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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le mercredi 29 septembre 2010 - Vol. 41 N° 7

Consultation générale et auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Onze heures vingt-trois minutes)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Je constate quorum des membres de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité et donc je déclare la séance ouverte, en rappelant le mandat de la commission.

La commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Grondin (Beauce-Nord) remplace Mme Roy (Lotbinière).

Auditions (suite)

Le Président (M. Kelley): Avant de passer la parole à notre premier témoin, est-ce qu'il y a une contrainte de temps à 13 heures? Alors, il faut convenir qu'on va faire deux fois 45 minutes pour les deux groupes, pour être respectueux ou... Alors, dans ces circonstances, je vais demander aux représentants de la Fédération des mouvements des Personnes d'abord du Québec...

Vous avez un temps de parole d'une vingtaine de minutes, suivi par une période d'échange avec les membres de la commission d'environ 25 minutes. Et on va faire le même modèle pour le groupe qui suit. Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à Mme Louise Bourgeois, qui est la présidente de la Fédération des mouvements des Personnes d'abord du Québec. Mme Bourgeois.

Fédération des mouvements
Personne d'abord du Québec (FMPDAQ)

M. Bourgeois (Louise): Bonjour. Je me présente, Louise Bourgeois, présidente de la Fédération des mouvements Personne d'abord du Québec. Je suis accompagnée de mon vice-président, M. Steve Janelle, et nous sommes accompagnés de Mme Danielle Gratton, qui travaille à la fédération comme personne-ressource. Nous ne lirons pas tout le document, puisque vous l'avez déjà reçu, nous allons plutôt revenir sur les points importants. Avant de commencer, nous aimerions vous expliquer comment nous avons travaillé sur cette consultation avec nos membres.

Pour commencer, nous avons préparé un document vulgarisé en langage adapté pour permettre à tout le monde de mieux comprendre le sujet de la consultation. Chaque mouvement membre de la fédération était invité à présenter le document aux Personnes d'abord de leur milieu. Ceux qui ont discuté n'avaient pas le même point de vue, mais tout le monde a trouvé ce sujet vraiment délicat et très difficile, et certains ont choisi de ne pas en discuter. Dans ces conditions, nous préférons ne pas nous prononcer pour ou contre l'euthanasie ou le suicide assisté, mais plutôt vous parler des conditions dans lesquelles nous finirons notre vie.

D'abord, il est important de vous rappeler que la philosophie du «par et pour» est au coeur de la mission de nos organismes. Dans toutes les actions, les Personnes d'abord travaillent à défendre leur droit à l'autonomie et leur fait d'être des citoyens à part entière. Dans tous nos dossiers, nous préférons toujours insister sur la reconnaissance de nos acquis et de nos compétences. Nous avons toujours affirmé que nous sommes personnes d'abord et que nous sommes capables de décider par nous-mêmes. Nous sommes inquiets de l'autonomie de décision qu'on pourrait nous priver après avoir tant travaillé à défendre notre droit à décider de toutes les grandes étapes de notre vie. Il est donc important pour nous de bien vous faire comprendre nos préoccupations.

M. Janelle (Steve): Au début, nous nous sommes demandé si c'était vraiment important pour nous de participer à cette consultation. Nos membres ont déjà beaucoup à faire avec le droit de vivre dignement et le combat quotidien contre la discrimination et les préjugés. Les Personnes d'abord rencontrent encore beaucoup d'obstacles à leur intégration dans la société. Les parents ont encore de la difficulté à faire accepter leurs enfants à l'école dans des classes régulières. Le marché du travail reste très fermé pour nous, et l'accès à des logements abordables est difficile et même impossible dans certaines régions.

Nous devons faire sans cesse des actions de sensibilisation pour faire reconnaître notre potentiel et notre droit à l'autodétermination sans jugement. Nous sommes souvent aux prises avec des conditions de vie difficiles et très peu de chances de sortir de la pauvreté. Certains d'entre nous ont déjà vécu des situations d'abus et de mauvais traitements. Régulièrement, les journaux rapportent des cas qui nous rappellent de rester vigilants. Alors, quand on parle d'euthanasie et de suicide assisté, de lois, même bien encadrées, nous nous inquiétons des possibilités de dérapage ou d'abus dont nous et d'autres personnes vulnérables pourrions être victimes.

**(11 h 30)**

M. Bourgeois (Louise): Nous luttons depuis des années pour qu'on nous reconnaisse le droit de décider de notre vie, le droit de choisir où l'on veut vivre, le droit d'avoir un amoureux, de nous marier, le droit de travailler et d'avoir un vrai salaire. La fédération, les mouvements et les membres veulent s'assurer que, si nous votons une loi qui vient encadrer l'aide à mourir, les Personnes d'abord ne seront pas exclues, qu'elles auront le droit de s'exprimer, de décider ce qui est bon pour elles, même si c'est un choix difficile comme celui de mourir. Il est aussi très important que les personnes puissent prendre cette décision sans subir de pression, sans influence, ce qui représente un important défi quand on parle de personnes vivant avec une déficience intellectuelle. Certains d'entre nous peuvent être tentés de répondre à ce que les autres veulent entendre pour ne pas vivre toutes les angoisses que provoque une décision difficile. Rappelez-vous, il y a quelques années, le cas de Simon Marshall.

Plusieurs Personnes d'abord sont sur la curatelle publique, sous tutelle ou sous la garde de leur famille. Seront-elles considérées comme inaptes à prendre une décision? Une personne qui est en situation d'autorité pourra-t-elle décider à leur place? Pour nous, seulement les personnes ayant la possibilité de faire savoir clairement leur décision devraient être entendues. Le respect de la volonté de la personne est une de nos plus grandes priorités.

M. Janelle (Steve): Une des raisons importantes qui nous ont motivés à participer à cette consultation, c'est que le débat sur le droit de mourir dignement ne pouvait pas se faire sans regarder de très près la situation actuelle et future des soins palliatifs et du soulagement de la souffrance. Le système de santé subit beaucoup de pressions à cause de l'âge de la population, et ce sera encore plus difficile dans les années à venir. Nos membres ont déjà certains problèmes à recevoir des services et des soins de qualité qui tiennent compte des besoins nécessaires à leur intégration dans la société.

Même si, depuis 10 ans, cela va mieux dans la recherche et le développement des soins palliatifs au Québec, cette amélioration n'est pas suffisante pour dire que ces soins sont accessibles à tous. Dans nos hôpitaux, les unités de soins palliatifs manquent atrocement d'espace, de personnel et de connaissances spécialisées. Dans les CHSLD, il n'y a pas vraiment d'espace et de personnel réservé exclusivement aux soins palliatifs et au soulagement de la douleur. Le réseau des maisons spécialisées dans ce genre de soins est presque inexistant, alors que les besoins, eux, sont de plus en plus grands et continueront de l'être davantage. Plusieurs personnes aimeraient pouvoir finir leurs jours dans leur maison, mais le fait qu'ils doivent payer certaines choses les oblige à accepter de mourir à l'hôpital.

Dans les dernières années, nous avons constaté que les personnes vivant avec une déficience intellectuelle vivent plus vieilles qu'il y a 20 ou 30 ans. L'état de la recherche sur le vieillissement de ce groupe de personnes, ses particularités et ses besoins est encore à ses débuts et se poursuivra. Tous les établissements de santé doivent se préparer à offrir des soins à des groupes de personnes ayant des besoins particuliers en plus de supporter une demande de plus en plus grande de l'ensemble de la population. Nous croyons que le débat sur l'euthanasie et le suicide assisté ne peut pas se faire sans parler d'une amélioration importante des soins palliatifs, autant dans la qualité des soins que dans la quantité à prévoir pour répondre à la demande.

Les Personnes d'abord, ayant peu de moyens financiers, ils ne pourront pas se permettre des soins en clinique privée au moment de vivre la dernière étape de leur vie. Nous sommes tous égaux dans la mort. Nous devrions tous avoir accès aux mêmes soins, dans les mêmes conditions et tous bénéficier, en région ou en ville, riches ou pauvres, des avancées de la recherche sur soins palliatifs et soulagement de la douleur. Il est donc essentiel pour nous de nous assurer que les personnes vivant avec une déficience intellectuelle ne seront pas placées sur une voie d'évitement.

M. Bourgeois (Louise): En conclusion, la réalité que nous vivons tous les jours nous demande beaucoup d'énergie et de temps en termes de défense des droits. Nous considérons que le droit de vivre dignement, pour lequel nous nous mobilisons, doit se poursuivre jusqu'aux derniers moments de notre vie. Je vous rappelle, en terminant, nos demandes.

Un, s'assurer qu'avant l'adoption d'une loi sur l'euthanasie et le suicide assisté, l'encadrement de celle-ci ne laissera aucune place aux possibilités d'abus et de dérapage.

Deux, s'assurer qu'une personne vivant avec une déficience intellectuelle aura le pouvoir de prendre une décision libre et éclairée sur ses conditions de fin de vie.

Trois, s'assurer que, dans la situation où une personne serait dans l'impossibilité de prendre ou faire connaître de façon claire sa décision, cette décision ne sera pas prise par une autre personne: tuteur, parent ou ami.

Quatre, s'assurer de l'accessibilité de soins de fin de vie de qualité pour tous les groupes de la population dans toutes les régions.

Et, cinq, s'assurer que les Personnes d'abord et que les autres groupes de la population ayant des problématiques particulières ne se retrouveront pas dans des endroits mal adaptés avec des soins de moindre qualité.

Merci de nous avoir écoutés avec autant d'attention. C'était super important pour nous de venir vous donner notre point de vue.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup et merci beaucoup à la fédération. Vous avez témoigné, de mémoire, l'an passé dans la question du Régime de rentes du Québec, alors vos commentaires sont toujours très appréciés devant cette commission spéciale et également l'autre commission que je préside ici, à l'Assemblée nationale. Il nous reste le temps pour deux blocs de 15 minutes environ. Alors, je vais demander aux membres de poser les questions le plus direct possible pour permettre le plus grand nombre de questions possible. Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, Mme Bourgeois, M. Janelle, Mme Gratton. Vous êtes aussi un groupe que j'avais hâte d'entendre parce que je suis porte-parole, dans la région de l'Outaouais, de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle et j'oeuvre beaucoup avec certains organismes, L'Arche Agapé, l'APICO, et, c'est ça, on a beaucoup, beaucoup de... Il faut parler de vous, pas pendant une semaine mais pendant toute l'année. Ça, c'est mon message que je livre dans ma région. Et, de vous voir ici pour parler des circonstances de la fin de la vie, je trouve que vous y posez un regard très important. Et il faut justement avoir des organismes comme le vôtre pour venir nous mettre en garde, si on peut dire.

Et je suis curieuse -- parce qu'on n'a pas beaucoup de temps, mais je veux vous entendre -- je veux savoir si vous avez discuté précisémement, par rapport à la fin de vie, des mandats d'inaptitude, des testaments de vie auprès de vos membres. Parce qu'on parle beaucoup de ça ici. Lorsqu'on est relativement en santé, on peut déjà dire aux personnes de notre entourage ce que l'on souhaite ou non à la fin de notre vie. Et, vous, vous le précisez à quelques reprises dans votre mémoire que cette décision-là ne pourra jamais être prise par quelqu'un d'autre que vous. Alors, comment vous vous assurez que ce soit fait, là, parmi vos membres?

M. Bourgeois (Louise): Bien, moi, j'aimerais ça que ce soit nous autres qui choisissent si on veut mettre un terme à notre fin de vie ou pas, parce que, si on prend... si une personne décide pour nous autres, on ne se fera pas respecter du tout dans nos choix. Puis on défend beaucoup nos droits.

**(11 h 40)**

Mme Gaudreault: Et puis est-ce que vous parlez de ça, de... Parmi les rencontres que vous avez avec vos membres, vos regroupements, est-ce que vous avez déjà parlé de la fin de la vie puis de ces outils, mandats d'inaptitude, testament de vie, et tout ça?

M. Bourgeois (Louise): Moi, dans mon mouvement, la personne-ressource, elle avait commencé à nous en parler, mais on était pour ou contre. On n'a pas pris une décision parce que c'est un sujet très lourd, très délicat, puis, pour nous, c'était très difficile.

Mme Gaudreault: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Mme Bourgeois, M. Janelle, Mme Gratton, c'est vraiment avec beaucoup de plaisir que je vous revois aujourd'hui, parce que justement j'assistais, lors de la commission parlementaire sur la révision du Régime des rentes, et vous aviez présenté un magnifique mémoire. On avait eu l'occasion de s'en parler. Encore une fois, je salue votre présence ici, à cette commission, puis surtout la qualité de votre réflexion sur cette question de mourir dans la dignité. C'est très pertinent.

Et j'aimerais rappeler encore, un peu comme ma collègue mentionnait, non seulement vous êtes des exemples de l'intégration sociale, mais vous êtes également des exemples de la participation sociale. Et ça, c'est extrêmement important, la participation sociale, avec ce que ça inclut, le droit de décider de vos champs d'intérêt, de vos activités, en étant tout en connaissance de cause et avec un jugement libre et éclairé.

Il y a un point de votre présentation que j'aimerais vous entendre encore une fois, qui, dans votre mémoire, est situé à la page 5 puis qui concerne la personne qui est en situation de fin de vie mais qui est dans l'impossibilité de prendre une décision. Et ce que vous souhaitez, c'est qu'il n'y ait personne qui décide, à ce moment-là, à votre place et que, si jamais il y avait une législation quelconque qui allait dans le sens de l'euthanasie ou du suicide assisté, qu'une personne inapte ne pourrait pas bénéficier de ce service-là.

Et j'aimerais vous entendre, parce que, hier soir, justement, le Conseil pour la protection des malades, M. Brunet mentionnait qu'entre autres, si jamais on légiférait dans ce sens-là, on devrait également l'étendre à des personnes qui sont devenues inaptes mais qui ont un testament biologique et qui ont, à un moment donné, donné leurs dernières volontés dans ce sens-là. Et j'aimerais vous entendre sur cette position de votre part à cet effet que personne ne pourrait, à ce moment-là... même dans le cas d'un testament de fin de vie, que cette décision-là ne pourrait pas s'appliquer.

Le Président (M. Kelley): Mme Gratton.

Mme Gratton (Danielle): La question que vous posez va loin pour nous parce que... Puis, il faut s'entendre, quand les gens disent, chez nous, qu'ils ne veulent pas que quelqu'un décide à leur place, ça n'exclut pas le fait qu'ils aient eux-mêmes fait un testament de fin de vie. Ce n'est pas ça que ça veut dire. Ça veut tout simplement dire qu'ils veulent qu'ils respectent leur propre décision et que toutes les personnes qui sont sur la curatelle ou la tutelle ne sont pas toutes inaptes à réfléchir. Il y en a qui peuvent être inaptes -- on en parlait, là, lundi -- à contrôler leur budget, et elles sont sous curatelle parce qu'elles ont besoin de soutien dans certains sphères de leur vie. Mais elles n'ont pas besoin nécessairement de soutien pour toutes les réflexions qu'elles peuvent avoir.

Donc, ce qu'ils avaient peur, en réalité, c'est que, si quelqu'un était en tutelle, en curatelle, aux soins de leur famille ou d'un ami, que ça ne veut pas dire automatiquement que c'est ces personnes-là qui vont décider à leur place, pas si elles peuvent réfléchir et qu'elles sont capables d'exprimer ce qu'elles ont à dire. C'est plus dans ce sens-là. Qu'il y ait testament, qu'il y ait des documents, ça, les gens sont d'accord avec ça, qu'il puisse y en avoir, des testaments de vie, mais ce n'est pas là-dessus qu'ils se sont attardés. Ça, c'est quelque chose qu'ils sont en train aussi de regarder, certains mouvements plus que d'autres. Il y en a qui ont des rencontres régulières avec le Curateur public pour justement discuter de ces questions-là. Mais, dans l'ensemble des personnes, c'était surtout: Quelles que soient les situations, si je suis en mesure de réfléchir, qu'on puisse respecter aussi mon désir.

M. Chevarie: Merci, pour la précision.

Le Président (M. Kelley): M. le député d'Orford.

M. Reid: ...sur cette question-là, moi, je trouve que vous apportez un point extrêmement intéressant parce que, quand on fait le tour de la question et qu'on regarde les législations dans plusieurs pays, c'est presque un sujet tabou. Autrement dit, on dit: Ah! on ne touchera pas à ce sujet-là, on ne touchera pas à ce domaine-là, aux personnes avec des handicaps, comme si on ne pouvait pas... Ou alors, dans certains pays, on a dit: On nomme des personnes pour prendre des décisions à leur place concernant l'euthanasie ou le suicide assisté.

Moi, je trouve que c'est très intéressant que vous nous arriviez aujourd'hui en disant: Attention, il y a des cas de diverses profondeurs, en quelque sorte, ou lourdeurs, mais on a là beaucoup , beaucoup de monde qui sont en mesure de réfléchir et de prendre des... d'avoir leurs propres idées, etc., il faut les respecter.

Alors, moi, je vous donne à vous et je nous donne à nous un peu un devoir. Si on peut... quand on pense en termes de législation... Parce qu'à la fin on va aboutir à des législations, c'est le but de toute l'opération, en plus de la réflexion que ça amène dans la société québécoise. Si on a des éléments qui peuvent aider à voir... ne pas traiter, nous, au Québec, cet élément-là dans notre législation comme un tabou. Autrement dit, travaillons dans ce sens-là. Et je nous donne la commande à tout le monde, dans le fond, mais parce que vous avez ouvert cette porte-là.

Mme Gratton (Danielle): Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonjour, bienvenue. J'ai lu que vous aviez un peu hésité à savoir si vous alliez venir vous prononcer sur le sujet. Bien, je veux vous remercier d'avoir eu l'audace ou le courage de le faire, parce que, je ne sais pas si vous suivez un peu nos travaux, mais on parle beaucoup, dans nos travaux, des personnes qui pourraient être vulnérables, des personnes qui auraient des conditions de vie différentes, plus difficiles, donc il y a beaucoup de gens qui parlent d'une manière ou d'une autre de gens qui sont dans votre situation, puis je pense que, par respect, c'est toujours important d'entendre les choses des principales personnes concernées. Alors, je suis bien contente qu'on puisse vous entendre aujourd'hui.

Vous l'avez dit vous-même, je pense, M. Janelle, que vous considérez les personnes de votre association parfois comme des personnes vulnérables. Et c'est vrai que, quand on parle d'une potentielle ouverture pour une aide médicale à mourir, que ce soit l'euthanasie ou le suicide assisté, il y a beaucoup de personnes qui nous parlent de craintes, de dérapages possibles notamment pour certains groupes de la société comme les personnes vulnérables ou qui ont des déficiences. Et ce que je trouve intéressant de votre propos, c'est que vous semblez admettre que, oui, il pourrait peut-être y avoir des craintes à cet égard-là, mais, en même temps, vous ne voulez surtout pas être considérés à part puis vous voulez être traités comme tout le monde, avec tout le pouvoir que vous avez sur votre personne.

Donc, moi, je veux vous entendre à savoir: Si, par exemple, il y avait une ouverture comme ce qu'on voit dans certains pays européens et qu'il faudrait toujours que la demande émane de la personne elle-même et, par exemple, qu'il y ait deux avis de médecins, qu'il y ait une évaluation de l'état de lucidité de la personne qui fait la demande, est-ce que, pour vous, en soi, ça, c'est une balise importante ou suffisante ou, en fait, qui rassure de savoir que ça devrait toujours provenir de la personne elle-même?

M. Janelle (Steve): Oui, ça devrait toujours provenir de la personne, surtout quand elle est encore en mesure, là, de prendre les décisions. Ce n'est pas rendu un coup... Comment je pourrais dire? Ce n'est pas rendu un coup, mettons, vraiment complètement inconsciente, là, plus être capable de prendre la décision, ce n'est pas plus là qu'elle va être capable de décider par elle-même, là. C'est quand elle va être consciente de pouvoir dire: Bon, moi, quand je veux... mais, si je veux mourir, bien je veux mourir d'une telle façon, tu sais, puis avec telle sorte de soins, tu sais, pour ne pas non plus, tu sais, que, rendue inconsciente, bien, les gens, tu sais, disent: Ah tiens, elle n'était pas... elle est encore là, mais, tu sais, plus capable de prendre une décision, donc on va décider pour elle. Ce n'est pas là, là, qu'il faut ...

**(11 h 50)**

Mme Hivon: O.K. Parce que j'aimerais vous entendre un peu si vous faites une analogie avec ce qui est prévu en ce moment dans le Code civil pour les situations de consentement aux soins. De ce que je comprends, les gens, même s'ils sont sous tutelle ou sous curatelle, ils doivent quand même donner leur avis, c'est-à-dire que leur avis, on doit toujours en tenir compte. Puis, de ce que je comprends, quand il y a un refus clairement exprimé, on doit même aller devant les tribunaux pour savoir, dans certains cas exceptionnels, quand une personne refuse vraiment clairement certains soins... parce que justement l'inviolabilité de la personne est un principe absolu qui est consacré.

Moi, je veux savoir un peu peut-être: Est-ce que vous faites un parallèle avec la situation actuelle pour le consentement aux soins et ce qui pourrait être le cas, par exemple, pour une aide active à mourir ou si, pour vous... Parce que, moi, je vois quand même une petite différence, dans le sens que souvent des soins ou des traitements... on offre à la personne des soins ou des traitements, en disant: Vous avez telle maladie, on vous offre ça, ça, ça, c'est vos options, puis là il y a différents niveaux de personnes qui peuvent consentir complètement ou qui sont sous tutelle, on va entendre leur avis, puis tout ça. Mais, dans le cas où, par exemple, ce serait quelque chose comme une aide à mourir, il faudrait vraiment qu'il y a une demande de la personne, donc il faudrait qu'il y ait un geste positif posé par la personne. Alors, moi, je vois quand même une différence, dans le sens que c'est plus proactif que dans l'état actuel des choses. Est-ce que vous voyez cette même différence-là par rapport à l'état actuel quand vous consentez à des soins? Est-ce que, pour vous, il y a des similitudes ou des différences? Comment vous regardez ça?

Mme Gratton (Danielle): Je vais vous avouer que les personnes ne sont pas allées jusque-là dans la réflexion. Il y a eu des cas, c'est sûr, qui ont marqué les gens autour, entre autres le cas de Robert Latimer, qui a été, chez nous, un grand sujet de discussion, autant au Québec qu'à la grandeur du Canada -- puis on est membres aussi de People First du Canada -- et ça divise les gens chez nous. Certains considèrent que... Puis on en a discuté beaucoup: Est-ce que quelqu'un était en mesure de présumer du bien-être de la personne? On elle est-u à l'aise avec ça, tu sais? Est-ce qu'on est à l'aise de dire si on a besoin de tel ou tel soin?

Puis, quand vous demandiez, au départ, là: Est-ce qu'on doit valider tout au court du processus?, ça, on a parlé de ça. Ça, les gens étaient d'accord pour qu'il y ait toujours une validation du consentement de la personne parce que, quand ils avancent... tu sais, on comprenait tous ensemble, là, que, quand on avance dans la souffrance, là, ce n'est pas évident, tu sais? Donc, qu'on vienne revalider, oui. Mais, au-delà, là, de cet espace-là de discussion, là, on n'est pas allés, tout simplement.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, mesdames messieurs, de votre contribution à ce débat. Je sais que, quand on représente un groupe comme le vôtre, toutes les batailles vous sont offertes, que ce soit pour l'accès aux soins, l'accès au monde du travail, mettre fin à des préjugés. Je sais que vous êtes interpellés de toutes parts. Alors, c'est d'autant plus important qu'on puisse vous entendre dans le cadre de ce débat-là. Moi, je vais m'attarder particulièrement à deux points importants qui ressortent de votre mémoire, les points 4 et 5, l'accessibilité des soins palliatifs de qualité et le fait que vous ne voulez pas vous retrouver placés sur une voie d'évitement au moment de passer à la dernière étape de votre vie.

La question des soins palliatifs, elle est très présente dans le débat actuel, dans les échanges actuels. Et on sait que les soins palliatifs sont organisés ou sont offerts en majorité à des gens qui souffrent du cancer, et ainsi de suite. Mais, pour les personnes que vous représentez, les personnes avec des déficiences intellectuelles, vous voyez comment l'octroi de soins palliatifs de qualité? Vous les voyez où? À la maison, en centre hospitalier, en maison particulière? Et qu'est-ce qui ferait que vous pourriez éviter cette appréhension que vous avez de vous retrouver sur une voie d'évitement au moment de passer à cette dernière étape de votre vie? Qu'est-ce que vous voulez nous lancer comme message par ce questionnement ou cette affirmation?

Mme Gratton (Danielle): Qu'il y ait des endroits adaptés pour nous. Puis aussi, ceux qui veulent avoir le droit de mourir à la maison, qu'ils respectent leur choix.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...

Mme Gratton (Danielle): Je peux peut-être compléter... Excusez. Je peux peut-être compléter un petit peu. Dans le fond, toute la problématique des soins, c'est que les gens, ils ont eu le réflexe de dire -- puis soyons très honnêtes, là -- de dire: Bien oui, mais c'est parce que, demain matin, il va y avoir énormément de gens qui vont se retrouver avec un besoin de soins de santé de base qui va être important. Nous, on reçoit déjà et on a déjà de la difficulté à recevoir les soins du CRDI, du CSSS, présentement -- puis ça, on le disait un petit peu, là -- il y a des changements dans le système, ce n'est pas évident, alors qu'il faudrait qu'il y ait des soins particuliers qui soient développés en surcroît de ce qu'on a maintenant.

Ça fait que, là, ce n'était pas difficile: un plus un égale deux. Puis, si on ajoute un autre type de soins, qu'on le développe parce qu'il y a un besoin -- puis il va y en avoir un -- bien là ce n'était pas difficile pour tout le monde de dire: Bien, nous, on n'aura pas d'argent, là, on n'ira pas en clinique privée, là. Ça fait qu'on va être où dans tout ça? On va-tu pouvoir... Est-ce qu'il va y en avoir dans toutes... Parce qu'on a des mouvements dans toutes les régions, L'Annonciation, Maniwaki, Saint-Georges de Beauce. Est-ce que l'accessibilité va être pour tout le monde si je veux vraiment avoir des soins qui tiennent compte aussi...

Parce que la recherche sur le vieillissement des personnes qui ont une déficience intellectuelle, avant, on n'en parlait pas. Ils ne vieillissaient pas; ils mouraient plus jeunes. Mais maintenant ce n'est plus le cas, là. Nos membres, on a même... On est même obligés maintenant à s'occuper de la relève parce qu'on a des membres qui ont 70 ans, 72 et plus. Et ces gens-là présentent des difficultés différentes d'une personne sourde, d'une personne ordinaire, d'une personne qui n'a pas d'handicap. Il faut les comprendre, il faut savoir.

Donc, on va-tu en avoir suffisamment pour qu'on ne soit pas tentés, juste tentés de mettre les gens de côté parce que... Puis c'était ça, la crainte: On va-tu être mis de côté parce qu'il va y avoir tellement de monde à soigner puis avec des soins spécialisés aussi qu'ils ne s'apercevront pas qu'on a besoin de quelque chose de particulier? C'est plus dans ce sens-là, la crainte.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Je suis contente de vous entendre. La question qui me vient en vous entendant, c'est: Est-ce qu'actuellement, à partir du travail terrain que vous avez fait pour consulter vos gens puis aller les voir puis à partir des pôles de travail que vous avez un petit peu partout au Québec, vous avez des témoignages où... oui, des témoignages de gens qui vivent cette dernière partie de leur vie dans une situation insécurisante, si bien qu'ils ne se sentent pas la capacité de prendre des décisions parce qu'il y a une insécurité très importante quant à la suite des choses?

Mme Gratton (Danielle): Bien, plus ou moins. Je vais vous dire, plus ou moins. Les personnes des mouvements Personne d'abord qui sont en défense de droits sont des personnes qui ont une déficience intellectuelle légère, un peu moyen, mais pas lourd, O.K., parce que ce sont des gens qui sont intégrés souvent... Bon, Louise, Steve vivent en appartement, tu sais, il y en a plusieurs, là, qui... Donc, ils ne sont pas dans des situations... Par contre, ils connaissent des gens à l'occasion qui se retrouvent avec d'autres personnes dans d'autres situations, dans des CHSLD, entre autres, où là c'est assez difficile parce qu'il n'y a pas de spécification dans les soins. Donc, la réponse, elle n'est pas toujours adaptée, là. Tu sais, c'est plus dans ce sens-là. Même pour eux, la réponse quelquefois, dans les CLSC, n'est pas adaptée. Alors, tu sais, aller passer un examen, là, ce n'est pas toujours évident de bien faire comprendre les craintes qu'ils ont, ou qu'est-ce qu'ils aiment moins, ou qu'est-ce qui devrait être fait.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Beauce-Nord.

**(12 heures)**

M. Grondin: Merci, M. le Président. Alors, moi, je trouve que, mourir dans la dignité, il me semble qu'aujourd'hui... Est-ce que vous avez des cas particuliers où les gens ne sont pas morts dans la dignité? Parce que, moi, à cause de mes cheveux blancs, disons que la vie m'a peut-être fait passer... Ça fait quelques personnes que je vois mourir à côté de moi, et il me semble qu'en tout cas le système de santé qu'on a à l'heure actuelle fait un travail extraordinaire quand arrive la fin de vie, peu importent les personnes. Et, que les personnes soient en parfaite santé ou qu'elles aient des difficultés quelconques, quand on arrive à quelques heures de la mort, je peux vous dire une chose, on est tous pareils, là. La mort, il n'y a pas de déficient rendu à quelques heures de la mort, on est tous sur le même pied. On vient au monde tous sur le même pied puis on meurt tous sur le même pied, ça, c'est un fait.

Moi, j'ai vu, en tout cas, ce que j'ai vu dans les dernières années, quand on arrive dans le système de santé, quelqu'un qui arrive à ses dernières heures de vie, moi, je trouve assez que les gens, en tout cas, moi, ce que j'ai vécu, ils sont très professionnels, ils offrent des opportunités aux gens. Tu décides. Ils vont te dire: Si je te traite, tu vas peut-être vivre un mois de plus, mais tu vas avoir plusieurs traitements à suivre. Si je ne te traite pas, bien tu vas vivre peut-être une semaine. Et c'est le patient, puis souvent même le patient qui a toute sa tête dit: Je vais y réfléchir un peu. Puis il demande à d'autres de lui aider à réfléchir, puis c'est... En tout cas, moi, je vous dis ça parce que je l'ai vécu, là, mais il reste que la dernière... En tout cas, moi, dans les cas que j'ai vécus, la réponse finale est venue de la personne qui a pris la décision, et après ça la médecine a fait son travail. Si la personne décide qu'elle ne suit pas de traitement, bien ils appellent ça... elle l'embarque sur un protocole, et puis ça dure trois, quatre jours, mais je pense, moi, que l'accompagnement est quand même très bien. Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui...

Je n'ai pas vu nécessairement de cas, moi, en tout cas, qui a porté, là... qu'on soit obligés de faire une loi puis faire un tracé direct, là: Tu n'embarques pas dans ça, bien tu t'en vas l'autre bord. Moi, j'ai un peu de difficultés à faire une loi pour dire: Tu vas mourir dans la dignité. D'après moi, la mort, c'est digne, ça fait partie de la vie et on n'a pas besoin de loi pour ça. On va tous passer là. Ça, en venant au monde, il faut accepter de mourir. Si on n'acceptait pas de mourir, on ne viendrait pas au monde. Alors, moi, j'ai un peu de difficultés. Moi, je trouve qu'aujourd'hui, là, le... Moi, je regarde, vous parlez souvent, en région, qu'est-ce qui se passe. En région, moi, je suis de la Beauce, et je trouve qu'il y il y a des organisations, les groupes d'accompagnement, des gens... Comme j'en ai un à Sainte-Marie, le groupe Jonathan, qui accompagne les gens en fin de vie. On a la maison Catherine-De Longpré qui fait un travail extraordinaire.

Alors, moi, je trouve qu'aujourd'hui les gens meurent dans la dignité. Je sais bien qu'on va faire peut-être un projet de loi, mais il va falloir qu'il soit quand même, je ne sais pas, moi, délicat, parce que ça appartient à chacun. Moi, j'ai vu mon père qui, toute sa vie, a dit: Je ne veux pas avoir de traitement, je ne veux pas que... je ne veux pas traîner dans les hôpitaux...

Le Président (M. Kelley): En conclusion, M. le député, parce que le temps file.

M. Grondin: Puis il ne voulait pas traîner dans les hôpitaux. Il ne voulait pas... il a vécu jusqu'à 90 ans en pleine santé. Et, quand est arrivé ce temps-là, bien là il hésitait. Il dit: Toute ma vie, je n'ai pas voulu aller là, mais... Je crois, quand on arrive à la fin de la vie, des fois, nos idées changent, et c'est bien normal. Alors, moi, je pense qu'aujourd'hui je pense qu'on a quand même une très bonne vision, le Québec, de mourir dans la dignité. Je ne sais pas si je suis en tort, là, mais c'est ce que j'ai vu en tout cas.

