services aux hommes qui vont être desservis par les CAVAC, entre autres, et autres services.

Au niveau de la prévention, on est clairement intéressées à être des partenaires. Puis, si on parle d'exploitation sexuelle, c'est très peu abordé, quand même, dans les écoles secondaires. Puis nous, on aimerait qu'il y ait aussi, là, des campagnes destinées comme directement aux garçons et aux hommes. On doit être partenaires. Puis je pense que c'est à discuter, la façon qu'on va collaborer, parce que ça reste un cours à l'éducation à la sexualité du ministère de l'Éducation. Je n'ai pas l'impression que c'est aux organismes communautaires à aller donner complètement ce cours-là, mais par contre on sait qu'on a une expertise qui peut être partagée de différentes façons.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Donc, il y a différents enjeux, là. On est déjà dans les écoles avec le programme Empreinte. Donc, partout à travers la province, dans trois niveaux scolaires, en secondaire II, III, IV, V, on va traiter des questions de consentement, de relations égalitaires, relations saines, hypersexualisation, et j'en oublie, là. Donc, on est déjà dans les écoles. Mais ce que ça demande en matière de mobilisation de personnel, de financement... Parce qu'on n'est pas payés par le ministère de l'Éducation, on autofinance notre propre présence dans les écoles. Donc, tu sais, je veux dire, il y a quelque chose là, O.K.? On a la compétence pour le faire, mais en ce moment c'est difficilement admissible au déploiement partout, là.

Mme Perry Mélançon : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. La députée de Roberval. Il reste deux questions, cinq minutes.

Mme Guillemette : Merci, M. le Président. Donc, ma question irait à Mme Dessureault Pelletier. Vous êtes à La Maison ISA, au Saguenay. Est-ce que vous avez une clientèle autochtone, qui vient peut-être plus de Mashteuiatsh ou Obedjiwan... ou s'il n'y en a pas?

• (16 h 30) •

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Bien, oui, il y a une clientèle autochtone. On a des liens très forts, nous, avec le Centre d'amitié autochtone du Saguenay. On a aussi une intervenante pivot là-bas qui est une autochtone. Donc, quand on a des situations particulières, on réfère vers cette intervenante-là, parce qu'ils ont vraiment des façons d'intervenir lorsqu'ils... culturellement traditionnelles. Donc, on fait appel à l'expertise du centre d'amitié autochtone pour... Puis on a aussi reçu des formations, tout ça, mais on se réfère à eux lorsqu'il y a lieu, oui.

Mme Guillemette : O.K., parfait. C'était ça, ma prochaine question, c'est : Est-ce que l'intervention est adaptée à leurs besoins? Mais là oui.

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Il y a du travail à faire. Je ne vous mentirai pas, il y a du travail à faire.

Mme Guillemette : Avec la culture autochtone et...

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Bien, oui. Oui, oui. C'est ça. Et c'est difficile de les garder dans les services, pour différentes raisons, que nos services ne sont peut-être pas tout à fait adaptés.

Mme Guillemette : Adaptés à leurs besoins puis à leurs réalités?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Puis ça, ce n'est pas juste dans La Maison ISA. C'est partout, là, oui.

Mme Guillemette : O.K. Une dernière question. Vous avez parlé que ce serait bien d'avoir des lieux d'hébergement, des maisons. Comment est-ce qu'on pourrait structurer ça pour ne pas stigmatiser davantage ces personnes-là? Est-ce que vous avez une idée?

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Bien, encore une fois, je vais faire appel à une recherche qui a questionné les femmes à ce sujet-là. Les femmes ont le souhait d'être entre elles, O.K.? Elles veulent être avec d'autres femmes qui ont le même vécu. Elles veulent être avec juste des femmes, puis il y a des raisons bien simples pour ça. C'est que, quand elles sont placées avec des hommes, des fois, elles se font demander pour des services sexuels. Donc, elles veulent des services qui sont juste pour elles. Des maisons d'hébergement dans lesquelles il y a des femmes, il y a des enfants, parfois elles ne se sentent pas bien dans ces hébergements-là.

Aussi, il y a des contraintes au niveau, par exemple, de la consommation. Donc, quand une femme se présente dans un service, qu'elle est en consommation, qu'elle veut recevoir de l'aide, bien, dans certains services, elle ne sera pas admise. Donc, il faut repenser nos services si on veut en offrir à ces femmes-là, à ces filles-là. Il faut repenser nos services.

Mme Guillemette : Parfait, merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Donc, merci à vous, donc, pour tout ce que vous faites pour les femmes, pour les victimes. J'avais plein de questions, mais il y en a une qui m'interpelle, je reviens encore, c'est... Ma collègue la députée de l'Acadie — et le député de Chomedey — l'a abordée. Moi, je n'ose pas le croire. Et je comprends que les victimes de traite ne sont pas admissibles aux indemnités de l'IVAC, c'est bien ça?

Mme Geoffroy (Catherine) : C'est-à-dire qu'on va regarder, comme je vous disais, le contexte. C'est-à-dire que... Évidemment qu'il y a d'autres crimes. Normalement, ils vivent de plusieurs crimes. Il y a plusieurs événements qui se déroulent, on ne parle pas juste de traite de personnes. Puis on va faire tout ce qui est en notre possible pour accepter la personne victime, pour pouvoir mettre en place les soins puis les indemnités, là. Mais c'est sûr que la loi, telle qu'elle est rédigée actuellement, fait référence aux crimes qui sont à l'annexe de la loi.

M. Rodrigue (Jean) : Dans le cas d'une personne qui ferait une réclamation pour la traite de personnes, l'agent d'indemnisation va discuter avec la personne. Et rarement ce crime-là va arriver seul. Alors, s'il y a eu une agression sexuelle, alors là nous allons pouvoir accepter cette réclamation.

M. Benjamin : Il y a un des aspects, M. le Président, que je trouve notamment préoccupant, donc, par rapport à cet aspect-là, c'est tout l'enjeu de la territorialité, lorsqu'on connaît... et que, souvent, les victimes dont il est question dans le cadre de cette commission-là, ce sont souvent des filles qui sont appelées à être déplacées dans d'autres provinces. Moi, je trouve ça très préoccupant et je pense que vite il faudra que nous nous penchions sur cet enjeu-là, pour moi, qui est fondamental, donc, si on veut vraiment... et d'autant plus que, depuis hier, donc, on a eu des présentations, on nous parle de l'importance, entre autres, d'assurer un continuum de services, de penser à la reconstruction de ces personnes. Moi, je pense que la reconstruction commence par cette reconnaissance, je crois, que ce sont des véritables victimes, notamment les personnes victimes de la traite. Merci. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Au nom de la commission... Oui, vous aviez une dernière...

Mme Dessureault Pelletier (Maude) : Oui, une dernière petite intervention. Je voulais juste vous signaler qu'on va remettre, là, le Regroupement québécois des CALACS, et plus particulièrement La Maison ISA, deux mémoires. Vous en avez peut-être un déjà en main qui est sur le traitement des victimes d'exploitation, par l'IVAC. Le deuxième, il va venir très bientôt. Ça va être sur les besoins en matière de services pour les femmes qui ont un vécu en lien avec la prostitution. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Encore une fois, merci beaucoup. Au nom de la commission, merci à vous pour votre contribution à nos travaux.

Je suspends quelques instants, le temps de laisser la chance à nos prochains invités de s'installer. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 35)

(Reprise à 16 h 37)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue à Mme Rose Dufour. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé, puis nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission pour une durée de 25 minutes. Je vous remercie de votre présence. Et vous pouvez commencer, Mme Dufour. Merci beaucoup d'être là.

Mme Rose Dufour

Mme Dufour (Rose) : Bonjour, M. le Président, Mmes, MM. les commissaires. Je suis chercheure. D'abord infirmière, je suis devenue anthropologue suite à d'une expérience de coopération internationale. J'ai fait toute ma carrière en santé publique. Ma plus grande préoccupation, pendant toute cette carrière-là, c'était de découvrir, de développer un modèle d'intervention qui donne les clés de l'autonomie, du pouvoir aux personnes qui ont perdu le pouvoir sur leur vie. C'est dit vite un peu, là, mais voilà. J'ai rassemblé pour vous les résultats de mes recherches des 19 dernières années avec des femmes qui en sont venues à se prostituer. En principe, je devrais être à la retraite depuis 1996, mais j'ai préféré continuer. Alors, voilà.

Je vais faire ma présentation en trois temps. D'abord, l'état des lieux. Deuxièmement, j'ai répondu aux questions... enfin, j'ai tenté de répondre aux questions qui étaient formulées dans le document de consultation. Et puis après, bien sûr, il y aura l'échange. Alors, je compte mon temps.

L'état des lieux. Concernant ce que je sais sur l'exploitation sexuelle des mineurs, première chose que j'ai à dire, c'est, sur cet état des lieux, la prostitution est devenue industrie du sexe, des industries, au pluriel, qui impliquent des agences d'escorte, de la prostitution de rue, de luxe, salons de massage érotique, bars de danseuses nues, pornographie, cybersexe, «Web women», téléphones obscènes, tourisme sexuel, «sugar baby» et «sugar daddy», traite internationale des femmes, etc.

• (16 h 40) •

La prostitution d'aujourd'hui est incomparable à celle d'hier. Elle n'a rien à voir avec le passé. Et c'est une observation d'une très grande importance parce que la prostitution existe depuis très longtemps. C'est Solon, un législateur athénien, qui a introduit l'argent dans les relations sexuelles 600 ans avant Jésus-Christ. Ça veut dire que ça fait longtemps que la prostitution existe. Elle n'avait pas la forme d'aujourd'hui, bien sûr, ce qui fait que tout le monde pense connaître la prostitution, et c'est une erreur très grave qui fait partie du problème dont on va discuter aujourd'hui. Il nous faut absolument dire et faire connaître à tout le monde que le phénomène avec lequel nous nous battons est un phénomène social nouveau que nous devons apprendre à observer, à connaître et à documenter.

Maintenant, quelles sont ces femmes avec qui j'ai eu à travailler, ces filles, ces filles et femmes, femmes et filles qui sont le personnage central de la prostitution, de l'exploitation sexuelle? Parce que, quel que soit l'âge de la prostitution, il y a exploitation sexuelle, même si la femme est consentante, puisque sa raison d'être là, c'est toujours la pauvreté. Mais je vais me concentrer sur les mineures.

Tous les réflecteurs sont orientés sur la femme alors qu'elle n'a rien à voir avec tout ce phénomène-là, elle n'est que la marchandise. La prostitution est occasionnée par les hommes consommateurs de prostitution. C'est eux autres, le personnage central, et vous voyez que les réflecteurs sont détournés du côté des femmes alors que le personnage central, celui qui produit la prostitution, c'est le consommateur de prostitution.

En ce qui concerne les filles mineures maintenant, bien sûr qu'elles ne sont pas le personnage central, mais elles sont victimes d'hébéphilie lorsqu'elles sont exploitées sexuellement. Je vais vous expliquer pourquoi je pense ça. J'estime que c'est environ 60 % des femmes avec qui j'ai travaillé, dans les 19 dernières années, qui ont commencé à être exploitées sexuellement et, dans certains cas, même à se prostituer alors qu'elles étaient mineures. Le Conseil du statut de la femme avance 80 %, je crois qu'elles sont plus proches de la vérité que moi.

En résumé, qui sont ces adolescentes? Ces adolescentes, pour moi, sont en survie, elles sont allées dans la rue ou un équivalent, soulignons-le à double trait, mais la rue est aussi venue à leur rencontre. Elles sont attendues, rapidement repérées et cueillies par des prédateurs, des proxénètes, des pimps, des gangs de rue, des criminels et, dans le cas des mineures, ce qu'il faut dire, c'est que ces hommes consommateurs de petites filles ou d'adolescentes sont des hébéphiles, c'est-à-dire des hommes qui ont une attraction sexuelle pour des filles prépubères et des jeunes pubères, qui profitent de leur détresse pour les exploiter sexuellement plutôt que leur venir en aide, comme le réclamerait leur situation. Bien sûr, ces adolescentes ne sont pas des prostituées. Bien sûr, la désignation de prostitution juvénile déplace sur elles la responsabilité, qui est celle de leurs assaillants et de leurs agresseurs. Votre commission l'a bien reconnu en évitant d'utiliser l'expression «prostitution juvénile».

J'attire votre attention sur ce fait d'hébéphilie pour des jeunes adolescentes entre 12, 15 et 16 ans parce que le DSM, qui est le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, le manuel psychiatrique qui fait autorité dans le domaine des diagnostics de la santé mentale, qui reconnaît la pédophilie, qui fait autorité pour le comportement sexuel avec des enfants, lors de sa révision, du DSM-IV, pour accepter le DSM-V, en 2013, il y a une équipe de psychiatres canadiens qui a suggéré l'introduction d'une distinction entre pédophilie et hébéphilie, et c'est d'une très grande importance. Donc, le terme est maintenant inclus dans le DSM-V. Il nous faut mettre l'accent sur ce fait d'hébéphilie, qui est une pathologie sexuelle. Et, vraiment, dans le travail que je fais présentement, je vois combien cette hébéphilie est omniprésente, et il faut la dire pour la déclarer, pour la dénoncer.

Maintenant, les filles avec qui j'ai travaillé, qui sont-elles, ces mineures qui sont dans la rue? Ce ne sont pas seulement des fugueuses. Contrairement à l'image qu'on en envoie dans les vidéos ou dans les scénarios, à la télévision, dans les discours officiels, elles ne sont pas nécessairement des fugueuses, pas d'après mes résultats de données de terrain, en tous les cas, parce qu'il n'y a pas d'histoire heureuse qui conduit à la rue, mais il y a une histoire qui y conduit. Alors, la recherche à laquelle, moi... que j'ai menée, il y a trois dynamiques principales qui conduisent à la rue.

La première, et je vais peut-être vous étonner, mais c'est vraiment la réalité — et j'ai écrit un livre là-dessus et qui s'appelle Je vous salue Marie, je vous ai apporté les publications que j'ai faites — la première, c'est des parents indignes. Ça existe, des parents qui mettent leurs enfants dans la rue, et des filles. Débrouille-toi, arrange-toi pour revenir toute seule, etc. Ces enfants-là ne sont pas protégés. Donc, des filles qui sont mises à la rue.

La deuxième dynamique, c'est des filles qui vont décider de partir. C'est vrai pour les garçons aussi, là. Et les filles vont décider de partir à cause de ce qui se passe à la maison, des abus sexuels, de la violence, de tout ce qui se passe. Elle va partir pour sauver sa vie, sa santé mentale. Ça existe.

Il y a la catégorie de celles qui veulent triper, mais, celle-là, après un jour, deux jours, normalement, elles reviennent à la maison les pattes aux fesses parce qu'elles découvrent qu'est-ce qui se passe en réalité dans la rue, parce que la nuit, dans les heures tardives et dans la nuit, la rue, c'est la place de la police, et des gangs de rue, et de la criminalité.

Donc, je veux attirer l'attention sur le fait que ce ne sont pas juste des fugueuses. «Fugeuses» veut dire qu'elles quittent un milieu qui serait bon, alors que ce n'est absolument pas le cas. Alors, ces jeunes filles, au plan familial, ce que j'ai observé, c'est que, dans tous les cas, pratiquement, elles fuyaient une situation qui était insupportable, un danger qui existait à l'intérieur de la maison où, là, elles étaient. Alors, j'ai examiné où résidaient-elles au moment où elles sont parties pour s'en aller dans la rue et j'ai réalisé qu'elles ne résidaient plus chez leurs parents, que la plupart fuyaient un lieu institutionnel, comme un centre d'accueil, un foyer de groupe, un appartement supervisé; dans un cas, une résidence étudiante. Elles ne fuyaient pas un chez-soi, elles fuyaient un lieu symbolique d'internement en période d'adolescence.

Il y a plus à dire, hein, c'est écrit ailleurs, mais ce qui est intéressant à retenir, ce sont que toutes avaient une relation problématique et difficile avec leur mère. C'est fondamental. Et ce sont les dimensions relationnelles, le manque de soutien, le manque de sentiment d'appartenance, le manque d'émulation qui sont en cause et qui ont un poids suffisamment lourd pour faire changer la trajectoire de leurs vies, alors qu'elles se retrouvent dans la rue, et qu'elles ne sont pas prêtes à assumer les responsabilités qui incombent à un adulte. Puis elles sont sous-scolarisées, carencées sur le plan affectif, donc, ça se manifeste par énormément de dépendance affective, etc. Dans la majorité des cas, la pauvreté est multiple, elle est loin d'être seulement matérielle. Elle est éducative, elle est au plan des carences affectives. Au plan relationnel, elles ne seront pas en relation avec personne, elles n'ont pas de réseau, etc. Toutes les dimensions de la pauvreté sont présentes dans leur cas.

Je veux enlever cette image que toutes les filles qui se retrouvent dans la rue... ou que le danger existe pour toutes les filles. Alors, je vais vous expliquer mon point de vue, qui n'est pas celui-là. Parce qu'il y a à la fois leurs histoires personnelles qui précèdent, mais il y a aussi les systèmes sociaux producteurs de prostitution. Et j'ai découvert qu'il existait six systèmes sociaux producteurs, et j'en ai rajouté un dernier qui, lui, est extrêmement parlant, vous allez voir. Je ne pourrai pas développer, mais c'est très bien décrit dans cet ouvrage et dans un dernier qui est sorti en 2018.

• (16 h 50) •

D'abord, le système des incestes pédophiles, agressions sexuelles et tous les gestes de pédophilie qui existent à l'intérieur de la famille. Et c'est absolument bouleversant. C'est 85 % des femmes avec qui j'ai travaillé dans les 19 dernières années. Et on savait déjà, dans la littérature, que le plus grand nombre des femmes dans la prostitution avait été sexuellement abusées, mais on savait que toutes les filles abusées ne vont pas nécessairement se prostituer. Et la question à laquelle j'ai tenté de répondre, c'est : Qu'est-ce qui joue dans un cas et dans l'autre? Et c'est en analysant de façon très approfondie les parcours de vie, l'histoire personnelle de ces femmes qui avaient débuté dans la prostitution alors qu'elles étaient mineures que j'ai découvert ces systèmes producteurs de prostitution. 85 % ont eu, donc, des incestes, agressions sexuelles et toute forme de pédophilie.

Évidemment, jeunesse, fugue, pauvreté, parce que se retrouver dans la rue, adolescente, c'est se mettre en danger.

Le troisième, c'est avoir une mère qui elle-même se prostituait. Toutes les femmes, on le sait, comment le modèle de notre mère est un modèle prégnant. Et justement, hier soir, à RDI, aux nouvelles, hier soir, où je vous ai entendus, il y a une jeune femme qui était là, puis elle raconte sa difficulté. Et, à un moment donné, tout de suite, elle l'a énoncé mais ne se rendait pas compte, mais moi, j'ai tout de suite réalisé qu'est-ce qui l'avait amenée là : sa mère s'était prostituée, puis elle avait été abusée sexuellement. Puis il me manquait tout le reste de l'histoire, mais je sens que j'aurais pu être capable d'identifier probablement trois, quatre, peut-être cinq systèmes producteurs de prostitution : avoir un conjoint qui est gigolo ou proxénète, parce que, s'il se fait vivre par elle, parce qu'elles se mettent en relation avec des gars qui n'ont pas d'allure, qui sont irresponsables, qui sont dangereux, à cause de la carence affective; évidemment, la toxicomanie, l'alcoolisme, qui est... conduit, peut conduire directement... ou autre forme de dépendance; et la très grande proximité de la prostitution. Je vais y revenir.

Ces systèmes ne sont pas mutuellement exclusifs, ils s'additionnent au fur et à mesure de la durée — ce n'est pas vrai, je ne vous ai rien dit!

Quatre des systèmes dont je vous ai parlé logent dans la famille, ce qui est absolument épouvantable — je viens de les nommer, pédophile, inceste, jeunesse, fugue, pauvreté — parce que, si elles se retrouvent dans la rue alors qu'elles sont adolescentes, c'est que ça ne va pas dans la famille : mère prostituée, conjoint gigolo... On en a quatre, ce qui prouve que la famille peut être non pas protectrice de ses enfants, mais agressante pour ses propres enfants, destructrices pour ses propres enfants. Dans mon texte, j'ai un meilleur mot que ça, mais là il me manque, là.

Nos valeurs sociales aussi, nos valeurs sociales, la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui est une société open, je vais le résumer comme ça, où il n'y a plus de limite, où on est dans la consommation de tout et où le sexe est extrêmement valorisé. Nos adolescentes d'aujourd'hui... parce que je n'aurai pas le temps de vous parler du septième système producteur de prostitution, qui, lui, est complètement nouveau, qui est que les jeunes filles, jeunes, là, que nos adolescentes, contrairement à la génération précédente, sont totalement différentes au plan des comportements. Elles sont... elles apparaissent plus désensibilisées. Elles apparaissent plus open, plus ouvertes. On ne parle plus de prostitution, on parle de travail du sexe. On ne sait plus ce que c'est, la prostitution, c'est le travail du sexe.

Le seul endroit où la prostitution est reconnue, c'est dans la prostitution de rue. Mais la confusion est extrême, parce que même la relation sexuelle, pour être reconnue comme relation sexuelle, doit être une pénétration. On l'a vu avec les auditions XXX à Québec, qui se sont passées sous haute surveillance policière, alors que, ce qui se passait dans la limousine blanche qui était face, justement, au club qui avait organisé ça, les hommes payaient 20 $ pour se faire masturber. Mais toutes les femmes, tous les adultes que nous sommes ici aujourd'hui, nous savons fort bien qu'on peut avoir une relation sexuelle sans qu'il y ait pénétration. La pornographie — puis je ne pourrai pas vous l'expliquer — c'est non seulement de la prostitution filmée, mais c'est aussi du proxénétisme. Et il y a un sociologue — je vous donne la référence dans le mémoire — qui en fait la démonstration. Nous avons vraiment nos classes à faire pour se mettre à jour sur ce qui est la réalité de la prostitution. Nous avons l'impression de tout connaître, alors que c'est l'inverse qui existe.

