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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le jeudi 27 octobre 1988 - Vol. 30 N° 3

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations


Journal des débats

 

(Neuf heures vingt minutes)

Le Président (M. Marcil): Bonjour. On s'excuse de ce délai, d'une part, parce qu'il nous manque encore une personne qui doit arriver dans quelques minutes. Je tiens à vous informer également qu'à dix heures, il va y avoir un exercice d'évacuation de tout le bâtiment. Il va falloir qu'on s'y prête. Nous allons sortir par le centre du bâtiment et ils vont nous laisser une heure et demie à deux heures et demie à l'extérieur. Non! Quinze minutes. Ha, ha, ha! Est-ce qu'il y aurait des remplacements, Mme la secrétaire?

La Secrétaire: Oui, M. Dufour (Jonquière) est remplacé par M. Boulerice (Saint-Jacques) et Mme Harel (Maisonneuve) par M. Filion (Taillon).

Le Président (M. Marcil): Très bien. Je vais rappeler le mandat de la sous-commission. C'est de procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations. Le premier groupe que nous avons ce matin est l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc. Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire, tout en vous informant que les mémoires qui nous sont parvenus ont tous été lus et travaillés, de part et d'autre, et environ une vingtaine de minutes vous sont allouées pour nous faire une présentation de façon très synthétique de votre mémoire. Ensuite, nous pourrons procéder à une période de questions. Si vous voulez, M. Conrad Gosselin, nous présenter les personnes...

M. Doyon (Gilles): Voulez-vous que l'on fasse la présentation, M. le Président?

Le Président (M. Marcil): Oui, vous allez commencer votre présentation, mais avant, présentez-nous les gens qui vous accompagnent.

Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc.

M. Doyon (Gilles): Mon nom est Gilles Doyon de l'APCHQ. Je suis le directeur du service juridique et j'ai, à ma droite, M. Conrad Gosselin, notre président provincial, président de la compagnie Goscobec et de la compagnie Hénault et Gosselin, qui va vous lire l'introduction de notre mémoire. Vous avez, à sa droite, Me Serge Crochetière qui est avocat-conseil chez nous et qui va vous présenter notre mémoire comme tel. Juste avant, M. le Président, un petit mot de présentation sur l'association, avec votre permission.

Le Président (M. Marcil): Allez-y.

M. Doyon (Gilles): L'association compte 5600 membres entrepreneurs regroupés dans treize régionales auxquels s'ajoutent 2400 membres regroupés en trois associations affiliées pour un total de quelque 8000 membres entrepreneurs oeuvrant principalement dans le domaine résidentiel. Quelques mots aussi de notre programme Garantie des maisons neuves qui existe depuis 1976. Il y a deux jours, nous avions une conférence de presse pour souligner l'enregistrement de la 150 000e unité et nous avons aussi, je vous le souligne, notre programme Garantie en rénovation. Donc, c'est en tant que porte-parole de l'habitation que l'on vient vous voir ce matin. Je cède la parole à M. Gosselin.

M. Gosselin (Conrad): Merci. M. le Président, merci d'accueillir notre association, de façon à nous permettre d'exprimer notre point de vue sur le projet de réforme.

En présentant son avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations, le législateur aurait-il commis une erreur sur la personne? L'étude et la considération des dispositions contenues à l'avant-projet de loi, particulièrement celles relatives à la vente et au contrat d'oeuvre, nous conduisent à répondre par l'affirmative à cette question. Nous nous expliquons.

Rappelons en premier lieu qu'un code civil, tel l'actuel Code civil du Bas-Canada, contient d'abord et avant tout un ensemble de règles de droit civil constituant le régime de droit commun régissant les rapports juridiques entre les divers intervenants d'une société.

Conséquemment, au plan des obligations comme telles, un tel régime s'applique notamment aux relations contractuelles existant entre deux personnes physiques, une personne physique et une personne morale, deux personnes morales, une personne physique et un organisme de l'État, etc. Or, d'outre en outre de l'avant-projet de loi, spécialement aux chapitres traitant et du contrat d'oeuvre, les dispositions sont nettement et délibérément axées sur la protection du consommateur.

L'intention arrêtée et manifeste qui se dégage à la lecture de ces dispositions, c'est de donner au consommateur les moyens adéquats et efficaces pour faire valoir ses droits ou sa position face à son constructeur vendeur. Il s'agit dans les faits d'une véritable Loi sur la protection du consommateur!

Ce faisant cependant, le législateur a oublié, volontairement ou pas, que les autres intervenants du droit civil se retrouveront dans la position privilégiée du consommateur surprotégé face à l'entrepreneur de cons-

truction.

Par voie de conséquence, ces autres intervenants, notamment les promoteurs, les financiers, les sociétés commerciales et les organismes de l'État sauront, non seulement utiliser habilement et avantageusement les droits et recours que l'on veut accorder au consommateur, mais sauront également les améliorer, les perfectionner et les peaufiner au détriment constant de l'entrepreneur de construction.

Sur un autre plan, les mesures préconisées à l'avant-projet de loi, en ce qui concerne le contrat d'oeuvre conduiront à un déséquilibre sérieux de la situation juridique et économique de l'entrepreneur de construction. En d'autres termes, au droit de gérance traditionnel de l'entrepreneur sur son chantier, l'on opposera et imposera un droit d'ingérence en faveur du cocontractant de l'entrepreneur.

En d'autres termes, tout en conservant à l'entrepreneur la responsabilité de la planification, de la coordination et de l'exécution complète des travaux sur un projet de construction, on lui fera assumer une responsabilité accrue en diminuant en contrepartie, voire en diluant et en édulcorant, ses droits et ses moyens relativement au contrôle, à la surveillance et à la réalisation d'un projet concerné.

De fait l'assomption d'une telle proposition conduira à une situation problématique, cahotique et insoutenable pour les entrepreneurs de construction. Plus encore, l'explication intégrale de certaines dispositions spécifiques de l'avant-projet de loi, comme on le verra à travers les commentaires émis au regard de certains articles, aura comme conséquence la disparition, à courte ou à moyenne échéance, de tous les petits entrepreneurs de l'industrie de la construction résidentielle.

Conséquemment, compte tenu des éléments évoqués ci-dessus, compte tenu également de la situation de plus en plus complexe créée aux entrepreneurs de construction, compte tenu enfin de la difficulté sans cesse accrue, pour plusieurs d'entre eux de s'assurer une certaine sécurité juridique en ce qui a trait à leurs opérations, l'APCHQ demandera, à travers les commentaires et les recommandations qui suivent, que soient conservées les actuelles dispositions du Code civil du Bas-Canada en ce qui concerne la vente et le contrat d'entreprise. En d'autres termes, l'APCHQ réclamera devant les membres de cette commission que soit maintenu le statu quo.

Évidemment, les propos que nous tenons ce matin sont des propos à propos desquels nous avons fait consensus dans la partie patronale. Vous aurez l'occasion de le constater dans le courant de la journée. Sur cela, je vais céder la parole à Me Serge Crochetière qui vous expliquera la position plus en détail sur le fond.

M. Crochetière (Serge): M. le Président, mesdames et messieurs, en fait je ne vous ferai pas la lecture intégrale du mémoire. Quant à mes commentaires, ils toucheront plutôt les deux aspects qui nous concernent davantage, soit la vente d'immeubles résidentiels et le contrat d'oeuvre. Alors, cela part de la page 31 du mémoire.

Les principaux commentaires, pour ce qui est de la vente d'immeubles résidentiels, à l'article 1839. On parle d'un immeuble construit ou à construire par le constructeur ou par un promoteur et lié aux dispositions de l'article 1840. Cela peut créer des problèmes. Ainsi, juste à titre d'exemple, un promoteur va être tenu à ces exigences par rapport à un vendeur ordinaire, mais pendant combien de temps? S'il construisait, par exemple, un triplex ou un quadruplex et qu'il le louait, est-ce que cinq ans plus tard il sera tout de même obligé de fournir ces renseignements? Le code est silencieux, pourtant il est constructeur ou promoteur. Et le texte, s'il s'appliquait intégralement, dirait que tout le temps, même dans les constructions qu'il ferait à titre d'investissement, il serait tenu à cela.

Il reste aussi la question de la circulaire d'information, aux articles 1841 et qui est liée à toute cette pratique qu'on veut instaurer, c'est lié à la notion de promoteur. Cela crée des problèmes considérables en ce sens qu'on va demander aux entrepreneurs, lorsqu'il va y avoir un projet de plus de cinq unités, de fournir des renseignements à leurs éventuels acheteurs concernant l'implantation, le schéma d'ensemble et tout ça. On va lui demander aussi de fournir des informations quant aux droits réels enregistrés. Comment un entrepreneur qui transige avec un promoteur... Vous avez des projets dont le terrain est détenu par un promoteur qui fait toute la planification et qui revend à des sous-groupes d'entrepreneurs. Or, celui qui va avoir la relation contractuelle avec le consommateur, c'est le constructeur-vendeur et non pas le promoteur. Comment le constructeur-vendeur va-t-il pouvoir assumer la responsabilité du schéma d'aménagement, du futur zonage, de la future implantation du projet, des équipements communs alors qu'il n'a lui-même aucun contrôle là-dessus? (9 h 30)

D'autre part, comment va-t-il pouvoir fournir les droits réels inscrits sur les terrains - je m'explique - s'il y a des hypothèques flottantes, des charges flottantes assumées par le promoteur, ce qu'on appelle des "builders' terms" avec des hypothèques générales consenties par le promoteur là-dessus? Les servitudes, les négociations sont faites par le promoteur et non pas par le constructeur lui-même, avec les utilités publiques. Si on revient à la relation du constructeur avec son client, on dit qu'il faut qu'il établisse tous les droits réels. Est-ce qu'il va être obligé de dévoiler à son client tout le financement intérimaire et les "builders" terms" qu'il y a là-dessus, parce que ça va être enregistré? Généralement, il y aura des hypothè-

ques soit collatérales ou directes, ou des balances de prix de vente assorties du privilège du vendeur qui vont continuer d'être enregistrées sur ces terrains. Donc, ce sont des droits réels. Est-ce que vous voulez vraiment que le constructeur, qui est dans un projet de 50 ou 75 maisons, se mette à faire cette démarche avec chacun des consommateurs? D'abord, ça risque de créer un fouillis et, d'autre part, on se demande quel est le but visé. On comprend très bien qu'on ne veuille pas que l'acheteur soit lésé, à l'autre bout, mais il y aurait peut-être une façon plus pratique de s'assurer que le notaire fournisse une garantie ou une recherche de titres plutôt que d'obliger, dans chaque cas, le constructeur à faire la ventilation de l'ensemble des droits réels, ceux dont il a le contrôle et ceux dont il n'a pas le contrôle sur son terrain, d'une part, et, d'autre part, quant aux autres éléments, quant au formulaire d'information, qu'il soit tenu de dévoiler des projections dont il se porte garant pour une durée de trois ans. C'est ce qu'on voit plus loin. Or, s'il n'a pas le contrôle des changements de zonage subséquents, son consommateur a, aux termes du projet de loi, des recours pendant trois ans après la fourniture du formulaire d'information, soit en diminution du prix de vente, soit en annulation de la vente. Prenons un exemple concret. J'achète d'un entrepreneur qui n'est pas le promoteur à proprement parler une maison traditionnelle unifamiliale détachée dans un quartier; pour des raisons X, soit d'un marché de changement du zonage municipal, le promoteur oblige, par la suite, un constructeur qui n'est pas le mien à construire des maisons en rangée derrière chez moi. Est-ce que je vais pouvoir poursuivre mon constructeur en disant que cela cause une perte de valeur de mon unité, parce que je croyais, suivant son formulaire d'information, que ce seraient encore des maisons détachées derrière chez moi? Vous mettez le constructeur à la merci de poursuites dont il ne pourra absolument pas se défendre et par rapport à des éléments sur lesquels il n'y a absolument aucun contrôle.

Il ne faut pas oublier que, de plus en plus, à cause de divers problèmes, à cause, notamment, du coût de financement des infrastructures, on est en train de rejoindre la structure de l'industrie de partout ailleurs en Amérique du Nord, c'est-à-dire différents paliers. Vous avez, au tout départ, les propriétaires-spéculateurs qui possèdent de grands ensembles immobiliers, qui vendent à des promoteurs, qui revendent à des sous-groupes d'entrepreneurs. Par le projet de loi tel qu'il nous est présenté, vous rendez les constructeurs-vendeurs responsables de tous les changements qui peuvent arriver sur leurs projets. Alors, on vous dit que c'est presque en faire une victime. Je veux que personne ne se mette à pleurer sur le dos des constructeurs, mais on les met dans une situation pour le moins invivable, dans certains cas. J'essaie de résumer tous ces aspects et dé mettre ensemble nos préoccupations par rapport au chapitre concernant la vente d'immeubles résidentiels.

Nous passons, ensuite, au contrat d'oeuvre. Il ne faut pas oublier, cependant, que les dispositions du code font en sorte que "la vente par un entrepreneur"... "construit ou à construire, est assujettie" au contrat d'oeuvre. Ce sont les dispositions de l'article 1849. Vous allez le voir tantôt. Par rapport à nos réflexions, j'aimerais que vous conserviez en mémoire que le lien qui est fait là risque de créer des problèmes, surtout dans les cas d'immeubles déjà construits. Par rapport, notamment, à toute la fiducie, on ne s'explique pas comment quelqu'un qui a construit une maison sur son propre terrain, qui veut la vendre, par le seul fait qu'il est propriétaire, va être obligé de constituer des fiducies. Est-ce que la loi va aller aussi loin que ça? Est-ce que le futur consommateur qui n'avait même pas d'offre d'achat, va avoir un droit de regard sur le financement d'une maison qui est déjà construite?

Plus spécifiquement, maintenant, quant aux dispositions du contrat d'oeuvre, il y a la question du contrat préliminaire. Comment peut-on appliquer les mesures prévues à l'article 2158 à un immeuble déjà construit? Nous disons que "le contrat d'oeuvre est celui par lequel une personne, entrepreneur ou fournisseur de services, appelée le professionnel, s'oblige envers une autre personne, le client, à exécuter une oeuvre, soit en réalisant un ouvrage, soit en procurant un service". Or, je vous le soulignais tantôt, l'article 1849 dit qu'on est assujetti à ces dispositions, même pour un immeuble résidentiel déjà construit.

L'article 2171. "Si, lors de la conclusion du contrat, il a été convenu d'un prix approximatif, le prix définitif ne doit pas excéder de plus de 10 % l'approximation ainsi faite."

Pour nous, cette disposition signifie à peu près la disparition totale des contrats qu'on appelle "costs plus", à coûts majorés. Si, justement, on s'en va à des contrats à coûts majorés, c'est parce qu'on ne peut pas déterminer le prix de base ou que le donneur d'ouvrage... Il ne faut pas oublier que ces dispositions ne sont pas uniquement circonscrites aux ventes de maisons traditionnelles et unifamiliales, on parle de l'industrie de la construction au complet. Comment fera-t-on pour les appliquer à des contrats entre les gens sans... Ils ne pourront plus se parler ni se donner un prix approximatif, alors ce sera essentiellement "costs plus" et cela veut dire, à toutes fins utiles, qu'il n'y aura plus personne qui voudra transiger là-dedans, le risque sera trop grand. Pour le professionnel, aux termes du contrat d'oeuvre, si, lui, il s'engage là-dedans, il ne voudra pas donner un prix approximatif, sinon il sera obligé de se mettre des coussins trop importants pour ne pas risquer de se faire opposer les autres dispositions concernant ces articles-là et risquer d'avoir à supporter les surcharges qui arriveraient.

L'article 2173. Encore là, c'est d'application générale. Il reprend substantiellement les dispositions de l'article 1690 actuel, c'est-à-dire qu'un entrepreneur ne peut pas, lorsqu'il transige, modifier les coûts sans qu'il y ait le serment décisoire du propriétaire ou s'il y a une entente signée et le prix dûment arrêté, si je me souviens bien des termes de l'article 1690.

Cependant, la jurisprudence a fait en sorte que ces dispositions ne s'appliquent pas à l'intérieur de l'industrie. La jurisprudence est constante maintenant à savoir qu'entre un entrepreneur général et les entrepreneurs spécialisés, à cause de la complexité des chantiers, les dispositions de l'article 1690 ne s'appliquent pas. Est-ce que l'article 2173, dans sa rédaction, va s'appliquer à l'ensemble de l'industrie? Si oui, encore une fois, on vient changer des pratiques. Ce que cela risque d'amener... Si c'est trop drastique comme interprétation, cela risque d'enrayer plusieurs chantiers. Il y a des modalités sur les chantiers qui sont généralement peu suivies, c'est-à-dire toute la signature des ordres de changements, des avis de changements. Cela se fait, mais, pour des ouvrages urgents ou courants, on passe par-dessus. La jurisprudence concernant l'article 1690 est venue consacrer cela. L'article 2173 serait-t-il d'une application beaucoup plus radicale? À ce moment-là, cela risque de ralentir souvent et inutilement plusieurs travaux de construction.

L'article 2174. "Les collaborateurs qui sont intervenus dans l'exécution du contrat ont le droit de réclamer du client le paiement de leurs créances, jusqu'à concurrence de ce que le client doit au professionnel".

On veut mettre ces dispositions en relation avec les autres dispositions, notamment l'article 2176 qui dit que "la réception de l'oeuvre est l'acte par lequel le client déclare l'accepter, avec ou sans réserves. Le client conserve, néanmoins, ses recours contre le professionnel au cas de vices ou malfaçons." On dit aussi que le client peut payer directement les collaborateurs. Cela veut dire concrètement que, lorsque le client donneur d'ouvrage reçoit un travail, il n'est plus présumé l'avoir accepté même en ce qui concerne des malfaçons ou des défauts apparents. Par ailleurs, le collaborateur, c'est-à-dire l'entrepreneur spécialisé qui a exécuté les travaux et qui peut être le responsable de la malfaçon ou de la mauvaise exécution, peut aller se faire payer directement. Le paiement ne fait plus preuve de l'acceptation des travaux. Dans quelle situation va se trouver l'entrepreneur général? Parce que, très souvent, je ne veux pas trop généraliser mais disons que dans la majorité des cas, l'entrepreneur général n'a plus, comme autrefois, une main-d'oeuvre qualifiée dans l'ensemble des corps de métiers. Il ne faut pas oublier qu'on a 28 cartes de compétence. Je pense qu'avec les spécialités, il y aurait 41 ou 46 corps de métiers distincts. Cela n'existe plus un type qui a une équipe qui fait tout. Il travaille par sous-contrats, il travaille en sous-traitance. Mettez-vous un peu dans la peau de celui qui veut dire ensuite à son entrepreneur spécialisé de retourner sur le chantier quand celui-là a déjà été payé par le donneur d'ouvrage qui, de toute façon, ne risque plus rien à payer à l'avance puisque le paiement et la réception des travaux n'impliquent plus son acceptation. Il y a une garantie de parachèvement, une garantie de conformité ainsi qu'une garantie contre les malfaçons apparentes d'un an prévues dans les nouvelles dispositions du Code civil.

Encore une fois, ces éléments ne collent pas à notre réalité. Ce n'est pas comme ça que ça se passe sur un chantier de construction. Que l'on conserve au consommateur le droit de réserver le paiement de certaines sommes dans des cas où il peut identifier pourquoi, cela peut aller, cela peut se discuter. Mais qu'on dise qu'il a le droit de payer non seulement au contractant, c'est-à-dire l'entrepreneur, mais qu'il a même le droit d'aller payer ses fournisseurs et ses sous-traitants directement et que, même s'il fait tout ça, ça ne veut rien dire, il peut quand même retenir l'argent ou réclamer du constructeur ou de son cocontractant, on se demande un peu comment on a pu introduire dans le code des dispositions semblables.

D'autant plus que, comme je vous le soulignais tantôt, comme le disait M. Gosselin dans l'avant-propos, on a l'impression que les rédacteurs ont pensé surtout à la relation contractuelle entre les consommateurs et les contractants. Mais c'est une industrie complète. Il y a des promoteurs qui vont avoir les mêmes droits que les consommateurs avec ça et qui vont peut-être, dans certains cas, pouvoir abuser d'une position de force. Je parle des promoteurs d'ensembles immobiliers, aussi bien dans le commercial que dans l'institutionnel, qui se retrouvent avec en main les mêmes pouvoirs qu'un consommateur. Dans certains cas, on craint que ça puisse nous créer des ennuis assez importants.

