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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le mardi 16 février 2010 - Vol. 41 N° 27

Consultations particulières et auditions publiques dans le cadre du mandat sur la question du droit de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Dix heures quatre minutes)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Je constate quorum des membres de la Commission de la santé et des services sociaux. Donc, je déclare la séance ouverte, en rappelant le mandat de la commission: la commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur la question du droit de mourir dans la dignité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Charbonneau (Mille-Îles) remplace M. Lehouillier (Lévis); M. Ouimet (Marquette) remplace Mme Rotiroti (Jeanne-Mance-- Viger); Mme Hivon (Joliette) remplace Mme Beaudoin (Rosemont); Mme Richard (Marguerite-D'Youville) remplace M. Gauvreau (Groulx); Mme Lapointe (Crémazie) remplace Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve); M. Charette (Deux-Montagnes) remplace M. Turcotte (Saint-Jean); et Mme Roy (Lotbinière) remplace M. Gérard Deltell (Chauveau).

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Et on est dans notre deuxième journée de notre réflexion sur une question très importante. Et j'invite tous, à la fois les membres et également les témoins, que notre objectif ce printemps, c'est de bien cerner les enjeux, bien cerner les problématiques, les questions. Après, nous allons interpeller l'ensemble de la société québécoise à ces questions. Mais on veut vraiment mettre la table dans nos discussions aujourd'hui, demain et jeudi et au début du mois de mars pour bien cerner les enjeux, les questions que nous devrons poser à l'ensemble de la population québécoise.

Auditions (suite)

Notre prochain témoin, c'est Mme Hélène Bolduc, et elle représente l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. Alors, Mme Bolduc, la parole est à vous.

Mme Hélène Bolduc

Mme Bolduc (Hélène): Merci. Alors, bonjour tout le monde. Je suis ici à titre de présidente de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. C'est un honneur et une lourde responsabilité que de me présenter devant vous afin de plaider au nom de nos membres ainsi que de nombreuses personnes qui nous ont témoigné leur encouragement et gratitude depuis notre fondation en septembre 2007. Nous souhaitons que cet exposé apporte un éclairage utile à ce débat et puisse faire une différence.

**(10 h 10)**

Je vais vous parler juste un petit peu de l'historique parce que j'ai légèrement modifié ma présentation, l'exposé écrit que vous avez reçu. C'est suite au dépôt du projet de loi de la députée de La Pointe-de-l'Île, Francine Lalonde, au Parlement fédéral, qu'est née au fond l'association. Elle a remis à l'ordre du jour, on va dire, le débat sur le droit de mourir dans la dignité; ça remonte déjà à 2005 la première fois. Et il y a des associations comme la nôtre un peu partout dans le monde, et c'est là qu'on a trouvé que le meilleur moyen de faire la promotion de cette cause était de former une association qui est née en septembre 2007.

Et c'est maintenant que je vais vous... aller au coeur du sujet par... en vous lisant le témoignage de Claire Morissette. Je vous avoue que je n'avais pas pris la décision avant tout récemment, mais les journalistes, les gens demandent souvent des exemples vivants; ils voudraient qu'on amène des malades, peut-être. Hier, il y a eu M. Leblond qui a eu beaucoup de courage et il est venu parler de sa condition, mais il n'était pas mourant, il faut s'entendre.

Il y a aussi les gens en fin de vie qui n'ont plus la force de parler. Mais je vous ai envoyé quand même le témoignage de Claire Morissette, et je crois que c'est important qu'on prenne le temps de se recueillir presque, tellement c'est émouvant. Je vous fais grâce... j'espère d'être capable de garder mon contrôle. Mais elle a tout dit sur la douleur globale. Et souvent on dit: Les bien portants, vous parlez à travers votre chapeau. Quand vous serez mourant, vous voudrez vivre encore. L'euthanasie, c'est une discussion très théorique. Alors, permettez que je commence.

Claire Morissette aussi était ce qu'on appelle une battante, les gens savent ce que c'est, une femme énergique qui a été cofondatrice de Communauto, de Vélo Nord-Sud. Elle est morte à 53 ans d'un cancer généralisé, après avoir fait une longue bataille commencée vers les années 2004, 2005, et ça va comme ça jusqu'en juin 2007, le moment où elle écrit, elle dicte à son conjoint cette lettre, elle est sur un lit d'hôpital, et je dois vous dire qu'elle vient d'entendre une émission à la radio où on discute d'euthanasie. Et elle est un peu en colère de voir qu'on n'a pas l'air à très, très bien comprendre ce qu'elle veut par l'euthanasie. Elle est à deux mois de mourir.

Alors, voilà: La vie quand on a envie d'euthanasie.«J'ai frôlé la mort de près à l'hiver 2004-2005, d'un cancer du sein métastasé aux os et au foie. J'ai vu mon père décéder d'un cancer généralisé après avoir parcouru le curriculum médical jusqu'à la fin. Voici ce que j'en ai appris.

«La douleur. Souffrir ressemble beaucoup à grelotter. C'est un recroquevillement, une contraction de tout le corps, de la racine des cheveux jusqu'aux pieds. Et ça fait mal! Et ça fait mal constamment. Ce grelottement absorbe toutes vos forces, toute votre attention, c'est épuisant. Pensez-y: supporteriez-vous de grelotter 10 jours, 20 jours, deux mois, des années?

«Le soulagement. Vient la piqûre de morphine. C'est comme une vague de chaleur qui nous délivre du grelottement, une somptueuse relaxation sur une plage étale. "Merci. Ah, merci![...]" Mais [...], il faut rester bien sage car, si vous ouvrez les yeux, c'est le vertige, le décor bascule, la nausée vous prend et peut vous mener au vomissement. Autre désagrément --  que vous n'entendez pas souvent dans les colloques et les symposiums: la constipation vous barre le ventre, vous torture l'anus. Et le répit est de courte durée. Au bout de trois heures, ce serait le temps d'une autre piqûre mais l'infirmière doit attendre quatre heures... et on se remet à grelotter. Et puis il y a l'habituation, il faut augmenter les doses, on devient halluciné, confus, à moitié idiot (j'ai vu mon père dans cet état).

«Disgrâce et pestilence. Pendant ce temps, le corps se vide. Plus d'appétit ni d'exercices, vous fondez. Dans le miroir, vous êtes un squelette comme ceux des camps de concentration [et] (sans exagérer), plus de fesses pour s'asseoir, vos seins sont vides, aucun confort avec ces genoux cagneux sauf avec un coussin entre les jambes -- La peau ratatine avec un coussin... attendez une minute, là. La peau ratatine et fait des plis partout. Une disgrâce totale. [Et] pire: À cause de la médication, vos urines, selles, flatulences, haleine, vomissements ont une odeur de fin du monde, que vous imposez à vos aidants, une profonde humiliation. Si vous devez déféquer au lit en bassine sèche, la puanteur est indescriptible et c'est quelqu'un d'autre qui ensuite vous essuie les fesses, [et encore] une [grande] grande profondeur d'humiliation.

«L'énergie. C'est la panne sèche. Il faut s'y prendre en trois sessions pour laver une petite vaisselle, car ce travail est trop cardio! Incapable de faire les repas, le ménage, un travail quelconque. Au début, on lit, on regarde des DVD [...]. [Et] puis, lire devient trop fatigant. On n'aspire plus qu'à sombrer dans le sommeil, l'inconscience et pourquoi pas, le néant.

«L'entourage. Tout le monde a de la peine. Ils sont là, font leur possible, assument mal leur impuissance, vont se cacher pour pleurer, [et] même si on essaie de faire régner une atmosphère de "matter of fact". Leur chagrin fait peine à voir.

«Mourir de [soif et de faim]? Une fois les moyens d'intervention épuisés, la médecine conventionnelle vous laisse alors dégrader de façon "naturelle", les organes faillissent et vous découvrez d'autres douleurs [et] d'autres écoeurements. La morphine vous rend à demi-idiot et vous n'êtes même plus réellement présent. Au bout du compte, la médecine vous laisse mourir de faim [et] de soif. Si vous acceptez le soluté [hydrant], vous mourrez de faim, ce qui peut prendre de 30 à 90 jours -- selon les réserves des gens, c'est vrai. Si vous refusez d'être hydraté, [...] dans un état de prostration que je n'ose imaginer. Pendant tout ce temps, les gens défilent à votre chevet et vivent un chagrin aigu et [profond].

«En terminer soi-même. Si on cherche, on trouve assez facilement des guides analysant toutes les formes de suicide, selon leur efficacité -- on ne veut surtout pas manquer son coup -- et leur aspect [est] moins traumatisant pour l'entourage. Ici, il faut agir assez vite, tandis qu'on est encore capable de poser l'acte final, ce qui demande un courage d'une qualité spéciale. Il y a aussi la difficulté de ne pas incriminer ses proches. Comment arriver à avoir quelqu'un qui vous tienne la main au dernier moment, sans qu'il [ou qu']elle soit accusé de meurtre. Vous rendez-vous compte de la cruauté de ce dilemme... Il faut surveiller tout, jusqu'aux empreintes digitales!

«La mort, c'est aussi ca, la vie. Je vais mourir, et je le sais. Vous allez mourir [...], [et vous le savez]. Les gens qui clament "La vie, la vie!" semblent souvent vouloir absolument éviter un regard sur la mort, ultime étape de la vie. La mort est incontournable, et s'y préparer est sage. Mes recherches et lectures sur la mort, loin de m'horrifier, m'ont apporté beaucoup de paix intérieure. On peut réussir sa mort comme on réussit sa vie. Tirer sa révérence en se sentant comblé. Tous ceux qui l'ont frôlée de près en parlent comme d'une expérience agréable. Il n'y a que deux façons de l'aborder: avec horreur et panique ou avec courage et curiosité. Je cultive la deuxième, quoique je sache ne pas être à l'abri de la première.

«La sagesse du vieillissement. Il y a une grande sagesse dans le corps vieillissant: la fatigue, la douleur, la dégénérescence font de la mort une amie, une délivrance, une bénédiction. N'est-ce pas magnifique? Je suis d'accord qu'une mort trop hâtive peut être ressentie comme un scandale [ou] une tragédie, mais lorsqu'on est sur l'autre versant de la vie, elle en vient à offrir un tout autre visage.

«Se préparer à la mort. Pour moi, cela a impliqué de faire le deuil de tout ce qui m'est cher: mon amoureux, mes frères, soeurs, [...] nièces, [...] amies, mes oeuvres, [...] mes petits plaisirs, [les] grandes choses et [les] petites bébelles, tout, tout me sera arraché! Et j'ai pleuré pendant [encore] environ un mois. [Et puis] ensuite? Pleurer, c'est ennuyant, et on s'en lasse. Et après avoir bien pleuré, j'ai ressenti une paix, le fameux détachement. Et je suis "revenue" dans la vie, en réalisant à quel point tout m'est donné, chaque minute est un bonus que je savoure probablement plus que vous [...]. Mais la mort pour moi [maintenant] est dédramatisée.

«Oui à l'euthanasie. Grelottement, nausée, décharnement, épuisement, écoeurement, pestilence [...] chagrin des proches, vous appelez ca "La vie [...]?" [...]c'est encore la vie, mais l'envers de la vie, un enfer insupportable, et c'est là que les gens demandent, bien raisonnablement, leur laissez-passer pour l'au-delà.

«On aurait un chien dans cet état, qu'on l'achèverait par compassion. C'est tout ce que je demande: un peu de compassion. S.V.P., un peu de pitié et de compassion [...].

«J'espère que ces réflexions auront pu vous éclairer sur ce grave enjeu qu'est l'euthanasie et sur sa nécessité, bien encadrée, dans une société humaine et civilisée, libérée des tabous. Merci.»

**(10 h 20)**

Alors, Mme Morissette ici, là, elle a écrit ca à Francine Lalonde le... en juin 2007 et elle est morte deux mois plus tard. Et on avait l'autorisation de publier sa lettre, et c'était la première fois qu'on le faisait. Je n'ai pas voulu mettre ça dans les journaux.

Je disais tantôt à quelqu'un que notre association a eu beaucoup de pudeur face aux malades qui téléphonent chez nous, des lettres à l'occasion, des cas assez lourds. Je n'aime pas beaucoup l'idée de -- bien, puis je ne suis pas toute seule, c'est une décision qu'on a prise -- ne pas faire comme ils font dans les téléthons, là, de toujours amener les malades faire du sensationnalisme. Je pense qu'on est capables d'avoir un débat sans avoir un mourant à côté de nous -- mais d'avoir cet écrit-là, elle est, elle est encore vivante, Claire, pour l'association, c'est notre mascotte. Et je vais continuer, si vous permettez, et c'était le témoignage au fond central. Le coeur du message, il est là: on voudrait pouvoir avoir le choix. Et là il faut que je me retrouve, moi, là, là, pour continuer, et voilà.

Alors, les enjeux actuels... Je vais vous parler d'abord des énoncés... de notre mission. Alors, on va revenir au pratique, là.

L'association milite pour que chaque personne ait le droit d'avoir une fin de vie conforme aux valeurs de dignité et de liberté qui l'ont toujours animée et pour que soit respectée sa volonté personnelle. À cet effet, nous voulons qu'une personne atteinte d'une maladie en phase terminale ou vivant des douleurs et des souffrances insupportables puisse recevoir, à sa demande, une aide médicale active nécessaire à une fin de vie digne et sans souffrance, et pour cela nous croyons qu'il faudra décriminaliser l'aide médicale qui serait faite sous forme d'euthanasie ou de suicide assisté.

Nous savons que le... ça a été fait de façon différente, hier, par les médecins, mais, moi, je vous dis: La raison d'être de notre association, c'est de permettre le choix du malade, en autant évidemment que les conditions sont requises. Il y a... Les principes directeurs qui ont été adoptés sont dans un dépliant à part -- je vous les ai envoyés en annexe, alors je vous fais fi de cette lecture-là, -- et pour moi...

Enjeux actuels sur la question de l'euthanasie et du suicide assisté. Notre association est jeune et compte 275 membres, près de 300, là, cette semaine. Nous avons reçu de nombreux témoignages par téléphone et courriel, et des demandes d'appel à l'aide. Puis, après trois ans de conférences et d'entrevues avec les médias et en avoir parlé avec beaucoup de personnes qui viennent me raconter des histoires déchirantes, des drames familiaux, des confidences sur des fins de vie parfois cruelles, des récits de mort par arrêt de traitement et d'hydratation nous confirment l'existence de situations qui nous paraissent inacceptables.

Nous avons la certitude que la population est sensible à ces drames, et actuellement notre association n'a rien à offrir comme soutien et solution aux personnes qui, malgré leur condition sans issue, nous demandent lucidement de les aider à mourir. Nous les référons à leur médecin traitant et nous leur promettons de continuer notre engagement à informer et à regrouper ceux et celles qui veulent convaincre les législateurs qu'il faut passer à l'action.

La qualité de fin de vie est une question qui revient fréquemment dans nos échanges. Ces considérations sont purement subjectives, et c'est pour cela que de décider à la place des autres n'est plus acceptable dans une société qui reconnaît déjà plusieurs droits civiques, mais pas encore celui qui est fondamental: la liberté ultime de choisir quand et comment on souhaite mourir. Le Collège des médecins du Québec a reconnu officiellement, dans son document de réflexion rendu public, que le cadre juridique actuel est une source de confits éthiques entre le devoir de respecter l'autonomie du malade et leur impossibilité d'accéder à la demande du malade.

Alors, il y a deux conceptions fondamentales de la dignité humaine. Il y a celle qui affirme qu'un homme est digne en soi, au sens philosophique du terme, et que, par sa condition unique dans la création, sa vie serait sacrée. Cette noblesse, sa qualité d'être supérieur doué de raison le rendrait apte à surmonter toutes les souffrances avec courage. Tel un héros ou un saint, il ferait preuve de dignité en acceptant les souffrances et en leur donnant un sens. Cette vision rédemptrice de la souffrance n'est pas celle de toute la société. Le discours religieux officiel et celui moins officiel de certains médecins et éthiciens insistent sur le devoir de prolonger la vie le plus longtemps possible, au nom de leurs propres valeurs.

Nous ne partageons pas cette vision de la vie et de la mort. Le sens que chacun donne à sa vie est essentiel à notre définition de la dignité humaine. Le respect de l'autonomie de la personne et de ses volontés est la raison même de notre engagement, et une forte majorité de personnes croient que l'euthanasie et le suicide assisté sont des solutions acceptables en certaines circonstances.

Le Dr Marcel Boulanger, vice-président de notre association, a traduit une conférence du professeur Rodney Syme, qui est un médecin oncologue d'Australie, anciennement d'ailleurs président de l'association en Australie -- maintenant il est vice-président -- mais il s'adressait à des membres de la Faculté de droit de l'Université de Sydney, en octobre 2008. Cette conférence est extraordinaire, mais je vais simplement vous citer le paragraphe de ce qui est une bonne mort: «Les recherches montrent que, pour la majorité, les choses sont claires: une bonne mort implique l'acceptation de la réalité de la fin prochaine, acceptation qui permet une franche communication à la famille[,] aux amis [et à] ce qu'ils représentent pour vous [et] leur place dans votre vie. Une bonne mort demande un état d'esprit clair, libre d'anxiété toxique. Elle implique un minimum de souffrance, certainement pas un degré intolérable de souffrance dans le sens large du terme. Une bonne mort permet de dire adieu et non de mourir seul. Et pour plusieurs, elle inclut un contrôle de mourir en paix, avec la possibilité de choisir quand, où et comment on mourra. Elle signifie mourir en paix, dans la dignité et la sécurité.»

Plus près de nous, le Dr Marcel Boisvert, membre de notre association et pionnier en soins palliatifs, est l'un des rares, sinon le seul médecin en pratique active à avoir eu l'audace de lever le voile du silence entourant les souffrances de fin de vie, et il a fait sienne cette définition de la douleur globale, impossible à soulager. Et, avec le témoignage de Mme Morissette, bien sûr vous avez l'explication idéale de ce qui est la douleur globale, pour lesquelles les soins palliatifs ne peuvent pas grand-chose.

Alors, oui, les fins de vie diffèrent, elles sont imprévisibles. Le choix entre les différentes manières de soulager les souffrances dépend beaucoup des circonstances. Avoir l'assurance que l'on peut demander et recevoir une aide médicale quand on aura atteint ses limites serait une excellente façon de soulager l'anxiété à l'approche de la mort.

Les soins palliatifs et l'euthanasie ne s'opposent pas, et, pour la grande majorité des cas, dans les pays où l'euthanasie est légale, les deux approches se succèdent ou se complètent. Aux Pays-Bas, la sédation terminale -- ce qui est souvent confondu maintenant ici avec l'euthanasie passive -- elle est pratiquée encore trois fois plus souvent que la demande d'euthanasie. Alors, c'est un continuum de soins de fin de vie, dépendant des circonstances et des choix du malade.

Alors, nous croyons qu'une loi claire, qui permettrait aux malades et aux médecins toute la transparence nécessaire à une communication authentique entre le mourant, sa famille et les soignants serait nécessaire. Merci.

**(10 h 30)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Bolduc. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, compte tenu, parce qu'il y avait un petit dépassement dans le temps, peut-être deux blocs de 15 minutes. En commençant à ma droite, M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Merci, Mme Bolduc de participer aux travaux de cette commission. Vous nous avez livré le témoignage très émouvant de feue Mme Morissette qui... qui, dans le fond, interpelle la sensibilité de tous les parlementaires autour de la table qui... qui bien sûr vient nous secouer, qui vient nous remuer et qui oriente aussi un peu le sens de nos réflexions et le sens de notre consultation, parce que les textes de loi qu'on adopte ici, bien sûr, affectent la vie humaine. Et vous nous livrez ce témoignage, qui me fait beaucoup penser à un autre témoignage qui a été rapporté dans le journal Le Devoir à la suite d'un article paru en février dernier: La médecine désarmée devant la mort. Alors, il y a là un autre récit, un cas d'horreur d'une maman qui a vécu véritablement l'enfer, et sa fille qui rapporte ce témoignage.

Mais au-delà de notre grande sensibilité et de toute la compassion, on a quand même un travail de législateur à faire et on doit quand même vous poser des questions pour essayer d'évaluer le pour et le contre de la chose. Alors, je vais entrer directement dans le cadre de votre mémoire à la page... je pense que c'est à la page 1 ou à la page 2, sous le titre Mourir selon ses propres valeurs, vous dites que «le concept de dignité est personnel. De même, l'appréciation de la [...] souffrance est subjective[, seul] le patient peut témoigner de son caractère intolérable. Cela signifie que l'appréciation finale de sa condition d'existence [lui] revient.» Et ça, je pense c'est un peu votre plaidoyer, dans le fond: ça relève de la liberté individuelle des êtres humains de pouvoir décider de leur condition, de leur sort.

En lisant ce que vous avez écrit dans votre mémoire, je pensais à cet arrêt de la Cour suprême du Canada en 1993 dans l'affaire Sue Rodriguez, où les juges étaient partagés: cinq pour la majorité et quatre pour la minorité. Les juges de la minorité, je pense, avaient le même point de vue que vous défendez. La minorité donnerait, quant à elle, préséance au droit individuel et à la dignité de la personne. Sauf que les juges de la majorité n'étaient pas de ce point de vue là. Quant à eux, c'était le caractère sacré de la vie, la protection des personnes et le respect de la vie ont préséance sur l'autonomie de l'individu, car il faut craindre les abus si on permet de tels gestes. Ça a été la Cour suprême qui a tranché ainsi, ce qui m'amène à vous poser des questions sur les balises... sur...

Mme Bolduc (Hélène): Je n'entends pas très bien, moi, ici. Est-ce que... Je fais vraiment un effort d'écouter.

M. Ouimet: Demandez-moi pas de répéter, parce que je ne suis pas sûr que je vais être capable. Est-ce que ça va? Je citais un peu...

Mme Bolduc (Hélène): Oui, j'ai... la citation, mais la question, je n'ai pas compris.

M. Ouimet: O.K. Alors, la question, ça, je vais la répéter avec plaisir. Dans le fond, ça nous amène dans toute la question des balises pour éviter les dérives.

Pourriez-vous nous entretenir un petit peu sur les balises que vous voyez par rapport au droit qui est réclamé, le droit à l'euthanasie?

Pour éviter les dérives, hier, vous n'étiez pas ici, mais j'ai... et on va entendre le groupe... le comité national va venir... sur le vieillissement... va venir témoigner cet après-midi. Mais ils ont fait part, un peu, de certaines dérives qu'ils ont recensées en Belgique au cours des sept dernières années. Je sais bien que des fois c'est... ça dépend du point de vue que... du point de vue que l'on se place pour porter un... pour poser un constat.

Mais pourriez-vous nous éclairer davantage là-dessus? Et quelles seraient les balises qu'on devrait inscrire dans notre document de consultation?

Mme Bolduc (Hélène): Bon. Alors, je... pour ce qui est des interprétations des dérapages qui se font, il y a eu énormément de désinformation. Ça, c'est clair que, nous, on a été très en lien, heureusement d'ailleurs, via la World Federation, la Fédération internationale des associations, avec l'ADMD en Belgique et avec l'association hollandaise, et ce sont... Il y a eu des articles même, dans des revues américaines de prestige comme American Journal qui ont bien regardé comment se faisaient les évaluations, la codification puis le processus dans ces pays-là.

Mais, si on regarde chez nous, le Code criminel, bien sûr, c'est de juridiction fédérale, mais c'est certain que l'organisation des soins, les balises, j'imagine, viendront du consensus -- en tout cas, du consensus -- du dégagement de ce qu'une majorité de personnes voudront. Bien, moi, je crois que -- et c'est notre position -- que, quand on parle d'euthanasie, on fait toujours référence à la demande d'une personne qui est lucide et une demande, donc... et qui est en pleine possession, qui est capable de... et qui est assez informée pour prendre sa décision.

Donc, au départ, les qualités essentielles de cette personne-là pour faire un choix de... ça touche à sa capacité, sa connaissance; il faut avoir aussi une maladie qui... en général, ça prend un diagnostic ferme avec un deuxième médecin, et je pense que tout partout, puis même dans le projet initial, même modifié maintenant, de Mme Lalonde, on parle de médecin, d'un autre médecin pour confirmer le diagnostic.

Il n'y a jamais personne qui va dire actuellement en médecine quand la personne va mourir, mais on peut savoir qu'une maladie évolutive... Quand on n'est plus dans le curatif, on tombe dans les soins de confort, puis que la personne est souffrante, elle se qualifie pour au fond être aidée à mourir, on passe... de fin de vie. Puis fin de vie, c'est là que je dis que c'est personnel, c'est subjectif, la fin de vie. Ça peut être l'agonie des trois derniers jours pour certains. Pour d'autres, si on regarde Mme Morissette, elle était en fin de vie, vous êtes d'accord avec moi, mais elle a vécu deux mois de plus. Alors, pour moi, fin de vie, dans son cas, c'était au moment où, là, elle est prête, elle a fait ses adieux. Avant d'être complètement endormie, presque comateuse de morphine, bien elle va... Alors, la fin de vie, dans ce sens-là, c'est subjectif.

Pourquoi il y aurait des abus? Moi, j'hésite, je ne peux pas imaginer, on est dans une société de droit. C'est sûr qu'il y aura des abus, mais c'est vrai de tout ce qu'on se sert dans la vie. Il y a des abus sur la route, il y a des criminels, on fait des lois puis on punit ceux qui transgressent. Alors, on n'aura pas une loi parfaite puis on ne réglera sûrement pas toutes les souffrances, il y en a...

Il y a des gens qui ont des maladies mentales; j'ai travaillé, moi, avec ces gens. C'est clair que ce n'est pas dans l'état actuel du droit de la société de faire n'importe quoi. On va créer des lois qui correspondent aux valeurs de la société, et c'est en fin de vie, pour des mourants, pour des gens qui n'ont presque plus de temps, qui n'ont plus de qualité de vie, qui ont perdu un sens.

On ne peut pas tout mettre, je pense. Dans ce débat de société là, là, chacun va arriver avec sa liste d'épicerie, c'est... Moi, c'est ça qui me fait un petit peu peur, parce qu'il y a des drames en néonatalité. Est-ce qu'on va parler des bébés naissants qui survivent alors qu'ils sont déjà très handicapés, certains d'entre eux? Je crois qu'il y aura place un jour pour que les pédiatres, les éthiciens, les familles qui auront vécu des drames se penchent sur un nouveau problème: Qu'est-ce qu'on fait dans telle situation? Les valeurs d'une société évoluent, puis la médecine a tellement changé dans les 25 dernières années qu'on doit se poser des questions qu'on ne se posait pas il y a 50 ans.

Alors, pour moi, les balises, dans le moment, et c'est ce que notre association se penche... sur le droit d'une... obtenir le droit pour une personne lucide qui est majeure, qui connaît sa condition, qui est en fin de vie, qui reconnaît qu'elle est au bout de ses limites et qui demande d'être aidée à mourir. C'est ça.

M. Ouimet: Bien. Et nous aurons à faire, nous, l'évaluation à savoir, là, si les cas de dérive, s'agit-il de désinformation ou s'agit-il véritablement d'un constat qui est réel? Comme législateurs, on aura à se poser la question. Mais on va se documenter davantage...

Mme Bolduc (Hélène): Oui.

**(10 h 40)**

M. Ouimet: ...et les médecins, en passant, allaient dans le même sens que vous hier, en disant qu'ils sont très confiants qu'on puisse placer des balises qui donneraient la zone de confort à toute la société.

Mme Bolduc (Hélène): La raison aussi pourquoi je pense qu'il y a de la désinformation, c'est que j'ai même fait des démarches l'été dernier, il y avait un article dans un journal anglophone où on avait dit que les gens partaient de la Hollande en autobus pour mourir en Allemagne parce qu'ils avaient peur d'être euthanasiés. J'ai trouvé ça tellement gros. Puis, moi, je n'avais pas de réponse, là. Je sais que c'est faux, mais j'ai écrit à mes amis en Belgique et en Hollande: Mais, au secours! d'où ça vient, cette rumeur-là?

Mais, tu sais, ce n'est pas parce que c'est écrit dans Allô Police, nous autres, qu'on croit tout, hein. Bien, eux aussi, ils ont des détracteurs, puis il y a des gens qui ont sorti n'importe quoi. Puis la rumeur a couru longtemps que les gens quittaient la Hollande pour aller en Allemagne. Bien, je regrette, là, si j'avais à choisir, moi, la Hollande, c'est un pays, je trouve, qui est très civilisé. Puis, de plus, ils reconnaissent depuis longtemps ce droit. Et j'ai rencontré les meilleurs médecins du monde, qui sont très humains et que j'aimerais bien avoir à mon chevet, et je n'en aurais pas peur, je peux vous le dire.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Bonjour.

Mme Bolduc (Hélène): Bonjour, madame.

Mme Charbonneau: Vous avez plus tôt, dans votre entrée, que vous portez la lourde tâche d'être la présidente de votre association. Vous avez raison, c'est sûrement une lourde tâche d'avoir à porter ce bâton de pèlerin qui fait appel à la dignité, mais surtout à la mort. Ce n'est pas simple.

Mme Bolduc (Hélène): Non.

Mme Charbonneau: Dans le document que vous nous avez fait parvenir, il y a plein de choses intéressantes, il y avait d'ailleurs le témoignage de Mme Morissette que vous nous avez lu... et à laquelle vous donnez une intonation particulière. Je ne sais pas si elle l'a écrit avec votre intonation en tête, mais vous le faites très, très bien. Vous faites un commentaire sur le testament de vie en disant: Serait-il intéressant d'avoir un testament de vie obligatoire? Et vous allez jusqu'à dire de le mettre dans une loi spéciale.

Mme Bolduc (Hélène): Ah, bien, c'est sûr que là je trouvais que... je pensais avoir dépassé mon temps, puis j'ai laissé tomber la question du testament de vie parce que je savais que, bon, bien, d'autres en avaient parlé aussi déjà.

Nous autres, on en fait la promotion, d'un testament de vie, parce qu'on sait très bien que, d'abord, ça nous aide mentalement à nous préparer puis à dire à nos proches qu'est-ce qu'on aimera en temps et lieu, quand ça viendra. Et d'autant plus que, si on a une mort imprévue, un anévrisme, un ACV, bien, aussi bien dire à notre mandataire et à nos proches comment on voit les traitements.

Parce qu'il y a encore, là, il y a toute une zone, on peut faire de l'acharnement thérapeutique, puis en blâmer après des fois c'est la famille, c'est fois c'est les médecins; personne n'ose prendre la décision. Donc, c'est une forme de respect, je pense, de son environnement que de dire ce qu'on souhaite. Alors, le testament de vie, il y en a plusieurs. Nous, on en a fait un parce qu'on trouvait qu'il était clair, il est bien rédigé, ça ne demande pas un cours énorme pour être capables de comprendre les termes, il a été validé par des experts en neurosciences. Donc, on décrit seulement: Si je ne suis pas en phase... si je suis en phase terminale, voici ce que je veux, puis si je ne suis pas en phase terminale, mais que je ne peux pas participer aux décisions, soit par une maladie dégénérative -- l'Alzheimer en étant une, mais il y en a d'autres -- je veux ceci et cela. Déjà ça, ça aide la famille et drôlement les administrations hospitalières qui ont besoin, je crois. On parle de balises, bien commençons par faire nos propres balises de ce qu'on veut nous-mêmes qui sont même légales. Tu sais, là, on n'a pas besoin de changer quoi que ce soit.

Alors, si le gouvernement, je pense que, ça, c'est pour ça qu'on a dit: Est-ce que ça devrait être une loi? C'est qu'on nous a dit depuis le début que le Code civil du Québec était très clair, qu'il y avait des articles, comme l'article 10 qui reconnaît le droit de la personne à son autonomie puis à sa volonté, puis que ça va jusqu'à la mort. Donc, selon certains, le Code civil est suffisamment clair pour que les directives de fin de vie soient respectées, je dirais, automatiquement. À moins d'une urgence, on s'entend, là, mais que ce soit clair.

Puis d'autres personnes croient que -- mais là c'est des juristes, hein -- croient qu'il faudrait peut-être avoir une loi spéciale pour le rendre contraignant. Je peux vous dire que, dans notre comité d'éthique, c'est partagé même. Il y a un médecin qui trouve que c'est suffisamment clair pour la plupart des... pour les médecins en général et la famille qu'une fois qu'un texte est écrit puis que c'est la volonté de la personne, ils vont le respecter et que, si on rend ça contraignant, ça pourrait avoir autant de désavantages.

Parce qu'on ne veut pas, nous, judiciariser la mort, tu sais, que ça devienne un processus, là, qu'il faut faire venir des avocats, des juges, des éthiciens à chaque fois qu'il y a un problème. Alors, voilà, je me pose moi-même la question: Est-ce que la loi est suffisante maintenant? Mais, nous, le testament, on y croit quand même.

Le Président (M. Kelley): Dernier court commentaire.

Mme Charbonneau: Juste pour compléter. Dans le fond, je vous posais la question parce que vous savez que le testament dit régulier, celui qui fait qu'on se libère de nos biens à notre mort, n'est pas obligatoire. C'est une...

Mme Bolduc (Hélène): Il n'est pas obligatoire.

Mme Charbonneau: Non, il n'est pas obligatoire. Donc, je voulais juste revenir un peu là-dessus. Mais ça me rappelle aussi que vous avez parlé des gens aptes et vous n'avez pas nécessairement parlé des gens inaptes.

Mme Bolduc (Hélène): Très difficile.

Mme Charbonneau: Et, dans le fond, votre testament, puis ça se répond par oui ou par non, mais le testament vient faire en sorte que la personne se doit d'être apte pour pouvoir poser ce geste-là puisque, si elle est inapte, elle ne pourra pas comprendre le principe du testament.

Mme Bolduc (Hélène): C'est pour ça qu'il faut le faire avant qu'il soit trop tard, faire nos testaments de vie quand on est capable, parce qu'on a besoin de deux témoins pour attester, puis on l'a fait lucidement. Et voilà. Ça ne fait pas de mal à personne, de faire un testament.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Bonjour, Mme Bolduc. Merci infiniment pour votre témoignage. D'entrée de jeu, vous avez dit que vous ne saviez pas si vous pourriez garder votre calme, mais je peux vous dire que vous aviez un calme olympien, c'est d'occasion, pendant la lecture du témoignage. Et c'est très riche pour nous. Je veux que vous le sachiez parce que c'est des expériences qu'on n'a pas la... on ne peut pas avoir ce témoignage-là. Donc, je vous remercie d'avoir eu cette audace-là, parce que je pense que des fois on vient en commission parlementaire et on se dit: Mon Dieu! est-ce que c'est un langage admissible? Et c'est des réalités tellement concrètes. Moi, je veux vous remercier.

Parce que, si on a décidé de faire cette commission-là, c'est parce que justement, hier on en parlait avec le Collège des médecins et la Fédération des médecins spécialistes qui nous disaient: Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable, et je leur disais: Bien, c'est justement, on veut attaquer les questions de front et surtout pas se mettre la tête dans le sable. Donc, vous nous avez bien permis de ne pas se mettre du tout la tête dans le sable. Puis je veux vous remercier de votre audace puis de votre humanité à amener ce témoignage-là aujourd'hui. Je pense que c'est tout à... c'est assez impressionnant.

Je sais que vous avez une très grande connaissance du domaine, alors j'aurais des questions. Parce que vous savez que, nous, on est dans une logique de préparer la consultation auprès de la population et on a un souci de soumettre aux gens l'ensemble un peu des questions dans les termes les plus simples et clairs possible. Hier, on a parlé... je veux juste... j'aurais plusieurs questions puis je sais que mes collègues en ont, là, donc je vais essayer de me restreindre.

Hier, on a parlé... le Collège des médecins a une crainte: que le médecin ne soit réduit qu'à un rôle d'exécutant, dans la mesure où l'autonomie de la personne prend toute la place. Je comprends que votre position, c'est vraiment l'autonomie, la personne au centre de tout.

Et je leur ai demandé évidemment, parce qu'à la lumière du Code civil qui a vraiment fait le choix de l'autonomie pour le refus de traitement, et tout, comment ils conciliaient ça. Eux, ils disent qu'il faut laisser la place au rôle du médecin. Comment vous voyez le rôle du médecin et la conciliation avec l'autonomie de la personne?

**(10 h 50)**

Mme Bolduc (Hélène): Pour moi, le médecin est là pour bien sûr faire le diagnostic. Il doit confirmer le diagnostic. Ça, c'est le rôle, c'est sa formation. Sa science lui permet de dire: Avec tous les examens, tout ce qui existe, bon, on en est rendus là. Mais il n'y a personne aussi qui peut forcer le médecin, même le malade qui a le droit et ultimement le choix, il faut que ça se fasse... Et c'est sûr que le médecin doit être d'accord pour pratiquer l'euthanasie; personne ne va forcer... D'ailleurs, c'est un... c'est comme... c'est un geste qui n'est jamais banal. Et il faut avoir une relation privilégiée avec un médecin.

Une d'ailleurs des inquiétudes que j'ai, parce qu'il y en aura d'autres, ça amènera à des réflexions beaucoup plus larges. On n'a pas beaucoup de médecins de médecine générale qui rentrent dans les hôpitaux au Québec. Alors, c'est bien sûr qu'un spécialiste qui est de garde, qui fait sa tournée de soins palliatifs, ne sera jamais apte à installer... à aider la patiente puis à rester à côté. Écoutez, ça prend 20 minutes, là, alors il ne va pas... Il faut avoir une relation, il faut connaître le malade, il faut être... il faut être près de lui et être d'accord avec le geste qu'on va poser, parce que le médecin aussi a besoin d'être... de se sentir en... que ça va selon sa conscience, le geste qu'il est en train de poser. Mais il y en aura, des gens qui sont capables.

Tu sais, moi, je compare ça, des fois, je me dis: Il y a eu des... il y a des gens qui ont... il y a des femmes qui ont vécu des avortements, par exemple. Ce n'est pas tous les médecins qui sont d'accord avec l'avortement, et ce n'est pas tous qui pourraient le faire à n'importe qui, n'importe quand, mais, un médecin qui connaît bien une situation donnée d'une femme ou d'une fille qui vient le voir, bien il n'est pas traumatisé pour le reste de ses jours, là. Il se sent bien, il est d'accord, il fait selon sa conscience. Dr Morgentaler, il l'a dit combien de fois: ce n'est pas qu'il n'aimait pas les enfants, il en avait sept, mais il l'a fait en conscience.

Alors, moi, je me dis que, les médecins qui pourraient aider le malade, ça devra être un médecin qui a... qui connaît ce malade-là. Comment on organisera ça? Ce n'est pas compliqué, la plupart des gens en ont, des médecins de médecine générale à cette étape-là. Ils ont des spécialistes aussi. Il s'agira que c'est eux, c'est le malade qui dit: C'est le Dr Untel, là. C'est à lui qu'ils font la demande. Les neurologues, ils suivent leur monde 30 ans... pour les maladies dégénératives. Ils le savent, ce que la patiente suit.

Mme Hivon: Merci. Là, maintenant, j'aimerais... De ce que je comprends de votre association, il y a des gens qui vous livrent des témoignages, qui vous appellent, qui vous demandent s'il y a de l'aide possible. Alors, j'aimerais savoir, parce qu'hier on a eu tout un échange sur la sédation palliative avec le Dr Barrette. Et donc Dr Barrette nous disait que, la sédation palliative, ça se pratique partout et que, pour beaucoup de médecins, en fait, c'est une forme d'euthanasie parce qu'il dit que, même si ce n'est pas un geste clair pour provoquer la mort, dans les faits, quand on le pose avec l'idée que ça va peut-être entraîner la mort mais que c'est pour soulager la souffrance, que le «peut-être», souvent, il n'est pas vraiment un «peut-être», et qu'on sait que ça va entraîner la mort, d'où sa logique de dire, lui, que, selon lui, c'est une forme d'euthanasie.

Je ne veux pas qu'on entre vraiment là-dedans, mais, ce que je lui disais, c'est que, nous, on reçoit des témoignages, hein, en étant membres de cette commission-là, et il y a quelqu'un qui, par exemple, me disait: Moi, ma... mon conjoint me demandait, demandait à l'équipe d'avoir... de pouvoir mourir, tout ça, il lui restait quelques jours à vivre. Et ce qui m'a amené à... Et on ne lui a pas offert la sédation palliative, bon, tout ça, il était dans une agonie qui a duré plusieurs jours, et j'ai donc demandé au Dr Barrette: Est-ce que c'est à dire qu'il y a des différences de pratique d'un endroit à un autre?

Et vu votre expérience dans le concret, est-ce que vous estimez qu'il y a beaucoup de différences de pratique en fin de vie dans les... selon qu'on est dans des hôpitaux, dans des maisons de soins palliatifs? Est-ce que les approches sont significativement différentes?

Mme Bolduc (Hélène): Bien, d'abord, je dois vous dire que, moi, je n'y suis pas, là. J'ai dit: C'est toujours des témoignages des gens qui... Je me suis quand même assez informée pour voir plusieurs médecins, rencontrer des soignants, des infirmières qui travaillent dans différentes maisons de soins palliatifs.

Oui, il y a des différences. Il y a beaucoup d'arbitraire parce qu'il y a aussi beaucoup de valeurs. On est toujours dans ça. On n'en... on n'en ressort pas.

Si on a un médecin de garde en soins palliatifs à tel hôpital, le médecin qui demande un transfert va dire: Ah, si c'est... Seigneur, si ça pouvait être un tel. C'est vrai qu'il y a des différences, il y a... parce qu'il n'y a pas un droit. Et le... et la sédation dont vous parlez, c'est ça, le trou noir. Elle est apparentée à de l'euthanasie parce que ça va précipiter, mais d'autres vont dire: On ne meurt pas de morphine, c'est faux. La sédation en question, c'est un protocole qui permet d'agir sur les symptômes. Quand on n'est plus dans le curatif, on est dans le palliatif. Bon. Ça veut dire que c'est juste du confort, mais, le confort, pour certaines personnes, c'est juste: On soulage sa douleur, ça va. On augmente la morphine, ça va. Si vous ajoutez à ça des douleurs abdominales ou des douleurs viscérales pour lesquelles on ne peut pas soulager, on va... puis qu'en plus il y a une anxiété épouvantable parce qu'on a peur d'étouffer si c'est un cancer de la gorge, ou... on va donner un anxiolytique, on va donner d'autre chose.

Alors, on donne des cocktails de médicaments jusqu'au moment où la personne, elle dort. Ce n'est pas compliqué, ce n'est pas l'anesthésie, c'est une espèce de coma. Et là les gens peuvent durer quelques jours, quelques semaines, ça dépend des résistances. Si c'est quelqu'un qui a fait un ACV et qu'il n'y a pas de traitement, ça peut... puis qui est gros, bien, ça peut prendre trois semaines, mais c'est sûr que si c'est quelqu'un qui est à la toute fin, qui est fragile, puis qu'en augmentant la morphine, bien le coeur ralentit au point que...

Bon, qu'est-ce qui provoque la mort? C'est la maladie qui fait mourir, et le reste, c'est une question de dosage et d'opinion et de vitesse à laquelle on donne cette sédation-là.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, madame, de votre témoignage. Ça va chercher des émotions, je pense, qui sont saines pour le débat, parce que bien sûr -- mon collègue le disait -- quand on écrit des textes de loi, c'est pour répondre aux besoins de la population, des personnes, et je pense qu'il ne faut jamais oublier ça.

Moi, je me réfère un petit peu à votre présentation. Vous vous référez au nombre de membres que vous avez, et je suis un petit peu curieuse de savoir -- avec l'appellation de votre groupe, Association pour le droit de mourir dans la dignité -- quelles sont les principales demandes ou points de sensibilité des gens qui vont vous voir, qui sont regroupés dans votre association? Est-ce que c'est des demandes d'information? Est-ce que c'est des questionnements quant au rôle du médecin, la place de la famille dans la décision? Quelles sont les principales questions qui vous sont soulevées?

Et une deuxième question sur le testament de vie. Je sais que vous en parlez, on a lu les documents, et tout ça, tout à l'heure on disait: Est-ce que ce doit être contraignant ou pas? Mais actuellement, dans l'état des choses, est-ce que vous avez l'impression que les testaments de vie qui sont laissés sont respectés? Parce qu'hier on a eu des points de vue un peu différents de la part des différentes associations: pour d'aucuns, c'était pris en considération, mais il pouvait y avoir une décision autre, et pour un autre groupe, c'était: On confirme que c'est respecté dans tous les cas, mais... Disons qu'on a des questionnements sur: Est-ce que la situation actuelle nous place dans une situation de respect des volontés des personnes?

Mme Bolduc (Hélène): Bon. Pour la dernière question, je vais vous dire comme les autres, on ne le sait pas parce qu'on n'a pas de données. Il faudrait voir dans... je pense que le gouvernement, le ministère des affaires sociales aurait les moyens de faire... de voir.