Quelle est la situation concernant les jeunes dans la rue? J'ai oublié de vous dire quelque chose d'extrêmement important. Depuis un an, je travaille avec une jeune femme qui a connu le centre jeunesse et la prostitution juvénile, vous l'avez vu dans le document que j'ai déposé. Et vraiment ses connaissances de la prostitution juvénile ont fait beaucoup, beaucoup avancer mes connaissances, et nous travaillons très fort depuis un an, et elle contribue à ce mémoire.

Quelle est la situation au moment où on veut les aider? Alors, vous allez voir que la situation est extrêmement grave. Nous voulons les aider. Nous les considérons, ces jeunes adolescentes, en situation d'exploitation sexuelle, mais, dans ce cas-ci, je préfère dire «de prostitution», parce qu'elles sont vendues. Elles se sont faites prostituer par leur proxénète. On ne peut pas exclure totalement le mot «prostitution», il faut aussi pouvoir convenir de son usage pour expliquer la situation. Nous voulons les extraire, nous voulons les faire sortir. Mais quelle est la situation quand on entre en contact avec elles? Un, bien, elles sont dans le travail du sexe, elles ne sont pas dans la prostitution. C'est une autre culture que la nôtre, là. Là, je parle des adolescentes d'aujourd'hui. Elles ne veulent pas sortir. Elles ont enfin une solution à toutes leurs misères, le travail du sexe, puis en plus elles sont en amour. Elles sont carencées au plan affectif.

Je suis désolée de faire des démonstrations si courtes, mais je ne peux pas faire toutes les démonstrations... J'ai fini, hein? Ça n'a pas de bon sens! Mais je vous ai, je pense, lancé des idées que je sais qu'elles sont probablement bousculantes. Mais la recherche permet d'avoir accès à des connaissances qu'on n'aurait pas autrement. C'est à ça qu'elle sert, la science.

Maintenant, le président m'a fait signe. Je ne sais pas si vous voulez continuer comme ça ou aller vers l'intervention. J'ai pris toutes les questions qui étaient posées puis j'ai essayé de voir comment je pouvais y répondre. Alors, je ne sais pas quoi faire. Je réponds à vos questions? Je ne sais pas trop.

Le Président (M. Lafrenière) : On va partir avec une période d'échange, Mme Dufour. Merci beaucoup, beaucoup pour votre présentation. On va débuter, donc, une période d'échange de 25 minutes avec nos collègues en débutant par la députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci, M. le Président. Bienvenue, Mme Dufour. Vraiment intéressant. Vos recherches sont éclairantes à plusieurs niveaux, suscitent beaucoup, beaucoup de questions. Vers la fin, vous avez vraiment parlé de prostitution juvénile, notre commission s'appelle «l'exploitation sexuelle des mineurs». Est-ce que vous êtes d'accord qu'il y a quand même une différence? Parce que le phénomène de désensibilisation est important aussi.

Mme Dufour (Rose) : Oui, oui. Je suis la première à dire qu'on ne doit pas parler de prostitution juvénile. Mais on se retrouve aussi dans un paradoxe parce que la jeune fille qui est très pauvre, qui est dans la misère, qui est taponnée par son père depuis des années... Parce qu'il y a des situations absolument tragiques. Dans cet ouvrage, il y a 20 histoires de femmes qui en sont venues à se prostituer, dont presque la moitié a été abusée sexuellement. Oui, c'est clair que je suis d'accord avec le fait qu'on parle d'exploitation sexuelle. Comme je le disais au début, toutes les femmes dans la prostitution sont exploitées. Il n'y en a aucune qui le fait pour le plaisir, là. C'est faux de croire ça, là.

Maintenant, en même temps, je me retrouve dans un certain paradoxe parce qu'en même temps elles sont dans le travail du sexe. Ça, on ne peut pas utiliser juste ça. Elles sont vendues. Être vendues, c'est donner accès à leurs corps et à leurs sexes pour de l'argent. Ça fait qu'il faut... C'est compliqué, puis je ne suis pas capable de résoudre entièrement le problème, mais... Je suis entièrement d'accord et très heureuse que la commission s'appelle comme ça, mais je veux qu'on reste l'esprit ouvert parce que, si on se met juste à parler d'exploitation sexuelle, on va niveler le problème qui doit être dénoncé. Mais je ne suis pas sûre de bien le présenter.

Mme Lecours (Les Plaines) : Non, je comprends votre point de vue. Mais vous avez dit aussi, au tout début, que la prostitution, ça existe depuis 600 ans avant Jésus-Christ. La traite aussi. La traite... Et c'est une forme de traite quand on parle d'adolescentes. Il y a une notion de consentement, et tout, puis de désensibilisation surtout.

Mme Dufour (Rose) : Oui, oui. Oui.

• (17 heures) •

Mme Lecours (Les Plaines) : J'aimerais ça... Rapidement, puis, après ça, je vais laisser la parole à mes collègues, reparlez-nous de la l'hébéphilie.

Mme Dufour (Rose) : Ah! c'est une belle question, parce que... D'abord, je vais vous dire, j'ai fait la première enquête au Québec sur les hommes consommateurs de prostitution dans les... Je pense que je vous ai entendus hier soir dire qu'il n'y avait pas beaucoup de documentation, mais j'ai fait la première enquête, et c'est la deuxième partie de cet ouvrage. Ça a été absolument passionnant.

La réaction des gens autour de moi, hein... Je travaillais au PIPQ, qui m'avait interpelée pour travailler avec eux autres. J'ai été cinq ans avec eux autres. C'est là que j'ai été initiée, etc. Mais tout le monde autour de moi me disait : Ça n'a pas de bon sens, puis c'est dangereux, puis ne fais pas ça. Puis les femmes elles-mêmes, dans la prostitution, défendaient les clients en disant : Mais nous autres, on accepte de se sacrifier parce que, si les hommes... Parce que toute la question de la prostitution, c'est : Les désirs sexuels des hommes sont irréductibles, c'est irréductible, on ne peut pas empêcher ça, il faut que ça aille au bout de la libération. Ce qui est faux. Il y a eu des recherches absolument exceptionnelles qui ont été faites sur les hommes consommateurs de prostitution et qui ont montré que c'est la culture et l'éducation faite au garçon qui fait qu'il n'est pas un sauvage, il ne va pas sauter sur toutes les femmes. Mais pourtant il y a des hommes qui n'ont aucun scrupule. Et j'ai documenté la question à fond là-dedans.

La différence entre le consommateur de prostitution puis celui qui n'en fait pas... Parce que la très grande majorité des hommes... Au Québec, on estime que c'est environ 12 % des hommes qui consomment de la prostitution. Mais ça ne doit pas être ce taux-là. Moi, je pense qu'il a dû augmenter, dans les dernières années, à cause de l'omniprésence de la pornographie, de la sollicitation, etc., et... — j'ai perdu mon idée — la majorité des hommes n'y pensent même pas. Non seulement ils ne veulent pas consommer parce que... par dignité envers eux-mêmes puis dignité et reconnaissance de la dignité des femmes, jamais ils ne le feraient. Ils trouveraient ça absolument dégradant, de faire ça. Mais pourtant il y a une catégorie d'hommes pour qui ça n'existe pas.

Mais qui sont ces hommes consommateurs de prostitution? Dans lequel il y a une catégorie d'hommes qu'eux autres c'est des petites filles qu'ils veulent. Il y a des pédophiles. Vous êtes à l'aise avec l'idée de pédophile, c'est l'attraction pour les bébés et les enfants, alors que la prépubère ou jeune pubère, c'est la fille dans sa splendeur, hein, de floraison, où elle va devenir menstruée, et elles sont immensément belles, et ces hommes ont une attraction particulière pour ces filles-là. Et je sais que c'est vrai parce que j'ai parlé avec des proxénètes, parce que... le travail avec la jeune femme dont je vous ai parlé. Elle l'énonçait très, très, très clairement.

Maintenant, quelle est la caractéristique des hommes consommateurs de prostitution? D'abord, c'est des irresponsables, puis ils ne veulent pas avoir de responsabilités, ils ne veulent surtout pas assumer de responsabilités. Ils ne connaissent absolument pas les femmes, mais ils connaissent encore moins les femmes prostituées. Ils sont absolument certains qu'elle, elle aime plus le sexe plus que les autres, elle est plus chaude que les autres, ce qui est entièrement faux, parce que les femmes dans la prostitution ne se donnent pas.

Avoir une relation sexuelle, c'est donner accès à ce qu'on a de plus privé et de plus intime et de sacré, je dirais, sacré dans le sens d'unique, extrêmement élevé au plan de sa valeur. La différence entre un objet sexuel et une personne, c'est la dignité humaine. L'être humain a une dignité. L'objet et la chose n'en a pas. Il est réductible, c'est un outil, c'est un instrument, c'est technique. Et ces hommes consommateurs de prostitution, ils sont absolument ignorants puis ils ne veulent surtout pas apprendre. Mais, parce que la prostitution ancienne, aussi, était complètement différente, il y a un travail d'information, d'éducation de la population, etc. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Question de la députée... Acadie.

Mme St-Pierre : Merci. Merci beaucoup. C'est absolument passionnant de vous entendre. Ce n'est pas la première fois que je vous entends dans une conférence, puis, encore aujourd'hui, je suis très impressionnée.

J'y vais très rapidement parce que, dans votre mémoire, vous parlez... D'abord, je vois la phrase, là : «...il faut tuer le marché [de la prostitution].» Puis vous dites que «le XIXe siècle a vu l'abolition de l'esclavage, le XXe siècle a aboli la peine de mort, notre siècle [...] doit [abolir] la prostitution». Alors, c'est une forme d'esclavage.

Mais je vous amène sur le paragraphe suivant, sur la police, parce qu'ici c'est écrit : «La police tolère la prostitution, une tolérance qui correspond à une résistance, un refus d'appliquer la loi.» C'est gros, là, ce que vous nous dites.

Mme Dufour (Rose) : Ah oui! C'est...

Mme St-Pierre : Et vous citez un article qui m'avait d'ailleurs impressionnée, dans le journal Le Soleil, le 21 juin dernier, où on donne des statistiques concernant les arrestations ici, à la ville de Québec. Et on a vu tout le travail qu'ils ont fait. Ce matin, ils nous ont parlé du travail qu'ils font auprès des victimes. Mais monsieur le client, là, il semble que lui, il ait bien du fun puis il n'est pas... on ne s'en occupe pas, puis il continue sa belle petite vie, qui a l'air bien normale, avec tous les paravents... le paravent. Là, il faut que vous nous en parliez, de ça, parce qu'on n'en a pas parlé, là. On va en parler peut-être plus tard, mais j'aimerais vous entendre sur cet aspect-là de votre mémoire.

Mme Dufour (Rose) : Nous, les femmes qui travaillons dans ce domaine, nous sommes désespérées du comportement de la police. Ce n'est pas nous qui les sortons, les statistiques, mais on observe qu'est-ce qui se passe. Il y a des salons de massage érotique... je vais prendre à Québec, là, il me semble que c'est 22 ou 24, là, je ne m'en rappelle plus, du chiffre. Et, lorsque vous regardez l'annonce, là, c'est évident que c'est une offre de prostitution. Il n'y a pas d'autre mot.

Mme St-Pierre : Bien, excusez-moi, vous avez, tout à l'heure, montré le signe «sept». Alors, pour l'enregistrement... Je pense que la caméra ne vous a pas captée, alors, pour l'enregistrement, je vais le citer, l'article : «...le service de police de la ville de Québec a arrêté sept clients pour obtention de "services sexuels moyennant rétribution", selon une compilation du corps [de police]. Alors que des centaines de clients achetaient des services sexuels dans les rues, les agences d'escorte et les salons de massage érotiques de la capitale...» C'est l'article. Alors, je vous laisse continuer, parce que la caméra n'a pas vu votre signe «sept».

Mme Dufour (Rose) : Merci. Merci de l'avoir cité. Alors, il y a ça, les clients ne sont pas arrêtés, donc ils sont protégés, quelque part. Il y a eu les auditions XXX. La semaine dernière, et ça me gêne de dire ça au micro, la semaine dernière, j'ai reçu un appel de quelqu'un qui m'a dit : Un client a été informé que la police allait faire une décente, donc il devait avertir tous ses chums. Bon, je ne l'ai pas vérifié. Je ne l'ai pas vérifié, mais je n'ai même pas été étonnée. J'ai dit : Bien oui, c'est sûr que ça fait partie de la pratique. Moi, d'abord, ce que je crois, c'est que la police, sans vouloir vous offenser...

Le Président (M. Lafrenière) : On est trois, quatre ici, ça va aller.

• (17 h 10) •

Mme Dufour (Rose) : Mais je crois que la police est comme l'ensemble de la population. La police ignore ce que c'est, la prostitution, la prostitution contemporaine. On a une idée, mais on doit être plus informé que ça. Il doit y avoir, au plan même de l'intervention, l'intervention faite par des généralistes psychologues, sexologues.

Je vais vous donner un exemple de quelqu'un qui a été absolument brisé par son proxénète, qui lui a dit : Tu ne veux pas travailler pour moi, tu ne travailleras plus jamais pour d'autres. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il l'a brisée, là. Il l'a brisée. Elle est brisée à vie, là, elle est brisée à vie. Non seulement elle est en post-trauma complexe, mais c'est... la situation est extrêmement grave. Elle a été traitée par une sexologue, puis les gens d'IVAC étaient là. C'est tannant, parler de ça. Je ne veux pas dénoncer aucune institution, mais ce que la sexologue lui a dit, c'est : Bien, fais des fellations. Bien, si une sexologue dit ça, moi, je deviens violente, ce n'est pas compliqué, là, parce que, là, on est dans quoi, là? Qu'est-ce qu'on est en train de faire, là? On croit que, la prostitution, il n'y a pas de mal, là? Bien, voyons donc!

Alors, la situation, elle est dramatique à cause de l'ignorance sur la réalité de la prostitution. Et je trouve que ma contribution est bien peu de chose, même si j'y ai mis le maximum. Je crois que c'est les femmes elles-mêmes, dans la prostitution, qui vont faire avancer les choses. La commission, certainement. Moi, j'ai tellement d'espoir en vous sur les recommandations que vous allez faire, mais la situation est vraiment absolument dramatique.

Et, dans ces 20, 19 dernières années que je viens de passer dans la prostitution, ce que je vois aujourd'hui, je suis terrorisée. Moi, je suis grand-mère d'une petite fille qui a 10 ans présentement. Je suis morte de peur. Je suis morte de peur. Il faut qu'il y ait une révolution. Puis merci de l'avoir cité. Nous devons comprendre la gravité et la réalité de la prostitution. Nous devons la comprendre jusqu'à prendre des décisions de nous tenir debout.

Et je vous ai apporté quelque chose qui est très intéressant et que vous avez peut-être noté. Puis, à côté de l'Ordre national du Québec, j'ai un petit truc, là, un morceau de peau d'orignal. Et je vous ai apporté quelque chose des autochtones, je ne me rappelle pas dans quelle province, je pense c'est le Manitoba, qui ont décidé d'intervenir, d'intervenir... Il y en a pour chacun d'entre vous, si vous voulez les porter, avec toute l'information.

Je crois que l'une des premières choses urgentes à faire, c'est de mobiliser les hommes, les hommes, l'entièreté, tous les hommes de notre société. Depuis à peu près 100 ans, c'est nous, les femmes, qui sommes debout à vouloir lutter à mort contre ça, parce qu'être une femme ce n'est pas comme un homme. Et la relation, c'est... Dans la relation sexuelle, la femme est pénétrée, et l'homme ne l'est pas. Les hommes consommateurs de prostitution n'ont aucune conséquence de la consommation de la prostitution. Je m'excuse de parler de cette façon-là. Ils remontent leurs culottes, puis ils retournent chez eux, puis ils sont des bons pères, des bons maris, des bons professionnels. C'est outrageant, c'est inacceptable.

Parce que, les femmes qui sont dans la prostitution, la majorité ont commencé alors qu'elles étaient mineures, elles sont déjà brisées par la vie parce que la vie a été épouvantable puis qu'elles ont été abusées sexuellement, et elles se retrouvent... C'est des femmes qui sont absolument brisées. C'est des femmes qui n'ont plus de corps, qui n'ont plus de vie, qui ont une perte totale de leur sensibilité. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

Mme St-Pierre : Ma question était sur les services policiers, mais je pense que ce j'ai compris, c'est qu'il faut qu'on soit...

Mme Dufour (Rose) : Nous devons tous nous mobiliser, mais, en premier lieu, la prostitution, l'exploitation sexuelle des mineurs, c'est le fait de la sexualité masculine. Parce que, si on était juste des femmes — je le dis pour badiner — il n'y en aurait pas, de prostitution. Celui qui produit la prostitution, c'est celui qui la consomme, et la demande ne fait que croître. Alors, il faut... Et c'est Ghyslain Vallières qui m'a sorti, en parlant au téléphone... qui m'a dit : Mais il faut tuer le marché prostitutionnel. J'ai dit : C'est exactement ça, je vais reprendre ta formule. Je ne l'ai pas cité dans le mémoire, mais ça lui revient. Et c'est vrai, il faut tuer le marché prostitutionnel.

Mais comment on va faire pour le tuer? Mais on n'y arrivera jamais sans vous autres, les hommes. Vous imaginez-vous qu'on a de la crédibilité, malgré le mouvement féministe? Bien, voyons donc! On a un petit peu avancé, mais à peine. Ce sont, hein... Imaginez un instant, là. Pourquoi ces femmes-là seraient plus prostituables que les autres? Elles sont pareilles comme vos mères, vos soeurs, vos épouses, vos soeurs, vos filles, vos enfants. Ce sont de nos filles dont il est question.

Et je veux vous dire quelque chose d'important. Je parle avec conviction. C'est pour ça que je n'ai pas été capable d'arrêter, il fallait que je poursuive la recherche, parce qu'il y avait peu de recherche qui était faite dans le domaine. Mais, quand je suis arrivée au PIPQ, j'ai été tellement démontée. D'abord, j'avais toujours travaillé juste avec des hommes, des itinérants, des jeunes de la rue, les enfants de Duplessis, et tout à coup je me retrouve avec des femmes qui sont dans la prostitution. J'étais absolument certaine, moi, qu'elles aimaient ça plus que les autres, qu'elles étaient plus chaudes que moi puis toutes les autres femmes. Et la première femme avec laquelle j'ai discuté, à qui j'ai offert de travailler sur son récit de vie, sa généalogie, son histoire personnelle, pour l'amener non pas à faire une collecte de données... Je n'ai jamais eu l'idée de faire des collectes de données sur les femmes. J'ai travaillé avec elles pour les amener, elles, à faire une recherche sur elles-mêmes. Ces livres-là ont été produits parce qu'il fallait bien sortir ce matériel-là pour produire un événement social, mais je n'étais pas intéressée par ça, pas du tout, je l'ai fait par devoir. Ma carrière était finie. Il y a vraiment un... J'étais comme les autres, mais j'ai fait mes classes. Mon rôle, aujourd'hui, c'est de vous aider à le faire.

Alors, je vous ai apporté ces deux livres qui parlent de ça. Évidemment, le premier enquête sur les hommes consommateurs de prostitution. Tout le monde voulait m'empêcher de travailler avec les hommes, mais eux autres, ils étaient tellement heureux! Ils m'ont fait confiance, puis ils avaient raison de me faire confiance. J'étais très intéressée à les entendre pour comprendre qui ils étaient. C'était passionnant. Et c'est vrai que les hommes ne sont pas pareils comme les femmes en matière de prostitution. Ils étaient intarissables. Les hommes, les hommes québécois, généralement... je ne devrais pas parler comme ça, mais, en tout cas, je vais... les hommes québécois parlent peu, ils sont prudents, mais là je vous dis qu'ils parlaient, et c'était passionnant. Ce sujet-là les passionnait. Mais ils ne savaient pas qui étaient ces femmes puis ils n'étaient pas intéressés. Et je me suis posé la question de leurs intérêts pour leurs propres femmes et leurs propres filles. Et c'est ça qu'on doit changer. Nous devons faire la révolution pour changer notre société, la rendre meilleure, que tout le monde ait la possibilité de s'épanouir, de s'accomplir et de se réaliser.

Et le deuxième ouvrage, c'est la pédagogie d'«empowerment». Nous ne devons pas juste intervenir au plan matériel. Je suis tannée d'entendre parler de budgets. Changeons nos pratiques. N'intervenons pas sur les personnes. Nous devons leur donner les clés de l'autonomie. On va-tu finir par y arriver? C'est ça qu'il faut faire, comme on fait avec nos propres enfants. Et je le fais avec les femmes, je le fais dans mon travail. Nous sommes à un moment historique. Oui, je crois que nous pouvons abolir la prostitution. Mais les hommes doivent se lever debout. On ne pourra pas le faire.

Je vous ai donné... S'il vous plaît, lisez ça. Puis, si vous voulez être solidaires, portez-le. Et puis, demain, je dois aller faire une émission à Montréal, mais, jeudi matin, je fais une conférence où il va y avoir 130 personnes, puis je vais avoir mes petits trucs puis j'espère que quelqu'un dans la salle va se mobiliser ou qu'il va y avoir plusieurs personnes puis qu'on va étendre ça ou on va en créer un autre. Créons notre propre mouvement de mobilisation des hommes, d'abord et avant tout. Nous avons besoin de vous autres. Jamais on ne réussira rien toutes seules, ça ne sert à rien.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci, Mme Dufour. Prochaine question, députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Bien, je pense que c'est assez clair, finalement.

Le Président (M. Lafrenière) : C'est une première, on vit une première.

Mme Perry Mélançon : Non, mais c'est parce que... Non, mais c'est vrai. Puis, écoutez, c'est vrai que c'est passionnant de vous entendre puis d'essayer de comprendre les comportements et les phénomènes sociétaux. C'est vrai qu'il faut finalement revenir à la base. Parce que vous avez parlé que c'était difficile de dépister les jeunes filles parce qu'elles ne demandent pas d'aide, elles sont victimes de l'industrie du sexe et du regard que la société pose sur ce phénomène-là. Donc, finalement, comme je vous dis, je vais laisser quelqu'un d'autre poser des questions.

Mme Dufour (Rose) : Je voudrais...

Le Président (M. Lafrenière) : ...

