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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le jeudi 30 septembre 2010 - Vol. 41 N° 8

Consultation générale et auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Onze heures dix-sept minutes)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Je constate quorum des membres de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité.

Donc, je déclare la séance ouverte, en rappelant le mandat de la commission: la commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et aux auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Grondin, (Beauce-Nord) remplace Mme Roy (Lotbinière).

Auditions (suite)

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. On a deux témoins ce matin. Donc, le Barreau du Québec, suivi par l'Association des retraitées et des retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec.

Sans plus tarder, nous avons reçu un petit mémoire du Barreau de quelques centaines de pages. Alors, sans plus tarder, je propose de ne pas faire lecture complète de votre mémoire mais peut-être résumer les constats de ce mémoire fort étoffé que nous avons reçu. Et je suis prêt à passer la parole au bâtonnier, j'imagine, Michel Doyon, pour commencer ou...

Barreau du Québec

M. Doyon (J. Michel): ...directeur général du Barreau du Québec.

Le Président (M. Kelley): O.K. Parfait.

M. Provencher (Claude): Bonjour, M. le Président de la commission, Mme la vice-présidente, Mmes et MM. les députés. Mon nom est Claude Provencher. Je suis le directeur général du Barreau du Québec et, pour la présentation du Barreau, je suis accompagné de: M. le bâtonnier, Michel Doyon, président du groupe de travail du Barreau sur la question de mourir dans la dignité; également de Me Jean-Pierre Ménard, membre du groupe de travail et avocat spécialisé en droit de la santé, plus spécialement dans la représentation des usagers du système de santé et la promotion de leurs droits; de Me Chantal Perreault, avocate au Service de recherche et législation du Barreau, qui a collaboré étroitement à la rédaction du rapport; de Me Marc Sauvé, qui est le directeur du Service de recherche du Barreau et secrétaire du groupe de travail; ainsi que de Me Renée Dupuis, qui est membre du groupe de travail.

Alors, le Barreau, à titre d'ordre professionnel, doit en tout premier lieu protéger le public en contrôlant l'exercice de la profession d'avocat, notamment par les activités de son syndic et de son service d'inspection professionnelle.

**(11 h 20)**

Au sein d'une société comme la nôtre, qui est fondée sur la règle de droit, le Barreau assume également un rôle social plus large de protection du public qui englobe la protection, la promotion de la règle de droit et de la saine administration de la justice.

Depuis sa fondation, en 1849, mais plus particulièrement au fil des dernières décennies, le Barreau formule des commentaires sur les projets de loi et participe aux débats publics liés à la justice et aux droits de la personne. Le Barreau apporte ainsi une contribution de premier plan dans l'organisation, le développement et l'amélioration de la vie en société.

On peut lire dans notre charte québécoise des droits et libertés de la personne que le respect de la dignité de l'être humain constitue un des fondements de la liberté et de la justice. La question faisant l'objet des travaux de cette commission est directement liée au droit de toute personne à la dignité et revêt en conséquence une grande importance pour l'ensemble de la société et pour le Barreau du Québec.

En effet, à chaque jour, des membres du Barreau sont appelés à conseiller patients, familles, professionnels de la santé, établissements de santé et autres organismes sur les droits des parties impliquées dans un processus de fin de vie ou à agir, au besoin, devant les tribunaux et les autres instances appropriées pour régler les litiges qui surviennent dans un tel contexte. Les avocats se retrouvent ainsi à maintes reprises en première ligne de ce débat qui est d'une grande importance pour notre société. C'est donc pour ces raisons que le Barreau du Québec a mis sur pied un groupe de travail consultatif constitué d'avocats praticiens, d'experts, d'administrateurs d'établissement de soins de santé, d'universitaires et de médecins, à titre d'invités.

Le Barreau propose un certain nombre de pistes d'action d'un point de vue juridique en accordant une attention particulière à la condition des personnes les plus vulnérables. Le mémoire du Barreau s'inscrit résolument dans une perspective de soins de vie respectueux des personnes. M. le bâtonnier, Michel Doyon, vous exposera les grandes lignes du mémoire du Barreau et, ensuite, Me Ménard pourra compléter et répondre à vos questions. Alors, sans plus tarder, je cède la parole à M. le bâtonnier, Michel Doyon.

M. Doyon (J. Michel): Bonjour. Merci. Monsieur madame, M. le Président, membres de l'Assemblée nationale, je tenterai d'être bref de façon à vous permettre de poser le plus de questions possible et de faire en sorte que la parole soit à vous et qu'on puisse y répondre.

Je vous dirais que la prémisse de base au rapport du Barreau du Québec est que les citoyens et les citoyennes du Québec devraient tous bénéficier de soins de vie respectueux, et ce, tant dans leur droit de recevoir les soins palliatifs appropriés au terme de leur vie que le droit de choisir le moment de leur fin de vie en des circonstances bien exceptionnelles, comme nous en discuterons ce matin. Le respect de la personne est au coeur même de notre rapport. Les assises du rapport du Barreau prennent racine au niveau du droit et non seulement... mais non pas au niveau de la morale ou de la religion, qui sont des valeurs biens personnelles à la personne et aux individus.

Nul ne peut mettre en doute aujourd'hui que la science médicale a fait des progrès tels aujourd'hui qu'elle interfère souvent avec l'évolution naturelle de la maladie chez les malades. En fait, les progrès extraordinaires de la médecine, de la pharmacologie, de la biologie ont changé, aujourd'hui, complètement les perspectives sociales et légales de la gestion de la fin de vie et de la mort.

S'il est indéniable que ces progrès ont permis à bon nombre d'être humains de mourir paisiblement avec une souffrance largement contrôlée, particulièrement grâce à l'évolution des soins palliatifs, il n'en demeure pas moins que, dans certains cas, la médecine a fait en sorte que la personne vit dans un état de souffrance et de débilitation importantes. Enfin, pour tous ceux à qui le progrès de la médecine n'apporte ni soulagement ni quiétude, la fin de la vie n'est qu'un concept abstrait.

Les grandes craintes des personnes en fin de vie peuvent être de deux ordres. Et je vous citerai le juge Jean-Louis Baudouin, qui disait: «À l'heure actuelle, du moins dans nos pays, on meurt, la plupart du temps, intubé, gavé, perfusé, anesthésié, dans [l'arrangement] d'une chambre d'hôpital, dans la solitude et loin de tout ce qui faisait la vie. Comme l'ont démontré [les] discussions sur le sujet, dans nos sociétés développées, l'individu a été exproprié de sa mort par la science médicale.»

La seconde préoccupation importante des personnes en fin de vie est souvent la crainte de perdre le contrôle de leurs décisions, de leur dignité, de leur capacité relationnelle et cognitive, de souffrir physiquement et psychologiquement et d'être humiliés et totalement dépendants dans leur fin de vie.

Comme le faisait remarquer le Collège des médecins: «Avec les progrès de la médecine, le moment de la mort, de naturelle qu'il était, fait de plus en plus l'objet de décisions humaines.» La mort est donc devenue, dans bien des cas, l'aboutissement d'un processus non plus naturel, mais, de plus en plus, suite à l'intervention médicale, constant à vouloir arrêter certains traitements, interventions et soins, selon des critères qui ne sont pas toujours liés à l'évolution naturelle.

Les recommandations de Barreau reposent sur les principes énoncés par les chartes canadienne et québécoise relativement au caractère sacré de la vie et au droit de l'autonomie décisionnelle de la personne. L'introduction dans notre droit de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et de la Charte canadienne des droits a eu, selon le Barreau du Québec, une importance significative sur le droit de la personne à disposer de son corps. L'un des impacts les plus importants de la charte concerne le droit à l'autodétermination de la personne, et nous allons beaucoup insister sur cet aspect.

Donc, ces différents développements dans le domaine juridique dû aux chartes ont eu pour effet de restreindre l'intérêt de l'État à contrôler certains aspects de la vie des citoyens. Il en va toutefois autrement lorsque la personne est apte. Lorsque la personne est apte, elle peut formuler ses informations, ses désirs de fin de vie, ses souhaits de fin de vie, et elle permet également, en vertu de l'article 14 du Code de procédure civile, de permettre à une personne apte d'indiquer ses volontés dans l'éventualité où elle deviendrait, par des circonstances ou par les faits de la nature et de la vie, inapte. Il n'en va pas de même des personnes inaptes où, là, on doit toujours penser au bien-être de la personne elle-même et non décider pour elle.

Le Barreau du Québec ne croit pas, pour sa part, qu'il est important de modifier les règles du Code criminel applicables à l'euthanasie et au suicide assisté. Si le Parlement fédéral a compétence dans le domaine du droit criminel, les provinces ont, quant à leur part, compétence dans le domaine de l'application des règles du Code criminel. Le Barreau du Québec préfère donc voir l'adoption de règles, donc, qui seraient comme en Grande-Bretagne et en Colombie-Britannique près de chez nous, permettant, donc, au Procureur général d'établir certaines conditions précises dans des cas de poursuite, dans des cas d'euthanasie ou d'aide au suicide pouvant survenir dans la relation entre le patient et le médecin traitant.

En terminant, je vous dirais que le rôle du droit n'est pas de départager les partisans et les adversaires de l'euthanasie et du suicide assisté; le Barreau croit qu'il faille respecter de façon absolue les idées et les valeurs de chacun. Le respect de la volonté de la personne en fin de vie nous apparaît être la meilleure et la plus fiable balise qui assurerait un espace de liberté suffisant de façon à permettre à chacun de donner un sens à un moment essentiel de la vie, et ce, selon ses propres valeurs.

Nous croyons que le mémoire du Barreau va dans le sens de l'évolution de la société québécoise dans son ensemble vers un plus grand respect du droit de la personne de choisir ce qu'elle estime approprié pour elle en fin de vie. Merci. Me Ménard.

Le Président (M. Kelley): Me Ménard.

**(11 h 30)**

M. Ménard (Jean-Pierre): Merci. Alors, donc, essentiellement, ce que je vais faire, c'est que je vais peut-être reprendre un peu le raisonnement du Barreau pour bien vous expliquer le cheminement qu'on a fait et pourquoi on fait la... on en arrive à énoncer ce qui apparaît dans notre rapport. Je vais vous référer ici et là à quelques passages du mémoire aussi.

Essentiellement, écoutez, d'abord, c'est un débat qui est extrêmement important, puis le Barreau tenait à y être associé aussi, parce que vous avez dû voir de l'ensemble des présentations antérieures à quel point très souvent on en arrive toujours à la question de la légalité: la loi dit ca, le Code criminel dit ci, bon. Alors, et les gens... c'est-à-dire, il apparaît assez clair qu'il y a une certaine difficulté à bien saisir l'importance des règles. Alors, ce que le Barreau a décidé de faire, dans notre mémoire, c'est de faire oeuvre pédagogique aussi, de ne pas juste dire: Voici nos positions, mais on trouvait ça important, comme contribution à la commission, de vous expliquer le droit, de vous décrire l'état du droit, pas de façon complaisante ou orientée, mais de façon la plus objective possible pour dire: Voici l'état du droit, voici les évolutions, voici la signification des concepts, pour être capables, peut-être, de mieux orienter les travaux de la commission. On pense que c'est une contribution qui peut être utile pour les fins de la commission. Bon.

Essentiellement, cette problématique-là, nous, on l'a analysée à partir de deux concepts juridiques. Comme Me Doyon vous l'a dit, on a abstrait totalement la morale de notre débat. Les gens qui sont pour ou contre l'euthanasie, ou peu importe comment on qualifie ça, ont droit à un égal respect puis à un absolu respect de leurs valeurs, leurs volontés aussi. Le Barreau ne porte pas de jugement là-dessus.

Nous, on l'a abordé du point de vue juridique à travers l'analyse de deux concepts qui sont importants, qui viennent, si on veut, servir de toile de fond à l'analyse de cette problématique-là. Les deux concepts sont lesquels? En termes... dans leur sens juridique, là: le caractère sacré de la vie et le droit à l'autodétermination des personnes. Bon, alors, on a donc examiné l'état du droit par rapport à ces deux concepts-là.

Si on prend le premier: le caractère sacré de la vie. Alors, le caractère sacré de la vie, donc, signifie effectivement que la vie est une valeur importante qu'il faut travailler à préserver et protéger dans notre société. C'est principalement par les règles du Code criminel qu'on va retrouver cette protection-là, puis par l'action de l'État dans ce processus-là aussi. Alors, on a examiné de façon très attentive l'encadrement juridique de la fin de vie par le Code criminel.

D'abord, il faut dire que les règles du Code criminel datent de 1892, les règles qu'on a actuellement. Comme, dans le mémoire, on le dit bien, ces règles-là n'ont pas été envisagées dans une optique où la médecine permet de faire ce qu'elle permet de faire aujourd'hui. 1892, on est au début de la médecine. La médecine était, à l'époque, perçue alors comme étant une activité dangereuse, dont on se méfiait beaucoup. Alors, c'est clair que, lorsqu'on a intégré ces règles-là dans le Code criminel, en 1892, on ne pensait pas à la technologie qu'on a aujourd'hui, et tout ça. Et ces lois-là n'ont pas changé au fil des années. Au fil des litiges judiciaires, on en a précisé l'application, mais, de base, ces règles-là ont été conçues dans une autre société par rapport à un autre type d'activité médicale aussi.

On s'est aperçus, en examinant comme il faut l'histoire de l'application de ces règles-là de façon plus particulière par rapport au processus de fin de vie, que les règles du droit criminel qu'on a depuis 1892 se révèlent virtuellement inapplicables dans le contexte de la réglementation des soins de fin de vie, inapplicables pour trois raisons: deux qui touchent aux questions de preuve et une qui touche à la question de la procédure. Au niveau de la preuve essentiellement, n'oublions pas... Parce que, d'abord, si on parle de l'euthanasie, l'euthanasie, sur le plan juridique, ça n'existe pas, ça. Je dirais, en droit, quand on parle d'euthanasie, l'euthanasie, c'est le fait de... Si on veut le définir comme étant le fait de causer la mort de quelqu'un en faisant un geste pour causer la mort, ça, au sens du Code criminel, c'est le verbatim de la définition de «meurtre au premier degré». Alors, c'est le meurtre au premier degré qui réglemente ça. L'aide au suicide, elle, elle est réglementée par l'article 241, et, pour le meurtre, c'est 222, 229, 235 du Code criminel. On a mis en annexe du mémoire les articles pertinents.

Alors, il faut se rappeler que la couronne, dans ces matières-là, a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable, un, que le médecin avait l'intention de causer la mort et, deuxièmement, que c'est son geste qui a causé la mort. Il faut prouver que ce geste-là, hors de tout doute, est la cause du décès. Or, qu'est-ce qu'on s'aperçoit? Et ça, c'est par l'examen de l'ensemble de la jurisprudence qu'on peut répertorier, parce qu'il faut dire que les cas sont d'une très grande rareté. Pour tout vous dire, au Canada, aucun cas n'a jamais abouti à une condamnation de médecin par un jury depuis que ces choses-là existent.

Alors, on est allés voir dans les juridictions où on a des encadrements identiques aux nôtres: l'Angleterre, d'où nous viennent nos règles de droit; les États-Unis, qui ont un encadrement identique au nôtre; l'Australie. Ce sont des pays de common law, de droit pénal britannique, alors donc, avec des règles puis un cadre législatif identique au nôtre.

Alors, qu'est-ce qu'on s'est aperçus, essentiellement? C'est que, d'abord, au niveau de la causalité: extrêmement difficile pour la couronne de prouver hors de tout doute raisonnable que c'est bel et bien le geste du médecin qui a causé le décès dans le scénario où la personne a une condition sous-jacente qui peut entraîner sa mort et qui va entraîner sa mort possiblement. Donc, très difficile.

Deuxièmement, au niveau de l'intention, par exemple, si on donne par exemple, une surdose de morphine à un patient qui est en grande douleur, dès que le médecin vient témoigner que son intention première, c'était de soulager la douleur et non pas de causer la mort, on acquitte aussi.

Et, par ailleurs, au niveau de la procédure, ce sont des procès qui sont faits devant jury pour l'essentiel, et les jurys, dès qu'apparaît... On s'est aperçu que, dès qu'apparaît une composante de compassion de la part du médecin, dans un geste humanitaire, de quelqu'un qui est en grande souffrance, les jurys, même en face d'une preuve très hostile, très, très adverse, très concluante, acquittent les médecins. Les rares espèces où les médecins ont été trouvés coupables, par ailleurs, on a des sentences qui n'ont aucune commune mesure avec la gravité de l'infraction: ce sont des sentences... Aucun médecin ne fait de la prison. On a des sentences suspendues, de l'emprisonnement avec sursis, des choses comme ça. Alors, l'aspect dissuasif du Code criminel n'atteint pas son rôle.

Alors, ça, ça explique pourquoi, effectivement, il n'y a pratiquement jamais de poursuite dans cette matière-là. Donc, les règles du Code criminel qu'on croit aptes à protéger les personnes dans ces matières-là, on n'est pas capables de les faire appliquer de façon efficace. Les procureurs de la couronne qui vont examiner un dossier comme ça n'initieront pas de poursuite s'il y a de très fortes chances qu'on s'en aille vers un acquittement ou une sentence qui est ridicule.

Alors donc, essentiellement, le Barreau fait le constat que, selon l'état de la jurisprudence, partout où on a des règles semblables à ça, on ne réussit pas vraiment à faire jouer au droit criminel son rôle dissuasif, son rôle de protection.

Là, on s'est posé la question: Est-ce que la simple existence des règles permettrait d'empêcher le phénomène? Autrement dit, on a les articles, on les lit, puis ça fait peur assez au monde qu'on ne fait rien. Là, il faut regarder la pratique médicale. Puis là on a le privilège inouï, au Québec, d'avoir deux sondages récents: l'année passée, un de nos spécialistes, un des nos omnipraticiens... Je vais parler de celui des spécialistes: 81 % des médecins spécialistes disent que l'euthanasie se pratiquent, dont 11 % disent souvent ou très souvent. Puis, par ailleurs, ça, ça rejoint -- moi, je suis dans ce monde-là depuis près d'une trentaine d'années -- les histoires qu'on a à gauche et à droite aussi, dont on entend parler, que les gens nous racontent aussi d'une façon plus anecdotique, mais c'est des pratiques qui existent clairement. Donc, les règles actuelles ne permettent pas d'empêcher ces pratiques-là. Sauf que, vu que c'est clandestin, on ne sait pas sur qui ça se fait, comment ça se fait. Est-ce que c'est en augmentation? Est-ce que c'est contrôlé? Est-ce qu'on s'assure du respect des droits des personnes? Alors, on ne sait rien là-dessus. C'est dans un «no man's land» juridique, si on veut, aussi.

Ça, c'est l'état du droit criminel. Donc, c'est clair que le droit criminel dans ces matières-là n'atteint pas sa fin, ne permet pas... Les règles sont trop rigides pour assurer, selon l'analyse que le Barreau en fait, une protection adéquate des personnes, surtout les personnes vulnérables.

Par ailleurs, l'évolution du caractère sacré de la vie évidemment est mis en parallèle aussi avec l'émergence d'un autre droit fort important depuis plusieurs années, qui s'appelle le droit à l'autodétermination où, ça, c'est essentiellement par l'adoption des chartes, la mise en vigueur des chartes, de leur interprétation par les tribunaux, qu'on a vu ce droit-là s'étendre de façon assez considérable aussi.

On a eu, entre autres, bon, une décision fort importante à la fin des années quatre-vingt, l'affaire Morgentaler contre la reine, où, dans cette décision-là, la Cour suprême a redéfini de façon très importante, dans le contexte d'une femme qui devait se faire avorter, quels sont les droits de la personne à disposer de son corps. Et là on a développé de façon très importante le concept de sécurité de la personne, donc le droit de la personne de voir son intégrité protégée, mais le droit à la liberté, ce qui veut dire le droit de décider de faire des choix en fonction de ses propres valeurs, et le droit à la dignité.

Ce qu'on dit dans Morgentaler, entre autres, c'est que la dignité, ça implique que... D'abord, c'est très relié aux choix fondamentaux de la personne, à la vision qu'elle se fait de sa vie et, par ailleurs, aussi à la perception du bien que lui procure sa vie, du sens qu'a sa vie. Puis la vie, pour qu'elle vaille la peine d'être vécue, il faut qu'elle ait un sens pour la personne pour qui cette vie-là existe, et non pas aux yeux des autres. Et, dans ce contexte-là, ce sont des valeurs qui sont émergentes. Puis la Cour suprême reconnaît aux citoyens donc le droit de prendre des décisions à caractère privé sans ingérence de l'État lorsque ces décisions-là impliquent leur dignité puis leur liberté aussi.

On a l'affaire Sue Rodriguez qu'on discute abondamment dans notre mémoire aussi pour bien la contester parce qu'on l'amène toujours un peu comme un élément déterminant dans le débat. Voici l'analyse qu'en fait le Barreau. Sue Rodriguez, c'est une décision qui date déjà d'il y a 17 ans. Presque une génération derrière nous. C'est une décision à cinq contre quatre où, si on la lit comme il faut -- puis dans le mémoire on la commente amplement -- ça apparaît être comme une décision essentiellement d'époque où, à l'époque, le juge Sopinka, qui rend les jugements pour la majorité, disait: Écoutez là, on est dans une société actuellement où, d'abord, aucune société étrangère n'ouvre la porte à ces choses-là, il n'y a pas de consensus au niveau médical, c'est-à-dire il n'y a pas d'ouverture au niveau médical, la société est contre ça.

On pense qu'aujourd'hui on n'est pas dans le même contexte aussi parce qu'on a une ouverture du côté médical, on a des législations étrangères qui ont permis ces choses-là. C'est clair qu'on a une évolution aussi. Puis la grande différence entre les majoritaires et les minoritaires, c'est que les majoritaires disaient: On est contre la levée générale, les minoritaires disaient: Il faudrait peut-être qu'on regarde dans des cas particuliers aussi puis qu'on prenne bien soin de faire ces choses-là.

Alors donc, essentiellement, Sue Rodriguez, on l'a contesté puis, attention, cette décision-là, n'a peut-être pas la même... ne fixe pas le droit comme peut-être d'autres décisions le font à leur époque aussi.

Donc, tenant compte de ça, ce qu'on se rend compte, c'est que, par ailleurs, en fin de vie, l'intérêt de l'État dans la préservation de la vie -- on a plusieurs références de jurisprudence -- devient moins important face à des volontés exprimées par la personne aussi, donc il faut considérer ça aussi.

Alors donc, tout ça, ça nous a amené, nous, à revoir de quelle manière en fin de vie ce droit-là pouvait s'exercer. Je n'irai pas dans le détail fin, mais, à la page 53 du mémoire, on énonce ce que sont pour le Barreau les droits en fin de vie.

**(11 h 40)**

Le Président (M. Kelley): Je vais, Me Ménard, juste aviser les membres de la commission qu'on a dépassé les 20 minutes. Il faut gruger dans la période d'échange, et je sens qu'il y aura beaucoup de questions.

M. Ménard (Jean-Pierre): J'en aurais pour deux minutes, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Aussi, si je peux vous inviter d'arriver à une conclusion...

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est beau. Alors, j'en aurais pour deux minutes.

Le Président (M. Kelley): Parfait.

M. Ménard (Jean-Pierre): Alors, à la page 53, on énonce les droits en fin de vie. Parce que, pour nous, l'euthanasie et le suicide, ça concerne juste 1 % à 3 % à peu près de la population, selon les expériences étrangères. Nous, on pense que ce qui est important, pour l'ensemble de la population... On regarde les droits qui sont impliqués. Alors, on les énonce bien à la page 53. Et ça nous amène à parler à ce moment-là, à proposer, entre autres parmi ces droits-là, le droit de choisir le moment de sa vie. Le Barreau propose d'effectivement reconnaître au citoyen ce droit-là, avec un encadrement très strict. Je vais seulement énumérer les conditions puis je vais arrêter après ça.

Donc, consentement de la personne. Alors, ça exige absolument... Donc, ça veut dire que c'est un majeur apte qui va donner un consentement libre et éclairé. Il faut que cette demande-là soit faite par écrit. Son médecin, à ce moment-là, doit, dans la mesure où il est d'accord pour y donner suite, obtenir deux consultations: une en psychiatrie et une dans... un médecin de même discipline; une en psychiatrie pour s'assurer que ce n'est pas une maladie mentale qui génère la décision, s'assurer que le patient est apte également et aussi que les souffrances psychiques ne sont pas soulageables... Deuxième...

Ah! c'est ça. Alors puis évidemment -- j'ai oublié de le dire -- deux situations où ce serait ouvert: situation de maladie terminale ou de souffrances intolérables. On ne l'ouvre pas pour d'autres raisons. On ne l'ouvre pas non plus pour les majeurs inaptes et les mineurs aussi, sauf, dans le cas des majeurs inaptes, ceux qui ont émis des volontés antérieures aussi.

Il faut que la demande soit répétée après 15 jours. Il faut qu'elle soit documentée et qu'un avis soit donné au coroner. Alors, on pense que ces règles-là, bien encadrées, bien appliquées devraient permettre de couvrir le terrain qui actuellement n'est pas couvert. Alors, c'est un peu la rationnelle de l'ensemble de ce qu'on énonce.

Alors, je vois que je déborde, alors on va arrêter là. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. On va passer à la période d'échange avec les membres de la commission, et je vais céder la parole au député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, j'aimerais vous remercier de votre présence ici, aujourd'hui, votre présentation. C'est sûr que le temps ne permet pas de faire tout le raisonnement qu'on veut faire. Vous avez été obligé, Me Ménard, de simplifier beaucoup, et j'admire votre tentative. On a compris pas mal.

J'ai quelques questions à vous poser, précises. C'est peut-être Me Ménard, c'est peut-être d'autres qui pourraient répondre aux questions.

La première question que j'ai: Concernant le consentement, nous avons eu plusieurs personnes qui sont venues devant nous, pas nécessairement des juristes, mais des gens, du personnel soignant, d'autres personnes, qui nous ont parlé de la dépression durant la fin de vie pour plusieurs personnes qui sont malades. Et je me demandais si vous pouvez nous indiquer si clairement une personne qui souffrait de dépression... Et il y a dépression légère, il y a dépression plus extrême, il y a plusieurs types de dépressions. Est-ce qu'une personne qui serait diagnostiquée comme dépressive par le psychiatre ou par le personnel médical... Est-ce que cette dépression aurait l'effet de vicier le consentement de la personne qui en ferait une telle demande?

M. Ménard (Jean-Pierre): Alors, écoutez, c'est une question de degré, là. C'est pour ça qu'on demande dans le processus que la personne soit soumise à une évaluation psychiatrique pour établir que sa décision n'est pas une sécrétion d'une maladie mentale. Une personne peut avoir une dépression légère et demeurer parfaitement capable d'apprécier sa condition puis de décider que c'est assez. L'idée, c'est que ce qu'on veut éviter, c'est -- puis, ça, selon les normes de la psychiatre, c'est bien, bien... on est bien clair là-dessus -- quand la décision de la personne ne résulte pas de sa maladie.

Alors, on a des décisions. Par exemple, pour la personne, par exemple, dans l'affaire de Corbeil, le patient était légèrement déprimé, selon les rapports des psychiatres, mais le juge a conclu que sa décision ne découlait pas de cette légère dépression là, mais d'un choix calculé puis bien raisonné aussi. Alors, c'est une question vraiment... C'est pour ça qu'on demande cette évaluation du psychiatre là pour bien s'assurer que le consentement de la personne, c'est le fruit de sa volonté, raisonné et choisi et non pas une sécrétion de sa maladie.

Alors, ce sera vraiment du cas par cas. On ne peut pas tracer une ligne pour tout le monde, là, mais c'est pour ça qu'on demande cette évaluation-là.

M. Sklavounos: Je suis membre du Barreau. J'ai exercé principalement en droit criminel, alors je n'ai pas du tout... je ne peux pas prétendre avoir votre expertise en droit médical, Me Ménard. De votre expérience à vous, vous avez vu plusieurs causes, est-ce que c'est difficile ou facile ou... Comment évaluerez-vous la preuve en matière de diagnostic de dépression, entre la dépression légère, moyenne, extrême ou... le point, là, qui ferait en sorte que le consentement serait vicié? Dans notre droit... Vous, dans votre expérience avec les différents experts qui sont appelés à témoigner dans vos dossiers, est-ce que c'est facile de pouvoir tracer la ligne?

M. Ménard (Jean-Pierre): Je vais être honnête avec vous, parce qu'on fait beaucoup de psychiatrie légale, puis j'enseigne ça également dans le milieu universitaire également, la psychiatrie légale, la ligne n'est pas toujours mince et parfaite pour tout le monde, là, on a des zones des fois qui sont plus équivoques, sauf qu'il existe quand même des critères diagnostiques bien établis dans le DSM-IV et, par ailleurs aussi, les dossiers médicaux documentent des comportements, des propos des personnes aux infirmières, aux autres médecins, etc. L'examen mental permet, un examen mental bien fait, de cibler les choses qui sont importantes aussi.

C'est sûr qu'il peut être parfois utile de diagnostiquer une dépression sévère versus très sévère, là, mais, entre la légère puis la sévère, on a des normes bien claires pour distinguer ces choses-là aussi. Puis l'idée, c'est qu'il faut toujours se demander aussi: Est-ce que la maladie peut affecter la capacité de consentir de la personne? Est-ce que ça peut, par exemple, l'amener à ne pas comprendre sa maladie, à ne pas comprendre les options qui lui sont offertes? Alors, l'aptitude à consentir, quand elle est évaluée par le psychiatre, est faite aussi dans l'optique de déterminer un peu les effets de la maladie sur la capacité de fonctionnement de la personne.

On peut avoir une maladie mentale très légère qui perturbe peu le fonctionnement, c'est vraiment une évaluation du cas par cas. C'est pour ça qu'on demande cette évaluation-là: pour éviter que ce soit laissé, par exemple, à un orthopédiste ou à un oncologue, le soin de décider. On va dans les choses plus pointues autant que la science peut permettre de le connaître puis il existe maintenant des normes assez claires dans le DSM-IV. On a beaucoup, beaucoup... Parce que la dépression, c'est très commun, puis on a beaucoup, beaucoup... Il y a eu d'énormes recherches, d'énormes publications là-dessus puis, dans le DSM-IV, je vous dirais qu'on a raffiné -- puis on sort une nouvelle édition bientôt, là -- beaucoup, beaucoup les critères diagnostiques, autant de la maladie elle-même que de sa sévérité et de son impact sur la personne.

Alors, là-dedans, je pense qu'il faut... le droit ne devrait pas définir plus que nécessaire. C'est à la médecine à faire évoluer ces choses-là.

M. Sklavounos: Est-ce qu'on parle de plusieurs psychiatres qui évalueraient et réévalueraient la même personne? Parce que je pense aussi que le commun des mortels penserait que le diagnostic d'un psychiatre et le diagnostic d'un autre psychiatre pourraient des fois différer, surtout lorsque la ligne est mince entre la légère dépression, la moyenne -- je caricature avec ma terminologie, je ne suis pas psychiatre -- et l'extrême dépression. Il y a parfois quelqu'un qui nous écouterait, qui n'est pas un expert... dirait peut-être que la ligne est très mince. Il y a de l'interprétation là-dedans, il y a des critères, oui, qui sont très clairs, mais prendre les faits, prendre le dossier, la personne et la faire entrer dans des critères, ça nécessite, veux, veux pas, une certaine interprétation. Qu'est-ce que vous dites pour rassurer ces personnes-là?

M. Ménard (Jean-Pierre): Écoutez, ce qui arrive, c'est... Moi, ce que je vous dirais, c'est que, d'abord, les médecins qui s'engagent dans ce processus-là, ils ont une responsabilité civile et même, ultimement, criminelle s'ils ne font pas les affaires comme il faut. Moi, ce que je comprends de la pratique médicale... Puis les médecins, en général, sont prudents par rapport à ces questions-là, je peux vous le dire, avec beaucoup de respect, là. Alors, la moyenne des médecins ou... je pense qu'un médecin impliqué dans ce processus-là va vouloir s'assurer peut-être de deux précautions plutôt qu'une. Si jamais il y a son psychiatre qui émet un doute... D'abord, n'oublions pas une chose, là, ce n'est pas un processus qui est coercitif pour les médecins, là. N'importe quand la personne ne rencontre pas les conditions, elle n'y aura pas accès. Si on pense, entre autres, dans les pays où on a légiféré... légalisé ces choses-là comme en Hollande, bien, en Hollande, la majorité des demandes sont refusées. En Belgique, c'est presque semblable aussi. Alors, il ne faut pas penser qu'ici... On n'ouvre pas la porte à ça sur demande, là. C'est dans un contexte très précis. Puis, si le médecin a un doute que son patient est inapte ou que la maladie explique plus son état, il va dire: Écoutez, moi, je ne vais pas plus loin, on arrête ça là.

**(11 h 50)**

M. Sklavounos: Il y a des personnes qui sont également venues et... plusieurs personnes et plusieurs groupes qui nous ont parlé des dérives dans d'autres juridictions. Ils nous ont cité des statistiques. On a entendu toutes sortes de statistiques. On est en train de faire... d'essayer de démêler tout ça.

Vous avez mentionné dans vos remarques... Vous n'avez parlé d'aucun médecin condamné. Vous avez mentionné que la loi en ce moment est claire, que l'euthanasie serait un meurtre, la définition de l'euthanasie aujourd'hui serait un meurtre en vertu du Code criminel. Vous avez parlé du sondage où apparemment l'euthanasie se pratique aujourd'hui selon les personnes, les répondants au sondage. Je me demande si c'était pour rassurer les personnes ou si c'est vos commentaires lorsque vous demandez... Évidemment, vous dites que des critères... puis de légiférer puis mettre ça sur la table au lieu d'au-dessus de la table, ça aurait l'effet de clarifier la situation. Mais il me semble qu'aujourd'hui où la loi semble être claire, l'euthanasie, c'est un meurtre, et vous dites que n'importe quel médecin viendrait juste dire: Écoutez, je ne voulais pas tuer, je voulais juste apaiser la douleur, puis il serait acquitté... Je me demande si vous avez quelque chose à dire aux personnes qui vous disent, lorsque vous allez ajouter d'autres critères: Veux veux pas, ajouter des critères va ajouter de l'interprétation supplémentaire. Est-ce qu'on ne devrait pas être en train d'avoir un petit peu peur de ce que nous entendons dans des sondages: que l'euthanasie se pratique, alors qu'elle est illégale et qu'un médecin a juste à venir dire: Pour apaiser les douleurs, j'ai prescrit ça ou j'ai administré ça? J'ai l'impression qu'en quelque part c'est un couteau à double tranchant, et il y a des gens qui ne sont pas nécessairement rassurés à entendre l'argument formulé de cette façon-là.

M. Ménard (Jean-Pierre): Je pense que ce qui est important, c'est d'être dans la réalité, O.K.? La réalité, c'est qu'on a des règles du droit criminel. Comme je vous dis, si on les lit, là, on dit: Ah! Bien là, c'est un meurtre. On est rassurés, tout le monde, O.K.? Mais il faut aller voir plus loin que ça. On dit: Ces règles-là, malheureusement... puis je ne conteste pas pourquoi ce n'était pas appliqué, là, mais malheureusement on ne réussit pas à les faire appliquer avec l'objectif de dissuasion que ça devrait avoir, parce que les gens du milieu de la santé nous rapportent toutes sortes de pratiques à caractère euthanasique, là. Puis les pratiques, ce n'est pas toujours l'injection mortelle qu'on donne, là.

Je vais donner un exemple bien simple qui existe dans beaucoup de milieux, ce qu'on appelle les petits codes. Tu sais, le patient tombe en arrêt, mais là le médecin, il a décidé que ce patient-là, ce n'était pas utile de le réanimer, même si sa famille voulait ou lui voulait. Alors, dans l'équipe, on sait que, s'il arrive un arrêt, on va faire un petit code. Autrement dit, on va marcher plus tranquillement, on va être un peu moins agressifs dans nos mesures, puis le patient ne sera pas réanimé, puis c'est des pratiques qui existent à une certaine échelle. Les gens du milieu vont tous vous en parler, là-dessus.