D'abord, est-ce qu'on demande aux gens qui sont hospitalisés dans les institutions: Est-ce que vous avez des volontés s'il arrive quelque chose? Dès qu'on rentre à un hôpital, on est à risque de toute façon. Alors, il faudrait qu'on sache quoi faire avec le malade. S'il a subi une opération, qu'est-ce qu'on fait? Je ne sais pas, mais je sais que, dans trois hôpitaux de Montréal, on m'affirme que c'est clair que, pour le médecin, le testament de vie, quand la personne lui a dit: Docteur, si jamais je ne me réveille pas sur la table d'opération, mes papiers, puis tout, c'est clair. C'est clair.

En urgence, par exemple, on ne respecte pas, c'est vrai. Une réanimation -- c'est un exemple qui m'a été donné la semaine dernière -- une personne va pour une colonoscopie et, juste au moment où le médecin va lui faire une petite injection de Versed pour l'aider -- parce que maintenant on essaie d'être un petit peu moins barbare -- eh bien elle lui dit: Puis si jamais je ne me réveille pas, bien je ne veux pas être réanimée. Bien là, il dit: Écoutez, je ne peux pas faire l'examen. Elle était en bonne santé, tu sais. Et alors il lui expliqué: Madame, si vous refusez, ça va, moi, je ne ferai pas votre examen, mais je ne peux pas me permettre, là, comme ça... Il ne la connaît pas, tu sais.

Alors, j'ai soumis le cas à notre comité d'éthique, Dr Boulanger m'a répondu: Dans une urgence, à l'hôpital, alors que la réanimation est possible dans les secondes, il n'y a pas de séquelles normalement, donc ça devient un bon geste médical. C'est de l'éthique médicale, ils pourraient même être poursuivis s'ils ne réaniment pas. Alors que, si on trouve quelqu'un qui est couché par terre, on ne sait pas quand est-ce que c'est que c'est arrivé, puis qu'on trouve une petite carte: Réanimez-moi pas, dans son... bien, on ne le réanime pas. Mais si on le fait parce qu'on ne le sait pas, il sera toujours après, comme on dit, avec un testament, de venir dire: Cette personne-là était déjà cardiaque, elle est morte, on laisse tomber les moyens exceptionnels puis on débranche. Il y aura eu une décision, mais en urgence, on va au plus... on essaie de sauver la vie.

Mais, pour la première, là, je l'ai un petit peu oubliée, votre question. Vous m'avez posé deux questions.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Oui. La première c'était: Quel genre de demandes vous sont acheminées le plus fréquemment? Qu'est-ce que c'est, les points de sensibilité des gens?

Mme Bolduc (Hélène): À l'association?

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Oui.

Mme Bolduc (Hélène): Bien d'abord, les...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Les principales problématiques qui vous sont soumises.

**(11 heures)**

Mme Bolduc (Hélène): Les problématiques, c'est des gens qui savent qu'ils s'en vont aux soins palliatifs, qui connaissent leur condition. Ça a été, je dirais, dans une drôle... parce que plus des cancers du poumon puis de la gorge, il n'y en a pas des tonnes, là, je ne vous ferais pas accroire que le téléphone... ce n'est pas l'Urgence santé chez nous, là, mais des gens qui savent qu'on existe, qui en ont entendu parler puis qui pensent que peut-être on pourrait les aider.

J'ai eu deux demandes d'accompagner des gens à Dignitas. Je leur ai dit: On ne peut pas. Ce n'est pas qu'on ne peut pas moralement, parce qu'on n'a pas de fonds, on n'a pas d'argent, ce n'est pas dans nos objectifs, et, nous, on a depuis le début voulu travailler seulement sur le plan politique de changer la loi. Mais j'en ai un, malade, là, qui espérait qu'on trouve des fonds pour lui parce qu'il veut partir. Il est à la toute fin vraiment de sa vie et... Mais c'est clair que c'est non. On ne commence pas ça.

Puis le but derrière tout ça, la plupart du temps, en Europe en tout cas, quand ils ont publicisé ça, c'était pour faire avancer la cause; puis, moi, je ne suis pas à l'aise avec ça.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte question, Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe: Merci, madame, pour votre témoignage. On a parlé: Est-ce que, quand la personne arrive en fin de vie, que ça serait peut-être bien que son médecin de famille soit là pour informer, pour discuter. Parce que c'est bien évident que, quand on a fréquenté un peu les hôpitaux, on sait comment ça se passe. Vous avez un médecin spécialiste une journée, le lendemain, c'est son assistant, ça va être quelqu'un d'autre.

Est-ce que le testament de vie ne devrait pas être appuyé par le médecin de famille? Entendons-nous, pour les personnes qui ont un médecin de famille, là, c'est... Est-ce que ça ne devrait pas être inscrit et qu'on puisse demander que notre médecin de famille soit présent au moment où nous souhaiterons que...

Une voix: ...

Mme Lapointe: Oui. Est-ce que la... Parce que, moi... j'ai bien de la difficulté à croire ce qu'on entendait hier, qu'on entre dans un CHSLD puis il y a toute une équipe de soins qui regarde notre testament de vie et qui met ça à jour à tous les mois. Ce serait l'idéal, là, mais je ne pense pas que ça se pose comme ça. On sait que beaucoup de testaments de vie n'ont pas été respectés. Mais la notion du médecin traitant que vous avez apportée, je pense que, ça, ça pourrait peut-être... faciliter les choses.

Mme Bolduc (Hélène): D'ailleurs, des gens en ont besoin des fois même pour être renseignés. Parce que tu fais un testament de vie, tu as besoin de savoir vraiment... je ne sais pas, moi, les gens, avec leur médecin de famille... mais ça peut être aussi des fois des spécialistes.

On ne peut pas nier que les spécialistes, dans le moment, suivent les mêmes patients souvent très longtemps. On meurt de plus en plus de maladies chroniques vers la fin de la vie. Ça fait des années que les gens sont suivis. Alors, c'est vrai qu'un médecin... tellement vrai que, dans le plan de réforme d'Obama, il donnait droit aux gens... ça n'a pas passé, son... mais quand même d'avoir une consultation pour aider les personnes à faire le testament de vie.

Moi, j'ai aidé des personnes. C'est drôle, j'avais fait une conférence une fois dans une résidence, et il y avait des personnes qui n'avaient personne d'autre pour donner le mandat. Puis ils m'avaient dit: Vous avez l'air d'une bonne personne, voulez-vous que je vous mette sur mon testament pour décider à ma place? Puis là j'ai dit: Bien non, mais vous êtes malade, vous avez déjà un médecin... Ah, oui, oui. Mais je n'ai plus de cousine, je n'ai plus personne. Parlez-en à votre médecin, qu'il mette ça sur votre dossier, puis dites-lui où vous en êtes.

C'est la grande, grande angoisse. Je sais que vous vous occupez des personnes âgées, c'est une de vos préoccupations. Quand je vais dans des résidences... bien pas des centres de soins prolongés, je n'y vais pas, les gens ne sont pas à cette étape-là. Mais dans les résidences de personnes âgées, encore la semaine dernière, un groupe d'entraide de Saint-Léonard, les gens me disaient: Ah, je suis tellement bien aujourd'hui, là, je vais aller rédiger... C'était comme... c'était clair tout à coup, ça leur enlevait de l'anxiété. Je vais en parler à mon médecin puis je vais dire ce que je veux.

Alors, on fait déjà un travail de ce côté-là de soulager un peu d'anxiété face au fait qu'on va perdre du pouvoir. Je n'ai pas répondu très vite pour la question des médecins qui voudraient être très, très consultés, c'est sûr, partie prenante de la décision, c'est sûr, mais ce n'est pas eux qui ont la décision finale. Il faut qu'ils soient... ils accompagnent. Puis s'ils ne se sentent pas à l'aise avec une demande de malade, bien qu'ils trouvent un collègue pour le faire. Et puis ça ne se fait pas en catastrophe, ça, là, là. Tu sais, je veux dire, ce n'est pas... Ils ont le temps. On a le temps de réfléchir.

Le Président (M. Kelley): Sur ce, il me reste juste à dire merci beaucoup, Mme Bolduc. C'était très fidèle à la mémoire de Mme Morissette. Vous avez très bien présenté ses propos devant les membres de la commission. Sur ça, je vais dire merci beaucoup et je vais suspendre nos travaux. Et je vais inviter Mme Marcoux pour venir à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 11 h 5)

 

(Reprise à 11 h 8)

Le Président (M. Kelley): ... de la santé et de services sociaux reprend ses travaux. Notre prochaine invitée, c'est Mme Isabelle Marcoux, qui est professeure dans le département de psychologie à l'Université du Québec à Montréal, qui a une présentation PowerPoint, si j'ai bien compris, alors on est en train d'installer l'ordinateur comme il faut. Alors, sans plus tarder, Mme Marcoux la parole est à vous.

Mme Isabelle Marcoux

Mme Marcoux (Isabelle): Alors, je tiens tout d'abord à vous remercier pour cette invitation à présenter devant cette commission. Alors, moi, je suis ici en tant que chercheure, chercheure qui s'intéresse aux enjeux liés à la fin de vie. Donc, je vais partager avec vous certains observations et réflexions qui sont issues de mes travaux.

Alors, ce que je me propose pour les prochaines 20 minutes, c'est... mon propos va s'orienter autour de deux axes: en premier lieu, je vais aborder la question de l'importante confusion qui existe autour de la terminologie même de la question qui est posée aujourd'hui; et, en deuxième lieu, dans l'éventualité d'une modification des lois qui permettrait l'euthanasie ou le suicide assisté, je vais vous présenter quelques données de recherche sur ces pratiques dans les pays où c'est légal et les enjeux qu'une telle légalisation peut poser, et quelques recommandations.

**(11 h 10)**

Donc, source de confusion... Donc, ce qui nous rassemble aujourd'hui, c'est un sujet extrêmement sensible. C'est un sujet qui suscite de vives émotions, mais c'est aussi un sujet qui est très, très complexe de par les différentes implications qui en découlent. Un des problèmes de ce débat qui est malheureusement souvent stérile est, selon moi, la grande confusion qui entoure la terminologie et les expressions qui sont utilisées. Dans ce sens, je questionne déjà à la base, l'utilisation même de l'expression «droit de mourir dans la dignité».

Alors, pourquoi est-ce que je la questionne? Parce que qu'est-ce que ça veut dire réellement «le droit de mourir dans la dignité»? Déjà à la base, je considère que c'est une formulation qui clôt le débat, parce qu'il n'y a personne qui peut dire qu'il est contre le droit de mourir dans la dignité. On veut tous mourir dignes, donc déjà il y a une prise de parti dans ce type de débat.

Ensuite, quand on parle de dignité, de quoi est-ce qu'on parle exactement? Donc, on est parti, avant, d'une signification de la dignité ontologique, qui était plutôt comme une valeur accordée à chaque être humain, et il y a un glissement dans la signification du concept, qui est plutôt... maintenant on utilise le terme «dignité» dans un sens de dignité de décence, hein, plutôt une convenance subjective, une interprétation pour soi-même de qu'est-ce que c'est, d'être digne ou pas. Donc, c'est difficile de s'entendre sur: qu'est-ce que ça consiste exactement d'être digne?

D'autre part, le droit de mourir dans la dignité, ça présuppose que c'est un droit qui n'est pas existant, donc que ça envenime déjà la confusion. Donc, pourquoi est-ce qu'on parle d'un droit de la dignité aujourd'hui? En principe, c'est parce que c'est un droit qui n'est pas nécessairement reconnu. Donc, le problème avec ça, c'est que ça crée de la méfiance: ça crée de la méfiance, ça crée une scission entre les patients, les familles et le milieu médical. Donc, je considère que c'est une expression qui amène toutes sortes de confusions.

Alors, ce que je vous propose, quand on parle des enjeux liés à la fin de vie, il y a différents termes qui sont utilisés, O.K., on parle d'euthanasie, de suicide assisté, de traitement pour soulager les douleurs ou de double effet, d'arrêt de traitement, d'abstention de traitement. Ce que je me propose, c'est de vous définir ces termes, des définitions qui sont reconnues à peu près internationalement, et de donner un peu d'information sur quelle est la situation actuelle par rapport à chacune de ces pratiques ou de types de décision de fin de vie.

Donc, l'euthanasie, en quoi ça consiste? C'est l'acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui pour mettre fin à ses souffrances. Donc, j'ai tiré cette définition du Sénat du Canada, de 1995, suite aux travaux qui avaient été faits par le Sénat sur la question du droit à la vie et à la mort. Donc, si on prend un exemple, ce pourrait être le fait de donner une injection de morphine dans l'intention de causer la mort de la personne. Dans les pays où l'euthanasie est légalisée, dans la définition même de l'euthanasie, le terme... la demande même de la personne est inhérente à la définition, ce qui veut dire qu'en principe, quand on parle d'euthanasie, c'est fait selon les volontés de la personne, c'est elle qui fait la demande initiale. Donc, ici, au Canada, le terme «euthanasie» n'a aucune valeur légale, ça n'existe pas dans la loi, et donc tout acte intentionnel qui a comme résultat la mort d'une autre personne est considéré comme un meurtre au premier ou au deuxième degré.

Quand on parle de suicide assisté, voici une définition qui avait été définie par le Groupe d'étude national sur le suicide au Canada en 1994: donc, c'est lorsqu'un médecin ou un autre individu accepte de procurer à une personne les moyens de se suicider ou de l'information sur la façon de procéder. Dans les pays où le suicide assisté est légalisé, c'est un médecin qui prescrit la médication létale pour que la personne s'enlève la vie elle-même.

Donc, ici, au Canada, il y a un article du Code criminel, l'article 241, qui dit que: «Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de 14 ans quiconque, selon le cas:

«a) conseille à une personne de se donner la mort;

«b) aide ou encourage quelqu'un à se donner la mort, que le suicide s'ensuive ou non.» Or, voici l'état actuel.

Quand on parle de soulagement de la douleur, ça consiste en quoi? ça consiste à administrer des médicaments en quantité suffisante pour contrôler la douleur, et ce, au risque même de hâter la mort. Donc, ce qu'il faut comprendre ici, c'est que la distinction entre euthanasie et soulagement de la douleur -- tout à l'heure on parlait de sédation palliative, mais encore là il y a des petites nuances -- donc ici l'intention, c'est de soulager les douleurs, mais l'augmentation des doses peut provoquer éventuellement la mort.

Donc, c'est un phénomène qu'on appelle, dans la littérature ou au niveau de international, le double effet. C'est considéré comme une bonne pratique médicale. Ça vise à soulager adéquatement les douleurs des personnes en fin de vie et ça a été institué justement pour contrer la négligence qui peut découler de part... de poursuites judiciaires de la part des médecins.

L'arrêt de traitement, maintenant, c'est le fait de demander qu'un traitement qui est entrepris soit interrompu de façon temporaire ou définitive, et ce, avec la conséquence d'abréger les derniers jours du mourant. Donc ça, c'est une définition, Commission de réforme du droit du Canada, 1983.

Je ne dis pas que c'est des définitions idéales mais elles représentent bien de quoi on parle. Donc, pour donner un exemple d'arrêt de traitement, c'est de débrancher le respirateur qui maintient une personne en vie. Donc, c'est considéré comme étant un traitement extraordinaire. C'est à cause de ce traitement que la personne est maintenue en vie. Si on enlève le traitement, la personne décède.

Donc, ici, encore une fois, ça présuppose quand même une demande ou un consentement du patient, donc il est conscient de sa condition et des conséquences d'une telle décision. C'est considéré comme étant un bonne pratique médicale, donc ce qui veut dire que laisser la nature suivre son cours ne constitue pas une infraction criminelle, et c'est un droit reconnu pour contrer l'acharnement thérapeutique.

L'abstention de traitement, on pourrait dire, on pourrait le mettre un peu avec l'arrêt de traitement, mais, qui, ici, est avant d'amorcer le traitement. Donc, on décide de ne pas donner un traitement qui permettrait de prolonger la vie. Donc, ça pourrait être, par exemple, refuser d'être alimenté ou d'être hydraté artificiellement, d'être réanimé suite à un arrêt cardiaque ou de recevoir une transfusion sanguine. Donc, même chose que l'arrêt de traitement, ça présuppose tout de même une demande ou un consentement. C'est considéré comme une bonne pratique médicale et, souvent, c'est une décision qui est prise quand on évalue les coûts et bénéfices qui sont attendus des traitements qui sont proposés.

Donc, ça fait un peu un tableau de, quand on parle de la fin de vie et des décisions qui sont prises et des pratiques médicales, ça concerne en gros ces différents types de pratiques. On voit ici, ça, c'est une nomenclature que j'avais développée dans le cadre de ma thèse de doctorat. Donc, ici, abstention de traitement, arrêt de traitement et soulagement des douleurs, comme je disais, qui sont considérés en ce moment, supposément comme étant de bonnes pratiques médicales et, l'euthanasie et le suicide assisté qui, au jour d'aujourd'hui, ici, sont considérés comme étant des pratiques illégales, hein?

Et, je mettrais peut-être l'emphase sur ce qui les distingue et ce qui fait que ces pratiques sont considérées illégales: c'est l'intention. Pour l'euthanasie et le suicide assisté, l'intention est de provoquer la mort, tandis que, dans les autres pratiques, l'intention est de laisser survenir la mort ou de soulager les douleurs. Et, ce qui est aussi intéressant de voir, c'est au niveau de l'exécuteur -- c'est peut-être un drôle de terme mais, exécuteur, dans le sens de la personne qui va poser le geste qui cause la mort: dans le cas de l'euthanasie, c'est une personne autre, hein, en l'occurrence le médecin, tandis que dans le suicide assisté, c'est la personne elle-même qui pose le geste qui cause sa mort.

Donc, on voit que ces différents termes se définissent, se distinguent, mais il y a énormément de confusion sur ces différentes terminologies. Confusion, d'une part, dans la population québécoise. Donc, en 2002, j'avais effectué un sondage auprès de la population avec un échantillon représentatif de la population québécoise et j'avais posé des questions avec des petites vignettes pour savoir: Est-ce que les gens considéraient que telle pratique était ou non de l'euthanasie. Ce que ça montrait, c'est qu'effectivement il y a énormément de confusion et que les gens distinguent difficilement les pratiques illégales des pratiques légales.

Donc, on voit ici que, dans la description d'un arrêt de traitement, près de 60 % de la population croyait que c'était de l'euthanasie. Donc, l'exemple qui était donné, c'était débrancher un respirateur qui maintient la personne en vie suite à sa demande. Donc, près de 60 % de la population considérait que c'était de l'euthanasie. Le soulagement de la douleur, près de 40 %; et de l'abstention de traitement, près de 31 % croyait que c'était de l'euthanasie.

**(11 h 20)**

Donc, cette confusion, malheureusement, ne se retrouve pas seulement dans la population. Cette confusion se retrouve très souvent dans les médias et aussi auprès du corps médical.

Alors, j'ai choisi deux petits extraits juste pour illustrer mon propos. Une capsule de l'émission Une pilule, une petite granule qui a été diffusée le 26 novembre 2009, et là je vous fais un verbatim un peu d'une partie de cette capsule sur l'euthanasie. J'ai surligné en rouge les termes qui justement amènent peut-être de la confusion sur ce dont on parle. Donc, ici, donc l'animatrice dit: «Il y a des pays européens où on autorise l'euthanasie, et il faut qu'on se penche sur la question maintenant parce que de plus en plus on va être confrontés à la problématique.» Bon. À la problématique de quoi?

«Et déjà, effectivement, avec l'augmentation de l'espérance de vie et puis les avancées de la médecine, on garde maintenant en vie des gens dans des conditions de plus en plus complexes.» Donc là, ici, pour moi, on parle peut-être plutôt d'acharnement thérapeutique. Et c'est un médecin quand même qui parle.

Et là, la coanimatrice dit: «Mais ça ne se fait pas déjà dans la pratique médicale de débrancher quelqu'un?»Alors, on parle ici d'arrêt de traitement. Et le médecin répond: «Oui. Mais le problème, c'est que, si on regarde le Code criminel qui est très précis, il y a deux articles: un, "Homicide. Commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d'un être humain." Et en plus on rajoute: Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée.» Autrement dit, même si le patient est d'accord, si un médecin pose un geste qui met fin à sa vie, il pourrait en théorie être accusé de meurtre.

Autre exemple. Suite au sondage qui a été fait de la FMSQ sur l'interprétation des résultats, donc c'est un extrait qui a été paru dans La Presse le 13 octobre 2009. Donc, ici, l'euthanasie n'est pas permise selon la loi. Donc, c'est les dires du Dr Barrette: «L'euthanasie n'est pas permise selon la loi, mais dans les faits elles est courante dans les hôpitaux. Le sondage révèle d'ailleurs que 81 % des médecins en ont eu conscience souvent, parfois ou rarement d'une telle pratique. Il s'agit généralement de polytraumatisés de la route en état de mort cérébrale qui sont débranchés -- donc, ici on parle d'arrêt de traitement -- ou de malades en phase terminale qui reçoivent un sédatif palliatif, donc pour soulager les douleurs.»

Donc, déjà on voit qu'il y a quand même une confusion au niveau du corps médical. Ensuite, il dit: «Le suicide assisté est un sujet en soi qui est complètement différent et qui, par définition, ne met pas en cause la pratique du médecin spécialiste à l'opposé de l'euthanasie. Dans les pays où le suicide assisté est légalisé, c'est les médecins qui sont impliqués dans le suicide assisté, même si ce n'est pas eux qui posent le geste.»

Et finalement, juste pour vous donner une petite information, dans les résultats justement était dit, et vous l'avez énoncé tout à l'heure, 48 % des répondants pensent que la sédation palliative est assimilable à une forme d'euthanasie. Donc, il y a réellement une confusion là qui mérite d'être scrutée.

Et puis je voulais seulement ici reprendre pour ce qui est des travaux du Collège des médecins, donc qui a eu lieu de 2006 à 2009 sur ce sujet, donc qui a fait une proposition de réorienter le débat sur l'euthanasie dans la direction des soins appropriés de fin de vie. Mais je voulais juste donner un petit aperçu ici.

Ce qui est dit, c'est que le statu quo menace les médecins de sanctions criminelles. Donc, ici, ça serait intéressant de voir un petit peu plus loin de quoi est-ce qu'il parle. Est-ce qu'il parle réellement de pratique d'euthanasie courante ou de pratique d'arrêt de traitement ou d'abstention de traitement ou de soulagement des douleurs qui sont considérés par certains médecins comme étant de l'euthanasie? Et aussi, l'idée que les projets de loi actuels ont pour conséquence prévisible de les confiner au rôle de simple exécutant. Donc, on voit quand même que les médecins ont une certaine méfiance sur ce qui est proposé au niveau des projets de loi actuels.

Alors, moi, ce que je propose, c'est tout d'abord de se poser la question: Est-ce que les mesures actuelles qui sont reconnues comme étant l'arrêt de traitement, l'abstention de traitement, le soulagement de la douleur, est-ce qu'elles sont bien connues? Est-ce qu'elles sont bien connues par la population? Est-ce qu'elles sont bien connues par le corps médical? Et est-ce qu'elles sont respectées? Je crois que c'est une question primordiale à se poser, hein?

Si on répond non, qu'est-ce qu'on fait? En premier lieu, je pense que ce qui serait important, ce serait d'éduquer la population sur ses droits en matière de soins de fin de vie. Deuxièmement, d'éduquer les médecins qui pratiquent actuellement sur les particularités des soins de fin de vie et améliorer la formation des futurs médecins. Lorsque ça, c'est fait, ou bien, si on considère que les mesures actuelles sont connues et respectées, on peut se poser la question: Est-ce que ces mesures sont suffisantes? Et, si elles ne sont pas suffisantes, là on regarde la possibilité de légaliser le suicide assisté ou l'euthanasie. Et, si on considère qu'elles sont suffisantes, il faut quand même poser la question de l'accessibilité des soins de fin de vie, qui est un grave problème actuellement, parce que très peu de gens ont accès à des soins palliatifs de fin de vie.

Alors, si on regarde un petit peu au niveau légal, hein, pour le deuxième axe, ce qui se passe ailleurs. Donc, ici, ce n'est pas la première fois au Canada qu'on se penche sur ces questions-là. Il y avait eu, au fédéral, un comité qui s'était penché sur les questions de fin de vie, et des recommandations qui avaient été faites. Les recommandations, bon, on peut se poser la question, à savoir si elles ont été respectées ou si on les a vraiment prises en considération. Donc, bien sûr, avait été proposé de ne pas modifier les lois, mais qu'il y ait des changements qui soient faits dans les pratiques. Est-ce que c'est fait? On ne le sait pas. Donc, il y a eu des projets de loi aussi qui ont été déposés et qui, pour l'instant, n'ont pas été entendus.

Donc, dans la plupart des pays, la situation est la même qu'au Canada. Dans la plupart des pays, l'euthanasie, suicide assisté sont des pratiques illégales, sauf certains pays qui ont permis ces pratiques. Entre autres, l'Oregon, avec le suicide assisté, les Pays-Bas, qui est le seul pays qui permet le suicide assisté et l'euthanasie en 2001, mais ces pratiques étaient déjà réglementées depuis le début des années quatre-vingt-dix. La Belgique, qui a suivi ensuite avec la légalisation de l'euthanasie seulement et, tout dernièrement, le Luxembourg et l'État de Washington.

Donc, si on regarde, au départ, c'est que les pratiques, qu'il y a une augmentation et des abus, ce qu'on voit... Est-ce que... au niveau du temps?

Le Président (M. Kelley): Je regarde autour de la table un petit peu parce qu'on arrive à une vingtaine de minutes. C'est très intéressant. On aurait besoin... si vous pouvez conclure dans une couple de minutes, quelque chose comme ça, ça peut peut-être faciliter, parce qu'après ça j'ai une poire à couper dans les tranches fines dans la période d'échange avec les membres de la commission.

Mme Marcoux (Isabelle): O.K. Bien, je vais aller très vite sur chacune des diapos juste pour vous illustrer mon propos.

Donc, ce qu'on voit ici, le suicide assisté en Oregon, ça concerne très peu de décès par année, très, très peu. Il y a une légère augmentation depuis 1998, c'est ce qu'on voit. Donc, ici, Pays-Bas, Belgique, ce que je voudrais attirer l'attention ici, c'est que, d'une part, les pratiques qui ont été légalisées, hein, dans les deux pays... Ce qu'on voit, c'est que, même avant la légalisation, ces pratiques existaient, et que les pratiques qui ne correspondent pas aux critères de minutie, entre autres le fait d'avoir une demande des patients en fin de vie, ces pratiques sont... existent dans les pays où l'euthanasie est légalisée. Quand on dit que la légalisation va tout régler, bon, il faut quand même se poser des questions à ce niveau. Mais on voit quand même qu'il n'y a pas d'augmentation fulgurante, donc il ne semble pas y avoir d'abus.

**(11 h 30)**

L'euthanasie se pratique beaucoup plus souvent que le suicide assisté dans les pays où c'est légalisé. Donc, il y a le fait justement que ce n'est pas la personne elle-même qui pose le geste, et ça, c'est intéressant aussi à voir.

Donc, je parlais de pratiques clandestines, est-ce que la légalisation permet de contrôler ces pratiques clandestines? Ça, c'est une question qu'on pourrait discuter. Selon moi... parce qu'on disait: Est-ce que, si on légalise l'euthanasie ou le suicide assisté, il y a des risques d'abus envers les personnes vulnérables? Jusqu'à maintenant, on ne peut pas dire, sur la base des données actuelles, qu'il y a des risques, hein? La seule chose sur laquelle je voudrais qu'on porte attention, c'est sur l'allégement des critères d'accessibilité de l'euthanasie. Donc, juste aux Pays-Bas, de conditions de fin de vie et de souffrances physiques à la base, on est parti de ça pour réglementer les pratiques d'euthanasie, on est passé après à une ouverture à des souffrances psychologiques, hein, et pas nécessairement une condition de fin de vie. Il faut être atteint d'une maladie, mais pas nécessairement de fin de vie. Et aujourd'hui, il y a un gros débat pour que soit considéré le fait d'avoir des souffrances morales sans nécessairement avoir une condition physique. Donc, moi, je dis que la question qu'il faut se poser, ce n'est pas nécessairement sur l'abus envers les personnes vulnérables, mais sur les conditions qui risquent de s'élargir à travers le temps, parce qu'on va toujours exclure des gens.

Ensuite, l'apparente rationalité du désir de mort, donc souvent, on questionne plus ou moins le fait de vouloir mourir quand on est malade, parce qu'on considère que c'est rationnel, hein, et d'un droit à décider soi-même de mettre fin à sa vie avec l'aide d'une autre personne, ce qu'il faut voir aussi, c'est que ça n'en devienne pas un devoir.

Donc, j'avais des recommandations, mais qui sont plus sur l'utilisation des termes. Quand vous allez consulter la population, très important d'utiliser des termes que tout le monde va comprendre la même chose, donc voilà.

Le Président (M. Kelley): Parfait. Merci beaucoup. C'était très intéressant. C'est pourquoi je ne voulais pas trop vous interrompre, mais par contre, je veux préserver le temps de parole des parlementaires dans une période d'échange. On est déjà rendus à presque 35, alors, malgré le fait que mes collègues à ma droite ont un caucus à midi, si on peut avoir consentement pour aller à 12 h 10, comme ça, un droit de parole de 17 minutes, environ 13 minutes, je dois conserver un temps de parole si le député de Lotbinière va revenir, parce que j'ai dû le couper dans le premier groupe. S'il ne revient pas, le 17 minutes au complet va être accordé aux collègues à ma gauche, de l'opposition officielle. Alors, est-ce que ça fait l'affaire de tout le monde. J'essaie d'être le plus juste et, comme je dis, garder le monde le plus heureux possible.

Alors, M. le député de Marquette pour un bloc de 17 minutes.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Merci à vous, Mme Marcoux, pour cet exercice que... en tout cas, moi, je le considère comme étant fort, fort, fort utile, là. On était à la recherche, de notre côté à tout le moins, de certaines définitions, et vous êtes... Votre contribution aux travaux de la commission dans ce sens-là est fort utile.

Je veux revenir sur le titre de notre commission ou le titre de notre mandat. Vous y avez fait référence. Vous n'êtes pas la seule d'ailleurs. Je pense le Collège des médecins l'ont fait aussi, et un autre groupe que nous entendrons dans les prochains jours qui prétendait qu'il ne s'agit pas du droit de mourir dans la dignité, mais du droit de mourir avec dignité.

Moi, j'ai compris que la commission parlementaire aspirait à donner aux Québécois et aux Québécoises ce droit que certains prétendent qu'il n'existe pas, et on a entendu des plaidoyers dans ce sens-là. Et, vous, avec votre témoignage ce matin, vous nous dites que ça vient clore le débat et que tout le monde veut mourir dans la dignité.

Alors, j'aimerais que vous élaboriez un peu davantage là-dessus, là, pour peut-être clarifier davantage en quoi est-ce que le titre de notre commission ou le mandat qu'on s'est confié est un peu erroné à votre point de vue.

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, déjà, c'est ça, c'est qu'à la base, qu'est-ce qu'on veut dire par le droit de mourir dans la dignité? Je pense que tout le monde s'entend, parce qu'ils veulent mourir dignement. Donc, qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui on utilise ce terme? C'est qu'effectivement, dans la réalité, il y a des choses qui se passent dans les pratiques qui sont considérées comme étant inacceptables, mais quelles sont-elles, hein? Parce que le terme du droit de mourir dans la dignité, c'est vraiment une terminologie qui est utilisée par les personnes qui veulent réellement un changement des lois actuelles. Donc, ça enligne un peu le débat sur le droit de mourir dans la dignité, c'est l'euthanasie ou le suicide assisté.

Donc, c'est plutôt dans ce sens-là qui est peut-être pour certaines personnes: Oui, mourir dans la dignité, c'est pouvoir être aidés, au moment où ils le veulent, à provoquer leur propre mort avec l'aide d'une personne. Donc, peut-être que, pour certaines personnes, c'est ce que c'est de mourir dignes, mais ce n'est pas ça pour tout le monde.

Donc, c'est plutôt dans cette optique de... bon, ici, sur quoi exactement est-ce qu'on travaille? Donc, ça peut amener de la confusion sur les intentions ou les motivations qui sont derrière ça. Donc, si l'intention, c'est réellement d'améliorer les conditions, oui, mais améliorer de quelle manière?

M. Ouimet: Je suis tout à fait en accord avec vous, là, je pense, je vous suis: le titre de notre commission oriente quelque peu le débat, mais la motion qui a été votée à l'unanimité par les députés de l'Assemblée nationale le faisait aussi. Dans notre mandat, on nous dit: Le droit et les modalités éventuelles d'encadrement du droit à l'euthanasie. Alors, je pense que les 112 députés qui ont voté là-dessus, là, c'est exactement le sens que nous donnons aux travaux de la commission.

Donc, sur un plan philosophique, théorique, je vous suis, mais, au niveau du mandat que nous avons à accomplir, je pense qu'on est à l'intérieur des balises que l'Assemblée nationale nous a données.

Mme Marcoux (Isabelle): ...serait de réellement l'exprimer de cette manière...

M. Ouimet: O.K.

Mme Marcoux (Isabelle): ...que c'est un travail sur le droit de pouvoir... d'avoir un droit à l'euthanasie, que ce soit réellement clair, parce que ça peut amener toutes sortes d'interprétations.

M. Ouimet: Très bien. L'autre question que je voulais vous poser, c'est une question très accessoire, parce que la dame qui a témoigné avant vous, Mme Bolduc, nous a dit que la morphine ne tuait pas. Dans votre... dans les exemples de vos définitions, vous dites... vous parlez de la morphine qui... laissez-moi juste retrouver: «Donner une injection de morphine en quantité suffisante pour soulager la douleur, mais la mort s'ensuit.»

Alors, on aurait dû poser la question aux médecins, là, mais pourriez-vous juste clarifier cela?

Mme Marcoux (Isabelle): Oui. Là, vous parlez, dans la définition de l'euthanasie, c'est ça?

M. Ouimet: Oui. Vous reprenez l'exemple à deux reprises, là...

Mme Marcoux (Isabelle): Oui.

M. Ouimet: ...pour l'euthanasie et puis pour...

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, c'est juste que, dans l'imaginaire collectif, là, c'est un peu ça. Quand on parle d'euthanasie, on va penser à une injection de morphine en une dose létale qui permet de... Bon. En général, là, c'est les pratiques d'euthanasie qui sont faites aux Pays-Bas ou en Belgique, souvent, c'est plutôt comme l'utilisation d'un barbiturique avec un... j'ai perdu le terme, là, mais un paralysant neuromusculaire, un paralysant musculaire. Donc, c'est sûr que...

Bon. Ce que madame disait au niveau de l'utilisation même de la morphine, c'est sûr que, si on passe de... le corps n'est pas habitué à la morphine, à une dose très importante... Je ne suis pas médecin, je ne veux pas porter de jugement là-dessus, là.

M. Ouimet: Je ne vous pose pas... Regardez, je ne vous pose pas la question pour vous piéger, là.

Mme Marcoux (Isabelle): Oui.

M. Ouimet: Je vous pose davantage la question pour éviter une confusion dans l'utilisation de l'exemple. Et je ne voudrais pas que des médecins nous disent: Écoutez, la morphine ne cause pas la mort, alors qu'on se servirait de cet exemple-là pour définir nos termes. Je veux éviter la confusion dans les termes.

Mme Marcoux (Isabelle): Oui.

M. Ouimet: On posera la question à des médecins peut-être.

Mme Marcoux (Isabelle): Oui.

M. Ouimet: O.K.

Mme Marcoux (Isabelle): Ce serait préférable, parce que, là, ça sort de mon champ de compétence.

M. Ouimet: O.K. Dernière question: Les termes que vous définissez, est-ce que chacune des réalités cliniques vécues par les médecins en pratique peuvent être englobées par l'une ou l'autre des définitions? En d'autres termes, est-ce que l'ensemble des définitions vont couvrir l'ensemble du spectre des réalités cliniques vécues par les médecins?

**(11 h 40)**

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, écoutez, dans l'ensemble des pays, là, pour lesquels il y a des études sur les décisions qui précèdent les décès, ce sont les types de décisions qui sont étudiés, hein? Il y a... ce que je n'ai pas présenté dans les définitions, c'est ce qu'on... ce qui est parfois appelé la sédation terminale: c'est la sédation qui est donnée en fin de vie pour des gens qui justement ont des symptômes réfractaires pour lesquels les médicaments actuels ne permettent pas de soulager totalement ces symptômes, et plus particulièrement sur les aspects plus de détresse, d'anxiété, tout ça.

Donc, cette sédation met les gens dans... les endorme, en fait, et avant le décès. Et ce n'est pas une sédation qui est faite pour, disons, provoquer la mort de la personne, c'est une... c'est... les gens sont mis dans un état de sédation pour soulager ces symptômes d'anxiété et... ou de douleurs ou de symptômes physiques réfractaires.

Donc ça, ça commence de plus en plus aussi à être étudié dans les autres pays, et puis on voit, entre autres, aux Pays-Bas, une augmentation de cette pratique de sédation palliative en fin de vie. Les dernières études ont montré qu'il y avait eu une diminution des pratiques d'euthanasie, puis une augmentation des pratiques de sédation palliative. Bon, après, il faut voir dans les prochaines années qu'est-ce que ça va donner, mais...

M. Ouimet: Juste un dernier point. Une question qui demeure un peu nébuleuse pour moi, là, c'est: Dans quelle catégorie est-ce qu'on place l'imminence de la mort? Est-ce qu'on la place dans la catégorie de l'euthanasie ou dans le traitement destiné à soulager la douleur, au risque d'abréger la vie?

Ça, je fais référence à une discussion que nous avons eue avec Dr Barrette, de la Fédération des médecins spécialistes, et le dernier souffle, l'avant-dernier souffle et l'avant l'avant-dernier souffle, là, où est-ce qu'on situe ça? Là est la problématique.

Les termes, moi, je pense, que vous proposez, sont très utiles, mais, dans le cadre de la réalité clinique, lorsque Dr Barrette nous disait hier: Nous, comme médecins, on sait quand la mort est imminente. Mais, avec la définition que j'ai, moi, je ne suis pas sûr que je vais le savoir.

Mme Marcoux (Isabelle): Non.

M. Ouimet: C'est toute la difficulté d'une terminologie...

Mme Marcoux (Isabelle): Oui.

M. Ouimet: ...juridique, peut-être...

Mme Marcoux (Isabelle): Mais...

M. Ouimet: ...par rapport à une réalité clinique.

Mme Marcoux (Isabelle): O.K. Quelle est l'implication derrière votre question, parce que j'ai un petit peu de difficultés à comprendre...

M. Ouimet: Oui.

Mme Marcoux (Isabelle): Je m'exprime, là, je m'explique, là...

M. Ouimet: Oui, oui.

Mme Marcoux (Isabelle): ...c'est quand on... quand on parle, entre autres, d'euthanasie dans les pays où c'est légalisé, on en parle pas d'euthanasie dans les deux, trois derniers souffles de la vie, là, hein, on s'entend? C'est... ça dépend où, là, mais, si on regarde en Oregon, la loi est faite que la personne doit... on doit considérer qu'elle est en phase terminale et qu'il lui reste moins de six mois à vivre. Donc, c'est un des critères nécessaires pour que soit... qu'on lui octroie le droit au suicide assisté.

Ces critères-là ne sont pas si clairs que ça aux Pays-Bas et en Belgique, et il y a des études qui démontrent que... de combien de temps est-ce que la vie est écourtée; la plupart, ça va être dans le dernier mois, mais, pour certaines personnes, ça va bien avant ça. Donc, l'euthanasie ne concerne pas nécessairement les derniers souffles de la vie.

M. Ouimet: Mais la donnée temporelle, elle est utile, mais je pense qu'elle est difficile à définir, parce que là, c'est une appréciation subjective d'un médecin qui ne connaît pas la résistance du corps du patient par rapport à la maladie avec laquelle il est confronté, mais ça a l'utilité de dire au moins qu'on sait, avec une donnée temporelle, comment appliquer les termes et est-ce qu'on est dans une sédation palliative ou est-ce qu'on est plutôt dans l'euthanasie, là, dans le spectre de...

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, la distinction...

M. Ouimet: ...à quel moment.

Mme Marcoux (Isabelle): ...elle est sur l'intention, elle est sur l'intention.

M. Ouimet: Oui, en droit criminel, oui. Bien. Merci.

Le Président (M. Kelley): J'ai... il me reste cinq minutes et deux collègues qui ont demandé la parole. Alors, j'ai coupé le député des Îles la dernière fois, alors je vais commencer avec le député des Îles, mais si vous pouvez réserver deux minutes pour votre collègue de Hull, ce serait fort apprécié.

M. Chevarie: Oui, merci, M. le Président, merci pour votre contribution. Je reviendrais à votre tableau, ce n'est pas paginé, là, mais c'est celui-ci. J'imagine, pour présenter un tableau comme celui-ci, vous avez fait... vous avez effectué des sondages auprès de la population québécoise, et on...

Si on fait... si on jette un regard vite et qu'on tire une conclusion, est-ce que c'est juste de dire, de mentionner que la population québécoise est favorable à l'euthanasie, tel que présenté dans ce tableau-là?

Mme Marcoux (Isabelle): Oui. Oui, c'est juste de dire ça, parce que, bon, là, ça, c'est vraiment juste une petite partie, là, des résultats de ma thèse, mais, entre autres, moi, ce qui m'intéressait, c'était, d'une part, de déterminer... d'essayer de déterminer le mieux possible l'opinion de la population sur cette question, d'essayer de diminuer les sources potentielles de biais qui se posent souvent dans les questions de sondage et justement de déterminer le lien entre les connaissances des pratiques de fin de vie et ce... et leur impact sur l'opinion publique.

Ce que j'ai fait... j'avais pris une question de sondage Gallup qui est utilisée chaque année depuis le début des années 1970, qui montre une évolution de l'opinion publique favorable à l'euthanasie au Canada, O.K. Sauf que, dans cette question, il y avait certains problèmes ou certains biais méthodologiques dans, justement, l'utilisation du terme «euthanasie» dans la question, qui est interprété de différentes manières. Donc, moi, ce que j'avais fait, c'est qu'au lieu d'utiliser le terme j'ai plutôt utilisé la pratique, hein, qu'est-ce que... donc, l'exemple même de... l'exemple d'euthanasie en demandant aux gens: Est-ce que, selon vous, c'est acceptable ou non? Et en... à 70 %, 71 % de la population disait que le fait de provoquer la mort d'une personne qui est malade, suite à sa demande, considérait que c'était acceptable.

M. Chevarie: Est-ce que vous avez constaté des différences dans les strates d'âge de la population québécoise? Ou...

Mme Marcoux (Isabelle): Oui. Les groupes qui étaient les moins favorables étaient les personnes de 65 et plus et, de manière assez intéressante, les 18-24 ans. Donc, c'était plutôt la portion, là, de... entre 25 jusqu'à 65 ans qui étaient les plus favorables.

Le Président (M. Kelley): Merci. Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous. J'aimerais vous entendre, je vais être très courte avec ma question. Vous avez fait mention de l'apparente rationalité du désir de mort. Depuis hier, on parle beaucoup de la notion de consentement libre et éclairé. Quelle est votre position par rapport à cette apparente rationalité?

Mme Marcoux (Isabelle): Oui. Mais c'est que, bon, comme je disais tout à l'heure, c'est que, dans un contexte de maladie ou de fin de vie, hein, quand on parle de vouloir mourir, souvent c'est perçu comme étant rationnel, déjà à la base, parce qu'en tant que personne on se dit: Moi, si j'étais dans la même situation, moi aussi je voudrais probablement mourir. Donc, c'est dans ce sens-là que les termes «apparente rationalité du désir» se construit.

Donc, il y a des études quand même qui démontrent que, bon, chez les personnes en fin de vie qui ont un désir d'euthanasie, il va y avoir une proportion plus forte de personnes qui démontrent des symptômes de dépression, chez ces personnes-là. Puis on sait très bien que, dans la problématique du suicide, le facteur de risque numéro un, c'est la dépression. Moi, je travaille pour un centre de recherche en prévention du suicide depuis 1997, et c'est vrai que... c'est quand même une question qui revient: oui, c'est vrai que, quand on est malade, quand on est en fin de vie, ce désir-là est compréhensible de l'extérieur, mais souvent il n'est pas autant questionné que quelqu'un qui se porte en bonne santé.

Donc, ce que je veux dire par rapport à ça, c'est que c'est... oui, peut-être que c'est totalement rationnel et justifié, mais de questionner ce... cette demande ou ce désir-là avant tout, parce qu'on se rend compte que les demandes d'euthanasie, elles sont complexes et il y a toutes sortes de facteurs qui vont influencer une telle demande. Souvent, c'est la peur d'être un fardeau pour les proches, c'est le fait, bon justement, de moins se sentir digne parce qu'on ne peut plus s'occuper de soi-même, parce qu'on n'a plus d'autonomie, et donc c'est ça... L'important, c'est essayer d'aller voir un peu, d'essayer de mieux comprendre qu'est-ce qui se cache derrière ces demandes.

