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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le jeudi 17 février 2011 - Vol. 41 N° 28

Consultation générale et auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Onze heures vingt-cinq minutes)

La Présidente (Mme Gaudreault): ...la question de mourir dans la dignité. J'ai assez une bonne voix que les gens ont entendu le début de ma phrase.

Alors, comme vous le savez, la commission est réunie afin de poursuivre la consultation générale et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité. Il nous reste deux jours d'auditions: aujourd'hui et une autre journée la semaine prochaine.

Alors, Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Non, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, sans plus tarder, j'aimerais d'abord souhaiter la bienvenue aux personnes qui sont dans l'auditoire. On me dit aussi qu'il y a un groupe de juristes de l'État qui sont ici ce matin, alors bienvenue à vous. Et c'est certainement un sujet qui vous interpelle tous. Et j'espère que vous allez aimer assister à nos échanges et que vous en retirerez certainement quelque chose à la fin de cette première partie de la journée. Je ne sais pas si vous serez ici cet après-midi, mais on verra.

Auditions (suite)

Alors, sans plus tarder, j'aimerais céder la parole au Dr François Primeau. M. Primeau, vous avez demandé à intervenir à titre de professionnel, alors vous avez droit à une présentation de 15 minutes qui sera peut-être un peu... qui portera peut-être sur 18 minutes, et ce sera suivi d'une période de questions d'une trentaine de minutes. Alors, merci beaucoup. Sans plus tarder, la parole est à vous.

M. François Primeau

M. Primeau (François): Alors, merci, Mme la Présidente, de votre bienveillance. C'est sûr que c'est ma première fois ici, puis on a beaucoup de choses à dire, alors vous avez un résumé de ce que je vais dire aujourd'hui, aussi un résumé de mon curriculum vitae.

Disons deux mots, pour ne pas prendre trop de temps. Je suis professeur agrégé de clinique au Département de psychiatrie et de neurosciences de l'Université Laval, chef du Service de gérontopsychiatrie au CSS d'Alphonse-Desjardins, Hôtel-Dieu de Lévis, aussi directeur du fellowship en gérontopsychiatrie à l'Université Laval. J'ai été 10 ans président de la Société de psychogériatrie du Québec, de 1997 à 2007, mais... et puis aussi je suis content de voir qu'il y a des jeunes dans la salle parce que je suis habitué d'interagir, en contexte d'enseignement, avec des résidents, des fellows, des étudiants, et tout ça, depuis 1991.

Alors, je vais aller tout de suite, si vous voulez, à la deuxième page donc... ou la première page du texte. Premier point: la douleur intolérable. Et puis je vais suivre, pas tout à fait dans l'ordre, mais... Donc, je viens ici avec mon expérience de psychiatre qui oeuvre en enseignement, en milieu académique, auprès des patients âgés surtout mais aussi des patients de tout âge quand je suis de garde. Alors, pour la douleur intolérable, je voudrais tout d'abord attirer votre attention sur une revue qui a paru en 2010 dans le journal Psycho-Oncology, qui a revu 55 publications, 20 articles sur la définition de la souffrance, 35 études empiriques sur la douleur et qui n'a pu arriver à une définition satisfaisante de ce qu'est la douleur intolérable. Je pense que c'est un point important pour la commission.

Donc, d'un point de vue scientifique, actuellement, à la fin de 2010... début 2011, il n'y a pas, à l'heure actuelle, de définition scientifiquement acceptée de la douleur, ou souffrance, intolérable dans le contexte spécifique d'une demande d'euthanasie, qui était la revue de l'article en question, dans ce contexte spécifique là qui nous intéresse aujourd'hui. Vous comprendrez l'importance de cette revue-là parce qu'elle a plusieurs... les projets de loi qui ont été amenés, dont le dernier à Ottawa, bien sûr, faisaient de ce motif-là l'élément central comme motif pour accorder l'euthanasie. Alors, d'un point de vue méthodologique, pour moi, cette impasse au niveau de la méthodologie et de la définition consensuelle, scientifique de ce qu'est la douleur intolérable invalide toute démarche dans le sens d'une légalisation de ces pratiques. Quand je dis «ces pratiques», là, c'est: euthanasie et suicide assisté. Autrement, on veut avaliser à peu près n'importe quel motif pour mettre fin à une vie.

Le deuxième point que je désire souligner, bien sûr je suis psychiatre, donc c'est les facteurs psychiatriques et psychologiques, et ça, je ne sais pas si vous en avez beaucoup entendu parler dans vos témoignages. C'est l'avant-dernière journée.

Alors, la méconnaissance de ces facteurs dans le débat actuel me semble stupéfiante. La prévalence de la dépression chez les patients en phase terminale d'une maladie cancéreuse est de 20 % à 50 %. Elle est traitée dans 3 % des cas, selon la littérature. De plus, les patients déprimés sont susceptibles de demander l'euthanasie de 4,1 à 5,29 fois plus que ceux qui ne sont pas déprimés, donc de quatre à cinq fois plus. Et en plus 50 % de ceux qui ont demandé l'euthanasie changent d'idée après avoir exprimé une demande d'euthanasie en moins de deux semaines. La raison de la volatilité réside dans les symptômes dépressifs et dyspnéiques non soulagés. Ici, dans le mémoire, là, que je vous soumets, de quatre pages, je n'ai pas toutes les références, mais vous en avez 94 dans les deux mémoires que j'ai soumis précédemment pour appuyer ce que je dis. Donc, ça, c'est un problème grave qui est négligé, et on pourrait dire: En pratico-pratique, les motifs derrière les demandes réelles d'euthanasie sont la dépression et la démoralisation.

**(11 h 30)**

Je continue au deuxième paragraphe: la démoralisation psychospirituelle qui a été définie par Kissane en 2000. Kissane est un psycho-oncologue australien qui est en charge maintenant au Sloan-Kettering, à New York, qui est le principal institut d'oncologie de New York. Alors, il a défini la démoralisation psychospirituelle comme un sentiment d'impuissance, de manque de motivation, d'isolement psychosocial dans le contexte du processus de deuil en fin de vie, bien sûr, de perte du sens, d'anxiété face à sa propre mortalité, de la perte de contrôle, de l'impression de futilité.

La dépression et la démoralisation sont les véritables causes des demandes d'euthanasie, et ces causes peuvent être traitées efficacement. L'euthanasie n'est pas une réponse à la dépression en fin de vie.

Je passe à un autre point qui est capital, le suicide et le suicide assisté, capital surtout pour nous, au Québec. Sans aucune assistance, le suicide demeure un fléau au Québec. Année après année, le Québec continue d'obtenir le triste record de la médaille de bronze des juridictions aux taux de suicide les plus élevés au monde. Les années où on se relâche un peu, on arrive quatrième. Donc, on est à la troisième ou la quatrième place, mais ce n'est pas un podium enviable, comme vous pouvez le comprendre. Près de 3,5 % des Québécois auront fait une tentative de suicide au cours de leur vie. 0,3 % l'ont tentée l'année dernière. C'est l'Institut de la statistique du Québec qui nous donne ce chiffre. De ce nombre, 88 % souffraient d'un trouble de l'humeur à vie, durant toute leur vie, et 70 %, d'un trouble de l'humeur dans les 12 derniers mois.

Je pourrai détailler ce que ça veut dire, un trouble de l'humeur, et les impacts pratico-pratiques. Un trouble de l'humeur, ça se traite.

Donc, dans ce contexte-là, dans une société qui légaliserait le suicide assisté, que répondre aux diverses campagnes, par exemple, la campagne de l'Agence de la santé et des services sociaux de Chaudière-Appalaches qui dit: «Le suicide laisse un vide douloureux»? Ça, en plus, j'ai pris ça dans une salle du personnel, puis il restait juste un coupon, et tous les autres avaient été pris. Ou bien donc que dire face à l'action de l'Association québécoise de prévention au suicide qui clame: «Le suicide n'est pas une option» et ensuite, ça, j'ai pris ça dans mon département, c'était affiché partout, «ajoutez ma voix», puis en dedans il y a une déclaration de solidarité: «Tu es important pour nous, le suicide n'est pas une option»? Et là-dedans il y a un paragraphe intéressant, à mon sens, parce qu'aujourd'hui trois de nos concitoyens au Québec s'ajouteront au 12 988 Québécois qui se sont suicidés dans les 10 dernières années et que ces décès auront entraîné plus de un quart de million de personnes dans un deuil douloureux... un quart de million sur 7,5 millions, 7,8 millions, parce que nous ne voulons plus perdre par suicide des pères, des mères, des frères, des soeurs, des fils, des filles, des parents, des amis, des collègues, des voisins, des étudiants.

Quand on est de garde, parfois j'entends des enfants de 7-8 ans qui sont amenés à l'urgence pour tentative de suicide. On pourra en reparler... s'en reparler tantôt aussi.

Donc, vu le fléau du suicide au Québec, la promotion du suicide assisté est une incohérence sur le plan logique, un affront aux familles endeuillées, un abandon face aux personnes aux prises avec des idées suicidaires, un vote de non-confiance dans le personnel de santé qui se dévoue pour contrer le suicide. À mon sens, pour l'État, c'est envoyer un message contradictoire aux citoyens et vraiment manquer à des responsabilités importantes.

L'autre point: les dérives. On a beaucoup parlé des dérives. Moi, vous voyez, je cite la littérature, j'amène des faits. Les opinions peuvent être partagées, mais il y a des faits, alors la dérive inhérente à l'euthanasie. Le mot «inhérent» s'est retrouvé aussi dans un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme, du 20 janvier 2011, qui a rejeté le droit au suicide assisté en disant justement qu'il y a un danger de dérive inhérente à l'euthanasie et au suicide assisté, comme l'illustrent les statistiques des Pays-Bas, où vous savez qu'on a une légalisation de facto depuis 30 ans, les années quatre-vingt à peu près, et en droit depuis 2002. Donc, en 2009, on a 2 636 décès par euthanasie, soit 45 % de plus qu'en 2003, 15 % de plus qu'en 2008. Ce chiffre-là ne compte pas les 550 euthanasies involontaires, sans consentement, les 400 cas de suicide assisté, ni les 20 % d'euthanasies qui, de toute façon, ne sont pas rapportés comme le stipule la loi, donc on a une loi qui est violée tous les jours en Hollande à ce sujet-là, ni non plus les enfants décédés, selon le protocole de Groningen, depuis 2005.

Le gouvernement des Pays-Bas donc a demandé à une commission, la commission Remmelink, d'enquêter, et elle a noté ces abus aux Pays-Bas en 1990, en 1995, en 2003. La réalité de l'euthanasie telle que pratiquée sur le terrain outrepasse largement les balises établies par la loi.

Deux études récentes, fin 2010, révèlent qu'en Flandre... La Flandre, c'est la région nord de la Belgique. Moi, j'ai étudié en Belgique, je connais bien cet endroit. Donc, en Flandre, une euthanasie sur deux n'est pas rapportée au comité d'évaluation de contrôle fédéral, une sur deux, et 32 % des euthanasies qui sont réalisées en Flandre le sont sans consentement. Ça, c'est surtout valide pour les gens de plus de 80 ans.

Alors, moi, mon témoignage aujourd'hui, là... quand je viens, j'ai à l'esprit mes patients de 80 ans, les patients avec problèmes cognitifs, les patients déprimés, les patients qui n'ont pas voix au chapitre, les patients qui ne sont pas... des patients qui sont souvent dans les médias ou dont on entend peu parler.

En plus, vous savez qu'aux Pays-Bas l'euthanasie a été accordée, c'est une façon de parler, aux mineurs de moins de 12 ans, aux patients qui souffrent de dépression, depuis un cas de jurisprudence en 1993, le cas Chabot, alors que le désir de mort dans la dépression est un symptôme d'une maladie traitable, a été étendue aux nouveau-nés handicapés et enfin aux patients souffrant de démence, ce qui est très alarmant. En effet, comme vous le savez, la société Alzheimer a publié en 2009 un rapport: Raz-de-maréeRaz-de-marée, ça, c'est intéressant comme titre, hein? Mme Blais, je pense, la ministre des Aînés, a parlé de tsunami récemment, mais, en 2009, on avait parlé de raz-de-marée. La prévalence de la maladie d'Alzheimer doublera en 30 ans, passant de 1,5 % en 2008... 2,8 % en 2038. Ça n'a pas de l'air des gros chiffres, ça, mais qu'est-ce que ça veut dire? Ça veut dire qu'au Canada le fardeau qui était de 15 milliards en 2008... 153 milliards en 2038. Le Conference Board a publié une étude qui est parue le 18 novembre 2010 et qui titrait: Les finances publiques du Québec: l'heure des choix a sonné, et l'auteur, qui était Mario Lefebvre, disait: «Le statu quo n'est plus une option au point de vue économique.»

Donc, au moyen de l'euthanasie, cherchera-t-on un régulateur au fardeau économique des pathologies du vieillissement? Ça peut paraître une question rhétorique. Alors, détrompez-vous, donc ce n'est pas juste une pure spéculation.

En Oregon, qui est un État qui a légalisé le suicide assisté en 1997, une patiente de 64 ans à faibles revenus, Barbara Wagner, a reçu en 2008 une lettre fort troublante du Oregon Health Plan Administration. Ce serait ici la RAMQ. Suite à une récidive de son cancer du poumon, son médecin lui avait prescrit une médication qui coûtait 4 000 $ par mois, qu'il était impossible pour elle à défrayer avec sa retraite de chauffeur d'autobus. C'était une personne à faibles revenus. Alors, l'Oregon lui envoie une lettre en lui disant: Bien, on est plutôt prêt à vous payer 50 $ pour la médication du suicide assisté. Washington Times, 2 novembre 2008. Alors, si on ne veut pas que les gens au Québec qui sont en chimio, dans 10 ans, reçoivent des lettres de la RAMQ qui leur disent: Bien, voici, ça coûte trop cher, on va vous envoyer un chèque de 50 $ pour la médication pour le suicide assisté, il faut être prudent, parce que quelles seront les pressions économiques, institutionnelles, sociales, familiales qui s'exerceront sur les plus vulnérables ou les plus pauvres, comme cette patiente, les personnes exclues?

Alors, j'arrive à la fin. Je pense que ce n'est pas trop mal pour mon temps, hein?

Alors, moi, j'essaie aujourd'hui de vous apporter des faits pour dissiper certains obscurcissements qui surviennent dans les esprits avec tout ce qu'on entend. Donc, «aider à mourir», c'est une expression qui est un euphémisme, parce que, si on consulte le Centre national de ressources textuelles et lexicales, on se rend compte que mettre fin à la vie d'un patient, qui vient de l'étymologie de «tutari», «protéger de», «garantir de», qui est synonyme d'«extinguere» en latin, qui veut dire «étouffer» ou «tuer», mettre fin à la vie d'un patient, ça équivaut donc lexicalement, cliniquement, déontologiquement et éthiquement à tuer ce patient, ce que confirme l'étymologie. Puis il y a une différence entre déontologie et éthique aussi, qui est souvent gommée de nos jours, hein?

Les chartes... on peut regarder toutes les chartes. Alors... charte québécoise, Charte canadienne, Déclaration universelle des droits de l'homme, Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissent le droit fondateur à la vie. Le droit à la mort n'existe pas. La Cour européenne des droits de l'homme vient de rejeter, le 20 janvier, le droit au suicide assisté. Mais, dans le climat qui baigne les esprits actuellement, il faut craindre que, par l'euthanasie et le suicide assisté, le droit de facto de mourir n'entraîne le devoir de tuer puis le devoir de mourir.

Un point qui est très important pour moi: ces pratiques nient la dignité de la personne. On utilise beaucoup le mot «dignité» et peut-être on en abuse. Donc, la dignité de la personne qui se trouve aliénée, ça a été le titre du mémoire du 22 juin que vous avez devant vous: L'aliénation de la personne. Pourquoi? Parce qu'elle est dépossédée de sa valeur propre. Sa valeur reviendrait à dépendre de son jugement ou de celui d'autrui sur elle-même. Peu importent les situations, l'état clinique de la personne, son opinion ou celle d'autrui, toute personne possède en elle-même une valeur et une dignité inaliénables du seul fait qu'elle est humaine. C'est l'article premier de la Déclaration universelle, de 1948, des droits de l'homme à l'ONU.

La dignité est une valeur absolue pour chaque personne, quelle que soit l'idée qu'autrui ou soi-même se fasse de sa dignité. Autrement, on chosifie la personne et, la date de péremption approchant, on pourrait alors l'évacuer.

**(11 h 40)**

La question du libre choix est aussi une illusion, parce que les faits en Hollande, depuis 30 ans, démontrent que de l'euthanasie volontaire on glisse vers l'euthanasie involontaire, c'est-à-dire sans consentement des patients. C'est-à-dire que les patients ne sont même pas au courant, puis ils sont euthanasiés. 550 de rapportés en 2009... rapportés, puis il y en a beaucoup plus qui ne sont pas rapportés, puisque 20 % des euthanasies ne sont pas rapportés.

L'idée de ces pratiques comme soins appropriés, comme en parle le Collège des médecins, transfert la décision en fin de vie au médecin, ouvrant la voie aux nombreux abus constatés aux Pays-Bas.

Ces pratiques menacent les plus vulnérables et pervertissent la relation médecin-patient, on pourra en parler, de diverses manières. Face à l'expérience des Pays-Bas, croire en des balises pour endiguer ces abus relève, au mieux, de la naïveté; au pire, de la pensée magique. Je pourrai vous définir la pensée magique si ça vous intéresse. Ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie, ni suicide assisté. Je convie les commissaires à ne pas abandonner les personnes vulnérables ou en fin de vie. Comme société, affirmons la dignité intrinsèque que possède toute personne, bon, même dans... réaffirmée dans le préambule de la charte québécoise. Refusons la barbarie qui décrète la valeur d'une personne selon les critères évanescents de l'opinion du moment.

Résistons à la déliquescence des valeurs de notre civilisation que consacrerait la légalisation de facto de l'euthanasie ou du suicide assisté. Accueillons les personnes souffrantes et leurs familles parce qu'il y a beaucoup de personnes dans notre société qui sont en détresse. Répondons présent pour accompagner leur détresse en y consacrant les ressources nécessaires. Elles le méritent, elles en sont dignes.

Alors, je termine ici. Ce n'est pas trop mal, hein, je pense?

La Présidente (Mme Gaudreault): Non, 15 min 35 s. Alors, vous aviez peur de ne pas avoir de temps. Vous avez bien cerné le sujet par votre présentation. Je suis certaine que les commissaires ont très hâte de vous questionner, alors je vais céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, Mme la Présidente. Quel défi vous avez de passer tout de suite après une période de questions à l'Assemblée nationale, puisqu'on est très fébriles quand on arrive dans cette salle!

Bienvenue. Je comprends plus votre inquiétude de ne pas avoir eu... ou de vouloir suffisamment de temps pour poser la question ou présenter votre texte. Je suis par contre un peu surprise de la teneur, puisque, de par votre profession, je n'aurais pas pensé que vous auriez utilisé cet angle-là pour nous faire comprendre votre inquiétude sur une réflexion qu'on fait.

M. Primeau (François): ...parlez-vous?

Mme Charbonneau: Je vais vous l'expliquer, laissez-moi aller, vous allez voir.

Habituellement, j'ai le défaut d'être directe et de ne pas beaucoup «perler», ça fait que, vous allez voir, je vais y arriver. Mais je suis un peu étonnée de l'angle que vous prenez. Par contre, je comprends, de par votre profession, votre inquiétude par rapport aux gens qui sont, disons, malades, puisque la dépression fait nécessairement partie de signes de maladie. Donc, si jamais je suis dans le champ par rapport à la dépression... Je ne suis vraiment pas une spécialiste. Vous êtes beaucoup plus dans cet aspect-là. Je dois vous avouer, docteur, que les gens que nous avons rencontrés n'étaient point dépressifs. Du moins, le petit, petit nombre de gens qui sont venus nous voir pour nous dire qu'à un certain moment donné de leur maladie, où ils ne peuvent pas être débranchés, où ils seront incapables de poser le geste eux-mêmes... passer à autre chose, pour eux, était serein et rassurant. Quand vous prenez les termes... qui dit: Peut-être que c'est la peur de la mort et l'angoisse de la mort, vous avez sûrement raison, puisqu'eux, contrairement à moi pour l'instant, parce que je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, avaient un diagnostic qui leur disait comment ils étaient pour mourir, vers quoi ils s'engageaient dans le chemin de leurs maladies, souvent des maladies qui sont violentes dans une mort, où quelqu'un, avec toute sa tête...

On cite souvent M. Leblond, puisqu'il a eu le privilège d'être accueilli sur un plateau fort en vue, Tout le monde en parle, mais M. Leblond n'est pas dépressif. Vit-il une angoisse face à sa mort? Probablement, puisque, lui, contrairement à moi, sait comment il va mourir. En tout cas, il a un bon aperçu. Les médecins lui ont dit un peu comment ça se gérait. Quand vous parlez de la pensée magique, je ne pense pas que M. Leblond a une pensée magique. Je pense qu'il veut avoir la même opportunité que quelqu'un qui arrête sa dialyse, que quelqu'un qui arrête le respirateur. Il veut avoir cette même opportunité là.

Par contre, malheureusement pour lui, la maladie qu'il a ne lui procure pas ce confort-là ou, je devrais dire, ce réconfort-là.

Et, pour vous rassurer peut-être, de mon côté, de ce que je pense de la pensée magique, alors, Dr Primeau, sachez qu'en ce moment, au Québec, il y a des choses qui se pratiquent, et qui n'ont pas de balise, et qui ne sont pas légales. Alors, pour une petite, petite partie de notre population qui se lève la main et qui dit: Pouvez-vous répondre présent pour qu'on puisse avoir une mort digne, ne pas mourir noyé dans notre lit, dans notre chambre, ne pas permettre à notre famille de nous retrouver comme ça, nous permettre, à nous, de fermer les yeux et commencer autre chose, qu'est-ce que je réponds?

M. Primeau (François): Vous avez parlé d'angle, vous n'avez pas encore précisé encore, là, mais, moi, je vous dis: L'angle que j'ai, moi... Vous parlez d'un patient en particulier. Moi, j'accompagne des patients depuis 25 ans. En une journée de garde, j'ai 10 personnes qui veulent se suicider ou qui ont fait une tentative, qui sont devant moi.

Donc, l'accompagnement des patients, je le comprends. C'est pour ça que j'apporte cet élément-là qui est souvent négligé, puisque la littérature scientifique nous dit que les personnes déprimées demandent l'euthanasie quatre à cinq fois plus que celles qui ne le sont pas. Donc, la majorité des demandes provient de personnes déprimées. Il peut y avoir des demandes qui ne viennent pas de personnes déprimées.

La pensée magique, je ne l'attribuais pas à un individu en particulier. Vous avez parlé de ça. C'était l'opinion un peu diffuse que des balises peuvent tout régler quand la preuve empirique l'infirme. Alors, il faut regarder les faits. Alors, la pensée magique, c'est qu'on pense puis on croit que ça va se réaliser tel qu'on le souhaite. C'est normal chez l'enfant, mais c'est pathologique chez l'adulte. Donc, c'est dans ce sens-là. Je parlais au niveau collectif.

Ensuite, vous avez parlé de... les gens qui n'ont pas la chance de cesser les soins disproportionnés. Le refus de traitement est enchâssé dans la loi, puis ce n'est pas de ça qu'il s'agit, bien sûr, hein? Et il y a une certaine légitimité, je pense, à vouloir croire que dans le passé un esprit d'acharnement thérapeutique a pu, par effet de balancier, pour bien des personnes qui avaient peur ou qui ne désirent pas, comme la majorité des personnes, se voir, entre guillemets, branchés... c'est ça que les gens nous disent, hein, a pu entraîner une espèce de basculement vers un souhait pour l'euthanasie. Ça se peut que ça ait procédé comme ça dans certains esprits. Dans le moment, on ne peut pas dire que le climat est de façon prédominante à l'acharnement thérapeutique, je pense qu'on... en France, qu'on appelle l'obstination déraisonnable. Les gens sont très sensibles, les gens expriment leurs volontés, et les équipes traitantes ne sont pas là pour brancher des gens, etc. Ce n'est pas le but actuellement.

Je pense aussi que la philosophie des soins palliatifs, qui a quand même plusieurs décennies maintenant, a fait son chemin, et puis les praticiens, et les familles, et les patients savent que c'est accompagner, traiter la douleur qui compte, hein?

L'autre point que vous avez mentionné: il y a des choses qui se font et qui ne sont pas légales. Il y a beaucoup de choses qui se font puis qui ne sont pas légales, il ne faut pas les légaliser: le vol, la fraude, la corruption. Alors, ce n'est pas parce que ça se fait que ça devrait être légalisé. La première chose, hein... Puis ensuite, aussi, il y a toute la confusion... ce qui est moral est légal et ce qui est légal est moral. Je pense que les gens font une équivalence trop rapide entre les deux.

L'autre point, qui est plus important pour moi, c'est: les gens veulent une mort digne. Ça, c'est un point central, pour moi, dans l'argumentation que je fais: Qu'est-ce que la dignité de la personne? Et puis ce qui est intéressant, c'est qu'on... parler de toutes sortes de choses, on regarde les textes. Puis, vous autres, comme vous êtes des avocats, puis il y a plein de juristes... moi, je suis un médecin, mais on regarde les chartes, hein? Vous autres, c'est ça qui vous intéresse. Donc, on regarde les... puis à la première ligne on voit ça -- charte québécoise: «Considérant que tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques...» Donc, le caractère inhérent est rappelé de la même manière dans le préambule de la Déclaration universelle. Ça, c'est important. Savez-vous pourquoi? Puis c'est très important, comme vous dites, de l'angle d'où je viens. Est-ce que la dignité de la personne réside dans l'impression ou la valeur qu'elle s'en attribue elle-même, ou qu'autrui lui attribue, ou que la société lui reflète?

Exemple: une personne déprimée. Ça, c'est ma vie. La dépression, c'est une maladie, madame. 20 % des femmes ont une prévalence à vie de 20 % dans leur... dans toute leur vie, malheureusement, c'est une... la maladie... La dépression majeure, les troubles dysthymiques, les maladies bipolaires avec dépression, les dépressions psychotiques, il y en a tant que vous en voulez.

**(11 h 50)**

Donc, ce sont des entités pathologiques qui peuvent être traitées avec différentes formes de traitement, pas seulement de la médication. Alors donc, dans la dépression, c'est très important de se rendre compte... la majorité des personnes ont une très piètre opinion d'elles-mêmes, elles ont une mauvaise estime d'elles-mêmes souvent, elles se sentent coupables et souvent pas... c'est une impression subjective.

Alors, parce que la personne sent, dit qu'elle a une mauvaise estime d'elle-même, est-ce que ça veut dire qu'elle ne vaut rien?

Mme Charbonneau: Je vais vous arrêter.

M. Primeau (François): Comprenez-vous?

Mme Charbonneau: Oui, je vous suis tout à fait.

M. Primeau (François): Je n'ai pas tout à fait fini mon raisonnement.

Mme Charbonneau: Oui, je n'en doute pas, je n'en doute pas. Et, vous l'aviez dit au début de votre intervention, on a entendu bien, bien des gens, puis je veux vous amener à un endroit très précis, puis pas parce que la qualité de votre intervention n'est pas bonne, ne craignez rien, je vous écoute avec beaucoup d'attention, mais on a un temps limité chacun de notre côté, alors on a aussi, nous, le goût de vous entendre sur certaines choses.

Malgré tout ce que j'ai dit et le temps que vous vous êtes arrêté sur chaque chose que j'ai dite, j'aimerais revenir sur le dernier principe, c'est-à-dire la personne qui a un pronostic de fin de vie, qui fait en sorte qu'il ne peut pas débrancher, il ne peut pas rien arrêter... Je ne suis pas avocate. C'est épeurant si je vous dis ce que je fais dans... ce que j'ai comme certificats, mais, un coup que je vous ai dit ça, ça fait un an qu'on roule cette commission et qu'on échange avec des gens, j'ai encore la tête toute pleine, et mon idée est complètement mélangée, mais il y a une chose que je sais, c'est que les témoignages, que j'ai eus, du pour et du contre, m'ont beaucoup touchée. Et j'essaie de mieux comprendre comment je peux prendre la meilleure place comme politicienne parmi 125 personnes pour parler de cette petite catégorie de gens qui n'ont pas de voie de sortie. Je vais le dire comme ça parce que je n'arrive pas à le nommer autrement.

Puis vous avez sûrement remarqué, juste dans notre échange, qu'il s'agit que je me trompe d'un mot pour que toute notre conversation change.

Donc, je reviens à mon M. Leblond. Parce qu'ils sont tannés de m'entendre parler de Mme Gladu, je prends toujours Mme Gladu, là, j'ai décidé de prendre M. Leblond ce matin. Je reviens à mon M. Leblond qui, lui, n'en a pas, une porte de sortie. Sa porte de sortie à lui, elle est malheureuse. Et sa femme qui est toujours avec lui le regarde avec énormément de dignité. M. Leblond est un homme excessivement courageux, suffisamment courageux pour aller, à contre-courant, se présenter partout pour dire: Moi, je veux choisir ma date de péremption, je veux être comme le yogourt dans mon frigidaire et savoir quand. Et il le fait avec énormément de dignité. Il ne le fait pas parce qu'il... Le regard qu'on porte sur lui et le regard qu'il porte sur la société ne changent pas, il cherche une porte sereine pour voir sa fin à lui. Et, je vous le dis d'emblée, là, je sais qu'il fait partie d'un très minime nombre de gens, il ne fait pas partie des gens qui vont vous rencontrer et où on peut donner un aspect de dépression.

C'est pour ça que j'ai besoin de votre expertise sous cet angle-là pour savoir qu'est-ce que je peux répondre à quelqu'un comme M. Leblond.

M. Primeau (François): Bien, moi, je vais vous dire, la première chose, la personne, ce n'est pas un yogourt dans le réfrigérateur.

La deuxième chose: les personnes qui sont pour l'euthanasie n'ont pas le monopole du coeur. Moi, je suis contre puis je pense que j'accompagne mes patients avec empathie depuis 25 ans, puis jusqu'à la fin. Puis j'essaie... Je travaille avec des gens âgés en général, alors je le fais souvent.