Alors, ce qui arrive, c'est que, donc, les règles actuelles, là, on peut... ou bien ils prennent l'approche de la garder en disant: Aïe! C'est magnifique, c'est un meurtre au premier degré, merci, on ne fait rien, puis la pratique actuelle qui est clandestine, qui se fait à un certain degré, tout le monde l'admet, là, bien, elle va continuer. Elle va continuer de façon un peu anarchique, puis pas dans le respect du droit des personnes parce qu'il y a des gens peut-être qui pourraient bénéficier d'une aide qu'ils ne recevront pas, puis il y a des gens peut-être à l'égard de qui on va la décider sans que les gens aient pu donner de consentement ou quoi que ce soit là-dessus. Alors, il est important qu'on clarifie ces choses-là.

Puis, par ailleurs aussi, c'est que, si on sait qu'il y a des dérapages ailleurs, comme en Hollande, par exemple, ou en Belgique, bien, c'est parce qu'il y a des règles. Pas de règle, on ne peut pas établir qu'il y a un dérapage. Alors, ça prend des règles pour dire: Bien, voici. Là, on est capable d'établir: Un tel s'y conforme, un tel ne s'y conforme pas.

Puis attention à ces choses-là, parce qu'on a parlé de la Hollande beaucoup, mais on a eu deux études de faites, une en Hollande puis une en Australie, où on a des règles identiques aux nôtres. Sur une grande population de médecins, dans la même époque, on avait établi qu'en Hollande il y avait environ 0,7 % des patients chez qui on avait pratiqué l'euthanasie sans consentement. En Australie, à la même époque, sur une population d'environ 3 000 médecins qui avaient répondu, donc un sondage fiable, on avait 3,5 % de médecins qui disaient: Moi, j'ai pratiqué l'euthanasie sans le consentement de mes patients. On a des sondages bien protégés puis bien crédibles. Alors, est-ce qu'on peut dire que la prohibition actuelle protège les personnes de ça? Non. On ne le sait pas. Il n'y a pas moyen de le savoir, et, en Hollande ou en Belgique, on a été capables peut-être de savoir qu'il y a des dérapages, parce qu'on a des règles.

Puis, nous, on pense qu'ici il faut qu'il y ait des règles, puis les médecins, quand ils sont venus, ils ont lancé le débat là-dessus. Ils ont dit: Écoutez, nous, on a des collègues qui voudraient aider, mais qui ne le peuvent pas à cause de l'existence de ces règles-là puis d'autres qui choisissent d'aider, mais sous le couvert, parce que c'est clandestin puis parce que c'est criminel. Ça fait qu'on le fait un peu à la va comme je te pousse.

Je vais donner un exemple plus précis: la sédation terminale. Vous en avez entendu parler ici, de ça. La sédation terminale, là, le Barreau, on en parle dans notre mémoire ici. Pour nous, la sédation terminale, ça s'inscrit clairement, clairement, clairement, dans l'essentiel des cas, dans une pratique euthanasique. On a beau l'appeler soins palliatifs, là, on est rendus une coche plus loin. Lorsqu'on endort quelqu'un puis on retire l'hydratation, l'alimentation... Retirer l'hydratation, l'alimentation, ça n'a aucun effet pour soulager la douleur, ça. Ça, ça vise à faire mourir le patient. Point. Il n'y a pas d'autre effet que ça.

Alors là, on a débattu au niveau de notre groupe de travail aussi. On était tous unanimes à conclure que c'était ça. Alors, attention à ces pratiques-là aussi. Alors, ces pratiques-là, il faut qu'on les regarde puis il faut qu'on se demande: Est-ce que les règles actuelles, elles protègent les personnes ou elles ne les protègent pas? Nous, le Barreau, on dit: Ces règles-là, elles sont trop rigides, trop loin, pas assez adaptées pour protéger adéquatement les personnes. Il ne faut pas qu'on fasse semblant que, vu que c'est dans le Code criminel puis c'est là, c'est parfait; ça n'atteint pas sa fonction. Alors, il faut qu'on réfléchisse là-dessus. Y a-t-il des meilleurs méthodes que celles qu'on propose? Sûrement. Mais, nous, on dit: Bien, écoutez, il faut regarder ça.

M. Sklavounos: Si, lorsque vous parlez de règles, vous référez aux... si on veut employer l'expression anglaise «checks and balances» qui seront en place, je vous suis. Si vous parlez juste de règles, je vous suis moins, parce que j'ai commencé en vous disant que la règle maintenant ne peut être plus claire. Si on administre... Ma compréhension: si on administre une dose létale, si on fait quelque chose de ce genre-là pour provoquer la mort, on le fait, c'est un meurtre, La règle ne pourrait pas être plus claire. En ajoutant une liste d'autres règles ou d'autres critères qu'on a regardés qui, veux veux pas, ont un caractère des fois qui est objectif, bien, il y a de la subjectivité là-dedans... C'est là-dessus que j'ai fait le commentaire.

S'il y a un système de «checks and balances» dans le sens que ce n'est pas une personne seule en quelque part, toute seule dans une pièce fermée, dans une salle fermée qui décide, bien là, dans ce cas-là, je vous suis que les règles supplémentaires auraient un effet en quelque sorte de contrebalancer ce qui se fait peut-être dans la clandestinité. C'est pour ça que j'ai fait ce commentaire.

J'ai une dernière question puis peut-être, s'il reste du temps, je pense que mes collègues ont également des questions -- on ne veut pas que juste les membres du Barreau monopolisent le temps avec le Barreau -- mais, lorsqu'on nous parle de directives, le Procureur général, l'administration du droit criminel est de juridiction provinciale, c'est le Procureur général qui décide. Je me pose quelques questions.

Dans notre conception des choses, premièrement, nous nous plaisons à le dire souvent, nous sommes une société distincte au Québec, nos critères à nous pourraient peut-être être différents des critères de la Colombie-Britannique ou de l'Ontario. Est-ce que vous voyez là-dedans un inconvénient en ayant des procureurs généraux dans 10 provinces qui ont des critères légèrement adaptés à leur culture, histoire, etc., pour appliquer le même droit criminel? Et comment, vous, répondrez-vous, à un moment donné, si tel est le cas et les procureurs généraux commencent à adopter différentes directives qui, des fois, dans des situations, ne donnent pas nécessairement le même résultat? Ou, même si elles donnent le même résultat, craignez-vous une réaction qui est peut-être prévisible du gouvernement fédéral qui dit: Écoutez, vous êtes en train de réécrire le Code criminel indirectement lorsque vous êtes en train d'appliquer des conditions qui font en sorte d'en quelque sorte exclure une infraction criminelle du Code criminel? Comment répondrez-vous? Alors, aux deux questions concernant les 10 provinces, les différences sur les directives, et cette réponse-là.

M. Ménard (Jean-Pierre): D'abord, écoutez, ce ne sera pas la première fois qu'il y a des divergences ou des différences d'application. Regardez, par exemple, par rapport à l'avortement, il y a des provinces où on appliquait très rigoureusement le Code criminel puis d'autres provinces où on était très tolérants. On avait vraiment des pratiques, des pratiques très variables d'une province à l'autre, et jamais le fédéral n'est intervenu pour dire: J'exige... Voici la ligne unique au Canada.

Par ailleurs, ce débat-là aussi qu'on fait au Québec peut très bien se faire dans d'autres provinces aussi. Puis, moi, je suis loin de penser que d'autres provinces ne suivraient pas exactement la même manière de penser. Écoutez, quand on parle du droit criminel qui n'est pas appliqué... Il n'est pas appliqué au Canada, ce n'est pas juste au Québec, là, au Canada. Alors, on a les mêmes difficultés d'application partout, puis ce qu'il faut voir, c'est que ça traduit une difficulté d'application, peut-être pas un manque... pas une inertie des pouvoirs publics, c'est une difficulté de se dire: On est-u capables d'apporter un niveau de preuve? Dans le contexte précis de ces pratiques médicales là, on est-u capables encore d'avoir des condamnations? Puis est-ce que ce droit-là, qui date déjà de 118 ans, c'est la bonne règle appliquée à la bonne situation? Est-ce que, quelque part, c'est trop gros, ou trop large, ou trop rigide? Est-ce qu'on devrait...

Alors, nous, on pense qu'il faut réglementer parce que, n'oublions pas, on ne propose pas de décriminaliser l'euthanasie... c'est-à-dire, le meurtre ou le suicide, on propose d'en assouplir l'application dans un contexte très précis, très étroit, très balisé. Parce que vous parlez de «checks and balances», on est très exactement là-dedans. Je vous suis parfaitement. Nous, on serait tout à fait contre l'idée de laisser la discrétion à un médecin, dans la chambre de son patient, de dire: Bon, bien, tiens, on s'en va demain matin, là. C'est pour ça qu'on parle de: trois médecins toujours, le traitant plus le psychiatre et médecin de même discipline; documenter l'avis au coroner -- on n'est pas dans des zones discrétionnaires, mais pas du tout; puis, au départ, consentement absolu du patient aussi. Alors, c'est vraiment important.

Alors donc, je pense qu'il ne faut pas craindre des variations régionales au niveau de la manière de concevoir l'application du droit criminel. On parle de la prostitution, on a eu un jugement hier aussi. On peut avoir des variantes. Probablement qu'au Québec on était beaucoup plus tolérants par rapport à ça qu'on peut l'être en Ontario, ou en Alberta, ou dans les Maritimes. Ça varie.

Bien, écoutez, alors donc, à cet égard-là, je pense que le gouvernement fédéral aussi, par ailleurs, s'il ne veut pas relancer le débat, parce que je pense que la société canadienne est peut-être plus avancée que le gouvernement fédéral là-dessus -- ceci dit avec respect, il ne faudrait pas me citer là-dessus -- mais...

Des voix: ...

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est ça. Alors, écoutez, c'est clair qu'il y a un débat canadien à faire là-dessus aussi. Bon. Puis peut-être, si effectivement les provinces ont plus de difficultés à appliquer certaines règles du Code criminel, serait-il temps par ailleurs de débattre de la qualité même, ou de l'opportunité même de ces règles-là, ou de leur pertinence dans telle ou telle situation. Mais là on est dans le débat plus large, en plus.

Le Président (M. Kelley): Un complément de réponse, Me Doyon.

**(12 heures)**

M. Doyon (J. Michel): Dans un contexte médical, je pense que ça a été bien dit, c'est très balisé, et il y a un suivi a posteriori. C'est pour ça qu'on parle du coroner. C'est-à-dire qu'il devra y avoir un processus, et, si le médecin traitant n'a pas suivi les règles précises en ce qui concerne la fin de vie et le droit de la personne, donc, à demander de ne plus souffrir, compte tenu de sa situation et qu'elle ne l'a pas respecté et qu'elle a fait de l'euthanasie, les règles du Code criminel vont s'appliquer.

On ne demande pas ça, on dit qu'il y aura un suivi puis le coroner pourra, à ce moment-là, faire et recommander tout simplement que des plaintes soient portées au criminel contre le médecin qui n'aura pas suivi, donc, les critères en vertu des règles de la loi sur les services de santé, etc. Donc, il faut comprendre que c'est très balisé dans le cas des services de santé.

M. Ménard (Jean-Pierre): ...facile de poursuivre le médecin éventuellement, par exemple, qui aurait fait ça sans consentement. Parce que là le consentement, il est là, la manière de le faire est là. Prouver que ça n'a pas été fait, c'est peut-être un petit peu plus facile à ce moment-là si on a simplement à établir que la procédure n'a pas été suivie. Ça risque en tout cas de faciliter les poursuites aussi contre ceux qui ne respecteraient pas ces règles-là.

Le Président (M. Kelley): Merci. Merci beaucoup. Il reste du temps pour une courte question, M. le député d'Orford. Voulez-vous poser votre courte question?

M. Reid: Bien, c'était très bref. À la page 53, vous donnez la liste des droits qui définissent, selon vous, là, le droit de mourir dans la dignité. Et vous avez mentionné ça aux dernières minutes que vous aviez, à la dernière minute que vous aviez, et malheureusement vous n'avez pas pu aller très loin. Mais, rapidement, je regarde le dernier droit où on mentionne le droit de choisir le moment de la fin de sa vie avec assistance médicale, et vous dites un peu plus tard dans le paragraphe juste en dessous que, selon vous, ce droit-là existe déjà.

Est-ce qu'il faut mettre ça en rapport avec la page 57 où vous mentionnez que le développement du droit québécois a évolué beaucoup à partir de 1892, je pense, la jurisprudence, en tout cas, où on a reconnu... Et vous mentionnez, en haut de la page 57, le droit de la personne apte de refuser des soins et de même prendre des décisions de traitement qui peuvent être déraisonnables au point d'en entraîner la mort, sans que l'on puisse l'en empêcher.

Est-ce que, quand vous dites: Les droits existent déjà, dont celui de choisir le moment de sa mort, c'est à mettre en lumière avec ces décisions-là et l'évolution depuis 1892? Est-ce que c'est ça que ça veut dire?

M. Ménard (Jean-Pierre): Oui. Essentiellement, c'est que, allé jusqu'en 1892, on disait qu'une personne qui prend une décision qui est déraisonnable, donc qui peut lui causer la mort, on pouvait passer outre. Les tribunaux passaient outre. Je vous ai cité l'affaire de... la cause de 1984 du Procureur général du Canada contre Niemiec, là, où on avait permis une opération sur quelqu'un qui refusait une opération, quelqu'un qui n'était pas inapte, là, pour éviter qu'il meure, tout simplement.

1991, on a les affaires Nancy B. et... fin 1991, début 1992, Nancy B. et Manoir de la Pointe Bleue contre Corbeil, deux décisions importantes qui viennent de changer carrément l'État du droit où, là, on reconnaît le droit à une personne de refuser des soins, même s'il est probable ou même quasi certain que son refus va causer sa mort, et ce, même si les raisons pour lesquelles elle veut les refuser ne sont pas raisonnables, son équipe d'attente n'est pas d'accord, pourvu qu'elle soit par ailleurs apte. Alors, ça, c'est un virage important. Alors, dès ce moment-là, la personne, dans l'affaire Nancy B., acquière le droit de refuser un traitement dont le refus peut entraîner sa mort.

Dans Corbeil, ce qui est intéressant, c'est que la personne peut émettre à l'avance des directives. Dans Corbeil, c'était un monsieur qui était quadriplégique, qui faisait une grève de la faim, puis qui rédige un mandat en cas d'inaptitude, qui dit à sa mandataire: Si jamais je... Quand je serai rendu inconscient, je vous défends de... je défends ma mandataire qu'on m'alimente. Et la Cour dit: Ça, c'est valide, ça devra être respecté. Donc, le droit de la personne d'émettre à l'avance des directives pour refuser des soins qui pourraient lui sauver la vie. Puis on l'a déjà reconnu aussi, le droit de recevoir des soins palliatifs, même si un des effets de ces soins-là peut être d'accélérer la mort aussi.

Donc, c'est clair que la personne a déjà une bonne prise sur des situations juridiques qui peuvent causer sa mort. Puis, dans tous ces cas-là, on a fait reculer les règles du Code criminel. Dans Nancy B., on a nuancé le... article 217 du Code criminel qui oblige le médecin à continuer des soins. Dans le cas de Corbeil, on a fait reculer la notion d'aide au suicide. Il y a plusieurs espaces, en tout cas, où on a fait diminuer la portée des règles impressionnantes du Code criminel pour dire que, quand la personne décide, bien, les règles du Code criminel vont reculer ou vont être plus nuancées.

Alors, ce droit-là, il est déjà là. Ce qu'on propose, c'est peut-être une évolution tout simplement qui reconnaît... qui s'inspire par ailleurs de d'autres concepts juridiques, qui est parfaitement compatible avec la logique... toute une logique, depuis une trentaine d'années, au niveau de la personne, de réapproprier le pouvoir de décider ce qui est important pour sa vie et sur son corps. On est dans cette logique-là. On pense qu'on est rendus là, tout simplement.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup.

M. Reid: Juste un...

Le Président (M. Kelley): Non, malheureusement...

M. Reid: C'est juste pour dire: Je comprends que c'est une évolution et pas une révolution que vous proposez là?

M. Ménard (Jean-Pierre): Une évolution...

M. Reid: Une évolution, pas une révolution que vous proposez là.

M. Ménard (Jean-Pierre): Non, pas du tout. Écoutez, on est juste... On est la coche d'après, tout simplement. Et, dans une société, je pense, qui est... Le Barreau pense que la société est prête à ça.

Le Président (M. Kelley): Oui. Merci beaucoup. Alors, on va maintenant céder la parole, je soupçonne, à un autre membre du Barreau. Et quelques questions, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonjour à vous tous, représentants du Barreau. Je vous remercie d'être ici et je dois dire que je vous remercie de cette contribution que je qualifierais d'impressionnante. Que l'on soit d'accord ou non avec les conclusions, je pense que l'énergie, le souci du détail, la réflexion, l'exhaustivité des références et du tour d'horizon que vous faites sont excessivement précieux pour nos travaux, mais, je dirais, pour toute personne dans la société québécoise qui s'intéresse à la question. Et j'invite sincèrement toute personne qui s'y intéresse à le lire parce que ça fait vraiment un tour exhaustif et très, très bien écrit de la question. Alors, merci beaucoup. Et, compte tenu des courts délais en plus, là, je pense que c'est assez remarquable.

J'aurais des dizaines de questions. Alors, je vais y aller aussi succinctement que possible. Il y a quelque chose qui, d'entrée de jeu, m'a un peu surprise, même si c'est, en fait, venu mettre le doigt sur ce que j'énonce souvent, mais à quoi les médecins et les éthiciens me répliquent beaucoup, c'est toute la nuance au niveau de l'intention.

Alors, à la page 10, d'entrée de jeu, vous dites que la ligne est parfois difficile à tracer. «...comment qualifier l'acte du médecin qui retire le respirateur à la demande de son patient, tout en sachant [...] que la mort surviendra rapidement? Comment qualifier l'acte d'un médecin qui place son patient en sédation terminale, en lui retirant», vous y faisiez référence, l'hydratation et l'alimentation... d'une aide plus active, comme on l'entend souvent, à mourir. Et je dois vous dire que les médecins, beaucoup de médecins de soins palliatifs qui sont venus ici, beaucoup d'éthiciens, se réfèrent, dans la nuance ou dans le confort de leur pratique, à dire qu'il y a clairement une différence en matière d'intention. Et, en fait, ils se réfèrent au concept légal de l'intention pour dire: Ça, je peux le faire, et ça, je ne peux pas le faire. Or, ce sont des médecins et des éthiciens. Aujourd'hui, on a les avocats qui nous disent: La distinction de l'intention ne tient pas. Alors, j'aimerais que vous disiez... que vous me dites ce que vous répondez à ça. L'intention, est-ce que la nuance ne tient plus?

M. Ménard (Jean-Pierre): On ne dit pas que l'intention ne tient pas, l'intention est fort importante, mais on vous dit que, dans certains cas, elle pose des difficultés d'une nature telle qu'on ne peut pas sécuriser le médecin en disant: Tant que vous allez dire que c'est pour soulager la douleur, vous êtes corrects, tandis qu'évidemment l'intention est là, mais les gestes sont là.

Là, je vais prendre l'exemple de la sédation terminale. La sédation terminale, on peut dire: Oui, c'est pour soulager la douleur extrême, on place le patient sous sédation. Ça, ça va bien jusque-là. Mais là, quand on retire l'hydratation puis l'alimentation, quelle est l'intention derrière ça? Qu'est-ce qu'on recherche? Est-ce qu'on va soulager la douleur en faisant ça? Bon, c'est sûr que, quand le patient n'est plus capable d'avaler puis de se nourrir, ça peut être davantage défendable, mais quand le patient est encore parfaitement capable... Prenons le patient en état végétatif persistant -- on a développé un peu cette composante-là dans notre mémoire également -- où, ce patient-là, on peut le garder en vie pendant des mois et des années, mais on sait que, dès qu'on lui retire l'hydratation et l'alimentation, il va mourir en dedans d'une semaine ou deux semaines. Puis là c'est clair qu'à ce moment-là le but de cette composante-là, malgré les dires du médecin, je pense qu'il ne serait pas difficile pour un procureur de la couronne le moindrement compétent de faire dire au médecin que le médecin est bien conscient qu'en faisant ce geste-là il va causer la mort de son patient. Puis on pense que la glace est mince à ce moment-là pour se défendre.

Nous, ce qu'on a voulu dire au niveau du Barreau, c'est essentiellement... On dit: Regardez, là, il y a plein de situations où, au-delà des certitudes conceptuelles qu'on peut avoir, attention, sur le plan pratique, il y a des difficultés, d'où l'intérêt de regarder ces pratiques-là en face puis de voir: Qu'est-ce qu'on fait avec ça? Est-ce qu'on continue à faire semblant puis à essayer d'étirer l'élastique, parce que la sédation terminale, pour moi, c'est aussi... maintenant qu'on parle un peu de pente glissante, bien, c'est peut-être une pente glissante de soins palliatifs aussi. On va loin avec ça, là. On est rendus dans un autre registre. Et il n'y a pas consensus du tout dans le milieu médical pour dire que la sédation terminale, ce n'est pas de l'euthanasie. Il y a une partie du corps médical qui pense que ça en est, puis une bonne partie aussi. Puis, les juristes, on pense que, dans un bon nombre de cas, ça peut être ça aussi.

Alors, on dit donc: Clarifions le débat. Arrêtons de faire semblant par rapport à ces choses-là. Mettons des règles claires. Partons de la volonté de la personne, c'est la base de tout, tout, tout, O.K.? Parlons du consentement de la personne. Puis la personne pourra consentir dans un scénario de choix de fin de vie de partir par sédation terminale aussi, dire... a convenu avec son médecin qu'on arrête, on arrête ça là. La personne, par exemple, qui est en maladie terminale, elle ne veut pas aller jusqu'au dernier degré de dégradation, va dire à son docteur: Bien, docteur, j'ai un cancer du cerveau; dès que je deviens inconsciente, plutôt que de rester deux semaines ou trois semaines à agoniser, mettez-moi en sédation terminale, puis on s'en va. Bon. Puis c'est des choses qui peuvent se faire aussi.

Alors, on pense, nous, qu'en clarifiant les règles on va éviter ce genre de débat là, parce que ce débat-là, malgré ce que les éthiciens ou les médecins peuvent vous dire, il est encore faisable sur le plan juridique. Puis il est concevable qu'un médecin qui fait de la sédation terminale, qui vient jurer devant le tribunal: Moi, je n'avais pas l'intention du tout... Bien, docteur, pourquoi vous avez retiré l'hydratation puis l'alimentation? Puis la maladie de votre patient n'était pas à ce degré-là, O.K.? La maladie de votre patient ne devait pas le faire mourir la semaine d'après là. Là, le médecin va avoir, quant à moi... Je ne suis pas un criminaliste, peut-être que mon collègue pourra bien répondre à ça aussi, mais, moi, je suis loin de penser que le médecin aurait les mains blanches ou s'en tirerait facilement.

Alors, attention à ces choses-là. Mais c'est pour ça que, voyez-vous, il y a plein de zones grises dans les pratiques actuelles. Puis il faut qu'on arrête de dire: C'est parfait. Il faut les regarder en face puis dire: Voici comment est-ce qu'on peut sécuriser les patients, les médecins, les gestionnaires et la société par rapport à ça. Puis je pense que, si les gens savent qu'ils ont des règles claires, précises, avec des lignes pour dire: Ça, c'est correct, ça, ça ne l'est pas, je pense qu'on est capables de faire avancer le débat là-dessus.

**(12 h 10)**

Mme Hivon: D'ailleurs, je comprends que vous dites, juste pour terminer sur la sédation terminale parce que c'est... On en parle beaucoup parce que c'est un argument qui nous est présenté souvent comme quoi, dans le cadre actuel des choses, on est capables essentiellement, dans presque tous les cas, de soulager parce qu'il existe la sédation terminale. Et on fait cette distinction-là en matière d'intention.

Vous, je comprends que vous dites que, dans la pratique actuelle, il y a même possiblement certaines possibilités de dérapage -- je ne dirais pas qu'il y en a -- parce que, du fait qu'il n'y a pas d'encadrement de la sédation terminale, une personne inapte peut se voir octroyer une sédation terminale sans nécessairement l'avoir écrit dans ses déclarations anticipées ou l'avoir demandée parce que c'est un soin qui n'est pas encadré. Je comprends correctement? Je vois que vous recommandez d'ailleurs au Collège des médecins d'élaborer spécifiquement un code de pratique pour la sédation terminale. C'est ça?

M. Ménard (Jean-Pierre): Puis le collège d'ailleurs était mal à l'aise avec cette pratique-là; au comité, ils nous l'ont exprimé aussi. C'est ça. Alors donc, par rapport à ces pratiques-là, on pense qu'effectivement il faut qu'on regarde un peu qu'est-ce qu'on fait puis l'importance d'avoir des règles pour être capables de guider le comportement des médecins dans ces matières-là aussi.

M. Doyon (J. Michel): Si je peux ajouter là, d'éviter une forme d'hypocrisie, là, et de dire bien ouvertement qu'est-ce qu'il en est là, lorsqu'on arrive en fin de vie, et non pas tout simplement d'utiliser des subterfuges, etc. Donc, ça nous apparaissait très important de pouvoir discuter de la question franchement en prenant les mots puis en adaptant tout simplement la situation à des réalités, plutôt que d'arriver par le côté, ce qui nous semblait beaucoup plus dangereux pour des abus pour des personnes inaptes, où on ne pourrait pas contrôler, en utilisant tout simplement donc des arguments fallacieux. Donc, ça nous apparaissait beaucoup plus dangereux pour protéger les personnes inaptes parce qu'on sait qu'il y a beaucoup de personnes inaptes qui refusent, il y a des gens qui... On a vu tout simplement donc avec... des enfants qui souffrent de maladie. Donc, à ce moment-là, on dirait: On pourrait s'en servir pour euthanasier. Donc, on voulait éviter ce débat-là. Donc, on s'est dit: Prenons... Dans le cas de la personne apte, avec des règles très précises, il y aura un suivi de façon à éviter toute hypocrisie.

M. Ménard (Jean-Pierre): ...terminale aussi actuellement, personne ne peut savoir sur qui ça se pratique, dans quelles conditions ça se pratique, est-ce que ça se pratique de... Parce qu'il y a un débat en médecine pour savoir est-ce qu'il faut un consentement ou pas pour ces choses-là aussi. Est-ce que c'est le médecin qui décide? Alors, écoutez, c'est plein de... On est dans un genre de «no man's land» juridique qu'il faudrait peut-être, quant à nous... Le Barreau pense qu'il y aurait intérêt à rétrécir ce «no man's land» là.

Mme Hivon: Pour revenir sur la question aussi des poursuites, on a eu Pre Downie qui est venue comme expert de Dalhousie au printemps, quand on a fait notre premier bloc de consultations avec les experts, qui nous a dit... Elle, elle s'exprimait dans les termes suivants: elle disait qu'il y avait un décalage entre le droit dans les livres et le droit dans la pratique. Je comprends que c'est un peu la même idée qui est sous-jacente à ce que vous exprimez aujourd'hui. Moi, je veux juste savoir, et ça, j'ai trouvé ça très précieux parce que vous faites une revue exhaustive de toutes les poursuites qu'il y aurait eu à l'encontre de médecins: Au Québec... Je comprends qu'au Canada il y aurait eu deux poursuites mais sans verdict de culpabilité. Au Québec, il n'y aurait même pas eu de poursuite, aucune poursuite d'un médecin?

M. Ménard (Jean-Pierre): On a cherché autant comme autant dans toutes les sources qu'on pouvait, on espérait beaucoup en trouver au moins une, ou deux, ou trois pour nous guider, il n'y en a pas. Il n'y en a pas. Écoutez, il a fallu qu'on aille les chercher loin: on a trouvé l'affaire de Cox, en Angleterre, en 1997. Dernière condamnation. On en a trouvé une en France la même année pour l'affaire d'un patient qu'ils avaient extubé. Mais autrement que ça on est dans des affaires rarissimes, là, écoutez, c'est ça. Alors donc, autrement dit, les mêmes difficultés qu'on a ici sont... On n'est pas une société distincte pour ça, là, alors les mêmes difficultés qu'on a ici, on les a partout ailleurs aussi, ce qui amène à se questionner: Est-ce que ça donne qu'est-ce que ça donne?

Mme Hivon: O.K. J'en viendrais maintenant au critère que vous proposez, c'est-à-dire aux balises. Je suis à la page 121. Donc, la base première, c'est que vous dites: Maladie incurable. Puis là je veux comprendre vraiment: Est-ce que vous dites «maladie incurable» avec ce que vous définissez, ou «maladie terminale», ou vous dites «maladie incurable et maladie terminale»?

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est deux situations et non pas une seule cumulative.

Mme Hivon: C'est deux situations différentes. Parfait.

Maladie incurable. Vous allez quand même assez loin, diraient certains, parce qu'on a vu, par exemple, qu'en Belgique où enfin... il a certains critères qui parlent vraiment d'une mort imminente avec un décès qui peut être envisagé dans une période de six mois, et tout ça. Donc, je veux comprendre votre notion de maladie incurable. Vous dites: «...qui résulte d'une affection pathologique ou accidentelle grave ou incurable». Alors, est-ce qu'on est vraiment dans l'incurable ou est-ce que ça peut être grave? Comment vous l'interprétez? Avez-vous des exemples?

M. Ménard (Jean-Pierre): Bon. Quand on parle «d'incurable», là, c'est l'incapacité de la médecine à soulager, à offrir du soulagement. C'est vraiment ça qu'il faut regarder. Peut-être que le mot «grave» est peut-être moins essentiel ici, là. Ce qu'il faut comprendre, c'est que les gens qui ont un niveau de souffrance tel que la médecine d'abord n'est pas capable de le soulager puis qui altère la vie des patients... Moi, j'en ai eu, des clients comme ça de temps en temps qui malheureusement se sont presque tous suicidés au fil du temps, en cours de cause, là, des gens qui ont des atteintes neurologiques, là. Par exemple, j'en ai eu une, à un moment donné, qui avait une atteinte au niveau du nerf trijumeau, là, puis c'était tout le visage qui était douloureux. Elle se levait pour souffrir et elle se couchait dans la souffrance, et, sa vie comme ça... Elle avait une trentaine d'années, puis a vécu un an et demi comme ça, mais il n'y avait rien, rien, rien pour la soulager. La médecine avait essayé toutes sortes de choses, des chirurgies, des médicaments, n'importe quoi, puis il n'y a rien, rien, rien... Alors, ce n'était pas une maladie qui était terminale, mais c'était une vie qui n'avait aucun sens, aucune... Il n'y avait aucun moyen de... Alors, la personne a décidé de mettre fin à ses jours à un moment donné. Alors donc, la maladie incurable n'est pas associée à une composante terminale.

La maladie incurable, c'est davantage le critère européen; la maladie terminale est davantage le critère américain.

Mme Hivon: Répétez-moi ça?

M. Ménard (Jean-Pierre): La maladie incurable vient davantage... est inspirée davantage des législations européennes.

Mme Hivon: Européennes, O.K.

M. Ménard (Jean-Pierre): La maladie terminale est inspirée davantage des législations américaines.

Mme Hivon: En fait, c'est ça, parce que «maladie terminale», vous n'avez plus la notion de souffrance constante et insupportable, donc, en fait, elle est moins...

M. Ménard (Jean-Pierre): Là, dans le cas de la maladie terminale, la notion de souffrance constante n'est pas nécessaire.

Mme Hivon: C'est ça.

M. Ménard (Jean-Pierre): Imaginons le scénario suivant: une personne, par exemple, est atteinte -- le cas le plus commun -- de cancer, bon. O.K.? Bon. Alors, prenez, par exemple, quelqu'un avec un cancer du cerveau puis qui sait, par exemple, qu'à un moment donné, à un certain stade, il va devenir inconscient, il ne sera plus capable de manger, il ne sera plus capable de ne rien faire, il va avoir de la difficulté à respirer, et tout ça. La personne peut très bien dire, convenir avec son médecin: Bon, docteur, dès que je suis rendu au stade de l'inconscience, et non pas à la fin de l'inconscience mais au premier stade, j'aimerais que vous me... placez-moi en sédation terminale, puis on arrête ça. Et ça, ici, le critère décisionnel, c'est le caractère terminal pas le caractère de souffrance intolérable; c'est le caractère terminal. Je pense que les gens ont droit de ne pas vivre une maladie débilitante ou dégradante jusqu'à bout de la débilitation et de la dégradation. C'est ça, le sens de ça, ici.

Mme Hivon: O.K. Donc, c'est ça, quelqu'un qui est en phase terminale, on lui dit qu'il lui reste trois, quatre, cinq, six semaines à vivre mais, pour cette personne-là, ça n'a plus de sens, il pourrait se prévaloir de ça...

M. Ménard (Jean-Pierre): Tout à fait.

Mme Hivon: ...même si on estime que toutes ses souffrances et ses douleurs sont bien contrôlées.

**(12 h 20)**

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est ça. Puis ça, c'est important de bien comprendre ça parce qu'on a eu beaucoup d'intervenants ici qui -- on a suivi un peu le débat là-dessus -- ont opposé soins palliatifs à ouverture à ces choses-là. Pour le Barreau, ce n'est pas du tout une antinomie, c'est complémentaire. Il y a des gens qui peuvent ne pas vouloir de soins palliatifs, il y a des gens qui peuvent ne plus en vouloir ou à qui des soins palliatifs n'apportent pas ce qu'ils doivent faire, bien, il faut reconnaître à ces gens-là le droit de décider. Je pense que ce n'est pas... Avec respect, ce n'est pas au prestateur de soins palliatifs à décider que, vous, vous allez aller jusqu'au bout de vos souffrances. Il faut respecter l'engagement de ces personnes-là, le dévouement qu'ils ont, l'implication qu'ils ont, mais «soins palliatifs» ça ne s'oppose pas à «droit de choisir le moment de sa mort». Ça fait partie tout simplement du processus. Et on pense...

Écoutez, le Barreau, ici, au niveau des soins palliatifs, propose des choses très fortes, là, on propose de reconnaître, dans la loi, le droit à des soins palliatifs parce qu'actuellement le droit aux soins qui est prévu à l'article 5 de la Loi des services de santé et des services sociaux devrait inclure ça, mais, de fait, il n'y en a pas, de soins palliatifs intégrés suffisants. On pense que ça serait bon de le mettre dans la loi comme droit du citoyen, obligation de l'établissement parce que, dans la mesure où ça devient exigible par le citoyen, tôt ou tard, on va devoir affecter les ressources puis organiser aussi le réseau de la santé pour être capable de faire ces choses-là.

Alors, le Barreau pense qu'il est extrêmement important de développer aussi l'accessibilité aux soins palliatifs, puis, nous, on donne des processus juridiques qui permettent de le faire aussi parce qu'on pense effectivement, comme beaucoup de monde, que des bons soins palliatifs vont réduire de façon considérable cette demande-là, mais qu'elle va toujours rester. Il y aura toujours des gens qui n'en voudront pas ou qui n'en voudront plus ou à qui les soins palliatifs n'offriront pas ces choses-là. Puis, nous, le Barreau, on se situe du côté du droit des citoyens de décider. C'est au citoyen à décider, non pas au système de santé à décider dans quelles conditions on va mourir. Je pense que, le plus possible, le plus de pouvoir, le plus d'«empowerment» qu'on peut faire à l'égard des citoyens, le mieux ce sera. Alors, la position du Barreau, c'était plus une position davantage citoyenne dans ce contexte-là.

M. Doyon (J. Michel): Le respect, je dirais, le respect de l'autonomie de la personne. Ça nous apparaît essentiel, dans notre société contemporaine, de respecter l'autonomie en vertu des chartes. Ça, ça nous apparaissait donc... et c'est à la base. Donc, il y a un choix, je peux choisir avoir des soins palliatifs ou je peux choisir de dire: À un point tel, je désirerais mourir. Et, à ce moment-là, on doit respecter si les balises sont respectées.

Mme Hivon: C'est ça. D'ailleurs, je manque cruellement de temps pour l'aborder mais, si on avait eu plus de temps, tout ce qui est prévu à la page 53 comme en types de droits... Puis j'ai bien suivi votre raisonnement pour les soins palliatifs, à savoir que toute personne a droit à des soins, mais là, à savoir ce que l'établissement, lui, a l'obligation de fournir, il y a une différence, et c'est pour ça que vous intégrez, noir sur blanc, une obligation à des soins palliatifs, hein, si je vous suis, là.