Donc, c'est plus en termes, je dirais, d'étapes, de ne pas prendre tout de suite pour acquis, étant donné la condition des personnes.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

**(11 h 50)**

Mme Hivon: Bonjour. Merci de votre présentation, de votre contribution, je pense, qui est utile pour la clarification des termes, et je dirais aussi, pour voir un peu l'évolution des pratiques dans certains pays depuis la légalisation.

Moi aussi, comme mon collègue, j'aimerais revenir sur la question de la... mourir dans la dignité. Moi, je pense que, de ce qu'on comprend, c'est qu'en fait il y a un besoin de certaines personnes ou un questionnement de savoir: Est-ce qu'il vont pouvoir mourir dans la dignité dans l'état actuel des choses. Et, hier, les médecins nous ont dit à peu près la même chose: que, dans l'état actuel des choses, de la pratique, eux, ils ont une obligation déontologique, à l'article 58, d' «agir de telle sorte que le décès d'un patient qui leur paraît inévitable survienne dans la dignité», et que des fois ils sont confrontés à des situations où ils estiment qu'ils ne peuvent pas répondre à cette obligation déontologique là.

Et ça m'amène à la notion de dignité, parce qu'on va voir ça avec plusieurs intervenants, il y a différentes conceptions. La dignité qui serait inhérente à l'état humain, comme vous y avez fait référence, et l'autre dignité qui est plus... qui peut fluctuer. Et, moi, je pense qu'en ce moment, en tout cas du moins quand je lis ça, l'obligation déontologique, je me dis qu'elle n'est pas inhérente puisqu'il doit accompagner pour qu'elle survienne dans la dignité. Et je me réfère aussi à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne à l'article 3... excusez, à l'article 4: «Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité...» Ce qui veut dire en théorie qu'elle pourrait ne plus avoir sa dignité.

Donc, moi, je pense que c'est peut-être quelque chose... puis j'aimerais vous entendre là-dessus: Est-ce que vous estimez qu'au Québec, du fait de ces morceaux-là qui viennent interpréter la notion de dignité, en quelque sorte on lui donne vraiment une couleur qui a beaucoup plus trait à la deuxième notion de dignité à laquelle vous faisiez référence?

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, je dirais plutôt que c'est dans le débat actuel, quand on utilise cette terminologie-là, c'est parce que c'est difficile de bien comprendre qu'est-ce qu'il y a derrière ça. Et, quand on le met dans un contexte de légalisation, parce que, là, je le ramène à ça, bon, tout le monde veut mourir digne, c'est ce que je disais tout à l'heure. Est-ce qu'actuellement on considère qu'on ne meurt pas digne et, si oui, pourquoi?

Donc, c'était vraiment la première question que je posais tout à l'heure, c'est: Est-ce que les mesures actuelles sont connues et respectées et, si oui, est-ce qu'elles sont suffisantes? Et, derrière ça, je pense que vraiment, ça pose la question à savoir: Bien, qu'est-ce qu'on considère comme étant mourir digne, hein? Donc, il y a comme une gradation.

Mais, dans cette question de mourir digne, il y a les conditions qu'on considère comme étant dignes et indignes. Si on pose une loi qui permet, entre autres, l'euthanasie ou le suicide assisté, cette dignité, cette conception de la dignité va se traduire par les critères d'acceptabilité de ces pratiques.

Donc, si on regarde aux Pays-Bas, quand ils ont réglementé les pratiques d'euthanasie et de suicide assisté au début des années quatre-vingt-dix, ces conditions étaient pour des personnes en fin de vie dont les douleurs ne pouvaient être soulagées ou étaient insupportables du point de vue de la personne. O.K.? Donc, c'était vraiment, je dirais, la condition qui explicitait un peu ce que c'est de mourir digne. Donc, on dit: Si la personne ne peut être soulagée, ce n'est pas une mort digne, hein?

Et il y a eu beaucoup d'améliorations au niveau du soulagement de la douleur. Et cette condition s'est transformée à travers le temps, parce que justement les gens disaient: Bien, moi, je n'ai pas de souffrances physiques, mais j'ai des souffrances psychologiques. Et mes souffrances psychologiques sont aussi importantes que les souffrances physiques d'une personne, et vous ne pouvez poser de jugement sur la qualité de ma souffrance. Donc, une souffrance psychologique devrait être considérée autant qu'une souffrance physique.

Donc, quand ils ont transformé la loi et que ça a vraiment été légalisé en 2001, cette condition a été élargie justement pour contenir aussi les souffrances psychologiques. Et, déjà là, on n'était plus nécessairement dans un contexte de fin de vie, mais d'une pathologie incurable. Donc, déjà là, il faut voir comment est-ce qu'on définit une pathologie incurable, hein, parce qu'il y en a pour lesquelles on peut vivre très longtemps, mais ce n'est pas curable.

Et donc, comme je disais, dernièrement, il y a de plus en plus de revendications qui sont faites pour des personnes de plus de 70 ans non atteintes d'une maladie... d'une condition médicale identifiable, mais qui, selon eux, ont vécu une vie pleine et qui maintenant considèrent qu'ils sont tannés de vivre et qu'on devrait les aider à mourir. Donc ça, il commence à y avoir de plus en plus de revendications. Et, selon moi, c'est là-dessus... quand on parle de mourir dans la dignité, bien, qu'est-ce qu'on entend derrière tout ça? Et juste cet exemple, aux Pays-Bas, nous amène à voir que ça va être difficile de vraiment le délimiter.

Mme Hivon: En fait, je pense que c'est... justement, c'est ça, notre défi. Donc, c'est de savoir... tout le monde est pour le mourir dans la dignité, et c'est le comment. Et je pense que c'est tout à fait le cadre de notre mandat, donc on s'entend. On s'entend, vous et nous, là-dessus, dans le fond, c'est de savoir comment ce désir-là, qui est exprimé autant par les gens, autant par les médecins qui disent qu'il y a des os à l'heure actuelle qui... auxquels ils sont confrontés, comment on fait pour répondre à ça.

Moi, ce que... j'aimerais vous entendre... je pense que c'est intéressant en fait et c'est peut-être un privilège que, nous, on a parce qu'on fait le débat maintenant et on bénéficie de l'expérience de pays comme la Belgique et les Pays-Bas, de voir en fait -- de ce que je comprends de votre propos -- qu'il y a une évolution, et donc qui doit probablement aussi suivre l'évolution de la société et des valeurs, à savoir que, oui, avec le vieillissement, puis tout ça, il y a beaucoup de gens qui revendiquent, et aussi avec tous les travaux en psychologie, et tout ça, la présence de la souffrance morale ou existentielle et qu'il faut la reconnaître aussi. Donc ça, je pense que c'est précieux pour nous parce qu'on a la chance d'avoir peut-être plus de dimensions pour regarder, et il va falloir aller consulter des gens aussi sur l'ensemble des dimensions.

Mais je veux vous amener sur la question: Vous dites -- puis ça aussi je trouve que c'est intéressant à noter -- qu'aux Pays-Bas, je crois, depuis que l'euthanasie est légalisée, les demandes... en fait la sédation palliative a augmenté. Et je me demande si justement ça... parce qu'hier Dr Barrette nous parlait beaucoup de la sédation palliative, de la difficulté: Est-ce qu'on est au dernier souffle? Puis, à moins qu'on soit au dernier souffle, on ne peut pas parler de sédation palliative, on parle d'euthanasie, et là on ne peut pas agir, d'où la difficulté de certains médecins dans leur pratique.

Donc, si ça a un effet sur la sédation palliative, que, de votre point de vue, du fait, par exemple, d'encadrer l'euthanasie, on pourrait venir uniformiser la pratique de la sédation palliative en quelque sorte, en disant au médecin: Regardez, ça, là, c'est simple, c'est clair. Et tous les gens maintenant vont pouvoir avoir accès à ça et pas uniquement à leur tout dernier souffle ou en n'ayant pas toujours cette crainte-là. Est-ce que vous pensez que c'est un effet positif collatéral en quelque sorte de la légalisation de l'euthanasie?

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, je ne crois pas que ce soit... parce que... là, j'ai présenté pour la Belgique et les Pays-Bas, mais je pense que, si c'étaient des études qui avaient été faites dans d'autres pays, on verrait probablement la même chose... Dans le sens que la sédation de fin de vie -- la sédation terminale, là, qu'on pourrait appeler -- c'est une pratique qui s'est développée dans les dernières années, donc qui est mieux connue, qui est utilisée, mais elle doit être encadrée. C'est comme les pratiques actuelles. Donc, je disais qu'il y a des mesures actuellement d'arrêt de traitement, d'abstention de traitement. Moi, ce que je vois, c'est que ça ne semble pas très clair dans les pratiques actuelles médicales, au Québec et au Canada, comment est-ce que ces pratiques sont effectuées.

Donc, avant de parler d'une modification des lois pour permettre l'euthanasie et le suicide assisté, est-ce qu'en amont on ne devrait pas s'assurer que ces pratiques sont respectées, sont encadrées? Et la sédation palliative, elle entre là-dedans, parce que la sédation palliative en principe n'est pas de l'euthanasie, donc... Donc, c'est ça.

Est-ce qu'on a besoin de changer les lois pour l'euthanasie pour encadrer la sédation palliative, là? Moi, pour moi, on est en train de mettre comme la...

**(12 heures)**

Mme Hivon: La question ce n'était pas ça, c'était plus de voir... parce que je trouve que c'est un fait intéressant de noter ça... En fait, c'est une réponse aussi à certains qui parlent de dérive. Vous, vous dites: Pas vraiment parce que le nombre n'augmente pas, on ne voit pas de montée en flèche des demandes d'euthanasie. Et vous dites même en fait: Il y a un ajustement de d'autres pratiques parce que, ce qu'on voit, c'est qu'il y a plus de sédation palliative. Donc, moi, je ne dis pas qu'il faut faire un pour l'autre, je dis juste que c'est intéressant de noter un peu peut-être l'équilibrage aussi qui se fait dans les pratiques quand les possibilités de soins de fin de vie s'élargissent. C'était plus ça, ma réflexion.

Mme Marcoux (Isabelle): Oui.

Mme Hivon: Mes collègues ont des questions.

Le Président (M. Kelley): Oui. M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci pour votre présence, merci pour votre éclairage. Vous avez cité dans votre présentation l'expérience des Pays-Bas et en avez conclu, je pense, à juste titre qu'avec les années les balises s'assouplissent, ou du moins il y a un élargissement au niveau des conventions sociales. On parle d'une réflexion actuellement aux Pays-Bas qui permettra peut-être l'euthanasie auprès de personnes qui ont des souffrances davantage morales que physiques.

Présentement, est-ce qu'aux Pays-Bas une personne qui est handicapée de sa nature, donc pas malade forcément, mais handicapée -- on peut penser, par exemple, à un accident de la route qui laisse une personne avec aucune, aucune mobilité -- est-ce que les Pays-Bas peuvent permettre à l'heure actuelle, là, un accompagnement dans la mort à cet individu-là? Et vous, comme centre de recherche, avez-vous des données, des sondages qui laissent entendre un petit peu jusqu'où les Québécois sont prêts à aller? Est-ce que vous avez des données qui pourraient nous être partagées sur les balises que seraient prêts à consentir les Québécois au niveau de l'accompagnement en fin de vie?

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, pour répondre à la première question, par rapport aux Pays-Bas, des pratiques, c'est difficile de déterminer exactement dans quelles conditions exactes les pratiques d'euthanasie sont faites. Il faut avoir une condition médicale reconnue, hein, de maladie incurable; après, il n'y a aucune indication sur l'espérance de vie qui doit être respectée, donc l'évaluation de l'espérance de vie.

En principe, quelqu'un qui a un accident et qui justement n'a pas une maladie ne rentrerait pas dans les critères tels qu'ils sont actuellement. Ça dépend du type de pratique, encore là. Est-ce que la personne est sur des traitements qui la maintiennent en vie, donc des traitements extraordinaires qui, avec l'arrêt de traitement, provoqueraient... auraient comme conséquence de faire mourir la personne? Donc, dans ce cas-là, on ne parle pas d'euthanasie. Mais, si quelqu'un a un accident de voiture et qu'il demande à un médecin de provoquer sa mort en raison d'une non-acceptation de sa condition, en principe, ça ne rentre pas dans les conditions d'acceptabilité aux Pays-Bas.

Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a des études qui démontrent que les... Bon. Pour pratiquer l'euthanasie, les médecins doivent déclarer l'euthanasie en tant que telle, hein. Donc ça, c'est un des critères à respecter pour que ce soit bien clair. Ce qui se passe ou ce qui semble se passer, c'est que, parfois, certaines conditions qui sont demandées à respecter par la loi ne sont pas rencontrées, hein, O.K. Ça pourrait être des gens qui, justement... comme ça pourrait être un cas comme ça, qui ne rentrent pas dans le cadre de la loi. Donc, il existe des pratiques d'euthanasie auprès de gens qui ne rentrent pas dans le cadre de la loi et donc qui sont déclarées comme étant des décès naturels, O.K.

Donc, quand je parlais de la... les pratiques clandestines, hein, quand on dit que, si on légalise l'euthanasie, ça va permettre de réglementer les pratiques clandestines, oui pour la plupart, celles qui respectent les conditions, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas des pratiques qui sont non conformes aux balises ou aux normes qu'on va se donner. Donc, dans ce cas-là...

M. Charette: Par rapport aux...

Mme Marcoux (Isabelle): Je pense que vous aviez une autre question, hein.

M. Charette: Un deuxième volet. Est-ce que vous avez pu sonder les Québécois justement...

Mme Marcoux (Isabelle): Ah oui!

M. Charette: ...sur leur degré d'acceptabilité de certaines pratiques?

Mme Marcoux (Isabelle): Oui. Bien, justement, quand j'avais fait le sondage, là, auprès de la population, pour ceux qui avaient dit qu'ils considéraient l'euthanasie acceptable, j'avais demandé: Si, par exemple, la personne était dans des conditions de... n'avait pas de maladie, mais elle avait des souffrances psychologiques insupportables et qu'elle demandait à son médecin de mettre fin à ses jours, et là l'appui tombait à peu près à 20 % dans ce cas-là. Et j'avais aussi posé une question sur la base de l'âge seulement. Donc, si une personne très âgée n'est pas nécessairement en fin de vie, mais qu'elle considère que, selon elle, elle préférerait mourir et qu'elle demande l'aide de son médecin pour mettre fin à ses jours, est-ce que vous considérez que c'est acceptable? Et, encore là, l'appui était très bas.

Donc, pour moi c'est des données quand même intéressantes, mais qui devraient être continuées à poser pour voir un peu l'évolution des mentalités par rapport à ces différentes conditions.

Le Président (M. Kelley): Ça va? Pardon... M. le député de... ces précisions.

M. Ouimet: Oui. La question du député de Deux-Montagnes qui était fort intéressante, mais est-ce qu'on a des écrits des travaux menés par Mme Marcoux?

Mme Marcoux (Isabelle): Pardon? Est-ce que...

M. Ouimet: Les écrits, là, qui... la réponse que vous donnez au député de Deux-Montagnes.

Mme Marcoux (Isabelle): Bien, j'ai des articles que je pourrais vous soumettre.

M. Ouimet: Ah! Bon, excellent.

Le Président (M. Kelley): Si possible, avec Mme Laplante, ça peut être très, très intéressant, parce que je pense, les questions que notre collègue de Deux-Montagnes a posées sont fort intéressantes. Juste avant de terminer, mais merci beaucoup, Mme Marcoux.

Mais je veux souligner l'importance, entre autres, de... les suggestions que vous avez amenées au titre de nos travaux. C'est fort possible... jeudi après-midi, on a un désistement et on sait que Mme Laplante ne nous permet pas une heure de congé. Alors, c'est fort possible qu'il y aura une séance de travail jeudi après-midi, et une des réflexions que nous devrons faire comme membres de la commission, c'est effectivement au titre à donner à nos travaux. Alors, je trouve vos commentaires, ce matin, sont fort pertinents.

Alors, sur ça, merci infiniment pour votre partage de votre expertise et votre recherche avec les membres de la commission.

Sur ça, je vais suspendre nos travaux jusqu'à à peu près 15 heures, après la période des affaires courantes à l'Assemblée. Alors, bon appétit tout le monde, et on peut laisser nos choses ici.

(Suspension de la séance à 12 h 7)

 

(Reprise à 15 h 38)

Le Président (M. Kelley): Alors, la Commission de la santé et des services sociaux reprend ses travaux. Je rappelle le mandat. Le mandat de la commission est de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur la question du droit de mourir dans la dignité.

On a accusé notre système démocratique et parlementaire de plusieurs choses, mais jamais de l'efficacité. Alors, on a un retard maintenant d'une quarantaine de minutes. Alors, je propose, on prolonge un petit peu notre séance jusqu'à 18 h 15. Alors, je vais faire les petites compressions dans tous les temps de parole alloués pour essayer de tout faire nos trois groupes dans deux heures et demie.

Est-ce qu'il y a consentement? Parce que je ne vois pas autrement, parce qu'il faut siéger de nouveau ce soir, alors je vais juste compresser dans les périodes de questions. Alors, peut-être bien planifier les questions les plus précises et courtes possible. Et, sans plus tarder, parce que l'objectif premier c'est d'entendre les experts, les témoins qui veulent venir ici partager leurs expériences et leur expertise.

Alors, notre prochain témoin, c'est M. Bernard Keating, qui est professeur titulaire, Faculté de théologie et sciences religieuses à l'Université Laval. Alors, sans plus tarder, M. Keating, la parole est à vous.

M. Bernard Keating

M. Keating (Bernard): Oui, bonjour. Alors, merci d'abord de cette invitation, de cet honneur. Vous me permettrez d'aller directement à la question. La lettre de convocation que j'ai reçue précisait que l'objectif de la démarche était de contribuer à la rédaction d'un document de consultation énonçant les différents enjeux de la question. Les remarques qui suivent sont faites dans cet esprit, donc d'une contribution à la préparation de la consultation publique.

**(15 h 40)**

Je vous ferais respectueusement remarquer que la façon dont a été formulé l'objet du travail que devra réaliser cette commission illustre magistralement la difficulté d'adopter une perspective minimalement distanciée à l'égard des questions de l'euthanasie et du suicide assisté. En effet, la lettre de convocation précisait que l'objet de cette commission était d'étudier la question du droit de mourir dans la dignité. Elle faisait d'emblée sien le vocabulaire adopté par les partisans d'un changement législatif.

À mon avis, une formulation plus impartiale aurait pu être: Étudier la question de l'opportunité de mettre en place les conditions favorisant une réponse positive aux demandes d'euthanasie et d'aide au suicide. Ainsi, on aurait utilisé un vocabulaire standard, clair et accessible, je pense, à toute personne ayant certains éléments de culture éthique et juridique. On a plutôt choisi d'utiliser, dans le titre de la commission, une expression dont personne ne connaît exactement le contenu, soit l'idée de «mourir dans la dignité».

L'expression de «mourir dans la dignité» a toutefois l'avantage de susciter l'adhésion unanime. J'ai fait à plusieurs reprises le test devant mes étudiants et je n'ai jamais trouvé un seul étudiant, dans les classes où j'enseigne, qui lève la main pour manifester son opposition à mourir dans la dignité. Qui s'opposerait à une mort dans la dignité? La question qui nous préoccupe n'est pas celle de savoir si on appuie ou non l'idée de mourir dans la dignité, mais bien d'identifier les conditions d'une mort dans la dignité.

L'Association québécoise des retraités des secteurs public et parapublic a raison de réclamer des clarifications conceptuelles et une information objective sur des facteurs qui doivent être considérés avant de prendre position dans le débat. Au plan conceptuel, le travail fait il y a plusieurs années déjà par le comité sénatorial spécial qui s'était penché sur la question demeure une référence fort utile si on veut adopter une terminologie commune. Pour s'assurer que les résultats d'un éventuel processus consultatif soient interprétables, je crois qu'il serait préférable d'offrir à l'évaluation des citoyens des descriptions les plus factuelles possible de situations concrètes sur lesquelles on souhaite les interroger. Je crois également qu'il faudra trouver des stratégies pour identifier les arguments, les motifs, les convictions qui sont au support des positions adoptées. Pour le dire en une formule brève, je crois qu'il faudra passer des slogans aux arguments.

J'attire l'attention de la commission sur une difficulté bien spéciale, celle du concept d'intention et sur la constante confusion entre le motif et l'intention.

Définir l'euthanasie requiert d'introduire la notion d'intention. Répondre à la question des traitements qui peuvent accélérer la mort et de leur légitimité requiert également une réflexion sur l'intention qui amènera à mettre de l'avant une distinction classique, un concept classique: celui de la cause à double effet.

Du point de vue éthique, la considération de l'intention est essentielle à la qualification de l'acte. La difficulté du concept n'est pas une raison suffisante pour le reléguer aux oubliettes. Les mémoires déposés et les propos des témoins entendus jusqu'ici illustrent la difficulté de comprendre ce concept et d'en saisir sa portée dans l'évaluation morale et juridique.

J'insisterai maintenant sur le concept de dignité. Je vous rappelle cette citation qui est probablement un des trésors de la tradition morale occidentale, citation d'Emmanuel Kant, selon laquelle «les choses ont un prix, les personnes ont une dignité». La dignité envisagée de ce point de vue est une notion anthologique. Le fait d'être une personne humaine suffit à se voir conférer une dignité. Les personnes jouissent d'une égale dignité. Les droits et libertés de la personne s'imposent comme des exigences, des manifestations du respect dû aux personnes.

Entendu dans ce sens, la dignité ne peut être perdue: elle persiste. Et même quand la personne a une conduite inhumaine, elle est encore une personne porteuse d'une dignité, elle est encore titulaire de droit et elle a encore la protection de la loi. La dignité fondamentale est indépendante de la capacité de ressentir subjectivement l'atteinte à ces personnes, qu'il s'agisse du nouveau-né abandonné à la naissance ou du vieillard aux confins ultimes de la démence. Elle est également indépendante de la capacité de la revendiquer, de la défendre. Les dignités fondamentales nous mettent en demeure de la reconnaître, de l'honorer. C'est l'autre aspect de la dignité.

Honorer la dignité de l'autre par des gestes ajustés à sa dignité fondamentale reconnue. C'est la réponse morale, réponse qui se transforme vite malheureusement en question. Comment honorer la dignité de la personne naissant à la limite de la viabilité? Comment honorer la dignité du patient en coma végétatif permanent? Comment honorer la dignité du patient dément qui refuse de s'alimenter? L'impératif d'honorer la dignité humaine ne concerne pas uniquement notre rapport à l'autre, il concerne également notre rapport à nous-mêmes. Comment être à la hauteur de la dignité fondamentale de la personne ou de la charge publique qui vous est conférée?

La dignité, et c'est le troisième sens, c'est également le sentiment de sa dignité personnelle, ce que les psychologues appellent l'estime de soi. Ce sentiment est fragile dans sa construction comme dans son maintien. Il dépend en bonne partie de l'estime, du respect qui nous sont manifestés. Le succès des soins palliatifs tient en bonne partie au fait qu'ils redonnent aux personnes mourantes le sens de leur dignité à un moment où ils en doutent eux-mêmes.

Venons-en maintenant à une autre question. Quels sont les motifs au support de la revendication du mourir dans la dignité et quelles sont les caractéristiques d'une mort dans la dignité? Toute consultation publique, il me semble, devra nous permettre de distinguer les différents motifs, les différentes raisons qui appuient cette revendication du mourir dans la dignité.

Demander de mourir dans la dignité peut signifier manifester la crainte d'une mort dans le contexte d'une technologie envahissante faisant obstacle au contact humain. Revendiquer de mourir dans la dignité peut également manifester la volonté de se prémunir contre l'acharnement thérapeutique. Revendiquer de mourir dans la dignité peut manifester le désir d'éviter de vivre dans des conditions où le sentiment de sa dignité personnelle est gravement mise à mal, en particulier dans des états de démence. Cette revendication peut également manifester la crainte de vivre avec des douleurs insupportables. Elle peut également manifester la volonté d'échapper à la dépendance à l'égard d'autrui.

Enfin, et je pense que c'est, en tout cas, c'est à tout le moins mon hypothèse... qu'un des motifs principaux aujourd'hui de cette revendication de la mort dans la dignité, c'est le projet de maîtriser sa vie jusqu'à la fin, incluant la possibilité de choisir le moment et les circonstances de sa mort. Il ne s'agit pas de se protéger contre la douleur, contre la souffrance, mais il s'agit de réaliser un projet positif de maîtrise dont la dernière étape est de décider du moment de sa mort et de la façon dont on va mourir.

Voilà donc autant de questions qui donnent des explications partielles et peut-être partiales à cette revendication du mourir dans la dignité. Et ce que je souhaite, c'est que ces consultations amènent une vision analytique, une vision qui nous permettra de bien saisir les arguments et les motifs. Je vous avoue que, jusqu'à présent, je suis déçu de ce que j'ai lu dans les mémoires au plan de l'argumentation. J'ai l'impression qu'on est à l'orée d'une discussion rationnelle, sensée, d'une discussion bien argumentée. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Keating. On va procéder maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Peut-être, d'entrée de jeu, avant de céder la parole au député de Marquette, je veux juste vous assurer qu'on n'a même pas décidé encore le titre final, alors vos commentaires tombent... on est en pleine réflexion sur comment trouver un titre qui va par contre appeler à la compréhension de M. et Mme Tout-le-monde qui ne suivent pas ces débats à tous les jours, mais par contre va expliciter d'une façon la plus neutre possible notre intérêt et sur quoi on veut les interpeller. Alors, vos commentaires quant à comment formuler, on est en plein dedans, alors, c'est parmi nos réflexions en ce moment. M. le député de Marquette.

**(15 h 50)**

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Bienvenue, M. Keating. Merci de participer aux travaux de cette commission parlementaire. Je pense que nous vous rejoignons assez facilement par rapport à votre invitation que vous nous faites à bien clarifier, bien définir les termes que nous allons employer tout au long de la consultation. C'est un défi considérable auquel Mme Marcoux, juste avant vous, nous a défini un certain nombre de termes, mais on comprend que, malgré toute définition qu'on peut avoir, quand on l'applique dans une situation de réalité clinique des médecins, des fois il commence à y avoir un... il y a un certain flou par rapport à ça.

Vous nous dites qu'on devrait parler clairement de l'euthanasie et de l'aide au suicide, et que ce soient des questions très claires que nous soumettons à la consultation. Le Collège des médecins nous invitait à ne pas tomber dans ce débat. Vous avez lu leur mémoire, ils disent: On ne doit pas... ce n'est pas la question principale qu'on doit poser: Doit-on légaliser l'euthanasie ou non? Ils ont fait également la démonstration que, même les médecins, dans certains cas, ne connaissaient pas tout à fait bien la définition de l'euthanasie. Ils nous invitent davantage à poser la question dans un contexte de soins. Et la question qu'ils posent très clairement à la page 5: Quand un patient fait face à une mort éminente et inévitable, devrait-il être permis à un médecin qui le jugerait approprié de répondre à la demande d'abréger ses jours? Et, si oui, dans quelles conditions?

Comment est-ce que vous vous situez par rapport à cette invitation que nous font... que nous fait le Collègue des médecins, pour éviter de tomber dans la polarisation du débat?

M. Keating (Bernard): Je ne suis pas sûr qu'ici il s'agisse d'éviter la polarisation du débat. Ce que je sens, c'est que le Collège des médecins veut que le débat reste dans un canal assez étroit, et je vous avoue que je suis un peu étonné. Je nage depuis plusieurs années dans les milieux de santé, et un des... une des consignes qu'on nous... qu'on nous rappelle sans cesse, c'est d'évaluer une... c'est d'éviter une évaluation en silo, hein? Je suis membre du Conseil du médicament, et, quand on évalue des médicaments, on nous dit: Attention! Il ne faut pas passer des choses en silo. Et j'ai l'impression que... que le Collège nous invite à penser les choses un petit peu en silo.

Mais je reviendrais, dans leur document, à cette réorientation qu'ils souhaitent au débat, où on nous dit qu'on désire un débat sur les soins appropriés en fin de vie. Ce qui est extraordinaire dans ce numéro de prestidigitation, c'est d'arriver à faire passer l'euthanasie dans le registre des soins sans avoir à justifier ce passage de l'euthanasie à un statut de soins. Et c'est ça, l'opération du mémoire. On nous dit: On ne veut pas discuter de la mort dans la dignité, blablabla. Et on nous dit: Il faut parler des soins appropriés en fin de vie. Et, parmi ces soins, il y a l'euthanasie. Et ça fait partie des questions à démontrer que l'euthanasie puisse être assumée comme un acte médical, comme un soin. Donc, on nous présente l'euthanasie dans le continuum des soins.

Dans le continuum des soins, l'euthanasie est motivée par la pitié. On a le même motif, mais justement on écarte également un peu plus loin... l'intention est un concept assez compliqué, et pourtant j'ai beaucoup de respect pour l'intelligence des médecins, je pense que la plupart d'eux, avec un peu de formation, pourraient utiliser le concept d'intention. On nous dit: C'est un concept embarrassant, difficile à interpréter, donc il faudrait bien s'en débarrasser.

Ce que je trouve un peu simpliste de dire que, puisque le concept est difficile, on le sait, les collègues à l'université qui enseignent à la Faculté de droit me disent que c'est peut-être un des concepts les plus difficiles à enseigner, le concept d'intention en droit criminel... Mais la difficulté d'enseigner l'intention est-elle une justification suffisante pour reléguer le concept aux oubliettes? Poser la question, c'est y répondre.

M. Ouimet: J'ai l'impression, sans vouloir prendre la défense des médecins, mais le concept de l'intention vient parfois se buter à l'article 58 du Code de déontologie des médecins dans...

M. Keating (Bernard): Rappelez-moi, c'est celui...

M. Ouimet: Oui, je vais...

M. Keating (Bernard): ...qui parle de la mort dans la dignité...

M. Ouimet: Voilà.

M. Keating (Bernard): ...qu'ils ont introduit, j'imagine, eux-mêmes dans leur Code de déontologie. Et leur problème, si je peux me permettre, c'est justement que ce concept de mort dans la dignité est problématique puisqu'il en vient à être un concept purement subjectif. Chacun peut décider, à sa propre mesure, ce qu'est la mort dans la dignité, mais, en général, dans le domaine des soins, on a la prudence de dire que, par exemple, qu'il n'y a pas de droit à la santé, il y a droit à des services de santé. Le régime d'assurance médicaments du Québec nous dit qu'on a droit à des médicaments, à un accès raisonnable et équitable aux médicaments. Donc, c'est un accès qui est limité par certaines considérations qui sont autres que mon désir subjectif.

Mais, si je parle d'une mort dans la dignité au sens où les conditions subjectives de la mort, de la dignité, donnent naissance à un droit, on a un sérieux problème. Alors, évidemment, tout ça dépend du concept même qu'on donne à la mort dans la dignité. Est-ce qu'il faut assumer que le concept de la mort dans la dignité implique le droit à l'euthanasie? Personnellement, je ne crois pas. Et je crois que c'est une... c'est un concept particulier de dignité qui implique un droit à l'euthanasie fondé sur la dignité.

**(16 heures)**

M. Ouimet: Est-ce que... est-ce que vous êtes d'accord que les mots peuvent prendre un sens différent au fil du temps?

M. Keating (Bernard): Absolument.

M. Ouimet: Les tribunaux doivent interpréter, par exemple...

M. Keating (Bernard): Absolument.

M. Ouimet: Le mot «dignité» se retrouve à l'intérieur de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

M. Keating (Bernard): Absolument, absolument.

M. Ouimet: Il y a toujours l'évolution jurisprudentielle...

M. Keating (Bernard): Absolument.

M. Ouimet: ...selon les moeurs, selon les humeurs..

M. Keating (Bernard): Absolument.

M. Ouimet: ...selon les coutumes changeantes.

M. Keating (Bernard): Absolument. Mais, en même temps, je suis sensible au fait que, dans une société, certains concepts fondamentaux doivent, je dirais, persister et être cohérents.

Par exemple, le concept d'intention qui est utilisé en droit criminel, je l'utilise en éthique et je pense que c'est un concept qui est porteur de considérations absolument fondamentales pour l'évaluation de la conduite humaine et que se priver de ce concept-là et avoir une interprétation de la notion d'intention qui se, comment dire, qui prend des distances incommensurables avec l'interprétation qu'en donnent les tribunaux, ça devient un problème majeur dans une société.

M. Ouimet: C'est toujours l'appréciation des faits par rapport au concept, l'intention demeure toujours; c'est le principe fondamental du droit criminel. Mais, lorsqu'on apprécie les faits, c'est là qu'il y a une certaine élasticité dans le temps par rapport à des situations données et par rapport à leur acceptation sur le plan moral. Et je pense que peut-être les médecins au niveau de l'utilisation du terme «dignité», c'est un petit peu ça. C'est un concept qui n'est pas nécessairement arrêté dans le temps, avec une définition bien précise.

M. Keating (Bernard): Bien, je ne m'aventurerai pas trop loin dans l'analyse des positions du Collège sur la dignité, mais je vous laisse avec quelques questions.

Le Président (M. Kelley): Alors, juste au niveau de l'intendance, Mme la députée de Pontiac aimerait poser une question, mais j'ai besoin de consentement parce que, formellement, elle n'est pas membre aujourd'hui de la commission.

Alors, il y a consentement. Mme la députée de Pontiac.

Mme L'Écuyer: Merci, M. le Président. Oui, vous nous laissez avec même beaucoup de questions, je dirais, pas juste une, avec beaucoup de questions. J'aimerais ça qu'on revienne au concept de dignité. Tantôt, mon collègue disait: Il y a une évolution dans la jurisprudence, il y a les lois, les lois changent, on peut inscrire différentes façons d'interpréter la dignité. Le Collège des médecins l'interprète d'une façon... veulent qu'éventuellement ça fasse partie d'un acte de soins de fin de vie. Il y a même un mémoire, hier, qui disait... des gens sont venus en disant: Ça pourrait même être inscrit dans la loi de la santé et des services sociaux, comme tout autre dans cette fameuse loi.

Vous avez dit trois choses tantôt: la crainte, mourir dans la dignité, les motifs qui peuvent faire que quelqu'un demande, la crainte de la technologie, l'acharnement thérapeutique, ça, on l'entend, on le voit beaucoup chez des gens qui ont une maladie dégénérative.

Mais ce qui m'a surtout frappée, c'est la maîtrise de la vie jusqu'à la fin. Et quand je vous entendais dire ça, je me disais: Est-ce que, là, on parle d'euthanasie ou de suicide assisté? Parce que si... Hier, dans les mémoires, ce qu'on disait: Bon, qu'est-ce qu'on fait avec quelqu'un qui est au dernier souffle de sa vie, ça, ça s'appelle de l'euthanasie. Mais quelqu'un qui n'est pas au dernier souffle, qui est à l'avant, l'avant-dernier souffle, est-ce que l'euthanasie, c'est quelque chose qui se fait à la fin de tout? Est-ce que ça peut se faire un mois avant? J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

M. Keating (Bernard): Écoutez, la difficulté... Il y a une difficulté avec le concept d'euthanasie lui-même. Dans le mémoire du Collège des médecins, on nous donne le sens étymologique de l'euthanasie, mais, plus près de nous, le sens moral de l'euthanasie dans les débats récents a associé l'euthanasie au projet de soulager la douleur, de soulager la souffrance. Donc, le soulagement de la souffrance était partie intégrante du concept d'euthanasie.

Maintenant, on revendique un droit à la mort qui n'est pas lié simplement au soulagement d'une souffrance dont la médecine ne vient plus à bout. Il y a un autre motif. Et c'est là-dessus que je voulais attirer votre attention. Parce que, je pense que, comme société, on est extrêmement sensibles à ces souffrances qu'on ne peut soulager, et que certains d'entre nous accepteraient l'euthanasie dans le cas d'une douleur insupportable qu'on ne peut soulager, mais ils ne l'accepteraient pas s'il s'agissait de réaliser le projet d'une vie absolument maîtrisée.

Certains d'entre nous pensent qu'il est également de la sagesse humaine que de consentir au réel et qu'il y a dans cette volonté de contrôle une démesure, un refus d'accepter la condition humaine qui est ultimement malsain. Un refus également d'accepter la condition humaine qui fait que nous sommes profondément dépendants les uns des autres. Que l'être humain ne se construit qu'à travers la relation à l'autre. Que notre équilibre psychologique, notre estime de nous-mêmes se maintient dans des rapports de respect qui nous sont manifestés.

Donc, pour moi, il y a la... il y a une éthique derrière tout ça qui me semble très individualiste et que... auquel personnellement je n'adhère pas, et qui suscite certaines craintes de ma part en termes de, je dirais, de perpétuation d'une solidarité collective qui... qui est peut-être une des caractéristiques de notre société.

Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine, il vous reste environ trois minutes.

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Dans votre témoignage, vous posez la question, puis une bonne question: Comment honorer la dignité d'une personne dans la dernière étape de sa vie? Et vous parliez également d'un projet de maîtrise pour décider du moment de sa mort et de la façon de mourir.

Mais d'un point de vue théologique, quelles seraient, selon vous, les principales balises ou les principaux éléments pour arriver à cela, à honorer la dignité d'une personne dans la dernière étape de sa vie, qui est la mort?

M. Keating (Bernard): Je pense que, du point de vue... si vous me posez la question d'un... au point de vue théologique, je vous dirais que c'est de toujours se rappeler cette parole qu'on retrouve chez saint Matthieu dans le Jugement dernier: «Ce que vous avez fait aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait.» C'est-à-dire toujours se rappeler que toute personne souffrante est le Christ Lui-même qui souffre. Et, du point de vue théologique, pour moi, c'est cette... cette mémoire de l'enjeu qui est devant nous qui ne nous donne pas nécessairement la réponse, mais qui urge la réponse et qui fait en sorte qu'il faut prendre l'interpellation morale au sérieux. Mais il n'y a pas de réponse toute faite d'avance à ces questions.

Et comment honorer la dignité des personnes, c'est justement le projet d'une éthique, d'une morale articulée que de définir au fur et à mesure que les technologies et les sociétés avancent, de définir de façon concrète quelles sont les exigences de la dignité. On construit, d'une certaine façon, notre concept de dignité. On le construit socialement.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Joliette.

**(16 h 10)**

Mme Hivon: Bonjour. Merci beaucoup pour votre présentation. Pour en revenir au titre de notre fameuse commission, en fait, je vais vous soumettre la... le problème supplémentaire, c'est que ce n'est pas que sur la question de l'euthanasie et du suicide assisté, hein? C'est vraiment sur la question des soins en fin de vie... de la question de la fin de vie. On le voit d'ailleurs, parce qu'on a beaucoup échangé sur les questions de testament biologique, tout ça. Donc, c'est dans un cadre plus large. Et c'est pour ça que, je crois, que l'expression «mourir dans la dignité» a été retenue en sachant qu'elle était difficile, et que tout le monde veut reconnaître un droit de mourir dans la dignité, et c'est le comment, ensuite, qui est toute la question et, je pense qu'on pensait bien humblement qu'avec cette idée-là on était capable de couvrir plus large que la seule question de l'euthanasie et d'axer nos travaux, nos discussions sur le comment articuler ça, et que c'est ça qu'on voulait soumettre à la population.

Donc, si vous avez d'autres idées, vous nous le direz parce qu'effectivement, comme le président le dit, on est en réflexion. C'est d'ailleurs le but de cette première étape de consultation: c'est de nous aider à bien définir le cadre pour la consultation, la vraie consultation auprès de la population.

Ceci étant dit, moi aussi, j'aimerais revenir sur quelque chose que vous avez dit. Vous avez dit que vous voyez dans l'euthanasie un projet de contrôler le moment de sa mort plutôt que de contrôler les douleurs et les souffrances. Je veux comprendre pourquoi vous dites ça parce que, jusqu'à aujourd'hui, moi, j'ai le sentiment, mais je sais que vous avez pas mal écouté les travaux, donc vous pourrez nous confronter, que ce qu'on entendait c'était beaucoup, en fait, la double réalité: c'est-à-dire, dans un contexte de grande souffrance, de fin imminente et, dans un souci d'autonomie dans cette grande souffrance-là, qu'elle puisse être morale ou physique, cette volonté, oui, d'affirmation de l'autonomie, mais qui n'était pas désincarnée de la souffrance inhérente à la fin de la vie. Et, vous, vous semblez dire qu'il y a une exclusion des deux. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Keating (Bernard): Il n'y a pas exclusion des deux, mais ce que je vois monter, je dirais, c'est une revendication de l'euthanasie qui se fait plus à la faveur d'un projet de maîtrise qu'à la faveur d'un soulagement de douleur. Et, ici, je pense que c'est important d'entendre les... parmi les premiers concernés, les soignants eux-mêmes qui viendront vous exposer dans quelles circonstances ils se retrouvent devant des demandes d'euthanasie et, quand je regarde les débats publics ou les déclarations de certains champions de la cause de l'euthanasie, ce sont... certains de ces témoins sont manifestement dans un projet de maîtrise.

Je ne sais pas si vous vous rappelez, il y a plusieurs années, le Dr Boutin, un médecin de Montréal, s'était suicidé quelques jours avant Noël et avait laissé une lettre de suicide qui était également une défense de l'euthanasie, et sa lettre était très explicite. J'ai toujours contrôlé ma vie, ma vie a toujours été un succès... Et je crains que... qu'on nous impose une morale qui est celle des gens qui ont réussi, qui ont toujours maîtrisé et qui...

Dans notre société, il y a un impératif de maîtrise qui est lancé également aux médecins, c'est-à-dire que, dans les sociétés traditionnelles, il y avait place pour le non-maîtrisable: c'est-à-dire que le destin, Dieu, des acteurs au-dessus de nous manipulaient les humains ou manipulaient les destins ou fournissaient des explications. Il y avait place pour partager la responsabilité avec la divinité, avec la conviction qu'il y avait une sagesse qui s'expliquait à travers tout ça, mais on a perdu, comme société, cette conviction-là et on est devant... On n'a jamais été dans une société où l'idée de responsabilité a été si forte et, devant un patient qu'un médecin n'arrive pas à soulager, je suis certain qu'il y a un sentiment de culpabilité maintenant qui n'était pas présent autrefois.

La médecine pouvait se réconcilier avec son impuissance ou avec ses limites, mais, aujourd'hui, ne pas maîtriser, ne pas soulager, ça devient, je dirais, l'objet du remord, l'objet de la culpabilité. Ça devient un échec parce qu'on n'accepte plus cette condition humaine qui nous met des limites. Donc, on est devant un impératif très fort d'efficacité et de maîtrise dans tous les sens.

Mme Hivon: Pour rester là-dessus, moi, je suis loin d'être une spécialiste de l'éthique, donc je suis bien contente de pouvoir bénéficier de vos lumières. Comment, en éthique ou en théologie, là, vous avez les deux expertises, comment on concilie, justement, en lien avec toute cette question-là, de maîtrise, le fait qu'on contrôle énormément la souffrance désormais, dans la vie en général -- quand on accouche, quand on est malade, après une opération -- et que ça, c'est accepté, c'est les... l'avancement de la science et de la médecine est acceptée, mais que, dans l'ultime étape de la vie, juste avant la mort, là, on ne pourrait pas aller jusqu'au bout du soulagement de la douleur, par exemple, en permettant l'euthanasie?

Parce que c'est ça que les médecins sont venus nous dit hier. Ils ont dit: On est face à notre code de déontologie et on estime que des fois, on n'est pas capable de répondre à l'obligation qui nous est faite parce qu'on ne peut pas aller jusqu'au bout du soulagement de la souffrance, qu'elle soit morale, existentielle ou physique.

Alors, comment en éthique, on concilie ça?

M. Keating (Bernard): Écoutez, vous avez posé deux questions, et il faut vraiment répondre... il faut vraiment distinguer les deux réponses.

D'un point de vue théologique, la réponse serait à peu près celle-ci. C'est que l'image qui... dont le... que le théologien utilise bien souvent pour parler du rapport de l'homme à lui-même, c'est une image que vous connaissez bien, qui est celui d'un ministère que l'homme se voit confié par Dieu, un ministère. C'est-à-dire que c'est un certain pouvoir, mais c'est un pouvoir dont il faut rendre compte et un pouvoir qui connaît ses limites. Et que ce ministère que l'homme a à l'égard de lui-même et de ses semblables, qui exige de soulager la douleur, qui parfois permet de rendre justice et d'appliquer des peines comme la peine capitale, est une sorte de délégation d'un pouvoir qui vient de Dieu et que la... de là, la doctrine traditionnelle catholique selon laquelle on ne peut pas prendre la vie de l'innocent. Et, même à l'égard de soi-même, il y a une limite d'un point de vue de théologie catholique, une limite au pouvoir qu'on peut exercer sur sa propre vie. Ça c'est la réponse, je dirais, du théologien catholique.

