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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le jeudi 4 juin 1998 - Vol. 35 N° 27

Consultations particulières sur le projet de loi n° 405 - Loi favorisant la protection des eaux souterraines


Étude détaillée du projet de loi n° 405 - Loi favorisant la protection des eaux souterraines


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Table des matières

Consultations particulières sur le projet de loi n° 405 – Loi favorisant la protection des eaux souterraines

Étude détaillée du projet de loi n° 405 – Loi favorisant la protection des eaux souterraines


Autres intervenants
M. Claude Lachance, président
M. Michel Rivard
Mme Hélène Robert
M. Gabriel-Yvan Gagnon
M. Denis Chalifoux
M. Réjean Lafrenière
* M. Michel A. Bouchard, APGGQ
* M. Martin Poulin, idem
* M. Alain Liard, idem
* Mme Louise Vandelac, Coalition Eau Secours!
* Mme Monique Desnommée, idem
* M. Gilles Doyon, AESQ
* M. Donat Bilodeau, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Onze heures vingt-neuf minutes)

Le Président (M. Lachance): À l'ordre! Je déclare la séance ouverte. La commission des transports et de l'environnement reprend ce matin ses travaux avec le mandat de procéder à des consultations particulières sur le projet de loi n° 405, Loi favorisant la protection des eaux souterraines.

Est-ce qu'il y a des remplacements, Mme la secrétaire?

(11 h 30)

La Secrétaire: Oui. M. Sirros (Laurier-Dorion) remplace M. Brodeur (Shefford).


Consultations particulières sur le projet de loi n° 405

Le Président (M. Lachance): Merci. Alors, cet avant-midi, on va entendre deux groupes: l'Association des géologues et des géophysiciens du Québec, d'abord; ensuite, la Coalition Eau Secours!


Auditions

J'inviterais les représentants de l'Association des géologues et des géophysiciens du Québec à bien vouloir prendre place. Alors, si vous voulez vous identifier ainsi que les personnes qui vous accompagnent. Vous aurez, comme prévu dans les règles, 15 minutes de présentation et, par la suite, chacun des groupes parlementaires aura 15 minutes pour échanger avec vous.


Association professionnelle des géologues et des géophysiciens du Québec (APGGQ)

M. Bouchard (Michel A.): Oui, M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les membres de la commission, mesdames et messieurs. D'abord, mon nom est Michel Bouchard. Je suis président de l'Association. Je suis accompagné, à ma droite immédiate, de M. Martin Poulin, qui est le président du comité consultatif de l'environnement de l'Association des géologues et des géophysiciens, ainsi que, à mon extrême droite, de M. Alain Liard, qui est membre de ce comité.

Alors, l'Association des géologues et des géophysiciens, c'est une association professionnelle qui est vieille de 30 ans au Québec et qui regroupe plus de 500 experts des sciences de la terre, et en particulier donc des géologues, des géophysiciens, ainsi que des hydrogéologues. Des hydrogéologues, ce sont les experts scientifiques immédiatement concernés par l'ensemble des questions qui touchent les eaux souterraines, leur composition, leur circulation, la gestion, leur «renouvelabilité», ainsi de suite, et leur protection. Des hydrogéologues, c'est formé dans les facultés de sciences et de génie du Québec, à l'Université Laval, à l'Université du Québec à Chicoutimi, à McGill, à l'École polytechnique. Alors, les experts scientifiques qui gèrent les eaux souterraines et qui connaissent les questions des eaux souterraines sont regroupés dans l'Association professionnelle.

Depuis 1991, l'Office des professions a recommandé que l'Association devienne la Corporation professionnelle des géologues agréés du Québec à des fins de protection du public, et c'est ce qui nous amène à intervenir dans le débat sur la question des eaux souterraines, à la fois comme experts et par souci de la protection du public, à la fois de ses droits et de la santé, ainsi que de la ressource.

L'Association des géologues concourt tout à fait à l'objectif du gouvernement de protéger et de favoriser la protection des eaux souterraines. Cependant, nous ne croyons pas que le moratoire actuel soit le moyen le plus approprié pour le faire. Nous recommandons de retirer le projet de loi n° 405 et d'activer le projet de politique de protection et de conservation des eaux souterraines préparé par le ministère de l'Environnement et de la Faune en avril 1996 et de le soumettre à un débat public.

Le mémoire sera présenté par M. Poulin et il portera strictement sur la question de l'à-propos de décréter un moratoire sur l'exploitation ou l'embouteillage des eaux. Alors, je cède la parole à M. Poulin.

M. Poulin (Martin): Le mémoire de l'APGGQ a été divisé en cinq points principaux. Nous avons présenté ce matin un petit document qui résume notre document écrit, ici, qui a été présenté la semaine dernière. Les cinq points principaux qu'on retrouve sur notre document de présentation sont: d'abord, pourquoi l'APGGQ présente ce mémoire – M. Bouchard vient de le dire. Je commencerai d'abord à parler de quelques chiffres pour mettre en perspective la question des eaux embouteillées au Québec.

Le mémoire, aussi, aborde un point qui concerne l'appartenance de l'eau souterraine et fait un aperçu historique sur l'idée d'un moratoire concernant les usages de cette ressource. Je ne présenterai pas ça ce matin oralement parce que, en 15 minutes, je n'aurai pas le temps. Je vais plutôt aller au quatrième point qui sera un point qui concerne comment favoriser véritablement la protection des eaux souterraines, et les mesures à prendre pour favoriser la protection des eaux souterraines.

D'abord, une mise au point sur les chiffres, les volumes d'eau souterraine qui sont disponibles dans le territoire habité du Québec. Vous trouverez cette information-là à la page 4 qui illustre, sous forme de cycle naturel de l'eau, qu'il y a environ 10 % des précipitations qui s'infiltrent dans les nappes. Ceci équivaut à une capacité de renouvellement annuel de 20 000 milliards de litres. Ces eaux-là s'infiltrent dans des nappes, dans des nappes captives ou des nappes phréatiques, pour s'écouler éventuellement vers l'océan. Une partie est utilisée par la population pour ses besoins domestiques. Cette partie-là équivaut – dans les pages suivantes – à 240 milliards de litres, c'est-à-dire, ça concerne environ 54 % de l'eau qui est utilisée. J'ai mis également tout ce qui est consommé par les piscicultures, par l'élevage et l'irrigation, les industries et les eaux embouteillées. Les eaux embouteillées consomment un total de 0,36 milliard de litres par an; ça équivaut environ à 0,08 % de l'eau souterraine totale qui est pompée au Québec annuellement.

À la page 7, c'est pour mettre en perspective que l'eau embouteillée au Québec, elle est captée de 29 points, de 29 sources qui sont des puits. Le total d'eau qui est prélevé est de 12 litres-seconde, pour un total de 360 000 000 l par an. Ce chiffre-là est inférieur à ce qu'un seul puits – pour donner des exemples imagés – peut utiliser dans une distillerie pour refroidir des procédés pour fabriquer de l'alcool. L'ensemble de tous les puits pompés pour l'eau embouteillée est inférieur à l'eau qui pourrait être utilisée dans une raffinerie pour refroidir les mécanismes de production de produits chimiques. C'est inférieur à ce qu'un seul puits peut pomper pour arroser un terrain de golf. C'est inférieur à un seul puits utilisé dans une pisciculture. Et c'est également inférieur à ce qu'un seul puits pourrait utiliser pour climatiser un hôtel. C'est aussi inférieur à plusieurs puits utilisés au Québec dans des villes qui utilisent l'eau souterraine comme source d'eau potable.

Sur les pages suivantes, je veux mettre en perspective l'endroit où se trouve ce qu'on appelle les aquifères au Québec. Les aquifères sont des formations dans lesquelles l'eau est emmagasinée et l'eau s'écoule. Il y a deux types d'aquifères: il y a des aquifères de dépôts meubles et des aquifères de roc. Et on constate, sur cette figure qui est une compilation modifiée des documents qui sont disponibles sur la ressource en eau, que les aquifères principaux se trouvent le long du fleuve Saint-Laurent et dans la vallée du Saint-Laurent, également en Abitibi, et près du lac Saint-Jean, et en Gaspésie. À la page 9, on localise ces aquifères-là qui sont présents dans le roc.

À la page 10, il y a une carte qui donne des débits potentiels ponctuels qui peuvent être prélevés dans nos aquifères. On constate que, en raison de la disponibilité de cette eau concentrée dans la vallée du Saint-Laurent, naturellement les puits d'eau embouteillée se concentrent là où il y a de l'eau disponible et là où toute l'eau est utilisée au Québec.

On a dit souvent qu'il y avait une insuffisance de données sur la ressource en eau. D'après nous, d'après moi, d'après mon expérience, il n'y a pas d'insuffisance de données sur les ressources en eau. Il y a plutôt une insuffisance de rendre publiques les données qui sont disponibles. Cette eau est utilisée par plus de 20 % de la population. Il y a un ensemble de données qui ont été accumulées depuis 50 ans, pas nécessairement tout disponible au gouvernement, mais disponible dans le domaine privé, dans le domaine industriel et dans d'autres secteurs d'activité.

Je passe maintenant aux deux derniers points qui se trouvent à la page 15, qui sont les points qui concernent comment favoriser véritablement la protection des eaux souterraines. Les autres points concernant l'historique et la question de l'appartenance de l'eau souterraine discutés au point 3 peuvent être consultés dans le mémoire écrit.

(11 h 40)

Au point de la page 15, pour favoriser véritablement la protection des eaux souterraines, on sait que l'industrie de l'eau embouteillée est déjà réglementée par une loi dont les mesures très limitatives restreignent tout nouveau captage a des aires qui sont naturellement protégées et pour lesquelles la capacité de production doit être établie par des études hydrogéologiques détaillées. On a un bref historique depuis que la réglementation est en vigueur. Il y a des centaines de demandes par année, mais il y en a environ 10 à 20 qui sont retenues. Il y a une fraction de celles-ci, des fois de zéro à cinq par année, qui sont acceptées. Il n'existe aucune loi pour les autres formes d'exploitation des eaux souterraines telles que le drainage, la pisciculture, l'irrigation, l'eau pour les industries, le refroidissement commercial, les pompes à chaleur, etc., utilisées pour un autre usage que l'embouteillage.

Donc, décréter un moratoire à l'échelle du territoire tout entier parce qu'il y a une inquiétude dans certains milieux ou parce que certains projets sont contestés, ce n'est pas favoriser la protection de la ressource, c'est plutôt, tout au contraire, alimenter la méfiance de la population à l'égard d'une ressource qui est abondante, de qualité et qui mériterait une plus grande reconnaissance.

Sur les 250 000 puits qui existent au Québec, les problèmes de qualité sont ponctuels. Je décris ici, à la page 17, en perspective, que, sur l'ensemble des puits, les problèmes principaux sont des problèmes bactériologiques et non des problèmes chimiques. L'exploitation des eaux souterraines pour l'embouteillage d'eau ne constitue pas une problématique nationale pouvant affecter la qualité de l'eau souterraine. Il n'y a donc aucune raison technique ni scientifique qui justifie ce projet de loi.

D'après nous, les vraies mesures à prendre pour favoriser la protection des eaux souterraines, c'est d'activer le projet de politique de protection et de conservation des eaux souterraines préparé par le ministère de l'Environnement et de la Faune en avril 1996. Ce projet de politique qui traite d'une approche globale de gestion des eaux souterraines devrait être soumis à un débat public.

D'ici à ce qu'une loi concernant la problématique globale des eaux souterraines ait été mise en place, il existe actuellement des outils législatifs et réglementaires suffisants pour protéger le public sur les captages d'eau à des fins de commercialisation dans des bouteilles ou dans des contenants. Il y a d'abord la Loi sur les produits agricoles, les produits marins et les aliments. Dans mon mémoire, ces lois-là sont numérotées et sont décrites. Il y a la Loi sur la qualité de l'environnement, le Règlement sur les eaux embouteillées. Associé à ces lois-là et à ces règlements, il y a le guide d'application pour l'examen des projets de captage d'eau commerciale. Il y a donc actuellement dans la législation suffisamment d'outils disponibles au législateur pour répondre aux problèmes possibles. C'est pourquoi nous ne recommandons pas que le projet de loi n° 405 soit soumis à l'Assemblée nationale, et qu'il soit retiré.

Pour conclure, mon collègue va aborder nos conclusions d'une façon différente.

M. Liard (Alain): Peut-être, en concluant. Si on regarde quels seraient les motifs de l'adoption d'une loi par le législateur, une question qui peut se poser: Est-ce qu'il y a un vide juridique? Non, il n'y en a pas. Les captages d'eau souterraine pour embouteillage sont très encadrés au Québec. Est-ce qu'il y a une situation d'urgence? Non. Je crois que les données que nous avons présentées dans notre mémoire et qui sont disponibles au public montrent qu'il n'y a pas d'urgence. Est-ce que le projet de moratoire est d'utilité publique? Nous ne croyons pas qu'il ait une utilité publique. C'est pourquoi, encore là, je réitère notre recommandation de retirer le projet de loi n° 405 et d'activer le projet de politique de protection et de conservation des eaux souterraines qui a été préparé par le ministère de l'Environnement en 1996. Merci.

Le Président (M. Lachance): Merci. M. le ministre.

M. Bégin: Merci, M. le Président. Merci, messieurs, de votre présentation, de votre mémoire. Vous avez insisté, et je pense que c'est correct de le faire, sur le fait qu'il y a une quantité d'eau souterraine disponible suffisante et une qualité d'eau souterraine suffisante, et je pense que personne à date ne conteste ces règles, ou la plupart. Moi-même, j'avais mentionné que la quantité d'eau souterraine utilisée par les embouteilleurs, entre autres, représentait 0,008 %, ce qui veut dire que c'est un montant très, très, très petit. Je pense que, là-dessus, tout le monde s'entend, il n'y a pas de problème.

Cependant, vous nous dites également qu'il y a des outils actuellement suffisamment importants pour être capable de gérer adéquatement cette ressource. Malgré cela, je pense que vous avez été au courant, certainement, des événements qui se sont produits à Franklin, à Saint-André, à Lochaber, qui ne sont certainement pas des façons, je dirais, standards de gérer les événements ou de gérer le fonctionnement d'une ressource. Vous êtes sans doute au courant qu'il y a eu un symposium sur la politique de l'eau, au mois de décembre, et que le gouvernement entend procéder à une consultation publique sur cette future politique de l'eau.

Alors, est-ce que vous ne croyez pas que, dans le cadre des débats qui ont eu lieu justement à Franklin, à Saint-André et à Lochaber et compte tenu que nous sommes à élaborer une politique qui sera basée sur une vaste consultation publique, il est opportun de faire en sorte que les choses puissent se faire correctement et qu'on n'assiste pas à des débats qui ne sont pas des débats simplement de dire: Nous ne sommes pas d'accord, mais des débats qui tournent à autre chose et certainement pas quelque chose qu'on aime à voir dans une société ou comme on en a connu là-bas? Est-ce que vous ne croyez pas que ceci justifie qu'on ait, pendant le temps requis pour prendre nos décisions, une relative tranquillité et que les choses puissent se faire sereinement?

M. Poulin (Martin): Nous croyons personnellement qu'au lieu d'arrêter ce débat... faire un moratoire, ça l'alimente plutôt, ça augmente la méfiance de la population face à l'eau souterraine. Les deux cas dont vous parlez, ou les trois cas, ce sont des cas particuliers et, avec le projet de loi que vous avez là, vous traitez par le général des cas particuliers, et ces cas particuliers là sont, d'après nous, solvables, «résolvables» par les outils qui sont disponibles au gouvernement. D'abord, il y a des études qui ont été faites, et ces études-là peuvent mener à une entente sur les débits qui pourraient être extraits de ces endroits-là de façon sécuritaire. Et, au lieu de mettre une loi qui va contingenter tous les autres utilisateurs, tous les autres exploiteurs d'eau embouteillée au Québec, pour régler le cas particulier de trois endroits, ça ne nous apparaît pas comme étant une méthode appropriée.

M. Bégin: Alors, je comprends que vous...

M. Poulin (Martin): Il existe aussi... on a mentionné que, dans le projet de règlement sur les eaux souterraines, il y a des addendums sur les conflits d'usages. Toute la documentation très technique aurait permis au ministère de l'Environnement, aux gens qui sont responsables de ça de contrôler sur le site, soit à Franklin, soit à Saint-André ou soit ailleurs, l'exploitation de l'eau souterraine pour des usages d'eau embouteillée. Techniquement, ils ont les outils techniques en main. Cet addendum-là décrit ce que ça demande et quelles seraient les restrictions dans tel cas. Mais ce qui est arrivé dans les cas dont on parle, c'est qu'ils ont été pris en charge par les médias, et les techniciens n'ont pas eu le temps de réagir.

M. Bégin: Mais c'est une réalité, quand même. Une fois que les médias les ont pris en main, nous sommes en présence d'une situation qui existe. Et je vous demanderais comment nous pourrions calmer ces débats qui se sont développés, qui sont devenus acrimonieux – pour ne pas dire plus – dans les milieux. Et, que ce soit ou non animé par les médias, est-ce que vous ne reconnaissez pas qu'ils existaient et qu'ils créaient un climat tout à fait non pertinent pour un débat qu'on pourrait appeler serein?

(11 h 50)

M. Poulin (Martin): Oui, mais c'est justement, c'est pour ça qu'on recommande le projet de politique sur les eaux souterraines, et c'est de remplacer le projet de moratoire par le projet de politique. Alors, le projet de politique, il est encore plus complet que le moratoire. Il va répondre, d'après nous, à toutes les questions que la population peut se poser.

M. Bégin: Alors, vous m'amenez à une autre question que j'ai posée hier à l'UQCN, suite à deux présentations, qui disait, comme vous: Vous devriez mettre en vigueur le règlement qui a fait l'objet de consultations, de même que la politique – et je pense, à moins que je me trompe, que c'est à ça que vous référez – une politique qui a été élaborée par le gouvernement. Et je demandais s'ils jugeaient à propos de mettre en vigueur ce règlement-là, cette politique-là qui veut gérer un aspect important ou même tous les aspects concernant les eaux souterraines, si c'était opportun de le mettre en vigueur au moment où on consultait la population sur ce que nous devrions faire. Et je dois vous dire que leur réponse avait été de dire: Ce n'est pas opportun, ce serait tirer la conclusion avant qu'on ait fait la consultation. Qu'est-ce que vous nous dites à cet argument-là de l'UQCN?

M. Poulin (Martin): Ce qu'on propose, nous, c'est de mettre au débat public ce projet de politique là.

M. Bégin: Pardon? Excusez, je ne vous ai pas compris, là.

M. Poulin (Martin): Ce qu'on recommande, c'est de mettre au débat public ce projet de règlement là, le projet de politique sur les eaux souterraines. Et, entre-temps, il n'est pas nécessaire, d'après nous, de mettre en place un moratoire. On peut utiliser les lois de l'environnement et la loi n° 52 sur les services pour régler les problèmes spécifiques, soit à Franklin ou à Saint-André.

Un autre point, c'est d'informer également la population en répondant à ses inquiétudes par de la documentation technique appropriée et pour replacer les choses dans leur contexte, en ne laissant pas la population sous l'impression que toutes les eaux embouteillées ont les mêmes problèmes que ceux concernés dans les trois cas dont vous avez parlé.

M. Bégin: En fait, ce que vous nous dites, c'est qu'il y a des agriculteurs ou des industries qui prennent beaucoup plus d'eau que les embouteilleurs et ça ne pose pas de problème; pourquoi viser les embouteilleurs?

M. Poulin (Martin): C'est ça. C'est une notion...

M. Bégin: Mais je renverse la proposition: Est-ce que vous avez connu des cas où il y a eu des débats qui ont tourné autour des utilisations faites par d'autres personnes qui ont causé des émois semblables à ceux des embouteilleurs? Je ne dis pas qu'un a raison et l'autre a tort. Mais est-ce que de fait, de facto, vous avez connu des débats ailleurs?

M. Poulin (Martin): Toute la question de l'eau, quand vous travaillez en approvisionnement en eau dans le domaine municipal, ça cause toujours des débats. C'est toujours un débat, d'abord, d'utilisation du terrain, d'utilisation d'un endroit pour passer les aqueducs. Ça amène toujours un débat public. Et il n'y a pas d'endroit que je connais au Québec où l'eau est utilisée par d'autres utilisateurs de façon à enlever l'utilisation de cette ressource-là à une tierce partie. Ils sont très rares, ces cas-là.

M. Bégin: Vous reconnaissez, j'imagine, que, dans le projet de loi, toutes les demandes qui étaient déjà déposées ont continué d'être traitées de la même manière que s'il n'y avait pas de moratoire, que seules les demandes qui sont déposées après la date du dépôt du projet de loi sont touchées et que, par la suite, c'est pendant une période très limitée, c'est-à-dire jusqu'au 1er janvier 1999. Vous êtes au courant de ça, j'imagine?

M. Poulin (Martin): Oui, je suis au courant, puis je suis aussi au courant, pour votre information, qu'on parle beaucoup de Franklin et des cas spécifiques. À Franklin, actuellement, il y a un projet pour de l'eau embouteillée qui est en cours. Il y a un projet, il y a des études qui se font, il y a des forages qui se font, et ce n'est absolument pas publicisé, et ce n'est pas mis dans les médias, et ça suit le cours normal. Et ce projet-là n'a pas besoin d'avoir un moratoire pour le contrôler. Mais le moratoire dit autre chose aussi. Il ne dit pas simplement que c'est d'empêcher tout nouveau captage, il dit de limiter le volume des captages existants. Alors, ça limite l'exploitation des industries actuelles. C'est comme de limiter la production du pétrole dans nos raffineries. On limite la production de ces industries-là par un moratoire. C'est l'article 1 du projet de loi. Ce n'est pas juste un empêchement de nouveaux captages, c'est aussi une limitation des droits... de l'augmentation des captages en place. Et ça, c'est, d'après nous, aussi inéquitable par rapport aux autres utilisateurs d'eau souterraine au Québec.

M. Bégin: Est-ce que je dois comprendre que vous auriez une opinion différente si le moratoire était à l'égard de l'ensemble de ceux et celles qui font du captage des eaux souterraines?

M. Poulin (Martin): Il serait le même. Il serait le même. Il serait encore plus fort si vous faites un moratoire sur l'ensemble des eaux souterraines. Vous auriez un tollé dans ma profession. Pour moi, ce serait inimaginable, simplement inimaginable.

M. Bégin: Pourtant, hier, des gens nous ont demandé plutôt de l'élargir que de le restreindre.

M. Poulin (Martin): Je vais vous donner une comparaison. Est-ce qu'on fait un moratoire sur l'utilisation des eaux de surface? Les eaux de surface qu'on pompe dans nos rivières viennent également des nuages. Les eaux souterraines viennent des nuages. On ne restreint pas le pompage des eaux de surface. On ne doit pas également restreindre le pompage des eaux souterraines, qui sont une ressource renouvelable, et d'autant plus qu'elle est sous-exploitée au Québec. Et on devrait dire qu'elle est sous-exploitée, on devrait favoriser son exploitation, et le moratoire, d'après nous, ne concourt pas à favoriser son exploitation bien gérée.

M. Bégin: Vous pouvez y aller.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Merci beaucoup, M. le Président. M. le Président, je remercie beaucoup l'Association des géologues et des géophysiciens du Québec. Ça transpire de votre mémoire que vous êtes des scientifiques de formation. Vous abordez ça avec un oeil rationnel, bon, et avec des chiffres, avec des mises en contexte où, finalement, vous dites: C'est quoi, cette affaire-là, de moratoire sur le 0,08 %, etc.? Puis le ministre vous répond: Écoutez, là, il y a eu un branle-bas médiatique et donc on procède par moratoire. Est-ce que je pourrais lui suggérer que, si c'est une nouvelle façon de faire du gouvernement, il faudrait avoir un moratoire sur, je ne sais pas, moi, la réforme de l'aide sociale, un moratoire sur la réforme des intermédiaires de marché? Chaque fois, en fait, qu'il y a un débat pendant qu'on essaie de modifier quelque chose qui est substantiel, important pour l'ensemble de la société, il faudrait quasiment avoir un moratoire. Il me semble que ce n'est pas très sérieux comme façon de faire d'un gouvernement et un aveu de faiblesse assez important de la part d'un gouvernement, d'un ministre qui dit: Je ne suis pas capable de faire face à la situation pour trouver des solutions alternatives, pour répondre aux inquiétudes raisonnables, réelles, tout au moins, des citoyens concernés; donc, je prends la voie de la facilité puis je flanque un moratoire qui ne réglera absolument rien, juste pour supposément prétendre que je fais quelque chose, que j'apaise la situation.