M. Ménard (Jean-Pierre): Oui, oui, mais on ne s'opposerait pas à être réinvités.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Hivon: On va évaluer ça. Donc, maladie incurable, c'est plus une maladie dégénérative; maladie terminale, si on pense aux cas d'espèce, c'est plus fin de vie, cancer, tout ça? O.K.

Vous parlez d'un critère -- je suis vraiment dans le détail mais vous allez beaucoup dans le détail -- du 15 jours, donc demandes répétées sur une période de 15 jours. Évidemment, certains vont dire: Si on fait une telle ouverture, c'est évident qu'une personne atteinte de cancer, une journée peut lui paraître interminable. Si on lui dit qu'il lui en reste pour une semaine ou pour deux semaines, cette personne-là arrive à un stade où il peut y avoir de la souffrance existentielle difficilement contrôlable, ou tout ça. C'est des arguments qui nous ont été faits. Par exemple, quelqu'un qui nous racontait le cas de son mari: les cinq derniers jours de sa vie qui ont été très, très difficiles. Cette obligation-là de 15 jours, comment vous la concilier avec la place que vous faites à l'autonomie et l'autodétermination?

M. Ménard (Jean-Pierre): On a regardé plusieurs scénarios puis c'est des équilibres qu'il faut rechercher parce qu'on l'a vue dans d'autres... Par exemple, dans certaines législations, c'était 30 jours, d'autres, c'était 48 heures. Bon, on a proposé cette norme-là. On voulait éviter un peu ce que la Cour suprême avait soulevé dans Rodriguez: l'impulsivité. La personne qui dit: Après-midi, moi, je veux en finir, tiens, appelez mon docteur puis une petite shot puis on en finit. On voulait éviter ce genre de scénario là parce que, écoutez, c'est quand même une décision qui est lourde de conséquences pour la personne, qui a besoin d'être réfléchie, qui a besoin d'être encadrée, qui a besoin absolument... puis il faut qu'on donne un petit peu de temps aussi, puis il faut qu'on se donne de l'aide aussi, là. Peut-être que, quand la personne va faire sa demande, ce sera le lieu, l'occasion pour l'équipe traitante de dire: Aïe! Comment ça se fait qu'il fait cette demande-là? Peut-être qu'on peut faire un petit peu plus, un petit peu mieux qui fait qu'au bout de 15 jours elle ne répétera pas sa demande ou même, quand va arriver le temps de la faire, aura changé d'idée. Parce qu'il y a des gens qui ont accès au processus puis qui changent d'idée quand vient le temps de le faire mais juste savoir qu'ils peuvent le faire, c'est une sentiment d'autonomie puis de dignité aussi, hein?

Alors, ça fait que, donc, le 15 jours, écoutez, c'est un délai. On se dit: Bien, il faut qu'il y ait un minimum de temps. Est-ce que sept jours, ce serait mieux? Est-ce que 21 jours, ce serait mieux? Est-ce qu'on devrait avoir des cas où ça serait 48 heures? Je ne le sais pas. On n'a pas voulu aller trop dans cette plomberie-là, mais c'est le principe d'une décision répétée pour éviter la décision impulsive puis favoriser aussi l'analyse de la décision, l'analyse du cas, là, avec les consultations, et tout ça.

Le Président (M. Kelley): ...une courte question.

Mme Hivon: Courte question, oui. C'est ça, on aurait pu aller beaucoup au niveau des principes aussi, mais on y va avec beaucoup d'autre monde, ça fait que c'est pour ça que je me permets des questions plus pointues.

Le rôle du coroner. Dans votre modèle, il n'y a pas d'évaluation ou d'autorisation en amont ou a priori. Vous l'expliquez, c'est une déclaration a posteriori et le rôle du coroner. J'aimerais ça que vous m'expliquiez davantage pourquoi vous avez exclu une autorisation en amont.

M. Ménard (Jean-Pierre): Bon, on parlait un peu des délais tantôt. Bon, les délais en sont un parce que, si, par exemple... Parce que, voyez-vous, dans Sue Rodriguez, on avait proposé une judiciarisation préalable. Donc, autorisation préalable de la cour à chaque fois. Bon, on pense d'abord qu'en fin de vie c'est lourd pour la personne, surtout quand elle est en souffrance intolérable d'abord, de venir en cour en plus, ou quoi que ce soit là-dessus, ou que la cour se déplace à l'hôpital ou à un lieu... Même chose pour les gens en maladie terminale. Il y a des frais, il y a des délais, il y a question de... Il faut évidemment faire entendre une preuve, donc ça veut dire qu'il faudrait que le médecin vienne témoigner, le psychiatre vienne témoigner. On commence à déplacer beaucoup, beaucoup de ressources. On pense que, par ailleurs, si le processus est bien compris puis bien fait dans des règles... Puis il n'y a rien qui empêche un hôpital d'adopter un règlement là-dessus aussi pour bien baliser de quelle manière ça va se faire aussi. On pense qu'il faut faire confiance jusqu'à un certain point au système de contrôle qui existe à l'intérieur du système de santé parce que, vu que ce n'est pas à la seule discrétion du médecin dans la chambre du patient, et tout ça, mais que ça implique trois médecins, ça implique de la documentation, ça donne donc ouverture à... Puis on parle aussi des règles déontologiques du code émises par le Collège des médecins, de réglementation dans la Loi des services de santé et services sociaux. On pense que ça, ces processus-là formels, constituent en soi une protection et qu'il ne faut pas trop alourdir non plus parce que, d'abord, si... Écoutez, on pense qu'en fin de vie c'est peut-être... C'est un choix qu'on a fait. On aurait peut-être pu le proposer, mais ça nous apparaissait lourd. Ça nous apparaissait peu praticable, puis, quand ça se fait... quand on s'assure bien du consentement du patient avec des médecins qui ont une bonne pratique éthique, on a un dossier médical bien tenu, bon, est-ce que le rôle du juge, ce sera juste d'avaliser ces choses-là? Puis jusqu'à quel point on déploie des ressources judiciaires puis médicales pour prendre cette décision-là? Ça en prend déjà un certain nombre juste pour faire le processus interne. Alors, c'est ça.

Puis aussi, quand on parle du consentement, on parle de le faire devant deux témoins aussi, ce qui donne aussi une certaine importance aussi à l'intégrité du processus. Il y a plein d'éléments là pour s'assurer que ce processus-là est bien fait. Puis n'importe qui qui est au courant... Dans la mesure où les gens sont au courant que le coroner est le chien de garde de ça, n'importe qui qui est au courant que de quoi a été mal fait, on peut appeler au bureau du coroner. Une famille, une infirmière, un médecin qui n'est pas d'accord appelle au bureau du coroner. Ils vont dire: Écoutez, il y a un décès là qui est arrivé, ça mériterait que vous le regardiez.

Le Président (M. Kelley): Court complément de réponse, Me Doyon.

M. Doyon (J. Michel): Si on veut... On fait affaire aussi à des professionnels. Il faut comprendre que les professionnels de la santé sont des professionnels qui sont régis par un code de déontologie, sont régis par les règles du collège. Donc, à partir de ce moment-là, on dit: Le professionnel soignant va s'assurer tout simplement... Donc, il va respecter les règles déontologiques de sa propre profession, sinon il va y en aller de sa carrière. Donc, on dit: À partir de là, si les règles a posteriori ont été respectées, à ce moment-là, le coroner, s'ils n'ont pas été respectées, bien là, il y aura des sentences applicables à ce moment-là.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte question, M. le député de Beauce-Nord.

M. Grondin (Beauce-Nord): Oui. Merci, M. le Président. Mais, vous, les membres du Barreau, comment est-ce que vous voyez ça? Est-ce qu'on ne pourrait pas arriver à faire rajouter quelque chose sur un testament, sur notre testament, pour voir de quelle manière on désirerait que notre fin de vie se passe en cas d'accident ou n'importe quoi? Est-ce qu'on pourrait... Aujourd'hui, on nous parle beaucoup qu'on va avoir prochainement une carte d'assurance maladie avec une puce. Est-ce qu'on ne pourrait pas donner ces renseignements-là, dire: Moi, là, s'il m'arrive quelque chose, je ne désire pas d'acharnement. Est-ce qu'on pourrait l'indiquer en quelque part dans le système pour protéger les médecins?

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est que le mettre sur un testament, le problème, c'est que le testament, il prend effet après le décès. On va avoir un problème là. On va manquer le timing. Non, ce qui est prévu, c'est, écoutez, on en parle beaucoup là-dedans, dans notre mémoire aussi, de toutes les directives préalables, là: mandat en cas d'inaptitude, ce qu'on appelle improprement le testament biologique, niveau de soins, alors, etc. Il y a toute une série de processus qui existent, qui permettent à la personne d'exprimer à l'avance ses volontés. Ce qu'on pense qui est important, puis c'est clair que le Barreau là-dessus est partant aussi pour participer à ces choses-là: d'informer le public de l'intérêt de faire connaître leurs volontés à l'avance dans tous les véhicules possibles, ces procédures-là dont je viens de vous parler, puis évidemment le dire à l'équipe médicale, s'assurer que c'est dans le dossier, s'assurer que les gens le rajoutent aussi. Parce qu'évidemment la meilleure façon de s'assurer que ses volontés sont respectées, c'est de les exprimer, puis de les faire connaître, puis de les dire aussi. Alors, le Barreau, ici, a développé abondamment tout l'encadrement juridique des... tout ce qu'on appelle les directives préalables qui ont un effet juridique, puis qui ont un effet obligatoire aussi. Alors, on explique bien dans... quelles limites ça a, mais ça en a un. Alors, servons-nous-en, de ces choses-là aussi, parce que je pense que le problème que vous soulevez est important aussi, puis il faut trouver un mécanisme ou un véhicule pour s'assurer que c'est connu le plus possible.

Le Président (M. Kelley): Une dernière courte question, s'il vous plaît.

M. Grondin (Beauce-Nord): La question qui me vient en tête tout de suite, c'est: Si, moi, mettons, ça m'arrive demain matin, j'ai informé mes proches que je ne veux pas d'acharnement, mais... ou bien donc je désire de l'acharnement, mais j'ai gagné le million la veille, ma femme, elle, va dire; Aïe, là, il ne veut pas d'acharnement, lui.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Ménard (Jean-Pierre): Là, ça relève plus du droit de la famille que du droit de la santé. Alors, il faudrait que vous parliez à votre femme pour ça, là. C'est de ne pas acheter de billet de loterie en fin de vie.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Kelley): Peut-être le mot de la fin, Me Doyon.

M. Doyon (J. Michel): Si je pouvais ajouter juste quelque chose, c'est parce que la question que M. Reid posait tout à l'heure, à savoir si c'était une révolution, une évolution, je pense que, pour nous, c'est une évolution nécessaire, et que la population du Québec est apte, est prête à ça, et que je pense qu'on doit respecter le voeu et les choix des citoyens du Québec de se dire qu'on a une vie qui soit digne et qu'on puisse mourir dans la dignité. C'est ça.

Le Président (M. Kelley): Alors, sur ça, merci beaucoup. Merci beaucoup, Me Doyon, Me Ménard, l'ensemble de l'équipe. Comme on a constaté, je n'étais pas strict dans l'application de nos règlements quant au temps, et tout le reste, mais j'ai trouvé que votre mémoire méritait un bon échange avec les membres de la commission. Si on avait une autre heure, j'imagine on serait capables de la remplir avec une autre série de questions. Alors, Me Doyon, merci infiniment pour votre contribution. Un dernier mot très rapidement.

M. Doyon (J. Michel): On vous remercie infiniment, puis, si vous voulez encore avoir nos vues, n'hésitez pas.

Le Président (M. Kelley): On a un rapport final à rédiger un jour. Alors, on va prendre bonne note de cette offre de collaboration.

Alors, sur ça, je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander aux représentants de l'Association des retraitées et retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 12 h 30)

 

(Reprise à 12 h 34)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Le président est toujours très populaire quand il laisse une dernière, une après-dernière et une troisième dernière question aux membres de la commission, mais parfois ça impose un certain prix à payer. Alors, en principe, on termine nos travaux à 13 heures. Alors, je suis obligé de demander un consentement qu'on peut dépasser 13 heures. Si on peut mettre fin vers 13 h 20, je pense, ça va laisser au prochain témoin le temps de s'exprimer comme il faut. Vous avez un droit de parole d'une vingtaine de minutes. Et on va suivre ça avec une période d'échange avec les membres de la commission. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix: Consentement.

Le Président (M. Kelley): Il y a consentement. Alors, merci beaucoup. Alors, nos excuses. On avait une période de questions qui a débordé 11 heures, qui arrive assez souvent. Ensuite, on avait un vif échange avec les représentants du Barreau, et c'était difficile pour moi, alors, c'est ma faute de ne pas être le préfet de discipline et couper les réponses, mais c'était fort intéressant. Mais on veut respecter votre temps de parole, alors, nos prochains témoins, c'est l'Association des retraitées et retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec, représentée, entre autres, par sa présidente Mariette Gélinas. Mme Gélinas, la parole est à vous.

AREQ (CSQ), Association des
retraitées et retraités de l'éducation
et des autres services publics du Québec

Mme Gélinas (Mariette): Alors, je vais vous présenter d'abord Christiane Brinck, qui est conseillère et qui, avec moi, va présenter le mémoire et surtout répondre aux questions.

Alors, comme vous l'avez mentionné, l'AREQ, l'Association des retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec, représente plus de 54 000 membres dont la moyenne d'âge est de 67 ans. Plus des deux tiers de nos membres sont des femmes. L'AREQ est présente par ses 93 secteurs dans toutes les régions et municipalités du Québec. Nos membres proviennent de la CSQ, de ses syndicats affiliés.

Alors, mourir dans la dignité ou vivre la fin de vie dans la dignité. Au nom de la liberté et de l'autonomie, des personnes revendiquent le droit de disposer de leur vie envers et contre tout et le droit de choisir le moment et la façon de mourir. Il s'en trouve aussi pour revendiquer que l'on aide les personnes qui ne seraient pas en mesure de le faire toutes seules. Pour notre part, nous nous interrogeons sur cette notion de préséance des libertés individuelles. Que signifie réellement ce leitmotiv de mourir dans la dignité?

Nous sommes inquiets devant ce débat de la société sur le droit de mourir dans la dignité, alors que presque personne ne semble se préoccuper de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui n'arrivent même pas à vivre dans la dignité. La tentation serait même forte de soupçonner que celles et ceux qui revendiquent de mourir dans la dignité le fassent parce qu'elles et ils craignent de ne pouvoir vivre la fin de leur vie dans la dignité.

Quelle image ont d'elles-mêmes les personnes en fin de vie? Ou encore quelle image craignent les personnes bien portantes lorsqu'elles imaginent leur fin de vie? Des personnes en perte d'autonomie, dont l'estime de soi en prend un coup, qui redoutent de devenir un fardeau pour la famille et les proches, qui se sentent impuissantes et dépossédées de leur autonomie? Ces sentiments peuvent-ils engendrer la pensée que la vie ne vaut plus la peine d'être vécue? Dans une société où sont valorisées à outrance la jeunesse et la beauté, ce n'est peut-être pas tant notre propre regard sur nous qui soit difficile à supporter, mais plutôt de se voir dans le regard des autres.

De l'âgisme ordinaire. Depuis quelques années, les préjugés et les stéréotypes concernant le vieillissement de la population tout comme le terrifiant choc démographique dû au vieillissement de la population font trembler de nombreux experts. À l'instar de l'Observatoire de l'âgisme, en France, nous comprenons difficilement comment le vieillissement de la population, qui voit la majeure partie d'entre nous vivre plus longtemps qu'autrefois et bien plus longtemps en bonne santé, puisse s'apparenter à un fléau, à moins bien sûr que l'on considère notre pays comme une entreprise, et ses citoyennes et citoyens comme des ouvriers. Qu'ils vivent plus longtemps qu'ils ne produisent et ne meurent pas juste après avoir quitté l'âge de leur plus haute productivité, c'est alors insupportable.

Pourtant, une société formée majoritairement de personnes jeunes serait une société où l'on mourrait jeune, n'est-ce pas? Les conditions de vie de plusieurs personnes aînées, la marginalisation dont elles sont victimes et les manifestations d'âgisme peuvent devenir un terreau fertile pour faire grandir la peur de la vieillesse et de la fin de vie pour des bien-tenants du droit de mourir dans la dignité.

Nous ne sommes pas de celles et ceux qui craignent qu'une loi autorisant l'euthanasie entraîne un jour la tentation d'éliminer carrément les vieilles personnes, mais nous craignons toutefois que les personnes aînées se sentent d'une certaine manière poussées vers la sortie.

**(12 h 40)**

L'âgisme médical. Le milieu de la santé n'échappe pas à l'âgisme et à l'influence de ses préjugés. Après quelques années de pratique, ils oublient qu'ils ont rarement vu des personnes âgées en santé et commencent à croire que la plupart d'entre elles sont semblables aux patients qu'ils traitent. Les personnes âgées sont perçues comme étant des patients désengagés, improductifs et inflexibles. Selon les écrits recensés, les praticiens sont moins engagés, moins respectueux, moins équitables et offrent moins leur soutien lorsqu'ils s'adressent à un patient âgé. Les personnes âgées reçoivent plus de prescriptions de médicaments que les jeunes personnes pour des symptômes équivalents. Les personnes âgées sont moins susceptibles d'être référées pour du dépistage et des traitements spécialisés. Les symptômes sont mal diagnostiqués chez les personnes âgées parce qu'ils sont assimilés à la notion de processus normal du vieillissement. Comparativement aux jeunes adultes présentant les mêmes symptômes, les patients âgés sont moins souvent référés pour une évaluation psychiatrique.

Ce questionnement nous amène à traiter de l'augmentation des coûts de santé, des efforts de rationnement des dépenses et des dangers de voir l'âge devenir un critère de décision médicale. Jusqu'à quel âge est-il pertinent de donner une hanche artificielle, un nouveau coeur, un traitement agressif contre une forme particulière de cancer? L'âge doit sans doute être considéré comme l'un des critères dans une prise de décision de ce genre, mais jusqu'à quel point?

L'équilibre est très délicat entre le maintien de la vie et la volonté de réduire les coûts de notre système de santé. La tentation semble de plus en plus forte, depuis quelques années, de considérer notre système de santé comme une dépense gouvernementale plutôt que comme un service social, un choix de société.

Une loi pour permettre de mourir en dignité? Nous sommes persuadés que rares sont les situations où, avec des soins palliatifs appropriés, on ne peut pas apporter réponses et soulagement aux inquiétudes et souffrances des patients. Toutefois, on doit bien admettre qu'il existe des situations moins fréquentes mais réelles où les souffrances sont telles ou le degré de déchéance est tel qu'aucun soulagement adéquat ou décent ne peut être offert au patient.

Toutefois, considérant que l'euthanasie et l'aide au suicide assisté ne concernent qu'une minorité, l'État doit-il légiférer à partir de l'exception? L'État québécois doit-il légaliser l'euthanasie? Honnêtement, nous sommes tiraillés devant ce dilemme.

Ces dernières années, quelques jugements furent rendus, au Québec, lors de poursuites pour des cas d'euthanasie ou aide au suicide. Devant ces drames, tant le public que les médias vont généralement souligner l'amour du proche, le courage, la détresse des grands malades, la compassion.

Nous ne nous engagerons pas ici sur le partage des juridictions fédérales et provinciales aux niveaux juridique et judiciaire. Par contre, nous nous demandons si la justice est toujours appliquée de la même façon. Parfois, des cas évidents de meurtre par compassion ne semblent pas être traités et sanctionnés comme des meurtres ordinaires. Ces pratiques devraient-elles être institutionnalisées? Des réflexions et des discussions sont encore nécessaires, à notre avis, pour arriver à un consensus social sur ces questions.

Peut-on trouver une autre avenue que la légalisation de l'euthanasie? Avant de se prononcer sur la décriminalisation de l'euthanasie et de l'aide au suicide, ne devrait-on pas faire un bilan de l'état actuel des soins palliatifs et des conditions nécessaires à leur amélioration?

Alors, plusieurs choix s'offrent aux personnes en fin de vie. Nous nous en tiendrons aux soins et services offerts lorsque la fin est inéluctable, quand toute la panoplie de soins et de traitements visant à guérir ont été épuisée et que la personne est en route plus ou moins doucement vers la mort. Mentionnons l'acharnement thérapeutique, le refus de traitement, le principe du double effet, la sédation palliative et la sédation terminale, et finalement le suicide qui, il faut bien le dire, est légal au Canada.

Une fois exposées de façon froide et technique les diverses opportunités s'offrant en fin de vie, nous pensons que le sujet central entourant toute cette période de vie de toutes les femmes et de tous les hommes est celui des soins palliatifs. Nous plaçons les soins palliatifs au coeur de notre présent mémoire parce que nous soupçonnons que cette actuelle demande du droit à l'euthanasie soit justement une réponse au manque flagrant de ressources pour offrir des soins de vie adéquats et suffisants. Ces soins interdisciplinaires, d'ordre médical, infirmiers, psychologiques, même affectifs, interviennent lorsqu'il s'avère impossible de guérir la maladie et tentent d'améliorer les conditions de vie et le confort de la personne et de ses proches.

Dans cette partie de notre présentation, nous souhaitions brosser un portrait des soins de vie présentement offerts au Québec, mais nous constatons que le gouvernement du Québec en a tiré les grandes lignes bien mieux que nous ne saurions le faire. Les 34 premières pages du document intitulé Politique en soins palliatifs de fin de vie dresse un tableau des lacunes qui n'a rien de rassurant. Nous vous en offrons quelques extraits.

«Toutes les régions du Québec disent offrir des services de soins palliatifs. Tout indique cependant que, malgré la présence de plusieurs fournisseurs et les efforts des intervenants pour donner les meilleurs soins possible, l'organisation de ce type de services accuserait d'importantes lacunes et souffrirait d'un manque de ressources appropriées.»

«De façon générale, les services de soins palliatifs se développent sans égard au rythme d'augmentation des besoins, sans vision d'ensemble et dans des environnements peu structurés. Tout comme au moment de leur mise en place il y a plus de 30 ans, ils sont encore trop souvent le fruit de la volonté et de l'intérêt de personnes sensibles aux besoins des usagers, surtout ceux atteints du cancer.»

«En effet, l'ensemble des 147 CLSC du Québec affirment offrir des services à des personnes en phase préterminale et terminale. La capacité de répondre adéquatement et rapidement à l'augmentation de l'intensité requise des services et le soutien aux proches pendant les diverses périodes de la journée, afin de permettre aux usagers de réaliser leur désir de vivre le plus longtemps possible à la maison, sont des problématiques importantes de cette offre de services.

«La gamme des services offerts en soins palliatifs est variable géographiquement et les modalités d'accès sont imprécises. De plus, les responsabilités des intervenants ne sont pas clairement définies. À l'heure actuelle, plusieurs CLSC orientent l'usager vers l'hôpital dès que son état de santé se détériore et que le contrôle des symptômes devient difficile.»

Et nous pourrions continuer comme ça. De toute façon, vous avez probablement lu... ou vous pourrez retrouver notre mémoire.

Alors, nous reconnaissons les efforts qui ont mené au développement des soins palliatifs au Québec, à leur évolution. Nous sommes impressionnés par des réalisations extraordinaires dans certains milieux mais nous déplorons toutes ces lacunes admises par le gouvernement lui-même et nous allons, dans la prochaine partie de notre texte, énoncer quelques améliorations que nous souhaitons.

Une urgence sociale. Nous avons, au Québec, plusieurs individus et organisations qui étudient, font de la recherche ou expérimentent des pratiques d'accompagnement de fin de vie et de soins palliatifs. D'ailleurs, la commission en a entendu plusieurs. Le ministère de la Santé et des Services sociaux réfléchit et développe des stratégies depuis bien des années. La politique en soins palliatifs de fin de vie, publiée en 2004, a bien fait le tour de la question, les intentions sont bonnes, les pistes d'action semblent pertinentes dans l'ensemble, mais les actions ne sont pas encore vraiment visibles sur le terrain, et les besoins sont immenses.

L'offre des soins de fin de vie est nettement insuffisante tant dans les établissements du réseau qu'à domicile et dans les ressources spécialisées. Ce qui effraie ou insécurise les gens qui en viennent à souhaiter l'euthanasie, ce n'est pas seulement les derniers moments de fin de vie mais aussi ces longues années de dépendance, de perte d'autonomie et de souffrances morales que vivent certaines personnes aînées.

Partageons une autre de nos inquiétudes. Nous refusons que l'on mette entièrement sur le dos des personnes vieillissantes l'augmentation des dépenses en santé au Québec. Nous ne referons pas ici toute la discussion sur la grande peur de cette augmentation qui est plutôt due au prix incontrôlé des médicaments et au développement des technologies. Mais nous sommes conscients que les dernières années de la vie sont les plus coûteuses en frais de santé. C'est vrai d'ailleurs mais non seulement pour les personnes âgées mais pour la fin de vie de toutes les personnes de tous les âges mourant de maladie ou des suites d'un accident.

Plusieurs pratiques seraient probablement à questionner, dont les examens et traitements inutiles. L'organisation des soins mérite aussi d'être revue. Finir ses jours à l'urgence ou dans un lit d'hôpital n'est pas seulement pénible pour le malade et pour ses proches, c'est beaucoup plus dispendieux. C'est un exemple flagrant de mauvaise allocation des ressources dans notre système.

Les intervenantes et intervenants en soins palliatifs le constatent tous les jours chez les personnes en fin de vie, le désir de vivre et le désir de mourir fluctuent constamment et sont susceptibles de changer à tout moment, et notamment en fonction de la qualité des soins, de l'accompagnement ou de la disponibilité des familles. Lorsque la douleur ou la dépression sont traités, il arrive souvent que la demande d'euthanasie disparaisse.

L'état de réflexion au sein de l'AREQ. À notre connaissance, aucun sondage n'a mis directement en opposition l'euthanasie avec d'autres choix prioritaires. C'est ce que nous avons fait dans le cadre d'une enquête CROP réalisée récemment auprès des membres de l'AREQ, à savoir: Quelle devrait être la priorité du gouvernement? Près des deux tiers de nos membres répondants, 65 %, ont privilégié des investissements dans les soins palliatifs à la légalisation de l'euthanasie, 31 %. Les résultats de ce sondage peuvent sans doute être extrapolés dans l'ensemble de la population à quelques nuances près, fournissent, selon nous, un éclairage extrêmement précieux sur la question.

**(12 h 50)**

Il y a plus de deux ans maintenant que l'AREQ a entrepris en ses rangs une réflexion au sujet de la question de mourir dans la dignité. Dans le cadre de son dernier congrès en 2008, l'AREQ a adopté une série d'orientations parmi lesquelles on retrouve l'engagement d'ouvrir un débat sur le droit de mourir en toute dignité. De fait, nous avons pu constater que, même en nos rangs, les avis sont partagés sur cette question extrêmement délicate. C'est sans doute pour cette raison que, dans le cadre de l'enquête CROP réalisée auprès des membres de l'AREQ, ceux-ci ont majoritairement indiqué que l'action prioritaire de leur association dans ce débat devait être de les informer, 49 %, ou de ne carrément pas prendre position, 5 %, plutôt que de prendre position, à 45 %.

Sans prendre officiellement position, donc, l'AREQ a souhaité répondre à ce besoin d'information en informant ses membres afin qu'ils puissent participer, s'ils le souhaitent, sur une base individuelle, au débat social. Ainsi, lors de nos conseils nationaux d'octobre 2009, d'avril 2010, nous avons reçu des conférenciers renommés pour nous aider à bien cerner toute cette problématique.

C'est aussi dans cet esprit que notre association a publié, dans son magazine Quoi de neuf, qui est distribué à 56 000 exemplaires, un dossier complet sur la question en février 2010. Nous avons également préparé un document de réflexion qui a été distribué à tous nos membres. La réflexion se poursuivra au sein des instances de l'AREQ au cours du présent triennat qui se termine en 2011, et sans doute au-delà.

En conclusion, nous vous remercions d'avoir consenti à une réflexion publique sur cette importante question. Nous considérons que le processus est loin de se clore en cette tournée de consultation. Nous devrons individuellement continuer notre sensibilisation et parfaire notre prise de position, mais aussi collectivement confronter nos idées, poursuivre nos échanges et influencer les décisions qui guideront notre société. Nous sommes persuadés que la vraie question n'est pas tant de mourir ou non dans la dignité, mais de nous assurer de continuer à offrir et à développer de véritables soins de fin de vie en y mettant les ressources nécessaires pour un accompagnement respectueux de la dignité de la personne.

Il faut passer à l'action. Il s'avère urgent de combattre les préjugés et l'âgisme tant dans la population en général qu'auprès du personnel médical et infirmier pour éviter qu'ils ne deviennent un terreau fertile pour faire grandir la peur de la vieillesse et de la fin de vie. Le problème du traitement des meurtres par compassion reste entier, et il faudra beaucoup de travail et de réflexion pour trouver un consensus social sur le sujet. Le gouvernement doit corriger les lacunes qu'il constate lui-même dans sa politique en soins palliatifs et revoir l'organisation des soins de fin de vie, tant en institution qu'à domicile. Le personnel médical et infirmier, comme les personnes préposées aux soins des personnes aînées et aux personnes en fin de vie, devront être mieux formés, mieux préparés. Les services d'aide psychologique devront être plus largement répandus. Comme l'État se désengage, il faudra soutenir les proches, supporter les ressources alternatives et communautaires.

La réflexion doit se poursuivre sur les cas extrêmes où la douleur et la souffrance ne peuvent être soulagées. Il faut, parallèlement, travailler à raffiner le traitement de la douleur. Le débat doit se poursuivre et doit dépasser largement le droit à l'euthanasie. Ces questions sont complexes, les citoyennes et les citoyens doivent se sentir concernés, et nous devons avancer toutes et tous ensemble vers le plus large consensus social possible.

Alors, ce débat sur l'euthanasie ne sera pas inutile. On note, dans les sociétés qui ont débattu des questions de l'euthanasie et de dignité en fin de vie, une amélioration significative des soins.

Et nous terminons sur une petite pensée: La demande de mort n'est-elle pas d'abord une demande d'amour? Je vous remercie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour cette présentation. On va passer à la période d'échange avec les membres de la commission, et je vais céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président, mesdames. Je pense que l'AREQ représente bien le monde de l'éducation. Vous l'avez dit dès le départ, il y a plus de membres féminins que masculins, et malheureusement ça reste toujours un problème en éducation: il y a toujours plus de femmes que d'hommes. Le parallèle que je ferais aussi avec l'éducation et la santé, c'est que, de tous les temps, ce sont des domaines qui se doivent... et qui évoluent avec la population. La santé a changé énormément depuis plusieurs années, l'éducation aussi, et c'est... je dirais, la plus grande part du budget du Québec va soit dans l'un ou soit dans l'autre. Donc, ce sont des domaines que vous connaissez très bien.

Vous avez mis une emphase particulière sur l'âgisme. Peu de gens sont venus avec cette approche au niveau des rencontres qu'on a eues. Donc, ça nous donne un angle quelque peu différent et très intéressant.

Par contre, peu de gens sont venus nous dire qu'ils avaient peur de vieillir. On nous a plus parlé de la peur de souffrir. Mais je pense que vous l'avez bien cerné dans l'approche que vous avez eue dans votre mémoire.

On a eu des médecins qui sont venus nous voir et qui nous ont dit des choses qui nous ont fait sourire, mais des fois, et la plupart du temps, des choses qui nous ont inquiétés. Et je ne pense pas que vous avez fait une grosse approche là-dedans, mais je veux vous entendre, puisqu'ils nous ont sensibilisés sur les traitements inutiles, sur le fait que, quelquefois... puisque vous avez pris, dans votre mémoire, une forme d'engagement sur le financement et sur la dépense en santé qu'on pourrait peut-être associer aux travaux qu'on fait. Mais je vous le dis d'emblée, que ce n'est pas l'angle qu'on a pris pour faire cette consultation. C'était vraiment pour répondre à une demande et faire une réflexion avec l'ensemble de la communauté.

Mais, puisque vous y avez touché -- vous semblez faire une corrélation entre les deux, le financement, l'économie, les places en institution et le principe de l'euthanasie et du suicide assisté -- quand les médecins nous disent: Bien, nous, on se questionne sur les traitements inutiles et d'autres médecins viennent nous dire: Nous, on travaille pour la vie, pas pour la mort, j'aimerais vous entendre sur ce principe même qui fait qu'on essaie de vivre ou de faire vivre à tout prix. Je vais plutôt le dire comme ça: Faire vivre à tout prix, puisque, quelquefois, le patient demande autre chose qui, en ce moment, n'est pas légal, n'est pas accessible, c'est-à-dire le droit de partir, et qu'on essaie de le convaincre d'autre chose comme: Il y a peut-être un traitement expérimental, il y a peut-être d'autre chose qu'on peut faire qui fait en sorte que tu as peut-être une chance de plus.

Par rapport à cet aspect-là, puis là je ne vous parle pas nécessairement de quelqu'un de 60 ans, je peux vous parler de quelqu'un de 32... Mais, par rapport au traitement inutile, est-ce que ça vous parle un peu ou...

Mme Gélinas (Mariette): Je vais laisser Christiane répondre pour les traitements inutiles, là, mais je veux juste préciser que nos membres proviennent surtout du domaine de l'éducation, mais on a aussi des membres en santé et services sociaux et dans d'autres domaines aussi. Donc, comme c'est toutes les personnes qui ont fait partie de la CSQ, c'est très varié.

Mme Charbonneau: C'est vrai. Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme Brinck.

Mme Brinck (Christiane): Oui, quand on parle de traitements inutiles, on ne parle pas nécessairement de traitements nouveaux. Quand on parle d'inutiles, on parle vraiment d'inutiles. Il paraît, en tout cas, je ne me souviens même plus... je dois l'avoir dans la version longue du mémoire, je ne me souviens plus où on l'a pris, mais il y a une étude qui nous disait qu'au Québec on est la province, au Canada, qui... comment je dirais, qui utilise le plus des traitements diagnostiques, des traitements... des diagnostiques et des traitements en fin de vie, quand la personne est vraiment, là, en phase terminale, vraiment en soins palliatifs, où on le sait, qu'elle ne pourra pas guérir, puis on dirait qu'on s'acharne. Je ne sais pas si les médecins ont peur d'être poursuivis, s'ils ont peur que la famille leur reproche de ne peut-être pas avoir fait tout ce qu'il fallait puis, comme ils vous l'ont dit eux autres mêmes, ils sont formés pour soigner, pas pour laisser mourir, là. Ils visent la santé plutôt que le décès. Apparemment qu'il y aurait des dépenses assez importantes qui seraient occasionnées par ces traitements-là.

Ça fait que c'est une des questions qu'on se posait là-dessus, parce que vous dites: On a fait le lien avec le financement. C'est sûr, on demande des meilleurs soins de fin de vie puis on en demande plus. Bon, bien, on le sait, qu'on va se faire dire: Oui, mais on va prendre l'argent où, là? Ça fait que, en tout cas, au moins, si on pouvait éviter les traitements quand ils sont inutiles, qui ne peuvent plus servir... Si ça risque peut-être de servir, un nouveau traitement qui a été essayé dans un autre pays puis que ça vaudrait la peine qu'on l'essaie ici, bien, allons-y, là, si la personne est d'accord, mais, quand on pense qu'il n'y a plus rien à faire puis qu'on continue quand même à passer des radiographies pour voir la progression de la maladie puis, quand on sait que la personne, elle va mourir d'ici deux semaines, là, ce n'est peut-être plus nécessaire.

Puis on peut voir une différence de traitement dans les vrais... les centres ou les maisons de soins palliatifs par rapport aux gens qui vont décéder à l'hôpital, en chirurgie ou dans une autre unité. Il y a plus d'acharnement dans... Tu sais, on a plus de difficulté à passer en mode soins palliatifs puis en soins fin de vie dans ces unités-là que quand on est vraiment dans une maison de fin de soins de vie. Ça fait que c'est toute cette dynamique-là dont on voulait parler.

Le Président (M. Kelley): Mme Gélinas.