Moi, le point qui me fascine... Vous parlez de cette personne-là, c'est légitime. C'est une personne en vue, qui a eu une tribune. Moi, le point que je vous amène, c'est qu'il y en a plein, de personnes, qui n'ont pas de tribune, les personnes dans ce que j'appelle le quart-monde, les soins prolongés où on a des patients avec problèmes cognitifs. Oui, il y a des patients comme ceux dont vous parlez, mais le point que je n'avais pas fini de terminer, c'est que la dignité de la personne ne dépend pas de son opinion propre qu'elle a d'elle-même ou de ce que le regard qu'autrui lui donne ou que la société lui reflète, parce qu'une personne qui, à sa demande, obtiendrait l'euthanasie sous-entendrait que sa qualité de vie n'est pas bonne, que sa vie ne vaut pas la peine d'être vécue de cette manière-là à ce moment-là, et la société lui dirait: Vous avez raison, votre vie ne vaut pas la peine d'être vécue et puis, comme Barbara Wagner en Oregon, voici 50 $, et puis bonjour, madame. Ça, c'est un fait, c'est une lettre, c'est documenté.

Alors, moi, je réponds que, toutes les chartes, d'ailleurs, nous le disent, la dignité est intrinsèque à la personne. Ça veut dire qu'elle est en elle-même le barème qui doit nous guider. Et puis évacuer la personne avec sa détresse, ce n'est pas une solution. Et, ce faisant, même pour le petit pourcentage de personnes dont vous parlez, vous oubliez de... ce que j'ai expliqué sous toutes les dérives inhérentes et puis tout ce qu'on voit avec le vieillissement très accéléré, que je constate avec un peu de consternation chez les parlementaires, qu'ils n'ont pas pris la pleine mesure du mouvement démographique qui arrive et de ce que ça implique.

Nous, en clinique, on le voit tous les jours... nos incapacités à bien soigner les patients par manque de ressources d'unités prothétiques, par manque de ressources... soit de ressources intermédiaires avec portes codées, etc. On est vraiment mal pris pour traiter des gens âgés qui ont le double «stigma» de l'âge et de la maladie mentale. Personne n'en veut. C'est très difficile. Et vous en avez dans vos familles, et on voudrait leur donner les soins appropriés.

Alors, on se pose la question parce qu'en Hollande c'est ça qui arrive, la dérive, parce qu'on a 30 ans d'histoire, vous savez. Ce n'est pas en disant... Vous, je pense, on voit, en tout cas... peut-être que je projette, mais vous me direz si je suis dans... mon opinion est erronée. On sent que vous glissez tranquillement vers la pente de la légalisation de fait en ne voulant... en suggérant que, si des cas se présentent... qu'on n'intente pas de poursuite puisque le... au Code criminel ça vient d'être pour la troisième fois maintenu comme caractère criminel, l'euthanasie. Mais, à ce moment-là, ce qu'on sent, c'est que... C'est l'expérience de la Hollande. Vous n'inventez pas quelque chose de nouveau. Vous repartez sur une route où ils sont partis en 1980. Mais là ils sont en 2011 comme nous, mais eux... on a les conséquences, les données. Tout est... Le gouvernement néerlandais donne des statistiques année après année, et on constate les dérives.

Donc, si vous partez sur cette route-là en 2011, plus 30... 2041, où, là, le boom démographique, on sera en plein dedans, bien vous aurez exactement ces dérives-là. Vous avez les chiffres, les faits. Ce n'est pas une question d'opinion ni une question d'une personne particulière, que je respecte, par ailleurs. Mais, moi, je trouve, cette personne-là a été très chanceuse, puisqu'elle a une députée, sur une commission, qui parle de son cas en public.

Moi, je pense à toutes les personnes qui n'ont pas voix au chapitre -- comprenez-vous mon point? -- et qui sont très nombreuses. Je pense aux personnes pauvres, seules, non visitées, abandonnées dans les centres d'accueil qui vont... à mon sens, pour lesquelles j'ai très peur qu'ils fassent les frais dans les dérives de cette problématique-là.

La Présidente (Mme Gaudreault): Un dernier commentaire, puisqu'on devra passer de l'autre côté, Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Je voulais vous taquiner puis vous dire: Merci, docteur, du diagnostic. Je ne le connaissais pas encore, puisque, même moi, quand je rentre chez moi, j'ai la tête pleine et je n'ai pas d'idée. Mais, si c'est la perception que vous avez de vers où on s'en va, j'en suis un peu attristée, puisqu'encore la semaine passée, en sortant de Saint-Jérôme, on était ensemble, tout le monde, sans opinion et en se disant: Mon Dieu, tu sais, qu'est-ce qui nous attend après, puisque c'est l'avant-dernière journée?

Mais ceci dit...

M. Primeau (François): Merci de... Je suis content de constater que ce n'est pas ce que je pensais et puis que vous êtes... vous avez... au bord du gouffre, vous hésitez avant de sauter.

Mme Charbonneau: ...

M. Primeau (François): Je suis content que vous ayez un mouvement d'hésitation. Ça vous honore.

La Présidente (Mme Gaudreault): ...je vais clarifier, à titre de présidente, comme on doit le faire souvent dans les villes où on se déplace, il n'y a aucune perspective d'un côté ou de l'autre. Depuis un an, on a rencontré des experts, on a rencontré des citoyens, des spécialistes, des experts, des philosophes. On a rencontré beaucoup de gens, et il y a des gens, comme vous, qui avaient des perceptions erronées. Mais, pour les gens qui sont ici, les gens qui nous écoutent, on n'a vraiment aucune idée de quelles seront les recommandations de notre rapport. Et tout le monde aura été entendu.

Peut-être qu'aujourd'hui on n'a pas de citoyens, là, qui viennent nous parler de personnes qui sont dans les CHSLD, mais on a entendu les témoignages de ces gens-là. Leur voix s'est rendue jusqu'à nous. Alors, soyez rassuré à cet égard-là. Alors, sans plus tarder, je vais donner, céder la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonjour. Bienvenue, Dr Primeau. Juste avant, à mon tour, je veux saluer les juristes de l'État qui nous font l'honneur de leur présence. C'est une rare commission où il n'y a pas de juriste de l'État parce que ce n'est pas une commission qui est à l'initiative du gouvernement, c'est une commission qui est à l'initiative des parlementaires. Donc, c'est la première fois donc qu'on accueille des juristes de l'État parmi nous. Donc, je voulais souligner leur présence ce matin.

**(12 heures)**

Dr Primeau, moi, je veux juste vous dire une chose... et c'est le rôle qu'on se donne un peu quand on reçoit des témoins qui ont une opinion ou une autre, c'est de faire un peu l'avocat du diable. Et, si on se donne autant de mal et qu'on investit autant d'énergie, comme commission, à parcourir le Québec, c'est parce qu'on veut vraiment entendre ce que les gens ont à nous dire. Et, dans cette optique-là, je vous remercie vraiment d'être venu nous parler, avec votre expérience, votre expertise mais aussi votre coeur de médecin aujourd'hui.

Et c'est aussi parce qu'on pense que le Québec, ce n'est pas les Pays-Bas, ce n'est pas l'Oregon, ce n'est pas la Belgique, ce n'est pas non plus toute une panoplie d'autres États et que le Québec peut faire sa propre réflexion à la lumière de ce sur quoi on a été interpellés par le Collège des médecins, par des organisations, par des citoyens et de tous les côtés. Et ce qui m'étonne un peu... Et je vais venir à la question des dérives. Et soyez assuré que c'est quelque chose qu'on regarde très attentivement... très, très attentivement. Et on a une pile d'études. On les a toutes, on les regarde, et il y a des contradictions aussi et il y a des gens qui font dire aux études une chose et des gens qui font dire aux études une autre chose.

Donc, on regarde tout ça attentivement. Je veux que vous en soyez assuré.

Par ailleurs, il y a d'autres données. Il y a des gens qui viennent nous dire: Comment ça se fait, si c'est si terrible que ça, que les deux tiers des demandes sont refusés, aux Pays-Bas? Ça doit être parce qu'il y a un examen notamment psychologique ou de l'état psychiatrique de la personne qui est effectué. Les gens nous disent: En Oregon, 90 % des gens qui reçoivent une prescription ne l'utilisent pas. Alors, ça aussi, c'est des données. Mais, moi, je vous dirais que les deux questions, quand on parle de ça, qui me travaillent le plus, c'est, un: Pourquoi... Puis vous avez vécu en Belgique, donc vous devez bien connaître... Pourquoi la Belgique, pourquoi les Pays-Bas ne reviennent pas en arrière? On s'est informé, là, il n'y a pas de débat dans les sociétés belge et néerlandaise à l'heure actuelle. S'il y a autant de dérives, comment explique-t-on que le corps médical ne soit pas aux abois pour dire: Il faut revenir en arrière... ou la société ou les groupes de défense des personnes? Ça, pour moi, c'est un élément auquel je n'ai pas obtenu de question.

Et le deuxième qui, selon moi, est encore plus troublant, c'est quand des médecins comme vous venez nous dire à quel point les dérives sont inquiétantes. Moi, c'est drôle, j'ai confiance dans notre corps médical. Je ne dis pas qu'il faut faire les choses parce qu'on a confiance dans le corps médical, mais, en partant, j'ai confiance dans le corps médical. Je me dis: Depuis le début des années quatre-vingt-dix, c'est le principe de l'autonomie qui prime dans le Code civil, les gens peuvent demander d'être débranchés, les proches des gens peuvent demander qu'on les débranche, on peut cesser des traitements, puis je ne pense pas qu'on parle de dérive. Je pense qu'on a confiance dans le corps médical.

Donc, moi, qu'un médecin vienne me dire à quel point ce serait terrible... je veux que vous m'expliquiez pourquoi vous avez si peu confiance dans le corps médical.

M. Primeau (François): D'abord, je vous... je veux remercier la présidente parce qu'elle a corrigé ma perception erronée. J'en suis très heureux. Donc, si vous avez... je suis heureux que vous fassiez... que vous entendiez les témoins avec un esprit ouvert. Certaines remarques qui ont paru dans la presse auraient pu laisser sous-entendre le contraire. Ça fait que je suis content que les esprits soient ouverts.

Je vais répondre à vos questions, mais juste... je trouve ça intéressant. Vous avez parlé des études auxquelles on peut faire dire diverses choses. C'est ce qu'on remarque quand on est... toute la littérature, quand on enseigne aux résidents, tout ça, les critères de données probantes de la littérature, hein? Alors, la science avance progressivement, d'étude en étude, parfois avec des données contradictoires ou parfois les données sont répétées de façon assurée, et l'interprétation qu'on en fait est contradictoire. Alors, moi, c'est pour ça que je vous ai amené des faits, mais les interprétations peuvent être contradictoires.

Juste un mot qui... vous avez mentionné quelque chose de très important, et, moi, je suis psychiatre et je ne veux pas qu'on tombe dans cette dérive-là, alors, vous avez dit... Donc, ce qui est bien, c'est que, comme j'ai mentionné qu'il y a des cas de dépression qui peuvent se retrouver, c'est bien qu'on s'attache à les dépister puis à les traiter pour améliorer ces patientes-là qui souffrent et qui sont en détresse parce qu'ils souffrent de dépression. Mais, moi, là, je veux faire bien attention au rôle du psychiatre au service d'une loi de l'État, comprenez-vous? Les exemples historiques quand... Moi, j'enseigne l'éthique depuis 1994 à McGill puis... 2004 ici, à Laval. Les exemples historiques d'utilisation de la psychiatrie par l'État sont très horribles.

Vous pouvez penser que c'est rhétorique, ce que je dis. Moi, je ne suis pas tellement vieux, là, mais quand même... Alors, quand j'étais en formation, dans les années quatre-vingt, j'étais à McGill, et puis une collègue a fait venir... une collègue ukrainienne a fait venir un psychiatre soviétique, c'était avant 1989, puis il nous a parlé de toute la schizophrénie mais, entre autres, la «sluggish schizophrenia», qu'on peut traduire par «schizophrénie lente». Dans nos critères à nous, ça n'existe pas, mais, eux, ça existe, et puis vous pouvez comprendre quel est le principal critère, c'est d'être opposant au régime. Alors, on a fait des hôpitaux concentrationnaires où les psychiatres étaient les agents régulateurs, et puis on internait les opposants en les médicamentant.

Donc, le rôle du psychiatre, là, il faut être bien, bien attentif à ne pas l'instrumentaliser dans une démarche où évidemment l'objection de conscience demeure toujours possible. Autrement, on est dans la barbarie.

Je viens à votre question. Le BENELUX, oui, j'y ai habité, mais c'était avant, avant la légalisation qui est officiellement en 2002. Les cas sont différents. La Belgique a légalisé en 2002, la Hollande aussi, mais la Hollande avait 30 ans de tolérance, donc ce n'est pas pareil. Et vous dites: Comment se fait-il que, si les dérives sont si graves, le corps médical n'est pas aux abois, puis n'ameute pas, puis n'essaie pas de corriger? L'interprétation que j'en fais, qui est mon interprétation, c'est que le corps médical est lui-même partie prenante de la dérive, en ce sens que, comme je vous ai dit, là, les études fin 2010 rapportent que 50 % des euthanasies ne sont pas rapportées. Oui, mais, c'est un critère de la loi, ça. Qui les rapporte? Ceux qui les font, mais ils ne les rapportent pas dans 50 %... Qui les fait? Les médecins.

En plus, ce que je vous dis, entre parenthèses, il y a la même étude qui dit qu'il y a 32 % qui sont faits sans consentement. Cette étude-là rapportait en plus que, dans les cas faits sans consentement, contrairement à la stipulation de la loi qui devait... où l'euthanasie devait être administrée par un médecin, c'étaient souvent des infirmières qui l'administraient. Et puis, dans le Journal canadien de l'Association médicale de 2010, il y a eu un article par une infirmière belge, où elles sont très préoccupées parce qu'elles outrepassent les critères déontologiques de pratique de leur ordre. Puis les médecins, voyez-vous, même cavalièrement, n'assument même pas le minimum des obligations légales qui leur sont imposées pour administrer l'euthanasie.

Donc, je réponds. Ma première réponse serait de vous dire: Bien, s'il y a... je ne dis pas «1 %», il y a 50 % des euthanasies qui ne sont pas rapportées en Flandre. La Flandre, c'est la partie... c'est quatre provinces les plus populeuses de la Belgique. Le corps médical ne coopère pas ou ne répond pas aux attentes de la loi dans 50 % des cas. C'est ça que je répondrais, à première vue.

La deuxième chose, vous dites: Oui, la confiance dans le corps médical, c'est entendu. Je pense qu'en général on espère que les patients ont confiance en leur médecin. Néanmoins, je vous confierais une information anecdotique, mais on remarque de plus en plus... Vous savez, en Europe, les pays sont très frontaliers, très collés les uns sur les autres. Ici, au Québec, la frontière peut être loin parfois. En Hollande, il y a beaucoup de personnes âgées qui vont soit déménager en Allemagne toute proche ou se faire soigner par des médecins allemands. Parce que c'est des personnes âgées, elles se sentent inconfortables en Hollande à cause du doute qui est semé dans la relation médecin-patient avec la pratique de l'euthanasie dans le contexte dont je vous ai parlé. N'oubliez pas que les 32 % d'euthanasies où il n'y a pas de consentement, c'est dans des gens de 80 ans et plus, en majorité.

Alors donc, je pense que, le corps médical, on lui fait confiance, mais il y a des personnes qui y ont moins confiance à cause de ces pratiques-là.

Au Québec, je pense que la population a confiance en son corps médical. Mais là justement on ne s'adresse pas aux ordres professionnels, c'est débattu dans une commission de l'Assemblée nationale. Alors, je pense que le caractère d'une loi ou d'une légalisation de fait ajoute un autre niveau de préoccupation, à mon sens. Comprenez-vous? Ce n'est pas juste une question de régulation déontologique à l'intérieur d'un ordre professionnel non plus.

La Présidente (Mme Gaudreault): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Mais, M. Primeau, vous êtes bien conscient qu'un des éléments clés dans ce débat-là, c'est... et je ne veux pas qu'on s'attarde sur tout le fond et les... mais c'est la prise de position, c'est le rapport du Collège des médecins qui a spécifiquement interpellé l'Assemblée nationale pour dire: Nous, dans l'état actuel des choses, c'est très difficile, notre pratique en fin de vie. Il y a des zones grises excessivement difficiles. Oui, on fait de la sédation terminale, mais des fois, quand quelqu'un est sous sédation terminale depuis sept, 10, 12 jours, on se demande vraiment où est la nuance entre ça et un geste pour arrêter la vie de la personne. Oui, il y a la question de l'intention, on est bien au courant de ça, mais, dans la pratique médicale, on nous a interpellés.

Donc, ce n'est pas comme si, nous, de manière totalement désincarnée, on s'est dit: Tiens, on va regarder cette question-là sans aucune expertise. On a eu l'expertise du Collège des médecins. On a eu le Barreau, je veux dire, tous les grands acteurs... les infirmières, les travailleurs sociaux, tout ça. Les positions varient. Mais je ne veux surtout pas qu'on laisse croire que c'est une réflexion qui se fait en marge de toutes les préoccupations des ordres professionnels eux-mêmes. Donc, ça, je veux qu'on soit clairs là-dessus.

**(12 h 10)**

M. Primeau (François): Je comprends très bien parce que j'en suis membre, évidemment, moi, de la fédération des spécialistes et du Collège des médecins, bien sûr.

C'est un très bon point que vous soulevez. Moi, je trouve, le point qui me... Moi, j'enseigne, hein, puis j'enseigne en éthique, je donne des cours d'éthique aux résidents seniors. Le point qui me désole, c'est de voir la confusion dans l'esprit des médecins. Je ne parle pas, là, des sondages de la population, qui sont pour l'euthanasie à 80 %, que j'ai beaucoup de difficultés à interpréter, connaissant la confusion des médecins. Et comment cette confusion-là nous est-elle manifestée? Dans le... vous avez des... Parce que vous avez eu le sondage de la FMSQ, que vous connaissez, où il y a eu 23 % de répondants, 75 % pour. Si on fait l'arithmétique, ça fait 17,25 % qui sont pour l'euthanasie. Il y a eu des gens qui ont dit: Le sondage n'était pas valable, d'autres qui ont dit: Oui, il est valable. Prenons-le comme valable. Je le trouve plus dangereux. Parce que n'oubliez pas que, dans ce sondage-là, on demandait exactement la question que vous venez de soulever, la sédation palliative: Est-ce que la sédation palliative est de l'euthanasie? 48 %, oui; 46 %, non. Il y a une confusion totale.

Et, vous avez soulevé le point, la notion d'intentionnalité est mal comprise par le corps médical. Au tout début de vos auditions d'experts, en février-mars, Bernard Keating est venu vous dire ça puis est venu vous dire -- parce qu'il me l'a dit: C'est éthique 101, alors. Puis, quand les gens disent: On pratique l'euthanasie, il y a beaucoup de personnes, d'après mon interprétation... il y en a peut-être, des cas d'euthanasie qui se pratiquent, c'est anecdotique, c'est non confirmé, mais il y a beaucoup de retraits de soins et il y a beaucoup de confusion dans l'esprit des médecins puis des... Puis ça, c'est... FMSQ, médecins spécialistes sur le sujet. Alors, ça, c'est ça qui m'inquiète plus. Tantôt, vous parliez de confiance dans le corps médical, je pense. Et la confusion aussi peut être une ouverture à une amélioration si les gens ressentent leur inconfort puis demandent une clarification des termes au niveau médical. Comprenez-vous? Mais que cette inquiétude-là se transforme à demander, par exemple, une légalisation de fait de l'euthanasie et du suicide assisté. C'est là que je trouve ça très inquiétant.

Mais, vous avez raison, les corps professionnels se posent des questions puis, à mon sens, ils ont besoin de beaucoup de formation parce qu'ils sont erronés sur des... ils ont des préoccupations erronées ou floues sur des points essentiels. En fin de compte, là, ce dont on parle, comment détermine-t-on un acte moral? Si je vous posais la question ici, ce serait surprenant d'avoir les réponses, parce qu'on pose des questions aux résidents, et puis ils ne savent pas comment... Parce qu'on ne pose pas juste des gestes médicaux dans une vie. On pose plusieurs actes moraux.

Comment détermine-t-on un acte moral? Quels sont les critères de détermination d'un acte moral?

La Présidente (Mme Gaudreault): On va poursuivre...

M. Primeau (François): Je pourrais vous parler là-dessus, mais je ne veux pas prendre le temps de personne.

La Présidente (Mme Gaudreault): C'est dommage, on a toujours un problème de temps. On va céder la parole maintenant au député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, Mme la Présidente. Docteur, ce fut un plaisir de vous entendre.

Depuis mardi, j'ai une question qui me trotte l'esprit et je me suis promis de la poser au premier médecin que j'aurais le plaisir de rencontrer dans le cadre de ces travaux-ci, et le hasard veut que ce soit vous.

On a eu le plaisir, sur le côté de Saint-Jérôme, parce que la commission siégeait effectivement à Saint-Jérôme en début de semaine, de recevoir le chanoine... son nom m'échappe, Jacques Grand'Maison, un homme d'Église connu, reconnu, auteur aussi prolifique. Il se décrit lui-même comme étant un grand humaniste, et on n'a aucune difficulté, à travers ses propos, à reconnaître ces qualités-là chez lui. Comme homme d'Église, naturellement, le chanoine Grand'Maison s'oppose aussi à l'euthanasie, tout comme il peut s'opposer au suicide assisté, mais ce qui m'a fait réfléchir, c'est l'affirmation suivante. Il dit: Ultimement, ultimement, il faut aussi rechercher la solution la plus humaine. Donc, malgré des valeurs qui lui sont propres, malgré des croyances religieuses qui lui sont propres et qui sont également très légitimes, il a admis que la science en quelque sorte pouvait avoir ses limites.

Je vous rassure... ou encore je ne veux pas prêter d'intention au chanoine Groulx, hein, il n'a pas fait l'apologie de l'euthanasie.

Une voix: ...

M. Charette: Eh, Groulx; Grand'Maison. Je suis confus un petit peu dans mes références historiques.

Mais effectivement Grand'Maison, Grand'Maison, il n'a pas fait pour autant l'apologie du suicide assisté ou de l'euthanasie, mais il a dit: Ultimement, comme société, on se doit d'identifier et de trouver la solution la plus humaine, ouvrant la porte, on le devine, dans des cas excessivement particuliers, pour ne pas dire exceptionnels, à des mesures qui autrement pourraient être contraires à ses valeurs à lui.

Et ça m'a fait réfléchir parce que, bon, j'ignore si vous avez ou partagez quelque valeur religieuse que ce soit, mais plusieurs personnes qui se sont opposées à une libéralisation éventuelle de l'euthanasie ou du suicide assisté avaient des convictions religieuses qui, encore une fois... J'insiste pour dire qu'elles sont légitimes. Donc, ça venait teinter en quelque sorte leurs propos. Et ensuite entendre un homme d'Église aussi reconnu que le chanoine, non pas Groulx, mais bien Grand'Maison est venu susciter certaines interrogations.

Et, au cours de cette même journée, il y a un groupe d'accompagnement pastoral aussi qui, de façon très convaincante, est venu nous partager sa position, groupe également, on le devine, opposé... euthanasie et suicide assisté, qui semblait dire la même chose que le chanoine Groulx ultimement, pas comme premier choix, on s'entend, mais qu'il y a une recherche d'une solution humaine ultimement qui doit être considérée et qui ultimement nécessite une réflexion. Donc, je sais... Et pourquoi je voulais la poser à un médecin? C'est que, pour un médecin, admettre que la science n'est pas infaillible, dans certains cas, ça peut être difficile. Ça peut être un constat d'échec aussi. Et ça, on se l'est fait dire par bon nombre de médecins. Et on l'a lu également à plusieurs reprises.

Bref, est-ce qu'une solution proprement humaine dans des cas extrêmement particuliers et bien balisés, bien identifiés pourrait nous amener à retenir, comme acte médical ou comme prolongement de la pratique médicale, une assistance médicale dans la mort?

M. Primeau (François): Alors, je vous félicite de votre question. Je ne sais combien de temps la présidente va me donner pour y répondre.

La Présidente (Mme Gaudreault): Pas beaucoup. Je vais vous demander d'essayer d'être assez bref.

M. Primeau (François): Parce qu'il y a beaucoup de choses. Alors, vous venez de dire une chose, je pense... Et je vous félicite pour un commentaire que vous avez fait: La science a ses limites.

Alors, de nos jours, on vit dans une atmosphère de scientisme, c'est-à-dire qu'on croit que la science peut tout régler. Et le problème qu'on a, c'est que, tout objet d'étude, on lui rapporte la méthodologie scientifique comme seule méthodologie. La science peut expliquer beaucoup de choses mais beaucoup de mécanismes ou de moyens, que ça soit dans l'infiniment grand ou l'infiniment petit, comme disait Pascal. Elle ne peut pas expliquer le sens des choses, le sens de la vie humaine non plus parce que son objet... sa méthodologie n'est pas adaptée à cet objet d'étude là. Donc, la science a ses limites. Quelles sont-elles? Les limites inhérentes à ce qu'elle est elle-même, la science. Donc, ça, c'est tout à fait juste. Et vous avez raison... que, de nos jours, on met la médecine sur un piédestal et on s'attend justement qu'on pense qu'on va pouvoir tous être guéris de tout et qu'on va pouvoir vivre de la même façon à 100 ans qu'on vivait à 20 ans. Bien, c'est erroné. Et la science ne peut pas tout accomplir.

Ensuite, vous avez souligné un aspect qui était important: les convictions religieuses. Moi, j'ai des convictions religieuses, mais je pratique avec ma compétence professionnelle. Les convictions religieuses, comme vous savez, sont enchâssées dans toutes les chartes et sont un signe d'une société civilisée. Il y a des gens qui en ont, il y a des gens qui n'en ont pas. Et la foi n'infirme ou ne confirme pas une position par rapport à celle-ci, comme l'athéisme ne l'infirme pas ou ne la confirme pas non plus.

Vous posez la question: Est-ce qu'ultimement une solution humaine, sous-entendant pas scientifique, mais... Mais ça revient à qu'est-ce que c'est qu'une personne humaine. Quelle est la source de sa dignité? On ne peut pas en sortir, de ça, comprenez-vous? Et puis vous parlez dans des cas bien balisés. Moi, comme je vous ai dit, là, les balises, je n'y crois pas. Mme Hivon a très bien mentionné, puis c'est... je sais que vous avez eu tous les documents, les Pays-Bas. Vous avez dit: L'Oregon, le Québec n'est pas de ces pays-là. Alors, on va peut-être espérer que le Québec soit comme le New Hampshire, ou le Connecticut, ou Hawaii, qui, le 7 février, a voté... pas Hawaii 5-0, Hawaii 4-0, dans le comité, a voté contre, pour le suicide assisté... ou, dans les 12 derniers mois, comme Israël, comme l'Australie, South and Western Australia, comme l'Écosse, comme la France, en fin janvier, là, 170 à 142.

Donc, oui, on peut ne pas être comme ces pays-là, mais espérons que nous ici, surtout dans notre contexte... N'oubliez pas notre contexte particulier à nous, là, du point de vue que j'amène, comme disait Mme Charbonneau, mon angle: suicide, médaille de bronze au monde. Les gens n'ont pas eu besoin de loi pour se suicider à date, malheureusement, ou pour les empêcher. Donc vous, vous suggérez: Est-ce qu'il y a des solutions dans... Je crois que, dans des franges, des cas, comme vous parlez, extrêmes... Et puis récemment, dans ma famille, il y a une personne âgée qui vient de décéder d'un cancer. Cette personne-là a dû attendre deux mois dans des lits d'hôpitaux généraux pour avoir son lit en soins palliatifs.

**(12 h 20)**

Alors, dans les cas où la vie est plus difficile à supporter en fin de vie, commençons au minimum par leur donner les soins recommandés, actuels, connus dans les lignes directrices pour leur apporter l'aide dont ils ont besoin, avec l'encadrement thérapeutique, humain approprié.

Moi, je trouverais très grave et je trouverais que ce ne serait justement pas humain du tout de dire à toutes ces personnes-là qui sont en fin de vie: Bien, allez-y, mettez fin à votre vie, votre vie n'est pas importante pour nous, comme État. Alors, moi, je trouverais ça très grave, alors. Puis, si vous pensez vous réchapper avec des balises, là, je vous le dis tout de suite, hein... Vous avez... vous votez les lois, vous en votez à chaque année. La loi est quasiment faite pour être violée dans beaucoup de cas, malheureusement. Alors, dans ce cas-ci, malheureusement, là, il y a des infractions aux lois. Bien, alors, dans ce cas-ci, malheureusement, l'infraction est sur un sujet de vie et de mort très important. Alors, je pense qu'il faut être très prudent. De penser qu'on va faire un régulateur légal par des balises qui ailleurs n'ont pas fonctionné...

Alors, ce serait un commentaire de cet ordre-là que je faisais, parce que ce n'est pas... Je pense qu'il faut être très prudent quand on entre en préoccupation au niveau des balises.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, sur ces paroles, Dr Primeau, on va vous remercier. Et souvenez-vous de ne pas nous prêter d'intentions, s'il vous plaît.

Dernier commentaire, peut-être. Vous avez mentionné tout à l'heure qu'il y avait beaucoup de confusion dans l'esprit des médecins. Vous êtes un professeur dans une faculté de médecine. Alors, si vous avez des recommandations à nous faire par rapport à la formation, on vous invite à le faire parce qu'on est en mode écoute et accueil. Et vous avez mentionné plusieurs points à cet effet-là, puis on va vraiment prendre vos recommandations en compte lors de la rédaction de notre rapport. Alors, merci.

On va suspendre quelques moments pour accueillir Mme Grazyna Kieller. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 22)

 

(Reprise à 12 h 25)

La Présidente (Mme Gaudreault): Nous allons reprendre nos travaux en souhaitant la bienvenue à Mme Kieller. Et, Mme Kieller, vous avez demandé à intervenir à titre d'individu. Alors, vous avez une période de 15 minutes pour nous présenter votre point de vue, et ça sera suivi d'une période de questions de 15 minutes. Alors, je vous remercie.

Mme Grazyna Ilczuk Kieller et
Mme Françoise de Launière-Gravel

Mme Ilczuk Kieller (Grazyna): Mme la Présidente, Mme la vice-présidente, honorables membres de la commission Mourir dans la dignité, je vous remercie de m'accueillir à cette commission. Je suis accompagnée de Mme Françoise de Launière-Gravel. Nous avons fait ce travail à deux. Je vous propose le texte sur huit points et avec votre permission je commencerais tout de suite.

Point 1: préambule. La notion «mourir dans la dignité» est un sujet grave et complexe qui interpelle tout le monde de toutes les couches d'une société démocratique et moderne. Le grand poète Victor Hugo a dit: «Tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit.» Je vous rappelle cette pensée d'Antoine Saint-Exupéry: «Nous sommes l'un pour l'autre des pèlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le même rendez-vous.»