Le Président (M. Kelley): Comme mot de la fin, avez-vous des commentaires, Mme Bourgeois, M. Janelle, Mme Gratton?

M. Bourgeois (Louise): C'est beau.

Le Président (M. Kelley): C'est beau? Il me reste à dire merci beaucoup pour prendre le temps de consulter vos membres, participer à... L'idée de la commission, c'est d'entendre toutes les voix de l'ensemble de la population québécoise. Votre voix est très importante. Alors, merci beaucoup pour votre contribution.

Je vais suspendre quelques instants et je vais demander les représentants de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 12 h 5)

(Reprise à 12 h 8)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. On est maintenant rendus à notre deuxième témoin aujourd'hui, et c'est les représentants de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, représentée, entre autres, par sa présidente, Mme Régine Laurent. Alors, sans plus tarder, Mme Laurent, la parole est à vous.

Fédération interprofessionnelle
de la santé du Québec (FIQ)

Mme Laurent (Régine): Merci. Bonjour, M. le Président. Bonjour et merci aux membres de la commission de nous entendre. Avant de débuter, je tiens à présenter les personnes qui m'accompagnent: Mme Michèle Boisclair, qui est la première vice-présidente de la fédération, et Mme Brigitte Doyon, qui est conseillère syndicale, qui a travaillé à la production du mémoire qu'on vous a envoyé au mois d'août.

Alors, on entend, comme organisation travailleuse dans le domaine de la santé, porter une attention toute particulière... non seulement on l'a fait en raison de l'importance du débat de cette consultation, mais aussi parce que les défis et les enjeux liés au droit des citoyennes et des citoyens de mourir dans la dignité, c'est au coeur de la réalité de ce que nous sommes comme professionnelles en soins.

Pour alimenter notre réflexion, nous avons organisé avec nos membres, le 1er juin, donc nos 500 déléguées réunies en conseil fédéral, nous avons organisé une activité où on leur a posé plusieurs questions sous plusieurs thèmes regroupant la question mourir dans la dignité. Alors, cette consultation, c'est à partir de la synthèse de cette consultation que nous avons produit le mémoire que vous avez en main.

**(12 h 10)**

D'abord, on va faire état rapidement de la conjoncture actuelle, les principaux constats que l'on peut dégager quant à l'offre actuelle des soins palliatifs, l'état général du système et les lacunes observables et on vous fera part aussi de quelques pistes de solution.

Dans notre seconde partie, vous l'avez vu, si les enjeux et si la société se posait la question de l'euthanasie ou du suicide assisté, nous avons quelques réserves que j'ai exprimées vers la fin. Mais, tout d'abord, il faut que ce soit clair que, dans l'éventualité où la société, à l'issue d'un débat démocratique et très large, arrive à se prononcer sur le suicide assisté ou l'euthanasie, je pense que nous avons des outils bien avant ça qu'il faut utiliser et j'en ferai la démonstration au cours de la présentation.

Donc, pour nous, c'est clair que la fédération n'entend pas trancher de façon stricte et définitive la pertinence de faciliter ou non le recours à l'euthanasie ou au suicide assisté. Ce n'est pas à nous d'émettre une position ferme sur le sujet mais bien à la population que nos membres soignent au quotidien. C'est sûr que les améliorations qui devraient être apportées afin de favoriser l'état de mourir dans la dignité, c'est important et ça a fait l'objet de débats durant cette journée du 1er juin.

Je passerai rapidement sur la législation, on pourra y revenir en termes de questionnement, mais j'insisterai plutôt sur la capacité du réseau québécois de la santé de faire face à la croissance des besoins, et ça, je le mets en lien avec l'idéologie qui anime actuellement nos décideurs. Comment, effectivement, dans un tel contexte et dans une telle philosophie, assurer le respect de mourir dans la dignité? Pour nous, c'est une question qui ne peut être occultée du débat. C'est important pour nous puisqu'on sait les conséquences du sous-financement et du développement des lits en soins palliatifs. J'y reviendrai.

Mais, quand on parle du sous-financement, je ferai référence aussi à la privatisation. Prenons d'abord la situation des personnes âgées qui sont hautement vulnérables et particulièrement qu'on retrouve en centres d'hébergement où le financement est limité et où aussi, quand on est à l'extérieur d'un établissement, le soutien, le maintien à domicile est très déficient. Il manque considérablement de possibilités de prodiguer les soins auxquels ces personnes devraient s'attendre.

Le gouvernement a fait un choix de se désengager par rapport aux personnes âgées et de référer beaucoup dans les ressources intermédiaires et les ressources non institutionnalisées. On se pose des questions par rapport au débat qui nous anime aujourd'hui quand on sait que, dans ces ressources-là, par exemple, la médication est administrée par du personnel non formé, au jugement clinique inadéquat pour être capable d'assumer de telles responsabilités.

La privatisation de plus en plus grande des CHSLD nous questionne beaucoup. C'est clair que ça va créer de plus en plus d'inégalités, et les gens qui auront les moyens pourront aller, quand ils auront besoin d'un certain nombre de soins, dans des centres privés, et, pour les autres, ils n'auront d'autre choix que de se diriger vers les établissements publics. Donc, ils n'auront pas le choix vraiment de leur voeu de mourir chez eux si c'est le cas. Alors, pour nous, c'est clair, à la fédération, que la qualité des soins et la dignité ne devraient pas pouvoir s'acheter.

Je vais rapidement. C'est vrai qu'il n'y a pas que la population vieillissante qui fait les frais de cette philosophie et de cette gestion néolibérale. Je ne peux passer sous silence la situation dans les urgences. La situation dans les urgences, quant à nous, remet aussi en question le droit des Québécois et des Québécoises de mourir dans la dignité. Un chiffre seulement: en 2006, les urgences ont représenté la porte d'entrée de plus de 78 % des hospitalisations qui se sont soldées par un décès. Comment admettre qu'une personne décède sur une civière, dans un corridor d'urgence, à la vue de tous, sans être adéquatement prise en charge et sans que la famille ne soit non plus adéquatement prise en charge?

Que dire encore des importantes problématiques qui découlent d'un autre volet de la privatisation, qui est extrêmement inquiétant? Et vous connaissez très bien, je pense, les positions de la FIQ par rapport aux agences privées, au fait que, de plus en plus, dans notre système de santé, on a recours à ce personnel venant d'agences privées, avec les effets pervers que nous dénonçons depuis plusieurs années déjà.

On ne peut aller dans l'amélioration des soins palliatifs sans parler des conditions de travail et d'exercice de celles qui sont au coeur de cette dispensation de ces soins. Pour nous, peu importe le milieu clinique, l'amélioration du contexte de travail, l'amélioration des conditions d'exercice ne peut être détachée du fait de mourir dans la dignité. À ce titre, nos déléguées réunies en conseil ont insisté sur plusieurs points. Par exemple, sur l'amélioration de la formation des intervenantes et celles qui oeuvrent dans des milieux même qui ne sont pas spécifiquement dédiés aux soins palliatifs, ça demeure important pour nous, la formation aussi. L'accès dans ces milieux à un endroit qui soit dédié à la personne et à ses proches faciliterait des conditions d'exercice pour nos membres. Il y a aussi l'accessibilité à d'autres professionnels dont l'expertise est nécessaire dans l'équipe multi, soit des psychologues, travailleuses sociales, qui ne sont pas présentes forcément 24 heures par jour. Alors, pour nous, c'est important qu'il y ait une coordination de ces différents intervenants.

Je vous le disais tantôt, pour nous, pour favoriser le fait de mourir dans la dignité, il y a les soins palliatifs à améliorer. Tout d'abord, l'accessibilité spécifique, c'est important. Si on y revient à domicile, c'est vrai que les soins sont gratuits, cependant la personne qui décide de mourir à domicile, elle et sa famille, ses proches doivent assumer les frais des médicaments, de l'équipement nécessaire, et, pour trop de familles, c'est trop lourd. Alors, ils doivent ne pas exercer leur voeu de mourir chez eux et se diriger vers un centre hospitalier, et, quant à nous, c'est nier encore le droit de mourir dans la dignité et de respecter le voeu de la personne.

D'autres améliorations à apporter, toujours selon nos déléguées qui ont été consultées en juin. Il doit y avoir une réelle volonté politique d'augmenter le nombre de lits dédiés aux soins palliatifs, particulièrement dans les centres hospitaliers et dans les centres d'hébergement et de soins de longue durée. De plus, la possibilité de demeurer à la maison doit être étendue par le biais de la bonification du maintien à domicile, du soutien de la part des CLSC et aussi du soutien technique et financier accordé aux proches désireux de s'impliquer.

L'augmentation des lits de soins palliatifs doit aussi aller de pair avec la disponibilité des professionnelles en soins. Plusieurs commentaires ont été émis par notre délégation. Les soins palliatifs sont moins attractifs, et les professionnelles en soins qui y travaillent ne sont pas toujours soutenues. Alors, ce qui a été mis en lumière, c'était que c'était important qu'il y ait une équipe multidisciplinaire réelle et qu'il y ait aussi un soutien organisationnel. Les études l'ont démontré, quand il y a un soutien organisationnel, ça diminue le facteur de stress pour les professionnels qui travaillent dans ces milieux. Donc, elles soulignent aussi l'importance des équipes stables, et, en ce sens, vous ne serez pas étonnés de nous entendre sur l'importance d'une planification de la main-d'oeuvre, qui amène effectivement à avoir des équipes stables pour travailler dans ces milieux particuliers.

L'équipe multidisciplinaire doit être une équipe dédiée effectivement aux soins palliatifs, et, en ce sens-là, il y avait des recommandations du ministère de la Santé et Services sociaux. On sait que, dans certains milieux, ça existe, mais ce n'est que... c'est malheureusement l'exception.

Je vous disais d'entrée de jeu que, dans une deuxième partie, si la société québécoise devait aller vers l'euthanasie et le suicide assisté, nous en avons discuté aussi avec notre délégation au début juin, c'est pour nous une sous-question fort complexe, délicate, au-delà des aspects juridiques éthiques, mais aussi parce que ça touche des valeurs morales, religieuses des individus, des familles et de la société. Donc, c'est important que ce soit débattu en profondeur.

En ce sens, le délai qui était imparti par la commission pour produire notre mémoire nous a empêchés et ne nous a pas permis, à la fédération, de procéder à une consultation plus large de nos membres, infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes. Par conséquent, les commentaires qui suivent sont le reflet d'un premier tour d'horizon pour les professionnelles en soins et ne doivent en aucun temps être interprétés comme une position de notre organisation.

Alors, ce premier tour d'horizon nous dit quoi? Pour nous, les membres de la fédération, le respect des volontés de l'individu doit être la prémisse guidant les soins et les services dispensés, et ce, peu importe le moment, le lieu ou la problématique de santé. Si jamais la société allait dans ce sens et qu'il était possible de poser de tels actes, ça devrait être avec l'aboutissement d'un choix autonome que la personne effectuerait par et pour elle-même.

**(12 h 20)**

Toutefois, le respect du principe de libre choix s'accompagne de certaines préoccupations, un choix non seulement libre, mais aussi éclairé. Pour ce faire, la personne doit être apte à consentir aux soins, ce qui fait référence à la capacité de la personne à comprendre la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé, la nature, le but du traitement, les risques, les avantages de celui-ci, qu'elle le reçoive ou non. Pour nous, si une Québécoise ou un Québécois devait un jour pouvoir choisir l'euthanasie ou le suicide assisté, cela devrait se faire en s'assurant qu'elle a reçu toutes les informations nécessaires à sa prise de décision. Une des recommandations émises réside dans l'implication étroite des équipes multidisciplinaires dont j'ai parlé un peu plus tôt.

Plusieurs groupes ont parlé du testament de fin de vie; nous, on le voit comme un levier aussi qu'il faut bonifier. Mourir dans la dignité est intimement associé au respect des volontés émises par la personne en fin de vie. Donc, pour nous, le testament de fin de vie de même que le mandat d'inaptitude représentent des leviers forts pertinents sur lesquels il faut miser. Les professionnelles en soins déléguées de la FIQ sont d'avis que le testament de fin de vie est un levier essentiel mais qui est sous-utilisé. Donc, pour nous, ce serait important de mieux faire connaître ce testament de fin de vie et le mandat d'inaptitude et que ce soit mieux connu par l'ensemble des professionnels qui oeuvrent.

On suggère donc que le testament de fin de vie soit spécifiquement mentionné à la loi, qu'il fasse l'objet d'une législation en bonne et due forme. Cela permettrait d'en assurer davantage le respect de la part des proches, mais aussi des médecins, puisqu'il revêtirait un caractère plus formel qu'il ne l'est actuellement.

Pour les professionnelles consultées, elles croient qu'une personne apte pourrait demander à l'avance dans son testament de fin de vie, en prévision de son inaptitude, que l'on mette fin à ses jours. Toutefois, cela devrait être assorti de certaines conditions, et le fait d'exprimer, par exemple, une telle volonté ne devrait pas être suffisant. Les professionnels en soins qui accompagnent la personne auraient la responsabilité d'évaluer de façon pointue l'imminence du décès ou tout au moins le caractère irréversible de l'atteinte physique, la gravité de l'état et la perte de la qualité de vie. Les membres de la FIQ précisent également qu'une telle volonté inscrite au testament de fin de vie devrait faire l'objet d'une réévaluation régulière et d'une revalidation.

D'autres questions toujours soumises lors de ces activités. On a demandé à nos déléguées qui devrait pouvoir s'exprimer de cette façon. Pour elles, une personne apte devrait avoir le droit de demander à ce qu'on mette fin à ses jours ou encore qu'on l'aide à le faire si cela devenait possible un jour, selon la volonté de la société. Par contre, pour elles, une telle demande devrait être accompagnée de balises, notamment au niveau des critères à respecter, avant que le geste ne soit posé.

Il faut surtout retenir que, pour la délégation de la FIQ, la notion d'aptitude revêt une importance très prononcée, laissant entendre qu'une personne inapte ne pourrait être habilitée à prendre seule une telle décision à moins qu'elle ne l'ait exprimée ou faite au moment où elle était encore apte. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'un outil tel que le testament de fin de vie revêt une importance particulière, parce qu'il permet à la personne d'exprimer ses volontés au moment où elle est en mesure de le faire de façon éclairée.

Pour ce qui est des personnes mineures, nous avons posé la question et, là, nous sommes loin d'un consensus au niveau de la fédération. C'est une question qui est particulièrement délicate, à un point tel que nous devons conclure que nos membres ne sont pas prêtes à donner leur aval à la possibilité que des personnes mineures puissent demander l'euthanasie ou le suicide assisté pour elles-mêmes. Pour ce qui est de savoir si la famille d'une personne inapte pourrait formuler une telle demande, la délégation de la FIQ se prononce très majoritairement en faveur.

J'y vais rapidement. On a eu quelques commentaires de nos déléguées sur les critères et les balises. Tout d'abord, elles nous disent que, comme ça ne fait pas consensus, les catégories de personnes qui pourraient faire une demande d'euthanasie ou de suicide assisté, alors, si le caractère imminent de la mort semble constituer une limite qui rallie la plupart des professionnelles en soins, les autres cas font l'objet d'importantes réserves. Elles seraient beaucoup plus réticentes à permettre à des personnes atteintes d'une maladie dégénérative, invalidante ou incurable mais dont la vie n'est pas menacée... C'est difficile pour elles de permettre à ce genre de personnes de faire une demande d'euthanasie ou de suicide assisté. En fait, c'est le degré d'invalidité et de souffrance qui semble être au coeur du débat.

Pour nous, chaque cas est unique, chaque personne et chaque situation sont différentes, ce qui rend difficile pour nous l'application mur à mur des critères. Chaque situation devrait donc être étudiée individuellement, chaque cas devrait faire l'objet d'une évaluation pointue, mais que le caractère irréversible de l'atteinte physique devrait toujours être au centre de la décision. Par ailleurs, la très grande majorité de nos déléguées s'opposent à ce que des personnes aux prises avec de grandes souffrances psychologiques puissent formuler une telle demande.

Au sujet du type d'intervenant de la santé qui devrait pratiquer l'euthanasie et/ou le suicide assisté si la société y arrive, très majoritairement nos membres sont d'avis que seuls les médecins devraient être habilités à poser de tels gestes. Cette position prend assise dans la préoccupation que soit légalement contrôlée la pratique de l'euthanasie et du suicide assisté dans son aspect clinique et qu'y soient associées des conditions très claires notamment afin de contrôler les risques d'abus. Ceci étant, des professionnelles en soins estiment qu'elles devraient avoir aussi un rôle important à jouer en tant que dispensatrices de premier plan dans les soins de fin de vie.

Maintenant, si effectivement cela devenait possible, dans quel milieu clinique l'euthanasie et le suicide assisté devraient-ils être pratiqués? La totalité des professionnelles en soins consultées croient que ces actes ne devraient pas être posés uniquement en centre hospitalier. La raison invoquée est claire, c'est pour répondre aux besoins et aux volontés des personnes en fin de vie et de leurs proches et afin que la mort soit le plus digne possible dans d'autres milieux se rapprochant plus du milieu de vie naturel... et devrait pouvoir être choisi, comme dans les CHSLD, le soin à domicile ou dans les maisons spécialisées.

Enfin, il nous apparaît qu'une demande d'euthanasie ou de suicide assisté ne pourrait pas être formulée uniquement de façon verbale. On propose aussi un certain délai, que nous n'avons pas quantifié, qui devrait être respecté entre le moment où la demande est formulée et où l'acte est posé afin de s'assurer du caractère irréversible du désir de la personne que l'on mette fin à ses jours.

Nous avons informé notre délégation de ce qui se passe en Belgique, particulièrement sur la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie. Informées de l'existence d'une telle commission, les déléguées de la fédération sont d'avis qu'il devrait en être de même au Québec si le recours à l'euthanasie devait y être facilité.

D'autres préoccupations ont aussi été émises. Bien que l'on traite abondamment de la dimension émotive qui accompagne les soins de fin de vie pour la personne et ses proches, on parle beaucoup moins de ce qu'il en est pour les intervenantes. On sait que le domaine des soins de fin de vie s'avère souvent un milieu stressant, en plus de toute la charge émotive qui le caractérise. La possible souffrance engendrée par le conflit entre leurs valeurs individuelles et les gestes professionnels qu'elles ont à poser ou encore la difficulté à garder suffisamment de distance entre leur émotivité et l'exercice de leur profession dans un tel contexte comptent parmi les préoccupations qui ont été émises par plusieurs de nos déléguées.

Plusieurs des recommandations émises sont aussi à l'effet d'assurer une pratique s'inscrivant dans un esprit d'équipe et de multidisciplinarité. Une formation spécifique sur le sujet non seulement afin d'orienter adéquatement leur pratique, mais aussi pour saisir les limites et la portée de ce qu'elles sont ou seraient appelées à poser comme acte... Elles souhaitent notamment être habilitées à se protéger en regard d'une éventuelle pratique de l'euthanasie ou du suicide assisté.

Au-delà de la formation, les établissements auraient à soutenir les équipes soignantes en privilégiant les échanges au sein de l'équipe interdisciplinaire ainsi que la supervision clinique et la contribution des éthiciens. Les ordres professionnels, normalement, y seraient associés, bien évidemment. On pense aussi que la bonification des codes d'éthique et des comités d'éthique dans chaque établissement apparaît aussi comme un levier indispensable pour favoriser le mourir dans la dignité.

**(12 h 30)**

Enfin, nonobstant les ajustements légaux, professionnels, organisationnels et éthiques en jeu, les professionnelles en soins déléguées de la FIQ insistent très fortement sur un aspect souvent négligé dans le débat sur l'euthanasie et le suicide assisté: Seraient-elles obligées de poser de tels gestes s'ils devaient devenir légaux? Pour elles, la réponse est claire, en aucun cas, elles ne veulent se voir contraintes d'exercer des actes allant possiblement à l'encontre de leurs valeurs tant professionnelles qu'individuelles. Et, quand on revient au cas de la Belgique, les soignants ont le droit de refuser de pratiquer certains actes.

En terminant, je veux juste vous rappeler les points importants pour nous à la fédération, donc la bonification des lits de soins palliatifs, augmenter le nombre de lits de soins palliatifs, y associer le personnel, donc les soignants en nombre suffisant et de qualité. Et je ne saurais laisser la commission sans insister une fois de plus sur les effets négatifs de la privatisation. Ces dernières semaines et journées, on en a plein dans l'actualité. On ne pense pas que mourir dans la dignité, ça se fait avec, par exemple, une seule infirmière pour 200 patients la nuit parce que soi-disant les patients dorment. Je suis désolée d'apprendre à plusieurs que des patients meurent la nuit.

À l'instar de M. Blondeau, pour terminer, la FIQ estime que la question de la législation de l'euthanasie n'est ni une question médicale, ni une question juridique, c'est une question qui concerne l'ensemble de la société québécoise et qui s'inscrit dans un projet de société. Quelle place souhaite-t-elle accorder à des valeurs comme l'altérité, la solidarité, l'autonomie? Quelle société souhaite-t-elle être? Pour nous, ce n'est qu'un début dans ce débat-là, et nous seront présentes tant que la commission... Quand il y aura des suites, nous seront toujours présentes pour faire entendre la voix des soignantes. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Laurent, pour cette présentation. On va passer immédiatement aux périodes d'échange avec les membres de la commission. Et je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Mesdames, je vous taquinerait en vous disant: Je suis contente de vous voir en personne. Parce que je vous ai souvent vu dans les médias, mais jamais rencontré en personne. Donc, ça me fait plaisir de vous rencontrer aujourd'hui.

Et, d'entrée de jeu, je vous dirais que cette commission, qui s'est promenée et qui va continuer à se promener, se donne le mandat de défendre, à chaque fois qu'on parle de financement... de rappeler aux gens qu'elle n'a pas pour but autre que d'entendre sur des valeurs de société et qu'il n'y a personne qui se lève le matin pour aller travailler, en santé, en se disant: Je vais aller débrancher, je vais aller endormir à jamais, je vais aller tuer quelqu'un. Nous défendons l'aspect professionnel des gens que vous représentez à chaque fois qu'on a la chance de le faire.

Je suis restée étonnée malgré tout que ce soit vous qui nous parliez de financement. Mais j'ai compris que vous représentez des gens et que, chez nous, on dit -- puis je n'ai pas le don d'aller faire le tour du pot trop longtemps -- la game, c'est aussi de nous faire valoir les points que vous faites valoir aussi sur l'aspect de la défense de la FIQ. Donc, j'ai compris que le début de votre intervention, qui parlait de financement et de privatisation, faisait aussi la défense des choses que vous faites dans votre quotidien.

Je reviens à vos membres, puisque je crois sincèrement que chacun d'eux est un participant à cette société que nous avons. Et, malgré le fait que vous nous dites que vous ne vous positionnez pas, j'ai apprécié de vous entendre parler du respect de la personne. Nous avons reçu, à différentes périodes, des gens qui ont la même profession que vous représentez et qui nous ont parlé un peu de cette relation que vous avez, qui est privilégiée, quelques fois très intense. Et je fais une autre parenthèse pour vous dire que j'apprécie que vous nous parliez de cette intensité-là et du besoin d'après des membres de votre organisation parce qu'effectivement on en parle peu. L'infirmière ou l'infirmier qui a fini son circuit avec un patient et qui a perdu... le patient a décidé de quitter, il reste une personne en arrière, il reste sa famille, il reste... mais il reste aussi les soignants.

On nous a beaucoup parlé de formation, et j'aimerais vous entendre là-dessus, puisqu'il y a nécessairement les proches aidants, il y a les aidants naturels, il y a la famille et il y a les gens que vous représentez. La formation qu'on devrait donner, pas nécessairement aux gens que vous représentez, mais aux gens qui les aident dans le quotidien des maisons de soins palliatifs... On parle de la famille. Je ne vous amènerai pas sur le plancher de privatisation, rien de ça. Je veux plus vous entendre sur cette espèce de complicité-là qu'on a dans les maisons de soins palliatifs, qui doit se développer entre le personnel infirmier, l'équipe soignante mais aussi la famille qui est alentour. La formation qu'on devrait ou qu'on pourrait avoir pour ces gens-là devrait venir d'où et comment? J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Kelley): Mme Laurent.

Mme Laurent (Régine): Merci. Je vais commencer par ça. Effectivement, nous, la réflexion, ce n'est peut-être pas clair dans le mémoire, on a continué d'y réfléchir depuis, on pense que la mort c'est encore tabou dans notre société. Et, là où il y a des soins palliatifs, effectivement cette complicité dont vous parlez entre la famille, les soignantes et les bénévoles, les proches, tout le monde, ça se fait très bien, là où il y a des soins palliatifs. Le problème, c'est que c'est mineur, les gens qui peuvent vraiment aller en soins palliatifs en fin de vie. Donc, pour nous, comme c'est une société où c'est encore tabou, on pense qu'il faut parler beaucoup plus de la mort, il faut nous donner la capacité d'en parler aussi.

On se disait, par exemple, que le testament de fin de vie ou le mandat d'inaptitude, quand on dit «le rendre accessible», c'est forcé d'en parler aussi. Si ça fait partie de notre pratique professionnelle, donc, lorsqu'on fait l'accueil de quelqu'un qui est dans un état critique, ça devrait faire partie de cet accueil-là, de poser la question à la famille: Est-ce que vous savez s'il y a un testament de fin de vie? Est-ce qu'il a été fait? Donc, déjà de prévoir les choses avant que l'état de la personne ne se détériore, malheureusement. Donc, pour nous, c'est de cette façon-là qu'on peut le faire.

Et on peut le faire aussi quand on a parlé de la coordination des différents intervenants. Et, à ce moment-là, les infirmières particulièrement ont un outil de suivi clinique qui est important, qui est le plan thérapeutique infirmier. Alors, ça, on pourrait effectivement le bonifier encore, quand on parle de soins palliatifs, pour que les traces cliniques et nos interventions puissent servir à d'autres professionnels de la santé aussi.

Pour les membres de la FIQ de façon plus spécifique, en dehors des lieux de soins palliatifs, pour nous, c'est important, cette formation-là aussi parce qu'en attendant qu'on développe encore plus de lieux de soins palliatifs il faut les accueillir quand ça arrive dans les urgences, il faut faire la même chose en CHSLD ou en soins à domicile. Donc, cette formation-là dans les lieux ailleurs qu'en soins palliatifs, c'est important pour nous.

Je comprends vos commentaires que vous avez faits: Pourquoi est-ce qu'on parle de financement et de privatisation? Pour nous, on ne peut pas dissocier ça. Ce que nous voyons dans le quotidien en ce moment, ce ne sont pas des gens de notre société qui sont capables de mourir dans la dignité selon la façon dont, nous, on voit les choses au quotidien. Puis je laisse de côté les urgences. Mais, même en CHSLD, quand ce n'est pas possible de faire de l'accompagnement de la famille parce qu'on voit venir la mort de façon imminente dans les prochaines heures, si l'infirmière est toute seule pour 200 patients, ce n'est pas vrai qu'elle peut passer plusieurs heures à faire l'accompagnement, parce que les autres personnes ont besoin aussi de ses soins. En ce sens-là, pour nous, c'est important de lier le financement et la privatisation. Ces deux-là sont liés, et ça nous empêche vraiment d'exprimer de façon claire nos valeurs que nous avons comme professionnels en soins.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée.

**(12 h 40)**

Mme Charbonneau: Vous avez fait une petite approche sur les maladies incurables. Nous avons eu des témoignages importants de gens qui ont soit des maladies incurables ou soit des maladies orphelines. Il y a des gens qui sont venus nous dire que ce qui pourrait les soulager de la lourdeur de porter cette maladie au quotidien, c'est d'avoir ce choix-là qui leur appartiendrait et qui viendrait les réconforter ou leur donner une certaine sérénité sur leur fin de vie.

Je comprends, quand vous nous dites que les maladies incurables, pour les membres chez vous, c'est plus difficile de porter un jugement parce qu'on ne parle pas de quelqu'un qui est en mort imminente, mais qui peut -- et on en a eu des très beaux témoignages -- qui peut avoir peur de certaines choses. Puis, quand je dis «peur», je m'explique, je vais jusqu'au «locked-in syndrome», où, là, la personne sait que, de par ce qui va la toucher, il y aura là une problématique majeure, ou mourir tout simplement étouffée, parce que la maladie, c'est là, jusque-là qu'elle va. Je ne vous en explique pas plus, je pense que vous en avez assez vu dans votre métier pour ne pas que j'aie besoin d'aller loin.

Alors, ces gens-là nous ont dit: Si, nous, on avait cette possibilité-là, ce choix-là, on n'est pas sûrs qu'on irait jusque-là, mais d'avoir le choix viendrait nous réconforter dans le principe même de mourir dans la dignité ou, comme on s'est amusé à changer le titre une couple de fois, mourir avec sérénité, puisque la dignité, pour les membres de cette commission, ça a été souvent expliqué comme le regard de l'autre plutôt que le regard qu'on porte soi-même sur qui on est.

Donc, quand vous me dites: Les maladies incurables, c'est non, c'est un non catégorique, je veux savoir sur quel angle vous avez pris ça pour l'échange du... et je veux vraiment m'assurer que je le dis, dans l'échange que vous avez eue sur le «si». Parce que, si j'ai bien compris, vous avez eu cette discussion-là avec les membres, en vous disant: Si on accepte la proposition d'une législation...

Mme Laurent (Régine): Tout à fait. Je vais préciser pourquoi on est avec «si», beaucoup de «si», parce que, pour nous, ça, c'est un débat dans notre organisation et qui est très démocratique, et vraiment on fait des consultations très larges quand ce sont des sujets de cette teneur-là. Donc, il aurait fallu qu'on ait près d'un an et demi ou deux ans de discussion pour rencontrer un maximum de nos membres et, à ce moment-là, on arrivait avec une recommandation de congrès, comme nous l'avons fait dans d'autres sujets, par exemple le libre choix par rapport à l'avortement. Donc, comme on n'a pas eu le temps de le faire, on a fait l'exercice avec: Si jamais la société va dans ce sens-là...

Ce que nous avons dit, c'est que, pour les gens qui... dans l'exemple que vous donnez, on pense que le testament de fin de vie et le mandat d'inaptitude clairement insérés dans la loi, ce serait déjà ça. Parce que maintenant il existe, mais, comme il est peu connu, il n'est pas pris en compte. Je comprends que ça augmente le niveau de stress dans votre exemple, mais, si c'était clairement dans la loi et que la personne, si elle savait qu'au moment où elle est apte, elle l'exprime, c'est clair dans la loi que son voeu va être respecté, il me semble que ça diminuerait ce niveau de stress là ou de peur que vous exprimez.

Mme Boisclair (Michèle): Si je peux me permettre?

Le Président (M. Kelley): Oui. Mme Boisclair.

Mme Boisclair (Michèle): Oui. Pour compléter, ce que nos délégués nous ont dit par rapport au «si» dont Régine vous fait mention, c'est aussi l'état psychologique qui était préoccupant. C'est-à-dire que souvent les gens qui sont atteints de maladies incurables ont une période de leur acceptation, si on peut dire, qui fait lien avec une dépression, qui fait lien avec le fait qu'ils ne voient plus de lumière au bout du tunnel. Et, dans ce contexte-là, elles ne considéreraient pas que les gens seraient aptes à pouvoir prendre une décision de cet ordre-là qui serait éclairée, et, pour elles, c'était fondamental.

Au moment où on fait ça... Puis on parlait ce matin puis on disait: Un testament de fin de vie devrait être même proposé quand on fait notre propre testament, quand on est capable de faire notre testament, il devrait y avoir automatiquement une offre de faire un testament de fin de vie quand ça se fait dans une façon très logique où est-ce qu'on n'est pas devant une éventualité. Parce qu'on parle beaucoup des gens atteints de cancer en phase terminale, mais, moi, pour avoir travaillé en obstétrique, j'ai fait face à la mort, j'ai fait face à des mamans qui sont décédées suite à de l'accouchement. Comment on fait? Alors, c'est tout ce contexte-là global qu'on a voulu aussi mettre dans notre mémoire.

Le Président (M. Kelley): Une dernière courte question?

Mme Charbonneau: Avant de passer de l'autre côté, j'y vais avec ma plus toffe, mais ça me tente, ça me tente bien gros. On parle du testament de vie. On a entendu des choses impressionnantes ici, des choses qui font frissonner. On a aussi entendu des gens nous dire: Bien, moi, comme médecin, si quelqu'un arrive avec un testament de vie dans sa poche arrière et il ne peut pas se prononcer, tout ce qu'il a, c'est ce document-là, je ne suis pas obligé de le respecter.