Il y a une chose qui m'a frappée. Vous dites que ce n'est pas vrai qu'il manque d'information sur les eaux souterraines, il n'y a pas d'insuffisance de données sur les eaux souterraines au Québec – et vous dites – mais plutôt une insuffisance de rendre publiques les données existantes. Et là je pense qu'on rejoint un peu ce qui alimente les inquiétudes des citoyens concernés dans les projets précis, où les citoyens semblent pris dans une situation où ils n'ont pas la possibilité de vraiment, devant une instance autonome, indépendante et publique, débattre des chiffres et des données que, eux, ils ont vis-à-vis ceux qui sont amenés par les promoteurs. Et une des suggestions qu'on a faites au ministre pour régler, de façon ciblée, le problème assez circonscrit qui est soulevé par les citoyens en question, qui amène le gouvernement à répondre avec une mesure pas du tout ciblée puis complètement, à notre point de vue, à côté de la track, c'était justement, pour des cas précis, de donner un instrument aux citoyens qui leur permettrait d'avoir un débat, une référence à un débat ouvert, devant une institution comme le BAPE par exemple, pour étudier les projets précis, pour contrer ces inquiétudes qui sont amenées devant les médias, et pour permettre peut-être du même coup de rendre accessibles au public les données existantes sur la situation. Comment est-ce que vous verriez ça comme mesure alternative à un moratoire?

(12 heures)

M. Poulin (Martin): Cette question-là est abordée dans le projet de politique et il n'est pas clairement défini quel type de méthode de gestion qui devrait être mis au niveau municipal, au niveau des MRC ou au niveau des bassins. Ce n'est pas défini. Ça devrait faire l'objet d'un débat public et qu'on s'entende sur quel type de gestion devrait être mis en place pour gérer les eaux souterraines.

M. Sirros: Je ne suis pas sûr que je me suis fait comprendre. En fait, je vous demande: Dans la situation actuelle, avant que le ministre accorde une autorisation, est-ce qu'il ne pourrait pas avoir recours au BAPE pour une demande d'exploitation spécifique qui serait faite et, avant d'émettre son certificat d'autorisation, demander l'éclairage du BAPE sur un projet précis?

M. Poulin (Martin): Absolument pas. C'est-à-dire, je ne crois pas que ça soit dans le rôle du BAPE de débattre ce débat-là parce que ça ne met pas les ressources ou l'environnement en péril, un nouveau captage.

M. Sirros: Le ministre a le pouvoir de référer au BAPE tout projet qui risque d'avoir une incidence sur l'environnement. Là, il est devant une situation et il nous dit: J'ai des gens qui sont extrêmement inquiets par rapport à l'incidence sur l'environnement d'un projet de pompage, disons à Franklin. Est-ce qu'il ne pourrait pas dire: Écoutez, le projet de pompage à Franklin, amenez-le devant le BAPE, demandez au BAPE de faire l'examen pour permettre aux citoyens d'aller devant le BAPE présenter leur point de vue. La compagnie fait de même. Le BAPE analyse et recommande au ministre une voie à suivre.

Lui, il serait plus éclairé, à ce moment-là, et plus fort, si ce que vous dites est vrai. Il pourrait dire aux citoyens: Écoutez, on a fait le débat de façon ouverte, transparente, indépendante, voici ce qui ressort du BAPE, et vos craintes sont sans fondement, donc j'autorise. Ou il pourrait dire à la compagnie: Voici pourquoi je n'autorise pas. Ça lui permettrait de régler les cas ponctuels de problèmes de perturbation du climat social qui, ils prétendent, existent, sans imposer un moratoire, sans geler tous les autres projets qui ne suscitent pas de problème, de poursuivre le débat sur une politique globale de l'eau et de ne pas vous faire dire que ce n'est pas la bonne façon de procéder.

M. Bouchard (Michel A.): Mais, si je peux... Je veux dire, ça peut être une avenue intéressante de soumettre les projets de captage au BAPE, mais ça peut être une avenue qui serait considérée dans la politique soumise dans le cadre du débat public. Mais soumettre un cas ponctuel maintenant, ça soulèverait un problème assez important de: Est-ce qu'on soumet tous les captages au BAPE? Et est-ce que l'enjeu est environnemental? Alors que l'enjeu est un conflit d'usage. Alors, il y a cette question-là.

Maintenant, nous pensons que les cas de Franklin, de Saint-André, pourraient être gérés – en fait, nous le soumettons – comme beaucoup de choses, par une information accrue et plus précise. C'est que nous pensons que les gens ont parfois raison d'être inquiets. Mais en vertu du fait qu'ils ne saisissent pas, ils ont la perception qu'il y a un problème et qu'il y aurait conflit d'usage, alors que, dans la réalité, il est souvent possible, avec des données déjà disponibles, de dire: Voici, nous avons les études qui montrent qu'il n'y a qu'apparence de conflit d'usage, nous pouvons vous garantir qu'il n'y en a pas réellement.

M. Sirros: Moi, je suis d'accord avec vous – si je puis vous interrompre – quand vous dites que, écoutez, ça soulèverait une question importante parce que, soumettre ça au BAPE pour des projets spécifiques, ce n'est pas habituel. Mais ce n'est pas très habituel de répondre avec un moratoire, par contre, non plus, sur l'ensemble de la chose. Alors, entre les deux, lequel serait le plus raisonnable, selon vous?

M. Bouchard (Michel A.): Bien, je pense qu'un débat public montrerait quelle est la meilleure voie à suivre. Nous disons: Entre les deux, le meilleur, ce serait le troisième, l'information...

M. Sirros: Ha, ha, ha!

M. Bouchard (Michel A.): ...et, éventuellement, un débat public sur...

M. Sirros: Je ne veux pas vous forcer plus que ça, mais je comprends que le moratoire est de loin la mesure qui est la moins efficace puis la moins utile même pour la poursuite d'un débat serein parce que ça met le focus comme s'il y avait vraiment un danger qui, vous, vous dites, n'existe pas.

M. Bouchard (Michel A.): Voilà. Nous pensons que...

M. Sirros: Donc, j'en conclus que, si on ne peut pas avoir la troisième, la deuxième, celle de référer les cas précis devant le BAPE, serait peut-être intéressante. Et je ne vous vois pas dire non. À moins que vous vouliez me dire que ce n'est pas du tout vrai, entre les deux...

M. Bouchard (Michel A.): Bien, enfin, nous...

M. Sirros: Si vous n'avez pas la troisième?

M. Bouchard (Michel A.): La troisième, c'est la gestion par l'information, l'information réelle, la diffusion de l'information.

M. Bégin: Je comprends que vous ne voulez pas avoir le BAPE.

M. Bouchard (Michel A.): C'est-à-dire que ça ne nous... Pour nous, l'Association, les scientifiques que nous sommes n'ont pas à dire si ça devrait aller au BAPE ou pas. Je pense que, ça, c'est une question de société, c'est une question de choix. Nous pensons que, d'une part, l'information devrait circuler davantage sur les eaux souterraines et que, ça, ça serait de nature à rassurer considérablement la population, à la fois en général et même ponctuellement dans les cas précis. Et, d'autre part, nous pensons que le moratoire n'atteint pas le but recherché, auquel nous concourons tout à fait.

M. Sirros: Donc, même devant des cas précis, un débat public serait de façon, sur les cas ponctuels, à éclairer la situation.

M. Bouchard (Michel A.): Oui.

M. Sirros: Donc, on peut en déduire ce que je déduisais, je pense bien, sans faire entorse à ce que les gens disaient.

M. Poulin (Martin): Est-ce que je peux rajouter quelque chose?

M. Sirros: Oui, je m'excuse.

M. Poulin (Martin): Dans ce débat-là, depuis le début, et qui est parti d'un grand débat sur la privatisation de l'eau, on a focussé sur les eaux embouteillées, et maintenant on focusse sur des problèmes particuliers dans telle ou telle région qui sont des problèmes techniques.

Nous, notre approche, c'est une approche plutôt générale. On ne veut pas régler l'ensemble de la province, basé sur un cas technique à tel endroit. On ne nie pas qu'il y a peut-être eu à Franklin ou ailleurs une baisse du niveau d'eau, mais ce problème technique là peut être résolu par les techniciens eux-mêmes. Et il s'est d'ailleurs résolu parce que la compagnie s'est retirée de ces endroits-là et à un autre endroit. Mais les débits sont contrôlés. Il n'y a pas encore, à date, d'endroit où on a établi des puits d'eau à embouteiller où la population dans son ensemble était contre.

M. Sirros: À la page 19 de votre présentation, vous dites: «D'ici à ce qu'une loi concernant la problématique globale ait été mise en place, il existe des outils législatifs.» Vous en énumérez un certain nombre: La Loi sur les produits agricoles, les produits marins et les aliments, La Loi sur la qualité... le Règlement sur les eaux embouteillées, etc. Hier, l'Association des embouteilleurs nous parlait aussi d'un règlement sur les eaux souterraines qui existe.

M. Poulin (Martin): Ce n'est pas un règlement, c'est un projet de politique. Et, dans ce projet de politique, il faut passer un règlement.

M. Sirros: Non, on nous a dit hier... Et c'est ça, le but de ma question, peut-être au ministre pour un point d'information. N'y a-t-il pas actuellement aussi un règlement sur les eaux souterraines qui découle de la loi sur la qualité des eaux?

M. Bégin: Il y a un projet de règlement, il y a un projet de politique, il y a un règlement ancien sur un autre aspect, mais...

M. Sirros: Je suis peut-être un peu... Hier, l'Association des embouteilleurs d'eau...

M. Poulin (Martin): Dans mon mémoire, à la page...

M. Bégin: Il existe actuellement un règlement sur les eaux souterraines.

M. Sirros: Voilà.

M. Poulin (Martin): Oui.

M. Bégin: Ça, ça existe depuis plusieurs années.

M. Sirros: Exact.

M. Poulin (Martin): Il y a un règlement sur la qualité des eaux souterraines.

M. Bégin: C'est ça.

M. Sirros: Exact. O.K.

M. Bégin: Il y a un règlement, un projet de règlement et un projet de politique sur les eaux souterraines. Ceux-là ne sont pas en vigueur, évidemment.

M. Poulin (Martin): C'est ça.

M. Sirros: Exact. Donc, je suis sur la bonne voie dans mon raisonnement parce que je me disais: il y a exactement le règlement sur les eaux embouteillées, il y a aussi un règlement sur les eaux souterraines qui est en vigueur puis il y a un projet de règlement sur les eaux souterraines qui va venir remplacer ces deux-là, finalement, si jamais il entre en vigueur. Donc, il existe déjà un projet de règlement sur les eaux souterraines qu'on peut qualifier d'insuffisant, au moment où se parle, il me semble.

Alors, une des voies qui nous a été proposée hier par tous les groupes, finalement. Même l'UQCN, à la fin, disait: Oui, si besoin était, peut-être que l'application immédiate du projet de règlement pourrait faire. Mais ce n'est pas ce que, eux, ils préconisaient.

Mais ma question est la suivante. Vous, vous parlez de l'application immédiate de la politique sur les eaux souterraines. Je peux comprendre le ministre quand il dit: Appliquer une politique sur les eaux souterraines en même temps qu'on est en train d'élaborer une politique globale qui va incorporer une politique sur les eaux souterraines, c'est peut-être mettre la charrue devant les boeufs.

M. Poulin (Martin): Mais il était...

M. Sirros: Laissez-moi juste terminer, un peu. Je vous vois vouloir aller... Alors, videz votre question, puis je reviendrai.

M. Poulin (Martin): On a parlé ici de la loi 52, et c'est une loi qui est modifiée, c'est la Loi sur les produits agricoles, les produits marins et les aliments. Dans cette loi 52, il y a un article 16 qui modifie le paragraphe de l'article 46 de la Loi sur la qualité de l'environnement. Cet article-là donne au ministre tous les pouvoirs de gérer – y compris... menacées de contamination – d'arrêter et de contrôler l'exploitation des eaux souterraines. Mais, pour cela, il suffirait de passer un règlement à l'intérieur de la loi 52. Et il existe, ce projet de règlement là. C'est ça. Ce projet de règlement là est de contrôler les débits. Ce règlement-là n'est pas passé, mais il pourrait l'être au lieu de passer un moratoire. C'est ça, l'intervention, la deuxième solution.

(12 h 10)

M. Bégin: C'est là-dessus que je vous demandais, tout à l'heure, si vous jugiez à propos de le publier avant qu'on ait fait la consultation plutôt que d'attendre après avoir fait la consultation pour le publier. Et votre réponse était à l'effet que vous vouliez qu'on soumette à la consultation publique ce règlement, si j'ai bien compris votre réponse. Est-ce que c'est exact?

M. Sirros: Il ne faudrait pas qu'on se mêle parce que... M. le ministre, si vous me permettez, juste pour qu'on établisse un peu le... On est en train de se mêler. Moi, ce que je comprends, c'est la chose suivante. Actuellement, il y a un règlement sur les eaux souterraines qui découle de la Loi sur la qualité de l'environnement. Il y a aussi, dans les tiroirs... même pas dans les tiroirs, sur la table du Conseil des ministres, un projet de règlement sur le captage des eaux souterraines qui découle d'un projet de politique sur les eaux souterraines qui n'est pas en vigueur. Vous, vous réclamez que l'ensemble de la politique sur les eaux souterraines soit mis en application.

M. Poulin (Martin): Non, soit soumis au débat public.

M. Sirros: Soumis au débat public. Correct.

M. Poulin (Martin): Mais il reste une troisième alternative, c'est: à l'intérieur de la loi 52, il peut y avoir un règlement qui va permettre au ministre de contrôler les débits spécifiques des cas, un cas.

M. Sirros: O.K. Donc, vous amenez une autre hypothèse qui est encore celle que vous préféreriez au moratoire. Et, moi, j'essayais de vous faire dire ceci...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Sirros: ...ou de vous poser la question suivante...

M. Bégin: C'est un aveu! En droit, c'est un aveu! Ha, ha, ha!

M. Sirros: Bien, oui.

M. Bégin: Ha, ha, ha! On prend acte...

M. Sirros: Un aveu très transparent, dès le début! Je veux comprendre la chose suivante...

Le Président (M. Lachance): M. le député, je vous signale que votre temps est écoulé. Alors, avec la permission des membres de la commission...

M. Sirros: Ah bon! O.K. Juste... Bon. Il y a actuellement un projet de règlement que plusieurs groupes nous demandent de mettre en application tout de suite, même avant que le débat public sur la politique éventuelle de l'eau soit terminé et adopté, remplaçant le règlement qui existe maintenant sur les eaux souterraines. Et on disait, hier, qu'une fois la politique globale adoptée, si besoin est de faire des ajustements à ce projet de règlement qui a déjà fait l'objet de consultations et d'examens et qui existe en fait depuis avril 1994, qui a été mis en consultation en avril 1996, si ma mémoire est bonne, qui a passé toutes les étapes et qui est sur la table du Conseil des ministres, de le mettre en application tout de suite. Et, ultimement, si on adopte une politique globale de l'eau qui nous amène à ajuster ce règlement, bien, on l'ajustera. Comme, de toute façon, il faut qu'on modifie le règlement qui existe déjà, on pourrait modifier celui-là, qui semble être beaucoup plus acceptable par tout le monde, étant donné que ça couvre l'ensemble des activités touchant l'eau souterraine. Quelle est votre réaction à ça?

M. Poulin (Martin): C'est ça qu'on recommande dans notre moratoire. On recommande...

Une voix: Mémoire.

M. Poulin (Martin): Dans notre mémoire.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Poulin (Martin): On parle tellement de moratoire, j'en rêve.

M. Bégin: On passe de lapsus en lapsus.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Poulin (Martin): Ce qu'on dit de mettre au débat public, c'est l'ensemble, le projet de politique sur les eaux souterraines où on discute de l'appartenance de l'eau, c'est l'ensemble de... Et, d'après nous, il y a un besoin de mettre ça au débat public. Mais ce qu'on peut faire, c'est qu'à l'intérieur de la loi 52 on peut passer un règlement qui va permettre au ministre de gérer les cas particuliers par une sanction, d'arrêter, mettons, l'exploitation d'eau à un certain endroit parce qu'elle ne rencontre pas les critères techniques. Ça, ça peut se faire. Ce n'est pas un règlement d'ordre général, c'est un règlement technique. Ça pourrait remplacer le moratoire.

M. Sirros: O.K. Merci.

Le Président (M. Lachance): Alors, merci beaucoup aux porte-parole de l'Association des géologues et des géophysiciens du Québec pour leur contribution aux travaux de cette commission.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Lachance): J'invite maintenant les représentants de la Coalition Eau Secours! à prendre place à la table. Et je présume que j'ai le feu vert pour que nous puissions poursuivre nos travaux, parce que c'était prévu qu'on termine à 12 h 30, mais...

Une voix: ...13 heures.

Le Président (M. Lachance): À 13 heures? Ah! excellent. Donc, pas de problème, alors, nous allons entrer dans notre enveloppe de temps. Alors, je vous demanderais de bien vouloir vous identifier ainsi que la personne qui vous accompagne.


Coalition Eau Secours!

Mme Vandelac (Louise): Bonjour. Mon nom est Louise Vandelac, je suis professeur de sociologie à l'UQAM et l'une des porte-parole de la Coalition Eau Secours! Je suis avec...

Mme Desnommée (Monique): Monique Desnommée. Je suis membre du Comité des citoyens de Saint-Antoine-Abbé et Franklin.

Mme Vandelac (Louise): Et également membre de la Coalition Eau Secours!

Le Président (M. Lachance): Merci.

Mme Vandelac (Louise): C'est évidemment pour contribuer à un climat favorable et à des échanges... Oh! attendez. Est-ce que le texte vous a été...

Une voix: ...

Mme Vandelac (Louise): Il vous est remis maintenant? Je vais juste attendre deux petites secondes au moins que vous l'ayez en main, si vous permettez.

Le Président (M. Lachance): Il est encore chaud.

Mme Vandelac (Louise): Oui, il est encore chaud. C'est ça, la réalité concrète.

Le Président (M. Lachance): Vous pouvez y aller, madame.

Mme Vandelac (Louise): Donc, si nous sommes ici, c'est bien pour contribuer à créer un climat favorable et des échanges fructueux afin de promouvoir l'indispensable débat démocratique sur l'eau afin que les enjeux échosystémiques, géopolitiques, sociaux et économiques soient pleinement pris en compte et pour accélérer l'élaboration et l'adoption d'une politique québécoise sur l'eau qui soit un système de gestion durable des ressources en eau basé sur une approche intégrée liant développement durable et protection de l'environnement naturel.

Nous croyons cependant que, compte tenu des failles, voire des béances des politiques existantes dans le domaine de l'eau, compte tenu de la nécessité de préserver la crédibilité et la cohérence nécessaires à l'élaboration d'une future politique de l'eau, un véritable moratoire s'impose. Il importe, en effet, d'éviter que des décisions autoritaires, précipitées et à la pièce sur différents aspects de ce dossier ne donnent la fâcheuse impression aux citoyens et aux citoyennes d'être écoutés d'une oreille distraite pendant que des choses se trament en coulisse entraînant alors d'inutiles et coûteuses confrontations.

Par conséquent, nous croyons qu'un temps de réflexion collectif s'impose et nous demandons que l'actuel projet de moratoire soit élargi et prolongé jusqu'à l'adoption d'une politique québécoise et intégrée de l'eau.

De façon concrète, pour éviter que la politique de l'eau découle de faits accomplis successifs qui en hypothèquent la cohérence, par souci d'équité à l'égard de tous les grands utilisateurs d'eau, pour éviter certains cafouillages Canada, États-Unis, provinces comme ceux qu'on a pu voir à Franklin et plus récemment avec les projets d'exportation d'eau du lac Supérieur, ainsi que pour être fidèle à l'esprit de deux pétitions signées respectivement par 25 000 citoyens de Montréal et d'une autre signée par 10 000 citoyens du Québec – c'est annexes 1 et 2 – nous demandons que le moratoire proposé dans le projet de loi n° 407 soit élargi à tout nouveau projet de captage à fort débit – et nous pourrons revenir sur cette question de fort débit – à tout nouveau projet d'exportation d'eau ainsi qu'à toute nouvelle forme de privatisation – qu'on appelle concession ou partenariat – des services d'exploitation des réseaux d'aqueduc et d'égouts. Il faut bien préciser «tout nouveau projet» et non pas les projets existants.

Par ailleurs, par souci d'accélérer, sous la pression des acteurs, l'adoption d'une véritable politique québécoise de l'eau plus pressante que jamais devant la demande croissante en eau et les enjeux de la mondialisation, nous demandons que ce moratoire élargi soit prolongé jusqu'à ce qu'une politique globale et intégrée de l'eau soit mise en vigueur, assortie d'aspects législatifs et réglementaires. Sans un tel prolongement, jusqu'à l'adoption d'un cadre d'intervention à long terme et de mesures concrètes assurant la souveraineté et la pérennité de cette ressource, l'actuel projet de moratoire risque d'apparaître comme une simple diversion, alors que la politique de l'eau risque fort, 30 ans après la commission Legendre, rappelons-le, de se faire encore attendre, ce qui serait d'une inquiétante insouciance. Nous souhaitons donc vivement qu'au plus tard d'ici la fin de l'an 2000 le Québec ait adopté et mis en oeuvre une telle politique de l'eau.

Nous souhaitons également avec plus de 85 groupes environnementaux, syndicaux et sociaux soucieux de préserver les multiples usages de notre patrimoine collectif que le gouvernement retire son projet de classification de rivières et opte pour un zonage bleu. En effet, dans la mesure où les rivières font partie intégrante du patrimoine hydrique, dans la mesure où les projets sous-jacents de livrer les rivières à des promoteurs pour des fins de production-exportation hydroélectrique ne sont pas toujours pleinement justifiés, ce dossier, qui ne peut être inclus dans le présent moratoire, doit néanmoins, par souci de cohérence, demeurer partie intégrante d'une future politique de l'eau.

De la même façon, nous souhaitons vivement, de concert avec un grand nombre d'acteurs impliqués dans ce dossier, pour des préoccupations de santé publique, que le gouvernement lève enfin cette espèce de moratoire d'attentisme qui retarde depuis plus de 10 ans déjà le rehaussement des paramètres de qualité de l'eau potable, geste fort attendu qui va dans le droit fil d'une politique de l'eau et qui n'est pas sans incidence sur la consommation de l'eau embouteillée.

Enfin, bien que certains proposent de troquer le présent moratoire trop ponctuel et trop partiel pour l'adoption d'un nouveau règlement sur les eaux souterraines, nous craignons non seulement que cela fasse illusion, mais que cela évacue littéralement des enjeux de fond comme la propriété de la ressource et les perspectives de développement à long terme, bref, que cela masque l'essentiel sous l'accessoire. Et par ailleurs comment le public pourra-t-il croire à un véritable débat public si des pans aussi essentiels en sont exclus?

(12 h 20)

Rappelons qu'Eau Secours!, cette vaste Coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau qui présente ce mémoire, touche près de un million de personnes à travers ses coalitions régionales et à travers la trentaine d'organisations membres d'envergure nationale, centrales syndicales, groupes écologistes, organismes communautaires, de loisirs, de tourisme, comités de citoyens, sans compter les chercheurs et de nombreux citoyens et citoyennes dont une vingtaine de porteurs d'eau parmi lesquels on compte notamment Gilles Vigneault, Yves Michaud, Albert Jacquard, Marie-Claire Séguin, Riccardo Petrella et bon nombre d'autres. Vous avez tous ces éléments dans les annexes qui suivent.

Je rappellerai très brièvement quelques éléments de mise en contexte. C'est suite à son allocution d'ouverture lors du Symposium de l'eau que le premier ministre Lucien Bouchard, en réponse à la question d'un journaliste, a annoncé ce moratoire sur les eaux souterraines, si bien que le moment choisi et les modalités de cette annonce étaient assez peu usuels. Cela a beaucoup étonné. C'est peut-être par compassion que M. Bouchard a posé un tel geste. Certes, nous avons d'abord été soulagés dans la mesure où nous pensions, effectivement, que cela permettait d'atténuer des tensions et d'assainir le climat de travail en vue d'une politique de l'eau.

Nous avons aussi réagi assez rapidement aux propos alarmistes de certains relativement aux menaces d'un tel moratoire sur l'industrie de l'embouteillage. Nous avons rétorqué notamment que deux des principaux embouteilleurs venaient tout juste d'obtenir, dans les mois précédents, des autorisations de captage leur permettant de doubler, voire de tripler leur capacité, ce qui annulait les impacts à court terme sur la production et sur l'emploi.

Bien que ce projet de moratoire ait pu témoigner d'une certaine compréhension, il répondait néanmoins de façon extrêmement partielle aux demandes maintes fois formulées par des dizaines de milliers de citoyens à l'égard de tout nouveau projet d'appropriation, d'exploitation et de gestion privée de la ressource et des infrastructures d'eau, moratoire devant être en vigueur tant qu'une politique de l'eau ne serait pas effective. Et je pense qu'il faut revenir à ces enjeux de fond.

Outre le caractère ponctuel et fort partiel du présent projet de moratoire lié sans doute à la précipitation, rappelons que ce geste a contribué largement à faire déraper le débat, si bien que bon nombre des acteurs principaux à l'origine des problèmes qui ont été mis en évidence par les citoyens ont réussi le tour de force médiatique de se faire passer pour des boucs émissaires, les citoyens étant, quant à eux, accusés d'avoir de prétendues attitudes frileuses et passéistes, alors que les instances publiques, largement partie prenante du problème, rappelons-le, se faisaient littéralement oublier.