Le point 2: raisons d'intervenir. Au début de l'été 2010, j'ai entendu à quelques reprises la remarque suivante: «Les premiers sujets pour l'euthanasie active devraient être les patients atteints de la maladie d'Alzheimer.» Considérant que, dans 30 ans, on aura 40 millions de cas dans ce monde, cela nous invite à réfléchir. Il faut prendre les choses vraiment au sérieux. Il est impératif de prévenir tout dérapage de la société à court, moyen et long terme.

La mise en contexte: le point 3. En date du 24 août 2010, j'ai donc envoyé à la commission parlementaire un texte court pour mettre uniquement l'essentiel de ma position sur Mourir dans la dignité. Mon entourage m'a suggéré de préciser ma pensée et justifier ma démarche, ce que je suis en train de faire devant vous, chers membres de la commission.

Je suis née en Pologne en 1946, donc une année après la Deuxième Guerre mondiale. Après la guerre, nous avons vécu dans la pauvreté. Il nous manquait même de l'essentiel pour vivre. J'ai grandi dans une famille traditionnelle où l'éducation prenait une très grande place, et on nous enseignait le respect des uns pour les autres et l'esprit d'entraide, car, même si vous perdez tous vos biens matériels, personne n'est capable de vous enlever votre savoir. De 1964 à 1967, j'ai fait trois années de médecine à Varsovie.

Le 11 janvier 1968, j'arrivais à Montréal. On m'a refusée en médecine, hein, à l'Université Laval. J'ai donc opté pour un bac en nursing de 1970 à 1973. Dès 1973, j'ai travaillé en milieu hospitalier à Québec, au CHUL. On m'a confié la charge de chef de Service de cardiologie adulte et de l'Unité coronarienne. J'ai également été membre du comité de bioéthique pendant 20 ans. Durant 34 années de ma vie professionnelle, j'ai réanimé, côtoyé la maladie et la détresse humaine au quotidien. Maintenant infirmière retraitée, je peux prétendre faire partie de la fondation de la société moderne. Je connais les tendances existantes de son évolution et les courants émergents. Je connais comme vous ses aspirations. Si je vous ai partagé tout cela, c'est pour que vous compreniez bien qui je suis, d'où je viens, pourquoi l'accent.

**(12 h 30)**

Je fais maintenant partie de la société qui est la vôtre, et son futur démocratique m'intéresse pour la quiétude de ma vieillesse et l'avenir de mes enfants et de mes petits-enfants. J'ai donc, à titre de citoyenne à part entière de mon pays d'adoption, la responsabilité de faire valoir mon opinion et de prendre position sur la question cruciale Mourir dans la dignité.

Je passe au point 4: l'analyse. Les médecins vétérinaires pratiquent l'euthanasie active depuis longtemps chez les animaux. Les raisons sont multiples: l'âge, la maladie, l'épuisement physique et physiologique, les malformations et à des fins expérimentales dans les laboratoires.

Oui, l'homme est aussi un animal, mais un animal intelligent, ce qui fait toute la différence avec les autres animaux, de là sa dignité. Certains voudraient, par le libéralisme, s'approprier ce pouvoir, l'euthanasie active, pour eux-mêmes, contre eux-mêmes, afin de décider de leur destinée, déterminer du moment où leur vie prendra fin. Pour moi, c'est inacceptable. Me Édith Deleury, professeure à la Faculté de droit de l'Université Laval, en novembre 2010, disait, je la cite: «Nous voulons tout contrôler et légiférer sur toutes les étapes de notre vie. Nous voulons décider de notre naissance, du temps, du sexe, du nombre, etc., de notre évolution et de notre mort, du temps, de la manière.» Fin de la citation. Et l'écologie nous a démontré plus d'une fois les conséquences désastreuses d'abuser de la nature, de ne pas la respecter.

Actuellement, nous pouvons soulager à peu près complètement toutes les souffrances physiques. Aussi, respecter les gens consistera à les laisser nous quitter doucement, au terme naturel de leur vie, en les soulageant le plus possible par une médication appropriée et surtout par notre présence et le soutien moral de l'entourage.

Je vois un danger énorme à abréger les jours de personnes malades. Nous pensons aux familles recomposées qui seront concernées un jour par la problématique. Qui prendra les décisions? Ce n'est que dans 20 ou 30 ans que nous réaliserons la grande solitude des individus. Ajoutons à cela l'insensibilité grandissante dans cet individualisme qui prend de l'ampleur. Devant ces faits, voici les grandes questions à se poser. Les intérêts dans la gestion de l'assurance vie et de l'héritage, le manque de ressources financières de l'État, le don des organes dans le contexte où il manque de donneurs d'organes. On abrégera peut-être l'agonie, on devancera la mort.

Le point 5: le grand principe de société. La notion du bien et du mal, principe fondamental en bioéthique, qui régit la morale de notre société, s'érode. On s'endurcit. Il y a du danger de repousser toujours un peu plus loin les frontières expérimentales. C'est ce que des médecins faisaient dans les camps de concentration. Au cours des siècles, les grandes civilisations et les grandes religions ont protégé et respecté la vie humaine. C'est la loi naturelle. Les nations et les peuples qui ont subi ou subissent encore des famines, l'Holocauste et des génocides ne sont pas en faveur de la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté parce que, pour eux, l'essentiel est l'espoir de survivre et d'avoir un futur.

Par conséquent, la société occidentale, la nord-américaine et plus spécifiquement la nôtre, hautement humaine et démocratique, se doit de protéger, comme elle a fait jusqu'ici, tous ses citoyens, sans exception, handicapés, personnes âgées, faibles et vulnérables. C'est un devoir, c'est la solidarité humaine. Sans vouloir choquer personne, je dirais que la société est en train de devenir «stone», c'est-à-dire inconsciente collectivement. Les uns vivent dans une grande solitude, et les autres semblent indifférents. Exemple: les membres de la commission se souviendront de cet événement de l'été dernier. Dans les environs de Montréal, on a retrouvé deux frères morts: l'un, d'une maladie; et l'autre est mort de soif. Qui veillait sur eux? C'est la question.

Les récentes statistiques indiquent que 80 % de gens sont favorables à l'euthanasie. Je ne sais pas qui a commandité ce sondage, cependant. Très peu de gens sont confrontés à prendre actuellement la décision. Quand on est dans le confort de notre bureau ou de notre maison, il est plus facile d'envisager les scénarios les plus osés pour terminer la vie. Cependant, quand on se retrouve devant le moment fatidique, on devient nuancé.

De toute façon, il faut être prudent avec l'interprétation des sondages. Le Dr Jacques Ricot, professeur d'éthique à l'Université de Nantes, en novembre 2010, disait, je le cite: «En 1981, lors de l'abolition de la peine de mort en France, les sondages étaient pourtant favorables au maintien de la peine de [la] mort.» Fin de la citation. Nous comprenons, alors, que ça ne devait pas être facile pour les députés français, comme ce ne sera pas facile pour vous, chers membres de la commission, d'aller à l'encontre des idées à la mode afin de choisir le meilleur pour notre peuple.

Nous n'avons pas de misère à croire qu'il y a des pressions sur vous. Il vous faudra encore beaucoup de courage. Quelquefois, dans la vie, il faut protéger les gens malgré eux, contre eux-mêmes. Il faudra vous élever au-dessus de la mêlée, et prendre une décision difficile, et «agir avec prudence et diligence», selon l'expression du nouveau Code civil du Québec. Nous sommes bien conscients du très grand courage qu'il vous faudra afin de recommander de ne pas légaliser l'euthanasie.

Je passe au point 6: rôle de la médecine. Les médecins ont toute ma confiance. Quand ils donnent de la morphine pour soulager la douleur, ils n'euthanasient pas. On pratique de la bonne médecine ici, au Québec. C'est, je crois, le rôle des médecins et des pharmaciens de démystifier l'usage de narcotiques. Dans les soins palliatifs, ce n'est pas 2,5 milligrammes de la morphine qui va apporter la mort imminente. Dans le cas d'angine Prinzmetal, on se rendait jusqu'à 27 milligrammes en 60 minutes avec surveillance spécifique. Ce n'est pas en naviguant sur Internet ou en lisant les journaux qu'on devient les professionnels de la santé: médecins, infirmières, pharmaciens. Il faut accepter les sacrifices afin de compléter de longues études.

De nos jours, Mme et M. Tout-le-monde sont les pseudo-spécialistes dans plusieurs domaines, oubliant qu'il faut fréquenter les maisons d'enseignement pour avoir les diplômes. Mais au moins ils donnent leurs opinions. C'est la démocratie.

J'arrive au point 7: rôle du législateur. L'honorable Jean-Louis Baudouin, l'un des plus éminents juristes au Canada, dans une réflexion qu'il adressait à la Chambre des notaires en 1995, il prédisait déjà cette commission il y a 15 ans et l'arrivée de ce débat public. La partie la plus percutante du texte de l'honorable juge Baudouin est la suivante -- il faut nous replonger dans le contexte qui prévalait avant la Deuxième Guerre mondiale, et je cite: «Je vous rappelle que le doyen de l'Université de Leipzig, une des plus anciennes universités d'Allemagne, dans les années 1920, bien avant l'arrivée des nazis, avait écrit un petit livre, avec le doyen de la Faculté de médecine, et plaidait en faveur de l'euthanasie des cancéreux en phase terminale. Ce livre, au grand dam de leurs auteurs, a été repris par l'idéologie nazie et a finalement, contrairement à leur intention, servi à justifier les programmes d'euthanasie des malades mentaux puis des enfants sérieusement malformés, puis l'euthanasie raciste des Tziganes, des Juifs et finalement des dissidents politiques.» Fin de la citation.

**(12 h 40)**

Vous connaissez comme moi l'horreur des stupidités humaines dans les années 1930 et 1940 en Europe. L'honorable juge termine sa réflexion ainsi, et je le cite: «C'est donc à nous, à vous toutes et tous, que va revenir la tâche de décider dans quelle sorte de société nous voulons vivre demain, dans quelle société nous voulons que nos enfants et nos petits-enfants vivent demain.» Fin de la citation.

Je crois profondément qu'avant de décider dans quelle société nous voulons vivre demain et dans 100 ans, nous devrions tous faire un voyage à Auschwitz-Birkenau. Je vous assure que je n'ai pas d'action dans les compagnies d'aviation. Cela devrait nous permettre de tirer une leçon.

Quand l'humanité va-t-elle enfin cesser de commettre toujours les mêmes erreurs? L'histoire a maintes fois prouvé les dérives. Quand allons-nous voir enfin le danger d'assouplir la législation relative à la question du respect de la vie? Nous sommes plus éduqués, plus informés que jamais, instruits et très choyés particulièrement ici, au Québec. Je réitère toute ma confiance en l'intelligence du législateur, les gouvernements du Québec et du Canada, et je vous demande à vous, nos élus, à nos gouvernants, à qui appartient cette grande responsabilité, de vous élever au-dessus de la mêlée et prendre une décision sage, difficile, j'en conviens, en raison des sondages populaires. Vous avez une grande responsabilité sur les épaules en regard du bien supérieur de notre peuple et de toute l'humanité en ce sens que les décisions du Canada ont beaucoup d'influence dans le monde.

Le devoir du législateur n'est-il pas la protection des petits et des faibles? De plus, la vie doit être protégée jusqu'à son terme naturel. Et il faut établir des balises solides afin de bien camper les assises juridiques pour les 100 prochaines années, la même justice pour tous, même pour ceux qui n'ont plus leur conscience et leurs facultés, et encore plus pour ceux qui sont isolés et abandonnés.

J'arrive au point 8, aux recommandations. J'en ai deux, recommandations. Dans le contexte actuel, il est important de promouvoir:

A. L'éducation populaire sur les enjeux importants en fin de vie, tels que l'acharnement thérapeutique et le refus de traitement, le soulagement de la douleur et les soins palliatifs, afin de prévenir tout dérapage de la société quant à la stigmatisation et l'ostracisme des gens pour des raisons financières de la part de l'État.

Point B: Que l'État utilise et mettre à la disposition de la population et des professionnels des ressources matérielles, humaines et financières afin de promouvoir l'accès aux soins appropriés et palliatifs en comblant un vide existant. Ces soins palliatifs doivent avoir une place centrale et être de qualité dans tout le Québec.

Honorables membres de cette commission, merci pour l'écoute que vous avez portée à mon exposé, et maintenant je suis toute à vous, avec ma collègue. Merci.

La Présidente (Mme Gaudreault): Merci beaucoup, Mme Kieller. Nous allons passer à la période de questions avec le député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Chevarie: Merci, Mme la Présidente. Bonjour à vous deux, mesdames. Merci pour votre contribution. J'ai deux petites questions, et une question qui se rapporte à une partie de votre mémoire, à la page 5, où vous dites: «Oui, l'homme est aussi un animal -- etc.» Bon, il y a toute une différence parce qu'il est intelligent, c'est là la différence avec les animaux, et de là sa dignité. «Certains voudraient, par libéralisme, s'approprier ce pouvoir, l'euthanasie active, pour eux-mêmes, contre eux-mêmes, afin de décider de leur destinée...» Et il y a des personnes qui sont venues ici, et ils nous ont dit: On passe toute notre vie, à partir de l'enfance, à promouvoir, à susciter l'autonomie des personnes, la capacité de décider pour elles dans à peu près toutes les activités de la vie quotidienne et pour ces grands projets de vie de cette personne-là. Alors, on va favoriser l'autonomie et l'autodétermination. Et, quand on arrive à l'étape ultime, une phase importante de la vie qui est la dernière étape de la vie, le mourir, là on ne permet pas à la personne de décider pour elle-même dans un choix libre et éclairé et selon certaines conditions. J'aimerais ça... Et, vous, vous dites: Bon, pour nous, c'est inacceptable.

J'aimerais ça vous entendre un peu plus sur les raisons qui motivent cette position.

Mme Ilczuk Kieller (Grazyna): Regardez... Parce que je pense que notre liberté individuelle, elle s'inscrit dans le contexte de liberté collective.

Je ne pense pas, comme l'individu, que je peux faire... c'est tout ce que je veux. Je vais vous donner un exemple et puis c'est la... c'est, si j'en ai la résidence et puis j'en ai... comme j'avais dit à mon mari, ce n'est pas le cabanon mais une maison pour les invités, et puis, si j'en ai la fantaisie de mettre le feu, et puis c'est ça, peu importent les assurances, vous savez, je suis à l'aise, j'en ai l'argent, je mets le feu, bien tout de suite, ça... bon, je prétends que c'est ma liberté, mais je ne peux pas le faire parce que c'est... je vais déranger par le feu, ça, c'est les voisins, c'est contre le... c'est non écologique, et puis on va me prendre pour une personne dérangée mentalement. Pourquoi je fais ce geste? Et puis je vais avoir, bon... ou les problèmes avec les assurances.

Donc, nous sommes, nous, dans la société, il y a les règles qui prévalent. Ça, c'est... peut-être, ça ne répond pas à votre question. Et maintenant, pour moi, la liberté est là, elle s'inscrit individuelle à l'intérieur de libertés collectives.

Maintenant, le premier volet de votre question, sur l'autonomie. Je suis la première de promouvoir et puis d'encourager ça, c'est l'autonomie des personnes. Mais cette personne, elle n'arrive pas à l'âge de 80 ans, c'est comme ça, c'est d'une journée à l'autre. Elle était... Bien, elle a fait tout un parcours, elle a un parcours dans sa vie, elle est entourée, il y a l'entourage, il y a les enfants. Si elle est toute seule, il y a les amis. Vous savez, c'est... Dans la vie, tout se gagne. C'est ça. Pour que mes petits-enfants soient proches de moi, il faudra que je sois proche de mes petits-enfants comme de mes enfants, comme c'est les amis dans ce... Dans la vie, il n'y a rien qui tombe tout seul.

Et puis c'est comme ça que je pense qu'il faudra donner le support à l'intérieur, en gardant l'autonomie. C'est...

Moi, j'en ai beaucoup, de modèles dans mon entourage, autant en Pologne qu'ici. Je vais vous donner un exemple de ma mère. Ma mère, elle va avoir bientôt 89 ans, et puis elle a vécu au Canada 19 ans. Bien... Et puis elle a retourné en Pologne pour mourir. Elle n'est pas décédée. En juillet... 19 juillet 2010, elle est arrivée chez nous, et puis je suis sa fille, je prends... j'en ai la responsabilité face... les obligations à mes parents, à ma mère. Ça, c'est comme... eh bien, c'est de valeur, dans la vie, c'est donnant, donnant. Et puis ce n'est pas le... Bien, je vous donne cet exemple. Et puis ma mère, c'est une femme qui... elle est limitée, mais quand même elle peut vous donner certains... bon, comme ça, elle fait la réflexion: Qu'est-ce qui se passe dans la rue? Elle a le temps de regarder par le salon et puis elle sait à quelle heure les lumières dans la rue qui s'allument... et est-ce que c'est écologique ou ce n'est pas écologique, c'est trop tôt ou c'est trop tard.

Et puis je crois qu'il faut donner la place à la personne, même si elle arrive vers la fin de vie, pour qu'elle ne se sente pas isolée, abandonnée et puis seule. Peu importe, elles peuvent être jeunes et handicapées, elles peuvent être isolées. Je ne sais pas si je réponds à votre question.

**(12 h 50)**

M. Chevarie: Bon, j'entends ce que vous me dites. Je vais peut-être y aller avec une question complémentaire qui regarde la loi santé et services sociaux, qui permet, par exemple, à une personne de refuser un traitement pour des maladies, même parfois des maladies irréversibles qui vont entraîner la mort.

La loi santé et services sociaux permet à la personne de refuser le traitement, permet également la cessation d'un traitement aussi, même si, encore là, cette décision-là prise par la personne va fort probablement provoquer une mort plus rapide. Et parfois on pourrait considérer que la distance n'est pas tellement éloignée ou est plutôt très rapprochée de ce qu'on pourrait appeler une aide médicale assistée à mourir.

Et j'aimerais vous entendre là-dessus, par rapport à ces éléments-là, ces possibilités-là actuellement.

Mme Ilczuk Kieller (Grazyna): C'est votre réflexion, elle est excellente. Je sais qu'est-ce que vous faites, et puis vous faites... c'est toute la définition de certains actes... sont décrits très bien dans ce document.

Pour moi, bien, pour moi, c'est clair. Ça, c'est... les définitions sont claires. Je suis très à l'aise pour dire que c'est... il faudra voir... l'euthanasie... l'acharnement thérapeutique, c'est une chose, c'est le champ, c'est les soins disproportionnés, c'est une autre chose. C'est quand la... quand on donne... sédation ou, vous savez, c'est la fin, ça va durer cinq à sept jours. Ça, c'est... pour moi, je saisis très bien, je suis très à l'aise avec ça, mais, pour moi, ce n'est pas l'euthanasie active. Pour moi, l'euthanasie active, M. le député... M. Chevarie, et puis ce ne sera que l'intention de tuer. Vous arrivez, vous avez une injection, vous êtes évalué par la commission, une commission, des commissions, par les médecins spécialistes, légistes, selon la loi, ça dépend où.

Vous arrivez, vous êtes dans le contexte, on vous donne l'injection, et c'est terminé. Et puis cet exemple de médecine vétérinaire, vous n'avez pas choqué.

Mais, moi, j'ai... pas une petite anecdote, mais en 1980... en 1968, le 9 août 1968, j'avais reçu en cadeau un petit chiot de six semaines. Il s'appelait César, et puis c'était mon ami parce que c'est... pour faire le réseau, ça prend un peu du temps quand vous arrivez dans un nouveau pays. Et puis c'est... César avait 17 ans, il avait le cancer, le cancer du tube digestif, et puis il faisait les hémorragies. Ça ne me dérangeait pas, je nettoyais et puis... mais, quand il déféquait, donc c'est... les excréments, bien, étaient autour d'anus, et puis ça dérangeait l'entourage, mais ça ne me dérangeait pas, je nettoyais.

Il y a un professeur de l'Université Laval, un prêtre qui est arrivé, il m'a dit: Grazyna, est-ce que tu t'apitoies sur ton sort ou il faudra que tu prennes la décision face au chien? Bien, le chien était enregistré au nom de mon mari. Et puis nous téléphonons chez le vétérinaire sur la Rive-Sud, à Lévis, et nous demandons pour endormir le chien. J'arrive... nous arrivons pour l'endormir, et puis dans la salle d'attente je rencontre les gens qui... que je connais. Ceux de l'hôpital, du CHUL, me disent: Mais votre chien, il est magnifique, il est beau, il est jeune. Je dis: Non, nous venons pour l'endormir. Ça, c'est la culpabilité. Il a fallu que j'explique ce pour quoi je suis venue. Nous arrivons, on le couche sur la table, on donne l'injection. Et puis avant le vétérinaire, il nous dit: Madame, réglez la facture, il faudra payer d'abord. Nous payons, et puis c'est quelques secondes, M. Chevarie, tout était fini. Et puis vous retournez. Et, quand vous retournez, ça m'a pris deux... eh bien, la première question, c'est affronter quand le technicien m'avait dit: Madame, vous venez pour l'euthanasie? Moi, je ne venais pas pour l'euthanasie, moi, je venais pour quelque chose, avec mes oreilles chastes, pour l'endormir, hein?

Et puis ça, c'est donc en 1985, c'est avec un animal sur quatre pattes, que c'était... c'est le choc, vraiment. C'est... va... avec l'euthanasie, c'était l'euthanasie, et puis il a été euthanasié.

Et puis donc, quand je fais extrapolation sur les humains, écoutez, ça, c'est autre chose. Et vous comprenez aussi que mon parcours... mon père, il était envoyé... il était pendant 10 jours dans les camps de concentration. Il s'est évadé avec ses collègues. Vous savez, c'est ma mère qui va avoir 89 ans... on ne prend pas à la légère. Et puis je pense que même tout le monde qui lit les journaux, qui... Parce que c'est... Parfois, à la télévision, qu'est-ce que nous voyons? C'est une, disons... c'est dans les nouvelles ou quoi?

C'est une photo, quelques photos, et puis nous restons sur ça: tout le reste, qu'est-ce qui nous entoure, tout le processus qui nous échappe.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, nous allons passer la parole à Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, Mme la Présidente. Merci, madame, de votre contribution. Moi, je vais aller sur un volet que vous soulevez dans vos recommandations, qui n'ont pas été abordées, je vous dirai, particulièrement jusqu'à maintenant: toute la question de l'éducation populaire.

Vous êtes issue du milieu hospitalier, vous avez une expérience des soins de santé. Vous avez en même temps, probablement, côtoyé des gens qui vous amènent à penser qu'au-delà d'une commission comme celle-là, qui est un moyen d'information par le biais des documents rendus disponibles, par le biais du site Internet, et ainsi de suite, on a un besoin d'éducation populaire. Et, moi, je voudrais vous entendre là-dessus.

À partir de quelles connaissances du milieu ou de quels commentaires entendus en arrivez-vous, dans le cadre où vous faites deux recommandations, à ce que la première soit une démarche d'éducation populaire?

Mme Ilczuk Kieller (Grazyna): Je pensais à ça, et puis c'est quand j'ai écrit ça, parce que ça, c'était... la recommandation, elle a été faite au mois d'août de l'année passée. J'avais pensé à une tribune, c'est Tout le monde en parle. C'est tout le Québec qui l'écoute religieusement, mais il ne faut pas... une série pour arriver et puis, bon, donc, de donner les définitions.

Mais, je pensais... c'est hier que ça m'arrivait, une idée. C'est nous. Il y a les fumeurs qui fument, il y a les paquets de cigarettes. C'est l'emballage. Vous savez, c'est de façon, comme, choc qu'on peut inscrire une définition. Supposons que, si, dans les cartons, il y a l'obligation de dire c'est quoi, l'acharnement thérapeutique, c'est quoi, l'euthanasie, c'est quoi, les soins disproportionnés au même titre sur les boîtes de cigarettes que sur les produits de beauté, parce que c'est les... bien... ou sur les billets de loterie ou c'est quand on vous imprime les factures quand vous faites votre épicerie ou c'est vos commissions. Et puis, à tous les jours dans... C'est ça, c'est: il faudra que... Sur le papier, au verso, ça arrive que je regarde. Oh, ce n'est pas seulement combien j'ai payé pour, mais voilà j'apprends quelque chose. Et puis, moi, dans mes recommandations, j'avais... pour moi, il faudra que vous prévoyiez la place pour la recherche. Ça, c'est pour la recherche, parce que c'est, pour moi... Comme tel, la douleur... il faut rayer la douleur. Et puis c'est Dr Yves De Koninck, qui est neurophysiologiste. Comme ça, il disait... il dit que, la douleur, il faut considérer... c'est comme il y a 100 ans, nous pensions, des épilepsies. Et puis c'est... il y a le défaut dans les fibres nerveuses, pour... je parle seulement de la douleur chronique et puis cette fibre devient comme... il a utilisé le terme de «plasticité»... plasticité des fibres nerveuses.

Donc, pour moi, il faudra rayer la douleur, et puis aussi c'est de prévoir qu'avec certains profits qui viennent des ventes d'alcool, des cigarettes et puis des produits de luxe, qui vont à la recherche sur les maladies, dirais-je, orphelines, comme sclérose en plaques et puis... bien, c'est toutes les maladies neurodégénératives. C'est comme ça que je le vois. C'est l'aspect, bon, de certaine justice et d'équité, dirais-je, sociale, et puis la science sera contente, et les chercheurs.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, merci beaucoup, Mme Kieller, d'avoir partagé avec nous le fruit de vos réflexions. Et, je veux vous dire, vous avez un très joli accent, vous avez présenté un peu votre histoire et sachez que les commissaires sont toujours très touchés de voir la générosité des citoyens qui viennent présenter leur vécu, leurs opinions puis aussi le fruit de vos réflexions et surtout des recommandations que vous nous avez faites. Alors, merci beaucoup, nous allons...

**(13 heures)**

Mme Ilczuk Kieller (Grazyna): ...quelque chose avant.

La Présidente (Mme Gaudreault): Ah oui? Allez-y.

Mme Ilczuk Kieller (Grazyna): Oui. Donc, moi, c'est cette... votre commission, je considère que... le premier ministre ou le Parlement du Québec qui... vous avez offert, c'est un avion supersonique. Et, Mme la Présidente, et puis madame, vous êtes pilotes... copilotes avec tout équipage à bord. Vous avez le carburant, vous êtes chargés à plein et puis vous êtes en plein vol, mais il y a tellement de cadrans, c'est lumineux, vert, jaune, rouge, et puis c'est nous qui se présentons... c'est devant vous, nous vous alimentons, et puis... mais votre obligation, votre devoir, ce n'est pas seulement atterrir, c'est supersonique pour que ça se fasse, pour la sécurité de tout le monde. Mais vous devez inscrire aussi le manuel de vol. Seulement ça. Merci.

La Présidente (Mme Gaudreault): Mais je dois vous rassurer, parce que nous allons nous rendre à destination. Avec vous comme passagère, nous allons nous rendre à destination.

Alors, merci beaucoup. Nous allons suspendre les travaux de la commission sur la question de mourir dans la dignité, jusqu'à 15 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 13 h 2)

 

(Reprise à 15 h 3)

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité reprend ses travaux.

Alors, je vous rappelle que la commission est réunie afin de poursuivre la consultation générale sur la question de mourir dans la dignité. Nous avons le plaisir de recevoir M. Robert Labrecque. Bonjour, M. Labrecque.

M. Robert Labrecque

M. Labrecque (Robert): Bonjour.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, vous avez demandé à intervenir dans le cadre de la commission. Alors, vous aurez droit à un 15 minutes pour votre présentation, qui sera suivie d'une période de questions de 30 minutes. Alors, sans plus tarder, la parole est à vous.

M. Labrecque (Robert): Merci beaucoup. Mme la Présidente, Mmes les députées, MM. les députés, mesdames et messieurs, bonjour.

Mon mémoire, que j'ai intitulé Euthanasie -- Vision d'avenir, est un condensé de ma réflexion de personne handicapée face au débat actuel. Le choix et les éléments connexes proposés me semblent incomplets pour pouvoir réfléchir. Ma vision propose des pistes à améliorer afin que celles et ceux qui veulent vivre avec leurs difficultés et leurs souffrances puissent le faire dans la dignité. Sans un recul sur l'état actuel du soutien apporté aux personnes qui vivent avec des handicaps et des souffrances au quotidien, choisir entre le statut, l'euthanasie et le suicide assisté me semble prématuré, voire vain.

Je suis heureux de me retrouver devant vous. Je ne croyais jamais être invité et je remercie ceux qui ont exercé cette tâche. Je me sens privilégié, car ce que j'ai écrit dans mon mémoire ne cadre pas nécessairement avec ce que plusieurs s'attendent à entendre. Depuis que je suis né, on cherche à m'aider et trop souvent, à mon avis, à me prendre en charge. J'ai tenté, dans ce document, de vous parler de mon expérience de vie de personne handicapée face aux services de l'État. Ce que je demande, c'est d'offrir le soutien nécessaire à mon autonomie, et pour le reste, s'il vous plaît, laissez-moi décider de ce qui est bon pour ma vie.

Comme j'étais, dès mon tout jeune âge, en perte d'autonomie, que je le suis encore et que je le serai jusqu'à mon dernier souffle, sans vouloir être considéré comme un modèle, je peux peut-être en représenter un pour les personnes qui deviennent handicapées et qui veulent garder à leur manière leur autonomie et leur pouvoir de décision et ainsi leur forme d'indépendance face aux services offerts. Si on ne réalise pas toujours pour quelles raisons sur le moment on fait telle ou telle chose, sans doute que mes petites-filles pourront affirmer que leur papi Robert écrivait des livres pour montrer que le handicap, la douleur et les afflictions n'ont pas prise sur la femme ou l'homme libres et fiers de l'être.

Je vous invite maintenant à poser des questions. Comme a toujours dit ma mère, il n'y a pas de question indiscrète, il n'y a que les réponses, puis ça, c'est à moi de décider. Merci.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, merci beaucoup de votre grande ouverture. Alors, sans plus tarder, je vais passer la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, Mme la Présidente. Vous me prenez de court. C'est le fun.

M. Labrecque (Robert): Pour quelle raison?

Mme Charbonneau: Habituellement, les présentations sont un petit peu plus longues, un petit plus exhaustives, puis on met un peu le contexte, la personne nous donne un peu le contexte de la position qu'elle occupe, puisque c'est en vertu de ça qu'on se positionne pour les questions. Mais je relève le challenge, puis on va commencer à jaser tout de suite.

M. Labrecque (Robert): Regardez, si je n'ai pas fait le mémoire, là, fait une grande présentation, c'est que souvent je n'ai pas beaucoup de capacités physiques. Puis, comme je suis assez nerveux, bien je vous laisse poser des questions. Ça va être plus facile pour moi. Merci.