Alors, je vous lance la question. Choisissez d'y répondre ou pas. Un de vos membres accueille à l'urgence quelqu'un qui a un testament de vie puis qui signifie d'une façon ou d'une autre qu'il a son petit papier, son petit document dans sa poche de veston. On prend le document, on le lit et vous prenez connaissance du choix de cette personne. Donc, on ne demande aucun traitement spécifique: Laissez-moi aller si jamais il y a telle, telle, telle disposition. Le document est clair. Je veux le spécifier, le document est clair et vous donne une bonne idée. Vous êtes les premiers intervenants. Il y a les ambulanciers, là, puis après, moi, dans mon imagination à moi, c'est vous qui êtes là. La recommandation que vous faites au médecin quand il arrive... Est-ce que c'est vous qui la faites? Est-ce que vous tendez le papier? Comment ça marche quand le médecin arrive?

Mme Laurent (Régine): On va essayer de circonscrire parce qu'il pourrait y avoir plusieurs situations. D'accord? Donc, disons que cette situation se présente à l'urgence et que la personne arrive, on le reçoit comme infirmière, etc., et on sait, elle nous remet le papier. Il y a une façon de fonctionner où on avise rapidement le médecin. Voici, ça, ça fait partie de ma cueillette de données, ça fait partie des premières questions à poser. Outre l'état physique et mental et la famille, rapidement, ça, c'est une information cruciale que je dois transmettre rapidement au médecin.

En ce moment, par exemple, quand on parle de non-réanimation, il y a déjà, en ce moment, un processus où c'est écrit dans le dossier, après la personne, c'est quoi, le niveau de santé, est-ce qu'on est vraiment en soins de confort, donc, on ne réanime pas. C'est clairement inscrit et dans le dossier et dans tout ce qui nous suit.

Donc, pour moi, c'est la même chose qui pourrait se produire avec un testament de fin de vie. Maintenant, quand on en parle, c'est pour ça que, nous, on dit que ça devrait être clairement inscrit dans la loi. Ça nous faciliterait la vie parce que ce serait inscrit dans la loi. Donc, tous les professionnels en soins qui auraient peur de poursuites, etc., bien ça viendrait de laisser tomber ça.

Mme Charbonneau: Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Je suis prêt maintenant à céder la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, bonjour, bienvenue à vous trois, Mme Laurent, Mme Boisclair et Mme Doyon. Je suis très heureuse de vous entendre, moi aussi. Je dois vous dire que j'ai beaucoup apprécié votre mémoire, qui est très étoffé et qui est un peu différent de la majorité des mémoires qu'on a parce qu'il fait vraiment un tour global de la question: le rôle, la place des soignants, soignantes, le type de soins, l'univers des soins, puis vous allez jusqu'à l'euthanasie. En tout cas, je l'ai beaucoup apprécié pour son approche globale et aussi pour ses éléments très concrets.

Je fais référence, par exemple, à la page 13, où vous arrivez vraiment avec des éléments. Voici des choses très concrètes: les lits, les chambres, le type de soins, jusqu'à l'aménagement des chambres en soins palliatifs. Et je pense que, nous, on a besoin de recevoir tous ces commentaires-là parce qu'on entend beaucoup de gens des soins palliatifs qui viennent nous faire des plaidoyers comment les soins palliatifs sont importants, mais on rentre rarement dans un niveau de détails comme le vôtre. Donc, moi, j'ai trouvé ça très éclairant. Je veux vous en remercier.

Et, avant peut-être de passer à des questions plus pointues, j'aimerais savoir: Est-ce que je vous lis correctement... En fait, j'ai beaucoup de questions, ça fait que je ne veux pas qu'on passe trop de temps sur, je dirais, vos priorités. Mais indépendamment, là, de la question de l'aide médicale à mourir, en termes de soins de fin de vie -- je pense que c'est intéressant, vous faites aussi la nuance soins de fin de vie, soins palliatifs ca peut être différent aussi -- est-ce que je vous lis correctement si je dis que vous plaidez beaucoup pour qu'on n'oublie pas les CHSLD, qu'on n'oublie pas tout cet univers-là qui est parfois un peu mis de côté? Moi, ça, ça a ressorti beaucoup de votre mémoire.

Puis, je dirais, l'autre élément qui a ressorti beaucoup, c'est la multidisciplinarité, sur laquelle vous insistez beaucoup, en fin de vie. Est-ce que vous diriez que c'est un peu les deux éléments que vous vouliez faire... Si je vous disais: Est-ce qu'il y a deux, trois priorités de messages que vous voulez nous passer vraiment pour ne pas qu'on oublie, là, dans nos réflexions futures en fin de... quels seraient-il?

Le Président (M. Kelley): Mme Laurent.

Mme Laurent (Régine): Oui. Merci. Je vais juste expliquer. On a quand même essayé de réduire... Brigitte a fait de gros efforts. Quand on parle de l'aménagement des chambres, nous, nous sommes très visuelles, hein, de par nos professions, alors, pour nous, on a, par exemple, à gérer des conflits familiaux quand la personne est sur le bord de mourir. Alors, quand on... Et donc je vous le disais tantôt, la mort, c'est tabou. Il y a beaucoup, des fois, dans les familles, des choses qui ne sont pas réglées, et ça nous éclate en pleine face au moment où la personne est en train de mourir.

Alors, ça pourrait être, par exemple, des lieux où il y aurait une espèce d'antichambre, parce que la personne qui est en fin de vie aussi a besoin, à un moment donné, de calme, a besoin d'être entourée, mais des moments de calme aussi, ne serait-ce que pour être capable de mieux absorber la médication que nous donnons comme antidouleur, par exemple. Donc, si nous avions une antichambre comme ça, au lieu de faire sortir les gens dans le corridor pour leur dire: Excusez, pouvez-vous baisser le ton, pouvez-vous vous calmer, pouvez-vous régler vos chicanes ailleurs?, bien, il y aurait une antichambre où, là aussi, il y a le respect de la famille, où on pourrait intervenir, ou les travailleuses sociales ou les psychologues, mais qui serait un lieu dédié aussi pour la famille. Donc, c'est, oui, les chambres, le lieu physique, mais il y a des raisons aussi derrière ça.

Vous avez raison en parlant des CHSLD, on est vraiment, vraiment très, très, très inquiètes. C'est une grosse partie de notre population. Et nous sommes inquiètes parce que quel genre de message est-ce que ça lance aussi, quelle société nous sommes quand on ne permet pas aux personnes âgées de mourir dignement? Et, à notre avis, trop souvent, maintenant, les personnes âgées ne meurent pas dignement.

Vous avez raison aussi quand vous parlez de la multidisciplinarité. Je me permettrai d'en ajouter juste un autre point, qui est la formation. Pour nous, c'est vraiment, vraiment important, la formation et dans les lieux dédiés aux soins palliatifs, mais aussi partout où on fait face à la mort ou à la fin de vie, là.

**(12 h 50)**

Mme Hivon: Avez-vous le sentiment, sur ce point-là qui effectivement ressortait beaucoup, que le cursus actuellement de formation notamment des infirmières est déficient clairement pour ce qui est du traitement des soins de fin de vie? Je sais qu'on nous parlait hier, par exemple, des auxiliaires qui à peu près jamais ne sont confrontés à cette réalité-là ou dans leurs stages, ou tout ça, donc qu'il y a vraiment une lacune. Est-ce que vous diriez ça?

Mme Laurent (Régine): Oui, effectivement, mais c'est pour tout le monde. Parce que prenons, par exemple, les inhalothérapeutes. On n'en parle pas beaucoup, mais, quand on pense au maintien à domicile, avec les maladies chroniques, les maladies respiratoires, les inhalothérapeutes sont très présentes à domicile. Donc, elles aussi sont visées par la formation, et les infirmières auxiliaires, vous avez raison. C'est vrai que les infirmières, parce qu'on fait beaucoup plus de temps de stage, on risque d'être confrontées à la mort et de pouvoir en discuter pendant qu'on étudie, mais c'est insuffisant, effectivement. Mais ce n'est pas différent du reste de la société. Quand nous disons que la mort c'est un sujet tabou, donc ce n'est pas différent. Nous, on est formées pour soigner, pour sauver et, devant la mort, tout ce qu'on nous apprend, c'est comment nous ramasser et comment se ramasser avec les collègues. Donc, c'est vrai que la formation, il faudrait l'améliorer.

Mme Hivon: D'ailleurs les médecins nous ont dit la même chose. Parce que ce n'est pas une exception pour...

Mme Laurent (Régine): Non, non. Je pense qu'on est mieux qu'eux autres, quand même.

Mme Hivon: Hein? Oui?

Mme Laurent (Régine): On est mieux qu'eux autres face à la mort.

Mme Hivon: C'est bon, on va noter le commentaire.

Mme Laurent (Régine): Non, non, c'est une blague. C'est une blague. Ils vont en rire.

Mme Hivon: Oui. Dites-moi, si on approche plus, là, de la question de.. Il ne me reste pas beaucoup de temps, hein, je pense? Non? Bon.

Le Président (M. Kelley): Trois minutes...

Mme Hivon: Trois minutes. Bon. Je veux juste savoir. Il y a quelque chose qui m'a intriguée avant de... sur la question de l'aide médicale à mourir. Je comprends que votre position, vous l'avez bien expliquée, ce n'est pas une position formelle, mais vous dites, à la page 20: «...la réponse de la délégation de la FIQ tend majoritairement vers l'affirmative.» Ce que vous voulez dire, c'est que, lors de votre journée du mois de juin de consultation, il y avait une ouverture plus qu'une fermeture par rapport à une aide médicale balisée à mourir. C'est ça?

Mme Laurent (Régine): Oui, tout à fait, avec les réserves que j'ai exprimées...

Mme Hivon: Avec les réserves, et tout ça.

Mme Laurent (Régine): ...le respect de la personne pour elle-même, et les critères, et les balises, et la notion de capacité de le faire, là.

Mme Hivon: Est-ce que vous estimez -- j'aurais plein de questions pointues, mais je vais laisser faire -- que, dans l'état actuel des choses, vous êtes évidemment confrontées à toutes sortes de situations de fin de vie, il y a déjà beaucoup de zones grises? C'est qu'il y a des gens qui... Vous savez, hein, c'est très polarisé comme débat, donc on entend toutes sortes d'arguments. Et il y a des gens qui nous disent: Mais déjà, à l'heure actuelle, du fait qu'on ne se penche pas assez sur ces questions-là, par exemple la sédation terminale, l'utilisation... Puis j'ai lu avec beaucoup d'intérêt que vous aviez fait une étude puis des recommandations sur l'utilisation...

Mme Laurent (Régine): Des opiacées.

Mme Hivon: ...oui, des opiacées en fin de vie. En tout cas, je vais essayer de regarder ça. Est-ce que vous avez le sentiment qu'en ce moment on peut dire qu'il y a aussi des zones grises inquiétantes et peut-être certains dérapages sur les... et donc qu'il faudrait aussi venir encadrer de manière plus précise la fin de vie, le consentement... Par exemple, en matière de sédation, les proches peuvent consentir, tout ça. Est-ce que vous trouvez qu'il y a des zones grises dans l'interprétation qui est faite de ce qui peut ou ne peut pas être fait en fin de vie?

Mme Laurent (Régine): Oui, il y a des zones grises, mais pas de dérapage, par exemple, je ne peux pas dire ça, mais il y a des zones grises. Quand on parle -- puis je vais essayer de réduire, là -- quand on parle de la sédation, il faut beaucoup, beaucoup expliquer, par exemple, à la famille. La personne elle-même, par exemple, et en accord avec le médecin, l'équipe multi, on s'entend sur une sédation: Voilà comment la personne va être soulagée. Mais souvent le travail que nous avons à faire comme intervenante auprès du patient, c'est vraiment plus avec la famille, faire comprendre à la famille. Et c'est là où on a des perceptions et où ça augmente beaucoup notre niveau de stress, parce que la famille, étant moins... plus inquiète et avec beaucoup d'émotivité, a très, très, très peur de la médication de la sédation particulièrement. Alors, il faut toujours expliquer. Et, même quand on donne, par exemple, quelque chose pour aider au niveau de la respiration, parce que c'est une injection, quelle que soit la forme, il y a beaucoup d'inquiétude chez la famille. Donc, il faut toujours être en train de rassurer. C'est pour ça que je dis: Il n'y a pas de dérapage, il y a un niveau de stress élevé parce que ce n'est pas clair en ce moment.

Mme Hivon: O.K. Il me reste un petit moment.

Le Président (M. Kelley): Courte question.

Mme Hivon: Courte. Très contente. Page 23, vous parlez: Une personne apte devrait avoir le droit de demander, là, à ce qu'on mette fin à ses jours. Vous insistez beaucoup sur l'aptitude. Par ailleurs, dans le dernier paragraphe, vous dites: «Pour ce qui est de savoir si la famille d'une personne inapte pourrait formuler une telle demande, [on] se prononce [...] majoritairement en faveur.» Moi, je vois un certain paradoxe, dans le sens que vous plaidez beaucoup pour que la personne soit apte, mais est-ce qu'en fait en même temps vous dites que, si elle est inapte, une personne de sa famille peut répondre en son nom ou si, pour vous, c'est une fin de non-recevoir? J'aimerais ça que vous m'éclairiez là-dessus.

Mme Laurent (Régine): Ce qui est clair, c'est qu'on dit: Pour la majorité des gens, on pense que les gens pourraient le faire au moment où ils sont aptes à exprimer leur volonté. Ça, c'est clair pour nous. Maintenant, si une personne est inapte, on pense que la famille pourrait pallier à ça. La famille pourrait parler au nom de cette personne-là.

Mme Hivon: ...il devrait, dans ce cas-là, y avoir des déclarations anticipées pour être sûr, sûr de l'opinion et des volontés de la personne?

Mme Laurent (Régine): C'est ce qu'on prône beaucoup. C'est ce que nous disons beaucoup. Ce qu'on dit, c'est qu'il faut beaucoup agir avant. Quand Michèle disait tantôt: Il faut quasiment le faire au moment où on fait n'importe quel contrat, donc il faut déjà prévoir avant qu'on soit pris soit avec la maladie, soit avec l'éminence de la mort ou la fin de... Donc, il faut vraiment le faire avant. C'est pour ça qu'on dit: Nous, ce qu'on prône, c'est que la personne puisse l'exprimer au moment où elle est apte à le faire. Donc, c'est clair, s'exprimer. Si, pour toutes sortes de raisons, la personne n'a jamais été dans la capacité de le faire, on a posé la question: Qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce que vous pensez, quelqu'un de la famille? Et ça, majoritairement, ils nous ont dit: Dans ce cas-là, ça pourrait être quelqu'un de la famille. Mais ce qui est clair, c'est que nos déléguées nous ont dit: C'est la personne par et pour elle-même qui doit décider.

Mme Boisclair (Michèle): Si vous me permettez...

Le Président (M. Kelley): Oui, Mme Boisclair.

Mme Boisclair (Michèle): Bien, je vais donner un exemple. Vous partez en auto, en moto, à bicyclette, on vous frappe, vous devenez cliniquement morte, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune possibilité de pouvoir prendre de décision, c'est-à-dire que vous avez un électroencéphalogramme qui est à zéro, c'est-à-dire qui est plat, donc complètement végétatif, un état végétatif. Vous avez 35 ans. Et on sait que, dans ces cas-là, c'est un coma éternel. Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on peut demander au conjoint, à la conjointe -- peut-être qu'ils s'en sont parlé -- à la famille? Dans un cas comme ça, on fait quoi? Il n'y a aucune possibilité de revenir.

C'est un peu dans ce sens-là que nos délégués se sont exprimées, en disant: Il peut arriver des situations où la personne ne sera jamais, au moment où on la reçoit, apte à pouvoir prendre une décision de cet ordre-là. Et il faut aussi faire attention -- et on s'en est parlé -- aux exemples qu'on pourrait avoir d'acharnement thérapeutique. Vous savez, on peut le voir en néonatalogie, des fois, chez des bébés de 18, 19, 20 semaines. Quelle qualité de vie on va leur donner? Est-ce qu'on a fait les bons choix? Moi, je pense qu'il y a des questions très importantes à se poser au niveau de l'éthique. Mais, dans des cas comme ça, c'est ce que nos déléguées nous ont dit, il faut, à un moment donné, que quelqu'un puisse le faire parce que la personne ne pourra jamais prendre cette décision-là.

Le Président (M. Kelley): Une dernière courte question, M. le député de Beauce-Nord.

M. Grondin: Merci. Écoutez, je viens de vous écouter, là, votre allocution, c'est un peu... Moi, je l'ai vécu, dans mon comté, avec une personne qui était complètement... mais, quand l'épouse ou la famille dit: Non, vous ne le déconnecterez pas, puis qui s'acharne, et s'acharne, et s'acharne après même un an encore d'acharnement, et ça finit pareil par la mort, mais après un an et demi, deux ans, alors, c'est là, je pense, moi que c'est là, je pense, c'est là le point fort de mourir dans la dignité, là où on pourrait travailler le plus comment est-ce qu'on règle ça.

Mais aussi, je me dis, si on faisait tous un testament de fin de vie, ici, tout le monde, qu'on marquait sur notre testament: Je ne veux pas de réanimation, je ne veux pas d'acharnement, c'est facile, on ne pense pas que la mort peut arriver demain matin, mais, quand on arrive, comme vous dites, après un accident d'auto, on dit: Wo! là, est-ce que je ne pourrais pas changer mon testament? Mais c'est toutes des questions qu'il faut se poser.

Moi, je voudrais voir comment est-ce que vous percevez les bénévoles qui vont aider, là, les gens en fin de vie dans les hôpitaux, dans les CHSLD. Je sais qu'il y a beaucoup de... présentement, il y a beaucoup d'associations de bénévoles qui essaient d'aller aider. Moi, je vois ça d'un très bon oeil parce que je me dis, la plupart d'entre nous, on a des grosses familles, mais, nous, personnellement on a des petites familles, ça fait que, quand on va arriver là, il n'y aura peut-être pas cinq, six frères ou soeurs qui vont être à côté de nous autres, on va peut-être être tout seul. Alors, les bénévoles vont prendre une place importante. Vous, comment est-ce que vous les voyez?

**(13 heures)**

Mme Laurent (Régine): On l'a dit rapidement dans notre mémoire qu'il faut impliquer effectivement les bénévoles, et cette réflexion-là est partie surtout de la place que les bénévoles occupent entre autres dans les CHSLD. Et il y en a beaucoup aussi qui sont dans les soins palliatifs. Mais la réflexion est partie de là. Alors, pour nous, c'est vraiment important de donner de la place à ces bénévoles-là parce que souvent il y a une relation, une complicité qui se développe à un autre niveau que celui qui est développé avec nous comme professionnelles en soins. Donc, je pense que c'est important, la place des bénévoles, tout à fait, oui.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, merci beaucoup. Et, moi, je veux faire écho à... Merci pour les recommandations très précises quant à l'organisation des soins palliatifs, la fameuse question de qui paie pour les médicaments ou... je pense, ça, c'est une question qui est très importante. Nous étions, comme membres de la commission, touchés par le témoignage, de mémoire, d'une madame L'Écuyer, à Montréal, où son mari a passé trois de ses derniers cinq jours dans une salle d'urgence à la fin de ses jours. Alors, il y a des questions que nous devrons se poser comme membres de la commission comment est-ce qu'on peut mieux répondre à ces situations et ces questions. Alors, merci beaucoup pour ces suggestions pratico-pratiques.

Et, avant de suspendre nos travaux, il y aura un petit peu de répit pour nos ordinateurs, parce que l'ordinateur de Mme Laplante est mort. Alors, on aura la paix pour une couple d'heures avant qu'il soit ressourcé de nouveau. C'est juste un petit peu une blague interne entre les membres de la commission. Alors, sur ça, merci beaucoup, Mme Laurent, Mme Boisclair, Mme Doyon, pour votre contribution.

Je vais suspendre jusqu'à 15 heures, dans la salle Louis-Hippolyte-La Fontaine. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 13 h 2)

 

(Reprise à 15 h 5)

Le Président (M. Kelley): Alors, bon après-midi, tout le monde. La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité reprend ses travaux. On a trois groupes prévus pour cet après-midi. Il y avait une petite inondation en avant.

Nos prochains témoins sont les représentants de l'Ordre des psychologues du Québec, sa présidente Mme Charest et une bienvenue spéciale... On sait que tous les citoyens et citoyennes du Québec sont égaux, mais ceux qui sont inscrits sur la liste électorale dans le comté de Jacques-Cartier sont un petit peu plus égaux que les autres. Alors, pour ma voisine Catherine Mulcair, bien, qui est également la conjointe d'un ancien collègue du comté de Chomedey, bienvenue, Mme Mulcair aussi. Et il faut voyager très loin pour voir nos voisins. Mais ça arrive parfois dans la vie.

Alors, sans plus tarder, vous avez un droit de parole d'une vingtaine de minutes, Mme Charest, suivi par une période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Ordre des psychologues
du Québec (OPQ)

Mme Charest (Rose-Marie): Merci. Merci de nous accueillir. Je voudrais aussi spécifier que Mme Mulcair est psychologue et travaille en soins palliatifs au CSS Verdun. C'est pourquoi elle m'accompagne. Donc, elle travaille auprès des personnes en fin de vie et elle est membre du C.A. de l'Ordre des psychologues. Parce qu'il y a une vie à côté de notre mari aussi des fois.

Écoutez, l'Ordre des psychologues ne prend pas position ni pour ni contre le suicide assisté ou l'euthanasie. Je me permets de dire cependant que ce sont deux problématiques qui, selon nous, sont fort différentes et qui devraient probablement être étudiées l'une à part de l'autre. Cette fusion entre les deux a pu entraîner beaucoup de confusion, selon nous.

Donc, on ne va pas prendre position, cependant, on pense qu'il y a tellement de facteurs psychologiques qui sont impliqués dans tout le processus de décision, que ce soit de la part de la personne elle-même, de la personne en fin de vie, de la famille, des intervenants, qu'on a cru bon de faire bénéficier la commission des observations des psychologues qui sont sur le terrain auprès des personnes en fin de vie mais aussi de la recherche en psychologie et des écrits qui peuvent peut-être éclairer.

Les thèmes sur lesquels on s'est penchés surtout sont les thèmes du sentiment de dignité, du désir de mourir et de la prise de décision, les processus de prise de décision. Situons immédiatement l'importance des mots. Je pense qu'on pourrait dire d'entrée de jeu que cette commission a déjà fait oeuvre utile en publiant un lexique, en rendant ce débat public de façon à permettre à chacun de mieux comprendre ce que signifie chacun des termes.

Alors, vous savez, en psychologie, on connaît très bien le pouvoir des mots et non seulement pour communiquer, non seulement pour avoir une juridiction qui soit claire à comprendre pour tout le monde, mais, pour chacun de nous, dans notre propre raisonnement de ce qu'on souhaiterait pour nous-mêmes, de ce qu'on souhaiterait pour nos proches, la clarté des mots est excessivement importante. Particulièrement dans un débat comme celui-ci, qui, je ne vous le cacherai pas, et vous l'avez vécu vous-mêmes, est très chargé au niveau émotif, on a besoin de se ramener à quelque chose qui fasse un terrain commun, donc la définition des termes. Et on peut souhaiter immédiatement que cet exercice pédagogique qui est amorcé avec la commission se poursuive au-delà de la commission, au-delà même du... pour le vaste public.

Il y a aussi à clarifier ce qu'on peut entendre par «dignité». On s'est penchés bien sûr plus sur le sentiment de dignité. La dignité est un besoin fondamental. Les êtes humains sont prêts à mourir pour leur dignité. On est prêt à mourir plutôt que perdre notre dignité. Or, il ne faudrait pas réduire l'utilisation «dignité» à la seule décision de comment mourir, mais lui accorder toute son importance à cette étape de notre vie où forcément on est ébranlé dans notre dignité. Le jour où les personnes qui dépendaient de nous, nos enfants, en l'occurrence, deviennent ceux dont on dépend, le jour où on n'a plus d'intimité parce que, pour nos soins physiques, on a besoin de laisser entrer dans notre intimité des personnes qu'on n'aurait pas autorisées autrement, le jour où notre pouvoir de décision est remis en question, on peut être ébranlé dans notre sentiment de dignité. Et, comme société, on a besoin de faire attention à ça, tout autant qu'à la décision de comment mourir et quand mourir. On ne peut pas faire l'économie de l'attention qui doit être portée à la personne dans ce qu'elle considère être sa dignité.

**(15 h 10)**

Par exemple, on parle souvent du rôle des proches; il est excessivement important à cette étape de la vie. Selon moi... Je me faisais une observation ce matin. Parce que, vous savez, de plus en plus, on parle des centres mère-enfant, qui sont les lieux où on donne naissance à un enfant. On a cru bon ne pas dissocier la mère et l'enfant à ce moment-là. Donc, c'est le centre pour la mère et pour l'enfant. Les centres de fin de vie devraient être les centres pour la personne malade et sa famille. On est très lié à notre famille au début et à la fin de notre vie. Ça ne signifie pas qu'on soit plus à l'aise avec le fait que ce soit un membre de notre famille qui nous donne un bain qu'un étranger. Ça ne signifie pas qu'on ne doit pas prendre en considération le fait de renverser une relation, une relation d'une personne qui comptait sur nous et maintenant on doit attendre quelque chose de cette personne-là. Une relation qui est très chargée au niveau affectif n'est pas nécessairement la bonne relation pour les soins. Il y a énormément de différences individuelles, il faut pouvoir entendre les personnes elles-mêmes et leur famille.

Moi, en plus d'être présidente de l'Ordre des psychologues, je suis encore une psychologue clinicienne et j'en suis très fière. Et, hier soir, à ma clinique, j'ai vu une femme qui a dû laver sa mère la veille de sa mort: le traumatisme qui reste de la mort de sa mère et, en plus du deuil, cet événement-là. On ne pourra pas se décharger comme société sur la famille en disant: On compte sur la famille. On doit pouvoir s'occuper de la famille et non pas s'en remettre exclusivement à elle. Et on doit laisser à chacun la capacité de faire ses choix.

Un élément excessivement important pour le sentiment de dignité, c'est l'autodétermination, hein, la capacité de faire des choix pour soi. Il faudrait donc qu'on puisse avoir notre mot à dire non seulement sur la façon de mourir, mais sur la façon de vivre ses derniers moments. Et on est dans une société qui valorise énormément le pouvoir individuel, et c'est très valorisé, l'autodétermination. Et on est très habitués à ce que les choses se passent vite: un problème, une solution rapidement. Il ne faudrait pas penser que la douleur de fin de vie a immédiatement comme solution la mort et que la personne elle-même, si elle veut prendre une décision, c'est la seule décision sur laquelle elle a du pouvoir. Il faudrait qu'elle ait du pouvoir sur un ensemble de décisions.

Maintenant, qu'en est-il du désir de mourir? C'est assez facile d'affirmer, dire: Telle personne désirait mourir, telle personne désire mourir, mais psychologiquement c'est beaucoup plus complexe que ça. Que désire quelqu'un qui désire mourir? Or, on sait que, dans la très, très grande majorité des cas, ce que la personne désire, c'est fuir la souffrance. On le sait à partir des études -- et les gens de l'association de prévention du suicide viendront tout à l'heure, ils auront sûrement beaucoup à en dire -- on sait, à partir des études sur le suicide, à quel point les personnes qui ont fait des tentatives de suicide, quand vous leur parlez par la suite, vous dites: Que désiriez-vous? À quoi vouliez-vous accéder? À rien. Ils voulaient fuir quelque chose. Ils voulaient fuir une douleur. Dans le cas qui nous préoccupe ici, on sait que les personnes sont souvent très souffrantes physiquement, donc le désir de fuir la douleur physique est sûrement très présent. Et d'ailleurs il y a des études qui ont montré que le désir de mourir est modulé en fonction de l'intensité de la douleur et en fonction de l'anticipation de la douleur. Ça fait que, donc, c'est non seulement qu'est-ce que je ressens, mais qu'est-ce que j'ai peur de ressentir et donc je veux mettre fin à ça immédiatement.

La souffrance psychologique maintenant. On sait que bon nombre de personnes en fin de vie souffrent aussi de dépression. Et j'insiste ici sur le «aussi» parce que, de voir quelqu'un qui est déprimé, qui est souffrant, qui envisage la mort, on peut facilement banaliser ça, dire: Il est déprimé, mais n'importe qui le serait. Or, il y a toute la différence entre être triste, angoissé, anxieux face à une situation de la vie qui est difficile, versus souffrir de dépression. La dépression est une maladie en soi qui mérite un traitement en soi. Et, si j'ai le droit d'être soulagée de ma dépression quand j'ai 20 ans puis que je suis en santé physique, bien j'ai le droit d'être soulagée de ma dépression quand j'ai 80, 90 ans, 70 ans ou 60 ans mais que je suis dans une période souffrante physiquement par ailleurs.

On confond, les études le montrent, on confond très souvent les symptômes de la dépression avec l'effet des médicaments, avec l'effet de la douleur. Donc, on pense qu'il y a vraiment deux problèmes ici auxquels on doit s'attarder. Parce que, si une personne est déprimée et qu'elle n'est pas traitée, premièrement elle aurait droit, cette personne-là, à être soulagée psychologiquement comme elle a droit d'être soulagée physiquement, mais deuxièmement ça pourrait teinter son désir de mourir d'une façon qui fasse en sorte qu'on ne puisse pas parler ici d'un consentement libre et éclairé. Parce que la liberté, ce n'est pas juste ce qui se passe à l'extérieur de moi; la liberté, c'est aussi intérieur. Est-ce qu'au moment où je suis aux prises avec une dépression je suis vraiment libre? Est-ce que j'ai toute ma liberté de penser? Peut-être que je l'ai moins et qu'elle est affectée à ce moment-là.

Donc, les soins palliatifs. On n'est pas originaux en en parlant, mais on se permet d'en parler quand même parce que c'est fondamental. On ne pourra pas statuer sur le désir de mourir de quelqu'un tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas tout fait pour soulager toutes ses souffrances, que ses souffrances soient physiques ou psychologiques. On doit soutenir le désir de vivre d'abord.

Maintenant, vous savez, le consentement libre et éclairé, il y a eu des études qui ont étudié la stabilité de ça. Vous dites aujourd'hui à vos proches: S'il m'arrive telle chose, je voudrais être traité de telle manière. Or, il y a une étude qui a bien montré qu'un an plus tard, même si la situation n'a pas du tout changé, vous donneriez encore le même avis par rapport à vous-même seulement dans 67 % des cas. Ah, vous allez me dire, 67 %, quand même, c'est plus que 50 %. Mais ce n'est pas beaucoup quand c'est une décision aussi grave que celle qui porte sur la décision de vivre ou de mourir. Or, si on a perdu 33 % d'accord entre la même situation pendant un an, imaginez-vous si c'est prolongé sur plusieurs années. Donc, quand on dit qu'une personne doit pouvoir exercer son jugement, elle doit pouvoir le faire de façon libre, éclairée, et on doit aussi regarder la stabilité dans le temps.

Dans les testaments de vie, on a aussi regardé: Est-ce que la façon dont les proches interprètent le testament de vie correspond à ce que la personne elle-même voulait? On s'est rendu compte qu'il y avait souvent des écarts importants, et surtout pas par mauvaise volonté de la part des proches qui interprètent le testament de vie mais parce qu'ils ont tendance à confondre ce qui vient d'eux, ce qu'ils souhaiteraient pour eux-mêmes et ce que la personne souhaiterait. Donc, le fait que quelqu'un ait écrit quelque part ou ait dit quelque chose ne signifie pas qu'on a là clairement l'expression de sa volonté actuelle. Ça peut changer dans le temps, ça peut changer dans l'interprétation par les pairs.

Je voudrais dire quelques mots sur l'impact chez les pairs de participer à une décision de fin de vie pour les proches. Alors, comme cliniciens, on le sait, la culpabilité est quelque chose qui complique énormément le processus de deuil. Or, les gens ont une tendance à la culpabilité lorsqu'un proche meurt, et ça, même quand ils ont oublié quelque chose qui était banal, qu'ils ont oublié ou qu'ils ont omis de faire quelque chose qui... Alors, la participation à la décision de fin de vie d'un proche est quelque chose qui exige pour la famille un accompagnement aussi important parce qu'on ne veut pas se retrouver non plus avec des familles qui ont un deuil compliqué à faire.

Et l'aspect médical est excessivement important. Je parlais au début de l'importance des termes, de l'importance de la connaissance, mais l'importance de l'avis professionnel est aussi... Quand on dit à une famille: Si vous le souhaitez, on va faire telle chose, on va faire telle autre chose, ça mérite beaucoup d'explications parce que sinon on les laisse aux prises par la suite avec le poids de ce qu'on a voulu être une liberté qu'on leur donnait mais qui finalement se retrouve à être une grande responsabilité, voire une culpabilité.

On a étudié aussi l'impact sur les intervenants, que ce ne soit pas juste les proches mais aussi les médecins, moins sur le personnel soignant mais sur les médecins, et il y a aussi un impact à devoir prendre une décision seul. On peut donc penser que, quelle que soit l'orientation législative qui sera donnée, il faudrait qu'il soit favorisé que les personnes ne restent pas seules avec leur décision, que ces personnes soient les proches ou le personnel médical.