Le temps fuit. Je voudrais juste toucher un dernier aspect: la question de la fiducie, qui est essentielle aussi pour nous. Ce que prévoient les dispositions du projet de loi, c'est la création artificielle d'une fiducie entre les mains du consommateur et, par la suite, entre les mains du constructeur, et que le paiement se fait 30 jours après la fin des travaux.

Doit-on entendre par là que le constructeur va être obligé de tout financer en attendant, parce qu'il ne pourra pas débourser les sommes? Si c'est le cas, avez-vous mesuré l'impact sur l'ensemble des entrepreneurs, surtout les petites entreprises qui font, par exemple, de la rénovation? Plusieurs d'entre eux n'auront pas les capacités financières pour faire ça. Ils sont incapables d'aller chercher des cautionnements dans les compagnies de cautionnement. Ils n'ont pas les fonds de roulement qui le permettent. Ils ont à peine des fonds de roulement qui justifient

leur solvabilité. Ce n'est pas parce que ce sont des gens malhonnêtes. Cela fait 20, 25, 30 ou 40 ans qu'ils font vivre leur famille avec des... Ils travaillent souvent pour leur propre entreprise. Leur travail, c'est leur salaire. Si vous leur imposez de financer totalement tous les travaux, vous allez en voir disparaître une grande partie. Vous allez créer une forme d'oligopole sur certains chantiers de construction avec une incidence directe sur les coûts.

L'autre disposition aussi liée à cet aspect, c'est la question du fait que les entrepreneurs ne peuvent plus retirer d'argent qui excède le coût des travaux. Encore là, c'est une forme de méconnaissance de l'industrie, parce que les entrepreneurs sont maintenant obligés de transiger avec ce qu'on appelle la préfabrication. Mais quand ils commandent pour la préfabrication, ils sont obligés de payer d'avance, dans bien des cas, la quasi-totalité des matériaux. Ils ne les ont pas, les travaux ne sont même pas encore commencés, mais ils ont été obligés d'aller déposer des sommes importantes chez le fournisseur de fenêtres, de portes, le fabricant d'unités, de modules. Encore une fois, ça va jouer directement sur le nombre des entreprises de construction.

Ce sont les principales caractéristiques du projet de loi qu'on voulait vous souligner. (9 h 45)

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Nous allons procéder immédiatement à la période de discussions. Je vais reconnaître l'adjoint au ministre de la Justice, le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord, j'aimerais souhaiter la bienvenue à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc, à M. Gosselin, son président, ainsi qu'aux deux conseillers juridiques qui l'accompagnent. Je voudrais évidemment vous remercier d'avoir accepté l'invitation et pour votre contribution à nos travaux.

Premièrement, j'aimerais vous parler des programmes de garantie offerts par l'association, que vous énumérez dans votre mémoire. Vous vous opposez globalement aux mesures prévues dans l'avant-projet de loi dans le but de protéger l'acheteur dans le cas de vente d'immeuble résidentiel et du contrat d'oeuvre. Vous recommandez plutôt de remplacer ces mesures par la mise en oeuvre de garanties bancaires ou de garanties d'institutions de cautionnement, voire un programme privé de garantie. Ma question est la suivante: Pour le bénéfice des membres de la commission, est-ce que vous pourriez indiquer la nature et la portée des garanties que vous suggérez comme solution de remplacement, en particulier les programmes de garantie mis sur pied par votre association?

M. Doyon (Gilles): M. le Président, effectivement, parce que le contexte général du contrat d'oeuvre, la section du contrat d'oeuvre dans le projet du Code civil, ne tient pas compte de la réalité pour nous, ne peut pas fonctionner avec les fiducies et toutes sortes de situations complexes qui vont faire en sorte, en fin de compte, que la personne vers qui seront dirigés ces droits ne pourra pas s'en servir véritablement, et que ça va servir à d'autres personnes beaucoup plus capables de s'en servir, au détriment de l'entrepreneur... On dit que vous ne réussirez pas à atteindre l'objectif que vous vouliez atteindre avec ça, et nous, entre autres, nous vous proposons de protéger les maisons ou les constructions par des programmes de garantie privée.

Chez nous, l'association offre ce qu'on appelle les quatre points les plus dangereux, les plus névralgiques, les plus suceptibles de faire perdre les droits du consommateur. D'abord, on protège ses acomptes. Très souvent, lorsqu'il y a une faillite... On en a eu encore une, l'année dernière, où ça a coûté 395 000 $: les acheteurs ont donné des acomptes de 10 000 $, 15 000 $, 20 000 $, 40 000 $ et même de 60 000 $, de "down payment", comme on dit, et c'est là que c'est très dangereux. Quand le monsieur fait faillite ou qu'il part avec l'argent, les consommateurs auront beau avoir tous les droits qu'il y a là-dedans et avoir le jugement qu'ils voudront, ils ne pourront pas l'exécuter.

L'autre point important, c'est le parachèvement des travaux. Une fois que notre consommateur est devenu propriétaire en titre et qu'il y a un problème de faillite ou d'insolvabilité, il faut qu'il se démêle avec les privilèges, avec les sous-traitants, avec le prêteur, avec l'assureur du prêteur, qui est la SCHL, souvent, ou la compagnie CAHC. C'est le deuxième point qu'on considère névralgique. Il faut qu'on intervienne pour essayer de mitiger les intérêts de chacun pour faire en sorte que le consommateur se retrouve avec sa maison terminée et au prix qu'il devait payer, pas pour 20 000 $ de plus parce qu'il est pris avec ça.

Le troisième point, c'est ce qu'on appelle les vices cachés, qu'on pourrait qualifier entre guillemets d'ordinaires, c'est-à-dire qui sont susceptibles d'arriver pendant la première année. Habituellement, dans la grande majorité des cas, ça se manifeste au cours de la première année. Alors, c'est le troisième point sur lequel le consommateur doit être protégé.

Enfin, il peut se produire des cas de vices majeurs qui apparaissent deux, trois, quatre ou cinq ans après. On est là aussi pour couvrir ce quatrième point.

Lorsqu'on vous soumet la possibilité des programmes de garantie privée, du moins celui qui est administré par l'association, c'est un programme destiné à couvrir les quatre points les plus dangereux pour le consommateur.

M. Crochetière: Si je peux me permettre. Déjà, les programmes de l'association couvrent

les cas de propriétaires-occupants, c'est-à-dire les acheteurs de maisons traditionnelles et ceux de maisons en copropriété. Aussi, il y a un programme pour la construction d'immeubles locatifs et un programme visant à protéger la rénovation ainsi que la transformation des bâtiments existants en copropriété à la suite d'une rénovation. Donc, ce sont à peu près tous les champs d'activité où il y a une relation consommateur constructeur.

M. Dauphin: Merci beaucoup. Comme deuxième question, j'aimerais m'entretenir avec vous des informations fausses ou incomplètes du vendeur, toujours en matière de vente d'immeubles résidentiels. À la page 39 de votre mémoire, vous vous opposez à ce que l'acheteur d'une résidence faisant partie d'un projet immobilier puisse, dans les trois ans du contrat préliminaire, demander la nullité du contrat ou la réduction de ses obligations lorsque le vendeur a donné des informations fausses ou incomplètes sur un élément substantiel ou a passé sous silence un fait important. Vous donnez comme motif que cette possibilité conduira à des abus de la part des acheteurs. Ma question est la suivante: En quoi estimez-vous que cette situation apporterait plus d'abus de la part des acheteurs que l'application pure et simple des règles générales du contrat relatives aux vices de consentement que constituent notamment l'erreur et le dol?

M. Crochetière: C'est que le délai est très long: trois ans. Tantôt, j'essayais d'illustrer cela par la situation d'un complexe où le constructeur vendeur n'est même pas le promoteur, n'a pas de contrôle, ou si une municipalité intervenait. Plaçons-nous dans la situation où on achète un triplex comme spéculateur. On l'habite, mais on se dit: Je vais avoir trois autres locataires, deux occupants et un "bachelor". On en construit traditionnellement. Et il n'y a pas de plus-value sur deux ans. Si je le vendais aujourd'hui, je risquerais de ne pas avoir fait d'argent. Alors, la projection que j'avais faite ne se matérialise pas. Or, le constructeur, parce que la ville a changé le zonage ou pour quelque autre raison, érige une tour d'habitation au coin de la rue. Il y a une information importante qui est modifiée. Je demande l'annulation et le remboursement de tout mon argent, plus les dommages et les intérêts. Est-ce que je vais vendre mon profit au constructeur? Je ne suis pas certain que cette situation ne pourrait pas se produire. On veut tout simplement illustrer le fait qu'on n'est pas contre le fait que les gens respectent les représentations qui sont faites, mais c'est très large, surtout dans le cas d'un projet résidentiel intégré à caractère mixte, avec toutes sortes d'aménagements.

Je pense à un projet qui a été planifié, dans le centre de Montréal, sur une période de sept à huit ans. Alors, les trois ans vont jouer en faveur de qui? En faveur du premier acheteur ou de celui qui a acheté après trois ans, parce qu'il y en a pendant sept ans. Chaque fois qu'il y aura une vente, ces trois ans vont recommencer. Est-ce que le premier pourra ou ne pourra pas en bénéficier si le projet dure plus de trois ans? C'est toujours le même schéma d'implantation qui aura été représenté. Comment va-t-on vivre avec cela?

Si on veut régler le cas des promoteurs qui vendaient des ensembles d'unités en copropriété divise avec des équipements communs, d'accord, on ne dit plus un mot. Mais, si on veut appliquer cela à des projets étendus... Surtout que le constructeur est à la merci des forces du marché. Vous pouvez planifier un projet sur deux ans et, dans deux ans, vous n'avez pas la moitié du projet de vendue parce que le marché a chuté, parce que votre produit n'est pas bon et qu'il faut que vous le changiez. S'il faut que vous le changiez et que vous avez fait un schéma d'implantation, qu'est-ce que vous allez faire? Est-ce que vous irez en faillite plutôt que d'y apporter des modifications? Si vous y apportez des modifications, vous êtes à la merci des poursuites de tous ceux qui ont déjà acheté. C'est cela qu'on veut illustrer.

M. Dauphin: À l'article 1841, on parte de la circulaire d'information; vous vous opposez à cela. On m'informe que dans plusieurs États américains cela existe. Est-ce que vous avez eu connaissance de cela?

M. Crochetière: On s'interroge beaucoup plus qu'on ne s'oppose. Si vous lisez le texte, ce sont beaucoup plus des interrogations à ce sujet-là. Par exemple, comment s'appliquera un tel article au regard du promoteur d'un projet immobilier qui vend ou cède des terrains à construire à plusieurs entrepreneurs? Je ne veux pas revenir là-dessus, mais c'est ce que je dis depuis tantôt. Celui qui va être obligé de donner la circulaire d'information ne sera pas celui qui aura les rênes du pouvoir sur ce projet-là. Il ne faut pas oublier aussi qu'il faudrait regarder la structure de l'industrie aux États-Unis. Il y a plusieurs très grosses corporations aux États-Unis qui planifient des projets intégrés de 2000, 3000 ou 4000 unités. Vous n'avez pas ça ici. Vous n'avez pas les structures financières. Je ne connais pas l'entrepreneur qui construise 4000 unités par année et j'en connais plusieurs. Quand on construit 500 unités dans les bonnes années, c'est une très grosse entreprise chez nous, alors que là-bas vous avez des entreprises qui planifient divers projets de 2000, 3000 ou 4000 unités. On ne parle plus de la même chose. On ne peut pas nécessairement importer ce qui se fait ailleurs comme ça parce que c'est bon ailleurs. C'est ça qui est le principal leitmotiv de notre présentation.

On avait l'impression qu'il y avait une méconnaissance de notre industrie. Tout ce qu'on

demande dans le projet de loi peut être justifié d'un point de vue objectif, mais cela n'a pas nécessairement de corrélation avec notre façon d'agir. Nous disons: Attention, vous risquez de venir casser les reins de plusieurs entreprises si vous voulez importer cela tel quel.

M. Dauphin: Merci. J'aurais une autre question avant de laisser la parole à d'autres collègues. Aux pages 55 et 56 de votre mémoire, sur l'obligation qui est imposée aux professionnels de garantir les malfaçons existantes au moment de la réception de l'ouvrage ou découvertes dans l'année de cette réception, vous concluez d'abord que le professionnel ne devrait pas être tenu de garantir les malfaçons apparentes. Mais, quant aux autres malfaçons, non apparentes celles-là, vous vous limitez à souligner les difficultés auxquelles l'entrepreneur vendeur d'un immeuble détenu en copropriété aura à faire face lorsque les copropriétaires se regrouperont pour lui adresser une liste de réclamations quant à des malfaçons découvertes au cours de la première année sans proposer pourtant aucune solution. Est-ce à dire que vous recommandez que le professionnel ne soit pas tenu non plus responsable de ces malfaçons?

M. Crochetière: Excusez-moi, j'ai mal saisi. Vous parlez des malfaçons apparentes ou cachées?

M. Dauphin: Cachées.

M. Crochetière: On a dû mal s'exprimer quant aux malfaçons cachées. On n'a jamais voulu qu'il y ait exclusion. Si je peux vous répéter textuellement ce que les entrepreneurs ont dit au comité, ils ont dit: On est capables de mettre nos grandes culottes si on a fait une malfaçon cachée. S'il y a des garanties à donner, on va y aller, on va remplir nos obligations. C'est textuellement ce qu'ils ont dit là-dessus. Alors, c'est peut-être dans la rédaction.

M. Doyon (Gilles): Je me permets d'ajouter, M. le Président...

Le Président (M. Marcil): Oui, allez-y.

M. Doyon (Gilles): ...que les gens ont dit: On en donne déjà beaucoup plus que si on suivait strictement les règles de droit civil actuelles. Une fois que les travaux ont été reçus par nos clients, s'il y a des malfaçons apparentes qui ne sont plus couvertes, on y retourne, question de "good will" et de bonne volonté. Mais on dit ici qu'avec cette garantie de parfait achèvement, il y aura toujours des situations possibles où des gens une fois regroupés vont faire du chichi pour toutes sortes de chinoiseries. On parle de malfaçons apparentes qui normalement n'auraient "achalé" personne, mais il suffit de quelqu'un qui commence à vouloir faire un problème et rassemble tout le monde. Finalement, il entame des procédures qui n'aboutiront peut-être pas ou ne donneront pas les résultats qu'il veut, mais en attendant tout le monde aura eu du tracas, l'entrepreneur en premier.

M. Dauphin: Merci.

Le Président (M. Marcil): Je vais maintenant reconnaître le député de Saint-Jacques, porte-parole de l'Opposition.

M. Boulerice: Je pense qu'on ne fait pas une réforme du Code civil tous les jours, donc un travail qui se veut important, interlocuteur qu'il est. Je suis heureux de voir que l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec a eu l'idée et surtout la qualité d'un mémoire comme celui qui nous est présenté. Tantôt mon collègue, le député de Marquette, vous a posé une question relative aux circulaires d'information sur les projets immobiliers. Voici la question que j'aurais aimé vous poser. Parlons par exemple du Sanctuaire du Mont Royal où l'on sait qu'il y des courts de tennis, piscines, etc. Mais, dans le cas de petites unités où on prévoit ces mêmes services-là et où ce n'est pas qu'un seul promoteur et un constructeur, qu'est-ce qui se passe?

M. Crochetière: Si je peux me permettre. Lorsqu'il s'agit d'un projet intégré avec un seul promoteur...

(Sonnerie d'alarme)

Le Président (M. Marcil): Comme c'est un exercice de feu, nous allons descendre par la porte centrale. Demeurez tout près de la porte à l'extérieur.

(Suspension de la séance à 10 h 1)

(Reprise à 10 h 16)

Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous plaît!

Nous poursuivons nos travaux. J'avais reconnu M. le député de Saint-Jacques, porte-parole de l'Opposition. M. le député, si vous voulez bien continuer là où vous avez été interrompu.

M. Boulerice: Vous êtes Me Doyon? C'est ça. Je pense* que vous aviez déjà commencé à répondre. Je vous parlais au sujet de... Excusez-moi, on a quitté tellement précipitamment que j'ai oublié ma marque. On était à la page... Je reprenais la question que vous avait posée mon collègue, le député de Marquette, concernant les circulaires d'information sur les projets immobiliers. La question que je vous posais c'était:

produire dans le cas de petits projets domiciliaires? Je faisais la comparaison entre un immeuble connu de Montréal qui offre certains services, etc., comme le sanctuaire, et un équivalent qui existerait avec des services de même type, mais ce serait plutôt un petit projet immobilier qu'un immeuble de la nature et de l'importance de celui qu'on connaît.

M. Crochetière: Pour reprendre ce que j'expliquais, tant et aussi longtemps que le promoteur, le constructeur et le vendeur est le même, on ne voit pas vraiment d'inconvénient. Généralement, ce sont des projets concentrés avec une plus forte densité en hauteur et plus souvent qu'autrement en copropriété divise. Si on s'en va toutefois vers des projets étendus, ce que nous appelions, nous, du résidentiel bas, notre principale crainte, encore une fois, est au sujet des informations concernant le zonage, le schéma d'implantation, parce que très souvent le propriétaire promoteur est différent du constructeur vendeur et, en plus, il y a plusieurs constructeurs vendeurs. Pour donner suite à votre question, est-ce qu'on va devoir considérer chacun des constructeurs vendeurs comme ayant son propre petit projet de plus de cinq unités? Si oui, comment le considérer, parce que ce ne seraient pas nécessairement des lots ou des terrains continus et contigus sur un grand ensemble qui appartient à un promoteur? Il pourrait acheter des lots qui sont fort éloignés les uns des autres. Si on lui demande de fournir la circulaire d'information qui est liée aux décisions du promoteur, on le place dans la situation que j'expliquais tantôt: il n'a aucun contrôle sur d'éventuels changements de zonage qui peuvent se produire pour diverses raisons au cours des années parce que la portée est de trois ans. Si on lui demande de ne nous fournir qu'une circulaire d'information relative à ses propres constructions, il pourra toujours le faire. Elle n'aura pas beaucoup d'utilité, parce que, encore une fois, ce peut être très étendu, en matière d'implantation, chacune de ces résidences et, à ma connaissance, il ne remet ou il ne fournit jamais d'équipements accessoires. Je parle de tennis, de piscines ou de choses comme celles-là. Cela n'existe à peu près pas dans ce genre de projet. Si ça existait, ce serait au promoteur de l'avoir déterminé. Encore là, ce n'est pas le constructeur vendeur qui a un contrôle là-dessus. Encore une fois, notre principale remarque allait dans le sens qu'on le place dans une situation de dépendance totale. Il est à la merci de recours éventuels des acheteurs, alors qu'il n'a de contrôle ni sur l'implantation ni sur les équipements qui pourraient être mis là-dessus.

M. Boulerice: Si vous me le permettez, M. le Président, j'aimerais que Me Gilbert ajoute - excusez-moi, M. Gariépy - à ce point-là.

M. Gariépy (Pierre): II y a une précision que je voudrais avoir, si possible. L'acheteur, lui, quel lien aurait-il, quel recours aurait-il contre le promoteur si on a promis dans un projet... L'article 1841 vise un projet immobilier. Si l'information ou la promesse ne se réalise pas, qu'est-ce qui s'offre à l'acheteur qui n'a pas de lien contractuel avec le promoteur?

M. Crochetière: C'est exactement ce que l'on dit. Son recours sera contre le constructeur qui, lui n'a pas de contrôle là-dessus. Si vous avez la dualité de statut promoteur et constructeur, il n'y a pas de problème. On ne dit pas que le consommateur n'aura pas de recours, on dit qu'on lui donne un recours qui, dans certains cas, risque de blesser un entrepreneur qui n'a absolument rien à voir avec les garanties qu'on l'a forcé à donner. Le consommateur a un recours, mais c'est un recours contre le constructeur, pas contre le promoteur.

M. Boulerice: Pour ce qui est des hypothèques légales, aux pages 58 et 59 de votre mémoire, vous rejetez en bloc les articles 2187 et 2188. Or, si l'article 2188 apparaît nouveau, l'article 2187 reprend le troisième alinéa de l'article 2013d, le quatrième alinéa de l'article 2013e et le quatrième alinéa de l'article 2013f du code actuel qui permet au propriétaire de retenir les sommes pour faire face au privilège tant qu'on ne lui a pas remis quittance ou radiation. Est-ce que vous maintenez votre objection à l'article 2187? Quant à la retenue de l'article 2188, est-ce qu'on ne la retrouve pas fréquemment dans certains autres contrats de construction?