Mme Charbonneau: Alors, on partage cet aspect-là, parce que, même si, nous, ça fait un an qu'on roule comme ça puis qu'on... à chaque fois qu'on a une nouvelle personne devant nous, poser des questions nous rend toujours un peu plus nerveux, habituellement, et j'ai le plaisir de faire ça plus souvent. Je suis la première à mettre mon pied dans ma bouche, ça fait que ça rend mes collègues tout à fait à l'aise. Vous connaissez probablement l'adage.

Alors, pour pouvoir bien retenir votre passage, j'aimerais que vous nous disiez qu'est-ce que vous avez comme handicap.

M. Labrecque (Robert): J'ai changé trois fois de diagnostic. Au début, c'était censé être dystrophie musculaire, ensuite polyneuropathie chronique, évolutive et puis maintenant c'est SMA, c'est: amyotrophie musculaire cérébrale. Ça se ressemble tout, quand même.

Mme Charbonneau: Dans votre conclusion de mémoire que j'ai devant moi, dans cette merveilleuse machine qui va faire en sorte que je vais y aller bien, bien vite tout d'un coup, au départ j'étais un petit peu mélangée, mélangée dans ce sens où, quand vous me parlez de votre autonomie puis votre volonté de vivre, j'avais, dans une de mes cases, à moi, dit: Ah, c'est peut-être quelqu'un qui est pour par sa forme d'autonomie. Puis, à la fin du mémoire, je comprends, parce que vous nous dites: Soyez prudents, dans 30 à 40 ans, est-ce qu'on va se souvenir des décisions que vous avez prises? Et là je me suis dit: Ah, tiens, tout d'un coup, il vient de glisser dans l'autre colonne.

Je vous fais un peu des images, parce qu'en ce moment dans ma tête il y a bien des colonnes, ce n'est pas encore une seule colonne avec une réponse. J'ai encore beaucoup de questions par rapport à cette grande question qu'on a lancée puis, je vous dirais, au rendez-vous qu'on donne à toute personne qui avait le goût de nous parler de ce sujet-là qui est très tabou.

Alors, deux questions: Est-ce que je me trompe par rapport à la colonne? Est-ce que vous êtes dans la colonne des gens qui, comme 98 % des gens, veulent vivre avec une belle intensité puis une belle autonomie? Deuxième question: Est-ce que vous avez déjà parlé de la mort avec quelqu'un?

**(15 h 10)**

M. Labrecque (Robert): Je commencerais par votre deuxième question. Oui, j'ai déjà parlé de la mort. J'en parle presque à toutes les semaines. Quand mes proches sont là, je leur rappelle que ça va arriver, un peu pour les désensibiliser à ça puis leur rappeler que ma vie est intense.

Si j'écris, comme je disais dans ma présentation, c'est pour que les gens se rappellent de moi, mes petites-filles en particulier. Puis, quand j'ai eu le choix d'avoir une fille moi-même, on m'a posé les mêmes questions, dans le fond. Si votre enfant est handicapé, qu'est-ce que vous feriez? Si vous avez 10 % de chances que l'enfant soit handicapé, on a dit: Ah, 10 %, ce n'est rien, je vis bien avec ça. Puis là le médecin monte à 20 %, 30 %, jusqu'à 50 %.

À un moment donné, là, ce que l'autre pense d'une vie autonome, d'une vie agréable, puis tout ça... ça ne peut pas être vous qui décide de ce qui est bien. Je pense que votre devoir, c'est d'écouter ce que les gens ont de besoin, parce que je ne crois pas, comme je le dis dans le mémoire, qu'une personne, là, qui est en perte d'autonomie... quelqu'un qui a 65 ans, mais qui est très légèrement en perte d'autonomie, juste à cause de son âge... je ne crois pas que cette personne-là veuille qu'on l'aide à mourir. C'est sûr que les gens préparent, là, des documents sur la fin de vie puis ces choses-là, mais il n'y a pas personne qui veut ça. Mais quelqu'un qui se retrouve, du jour au lendemain, en perte d'autonomie puis que les services sont déficients, les listes d'attente sont longues, à ce moment-là, oui, il peut se poser des questions.

Comme, moi, j'ai toujours vécu avec ce problème de handicap là puis que je me suis battu pour les droits des autres mais en passant par les miens, je n'ai jamais été représenter les camionneurs, comme de raison, je n'en suis pas un, je représente les personnes handicapées. Je l'ai toujours fait au meilleur de mes connaissances, au meilleur de mon art. Et c'est ça que je viens dire ici, c'est que les gens... il faut ouvrir les services... moi, je considère, quand même des assez bons services, même s'il y a beaucoup, beaucoup de lacunes, oui. Regardez, une personne handicapée comme moi, j'ai au-dessus de 44 heures de services par semaine. Bon. Je coûte moins cher qu'en institution.

Si les CLSC, les CHSLD, tout ça, étaient moins hâtifs à placer les gens, j'ai pour mon dire que les gens qui sont en perte d'autonomie, comme vous allez peut-être, malgré tout, là, malheureusement, comme... Parce que je ne veux pas le souhaiter à personne, là. Ce n'est surtout pas ça. Mais, si les services sont ouverts... Comme, moi, j'ai mes services. Quelqu'un qui se ramasse avec une petite paralysie à 70 ans, il peut rester chez lui encore avec peut-être une quinzaine d'heures de services par semaine. Mais il y a des gens... J'ai une de mes cousines qui s'est placée dernièrement à cause de ça. Puis je trouve que ce n'est vraiment pas utile. Ce n'est pas utile parce que les fonds des services publics, ils ne sont pas intarissables. Vous le savez. Vous votez des règlements, des lois, puis tout ça, puis l'argent que vous donnez pour mes services est très utile, mais je coûte moins cher qu'en institution.

Vous savez qu'on dit toujours: C'est 60 000 $ en institution, que les charges administratives ne sont même pas comptées là-dessus. Puis, ce que je me suis laissé dire, c'est que les charges administratives représentent aux alentours de 30 %... de 30 000 $ dollars. Ça veut dire que c'est 90 000 $ pour me garder en institution. Si j'étais là depuis des années, je ne serais probablement plus là parce que les services ne sont pas les mêmes qu'à domicile.

À domicile, j'ai mon indépendance. C'est moi qui s'occupe de mes services aussi. Je suis presque obligé parfois de me battre avec le CLSC pour décider qui va venir chez moi.

Regardez, juste un exemple vite, c'est que, vendredi passé, un travailleur du CLSC m'appelle, il me dit qu'il va venir samedi matin. Je lui demande, parce que je connais la personne, je lui demande s'il va venir en autobus. Il dit: Non. Il va venir en taxi. Là, je me dis: Pouvez-vous... Est-ce que je peux vous rappeler dans 10 minutes? Moi, je téléphone deux de mes travailleurs autonomes et j'arrange ça avec un d'eux pour avoir le service qui va coûter moins cher à l'État, parce que 80 $ de taxi, environ, parce qu'il reste à Saint-Roch puis, moi, aux Saules... Bon. Vous voyez, d'après moi, là, c'est entre 70 $ et 80 $ de taxi. Je trouve ça, là, complètement fou. Il faudrait que le salaire des gens qui viennent chez moi soit légèrement augmenté. On demande toujours la parité, parce que, quelqu'un qui vient chez moi à domicile, qui n'a pas de dépense de voiture, qui est préposé à domicile, avec ou sans expérience, je vous dirais que ça ne fait pas de différence, parce qu'on sait que les gens sont engagés souvent, même en institution, sur le tas, puis ils finissent par être formés sur place. Moi, je les forme, mes préposés, pour moi, puis ils se forment aussi pour les autres personnes où ils vont travailler. C'est pour ça, je pense que ce serait important, ce serait une grosse lacune à combler, puis de rendre les gens responsables de leurs services, comme moi j'essaie de l'être.

Souvent, je suis obligé... je l'ai marqué dans le mémoire, qu'un vendredi après-midi, là, surtout quand il fait beau, là, puis que les personnes du CLSC ne sont plus là... je tombe sur un téléphone, un répondeur, tout ça. Ça prend peut-être une heure. Eux autres, ils travaillent pendant ce temps-là. Vous les payez aussi pendant ce temps-là. Puis, moi, j'attends. J'ai de l'insécurité parce que je ne sais pas qui va venir chez moi. Si je n'ai personne de mon entourage, là, de mes travailleurs autonomes... Présentement, là, j'ai sept travailleurs autonomes. J'en ai deux qui viennent de deux agences différentes et un qui vient d'une entreprise d'économie sociale.

Donc, je comble, j'estime vite, là, à 75 % ou 74 % de mes services juste avec du gré à gré. Puis ça, ça coûte beaucoup moins cher.

C'est pour ça que j'aimerais que vous entendiez très bien au moins cette partie là, d'ouvrir ça pour toutes les personnes qui deviennent en perte d'autonomie tranquillement et les personnes présentes... présentement qui sont handicapées, pour les aider à se diriger, à se prendre en charge. Je pense que c'est ça qui est important dans la vie, d'être pris en charge. Vous essayez de le faire avec vos enfants, comme j'ai fait avec ma fille, puis je le fais avec moi-même aussi.

Mme Charbonneau: Merci. Vous avez répondu à la question qui s'en venait. Parce que j'avais le goût de vous demander... puisque vous êtes chez vous, vous êtes dans votre autonomie. À chaque fois que vous accueillez quelqu'un du CLSC ou de services, on a...

On a souvent eu l'occasion de jaser de toutes sortes d'affaires avec des gens qui avaient des problématiques, mais la formation, ça reste un souci pour l'ensemble des gens alentour de la table. Parce qu'on a beau penser qu'on ne voit que le titre Mourir dans la dignité, là, mais sachez en même temps que notre souci s'est penché énormément sur les soins palliatifs, les services, les services avant, les services après, l'accompagnement des familles, la formation de nos médecins. Et là vous m'avez un peu glissé dans... où je voulais aller. C'est-à-dire, vous, quand vous accueillez quelqu'un, est-ce que c'est toujours quelqu'un de nouveau? Est-ce que c'est le même monde qui reste alentour de vous, dans les services? Parce que je suis sûre que vous avez des amis, puis ça, ça ne change pas. Mais, dans les services que vous recevez... Puis, quand on change de personne, on vous avise, on vous téléphone pour vous dire: Ça va être M. Ratatouille plutôt que M. Rintintin, parce que, là, M. Rintintin a pris sa retraite?

Comment on regarde cet aspect-là de la relation avec la personne que vous êtes et la relation avec les services qu'on peut vous offrir?

M. Labrecque (Robert): Regardez, j'ai très peu de services qui sont donnés par des gens qui changent beaucoup, là, que ce soit M. Rintintin ou...

Mme Charbonneau: Ou M. Ratatouille.

M. Labrecque (Robert): Mais j'en ai très peu parce que j'engage moi-même mes gens souvent. Je n'ai jamais hésité. Puis je suis peut-être le moins peureux des personnes qu'il y a ici.

J'ai déjà engagé quelqu'un qui sortait du pénitencier pour une histoire de trois ans, O.K.? Ce n'est pas juste une petite affaire, là. Bon. J'ai déjà engagé... puis j'ai des très bons services de cette personne-là qui avait une formation de base puis je n'ai pas eu peur de l'engager. C'est moi qui est le boss chez nous, puis je n'aime pas quand c'est nécessairement le CLSC ou l'agence.

L'agence qui devait venir samedi matin appelle le CLSC puis me dit qu'il ne pourra pas venir. Elle ne me dit pas à moi... mais elle dit au CLSC qu'elle ne pourra pas venir. Là, c'est le monsieur du CLSC, là, M. Rantanplan qui m'appelle. Et là c'est pour ça que j'ai décidé d'essayer de changer de préposé pour que ça coûte moins cher. C'est pour ça que je voudrais des incitatifs pour que les gens essaient d'avoir toujours les mêmes personnes. Parce que, comme vous dites, là, dans votre question... puis ce qui est sous-entendu, c'est: il faut toujours accueillir des nouvelles personnes, sinon... Puis ça, c'est très dur parce qu'il faut les reformer pour nous, là, parce que... On va dire que vous changez de coiffeur, bon, ou de coiffeuse... je ne veux pas être sexiste, vous êtes obligés d'expliquer ce que vous voulez à chaque fois. Ce n'est rien, une coupe de cheveux, comparé à un deux heures de services pour me coucher. Me coucher, moi, ça signifie m'enlever mes vêtements, m'embarquer sur les toilettes, commencer à me brosser les dents, soie dentaire, le rasage, la manucure, la pédicure, toutes ces petites choses là, ensuite le bain, ensuite de ça, m'installer au lit pour la nuit.

C'est compliqué quand c'est toujours une nouvelle personne. Puis ce qui est déplorable en plus là-dedans, c'est que, quand le CLSC vient chez moi, ils viennent seulement en dépannage, ils font juste le minimum. Ils ne me donnent même pas de bain quand ils viennent.

Moi, là, j'ai vécu le début, l'implantation des services à domicile. Au début, madame, c'était le Centre François-Charon, à l'époque, l'IRDPQ maintenant, qui s'occupait de ça. C'était un projet pilote. Ils donnaient 10 $ à des étudiants universitaires pour nous donner des services. La formation, là, elle était probablement un PDSB, tout simplement. Vous savez ce que c'est?

**(15 h 20)**

Une voix: Oui.

M. Labrecque (Robert): Bon. Et puis ensuite on a ouvert à toute la province... Ils nous donnaient une allocation de 6 $ en dessous de la table pour se payer des services.

Une voix: Ah?

M. Labrecque (Robert): Oui, oui, mais, regardez, j'ai rencontré... de l'autre côté, là, en haut, au deuxième étage, j'ai rencontré le Dr Rochon avec des gens du ROP et le premier ministre Lucien Bouchard à l'époque -- ça vous replace un peu pour le temps, là, je n'ai pas vérifié c'était quand -- pour... l'implantation, pardon, du chèque emploi-services, qui était à 8,32 $. On passait de 6 $ à 8,32 $, mais au-dessus de la table.

Là, maintenant, le salaire est rendu à 11,37 $, si je ne me trompe pas. Ça donne 13,49 $ avec tout, là, les vacances, le chômage, tout ça, pour une personne qui vient chez moi. C'est pratiquement inacceptable. C'est pratiquement un miracle que je me trouve des gens, parce que, quand vous prenez les agences, une agence charge environ 25 $ à 30 $ de l'heure. Il y a des différences, là, il y en a que la deuxième heure est moins chère, etc. Quand c'est le CLSC, il y a quelques années, c'était 31 $ de l'heure. Mais la personne qui venait chez moi samedi matin... il y a le taxi en plus pour cette personne-là, sinon il y a des frais de transport pour les personnes du CLSC. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas accorder la parité salariale, que vous avez gagnée ici pour toutes les dames, là. Ça ne s'applique pas normalement à toutes les dames. Quelqu'un qui fait un travail équivalent à un autre travailleur, qui travaille pour l'État, qui travaille pour une autre instance, il devrait avoir sensiblement le même salaire. Pourquoi, moi, j'ai 13,49 $ bruts pour me payer des services puis, quand c'est le CLSC, c'est 31 $ bruts que ça coûte normalement, mais plus probablement... probablement une partie de l'administration? Quand c'est une agence, c'est sûr que ça paie la BMW ou la Jetta, là, de la propriétaire de l'agence, c'est sûr que ça paie ça aussi, les employés ont peut-être 13 $, 14 $ de l'heure pour une agence, ou sinon ils ont 12 $, plus les dépenses. Mais, moi, je n'ai même pas ça, là. Avec les avantages sociaux, c'est 13,49 $.

Ça n'a pas de bon sens. Il faudrait que ça soit changé hier matin, ça. Ça fait des années qu'on le demande par les associations, et tout ça.

Mme Charbonneau: Je vérifie toujours avec la présidente, parce que c'est elle qui a le petit cadran qui dit si je peux continuer à parler ou s'il faut que je me taise à jamais. Donc, je vérifie toujours. Ce n'est pas parce que je veux vous manquer de respect, quand je me retourne comme ça, c'est vraiment parce que je lui demande si tout va bien.

M. Labrecque (Robert): Il va falloir que vous laissiez de la place à l'opposition ensuite.

Mme Charbonneau: Oui, oui, tout à fait, mais, je vous dirais, puis je vais en profiter parce que vous ouvrez la porte, je vais en profiter pour dire qu'en face de moi c'est mes collègues, ce n'est pas l'opposition.

M. Labrecque (Robert): Oui, mais...

Mme Charbonneau: Cette commission a ce privilège-là, puis je vous dirais que ça me réconcilie avec mon rôle, puisqu'ici j'ai le plaisir de travailler avec des collègues de travail. On n'est vraiment pas dans le même principe. Mais vous faites bien de me le rappeler, parce qu'une fois de temps en temps il ne faut pas que je sois trop chum, là, quand même, il faut qu'on se garde une petite gêne.

Question plus personnelle, parce que ça nous aide à mieux comprendre. Ce matin, on a reçu un homme qui avait la présomption -- personne ne me corrige, ça doit être le bon mot -- qu'il pensait pour nous. Vous savez, on fait ça des fois avec nos enfants, hein, on dit: Si tu as fait ça, c'est parce que tu pensais que, puis, dans le fond, on essaie de penser pour eux autres. Bien, cet homme-là le faisait parce qu'il avait pressenti dans les médias qu'on avait déjà peut-être une position de prise, puis ça nous perturbe toujours un peu parce qu'on essaie tellement d'avoir un grand tableau pour mettre tous les témoignages puis les possibilités, mais on challenge tout le temps un peu nos invités pour essayer de mieux comprendre puis mieux mettre... dans mon cas, je vous ai dit «mes tableaux», pour mieux remplir mes tableaux.

Alors, je vais y aller de façon plus personnelle, puis, si jamais ça ne vous tente pas, vous nous dites: Mme Charbonneau, ce n'est pas de vos affaires. Je suis capable de comprendre ça.

Est-ce que depuis je ne sais pas combien de temps, parce que je l'ai lu ici, je sais que c'est un combat à vie que vous avez... mais est-ce que vous avez eu une discussion, avec les aides médicales, plus personnelle par rapport à votre mort à vous? Parce que j'ai compris que, malgré le fait que je ne vous apprendrai rien en vous disant que vous ne pouvez pas désensibiliser quelqu'un qui vous aime bien, quand vous ne serez plus là, vous ne serez plus là. Puis ça, même si on en parle, la mort reste un moment où on perd puis qu'on garde quelqu'un à la fois de façon différente.

Donc, avec les médecins qui vous entourent ou qui sont toujours en suivi de votre dossier, est-ce que vous avez parlé de cette fin-là, sur le comment ou sur qu'est-ce qui vous attend ou juste pour avoir une idée? Est-ce que c'est une discussion qui a déjà eu lieu?

M. Labrecque (Robert): Non, je n'en ai pas parlé. Peut-être la seule fois où mon médecin et moi, on a parlé, c'est quand je l'ai connu au début. Je lui ai dit c'était quoi, mon handicap. Il m'a dit: Ah, ça me fait plaisir de te suivre, je ne connais pas ça. C'est la seule discussion. Puis souvent c'est assez parce que le fait que lui veut s'informer de ce que c'est, mon handicap, tout ça, bien pour moi c'est assez. Je n'ai pas... Je ne sens pas le besoin de parler, là, de ma fin de vie ou... ou comme ça. Je veux rester en vie le plus longtemps possible, je veux travailler là-dessus.

La seule chose, c'est que... Je ne vous prête aucune intention là-dessus, pour ceux qui sont pour ou contre la fin de vie. Je pense que ça, c'est quelque chose qui est très, très personnel. La seule chose que je vous dirais là-dessus et, ce qui m'a interpellé, pour laquelle je suis ici, c'est que je sais... j'écoute beaucoup, beaucoup de reportages et je sais qu'aux États-Unis, quand ils condamnent quelqu'un à mort, ça coûte environ 500 000 $ pour l'euthanasier. Je me dis qu'au Québec, même si on ferait ça pour 250 000 $, bien, moi, ça me permet quand même... Si, moi, je coûte environ 30 000 $ à 40 000 $ par année pour rester chez moi puis que ça coûte, là, à cause des psychologues, des psychiatres, puis toute l'expertise que ça prend... Quelqu'un qui demande de se faire arrêter ses souffrances et de mourir, ça représente un certain montant d'argent. Puis, moi, c'est ça qui m'a interpellé avant tout dans cette discussion-là, pas parce que je croyais que vous vouliez décider nécessairement, mais tout le Québec va décider ensemble, là, où on s'en va là-dedans.

Puis je vous dirais que, moi, de dépenser de l'argent pour ça, ça me turlupine pas mal, là, autant que M. Rantanplan peut-être ou qu'un autre...

Une voix: Ratatouille.

M. Labrecque (Robert): ...à cause de l'économie que, moi, je représente ici. J'en viens toujours à ça, c'est mon dada.

Mme Charbonneau: Bien, je vous dirais que ça me réconcilie avec les gens qui me parlent de chiffres. Je vous explique.

La plupart des gens qui sont venus nous voir nous ont parlé de chiffres sur une façon plus... d'amertume, en disant: Bien, si vous faites ça pour libérer des lits, c'est dégueulasse. Ils ne l'ont pas dit comme ça parce qu'ils sont filmés puis sous caméra, mais après un an je le dis. Et à chaque fois ça nous a heurtés. Je vous l'avoue, là, des fois on échange des regards puis on se dit: Câline, tu sais, comment on fait pour passer mieux notre message? Mais, de la façon que, vous, vous l'apportez, c'est tout un autre aperçu, parce qu'on a commencé à se parler un peu puis à se dire: Bon, on se dit-u, tu sais, qu'est-ce qui se passe en avant des soins palliatifs, qu'est-ce qui se passe après? On essaie de se faire, pas tout de suite, une tête parce qu'on n'a pas fini, il nous reste une journée et demie, mais on essaie de se parler entre nous pour dire: Bon, tes cases à toi, elles ont l'air de quoi, tu sais?

Alors, quand vous apportez ce principe-là même que votre autonomie, elle a un coût à la société, mais en même temps votre autonomie, elle a une économie face à la société. C'est ce que j'entends quand vous me parlez de chiffres.

M. Labrecque (Robert): C'est toujours ce que je dis. Puis j'essaie toujours de coûter le moins cher à l'État et de lui rapporter le plus aussi. Parce que, ce que j'ai fait dans ma vie, là... j'ai essayé de payer mes taxes autant que j'ai pu, mes impôts. Je paie encore mes taxes. À chaque petite chose que j'achète j'en paie une partie.

Mme Charbonneau: Oui, on ne vous oublie pas.

M. Labrecque (Robert): Non, c'est ça. Bien, oubliez-moi pas dans ce débat-là non plus.

Mme Charbonneau: Alors, avant de passer la parole à mes collègues, c'est ce que je veux vous dire, je veux vous dire que, vous savez, le passage qu'on fait dans une vie, il peut être très long puis il peut être très court. Des fois, ça dépend d'une seule roche qu'on a soulevée. Des fois, ça dépend de plein de sentiers qu'on a semés de roches. Et, si ce n'était que cette seule roche, je vous remercie infiniment d'être venu faire votre témoignage. Merci.

M. Labrecque (Robert): Merci.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, sur ces belles paroles, je vais passer la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Labrecque. Je suis très heureuse que vous ayez pris le temps de venir. Et, bien franchement, vous êtes quelqu'un de très éloquent, donc vous auriez pu parler très longtemps, comme vous le faites en questions-réponses, sans problème.

D'entrée de jeu, c'est très intéressant de vous entendre et, juste à vous entendre aujourd'hui, pour moi, c'est assez clair, merci, que vous avez apporté beaucoup, beaucoup, beaucoup plus à la société que ce que vous avez pu occasionner en coûts de santé, comme soins, juste à entendre la profondeur de votre réflexion. Alors, merci beaucoup. Puis effectivement, pour poursuivre sur ce que ma collègue disait, c'est la beauté un peu de cette commission-là, c'est qu'il y a une panoplie de points de vue, une panoplie de positions, d'angles aussi avec lesquels les gens veulent qu'on aborde cette question-là.

Et puis, quand vous abordez la question des coûts, eh bien, pour poursuivre un peu... ma collègue disait qu'il y a beaucoup de gens qui venaient nous dire: Ah, vous devez... vous ne le dites pas, mais vous devez avoir, là, des intentions cachées, là, puis, dans le fond, vous voulez mettre la hache dans les coûts de santé en disant: On va arrêter votre vie, puis tout ça. Puis ce qui est intéressant, c'est que, vous, vous nous dites: C'est l'inverse. Vous, vous dites: Ça peut occasionner des coûts d'avoir ces pratiques-là, possiblement, puis vous nous dites donc l'inverse que ces gens-là nous disent.

Donc, ça vous montre à quel point il y a une étendue de questions qui sont soulevées et de craintes aussi chez les gens. Puis, moi, je pense qu'une des vertus de la commission aussi, c'est d'en parler tous ensemble et de, nous, bien dire aux gens que ces considérations-là n'ont absolument rien à voir dans le débat qui a été entrepris, qui est un débat qui se situe beaucoup plus sur un plan, je dirais, humain, d'abord et avant tout. Et, à cet égard-là, votre témoignage est très humain. Moi, je voulais juste... Il y avait peut-être deux éléments. Vous parlez beaucoup de l'importance du soutien aux personnes et dans leurs milieux, dans leurs communautés, chez eux. C'est un message qu'on entend beaucoup, hein, on l'entend de plus en plus. On l'entend, oui, pour les personnes handicapées et aussi pour les personnes âgées, parce que, quand ils se retrouvent dans d'autres milieux, c'est la perte des repères, souvent elles deviennent beaucoup plus dépendantes, beaucoup plus malades. Et puis j'imagine que c'est un peu la même réflexion qu'on entend aujourd'hui de votre part.

Puis dans votre mémoire vous parlez du rôle des organismes, les organismes communautaires de personnes handicapées, puis, moi, je voulais voir jusqu'où vous pensez que ces organismes-là ont un rôle à jouer pour... je dirais, par exemple, par rapport à la formation, l'encadrement, la sensibilisation.

Est-ce que vous pensez que ces organismes-là devraient avoir un rôle encore plus déterminant ou beaucoup plus, je dirais, officiel que ce qui est le leur actuellement?

**(15 h 30)**

M. Labrecque (Robert): Si vous demandez, je pense, aux organismes de prendre ce rôle-là, ils vont le prendre parce qu'ils connaissent les gens, à la base, ils les connaissent beaucoup mieux souvent que... même qu'un CLSC. Puis je vous dirais que, pour avoir milité longtemps, c'est une porte de sortie pour vous qui n'est quand même pas très dispendieuse, souvent. Si on prend juste les entreprises d'économie sociale, ça ne coûte quand même pas très cher. Si vous leur demandez de former des gens... Je pense qu'ils en forment déjà, mais je ne voudrais pas, là, errer là-dessus.

J'aimerais revenir sur ce que vous disiez. Par exemple, une personne qui est déstabilisée, une personne âgée qui se retrouve en perte d'autonomie d'ici à demain matin souvent va aller cogner à la porte du CLSC, puis là le CLSC, lui, il a des délais d'attente. Si vous dites, là, qu'il n'y en a plus, de délai d'attente, que la personne, elle trouve quelqu'un dans sa famille, un beau-frère, une belle-soeur, laissez faire les histoires de... si la personne est trop près, ça se peut qu'il y ait de l'abus.

Oui, mais, s'il faut que vous ayez une structure pour défendre les aînés, créez-la avec les entreprises d'économie sociale ou les associations de personnes handicapées. Donnez-leur la chance de le faire, ça, pour vous, de vous aider à des moindres coûts. La DPJ, pour les enfants... puis on entend parler d'un peu de protection des aînés présentement aussi, c'est... c'est juste ça. Moi, je sais très bien que, si j'ai un problème avec un employé, on va dire: On en entend parler souvent. Moi, j'entends des préposés qui me disent... puis c'est la même chose pour les infirmières, tout ça, c'est qu'il y a des messieurs qui essaient de faire des attouchements ou ils demandent des petites faveurs à des mesdames. Bon. On en entend parler. C'est dommage, mais le préposé chez moi, tout comme le client, il est jetable. Si le préposé se fait demander une chose comme ça, il dit: Moi, je ne veux plus y aller. Ce n'est pas comme ça que ça se passe dans la vie. Si votre collègue d'en face essaie quelque chose, c'est la police qui va s'en mêler.

Il faut responsabiliser les gens. C'est tout simplement ça. Le communautaire peut coûter moins cher à former, puis pour le reste essayons d'être autonomes, chacun de notre côté. Moi, j'essaie de l'être depuis le début de ma vie. Puis, jusqu'à la fin, je suis sûr que je vais l'être.

Mme Hivon: Moi non plus, je n'ai pas trop d'inquiétudes par rapport à votre autonomie et votre volonté d'autonomie, puis d'ailleurs c'est ce qui m'amène à mes prochaines questions, peut-être pour mieux comprendre votre situation, votre handicap.

Est-ce que vous avez été, depuis votre naissance, à peu près dans la même situation ou il y a eu une perte de vos facultés physiques?

M. Labrecque (Robert): Regardez, je vais vous faire un résumé. J'ai commencé à marcher à 18 mois. Je marchais de côté. Ce n'est pas vraiment par un manque d'équilibre, mais c'est un manque de force musculaire.

J'ai marché jusqu'à neuf ans. À neuf ans, je tombais régulièrement. Ils m'ont placé dans un fauteuil roulant ordinaire. Comme je dis souvent en blague, à 20 ans, j'ai pris la chaise électrique, mais, heureusement, le courant ne passait pas. Donc, tranquillement, après mes forces me lâchent, et mes heures de services augmentent. Les services à domicile, là, je les ai depuis que j'ai environ 20 ans et j'ai de plus en plus d'heures. J'ai commencé, j'avais peut-être... là, je ne me rappelle pas vraiment, mais, je dirais, aux alentours d'une quinzaine à une vingtaine d'heures par semaine puis là je suis rendu à 44 h 30 min, exactement. Bon. Puis bientôt je ne serai plus capable de manger seul. Je ne suis pas capable de couper... Même du foie de veau, là, c'est trop dur pour moi, là. Puis pourtant, là, dans un bon resto, où c'est tendre, là... Même ici, au Parlementaire, tout à l'heure, j'avais de la misère, là, avec mon tartare de saumon. Parce qu'il y avait une chips en dessous, là, j'ai eu bien de la difficulté à le couper. J'aurais pu demander de l'aide, mais j'ai été capable. Bon.

Je vais essayer de vous décrire un petit peu mon handicap. Je ne porte jamais de veston ni de chandail à manches longues. Je n'ai pas la force physique de bouger ou de conduire mon fauteuil roulant avec un chandail à manches longues maintenant. Je l'avais avant. Puis souvent, quand j'avais aux alentours de 20, 25 ans, je sortais à moins 20° dehors avec mon chandail à manches longues, je n'étais pas capable de mettre un manteau. Tranquillement, là, je m'en vais vers le nudisme, mais ça, c'est une autre histoire.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Hivon: On ne vous demande pas tous ces détails-là aujourd'hui, je pense que ça dépasse le spectre de nos travaux.