Enfin, je terminerai la présentation en rappelant que la dignité humaine, c'est d'abord et avant tout le respect de l'individu dans ce qu'il a d'unique et qu'il n'y a aucune règle qui va faire en sorte qu'on va respecter tous les individus par une règle. On doit donc prévoir des différences. Et les valeurs qui sont ici en jeu devraient être celles de la personne et non pas les nôtres. Et les émotions, bien qu'on sait que c'est un sujet qui est très émotif, doivent être les siennes, celles qu'on doit respecter sont les siennes.

Et, moi, comme présidente d'un ordre professionnel, bien sûr je ne peux passer sous silence l'importance pour les professionnels d'avoir un cadre suffisamment clair pour les rassurer dans leurs prises de décision mais aussi qui leur permettent l'exercice de leur jugement professionnel parce qu'il ne faudrait quand même pas perdre de vue que chaque situation peut être différente de l'autre et que le rapport qu'un professionnel a avec son patient exige de prendre en considération des éléments qu'aujourd'hui on ne pourrait pas prévoir mais qui pourraient bien être là dans cinq ans. Je vous remercie. Mme Mulcair et moi sommes disponibles pour répondre à vos questions.

**(15 h 20)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Charest. On va passer maintenant à la période des questions. Et je vais reconnaître le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, d'abord, remercier Mme Charest, Mme Mulcair pour votre présence ici, aujourd'hui, votre contribution. Vous avez provoqué beaucoup d'idées dans ma tête. Vous avez confirmé certaines choses que nous avons entendues d'autres personnes également. J'aimerais aborder deux points.

Un point qui vient de me frapper, je l'ai noté, tout le monde l'a entendu, je pense que j'ai vu plusieurs qui l'ont noté lorsque vous avez mentionné ça, mais lorsque vous avez parlé de l'interprétation du testament de fin de vie. Et j'ai l'impression que des personnes qui écoutent doivent se dire: Écoutez, l'interprétation, là, généralement, c'est des choses qui devraient être claires, noir sur blanc, ce qu'on veut, etc. J'aimerais que vous élaboriez un petit peu là-dessus.

Vous avez mentionné que ce qui s'est passé, selon ce que votre recherche, votre expérience vous a démontré, c'est que les proches substituaient en quelque sorte leurs valeurs, leur vision des choses et procédaient à faire une substitution, et ce qui veut dire que leur interprétation était, si vous voulez, viciée parce qu'on la voyait à travers leurs yeux, leurs expériences, ce qu'ils voudraient s'ils étaient dans la position de leur proche qui est souffrant ou qui est en fin de vie.

Par contre, c'est quelque chose qui m'a fait extrêmement peur, parce qu'on a beaucoup de personnes qui sont venues devant nous témoigner, privilégier ce moyen-là. Il y a des personnes qui ont fait des successions: On devrait les renouveler régulièrement, juste pour être sûr que ça représente encore... Mais là vous me parlez d'autre chose, vous parlez d'autre chose, vous parlez d'un problème d'interprétation. J'aimerais vous entendre davantage là-dessus, qu'est-ce qu'on pourrait faire, dans quelles circonstances et si vous voulez donner quelques exemples, parce qu'il me semble que quelque chose d'aussi important devrait être très, très, très clair. Je veux dire, on ne devrait pas avoir de l'ambiguïté dans une affaire si importante. On ne décide pas... Ce n'est pas une liste d'épicerie, là. C'est important. Alors, si vous voulez élaborer davantage là-dessus.

Mme Charest (Rose-Marie): Bien, je vous remercie de me donner l'occasion de le faire parce que je ne voulais surtout pas laisser entendre que les testaments de fin de vie n'avaient aucune utilité. Ce n'est pas du tout ça. Je voulais seulement attirer l'attention sur l'importance d'être très prudent, l'importance d'un processus continu par rapport à ça, hein? Il ne peut pas y avoir une volonté exprimée aujourd'hui qui ne soit jamais révisée.

L'importance aussi de mettre plusieurs personnes à contribution. Si, au moment où vous étudiez le testament de fin de vie, il y a à la fois un membre de la famille, la personne malade et un médecin, vous avez plus de chance d'avoir une compréhension commune. Quand vous me dites que ça devrait être clair, ça devrait être objectif, ça devrait être concret, je suis tout à fait d'accord avec vous que ça devrait peut-être être comme ça, mais, dans des sujets comme ceux-là, je ne vois pas comment ça peut être possible parce que, par exemple, si vous dites à quelqu'un: Si je devais perdre ma dignité, je préférerais mourir, disons, l'interprétation que l'autre va donner de ça, et celle que vous entendez maintenant, et celle que vous auriez à ce moment-là, il y a... Bon.

L'autre chose, c'est que les moyens qui existent actuellement de vous donner votre dignité, les moyens qui existent actuellement de soulager votre douleur et ceux qui existeront au moment où la situation va arriver ne sont peut-être pas les mêmes. C'est pour ça que c'est excessivement important que non seulement ils soient révisés régulièrement, mais que ces discussions-là aient lieu du moins en collaboration avec un médecin et avec la personne qui devrait... qui est votre répondant, si vous voulez.

M. Sklavounos: Alors, si je vous comprends bien et si je peux reprendre en quelque sorte, vous souhaitez évidemment... à part la prudence qui est de mise dans les circonstances, vous parlez d'un certain processus de validation qui amènerait plusieurs personnes et non seulement les personnes qui sont émotivement impliquées, veux veux pas, parce qu'on peut se douter un petit peu de l'impact que cette implication pourrait avoir sur leur jugement, leur interprétation, mais vous parlez d'un processus de validation en quelque sorte qui nous permettrait de nous assurer... Alors ça, j'ai compris ça.

Et je vous dis pourquoi ça m'a frappé, c'est parce que, plus tôt aujourd'hui, nous avons eu devant nous la Fédération des mouvements des Personnes d'abord du Québec qui sont venues nous dire plusieurs choses, mais une des choses qui était très, très claire, c'est qu'on ne voulait pas que quelqu'un d'autre prenne la décision à notre place. Ça, je pense que tout le monde l'a entendu très, très bien. Les gens nous ont exprimé, veux veux pas, ils comprennent qu'il y a des situations où on peut perdre de l'aptitude, etc., mais ce qui est très important pour eux, c'est que ce soit leur décision. Alors, lorsque vous dites que, des fois, les proches ou des personnes peuvent avoir une interprétation qui ne serait pas nécessairement celle de la personne qui a laissé ses intentions dans ce testament de fin de vie, c'est pour cette raison-là que j'ai accroché là-dessus.

J'ai une autre question à vous poser. Vous êtes des psychologues. Nous avons entendu parler du concept de «duty to die» -- je ne sais pas, je l'ai accroché comme ça -- où on nous parlait un petit peu de certaines personnes qui, dans une telle situation, peut-être prendraient la décision de recourir à cette solution-là plus dans le but noble de ne pas demeurer ou de ne pas rester un fardeau pour leurs proches. Alors, en quelque sorte que, dans un débat où on parle beaucoup d'autodétermination, l'autonomie de la personne ou ensemble, et c'est discuté par plusieurs comme valeur qui devrait être élevée au-dessus de toute autre valeur, est-ce que vous trouvez que c'est légitime? Est-ce que vous avez rencontré de tels exemples?

Parce qu'il me semble que, lorsqu'on dit «autonomie», «autodétermination» puis, en même temps, on a dit: J'ai pris cette décision pas pour moi mais pour soulager ceux que je vois en train de souffrir autour de nous, je ne vois pas ça comme une décision autonome, je ne vois pas ça comme une... je vois ça plus comme une délégation, si vous voulez, un ultime altruisme qui serait peut-être noble. Mais je me demande si, en tant que société, on ne devrait pas réfléchir là-dessus. Il y a des actes de nobilité qu'on veut, comme société, encourager puis il y en a d'autres, je pense, qu'on devrait être un petit peu plus prudents. J'aimerais vous entendre sur ce point-là si vous avez quelque chose à ajouter là-dessus.

**(15 h 30)**

Mme Mulcair (Catherine P.): Je crois que c'est très important de réaliser que, que la personne soit malade ou en fin de vie, elle n'est pas seule, elle a une histoire, elle a une famille, elle a des proches, et tout le monde est touché. Il y a un élément catalyseur, mais tout le monde est touché. Donc, c'est vrai. Et, moi, j'en ai rencontré, des gens qui disaient: Moi, je veux mourir, il vaut mieux que je meure parce que je suis un fardeau pour mes enfants, et ce n'est pas ça que je voulais, puis regarde ce que je... ils viennent me voir, que ce soit à domicile ou en soins palliatifs. Et je crois que, dans la société, maintenant, ce qui est important, c'est de voir la personne et les gens autour. Et notre rôle... Moi, je sais qu'en soins palliatifs je vais rencontrer les proches, les membres de la famille, je vais travailler avec eux parce que, quand quelqu'un vit une situation difficile... Il y a des bonnes situations. Quand le premier enfant arrive, c'est extraordinaire, mais tout est chamboulé, on devient des parents, il y a tout à organiser autour. Donc, quand on arrive en fin de vie, on se retrouve avec des gens qui n'ont plus les rôles qu'ils avaient, ils ne savent pas. Il y a des enfants qui croient qu'ils doivent être l'infirmière de leur mère. Non.

Mais on a un travail à faire, et je crois que c'est notre rôle parce que... On est émotif ou rationnel. Moi, j'ai tendance à le voir comme ça. Et, si on l'explique de façon rationnelle, ça va, mais, quand on est dans l'émotion, ce n'est pas possible, puis les messages ne passent pas. Alors, les gens disent: Ah, mais je n'avais pas vu ça comme ça, ou: Je n'ai pas compris. Donc, c'est important de les soutenir, eux aussi, parce que, si eux... la personne en fin de vie, se sent un boulet, bien il y a un travail à faire aussi avec les proches. Et ils vont se réunir. Ça ne sera plus boulet et puis porte-boulet, ça sera toujours la fille et la mère qui vivent, l'une, la fin de sa vie, l'autre, le deuil de sa mère. La mère qui est en train de faire le deuil de tous ses enfants, c'est ça qu'il faut approcher.

Donc, c'est indispensable de ne pas prendre une personne comme si elle arrivait tout à coup en soins palliatifs toute seule. Elle arrive avec une histoire, des croyances, de la foi, une façon de vivre, et ça, ça doit être pris en considération. C'est une personne et son entourage. C'est aussi important que ça. Donc, le boulet, c'est juste un symptôme d'une problématique dans la situation dramatique qu'ils sont en train de vivre. Moi, je le vois comme ça.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, c'est toujours un plaisir de vous retrouver, Mme Charest, Mme Mulcair. On parle beaucoup de soins palliatifs dans notre commission spéciale parce qu'on parle de la fin de la vie, on parle d'euthanasie et de suicide assisté. Vous avez raison de dire que le suicide assisté est moins collé aux soins palliatifs que l'euthanasie.

Il y a une question qui me chicote depuis le début de ces travaux-là puis je vais vous la poser, Mme Mulcair aussi, particulièrement. Ça fait une vingtaine d'années, je pense, qu'il y a des soins palliatifs au Québec, alors. Malheureusement, ce n'est pas étendu partout, là, mais il y en a de plus en plus. Alors, on pourrait penser qu'il y a de plus en plus de familles qui ont vécu l'accompagnement d'une personne en soins palliatifs, puis les familles élargies aussi, alors ils sont capables de voir les bienfaits de ce type d'accompagnement. Je le dis de temps en temps, j'ai été bénévole accompagnatrice dans une autre vie, il y a une dizaine d'années, et, pour moi, c'était un moment magique de ma vie.

Mais comment expliquez-vous qu'il y a 20 ans et aujourd'hui les sondages sont toujours les mêmes par rapport à l'adhésion de la population, des Québécois et des Québécoises au principe d'euthanasie... c'est-à-dire au principe de légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté? Parce qu'on parle des mots, mais là les gens ont évolué, il y a toutes sortes de cas qui ont été médiatisés et qui conscientisent les gens par rapport à... le suicide assisté, l'euthanasie, le vécu des gens en soins palliatifs. Pourquoi est-ce qu'on est toujours au même point par rapport à l'adhésion de la population à ces principes?

Des voix: ...

Mme Gaudreault: C'est une question difficile.

Mme Mulcair (Catherine P.): Sur le sondage... les pourcentages...

Mme Charest (Rose-Marie): Écoutez, vous êtes chez vous, un soir, le téléphone sonne, c'est un sondage... ou c'est un groupe -- je pense, cette étude-là est faite avec un groupe qui est prédéterminé -- puis on vous demande qu'est-ce que vous en pensez. Vous êtes dans une situation cognitive, intellectuelle particulière, complètement neutre. Or, on sait que, si vous divisez ça, si vous demandez aux personnes qui sont... Je ne sais pas si on a cité cette étude-là dans le rapport, mais, au congrès de l'American Psychogical Association, cet été, où j'ai assisté, j'ai assisté à une présentation où on parlait aussi de ça. Si vous posez la même question à la personne qui n'est pas malade, vous lui posez ensuite au moment où elle est atteinte d'une maladie qui peut être terminale, vous lui posez ensuite lorsqu'elle-même vient de subir le traitement, et tout ça, vous obtenez des réponses différentes.

Or, moi, je pense que, si vous parlez du sondage, je pense, qui a été rendu public ce matin, que 72 % de la population en général qui vous dit, dans un état neutre: C'est ce qui est souhaité, je pense que c'est une donnée qu'on doit prendre en considération, mais je ne pense pas qu'on doive interpréter cette statistique comme étant une volonté généralisée de la population québécoise que l'euthanasie soit appliquée à eux. Est-ce qu'il y a une volonté qu'on continue de regarder la possibilité de ceux qui choisiraient ça dans certains circonstances? Je pense qu'on a un signal qui est là.

Mais, d'abord, comme je le disais tout à l'heure, les chiffres, vous savez, les chiffres, là, à part dans les élections, là, ce n'est pas 50 plus un. Quand on veut interpréter des statistiques, il faut toujours regarder la gravité de la question posée et, qu'il y ait 28 % des gens qui vont dans une direction dans une décision grave comme ça, il faut entendre très, très bien ce 28 % là. Donc, je pense que les études...

Et, nous, on vous le suggère aussi, on suggère de continuer à faire de la recherche dans ce sens-là pour regarder. On a des observations dont on doit pouvoir tenir compte au plan juridique et au plan clinique pour bien comprendre qu'est-ce qu'est le cadre idéal dans lequel les décisions pourraient être prises. Mais, en réponse à votre question, pour moi, c'est clair que le contexte dans lequel on pose la question joue énormément dans l'interprétation des données par la suite.

Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Votre présentation est très intéressante, pertinente et rigoureuse également, et évidemment ça provoque une bonne réflexion. Par ailleurs, vous avez mentionné dès le début de votre présentation que vous ne prenez pas position sur l'euthanasie ou le suicide assisté.

Ma question serait la suivante cependant: Est-ce que le processus actuellement de consultations qui partait avec des audiences avec les experts, le document de réflexion, le questionnaire sur le Web et maintenant les audiences publiques, est-ce que ces outils-là, selon vous, sont suffisants pour avoir un bon aperçu de la position de la société québécoise par rapport à ces sujets fort délicats? Et est-ce que ça va... Est-ce que ça devrait aider suffisamment les parlementaires à prendre une orientation dans un sens ou dans l'autre?

Mme Charest (Rose-Marie): Écoutez, je ne pense pas qu'on pourra vous reprocher votre processus. Je pense que, le processus de la commission, il n'y a pas grand monde qui veut être entendu qui ne peut pas l'être, il y a de la place pour toutes, toutes, toutes les opinions.

Nous, la raison pour laquelle... Nous, on est un ordre professionnel et, contrairement à nos collègues des autres ordres professionnels qui avaient des comités qui travaillaient sur le sujet depuis plusieurs années et donc qui ont pu orienter davantage, nous, on ne se sentait pas prêts, à ce stade-ci, à prendre position. Mais ça ne signifie pas du tout que les gens qui prennent position, eux... Évidemment, moi, je ne suis pas ici comme citoyenne, je suis ici au nom de l'Ordre des psychologues, donc je vais vous donner... on vous donne l'orientation que l'ordre est prêt à prendre à ce stade-ci.

Maintenant, je pense que d'avoir amorcé cette discussion, cette réflexion va faire en sorte que de plus en plus de gens vont pouvoir avoir un éclairage. Et je pense que, ça, en soi, ça fait oeuvre utile. Et d'autres que nous, je sais que le Barreau vient présenter demain, le Collège des médecins, il y a l'Ordre des... Bon, il y a... Les gens, eux, ont pu prendre des orientations plus spécifiques.

Mme Mulcair (Catherine P.): Non, je pense qu'on ne peut pas se prononcer pour tous les psychologues. Là où on est, on n'a pas un comité spécifiquement sur mourir dans la dignité ou l'euthanasie ou le suicide assisté. Donc, on ne peut pas prendre cette position-là en tant qu'ordre pour l'instant.

Une voix: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Merci à mes collègues de m'avoir laissé quelques minutes. C'est toujours fort intéressant de pouvoir échanger avec des intervenants qui nous amènent sur des bases un petit peu différentes, hein? On a eu des témoignages, on a eu des ordres, mais, de votre coté, je trouve ça fort, fort intéressant d'entendre sur quel angle vous le prenez.

Un, je veux, avant que vous quittiez, que vous me laissiez au moins la recette de la vinaigrette qui va avec la salade de pissenlits que votre mari vante partout où est-ce que je l'ai rencontré...

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Charbonneau: ...et j'aurai le plaisir d'échanger là-dessus avec vous.

J'ai trouvé intéressant quand vous disiez que la perception de la mort pouvait changer dépendamment où on était rendu dans notre stade. Je dis «je trouve ça intéressant» parce qu'on a entendu des gens... Et, si vous avez suivi un petit peu dans les médias, vous en avez vu une hier, de 32 ans, une jeune femme incroyable qui est venue nous voir avec tout l'équipement qu'elle avait besoin pour venir nous voir. Elle s'est déplacée et elle est venue nous faire un témoignage. Et, à chaque fois, on est un peu confrontés, nous-mêmes, à entendre quelqu'un dire: Moi, la sérénité de savoir que je peux, que j'ai droit et que j'aurai accès vient calmer en moi toute cette colère d'injustice de la maladie qui m'habite. Moi, de savoir que je vais mourir étouffée fait en sorte de dire: Avant que ça arrive, j'aimerais ça, s'il vous plaît, pouvez-vous... fait en sorte que ça vient calmer, et ça ne me donne pas nécessairement le goût de mourir, ça me donne par contre la sérénité de vivre. Je veux vous entendre là-dessus.

**(15 h 40)**

Mme Mulcair (Catherine P.): Je comprends tout à fait. Puis j'ai rencontré des personnes qui vivent ces situations-là. Maintenant, avant de parler d'euthanasie ou de suicide assisté, on peut aussi parler de sédation, qu'elle soit palliative ou terminale. Je m'explique. Quand c'est palliatif, c'est qu'elle peut avoir une médication qui va la rendre inconsciente temporairement, alors que, terminale, c'est jusqu'à la mort. Elle a le pouvoir de choisir de ne plus avoir de traitement, c'est son droit.

J'ai pu voir, et puis je veux juste vous dire que c'est une personne jeune, mais on voit ça aussi... Et je travaille aussi en hébergement et je crois que les soins palliatifs manquent beaucoup à ce niveau-là. Et les gens ont le pouvoir de refuser un traitement et savent, parce que c'est notre rôle de leur dire, quelles sont les conséquences. Mettons un monsieur qui décide qu'il va arrêter ses traitements de dialyse, il le sait, il le sait. J'ai déjà accompagné des personnes en hébergement, c'est pour ça que je parle de ça. Ce monsieur-là avait dit: Je ne peux plus, je ne peux plus y aller quatre fois par semaine, c'est trop...

Mme Charbonneau: ...il peut arrêter un traitement, comme je peux débrancher un respirateur. Mais, si je suis atteinte d'une maladie dégénératrice, il n'y a rien que je peux faire que d'attendre que ma maladie soit rendue à un point où j'étouffe, où...

Mme Mulcair (Catherine P.): Ça dépend. Je ne sais pas qu'est-ce qu'elle avait exactement, je n'ai pas vu les appareils qu'elle avait. Mais je pense, et ça, c'est très important de voir qu'il faut être en équipe, que la personne fasse partie de cette équipe-là parce que -- tout à l'heure, je parlais d'émotif et rationnel -- la personne, elle est dans l'émotion, mais elle a besoin d'éléments rationnels pour avoir une décision éclairée et la refaire régulièrement. Ce n'est pas que le jour où elle va dire: O.K., je repars avec tous mes trucs, puis ça va. Bien, dans un mois, si ça ne va pas, on va se réunir encore. Il y a un soutien à apporter, il y a des solutions. C'est des cas uniques.

Je comprends, ils veulent arrêter de vivre comme ça, à un moment donné, ça suffit. Je ne sais pas si c'est mourir comme arrêter de vivre comme ça, c'est toujours très délicat à voir. Et, sur le «arrêter de vivre comme ça», on a du travail qu'on peut faire, il y a un accompagnement, il y a un soutien, il y a une équipe qui peut être autour. Il ne faut pas qu'elle soit isolée sinon c'est sûr que la dépression va être profonde. Mais je crois qu'on a un rôle à jouer à ce niveau-là. Donc, je comprends, mais elle peut aussi... elle a d'autres possibilités, elle peut parler avec son médecin, elle peut décider d'arrêter d'avoir l'oxygène, elle peut décider... en sédation palliative et puis voir qu'est-ce qui va se passer. Elle a d'autres possibilités. Mais je respecte parfaitement son choix, mais il y a du travail à faire avec ce qu'elle dit à ce moment-là. Mais, en équipe, je crois que c'est plus facile.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, bonjour, merci beaucoup d'être ici. Effectivement, votre mémoire était sur un autre niveau, donc c'est bien, ça nous amène d'autres questions. Des fois, on se demande, mais on en toujours des questions, alors, rendus au 30e jour, je pense qu'on va en avoir autant sinon plus.

En fait, oui, c'est ça, la sédation terminale est quelque chose dont on nous parle souvent, mais il y a des cas... Et je vous dirais que la plupart des personnes qui viennent nous voir pour nous demander de réfléchir à leur cas à elles sont des personnes pour lesquelles la sédation terminale n'aurait pas d'application parce que ce sont des personnes qui souffrent de maladies dégénératives. Donc, on ne peut pas leur dire: On va vous endormir jusqu'à ce que mort s'ensuive quand la mort peut être dans des mois ou... C'est plus des gens qui se disent: À un moment donné, il n'y aura plus aucune qualité de vie, aucune autonomie et même un risque, par exemple, de mourir étouffé, un risque de subir le syndrome du «locked-in».

Et, moi, je voulais vous entendre, c'est ça, spécifiquement sur, en psychologie... Elle, elle disait: Moi, ce que je veux, c'est savoir qu'il y a une sortie de secours; je n'ai aucune idée si je vais l'emprunter. Et c'est quelque chose qu'on a entendu d'une autre personne aussi. Et, oui, cette femme-là, hier, avait l'air franchement très sereine dans ses circonstances de vie, mais c'était uniquement que, pour elle, il y a des choses qui deviendraient totalement intolérables. Et est-ce que, ça, en psychologie, c'est quelque chose qui est comme documenté qu'il y a un apaisement -- vous y faites un peu allusion -- qu'il y a un apaisement qui peut provenir du fait de voir qu'il y a une solution, qu'on n'en voit pas d'autre?

Mme Charest (Rose-Marie): Absolument. Vous savez, sortir de l'impuissance, c'est quelque chose de fondamental pour un être humain. Bon. Quand il est malade, il est réduit à plus d'impuissance, surtout le type de maladie que vous décrivez. Donc, le fait de sentir qu'on aura un pouvoir, même si on n'est pas en train de l'exercer actuellement, ça, ça un impact sur le bien-être de la personne. Ça, c'est clair. Les psychologues qui travaillent en fin de vie l'ont mentionné dans la courte consultation qu'on a faite. Donc, oui, de sentir qu'on aura un pouvoir sur quelque chose.

Alors donc, si la législation va dans le sens d'ouvrir plus de possibilités, il faudra tenir les personnes informées, un, de toutes les possibilités, et, deux, qu'elles auront leur mot à dire et de quelle manière elles auront leur mot à dire, et ça pourrait les soulager immédiatement de savoir ça.

Prenons ça à l'inverse. Tout à l'heure, je vous disais: La souffrance a un impact sur le désir de mourir, et ce, même lorsqu'elle anticipée, donc, autrement dit, même quand vous ne la ressentez pas immédiatement. Donc, ça veut dire: ce qu'on anticipe affecte notre état d'esprit actuel. Donc, si j'anticipe plus de douleur, je peux me sentir déjà inconfortable. Si j'anticipe plus de pouvoir, je peux me sentir déjà plus confortable.

Mme Hivon: Une autre question que je voudrais aborder, vous y avez fait référence fort pertinemment, c'est l'impact pour les proches, mais on le prend souvent dans un sens... Bien, en fait, vous le prenez ici assez généralement, à savoir les décisions que les proches sont amenés à prendre. Mais, quand les proches, inversement, se sentent impuissants, exemple, face à quelqu'un en fin de vie qui demande de manière répétée à mourir...

On a eu un cas, la famille Rouleau, où... C'était un homme, je pense, d'une soixante d'années. Donc, pour lui, c'était clair, c'était aussi une personne qui subissait une maladie dégénérative, qui avait très, très peur de ce qui s'en venait, qui était bien accompagné, là, vous auriez vu la famille, franchement, c'était assez impressionnant médicalement, je pense, psychologiquement, tout ça. Il n'était pas vu comme étant en dépression. Donc, il parlait de tout ça avec sa famille, mais il n'y en avait pas, de possibilité dans l'état actuel des choses, il ne pouvait pas y avoir d'aide. Et finalement, cette personne-là a décidé de mettre fin à ses jours. Et les proches ont évidemment beaucoup de colère par rapport à ça parce qu'elles n'ont pas pu l'aider à réaliser la manière dont il voulait mourir, donc.

Et d'autres personnes nous ont aussi parlé qu'en fin de vie un proche avec qui ça allait bien, là... jusqu'où ça peut aller bien en fin de vie, mais leur exprimait ce besoin-là, en soins palliatifs, de dire: Moi, je suis sereine maintenant, je ne veux plus souffrir ces deniers jours ou semaines qui me restent et je voudrais que ça s'arrête maintenant. Et les proches décrivent un sentiment d'impuissance de ne pas pouvoir accéder à la dernière volonté. Est-ce que ça, c'est aussi quelque chose qu'on examine dans la même foulée un peu de ce que les proches peuvent vivre en fin de vie?

Mme Charest (Rose-Marie): Le sentiment d'impuissance des proches, il est assez répandu...

Mme Hivon: À tous points de vue. Oui.

Mme Charest (Rose-Marie): ...dans ces situations-là. On comprend ici une situation encore plus particulière où, là, vous avez quelqu'un qui formule une demande et que vous n'avez pas le pouvoir de donner suite à sa demande, et vous aimez cette personne, et vous êtes en fin de vie, hein? On ne peut pas avoir de situation plus alarmante, hein? Bon.

Cependant, il faut aussi regarder, quand on veut ouvrir différentes possibilités... Et, moi, je le répète, nous ne prenons pas position ni pour, ni contre, mais on voudrait dire: Si vous allez dans le sens de dire: On va ouvrir des possibilités, il va falloir baliser ces possibilités-là en tenant compte de différents facteurs. Et, quand je vous dis: Le sentiment des proches est excessivement important, vous pouvez aussi aller à l'inverse et dire: Le proche qui aura contribué à la mort de l'un des siens, ce ne sera pas neutre non plus.

Donc, si on doit aller dans une direction au plan législatif, assurons-nous d'avoir mis non seulement les balises qui permettent d'encadrer la décision objective mais d'entourer les gens dans ce qu'ils auront à vivre comme processus pour prendre cette décision-là et pour vivre avec par la suite.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

**(15 h 50)**

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci, mesdames. Effectivement, un éclairage intéressant. Au cours des dernières semaines, au cours des derniers mois, nous avons eu le plaisir et le privilège d'entendre infirmiers, infirmières, médecins de différentes spécialités, et tous avec un éclairage qui leur est naturellement propre. Ce qui a pu nous surprendre à plusieurs reprises, c'est d'entendre des médecins en soins palliatifs, de plusieurs années d'expérience, 15, 20, 25 ans, 30 ans de pratique au niveau de... au chevet des mourants, nous dire qu'ils ne recevaient jamais... ou certains disaient une, ou deux, ou trois demandes sur 30 ans de pratique, des demandes express de mourir.

On a rencontré un groupe d'infirmiers et d'infirmières qui disaient, eux, recevoir régulièrement ce type de demandes là. Et la réponse à la question était peut-être: Oui, on reçoit la demande parce qu'on est, nous, 24 heures sur 24 aux côtés des patients, alors que le médecin y est à des moments bien, bien précis du traitement. Quel est, comme psychologues cliniciennes, le type de demandes qu'on peut vous faire? Est-ce qu'on vous demande effectivement un support à mourir? Et est-ce que cette demande-là, si elle vous parvient, est-ce que, dans certains cas, elle peut être totalement sereine? Est-ce qu'elle peut être... Ou est-ce qu'on peut exclure totalement pour toute dépression, tout mal de vivre, mais tout simplement une décision qui est réfléchie, qui est sereine? Peut-être nous parler un petit peu du type d'accompagnement que vous pouvez assurer dans ces circonstances.

Mme Mulcair (Catherine P.): Écoutez, cette demande, elle peut arriver, mais il faut la mettre dans son contexte, qu'est-ce qui se passe. Ça ne peut pas être décidé comme ça que la personne est clairement en possession de ses moyens au moment où elle dit qu'elle veut mourir. Donc, il y a tout un processus, et puis il faudrait le refaire régulièrement, parce que vous avez des médications, quand les personnes sont très malades, qui vont influencer aussi le jugement, leur lucidité.

Donc, oui, la demande, elle peut être là. En tant que psychologue, ce n'est pas automatiquement parce que la personne l'exprime que, moi, je suis sensée... Moi, mon rôle est de porter la personne dans ce qu'elle est en train de vivre, de l'accompagner. Je ne sais pas jusqu'où ça va aller, combien de temps elle va le demander, si elle va le demander régulièrement. Le malaise, à ce moment-là... Ça peut paraître socialement quelque chose qui est plus fort parce qu'elle dit: Je veux mourir, mais elle vit un malaise à ce moment-là, ce n'est pas... Parfois, c'est: Je n'en peux plus, je n'en peux plus. Alors, la demande comme telle...

Je sais qu'en soins palliatifs peut-être les médecins vous ont dit qu'ils n'avaient pas eu ce genre de demande, mais, comme on travaille en équipe, l'infirmière, si, elle, elle l'a entendue, elle va le dire au médecin. Si, moi, je l'ai entendue, je vais le dire au médecin. Donc, on va à nouveau travailler tous ensemble. La personne qui fait ce genre de constat qu'elle n'en peut plus, elle est avec nous tous. Donc, on travaille avec eux. Ce n'est pas que, nous, on va aller parler d'elle puis après on va parler à la personne. Non, non, on peut aller parler avec. Il y a un travail où il y a tout un cheminement à faire avant d'arriver à dire si la décision est éclairée ou non, si la personne a toutes ses facultés, si elle n'est pas avec des médications qui risquent de modifier sa façon de penser.

Donc, je crois qu'à partir du moment où le médecin va travailler en équipe, que ce soit lui qui l'entende ou l'infirmière, je crois que la personne, il faut la prendre au moment où elle le dit puis faire un cheminement avec. Je ne sais pas jusqu'où ça peut aller, mais il n'y a qu'avec elle que je pourrai le savoir.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, puisqu'il me reste du temps pour revenir. Justement, je trouve ça très intéressant. C'est toute la question de l'accompagnement de quelqu'un qui est formidable, et je pense que c'est pour ça que tout le monde vient nous parler de la beauté et de l'importance des soins palliatifs, puis je peux vous dire que vous avez des alliés autour de la table. Mais le parallèle entre, je dirais, l'accompagnement ou l'acharnement...

C'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont venus nous dire: Moi, vous savez... Ils se projettent dans leur fin de vie. Évidemment, quand ils vont être rendus dans leur fin de vie, ça peut être très différent. O.K.? On s'entend là-dessus. Mais il y a des gens en fin de vie aussi qui ont toutes sortes de réactions, qui pouvaient être très proches de leur famille, ne plus vouloir... On ne le sait pas non plus, hein?

Alors, il y a des gens qui disent: Mais, moi, là, être accompagné à tout prix puis qu'on me dise: On vous écoute, puis dites-nous, moi, je ne veux pas ça ou je ne voudrai pas ça. Donc, je sais que, dans l'approche des soins palliatifs, normalement, c'est là. Donc, on respecte la personne, c'est-à-dire on respecte si elle nous dit... Bon.