Mme Gélinas (Mariette): C'est toute la formation du personnel, c'est les échanges aussi avec le patient. Alors, ça, ça éviterait, bien souvent, bien des problèmes ou bien peut-être même des traitements. Alors, je pense qu'on doit mettre les priorités aux bons endroits. Et, quand on parle, si on a le choix entre légaliser l'euthanasie ou développer les soins palliatifs, on devrait mettre les énergies et l'argent pour développer les soins palliatifs à tous les niveaux, avec des services aussi à domicile, dans le réseau, mais aussi à domicile parce qu'on sait que les personnes préfèrent vivre à la maison jusqu'à la fin.

Alors, pour nous, là, l'importance de la dignité dans la vie, c'est plus important encore que mourir en toute dignité parce qu'on s'interroge: Comment légaliser l'euthanasie pourrait être une mort plus digne que d'autres types de mort?

**(13 heures)**

Mme Charbonneau: Là-dessus, je pense qu'on pourrait discuter avec vous longtemps, parce qu'on a reçu des gens qui sont venus nous expliquer le principe même de la dignité, et on a compris rapidement que ce mot-là appartenait à chacun de nous.

La dignité, c'est soit le regard de l'autre ou c'est soit le regard qu'on porte sur soi-même. Donc, effectivement, c'est assez complexe quand vous revenez au mot de la dignité.

Je voulais aussi vous souligner que, si vos membres étaient tiraillés, je peux vous dire aussi qu'ici on est tout aussi tiraillés. C'est vraiment une question pas simple.

Je veux prendre quelques instants pour vous rassurer puis vous dire que, pour nous, la question des soins palliatifs reste quelque chose à laquelle on est très sensibles, mais qui n'est pas nécessairement rattachée à la corde barbelée au principe même du droit de la personne et du droit collectif. Puis là, bien, je fais mon lien avec où je veux vous emmener, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont venus nous parler de leurs droits, puis je suis heureuse que vous étiez là quand le groupe du Barreau était là aussi, parce qu'ils ont un angle sur le droit qui est quelque peu différent, et il y a des gens qui sont venus nous parler du droit collectif: ma responsabilité face à la collectivité si je demande le droit de mourir.

Donc, je ne sais pas si, avec vos gens, vous avez eu une discussion sur le droit de la personne et le droit collectif, donc si ça a ressorti. Puis, si ça a ressorti, c'est arrivé comment puis qu'est-ce que votre groupe en a ressorti comme réflexion?

Mme Gélinas (Mariette): Bien, d'abord, nous avons demandé aux personnes ce qu'elles en pensaient. C'est individuellement qu'on leur a demandé, mais on discute aussi en groupe de ces sujets-là. Alors, on n'a pas pris de position de groupe parce que, comme on vous disait tantôt, on ne s'entend pas. Mais je pense que le droit collectif est important, et souvent on dit qu'on ne veut pas faire des lois pour un individu, c'est plutôt des lois collectives, c'est pour la collectivité où les droits sont respectés, mais il y a une limite, hein? On dit toujours que le droit de l'un s'arrête où le droit de l'autre commence. Donc, il y a des limites à ça. Alors, on ne peut pas s'attarder, faire une loi juste pour un individu, tout ça. Donc, c'est vraiment pour la collectivité.

Le Président (M. Kelley): Mme Brinck.

Mme Brinck (Christiane): Bien, j'en profite pour faire un petit retour sur ce qu'on a entendu justement avec le Barreau tout à l'heure. Je trouve leur réflexion très intéressante, puis c'était clair, précis. Il me semble que c'était assez évident de voir où on pouvait s'en aller. Mais, en même temps, ce n'est jamais comme dans le livre, hein? La vraie vie, là, ce n'est jamais comme dans la loi, puis comme dans le livre, puis...

Bon, il donnait, entre autres, des exemples tantôt de, bon, le médecin qui donne son avis, après ça un psychiatre, un deuxième médecin, en tout cas, comment ça s'est passé dans les pays d'Europe où c'est permis pour l'instant. Bon, en Suisse, on nous dit que les gens connaissent leur médecin de famille, en moyenne, depuis 18 ans. Pas sûre qu'au Québec on pourrait atteindre ce score-là, là. On a beaucoup de personnes qui ne trouvent pas de médecin de famille, en partant.

Le deuxième avis, dans ces pays-là, souvent, il se donne au téléphone. Ça fait que c'est cute quand c'est expliqué que, dans la loi, on aurait un deuxième avis puis... S'il se donne au téléphone, toujours par le même médecin qui est habitué de se faire réveiller à 3 heures du matin, puis: Là, j'ai un patient qui répond à toutes les conditions puis qui veut mourir, qu'est-ce que tu en penses?... Voyons donc! C'est écrit dans la loi, mais, dans la vraie vie, là, je trouve que c'est autre chose.

Ça fait que c'est pour ça qu'on ne peut pas juste parler de loi puis de légalisation. C'est une question trop personnelle, trop intime, qui vient toucher nos valeurs, nos croyances. On ne peut pas se sentir 100 % protégés par une loi pour ou contre ou... Je ne fais pas de différence, là, qu'on soit pour ou qu'on soit contre. Ça fait qu'il y a toutes ces petites subtilités là dont il faut tenir compte.

Le Président (M. Kelley): Merci. M. le député d'Orford.

M. Reid: Merci, M. le Président. D'abord, avant de poser ma question, j'aimerais faire un petit commentaire sur une des vos conclusions qui dit: «Comme l'État se désengage, il faudra soutenir les proches, supporter les ressources alternatives et communautaires.» Inutile de dire qu'on est tout à fait d'accord, et que je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites quand vous dites: «...il faudra soutenir les proches, supporter les ressources alternatives et communautaires.» Cependant, je tique un peu quand j'entends: «[Quand] l'État se désengage...»

Et je vais raconter une petite anecdote, parce que je ne veux pas en faire un drame. Quand je représentais les universités québécoises, j'ai déjà dit ça à un sous-ministre: L'État se désengage. Et il m'a sorti le budget, puis il m'a dit: 1,8 milliard, je pense, à l'époque, quelque chose comme ça, ce n'est pas un gros désengagement. Il y a beaucoup d'argent qui vont dans les universités. Et j'aurais envie de vous dire un peu la même chose, c'est que l'État se désengage à coups de plus 1 ou 2 milliards par année. Ce n'est pas réellement du désengagement. Il faut faire attention. Ce qui n'enlève pas par contre... Cette prémisse-là étant dite, là, ça n'enlève pas, par contre, le fait qu'il y a un besoin énorme du côté de l'encouragement aux ressources alternatives et communautaires. Et ça, on est tout à fait d'accord avec ça.

Ma question porte plutôt sur le fait que... justement par rapport à ce qu'on a entendu du Barreau tantôt et ce que vous venez de dire. Moi, il me semble que, lorsque j'aurai 85 ou 90 ans -- ma ligne de vie est très longue, donc j'espère me rendre même plus loin que ça -- je vais être, dans les faits, beaucoup plus vulnérable face à un système de santé globalement, là, qui a tendance au Québec, si la tendance se maintient, à décider qu'est-ce qui est bon pour moi. Et il me semble que, là, aujourd'hui -- même si je suis un peu plus vieux que la plupart de mes collègues, là, qui sont plus jeunes que moi pour la plupart -- je suis encore en mesure de réagir beaucoup plus vivement et avec beaucoup plus de force face à un système de santé qui dit qu'est-ce qui est bon pour moi, alors que, moi, je ne pense peut-être pas la même chose que ce que le système de santé va me dire, là. Il me semble que j'ai plus de contrôle, là, que j'en aurai quand j'aurai 85 ou 90 ans et que...

Donc, devant cette vulnérabilité-là que je pressens, là, que j'aurai, je me serais attendu, moi, honnêtement, à ce que des représentants d'un groupe comme le vôtre, qui ont une moyenne, vous disiez tantôt, de 67 ans, à ce que vous revendiquiez un peu plus ou encore davantage le droit, comme celui que présentait le Barreau tantôt, de décider de notre avenir par nous-mêmes. Parce que, justement, quand on est un peu plus vieux, me semble-t-il, on est plus vulnérable face à un système gros, complexe et qui roule vite, souvent.

Dans ce sens-là, moi, ce n'est pas un reproche que je vous fais, mais je veux vous poser la question: Est-ce que c'est parce qu'il y a beaucoup d'opinions différentes dans votre groupe? Comment vous n'en êtes pas arrivés à revendiquer davantage ce droit profond, là, qui était au coeur de tout le débat du Barreau tout à l'heure, de pouvoir décider par nous-mêmes ce qui est bien pour nous et non pas de se faire dicter par un système autour de nous ce qui est bon pour nous?

Le Président (M. Kelley): Mme Brinck.

Mme Brinck (Christiane): Bien, comme vous dites, on risque de vivre de plus en plus longtemps dans notre période aînée. En tout cas, là, je parle plus en mon nom personnel. Mais je pense que la période où on risque d'avoir besoin de soins palliatifs est probablement plus longue que la période où on va décider de la dernière minute de notre soin de fin de vie, ou la dernière semaine, ou la dernière heure, là. Je pense que c'est pour ça qu'on se sent plus interpellés par les soins de fin de vie, la qualité des soins de fin de vie, qu'il y en ait en quantité suffisante aussi. Je pense que c'est peut-être pour ça qu'on accroche plus que sur les dernières minutes ou les dernières semaines de fin de vie.

Aujourd'hui, il y a la Protectrice du citoyen qui a rendu public son rapport, puis on se questionnait tantôt, on se disait, avant de venir vous voir: Bon, bien, les données de la politique de soins de fin de vie du gouvernement, ça datait de 2004. On se disait: Bon, c'est peut-être un peu vieux déjà pour en parler. Il n'y en a pas de plus récentes, là, il faut travailler avec ce qu'on a. Mais la Protectrice, elle déplore plusieurs points aujourd'hui, les mêmes choses qui étaient déplorées par le gouvernement en 2004. Ça fait que, je vous dis, l'État se désengage... pas financièrement, mettons, mais il y a des services qui diminuent ou qui ne sont pas améliorés, comme on pourrait s'attendre qu'ils soient améliorés en fonction de l'augmentation des besoins.

La Protectrice du citoyen déplore des lacunes dans la qualité des soins palliatifs. Elle déplore une attente trop longue pour obtenir des soins palliatifs. Elle déplore le manque de formation pour une bonne partie du personnel qui offre des soins palliatifs. Elle dit que les personnes les plus vulnérables, entre autres les personnes aînées, ne reçoivent pas des soins de la qualité telle qu'on devrait pouvoir s'attendre. Ça fait que c'est peut-être pour ça, notre choix de réclamer plutôt des soins palliatifs que de s'attarder sur la dernière petite partie de notre vie.

Le Président (M. Kelley): Dernier commentaire, Mme Gélinas?

Mme Gélinas (Mariette): C'est ça, ce qu'on revendique aussi, c'est plus d'information, plus de débats comme ça, parce que nos personnes seront plus aptes à choisir si elles sont bien informées. Et, ce qu'on disait, malgré l'information qu'on a donnée, on n'en a pas donné encore assez, parce que les personnes, quand elles préconisent l'euthanasie, c'est parce qu'elles ne voient pas d'autre moyen, alors que, quand on discute avec elles -- on a eu des groupes plus restreints -- et là les gens changent totalement d'idée, parce qu'ils voient d'autres possibilités que l'euthanasie, ce n'est pas la seule chose, parce que souvent ils vont réclamer l'euthanasie parce qu'ils sont un fardeau pour la famille. Alors, ce n'est pas pour eux autres. Puis on l'avait entendu en février par un expert qui disait que, sur 20 personnes qui avaient demandé l'euthanasie, il y en avait 18 que c'était par la famille et deux par les personnes elles-mêmes. Parce que souvent on va considérer que la personne souffre trop, mais c'est notre regard à nous, ce n'est pas son regard à elle, et ça a été mentionné tantôt, vous l'avez dit, que la souffrance, ce n'est pas le même degré pour tout le monde. Alors, on peut être plus ou moins tolérant pour la souffrance et on peut vouloir vivre plus ou moins aussi intensément.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

**(13 h 10)**

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, mesdames, de votre contribution à ce débat. Je sais qu'à l'AREQ il y a toujours des consultations, vous allez voir vos gens. Donc, j'imagine, comme vous le dites, que la consultation et que la réflexion ne sont pas terminées.

Mais deux choses que je veux clarifier au point de départ. Vous soulevez beaucoup la question des soins palliatifs, et je pense qu'ici, au niveau de cette commission, les constats sur les soins palliatifs, les besoins de la population, les personnes qu'on peut servir et ne pas servir, on les fait de façon très réaliste et on sait qu'il y a un besoin en termes de soins palliatifs, la population étant vieillissante. Donc, vous semblez un petit peu opposer soins palliatifs et possibilité de choix vers l'euthanasie ou suicide assisté, mais je peux vous dire que ce n'est pas... En tout cas, nous, dans cette démarche qu'on s'est placée, on a voulu poser la question de l'euthanasie et du suicide assisté parce que c'était déjà publiquement des interrogations qui étaient dans les mains soit des médias, soit de certaines personnes, sans appartenir au débat public. Et on a voulu faire en sorte que ces questions-là fassent partie du débat public, que les gens puissent... les organismes et les personnes puissent pouvoir avoir le pouvoir de venir intervenir et nous donner... Donc, on s'est aussi très sérieusement penchés sur un document de consultation qui clarifie les termes, les concepts, pour être en mesure d'avoir les réponses les plus éclairées possible et de faciliter cet échange avec la commission.

Cela étant dit, je comprends très bien, mais, Mme Brinck, tout à l'heure, vous disiez: C'est une question qui est trop personnelle. Mais, à partir du moment où vous affirmez que c'est une question personnelle et qu'on doit comprendre que les soins palliatifs sont accessibles à différents types de maladie, mais qu'ils ne sont pas nécessairement un soulagement pour d'autres types de maladie -- je pense aux maladies dégénératives, et ainsi de suite -- à partir du moment où vous dites que c'est une question personnelle, comment vous considérez, pour une personne, une demande répétée d'euthanasie? Comment vous considérez qu'une personne, par un testament de vie, indique à un certain moment donné: Assez, c'est assez, et qu'on doit prendre une décision dans le cadre de ce qu'elle veut prendre?

Mme Brinck (Christiane): Bien, je ne peux pas vous répondre en tant que personne, puis de Christiane Brinck, parce que je suis ici pour représenter l'AREQ. On n'a pas pris position à l'AREQ pour ou contre l'euthanasie, parce qu'on n'a pas pu consulter tous nos membres à temps. Les délais étaient quand même serrés, là. Ça fait qu'on se pose des questions, nous autres aussi, puis on trouve qu'il y a des situations où effectivement, la personne, elle peut être souffrante malgré tous les efforts pour soulager la souffrance. La personne peut être prisonnière de son corps, même pas être capable de s'enlever la vie si elle le voulait. On est conscients de tout ça puis on pense que la réflexion doit se poursuivre. On ne dit pas qu'on n'est pas d'accord, on ne dit pas qu'on est d'accord. Nous autres aussi, on se pose des questions. Il y a des gens qui sont plus un peu pour, d'autres plus un peu contre. La plupart sont mélangés, ils ne savent pas trop au juste.

Ça fait qu'on a de l'ouverture, on pense qu'il faut que la discussion continue. En tout cas, nous autres, on veut la continuer avec nos membres. On ne pense pas que la commission va arriver avec... bien, en tout cas, peut-être avec un projet de loi, puis, bon, O.K., on légalise l'euthanasie dans telle, telle, telle circonstance, avec telle, telle règle, telle, telle modalité, mais on est... Puis on vous le disait tantôt, quand on est tiraillés devant ce dilemme-là, c'est un peu ça collectivement qu'on ressent.

On le sait, qu'il y a des cas pour qui les soins palliatifs, à un moment donné, ça a une limite, là. Même si on en revendique puis qu'on en revendique plus, on sait que ça a une limite à un moment donné. Puis on ne le sait pas: Ça devrait-u être par un changement de loi, un changement de mentalité, une décriminalisation plutôt qu'une légalisation? Puis, quand on regarde ce qui se passe dans les autres pays, quand on écoute ce que le Barreau vous disait tantôt, on sent qu'il y a des... que ce n'est pas parfait, jamais, nulle part. Dans aucun pays qui l'a essayé on voit que c'est... il y a des dérives, il y a des imprécisions, il y a contournements. Puis, avec ce que le Barreau nous propose, bien, la même chose. On trouve que ça ne peut pas toujours tout couvrir, hein? Quand je disais «personnel», c'est en ce sens-là que je voulais le dire. Ce n'est pas qu'il faut que la personne décide toute seule, mais c'est qu'il y a tellement de circonstances que ça va varier d'une personne à l'autre. On ne peut pas faire... avoir une règle générale qui va couvrir toutes les situations. C'est peut-être plus ça, notre tiraillement, dans le fond.

Le Président (M. Kelley): Mme Gélinas.

Mme Gélinas (Mariette): C'est ça. Je pense que, s'il y a de bons soins palliatifs puis il y a de l'information qui est donnée en même temps au patient, les personnes peuvent être libres de choisir un arrêt de traitement, par exemple, ou de demander d'être soulagées davantage parce qu'elle ne veulent pas souffrir. Puis on encourage même les personnes de l'AREQ à faire un testament de fin de vie, à se prononcer, à s'informer mais en connaissance de cause, parce que ce qu'on voit souvent, c'est que les personnes vont voter telle chose pour la... est-ce qu'on légalise l'euthanasie ou pas?, mais elles ne sont pas informées assez pour prendre leur décision. Je parle toujours dans nos rangs et ailleurs dans la population, là. Alors, c'est plus dans ce sens-là qu'on y va. Parce que c'est certain qu'on veut que la douleur soit soulagée, et la personne est aussi libre, comme ça a été déjà mentionné, d'arrêter, de demander un arrêt de traitement, qu'on ne veut pas d'acharnement thérapeutique. Alors, il y a différents paliers, je pense, qu'on peut considérer.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Une dernière question, pour ma part. Le Barreau nous disait tout à l'heure qu'il y avait des dérapages, qu'il y avait des décisions qui se prennent, que les gens étaient plus ou moins informés. Puis je m'interroge parce que vous avez consulté... Je comprends que votre position n'est pas arrêtée, mais ce qui est important, pour nous, de savoir, c'est: Dans le cadre des consultations, quelles sont les retours et les feed-back que vous avez eus de la part des gens avec lesquels vous avez discuté de ces questions-là? Qu'est-ce que les gens pensent de conditions, d'un choix...

À un moment donné, vous dites: Ça appartient à la personne. Je comprends qu'il n'y a pas une règle générale pour tout le monde puis qu'on doit tenir compte des circonstances, mais, dans des circonstances qui font en sorte qu'une personne en arrive à dire: Moi, je veux décider de ma vie, je ne suis plus capable, j'en ai assez, est-ce que la question des conditions et des balises est soulevée chez vous? Quelles sont les inquiétudes qui vous amènent à ne pas être capables actuellement de prendre position? Les questionnements que vous soulevez, on les a ici. Ils sont de même nature puis on n'a pas de position de prise, mais on veut creuser avec les gens qui ont des groupes cibles en termes de consultation. Comment les réponses viennent?

Mme Brinck (Christiane): Bien, une petite partie de la réponse est peut-être dans ce que M. Reid disait tout à l'heure: On veut pouvoir décider, là, tu sais, on voudrait... En tout cas, ce que certaines personnes nous disent... Moi, je demandais à une dame, là: Vous voyez ça comment, vous, pour vous, personnellement? Bien, elle a dit: Moi, je voudrais faire, elle dit, ils appellent ça un testament de fin de vie, je pense, elle dit. Oui, mais, je dis, ça marche comment concrètement pour vous, là? Bien, elle dit: On doit pouvoir indiquer une date, là, tu sais, ou bien un laps de temps, puis... Oui, mais il peut se passer plein de choses d'ici là, là. Si mettons que la personne, elle est malade mais consciente puis sa famille, ils sont heureux du bout qu'ils vivent avec elle, mais là, oups, là, la date est arrivée, là, on va-tu aller mener mémère chez le vétérinaire parce que c'est la date?

Tu sais, les gens se posent plein de questions comme ça. Puis, quand on en parle avec eux autres, ils ont de la misère à avoir une vue d'ensemble, on dirait, tout le monde ramène ça: Ah bien! moi, quand mon beau-père est décédé, ça a été tellement pénible, là. Ça s'est passé comme ça, comme ça, comme ça. L'autre va dire: Bien, moi, j'ai accompagné ma soeur, puis, moi, nous autres, ça s'est bien passé. On a eu l'accompagnement du médecin qui était compréhensif puis qui nous a accompagné là-dedans. Les gens ont de la misère à dépasser leur situation personnelle puis à avoir une vue d'ensemble. C'est pour ça que je trouve ça admirable, votre travail à vous autres, tu sais, vous entendez tout le monde, avec tous des points de vue différents. Il me semble que c'est la façon d'essayer d'arriver à une espèce de consensus à un moment donné. Non?

Le Président (M. Kelley): Mme Gélinas.

Mme Gélinas (Mariette): Je peux vous dire, dans les personnes à qui nous avons parlé puis discuté avec elles dernièrement, là, j'ai une personne qui a dit qu'elle elle souhaiterait que ce soit légalisée, l'euthanasie; toutes les autres ont parlé d'autres moyens, ont parlé d'être plus informées avant de prendre une décision, qu'elles ne pouvaient pas. Il y a eu une personne et c'est une personne qui est en fin de vie, puis il lui reste quelques jours à vivre, là, c'est la seule qui a dit ça. Toutes les autres ont dit le contraire. Et plus les personnes approchent de la fin, on pourrait dire, plus les personnes sont âgées dans notre sondage, moins elles veulent légaliser l'euthanasie. Elles sont... Puis ça, c'est majeur, là, dans le sondage. Alors, je trouve que, plus on est concernés, plus on approche de la fin de vie, on désire continuer à vivre avec une qualité relative, des fois, mais le plus possible, alors quand... S'il y avait des soins palliatifs appropriés, je pense que les gens en profiteraient. Et ça ne veut pas dire qu'ils ne mourront pas un jour, mais ils vont peut-être mourir, comme on dit, plus doucement, plus libre. Ils vont se faire à l'idée que. Tandis que l'euthanasie, c'est demain que ça va se passer, là, donc ça fait peur.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Gélinas. Dernière question à M. le député de Beauce-Nord.

**(13 h 20)**

M. Grondin (Beauce-Nord): Ah bien! Merci, M. le Président. Moi, ça va être une question, mais c'est surtout une impression. J'ai bien aimé la place où vous avez écrit: Peut-être mourir dans la dignité, mais vivre dans la dignité est pas mal plus important que mourir dans la dignité. Et je pense que vous avez raison quand vous dites: Les personnes âgées... Moi, je l'ai vécu chez nous. Moi, je gardais mon père. Les soins à domicile sont très importants. Il y a des gens qui vont aller vivre dans des maisons de retraités, qui sont très bien, ils sont heureux, mais ce n'est pas la majorité. La majorité aime bien peut-être rester à domicile le plus longtemps possible, mais, pour leur donner cet accès-là, bien, il faut fournir des soins. Et les soins, quand on regarde ça au niveau gouvernemental, sont beaucoup moins dispendieux d'aller donner des soins à domicile que d'amener les personnes dans des CHSLD. Ça coûte beaucoup moins cher, les soins à domicile. Alors, moi, je pense que ce bout-là est très important. Et puis c'est drôle, parce que, moi, j'ai une matante, qui, elle, a 101 ans, puis elle dit: Là, mourir dans la dignité ou l'euthanasie, elle, là, ce n'est pas de même qu'elle voit ça, là. Elle dit que le bon Dieu l'a oubliée. Elle dit: Tous mes amis sont morts; le bon Dieu m'a oublié. Ça fait que... mais elle est en parfaite santé.

Alors, c'est sûr qu'aller signer ou dire: Bien, moi, je vais... À tel âge ou s'il arrive telle affaire, je ne veux pas de soins, c'est facile à dire quand on est en santé, mais, quand on arrive là, puis ça va vite, des fois, on hésite un peu. Alors, ce n'est pas une question pour vous, c'est une réflexion.

Le Président (M. Kelley): Commentaires, Mme Gélinas?

Mme Gélinas (Mariette): Non, mais je veux juste ajouter une réflexion: c'est toujours de la gestion des personnes qu'on s'occupe, et ce n'est pas la gestion des matières résiduelles. Alors, c'est très différent puis on ne peut pas agir de la même façon. Il faut tenir compte de chaque personne qui est là. Alors, c'est sur ça que...

Le Président (M. Kelley): Il me reste à dire merci beaucoup pour votre contribution, au nom de vos membres, à notre réflexion.

Sur ça, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures. Bon appétit, tout le monde.

(Suspension de la séance à 13 h 22)

 

(Reprise à 15 h 5)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît. La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité reprend ses travaux.

Je vais vous rappeler le mandat de la commission: la commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

On a une semaine très, très chargée. Il nous reste trois témoins. Les premiers, c'est les représentants du réseau FADOQ, représenté entre autres par son président, Jean-Claude Grondin.

Alors, sans plus tarder, M. Grondin. la parole est à vous.

Réseau FADOQ

M. Grondin (Jean-Claude): Alors, M. le Président, Mme la vice-présidente, distingués membres de la commission sur la question de mourir dans la dignité. Alors, comme vous l'avez dit, mon nom est Jean-Claude Grondin. Je suis président du réseau FADOQ et il me fait plaisir de présenter le mémoire du réseau, Vieillir et mourir dans la dignité: deux réflexions complémentaires.

Je suis accompagné du directeur général du réseau FADOQ, M. Danis Prud'homme, à ma gauche, et de notre conseillère aux dossier sociaux, Mme Vanessa Bevilacqua.

Nous vous remercions de nous donner l'opportunité de prendre la parole afin de présenter le point de vue du réseau FADOQ sur cet enjeu de société des plus importants.

Alors, la mort est un sujet que l'on préfère éviter et qui est souvent restreint à l'intimité familiale. Or, les débats sur la décriminalisation de l'euthanasie et du suicide assisté apportent à la fin de vie une dimension de société. Des valeurs aux croyances religieuses, en passant par la place des aînés dans la société et le rôle du corps médical, l'euthanasie et le suicide assisté soulèvent des questions importantes qui méritent d'être posées. Le réseau FADOQ, représentant 255 000 personnes de 50 ans et plus au Québec, a souhaité prendre part à la démarche proposée par la commission spéciale.

Nous avons comme mission, vraiment, de représenter ces personnes-là des instances nécessitant la reconnaissance de leurs droits. Le réseau FADOQ est loin de prétendre posséder la seule vérité à la discussion sur l'euthanasie et le suicide assisté. Le but de notre démarche est plutôt de représenter le point de vue des aînés particulièrement concernés par ces délibérations.

La question de mourir dans la dignité est importante, mais un questionnement préalable est nécessaire, celui de comment vieillir dans la dignité. En effet, trop de personnes âgées formulent le souhait de mourir ou passent à l'acte même lorsqu'elles ne sont pas atteintes d'une maladie incurable ou victimes de souffrances physiques intolérables. Nous souhaitons ainsi repositionner le présent débat sur le processus du vieillissement et l'importance de celui-ci sur les demandes d'euthanasie et de suicide assisté. L'isolement, la maladie, la perte d'autonomie, la peur de la mort, le sentiment d'inutilité, les douleurs psychologiques et physiques, toutes sortes de détresses sont des raisons souvent à l'origine des demandes d'euthanasie et de suicide assisté. Or, ces facteurs ne peuvent en aucun temps légitimer une demande à mourir. Ainsi, posons-nous la question: Y a-t-il une façon d'apaiser les souffrances de ces personnes avant même qu'elles ne formulent la demande de mourir et, par le fait même, d'apaiser les maux qui les poussent à demander la mort?

Alors, nous allons présenter en quatre points. Premier point, le caractère sacré de la vie, deuxième, l'importance des soins palliatifs, troisième, les risques de dérapage de routinisation, ainsi que les rôles de la législation de l'État constituent les quatre piliers de notre analyse. Je laisse la parole à M. Prud'homme.

M. Prud'homme (Danis): Bonjour.

Le Président (M. Kelley): Bonjour.

**(15 h 10)**

M. Prud'homme (Danis): Alors, le caractère sacré de la vie humaine, je pense que c'est un argument qui revient souvent de part et d'autre dans le débat sur l'euthanasie et le suicide assisté. Cette préoccupation de la dignité ne devrait pas seulement être importante au moment de la mort mais, en fait, tout au long de la vie parce que c'est ce qui qualifie en tant que tel les hommes et les femmes, et ça doit être pris en compte tout au long jusque dans la vieillesse. Cet aspect est souvent écarté, malheureusement, des arguments répandus sur l'euthanasie.

La qualité de vie d'une personne a une grande influence sur le désir de vouloir mourir ou de demeurer en vie. Celle-ci est influencée, entre autres, par la santé mais aussi par l'estime de soi, dont la valorisation et la reconnaissance, des éléments qui sont très précieux tout au long de la vie.

Selon certaines études, on sait que les gens qui demandent l'euthanasie, soit à peu près 57 %, le font pour des causes autres que la souffrance physique mais plutôt en raison de leur âge. C'est peut-être parce qu'ils sont un fardeau pour leurs familles, une perte d'autonomie, l'isolement social, sentiment d'inutilité alors qui est vécu par ces personnes, ce qui fait que ce sont des facteurs importants dans leur décision de vouloir mourir.

On rapporte aussi que 12 % qui avaient formulé une demande d'euthanasie l'ont fait seulement par refus de déménager dans des résidences. Alors, ce sont des facteurs non négligeables, si on veut, lorsqu'on regarde ce côté en ce qui a trait à l'euthanasie et le suicide assisté.

En invoquant les souffrances émotives liées à leurs pertes d'autonomie et aux pertes de contrôle des fonctions corporelles... est aussi un pourcentage pourquoi les gens demandent le suicide assisté ou l'euthanasie. On sait que 79 % des personnes qui ont fait la demande n'étaient pas encore impotentes lorsqu'elles ont pris le médicament létal.

Alors, ces situations, quoiqu'elles sont représentées dans certains pays autres que les nôtres... nous ne sommes pas, en tant que tel, comme on dit, non responsables de voir que notre société peut refléter les mêmes, en tant que tel, au niveau du vieillissement.

L'évocation de l'âge comme motivation à demander l'euthanasie, dans plus de 50 % des cas, est révélatrice du sentiment d'inutilité que ressentent les patients en gériatrie. La place de la vieillesse et la dévalorisation sociale sont peut-être aussi responsables de cette tendance, ce qui doit nous interroger sur les sens des relations humaines et l'organisation de notre société avant tout.

Certains outils existent pour diminuer la détresse chez les aînés. On sait que 53 % des gens qui avaient formulé la demande d'euthanasie ou de suicide assisté ont changé d'avis grâce à ces techniques. Entre autres, la thérapie, qui a permis de diminuer soit la douleur soit améliorer la qualité de vie ou l'état clinique de la personne, l'accompagnement, qui consiste à reprendre contact avec l'entourage, établir une relation d'aide et faciliter ou soutenir l'expression de nos angoisses, l'importance du dialogue comme facteur déterminant dans la révocation de demandes à mourir et, finalement, l'établissement d'une relation de confiance privilégiée entre l'équipe soignante et le patient sont des données très importantes et qui peuvent expliquer les changements dans les demandes initiales.

En tant que réseau représentant les 50 ans et plus, nous souhaitons soumettre à la commission spéciale l'idée qu'avant tout, avant même de se pencher sur la légalité ou non de l'euthanasie ou du suicide, il est primordial de se questionner sur le nombre élevé de demandes pour des raisons autres que des souffrances intolérables ou une maladie avec mort imminente.

Plusieurs personnes âgées sont victimes de ce qu'on appelle l'âgisme, soit une discrimination sur l'âge. Trop souvent, la société considère la dépression et l'isolement comme un phénomène naturel dans le processus de vieillissement. Alors, c'est faux. Ces situations ne sont pas souhaitables pour les personnes âgées plus que pour des jeunes, et les moyens de prévention doivent être disponibles et accessibles à tout âge.

Les soins palliatifs maintenant. On sait que la nécessité d'une amélioration de l'offre des soins fait consensus auprès de plusieurs experts. Pour le réseau FADOQ, il s'agit d'une mesure que... Si on veut faire qu'il y ait un assouplissement législatif à propos de l'euthanasie et du suicide assisté ou non, il faut considérer avant tout les soins palliatifs.

Selon notre analyse, les soins palliatifs pourraient être une réponse adéquate pour soulager la douleur de certaines personnes qui approchent de la fin de vie. Encore faut-il qu'elles puissent y avoir accès. Nous avons été surpris de constater que moins de 20 % des Canadiens avaient accès à un accompagnement personnalisé concernant les soins palliatifs. De plus, le fait de demander l'euthanasie ou le suicide assisté dépendrait de la possibilité des professionnels à proposer d'autres solutions ou d'autres approches par rapport au réconfort du patient. Il y a des formations adaptées et plus poussées. Parmi le personnel hospitalier, on sait que plus de 80 % reçoivent des demandes d'euthanasie ou de suicide assisté de la part d'un patient. Ce sont les infirmières, souvent, les infirmiers ou même les médecins qui sont confrontés le plus souvent à cette situation. Or, évidemment, si le personnel est mieux formé, mieux informé sur les différents soins palliatifs ou les différentes techniques possibles à aborder lors de souffrances, évidemment le patient s'en porterait évidemment mieux. Les formations devraient donc être beaucoup plus axées sur ces soins palliatifs, autant dans les universités que le personnel qui est vraiment impliqué dans le soin des patients.

Recherche et information. On sait que des sommes importantes devraient également être investies en recherche afin de bonifier la qualité des soins et d'innover pour trouver les techniques adaptées au plus grand nombre de symptômes. L'information devrait être fournie à la population aussi bien avant que le moment de la mort ou de la demande arrive, c'est-à-dire que les gens seraient en mesure de faire un choix éclairé bien avant le moment, ce qui faciliterait aussi la tâche au niveau de consigner dans un testament de fin de vie ce qu'on appelle «leurs volontés», en étant éclairé bien à l'avance, donc ce qui éviterait des décisions précipitées lorsque le stress du moment arrive pour une telle situation, et ceci, dans le but de rassurer les personnes âgées ou malades ainsi que leurs familles, tout au long de leur vie, pour éviter les moments difficiles de fin de vie.

Le réseau FADOQ aussi comprend les risques que peut entraîner une routinisation ou une banalisation de la mort par euthanasie ou suicide assisté. Et certains arguments en ce sens sont importants à être considérés. Nous pensons également que la décriminalisation des pratiques ne peut empêcher, en raison de ces appréhensions... Ainsi, dans la mesure où il y un relâchement législatif au niveau de la criminalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté, ces pratiques devront être circonscrites à des cas exceptionnels et ne pas constituer, surtout, la règle.

Dans les prochaines lignes, je vais démontrer un peu ce qu'on entend par cas exceptionnels. Des règles strictes et un cadre rigoureux doivent être établis afin de maintenir la pertinence de la législation et d'éviter les risques de dérives tels que ceux qu'on voit ou qu'on a vus dans certains pays. Dans le cas où il y aurait, en tant que tel, relâchement législatif, il faudrait éviter justement différentes dérives par l'imposition de mesures strictes. Nous soulignons que ces mesures nécessitent des investissements majeurs en termes de ressources humaines et financières. Notre système de santé, dont les coûts sont déjà astronomiques, devrait être en mesure d'absorber ces coûts s'il y avait un changement législatif en faveur de l'euthanasie ou du suicide assisté. Aucune économie ne peut se faire au détriment du patient. Si nous sommes dans l'incapacité de bien encadrer le processus nécessaire au bon fonctionnement par manque de ressources financières ou humaines, alors nous n'avons pas les moyens de procéder à un relâchement législatif en matière du sujet qu'on discute.

Le réseau FADOQ suggère donc: que le recours à l'euthanasie soit exclusivement réservé à des personnes qui subissent des souffrances intolérables ou qui souffrent de maladies incurables dont la mort est imminente; que seules les personnes majeures et conscientes, en état de prendre une décision, de manière autonome, évidemment, ou ayant rédigé leurs volontés dans un testament de fin de vie puissent formuler des demandes d'euthanasie ou de suicide assisté; que la demande soit formulée une fois par écrit, deux fois à l'oral; qu'il y ait au moins quatre semaines entre les formulations de la première demande et de l'exécution; que l'encadrement des demandes d'euthanasie soit fait par une équipe médicale professionnelle de différents milieux afin de valider l'irréversibilité et la gravité de la maladie ainsi que l'objectivité de la décision.