Mme Dufour (Rose) : Je voudrais lui répondre, même si elle n'a pas posé de question.

Le Président (M. Lafrenière) : Ah! Vous allez répondre à sa non-question?

Mme Dufour (Rose) : Oui, parce que j'ai quelque chose à lui dire.

Mme Perry Mélançon : J'ai plein de notes et... Oui.

• (17 h 20) •

Mme Dufour (Rose) : Au moment où nous parlons, là, moi, je connais des filles, là, elles ne peuvent même pas téléphoner, elles ne peuvent même pas sortir, elles sont... je n'ose pas dire «séquestrées», mais forcées d'aller travailler. O.K., là? C'est extrêmement difficile pas juste de les dépister, de les aider. Avec la jeune femme avec qui je travaille, des fois je lui dis : Bon, qu'est-ce qu'on pourrait faire pour l'aider? Il y en a une, façon de les aider. Nous devons aider ces jeunes, pas les contrôler, pas essayer de les casser dans leurs comportements. Non, non. Devenir solidaires avec elles, les aider à grandir, les faire devenir responsables en les rendant capables d'assurer le maximum de leurs besoins.

Et j'ai apporté ce manuel qui s'appelle Programme d'appropriation de sa sexualité, qui est un... J'y ai participé, mais c'était Ina qui était géniale pour formuler ça. C'est génial, cette affaire-là. C'est comment devenir sujet de sa sexualité, comment être capable de parler à son homme pour lui dire que ça n'a pas de bon sens puis ça ne marche pas, là, comment être heureux, heureuse dans notre sexualité, comment devenir sujet de sa sexualité.

J'ai entendu des hommes qui adoraient leurs femmes, qui les défendaient puis qui ne voudraient pas pour rien au monde s'en séparer. Il dormait dans son dos puis il disait : Elle n'aime pas ça. Mais je lui disais : Mais informez-vous, faites quelque chose pour la conquérir, réveillez-vous, tu sais, faites quelque chose, ça dépend de vous. Puis je m'excuse, je ne devrais pas dire ça... Comment qu'il s'appelle, Vidéotron?

Une voix : ...

Mme Dufour (Rose) : Ah! Vous ne voulez pas que j'en parle? C'est parce que j'oublie son nom. Le père. Le père, je ne l'ai pas connu personnellement, il aimait les femmes. Il ne les aimait pas juste dans son lit, il les trouvait intéressantes, il les écoutait. Et, le monsieur avec qui je parlais, je lui disais en exemple... Il me disait : Oui, oui, mais il était riche. Je disais : Non, non, non, il n'a pas toujours été riche, mais il a toujours su comment approcher, il s'est intéressé à elles, il leur reconnaissait de la valeur.

Le Président (M. Lafrenière) : Mme Dufour...

Mme Dufour (Rose) : Je n'ai pas besoin d'en dire plus, hein? Oui?

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup au nom de la commission.

Mme Dufour (Rose) : C'est déjà fini?

Le Président (M. Lafrenière) : Je vous remercie de votre contribution. Merci énormément.

Nous allons prendre une pause de quelques instants pour laisser le temps à notre prochain invité de prendre place. Merci infiniment, madame.

(Suspension de la séance à 17 h 22)

(Reprise à 17 h 25)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Daniel Loiseau. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé, puis nous procéderons à une période d'échange de 25 minutes avec les membres de la commission.

Cependant, avant de commencer, je vais demander aux membres de la commission le consentement pour ajouter 10 minutes à cette période de consultation. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix : ...

Le Président (M. Lafrenière) : Consentement. Parfait. Alors, M. Loiseau, je vous laisse faire votre exposé.

M. Daniel Loiseau

M. Loiseau (Daniel) : Merci. Merci, les membres de la commission. Merci, M. le Président.

Bon, alors, je suis ex-membre du SPVM à la section exploitation sexuelle, donc un enquêteur qui est récemment à la retraite depuis le mois de mai. Donc, j'ai consacré les 20 dernières années à la section exploitation sexuelle du SPVM. Ayant pris ma retraite récemment, j'ai élucidé des crimes reliés au proxénétisme et à la traite de personnes.

Mon travail d'enquêteur m'a permis d'encadrer, informer les victimes, témoins et autres intervenants concernés tout au long des procédures judiciaires, de sécuriser les victimes et leurs proches, de faire des demandes d'expertise appropriées afin de recueillir et préserver les preuves liées aux enquêtes, de diriger des dossiers lors de différentes étapes judiciaires, de perquisitionner, de saisir et d'analyser les différents éléments de preuve et d'en faire la divulgation.

J'ai développé des liens privilégiés avec les partenaires et intervenants, tels que la DPJ, les centres jeunesse, le CAVAC, Jeunesse au soleil, qui sont des atouts pour ce genre de crime, ainsi qu'avec des policiers de plusieurs provinces canadiennes. J'ai partagé avec eux mes connaissances en matière de crimes de nature sexuelle dans l'intérêt des victimes.

J'ai partagé avec... à l'élaboration du projet Les Survivantes, du SPVM, dont le mandat vise à accroître la sensibilité au phénomène d'exploitation sexuelle et la traite de personnes, tout en favorisant une meilleure prise de conscience des personnes vulnérables. J'ai participé à la tenue de plusieurs séances d'information auprès de policiers et d'organismes communautaires en lien avec ce projet.

J'ai su transmettre mon approche humaine et empathique auprès des victimes et des nouveaux enquêteurs de notre section. J'ai contribué à faire du SPVM une organisation efficace, professionnelle, innovatrice grâce à mon expertise d'enquêteur en matière de lutte contre la traite de personnes et le proxénétisme. Mon travail d'enquêteur m'a permis, de par mon acharnement, mon innovation, ma créativité et mon profond engagement, de sauver des filles de l'enfer de l'exploitation sexuelle.

Il y a plusieurs années, si je fais référence au début de ma carrière concernant des dossiers d'exploitation sexuelle, les proxénètes recrutaient leurs victimes par le biais de petites annonces de journaux ou lors d'une filature en circulant en voiture, s'arrêtant pour discuter, par exemple, à une jeune fille dans un abribus. Aujourd'hui, les proxénètes recrutent sans même avoir à se déplacer grâce aux réseaux sociaux, avec leurs cellulaires ou ordinateurs, sur Facebook, Instagram, Snapchat, sites de rencontre, etc. Ils ont accès à nos jeunes filles beaucoup plus facilement qu'auparavant, ce qui rend nos jeunes filles mineures très vulnérables en 2019.

Il y a 10 ans, le SPVM démarrait le projet Les Survivantes, dont le mandat est la prévention, la sensibilisation au phénomène de l'exploitation sexuelle et de la traite de personnes. Ce projet est divisé en trois volets, soit un premier destiné aux policiers, un second destiné aux divers intervenants ainsi qu'un volet intervention auprès des victimes, personnes vulnérables, où on fait des interventions un à un qui sont privilégiées à ce moment-là.

Ce projet innovateur et proactif a permis au SPVM de se distinguer partout au Canada en matière d'exploitation sexuelle. La formation Les Survivantes permet aux participants d'acquérir de nouvelles connaissances face aux problématiques vécues par les victimes. Selon l'analyse des formulaires d'évaluation, le programme de formation et d'intervention Les Survivantes est un puissant outil pouvant pallier à l'incompréhension des différents intervenants, policiers et victimes, tout en permettant à un plus grand nombre de personnes d'aider ces jeunes femmes vulnérables afin d'éviter qu'elles tombent dans le piège qu'on leur a tendu.

• (17 h 30) •

L'arrivée des nouvelles technologies a généré d'énormes charges de travail supplémentaire pour les enquêteurs d'exploitation sexuelle. Ces derniers doivent dorénavant saisir tout appareil électronique lors des arrestations en lien avec le proxénétisme ou la traite de personnes. Par la suite, ils doivent gérer une chaîne de possession des exhibits, fournir ceux-ci pour expertise à la section des crimes technologiques, accompagnés d'une ordonnance judiciaire. Une fois l'expertise complétée, l'enquêteur doit en faire l'analyse appropriée au dossier et soumettre son rapport au procureur de la couronne. L'enquêteur utilise également la section cyberenquête dans ce genre de crimes afin de fournir des éléments de preuve supplémentaires sur DVD, qui devra être analysé par la suite. Cette nouvelle technologie a pour effet de rendre le processus de divulgation de nos dossiers de plus en plus lourds et fastidieux pour les enquêteurs qui doivent assumer de nombreuses tâches supplémentaires. Les enquêteurs doivent aussi effectuer de nombreuses tâches administratives. L'ajout de personnel de soutien administratif leur permettrait de se consacrer entièrement à leur travail d'enquête.

De plus, suite à la diffusion de l'émission Fugueuse, une vague de dénonciations a déferlé sur l'équipe d'exploitation sexuelle du SPVM. La population est de plus en plus conscientisée à ce phénomène et réagit au moindre soupçon. Malgré la mise en oeuvre d'une nouvelle escouade provinciale, l'Équipe intégrée de la lutte contre le proxénétisme, EILP, en avril 2017, qui totalise, avec l'équipe de Montréal, 25 enquêteurs, ceux-ci sont tellement surchargés que plusieurs d'entre eux ont dû être placés en arrêt de travail. La présence des intervenantes du CAVAC dans les bureaux de la section exploitation sexuelle est un atout indispensable et innovateur qui démarque le SPMV des autres corps de police canadiens et qui favorise la réussite de nos dossiers. Par contre, le manque de ressources, seulement deux intervenantes à temps partiel, est nettement insuffisant pour combler les besoins de 25 enquêteurs.

Les victimes mineures se retrouvent seules et sans ressources une fois sorties du centre jeunesse. Elles vont se retrouver, jusqu'à l'âge de 18 ans, dans des appartements supervisés, et après elles sont laissées elles-mêmes. Le système ne permet pas à ces filles d'avoir un endroit approprié pour qu'elles puissent graduellement retrouver une vie normale après avoir eu les interventions nécessaires à leur réhabilitation. De plus, elles ont accès seulement à des centres destinés à des femmes victimes de violence qui ne les acceptent que pour quelques jours, en général trois jours seulement, et doivent quitter par la suite. Comble de malheur, les victimes de proxénétisme se font refuser l'accès à ces centres d'aide, puisque leur dossier est relié à un proxénète, et par peur de représailles. Ce manque de ressources est une entrave qui a des graves conséquences pour les victimes qui se sentent délaissées par le système en attendant de compléter le processus judiciaire comme victimes d'un proxénète. Par conséquent, des centres d'hébergement destinés à ce type de victimes seraient un atout majeur pour assurer leur sécurité et favoriser leur réhabilitation.

De plus, les victimes de proxénétisme ne sont toujours pas admissibles auprès de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, l'IVAC, et ne peuvent par conséquent avoir accès à ces ressources. Ce refus de la part de l'IVAC a des conséquences dévastatrices sur les victimes et les dossiers en cours. Les victimes se sentent délaissées, découragées, ce qui a pour effet qu'elles veulent tout abandonner. Les intervenantes du CAVAC ont ainsi une double tâche soit de faire en sorte que nos victimes n'abandonnent pas après le premier refus. Elles doivent travailler doublement pour garder la confiance de la jeune victime qui a été fortement ébranlée. Il serait plus qu'urgent que l'IVAC reconnaisse les crimes reliés au proxénétisme et la traite de personnes. Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci de votre présentation. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec les membres de la commission. Première question, députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui, bonjour. Merci pour votre participation. Vous avez entendu, vous étiez dans la salle, donc, Mme Dufour. Concernant Rose Dufour, qui était ici avant que vous étiez ici, concernant sa déception, plus que déception par rapport à l'intervention des policiers... Parce qu'on a parlé beaucoup de prostitution en général, donc adulte, comme faisant partie d'un fléau plus large qu'évidemment l'exploitation sexuelle des mineures, qui est notre mandat. Donc, il y a deux interventions, aujourd'hui. On parle de cette question en voulant dire : Attention, là, c'est un mal global et qu'il faut s'attaquer à ça. Est-ce que vous, vous savez une explication pour voir... bien, pour nous dire pourquoi est-ce que les policiers sont débordés? Ils mettent l'accent sur ce qui... c'est-à-dire le plus urgent, qui est peut-être les mineures ou... Alors, les mots ont été forts, qui ont été utilisés. Je n'ose pas me prononcer. On a eu beaucoup d'échanges avec des policiers passionnés par l'aide et d'apporter secours à toute personne, mais il y a peut-être une autre explication. Alors, juste voir votre commentaire là-dessus.

M. Loiseau (Daniel) : Bien, moi, comme enquêteur, comme ex-enquêteur, je peux vous dire que le système, il fonctionne. J'ai arrêté et j'ai traduit en justice plusieurs proxénètes dans mes 20 années de carrière.

Il s'agit que la victime nous fasse confiance, fasse confiance au système, de les approcher avec empathie, humainement et de leur dire qu'il ne leur arrivera rien, parce que ces filles-là sont terrorisées, et de réussir à ce qu'elles fassent confiance au système. Et puis nous, comme enquêteurs ou avec les organismes qui nous aident, surtout le CAVAC, on va les amener jusqu'à la fin et puis on va être capable de se rendre jusqu'à la fin des procédures et puis de faire en sorte que cette fille-là, en cours de route, puisse avoir les soins nécessaires, avoir l'aide nécessaire. Et puis, par la suite, si jamais elle a l'intention de vouloir raconter son histoire, qui était autrement mauvaise, pour pouvoir aider d'autres filles en faisant partie du projet des Survivantes, bien, on leur fait l'offre. Et puis, si elles veulent continuer à pouvoir raconter leur histoire pour pouvoir aider d'autres à ne tomber dans le piège, bien, ces filles-là, sur une base volontaire, vont pouvoir faire partie de cette...

Mme Weil : Elle a présenté des statistiques qui semblaient indiquer que, oui, en fait, il y a peu d'interventions au niveau des prostituées adultes. Je ne sais pas si les données sont validées, etc., ou si vous avez des données qui peuvent refléter qu'il y a peut-être un enjeu à cet égard. Ce n'est pas notre mandat, mais je pense que c'est relié à toute cette grande question qu'on touche depuis quelques jours, sur comment travailler sur tout le monde, là, toute la société en général, des interventions précoces, prévention, programmes de prévention, etc. Votre expérience dans le domaine, et des programmes, peut-être, que vous connaissez, que pensez-vous de cette voie-là, c'est-à-dire l'expérience à Edmonton? Je ne sais pas si vous avez suivi l'intervention hier. Donc, ils ont un programme pour les hommes, qui... les «john schools», ça s'appelle.

M. Loiseau (Daniel) : Oui, je suis au courant de... J'ai vu, oui.

Mme Weil : Vous étiez au courant de ça. Et qui donnent des résultats intéressants, très intéressants, donc, que, finalement... parce que c'est tellement gros, le problème, surtout avec les médias sociaux, vous le soulignez, que ça devient presque impossible, on court après cette problématique, et c'est tellement gros et complexe, mais que, si on travaille en prévention mais aussi en réadaptation, hein, dans un sens, dans les deux bouts, bien, on pourrait au moins réduire peut-être la fréquence, éventuellement.

M. Loiseau (Daniel) : C'est sûr. Je suis au courant que Montréal a fait des opérations clients. Je n'ai pas les statistiques exactement par rapport à ça, là, mais c'est sûr que j'ai participé à certaines opérations de clients. Mais c'est sûr que, les enquêteurs de Montréal, là, la priorité, c'est de faire des dossiers d'arrestation par rapport à des proxénètes. Et, comme je vous ai mentionné dans ma présentation, depuis Fugueuse, il y a énormément de dossiers.

Malgré le fait qu'il y a 25 enquêteurs, à Montréal, qui travaillent ces dossiers-là en amont, avec priorité les mineurs, les enquêteurs ne fournissent pas. La divulgation à la cour, maintenant, est très... ça se fait pratiquement sur DVD, maintenant. L'analyse des cellulaires... Je vous donne un exemple. Dans un des derniers dossiers que j'ai eus, une fois que l'analyse du cellulaire... c'est-à-dire, une fois que l'expertise du cellulaire est revenue sur mon bureau, j'avais 26 000 conversations à analyser, qui m'ont pris une semaine et demie à analyser, et, après ça, faire un rapport pour retourner ça au procureur. C'est des charges de travail énormes, qui pourraient être traitées avec des gens, en ayant un soutien civil ou un soutien supplémentaire pour aider ces enquêteurs-là à traiter, parce qu'aujourd'hui, en 2019‑2020, c'est ce genre d'expertise là qu'on a de besoin à la cour.

• (17 h 40) •

Mme Weil : Très bien. C'est une bonne recommandation. Excellent. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Lotbinière-Frontenac.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bonjour. Il y a une loi qui criminalise l'achat de services sexuels, puis il y a deux groupes aujourd'hui qui sont venus nous dire que la loi n'est pas appliquée. Moi, j'aimerais connaître votre avis là-dessus puis savoir pour quelle raison ce n'est pas appliqué.

M. Loiseau (Daniel) : Vous parlez de laquelle des lois exactement, là?

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bien, c'est la loi... Bien, en tout cas, tout à l'heure, les CALACS puis Mme Rose Dufour aussi disaient que la loi n'était pas appliquée par la police. Je n'ai pas le...

M. Loiseau (Daniel) : Le C-36? Juste me dire, c'est quoi, le...

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bien, on nous a dit, c'est la loi qui criminalise l'achat de services sexuels.

M. Loiseau (Daniel) : Bien, on a porté des accusations dans différents dossiers à Montréal par rapport à ça, là. Peut-être qu'à Québec c'est différent, mais, à Montréal, il y a plusieurs dossiers qui ont été faits. L'achat de services sexuels, c'est la loi qui a rapport avec les clients. Donc, ce qui a été fait par rapport aux clients à Montréal, bien, c'est cette loi-là qui est appliquée, l'achat de services sexuels. Les clients paient pour obtenir des services sexuels, puis, si c'est en rapport avec une mineure, à ce moment-là, c'est criminalisé.

Le Président (M. Lafrenière) : ...si je peux me permettre, ce qui a été mentionné tantôt par des groupes, c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'opérations clients puis il n'y a pas beaucoup d'arrestations de clients. On aimerait entendre votre point de vue là-dessus, lorsqu'on parle d'adultes majeurs.

M. Loiseau (Daniel) : Comme ex-enquêteur, ce n'est pas moi qui décide de qui qui fait les opérations clients ou qui qui n'en fait pas, là. Moi, comme je vous dis, il y a énormément de dossiers par rapport à des mineurs, par rapport à des dossiers d'enquêtes, par rapport à des proxénètes. Donc, la priorité du SPVM, c'est ça, et c'est la plupart de ces dossiers-là qui génèrent... qui grugent le temps qu'on a pour pouvoir travailler ces dossiers-là.

Un enquêteur du SPVM peut traiter 10, 12 dossiers par année. Des fois, c'est des dossiers qui peuvent durer une semaine, deux semaines, un mois, trois mois, six mois. Des fois, les enquêteurs vont gérer trois, quatre dossiers en même temps, apporter une expertise dans un centre... aux crimes technologiques puis recevoir ces informations-là un mois plus tard, il faut se rembarquer dans ce dossier-là. Revenir dans un dossier, c'est... Gérer toute cette façon de faire là ou de canaliser tous ces éléments-là dans chacun des dossiers, ça devient un beau puzzle.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Je vous le disais d'entrée de jeu, là, mais hors micro, tantôt, passer 20 ans dans une équipe comme ça, mon commentaire a été : Vous avez pris votre retraite au mois de mai, la décontamination n'est sûrement pas finie, parce que vous êtes en commission, vous venez nous parler de votre passion, puis venir aider à ce qu'on puisse cheminer, puis nous faire profiter de votre expérience.

Il y a deux choses sur lesquelles je me suis attardé un peu plus. Il y a eu la formation d'une équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme, puis c'est sûr qu'après Fugueuse il y a eu une augmentation de signalements, puis etc. Et vous nous mentionnez que, même s'il y a 25 enquêteurs, il n'y a pas assez de monde et que probablement la nature du travail fait en sorte que ça tombe au combat, là, ou qu'ils sont surchargés. On aura l'opportunité de rencontrer les gens de l'équipe intégrée, dans les prochains jours, mais je pense que c'est important qu'on ait votre son de cloche, parce qu'hier les gens de Sherbrooke sont venus nous indiquer aussi que, dans leur milieu, à cause de leur niveau de service... vous n'avez pas ce problème-là à Montréal, mais, à cause de leur niveau de service, ils ne pouvaient pas intervenir dans tous les genres de situations, entre autres dans le proxénétisme, et on se posait la question s'il ne fallait pas le regarder.

On a reçu tantôt les gens de l'IVAC, bon, qui sont venus nous parler que les infractions ne correspondaient pas, mais qu'il ne semble pas y avoir de dossier qui était refusé. Je présume que, si vous nous en parlez dans votre mémoire, c'est que c'est à votre connaissance personnelle qu'il y a des victimes qui n'ont pas été reconnues par l'IVAC parce que les infractions ne sont pas dans la liste des infractions couvertes par la Loi de l'IVAC. Est-ce que je me trompe?

M. Loiseau (Daniel) : Oui, c'est exact. En fait, au départ, ils sont refusés, sauf que, par la suite, les intervenantes du CAVAC qui gèrent le dossier avec nous vont refaire une nouvelle demande, vont y aller obliquement en déposant une nouvelle demande avec d'autres genres d'accusations qui sont reliées avec les accusations de proxénétisme pour finalement que le dossier soit accepté.

Mais imaginez-vous dans la tête d'une jeune qui a 15, 16 ans, et qui fait sa demande à l'IVAC pour essayer d'être indemnisée, et puis qui a besoin d'avoir les services d'un psychologue ou peu importe, et puis, la première démarche qu'elle a pour se reconstruire, elle se fait refuser déjà, tout de suite, en partant. Ça fait que, des fois, ça a des effets dévastateurs pour l'enquêteur ou bien le dossier comme tel. La fille, elle essaie de remonter une côte, puis la première chose qu'on lui dit, c'est un refus. Alors, il y a ça qui est aberrant.