Mais justement qu'est-ce qu'on fait quand quelqu'un a ce genre de réflexion là, de réaction là, de demander de l'aide à mourir, de ne pas vouloir... mais qu'il y a un certain devoir d'accompagnement, de dire: Bien, écoutez, on va essayer de trouver pourquoi vous voulez mourir, pourquoi vous ne voulez plus vivre puis vos souffrances... bien là, on voit que les douleurs physiques sont contrôlées, là c'est plus de la souffrance existentielle, tout ça, puis que la personne dit: Non, mais, moi, c'est assez, là, je ne veux pas que vous soyez là à chercher c'est quoi, mes bibittes, puis tout ça, moi, je vous dis juste: Je ne veux plus. Qu'est-ce qu'on fait avec un cas comme ça?

C'est parce qu'on vous pose ces questions-là parce que, nous, on est pris avec ces situations ultimes là aussi. Quand on nous dit: Il faut penser à d'autres solutions, c'est pour des cas comme ça aussi, de quelqu'un qui dit... Parce que j'ai lu votre dernière phrase sur: Il faut toujours se rappeler que c'est les valeurs du malade, ses émotions et lui qui doit nous guider et non l'inverse. Bien, on se dit quand on est face à un patient comme ça qui dit: Moi, c'est ça, c'est ça le message que je vous envoie, je ne veux plus être accompagné, je veux mourir, puis qui est en fin de vie, là, qu'est-ce qu'on fait quand cette...

Mme Mulcair (Catherine P.): On n'a pas le droit. C'est illégal.

Mme Hivon: Oui, c'est ça. C'est pour ça qu'on se penche là-dessus. Vous lui dites...

Mme Mulcair (Catherine P.): Donc, moi, je vais lui dire, je dis: J'entends tout à fait, je suis à l'écoute puis je ne reviendrai pas vous voir... Très souvent, je vais leur laisser une carte. Je vais vous dire que la famille, à ce moment-là, est très souffrante. Et je vais certainement voir beaucoup plus de membres de cette famille-là que dans d'autres circonstances. Je serai disponible. Mais on est dans un endroit où c'est illégal.

Je l'entends, je vais l'accompagner. Mais on n'a pas toujours tout ce qu'on veut dans la vie, hein? Là, c'est une question qui est énorme, mais: Je suis désolée, ici, on ne peut rien faire, mais on peut vous accompagner. Bon, à un moment donné, peut-être qu'il va finir... C'est un voyage, c'est la fin de son voyage, il veut l'interrompre d'un coup. Ici, on n'a pas le droit de l'interrompre, mais on peut peut-être, en étant disponible, en allant à son rythme... Peut-être qu'il va y avoir des changements, peut-être que la famille va vivre des choses qui sont importantes. Il y a des moments dans cette fin de voyage qui vont peut-être être significatifs.

Moi, je vais l'entendre, je vais être disponible, mais je ne ferai pas d'acharnement ni en psychologie, ni autrement. Je serai là, il le saura. J'irai lui dire: Je suis là. Ça m'est déjà arrivé, puis ça fonctionne. Je vais l'entendre, je vais le recevoir dans cette frustration-là. Ils ne sont pas toujours d'accord avec tout ce qu'on... C'est correct.

Mme Charest (Rose-Marie): Mais aussi, respecter la liberté de quelqu'un, c'est toujours respecter la liberté dans un cadre. Donc, dans le cas que vous nous présentez, Mme Mulcair a raison, le cadre, c'est: Je ne peux pas donner suite à votre désir de mourir dans le cas actuel, maintenant est-ce qu'il y a quelque chose que je peux faire pour vous? Compte tenu de ce cadre-là, qu'est-ce qui pourrait le plus vous aider à être moins malheureux, sinon plus heureux? C'est ça qu'un psychologue fait, il situe toujours, à l'intérieur de ces cadres-là, c'est quoi le type d'aide que...

Mais, vous avez tout à fait raison, on ne peut pas imposer une aide, un support à quelqu'un qui n'en veut pas. Mais ça ne m'est jamais arrivé de trouver quelqu'un qui ne veut rien, à partir du moment où on situe bien le cadre dans lequel il y a la liberté de désirer quelque chose puis où on se rend disponible, comme madame le disait.

Mme Hivon: Finalement, il va vouloir que quelqu'un entende le fait qu'il n'est pas d'accord avec la situation.

Mme Charest (Rose-Marie): Absolument, absolument.

Mme Mulcair (Catherine P.): Et très souvent, ça va être la façon d'établir une relation de confiance avec cette personne.

Le Président (M. Kelley): Il me reste à dire merci beaucoup pour un éclairage très important aux travaux de la commission, merci beaucoup encore.

Et je vais suspendre nos travaux quelques instants et je vais faire appel aux représentants de l'Association québécoise de prévention du suicide de prendre place à la table. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 15 h 59)

(Reprise à 16 h 3)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Notre prochain témoin, c'est l'Association québécoise de prévention du suicide.

Avec ma collègue la vice-présidente de la commission et députée de Joliette, nous avons eu un avant-goût un petit peu de la présentation parce que nous avons assisté à un colloque fort intéressant que l'association a organisé à Trois-Rivières jeudi passé. Il y avait un panel où il y avait une discussion entre nos prochains deux témoins, effectivement, qui ont participé à ce moment.

Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à M. Bruno Marchand, qui est le directeur général de l'association. Vous avez le droit d'une présentation d'environ une vingtaine de minutes, suivi par une période d'échange avec les membres de la commission.

Association québécoise de
prévention du suicide (AQPS)

M. Marchand (Bruno): Merci énormément de nous accueillir. C'est très apprécié. Alors, nous, l'Association québécoise de prévention du suicide, sommes une association qui représente une centaine de membres, entre autres les 33 centres de prévention du suicide du Québec, mais aussi différents membres privés, communautaires et publics, ainsi que des membres individuels. C'est une association qui a 23 ans d'existence.

Si, dans la présentation précédente, vous avez soulevé que, depuis le début des travaux, vous avez peut-être plus de questions que vous en aviez au départ, j'ai bien peur que ma présentation va beaucoup plus amener d'autres questions que des réponses. Je m'en excuse d'avance. Mais on a utilisé un peu cette approche-là parce qu'on n'avait pas de position ferme, on n'avait pas de... On n'était ni pour ni contre, on avait envie de réfléchir avec vous, on avait envie d'aborder des questions qui touchaient la question du suicide, qui est celle avec laquelle on travaille, et d'y aller par une façon de... en soumettant nos préoccupations à nos questions.

Il y a des gens qui nous on dit: Qu'est-ce que vous allez faire là? Ça n'a rien à voir avec le suicide, le suicide assisté et l'euthanasie. Alors, dans notre mémoire, vous avez remarqué, on a soulevé les points de divergence, parce qu'il y en a, mais il y a aussi quelques points de convergence. D'abord, le vocabulaire commun, hein, «suicide assisté», «suicide», ça fait référence... Et vous aviez raison de le soulever tout à l'heure, il y a de plus en plus de gens qui sont au fait, grâce à votre travail, des termes et qui connaissent la définition d'«euthanasie», «suicide assisté», «refus de traitement» et autres termes importants à ce débat-là. Mais il y a encore une partie, je pense, de gens qui sans dire confondent, qui amalgament les deux termes, «suicide assisté» et «suicide», et il y a certainement là un point de convergence.

Un autre point de convergence, et je pense que Mme Charest l'a soulevé, c'est la question de la souffrance. La personne qui commet... ou qui a des idées suicidaires est une personne qui veut arrêter de souffrir et non pas mourir. Et, dans certains cas, dans le cas du suicide assisté et de l'euthanasie, il y a peut-être aussi un peu de ça. Je me permets de dire «un peu» parce qu'il y a autant de raisons qu'il y a de cas probablement, alors je vais y aller avec le plus de pas feutrés possible.

Mais il y a aussi une question de perception populaire qui va au-delà des termes, qui est celle peut-être de relier la recherche de solutions pour mettre fin à une souffrance et le fait d'en arriver à mettre fin à sa vie, que ce soit par le suicide assisté ou le suicide, comme des éléments de convergence entre le suicide et le suicide assisté ou l'euthanasie.

Si vous me permettez, je vais commencer par un bref retour en arrière. Vous avez probablement entendu, on l'entend de moins en moins et c'est grâce au travail de nombreux intervenants et organisations, mais vous avez sûrement entendu, à un moment donné, on disait le Québec est champion en matière de suicide. Ça n'a jamais été vrai, on n'a jamais été champions, mais on s'est rapprochés du podium malheureusement. Dans nos pires années, on a été en cinquième place, si on comparait le Québec avec d'autres pays de l'OCDE. C'est une donnée à pendre non pas à la légère évidemment mais à prendre aussi... à mettre en lumière que ce n'est pas tous les pays qui comptabilisent avec autant de rigueur que chez nous la question des suicides. Vous savez que c'est enquêté par... Toute mort suspecte est enquêtée par un coroner, ce qui vient nous donner des données très fiables et très rigoureuses.

Cependant, les pays avec lesquels on se compare, et ce n'est pas nous qui le faisons, c'est l'Institut national de santé publique du Québec, nous plaçaient, dans les années 1990, 1995 et 2000, au cinquième rang. Qu'est-ce qui s'est passé pour que ça en vienne là? Les taux de suicide ont commencé à grimper, au Québec, au milieu des années 1960, pour arriver, en 1999, à des sommets jamais inégalés depuis, heureusement, où on a perdu 1 620 de nos collègues, de nos compatriotes, de nos concitoyens par suicide. Dans ces cas-là, et c'est encore le cas, là, 80% étaient des hommes. Depuis 1999, on a assisté à une baisse de 32% de suicides, nous ramenant, en 2008, à 1 100 décès par suicide, toujours selon l'Institut national de santé publique du Québec.

Une question qu'on se fait souvent poser dans ce retour en arrière: Qu'est-ce qui a causé ça? On pourrait mentionner un paquet de facteurs, et, si on avait les facteurs, ça serait facile d'intervenir, donc on ne les a pas tous, et vous en avez certainement d'aussi bons que les nôtres. On pourrait parler des ressources disponibles, de la qualité des ressources, de la qualité de l'intervention, de leur disponibilité. On pourrait parler de l'accès aux moyens de se suicider, qui étaient, à une époque, plus favorables, plus accessibles que maintenant. Quand on a érigé des barrières sur le pont Jacques-Cartier, on a prévenu des suicides, ce qui était, chez le commun des mortels, rien qu'un moyen est tout sauf un moyen mais quelque chose de très important pour la personne qui souffre. On a parlé de la demande d'aide, du rôle de l'homme, on a parlé des changements dans la société pour expliquer qu'est-ce qui a fait que, depuis 1960, 1965, on a vécu cette montée-là.

Mais on pourrait également parler d'une certaine tolérance sociale à l'égard du suicide. On pourrait parler, dans nos sociétés, d'une tolérance sociale, au sens où on n'a jamais choisi d'être tolérants. On n'a pas fait de référendum, on n'a pas fait de commission en 1965 ou en 1975 pour dire: C'est-u le temps d'être tolérant, oui ou non? Ça s'est placé comme ça.

Les premières années où on a vécu la montée du taux de suicide, vous vous souvenez qu'à l'époque où le Québec était très religieux c'était interdit, c'était très tabou, mais c'était entre autres très interdit. À partir de la baisse des pratiques religieuses et de d'autres événements sociaux, les taux ont monté, comme je l'ai dit, et on s'est engouffrés dans un silence, dans un tabou. Les plus âgés d'entre nous se rappelleront, dans les années 1980, 1990... Moi, j'étais intervenant, dans les années 1990, dans un cégep, et, quand il arrivait un suicide, on préférait ne pas en parler, on préférait dire: Bien, mettons ça sous le tapis, comme ça il n'y aura pas d'autres suicides, personne ne va se sentir influencé. On s'est rendu compte, par la recherche, que c'était le pire qu'on pouvait faire et que ça pouvait juste engendrer de pires situations et d'autres drames.

**(16 h 10)**

Mais il faut quand même dire que, pendant 30 ans, on a enterré ça sous le tapis en espérant que ce qui était devenu un fléau avec les années s'en aille de lui-même, un peu comme il était arrivé. Malheureusement, ce n'est pas parti de lui-même. Le suicide est entré dans nos maisons, et, pendant 30 ans, on s'est aussi dit que c'était un choix individuel, un peu comme la violence conjugale. On se disait: Bien, c'est l'histoire de la femme et de l'homme de choisir s'il y a violence conjugale nécessaire. On s'est aperçu avec les années que ça n'avait pas de sens de penser comme ça. On a quand même déjà pensé comme ça. Avec le suicide, on se disait: Bien, c'est un choix individuel. La personne qui souffre est capable de choisir, et c'est à elle de voir si elle doit arrêter sa vie ici et maintenant.

Je préciserais aussi qu'avec ces années-là on en est tous venus à connaître quelqu'un qui s'est suicidé. Dans une conférence qu'on donnait au Saguenay l'année passée, il y avait 300 personnes dans la salle, et je me suis permis de demander qui avait connu quelqu'un qui s'était suicidé dans les dernières années, et plus du deux tiers de la salle ont levé la main. Ça, c'est 200 personnes. Il y en a certainement qui n'avaient pas connu quelqu'un puis il y en a certainement qui n'osaient pas lever la main, puis c'était bien correct, mais c'était quand même une majorité de gens qui étaient touchés par ça. Si on prenait le temps de se parler, vous auriez des histoires tragiques à me raconter et j'en aurais également.

De brèves explications mais pour dire comment tout ça finalement finit par se placer, comment le suicide fait pour devenir une solution, une mauvaise solution, une solution qui a été tolérée, qui a été, sans le vouloir, mais peut-être trop acceptée.

Si c'était dans nos gènes d'êtres humains, ça serait probablement égal ou relativement égal partout dans le monde. L'Italie a des taux de suicide de beaucoup inférieurs aux nôtres, l'Ukraine a des taux de beaucoup supérieurs aux nôtres, Haïti a des taux inférieurs, la France a des taux supérieurs, la Belgique a des taux supérieurs aux nôtres. Qu'est-ce qui fait que, dans des pays occidentaux ou dans d'autres pays en voie de développement, on a des situations différentes?

Souvent, dans les explications, on va nous dire: Bien, c'est une question de souffrance. Le suicide, c'est lié à la souffrance. Donc, si quelqu'un souffre, ça se peut qu'il en vienne à se suicider. Alors, pourquoi, si tel est le cas, dans des pays où la souffrance nous semblerait très grande, pour ne nommer qu'Haïti, on ne se suicide pas? Le suicide, c'est aussi... ce n'est pas juste ça, mais c'est aussi une réponse culturelle à la souffrance. C'est une réponse qu'on n'a pas... probablement pas choisie, je ne pense pas, mais qu'on a laissé être et qui est devenue, dans nos portes de sortie, malheureusement acceptable, en tous cas certainement tolérée.

Qu'est-ce que ça a à voir avec le suicide assisté et l'euthanasie? Notre mémoire reprend ces éléments-là pour les soulever sous forme de questions. Et c'est là où on voulait s'entretenir avec vous, en se disant: Dans la mesure où, depuis 10 ans, et même avant, mais, dans la mesure où, depuis 10 ans, on voit les effets, si jamais vous décidiez d'aller vers une tolérance ou vers une légalisation du suicide assisté et/ou de l'euthanasie, comment faire pour ne pas que ça accentue la tolérance à l'égard du suicide?

Je ne suis pas en train de dire que ce n'est pas possible, mais je suis en train de dire: Comment, comme députés, comme législateurs, vous pouvez avoir à l'esprit de vous assurer que ça n'aura pas l'effet de légitimer le recours à la mort comme moyen parmi d'autres pour mettre fin à sa souffrance? Je sais que ce n'est pas ce que vous souhaitez, et probablement que vous aviez déjà cette question-là à l'esprit, mais comment on fait pour ne pas rendre la mort, aux yeux de la personne souffrante, comme un moyen acceptable pour mettre fin à cette souffrance-là?

Ce qui nous semblerait évident dans un parcours où on va bien l'est probablement moins pour une personne qui est en état de souffrance. Peut-être que vous vous dites: Bien, c'est évident, si moi, je vais bien, si on légalise le suicide assisté, que ça n'a pas de lien avec ma propre souffrance d'individu, d'homme qui a perdu peut-être sa conjointe ou qui vit une situation de perte d'emploi et de toxicomanie, peu importe. Ce n'est pas si évident que ça pour la personne qui souffre. La personne qui souffre a sa lunette teintée par sa souffrance et, si elle voyait si clairement les portes de sortie qui lui sont accessibles, assurément qu'elle ne prendrait pas le suicide comme porte de sortie. Je ne parle pas de la personne en cas de suicide assisté, je parle de la personne dans d'autres cas, pas en fin de vie. L'homme de 40 ans qui souffre a sa lunette teintée par sa souffrance et, s'il en vient à penser au suicide, c'est cette vision constrictive, en tunnel qui l'amène à une absence de choix. Hein, on dit que le suicide c'est un choix; c'est probablement plus absence de choix. Il n'y a pas d'autre solution que de se donner la mort, non pas pour mourir mais pour vouloir... pour cesser cette souffrance, Mme Charest l'a bien dit.

Alors, ça, c'est une question qu'on porte: Dans la mesure où on tolérerait ou on légaliserait ces questions-là, comment on peut faire pour ne pas que ça ait d'effets pervers sur la question du suicide? Comment on peut faire pour ne pas que ça ait d'effets pervers sur l'ensemble des préoccupations des actions qu'on met de l'avant pour éviter le suicide de nos collègues, pour éviter le suicide de nos proches?

Quels effets -- une autre question qu'on pose -- sur la modélisation? Le grand-père qui bénéficierait du suicide assisté à 85 ans, quels effets... comment on peut faire pour que ça soit très clair dans la tête des gens, pour le fils de 45 ans qui a peut-être des problèmes ou pour les petit-fils de 18 ans, pour être très clair que ces questions-là ne sont pas imbriquées les unes dans les autres? Ça nous semble évident, et les gens me disaient: Bien voyons, c'est évident, le petit gars de 18 ans il ne vit pas la même problématique. C'est vrai, de notre regard de gens qui avons déjà passé par là, en nous disant que cette situation de souffrance qu'on peut avoir à 18 pour différents problèmes, scolaires, amoureux, de toxicomanie, en se disant, bien, c'est temporaire. Mais, si le jeune de 18 ans pense au suicide, c'est parce que, pour lui, ce n'est pas temporaire, c'est parce que, pour lui, c'est permanent. Et c'est le travail des intervenants de l'amener à voir d'autres solutions, c'est le travail des intervenants d'amener une réflexion, d'amener un travail, d'amener une thérapie, d'amener un cheminement pour voir que, dans un mois, une semaine, cinq ans, la situation sera probablement fort différente. Quand Michel Barrette était sur le pont -- et c'est lui qui raconte ça à la télévision -- et que son père l'a empêché de poser ce geste fatal, il dit: Si on m'avait montré ce qui était devant moi, je n'aurais jamais pensé me rendre là, mais je ne le voyais pas, ma souffrance me cachait toute cette réalité-là.

Alors, cette question-là aussi on la porte: Quels effets de modélisation? Nos grands-pères, nos aînés sont les gens qui nous ont tracé la voie, ils nous la tracent encore. Alors, comment faire si jamais, pour une minorité de personnes, on jugeait nécessaire... Et vous avez raconté des cas tout à l'heure, entre autres la dame d'hier, que j'ai lu dans le journal, des histoires où on veut être très empathique, et il faut l'être. Comment faire pour que ça n'ait pas d'effets sur les gens qui suivent, sur les gens pour qui ces gens-là sont des modèles?

Il y a certainement des solutions. On ne les a pas toutes, mais on cherche au moins à éviter qu'on légiférerait trop vite et sans tenir compte des conséquences que ça pourrait avoir. Et je ne dis pas que c'est votre cas, là, on amène de l'eau au moulin.

Monique Séguin, de l'Université du Québec en Outaouais, dit qu'il y a neuf fois plus de chances de mourir par suicide dans une famille où un pair s'est suicidé -- pair, p-a-i-r, là -- dans une famille où un proche, un membre de cette famille-là s'est suicidé, par effet, entre autres, de modélisation, par effet qu'on regarde... Quand ça va mal, qu'est-ce qu'on fait? On regarde les gens autour de nous. Si on n'est pas capable de trouver les solutions en nous pour mettre fin à notre souffrance, qu'est-ce qu'on fait? On regarde les gens autour de nous. On regarde les gens qui sont significatifs et on apprend d'eux. On regarde quelles solutions ils ont mis de l'avant. Si le suicide assisté a été mis de l'avant, comment on fait pour que ça ne soit pas perçu par la personne qui souffre comme égale: Ah bien, moi aussi, je pourrais me suicider?

Une autre question qu'on porte: Comment réagiront les personnes qui seraient... épargnez-moi les mauvais termes, là, mais qui seraient refusées, à qui on ne permettrait pas d'aller vers le suicide assisté ou l'euthanasie pour différentes circonstances? Parce que je comprends bien que, si vous le tolériez, ou le légalisiez, ou proposiez de le légaliser, évidemment il y aurait des balises. Ces balises-là, évidemment, élimineront des gens, qui ne pourront y avoir accès. Comment on fait pour que ces gens-là ne transfèrent pas leur état, ou leur souffrance, ou leur solution possible vers le suicide? Pour moi, ça fait partie aussi des questions qu'on doit avoir en tête.

Quels effets sur les aînés? Et je suis sûr qu'on est loin d'être les premiers, on n'a pas pu entendre tous les témoignages, on veut essayer... éviter d'être redondants, mais quels effets sur le vieillissement? Comment on fait pour dire que, à la personne aînée qui est déprimée, ce n'est pas une bonne situation pour mettre fin à ses jours. Parce que, si on ouvrait cette porte-là, là on tombe dans: Pourquoi pour un aîné? Pourquoi pas pour un adulte ou pourquoi pas pour un plus jeune?

Si, à ce que je comprends du débat actuel, on souhaite le baliser, si la dépression devenait une façon d'y accéder, pour moi, ça serait très, très problématique parce que ça soulèverait la question des autres groupes d'âge. Mais, dans la mesure où elle n'est pas concernée par ça -- et le mémoire de l'Ordre des psychologues du Québec le soulevait -- comment on fait pour arriver à tisser des différences entre la personne qui souffre et qui, elle, se voit dans une situation incurable, mais qui, en fait, est en dépression? Et cette dépression n'est pas différente de l'homme de 50 ans ou de la jeune fille de 20 ans. Comment on fait pour trouver les bonnes solutions pour éviter qu'on traiterait les aînés différemment? Et je ne pense pas que c'est votre souhait, loin de là, mais comment on ferait pour ne pas rendre acceptable la dépression chez les aînés et y voir là... trouver de mauvaises portes de sortie?

On est en train de lutter, et les intervenants qui étaient au colloque la semaine passée nous le disaient, il faut travailler encore très fort pour bien identifier la dépression chez les aînés. Il faut travailler encore très fort pour mieux la diagnostiquer et trouver de meilleures pistes d'intervention. Celle-ci ne doit pas faire l'objet du suicide assisté et de l'euthanasie, selon nous.

Mais comment on fait pour d'autres éléments, d'autres situations de vie qui y auraient recours... de ces personnes-là qui y auraient recours pour ne pas amalgamer le tout, pour que les gens comprennent bien la différence, pour qu'on n'ait pas finalement d'impact sur le taux de suicide? Notre position se résume à ça. Comment faire pour que les bénéfices attendus pour les gens qui en auront besoin -- suicide assisté et/ou euthanasie, là, dans tout le principe, dans tout le débat -- comment faire pour que ça n'ait pas d'effets pervers sur la montée des taux de suicide ou sur d'autres citoyens?

En somme, M. le Président, beaucoup de questionnements, plus que de réponses. Mais, depuis 10 ans, on a travaillé très fort à diminuer le taux de suicide et on travaille très fort encore, avec nos modestes moyens, à y arriver. On n'est évidemment pas les seuls, et ce n'est pas par notre seul travail qu'on y est arrivés, loin de là. Mais comment... que les efforts en prévention du suicide ne soient pas contrebalancés par... pas tant par votre travail, je ne suis pas inquiet de ça, mais par la perception populaire, par la perception qu'on dirait, comme je le disais tout à l'heure: Le recours à la mort est légitimé comme moyen pour mettre fin à sa souffrance.

Des personnes nous demandent... en fait vous demandent de mourir dans une plus grande dignité. Comment faire, en permettant à chacune de ces personnes d'accéder à ce désir, comment faire pour éviter que, pour chacune d'elles, il n'y ait pas un, deux, cinq, 10, 15 suicides, qu'il n'y ait pas une, deux, cinq, 10 personnes qui meurent par suicide et dans un contexte qui n'a rien à voir avec la dignité? Voilà l'objet de nos préoccupations. Merci de votre attention.

**(16 h 20)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je soupçonnais, en vous écoutant la semaine passée, que la présentation va laisser avec beaucoup de questions qui sont fort intéressantes.

Avant de passer à la période d'échanges avec les membres de la commission, juste pour rappeler, pour les personnes dans la salle, on va consacrer la demi-heure de 18 heures à 18 h 30 à une période de micro ouvert. Alors, s'il y a les personnes qui veulent s'inscrire, voir Pierre Lessard-Blais, qui est en arrière, qui peut prendre votre nom. C'est environ des déclarations de trois minutes. Ça va permettre, les personnes qui n'ont pas eu la possibilité de témoigner ou de participer, d'avoir un court mot à dire à la fin de notre séance d'aujourd'hui. Alors, je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée des Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Il met toujours une emphase sur le «Mille». Je pense que ça l'impressionne. D'entrée de jeu...

Le Président (M. Kelley): ...Mille-Îles-de-la-Madeleine quand je suis vraiment fatigué, mais...

Mme Charbonneau: D'entrée de jeu, merci, merci de votre mémoire, merci d'avoir fait participer la vice-présidente et le président, mais plus dans le quotidien, merci pour le travail qui se fait sur le terrain. Je viens du monde scolaire et je vous dirais que, plus souvent qu'autrement, dans nos écoles secondaires et malheureusement dans nos écoles primaires, on a cette ligne téléphonique qui fait en sorte que des fois il y a des réponses que, nous autres, on n'a pas et que vous avez parce que votre quotidien est rempli de questions de vie et non de questions de mort. Donc, merci pour le quotidien.

Vous avez dit à plusieurs périodes au moment de votre présentation quelque chose qui nous a fait un peu frissonner, nous. Je dis «nous» parce que ma collègue d'à côté a frissonné autant que moi, puis ce n'est pas parce qu'on est des filles ménopausées, là, c'est vraiment parce qu'on avait des... Vous avez dit...

M. Marchand (Bruno): Loin de moi l'idée de penser ça.

Mme Charbonneau: Oh non, c'est vrai. Mais, vous savez, quand qu'on a mon âge, on ne dit pas ça, qu'on a des frissons, ça... Interprétation.

Vous avez dit que le suicide était toléré, qu'il y avait un niveau de tolérance. À chaque fois que vous l'avez dit, ça m'énerve, j'ai peine à croire que ça existe, cette tolérance. Parce que cette commission a entendu le mot «suicide» sans y ajouter de qualificatif, il n'y avait pas de suicide assisté, il y avait juste le mot «suicide» et on s'inquiétait. On n'est pas incarnés, là. Si, nous, ça nous inquiète, j'imagine... Et rassurez-moi en quelques mots -- parce que ce n'est pas une vraie question, là -- quand vous dites: Le suicide est toléré, ne me dites pas que la société est d'accord avec le principe.

M. Marchand (Bruno): Non. Je pense que la société ne sait pas par quel bout prendre ça. Et, comme ça a été tabou longtemps, cette tolérance, elle est beaucoup plus implicite qu'elle est explicite. Mais je vous donne juste deux exemples pour faire bref. Quand vous allez dans un bar, il n'est pas rare de voir qu'on nous sert des ailes de poulet piquantes, on va les appeler des ailes de poulet suicide. Et, vous êtes à même de le constater, quand on veut illustrer les problèmes d'un politicien, en caricature, il n'est pas rare de le voir se suicider. Il y a plusieurs indices. Vous écoutez la télévision, et on va traiter souvent de la question du suicide dans les téléromans. Il ne s'agit pas de l'éluder, je fais juste vous dire qu'il y a plusieurs...

Mme Charbonneau: Je comprends.

M. Marchand (Bruno): ...plusieurs situations où, sans être banalisé, on ne le met certainement pas autant en lumière et on ne le traite certainement pas avec autant de précaution qu'on le devrait.

Mme Charbonneau: Il n'y a rien qui me parle plus que quand vous me parlez de suicide politique. Ça me parle, je vous le dis. Je suis capable de m'accrocher avec ce terme-là puis je comprends plus quand vous dites l'exemple et le mot.

Quand vous donniez l'exemple du message qui se donnerait à un jeune de 16 ans si son grand-père avait accès... Rapprochons le cas, mettons que son père a accès à ce qu'on appellera -- parce qu'à date on n'a pas trouvé de meilleur mot -- suicide assisté. Je vous inverse un peu l'aspect parce qu'on est obligés de virer ça de tout bord tout côté pour essayer d'avoir encore une meilleure réflexion. J'ai un parent... disons que, pour que ce soit affectif, j'ai une mère qui a le cancer, et elle est en phase terminale, et, à chaque fois que je vais la visiter en chambre d'isolement, où je mets mon masque, mes gants, elle me parle de son goût de mourir. Et je sais fort bien, comme vous et comme son médecin à elle, qu'elle n'aura pas accès à ça, puisque ça ne fait pas partie d'un choix de traitement, ça ne fait pas partie d'une option, elle ne peut pas choisir de mourir, à moins, d'elle-même, mettre fin à quelque chose. Elle est en phase terminale, je ne pense pas qu'elle peut mettre fin à grand chose à part de dire qu'elle ne veut plus de chimio. Et sa seule fin à elle-même, c'est d'arrêter de manger, de boire, c'est sa fin à elle, là, parce que c'est la seule façon qu'elle peut arriver à ses termes.

Et, moi, je suis un enfant qui est pris émotivement. J'aimerais bien l'aider, je ne peux pas. Et ce que je comprends de ma société, c'est que je vais voir cette personne-là que j'ai connue comme parent devenir autre chose, faire le deuil à chaque visite de cette personne-là, parce qu'elle va changer, elle va se transformer et éventuellement elle va mourir. Mais c'est la maladie qui la fait mourir. Donc, le message que je perçois, c'est que ma société va tout faire pour la maintenir en vie malgré sa prédisposition, malgré son goût, malgré le fait qu'elle est prête, puis que ma société médicale va me maintenir en vie à tout prix malgré mes souffrances. Le message que je perçois comme jeune enfant de cette mère-là, c'est que finalement le respect de la vie est plus fort que le respect de la personne qui est ma mère.

Alors, le message, pour moi, il est aussi, quand je vous dis que je l'inverse, là... Quand on dit que le jeune pourrait comprendre que son grand-père a le droit de se suicider, c'est horrible, et ça lui donne accès à quelque chose, par contre ça peut lui faire comprendre aussi... Ou est-ce que ça ne pourrait pas lui faire comprendre aussi... Je ne sais pas comment la phraser sans vous donner une position, parce que je n'en ai pas. Mais comment je fais pour ne pas non plus donner l'autre message qui dit que j'ai une communauté qui aime mieux faire souffrir un corps jusqu'à sa fin? Parce que la mort naturelle, on peut en parler bien, bien longtemps, là, c'est un long sujet.

M. Marchand (Bruno): Pour moi, c'est choisir entre deux maux, et c'est pour ça qu'on n'a pas pris position en disant: Devant toute situation, il faut toujours l'interdire. Ce n'est pas là qu'on était. On avait envie de continuer à réfléchir puis d'entendre ce que les gens disent, autant les organisations spécialistes que des personnes. Mais, si j'avais à choisir entre deux maux, j'aurais envie de dire: Cette personne-là qui vit avec la souffrance de sa mère...

Mme Charbonneau: Ou son père.

**(16 h 30)**

M. Marchand (Bruno): ...ou son père, ou peu importe, avec un de ses parents, elle va devoir de toute façon... Je ne suis pas en train de dire que c'est mieux ou c'est pire. Mais, dans un cas comme dans l'autre, même si la personne avait accès au suicide assisté, elle va devoir de toute façon composer avec une souffrance, une souffrance qui sera la sienne et qui, dans le processus, pourrait être variable.

Je vous conte une histoire bien personnelle. Ma mère souffre d'Alzheimer. Au moment où on a appris que ma mère souffrait d'Alzheimer, André Arthur, en interview, m'avait dit: Si, moi, j'ai l'Alzheimer -- sans le savoir, là -- si, moi, j'ai l'Alzheimer, je me tue. Et je lui avait dit: O.K., qu'est-ce que je vais dire à mon fils Victor? Que ma mère s'est suicidée parce qu'elle n'était pas capable de vivre avec l'Alzheimer? Qu'est-ce que je vais dire à ma fille? Et on avait eu une discussion là-dessus.