La réponse du... de l'éthicien est beaucoup plus complexe, parce que ce serait très dangereux de prétendre que l'éthique ne parle que d'une voix dans ces questions. Il y a effectivement plusieurs voix en éthique, plusieurs visions possibles, et des collègues en éthique sont à tout le moins aussi compétents, sinon plus compétents que moi, ont une vision que je qualifierais de... individualiste, pour ne pas dire libérale au sens de philosophie politique, et je respecte tout à fait leur opinion.

Et là on est devant des conceptions de la vie, des conceptions de la société, des conceptions du vivre ensemble qui sont aussi honorables les unes que les autres, et on ne peut pas, au nom de l'éthique, condamner une opinion ou l'autre comme une absurdité. Ce qu'on peut dire, c'est qu'on ne la partage pas et qu'on ne souhaite pas organiser sa vie selon une vision comme celle-là. Et c'est très clair que, personnellement, je suis dans une vision qui correspond plus à... qui donne plus de place à la communauté que certains de mes illustres collègues.

**(16 h 20)**

Mme Hivon: Et j'imagine que de ce fait-là... je vous remercie, en fait. Quand je parle d'éthique, je parle de vous et de votre expertise évidemment. J'imagine qu'il y a beaucoup de courants aussi et de... et de pensées.

Vous savez que, on en a parlé hier, en 1994, avec la réforme du Code civil en matière de soins, de consentement aux soins, tout ce chapitre-là a vraiment axé le droit sur l'autonomie de la personne au-delà de l'inviolabilité de la vie ou la primauté de la vie à tout prix. Et de ce fait-là, ça veut dire qu'une personne en pleine santé peut refuser, par exemple, une transfusion sanguine, un traitement tout ça, même si ça occasionne la mort. Alors, évidemment, j'imagine que vous avez des réticences par rapport à cette conception-là des choses, vous pourrez expliciter.

Mais, à partir du moment où, comme législateurs, on a fait ce choix-là, est-ce que ça devrait... -- là, je vous le demande avec votre expertise -- est-ce que ça devrait teinter notre manière d'aborder la suite des choses en matière de santé, parce que ce choix-là a été fait consciemment de dire qu'en matière de soins de santé on estime que la primauté doit aller à l'autonomie de la personne, qu'on soit d'accord ou non. Est-ce que ça devrait faire en sorte que, quand on aborde le débat aujourd'hui, l'autonomie de la personne devrait arriver en tête de liste des valeurs?

M. Keating (Bernard): Je pense que, d'une part, on a vu les problèmes d'interprétation que ça posait, cette vision qui donne énormément de place à l'autonomie de la personne, aux problèmes concrets. Mais, pour répondre à votre question directement et franchement, je pense que vous mettez le point sur une question qui est extrêmement pertinente et qu'on ne peut pas faire l'économie, je dirais, de... Je ne suis pas un juriste, mais je me dis: Voilà, il faut qu'il y ait une cohérence dans l'ensemble des dispositifs législatifs.

Et, d'autre part, puisque vous soulevez la question, je pense que justement il faut faire... j'oserais dire, pour s'élever au niveau de la réflexion du législateur, il faut penser que le législateur doit assurer une vie harmonieuse au sein d'une société pluraliste et que, très clairement, il serait très difficile pour le législateur de conserver l'aura de légitimité dont il a besoin pour que les lois en général soient respectées si les lois d'un État, d'un pays sont en discordance importante avec les valeurs des citoyens.

Et certains maîtres thomistes que j'ai fréquentés naguère disaient qu'un des éléments majeurs du bien commun, c'est la paix sociale. Donc, il faut aussi tenir compte de ce niveau de réflexion, et on ne peut pas simplement croire que la position morale du législateur est un décalque de notre position individuelle lorsqu'il s'agit d'évaluer des questions éthiques. On ne peut pas faire l'économie de cette réflexion que vous soulevez sur la cohérence interne des lois, également de la prise en compte de l'État des valeurs de notre société.

C'est pour ça que votre initiative est si importante. C'est qu'il faut avoir une vision plus juste des valeurs actuelles de nos concitoyens, aller plus profondément, comme je disais tout à l'heure, dans les motifs, dans les arguments, dans les informations et les contre-informations qui peuvent susciter des demandes.

Donc, c'est un débat qui exige énormément, et je pense qu'il faut le faire progresser. Et je suis, je dirais, d'avis qu'effectivement, lorsqu'il s'agit de légiférer, on ne peut faire l'économie du pluralisme de nos sociétés. La légitimité même des lois repose sur un lien entre les valeurs sociales et les impératifs que le législateur place dans les lois.

Le Président (M. Kelley): J'ai le temps pour une dernière courte question pour M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. M. Keating, merci d'abord pour votre présence, merci pour votre éclairage.

Vous avez mentionné dans votre présentation avoir été déçu par certains arguments servis par les groupes qui vous ont précédé. Ces mêmes groupes ou individus semblaient unanimes par contre pour déplorer l'actuel statu quo qui laissait un certain flou artistique. Le Dr Barrette parlait littéralement hier de problème de sémantique sur l'utilisation de certains mots et même de certaines pratiques. Donc, il semble y avoir auprès des groupes précédemment entendus une certaine unanimité sur la nécessité d'apporter des clarifications.

L'expérience internationale nous montre qu'il y a des réflexions qui ont eu cours, que ce soit Belgique, Pays-Bas ou autres, et, lorsqu'il y a eu les législations de modifiées, il n'y a pas eu de changement radical des pratiques. C'est venu peut-être mieux baliser certaines pratiques et surtout enrayer certaines pratiques qu'une chercheur a qualifiées de délinquantes.

Peut-être... vous demander simplement... je saisis fort bien ce envers quoi vous êtes contre, mais ce envers quoi vous êtes pour, je le saisis un petit peu moins bien. Est-ce que vous êtes pour ou contre le statu quo à cet égard?

Le Président (M. Kelley): M. Keating.

M. Keating (Bernard): Je suis contre le statu quo de la confusion et du surf sur des concepts flous et des slogans. Je considère que j'ai déjà... Écoutez, je considère que ma contribution à cette commission est avant tout de vous aider à clarifier certaines questions.

Je vous ai dit tout à l'heure que vous avez... Je pense que j'ai été assez clair que mes convictions philosophiques et religieuses font en sorte que je ne suis pas personnellement favorable à l'euthanasie. J'ai des réserves importantes. J'ai réussi à me faire des ennemis dans tous les camps, puisque j'ai répondu à une question fort judicieuse à propos du rôle du législateur qui fait en sorte que j'ai annoncé mes couleurs, que je ne m'opposerai pas à une loi qui rendrait possible l'euthanasie si les convictions fondamentales d'une majorité importante de Québécois vont dans ce sens-là. Ça me semblerait imprudent pour le législateur de fermer les yeux.

Par ailleurs, il faut néanmoins éviter toute naïveté, et le flou dont parlait le Dr Barrette... J'oserais dire respectueusement qu'il y a encore beaucoup de travail à faire auprès de la Fédération des médecins spécialistes au niveau de la formation en éthique, et que le Dr Barrette... si les propos qui lui sont... qui lui sont... qu'on lui accorde sont exacts, ça signifierait que sa note dans un cours d'éthique pourrait n'être pas très forte, puisque ces... distinctions-là, ces notions-là sont des notions à propos de la cause à double effet et le fait que la sédation terminale ne soit pas considérée comme de l'euthanasie, il n'y a pas un consensus, mais il y a une large majorité d'éthiciens et de juristes, je pense, qui considèrent qu'il ne s'agit pas d'euthanasie.

Donc, il y a aussi parfois l'absence de compétence suffisante en éthique qui fait en sorte que la tâche est plus difficile, et pas simplement la difficulté inhérente aux cas qui sont soumis.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, je dois dire merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion. Peut-être un jour un débat avec le Dr Barrette peut être très intéressant, mais...

Sur ça, je vais suspendre très rapidement et je vais demander à M. Doucet de prendre place. Mais, Pr Keating, merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion cet après-midi.

(Suspension de la séance à 16 h 29)

 

(Reprise à 16 h 30)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! On va reprendre nos travaux.

Notre prochain témoin, c'est le Pr Hubert Doucet, qui est de la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l'Université de Montréal. Alors, sans plus tarder, Pr Doucet, la parole est à vous.

M. Hubert Doucet

M. Doucet (Hubert): M. le Président, mesdames messieurs, je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir invité à prendre part aux travaux de votre commission. Je vous en remercie d'autant plus que, quelles que soient nos positions que nous avons sur la question à l'étude, le fait que cette dernière ait lieu constitue un événement significatif qui mérite d'être souligné.

Je crois que l'intérêt de cette commission ne tient pas à la nouveauté de la question, puisque cette dernière est débattue depuis au moins 30 ans au Québec. Sa contribution consiste, entre autres, à faciliter un échange citoyen qui pourra aider à poser, dans une perspective élargie, la problématique controversée et difficile de mourir dans les sociétés modernes.

J'exerce maintenant mon métier non pas dans une faculté de théologie et de sciences des religions, mais à l'hôpital... dans un hôpital pour enfants, c'est-à-dire Sainte-Justine, et... parce que, quand on vieillit, on peut encore changer de position. Alors... Mais, avec les enfants, vous savez que les enfants sont souvent des oubliés de ce débat sur le droit de mourir dans la dignité. C'est toujours des adultes aptes dont on parle la plupart du temps. Alors, je vais peut-être apporter une dimension, à certains moments donnés, des difficultés que pose ce débat par rapport aux personnes inaptes, et en particulier les enfants.

Au cours des 20 minutes qui me sont allouées, je n'entends pas prendre position pour ou contre l'euthanasie. J'ai beaucoup écrit là-dessus; mes positions sont connues. Je me situerai plutôt en amont de la question. Mon objectif, il est double: faire ressortir les difficultés qu'opposent les discussions sur la mort avec dignité et mettre en relief aussi certaines questions essentielles que la commission ne devrait pas éviter de se poser si elle veut développer des orientations qui permettront de rendre meilleure la vie des Québécoises et des Québécois. Et, en procédant de cette manière-là, je crois que je me conforme à l'objectif de votre démarche telle qu'elle était indiquée dans la lettre d'invitation.

Je crois qu'une des difficultés majeures que pose ce genre de consultation concerne les mots avec lesquels on s'exprime. De quoi parle-t-on, mais peut-être surtout comment en parle-t-on. Les mots en effet risquent de durcir les désaccords lorsque le sujet discuté divise la population et soulève beaucoup d'émotions. C'est pourquoi la première partie de ma présentation traitera du vocabulaire. Par la suite, dans une seconde partie, je soumettrai quelques points de vue à la commission pour qu'elle... que celle-ci aurait avantage à aborder si elle veut favoriser un travail de discernement collectif sur certains enjeux éthiques concernant le mourir dans la dignité.

Donc, d'abord, les pièges du vocabulaire. Je ne suis pas le premier à dire -- je suis au moins le second, parce que celui qui est venu avant moi a dit la même chose -- mais je ne suis pas le premier à dire qu'une des difficultés majeures auxquelles nous faisons face dans nos discussions tient aux mots que nous utilisons et au sens que nous leur donnons. J'entends souvent dire qu'il suffirait de s'entendre sur les termes, sur la définition des termes. Je ne suis pas assuré que, même là, on pourrait s'entendre sur le sens du mot, même si on s'entendait sur le terme.

Je voudrais vous donner quelques exemples. D'abord, le mot «euthanasie». Je voudrais... trois idées. Des pratiques comme arrêt de traitement, non-réanimation, retrait de gavage, sédation, sont, selon les uns, des formes d'euthanasie puisqu'elles avancent la mort, alors que, pour d'autres, ces mêmes actions témoignent du fait que ces mêmes interventions ont atteint leurs limites et que maintenant seule la qualité de la vie de cette personne mourante les préoccupe. Au risque de caricaturer, je dirais que, dans la seconde vision, ces décisions sont vues comme le contraire même de l'euthanasie. Donc, si on soutient la première position, l'affirmation que l'euthanasie se pratique dans nos hôpitaux, c'est tout à fait juste, alors que, dans le second cas, l'euthanasie serait d'une extrême rareté dans ces mêmes établissements.

Deuxième idée sur le terme «euthanasie». Une analyse fine de ce que les gens comprennent lorsqu'ils affirment qu'il se fait de l'euthanasie serait extrêmement intéressante à entreprendre, d'autant plus que pendant longtemps le qualificatif de «passif» a obscurci la compréhension du terme. Même si l'expression s'utilise de moins en moins, elle marque encore notre imaginaire collectif. L'ajout de «passif» voulait signifier qu'on ne faisait pas d'euthanasie. Donc, nous faisions de l'euthanasie que nous ne faisions pas. C'était de l'euthanasie passive. Dans cette perspective ambiguë, il arrive souvent qu'à la fin de la vie, dans l'agonie, on ne sache plus, on ne sache pas très bien si l'on fait l'un ou l'autre, ce qui n'est pas nécessairement un mal, étant donné l'ambiguïté même de la situation lorsqu'on est en toute fin de fin de vie.

Troisième idée sur, toujours, le terme «euthanasie». C'est un terme extrêmement malléable. Francis Bacon, qui est le créateur du terme en 1608 -- fondation de Québec -- utilisait le mot en créant «eu» pour «bon» en grec, «thanatos», mort. Donc, c'est la bonne mort. Mais, depuis 1608, on ne s'entend pas sur ce que voulait dire Bacon lorsqu'il a créé son terme. Les uns y voient le sens de hâter la mort et les autres considèrent que Bacon l'utilise au sens des soins palliatifs contemporains. Le terme est ambigu dès le départ. Tout ce sur quoi on s'entend à propos de Bacon, c'est que la médecine moderne ne peut pas ne pas intervenir dans la fin de vie.

Un autre exemple de la plasticité du terme vient des législations qui ont dépénalisé l'euthanasie, comme les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg -- dont on parle beaucoup moins, mais qui l'a fait. Il est remarquable de voir que les législations de ces pays ont dû faire évoluer le terme pour pouvoir l'utiliser dans leurs lois avec, me semble-t-il, des conséquences discriminatoires imprévues pour les enfants sévèrement atteints et les personnes inaptes.

Le terme, maintenant -- deuxième temps -- les «soins palliatifs». L'expression «soins palliatifs» est aussi livrée à la multiplicité des interprétations. Il y a le sens que lui donnent l'OMS, les associations des droits en soins palliatifs aussi. Selon la définition de l'OMS, que vous connaissez probablement, l'objectif des soins palliatifs, c'est d'obtenir pour les usagers et leurs proches la meilleure qualité de vie possible. Les soins palliatifs soutiennent la vie et considèrent la mort comme un processus normal, ne hâtent ni ne retardent la mort, atténuent la douleur et les autres symptômes, intègrent les aspects psychologiques et spirituels des soins, offrent un système de soutien pour permettre aux usagers de vivre aussi activement que possible jusqu'à la mort.

Cette approche au fond holistique correspond bien à la vision des fondateurs du mouvement des soins palliatifs comme Cicely Saunders ou le Dr Balfour Mount à Montréal. Mais le caractère holistique explique sans doute pourquoi la philosophie centrale des soins palliatifs est souvent mal interprétée dans le contexte d'une culture où la médecine moderne, qui est une entreprise très peu holistique, est engagée dans un combat acharné contre la mort. Je crois que c'est là une des clés du problème, d'où la tendance de plusieurs -- des intervenants, des médecins spécialistes en particulier, les familles, les malades, les juges de la Cour suprême aussi -- ont tendance à réduire les soins palliatifs à une simple spécialité de la médecine scientifique contemporaine.

**(16 h 40)**

Troisième terme, «mourir avec dignité». Qu'est-ce que ça veut dire? Je pense que le sens varie selon les personnes.

Une première position fait ressortir que le mourant doit être le maître de sa mort de manière à garder le contrôle de sa vie jusqu'au terme qu'il fixe lui-même. La modernité a consisté à placer la dignité dans l'individu lui-même devenu maître de son histoire. La dignité, dans ce premier sens, est identifié à l'autonomie de l'individu.

Une deuxième position qui utilise le même terme dit autre chose. Même le Vatican, qu'on n'accusera pas de privilégier l'euthanasie, dans sa déclaration sur l'euthanasie, qui est de 1980, fait sienne l'expression «mourir dans la dignité» puisque, dit-elle -- cette déclaration -- elle rend parfaitement compte de sa position sur les soins à offrir en fin de vie. Donc, chez les tenants de la seconde position, la dignité fait que la personne malade est encore reconnue comme quelqu'un alors que la vie s'estompe. Pour reprendre le langage du philosophe Paul Ricoeur, la dignité signifierait ici que la personne a encore l'estime de soi grâce à la sollicitude de l'autre. Donc, un même mot, deux sens différents, deux conceptions de l'être humain.

Ces deux sens sont riches, et chacun exprime quelque chose d'important à propos de la vie et de la mort, mais, au fond, est-ce qu'on n'abuse pas du mot? Peut-il y avoir une mort digne? Comme le notait déjà Marcel Boisvert, l'expression n'est-elle pas devenue un slogan? On est en droit de se demander ce que veut dire concrètement la dignité quand toutes les parties de votre corps vous laissent tomber, les unes après les autres, et que vous devenez à la merci de la bonne volonté des autres pour des activités qui, hier encore, étaient les plus intimes. Vous devenez dépendants de tous. Quelle dignité vous reconnaîtra-t-on?

Donc, il ne suffit pas que le vocabulaire soit bien clarifié au plan notionnel. Il importe aussi que, dans les discussions qui auront cours, les membres de la commission soient bien conscients que les personnes et les groupes qu'ils vont rencontrer utilisent des termes qui sont émotionnellement et culturellement chargés, d'où les risques de manipulation de part et d'autre. Une des tâches de la commission, si elle veut faire progresser le débat, consistera à promouvoir le discernement sur le sens de ces mots, mais surtout sur les attentes profondes qui nourrissent les mots que nous utilisons.

Donc, la deuxième tâche, c'est un travail de discernement dont je voudrais parler et qui serait à faire par la commission. D'abord, les soins palliatifs. Le groupe de travail en éthique clinique du Collège des médecins fait sienne, si vous voulez, et je les cite: «...la nouvelle sensibilité selon laquelle il existe des situations exceptionnelles où l'euthanasie pourrait être considérée comme une étape ultime nécessaire pour assurer des soins palliatifs de qualité.» Timothy Quill, Christine Cassel Diane Meier sont trois médecins américains qui ont créé cette expression, ce continuum en soins palliatifs. Ils l'ont créé en 1992. Depuis, cependant, Diane Meier est revenue sur sa position et dit qu'elle s'est trompée.

Mais ce qui m'intéresse ici, c'est que cette nouvelle sensibilité atteint, me semble-t-il, ce qui fait le coeur même, l'esprit fondateur de soins palliatifs. Cet esprit fondateur, Balfour Mount le résumait récemment dans Le Devoir, dans une entrevue: «Quand on ne peut plus espérer prolonger la vie, l'objectif est d'améliorer la qualité de vie, ce qui est expressément le but des soins palliatifs. Une des dimensions de cette qualité de vie que favorisent les soins palliatifs est le temps précieux que représente, tant pour le malade que ses proches, les dernières semaines de vie d'un cancéreux. Ce temps recèle un incroyable potentiel qui est perdu si l'on euthanasie la personne.» Voilà la position d'un fondateur.

Les soins palliatifs sont nés d'une volonté de privilégier une nouvelle façon de penser et de pratiquer le soin, pour ne pas dire une nouvelle façon de penser et de pratiquer la médecine. C'est pourquoi il me semble y avoir une contradiction entre la nouvelle sensibilité dont parle le rapport du Collège et la dynamique fondatrice des soins palliatifs.

Et le Dr. Marcel Boisvert, lors de la série radio Vivre jusqu'au bout, là, qui a été animée par Mario Proulx, proposait que l'euthanasie soit pratiquée dans le cadre des soins palliatifs, de manière disait-il, à éviter les dérapages. La suggestion me semble particulièrement aller contre l'esprit même des soins palliatifs, qu'elle atteint en plein coeur de ceux qui les ont créés. Elle ne peut que blesser profondément tous ces soignants et soignantes qui vivent de cet esprit. Elle pourrait être aussi l'occasion d'une crise dans ces soins, de nombreux praticiens faisant appel à l'objection de conscience lors de la demande d'euthanasie. Et vous savez que l'appel à l'objection de conscience dans un service créé toujours une crise profonde parce qu'elle soulève beaucoup de tensions dans les membres de l'équipe, par exemple. La commission aurait donc intérêt à pousser plus loin l'analyse des enjeux de la nouvelle sensibilité par rapport à l'ensemble des soignants engagés dans les soins palliatifs.

Autre idée: la maladie chronique et l'euthanasie. En regardant le travail remarquable des soins palliatifs pour accompagner les personnes en fin de vie, nous pourrions être tentés de conclure que, si nous avions de bons soins palliatifs, l'euthanasie ne serait pas nécessaire. Beaucoup de spécialistes en soins palliatifs sont convaincus de ce point de vue. Ils centrent leur prise de position sur les derniers moments de la vie. Les tenants de la nouvelle sensibilité font exactement la même chose que ceux... les tenants des soins palliatifs.

Les deux groupes me semblent passer à côté d'une réalité essentielle liée aux progrès de la médecine moderne. Que faire lorsqu'une personne souffre de sclérose latérale amyotrophique ou d'une autre maladie dégénérative qui lui tombe dessus à l'âge de 40, 50 ans ou même plus tôt et avec laquelle la personne aura à vivre pour des décennies? On est loin de la fin de vie. Que faire pour les personnes vieillissantes, qui sont de plus en plus fragiles et dépendantes et que l'on a souvent tendance à euthanasier socialement. Dans ces cas, c'est la durée qui épuise. Les soins palliatifs ont été pensés pour le court terme, où la mort est proche, et non pour le long terme, où la mort est encore lointaine. La manière de faire des soins palliatifs peut-elle s'appliquer dans les situations de maladie chronique?

Devant la souffrance de durée, beaucoup de médecins veulent faire preuve de compassion, et l'une des manières de manifester cette compassion, c'est d'accélérer la fin de vie. Une proposition ne naît-elle pas actuellement aux Pays-Bas de développer des professionnels d'aide au suicide pour les personnes âgées de 70 ans et plus? Du même coup, la médecine évite de se poser une question fondamentale sur les conséquences de son travail. Pourquoi une médecine si fière de ses réalisations en arrive-t-elle à faire souffrir autant de gens, que ces gens... à faire souffrir autant les gens qu'elle prétend sauver et qui sont réduits à lui demander de les faire mourir? Pourquoi les met-elle dans un tel état? Voilà une question fondamentale qu'il nous faut poser, mais que nous avons tendance à évacuer.

Autre idée: le mythe de la démédicalisation de la mort. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la question de la démédicalisation de la mort a donné lieu à d'importants débats sociaux. On en avait contre le paternalisme médical et l'acharnement thérapeutique. En réaction à ces pratiques naquit tout un mouvement qu'on a appelé le mouvement de la démédicalisation de la mort, qui prit plusieurs formes dont je ne peux parler ici. Peut-être qu'on pourra en discuter.

**(16 h 50)**

Cet espoir de démédicalisation était-il réel ou ne cachait-il pas une autre demande, c'est-à-dire demandait d'inventer une médecine technique au service de l'humanité de l'homme et des relations interhumaines. À regarder l'état des lieux 20 ou 30 ans plus tard, je crois que la déception des tenants de la démédicalisation, elle est très forte, parce que la médicalisation de la mort s'impose à nouveau plus que jamais. Les soins palliatifs ne sont accessibles qu'à la toute fin de la vie, ce qui n'était pas le cas dans les premières années. Les règles administratives, les pratiques médicales, le manque de ressources disponibles font que les séjours sont de plus en plus courts. La fenêtre de temps dans laquelle l'interaction se crée s'est considérablement amoindrie.

Dans le cadre maintenant imposé, comment peut-on penser un accompagnement de fin de vie qui réponde aux besoins des personnes quand vous arrivez trois jours avant de mourir dans une unité de soins palliatifs? Dans nos schémas organisationnels, nous avons perdu la nécessité d'une certaine lenteur qui réponde au rythme de la personne gravement malade. Dans ce contexte, je trouve étonnant les divers rôles dévolus aux médecins dans les différents lois autorisant l'euthanasie. Deux ou trois médecins sont engagés comme si, dans ce cas où la compassion est jugée primordiale, la relation clinique ne tenait plus mais était remplacée par seulement une règle bureaucratique de vérifier des consentements éclairés.

Enfin, ma dernière remarque à propos du type de démédicalisation concerne la question du contrôle de la douleur en lien avec la souffrance. Les soins palliatifs ont fait un travail extraordinaire pour sensibiliser l'ensemble de la société à l'importance d'adoucir la douleur des personnes malades. Cependant, on a souvent fait remarquer que c'est au moment où les douleurs sont maîtrisées que la souffrance apparaît dans toute sa vérité et dans tout son non-sens. La distinction entre douleur et souffrance ne me paraît suffisamment prise en compte parce que, la nature profonde de la souffrance, elle est laissée à la religion, à la spiritualité, les sciences de la santé tentant de diminuer la douleur en la médicalisant. Cette tendance explique peut-être pourquoi les patients atteints de maladies incurables continuent de souffrir d'une manière qu'ils considèrent indigne d'un être humain parce qu'on ne s'est jamais intéressé à leurs souffrances.

Le projet original des soins palliatifs était quelque peu différent. D'une part, toute souffrance ne se résume pas à une affaire médicale. Les composantes existentielles sont aussi essentielles. Et, d'autre part, il faut perdre cette idée que toute souffrance serait traitable ou contrôlable. C'est faire de la fausse représentation que de laisser croire qu'il est possible de maîtriser la souffrance, alors qu'il est possible de maîtriser la douleur.

D'où une première question: Est-ce à dire que notre incapacité à supprimer toute souffrance doive conduire à supprimer la personne qui souffre? Et deuxième question: Est-ce une tâche à confier à la médecine? Aussi, est-ce que ça relève de la médecine?

Cicely Saunders a créé le concept de «total pain», indiquant bien qu'il faut rejoindre la personne dans toute son intégrité. Pour y parvenir, la personne mourante doit être accompagnée par une communauté qui lui témoigne de sa sollicitude, ce qui va au-delà de l'interdisciplinarité. Telle était la démédicalisation rêvée il y a 40 ans. Est-ce que démédicaliser la mort demeure encore possible dans une société qui médicalise toute la vie?

Dernière...

Le Président (M. Kelley): Très rapidement parce qu'on est déjà dépassé le 20 minutes, et je dois conserver...

M. Doucet (Hubert): J'ai dépassé le 20 minutes?

Le Président (M. Kelley): Oui.

M. Doucet (Hubert): Oups! Je m'excuse. Je voulais simplement proposer un angle de discussion, et je termine là-dessus. Je pense que la question qu'il faut se poser: Qu'est-ce que nous voulons comme société? Des services de santé répondant à la demande de chaque individu ou des services de santé favorisant des soins humains dans nos divers moments de fragilité, et cela, tout au long du parcours de vie? Il y a là en jeu deux conceptions différentes de ce qu'est le système de santé et aussi de la responsabilité de l'État à cet égard. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Doucet, et je ne voulais pas vous couper, mais je veux préserver également le temps de parole. Alors, je vais demander un sens de la discipline de l'ensemble des membres, des questions les plus courtes possible, des réponses complètes, mais les plus brèves possible pour favoriser un dialogue: 15 minutes à ma droite, 12 minutes pour l'opposition officielle et trois minutes pour le deuxième groupe d'opposition. Alors, on va parler vite et on va répondre vite. Alors, M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. On va tenter de faire tout ça, mais les propos de M. Doucet, à qui je souhaite la bienvenue, sont forts intéressants et sont forts riches, et nous portent beaucoup à la réflexion.

J'ai beaucoup apprécié votre... votre mémoire que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt, beaucoup d'attention. J'aimerais aller sur ce que vous développez en matière de soins palliatifs, aux pages 10, 11 et 12 de votre mémoire. Et vous faites référence aux trois médecins américains et la philosophie du continuum: le suicide constitue un continuum dans l'option disponible pour donner des soins de confort. Vous relatez l'expérience du Dr Meier, qui a changé de point de vue à un moment donné. Vous le dites dans votre document et vous avez la gentillesse d'inclure une note de bas de page qui explique un petit peu le cheminement du Dr Meier. Par la suite, vous faites référence au Dr... oui, au Dr Balfour Mount, et là je me permets de citer... la citation qui se retrouve dans votre texte. Vous dites: «Il s'agit d'un moment important de partage qui peut adoucir la mort de la personne qui agonise et qui peut rendre les 40 prochaines années plus sereines et plus heureuses à ceux qui lui survivront. Ce temps recèle un incroyable potentiel qui est perdu si l'on euthanasie la personne.»

Admettons que ce patient-là a fait... a atteint ce niveau d'acceptation par rapport à la mort, a fait ses adieux, il est en paix avec lui-même, et ses proches sont également en paix avec la décision, si le patient est conscient de tout ça, je reprends les termes lus dans d'autres mémoires: Pourquoi lui imposer la vie, alors qu'il demande à abréger sa douleur et, disons, sa souffrance également?

M. Doucet (Hubert): Les tenants des soins palliatifs, au sens «mountien» du terme, si vous voulez, vont vous répondre que la vie n'est pas terminée. Il y a encore des choses qui peuvent ressortir. Même si la personne dit: Moi, j'ai terminé, son rapport à l'autre, ou même si l'autre est d'accord, c'est qu'il croit que tant qu'il y a quelque chose, il y a de l'histoire qui peut naître.

C'est que l'un dit: On termine ici. Et... une thèse. Et l'autre thèse dit: Ce n'est jamais terminé, ce rapport avec l'autre; il peut toujours sortir des choses extraordinaires. Et c'est ça, la différence, je crois, de point de vue quand il dit: Un incroyable potentiel.

M. Ouimet: Je vous suis et je comprends, mais c'est une conception qui, peut-être, n'est pas partagée par le patient. Et dans l'état actuel des choses, dans le fond, ce serait de lui priver... ce serait de lui priver un choix qui lui serait plus propre à lui, de pouvoir abréger sa vie dans de telles circonstances.

J'ai compris tout ce qui anime le Dr Balfour et la citation que vous faites, et en citant également Mme Meier qui a eu un... un changement de... un changement de point de vue, là, mais... Et là je me disais: Mais pourquoi priver ce patient-là de ce... de ce choix?

**(17 heures)**

M. Doucet (Hubert): Pourquoi le priver de la possibilité de continuer des relations? C'est ça, la réponse que pose cette thèse. Donc, il y a vraiment deux thèses, ici, hein? Et je vous ai dit que je ne voulais pas prendre position, je viens... Je veux me présenter, quand la commission va siéger, sur ma propre position.

Mais je pense que ce que je veux faire ressortir, c'est qu'il y a vraiment... il faut approfondir les différentes thèses, il faut aller creuser dans chacune des thèses. C'est ça, l'idée que je voudrais faire ressortir.

M. Ouimet: Je reviens au Dr Meier, et je reprends son texte en anglais où elle dit: «But after caring for many patients myself, I now think that the risks of assisted suicide outweigh the benefits... Legalizing assisted suicide is coercive in and of itself. Society would no longer promote the value of each life, and instead sanction an expedient death rather than continued care and support.»

J'essaie de comprendre quelle... en quoi est-ce que, lorsqu'elle dit: «risks of assisted suicide outweigh the benefits». Pourriez-vous élaborer là-dessus, vous qui avez beaucoup réfléchi à la question. On a besoin de savoir ça parce que, si on est pour placer des balises, il faut voir, là, quels sont les risques auxquels le Dr Meier faisait référence.

M. Doucet (Hubert): Je crois que ce qu'elle veut dire... D'une part, vous avez remarqué qu'aux États-Unis on ne parle pas d'euthanasie mais de d'aide médicale au suicide, ce qui est extrêmement, je crois, important, et je crois que la crainte qu'elle a, et beaucoup d'auteurs américains ont cette crainte-là, c'est qu'en sanctionnant l'euthanasie ou l'aide médicale au suicide, vous dites oui à une société.

C'est très bon de partir, si vous voulez partir. Mais c'est un petit peu comme si... Je crois que, si on avait légalisé l'euthanasie avant les soins palliatifs, on n'aurait jamais fait le travail qu'on a fait sur le plan de la maîtrise de la douleur, sur l'adoucissement de la douleur, parce qu'on aurait eu une façon de passer à côté et de dire: On termine ici. C'est parce qu'il y avait cette balise sociale qu'ici il y a une limite qu'on ne peut pas dépasser qu'on a dû être créateur, en quelque sorte, pour dire: Comment on va faire pour aider du monde qui souffre et qui ont des douleurs? Comment on va essayer de dépasser cette situation-là et on a été... et ça a donné les soins palliatifs. Et ça a donné ça parce qu'il y avait une balise et, je crois que je connais d'autres auteurs, Sissela Bok qui a fait un thèse en faveur de l'euthanasie et qui a écrit, 10 ans plus tard: Aux États-Unis, ça n'a aucun sens qu'on aille dans cette direction-là, compte tenu de la qualité de nos hôpitaux, compte tenu de ce qui se passe dans nos maisons de soins de personnes âgées, etc.; on va aller vers une pente savonneuse qui va aller vers comme des fins de vie en masse, parce que ce sera bon pour la société, ce sera vu comme ça.

Je sais qu'il a des gens qui critiquent la réponse que je donne, ils disent; Ce n'est pas vrai. Ça ne se passe pas comme ça aux Pays-Bas, mais je ne suis pas sûr parce que les études ne s'entendent pas là-dessus aussi. Alors, je ne sais pas si ça... je pense que c'est les raisons... C'est que, sur le plan d'une société, ça n'aide pas à développer des bons soins aux personnes qui sont en fin de vie, le fait d'aller dans la direction que c'est bon de pouvoir aller vers l'euthanasie.

Le Président (M. Kelley): J'ai une demande d'intervention du député d'Orford, mais j'ai besoin, comme d'habitude, d'un consentement parce qu'il n'est pas techniquement membre de la commission. Le consentement est accordé alors, M. le député d'Orford.

M. Reid: Merci, M. le Président. Je vais poser une question courte et peut-être que ça va demander une réponse longue, mais je suis persuadé que les collègues de la commission seront intéressés de l'entendre, parce qu'ils sont peut-être comme moi. Je suis resté un petit peu sur mon appétit parce que vous nous avez annoncé que vous nous ouvririez un petit peu la dimension des enfants, et on n'en a pas beaucoup entendu parler. Alors, j'aimerais que vous élaboriez un petit peu là-dessus, si c'est possible.

M. Doucet (Hubert): Je crois que je l'ai fait très, très, très peu lorsque j'ai parlé que les Pays-Bas et la Belgique ont dû changer la définition de l'euthanasie. L'euthanasie avait toujours été définie dans les dictionnaires, etc., comme hâter la mort de quelqu'un pour des motifs de compassion. Or, pour pouvoir protéger les gens d'être accusés de nazisme, en particulier, je pense que c'est lié à ça, on a dit: On va créer une loi, lorsqu'on va faire de l'euthanasie, qui ne porte que sur les gens qui sont aptes. Mais aussitôt qu'on entre à vouloir protéger les aptes qui sont les plus forts, eux, à ne pas souffrir, mais vous voyez le cul-de-sac dans lequel vous vous embarquez.

Les gens qui souffrent le plus, c'est peut-être les bébés prématurés, c'est peut-être les bébés qui sont gravement handicapés et pour lesquels on ne peut rien faire. Qu'est-ce qu'on va faire avec eux? Parce qu'ils ne rentrent pas dans ces législations que l'on développe, que l'on met en place. On pourra toujours répondre: On y verra plus tard. Mais voyez comment on procède ici. On procède en disant: D'abord, répondons aux besoins des plus forts, et après on répondra aux besoins des plus faibles. Il y a là une espèce de contradiction... c'est ça que j'ai appelé une discrimination, au fond, dans ces tendances législatives.

Les enfants qui naissent prématurés, les enfants qui vont se développer dans des conditions de maladie extrêmement graves, extrêmement sévères et qui vont passer la moitié de leur temps entre la maison mère-enfant pour Sainte-Justine et le retour à l'hôpital central, toute leur vie sera comme ça, c'est quoi, la vie de ces enfants-là? Certains, c'est effroyable. Mais, eux, on n'a pas le droit et on n'aurait pas le droit dans les lois que l'on veut mettre en place.

De sorte qu'aux Pays-Bas, on a tout de suite, quelques années plus tard, on a, j'ai fait allusion, là, il y a une note en bas de page, le protocole de Groningen. Donc, on a essayé de passer par une voie détournée pour pouvoir aussi mettre fin à la vie de ces enfants et même chose pour les personnes handicapées, etc.

Donc, c'est ça que j'appelle le problème des enfants qui sont exclus de ces lois. Et au fond ces lois deviennent discriminatoires, je crois, à l'égard des personnes qui sont les plus faibles.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Ah oui! Merci. Je ne croyais pas qu'on avait du temps encore.

Le Président (M. Kelley): Il vous reste quatre minutes.

Mme Gaudreault: Alors, bienvenu. Moi, dans une autre vie, j'ai fait de l'accompagnement aux mourants dans une maison de soins palliatifs. Et tout ce que vous avez dit, ces moments privilégiés qui sont vécus à la fin de la vie, moi, j'en ai été témoin. Parce que souvent les personnes qui arrivent d'un centre hospitalier sont très médicamentés, alors ils sont inconscients. Et, lorsqu'on gère bien les médicaments, c'est comme s'ils reprenaient vie, et là il y a des choses merveilleuses qui peuvent arriver.

Je veux vous entendre, vous avez dit tout à l'heure que c'est au moment que les douleurs sont maîtrisées que la souffrance apparaît. J'aimerais vous entendre un peu plus à cet effet-là.

M. Doucet (Hubert): Quand quelqu'un est atteint d'un cancer ou d'autres... de métastases, etc., il y a des douleurs très fortes qui sont souvent peu maîtrisées, sauf lorsqu'un médecin arrive, bon, va maîtriser ces douleurs-là. Jusqu'au moment où vous étiez plein de douleurs, vous étiez tout habité par votre douleur. Vous savez, quand vous avez mal à la tête ou aux dents, votre vie est dans votre douleur. Il n'y a plus rien d'autre qui existe que votre douleur.

Maintenant, quand votre douleur est maîtrisée, maintenant vous faites face à quoi? À votre fragilisation, à votre mort prochaine, à la perte de vous-même, et ça, c'est de la souffrance. Ce n'est pas de la douleur, c'est de la souffrance. Qui suis-je, qui suis-je encore, pourquoi je suis ici, qu'est-ce que je fais?

Et on voit de plus en plus dans les recherches des gens qui ne demandent pas l'euthanasie, mais qui demandent à mourir, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Il y a des études beaucoup qui sortent. Les gens sont fatigués de vivre. Ils n'en peuvent plus. Ils sont seuls. C'est ça, je veux dire, qui ressort. Vos douleurs étant contrôlées, vous n'avez encore rien fait, d'une certaine façon. Vous avez fait surgir la souffrance, si ces gens ne sont pas accompagnés par une communauté.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

**(17 h 10)**

Mme Hivon: Bonjour. Merci beaucoup de votre présentation. Je dois dire que j'ai lu évidemment l'ensemble du mémoire avec beaucoup d'intérêt. Il est très annoté. Vous avez suscité énormément de questions, de remises en question. Bien, comme on fait en fait quand on est d'accord avec des énoncés, souvent on ne les reprend pas en question, donc c'est avec ce qui nous suscite plus de questions qu'on... reprend la discussion.

Moi, je veux un peu continuer dans la même veine que le député de Marquette. En fait, vous m'avez entendue tout à l'heure, à M. Keating, je lui ai demandé toute la notion d'autonomie. En fait, moi, j'évolue... je veux dire, je réfléchis beaucoup sur cette notion-là, surtout après ce qui nous a été dit hier, puis en réalisant l'importance qu'on a donné à ce concept-là dans le Code civil en quatre-vingt-quatorze. Et j'ai parfois l'impression que l'autonomie est toute-puissante dans notre société, dans notre législation, tout ça, dans la conception qu'on a des choses, jusqu'à la toute fin de la vie, mais que là, à la toute fin de la vie, on voudrait qu'elle cède un peu le pas pour différentes raisons.

Et j'ai deux exemples par rapport à ça. Tantôt, je disais: La maîtrise de la souffrance, bien, de la douleur beaucoup et parfois aussi de la souffrance, qui est quand même quelque chose de très avancé, qu'on accepte très bien socialement, qui... on essaie que les gens souffrent le moins possible. Mais, en fin de vie, c'est comme si on se disait -- certains disent: On ne peut pas tout maîtriser, donc on ne peut pas aller jusqu'à l'euthanasie, parce que ce serait une maîtrise trop absolue de la souffrance, et on ne peut pas le faire en fin de vie.

L'autre exemple que je vous dirais, c'est quand on dit: On ne peut pas non plus parce que la vie doit se vivre jusqu'au bout. Et tantôt, le député de Marquette disait: Mais si la personne dit, moi, j'ai tout réglé, j'ai dit ce que j'avais à dire, mes proches sont bien, je suis bien... Mais dans l'approche que vous dites des soins palliatifs, c'est de dire: La vie n'est pas vécue tant qu'elle n'est pas finie, donc il pourrait y avoir encore des choses extraordinaires.

Moi, je pense que c'est vrai. Mais est-ce que ce n'est pas paternaliste de dire ça? Parce que, pendant toute sa vie, la personne peut décider qu'elle n'a aucune relation avec l'autre, qu'elle coupe les liens avec ses enfants, qu'elle ne voit pas ses frères et ses soeurs, et évidemment comme société on n'a pas le choix que de respecter ça. Et là, à la toute fin de sa vie, dans ses décisions les plus intimes et ultimes, on dirait que, là, il faut que son histoire se vive jusqu'au bout.

Et le deuxième volet de ma question, c'est... Parce qu'on reçoit des témoignages. Il y a des gens qui disent que ça a été excessivement souffrant pour eux de ne pas pouvoir faire droit à cette ultime volonté là, dans les derniers jours, de voir leurs proches demander à répétition de mourir, et que ça a gâché la fin un peu de leur relation, parce qu'ils auraient tellement voulu ça. Alors, il y a peut-être de très belles histoires, mais il peut peut-être avoir des histoires négatives à la fin, aussi. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Doucet (Hubert): Bien, je pense que, par rapport au Code civil qui donne l'autonomie... l'autorité en quelque sorte au patient, je pense que ça fait partie non pas simplement d'une conception moderne de l'autonomie, ça fait partie d'une vieille tradition qui remonte au Moyen Âge, où on disait que le patient n'était pas tenu à prendre tous les moyens... La personne malade n'est pas tenue à prendre tous les moyens qui existent pour continuer à vivre. Elle ne prend que les moyens qui lui semblent bons pour elle. Et ça, c'est une vieille histoire qui remonte au Moyen Âge, où par exemple à l'époque on ne mangeait pas de... les gens ne mangeaient pas de viande. Et si, pour survivre, vous deviez... vous étiez malade et vous deviez manger de la viande, les moralistes du temps, la traduction du temps disait: Non, on ne mange pas de viande... parce que ça arrive à la fin, comme ça. On n'est pas obligés de prendre tous les moyens existants pour se continuer en vie. Donc, le Code civil n'a rien inventé; je dirais, il a répondu à une vieille tradition du Moyen Âge.

D'autre part, je crois que la différence, maintenant... Pourquoi le patient, lui, il peut laisser aller, je ne fais rien, puis les autres ne peuvent pas dire: Moi, je vais te mettre un terme à ce que tu veux? Parce que, là, il y a aussi une vieille tradition; que le progrès des sociétés modernes sur le plan moral, c'est que nul ne va mettre un terme à la vie de quelqu'un. C'est ça, notre grand combat, hein? On s'est battu depuis des millénaires, la société moderne, pour ne pas qu'un autre ait le contrôle sur la vie de l'autre. Et là on est comme en conflit peut-être, hein, entre notre lutte, depuis des siècles, pour ne pas que l'autre mette un terme... Même on a supprimé la peine de mort pour ça.

Donc, oui, moi, je peux. On a supprimé la peine pour la personne qui se suicidait... qui tentait de se suicider, pardon. Et donc, il y a comme une différence ici qu'il faut mettre. Entre ce que l'autre peut faire et ce que, moi, je peux faire. Et donc il n'y a pas d'opposition ici.

Maintenant, je suis tout à fait conscient qu'on arrive des fois à des culs-de-sac. Et c'est le propre de la réalité humaine que d'arriver à des culs-de-sac. Et là, l'exemple que vous apportez, ce sont des culs-de-sac. Hein? Pourquoi dans... je... Pourquoi je dois vivre jusqu'au bout? Pourquoi les soins palliatifs veulent nous pousser? Peut-être qu'ils veulent nous pousser trop loin. Et, moi, je me demande toujours: Pourquoi on nous prolonge autant? Je trouve que cette... cette agressivité qui est toujours là et qui fait qu'on ne meurt plus est peut-être en grande partie responsable qu'à la fin on est toujours là, alors qu'on devrait ne plus y être depuis longtemps.