M. Crochetière: J'ai deux réponses à vos questions. Quant à la retenue déjà prévue, il est vrai que cela répète ici les dispositions actuelles du Code civil. Cependant, le projet de loi qu'on nous a présenté sur les sûretés réelles n'impliquait plus l'obligation de dénoncer le contrat. C'est pour cette raison qu'on a demandé en commission parlementaire à ce que soit réinsérée l'obligation de dénoncer, pour que l'hypothèque légale puisse être valable. S'il n'y a pas d'obligation de dénonciation, parce qu'on est quand même obligés de faire nos commentaires par rapport au projet de loi qu'on nous a soumis, et si ici on dit que c'est juste bon dans les cas où il y aurait eu dénonciation, on s'est posé la question. On s'est dit: Est-ce qu'ils veulent réintroduire cette obligation de dénonciation, oui ou non? Dans un premier temps, ils ne l'ont pas fait et là, il semble que oui.

Si, effectivement, on établit la corrélation avec l'autre projet de loi et si on réintroduit la nécessité de la dénonciation, on est d'accord, sinon on dit qu'on se trouve dans une situation un peu absurde où on est obligés de dénoncer et où on a droit de retenir juste quand c'est dénoncé. Qu'est-ce que cela vaut? C'était la raison pour laquelle on s'opposait au libellé de

l'article 2187. Évidemment on ne l'a pas mentionné. On aurait peut-être dû l'écrire dans nos réflexions, mais c'était une des questions que nous nous sommes posée.

Quant à l'article 2188, quand vous me demandez s'il est d'usage de retenir des sommes, je vous réponds qu'il n'est pas d'usage de retenir des sommes lorsque vous faites affaire avec un entrepreneur général avec une offre d'achat pour une livraison à date fixe. Par exemple, la plupart des maisons sont livrées autour du 1er juillet. Vous pouvez signer une offre d'achat aux mois de septembre ou de novembre de l'année précédente ou de février ou mars de l'année en cours pour être livrée au 1er juillet. Le 1er juillet, sur nos chantiers, c'est le branle-bas de combat pour terminer les maisons et les livrer.

Lorsque les consommateurs passent chez le notaire, il n'y a pas de retenue. Le paiement se fait. Ce qui arrive de façon concrète, ce n'est pas une retenue de la part du consommateur. Dans ces cas-là, il arrive fréquemment que le prêteur hypothécaire n'a pas exécuté sa dernière inspection et qu'il reste encore des sommes entre les mains du créancier hypothécaire, mais aux termes de l'acte, c'est vendu, c'est payé. Dans les offres d'achat, il y a même de façon générale des dispositions pour faire des ajustements sur la portion des sommes en capital qui sont dues et qui sont réputées payées, mais qui n'ont pas encore été versées par le prêteur.

Dans ce contexte-là, je vous dis: Non, ce n'est pas l'usage. Ce n'est pas non plus l'usage pour la plupart des petits travaux de rénovation. C'est l'usage dans le cas des contrats d'une plus grande importance. Si vous faites venir un peintre chez vous durant trois ou quatre jours, vous ne le paierez pas 30 jours après la fin des travaux, sinon pas un peintre n'ira chez vous. Si vous faites effectuer des travaux d'importance avec des paiements progressifs et des inspections des travaux, là, il est vrai que c'est l'usage. Mais, encore une fois, on fait ici une application généralisée des dispositions sans tenir compte non plus de tous les aspects de l'industrie de la construction, que ce soit dans l'habitation, dans l'industriel ou dans le commercial.

M. Doyon (Gilles): Si vous permettez que j'ajoute quelques mots, M. le Président, ce qui ressort de notre mémoire, c'est que si on a voulu aider le consommateur, l'intention est fort louable, mais on a oublié que ce faisant, comme c'est un Code civil d'application générale, tous les autres intervenants qui seraient pas mal plus capables et savants dans le domaine pourront utiliser les mêmes droits. C'est là que ce genre d'article, joint à d'autres articles, comme celui sur le droit de payer directement les sous-traitants, permettra à des gens capables - on parle d'institutions et de gros promoteurs - de jouer avec ça, ce qui engendrera des situations tout à fait abusives. C'est dans cet esprit que notre remarque se situe surtout.

Le Président (M. Boulerice): Me Gariépy.

M. Gariépy: Oui, j'aurais une question concernant votre remarque sur le prix approximatif; vous critiquez l'article 2171, à la page 45 de votre mémoire, qui traite d'un contrat où le prix convenu était approximatif. Vous dites, à la page 45, que cela empêcherait les contrats dits "cost-plus" ou à pourcentage. Selon une des définitions que j'ai ici d'un contrat "cost-plus", de Me Thérèse Houle-Rousseau: "Le marché peut être enfin à pourcentage. Sous ce régime, le maître paie la main-d'oeuvre et les matériaux au prix de revient et assure à l'entrepreneur un pourcentage déterminé pour ses frais généraux et ses bénéfices". Je voudrais bien comprendre. Êtes-vous bien sûr que ce contrat à prix estimatif, dans ce cas-ci, vise le contrat dit ou qu'on appelle communément "cost-plus"? Pour moi, le mot approximatif semblait vouloir dire à un prix autour de ou d'environ. C'est ce que je voudrais...

M. Crochetière: C'est ça. Même avec un "cost-plus", le donneur d'ouvrage va demander une approximation. J'ai à l'esprit un cas que j'ai vu hier. Il s'agit d'une gérance à 8 % plus les coûts. On avait sorti une charte des coûts sur ordinateur pour donner une idée au donneur d'ouvrage et, effectivement, il y a un litige parce que les coûts excèdent de plus de 15 % l'estimé approximatif. Alors, même avec un "cost-plus", les gens demandent une idée de ce que cela va coûter.

Si on laisse l'article tel quel, les entrepreneurs ne transigeront plus à "cost-plus"; ce serait trop risqué.

M. Gariépy: Puis-je demander une précision additionnelle? Est-ce dans la plupart des cas ou dans tous les cas, quand vous avez un contrat "cost-plus", que vous donnez une estimation?

M. Crochetière: C'est tout simplement une opinion personnelle, mais je ne vois personne... D'abord, les gens ont souvent peur du contrat à coût majoré ou "cost-plus". Je ne connais personne, sauf des entrepreneurs généraux, qui sont habitué de travailler avec un entrepreneur spécialisé qui va l'appeler et lui dire: Va sur tel chantier, fais tel travail, c'est à l'heure, à la pièce ou à forfait et je paierai la note ensuite. Mais les donneurs d'ouvrage qui ne sont pas des employeurs professionnels ou des entrepreneurs demandent habituellement toujours à l'entrepreneur: Combien penses-tu que cela va me coûter environ? Même avec le "cost-plus". Quelle sera la portée de l'article 2171? C'est ce qu'on redoute.

M. Gariépy: Cela va, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): D'accord. Il n'y a plus de question. Alors, au nom de cette commis-

sion, nous vous remercions beaucoup de... Oui, une autre question?

M. Dauphin: Non, pas juste une question.

Le Président (M. Marcil): Vous voudriez procéder aux remerciements? Allez-y. (10 h 30)

M. Dauphin: Je voulais juste signaler aux représentants de l'APCHQ que l'équipe du Code civil qui m'accompagne actuellement a pris bonne note de leurs représentations. Soyez assurés qu'elles seront bien analysées et bien étudiées dans l'expectative du projet de loi que nous aurons bientôt. On tient à vous remercier pour votre mémoire et votre présentation.

Le Président (M. Marcil): Également, nous tenons à vous remercier de votre présentation. Soyez assurés qu'une attention assez particulière sera portée à vos propositions, à vos recommandations. Sans plus tarder, vu que le temps passe et les événements que nous avons eus à vivre ce matin, nous allons inviter immédiatement le groupe de l'Ordre des ingénieurs du Québec et Association des ingénieurs-conseils du Québec à se présenter à l'avant. Merci beaucoup. C'est terminé pour vous.

M. Gosselin: M. le Président, merci, ainsi que MM. les membres de cette commission.

Ordre des ingénieurs du

Québec et Association des

ingénieurs-conseils du Québec

Le Président (M. Marcil): M. Pierre Desjardins, ingénieur, président, de même que vos collaborateurs, nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire. Je vous inviterai immédiatement à nous présenter vos collaborateurs et à procéder à la présentation de votre mémoire, tout en sachant que les membres de cette commission ont déjà pris connaissance du mémoire. Vous vous limiterez donc, s'il vous plaît, à une synthèse seulement de l'argumentation que vous apportez dans votre mémoire. Cela va? Vous avez à peu près 20 minutes pour faire cela. Ensuite, on va procéder à des échanges. Allez-y, M. Desjardins.

M. Desjardins (Pierre): Merci, M. le Président. Mon nom est Pierre Desjardins, je suis président de l'Ordre des ingénieurs du Québec. Pour cette présentation devant la commission, je suis accompagné de M. Jean-Pierre Sauriol, à ma gauche, président de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec et de Me Jean-Pierre Dépelteau, à ma droite.

Si vous le permettez, M. le Président, j'aimerais prendre quinze minutes environ pour expliquer à la commission l'importance que nous accordons au sujet en discussion et ce qui motive les ingénieurs à intervenir dans l'étude de l'avant-projet de loi sur la réforme du droit des obligations. Nous vous présenterons ensuite les grandes lignes de nos critiques et de nos recommandations. Soyez assuré, M. le Président, que nos propos sont dictés par une seule et unique préoccupation, celle de doter notre société d'un régime d'obligations juste et équitable, mais aussi efficace sur le plan de la protection du public.

J'aimerais spécifier ici que nous n'avons pas travaillé sur l'ensemble de l'avant-projet de loi. Nous nous sommes penchés exclusivement sur le chapitre 8 intitulé: Du contrat d'oeuvre. Il est question, dans ce chapitre, des règles devant régir les relations entre les parties pour un ensemble d'activités économiques très large, soit l'immense secteur des services et le domaine très vaste de la construction. Pour être plus précis, l'ensemble des activités visé englobe selon les termes de l'avant-projet de loi, à l'article 2158, toute exécution d'une oeuvre, ce que nous avons interprété comme un travail, qui a pour but la réalisation d'un ouvrage ou la production d'un service.

Il est difficile de mesurer exactement l'ampleur économique des activités visées. Nous pouvons affirmer, cependant, que ces activités contribuent à une très large part du PIB et donnent lieu à une proportion importante des emplois existants dans notre société. Le secteur des services représente à lui seul près du quart du produit intérieur brut, soit une production évaluée à plus de 26 000 000 000 $. Il absorbe, par ailleurs, environ le quart également de la main-d'oeuvre au Québec en créant quelque 950 000 emplois. Le domaine de la construction, pour sa part, compte pour plus de 5 000 000 000 $ pour le PIB et crée, bon an, mal an, entre 120 000 et 150 000 emplois.

L'avant-projet de loi a l'étude propose de nouvelles règles, c'est-à-dire un nouveau cadre juridique pour un ensemble d'activités pour le moins considérable sur le plan économique. Il faut aussi souligner qu'il s'agit d'activités qui affectent très directement et très largement les conditions de vie de tous et de chacun. Ces activités ont même un rapport étroit avec la santé et la sécurité de la population. Tout citoyen passe une grande partie de sa vie dans des édifices, comme nous le faisons ici ce matin. Tous se côtoient et chacun utilise du mobilier, des équipements et des machines de différents niveaux de complexité. Donc, sans même mentionner le secteur des services, nous parlons d'activités qui affectent la qualité de la vie, le confort de tous et de chacun et la sécurité.

Ces considérations doivent être présentes à notre esprit, lorsque nous discutons des règles juridiques devant régir les relations entre les parties dans le domaine d'activités visé. Il nous semble évident que le régime d'obligations que le législateur va adopter doit être défini en tenant compte de sa portée. Ce régime d'obligations doit

être inspiré, bien sûr, par le souci d'assurer des rapports équitables et harmonieux entre les parties. Pour être efficace, il doit être aussi clair et aussi simple que possible. Mais, il y a plus. Nous devons chercher, par exemple, à ce que le nouveau régime d'obligations n'ait pas pour conséquence de taxer exagérément les domaines d'activités visés et d'en affecter négativement l'économie. Nous croyons également que le législateur doit avoir comme objectif de protéger le public, ce qui va sûrement plus loin que d'assurer l'harmonie des rapports entre les parties.

Cette visée de protection du public concerne tout particulièrement le domaine de la construction, puisque ce même public utilise continuellement les édifices et autres ouvrages de construction. Elle doit se traduire par une responsabilisation rigoureuse mais juste des personnes que la société a formées, et compétentes pour assumer la maîtrise d'oeuvre des ouvrages en pouvant en garantir la solidité et la fiabilité. Ces personnes sont l'entrepreneur, l'ingénieur et l'architecte.

Le sujet en discussion est donc, précisons-le, la définition des obligations juridiques des intervenants dans l'exécution d'une oeuvre qui a pour but la réalisation d'un ouvrage ou la production d'un service. De ces obligations va découler la responsabilité des parties, notamment celle des ingénieurs. En d'autres mots, ce que sera le droit des obligations à la suite de la réforme entreprise va déterminer ce que sera la responsabilité des participants à l'exécution d'une oeuvre. Les ingénieurs sont de ces participants dans un nombre extrêmement important de situations. Nous avons donc réfléchi sur le sujet, M. le Président, en sachant que les ingénieurs se trouvaient interpellés à la fois dans l'exercice concret de leur profession et en tant que membres d'un ordre professionnel.

D'abord, ils sont à peu près tous impliqués, à quelque moment de leur carrière et souvent tout au long de celle-ci, dans la réalisation d'ouvrages et la fourniture de services professionnels, mais ils sont encore des professionnels au sens sociologique aussi bien que juridique du terme. Ils forment une profession libre et ce, précisément pour la protection du public. Les ingénieurs ont, par-delà leur devoir envers leurs clients ou leurs employeurs, l'obligation de protéger le public. C'est la raison même de leur profession et c'est ce que la société attend d'eux. Nous parlons ici de l'Ordre des ingénieurs du Québec qui est une institution publique. Pour ce faire, l'ordre doit contrôler la compétence de la profession par le biais de l'admission de ses membres, la pratique professionnelle et la discipline.

Or, la définition du nouveau régime d'obligations doit aussi, être guidée par l'impératif d'assurer la protection du public. Revenons, si vous me le permettez, M. le Président, sur le champ d'activités des ingénieurs. Nous avons dit que la réalisation d'ouvrages et la fourniture de services professionnels constituaient l'exercice de leur profession. La Loi sur les ingénieurs le confirme sur le plan juridique. Il est stipulé à l'article 3 que "l'exercice de la profession d'ingénieur consiste à poser les actes suivants: donner des consultations et des avis, faire des mesurages, tracés, calculs, études, dessins, plans et devis, préparer des rapports, cahiers de charge, inspecter et surveiller des travaux." Lorsque ces actes se rapportent à des types d'ouvrages dont la réalisation doit tenir compte de la sécurité du public, ils nécessitent des compétences en génie. C'est en ayant à l'esprit cette définition de la profession d'ingénieur et en constatant l'étendue du champ d'activités où elle s'exerce que nous pouvons saisir jusqu'à quel point les ingénieurs sont visés par le sujet en discussion. Il y a des ingénieurs partout. Pensons, par exemple, à la construction d'immeubles. Il y a des ingénieurs, bien sûr, chez les entrepreneurs, les sous-traitants; il s'en trouve aussi chez les clients et les propriétaires. Dans la plupart des cas, des ingénieurs interviennent à titre de consultants, que ce soit au niveau de la conception des ouvrages ou pour la surveillance des travaux. On retrouve également des ingénieurs au service des fournisseurs de matériaux, d'équipements mobiliers. Ils sont présents, en somme, dans tout le réseau d'activités et d'échanges sur lequel repose la réalisation d'un immeuble.

Nous nous sommes exprimés dans notre mémoire et nous le faisons encore aujourd'hui au nom de tous les ingénieurs, sans référence au rôle ou à l'activité spécifique de quelques groupes. C'est en tant que professionnels dont l'activité se trouve directement concernée et en tant que membres d'un ordre professionnel dont la vocation est la protection du public que les ingénieurs s'adressent à cette commission. L'ingénieur doit évidemment tenir compte des besoins de son client, mais il doit aller au-delà des attentes de ce dernier, en assurant la protection du public par la fiabilité et la solidité des travaux qui lui sont confiés.

Passons maintenant à nos recommandations. Quels sont maintenant les commentaires et recommandations des ingénieurs à l'égard de l'avant-projet de loi qui fait l'objet de nos discussions? Nous avons déjà dit, M. le Président, que notre attention a été portée, pour l'essentiel, sur le chapitre 8 intitulé: Du contrat d'oeuvre. C'est dans ce chapitre qu'est défini le régime d'obligations propre aux activités où les ingénieurs exercent, pour une grande partie, leur profession.

Nos commentaires et recommandations sont à trois volets. Le premier volet concerne les services et entreprises. Nous nous interrogeons d'abord sur la sagesse de créer un seul et même régime d'obligations pour tout type d'oeuvre. Nous croyons que la notion est trop englobante. La diversité et la disparité des situations que

l'on veut couvrir rendent difficile, sinon impossible, l'élaboration d'un régime d'obligation uniforme, mais aussi assez simple pour s'être préférable au maintien d'un régime distinct pour des groupes d'oeuvres différents.

En 1977, il avait été proposé par l'Office de révision du Code civil de distinguer deux types de contrats: le contrat d'entreprise et le contrat de services. Il serait probablement approprié de retenir cette approche et de concevoir une distinction qui permette de mieux tenir compte, d'une part, des différences dans les réalités et les contextes et, d'autre part, de la nécessité de formuler des obligations en fonction d'objectifs qui ne se posent pas de la même manière ou de manière uniforme pour l'ensemble des activités visées, les résultants étant différents. Je vous donne, par exemple, l'idée de faire des plans et devis ou de faire de la surveillance: l'objectif n'est pas le même et la finalité n'est pas la même.

Dans un deuxième volet, nous nous sommes ensuite interrogés sur l'opportunité d'un certain nombre de dispositions qui donnent au texte l'allure de statut. Nous pensons que l'avant-projet de loi pousse trop loin la codification des rapports entre les parties.

Les conséquences d'une codification aussi détaillée seraient malheureuses, selon nous, à plus d'un égard. En premier lieu, M. le Président, nous croyons que la liberté contractuelle se trouverait réduite de façon injustifiée par certaines des dispositions de l'avant-projet de loi. L'obligation qui est faite au client à l'article 2174 de payer au collaborateur du professionnel les créances que celui-ci leur doit est un exemple d'empiètement sur la liberté contractuelle.

En second lieu, nous avons noté que certains articles introduisent des mesures dont le coût socio-économique ne paraît pas justifié par le besoin social appréhendé. L'efficacité de ces mesures par rapport à leur objectif ne nous paraît non plus démontrée. Nous avons à l'esprit, en disant cela, les dispositions contenues aux articles 2189 et 2190 concernant le secteur de la construction et de la rénovation résidentielle. L'obligation de créer des fiducies pour tout contrat dont le prix excède 3000 $ nous paraît excessive.

Le troisième volet touche la responsabilité et le domaine immobilier. Le troisième ordre de questions et de recommandations contenu dans notre mémoire concerne les dispositions relatives aux ouvrages immobiliers et immobiliers dits complexes. Le chapitre 8 de l'avant-projet de loi contient un ensemble d'obligations propres à la réalisation de ces ouvrages. Or, c'est cette partie de l'avant-projet de loi qui préoccupe le plus les ingénieurs, car c'est là surtout que le législateur se doit de prendre en considération la protection du public qui utilise ces ouvrages et y passe une partie importante de sa vie.

M. le Président, ce que nous avons de plus important à dire à cette commission touche précisément les articles 2183 à 2185, car nous abordons là la question cruciale du régime de responsabilité particulier qui doit s'appliquer au domaine de la construction et qui doit être plus rigoureux que le régime général de responsabilité. Ce régime de responsabilité doit avoir pour objectif supplémentaire et essentiel la protection du public et doit être conçu de façon à responsabiliser clairement, fermement et justement les personnes qui assurent la maîtrise d'oeuvre des ouvrages.