Il y a aussi le fait que la même fille qui est fugueuse, exemple, et qui part de Montréal, puis qui est amenée à Toronto, puis que finalement elle réalise, rendue à Toronto, qu'elle se fait pimper, puis là il y a des enquêteurs de Toronto qui vont procéder à l'arrestation de son pimp, cette fille-là de 15 ans, bien, elle va revenir à Montréal à un moment donné. Elle va avoir de l'aide immédiate à Toronto, puis finalement, rendue à Montréal, bien, qui qui va l'aider? Personne. Personne ne va l'aider, rendue à Montréal, parce qu'il n'y a pas de suivi qui s'est fait. Pourtant, elle est partie d'ici puis elle est allée à Toronto, elle est allée à Ottawa, elle est allée à Calgary, puis les proxénètes ont pris soin de la déplacer, de la cacher, de l'éloigner de sa famille. Et une fois rendue ici, à Montréal, bien, il n'y a pas personne qui s'en occupe, de cette fille-là.

M. Ouellette : Et je comprends aussi, et ce sera mon dernier commentaire, M. le Président, je comprends aussi que le fait de ne pas être actualisée... Puis je mentionnais au président de l'IVAC tantôt que leur loi n'a pas été revue... c'est-à-dire que les infractions n'ont pas été revues depuis 1985. Ça fait en sorte qu'on n'a pas le portrait juste de la situation. Je comprends de vos explications que le proxénétisme, ça peut finir avec des voies de faits graves ou ça peut finir avec un autre genre de violence, là, qui va... Quand on voudra faire un état des lieux, on n'aura pas l'heure juste.

M. Loiseau (Daniel) : C'est sûr. Bien, en fait, nous, à Montréal, on a la chance d'avoir, suite... avec l'escouade EILP, on a la chance d'avoir deux filles du CAVAC avec nous, qui sont à temps partiel, malheureusement. Ça en prendrait quatre à temps plein, mais ces filles-là... Ce qui est vraiment magique, c'est que moi, avant, quand j'ai commencé à faire des dossiers de proxénétisme, bien, on donnait un numéro de téléphone avec un nom puis on disait à la victime : Tu appelleras cette fille-là, elle travaille avec nous, elle va pouvoir t'aider dans toutes les démarches que tu vas pouvoir faire, puis il va falloir que tu te rendes au palais de justice pour aller la rencontrer au bureau du CAVAC. Maintenant, le fait d'avoir ces deux personnes-là à même nos bureaux, on est en mesure de pouvoir céduler une entrevue vidéo avec cette jeune-là et puis, avant même de faire l'entrevue vidéo, on est capables de la présenter à une fille du CAVAC qui va la rencontrer puis qui va lui expliquer tous les services qu'elle va pouvoir faire puis qu'elle va pouvoir lui offrir, éventuellement, selon les besoins qu'elle va avoir et le cheminement qu'elle veut faire. Puis après, bien, on va procéder à l'entrevue vidéo avec la jeune, et puis les procédures vont s'ensuivre, et puis les deux... le CAVAC va continuer à avoir le... va apporter l'aide nécessaire à la jeune pour qu'elle puisse avancer dans ses démarches de réhabilitation pendant que le dossier est en train de se corroborer ou... L'enquêteur doit valider l'information, valider la déclaration de la jeune. Donc, pendant que nous, on fait ça, bien, il y a quelqu'un d'autre qui s'occupe de... Ça fait que le fait d'avoir ces gens-là dans nos bureaux, directement sur place, bien, ça, c'est magique.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de l'Acadie.

• (17 h 50) •

Mme St-Pierre : Merci. Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord, je veux vous remercier d'être avec nous aujourd'hui. Puis, comme l'a dit mon collègue, vous êtes à la retraite, mais vous ne le serez pas longtemps. Ça a été très émouvant de lire l'article à votre sujet l'autre jour dans La Presse et de voir que les filles sont allées vous remercier lors de cette petite réception en votre honneur. J'ai trouvé la lecture du texte... C'était très intéressant, puis je pense que vous avez fait un superbon travail.

J'aimerais vous entendre encore sur la question des indemnisations. Moi, j'ai été tout à l'heure, là... Je l'avais lu puis là je viens de le réentendre. C'est vraiment, je pense, urgent de faire en sorte que la loi puisse permettre une indemnisation de ces... Ce n'est pas considéré comme un acte criminel d'avoir été victime d'un proxénète. Il faut qu'il y ait eu autre chose, s'être fait battre, violer, c'est... Et je pense que ça, c'est vraiment important. Il y a ça sur lequel je voudrais vous entendre mais aussi sur votre approche. Parce que, dans l'article, vous dites : Il faut toujours être en contact avec cette personne-là puis lui dire : Il faut que tu me fasses confiance, de ne pas lâcher, tout ça. Puis ce n'est pas l'image qu'on a souvent du policier, qui est un policier très humain.

Et comment vous en êtes... Je voudrais vous entendre un peu sur votre vie, comment vous en êtes venu à vous intéresser à ces questions-là. Est-ce qu'il s'est passé quelque chose chez vous qui a dit : Bien, moi, c'est ça que je veux faire?

M. Loiseau (Daniel) : Non. En fait, bien, à un moment donné, je me suis placé dans la position de ces filles-là puis je me suis dit : Bien, si c'étaient mes propres filles? Alors, c'est comme ça que j'ai approché ces jeunes victimes là, que je les ai... Je leur ai dit que leur histoire qui n'était pas bonne à raconter pourrait éventuellement... quelqu'un pourrait les entendre, et quelqu'un aurait à prendre des décisions avec cette histoire-là qui était mauvaise, et que je ne les laisserai pas tomber, et que je vais être avec eux autres jusqu'à la fin.

Alors, quand on fait une prérencontre pour faire en sorte que ces filles-là te fassent confiance, on les rencontre humainement. Bien, moi, je les rencontre humainement puis je les approche de cette façon-là, puis c'est peut-être pour ça que j'ai réussi à convaincre plusieurs filles. L'article de La Presse, c'est une histoire parmi tant d'autres. L'article est sorti là parce que la fille est rendue là dans son cheminement, mais il y en a plein d'autres belles histoires comme ça. Puis le privilège qu'on a d'avoir fait des dossiers comme ça, c'est de pouvoir voir à travers l'équipe des Survivantes. C'est des filles qui ont été des anciennes victimes dans mes dossiers à moi ou dans d'autres enquêteurs. Et puis de pouvoir les revoir puis de voir qu'ils s'en sortent, alors, c'est ça, le prix à gagner de tout ça et d'être fier de faire cette job-là.

Mme St-Pierre : Puis la question du client abuseur, je pense qu'il faut qu'on s'y attarde. Est-ce que vous auriez une recommandation à nous faire pour faire en sorte qu'on soit encore plus agressifs vis-à-vis les clients abuseurs? Ça n'a peut-être pas été votre champ d'expertise, mais ces filles-là ont quand même eu des clients, là, puis les clients, c'est M. et Mme Tout-le-monde... pas monsieur et madame, M. Tout-le-monde, là, monsieur bien ordinaire, là.

M. Loiseau (Daniel) : Bien, écoutez, ça demeure au service de police de décider combien d'opérations clients ils peuvent faire par année. Encore là, une opération client, ça nécessite une journée complète avec des préparations antérieures pour pouvoir préparer ça. Donc, une équipe qui sort sur la route pour aller faire une opération client, procéder à des arrestations, pendant cette journée-là, bien, ils ne sont pas en train de travailler sur les dossiers de proxénètes, de traite de personnes. Donc, tu sais, ça demeure au service de police de décider combien d'opérations clients ils font par année.

Mme St-Pierre : Dernière question très... Je veux laisser la place aux autres aussi. Tout à l'heure, les CAVAC nous ont parlé... puis je ne veux pas faire de profilage, là, mais il faut qu'on regarde ce phénomène, qu'il y a quatre fois plus de femmes autochtones chez les victimes de proxénétisme. Est-ce que c'est ce que vous constatez aussi, vous avez constaté dans votre travail aussi? Et, si vous avez travaillé avec des femmes autochtones, est-ce que votre approche était différente ou si c'est la même, c'est un être humain, puis vous entrez en contact de la même manière, puis vous faites le suivi de la même manière?

M. Loiseau (Daniel) : Moi, personnellement, j'ai eu affaire avec, une fois, une femme autochtone, mais ça fait quand même plusieurs années. Je sais qu'elle fait partie du programme des Survivantes aujourd'hui. Mais de là à dire qu'il y a quatre fois plus d'autochtones présentement comme victimes, moi, de notre côté ou, en tout cas, de la réalité que j'ai vécue, je ne suis pas prêt à dire ça, là.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Merci beaucoup, M. le Président. Je voudrais vous remercier d'être ici, M. Loiseau. J'avais également une question sur l'indemnisation. Elle a été en partie répondue, mais vous, vous voyez ça comment, une indemnisation idéale? Ça serait de reconnaître d'être... une fois qu'on est déclaré victime d'un proxénète, qu'on soit éligible avec un montant, puis que ça soit, ça, réglé d'emblée. C'est ça?

M. Loiseau (Daniel) : Bien, je ne vois pas un montant, là. Je veux dire, peut-être... Je sais que dans d'autres provinces... j'ai déjà eu vent qu'il y a des montants d'argent qui sont alloués à des victimes d'exploitation sexuelle. En Ontario, j'ai déjà eu vent de ça, ça fait plusieurs années. Moi, je pense que c'est tout simplement, là, que la victime puisse avoir de l'aide nécessaire ou que son dossier soit accepté d'emblée.

C'est ce qui m'a... Des fois, quand tu as une victime devant toi, puis que la fille, elle a le choix d'être considérée comme une victime de violence conjugale ou elle a le choix de nous dire toute son histoire au complet pour être victime, finalement, de traite des personnes, proxénétisme, séquestration, voies de fait graves, et j'en passe, bien, si nous, comme enquêteurs, on met dans la tête de la victime que d'avoir toutes ces accusations-là, ça va être encore beaucoup plus un dossier étoffé et on va pouvoir aller à la cour avec quelque chose de vraiment très gros, plutôt qu'elle soit juste rencontrée comme violence conjugale. Alors, si je lui dis que les gens vont l'épauler, les gens du CAVAC vont l'aider ou elle va être éventuellement indemnisée par l'IVAC, puis finalement sa première constatation, une fois qu'on a avancé là-dedans puis qu'elle a pris la décision dans sa tête de nous faire confiance puis d'aller de l'avant, la première constatation, c'est que l'IVAC n'indemnise pas la traite de personne ni le proxénétisme, alors elle est complètement défaite. J'ai eu personnellement plusieurs dossiers comme ça où la victime a été déboussolée parce que moi, je venais de lui dire que c'était beaucoup plus important de porter des accusations puis d'avoir un tout dans toute son histoire que d'avoir juste la violence conjugale.

M. Skeete : Je dois vous dire puis je rappelle à mes collègues qu'on a entendu toute cette histoire-là par notre survivante, que ça l'a presque achevée, qu'elle s'est fait refuser l'indemnisation. Mais, écoutez, merci beaucoup pour votre belle carrière, merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait.

M. Loiseau (Daniel) : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Dernière question en deux minutes pour le député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, M. Lessard, merci pour votre présentation. Donc, vous avez été un témoin, un acteur, même, privilégié de cette scène-là, de cette réalité-là. Vous avez innové dans votre pratique. Il y a plusieurs corps policiers qu'on a reçus jusqu'à présent, donc que ce soit Québec, Sherbrooke, Laval, qui font les choses intéressantes, qui nous ont parlé de leurs pratiques intéressantes, et j'aimerais peut-être vous entendre. Et, dans votre mémoire, vous nous parlez notamment de cette réalité notamment en parlant de l'escouade... l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme, où il y a déjà une surcharge de travail, de plusieurs placés en arrêt de travail, etc. Quelle serait votre vision pour une plus grande efficience des différents corps policiers au niveau de la lutte, justement, contre l'exploitation sexuelle des mineurs?

• (18 heures) •

M. Loiseau (Daniel) : Je vous dirais que c'est sûr qu'un peu plus d'enquêteurs pourraient aider la situation, des employés de soutien qui permettraient à ces enquêteurs-là, justement, de pouvoir faire les expertises qui sont de plus en plus exigeantes pour la divulgation de ces dossiers-là, en 2019 et 2020.

Je vous dirais aussi... J'ai perdu mon fil, là. La formation avec le programme des Survivantes, comme j'ai parlé... Moi, personnellement, j'ai donné quelques formations par rapport à ça. Donc, il y a de plus en plus de policiers, de plus en plus d'intervenants qui interagissent à travers cette formation-là. Donc, je sais qu'il s'en est donné au SPVM, des formations en rapport avec ce programme-là, où est-ce qu'il y a le volet des Survivantes, il y a un volet enquête puis il y a une survivante qui vient à la fin pour faire sa présentation. Bien, ça ouvre les idées de beaucoup de personnes, le fait de comprendre, le fait de sensibiliser ces gens-là au phénomène.

Et puis ça fait en sorte que les policiers sur la route, qui sont les premiers intervenants lors d'appels... Des fois, ça ne rentre pas nécessairement un appel au 9-1-1, que la fille, elle a été victime de proxénétisme. La fille, elle a appelé le 9-1-1 parce qu'elle vient de subir des voies de fait, elle se fait harceler, elle reçoit des menaces, tu sais, c'est tout le temps d'autres accusations. Mais les policiers, s'ils sont le moindrement un peu plus allumés sur comment décoder ce genre de victime là, comment les approcher, les approcher plus humainement, les approcher avec de l'empathie, être capables de détecter les signes, bien, ces policiers-là vont être capables de prendre ces filles-là puis de les amener vers les enquêteurs pour faire un dossier de proxénétisme au lieu de faire un dossier de voie de fait, violence conjugale ou différents dossiers. Puis éventuellement ça peut devenir un dossier de proxénétisme. Mais les premiers intervenants, c'est les policiers qui répondent aux appels 9-1-1, qui sont sur les lieux.

M. Benjamin : Merci beaucoup, inspecteur Loiseau.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci de votre contribution à nos travaux.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30. Merci.

(Suspension de la séance à 18 h 2)

(Reprise à 19 h 32)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Ce soir, nous entendrons M. Michel Dorais et la Direction de la protection de la jeunesse de la Capitale-Nationale.

Alors, M. Dorais, je vous laisse faire votre exposé pendant 20 minutes, parce que, là, je me rends compte que j'ai présenté deux groupes, mais c'est vous que je présente seul, alors je vous laisse nous parler pendant 20 minutes. Et par la suite il y aura une période d'échange avec les membres de la commission pendant 25 minutes. M. Dorais, merci d'être là.

M. Michel Dorais

M. Dorais (Michel) : Merci. Alors, M. le Président, Mme la vice-présidente, membres de la commission, je suis honoré d'être parmi vous. J'avoue que j'ai écouté... Bien, j'ai surtout lu ce matin ce que vous avez fait hier. J'ai lu très attentivement et relu votre document de consultation, et c'est bien parti, parce que je pense que les enjeux sont bien cernés, et il était temps que ça se fasse aussi. Alors, ça, c'est la bonne nouvelle dans ce sujet très dramatique et terrible dont on va quand même parler.

Alors, ça fait 40 ans que je travaille là-dessus. Alors, je vais vous donner un peu des idées qui me sont venues en tête à travers le travail que j'ai fait. Moi, j'ai travaillé une douzaine d'années surtout en protection de la jeunesse, à partir des années 70 — ça ne me rajeunit pas — mais ensuite comme chercheur, comme professeur et aussi comme directeur scientifique pour des programmes en prévention. J'ai travaillé, depuis une bonne quinzaine d'années, beaucoup avec le Centre jeunesse de Québec pour développer des programmes de formation en prévention pour les intervenants et les intervenantes. J'en parlerai un petit peu plus tout à l'heure.

Alors, comme il me semble que les enjeux sont très bien cernés déjà, je vais parler surtout de l'action à faire, surtout de prévention, d'autant que c'est un peu ma spécialité. J'enseigne un cours, notamment, qui s'appelle Prévention, à l'Université Laval.

Alors, je rappellerais qu'il y a trois types de prévention. Et on verra qu'en ce qui nous concerne les trois sont très, très importants pour prévenir les dégâts que font l'exploitation sexuelle et la prostitution chez les jeunes.

Alors, la première forme, évidemment, c'est la prévention primaire, c'est d'agir avant que le problème n'arrive. Et ça, c'est bien important parce que, si on peut faire en sorte qu'il y ait le moins de jeunes filles et de jeunes hommes possible qui tombent dans ce filet-là, mieux ce sera.

Le deuxième type de prévention, c'est la prévention secondaire, c'est d'intervenir le plus rapidement possible avant que la situation se détériore. C'est pour ça qu'il faut former, comme on le fait notamment au Centre jeunesse de Québec, mais je laisserai les gens du centre jeunesse en parler peut-être plus que moi, pour être capable de détecter les signes avant-coureurs ou les premiers signes qu'un garçon ou qu'une fille est aux prises avec de l'exploitation sexuelle; dans les filles, surtout comme victimes, parfois aussi comme complices, comme proxénètes, et, pour les gars, ça peut être vraiment les deux, parce qu'il y a aussi des garçons mineurs, hein, qui se retrouvent comme proxénètes, il faut bien le dire.

Enfin, la prévention tertiaire, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de récidive, donc que les victimes s'en sortent, développent leur résilience, leur capacité d'agir sur leur propre vie, c'est très important parce qu'il y a une perte, hein, de contrôle de leur vie, chez les victimes, et, d'autre part, bien, chez les auteurs d'exploitation, mineurs ou majeurs, qu'il y ait de la désistance, c'est-à-dire arrêt d'agir, et une certaine réhabilitation, il faut évidemment le souhaiter. On est dans une société qui croit en la réhabilitation. Et, surtout quand ce sont des jeunes qui sont impliqués, je crois qu'il y a plus d'espoir encore.

Alors, évidemment, tous les jeunes sont à risque. Il n'y a pas de... Je crois que des gens l'ont dit hier, et c'est vrai, et on le verra tout à l'heure, il y a des facteurs de vulnérabilité qui sont différents selon les classes sociales, évidemment, selon les âges. Comme l'exploitation sexuelle, c'est d'abord et avant tout un abus de pouvoir, tous les jeunes peuvent être victimes d'abus de pouvoir de la part d'autres jeunes, en général un peu plus vieux, ou d'adultes. C'est la raison pour laquelle il nous faut impérativement faire l'impossible pour renforcer tous les facteurs de protection qui vont faire en sorte que le moins de jeunes possible, et idéalement zéro jeune, tomberont dans ces filets-là et de minimiser les facteurs de vulnérabilité, dont je parlerai à l'instant.

J'aimerais dire cependant, avant... saluer le fait que l'éducation sexuelle revient dans nos écoles cette année. C'est une excellente nouvelle parce que plus les jeunes sont informés, moins ils sont vulnérables. Les auteurs d'exploitation sexuelle tablent beaucoup sur l'ignorance, sur la crédulité des jeunes, et plus on leur parlera de la sexualité de façon positive — et parfois négative, parce qu'il y a des dangers, bien sûr, il y a les deux, on le sait, nous — bien, plus ils seront armés et mieux armés pour affronter les gens qui essaient de les entraîner dans des pistes, là, qui ne sont pas... qui vont leur porter gravement préjudice.

Je pense que toutes les victimes... Vous savez, moi, quand j'étais travailleur social, mais aussi comme chercheur, j'en ai interviewé beaucoup, beaucoup, beaucoup, de victimes. Je n'ai jamais vu une victime qui n'avait pas de séquelles. Ça n'existe pas. Les séquelles sont variables, bien sûr, mais il y en a toujours, parce qu'être exploité sexuellement, ça s'apparente beaucoup à du viol — c'est souvent du viol, d'ailleurs — à de l'agression sexuelle. Et souvent c'est des agressions à répétition. Alors, évidemment, ça laisse des traces terribles. Il faudra travailler là-dessus.

On pourra se demander comment se fait-il qu'autant de jeunes se retrouvent piégés. Je veux dire, ça fait 40 ans que je travaille là-dessus, ça n'a pas beaucoup changé. J'écoutais... Bon, quelqu'un a dit hier : Le Québec, plaque tournante. Bien, je disais ça il y a 40 ans. Ça n'a pas changé parce que les caractéristiques culturelles du Québec sont encore les mêmes, bon, c'est encore la même chose. Quand je travaillais pour la DPJ, bon, au tout début des années 80, on retrouvait des filles, là, dans les provinces de l'Ouest, et puis... Donc, ce n'est pas nouveau. Mais on commence à connaître le profil.

Évidemment, qu'est-ce qui fait que des jeunes sont plus vulnérables que d'autres? Bien, on le sait, dans certains cas, il y a la pauvreté, le désoeuvrement des jeunes qui sont très vulnérables parce qu'ils ne voient pas de possibilité de... Comment dirais-je? Ça va mal à l'école. Dans la famille, parfois, il peut y avoir de la négligence, parfois des abus aussi, soit physiques ou sexuels. Alors, des jeunes qui sont désoeuvrés, on pourrait dire ça comme ça, et qui vont être plus facilement entraînables, si j'ose dire, par des gens qui peuvent leur raconter toutes sortes d'histoires, en disant : Bien, viens, ta vie va être plus belle si tu me suis.

• (19 h 40) •

Aussi, la faible estime de soi. Ça, c'est assez terrible à dire. Vous savez, j'ai écrit un ouvrage. J'ai fait une recherche sur les filles dans la prostitution et j'ai fait un ouvrage aussi, à peu près dans les mêmes années, sur les jeunes garçons dans la prostitution, et beaucoup de filles se prostituent par amour, aucun garçon ne se prostitue par amour. Dans un Québec qui se veut égalitaire, c'est questionnant, c'est questionnant. Comment se fait-il qu'encore aujourd'hui, là, en 2019, il y a des jeunes filles qui pensent que c'est un signe d'amour si le petit ami proxénète — elle ne l'appelle pas comme ça, mais c'est ce qu'il est en réalité — lui dit : Bien, tu vas m'aider à gagner de l'argent, tu vas faire ça pour moi? Comment ça se fait, autant de jeunes filles disent oui, alors qu'il n'y a jamais de jeunes filles qui demandent ça et même d'autres garçons qui demandent ça à d'autres garçons? Ça parle beaucoup de la condition des jeunes filles et ça veut dire qu'il y a encore de l'éducation, notamment l'éducation sexuelle, je le répète, à faire de ce côté-là parce qu'il y a un problème d'estime de soi. Penser que quelqu'un peut nous demander de se prostituer par amour, c'est questionnant. Les jeunes devraient tout de suite réagir en disant : Ça n'a pas de sens.