Donc c'est... Il faut le voir dans la perspective de toute la médecine moderne et non pas dans la perspective uniquement de cette personne. Mais, par rapport à cette personne, je suis conscient qu'on est dans un cul-de-sac. Puis je ne sais pas comment on va s'en sortir.

Moi, j'aurais pas d'objection, je l'ai toujours dit, j'aurais pas d'objection à ce que la médecine puisse, dans des cas exceptionnels, mettre un terme à la vie de quelqu'un. Mais ce que... avec quoi je suis en désaccord, c'est que les cas exceptionnels dont parle le Collège des médecins, ce ne sont pas des cas exceptionnels, c'est les cas courants; on n'est pas dans l'exception. C'est là, là, la différence, je crois.

Mme Hivon: Je vous amène à la page huit de votre texte. Sur les notions, les deux notions de dignité. En fait, je vous amène là-dessus parce que vous avez tout à fait raison, comme à peu près tout le monde qui vient ici, de nous dire, de nous rappeler l'importance de bien clarifier les choses. Et je pense qu'on est vraiment habités par ce souci-là pour avoir la consultation générale la plus profitable, je dirais, et éclairante possible. Là, vous parlez des deux concepts de dignité, il y en a qui parlent de trois concepts, et, nous, probablement que c'est des choses qu'on va avoir à définir. Donc, j'ai besoin de vos lumières.

Moi, je veux comprendre pourquoi ils sont... Est-ce que vous les opposez, parce que, pour moi, les deux sont réconciliables. En fait, quand je lis la dernière phrase de la première, «la dignité est identifiée à l'autonomie de l'individu», qui, je pense, c'est quelque chose qui est reconnu aussi dans nos instruments législatifs. Et, à la fin de la deuxième, vous dites: «La dignité fait que la personne malade est encore reconnue comme quelqu'un alors que la vie s'estompe.» Et, moi, je me dis, si elle est reconnue comme quelqu'un, c'est aussi de lui dire: On lui reconnaît sa pleine autonomie aussi.

Donc, qu'est-ce qui... Est-ce que c'est réconciliable ou si ça s'oppose? Je suis à la page huit.

M. Doucet (Hubert): Oui, je le sais, c'est parce que j'ai... j'ai changé un peu... Quand j'ai parlé, cet après-midi, je n'ai pas utilisé la même phrase.

Mme Hivon: Ah, bon, O.K.

M. Doucet (Hubert): Je pense que, dans le premier sens, c'est vraiment sur l'autonomie. L'autonomie, oui, l'autodétermination absolue, etc. Dans le second sens, c'est que la personne, voyez... elle... qui perd... a le sentiment de perdre sa dignité, pourquoi la retrouve-t-elle? C'est parce qu'elle est reconnue par un autre. Vous avez... Elle est encore reconnue comme quelqu'un. C'est quelqu'un qui la reconnaît et c'est quelqu'un qui lui donne du sens. Et c'est là la différence. La dignité naît... Dans un cas, la dignité naît de moi-même; dans l'autre cas, la dignité naît de l'autre qui dit: T'es encore quelqu'un, même si t'as tout perdu.

Mme Hivon: Comment vous... comment vous amenez ça, ces conceptions-là, par rapport spécifiquement à la question de l'euthanasie?

M. Doucet (Hubert): C'est-à-dire, dans un cas, ce qu'on met en relief, c'est que, moi, je décide quand je mets un terme. Dans l'autre cas, c'est que, la communauté étant là, puisque c'est l'autre qui me reconnaît, la communauté étant là, la communauté me reconnaît comme quelqu'un et, comme je suis reconnu comme quelqu'un, dans cette perspective-là, ce n'est pas la mort que je cherche. Je continue à vivre. Mon histoire se continue.

Mme Hivon: ...ce qui arrive si dans l'opposition, c'est ça, communauté et personne, si la personne, elle, cherche la mort, O.K. Donc là, vous dites: Ça va bien si, du fait de la dignité qui lui est renvoyée par l'autre, elle ne cherche plus la mort et elle retrouve sa dignité, mais, si elle continue à chercher la mort? Comment on réconcilie cette vie avec la communauté? Et cette vie individuelle que vous reconnaissez vous-même, là, que l'autonomie... On est venu juste consacrer quelque chose, dans le Code civil par exemple. Comment on réconcilie ça, selon votre philosophie?

**(17 h 20)**

M. Doucet (Hubert): Comment on réconcilie? Peut-être que ce n'est pas totalement conciliable encore, là, ce serait les culs-de-sac, là, que je reconnais très bien. Je crois que la... je crois qu'on ferait ressortir, dans le second cas, qu'on essaierait d'accompagner le plus possible la personne. Et cet accompagnement de la personne, quand on est en fin de vie, il n'est pas... parce qu'on est vraiment en fin de vie, on n'est pas au début d'une maladie. Je pense... plaçons-nous dans le cas, on est à l'agonie, la personne demande à quitter. Et quand on est à la fin de vie et a personne demande à quitter, ce n'est pas si clair que ça que les gestes qu'on va poser, que les médicaments qu'on va donner sont ce qui va causer la mort ou si elle va continuer... on ne le sait pas trop, trop.

Je pense que, ça, on se fausse la réflexion lorsqu'on dit, par l'action à double effet, là, qu'on met beaucoup d'accent là-dessus, moi, je pense qu'on ne devrait pas mettre autant l'accent là-dessus en fin de vie. Parce que, quand vous êtes en fin de vie, vous ne savez pas ce qui est vraiment la cause de la mort.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Il reste une courte question. Mme la députée de Lotbinière.

Mme Roy: On va bénéficier de votre expertise à Sainte-Justine. Je n'ai pas compris votre réponse tantôt sur les nouveau-nés, là, les très, très... le problème qu'on peut parler, c'est les nouveau-nés, là, très, très prématurés. Oui, c'est ça.

M. Doucet (Hubert): ...anencéphalite...

Mme Roy: Ce que j'ai compris de votre réponse, c'est que vous avez dit: Ces enfants-là qui sont incapables de donner leur consentement à une euthanasie, admettons, mais puisqu'on ne peut pas leur donner... puisqu'ils ne peuvent pas donner leur consentement, on ferait de la discrimination auprès des adultes qui peuvent... qui sont aptes à le donner. Mais, dans un autre sens, les Témoins de Jéhovah qui refusent les transfusions sanguines majeures peuvent le refuser pour eux-mêmes, mais ils ne peuvent pas le refuser pour leur enfant, parce que ça heurte la Loi de la protection de la jeunesse. Là aussi, c'est à géométrie variable.

Qu'est-ce que ça dérange que ce soit à géométrie variable?

M. Doucet (Hubert): C'est que c'est très différent. Dans le cas de l'enfant, du nouveau-né, là, qui n'est pas capable de donner son consentement, au fond, vous le faites vivre alors qu'il est dans des douleurs, dans des souffrances même, vous le faites vivre, et lui n'a pas le droit d'entrer dans cette loi, par exemple, qui a été soumise au Parlement fédéral, alors que la personne qui était apte, elle, elle est protégée en quelque sorte. Et le plus faible n'est pas protégé. C'est ça, l'idée que, je crois, que je fais ressortir ici. Le plus faible n'a pas le droit d'avoir accès aux mêmes services que le plus fort. Est-ce que vous voyez?

Mme Roy: Oui.

M. Doucet (Hubert): Dans le cas du témoin de Jéhovah, c'est qu'on dit: Le témoin de Jéhovah est libre lui-même de refuser, mais pour l'enfant, c'est qu'on ne sait pas encore s'il est capable de faire lui-même le choix. Et là il y a un a priori, en quelque sorte, c'est que la société a fait le choix de promouvoir la vie. C'est ça qui est derrière.

Mme Roy: Mais, pour ne pas embrouiller le débat, on peut toujours quand même, pour les nouveau-nés qui sont très, très atteints, refuser les traitements. Est-ce que c'est possible?

M. Doucet (Hubert): ...pour les personnes âgées, on peut le faire pour tout le monde; ça, il n'y a pas de problème. On le fait d'ailleurs: il y a des enfants à qui on ne donne pas... on ne fait pas de réanimation, il y a des enfants à qui même on va arrêter la nutrition, etc.. C'est des choses que l'on fait, mais on n'accélérera pas la mort. C'est là que vous êtes dans les deux thèses.

Le Président (M. Kelley): Sur ce, Pr Doucet, merci beaucoup pour votre riche contribution à notre réflexion. Je vais suspendre très rapidement et je vais inviter les représentants du Comité national d'éthique sur le vieillissement de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 17 h 24)

 

(Reprise à 17 h 27)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Le prochain invité, c'est le Comité national d'éthique sur le vieillissement et les changements démographiques, qui découle du Conseil des aînés. Et son président est quelqu'un qui... nous avons passé beaucoup de temps ensemble autour de cette table, et on n'a jamais eu le nom... le droit de prononcer son nom de famille.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Kelley): Alors, pour une première fois, je peux dire: Bienvenue, Russell Copeman, devant la Commission de la santé et des services sociaux. Je sais que, probablement, la première remarque, il va dire que, quand il a présidé la commission, on était toujours à l'heure. Alors, nos excuses, mais on avait un vote après la période des questions. Alors, on fait notre mieux possible. Mais c'est avec grand intérêt... Et merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Alors, M. Copeman, la parole est à vous.

Comité national d'éthique
sur le vieillissement et les
changements démographiques
(CNEV) (Conseil des aînés)

M. Copeman (Russell): Merci beaucoup, M. le Président. M. le Président, MM., Mmes les députés, nous vous saluons. Je me présente: Russell Copeman, président du Comité national d'éthique sur le vieillissement et les changements démographiques du Conseil des aînés. Je suis accompagné aujourd'hui par deux membres du comité: à ma gauche, Mme Suzanne Phillips-Nootens, juriste et médecin, professeure à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke; M. Louis Balthazar, à ma droite, professeur émérite de l'Université Laval; et, à l'extrême gauche, M. Jacques Vaillancourt, qui est secrétaire permanent du... de notre comité.

C'est ma première expérience, M. le Président, devant une commission parlementaire.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Copeman (Russell): Dans une vie antérieure, j'étais plus apte à poser des questions que d'y répondre. J'espère que vous allez être compréhensifs avec cette situation.

Nous vous remercions d'avoir accepté d'entendre le Comité national d'éthique sur le vieillissement et les changements démographiques sur cette importante question. Nous estimons que la question du droit de mourir dans la dignité engage l'ensemble de la société québécoise sur les enjeux aussi fondamentaux que la dignité humaine, les droits fondamentaux, la souffrance et la mort.

Quelques mots sur le comité national d'éthique. Il a été institué il y a deux ans par le Conseil des aînés. Il est composé d'éminents Québécois et Québécoises. Avant que vous posiez la question, parfois je ne sais pas qu'est-ce que je fais là moi non plus.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Copeman (Russell): Et ces membres consacrent une partie de leur temps, sans rémunération, à réfléchir sur les questions d'éthique soulevées par le vieillissement démographique et les changements culturels de notre société. Le comité est appuyé par le secrétaire du comité, qui relève du Conseil des aînés. La liste des membres est d'ailleurs annexée à notre mémoire.

Vous avez peut-être pu constater que notre mémoire pose beaucoup de questions. Nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, loin de là, mais nous voulions, dans cette première phase de vos consultations, surtout essayer de poser les bonnes questions reliées à l'éthique et à nos valeurs afin d'alimenter vos travaux.

En conséquence, M. le Président, je vous demande d'accorder la parole à Mme Phillips-Nootens, corédactrice avec le secrétaire du comité, M. Jacques Vaillancourt, de notre mémoire, qui d'ailleurs a été adopté par le comité pour sa présentation, dont vous avez tous copie.

**(17 h 30)**

Le Président (M. Kelley): Mme Phillips-Nootens.

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Merci, M. le Président. Donc, M. le Président, Mmes et MM. les membres de la commission, «La mort est notre dernier devoir; préparons-nous à le bien remplir», disait l'écrivain René Bazin. Toute personne, qui réfléchit un tant soit peu, confrontée à la seule certitude liée à notre humaine condition, souhaite non seulement mourir avec dignité, mais aussi mourir dans la dignité.

Le comité s'est donc directement senti interpellé lorsque l'Assemblée nationale du Québec a décidé d'instaurer cette commission. Disons tout de suite que le comité souhaite vivement un débat ouvert et serein, exempt de préjugés et d'a priori autoritaires, une analyse claire, franche et transparente des valeurs en cause, qui sont les valeurs les plus profondes de notre société, et des enjeux cruciaux que soulèvent une éventuelle décriminalisation de l'euthanasie et de l'aide au suicide au Canada. Et c'est dans cette perspective que s'inscrit le mémoire qui vous a été soumis.

Il comprend quatre partie: la première traite du droit de mourir dans la dignité; la seconde aborde les aspects juridiques de l'euthanasie et de l'aide au suicide au Canada; la troisième jette un regard sur certaines législations étrangères qui ont décriminalisé ces actes; la quatrième fait état des enjeux individuels, professionnels et sociaux, et des questions qui nous apparaissent incontournables dans ce débat. Nous allons ici vous résumer les principaux points du mémoire, en laissant davantage de place à cette quatrième partie.

Alors, tout d'abord, donc, le droit de mourir dans la dignité. Le mot a été évoqué bien souvent. Des valeurs sont invoquées pour justifier une éventuelle décriminalisation, et ces actes devraient être considérés comme moralement acceptables. Est-ce que la loi qui les condamne est injuste?

Alors, la première des valeurs qui est invoquée, c'est évidemment la notion de dignité. Ce concept est l'un des plus difficiles à saisir, et il est abondamment utilisé et revendiqué dans le contexte qui nous occupe.

La dignité repose sur l'idée que quelque chose est dû à l'être humain du seul fait qu'il est un être humain, ce quelque chose étant le respect en toutes circonstances. Qu'est-ce que «mourir dans la dignité»? Il est de ces douleurs si pénibles, si envahissantes, que la personne n'est plus elle-même. Il est de ces souffrances morales qui submergent l'être humain confronté à ce qu'il voit comme une déchéance: n'être plus en mesure de répondre aux attentes de performance et de productivité tant valorisées dans notre société; perdre son autonomie; se sentir humilié dans le regard d'autrui; perdre son identité avec ses facultés cognitives; être abandonné dans la solitude; contempler la perspective même de sa mort au point paradoxalement de rechercher celle-ci, afin que cette étape inéluctable soit vite franchie. La mort digne, volontaire, assumée, devient alors le remède à cette indignité.

Axel Khan dénonce avec vigueur cette association: «Cela signifie, dit-il, que l'on pourrait, à l'inverse, mourir indigne. Et si une personne peut elle-même douter de sa dignité jusqu'à vouloir mourir, la société ne doit pas renvoyer cette image ni introduire cette idée dans la loi.» La dignité n'est-elle pas -- c'était la fin de la citation.

La dignité n'est-elle pas inaliénable? Fondement de tous les autres droits, elle est encore plus fondamentale que la liberté, car elle survit à la disparition de la possibilité d'exercer cette liberté. Elle survit à la disparition de la conscience de soi, de la capacité de relations, et la société a le devoir de veiller à ce que soit sauvegardée la dignité de toutes les personnes, particulièrement celles qui ne sont plus en état de s'occuper d'elles-mêmes, voire même qui sont privées de la conscience de leur propre existence. On ne peut donc pas assimiler dignité et liberté, dignité et conscience de soi et, encore moins, dignité et image de soi. Comment accepter l'idée que la seule assistance que notre société puisse offrir à une personne angoissée en fin de vie se réduise, au nom de sa dignité, à lui donner la mort?

La seconde des valeurs invoquées, c'est la liberté, l'autonomie. Pour reprendre les termes d'un auteur, et je cite: «À qui veut bien réfléchir, la liberté et donc le droit de mourir dignement à son heure, selon son style, apparaîtra évident et en parfait accord avec notre sensibilité moderne.» C'est ce qui est invoqué. Les moeurs sociales ayant évolué constamment vers une libéralisation de plus en plus grande de l'emprise qu'ont des individus sur leur existence, et on y a fait allusion tout à l'heure, la décriminalisation de l'euthanasie et de l'aide au suicide s'inscrit naturellement dans cette voie. Le fait que la loi interdise de provoquer à sa demande la mort d'une autre personne est un déni de cette ultime liberté.

Faut-il alors penser que les opposants à l'euthanasie ne sont pas évolués, demande Jacques Grand'Maison? Si l'on pense que l'avènement d'un droit à la mort serait un progrès social, est-ce compatible avec les valeurs et les sources morales qui fondent notre vie en commun? Nous vivons en présence d'autrui, et penser que nos décisions et nos gestes ne concernent que notre personne est illusoire. Dans notre société libérale, aucun droit n'est absolu, même le droit fondamental qu'est la liberté. L'intérêt commun justifie donc l'imposition de limites, dans la mesure où l'exercice d'une liberté risque d'entraîner un préjudice pour les personnes les plus vulnérables, en l'occurrence d'autres personnes en perte d'autonomie, d'autres personnes très malades.

Le troisième élément qui est invoqué régulièrement, c'est la qualité de vie évidemment et la... cette notion de souffrance intolérable. L'appel à la mort qui doit permettre d'abréger les souffrances lorsqu'il n'y a plus de qualité de vie fait appel à juste titre à notre sensibilité, à notre compassion, à notre humanité partagée. Par contre, même si le recours à l'euthanasie et à l'aide au suicide étaient décriminalisés, il serait impératif de limiter ce droit aux personnes aptes à en décider de manière libre et éclairée. Mais qu'en est-il alors... -- et M. Doucet l'a évoqué tout à l'heure -- qu'en est-il alors de ceux qui ne peuvent pas exprimer et de celles qui ne peuvent pas exprimer ce qu'elles ressentent, de celles qu'on juge inaptes à prendre une décision éclairée, de celles qui risquent d'être victimes d'influences externes les incitant à faire ce choix? Devraient-elles continuer à vivre ou encore devrait-on confier à une autorité médicale ou autre ou aux proches le soin de juger de leur qualité de vie et de décider en conséquence?

Dans le cadre du droit actuel que vous connaissez, les lois et la jurisprudence sont claires: la volonté de la personne prévaut en matière de traitement médical. Ainsi, en fin de vie, la personne est libre de demander la poursuite du traitement ou de son interruption, de ne pas entreprendre certains traitements, de se prononcer sur le passage des soins actifs aux soins palliatifs, sur le traitement de la douleur avec toutes ses implications. La personne peut refuser d'être réanimée le cas échéant, elle peut même décider de refuser de s'alimenter. Sa volonté doit être respectée, mais si elle sombre par la suite dans l'inconscience.

Les soins de fin de vie s'inscrivent, comme le souligne à juste titre le Collège des médecins, dans un continuum de soins appropriés. Grâce à l'implication d'équipes disciplinaires, il vise à soulager non seulement les douleurs physiques, mais aussi la souffrance psychologique, morale et spirituelle ressentie devant la perte d'autonomie et la perspective de la mort. Ils sont centrés sur la préservation le plus longtemps possible de l'autonomie des malades, le respect de sa dignité, l'amélioration de sa qualité de vie jusqu'à la fin, la prise en compte de la personne globale, le soutien des soignants aussi qu'il ne faut pas oublier dans ce contexte-là et l'accompagnement dans le deuil. D'autres intervenants spécialisés dans le domaine vous en ont parlé et vous en parleront certainement mieux que nous.

La philosophie qui anime les soins palliatifs, et que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a d'ailleurs fait sienne en mettant en oeuvre toutes les compétences et toutes les solidarités pour soutenir la personne et ses proches, s'avère d'une richesse humaine unique. Nul ne conteste plus la... la légitimité, pardon, de l'utilisation si nécessaire d'analgésiques à de très hautes doses, voire de la sédation complète, si c'est le seul moyen efficace de soulager le patient. Faut-il aller plus loin, franchir le fossé étroit mais si profond qui sépare tuer et laisser venir la mort et permettre une intervention active dans le processus de mort?

Ce qui nous amène la deuxième partie de notre mémoire. Nous y rappelons essentiellement donc la définition stricte de l'euthanasie et de l'aide au suicide, le fait que ce sont, dans l'état actuel du droit, des actes criminels. Nous y rappelons certains arguments du jugement Rodriguez, et puis nous mentionnons le texte du projet de loi C-384, et nous faisons allusion à quelques jugements rendus au Québec.

Dans la troisième partie, nous jetons un mémoire sur certaines législations étrangères qui ont dépénalisé l'euthanasie et l'aide au suicide. Ce n'est pas un tour complet, mais ce sont celles sur lesquelles on a plus de recul, là, actuellement. Donc, pour les Pays-Bas, la Belgique et le grand-duché de Luxembourg, dans le mémoire, vous avez une description de toutes les conditions assez détaillées, les strictes conditions de fond et les procédures très précises qui permettent aux médecins qui pratiquent une euthanasie ou qui aident un patient à se suicider d'être soustraits au processus pénal.

L'efficacité des balises et des procédures assurant sur le terrain le respect de la loi est ensuite abordé dans le mémoire. Et l'expérience permet de constater dans la pratique de nombreuses situations dans lesquelles la loi n'est pas respectée sans qu'aucune sanction soit prise par les pouvoirs publics. De plus, la tendance à l'extension de l'euthanasie à des situations non prévues au départ semblent se dessiner de façon bien réelle, qu'il s'agisse de personnes souffrant de dépression grave, de troubles psychiques, de maladies ne pouvant être traitées, de personnes inaptes et de mineurs.

La Suisse et l'État de l'Oregon ne dépénalisent que l'assistance au suicide, à des conditions strictes également. La Suisse est actuellement confrontée à un véritable tourisme suicidaire, et le gouvernement fédéral voudrait réglementer l'assistance au suicide, et il étudie actuellement un projet de loi à cet effet.

Ce qui nous amène au coeur de la démarche que nous avons entreprise collectivement, c'est-à-dire la quatrième partie du mémoire, les enjeux et les questions qui nous paraissent incontournables, et, si vous le permettez, je vais vous les lire in extenso.

Toute démarche de réflexion donc sur l'opportunité de modifier le Code criminel canadien doit au moins analyser les enjeux suivants dans toute leur ampleur et dans toutes leurs implications.

**(17 h 40)**

Tout d'abord, les enjeux individuels. Ces enjeux touchent le droit inaliénable de toute personne humaine, quels que soit son âge, son état de santé, son degré d'aptitude et d'autonomie, sa situation sociale, son environnement. Les impératifs que sont la lutte contre la souffrance et la mort dans la dignité peuvent-ils être invoqués au profit de certains individus seulement... pardon, au nom de certains individus seulement aptes à décider du moment et du moyen de leur mort?

Les personnes choisissant cette ultime liberté sont-elles et seront-elles toujours vraiment libres, c'est-à-dire exemptes de toute pression indue provenant de leur entourage, de leurs médecins ou des organismes dédiés à la promotion de l'euthanasie? Sont-elles vraiment accompagnées dans leurs maladies par toutes les ressources que notre société moderne peut leur offrir? Sont-elles dûment informées de toutes ces possibilités avant de faire une demande de mort? Sont-elles au contraire plus ou moins abandonnées à elles-mêmes dans un système de santé trop souvent difficile d'accès et à l'aide de proches eux-mêmes épuisés? L'acte de donner la mort s'accomplit-il vraiment dans le seul intérêt du malade ou bien veut-il aussi soulager l'inconfort et la souffrance des proches? La liberté des uns peut-elle s'exercer au mépris des risques que cet exercice fait courir aux autres membres de la société, en l'occurrence ses membres les plus vulnérables? Et cette liberté peut-elle impunément se voir consacrée en droit?

Les enjeux professionnels. Peut-on soutenir que l'acceptation de l'euthanasie et de l'assistance au suicide n'a pas de répercussion profonde sur la profession médicale, sur son essence même, sur la confiance qui doit fonder la relation médecin-patient? Le médecin doit-il devenir le simple exécutant de la volonté du malade dans la demande de mort? Va-t-on rendre au médecin le pouvoir de décider seul ou avec les proches de la fin de vie du malade au motif de la qualité de vie de celui-ci ou de l'inutilité et des coûts des traitements, et selon quels critères? Les médecins et autres professionnels de la santé sont-ils adéquatement formés dans le domaine des soins de fin de vie de façon à ce que l'on puisse vraiment invoquer l'euthanasie ou l'assistance au suicide comme solution de dernier recours, si tel est l'argument retenu? Le recours à l'euthanasie n'est-il pas susceptible de freiner la recherche dans le domaine des soins palliatifs? Comment le Canada et le Québec -- et j'insiste sur cette question-là -- comment le Canada et le Québec vont-ils éviter sur le plan médical les dérapages et les tendances constatés dans les pays qui ont dépénalisé l'euthanasie et l'assistance au suicide?

Au niveau des enjeux sociaux. Comment se fait-il que se pose avec acuité la question du droit à l'euthanasie dans notre société, alors que, jamais dans l'histoire, nous n'avons disposé d'autant de moyens pharmacologiques, technologiques et humains pour lutter contre la douleur et la souffrance? Peut-on légitimement soutenir qu'entre les autres décisions de fin de vie, d'une part, et l'euthanasie, d'autre part, il n'y a en réalité pas de différence, puisque la mort est inéluctable? La notion de limite ne se retrouve-t-elle pas partout dans la discipline juridique... dans la sphère juridique?

L'accès à l'euthanasie et à l'aide au suicide répondrait à la position populaire manifestée dans les sondages. Quand on considère le manque d'information des sondés, et bien souvent le manque de précision des questions posées, l'argument de la majorité peut difficilement justifier une prise de position sur un sujet aussi important. Le législateur doit-il se soumettre à la volonté populaire établie par sondage? Est-ce en soi un signe d'évolution morale et sociale, et le recours à l'euthanasie, un progrès social?

Que deviendrait alors le rôle de l'État protecteur des plus vulnérables: personnes âgées en perte d'autonomie présentées trop souvent comme un poids difficilement tolérable, personnes isolées, personnes handicapées ou amoindries de quelle que façon que ce soit, personnes atteintes de démence? Advenant un changement législatif, des balises seraient évidemment imposées, mais celles-ci tiendraient-elles vraiment le fort? La question est reposée.

Les expériences antérieures peuvent susciter beaucoup de scepticisme à cet égard, les balises se transformant vite en absence de balise. De plus, les balises pourraient être taxées de discriminatoires, amenant alors une extension inévitable du droit à l'euthanasie et à l'assistance au suicide. Pourquoi, par exemple, une limite à 18 ans? Pourquoi devrait-on nécessairement être en phase terminale? Pourquoi serait-ce refusé dans le cas de maladies mentales qui génèrent beaucoup, beaucoup de souffrance?

Au regard des expériences étrangères mentionnées dans le mémoire, peut-on soutenir que des balises législatives, même sévères, sont susceptibles de prévenir les risques de dérapage vers l'euthanasie banalisée... involontaire, aux dépens, encore une fois, des personnes vulnérables? Comment le Canada et le Québec s'y prendraient-ils pour faire mieux à cet égard que les autres États? En 2009, le Comité des droits de l'homme de l'ONU a mis en garde les Pays-Bas pour son taux élevé de cas d'euthanasie et d'aide au suicide. Ne vaudrait-il pas mieux laisser aux tribunaux le soin d'apprécier chaque cas d'espèce et s'en remettre à leur sagesse pour juger de la légitimité du geste posé dans les cas de véritable compassion?

Autres questions. L'explosion des dépenses en matière de santé et la nécessité de les limiter sont-elles susceptibles de rendre d'autant plus aiguë la pression en faveur de l'euthanasie, et ce, au détriment des soins palliatifs? Et c'est une question qui a déjà été soulevée par un éditorialiste.

Les économies faites au chapitre des dépenses de fin de vie pourraient ainsi être réinvesties pour les services de santé offerts à l'ensemble de la population. Une approche purement utilitariste devrait-elle prévaloir sur une approche humaine et solidaire? Avant de se prononcer sur la décriminalisation de ces actes, ne devrait-on pas faire un bilan de l'état actuel des soins palliatifs et des conditions nécessaires à leur amélioration? L'État a-t-il la volonté de développer de véritables soins de fin de vie en y mettant les ressources nécessaires pour un accompagnement respectueux de la dignité de la personne? Les demandes d'euthanasie sont rarissimes dans les centres de soins palliatifs. La légalisation -- excusez-moi -- la légalisation de l'euthanasie et de l'aide au suicide au Canada va-t-elle nous aider à répondre à la question existentielle sur la souffrance et la mort de l'être humain?

En conclusion. Face à des enjeux d'une telle gravité, le débat ne peut se limiter aux aspects émotifs de situations toujours tragiques. Le législateur doit agir avec prudence, se gardant de toute généralisation à partir de situations d'exception. Il ne faudrait surtout pas négliger la portée symbolique d'une ouverture à l'aide au suicide et à l'euthanasie, la capacité de résistance au suicide d'une société étant un indicateur de son état de santé.

Dans le Québec du XXIe siècle fier de ses droits fondamentaux, il est indigne qu'une personne en soit réduite par souffrance, désespoir et abandon à vouloir hâter sa mort. Priorité doit donc être donnée à une véritable culture des soins palliatifs ouverts sur toutes les dimensions de la personne en phase terminale.

Respecter la mort, c'est respecter l'aboutissement de la vie de chaque personne en son insondable mystère, c'est dépasser l'image extérieure d'un corps qui s'abandonne pour rejoindre l'essence même de ce qui l'a animé. Respecter la mort de la personne, ce n'est pas nécessairement lui donner la mort. Je signale que le mot «nécessairement» a été rajouté à une page où ça... où ça a... pour refléter la position du comité. Pour le Comité national d'éthique sur le vieillissement et les changements démographiques, mourir dans la dignité signifie quitter ce monde sans souffrance indue, entouré si possible de l'affection des siens, réconforté en tout cas par l'attention et la chaleur du personnel soignant, dans le respect de cette étape de la vie et de la personne humaine, qui est elle aussi unique. Je vous remercie.

Le Président (M. Kelley): M. Copeman.

M. Copeman (Russell): Nous sommes à votre disposition, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Copeman. On va passer à une période d'échange. Je propose 16 minutes, 12 minutes, quatre minutes, plus ou moins, ça va nous amener vers 6 h 20. Alors, on a déjà le consentement pour un léger dépassement, mais pas des boîtes à lunch. Alors, M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. À mon tour de souhaiter la bienvenue à M. Copeman, Mme Nootens, M. Balthazar et M. Vaillancourt. Merci infiniment pour un mémoire très riche, très étoffé, qui a beaucoup fait le tour de la question, tant du point de vue côté pratique que du côté expérience dans d'autres pays, y compris le point de vue philosophique, et vous terminez avec, je pense, quatre pages ou cinq pages de questions.

J'ai essentiellement deux questions, la première... Premièrement, sur toute la question de la dérive dans les pays où le droit au suicide assisté ou l'euthanasie est autorisé. Vous dites à la page 29 de votre mémoire: «Bref, une fois institutionnellement et officiellement approuvée et pratiquée, l'euthanasie développe sa propre dynamique et résiste à toutes les procédures de surveillance censées la contenir.» Et là vous donnez comme exemple l'Allemagne, qui ouvrirait des centres d'accueil pour des personnes âgées hollandaises qui fuiraient les... les... les traitements de leurs médecins dans leur pays. Ça a été nuancé, ça, ce matin. On a eu Mme Bolduc qui, semble-t-il, a fait quelques vérifications, et ça ne serait pas fondé.

Je voudrais que vous nous... que vous puissiez nous éclairer davantage, là, sur cette expérience-là en Allemagne.

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): La citation donc relève d'un auteur qui a fait cette étude-là, M. Arduin, qui a écrit donc que les Nations unies épinglaient les Pays-Bas à cet égard-là. Et cette information-là avait paru dans des journaux quand même respectables et fiables, là, ce n'était pas sur Wikipédia ou autre chose. Donc, j'ai cru que je pouvais m'y fier parce qu'on dénonce à divers égards la dérive de cette pratique aux Pays-Bas, et notamment le non-respect des règles prévues par la loi.

Donc, il n'est pas étonnant de voir que, devant certains... certains excès, disons, dans ce domaine-là, des personnes vulnérables puissent se sentir menacées par cette situation-là. À partir du moment, par exemple, où le médecin qui doit consulter, qui doit avoir un deuxième avis de consultation ne demande pas ce deuxième avis ou encore les médecins le font par téléphone, alors que le deuxième médecin est censé examiner le patient, vérifier la réalité de la maladie et du désir du patient, etc., et que ces personnes-là doivent faire un rapport, et on voit de plus en plus de... de... de courts-circuits, si vous me permettez l'expression, au niveau des procédures, donc un non-respect des conditions de procédure de la loi, mais aussi de moins en moins respect des conditions de fond de la loi. C'est-à-dire la demande, pour des personnes qui ne pas nécessairement en état de véritablement de faire la demande elles-mêmes, il suffit de ne pas vérifier leur aptitude à prendre cette décision, etc.

Et quelques cas, même dans les relevés officiels et en Belgique et aux Pays-Bas, où on relève, même au niveau de la commission, j'ai des documents ici, au niveau de la commission belge de contrôle sur l'euthanasie par exemple, on relève des cas de personnes atteintes de démence, ou de maladies mentales, ou de dépression grave, aussi bien aux Pays-Bas qu'en Belgique.

Alors, ça illustre, je pense, la dérive. Pour la question des personnes qui déménagent, je me suis fiée, effectivement, aux informations qui sont mentionnées dans le mémoire, mais...

**(17 h 50)**

M. Ouimet: ...pour moi, de vérifier, là, si ça repose sur des données empiriques qui sont solides, parce que bien sûr ça vient influencer beaucoup le débat et ça vient l'orienter. On aura à décider, là, si on va mettre ce type de considération là dans notre document de consultation, parce que ça a un impact majeur. Donc, je pense que je me devais de vérifier, là, la solidité. Est-ce que ça rejoint le point de vue... est-ce que c'est des données, dans le fond, que vous nous rapportez qui seraient pas contestées d'aucune espèce de façon, ça repose sur du solide?

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Si je peux me permettre d'ajouter, même la commission belge de contrôle sur l'euthanasie reconnaît qu'il y a un certain nombre de cas qui ne sont pas déclarés. Et, à partir du moment où les cas ne sont pas déclarés comme des cas d'euthanasie, il n'y a pas de contrôle, puisque le médecin doit faire un rapport à un comité ou l'autre dans les deux pays, et, à partir du moment où les cas ne sont pas déclarés, donc le contrôle n'est pas exercé. Et la commission belge elle-même reconnaît qu'il y aurait peut-être jusqu'à 20 % de cas qui ne seraient pas déclarés.

Il y a une étude très sérieuse également qui a été faite sur la situation en Belgique par le professeur Almagore, si je me souviens bien, qui est mentionné dans le mémoire et qui, lui, est allé sur le terrain et a interrogé les médecins et... pour véritablement voir comment les choses se déroulent. Moi, je pense que ce sont des points extrêmement importants à vérifier et à prendre en considération.

M. Ouimet: Très bien. Merci. Deuxième question sur, maintenant d'un point de vue un peu plus philosophique, l'intérêt commun que vous développez dans votre mémoire, et je reprends la citation, là, dans votre présentation orale: «L'intérêt commun justifie donc l'imposition de limites dans la mesure où l'exercice de liberté risque d'entraîner un préjudice pour les personnes les plus vulnérables.»

Un patient qui aurait le droit à l'euthanasie et qui déciderait de l'exercer, est-ce que l'exercice de ce droit-là viendrait... entraînerait un préjudice pour d'autres personnes?

J'essayais de comprendre... Je comprenais exactement ce que vous disiez, là, dans l'affaire Rodriguez, c'est... le jugement de la majorité, il est là, mais l'individu qui aurait ce droit-là, qui déciderait de l'exercer, en quoi nuirait-il ou causerait-il un préjudice à d'autres personnes?

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): En y réfléchissant bien, parce que ce n'est pas une question facile, ce n'est pas le geste posé par l'individu qui cause un risque à d'autres personnes, c'est la reconnaissance sociale de ce geste-là et le fait que le droit à l'aide au suicide, la liberté de mettre fin à ses jours soit légalisé.

Autrement dit, c'est la portée de l'utilisation qui va être faite de l'ouverture... qui va être faite de l'ouverture législative qui fait courir un risque à d'autres personnes et non pas tellement le geste individuel.

La personne qui refuse un traitement, qui refuse un traitement de chimiothérapie ou qui refuse n'importe quel type de traitement, le témoin de Jéhovah qui refuse une transfusion sanguine ne fait pas courir de risques aux autres, il exerce son droit de refus, il exerce son autonomie, mais ce droit de refus ne fait pas courir de risques à d'autres personnes, parce que ça n'entraîne pas... ça ne permet pas qu'on en élargisse, disons, l'application. Tandis que, si on légalise et si la société donc reconnaît ce type de droit, comment va-t-on éviter justement le genre de dérive qu'on décrit déjà ailleurs?

C'est là, je pense, qu'on peut faire la nuance sur le plan juridique. Je ne sais pas si, sur le plan philosophique, notre secrétaire est mieux placé que nous pour répondre.

M. Vaillancourt (Jacques): Non, bien...

Le Président (M. Kelley): M. Vaillancourt.

M. Vaillancourt (Jacques): Vous avez très bien répondu, Mme Phillips-Nootens. Par contre, ça vaudrait peut-être la peine de préciser qu'un droit n'est jamais accordé spécifiquement à un individu, là. C'est, si on accorde le droit, par exemple, à l'euthanasie ou à l'aide au suicide, à l'assistance au suicide, ce droit-là devrait à tout le moins s'appliquer à l'ensemble de la population, si on ne veut pas être discriminatoire dans l'application même de ce droit.

M. Ouimet: Je voulais vous amener dans l'exemple de ce qui est prévu dans le Code civil pour un patient qui pourrait décider de refuser un traitement, même si le traitement qu'il refuse pourrait entraîner... sa décision pourrait entraîner la mort. Est-ce que vous voyez une nuance là?

M. Vaillancourt (Jacques): Non, je ne le vois pas sur le même plan, en fait...

M. Ouimet: Le législateur a décidé, lorsqu'il a adopté le Code civil, d'offrir à l'ensemble de la population ce droit-là...

M. Vaillancourt (Jacques): Plus...

M. Ouimet: ...et une certaine liberté.

M. Vaillancourt (Jacques): ...cesser les traitements, quitte à...

M. Ouimet: Qu'il décide lui-même de cesser les traitements, et ce qui pourrait avoir comme conséquence d'entraîner sa mort. J'essaie de voir en quoi est-ce que c'est différent maintenant s'il demanderait à un médecin d'abréger sa vie et en termes de ce que vous développez, là, au niveau de l'argumentaire sur l'intérêt commun... et l'exercice du droit d'une personne a certaines limites lorsqu'il entraîne un préjudice pour les autres personnes plus vulnérables. J'essaie juste de mieux comprendre.

M. Copeman (Russell): M. le député de Marquette, je pense que vous avez vous-même soulevé la grande difficulté. Où est-ce qu'on trace la ligne? C'est une chose de refuser le traitement puis de laisser courir la nature, les choses inévitables. C'est peut-être autre chose d'activement contribuer à terminer la vie. Et la question est beaucoup plus...

Ce n'est pas en situation de fin de vie souvent, où la mort est imminente, où ces questions-là deviennent plus difficiles. On a tous vécu ou connu des situations où, quand la mort est imminente, les proches, même des médecins, donnent la sédation pour soulager la souffrance de l'individu. Mais de là à passer à un acte beaucoup plus positif, à mettre fin à la vie de quelqu'un, où est-ce qu'on trace la ligne, c'est la question qu'on pose.

M. Ouimet: Le témoignage, hier, du Dr Barrette qui a... qui vient nuancer un petit peu le propos par rapport à la sédation palliative, le dernier souffle, l'avant-dernier souffle, à quel moment et c'est quoi, la ligne avec l'euthanasie. Mais peut-être Me Nootens, là...

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): ...compléter là-dessus. Je pense qu'effectivement...

M. Ouimet: ...d'un point de vue juridique, est-ce que vous y voyez une nuance ou il n'y en a pas?

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Vous parlez de la sédation palliative, etc.?

M. Ouimet: Non. Je parle...

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): O.K. On revient à votre question...

M. Ouimet: ...du droit qui est conféré...

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): ...au refus de traitement?

M. Ouimet: ...dans le droit civil à tout patient qui voudrait refuser des traitements...

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Parfait.

M. Ouimet: ...si ça entraîne sa mort. Et, dans un autre contexte, un patient qui aurait le droit de demander l'euthanasie pour mettre un terme à sa vie.

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Bon. Le Code civil a mis de l'avant effectivement le droit à l'autonomie de la personne et le droit à l'inviolabilité de la personne, et on ne peut y porter atteinte qu'avec son consentement ou l'autorisation de la loi. Donc, c'est très, très cerné à cet égard-là.

Donc, pour qu'un tiers, médecin en l'occurrence, puisse intervenir pour provoquer la mort du patient, il faudrait qu'il ait l'autorisation de la loi pour le faire. Et donc dans quelles circonstances est-ce que la loi va autoriser de tels gestes? Et on ne peut pas imaginer que le médecin puisse poser ce geste qui est contraire, de toute façon, actuellement à son code de déontologie sans qu'il y ait une disposition législative. Et donc là on changerait, je pense, complètement la dynamique.

Des limites à nos libertés existent dans la vie de tous les jours. Et le législateur intervient dans des tas de circonstances, que ce soit en matière de santé publique, en matière de danger causé par une personne atteinte de maladie mentale, que ce soit en matière environnementale, pour limiter l'exercice des libertés.

La personne qui souffre de maladie mentale, on peut l'obliger à subir un examen et même à subir un traitement si elle met en danger sa vie ou celle d'autrui. Donc, on a constamment de ces exemples-là dans notre vie sociale. Nous sommes libres de fumer, mais on n'a plus le droit de le faire à moins de x mètres de la porte d'un édifice public. On a le droit... on peut faire un excès de vitesse, mais c'est sanctionné.

La vie sociale est faite de limites. Alors, est-ce que, dans ce domaine-là, il deviendrait tout à coup inopportun d'avoir une limite, si cette limite fait courir des risques à d'autres personnes? Parce que je pense que c'est peut-être le seul argument -- ça, c'est une opinion personnelle -- c'est peut-être le seul argument qui puisse tenir dans ce débat-là, c'est la limite qu'on peut imposer à la liberté.

L'argument de la dignité ne tient pas parce qu'il doit s'appliquer à tout le monde; la dignité touche tout le monde et pas uniquement les personnes aptes à décider. La question de la lutte contre la souffrance touche tout le monde et pas seulement les personnes aptes à décider. L'argument de la liberté, oui, c'est peut-être le seul qu'on pourrait invoquer, et c'est là que la société doit décider si elle veut imposer ou non une limite à l'exercice de cette liberté-là. Et je pense... l'intervention-là pour que le médecin puisse aider le patient à mourir.

Le Président (M. Kelley): M. le député d'Orford, il reste...

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Est-ce que ça répond mieux à votre question?

Le Président (M. Kelley): ...environ quatre minutes.

M. Reid: M. le Président, merci. En fait, c'est un peu sur la même question qui était posée tout à l'heure puis dans ce que vous avez distribué, là, quand on a parlé des droits humains n'ont pas été... Bon. Vous dites: L'intérêt commun justifie donc l'imposition de limites, et tout ça.

Un peu plus haut, il y a un élément qui est soit une citation ou de M. Jacques Grand'Maison ou c'est le texte, parce que je ne sais pas où les guillemets sont... Comme vous dites: Faut-il penser alors que les opposants à l'euthanasie... pas évolué, demande Jacques Grand'Maison. Dans le texte ici, on dit: Si on pense que l'avènement d'un droit à la mort serait un progrès social, serait-ce compatible avec les valeurs, les sources morales qui fondent notre vie en commun?

Moi, j'aimerais vous entendre un petit peu sur ça. Les sources, les valeurs et les sources morales qui fondent notre vie en commun et qui seraient en opposition avec ce droit, disons, qu'on suppose qu'il pourrait être vu comme un droit, un progrès social, ce droit-là. Et que ce soit une citation ou que ce soit votre texte, là, j'imagine que, si vous avez pris la citation, c'est parce que ça représente vos idées aussi.

Pourriez-vous nous éclairer un peu sur ce que vous voyez qui sont justement des valeurs et des sources morales qui font notre vie en commun et qui vont en opposition avec cet élément-là de liberté que, vous dites, aurait des effets possiblement négatifs sur les plus faibles?