De plus, ce projet de moratoire est apparu rapidement comme une fausse réassurance, puisque les projets continuent, pendant ce temps, de se multiplier. En effet, plusieurs demandes sont actuellement à l'étude, notamment dans la région de Saint-Placide, et d'autres le sont à Franklin. Vous avez d'ailleurs les lettres en annexe 7, a et b. Certaines informations du MEF nous donnent même à croire que l'absence d'émission de nouveaux permis est moins liée au projet de moratoire qu'au caractère insuffisant des dossiers montés jusqu'à présent.

En fait, cela ressemble à s'y méprendre à ce qui s'est passé autour de la privatisation de la gestion et des infrastructures d'eau à Montréal. On se rappelle en effet les propos rassurants du ministre des Affaires municipales, M. Rémy Trudel, déclarant au Devoir s'opposer à toute idée de privatisation de la gestion et des infrastructures municipales de l'eau. Or, rappelons-le, environ une municipalité sur six, actuellement, a confié sa gestion au secteur privé, et cela continue néanmoins. La gestion, non pas les équipements.

Dans ce contexte, cette commission parlementaire tombe à point. Il nous semble en effet impératif de bonifier l'actuel projet de moratoire en l'élargissant et en le prolongeant afin de travailler plus sereinement à l'élaboration d'une politique crédible et cohérente dotée de mesures législatives et réglementaires conséquentes. Chose certaine, si ce qui apparaît à plusieurs comme une fuite en avant et la multiplication de décisions à la pièce continuent de plus belle, l'éventuelle politique de l'eau risque fort de n'être qu'une passoire et, quant au débat public, il risque de se limiter à une séance d'écoute polie et futile, ce qui, en cette période préélectorale, serait particulièrement vu par une population qui, profondément attachée à sa souveraineté sur son patrimoine hydrique, déteste plus que tout d'être menée en bateau.

Un moratoire sur tout projet de captage à fort débit des eaux souterraines. Il est désormais acquis, comme en témoignent le projet de politique de protection et de conservation des eaux souterraines, le document de réflexion du PQ Pour une politique globale de l'eau ainsi que les débats lors du Symposium sur l'eau, que les dispositions actuelles concernant les eaux souterraines, régime juridique, politique, règlements et directives, sont inadéquats et insuffisants. Ils ne protègent ni l'intérêt commun ni l'intérêt des citoyens directement concernés et ne constituent pas un cadre fiable d'exploitation dans une perspective de développement durable.

Cela est lié notamment à l'absence de contre-expertise indépendante et rigoureuse prévue par le MEF en matière d'émission de certificats d'autorisation de captage d'eaux souterraines. Cela découle également de l'absence de véritables études d'impact, voire de prise en compte élémentaire des éventuels conflits d'usages et des effets potentiels du pompage commercial de l'eau sur l'économie et sur l'emploi. Cela est aussi attribuable à la négligence à l'égard de problèmes frontaliers, voire même à l'égard de catastrophes appréhendées. Pas étonnant, dans un tel contexte, que cela suscite parfois la controverse.

À titre d'exemple, comment comprendre, dans le cas de Franklin, que le MEF ait d'abord autorisé un tel projet sans contre-expertise sur les impacts éventuels sur la recharge, ce qui aurait pu représenter la moitié de la recharge annuelle, selon l'hydrogéologue J.J. Tremblay? Comment expliquer qu'on ne se soit pas soucié du fait que la recharge de cette nappe soit à près de 80 % du côté américain, d'où la note diplomatique du gouvernement américain? Comment justifier l'absence d'évaluation des impacts sur les ponctions d'eau déjà faites, sur l'industrie, sur l'emploi local, sur les besoins des municipalités comme Franklin et Ormstown? Comment comprendre qu'on ait même négligé les risques de contamination associés aux deux immenses dépotoirs de pneus de 8 000 000 et 18 000 000 de pneus situés dans une zone de recharge, à quelque 500 m du plus gros camping du Québec, où s'entassent jusqu'à 10 000 personnes durant l'été, ce qui, en cas de catastrophe, pourrait compromettre l'approvisionnement en eau de ces municipalités? La prudence la plus élémentaire n'indique-t-elle pas, alors, de conserver l'usage prioritaire de la nappe convoitée pour les besoins éventuels de la population?

Je passe rapidement. Non seulement l'examen est fait de façon extrêmement limitée, mais les modalités d'application sont fort discutables et il y a également de sérieuses lacunes en matière d'examen attentif des demandes d'autorisation et d'information complète et transparente des citoyens, on l'a déjà évoqué. Cela est certes en partie imputable aux compressions budgétaires et aux coupures de personnel qui ont littéralement anémié et édenté le MEF au cours des dernières années. Mais cela relève parfois d'un état d'esprit qu'on aurait cru révolu.

Certes, l'expérience acquise depuis plusieurs décennies maintenant en matière de gestion de l'eau a mis en évidence la nécessité d'une association institutionnelle de la société civile dans des mécanismes de gestion décentralisée des ressources en eau afin de tendre à une satisfaction optimale et adaptée des besoins diversifiés et en croissance constante, comme on le disait récemment à un congrès international, à Paris, sur l'eau et le développement durable.

Cependant, dans les faits, on doit admettre qu'on est encore loin du compte. Ainsi, ceux qui subissent ou qui risquent de subir les impacts négatifs des pompages à fort débit ont à assumer le fardeau de la preuve et sont souvent sans moyens et sans recours, comme on l'a vu dans plusieurs cas, Saint-André, Franklin, etc. Démunis financièrement et légalement, il leur est extrêmement difficile de faire respecter leurs droits individuels et leurs intérêts collectifs, si ce n'est à leurs frais, comme l'ont également fait récemment des citoyens de Saint-Modeste et de Saint-Antonin aux prises avec un mégaprojet de captage de Rivière-du-Loup et qui se sont engagés dans une véritable guérilla juridique.

En outre, les citoyens ont souvent beaucoup de mal à obtenir des informations complètes et impartiales des divers pouvoirs publics, alors qu'ils sont souvent à même d'observer l'étroite collaboration de ces derniers avec les promoteurs. On devrait pourtant savoir que les décisions devront progressivement s'inscrire dans des procédures démocratiques ouvrant de plus en plus largement la possibilité d'expression de contre-pouvoirs qui, pour faire oeuvre utile et au lieu de s'enliser dans des débats théoriques et stériles, devront disposer d'une capacité d'expertise indépendante et sérieuse, ce qui fait cruellement défaut, et avoir accès à une information transparente et complète.

Ajoutons à cela des informations et des connaissances encore fragmentaires. Comme le soulignaient notamment les auteurs de la Problématique des eaux souterraines du Québec , les informations hydrogéologiques ponctuelles disponibles ne peuvent pas être considérées comme complètes et suffisamment denses pour l'ensemble du territoire québécois.

Je passe ici sur un passage sur la situation internationale, qui nous fait voir toute l'importance, en page 9, de cette ressource en eau au cours des prochaines années. Je ne vous donnerai que deux ou trois chiffres soulignant, entre autres, qu'à l'échelle de la planète les effets combinés de l'accroissement de l'effet de serre, de la démographie, de l'agriculture irriguée, de l'urbanisation font en sorte que, tous les 20 ans, les besoins mondiaux en eau doublent, si bien qu'en moyenne, la quantité d'eau par habitant a diminué de 40 % depuis 1970. On estime que 1 000 000 000 de personnes sur la planète sont privées d'eau potable et qu'entre 10 000 000 et 25 000 000 meurent chaque année des suites de pénurie ou d'eau polluée. D'ores et déjà, 24 pays sont en dessous du seuil de pénurie et, d'ici un quart de siècle, selon l'Organisation météorologique mondiale, les régions en situation de stress hydrique, c'est-à-dire où le rythme de consommation dépasse le renouvellement naturel, pourraient concerner les deux tiers de la planète.

(12 h 30)

Évidemment, dans un tel contexte, le fait de compter au Québec 3 % des eaux douces renouvelables du monde nous donne l'impression qu'il s'agit d'une ressource inépuisable et d'une richesse infinie. Outre les règles de solidarité et d'humanisme élémentaires qui devraient guider l'examen de l'eau en tant que patrimoine de l'humanité, rappelons que, dans le cas du Québec, cette ressource en eau, bien qu'extrêmement abondante – nous en convenons – bref, ces ressources ne sont pas toutes aussi facilement accessibles à faible coût. Rappelons que l'essentiel se situe dans les bassins versants du Grand Nord et que, dans le cas du bassin versant du Saint-Laurent, la moitié est en-dehors des frontières du Québec, l'autre moitié est salée, etc.

Le Président (M. Lachance): Je m'excuse de vous interrompre, Mme Vandelac...

Mme Vandelac (Louise): Oui.

Le Président (M. Lachance): ...mais 15 minutes, c'est bien court, à moins que vous puissiez conclure dans les prochains instants...

Mme Vandelac (Louise): Oui, je conclurai rapidement avec le point suivant, avec le point 5. Si le débat a pris une telle ampleur, c'est très largement à cause du fait que les ponctions ont été centralisées dans la région de Montréal. On sait que bon nombre de promoteurs cherchent à exploiter dans un périmètre d'environ 100 kilomètres autour de Montréal. Or, c'est une région déjà fragilisée.

Par ailleurs, des études sur les changements climatiques annoncent qu'il y aura possiblement une baisse de 40 % du niveau de l'eau du Saint-Laurent, à hauteur de Montréal, d'ici quelques décennies. Nous croyons qu'il serait de la prudence la plus élémentaire, compte tenu notamment des polluants organiques persistants qui s'y trouvent – il y aura d'ailleurs une conférence là-dessus à Montréal très bientôt – compte tenu des sédiments toxiques, de conserver de façon tout à fait prioritaire l'usage de l'eau de la grande région de Montréal pour la population et pour les usages de la population. Nous pensons que c'est tout à fait fondamental.

Par ailleurs, nous tenons à souligner que, contrairement aux propos qui sont constamment avancés relativement au fait que ça ne représente que 0,8 %, les eaux souterraines prélevées au Québec, nous ne bazarderons pas sur les chiffres, ça reste des quantités infimes, mais néanmoins il faut savoir que déjà, avec les permis qui ont été octroyés récemment, qui ont été délivrés depuis 1994, on en est déjà à 32 % simplement pour trois puits. Vous avez d'ailleurs toutes les données en annexe. Qu'on cesse de reporter ce chiffre-là. Et on s'étonne... C'est 0,32 %. Pas 32 %, 0,32 %. Oui, oui, oui! Ce qui équivaut à peu près à 10 000 personnes.

Par ailleurs, ça ne nous donne pas ce qu'il y a au niveau de l'ensemble des autres sites, si bien qu'il serait tout à fait opportun, compte tenu de l'accroissement de la demande internationale, des intérêts économiques en jeu, de se donner les moyens de savoir qui pompe, combien en profitent, qui et où, d'autant plus que, d'après certains relevés qui ont été faits par les citoyens de la région de Mirabel, au-delà de 70 %, en fait, de l'eau pompée était sur un territoire de huit kilomètres carrés. Je pense que cette concentration est souvent problématique et c'est à ça qu'il faut s'attarder.

Enfin, je terminerai en soulignant qu'il est pour le moins paradoxal de donner ainsi notre eau, de la racheter à fort prix et d'en payer les coûts sociaux. Rappelons que 77 % de la production d'eau embouteillée au Québec en 1994 a été consommée au Québec. Par conséquent, alors que nous donnons littéralement cette eau, que nous assumons une large partie des coûts sociaux – autres conflits d'usage etc. – nous avons payé, en 1994, 92 000 000 $ pour boire notre eau dans des bouteilles de plastique.

Certes, cette industrie crée de l'emploi, ce n'est pas une industrie qui consomme le plus d'eau, mais il est à se demander, alors que le Québec moderne s'est largement bâti sur l'exploitation hydroélectrique de son eau, et si nous avons jugé bon de faire le commerce de l'alcool, pourquoi – serait-ce pour de simples raisons idéologiques – on s'interdirait de penser à l'exploitation collective de notre eau sous différentes formules? Nous pourrions ainsi préserver le cycle de l'eau, y compris en termes de retombées publiques. Rappelons à cet effet que la Société des alcools, à elle seule, durant la période 1988 à 1997, a rapporté au Trésor public près de 5 000 000 000 $.

Enfin, je soulignerai l'importance, particulièrement au moment où les débats sur l'Accord multilatéral sur l'investissement sont fort présents sur la scène publique, de s'intéresser de près à la question de la souveraineté de la ressource. Et c'est une question fondamentale. Autrement dit, nous ne sommes pas ici simplement dans de la réglementation pointue mais dans des orientations de fond par rapport à l'appropriation collective de la ressource. Nous considérons que nous ne pouvons nous permettre d'être désinvoltes ou de vouloir contenter à tout prix quelques promoteurs dans un dossier qui a de telles implications pour les prochaines décennies.

Nous avons, dans le passé, vendu nos ressources à rabais, nous avons vendu notre fer à 0,01 $ la tonne. Avons-nous envie de continuer à répéter le même genre de choses? Je pense que bon nombre de citoyens sont préoccupés par ces enjeux de fond, à savoir l'appropriation privée de la ressource collective, l'absence de transparence, la nécessité d'indépendance dans de tels débats et d'éviter d'avoir une politique de l'eau qui s'élabore à la pièce, pour ne pas dire au compte-gouttes, sans que l'ensemble des citoyens soient directement de la partie.

C'est le genre de considérations qui nous animent. Vous avez tout le détail. Ce serait trop long de lire tout ça mot à mot. Je vous remercie.

Le Président (M. Lachance): Merci, madame. M. le ministre.

M. Bégin: Merci, Mme Vandelac. Je pense qu'on vient d'assister à un grand plaidoyer en faveur de l'eau, en faveur surtout d'un vaste débat public sur l'eau et je ne peux qu'être d'accord avec le fait qu'on veuille en avoir un, puisqu'il y en aura un, et que c'était aussi, si on se rappelle bien, au moment du Symposium, la crainte de tous ceux et celles qui s'intéressent de près ou de loin à la question de l'eau, de pouvoir en débattre et de pouvoir vraiment toucher à toutes les questions relatives à l'eau. Et je pense que vous reprenez de manière très tangible, de manière éloquente et avec émotion ce qui concerne l'eau, et je suis d'accord avec vous.

Cependant, pour les fins du débat qui est ici aujourd'hui, vous savez, il s'agit de... en tout cas, l'esprit dans lequel la chose est faite, c'est de permettre justement à ce débat de se tenir de manière sereine et qu'entre temps on n'assiste pas à des débats publics qui sont plus qu'acrimonieux et qui mènent plus loin que ce qu'on voudrait qu'ils soient pour permettre de gérer une ressource aussi importante.

Alors, je ramène donc un peu tout ça à ce projet de loi en disant: Est-ce que vous croyez vraiment essentiel, pour les fins d'assurer un débat public, d'élargir à l'ensemble de tout le captage de l'eau souterraine, est-ce que vous croyez nécessaire de le faire sans mettre en péril la ressource eau d'ici à ce qu'on ait eu ce débat public et qu'une politique sur l'eau soit adoptée?

Mme Vandelac (Louise): Paradoxalement, dans la mesure où on attend depuis près de 30 ans une politique de l'eau – rappelons-nous les travaux de la commission Legendre, en 1968 – je pense que la pression des acteurs sera sans doute le stimulant le plus clair pour accélérer une telle politique. On sait fort bien que pour tout gouvernement une telle politique n'est pas simple, n'est pas facile à élaborer, et sans doute que le fait d'imposer un moratoire peut permettre d'accélérer le débat.

Ceci dit, soyons clairs, il s'agit d'un moratoire sur tout nouveau projet, donc sur les développements; ça ne concerne pas la situation actuelle. Ce qu'il convient de faire, c'est d'éviter une fuite en avant, un peu dans tous les sens. On sait, avec les débats publics sur l'eau au cours des dernières années, que c'est une ressource très convoitée. Par conséquent, je pense qu'il faut avoir une certaine prudence pour éviter que les faits accomplis successifs ne soient la politique de l'eau dans les faits, sans cohérence, sans perspective d'ensemble, sans perspective à long terme. Il faut, je pense, s'attaquer aux questions de fond, et très rapidement. Ce sera peut-être le meilleur moyen.

Ce sur quoi on peut, je pense, discuter, c'est sur les modalités. On pense, entre autres, d'élargir ça aux piscicultures, aux nouvelles piscicultures parce que, dans certains cas, il y a eu des problèmes locaux avec les citoyens de façon significative. Je pense que ce sera sans doute un stimulant très, très grand pour accélérer toute la démarche, de le faire, et je ne pense pas que ça compromette autant qu'on le dise le développement de cette industrie-là. En tout cas, du moins, les données présentées jusqu'à présent ne sont pas absolument convaincantes à cet effet-là. Nous ressources sont suffisamment abondantes pour que, de toute façon, elles demeurent fort convoitées même si on se donne un cadre et qu'on prend le temps de se donner un cadre pour gérer cette ressource. Et d'autre part, peut-être aurons-nous l'occasion de voir dans quelle mesure nous pourrions considérer que cette ressource collective peut être gérée collectivement, aussi, du moins en partie.

(12 h 40)

M. Bégin: Je comprends bien ce que vous dites, mais croyez-vous qu'il existe actuellement... Avez-vous de l'information à l'effet qu'il y aurait accélération ou augmentation de la pression de la part des autres usagers potentiels de la ressource eau souterraine actuellement? Vous parlez de pisciculture, d'agriculture, est-ce que vous avez le sentiment qu'on assiste présentement à une course en avant pour accélérer la captage de l'eau ou bien si les choses sont restées pas mal calmes?

Mme Vandelac (Louise): Vous le savez sans doute, ces dossiers-là finissent par ressoudre, hein, un peu comme des sources souterraines au fil des mois. Ha, ha, ha!

M. Bégin: Résurgence.

Mme Vandelac (Louise): En résurgence, tout à fait, mais on sait que, par exemple, il y a des projets, notamment de captage d'eau par certaines municipalités, qui font problème. On sait, par ailleurs, que, dans le cas de Franklin, pour nommer ce cas-là, le problème est loin d'être réglé puisque les choses continuent de se faire alors que rien parmi les questions essentielles n'a pu être réglé.

Il faut bien voir qu'il ne s'agit pas de régler strictement ces cas ponctuels, dans la mesure où ce sont les modalités mêmes de travail qui sont problématiques. Et ces cas-là ont permis de mettre à jour les difficultés qui se posaient sur le terrain. Donc, il ne s'agit pas simplement de traiter tel ou tel dossier où des citoyens étaient un peu plus actifs, il s'agit de prendre la pleine mesure des questions de fond.

Mais je pense qu'il faut être prudent. Nous disons, par exemple, dans le cas des municipalités, qu'évidemment, si ça posait des problèmes de santé publique, bon, il ne serait pas question d'imposer ça. Je pense qu'on peut voir au niveau des modalités. Ce qu'on veut surtout éviter, c'est la multiplication, notamment dans la région de Montréal, alors que l'analyse, manifestement, n'est pas faite en termes de développement à moyen et à long terme, d'un développement qui risque de s'accélérer justement avant l'éventuelle mise en place d'une politique de l'eau et, au contraire, que tout ça fasse retarder l'éventuelle adoption d'une politique de l'eau, puisque des intérêts privés auraient beaucoup plus d'avantages à faire en sorte qu'on continue avec le régime actuel.

M. Bégin: Une dernière question. Hier, nous avons entendu des groupes nous dire: Vous devriez mettre en vigueur immédiatement le projet de règlement qui circule, qui est connu publiquement, qui a été discuté, de même que la politique sur la gestion de l'eau plutôt que de faire un moratoire. D'autres nous ont dit: Non, vous ne devriez pas le faire, puisque ce serait tirer les conclusions avant qu'on ait eu le temps de débattre de la chose. Mon collègue a plutôt dit: Adoptons ce règlement-là, on le modifiera après le débat, mais entre-temps on aura cette chose-là.

Nous avons entendu tout à l'heure – vous étiez présente, si je ne me trompe pas au moment où ils se sont prononcés – les géologues et les géophysiciens du Québec, et ils ont dit: Pas le règlement en vigueur mais mettez dans le débat public la politique que vous avez énoncée, mettez-la dans le cadre du débat public, mais enlevez le moratoire. Où vous situez-vous par rapport à l'ensemble de cette question-là?

Mme Vandelac (Louise): Je n'ai pas l'habitude de me prononcer à l'aveugle sur des documents que je n'ai pas vus. Or, nous n'avons jamais été consultés sur ce documents-là, d'une part. D'autre part, nous avons pu voir, parce que nous sommes assez débrouillards, un certain nombre de versions techniques préliminaires. Ça ne concerne pas du tout les questions de fond et ça permettra essentiellement de continuer le développement tel qu'il se fait, en atténuant peut-être certains petits problèmes, mais même pas la moitié des problèmes qui se posent.

C'est une stratégie des petits pas. Je peux comprendre que certains la privilégient, les embouteilleurs, notamment, bon, des gens du métier qui travaillent de concert, mais je pense que pour la population, ça n'a rien de rassurant, au contraire, et ça fera en sorte qu'on continuera d'avoir une politique à la pièce, une politique qui s'élabore comme ça, on ne sait trop comment. Et quand on parle de vaste consultation, écoutez, je pense que, du côté du public à tout le moins, si on veut être sérieux par rapport à la consultation du public, il faudra prendre d'autres moyens que ceux qui ont été pris à ce niveau-là. Merci.

M. Bégin: Merci beaucoup, madame.

Le Président (M. Lachance): Merci. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Merci, M. le Président. Moi aussi, je vois – il est évident, ça a été le cas aussi avec d'autres groupes – il y a un réel désir de parler de la question de l'eau dans son ensemble et, effectivement, l'essentiel de toutes vos interventions ne portent pas sur le projet de loi n° 405 mais ça porte sur la question de la gestion de la ressource eau. Vous prenez l'opportunité qui vous est offerte de dire au ministre un certain nombre de façons de penser quant à la ressource eau dans son ensemble à défaut de pouvoir le faire dans le cadre d'un débat public qu'on nous annonce depuis maintenant un an et quelques. On attend toujours de connaître les modalités de ce débat, des éléments qui feront partie de ce débat, l'échéance du déroulement de ce débat et tout ça. Donc, je vous comprends très bien de remettre sur la place publique, à travers cette présentation, votre vision de la question de l'eau.

Mais un peu comme le ministre, si on peut revenir un peu au projet de loi n° 405, que le ministre avoue candidement être issu simplement d'une pression publique, vous, vous avez parlé de compassion envers les clientèles concernées, les citoyens concernés à Franklin. J'imagine qu'il doit y avoir plein d'autres clientèles au Québec qui aimeraient ça que le gouvernement trouve cette compassion d'arrêter de faire ce qu'ils sont en train de faire, mais le ministre dit: Bien écoutez, dans ce cas-ci, on va être compatissant envers ces gens-là.

Vous, vous dites: Le moratoire, bon, correct, mais ce n'est pas ce moratoire-là qu'il faut, c'est un moratoire plus large. J'ai failli comprendre de la part du ministre une suggestion quant à la façon d'avoir cet élargissement: Trouvez d'autres cas, mettez-les dans les journaux, puis le ministre va se trouver, selon sa logique, obligé de dire: O.K., O.K., on va faire un moratoire pour garder le calme durant le débat.

Ce petit aparté ayant été fait vis-à-vis du ministre et cette façon de procéder qui est assez inusitée de la part d'un gouvernement, moi, j'aimerais revenir donc à la question précise des citoyens concernés par les projets qui ont soulevé ce projet de loi. C'est une question que j'ai. Est-ce que le moratoire tel que décrété va régler jusqu'au mois de janvier 1999 – oui, c'est ça, 1er janvier 1999 – le projet à Franklin? Est-ce que la demande d'autorisation, selon vous, a été déposée avant ou après le 18 décembre?

Mme Vandelac (Louise): Elle n'est pas déposée, à notre connaissance.

M. Sirros: Donc, elle est couverte. Donc, jusqu'au mois de janvier, les citoyens de Franklin peuvent dormir en paix?

Mme Vandelac (Louise): Vous savez, on ne dort pas en paix quand on a une épée de Damoclès sur la tête. Et je pense que la question, c'est de savoir si... Non. C'est-à-dire que c'est...

M. Sirros: Le but, d'après ce que j'ai compris, c'est d'avoir la paix jusqu'au mois de janvier. C'est ce que je me dis.

Mme Vandelac (Louise): Oui, oui. Mais on a la paix quand c'est assorti de modifications significatives, ce qui manifestement n'est pas le cas. C'est bien pourquoi nous parlons d'un moratoire allongé jusqu'à l'adoption d'une politique assortie de règlements, etc. Et nous savons que ce sera sans doute la pression la plus forte de tous les acteurs du milieu pour faire en sorte qu'il y ait adoption d'une politique de l'eau. On arrivera peut-être à la mettre ainsi en place. Nous pensons que c'est une des solutions.

Chose certaine, c'est que, pour le public, il y a véritablement l'impression de difficulté de cohérence quand, d'un côté, on nous annonce un projet de rivière... Parce que, vous savez, ce n'est pas utiliser cette tribune pour faire un laïus sur l'eau, c'est tout simplement parce que la question des eaux souterraines est étroitement liée à l'ensemble du régime des eaux et qu'une politique de l'eau, pour être cohérente, doit être globale, doit être écosystémique et doit tenir compte de tous ces enjeux.