Le réseau FADOQ suggère aussi que la création d'une agence de surveillance pour étudier les cas d'euthanasie et de suicide assisté soit mise sur pied. Une équipe composée de médecins, d'experts en éthique médicale et de légistes devrait juger si tous les critères justifiant l'exécution sont rencontrés. Cette étude devra se faire avant la pratique du suicide assisté ou de l'euthanasie et non après, comme dans certains autres pays. L'équipe médicale devrait donc attendre l'aval de l'agence avant de procéder.

Le dernier point, maintenant: l'importance de la loi et du rôle de l'État. Selon le réseau FADOQ, il y a une grande valeur symbolique pour les citoyens au niveau de la loi. Sa force réside dans le fait qu'elle codifie les valeurs autour desquelles se reconnaît une société. Le caractère sacré de la vie ne devrait jamais être remis en cause par un éventuel changement législatif, car il fonde le droit criminel de nos sociétés modernes. Or, légiférer sur la fin de vie ne doit pas signifier d'accorder au corps médical le droit de donner la mort, mais plutôt d'admettre, pour les vivants aux prises avec de grandes souffrances, la possibilité de s'approprier leur propre mort.

Excuser la pratique exceptionnelle tout en refusant une législation sociale. Nous pensons que l'une des pistes de solution pourrait être l'excuse absolutoire, c'est-à-dire l'euthanasie et le suicide assisté demeurent des crimes au sens pénal, mais que la qualification de crime peut disparaître lorsque l'acte de tuer a été accompli dans certaines circonstances décrites dans la loi. Ainsi, lorsqu'ils sont accomplis par un médecin dans des conditions posées par le législateur et dans le cadre de contrôle que celui-ci a mis en place, l'euthanasie et le suicide assisté peuvent être excusés. Cette logique reprend celle du crime commis par légitime défense, si on veut, où l'homicide n'est pas criminel. L'euthanasie et le suicide assisté pourraient être considérés comme acceptables s'ils étaient exécutés par compassion, tel que défini par les critères de la loi. Ainsi, le suicide et l'euthanasie demeurent des homicides, mais des homicides qui peuvent être justifiés sous conditions exceptionnelles.

Par cette clause, l'euthanasie et le suicide assisté ne sont pas décriminalisés, ce qui permet d'accuser un individu qui n'aurait pas respecté tous les règlements prévus par la loi à cet effet. D'autre part, cette forme législative permet également à un patient qui présente les conditions de santé exceptionnelles de discuter ouvertement avec son médecin de son désir de mourir dans la dignité et d'évaluer avec l'équipe soignante la possibilité d'euthanasie et de suicide assisté. Si ces pratiques s'effectuent dans un processus encadré et transparent, les médecins ne seront pas la cible de poursuites judiciaires.

Alors, je repasse la parole à M. Grondin pour la conclusion.

**(15 h 20)**

M. Grondin (Jean-Claude): Alors, en conclusion, ce mémoire a souhaité démontrer que les questions de vieillir et de mourir en dignité doivent être abordées conjointement, car elles sont intimement liées. De par ce fait, l'une des priorités de la commission spéciale doit être de mettre en place des moyens pour revaloriser le rôle et l'apport des personnes aînées et malades et mieux encadrer le processus du vieillissement par le système de santé et de services sociaux. Nous considérons que, pour une grande partie des gens, l'une des réponses au débat se situe en amont de la phase terminale de la maladie. D'autre part, des efforts stratégiques et économiques importants doivent être déployés pour améliorer les services de soins palliatifs au Québec et surtout les rendre plus accessibles.

Évidemment, pour certains autres individus dont l'état de santé est irréversible, la mort, imminente et la souffrance, intolérable, la prévention n'est plus de mise. Par le fait même, s'il y avait une relâchement législatif et que l'euthanasie et le suicide assisté étaient envisagés au plan légal, il faudrait absolument s'assurer que ces pratiques ne se réalisent qu'en des cas qualifiés d'exceptionnels. Dans la mesure où le gouvernement prendrait une décision en ce sens, il est clair que les cas de mort par euthanasie et suicide assisté doivent constitués une exception et non une pratique courante. Un cadre rigide, des critères de sélection pointus et des instruments de surveillance devront être des éléments centraux aux règlements de la loi. Toutefois, nous tenons à rappeler que ces ressources médicales sont rares et dispendieuses. Tant que notre système de santé n'a pas les moyens de bien encadrer les processus relatifs à l'euthanasie et au suicide assisté, nous ne pouvons nous permettre un relâchement législatif à ce sujet.

Dans la mesure où il y avait un relâchement législatif à l'endroit de l'euthanasie et du suicide assisté, nous aimerions suggérer une avenue législative qui nous apparaît intéressante, soit celle de l'excuse absolutoire. Cette clause, qui pourrait être ajoutée au texte de loi actuel, permettrait d'inclure un facteur d'intention dans l'acte de l'homicide, c'est-à-dire que l'euthanasie et le suicide assisté demeureraient des crimes à proprement dit, mais qui ne seraient pas passibles de peines et de poursuites si ceux-ci respectaient certaines règles de contrôle et étaient pratiqués par un médecin. Cette solution permettrait d'éviter les cas de pratiques clandestines, tout en ne légitimant pas socialement l'euthanasie et le suicide assisté par un texte de loi. Cette prise de position a été guidée par la notion de qualité de vie des personnes en fin de vie, qui sont bien souvent des personnes âgées.

Nous avons tenté d'apporter cet élément nouveau dans le débat sur la décriminalisation de l'euthanasie et du suicide assisté, car nous considérons que cette réflexion s'impose. À la lecture des études réalisées dans lesquelles plus de la moitié des répondants invoquaient l'âge pour justifier leurs demandes à mourir, il est clair qu'une partie de la réponse à la question soulevée par la commission spéciale Mourir dans la dignité se trouve dans la manière dont nous abordons le processus du vieillissement en société. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Grondin. Et, au début, j'ai oublié de mentionner la présence de Mme Bevilacqua. À Trois-Rivières, la semaine passée, elle a participé à un colloque organisé par l'Association québécoise de prévention du suicide. Elle a très bien représenté la FADOQ à ce moment. Bienvenue, Mme Bevilacqua.

Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous. Bon après-midi. Vous êtes aussi un regroupement que nous avions très hâte d'entendre, parce que, depuis le début de nos travaux, il y a toujours un exercice de micro ouvert, et ce sont vos membres qui viennent nous parler de leur vécu, de leur position très personnelle, et puis on a entendu vraiment... Vous savez, le débat est très polarisé. On a entendu des gens qui sont très en faveur et qui sont, par contre, contre.

Je voudrais faire référence à quelques passages de votre mémoire, qui est très bien préparé, qui a été très intéressant à lire. Vous comprendrez qu'on a beaucoup de lecture à faire, mais c'était très intéressant de se retrouver dans votre littérature. Vous avez parlé que vous voudriez... Par rapport aux soins palliatifs, vous avez, comme beaucoup de gens, valorisé le déploiement, un meilleur déploiement des soins palliatifs et vous disiez, comme plusieurs experts nous ont précisé, que ce serait beaucoup mieux qu'ils soient introduits bien avant, bien avant qu'un individu ou ses proches soient confrontés à la mort, parce qu'on a beaucoup d'éducation à faire, et je pense que cette commission fait oeuvre utile en ce sens. On doit parler de la mort, on doit parler de ce qui va précéder la mort. Et je pense que vous avez raison en disant que les soins palliatifs devraient être introduits beaucoup plus hâtivement dans le processus de fin de vie.

Vous avez mentionné une donnée qui m'a beaucoup surprise -- je dois la retrouver -- concernant les formations adaptées et plus poussées, parce que vous faites l'affirmation que le personnel hospitalier, plus de 80 % des intervenants ont déjà reçu une demande d'euthanasie ou de suicide assisté de la part d'un patient, et ça, je dois vous dire, je ne sais pas où vous avez obtenu... Vous parlez, vous faites référence à Guisadot, mais le personnel médical qui est venu nous parler, qui est venu... précisément les médecins, nous disaient que c'était très, très, très rare, et même le personnel infirmier aussi nous disait que ce n'était pas quelque chose qui était fréquent. Alors, on comprend que 80 % du personnel infirmier, c'est vraiment... c'est beaucoup de monde. Alors, je voudrais d'abord vous demander comment vous avez pu en arriver à cette affirmation?

M. Grondin (Jean-Claude): ...la parole à Vanessa.

Mme Bevilacqua (Vanessa): Bien, d'abord, en fait, c'est une étude qui a été réalisée en France, donc effectivement, on a... Les chiffres pour le Québec n'étaient pas disponibles. À ma connaissance, il n'y avait pas d'étude qui avait été faite là-dessus. C'est peut-être différent aussi au Québec. Par contre, peut-être qu'il manque une précision. En fait, ça doit être... Je pense qu'on parlait plutôt en milieu hospitalier mais en gériatrie, et non en général pour tous les patients qui sont malades ou juste en milieu hospitalier en général. Donc, peut-être qu'il y a un manque de précision à ce niveau-là.

Mais, sinon, si jamais ça vous intéresse de voir l'article en détail, il y a les références en arrière, C'était, en fait, dans la Revue internationale des soins palliatifs, donc, de 2002.

Mme Gaudreault: Alors, merci de la précision. Et, oui, si vous avez un article à nous soumettre, nous voulons tout savoir au sujet du sujet qui nous préoccupe.

Je veux vous parler aussi de l'aspect clandestin du suicide assisté. Parmi les personnes aînées qui sont venues nous rencontrer, je me souviens d'une octogénaire, Mme Raphals, qui est venue parler du décès d'un ami, qui est survenu en Oregon, puis elle nous faisait... Elle disait qu'elle trouvait que c'était une façon très digne de permettre à quelqu'un de finir ses jours. Elle avait eu des témoignages des proches de cette personne-là et vraiment elle était très favorable. Ça, c'était son opinion personnelle.

Et elle disait, comme plusieurs aînés qui sont venus nous voir, qu'elle, elle ne voudrait pas aller en milieu hospitalier ou dans une institution pour finir ses jours parce qu'elle aurait peur de ne pas avoir de pouvoir sur ses dernières volontés. Elle avait peur d'être à la merci des décisions du corps médical, des infirmiers, peut-être même de sa famille dans certains cas.

Vous, parmi vos membres, est-ce que vous avez discuté de cet aspect clandestin? Autrement dit, est-ce qu'il y a déjà des gens qui prennent la décision de mettre fin à leurs jours puis qui le font dans des circonstances plus nébuleuses et clandestines? Est-ce que cette conversation-là a eu lieu entre vous et vos membres? C'est une question difficile, j'en conviens.

**(15 h 30)**

M. Grondin (Jean-Claude): Bon. Je vais tenter une réponse, je vais tenter une réponse, parce que ça reste quand même une réponse un peu hypothétique pour moi. C'est sûr qu'il y a des gens qui se suicident. Ça, il ne faut pas se le cacher. Chez les aînés, le taux de suicide est assez élevé. Maintenant, les gens ne l'annoncent pas nécessairement d'avance. On sait que ça existe chez toute catégorie de personnes parmi les aînés, et la sorte de suicide n'est pas toujours... la sorte de mort n'est pas toujours évidente, mais c'est un fait que nous constatons.

Mais on ne peut pas dire qu'on en discute, très peu entre nous. On essaie de travailler plutôt en amont pour prévenir le suicide; c'est normalement notre travail. Et normalement notre travail aussi, c'est d'amener à une qualité de vie intéressante pour ces personnes-là, peu importe la situation dans laquelle elles sont. Et la dignité, elle est là aussi. Quand la dignité est dans un processus, elle, la dignité sera nécessairement aussi à la fin.

Mme Gaudreault: J'aurais une dernière petite question, M. le Président. On a beaucoup... Les regroupements de personnes plus âgées sont venus beaucoup nous parler du testament de vie et de la promotion... Ils en font la promotion parmi leurs membres. Est-ce que c'est le cas chez vous aussi? Est-ce que, vous, vous suscitez beaucoup d'intérêts par rapport à ce document? Est-ce que vous valorisez ce document parmi vos membres?

M. Prud'homme (Danis): Je peux peut-être répondre à cette question. En fait, si vous considérez un peu pourquoi... Le but de l'association, il y a 40 ans, quand la FADOQ a été créée, c'était pour sortir les gens de l'isolement, les regrouper puis les faire bénéficier d'activités qui font qu'ils continuent à prendre part à la vie. Alors, vous êtes bien consciente que la majorité de nos 9 000 bénévoles qui travaillent dans l'association, dans la fédération, ainsi que les membres qui s'y rattachent, la majorité valorisent la vie beaucoup avant de regarder du côté de la mort. Donc, ils vont la repousser le plus loin possible.

Ceci étant dit, lorsqu'on a construit le mémoire, si je peux ajouter à ce que mon président mentionnait, les gens... Ça a été assez intéressant de voir les différents débats, évidemment, pour et contre, mais je pense que ce qui est le plus intéressant, c'est de voir que les gens... Et c'est pour ça que c'est ce qu'on voulait faire ressortir: c'est vraiment la qualité de vie qui est ressortie, c'est-à-dire, tant qu'on peut maintenir une qualité de vie, et qu'on a les ressources, et que l'État nous donne les moyens de le faire, maintien à domicile et autres, on le repousse le plus longtemps possible.

Et, avant de parler de mort, je veux dire, un, c'est un sujet que les gens n'aiment pas parler, mais, quand on parle de testament de fin de vie, bien évidemment, c'est une manière d'organiser, si on peut mettre entre guillemets, la fin de sa vie de façon digne.

Mme Gaudreault: Dernier petit commentaire, c'est la Journée internationale des aînés demain. Alors, je vous souhaite, à vous et à tous vos membres, un joyeux anniversaire.

Une voix: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Messieurs, madame, je vous faisais la blague tantôt que madame était jeune depuis moins longtemps que vous, donc il y a une belle différence à la table. Ça rend la chose encore plus intéressante.

Je comprends que vous avez adressé la question de mourir dans la dignité de par les membres que vous avez, mais vous avez aussi compris que, nous, on a eu le plaisir de recevoir des gens de tout âge et aussi de toute forme de maladie. Mourir dans la dignité ne dépend pas d'un cancer, ou d'un problème rénal, ou quelque chose comme ça. Ça dépend aussi de comment on vit sa maladie qui nous ronge au quotidien.

Je me demandais si, avec vos membres, vous avez parlé de ces gens-là qui, eux, dans leur quotidien, se lèvent à tous les matins en se disant... chez nous, on dirait un mot moins joli, mais ils se disent: Ah! Je suis encore en vie, pas nécessairement avec gaieté de coeur, mais en appréhendant ce que la maladie qu'ils ont va apporter comme fin de vie. Je me demandais si vous aviez aussi abordé cet aspect-là de mourir dans la dignité ou si vous l'avez juste regardé de par l'âge des membres et le cancer?

M. Grondin (Jean-Claude): Non. On l'a regardé de façon large. L'âge est un élément, parce que, de toute façon, si on est en situation... malade... la maladie n'a pas d'âge. Et, bon, la personne digne, elle a tout âge. Et on le considère avec les mêmes réponses. C'est qu'il faut pouvoir apporter des réponses à toutes les détresses que ces personnes-là puissent vivre. Alors, mettre l'accent beaucoup là-dessus, apporter des solutions... On sait qu'au niveau de la douleur, on peut dire, presque, que c'est... régler, mais toutes les autres souffrances morales, les détresses, les lassitudes, les dépressions, ça, ça n'a pas d'âge. Mais on considère vraiment ça. Et la qualité de vie, pour nous, est importante dans ces situations-là. Donc, pour la maintenir ou l'améliorer, c'est toujours ce système-là qu'on considère. Autrement dit, peu importe la situation où on est, c'est avoir, dans cette situation, la qualité la meilleure dans cette situation-là. Donc, c'est ce qu'il faut viser.

Une voix: Merci. Est-ce que tu as une question, toi?

Le Président (M. Kelley): O.K. M. le député d'Orford.

M. Reid: Merci, M. le Président. Je comprends un peu... Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, et je peux relier ça à mon expérience dans mon coin, là, le fait que vous avez comme... Vous avez 9 000 bénévoles, si j'ai bien compris. Enfin, les bénévoles, les gens de la FADOQ, etc., participent avec d'autres, et c'est le cas dans la MRC de Memphrémagog, à des efforts pour sortir des personnes âgées de l'isolement qui les guettent parce que soit tu perds ton conjoint, ta conjointe ou, etc., tu perds tes repères, tes amis sont décédés et, à un moment donné, tu te retrouves, tu n'as plus de fenêtre sociale, tu n'as plus de liens sociaux. Et il y a un effort fantastique qu'il faut faire, là, pour briser les gens de l'isolement, qui finit soit par des suicides ou qui finit par des morts qui ne sont pas souhaitables, seuls, etc. Et je comprends qu'on puisse plus difficilement se mettre à réfléchir à fond de train, avec tous ces bénévoles-là qui sont consacrés beaucoup à la prévention du suicide en particulier, qu'on puisse plus difficilement se pencher sur la problématique, par exemple, en fin de vie, suicide assisté ou euthanasie. Ce n'est pas nécessairement une chose facile. Et on vous pose des questions qui ont sûrement demandé beaucoup d'efforts déjà de réflexion et qui ont probablement eu des difficultés à aboutir avec une position unique ou...

Mais, néanmoins, il me semble que... et j'aimerais vous entendre là-dessus, je l'ai souligné un petit peu ce matin, c'est que la présentation du Barreau insistait beaucoup sur le droit de décider par soi-même et non pas qu'un système décide à notre place. Et il me semble, moi, que, quand j'aurai 85 ans ou 90 ans, si Dieu me prête vie, en tout cas ma ligne de vie l'indique, que je vais être...

Le Président (M. Kelley): Très scientifique.

M. Reid: Très scientifique. Pour un docteur en mathématique, là, ce n'est pas nécessairement une bonne référence. Mais il me semble que je serai beaucoup plus vulnérable que je ne le suis aujourd'hui. Même si mes collègues sont plus jeunes que moi pour la plupart, là... Mais il me semble que je serai beaucoup plus vulnérable à 85, 90 ans face à un système de santé qui fonctionne sur roulement à billes et qui a l'habitude de décider qu'est-ce que qui est bon pour toi, O.K.?

Et ce que le système de santé va décider qui est bon pour moi, ce n'est pas nécessairement ce que, moi, je vais trouver qui est bon pour moi. Donc là, il y a une question de ma volonté par opposition à celle d'un système de santé, et je ne vois pas d'insistance de la part de ceux qui représentent les personnes âgées vis-à-vis de cet élément-là qui m'apparaît important et qui peut effectivement, disons, aller dans le sens d'appuyer quelqu'un qui veut mettre fin à ses jours prématurément parce qu'il souffre autrement, bien sûr. Et, à côté de ça, il y a toute la question de la prévention du suicide. C'est pour ça que j'ai commencé par prévention du suicide parce qu'il me semble que, dans la balance, il y a ces deux plateaux-là où on dit: Si on pousse très fort d'un côté, on va peut-être avoir un impact sur le suicide ou la prévention du suicide. J'aimerais vous entendre sur cet élément-là.

On a entendu hier les gens de prévention du suicide qui nous en ont parlé, mais j'aimerais... je sais que vous êtes très impliqués dans cet élément-là de ramener des contacts, de repères sociaux aux personnes âgées qui sont isolées pour toutes sortes de raisons, et donc de prévenir le suicide que ça peut amener, d'un côté. Et, de l'autre côté, bien, vous défendez aussi, j'en suis sûr, la possibilité, la capacité pour une personne âgée de décider par elle-même et non pas de se faire ballotter par tout le monde autour, y compris le système de santé. Alors, comment est-ce qu'on peut résoudre cette espèce de dilemme là où les deux éléments peuvent paraître un petit peu contradictoires?

Le Président (M. Kelley): M. Grondin.

M. Grondin (Jean-Claude): Je vais commencer un petit peu puis je vais laisser la parole à Danis parce que c'est une question très difficile.

C'est sûr qu'il y a toujours... D'abord, on vit dans une société. L'homme, la personne n'est pas toute seule, elle n'est pas libre, libre, libre. Elle a ses droits, mais, à un moment donné, elle est placée dans des situations où les autres... où on devient un peu dépendant des autres ou encore un peu... que les autres nous rendent service, répondent. C'est sûr que tout notre système de santé est un système qui est curatif principalement, thérapies.

Le droit de s'approprier... Bon. D'abord, il faut dire que, la vie, on se l'est appropriée mais on l'a reçue. Bon. Alors, la mort, c'est un peu drôle de dire qu'on s'approprie la mort, on s'approprie une fin de vie. La mort, finalement, ce n'est rien, il ne reste rien au bout, là. L'euthanasie, à la limite, elle sert aux autres, pas à la personne. Bon.

Ce choix-là d'être complètement indépendant dans ses choix, nous, on veut que ce soit encadré. Donc, on respecte une personne dans ses voeux, de cette volonté-là, de façon inconditionnelle, mais que ce soit vraiment très, très encadré et que ça devienne exceptionnel. Donc, le seul... le critère, ce serait pour nous de respecter de façon inconditionnelle cette personne-là qui fait une demande. Donc, ça vaut... C'est plus fort que tout autre système, toute autre philosophie, toute autre morale. La dignité de cette personne-là, elle est là, ça, on respecte ça, mais il faut absolument que ce soit encadré, sinon il y a un danger assez important. Je vais laisser, là, continuer mon...

**(15 h 40)**

M. Prud'homme (Danis): Je voudrais peut-être rajouter, vous avez...

Le Président (M. Kelley): M. Prud'homme.

M. Prud'homme (Danis): ...vous avez mentionné des choses très importantes, je pense. Au niveau de la liberté de choix, jamais on ne va s'interposer là-dedans. Je pense que la personne a le choix de décider justement librement. Par contre, ce qu'on mentionnait un peu dans notre position, c'est que, si on avait la liberté d'en parler comment on voulait mettre fin à notre vie, dans ce sens que ce ne soit pas, comme on disait, l'excuse absolutoire, là, si on peut parler avec des gens de façon ouverte, à savoir: Bien là, j'ai telle maladie, je m'en vais par là, ça semble dire ça... Peut-être qu'aujourd'hui elle est très bien, elle ne veut pas mourir, c'est un peu ce qu'on veut aussi, mais, à un moment donné, rendue à un bout où il n'y a plus d'autre possibilité que ça, parce qu'elle ne veut pas arriver là, c'est son choix.

Mais je pense que c'est pour ça qu'on disait qu'il y avait des outils importants à mettre en place ou qu'on essaie de véhiculer aussi, nous, au niveau du réseau, c'est-à-dire d'accompagner les gens dans tout ce qu'ils vivent. C'est-à-dire, si on est isolé, on va vite, vite aller à la décision: Je veux mourir, puis ce n'est peut-être pas pour la bonne raison. Si on est accompagnés à ce niveau-là, je pense que ça donne une chance de plus de mieux comprendre vers où on va puis vraiment savoir si on veut aller par là. Ça, c'est une chose importante, je pense.

L'autre chose aussi, c'est au niveau des soins de santé qu'on parlait, des soins palliatifs. On sait que, dans les hôpitaux, bon, ça déborde, il y a beaucoup... Bon, c'est comme ça, c'est la vie, là, pour l'instant, puis on espère le régler, tant mieux, mais on ne prend peut-être pas nécessairement le temps de discuter avec les patients qui sont affectés, des fois. C'est pour ça que, si on a des unités spécialisées en soins palliatifs à ce moment-là, on va être capables de prendre le temps de parler avec ces patients-là puis d'établir une relation qui est assez proche, qu'ils vont se sentir en confiance de nous écouter. Puis ce n'est pas qu'on veut que les gens contrôlent les autres, mais, des fois, on a besoin de se faire dire: Bien, savez-vous, si vous faites ça, ça veut dire telle chose, si vous faites ça... Alors, si on a des gens qui prennent le temps de nous l'expliquer, des fois, on va y voir plus clair puis on va mieux décider par la suite. Alors, je pense que c'est ça, le point important.

M. Reid: Merci beaucoup. Moi, je pourrais juste témoigner jusqu'à quel point c'est important, ce que vous avez dit quand vous dites: L'isolement peut amener au suicide ou au goût du suicide, et ce n'est vraiment pas la bonne raison. Si jamais il y en a une bonne, là, ce n'est certainement pas celle-là, parce qu'on peut tous témoigner... Moi, j'en connais, des gens qui étaient là et ils ont été rattrapés au bon moment par d'autres personnes et ils ont redéveloppé des liens sociaux. Et ces gens-là, ça fait cinq, 10 ans qu'ils sont heureux et qu'ils rendent d'autre monde heureux à part de ça. Et donc ça, c'est la force d'une société. Et, moi, je suis tout à fait d'accord sur cet élément-là que vous dites, là: L'isolement, c'est certainement la dernière des raisons, puis ce n'en est pas une, bonne raison, dans aucun cas. Ça fait que, quelles que soient les règles que l'on fasse, je pense que c'est bon que vous insistiez sur le fait que l'isolement ne pourra jamais faire partie des raisons qui amènent à une décision, même si on veut respecter le modèle décisionnel, là.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, bienvenue à vous trois. Je suis très heureuse également que vous soyez parmi nous, que vous ayez présenté un mémoire. Vous êtes un mouvement fort important, que l'on côtoie tous, je pense, dans nos réalités de députés de circonscription avec des équipes fort dynamiques.

Moi, je dis toujours à quel point les gens de la FADOQ font ma fierté comme députée, parce que je trouve qu'ils s'impliquent dans tellement de domaines variés et ils apportent tellement à la communauté que c'est très précieux pour nous. Ça nous enlève beaucoup d'ouvrage en plus, tout le bénévolat qui est fait par les gens de la FADOQ.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Hivon: Peut-être juste un commentaire sur l'étude, mais aussi qui m'a surprise, du 80 % des gens qui travaillent dans le milieu hospitalier qui auraient déjà eu une demande. Mais, en fait, quand on y pense -- c'est parce qu'on essaie de réconcilier ça, parce que les gens sont venus nous dire que c'était très, très exceptionnel, mais, en fait, ça peut être très exceptionnel -- il n'y a pas 80 % des gens qui le demandent, mais ça peut arriver une fois ou deux à chacune des 80 % des personnes qui travaillent d'en avoir eu une, donc c'est peut-être... Parce que je ne peux pas croire que, parce qu'on est en France versus au Québec, ce soit si différent, là, ça doit pouvoir se ressembler. Mais merci de la référence, on va aller la regarder.

Moi, ce qui m'intéresse de voir un peu avec vous, c'est vraiment ce que vous entendez de vos membres. Vous représentez vraiment un groupe important qui est, je pense, directement concerné, préoccupé par la question. Donc, c'est un peu, en vous ayant, là, de bénéficier un peu de ces commentaires-là ou, je dirais, de l'atmosphère générale qui se dégage quand on aborde des questions comme celles-là.

Beaucoup nous disent que les personnes âgées craignent... ont beaucoup de craintes par rapport à une aide médicale à mourir, du fait qu'on ouvre la porte à ça, qu'il pourrait y avoir des abus. Est-ce que vous entendez beaucoup ça? Est-ce que le fait, comme vous le mentionnez dans les balises éventuelles, que ça émane, que ça doive émaner de la personne, c'est quelque chose qui est enclin à rassurer les gens, quand vous les entendez? Est-ce que vous diriez qu'ils ont peur en... ceux qui vous expriment ces craintes-là, s'il y en a beaucoup, c'est qu'ils ont peur de justement ne pas être respectés et que d'autres puissent prendre la décision pour eux?

M. Grondin (Jean-Claude): Je vais faire un élément de réponse. C'est sûr que les gens ne veulent vraiment pas que d'autres décident pour eux, fassent des choses à leur place, que ça devienne une routine ou encore tout d'un coup, bon, ils entrent dans la chaîne, et c'est exécuté par d'autres. Donc, on veut... ils ne veulent pas vivre une exécution. Alors, les gens veulent vivre même leur fin de vie, bon, dignement, c'est ça que ça veut dire. Donc, c'est la leur, ce n'est pas celle des autres. Bon.

Alors, ça comporte beaucoup de choses, et c'est une préoccupation, disons, sans... Elle n'est pas statistique, là, chez nous, là, mais c'est une préoccupation normale des gens. Alors, bon, c'est sûr que les gens qui vivent parfois dans une certaine lassitude, ils sont... j'allais dire qu'ils sont un peu tannés, ils trouvent ça long, manquent d'accompagnement, de présences. C'est vraiment dans des très petites choses, et c'est là que c'est le plus important. Mais c'est peut-être ça qui peut manquer. Alors, ils ne demandent pas... je pense que ces gens-là ne demandent pas la lune, ils demandent tout simplement parfois une simple présence.

Mme Hivon: O.K. Un autre...

M. Grondin (Jean-Claude): Un instant. Excusez-moi.

Mme Hivon: Oui.

Le Président (M. Kelley): M. Prud'homme.

M. Prud'homme (Danis): Je pourrais juste... Pour ajouter à ce que M. Grondin disait, souvent, je pense, ce que les gens nous reflètent, c'est qu'ils ont... On va souffrir de voir quelqu'un souffrir. Je prends un exemple de... si c'est notre famille, par exemple, et là, souvent, on va dire: Ah! Tu sais, c'est donc dur pour lui. Mais est-ce que c'est dur pour lui ou c'est dur pour nous? C'est un peu ça qu'ils veulent dire, c'est-à-dire: Ce n'est pas parce que c'est dur pour eux de me voir ainsi qu'eux vont décider que, là, je mets fin à ma vie, dans un premier temps.

Puis, dans un deuxième temps, ce qui fait réfléchir à ça, on parlait d'isolement, je vais y revenir: nos valeurs de société, je pense qu'il faut les revoir. Notre société est à une vitesse telle qu'on ne prend plus le temps de visiter nos parents, nos grands-parents. Et, nous, on va être vieux un jour, là. Nos enfants, si on ne montre pas c'est quoi, la valeur familiale, est-ce qu'ils vont nous visiter quand on va être vieux?

Je pense qu'il faut mettre en perspective les choses que les personnes âgées, les aînés de la société ont développé beaucoup, ont fait beaucoup, et ils ont encore beaucoup à donner. Et ce n'est pas parce qu'on est vieux ou malade qu'on ne vaut plus rien puis qu'il faut nous mettre sur une tablette. Puis, quand on aura passé par-dessus ça, on va déjà être pas mal mieux au niveau de regarder ça de ce côté-là.

Mme Hivon: Oui. Je suis bien d'accord. Un autre élément que je veux savoir si vous entendez: il y a plusieurs personnes qui sont venues nous voir, qui sont atteintes de maladies dégénératives et qui nous font part que, pour elles, l'idée qu'il puisse y avoir une aide médicale à mourir, au-delà de la valeur que ça peut avoir en soi, en fin de vie, si on en a besoin, ce serait pour elles une source d'apaisement importante pendant la durée de leur vie, de leur maladie, parce qu'elles sauraient que, si les douleurs, la souffrance prend trop de place ou que la vie n'est plus une vie, ça serait possible.

Et, des fois... C'est parce qu'il y a beaucoup de gens qui parlent pour beaucoup de gens, hein, dans cette commission-ci, donc beaucoup de gens ont des interprétations. Et souvent on nous parle des personnes âgées. Alors, est-ce que, pour les personnes âgées, c'est quelque chose aussi que vous entendez? Parce que, des fois, on entend qu'il y a des gens qui angoissent tellement, des personnes âgées, par rapport à leur fin de vie ou comment ils pourraient mourir, qu'ils vont se préparer des petites trousses de médicaments, des petits... quelque chose qui pourrait les aider en cas de désespoir.

Je ne suis pas sûre qu'on est dans les mêmes eaux, là, mais, quand on est face à une maladie dégénérative, est-ce que c'est aussi des choses que vous entendez? Certains nous disaient... Cette semaine, une jeune femme nous parlait d'une sortie de secours ou de savoir qu'il y a une police d'assurance en quelque sorte. Est-ce que les aînés vous font ce même type de commentaire là?

**(15 h 50)**

M. Grondin (Jean-Claude): Là, vous avez parlé des personnes qui ont des maladies dégénératives. Bon. Je vais répondre de façon globale ou générale. Ce que ces personnes-là attendent, ce sont des réponses à leurs préoccupations. Une fois qu'ils ont la réponse, ils sont en paix, ils sont en sécurité et ils ont confiance, finalement, en eux-mêmes et dans les autres. Dans le fond, c'est l'insécurité, c'est l'inconnu, c'est faire face à une situation vraiment où personne ne pourra les aider, c'est ce qui peut angoisser. Mais plus la société, la famille pourront donner des réponses semblables, donc un accompagnement réel, une présence sécurisante, ce sera toujours apaisant. Et je tiens à faire remarquer que ces personnes-là qui vivent ces maladies-là nous apportent beaucoup au niveau du sens de la vie, nous. Parfois, on retourne quand on... Moi, j'en ai rencontré un bon nombre et je retourne avec quelque chose qui, moi, m'a amélioré. Ils m'ont apporté quelque chose.

Alors, il ne faut pas comprendre que, nous, on va apporter, mais eux nous en apportent. Il faut vraiment qu'on puisse prendre conscience que ces personnes-là, elles ont beaucoup à nous livrer, et il ne faudrait pas perdre ce qu'elles peuvent nous donner.

Mme Hivon: Et, pour poursuivre un peu dans la veine de mon collègue d'Orford qui parlait qu'au sein de ce débat-là... Le débat sur mourir dans la dignité, il est beaucoup plus large que juste la question de l'aide médicale à mourir, hein? Il concerne beaucoup de sujets que vous avez abordés comme les soins de fin de vie, l'accompagnement, bon, la lutte aux conditions de vie difficiles des aînés, mais il y a aussi cette question-là de savoir jusqu'où la valeur de l'autonomie va dans notre société par rapport à celle que vous évoquiez du caractère sacré de la vie.

Et on a fait un choix. Et c'est pour ça que le Barreau, tantôt, ce matin, a présenté son mémoire, et notre collègue a demandé... et eux se prononcent en faveur de la possibilité qu'il y ait une aide médicale balisée à mourir. Est-ce qu'on parle de révolution ou d'évolution, O.K.? Et, pour eux, compte tenu du fait que, depuis le début des années quatre-vingt-dix, dans le Code civil du Québec, il y a vraiment eu un choix de fait de société, ça a été... La réforme du Code civil. Ça s'est étendu sur plus de 10 ans, là, toute la réflexion, de donner priorité à la valeur de l'autonomie, de l'autodétermination de la personne en matière de soins dans sa vie, de consentement aux soins, ce qui fait en sorte qu'une personne peut refuser un traitement, même si ça occasionne son décès. Une personne peut être débranchée, une personne peut dire: On me diagnostique, j'ai beaucoup de chance de m'en remettre, mais je ne veux aucun traitement, j'aime mieux mourir, bon, tout ça.

Est-ce que, pour vous, le fait, par exemple, qu'on considère aujourd'hui une aide médicale à mourir, ça pourrait être vu dans une certaine évolution ou si, pour vous, c'est quelque chose qui est fondamentalement différent du reste du cadre qui a fait en sorte qu'au fil du temps on a privilégié de plus en plus la valeur d'autonomie avec tout ce que ça a comme conséquence en termes de refus de traitement aujourd'hui?

M. Grondin (Jean-Claude): Bien, c'est une question difficile. C'est sûr que l'autonomie, ça fait partie de la maturité d'une personne, puis tout le monde veut être autonome le plus longtemps possible, mais, comme en début de vie, il arrive parfois qu'en fin de vie on... ça se ressemble un peu. Mais quelqu'un qui refuse des soins prolongés ou encore un acharnement, c'est très légitimé qu'il fasse ce refus-là.

C'est sûr que la médecine, elle est là pour guérir, pour soigner, elle est là pour le curatif, pour la prévention, bon. En soi, la personne, quelle qu'elle soit, quelles que soient sa volonté, ses croyances, sa philosophie, c'est elle qui est la plus grande, au fond, de tout, là, c'est elle qu'on doit respecter, et c'est seulement en elle qu'est la dignité, elle n'est pas en dehors de ça. Même si elle a tout perdu, il lui reste encore la dignité, et c'est ce qu'on a à respecter.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci pour votre éclairage. Effectivement, c'est un groupe que nous attendions, et, à travers votre témoignage, on comprend un vibrant témoignage en faveur des soins palliatifs, et je pense qu'à travers les différents groupes entendus au cours des dernières semaines on a pu aussi prendre conscience de plusieurs réalités de ce manque de soins ou du moins de cette offre de services qui n'est pas la même d'une région à l'autre. Donc, ce sera certainement un élément de réflexion important au cours des prochaines semaines.