**(18 heures)**

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Je pense que la protection de la vie... pardon, est une valeur fondamentale qui a toujours fondé notre vie en commun. Ça a toujours été un élément fondamental de la vie en société, là. Le plus grave des crimes, c'est de porter atteinte à la vie de quelqu'un. Et c'est une valeur juridique certainement, c'est une valeur sociale, c'est une valeur morale aussi parce qu'on ne peut pas faire abstraction des valeurs morales. On peut bien les baptiser autrement, parler d'éthique et non plus de morale, mais on ne peut pas en faire abstraction. Donc, c'est une des valeurs fondamentales de notre vie en commun.

On n'a pas le droit de porter atteinte à la vie de quelqu'un d'autre. C'est vraiment sanctionné par le Code criminel. Donc, à partir du moment où, par exemple, on veut ou on pense à toucher à cette valeur comme valeur quasi sacrée -- je prends les termes que la Cour suprême avait utilisée dans l'arrêt Rodriguez -- est-ce qu'on ne met pas en cause, justement, une des valeurs fondamentales de notre société? Et est-ce que c'est un progrès social que d'aller jusque-là? Alors, c'est effectivement un des membres du comité qui avait soulevé plus spécifiquement cette question-là, et je pense qu'elle mérite d'être posée. Aussi sur le plan philosophique, on peut ajouter quelque chose...

Le Président (M. Kelley): ...députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup, je dois vous remercier. C'était un mémoire fort étoffé. Et ce qui est fantastique, quand vous faites une présentation et que vous nous donnez juste la présentation écrite à la dernière minute, c'est qu'on lit le mémoire au complet. Alors, j'ai lu l'entièreté du mémoire, et il est très annoté lui aussi, alors merci beaucoup. Ça a suscité beaucoup de questions et vous avez un... vous avez, je pense, très bien compris le mandat qui est d'éclairer les membres de la commission pour la deuxième étape qui s'en vient, et je vous remercie de ce souci-là, pédagogique je vous dirais, dans votre démarche.

J'ai plusieurs questions, ma collègue de Crémazie aussi. Alors, si vous me le permettez, je vais vous poser mes trois questions, et ça vous donnera le temps de répondre. Et je vais m'assurer que ma collègue va avoir du temps aussi.

Alors, ma première question, c'est un peu dans la suite de ce que le député de Marquette a dit. À la page 29 de votre mémoire, vous parlez de l'expérience aux Pays-Bas, et, dans le premier paragraphe en haut, en fait je vous demanderai juste si c'est possible de nous envoyer les références. Parce que vous dites, quatrième avant-dernière ligne, «ne semble pas empêcher bon nombre d'euthanasies clandestines, c'est-à-dire non déclarées, certains citant le chiffre de 20 %», mais on n'a pas le... si jamais c'était possible.

Puis on... on relève des cas d'euthanasies relevant de la décision du médecin et des proches, sans consentement du patient, en raison d'une piètre qualité de vie de celui-ci. Et ça aussi, si c'est possible de nous documenter, parce qu'il va falloir aussi se poser des questions et aller approfondir les expériences étrangères. Donc, ça, ça pourrait nous éclairer parce que le premier chiffre, il est documenté, mais pas les autres.

Ma deuxième... donc, ça, ce n'est pas vraiment une question, c'est plus une précision. Donc, ma deuxième interrogation ou clarification. De ce que je comprends... en fait, vous ne prenez pas position sur l'euthanasie, quoique je pense déceler un certain positionnement, mais je pense que vous avez compris le mandat, qui n'est pas de prendre position à ce stade-ci, bien qu'il y en ait qui nous fassent part de leur position, et j'imagine que vous allez peut-être revenir, dans un deuxième temps, nous faire part de votre position. Donc, je pense qu'il y avait un souci de ne pas prendre part, bien que je pense qu'il y a certains indices, mais on pourra y revenir éventuellement.

C'est en lien avec toute la position du Collège des médecins sur la question des soins appropriés de fin de vie. Là, je me situe autour des pages 4-5 de votre présentation. Je veux comprendre... vous, vous semblez opposer, en quelque sorte, soins palliatifs et euthanasie, alors qu'eux, dans leur approche, ils parlent vraiment de la possibilité que l'euthanasie soit considérée comme un soin ultime de fin de vie sur un continuum très exceptionnel, avec la demande du patient dans des cas de souffrance, mort imminente, et tout ça. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus, avec en tête aussi, ce que le Dr Barrette nous a dit et qui nous a beaucoup frappé aussi, c'est la question de la sédation palliative où lui est venu dire: Vous savez, la sédation palliative, on peut faire toutes les distinctions qu'on veut, mais dans les faits, quand on dit que «peut-être» que ça va occasionner la mort, dans bien des cas, on sait que ça va occasionner la mort. Donc, le «peut-être» n'est plus vraiment un «peut-être». Et est-ce qu'on peut se demander: Est-ce qu'il y a une hypocrisie ou est-ce qu'on est vraiment capable de trancher et de dire: il n'y a pas un parfait continuum et il y a un endroit où on peut mettre la ligne? Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Et le troisième point, c'est à la page 11 de votre présentation d'aujourd'hui, et là c'est plus dans le judiciaire. Vous dites à l'avant-dernier paragraphe: «Ne vaudrait-il pas mieux laisser aux tribunaux le soin d'apprécier chaque cas d'espèce et s'en remettre à leur sagesse pour juger de la légitimité du geste posé dans les cas de véritable compassion.»

Donc, je veux bien vous suivre. Est-ce que ce que vous nous dites, c'est qu'il faut un peu garder le statu quo et que ces médecins-là puissent être poursuivis? Mais que, comme on le voit souvent... bien, on ne le voit pas tellement pour les médecins, on le voit plus pour des proches, soit qu'en fait les sentences sont très légères, ce n'est qu'une sentence un peu symbolique ou de la probation.

Et, moi, ma question qui vient avec ça, c'est le risque de judiciarisation, en fait de dire qu'indirectement quelqu'un peut le faire, mais que, dans le fond, il va peut-être être poursuivi. Donc, peut-être que ça rend la pratique très ambivalente, et ça va peut-être ne faire qu'insécuriser davantage les médecins qui nous demandent déjà d'être plus clairs. Donc, j'aimerais... c'est mes deux questions.

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Au niveau de la position du Collège des médecins, j'ai participé au CHU de Sherbrooke, au mois de décembre, à un débat organisé par la Faculté de médecine, et il y avait des médecins d'autres endroits et, honnêtement, ils comprenaient mal certains arguments qui figuraient dans le rapport du Collège, notamment celui-là.

Pour eux, la sédation palliative, c'est quelque chose qui est assez clair. En fait, ce sont des choses qu'on peut contrôler avec les doses qu'on va injecter, etc., et ça rejoint aussi évidemment... On sait que la morphine entraîne une dépression respiratoire, donc on sait que, si on injecte des doses de morphine en quantité importante parce qu'on veut soulager la souffrance du patient, on risque d'abréger ses dernières heures, peut-être ses derniers jours. C'est ce qu'on appelle en philosophie l'acte à double effet et, la notion de l'intention, elle est aussi familière au droit que la notion de limite. Alors, l'intention n'est pas de provoquer la mort du patient, c'est de soulager sa souffrance. C'est donc une intervention qui est tout à fait légitime et qui doit être faite, même si on sait accessoirement qu'on risque d'abréger éventuellement les derniers jours ou les dernières heures.

Pour ce qui est de la sédation palliative, elle peut aller... c'est vrai qu'elle peut être vraiment terminale, mais il y a des cas aussi où on procède à ce type de sédation et où le patient va pouvoir être réveillé une fois la phase aiguë passée. Donc, ça se différencie très nettement d'une injection qui mettrait fin immédiatement à la mort du patient, puisque c'est la définition qui nous occupe.

Je pense aussi qu'il faut nuancer certaines choses au niveau de la position du collège. Écoutez, dans les dernières heures, quand la personne est vraiment à l'agonie, qu'elle est en terrain de chercher son souffle et qu'elle transpire et qu'elle n'est presque plus là, ce n'est pas là que la question de l'euthanasie est importante, quant à moi. La question de l'euthanasie est importante plus on s'éloigne de cette personne... de cette période-là, de ce fait-là, plus on remonte dans le temps.

Si on parle d'euthanasie quelques semaines avant la fin prévue... en phase terminale, et je fais une parenthèse pour dire que, souvent même la notion de phase terminale n'est même pas précisée souvent. Qu'est-ce que c'est? Est-ce que c'est trois jours? Est-ce que c'est six mois? Est-ce que c'est un an? Est-ce que c'est deux ans? Est-ce que c'est trois semaines? Ça, ce serait aussi quelque chose de très important à prendre en considération si on dit: Ça va être pour les patients en phase terminale. Et donc plus on s'éloigne de la période vraiment prévue du décès, plus l'impact de l'euthanasie va être important.

En Belgique, un écrivain très connu, en région flamande, s'est suicidé quand il a eu le... pardon, ne s'est pas suicidé, ça n'aurait pas posé de problème, excusez-moi, a eu recours à l'euthanasie quand il a eu le diagnostic de sa maladie d'Alzheimer, alors qu'il était tout au début de sa maladie, et il a voulu profiter de dispositions de la loi pour recourir à l'euthanasie, pour éviter de devenir inapte et puis qu'on prolonge sa vie malgré lui. Donc, c'est au moins trois, quatre ans avant la fin de son existence ou avant... non, avant même que survienne son inaptitude qu'il a fait poser ce geste-là. et ça a été reconnu comme légitime; ça a causé un certain scandale en Belgique aussi.

Donc, plus on s'éloigne du moment fatal, plus la question de l'euthanasie est importante et plus les risques de dérive peuvent se produire.

Il restait la... Est-ce que ça va pour cet aspect-là?

Mme Hivon: Oui.

**(18 h 10)**

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Ça répond à votre question? Pour la question des tribunaux, dans la mesure où, par hypothèse, on déciderait ou on proposerait de ne pas changer la loi, que ce soit une personne, un proche, par exemple, qui soit poursuivi ou même un médecin, est-ce que le fait de savoir qu'on pose un geste illégal n'est pas une meilleure protection pour la personne? Et, à ce moment-là, le tribunal jugera, dans sa sagesse, de la portée de ce geste-là.

On pourrait... mais ce serait une meilleure protection pour les personnes vulnérables, parce qu'il n'y aurait pas ces risques de dérive que pourrait entraîner une législation. Est-ce qu'on pourrait aussi prévoir -- et ça avait déjà été soulevé dans le rapport du Comité sénatorial spécial en 1995, si je ne m'abuse -- qu'on fasse comme certains pays, qu'on mette une sanction différente pour la véritable euthanasie, donc pour le meurtre par compassion? C'est, par exemple, le cas en Suisse. Donc, au lieu de traiter le médecin ou le proche qui mettrait fin vraiment par compassion à la vie de la personne... on ne le traiterait pas comme un criminel, un meurtrier ordinaire, mais on prendrait en considération les motifs qui l'ont animé. Mais on aurait au moins un contrôle judiciaire à ce niveau-là.

Parce que ce que le Comité des droits de l'homme de l'ONU reproche notamment aux Pays-Bas, c'est le fait que ça se décide de plus en plus et qu'il n'y a pas d'intervention du tribunal, etc., qu'il n'y a pas de vrai contrôle. Ça répond à votre question?

Mme Hivon: Oui.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe: Merci. Merci à vous pour cet excellent mémoire et cette présentation. Évidemment, les membres de votre comité sont des personnes exceptionnelles, et on a beaucoup de chance d'avoir des personnes de cette qualité nous préparer... nous aider dans notre réflexion, parce que c'est un sujet extrêmement difficile, délicat.

Vous faites référence à... Vous semblez vous inquiéter beaucoup de multiples dérives qui peuvent se produire. Je n'aborderai que quelques aspects, mais je suis très sensibilisée. Les personnes âgées ont beaucoup de craintes de nos jours, en ce moment. On les considère -- vous en parlez dans votre présentation -- souvent comme un poids, souvent comme un problème au niveau de notre système de santé, et j'aimerais bien qu'on puisse les rassurer.

En particulier dans votre présentation, à la page 11 -- je vous cite -- vous dites: «L'explosion des dépenses en matière de santé et la nécessité de les limiter sont-elles susceptibles de rendre d'autant plus aiguë la pression en faveur de l'euthanasie, et ce, au détriment des soins palliatifs?»

Quand on oppose ça comme ça, là c'est vraiment une question qui est très préoccupante. La façon dont on le voyait, c'était que, dans le cas d'une personne qui choisit, qui demande, qui est accompagnée pour faire cette demande d'arrêter à la fin, à la toute fin de la vie, que là, c'était en fin de compte, dans le continuum de soins, que c'était une possibilité humaine, un choix, un libre choix, par exemple, à la toute fin de la vie. Mais là vous nous dites que, si on ouvrait vers cette étape ultime de soins, est-ce qu'on ne voudrait pas utiliser les sommes en soins de santé pour l'ensemble de la population plutôt que de continuer à donner accès aux soins palliatifs au plus grand nombre possible et à aborder la question de la liberté de la fin?

Le Président (M. Kelley): M. Copeman.

M. Copeman (Russell): M. le Président, Mme la députée, on a beaucoup discuté de cette question-là au comité. On n'était même pas sûrs qu'on voulait soulever toute la question des coûts, mais on l'a fait sciemment, parce que c'est quasiment un sujet tabou, hein, personne n'en parle. On entend parler par les bandes. Mais, malgré le fait que c'est un sujet excessivement délicat, on a tenu à le soulever en guise de questionnement.

Nous ne prétendons pas que c'est la voie de l'avenir, mais on a voulu soulever la question, parce que -- vous avez fait référence vous-même -- la notion d'un consentement libre, éclairé et sans influence indue est très importante pour le comité, très importante, et toute la question des glissements et des dérives possibles nous préoccupe aussi.

Comme je vous dis, ce n'est pas la... Dans le cas de mon propre père, quand il était dans ses dernières heures à cause du cancer du poumon, moi, je n'ai pas objecté, les médecins non plus, à lui administrer la sédation à forte dose pour aider sa souffrance, parce qu'il souffrait: il avait de la misère à respirer, il s'est quasiment noyé dans ses propres fluides. Personne ne veut voir ça, absolument personne. Mais, dans ce cas-là, la mort était imminente, et personne, je pense, s'objecte à l'élimination ou le contrôle de la souffrance dans ces circonstances-là.

La question est, comme a dit Mme Phillips-Nootens: Quand on s'éloigne de ce moment imminent tel que... qui le définit?, je ne le sais pas, c'est là où la question devient très complexe.

Le Président (M. Kelley): ...question pour Mme la députée de Lotbinière pour un dernier bloc...

M. Copeman (Russell): Il y a M. Balthazar qui aimerait...

Le Président (M. Kelley): O.K. M. Balthazar, très rapidement.

M. Balthazar (Louis): Il me semble qu'on ne devrait jamais légiférer en fonction de situations exceptionnelles. Dès que vous faites une loi, même si on y met beaucoup de balises, ça devient quelque chose qui peut être courant.

S'il y a un droit à l'euthanasie, c'est un droit qui est universel. On lui met évidemment des balises, des conditions mais il est là pour tout le monde. Je pense seulement, moi, à des personnes qui discrètement et respectueusement diraient à leurs parents: N'oublie pas, tu sais que tu as droit à l'euthanasie. Voilà.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, professeur Balthazar. Maintenant, Mme la députée de Lotbinière.

Mme Roy: Simplement dans le but de provoquer la discussion sur les balises, vous avez mentionné que 20 % des cas d'euthanasie n'étaient pas déclarés en Belgique, un endroit où il y a des balises. Puis les balises ne protégeaient rien, finalement, elles étaient inefficaces.

On a posé la question, je pense que c'était aux médecins, aux omnis... à un ordre de médecins, là, quelconque au début de nos travaux puis on leur a demandé si... Parce que la seule chose qu'on a, quand on se demande si l'euthanasie se fait ici ou ne se fait pas, il y a eu un sondage qui révélait que les médecins pratiquaient l'euthanasie. Ce que le Dr Barrette est venu nous dire, c'est qu'ils peut-être maîtrisaient mal la définition de l'euthanasie. Mais là je ne peux pas croire que tous ces médecins-là se sont trompés sur les définitions, là, parce qu'il y en a... C'était assez impressionnant, le nombre de médecins qui disaient avoir eu connaissance, dans ce sondage, d'actes d'euthanasie.

Si les balises ne protègent pas la personne qui pratique l'euthanasie, les balises ne... Vous prétendez que ces balises-là ne le protégeront pas d'éventuelles accusations de meurtre, si j'ai bien compris, mais, si, dans le cas présent, il n'y a aucune balise puis l'euthanasie se pratique...

Tu sais, vous partez de la prémisse qu'il n'y en a pas, d'euthanasie, mais, si on partait qu'il y en a, de l'euthanasie à l'heure actuelle dans notre système, ne serait-il pas préférable d'avoir des balises qui ne sont pas toujours suivies que l'absence totale de balises? Je sais que c'est un argument qui nous est amené.

**(18 h 20)**

Mme Phillips-Nootens (Suzanne): Il y a plusieurs choses effectivement dans votre intervention. D'abord, on ne dit pas que les balises ne protègent rien du tout. Ce que nos disons, c'est que les balises sont insuffisantes, tel qu'on peut le constater avec quand même un recul de sept, huit ans, peut-être neuf ans déjà pour les Pays-Bas maintenant. Parce qu'en fait quand on parle de la loi de 2001 en Pays-Bas, il y avait déjà eu des dispositions antérieures. Donc, les balises protègent en partie mais ne protègent pas comme elles devraient protéger, parce que tout n'est pas respecté. Donc ça, c'est un élément.

Un des arguments dans ces pays-là pour ouvrir la porte à l'euthanasie, pas légalisée, dépénalisée, parce que c'est différent comme notion, c'était... Il y a des euthanasies clandestines qui se pratiquent. Or, les organismes de contrôle, aussi bien dans les deux pays, disent: Malgré tout, il y a encore des euthanasies clandestines qui se pratiquent. Donc, est-ce que c'est un argument qui est suffisamment fort pour dire: On va dépénaliser ou décriminaliser chez nous pour éviter qu'il y ait des euthanasies clandestines, si on sait que malgré tout il y en a encore?

Pour ce qui est de la position du Collège, je devrais dire, en tout respect, la position officielle du Collège, telle que rapportée par les médias, a été contestée par plusieurs membres des fédérations en question... Pas la position du Collège, pardon, la position de la Fédération des médecins spécialistes. Ça a été contesté par plusieurs médecins qui ont écrit dans les médias, dans les journées qui ont suivi, en disant: Bien, écoutez, il y a une proportion là qui a l'air importante, et nous ne sommes pas tous d'accord avec la position de notre fédération.

Comme nous le mentionnons dans le mémoire, il y a eu un taux de réponse de 23 % au sondage des médecins spécialistes. Donc, 2 000 répondants sur 8 700 membres actifs; ça, c'est le sondage de la FMSQ. Nous avons essayé d'avoir les questions qui avaient été posées, mais ça nous a été refusé, parce que les questions mêmes n'étaient pas rendues publiques. Et, quand on lit la façon dont le sondage a été administré, ça vient de la Fédération des médecins spécialistes eux-mêmes, le temps prévu de réponse au sondage, c'était à peu près 10 minutes. Alors, je m'excuse, mais je ne sais pas dans quelle mesure il ne faut pas nuancer, non pas le sondage, mais l'interprétation qu'on en a faite.

M. Copeman (Russell): M. le Président...

Le Président (M. Kelley): Dernier commentaire, M. Copeman.

M. Copeman (Russell): ...j'ai toujours compris des hommes et des femmes politiques qu'il faut se méfier des sondages.

Le Président (M. Kelley): Je pense qu'on a déjà entendu cette ligne. Alors, sur ça, il me reste... Merci beaucoup, vous avez bien capté notre invitation; la série de questions que vous avez posées vont nous aider à éclairer.

Sur ça, crois-le ou non, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 19 h 30 en cette même salle. Bon appétit, bonne bouchée rapide à tous les membres de la commission.

(Suspension de la séance à 18 h 21)

 

(Reprise à 19 h 35)

Le Président (M. Kelley): Alors, la Commission de la santé et des services sociaux reprend ses travaux. Je vous rappelle que la commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur la question du droit de mourir dans la dignité. Il nous reste pour aujourd'hui deux autres témoins, et on va commencer tout de suite avec Mme Valérie Chamberland. Mme Chamberland, la parole est à vous.

Mme Valérie Chamberland

Mme Chamberland (Valérie): Merci, M. le Président, Mme la vice-présidente, Mmes et MM. les commissaires, de me permettre d'apporter ma contribution sur la question du droit de mourir dans la dignité. Donc, comme c'était annoncé dans le programme, je travaille comme professionnelle de recherche au Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales à l'École de travail social de l'UQAM, mais je suis ici à titre personnel ce soir, parce que j'ai terminé une maîtrise en travail social à l'UQAM en décembre dernier, donc, à temps, et qui portait sur la position des travailleurs sociaux au sujet de l'euthanasie volontaire et de l'aide au suicide.

La convocation que j'ai reçue mentionnait que vous souhaitiez être éclairés au sujet du droit et des modalités éventuelles d'encadrement du droit à l'euthanasie, des conditions et soins de fin de vie et d'autres considérations pertinentes. Ainsi, il me fait plaisir de vous communiquer certains résultats obtenus dans le cadre de ma recherche et qui sont en lien avec ces thèmes et qui, je l'espère, sauront vous être utiles.

Alors, cette recherche a fait ressortir la position des travailleurs sociaux, mais aussi des enjeux et défis de la mort assistée. Avant d'aller plus loin, j'aimerais souligner que, lorsque je parle d'euthanasie volontaire ou d'aide au suicide, j'ai fait référence aux définitions formulées par le Sénat du Canada dans le cadre du Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, donc dans leur rapport de 1995. D'ailleurs, le comité mentionnait dans son rapport final, et je cite: «Il n'existe tout simplement pas de consensus sur les termes à employer et sur la façon de les définir.» Le comité avait donc retenu un sens littéral qui semble incontesté et largement accepté.

Ainsi, le Sénat définissait l'aide au suicide comme le fait d'aider quelqu'un à se donner volontairement la mort en lui fournissant les renseignements ou les moyens nécessaires, ou les deux. Et l'euthanasie volontaire est un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui pour mettre fin à ses souffrances. Et, du fait qu'elle est volontaire, c'est qu'elle est effectuée conformément aux voeux d'une personne capable ou apte, ou selon une directive préalable valide.

Alors d'abord, quelques éléments de méthodologie de ma recherche pour vous situer un peu sur le genre d'enquête que j'ai faite. Alors, il s'agissait d'une enquête en ligne auprès des travailleurs sociaux du Québec. Elle a été réalisée à partir d'un questionnaire élaboré et utilisé par Russell Ogden et Michael Young, dans le cadre d'une recherche qu'ils ont menée auprès des travailleurs sociaux de Colombie-Britannique et parue en 1998. Avec l'autorisation de Russell Ogden, ce questionnaire a été traduit et adapté pour notre recherche.

L'invitation des travailleurs sociaux à participer à la recherche s'est faite en collaboration avec l'Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, ce qui nous a permis de rejoindre 5 060 travailleurs sociaux. La cueillette de données a été effectuée entre les 16 mai et le 16 juin 2008, et nous avons obtenu un taux de réponse de 11,4 %. Nous avons donc traité et analysé 576 questionnaires.

Quelques résultats en rafale. Alors, au départ, nous avons demandé aux participants s'ils trouvaient que l'aide au suicide et l'euthanasie volontaire étaient des gestes immoraux. Une majorité d'entre eux ont indiqué qu'ils ne trouvaient pas ces gestes immoraux. Il est intéressant de mentionner qu'en voulant comprendre ce qui influençait nos répondants dans leur décision de considérer l'euthanasie ou l'aide au suicide comme des pratiques immorales ou non, on a cherché à savoir si c'était l'âge, le sexe, le milieu de pratique, la scolarité, l'affiliation religieuse qui avait un impact. C'est non pas l'affiliation religieuse, mais bien le degré de pratique religieuse qui a le plus d'impact. Donc, plus les gens indiquaient un fort degré de pratique religieuse, plus ils trouvaient ces gestes immoraux et, à l'inverse, ceux qui ont indiqué avoir un faible degré de pratique religieuse mentionnaient aussi que ces gestes n'étaient pas immoraux.

**(19 h 40)**

Quatre questions portaient sur la dépénalisation de l'euthanasie volontaire ou de l'aide au suicide. L'une d'elle demandait si l'euthanasie volontaire ou l'aide au suicide était permise par nos lois dans certaines circonstances... devrait être permise, pardon, par nos lois dans certaines circonstances. 74 % des répondants trouvent qu'on devrait permettre l'aide au suicide et 83 %, l'euthanasie volontaire. Les répondants se sont donc montrés en faveur des deux pratiques, mais avec une plus grande considération pour l'euthanasie volontaire.

Juste pour vous situer, pour les gens qui n'auraient pas vu le questionnaire, chacune des questions, on séparait l'euthanasie volontaire, l'aide au suicide. donc les gens pouvaient écrire des réponses différentes. Donc, c'est pour ça que je fais toujours une séparation. Alors, voilà.

Une autre de ces questions était: Selon vous, est-ce que nos lois devraient être modifiées de façon à permettre à un médecin de prendre des mesures actives entraînant la mort d'un client-patient dans certaines circonstances? Donc, plus précises encore. Cette fois-ci, c'est 86 % des répondants qui se sont montrés en faveur de ce scénario. Aussi, 81 % des répondants trouvent également que ce serait une bonne chose si la situation des Pays-Bas existait au Canada, en ce qui a trait aux critères de rigueur qui doivent être respectés par le médecin.

Selon la loi relative au contrôle de l'interruption de la vie pratiquée sur demande et de l'aide au suicide, donc la loi des Pays-Bas, ces critères de rigueur sont les suivants: le médecin doit avoir acquis la conviction que la demande du patient est volontaire et mûrement réfléchie; il doit avoir acquis la conviction que les souffrances du patient sont insupportables et sans perspectives d'amélioration; il doit avoir informé le patient sur sa situation et sur les perspectives qui sont les siennes; il doit avoir acquis avec le patient la conviction qu'il n'existe pas d'autre solution raisonnable dans la situation où se trouve le patient; il doit avoir consulté au moins un autre médecin indépendant qui, ayant vu le patient, s'est exprimé par écrit sur le respect des quatre critères de rigueur énoncés précédemment; et il doit avoir pratiqué l'interruption de la vie ou donné l'aide au suicide avec toute la rigueur médicale requise.

Maintenant, sur un des thèmes qui vous intéressaient plus particulièrement, donc sur le droit et les modalités éventuelles d'encadrement du droit à l'euthanasie, ce qui ressort du questionnaire, c'est que, si les répondants se sont montrés en faveur de l'euthanasie volontaire et de l'aide au suicide, 60 % d'entre eux nous ont fait part de leurs commentaires à la fin du questionnaire pour ajouter ou pour nuancer leurs réponses, et particulièrement pour nous faire part de deux choses: soit de leur opinion sur le fait de permettre l'euthanasie volontaire et/ou l'aide au suicide, et sur les critères d'encadrement de ces pratiques qu'ils voudraient voir respectés dans l'éventualité d'une dépénalisation de ces actes.

D'abord, certains mentionnent qu'ils préfèrent l'euthanasie volontaire à l'aide au suicide, parce qu'ils voient l'euthanasie davantage comme un acte médical qui serait posé par un professionnel et non par un membre de la famille, qui devrait vivre avec son geste, ou par la personne elle-même, alors que l'aide au suicide est vue comme un geste solitaire et une orientation en contradiction avec la prévention du suicide et la philosophie des soins palliatifs.

Ce qui m'amène à un enjeu important, soit celui de la terminologie utilisée. Quelle surprise!

Donc, dans la convocation, il était question du droit à l'euthanasie, alors évidemment il faudrait voir ce que vous entendez par le terme «euthanasie». Et, par exemple, est-ce que vous faites une distinction avec l'aide au suicide; certaines législations incluent les deux termes indifféremment, donc il faudrait voir.

Parce que, là, vous voyez que pour les travailleurs sociaux, lorsque le mot «suicide» est présent, certains ont du mal à le dissocier de ce contre quoi ils luttent, même si c'est dans des contextes différents de ce qu'on entend lorsqu'on parle d'aide au suicide et de suicide tout court pour des personnes en détresse.

Alors, le Collège des médecins, de son côté, dans son document de réflexion paru à l'automne, parle de «soins appropriés en fin de vie». Et aussi, d'autre part, certaines études font ressortir une confusion entre les décisions de fin de vie -- on l'a vu avec les travaux de Mme Marcoux ce matin -- et, dans ma recherche, j'ai aussi pu constater cette confusion-là. Les décisions de fin de vie réfèrent généralement aux sept termes suivants... Je vais seulement vous les nommer et pas vous les définir, parce que vous allez voir que ce sont pour la plupart les termes que Mme Marcoux vous a décrits ce matin. Alors, pour des descriptions plus complètes, je vous réfère à l'appendice D de mon mémoire.

Alors, on compte: les soins palliatifs, la sédation complète, le traitement destiné à soulager la douleur au risque d'abréger la vie, l'abstention de traitement de survie, l'interruption des traitements de survie, l'aide au suicide et l'euthanasie.

Par exemple, dans ma recherche, certains travailleurs sociaux se demandaient si l'administration de morphine constituait une euthanasie, alors qu'il s'agit plutôt d'un traitement destiné à soulager la douleur, au risque d'abréger la vie. C'est un acte légal et balisé par le Code criminel à l'article 216. D'autres personnes se demandaient si le fait de débrancher un respirateur constitue une euthanasie, alors que c'est plutôt une interruption de traitement de survie.

Donc, je crois qu'une première chose à faire avant que le débat commence serait de bien choisir les termes qu'on utilisera et de les définir clairement, mais ensuite il faudrait aussi les distinguer de ce qui se fait déjà, au niveau légal... de ce qui est déjà légal présentement.

Les travailleurs sociaux nous ont fait part des critères qu'ils voudraient voir respectés dans l'éventualité où l'euthanasie volontaire ou l'aide à la suicide serait permis. À vos crayons... Alors, en amont: ils voudraient d'abord qu'on documente ces pratiques, qu'on réfléchisse aux services à offrir en soins palliatifs et en soins à domicile et sur l'accès à ces soins, qu'on s'assure que le patient reçoive les meilleurs traitements possibles pour la gestion de leur douleur.

Ensuite sur les critères qui, selon nos répondants, rendent une demande acceptable, on trouve des éléments liés à l'état de la personne ou à son contexte, tels que: la personne doit avoir une souffrance importante, voire insoutenable, qui ne peut être soulagée ou avoir une maladie incurable ou encore être en phase terminale.

Concernant la demande d'euthanasie ou d'aide au suicide, certains mentionnent qu'elle doit être faite par la personne même, qu'elle doit être mûrement réfléchie et faite de façon libre et éclairée. On souhaite que soient établis des critères stricts et bien balisés concernant l'éthique, l'admissibilité des personnes et les pratiques. Par exemple, des directives claires, une pratique encadrée et des conditions contrôlées.

Plusieurs participants suggèrent un accompagnement médical et psychosocial à la prise de décision allant possiblement jusqu'à un accompagnement vers la mort. J'ajouterais que 79 % des travailleurs sociaux qui ont participé à l'étude voudraient être impliqués dans le processus de décision avec les clients-patients concernant une aide au suicide et 83 %, concernant une euthanasie volontaire. Aussi, 82 % trouvent que les travailleurs sociaux devraient être impliqués dans le développement de politiques sociales concernant l'aide au suicide et 86 %, concernant l'euthanasie volontaire. Donc, ils veulent être de la partie.

Si on revient aux critères, donc on insiste pour que la décision finale revienne uniquement à la personne et qu'elle soit libre de toute influence. Et, pour ce faire, on recommande de voir les motivations de la personne pour vérifier si certains problèmes pourraient encore être traités. Aussi, on suggère qu'un comité... certains parlent d'un comité d'éthique, d'autres de personnes... un comité de personnes qualifiées ou de l'équipe de soins et que ce comité ou groupe de personnes fasse le suivi des évaluations des patients et donne un accord final. On souligne, en outre que ces démarches ne doivent pas être fastidieuses et que les demandes doivent être évaluées sans délai indu.

Sur les thèmes des conditions et soins de fin de vie, une des questions ouvertes de la recherche visait à savoir si, au cours de leurs années de pratique du travail social, les répondants avaient rencontré des difficultés en lien avec une ou des demandes d'euthanasie ou d'aide au suicide. Nous demandions aussi aux gens de nous décrire les faits en cause et de nous parler des difficultés que... qu'ils avaient vécues dans ces cas-là. Donc, c'est un petit nombre, 77 personnes, donc 13 % de notre échantillon, qui a répondu à cette question. La réponse est donc intéressante pour documenter les difficultés des travailleurs sociaux en lien avec l'euthanasie volontaire ou l'aide au suicide, mais nous ne saurions considérer leur représentativité.

**(19 h 50)**

Concernant les personnes qui ont mentionné avoir rencontré ce type de difficultés, voici ce qu'on dit. Donc, c'est vraiment les situations qui étaient liées à des demandes de suicide ou d'euthanasie volontaire.

D'abord, les personnes qui font ce type de demande sont des personnes ayant des maladies incurables, chroniques, dégénératives, évolutives ou invalidantes telles que la sclérose en plaques, le cancer ou une maladie néoplasique. On parle en outre de malades cardiaques, de blessés médullaires, d'une personne très âgée qui n'a plus d'autonomie fonctionnelle et d'une personne limitée physiquement par une tentative de suicide. Donc, ça vous donne une idée de la variété des cas.

Les demandes sont faites dans les contextes suivants: les patients se retrouvent dans une condition d'invalidité, ils vivent une souffrance mentale liée à la conscience de la détérioration de leur état, ils refusent de vivre ce que leur condition impose, ils constatent une impossibilité à modifier leur qualité de vie ou leur mal de vivre, ils vivent une grande souffrance et ils refusent d'imposer à leurs proches la période d'agonie à venir ou ce sont des clients qui se trouvent en phase terminale.

Les demandes qu'ils font sont directes. Ils demandent qu'on intervienne ou qu'on les aide à mettre fin à leurs jours, que le médecin leur donne une prescription pour leur permettre de décéder au moment choisi ou alors ils demandent directement le suicide assisté ou l'euthanasie.

Les difficultés nommées par les travailleurs sociaux sont le conflit entre, d'une part, leurs convictions morales et la compréhension et le respect du choix du patient, et, d'autre part, le code normatif ou le devoir professionnel. Un travailleur social parle même de désespoir face à ce conflit. De cette tension découle une difficulté à encourager le client et à mettre de côté ses convictions morales pour se concentrer sur son devoir professionnel. Une personne parle de la difficulté à faire comprendre au patient les raisons de son refus face à la demande d'euthanasie et explique que des clients invoquent l'autodétermination et disent que personne ne le saurait. D'autres répondants mentionnent que les limites professionnelles et légales entraînent un refus de soins chez le patient et donc un décès pénible qui pourrait être évité si l'euthanasie volontaire était permise. Bien sûr, d'autres personnes vont faire le choix de se rendre en Suisse, à l'organisme Dignitas, comme ce fut le cas pour Manon Brunelle en 2004 et Elizabeth MacDonald en 2007.

Parmi les autres considérations pertinentes, d'abord, les valeurs considérées. Les travailleurs sociaux ont une préoccupation pour la personne, et plus particulièrement pour l'autodétermination de la personne. Une travailleuse sociale américaine du nom de Carol Wesley disait à peu près ceci: que, dans une société où les valeurs et les croyances des gens peuvent être très différentes, l'autodétermination est considérée comme valeur suprême de la pratique du travail social. Effectivement, l'autodétermination est une des valeurs les plus citées dans l'étude avec la dignité et le respect, des valeurs liées, puisqu'on considère que la dignité passe par le respect de l'autodétermination d'une personne.

Les craintes. Alors, très peu de gens ont parlé de craintes liées au fait de permettre l'euthanasie et l'aide au suicide -- je vous dirais, là, c'est moins de 5 % des répondants -- mais je vais tout de même vous en nommer quelques-unes, parce que je pense que ça peut vous intéresser et que c'est le genre d'éléments que vous allez entendre probablement prochainement.

Alors, bien sûr, les travailleurs sociaux travaillent beaucoup avec des personnes vulnérables. Alors, outre les balises qu'ils suggèrent et que j'ai mentionnées précédemment, certains ont donc parlé des craintes qu'ils ont notamment quant à la protection des personnes inaptes, de personnes ayant une déficience intellectuelle ou de personnes dans un état neurovégétatif. Certains craignent un recours trop facile à ces pratiques ou une banalisation. On parle aussi d'une préoccupation pour les professionnels de la santé qui poseraient les gestes d'euthanasie ou d'aide au suicide. On craint que cela soit une trop lourde charge ou que ces personnes pourraient développer des problèmes de santé mentale, à cause notamment de culpabilité, d'un sentiment de culpabilité. Enfin, une personne mentionne... une personne qui a parlé de ses craintes mentionne que le risque zéro n'existe peut-être pas.

Sur le débat, alors, puisque c'est une des étapes qui va suivre, des répondants ont mentionné qu'ils souhaitaient un débat, d'abord pour que nos lois puissent tenir compte des évolutions de mentalité, pour que des poursuites judiciaires ne soient plus intentées contre les personnes ayant fait face à ces situations, pour briser des tabous ou simplement pour que chacun puisse se faire une opinion plus éclairée sur le sujet.

Finalement, je voudrais revenir sur les résultats de Ogden et Young, la comparaison, puisque, comme nos questionnaires... mon questionnaire a été construit pour que des comparaisons puissent être faites avec l'étude de Ogden et Young.

Alors, je rappelle que l'enquête, leur enquête avait été menée auprès des travailleurs sociaux de la Colombie-Britannique il y a plus de 10 ans. Donc, leur enquête faisait suite au procès de Sue Rodriguez en 1994. Donc, ça vous situe pour les événements. Ce qu'on constate, c'est que les deux enquêtes font ressortir que les répondants sont favorables aux deux pratiques. Par contre, nos répondants ont exprimé une plus grande considération pour l'euthanasie volontaire, alors que ceux de Ogden et Young considéraient davantage l'aide au suicide.

Selon Ogden et Young, cette préférence pour l'aide au suicide pouvait s'expliquer par certains projets de loi de cette époque qui favorisaient davantage l'aide au suicide, tel que le projet de loi C-215. Le projet de loi C-215 visait à permettre le suicide avec l'aide d'un médecin pour des personnes en phase terminale de leur maladie. Et l'autre document, c'était la loi de l'Oregon, donc le Death with Dignity Act de 1994.

Du côté de nos répondants, il est plus probable qu'ils aient été marqués par les personnes qui ont fait les manchettes au Québec pour avoir aidé un proche à mourir, comme Marielle Houle et André Bergeron. D'ailleurs, au moment de prononcer la peine de Marielle Houle en janvier 2006, l'honorable juge Laramée soulignait: À l'évidence, si le régime en vigueur au Canada avait permis à Charles -- le fils de Mme Houle qu'elle a aidé à mourir -- de choisir de mourir dignement, en toute liberté et de façon éclairée, dans un cadre qui lui aurait assuré toute la protection nécessaire, on n'en serait pas là. Mme Houle n'aurait pas commis le crime qu'on lui reproche.» Ces paroles ayant été reprises dans les médias, si nos répondants partagent l'avis de l'honorable juge Laramée, il n'est pas étonnant qu'ils souhaitent qu'une aide médicale à mourir soit disponible et encadrée.

Et puisque certains ont mentionné qu'ils liaient l'aide au suicide à un acte solitaire et l'euthanasie volontaire à un acte médical, il n'est pas exclu que ce soit cette perception qui influence le choix de considérer davantage l'euthanasie volontaire, une option qui leur semble peut-être plus complète et plus sécuritaire.

Je vous remercie, M. le Président, Mme la vice-présidente, Mmes et MM. les commissaires, et je demeure à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour avoir partagé vos recherches qui sont très récentes. Alors, c'est très intéressant, très enrichissant. Je vais céder la parole à M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Alors, merci, M. le Président. Merci infiniment, Mme Chamberland, pour le travail que vous avez fait, que vous soumettez à la commission. Je pense que c'est le premier point de vue que nous avons sur les travailleurs sociaux au Québec, et, en ce sens, il est extrêmement précieux.

Moi, j'ai une très courte question qui m'a beaucoup interpellé au niveau de votre mémoire de maîtrise. Malheureusement, je n'ai pas le numéro de page... Page 76, le tableau 4.22, et vous y avez fait référence dans votre présentation: Les difficultés des travailleurs sociaux en lien avec une demande d'euthanasie ou d'aide au suicide. Pourriez-vous nous situer le contexte dans lequel ça se situe dans la mesure où, au Québec, en principe, l'euthanasie et l'aide au suicide ne se pratiquent pas.

**(20 heures)**

Mme Chamberland (Valérie): Elles ne se pratiquent pas, mais elles se demandent. Donc, c'est l'hypothèse qu'on a émise. C'est une question que, nous, on a ajoutée, qui n'était pas dans le questionnaire original de Ogden et Young. Alors, nous, on a ajouté trois questions, et donc ça en faisait partie.

Alors, moi, je voulais aller vérifier parce qu'évidemment, comme c'est un acte illégal, tabou, avec des professionnels de la santé, évidemment personne ne tient de statistiques sur le sujet, et donc je voulais aller sonder un peu pour voir si les travailleurs sociaux recevaient des demandes. Parce qu'il y avait aussi une idée selon laquelle les demandes étaient plutôt faites aux médecins et pas aux travailleurs sociaux, alors que les travailleurs sociaux, bien, ont quand même... passent quand même pas mal de temps avec les patients et ils ont des discussions sur vraiment différents sujets avec les familles. Donc, moi, je posais l'hypothèse que peut-être qu'ils recevaient ce type de demande également. Alors, ce que je vois, c'est que, oui, mais quand même relativement peu, là, somme toute.

M. Ouimet: Et le contexte de tout ça, pourriez-vous nous placer un petit peu dans le contexte de votre recherche?

Mme Chamberland (Valérie): Le contexte de ma recherche?

M. Ouimet: C'est-à-dire lorsque vous... vous questionnez, les travailleurs sociaux, vous questionnez leurs représentants, comment ça s'effectue sur le terrain lorsqu'ils sont confrontés avec une telle demande? J'essaie juste de voir un petit peu la dynamique, là, qui s'enclenche à partir du moment où les proches du patient font une telle demande.

Mme Chamberland (Valérie): Oh! là, ce n'est pas des... En fait, il y avait quelques personnes, c'est très peu là, quand c'étaient les proches qui faisaient ce type de demande là. Dans ce que, moi, je vous ai énuméré, c'était vraiment des personnes... les personnes elles-mêmes qui demandaient dans les cas... Parce que, dans les difficultés, moi, je vous ai parlé des gens qui ont parlé de demande d'euthanasie ou d'aide au suicide.

Par ailleurs, si vous regardez dans la même page 76, il y avait quand même cinq thèmes qui étaient abordés. Donc, moi, je vous ai parlé seulement des demandes d'aide au suicide ou d'euthanasie volontaire, mais il y avait aussi des gens qui parlaient des manifestations du désir de mourir, donc des gens qui ne demandent pas d'euthanasie mais qui disent: J'aimerais bien mourir cette nuit. J'aimerais que, tu sais, qu'Il vienne me chercher, bon, ce genre de chose là, mais qui ne demandent pas la mort à quelqu'un de façon concrète.

Il y avait aussi des gens qui parlaient d'arrêt de traitement ou de refus de traitement ou de traitement destiné donc... Bon, ça rejoignait la question sur la confusion, c'est-à-dire que, moi, je demande aux gens: Quels sont les problèmes que vous avez eus avec des demandes d'euthanasie? Et là on me parle de refus de traitement. Donc, certains travailleurs sociaux considèrent que le refus de traitement serait comme une euthanasie. Enfin...

Alors... mais ça, ça fait partie des défis aussi, je crois, d'informer les gens. Parce que bien sûr on voudrait que le public se prononce sur la question, mais, en même temps, si les professionnels de la santé -- puis on l'a vu aussi ce matin encore une fois avec les travaux d'Isabelle Marcoux -- si les professionnels de la santé ne connaissent pas bien les termes, ils ne sont pas tout à fait en mesure, là, de vraiment pouvoir informer les patients non plus. Donc, l'information, elle est vraiment auprès de tout le monde là, je pense, puis dans les médias aussi.

Parce qu'un autre petit point que je peux ajouter, c'est que parfois on parle... enfin, je ne sais pas si vous voulez rappeler, je crois que c'est l'été dernier, on parlait d'une dame en Italie qui était vue comme l'icône de l'euthanasie, puis ils en parlaient comme ça dans les journaux et, en fait, c'était un arrêt de traitement qui était demandé de la part du père de cette dame-là. Alors, en Italie, c'est de l'euthanasie, mais au Canada, ça s'appelle de l'arrêt de traitement. Donc... Mais ça, évidemment ce n'est pas précisé dans les articles parce que j'imagine que les journalistes ne savent pas plus faire la distinction, ces distinctions-là. Voilà.