M. Sirros: Donc, vous ne dormirez pas en paix jusqu'au mois de janvier. Ma deuxième question, c'est: Est-ce que vous jugez ça réaliste que, d'ici le 1er janvier, tout va être fait, au niveau d'une politique globale de l'eau?

Mme Vandelac (Louise): Nous avons souligné qu'il fallait que ce soit allongé jusqu'à l'adoption d'une politique de l'eau et nous avons même souligné qu'il fallait que ce soit fait avant la fin de l'an 2000, ce qui donne une chance au coureur.

M. Sirros: Donc, la qualité du...

Mme Vandelac (Louise): Puisqu'on nous dit que bon nombre de projets sont pratiquement prêts et qu'il s'agit de faire la consultation, etc., on se dit donc que ça pourra se faire relativement rapidement.

(12 h 50)

M. Sirros: Donc, la qualité du sommeil des citoyens de Franklin et des autres régions concernées n'étant pas totalement assurée, est-ce que vous ne jugez pas que ça serait peut-être plus compatissant envers les citoyens en particulier de leur donner, face à des projets précis, un forum indépendant, autonome, afin d'examiner les projets précis avant que le ministre émette un certificat d'autorisation? Et ne serait-il pas, par ce fait même, plus équitable aussi vis-à-vis des entrepreneurs qui, selon nos règles actuelles, de bonne foi, veulent procéder? Est-ce qu'une référence au BAPE des projets précis ne serait pas une avenue qui permettrait d'apaiser les craintes, de faire la lumière sur les chiffres, de part et d'autre, et d'éclairer le ministre quant à une décision à prendre vis-à-vis des demandes d'autorisation?

Mme Vandelac (Louise) : Écoutez, nous sommes tout à fait d'accord avec l'utilisation du BAPE et notamment pour faire en sorte – et c'est notre troisième demande – que le projet de politique de l'eau soit soumis à des audiences publiques sous l'égide du BAPE. Donc, nous croyons tout à fait important que le gouvernement respecte ses propres institutions, comme le BAPE, et puisse les utiliser le cas échéant.

Ceci dit, concernant la question de la propriété de la ressource, concernant la question des modalités de développement, à supposer que bon nombre d'industries décident de s'implanter au Québec au cours des deux ou trois prochaines années, qu'il y a un développement accéléré – il y a beaucoup d'eau, dit-on – on se retrouvera devant quel état de fait au moment où on tentera collectivement d'examiner les orientations générales par rapport aux usages de notre eau et à la propriété de cette eau? On sera devant un état de fait.

Si, par exemple – prenons cette hypothèse – l'AMI était adopté, il ne serait absolument plus question de nationaliser, dans un cas pareil. Peut-être même que certaines politiques gouvernementales pourraient être mises en échec devant des tribunaux. Je pense qu'il faut regarder ces questions-là de façon globale. Il faut revoir ce qui se passe du côté américain.

Dans le cas de Franklin, par exemple, ce n'est pas strictement les citoyens. Soyons clairs. Je veux dire, c'est aussi toute la question frontalière avec les États-Unis, c'est toute la question du libre-échange avec les États-Unis et les interprétations que font un certain nombre d'avocats et qui méritent d'être réanalysées concernant la qualification même de l'eau, à savoir: Serait-ce une marchandise, serait-ce appropriable, etc.?

M. Sirros: Mme Vandelac, je prends pour acquis, moi, pourtant, que, oui, il va y avoir un débat où, effectivement, ces questions seront examinées. Je prends ça pour acquis, qu'on nous annonce un débat et je prends pour acquis que, dans le cadre d'un débat public et global, ces éléments-là seront regardés. Quelles seront les conclusions qui seront tirées? Ça, c'est autre chose. Mais j'imagine que ces éléments sont examinés et c'est pour ça que je reviens à ce qui a donné naissance à ce projet de moratoire, que j'ai qualifié de bâclé, et je vous repose la question: Est-ce que, au lieu de ce genre de moratoire pour faire face à des problèmes précis, au lieu de choisir une réponse comme celle-ci pour faire face à ces problèmes précis, est-ce que le ministre n'aurait pas dû référer les projets précis, en attendant le déroulement du débat pour examiner toutes ces questions que vous apportez, au BAPE?

Mme Vandelac (Louise): Écoutez, dans le cas du BAPE, il est évident que c'est un pis-aller. Je veux dire, c'est moins pire que rien du tout, mais je pense que c'est nettement insatisfaisant par rapport au type de questions qui sont posées. Autrement dit, qu'est-ce qui sera examiné dans une politique de l'eau si, d'un côté, on passe à la classification des rivières, si, de l'autre côté, du côté des municipalités, les choses continuent de se faire...

M. Sirros: Là, vous repartez sur la politique globale de l'eau que, je pense...

Mme Vandelac (Louise): Non, non. C'est parce que c'est tout à fait lié au projet de loi qu'on examine présentement. Si on encourage...

M. Sirros: Ah oui? Ça ne peut pas être lié. Mme Vandelac, je m'excuse, ça ne peut pas être lié à une politique de l'eau, un moratoire, parce que j'imagine que la politique de l'eau ne comportera pas de moratoire.

Mme Vandelac (Louise): Mais c'est lié dans le sens suivant. Si on encourage actuellement, selon des modalités qu'on sait être problématiques à plus d'un niveau, le développement d'une industrie qui, pour l'instant, vient d'accroître ses capacités de captage, précisons-le – je veux dire, dans le cas du fameux dossier de Franklin, l'industrie en question a pu retrouver ailleurs les quantités qu'elle recherchait – je pense qu'il faut être très attentif au fait que les types de stratégie qui vont être utilisés par des firmes pour développer ce secteur-là risquent fort de rendre beaucoup plus complexes, beaucoup plus difficiles d'autres types de choix sociaux.

Je me dis: Quelle est l'urgence actuellement, d'ici un an, un an et demi, de faire en sorte qu'à tout prix on multiplie les projets? On a parlé ici de capacité de pompage à fort débit, on n'a pas parlé de toutes possibilités de captage. On pourrait même revoir ce que signifie le «fort débit». Mais on veut éviter une fuite en avant tout simplement pour que la politique de l'eau devienne, à la limite, assez dérisoire, devienne un débat théorique qui permettra aux citoyens d'exprimer leurs opinions et puis, bon, les choses continueront «as usual». Je pense que c'est ça que bon nombre de citoyens veulent éviter à la lumière de ce qui s'est passé concernant nos ressources naturelles au Québec depuis plusieurs décennies.

Les enjeux de l'eau, rappelons-le, au plan international, seront capitaux au cours des prochaines années, et ce sont des enjeux géopolitiques et géostratégiques. Je pense que le Québec a un rôle clé à jouer à ce niveau-là et que la question sur la souveraineté sur notre ressource est une question préalable au développement et aux modalités de développement.

M. Sirros: Pouvez-vous l'expliquer, ça?

Mme Vandelac (Louise): Je pense que la façon dont on gérera cette ressource qui est fort importante sera tout à fait significative par rapport à l'ensemble des choix sociaux qu'on fera. Voilà. Vous voulez que je développe davantage?

M. Sirros: En tout cas.

Mme Vandelac (Louise): Non, mais ce n'est pas nécessairement lié à la souveraineté politique.

M. Sirros: Non, non, ce n'est pas nécessairement à ça que je faisais référence.

Mme Vandelac (Louise): Je pense qu'il y a une chose... Écoutez, il y a...

M. Sirros: Je n'ai pas compris la «souveraineté de la ressource» comme expression.

Mme Vandelac (Louise): Oui, c'est la souveraineté et la pérennité de la ressource, je pense, qui sont des préoccupations fondamentales des Québécois, c'est-à-dire...

M. Bégin: Ça lui fait peur. Ha, ha, ha!

M. Sirros: Non, non, ça ne me fait pas peur, je veux juste qu'on puisse comprendre en utilisant les mots qui ont le même sens pour tout le monde. Je veux juste comprendre, c'est tout. Je n'ai pas l'habitude d'avoir peur.

Mme Vandelac (Louise): Je pense que les citoyens veulent pouvoir à la fois protéger cette ressource à laquelle ils tiennent beaucoup – je veux dire, on est dans un contexte où l'eau est omniprésente au Québec – on veut pouvoir la protéger, l'utiliser, la gérer pour les fins du développement du Québec. J'ai donné les exemples d'Hydro-Québec un peu plus tôt, j'ai donné l'exemple d'autres sociétés d'État. Sans doute, serait-il opportun de prévoir l'usage de l'eau dans une perspective globale et, quand je parle de souveraineté, je pense que la seule sur laquelle s'entendent tous les Québécois, de tous bords, c'est bien sur la souveraineté sur l'ensemble de leurs ressources qui constituent ce territoire, ce qui peut dire une exploitation privée éventuellement, mais je pense que...

M. Sirros: Est-ce que vous voulez dire la nationalisation de la ressource? Voulez-vous dire l'appropriation publique par la nationalisation de la ressource? Quand vous utilisez le terme «souveraineté de la ressource», est-ce que vous voulez dire une ressource nationalisée?

Mme Vandelac (Louise): Je pense que je ne me substituerai pas au débat public qui doit avoir lieu là-dessus, nous pourrons réintervenir sur ce dossier, mais je pense que c'est une des nombreuses avenues qui méritent d'être exploitées et qui peut prendre des formes différentes au niveau de l'exploitation.

Chose certaine, c'est que tous s'entendent actuellement pour considérer qu'il est assez aberrant que le propriétaire d'un terrain soit propriétaire de l'ensemble des ressources qui s'y trouvent. Le régime juridique actuel pose problème. Plus d'un le soulignent fort à propos d'ailleurs. Ceci dit, quelles seront les modalités que nous donnerons? Nous avons l'impression que ça mérite un débat.

M. Sirros: D'accord. O.K. En tout cas, merci beaucoup.

M. Bégin: Merci, mesdames.

Le Président (M. Lachance): Merci. Alors, cet après-midi, nous reprendrons nos travaux à 15 heures avec, tour à tour, l'Association des eaux souterraines du Québec et Mme Lise Dolbec Bournival, représentante des appelants dans la cause Franklin.

Alors, je suspends les travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 59)

(Reprise à 15 h 10)

Le Président (M. Lachance): À l'ordre! La commission des transports et de l'environnement poursuit ses travaux avec le mandat de procéder à des consultations particulières sur le projet de loi n° 405, Loi favorisant la protection des eaux souterraines.

Alors, cet après-midi, nous entendrons tour à tour l'Association des eaux souterraines du Québec et, par la suite, Mme Lise Dolbec Bournival, représentante des appelants dans la cause Franklin.

J'invite les représentants de l'Association des eaux souterraines du Québec. D'abord, si vous voulez vous identifier et identifier également la personne qui vous accompagne.


Association des eaux souterraines du Québec (AESQ)

M. Doyon (Gilles): Bonjour, M. le Président. Gilles Doyon est mon nom. Je suis le directeur général de l'Association des eaux souterraines du Québec. Je suis accompagné de M. Donat Bilodeau, ingénieur hydrogéologue, qui est également administrateur de l'Association et qui est également le président du comité environnement chez nous.

Pour l'information des membres de la commission, l'Association des eaux souterraines du Québec s'est affiliée à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec qui est dirigée par M. Omer Beaudoin Rousseau, et chacun des membres de l'Association est également membre de l'APCHQ.

Avant de débuter, j'ai pu prendre connaissance, lundi de cette semaine, du mémoire de l'Association des embouteilleurs d'eau, et on y a retrouvé de très fortes ressemblances, non seulement quant au contenu, mais également quant à la structure du mémoire. On pourrait croire qu'on s'était entendus d'avance. Alors, ce n'est nullement la situation, c'est un hasard qu'on qualifie quand même d'heureux, parce qu'on se rend compte que, dans d'autres associations, on a quand même les mêmes conclusions.

Alors, ceci dit, au mois de décembre dernier, dans le cadre du Symposium sur la gestion de l'eau, le premier ministre du Québec a annoncé un moratoire pour l'émission de tout nouveau permis d'embouteillage d'eau pour une année, c'est-à-dire un moratoire qui devrait normalement prendre fin au 1er janvier 1999. Alors donc, à la fin de décembre, M. le ministre de l'Environnement déposait le projet de loi n° 405 pour donner suite à la promesse publique du premier ministre.

Alors, M. le Président, quelques faits ou réalités concernant l'eau souterraine. À notre point de vue du moins, c'est que l'eau souterraine constitue la réalité quotidienne des membres de l'Association oeuvrant à titre d'entrepreneurs puisatiers et d'installateurs de pompes pour puits artésiens, ainsi que comme professionnels ou fournisseurs de services. En fait, les membres de notre Association sont toujours les premiers à entrer en contact avec l'eau souterraine et, à ce titre, nous tenons à vous rappeler quelques faits.

En premier lieu, selon les données fournies dans le document, qui sont sûrement à votre connaissance, le document pour la tenue du Symposium sur l'eau, donc le document préparé par le gouvernement du Québec, qui nous disait: «L'approvisionnement de l'industrie des eaux commerciales représente moins de 0,1 % de l'eau captée sur le terrain»... Il y a une petite erreur peut-être dans notre mémoire, il faut lire 0,1 %, Il y était également souligné que «l'industrie pourrait donc doubler sa taille, sans que cela n'entraîne une pression indue sur la nappe phréatique».

Alors, l'Association ne peut donc que s'interroger sur la nécessité et l'urgence d'établir un moratoire sur l'établissement de toute nouvelle réalisation d'une prise d'eau pour fins d'embouteillage commercial d'eau potable. Sans pour autant que notre position s'avère un appui formel pour les embouteilleurs, l'AESQ juge la procédure introduite par le projet de loi tout à fait inappropriée et hors de proportion dans les circonstances. En d'autres mots, on ne croit pas qu'il y avait nécessité apparente justifiant le gel inhérent au projet de loi.

En second lieu, il est communément reconnu que plusieurs usages alternatifs – et encore là on ne vous apprendra pas quelque chose de neuf, j'imagine – pisciculture, culture maraîchère, pomoculture, exploitation minière et forestière, font appel à des débits de captage très importants, voire beaucoup plus déterminants que celui relatif à l'embouteillage commercial. Par surcroît, lesdits exploitants de l'eau souterraine ne sont pas ou peu soumis à une politique de contrôle comparativement à ce qui se fait pour l'eau potable. Dans de nombreux cas, ceux-ci peuvent, en fait, exploiter cette ressource presque à leur guise, sans pratiquement remplir aucune formalité gouvernementale et sans payer aucun droit d'exploitation.

En conséquence, notre Association se questionne à nouveau sur la pertinence et le bien-fondé de la position du gouvernement et de certains groupes particuliers qui s'interrogent sur l'exploitation abusive potentielle de la ressource eau souterraine québécoise par l'industrie des eaux embouteillées. Par le fait même, l'AESQ croit fermement que plusieurs usagers exagèrent, quoique peut-être – on leur prête quand même la bonne foi – ils exagèrent en criant «eau secours».

En troisième lieu – et on va le dire, disons-le tout de suite – il est probablement difficile de trouver une industrie plus propre que celle de l'embouteillage d'eau de source, industrie qui a certes intérêt, d'ailleurs, à protéger la ressource. À l'inverse, l'emploi excessif d'engrais et de pesticides sur les terres agricoles ou les vergers, la fertilisation des sols en milieu urbain ou autrement, de même que l'épandage de sels déglaçants sont de nature à favoriser l'émergence d'une lente pollution des eaux souterraines. De telles pratiques constitueraient même déjà une menace sérieuse pour la qualité de la ressource eau souterraine, et ce, tel que spécifié dans le document de référence qu'on vous citait tout à l'heure, au début. Par conséquent, l'AESQ ne peut que constater que peut-être certains groupes de pression s'emballent facilement pour voir certains problèmes et oublient peut-être de constater des réalités plus dures, plus concrètes.

Finalement, l'eau souterraine représente un atout économique potentiel majeur pour le Québec et une façon rationnelle de mettre à profit ledit potentiel est relié à l'embouteillage commercial. D'une part, les perspectives de développement sur les marchés interne et surtout externe apparaissent très prometteuses. D'autre part, l'industrie de l'embouteillage est reconnue à travers le monde en termes de qualité et de technologie. Étant solidement implantée au Québec, l'AESQ voit donc difficilement comment ne pas permettre à cette industrie de contribuer à la relance locale de l'emploi dans la grande région de Montréal en particulier et ailleurs partout au Québec.

Attention, cependant, M. le Président. Quoique l'AESQ soit favorable à l'embouteillage commercial de l'eau souterraine et à son exportation, nous avons fait connaître notre position dans le passé et on tient toujours à réaffirmer nos réserves à l'égard du projet d'exportation d'eau douce en vrac, tel que mis de l'avant par le groupe de travail Jean Coutu. Selon les membres professionnels de notre Association, le pompage abusif et à énorme débit des nappes d'eau souterraine qu'il pourrait sous-entendre est en effet susceptible de générer des conséquences négatives potentiellement importantes sur les réserves québécoises d'eau souterraine.

Le deuxième volet de notre mémoire, la protection et la conservation de l'eau souterraine. Donc, sur la base des éléments précédents, il est loin d'être certain pour notre Association que la présentation du projet de loi était nécessaire et que les objectifs visés s'inscrivent dans une juste perspective de la réalité eau souterraine au Québec. Une telle position ne signifie cependant pas que notre Association ne soit pas favorable à la protection et à la conservation de la ressource. Comme nous l'avons souligné en introduction, nos membres la côtoient régulièrement et elle constitue, dans la plupart des cas, leur seul et unique gagne-pain, d'où l'importance pour eux d'y faire attention, de la protéger et de la conserver.

(15 h 20)

En conséquence, M. le Président, il est normal que les entrepreneurs puisatiers, les installateurs de pompes et autres professionnels et ingénieurs de notre Association aient à coeur de protéger cette ressource ainsi que, par voie indirecte, leurs clients consommateurs d'eau. Une première preuve à l'effet que notre Association s'est impliquée dans le domaine en vue de protéger est la contribution qu'on a faite, ces dernières années, à structurer deux nouvelles licences d'entrepreneurs soumises à la Régie du bâtiment du Québec.

Vous savez, la Régie du bâtiment, qui avait juridiction dans le domaine, mais qui avait peut-être d'autres priorités ou qui manquait peut-être de ressources, n'avait pas le temps ou autrement de prendre les choses en main. Alors, nous, notre Association, on s'est investi là-dedans, du temps, de l'énergie, de la disponibilité, de l'argent et on a un peu, un peu pas mal aidé la Régie du bâtiment à structurer ces deux domaines-là, et ça a abouti à la création de la licence de puisatier, 4518, et d'installateur de pompes, 4517.

Donc, aujourd'hui, quelqu'un qui veut opérer comme entrepreneur dans l'un ou l'autre des deux domaines est tenu d'avoir sa licence en règle de la Régie du bâtiment du Québec et, croyez-nous, on voit maintenant à ce que ce soit appliqué. On s'en occupe. En plus, on se fait un devoir constant de se mettre à jour, de promouvoir le professionnalisme par des cours, des perfectionnements, des journées d'étude.

Une seconde preuve, M. le Président, qu'on aimerait vous soumettre, c'est qu'il y a quelques années, lorsque le ministère de l'Environnement nous a communiqué son intention d'élaborer un projet de règlement sur les ouvrages de captage de l'eau souterraine, on a reconnu dans ce geste une intention véritable de mettre en place les instruments nécessaires pour la protection et la conservation de l'eau souterraine. Alors, à ce moment-là, notre Association décidait de collaborer encore une fois pleinement à l'avancement de ce dossier. Donc, on a encore consacré beaucoup de réunions, beaucoup de temps et de disponibilité et d'énergie pour collaborer avec le ministère. Et je pourrais même citer M. McCormack, qui ne travaille plus au ministère, mais qui a travaillé beaucoup avec nous là-dessus. Il y a aussi M. Saint-Martin qui est bien au fait de la question.

Alors, malheureusement, M. le Président, force nous est toutefois de constater qu'après une longue période de travail, suite à la rédaction d'une dizaine de versions du futur règlement – selon nos informations, il y en aurait eu six techniques et cinq juridiques – dans lesquelles notre Association a joué un rôle de premier plan, et après une consultation systématique auprès de tous les intervenants concernés de près ou de loin par l'application de ce futur règlement, aucune date, en date de ce jour, n'est connue pour son adoption future. Bien plus, il apparaît en large partie évident aujourd'hui que le gouvernement ne semble pas vouloir aller de l'avant avant la présentation d'une politique globale de l'eau. Sauf que la politique globale de l'eau peut prendre deux, trois et même, selon certains spécialistes, jusqu'à cinq ans, qu'on lisait récemment dans les médias. Pourquoi attendre tout ce temps alors qu'on a déjà quelque chose de concret sur la table pour commencer à s'occuper de protection et de conservation de l'eau? Est-ce que l'adoption de ce projet de règlement empêcherait pour autant la démarche concernant la politique de gestion de l'eau? Pourtant, la publication du règlement sur les ouvrages de captage dans la Gazette officielle peut avoir lieu immédiatement. La mise en application dudit règlement constituerait donc une première étape concrète pour assurer une meilleure gestion de l'eau souterraine et surtout une reconnaissance officielle des travaux effectués par les nombreux intervenants au fil des années.

Une gestion rationnelle de l'eau souterraine commence sans contredit par un meilleur contrôle des ouvrages de captage. Le règlement qui permettrait une telle orientation a fait l'objet d'études exhaustives – on l'a dit tout à l'heure – de tous les intervenants et a reçu l'aval et l'assentiment de toutes les parties en cause. L'AESQ espère que le gouvernement du Québec utilise cette mobilisation pour assurer un minimum de pérennité à la ressource eau souterraine québécoise.

En conclusion, M. le Président, à la lumière de nos commentaires énoncés ci-dessus, notre Association recommande au gouvernement de surseoir à l'adoption du projet de loi n° 405 dont la pertinence et le bien-fondé nous paraissent loin d'être évidents et de mettre en force le règlement sur les ouvrages de captage de l'eau souterraine, via la publication de ce règlement dans la Gazette officielle du Québec , le plus rapidement possible. Ainsi, un premier pas concret serait franchi pour la protection et la conservation de l'eau souterraine et ça n'empêcherait pas le gouvernement de continuer, dans l'intervalle, d'élaborer sa future politique sur la protection et la conservation de l'eau. M. le Président, on vous remercie.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. Doyon. M. le ministre.

M. Bégin: Merci, messieurs, de votre mémoire et de votre présentation. Vous comprendrez qu'après un certain nombre de mémoires – et je vous l'avais dit d'ailleurs d'entrée de jeu – il y a certaines choses qui ont déjà été dites. Donc, on va aller directement au coeur des choses.

Vous nous demandez de publier tout de suite et de rendre en vigueur le règlement concernant le captage de l'eau. Certains groupes ont été dans le sens que vous mentionnez, mais d'autres ont dit qu'il ne serait pas sage de le faire avant que la consultation sur l'eau ait eu lieu. Est-ce que vous maintenez toujours qu'il est nécessaire de faire ce règlement-là maintenant alors qu'il y a une consultation qui s'amorce sur l'ensemble de la politique de l'eau, ou bien si, effectivement, vous remplacez le moratoire par cette publication-là?

M. Doyon (Gilles): Ce n'est pas un remplacement, M. le ministre. Ce qu'on vous a dit à l'instant, c'est que déjà ce projet de règlement n'a pas... n'est pas né d'hier. On travaille là-dessus – pour le dire franchement – depuis une dizaine d'années et, comme on le disait tout à l'heure, tout le monde, municipal ou autrement, tous les intervenants ont été consultés. C'est pour ça d'ailleurs qu'on dit qu'il y a eu plusieurs versions. Alors donc, à chaque fois il y avait une nouvelle version pour tenir compte de nouvelles réalités ou parce que le règlement aurait été peut-être trop sévère, peut-être qu'il ne l'aurait pas été assez. Alors, la mise en vigueur de quelque chose qui est maintenant prêt, qui serait opérable et fonctionnel, n'empêche nullement le travail parallèle d'élaboration de la politique sur l'eau et, au contraire, on pense même que le fait de vouloir attendre qu'on ait une politique globale, c'est – il en faut une politique globale, c'est bien sûr – mais c'est un peu comme la phrase qui dit: Le mieux est l'ennemi du bien.

Alors, si on veut trop tout avoir parfaitement, bien, ça risque de prendre beaucoup de temps et, dans l'intervalle, il y a une chose pressante, quant à nous, c'est qu'il faut réglementer ce secteur-là une fois pour toutes. La dernière version qui existe maintenant est une version réaliste, est une version qui, après avoir subi l'examen de tous les intervenants concernés, s'avère réaliste. On n'imposerait pas là-dedans des choses difficiles d'application, mais, par contre, il y a des choses minimales. Qu'un client, à titre d'exemple, qui s'est fait forer un puits pour de l'eau potable et qui s'est fait, entre guillemets, organiser par un mauvais foreur, bien, à ce moment-là, déjà, lui, ce client-là, aurait quelque chose sur quoi se rapporter pour savoir s'il a travaillé ou non selon les règles de l'art. Alors, quant à nous, ça n'a pas d'influence ou d'incidence sur l'élaboration de la politique. Ce n'est qu'un pas qui ne nuirait pas au reste du travail.