Bien, pour poursuivre dans cette veine-là, je voudrais juste vous entendre. En fait, vous avez vu le titre de notre commission évidemment, qui est Mourir dans la dignité. Et puis j'ai lu votre mémoire... j'ai lu la fin de votre mémoire et je comprends que, vous, vous êtes vraiment quelqu'un plein de vie, d'autonomie, et vous ne pouvez pas envisager, j'imagine, qu'un jour vous ne voudriez plus vivre... ou écourter votre vie, même si vous étiez en fin de vie, parce que vous goûtez à tous les moments de la vie, comme on le sent. Il y a des gens qui sont venus nous voir, qui ont des maladies dégénératives, par exemple la maladie de Lou Gehrig, si vous avez suivi nos travaux, vous avez vu un peu... syndrome postpolio, toutes sortes de maladies, et pour qui ça cause énormément d'angoisse d'imaginer qu'un jour, quand leur maladie va évoluer, ils pourraient devenir complètement prisonniers de leurs corps, ne plus pouvoir bouger du tout, du tout, ne plus pouvoir parler du tout, comme ne plus avoir de contact, mais être encore évidemment tout à fait conscients.

Et plusieurs personnes nous ont dit que, pour eux, l'autonomie, ça voulait dire de pouvoir choisir, dans de telles circonstances, avec leurs demandes à eux très clairement exprimées, qu'ils puissent avoir une aide médicale pour abréger leurs fins de vie. Je comprends que ce n'est pas du tout votre point de vue, mais je veux vous entendre parce que vous parlez énormément, dans votre mémoire, de l'importance de l'autonomie, votre autonomie à vous, comment vous la vivez, comment elle vous a toujours accompagné dans l'évolution de votre situation.

Puis ces gens-là, ils viennent beaucoup nous voir au nom de l'autonomie en disant: J'ai pu être autonome toute ma vie, et pour moi ça veut dire que, quand, dans mon regard à moi, ça n'aura plus aucun sens parce que ma maladie va être trop avancée, je voudrais avoir cette possibilité-là. Comment vous réagissez à ça?

**(15 h 40)**

M. Labrecque (Robert): Je pense que c'est différent pour chaque personne. Je ne le sais pas, s'il faut permettre à ces gens-là d'en finir avec leurs souffrances qui sont, d'après moi... Si quelqu'un est prisonnier de son corps, c'est sûr que ce n'est pas agréable, mais on l'est tous, à quelque part. Il y a des gens, là, qui...

J'ai toujours eu la même explication, si on veut. C'est qu'il y a des gens qui sont malheureux avec ce qu'ils ont. Les gens qui portent une perruque, les hommes qui portent une perruque, souvent c'est parce qu'ils ont de la misère à accepter juste une perte de cheveux. On voit des gens... le célèbre cas d'Elton John, qui s'est fait greffer... qui se les est fait enlever, tout ça, malheureux dans sa situation de vie avec ce problème-là.

Moi, je ne serai probablement jamais malheureux dans ma situation de vie, sauf que ce que je peux vous demander un jour, ce n'est plus 45 heures de services par semaine, c'est peut-être 55. Si j'ai besoin d'un fauteuil qui marche avec mes paupières, j'aimerais qu'on puisse me le permettre. C'est ce que je veux. C'est les services que la personne a besoin pour continuer son combat, sa vie. Parce qu'on naît en pleurant, puis on meurt en pleurant, la plupart du temps. On naît en pleurant parce que ça fait mal, l'accouchement, puis on meurt en pleurant parce qu'on ne verra plus les gens qu'on aime. C'est à nous de choisir.

Moi, j'ai déjà dit... mais ce n'est pas parce que je l'envisage de cette façon-là, mais je l'ai déjà dit puis je vous le dis, je vous confie ça, c'est que, si jamais un jour je suis tanné, là, le cap Diamant, il est là. Mais je ne veux pas ça. Je ne veux pas ça, je veux être automne jusqu'à la fin, mais chacun fait ses choix.

Mme Hivon: Je veux juste vous...

M. Labrecque (Robert): Les demandes des autres sont pertinentes aussi, mais ce n'est pas la mienne. Moi, je veux qu'on m'aide à vivre un jour de plus.

Mme Hivon: Bien, je veux juste... avant de donner le mot de la fin à Mme la présidente, je veux juste vous dire merci beaucoup parce que vous avez dit, en partant, que vous vouliez nous sensibiliser sur un autre angle, un autre point de vue qu'on n'avait pas beaucoup entendu, et c'est vrai. Et c'est pour ça que, voyez-vous, il nous reste une journée et demie, à peine, d'auditions, et, moi, je dis toujours que chaque jour est encore aussi passionnant parce qu'on entend des témoignages qui nous amènent toujours des nouvelles perspectives, puis vous en êtes un significatif avec beaucoup d'éloquence puis beaucoup d'ouverture sur la vie et la réalité humaine. Alors, merci beaucoup.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, elle avait raison, c'est moi qui a le mot de fin. Alors, il ne me reste qu'à vous remercier de votre grande générosité. Parce qu'on a eu beaucoup de gens qui sont passés devant nous depuis une année. On a fait référence à plusieurs personnes qui nous ont particulièrement inspirés. Ça se termine la semaine prochaine, mais je suis certaine qu'on aurait cité vos propos au cours des prochains mois, si on avait continué, parce que vous nous avez touchés, vous avez fait de nous vos confidents, et pour ça on vous remercie d'être passé ici.

Puis vos propos sont précieux parce qu'on peut parler de la condition humaine des autres personnes, mais, vous, vous avez parlé de votre condition de vie à vous puis vous avez parlé aussi au nom des autres personnes qui vivent dans la même situation que vous. Et, en leur nom, je vous remercie aussi. Alors, merci.

Je vais suspendre les travaux pour accueillir M. Daniel Laflamme. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 43)

 

(Reprise à 15 h 47)

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, nous reprenons les travaux.

J'aimerais faire une petite annonce, parce que, vous savez, les membres de la commission voulaient permettre au plus grand nombre de personnes de s'exprimer. Alors, on a décidé de tenir des sessions de micro ouvert. Alors, à la fin de nos deux prochaines interventions, on permettra aux personnes de l'auditoire qui voudront bien s'adresser à nous pendant quelques minutes... Si cela vous intéresse, vous pouvez donner votre nom à Mme Anik Laplante ici, à l'avant, et on sera tout ouïe, tout oreilles pour entendre vos positions.

Alors, maintenant, nous allons accueillir M. Daniel Laflamme. M. Laflamme, vous avez demandé à intervenir avec un mémoire. Alors, vous avez droit à une présentation de 15 minutes, qui sera suivie d'une période de questions de 30 minutes. La parole est à vous.

M. Daniel Laflamme

M. Laflamme (Daniel): O.K. Je vais dire d'abord que je me fais un petit peu violence en venant ici parce que je n'aime pas les... en tout cas, les foules et les grands endroits, là. J'aime bien les discussions de salon, mais ici le salon est un petit peu plus grand que ceux que j'ai connus.

Alors, je dois dire que je le fais... c'est surtout au nom de mon père, parce que mon père... j'ai connu des personnes qui ont été... qui sont décédées du cancer, dont mon père, dans les années quatre-vingt, et j'ai été à même de voir que ces gens-là avaient des espoirs qui ne sont pas nécessairement ceux qu'on semble laisser entendre aujourd'hui, c'est-à-dire que leur espoir serait de mourir, et je n'en ai jamais vu un demander la mort, dans tous ceux que j'ai connus. La plupart du temps, ils demandaient plutôt d'avoir un traitement, mais bien sûr on savait que, dans bien des cas, le traitement n'existait pas ou n'était pas concluant.

Alors, c'est ce qui m'inquiète du discours sur l'euthanasie, c'est que c'est un discours qui est très... qui mène juste au néant, finalement.

Mais j'avais écrit, à l'époque, ce à quoi je voulais en venir. Avant de présenter le mémoire que j'ai présenté à la commission, j'aurais un autre mémoire à déposer. Je vais vous le remettre plus tard parce que, là, je vais le lire. C'est très court. C'est l'article que j'avais écrit à l'époque, juste avant la mort de mon père, pour réagir à une entrevue qu'avait donnée un médecin au journal Le Soleil. Dans cette entrevue, le médecin se prononçait en faveur de l'euthanasie mais aussi de d'autres choses, comme par exemple de ne plus faire d'efforts pour conserver les prématurés. Alors, j'avais été particulièrement horripilé par ça. Je dois dire aussi que je suis ici, là, comme je disais, en mémoire de mon père, mais aussi j'ai une formation d'historien, donc ça peut influencer beaucoup la façon de voir les choses, là. Le background est beaucoup plus grand que juste les cancéreux ou ceux que j'ai connus. Ça va au-delà de cela.

**(15 h 50)**

En tout cas, je vais lire l'article. Il avait été publié dans Le Soleil en février 1989. Le titre que, moi, j'avais donné, ce n'est pas celui qui était dans Le Soleil. Dans Le Soleil, sans dire que... Le Soleil, ça fait 20 ans qu'ils se prononcent, au moins, pour l'euthanasie. Ça fait qu'ils ont présenté le texte. Mais, quand on n'est pas d'accord avec quelque chose, des fois on peut soit le mettre de côté ou encore le présenter mais le modifier ou l'entourer de choses qui vont réduire sa portée. À l'époque, on avait changé le titre simplement en disant: Non à l'euthanasie, ce qui donnait un petit côté négatif à mon texte et qui était entouré ensuite de deux autres personnes qui étaient très favorables.

Alors, tu sais, ils l'ont présenté, mais en même temps il a été très dilué. Mais je pense qu'il avait eu un impact quand même chez le médecin qui avait parlé en tout cas parce que je ne l'ai jamais réentendu se prononcer par la suite publiquement à ce niveau. Je vais nommer la personne. Je pense qu'ici, de toute manière, il était... son article était public, et le mien aussi, donc. Donc, je commence par le titre de l'article, en février 1989, donc ça fait 22 ans aujourd'hui: Euthanasie et hypocrisie. «Dans un article publié dans le journal Le Soleil du samedi 11 février 1989, le médecin Georges L'Espérance, neurochirurgien à l'Hôtel-Dieu de Lévis, laissait entendre que le soulagement idéal pour les personnes affectées par une maladie incurable ne serait rien d'autre que la mort, une mort qu'il présente d'ailleurs comme une délivrance et un bienfait accepté par le malade et sa famille.»

Je vous avertis, des fois c'est sec, mais c'est... il n'y a pas de paroles... comment je dirais, il n'y a pas de sacre, là, bien sûr. «De la part d'un homme dont le devoir est de soigner ses semblables, ces propos sont tout à fait répugnants puisqu'ils favorisent explicitement l'euthanasie comme alternative à la maladie, la mort pour contrer le mal. Si cela est une alternative, elle n'est guère réjouissante, ni passionnante, ni rassurante pour les hommes d'aujourd'hui et de demain. Loin de favoriser...» Et là je passe à un élément qui est... qu'on néglige parfois quand on fait la promotion de l'euthanasie, c'est que ça risque d'avoir un effet sur la recherche, et c'est ce que je dis. «Loin de favoriser la recherche sur les maladies actuellement incurables, le cancer, sida, fibrose kystique, emphysème, sclérose en plaques, etc., le Dr L'Espérance incite plutôt ses confrères à s'esquiver devant leurs responsabilités. Désormais, ils n'ont plus à chercher, ils n'ont qu'à éliminer, à tuer ceux qui ne peuvent guérir. Ainsi, au lieu de tenter de remédier à l'échec des traitements anticancéreux, le médecin n'aurait plus qu'à faire disparaître toute trace de cet échec, ce qui impliquerait l'inhumation des corps portant les marques de la progression de la maladie et symbolisant l'impuissance de la médecine face au cancer. Ironiquement, l'euthanasie permettrait enfin l'éradication de la maladie incurable, mais au prix de la vie du patient. Le mal et le corps malade subiraient ainsi le même sort, la même mort.» Et là c'est la question à laquelle je pourrais quasiment dire oui maintenant: «Est-ce bien cet espoir macabre que l'on réserve aux futurs malades que nous sommes tous? Est-ce que l'héritage thérapeutique que nous léguerons aux hommes du XXIe siècle comportera cette nouvelle forme de suicide?» On est maintenant rendus au XXIe siècle.

Ce texte, mon père l'avait lu, malgré sa maladie, et il était tout à fait... je ne dirais pas «ravi», compte tenu des circonstances, mais il était tout à fait en accord. Donc, je le fais, comme je disais, un peu en sa mémoire. Depuis, ma pensée à mûri mais n'a pas vraiment changé sur le fond: c'est un petit peu la même chose, mais il y a des choses qui se rajoutent.

Là, je passe au document que vous avez reçu. C'est ce... Le titre de ce document, c'est L'indécence d'un discours sur l'euthanasie ou le non-dit médical et politique.

Je commence par le serment d'Hippocrate: Je soignerai les malades pour remédier à leurs maux, mais jamais dans l'intention de les blesser ni de leur faire du mal. Tel est l'essentiel du serment d'Hippocrate que cette commission semble avoir l'indécence d'oublier. Je m'excuse si je suis parfois direct, là. Indécent parce que la véritable raison d'être de cette commission semble être celle d'accorder à tous les médecins et pourquoi pas aux juges, tant qu'à y être? -- je pense au juge qui, il y a quelques mois, s'est occupé de sa femme -- et pourquoi pas aux juges, tant qu'à y être, un droit de vie ou de mort sur tous sans qu'il soit possible de les poursuivre en justice pour leur participation à des euthanasies passées, actuelles ou futures. C'est ce que j'appelle le non-dit médical et politique.

Indécent parce que ceux et celles qui luttent contre une maladie potentiellement mortelle ou qui vivent avec un grave handicap physique ou mental, comme monsieur précédemment, n'ont pas besoin que quelqu'un, si savant soit-il, vienne leur dire de cesser leur combat. Ils ont plutôt un besoin essentiel et primordial d'obtenir toute l'aide matérielle et psychologique que notre société moderne peut leur apporter, comme le monsieur le demandait justement tout à l'heure. C'est ça, la véritable compassion. Ne pas accorder cette aide lorsque cela est possible n'est rien d'autre qu'un meurtre par omission, quand bien même cela serait présenté comme l'envol d'une étoile qu'on libère, tel que le suggère peu subtilement l'image qui accompagne l'annonce de cette commission dans les journaux. Ça, c'est une façon de répondre aussi à une madame qui se demandait tout à l'heure... ah, je pense c'est vous, qui se demandait pourquoi les gens avaient l'impression qu'il y avait déjà une opinion de faite. C'est parce que, quand on présente ça, ça ne veut rien dire d'autre, là.

Moi, si j'avais mis... je pourrais vous... En tout cas, je ne vous les montrerai pas, je vais vous les décrire. Si j'avais mis la potence comme image... j'avais mis la potence de Landsberg, c'est là qu'on a exécuté les médecins nazis, est-ce que vous auriez pensé que j'étais pour l'euthanasie?

Ça fait que c'est... l'image qu'on présente en association avec la commission n'est pas impartiale, elle est totalement partielle, je veux dire. Donc, c'est normal que les gens puissent penser que la commission a déjà une idée de faite. C'est tout simplement à cause de ça et ce n'est rien d'autre, là. Aussi le fait que la commission ait été surtout demandée par...

Une voix: ...

M. Laflamme (Daniel): Excusez, oui. Je peux continuer?

Mme Charbonneau: ...

M. Laflamme (Daniel): O.K.

Mme Charbonneau: ...savoir si c'est la main qui vous... l'image de la main. C'était ça que je faisais confirmer.

M. Laflamme (Daniel): Oui. La main avec les... ça ressemble à des étoiles ou des brindilles, là, c'est très parlant. En tout cas, pour moi et pour bien des gens, j'imagine, là, ça prouve le manque de partialité et le... en tout cas, oui, on va être direct, là, le manque de partialité de la commission, à l'origine. Je ne dis pas qu'il n'y aura pas de changement. D'ailleurs, si je suis ici, c'est peut-être parce que je veux essayer de changer cela. Mais, sur le fond, l'image prouve l'impartialité... la partialité de la commission.

D'ailleurs, cette commission n'a pas été demandée par des gens qui combattaient le cancer dans l'espoir de guérir, mais elle a plutôt été demandée... il y a eu une association de médecins... au moins, plusieurs médecins qui l'ont demandée dans le but justement d'inciter les procureurs du Québec à ne plus poursuivre pour euthanasie. Ensuite, il y a M. Bureau, qui, lui aussi, écrivait dans Le Soleil il y a 20 ans mais l'inverse de moi, et M. Leblond aussi, qui est toujours avec M. Bureau et qui... ça ne fait peut-être pas 20 ans, là, mais ça fait plusieurs années qu'il fait pression pour qu'un débat ait lieu à ce niveau.

Donc là, je reviens à mon texte, page 2. Indécent, puisque le concept même de l'euthanasie, quel que soit le nom qu'on lui donne, n'est rien d'autre qu'une simple imposture intellectuelle derrière laquelle se dissimulent de hideuses considérations économiques -- les maladies coûtent cher à la société et au système de santé -- ou d'inavouables croyances eugénistes héritées du nazisme, qui se traduisent, en bout de ligne, par l'élimination des plus faibles. À preuve, l'évolution du discours sur l'euthanasie depuis un peu plus de un quart de siècle au Québec, et plus particulièrement dans la région de Québec. Là, je n'ai pas analysé à la grandeur du monde, ce serait un gros travail.

Ainsi, au début des années 1980, des journalistes du quotidien Le Soleil et les travailleurs de la santé prônaient ouvertement le débranchement de ceux qu'on déshumanisait en les comparant à des légumes, c'est-à-dire des malades en état de mort cérébrale plongés dans un coma supposé irréversible et maintenus en vie par toute une panoplie technologique. On incitait même les citoyens à rédiger le plus rapidement possible un testament dit biologique pour autoriser le médecin à les débrancher si jamais ils devenaient des légumes. Ensuite, à la toute fin de cette même décennie, des membres du corps médical ajoutaient des patients cancéreux en phase terminale à la liste des heureux, entre guillemets, bénéficiaires de l'euthanasie.

À la même époque, là, je reviens à mon texte d'il y a 20 ans, à l'Hôtel-Dieu de Lévis, un médecin de l'Hôtel-Dieu de Lévis eut même l'indécence et le culot d'affirmer qu'il vaudrait mieux ne pas sauver les enfants prématurés parce qu'ils risquaient de coûter trop cher à la société en raison de la présumée faiblesse innée de leurs corps. Les études ont démontré depuis que ce n'est pas vrai que les enfants prématurés sont nécessairement plus faibles que les autres. Mais à l'époque monsieur considérait que c'était le cas. Et de toute manière, quand même ce serait le cas, parler d'économie parce qu'on a sauvé des enfants prématurés, je trouvais ça abominable de la part de quelqu'un qui est supposé être là pour ça, entre autres. Je n'en revenais pas.

Bref, par la suite, pendant plus d'une quinzaine d'années, le discours sur l'euthanasie se fit beaucoup plus discret sur la scène journalistique, à l'exception notable de l'histoire de cette jeune fille de l'Hôtel-Dieu de Québec qui demanda et obtint par la cour que ses médecins la débranchent. C'était en janvier 1992.

Finalement, à la fin de la première décennie de ce siècle, le discours sur l'euthanasie refait surface, mais cette fois il ne se limite plus aux comateux ou aux cancéreux, il englobe maintenant tous ceux qui ont perdu le goût de vivre, donc de combattre, ce qui conduit inévitablement à justifier aussi bien l'empoisonnement par son conjoint de cette malheureuse déprimée du Saguenay que l'utilisation d'une arme à feu par un juge pour tuer sa femme qui ne supportait plus de vivre avec les séquelles d'un AVC.

Cette simple histoire de l'évolution de la liste des candidats à l'euthanasie démontre que la légalisation ou la non-judiciarisation du meurtre par compassion est une véritable boîte de Pandore dont l'ouverture risque d'entraîner dans son sillage une quantité toujours plus grande de morts, sans compter la réduction à néant de toute la recherche médicale sur les maladies actuellement incurables et surtout même, et on l'oublie facilement, de rendre vain le sacrifice de ces millions d'hommes et de femmes qui ont combattu cet ignoble et terrifiant régime nazi dont l'euthanasie fut une des pièces maîtresses, malheureusement approuvée... oups, malheureusement approuvée par la grande majorité du corps médical allemand de l'époque mais combattu avec courage par des hommes d'Église.

n(16 heures)**

Et il y en a eu plusieurs, des hommes d'Église, en Allemagne même.

À vous tous, membres de cette commission, ayez le courage de rejeter ce concept vicié d'euthanasie, qui est contraire à toute la tradition humaniste occidentale.

En effet, là, je m'inspire, entre autres, de Mgr Ouellet, mais pas juste de lui, en effet l'homme n'est pas homme parce qu'il est en santé, beau, jeune, désiré ou riche, il est né homme et il le reste toute sa vie, quel que soit sont état. Le priver du droit de vivre, lui retirer sa dignité d'homme en le comparant à un légume ou à un être indigne de vivre, c'est mettre le doigt dans un engrenage infernal et sans fin qui n'est pas digne d'une société occidentale moderne qui se veut ouverte à tous. Être malade ou mourant n'est pas indigne de l'homme, mais tuer ou justifier le meurtre de l'homme malade ou mourant est indigne de l'homme. C'est ça, l'indignité.

Telle est la véritable indignité que, malheureusement, cette commission semble vouloir normaliser. J'espère que vos valeurs humanistes ou profondes remonteront à la surface et triompheront de la tentation de succomber à la bestialité la plus abjecte que le monde occidental a combattue et rejetée en 1945.

Je précise que, dans les années qui ont suivi, au procès de Nuremberg, entre autres, au procès des médecins, a été réaffirmée la nécessité absolue du respect du serment d'Hippocrate pour éviter justement le retour de cette barbarie. Et je constate qu'ici, quels que soient les... si on en arrive à la légalisation, il faudra nécessairement qu'on passe outre à un élément central du serment d'Hippocrate que j'ai lu en commençant ce texte. Alors, je ne vois pas comment on peut éviter un glissement très dangereux, un glissement dont Mgr Ouellet nous en avait... en a déjà parlé avant de partir, mais aussi M. Thomas de Koninck, la semaine dernière, qu'il appelle la pente glissante, et je partage tout à fait son point de vue. On ne s'est jamais consultés, ni un ni l'autre, je n'ai jamais parlé à monsieur... Mgr Ouellet non plus.

Je ne suis pas catholique pratiquant, mais j'ai des convictions, je dirais, humanistes assez fortes, et on n'a pas besoin... Parce que j'ai remarqué que souvent, quand on parle de ça à l'extérieur, je ne parle pas nécessairement ici, là... les gens vont dire: Ah, toi, tu es catholique, hein, tu es croyant, comme si le fait d'être un croyant faisait nécessairement en sorte que notre opinion était différente de la société, qu'on était en marge. Et ça, ça me fatigue. Savez-vous pourquoi? C'est parce que, là, je reviens encore à mes nazis, les nazis détestaient les catholiques pour cette raison, c'est qu'ils considéraient que les catholiques, avec le concept de charité chrétienne, qui, entre autres, défend les plus faibles, se veut une défense des plus faibles, venaient tout briser leur système, où le but du régime nazi, c'était de détruire les plus faibles. Et il y avait les races inférieures, mais il y avait aussi tous les autres... malades mentaux, etc., tout ce qui ne concordait pas avec l'image parfaite qu'on avait définie à cette époque-là. À l'époque, on disait: C'était la race arienne, mais ça peut être d'autre chose dans 10 ans, dans 20 ans.

Je comprends, Mme Hivon souhaiterait... elle est très souriante, très gentille quand elle présente ses choses. Puis, j'imagine, si elle votait une loi pour l'euthanasie qu'elle présenterait avec... ce serait presque intéressant, on aurait presque envie de se faire euthanasier.

Mais dans 10 ans, dans 20 ans, on ne sait pas qui va utiliser ça à d'autres fins, et je ne crois pas, moi, que ça va... quand bien même qu'on mettrait des garde-fous. Et ils ont essayé en Hollande, puis déjà ça dérape un petit peu. Il y a des enfants qui sont euthanasiés. Il y a des aliénés, il y a même des personnes âgées... Mme Hivon avait dit à un autre participant que ce n'était pas vrai, mais, moi, ce que j'ai fait comme recherche... il y a effectivement des personnes âgées qui se dirigent vers des maisons de retraite près de la Hollande pour échapper... donc en Allemagne, pour échapper à une possible euthanasie de la part de leurs familles. Alors, ça a été publié, ça, à l'Assemblée nationale française, qui avait fait une visite en Hollande pour évaluer justement l'état du système des lois sur l'euthanasie, parce qu'en France il y a aussi une discussion, mais très limitée, par rapport à ce qui se passe aux Pays-Bas et en Belgique aussi.

En fait, il y a deux pays seulement dans le monde, et je sais qu'on le présente souvent ici, là... c'est une façon de montrer peut-être que les opposants ne sont pas dans la game, là, mais il y a seulement deux pays en Occident qui ont vraiment... en tout cas, pas nécessairement dépénalisé mais légalisé l'euthanasie, et c'est les Pays-Bas et la Hollande. Et, en Hollande, c'est la communauté flamande qui est très... Bien, dans les deux pays, il y a des Flamands, là, du néerlandais. Donc, c'est typique à cette communauté-là qui est aussi une communauté protestante, qui n'a pas nécessairement les mêmes valeurs que dans le catholicisme, là. L'individualisme est beaucoup plus fort chez les protestants.

Donc, ça peut expliquer aussi une partie... pas juste, là... Mais bref, tu sais, je ne sais pas... j'ai-tu dépassé mon 15 minutes?

La Présidente (Mme Gaudreault): Oui. Vous avez dépassé votre 15 minutes, puis on voit que vous auriez...

M. Laflamme (Daniel): ...

La Présidente (Mme Gaudreault): Vous pourriez nous entretenir encore très, très longtemps, puisque ça fait près de 20 ans que vous semblez très intéressé au sujet.

M. Laflamme (Daniel): Pas toujours là-dessus, mais...

La Présidente (Mme Gaudreault): Mais quand même, oui, c'est un sujet qui...

M. Laflamme (Daniel): Je le suis.

La Présidente (Mme Gaudreault): ...qui nous interpelle tous. Je vais vous dire, c'est curieux que vous nous critiquiez un peu notre image, l'image, là, qu'on a utilisée tout le long de notre commission, parce qu'on se faisait le commentaire cette semaine qu'il n'y a personne qui nous a critiqués sur le choix de l'image qu'on avait choisie. Et vous nous apparaissez, M. Laflamme, aujourd'hui, à une journée et demie de la fin.

Je veux juste vous, très brièvement, partager les commentaires, comment est-ce que la graphiste, la personne qui a imaginé l'image... qu'est-ce que, pour elle, ça évoquait. Et on trouvait que ça évoquait un peu ce qu'on ressentait. Alors, la main représente la personne en souffrance qui tend la main dans le but de s'approprier sa vie, sa mort, sa libération ou simplement sa décision. Il y a aussi... La main signifie aussi l'aide d'une tierce personne, comme un proche ou un membre du personnel médical. Avec la main, on place l'humain au centre de la question étudiée par la commission. Là, on parle de la prise de vue, et tout ça, et ce sont des aigrettes de pissenlit qui symbolisent la libération par la dispersion dans le vent. Alors, ce symbole signifie le départ dans une autre direction afin de semer quelque chose de nouveau, de marquer une nouvelle étape. Alors, c'est très poétique.

C'est ce qui avait initié le choix de cette image. Puis c'est votre opinion, vous savez. On est ici pour entendre justement des réflexions.

Je n'ai pas souvent le temps de poser des questions, mais je vais vous en poser une, parce que vous avez beaucoup parlé de Québec. Moi, je suis une fille de Québec. Là, je suis une députée de l'extérieur, là, parce que je suis déménagée il y a 25 ans en Outaouais. Mais, moi, je suis une fille de Québec. J'ai vécu la mort de mon père, qui a eu un... Je vais vous faire même un témoignage très rapide de la mort de mon père qui est décédé vraiment dramatiquement lors d'un accident de travail. Il est parti travailler le matin puis il est décédé; une mort cérébrale, dans l'après-midi. Et les gens ici, à l'Hôpital L'Enfant-Jésus, parce qu'on parle de Québec, ont donné le choix à ma mère: Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse? Parce que vous avez beaucoup fait référence aux gens qui sont dans un état végétatif. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse, madame? Est-ce qu'on lui... Est-ce qu'on fait une opération, on tente une chirurgie qui va le laisser dans un état végétatif toute sa vie ou bien on arrête les traitements et on le laisse partir? Alors, ça, c'était avant le cas de Nancy B., qui avait fait couler beaucoup d'encre ici, à Québec, et qui avait mené justement au changement au Code civil pour l'arrêt de traitement.

Je veux vous entendre à propos de l'arrêt de traitement. Qu'est-ce que, vous, vous percevez? Quelle est votre position par rapport à cette nouvelle législation qui fait force de loi depuis longtemps? Mais ça aussi, ça fait partie des sujets qu'on a débattus pendant notre commission.

M. Laflamme (Daniel): Bien, l'arrêt de traitement est un... je dirais, fait partie du débat. Entre autres, en France, on l'a comme légalisé, là. En tout cas, c'est une option qui est possible. Sauf que, moi, je me dis que, si on était il y a 200 ans, votre père... j'aurais dis: Bien là, on ne peut rien faire. Mais, quand on peut le faire, pourquoi qu'on ne le ferait pas? C'est ce que je me dis. C'est comme...

On parle de la souffrance des malades. Mais mon père, moi, puis ceux qui étaient autour de lui... moi aussi, je vais parler de mon père, il a eu des souffrances effectivement, et surtout c'était un cancer des os, mais plus que la souffrance physique... Souvent, la souffrance physique, c'est peut-être dû à un mauvais dosage de la médication. Mais la souffrance psychologique de ces gens-là est infernale, et celle aussi de leur entourage. Mais, cette souffrance-là, on n'y peut rien. Puis c'est une souffrance qui est... Les gens disent souvent... quand on fait des sondages, ils n'ont pas peur de la mort, ils ont peur de la souffrance, mais... puis ça justifierait apparemment l'euthanasie, mais ils ne diront pas ça pour un mal de dents. C'est parce que, cette souffrance-là, ils savent très bien que c'est la dernière et qu'elle mène à la mort.