M. Ouimet: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Mme Chamberland, merci de votre présence, votre présentation. J'ai une question particulière, parce que quelque chose que vous avez dit m'a accroché immédiatement. Lorsque vous avez parlé des travailleurs sociaux, vous avez dit: Ces gens-là n'aiment pas le mot «suicide» parce qu'ils passent leur temps à combattre le suicide dans leur travail. Et ça va de soi. À un moment donné, j'imagine, c'est ma conception de ces personnes-là qui aident les gens qui sont dans des situations difficiles à composer avec les aléas de la vie, à un moment donné, ils doivent changer de chapeau à quelque part, parce qu'ils doivent décider à un moment donné ou les gens qui sont en relation avec leurs patients doivent, à un moment donné, dire: Écoutez, on ne veut plus vivre, etc. Le travailleur social doit changer de chapeau, en quelque sorte, puis essayer en quelque sorte d'aider la personne qui veut quitter le monde. Je trouve c'est quand même quelque chose, ça, parce que...

On a entendu des personnes nous parler d'imminence comme étant un critère qui était important dans la situation. Où on trace la ligne? Quand est-ce qu'un... Je me demandais, un travailleur social qui est peut-être là depuis le début en train de dire à une personne: Il faut que vous vous battiez, ou je ne sais pas trop quoi, il faut que vous vous donniez une chance. Il faut que vous ayez une... il faut que vous soyez positif. Il faut que vous essayiez. Je veux dire, c'est plein de choses qu'on dit à du monde qui sont en train de combattre la maladie. Et là, à un moment donné, la personne, j'imagine, je ne sais pas, il y a un désespoir, ou je ne sais pas, quelque chose qui s'installe, et le travailleur social est appelé à jouer un autre rôle, qui est... diriger la personne ou aider la personne qui veut aller vers la porte de sortie, si je peux m'exprimer ainsi.

Est-ce que, l'imminence, est un critère, l'imminence de la mort ou l'imminence de la fin est quelque chose qui joue un rôle là-dedans important? Parce que je pense que c'est quelque chose qui revient, et il me semble qu'on a été... on a eu des mises en garde de personnes qui sont venues faire des présentations en nous disant: Écoutez, si vous parlez d'une personne qui a un an à vivre ou deux ans à vivre, c'est un petit peu plus difficile. Lorsque vous parlez d'une personne qui est en train de cracher du sang puis est en train de s'étouffer sur... sur ses... ses fluides, on comprend ça mieux.

Les travailleurs sociaux que vous avez rencontrés ou qui ont répondu à votre questionnaire, quelle est leur conception? Est-ce que cette question d'imminence joue un rôle? Est-ce que c'est le point qu'on doit... qu'on doit regarder pour décider quand un travailleur social agissant en vertu de... des... de son code de déontologie ou je ne sais pas trop quoi, ce qui anime les travailleurs sociaux, est-ce que c'est le point, là, qu'on doit regarder?

Mme Chamberland (Valérie): Bien, d'abord ce que je pourrais vous dire, c'est que les gens qui ont répondu à l'enquête, moi, je voulais vraiment m'adresser à l'ensemble des travailleurs sociaux. Donc, le champ du travail social, c'est très large, tu sais: femmes victimes de violence, protection de l'enfance, personnes âgées, gérontologie, organisations communautaires, enseignement du travail social. Donc, c'est... ce n'est pas nécessairement des gens, tous des gens qui sont en soins palliatifs, par exemple, qui ont répondu à ça. Donc, ça peut avoir joué évidemment sur ce type de réponse là.

Les gens qui sont en train de travailler en prévention du suicide, bien peut-être qu'ils rencontrent pas nécessairement des gens qui ont des difficultés physiques, qui sont en fin de vie dans ce point d'imminence là, ils rencontrent probablement plus des gens qui sont dans un état mental perturbé ou en dépression, mais c'est une autre situation que ce que... ce dont vous me faites part.

Maintenant, le critère de l'imminence, moi, je vous dirais qu'à la lumière de ce j'ai vu, ce n'est probablement pas le critère le plus important. Le critère qui, selon moi, d'après ce que je... d'après ce que j'ai lu, serait le plus important pour travailleurs sociaux, ce serait l'autodétermination. Qu'est-ce que la personne, elle, veut? Jusqu'où elle veut aller? Quelle est sa conception de la dignité? À quel moment elle n'a plus envie de vivre?

Donc, selon moi, c'est beaucoup plus ce critère-là qui est important pour les travailleurs sociaux. C'est ce que je peux vous dire.

M. Sklavounos: Oui... Il reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Kelley): Il vous reste environ sept minutes.

M. Sklavounos: Sept minutes, je vais céder la parole à mon collègue des Îles-de-la-Madeleine.

Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Merci pour votre contribution puis votre présence ici, à cette commission.

Ma première question, ce serait sur le plan social: Est-ce que vous avez fait des recherches sur la -- pardon -- la définition de la fin de vie? On sait qu'au niveau médical on l'a fait en parlant de mort imminente puis de processus irréversible. Est-ce que, sur le plan social, vous avez une définition scientifique dans vos politiques sociales?

Mme Chamberland (Valérie): De ce qu'est la fin de vie?

M. Chevarie: Oui.

Mme Chamberland (Valérie): Non. Je ne serai pas en mesure de vous éclairer là-dessus.

M. Chevarie: Quand, tantôt dans votre présentation, vous avez mentionné que les travailleurs sociaux, si effectivement il y avait une législation sur l'euthanasie ou le suicide assisté, les travailleurs sociaux souhaiteraient d'être impliqués dans ce processus-là auprès des personnes qui vivent cette étape-là. Est-ce qu'ils vous ont mentionné comment ils souhaiteraient être impliqués, quelles sont les conditions dans lesquelles ils seraient interpellés pour participer à ce processus-là au niveau d'une personne qui en fait la demande?

**(20 h 10)**

Mme Chamberland (Valérie): Bien, en fait, dans tout ce qu'ils disaient de l'implication... D'abord, la question de l'implication en tant que telle, c'était une question fermée, alors les gens n'avaient pas la possibilité de compléter. Mais, dans les questions ouvertes à la fin, là il y a eu plus d'information, et les gens voulaient être impliqués, bon, dans le suivi de la personne. Donc, à partir d'un diagnostic où les gens peuvent être impliqués dès ce moment-là auprès du patient, suivent un processus avec le patient qui peut aller, qui peut aller... en fait qui pourrait aller autant dans le sens d'un soutien jusqu'à la mort naturelle, disons, et aussi un soutien qui pourrait aller jusqu'à une mort, disons, provoquée. Ils seraient prêts à aller dans les deux avenues. Ils seraient prêts, également, à faire l'évaluation de ces personnes-là, vérifier les motivations, les services que ces personnes-là reçoivent, la gestion de la douleur... Mais ça, c'est des choses dans lesquelles ils sont déjà impliqués, je vous dirais, là, présentement.

Mais ils souhaitent également être impliqués... Donc, s'il y a formation, effectivement, d'une espèce de comité ou d'un groupe de professionnels qui aurait à prendre des décisions et donner un accord final, par exemple, ils souhaiteraient être impliqués aussi à ce niveau-là. Ils souhaiteraient également être impliqués dans une intervention auprès des familles de personnes qui choisiraient cette option-là, parce qu'on peut imaginer que l'ensemble des familles ne vont pas accepter tout bonnement la décision. Parfois, pour certains, ça peut être plus difficile.

Et également dans le soutien à l'équipe de soins, parce que, bon, comme je l'ai mentionné, ils ont exprimé... certains d'entre eux ont exprimé des craintes quant aux professionnels qui poseraient les gestes. Donc, à ce moment-là, ils ne mentionnaient pas nécessairement que ce serait un médecin, mais donc tout professionnel qui serait désigné pour poser ces gestes-là et qui le ferait, bien ils seraient prêts à offrir un soutien également aux équipes de soins.

M. Chevarie: Vous avez mentionné tantôt aussi un nouveau concept, l'autodétermination, dans les critères qui pourraient être retenus, ou que vous souhaiteriez qu'ils soient retenus. Est-ce que vous faites référence à l'autonomie, par exemple on décide quand on va mourir et comment? Et dans un contexte de consentement libre et éclairé, est-ce que c'est dans ce genre de définition là?

Mme Chamberland (Valérie): En fait, l'autodétermination, c'est le pouvoir pour la personne... En fait, c'est qu'on considère que c'est la personne elle-même qui sait ce qu'elle veut, ce qui va lui... lui apporter du bien pour elle. C'est la meilleure personne pour prendre les décisions, finalement, pour sa propre vie.

Donc, il y avait de cet élément-là, puis il y avait même un travailleur social qui mentionnait que le rôle des travailleurs sociaux auprès des patients, c'est de leur redonner du pouvoir sur leur vie. Et donc, pour cette personne-là, c'était aussi de lui redonner du pouvoir sur sa mort.

M. Chevarie: Vous disiez aussi que les travailleurs sociaux proposaient une liste de critères balisés. Entre autres, vous citez la souffrance, une souffrance importante. Est-ce que vous avez une définition de la souffrance?

Mme Chamberland (Valérie): Non, je n'ai pas de définition de la souffrance, et puis c'est des... donc, des informations que je vous donnais en rafale. Les gens n'étaient pas tous aussi précis dans leurs réponses. Donc, pour certains, c'était plus vague, mais cet élément-là de la souffrance est quand même revenu très souvent. Donc... Mais non, ils n'ont pas défini clairement ce qu'était la souffrance pour eux.

M. Chevarie: Un autre commentaire que vous avez apporté, c'est que vous disiez... dans votre... votre sondage, au niveau de la perception... de la perception des travailleurs sociaux par rapport à l'euthanasie, c'est plus considéré comme un acte médical, alors que le suicide assisté va plus dans le sens d'une thérapie sociale ou d'un soutien social? C'est ce que j'ai compris ou perçu de vos propos.

Mme Chamberland (Valérie): En fait, ils font plus une association du suicide assisté vers le suicide, je dirais, dans le sens de prévention du suicide, là. Ils disaient que pour eux, c'était un geste solitaire et même... Si on compare avec ce qui se passe en Oregon, bien les gens reçoivent une prescription, et là ils peuvent la prendre chez eux, ils peuvent être tout seuls... Il n'y a pas nécessairement d'encadrement au moment où c'est fait. Donc, les travailleurs sociaux avaient des réticences là-dessus, là. Pour eux, il fallait entourer la personne, l'accompagner, être présent dans ces moments-là, donc...

M. Chevarie: Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. le député. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup, Mme Chamberland, c'est très, très intéressant. Je suis assez impressionnée que vous ayez conduit une telle étude pour votre mémoire de maîtrise. Alors, j'imagine que votre avenir... je ne suis pas très inquiète de votre avenir au sein de la profession.

Alors, écoutez, je veux revenir sur... Je pense que c'est une distinction intéressante quand vous dites que les travailleurs sociaux, là, du fait du... peut-être de ce qui est associé avec chacune des deux réalités, là, pour faire suite à ce que mon collègue disait, penchent plus en faveur de l'euthanasie, du fait que justement c'est associé plus à l'acte médical.

Je voulais savoir évidemment, quand vous avez conduit votre étude, le rapport du Collège des médecins n'était pas sorti, mais est-ce que vous estimez que l'approche des travailleurs sociaux serait en ligne, en quelque sorte, avec ce que nous propose le Collège des médecins: de voir l'euthanasie comme dans le continuum des soins de fin de vie et possiblement comme un soin de fin de vie approprié? Est-ce que c'est dans cette catégorie-là que vous le verriez?

Mme Chamberland (Valérie): Bien, je vous dirais que ça va assez dans cette direction-là. On parle, tu sais, évidemment, l'euthanasie, c'est mentionné avec... selon les critères que je vous nommais tout à l'heure, des souffrances, être en phase terminale, des souffrances insupportables. Bon, certains mentionnaient pas nécessairement des souffrances physiques, ça pouvait aussi être des souffrances psychologiques pour certains d'entre eux, donc... mais il y avait souffrance, en tout cas.

Donc, ça peut, oui, s'inscrire, là, dans un continuum de soins puisqu'eux semblent le voir en tout cas comme un acte médical.

Mme Hivon: O.K. À la page 76 aussi de votre mémoire, donc vous nous parlez des travailleurs sociaux qui vous ont fait part de difficultés ou non qu'ils auraient rencontré par rapport à la question.

J'imagine que non, mais est-ce que vous avez été capable de voir si ceux qui avaient rencontré ce genre de demandes là sont plus favorables? Est-ce que vous avez sondé ça ou vous n'avez pas pu faire le croisement?

Mme Chamberland (Valérie): Bien, en fait, ce que je peux vous dire, c'est que l'expérience des travailleurs sociaux a une influence sur leur perception. Et là je m'explique.

Donc, les gens qui reçoivent ce type de demandes et qui avaient, par exemple... qui travaillent auprès de personnes en déficience intellectuelle, bien, pour eux, c'est des personnes vulnérables, il faut les protéger, donc ils ont une conception... ils sont... disons qu'ils ont des réserves importantes.

Il y avait par ailleurs deux personnes, entre autres, qui parlaient du suicide d'un proche et qui mentionnaient que cette expérience-là leur avait... leur avait vraiment... les avait mis en contact avec une souffrance, et une souffrance qu'ils comprenaient au point de comprendre le geste que la personne avait posé.

Et il y a aussi des gens qui travaillent auprès de personnes qui sont phase terminale d'un cancer ou qui ont des... un cancer et qui disaient qu'ils comprenaient aussi la souffrance de ces personnes-là au point de comprendre les demandes qui seraient formulées en ce sens-là. Donc, tu sais, c'est... l'expérience est vraiment en lien avec la perception que les gens ont.

Mme Hivon: Et, pour revenir à l'importance que vous dites que les travailleurs sociaux accordent à l'autonomie ou l'autodétermination de la personne, qui semble être vraiment au coeur de toute l'approche, de ce je comprends, par rapport aux questions d'euthanasie et de suicide assisté, où vous... C'est parce qu'hier on a parlé beaucoup de ça, hein, il y a deux... il y a deux approches qui un peu s'opposent, là: l'autodétermination toute-puissante versus, je dirais, l'autodétermination conciliée avec le rôle du médecin, le dialogue en continu, et tout ça, là.

Comment, dans un premier temps, vous voyez... Parce qu'on nous parle beaucoup d'équipe traitante, d'équipe soignante en fin de vie, le dialogue, l'établissement d'un consensus un peu entre les partenaires, comment vous... Est-ce que vous estimez que ça, c'est une approche souhaitable mais qu'ultimement l'autodétermination doit avoir la première place, j'imagine? Mais comment vous conciliez un peu l'importance qu'on peut accorder à l'équipe par rapport à l'importance de l'autodétermination? Ça, c'est ma première question.

Puis l'autre, c'est, du fait de l'importance que vous accordez à ça, je veux juste savoir quelles balises, quels critères vous mettez? Parce qu'on sait, dans les législations européennes, souvent c'est «souffrance intolérable», ou «souffrance aiguë» ou «maladies fin imminente»; donc, il y a un peu les deux réalités. Tantôt, vous avez dit, à la question des critères, que ce n'était pas seulement l'imminence... En fait, vous, vous vous situez vraiment dans l'autodétermination, mais l'autodétermination avec quelles balises?

**(20 h 20)**

Mme Chamberland (Valérie): C'est des bonnes questions. Je ne saurais pas vous répondre de façon précise, évidemment.

D'abord, la personne et l'équipe de soins, pour la première question... C'est sûr que, moi, d'après ce que j'en comprends, les travailleurs sociaux, ultimement, c'est la personne qui prend la décision, donc il faut que tout parte de la personne puis de son seuil de tolérance à elle, ou d'intolérance. Donc, il va falloir... ultimement, là, il faut que ça soit ramené à la personne.

Pour l'autre question, pouvez-vous me rappeler?

Mme Hivon: Oui. Mon autre question, c'était: Où vous mettez les balises? Parce que vous parlez beaucoup de l'importance de l'autodétermination. Et tantôt, vous avez dit que pour vous, le critère, pour les travailleurs sociaux que vous avez sondés, ce n'est pas de savoir si la mort est imminente.

Vous revenez beaucoup à l'autodétermination, mais j'imagine que ce n'est pas l'autodétermination pure dans le sens où si, nous, on doit soumettre des balises à la consultation ou regarder quel cadre, est-ce que, selon vous, c'est l'imminence? Est-ce que c'est les souffrances aiguës incontrôlables? Est-ce que c'est les deux?

C'est ça un peu que je veux savoir. Parce que vous dites que vous vous inspiriez du modèle des Pays-Bas, je crois. Mais je veux savoir où vous mettez la ligne d'éventuelles balises.

Mme Chamberland (Valérie): J'irais quand même avec prudence, mais je vous dirais que c'est probablement à partir de conditions irréversibles que la personne elle-même considère intolérables ou insoutenables. On a un croisement, là, qui devient... je pense qui rejoint pas mal les idées qu'on retrouve dans les commentaires des répondants.

Mme Hivon: Donc, ce serait l'irréversibilité de la condition, en quelque sorte, minimalement le fait que la maladie soit incurable, j'imagine comme base, puis l'irréversibilité. O.K. Merci. Je crois que je vais laisser mes collègues...

Le Président (M. Kelley): Parfait...

Mme Chamberland (Valérie): ...que ce soit quelque chose de si simple à déterminer, là. Alors, on est peut-être encore en plus flou, là, je ne sais pas, mais...

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...merci, madame, de cette contribution au débat. Moi, je vais être dans votre recherche, à la page 83, au tableau 4.24, où vous faites référence aux thèmes qui ont été abordés par les travailleurs et les travailleuses dans leurs commentaires. Et souvent, dans les commentaires généraux, on est en mesure de cerner un petit peu plus les sensibilités. Et je me réfère à deux thèmes particulièrement: opinion sur le fait de permettre l'euthanasie volontaire et/ou l'aide au suicide; et le deuxième, critères d'encadrement des pratiques d'euthanasie volontaire et d'aide au suicide.

Premièrement, les critères d'encadrement. Quelle est leur vision de ce qui seraient des critères? Est-ce qu'ils en ont dans leurs commentaires? Vous êtes en mesure de ressortir un certain nombre d'éléments de ces critères-là qui encadreraient les pratiques d'euthanasie volontaire. Et, dans votre recherche, on vous a entendu parler des personnes aptes à participer à la décision, et tout ça. Mais qu'en est-il des personnes inaptes? Est-ce que cette question-là a été soulevée, et est-ce que vous avez des commentaires sur cette réalité qui fait partie aussi des gens que ces personnes-là sont appelées à côtoyer à un certain moment donné?

Et je veux vous dire que j'apprécie beaucoup cette préoccupation des travailleurs et des travailleuses qui sont en lien direct, dans un travail de proximité avec les personnes. Souvent, ça nous donne une sensibilité qu'on n'a pas autrement.

Mme Chamberland (Valérie): Bien, sur les critères, c'est beaucoup de ce que je vous ai nommé dans la présentation. Donc, s'assurer que les gens reçoivent tous les soins appropriés disponibles nécessaires à leur condition. On avait aussi des critères sur... qu'il y ait un processus, qu'il y ait une certaine évaluation qui soit faite des personnes, qu'il y ait un accompagnement. C'était tous ces critères-là. Sur... je ne me souviens plus de votre... première question.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Inaptes.

Mme Chamberland (Valérie): Les inaptes. Oui, c'est ça. Alors, bien, la seule chose qui a été dite... moi, je ne posais pas de questions précises sur cette question-là. Dans les commentaires, ce que j'ai perçu, c'est que... c'est délicat, là, les gens sont plus dans une optique de protection des personnes inaptes, de crainte pour ces personnes-là, dans des situations comme ça. Par exemple que des demandes soient faites à la place de ces personnes-là par des tiers. Vous voyez le genre de glissement...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Les testaments biologiques, on en a parlé à plusieurs reprises. Est-ce qu'ils ont été mis face à une expérience ou si vous avez eu des commentaires là-dessus? Sur l'utilisation du testament de vie ou testament biologique.

Mme Chamberland (Valérie): Oui. Mais en fait, le... le commentaire dont je me rappelle sur les testaments biologiques, c'est qu'il y a une personne qui était outrée que certains testaments biologiques ne soient pas respectés ou qu'on doute de l'aptitude de personnes qui refusent des soins. Vous voyez, ce genre de réflexion là? Donc ça, ça... Mais, bon, encore une fois, je ne saurais pas vous parler de représentativité de ces thèmes-là ou de la fréquence de ce type de cas. Mais c'est des commentaires que j'ai eus.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci pour votre présence, merci pour votre éclairage.

Deux questions relativement simples et brèves: selon votre connaissance, est-ce que c'est la première fois que les travailleurs sociaux et travailleuses sociales du Québec étaient sondés sur la question? Est-ce qu'on est en mesure de constater une évolution dans le temps ou c'est la première fois véritablement, là, qu'ils étaient questionnés sur cet enjeu-là?

Mme Chamberland (Valérie): Pour les travailleurs sociaux du Québec, à ma connaissance, c'était la première fois. Les travailleurs sociaux de Colombie-Britannique, donc avec M. Ogden. Mais, même dans les recherches que j'ai faites sur des recherches qui pouvaient lier les travailleurs sociaux et l'euthanasie volontaire ou involontaire, peu importe, l'euthanasie et l'aide au suicide et les travailleurs sociaux, il n'y avait presque rien. Il y avait l'étude donc de M. Ogden puis, sinon, les autres études étaient américaines, Royaume-Uni, bon... on sortait du Canada, là. Donc, oui... première fois.

M. Charette: Parfait, merci. Autre petite question rapide, vous disiez dans votre présentation que seulement, quoi, 13,3 % des personnes consultées ont eu un contact direct, du moins ont été interpellées sur ces questions-là, que ce soit au niveau du suicide ou encore l'euthanasie volontaire. On parle aussi, dans votre étude, de souhaits de la part de ces professionnels-là, d'être impliqués dans le processus.

Mais qu'en est-il de la réalité aujourd'hui pour celles et ceux qui travaillent, j'imagine, en milieu hospitalier? Est-ce qu'il y a déjà une belle collaboration qui est assurée? Ou du moins est-ce que les médecins reconnaissent ces professionnels-là comme étant des acteurs incontournables du processus, autant de cheminement, que du partage d'informations, que de communication avec soit le patient ou les membres de la famille?

Mme Chamberland (Valérie): Je vous dirais que, à ce moment-ci, mon champ de... mon champ est davantage la recherche et non la pratique. Donc, je ne pourrai pas répondre à votre question. Je vous référerais peut-être à des gens qui sont davantage sur le terrain ou qui comptent plusieurs années d'expérience pour répondre à votre question. Dans les réponses que j'ai eues, je ne peux pas vraiment me prononcer là-dessus.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Il me reste à dire merci beaucoup. On est vraiment chanceux comme commission que le timing de dépôt de votre document pour votre thèse va nous éclairer. Alors, merci beaucoup pour votre présence ce soir.

Je vais suspendre quelques instants et je vais demander aux représentants de l'Association médicale du Québec de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 20 h 29)

 

(Reprise à 20 h 32)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. On a un autre habitué de la commission qui est devant nous, les représentants de l'Association médicale du Québec, représentée entre autres par son président. Alors, sans plus tarder, la parole est à vous.

Une voix: Merci.

Association médicale du Québec (AMQ)

Mme Duclos (Claudette): Bonsoir, M. le Président. Bonsoir, Mmes et MM. les députés. Mon nom est Claudette Duclos. Je suis la directrice générale de l'Association médicale du Québec.

L'Association médicale du Québec est la seule association québécoise qui rassemble les omnipraticiens, les spécialistes, les résidents et les étudiants en médecine. L'AMQ compte sur un vaste réseau de quelque 9 500 membres pour réfléchir aux enjeux auxquels est confrontée la profession médicale, proposer des solutions et innover pour repenser le rôle du médecin dans la société, et constamment améliorer la pratique médicale. L'AMQ est une association québécoise administrée par un conseil d'administration formé de médecins québécois et autonome dans ses prises de position. Elle est aussi le lien corporatif officiel vers la profession médicale canadienne de par son partenariat avec l'Association médicale canadienne. En cette qualité, elle participe activement aux différents débats en matière de santé sur la scène canadienne et exerce un rôle d'influence auprès des décideurs.

Permettez-moi maintenant de vous présenter les personnes qui m'accompagnent ce soir. Le Dr Jean-François Lajoie, qui est spécialiste en médecine interne au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et président de l'Association médicale du Québec; Dre Manon Chevalier, interniste et gériatre à l'Hôpital de L'Enfant-Jésus; Dre Michelle Dallaire, omnipraticienne en soins palliatifs au Centre hospitalier universitaire de Montréal; et Dr François Gobeil, anesthésiologiste au CSSS Pierre-Boucher. Il dirige aussi, à cet endroit, le Service consultatif de gestion de la douleur et est aussi membre du conseil d'administration. Alors, sans plus tarder, je cède la parole au Dr Lajoie.

Le Président (M. Kelley): Bonjour, Dr Lajoie.

M. Lajoie (Jean-François): Merci, Mme Duclos. Alors, M. le Président, Mmes et MM. les députés, au nom des membres du conseil d'administration de l'Association médicale du Québec et en mon nom personnel, je tiens à remercier les membres de la Commission de la santé et des services sociaux de permettre à notre organisation de présenter son point de vue dans le cadre de ses consultations sur cette délicate question du droit de mourir dans la dignité.

Le document de réflexion que nous soumettons aux membres de la commission reprend dans ses grandes lignes les commentaires que nous avons fait parvenir au Collège des médecins du Québec, en octobre 2009, en réaction à son projet d'énoncé de position sur l'euthanasie. Les membres de la commission constateront que l'emploi de la forme interrogative est fréquent. En effet, nous ne prétendons pas avoir de réponse précise à toutes les questions que nous posons. Nous croyons toutefois qu'elles méritent d'être posées sans faux-fuyants.

Dans un premier temps, l'AMQ veut féliciter les membres de l'Assemblée nationale pour le courage politique qu'ils démontrent en lançant un débat très délicat qui interpelle toute la société québécoise. Le mandat de la commission porte sur la question du droit de mourir dans la dignité, pas sur l'euthanasie ni sur l'aide médicale au suicide, bien que ces deux approches feront nécessairement partie des discussions lors de la présente consultation ainsi que de la consultation générale qui suivra. La nuance est de taille. C'est en effet le droit de mourir dans la dignité qui doit guider les réflexions de la commission, de la communauté médicale et de toute la société.

Enfin, il nous apparaît important de considérer l'environnement juridique dans son ensemble. Le dépôt par la députée Francine Lalonde du projet de loi C-384 au Parlement du Canada visant à amener le Code criminel a suscité des discussions un peu partout au pays. Tout comme les deux versions antérieures discutées au cours des dernières années, ce projet de loi est mort au feuilleton avec la prorogation du Parlement fédéral. Bien que ces remarques peuvent paraître prématurées, il faudra bien distinguer, le cas échéant, les pistes de changement qui pourront être envisagées dans le cadre des juridictions provinciales actuelles de celles qui nécessiteront des amendements au Code criminel, de juridiction fédérale.

Il faut aussi clarifier les concepts. L'AMQ est heureuse de constater que le gouvernement a choisi de tenir un débat le plus large possible auprès de l'ensemble de la population et des professionnels de la santé. Cet exercice est absolument nécessaire, même s'il représente à lui seul un défi. En effet, la lecture de différentes opinions exprimées dans les journaux par plusieurs individus ou organisations au cours des dernières années démontrent hors de tout doute la nécessité de clarifier les différents concepts reliés à l'aide à la fin de la vie.

Qu'une certaine confusion existe dans la population n'a rien de bien surprenant; que cette confusion existe aussi dans une certaine mesure chez les professionnels de la santé est un peu plus préoccupant. Dans un sondage que vous connaissez, qui a été conduit auprès de ses membres, rendu public en octobre 2009 par la Fédération des médecins spécialistes du Québec, 48 % des répondants affirment que la sédation palliative est assimilable à une forme d'euthanasie, alors que 46 % considèrent que ce n'est pas le cas. Si les spécialistes eux-mêmes ne s'entendent pas sur le sens à donner à ces concepts, comment peut-on raisonnablement espérer que le grand public s'y retrouve.

Cette confusion, qui semble régner dans l'esprit de nombreuses personnes, explique sans doute pourquoi une proportion significative de la population se montre en faveur de l'euthanasie selon les derniers sondages réalisés au Québec et au Canada. Il ne fait pas de doute dans notre esprit qu'une meilleure information sur les différents concepts énoncés plus haut changerait de façon importante la perception de la population sur cet enjeu. L'Association médicale du Québec veut apporter sa contribution à une meilleure compréhension de ces concepts reliés à la fin de la vie, et vous retrouverez en annexe de notre document les principales définitions qui sont acceptées dans la littérature médicale et autre.

S'agit-il d'un remède universel pour une situation exceptionnelle? Au cours des dernières années, nous avons tous été des témoins intéressés par des événements très hautement médiatisés touchant des personnes atteintes de maladies terminales ou aux prises avec des douleurs telles qu'elles en sont venues à manifester le souhait de mettre fin à leurs souffrances ou de souhaiter une assistance médicale pour ce faire. Mais ces situations demeurent somme toute marginales, ce qui ne signifie pas qu'on doive les ignorer, bien au contraire. Les situations où des malades en soins palliatifs endurent une douleur insupportable qui ne peut être soulagée par l'arsenal thérapeutique et pharmacologique à la disposition des médecins est rare.

Aussi, nous nous interrogeons sur la pertinence et sur l'utilité de remettre en question à ce stade-ci une interdiction millénaire. De plus, des changements législatifs qui introduiraient le droit même étroitement balisé à l'euthanasie ne toucheraient que les personnes lucides aptes à donner leur consentement à un acte d'aide à la mort. Qu'en est-il des autres qui, pour toutes sortes de raisons liées à leur état physique ou mental, ne peuvent donner librement un tel consentement? Qu'en est-il des nouveau-nés très prématurés ou de ceux dont le pronostic est sombre ou de ceux qui sont atteints de graves anomalies congénitales? Ne risquerait-on pas de créer dans les faits deux catégories de malades: ceux qui ont accès à des services médicaux d'euthanasie avec leur plein consentement et ceux qui n'ont pas accès à ces mêmes services, car inaptes à y consentir. Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse facile, mais qui suffisent à nous questionner sur les possibilités de glissement si des changements législatifs devaient permettre le recours, même étroitement balisé, à l'euthanasie ou à l'aide médicale au suicide.

Voici quelques pistes à privilégier. À plus court terme, il nous apparaît pertinent de concentrer nos efforts sur les mécanismes à mettre en place afin d'élargir la portée et d'améliorer la qualité des soins palliatifs qui sont à la disposition des malades en phase terminale. Dans le cas des patients en phase terminale, des soins palliatifs sont offerts pour apaiser la douleur, soulager et prévenir l'étouffement de même que les autres symptômes réfractaires de fin de vie tels que nausées, vomissements, agitation, sécrétions, etc. De plus, les soins palliatifs offrent de l'accompagnement pour les difficultés psychosociales et spirituelles des patients et de leurs familles.

**(20 h 40)**

L'expérience en soins palliatifs montre bien que la famille et les proches souffrent énormément de voir leurs proches affectés de divers symptômes. C'est alors qu'ils se posent fréquemment des questions sur la dignité du mourir. Ils ont alors un grand besoin d'être soutenus afin que leur propre souffrance s'apaise. Lorsque les proches ne peuvent pas être accompagnés, leur souffrance peut déclencher une demande d'euthanasie de leur part.

Selon le Réseau de soins palliatifs du Québec, des services de soins palliatifs existent dans toutes les régions du Québec. Cependant, il semble que la nature, la portée et la qualité de ces services varient considérablement d'une région à l'autre, notamment quant à la disponibilité des services à domicile pour les personnes qui choisissent d'y mourir et pour leurs familles.

Tel que le mentionnait l'Association médicale canadienne dans une lettre envoyée récemment à tous les membres du Parlement canadien, nous savons très peu de choses sur les pratiques médicales exercées en fin de vie, sur la façon dont ces décisions sont prises et sur la satisfaction des patients et de leur famille. Le rôle du Collège des médecins du Québec pourrait ainsi être mis à contribution afin d'évaluer les pratiques médicales de fin de vie dans les établissements sous sa juridiction. Procéder à des visites d'inspection professionnelle avec experts, comme dans les autres secteurs médicaux, serait une façon de vérifier les compétences dans ce domaine et de préciser les besoins de formation continue des médecins.

L'accessibilité et la continuité des services médicaux de soins palliatifs pourraient également être examinées particulièrement dans les établissements de soins de longue durée. Ainsi pourrait-on contribuer à la protection des malades et à leurs soins. Une évaluation de ces pratiques nous permettrait vraisemblablement de mieux identifier les changements législatifs requis, si nécessaire, qui pourraient refléter les pratiques déjà en cours qui sont largement acceptées par la communauté médicale, par les patients et leurs familles et par l'ensemble de la société.

Enfin, bien que ce ne soit pas le mandat de la présente commission, il nous apparaît important de dépasser le cadre restreint de la fin de vie pour aborder la question des personnes qui souffrent et dont la mort n'est pas nécessairement imminente. À cet égard, nous voulons plaider en faveur d'une amélioration de la formation des intervenants, tant en douleur, en sédation qu'en souffrance globale, ainsi que l'accès aux centres spécialisés. Le ministère de la Santé et des Services sociaux devrait accélérer ses travaux en vue de compléter la désignation des centres tertiaires, secondaires et primaires en douleur chronique.

Est-ce une option thérapeutique? L'un des impacts qui résulteraient du fait de permettre l'euthanasie et l'aide médicale au suicide serait d'octroyer aux médecins une espèce de droit de donner la mort, une option thérapeutique en quelque sorte qui s'ajouterait à l'ensemble des traitements médicaux, chirurgicaux, pharmacologiques déjà disponibles. Comment ne pas voir là un risque grave d'érosion du lien de confiance entre les malades, l'ensemble de la société et la communauté médicale? Permettre ces pratiques provoquerait également une remise en question radicale de la déontologie médicale classique et l'abolition d'une interdiction millénaire.

En somme, comme nous l'avons mentionné plus haut, il nous apparaît indispensable d'amorcer un débat large et universel sur la question des changements de pratiques médicales exercées en fin de vie. Peut-être ce débat débouchera-t-il sur un consensus entourant la nécessité ou non d'ajuster le Code criminel afin de reconnaître des pratiques déjà largement répandues et acceptées par la société et par la communauté médicale.

L'Association médicale du Québec serait disponible pour participer activement, au nom de ses membres, au débat entourant d'éventuelles modifications législatives qui refléteraient l'évolution des pratiques médicales en fin de vie.

Nous croyons que le rôle de la communauté médicale devrait être de faire avancer la réflexion en contribuant à une meilleure connaissance des différents concepts associés aux diverses pratiques médicales exercées en fin de vie, de s'assurer de pratiques médicales compétentes et de plaider afin que l'ensemble des citoyens du Québec aient, dans un premier temps, accès à des soins palliatifs de qualité.

Alors, j'aimerais laisser la parole à mes consoeurs et confrères qui ont aussi un petit mot à vous dire. Dre Dallaire.

Le Président (M. Kelley): Dre Dallaire.

Mme Dallaire (Michelle): Oui. Alors, moi, je travaille en soins palliatifs depuis une quinzaine d'années déjà. J'ai étudié en éthique clinique, et c'est une question, le droit de mourir dans la dignité, qui me préoccupe de longue date.

Alors, dans cet énoncé, il y a le droit de mourir, ça, je pense que ça ne cause pas de problème, mais c'est surtout la question de la dignité. Alors, cette commission va donc avoir le défi de cerner et de décider ce qu'est la dignité de la personne et de déterminer comment promouvoir celle-ci, au mieux jusqu'à la toute fin de la vie.

Si certains demandent de mourir dans la dignité, c'est qu'il y a des contextes où celle-ci leur semble manquer, où mourir se déroule dans un environnement inadéquat, par exemple, seul au domicile, souffrant, sans aide suffisante, abandonné de tous. Il peut aussi s'agir d'un sentiment d'indignité ressenti par la personne malade qui se voit irrémédiablement diminuée, ce qui la conduit à vouloir abréger ses jours. C'est parfois le conjoint épuisé qui passe le message d'une vie qui n'en finit pas et qui la rejette ainsi. Enfin, le bien-portant s'inquiète de tout ce qu'il entend et désire l'assurance d'une fin de vie digne, comme le disait M. Bureau hier, pour échapper à cette période difficile. Mourir à son heure doucement, d'une mort idéalisée, devient alors un choix de salut.

Alors, nous allons regarder un peu le développement du sentiment d'indignité. Au moment d'un diagnostic de cancer du sein, de gorge, du cerveau, d'une maladie dégénérative, Parkinson et autre, il est déjà possible d'anticiper des pertes, une dégradation de l'image corporelle, des capacités respiratoires qui deviendront déficientes, imposant des limitations de mobilité, des difficultés à assumer les tâches de la vie quotidienne, voire à se laver ou des pertes de mémoire, ou des changements de comportement. Déjà, il peut y avoir des réactions de choc face à ces complications qui viennent qui peuvent inciter certaines personnes à dire: Bon, moi, je ne vais pas affronter ça, et à demander l'euthanasie. Et on n'est pas du tout en soins palliatifs.

Lorsque ces pertes deviennent effectives, certains feront état d'un sentiment d'indignité qu'ils ressentent et qu'ils ne veulent pas ou ne veulent plus supporter, et vont demander de mourir pour mettre un terme à leurs souffrances. Souvent pour eux, la dignité, c'est la capacité de faire, de produire, c'est la beauté ou tout au moins une image de soi qui est acceptable, et tous ces deuils à faire qui s'accumulent les dépassent.

Il est vrai aussi que chaque personne est unique et vit différemment ses deuils. On voit alors apparaître chez l'un le sentiment d'être un fardeau pour les autres, ou un sentiment de ne plus servir à rien, ou le sentiment d'être laid, déformé, ou encore un sentiment global de rejet quand l'autre nous regarde et qu'on voit dans ses yeux sa fatigue, sa pitié, son dédain ou même parfois son dégoût. La souffrance se creuse.

Le bien-portant qui regarde ce malade vit mal cette expérience. Le changement amené par la maladie lui fait peur. Refus, fuite, abandon, militantisme, activisme, recherche d'aide au suicide ou appel à l'euthanasie sont des réactions humaines et normales pour éviter la déchéance entrevue. Une question majeure se pose alors: Comme société, comment pouvons-nous faire face à ces situations difficiles? Il me semble que, si nous acceptons que l'euthanasie ou l'aide au suicide soit facilement disponible, nous confirmons que ces personnes sont effectivement devenues des citoyens de second ordre. Ils se croyaient indignes, ils sont confirmés par l'autre dans cette indignité. Ce sentiment grandira chez eux. En viendra-t-on à ce qu'il devienne acceptable de faire sentir aux grands malades qu'ils sont un fardeau ou que les soins nécessaires sont devenus trop lourds à fournir pour notre société?

Regarder la fin de vie sous l'angle de cette... de cette dignité d'intensité variable est piégé et nous semble inconciliable avec l'approche des soins palliatifs, qui reconnaît à chacun dignité absolue et intrinsèque. Nous pourrions plutôt faire la promotion du mourir avec humanité en donnant priorité au soulagement des symptômes, à l'accueil de la différence engendrée par la maladie, à l'acceptation des limites inhérentes à la vie humaine, à l'accompagnement psychospirituel, au soutien des deuils, à la valorisation de l'humain toujours capable de donner de l'amour ou d'en recevoir malgré ses pertes, à un environnement chaleureux, à des soignants compétents et accessibles. Mais, pour cela, il faut que malades, familles, soignants et sociétés fassent d'abord la paix avec les pertes inhérentes à la vieillesse, à l'usure du corps, à la maladie pour reconnaître la fragilité de l'humain et découvrir la possibilité de trouver du bonheur au sein de cette fragilité: le bonheur d'aimer et de donner de soi-même jusqu'au bout de la vie, le bonheur de découvrir et de profiter de la richesse et de la beauté intérieure des êtres aimés jusqu'au bout, le bonheur du temps présent partagé.

Finalement, ce sont les petites joies quotidiennes qui animent et égaient la vie de nos patients en soins palliatifs: Ma fille s'en vient. Cet après-midi, maman va amener mon chien. Ce soir, je prendrai un petit verre de vin. Mon amie m'a appelé aujourd'hui pour me dire qu'elle m'aimait. Merci pour tout ce que tu m'as donné durant cette vie. Mourir viendra bien assez vite, aujourd'hui j'ai d'autres projets. Si tu savais comme je t'aime. Je fais des pantoufles pour ma petite fille qui va naître le mois prochain. Je sais que je ne serai plus là, mais je veux lui laisser un souvenir.

Les histoires sont aussi nombreuses et variées que les personnes qui meurent chaque jour. Les malades qui se sentent respectés et aimés tels qu'ils sont s'inquiètent moins de leur dignité. Ils continuent de la ressentir dans le regard aimant de leurs proches, ils découvrent leur humanité jusqu'au bout. Peut-on accepter de donner la mort avant d'avoir tout fait pour restaurer la vie? Peut-on accepter que le futur est désormais entièrement vide et stérile avant d'avoir tout fait pour aider l'autre à y trouver un sens nouveau?

Alors, je vous remercie de votre attention.

**(20 h 50)**

Le Président (M. Kelley): Merci, Dre Dallaire.

M. Lajoie (Jean-François): M. le Président, si vous...

Le Président (M. Kelley): Oui.

M. Lajoie (Jean-François): ... le permettez, le Dre Chevalier aurait aussi un petit mot à dire.

Le Président (M. Kelley): Parfait. Dre Chevalier.

Mme Chevalier (Manon): Alors, permettez-moi d'abord de situer ma réflexion en lien avec celle de l'association que je représente ici ce soir avec mes collègues. Dr Lajoie, président de notre association, vous a précédemment exposé notre position, à savoir, entre autres choses, l'importance d'améliorer notre réseau de soins palliatifs afin de le rendre accessible au plus grand nombre possible avant d'aborder de plein fouet l'importante question de l'euthanasie. J'aimerais vous faire part de certaines de mes réflexions en regard de cette question.

Comme gériatre exerçant depuis plus de 20 ans en courte durée dans un hôpital de la capitale nationale, il m'arrive souvent de me demander pourquoi, comme société, on en est venu à envisager qu'éventuellement l'euthanasie, dans certaines situations, pourrait être admissible. Entre autres facteurs, souvenons-nous de l'engouement quasi frénétique des années soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix et plus récemment 2000 quant aux découvertes médicales en matière des méthodes d'investigation et de traitement. Nous avons ainsi progressivement repoussé la mort de plusieurs années, générant de grands malades porteurs de nombreuses pathologies, et permis à d'autres pathologies directement reliées à l'âge d'émerger. Comme société, par le biais de l'accessibilité aux soins, et comme médecins dispensateurs de ces soins, nous avons contribué à créer ces malades qui, sans nous, seraient depuis bien longtemps décédés et pour lesquels la question de l'euthanasie n'aurait probablement jamais été soulevée. Ces cas cliniques, qui souvent, je vous l'avoue, sont pathétiques, me questionnent quant à notre responsabilité dans leur création.

Avant même de parler de soins de fin de vie, y aurait-il lieu, comme individus, comme société et comme communauté médicale, de se questionner sur ces nombreuses situations que l'on peut considérer comme de l'acharnement diagnostique et thérapeutique, et tenter de se donner certaines balises? Y aurait-il lieu de considérer la cessation de traitement plus souvent lorsque l'on sait l'issue sans solution et de proposer à ces patients une approche palliative appropriée? Finalement, y aurait-il lieu de former nos médecins à se demander pourquoi traiter plutôt qu'uniquement comment traiter?

En donnant ainsi davantage de sens à nos actions, nous éviterions probablement d'avoir à envisager ultimement, dans certaines situations, l'euthanasie comme solution.

Le Président (M. Kelley): Alors, merci beaucoup. On va...

M. Lajoie (Jean-François): ...M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Est-ce que c'est terminé avec...

M. Lajoie (Jean-François): Oui, c'est terminé. Alors...

Le Président (M. Kelley): Pardon, Dr Lajoie. Alors, on va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. J'ai une proposition de faire une certaine alternance, alors 10-10-10-10. Ça va pour tout le monde? Et on va terminer, dans ces circonstances, à 9 h 35, 21 h 35, payé «overtime», un petit peu. Alors, sans plus tarder, M. le député de Marquette, la parole est à vous.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Merci, M. Lajoie, Dr Lajoie, Dre Chevalier, Dre Dallaire, les personnes qui vous accompagnent également, pour votre contribution aux travaux de la commission, particulièrement aussi la définition des termes que vous soumettez à notre attention. Je pense que c'est un travail qui est très précieux. Je suis heureux que vous participiez aux travaux de la commission; j'ai même cité un extrait d'une lettre hier dans mes remarques préliminaires.