Évidemment, beaucoup de jeunes aussi sont déjà poqués, comme on dit en bon québécois. Je pense aux jeunes, bien, qu'on retrouve, oui, à la DPJ, des jeunes qui ont déjà vécu toutes sortes de problèmes dans leur famille. Alors, c'est des jeunes qui sont plus susceptibles d'être entraînés parce qu'effectivement présentant déjà beaucoup de vulnérabilités. Et, même, j'irais plus loin que ça, beaucoup de jeunes ont déjà des caractéristiques de sexualité traumatique ou post-traumatique qu'ils ont vécue déjà dans l'enfance ou au début de l'adolescence. Alors, ils ont déjà des scénarios de vie et certains réflexes, je dirais, qui font en sorte que les agresseurs, les prédateurs, enfin, appelons-les comme vous voulez, vont avoir plus de facilité à les manipuler, parce que ces jeunes-là ont déjà vécu ces choses-là, ont déjà été agressés, ont déjà été victimes de prédation sexuelle, de manipulation à des fins d'agression sexuelle.

Alors, évidemment, il y a plein d'autres groupes vulnérables. Il y aura des spécialistes qui vont en parleront. Je tenais à nommer ceux-là parce que c'est des groupes que j'ai beaucoup rencontrés dans mon travail soit comme intervenant soit comme chercheur.

Il y a aussi une catégorie dont on ne parle peut-être pas assez. J'en parlais dans mon ouvrage, ma recherche sur les jeunes filles sous influence des gangs de rue, des jeunes filles qui pensent que ça va être une belle aventure parce que les gangs de rue font beaucoup accroire que c'est quelque chose qui peut être positif. Évidemment, on le sait, nous, que ça ne l'est pas, mais il y a encore des jeunes qui pensent que d'entrer dans la prostitution, par exemple, ça peut être une aventure intéressante, qu'ils vont rencontrer du monde, faire de l'argent, tout ça. On sait bien qu'au bout de la ligne ce n'est pas ce qui va arriver, mais il y a encore des jeunes qui le croient.

Alors, il y a plusieurs pistes qui se présentent à vous si on veut faire de la prévention pour ces jeunes-là, notamment, et j'aimerais en parler de quelques-unes.

D'abord, la législation. Évidemment, il y a des lois, il y a des lois. On sait que beaucoup de crimes dont on parle, dont vous avez parlé hier, dont on parle aujourd'hui sont déjà punis par la loi. C'est important. On n'améliorera jamais assez ces choses-là. Cela dit, il y a des gens, il y a des auteurs d'agression, d'abus, de prédation sexuelle qui sont plus ou moins imperméables à ça. Il y a des recherches qui montrent — ça va plus loin — qu'il y a des gens qui vont même érotiser l'interdit, que l'interdit par les lois, ça peut rendre la chose, pour certaines personnes, hélas! plus recherchée encore. Alors, c'est pour ça que la législation, c'est bien, mais ça ne suffit pas pour tout le monde. Il faut aller plus loin que ça.

Il faut évidemment des changements organisationnels. Pensez à tout le contrôle de l'accès à la pornographie, et tout ça, où il y a des modèles qui ne sont pas toujours très plaisants là-dedans, bien, ça peut être une bonne chose aussi. Ça, c'est l'organisation de la société, hein? On dit : Bien, la pornographie, ça existe, oui, pour les adultes consentants, pleinement consentants, soit comme consommateurs soit comme acteurs ou actrices là-dedans. Alors, il faut veiller à ça parce que, les messages qui sont véhiculés dans ce matériel-là, disons que... encouragent beaucoup des choses comme la prédation et l'exploitation sexuelles.

Alors, le partenariat, la concertation entre les intervenants, c'est très, très, très important. J'ai eu la chance de le vivre avec les gens de la protection de la jeunesse dans la région de Québec, les policiers autant que les gens de la DPJ, tout ça. Et c'est important parce que, quand on se parle entre nous et qu'on surveille un coin de la ville ou qu'on surveille certaines activités, tout ça, aussitôt qu'il y a une petite manifestation, une petite cloche qui sonne, là, on intervient très rapidement.

Moi, j'avoue que j'ai un respect immense pour les gens de la table de concertation de Québec sur l'exploitation sexuelle et la prostitution juvénile parce que c'est des gens qui se réunissent très souvent en dehors de leurs heures de travail, quand ils n'ont pas le temps, pour échanger de l'information, développer des meilleures interventions. Moi, j'ai travaillé avec eux pour développer, par exemple, des meilleurs programmes en formation. Et il y a beaucoup de choses à gagner là-dedans parce que le crime organisé, notamment, qui exploite beaucoup les jeunes filles, table beaucoup sur l'ignorance non seulement des filles, mais aussi des intervenants, des intervenantes. C'est pour ça qu'aussi les intervenants, les intervenantes, on doit être outillés, on doit être bien armés. On doit comprendre ce qui se passe et intervenir le plus rapidement possible. Mais, pour ce faire, il faut se parler entre nous.

Alors, il faut développer des connaissances, des habiletés nouvelles et chez les intervenants, et chez les jeunes, et aussi chez les prédateurs, parce que pensez bien que les prédateurs, là, commencent leur carrière très, très tôt. Il est très rare que les auteurs d'agression, d'exploitation sexuelle vont commencer très âgés. Ça commence à l'adolescence. Alors, c'est pour ça qu'il faut intervenir très, très vite, au tout début de la vie adulte. Il faut intervenir. Il faut que ces hommes-là, je dis les hommes, il y a des femmes, je le sais, mais c'est surtout des hommes, en très grande majorité... doivent apprendre à gérer leur sexualité et la gérer autrement.

Vous savez, toute cette idée qu'on voit beaucoup — c'est pour ça que l'éducation sexuelle est tellement importante — dans les médias sociaux, dans certains ouvrages, et tout ça, que la sexualité, c'est plus fort que soi, là, d'abord, ce n'est pas vrai. Chacun, chacune doit gérer sa sexualité. Et, quand je faisais de la consultation, ça, c'est un discours que vous entendez beaucoup chez les prédateurs, qui vont vous dire... c'était plus fort qu'eux autres, et tout ça. La sexualité n'est jamais plus forte que soi. Chacun, chacune doit apprendre, jeune ou adulte, et plus vite on l'apprend, mieux c'est. Mais les prédateurs, jeunes ou moins jeunes, qui ont commencé doivent apprendre ça.

Et aussi, bien, les intervenants, je le disais à l'instant, doivent être bien formés pour mieux agir quand des jeunes sont en danger, pour mieux prévenir et aussi pour mieux aider les jeunes ou moins jeunes prédateurs parce que, là aussi, il y a de l'intervention à faire. Au centre jeunesse, on a écrit trois guides de prévention, dont vous trouverez les titres, là, parce que le temps passe. Il me reste trois ou quatre minutes et je veux les utiliser à bon escient en parlant aussi des campagnes de prévention. C'est très important parce qu'on ne sait pas d'avance qui va être prédateur, ou agresseur, ou auteur d'exploitation. Alors, il faut s'adresser à la société en général, notamment, et en particulier, je dirais, à la population masculine parce que c'est de ce côté-là que viennent les prédateurs... et qui nous rappelle que l'éducation sexuelle, ça doit se faire à tous les âges de la vie parce que c'est un processus continu. Et, si on veut que les gens apprennent à gérer leur sexualité dans le respect d'eux-mêmes, des autres et des lois, bien, il faut des messages qui le rappellent, notamment par des campagnes sociétales. Alors, il y a un petit schéma qui est dans les dernières pages dans mon petit texte de ce soir.

Et j'aimerais terminer en faisant deux constatations. La première, c'est qu'il faut développer des alternatives. Vous savez, la nature a horreur du vide. Les jeunes qui sont attirés par la prostitution, par toutes sortes de façons d'être exploités, pensant qu'ils vont y trouver leur compte, on a besoin de leur proposer autre chose. C'est qu'ils pensent trouver des solutions là, mais il n'y a pas de solution là. Mais il y a des solutions ailleurs.

• (19 h 50) •

C'est la même chose pour les prédateurs. Comment se fait-il que des jeunes ou moins jeunes se tournent vers des mineurs pour satisfaire leur sexualité? Bien, quand je faisais de la consultation, les gens disaient : Oui, mais les gens vont vous dire qu'ils ont droit à leur sexualité. Ils ont droit à une sexualité qui respecte les autres. C'est important. Oui, tout le monde a droit à sa sexualité, mais une sexualité qui n'abuse personne, qui n'agresse personne. C'est pour ça que je parle de gestion de la sexualité à tous les âges de la vie. C'est très important.

Et c'est pour ça qu'il faut penser à donner et à redonner, surtout aux victimes qui le sont déjà, du pouvoir sur leur vie. Ça, c'est important. Je sais qu'hier des gens l'ont dit et ont insisté là-dessus. C'est essentiel, il faut absolument que, lorsqu'une fille ou un gars veut sortir de la prostitution, tout de suite on sache à qui demander de l'aide, qu'il y ait une main tendue, et, très souvent, parce que... Vous savez, le petit moment, là, où le déclic se fait, de dire : Woups! là, dans quoi je suis embarqué?, c'est le temps de demander l'aide, là. Il faut que l'aide, là, soit là et qu'on n'ait pas besoin de la chercher.

Il faut aussi que les prédateurs potentiels, ou qui existent déjà, ou virtuels puissent savoir où demander de l'aide. Il y a beaucoup de gars qui sont mal pris et qui auraient besoin d'être aidés justement avant de tomber dans la prédation activement. Alors, il faut penser des deux côtés parce que la prévention ne saurait reposer que sur les frêles épaules des victimes. Les dégâts se font par les prédateurs, alors, la prévention, on doit penser à eux autres aussi. On doit penser qu'on aimerait tellement avoir une société qui n'ait pas de prédation sexuelle. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, M. Dorais. On va maintenant passer à la période d'échange avec les membres de la commission pour 25 minutes en débutant avec la députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci, M. le Président. Merci beaucoup. C'est vraiment éclairant et c'est très intéressant parce que vous m'aidez, je dois le dire, dans mon travail de députée. J'ai une circonscription où il y a beaucoup de communautés culturelles, et plusieurs sont très réfractaires aux cours d'éducation sexuelle, et je cherche souvent des arguments. Et même, dans une visite dans une école, à un moment donné, c'est les enfants... Évidemment, les parents avaient dit aux enfants : Pose-lui la question que... Pourquoi les cours d'éducation sexuelle? Et je parlais du respect de l'autre. Mais là vous venez de me donner un argument vraiment, vraiment important pour expliquer qu'on peut, par ces cours d'éducation sexuelle, prévenir l'exploitation des mineures, et ça, c'est... Merci. Merci de me donner cet outil-là, parce qu'à un moment donné on n'a plus d'arguments face à ça. Alors, merci de me donner ça.

Je voulais vous poser la question. On a parlé de l'IVAC aujourd'hui, et je pense qu'il faut continuer à en parler, parce qu'il y a quelque chose d'absolument incroyable, de voir qu'on ne peut pas se déclarer victime si on a affaire à un proxénète. Donc, vous nous dites que l'IVAC n'offre pas de soutien aux victimes, vous le dites, vous aussi. Est-ce que vous nous faites la recommandation qu'il serait urgent d'avoir un changement législatif et peut-être même ne pas attendre la fin de notre mandat?

M. Dorais (Michel) : Ah! oui, oui, absolument.

Mme St-Pierre : Parlez-nous de ça. Comment vous l'avez vécu et comment vous l'avez vu? Ça fait 40 ans que vous êtes dans ce domaine et que vous avez observé des choses.

M. Dorais (Michel) : Oui. Les victimes souffrent. Et c'est sûr que ça coûte de l'argent, aider les victimes, mais c'est de l'argent bien placé parce qu'on sauve des vies. Une vie n'a pas de prix. Et parfois d'avoir quelques consultations, d'avoir ne serait-ce que... Vous savez, quand une jeune personne se présente à l'IVAC et puis qu'on lui ferme la porte, on est en train de lui dire que ce tu as vécu, ce n'est pas grave, c'est banal, on s'en fiche un peu. Moi, j'en ai vu, des gens qui se sont fait claquer la porte comme ça, là, et ça les a... C'est comme une deuxième agression. Comme société, on devrait s'assurer que les mesures... C'est une bonne mesure, l'IVAC, là. Je ne suis pas en train de dire ce n'est pas une bonne... C'est une bonne mesure.

Mme St-Pierre : Moi aussi, je trouve que c'est un bon programme.

M. Dorais (Michel) : Mais il faudrait s'assurer, quand on développe une mesure comme ça, que c'est une mesure où on va recevoir les gens avec empathie, où on va traiter les gens humainement et on va faire tout non pas pour leur fermer la porte parce qu'il faut économiser de l'argent, parce qu'on économise de l'argent sur le dos de la qualité de vie minimale de gens qui ont souffert le martyre, qui ont été violés à répétition, et tout ça. Et ça n'a pas de sens, leur envoyer le message que c'est comme si de rien n'était : Oublie ça, on tourne la page. Je ne vous dis pas que ça a été pensé méchamment, et tout ça, mais il faut changer ça et, je suis d'accord avec vous, urgemment, parce que le message qu'on envoie est un message incohérent et qui manque beaucoup, beaucoup d'empathie, pour dire le moins.

Mme St-Pierre : Alors, on va retenir le message. Vous avez dit : Québec, plaque tournante... Il y a 40 ans, au début de votre travail, au début de votre profession, vous constatiez ça aussi. C'est quoi, l'attirance d'aller vers l'Ouest du Canada et de se dire quoi, la vie va être meilleure là-bas, je vais être mieux payée là-bas, ou si c'est forcé par le proxénète, de les amener là-bas?

M. Dorais (Michel) : ...parce que, surtout, c'est pour les jeunes filles, que la fille perde ses repères sur le plan linguistique, tout d'abord. En particulier à Québec, hein, les filles sont censées être moins bilingues qu'à Montréal.

Mme St-Pierre : Donc, ça, c'est classique, là.

M. Dorais (Michel) : La famille est loin, donc rejoindre les amis, la famille, c'est plus compliqué, plus loin, elles sont plus... pour demander de l'aide. Parce qu'à un moment donné presque toutes les filles dans cette situation-là, à un moment donné, vont dire : Aïe! Là, j'ai besoin d'aide, ça n'a pas de bon sens. Mais, si elles sont à 1 000, 2 000 kilomètres, c'est pas mal plus compliqué, soit au Canada anglais, ou aux États-Unis, ou même ailleurs. Alors, c'est pour ça qu'on les envoie loin. Et effectivement la barrière linguistique accentue cette difficulté pour elles de pouvoir s'en sortir, effectivement.

Mme St-Pierre : Une dernière courte question. Vous avez parlé de la relation du garçon par rapport... à sa relation avec son client abuseur, la relation de la fille avec son proxénète ou le garçon avec son proxénète. Dans ce que vous avez vu dans le passé, c'est quoi, la différence entre le garçon puis la fille? La fille, ce qu'on comprend, c'est qu'elle est en amour par dessus la tête avec son proxénète. Le garçon, lui, c'est quoi? C'est une relation d'affaires?

M. Dorais (Michel) : Oui. Les garçons sont moins organisés par le crime organisé, petits ou grands, là, par les gangs de rue, notamment. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais c'est beaucoup moins courant. La prostitution organisée des garçons, c'est plutôt chez les très jeunes. On parle vraiment de prostitution de nature pédophile, là, hein? Quand je dis «très jeune», là, c'est 14 ans et moins, là...

Mme St-Pierre : Jeune.

M. Dorais (Michel) : ...alors qu'à partir de 14 ans les gars ont tendance à être plus ou moins autonomes. Ils peuvent être un petit groupe de jeunes, là, qui s'échangent des clients, tout ça, mais, traditionnellement, il y a moins de mainmise par les gangs de rue ou le crime organisé. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, mais on a moins observé d'organisation systématique. Et c'est pour ça que les gars ne peuvent pas forcément s'en sortir...

Mme St-Pierre : Plus facilement.

M. Dorais (Michel) : ...plus facilement, cela dit, parce que la dépendance peut être pas par amour, mais peut être à la drogue, aux drogues dures, tout ça.

Vous savez, la dépendance, oui, il y a l'amour, mais il y a la drogue. Il y a des liens, toutes sortes de liens qui peuvent être pas sexuels, mais affectifs. Il y a des gars, moi, qui m'ont dit que le milieu de la prostitution, c'était leur deuxième famille, tellement que ça allait mal dans leur famille. Ils savaient que ce n'était pas une bonne place pour eux autres, mais ils disaient : C'est encore mieux que chez nous, c'était pire. Alors donc, il y a bien des motifs.

Mais la carrière des gars, en moyenne, tend à être moins longue que celle des jeunes filles. Mais ça tend à changer aussi parce que, justement, avec les nouvelles technologies, et tout ça, on voit qu'il y a des gars maintenant qui s'annoncent, et tout ça, là. Parce que presque tous les jeunes commencent mineurs, hein? C'est très rare, les gens dans la prostitution adulte qui ont commencé adultes. Je ne dis pas que ça n'existe pas, mais ce n'est pas la majorité. La majorité ont commencé mineurs, alors, et ça serait mieux de les en sortir à ce moment-là et puis même qu'ils ne tombent pas à ce moment-là.

Mais, oui, il y a des profils différents. C'est pour ça qu'au centre jeunesse on a fait deux formations différentes, une pour les filles et une pour les garçons, sans compter que, les garçons, une certaine proportion, pas tous, heureusement, mais une petite portion de ceux qui ont déjà été exploités, en vieillissant, vont comme adopter comme stratégie de sortie, là, de devenir exploiteurs à leur tour, de devenir proxénètes. Il y a des filles qui le font aussi, pour s'en sortir, vont comme inverser la médaille, si j'ose dire, et vont devenir proxénètes. C'est des choses qu'on peut voir.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. La députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré.

Mme Foster : Merci pour votre présentation. C'est fort intéressant, fort instructif. J'aurai deux questions qui concerneront les hommes, principalement. Je pense que souvent on parle, bon, comment prévenir chez la femme, chez la jeune femme, bon, comment faire la prévention dans les écoles, s'assurer qu'elles ne tombent pas dans les réseaux, et tout ça. Ça, c'est une chose. Moi, ce qui m'intéresse davantage, parce que vous êtes en criminologie, je veux...

M. Dorais (Michel) : En travail social.

Mme Foster : Oui, travail social, mais vous êtes aussi dans l'école de criminologie, O.K.?

M. Dorais (Michel) : Un peu, mais plus en travail social.

• (20 heures) •

Mme Foster : Mais, quand même, vous baignez dedans. À l'université, vous devez baigner dedans un peu. Peu importe, service social ou crimino, je pense qu'on peut aussi aborder la question. Moi, je l'aborderai sous deux angles.

Premièrement, il y a des gens qui sont venus nous dire, ici, dans cette commission : Il faut changer les mentalités parce que, si on ne change pas les mentalités complètement, on n'y arrivera pas, on n'y arrivera pas sans les hommes, il faut qu'il y ait un changement de mentalité également qui s'opère chez les hommes dans la façon de voir la masculinité. Vous avez parlé également des cours d'éducation sexuelle, qui font certainement une partie, là, de la solution.

On a vu, à Edmonton, entre autres, il y a une campagne... il y avait des campagnes de publicité chocs, là, un peu partout dans les métros, peu importe, les aéroports, ils disaient : Et si c'était ta fille? Ou, tu sais, de dénoncer un «john», là, c'est-à-dire un homme qui a recours à des services. Est-ce que vous pensez que ça pourrait être une voie à adopter que de faire de ce type de campagne-choc là?

M. Dorais (Michel) : Bien sûr. On a failli en avoir une dans la ville de Québec il y a quelques années. Ça ne s'est pas fait parce qu'on n'a pas trouvé de financement. Mais, bien sûr, il faut faire des choses comme ça et il faut s'adresser à tous les hommes et le plus tôt possible. Parce que le pli, si j'oserais dire, le mauvais pli, là, peut être pris très, très tôt, comme j'ai dit. Les gars qui vont devenir prédateurs ou exploiteurs, là, ils vont commencer très jeunes. Et c'est pour ça qu'il faut s'adresser à tout le monde mais surtout aux jeunes.

Et pensez, l'éducation sexuelle, c'est important, mais, de cinq à 15 heures par année, là, vous ne changerez pas des mentalités avec ça. C'est un point de départ, c'est une façon de commencer à en parler, bien sûr, mais il faut faire plus que ça. Moi, je pense que, oui, assurément, il faut des campagnes sociétales, c'est très, très important. Parce que la campagne sociétale aussi mobilise une société dans son entièreté, donne le message : Regardez, nous autres, comme société québécoise, là, cette chose-là, on pense que c'est important, puis on a un message collectif, puis on pense qu'il faut tous lancer ce message-là. Parce qu'il y a beaucoup de complicité du silence, hein, autour de l'exploitation sexuelle, hein? Je sais qu'il y a des gens qui ont parlé, bon, des motels, de toutes sortes d'endroits, et tout ça. Il faudrait être plus vigilant quand on est témoin. Il y a plein de gens qui hésitent, ils disent : Ce n'est pas de mes affaires, et tout ça. Bien, non. Non. C'est de tes affaires. Tous les jeunes Québécois sont nos enfants, alors il faut les défendre et les protéger comme nos enfants. Et, oui, il faut lancer ça, mais il faut des messages-chocs comme... Il faut toutes sortes de messages. Je pense qu'une campagne ne changera pas à elle seule les mentalités.