M. Bégin: À la page 4 de votre mémoire, vous dites que vous n'attendez pas une politique avant deux, trois ans ou peut-être quatre ou cinq ans. Qu'est-ce qui vous fait dire que le gouvernement n'a pas l'intention d'aller plus rapidement que ça?

M. Doyon (Gilles): Peut-être que M. Bilodeau pourra compléter, là. Il y a des gens qui sont branchés toujours mieux que nous, hein, et lorsqu'on lit ça dans le journal... Moi, personnellement, je l'ai lu dans le journal La Presse – je n'ai malheureusement pas l'article – où on citait certains experts du domaine, universitaires, qui nous disent: C'est long. Puis, dans cet article-là en particulier, on parlait que ça prendrait au minimum cinq ans établir ça. Alors, on ne vous dit pas que le gouvernement n'a pas l'intention de le faire avant cinq ans, ce n'est pas ça qu'on vous dit. On vous dit que même avec votre intention, M. le ministre, vous n'y parviendrez peut-être pas parce que ça concerne plein de monde. Ça concerne presque tous les ministères du gouvernement. Alors, tout rapailler ça ensemble pour avoir quelque chose de cohérent, il faut le faire. On ne vous dit pas que vous n'avez pas l'intention de le faire, on vous dit que ça va... selon certains experts universitaires, ça va être long.

Le Président (M. Lachance): Ça va? Merci, M. le ministre. M. le député de Laurier-Dorion.

(15 h 30)

M. Sirros: Merci, M. le Président. Un peu comme le ministre le disait, je pense que plus les mémoires se répètent, plus il y a des points communs qui ressortent. De plus en plus de personnes, à l'exception de une et demie, je dirais, si je peux qualifier de «demie», dans le sens qu'à la fin de leur mémoire aussi, le règlement effectivement était vu comme une possibilité de gérer l'affaire... Mais, fondamentalement, ce que vous dites est la chose suivante – ce que j'ai compris, et corrigez-moi si j'ai tort. Vous dites: Il y a actuellement 99 % du volume pris des eaux souterraines, c'est complètement sans aucun contrôle ou réglementation.

Pourquoi est-ce qu'on accepterait de continuer à laisser cette situation filer où tous les autres utilisateurs ne sont pas réglementés, à l'exception des embouteilleurs, dans un moment où on devient de plus en plus conscient que ça devient important et urgent, effectivement, de contrôler puis de protéger la ressource? Quand il y a eu moult consultations – vous dites – depuis assez longtemps, qu'il y a un règlement qui semble réaliste qui existe, que le mieux, souvent, peut effectivement être l'ennemi du bien, qu'est-ce qu'il y a de mal à appliquer le règlement, quitte à poursuivre l'élaboration de la politique?

Moi, je vous avoue que je suis de votre avis, depuis le début. Je trouve que ce serait une façon sensée de réagir vis-à-vis la ressource. Après ça, il faudrait qu'on regarde ce qu'on fait vis-à-vis les situations ponctuelles qui ont soulevé le problème et ont amené le ministre, comme il disait, à réagir à deux ou trois situations particulières avec un projet de moratoire strictement sur la question de l'embouteillage sans du tout se soucier de ce qui se fait avec la ressource dans 90 % des cas. Moi, je trouve que c'est une façon complètement, en tout cas, «kafkaesque» ou étrange de procéder de la part d'un gouvernement. Je comprends très bien les citoyens qui sont pris avec une situation où ils ne semblent pas être très sécures vis-à-vis les impacts, dans leur milieu, des projets qui existent. Et la réponse du ministre, c'est d'utiliser le processus parlementaire pour parer un peu à son incapacité d'avoir sécurisé les citoyens vis-à-vis ces projets-là ou de les avoir protégés, ou quoi que ce soit.

Alors, moi, je me dis... Vous, je ne sais pas si vous avez regardé plus précisément la question des projets qui ont créé ce problème à Franklin puis ailleurs. Est-ce que, en parallèle avec l'application du règlement tout de suite – je ne peux pas voir pourquoi on serait contre ça – on ne pourrait pas remettre au BAPE, par exemple, l'examen des projets précis qui posent problème? Le ministre a ce genre de pouvoir discrétionnaire de dire: Je réfère un dossier particulier au BAPE. Serait-ce là une façon de sécuriser les citoyens en leur disant: Voici un forum indépendant, autonome devant lequel le vrai débat sur votre projet et l'impact dans votre milieu peut se faire, et procéder à la protection de la ressource de l'autre côté tout en élaborant la politique? Comment vous voyez ça?

M. Bilodeau (Donat): M. le Président, en fait, l'affirmation de M. le député de l'opposition à l'effet qu'il y aurait 99 % des eaux souterraines captées au Québec qui échappent à toute forme de réglementation, je pense que, là encore, on déborde à l'excès dans le sens opposé. L'eau souterraine au Québec est captée principalement par des joueurs importants. On pense tout de suite aux municipalités, et aux piscicultures, et aux producteurs agricoles d'envergure. Alors, ces gens-là représentent probablement les trois quarts de la quantité d'eau captée au Québec, d'eau souterraine toujours. Ces gens-là n'échappent pas à la réglementation. En qualité d'ingénieur hydrogéologue depuis plus de 25 ans maintenant, on est assujetti... Le ministère de l'Environnement a toujours exigé des municipalités, des embouteilleurs, des études hydrogéologiques, l'évaluation de l'impact sur certains utilisateurs, sur les quantités d'eau disponibles. Alors, je pense que ce n'est pas vrai de dire que 99 % de l'eau captée échappe à toute forme de réglementation.

Il y a peut-être la portion qui échappe vraiment à toute réglementation du point de vue presque tant qualitatif que quantitatif, ce seraient les ouvrages des puits de particuliers. Alors, ces gens-là, avec leurs moyens restreints, n'ont peut-être pas les budgets nécessaires d'entreprises ou de municipalités pour se payer les services de professionnels, entre autres. Et c'est là qu'au Québec on a de nombreux... On pense qu'il se creuse au Québec plusieurs milliers de puits de particuliers à chaque année. Ces ouvrages-là, en fait, échappent à toute forme de réglementation. J'entends, les puisatiers doivent dénoncer leurs forages, préparer un rapport, c'est une condition d'obtention d'un permis de forage d'eau qui coûte 5 $, ou qui coûtait 5 $ il n'y a pas longtemps.

Alors, dans ce cas-là, c'est à peu près le seul contrôle qui existe pour tenter même de savoir combien de puits de particuliers sont creusés au Québec à chaque année. On entendait des chiffres: dans les belles années, une dizaine de milliers de puits de particuliers par année. Depuis le zonage agricole, depuis la baisse de l'immobilier et un tas d'autres facteurs, le nombre de puits de particuliers creusés à chaque année était autour de 6 000, 7 000, 8 000. Alors, ce sont des chiffres qu'on a véhiculés assez fréquemment. Si on voulait vraiment savoir...

Moi, en fait, ce que je dis à M. le Président présentement, c'est: Il y a beaucoup plus de puits que ça qui se creusent au Québec à chaque année. Une façon de le savoir ou une façon de tenter même de s'approcher d'un nombre plus réaliste, ce serait peut-être de voir combien il se vend de sabots d'enfoncement au Québec. Un sabot d'enfoncement, pour ceux qui ne sont pas au courant, c'est une pièce métallique qui est ajoutée par soudure, par soudage, à l'extrémité du tuyau d'acier qui sert de tubage pour le puits. Alors, on n'a qu'à regarder combien de sabots d'enfoncement se vendent au Québec par année depuis plusieurs années pour s'approcher du nombre de puits de particuliers qui sont creusés, incluant les puits municipaux, les puits de pisciculture et autres industries utilisatrices.

Alors, il y a des vérifications croisées qui peuvent être faites. On n'a qu'à prendre la profondeur moyenne des puits artésiens dans les banques de données du ministère ou prendre la profondeur moyenne, en fait, de l'épaisseur des dépôts de terre, des dépôts meubles, et ça se traduit, ça, par une longueur de tuyau d'acier. Cette longueur de tuyau d'acier là, encore une fois, on peut regarder c'est quoi, le marché du tubage d'acier au Québec, dans le six pouces, dans le puits de particulier, et on divise ça par l'épaisseur moyenne des dépôts meubles, qui est disponible dans vos banques de données, et peut-être qu'on tenterait d'arriver à un chiffre beaucoup plus exact.

Ce ne sont que des recoupages qui ne se font pas. Mais, à l'Association des eaux souterraines, on a des puisatiers, des fournisseurs et des hydrogéologues. Et puis il est évident que l'image qu'on projette de l'industrie du forage de puits artésiens ou de puits de particuliers, de puits de forage et de captage d'eau souterraine, ce qui est véhiculé comme nombre, ça, c'est loin de la vérité; c'est loin – pardon – en fait, de l'exactitude, de la situation réelle.

Je m'excuse, il y avait un petit point, en fait. L'importance de l'adoption d'un règlement sur la construction de ces puits-là – on parle de protection et de conservation – c'est surtout... ce qui est visé dans ce cas-là, en fait, c'est peut-être de faire ressortir la juste importance de cette industrie-là au Québec, du forage pour l'eau souterraine, pour le captage d'eau souterraine, et aussi de s'assurer que tous ces milliers ou dizaines de milliers de puits ne deviennent pas des points d'entrée de la contamination dans les nappes d'eau souterraine, alors que les puits de particuliers, ce sont ceux qui s'installent en plus grand nombre et ce sont ceux, en même temps, qui reçoivent le moins d'attention, ce sont les parents pauvres de l'hydrogéologie, les particuliers entre autres.

Alors, la première étape pour capter de l'eau souterraine, elle est simple: on creuse un puits. Alors, quand on pense que c'est une bonne idée de retarder l'adoption d'un règlement qui vise à construire des bons ouvrages et à tenir compte de ce qui se fait comme business dans ce domaine-là, je pense que, si le premier pas est de creuser un puits pour capter de l'eau, on aurait peut-être intérêt à s'attaquer à ce règlement-là tout de suite et à viser une adoption dans les meilleurs délais. Merci.

M. Sirros: Je suis totalement de votre avis, et c'est ce que j'essayais de dire en disant que 90 % du volume... J'ai peut-être représenté ça d'une façon qui n'est pas tout à fait exacte, mais il est vrai que, à l'exception des embouteilleurs d'eau, il n'y a pas de règlement spécifique pour les autres utilisateurs, et il y a un règlement de prêt pour l'ensemble des utilisateurs. Donc, tant et aussi longtemps qu'on ne l'applique pas, pour l'essentiel, à l'exception des embouteilleurs d'eau qui utilisent 1 % de la nappe, le reste court les risques que vous avez évoqués, de contamination par les puits qui sont là, de surexploitation, de toutes sortes de choses. Moi aussi, j'ai de la difficulté à comprendre pourquoi on fait du surplace sur ça, comme disait mon collègue de l'autre côté, hier, dans un autre contexte.

(15 h 40)

L'autre élément, c'est qu'on dit: On n'applique pas ce règlement-là tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas une politique globale sur l'eau. Moi, je ne sais pas là, mais on parle d'une politique globale sur les eaux souterraines, sur les eaux de surface, qui engloberait la question du statut de l'eau, la question des exportations, d'autres considérations qui ont été apportées lors du Symposium, et possiblement bien d'autres éléments aussi qu'il faudrait regarder, parce que l'eau, c'est grand, c'est important.

Moi, je n'ai jamais vu un gouvernement, qui que ce soit, élaborer dans l'espace de essentiellement trois mois – parce que je pense qu'on peut oublier les mois de juillet et août, donc, on va avoir septembre, octobre, novembre, peut-être décembre, quatre mois – je n'ai jamais vu un gouvernement, à l'intérieur de quatre mois, de A à Z, élaborer une politique sur un sujet. La politique sur l'énergie par exemple, ça a pris, en forçant forçant, au moins un an, et le travail avait commencé bien avant. Donc, je ne peux pas croire que, dans l'espace de quatre mois, on va avoir une politique globale sur l'eau qui va être le moindrement crédible, qui va le moindrement faire un consensus social.

Je pense que, si on veut être réalistes, il faudrait envisager une période de temps comme, je ne sais pas, moi, un an, un an et demi, pour impliquer les personnes au niveau d'une consultation sur les sujets à aborder, faire l'examen des faits, analyser les faits, débattre des idées de fond, soumettre des propositions au gouvernement, permettre au gouvernement de faire son lit, proposer une politique, la valider par la population, etc., puis, finalement, l'adopter par l'Assemblée nationale ou le gouvernement, le cas échéant. Ça, pour moi, si on veut avoir quelque chose de crédible et de valable comme politique globale, c'est un processus qui doit s'étaler, qui doit, juste pour que la qualité du travail soit correcte, s'étaler au moins sur un an, un an et demi. Et là, si on ajoute un autre un an, un an et demi, à une situation où finalement, pour l'essentiel, on peut puiser dans les eaux souterraines sans aucune réglementation valable et à date, je me dis: On court des risques supplémentaires pour pas grand-chose... qu'on peut éviter.

Alors, est-ce que vous estimez, vous aussi, que trois, quatre mois pour élaborer une politique – vous l'avez évoqué d'ailleurs, par un article de La Presse ... Mais comment, vous, vous voyez l'élaboration d'une politique?

M. Doyon (Gilles): Justement. Encore une fois, on est des entrepreneurs qui sont les premiers en contact avec l'eau. On est des entrepreneurs dont c'est le gagne-pain. On a tout intérêt à ce qu'on protège cette ressource-là. Et on ne fait pas juste le demander ou le crier sur les toits. On s'est affilié avec une grosse association pour structurer notre milieu; on a structuré les deux licences d'entrepreneurs qui attendaient dans le domaine pour savoir qui fait quoi. Et on a travaillé de concert avec le ministère de l'Environnement et de la Faune pour monter ce règlement-là. Alors, quant à nous, on s'est bougé, on s'est démené pour discipliner notre industrie. Justement, si on voulait reconnaître un peu les démarches qu'on a faites...

Encore une fois, ce projet de règlement sur les ouvrages de captage n'influe en rien sur l'élaboration d'une politique. C'est un pas concret qui peut être fait et qui n'est en rien nuisible, qui ne va en rien retarder comme tel l'élaboration d'une politique. Encore une fois, moi, personnellement, je ne suis pas un spécialiste, mais, d'après ce qu'on me dit, une politique sur l'eau, ça va toucher à tellement de ministères, ça va toucher à tellement d'intervenants que ça ne se fera pas, sûrement pas d'ici au 1er janvier 1999, quant à nous.

Encore une fois, si on veut démontrer une volonté réelle de faire un premier pas alors que l'instrument est là sur la table, il est prêt à fonctionner – il n'a pas été élaboré «out of the blue», il a été élaboré avec tout le monde concerné... À ce moment-là, quant à nous, donc, on réitère et on est d'accord avec le ministre... avec le député de l'opposition. Donc, on demande fermement la mise en application de ce projet de règlement.

M. Sirros: Juste une dernière question, M. le Président. Le groupe qui vous a précédés semblait ne pas être au courant d'un tel règlement. À votre connaissance, ça a fait l'objet de consultations auprès de qui?

M. Doyon (Gilles): Au départ, c'est le ministère de l'Environnement – à ce moment-là, on l'appelait le MENVIQ – qui a dit: Il faut réglementer la construction et l'usage des puits artésiens au Québec, il n'y a rien. Il y avait un ancien règlement... un règlement, excusez, mais qui relevait de la Loi des mines et qui n'avait aucune dent. Il n'y avait aucune sanction. Donc, il n'était pas applicable. Donc, comme je vous le disais tantôt, comme on voulait discipliner notre industrie pour venir à bout d'éliminer toutes les histoires d'horreur qu'on entendait conter, à ce moment-là on s'est impliqués. Et ça remonte aussi loin que les années 1986 et 1987. Et au départ, effectivement, peut-être que le règlement aurait été trop loin. Alors, on a créé chez nous un comité pour travailler là-dessus – il est devenu quasiment un comité permanent – pour justement suggérer au ministère des normes plus réalistes, parce que ça aurait peut-être été trop sévère, donc inapplicable.

En même temps, on tentait aussi que ce ne soient pas des normes trop minimales, trop minimalistes, parce que, encore là, on n'aurait atteint aucun résultat. Et c'est par la suite – et les gens du ministère, les fonctionnaires pourraient en témoigner, dont M. Saint-Martin qui est ici dans la salle – tout le monde du municipal, les MRC, le monde municipal, tous les intervenants de près ou de loin, les inspecteurs municipaux, qui auraient à appliquer ce projet de règlement, donc, se sont prononcés. Et c'est pour ça qu'on vous disait tout à l'heure qu'il y a eu tant de versions différentes parce qu'il a fallu à chaque fois ajuster ça au point de vue de l'intervenant par rapport à nous autres, par rapport à d'autres personnes. Alors, c'est comme ça que ce projet de règlement là a cheminé. Et, quant à nous, il s'avère important maintenant qu'on le mette en application.

M. Sirros: O.K. Donc, j'en déduis que tous ceux qui auraient à appliquer le règlement, vous dites...

M. Doyon (Gilles): Oui.

M. Sirros: ...ont été consultés...

M. Doyon (Gilles): Oui. Il y avait des...

M. Sirros: ...mais le public en général n'a pas été consulté.

M. Doyon (Gilles): Pardon?

M. Sirros: Le public en général n'a pas été consulté.

M. Doyon (Gilles): Non, ça s'est fait... Tous les intervenants que je vous dis... Non, je n'ai pas mentionné le public et, effectivement, ce n'est pas le cas. Mais pour le reste, tous ceux qui auraient eu à intervenir de près ou de loin ont été consultés, dans tous les milieux possibles.

M. Sirros: Merci beaucoup.

M. Bégin: Merci beaucoup.

Le Président (M. Lachance): Merci.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Lachance): J'invite maintenant Mme Lise Dolbec Bournival, représentante des appelants dans la cause Franklin, à bien vouloir prendre place. Alors, madame, vous avez le privilège de terminer cette consultation particulière. À vous la parole.


Mme Lise D. Bournival, représentante des appelants dans la cause Franklin

Mme D. Bournival (Lise): Bonjour, M. le Président. Bonjour, mesdames et messieurs. Je voudrais d'abord vous remercier de nous permettre de nous exprimer devant vous aujourd'hui.

Donc, pour faire suite à l'expérience que nous avons vécue à Franklin alors qu'un des plus importants embouteilleurs d'eau au monde voulait pomper notre eau, nous croyons utile de vous signaler certaines anomalies que nous avons pu observer dans ce dossier et de vous communiquer quelques commentaires et suggestions qui nous semblent à propos dans cette période de réflexion sur l'exploitation de l'eau souterraine au Québec.

De façon générale, nous croyons qu'il est possible que le Québec tire profit de sa ressource eau, mais l'exploitation de l'eau souterraine à des fins commerciales ne devrait pas être autorisée dans des zones où les activités humaines ou agricoles sont intensives. En effet, si nous nous fions à ce que nous avons pu constater chez nous, cela risque fort d'entraîner des conflits d'usages sérieux et de mettre en péril l'économie de toute une région sous prétexte de créer quelques emplois. Comme nous faisons cadeau aux embouteilleurs d'une ressource vitale qui appartient à tous, il nous semble qu'il y a suffisamment d'eau au Québec pour qu'ils la prennent dans des endroits moins fréquentés où la nappe n'est pas déjà amplement sollicitée et où les risques de conséquences négatives seront réduits au maximum.

(15 h 50)

Pour ce qui est du cas de Franklin, permettez-nous de vous mentionner que, sur le plan strictement humain, nous ne souhaitons à personne de vivre le stress, les tensions et les conflits que nous avons connus dans notre municipalité. Notre mésaventure nous semble en bonne partie imputable, malheureusement, aux lacunes de la réglementation actuelle et au manque de transparence qui a prévalu dans notre dossier. Nous espérons donc que le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour qu'une telle situation ne se reproduise plus.

Les directives actuelles du MEF demandent que les études hydrogéologiques des embouteilleurs tiennent compte des puits avoisinants dans un rayon de un kilomètre seulement. Cependant, plusieurs spécialistes nous ont confirmé que la zone d'influence pouvait varier suivant le type de sous-sol. Or, dans le contexte anisotrope et hétérogène qui prévaut à Franklin – le sous-sol est fracturé et rocheux – l'onde de choc d'un captage important pouvait, nous a-t-on dit, se faire sentir à plusieurs kilomètres et les calculs préconisés par le MEF étaient inadéquats pour protéger réellement les droits des citoyens. Quand on s'est informé au MEF pourquoi on s'en tenait seulement à un kilomètre, on nous a dit que, dans certains cas, ça fonctionnait très bien, puis qu'on ne pouvait pas faire du cas par cas, puis qu'il fallait bien s'arrêter quelque part. Donc, ce n'est pas très sécurisant pour les gens, en tout cas, qui vivent dans des zones autres.

Dans notre municipalité, les utilisateurs actuels de la nappe n'ont pas été pris en compte. On n'a pas tenu compte des agriculteurs, des pomiculteurs, des campings, de la municipalité voisine, des usines de transformation agroalimentaires. Même si le projet de politique du MEF mentionne que les limites d'un système hydrogéologique n'ont rien en commun avec les limites administratives du territoire et que, de ce fait, la gestion locale de la ressource eau souterraine peut s'étendre au-delà du territoire d'une municipalité et même au-delà de celui d'une MRC, on ne s'est pas préoccupé de connaître la ponction dans les municipalités voisines et surtout les besoins prévus dans notre municipalité.

En fait, on s'est servi d'une étude datant d'il y a une vingtaine d'années pour estimer les prélèvements importants dans la nappe et on a remis entre les mains de la municipalité la responsabilité de décider si elle était prête à donner son eau. Malheureusement, tout au long de notre histoire, nous avons pu constater l'ignorance de la grande majorité de nos dirigeants municipaux et surtout leur refus de s'informer et d'écouter d'autres voix que celle des embouteilleurs. Aussi, nous avons vraiment pris conscience que les petites municipalités n'ont pas les connaissances nécessaires ni les moyens pour gérer la ressource eau de façon objective et qu'elles sont ainsi à la merci des grosses entreprises qui leur font miroiter des emplois et d'autres avantages.

Conséquemment, nous croyons qu'une étude régionale publique et participative devrait être effectuée dans tous les cas où une demande d'autorisation de captage continu est faite au MEF. Les études locales privées et secrètes qui prévalent actuellement du côté des embouteilleurs alors que le type de sous-sol n'est pas pris sérieusement en compte avant de déterminer l'étendue de la zone d'influence sont une source d'erreurs qui pourra avoir des conséquences socioéconomiques fâcheuses pour n'importe quelle communauté locale et même régionale.

À Franklin, il y avait un autre genre de problème aussi, c'est que c'est une municipalité frontalière. Donc, les enjeux d'un captage à grande échelle auraient dû être évalués. En effet, aucun suivi ni contrôle en ce qui a trait à la pollution passée ou à venir ou aux activités demandant beaucoup d'eau – les piscicultures, les serres, l'embouteillage – ne peuvent être effectués du côté américain où se trouve la plus grande partie de la nappe, dans notre cas. Ainsi, au cours de nos démarches, on a eu vent d'une pollution extrêmement sérieuse de l'aquifère du côté américain, à quelques kilomètres de Franklin, qui nécessite actuellement l'intervention du gouvernement américain pour l'installation d'un système d'aqueduc en pleine campagne dans la municipalité d'Ellenburg.

Or, les promoteurs nous avaient déjà laissé entendre que la zone de recharge de notre nappe se trouvait probablement dans des marais situés à proximité de cette municipalité. Selon les Américains que nous avons rencontrés, toute surexploitation de la nappe de Franklin pourrait occasionner ou, à tout le moins, accélérer la migration des polluants vers notre sous-sol. Le cas des lagunes de Mercier nous a pourtant appris qu'un tel type de pollution est très coûteux et, jusqu'à aujourd'hui, sans solution.

Conséquemment, nous croyons qu'une zone tampon de 10 km devrait être négociée de part et d'autre de la frontière en ce qui a trait à l'utilisation de l'eau souterraine à grande échelle, fins commerciales ou autres, pour ne pas nuire à nos intérêts mutuels. De plus, comme il appert que les Américains ont installé plusieurs sites polluants à la limite de la frontière, des études sérieuses devraient être entreprises pour éviter que cette contamination ne se retrouve dans notre eau.

À Franklin, les promoteurs avaient effectué un test de trois jours en période de crue, au printemps, et un autre test de 20 jours à l'automne, alors que les gros utilisateurs locaux et régionaux avaient cessé toute activité de pompage. Cela n'a pourtant pas empêché certains voisins situés à plus de un kilomètre d'avoir des problèmes d'approvisionnement, dont au moins un cas a été formellement attribué aux ponctions de l'entreprise, cette dernière ayant reconnu elle-même un lien hydraulique direct entre les deux puits par suite d'un nouvel essai de pompage de cinq jours exigé par le MEF in extremis.