Nous croyons que ce régime doit avoir un caractère plus exigeant que celui du régime général de responsabilité, pour mieux garantir la solidité et la fiabilité des ouvrages. Le régime proposé cependant ne nous paraît pas adéquat sous plusieurs angles. D'abord, l'objet de ce régime particulier doit être les immeubles et les meubles dont l'existence peut comporter un risque important pour la santé et la sécurité de la population. La caractérisation des ouvrages visés ne doit pas se référer, dès lors, à leur complexité, mais plutôt à leur sécurité ou, si vous me passez l'expression à leur dangerosité. Cela découle de la raison d'être même du régime, qui est la protection du public et il serait inéquitable qu'il s'étende à des objets qui ne présentent pas de risque pour la population. Je pense, par exemple, aux ordinateurs ou aux disques au laser. (10 h 45)

Le caractère spécifique de ce régime doit être, selon nous, la présomption de faute. Ainsi, la personne qui assume la réalisation d'un ouvrage auquel s'applique le régime devrait être tenue responsable advenant la perte totale ou partielle de cet ouvrage.

Inutile de dire qu'une pareille rigueur juridique ne peut être justifiée autrement que par un besoin social important. Nous pensons qu'elle l'est, afin d'assurer la solidité et la fiabilité des ouvrages visibles. Il ne serait ni équitable ni efficace toutefois qu'un tel régime de responsabilité s'applique à d'autres personnes que celles qui, par leur compétence reconnue, sont en mesure de garantir la sécurité des ouvrages. La responsabilité que la loi fait porter à une personne doit être en rapport avec le concept de compétence que cette personne devrait avoir pour assumer les obligations qui lui sont faites par cette loi.

Dans le cas présent, M. le Président, les personnes compétentes sont l'entrepreneur, l'ingénieur et l'architecte. C'est ce qu'a reconnu le législateur et les tribunaux depuis fort longtemps. Le texte actuel du Code civil et la jurisprudence en témoignent de façon non équivoque. Soulignons aussi que la Loi sur les ingénieurs le confirme en réservant à ces derniers le droit de donner des consultations, de préparer des plans et devis et d'inspecter ou de surveiller les travaux pour toute une gamme d'ouvrages dont la réalisation doit tenir compte

de la sécurité du public.

Ainsi, ce sont les entrepreneurs, les ingénieurs et les architectes qui, historiquement et pour des raisons de compétence, ont agi comme maîtres d'oeuvre des ouvrages immobiliers. Ce sont eux qui ont assumé la responsabilité sociale et légale d'en garantir la solidité et la fiabilité.

Le régime particulier que nous proposons, M. le Président, devrait donc s'appliquer exclusivement aux entrepreneurs, aux ingénieurs et aux architectes. Il devrait, en outre, être restreint à ceux qui, par leur rôle dans la réalisation d'un ouvrage, sont en mesure de déterminer les caractéristiques de sa solidité et de sa fiabilité. Encore ici, il serait inéquitable et inefficace d'imposer une responsabilité aussi rigoureuse que la présomption de faute à des intervenants qui n'ont ni les devoirs ni les pouvoirs ni la liberté d'action d'un maître d'oeuvre. C'est cette considération qui nous a amenés à recommander que le régime particulier dont nous traitons ne s'étende à d'autres personnes qu'à celles qui ont un engagement contractuel avec le client de l'ouvrage et qui, par là, ont un rôle prédominant dans la réalisation dudit ouvrage. Ceci termine donc le troisième volet.

Voilà donc, pour l'essentiel, ce que les ingénieurs proposent comme régime de responsabilité propre aux immeubles et meubles dangereux. Mon collègue de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec complétera mes propos sans doute, mais avant de lui laisser la parole, j'aimerais attirer l'attention de la commission sur l'emploi du terme "professionnel" dans l'avant-projet de loi.

L'article 2158 utilise ce terme pour désigner toute personne, entrepreneur ou fournisseur de services qui s'oblige envers une autre personne, le client, à exécuter une oeuvre. Le terme "professionnel" est ensuite utilisé, selon cette définition, dans tout le chapitre 8. Nous sommes opposés, M. le Président, à une telle définition. Le législateur irait, en l'adoptant, à rencontre de l'usage courant aussi bien que juridique du terme "professionnel". Le terme "professionnel" désigne, selon l'usage, des personnes physiques ayant des compétences intellectuelles poussées et dont l'activité en est une de service. Il n'a jamais fait référence ni à l'entrepreneur ni de manière générale au fournisseur de services. De plus sur le plan juridique, le professionnel est la personne qui est visée par le Code des professions et les lois professionnelles. Il n'y a pas de raison pour que le Code civil introduise une nouvelle définition du terme "professionnel". Comme cela créerait de la confusion, nous croyons qu'il serait sage de recourir à un autre vocable pour désigner l'exécutant du contrat d'oeuvre.

Je vous remercie, M. le Président, et tous les membres de la commission de l'attention que vous avez mise à nous écouter. Si vous le permettez, je céderai la parole au président de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec,

M. Jean-Pierre Sauriol. Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci, beaucoup, M. Desjardins. Il ne vous reste que quelques minutes.

M. Sauriol (Jean-Pierre): Cinq minutes. Cela va? Je l'ai calculé. J'aimerais tout d'abord remercier à mon tour le président et les membres de la commission pour le temps et l'attention qu'ils nous accordent.

L'Association des ingénieurs-conseils du Québec regroupe quelque 300 firmes spécialisées dans les services d'ingénierie et emploie au delà de 8000 personnes. Elle a pour mission de contribuer au développement des activités de génie-conseil de ses membres et de promouvoir leurs services dans un environnement favorable. Le mémoire que l'Ordre des ingénieurs et notre association avons adressé conjointement à cette commission exprime clairement le point d'aboutissement d'une longue réflexion.

Notre point de vue et celui de l'Ordre coïncident, M. le Président. Je ne répéterai pas ce que mon collègue, M. Pierre Desjardins, a déjà exprimé. Notre point de vue commun est celui de l'ensemble des ingénieurs du Québec. Certes, avant d'être des ingénieurs-conseils, nous sommes d'abord des ingénieurs, c'est-à-dire des professionnels de l'ingénierie.

Quel est le rôle particulier de l'ingénieur-conseil auprès du propriétaire? C'est d'abord et évidemment un rôle technique, comme l'a mentionné mon collègue: conception de projets, réalisation et surveillance. On est présents dans toutes les étapes d'un projet. Ensuite, ce qui est très important, on intervient régulièrement dans la rédaction et les contrats de construction pour établir les règles contractuelles qui s'appliquent entre le propriétaire et l'entrepreneur et bien entendu entre ce qui concerne notre profession et le client. Nous considérons donc que nous sommes en position privilégiée pour vous faire certains commentaires sur les règles contractuelles que le législateur nous propose.

Pour revenir sur le régime particulier que nous préconisons pour les immeubles et meubles dangereux, celui-ci se caractérise par le fait qu'il y a responsabilité présumée de l'entrepreneur, de l'ingénieur et de l'architecte engagés par le client en cas de perte totale ou partielle de l'ouvrage. Ces personnes ne pourraient s'exonérer de leurs responsabilités qu'en démontrant que la perte n'a aucunement été causée par leur faute, c'est-à-dire qu'elles ont agi conformément aux règles de l'art.

Il serait inéquitable toutefois que cette possibilité d'exonération soit resreinte de quelque façon. Ni l'entrepreneur, ni l'ingénieur, ni l'architecte ne devraient avoir à assumer la faute d'autrui et à en subir les conséquences. Les membres de cette commission comprendront qu'un régime de responsabilité qui ne leur permettrait pas d'être exonérés s'ils n'ont commis aucune

faute serait pour le moins injuste. Ne retenir que la force majeure ou la faute d'une tierce personne au titre des conditions d'exonération serait de toute évidence injuste en soi et d'après ce que nous savons par rapport au régime en vigueur dans d'autres États.

Le régime de responsabilité qui découle de l'article 1688 de l'actuel Code civil a comme caractéristique d'imposer une garantie aux entrepreneurs, ingénieurs et architectes sans par ailleurs qu'il leur soit permis de s'exonérer en démontrant qu'ils n'ont commis aucune faute. Il ne faudrait pas que la réforme entreprise perpétue cette situation injuste et malsaine que nous subissons malheureusement depuis trop longtemps.

Selon nous, deux dispositions apparaissent de plus à tort dans le régime particulier de responsabilité que je viens tout juste d'énoncer. À notre avis, il est abusif de les considérer ainsi. D'abord, concernant la notion de détérioration, il n'y a pas lieu que les détériorations qui n'affectent que le client propriétaire et non la sécurité du public apparaissent dans le régime de responsabilité particulier. La notion de détérioration selon nous pourrait s'appliquer dans le cas du régime particulier, si elle entraîne la perte partielle ou totale d'un immeuble. Ensuite, concernant la notion de parfait achèvement et les malfaçons, ces notions ne concernent que le client propriétaire. L'article 2184 est même limitatif par rapport au droit contractuel général.

Nous soumettons aussi rapidement cinq autres commentaires particuliers, mais très importants sur les dispositions de nature contractuelle de l'avant-projet.

Premièrement, l'obligation d'utiliser les biens du propriétaire, l'article 2166. Cette obligation qui est faite d'utiliser les biens doit être aussi assujettie au droit de l'ingénieur de les vérifier et de les refuser à cause de la responsabilité à cet égard qu'il pourrait encourir.

Deuxièmement, les concepts d'avances nécessaires, à l'article 2170. Il est impossible, selon nous, de définir quels devraient être ces frais nécessaires à l'exécution d'un contrat. Chaque projet, chaque cas est particulier et devrait être discuté en ce sens dans un contrat en bonne et due forme avec le client.

La règle d'approximation de 10 %. Ces règles ne correspondent en rien à la réalité. Un contrat de construction est le plus souvent à prix fixe et, pour la protection de tous, il est préférable qu'il en soit ainsi. Il est impossible de mesurer dans bien des cas l'approximation, considérant entre autres les règles du marché et la nature du projet. On a qu'à penser à des projets de réhabilitation de bâtiments. Souvent, on peut identifier les coûts approximatifs qu'on pourrait encourir, mais ce n'est qu'en commençant les travaux qu'on va découvrir ce qui peut se passer par la suite et les coûts totaux qui seront à encourir.

L'article 2174 crée au propriétaire l'obligation de payer les sous-traitants, les fournisseurs et l'entrepreneur général. Le législateur, selon nous, impose au propriétaire un rôle qu'il n'a pas accepté de jouer et souvent qu'il ne veut pas jouer et lui donne une responsabilité qu'il ne devrait absolument pas assumer.

L'article 2189, pour terminer, crée pour tout projet de construction et de rénovation de plus de 3000 $ concernant les ouvrages résidentiels l'obligation de créer deux fiducies. Selon nous, il existe d'autres types de garanties qui pourraient être données pour respecter la philosophie qu'on propose et, ensuite il nous semble que la création et la gestion de ces deux fiducies seront très onéreuses finalement pour le consommateur. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Nous allons procéder immédiatement à la discussion en reconnaissant le député de Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la Justice.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. Au nom du ministre de la Justice du Québec et des collègues ministériels, nous aimerions vous souhaiter la bienvenue à nos travaux et vous féliciter pour la préparation et la belle présentation de votre mémoire. C'est un mémoire très intéressant.

J'aimerais moi aussi revenir sur les articles 2183 à 2185 qui traitent de la responsabilité. D'ailleurs, vous en traitez longuement dans votre mémoire. Vous souhaitez que l'article 2185 soit revu afin que cette responsabilité ne vise plus les sous-entrepreneurs et autres collaborateurs et que l'architecte-ingénieur ou le constructeur puisse se dégager de sa responsabilité - c'est M. Desjardins, justement, qui disait ça tantôt - s'il prouve qu'il n'a commis aucune faute. À la lecture du deuxième alinéa de l'article 2185, il nous semble qu'on prévoit qu'il puisse se dégager de sa faute. On parle de force majeure, dans un premier temps; dans un deuxième temps, on dit que si, effectivement, ce n'est pas sa faute, il peut s'en dégager. J'aimerais avoir votre réaction là-dessus, votre commentaire.

M. Dépelteau (Jean-Pierre): L'article 2185, selon moi, s'applique à celui qui n'a pas de lien contractuel avec le client propriétaire alors que l'article 2183 est celui qui s'applique lorsqu'il y a un tel lien contractuel. De la façon dont je le lis, si celui qui, comme l'ingénieur, a un lien contractuel avec le propriétaire-client, c'est l'article 2183 qui s'appliquerait. L'article 2185 dit: "Sont solidairement tenus de la garantie avec le professionnel comme s'ils étaient partie au contrat." C'est donc dire qu'il n'est pas partie au contrat. Selon l'interprétation qu'on en donne, l'article 2185, c'est le cas où il n'y a pas de contrat avec les propriétaires-clients, et l'article

2183 est le cas où il y a un lien contractuel. L'ingénieur se situe aux deux niveaux: 2183 et 2185.

On a un régime double. L'article 2183 traite du lien contractuel entre le propriétaire et un autre professionnel, lequel professionnel peut être un architecte. Les deux premières lignes de l'article 2185 - cela nous apparaît clair du texte - traitent des cas où il n'y a pas ce lien contractuel, d'où la distinction fondamentale, quant à nous, et c'est ce qui a fait l'objet de la réflexion des ingénieurs entre eux.

M. Dauphin: Relativement à la solidarité - on pourra y revenir tout à l'heure avec l'équipe des codificateurs qui m'entoure - vous ne vous prononcez pas clairement. J'aimerais vous entendre concernant la solidarité relativement aux mêmes articles.

M. Dépelteau: L'article 1688 crée un régime de garantie légale, c'est-à-dire que l'ingénieur, pour prendre ce cas-là, est responsable pour la faute d'un tiers entrepreneur. Même si l'ingénieur n'a pas commis de faute, il est responsable. Cela nous apparaît excessif. Cela a toujours paru excessif, et on vous soumet qu'il faut profiter des modifications au Code civil pour faire un tel changement. Ce qu'on propose, ce n'est pas l'application du régime général de responsabilité, qui est celui qui apparaît aux dispositions de l'article 2158 et suivants, mais un régime particulier. Pourquoi un régime particulier? À cause de la protection du public.

M. Sauriol: Sans égard à la faute, on devenait automatiquement coupables. Ce qu'on demande maintenant, c'est au moins de nous laisser la présomption de faute, le fait de démontrer qu'on n'a absolument rien à voir avec le problème concerné. C'est un peu ce qui est demandé dans ce qu'on propose.

M. Dauphin: D'accord. J'aurais une autre question, je sais que ma collègue de Groulx va revenir tantôt. C'est Mme la Présidente, maintenant; excusez-moi, Mme la Présidente.

L'avant-projet prévoit que le professionnel est responsable, pendant les cinq ans qui suivent la réception, et vous semblez favorables à ce délai. Or, dans l'avant-projet que nous avons déposé en juin dernier relativement à la prescription, on prévoit que l'action personnelle est prescrite par trois ans depuis la manifestation du préjudice, dans la mesure où celui-ci survient dans les dix ans. Cela serait-il suffisant, à votre avis, pour assurer un équilibre juste entre les exigences de la responsabilité et la protection du public?

M. Dépelteau: Les ingénieurs se sont penchés sur la question de la garantie de cinq ans, et leur position, c'est qu'ils y sont favorables. Les ingénieurs ne se sont pas penchés sur les délais de prescription qui sont applicables à la suite de la découverte du vice ou autrement. Cela n'a pas fait l'objet de l'étude ou des propos des ingénieurs. (11 heures)

M. Sauriol: La responsabilité de cinq ans nous apparaît suffisante pour établir s'il y a un vice de construction ou autre dans les projets qui seront exécutés.

M. Dauphin: Je sais que nous aurons des auditions au début de 1989 relativement au chapitre sur la prescription et la preuve du droit international privé. Avez-vous l'intention de venir à ces auditions?

M. Sauriol: Oui, sûrement.

M. Dauphin: On pourra en discuter à ce moment-là. Mme la Présidente, je vais vous laisser poser l'autre question.

La Présidente (Mme Bleau): Oui, bonjour messieurs. Nous constatons que votre mémoire comporte des solutions de rechange et je pense qu'elles sont très constructives. Ceci dit, vous semblez vous préoccuper de façon générale de la protection du public, mais vous considérez que les règles avancées par l'avant-projet de loi sont souvent peu réalistes. À ce sujet, et plus particulièrement en matière d'immeubles résidentiels, quelques organismes intéressés nous ont proposé des voies de solution, tels des contrôles réels de la compétence et de la stabilité des entrepreneurs et l'obligation de fournir des garanties suffisantes. Que pensez-vous de ces possiblités?

M. Sauriol: En ce qui a trait à l'ouvrage résidentiel, on reconnaît que dans le mémoire on tente beaucoup de protéger le public sur le plan des constructions résidentielles. Il nous semble que cela devrait être inclus dans la Loi sur la protection du consommateur beaucoup plus que dans un Code civil. Quand on parle de règles contractuelles, comme je l'ai mentionné tantôt, on travaille peut-être moins sur le plan résidentiel, mais davantage sur le plan des grands promoteurs et entrepreneurs. À ce moment-là, les résidences peuvent aussi s'appliquer. Il faut comprendre que le client en face de nous est une personne avertie. Ce n'est pas strictement un propriétaire de bungalow, si on peut l'appeler ainsi. Les règles contractuelles qu'on propose ne nous apparaissent pas assez claires, ne sont pas assez définies et pourraient être mal exploitées par un propriétaire beaucoup plus averti qu'un propriétaire d'immeuble résidentiel.

M. Desjardins: Un complément de réponse. Dans l'étude qu'on a faite du projet de loi, on ne s'est pas attardés beaucoup à la partie résidentielle. On a plutôt regardé l'ensemble du dossier en fonction de la protection du public et des édifices plus complexes où les gens vont

habiter, travailler et d'autres choses semblables. C'est pourquoi on dit que c'est à cet aspect de la question qu'on s'est surtout attaqués.

La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie. Je vais maintenant céder la parole à l'Opposition officielle. M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Je vous remercie, Mme la Présidente. Je pense qu'on est tous heureux de la présence des représentants de l'Ordre des ingénieurs du Québec, elle n'est pas étonnante; c'est votre absence qui l'aurait été.

Sur le mémoire, j'aimerais vous faire certains commentaires. Je pense que vous êtes d'accord de façon non équivoque pour la protection du public, l'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur, répondant de la perte totale ou partielle de l'immeuble. Je pense que c'est très clairement campé dans votre mémoire. Quant à la garantie de parachèvement et de malfaçon, je pense que le mémoire est contre l'idée de l'avant-projet de loi de l'étendre à tous les professionnels solidairement. Là aussi, c'est également une remarque qui est valable.

Maintenant, pour ce qui est du questionnement, Me Gariépy, qui m'assiste, aura aussi sans doute des questions à vous poser. Je vais à la responsabilité du professionnel, aux articles 2183 à 2185, pages 15 et 16 de votre mémoire. Vous proposez que ces règles soient déclarées d'ordre public. Est-ce que je dois comprendre que vous croyez que le dernier alinéa de l'article 2185, que ces règles qui s'appliquent malgré toute stipulation contraire sont insuffisantes à votre point de vue et limitées d'ailleurs dans leur application au seul article 2185 et non aux articles 2183 et 2184?

M. Dépelteau: La réponse que j'ai à donner à cette question est la suivante. L'article 2183 n'est pas d'ordre public. C'est l'article de base quant à la responsabilité particulière pour les ouvrages immobiliers et mobiliers complexes. L'article 2183 devrait être d'ordre public.

M. Boulerice: D'accord. Me Gariépy, est-ce que vous voulez ajouter...

M. Gariépy: Je m'excuse. Nous voyons deux niveaux dans l'avant-projet de loi. Le premier, dans l'article 2183, est la responsabilité de ce qui est appelé un professionnel qui a un lien contractuel avec le client propriétaire. Mais il y a aussi l'article 2185. Cet article traite de la responsabilité de ceux qui n'ont pas un tel lien contractuel, à notre avis.

M. Boulerice: Très clair. Oui, je vous en prie.

La Présidente (Mme Bleau): Me Gariépy.

M. Gariépy: Si vous permettez. Aux pages 23 et 24 de votre mémoire vous traitez de la question du lien contractuel entre le professionnel et le propriétaire de l'immeuble. Et c'est là que je voudrais bien comprendre ce que vous voulez apporter. Je vais lire ma question parce qu'elle est assez longue. Vous dites que les personnes qui doivent être tenues responsables de la perte de l'immeuble sont l'entrepreneur, l'ingénieur et l'architecte. Cela est évident. Mais vous dites, au premier alinéa de votre commentaire, que seul celui qui a contracté avec le client doit être tenu responsable. Qu'en est-il alors si l'ingénieur ou l'architecte n'a pas contracté avec le client dans un projet qui est dit, je crois, Clés en main? Je voudrais juste bien comprendre votre remarque.