**(16 h 10)**

Donc, en fait, c'est de la mort qu'ils ont peur. Mais on n'a tellement... on est tellement dans la société occidentale... Je reviens encore à ça, là, c'est mon petit côté historien, là. Mais on a beaucoup évacué ce côté-là de la mort et on en est rendu aujourd'hui à en avoir tellement peur, à la limite, qu'on fait disparaître... ou, en tous cas, possiblement, si je prends le cas de la Hollande, on favorise l'élimination de ceux qui sont très proches au lieu d'attendre que la nature joue son rôle.

Et de toute façon les personnes qui ont un cancer, à un moment donné, ils ne sont plus capables de lutter, ça fait que ça va finir, de toute façon. Mais je ne vois pas pourquoi on hâterait cette fin-là qui... dans certains cas, ils peuvent vivre pendant plusieurs mois. Et mon père a eu droit, comme bien d'autres, à ce qu'on appelle une rémission, et la rémission d'une personne cancéreuse, c'est merveilleux. On découvre... je suis un petit peu ému, là, mais on découvre beaucoup de choses, et ça nous fait redécouvrir cette personne. Alors, se priver de ça, c'est un petit peu... je dirais, c'est pire. C'est pire que tout le reste. Et puis il y a parfois des miracles qui ont été observés, entre guillemets. Ça n'arrive pas souvent, mais il y a des gens qui se rétablissent. Alors, si on euthanasie cette personne-là six mois, un an avant qu'elle décède naturellement, bien on perd tout ça. Et, je veux dire, après la mort... je veux dire, moi, je sais bien que je ferais des efforts même pour vivre une minute de plus, il n'y en aura pas après. Mais en tous cas je dis que je suis croyant, mais il faut quand même être raisonnable, là, on ne sait pas ce qu'il y a après. On ne sait pas ce qu'il y a après, puis ce n'est sûrement pas la même chose.

Donc là, on parle, même... quand même ça donnerait une semaine de plus, mais ils vont vivre, ils vont avoir le droit de vivre. Pourquoi leur enlever... Parce que ce que je crains beaucoup, c'est la pression.

Même à l'époque de mon père, là, qui... il y a 22 ans, tu avais une infirmière qui venait souvent puis qui disait: Ah, laissez-vous aller, M. Laflamme, laissez-vous aller. Il y a une énorme pression qui s'exerçait déjà il y a 25 ans. Imaginez une fois que ça va être légalisé, si jamais ça arrive. Une personne qui est tout... parce qu'ils ne sont pas nécessairement beaux à voir, là, à la fin, qui n'a plus de forces puis qui est... psychologiquement qui est diminué, puis tu as quelqu'un qui arrive à côté puis il dit: Bon, là, je pense que j'aurais quelque chose pour vous soulager définitivement, M. Laflamme... ou simplement dire: Laissez-vous aller, il va se laisser aller, je veux dire, il n'y aura pas de... il n'y a plus de ressort. Et je me dis que l'État est là pour protéger justement des gens qui sont plus faibles soit parce qu'ils sont nés plus faibles soit parce que la maladie les affaiblit... ou la vieillesse. Et l'État n'est pas là pour les enterrer, les écraser encore plus. Il devrait être là pour les défendre, surtout qu'au Québec on est dans un État qui se veut social-démocrate, quels que soient les partis confondus, puisque le système social, qu'on a, a été créé par le Parti libéral, comme vous le savez.

Donc, c'est vraiment quelque chose qui va au-delà des partis, et je me dis qu'un État social-démocrate ne devrait pas assimiler l'euthanasie à quelque chose de progressiste. Au contraire, les origines de l'euthanasie sont très réactionnaires et peuvent, même si elles sont présentées sous de beaux atours, peuvent facilement être réutilisées par d'autres personnes dans 10 ans, dans 40 ans, par un parti qui, pour des raisons économiques, pour payer un stade... je dis «un stade», pour payer... pas un stade, mais comment on appelle notre... aréna, là, multifonctionnel. Je fais des farces, mais en même temps ce n'en est pas tout à fait. Des raisons économiques peuvent primer, on ne sait pas, dans 20 ans, dans 30 ans, et on va vouloir peut-être vider complètement des... pas des asiles, ça ne se dit plus, là, mais des maisons pour retraités.

D'ailleurs, je voyais dans Le Soleil, entre autres, plusieurs articles dernièrement qui disaient: Ah, on va manquer de places dans les maisons de retraite. Que faire? Les baby-boomers s'en viennent, on va avoir de la misère. Tu sais, si on fait le lien avec l'euthanasie, bien là il pourrait peut-être y avoir une solution, dire: Ah, bien oui, on va diminuer progressivement la clientèle en les incitant à. C'est ce que je crains.

La Présidente (Mme Gaudreault): M. Laflamme, j'ai des gens qui veulent vous questionner, alors je vais tout de suite... J'ai pris du temps, là, puis vous m'avez bien répondu à ma question. Je vais passer la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, Mme la Présidente. M. Laflamme, vous portez bien votre nom de famille; M. «Laflamme».

Vous savez, vous avez cité deux personnes qui nous suivent de proche et de loin, M. Bureau et M. Leblond. M. Bureau est habituellement dans cette salle, puisqu'on est à Québec, et M. Leblond nous suit à distance, puisqu'il est un peu limité dans sa façon de se déplacer. Mais vous connaissez sûrement Mme Couture. Si vous ne la connaissez pas, elle va vous interpeller avant de sortir. Donc, sachez que les groupies des deux bords sont là. Je ne voudrais surtout pas qu'on pense que les gens qui sont pour se mobilisent. Laissez-moi vous dire que, de par les courriels que je reçois, les gens qui sont contre se mobilisent, et j'avais hâte de vous le dire. Donc, ça m'a libérée un petit peu, ça m'a fait du bien. Mais vous me transmettez de cette flamme que vous avez parce que vous parlez avec passion.

Vous avez dit: Je trouve ça drôle, parce que, quand on est croyant, quand on annonce qu'on est croyant et quand on annonce qu'on est pour ou contre, on nous affiche une couleur tout de suite. Peu de gens ont eu le courage de venir à ce micro et dire: Moi, je suis croyant. Et, à chaque fois que quelqu'un l'a fait, on l'a félicité, parce que, vous avez raison, en société maintenant, pour une raison que j'ignore, parce qu'il y a des gens qui sont très fiers de leur foi, les gens sont un peu gênés de s'afficher, et c'est malheureux parce que je pense qu'il y a des valeurs qui viennent avec nos croyances qui sont tout à votre honneur, puisque ce sont nos valeurs.

Par contre, puisqu'on est tous les deux assis dans le même salon puis qu'on se parle de nos valeurs, vous portez aussi un jugement parce que, de par une image, vous avez porté un jugement sur cette commission. Puis on va peut-être arrêter d'en parler la journée qu'on va régler la question, mais, puisque ça fait 20 ans qu'on tourne alentour du pot puis qu'on ne la règle pas, peut-être que, cette fois-ci, cette commission aura ce privilège-là, c'est-à-dire de se rendre au bout de la salive qu'elle se doit d'avoir puis de voir jusqu'où la société a le goût de nous amener dans sa réflexion. Puis c'est un peu ce que vous faites aujourd'hui, puis je vous en remercie parce que ce n'est pas toujours simple, vous l'avez dit au début de la rencontre, ce n'est pas toujours simple de s'asseoir à un micro puis dire: Voici ma position à moi.

Mais je veux vous entendre sur une seule chose, puis allez-y avec tout le coeur que vous avez. Et, moi, là, il n'y a personne qui est venu dans cette chaise-là, qui n'avait pas toute sa tête, toute sa pensée et toutes ses valeurs... me dire sa toute vérité, puis, pour certains, ça voulait dire: Quand je veux mourir, je veux avoir le choix. Puis je ne sentais pas que ces gens-là, puis je vous le dis bien honnêtement, là, je ne sentais que ces gens-là étaient déplacés, mal venus, mal intentionnés. Je pense qu'ils n'étaient même pas... Je pense qu'ils ne s'étaient pas non plus attardés au sillon que ça créait à partir du moment où on ouvrait cette petite porte. Mais ils sont venus quand même, avec toute leur fougue, avec leur expérience de vie puis avec où ils étaient rendus, pour nous dire à nous ici: Écoutez, moi, j'aimerais ça avoir le choix. Je ne vous demande pas de donner le choix à tout le monde, je vous demande de me donner le choix. Donc, si vous avez à réfléchir, pouvez-vous penser à moi? Puis, dans le fond, j'ai le goût de vous lancer ça parce que, moi, c'est ce que j'ai reçu, à quelques reprises, de pas tous les intervenants.

M. Laflamme, là, vous n'êtes pas unique en votre genre, on en a eu d'autres, des personnes qui nous ont dit non. Il y a d'autres personnes qui ont cité les nazis, les bébés, les personnes âgées et handicapées. Mais il y a des gens qui sont venus dire: Si vous aviez à choisir quelqu'un qui avait le droit, choisissez-moi parce que... Puis là je ne vous ferai pas les «parce que».

M. Laflamme (Daniel): Je suis content que vous m'en parliez. Il y a une autre participante du Réseau Dignité, je crois, qui avait dit qu'on n'est pas seul dans la société. Et je comprends les personnes et je ne suis pas... parce que, la façon dont vous le présentez, les personnes comme moi auraient tendance à être un petit peu méchantes parce qu'elles ne s'occuperaient pas de la... comment je dirais, de la peine ou de la misère de ces gens-là.

On ne fera pas une loi juste pour une personne, c'est impossible, et je ne pense pas qu'il y ait eu tant de discours, tant d'écrits, tant d'énergie dépensée dans cette commission pour une personne. Et la loi qu'on va faire, elle va nécessairement s'appliquer à beaucoup de monde et de plus en plus, si on se fie à ce qui s'est passé aux Pays-Bas. Ça va s'étendre. Alors, ce pauvre monsieur... je vais avoir l'air méchant, mais le suicide n'est pas interdit. Cette personne peut, et je ne l'encouragerais pas à le faire...

Mme Charbonneau: Je vous arrête tout de suite, là, parce que, ce discours-là, je ne suis plus capable, là. Il reste une journée et demie. Il ne peut pas. L'avez-vous vous vu, M. Leblond?

**(16 h 20)**

M. Laflamme (Daniel): M. Leblond, oui, je l'ai vu, mais à la télévision, là, O.K.?

Mme Charbonneau: Il ne peut pas, il ne peut pas, à moins d'arrêter de manger puis de boire. Ça, il peut; il serre la mâchoire puis il essaie de résister. Mais je vous arrête, pas parce que... Je veux vous rassurer sur un principe. Je ne porterai jamais de jugement: si vous êtes méchant ou pas, on parle... Vous parlez, avec votre coeur, de vos valeurs et pour ça vous n'êtes pas méchant, vous êtes quelqu'un qui donnez votre opinion. Puis, nous autres, là, on ne vous jugera pas, on va juste dire: M. Laflamme, c'est ça qu'il nous a dit.

M. Laflamme (Daniel): ...revenir encore avec l'histoire. Les lois sur l'euthanasie, dans l'Allemagne des années trente, c'est parti à partir d'un petit cas, le cas Knauer. Alors, je pense que ça dit tout. Je comprends que monsieur... C'est un enfant qui était difforme, etc. Son père avait apparemment écrit à Adolf pour lui demander que son fils soit euthanasié, ce qui fut fait bien sûr, mais ça a été ensuite étendu à l'ensemble du pays.

Alors, je comprends M. Leblond, mais je trouve que faire une loi pour lui, qui va s'appliquer ensuite à tous les gens pour le siècle qui commence, je trouve que ça serait une erreur fondamentale. Mais ce n'est pas moi qui va faire la loi, donc. Mais on ne fait pas une loi pour une personne, on la fait pour plusieurs.

Mme Charbonneau: Vous avez raison de dire que vous n'allez pas faire la loi, mais vous aurez au moins l'avantage et le privilège de dire que vous y avez participé, et ça, c'est tout à votre honneur, puisqu'à chaque fois qu'on ouvre les micros à un citoyen ce qu'on veut savoir, c'est ce qu'il pense puis ce qu'il veut. Puis ça, là, c'est un gouvernement démocratique au Québec, pas dans les nazis des années trente. Mais c'est un gouvernement qui veut entendre sa population puis c'est à ça qu'on vous a convié. Vous avez bien répondu au rendez-vous. Je vous en remercie.

M. Laflamme (Daniel): ...continuer? Est-ce que je peux continuer?

La Présidente (Mme Gaudreault): Vous allez continuer en discutant avec les gens de ce côté-ci. Je vais passer la parole à M. le député de Deux-Montagnes.

Une voix: Madame...

La Présidente (Mme Gaudreault): Non?

Une voix: J'irai après.

La Présidente (Mme Gaudreault): Deux-Montagnes. Merci.

M. Charette: Merci, Mme la Présidente. M. Laflamme, bonjour. Sans que ça fasse l'objet de ma première question, tout simplement vous dire que, dans un premier temps, j'ai eu aussi ce grand, grand plaisir d'étudier l'histoire, et ce, pendant plusieurs années, sans que je puisse pour autant me qualifier d'historien. Mais, juste vous dire, je ne me retrouve pas du tout... en toute franchise, malgré le fait que j'ai eu plaisir à vous entendre, je ne me retrouve pas du tout dans vos comparaisons par rapport à l'Allemagne nazie et je ne veux même pas vous... Je ne veux pas que ça devienne l'objet de votre réponse, là.

Je veux juste vous dire que l'objet de la commission n'est en rien comparable, mais en rien comparable avec les situations qui ont pu prévaloir du temps de l'Allemagne nazie, n'est en rien comparable avec les procédés d'extermination qui ont eu cours pendant un certain nombre d'années sous le régime d'Hitler. Petite...

Une voix: ...

M. Charette: Vous avez largement commenté ou exprimé votre point de vue là-dessus. C'était ma réponse, en quelque sorte. Il n'y a pas de comparaison possible avec ce qui s'est...

M. Laflamme (Daniel): ...en préambule, quand vous avez...

M. Charette: Vous ne m'avez pas convaincu avec l'explication que vous avez donnée tout à l'heure, par contre. Mais c'est...

M. Laflamme (Daniel): ...

La Présidente (Mme Gaudreault): M. Laflamme, laissez M. le député de Deux-Montagnes terminer sa question. Vous aurez tout le temps nécessaire pour y répondre.

M. Charette: Et, comme je vous ai mentionné, ce n'est pas l'objet de ma question.

C'est uniquement en introduction que je tenais à le faire, parce que par moments les arguments amenés, quoique c'est tout à fait légitime d'évoquer un point de vue, outrepassent largement non seulement le mandat de la commission, mais ne s'en rapprochent pas du tout. Et, lorsqu'on évoque l'Allemagne nazie, on ne se rapproche même pas, mais pas du tout, de l'esprit de la commission.

Mais ce n'est pas l'objet de la question. Ce que je voulais vous demander, c'était plutôt une comparaison avec la Colombie-Britannique. Vous avez mentionné le cas de la Hollande, de la Belgique. Vous avez mentionné que c'étaient les seuls pays démocratiques ou sinon occidentaux qui avaient permis une certaine libéralisation sur ces questions-là. Il y a un autre exemple qui est beaucoup plus près de nous, qui est moins cité, c'est celui de la Colombie-Britannique, qui, il y a une quinzaine d'années, a convenu non pas de décriminaliser, non pas de légaliser l'euthanasie ni le suicide assisté, mais a convenu de déterminer un certain nombre de balises extrêmement précises qui font en sorte que, dans tel ou tel cas, lorsqu'un certain nombre de critères sont rencontrés, on ne poursuivait pas le médecin traitant qui avait accompagné le patient dans la mort.

Est-ce que, suite à cette expérience, qui date depuis une quinzaine d'années, vous avez eu écho de dérapages majeurs? Est-ce que vous étiez au fait de cette situation-là? Et est-ce que depuis vous avez eu écho de dérapages qui auraient pu alimenter, là, les craintes que vous nous exprimez, de façon très, très légitime, j'insiste, mais qui ont été quand même exprimées de façon assez convaincante ou, à tout le moins, avec beaucoup, beaucoup de ferveur cet après-midi?

M. Laflamme (Daniel): Je vais répondre. Premièrement, en préambule de ce que vous m'avez dit, je n'ai pas apprécié la référence très subtile à mes qualifications. Vous dites que vous avez étudié en histoire et vous dites que vous n'avez pas la prétention de vous proclamer historien. Moi, j'ai plus qu'étudié, j'ai un bac et une maîtrise en histoire. Alors, je vous demanderais peut-être de nuancer ce que vous avez dit. Je n'ai pas apprécié. C'est une façon de réduire l'opinion d'une autre personne en l'attaquant sur ses qualifications.

Deuxièmement, j'ai parlé de pays tout à l'heure. La Colombie-Britannique n'est pas un pays, je m'excuse, mais peut-être qu'ils le voudraient. Mais ils ne le sont pas. Je suis au courant du cas de Mme Rodriguez. C'était il y a une quinzaine d'années effectivement, mais il y a eu un long débat juridique à ce niveau.

Malheureusement, je n'ai pas étudié le cas particulier de la Colombie-Britannique et je ne le sais pas, s'il y a des dérapages, mais, moi, je considère que le premier pays à avoir, depuis l'Allemagne des années trente, à avoir légalisé l'euthanasie est peut-être un élément plus important que... même si la Colombie-Britannique est aussi loin en fait du Québec que la Hollande. Ça fait que, si on regarde en termes de distance, il n'y a pas une grosse différence. Ça fait que, non, je ne connais pas le cas particulier, la suite de... Mais il y a, si je me souviens certaines lectures, il y a aussi des critiques à ce niveau-là en Colombie-Britannique. Ça fait que... Voilà.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, maintenant, je vais passer la parole à Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, Mme la Présidente. Merci, monsieur, de votre contribution. D'entrée de jeu, à votre mémoire, vous utilisez fréquemment le terme «indécent» ou «indécence» et vous dites que... vous en entachez, à mon avis, le mandat de cette commission.

Moi, je vais vous poser une question très claire. L'objectif de la commission a été de rendre accessible ce débat qui se passait au-dessus de la tête des citoyens et des citoyennes par des groupes de pression ou par médias interposés. Nous avons voulu, comme députés de cette Assemblée nationale, par une décision unanime de l'Assemblée nationale, amener ce débat-là auprès des citoyens et des citoyennes pour entendre le point de vue de ces gens-là. Vous pouvez mettre en doute les objectifs des commissaires autour de cette table, mais personne ne m'amènera à dire que c'est d'un point de vue économique ou de façon utilitaire qu'on utilise cette commission. Plus de 6 000 personnes ont répondu au questionnaire, on a eu plus de 300 mémoires, et il n'y a jamais personne qui est venu ici témoigner qui a été mal reçu. On a eu de l'ouverture, tout au long, de rendre accessible ce dialogue avec la population sans avoir d'idée préconçue sur les conclusions de cette commission.

Est-ce qu'il y aura une loi? Est-ce qu'il n'y en aura pas? Est-ce qu'il y aura un règlement? Est-ce qu'il n'y en aura pas? Est-ce qu'il y aura une politique? Est-ce qu'il n'y en aura pas? Est-ce qu'il y aura un rapport? C'est la seule chose qu'on sait: il y aura un rapport. Le contenu de ce rapport-là, on aura à l'écrire quand on aura fini les consultations.

Et, moi, je pense que c'est très important pour la population de se rendre compte que ses représentants dans un gouvernement ont le pouvoir et le devoir d'aller les voir, d'aller les rencontrer et de débattre avec eux sur ces enjeux de société. Et je pense que, quand vous nous donnez un travers en le qualifiant d'indécent, moi, personnellement, ça me fait réagir, et j'imagine que tous mes collègues sont comme moi, dans le sens où on donne de notre temps. Bien oui, on est payés pour, on a un salaire de député, mais on donne de notre temps, en sus du travail qu'on a à faire dans nos comtés, au gouvernement du Québec pour faire en sorte que la population...

Et je vous dirai qu'on a aussi des histoires personnelles avec la mort, avec nos familles, avec nos amis et que souvent les émotions sont au rendez-vous comme elles peuvent être au rendez-vous pour vous comme pour d'autres qui sont venus témoigner. Mais, je peux vous assurer d'une chose, c'est en termes de loyauté à l'égard de la population du Québec que cette commission a été mise en place pour leur donner prise sur ce débat qui passait au-dessus de leurs têtes.

Et, moi, je vais vous demander: Comment vous voyez un débat sur une question de cette nature, qui revient de façon récurrente depuis 25 ans, si on n'a pas la responsabilité et le devoir, comme parlementaires, de le ramener auprès de la population?

**(16 h 30)**

M. Laflamme (Daniel): Premièrement, vous me parlez d'économie. Vous sembliez être insultée par... que j'aurais laissé entendre que vous voudriez faire des économies.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Dérangée.

M. Laflamme (Daniel): Je parlais de possibilité d'utilisation de cette loi, qui n'est pas encore existante, dans le futur. Ce n'est pas nécessairement vous. J'ai même précisé que Mme Hivon avait un très beau sourire et qu'elle pouvait présenter ça avec... ce serait très bien, bon, mais ce que... vous ne serez pas toujours là. Puis ça peut s'étendre. Ça dépend de qui va la reprendre, qui va le réutiliser. Ensuite, c'était quoi, donc, la question?

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Le débat avec la population.

M. Laflamme (Daniel): Moi, je dirais qu'il y a beaucoup de débats dans la société. Pourquoi avoir pris celui-là? Pourquoi ne pas avoir fait, je ne sais pas, une commission sur la dignité de vivre, par exemple? Il y a des gens qui, même à Québec, sont pauvres, qui ont de la misère à arriver, puis ce n'est pas nécessairement ce que j'appellerais une dignité non plus, et on n'en fait pas, de débat là-dessus. On n'en fait pas, de débat, ici, en tout cas.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Je vais simplement faire un commentaire pour la fin.

Pourquoi faire un débat avec la population? Parce que ça concerne tout le monde, de près ou de loin, dans nos familles, près de nos amis, nos enfants, nos petits-enfants. Je suis une grand-mère, une mère. Mes parents sont décédés. Mon frère, ma soeur plus jeunes que moi sont décédés. Les relations avec la mort, on a eu à les vivre, puis avec une qualité de vie aussi à la fin de la vie.

M. Laflamme (Daniel): C'est quoi, la qualité?

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...et, moi, comme d'autres, ça nous interpelle...

M. Laflamme (Daniel): Mais c'est quoi?

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...et je pense que c'est tout le monde qui est aux prises avec des questions autour de ça, et c'est important qu'on puisse s'en parler.

M. Laflamme (Daniel): Il n'y aura pas de fin. La qualité, ça dépend de chaque personne, comment qu'elle l'évalue. Ça ne finira plus. Vous ne pourrez pas placer un garde-fou à ça. Une personne va dire: Moi, ça me prend mon café le matin, c'est ça, ma qualité de vie. Une fois que je ne l'ai plus puis que je suis malade, là, bien ça ne vaut plus la peine, tu sais, ou... Là, j'exagère, mais c'est des...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...ça se compare avec la vie.

M. Laflamme (Daniel): Mais c'est les choses qui sont comme ça. Les gens vont évaluer la qualité de vie selon leurs perceptions à eux. Et il faudrait les euthanasier, selon ce qu'eux pensent? Non. Moi, je trouve qu'il n'y aura pas de fin à ça. Je l'ai exprimé tout à l'heure et je le redis.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, monsieur...

M. Laflamme (Daniel): Et je n'aime pas... en tout cas, je peux bien dire... je n'aime pas tellement l'attitude d'attaque qui est... qui a été le cas de madame... M. Charette et de madame... je ne sais pas...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Ce n'est pas une attitude d'attaque. On a droit aussi d'avoir des points de vue puis de vous les présenter...

M. Laflamme (Daniel): Oui. Mais, moi, je ne vous ai pas attaquée personnellement...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...puis d'aller chercher votre point de vue sur les questions.

M. Laflamme (Daniel): ...j'ai parlé d'indécence de la commission, bon.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): C'est ça, mais on est là.

M. Laflamme (Daniel): Oui. Mais ce n'est pas vous personnellement. Mais là je suis obligé de vous répondre personnellement, puisque que vous m'attaquez personnellement. Moi, je ne suis pas caché derrière une commission. Je me présente ici en tant qu'individu, alors c'est sûr que c'est moi qui...

La Présidente (Mme Gaudreault): ...

M. Laflamme (Daniel): Oui.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, vous comprendrez que les échanges de cet après-midi font la démonstration que c'est un sujet qui est très émotif et pour les membres de la commission et pour les personnes qui viennent présenter leurs opinions et le fruit de leurs réflexions.

Je veux juste, M. Laflamme, vous rappeler, on a eu à le faire presque dans toutes les villes, le pourquoi de la tenue de cette commission. Je ne sais pas si vous avez exploré aussi l'historique de la mise en place de cette commission. C'était suite à une demande des membres du Collège des médecins qui, devant le vieillissement de la population, les avancées pharmacologiques, vous savez, tous les enjeux de la médecine d'aujourd'hui, nous ont demandé d'explorer la fin de la vie pas seulement par l'entremise de l'euthanasie et du suicide assisté, mais le déploiement des soins palliatifs, l'acharnement thérapeutique, comme j'ai parlé tout à l'heure, l'arrêt de traitement font aussi partie du mandat de la commission et puis que ces sujets-là ont aussi été explorés par bon nombre de mémoires qui nous ont été présentés.

Alors, c'est peut-être une perception que vous avez, M. Laflamme, que c'est un mandat ou un agenda cachés dans notre commission, là, des considérations financières futures dans le ministère de la Santé. Il y a d'autres personnes que vous qui ont eu cette perception-là. Ce n'est pas le cas. On veut vraiment explorer la question du mourir au Québec, le mourir à la maison, mourir dans une maison de soins palliatifs, à l'hôpital, et ça, ça implique toujours les médecins, et ce sont eux qui ont initié vraiment la première...

Une voix: ...

La Présidente (Mme Gaudreault): Ah, ils ont été là tout au long de cette commission. On a rencontré plus de 400 personnes.

M. Laflamme (Daniel): ...c'est eux les principaux bénéficiaires si jamais vous... il y a la loi... auxquels je pense, qui est votée.

La Présidente (Mme Gaudreault): Mais, M. Laflamme, vous avez votre perception des résultats et des conséquences de cette commission.

Il ne nous reste que quelques minutes, et vous avez beaucoup... Vous n'avez plus d'intervention de ce côté-ci?

Une voix: ...

La Présidente (Mme Gaudreault): Je sais que Mme la députée de Joliette voulait peut-être initier peut-être un petit échange avec vous, M. Laflamme.

Mme Hivon: Non. Moi, je veux juste vous dire, M. Laflamme, qu'il y a eu des réactions importantes aujourd'hui, mais, moi, je trouve ça sain et je trouve que...

C'est certain que, nous, on a mis beaucoup d'énergie dans cette commission-là. On pense que c'est important de discuter des choses. On pense que c'est mieux de le faire dans un contexte où tout le monde peut s'exprimer que par médias interposés ou que ce soit juste certains groupes comme le Collège des médecins, parce que le Collège des médecins avait déposé un rapport important... ou certains organismes ou certaines personnes comme M. Leblond qui, comme vous le dites, a effectivement une tribune. Donc, justement, on pensait que c'était important de donner l'ouverture à ce que tout le monde puisse venir.

Et aujourd'hui c'est certain que vous nous confrontez. Vous vous en êtes rendu compte. Et pourquoi? Parce que les intentions que vous nous prêtez ou que vous prêtez à l'avenir ne sont pas du tout les nôtres. Et, je vous l'affirme et je ne veux pas vous en convaincre, visiblement, vous avez votre opinion, et c'est la vôtre. Mais c'est évident que, nous, comme parlementaires, nous sommes aussi des personnes, puis on s'investit dans ce qu'on fait. Et c'est important pour nous de vous partager, dans ce contexte-là, ce qui nous anime puis pourquoi on a fait ça. Et aussi confrontantes... Moi, j'estime qu'aussi confrontantes que les prises de position peuvent être, et la vôtre en a été une parce que vous remettez vraiment en question, et de manière très, très fondamentale, le but de la commission, vous associez ça à l'ère nazie, donc c'est évident que vous allez comprendre que ça a une charge assez forte, je pense, vous allez en convenir. Et, moi, je pense qu'en société on est capables de débattre de tout et je pense que votre présence aujourd'hui ici le démontre.

On accueille toutes les opinions, y compris les opinions qui sont très confrontantes pour le travail même dans lequel on s'investit, parce que c'est votre opinion, et puis je pense que votre présence ici en témoigne. Donc, je voulais vous dire ça puis je voulais dire aussi une petite chose. Si je souris trop, j'en suis désolée, c'est un de mes traits. Mais, quand vous dites que je veux juste... Une petite chose, là, sur les études, puis les balises, puis les dérapages. Moi, je dois vous dire que ça me préoccupe beaucoup. Et, à chaque fois qu'il y a eu des experts qui sont venus ou des gens, j'ai demandé les études, on a accumulé les études, puis tout ça. Le fait est que je trouve ça important de dire que ces études-là... Il y a toute sorte de monde qui nous apportent des études et qui semblent vouloir leur faire dire toutes sortes de choses. Je ne suis pas en train de dire lesquelles sont bonnes, pas bonnes, ce qu'elles disent pour de vrai. On va regarder tout ça. Je l'ai dit ce matin, je le redis. Mais, quand j'ai dit... je ne crois pas avoir dit que c'était faux quand vous dites que j'aurais interprété, mais je crois avoir dit que certains nous avaient amené l'argument que des personnes quittaient... et que d'autres nous avaient dit que c'était faux.

Et, nous, vous comprenez, il faut comme essayer de faire la part des choses avec les gens des deux côtés, et c'est une tâche très importante, et je veux juste vous assurer qu'on la prend très au sérieux.

Une voix: ...

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, il ne me reste qu'à vous remercier, M. Laflamme, d'avoir contribué à ce débat, puisque c'est ça, l'objectif ultime de la commission, de pouvoir permettre au plus grand nombre de s'exprimer.

Alors, je vais suspendre les travaux pour permettre à M. Pierre Gagné de s'avancer ici, devant la commission.

(Suspension de la séance à 16 h 39)

 

(Reprise à 16 h 40)

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons maintenant accueillir M. Pierre Gagné. Alors, M. Gagné, bienvenue à vous. Vous avez demandé à intervenir. Vous avez déposé un mémoire. Alors, vous avez une période de 15 minutes pour présenter votre opinion, votre réflexion. Ce sera suivi d'une période de questions de 30 minutes.

M. Pierre Gagné

M. Gagné (Pierre): Merci.

La Présidente (Mme Gaudreault): La parole est à vous.