Mais ce qui est intéressant dans votre mémoire: malgré votre préférence, vous n'excluez pas éventuellement que l'État du Québec en vienne à assouplir certaines règles d'application au niveau du suicide assisté ou encore de l'euthanasie. Et vous ne semblez pas distinguer ou indiquer une préférence: euthanasie versus suicide assisté. Est-ce que, pour vous, c'est une réalité, d'une part, qui est semblable? Et, s'il devait y avoir ouverture, est-ce que vous auriez davantage de réticence envers l'euthanasie ou envers le suicide assisté ou c'est une perception qui est relativement uniforme?

Mme Bevilacqua (Vanessa): Bien, en fait, nous, on n'a pas fait de distinction entre les deux pratiques. Selon nous, les balises qu'on a établies s'adressent dans un cas comme dans l'autre, c'est-à-dire d'être capable de formuler soi-même le souhait de mourir, que ce soit par l'euthanasie ou le suicide assisté, et soit de le formuler en étant conscient ou soit de l'avoir formulé par un testament de fin de vie. Donc, que ce soit un moyen ou comme l'autre, on souhaite vraiment de respecter l'autonomie de la personne et les choix de la personne.

M. Charette: Merci.

Le Président (M. Kelley): Et peut-être, moi, j'ai juste un dernier commentaire aux questions. Merci beaucoup pour avoir élargi le débat, parce que plusieurs des groupes qui sont venus ici sont attirés par les questions de l'euthanasie, mais c'est vraiment l'ensemble des conditions de fin de vie qui sont en jeu ici.

Et, sur la page 4 de votre mémoire, vous avez parlé des facteurs qui nous amènent à prendre une décision soit de suicide soit d'euthanasie, et il y a deux phrases que je trouve très tristes, et peut-être vous pouvez les élaborer, vous avez dit: «Mais la perception de la valeur d'un individu dans la société a également une influence. Or, parmi plusieurs aînés, cette impression est négative.» Et je trouve... Je ne remets pas en question que c'est une observation qui est valide, mais ça m'attriste beaucoup. Et c'est quoi, les mesures? Je pense que c'est une très large question, mais comment est-ce qu'on peut contourner cette impression, si j'ai bien compris, parmi les aînés que leur rôle dans la société est un rôle qui est perçu comme un rôle négatif?

M. Grondin (Jean-Claude): Si j'ai bien compris la question, bon, les aînés, à partir du moment où ils entrent à la retraite, il y a comme un deuil qui se fait déjà. Il y a comme beaucoup, je dirais, de domaines où ils sont comme un peu sortis. Ils ont déjà un certain isolement. C'est un peu une mise à l'écart, mettons, de la société, mettons, active, là, entre guillemets, rémunérée. Parce que c'est encore une autre chose: ce n'est pas parce qu'on est rémunéré qu'on est actif, on peut être actif sans rémunération, et ces personnes-là continuent d'être actives et, de façon générale, en grand nombre, elles continuent à contribuer à apporter quelque chose à la société. Mais ça, il faut que ça soit reconnu, il faut que ça soit valorisé. C'est sûr qu'il y a des efforts qui se font dans ce sens-là, mais il faut que la personne elle-même le ressente. C'est ça qu'on... Il faut arriver à ça, parce que juste faire des efforts pour dire: Bien oui, on a accompli ça, on a réglé... on a fait notre travail... C'est faire prendre conscience à cette personne-là qu'elle est... on compte sur elle, on l'apprécie, elle peut nous apporter quelque chose. Même si c'est peu de choses, à la limite, ça nous apporte. Donc, c'est redonner une confiance puis une estime de cette personne-là, rendue dans... bon, mise à l'écart d'un certain nombre de chemins de la société comme telle.

De toute façon, elle continue à payer des impôts, elle contribue à toutes sortes de choses, alors... Et souvent il y a beaucoup de bénévolat aussi. Et parfois elles peuvent apporter, juste par leur langage, leur histoire, tellement de choses, dans l'intergénération, par exemple, l'intergénérationnel. Il faut vraiment développer ça de sorte que, dans la société, tout le monde s'apprécie selon ses capacités et ses qualités. De toute façon, on a toujours adoré nos grands-parents, on les a toujours trouvés extraordinaires, même si peut-être ils ne l'étaient pas, mais on a apprécié beaucoup, beaucoup ces gens-là parce qu'ils nous ont communiqué des valeurs, des choses, des fois, très relatives, des nuances, et, bon, c'est des gens qui écoutent, alors c'est beaucoup. Dans la société actuelle, les gens qui écoutent, il n'y en a pas tant que ça.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour une réponse très éloquente, parce que je pense que je parle au nom de l'ensemble des membres de la commission, on est très soucieux de... Plusieurs témoins ont parlé des aînés qui sont comme un fardeau pour la société, et ça, c'est quelque chose à éviter à tout prix. Alors, je pense que votre réponse va nous alimenter dans notre réflexion sur cet enjeu qui est très important.

Alors, sur ça, merci beaucoup, M. Grondin, merci beaucoup, M. Prud'homme, merci beaucoup, Mme Bevilacqua, pour votre présence ici.

Je vais suspendre quelques instants et je vais demander aux représentants de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec de prendre place à la table. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 16 heures)

(Reprise à 16 h 6)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Peut-être deux items avant de procéder à nos prochains témoins. Juste un mot de bienvenue aux étudiants de l'école Sainte-Famille, à Lévis, qui sont parmi nous. Je pense que ce sont des grands débats de société, des questions qui nous interpellent tous, les personnes un petit peu plus âgées, les jeunes aussi. Alors, merci beaucoup pour votre présence ici, pour votre intérêt dans nos débats et nos questions.

Peut-être une note un petit peu personnelle, mais on a appris la triste nouvelle du décès d'un grand défenseur des droits des autochtones au Québec. Ce matin, l'ancien grand chef Billy Diamond, du Grand Conseil des Cris, est décédé aujourd'hui. Et je pense, parmi les personnes qui ont marqué le XXe siècle au Québec, Billy Diamond était quelqu'un qui, avec des origines très humbles, a tenu tête contre le gouvernement de Robert Bourassa et est un des architectes, avec d'autres, de la Convention de la Baie James. Alors, on est très... on apprend avec beaucoup de tristesse le décès du grand chef Diamond, parce que c'est vraiment quelqu'un qui a marqué beaucoup l'histoire de notre société.

Sur ça, je suis prêt à céder la parole maintenant aux représentants de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec, représentée, entre autres, par son président Mgr Martin Veillette. La parole est à vous, monseigneur.

Assemblée des évêques
catholiques du Québec (AECQ)

M. Veillette (Martin): Merci beaucoup, M. le Président. Et merci aussi à toute la commission de nous accueillir aujourd'hui et de nous permettre de présenter et de discuter le contenu du mémoire qui vous a été acheminé déjà. Quelques mots d'abord pour présenter l'Assemblée des évêques catholiques du Québec que, bien souvent, nous désignons par un sigle: l'AECQ. Alors, c'est une assemblée dont sont membres tous les évêques qui exercent leur ministère au Québec. Au total, actuellement, nous sommes 29 évêques membres de cette assemblée.

L'assemblée est un lieu de fraternité, un lieu de concertation, un lieu d'entraide mutuelle entre les évêques, et, pour suivre les dossiers les plus importants, nous nous sommes donné une douzaine de comités permanents composés d'évêques et d'experts ainsi que divers comités ad hoc, selon les besoins. C'est ainsi que, grâce à l'expertise de notre comité de bioéthique présidé par Mgr Bertrand Blanchet, archevêque émérite de Rimouski, nous avons pu préparer le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui. Nous sommes accompagnés, Mgr Blanchet et moi-même, du Dr Michel Morissette, qui est médecin, qui a une expérience d'une trentaine d'années dans les soins palliatifs, particulièrement à La Maison Michel-Sarrazin.

**(16 h 10)**

Nous présentons notre mémoire dans la perspective suivante: nous voulons nous placer sur un terrain qui nous semble en tout cas commun à tout le monde, c'est-à-dire d'une commune humanité, pour aborder les questions qui sont devant nous aujourd'hui, celles de l'euthanasie et du suicide assisté. C'est d'abord comme être humain partageant la même condition humaine que nous nous situons, et nous sommes très conscients d'être partie prenante des débats et des questions soulevées dans la vie sociale actuelle.

Nous sommes très conscients que nous vivons dans une société pluraliste qui est marquée par la pluralité des options, des conceptions de la vie, etc. Et ce n'est pas parce que nous sommes aussi des croyants, des chrétiens qui avons accueilli, pour nous-mêmes et comme groupe, la foi chrétienne que cette démarche de foi viendrait éventuellement comme disqualifier à l'avance les propos que nous pouvons tenir sur ces questions. Il nous semble bien qu'au contraire la foi chrétienne que nous partageons ne vient qu'ajouter un élément de plus pour nous aider dans la réflexion sur ces questions-là. Mais la base sur laquelle nous nous plaçons est vraiment celle du partage d'une commune condition humaine avec les autres personnes.

Alors, c'est pour ça que je voudrais commencer tout d'abord la présentation du mémoire que nous allons partager, Mgr Blanchet et le Dr Morissette qui a accepté de venir avec nous. C'est le Dr Morissette qui va commencer la présentation résumée du mémoire que nous vous avons acheminé.

Le Président (M. Kelley): Dr Morissette.

M. Morissette (Michel): Merci beaucoup. Peut-être juste pour vous situer un peu mieux, oui, effectivement, j'ai commencé à m'intéresser aux soins palliatifs en 1978. J'ai fait ma formation de base à l'Hôpital Royal Victoria, de Montréal, à l'époque. J'ai travaillé de 1981 à 1986 à la mise sur pied de La Maison Michel-Sarrazin ici, à Québec, et, dans l'intervalle, j'ai fait 15 ans dans le dossier VIH-sida, en infectiologie au CHUL, à la Maison Marc-Simon ici, à Québec, qui était une maison d'hébergement pour personnes vivant avec le sida en perte d'autonomie et en phase terminale de la maladie. Et, les huit dernières années, de 2000 à 2008, je les ai passées à La Maison Michel-Sarrazin.

Bien sûr, au cours de toutes ces années, de nombreux patients m'ont parlé de leur désir de mort, et plusieurs personnes aussi également m'ont parlé de leur désir d'euthanasie. Et certaines personnes pensent à l'euthanasie ou à l'aide au suicide par crainte de la douleur physique ou par crainte de l'acharnement thérapeutique. Le mémoire déposé apporte quelques considérations à ce sujet. Nous rappelons seulement que nous possédons actuellement des médicaments et des protocoles de plus en plus efficaces, comme plusieurs vous l'ont mentionné, pour contrôler la douleur physique. Bien sûr, il y a des exceptions, mais elle ne font pas la règle.

Quant à l'acharnement thérapeutique, le corps médical est devenu de plus en plus soucieux de respecter les désirs des malades et des personnes qui parlent en leurs noms, et nous avons moins de raisons qu'autrefois de le craindre. Cependant, on peut se demander si, en contexte de pénurie éventuelle de ressources, un jour peut-être ce sera l'abstention thérapeutique qui serait à craindre.

J'ai été président du comité d'éthique clinique du CHUL pendant de nombreuses années et vice-président du comité d'éthique du CHUQ après la fusion des hôpitaux et je peux vous dire que, de plus en plus, dans nos milieux aujourd'hui, les médecins, avant la mise en place de traitements dispendieux et de traitements complexes, en discutent avec les comités d'éthique. Alors, l'acharnement thérapeutique, je crois qu'il y a quand même des avancées qui ont été faites afin de contrer ce mouvement-là.

Lorsque des personnes désirent l'euthanasie ou l'aide au suicide, elle le justifient par des motifs différents. Or, une revue systématique des publications médicales sur ce sujet dégage une constante. Le motif principal de leurs demandes est la souffrance psychique ou morale, ce que j'ai observé dans ma pratique clinique en soins palliatifs. Or, cette souffrance est souvent beaucoup plus difficile à affronter ou à soulager que la douleur physique. À cet égard, les médecins, le personnel soignant et les proches de la personne malade se sentent souvent démunis.

De fait, l'épreuve majeure d'une existence humaine consiste généralement à voir ses forces physiques décliner, ses sens perdre leur acuité, son univers se réduire, sa dépendance à l'égard des autres grandir, son intimité subir un envahissement gênant, et on pourrait allonger cette liste. Pour plusieurs, le sentiment lié à la perte de contrôle sur leur vie s'avère déterminant. Or, à l'évidence, tous ces motifs ne relèvent pas d'abord d'un problème médical mais d'un problème humain, et ce problème affecte l'ensemble de notre société.

Il existe parfois, tout près de nous, des souffrances aussi grandes et parfois plus grandes que celles des malades de nos hôpitaux et de nos soins de longue durée. Qui oserait affirmer qu'elles doivent être soulagées par l'euthanasie ou l'aide au suicide? Au contraire, beaucoup de personnes s'engagent dans des organismes de prévention du suicide précisément pour prévenir cette éventualité.

Même si, comme le proposent les partisans de l'euthanasie, l'accès à l'euthanasie et à l'aide au suicide est à limiter à la fin de vie, la personne qui lutte contre la tentation du suicide ou qui oeuvre dans des organismes de prévention du suicide nous reprocherait avec raison de créer, dans notre société, une mentalité mortifère. Nous augmenterions le risque de voir les personnes les plus fragiles céder à la tentation d'en finir. Il faut avoir, comme moi-même, et peut-être certaines personnes ici, dans l'assemblée, été directement touché par le suicide au sein de nos familles pour comprendre ce point de vue. Il est vrai qu'en présence d'une grande souffrance morale nous sommes ramenés à notre propre vulnérabilité et à la pauvreté de nos moyens. Compatir conduit donc aussi à faire l'expérience de nos propres limites en même temps que celles de la science médicale, et ces limites mêmes aident à nous recentrer sur l'essentiel.

Les personnes qui acceptent d'accompagner des personnes malades, particulièrement dans les milieux de soins palliatifs, témoignent que plusieurs d'entres elles vivent une réelle croissance personnelle et qu'accompagner fait aussi grandir. Je peux vous dire, je me considère privilégié d'avoir, toutes ces années, appris auprès des personnes en fin de vie. La maladie aide à faire la vérité sur soi, à vivre des réconciliations avec soi-même ou avec l'un ou l'autre de ses proches. Elle offre l'occasion de redonner sens à sa vie et à sa mort. Ce qui se présentait au départ comme la crainte d'une grande souffrance peut finalement s'avérer un chemin d'humanisation.

La pratique des soins palliatifs s'avère effectivement un lieu où le personnel soignant et de nombreux bénévoles offrent un environnement et un accompagnement personnalisé à des malades en phase terminale. Comme on le sait, ce n'est plus le temps de chercher à guérir. Une fois assuré le soulagement de la douleur physique et les soins de base, le personnel et les bénévoles de soins de santé ainsi que les proches qui assurent un accompagnement, qui confirment les malades dans le sentiment qu'ils continuent à compter et qu'ils n'ont pas perdu leur dignité... Celle-ci, en effet, tient beaucoup à la qualité des relations maintenues avec eux et à la qualité du regard posé sur eux.

Puisque tous souhaitent une mort dans la dignité, interrogeons les personnes qui sont familières avec la pratique des soins palliatifs. De façon quasi unanime, elle confieront qu'il n'existe sans doute pas de meilleure façon de mourir dans la dignité. Aujourd'hui encore, votre commission pourrait difficilement rendre un meilleur service à notre population que de promouvoir une meilleure accessibilité aux soins palliatifs. Le Québec a effectivement fait des pas intéressants dans cette direction. Des maisons continuent à se mettre sur pied ici et là, des équipes se mettent en place dans les hôpitaux, en mobilisant une remarquable générosité. Mais il semble que seulement 15 % de nos malades en phase terminale soient en mesure d'en profiter. Voilà un lieu où diriger nos efforts et nos ressources.

D'aucuns affirment que les soins palliatifs pourraient être offerts au choix en même temps que l'euthanasie ou l'aide au suicide. Pareille affirmation nous laisse très perplexes. Pour sa part, le Dr Louis Dionne, fondateur et premier directeur général de La Maison Michel-Sarrazin, s'est exprimé avec vigueur contre cette éventualité. Il disait à la commission sénatoriale, en 1994, où nous avions tous les deux déposé des mémoires et présenté séparément: Si vous acceptez l'euthanasie, vous tuez les soins palliatifs dans leur essence et dans leur philosophie.

En effet, comment mobiliserait-on des centaines de bénévoles, comment justifierait-on autant de ressources s'il paraît évident qu'on peut en finir avec de bien moindres efforts et à de bien moindres coûts? N'oublions pas qu'une frange importante de notre population, de notre société utilitariste, pose un regard très pragmatique sur ces réalités.

**(16 h 20)**

M. Blanchet (Bertrand): Les personnes qui se déclarent favorables à l'euthanasie ou à l'aide au suicide considèrent que ce choix représente une exigence de leur autonomie. Nous en avons beaucoup parlé tout à l'heure. Elles insistent donc sur le fait qu'elles seules ont le droit de décider de la façon dont elles quitteront leur vie. Cette requête est tout à fait compréhensible, puisque l'autonomie est aussi une expression de notre dignité personnelle. Dans une culture comme la nôtre qui accentue la place des libertés individuelles et de la conscience personnelle, la valeur de l'autonomie prend un relief supplémentaire. Certains l'expriment sous forme d'un droit quasi absolu de faire des choix sur ce qui les concerne.

Mais l'autonomie ne peut naître et se développer qu'en faisant appel à des solidarités. Comment, en effet, concevoir la vie sans solidarité? Nous commençons à tisser des liens dès avant notre naissance. La biologie nous apprend que nous fabriquons nous-mêmes le cordon ombilical et le placenta qui nous relie à notre mère. Voilà peut-être le symbole le plus puissant de notre besoin des autres. Par la suite, nous sommes accueillis par les membres de notre famille, des confrères de classe, des collègues de travail, un conjoint, une conjointe, des enfants, des petits-enfants: autant de liens de solidarité qui ont tissé peu à peu ce que nous sommes devenus. Alors, quand surviennent les dernières étapes de notre vie, nous ne pouvons pas décider de tout comme si nous étions seuls au monde. Nous portons une responsabilité à l'égard des personnes et des milieux de qui nous avons beaucoup reçu.

Par exemple, lorsqu'une personne décide de s'enlever la vie et qu'elle justifie son geste publiquement, quel message envoie-t-elle aux personnes vivant la même situation ou une condition encore plus pénible? Quel message reçoivent les personnes handicapées et les grands malades quand ils apprennent que des personnes connues ont choisi de mettre fin à leurs jours? L'interdit actuel de l'euthanasie ou de l'aide au suicide représente pour elles une barrière qu'elles n'oseront généralement pas franchir. Une fois la barrière tombée, il devient plus facile de céder à cette tentation.

Nous croyons qu'il faut prêter la plus grande attention à la fragilité des personnes âgées et handicapées. Quand elles constatent que leur condition physique se dégrade, qu'elles sont inutiles et deviennent un poids de plus en plus lourd pour elles-mêmes et pour les autres, elles peuvent éprouver ces tendances mortifères qui affleurent souvent aux heures difficiles de la vie. Elles ont besoin que leur milieu immédiat, que la société les protège contre le sentiment d'être de trop et de constituer un fardeau pour leurs proches et pour la société. Elles n'ont surtout pas besoin qu'on en rajoute en créant des conditions qui augmenteront le doute sur elles-mêmes et les inciteront à baisser les bras.

Il est juste d'affirmer que nous faisons présentement un débat de société, un débat où deux valeurs sont en jeu: d'une part, l'autonomie individuelle et, d'autre, la solidarité et ses diverses expressions. Luc Ferry la formulait ainsi: D'une part, l'éthique de l'autonomie et, d'autre part, l'éthique de la vulnérabilité.

L'acceptation de l'euthanasie ou de l'aide au suicide renforcerait les tendances individualistes qui nous guettent tous. Du même coup, elle atténuerait notre solidarité à l'égard des personnes malades ou handicapées et elle ne solliciterait plus autant les bénévoles. Nous sommes donc en train de choisir le type de société dans laquelle nous voulons vivre et que nous voulons léguer aux générations qui montent. Souhaitons-nous une société où les droits individuels sont constamment renforcés ou une société génératrice de solidarité? À cet égard, rappelons-nous la première recommandation de la commission sénatoriale il y a une quinzaine d'années. Elle avait fait une étude avec grand soin. Elle recommande la promotion des soins palliatifs. Elle n'a pas demandé de modification de la loi actuelle. Elle a plutôt compté sur la remarquable capacité de solidarité de tant de nos concitoyens et concitoyennes.

M. Morissette (Michel): Comme plusieurs intervenants, nous appréhendons plusieurs autres conséquences d'une éventuelle acceptation de l'euthanasie et de l'aide au suicide, d'abord sur la profession médicale. Dès le moment où des malades ou des personnes âgées savent que leur médecin n'est pas là seulement pour soigner et guérir mais également pour donner la mort, la relation n'est plus la même. La confiance ne saurait plus être totale. Le médecin serait à la fois porteur de vie et de mort, et la société lui accorderait, à ce niveau, un pouvoir ultime qui ne lui a jamais été concédé jusqu'à ce jour, exception faite de certains pays où les médecins participent aux exécutions de condamnés à la peine capitale. Comment savoir si, en des moments où la lucidité du malade s'estompe, le médecin ne s'autorisera pas du principe de bienfaisance pour procéder à une discrète euthanasie? Je pourrais, plus tard, vous donner des exemples.

Une loi autorisant l'assistance médicale au suicide et à l'euthanasie placera un nombre important de médecins, en leur âme et conscience, dans une situation conflictuelle entre un nouveau droit et un nouveau devoir face à un engagement moral de ne pas abandonner un patient. L'interdit d'homicide, la tradition hippocratique, représente une sagesse qui a traversé les siècles. Il mérite encore d'être respecté.

Advenant une légalisation de l'euthanasie et de l'aide au suicide, la relation d'une personne malade avec ses proches est également altérée. Quand et comment répondre à la demande d'une personne proche qui désire l'euthanasie? Provoquer la mort de quelqu'un demeurera toujours un geste très grave qui laisse inévitablement sa marque chez la personne qui en est responsable lorsqu'elle a à participer à une prise de décision, et ce, que l'on soit pour ou contre l'euthanasie. De plus, quand la personne malade est en perte de lucidité et que les proches sont appelés à prendre une décision à son sujet, comment savoir si certains intérêts personnels, financiers ou autres ne pèseront pas dans la décision?

Si l'euthanasie ou l'aide au suicide était décriminalisée, la situation ne serait également plus la même pour les pouvoirs publics. Une fois l'interdit de l'homicide aboli, la vie humaine perd le caractère intouchable qu'elle possédait jusque-là. Ce caractère est heureusement renforcé dans notre pays par l'abolition de la peine de mort. Ne serait-il pas paradoxal que la peine de mort soit abolie pour les uns en même temps qu'on provoque cette mort chez d'autres? De plus, qui peut dire si les grands malades inconscients, les personnes très handicapées nécessitant des soins lourds et coûteux ne seront pas sacrifiés discrètement pour libérer des lits et alléger des budgets si difficiles à contrôler?

Nous ne voulons pas prêter un rôle machiavélique à l'État, mais l'histoire de l'humanité nous apprend que tous les dérapages sont possibles. Il faut ici également craindre la pente glissante. Les personnes ou les groupes qui font la promotion d'une aide à mourir affirment avec force que des balises strictes régleront cette pratique. Connaît-on des situations où peu à peu les balises n'ont pas été déplacées pour satisfaire à d'autres demandes que celles qui avaient été initialement prévues? Le Canada en a fait l'expérience dans le cas de l'avortement. Le pays où la pratique de l'euthanasie est la plus longue, la Hollande, s'est faite interpeller récemment par le Comité des droits de l'homme de l'ONU par manque de respect des balises qu'il s'était données. Le parrain de la loi française sur le sujet, le député Jean Léonetti, y a fait un séjour de quelques mois. Il a constaté que, dans la pratique, il s'y développait un renforcement du pouvoir médical.

M. Blanchet (Bertrand): La commission a lancé un processus de consultation qu'elle désire sans doute des plus démocratiques. Mais la démocratie peut s'exercer de diverses façons. Il est prévisible que, si la décision sur cette question reposait d'abord sur des sondages, sur le résultat d'un référendum ou sur des opinions exprimées par Internet, il y aurait de fortes chances qu'une majorité se dégage en faveur de l'euthanasie ou de l'aide au suicide -- le sondage rendu public hier en témoigne -- et pour diverses raisons, tout comme la population, dans un cas semblable, pourrait bien se dire favorable à la peine de mort. Qui sait? Mais c'est la responsabilité des personnes élues, grâce aux moyens dont elles disposent, de mieux anticiper les conséquences d'une éventuelle décriminalisation de l'euthanasie.

C'est précisément ce que nous avons observé en 1994-1995, quand la commission sénatoriale a mené une étude approfondie de cette question. C'est aussi ce qui s'est produit plus récemment en France, en 2003, et en Angleterre, en 2006. Dans le cas de l'Angleterre, l'association médicale britannique, qui était d'abord demeurée neutre, s'est prononcée majoritairement contre le projet de loi en faveur de l'euthanasie. Reconnaissons qu'elle était bien placée pour prendre la mesure des enjeux en cause et convaincre les parlementaires. En France, à la suite d'un rapport de 900 pages de la Mission d'information sur l'accompagnement de fin de vie -- on ne vous en demande pas tant -- les parlementaires ont voté très majoritairement contre la décriminalisation. Que faut-il en conclure? Une réflexion approfondie sur les enjeux et les conséquences d'une acceptation ou l'aide au suicide... l'euthanasie ou l'aide du suicide mène à beaucoup de prudence, et c'est bien ce que rappelait cette semaine le réseau des soins palliatifs du Québec.

Jusqu'ici, notre propos s'est voulu large et acceptable par les personnes de toute origine et de toute croyance. Comme représentants d'une communauté catholique, permettez-nous d'ajouter une conviction de foi qui confère un supplément de sens à notre propos. Dès les toutes premières pages de la Genèse, l'interdit du meurtre est affirmé de manière dramatique dans le récit de l'assassinat d'Abel par son frère Caïn. La question que l'auteur biblique met dans la bouche de Dieu est remarquable de concision et de sens: «Écoute le sang de ton frère qui crie vers moi du sol.»«Écoute», c'est la voix de la conscience; «le sang de ton frère», tu en étais responsable car tu partageais avec lui le même sang et une commune humanité; «qui crie vers moi du sol», «vers moi», car Dieu a partie liée avec la vie, tout particulièrement celle de l'être humain qui est sorti de ses mains et sur qui il a laissé des reflets de son image et de sa ressemblance.

Cet interdit du meurtre a traversé les siècles. Pour le personnel soignant, il s'est concrétisé sous la forme du serment hippocratique. Il en existe d'autres, l'interdit de la manipulation, l'interdit du mensonge lors des soins que l'on peut donner à des gens, mais le plus fondamental est sans doute l'interdit du meurtre. Il représente la première balise qui doit guider les législateurs.

**(16 h 30)**

M. Veillette (Martin): Pour conclure, nous souhaitons inviter la commission à une très grande prudence concernant une hypothèse qui a été évoquée par certains, c'est-à-dire, l'application de la loi étant du ressort des provinces, il serait possible de maintenir la loi actuelle tout en laissant au tribunaux de décider de son application ou non. Cette tendance s'observe déjà, puisque plusieurs, entre guillemets, meurtres par compassion se sont, à toutes fins pratiques, terminés par une absolution sans pénalité. Pareille situation nous paraît inacceptable, même sous le prétexte de l'exception québécoise, entre guillemets, aussi. Elle revient, en somme, à lever la barrière de l'interdit, comme vient de le mentionner Mgr Blanchet.

Si la loi existe, elle doit être observée, sinon la fonction de législateur perd une part de sa crédibilité, puisque le système judiciaire peut arriver à contourner la loi. C'est d'ailleurs ce qui s'observe en Angleterre, où le système juridique outrepasse ses prérogatives en contournant les décisions du Parlement, ce que l'ancien premier ministre Gordon Brown avait déploré, pour sa part.

Nous souhaitons donc que la commission propose des recommandations qui aideront effectivement à rendre la fin de vie la plus humaine et la plus humanisante possible tant pour les individus que pour l'ensemble de notre société. Nous pensons que ce sera le cas si cette fin survient à son heure: pas avant par euthanasie ou aide au suicide et pas après non plus à cause d'acharnement thérapeutique. Cela s'avérera également si la personne en fin de vie est accompagnée par du personnel soignant et des bénévoles qui la soutiennent tout au cours de cette étape cruciale de son existence. Je vous remercie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Il y avait un léger dépassement, alors on va gérer le temps dans la période d'échange avec les membres de la commission. Je vais souligner la présence de notre collègue et ami député de Montmagny-L'Islet. Alors, bienvenue, M. le député. Je suis prêt maintenant à céder la parole à la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Et, non, je ne prends pas la parole pour vous dire que j'ai perdu ma partie de cartes, mais je vous ai bien suivis. J'avais avisé les gens que je ne jouais pas aux cartes, mais que je suivais le mémoire, c'est pour ça que je fais...

Le Président (M. Kelley): ...utiliser le papier, suit les mémoires sur l'écran.

Mme Charbonneau: Oui. Je vous ai bien lu avant de vous entendre, puisque, votre mémoire, vous l'avez fait en partie, vous l'avez abrégé, vous avez sauté certaines parties, donc je vous ai retrouvés dans la conclusion. Et j'apprécie l'angle que vous prenez par rapport à l'humain et l'humanisation de la mort. Et, en même temps, j'ai le goût de vous relancer en vous disant: Vous savez, l'homme a changé la maladie, puisqu'il y a très, très longtemps, quand on tombait malade, on mourait. Maintenant, grâce à la médication, la médecine, les avancements extraordinaires qu'on fait, quand on est malades, plus souvent qu'autrement, on survit et on vit, puisque notre première volonté, elle est, à la base même, de vivre.

Tous les gens que j'ai rencontrés sur mon court parcours jusqu'ici ont une intensité de vivre de façon beaucoup plus grande qu'une volonté de mourir. Par contre, cette consultation nous permet d'entendre des gens de partout et de toutes formes de réflexion, et je vous amène à hier puisqu'on a eu un témoignage fort éloquent d'une jeune femme de 32 ans qui voyait la proposition soit de l'euthanasie ou du suicide assisté comme une porte de sortie, puisque sa maladie lui donnait une forme d'angoisse et lui enlevait un certain plaisir de vivre, à savoir ce qui s'en venait pour elle. Elle n'avait pas cette option de dire: Je vais arrêter les traitements, puisqu'elle n'avait pas nécessairement un traitement qui pouvait faire en sorte qu'elle pouvait cesser de vivre ou d'être soulagée de façon quelconque.

Donc, je vous amène sur cet aspect-là, c'est-à-dire, si j'ai une maladie qui n'est pas un cancer, qui n'est pas une maladie qui m'emmène vers une fin de vie plus difficile ou en maison palliative, qu'est-ce que je fais pour devenir plus humaine pour aider cette personne-là à voir sa fin de vie de façon beaucoup plus sereine?

Puis j'en rajoute un peu en vous disant que, dans les pays où on a acquiescé à la demande des gens, où on a donné cette porte de sortie, la plupart des gens ne l'utilisent pas, puisqu'ils se disent: Je sais que c'est une option, je sais que je ne suis pas obligé de l'utiliser, et, si jamais la souffrance... et si mon corps se tord ou devient plus difficile, bien, je vais prendre cet angle-là, parce que je le sais, que c'est une porte de sortie pour moi.

Donc, quand vous me parlez de l'humain, je veux dire, de la compassion, de l'humanisation de la fin de vie, comment je fais l'approche par rapport à ces gens-là qui ne sont pas dans les maisons palliatives mais dans une autre forme de prison qui leur appartient, à eux seulement?

M. Blanchet (Bertrand): ...premier élément de réponse, vous parlez au fond d'une perception. La perception que peut-être la personne n'aura pas tous les soins qu'elle pourrait souhaiter, tout comme on joue sur la perception quand une personne craint de trop souffrir, hein? Et, au moment où arrive la souffrance, souvent on a des moyens de faire face plus facilement qu'on aurait cru.

Moi, je dirais: La véritable porte de sortie, à mon sens, c'est d'assurer de bons soins. Et, si on est capables de donner des soins palliatifs d'une manière assez généralisée à l'échelle du Québec, peut-être que les gens sentiront moins le besoin d'avoir de ces garanties, comme vous disiez tout à l'heure.

Et j'ajouterais un élément aussi. Au fond, on est là un peu dans l'ordre d'une exception, je pense, tout comme, hier, on entendait la présidente de l'Ordre des infirmiers et infirmières dire: Oui, il pourrait peut-être y avoir des exceptions très rares. Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens: Ça pourrait être des exceptions rarissimes. Est-ce qu'on a besoin de modifier une loi quand il s'agit simplement d'exceptions? On ne fait pas de bonnes lois avec des exceptions. On n'en abolit pas non plus, je pense, pour des exceptions.

Mais, moi, à mon sens, en tout cas, la réponse la plus valable peut-être, là, la partie de réponse la plus valable, c'est celle qui nous est présentée comme un défi: assurer de bons soins pour que les gens soient plus rassurés face à leur fin de vie.

Le Président (M. Kelley): Dr Morissette.

M. Morissette (Michel): Oui, merci. La situation que vous nous posez, elle est très vraie et elle est très réelle. On l'entend souvent, et je l'ai entendue souvent. Ces personnes-là qui vivent ces situations-là, à quelque part, elles se projettent dans le futur. Et je vous raconte une anecdote suivante que j'ai vécue en clinique: C'est un homme dans le début de la quarantaine, qui est atteint du sida à cette époque où les trithérapies n'existaient pas encore. Il était maigre comme un clou, il faisait peur aux patients dans la salle d'attente. Les autres patients, quand je les voyais après ça, me demandaient: Est-ce que je vais devenir comme ça? Bref, un type qui avait eu une vie très difficile. Toute sa vie depuis son enfance était une vie où ça a été échec affectif après échec affectif, à partir de la famille, les amis, la vie de couple, et tout le reste. Ce type-là voulait mourir, puis il voulait décider quand lui voulait mourir au temps voulu. Et je l'avais comme patient, ce bonhomme-là, et j'ai cheminé avec lui. Puis je vais l'appeler, je vais l'appeler Robert, admettons, là, pour ne pas donner son nom. Et Robert appréhendait toujours l'étape suivante de la maladie, l'étape suivante. J'ai dit: Regarde, Robert, là où tu es aujourd'hui, il y a deux mois, il y a trois mois, si tu t'étais vu il y a trois mois comme tu es maintenant, est-ce que tu aurais dit: Ça a de l'allure? Non. Maintenant, est-ce que ce que tu vis, ça a encore de l'allure? Oui. Bien, on peut-u attendre d'être rendu là? Puis on verra à ce moment-là.

On a cheminé comme ça. Je sais que c'est un type qui avait réussi, par un réseau à Montréal, à avoir en main les médicaments qu'il lui fallait pour mettre fin lui-même à ses jours. J'ai respecté ça, mais j'ai cheminé avec cet individu-là, et il est retourné à Montréal parce que la lune de miel qu'il s'attendait à faire avec sa mère ici, à Québec, en revenant à Québec, n'avait pas fonctionné. Il me donnait des nouvelles régulièrement par téléphone tous les mois. Il continuait d'appeler. Et, un jour, son médecin de famille m'a appelé pour me dire: Il est décédé à domicile d'une pneumonie à pneumocystes carinii. Je suis certain qu'il a mis fin à ses jours, parce qu'une pneumonie à pneumocystes, tu ne meurs pas de ça chez toi, tu es en unité de soins intensifs, parce que tu n'es plus capable de respirer, tu étouffes.