Si nous nous référons à la méthode de M. Plotnikov connue depuis des décennies, nous pouvons nous rendre compte que les promoteurs ont pu obtenir une autorisation de captage après seulement trois des cinq étapes du processus préconisé. Ainsi, le permis est accordé par le gouvernement québécois après quelques jours de tests seulement, alors que les actionnaires exigent une étude de un an pour juger de la faisabilité d'un projet. Il est tout de même surprenant de constater que les pouvoirs publics sensés protéger l'eau, qui est une ressource collective, sont moins exigeants que les bailleurs de fonds supportant les promoteurs de tels projets.

Conséquemment, nous croyons important que les tests aient lieu en période d'étiage, là où les conflits d'usages risquent d'être les plus apparents, et qu'un suivi soit effectué au débit d'exploitation prévu par les promoteurs pendant au moins un an avant qu'une autorisation de captage soit accordée.

Nous considérons aussi que toute autorisation de captage à des fins commerciales devrait être temporaire et conditionnelle. Ainsi, toute modification de la qualité ou de la quantité de l'eau dans la zone d'influence d'un puits de captage intensif pourrait faire l'objet d'une réévaluation de l'autorisation sans tracasserie juridique pour le MEF ou pour toute autre autorité publique concernée. Les nappes captives convoitées par les embouteilleurs d'eau de source sont plus fragiles et imprévisibles que les autres sortes de nappes phréatiques et les méthodes hydrogéologiques plus longues, et donc plus coûteuses, pour procéder à des analyses fiables sont souvent tronquées.

Une des anomalies qu'on a pu constater, c'est que les promoteurs avaient demandé à la Commission de protection du territoire agricole une préséance, affirmant qu'ils allaient perdre une source d'approvisionnement importante, à Saint-André, dans la région de Mirabel, et que, n'ayant aucune autre alternative, ils risquaient de ne pouvoir satisfaire à la demande de leur marché américain. Or, cette préséance, accordée par la CPTAQ, a empêché les citoyens de se préparer adéquatement à leur présentation, puisqu'on n'a été prévenus que quelques jours avant l'audience. Cette situation nous a donc forcés à investir plus de 50 000 $ pour faire valoir nos droits en appel. Or, les promoteurs achetaient toujours de l'eau au puits de Saint-André au moment de l'appel un an plus tard et, après leur désistement, intervenu après six jours d'appel et avant décision du tribunal, ils ont obtenu du gouvernement que leur permis soit doublé à leur autre source de Piedmont pour pouvoir capter les 600 m³ supplémentaires qu'ils convoitaient à Franklin.

Nous sommes donc d'avis qu'avant d'accorder un permis il faudrait peut-être instaurer une période obligatoire d'accessibilité de quelques mois au dossier complet pour que les citoyens puissent en prendre connaissance. Il ne devrait pas y avoir de préséance de la part de la Commission de protection du territoire agricole en ce qui concerne les eaux souterraines.

Les embouteilleurs considèrent que les eaux embouteillées devraient être en tête de liste des priorités au même titre que les eaux pour la consommation humaine. Or, il nous apparaît que l'eau embouteillée est un produit de luxe et que l'embouteillage ne peut en aucun cas être comparé à l'approvisionnement en eau potable des citoyens, que ce soient les puits individuels ou collectifs, ou à l'agriculture qui fournit des denrées indispensables à toute la société et qui ne saurait être une activité rentable sans arrosage ou irrigation pendant les périodes de canicules. En agroalimentaire, il faut aussi tenir compte de l'eau nécessaire pour la transformation et pour laver les produits qui vont sur le marché, eau à valeur ajoutée. De plus, les embouteilleurs d'eau de source puisent leur eau dans des nappes captives à l'abri de la pollution – je l'ai déjà dit – et dont la recharge se fait souvent à des kilomètres du puits, alors que les agriculteurs ou les pisciculteurs peuvent aussi bien la prendre en surface ou dans des nappes libres qui se rechargent plus facilement par percolation.

Évidemment, les vendeurs d'eau n'embouteillent pas tous de l'eau de source. Certains produisent de l'eau distillée ou traitée par osmose inversée qui peut provenir de n'importe où, y compris les robinets de la ville de Montréal. Mais les gros promoteurs qui se positionnent actuellement au Québec semblent convoiter les nappes captives à proximité des grands centres, soit ce qui reste d'eau de qualité très facilement accessible et particulièrement rentable puisqu'elle ne demande aucune transformation. Cela n'a plus rien à voir avec les petites entreprises qui exploitaient ou qui exploitent encore une quantité restreinte d'eau pour la livrer dans des contenants de 18 litres dans les bureaux environnants et dont l'expansion est limitée faute de marché.

Conséquemment, nous croyons important de ne pas prioriser l'eau embouteillée par rapport aux activités agricoles et industrielles au risque de nuire éventuellement à l'agriculture et à toute l'industrie récréotouristique d'une région. Dans notre municipalité, la pomiculture est en pleine expansion. Trois immenses campings reçoivent plus d'une dizaine de milliers d'estivants chaque année, fournissant de nombreux emplois et stimulant l'économie locale et régionale.

(16 heures)

À Franklin, les promoteurs disaient aux citoyens que, si eux-mêmes devaient être soumis à des règles plus strictes et à des redevances, tous les autres utilisateurs le seraient éventuellement, d'où le silence des agriculteurs et des grosses entreprises de la place, qui ne voulaient surtout pas risquer de devoir débourser des fortunes en tests de tous genres.

Il ne faut pas oublier que les agriculteurs n'irriguent que pendant une courte période – 45 jours, pour les pomiculteurs, en temps de sécheresse – et que la nappe profite de la crue printanière pour se recharger. De plus, les agriculteurs sont disséminés à travers le territoire québécois, alors que les gros embouteilleurs sont concentrés dans certaines régions. Ils captent de l'eau à l'année et selon un débit régulier. Je pense que, dans le mémoire, vous allez voir les chiffres que j'avais indiqués. Or, selon les experts consultés, les impacts sur la nappe ne sont pas les mêmes. Et les embouteilleurs, en plus, prennent beaucoup plus d'eau l'été que l'hiver pour satisfaire une demande plus grande, alors que la ponction des autres utilisateurs est, elle aussi, à son maximum: consommation humaine accrue, irrigation, culture, piscines artificielles, etc.

Conséquemment, comme le captage des communautés rurales et des agriculteurs est séculaire, adapté et cyclique, c'est-à-dire qu'empiriquement on connaît le comportement de la nappe, alors que la ponction des embouteilleurs est continue, concentrée et imprévue, et qu'on ignore les conséquences réelles à plus ou moins long terme, nous croyons qu'il ne faut pas mettre sur le même pied, d'une part, l'irrigation pour l'agriculture et l'approvisionnement en eau potable et, d'autre part, l'exploitation de l'eau à des fins commerciales, d'autant plus que l'objectif de rentabilité des embouteilleurs et la demande croissante du marché peuvent facilement laisser l'appât du gain l'emporter sur la prudence.

Dans son mémoire sur le projet de politique, l'Association des embouteilleurs mentionne son souhait de profiter éventuellement de zones d'exploitation exclusives. Dans un autre document, rédigé par M. Banton, on fait aussi allusion à la possibilité d'expropriation de certains usages pour assurer aux embouteilleurs une eau de qualité. Pour notre part, nous considérons que l'embouteillage de l'eau, s'il peut offrir certains emplois, ne devrait jamais porter préjudice aux acquis des citoyens et obliger ceux-ci à débourser des sommes importantes pour se défendre contre des entreprises qui risquent d'être fort mal placées pour avouer leurs torts.

Chez nous, une autre année difficile se prépare. Évidemment, comme les promoteurs avaient fait paraître dans le journal local des pleines pages de publicité affirmant que, si toutes les instances avaient dit oui, c'est qu'il n'y aurait jamais de problème, plusieurs citoyens de la municipalité se croient assis sur une mine d'or et rêvent de vendre l'eau de leur puits, de sorte que plusieurs demandes ont été acheminées à la municipalité et que des tests sont présentement en cours.

Conséquemment, nous sommes d'avis que la loi devrait en tout temps éviter d'accorder des droits acquis pour l'utilisation de l'eau à des fins commerciales. De plus, les MRC ne devraient pas avoir le droit d'inclure l'exploitation de l'eau souterraine à des fins commerciales dans leur schéma d'aménagement ni les municipalités de modifier le zonage dans ce sens sans tests hydrogéologiques sérieux et sans études d'impact régionales de la part du gouvernement. En somme, il nous semble important de tenir compte des conséquences de l'exploitation commerciale de l'eau sur le milieu urbain pour éviter les conflits d'usages et surtout s'assurer que l'implantation d'une usine d'embouteillage ne risquerait pas éventuellement de restreindre l'expansion économique et humaine d'une municipalité.

Ainsi, à Franklin, les promoteurs avaient soumis à la municipalité un protocole d'entente dans lequel ils demandaient d'avoir un droit de regard sur toute nouvelle entreprise qui voudrait s'installer dans la municipalité et qui pourrait avoir besoin d'une certaine quantité d'eau, et d'être prévenus de toute nouvelle demande d'installation de puits dans la zone présumée d'influence. Même si on ne peut blâmer les promoteurs de vouloir protéger leurs intérêts, on peut néanmoins entrevoir là un risque de restreindre le développement économique de la municipalité et une volonté pour les promoteurs d'assurer un certain contrôle de l'eau.

Nous croyons donc fermement qu'un moratoire est nécessaire pour permettre un temps de réflexion, une réglementation adéquate, des études d'impact régionales appropriées, un bilan détaillé de la ressource et des utilisateurs actuels avant d'ajouter des joueurs d'envergure dont le but premier est de faire de l'argent avec notre eau. Nous craignons que, si le gouvernement ne fait pas en sorte de prendre le temps nécessaire pour étudier la question, il cause un tort considérable à plusieurs citoyens. S'il avoue lui-même ne pas connaître adéquatement la ressource, si l'hydrogéologie est une science inexacte – l'hydrogéologue des promoteurs nous répétait toujours que l'hydrogéologie, c'était comme de l'hydropoésie – alors, nous espérons que tout l'argent que nous avons dépensé et notre expérience serviront au moins à permettre un temps de réflexion et de consultation.

Actuellement, comme je l'ai dit, chez nous et dans les municipalités voisines, les citoyens se disent: Pourquoi, lui, il vendrait de l'eau et pas moi? Et de nombreuses demandes de captage ont été envoyées à la municipalité. Pour éviter des conflits inutiles, nous demandons de faire en sorte que les règlements ne laissent place à aucune interprétation et que le gouvernement puisse en tout temps renverser la vapeur.

Le Président (M. Lachance): Ça va? Merci, Mme Dolbec. M. le ministre.

M. Bégin: Alors, merci, Mme Dolbec. Je pense que vous soulevez plusieurs questions qui n'ont pas été abordées par ceux qui ont précédé et, à ce titre-là seulement, je trouve que c'est extrêmement intéressant, votre mémoire. Vous avez parlé, par exemple, des périodes différentes d'usage intensif pour différents types d'usages comme l'agriculture, qui est plutôt dans certaines parties de la saison, alors que d'autres sont dans d'autres parties, alors que l'usage dont il s'agit principalement ici s'étend sur une année complète. Ne serait-ce que juste faire ressortir cet élément-là, qui peut peut-être avoir un élément relativement peu important, est quand même extrêmement intéressant.

Dans votre introduction, vous énoncez quelque chose aussi que nous n'avons pas entendu. Si j'ai bien compris, vous nous dites: En ce qui concerne l'eau de source pour embouteillage, on ne devrait pas le permettre dans des zones urbaines ou des zones où il y a des concentrations d'usages autres, mais plutôt privilégier des endroits où il y a d'autre eau aussi bonne mais qui ne pose pas de conflit d'usages.

Par ailleurs – et c'est pour ça que je voudrais mettre cet élément-là que vous énoncez dans votre introduction – dans tout le reste de votre mémoire, vous dites: Voici comment nous devrions gérer, dans les zones urbaines, les demandes que vous faites. Est-ce que vous renoncez à ce que vous avez énoncé au début ou bien si je vous ai mal comprise?

Mme D. Bournival (Lise): Non, non, non. Ce que je dis, c'est que, finalement, dans un cas comme le nôtre, je pense que ce n'est pas vraiment faisable d'ajouter des joueurs, mais que, si pour une raison ou pour une autre vous devez le faire, je pense qu'il y a des vérifications sérieuses à... En tout cas, il y a des vérifications à être faites parce que, à l'heure actuelle, on se rend compte, en tout cas, d'après notre expérience à nous, que les promoteurs ne sont pas proactifs – c'est un mot à la mode – en ce sens qu'ils se contentent de faire ce qui est demandé. On a demandé tel type de calcul, on a demandé tel type de rayon d'influence, donc on s'en tient à ça.

Or, que ce soit M. Villeneuve, à qui j'avais parlé à la radio, ou que ce soit M. Ouellet, que ce soient plusieurs personnes à qui j'ai parlé, ils ont tous été d'accord pour dire que, chez nous, ce n'était pas suffisant, le rayon d'influence qu'on a mentionné et, en conséquence, les calculs qui ont été faits n'étaient pas adéquats.

Puis il semble que le gouvernement fait pas mal confiance aux promoteurs les yeux fermés, en tout cas, dans les anomalies que je mentionnais tantôt, soit la question du in extremis, quand on parle des tests qui ont eu lieu chez M. Hébert. Si on finit des tests quelque part le 22 décembre et qu'on émet le permis le 23 décembre, alors que le rapport officiel de l'hydrogéologue est daté du 31 décembre, puis que le 15 janvier M. Cliche envoie une lettre aux promoteurs en leur disant: On n'a pas encore fini toutes les études, mais, dès qu'on va avoir fini tout ça, on va voir si on peut émettre votre permis, je me dis: il y a des choses quelque part qui m'apparaissent se perdre. Je ne sais pas si c'est la façon habituelle de procéder au gouvernement, mais il y a des choses qui semblent avoir été... Il y a des étapes qui ont été sautées, semble-t-il, aussi parce qu'il fallait que les promoteurs, je pense, pour leur marché américain, aient leur permis avant le 31 décembre. C'était la période des Fêtes. Donc, il y a eu des pressions qui ont été faites même au niveau de la municipalité, puisque le maire a fait parvenir son accord pour qu'on émette le permis, alors que le conseil, lui, avait voté une résolution différente. Disons que c'est un dossier qui, à mon sens, a contenu énormément de failles et qui nous a fait perdre confiance.

M. Bégin: Alors, je comprends que vous réitérez ce que je retrouve à l'introduction: «Comme nous faisons cadeau aux embouteilleurs d'une ressource vitale qui appartient à tous, il nous semble qu'il y a suffisamment d'eau au Québec pour qu'ils la prennent dans des endroits moins fréquentés où la nappe n'est pas déjà amplement sollicitée et où les risques de conséquences négatives seront ainsi minimisés.»

Je comprends que vous maintenez cette proposition-là, mais vous dites: Si, par ailleurs, il faut, dans certains endroits, accorder les permis, il faudra le faire avec des règles beaucoup plus strictes et observées de manière beaucoup plus stricte. C'est ça?

Mme D. Bournival (Lise): C'est-à-dire regarder qui capte déjà de l'eau dans la nappe puis ne pas se fier à des études qui sont périmées, regarder les nouveaux moyens d'irrigation. Les promoteurs ont utilisé une étude pédologique de 1954 pour déterminer qu'il n'y avait pas d'agriculture possible dans le sol de la Covey Hill, alors que, maintenant, ce ne sont plus des pommiers Robusta comme à l'époque, mais des pommiers nains qui sont en pleine expansion et qui demandent beaucoup, beaucoup d'irrigation. Alors, on ne tient pas compte des quantités quand même assez énormes qui sont prises, à ce moment-là.

(16 h 10)

Le camping des Pins, c'est un des plus gros campings au Québec, et il y en a deux autres aussi. L'été, les lacs artificiels sont alimentés par les eaux souterraines. Je veux dire, il faut faire une balance. C'est-à-dire que, si on accepte de mettre un joueur supplémentaire, il faut que ceux qui sont déjà en place acceptent peut-être de baisser les quantités qu'ils prennent, et ça, ce n'est pas nécessairement évident quand toute une économie est basée sur la pomiculture.

M. Bégin: Sans doute que la question vous sera posée. Vous vous déclarez favorable à un moratoire. Est-ce que vous croyez que ce que nous retrouvons dans le projet de loi est suffisant?

Mme D. Bournival (Lise): Le tout dernier projet de loi, je ne l'ai pas vu.

M. Bégin: Celui dont on parle aujourd'hui.

Mme D. Bournival (Lise): J'ai vu le projet de politique. Ah!, celui de... Bien, je veux dire...

M. Bégin: Tout le moratoire.

Mme D. Bournival (Lise): Je vais vous expliquer une des raisons pour lesquelles je trouve que le moratoire est indispensable. C'est que, comme on disait tantôt, les petites municipalités n'ont pas les connaissances nécessaires. Actuellement, on a une MRC qui vient – vous allez dire que c'est très restreint comme zone, comme le disait M. Sirros tantôt – de décider que, dans son nouveau schéma d'aménagement, elle incluait des zones d'exploitation de l'eau, parce qu'elle avait reçu une commande et que, pour elle, il y avait de l'eau il y a cent millions d'années, à l'époque des dinosaures, puis il va y en avoir encore dans mille ans, puis il n'y a pas de problème.

Sauf que, ce qu'on essaie, nous, de faire valoir à l'intérieur de tout ça, ce n'est pas écouté. Pour lui, toutes les zones agroforestières devront avoir des zones d'exploitation de l'eau. Or, les zones agroforestières, c'est les vergers. Et, conséquemment, la municipalité dit qu'elle doit se conformer à tout ça. Donc, on cherche actuellement une zone pour faire du captage d'eau. Donc, notre problème est loin d'être réglé. Donc, une entreprise de la place s'est proposée pour faire du captage d'eau. Elle a actuellement embauché M. McCormack, qui fait des tests pour essayer de déterminer s'il y a suffisamment d'eau. Donc, on finit par avoir l'impression que toutes les choses se recoupent, que le gouvernement puis les embouteilleurs sont très amis. Puis on se sent extrêmement menacé parce que, lui, il est en plein milieu des vergers, parce que, tout autour, je veux dire, il y a des gens qui irriguent, parce qu'on vient de terminer les tests de pompage en pleine période de crue.

Je trouve qu'il manque énormément de choses à l'intérieur des lois actuelles. Et la nouvelle politique, le projet de politique pour l'eau ne mentionne pas, à mon sens, des débitmètres en continu, une vérification suivie de ce que les embouteilleurs peuvent prendre. Parce que, par moments, ils peuvent décider de prendre 600 m³, une journée, puis le lendemain, la demande est plus grande, ils prennent plus pour eux, tant qu'à la fin du mois ils ont respecté les règles. Mais on ne peut pas passer de 70 m³ en neuf heures, après ça, à 25 m³ par jour. D'après ce qu'on nous a dit, en tout cas, ce n'est pas du tout le même impact. Alors, c'est sûr que je ne suis pas hydrogéologue, mais disons que les commentaires qu'on a eus étaient loin d'être rassurants.

M. Bégin: Alors, sans vouloir vous prononcer comme un expert ou une experte, vous pensez que les règlements que nous avons, les moyens de contrôle actuels ou qui s'en viennent sont insuffisants et qu'il faudrait aller plus loin encore. Et vous croyez qu'on devrait discuter de ces moyens, justement, avant de lever le moratoire. Est-ce que je vais trop loin ou si c'est ce que vous pensez?

Mme D. Bournival (Lise): Je vais avoir encore l'air de contourner votre question, mais j'avais eu une conversation téléphonique, déjà, avec un représentant du MEF chargé d'émettre les permis puis il me disait: Vous comprenez, la gestion de l'eau coûte cher, on n'a pas les moyens, on a un système de santé à soutenir, et il faut faire des choix douloureux, donc on est obligé de se contenter de ce qui se passe aujourd'hui et maintenant dans la nappe et on ne peut pas essayer de regarder ce qui va se passer demain ou l'année prochaine ou... Donc, les études ou les règlements sont faits en fonction d'une étude ponctuelle, sur le coup. Alors, peu importe si, l'année prochaine, il y a plus de pomiculteurs ou s'il y a plus de gens qui puisent dans la nappe, on ne s'en préoccupe pas. Comme l'a dit le monsieur du MEF: On n'est pas le Bon Dieu, personne, personne ne connaît l'avenir, nous, nos moyens nous permettent de gérer la ressource aujourd'hui, point. Mais je trouve ça inquiétant un petit peu pour l'avenir.

Puis je pense qu'il y a des règles précises puis je pense surtout qu'il faut faire un bilan des utilisateurs actuels dans les endroits où l'eau est bonne. Parce que, c'est beau, les embouteilleurs passent leur temps à dire: Bien, on prend juste 1 % de la recharge, mais, en réalité, je veux dire, ils prennent la bonne eau dans des endroits facilement accessibles, ils prennent l'eau de qualité dans les nappes captives qui est déjà à l'abri de la pollution. Donc, ce n'est pas les agriculteurs qui polluent ces nappes-là non plus puisque que, chez nous, c'est plein de pomiculteurs tout autour qui utilisent des produits quand même assez sévères. Puis, en dessous de la nappe, l'eau est toujours protégée, semble-t-il. Alors, ils se positionnent dans des endroits stratégiques où l'eau est la meilleure eau qui peut rester au Québec dans ces endroits-là, qui est dans une nappe, comme on le disait, à l'abri de la pollution. Ce n'est pas le 1 % de la recharge qu'ils prennent, ils prennent l'eau de bonne qualité dans des endroits précis. Alors, la balance de ce qui reste, ce n'est pas nécessairement la meilleure eau du monde, c'est de l'eau qui a été soit contaminée par des nitrates ou autres polluants ou c'est de l'eau qui est située dans des endroits inaccessibles, dans le Grand Nord ou...

M. Bégin: Merci.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Merci, M. le Président. Mme Dolbec, je tiens à vous réitérer combien je trouve précise, délicate et approfondie la présentation que vous avez faite. Au début, je me disais: Je vais la féliciter d'avoir gagné sa bataille puis la mettre en garde de ne pas mettre ses armes dans l'armoire parce qu'elle aura gagné, finalement. Parce qu'au bout de la ligne, vous avez temporairement, semble-t-il, arrêté, par ce moratoire, jusqu'au 1er janvier le projet précis qui vous préoccupait, mais rien n'a changé. Parce qu'à partir du 1er janvier vous allez être exactement dans la même situation. On n'a rien qui a changé dans la gestion de la ressource pour vous sécuriser, finalement.

Je constate, dans tout ce que vous avez dit, un problème fondamental. C'est, que vous avez, en cours de route, perdu confiance totalement dans le ministère de l'Environnement. La façon dont ça a été géré, votre dossier ou le dossier qui vous préoccupait, qui vous a placée dans une situation où vous vous êtes sentie obligée de prendre vos propres moyens – vous avez parlé d'une dépense de 50 000 $ – pour soutenir toutes les démarches que vous avez faites... Et aucun citoyen ne devrait être mis dans ce genre de situation pour défendre ce qu'il croit être ses droits ou un patrimoine comme l'eau. Je trouve ça complètement aberrant. Il y a eu un cafouillage incroyable dans ce dossier-là. Ce que vous avez relevé en disant que les tests ont été finis le 21, le certificat a été donné le 22 et le rapport sur les tests a été signé après que le certificat ait été autorisé et ç'a été remis le 31 décembre, c'est effectivement du jamais vu dans le déroulement des choses. Donc, je vous comprends.

Et on comprend aussi, dans votre présentation, que le vieil adage qui veut que le diable se trouve dans les détails, c'est tout à fait vrai. Parce que, là, vous me parlez des tests qui ont été faits dans des périodes hors pointe, si on peut parler ainsi, qu'on peut présenter comme étant des résultats de tests qui disent: Donc, il n'y a pas de problème. Sauf que, quand on teste quand effectivement personne d'autre n'utilise, il est probable que les évidences seront moindres quant aux conflits d'usages.

Vous parlez de la particularité du territoire au niveau des zones d'influence puis de l'étendue de cette zone d'influence. On vous répond: Bien, tant pis, c'est comme ça, c'est uniforme à travers le Québec, «one size fits all», merci beaucoup. Donc, je vous comprends d'avoir eu recours nécessairement aux médias, à tout le monde, aux députés de l'opposition, à tout le monde à qui vous avez pu vous adresser.

Vous arrivez à la conclusion et vous dites: Nous, on souhaite un moratoire jusqu'à temps, entre autres, qu'il y ait une réglementation adéquate. Et c'est là où je me dis: je ne connais pas la teneur exacte de tous les détails du règlement proposé, mais supposons qu'il y ait une réglementation adéquate sur la question de l'eau, pourquoi on ne l'appliquerait pas, selon vous, tout de suite? Ça, c'est une première question. Ma deuxième question, c'est: Est-ce que ça n'aurait pas été intelligent – pour ne pas utiliser d'autres mots, juste «intelligent» – dans un cas qui a soulevé tant de passion, d'inquiétude, d'anxiété, de dépenses, dans un cas comme le vôtre, le ministre ou le gouvernement aurait pu référer le dossier au BAPE pour demander à un groupe autonome...