M. Gagné (Pierre): Merci beaucoup. Alors, Mme la Présidente, messieurs mesdames les députés, bonjour et merci de m'accueillir. J'aurais le goût de vous dire, dans un premier temps, même si je suis extrêmement nerveux: Je ne voudrais pas être à votre place, sincèrement, sincèrement, parce que c'est tout un mandat qu'on vous a confié.

Vous savez, Camus disait: Le seul et unique... Dans L'Étranger, je pense, il disait: Le seul et unique problème philosophique, c'est le problème du suicide. C'est des grosses pointures qu'on a à chausser aujourd'hui, spécialement pour vous. Alors, je veux vous partager mes réflexions avec bonheur, et puis voilà.

Alors, c'est à titre de citoyen et père de famille préoccupé par le type de société qui se destine pour nos enfants parce que, d'abord et avant tout, je tiens à vous dire que je suis père de famille, et c'est, d'abord et avant tout, comme père de famille que je viens déposer ce mémoire, alors donc pour nos enfants... que je dépose ce mémoire à la commission Mourir dans la dignité. C'est également à titre de baptisé dans la foi du Christ et laïque mandaté dans l'Église catholique de Québec que je dépose ce mémoire, mais c'est d'abord et avant tout comme papa.

Je dépose également ce mémoire pour soumettre à votre attention un certain nombre de réflexions qui sont essentielles et qui aident à prendre du recul dans un débat qui parfois, je n'ai pas à vous le rappeler, devient très émotif. La vie est un don précieux. Oui, cette dernière nous réserve de douloureuses surprises et une succession de deuils qu'il importe d'apprivoiser. La vie est souvent cruelle, diront même certains, mais, comme le dit le philosophe, apprendre à vivre, c'est apprendre également à mourir. L'être humain, disait Aristote, est un animal politique, «zôon politikon», un être qui a besoin des autres pour développer ses potentialités. L'amitié est d'ailleurs développée avec force et emphase afin de nous faire comprendre comment la relation entre nos semblables est si importante dans la vie.

J'ai lu attentivement le document de la commission... en fait, le document qui a paru le 28 mai dernier, si ma mémoire est fidèle, avec attention afin de justement... d'éclairer notre réflexion sur la question Mourir dans la dignité. Et, sans vouloir faire de peine, et, s'il vous plaît, ne le prenez pas personnel, je suis resté quand même un tantinet perplexe. Je remarque également, à la lecture du document qui a été produit le... qui est sorti le 28 mai dernier, qu'à l'instar du premier titre de la commission, vous vous souvenez, Droit de mourir dans la dignité, qui fut heureusement modifié, la mouture 2.0 ne s'est débarrassée, à mon sens, pas suffisamment de certaines ambiguïtés. Disons-le comme ça.

Sans remettre en cause le sérieux de la démarche entreprise, je vous avoue mon inquiétude de voir la commission demander le dépôt des mémoires en pleine période estivale. Voulez-vous vraiment une participation des citoyens? Je pense que vous l'avez eue. Je pense que, de mémoire, on pourra... vous pourrez me corriger si je me trompe, la commission Mourir dans la dignité a reçu une participation, et j'en suis très heureux... une immense participation, je pense, des mémoires déposés, sans précédent.

Accompagner jusqu'au bout. La dimension essentielle de l'accompagnement via les soins palliatifs, entre autres, est, de l'aveu même du président de la commission, à peine effleurée. Ça a été ma première surprise. Je vous réitère encore une fois ma surprise, car l'accompagnement fait partie du mourir dans la dignité. Vous avez dû l'entendre à satiété durant les derniers mois. Nous tenons aussi à... Alors, je cite les paroles justement de M. Kelley dans l'introduction, qui nous disait: Nous tenons aussi à souligner le dévouement des personnes qui accompagnent les patients en soins palliatifs jusqu'à leur dernier souffle, un univers que nous avons effleuré. Cette réalité-là a été effleurée au cours des auditions de l'hiver dernier.

Alors, ça, ça m'a vraiment, un petit peu, surpris parce que, pour moi, c'était quelque chose de fondamental qui aurait dû être abordé et qui aurait dû transparaître dans le document du 28 mai dernier.

Cet aveu est fort préoccupant compte tenu de la demande et surtout de la démographie actuelle. Hier soir, j'étais... j'ai prononcé une conférence devant des étudiants en médecine à l'Université Laval et puis je leur disais: Fermons-nous les yeux un instant, imaginons la pyramide des âges actuellement et la cohorte de boomers qui vont se bousculer aux portillons des CHSLD, des hôpitaux, des maisons de fin de vie. Actuellement, à peine 20 %, et je ne vous apprends rien, là, hein, je n'ai pas la prétention de vous apprendre quoi que ce soit aujourd'hui, à peine 20 % des gens bénéficient d'une maison de soins palliatifs, je pourrais... à Michel Sarrazin, qu'on connaît bien, ou un département de soins palliatifs qu'on retrouve... Écoutez, il y a des... ça défraie... c'est tellement rare que ça défraie la manchettes dans les médias lorsqu'il y a une aile en soins palliatifs qui ouvre. Alors, c'est quand même assez préoccupant. Et je trouvais ça dommage qu'on n'aborde pas cet aspect-là. Comme elle se rend... Comme il serait donc important de bonifier substantiellement l'offre à ce niveau et non seulement souligner le travail, ce que M. Kelley a fait de façon très, très intéressante, mais il serait plus intéressant justement d'au lieu de souligner le travail de ces gens-là travailler dans cette direction-là et bonifier l'offre au niveau des soins palliatifs plutôt que de réfléchir.

Et je ne doute pas de votre capacité réflexive, hein, ça, réfléchir sur l'encadrement ou la dépénalisation ou le fait de dire: Nous pourrons peut-être nous inspirer de la Colombie-Britannique qui ne dépose pas de poursuite selon certaines balises.

Je souhaite attirer votre attention ici sur un certain nombre d'éléments qui m'apparaissent capitaux afin de bien saisir les enjeux d'une si importante question.

Déni de la mort dans les sociétés de l'opulence. La faiblesse principale du document de mai dernier réside, à mon point de vue, en le peu de recul historique par rapport à la mort et à ses topiques environnantes. C'est avec une certaine préoccupation que je constate que, face aux questions de société complexes, nous sommes souvent tentés de nous tourner vers des solutions simplistes qui occultent des dimensions essentielles de la vie en société. Par exemple, lorsque l'on se donne la peine de remettre la mort en perspective historique et faire un grand pas... et même trois, quatre, cinq pas en arrière, on remarque rapidement que cette dernière, la mort, est fortement niée dans nos sociétés industrielles. J'aurais même le goût de dire, avec une pointe d'ironie: C'est nos bibittes occidentales, parce que, dans plusieurs parties du monde, on ne se pose même pas la question. Ça ne veut pas dire que la mort est vécue nécessairement avec dignité, on s'entend?

Notre maîtrise de plus en plus grande sur le vivant nous pousse maintenant à vouloir définir les standards du vivre et du mourir, et ce, même en ce qui concerne l'être humain. De telles façons de voir la vie nous inscrivent dans une éthique du contrôle, par définition, violente qui se retourne souvent vers ceux mêmes qui l'édictent. Même si cela part d'une bonne intention, il importe d'y voir tout de même une perte de sens de ce qui est véritablement vivre ensemble.

**(16 h 50)**

Je remarque également que le débat entourant l'euthanasie et le suicide assisté... je remarque une propension à tomber rapidement dans la casuistique, les cas particuliers. Et je tiens à vous dire que les cas particuliers sont des cas évidemment réels, mais c'est très dangereux, à mon point de vue, de partir de cas particuliers qui sont dramatiques, qui, moi, me bouleversent. J'ai vu M. Leblond à Tout le monde en parle et j'ai été bouleversé moi-même. Mais c'est un danger de partir de cas particuliers et ensuite, à partir de ces cas particuliers, de donner la norme universelle ensuite, alors donc, à partir de cas particuliers, à partir de ce qui émeut au plus haut point, de ce qui trouble, de ce qui fait peur.

Et j'aurais le goût de vous dire une chose: Vous avez eu des réactions assez sanguines aujourd'hui, oui, c'est vrai, mais, il faut comprendre une chose, tout le monde ici a peur. Tout le monde ici a peur. C'est ce qui explique en partie, d'une certaine façon, qu'on peut réagir de façon, parfois, personnelle, parfois très punchée, passez-moi l'expression. Mais c'est souvent motivé par la peur, évidemment, alors, ce qui fait peur, ce qui est dramatique. On tente de rendre légitimes de nouvelles normes morales et juridiques pour l'ensemble de la société. À partir de cas particuliers, on édicte la norme universelle. J'aurais le goût de vous dire: Erreur, alors, peut-être de porter attention là-dessus. En éthique, aborder une problématique à partir de telles prémisses est gravement erroné et préjudiciable sur l'ensemble de la démarche et sur les résultats et les conséquences, à moyen et long terme, sur les individus et la société. Une vieille maxime, qui s'explique très bien dans le contexte actuel, nous dit qu'une petite erreur au début peut devenir grosse à la fin.

Oui, les défis sont colossaux. Dans un contexte où l'autonomie des personnes est dans nos sociétés un nouveau dogme, tout un chacun actuellement semble être devenu sa propre norme... la racine grecque d'«autonomie», hein, «autonomos», devenir sa propre norme. C'est pourquoi, et j'insiste encore sur ce point, il importe de prendre le recul nécessaire qui nous permettra de s'extraire de notre ici et maintenant narcissique pour être en mesure de poser un regard plus objectif face à nos préoccupations communes et de société.

Voici donc quelques éléments qui, je crois, méritent d'être considérés afin d'éviter les lieux communs du prêt-à-penser et du prêt-à-agir.

Dignité humaine et reconnaissance de l'autre. La dignité humaine est tellement davantage qu'un corps... La personne... pardon, la personne humaine est tellement davantage qu'un corps. Dans les prochains mois... alors, dans les mois qui viennent de s'écouler et dans les prochains mois, la réflexion sur l'euthanasie et le suicide assisté nous imposera à réfléchir sur des enjeux qui redéfiniront de façon significative notre vie en société. Dans ces quelques lignes, je vous propose une amorce, c'est vraiment une amorce, quant à l'importance des mots. Le malheur dans le questionnement sur l'euthanasie et le suicide assisté est justement la perte du sens des mots. Comme le disait André Gide déjà, en 1952, ce n'est pas d'hier: Noblesse, dignité, grandeur, compassion, liberté, amour, on hésite, disait André Gide, à les utiliser tellement on abuse d'eux. C'est pourquoi il est loin d'être accessoire d'esquisser une réflexion en profondeur en s'inspirant de traditions millénaires fort éclairantes.

Ce que l'on remarque et ce qui frappe par rapport à la dignité humaine, c'est qu'on la célèbre depuis des siècles et qu'elle est liée directement à la fragilité de la condition humaine. Aujourd'hui, pour beaucoup, la façon de concevoir la dignité humaine est directement liée à nos facultés biologiques. Nous sommes face souvent à une définition scientiste de la dignité humaine, alors voilà... vision fort réductrice de la personne humaine mais, malheureusement, très répandue.

Dès que nos forces physiques et intellectuelles commencent à nous quitter, notre dignité fait de même, selon cette vision, selon cette conception. Pourtant, il n'en est rien. C'est même souvent le contraire, comme justement monsieur qui m'a... le premier qui a ouvert la session d'aujourd'hui est venu en témoigner avec énormément d'éloquence. Il est important d'avoir à l'esprit qu'il a toujours été reconnu que quelque chose est dû, et c'est Paul Ricoeur qui le dit, quelque chose est dû à l'être humain du seul fait qu'il est humain.

Une telle définition nous dégage donc de toute contingence biologique mais est directement liée à notre statut d'être humain. Les pages les plus belles de la tradition humaine sont fort réconfortantes à cet égard, et je crois qu'il faut s'en inspirer en regard à la dignité humaine.

La reconnaissance, dans les traditions autres que la tradition occidentale, la reconnaissance que l'on accorde aux plus démunis... la place centrale de la mansuétude et du respect à l'égard des pauvres est sans équivoque. Les enfants, les vieillards, les pauvres et les malades sont les seigneurs de l'atmosphère, disons-nous, dans la tradition indienne. La sagesse chinoise met au premier rang la capacité de conforter les autres. Et l'islam fait état des devoirs envers les orphelins, les pauvres, les voyageurs, les sans-logis, les nécessiteux et ceux qui sont réduits à l'esclavage. Ce sont toutes des formes de dignité humaine. Et la tradition chrétienne fait du pauvre, on l'a dit il n'y a pas tellement longtemps, dans son sens le plus large, son option préférentielle. La parabole du bon Samaritain est éloquente à cet égard.

Besoin de reconnaissance et souci de l'autre. Dans la vie, tout le monde a besoin d'être reconnu non pas pour ce qu'il a, non pas pour ce qu'il fait, mais en premier lieu pour ce qu'il est. On se définit souvent, vous savez, par l'avoir, par le faire, mais on ne se définit pas souvent par l'être. On aurait peut-être avantage à le faire davantage, à le faire un petit peu plus. Et je m'invite le premier à le faire. Qui n'a pas, un jour ou l'autre, été blessé de ne pas avoir suffisamment de reconnaissance? Je suis certain qu'à l'instant même plein d'images ou d'expériences douloureuses vous viennent à l'esprit.

Les personnes malades et lourdement handicapées ont besoin de toute notre reconnaissance.

La Présidente (Mme Gaudreault): M. Gagné, je vais devoir vous demander de poursuivre, là, puis d'accélérer un peu. On est déjà rendus à 17 minutes.

M. Gagné (Pierre): Vous n'êtes pas sérieuse!

La Présidente (Mme Gaudreault): Oui.

M. Gagné (Pierre): Tempus fugit.

La Présidente (Mme Gaudreault): Le temps passe si vite en bonne compagnie.

M. Gagné (Pierre): Tempus fugit. Bien, écoutez...

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, si vous voulez...

M. Gagné (Pierre): Écoutez, bien...

La Présidente (Mme Gaudreault): ...pouvoir conclure, puis on pourra poursuivre...

M. Gagné (Pierre): Mais ce n'est pas grave, il y a une belle période de questions qui s'en vient.

La Présidente (Mme Gaudreault): C'est ça. Exactement.

M. Gagné (Pierre): Ce n'est pas grave. Ce n'est pas grave. Bien, écoutez, ce que je voulais vous dire, c'est: Justement, le désir de reconnaissance... On est très bons dans la capacité de se reconnaître soi-même comme individu qui s'autodétermine, mais porter le regard sur les autres, c'est un petit peu plus de travail.

Alors, c'est toute... c'est une question qui est éminemment sociale, la question de l'euthanasie et de l'aide au suicide. Et puis, le désir de reconnaissance, qui est un terme... qui est un thème capital, qui est justement lié à la dignité humaine, je trouvais important de vous en parler, mais, je le savais, je fais toujours ça, je déborde tout le temps. Ça, c'est... Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, là. Mais c'est parfait.

Alors, si vous avez des questions, ça va me faire plaisir d'y répondre.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, merci de votre indulgence. Alors, je vais tout de suite céder la parole à M. le député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Chevarie: Merci, Mme la Présidente. J'ai deux commentaires puis une petite question. D'abord, bienvenue. Merci pour votre contribution à cette commission. J'imagine que c'est votre famille à l'arrière. Alors, je salue aussi vos enfants et votre conjointe.

Vous avez parlé du fait de la demande de consultation de la commission puis de présenter des mémoires. Vous avez même évoqué que c'est une excellente participation, effectivement. Vous avez mentionné qu'au-delà du fait qu'on a sollicité les mémoires au cours de l'été... j'interprète vos propos, que cette commission, cette grande réflexion sur cette question délicate, avait tout à fait sa raison d'exister et que c'est un signe de maturité d'une société de pouvoir adresser cette question-là. C'est une question qui suscite beaucoup d'émotions puis de délicatesse également parce que ça interpelle nos valeurs.

L'autre propos, c'est concernant le vieillissement, puis vous pourrez commenter mes deux commentaires, le vieillissement de la population puis les fortes demandes vers l'admission dans les centres d'hébergement, de soins et de longue durée.

Ce que j'aimerais vous souligner, c'est que, de plus en plus, il y a un changement de perception sur le vieillissement. Et c'est de moins en moins considéré comme un fardeau pour une société. Au contraire, on commence à changer un peu la vision, l'approche en considérant que les personnes qui prennent de l'âge, c'est un apport économique extrêmement important et une contribution à la société et extrêmement importante, et d'autant plus qu'il faut considérer un autre facteur: l'espérance de vie effectivement est plus longue. Et ça, c'est extrêmement intéressant, mais la qualité de vie aussi augmente, et ça, c'est, si on le compare avec les années, je vous mentionnerais, là, soixante-dix, quatre-vingt... Et j'ai fait mon expérience professionnelle dans le réseau de la santé et des services sociaux, et les demandes d'admission reçues aux établissements étaient pour des personnes souvent beaucoup plus jeunes et en plus grande autonomie, alors que présentement, avec les critères d'admission, on accueille, en centre d'hébergement, des personnes avec une plus grande perte d'autonomie.

Et c'est pour ça. Puis là je ne dis pas qu'on ne doit pas augmenter le nombre de places ou quoi que ce soit. Mais c'est pour ça qu'on réussit en général à répondre à la demande en centre d'hébergement, parce qu'il y a plus de soins à domicile, il y a plus de services dans la communauté, il y a même, aussi, des ressources dans la communauté qui accueillent des personnes en perte d'autonomie.

Je viens à ma question. C'est la question suivante, qui concerne la Loi sur les services santé et les services sociaux, où on permet le refus de traitement et également l'arrêt de traitement, et même si on peut considérer qu'une décision comme celle-là de la personne de refuser un traitement ou encore de cesser un traitement, ça peut provoquer une mort plus rapide. Quelle est votre position par rapport à ces deux possibilités-là dans le continuum de soins et la possibilité qu'il y aurait une assistance médicale?

**(17 heures)**

M. Gagné (Pierre): J'ai bien compris votre question. Oui, il n'y a pas de problème.

M. Chevarie: Je vous laisse aller.

M. Gagné (Pierre): Bien, ce que j'aurais le goût de vous dire par rapport au refus et à l'arrêt de traitement... J'ai parlé, tout à l'heure, dans mon mémoire, de l'autonomie, mais ça en fait partie, ça, de l'autonomie, d'être capable de juger selon les critères qui sont les nôtres, de dire: Écoutez, je vais refuser ce traitement-là pour telle et telle raison et je vais aussi... je vais vous demander... je vais demander à l'équipe soignante d'arrêter tel ou tel traitement.

Alors, il y a eu énormément de confusion dans les termes, puis c'est justement ce qu'il faut... Ce qu'il faut faire aujourd'hui, c'est... entre refus et arrêt de traitement... on ne parle pas d'euthanasie, là, mais je pense qu'on parle de la capacité d'une personne de s'autodéterminer et de déterminer justement du moment... pas du moment de sa mort, mais les conditions qui vont l'amener justement envers une fin de vie.

Alors, moi, je n'ai aucun problème avec le refus de traitement ou l'arrêt de traitement, ça fait partie de l'autonomie même des personnes, qui fait justement également partie de la dignité humaine. Alors, moi, je n'ai aucun problème avec ça. Peut-être le seul bémol que j'ai, c'est avec l'expression «qualité de vie». Je vais vous avouer bien honnêtement, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, lorsque je me suis dit: Je suis nerveux, mais je ne voudrais pas être à votre place, je ne voudrais pas être non plus la personne qui tire la ligne entre qu'est-ce qu'une vie de qualité et qu'est-ce qui est une vie qui ne mérite plus le qualificatif de qualité. Vous savez, hein, les mots sont excessivement importants, excessivement. Je n'insisterai jamais là-dessus. Puis vous en avez eu un solide gaillard en face de vous la semaine passée, Thomas De Koninck. Les catégories, les mots, ça pèse très lourd.

Alors, l'expression «qualité de vie», à mon sens à moi, elle est très, très, très périlleuse, comprenez-vous?, comme l'expression «végétatif» aussi... «neurovégétatif». Depuis quand un être humain peut-il être qualifié de légume?

C'est malheureusement des expressions qu'on emploie sans trop y penser, mais qui ont... qui mettent une pression énorme sur les personnes... énorme, alors.

Et maintenant vous me parliez aussi du changement. Ce que je remarque beaucoup dans vos questions... c'est des questions à développement, hein, il faut prendre des notes parce qu'on en perd des bouts, hein, mais c'est quand même intéressant, ce que vous m'avez dit tout à l'heure: changement de perception par rapport au vieillissement. Je vous dirais que, par rapport à la démographie actuelle, nos changements de perception ne sont malheureusement pas suffisamment rapides. Je vais vous le dire comme je le pense, là, on fait des efforts, on essaie justement de réfléchir sur le troisième âge, et tout, et tout, et tout, mais on est vraiment vers un point de rupture, là, actuellement, là. Et puis, pour prendre une expression un petit peu familière, il faudrait se revirer quasiment «sur un dix cennes», mais ce n'est pas possible, là. Mais il y a énormément de travail à faire compte tenu des défis qui se présentent à nous actuellement. Et je vous avoue ma préoccupation, comme père de famille et comme citoyen. Ce n'est pas banal, ce qui se passe actuellement.

M. Chevarie: ...

La Présidente (Mme Gaudreault): Maintenant, je vais passer la parole à M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Gagné, pour votre présentation et votre présence, l'éclairage que vous apportez à cette question qui est importante et, comme vous l'avez dit, très difficile pour nous.

Et j'ai aussi aimé votre commentaire, en expliquant un petit peu, des fois, qu'on peut s'emporter parce que des gens ont peur. C'est une question qui touche la vie, la mort. Ce sont les choses les plus sensibles, je pense, que nous pouvons discuter. Et c'est apprécié, ce commentaire-là.

Vous, quand vous parlez de dignité, j'aime quelque chose que vous avez dit, vous avez rattaché dignité au simple statut d'être humain, et c'est intelligent puis c'est génial de faire ça comme ça, et je pense que ceux qui le font de cette façon-là le font dans la logique suivante: si la dignité est inhérente au statut d'être humain, un autre ne pourrait pas venir et détacher la dignité de l'être humain, dépendamment des intérêts, ou de sa position, ou de son opinion. Elle reste là, elle est accrochée. Et nous avons eu des personnes qui sont venues nous parler des nazis, et certains collègues ont dit: On est loin des nazis, etc., mais j'ai compris un petit peu le raisonnement qu'on voulait faire, c'était peut-être... Je ne sais pas, c'est vrai que c'est loin, puis on est loin des nazis, mais je comprends que les gens disent: Quand on commence à toucher la dignité puis l'être humain puis discuter des nazis... Parce que, ma compréhension de cette histoire-là... la préparation qui est arrivée à cette solution finale, on l'a faite en déshumanisant les gens. On a pris les personnes, les Juifs, les gitans, les homosexuels puis les autres, puis on a quasiment enlevé leur statut d'humain parce que c'était la seule façon de demander à un humain... à un autre humain de faire ce que certains ont fait.

Alors, je comprends pourquoi plusieurs insistent pour dire: Écoutez, la dignité est attachée à l'être humain. Et, quand vous voyez un être humain devant vous, peu importe ce qu'on vous dit sur l'être humain, la dignité demeure là, puis vous ne pouvez pas rentrer là-dedans. Et je comprends ça très bien. Mais j'ai un problème avec aussi parce que, quand c'est l'autre...

M. Gagné (Pierre): ...

M. Sklavounos: Hein?

M. Gagné (Pierre): ...dit, hein?

M. Sklavounos: Non, mais je vais vous laisser aller. J'ai peut-être mal compris. C'est très possible, ça m'arrive souvent, mais, je veux dire, vous allez m'aider.

M. Gagné (Pierre): ...les autres qui ont passé avant moi.

M. Sklavounos: Oui, oui, il n'y a pas de problème.

M. Gagné (Pierre): C'est ça que je vous dis.

M. Sklavounos: Non, il n'y a pas de problème. Écoutez, là, j'essaie de comprendre ce que les gens veulent dire, je donne toujours le bénéfice du doute Puis on doit le faire avec l'esprit ouvert, puis j'essaie de le faire.

Par contre, je ne trouve pas toujours convaincant... lorsque c'est la personne, lui-même... lorsque vous dites: La personne lui-même ne détermine pas sa propre dignité ou si elle est dans un état digne ou qu'est-ce qui est une mort digne, dans le sens que c'est sûr qu'elle est attachée à la personne, et ça, je suis très d'accord, quand une tierce personne viendrait dire: Tu n'est pas digne, ou ce n'est pas digne, ou tu n'es pas aussi bon, ou tu es une deuxième catégorie, une troisième, tu es trop foncé.

**(17 h 10)**

Ça, je le comprends. Mais, lorsque c'est la personne elle-même qui est dans une situation, la personne qui dit ça, à part quand on a des cas de dépression où quelqu'un nous dit: La personne n'est pas saine d'esprit ou on a des doutes ou des soupçons que la personne ne va pas bien, j'ai de la difficulté à dire que cette personne-là n'a pas un mot à dire sur sa dignité. Et, quand il attache une dignité parce qu'il est un être humain, puis elle dit: Elle est collée, ta dignité, je comprends que je ne veux pas que d'autres personnes viennent me l'enlever, ma dignité. Mais, quand, moi... Et je vais vous donner un exemple, et vous n'allez peut-être pas l'aimer, là. C'est historique, là.

Lorsque Constantinople est tombée, et les Ottomans venaient, il y a des gens qui ont préféré mourir, se donner la mort au lieu de tomber dans l'esclavage. Ils ont déterminé, eux autres, que leur dignité, ce n'était pas simplement attaché au fait qu'ils étaient des êtres humains. Ils n'ont pas arrêté d'être des êtres humains quand ils ont sauté. D'ailleurs, il y a une danse, là, qui existe, où littéralement les femmes du village sont mises dans les mains, elles se sont mises à danser puis ont tombé en bas d'une falaise. C'est comme ça que ça s'est fait, je veux dire, c'est resté dans l'histoire populaire.

Expliquez-moi ça, parce que, moi, dire que ces personnes-là n'ont peut-être pas... Moi, j'ai appris, on m'a enseigné que c'est une mort digne. On m'a enseigné que ces personnes-là ont fait un choix, et j'ai de la misère aussi à complètement décoller la dignité de la personne elle-même et d'enlever le mot à la personne qui dirait: Moi, je trouve qu'en ce moment, «that's it», j'en ai assez, je suis ici. Moi, je dis que ce n'est pas... Moi, j'ai... Et, quand elle n'est pas déprimée, quand elle... Je veux vous entendre là-dessus.

M. Gagné (Pierre): ...compris votre question. Parfait. C'est certain que, quand des gens décident justement, par un principe d'autodétermination, de choisir quelle est une mort digne pour eux, écoutez, là, il y a une question de respect à y avoir, sauf que le... Quand on prend des exemples historiques, comme vous venez de le faire, ça tient et ça ne tient pas en même temps, parce que ces gestes-là ont été motivés par un courant culturel d'une époque donnée, qui est peut-être encore... qui a peut-être encore cours aujourd'hui mais qui est difficilement transposable dans un climat culturel occidental, je vous dirais. Première remarque.

Deuxième remarque. Je comprends un peu l'exemple que vous me donnez. Je suis en train de réécouter la série Rome actuellement, qui a été produite par HBO, là, qui est extraordinaire. La première saison a coûté 100 millions, écoutez, c'est extraordinaire. Puis, lorsque Pompée part de Rome et puis que la famille de Jules César décide de rester, à un moment donné, ça frappe à la porte, puis c'est le camp adverse, hein, puis il dit: Aïe, là, oui, maman, donne-moi la mort, je veux que tu me donnes la mort... Non, ma fille, tu es très capable de le faire toute seule. Aïe, vous voyez, là, c'est incroyable, là, ce qui se passe.

Mais ce que je veux vous dire, c'est que ça appartient à une autre époque, cette façon de voir la dignité de la personne humaine, et ça appartient aussi à différentes traditions philosophiques auxquelles, moi, je m'identifie plus ou moins. Il y a eu, chez les Romains, notamment... On parle d'histoire. On va parler d'histoire, coudon. Ça a l'air d'être la «vibe» aujourd'hui. Chez les Romains, il y avait un courant stoïcien qui était très fort, qui faisait la promotion du suicide, et ce courant stoïcien là, qui a été incarné par Sénèque, entre autres, revient, et ce n'est pas par hasard. Il y a un philosophe français qui s'appelle Michel Foucault, que vous connaissez probablement. À un moment donné, il a eu un diagnostic qui n'était pas jojo, hein, vous le savez, et puis, à un moment donné, en bon intellectuel, a décidé: Bien, moi, il faut que j'aille me chercher les outils conceptuels. Parce que c'est un gars intelligent. Ce n'était pas un cave, là. Excusez-moi. Il ne faut pas dire ça en commission parlementaire. C'était quelqu'un de brillant. Il a décidé d'aller s'outiller conceptuellement avec le stoïcisme.

Alors, on vit actuellement... et là on tombe dans la grosse théorie, là, mais quand même vous m'avez ouvert la porte, c'est de votre faute, c'est... On revient à un néostoïcisme, à ce niveau-là, qui fait la promotion du suicide alors, mais, quand on... Je peux accepter qu'une personne aille dans cette direction-là. Mais, pour moi, c'est de l'éclectisme. C'est une erreur d'évaluation basée sur des critères historiques, culturels qui, bon... J'aimerais bien ça pouvoir entrer en dialogue avec une personne qui a... puis je vais la respecter puis, je veux dire, je ne la condamnerai pas ex cathedra, ce n'est pas mon genre.

Mais vous voyez un petit peu, là, là, vers où on s'en va. Mais je ferme la parenthèse là-dessus. Vous m'avez ouvert une porte, tout à l'heure, par rapport au nazisme. J'aurais le goût de vous dire que je suis un petit peu d'accord sur... encore une fois, c'est peut-être modifié... motivé par la peur, la porte qu'on ouvre trop rapidement au nazisme par rapport à l'euthanasie. Bien, moi, je ne suis pas d'accord avec ça. Mais je vous dirais une chose, par exemple... et je comprends les gens qui peuvent le dire, sauf qu'il y aurait quelque chose... il y a quelque chose que je tiens à vous dire. La Shoah, ce n'est pas arrivé du jour au lendemain, ça ne s'est pas passé du jour au lendemain, il y a eu une évolution... j'ouvre des guillemets, là, je ne sais même pas si le mot «évolution» pourrait être qualifié de bon mot, là, mais il y a eu un changement dans les mentalités qui ont culminé vers la Shoah, et, cette mentalité-là, on l'appelle la mentalité eugénique.