Mais, vous savez, moi, j'enseigne la prévention, et on dit toujours que, si vous avez plusieurs véhicules, plusieurs façons d'atteindre les gens... Parce qu'il y a des choses qui vont marcher chez certains segments de la population qui ne marcheront pas chez d'autres, et puis, si vous visez les jeunes, il y a certains types de messages qui vont marcher qui ne sont pas les mêmes avec les adultes. Mais il y a des gens qui sont spécialisés là-dedans, mais... Et, oui, assurément, il faut aller notamment de ce côté-là. Ce n'est pas la solution, mais c'est un morceau de la solution. C'est pour ça que je tenais à en parler.

Mme Foster : Prochaine question, sur les proxénètes. Je lis dans votre mémoire : «Plusieurs jeunes quittent les gangs de rue et la prostitution lorsqu'ils se rendent compte que ce qui semblait être une "solution" est devenu un problème. Que ce soit du côté des proxénètes ou des victimes, la motivation à demander ou [à] accepter de l'aide provient presque toujours d'un — relatif — constat d'échec.» Donc, un jeune qui était devenu proxénète pour se sentir «king», bien, il se rend compte, après avoir été arrêté, qu'il est plus contraint que jamais. J'aime beaucoup l'exemple. Mais, dans vos recherches, est-ce que vous avez exploré ça, les motivations des proxénètes?

M. Dorais (Michel) : Bien oui.

Mme Foster : Parce qu'on a parlé du client abuseur, mais...

M. Dorais (Michel) : C'est difficile rencontrer des proxénètes. Quand j'avais fait mon enquête sur les jeunes filles, j'avais mis des messages... enfin, on cherchait surtout des parents et des jeunes filles, mais on a trouvé deux proxénètes qui ont accepté... repentis, je pense, qui ne l'étaient plus à ce moment-là, mais qui avaient été proxénètes et qui ont accepté de... Je ne les ai pas vus en personne, ça a été une fois au téléphone, une fois par... Et puis ça semblait crédible, là, ce n'étaient pas des gens qui me faisaient marcher. Et puis, bien, oui, eux autres... Bien, il y a des prises de conscience et puis, oui, les... Personne n'est condamné à être proxénète, pas plus que victime. Alors, il y a des prises de conscience qui doivent se prendre, et c'est pour ça qu'il faut, à un moment donné, brasser les choses pour qu'il y ait des...

Parce qu'effectivement la prostitution, puisqu'on parle de ça, c'est toujours vu, autant par les victimes qui vont se laisser entraîner, comme une solution, en disant : Bien oui, je vais faire de l'argent. Si sa petite amie est proxénète : Il va m'aimer plus, etc., je vais vivre une belle aventure, etc. On sait que ce n'est pas ça. Mais, avant qu'ils s'aperçoivent que ce n'est pas ça, ça peut prendre des mois, des semaines et parfois des années et puis d'avoir été détruit, pendant ce temps-là, alors... Mais c'est pour ça que, quand le déclic va se faire, et il finit très souvent par se faire, il faut qu'on sache à quelle porte cogner, il faut qu'il y ait une main secourable. Si on a coupé tous les ponts avec sa famille, avec les intervenants, les intervenantes, tout ça, il n'y a plus rien à faire.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. Tout ça est très intéressant. Vous parlez beaucoup de s'attaquer au problème en amont, de la prévention, sensibilisation. On voit que vous êtes vraiment un expert en la matière. Bref, c'est très intéressant.

Vous avez quand même dit quelque chose, par rapport aux jeunes filles, qui m'a marquée : Ça comble un vide. Dans le fond, elles font ça parce qu'il faut... bien, pour s'occuper, pour certaines d'entre elles. Et vous avez dit qu'il fallait trouver des solutions ailleurs, leur proposer autre chose. Vous avez juste effleuré rapidement le sujet.

M. Dorais (Michel) : Oui, oui, oui. Parce que les gens qui sortent de ce milieu-là ont beaucoup souffert, mais ils vont presque toujours vous dire qu'il y avait quelque chose qui les retenait. Alors, cette chose-là qui les retenait, il ne faut pas, comment je dirais, que ce crochet-là les raccroche encore, hein? Ça peut être un semblant d'amour, ça peut être de l'argent, de la fausse valorisation, mais quand même. Alors, c'est pour ça qu'il faut, tu sais, un retour... il faut des projets de vie, tu sais.

Il y a des jeunes, moi, qui m'ont dit : Écoute, je ne sais rien faire d'autre que ça. Bien oui, mais il faut que tu les raccroches quelque part. L'école, le travail, écoute, ça peut être, je ne sais pas... Des fois, c'est des petites choses, hein, apprendre la musique... Quand j'étais intervenant social, mon patron me disait : Il me semble que, dans ton équipe, on dépense beaucoup. Bien, j'ai dit : Oui, parce que, si acheter une guitare, ça peut faire qu'on peut sauver la vie de quelqu'un, ça lui donne une raison de vivre... Vous savez, trouver quelque chose qui te rattache à la vie, qui donne un sens à ta vie, ça peut être un projet, mais ça peut être d'apprendre quelque chose, de découvrir quelque chose. Ça peut être, oui, d'écrire, de faire de la peinture, de faire de la boxe, apprendre la guitare, tout ça.

On oublie trop souvent, dans... Moi, je ne parle pas contre les centres jeunesse, loin de là, là, j'ai travaillé là et avec eux autres, mais on oublie souvent que les jeunes qui ont des problèmes, c'est aussi du vrai monde. Il ne faut pas seulement travailler sur le problème, il faut travailler sur des projets positifs, des choses qui vont permettre de développer, de construire leur résilience, leur capacité d'agir, d'avoir du pouvoir et d'avoir le sentiment d'avoir du pouvoir sur leur vie. Et ça, c'est très important. Alors, c'est pour ça qu'il faut développer des alternatives positives, des projets pour les jeunes.

Et ça, je trouve qu'on l'oublie trop souvent. On dit : Ah! ils sont poqués, on va... Oui, c'est vrai, il faut guérir leurs blessures. Mais, guérir la blessure... Et c'est ça, le concept de résilience, hein? C'est que, pour guérir tes blessures, il faut que tu aies des choses, aussi, positives dans ta vie. Ce n'est pas nier le passé, au contraire, tu es condamné à vivre avec, de toute façon, mais c'est d'aller vers l'avant, de dire : Bien oui, je vaux quelque chose, moi, je suis capable de faire quelque chose, je suis capable d'être valorisé pour autre chose que du sexe ou... Bon. C'est très important, ça, et les jeunes nous le disent. Peut-être pas de la façon dont je vous le dis, mais ça revient pas mal à ça.

Mme Perry Mélançon : Oui, puis il y en a même... bien, il y en plusieurs, même, qui décident de se consacrer à cette cause-là, dont le programme Les Survivantes.

M. Dorais (Michel) : Absolument. Absolument. Oui, oui, oui.

Mme Perry Mélançon : C'est des gens qui ont décidé de prendre la cause puis c'est un peu comme ça qu'ils s'en sont sortis, donc.

M. Dorais (Michel) : Qui deviennent... Et c'est un beau modèle de résilience, ça, de réussir à s'en sortir et d'être à ce point... d'être capable d'aider d'autres par la suite.

Mme Perry Mélançon : Donc, un programme comme ça devrait...

• (20 h 10) •

M. Dorais (Michel) : Bon, tout le monde n'est pas appelé à ça, mais l'important, c'est d'avoir des projets, des projets. Il faut investir dans ces jeunes-là, qui ont de la valeur. Parce qu'on a essayé de les détruire en leur disant qu'ils ne valaient rien d'autre que du sexe, et ça n'a pas de sens. Il faut, comme société, être capables de leur dire : Tu as de la valeur. Mais il faut développer leurs talents, il faut trouver leur...

Moi, je disais toujours... je raconte ça dans un de mes ouvrages, je leur demandais : As-tu un rêve? Et il y a plusieurs jeunes qui m'ont dit : Tu sais, quand on a vécu ce que j'ai vécu, des rêves, on n'en a plus, on n'en a pas. Et des fois, là, ça me prenait des semaines, des mois : Non, tu vas me trouver un rêve, mais un rêve que tu avais quand tu étais petite, quand tu étais petit. Ils finissent toujours par vous en trouver un. Bien, ce rêve-là, là, arrangez-vous qu'il s'accroche après.

J'avais un jeune homme — c'est une histoire vraie — qui avait dit : Moi, je rêverais de faire du cheval, tout ça. Trouver un cheval, là, quand vous êtes à la DPJ, ce n'est pas facile. Mais savez-vous qu'on en a trouvé un et que le jeune homme, un petit bout de temps après, il a été faire de l'équitation? Et ce petit gars-là qui ne disait pas un mot, pas un mot, qui ne voulait rien savoir des intervenants, en revenant, il a fait quelque chose et puis il s'en est bien sorti, je dois dire.

Il faut les raccrocher à des choses positives pour leur montrer que cette société-là, ce n'est pas seulement des exploiteurs. Il y a du monde, oui, qui vont croire en eux, qui vont leur donner la possibilité, comme on veut tous faire, là, de se développer, de développer nos talents, de réaliser nos rêves. Puis le rêve, là, ce n'est pas des affaires démesurées, c'est des tout petits rêves, mais il faut les aider à les réaliser. Parce que ce qu'ils ont vécu dans la prédation sexuelle a tué leur personne et a tué leurs rêves. Il faut aider à ressusciter ça. C'est la seule façon de ressusciter la vie en eux, hélas! Bien, hélas... Et, en même temps, c'est une bonne nouvelle, parce que c'est un beau défi pour des intervenants et des intervenantes.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. On va tenter un défi de répondre à deux questions en six minutes qui nous restent. Députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Je vais aller rapidement parce que de toute façon les principales questions que j'avais en tête ont été répondues. On parlait de plaque tournante, j'avais cette question-là. L'IVAC aussi.

Vous avez dit plusieurs vérités, plusieurs pistes de solution aussi. J'oserais même dire que c'était rafraîchissant. Merci, c'était rafraîchissant. Ça donne de l'espoir, à tout le moins.

Je vais m'arrêter rapidement, à ce moment-là, sur une des... quand vous parlez des mesures et des changements organisationnels. Parlez-nous-en juste un petit peu plus. Tu sais, on parle de pédophilie pour les jeunes, on parle pour les adultes, à ce moment-là, plus de prostitution, et tout ça, mais, entre les deux, on a cette partie-là qu'on veut...

M. Dorais (Michel) : Où il y a une grande vulnérabilité.

Mme Lecours (Les Plaines) : Oui.

M. Dorais (Michel) : On le sait, qu'entre les jeunes qui sortent, là, des centres jeunesse... Tu sais, notre système, là, il y a un système pour aider les moins de 18, les plus que 18, mais, quand tu es proche de 18 et un peu après, là, tu es comme dans les limbes. Et il y a beaucoup de jeunes qui tombent dans toutes sortes de mauvaises mains à ce moment-là parce qu'ils ne savent plus trop quoi faire de leur vie et qu'ils sont complètement désoeuvrés et désespérés. Ça ne devrait pas arriver, ça.

Il faut s'assurer qu'il y ait une continuité dans l'offre de services parce que, justement, il faut les accompagner. Ces jeunes-là qui ont été amochés et parfois même, j'oserais dire, quasi détruits dans l'exploitation sexuelle, dans la prostitution, ont besoin de tuteurs de résilience, qu'on appelle dans notre jargon, de gens pour les accompagner, les soutenir, tout ça. Il a besoin de continuité. Tu sais, moi, j'ai vu des jeunes qui avaient changé d'intervenant social 30 fois. C'est sûr que c'est difficile. Ces jeunes-là ont besoin de rencontrer des êtres humains en qui ils ont confiance.

Puis, vous savez, là, ils ont perdu confiance en l'humanité tout entière, alors, qu'ils vous fassent confiance à vous, là, ce n'est pas évident. Ça prend du temps, des semaines, voire des mois. Si tu changes d'intervenante, d'intervenant, à ce moment-là, ça n'a pas de sens. Ils ont et elles ont besoin impérativement d'une grande continuité dans les services puis pas juste dans les services, parce que c'est plus qu'un service, dans les relations humaines significatives qu'ils et qu'elles ont. Ça, c'est très important parce que, justement, elles ont été exploitées dans un milieu où il n'y avait aucune humanité.

Alors, on a besoin, comme alternative, je parlais d'alternatives tantôt, d'avoir un milieu, justement, qui se démarque par ce surplus d'humanité là. C'est un défi, mais il faut le relever. Parce que, ceux qui s'en sortent, ce qu'ils et qu'elles nous racontent, c'est que ça a été ça, en général... c'est un intervenant, une intervenante, ils vont dire : Oui, cette policière-là, là, ayoye! elle m'a tellement aidé, j'avais tellement confiance en elle, ou : Mon travailleur social, c'est... enfin, je me sentais compris. Il y a toujours une personne qui va être un tuteur de résilience, comme ça, qu'il va dire : Oui, cette personne-là, elle m'a donné espoir en l'humanité. Mais encore faut-il qu'il y en ait un, qu'il y en ait une. C'est important.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci. Ça va être une seule question assez rapide. Merci pour votre présentation. Une personne qui vous a précédé aujourd'hui, là, Mme Rose Dufour, que vous connaissez peut-être, du moins de réputation, a fait un plaidoyer assez fort contre l'utilisation du terme «travail du sexe». Elle dit qu'elle devenait violente quand elle entendait ce terme-là. Moi, je suis assez proche du milieu communautaire, entre autres, dans mon quartier ou ailleurs au Québec puis je constate de plus en plus l'utilisation de ces termes-là dans le milieu communautaire, puis une personne me disait l'autre jour que ça venait peut-être des écoles de travail social, des formations. Est-ce que c'est quelque chose que vous constatez chez vos étudiantes, vos étudiants?

M. Dorais (Michel) : «Travail du sexe» n'est pas utilisé pour les mineurs, en aucun cas, parce que je pense qu'il faut bannir ce terme-là quand on parle de mineurs, absolument.

M. Leduc : Tout le monde est d'accord là-dessus.

M. Dorais (Michel) : En tout cas, moi, je ne l'utilise jamais quand je parle de mineurs. Cela dit, le débat se fait chez les gens... chez les adultes. C'est moitié-moitié, hein, il y a des personnes, hommes et femmes, adultes, je le précise, qui revendiquent le terme «travailleur, travailleuse du sexe», et puis, bien, qu'est-ce que vous voulez? Et puis il y en a qui disent non. Vous savez, quand on est chercheur... Moi, j'écoute tout le monde et je donne crédit également à tout le monde. Si quelqu'un me dit : Je veux que tu m'appelles «travailleuse du sexe», je respecte ce qu'elle me demande. Si quelqu'un me dit : Je veux que tu m'appelles «prostituée», ou «victime», ou tout ça, je... La seule façon d'avoir le respect des gens, c'est de les respecter, et je pense que... Qu'est-ce que vous voulez, moi, j'ai mon opinion, mais je respecte les droits de s'autodéterminer, quand ils sont adultes, et de porter l'étiquette qu'ils ou qu'elles veulent bien, sans porter un jugement. J'ai le mien, mais je respecte leur point de vue. Mais on peut faire des débats théoriques, tout ça, mais, puisqu'on parle des jeunes, je pense qu'on ne devrait jamais utiliser «travail du sexe» pour parler des jeunes, en aucun cas.

M. Leduc : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, M. Dorais. Merci pour votre participation à notre commission. Merci à votre aide pour nos travaux.

Je vais suspendre quelques instants, le temps de permettre au prochain organisme de prendre place. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 20 h 17)

(Reprise à 20 h 18)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue au directeur de la protection de la jeunesse de la Capitale-Nationale. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé, et par la suite il y a une période d'échange de 25 minutes avec les membres de la commission. Alors, je vous demande de vous présenter et de nous faire votre exposé.

Direction de la protection de la jeunesse
de la Capitale-Nationale

M. Corriveau (Patrick) : Merci. Bonsoir. Je me présente : Patrick Corriveau, directeur de la protection de la jeunesse pour la région de la Capitale-Nationale, Charlevoix et Portneuf. Je souhaite prendre le temps de vous remercier de nous permettre de venir vous présenter certaines réflexions et recommandations. C'est en toute humilité que nous le faisons. Et, considérant les délais alloués, nous nous concentrerons sur certains éléments uniquement.

Je suis accompagné, à ma droite, de Mme Nancy Delisle, gestionnaire en protection de la jeunesse et membre de la table régionale sur l'exploitation sexuelle, et, à ma gauche, de Mme Jessica Gauthier, agente de liaison à l'équipe dédiée fugues et aux problématiques concomitantes et une partenaire importante à divers travaux sur l'exploitation sexuelle.

D'abord, je souligne l'audace et le courage de la commission de s'adresser et de s'attaquer à la problématique de l'exploitation sexuelle. C'est un phénomène social inquiétant aux multiples facettes et d'une complexité, d'autant plus à l'ère des médias sociaux. C'est aussi un message social très fort que vous envoyez, et je vous en salue.

• (20 h 20) •

Avant de devenir DPJ, j'ai été éducateur auprès des jeunes en réadaptation. J'ai aussi évalué, comme intervenant social, des signalements à l'évaluation. J'ai été gestionnaire et adjoint. J'ai la mission de la protection tatouée, tout comme tout le personnel qui oeuvre en protection de la jeunesse ont à coeur la situation des enfants. Et, comme les membres de la commission, nous sommes très préoccupés par la problématique, par nos victimes, et tout comme nous sommes préoccupés pour les adolescents, les adolescentes qui privilégient la voie de la délinquance, de la criminalité pour devenir, par exemple, proxénètes.

Vous savez, comme DPJ de ma région, et en vertu de Loi de la protection de la jeunesse, je suis personnellement responsable et imputable des décisions prises et du plan de protection d'un enfant. J'ai donc dans mon rôle la responsabilité et le devoir de poser un regard bienveillant et d'être attentif aux besoins et aux droits de chacun des enfants de mon territoire. Je veux ce qu'il y a de mieux pour les enfants de ma région. Malheureusement, je suis au quotidien un témoin des séquelles laissées par l'exploitation sexuelle et des impacts humains, considérant que la protection de la jeunesse oeuvre auprès de chacun de ces jeunes filles et de ces jeunes garçons.

Dans le contexte, j'en profite pour rappeler l'obligation de faire un signalement dans ces situations afin qu'on puisse tisser un filet de sécurité autour de ces enfants et de s'assurer qu'il y aura une prise en charge à leur égard. Encore aujourd'hui, il y a une méconnaissance de cette responsabilité individuelle d'obliger de faire un signalement dans ce type de situation, que ce soit de la part des citoyens ou de la part des professionnels.

Comme les différents acteurs vous l'ont mentionné depuis hier, dans le cadre de leurs présentations, vous savez qu'une proportion importante de nos jeunes hébergés sont victimes d'exploitation sexuelle. Nous, à Québec, on a fait le choix de confier la gestion des centres de réadaptation et de les mettre sous la gouverne du DPJ, considérant que ce sont les jeunes les plus vulnérables de notre région. Ce sont des adolescents et des adolescentes qui traînent un lourd passé, et nous avons voulu que le DPJ demeure en proximité de ces jeunes.

Vous comprendrez que, de cette façon-là, je m'assure personnellement d'entendre parler régulièrement de ces jeunes filles et de ces jeunes garçons, que ce soit de la part des coordonnateurs des centres de réadaptation, des gestionnaires ou des intervenantes. Je demeure en tout temps en proximité. C'est donc important de permettre aux organisations cette souplesse-là tout en tenant compte des disparités et des réalités des différentes régions. Malheureusement, lorsque le DPJ intervient, il est souvent tard. Je profite de la tribune pour rappeler, réitérer, surtout dans le contexte qu'on vit actuellement en protection de la jeunesse, que la protection des enfants, c'est une responsabilité collective.

Vous avez certainement pu constater, lors de notre dernier bilan, une hausse importante, au plan provincial, des signalements. Québec n'échappe pas à cette réalité. Dans la dernière année, c'est plus de 10 000 signalements traités, 4 000 signalements retenus pour des fins d'évaluation et 2 000 suivis d'enfants en protection de la jeunesse au niveau de l'application des mesures. La problématique de l'exploitation sexuelle n'échappe pas à cette tendance. Si on veut renverser la vapeur et avoir des impacts positifs sur la problématique, il faut intervenir davantage en amont et collectivement. C'est important de se rappeler que la responsabilité première incombe d'abord aux parents. Ensuite vient l'entourage, le milieu scolaire, les différents professionnels, les citoyens, voire même l'agent, à la réception d'un hôtel, qui observe qu'un homme de 55 ans vient louer une chambre à l'heure avec une jeune fille de 15, 16 ans. Bref, c'est une responsabilité collective où tout le monde a un rôle à jouer, et c'est important de se le rappeler.

Ça met aussi à l'avant-plan toute l'importance de la sensibilisation, la prévention et l'éducation qui doit se faire dans des ateliers formels dans les divers milieux où les jeunes évoluent, pour permettre de mieux les outiller. C'est important aussi de ne pas oublier nos parents, qui ont eux aussi besoin d'être outillés.

Avant de laisser la parole à mes collègues, je me permets de vous mentionner ma satisfaction à l'égard des récentes modifications à la Loi de la protection de la jeunesse, qui est venue confirmer notre pratique clinique qui avait cours en affirmant que l'exploitation sexuelle s'avère un abus sexuel. Et ça, ça change toute la perspective de notre intervention et la façon dont on doit percevoir ces jeunes filles et ces jeunes garçons. Évidemment, cette vision doit être appliquée uniformément à tous les niveaux d'intervention, que ce soit des intervenants jusqu'à la magistrature.

Un enjeu important demeure et vous a été nommé, au cours des deux derniers jours, soit l'échange et le partage d'information dans le respect des différentes lois, dans le respect des droits des personnes, le respect de la confidentialité, du secret professionnel. C'est un enjeu complexe qui mériterait d'être adapté en fonction des nouvelles réalités. Il s'avère important d'être en mesure de pouvoir s'échanger de l'information nécessaire et pertinente en toute légitimité, et ce, pour assurer une meilleure protection des enfants.

Je laisse maintenant la parole à ma collègue, Nancy Delisle.