Mais il n'en demeure pas moins qu'autant c'est très souffrant pour la personne et très souffrant pour la famille, il y a certainement des choses qui ont changé depuis que ma mère a l'Alzheimer, depuis trois ans, et, si elle était morte il y a trois ans, il y a certainement des passages que je n'aurais pas faits. Cependant, vivant avec l'Alzheimer, elle ne vit pas avec une souffrance physique quotidienne, j'en conviens que la situation est différente. Mais notre relation a bien changé. Et je suis très content qu'elle ait pu vivre jusqu'à aujourd'hui encore parce que ça a permis de faire de maudits gros pas.

La personne qui vit avec cette personne-là qui souffre... peut-être qu'un jour ce sera accessible et elle pourra, cette personne-là qui souffre, accéder au suicide assisté et à l'euthanasie. Mais, entre deux maux, je voudrais m'assurer qu'il n'y ait pas d'effets pervers, que, si jamais on permettait le suicide assisté à cette personne-là, on n'ait pas un «backlash» qui fait que, oui, on a aidé des familles, oui, on a aidé des personnes qui souffraient à avoir la mort qu'ils souhaitaient, mais en même temps on s'est assurés qu'on n'augmentait pas nos taux de suicide et qu'on ne perdait pas des gens de notre communauté qu'on n'aurait pas dû perdre. C'est comme ça que je répondrais.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, M. Marchand, merci beaucoup, et non seulement, lorsque vous avez fait le commentaire sur le fait que le suicide est toléré... que je suis d'accord avec vous là-dessus. Je vous dirais qu'en certaines circonstances le suicide est même glorifié, dépendamment de qui décide de passer à l'acte. Si c'est une vedette ou une étoile rock, que ce soit Dédé ou que ce soit Kurt Cobain, j'avais l'impression, le lendemain, que c'était quasiment cool de se suicider et que, dépendamment de qui la personne était, la conception changeait. Alors, je suis d'accord avec vous à ces niveaux-là.

Les gens qui viennent devant nous, si on fouille un petit peu, on vient devant une conception, et les gens... Il y a des gens qui choisissent de nous parler d'autonomie, d'autonomie de la personne, autodétermination, et des personnes qui viennent nous parler de la valeur intrinsèque de la vie. Et les gens du côté de l'autonomie disent qu'il n'y a pas de valeur nécessairement à la vie, là: Moi, je décide... ou la personne elle-même décide de la valeur de sa vie dépendamment de ce qui se passe. Il n'y a pas de valeur à la vie comme telle, là, c'est vide, ça.

Moi, moi, si je vous dis, à un moment donné, que... Et c'est très convainquant quand une personne vient devant toi puis tu dis: Hé, c'est ma vie. Le «bottom line», je m'imagine des fois au bord du... tu sais, sur le pont Jacques-Cartier avec un gars qui veut sauter, qui me regarde, il me dit: «Bottom line», c'est ma vie, là, mêle-toi de tes affaires. C'est un argument, là, tu sais, je veux dire, très... Et les gens qui viennent nous dire: C'est notre vie, c'est ma vie, et on comprend ça.

Si j'étais... si on était pour accepter qu'il y a des choses là-dedans, dans les deux cas, il pourrait y avoir maladie mentale, dépression dans un cas comme dans l'autre, il y a une maladie dans certains autres cas, mais, si on vient à la conclusion que la vie, là, il n'y a pas de valeur à la vie comme telle, la valeur de la vie dépend de la conception de la personne qui la vit, c'est lui ou elle qui décide, est-ce que je viens de te couper les jambes? Est-ce que je viens de te tirer le tapis de sous les pieds dans le travail que tu fais avec les personnes? C'est la question que je me pose.

M. Marchand (Bruno): Je pense que oui, mais je ne suis pas sûr que c'est le cas. Si, avec un ami, ce soir, on décide de prendre un coup -- et vous allez voir où je veux en venir avec ça -- et que, bien ivres, en quittant, on décide d'aller marcher en plein centre de René-Lévesque, il est fort probable que mon ami, s'il a encore un petit peu plus de raison que moi, il va me dire: Même si c'est toi qui décide, là, devant cette lunette teintée par l'alcool, je vais te dire que ce n'est pas le meilleur choix que tu vas faire; je vais te laisser dégriser, si tu veux le faire demain, on en reparlera. La souffrance a ce même effet. La souffrance, elle a l'effet de teinter la lunette et d'amener une vision qui est tronquée, d'amener une vision, comme l'effet de l'ivresse, qui est tronquée.

Quand vous dites: On parle d'autonomie, c'est vrai. Quand les gens disent: C'est ma vie, c'est vrai. Sauf que ce qui nous permet d'intervenir en matière de suicide, c'est le fait que, comme le disait tantôt Mme Charest, l'ensemble des gens décédés par suicide... je ne parle pas de suicide assisté, là, mais l'ensemble des gens décédés par suicide, ils veulent arrêter de souffrir, ils ne veulent pas mourir. La mort est un moyen pour mettre fin à la souffrance. Et c'est ça qui légitimise notre action. Tout comme la personne qui est ivre, quand qu'elle trouve ça drôle d'aller marcher sur la ligne jaune, son but, ce n'est pas de mourir, c'est de faire... c'est de poser une action sans trop y avoir réfléchi, et c'est ce qui nous légitimise de dire: Attends donc à demain, une fois que l'alcool va avoir perdu de ses effets, je suis sûr que tu vas avoir une autre façon d'approcher la question puis tu vas trouver ça moins drôle puis moins intéressant. La souffrance, c'est la même chose.

Alors, si on disait qu'il n'y a pas de souffrance, si on disait que le suicide, c'est le samouraï qui s'en va sur sa montagne et qui ayant compris le sens de la vie et qui ayant rationnellement tout exposé, tout donné ce qu'il pouvait puis en étant avec certitude arrivé au bout du chemin, on ne pourrait plus intervenir parce que c'est vrai que ce serait une forme d'autodétermination, une forme de liberté. Mais ce qu'on sait du suicide, ce n'est vraiment pas ça. C'est vraiment la personne qui souffre et qui ne voit pas d'autre choix, parce que sa lunette est teintée par la souffrance, pour mettre fin à sa souffrance, que de choisir le suicide. Mais, paradoxalement, si cette personne-là est en Haïti ou en Italie, il est fort probable qu'elle ne se suiciderait pas dans le même contexte.

Le Président (M. Kelley): Oui, dernière... Il reste sept minutes. On va laisser un petit peu de temps pour votre collègue d'Orford.

M. Sklavounos: Oui, je vais aller très rapidement pour laisser du temps à mon confrère. Je vous comprends très bien, et c'est pour ça que j'ai dit à une personne qui est venue nous dire, à un moment donné, qu'il fallait faire une distinction entre les personnes qui sautent du pont mais qui sont en bonne santé et les personnes qui veulent en finir parce qu'elles sont malades, et je lui ai dit, à cette personne-là, que j'ai l'impression que tout le monde qui voulait mourir n'est, à quelque part, pas bien. Mais je ne suis pas expert et je n'ai peut-être pas dit ça de la bonne façon.

Si on est pour tracer une ligne, une distinction entre les deux catégories de personnes en disant simplement que les personnes avec qui ont est tenté à l'ouvrir, c'est des personnes qui souffrent d'une maladie physique ou qui sont alitées ou, je ne sais pas, qui ont une maladie physique, alors que les autres pour lesquels on dit: On n'est pas prêts à accepter, c'est juste des gens qui ne sont pas bien dans leur peau, déprimés ou dépressifs, je ne sais pas trop quoi, est-ce que c'est une ligne qu'on peut se permettre à traverser, selon vous, sans en quelque sorte discriminer à quelque part? Parce que, je veux dire, si on dit... Est-ce que c'est suffisant juste de dire: Oui, lui, il veut en finir avec ses jours, il est déprimé, mais il est en pleine santé autrement; lui, il veut... ou, elle, elle veut terminer avec ses jours, mais, en plus d'être un petit peu déprimée elle a été impliquée dans un accident puis elle ne peut plus marcher ou danser, etc., est-ce que c'est suffisamment de différence pour qu'on s'avance sur un terrain sur l'un puis qu'on s'empêche d'avancer sur l'autre?

M. Marchand (Bruno): Je pense qu'il faut absolument tracer une ligne dans ce sens-là si vous étiez favorables et il faut aussi -- et c'est là l'objet de notre propos -- bien le communiquer et trouver toutes les façons pour que les gens comprennent bien la ligne.

Le Président (M. Kelley): M. le député d'Orford.

M. Reid: Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais vous féliciter pour une approche qui est extrêmement constructive, en disant au départ que peut-être y aura-t-il des changements qu'on ne sait pas non plus, nous, là, mais que vous attirez notre attention sur le fait qu'on ne veut pas avoir d'effets pervers.

Moi, je voudrais commencer par vous dire que ça m'est arrivé, je n'ai pas fait partie d'un groupe, mais ça m'est arrivé de sortir certaines connaissances ou amis que j'avais, surtout dans la grande période des divorces des années quatre-vingt, là, mais de ces éléments-là... Et, un de mes arguments qui a toujours été très, très fort, c'étaient des gens dans la trentaine, la plupart, ou plus, là, mais c'était de dire: Écoute, quand on voit qu'un jeune de 15 ans s'est suicidé, ça ne se peut pas qu'il n'y ait pas de porte ouverte à 15 ans, c'est impossible qu'il n'y ait pas de porte ouverte à 15 ans, la vie commence. Et ça, c'est très, très fort et ça a beaucoup aidé à du monde à patienter jusqu'au temps que la douleur disparaisse ou que la douleur diminue, etc.

Je suis beaucoup moins à l'aise d'amener un argument comme ça à quelqu'un qui arrive à une période où tout le monde lui dit que c'est fini, qu'elle ne peut pas s'en sortir, il n'y a pas de porte ouverte pour un avenir, là, serein. Ça ne veut pas dire que tout est impossible, là, parce qu'on nous dit: Bon, les soins palliatifs peuvent effectivement... On nous dit qu'il y a des gens même qui ont eu la pilule pour se tuer -- en Oregon, par exemple -- et un tiers ne s'en servent pas. Je comprends tout ça. Mais, en termes d'argument, je me dis: Il y a peut-être effectivement là quelque chose qui, dans cette approche-là, laisse de la place pour quelqu'un qui veut peut-être mettre fin prématurée à ses jours.

Mais, sur ce sur quoi vous attirez notre attention, c'est-à-dire l'effet pervers, je voudrais juste vous poser une question bien technique, en fait. C'est qu'on parle, nous, d'euthanasie et de suicide assisté comme deux choses différentes. On a eu un médecin belge qui est venu nous expliquer comment ça fonctionnait là-bas, et eux ne parlent pas de suicide assisté. Et pourtant, si quelqu'un veut mettre fin prématurée à ses jours, il peut le demander, mais c'est toujours un acte médical, le suicide assisté étant à leurs yeux quelqu'un qui fait lui-même un acte, etc.

Et je me demandais, moi, en vous écoutant au début de votre exposé, si, pour vous -- et je ne suis pas sûr de la réponse -- si, pour vous, ça, ça a un impact... Si on avait une législation comme celle-là, par rapport à, mettons, une qui ouvrirait la porte, mettons, au suicide assisté comme on l'entend, comme ça existe en Oregon, c'est-à-dire qu'on donne une pilule à quelqu'un, bien je me demande si ça a plus d'effets pervers ou moins d'effets pervers dans ce sur quoi vous attirez notre attention: effet pervers sur d'autres membres de la famille, des gens qu'ils connaissent, des gens qui entendent parler de.

**(16 h 40)**

M. Marchand (Bruno): Bien, oui, je pense que certainement la question du libellé et de la terminologie y est pour quelque chose. La façon de l'expliquer aux citoyens du Québec, si c'est vers là qu'on allait, y serait aussi pour quelque chose. Moi, oui, je partage votre point de vue qu'il y a là, en tout cas, certainement à réfléchir pour être capables de bien le baliser, de bien l'expliquer, de bien le communiquer.

Puis, en même temps, l'exemple de la Belgique suscite aussi d'autres questions. En Belgique, ils sont rendus à se questionner à ouvrir plus grand. J'écoutais une chercheure suisse qui disait qu'en Suisse ils l'accordent de plus en plus à des personnes âgées qui sont fatiguées de vivre, qui ne sont plus juste dans une notion... On parlait de notion incurable comme étant dans les critères, dans la ligne qu'on peut tracer dans la maladie physique, etc., là. Bien, là on commence à, je trouve, dériver, selon moi, vers les dangers qu'on a mentionnés, qui sont ceux de la dépression, qui sont ceux de dire: Ah bien... je ne pense pas que c'est ce que vous diriez, mais qui seraient ceux de dire: Bien, un aîné en dépression -- entre guillemets, le message qui pourrait être perçu, pas envoyé mais perçu -- ça n'a plus d'avenir. Alors que je sais que ce n'est surtout pas ça que vous voulez envoyer puis c'est... Mais il faudrait... Je pense que la limite, la difficulté, elle est là. Oui, j'irais dans ce sens-là.

M. Reid: Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bien, je me suis fait un petit peu scooper, mais je vais le ramener dans l'ordre où je voulais le présenter. Oui. C'est des choses qui arrivent, hein, quand on passe en deuxième.

Une voix: ...

Mme Hivon: Oui, c'est ça, c'est ça. Moi, je vais vous dire, vous avez parlé, je pense, fort à propos des points de convergence qui font en sorte que... pourquoi vous êtes ici aujourd'hui, la terminologie et aussi le fait que notamment c'est beaucoup peut-être une volonté de mettre fin à une souffrance, une douleur, plutôt que vraiment de souhaiter la mort, qui fait en sorte que les gens vont vouloir avoir recours soit au suicide, soit à une aide à mourir en fin de vie. Mais, moi, je pense qu'il y a des éléments aussi de divergence, ça fait que c'est ça que je voudrais peut-être...

Le premier, qui est, je pense, fondamental, de ce qu'on a reçu comme témoignage, c'est qu'il faut qu'il y ait une mort imminente ou prévisible à court terme, donc qui est un critère important, et pas de possibilité, je dirais, objective de fin à la souffrance. Tantôt, vous avez dit: Quelqu'un qui a des pensées suicidaires, qui veut mourir, pour lui non plus, il n'y a pas de possibilité de fin à sa souffrance, c'est pour ça qu'il en vient à cet acte-là irrémédiable, et je suis tout à fait d'accord. Puis je réfléchissais puis je me disais: Bien, en fait, c'est la possibilité objective versus subjective parce que quelqu'un de l'extérieur qui est sain d'esprit va dire à cette personne: Non, non, non, comme on peut le faire dans certaines circonstances, alors qu'il y a des cas où c'est vrai qu'avec certains diagnostics, on est en fin de vie, tout ça, objectivement il n'y a pas vraiment de possibilité de mettre fin à la souffrance.

Et donc je vous dirais qu'il n'y a personne qu'on a entendu qui nous a dit, par exemple, face à une douleur très, très, très puissante physique, comme, par exemple, à la suite d'une opération, je ne sais pas, pour une amputation -- il paraît que c'est terrible, ou tout ça: Il faudrait le considérer parce que c'est le libre choix de la personne. Tout le monde est conscient que normalement cet état-là des choses va passer, il va y avoir une grande réhabilitation, énormément d'apprentissage à faire, mais la personne n'est pas en situation de mort imminente. Et, je pense, c'est le même parallèle qu'on peut faire avec quelqu'un qui est en dépression, qui a des idées suicidaires. C'est une souffrance psychologique existentielle qui peut être terrible, mais il y a un espoir de revenir à une vie normale. Alors, moi, c'est ce qui fait en sorte que je pense qu'on est capables aussi de peut-être voir les facteurs de différence.

Et, quand je dis que je me suis fait scooper, c'est que, le premier jour de nos audiences, au printemps dernier, quand on a entendu des experts, on avait eu quelqu'un qui est ici aujourd'hui, M. Bureau, le Collectif Mourir digne et libre, et eux -- et ça m'avait frappée et ça a beaucoup teinté ma réflexion depuis -- ils nous avaient dit que, pour eux, c'est seulement l'euthanasie qui est envisageable et jamais le suicide assisté justement pour les raisons notamment que vous dites: le message à la société, la difficulté d'expliquer les choses, de faire les nuances. Et évidemment on fait toujours... on le fait dans notre document, on fait toujours la distinction parce que le suicide assisté, ce n'est pas pour rien que ça s'appelle comme ça, c'est, en fait, la personne vraiment qui met fin à sa vie mais qui est assistée parce qu'elle ne peut le faire elle-même. Donc, on a les cas où ça peut être de fournir un médicament, fournir un liquide que la personne peut boire, mais c'est vraiment la personne, alors que l'euthanasie est vraiment vue dans un contexte médical, donc une aide médicale balisée à mourir.

Et le Collège des médecins est un peu dans la même optique et, hier, la Fédération des médecins aussi, ils ne veulent pas... ils ne disent rien sur le suicide assisté. Pour eux, c'est tout à fait autre chose, c'est tout à fait autre chose qu'une aide médicale à mourir. Donc, ils parlent plus d'euthanasie, parce qu'ils disent: À la limite, de manière exceptionnelle, ça peut être quelque chose de vu comme, sur un continuum de soins, le soin ultime.

Je veux savoir si ça, c'est quelque chose qui fait en sorte... -- nous, dans notre réflexion, il faut en tenir compte aussi -- qui, vous, vous ferait dire qu'il y a peut-être moins de risques de confusion dans le message quand on est dans un cadre vraiment médical, que ce soit en milieu hospitalier, soins palliatifs, bon, tout ça, que dans un cadre où c'est vraiment la personne elle-même.

M. Marchand (Bruno): Je pense que oui. Je pense que ça diminue les risques. Tantôt, vous parliez du suicide assisté, puis on entend souvent la question de l'autonomie, du libre arbitre, de l'autodétermination. Il n'y aura pas de doute, selon moi, que, même si on tolérait le suicide assisté, le libre-arbitre ne peut pas être le seul arbitre. Il y aura un cadre législatif ou il y aura une façon de le proposer qui sera un arbitre extérieur et qui dira: Dans ces situations-là, c'est possible et dans celles-là, ça ne l'est pas, parce qu'on vit en société, parce qu'on ne vit pas en état d'individualité uniquement. Donc, en ce sens-là, pour moi, il n'y aura pas juste le libre-arbitre, on ne pourra jamais juste tenir compte des besoins de chaque individu.

Et, dans le cas du suicide assisté, il y aura la question toujours de, même si on le balisait, admettons, en disant... Puis peut-être que c'est possible, là. Je n'arrive pas avec des... en disant: Ce n'est pas possible. Mais, même si on le balisait, même si on disait: C'est une situation incurable avec des évaluations, avec, avec, avec, ce qu'il faudra se questionner, c'est comment c'est perçu. La perception fait souvent foi de tout dans ces domaines-là, dans un domaine de contexte de tolérance sociale au suicide. Même si ce n'est pas ça qu'on voulait, même si c'était balisé, comment on va faire pour que ça soit perçu et entendu de telle manière? Et, en ce sens-là, la question que vous amenez, pour moi, aide probablement, là... je dis «probablement», c'est ça, je pense qu'il reste à continuer à y réfléchir, mais aide probablement à une meilleure perception.

Mme Hivon: O.K. Vous avez, dans votre document, à la page 9... vous dites: «L'hypothèse fondamentale de l'Association[...], c'est que le taux de suicide d'une société est influencé par l'acceptation collective du suicide comme une solution possible à cette souffrance.» Vous avez fait état des comparatifs, des données comparatives avec certains autres pays. Outre ce chiffre-là, est-ce qu'il y a des études qui documentent ou qui élaborent sur... Parce que tantôt ma collègue disait qu'elle avait sursauté à «tolérance». Moi, je veux comprendre, quand on dit «l'acceptation collective du suicide», ce à quoi on fait référence. Quels indices peuvent montrer qu'une société accepte plus, collectivement, que d'autres, par exemple?

M. Marchand (Bruno): Richard Boyer, qui est un chercheur de Montréal, a déjà travaillé... Ça reste un sondage, parce que d'abord, il n'y a pas beaucoup d'études là-dessus parce que c'est très difficile de déterminer cette question-là parce qu'elle est imbriquée avec un paquet d'autres facteurs. Mais Richard Boyer, entre autres, a déjà travaillé sur un sondage où il comparait la perception des gens dans les provinces canadiennes par rapport au suicide. Et il avait vu une nette différence entre le Québec et les autres provinces.

Et on a déjà aussi travaillé -- mais, encore là, c'est très sommaire -- sur la question de comment les gens perçoivent le suicide -- et M. Reid le soulevait tout à l'heure -- comment les gens perçoivent le suicide des jeunes, versus le suicide des adultes, versus le suicide des aînés. Et, là aussi, on trouvait des différences dans la perception des gens, comme s'il devenait de plus en plus toléré et accepté avec l'âge, alors, ce qui était un peu étonnant puis qui était très questionnant. Mais il n'y a pas beaucoup de choses pour dire: Voici, on est capables de prouver hors de tout doute raisonnable ce propos-là.

Mais, dans les endroits... et je terminerai là-dessus en réponse à cette question-là, mais dans les endroits où on a pu travailler la question de la perception populaire du suicide -- et je fais référence à des endroits qui ne sont pas tant des milieux fermés, mais je pense à des écoles où on a pu travailler cette question-là -- on a diminué de façon importante le taux de suicide parce qu'on venait jouer sur les services qui étaient offerts, mais on venait jouer aussi sur la tolérance à l'égard du suicide.

Et cette tolérance-là, elle est de tous ordres, elle est d'un point de vue philosophique, politique, mais elle est aussi d'un point de vue: Si tu ne le tolères pas, le suicide, tu es nécessairement plus proactif avec le vécu de ton collègue, de l'étudiant qui est à côté de toi ou du prof ou le prof envers ses étudiants. Donc, il y a une mise en mouvement, il y a une mise en démarchage de cette société-là pour refuser le suicide qui nécessairement a des impacts autant auprès de la personne vulnérable, qu'auprès du message qu'on envoie à l'ensemble, que de la tolérance envers un paquet de petits éléments, comme on a mentionné tout à l'heure, qui viennent faire une différence et où on a pu avoir un impact sur le taux de suicide par le fait, entre autres, de jouer sur la tolérance à cet égard-là.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

**(16 h 50)**

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci à vous pour le témoignage. On a eu l'occasion, au cours des derniers jours, d'entendre des témoignages qui sortaient du lot. Par leur contribution exceptionnelle, aujourd'hui, je vous dirais que c'est la journée entière qui sort du lot, en ce sens que généralement on a une balance assez équitable dans la succession des témoignages, c'est-à-dire un groupe qui est plutôt favorable et suivi d'un groupe qui, lui, est contre. Aujourd'hui, nous n'avons, ou à peu près, que des groupes qui ne se prononcent pas mais qui soumettent des questionnements. Donc, ça peut être très, très, très stimulant mais en même temps très questionnant pour nous-mêmes également. Mais ces questions-là, elles sont éclairantes et elles sont pertinentes effectivement. Et votre témoignage va dans cette même lignée là. Donc, merci, sincèrement.

Une question plutôt technique mais qui peut nous aider peut-être à travers un profil. Vous avez indiqué d'entrée de jeu que votre regroupement comportait ou comptait une centaine de membres, autant des individus, que des organismes, que des associations. Vous les avez questionnés sur le sujet. Peut-être nous revenir avec un petit peu plus de détails sur le type, d'une part, de consultations et nous dire, sans préciser les noms, si vous avez réussi à établir un profil. Est-ce que ce sont les individus qui étaient plus réticents? Est-ce que ce sont les organismes d'accompagnement qui l'était? Bref, juste nous revenir avec un petit peu plus de détails sur la procédure que vous avez conduite de votre côté.

M. Marchand (Bruno): On n'a pas été avec une procédure systématique pour des raisons qui nous appartenaient, là, les délais étant, pour nous, là, au moment où on a décidé de s'impliquer dans cette question-là, trop restreints. Mais les gens qu'on a consultés, en ponctionnant différents groupes, en essayant d'avoir le plus d'opinions représentatives, je vous dirais que ça allait dans tous les sens. Il y avait des groupes communautaires qui étaient plutôt favorables, puis il y avait des groupes communautaires qui étaient plutôt défavorables. Il y avait beaucoup de groupes, et c'est comme ça qu'on en est arrivés... Il y avait beaucoup de groupes qui étaient en questionnement puis en cheminement puis qui disaient: Bien, est-ce qu'on est capables, nous, de dire: Non, il ne le faut pas?, qui avaient beaucoup de doutes et qui nous amenaient ces questions-là, qui nous amenaient cette réflexion-là.

Alors, il n'y a pas plus... On ne pourrait pas dire, par exemple, que les 33 centres de prévention de suicide auraient souhaité qu'on dise non tout simplement et que les autres auraient souhaité qu'on dise oui. C'est vraiment variable, dépendamment du vécu des individus, des gens qui étaient questionnés, dépendamment de leur provenance. Mais il n'y avait pas de profil en fonction des provenances et du type d'appartenance à notre association.

Le Président (M. Kelley): Oui, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Puisqu'il me reste un peu de temps. On a eu certains témoignages, je vous dirais, certains hypothétiques, d'autres appuyés sur une réalité -- j'y ai fait référence tout à l'heure -- de personnes qui ont eu recours au suicide par anticipation de douleurs ou de situations qui seraient intolérables et qui, donc, disent: Si j'avais su que je pouvais avoir cette police d'assurance là, en fin de vie, de dire: Au moment où il n'y aura plus aucune espèce de tolérance, pour moi, possible puis que ma mort va être imminente, je sais que je peux être aidé, ça changerait aujourd'hui ma qualité de vie. Dont le témoignage d'hier soir. Il y a une famille qui est venue dire que, bon, un membre de sa famille s'était suicidé plus tôt parce qu'il avait trop peur de ce qui pouvait s'en venir.

Est-ce que c'est quelque chose qui est documenté ou que vous voyez un peu, je dirais, dans vos interventions, des gens qui vous manifestent un désir de mourir ou qui font des tentatives de suicide, tout ça, par justement une anticipation aiguë de la douleur, ou de la souffrance qui pourrait s'en venir, ou de la perte de contrôle? Est-ce que c'est quelque chose que vous voyez?

M. Marchand (Bruno): On n'en entend pas beaucoup...

Mme Hivon: Pas beaucoup. Ce n'est pas tellement...

M. Marchand (Bruno): Je n'en ai pas entendu beaucoup parler. Ça arrive certainement, là, parce qu'on ne me rapporte pas évidemment tous les... la question des types de gens qui appellent, mais ce n'est pas quelque chose que j'ai entendu beaucoup parler, pas plus en termes de nombre de suicides non plus. Donc, on n'a pas...

Souvent, les coroners communiquent avec nous autres dès qu'ils voient des situations qui devraient être portées à notre attention. Ce n'est pas quelque chose dont on a été mis au courant. Ça existe certainement, là, les cas que vous soulevez ne sont certainement pas fictifs, mais ce n'est pas quelque chose avec lequel je pourrais vous aider, je pourrais répondre...

Le Président (M. Kelley): M. le député de Beauce-Nord.

M. Grondin: Merci, M. le Président. En tout cas, je vous félicite pour votre association. Je sais que, dans mon comté, on a, à chaque année, une randonnée de bicyclette justement pour la prévention du suicide, et j'y participe assez régulièrement.

Comment est-ce que vous voyez ça, vous, quelqu'un qui va refuser un traitement, là? Mettons, je ne dis pas un jeune mais une personne âgée qui arrive à l'hôpital, qu'ils lui disent bien: Tu as le cancer général, tu as deux semaines, tu as un mois. Si jamais on ne te fait pas de traitement, là, bien ça ne sera pas long; si on fait des traitements, bien on peut étirer ça à cinq, six mois. Mais la personne dit: Je refuse tout traitement, je refuse tout acharnement. Ça ne peut pas être considéré comme un suicide. La personne a le droit quand même, quand elle a sa tête à elle, d'aller vers ça. Ce n'est pas un suicide.

M. Marchand (Bruno): Non. Gilles Légaré, la semaine passée, répondait à cette question. Parce que, les participants au colloque sur le suicide et les aînés, il y a des gens qui avaient amené cette question-là: Est-ce que vous comptez, dans la comptabilisation des suicides au Québec, entre autres chez les personnes aînées, quelqu'un qui refuse un traitement? Et c'était très clair pour lui -- il ne parlait pas au nom de l'INSPQ, mais en même temps il le faisait parce que l'INSPQ ne les compte pas -- c'était très clair pour lui que le refus de traitement ne fait pas partie des gens qui pourraient être comptés ou qui sont comptés comme étant des gens qui se sont suicidés.

M. Grondin: Alors, moi, je vous écoutais, puis c'est sûr qu'il y a beaucoup de questions qui ont été posées, là, mais, quand vous dites que, si on accepte de... le mot «suicide» dans une famille, quelqu'un qui se suicide, ça a des répercussions sur des générations qui suivent, si on fait un peu d'inventaire. Vous voyez que vous avez entièrement raison parce que ça devient une solution à des problèmes... parfois, des problèmes mais, quand on voit ça surtout chez les jeunes... Les jeunes ont un petit problème, quand ils n'ont jamais eu de problème à gérer dans leur vie, il arrive un petit problème, pour eux autres, c'est une montagne. On va avoir le même problème à 60 ans, on va en rire, là. Mais, dans la jeunesse, ils vont prendre ça comme... Souvent, on va voir ça dans une famille où une personne s'est suicidée, les années qui suivent, tout d'un coup, bang! il y en a un autre, il y en a un autre. Alors, ça devient... Ce mot-là... je ne sais pas s'il faudrait changer le mot, là, mais c'est vrai qu'il y a une suite à ça.

Et, moi, c'est que, dans le projet de loi, le suicide assisté, j'aimerais qu'on mette «acte médical», que ça reste... que ce soit entre les mains des professionnels de la santé. Quand il n'y a pas d'autre chose à faire, O.K., on y va, mais quand on a tout essayé. Parce que, pour moi, la vie est précieuse, elle est belle. Puis je donne souvent des exemples, moi, je suis fort sur les exemples. Je me dis, quand on a été créé, quand on est venu au monde, il y avait 1 million de spermatozoïdes. Nous autres, ça a été le nôtre qui a sorti. Alors, profitons-en. Il y en a... l'autre, la balance, ils ne verront jamais la vie. Alors, je pense que c'est précieux, la vie, puis il faut la conserver.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. le député. La vie, c'est une loterie. Alors, sur ça, M. Marchand, deux messages. Encore une fois, merci beaucoup pour l'invitation, la semaine passée. Nous avons trouvé ça très intéressant. Également, le travail que vous faites dans le quotidien, c'est un travail très important pour l'ensemble de la société québécoise. Vous avez amené des questions très importantes aujourd'hui, qui vont enrichir notre réflexion quant à ces questions. Merci beaucoup pour votre contribution.

Je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander aux représentants de l'Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes familiaux et conjugaux du Québec à prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 16 h 58)

 

(Reprise à 17 h 19)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Nos devoirs démocratiques sont accomplis, alors on peut retourner. Et nous ne serons pas obligés de couper la présentation de notre prochain témoin, que comme... avec le vice-président, nous avons eu un avant-goût un petit peu, parce que vous avez fait également une présentation à Trois-Rivières dans le cadre du colloque de l'Association québécoise de prévention du suicide.

Alors, sans plus tarder, je vais passer la parole à l'Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes familiaux et conjugaux du Québec, représenté, entre autres, par son président, Claude Leblond.

Ordre des travailleurs sociaux
et des thérapeutes conjugaux et
familiaux du Québec (OTSTCFQ)

M. Leblond (Claude): Bonjour. Alors, M. le Président, Mme la vice-présidente, Mmes et MM. membres de la commission. Au nom des quelques 8 000 travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux réunis au sein de notre ordre, je vous remercie grandement de cette opportunité que vous nous donnez de nous exprimer sur cette importante question.

Avant d'aller plus loin, permettez-moi d'abord de vous présenter les deux personnes qui m'accompagnent. À ma gauche, Mme Josée Masson, travailleuse sociale, dont l'expertise porte sur l'impact du deuil chez les enfants et les adolescents ayant perdu un parent. Ses compétences dans le domaine sont reconnues partout au Québec. Elle est également auteure et conférencière. Et j'espère que vous aurez des questions à lui adresser, entre autres quant à l'impact de la décision d'un parent ou d'un grand-parent qui choisit de mettre un terme à sa vie.

**(17 h 20)**

À ma droite, M. Alain Hébert, également travailleur social, chargé d'affaires professionnelles à l'ordre. M. Hébert possède de nombreuses années d'expérience en tant que travailleur social dans un établissement du réseau de la santé et des services sociaux, et c'est lui qui, entouré d'un petit groupe de travail, a procédé à la rédaction de notre mémoire qui ensuite a été adopté par notre conseil d'administration.