M. Dépelteau: Dans un projet de type Clés en main, ce serait, dans l'exemple que vous donnez, l'entrepreneur qui aurait contracté avec le client-propriétaire. Le client-propriétaire n'a pas engagé contractuellement d'ingénieur. Selon nous, cette responsabilité d'ordre public vient de la liberté, du pouvoir, du contrôle et de la compétence qu'un tel professionnel aurait sur un chantier de construction ou dans l'élaboration d'un ouvrage. Comment un tel professionnel qui n'est pas impliqué dans l'ouvrage avec un lien contractuel avec le propriétaire, peut-il être responsabilisé? Il n'est pas présent. Il n'a pas de lien contractuel avec le propriétaire-client. C'est comme si on responsabilisait un ingénieur qui est un employé d'un fournisseur pour toute la responsabilité d'un projet. Selon nous, le professionnel ingénieur ou architecte qui doit assumer cette responsabilité-là doit être celui qui a un lien contractuel avec le propriétaire.

M. Gariépy: Si je comprends bien, malgré qu'un architecte ait signé les plans et qu'un ingénieur ait traité de l'édifice. Est-ce bien ça?

M. Sauriol: Je ne comprends pas le sens de "l'architecte a traité des plans". Qu'est-ce que vous voulez dire par "traiter des plans"?

M. Gariépy: Je veux dire qu'il y a eu un architecte et un ingénieur qui ont fait des choses pour cet édifice-là.

M. Dépelteau: D'après moi, il y aurait un recours délictuel dans des circonstances comme celles-là.

M. Desjardins: Je pourrais peut-être reprendre votre question. Vous parlez de l'ingénieur qui a préparé les plans et devis. L'ingénieur qui a préparé les plans et devis avait un contrat. Tantôt j'ai peut-être soulevé un petit peu ce point-là. C'est qu'il peut y avoir deux genres de responsabilités et je disais que c'était un peu confus dans l'avant-projet. Si vous préparez uniquement des plans et devis ou si vous faites la réalisation de l'ouvrage ce n'est pas la même

responsabilité. Est-ce qu'il s'agit d'une oeuvre intellectuelle ou est-ce qu'il s'agit d'une oeuvre matérielle? Par exemple, si je fais des plans et devis, jusqu'où va se rendre la limite de responsabilité de l'ingénieur? Et si je suis appelé comme ingénieur à faire la surveillance des travaux, est-ce que je vais avoir une obligation de résultat? C'est un petit peu dans ce sens-là qu'on le regarde. Maintenant, si j'ai préparé des plans et devis comme ingénieur, j'ai un contrat avec quelqu'un. Il y a quelqu'un qui m'a demandé des plans et devis. Il nous apparaît qu'à ce moment-là le résultat ou la finalité - c'est un peu ce qu'on disait au début - exigée du professionnel c'est celle-là qui devrait délimiter l'obligation qu'il a. Est-ce que l'obligation est de préparer de bons plans et devis, par exemple? Ou bien est-ce que son obligation est de préparer de bons plans et devis et d'exécuter un ouvrage conformément à? Alors là, il y a tout un lien contractuel qui existe quelque part et qui doit être un peu mieux défini parce que la responsabilité va changer. Les obligations devraient changer aussi.

M. Sauriol: Cela a un autre but aussi. Je pense que l'ingénieur a toujours voulu travailler directement avec le propriétaire, avec le client parce que dans le fond c'est lui qui veut réaliser l'ouvrage. Le jour où l'ingénieur travaille pour le promoteur, à ce moment-là, il peut y avoir une espèce de conflit quant à l'objet final qu'on veut réaliser. Tandis que si on travaille directement avec le client, à ce moment-là ça crée une tout autre attitude parce que le client est celui qui veut réaliser l'ouvrage et qui va l'opérer pendant des années ensuite. On vit cela souvent. Exemple, dans les municipalités où il y a souvent des promoteurs qui engagent eux-même l'ingénieur pour réaliser les travaux municipaux. Le promoteur peut être là pendant cinq ans. Après cela l'entretien revient directement aux municipalités. À ce moment-là la municipalité n'a un recours qu'envers le promoteur qui a déjà disparu, mais pas envers l'ingénieur qui a été engagé par la suite.

La Présidente (Mme Bleau): M. le député de Marquette, est-ce que vous avez d'autres remarques?

M. Dauphin: Oui. J'aimerais revenir, si vous me le permettez, à l'article 2185. On en discutait justement entre nous. Si, effectivement, on clarifiait l'article 2185 pour que ce soit - excusez la répétition - bien clair que ça s'applique autant aux professionnels qu'à l'architecte, l'ingénieur ou le sous-entrepreneur, et sans contrat, est-ce que vous seriez d'accord avec le libellé de l'article 2185, le deuxième alinéa évidemment? Tantôt, on parlait de se dégager de la faute.

M. Dépelteau: Nous disons que seul l'in- génieur qui a contracté avec le propriétaire est celui qui a \a liberté d'agir sur un chantier de construction et d'intervenir parce qu'il est un professionnel membre d'une profession libre et qui, à cause du principe de la protection du public, peut dire au propriétaire: Ne faites pas ça. S'il n'a pas de lien contractuel avec le propriétaire, il ne peut pas intervenir de cette façon-là. Il doit avoir un tel lien contractuel. S'il n'a pas ce lien contractuel, l'ingénieur ne devrait pas assumer une responsabilité exorbitante qui est celle du régime spécial. Ici, il ne faut pas oublier qu'on parle d'un régime différent du régime général de responsabilité. On parle d'un régime qui, selon nous, devrait être un régime avec présomption. À notre avis, seuls les ingénieurs qui ont contracté avec le propriétaire devraient assumer un tel type de responsabilité ou un tel fardeau.

M. Dauphin: En pratique, dans votre profession, l'ingénieur, normalement, de quelle façon est-il choisi? Par l'architecte? Est-ce que c'est le propriétaire qui fait affaire directement?

M. Sauriol: Normalement, c'est le propriétaire qui fait affaire directement avec l'ingénieur.

M. Dauphin: C'est le propriétaire normalement.

M. Sauriol: II y a des cas aussi où l'architecte engage l'ingénieur. Ce sont des choses qui arrivent aussi. Ici, au Québec, on peut prendre les ministères. La corporation d'hébergement du Québec engage directement ses ingénieurs et elle engage son architecte aussi. C'est le régime qu'on a adopté ici.

M. Dauphin: En règle générale, il fait affaire directement avec le propriétaire.

M. Sauriol: C'est ça, oui.

M. Dauphin: Mme la Présidente, Me Cossette, le directeur du droit civil au ministère de la Justice, a une question.

La Présidente (Mme Bleau): Me Cossette.

M. Cossette (André): Pour tenter d'éclaircir la situation et d'éclairer tout le monde en même temps, je vais vous donner un exemple et vous me direz ce que vous accepteriez comme responsabilité. Je me suppose propriétaire pour quelques moments seulement. J'ai un projet de construction d'un édifice. Alors, je requiers les services d'un architecte comme propriétaire. Je requiers les services d'un ingénieur également et je m'entends avec un entrepreneur pour la réalisation de cet ouvrage. Je comprends de vos propos que, dans ces circonstances, vous acceptez d'être solidairement responsables de la réalisation du

projet.

M. Dépelteau: On suggère un régime de présomption de faute avec le droit pour l'ingénieur de faire la démonstration qu'il n'a pas commis de faute, auquel cas, il n'a pas de responsabilité pour la faute d'un autre, il n'est pas solidairement responsable. On suggère...

M. Cossette: Autrement dit, vous n'acceptez pas la responsabilité solidaire des trois.

M. Dépelteau: Non.

M. Cossette: ...entrepreneur, ingénieur et architecte.

Des voix: Non.

M. Cossette: Même avec la possibilité de vous dégager de cette responsabilité dans le sens du deuxième paragraphe de l'article 2185.

M. Desjardins: Vous voulez dire uniquement faute majeure? Non.

M. Cossette: Non. Faute majeure ou en établissant que vos plans étaient corrects, que c'est plutôt l'entrepreneur qui a commis...

M. Dépelteau: Si vous voulez dire, présumé solidairement... Je n'aime pas parler de présomption de responsabilité, mais que la solidarité s'applique à la présomption de faute, je dirais oui, les ingénieurs l'acceptent, mais ils veulent le droit de faire la démonstration qu'ils n'ont pas commis de faute auquel cas ils ne sont plus responsables.

M. Cossette: Alors, ce serait dans le sens du deuxième alinéa de l'article 2185. Maintenant, dans le cas où c'est l'entrepreneur qui requiert les services d'un ingénieur et qu'il y a une perte ou une destruction partielle de l'édifice, comment accepteriez-vous? Quel serait le régime de responsabilité souhaitable dans ce cas? Vous ne voudriez avoir affaire qu'à l'entrepreneur général, que ce soit l'entrepreneur général s'il établit la faute de l'ingénieur, que ce soit l'entrepreneur général qui ait un recours contre l'entrepreneur. (11 h 15)

M. Dépelteau: Parce que l'entrepreneur général peut donner un contrat très limité à l'ingénieur. C'est lui qui a le contrôle sur l'ingénieur, dans le fond. Il peut donner un petit contrat limité avec une responsabilité peu importante dans le projet. Pour que l'ingénieur puisse intervenir dans un projet, il faut qu'il ait une relation contractuelle avec le propriétaire, il faut qu'il ait la liberté d'agir à l'égard du propriétaire. Il faut qu'il soit présent comme maître d'oeuvre du projet, ce qui n'est souvent pas le cas de l'ingénieur qui a contracté avec l'entrepreneur.

M. Desjardins: Si je peux faire un complément là-dessus, en page 3 on dit bien dans le premier paragraphe vers la fin du paragraphe au sujet de notre philosophie de base: II faut s'assurer que leur responsabilité corresponde bien à l'étendue de leur autorité et de leur autonomie de décision. C'est fondamental, je pense que c'est la base de notre argumentation, de la philosophie qui sous-tend ce qu'on vient vous présenter ce matin. On dit: II faut s'assurer que leur responsabilité corresponde bien à l'étendue de l'autorité et de l'autonomie de la décision du professionnel.

M. Sauriol: ...on pourrait dire qu'à partir du moment où tu deviens sous-traitant pour un entrepreneur, tu n'as plus les mêmes responsabilités parce que tu n'agis pas aussi librement.

M. Cossette: J'imagine que vous souhaitez le même régime pour les architectes. Sans vous obliger à parler pour eux, j'imagine que vous souhaitez que ce soit la même chose.

Une voix: C'est une question piège.

M. Dépelteau: Quant à la question de régime, les ingénieurs se sont penchés très longuement entre eux et la décision a été celle que vous avez devant vous, c'est-à-dire qu'ils considèrent qu'un régime particulier de présomption de faute pour la protection du public, considérant l'importance de l'immobilier, de tout ce secteur-là, dans notre société c'est le régime qui serait le plus approprié.

M. Desjardins: On s'est questionnés beaucoup aussi sur le mot "oeuvre". Dans le langage courant qu'on utilise dans le domaine de la construction, par exemple, on parle du maître d'oeuvre et d'un maître d'ouvrage. Un maître d'ouvrage dans notre langage c'est le propriétaire. Un maître d'oeuvre c'est celui qui fait l'ouvrage. Par contre, à ce moment-là on serait portés à dire que finalement l'ouvrage est le résultat d'une oeuvre qui serait un travail exécuté par des personnes compétentes. Par contre, on dit aussi dans le langage courant le gros oeuvre quand on parle de la structure d'une oeuvre. Il y a donc des ambiguïtés même à notre niveau pour définir le mot "oeuvre" et certaines autres... C'est pour ça qu'on disait qu'il y avait ambiguïté dès le départ dans toutes les définitions. Juste sur le mot "oeuvre-il y en a.

La Présidente (Mme Bleau): Vous avez terminé?

Je céderai la parole à Me Gariépy pour une petite question.

M. Gariépy: Une petite question toujours sur la question du contrat Clés en main. Je voudrais bien comprendre. Qu'en serait-il si

l'entrepreneur, dans le cas où c'est lui-même qui a choisi l'architecte et l'ingénieur, prouve son absence de faute, que c'est la faute vraiment par hypothèse, disons, de l'architecte? À ce moment-là, est-ce qu'il n'aurait plus de recours? C'est juste ce point-là que je veux bien comprendre parce qu'on joue avec une exonération au deuxième alinéa de l'article 2185. Dans l'hypothèse où l'architecte et l'ingénieur sont choisis par l'entrepreneur et qu'il y a ruine du bâtiment, qu'en serait-il alors si la faute, par hypothèse, était celle d'un architecte?

M. Dépelteau: Le client n'aurait aucun recours, sauf le régime général délictuel. Autrement ça voudrait dire que n'importe quel entrepreneur, pourrait aller s'acheter des plans et devis et faire ce qu'il veut avec ça et rendre le professionnel responsable? Lequel professionnel n'a aucune liberté d'agir sur le chantier, il n'est pas présent, ça lui prend absolument un lien contractuel pour qu'il puisse être responsable.

M. Dauphin: Encore une fois j'aimerais, au nom de mes collègues ministériels et du ministre de la Justice, vous remercier d'avoir contribué à nos travaux et vous assurer que vos représentations seront analysées et bien étudiées par l'équipe de réforme du Code civil. Merci beaucoup.

Le Président (M. Marcil): Cela va?

M. Boulerice: Vous nous avez ouvert bien des portes. Je pense qu'effectivement il devra y avoir un travail sérieux à faire à la suite de vos commentaires. Je vous en remercie beaucoup, messieurs.

Corporation des maîtres mécaniciens en

tuyauterie et Corporation des martres

électriciens du Québec

Le Président (M. Marcil): C'est bien. MM. Desjardins, Sauriol et Dépelteau, merci de vous être présentés à cette commission. Nous vous souhaitons un bon voyage de retour.

Sans plus tarder, nous allons inviter les représentants de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie et de la Corporation des maîtres électriciens du Québec à s'avancer à la table des invités.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à cette commission parlementaire. En tant que président de la Corporation, j'aimerais, M. François Lemay, que vous nous présentiez vos collaborateurs et que vous procédiez ensuite, durant quinze ou vingt minutes, à l'exposé de votre mémoire.

M. Lemay (François): D'accord. À mon extrême droite, Me Côté, directeur du Service juridique à la Corporation des maîtres électriciens, le président de la Corporation des maîtres électriciens, M. Roger Gosselin, M. John White, du bureau de Grondin, Poudrier et Isabel, et moi-même, président de la Corporation des mécaniciens en tuyauterie.

M. White (John): M. le Président, selon l'entente intervenue entre nous, c'est moi qui présenterai le mémoire.

Le Président (M. Marcil): Allez-y.

M. White: Merci.

Créées depuis 40 ans, la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec et la Corporation des maîtres électriciens du Québec sont des associations professionnelles d'entrepreneurs en construction qui visent à assurer une plus grande compétence de leurs membres dans tous les domaines et, par le fait même, une plus grande sécurité et une plus grande satisfaction du public. Ces deux corporations, créées chacune par une loi, regroupent des entreprises de tailles diverses. Une personne qui exécute seule les travaux d'installation de tuyauterie ou d'électricité doit être membre d'une des corporations. Il en est de même d'une entreprise exécutant des travaux sur des chantiers importants et qui peut employer des centaines de salariés.

Dans le but de répondre aux objectifs visés par leur loi, les deux corporations ont établi différents services qui leur permettent d'aider leurs membres dans l'exercice quotidien de leur profession et d'aider le public consommateur. Les corporations ont toujours démontré un vif intérêt pour les travaux entourant la révision du Code civil. Comme vous avez d'ailleurs pu le noter, nous avons joint, en annexe au mémoire conjoint, copie de deux mémoires conjoints que les corporations avaient déposés à l'Office de révision du Code civil sur les privilèges et sur les responsabilités des sous-traitants. L'intérêt manifesté il y a près de 20 ans existe toujours. Les membres des corporations en tant qu'entrepreneurs, hommes d'affaires et même, dans un certain sens, en tant que consommateurs, sont tous les jours confrontés avec les règles de droit régissant la vie économique québécoise.

L'examen de l'avant-projet de loi nous amène à formuler comme premier commentaire qu'on a semblé vouloir laisser de côté, le principe de la liberté de contracter, c'est-à-dire du fait que le contrat est la loi des parties. Bien que nous reconnaissions que certaines personnes devraient être protégées, nous ne croyons pas que l'on doive mettre de côté le principe fondamental que je viens d'exprimer. Nous croyons également que l'avant-projet de loi risque de donner trop de pouvoirs aux tribunaux et que, à trop vouloir modifier les règles actuelles, en particulier en utilisant un vocabulaire différent du vocabulaire actuel, on risque de compromettre la sécurité des conventions existant présentement.

Vous savez, le Code civil actuel a plus de

120 ans et, lorsqu'on voudra changer des mots dans le Code civil, l'interprétation qu'en feront les tribunaux risque d'être une interprétation changée. Alors je pense qu'il serait important que l'on fasse attention à cet aspect.

De façon plus précise, le mémoire conjoint des corporations porte surtout sur les dispositions relatives au contrat d'oeuvre. J'ai d'ailleurs pu constater que vous aviez une journée-construction ou à peu près, un peu comme lors des sûretés réelles.

Comme nous l'avons exprimé dans le mémoire, nous ne croyons pas que les dispositions proposées dans l'avant-projet de loi soient adéquates pour aider à trouver une solution appropriée aux problèmes de l'industrie. Plusieurs interrogations se soulèvent. En effet, tenant compte de la définition donnée au contrat d'oeuvre, l'entrepreneur général qui accorde un contrat à un sous-traitant pourrait être considéré comme un client, et le sous-traitant comme le professionnel. Tenant compte, entre autres, des dispositions relatives à l'obligation d'information, le sous-traitant devra expliquer à l'entrepreneur général l'étendue de ses travaux, comment il entend faire ses travaux, le temps nécessaire pour exécuter le contrat. Il devra également lui dire qu'il a le droit de retenir des sommes et, de plus, il devra démontrer qu'il a satisfait de façon adéquate à cette obligation.

Ces dispositions ne nous semblent pas appropriées dans les relations entre professionnels de la même industrie. De toute façon, nous ne croyons pas non plus que l'obligation dans sa forme actuelle, bien qu'elle puisse s'avérer nécessaire dans certains cas, soit acceptable. L'impression que l'on a, c'est qu'il va falloir que les entrepreneurs de construction expliquent le droit à leurs clients. Je ne crois pas que ce soit leur rôle.

Nous croyons également qu'il serait préférable que l'on prévoie des règles spécifiques quant à la responsabilité pour la perte ou la détérioration de la chose avant sa délivrance lorsqu'il y a des sous-contrats. Il ne faut pas que l'on puisse imputer une responsabilité à une personne qui ne peut exercer aucun contrôle sur le bien lorsqu'elle a terminé tous ses travaux.

Nous nous interrogeons également sur la notion de la réception de l'ouvrage. L'importance apportée à la réception de l'ouvrage est tellement grande que l'on doit y porter une attention particulière. C'est à partir de ce geste que commencent à courir les délais pour les garanties, entre autres, et que l'entrepreneur a le droit d'exiger d'être payé.

Comme nous l'avons souligné dans notre mémoire, nous croyons qu'il y a des situations où, de bonne foi, un client refuse d'accepter un ouvrage alors qu'il n'y a pas vraiment de raison ou, même s'il existe des raisons, le coût pour faire les modifications ou les réparations est tellement minime comparativement à la retenue qui pourra être faite qu'il va falloir trouver une méthode pour garantir aux entrepreneurs non seulement un paiement assez rapide et ordonné de leurs créances, mais également une façon pour faire en sorte qu'ils puissent connaître de manière précise et rapide l'étendue de leur responsabilité. Sous cet aspect, on pourrait peut-être envisager de prévoir que lorsque l'entrepreneur dit que les travaux sont substantiellement terminés et que le propriétaire ne fait pas l'acte d'acceptation, on pourrait peut-être prévoir une présomption d'acceptation après un certain délai. Vous savez, quand on parle de garantie qui court pendant un an à la suite de la réception, il faut quand même essayer de trouver une méthode pour qu'il y ait une réception à un moment donné, qu'elle soit déterminée dans le temps.