Mme Delisle (Nancy) : Merci. Je vais vous parler, dans les prochaines minutes, de la façon dont on a actualisé l'intervention dans les dossiers d'exploitation sexuelle au niveau de notre direction. J'aimerais peut-être, juste avant, attirer votre attention sur un aspect.

On sait, hein, l'intervention dans la problématique d'exploitation sexuelle, c'est complexe pour différentes raisons, mais entre autres, aussi, compte tenu du nombre d'acteurs impliqués dans ces situations-là.

Si on prend l'exemple d'une jeune fille suivie à l'application des mesures pour tout trouble de comportement, qui habite chez ses parents, qui aurait une problématique de toxicomanie, par exemple, qui fugue une fin de semaine, qui est retrouvée dans un motel par les policiers, en présence d'adultes liés à l'exploitation sexuelle, qui a vécu peut-être, dans la fin de semaine, plusieurs agressions multiples, et qui aurait été droguée, à partir de ce moment-là va venir s'ajouter, en plus de l'intervenant de l'application des mesures, un intervenant à l'évaluation, un et des éducateurs du centre de réadaptation, les policiers qui ont fait l'intervention, peut-être un enquêteur aussi au niveau de la fugue, au niveau police de jeunesse. Probablement aussi qu'il y aura une trousse médicolégale, donc on parle, à ce moment-là, une infirmière, un travailleur social, un médecin. S'ajoutera aussi un enquêteur, dans le cadre de l'entente multisectorielle, un avocat au niveau du Tribunal de la jeunesse, le DPCP, puisque, possiblement, il va vouloir la rencontrer, voir si ça peut donner lieu à des poursuites criminelles, et très souvent, aussi, peut-être un intervenant du CAVAC, on va peut-être la mettre en lien avec un travailleur de rue. Et on rajoute à ça aussi... souvent, on le sait, la problématique est associée à d'autres problématiques concomitantes, donc peut-être quelqu'un en toxico, peut-être quelqu'un en santé mentale. Donc, bref, en l'espace d'à peu près trois mois, 12, 15, 20 nouveaux intervenants alentour d'elle, ce qui est énorme. Par contre, le rôle de chacune de ces personnes-là me semble un incontournable important, aussi, pour venir en aide à la jeune.

À partir du moment où on fait ce constat-là, on n'a pas le choix de se dire que la concertation est importante. Pour être en mesure de se concerter, un ensemble de professionnels comme ça, il faut développer notre vision commune. Puis je pense que la façon d'arriver à développer notre vision commune, c'est par la formation.

On a fait l'expérience de ça à Québec déjà depuis plusieurs années, et ça nous a donné le gain, aussi, de venir positionner, chez tous ces partenaires-là, l'exploitation sexuelle comme une agression sexuelle et non pas comme du trouble de comportement. Ça permet aussi, de par la formation, de clarifier les rôles de chacun. Ça fait que, quand, tout le monde, on a une vision commune, on a la même formation, on a chacun... on connaît bien nos rôles, là, je pense que ça devient... c'est les facteurs, là, intéressants pour être capable de faire un bon partenariat.

À Québec, j'en ai parlé un petit peu ce matin, on a la chance d'avoir un filet de sécurité via les travaux de la table régionale, avec plus de 1 000 intervenants de formés au cours des dernières années, un système de pivots qui est fonctionnel. Mais on fait des travaux, aussi, déjà depuis un bout de temps, au sein même de notre direction, pour se structurer de façon efficace, à la différence des autres dossiers qui sont signalés à la protection de la jeunesse, qui sont dirigés dans les différentes équipes évaluation en fonction du code de priorité ou du territoire. C'est vrai pour la plupart des dossiers sauf, entre autres, au niveau de l'exploitation sexuelle. Ces dossiers-là, peu importe le territoire et le code de priorité, sont tous assignés au même chef de service, et, dans chacune nos équipes évaluation, on a un ou deux intervenants qui sont ciblés pour évaluer ces situations-là.

On a aussi nos pivots qui sont très actifs et on a un seul coordonnateur clinique qui est identifié pour discuter cliniquement des stratégies d'intervention et outiller les intervenants. Et, quand vient le temps de prendre des décisions, les intervenants, qui sont dans différentes équipes, ne se réfèrent pas à leurs chefs, mais au chef évaluation porteur de ces dossiers-là. C'est assez simple, je dirais, comme structure, mais on a fait des gains intéressants, des gains en termes d'expertise pour les intervenants, en termes de développement professionnel, mais aussi des gains à savoir est-ce qu'il y a des phénomènes émergents sur notre territoire puis qu'est-ce qui se passe sur notre territoire.

• (20 h 30) •

On a développé aussi ce qu'on a appelé des cellules d'expertise, je dirais plus des cellules d'évaluation et de gestion du risque, en lien à la problématique de l'exploitation sexuelle. On fait ces rencontres-là entre intervenants, lorsqu'il y a des situations qui sont signalées qui concernent trois, quatre jeunes et plus. On s'assoit, l'ensemble des intervenants qui sont impliqués auprès de ces jeunes-là, on s'assoit ensemble pendant une heure, une heure et demie de temps. Donc, on a l'intervenant de l'évaluation, l'intervenant de l'application des mesures, l'éducateur en centre de réadaptation, le chef d'unité du centre de réadaptation, l'intervenant du RTS, et on met en commun l'ensemble des informations par rapport à la situation qui est signalée. Ça, c'est la première partie de la rencontre. Et la deuxième partie de la rencontre, en petites cellules, les intervenants qui interviennent auprès d'un même jeune font un peu le plan de match. Ce qu'on s'est rendu compte, c'est que c'était gagnant. On a un topo beaucoup plus clair et des stratégies beaucoup plus efficaces pour intervenir.

On a commencé à utiliser différemment, je dirais, nos leviers, quand on prend des mesures de protection pour les enfants au niveau de la protection de la jeunesse. Souvent, on pense à des mesures de placement. On va utiliser aussi souvent, exemple, dans des cas de violence conjugale où le conjoint est violent, on peut se présenter au Tribunal de la jeunesse et demander ce qu'on appelle un interdit de contact entre le conjoint et les enfants. On a commencé à utiliser ça aussi dans certains de nos dossiers au niveau de l'exploitation sexuelle chez certains jeunes qui n'étaient pas nécessairement encore très ancrés dans l'engrenage, mais qui commençaient à s'en approcher de trop près ou même s'en étaient approchés... plus qu'approchés, là. Et ça, ça permet, quand on va demander un interdit de contact avec le présumé agresseur, au niveau du Tribunal de la jeunesse, bien, ça nous permet de faire un peu une barrière temporaire, d'éloigner la jeune juste assez de son milieu pour, nous, commencer à faire des interventions, commencer à faire de la sensibilisation et sans, je dirais, l'aura du présumé agresseur, là, qui peut continuer quand même à influencer, là, malgré que la jeune soit en centre de réadaptation ou encore dans son milieu. Donc, ça a été un gain intéressant.

À Québec, on a la chance d'avoir un partenariat fort, on a la chance d'être réseautés, d'être formés, mais je pense qu'aussi on a deux beaux leviers dans la région pour pouvoir continuer de réfléchir... bien, on réfléchit actuellement à comment on pourrait utiliser ces leviers-là au niveau de l'exploitation sexuelle. Le premier levier, c'est le SIAM, qui est ouvert depuis un an, qui sont les services intégrés en abus et maltraitance. Dans le fond, ça s'adresse aux jeunes qui sont signalés à direction de la protection de la jeunesse pour abus sexuel, abus physique, négligence grave et pour lesquels on va déclencher une entente multisectorielle. Donc, tous les services, tous les professionnels, on est au même endroit. On parle des intervenants à l'évaluation, des intervenants à l'application des mesures, la police, les procureurs, le médical, un médecin, une infirmière. On a un intervenant du CLSC, un intervenant de Viol-secours, le CAVAC et aussi des chercheurs associés. On sait que l'application de l'entente multisectorielle dans les cas d'exploitation sexuelle, je vais utiliser le mot «atypiques», elle s'applique différemment que nos jeunes victimes d'agression sexuelle intrafamiliale. Donc, on est un peu actuellement à réfléchir et à voir comment on pourrait utiliser la structure du SIAM, les services du SIAM pour aider, dans le fond, là, ces jeunes-là.

Le deuxième levier dont on dispose, bien, c'est au niveau de la direction de la protection de la jeunesse, c'est de faire partie d'un grand CIUSSS. Faire partie d'un grand CIUSSS, ça veut dire qu'on a accès à une offre de service qui est globale. Quand on regarde l'ensemble des services qu'ils ont besoin, ces jeunes-là, on parle de service, bon, oui, psychosociaux, mais de services de santé, de services de santé sexuelle, de santé mentale. On a des préoccupations par rapport au passage à l'âge adulte et aussi aux adultes et on a beaucoup de services dans un grand CIUSSS qui sont en mesure de répondre. Donc, on est en train de réfléchir et de se questionner à voir comment on pourrait mieux s'arrimer pour pouvoir, là, en faire bonifier les victimes de l'exploitation sexuelle.

En terminant, suite à notre colloque en exploitation sexuelle qui a eu lieu, là, il y a de ça une semaine et demie, deux semaines, on a réalisé qu'on avait besoin de se concerter, pas juste au niveau régional, mais au niveau provincial. Il y a plein de belles initiatives à travers le Québec, il y a eu plein de beaux projets développés. Donc, je pense qu'on doit se donner les moyens de se réseauter au niveau de la province et de faire bénéficier à tous et chacun, là, ces belles initiatives là.

Mme Gauthier (Jessica) : Bonjour. Vous voyez qu'on est très mobilisés à Québec, on est tous très animés par la problématique. On prend ça vraiment au sérieux. En même temps, les causes multifactorielles, les nombreux impacts, ça provoque des conséquences très importantes auprès de ces victimes-là. Elles traînent souvent un lourd passé derrière elles. Leur identité est complètement fragilisée. Souvent, le cumul de ces situations-là qui caractérisent ces jeunes-là, ça vient rapidement à bout des ressources qui sont disponibles autour d'elles, les conséquences aussi qui sont importantes auprès d'elles génèrent quand même des importants besoins, et on voit apparaître des traumas qui sont plus complexes que la majorité de bien des situations.

Afin d'aider les victimes à s'extirper de l'engrenage de l'exploitation, le traitement individuel des traumas, c'est une priorité pour nous autres à Québec. De fait, bien, le défi, c'est la mise en place de services spécialisés intégrés, comme par exemple la sexologie. Prioriser la formation de ressources spécialisées en traumas complexes, mais surtout liés à l'exploitation sexuelle, c'est nécessaire pour nous. On le voit auprès de ces jeunes-là. En même temps, le défi aussi, c'est de pouvoir rendre accessibles ces services-là dans le délai requis, dans le sens que, quand la jeune ouvre sur la situation ou nomme son besoin ouvertement, elle ne peut pas attendre pendant de nombreuses semaines. C'est là qu'elle est prête à dévoiler puis à s'investir dans une démarche thérapeutique. Donc, d'avoir à notre disponibilité, de façon rapide et efficace, l'ensemble des services, c'est quelque chose qu'on continue de travailler fort pour pouvoir arrimer le tout, mais c'est encore un enjeu qu'on vit aujourd'hui.

Après ça, aussi, le traitement visant le développement dans sa globalité, qui est centré sur les forces, les capacités des jeunes, c'est déjà quelque chose qu'on utilise, car depuis plusieurs années, dans nos centres de réadaptation, on a implanté l'approche motivationnelle. Mais par ailleurs ça serait pertinent de combiner le modèle ARC — vous en avez entendu parler avec les précédentes présentations — parce que nous, on considère que c'est un ajustement à la pratique qui est extrêmement prometteur dans la façon et ça s'arrime bien déjà avec notre modèle d'intervention. Ça fait qu'on considère que c'est aussi une priorité.

En plus, que l'intervention soit psychoéducative, psychosociale, thérapeutique, voire même juridique, quand il y a des dénonciations, on sait que ça commence souvent à l'âge... à l'adolescence, mais ça traverse, hein, le passage à la vie adulte. Vous en avez aussi entendu beaucoup parler, ces enfants-là portent sur leurs épaules le fardeau d'expériences négatives du passé. Souvent, ils ont vécu des hébergements en centre de réadaptation, ça ajoute un poids à leurs difficultés. Ils ont un profil complexe : toxicomanie, délits, problèmes de santé mentale. En plus, souvent, ils ont l'absence momentanée de soutien de leurs proches, parfois aussi ils font face souvent à un manque d'autonomie, ils ont des défis d'insertion sociale et professionnelle. Ça les confronte et souvent ça crée obstacle au passage à la vie adulte. Donc, souvent, ça devient synonyme d'une précarité. Quand ils arrivent de façon autonome, ils deviennent encore une fois des proies faciles. Donc, il n'y a pas beaucoup de choses présentement qui les préparent à ce que cette belle transition là se fasse de façon optimale.

Une des priorités du DPJ, grâce justement à cette réorganisation-là des services, grâce au fait qu'on est CIUSSS, on est à regarder, justement, l'arrimage d'une trajectoire d'intervention qui permet aux victimes, plusieurs mois avant l'atteinte de la majorité, de créer une alliance thérapeutique avec un intervenant qui va être en mesure d'être le point d'ancrage, le filet de sécurité, un accompagnateur stable mais qui est non lié par un mandat d'autorité, comme nous, en protection de la jeunesse, pour offrir le soutien nécessaire, que ça soit pour l'accompagnement au quotidien, pour les soins de santé, mais aussi pour le logement, l'aide alimentaire. D'apprendre à faire son épicerie, c'est quelque chose. Donc, de faciliter... c'est toutes des choses qui nous apparaissent très judicieuses et importantes aussi.

On veut aussi rappeler l'importance de bonifier et de revoir le modèle initial du programme Qualification jeunesse, qu'on appelle PQJ, qui a été implanté il y a quelques années. De revoir les critères d'accès, l'âge et tout ça, ce sont des choses qu'on est à regarder et à mettre en place aussi.

Je vois que le temps passe excessivement vite.

Le Président (M. Lafrenière) : Oui. Je suis désolé, je vais vous demander de conclure, s'il vous plaît. Mais on va continuer en questions, en échange avec vous.

Mme Gauthier (Jessica) : Je vais donc, là... Je passerai sur le point, hein... Les réseaux sociaux, on sait que c'est un fléau, on sait qu'il y a un impact. C'est, pour nous, une des priorités. On en fait mention, là, dans le dépôt du rapport.

Je veux simplement finaliser, donc, par le rôle de nos adolescents, nos possibles proxénètes en devenir. Les garçons qui recrutent les filles, pour un gang ou non, traversent les phases d'engagement qui peuvent être mises en parallèle à ce que vivent nos filles présentement. Nos garçons, incluant ceux qui sont hébergés, qui sont à la recherche d'appartenance, d'identité, de sécurité, de pouvoir, de liberté, de plaisir, mais qui sont aussi eux-mêmes fragilisés par leur propre vulnérabilité, ce sont de très beaux appâts pour nos proxénètes. Eux aussi sont graduellement désensibilisés. Eux aussi, on les amène à ne voir que les avantages qui sont liés au plaisir et à faire de l'argent. Donc, on les ancre de plus en plus dans les délits, dans les fraudes, dans tous les délits, donc, pour les plonger aussi dans le milieu, pour les amener à ne voir que le côté positif.

Donc, c'est important pour nous de savoir que, oui, ces garçons-là, souvent adolescents, commencent entremetteurs, mais qu'initialement, pour nous, ils commencent victimes. Puis, nous, il faut s'attarder à cette situation-là de cette façon-là pour nous aussi. Donc, eux aussi doivent être sensibilisés. Eux aussi, on doit détecter leur vulnérabilité, mettre en place... À l'hiver 2020, on commencera notre formation sur la vulnérabilité des garçons pour aider nos intervenants à mieux détecter, mais après ça pour mettre une meilleure... de meilleure éducation pour augmenter nos facteurs de protection personnelle sociofamiliaux. Parce qu'il faut les amener à voir le positif et à se sortir de là pour eux aussi. Je vais m'arrêter, j'en avais d'autres à dire.

• (20 h 40) •

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci de votre présentation. On va passer à la période d'échange avec les membres de la commission. Cependant, je vais demander consentement pour ajouter 10 minutes à notre séance afin d'entendre nos invités. Est-ce qu'il y a consentement? Consentement. Parfait. Alors, première question, députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré.

Mme Foster : Merci beaucoup pour votre présentation. Députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré, donc, le nom le dit, je suis touchée par votre territoire, CIUSSS de la Capitale-Nationale, également Portneuf.

Moi, je suis curieuse sur une chose. Vous avez un grand territoire qui couvre à la fois du très urbain, donc Québec, et Portneuf, et, je dirais, Charlevoix, l'autre côté, la Côte-de-Beaupré entre les deux, mais Charlevoix de l'autre côté qui a une réalité un peu plus région un peu plus éloignée. Je suis simplement curieuse de savoir quelles différences vous observez en termes d'exploitation sexuelle des mineurs entre la ville et les régions autour. Est-ce qu'il y en a, des différences? Parce que vous dites : On a un seul chef pour tout le territoire, entre autres. Est-ce que, je ne sais pas, moi, est-ce que ça fait différent au niveau du recrutement? Je sais que c'est les réseaux sociaux beaucoup, aujourd'hui, mais, la façon dont ça se vit, est-ce que c'est différent en ville des régions? Parce que certains sont venus dire avant vous, entre autres en Estrie, qu'avant c'était beaucoup concentré à Montréal, la question... Montréal et Québec, exploitation sexuelle, mais, quand on arrivait en région, les ressources ne sont pas les mêmes et puis le rapport aux corps policiers non plus, ce n'est pas toujours la même chose. Alors, je voudrais vous entendre là-dessus, savoir vos observations dans votre pratique.

Mme Delisle (Nancy) : Je vous dirais, de mon côté, je n'ai pas vu vraiment de différence entre des situations qu'on a de Portneuf ou, justement, là, de la Côte-de-Beaupré. C'est à peu près les mêmes façons, je vais dire, de recruter, les mêmes impacts. Il n'y avait pas vraiment de différence, non.

Mme Gauthier (Jessica) : Ce qu'on voit, ce qu'on observe, bien, c'est le déplacement des proxénètes aussi. Ils ne restent pas en place nécessairement. Ça fait que, donc, lors d'une situation qu'on aura vue dans le centre-ville de Québec, il se peut que, deux mois après, ce soit le même individu, mais il est rendu à Beaupré, par exemple, pour donner un exemple. Mais dans le recrutement, effectivement, à cause, en majeure partie, des réseaux sociaux, maintenant, la facilité, et donc l'accès, ça voyage vite, là. Les déplacements ne sont plus nécessaires. Donc, on voit qu'on a une uniformité qui s'installe davantage et on ne voit pas nécessairement de différence marquée, effectivement.

Mme Foster : O.K. J'étais curieuse. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. Bonsoir. Vous semblez être vraiment bien... en tout cas, bien équipés en termes de ressources quand il s'agit de... bien, vous avez un signalement ou vous avez le témoignage d'une jeune fille ou d'un jeune garçon, que ça déclenche des ententes multisectorielles via le SIAM et tout. Est-ce que vous avez aussi des mécanismes pour dépister, donc, pour autant chez les victimes ou... parce que vous le dites que vos milieux sont quand même beaucoup affectés par l'exploitation sexuelle. Est-ce que vous êtes en mesure de repérer des proxénètes? Êtes-vous proches à ce point-là? Et est-ce que vous avez un rôle à jouer au niveau des interventions policières? Par exemple, comment est-ce que vous vous impliquez à ce niveau-là, dépistage et repérage, victimes et proxénètes?

Mme Gauthier (Jessica) : Il y a plusieurs niveaux. Bien, la table régionale nous permet une concertation, donc on se permet un partage d'informations. Par contre, quand on voit un phénomène émergent à la table régionale, on va se parler : Woups! ça bouge plus dans tel secteur, soyez à l'affût. On va se partager des fois des informations qui circulent davantage. À l'intérieur même, au niveau de la protection de la jeunesse, on travaille beaucoup avec les indicateurs, dans le fond, auprès de nos jeunes. En ayant beaucoup de jeunes qui sont hébergés en même temps, on voit leurs comportements, les observations, les retours de sortie, quand ils arrivent avec des comportements différents, du linge différent. On a des petits indicateurs qui nous ouvrent des lumières, dans le fond, dans nos observations.

Notre système de pivots est aussi très solide, hein? Aux six semaines, on s'assoit, l'ensemble des pivots, et nos pivots sont représentés dans chacun des secteurs, le RTS, l'évaluation, l'application des mesures, la réadaptation des garçons, des filles. On a trois coordonnateurs au niveau pivot aussi. Donc, ça nous permet un arrimage et un partage, donc de toujours pouvoir être à l'affût. Nos rencontres de concertation qu'on effectue nous permettent d'être aussi très proches du terrain. Nos spécialistes en activités cliniques, nos coordonnateurs cliniques, on a des sentinelles vraiment un peu partout. Donc, on essaie vraiment d'être à l'affût le plus rapidement possible.

Puis les jeunes, ils parlent. Ils parlent, ils partagent. En même temps, hein, on dit que c'est l'alliance qui crée beaucoup l'impact. Nos jeunes, quand même, à long terme, bien, quand on dit qu'on travaille en approche motivationnelle, il y a un impact là-dessus pour nous, parce qu'on sait qu'il faut respecter leur rythme et être à l'affût, donc d'être ouverts à entendre ces jeunes-là sur ce qu'ils vivent, et non pas dans le jugement et la répression.

Donc, quand on travaille en exploitation sexuelle, il faut aussi être prêts à avoir les oreilles qui nous frisent des fois sur certains éléments qu'on entend, parce qu'on a besoin de cette cueillette de données là pour, après ça faire des interventions de prise de conscience, de les amener à évoquer leurs malaises et de les amener à trouver des solutions alternatives ou à créer des dissonances dans leurs perceptions. Donc, c'est de multiples facettes, là, qu'on travaille la détection, là.

Mme Perry Mélançon : Il y a 16 pivots, c'est ça? Vous êtes... Donc, c'est partout, un peu partout...

Mme Gauthier (Jessica) : On est une douzaine... Bien, à l'interne, au centre jeunesse, on est quand même un représentant, minimalement, par secteur...