Bien, tout ça pour vous dire, le cas n'est peut-être pas adéquat, mais on chemine dans la maladie, tout comme, nous autres, on chemine aussi avec les malades. Puis l'important, c'est donc de prendre le temps de s'asseoir et d'écouter ces gens-là. Il n'y a pas de solutions magiques à tous les cas particuliers.

Mme Charbonneau: Vous savez, j'ai compris, il y a très, très longtemps, que tout exemple n'était pas bon à prendre, mais je vous relance pour le plaisir d'en donner un autre.

M. Morissette (Michel): ...une généralité d'une anecdote, mais ça sert à illustrer.

**(16 h 40)**

Mme Charbonneau: Tout à fait. On nous dit: Il ne faudrait surtout pas faire une règle ou une législation pour une minorité. Je reprends l'exemple de tantôt: la peine de mort, c'était pour une minorité; on a modifié la loi.

On a eu une dame de 89 ans qui est venue nous dire: Je ne comprends pas. Je ne comprends pas qu'on envoie les gens à la guerre et qu'ils reviennent après avoir tué et on les glorifie, et, moi, à 89 ans, je veux choisir ma mort et on m'en empêche. Je ne comprends pas.

Alors, dans cette réflexion-là, elle nous a un peu bousculés puisqu'entre la volonté d'un individu et la volonté d'une collectivité, des fois, le message est perplexe. Vous en pensez quoi?

M. Blanchet (Bertrand): Vous avez dit à la fin?

Une voix: Vous en pensez quoi?

M. Blanchet (Bertrand): Ah, qu'est-ce que j'en pense?

Mme Charbonneau: Je vous relance en disant: Vous en pensez quoi?

M. Blanchet (Bertrand): D'accord. Bien, je reviendrai un petit peu sur la présentation générale que je faisais de ce dilemme entre l'autonomie et la solidarité. Encore une fois, nous sommes dans une civilisation ou une culture qui magnifie de plus en plus la place du sujet, comme on dit. C'est l'une des caractéristiques de l'être humain moderne, et c'est une valeur, encore une fois, très importante. Mais un philosophe, Chesterton, disait: Quand on regarde les valeurs seules, elles deviennent affolées, hein? Il faut les tenir ensemble. Et là il faut tenir cette valeur de l'autonomie avec celle de la solidarité. Et je trouve qu'une des plus belles illustrations du fait qu'on ne peut pas miser uniquement sur l'autonomie: Qui d'entre nous est capable de faire son bonheur par soi seul, pour soi seul et en soi seul, hein? On a partie liée avec les autres. Je comprends que, quand arrivent des cas comme ceux-là, ce soit difficile, mais, dans beaucoup d'autres domaines de la vie, nous restreignons aussi l'autonomie, hein? Le tabagisme, l'alcool au volant, la ceinture, etc., hein, pour le bien commun. Et la solidarité, c'est une forme de bien commun, finalement.

Mme Charbonneau: ...pas perplexe, j'essaie de mesurer la portée des mots que j'utilise pour être sûre que je me fais bien comprendre. Mais je vous entends quand vous parlez du bien commun, puis du bien collectif, puis, en même temps, la vision de l'autonomie de la personne, puisqu'on a beaucoup de gens qui sont venus parler de leur autonomie: J'ai le droit de décider de manger, mais en même temps, je me fais guider dans mon alimentation, qu'est-ce que je dois ou ne dois pas manger. Et je prends «manger», mais j'aurais pu prendre n'importe quoi, là.

Plusieurs personnes sont venues nous parler de la volonté et de l'autonomie de pouvoir décider de sa propre mort, puisque, dans la maladie, c'est un choix qu'on aimerait avoir. Mais je vous entends dans le principe de la collectivité, puis on a eu un débat avec la dame de 89 ans sur la ceinture dans la voiture, qui disait que, finalement, elle a accepté de la mettre, pas parce que ça la protégeait, elle, mais que ça protégeait les autres s'il y avait un accident, puis elle se faisait projeter, puis elle pouvait blesser quelqu'un. Donc, elle disait: Je ne comprends pas pourquoi ma mort pourrait être quelque chose qu'on me refuse, parce que, un coup les choses réglées, un coup que j'aurai fait le tour de ma famille et confirmé que tout va bien, tout le monde comprend que, rendue à 91 ans, c'est assez, je veux passer à autre chose, je veux aller rejoindre mon mari, je veux... Je veux quitter et je veux mourir à mon gré, à ma façon. Donc, vous avez compris que, pour nous, c'est un tiraillement tous les jours, à toute forme de témoignage, parce qu'à chaque fois les raisons sont toujours bonnes d'un côté ou de l'autre.

Je vais vous poser une question, peut-être que vous allez la laisser aux médecins, peut-être que vous allez la prendre, à votre choix. On nous a parlé du traitement inutile. En médecine, on découvre de nouvelles choses, on essaie de prolonger la vie, puisque c'est un engagement qu'ils prennent -- «qu'ils prennent» étant la médecine -- et on a des médecins qui sont venus nous parler des traitement inutiles. Ils nous en ont parlé, pas dans un contexte où ils le dénonçaient, mais ils disaient: Si on prenait le principe du traitement inutile, de trop pouvoir prolonger puis qu'on investissait un peu plus dans comment calmer, comment arriver à une mort sereine en aidant les gens à mourir, ce serait peut-être intéressant de le regarder sous cet effet-là, puisque, contrairement à une affirmation que vous avez faite, ces gens-là ne voyaient pas l'euthanasie, le suicide assisté comme la mort des soins palliatifs, mais plus un complément à un soin palliatif. Plutôt que de m'endormir une semaine pour me laisser mourir dans mon sommeil, j'aimerais mieux qu'on me laisse mourir cette journée-là après avoir fait la paix avec tout ce que j'ai à faire et d'en régler là.

Donc, pour eux, la mort devenait un soin, même si c'est un peu frissonnant quand je le dis comme ça, plutôt que quelque chose qui vient mettre un frein à l'évolution d'un soin palliatif. Et ils disaient plutôt que c'étaient les traitements qui prolongent inutilement d'une semaine ou deux qui sont souffrants, qui font en sorte que le patient se retrouve dans des situations beaucoup plus gênantes que d'autre chose, qui fait que c'est là que ça deviendrait malsain. Donc, quand vous dites que l'euthanasie, ou le suicide assisté, ou l'aide à la mort -- on n'a pas trouvé le bon terme, le moins choquant -- ... eux, ils le voyaient plus comme pour compléter un traitement palliatif.

M. Morissette (Michel): Les gens voient cette alternative-là comme une porte de sortie, comme votre dame disait tout à l'heure, «une sortie de secours», «une issue de secours» comme à bord de l'avion.

Bon. On vous a très bien exposé, nous, les craintes qu'on voit et le message qu'on pourrait lancer aux plus vulnérables. La personne âgée qui dit: Moi, c'est fini, j'ai 92 ans, j'ai fait mes adieux à ma famille, et le reste, bien, je veux dire, quel message elle envoie aux autres personnes âgées qui, tout à coup, elles, pourraient se dire: Bien, aïe, ça pourrait être une option pour moi. Oui, je suis un poids pour ma famille, je suis un poids pour mes enfants, et ça pourrait être une façon également... Moi, j'ai peur de l'effet pervers de cette décision-là.

Vous savez, dans les milieux de soins palliatifs... Bien, vous avez parlé de la futilité des traitements. Bien, qu'est-ce qu'on entend exactement par des traitements futiles? Moi, avec la longue expérience que j'ai des soins palliatifs, je ne pense pas que ce soit en soins palliatifs où les traitements que nous donnons, les approches que nous avons sont de la futilité pour les patients. D'abord, les patients, souvent, nous arrivent, ils sont surdosés parce que, dans les hôpitaux, on n'a pas le temps de les évaluer comme il faut, et là on réajuste la médication, puis, tout à coup, woups, ils sortent de leur délirium, puis, woups... Je me rappelle cette dame-là qui avait filé deux ou trois mois; on avait diminué ses narcotiques, ses opioïdes de 90 %, puis elle était suivie en milieu hospitalier. Vous savez, la notion de futilité, je pense qu'elle est beaucoup plus avant l'arrivée dans nos milieux de soins.

Bon. Je vis moi-même avec un cancer, j'ai eu une chirurgie l'an dernier, le même cancer dont deux de mes frères sont déjà décédés, à La Maison Michel-Sarrazin d'ailleurs, et je me dis: Il vient quelque part un moment dans la vie où, moi, j'ai observé dans ma pratique, souvent c'est le malade qui exige du médecin d'aller le plus loin possible jusqu'au bout, jusqu'au bout. Et ça, on voit ça surtout chez les gens jeunes, On le voit chez les gens, par exemple, qui ont des enfants. Moi, je peux comprendre qu'une mère de famille, qu'un père de famille veuille que ça se prolonge et avoir encore le plus de temps possible. Mais je pense qu'il vient un moment où, comme individu, il faut se dire, je pense: Assez, c'est assez. On ne fait plus d'intervention visant à prolonger la vie ou à me guérir, j'accepte l'éventualité.

Je vais vous dire, personnellement, j'ai vu aller mes frères, je n'ai pas peur de la souffrance, je n'ai pas peur de la douleur, je n'ai pas peur de la perte de mes facultés ou de la dépendance, ce que je crains cependant, c'est de tomber entre des mains incompétentes. Ça, c'est autre chose.

Alors, j'ai travaillé beaucoup à la mise sur pied de programmes de formation en soins palliatifs ici, avec la Faculté de médecine, qui s'adressent aux médecins et aux pharmaciens, un programme de formation continue, par exemple, qu'on a développé il y a à peu près huit ans, qui fonctionne encore, qui roule encore. Il faut axer nos efforts de ce côté-là.

On a, pour les gens en phase terminale, toutes sortes d'alternatives. Dans un milieu comme Sarrazin, on s'évertue... on fait tous les efforts possibles pour soigner les malades, les rendre confortables avec, autant que possible, préserver leur état de conscience. Mais, quand ce n'est plus possible, les gens qui sont en détresse respiratoire aiguë, imaginez-vous qu'on les laisse se noyer dans leurs sécrétions? Ou les gens qui ont de douleurs excruciantes? Il faut faire comme on fait dans nos ailes d'unité de soins intensifs, il faut ne pas avoir peur de faire de la sédation. Il faut être à l'aise avec la sédation.

**(16 h 50)**

Or, malheureusement, les balises de la sédation, qui était une des recommandations du rapport du comité du Sénat en 1995, n'ont jamais eu de suivi. Il n'y a pas de balise actuellement pour la sédation palliative dans nos milieux, et c'est une urgence. Il faut que le Collège des médecins se penche là-dessus. La sédation, ce n'est pas sorcier. Dans les unités de soins intensifs, les grands polytraumatisés, ce sont les intensivistes et les anesthésistes qui prennent le relais pour soulager ces malades-là. Et on peut faire la même chose en fin de vie pour ce qui est de la douleur. Mais ça ne règle pas le problème de la douleur psychique.

Je peux terminer en vous donnant un exemple. Il y a quelques années, j'ai reçu un patient à La Maison Michel-Sarrazin, un homme, début de la cinquantaine, un cancer du poumon. Avant son admission, l'infirmière de liaison me dit: Ce monsieur-là va te faire une demande d'euthanasie. Il sait qu'on ne la fait pas à Sarrazin, mais il va te faire sa demande. Alors, je fais son admission, le matin: un monsieur, cancer du poumon, zéro douleur. Zéro douleur. Et je mets le ver au bout de l'hameçon, mais pas trop gros pour ne pas qu'il morde tout de suite, parce que, quand ils arrivent comme ça, c'est un choc, ils sont partis du domicile ou ils arrivent de l'hôpital, puis ils savent pourquoi ils viennent à La Maison Michel-Sarrazin. Alors, on les laisse atterrir. Je dis: Je vais venir vous revoir en après-midi.

En après-midi, je lui demande: Est-ce que vous avez des attentes, des volontés particulières? Il fait signe à son épouse: Envoie. Alors, elle me fait la demande. Je dis: Écoutez, ce que vous me demandez là, c'est gros. Si vous permettez, j'aimerais ça y réfléchir un peu et on s'en reparle demain matin. Le lendemain matin, j'arrive à 9 heures, et l'infirmière assistante me dit: Michel, il y a une urgence. J'ai dit: Qu'est-ce qui se passe? Elle dit: Le frère de Monsieur X est arrivé au poste à 9 heures, coup de poing sur le comptoir: Il est 9 heures, là, vous voyez, il est 9 heures; à 11 heures, il faut que ça soit fini, moi, je pars à Montréal. C'est ça qu'il veut; vous êtes en devoir de lui demander... de lui fournir l'euthanasie, ce qu'il demande.

Fiou! Alors, je dis: Bon, je pense que je vais d'abord rencontrer l'épouse, parce qu'elle me semblait plus... enfin, plus facile à parler. Alors, ça ne faisait pas 20 minutes que j'étais seul avec l'épouse dans le bureau que le frère entre. Je n'ai rien dit pendant 20 minutes. J'ai entendu toute l'histoire de cette famille-là, une famille de travailleurs, ouvriers, des gens travaillants qui ont gagné leur vie, toute leur vie, et le travail, travail, travail était valorisé dans cette famille-là. Alors, j'ai dit: Écoutez, je vais retourner voir monsieur, valider ça avec lui. Si vous permettez, je fais une réunion d'équipe.

Monsieur, c'est toujours ce qu'il voulait. On fait une réunion d'équipe, et on me propose de proposer au patient une sédation intermittente. Et la pharmacienne me dit: Tu utilises un neuroleptique très anxiolytique, ce que le malade a accepté, ce que la famille a accepté. Ce monsieur-là a survécu trois jours. On le faisait dormir 12 heures, on le laissait réveillé 12 heures, on le rendormait. La demande n'est plus jamais revenue. Il s'est vécu un tas de choses dans cette famille-là, et il a même pu parler à sa fille qui était en Europe puis qui n'avait pas un vol d'avion pour rentrer aussi rapidement qu'elle le souhaitait au chevet de son père, et il est décédé très paisiblement.

Et, le lendemain du décès, deux membres de la famille sont venus me rencontrer pour me dire merci. Pour deux raisons: d'abord, première raison, si vous aviez accédé à sa requête -- ce que je n'aurais jamais fait -- la famille se serait scindée, parce que tout le monde n'était pas d'accord, de un; de deux, on a vécu un tas de choses importantes pendant ces trois journées-là, et notre père, et nous, et on a réalisé que, pour nous aussi, c'était un temps important.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonjour à vous trois. Bienvenue. J'avais hâte de vous entendre également. Première question, Mgr Blanchet, tantôt, vous avez fait une certaine opposition entre autonomie, la valeur de l'autonomie, et la valeur de la solidarité. Depuis le début, on entend beaucoup l'opposition entre la valeur de l'autonomie et la valeur du caractère sacré de la vie, si vous voulez. Et je veux vous entendre là-dessus, parce que certaines personnes nous parlent de solidarité pour justement justifier au soutien du fait qu'il devrait y avoir une aide médicale à mourir en fin de vie en disant que la solidarité humaine devrait faire en sorte que, quand un de notre classe d'humains souffre trop, que ce soit physique ou existentiel, la solidarité devrait faire en sorte qu'on accepte que cette personne-là voie ses souffrances abrégées. Comment vous réagissez à ça?

M. Blanchet (Bertrand): De fait, à ce moment-là, j'exercerais ma solidarité à l'égard d'une personne. Mais, si on le fait... si on multiplie ce geste-là, on diminue de beaucoup les solidarités qui existent dans l'ensemble de la société. Petit exemple. Si quelqu'un me demande de l'aider à se suicider, je vais être solidaire avec lui. Mais quels seront les effets sur un nombre inconnu de personnes que ce geste-là pourrait avoir? Autrement dit, les solidarités, il faut les voir aussi larges que possible avec, comment dire, donc, l'objectif de créer dans notre culture, dans notre manière d'être en société, des réseaux de solidarité et un souci de la solidarité, pas seulement en réponse à la demande d'une personne.

Mme Hivon: Mais est-ce que votre inquiétude, c'est plus le message de dévalorisation de la vie ou c'est vraiment la solidarité? Parce que quelqu'un pourrait vous dire: En quoi ça nuit à la solidarité globale si j'exerce ma solidarité, même si c'est une solidarité extrême, à l'endroit d'une personne en l'aidant, en l'accompagnant jusqu'à ce geste ultime là?

M. Blanchet (Bertrand): D'abord, pour dire un petit mot de l'expression que vous avez utilisée tout à l'heure, le «caractère sacré» de la vie, moi, j'utilise très rarement cette expression. La vie en elle-même, ça n'existe pas, c'est une notion abstraite. Ce sont des personnes qui vivent -- ou d'autres vivants -- mais des personnes, et ce sont les personnes qui, à notre avis, ont un caractère sacré. Bon.

Et, quand on parle de solidarité, c'est aussi parce que les personnes qui doivent respecter leur propre caractère sacré, pour ainsi dire, ne sont pas capables de le faire seules. Il faut bien être supporté par d'autres personnes dans une société pour cela.

Mme Hivon: Je suis curieuse de savoir... C'est parce qu'on a eu la présentation du Barreau ce matin, puis on a vraiment remis dans un contexte, je dirais, d'évolution un peu tout le contexte des soins, du consentement aux soins. Ça peut interpeller aussi, évidemment, le Dr Morissette. Et je suis curieuse de savoir quand, au début des années 1990, on a décidé que... Il y a eu la décision Nancy B., puis tout ça, mais notre Code civil a été changé pour accepter que tout refus de traitement était possible, y compris un traitement qui avait toutes les chances de succès. Donc, quelqu'un pouvait décider de refuser tout traitement, y compris d'être débranché d'un respirateur, y compris si elle a 24 ans, sans aucune nuance. Comment, à cette époque-là, vous vous étiez positionnés? Est-ce que vous aviez pris position à l'époque?

M. Blanchet (Bertrand): Bien, moi, je me rappelle, j'étais président du comité d'éthique à l'époque. Nous n'avions eu aucun problème, je veux dire, avec ce nouvel état de fait. Je veux dire, quelque part, on était dans un contexte où une personne décide d'un refus de traitement. Un refus de traitement, à quelque part, c'était une décision de laisser la maladie suivre son cours naturel. Ce n'était pas une demande ou un droit qu'on donnait aux gens de dire que votre autonomie allait jusqu'à requérir que quelqu'un vous donne la mort, vous procure la mort. Il y avait une différence, mais on était très à l'aise, quand même, avec ce principe d'autonomie. Tout le monde le reconnaissait et le souhaitait, au fond.

Mme Hivon: Parce qu'il y a beaucoup de personnes... C'est sûr que, chez les médecins, il y a beaucoup de nuances qui sont faites au niveau de l'intention. Et je pense qu'aussi c'est très présent dans la foi catholique et, pour la majorité, outre la question de la foi catholique, pour la majorité des gens qui partagent une position similaire à la vôtre, le fait que l'intention est fondamentale, à savoir si on est devant un geste acceptable ou non. Mais, ce matin, le Barreau nous a un peu ébranlés parce qu'il nous faisait des distinctions entre... en disant: Bien, à un moment donné, les intentions, c'est peut-être très réconfortant, à savoir, bon, il y a l'intention criminelle du Code criminel, mais que, dans les faits, comment on est capables d'expliquer la différence de l'intention entre la sédation terminale avec laquelle va de pair une cessation d'hydratation ou d'alimentation, donc: Est-ce que la personne meurt uniquement de sa maladie ou est-ce qu'elle meurt du fait qu'on arrête aussi, de par la sédation continue terminale -- là, je ne parle pas intermittente -- de l'alimenter?, versus quelqu'un qui dirait: On est dans un cadre de soins de fin de vie, et, plutôt que de me dire que vous allez m'endormir pour trois, quatre, sept jours, j'aimerais ça que vous m'endormiez maintenant et, en fait, que je meure dans les heures qui vont suivre?

M. Morissette (Michel): D'abord, dans le cadre d'une personne en fin de vie, la plupart de ces grands malades là ne sont plus capables de toute façon ni de s'hydrater ni de s'alimenter. Alors, il faut comprendre qu'est-ce qui se passe aussi physiologiquement à ce moment-là chez ces grands malades là. Ils entrent tranquillement en insuffisances rénale, deviennent de plus en plus somnolents, donc deviennent semicomateux et deviennent comateux. Moi, je souhaiterais mourir d'insuffisance rénale parce que c'est une mort très douce. C'est une mort très douce. Je suis en train de perdre le noeud de votre question, excusez-moi.

Mme Hivon: C'était la différence dans l'intention entre la sédation...

**(17 heures)**

M. Morissette (Michel): Oui. Bon, au niveau de l'intention, écoutez, on ne peut pas mesurer l'intention, d'abord, chez un individu. C'est sûr qu'il y a une nette différence, une nette différence dans l'intention entre la médication que je donnerais maintenant dans le but de provoquer immédiatement la mort et que... celle qui dit: Je fais une sédation pour soulager le patient de son angoisse, de sa douleur, enfin bref, peu importe, et laisser la mort survenir naturellement. C'est sûr que je sais qu'il va mourir dans les deux cas, mais le geste est très différent, il est posé dans un contexte très différent.

J'ai connu un médecin qui a pratiqué à plusieurs reprises l'euthanasie et, je me rappelle, ce médecin-là m'avait dit: Au début, je me sentais dans le cadre des valeurs dominantes: respecter la volonté du malade, et tout ça, puis, au fil du temps, il dit, je n'étais plus capable de me regarder dans le miroir, puis, il dit, un bon jour, j'ai décidé, c'est fini. Il dit: Maintenant, je dis aux familles: Le malade ne souffre pas, il est bien sédationné. C'est encore le temps de lui tenir la main, c'est encore le temps de lui parler, parce que qui sait ce qui se passe dans l'inconscient ou le subconscient des gens qui sont comateux ou qu'on... de façon naturelle ou artificielle? On ne le sait pas, on ne le sait pas, mais c'est encore le temps de parler, c'est encore le temps de communiquer. On est encore en relation avec nos proches à ce moment-là aussi.

Mme Hivon: Puis peut-être que vous pouvez m'éclairer: Comment on sait qu'il ne souffre pas, aussi? Parce qu'on ne sait pas effectivement s'il ressent des choses, du réconfort. Mais comment on sait...

M. Morissette (Michel): Bon, c'est ça. Vous savez, j'ai là un témoignage que vous avez reçu d'une dame de Trois-Rivières, là, qui disait qu'elle avait été un certain moment, dans le cadre d'une hospitalisation, où elle était, je crois, dans le coma ou quelque chose du genre et où elle disait avoir éprouvé de la douleur, mais, écoutez, dans les unités de soins intensifs comme lorsqu'on fait des sédations profondes à La Maison Michel-Sarrazin, on a des signes cliniques qui nous permettent de dire que cette personne-là ne réagit pas à la douleur, et, quand ils émergent, ces gens-là sont capables de nous dire qu'effectivement ils n'ont aucun souvenir de douleurs douloureuses, et même, dans certaines situations, on utilise des médicaments qui donnent une amnésie rétrograde, c'est-à-dire que, si la personne a été dans un contexte de douleur intense, lorsqu'elle émerge de la douleur et qu'elle se réveille, elle ne se rappelle même pas avoir eu mal. Donc, la mémoire de la douleur n'est pas là, et ça fait tomber l'anxiété.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Messieurs, merci beaucoup pour votre témoignage qui a plusieurs mérites, dont celui de la transparence et du respect des croyances qui sont les vôtres, et c'est grandement apprécié.

Et j'aimerais, dans un premier temps, Dr Morissette, vous poser la question suivante, suite à une des affirmations que vous avez faites, c'est-à-dire: Une éventuelle décriminalisation, un éventuel assouplissement des règles en matière d'euthanasie, sinon de suicide assisté viendrait en quelque sorte -- et ce sont vos mots -- tuer la pratique des soins palliatifs. Cette phrase, elle est forte, elle est certainement lourde de sens, et, moi, ça me rappelle les nombreux témoignages que nous avons eus où c'est plutôt une soif de vivre qui nous a été communiquée par les personnes qui sont même gravement soit malades ou encore handicapées.

Donc, je pense que la volonté première d'une très grande majorité d'individus est de vivre, et à ce point tel que, dans les pays où ces pratiques ont été soit décriminalisées ou légalisées, très peu de gens s'en prévalent. Donc, des individus franchissent les différentes étapes qui sont déjà complexes, mais ultimement très peu s'en prévalent, dans un très faible pourcentage, ce qui nous laisse croire ou ce qui nous laisse entendre que, pour ces personnes-là, cette permission qu'elles ont obtenue, c'est davantage une sortie de secours, une possibilité, une option qu'ils ont à leur disposition.

Et je vous réfère à un des beaux témoignages certainement très touchant qui nous a été partagé, celui d'une famille. Il y avait frères... enfin, non, il y avait soeurs, conjointe et enfants d'un homme qui s'est suicidé, non pas atteint de cancer, mais handicapé par la sclérose en plaques. Cet homme était encore relativement bien portant, à tout le moins il avait la possibilité de manier ses bras, mais craignait le jour où ses bras ne répondraient plus à sa volonté. Donc, plutôt que de vivre l'enfermement, il a précipité sa mort ou sa fin, en quelque sorte, en se suicidant dans des conditions absolument tragiques. Et c'est là où le témoignage de la famille est porteur. Eux, reprenant les paroles de leur père, ou sinon de leur conjoint, ou sinon de leur frère, nous disaient ceci: Cet homme est mort trop tôt. Il voulait vivre mais ne voulait pas vivre l'enfermement. Donc, si, ultimement, il avait eu la permission ou la possibilité de recourir à l'euthanasie ou au suicide assisté, il aurait vécu certainement plusieurs mois encore en notre présence et il aurait pu nous faire profiter de sa présence, et, nous, lui faire profiter de la nôtre.

Donc, oui, vous parliez tout à l'heure de ces liens qui peuvent se vivre dans les derniers moments, mais ces gens-là précisément ont un sentiment d'avoir perdu ou raté cette occasion d'échange sur les derniers mois qui auraient pu être extrêmement profitables à la famille. Vos commentaires par rapport à une situation comme celle-là?

M. Morissette (Michel): Qu'il ait eu la possibilité ou non que la société lui permette de mettre fin à ses jours au moment où il le souhaitait, est-ce que la situation aurait été différente? Peut-être. Je ne peux pas dire. C'est toujours difficile de revenir sur des situations comme ça en rétrospective. Cependant, une chose que je me demande, quand j'entends ça, c'est: Comment cet homme-là était-il, à ce moment-là, accompagné à travers sa maladie? Les gens qui souffrent de maladies neurologiques dégénératives, il y en a beaucoup dans notre société, et, je pense, chacun l'aborde avec, finalement, sa personnalité, son vécu, comment la vie l'a construit. Et ça, ça varie d'une personne à l'autre.

Moi, j'ai un beau-frère qui a été 42 ans en chaise roulante avec la sclérose en plaques. Les 10 dernières années de sa vie, seulement son bras gauche et sa tête fonctionnaient. Il a été à domicile jusqu'à un mois avant son décès, et c'était un homme... Son bureau à la maison, c'était un bureau de thérapie. C'était le bonhomme qui... Moi, je me rappelle, il m'a déjà fouetté le Canadien, comme on dit. C'est un homme qui donnait le goût de vivre aux autres. C'est un gars qui a toujours été dans la vie. Ses amis étaient là. Ça jouait au bridge cinq soirs par semaine, puis les gens n'étaient pas là par pitié, parce que cet homme-là, quand on était avec lui, il nous donnait le sens des vraies valeurs.

Et je demandais à son épouse, ma soeur, si jamais l'idée du suicide lui avait traversé la tête. Puis elle m'a dit: Jamais, jamais. Jamais, il ne s'était plaint. Il vivait dans le présent. On aborde chacun la maladie avec sa personnalité. Puis ça, qu'est-ce que vous voulez, qu'on ait une loi pour ou contre... C'est ça, moi, qui me fatigue, c'est que d'abord jamais une loi aussi restrictive soit-elle ne pourra englober tous les cas particuliers. Ça, David Roy nous avait répété ça ad nauseam dans le temps. Je ne sais pas s'il a changé d'avis. Mais, moi, ma crainte encore, dans tout ce débat-là, ce sont les effets pervers d'une législation. J'ai peur, moi, pour les plus vulnérables, surtout dans notre société qui est utilitariste.

Vous savez, La Maison Michel-Sarrazin, je vous ai raconté... Est-ce que je l'ai raconté tout à l'heure, ce médecin... Je ne pense pas vous l'avoir raconté. On offre un service de consultation 24 heures sur 24 tous les jours aux médecins, pharmaciens qui ont des problèmes de soins palliatifs. Or, une bonne journée, c'est moi qui reçois un téléphone d'un médecin d'un grand hôpital que je ne nomme pas, d'une région métropolitaine que je ne nomme pas, et qui a un problème de contrôle d'une douleur neuropathique, c'est-à-dire une douleur où le système nerveux est atteint -- on sait que ces douleurs-là ne répondent pas à la morphine, aux opiacées, mais à d'autres médicaments coanalgésiques, vous en avez entendu parler -- et... un homme qui a 80 ans, qui a encore quelques semaines à vivre, et finalement qui me dit, au fond, parce que je lui explique ses alternatives: Moi, je ne comprends pas, vous autres, en soins palliatifs, pourquoi vous vous cassez tellement la tête avec la coanalgésie. Elle dit: Ces gens-là vont mourir de toute façon. Elle dit: Nous autres -- elle n'a pas dit «je», elle a dit «nous autres» -- elle dit, on augmente les doses de morphine puis, elle dit, ils finissent par mourir. Quand j'ai raccroché le téléphone, moi, j'étais sidéré. Je me dis: Non, ça, c'est de l'ignorance crasse, c'est de l'incompétence, et jamais je ne voudrais me retrouver entre ces mains-là.

Alors, on parle d'euthanasie, on parle d'ouvrir des droits puis, bonté divine, on n'est même pas encore capables, dans nos milieux de soins, de faire des soins palliatifs comme du monde. Moi, ça, ça me fatigue. Ça me dérange beaucoup, beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Très rapidement.

M. Charette: Merci, M. le Président. Une dernière question pour Mgr Blanchet ou encore Mgr Morissette. Dans la présentation de votre mémoire, vous avez évoqué l'époque où l'avortement a été légalisé. Vous avez également fait allusion, sans le dire... Bien, en fait, c'est une question, hein? Est-ce que, dans le concept que vous défendez, que ce soit l'euthanasie, le suicide assisté... représente soit un meurtre ou encore un acte de tuer?

Je vous pose la question sans jugement. Mais j'aimerais, dans votre réponse, que vous puissiez également prendre en considération les personnes qui souffrent et qui songent à cette option-là. Ce sont des personnes qui ont déjà leur lot d'épreuves et qui pourraient vivre cette perception-là comme un jugement supplémentaire ou comme un fardeau supplémentaire. Est-ce que le fait de leur attribuer une intention de cette nature-là, selon vous, est davantage susceptible de les aider ou de les rendre encore plus, comment je pourrais dire, vulnérables dans les épreuves qu'ils ont à subir?

**(17 h 10)**

M. Blanchet (Bertrand): Écoutez, j'ai le goût de référer tout simplement à ce que Jean-Paul II dit dans un de ses textes, L'Évangile de la vie, quand il parle du suicide. Il dit: Les personnes qui vont au suicide, très souvent, ont une part de responsabilité passablement diminuée à cause des souffrances qu'elles vivent et qu'elles ne savent pas surmonter. Alors, je n'irai sûrement pas porter de jugement sur les personnes qui posent des gestes comme ceux-là.

Par ailleurs, si on me demandait, moi, à supposer que je sois médecin, de le poser, je serais sûrement très mal à l'aise, parce que je saurais bien que j'enlève la vie à quelqu'un. Je ne dirais pas «un meurtre», en tout cas, on peut choisir les termes qui nous conviennent suivant notre personnalité, mais il reste que c'est enlever la vie à quelqu'un.

M. Morissette (Michel): Moi, je suis conscient que les personnes...

Le Président (M. Kelley): Très, très rapidement, Dr Morissette, s'il vous plaît. Très rapidement, s'il vous plaît.

M. Morissette (Michel): Oui. Moi, je suis conscient que les personnes qui vivent ces situations limites là dont vous parlez doivent trouver extrêmement souffrant d'entendre notre discours, parce qu'à quelque part ils vont avoir l'impression qu'on leur enlève un droit ou qu'on veut leur enlever un droit. Mais, moi, je me dis: Quand même... Tu sais, je vous dis, je réfléchis et je... -- très brièvement -- il y a des milliards d'êtres humains qui sont décédés avant nous puis dans des conditions qui n'avaient rien de comparables avec ce que nous vivons dans nos sociétés modernes en termes d'arsenal thérapeutique pour contrôler la douleur et les symptômes. Et pourquoi ça fait problème? C'est parce qu'à quelque part je pense qu'on vit dans une société qui refuse toute forme de souffrance. Puis je ne veux pas valoriser la souffrance, on a le devoir de les soulager, mais une vie sans souffrance, un monde sans souffrance, c'est illusoire, c'est un mirage, ça n'existe pas.

La souffrance finit toujours par nous rattraper dans nos vies, à un moment ou l'autre, à un virage: un rejet, une perte, enfin, peu importe. Si on n'accepte pas et si on minimise le fait qu'il existe des dérapages ailleurs, dans d'autres pays, avec la loi, une loi autorisant l'euthanasie, il y a des dérapages même qui se produisent au sein même de notre société, est-ce que ce ne serait pas parce qu'au fond de nous-mêmes nous croyons plus ou moins que ces vies... ou secrètement, au fond de nous-mêmes, que ces vies ne valent pas vraiment la peine de vivre? Je ne le sais pas.

Je me pose des questions puis je suis content d'avoir participé à ce débat-ci parce que je me dis... et je voudrais même être à votre place parce que vous êtes dans une position privilégiée pour mener une réflexion extrêmement forte qui doit vous perturber et vous déranger très souvent, je le comprends. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Morissette. On a bien entendu, Mgr Veillette, votre appel à la prudence. Je pense que l'ensemble des membres de la commission sont très conscients que nous devrons être prudents. Merci beaucoup pour votre contribution importante à notre réflexion. Nous avons reçu le Dr Louis Dionne, mardi soir, de mémoire. Alors, bravo pour le travail de Maison Michel-Sarrazin. On est très reconnaissants de son rôle comme pionnier dans le domaine des soins palliatifs à Québec et au Québec.

Sur ça, je vais suspendre quelques instants et je vais demander à Mme Ghislaine Gillet de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 17 h 13)

 

(Reprise à 17 h 18)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. On a eu une grande semaine. Je pense qu'à Québec... beaucoup d'opinions, beaucoup de témoins. On va terminer, et, je pense, c'est tout à fait logique, avec une citoyenne qui va venir, quelqu'un qui est assez assidue, comme membre de l'audience, ici, qui a participé comme spectateur jusqu'à date.

Alors, notre prochain témoin, c'est Mme Ghislaine Gillet, qui a une présentation d'une quinzaine de minutes, suivie par une période d'échange avec les membres de la commission.

Alors, sans plus tarder, Mme Gillet, la parole est à vous.

Mme Ghislaine Gillet

Mme Gillet (Ghislaine): Bon, alors, si j'ai des problèmes, tout à l'heure, d'audition, je vous le dirai. Il paraît qu'il faut que je lève les bras à ce moment-là puis que je mette mon appareil, d'accord?

M. le Président, Mme la Vice-Présidente, je suis très, très honorée de vous avoir ce soir. Je vais essayer d'être... de faire ça très court parce que je sais que vous avez hâte de retrouver vos familles, vos enfants, vos amis, enfin, tout le monde. Et puis on va essayer de...

Dans la première partie, si vous voulez bien, je vais lire mon mémoire et, dans une deuxième partie, je vous dirai un petit peu les réflexions qui se sont passées depuis que je l'ai écrit. C'est-à-dire que je l'ai écrit dès le début de l'annonce de la commission et puis j'y ai quand même repensé depuis ce temps-là, alors j'ai ajouté des choses. Si vous voulez me poser des questions, j'adorerais ça.

Alors, on y va pour la lecture. Le mémoire pour la Commission spéciale au sujet de mourir dans la dignité. Mourir paisiblement. Pour moi, mourir dans la dignité veut dire mourir sans souffrance inutile. Par «inutile», j'entends ces souffrances qui précèdent la mort quand elle est devenue inévitable. Je parle à la première personne, mais je suis convaincue de représenter ici l'opinion de beaucoup de personnes de mon âge.