L'eugénisme, c'est cette espèce de fixation sur le corps parfait. Et, dans les années vingt, il y avait culturellement et dans la société une très, très, très forte propension à l'eugénisme. On en parlait. Vous seriez étonnés de voir jusqu'à quel point on parlait de l'eugénisme. Et, dans certains pays d'Europe, on incitait les femmes dites supérieures à avoir des enfants, et les femmes dites inférieures, à ne pas en avoir. Alors là, il y a eu la Shoah. On a eu un électrochoc. Il y a la Déclaration universelle des droits de l'homme. Là, on s'est dit: Aïe, oh, ça n'a comme pas de bon sens, là. Mais j'aurais le goût de vous dire, sans vouloir être apocalyptique ou catastrophiste: Peu à peu... Puis, vous savez, hein, il faut prendre du recul historique. Ça ne se passe pas dans cinq ans, ça ne se passe pas dans 15 ans, ça ne se passe pas dans 20 ans, ça se passe sur des décennies. Il y a actuellement un retour à l'eugénisme doucement, lentement mais sûrement. Je pourrais vous donner mille exemples, la fixation qu'on a sur le corps, le silicone, le Botox, le ci, le ça.

Il y a comme une fixation sur le corps, qui fait que la dignité humaine en prend pour son rhume. Puis je pourrais peut-être terminer votre question en vous disant que la dignité humaine de type biologique a ses grosses limites. Mais ça fait partie de la dignité humaine. Moi, je suis «top shape», je suis capable de faire un marathon en quatre heures. Ce n'est pas bien, bien bon, mais quand même. Je suis capable de courir, je m'entraîne à tous les jours, je suis «top shape». Ma forme physique fait partie de ma dignité humaine, mais il n'y a pas juste ça.

Mais il y a aussi la dignité humaine, qu'on appelle, aussi liée à la fonction sociale. Je vous donne trois exemples de dignité humaine.

Une voix: ...

M. Gagné (Pierre): Ah! Ce n'est pas déjà fini?

La Présidente (Mme Gaudreault): Non, M. Gagné, ce n'est pas déjà fini.

M. Gagné (Pierre): Non?

La Présidente (Mme Gaudreault): Mais on a déjà dépassé de cinq minutes les questions de ce côté-ci.

M. Gagné (Pierre): O.K.

La Présidente (Mme Gaudreault): Je vais passer la parole à Mme la députée de Joliette, mais vous pourrez enchaîner avec ce que vous vouliez partager avec nous. Alors, Mme la députée.

Mme Hivon: Bien, je vous permets de terminer. Normalement, on se bat pour le temps, mais ici on est tellement conviviaux que je vous permets de terminer sur mon temps.

**(17 h 20)**

M. Gagné (Pierre): Ah, ça va prendre deux minutes. Ça va prendre deux minutes.

Ça prend deux minutes, juste faire une petite clarification par rapport à la dignité humaine. Ce que je trouve important, c'est... on focusse souvent sur la dignité humaine de type biologique et de... ce que j'appelle de type scientifique, liée à nos organes. Ça en fait partie, de la dignité humaine, mais il n'y a pas juste ça. On revient aux Romains. Il y avait la «dignitas» romaine, la «dignité» liée à la fonction sociale, et vous la revêtez, chers parlementaires, hein, et puis ça fait partie de votre dignité humaine, mais il n'y a pas que ça non plus. Du jour au lendemain, si vous perdez vos élections, si vous... hein, et puis que ça vous prend un bout de temps à vous virer de bord, si la «dignitas» liée à la fonction sociale n'était que ça, ça va être tough.

Alors, il y a un autre type de dignité aussi, c'est la dignité ontologique. C'est ce que j'ai évoqué tout à l'heure en citant Ricoeur. Le simple fait d'être humain nous donne cette dignité-là. Puis une des plus belles définitions de la dignité humaine, c'est celle que Kant a donnée. Quand on peut interchanger une personne et puis que ça ne paraît pas à titre d'équivalent, ce n'est pas... on n'appelle pas ça de la dignité, mais ce qui n'a pas de prix, ça, c'est ce qui a une dignité. On tombe rapidement... Si on focusse uniquement sur la dignité humaine de type biologique, on tombe très, très, très rapidement dans l'objectivation de la personne humaine parce qu'il y a ce danger-là d'objectiver la personne pour ce qu'elle apporte à la société, pour son corps, pour sa performance, pour son excellence.

Et encore une fois je tiens à vous dire que ce sont toutes des expressions de la dignité humaine. Mais tout ça pour vous dire qu'il y a des déclinaisons dans la dignité humaine, et il faut les avoir à l'esprit. Il faut les avoir à l'esprit, sinon on ne pourra jamais entamer une réflexion solide sur le mourir dans la dignité, comprenez-vous?

Et puis c'est pour ça qu'à titre de père de famille je suis très préoccupé, très préoccupé par le débat qui s'amorce. Puis je vous lève mon chapeau. Et puis je n'ai pas de doute sur le sérieux de votre démarche, mais j'ai quand même des appréhensions, je ne le vous cacherai pas. Je veux dire, je ne suis quand même pas tombé de la dernière pluie, là. Mais il faut... il y a beaucoup... C'est une question toute en nuances, mais c'est une question qui nous pousse dans nos derniers retranchements. C'est quelque chose.

La Présidente (Mme Gaudreault): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup. Vous êtes très intéressant, vraiment, puis vous avez une perspective globale et sociologique aussi, au-delà de l'éthique, très percutante.

Juste un premier commentaire sur la question des soins palliatifs. Vous avez raison, c'est un enjeu très, très important de nos travaux, et malheureusement beaucoup de gens ne nous en ont pas parlé, alors qu'ils étaient des spécialistes des soins palliatifs. Et, je vous le dis comme je le ressens un peu, le débat est en quelque sorte tellement polarisé sur la question de la fin de la vie, l'euthanasie, du suicide assisté que même les experts de soins palliatifs, ils sont venus nous parler de soins palliatifs en deux minutes en nous disant: C'est très, très, très important, investissez dans les soins palliatifs... je caricature un peu, mais c'était souvent... puis ensuite, bon, maintenant, voici ma position sur l'euthanasie, puis blablabla. Alors, souvent, on revenait en questions, puis vous savez comment c'est, on n'a pas tant de temps que ça, puis on essayait d'aborder un peu les soins palliatifs, un peu l'euthanasie. Mais c'est vrai que...

C'est parce que vous faisiez référence aux propos de notre ancien président. Et c'est un peu dommage, je dirais, qu'il y ait eu, y compris des gens qui évoluent dans les soins palliatifs, autant l'accent sur la question de l'euthanasie, mais il y a quand même des gens qui sont venus nous parler. On a essayé avec eux de creuser certaines questions qu'on avait par rapport aux soins palliatifs, mais je ne veux pas que vous pensiez que, parce que les gens sont venus surtout nous parler de la question de l'euthanasie, on évacue l'autre question. Pas du tout, vraiment pas.

Donc, on va la fouiller, soyez-en assuré. Moi, je veux vous amener... Vous avez parlé tantôt, face à l'exemple de mon collègue sur ce qui s'était passé avec Constantinople, de courant culturel. Et dans votre mémoire vous parlez beaucoup, bon, de la société. Dans vos propos, vous parlez de comment on se positionne par rapport au corps, à la... je veux dire, au biologique, à la dignité, que ça peut être, peut-être, réduit, des fois, à certaines considérations. Mais, moi, je veux savoir... Moi, c'est une question qui m'habite beaucoup. Nous aussi, on vit dans des courants culturels. Ils peuvent être bons, moins bons. Mais on est dans ce bain-là et on vit en, je dirais, en conformité avec notre société. Nous, on est élus par nos pairs pour les représenter avec ce qu'ils ont comme valeurs, comme préoccupations. Et c'est toujours une question de savoir, nous, notre rôle, où il est dans refléter les courants dans lesquels sont nos concitoyens, versus décider ce qui est bon ou pas bon je ne sais pas trop au nom de quoi, vous me suivez, et je me dis: Pour moi, il y a quelques éléments.

Tantôt, vous disiez: Constantinople, c'était complètement différent; Rome, quand on parlait de qui allait se suicider, qui allait donner la mort... complètement différent. Puis là je vous dirais qu'aujourd'hui la question de l'aide médicale à mourir, elle se pose dans un autre courant mais qui est celui que la médecine a évolué d'une manière tellement incroyable, effectivement ça n'a rien à voir avec Constantinople et Rome, qu'on est dans des situations qu'on n'aurait jamais pu prévoir, où la vie se prolonge, puis il y a des gens qui viennent nous dire: Mais à quel prix?

Alors, on est dans ce courant-là et on est aussi dans un courant où l'autonomie a pris énormément de place. Tantôt, on en parlait, le Code civil vient reconnaître énormément de pouvoirs de la personne sur ses choix en matière de santé. Elle peut refuser des traitements.

L'autonomie, elle est consacrée aussi dans nos chartes. Le droit à la vie est dans nos chartes, mais la liberté est très présente. Et on voit les sondages d'opinion. Et je veux vous dire qu'on ne gouverne pas par les sondages d'opinion, et c'est pour ça qu'on a fait une commission, parce que...

Une voix: ...

Mme Hivon: Non, mais je vous le dis parce qu'il y a des gens qui nous disent: Ah, les sondages disent ça, ça fait que, là, vous pensez ça. Puis on leur dit toujours: Si c'est ça, ça aurait été bien plus simple, puis on n'aurait pas fait une commission pendant plus d'un an.

Mais je veux juste vous dire qu'il faut quand même voir que depuis à peu près 20 ans les sondages viennent dire que, les gens, ça serait autour de 80 %... 75 %, 80 %, selon certains sondages, d'appui, par exemple, à l'euthanasie. Mais d'autres viennent nous dire: Quand on pose la question en définissant vraiment bien les termes, là, parce que tout le monde est d'accord, il y a une confusion des termes... Il y a une étudiante au doctorat qui est venue nous spécifier qu'elle avait fait les sondages en expliquant la définition, puis tout ça, puis que c'était plus peut-être... ça baissait d'à peu près 10 %... admettons, 65 %, 70 %.

Mais ça, est-ce qu'en soi c'est un courant culturel et que, nous, comme parlementaires, on doit tenir compte de ça, de cette volonté-là d'autonomie, de cette volonté de pouvoir être le juge de sa propre dignité?

M. Gagné (Pierre): ...de choses dans ce que vous dites, là, c'est intéressant, là, mais je ne sais pas trop par où commencer, je vais vous avouer franchement, mais commençons par la question du pourcentage du sondage.

Ça m'étonne énormément, ce que vous dites, l'étudiante au doctorat qui est arrivée avec un différentiel d'à peine 10 %. Moi, ce que je décode rapidement, à chaud, c'est que déjà il y a une pression qui est très forte sur les personnes. Déjà, il y a une pression qui est très forte culturellement, justement. On en parle beaucoup, puis... mais c'est une réaction à chaud, remarquez, là. Bon.

La question de l'autonomie, et la question de la liberté, ça, c'est une grande question. Vous savez, la liberté, comme disait André Gide... on a peine à prononcer le mot tellement ça veut dire n'importe quoi, là, puis la dignité, c'est la même chose. Il y a même des philosophes qui ont dit: Arrêtons de parler de dignité, le concept est tellement creux, tellement vide qu'on ne sait même plus c'est quoi que ça veut dire. Mais la liberté, c'est la même chose, puis la question de l'autonomie, c'est la même chose. Souvent, il y a des gens qui pensent qu'on leur a retiré leur liberté, mais c'est la reconnaissance qu'on leur a retirée. Puis il y a un philosophe anglais qui s'appelle Isaiah Berlin, qui disait: Souvent, il y a ce problème-là, les gens pensent qu'on leur a retiré leur liberté, et c'est leur reconnaissance qu'on leur a retirée. Et il y a des gens qui vont même demander à ce qu'on leur fasse subir des choses assez innommables pour qu'ils aient l'impression d'être reconnus par autrui.

Comprenez-vous un peu ce que je veux dire par là? C'est technique un petit peu, mais c'est que des fois ça va tellement loin... La demande de reconnaissance de l'individu, du sujet devient tellement grande, tellement criante, tellement pressante qu'il y a même des gens qui disent: Pour que tu me reconnaisses ma reconnaissance, passez-moi l'expression, je suis même prêt à ce que tu me maltraites. C'est-u assez fort à votre goût!

Alors, c'est important encore une fois de définir les termes «liberté», «reconnaissance».

Le défi... Vous avez soulevé le défi de la médecine et de la technique. Loin de moi est l'idée de casser du sucre sur le dos de la science et de la technique. On doit beaucoup de choses à la science et à la technique, mais on est dans un point de rupture. Ça ne fait pas tout, là. Ça ne règle pas tout, ce n'est pas la panacée. Vous savez, à un moment donné, quand une solution est de l'ordre des moyens et puis qu'on prend cette chose-là... chose... mettons, la médecine, et puis du moyen on la transpose vers une finalité, là, là, ça ne marche plus, là. La médecine peut nous apporter énormément, mais il y a la relation... Je ne vous dis pas que les médecins, les infirmières... Moi, j'appartiens à une famille, mes deux parents étaient des professionnels de la santé. J'ai vu comment que leur dévouement était extraordinaire. Ma mère est dans la salle, ici, aujourd'hui. C'était une professionnelle de la santé à la retraite.

**(17 h 30)**

Mais ce que je veux dire, c'est: Au-delà des personnes... Puis, Mme Richard, justement, vous avez représenté, durant des années, des professionnels de la santé, alors vous savez comment que les gens sont le ventre à terre. Mais c'est au-delà des personnes, au-delà justement du fait qu'on vit culturellement dans un environnement technique, technoscientifique qui n'a de... -- comment qu'on dit ça comme expression? -- qui n'a d'yeux, qui de... on regarde seulement ce que la science, et la technique, peut nous apporter. Vous savez, c'en est une autre, dérive, ça, la déification de la technique, la déification de la science. Il faut être très prudent à ce niveau-là.

Maintenant, les courants culturels... Et les courants culturels... qu'est-ce qu'ils reflètent, les courants? Vous savez, quand j'ai parlé d'éclectisme tout à l'heure... C'est toujours un petit peu «touchy» de parler de ces choses-là, mais il faut reconnaître une chose: on est issus d'un courant occidental chrétien, que ça nous plaise ou non, et ce courant occidental là chrétien, écoute... Écoutez, la règle de saint Benoît a servi à la création de l'Europe. On est tributaires de ce patrimoine culturel là. Et puis ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres courants qui sont valables aussi, mais il faut être en mesure de réfléchir sur la question de mourir dans la dignité à l'aune et à la mesure du courant culturel auquel nous appartenons. Et ce n'est pas en se reniant nous-mêmes pour faire «cute»... je ne dis pas ça pour blesser personne, mais pour satisfaire au goût du jour, au prêt-à-penser, au prêt-à-agir qu'on va se rendre service. Comprenez-vous? Alors, c'est un petit peu ça.

Vous savez, j'ai visionné beaucoup de... bien, pas beaucoup, mais quelques auditions, et puis vos questions sont fort intéressantes, mais il y a du jus dans vos questions, hein, il y a bien du stock, alors je prends des notes puis j'essaie d'y répondre du mieux que je peux, là.

Mme Hivon: Bien, merci. Il y a beaucoup de jus dans ce que vous disiez aussi, et c'est tout le temps la frustration qu'on a d'avoir 15 minutes, chaque côté, pour poser... On pourrait échanger pendant des heures, vous le savez, mais dites-vous que c'est l'addition de tous ces témoignages-là percutants qui vient nous aider dans notre réflexion et la bonifier. Alors, merci d'y avoir contribué.

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, merci beaucoup, M. Gagné. Là, c'est vraiment terminé pour le moment. Alors, on a beaucoup parlé d'histoire cet après-midi, puis je pense que cette commission a déjà marqué l'histoire du Québec juste par sa tenue, depuis une année, tous les échanges, et puis vous y avez contribué, alors merci beaucoup.

J'espère que vous allez continuer à suivre notre réflexion jusqu'à la diffusion de notre rapport. Et alors on vous remercie.

Et puis il y a trois personnes qui se sont inscrites pour la période de micro ouvert. Nous allons remercier M. Gagné en bonne et due forme et puis nous allons inviter Francine Jinchereau à venir à la table.

(Suspension de la séance à 17 h 33)

 

(Reprise à 17 h 35)

La Présidente (Mme Gaudreault): Alors, prenez place, s'il vous plaît, messieurs dames les commissaires. Nous avons encore trois personnes, dont Mme Francine Jinchereau. Mme Jinchereau, vous avez voulu intervenir à cette période de micro ouvert. C'est trois, quatre, cinq minutes, au maximum, pour nous présenter votre réflexion. Alors, la parole est à vous.

Mme Francine Jinchereau

Mme Jinchereau (Francine): Je vais d'abord vous dire comment je suis venue à ça, comment ça se fait que je suis ici aujourd'hui. J'ai beaucoup hésité. Mais j'ai été autrefois... quand je dis «autrefois», c'est il y a un petit peu plus de 50 ans, infirmière en hygiène publique chez les Innus et les Inuits pendant quatre ans, donc isolée.

La mort, je l'ai vue sans la technologie. Par la suite, j'ai fait des études en psychologie des relations humaines et, par le biais de l'Université de Sherbrooke, je suis intervenue dans un centre hospitalier, qui est un centre de soins de longue durée, l'Institut psychogériatrique de... universitaire psychogériatrique de Sherbrooke, et j'ai aidé les patients, les résidents à s'aimer, à mourir. J'ai aidé des gens à se marier, pour la première fois en 125 ans, dans un centre de soins de longue durée. Tous les lits sont des lits simples, et les mariages n'existaient pas. C'était très compliqué de pouvoir réussir un mariage, même si les gens le voulaient. J'ai aidé les familles à se parler. J'ai aidé à mettre sur pied des équipes multidisciplinaires.

Alors, la dimension de vivre et de mourir m'habite depuis longtemps. J'ai aussi entendu le Dr Boisvert, qui a marqué ma vie à tout jamais.

La question de mourir dans la dignité. Le jour viendra-t-il où choisir la façon de mourir dans la dignité sera un droit? Exercer son choix est le fondement même de la dignité humaine. Mourir ou vivre est le choix ultime d'une personne. Présentement, chez nous, au Québec, quiconque fait le choix de mourir par suicide assisté se voit dire par la loi et les professionnels de la santé que sa demande est irrecevable. Il est vrai dans les faits que c'est une minorité de gens qui font ce choix et cette demande à notre société, mais cette minorité existe. Ces choix de mourir dans la dignité peuvent être faits en toute lucidité. Je ne comprends pas pourquoi notre système de santé ne pourrait pas y répondre au XXIe siècle. La vie appartient à celui qui la vit et à personne d'autre.

Le choix de vivre ou de mourir appartient au malade. Le choix de l'assister dans sa décision de vivre ou sa décision de mourir est un choix de société.

Vivre et mourir dans la dignité. Pour certains, le choix est de vivre avec assistance. Ce choix est accepté dans notre société, y compris lorsqu'il s'accompagne de multiples interventions médicales et chirurgicales de plus en plus complexes. Lorsqu'il n'y a plus de possibilité de soulagement ou de guérison par ces interventions professionnelles, on a recours à d'autres soins pour maintenir la vie. Ce sont les soins palliatifs qui permettent de mieux vivre jusqu'à la mort et d'améliorer la qualité de sa vie présente, de la rendre acceptable, sachant que, malgré tous les soins qu'on va me prodiguer et l'amour qu'on va me donner, je vais éventuellement me détériorer physiquement et mourir. C'est le choix de certains.

Vivre dans la dignité a un prix: les soins palliatifs, la personne ayant fait ce choix, celui de vivre. La société, par le biais de la loi, lui dit que cette demande est recevable. Pour certains, le choix est de mourir avec assistance. Dans des situations différentes ou semblables à celles mentionnées au paragraphe précédent, la personne fait le choix de mourir avec l'assistance de quelqu'un. C'est le suicide assisté. L'assistance au geste qui entraîne la mort ne devrait pas être la responsabilité d'une seule personne mais d'une équipe multiprofessionnelle en accord avec la personne qui en fait la demande. Et aucun professionnel ou aide à l'activité professionnelle ne devrait être obligé de répondre personnellement à une telle demande mais devrait avoir l'obligation de l'acheminer à une équipe multiprofessionnelle.

Présentement, la loi refuse la liberté pour un citoyen de choisir de mourir par le suicide assisté. Mourir dans la dignité avec assistance a un prix: le suicide assisté. La personne ayant fait ce choix, celui de mourir, avec le suicide assisté, au moment de son choix, la société, par le biais de la loi, lui dit que cette demande est irrecevable.

**(17 h 40)**

J'espère que notre loi sera modifiée de mon vivant, comme dirait ma mère. J'ajoute que pour la personne malade, quelle que soit l'option choisie, vivre ou mourir, les pressions faites auprès d'elle seront toujours susceptibles d'être présentes et d'être même une atteinte à sa dignité. Nous subissons des pressions depuis notre enfance. Les choix personnels sont fréquemment l'objet de pressions de la part de l'entourage lorsque la maladie nous affecte.

L'essentiel est de conserver notre liberté de choisir malgré ces pressions, en autant bien sûr que la société nous accorde ce droit de choisir.

Je vous remercie beaucoup de m'avoir entendue et je vous remercie beaucoup d'avoir mis cette commission sur pied et d'avoir invité la population québécoise à y participer. Je suis très fière, comme dirait M. Lévesque et comme disent beaucoup d'autres depuis, je suis très fière ce soir d'être Québécoise. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Gaudreault): Merci beaucoup, Mme Jinchereau. Nous allons maintenant inviter Mme Priscille De Galembert. Mme Priscille De Galembert.

Mme Priscille De Galembert

Mme De Galembert (Priscille): Mme la Présidente, Mmes et MM. les commissaires, bonjour. Je m'appelle Priscille De Galembert et, comme mon accent vous l'indique, je suis Française d'origine. Cela fait déjà plusieurs années que je vis au Canada. Je viens de graduer en études des conflits et droits humains.

Le programme que j'ai choisi me pousse à remettre en question la cohérence de notre société quant à sa proposition de décriminaliser l'euthanasie.

Décriminaliser l'euthanasie décriminaliserait l'homicide, acte de tuer avec l'intention consciente de le faire. Même s'il est effectué pour des motifs tout à fait louables, comme par exemple mettre un terme à la souffrance d'autrui, légaliser l'euthanasie serait un acte incohérent. En effet, nous irions dans le sens opposé à l'esprit de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui garantit le droit à la vie. La France l'a bien compris et elle l'a exprimé clairement, fin janvier. Mais surtout, en décriminalisant l'euthanasie, on prendrait le risque énorme, vous le connaissez comme moi, de tuer des gens qui veulent vivre.

On dit souvent que seuls les fous ne changent pas d'avis. Ceux qui demandent l'euthanasie ne sont pas fous et pourraient bien changer d'idée. Mais voilà le problème: ils auraient peut-être du mal à le faire.

Tout d'abord, il se pourrait qu'un patient, emprisonné dans son corps, n'ait pas la force et les moyens physiques d'exprimer son changement d'avis.

Deuxièmement, essayons de nous mettre quelques instants, si cela est possible, à la place des personnes dont il est question. Imaginons-nous à la fin de notre vie, dans un lit d'hôpital, sentant le poids que nous sommes pour le personnel soignant souvent débordé par la charge de travail, le poids que nous sommes pour notre famille, à qui nous causons bien de l'angoisse et du tracas. Ajoutons à cela le poids de notre culture à tendance individualiste, matérialiste, consumériste, techniciste, qui n'épargne personne. Implicitement et comme par derrière, elle nous persuade que, si nous ne sommes pas beaux, jeunes, en bonne santé, performants, utiles, capables, innovants, énergiques, compétitifs, eh bien, nous ne valons pas la peine et que ce serait convenable et même charitable pour les autres, pour cette société idéalisée et surhumaine que de renoncer à sa propre vie, puisque, nous, nous sommes vieux, inutiles, malades, dépendants, fragiles.

La pression est peut-être trop forte pour permettre au patient d'oser changer d'avis et de refuser l'euthanasie qu'il avait d'abord demandée. Il suffit de suivre un cours de sociologie pour s'en convaincre.

Je n'ai pas mentionné la pression économique sur le système de santé, qu'aucun citoyen n'est assez dupe pour ignorer. Il faut ajouter à cela la pression procédurale et bureaucratique entourant un changement d'avis de la part du patient qui avait fait une demande anticipée d'euthanasie. C'est un peu comme un mariage, comme se marier: vous avez acheté votre bague, votre robe, vous avez envoyé les invitations, réservé la salle et vous changez d'avis à la dernière minute.

Toutes les réunions de comité seraient un gaspillage de temps et d'argent. Imaginez-vous devant faire face à tout cela alors que vous êtes dans une situation extrême de dépendance et de vulnérabilité physique et morale. Pas si évident de changer d'avis quand on se sent responsable d'un tel gâchis. Moi, je me sentirais coupable. Vraiment, veut-on prendre le risque d'avoir du sang sur les mains? Cela est arrivé en Belgique et aux Pays-Bas. Pourquoi le Québec serait-il épargné? Serions-nous supérieurs et mieux préparés que ces experts?

Arrêtons ce mirage, ne nous voilons pas la face, mais assumons ensemble nos responsabilités, surtout quand on en a les moyens.

MM. et Mmes les commissaires, je crois, permettez-moi l'expression, qu'il faut mettre le paquet dans le développement des soins palliatifs et informer clairement le grand public sur ces questions, et tout particulièrement le corps médical. Mme la Présidente, Mmes, MM. les commissaires, merci de m'avoir écoutée.

La Présidente (Mme Gaudreault): Merci beaucoup, Mme De Galembert. Maintenant, la dernière intervenante, Mme Théa Stoina.

Mme Théa Stoina

Mme Stoina (Théa): Bonjour. Je m'appelle Théa Stoina, je suis étudiante en pharmacie à l'Université Laval. La carrière de pharmacienne d'hôpital m'intéresse, mais je crains d'être obligée, un jour, d'avoir à préparer des médicaments qui donnent la mort si l'euthanasie était légalisée.

Premièrement, je tiens à vous rappeler ce que dit l'article 17 de la Loi sur la pharmacie à propos de l'exercice de la pharmacie: «L'exercice de la pharmacie consiste à évaluer et à assurer l'usage approprié des médicaments afin notamment de détecter et de prévenir les problèmes pharmacothérapeutiques, à préparer, à conserver et à remettre des médicaments dans le but de maintenir ou de rétablir la santé.» Je mets l'accent sur «maintenir» ou «rétablir la santé». J'aimerais aussi vous donner la définition de «soins pharmaceutiques», proposée par l'Ordre des pharmaciens du Québec: Ensemble des actes de service que le pharmacien doit procurer à un patient afin d'améliorer sa qualité de vie par l'atteinte d'objectifs pharmacothérapeutiques de nature préventive, curative ou palliative.

J'ai choisi d'étudier la pharmacie parce que cela me permettra d'utiliser les médicaments pour soigner ou soulager et non pour tuer. Je suis allée récemment faire des stages en milieu hospitalier et j'ai pu constater moi-même la déshumanisation des soins de santé que mes professeurs praticiens déplorent. On engage maintenant plus de personnel administratif que de personnel soignant tout en coupant sur les heures de visite pour faciliter le travail des infirmières. Tout doit aller vite, et on oublie souvent que, derrière le dossier, il y a une personne humaine. Un malade est considéré comme une voiture qu'on amène chez le mécanicien quand elle ne fonctionne plus. Comment peut-on s'attendre à ce que le personnel soignant prenne le temps nécessaire pour s'occuper de chaque personne, avec le respect qui leur est dû, quand les urgences sont pleines parfois à 300 %? Or, l'attitude du malade est souvent le reflet de l'attitude du personnel soignant. Ceci est encore plus évident lorsqu'on travaille avec des malades en phase terminale.

Une de nos professeures qui travaille en soins palliatifs nous a dit un jour: Un malade bien soigné ne demande jamais l'euthanasie. Cette phrase m'a fait réfléchir, car c'est là que j'ai compris qu'un malade mal soigné demandera probablement l'euthanasie. Une personne en phase terminale ne passe pas que par des souffrances physiques. Ses souffrances morales peuvent être encore bien plus difficiles à supporter si elle n'a pas l'appui de sa famille et si elle ne se sent pas traitée avec les égards dus.

Ne pas avoir de soins adéquats en fin de vie est une façon d'être poussé à vouloir mourir. Comment ose-t-on alors prétendre que le choix est libre? Je crois que la commission Mourir dans la dignité ne se penche pas sur la bonne question. Une commission avec ce nom devrait déterminer plutôt comment faire pour préparer l'actuel système de santé à accompagner les mourants et non comment leur donner la possibilité de se suicider.

Actuellement, dans mon programme, il n'y a qu'un seul cours optionnel offert en soins palliatifs. Inutile de vous dire que le cours n'atteint pas tous les étudiants. Il est donc possible de graduer de mon programme sans avoir d'idée sur la réalité de la mort. Cela ne s'improvise pas. Je ne crois pas que c'est acceptable que, dans un État riche comme le Québec, les personnes soignantes, y compris le pharmacien, ne soient pas formées dans leurs études à être des supportants. J'aimerais que le cours de relation d'aide et d'éthique soit obligatoire.

Si, un jour, nous étions forcés à participer à l'euthanasie, plusieurs parmi nous, jeunes pharmaciens ou médecins, voudront partir d'ici. Et ceux qui voulaient se spécialiser en soins palliatifs se réorienteront s'ils doivent poser un geste inacceptable à leurs yeux. C'est pour cela que je remets sérieusement en question mon choix comme pharmacienne d'hôpital.

Vous savez comme moi qu'il y a une pénurie de pharmaciens. Cette pénurie est encore plus significative en milieu hospitalier, car il faut un diplôme supplémentaire pour y travailler, bien que le salaire soit plus bas que dans le privé. Le problème risque de s'accentuer encore plus si vous recommandez la légalisation de l'euthanasie.

J'imagine que vous souhaitez que le gouvernement légifère dans le sens de vos recommandations. Je voulais vous faire remarquer que votre responsabilité touche non seulement la vie des patients et la conscience du personnel, mais aussi l'orientation de ma carrière, et, croyez-moi, je ne suis pas la seule. Merci de m'avoir écoutée.

**(17 h 50)**

La Présidente (Mme Gaudreault): Merci beaucoup, Mme Stoina. Alors, ceci conclut les travaux pour aujourd'hui.

Et la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité ajourne ses travaux au jeudi 24 février, après les affaires courantes, vers 11 heures, à la salle Louis-Joseph-Papineau de l'hôtel du Parlement. Merci et bon retour, à tous les commissaires. Bon retour à la maison.

(Fin de la séance à 17 h 51)

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