Nous craignons également que la conjugaison des dispositions quant à la réception de l'oeuvre et des dispositions qui étaient proposées dans l'avant-projet de loi sur les sûretés réelles quant à l'hypothèque légale de construction, dispositions avec lesquelles nous n'étions pas d'accord, risque de créer une situation qui pourrait être difficile pour de nombreuses entreprises de construction. Si, d'un côté, les entrepreneurs ne peuvent être payés parce que l'oeuvre n'est pas reçue, mais qu'ils ne peuvent pas non plus avoir sur l'immeuble un privilège qui leur donne suffisamment de droits, comment pourront-ils continuer à exister de façon viable au point de vue financier? S'ils n'ont pas de bonnes créances à céder à leur banquier, ils risquent fort d'avoir des problèmes.

Évidemment, un autre problème concerne les garanties que l'entrepreneur doit accorder. Dans un premier temps, nous ne croyons pas approprié que le code prévoie une garantie de cinq ans contre la perte ou la détérioration de l'ouvrage. La garantie de cinq ans qui existe présentement porte sur des pertes quand même assez graves. L'utilisation du mot "détérioration", quant à nous, laisse entendre que l'on veut élargir le champ d'application de cette garantie. Nous ne sommes pas d'accord avec une extension de ce champ d'application. (11 h 30)

Également, nous ne croyons pas que l'on doive créer une responsabilité solidaire entre l'entrepreneur général, les architectes, les ingénieurs et les sous-traitants. Même s'il existe un moyen d'exonération, tous les sous-traitants risquent d'être poursuivis, tous devront donc subir les coûts afférents à des procès. C'est l'entrepreneur général qui a la responsabilité de s'assurer que ses sous-traitants respectent les règles de l'art. C'est avec lui que le client fait affaire. Nous ne croyons pas justifié que la garantie prévue à l'article 2185 puisse s'appliquer également aux sous-traitants.

Nous voulons, également, dans un même ordre d'idées, souligner que les dispositions proposées ne prévoient rien lorsque le sous-traitant peut découvrir des erreurs dans les plans

et devis. Que doit-on faire? Doit-on ou non les dénoncer? Si l'on veut respecter les règles de l'art, on devra les dénoncer. Mais que se passe-t-il par la suite si on nous ordonne d'exécuter les travaux en respectant les plans et devis? Notre responsabilité sera-t-elle engagée, s'il y a perte de l'édifice, alors que nous avons exécuté le travail conformément aux plans et devis, mais peut-être pas nécessairement en respectant les règles de l'art? Vous comprendrez que c'est un point qui nous semble important et dans lequel il n'y a aucune solution dans l'avant-projet.

Enfin, nous avons été surpris de constater que l'avant-projet créait un mécanisme de fiducie uniquement pour les ouvrages résidentiels. Quant à nous, nous croyons que ce mécanisme devrait exister pour tout genre d'ouvrage. Déjà en 1972, dans le mémoire conjoint des corporations à l'Office de révision du Code civil, nous demandions l'adoption de dispositions semblables à celles existant dans les autres provinces canadiennes. Nous croyons encore aujourd'hui que de telles dispositions devraient exister. Qu'elles soient dans le Code civil ou dans une autre loi, ça n'a pas d'importance. De telles dispositions devraient exister.

Quant à la proposition qui est faite, nous croyons cependant qu'elle ne pèche pas par excès de clarté. Il y aurait peut-être lieu de la rendre plus claire et de rendre tout le processus peut-être également plus simple. Je pense, entre autres, au fait qu'il serait peut-être préférable de préciser que lorsqu'on détient des sommes en fiducie, il faut vraiment que ce soit en fiducie, c'est-à-dire dans un compte à part et non pas seulement en théorie, en fiducie. Je pense également que l'utilisation de certaines expressions comme les fins des fiducies qui ne sont pas remplies ou sérieusement compromises, auraient peut-être besoin, même s'il y a des exemples, d'être clarifiées.

Nous sommes donc d'accord avec la création de fiducies. Nous croyons qu'elles devraient cependant s'appliquer dans tous les cas où des privilèges d'entrepreneur en construction peuvent être enregistrés. Finalement, nous croyons que cet avant-projet de loi a été rédigé sans vraiment tenir compte des dispositions contenues dans la Loi sur le bâtiment. Cette loi qui a été adoptée en 1985 n'est pas encore entièrement en vigueur. Cependant, cette loi - nous le croyons, nous le soumettons - aidait à trouver des amorces de solution à différents problèmes traités par l'avant-projet de loi et surtout pour les consommateurs. L'existence de plans de garantie, l'existence de certifications de conformité avec les normes, un ensemble de dispositions ont été prévues dans la Loi sur le bâtiment qui pouvait aider à régler beaucoup de problèmes concernant la protection du consommateur.

Nous croyons qu'il y aurait lieu qu'une forme d'harmonisation entre les dispositions existantes dans la Loi sur le bâtiment, même si elle n'est pas encore en vigueur, et les dispositions proposées à l'avant-projet de loi soient faites. Dans l'ensemble, les corporations ne croient pas que l'avant-projet de loi aidera vraiment à régler les problèmes de l'industrie. Nous croyons que la section concernant le contrat d'oeuvre réglera d'abord et avant tout, ou apportera des solutions aux relations existant entre le client et l'entrepreneur général, mais qui n'aidera pas vraiment à régler les situations existant entre l'entrepreneur général, le sous-traitant et les fournisseurs de matériaux.

Nous croyons donc, dans de telles circonstances, que le projet de loi aurait avantage à être bonifié sous ces aspects et que des règles plus précises devraient régir, pour l'industrie de la construction, les relations entre les généraux et les sous-traitants.

Nous sommes heureux d'avoir pu participer à vos travaux. Nous remercions les membres de la commission, l'adjoint parlementaire au ministre, le porte-parole de l'Opposition officielle de leur attention et il nous fera plaisir de discuter avec eux. Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Nous allons immédiatement reconnaître le député de Marquette, l'adjoint parlementaire au ministre de la Justice.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, j'aimerais souhaiter la bienvenue à la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie et à la Corporation des maîtres électriciens du Québec. Effectivement, comme Me White l'a mentionné, on a eu l'occasion de se rencontrer l'an dernier lors des auditions publiques en matière de sûretés réelles. Je suis heureux, d'ailleurs, de retrouver le même organisme en matière d'obligations et les féliciter, par la même occasion, pour leur mémoire et leur présentation.

Ma première question a rapport avec le nouveau principe de fiducie dont vous avez parlé tantôt. Vous êtes d'accord avec ce principe. De surcroît, vous seriez favorables à son élargissement et qu'il ne s'applique pas seulement en matière résidentielle. Par contre, d'autres organismes, vous avez peut-être eu l'occasion de les entendre, sont totalement contre, l'APCHQ notamment. Certains nous ont même dit que les règles encadrant ce principe de fiducie étaient irréalistes et paralysantes. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus et vous entendre davantage sur le principe des fiducies.

M. White: Le principe, quant à nous, de créer des fiducies va faire en sorte que si vraiment l'argent est déposé dans des comptes séparés, les entrepreneurs de construction pourront être assurés du paiement. On se comprend bien. C'est dans ce sens-là que nous sommes d'accord avec ce principe.

Si les fiducies atteignent leurs fins, c'est-à-

dire assurer aux entrepreneurs de construction que leurs créances leur seront payées, nous sommes d'accord avec ce principe. Quant à l'application, c'est sûr que des problèmes, avec le texte tel que proposé, risquent de se créer. On ne peut pas dire le contraire, je pense que le mémoire le souligne. Peut-être que ces dispositions pourraient ne pas s'appliquer uniquement pour le propriétaire. Vous savez qu'il arrive fort fréquemment ce soit d'abord et avant tout le banquier qui débourse. Si l'obligation de fiducie était également redonnée au banquier qui débourse, qui devait voir à s'assurer du respect de ces fiducies, comme nous avons demandé que le banquier soit obligé de respecter les hypothèques de construction relatives, au respect des droits des entrepreneurs de construction d'être payés, je pense qu'on pourrait avoir un système praticable. Je n'ai pas de solution miracle, comprenons-nous bien. Je pense qu'il y a certainement un moyen, un terme à trouver qui va faire en sorte que ce moyen supplémentaire créé par les fiducies pour garantir le paiement des honoraires des entrepreneurs de construction soit un moyen praticable, applicable et adéquat. Cela ferait une garantie supplémentaire aux entrepreneurs de construction.

Écoutez, nous ne pouvons pas être contre la vertu si le principe nous aide à être payés. Je comprends mal. Comprenons-nous bien. Que ce soit difficilement applicable présentement, suivant la formulation qui est donnée, oui, c'est peut-être le cas, effectivement, mais quant à nous, le principe est un bon principe qu'il faudrait conserver dans un projet de loi ultérieur. Comme je vous ai dit, ce n'est pas nécessairement dans le Code civil, cela peut être dans une autre disposition. Plusieurs provinces canadiennes conjuguent les deux. Les "Mechanic Liens Acts" des différentes provinces canadiennes ou le "Construction Lien Act" de l'Ontario conjuguent les deux dispositions. Il y a des dispositions concernant des "trust funds" et il y a des dispositions créant les privilèges. Il y a également d'autres dispositions concernant les retenues dans certaines de ces lois canadiennes, alors c'est certainement un système qui peut être praticable et qui est utilisé ailleurs. Il s'agit de trouver une solution adéquate. Mais sur le principe, nous croyons que c'est une bonne chose et, comme on l'a souligné, déjà en 1972, nous avions fait des représentations auprès de l'Office de révision du Code civil à ce sujet.

M. Dauphin: Merci beaucoup. Dans votre mémoire, vous admettez la nécessité d'élaborer des règles strictes en matière de vente d'immeubles résidentiels, sans toutefois vous prononcer sur la pertinence générale des règles proposées par la réforme. Vous soulignez uniquement le fait que vous considérez la Loi sur le bâtiment comme une étape importante pour la protection du public en ce domaine. Nous aimerions connaître vos impressions sur les règles proposées par la réforme par rapport à celles prescrites par ladite Loi sur le bâtiment.

M. Gosselin (Roger): La Loi sur le bâtiment prévoyait un encadrement avec des pouvoirs des deux côtés, alors que dans la réforme proposée, on a des obligations, mais on n'a pas de contrepartie. On donnait, par exemple, à l'intérieur de la Loi sur le bâtiment, pour autant que je me le rappelle, la possibilité au consommateur de porter plainte, mais cette plainte était assujettie à des critères d'encadrement, alors qu'actuellement, on donne plein pouvoir au consommateur sans même décrire le consommateur. Le consommateur peut être actuellement aussi bien une grosse compagnie, une grosse firme qu'un consommateur particulier, d'après ce que nous comprenons du projet de loi. C'est dans ce sens que nous disons que le consommateur nous semblait mieux encadré que ce que l'on retrouve actuellement.

M. White: Si vous me permettez, je pense que ce que M. Gosselin vient de souligner est important. Nous sommes pour la vertu, mais il faut être vertueux des deux côtés pour que la vertu puisse fonctionner. Dans la Loi sur le bâtiment, il y avait eu du "give and take". Nous étions prêts à assumer des responsabilités au plan de la protection du consommateur; nous étions prêts à faire bien des choses, mais nous avions également demandé que l'industrie soit autoresponsable, qu'on nous donne des pouvoirs de réglementation plus larges que ce que nous avons présentement. Je pense que c'est important, cela aussi.

C'est pour cela que, lorsqu'on lit l'avant-projet de loi, on protège le consommateur, d'une part, et que, d'une certaine façon, on ne nous donne rien. On ne fait que protéger le consommateur, mais non le consommateur au sens de la Loi sur la protection du consommateur ou de la Loi sur le bâtiment. Pensez à Lavalin qui fait construire un immeuble. Entre vous et moi, ils sont à peu près sur le même pied sinon, supérieur à nous pour ce qui est des travaux, sous l'aspect de l'expertise. Il faudrait quand même pondérer tout cela.

En ce qui concerne les règles comme telles sur la vente d'immeubles résidentiels, je pense que ce qui est important dans tout cela, c'est qu'il y a eu des abus. Je pense en particulier à la construction d'immeubles en copropriété où des choses ont été représentées et qui n'ont pas été le cas. Si on veut assainir tout ce qui s'appelle construction, pour faire en sorte que l'image de l'industrie soit bonne et que le public consommateur fasse confiance aux entrepreneurs de construction, il faut également que les promoteurs soient, d'une certaine façon, "policés", qu'il y ait des règles. C'est en ce sens que nous sommes d'accord. La Loi sur le bâtiment était une étape; il n'y a peut-être pas eu entre les deux d'échanges suffisants pour qu'on puisse

avoir un régime qui aurait pu s'inspirer d'abord et avant tout du régime que nous avions accepté dans la Loi sur le bâtiment. C'est ce que je voulais ajouter sur cette question.

M. Dauphin: D'accord, merci, quitte à revenir tantôt, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Cela va. M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Je vous dirai tout de go, messieurs, que j'apprécie vos remarques pour ce qui est de la protection du consommateur, surtout au sujet du bâtiment. Mon collègue, député de Marquette, est témoin que cela a fait l'objet - le vice-président également, l'actuel président de la séance - effectivement d'un long débat lorsque nous avons rencontré, il y a quelques mois, l'Office de la protection des consommateurs. Effectivement, la nuance que vous apportez - et cela est un petit à côté, mais je suis quand même heureux d'en profiter et je vais peut-être inventer le mot - entre le consommateur civil et le consommateur corporatif mérite également, je pense, une certaine attention. (11 h 45)

Mais pour revenir au Code civil comme tel, qui peut peut-être paraître ésotérique pour l'ensemble de la population, quoiqu'on sait fort bien qu'on va tous vivre avec cela demain matin donc, d'où l'importance d'avoir une expertise professionnelle comme celle que vous nous apportez, j'aurais une première question à vous poser. Vous faites référence, aux pages 15 et 16 de votre mémoire, à la retenue pour malfaçon et vous suggérez que le législateur fixe ce pourcentage comme il l'a fait à l'article 2171 pour le contrat avec prix estimatif. Que pensez-vous de 5 % comme retenue pour malfaçon à l'article 2175?

M. White: Dans un premier temps, je pense que ce qui est important, c'est qu'on n'ait pas nécessairement éliminé d'autres méthodes pour régler ce problème. L'idée d'avoir un pourcentage s'inspire, entre autres, de dispositions législatives existant dans d'autres provinces. Dans d'autres provinces, lorsque le montant est inférieur à 15 000 $, par exemple, la retenue sera fixée à 15 %; lorsque c'est supérieur à 15 000 $, ce sera fixé à 10 %. C'est un exemple que je vous donne. Il y a d'autres provinces où c'est 20 %. Alors on pourrait peut-être faire une étude très exhaustive, mais il me semble que, dans la pratique, lorsqu'il y a des contrats - et les entrepreneurs autour de moi pourront vous l'indiquer - il existe une première retenue de 10 % - si mon souvenir est bon - jusqu'à l'acceptation définitive des travaux. Par la suite, il reste ensuite une retenue équivalente à 1 % ou 2 % dépendamment pour l'année suivant la fin, l'acceptation définitive des travaux. C'est une méthode qui, contractuellement, existe présentement et qui parfois nous crée des problèmes. Vous savez, les gens tardent parfois à accepter définitivement les travaux et ne veulent donc pas débloquer les sommes. Il me semble que, si on respectait la pratique générale de l'industrie, au moment où on se parle, à ce sujet, cela pourrait peut-être être acceptable. Si on est prêts à l'accepter lorsqu'on conclut des contrats, si on le prévoit dans le Code civil de façon claire, nette et précise, si cela se colle à ce qu'on vit, même si on vit avec des problèmes - puisque le véritable problème a trait beaucoup plus à la réception, l'acceptation définitive des travaux. On peut faire traîner pendant des années l'acceptation définitive des travaux et donc, jamais de montant de retenue, sauf après avoir intenté une action et après avoir également attendu pendant trois ans avant de procéder - si ce quelque chose se calquait sur la réalité contractuelle actuelle, cela me semblerait alors certainement acceptable.

M. Gosselin: C'est certain que s'il n'y a aucun paramètre de mis, c'est très dangereux. On est à la merci du client finalement, du donneur d'ordre; on est à la merci d'à peu près tout le monde. Comme on l'a souligné dans le rapport, cela peut être tout de même dangereux pour la santé financière des entreprises à un ' certain moment. Vous savez que c'est long au niveau juridique.

M. Boulerice: Vous apportez une autre donnée qui me paraît très pertinente, soit les contrats avec les sous-entrepreneurs et les fournisseurs de matériaux. Vous abordez ceci aux pages 28 et 29. Vous mentionnez d'ailleurs à quelques reprises dans votre mémoire et justement au bas de la page 28, que les règles sur le contrat d'oeuvre n'envisagent pas les relations entre entrepreneurs et sous-entrepreneurs. Vous ajoutez, au bas de la page 28, les fournisseurs de matériaux. Est-ce que vous proposez qu'on en traite dans le chapitre sous le contrat d'oeuvre ou bien est-ce que cela demeure assujetti au contrat de vente, comme le droit actuel le veut, avec peut-être en plus son privilège spécial en matière de construction?

M. White: Sous cet aspect, le plus grand problème que nous ayons présentement en tant qu'entrepreneur c'est le suivant, et vous allez comprendre. En vertu du contrat que je signe, j'accepte habituellement de donner une garantie d'un an sur tout ce que j'installe, sur mes travaux, mais également sur mon installation. Par exemple: J'ai acheté une thermopompe d'un fournisseur. Mon fournisseur me donne une garantie de trois mois contre tout défaut mais, moi, contractuellement, je n'ai pas le choix si je veux conclure le contrat. Je dois donner une garantie d'un an. Je risque fort d'avoir un problème. C'est moi qui aurai le problème en tant qu'entrepreneur. Je pense que dans cette

optique, celui qui me fournit la thermopompe devrait à tout le moins - et on devrait donc, à mon sens, prévoir dans le contrat d'oeuvre la garantie que je suis obligé de donner en vertu du Code civil - être obligé lui aussi de me la donner pour les matériaux qu'il m'a fournis et que j'ai incorporés dans l'immeuble. Alors, je pense que c'est important que nous ayons au moins une disposition pour couvrir ce qui me semble être le cas le plus flagrant, celui qui se produit le plus souvent. Je pense donc qu'il serait peut-être mieux qu'il y ait des dispositions spécifiques à ce chapitre, intégrées dans le contrat d'oeuvre. Je comprends qu'il y ait évidemment des dispositions concernant la vente, je suis d'accord, mais il y a tout de même des réalités du milieu dont il faut tenir compte. Je pense que ce serait une bonne chose de la prévoir.

M. Boulerice: Si vous permettez, M. le Président. Je sais que le temps file. Je vous ai entendu beaucoup parler de réception. Enfin, on a lu aussi ce que vous avez écrit sur la réception. Les remarques de votre mémoire sont à mon point de vue très pertinentes. Je pense qu'il faut prévoir un mécanisme si le client refuse la réception. Qu'est-ce que vous envisageriez?

M. White: J'ai parlé un peu, lors de la présentation, d'une espèce de présomption de réception. Vous savez, lorsque l'on dit que la garantie de cinq ans est à compter de la réception de l'oeuvre, si la réception n'a jamais lieu ou qu'elle a lieu quatre ans plus tard, et que de plus, j'ai une garantie de cinq ans pour la perte ou la détérioration - en passant, la détérioration, qu'est-ce que c'est? Je ne le sais pas clairement, je ne suis pas sûr - il y aurait peut-être une formule de présomption à appliquer. Je vous dirais: II faudrait peut-être recourir aux tribunaux à ce moment-là, mais ce n'est pas le genre de chose qui m'intéresse. Je suis un avocat de pratique privée, cela ferait peut-être mon affaire, mais je ne crois pas que cela ferait l'affaire de mes clients.

Comprenons-nous bien. Devrait-on, par requête, s'adresser à la Cour supérieure, en cours de pratique, pour faire déterminer qu'il doit être déclaré qu'il y a eu réception des travaux? Je ne crois pas que ce soit la meilleure solution. Je pense plutôt à une présomption, après un certain délai, pour que les délais puissent commencer à courir, pour qu'on sache à compter de quel moment les délais courent. Cela me semble une solution plus acceptable. Maintenant, quel pourrait être le délai, 90 jours, 60 jours après la prise de possession par le propriétaire?