**(17 h 20)**

La vieillesse. J'ai 74 ans. Je n'ai pas de maladie dégénérative encore, à date. Ma vieillesse serait vraiment envisagée avec beaucoup plus de calme et de sérénité si j'étais certaine que mon médecin traitant pouvait m'aider à mourir paisiblement quand l'heure sera venue. Car, disons-le franchement, le grand âge se présente à nous tous avec son cortège de douleurs et d'abandons de toutes sortes: perte de l'acuité visuelle et auditive ou auditive, perte de mobilité, perte du permis de conduire, etc. Comme beaucoup d'autres personnes de ma génération, j'ai peur, pas de mourir mais de ce qui vient avant: peur de ces douleurs nouvelles qui surgissent subitement dans nos corps vieillis ou des anciennes qui se réveillent au petit matin, de celles qui nous mènent vers les corridors de l'urgence ou dans les salles d'attente surpeuplées des bureaux de médecin toujours plus débordés; peur de mourir lentement à côté d'étrangers qui ont aussi peur que moi; peur de me retrouver seule, souffrante, chez moi, sans espoir de guérir; peur que l'on me laisse souffrir parce qu'on n'a pas le temps de me soigner; peur de devoir jouer la comédie pendant longtemps pour dissimuler à mes proches que je souffre; peur de les épuiser; peur de ne pas trouver de place aux soins palliatifs, car ils sont en quantité insuffisante, vous le savez. J'ajoute que je parlais des enfants, mes deux enfants sont avec moi, ce soir.

Le président du Collège des médecins, le Dr Lamontagne, déclarait récemment: «Les médecins sont conscients des douleurs parfois continuelles que vivent certains grands malades et pour lesquels la médication prescrite a peu d'effets.» Enfin, un médecin qui avoue ne pas être toujours capable de soulager la souffrance.

Le paradis. Les croyants ont cet avantage de se projeter dans un avenir meilleur. Pour certains d'entre eux, le paradis est peuplé de jeunes vierges. Pour beaucoup d'autres, il s'agit du bonheur définitif, de la contemplation, des retrouvailles avec leurs proches. Je leur abandonne leurs rêves. Peut-être seront-ils beaucoup plus courageux que moi devant la souffrance. Moi, je ne crois pas vraiment au paradis.

Protéger la vie. Les plus ardents protecteurs de la vie humaine tiennent à la conserver sous forme d'embryons jusque dans le ventre de mères épuisées dans les pays dits en développement. Ils se promènent avec des pancartes en disant qu'il faut protéger la vie. Il faut protéger la vie des mourants aussi, disent-ils d'un même souffle, en cas où. En cas de quoi? En cas où les malades n'auraient pas assez souffert? En cas, disent-ils parfois, où ils se réconcilieraient avec leurs proches, pour leur permettre de pardonner puis d'être pardonnés. Pour ma part, j'espère bien accéder à ce stade avant le coma terminal. Je ne crois pas à la valeur rédemptrice de la souffrance et je ne vois pas pourquoi je souffrirais un jour ou une heure de trop quand la fin sera imminente. Beaucoup de Québécois de mon âge et la plupart des jeunes partagent cette conception -- je peux vous dire, en bas de 50 ans.

Respect de la vie humaine. Rendue à son extrémité, la vie humaine ressemble davantage à la vie végétative qu'à la vie des animaux dits supérieurs, mais je n'empêche pas les croyants de vouloir vivre et mourir en conformité avec leurs valeurs si c'est leur volonté, mais qu'ils n'imposent pas leurs croyances à ceux pour qui la souffrance n'a pas vraiment valeur de rédemption ou d'exemplarité.

Les démences. Je n'espère pas non plus une survie en tant qu'organisme privé de l'usage d'une partie de son cerveau. Dans la nature, ces organismes ne survivraient pas longtemps. Je voudrais pouvoir décider, à la réception d'un diagnostic de démence, d'en finir plus vite avant que ma conscience ne s'éteigne. Cela ne veut pas dire qu'il faudrait hâter la mort des autres, bien sûr. C'est pourquoi un testament de fin de vie est essentiel.

Le suicide. Vous me direz que l'on peut toujours se suicider. Justement, le suicide des personnes âgées continue de progresser. Elles sont désespérées. Ne me dites pas que notre système de santé est en mesure de couvrir dans l'avenir leurs besoins physiques et psychologiques. On les laisse croupir, souvent dans des gîtes improvisés, parce qu'on ne sait plus quoi en faire. On les nourrit de purée avec un budget de 6,50 $ par jour en moyenne. Et surtout qu'elles ne se suicident pas!

Une mort plus douce. Je rêve du jour où, comme en Oregon, en même temps qu'avec un diagnostic fatal, on me dise que, si je le désire, je pourrais me procurer une médication contre la souffrance qui m'amène à ma fin. Je la mettrais dans ma table de nuit, peut-être ne m'en servirais-je jamais. Ce serait comme une police d'assurance. Si mon médecin traitant de ce temps-là pouvait être auprès de moi, ce serait l'idéal, ou encore une infirmière des soins palliatifs qui me suivrait depuis un moment -- quoi que j'ai des réserves, là, sur les soins palliatifs, je vous dirai ça tantôt. Que l'on me donne en tout cas la chance d'être accompagnée dans la dernière démarche de ma vie.

Pour terminer, je désire citer le journaliste Patrick Lagacé, dans sa chronique du 2 juin de cette année, dans le journal La Presse, où il relate la mort de ses parents frappés par le cancer: «Je ne veux faire brailler personne, dit-il. Mais une mort longue et pénible, c'est une indignité terrible à supporter. Pour le mourant d'abord et avant tout, évidemment. Qui se voit, qui se sent décliner.»«C'est [...] pourquoi dans le débat sur le suicide assisté je suis du bord de l'Oregon.»

Moi aussi, et j'espère que cette commission tiendra compte des désirs d'une grande partie de la population qui n'a pas toujours la capacité de s'exprimer sur ce sujet.

Et maintenant, bien, c'est mes autres petites réflexions que je me suis faites pendant cette semaine et puis pendant les deux, trois semaines précédentes mais, comme je vous disais, je ne veux pas trop vous retenir. Est-ce que j'en fais encore un petit bout?

Une voix: ...

Mme Gillet (Ghislaine): Oui, encore un petit bout. Puis vous m'arrêtez, hein, mais criez fort parce que j'ai 74 ans.

Alors, ce que j'aimerais, moi aussi, c'est que... Mourir dans la dignité, ça... Je m'adresse aux députés qui vont aller dans leurs comtés après ça puis je m'imagine le député. Je me dis «mourir dans la dignité», pour moi, ça ne veut pas dire grand-chose parce que le mourant qui est sur une civière, là, près de l'ascenseur à l'hôpital que je connais ici, à Québec, là, il peut être dans la dignité, même s'il est sale, même s'il a vomi. Il peut être dans la dignité, puis sa famille aussi peut être dans la dignité. C'est pour ça que l'expression «dans la dignité», je ne trouve pas que ce soit tout à fait adéquat, mais, en tout cas, on ne peut pas le changer, hein?

Par contre, l'euthanasie, on ne peut pas le changer non plus, mais ce que j'ai remarqué en faisant mes petits questionnaires avant de venir ici, c'est que les gens qui ont plus de... je dirais plus de 60 ans, 65 ans, qui ont vécu la dernière période de la guerre, la dernière guerre, qui en ont entendu parler, pour eux, euthanasie, si je leur dis, moi, vous savez, moi, je suis pour l'euthanasie, ils disent hein? T'es pour l'euthanasie? Ah bien, oui, mais t'es pour tuer le monde? Non, non. Alors, je me dis que, dans vos comtés, vous allez avoir ça.

En fait, je me rends compte que les gens de plus de 65 ans ou 60 ont vraiment peur du mot «euthanasie» parce que, dans leur subconscient, ça veut dire tuer le monde. Et puis, moi, j'aimerais mieux qu'on emploie le mot «soins appropriés en fin de vie».

Il y a une chose qui m'a aussi beaucoup irritée ces derniers temps, c'est l'utilisation presque exclusive du mot «compassion» par les gens des soins palliatifs, que je ne déteste pas du tout, mais... J'ai l'impression qu'ils ont pris comme le monopole du mot «compassion». On dirait que... Puis, même pendant la commission, souvent, les gens finissent en disant: Ah bien! il va y avoir les soins palliatifs, alors pas besoin de s'en occuper. Ça va bien aller avec les soins palliatifs, ça va tout arranger ça.

Moi, je pense que non parce que je ne pense pas que les soins palliatifs, les gens qui s'occupent des soins palliatifs, pas tout le monde mais, disons, les fondateurs des soins palliatifs aient le monopole de la compassion. Entre autres, quand on va à l'hôpital, je ne sais pas si vous êtes allés récemment, mais, quand on va à l'hôpital, en général, le personnel nous accueille avec beaucoup de gentillesse et de patience. Moi, je suis toujours très admirative de la façon dont les médecins, les infirmières, les préposées nous traitent, là. Je ne sais pas comment ils font pour passer toutes leurs journées à ça. J'ai bien, bien, bien confiance en eux.

Je trouve que, dans le moment, la façon dont les soins palliatifs se nomment ou se présentent... Ils sont avec une clientèle captive, là. Ce matin... mardi matin, j'ai entendu ici par quelqu'un qui s'occupe de soins palliatifs: Il faut interpréter, interpréter la demande d'euthanasie. Ça, là, moi, personnellement, ça me met en colère parce que, si je suis rendue vraiment dans les dernières journées de ma vie puis qu'il y a quelqu'un qui vient se mettre à côté de mon lit, puis que je lui dis que je veux mourir puis que je suis fatiguée de souffrir, puis il me dit: Ah bien! madame, écoutez, parlez-moi, là... Non, non. Là, là, c'est... Je ne suis plus capable. C'est simple, je ne suis plus capable d'entendre ça puis j'ai peur, vraiment, qu'à la fin de la commission vous disiez: Ah bien! oui, bien là, on va avoir les soins palliatifs, alors il n'y aura plus de problème puis ils vont tout arranger ça. Moi, je n'ai pas envie, là, avec ce que j'ai entendu cette semaine, je n'ai vraiment pas envie d'y aller. Mais c'est vrai que je ne suis pas prête à y aller non plus. Bien, en tout cas, j'espère.

**(17 h 30)**

Alors, je trouve que l'interprétation de la volonté du patient, on l'écoute, et puis tout ça... Mais, en fin de compte, on ne fait pas ce qu'il veut. Puis, quand il nous reste trois jours à vivre, entre vous et moi, moi, en tout cas, je suis sûre que, quand je vais être rendue là, là, ma vie est assez chargée, là, que je vais être prête à partir.

Une hypocrisie. Il y a une sorte d'hypocrisie, je trouve, dans la sédation palliative, quoique c'est vraiment mieux que rien, hein? Mais il y a comme une hypocrisie devant la mort, qui me met en colère. C'est pourquoi je souhaite vraiment que ces responsables, cités ici, ne prennent pas le contrôle de notre mort, qu'ils ne prennent pas le monopole de notre mort puis disent: Bien là, quand on va être trop malades, on va y aller. Parce que la réalité -- c'est ce que je pense ici puis après pas mal d'interviews avec des amis de mon âge -- c'est: Il faudrait peut-être arrêter de rêver.

Que font les malades en phase terminale actuellement, aujourd'hui, à Québec? Est-ce qu'ils vont aller dans une maison de soins palliatifs? Il faut, vous le savez, être presque mort avant de rentrer là parce que, si vous n'êtes pas assez mort, ils ne vous prennent pas. C'est aussi simple que ça. Vous ne pouvez pas prendre un lit pendant un mois, deux mois, trois mois, hein? Ça fait qu'ils ne vous prendront pas. Est-ce que vous allez aller à l'hôpital si vous êtes en période terminale? Oui, vous allez y aller, vous allez rentrer, puis ils vont vous ressortir le lendemain, puis là, des fois, ils vous changent aussi d'hôpital, puis là vous passez deux, trois jours, puis vous rentrez, puis vous sortez. Ça, je pourrais vous donner des noms, des numéros de téléphone des gens qui ont vécu ça en période terminale.

On peut aussi, malheureusement, se retrouver dans une résidence privée non appropriée, comme une dame que je connais, qui est morte à 88 ans l'année dernière, qui a été expulsée de l'hôpital parce qu'on lui a dit: Ça va bien, vous allez aimer ça dans un résidence privée, vous avez une belle vue sur le fleuve. Elle est partie là, elle avait un cancer des os, elle a souffert le martyre jusqu'à ce que son médecin, qui est allé la voir 15 jours après, dise: Écoutez, il faut la sortir de là, ça n'a pas de bon sens. Elle pleurait tout le temps, puis c'était une vieille madame gentille comme tout.

Ensuite, ils vont vous suggérer d'aller à la maison avec l'aide du CLSC. Alors, les aidants naturels, là... Moi, j'ai écouté messieurs les évêques avant, puis le médecin, tout ça, ils comptent tous, là, qu'il y a une femme à la maison qui va s'occuper du monsieur, là. Mais les aidants naturels, dans vos comtés, vous en avez un mosus de paquet, hein? Bien, excusez-moi de parler franchement -- ça nous réveille, hein, un jeudi soir -- mais je trouve que, tu sais, c'est bien beau parler des aidants naturels, mais des bénévoles qui vont aller coucher chez les gens qui sont mourants puis qui vont passer des nuits là, je ne crois pas à ça beaucoup, à moins que ce soit la famille immédiate.

Et puis, dans le cas des CLSC, ce qu'il y a de grave actuellement, mais je pense que vous le savez, c'est qu'ils nous arrivent avec des séries de seringues qu'ils mettent sur la table puis ils disent: Bon, bien, s'il a une difficulté à respirer, bien là vous avez trois piqûres, alors là vous donnez celle-là, puis après ça vous donnez l'autre, puis après ça vous donnez l'autre. Ça, ils m'ont dit ça, moi, pour ma mère. Puis j'ai dit: Je regrette, moi, je ne suis pas capable. C'est ma fille qui est allée parce que...

Bon, alors, c'est ça, les soins palliatifs en CLSC. Ce n'est pas qu'ils ne font pas leur possible, ils sont gentils, ils sont adorables, mais ils ne peuvent pas être dans 10 familles à la fois. Alors, assoyons-nous pas sur les soins palliatifs pour dire que ça règle nos problèmes, ça ne les règle pas.

Puis, ensuite, j'ai écouté, cette semaine, le président de l'Association des omnipraticiens puis, lui, je l'ai trouvé pas mal plus réaliste dans sa vision de ce qu'était le Québec actuellement. Entre vous et moi, on sait bien que le gouvernement tel... n'importe quel gouvernement ne pourra pas créer des organismes qui vont nous bercer jusqu'à notre mort. On n'en aura pas les moyens, on ne les a pas actuellement puis je ne pense pas que, d'ici 20 ans, ça change tellement, à moins que ce soit les gaz de schiste qui nous sauvent, là, mais je ne pense pas qu'on va avoir tellement d'argent au Québec, là, qu'on va pouvoir envelopper le monde comme ça.

Alors, voilà les perspectives qui se présentent à nous quand on est lucide puis qu'on vieillit. Les gens de mon âge voudraient avoir... voudraient pouvoir voir l'avenir avec plus de sérénité.

Il y a une suggestion qui a été faite cette semaine -- j'achève, là, vous allez pouvoir aller voir vos enfants -- une carte, une carte sur laquelle on écrirait: Moi, je ne veux pas être ressuscité ou réanimé, je ne veux pas avoir de soins extraordinaires si j'ai un accident de voiture, puis je porte cette carte-là dans mon porte-monnaie avec ma carte d'assurance maladie, coincée avec. Puis là, quand j'arrive à l'hôpital, bien là ils ne vont pas me réanimer parce que ça fait 10 ans que je ne veux pas être réanimée s'il m'arrive une affaire comme ça. Mais, cette carte-là, là, je trouve que ça serait une mosus de bonne affaire à faire publier, là. On pourrait peut-être partir un petit commerce avec ça.

Alors, écoutez, je m'excuse d'être un petit peu légère par rapport à tous les autres de cette semaine, mais je représente juste 71 % de la population. Et puis je vous demanderais une chose: quand vous allez donner votre diagnostic final ou fatal, pensez simplement: Si j'avais le choix, qu'est-ce que je choisirais pour ma mort à moi? C'est ça que j'ai demandé à mes amis. Qu'est-ce que tu choisirais? C'est fini. Mais là vous pouvez parler, par exemple, si vous en avez envie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup de retourner le droit de parole à nous autres, Mme Gillet. Merci beaucoup pour une présentation citoyenne, originale, un brin d'humour. On a besoin, à la fin d'une longue semaine, d'avoir votre perspective. Alors, merci beaucoup.

On va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vais céder la parole à? Je vais céder la parole à M. le député des Îles-de-la-Madeleine. Alors, on va attendre un instant. Mme Gillet, vous entendez bien?

Mme Gillet (Ghislaine): Oui, j'entends bien. Je ne vois pas, mais j'entends.

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Merci, Mme Gillet. C'est important, votre présence ici, aujourd'hui. Votre mémoire, ou votre présentation, est extrêmement intéressante également... et dans votre approche, aussi, d'exprimer votre point de vue, votre position sur la grande question que cette commission étudie. Et je suis très sensible aussi à vos propos qui étaient fort pertinents.

Ce que vous mentionnez, c'est que vous souhaitez, évidemment, passer les dernières étapes de votre vie, celles qui arrivent à la mort, dans la dignité, et particulièrement sans souffrance. Vous aimeriez également que le Parlement ou l'Assemblée nationale du Québec puisse légiférer en faveur de l'euthanasie, puisque -- l'euthanasie ou le suicide assisté -- c'est la question qu'on étudie.

Ma question serait la suivante, parce que c'est des éléments qui ont été apportés par plusieurs personnes ou plusieurs groupes, à savoir la crainte, la crainte des dérives de notre société si on permet d'ouvrir cette porte-là ou encore la crainte d'abus. J'aimerais avoir votre position là-dessus ou votre réflexion à cet effet-là.

Mme Gillet (Ghislaine): Bien, c'est évident, je pense qu'on ne pourra pas se mettre à se suicider comme ça, du jour au lendemain, puis ça, c'est certain, là. Mais je pense que nos médecins, qui sont assez compétents... moi-même... Il y a une association qui suggère deux médecins, comme en Hollande, pour surveiller s'il y a une piqûre finale à donner; au lieu d'en donner 10, on en donne une.

Alors, moi, j'ai assez confiance en nos médecins. Écoutez, je leur fais vraiment confiance pour ça, parce que je pense... J'ai plus peur de la paresse des médecins qui ne voudront pas s'achaler de ça en plus de tout leur ouvrage, parce que j'ai l'impression que ça prend, quand même, des médecins qui vont avoir beaucoup d'humanité pour faire ça. Ils ne sont pas habitués à ça. Les infirmières ne sont pas habituées à ça non plus, puis ça va être beaucoup leur demander.

Il y a un comité qui demande deux médecins, l'avis de deux médecins. Moi, je me demande même si ce n'est pas trop, parce que, quand je vois mon médecin de famille, comme c'est difficile de l'avoir, j'en vois difficilement deux à mon chevet, dans ma chambre, là.

Mais je n'ai pas peur dans notre système médical, moi. Je le trouve très compétent, puis, non, ça ne m'inquiète pas. Pas dans le contexte du Québec. Je ne sais pas aux États-Unis, là, avec les gens qui attendent l'héritage de leur grand-père, et tout ça, mais pas dans le contexte québécois. Je n'ai pas peur de ça.

M. Chevarie: Merci, Madame.

Le Président (M. Kelley): Madame la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Vous êtes un «wow», Mme Gillet, parce que...

Mme Gillet (Ghislaine): ...

Mme Gaudreault: Vous êtes un «wow».

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Gaudreault: Parce que, vous savez, on a rencontré beaucoup de personnes à venir jusqu'ici, on a eu des regroupements, on a eu des militants en faveur, de la même position que vous, des gens qui étaient contre, et tout ça, puis vous comprendrez que, nous, des fois, on a des baisses d'énergie, mais, en fin de journée... puis c'est la fin de notre semaine, et puis c'est vous qui nous apparaissez avec votre grande lucidité. On a eu le Barreau ce matin, des juristes, mais, vous, c'est la loi du gros bon sens, et je vous remercie de l'avoir exprimé... parce que vous représentez une frange de la société, puis c'est important de ne pas avoir peur de dire les choses telles qu'on les voit, puis qu'on les ressent, et je vous remercie de ce courage.

Vous avez parlé de vos discussions avec vos amis, et tout ça. Je voudrais savoir, vous avez mentionné: Que l'on me donne, en tous cas, la chance d'être accompagnée dans la dernière démarche de ma vie. Pour vous, c'est quoi? Comment, vous, vous percevez cet accompagnement-là de fin de vie si vous ne trouvez pas que les soins palliatifs, c'est quelque chose qui vous sied bien? Comment, vous, vous aimeriez vivre vos derniers moments?

**(17 h 40)**

Mme Gillet (Ghislaine): Bien, moi, je les aime bien, les soins... Je les aimais bien, les soins palliatifs, là, mais je ne veux pas qu'ils viennent me parler de pardon, puis qu'ils me prennent la main, puis qu'ils me confessent, puis... J'ai l'impression que c'est une nouvelle Église. On s'est trouvé un nouveau culte, là, c'est les soins palliatifs. Ils vont tout arranger ça, c'est presque le paradis.

Alors, je ne veux pas avoir trois, quatre bénévoles dans ma chambre, ça, je vous le dis, là, c'est sûr que je ne veux pas avoir ça. Mais je voudrais avoir les conseils de mon médecin de famille puis je pense que... -- si elle est encore vivante, évidemment, elle est plus jeune que moi -- ou d'un autre médecin qui va venir me donner une médication adéquate ou un pot de pilules, puis il va me dire bien, prenez-en, Mme Gillet, selon vos douleurs, puis c'est comme ça que ça va se passer. Puis mes enfants sont assez fins puis assez intelligents qu'ils ne vont pas aller jeter le pot de pilules par la fenêtre, là.

Je ne sais pas, là, si ça répond à votre question. Je ne suis pas très sérieuse, hein?

Mme Gaudreault: Ah! vous êtes très sérieuse. Vous avez fait une réflexion très sérieuse, et puis pour ça je vous en remercie. Là, j'ai une collègue, je pense, qui brûle de vous poser un question.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Bonjour.

Mme Gillet (Ghislaine): Bonjour.

Mme Charbonneau: C'est un plaisir de vous entendre. Peut-être pas parce que vous croyez que vous avez une légèreté, je ne pense pas que, dans vos propos, c'est très léger, je pense que vous avez le gros bon sens, comme on dit, mais en même temps j'aime votre façon de vous exprimer. Un, je voulais vous dire ça.

Deux, vous ne faites pas votre âge. Je ne sais pas c'est quoi, votre crème, mais elle fonctionne bien.

Qu'est-ce que je fais avec les gens qui ne veulent pas mourir, ceux... Je vous dis «qu'est-ce que je fais?», mais vous avez compris, puisque vous nous suivez depuis le début de la semaine, que le jeu qu'on joue avec les gens qu'on reçoit, c'est aussi de les confronter à la réflexion que, nous, on reçoit.

Alors, je suis un personne et j'ai besoin qu'on me tienne la main, j'ai besoin de bénévoles et, honnêtement, Mme Gillet, je ne veux pas mourir. Même si je suis à quelques jours, quelques heures, quelques minutes, je me tiens à ce filet de vie là avec une ardeur, la même que vous avez, vous, à dire lâchez-moi le pompon si j'ai le goût de partir.

Donc, comment je fais pour bien ajuster mon système de santé pour pouvoir répondre à ma personne comme quoi je ne veux pas mourir, je veux vivre le plus longtemps possible et, en même temps, pouvoir permettre à quelqu'un comme vous, qui dit: Moi, quand je serai prêt, laissez-moi partir? Comment je fais pour ajuster mon système pour ne pas qu'il soit épeurant dans une religion qui s'appelle les soins palliatifs mais en même temps tout aussi épeurant quand je dis le mot «euthanasie» aux personnes âgées?

Mme Gillet (Ghislaine): Bien, j'ai l'impression que, même moi, là, je peux dire ça aujourd'hui, puis, si j'ai une maladie terminale, peut-être que je ne voudrai pas mourir, pas du tout là. Moi, mon père était très lucide mais il a commencé à s'apercevoir qu'il allait mourir deux jours avant sa mort. Je vais peut-être faire tout à fait pareil.

Je pense qu'il faut accompagner ces gens-là comme ils veulent, avec le plus de soins possible, peut-être pas toujours palliatifs mais, en tout cas, d'autres genres de soins. Il faut les accompagner comme ils veulent. Moi, je vous dis, je représente... c'est évident que les gens que j'ai interviewés aussi, ils ne veulent pas tous nécessairement de l'euthanasie, là. C'est une partie de partie de la population qui veut de l'euthanasie, peut-être pour toutes sortes de raisons, culturelles ou autres. On a vu d'autres choses, en Europe, tout ça, et je pense qu'il faut accompagner les gens comme ils veulent.

La seule chose qu'on demande, nous autres, c'est: Laissez-nous faire. Laissez-nous faire. Imposez-nous pas vos croyances, vos philosophies, vos éthiques. Puis la question de la solidarité tantôt... Monsieur l'évêque... Un évêque a parlé de la solidarité. Moi, je me sens très, très solidaire avec les gens, extrêmement solidaire. J'ai fait de l'écoute téléphonique longtemps puis, je pense, je suis vraiment solidaire, mais, quand je vais être à la fin, là, bien, laissez-moi partir, j'ai fait ce que j'avais à faire.

Je ne sais pas si ça répond à votre question. C'est difficile, là, c'est vous qui... C'est votre question, là. Vous allez être obligée de répondre à ça, là.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Bonjour, Mme Gillet. Alors, merci beaucoup de votre présence. Comme je l'ai dit à quelques reprises, cette commission-là, elle est d'abord et avant tout pour des gens comme vous ou des gens comme vous qui auraient le point de vue tout à fait inverse, mais je dirais des gens qui représentent la majorité silencieuse, que ce soit d'un côté ou de l'autre, mais qu'on n'entend pas généralement dans ce type de commission, parce que ce sont plus des associations qui viennent. Alors, merci beaucoup d'avoir pris le temps de participer à nos travaux.

Vous avez entendu plusieurs témoignages. Moi, je veux savoir, si on vous disait, Mme Gillet: Ne vous inquiétez pas, c'est certain que vos douleurs et vos souffrances vont être contrôlées en fin de vie, c'est certain, là, vous ne souffrirez pas, est-ce que ça changerait votre point de vue?

Mme Gillet (Ghislaine): Bien, je ne sais pas trop quel avantage j'aurais de survivre dans un lit, en étant incontinente, parce que ça, vous ne pourrez pas contrôler ça, je n'aurai plus faim, parce que j'ai vu des gens mourir, puis ils n'ont plus faim, ils n'ont plus soif. Ils ont un peu soif mais... Je ne vois par pourquoi, là, je resterais trois jours de plus juste pour vous faire plaisir.

Mme Hivon: Mme Gillet, vous ne trouvez pas qu'on est en train, comme société, de perdre le sens qu'on ne peut pas tout contrôler? L'autonomie, est-ce que c'est en train de devenir une nouvelle religion? Est-ce que c'est ça qui doit guider toutes nos décisions comme société, l'autonomie érigée en dogme?

Mme Gillet (Ghislaine): L'autonomie, quand on vieillit, ça devient très, très important. Moi, pour moi, c'est très important d'avoir un appartement dans lequel je vais pouvoir vivre longtemps et mourir et puis je m'installe dans des endroits où je vais pouvoir continuer à vivre. Je pense que, pour les personnes âgées, notre autonomie, là, juste l'autonomie de choisir ce qu'on va manger, puis pas manger de purée tout le temps, là, avec des carottes en forme de purée... non, des purées en forme de carottes, là, c'est très important. C'est très, très, très important pour les personnes âgées. Puis je parle aux gens de moins de 50 ans; pour eux, l'autonomie, c'est superimportant aussi. Ça n'empêche pas, chez les personnes âgées, le sens de la communauté, puis le sens des enfants, puis... L'un n'empêche pas l'autre. Mais, tant qu'on est capables de se tenir sur nos jambes, bien...

Mme Hivon: Donc, ça ne vous inquiète pas, ce qu'on entend beaucoup... Je me fais comme la porte-parole des... Vous avez compris le jeu, là? Les autres arguments... Mais ça ne vous inquiète pas, ce qu'on entend beaucoup du message qui serait envoyé si une personne peut, à toutes fins pratiques, choisir le moment de sa mort et ne plus laisser, en quelque sorte, la nature, comme on dit, suivre son cours?

Mme Gillet (Ghislaine): Bien, il y a un livre, là, qui vient d'être écrit sur ça, la mort. J'ai vu ça hier soir. C'est notre organisme qui se décompose, hein, petit à petit. Puis, moi, à 74 ans, je m'aperçois qu'il y a des affaires que je ne peux plus faire. Je n'ai pas bien compris votre question.

Mme Hivon: Non, mais, je veux dire, le message... Il y en a beaucoup qui nous disent que, si on en vient à être dans une société où, en quelque sorte, on accepte le besoin d'autonomie extrême, diraient certains, de choisir le moment x où je veux mourir, on est en train d'envoyer un drôle de message à la société sur le fait qu'on veut ou on tend à tout contrôler. Or, la vie n'est pas faite que de contrôle, et la mort non plus. Donc, est-ce qu'on envoie un drôle de message, je dirais, à toutes sortes de personnes et à la société dans son ensemble?

Mme Gillet (Ghislaine): On ne dit pas qu'on veut choisir un moment x pour mourir. Je n'ai pas décidé que j'allais mourir à 80 ans, là. Quand on va être trop vieux, trop malade puis qu'on ne pourra plus fonctionner puis qu'on aura trop de souffrances, à ce moment-là, oui, on peut se servir de notre autonomie pour, avec nos proches, décider que, pour nous autres, c'est correct. C'est comme ça que je vois ça. On peut se laisser aller à la maladie, aussi. Les gens qui vieillissent, vous le savez, les gens qui meurent, souvent, à l'intérieur d'eux, là, il arrive un moment, là, où ils se disent: Bon, bien là, c'est fini, je suis mieux de laisser faire, de lâcher prise. Mais je ne vous ai pas dit non plus que j'allais choisir le moment de ma mort, là. Je n'annonce pas mon suicide, là.

Mme Hivon: Et qu'est-ce qu'on fait avec l'argument que plusieurs avancent aussi à savoir que la force de vivre, la volonté de vivre est très, très forte et que, donc, ce sont des cas très exceptionnels qui voudraient se prévaloir d'une aide médicale à mourir? Est-ce qu'on légifère? Nous, là, c'est une question à laquelle il faut répondre. Est-ce qu'on érige toute cette espèce de système-là, avec des balises, et tout ça, pour quelques cas exceptionnels?

**(17 h 50)**

Mme Gillet (Ghislaine): Écoutez, vous avez eu le sondage hier ou avant-hier, là, de 71 %, c'est quand même beaucoup, hein, de gens qui pensent à ça. Ce n'est pas exceptionnel, là. Quand il parlait de cas exceptionnels, tantôt, là, moi, je ne trouve pas ça exceptionnel. À 74 ans, j'ai déjà beaucoup d'amis qui sont morts, puis j'en ai d'autres qui vont mourir. Je ne trouve pas ça exceptionnel, la mort, puis la façon de mourir, puis le fait de... Non, je ne pense pas que ça soit une minorité. Les gens y pensent, ça ne veut pas dire qu'ils vont le faire.

Mme Hivon: Oui, c'est ça, ce qu'on nous dit, c'est que c'est exceptionnel que des gens vont vouloir aller jusqu'à une aide médicale à mourir, comme vous l'avez dit vous-même: Je ne le sais pas, si, ultimement, peut-être que je vais être bien dans mes derniers jours puis je ne voudrai pas m'en prévaloir. Puis c'est beaucoup le message qu'on entend des médecins, entres autres, qui disent que c'est très, très rare, et même... Donc, c'est pour ça que, nous, on se fait beaucoup servir cet argument-là. Est-ce qu'on doit envisager tout un autre pan aux soins de fin de vie pour des cas exceptionnels? Oui, beaucoup de gens possiblement pensent que c'est une bonne idée, mais de là à savoir s'ils vont s'en prévaloir... Probablement pas dans la majorité des cas.

Mme Gillet (Ghislaine): Si ça faisait comme l'avortement? C'est ma réponse. Ça pourrait arriver. Ça pourrait arriver que, dans notre système, les gens ne veulent pas finir dans les maisons des CHLSD pendant des années. Ça pourrait arriver. On ne le sait pas, ce qui peut arriver, c'est sûr. Mais, moi, je pense qu'il faut quand même tenir compte des désirs de la population.

Mme Hivon: Puis, moi, je trouve ça très intéressant de vous entendre, parce qu'il y a des gens qui doivent écouter, puis qui ont un point de vue totalement différent, puis qui doivent dire: Ah, mon Dieu! Est-ce que...

Mme Gillet (Ghislaine): ...mon fils, là, pour qu'il me protège en sortant d'ici.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Hivon: Comme ça, vous serez... Écoutez, c'est très bien, vous êtes prévoyante, là.

Il y en a qui vont dire: Mais, avec un tel discours ou si, comme société, c'est ça qu'on choisit, est-ce que, justement, on n'est pas en train de dévaloriser tout le développement des soins? Parce que est-ce qu'on va décider que les gens qui en ont assez, dans le fond, ont le droit de baisser les bras, ou comme société, on va se dire: Non, il faut toujours pousser plus loin notre aide, nos soins, nos avancées, notre solidarité, notre organisation de services pour être là pour le très grand nombre qui veulent qu'on soit là, ou on baisse les bras en se disant: Ouais, dans les CHSLD, c'est pas mal moyen, les maisons de soins palliatifs, c'est accessible à un très petit nombre, puis finalement il y a pas mal de monde qui sont fatalistes puis qui se disent: Bien, tant qu'à vivre ça, j'aime autant baisser les bras puis qu'on m'aide quand ça n'ira plus? Est-ce que, comme société, ça peut avoir des effets pervers importants?

Mme Gillet (Ghislaine): C'est un argument, d'ailleurs, que j'ai entendu de la part d'un médecin de soins palliatifs qui, à la fin d'une conférence, nous a dit: Ce qui m'inquiète, c'est que, des fois, je traite des gens, puis les familles me disent: Bien là, papa puis... Puis, moi, je travaille, là. En fin de semaine, je voudrais bien aller voir mes enfants... Puis, le lendemain, le lit est vide.

À ça, je pense que vous êtes en train de toucher l'argument le plus sensible de la chose, c'est qu'il peut y avoir une pression pour amener les vieux puis les gens malades à mourir. Je pense que ça, c'est vrai. Comment on va éviter ça dans notre société? Je pense que notre société, justement, en en parlant, le fait qu'on ait une commission comme ça, en en débattant, en amenant nos enfants aux conférences... En en parlant avec les enfants, en en parlant dans les familles, ça va aider beaucoup. Parce que ça, ça peut être, effectivement, un danger, que le gouvernement se dise: Bien là, les lits, en fin de semaine, ça va se clairer, hein? Ça se fait déjà, ça. Ça ne se fait pas dans le sens de l'euthanasie, mais ça se fait dans le sens qu'ils les envoient ailleurs, là. C'est vraiment un danger, je pense, effectivement.

Le Président (M. Kelley): Il nous reste à dire merci beaucoup. Je vais faire écho à vos commentaires quant à la qualité des personnes qui travaillent dans nos... nos médecins, nos infirmières. Vous avez bien souligné leur travail dans notre société, et je pense que c'est toujours important de le faire. On est là, avant tout, pour écouter les citoyens et les citoyennes. Vous avez très bien fait ça, comme la cerise sur le sundae de notre semaine ici, à Québec.

Alors sur ce, je vais ajourner nos travaux à mardi le 12 octobre, à 9h30, à la salle 510-A et C du Palais des Congrès à Montréal, afin de poursuivre la consultation générale et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité. Bonsoir.

(Fin de la séance à 17 h 55)

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