J'ai senti... Corrigez-moi si je me trompe, là, mais j'ai senti un désaccord par rapport à... la position que vous défendez et celle du Collège des médecins et les deux fédérations qui sont venues témoigner devant nous. En relisant le texte de votre lettre du 16 octobre, vous dites que vous avez du mal à comprendre les motifs qui guident le Collège à ouvrir un débat sur les soins appropriés en fin de vie, et vous avez fait état de l'interdiction millénaire appuyée par la quasi-totalité des associations médicales dans le monde et par le code de droit de presque tous les pays. Je pense que ça vient quelque peu nous indiquer l'orientation que vous privilégiez.

À la page 4 de votre mémoire également, je pense que vous remettez aussi en question les différents sondages d'opinion depuis, à tout le moins, les années 1990 lorsque vous dites: S'il y avait une meilleure information sur les différents concepts énoncés, ça changerait de façon importante la perception de la population sur cet enjeu. Je me trompe ou je résume assez bien?

M. Lajoie (Jean-François): Oui. Vous résumez assez bien notre pensée, en effet. Les écrits parlent. En effet, si vous voulez parler du sondage, on a été quand même assez surpris de voir les résultats du sondage et que la moitié des médecins spécialistes qui ont répondu au sondage pensent que la sédation palliative est assimilable à l'euthanasie. Pour nous, ça a été une surprise parce qu'effectivement c'est une pratique qui est largement répandue dans les hôpitaux québécois, mais ce n'est pas de l'euthanasie, on s'entend bien là-dessus.

M. Ouimet: Je veux vous amener... ce n'est pas une question piège, là, mais ça m'a frappé. Une contradiction qui m'apparaît apparente dans votre mémoire entre la page 6 et la page 8.

À la page 6, vous dites que «nous savons très peu de choses sur les pratiques médicales exercées en fin de vie, sur la façon dont ces décisions sont prises et sur la satisfaction des patients et de leur famille». J'ai été étonné un peu de ce constat-là, mais je me suis dit: Bon, il est possible que ça soit le cas.

Mais à la page 8, presque dans une conclusion, vous dites que peut-être que le débat, auquel vous souhaitez participer, débouchera «sur un consensus entourant la nécessité d'ajuster le Code criminel -- et voici la contradiction -- afin de reconnaître des pratiques déjà largement répandues et acceptées par la société et la communauté médicale».

Alors, j'ai de la difficulté à concilier les deux. S'il faut reconnaître des pratiques déjà largement répandues, comment expliquer que vous dites que nous savons très peu de choses sur les pratiques médicales exercées en fin de vie? Et vous invitez le Collège des médecins à aller faire des inspections. Pourriez-vous clarifier ça pour nous?

M. Lajoie (Jean-François): En fait, ce qu'on dit c'est que: on a... puis on a ici autour de cette table, on a l'expérience, on a des gens qui ont des... une connaissance de ce qui se fait dans le... dans les établissements du Québec. Ce qu'on n'a pas, c'est peut-être un... une vision ou une approche scientifique de cette question-là. C'est-à-dire une étude plus approfondie de comment, effectivement, les décisions de fin de vie ont...

Dans certains... dans certaines publications, on voit des choses, par exemple dans le milieu des soins intensifs, comment les décisions de... d'arrêt de traitement sont mises en branle, tout ça. Mais on n'a pas un regard clair sur... et scientifique sur comment les décisions de fin de vie sont prises dans les hôpitaux québécois. Alors ça, ça serait quelque chose qui serait extrêmement intéressant, puis ça nous aiderait, je pense... ça donnerait des informations supplémentaires pour effectivement voir s'il y a clairement...

On a vu tantôt, par exemple, la dame qui nous a précédés, présenter des travaux de recherche vraiment intéressants sur la perception des travailleurs sociaux sur une telle question. Alors, je pense que ce genre de choses là pourrait être extrêmement intéressante, de conduire ce genre d'études là, mais auprès de la communauté médicale dans les établissements.

M. Ouimet: Peut-être le choix des mots n'était peut-être pas... le plus heureux choix de mots, mais quand vous dites «des pratiques déjà largement répandues et acceptées», moi, ça me laisse entendre que c'est connu, ces pratiques de fin de vie là.

M. Lajoie (Jean-François): Ce qu'on veut dire, c'est que les pratiques largement répandues et acceptées, ce sont les pratiques usuelles, comme par exemple la sédation palliative ou les arrêts de... ou les abstentions de traitement, par exemple. C'est ce qu'on voulait dire. Mais Dr Gobeil ici voudrait...

M. Gobeil (François): En fait, votre conclusion provient probablement du contexte où un langage médical, où bien des interventions se font et où, dans les discussions entre collègues, etc., fonctionne, est accepté, etc., mais, lorsqu'au moment où on arrive... le point de «challenger» justement cette procédure-là ou cette technique-là en collectant de façon très précise l'information et en colligeant le tout, on arrive pour dire statistiquement: Bien, finalement ce qu'on croyait fonctionnait bien, là, bien ça ne fonctionne pas si bien que ça.

Alors, ça paraît contradictoire au départ, mais probablement que, nous, dans notre langage quotidien avec les études que l'on fait puis qu'on analyse, ça nous paraissait évident, mais on peut comprendre la conclusion effectivement.

**(21 heures)**

M. Ouimet: Le Collège des médecins nous propose de sortir du débat polarisé euthanasie-suicide assisté et pose la question d'une façon différente dans un contexte médical. Quand un patient fait face à une mort imminente et inévitable, devrait-il être permis à un médecin qui le jugerait approprié de répondre à la demande d'abréger ses jours, et, si oui, dans quelles conditions? Est-ce qu'on devrait lancer une consultation sur cette base-là, d'après vous?

M. Lajoie (Jean-François): Bien, je pense que c'est le noeud de la question, en effet. C'est sûr que, quand on examine... Je pense que, ce que cette question-là laisse entendre, c'est qu'on ne peut pas adresser la question de la fin de la vie correctement avec les mécanismes puis l'encadrement juridique qu'on a actuellement. Et, nous, on pense que, dans la grande majorité des cas, on est capables d'adresser cette situation-là sans faire de changements législatifs importants. Alors...

Le Président (M. Kelley): Dre Dallaire, un complément de réponse.

Mme Dallaire (Michelle): Oui, je voudrais... Le Collège souhaite que l'euthanasie devienne ce qu'on appelle, nous, un soin approprié en fin de vie pour... comme élargir nos possibilités thérapeutiques. La question, c'est que, si on situe ça en fin de vie, ça se situe quand, la fin de vie? Puis, quand on parle de qu'est-ce qui est imminent et inévitable, c'est quoi «imminent et inévitable»?

Les soins palliatifs font le suivi de la douleur chronique, cancéreuse, ou d'autres symptômes pour des malades en fin de vie, particulièrement dans les hôpitaux parce que c'est de là que viennent nos consultations, parce que, nous, on est des milieux tertiaires de soins. Et ensuite, quand les patients sont admis, on continue de les suivre. On voit finalement à peu près 20 % des patients en fin de vie. Dans notre grand Québec, 20 % des patients, ce n'est pas beaucoup. Dans nos patients à nous qu'on suit -- notre unité de soins palliatifs est la plus vieille francophone, je pense, de l'Amérique du Nord en entier -- dans nos patients à nous, on n'en n'a pas, de demandes d'euthanasie; c'est extrêmement, extrêmement rare. Quand il y en a, ça vient surtout des familles, et c'est leur souffrance à eux finalement qu'il faut adresser et non pas celui du patient qui est là qui, lui, en général, n'est pas souffrant. Parce qu'actuellement les moyens dont on dispose en soins palliatifs sont extraordinaires, et on arrive à aider vraiment les gens pour qu'ils puissent profiter de leur vie jusqu'à la fin.

Mais j'ai une amie dernièrement dont le père est décédé à Shawinigan, ça a été l'enfer, ça a été épouvantable, puis elle est revenue de là en disant: Mais ça presse l'euthanasie. J'ai dit: Non, ce n'est pas ça qui presse, c'est qu'il y ait des ressources pour les autres. Nous, on est un petit milieu favorisé où les gens sont privilégiés. Ma collègue m'a dit: Mais je n'en n'ai pas besoin, moi, d'euthanasie. Mais moi non plus, je n'en n'ai pas besoin.

Effectivement, nous, en soins palliatifs, on n'en n'a pas besoin. Alors, quand on essaie de nous mettre ça en fin de vie, on se sent un peu interpellés comme soins palliatifs parce qu'on n'en n'a pas besoin. Mais que d'autres en aient besoin, je pense que oui. Il y a des gens pour qui ce n'est pas facile de faire face à la difficulté de la vie, mais ce n'est quand même pas la première approche à privilégier, là.

Combien il y a de gens qui sont tout seuls aujourd'hui, qui n'ont personne? Ils vivent toutes sortes d'affaires terribles... On ne parle plus à nos voisins. Mais ça, c'est tout l'ensemble de notre société, on ne va pas régler toutes... modifier les valeurs sociales de notre société, hein, aujourd'hui, on ne pourra pas. Donc, il faut un aménagement, mais pas en soins palliatifs.

M. Ouimet: M. le Président, l'imminence et l'inévitabilité -- j'ai de la difficulté avec ce terme-là mais vous comprenez ce que je veux dire -- semble-t-il que, vous, comme médecin vous savez quand ce moment-là est arrivé. C'est ce que le Dr Barrette nous a dit. Il parlait, hier, de... Je ne sais pas si vous avez entendu son témoignage, il a dit: Nous, comme médecins, on sait quand la mort est inévitable et quand elle est imminente. C'est le dernier souffle.

Le Président (M. Kelley): Dr Lajoie.

M. Lajoie (Jean-François): Il a raison que, dans la majorité des cas, on est quand même, avec suffisamment d'expérience, capables de déterminer assez clairement quand la mort est imminente. Et, quand la mort est imminente et inévitable, ce n'est pas l'euthanasie dont on a besoin. La mort va venir toute seule. Quand elle est imminente et qu'on la voit se lire sur le visage du malade, ce n'est pas dans ces conditions-là où on va avoir besoin de l'euthanasie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Je vais faire l'alternance. Je vais revenir au député d'Orford après. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup, merci de votre point de vue. En fait, à ce jour, c'est un point de vue qu'on n'avait pas entendu beaucoup. Parce que, si vous avez suivi, vous avez vu, hier, les travaux, Collège des médecins, Fédération des médecins... Donc, on essaie toujours de présenter l'autre point de vue, à ceux qui viennent, dans ce qu'on a fait hier. Mais avec vous, je vous dirais que, vu que ça fait une journée qu'on entend l'autre point de vue, c'est sûr que les questions de confrontation d'idées viennent facilement.

Moi, j'aimerais, à la page 6, vous amener à la page 6 de votre mémoire, le premier paragraphe. Vous finissez en disant que les proches... Vous avez une crainte qu'en fait les demandes viennent des proches. C'est ce que je détecte un peu. Et ce que je détecte aussi, c'est les possibilités de dérapage.

Moi, je me dis, de ce qu'on a entendu, et notamment du Collège des médecins, qui insiste beaucoup sur l'accompagnement par le médecin, le médecin dans une relation, je dirais, continue avec le patient, surtout en fin de vie, moi, c'est drôle, mais ça me rassure, parce que je me dis: La personne en fin de vie est accompagnée par un professionnel, par un médecin, et même en soins palliatifs par une équipe des fois multidisciplinaire. Donc, quand c'est la personne, je veux dire, qui le demande, je pense qu'on est capable de valider son consentement. Si on pense qu'il y a une pression indue, il y a une équipe possiblement autour d'elle qui peut aller valider si l'expression est vraiment libre et volontaire.

Alors, est-ce qu'en fait votre crainte, elle vient du fait que vous dites: Dans la pratique, dans le fond, on est loin de l'idéal, et donc la personne n'est pas si bien accompagnée que ça, d'où les risques, ou si... Donc, c'est ça que je veux comprendre un peu. Du fait qu'il y a un médecin qui accompagne, est-ce que le médecin n'est pas justement là pour valider la validité de l'expression libre et éclairée de la demande qui pourrait venir de la personne?

M. Lajoie (Jean-François): Vous avez...

Le Président (M. Kelley): Dr Lajoie.

M. Lajoie (Jean-François): Oui. Vous avez raison quand vous dites que, et je pense qu'on l'a expliqué aussi tantôt, quand la personne est accompagnée, quand la relation patient-médecin est quelque chose de solide puis qu'il y a un suivi, un rapprochement dans cette situation-là, il y a un soutien qui s'exerce, il y a un soutien de l'équipe autour. C'est habituellement des conditions qui sont favorables pour que justement l'arrivée de la mort soit douce puis que ça ne soit pas nécessaire qu'on... se tourne vers une... une demande comme... aussi radicale que l'euthanasie, par exemple. Ça sera vraiment une situation exceptionnelle en pareille situation.

Dre Dallaire y a fait allusion tantôt: plein de situations où il y a de l'isolement, de la douleur, de la souffrance globale, tout ça, ça, c'est des situations qui sont plus propices effectivement à ce que les gens veulent obtenir une solution définitive, une solution rapide, parce que justement leurs besoins ne sont pas comblés, leurs besoins de soins, leurs besoins d'être soulagés, d'être accompagnés ne sont pas comblés.

Dre Chevalier voulait...

Le Président (M. Kelley): Dre Chevalier.

**(21 h 10)**

Mme Chevalier (Manon): Moi, j'aimerais quand même amener une nuance, hein, sur le consentement libre et éclairé. Comme gériatre, je veux dire, je suis quotidiennement confrontée au consentement libre et éclairé, et je peux vous dire qu'il y a beaucoup de patients qui, malgré le fait qu'ils soient cognitivement aptes, ont de la difficulté à bien faire une décision qui soit parfaitement libre et éclairée.

Il y a énormément de facteurs qui jouent dans un consentement libre et éclairé. Quand tu es très, très malade, que tu es affecté par la maladie elle-même, la médication, par la souffrance de tes proches, on peut toujours remettre en question la liberté du choix, parce que, que vous le vouliez ou pas, il se fait une pression, aussi, sociale, sur ce malade-là.

D'autre part, évidemment je prêche encore comme gériatre, mais il faut que vous vous disiez qu'avec le vieillissement de la population, de plus en plus de gens vont avoir des troubles cognitifs qui, sans être de l'ordre de la démence, sont quand même présents et affectent aussi leur jugement par rapport à leurs décisions.

Et j'aimerais finalement vous dire que, bon, j'ai exercé en soins palliatifs pendant plusieurs années de façon parallèle à ma profession de gériatre, et comme gériatre aussi je suis confrontée à ça, et ce qui me frappe dans les demandes d'euthanasie dans les dernières années, c'est que... En fait, en 21 ans de pratique, j'ai eu deux demandes d'euthanasie. Alors, c'est très peu, et je suis quotidiennement confrontée à la mort de la part de patients, hein? Et c'était deux patients qui avaient des maladies de Lou Gehrig et qui, après leur avoir présenté une approche palliative, ont finalement... se sont sentis quand même confortables dans cette approche-là.

Mais ce qui, depuis quelques années, me frappe, c'est la demande d'euthanasie venant des familles. Et ça, je peux vous dire que c'est de plus en plus fréquent. Et devant finalement la perte d'autonomie, qu'elle soit physique ou cognitive, de plus en plus de proches, et là je ne vous parle de patients en phase terminale de cancer, je vous parle de patients, par exemple, qui sont porteurs de maladie d'Alzheimer et où la famille trouve souffrante la situation sans que le patient soit nécessairement très souffrant, là, de la situation, et où les familles nous demandent carrément d'en finir. Et ça, c'est inquiétant.

Évidemment, l'euthanasie, elle se situe souvent dans un débat où on parle d'un patient qui est libre, qui est conscient, qui est articulé et ceux qui viennent ici l'ont démontré, hein, ce sont des gens très articulés. Mais le patient standard, là, je veux dire, qui est démuni et qui est peu instruit, qui confond les termes, etc., ce n'est pas toujours si sûr, là, qu'il fait un consentement libre et éclairé. Et pour faire un consentement libre et éclairé, je peux vous dire que, même les gens bien nantis, ce n'est pas toujours évident d'avoir un consentement libre et éclairé.

Mme Hivon: En fait, je pense que c'est un point intéressant. Mais je pense que le problème est beaucoup plus global quand on parle de consentement libre et éclairé pour les personnes que vous dites qui peuvent être en perte d'autonomie. Il est là constamment à la fin de la vie, parce qu'ils sont constamment confrontés à des décisions médicales dans la fin de la vie. Donc, je pense que c'est une problématique qu'il faut avoir en tête effectivement quand on regarde tout ça parce qu'il ne se présente pas juste en fin de vie, il se présente pour un bon moment, mais du fait de l'obligation pour le médecin, prévue au Code civil, de toujours l'obtenir, j'imagine que vous êtes constamment confrontés à ça et à savoir quand il faut se tourner vers les proches, parce qu'on estime que la personne n'est plus apte. On pourra revenir peut-être sur la question des inaptes.

Moi, je voulais... dans le début de nos travaux, on a beaucoup, beaucoup entendu parler de la valeur de l'autonomie, de l'autodétermination de la personne, du patient qui doit toujours être au centre des décisions. De ce que je comprends de votre approche, vous semblez quand même remettre ça un peu en cause, en disant un peu que les soins palliatifs viennent, bon, faire une grande part des choses, le médecin peut avoir... en tout cas peut parler avec le patient, peut-être le faire changer d'idée.

Je vais vous dire, moi, une question à deux angles: Comment on fait quand il y a... moi, je pense qu'on s'ouvre à des questions de conflit de valeurs, Il y en a souvent dans la pratique médicale: le médecin a ses valeurs, le patient a ses valeurs. Est-ce que les valeurs du médecin doivent entrer en compte? Je ne dis pas que le médecin doit pratiquer, par exemple, un acte qui va contre sa morale ou ses valeurs, là, mais il peut peut-être le référer à un collègue, ou tout ça. Mais comment ça se joue ça, si on dit que l'autonomie est un peu moins peut-être primordiale ou première ou dominante?

Et, deuxième chose, j'ai posé la question cet après-midi, je ne sais pas si vous écoutiez les débats: Par rapport à l'autonomie qui est effectivement très présente, et elle est très présente dans la loi, on en parlé beaucoup depuis 1994, c'est vraiment le principe maître en matière de consentement aux soins, une personne peut refuser un traitement, même si elle est en pleine santé, puis que ça provoque sa mort, il n'y a pas... donc c'est vraiment la valeur maître. Et c'est comme si, en fin de vie, on décidait que peut-être cette valeur-là doit avoir un peu moins de force. Et le Collège des médecins dit: Bon, dans le continuum des soins pour répondre à notre obligation déontologique, notamment d'accompagner toujours dans la dignité, on sent des fois qu'on est face à un mur.

Moi, ce que je me demande, c'est... vous y avez fait référence notamment en soins palliatifs, on se l'est fait dire aussi cet après-midi, la fin de la vie vaut la peine jusqu'à la fin de la vie, il peut y avoir de la beauté dans la fin de la vie. Mais est-ce que, ça, c'est l'appréciation de l'équipe soignante autour qui décide que la personne doit trouver de la beauté dans la fin de la vie jusqu'à la fin de la vie, même si, elle, elle a décidé qu'on lui dit qu'il lui reste deux semaines, elle a parlé à ses proches, elle a fait le tour, elle estime qu'elle est prête, mais qu'on la force un peu à continuer à trouver la beauté dans la fin de la vie. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Kelley): Dr Lajoie.

M. Lajoie (Jean-François): Écoutez, on est d'accord sur la primauté de l'autodétermination de la personne, il n'y a aucun doute là-dessus. On a... L'époque du paternalisme médical est complètement révolue, et puis, quand on vous parle de ça, on ne vous dit pas que, si un malade est en fin de vie, si on a un consensus avec lui, avec sa famille, que c'est la fin, on peut certainement, aisément mettre en place une cessation de traitement. Habituellement, ces gens-là sont gravement malades. Ils prennent beaucoup de médicaments. On fait ça couramment.

Tu sais, à chaque semaine, dans notre exercice professionnel, quand on est à l'hôpital, c'est quelque chose qu'on fait régulièrement. On peut arrêter des traitements de dialyse, on peut arrêter de la ventilation mécanique, on arrête des médicaments tout le temps. Donc, c'est toutes des choses qui contribuent à éventuellement conduire au décès de la personne, parce que, évidemment, on est dans une situation où la poursuite des traitements est futile, il n'y a plus de... on ne peut plus espérer gagner quoi que ce soit de la poursuite des traitements, alors on les arrête et la personne finit par décéder doucement.

Est-ce qu'il y a vraiment une valeur ajoutée... est-ce que je peux utiliser ce terme-là? Est-ce qu'il y a vraiment une valeur ajoutée à dire que la personne qu'on pense qui est en fin de vie, qui va... qui a peut-être une semaine, deux semaines de vie, qui a une valeur à dire: Bien là, on va terminer ça maintenant par un geste qui va provoquer sciemment la mort plutôt que de... d'arrêter les traitements actifs et d'accompagner, de soulager jusqu'à ce que le décès survienne, comme on le fait actuellement.

Moi, je... Moi, personnellement, je suis... je suis d'avis... Et je regarde dans ma pratique, je regarde mes collègues, la majorité d'entre eux et d'entre elles seraient... sont pas mal plus favorables à cette approche-là qu'à une approche terminale, comme celle que pourrait représenter l'euthanasie en pareilles circonstances.

Une voix: Même...

Le Président (M. Kelley): M. le député d'Orford,

M. Reid: Je voudrais commencer par féliciter Mme Chevalier pour votre intervention tout à l'heure. Il me semble que vous avez soulevé, concernant le fait qu'on crée effectivement des situations, que vous avez soulevé un problème de fond qui nous interpelle sûrement, qui doit interpeller toute la profession médicale, j'en suis certain.

Moi, je voudrais demander quelques précisions. Dans la page 4 de votre rapport que vous nous avez lu tantôt, et je sais que mon collègue de Marquette en a parlé, vous dites: «Il ne fait pas de doute, dans notre esprit, qu'une meilleure information sur les différents concepts énoncés plus haut changerait de façon importante la perception de la population», dont vous dites un peu plus haut qu' «une portion significative de [cette population-là] se montre en faveur de l'euthanasie», selon des sondages, etc.

Moi, ce que je comprends... si je comprends bien ce que vous dites, c'est que, s'il y avait une meilleure... si la population était mieux renseignée, il y aurait moins de monde en faveur. C'est ce que je sens que vous voulez dire par ça, là.

M. Lajoie (Jean-François): Ce qu'on veut dire, c'est que si les gens étaient informés, ils comprendraient que la sédation palliative, ce n'est pas de l'euthanasie, et que... Ce que les gens sont... les gens sont en faveur qu'on utilise la sédation palliative; c'est avec ça qu'ils sont en accord. C'est notre perception de la lecture de ces sondages.

M. Reid: Bon, bien, ça, c'était ma deuxième question. C'est que vous dites que vous analysez le texte, mais cette analyse-là est basée sur vos perceptions ou c'est basé sur des données? Ça, c'est ma vraie question. Sur des données factuelles ou essentiellement sur votre perception, votre expérience?

M. Lajoie (Jean-François): Elle est basée, essentiellement, sur les... les informations qui nous viennent du sondage de la FMSQ, où effectivement 48 % des médecins assimilent la sédation palliative à l'euthanasie.

M. Reid: ...en fait, mutatis mutandis, avec les sondages dans la population en disant que la population doit avoir... doit avoir... Je...

M. Lajoie (Jean-François): Bien... C'est... On n'a pas...On n'a... Je veux dire, la question n'est pas posée de cette façon-là dans les sondages qui touchent la population. Mais, moi, je crois que les gens interprètent la sédation palliative... mais je n'ai pas de données réelles là-dessus.

M. Reid: ...pour nous les données sont importantes, parce que, nous, on absorbe tout ça, là, comme des enfants qui absorbent, là, puis ensuite il va falloir qu'on arrive à se faire une idée.

M. Lajoie (Jean-François): Encore là... encore là, il y aurait peut-être, effectivement, une...

M. Reid: ..du travail à faire, là.

M. Lajoie (Jean-François): ...oui, une approche

M. Reid: ...pour mieux comprendre.

M. Lajoie (Jean-François): ...pour définir clairement les termes et s'assurer qu'on parle bien d'un chat avec un chat et...

Le Président (M. Kelley): Deux docteurs, Dallaire et Chevalier, qui ont des compléments de réponse, alors... Dre Dallaire?

Mme Dallaire (Michelle): Je voudrais vérifier votre question. Est-ce que c'est... vous vous demandez si effectivement la sédation palliative, c'est clair que ce n'est pas de l'euthanasie? Est-ce que c'est clair pour vous?

M. Reid: Non, ce que je voulais savoir, c'est... Ce que je voulais savoir pour notre bénéfice à tous, c'est que vous dites, ici, une opinion, enfin, vous avez dit une affirmation comme quoi les gens ne verraient pas ça de la même façon s'il y avait une meilleure information.

Je voulais savoir: Est-ce que ces données, est-ce c'est basé sur des faits? Parce que nous, les faits, on les veut, on les mange, on en reçoit beaucoup et on en veut encore plus pour être capables de se faire une idée là-dessus. C'est... c'était ça le sens de ma question réelle. Je voulais juste vérifier que ça voulait dire qu'effectivement, pour vous, il y aurait moins de monde en faveur s'il était mieux informé, c'est ce que j'avais cru comprendre. La vraie question c'était: Avez-vous des données pour nous? Vous dites: Il y aurait du travail à faire, vous êtes d'accord qu'il y aurait du travail à faire, mais on n'a pas de données là-dessus. C'est ce que je comprends.

Le Président (M. Kelley): Dre Chevalier aussi ou...

**(21 h 20)**

Mme Chevalier (Manon): En fait, moi, je pense qu'effectivement...

Le Président (M. Kelley): Et Dr Gobeil.

Mme Chevalier (Manon): Effectivement, je pense que, si la communauté médicale et paramédicale a de la difficulté avec les termes, on peut présumer que la population néophyte en a encore bien davantage.

Et je pense que les gens, par exemple, je vais vous donner un exemple. Quand on parle de cessation de traitement, et ça, comme le disait Dr Lajoie, on en fait couramment, là, dans notre profession de la cessation de traitement. J'étais de garde en fin de semaine et j'en ai fait deux. Mais, quand on présente ça aux familles, il arrive que certaines familles assimilent ça à de l'euthanasie, hein, et ils nous demandent si on est en train de procéder à de l'euthanasie. Et il faut expliquer qu'en fait on est dans un contexte...

Alors, moi, je ne crois pas que c'est si bien compris que ça dans la population lorsqu'on demande aux gens: Êtes-vous favorables, oui ou non, à l'euthanasie?

M. Reid: ...des sondages, on en a souvent, puis il faut juste faire très attention. Puis aussi, dans le domaine des sciences sociales, là, j'ai déjà fait, dans une autre vie, un peu de ça, alors il faut faire très attention à l'interprétation.

Puis c'est pour ça que les faits sont si importants, parce que, par exemple, je vais donner un cas: il y a peut-être des gens dans la population... Moi, j'ai rencontré des gens, ma mère notamment, qui me disaient qu'il y avait beaucoup de personnes qu'ils connaissaient dans leur milieu qui ramassaient des pilules, des gens âgés, des aînés qui ramassaient des pilules, parce qu'ils voulaient être sûrs qu'à un moment donné ils ne seraient pas à la merci de l'un ou de l'autre et puis qu'ils voulaient décider eux-mêmes qu'ils partiraient quand ils partiraient. On est loin, là, d'un soutien intéressant, là, O.K., mais à quelque part, c'est de l'euthanasie, puis ils savent ce que ça veut dire, là, ces gens-là.

Donc, il faut faire attention un petit peu de l'interprétation, puis je voulais juste vous dire ça, parce que les données sont tellement importantes pour être capables de se faire une idée, les opinions aussi. Donc, votre opinion, on la reçoit, bien sûr, puis vous avez une opinion éclairée; ça, c'est intéressant aussi. Mais les données... Ma question était les données, parce qu'on a soif de données, même si on en reçoit beaucoup, là; je pense que tout le monde de la commission peut en témoigner.

Ma deuxième question, elle est plus... elle est peut-être plus embêtante un peu, là, dans le sens que, moi, honnêtement, vous êtes le troisième groupe ou personne que j'entends faire la comparaison avec les... des... des... soit des enfants ou des gens qui sont incapables de donner le consentement, et je parle de la page 5, votre deuxième paragraphe, et on dit: «De plus, des changements législatifs qui introduiraient le droit, même étroitement balisé, à l'euthanasie -- et c'est là-dessus qu'on va essayer de se prononcer, nous, là -- ne toucheraient que les personnes lucides, aptes à donner leur consentement à un acte d'aide à la mort. Qu'en est-il est des autres qui, pour toutes sortes de raisons liées à leur état physique ou mental, ne peuvent donner librement un tellement consentement? Qu'en est-il des nouveau-nés très prématurés dont le pronostic est sombre? Ou ceux qui sont atteints de graves [maladies] congénitales? Ne risquerait-on pas de [donner... de] créer, dans les faits, deux catégories de malades: ceux qui ont accès à des services médicaux d'euthanasie avec leur plein consentement et ceux qui n'y ont pas accès», parce qu'ils ne peuvent pas donner un plein consentement?

Moi, c'est la troisième fois que j'entends ça, puis j'ai un malaise avec ça. Je me demande... C'est parce que j'ai l'impression que c'est peut-être un faux débat ou le débat n'est pas là. Je vais vous dire pourquoi: Moi, je suis un baby-boomer... Je ne dis pas que je suis un baby-boomer et fier de l'être, ce n'est pas ça que je suis en train de dire. Je suis un baby-boomer, je ne suis pas malheureux d'être un baby-boomer, mais je suis né dans l'après-guerre, et beaucoup de monde qui sont nés en même temps que moi ou après moi ont entendu et ont compris l'euthanasie comme étant essentiellement liée... et l'image qu'on avait, c'est le jardinier nazi qui, lui, décide de quelles sont les plantes qui sont bonnes et il en enlève et, passé un certain âge, tu peux les enlever. Ceux qui sont malades ou congénitalement, il décide qu'il peut les enlever. Les prématurés, tu les enlèves. Tu ne gardes que le bon grain, là. O.K. Et ça, c'était à proscrire, et on est restés avec cette image-là. En tout cas, les gens de mon âge beaucoup, là, on est restés avec cette image-là.

Et plus récemment, on parle d'euthanasie. Moi, j'ai été très surpris, au début, d'entendre que l'euthanasie avait quelque chose de positif. même si pourtant, quand on regarde après coup, même l'origine, c'est positif. Et là, à mon avis, la... quand on amène, dans cette discussion-là et dans ce débat-là, la question... les questions de savoir si... qu'est-ce qu'on fait avec, disons, comme le jardinier nazi, là, c'est un peu de dire: Bon, bien, si on pense qu'il y a un nouveau-né prématuré, un pas grand-chose, on va activement l'empêcher de vivre, tu sais, alors qu'on ne fait pas ça aujourd'hui. Donc, cette question-là, à mon avis, ne s'est jamais posée. Ça, c'est de l'euthanasie à proscrire depuis toujours. Enfin, dans mon sens à moi, en tout cas, ce n'est pas le sens et l'objet du débat de notre commission. Même chose avec ceux qui ne sont pas en mesure de donner un consentement lucide.

Donc, il me semble, à moi, que, le débat, il est essentiellement sur une porte qui pourrait s'ouvrir essentiellement pour des gens qui auraient -- et là il y a tout un ensemble, bien, d'encadrements qu'il faut se demander si, oui ou non, avec un encadrement, ça fonctionnerait et lequel serait-il -- mais c'est seulement cette petite porte là qui, me paraît-il, moi, peut s'ouvrir quand on parle d'euthanasie aujourd'hui, là, dans notre commission. Et de... et de... d'amener quelque chose qui peut, disons, ressembler à un débat, deux catégories de citoyens où là... à mon avis, pour ceux qui ne peuvent pas donner le consentement, c'est quelque chose... En partant, on n'est pas des nazis, on ne va pas commencer à décider qu'il y en a qui ont...

Le Président (M. Kelley): ...M. le député, parce qu'il faut laisser le temps pour les témoins à répondre à votre interrogation.

M. Reid: Oui, excusez. Mais je voudrais, je voudrais juste que vous réagissiez à ça, parce que ça tombe sur vous, vous êtes le troisième groupe qui fait ça, donc je...

M. Lajoie (Jean-François): Je pense que, la question de l'aptitude, elle est centrale dans ce débat-là, en effet. C'est sûr que de... de... de... J'écoutais un peu les débats hier, et puis on parlait effectivement aussi, à un moment donné, de consentement substitué au... tu sais, là par un tiers, la famille, tout ça. Vous avez raison que ce serait extrêmement délicat, là, tu sais, même si ça faisait l'objet de directives préalables, ou tout ça, là, tu sais. On a à travailler avec ça, là, les directives préalables, et la majorité des directives préalables tiennent compte du fait que les gens ne veulent pas subir d'acharnement thérapeutique puis ne veulent pas subir de traitements qui pourraient les maintenir de façon excessive en vie, s'ils n'ont aucun avenir, etc. Ça, je pense que c'est clair, ça. Ça, c'est tout à fait clair.

S'il y a effectivement une petite place et pour des situations bien, bien précises... et c'est là que... Est-ce que pour une situation bien, bien précise, bien, bien circonscrite, on va offrir des services comme ceux-là qui... tu sais, là, c'est notre point de vue, tu sais: un remède universel pour une situation exceptionnelle. Et puis, après ça, bien là, est-ce que... c'est le risque du glissement dans le fond, c'est le risque de la pente glissante. On a commencé par quelque chose qui était prévu pour le malade qui est apte, qui souffre d'une maladie irréversible, dégénérative, incurable, qui a un décès annoncé très rapidement, dont l'évolution est claire sur quelques mois, comme c'est fait dans les autres juridictions aux Pays-Bas ou ailleurs. Puis on part de ça, mais on parle de soins de longue durée, on parle de nos vieillards, on parle des personnes atteintes de maladie d'Alzheimer qui progressent sous nos yeux, qui deviennent de moins en moins capables, tu sais, là, qui sont dépendants de plus en plus. Là c'est là que le risque de la pente glissante arrive.

Et tantôt Dre Chevalier parlait des demandes de la famille. Je pense que ça nous amène aussi à parler quelque chose qu'on voulait aborder avec vous aussi, c'est la question des aidants naturels. Je pense qu'au Québec, si on a eu l'occasion d'entendre des personnes qui agissent comme aidants naturels et de voir leurs difficultés d'obtenir des services... et ça, je pense que ces gens-là ont besoin d'être supportés aussi quand ils s'occupent d'une personne malade puis quand ils s'occupent d'un vieillard qui est en perte d'autonomie. Alors, si on s'adresse à ces situations-là, bien, en tout cas, on évite certainement plus d'avoir recours à des solutions qui sont des solutions finales. Vous me suivez?

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes. Il vous reste huit minutes.

M. Charette: ...je vous avoue d'emblée, je suis mystifié et j'ai besoin de votre éclairage. Vous représentez les omnipraticiens, vous représentez les médecins spécialistes, les résidents, les étudiants en médecine. Nous avons rencontré hier et échangé hier avec les représentants des fédérations respectives de ces différentes catégories de médecin là. Donc, vous représentez de façon globale ce qu'eux représentent de façon spécifique.

Comment peut-on, dans les circonstances, arriver à des constats aussi différents? La Fédération des médecins spécialistes y est allée de sondages étoffés, la même chose au niveau du Collège des médecins. Donc, je suis tout simplement mystifié: Comment en êtes-vous arrivés à des constats différents? Est-ce que vous avez vous-mêmes sondé vos gens? Est-ce que vous avez un comité de direction qui a pu valider les différents questionnements qui sont dans votre mémoire?

Le Président (M. Kelley): Dr Lajoie.

M. Lajoie (Jean-François): En effet, lorsque cette consultation-là a été mise en place, lorsque le Collège a interpellé les différentes organisations, on a su d'emblée que les fédérations iraient dans la direction des sondages, d'utiliser un sondage d'opinion que j'ai participé... auquel j'ai participé en ma qualité de médecin spécialiste et membre de la FMSQ.

Nous, on a décidé évidemment, comme les fédérations allaient dans cette voie-là, qu'on n'essaierait pas de répéter l'histoire ou de faire ça différemment. De toute façon, on se retrouvait dans une situation où on aurait un échantillonnage qui serait... qui serait plus ou moins le même. Alors, on est allé plus au niveau de nos structures internes, donc notre conseil d'administration, notre comité d'affaires professionnelles, nos instances... directeurs, si on peut dire. Et on a eu des débats sur cette question-là.

Et on a aussi, si vous voulez, en notre qualité de médecins en exercice, écouté, parlé avec les gens sur le terrain. Et puis voilà, c'est le fruit de nos... Et, oui, on me rappelle qu'à la suite de nos discussions, on a soumis notre rapport à l'ensemble de nos membres, qui nous ont retourné des réponses par courriel.

**(21 h 30)**

M. Charette: Avec un taux de réponse assez... conséquent?

M. Lajoie (Jean-François): Un taux de réponse, écoutez, qui ne représente pas l'ensemble des membres, mais avec un taux de réponse qui nous confortait dans l'établissement de notre position.

M. Charette: Autre question. Au niveau des définitions, dans votre mémoire, on peut lire également que, si les notions étaient clairement définies, peut-être que l'appui au concept d'euthanasie diminuerait, ou du moins peut-être que la perception de la population serait différente. On a eu le plaisir ce matin -- peut-être l'avez-vous entendue -- d'entendre Mme Marcoux, une chercheure au Département de psychologie de l'UQAM, qui disait qu'à une question fort claire, à savoir l'euthanasie comme concept voulant qu'il y ait injection donnant la mort, qu'il y avait tout de même 70 % de la population qui serait en accord avec ce concept-là. Donc, la définition semble claire, d'une part, l'appui dans la population semble aussi notable, il reste à valider. Les consultations générales nous permettront certainement de valider ça, mais il semble déjà y avoir une tendance.

Donc, comment vous pensez que la définition ou la perception de la définition n'est pas bonne? Et comment aussi peut-être opposer, comme vous semblez le faire, soins palliatifs versus euthanasie volontaire?

Les groupes qui vous ont précédé ont présenté ces deux concepts-là comme étant un continuum nullement contradictoire, réellement un continuum de services et surtout un continuum qui est très complémentaire. Donc, pourquoi les opposer? Pourquoi penser que la définition d'euthanasie est mal assimilée au sein de la population, sinon au sein même des différents membres de votre association?

Le Président (M. Kelley): Dr Lajoie, et, je pense, Dr Gobeil a un complément de réponse aussi. Dr Lajoie.

M. Lajoie (Jean-François): Notre propos n'était pas du tout d'opposer les deux, certainement pas. Ça, je pense que ce n'était pas là notre intention du tout. Je pense que... Écoutez, les sondages dans la population... Je n'ai pas vu exactement, là, l'ensemble du questionnaire qui a été envoyé, là, pour qu'on dise que 70 % de la population était d'accord, mais je peux vous dire que le sondage de la FMSQ, je pense qu'il parle de lui-même: quand 50 % des médecins spécialistes assimilent la sédation palliative à l'euthanasie, je pense que ça, c'est assez clair, là. Donc, Dr Gobeil.

Le Président (M. Kelley): Dr Gobeil.

M. Gobeil (François): Oui. Peut-être juste un commentaire par rapport à juste vos propos, là, antérieurs, pas le dernier que vous venez de donner.

On ne se situe pas nécessairement aussi loin des deux fédérations et de leurs positions, c'est probablement juste dans la façon et dans la position, vraiment, que, nous, on prend. On a eu, oui, le feed-back et ce que vous a donné le Dr Lajoie pour prendre cette position-là, également celle de ceux à qui on fait affaire, qui est l'Association médicale canadienne. Mais, également, c'est que, nous, notre approche est différente. Ce que l'on fait, c'est que, plutôt que de commencer par le traitement, on commence par le questionnaire, parler le même langage, on suit par l'évaluation sur le terrain ce que ça a l'air, qu'est-ce qui se fait déjà. On a d'excellents modèles qui sont les soins palliatifs et où on voit s'il y a quelque chose de positif dans ça, puisque les demandes d'euthanasie en soins palliatifs sont rares à même les gens qui sont quotidiennement là.

Alors, tout simplement, ce qu'on fait, c'est qu'on part de: Parlons le même langage, arrivons à voir ce qui se passe sur le terrain et voir ce qu'il y aurait à être modifié, et, si éventuellement, une fois qu'on a fait les ajustements et les modifications pour ce qui ne fonctionne pas, l'euthanasie devient un choix à prendre et à considérer, là, à ce moment-là, on sera rendu là. Alors, tout ce qu'on dit, c'est que peut-être qu'on saute une étape, peut-être qu'on va arriver à la fin puis dire: Bien, on a validé ce qui se passe, on s'est ajustés aux lacunes, et puis woups, cette option-là devient quelque chose de vraiment à envisager.

Alors, nous, ce qu'on dit simplement: ce n'est probablement pas la première chose à penser, certainement pas pour compenser des lacunes de système ou des pénuries, soit financières ou de personnel.

M. Charette: Dernière question pour ma part...

Le Président (M. Kelley): Courte, courte.

M. Charette: ...très brève, et je l'ai posée à la personne qui vous a précédés, Mme Chamberland, voilà.

Tout ce qui est accompagnement psychosocial, elle-même nous disait ne pas pouvoir y répondre directement, compte tenu de son absence d'expérience terrain. Qu'en est-il de la vôtre? Quelle est la relation que vous pouvez établir justement avec les travailleuses sociales, les travailleurs sociaux qui sont présents dans les établissements? Quel est le rôle de ces personnes-là, que ce soit comme médiatrices, comme interlocuteurs, que ce soit comme intermédiaires? Quelle est la place de ce professionnel ou de cette professionnelle-là dans l'équipe médicale que vous composez, notamment?

Le Président (M. Kelley): Dr Lajoie.

M. Lajoie (Jean-François): Bien, écoutez, c'est une personne très utile, c'est un professionnel extrêmement important, là, dans l'équation. C'est des gens qui nous aident à établir des contacts avec l'ensemble de la famille, les intervenants qui sont autour des malades, et c'est souvent des personnes qui vont nous permettre d'aller chercher des informations qui sont périphériques à la condition médicale, donc au-delà de la condition médicale, toute la condition sociale, tout ça. Donc, c'est des personnes avec qui on travaille à tous les jours, là, certainement. En particulier, là, quand il s'agit des patients, des personnes âgées, ils nous aident énormément.

Le Président (M. Kelley): Et, Dr Gobeil, un mot de la fin.

M. Gobeil (François): Oui. En fait, je vous donnerai l'exemple peut-être dans... La présence d'un travailleur social fait partie des critères pour reconnaître un centre tertiaire de gestion de douleur dans le sens où justement, lorsqu'on a à traiter de la douleur chronique, qu'elle soit dans un contexte palliatif ou dans un contexte non palliatif ou prépalliatif, si on veut, le travailleur social est un élément excessivement important qui crée le lien, si on veut, entre la famille et le reste des membres de l'équipe. Alors, dans un centre tertiaire, effectivement, le travailleur social se doit d'être là et fait partie, là, des membres de l'équipe multidisciplinaire.

Le Président (M. Kelley): Quelques commentaires, Dr Lajoie, très rapidement.

M. Lajoie (Jean-François): Oui. En fait, ce que je voudrais dire en guise de conclusion, c'est que, nous, on souhaitait qu'on s'attarde un petit peu plus à ce qui se passe en amont avant d'arriver au fond de la vallée, puis de dire qu'on doit, tu sais, là, nécessairement s'engager dans cette voie-là, qui est peut-être effectivement une voie qu'on doit examiner de près. On doit regarder en amont et regarder l'ensemble des situations, l'ensemble des ressources qui sont à notre disponibilité. Et c'est ça, l'essentiel de notre propos.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour ce mot de la fin, Dr Lajoie. C'est un petit peu l'esprit de la motion: qu'on n'a pas limité ça à la question de l'euthanasie, mais la façon que la motion de l'Assemblée nationale était formulée, c'est effectivement d'essayer de provoquer un débat plus large sur l'ensemble de ces questions.

Alors, merci beaucoup pour votre disponibilité. Toujours moi qui dois couper le dialogue, mais il y a des horaires à respecter.

Alors, sur ça, j'ajourne nos travaux à demain matin, le 17 février, après les affaires courantes, soit vers 11 heures, plus ou moins, dans cette même salle, afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur la question du droit de mourir dans la dignité. Merci beaucoup, Bonsoir.

(Fin de la séance à 21 h 38)

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