M. Boulerice: D'accord. Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): M. le député de Marquette, est-ce que cela va?

M. Dauphin: Je voudrais remercier nos intervenants de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie pour la préparation et la présentation de leur mémoire et leur dire que l'équipe du Code civil qui m'accompagne durant nos travaux va analyser et étudier avec beaucoup d'intérêt le mémoire qu'ils nous ont présenté. Merci beaucoup.

Le Président (M. Marcil): À vous tous, merci beaucoup de vous être présentés à cette commission. Nous vous souhaitons un bon voyage de retour.

M. Boulerice: On pourrait peut-être, sur le ton de l'humour, vous remercier pour les tuyaux que vous nous avez donnés.

Le Président (M. Marcil): Nous allons suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 11 h 55)

(Reprise à 15 h 30)

Fédération de la construction du Québec

Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous poursuivons les travaux de cette commission et j'aimerais inviter la Fédération de la construction du Québec à s'approcher - c'est déjà fait - représentée par M. Robert Linteau, président. M. Linteau, bienvenue à vous et à vos collaborateurs à cette commission parlementaire. Je vais vous demander de nous présenter vos collaborateurs, les personnes qui vous accompagnent; on vous alloue vingt minutes pour faire l'exposé de votre mémoire, puisque celui-ci a déjà été lu et examiné par les membres de cette commission. On connaît déjà le contenu, donc, il s'agit seulement d'une synthèse et après, on pourra participer à un échange de questions. Présentez-nous les personnes qui vous accompagnent et ensuite vous pourrez procéder à l'explication de votre mémoire.

M. Linteau (Robert): Merci, M. le Président et distingués membres de cette commission. J'aimerais vous présenter à ma gauche, M. René Lafontaine, entrepreneur, M. Jean-Marie Bonneau, directeur d'associations régionales et, à mon extrême droite, M. Jean Ratté, conseiller juridique de la fédération et Me Michel Paré, secrétaire exécutif de la fédération.

Avant de vous présenter le mémoire, j'aimerais vous remercier pour le délai supplémentaire qui nous a été accordé concernant le dépôt du mémoire. Cela aide beaucoup les entrepreneurs qui sont pris du matin au soir. Vous me permettrez de ne pas lire le texte de notre mémoire considérant que vous en avez sûrement pris connaissance depuis son dépôt au début du mois. J'aimerais cependant rectifier

quelques erreurs minimes qui s'y sont glissées. À la page 9, par exemple, au troisième paragraphe, l'article de référence exact est bien l'article 1841 et non l'article 1842. À la page 22, au premier paragraphe, il faut lire "vices de conception" et non "de construction". C'est pas mal différent. Enfin, à la page 37, au premier paragraphe, il aurait fallu lire "il serait préférable d'ajuster des lois administratives plus facilement adaptées aux mobilités des réalités que d'insérer..." et non "d'ajouter des lois supplémentaires".

Ceci étant dit, j'entamerai donc notre présentation, en vous disant que si la qualité principale de l'avant-projet de loi se retrouve dans une formulation des chapitres peut-être plus conforme aux normes de structuration que se doit de dégager une loi fondamentale comme le Code civil, à l'opposé, son principal défaut relève d'un contenu souvent mal ajusté et même très mal ajusté aux réalités économiques et sociales de notre temps.

Nous sommes déçus de devoir être en désaccord, encore une fois, avec les orientations proposées par la réforme du Code civil québécois. Force nous est de constater que les orientations décelées dans certains chapitres de l'avant-projet de loi hypothèquent sérieusement, à notre avis, les caractères de durabilité et d'équité que se doit à tout prix de refléter le contenu d'un Code civil.

Or, la toute première réflexion qu'a suscitée chez nous cet avant-projet de loi fut certainement qu'à force de responsabiliser les entrepreneurs de tous les clous plus ou moins mal plantés de la terre, de même qu'à vouloir blinder les clients jusqu'à les considérer mentalement déficients, on finira carrément par décimer la race des constructeurs que nous sommes. Est-ce vraiment le but de notre prochaine justice? C'est ainsi qu'on a maladroitement mis l'accent sur de nouveaux droits et privilèges accordés aux consommateurs, mais sans se soucier du sens des termes génériques utilisés ni des conséquences qu'ils entraîneront au détriment de l'équilibre juridique des parties.

À titre d'exemple flagrant, notons seulement le terme "client" qui ne signifie pas exclusivement le consommateur, mais bien toute personne physique et morale. Pareillement, en voulant particulariser certaines relations socio-économiques des citoyens, cette fois au détriment de l'universalité des principes d'équité que doit dégager une loi fondamentale, on met en péril l'applicabilité de cette loi. À titre d'exemple, soulignons le fait qu'on veuille marginaliser la vente et la construction résidentielle du reste de la construction en général. Par conséquent, la facture de l'avant-projet de loi ne peut que nous amener à émettre de sérieuses réserves sur la viabilité d'un nouveau contexte de relations contractuelles pour la survie des milliers d'entrepreneurs de construction que nous représentons.

Permettez-nous, par ailleurs, d'utiliser cette tribune pour vous expliquer brièvement les conséquences négatives de quelques principes exprimés par cet avant-projet de loi, tels l'augmentation outrancière des responsabilités imputées aux entrepreneurs, la démesure des types de garantie de même que leur délai d'application et, enfin, les effets économiques désastreux qu'engendrera l'application des nouvelles obligations administratives prescrites aux entrepreneurs.

Revenons au titre des responsabilités. Nous insistons sur le fait que ce n'est pas tant la normalisation des obligations attribuées aux entrepreneurs qui pose problème que l'augmentation abusive de leurs responsabilités. Ainsi, en fusionnant au contrat d'oeuvre les responsabilités des contrats de services et d'entreprises, on ajoute aux entrepreneurs des responsabilités qui incombent davantage aux professionnels-architectes, ingénieurs et autres - tels les vices de conception, les vices de sol et la bonne qualité des matériaux plutôt que leur bon état. Aussi, accorder unilatéralement au client un délai de résiliation de trois ans qui s'ajoute au pouvoir de dédire un engagement dans les dix jours suivant la signature d'un contrat préliminaire, assorti d'une pénalité dérisoire de 0,5 %, cela relève de la plus haute iniquité des responsabilités et des conséquences qui en découleront. D'autant plus qu'avec tout cela, l'entrepreneur conserve toujours une responsabilité légale en ce qui a trait à la malfaçon, à la détérioration, etc., et ce, de cinq à dix ans, et conserve aussi sa responsabilité contractuelle de 30 ans.

Qui plus est ces délais de résiliation ne feront que favoriser le magasinage d'une maison après la signature du contrat de vente et non avant, ce qui déstabilisera toute relation commerciale dans ce domaine.

Bref, rien de tel pour la quiétude du jeu béni de la spéculation, tantôt à la baisse, tantôt à la hausse. En outre, le législateur considère-t-il le citoyen moyen, tout comme les services juridiques des grosses compagnies clientes, d'un niveau intellectuel si faible pour estimer qu'il leur faut un délai minimal de trois ans pour se rendre compte qu'une information importante manque au contrat préliminaire ou à la circulaire d'information? Des documents de quelques pages seulement! Je vous dirai qu'en tant que simple citoyen, je me sens personnellement presque insulté.

Au chapitre des garanties. Nous croyons qu'imposer aux entrepreneurs une garantie de cinq ans sur un bien qui n'est habituellement garanti que pour un an, et parfois moins, nous apparaît tout à fait saugrenu. De même, tenir les entrepreneurs garants de la détérioration d'un ouvrage qui résulte d'un vice de conception, de fabrication ou d'un vice de sol, démontre l'ignorance des rédacteurs de l'avant-projet de loi sur l'applicabilité d'une garantie. Non seulement, un entrepreneur ne peut honnêtement garantir ce qui est en dehors de sa juridiction, mais on ne peut non plus l'obliger à garantir ce

qui ne peut l'être. Que fait-on des appareils manufactures qui ne sont garantis qu'un an et même moins par les manufacturiers eux-mêmes? Bien voyons! Tout le monde sait bien que les entrepreneurs sont altruistes au point de garantir pendant cinq ans la peinture des portes et des fenêtres, les ampoules électriques, le gel d'une serrure et que savons-nous encore!, et qu'il relève aussi de leur compétence de veiller aux conceptions des ingénieurs et des architectes! En outre, parce qu'on ne définit pas où commence et où se termine la réception substantielle ou définitive d'une oeuvre, ces garanties peuvent courir au-delà des temps prescrits dans l'avant-projet, selon l'interprétation que l'on y donne.

Puis en ce qui a trait aux coûts administratifs, la réforme proposée projette d'établir, pour les ouvrages résidentiels surtout, un lourd système administratif avec lequel on ne peut être d'accord. Sous forme d'ouverture et de gestion de comptes en fiducie, la logistique du système proposé ne garantit en rien, malheureusement, le paiement des entrepreneurs. D'abord, parce que le montant déposé en fiducie par le client n'est pas établi par la loi et qu'il peut donc représenter une somme tout à fait ridicule par rapport à la valeur du contrat; ensuite parce que le client, pouvant payer directement tous les intervenants autres que l'entrepreneur, on lui permet donc aussi d'ignorer ses obligations envers ce dernier.

Sans doute a-t-on voulu répondre ici aux difficultés de paiement des sous-traitants par les entrepreneurs, mais alors, pourquoi n'avoir en fait que déplacé le problème cette fois entre le client et l'entrepreneur? D'autant plus que ce système n'assure le paiement des sous-traitants par le client que s'ils peuvent faire valoir leurs privilèges ou hypothèque légale auxquels ils n'auront pas renoncé dans leur contrat avec l'entrepreneur. En fait, on n'a rien résolu, au contraire, on a amplifié les difficultés de paiement et alourdi le système administratif.

La réforme propose une obligation de circulaire d'information complète pour des projets immobiliers de faible envergure, soit cinq unités de logement et plus. Le législateur n'a sûrement pas pris la peine d'évaluer l'impact financier et les problèmes pratiques de cette obligation pour les petites entreprises qui constituent, rappelons-le, 82 % des entreprises québécoises de construction avec moins de cinq employés. Peut-on imaginer un petit entrepreneur qui, à chaque projet de cinq logements ou résidences, devrait débourser des frais juridiques pour établir les éléments du contenu de la circulaire, des frais de comptable pour établir le budget prévisionnel et des frais de conception graphique et d'imprimerie pour produire la circulaire? Ces frais atteignent facilement plusieurs milliers de dollars.

À vouloir protéger inconsidérément la faiblesse présumée des clients et en obligeant l'entreprise à une pratique administrative inutilement sophistiquée et onéreuse, la loi finira par étrangler purement et simplement la construction résidentielle. On ne peut comprendre que ce soit là l'objectif du législateur, surtout que le jeu de la concurrence fait déjà trop bien son travail à cet égard. Par contre, nous sommes heureux de constater que l'avant-projet de loi veuille assujettir l'État aux règles et obligations dictées par le Code civil. Cependant, l'article 1420 qui le stipule, est d'abord malheureusement tout à fait illusoire parce que d'une interprétation encore trop restrictive pour qu'on puisse s'en réjouir. En effet, l'État et ses agents n'y seront en fait soumis que si leur propre loi constitutive le permet et la pratique nous fait croire qu'ils en seront exclus.

Nous serions fort heureux, par exemple, de voir la Société immobilière du Québec véritablement soumise aux règles de ce présent livre, ce qui permettrait dorénavant aux entrepreneurs de constester les nombreuses clauses abusives que l'on retrouve dans tous leurs contrats d'adhésion introduites par les articles 1483, 1484 et 1485. Un autre exemple flagrant est Hydro-Québec. Surtout que déjà le fait recherché par ces articles est considérablement diminué par les possibilités de détournement que permet un autre article qui stipule qu'aucune modification aux conditions d'exécution d'un contrat d'adhésion n'est monnayable à moins que cela soit prévu au contrat. Or, tout le monde sait bien qu'en principe aucune clause compensatoire pour modification n'existe dans les plans et devis d'un contrat d'adhésion.

En résumé, l'avant-projet de loi sur la réforme du Code civil du droit des obligations nous apprend tout fièrement que les entrepreneurs de construction seront dorénavant élevés au titre de responsables à tout faire, accusés d'office au banc des garanties, administrateurs de paperasse diplômés et, honneur suprême, banquiers de service. Pour toutes ces raisons, dont certaines sont beaucoup plus explicitées dans notre mémoire et sur la base des orientations philosophiques et sociales exprimées en 1977 par l'Office de la révision du Code civil, nous suggérons à la commission de procéder à une véritable consultation des principaux milieux directement et quotidiennement affectés par la viabilité des obligations d'un Code civil dans le domaine de la construction. (15 h 45)

La réforme qui nous avait été présentée en 1977 était non seulement plus claire et équitable entre les parties, mais aussi moins policière des relations contractuelles, tout en respectant une légitime intention de protéger la présumée vulnérabilité des consommateurs. À défaut d'une telle consultation et si l'intention du législateur est encore de vouloir conserver au Code civil un style et une interprétation transcendant les politiques législatives constamment réévaluées au gré des époques, nous l'incitons fortement à considérer les recommandations suivantes comme alternatives valables. Premièrement, de ne pas

singulariser la construction immobilière. Donc, que soient retirées de l'avant-projet de loi les dispositions relatives aux ouvrages immobiliers et résidentiels. Deuxièmement, que soit plutôt revu l'ensemble des lois qui régissent l'industrie de la construction et ainsi permettre que la construction soit régie par des lois administratives plus flexibles plutôt que d'être intégrée à la rigidité d'un Code civil. Dans cette optique, nous suggérons, troisièmement, la création d'un ministère de la construction, et ce n'est pas la première fois, et la mise sur pied d'un tribunal de la construction compte tenu des nombreuses lois, règlements et organismes qui encadrent cette industrie. À défaut, nous voudrions, quatrièmement, qu'à tout le moins soit abrogée la possibilité du client de résilier un contrat unilatéralement et sans motif à moins que la pareille ne soit accordée au professionnel entrepreneur. Cinquièmement, que les obligations de garantie de l'entrepreneur soient ramenées à de plus justes proportions. Sixièmement, que la responsabilité des promoteurs soit reconnue au même titre que celle des entrepreneurs. Septièmement, que soit distingué le contrat de services du contrat d'entreprise. Huitièmement, que la notion relative à la fin des travaux soit clairement établie et uniformisée. Neuvièmement, que la section des règles particulières de la vente d'immeubles résidentiels soit modifiée en tenant compte des réalités économiques et cycliques du marché, notamment en ce qui concerne le droit de l'acheteur de dédire un contrat préliminaire, l'obligation d'émettre une circulaire d'information pour les projets de faible envergure et les possibilités de résiliation dans un délai de trois ans après la signature du contrat préliminaire. Dixièmement, que le système des privilèges décrits dans le Code civil actuel soit non seulement maintenu, mais renforcé. Onzièmement, bien sûr aussi, que soit revue l'utilisation sémantique des termes génériques à interprétations multiples.

Enfin, que l'État, ses sociétés, ses agents et mandataires, soient clairement assujettis aux réglementations du Code civil et ce, sans détour.

En terminant, la Fédération de la construction du Québec remercie les membres de cette commission pour l'occasion qu'elle lui a donnée de pouvoir vous exprimer ses réticences sur cet avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations. Nous espérons fortement que le projet de loi qui suivra tienne davantage compte de la dynamique sociale, politique et économique de cette industrie de la construction. À cet égard, souvenez-vous que nous de la fédération demeurons toujours disponibles pour participer à des groupes de travail mandatés à la révision de cet avant-projet de loi. Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, vous êtes bien aimable. Merci de cet exposé. Je vais reconnaître immédiatement le député de

Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la Justice.

M. Dauphin: Oui, merci beaucoup, M. le Président. M. Linteau ainsi que les personnes qui vous accompagnent, nous vous souhaitons en tout premier lieu la bienvenue à nos travaux en sous-commission parlementaire et je tiens à vous dire que votre mémoire était bien documenté, bien travaillé, et nous tenons à vous féliciter.

Comme première question, j'aimerais m'entretenir de l'ouvrage résidentiel. On a noté dans votre mémoire que vous vous opposiez à l'instauration de fiducies, en matière d'ouvrage résidentiel, et comme raison vous nous indiquez qu'il y a possibilité que cela restreigne substantiellement ou considérablement la garantie de paiement des sous-entrepreneurs ou des fournisseurs. Par contre, tout au cours de la journée, on a reçu d'autres groupes du milieu de la construction qui eux, au contraire, souhaitaient l'instauration desdites fiducies et j'aimerais entendre vos commentaires là-dessus, les raisons pour lesquelles vous avez des positions distinctes sur l'instauration des fiducies.

M. Linteau: Je vais demander à M. Ratté.

M. Ratté (Jean): D'abord, j'aimerais y aller d'une façon chronologique et vous allez comprendre nos réticences. Si vous regardez à l'article 2189, on dit qu'il y a un contrat entre le client et l'entrepreneur. Alors, la relation contractuelle est toujours entre le client et l'entrepreneur. Mais même à 2189, pour parler de la fiducie, on ne mentionne pas quels montants devront y être déposés et, s'il y en a, si ce sera jusqu'à concurrence du montant du contrat. Ce matin nous avons entendu, naturellement, certaines associations ou corporations ventant les mérites de la fiducie, sauf qu'on n'a pas tenu compte non plus de la relation contractuelle entre les parties. Ainsi, si le sous-traitant est payé directement par le client, selon son goût, on brise tout de suite la notion contractuelle entre l'entrepreneur et le client. Qui a les responsabilités de l'entrepreneur, une fois qu'il est payé? C'est toujours lui qui garde ses responsabilités. Alors que s'il y a un mécanisme qui oblige l'entrepreneur à être payé avant le sous-traitant, s'il y a une difficulté, pas nécessairement de paiement, mais une malfaçon ou quoi que ce soit, il sera plus facile pour les parties, entrepreneur ou sous-traitant, de régler leurs litiges, sans briser les rapports entrepreneur-client. C'est une des réticences.

Autre chose, naturellement, la fiducie. Nous regrettons que vous laissiez un peu des parties s'amuser avec de l'argent alors que le professionnel, lui, a soit investi sous forme de temps, soit investi sous forme de matériaux et on ne verra pas l'heure où on sera payés, on saura encore moins quelles sont nos responsabilités exactes et dans quel délai. La fiducie est plus

grande, d'après nous, que ce qu'on retrouve aux articles 2189 à 2195. C'est l'ensemble de la construction dans le domaine résidentiel qu'on est en train de refaire avec la fiducie.

Une voix: M. Lafontaine.

Le Président (M. Marcil): Allez-y.

M. Bonneau (Jean-Marie): M. le député, la fiducie, c'est un beau mot, mais payé par la fiducie ou par le propriétaire donneur d'ouvrage, l'entrepreneur ou le sous-traitant n'a pas plus de garantie d'être payé. C'est la même personne. Il a beau avoir une maison de 100 000 $, avec un montant de 100 000 $ en fiducie, si le client ne fait pas de chèque, l'entrepreneur n'a pas plus d'argent. Un exemple: au Soudan, où il y a une famine actuellement, si vous mettez des gros congélateurs à tous les 50 pieds, qu'il y a une clé pour les ouvrir et qu'ils sont tous verrouillés, ils vont continuer à crever de faim, comme ils le font actuellement. Dans mon esprit, la fiducie, c'est ça. Il y a de l'argent là, mais tu n'es pas plus sûr d'être payé.

M. Dauphin: Avez-vous fait des études avec les autres provinces? Apparemment, dans la majorité des provinces canadiennes ce principe existe et à ma connaissance, cela ne va pas si mal que cela.

M. Bonneau: Le principe peut peut-être exister, je ne l'ai pas regardé. Par contre, si dans la fiducie, quelqu'un oblige le client qui a mis de l'argent là à payer lorsque c'est dû... Si vous prenez un client qui ne veut pas payer, il a toutes les raisons voulues d'allonger les périodes de paiement, comme il aurait beaucoup d'argent là.

M. Ratté: On ne dit pas être contre le système de fiducie à 100 %. Comme vous le mentionnez, cela existe ailleurs. Remarquez également qu'ailleurs, il y a deux systèmes: fiducie et privilège ou hypothèque légale. Il y a deux genres de systèmes. Nous disons que présentement, ce système ne garantit pas à l'entrepreneur d'être payé. Quant aux sous-traitants, on vous dit que c'est un autre problème.