(16 h 20)

Mme D. Bournival (Lise): On l'a demandé, à ce moment-là, autant comme autant, dès le départ.

M. Sirros: Vous l'avez demandé.

Mme D. Bournival (Lise): Oui.

M. Sirros: Et la réponse était quoi?

Mme D. Bournival (Lise): Il semblait qu'on ne voulait pas.

M. Sirros: Il semblait qu'on ne voulait pas. Mais, vous, avec ça, vous auriez senti au moins qu'il y avait une instance autonome, indépendante, crédible devant laquelle vous auriez pu dire ce que vous venez de nous dire ici, la question du rayon d'influence, la question des temps durant lesquels ont fait les prélèvements, etc. et vous auriez probablement, je soupçonne, eu le sentiment qu'au bout de la ligne, quand on se serait prononcé, quelqu'un de plus crédible que les représentants de la compagnie contre qui vous vous battez aurait émis une opinion plus objective, j'imagine.

Mme D. Bournival (Lise): Les embouteilleurs ont déjà eu, chez nous, des attitudes aussi tellement contradictoires. Je vous donne un simple exemple. À un moment donné, ils nous disaient: L'usine qu'on va construire n'aura pas de réservoir. On l'avait vu, d'ailleurs, dans la demande de permis. Or, ils nous arrivent avec un plan d'usine, puis, dans ce plan d'usine là, on voit deux gros réservoirs plus un plus petit réservoir. On nous dit: Ça, c'est deux réservoirs pour l'eau, puis le petit réservoir, c'est un réservoir pour l'eau distillée parce que, vous comprenez, en Ontario, ils préfèrent avoir de l'eau distillée. Alors, on se dit: l'eau distillée, on peut la faire n'importe où, pourquoi prendre de l'eau d'une qualité exceptionnelle pour faire de l'eau distillée?

Alors, des exemples de cet ordre, je pourrais vous en donner tout plein, qui ont fait qu'à la longue on a fini par se sentir un petit peu ridiculisés. On essayait de poser des questions – s'il y avait plus de transparence de leur part aussi – puis on nous laissait toujours sentir qu'on n'était pas hydrogéologues puis qu'on ne pouvait rien comprendre là-dedans. Puis on s'exprimait toujours en termes différents: on parlait de mètres cubes par heure, de litres par seconde, de gallons par minute pour mettre les chiffres les plus petits possible, là. Mais, à un moment donné, de ce côté-là, ça n'a pas facilité les choses non plus puis ça ne nous a pas nécessairement donné la meilleure opinion possible des embouteilleurs, malheureusement.

M. Sirros: Le projet de loi que nous avons ici vous donne en quelque sorte un sursis, rien d'autre, jusqu'au 1er janvier. Est-ce que vous vous sentez sécurisés, vous pouvez dormir en paix maintenant, tout est correct et réglé, ou est-ce que vous dites: Qu'est-ce qui va arriver?

Mme D. Bournival (Lise): Non, parce que, quand je vous parle d'une entreprise qui essaie de pomper chez nous, on ne sait pas qui est derrière non plus. Nous, on ne peut pas faire autrement que d'être aux aguets. Puis, dans notre cas à nous, ça ne règle pas la question de la nappe frontalière puis de ce que je disais tantôt, d'un peu l'aberrance de dire: on ne peut pas contrôler ce qui se passe de l'autre côté. La plus grande partie de la nappe de Franklin est du côté des États-Unis. On ne peut pas leur dire: Écoutez, nous, on garde l'eau pour nous, là, faites attention pour ne pas trop en prendre parce que, nous, on en a besoin pour embouteiller.

Dans une situation comme celle-là, à mon sens, pour les nappes frontalières, il devrait y avoir un moratoire immédiat pour s'assurer qu'il y ait une entente de prise avec le gouvernement américain pour ne pas mettre les gens dans des situations de conflit, des notes diplomatiques, des rencontres avec les Américains qui paniquent. Puis il y a un dépotoir à Westville, il y a toutes sortes de choses majeures le long de la frontière qui, semble-t-il, avaient quelque chose à voir avec des missiles Atlas dans les années cinquante. Donc, il y a une contamination majeure de ce côté-là qui peut se retrouver dans notre nappe aussi. Je pense qu'il y a des questions à aller poser de ce côté-là puis des vérifications à faire.

M. Sirros: Bien, au moment où on se parle, si vous aviez l'assurance ou le choix de savoir qu'un projet de pompage d'eau souterraine pour embouteillage dans votre région serait soumis au BAPE, vous sentiriez-vous mieux avec ça qu'avec un moratoire qui finit le 1er janvier de toute façon?

Mme D. Bournival (Lise): Même s'il est soumis au BAPE, est-ce que ça change quelque chose à la réglementation qu'il n'y ait pas de suivi, qu'on ne surveille pas les débitmètres et qu'il n'y ait pas de débitmètres en continu, qu'on ne fasse pas une étude d'impact régionale, qu'on ne regarde pas déjà qui pompe dans la nappe, qui...

M. Sirros: Ça peut changer quelque chose dans le sens que le BAPE va faire des recommandations. Mais il y aurait un deuxième volet à toute la discussion qu'on est en train d'avoir, et c'était la première partie de ma question. S'il y avait une réglementation adéquate maintenant, qui entrerait en vigueur maintenant, ce ne serait pas là quelque chose que vous réclameriez?

Mme D. Bournival (Lise): Je ne veux pas avoir l'air prétentieuse, mais on aimerait ça la voir, la réglementation, avant.

M. Sirros: Vous non plus, vous n'avez pas eu connaissance du projet de règlement qui est sur la table du Conseil des ministres.

Mme D. Bournival (Lise): On a le projet de politique officiel...

M. Sirros: Vous avez le schéma, mais vous n'avez pas les détails.

Mme D. Bournival (Lise): ...le gros projet de politique dans lequel on dit que le gouvernement connaît mal les nappes puis qu'il y a des études à faire puis que les experts ne sont pas nécessairement compétents, mais...

M. Sirros: Vous, finalement, vous avez ces documents-ci.

Mme D. Bournival (Lise): Oui. La problématique...

M. Sirros: Mais vous n'avez pas le règlement proprement dit qui...

Mme D. Bournival (Lise): Non. J'ai ouï dire qu'on n'étendait... Quelqu'un m'a parlé vaguement qu'on n'étendait pas...

M. Sirros: Comme je vous dis, moi aussi, je ne peux pas vous dire ce qu'il y a exactement dans le règlement, mais la question est: Supposons deux secondes qu'il y a un règlement adéquat qui permet, par exemple, d'après ce que vous venez de dire, la possibilité d'avoir des zones d'influence différentes selon le type de sous-sol, qui spécifie que les tests de pompage doivent être faits à des heures de pointe, qui réponde aux inquiétudes que vous avez soulevées...

Mme D. Bournival (Lise): Qu'il y ait un suivi...

M. Sirros: Si ce règlement existait, est-ce qu'on ne devrait pas le mettre en application à ce moment-ci, même si on n'a pas encore une politique globale de l'eau?

Mme D. Bournival (Lise): S'il y avait vraiment un règlement adéquat, oui. Mais, je veux dire, il faut qu'il soit adéquat. S'il ne l'est pas, ce n'est pas une bonne idée. S'il n'y a pas de surveillance, si vous allez voir les embouteilleurs deux fois par année puis vous dites: Bon, ça a bien été, votre eau est de bonne qualité...

Tantôt, les embouteilleurs se plaignent: On est les seuls à être soumis à des règlements, mais, je veux dire, ils prennent de l'eau qui est nécessaire pour la consommation humaine, une eau finalement qui a besoin d'avoir certaines qualités puis une certaine assurance de qualité. Donc, c'est d'abord dans une optique de santé publique qu'on les soumet à tant de tests, je pense. Ce n'est pas nécessairement principalement dans une optique environnementale.

Je veux dire que c'est certain qu'à Franklin, il y a une étude qui doit être faite. On s'est aperçu que la nappe baissait, depuis quelques années. Les pomiculteurs s'en plaignent. Les gens se plaignent que la qualité de leur eau se détériore. L'été passé, il y a eu une période de sécheresse. Or, la source qui coule juste en dessous de l'endroit, d'ailleurs, où les promoteurs voulaient capter était pratiquement asséchée, puisqu'on était en pleine période d'irrigation.

M. Sirros: Si, demain matin, il y avait cinq piscicultures – peut-être que je parle de ça sans rien dire – supposons que demain matin il y aurait cinq autres industries à grosse consommation d'eau, qui ne l'embouteillent pas, qui viennent s'installer dans votre région, vous serez pris avec exactement le même problème, n'est-ce pas?

Mme D. Bournival (Lise): S'ils viennent s'installer aux États-Unis, on ne peut rien dire. Puis, pendant ce temps-là, on a...

M. Sirros: Oui, mais même chez vous, qu'est-ce que vous pouvez dire?

Mme D. Bournival (Lise): On ne peut rien dire. On se battrait.

M. Sirros: Vous ne pouvez rien dire. S'ils ne sont pas soumis à un moratoire, ils ne sont pas soumis aux réglementations...

Mme D. Bournival (Lise): On se battrait...

M. Sirros: Donc, si demain quelqu'un vient pour ouvrir une ferme qui va nourrir – je ne sais pas – 2 000 cochons, il a besoin d'eau, il va pomper puis...

Mme D. Bournival (Lise): C'est d'ailleurs ce que disait M. Fivieson, qui était l'Américain situé juste derrière le site où les promoteurs voulaient pomper: Faites ça puis, moi, je mets un colorant dans l'eau. Vous allez avoir de l'eau bleue. Puis, moi, je m'installe une pisciculture. Quand on se retrouve justement dans...

M. Sirros: Donc, ça règle quoi pour vous, ce projet de loi?

Mme D. Bournival (Lise): La question du moratoire?

M. Sirros: Non, le projet de loi, de moratoire...

Mme D. Bournival (Lise): Comme je disais, c'est juste pour permettre un temps de réflexion puis vraiment donner une chance d'avoir une réglementation adéquate, de pouvoir s'asseoir, de pouvoir se dire: Bien, écoutez, là... Je veux dire, des choses à dire, on en aurait pendant des heures et des heures. Les anomalies qu'il y a eues chez nous sont particulièrement aberrantes, puis il doit y avoir moyen d'éviter ça.

Comme je dis, on n'est pas contre l'embouteillage. On se dit: Woup! c'est nouveau, là. Avant, il y avait des petites entreprises d'embouteillage de rien qui captaient des petites quantités. Là, tout à coup, on se retrouve avec un marché grandissant. On prévoit qu'aux États-Unis, le marché va doubler, d'ici quelques années. Le Japon demande de plus en plus d'eau. Alors, c'est sûr qu'il y a de l'argent à faire pour des promoteurs dans une province comme la nôtre.

Mais, nous, on va en retirer quoi, au bout du compte? Puis qui va payer pour tout ça? Quand on est allés rencontrer le ministre Cliche, à l'époque, on s'est fait répondre par les gens qui étaient là: Ce n'est pas notre faute si les petites municipalités ne sont pas adaptées pour ce genre d'entreprises, vous avez juste à vous creuser des puits plus profonds puis à vous mettre des pompes submersibles. Mais est-ce que tous les gens vont devoir payer pour permettre aux embouteilleurs de s'en venir? Il y a tellement de questions sans réponse dans tout ça puis de méthodes de contrôle qui peuvent difficilement être applicables, faute de moyens pour le gouvernement. Puis ça, on le comprend aussi.

M. Sirros: Je ne lis pas un grand emballement de votre part pour ce qui est mis de l'avant. Mais il reste encore beaucoup de choses à faire. Merci beaucoup.

M. Bégin: Merci beaucoup, madame.

Le Président (M. Lachance): Merci. J'indique maintenant que certains organismes ont déposé un mémoire, mais n'ont pas été entendus. Il y a INRS-Eau et puis le Centre québécois du droit de l'environnement qui ont déposé des mémoires, mais qui n'ont pas demandé d'être entendus.


Remarques finales

Est-ce qu'il y a des remarques finales aux travaux de cette commission?

Une voix: ...

Le Président (M. Lachance): Oui? De toute façon, il semble bien qu'on aura l'occasion de s'en reparler prochainement. Alors, je disais donc, M. le ministre, est-ce qu'il y a des remarques finales que vous voulez ajouter aux travaux de cette commission?

(16 h 30)


M. Paul Bégin

M. Bégin: M. le Président, je pense que nous avons entendu plusieurs mémoires fort intéressants. Fondamentalement, je pense ne pas trahir ce que nous avons entendu en disant que la plupart des gens pensent qu'il y a de l'eau en quantité suffisante, qu'elle est de bonne qualité, que, cependant, il se dresse certains conflits d'usages.

Personne n'a remis en question le fait qu'il y a peu de temps il s'est développé autour de cette question du puisage d'eau des débats fort acrimonieux qui ne sont pas de la teneur de ceux qu'on veut avoir quand il s'agit de discuter comment on va partager l'utilisation des ressources sur notre territoire. Certains pensent qu'il serait possible d'atteindre le but que nous visons par le projet de loi par le biais de la publication d'un projet de règlement déjà existant. D'autres pensent qu'il ne faudrait pas le faire, puisque le but du débat public qui est amorcé est de, justement, permettre à chacun de faire valoir son point de vue, en espérant que son point de vue puisse influencer une prise de décision finale, de sorte que le fait de publier déjà le règlement serait, en fait, leur dire: Voici la réponse, avant qu'ils n'aient eu l'occasion de faire valoir leur point de vue, ce qui est un petit peu choquant.

Donc, fondamentalement, je retiens que les gens acceptent qu'il y a là un problème et qu'ils auraient peut-être pris des moyens différents, mais que, fondamentalement, le projet de loi, même s'il n'a pas encore été adopté, a eu un effet bénéfique, apporter le calme, la raison, et peut-être certains inconvénients momentanés, mais qui sont loin d'être équivalents aux gains que l'on fait par le dépôt et l'adoption éventuelle du projet de loi.

Alors, je pense, M. le Président, que ce projet de loi est justifié, il est nécessaire, qu'il a apporté la paix, la tranquillité. Et surtout il permettra d'avoir un débat public correct et il permettra éventuellement d'avoir une politique de l'eau correcte également, pour permettre de solutionner non seulement ce problème-là, mais un ensemble de problèmes que les gens, de façon générale, reconnaissent comme étant existants. La plupart de ceux qui ont parlé, et je dirais même tous, ont dit: Il faut qu'on ait une politique de l'eau, il faut qu'on ait une vision de l'ensemble de l'eau. Certains étaient plus optimistes quant à son arrivée que d'autres, en termes de temps, mais tout le monde considérait que c'était extrêmement important de le faire.

Nous sommes toujours d'avis qu'il faut avoir une politique globale de l'eau, qu'il faut, avant de la faire, consulter et qu'il faut permettre aux gens de se prononcer sereinement. C'est pourquoi je pense qu'on doit adopter le projet de loi que nous avons. Voilà, M. le Président, les remarques que j'avais à faire après ces consultations particulières.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre. M. le député de Laurier-Dorion.


M. Christos Sirros

M. Sirros: M. le Président, quand on n'est même pas capable de satisfaire de façon en tout cas substantielle ou intéressante ceux pour qui un projet de loi est taillé sur mesure, quand, de tous les groupes qui sont venus ici, la presque unanimité... Je pense qu'il y a unanimité, M. le Président. Il y a unanimité de tous les groupes pour dire que ce projet de loi, ce moratoire ne règle rien. Il y a des gens qui ont dit qu'on devrait le retirer complètement. Il y a des gens qui ont dit qu'on devrait étendre le moratoire, pour que ça ait un sens et une cohérence, sur toutes les activités du captage des eaux. Mais personne n'a dit que le moratoire régle le problème. Les intervenants, qui ont terminé, qui étaient la clientèle visée, si vous voulez, par le projet de loi, ne peuvent pas dire qu'ils sont satisfaits, qu'ils peuvent donc dormir en paix, que tout est réglé, dans leur cas, ils restent aux aguets.

Ce n'est pas vrai non plus, M. le Président, que ce projet de loi va permettre le rétablissement d'un climat serein, etc., parce que le climat serein dépend de la possibilité de pouvoir liquider les anxiétés qu'on a, non pas de les mettre en veilleuse et de les garder. Quand on va entrer dans un débat où tout le monde va être un peu sur la défensive et un peu inquiété de tout ce qui va se passer, ce ne sera pas propice à un échange réel. Quand on va réagir aux gens en fonction de craintes qui n'auront jamais été mises en lumière puis liquidées puis digérées, on va avoir le résultat qu'on va avoir.

D'autant plus, M. le Président, que, si le ministre nous dit que, lui, il va réussir d'ici le 1er janvier à adopter une politique globale sur l'eau, moi, je lui prédis tout de suite que cette politique globale de l'eau ne vaudra pas grand-chose parce que ce n'est pas possible, physiquement, d'avoir un débat aussi fondamental d'une façon approfondie, d'une façon lucide, calme, rationnelle en évaluant les conséquences des décisions qu'on va prendre, des orientations qu'on voudra bien donner dans ce dossier comme société dans l'espace compressé, de façon réaliste et effective, de trois ou quatre mois. Quand je dis quatre mois, ça doit inclure, le temps pour convoquer les gens, le temps pour analyser, le temps pour décider. Et, si ce n'est pas fait d'ici le 1er janvier, le ministre aura deux choix: soit il va reconduire un moratoire avec un autre projet de loi pour une certaine période de temps supplémentaire ou il va laisser tomber les gens pour lesquels il avait dessiné le projet de loi, M. le Président. C'est un processus bâclé, c'est un processus qui a trouvé un ministre pas capable de dire à son premier ministre: Ça n'a pas de sens de faire ça.

Il vaudrait mieux parler aux gens qui sont concernés, trouver c'est quoi, la source du problème au niveau de leur anxiété, trouver une solution pour régler ce problème particulier. On lui a suggéré, peut-être, de mettre à la disposition de ces gens-là la possibilité d'aller devant le BAPE pour examiner les impacts régionaux d'un projet de pompage pour l'embouteillage, comme c'était la crainte initiale. Puis on lui suggère également de mettre en application le plus rapidement possible le règlement qui existe, de le prépublier afin de permettre tout au moins aux gens qui n'ont pas saisi ou n'ont pas été consultés directement sur le contenu de ce projet de loi, de le prépublier pour que les gens puissent le voir, réagir, suggérer des changements, etc. et de le mettre en application le plus rapidement possible, parce que, d'une part, ça n'empêchera en rien l'élaboration de la politique puis ça va sécuriser beaucoup de monde qui réclame exactement ça.

Parce que l'essentiel des activités qui utilisent les eaux souterraines échappent à toute réglementation réelle, à l'heure où on se parle, M. le Président. Alors, plus on attend, plus la nappe phréatique est utilisée, plus on se trouvera devant une situation de fait accompli devant laquelle on serait arrivé sans avoir jamais exercé un certain contrôle sur des situations qui se passent aujourd'hui. À moins qu'on veuille faire du surtemps puis laisser les choses passer puis essayer de juste tuer le temps ici...

Je constate qu'on est convoqué pour revenir ici à 20 heures, M. le Président, pour faire l'étude article par article de ce projet de loi. Je trouve ça aberrant que le ministre ne prenne même pas le temps de réfléchir devant tout ce qu'il a entendu avant de revenir et de faire l'étude article par article. On dirait que c'était une instance que le ministre, il fallait qu'il subisse de venir en commission parlementaire: C'est une affaire... bon, je vais tuer le temps, je vais écouter les gens, ils vont me dire que ça n'a pas de bon sens, mais, «so what!», au bout de la ligne, je vais demander à mes députés de voter avec moi, puis ils vont le faire, puis je vais faire à ma tête de toute façon, j'ai juste à subir le Parlement. Il y a un autre collègue, au Conseil des ministres, qui pense de la même façon, M. le Président, il doit subir le processus parlementaire.

Moi, je pense que, par respect pour les gens qui nous ont présenté des mémoires, il faudrait au moins qu'on prenne un certain temps de réflexion, permettre au ministre d'envisager la possibilité de faire quelque chose qui serait plus cohérent, qui aurait plus de bon sens et qui répondrait de façon plus efficace aux gens qui sont aux prises avec des problèmes particuliers, M. le Président. Et je suggérerais au ministre d'accepter de remettre l'étude article par article à un autre moment, peut-être après-demain.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. le député de Laurier-Dorion. Je vous remercie de votre collaboration.

La commission ayant accompli son mandat, je suspends les travaux jusqu'à 20 heures afin d'entreprendre un autre mandat, soit l'étude détaillée du projet de loi n° 405. C'était un ordre de la Chambre.

(Suspension de la séance à 16 h 40)

(Reprise à 20 h 4)


Étude détaillée du projet de loi n° 405

Le Président (M. Lachance): La commission des transports et de l'environnement se réunit ce soir avec le mandat de procéder à l'étude détaillée du projet de loi n° 405, Loi favorisant la protection des eaux souterraines.

Est-ce qu'il y a des remplacements pour cette séance, Mme la secrétaire?

La Secrétaire: Oui. M. Chalifoux (Bertrand) remplace M. Bissonnet (Jeanne-Mance); M. Sirros (Laurier-Dorion) remplace M. Brodeur (Shefford); et M. Gautrin (Verdun) remplace M. Middlemiss (Pontiac).


Remarques préliminaires

Le Président (M. Lachance): Merci. Est-ce qu'il y a des remarques préliminaires, M. le ministre?

M. Bégin: M. le Président, nous avons eu l'occasion de nous exprimer depuis deux jours. Alors, je pense qu'on est prêt à procéder à l'étude du projet de loi. Alors, je n'aurai pas de remarques additionnelles à faire.

Le Président (M. Lachance): Merci. M. le député de Laurier-Dorion.


M. Christos Sirros

M. Sirros: Oui, quelques-unes, M. le Président. Nous n'avons pas eu beaucoup le temps de nous exprimer, c'est les groupes qui se sont exprimés. Et les groupes qui se sont exprimés ont tous dit au ministre que son projet de loi n'avait aucun bon sens. Personne, l'unanimité, je n'ai jamais vu ça, l'unanimité de tous les intervenants. Tous les intervenants étaient contre l'adoption du projet de loi, tel que le ministre le présente. Alors, je souhaite, avant d'aller plus loin, savoir si le ministre a des amendements qu'il entend proposer pour rencontrer minimalement au moins quelques-unes des conditions que les groupes mettaient de l'avant. Ça pourrait faciliter beaucoup nos travaux, M. le Président, si on pouvait savoir si le ministre a pris note, durant les deux heures que je lui ai données pour réfléchir, suite à ces interventions-là, à savoir s'il entend procéder à des modifications à son projet de loi.

Le Président (M. Lachance): M. le ministre, est-ce que vous avez...

M. Bégin: À moins qu'il y ait des propositions de modifications techniques, je n'ai pas l'intention de proposer de modifications. Alors, je serai toujours prêt à entendre ce que mon collègue va dire.

M. Sirros: Moi, je suggère de supprimer l'article 1 et l'article 2, c'est facile.

M. Bégin: Et, s'il y a quelque chose d'extraordinaire, ça me fera plaisir de l'accepter. Mais, proprio motu, non, je n'ai pas de modification à proposer.

Le Président (M. Lachance): Alors, voici...

M. Sirros: D'accord, à ce moment-là, M. le Président, avec cette information je poursuis tout simplement en disant que c'est dommage qu'on ait fait venir tout ce monde-là pour les entendre, si le ministre avait décidé avant même de les écouter qu'il allait ignorer tout ce que les gens auraient à dire. C'est vraiment faire fi un peu des gens puis jouer avec des consultations bidon comme ça, les rendre bidon parce qu'on a décidé d'avance qu'on n'allait pas changer quoique ce soit. On devra subir un peu l'humeur de l'opposition qui voulait faire venir les gens pour avoir un éclairage sur le dossier. On reçoit l'éclairage qui nous dit unanimement que le projet n'a aucun sens dans sa forme telle qu'elle est, personne ne veut ce projet de loi, tel qu'on nous le présente, et le ministre nous dit: Bah! Tant pis! Moi, je m'en fous de ce que le monde pense, j'ai une commande à remplir et je vais la remplir.

Alors, ça étant dit, M. le Président, je pense que ça a été amplement démontré hier et aujourd'hui que le ministre est sur la mauvaise track. Maintenant, s'il veut foncer vers le mur, on va lui permettre de foncer sur le mur, en lui indiquant clairement que nous avons des objections quant à la teneur de ce projet de loi.

Le Président (M. Lachance): Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui veulent intervenir à ce stade des remarques préliminaires? Non?


Étude détaillée

Alors, nous allons aborder l'article 1. M. le ministre.

M. Bégin: M. le Président, l'article 1, et c'est le coeur, je pense, de notre propos, vise à établir un moratoire à compter de la date de la présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale – je crois que c'est le 18 décembre 1997 – sur des autorisations qui pourraient être délivrées pour l'établissement de prises d'eau pour le captage des eaux souterraines destinées à être commercialisées en bouteilles ou dans d'autres contenants comme eau de consommation humaine.