Plusieurs de nos membres interviennent auprès des personnes âgées, d'enfants malades, de personnes atteintes de maladies dégénératives. D'autres ont développé une expertise particulière au niveau du deuil, des soins palliatifs, de la réadaptation et plus spécifiquement sur les questions entourant la mort. En tant qu'ordre... comme professionnels, et vous le savez, notre mandat principal consiste à assurer la protection du public, notamment en veillant sur la qualité des activités professionnelles de nos membres. Nous sommes d'ardents défenseurs et promoteurs de la justice et de l'équité sociale et nous militons activement en faveur de la défense et de la promotion des droits des personnes et des groupes les plus vulnérables et les plus à risque de notre société.

Nous tenons à saluer la tenue de la présente démarche de consultation. Éminemment complexes, les questions relatives à la mort dans la dignité rejoignent les personnes et les communautés dans ce qui leur est le plus intime, au coeur de leurs croyances et de leurs valeurs personnelles.

Il nous sera également permis de prendre quelques instants pour souligner la contribution remarquable à ce débat de Mme Francine Lalonde, députée de La Pointe-de-l'Île à la Chambre des communes, qui fut d'ailleurs députée ici même, à l'Assemblée nationale, et grâce à qui en grande partie le concept de mourir dans la dignité est devenu un enjeu de société autour duquel nous sommes réunis aujourd'hui. C'est, en effet, le 15 juin 2005, c'est-à-dire il y a plus de cinq ans, que son projet de loi privé, le C-407, franchissait l'étape de la première lecture. Nous la saluons et lui souhaitons bon courage.

La question de: Peut-on, comme société, reconnaître à une personne le droit de se poser comme maître de sa propre vie jusqu'à lui permettre de décider quand y mettre fin de façon volontaire, en toute liberté, quand la fin est... inéluctable -- excusez-moi -- et quand elle désire surseoir aux souffrances et à la perte de dignité qui accompagnent souvent le processus de fin de vie?, voilà la véritable question à laquelle nous devons répondre.

Avant d'aller plus loin et en lien avec nos échanges tenus la semaine dernière à Trois-Rivières, nous vous proposons un court mais essentiel retour sur le vocabulaire. L'opinion publique, de façon générale, semble croire qu'«euthanasie» et «suicide assisté» signifient la même chose. En effet, beaucoup de gens associent l'euthanasie à un geste par lequel on met un terme à la vie d'une personne pour abréger ses souffrances avec son consentement. Or, il n'en est rien.

La notion de consentement de la personne n'est absolument pas présente dans la définition du mot «euthanasie» que l'on retrouve dans le dictionnaire -- et vous pouvez aller consulter le Larousse, Le petit Larousse ou Le petit Robert -- pas plus qu'elle ne l'est dans la définition que présente la présente commission. En revanche, l'expression «suicide assisté» fait nécessairement référence à un consentement donné par la personne qui sollicite l'assistance d'un tiers pour arriver à ses fins. Ainsi, d'aucune façon ne peut-on considérer ces deux termes, «euthanasie» et «suicide assisté», comme étant synonymes. Cela dit et puisque la notion de consentement est au coeur du concept de mourir dans la dignité, on comprendra aisément le risque de dérapage que constitue ce mauvais usage du mot «euthanasie».

Par ailleurs, en plus d'établir un lien direct avec le Code criminel de juridiction fédérale, les termes «euthanasie» et «suicide assisté» possèdent une charge émotive très grande, rendant difficile la tenue d'un débat sain. Voilà pourquoi nous vous proposons plutôt l'expression «aide médicale active et balisée pour mourir», laquelle, contrairement au mot «euthanasie», comporte en soi la notion essentielle de consentement, étant donné que la personne en fin de vie doit clairement et personnellement en manifester la volonté. À cet effet, j'aimerai beaucoup, lors de la période de questions et réponses qui suivra notre présentation tout à l'heure, avoir la chance de décortiquer chacun des mots de l'expression «aide médicale active et balisée pour mourir» de façon à ce que vous en saisissiez toute la portée.

L'autonomie et l'autodétermination de la personne constituent donc, pour nous, travailleuses sociales et travailleurs sociaux, les valeurs les plus sollicitées dans ce débat, tout comme la primauté de la personne à pouvoir prendre elle-même une décision la concernant tant qu'elle est lucide et qu'elle est en mesure de prendre une décision en toute connaissance de cause. Il est donc évident que, pour les travailleurs sociaux et les thérapeutes conjugaux et familiaux, ces valeurs d'autonomie et d'autodétermination ont une résonnance particulière.

Depuis les deux dernières décennies, la mise en place de soins palliatifs au Québec constitue certes un acquis majeur pour aider un certain nombre de personnes à mourir dans la dignité. D'ailleurs, plusieurs de nos membres exercent au sein de telles équipes où ils réalisent un travail remarquable. Nous reconnaissons donc d'emblée que les soins palliatifs constituent un net progrès pour répondre à la requête légitime des personnes en proie à des souffrances découlant de leur état de santé ou de maladies d'être soulagées et accompagnées dans leur processus de fin de vie.

Incidemment le lancement de la politique de soins palliatifs en fin de vie par le ministère de la Santé et des Services sociaux en 2004 est venu consacrer l'importance de ces soins et la volonté gouvernementale de les développer. Sur ce point, nous considérons qu'un accompagnement psychosocial devrait être offert aux personnes qui le souhaitent dès l'annonce d'un diagnostic de maladie grave et non seulement dans le contexte de soins palliatifs de fin de vie.

Cela dit, il faut bien reconnaître que les soins palliatifs sont encore peu développés et que l'offre est fort inégale sur l'ensemble du territoire québécois. De plus, les soins palliatifs sont surtout offerts en contexte hospitalier, alors que plusieurs personnes souhaiteraient les recevoir à domicile ou encore dans des centres dédiés à cette fin. Et, en ce qui concerne ces centres, lorsqu'un nouveau réussit à voir le jour, c'est souvent au prix de grands efforts de la part des communautés, lesquelles n'obtiennent malheureusement pas toujours de la part de l'État tout le soutien financier auquel elles seraient pourtant en droit de s'attendre.

Bref, nous ne partageons pas l'avis de ceux qui croient qu'une offre améliorée de soins palliatifs rendrait le présent débat inutile. Des personnes en fin de vie réclameront toujours le droit de recevoir une aide médicale active pour mourir afin d'abréger leurs souffrances, qu'il y ait ou pas l'ensemble des soins palliatifs offerts. Ces personnes pourraient formuler leur demande en cours de soins palliatifs ou même avant. Elles pourraient aussi réclamer ce droit en lieu et place des soins palliatifs ou encore en complément de ceux-ci en fonction de leur état général et de leurs valeurs.

Et c'est précisément dans de telles circonstances que notre ordre professionnel recommande à l'État de reconnaître la légitimité de ces demandes à certaines conditions, dans un contexte de fin de vie, en insérant dans la Loi des services de santé et des services sociaux la possibilité d'accorder à la personne qui, en toute connaissance de cause et librement, réclame pour elle-même, dans un contexte de fin de vie, une aide médicale active balisée pour mourir.

Les soins palliatifs et l'aide médicale active et balisée pour mourir pourraient même être réunis au sein de la loi sous le vocable de «soins et services appropriés en fin de vie». Nous insistons cependant sur l'importance qu'une telle aide soit balisée par des critères bien définis et très stricts, en plus de s'inscrire dans un processus d'évaluation et d'accompagnement réversible, et ce, à tout moment.

À ce stade-ci, nous proposons que cette aide soit réservée aux seules personnes en fin de vie et aptes à y consentir qui en expriment clairement la volonté ainsi qu'aux personnes inaptes qui l'auraient exprimé préalablement. Dans ces cas, la personne apte ou la personne inapte devra souffrir d'une maladie incurable et invalidante conduisant à des souffrances physiques. Le processus de mort devra être inexorablement enclenché ou sur le point de l'être.

**(17 h 30)**

En raison de leurs fonctions et de leurs compétences, les travailleurs sociaux et les thérapeutes conjugaux et familiaux sont parmi les professionnels les mieux préparés pour jouer un rôle actif au niveau de l'évaluation des demandes, du processus décisionnel, de l'accompagnement de la personne concernée et de ses proches de façon à pouvoir établir un plan de fin de vie adéquat. Nous croyons fermement en l'importance d'initier le processus en amont au moment où s'installent les conditions inexorables menant à la mort ou même auparavant, afin de pouvoir jouer un rôle significatif auprès de la personne, de la famille, de son entourage et pour établir le climat propice.

Nous croyons tout aussi fermement à l'importance de voir à ce que tous les intervenants et les proches gardent toujours en tête que la volonté, et que la volonté seule de la personne doit primer sur toute autre considération. Par ailleurs, dans la mesure où une telle aide médicale active pour mourir était considérée comme un soin, elle devrait normalement satisfaire à tous les critères qui caractérisent les autres soins et services dans le contexte légal actuel. Toutefois, en raison de la gravité d'une telle décision, nous estimons que l'aide médicale active et balisée pour mourir devrait bénéficier d'un statut particulier et exceptionnel.

Concrètement, nous ne croyons pas que cette aide puisse être autorisée uniquement à la demande d'un mineur, même âgé de plus de 14 ans. Le consentement des parents devrait alors être nécessaire et une aide psychosociale offerte à la famille pour envisager cette perspective lorsqu'elle résulte de la demande du mineur. De plus, une demande d'aide médicale pour mourir formulée par un mineur âgé de moins de 14 ans et ratifiée par les parents devrait pouvoir être considérée à titre exceptionnel. On y voit là plus qu'ailleurs la nécessité de l'intervention d'une équipe interdisciplinaire.

Évidemment, des demandes d'aide à mourir surgissent dans d'autres contextes que celui de fin de vie -- et vous en avez parlé -- par exemple, aux premiers stades d'une maladie dégénérative qui vraisemblablement va s'étendre sur une longue période ou encore de la part de personnes lourdement handicapées à la suite, par exemple, d'un accident. Toutefois, la perspective du temps restant à vivre et la nature des souffrances, principalement psychologiques plutôt que physiologiques, sont fort différentes qu'en situation de fin de vie.

J'insiste sur ce point. Nous manifestons clairement notre réserve, à ce moment-ci, quant à l'opportunité de mettre en place des mesures d'aide médicale active pour mourir dans d'autres contextes que celui de fin de vie. À notre avis, une telle avenue remettrait en question les fondements mêmes sur lesquels se sont édifiés les programmes de prévention du suicide et d'aide aux personnes en détresse.

Même si nous n'adhérons par à la théorie de la pente glissante, nous constatons que le présent débat se déroule au moment où le réseau de la santé et des services sociaux traverse une période pour le moins trouble. L'État doit donc s'engager solennellement à ce que l'aide médicale active et balisée pour mourir ne soit procurée qu'à la demande express et réaffirmée de la personne en fin de vie, sans interpréter ou outrepasser les conditions de validité du consentement, et avec une vigilance de tous les instants. Il serait inadmissible que de tels gestes soient commis à l'endroit de personnes en raison de pressions familiales, institutionnelles ou sociales. Jamais les travailleuses sociales ne permettront un tel dérapage, et, je le répète, seul l'intérêt de la personne doit primer, comme le demandent d'ailleurs notre Code civil et nos différents codes de déontologie.

Dans la perspective où le gouvernement du Québec intégrerait à son offre de soins et de services de fin de vie l'aide médicale active pour mourir, les établissements du réseau de la santé et des services sociaux devraient être tenus de se doter de politiques d'encadrement et de mécanismes de vigie appropriés. De même, il sera essentiel de développer et d'actualiser la formation des professionnels du réseau, de mettre en place les outils d'information pour la population et d'assurer la formation des professionnels.

Parallèlement, nous recommandons que l'usage du testament biologique, testament de fin de vie ou des directives de fin de vie deviennent de plus en plus répandus et que l'Assemblée nationale du Québec en reconnaisse explicitement la valeur légale et en fasse la promotion. Plusieurs y voient un cadeau de la personne en fin de vie envers ses proches. Je veux ici souligner le travail exceptionnel de sensibilisation, d'information et de promotion effectué par un travailleur social, M. Yvon Bureau, et ce, depuis plus de 25 ans.

À notre avis, plus les personnes en fin de vie seront rassurées quant au respect de leurs volontés ultimes, moins elles seront portées à considérer le suicide comme étant une issue possible. Et, du même coup, il est tout aussi important de bien préparer les proches des personnes en processus de fin de vie en général et en particulier dans les cas où la personne choisira de recourir à l'aide médicale active et balisée pour mourir. En effet, ce choix de la personne peut induire une nouvelle forme de deuil découlant d'un sentiment de culpabilité.

C'est pourquoi les travailleurs sociaux et les thérapeutes conjugaux et familiaux attirent l'attention sur le support et l'accompagnement spécifique à offrir dans ces situations particulières aux personnes proches d'une personne en fin de vie ayant bénéficié d'une aide médicale balisée et active pour mourir. Du même souffle, nous favorisons l'actualisation des mesures d'éducation au deuil et à la mort appropriées pour les endeuillés. Mme Masson pourra d'ailleurs revenir sur l'aspect du deuil lors de la période des questions.

D'autre part, notre société devrait saisir cette opportunité de réflexion sur la mort pour s'interroger sur les conditions de vie réservées aux personnes vulnérables malades, en fin de vie ou non, ainsi qu'à leurs proches. Au Québec, en 2010, beaucoup de personnes meurent encore dans un lit d'hôpital ou à l'urgence et même parfois dans un corridor. Ça ne correspond certainement pas ni à leur choix, ni à celui de leur famille, ni à celui du personnel traitant. Dans tout ces cas, nous sommes bien loin de la notion de dignité, qui est pourtant au coeur du présent débat.

Dans une perspective plus large, s'appuyant sur les principes de justice et d'équité sociale qui lui sont chers, l'ordre rappelle au pouvoir politique son obligation, sur la base de l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 45 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, de faire en sorte que tous les citoyens, particulièrement les plus vulnérables, puissent bénéficier des conditions de vie dignes et décentes. Et la mort, qu'on le veuille ou non, constitue une étape de la vie.

En conclusion, l'Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux recommande à l'État de reconnaître la légitimité de la demande d'aide médicale active et balisée pour mourir en contexte de fin de vie et demande que cette aide soit incluse dans l'offre de soins et de services de fin de vie offerts en vertu de la Loi sur les services de santé et services sociaux du Québec.

Enfin, nous considérons que la réflexion sur la question de mourir dans la dignité doit se poursuivre. D'une culture qui tend à évacuer la mort de son horizon, peut-être aurions-nous avantage à passer à une culture qui se réapproprie la mort comme étape de vie normale et incontournable qu'il convient idéalement de planifier en situant l'humain avant tout. Je vous remercie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Leblond, pour votre présentation. Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue, M. Leblond, les personnes qui vous accompagnent. Effectivement, comme mon collègue de Deux-Montagnes le mentionnait un peu plus tôt, les gens de cet après-midi avez une perspective différente sur la commission et les travaux de la commission. Et vous nous avez demandé tout à l'heure de vous questionner, plus précisément Mme Masson.

Parce que vous avez la même position que l'Ordre des psychologues du Québec, c'est-à-dire que vous avez une préoccupation par rapport à l'impact des suites de la participation de la prise de décision sur les proches. Parce que, jusqu'ici, on a beaucoup parlé d'autodétermination, on a beaucoup parlé de la personne qui se retrouve en fin de vie, mais, vous, vous nous parlez de la famille élargie, les amis, et tout ça.

Je dois vous dire qu'à Montréal, lors des premières journées de nos travaux, on a reçu des membres de familles, de gens qui ont vécu toutes sortes d'expériences, et ces gens-là nous demandaient de légaliser le suicide assisté et l'euthanasie parce qu'eux, ils ont eu des expériences très négatives par rapport à ce manque de participation à la prise de décision. Eux, ils ont eu des situations vraiment dramatiques et ils ont l'impression qu'on leur a volé ces moments précieux qui précèdent la mort.

Alors, j'aimerais ça vous entendre par rapport à la mise en garde que vous voulez nous faire ou l'accompagnement par rapport aux proches dans cette période si importante de la vie qui est la mort.

Le Président (M. Kelley): ...

M. Leblond (Claude): Juste avant de donner la parole à Mme Masson, je veux quand même souligner qu'on pense que notre position est un peu différente. Nous prenons clairement position. Nous vous recommandons effectivement d'autoriser l'aide médicale active balisée en fin de vie, il me semble que c'est une prise de position qui est claire. Quant au suicide assisté, nous vous disons qu'à ce moment-ci dans le débat social ça ne nous semble pas être la voie à privilégier mais qu'on doit nécessairement continuer à en parler. Et là je laisse la parole à Mme Masson sur la question de l'accompagnement des personnes de la famille dans cette prise de décision ou suite à cette prise de décision qui est faite par la personne, là.

Mme Gaudreault: C'est ça que je voulais dire, je me suis mal exprimée, là. Ce n'était pas par rapport à votre position par rapport aux deux sujets qui nous préoccupent, mais vous avez mis l'emphase sur l'impact sur la famille. Et alors, il y a des gens qui sont venus nous présenter leur position à travers cette lorgnette-là, et vous aussi, même si vous étiez dans le même sens. Mais je veux entendre Mme Masson sur ses travaux à ce sujet.

Le Président (M. Kelley): Mme Masson.

Mme Masson (Josée): Alors, tout d'abord, je vous dis bonjour. Effectivement, la famille, pour moi, dans une démarche comme celle-là, devrait vraiment être au... Tu sais, oui, il y a la personne souffrante, malade, mais la famille doit être au coeur de tout ça. Dès le diagnostic finalement ou le pronostic où on sait que la maladie est grave, ils doivent faire partie intégrante de ça, qu'ils soient tout petits, qu'ils soient des petits bébés, pour moi -- là, vous parlez à celle qui travaille avec les jeunes -- mais aussi tout l'entourage.

Premièrement -- et ça, c'est beaucoup notre rôle de travailleurs sociaux, hein, on le fait, on travaille avec les familles, avec les systèmes -- premièrement, s'ils ne sont pas impliqués, on risque justement d'être dans un dérapage. Ils doivent être impliqués. Ils devraient l'être beaucoup plus actuellement. Mais, si on fait cette proposition-là, ils devront jusqu'à la fin puis par la suite être extrêmement soutenus. Parce qu'effectivement c'est un deuil qui peut être spécifique, mais qui n'est pas nécessairement négatif. Et je suis très d'accord que les familles vont dire: On aurait aimé ça que ce soit légal, et on voudrait le légaliser parce que de voir une personne souffrir... Et je vais prendre les mots d'un petit garçon de six ans dans mon bureau, cette semaine, qui me dit: Mon papa ne se rappelait même pas mon nom, ça me donnait quoi, hein, de le voir comme ça, et ça lui donnait quoi de continuer à vivre? Bien, c'est ça.

Alors, à partir du moment où la famille est impliquée dans ce processus-là, on va créer la vie à partir de cette mort-là. On va apprendre aux enfants, on va apprendre aux adultes qu'on peut le vivre sereinement, qu'on peut les accompagner et en ressortir vainqueur. Ce n'est pas d'en ressortir battu, mais plutôt on peut continuer à être battant là-dedans. Est-ce que ça répond à votre question? C'est-u...

**(17 h 40)**

Mme Gaudreault: Oui, tout à fait. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Merci de votre contribution fort intéressante. Les travailleurs sociaux, évidemment, c'est des professionnels, je dirais, extrêmement importants dans le réseau de la santé et des services sociaux. D'ailleurs, le nombre qui fait partie de votre ordre est assez impressionnant également. Et vous évoluez dans différents établissements, sur différentes problématiques, que ce soit de la violence conjugale, les relations... les problèmes relationnels ou encore avec les jeunes, les personnes âgées, tout ça. Et vous êtes également présents généralement dans les cas de tentative de suicide, où des personnes qui ont le mal de vivre... Et vous êtes appelés à intervenir dans ces problématiques-là.

M. Marchand, de l'Association québécoise de prévention du suicide, nous disait, plus tôt cet après-midi: Si vous alliez dans le sens... -- en parlant de l'Assemblée nationale -- dans le sens de légaliser le suicide assisté, ça pourrait avoir effet d'augmenter le taux de suicide. Donc, il y a une crainte assez importante à ce niveau-là. Est-ce que vous partagez cette crainte-là? J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Leblond (Claude): Là-dessus, et on vous l'indique, là, dans notre mémoire, on ne recommande pas actuellement, effectivement, de légaliser le suicide assisté, là, dans le sens où il nous semble que c'est deux grosses bouchées. Et peut-être que, comme société, on a à apprendre d'abord à monter une première marche ou à prendre une première bouchée, la digérer, tout en continuant à se dire qu'il va falloir continuer le repas, qu'il va falloir continuer à avancer. Et c'est l'invitation qu'on fait, à ce moment-ci, aussi de continuer les débats.

On n'a pas, nous, en tout cas, on n'a pas de données qui nous permettent hors de tout doute d'affirmer qu'effectivement la position qui est présentée par l'AQPS est la vérité. En même temps, ne l'est-elle pas? On ne le sait pas, à ce moment-ci. Par contre, il y a un fait, c'est que tu as des personnes qui demandent une aide pour terminer leur vie et qui, parce qu'elles ne peuvent pas elles-mêmes poser le geste, devront continuer effectivement à prendre des moyens autres ou à souffrir très différemment. Mais, à ce moment-ci du débat, nous, on suggérait de ne pas aller vers l'autorisation du suicide assisté, là. Peut-être, Alain, voulais-tu compléter, là?

M. Hébert (Alain): C'est ça. Bien, il y avait l'idée d'envisager comme une voie à explorer qu'il y ait des directives, par exemple, qui puissent être données au procureur pour déterminer s'il y aurait poursuite ou pas dans ce type de situation-là, sur la base de la position de l'ordre qui remonte à 1994, où l'ordre recommandait au comité du Sénat canadien à ce moment-là, donc au fédéral, de décriminaliser le suicide assisté mais sans nécessairement le légaliser et toujours dans un contexte, à ce moment-là, la position de l'ordre de 1994, comme ce qu'on discute aujourd'hui, c'était toujours envisagé dans un contexte de fin de vie, de maladie invalidante, c'est dans ces eaux-là qu'on était, et non pas en raison de souffrances psychologiques.

M. Chevarie: Dans certains... Si vous me permettez, M. le Président?

Le Président (M. Kelley): ...

M. Chevarie: Dans certains pays, on a autorisé le suicide assisté. À votre connaissance, est-ce que ça a changé les données en termes de... à la baisse ou à la hausse au niveau du taux de suicide? Vous n'avez pas ces données-là?

M. Hébert (Alain): Non, je ne pourrais pas dire.

M. Chevarie: Vous parlez, dans votre mémoire et dans votre présentation, des termes «l'aide médicale active, balisée et contrôlée» dans ce que vous mentionnez. À ce moment-là, pour notre compréhension, vous faites référence à l'euthanasie?

M. Leblond (Claude): En ajoutant la notion du consentement de la personne, parce que ça n'est pas présent ni dans la définition de la commission, ni dans la définition du Petit Larousse, ni dans la définition du Petit Robert qu'«euthanasie» fait référence au consentement et à la demande de la personne. L'euthanasie, dans le dictionnaire, là, c'est une «mort douce et sans souffrance», un «usage de procédés qui permettent d'anticiper ou de provoquer la mort, pour abréger l'agonie [d'une maladie] incurable ou lui épargner des souffrances extrêmes». Et ça se poursuit, là: «Les partisans de l'euthanasie refusent l'acharnement thérapeutique.» On parle d'«euthanasie active -- par administration de substances» ou l'euthanasie «passive -- par suspension des soins». Il n'y a rien sur la notion de consentement.

Et, compte tenu que la notion de consentement nous semble au coeur de tout ce débat-là -- hein, c'est à la demande des personnes ou dans la mesure ou elles l'auraient signifié très clairement, donc il y a toute la notion du consentement et du désir de la personne -- en tout cas, nous préférons aborder la question et vous suggérer de l'aborder en termes davantage d'aide médicale active et balisée pour mourir. Alors, une aide, ce qui signifie clairement que la personne doit en faire la demande, ça introduit la notion fondamentale de consentement libre et éclairé, qui doit forcément être à l'origine de la demande médicale. Et là je pourrais continuer, là. Si vous me demandez de continuer, je vais continuer.

M. Chevarie: Par rapport, justement, à l'aide médicale active, vous recommandez que cette pratique soit incluse dans l'offre de soins et des services aux personnes qui sont en phase terminale ou à la dernière étape de leur vie. Et, pour certaines associations ou certaines personnes, c'est complètement impensable de considérer que cette offre de services là peut faire partie d'un continuum de soins.

M. Leblond (Claude): Ça, personnellement, j'ai beaucoup de difficultés avec les diktats, là, qui nous mènent dans les toujours ou jamais, là. Moi, je suis une personne entière qui évolue, alors je présume également que les personnes en situation de fin de vie évoluent aussi et peuvent faire des choix différents mais complémentaires tout au long du processus qui les conduit à l'arrêt de la vie, là. Et ils pourraient très bien choisir, en début de processus, effectivement, de s'orienter davantage vers des soins palliatifs et, en cours de route, constatant des éléments, décider que, là, ils veulent que ça se termine. Et en quoi c'est contradictoire? C'est une continuité à partir de la volonté de la personne, et de ses choix de vie, et de ses valeurs qui se vivent aussi au jour le jour et évoluent en termes... lui permettent d'évoluer dans ses décisions. Il n'y a pas en soi une incongruité entre les deux, là. Moi, je ne la vois pas.

Et c'est pour ça qu'on suggérait qu'on parle globalement de soins et de services appropriés en fin de vie qui peuvent être palliatifs, qui peuvent être de nature davantage d'aide médicale active et balisée, et de l'un et l'autre, et de l'un ou l'autre.

**(17 h 50)**

M. Chevarie: O.K. Est-ce qu'il reste encore du temps?

Le Président (M. Kelley): Oui, oui.

M. Chevarie: Une dernière question. Vous avez pris position très officielle, là, dans votre mémoire et dans votre présentation. J'aimerais savoir comment vous en êtes arrivés à prendre cette position-là. J'aimerais connaître votre processus de consultation auprès de vos membres, si ça a eu lieu, là, ou si c'est une réflexion au niveau du conseil d'administration, ou de l'exécutif, ou...

M. Leblond (Claude): Je vais laisser M. Hébert vous répondre et je compléterai éventuellement, là.

M. Hébert (Alain): Bien, d'abord, au niveau du processus, il y a une démarche qui a été réalisée avec un groupe de travail formé de personnes dont les noms apparaissent, là, dans notre mémoire. Donc, ce groupe de personnes a mené une réflexion sur les enjeux relatifs à l'ensemble des questions qui étaient posées par la commission dans son document de consultation, a fait sa réflexion sur la base, dans un premier temps, oui, de la position que l'ordre avait développée et adoptée en 1994, je le disais tantôt, au niveau du... et adressée au comité du Sénat canadien, mais aussi en tenant compte de toute l'évolution sociale qui a eu lieu au Québec et dont un certain nombre de phénomènes nous apparaissent très importants, qu'on détaille un petit peu dans le mémoire.

Et, suite à ces réflexions. suite à cette lecture-là de l'évolution sociale, tout le fondement de la réflexion s'est porté ensuite sur les valeurs de base et les principes de base des travailleurs sociaux, des travailleuses sociales du Québec, des thérapeutes conjugaux et familiaux aussi, et ont amené à recommander qu'il n'y a rien qui justifiait, à notre point de vue, le fait que nous ne devions pas reconnaître, comme travailleurs sociaux, la légitimité d'une demande faite par une personne dans un contexte de consentement libre et éclairé dans un contexte de fin de vie.

Alors, on l'a élaboré en discussion. L'équipe, aussi, de l'ordre, du développement professionnel, a été associée à la réflexion, jusqu'aussi au conseil d'administration. Il y a aussi énormément de lectures qui ont été faites, d'ordre philosophique, un petit peu ce qui se passe dans d'autres pays. Et c'est à la lumière de toute ces informations-là que la prise de position a été développée et validée auprès aussi de d'autres membres de notre ordre.

M. Leblond (Claude): J'ajouterais aussi que, sur la base d'informations qu'on détenait déjà, il y avait également, là, un mémoire de maîtrise de madame...

Une voix: ...

M. Leblond (Claude): ...que vous avez entendue, Mme Chamberland, qui portait sur la perception des travailleuses sociales et travailleurs sociaux. Vous l'avez reçue, là, Mme Chamberland, au début de... en décembre ou janvier, là, quand vous avez rencontré les experts, là. Donc, ces données-là, on les avait aussi, là. Et ça portait sur la perception de nos membres, à partir de notre banque de membres, là, quant à... Donc, on n'était pas en terrain inconnu.

Et ces types de réflexion là avaient été entamés auparavant. On était également présent, comme ordre, comme organisation, là, lors de la création de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, là. Donc, ce n'est pas nouveau que l'ordre s'intéresse à ces questions. Et ce n'est pas nouveau non plus que l'ordre prenne position pour éclairer, de par les connaissances spécifiques de notre profession, le législateur ou les parlementaires dans les choix qu'ils pourraient faire, là.

M. Chevarie: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonjour. Bienvenue. Merci d'être là. En fait, sur la question de l'euthanasie et de la définition comme telle, je dois vous dire que je pense que c'est un point intéressant que vous amenez à votre tour sur l'idée d'à la demande ou avec le consentement de. Parce que je dois vous faire une confession, il y a quelques semaines, on a eu quelqu'un qui est venu, qui nous a donné la définition de l'euthanasie en disant qu'il n'y avait rien là-dedans qui faisait référence au consentement de la personne. Et je lui ai dit: Ah mais, dans notre document, on fait référence au consentement, tellement j'étais convaincue, parce que tous nos échanges évidemment ont toujours parlé du fait que la demande ou le consentement était essentiel, mais c'est vrai qu'on a mis la définition, je dirais, classique et qui est celle qui est reprise, qui était dans le document du Sénat, qui est celle qui est généralement admise. Et la question du consentement ou d'à la demande de est généralement vue comme la première des balises. Et c'est comme ça qu'on l'a un peu exposé. Mais vous avez raison de le noter, puis je pense que c'est important aussi pour nous.

Je voudrais, avant d'aborder vraiment plus en détail, je voudrais juste revenir sur la question du deuil, puisque vous êtes une experte. Parce qu'on entend beaucoup de choses, puis plusieurs personnes ont fait l'analogie, pour les proches, que le deuil d'une personne qui aurait été avec quelqu'un qui demandait et qui aurait aidé... qui aurait été aidé, donc le proche aurait été aidé dans sa demande de vouloir mourir, pourrait subir un peu le même type de deuil qu'une personne qui vit le deuil d'un proche qui s'est suicidé.

Alors, c'est quelque chose qu'on a entendu beaucoup. On n'a pas eu d'études ou de données. Je ne sais pas si vous pouvez nous faire la distinction et aussi nous parler peut-être plus spécifiquement aussi des personnes, comme je le mentionnais tout à l'heure, qui accompagnent en fin de vie quelqu'un qui fait des demandes répétées d'être aidé à mourir, quel impact ça a, leur espèce d'impuissance.

Le Président (M. Kelley): Mme Masson.

Mme Masson (Josée): Alors, tout d'abord, il faut voir le deuil comme étant multifactoriel. Il faut arrêter de penser qu'un deuil, c'est la résultante du type de mort. Ce n'est pas que ça. Il va y avoir beaucoup plus que ça. Alors, on peut être endeuillé, bon, par rapport à la mort assistée et dire: Est-ce que j'ai humainement fait tout ce qui était possible pour l'amener... On peut aussi dire: Ah! je suis soulagé, je n'étais plus capable de le voir souffrir. Et ça, c'est comme, pour moi, deux opposés qui vont dépendre d'une multitude de facteurs.

Ce n'est pas vrai, on ne pourra pas dire: Ça va amener tel type de mort. On peut se questionner sur le type de deuil que ça peut amener puis qui va aller vraiment dans ces deux pôles là. Alors, ça peut être très positif comme beaucoup plus négatif. Mais ça va dépendre de tout les autres facteurs autour. Est-ce que les gens ont été impliqués? Est-ce que la personne qui voulait mourir s'est permise de le dire à ses proches, hein, ou ne se l'est pas permis jusqu'à la toute fin? Comment ça s'est passé? Et c'est là que je trouve qu'on a vraiment un rôle, en tout cas que l'accompagnement va avoir vraiment un rôle, parce que le deuil sera la résultante de ça.

Si, dans la société, on change aussi notre perception par rapport au deuil et à la mort... Ça, on a une éducation énorme à faire. Vous savez -- je vais encore parler d'enfants, là, mais juste pour vous dire -- on cache les pronostics aux enfants. Les enfants se font dire par un papa, on est sûr qu'il va mourir, on le sait, c'est une question de jours, puis il dit encore: Je vais me battre, mon grand. Je vais me battre, mon grand. Hein, on est là-dedans.

Alors, moi, ça m'amène à dire: On aura à... Justement, je pense que c'est une belle occasion d'amener toute l'éducation à la mort dans notre société et la façon de le voir. Et, si ça, on le fait, je ne vois pas pourquoi le deuil serait beaucoup plus difficile dans ces... Pour moi, là, ça ne se peut pas. On va vraiment donner des permissions aux gens de se parler, de vivre ça ensemble. Et le deuil familial, hein, quand c'est vécu avec les membres ensemble, quand c'est tissé serré, quand on s'accompagne là-dedans, c'est clair que ce n'est pas pareil comme une personne qui se suicide toute seule dans son garde-robe. O.K.? Alors, pour moi, là, c'est complètement différent. Est-ce que c'est...