Mme Perry Mélançon : Et donc toujours dans la Capitale-Nationale, là, on est dans ce...

Mme Gauthier (Jessica) : Oui.

Mme Perry Mélançon : Est-ce que c'est un modèle qui pourrait être déployé? Est-ce que c'est quelque chose que vous avez déjà discuté avec d'autres DPJ? Y aurait-u quelque chose là d'intéressant à développer?

Mme Gauthier (Jessica) : Je pense qu'au total, dans la région, là, de Québec, il doit y avoir autour de... Bien, une fois par année, on fait une rencontre des pivots, de l'ensemble des pivots, et à la dernière rencontre, au mois de mai, on était 93. Ça fait que ça, ça fait quand même beaucoup de yeux puis de gens formés et proches, là, sur le terrain, et ces rencontres-là, bien, ça permet à tout le monde, justement, de se connaître, d'échanger. On a un bottin. Si, admettons, un intervenant veut savoir, O.K., dans telle commission scolaire, c'est qui, le pivot, il regarde dans le bottin puis il peut l'appeler, et vice et versa, là.

Est-ce que c'est un modèle qui est exportable? Je pense que oui, et probablement de plus en plus, parce que, dans les deux, trois dernières années, avec tout ce qui s'est développé... il y avait déjà des concertations, là, dans certaines régions. Bien là, les gens, je pense, les différentes régions se sont plus organisées, se connaissent plus. On voit tous les acteurs qui sont importants. Ça fait que je pense qu'il y a probablement une question de timing actuellement aussi pour exporter ce modèle-là.

Mme Perry Mélançon : Là, je ne sais pas si je peux me permettre une dernière question, mais, en même temps, je veux entendre mes autres collègues.

Le Président (M. Lafrenière) : Tellement rapide. Tellement rapide.

Mme Perry Mélançon : Mais, rapidement, parce que vous êtes ceux qui hébergent, là, ces victimes-là, les centres jeunesse, c'est quoi, votre opinion par rapport à ça? Hier, on discutait que ça peut être un environnement qui maintient le traumatisme chez les victimes, parce qu'il y a comme toutes sortes de... en tout cas, c'est un environnement qui peut être difficile, lourd pour tout le processus de sortie. Donc, en tout cas, je voulais rapidement entendre votre point de vue là-dessus.

Mme Delisle (Nancy) : Bien, je pense que l'hébergement en centre de réadaptation, c'est une des mesures extrêmes et un peu une mesure de derniers recours, là, si je peux utiliser ça. Donc, quand on est rendu là, c'est parce qu'on n'a pas le choix, c'est parce que l'adolescent ou l'adolescente a besoin de ces services-là. Et souvent, quand on déploie l'offre de services puis qu'on regarde les objectifs, on essaie de voir le plus rapidement possible comment on peut retourner dans son milieu puis de maintenir aussi le milieu impliqué alentour de ces jeunes-là, là. Souvent aussi il peut y avoir des craintes que, ah mon Dieu! en centre de réadaptation il se fait du recrutement. C'est quelque chose qu'on entend souvent. Mais moi, j'utiliserais un peu l'analogie de la salle d'attente du dentiste. Si je vais chez le dentiste puis je ressors de là en disant : Mon Dieu qu'il y a du monde qui a mal aux dents, puis je juge de la qualité de mon dentiste à partir de ça, bien, c'est comme, à la limite, normal. Ce que j'entends par là, c'est que c'est sûr qu'en centre de réadaptation on a plein de jeunes qui ont de grandes difficultés et, entre autres, qui ont été victimes d'exploitation sexuelle ou qui ont sollicité d'autres jeunes. Ça, on en est conscients. Puis il y a aussi un paquet d'enfants qui sont là qui sont vulnérables à plein d'affaires. Et c'est justement... c'est la clientèle qui se retrouve dans ces endroits-là, c'est des endroits qui sont là, je dirais, pour ça. Les intervenants sont conscients, les gestionnaires en sont conscients, et les interventions sont faites pour essayer de minimiser la vulnérabilité de chacun. Puis ce n'est pas juste l'exploitation sexuelle, c'est un paquet d'éléments, là.

Mme Gauthier (Jessica) : J'ajouterais que c'est pour ça qu'on travaille avec beaucoup de partenaires, à Québec. C'est pour ça que notre concertation est forte puis notre partenariat, entre autres avec les travailleurs de rue, est fort pour s'assurer de créer des alliances positives pour ces jeunes-là en dehors des murs des centres de réadaptation aussi. Et il faut comprendre que les jeunes qui restent longtemps en centre de réadaptation sont malheureusement ceux dont le soutien parental n'est pas là. Puis on le ramène depuis deux jours aussi, il y a plein de gens qui l'ont dit, l'implication parentale est au coeur aussi de l'intervention.

Nos jeunes dont les parents sont mobilisés, sont impliqués et travaillent de concertation avec l'ensemble des intervenants, c'est des jeunes qui rapidement retournent à la maison, malgré peut-être un ensemble de problématiques, mais souvent qui, par leur collaboration et leur investissement, vont soutenir la sortie de leurs enfants et donc un retour en milieu familial.

• (20 h 50) •

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Lotbinière-Frontenac.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Vous avez parlé de beaucoup de monde. Vous avez parlé d'intervenants à l'évaluation, des intervenants... application des mesures, des coordonnateurs cliniques. Moi, j'avoue, là, que je suis un peu perdue dans tout ça. Puis tout à l'heure on a parlé avec des gens qui nous disaient que la continuité, c'était très important, puis on nous a dit que des victimes pouvaient avoir au-dessus de 30 personnes différentes dans leur dossier. Est-ce que c'est vrai? Puis est-ce qu'on peut faire quelque chose pour ça? Avec combien de personnes une jeune victime est-elle en contact?

Mme Delisle (Nancy) : De personnes, vous voulez dire d'intervenants?

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Oui.

M. Corriveau (Patrick) : D'abord, je vais me permettre un commentaire à ce sujet-là. Quand on parle de 30 intervenants, évidemment, c'est la minorité. Toutefois, je dois malheureusement vous dire que dans le contexte actuel de la main-d'oeuvre... Et, vous savez, en protection de la jeunesse, le personnel est, je vous dirais... je vais prendre l'exemple de notre région, le personnel est féminin à environ 90 %. Beaucoup, c'est des jeunes femmes qui vont avoir un, deux enfants et c'est une bonne nouvelle, mais je vous dirais que c'est la raison principale du roulement de personnel en protection de la jeunesse. Ce n'est certainement pas ce qu'on souhaite, le roulement d'un intervenant dans la vie d'un jeune et d'une famille.

On entendait M. Dorais, juste avant, qui rappelait toute l'importance du lien thérapeutique, et ce, peu importe à l'âge auquel, là... l'enfant a. Donc, il faut développer, il faut travailler sur des stratégies pour essayer de garder et de restreindre au minimum le nombre d'intervenants. Mais la réalité fait en sorte que je suis obligé d'admettre que bien souvent on peut voir un, deux et parfois trois intervenants, dans la vie d'un jeune et d'une famille, malgré que ce n'est pas ce qu'on souhaite.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : O.K. Puis j'avais une autre question... Les ententes multisectorielles, tout à l'heure, on a entendu des gens qui nous ont parlé de ça, puis, moi, on m'a dit... bien, en arrière, là, l'autre côté, on m'a dit que les ententes sectorielles n'étaient pas assez souvent déclenchées. Ça, est-ce que c'est basé sur le jugement d'une personne ou elle évalue la situation en équipe?

Mme Delisle (Nancy) : D'emblée, lorsqu'un enfant est signalé à la protection de la jeunesse en abus sexuel, automatiquement on déclenche l'entente multisectorielle, c'est-à-dire c'est une évaluation commune entre la protection de la jeunesse, les policiers et le procureur. On intervient de façon concertée.

Dans les cas d'exploitation sexuelle, nous, déjà, là, depuis longtemps, on traite la problématique comme un abus sexuel. Ça fait que, oui, il y a un déclenchement de l'entente multisectorielle. Par contre, ce qu'il faut se dire, c'est qu'on ne peut pas intervenir de la même façon, avec les mêmes stratégies, au niveau de l'entente multisectorielle pour les cas d'exploitation sexuelle versus pour les cas d'abus sexuel intrafamilial ou extrafamilial.

Je vous donne un exemple. On évalue un signalement pour de l'abus sexuel de la part du conjoint de la mère, c'est plus... je ne dirais pas plus facile mais... à ce moment-là, d'amener l'enfant en entrevue vidéo pour faire sa déclaration, où l'intervenant de la protection de la jeunesse est présent aussi, et après ça, chacun de notre côté, l'intervenant de la protection de la jeunesse continue l'évaluation, puis le policier termine son enquête. C'est assez simple.

Au niveau de l'exploitation sexuelle, si je débarque à l'école puis là je déclenche tout de suite, aujourd'hui, l'entente multisectorielle, je prends la jeune victime et je l'amène au poste de police pour qu'elle fasse directement une entrevue vidéo, c'est clair qu'on aura peu de résultats. Il faut d'abord faire un travail de préparation avec la victime pour l'amener à collaborer à l'entente multisectorielle. Souvent... Puis vous avez entendu, j'imagine, à de nombreuses reprises au cours des deux derniers jours que les victimes, elles ne se voient pas, dans un premier temps, victimes, elles ne voient pas qu'elles ont été exploitées. Donc, si aujourd'hui je pars puis j'amène la jeune au poste de police pour faire l'entrevue vidéo, elle ne se voit même pas comme une victime, là, elle veut protéger. C'est ses amis, donc elle ne déclarera pas. Il faut la...

Tout à l'heure, quand je parlais qu'au niveau de l'entente multisectorielle, dans les cas d'exploitation sexuelle, c'est un peu un parcours atypique, bien, c'est un peu ça que j'entendais. Il faut d'abord rencontrer les jeunes une fois, deux fois, trois fois, les amener à prendre connaissance qu'ils sont des victimes. Et par la suite, souvent, on ne part pas directement un vidéo avec les enquêteurs. On a développé... On a une belle collaboration avec les policiers. Donc, ils vont venir rencontrer les jeunes, leur expliquer un peu c'est quoi, comment ça se passe. Ils tissent eux aussi des liens. À un moment donné, au fil de ces rencontres-là, bien, à un moment donné, la victime va être prête, et là on va pouvoir enclencher le processus.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Donc, merci pour votre présentation.

Ma première question, en fait, concerne un enjeu que le directeur de la protection de la jeunesse a évoqué tout à l'heure, c'est tout ce qui concerne l'accès à l'information, la protection des renseignements personnels. Hier, lors des présentations, il y a des policiers qui nous ont parlé de cela, de cet aspect-là comme d'un véritable enjeu. Est-ce que vous, vous... iriez-vous jusqu'à suggérer qu'on rouvre la loi sur l'accès à l'information pour permettre une meilleure, une plus grande fluidité des informations, des échanges afin de prévenir, justement?

M. Corriveau (Patrick) : Ah! c'est une très grande question parce que rentre en ligne de compte toute la notion des droits des individus. C'est certain, par contre, que, si vous me posez la question, à titre de directeur de la protection de la jeunesse, je préfère avoir accès à davantage d'informations pour être en mesure de mieux protéger les enfants de ma région. Donc, si on a des leviers et des possibilités pour venir clarifier et ouvrir davantage, dans un cadre très balisé, j'en conviens, mais qui nous permettrait d'avoir davantage la possibilité d'échanger de l'information, évidemment, je trouve que ce serait une bonne nouvelle pour nos jeunes.

M. Benjamin : Un autre enjeu que d'autres intervenants ont soulevé et qui concerne notamment le passage à l'âge adulte, on parle, à ce moment-là, d'un manque de ce fameux continuum de services. Et vous avez un projet, un programme qui s'appelle Qualification des jeunes. Pouvez-vous nous en parler un peu? Qu'est-ce que c'est comme programme?

M. Corriveau (Patrick) : En fait, il y a différents enjeux, hein, au niveau du passage à la vie adulte. Le premier, il faut comprendre et il faut se rappeler que, bien souvent, ces jeunes-là qui ont été hébergés, par exemple, en centre de réadaptation, ils voient le passage à la vie adulte comme enfin la liberté. Ce qui fait que, malgré le fait que parfois on a des intervenants qui sont proches, qui ont même des liens, ces jeunes-là ont été encadrés, ont eu des adultes bienveillants qui ont été dans leur vie depuis deux, trois, quatre, cinq ans en protection de la jeunesse, et il y a évidemment une phase, qui est plutôt normale, où ils vont expérimenter, où ils vont jouer avec leur liberté.

Ce qu'on souhaite, c'est d'être en mesure de mettre un intervenant en amont dans les mois avant l'atteinte de la majorité qui pourra créer un lien significatif et qui sera présent lorsque notre adolescent, notre adolescente, après trois, quatre, six, un an, un an et demi d'expérimentation dans sa liberté, dira : Oh! là, j'ai besoin de support, j'ai besoin de revenir, j'ai besoin d'aide, d'encadrement, et là je rappelle mon intervenant qui viendra m'aider et me supporter.

Donc, notre programme Qualification des jeunes, c'est ce qu'il permet, c'est de mettre un éducateur en amont pour accompagner le jeune d'abord dans se trouver un logement, se trouver un emploi, faire un C.V., faire un budget, faire sa première épicerie et être en mesure d'aussi de l'accueillir une fois que l'expérience de la liberté sera passée et que nos jeunes conviendront qu'ils ont besoin d'aide. C'est tout ce passage-là qui est parfois délicat et qui n'est pas nécessairement parce que les intervenants ne veulent plus intervenir. Le jeune souhaite vivre sa période de liberté.

• (21 heures) •

Mme Gauthier (Jessica) : Si je peux complémenter, dans le fond, c'est des éducateurs qui occupent ces postes-là, et présentement, dans le fond, ça permet qu'au-delà du 18 ans, jusqu'à, présentement, 19 ans, il y a quelqu'un dans la vie de ces enfants-là qui est disponible, là, pour eux.

La difficulté qu'on a rencontrée, dans les dernières années, c'est qu'associée à l'exploitation vient souvent la fugue, la toxico. C'est des jeunes qui sont peu présents. Donc, malgré la présence de ces éducateurs-là pour développer l'autonomie, les jeunes n'y étaient pas pour pouvoir développer leur autonomie dans cet accompagnement-là. C'est ça qui crée, dans le fond, ce fossé-là à l'arrivée aussi des 18 ans. Et souvent on a des jeunes, de par expérience, qui, 18 ans moins un mois, là, disent : Eh! mon Dieu, je ne suis pas prêt. Mais où étais-tu les derniers mois? Et ça fait tout partie de leur processus de hauts et de bas qui...

On offre le service, et, quand on dit qu'on est à bonifier et regarder, c'est comment on peut, même, élargir, être là plus en amont encore, mais est-ce qu'on ira plus loin que 19 ans? C'est quoi, la réalité? Ça fait qu'on est tous dans cette réorganisation-là. Mais nous avons les éducateurs, mais, si on élargit les critères, il faut aussi peut-être élargir les possibilités de cette équipe-là, qu'ils soient disponibles davantage, donc, puissent prendre plus de jeunes ou être plus nombreux pour accueillir tout ce processus d'accompagnement là.

M. Benjamin : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonsoir. Certains organismes qui sont passés avant vous hier ou aujourd'hui parlaient beaucoup du fait que la sortie de la prostitution est rarement un événement soudain, hein, que si... on peut faire des allers-retours. Je voulais voir si vous aviez constaté cet état de fait là, si vous partagiez cette lecture-là. Et surtout, selon vous, qu'est-ce qui serait les conditions idéales pour une sortie réussie, tant en matière de services qu'en matière de façons de s'assurer qu'il y a une sécurité économique à la sortie de la prostitution?

Mme Gauthier (Jessica) : Je vais me lancer. Effectivement, on voit... C'est un cycle, hein? Nous, on travaille avec les phases d'engagement, il y a des hauts et des bas. Il y a effectivement des chutes et des rechutes. Ça fait partie du cycle, du processus, pour de multiples raisons. Pour certaines jeunes, c'est les menaces qu'elles subissent qui les ramènent à le vivre. Pour d'autres jeunes, elles se croient assez solides et retournent dans les mêmes milieux. Pour d'autres jeunes, tant qu'elles ne voient pas le... qu'ils ne sont pas en état de crise, qu'ils n'ont pas vécu d'événements négatifs, qu'ils sont encore — on appelle ça l'appât du gain — qu'ils voient le gain monétaire, le plaisir, la liberté... Il y a de multiples facteurs qui les amènent soit à continuer mais à ne pas vivre l'ambivalence de façon... tous à la même vitesse, dans le fond. Ça fait que le processus de changement, pour certaines, est rapide, et, pour d'autres, prend effectivement une tournure qui est plus complexe.

Une sortie réussie, pour ma part, effectivement, ça combine un ensemble d'interventions. Depuis le début de la commission, je crois que c'est très clair, les clients abuseurs, le proxénétisme et ainsi que les victimes, il faut travailler de front les trois. Aujourd'hui, on vous a parlé davantage du côté, peut-être, victimes. Le côté clientèle, on est moins proches en termes de DPJ. Cependant, au niveau du proxénétisme, je l'ai nommé un peu, hein, on est très, très soucieux de nos jeunes adolescents aussi. Donc, du travail en amont face à cette clientèle-là.

Ça fait que je crois qu'il faut travailler de front l'ensemble des situations, de mettre en place, effectivement, l'ensemble des services, je crois qu'on est bons dans la sécurisation de nos enfants, on a les éléments pour, je crois qu'on a des intervenants dédiés, qui sont doués pour le faire aussi, mais de poursuivre tout l'arrimage avec le milieu communautaire, on a beaucoup d'alliances, mais bonifier ces alliances-là aussi pour offrir plus d'opportunités. Pour certains jeunes, un modèle est intéressant, mais, pour une autre victime, c'est un autre modèle qui collera davantage à son besoin puis correspondra davantage à ce qui est nécessaire. Pour certains jeunes, c'est la précarité économique, mais, pour d'autres, ce sera le côté affectif, dont le traitement du trauma, qui va avoir un impact. Donc, c'est vraiment l'individualisation aussi du travail auprès de ces victimes-là, auprès de ces jeunes-là qui amène aussi cet impact-là.

Donc, pour ma part, je ne crois pas qu'il y a un seul modèle, unique. Mais comment on peut faire un ensemble, un ensemble d'offres de services qui permettra à chacun d'y trouver sa place pour pouvoir évoluer et s'en sortir mais aussi de continuer à former de plus en plus de personnes?

Je pense qu'on a une super belle opportunité à Québec. On a formé beaucoup de gens, on a commencé au niveau provincial depuis l'année passée. Les gens ont un engouement, un intérêt, et ce langage commun là aussi facilite la meilleure connaissance des rôles, mandats, missions de chacun, et ça, ça facilite la concertation. Et les jeunes le voient, qu'on travaille dans le même objectif, que les organisations se parlent et s'entendent et visent le même besoin du jeune. Ils le ressentent, les enfants, et ils l'apprécient quand ils voient qu'on travaille tous ensemble pour le même besoin. Je ne sais pas si vous voulez ajouter.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Ça va pour vous? Prochaine question, députée de Roberval.

Mme Guillemette : Merci, M. le Président. Mme Gauthier, vous avez effleuré un peu l'aspect des réseaux sociaux. Est-ce qu'il y a quelque chose que vous aimeriez... bien, qui pourrait nous aider, là, qui n'a pas été nommé, ce soir, en lien avec les réseaux sociaux?

Mme Gauthier (Jessica) : Effectivement, bien, ce que je voulais nommer, tout à l'heure, un, c'est d'augmenter la sensibilisation, mais la sensibilisation des parents, qui sont les premiers responsables, mais qui sont aussi les modèles de leurs enfants.

Je vais vous donner un exemple qui est très concret, qu'on peut voir, que vous pouvez voir si vous avez un Facebook de ce monde. Est-ce que toutes vos amies sécurisent leurs informations? Est-ce que toutes vos amies s'abstiennent de mettre des photos en bikini sur la plage à Cuba? J'extrapole dans les exemples, mais les parents sont les exemples et les modèles. Est-ce que les parents sont avec leurs cellulaires au souper ou sont en discussion avec leurs enfants? Donc, je pense, une meilleure sensibilisation des adultes, des parents.

Et dès l'âge primaire nos jeunes sont connectés, très jeunes. Une meilleure éducation numérique pour ces enfants-là qui arrivent au secondaire déjà... qui sont déjà obnubilés par la quasi-présence au quotidien, tout le temps, dans les murs des écoles, maintenant, aussi. Il a fallu que les instituts s'ajustent, et c'est correct, hein? Une saine utilisation des technologies de l'information et de communication, c'est un bel outil, mais est-ce qu'ils sont tous prêts à bien l'utiliser? Et les adolescents, malheureusement, ont cette insouciance, l'impression qu'un écran, ce n'est pas dangereux, l'impression que, même si c'est Ti-Bob28... Ti-Bob28 ne peut pas être un danger parce que je ne le vois pas, il n'est pas devant moi, il n'a pas l'air menaçant. Donc, ça a un impact, pour cette insouciance-là adolescente, qui est de prime abord normale, hein, c'est l'âge du plaisir, mais ça a des impacts, et donc... Et sans dire... La gravité d'un abus sexuel sans contact peut être aussi grave que l'autre enfant qui s'est fait toucher. La photo de la jeune fille nue qui a circulé aux 500 autres élèves, les impacts et les séquelles traumatisantes sont aussi importants.

Donc, il faut continuer de se l'adresser. On a une belle équipe intégrée ici, à Québec, qui nous permet de l'intervention, mais, la sensibilisation et la prévention chez les parents, la prévention et l'éducation chez les enfants dès l'âge primaire, je crois que c'est essentiel. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Je sais qu'il y avait d'autres questions. Malheureusement, c'est tout le temps qu'on avait. Merci beaucoup de votre contribution à nos travaux. Avant de suspendre les travaux, je vais remercier vous, à la maison, qui nous suivez. On vous donne rendez-vous demain.

Et on va suspendre cette commission quelques instants pour continuer en séance de travail. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 21 h 8)

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