Le moratoire vise également à empêcher toute augmentation du débit des prises d'eau existantes où sont captées des eaux souterraines destinées aux fins mentionnées précédemment – et là, on a une alternative – soit au-delà du débit maximal autorisé conformément à l'article 32 de la Loi sur la qualité de l'environnement, soit, à défaut d'une telle autorisation, au-delà du débit maximal atteint entre le 1er janvier 1997 et la date de la présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale. Donc, en fait, c'est ce que la compagnie ou le propriétaire de l'exploitation a lui-même démontré, et on prend ce qu'il a fait comme utilisation maximum durant l'année ou la période de temps qui sépare le 1er janvier et la date de présentation. Donc, c'est une année complète moins 12 jours.

Alors, dans ce dernier cas, c'est-à-dire pour les prises d'eau existantes et n'ayant pas fait l'objet d'une autorisation aux termes de l'article 32, l'exploitant devra transmettre dans les 30 jours – et ça, c'était énoncé très, très clairement dans le projet de loi – de l'entrée en vigueur de la présente loi, une déclaration attestant le débit maximal qui aura été atteint entre le 1er janvier 1997 – donc, on réagit au début de l'année où on a déposé le projet de loi – et la date de présentation du projet de loi, puis ce débit constituera, à ce moment-là, le débit maximal qu'il pourra exploiter pendant la durée du moratoire, donc durant l'année, à toutes fins pratiques, 1998 jusqu'au 31 décembre 1998. Alors, voilà, M. le Président, en quoi consiste ce premier article.

M. Sirros: M. le Président, une question.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Oui. Sur quelle base légale, depuis la date de présentation du présent projet de loi et aujourd'hui, le ministre peut refuser d'émettre des certificats d'autorisation, s'il y a eu des demandes? Sur quelle base légale, depuis le dépôt du projet de loi et aujourd'hui, le ministre peut refuser d'émettre des certificats d'autorisation?

(20 h 10)

M. Bégin: Il n'y a pas de base légale. Je n'aurais pu, si un dossier avait été prêt, refuser de le faire, puisque l'habilitation n'était pas là. Cependant, tout le monde sait que, à compter du moment où on a énoncé ça dans un cadre légal, soit l'Assemblée nationale, et qu'on a déposé un projet de loi, il y a des choses qui vont agir, qui vont arriver et que ça rétroagit à ce moment-là. Mais, techniquement, à la limite des choses, s'il s'était produit qu'un dossier était prêt et qu'on aurait pu prendre une position, il aurait été, à mon point de vue, difficile, sinon impossible, de refuser l'émission d'un tel permis. Mais on sait qu'aujourd'hui quand le projet de loi sera adopté, il aura effet à l'égard des projets qui remontent à la date du dépôt du projet de loi.

M. Sirros: Mais est-ce qu'il y a eu des demandes...

M. Bégin: C'est ce qui se produit dans chacun des cas où il y a un moratoire entre la date du dépôt du projet et la date de son adoption.

M. Sirros: Mais il n'y a aucun instrument légal pour donner effet au moratoire avant que le projet de loi soit adopté et, donc...

M. Bégin: Serait prétentieuse la personne qui croirait pouvoir imposer sa volonté avant que l'Assemblée nationale ne l'ait autorisé.

M. Sirros: Donc, durant tout le temps qui est intervenu entre le dépôt du projet de loi et aujourd'hui ou le jour où le projet de loi sera adopté, il n'y avait pas de moratoire.

M. Bégin: Exact.

M. Sirros: Donc, le ministre menaçait, ou avisait, si on veut être plus gentil, les gens qu'il allait éventuellement y avoir un moratoire, donc qu'ils ne seraient pas bienvenus à poser leur demande d'autorisation.

M. Bégin: Je croirais que l'Assemblée nationale, au moment où, selon ses règles, elle signale qu'un projet de loi a été déposé, n'est pas menaçante. Je crois que l'Assemblée nationale se comporte selon ses règles, et tous les citoyens du Québec respectent ces règles-là. Alors, c'est l'effet du processus démocratique dans lequel on s'inscrit.

M. Sirros: Alors, ça sert à quoi d'indiquer que la date du début du moratoire, c'est la date de présentation du présent projet de loi, légalement?

M. Bégin: Ça a pour effet de dire que, voilà, maintenant que la loi est en vigueur – parce que c'est l'hypothèse que ça suppose, quand on inscrit, ce qui est en blanc actuellement, entre parenthèses, la date du projet de loi – entre les deux, le fait qu'il n'y ait pas d'autorisation et la date d'aujourd'hui, c'est tout à fait légal et conforme.

Mais le législateur ne prévoit pas ce qui arriverait dans l'hypothèse que vous soulevez, à l'effet que, si quelqu'un disait: Je m'en vais devant les tribunaux et j'exige, compte tenu du fait que j'ai respecté toutes les conditions prévues par la loi... comment un juge se comporterait. Alors, voilà.

M. Sirros: Effectivement, ce n'est pas... en tout cas, ça n'a aucun effet légal d'indiquer que c'est la date de présentation du projet de loi.

M. Bégin: Alors, voilà.

M. Sirros: À ce moment-là, pourquoi on n'indique pas que le projet serait effectif à partir de l'adoption du projet de loi?

M. Bégin: Je pense que le fait que l'Assemblée nationale, dans l'exercice de ses pouvoirs et dans le processus démocratique, que le gouvernement a l'intention d'adopter un projet de loi, le fait de le connaître, le fait de le faire connaître à tout le monde est une indication très ferme de son intention. Et, en conséquence, les citoyens se comportent en tenant compte de cet énoncé et disent: Oui, on est d'accord pour respecter à l'avance cette intention qui est indiquée, pas selon une volonté – comment je dirais? – ministérielle en soi, c'est-à-dire qu'un ministre dit: Voilà, je pense que je vais faire telle chose, mais c'est un ministre qui dépose au nom du gouvernement, dans le cadre du processus démocratique, à l'Assemblée nationale, un avant-projet de loi. Et là les gens comprennent que ce n'est pas simplement un caprice, une opinion qui est énoncée, mais c'est vraiment une volonté ferme, et, généralement, dans notre société, les gens respectent ça. Mais, si on allait au bout de toutes les logiques et que quelqu'un se posait en disant: Voici, j'ai un projet, il pourrait arriver que, dans certaines circonstances, on assiste à un débat extrêmement intéressant.

M. Sirros: Mais la volonté à laquelle réfère le ministre, elle aurait été indiquée avec le dépôt du projet de loi.

M. Bégin: Exact.

M. Sirros: Donc, c'est le dépôt qui indique la volonté et non pas la date de présentation...

M. Bégin: Exact.

M. Sirros: ...non pas la date qui est inscrite là-dedans. Parce que le ministre vient d'admettre que ça n'a aucun effet.

M. Bégin: Bien, moi, je pensais que la date du dépôt était la date de l'indication. Si vous y voyez une différence, je suis prêt à discuter de la chose. Mais, pour moi, la volonté était la journée du dépôt.

M. Sirros: C'est une petite coquille parce que...

M. Bégin: Alors, je ne voudrais pas rentrer dans une si petite nuance, mais, si vous faites...

M. Sirros: Non, mais c'est une coquille, en tout cas, une petite affaire. Parce que je trouve que c'est un peu loufoque d'indiquer que la date effective du moratoire, c'est la date de présentation du projet de loi, quand ça ne peut pas être effectif parce que la loi n'est pas adoptée.

La volonté que veut déclarer le ministre de déclarer le moratoire, elle deviendrait effective à partir de la date d'adoption du projet de loi. Et le geste de déposer – ça aurait pu être déposé le 18 décembre, comme il l'a fait – ça ne change rien quant à l'effectivité du moratoire. Donc, je lui suggère...

M. Bégin: On a très beau problème légal.

M. Sirros: Pardon?

M. Bégin: On a très beau problème légal là-dessus. Mais, généralement, dans notre société, lorsque l'Assemblée nationale est saisie d'un dépôt d'un projet de loi du côté de la majorité gouvernementale, les gens se comportent en acceptant le principe qu'à compter de ce moment-là...

M. Sirros: C'est ça que je vous dis.

M. Bégin: Voilà.

M. Sirros: C'est ça que je vous dis, moi aussi. Sauf que, pourquoi vous indiquez que la date de présentation du projet de loi est la date à partir du moment où l'interdiction commence, quand vous m'avouez que l'interdiction ne peut pas commencer avant que le projet de loi soit adopté?

M. Bégin: Tout à fait d'accord.

M. Sirros: Donc, logiquement, est-ce que le ministre ne devrait pas présenter un papillon pour...

M. Bégin: Non.

M. Sirros: Non? Le ministre ne veut pas être logique.

M. Bégin: Et, si vous regardez, tous les projets qui ont été déposés qui comportent un moratoire, sont rédigés...

M. Sirros: C'est une autre démonstration de l'illogisme de ce ministre, M. le Président.

M. Bégin: Je pense que peut-être le besoin... Je ne voudrais pas ironiser en disant ça, mais c'est, entre guillemets, des subtilités légales qui font que la loi, tant qu'elle ne sera pas adoptée, n'a pas d'effet. Mais, à compter du moment où elle existe, le fait de contenir que c'est à la date du dépôt – et tout le monde le sait que c'est le 18 décembre – ça a effet à ce moment-là. Mais, tant et aussi longtemps que la loi n'est pas adoptée, il n'y a d'interdiction formelle. Et c'est pour ça que je dis qu'il pourrait être très intéressant, dans certaines circonstances, compte tenu de certains éléments qui seraient présents à ce moment-là, de dire devant un tribunal: Nous avons un projet de loi qui indique un éventuel moratoire, mais est-il ou non opposable à telle personne qui respecte toutes les conditions? Et là c'est un très beau débat qui pourrait avoir lieu. Mais, comme on n'est pas dans cette hypothèse-là...

M. Sirros: Bien, le ministre a été chanceux, M. le Président, parce que personne n'a fait une demande d'autorisation depuis le 18 décembre. Parce que, s'il y avait eu une demande d'autorisation puis que quelqu'un tenait son bout, le ministre aurait été obligé de lui donner ça en dépit du fait qu'il disait que c'était interdit à partir de... En tout cas, vous voyez, ce que je veux dire, M. le Président.

M. Bégin: Non. Moi, je pense, M. le Président...

M. Sirros: Je ne veux pas poursuivre plus, à moins que le ministre veuille et insiste pour qu'on poursuive davantage.

M. Bégin: Non, c'était extrêmement intéressant, mais on ne peut pas conclure intempestivement sans qu'on ait eu l'occasion de dire la réalité des choses. Les gens, les citoyens qui respectent les lois...

M. Sirros: Mais, il n'y a pas de loi à respecter.

M. Bégin: ...qui respectent nos institutions, savent qu'à compter du moment où une volonté est exprimée dans le cadre de nos lois, généralement, il est souhaitable, préférable de les respecter, même si elles ne sont pas encore en vigueur.

Le Président (M. Lachance): De toute façon, il y a des précédents...

M. Bégin: Ah! ils sont nombreux.

Le Président (M. Lachance): ...de nombreux précédents. Et personne, à mon avis, ne prendrait le risque...

M. Bégin: Bien, oui, voilà.

Le Président (M. Lachance): ...de dire: Bien, je vais agir comme s'il n'y avait pas de loi, au risque...

M. Sirros: Mais il n'y a pas de loi.

Le Président (M. Lachance): ...rétroactivement, lors de l'adoption du projet de loi, de se faire annuler...

M. Sirros: Nos lois ne peuvent pas, généralement, être rétroactives.

Le Président (M. Lachance): Pardon?

M. Sirros: Généralement, le principe d'adopter des lois qui ont un effet rétroactif, il est rare. Ça a été dénoncé...

M. Bégin: Je sais qu'on a eu des taxes rétroactives.

M. Sirros: Oui, c'est ça, mais que vous avez dénoncées à mort.

M. Bégin: On a connu ça du temps où vous étiez là. Mais c'est pourquoi cette loi n'est pas rétroactive. Nous nous gardons bien de faire la rétroactivité. Nous sommes respectueux des droits des citoyens.

M. Sirros: Ça étant dit, M. le Président, je n'ai pas d'autres commentaires, à part de faire remarquer qu'il y a une insistance de la part du ministre à ne pas être cohérent. Mais, que voulez-vous.

Le Président (M. Lachance): Je voudrais juste signaler un problème de terminologie, peut-être, c'est que ce qu'on appelle la présentation d'un projet de loi, c'est effectivement le moment où le projet de loi est présenté à l'Assemblée nationale, donc «dépôt du projet de loi par le ministre» ou «présentation», ça revient au même.

M. Sirros: Oui, mais c'est ça, c'est la date du dépôt. Mais, ici, on déclare que la loi a effet au moment de son dépôt quand elle n'a pas effet. De toute façon, c'était, comme je le disais au départ, une petite affaire où le ministre sait très bien que ce n'est pas logique, mais il persiste à le faire. Alors, voilà, c'est fait.

Le Président (M. Lachance): Est-ce que l'article 1 est adopté?

M. Sirros: Vote nominal, M. le Président.

La Secrétaire: M. Bégin (Louis-Hébert)?

M. Bégin: Pour.

La Secrétaire: M. Lachance (Bellechasse)?

Le Président (M. Lachance): Pour.

La Secrétaire: M. Rivard (Limoilou)?

M. Rivard: Pour.

La Secrétaire: Mme Robert (Deux-Montagnes)?

Mme Robert: Pour.

La Secrétaire: M. Gagnon (Saguenay)?

M. Gagnon: Pour.

La Secrétaire: M. Sirros (Laurier-Dorion)?

M. Sirros: Contre.

La Secrétaire: M. Chalifoux (Bertrand)?

M. Chalifoux: Contre.

La Secrétaire: M. Lafrenière (Gatineau)?

M. Lafrenière: Contre.

La Secrétaire: C'est 5 pour, 3 contre.

Le Président (M. Lachance): Adopté sur division. Article 2, M. le ministre.

(20 h 20)

M. Bégin: Alors, l'article 2, M. le Président, est le corollaire, je dirais, de l'article 1. On tient à préciser, parce qu'on touche aux droits des citoyens dans cette loi-là, que l'interdiction qui est énoncée dans l'article 1 évidemment ne vise pas les demandes qui avaient déjà été soumises dans les formes légales pour approbation avant que le projet de loi ne soit déposé. Donc, on veut conserver tous les droits aux personnes qui étaient là, ce qui veut dire, en termes concrets, qu'une personne qui avait demandé l'autorisation de faire un captage qui, autrement, serait interdit en vertu de l'article 1, a le droit d'obtenir une réponse favorable parce qu'elle a déposé sa demande avant que le projet de loi ne soit déposé. Alors, il s'agit d'être très clair pour distinguer entre ce qui est permis puis ce qui est interdit et éviter les équivoques. C'est le sens du deuxième article, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): À votre connaissance, M. le ministre, est-ce qu'il y avait des cas, effectivement, qui étaient...

M. Bégin: Oui, effectivement, il y avait déjà 10 demandes qui étaient pendantes, si vous me permettez cette expression, au ministère, donc qui avaient été acheminées. Je ne sais pas si les demandes étaient parfaitement conformes, mais il y avait 10 demandes qui étaient inscrites dans le registre à l'effet qu'on demandait une autorisation.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Vous avez posé ma question, M. le Président. Vote nominal.

Le Président (M. Lachance): Mme la Secrétaire.

La Secrétaire: M. Bégin (Louis-Hébert)?

M. Bégin: Pour.

M. Rivard: M. le Président, est-ce qu'on peut proposer le même vote? «C'est-u» possible, ça, en commission? Non? Vous le reprenez à chaque fois. Si on peut proposer le même vote...

M. Bégin: Ça va être moins long.

La Secrétaire: M. Bégin (Louis-Hébert)?

M. Bégin: Pour.

La Secrétaire: M. Lachance (Bellechasse)?

Le Président (M. Lachance): Pour.

La Secrétaire: M. Rivard (Limoilou)?

M. Rivard: Pour.

La Secrétaire: Mme Robert (Deux-Montagnes)?

Mme Robert: Pour.

La Secrétaire: M. Gagnon (Saguenay)?

M. Gagnon: Pour.

La Secrétaire: M. Sirros (Laurier-Dorion)?

M. Sirros: Contre.

La Secrétaire: M. Chalifoux (Bertrand)?

M. Chalifoux: Contre.

La Secrétaire: M. Lafrenière (Gatineau)?

M. Lafrenière: Contre.

M. Sirros: ...chaque fois, vous donnez au ministre l'occasion de changer d'avis.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Secrétaire: C'est 5 pour, 3 contre.

Le Président (M. Lachance): Alors, l'article 2 est adopté sur division.

M. Rivard: M. le Président, seulement un petit point, seulement savoir si le geste que j'ai posé se fait en commission parlementaire. Est-ce qu'on peut demander le même vote? Remarquez bien que je n'ai pas d'objection à voter chaque fois, mais, si, strictement, on pouvait demander...

Le Président (M. Lachance): Oui, oui. C'est tout à fait correct de le demander, mais, si ce n'est pas accepté, à ce moment-là, on procède...

M. Rivard: Pas de problème.

Le Président (M. Lachance): Ça prend l'assentiment de tout le monde. Article 3. M. le ministre.

M. Bégin: Il s'agit d'un article qui vise à faire en sorte que les personnes qui contreviendraient aux dispositions de l'article 1 en subiraient les conséquences, c'est-à-dire qu'elles seraient sujettes aux pénalités prévues à la Loi sur la qualité de l'environnement, particulièrement aux articles 106 et suivants, qui prévoient des pénalités en ce qui concerne la première infraction et la deuxième infraction. Alors, c'est une question de logique, M. le Président.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Lachance): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Deux secondes.

Une voix: On va se consulter, on n'est pas sûrs.

M. Sirros: Ha, ha, ha!

Une voix: Tout le monde qui enfreint la loi...

M. Bégin: Quelqu'un qui établirait une prise d'eau contrairement à la loi enfreindrait celle-ci et, donc, serait passible d'amende.

M. Sirros: Ça nous pose de jolis problèmes.

Une voix: C'est difficile d'être contre.

M. Sirros: Sur division, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Alors, l'article 3 est adopté sur division. Et nous en sommes à l'article 4.

M. Bégin: Je pense qu'on a un petit peu discuté de la question lors de l'étude du premier article. Alors, bien que la date d'entrée en vigueur de la loi soit fixée à la date de sa sanction, les articles 1 et 2 ont effet à compter de la date de la présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale. Alors, on comprend qu'il s'agit de subtilités légales qui font en sorte qu'on joue et que ça n'a pas les mêmes effets selon...

M. Sirros: Ha, ha, ha!

M. Bégin: ...les choses. Mais ce sont des choses qui se plaident et qui ont des sanctions différentes, dépendamment si on a un bon point de vue ou un mauvais point de vue, devant les tribunaux. Mais c'est extrêmement sérieux, ces questions-là, et c'est le contraire de la rétroactivité; pas le contraire, mais c'est différent.

M. Sirros: Est-ce que le ministre a le goût de se commettre, M. le Président, sur l'adoption d'une politique globale de l'eau d'ici le 1er janvier? Je lui rappelle qu'il nous dit que le projet de loi a pour effet de créer un espace de discussions harmonieuses, le temps d'adopter une politique globale de l'eau. La date butoir, ici, c'est le 1er janvier. J'en conclus que, d'ici le 1er janvier, il va y avoir une politique globale de l'eau.

M. Bégin: M. le Président, ce que j'ai mentionné depuis le début, c'est qu'il était pertinent que l'on puisse avoir une consultation relativement à une future politique de l'eau dans un climat serein.

M. Sirros: C'est ça.

M. Bégin: Alors, je pense qu'on peut distinguer entre un climat pendant lequel on fait une consultation et le moment où on élabore finalement une loi spécifique.

M. Sirros: Ah, bon! La chicane peut reprendre après. C'est ça? C'est correct?

M. Bégin: Non, mais c'est que l'on peut faire des choses qui sont temporaires, des choses qui sont transitoires pour éviter qu'une fois qu'on a entendu toutes les parties, mais qu'elles l'ont fait dans un climat serein, là, on puisse dire: Voilà, on va faire telle et telle chose. Par exemple, vous avez réclamé que l'on mette en vigueur rapidement le projet de règlement. Par exemple, on est en décembre 1998, la consultation a eu lieu, nous avons eu l'occasion d'entendre toutes les représentations de toutes les personnes qui voulaient s'exprimer, nous savons ce que les gens pensent, et le moratoire arrive à son terme le 31 décembre. Qu'est-ce que l'on fait? Parce que, hypothétiquement, on n'a pas encore établi notre politique globale de l'eau.

Donc, on dit: Est-ce qu'on est capable de résoudre les difficultés particulières dans tel et tel dossier? Parce que ça, ce que nous discutons est un problème particulier dans un ensemble de choses. Est-ce qu'on devrait, par exemple, permettre la publication du règlement pour être capable de gérer les projets qui sont sujets à une approbation à compter du 1er janvier 1999? Je pense qu'à ce moment-là on sera rendu à la rivière et on verra si on traverse le pont ou de quelle manière et quel pont on traverse. Je pense qu'à ce moment-là on aura eu un débat serein.

M. Sirros: Si je comprends bien, M. le Président, la chicane peut prendre après le débat, même s'il n'y a pas de politique d'adoptée et on pourrait peut-être même adopter le règlement avant que la politique ne soit adoptée, même si on dit aujourd'hui qu'il ne faut pas adopter le règlement avant que la politique ne soit adoptée. Bon. C'est clair.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Sirros: Le ministre poursuit dans sa clarté obscure, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Alors, l'article 4 est adopté?

M. Bégin: Adopté.

M. Sirros: Contre, M. le Président. Vote nominal, pour conclure.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Lachance): Vous faites travailler la secrétaire ce soir.

M. Bégin: En tout cas, je vous jure, M. le Président, que je vais voter de la même façon que tantôt.

M. Sirros: ...

La Secrétaire: M. Bégin (Louis-Hébert)?

M. Bégin: Ha, ha, ha! Pour.

La Secrétaire: M. Lachance (Bellechasse)?

Le Président (M. Lachance): Pour.

La Secrétaire: Mme Robert (Deux-Montagnes)?

Mme Robert: Pour.

La Secrétaire: M. Rivard (Limoilou)?

M. Rivard: Pour.

La Secrétaire: M. Gagnon (Saguenay)?

M. Gagnon: Pour.

La Secrétaire: M. Sirros (Laurier-Dorion)?

M. Sirros: Contre.

La Secrétaire: M. Chalifoux (Bertrand)?

M. Chalifoux: Contre.

La Secrétaire: Et M. Lafrenière (Gatineau)?

M. Lafrenière: Contre.

La Secrétaire: C'est 5 pour, 3 contre.

Le Président (M. Lachance): Alors, l'article 4 est adopté sur division. Est-ce que le titre du projet de loi n° 405, Loi favorisant la protection des eaux souterraines, est adopté?

M. Sirros: Sur la protection des eaux souterraines, M. le Président?

M. Bégin: Adopté.

M. Sirros: Moi, je propose un amendement.

M. Bégin: Ha, ha, ha! Trop tard!

M. Sirros: Non, ce n'est pas trop tard.

M. Bégin: C'est vrai, on pourrait, à ce stade-ci...

M. Sirros: Non, mais, je veux dire, je ne sais pas si je vais l'écrire, M. le Président. Mais, si je pouvais l'écrire, ça devrait se lire véritablement: Projet de loi pour couvrir la bourde du premier ministre Lucien Bouchard afin de trouver une excuse pour qu'il paraisse raisonnable et compatissant envers les gens de Franklin...

Des voix: Trop long.

M. Sirros: ...tout en mettant la pagaille, tout en rendant un groupe injustement pointé du doigt et en faisant sentir au ministre de l'Environnement qu'il n'a pas de place pour utiliser sa logique et sa cohérence et qu'il doit agir, donc, en simple exécutant. Ça devrait se lire comme ça, le projet de loi, M. le Président, mais...

Le Président (M. Lachance): Mais ça serait non recevable.

M. Sirros: ...ce serait non recevable, vous allez me dire.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Sirros: Alors, on va voter sur division, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Alors, le titre est adopté. Est-ce que l'ensemble du projet de loi n° 145 est adopté?

M. Bégin: Adopté.

M. Sirros: Sur division.

Le Président (M. Lachance): Le projet de loi n° 405 est adopté sur division. Alors, il me reste à vous remercier pour votre rapidité d'exécution.

M. Bégin: Je veux remercier les collègues, tant du côté ministériel que du côté de l'opposition, ainsi que le personnel de l'Assemblée. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lachance): Et Mme Béland, qui a eu fort à faire ce soir.

M. Bégin: Ha, ha, ha!

M. Sirros: ...on l'a fait travailler ce soir.

Le Président (M. Lachance): Alors, merci. Et la commission des transports et de l'environnement s'étant acquittée de son mandat, j'ajourne les travaux sine die.

(Fin de la séance à 20 h 30)


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