Maintenant, l'autre question que vous posiez, c'était?

Mme Hivon: Non, bien, c'est ça. Bien, est-ce qu'il y a quelque chose qui... Parce qu'on... Bien là, vous venez un peu d'y répondre. C'est qu'on nous dit souvent que ça serait le même type de deuil que pour quelqu'un qui s'est suicidé.

Mme Masson (Josée): Ça ne se peut pas que ça soit pareil. Si vous voulez vraiment mon avis, c'est impossible que ce soit pareil. Ce n'est pas le même contexte. On parle d'une fin de vie imminente. On ne parle pas d'une souffrance psychologique. On parle d'une personne qu'on le sait qu'elle va décéder dans trois jours, trois semaines, un mois, mais on le sait qu'elle va mourir. Alors, l'issue mortelle, elle est là. Alors, c'est vraiment dans l'apprivoisement de cette issue mortelle là, par rapport à quelqu'un qui se suicide, qui ne le dit pas, qui n'est pas préparé puis que, bon, ça arrive, où, là, la culpabilité prend une place importante. Alors, pour moi, c'est vraiment deux choses complètement différentes qu'on ne pourra pas comparer.

**(18 heures)**

Mme Hivon: Merci. Ça m'amène, parce que vous avez parlé de souffrance psychologique... Et je suis à la page 13 de votre mémoire, M. Leblond, 5.1. Vous parlez, donc, des conditions que vous souhaiteriez voir mises en place s'il devait y avoir une aide médicale balisée pour mourir et vous ne parlez que de souffrance physique. Et je dois vous dire que la plupart de ceux qui se positionnent dans un sens similaire au vôtre marquent beaucoup l'importance aussi de considérer la souffrance morale, psychologique, existentielle. Il y a même plusieurs médecins qui nous ont dit qu'en fin de vie, par exemple dans le contexte de soins palliatifs, souvent on arrive à relativement bien contrôler la douleur physique, mais que l'anxiété, la souffrance morale peut prendre toute la place et que même d'ailleurs c'est souvent pour ce type de raison là qu'on va donner une sédation terminale, parce que la personne est juste dans un état très, très souffrant mais que ce n'est pas nécessairement physique. Est-ce qu'il y a une raison pour laquelle vous avez vraiment voulu restreindre ça à souffrance physique? Est-ce que c'était pour éviter la question de la dépression ou si c'est vraiment que vous estimez qu'une souffrance morale ou psychologique ne pourrait pas être une raison?

M. Hébert (Alain): Bien, écoutez, je pense que, vous voyez, dans le fil conducteur de la position de l'ordre qui est présentée dans le mémoire, il y a vraiment une insistance importante sur la souffrance physique pour bien, bien, bien situer qu'il ne s'agit pas d'une intervention en réponse à une souffrance psychologique dans d'autres contextes. Effectivement, les notions de souffrance physique et de souffrance psychologique dans un contexte de fin de vie, parfois les frontières entre les deux sont assez perméables et l'une entraîne l'autre, elles sont souvent très proches, elles coexistent. Donc, on pourrait certainement envisager la possibilité, je pense bien, que, dans un contexte où c'est la souffrance psychologique qui demeure, dans les mêmes contextes et avec les mêmes balises, que d'ouvrir la possibilité, à ce moment-là, tout à fait.

Mme Hivon: Puis je veux aussi voir... Parce que je dois dire que vous allez vraiment plus loin, je pense. Il y a M. Brunet, hier, qui allait aussi très loin dans la valeur de l'autonomie. Mais, vous, vous abordez de front la question des mineurs, du consentement substitué et des personnes inaptes. Et je dois vous dire qu'à ce jour la majorité vraiment s'arrête quand il est question de parler d'inaptes ou de mineurs, évoquant... disant que, là, c'est beaucoup plus délicat, dérapage possible, et tout.

Alors, je veux comprendre ce qui vous permet d'aller aussi loin. Est-ce que c'est parce que vous vous calquez vraiment sur le Code civil en vous disant: Bien, on le considère comme un soin, donc c'est un soin de plus? Mais beaucoup vous diraient que c'est assez audacieux comme position parce qu'évidemment un soin mais qui est pour, en fait, aider à mourir, c'est vu comme quelque chose de pas mal plus sérieux. Qu'est-ce qui fait en sorte que vous êtes allés, je vous dirais, aussi loin que ça?

Le Président (M. Kelley): M. Leblond.

Mme Hivon: Vous l'aimez, celle-là, hein?

Des voix: ...

M. Leblond (Claude): Oui, oui. Bien, je suis très content que vous souligniez, effectivement, qu'on a été au bout de la logique de notre démarche et basée sur effectivement l'autodétermination, la capacité des personnes de prendre des décisions les concernant, dans la mesure où ils sont bien éclairés, où il y a des éléments, quel que soit l'âge. Et là on pourra... Mme Masson pourra poursuivre, là. Mais effectivement, là, par rapport... Et aussi on vous situe cette... On vous suggère, en tout cas, que ce soit dans l'offre de soins. Et là, à ce moment-là, effectivement, on doit répondre aux critères de soins, sur le consentement aux soins. Et, à ce moment-là, pour les moins de 18 ans mais plus de 14 ans, ils sont prêts à consentir d'eux-mêmes.

La souffrance chez les jeunes -- et ça, je laisserai davantage Josée, là, vous élaborer là-dessus -- elle est réelle, elle n'est pas moins importante parce qu'ils sont moins vieux. Et, dans ce sens-là, ce qu'on mettait comme balise supplémentaire, contrairement aux autres soins, c'est qu'à ce moment-là il devait nécessairement aussi y avoir consentement des parents, qui, dans l'intérêt de leur enfant, accompagnés d'une équipe de professionnels qui accompagnent autant l'enfant que les parents, que la famille, dans cette prise de décision là, mais ça à la demande d'abord du jeune... et d'autant plus s'il a moins de 14 ans.

Par rapport aux personnes inaptes, la balise qu'on vous met, c'est que ça pourrait leur être offert dans la mesure où c'était inscrit avant. Donc, de là toute l'importance de la promotion de l'outil de déclaration de nos volontés de fin de vie pour effectivement que ça puisse être pris en compte et que ça corresponde, par ailleurs, aux autres critères, là, quant à l'imminence de la mort, à la maladie qui est vraiment installée, en place, etc. Ça ne vient pas enlever ces critères-là, ils sont tout aussi importants. Peut-être, Josée...

Le Président (M. Kelley): Mme Masson, pour compléter?

Mme Masson (Josée): Oui. Bien, premièrement, je veux vous dire qu'on est tout à fait conscients que la société n'est peut-être pas rendue à ce stade par rapport aux enfants, par rapport aux adolescents. C'est beaucoup moi qui ai soulevé cette question-là, je vais vous le dire sincèrement. Parce que la question d'humanité, ça s'arrête où? Hein, on veut humaniser ça, on veut dignement, hein, le faire pour les adultes. Est-ce que ça veut dire que, pour les enfants, on ne leur permet pas cette dignité-là? On ne l'aura pas, la réponse, hein? J'ouvre vraiment la réflexion parce que je trouve qu'elle est importante.

Un jeune de 18 ans qui le demande pourrait l'avoir, un de deux ans plus... un de 16, oups! ce n'est plus pareil. Il y a pourtant deux ans, et la conception de la mort va être la même pour les deux, ils sont... Alors, moi, je trouve qu'à quelque part il y a vraiment une réflexion à faire à ce niveau-là. Nos enfants, c'est nos enfants, mais ils souffrent aussi physiquement et psychologiquement. Ils sont aussi parfois en fin de vie. On comprend que, tant qu'ils ne comprendrons pas le concept de mort, ça va être difficile d'accéder à cette demande, alors on va parler plus des 11 ans et plus, mais il n'en demeure pas moins que j'ai des exemples en tête d'enfants qui souffraient énormément et qui ont trouvé une façon de mettre fin à leur vie. Alors, c'est des exemples réels sur lesquels, moi, je n'ai pas eu le choix d'apporter cette question-là parce que ça m'interpelle beaucoup. Mais je n'ai pas de réponse, hein, c'est une réflexion.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Messieurs, madame, merci pour votre éclairage. D'entrée de jeu, je vous demanderais de ne pas être offensés par la question que je vais vous poser, elle ne servira qu'à éclairer encore davantage notre réflexion. Et je vais faire un petit peu de millage sur la question de mon collègue des Îles-de-la-Madeleine.

Lorsque l'ordre professionnel prend clairement position que ce soit en faveur ou en défaveur d'un enjeu social aussi important, c'est une prise de position qui n'est pas sans conséquence, c'est une prise de position qui a une valeur toute particulière.

Hier, nous avons reçu, à peu près à la même heure, l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec qui retenait une position diamétralement opposée à la vôtre. Et la question que je leur posais, c'était un petit peu sur leur processus de consultation. Et, en regardant un petit peu le document soumis, on voyait que, dans le comité de rédaction, il y avait des gens qui étaient clairement affichés à un milieu qui était foncièrement contre, disons-le, l'euthanasie, avec un éminent médecin pour qui nous avons un grand respect, le Dr Vinay, qui est clairement affiché, qui s'était présenté devant nous.

Et là, aujourd'hui, on se retrouve dans une situation sensiblement inverse. Nous avons, dans les gens qui vous ont orientés, un éminent travailleur social, que je salue et je le dis avec un clin d'oeil sincère parce qu'il est, jour après jour, avec nous et qu'il suit les travaux de la commission. Et nous avons également, bon, Mme Chamberland, vous l'avez mentionné, quelqu'un qui a aussi contribué à notre réflexion en début d'année. Bref, ce n'est certainement pas un reproche, mais on peut deviner déjà une orientation à travers la position de ces gens-là. Et Mme Masson s'est permise de dire que le volet jeunesse était beaucoup le fruit d'une réflexion personnelle.

Tout ceci est légitime, ce n'est pas un reproche, je vous le disais d'entrée de jeu. Mais comment pouvez vous être convaincus que la position que vous défendez et que vous avez développée en petit groupe est la position partagée par une majorité, sinon une grande majorité de vos membres? Et on parle ici de plusieurs milliers de professionnels.

M. Leblond (Claude): ...et je me permets, avant de répondre à votre question, je me permets de vous dire, et ce n'est pas inscrit, là... Vous, vous pouvez penser que les gens qui sont là puissent porter telle orientation ou autre parce que vous voyez M. Bureau, parce que Mme Masson vient de vous dire quelque chose, parce que vous connaissez Mme Chamberland. Vous ne savez pas que, parmi ces gens qui sont dans le groupe qui a alimenté la réflexion du conseil d'administration, il y a également une travailleuse sociale en soins palliatifs, vous ne le savez pas. Elle est là, je ne vous dirai pas qui, ça ne vous...

Alors, le comité, le groupe de travail a été composé par le conseil d'administration de l'ordre, qui, je vous rappelle, est l'organe qui prend les décisions dans un ordre professionnel. Ce n'est pas les membres, hein, qui prennent les décisions, c'est le conseil d'administration.

Ceci étant dit, vous avez eu accès au mémoire de maîtrise de Mme Chamberland, qui portait sur la perception des travailleurs sociaux quant à ces questions. On ne pense pas qu'on soit très déconnectés de ce que nos membres ont dit à Mme Chamberland, d'une part. Et, parmi les 24 administrateurs qui prennent les décisions au conseil d'administration, il y en a également qui interviennent en milieu hospitalier, en milieu psychiatrique, en milieu palliatif. Donc, on pense qu'on est assez représentatifs.

**(18 h 10)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Dernière question, M. le député de Beauce-Nord.

M. Grondin: Merci. Moi, j'aimerais beaucoup... Je pense, le passage... je pense, c'est votre dernière phrase dans votre document qui, je trouve, pour moi, a une importance, c'est: «...une culture qui se réapproprie la mort comme une étape de vie normale qu'il convient...» Je trouve que c'est tellement... c'est tellement fort de sens. J'aimerais vous entendre de quelle façon on peut y arriver.

M. Hébert (Alain): Arriver à considérer la mort...

Le Président (M. Kelley): M. Hébert.

M. Hébert (Alain): ...comme une étape de vie...

M. Grondin: Comme une étape de vie qui est normale, et non apeurante, et non effrayante. Je pense, moi, quand on... J'imagine que vous l'avez vécu à plusieurs reprises. De quelle manière qu'on peut amener ça, disons, plus à la portée des gens?

M. Hébert (Alain): Bien, je veux juste soulever... C'est une question complexe parce que, dans nos sociétés occidentales, c'est sûr que les valeurs et les philosophies qui guident la conduite des personnes et nos mentalités sont davantage à l'effet d'une vie maximale avec une emprise sur tous les sens possibles, et tout. Mais disons que l'élément... un premier élément, ça serait la question de l'éducation, et de la discussion, et de la délibération, dans le sens où, en rapport avec le deuil -- peut-être que Mme Masson peut compléter -- de nier que cette étape de vie arrive n'amène pas à la mieux vivre. Mais il y a vraiment une question d'éducation dans la population et d'ouvrir des questionnements sur le sens de la mort à la fois pour des perspectives laïques ou religieuses.

Le Président (M. Kelley): Mme Masson.

Mme Masson (Josée): Quand j'ai commencé à travailler auprès des jeunes endeuillés, je me faisais fermer la porte de tous les médias parce que c'était un sujet qu'il ne fallait pas aborder. Ça fait 10 ans. O.K.? En 10 ans, je n'ai pas lâché, j'ai continué, j'ai appelé les médias, je leur ai expliqué l'importance, toute l'importance, pas juste sur le jeune endeuillé, mais sur une société complète, parce qu'ils sont nos adultes de demain, parce que les séquelles de ne pas en parler sont énormes. Et là j'ai fait 54 médias en trois ans.

Je pense qu'il y a d'en parler et d'en être convaincu. Je pense que c'est aussi d'expliquer en arrière de ça tous les fondements. Et, pour ça, c'est petit à petit puis c'est en... Justement, votre commission, c'est déjà un pas vers un changement de culture, juste de pouvoir l'aborder, de poursuivre la réflexion, de former les gens dans le réseau, de former les gens partout, de l'aborder, ce sujet-là, à quel point il est important.

Parce que, oui, au niveau culturel, la mort est vraiment actuellement beaucoup bafouée, et là, la question de fond qu'on aborde aujourd'hui la remet vraiment comme une étape de vie normale. On la normalise et on dit: Il ne faut pas en avoir peur. Alors, moi, je pense que c'est dans les discours, c'est dans ce qu'on va faire. Et ça se fait petit à petit. Pour ça, il faut y croire. Ça a l'air des nuages, mais ça n'en est pas. Je pense que concrètement il y a plein de gestes pour y arriver.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Masson, pour ce mot de la fin, merci beaucoup, M. Leblond, merci beaucoup, M. Hébert, pour le mémoire fort intéressant. Vous avez vraiment une approche originale qui a alimenté notre réflexion.

Sur ça, je vais suspendre quelques instants. On a quatre personnes qui veulent faire les courtes déclarations au micro ouvert. Alors, je vais suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 18 h 14)

(Reprise à 18 h 18)

Le Président (M. Kelley): Alors, on est dans la dernière section de notre journée. Juste pour expliquer les règles du jeu, on a cinq personnes qui ont demandé de faire des brèves interventions, trois minutes. J'ai le chronomètre qui est ici. Après avoir fait deux minutes, je vais faire signe qu'il vous reste une minute.

L'idée, c'est juste que les personnes qui n'ont pas déposé un mémoire ou n'ont pas fait une demande d'intervention mais peut-être, en écoutant les discussions, les arguments aujourd'hui, voulaient faire une courte intervention pour une anecdote personnelle, une opinion, peu importe. Alors, c'est ça que nous allons faire.

En ordre, j'ai Rachel Marcotte, Thérèse Légaré, Daniel Langlais, Jean-François Gravel et Anita Cormier. Alors, si Rachel Marcotte peut prendre place au micro, les prochaines trois minutes, quand vous êtes bien installée et confortable, sont à vous. Alors, sans plus tarder, Mme Marcotte, la parole est à vous.

Mme Rachel Marcotte

Mme Marcotte (Rachel): Oui, bonjour. Je suis pharmacienne en établissement de santé dans un centre tertiaire. Je veux simplement dire que, pour moi, mourir dans la dignité, ce n'est pas une péréquation avec l'euthanasie. C'est qu'on n'a jamais eu tant de connaissances, dans notre siècle, dans notre monde, sur les moyens de mieux contrôler la douleur. On sait aussi comment éviter l'acharnement thérapeutique sur le terrain. C'est des choses qui... Oui, on va faire tout notre possible pour voir si on ne peut pas améliorer l'état de la personne, mais, lorsqu'il n'y a plus rien à faire, bien, l'acharnement thérapeutique, c'est quelque chose qu'on va éviter à tout prix.

**(18 h 20)**

Donc, ce que j'aimerais amener, c'est que, considérant qu'on a les connaissances médicales nécessaires pour contrôler la douleur, l'euthanasie s'impose moins que jamais et doit plutôt laisser place à une amélioration de l'accès et la transmission des connaissances en matière de soins palliatifs. L'euthanasie ne peut être considérée éthiquement comme un acte faisant partie des soins médicaux de fin de vie, car on met fin activement à la vie de la personne. On en vient à dénaturer la mort naturelle.

Donc, en fait, c'est qu'est-ce qui m'amène aussi à dire, c'est que l'acte de demander l'euthanasie, ce n'est pas un acte individuel, ça va impliquer une société, ça va impliquer une famille, ça va impliquer aussi des soignants. Et je crois que la liberté d'une personne, oui, c'est très important, l'autonomie d'une personne, mais elle est toujours en lien avec une société et en lien avec un personnel soignant qui, lui aussi, peut être en droit d'amener une objection de conscience dans sa liberté.

Donc, le fait de légiférer dans un cadre médical, même si on amène beaucoup de points restrictifs très, très détaillés, ça ne légitime pas le fait de donner la mort. Même si c'est dans un cadre médical, ça ne légitime pas cet acte-là. Et on ne pourra jamais soustraire toutes les pressions qu'on ne verra pas beaucoup, là, dans les familles, où la personne elle-même qui se sent un fardeau ou qui se sent... qui va dire: Bien, je vais coûter cher à la société, je vais peser fort sur la famille, sur ma famille, je vais être un fardeau pour eux... on ne pourra pas tout mesurer ces considérations-là qui rentrent dans un fait de dire: Oui, je veux mourir.

Et j'écoutais tout à l'heure le fait de quelqu'un qui dit: Je veux mourir, c'est qu'en fait il veut arrêter de souffrir. Et on peut très bien, avec les soins palliatifs actuels, amener des efforts et amener un soulagement des patients. Donc, j'aimerais dire d'une façon personnelle, c'est qu'en tant que soignante, je veux étreindre la vie, je veux l'aimer et non l'éteindre. Alors, en tant que personnel soignant, c'est mon souhait le plus cher.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Marcotte, merci beaucoup d'avoir partagé vos expériences professionnelles et vos observations personnelles avec les membres de la commission. Je vais demander maintenant à Mme Thérèse Légaré de prendre place au micro, s'il vous plaît.

Mme Thérèse Légaré

Mme Légaré (Thérèse): Bonjour.

Le Président (M. Kelley): Bonjour. Et la parole est à vous.

Mme Légaré (Thérèse): Alors, je représente l'AFEAS régionale Québec--Chaudière-Appalaches, qui compte actuellement 550 membres. Déjà, au cours de l'année 2006-2007, on se penchait, à l'AFEAS, sur l'étude d'un dossier intitulé Suicide assisté -- Choisir pour soi. En 2008, on appuyait le projet privé 407 présenté à la Chambre des communes par Mme Francine Lalonde, qui demandait une modification du Code criminel canadien, etc. Vous savez pourquoi.

L'AFEAS régionale adoptait, en mai 2009, deux positions destinées au ministre de la Justice du Canada. L'une réclamait, pour toute personne en perte d'autonomie et qui souffre d'une maladie incurable invalidante, qui éprouve des douleurs physiques et mentales aiguës sans perspective de soulagement, le droit de choisir de devancer sa fin de vie. L'autre position demandait d'accorder exceptionnellement à un médecin le droit de mettre fin aux jours d'une personne qui en a exprimé librement le désir si sa situation répond aux conditions extrêmes déjà exprimées.

Ces positions réclamaient la décriminalisation de l'acte médical posé par le médecin qui aide une personne en fin de vie à mourir dignement si elle a fait librement la demande express en toute connaissance de cause. Nos deux propositions ont été entérinées lors du congrès provincial de l'AFEAS, en août 2009, par la majorité des 283 délégués officiels représentants des 11 000 membres que compte l'AFEAS provinciale.

Le domaine de la santé, au Canada, relève de la compétence des provinces. Oui, c'est ça. Relèvent aussi de la compétence des provinces la loi québécoise sur les services de santé et les services sociaux, le code de déontologie des médecins et le code des infirmières et infirmiers du Québec. L'AFEAS régionale s'adresse donc maintenant aux instances provinciales.

Déjà, le Code civil du Québec encadre la question du consentement aux soins et reconnaît à chaque personne le droit de prendre des décisions qui ont des conséquences pour elle. Cette règle s'applique même si le refus ou l'arrêt de traitement devait entraîner la mort. Ainsi, la volonté d'une personne majeure et apte à consentir doit être respectée en vertu principalement de son droit à l'autonomie. Toute personne en fin de vie peut donc choisir pour elle-même les soins qu'elle accepte ou non de recevoir. Arrêt de traitement, sédation terminale, soins palliatifs ou autres soins, dont l'aide médicale active, pourraient être considérés.

Pour s'assurer que soit respectée sa volonté clairement exprimée, chaque personne devrait, alors qu'elle est apte à le faire, donner des directives anticipées à un mandataire qui pourra agir en son nom si elle n'est plus capable d'exprimer elle-même ses volontés le moment venu. Les impasses dans lesquelles se retrouvent souvent famille et médecin seraient évitées ainsi pour le plus grand bien de tous.

L'AFEAS régionale de Québec--Chaudière-Appalaches demande donc au ministère de la Santé et des Services sociaux, au président et à la vice-présidente de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité de recommander que soit reconnue dans la Loi sur la santé et les services sociaux la possibilité, pour une personne qui en a exprimé le choix de façon libre et éclairée, qui est en perte d'autonomie, ou qui souffre d'une maladie incurable invalidante, ou qui éprouve des douleurs physiques ou mentales aiguës sans perspective de soulagement, la possibilité de recevoir par un médecin l'aide médicale nécessaire qui mette fin à ses jours. Voilà.

Le Président (M. Kelley): Bravo! pour la lecture rapide. Vous avez lu ça avec brio. Alors, merci beaucoup, Mme Légaré au nom de l'AFEAS de Québec--Chaudière-Appalaches. Je demande maintenant à M. Daniel Langlais de prendre place, s'il vous plaît, pour les prochaines trois minutes dans notre ronde rapide.

M. Daniel Langlais

M. Langlais (Daniel): ...je suis le bébé de ma mère hospitalisée depuis novembre 2008. Je suis le bébé qu'on essaie d'avorter à ma mère que j'ai sauvé la vie, pendant ce temps-là, trois fois. Je suis la personne qu'il faut abattre. Je vais vous donner une anecdote.

Ça faisait quatre mois et demi que je n'allais plus voir ma mère parce qu'on voulait me mettre à la porte. On avait juré, le 21 juillet, de le faire. Je suis revenu en février et j'ai vu une garde-malade, Odette, présenter à une dame, une ancienne institutrice lucide, une pilule. Elle dit: Je ne la connais pas. C'est quoi, ça? C'est pour amollir les selles. Elle dit: Mais je n'ai pas de problème avec mes selles. Bien, la dame... Vous voulez parler de consentement? Odette était très convaincante. Elle lui a fait prendre. Elle est morte aujourd'hui. On a fermé, quelque temps après, on a fermé...

Ah oui! j'oublie de vous dire que j'ai parlé avec son infirmière chef juste après ça, pendant trois quarts d'heure. Quand je suis ressorti la dame... J'étais allé porter ma mère à la toilette, et, tout de suite après, 10 personnes sont sorties criant au meurtre qu'ils avaient envie d'aller à la toilette, dont la personne qui est institutrice, qui est morte par la suite.

Puis l'omerta, moi, là, je n'en fais pas partie. Je suis dans un hôpital où l'omerta existe. Puis l'ordre de chaque ordre professionnel n'est pas intègre. Il fonctionne avec un ordre donné qui vient d'en haut; semble-t-il, de M. Gagné. Puis aussi l'ordre des... Mme Sylvie Picard a fait un travail psychosocial qui est erroné, qu'ils ont admis qu'il était erroné hors cour. Mais on n'a pas voulu me donner un avocat puis aussi ni ma mère n'a pas eu d'avocat.

Puis son médecin de famille, avant qu'elle rentre, avait prescrit des évaluations psychogériatriques qu'on a tout fait pour qu'elle ne les ait pas. On a préféré lui donner de la drogue.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup...

**(18 h 30)**

M. Langlais (Daniel): Cette évaluation aurait amené possiblement qu'elle lui aurait donné plus de mémoire et aurait pallié au fait de la droguer comme on fait... Présentement, semble-t-il, c'est la drogue qu'il y a comme problème. Ce n'est pas parce que c'est le gouvernement qui le prescrit que c'est bien.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Langlais. C'est une...

M. Langlais (Daniel): ...

Le Président (M. Kelley): C'est des expériences qui sont très difficiles dans la vie, M. Langlais. Alors, merci beaucoup pour...

M. Langlais (Daniel): ...

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Malheureusement, j'ai d'autres demandes d'intervention et je dois...

M. Langlais (Daniel): ...

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Langlais, mais je dois passer...

M. Langlais (Daniel): ...

Le Président (M. Kelley): O.K. Merci beaucoup, M. Langlais. Malheureusement, je dois passer à d'autres personnes, je n'ai pas d'autre choix. Je dois demander maintenant à M. Jean-François Gravel...

M. Langlais (Daniel): ...

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Langlais. Et c'est un mémoire que... Ça nous fait penser du fait qu'on est dans les grands moments, les moments les plus sensibles dans la vie des personnes, et ça laisse les traces qui sont très importantes dans les vies des êtres humains, des Québécois et des Québécoises. Alors, merci beaucoup, je sais que c'est une expérience très difficile.

M. Gravel, le tour est à vous. Bienvenue, M. Gravel.

M. Jean-François Gravel

M. Gravel (Jean-François): Bonjour, M. le Président. Je vais faire du mieux que je peux pour être entendu. On n'a pas trouvé encore de traducteur pour mon dialecte à moi. Bonjour aussi aux autres membres de la commission.

Je disais plus tôt à Mme Laplante, là, que ma présence ici aujourd'hui n'était pas nécessairement sur le thème que le mémoire spécifie, c'était plus parce que j'avais l'opportunité d'être ici cette semaine. À tous les trois mois, j'ai mes rendez-vous avec mes docteurs, à tous les trois mois. Je suis originaire de Québec, mais, comme je suis très, très, très concerné par cette commission, dans les circonstances, j'ai voulu... à temps partiel entre mes docteurs dans la belle région de Lanaudière pour mieux profiter de chaque heure, de chaque jour, de chaque moment. Et puis là, ce matin, il y avait la coïncidence de l'article dans Le Soleil que vous avez fait référence.

Et je veux ajouter que qu'on s'en serve, qu'on ne s'en serve pas, de ce qu'il y aura dans le coffre à outils, parce que... là, présentement sur le plan légal... le coffre à outils... S'il y avait quelque chose dedans, comme la jeune femme disait, bien, qu'on s'en serve qu'on ne s'en serve pas.. Je ne sais pas si je m'en servirais. Mais rien que le fait de seulement le savoir que peut-être ça va venir, déjà je m'en sers un peu. Et c'était ça, la contrepartie de ça.

Je voulais venir sentir et ressentir la commission avant de vous envoyer mon petit papier, mon petit mémoire. Je ne pensais pas de venir chercher quelque chose qui m'inquiète. La contrepartie de ça, du coffre à outils, qui est rassurant, c'est le 26 % de la maladie... 28 % à la vie, c'est... oui, il y a 75 % sont pour, mais 28 % sont contre. Il n'y a rien de pire que de parler d'une affaire. Ça fait penser au monde que, câlisse... qu'on avait...

Des voix: ...

M. Gravel (Jean-François): ...qu'on avait oublié quelque chose. Et, moi, en dedans, là, je repars avec un peu peur, mais, n'ayez pas peur, je vais calmer ça. Tout d'un coup, ça fait peur à ceux qui pratiquent... Bien, il n'y en a pas beaucoup qui pratiquent, là, la fin de vie, là, les médecins, là. Eh bien, ça fait peur à ceux qui pratiquent présentement dans un spectre. Les spécialistes qui me soignent, là, présentement, ils ne prennent pas deux millilitres de ça puis un millilitre de ça, c'est dans un spectre, hein, ils travaillent là-dedans, mais légal. Ça serait le bout du bout s'il fallait que l'effet de la commission, pour un bout de temps, fasse en sorte que le spectre, ils le diminuent, ce serait le bout du bout. On n'en a pas assez déjà. Je vous remercie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Gravel, pour ce témoignage et, encore une fois, les moments très difficiles. Dernière demande, ce soir, c'est Mme Anita Cormier. Bienvenue.

Mme Anita Cormier

Mme Cormier (Anita): Merci. Alors, je me présente, Anita Cormier, infirmière à la retraire, infirmière de gériatrie. J'ai travaillé longuement avec les anciens combattants. Et je vous livre une partie de mes réflexions ce soir.

Et je vais commencer avec une parole dure qui a fait couler beaucoup d'encre au début des années soixante-dix et qui est la suivante: «Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves?» Parole controversée de Claude Péloquin sur la murale de M. Jordi Bonet, au Grand Théâtre de Québec, toujours à la vue de tous. C'est une phrase qui retentit en moi quand je pense à toutes ces morts que le Québec vit depuis les 50 dernières années.

Et voici ce que je constate: mort de l'amour durable qui n'a pas peur de l'engagement; mort des traditions qui solidifient et entretiennent les liens familiaux; mort du respect de la vie, dont celle de nos enfants à naître; mort par le suicide de nos adolescents et jeunes adultes qui ne trouvent pas de sens à leur vie; mort par pacte suicidaire de certaines personnes âgées et d'autres; mort d'une vie saine, enjouée et simple, non contaminée par la drogue, l'alcool, les jeux de loterie et les expériences sexuelles de tout genre; mort de l'honnêteté et de l'intégrité de nos institutions.

Et pourtant nous avons reçu un tout autre héritage de nos ancêtres. Ils nous ont légué le courage d'affronter la vie et la mort en temps et lieu; la générosité d'assister jusqu'au bout le vieillard, l'infirme, le malade; l'aide et l'accompagnement dans le nourrir et non pas dans le faire mourir; vision de l'autre comme un frère dans le besoin et non pas comme un poids pour la famille et la société. Ils nous ont enseignés aussi à être soi-même et non vivre pour l'apparence et la performance.

Qu'est-il arrivé? Prenez la catégorie de personnes appelées les baby-boomers. J'en suis une. Nous avons beaucoup reçu, et de plus en plus le suicide se retrouve dans ma catégorie d'âge. Vous trouvez ça normal qu'il en soit ainsi? Des projets de vie utiles à la société peuvent être mis sur pied, qui impliquent un certain «donner au suivant» de la part de notre génération. J'ai des projets en tête. Pourquoi ne pas adopter un malade, adopter un mourant, adopter une personne seule, adopter une maman qui vit une grossesse non planifiée ou une maman monoparentale?

Je nous invite à retrousser les manches comme peuple en mettant de tels projets sur pied afin de laisser les legs testamentaires dignes de ce nom aux futures générations. Si vraiment le «Je me souviens» qui est gravé dans la pierre du Parlement, on s'en souvient, on doit veiller sur les intérêts et léguer la vie à nos futures générations et non la mort. Merci d'avoir écouté une partie de mes réflexions.

Le Président (M. Kelley): Merci, Mme Cormier. Et, si vous voulez déposer l'ensemble du document, on peut s'assurer que l'ensemble des membres de la commission auront copie. Alors, c'est votre choix, mais, si vous voulez laisser copie ou transmettre copie à Mme Laplante, elle va s'en occuper pour s'assurer qu'on va les ajouter aux archives de la commission.

Mme Cormier (Anita): Merci. Je prendrai note avec madame.

Le Président (M. Kelley): Parfait. Merci beaucoup, Mme Cormier.

Sur ça, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité ajourne ses travaux au jeudi 30 septembre, après les affaires courantes, soit vers 11 heures, à la salle du Conseil législatif, afin de poursuivre la consultation générale et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité. Bonsoir, tout le monde.

(Fin de la séance à 18 h 39)

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