M. Dauphin: Je voudrais aborder un autre sujet avant de laisser la parole. Je sais que Mme la députée de Groulx aurait des questions et, bien sûr, le porte-parole de l'Opposition. Aux pages 6 et 11 de votre mémoire, vous vous prononcez sur les dispositions concernant la vente d'immeubles résidentiels. Vous concluez que des modifications devraient être apportées après consultation auprès des milieux concernés. Est-ce qu'on doit en déduire que vous reconnaissez la nécessité de protéger le public en cette matière évidemment, toujours celle des immeubles rési- dentiels? Si oui, avez-vous des solutions de rechange à nous proposer?

M. Paré (Michel): II y a déjà, M. le Président, des garanties qui sont offertes par la Fédération de la construction du Québec auprès des entrepreneurs qui sont accrédités, dans notre système de garantie, qui est exactement le même que celui qui vous a été décrit ce matin. En ce qui concerne les acomptes, les vices de construction, les défauts majeurs comme on les connaît présentement et le parachèvement, ce que l'on fait présentement avec le projet, on élargit certaines protections en ce qui a trait à la détérioration et on ne sait pas trop ce qu'est la détérioration. On allonge également les délais. La réception de l'oeuvre devient un acte unilatéral de la part de l'acheteur ou du propriétaire. On ne veut pas se défiler des responsabilités, mais on ne veut pas non plus avoir un élargissement des garanties énorme à un point tel que les entrepreneurs de construction ne pourront plus survivre tout à l'heure. On voit dans d'autres chapitres, dans d'autres articles que l'on tente de transférer certaines responsabilités en ce qui regarde le vice de conception qui relève de l'architecte ou de l'ingénieur et on transfère cette responsabilité de conception sur le dos des entrepreneurs de construction, ce qui est tout à fait inacceptable.

Présentement, on vit dans un système où il y a des garanties données. Ce n'est pas parfait, mais il faut voir également que dans certaines réclamations, que l'on vit, d'acheteurs de maisons où il y a des défauts, on intervient en leur offrant comme garantie, soit un montant d'argent forfaitaire: les gens refusent; soit en leur offrant également de reprendre les travaux: les gens refusent; on leur offre de racheter leur maison parce qu'ils ne sont pas satisfaits: les gens refusent. On ne sait plus. Et si on ajoute les vices de conception, si on ajoute les défauts de détérioration, vous allez mettre à terre fort probablement plusieurs entreprises de construction car il ne faut jamais oublier que dans ce milieu, ce ne sont pas des entrepreneurs, ce ne sont pas des multinationales, ce sont de très, très petites entreprises d'ici, ce sont des entreprises de cinq employés et moins. Elles n'ont pas les reins financiers pour être capables de respecter toutes les exigences d'une personne qui, à un moment donné, devient de mauvaise foi. Les exemples que je vous ai donnés, on les vit présentement. C'est ce qui est rapporté.

M. Ratté: Pour compléter, monsieur, je voudrais mentionner que lors de la vente, je ne sais pas où vous avez pris les immeubles de cinq logements et plus ou cinq résidences, mais sans avoir fait d'études, on peut vous dire qu'on est contre le nombre de cinq parce qu'on trouve que cela ne se tient pas, en pratique. On vous l'a expliqué ce matin. On était présents, c'est-à-dire que d'autres corporations étaient présentes. C'est

de choisir un autre chiffre au moins qui toucherait les gros projets et non pas les petits projets. Le gars avec deux ou trois employés, cet entrepreneur ne peut respecter vos normes de circulaires d'information. Cela va lui prendre un comptable, cela va lui prendre un juriste, etc. Il n'a pas les moyens pour cela à moins d'être gros. Quand on vous dit que le petit va disparaître de la "map", c'est pour des choses semblables. On peut s'entendre, mais il n'y en a pas qui ont fait des études, pas plus ceux de ce matin que nous autres. On n'a pas fait d'études à savoir si c'était mieux un immeuble de cinq logements, dix ou quinze. Mais on sait par exemple, qu'un simple consommateur qui veut investir dans l'immeuble et qui fait un immeuble de cinq logements, cela lui prend une circulaire d'information. Cela, on peut le dire aux clients, par exemple. C'est un peu ridicule. En plus, il faut que vous regardiez l'article 1847. Face à ces petits-là, on peut dans les trois ans considérer le contrat résilié. C'est certain qu'on déstabilise aussi bien le petit que le moyen. Le gros, la circulaire d'information quand il s'amuse, lui, avec un immeuble de 100 ou de 200 logements par année, cela ne le dérange pas.

M. Dauphin: Avez-vous un chiffre à nous suggérer?

M. Ratté: Autant l'immeuble de cinq logements nous a épatés, autant personnellement je n'ai pas de chiffre à vous suggérer. Il faudrait prendre chacun de nos membres, leur demander, tirer une moyenne et dire, où est le promoteur... Normalement, c'est certain que l'entrepreneur, petit ou même moyen, c'est plus qu'un immeuble de cinq. Cela peut être quinze ou dix-huit. Je n'ai pas de chiffre. (16 heures)

M. Paré (Michel): Vous savez, M. le Président, on ne peut pas vous donner de chiffres à ce chapitre comme on ne pourra pas vous donner de chiffres également en ce qui concerne la limite dans l'article qui parle des montants de 3000 $ et plus qui doivent être en fiducie. Quand on parle de 3000 $ aujourd'hui dans la rénovation, ce sont des portes et des fenêtres et même pas, bien des fois. Alors, ce sont des montants très bas.

Une voix: Deux ou trois marches. Une voix: À peu près.

Le Président (M. Marcil): C'était l'équivalent de trois marches en chêne.

Des voix: Ha, ha, ha! Une voix: À peu près.

Le Président (M. Marcil): II y avait Mme la députée de Groulx, je crois, qui avait quelques questions.

Mme Bleau: Oui. C'est au sujet de la réception des travaux. Vous vous interrogez sur la notion de réception des travaux. Certains organismes ont fait des observations sur cette notion importante, particulièrement, quant au point de départ, des garanties comme nous l'avons entendu ce matin, entre autres. On y suggère d'instaurer une présomption de réception. Nous aimerions vous entendre sur ce sujet. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Paré (Michel): Une présomption de réception? Je crois bien que nous serons d'accord avec cette notion. Nous l'utilisons déjà en ce qui concerne les garanties qu'on offre en matière de travaux de rénovation. Parce qu'à un moment donné, on ne sait plus, quand, à partir de quelle date démarre la garantie de l'entrepreneur. La réception, telle que prévue dans l'avant-projet de loi... Si vous me permettez, je citerai trois petits paragraphes très courts sur la notion de réception telle que véhiculée. On dit: "Quant aux oeuvres matérielles, le projet institutionnalise la réception pour l'utiliser à titre de point de départ des obligations de paiement, de garanties de prescription, entre autres. Or, la réception est décrite présentement comme un acte unilatéral d'acceptation. Qu'en sera-t-il des réceptions injustement refusées ou retardées? Le projet est muet à cet égard et nous paraît nous ramener, sans y changer rien, au problème actuel de détermination de la fin des travaux avec lequel la jurisprudence a eu tant de difficultés à se fixer." Ce sont les interrogations que l'on retrouve dans le domaine juridique par d'autres avocats, non pas des représentants de la fédération. Or, c'est la raison pour laquelle on est d'accord de jouer avec un système de présomption de réception, sinon on n'a jamais la date du point de départ des responsabilités.

Mme Bleau: Quant à l'utilisation du terme "professionnel", plusieurs organismes nous ont aussi fait des représentations. Ils n'étaient pas tellement d'accord avec le terme employé. Est-ce qu'on pourrait savoir ce que vous en pensez? Quel autre terme pourriez-vous nous suggérer?

M. Paré (Michel): Appelez les choses par leur nom. On véhicule le terme "professionnel", à un moment donné, c'est pour un vendeur, soit le vendeur professionnel et ensuite, on voit le vendeur tout seul. On parle d'entrepreneur professionnel. À un certain moment, on se demande si l'architecte et l'ingénieur sont des professionnels. Alors, tout est noyé sous le générique de professionnel. On a déjà un office qui est le Code des professions. Et arrive un certain moment donné, avec le terme "professionnel", avec le terme "client" qu'on utilise dans le mémoire, on ne sait plus qui est qui. Il y a également "collaborateur". Qui est le collabora-

teur? Ce sont des notions complètement différentes et, à l'occasion, le terme "professionnel" signifie telle et telle personne et à d'autres occasions, telle et telle autre personne. Il y a confusion de responsabilités. Il y a confusion aussi dans les intervenants.

M. Ratté: Remarquez bien qu'on n'est pas contre le terme "professionnel". Qu'il reste là, mais qu'on sache qui cela inclut. On est d'accord avec le terme "professionnel" employé à l'article 2158, mais ce qui nous embête, c'est qu'à l'article 2185 on trouve qu'ils sont plus professionnels que les architectes et les ingénieurs. Pourtant, on dit: fournisseurs de services, personnes entrepreneurs. D'après nous, cela devrait comprendre les contrats de services ainsi qu'un contrat d'oeuvre.

Mme Bleau: Quand on parle surtout du contrat d'oeuvre, c'est à ce sujet.

M. Ratté: À ce sujet, on n'est pas contre le terme "professionnel", mais qu'on sache ce que cela comprend. Qu'on garde la même terminologie. À l'article 2183, vous dites: le professionnel. On sait que cela comprend un entrepreneur. On peut déduire aussi que cela peut comprendre un architecte à l'article 2183 ainsi qu'un ingénieur sauf qu'à l'article 2185, vous revenez avec architecte et ingénieur. Alors, on déduit qu'à l'article 2183, cela ne comprend pas l'architecte et l'ingénieur et on devrait déduire qu'à l'article 2158, l'architecte et l'ingénieur sont compris dans cela ou non. Si vous divisez le contrat d'oeuvre, tel que vous le faites présentement, je vous suggérerais de retourner en 1977 où l'on a fait le contrat de services, on a spécifié davantage le contrat d'ouvrage. Alors que là, on a fait une fusion et présentement on donne des responsabilités à chacune des parties, soit en ouvrage, soit en entreprise, mais sans une nette distinction, de sorte que le terme "professionnel" nous embête.

Mme Bleau: Merci beaucoup.

M. Ratté: Ce n'est pas le terme même.

Le Président (M. Marcil): Cela va, Mme la députée de Groulx? À ce moment-là, je vais reconnaître le porte-parole de l'Opposition et député de Taillon.

M. Filion: Merci, M. le Président. Je dois vous dire que les questions que je voulais évoquer avec vous ont déjà été soulevées par mes collègues, notamment la notion de professionnel et celle de création de fiducie. J'ai bien parcouru votre mémoire et également l'annexe. J'ai été frappé par le fait que vous révélez qu'en construction, finalement, vous devez faire affaire avec 24 organismes, 16 québécois, 5 fédéraux, et trois privés, et qu'en plus de cela, vous avez, comme encadrement juridique, 31 lois et trois règlements de régie, donc, 34 types d'interventions législatives et réglementaires. Alors, je pense que je viens de comprendre pourquoi on dit que quand le bâtiment va, tout va: C'est parce qu'il y a tellement de personnes qui doivent remplir de la paperasse dans vos compagnies ou ailleurs que, finalement, quand le bâtiment va, cela fait travailler toutes sortes de monde.

M. Linteau: Vous voyez pourquoi on demande un ministère de la construction.

M. Filion: Oui, c'est cela. C'est une demande qui n'est pas récente, je pense que vous faites quand même...

M. Linteau: Non, mais je pense que par le nombre de lois, elle ne sera jamais récente.

M. Filion: Voilà.

M. Linteau: Tant qu'on ne l'aura pas.

M. Filion: À tel point, d'ailleurs, que j'avais un entrepreneur qui était membre de votre fédération, l'un des... Vous en avez combien de milliers, là?

M. Linteau: Ha, ha!

M. Filion: Deux ou trois milles, en tout cas.

M. Linteau: On en a assez de milliers qu'on ne les compte plus.

M. Filion: Bon. En tout cas, il me disait que, selon lui, pour que son entreprise fonctionne, cela prendrait un avocat et un m.b.a. à temps plein. Non, écoutez, de façon tout à fait sérieuse, moi, je voudrais vous remercier de votre mémoire qui est tout à fait précis en ce qui concerne le type d'activité que vos membres font à la Fédération de la construction du Québec. Le mémoire va droit au but et je suis convaincu qu'il alimentera la réflexion de ceux qui seront chargés de rédiger un projet de loi. On le sait, c'est un avant-projet, d'où cette consultation que nous avons amorcée cette semaine et qui se continuera dans les deux semaines qui viennent. Votre mémoire, par l'expertise qu'il contient aussi dans les faits, dans la réalité, se révélera, sans nul doute, un outil et un instrument précieux pour les rédacteurs. Quant à moi, donc, je voudrais tout simplement vous remercier d'avoir investi l'énergie et le temps pour préparer ce document qui est extrêmement bien fait et d'avoir également pris le temps de vous être déplacés pour nous sensibiliser verbalement, comme vous l'avez fait aujourd'hui, aux types de préoccupation que vous vivez.

Donc, au nom de ma formation politique, merci.

M. Linteau: Merci.

M. Paré: M. le Président, si vous le permettez, j'aimerais ajouter un point, s'il n'y a pas d'autres questions.

Un problème que l'on vit présentement. Jusqu'à présent, ce dont on a discuté autour de cette table, dans le domaine de la construction, c'est de la relation de l'acheteur d'une maison par rapport à l'entrepreneur. Mais, il y a aussi des organismes gouvernementaux qui donnent des contrats, des ministères, des gros donneurs d'ordre. L'on vit présentement - et l'extension des garanties est excessivement dangereuse à ce chapitre - des cas où l'on demande aux entrepreneurs de soumissionner sur des projets avec l'un ou l'autre des deux produits, deux mécaniques de possédées, deux types de fonctionnement, deux façons différentes, deux équipements différents: L'équipement un et l'équipement deux. L'équipement un permet le travail et on a une garantie sur cet équipement qui va bien fonctionner pour les travaux auxquels il est affecté. Tous les entrepreneurs, sauf un, vont soumissionner avec l'équipement qui garantit le travail. Un autre entrepreneur va soumissionner avec l'équipement deux pour lequel il n'y a aucune garantie sur le fonctionnement des travaux faits par cet équipement. L'équipement deux, pour lequel il n'y a aucune garantie du fournisseur, s'avère jusqu'à 2 000 000 $ plus coûteux que le plus bas soumissionnaire avec lequel l'équipement est garanti. C'est vous du gouvernement - pas personnellement, mais du gouvernement - qui allez exiger que l'entrepreneur le plus bas soumissionnaire produise avec un équipement garanti. On l'oblige, sous peine de perte du contrat, à exécuter avec un équipement non garanti des travaux garantis au même coût, mais qui sont plus dispendieux, la prolongation de la garantie se fait présentement. On parle de contrats de l'ordre de 10 000 000 $ ou 11 000 000 $, on ne parle plus d'une maison. C'est abusif. Il n'y a pas un entrepreneur capable de garantir des équipements pour lesquels même le fournisseur ne peut le faire. Et on va demander aux entrepreneurs de construction, demain matin, de garantir ce genre de choses. On prolonge de façon carrément abusive et inacceptable. Cela se fait à l'intérieur des organismes pour lesquels vous avez la responsabilité politique.

Imaginez-vous lorsqu'on arrive à l'extérieur, dans le domaine privé. Le système de soumissions, de contrats, des plans et devis, ce sont tous des contrats d'adhésion. Cela ne se négocie pas ou très peu. Il y a des clauses abusives. On y fait référence un petit peu. C'est le système qu'on vit présentement. Cela sera encore pire demain matin si on continue dans la voie de l'avant-projet de loi. Ce qu'on va recommander, devant une augmentation abusive des responsabilités des entrepreneurs, c'est que les gars s'incorporent. Dès que le travail est terminé, on ferme l'entreprise et on n'a pas à répondre aux responsabilités, tellement c'est rendu énorme et de façon presque unilatérale. Il ne faudrait pas que ce genre de choses se retrouvent dans le Code civil ou, au moins, qu'il y ait une contrepartie. L'entrepreneur, bien souvent, est le lien entre le propriétaire, les architectes, les ingénieurs et les sous-traitants, l'entrepreneur général.

On a vu l'an passé un projet de réforme des sécurités réelles dans lequel on mettait en péril le paiement des entrepreneurs. Le système de fiducie qu'on retrouve aujourd'hui met également en péril le paiement des entrepreneurs généraux. Bien souvent, sur un chantier, l'entrepreneur général... Pas bien souvent, il est toujours responsable des travaux du sous-traitant. Si le propriétaire paie le sous-traitant et que celui-ci a fait des travaux non conformes pour l'entrepreneur général, qui doit en assumer la responsabilité vis-à-vis du propriétaire? Le gars est déjà payé, que va-t-il se passer? À votre réflexion.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. M. le député de Marquette, avez-vous une petite question encore?

M. Dauphin: Non, cela va. On prend bonne note de la dernière remarque. Juste pour vous dire qu'effectivement, si nous tenons des audiences actuellement, c'est dans le but éventuel de bonifier l'avant-projet de loi. Sur ce, au nom du ministre de la Justice et de l'équipe de réforme du Code civil qui m'accompagne, je veux vous remercier pour votre participation.

Association de la construction de Montréal et du Québec

Le Président (M. Marcil): Cela va. Merci beaucoup de vous être prêtés à cette commission parlementaire. Sans plus tarder, nous allons, compte tenu du temps, vous souhaiter un bon voyage de retour.

Nous allons inviter l'Association de la construction de Montréal et du Québec à prendre place à l'avant. (16 h 15)

Eh bien, messieurs, au nom de cette commission, nous vous souhaitons la bienvenue à cette consultation. Sans plus tarder, je vous inviterais, M. Morin, qui êtes le président, à nous présenter vos collaborateurs et également à exposer de façon succincte votre mémoire, étant donné que les membres de cette commission ont déjà pris connaissance de votre document. Vous avez à peu près quinze à vingt minutes pour exposer, ensuite on procédera à une période de discussion. M. Morin.

M. Morin (André O.): Merci. M. le Président, madame et messieurs les membres de cette commission, l'Association de la construction de Montréal et du Québec vous remercie de

l'occasion qui lui est donnée de vous rencontrer à nouveau aujourd'hui, cette fois pour discuter de l'avant-projet de loi portant sur les obligations et sur ce que le Code civil devrait en dire. Aujourd'hui, notre délégation est composée de M. Pierre Mallette, à ma gauche, directeur général de notre association, Me Claude Bonenfant, à mon extrême droite, directeur des affaires juridiques et des relations de travail de l'association, Me Jacques Théoret, à ma droite, président et directeur général du Centre d'études et de recherches pour l'avancement de la construction au Québec. Je suis André Morin, président de l'association.

L'Association de la construction de Montréal et du Québec, qu'on appelle couramment l'ACMQ, est une association sans but lucratif, à appartenance volontaire, fondée à Montréal en 1897. Elle représente actuellement 3000 entrepreneurs généraux ou spécialisés, fabricants et fournisseurs de la construction dont l'activité s'étend à tout le Québec, plus particulièrement dans le domaine de la construction industrielle, institutionnelle et commerciale. Ces membres exécutent aussi bien des projets de plus de 10 000 000 $ de constructions neuves que des travaux de rénovation ou de restauration. Ces travaux sont exécutés par nos entreprises pour le compte d'investisseurs privés, petits et grands, tout comme pour celui de l'État au sens large: provincial, fédéral, municipal ou autres, et des organismes qui s'y rattachent.

L'avant-projet de loi dont nous avons à discuter ici, qui est considérable, est également fort complexe, même si l'on s'en tient, comme l'ACMQ et plusieurs autres ont dû le faire, aux dispositions qui concernent une seule industrie. Il faut dire que, malheureusement, cet avant-projet nous a causé collectivement plus de souci que nécessaire. On ne semble pas avoir cherché à y tenir compte en ce qui nous concerne des justes revendications que plusieurs avaient exprimées à l'Office de révision du Code civil. Il aurait fallu revoir ces représentations, les mettre à jour et s'informer de ce qu'est vraiment l'industrie de la construction avant de nous présenter dans un avant-projet des solutions partielles ou mitigées à nos vrais problèmes quand elles ne sont pas partiales ou totalement contraires à la réalité, aux tendances et à une évolution quasi universelle en la matière.

La protection du consommateur, c'est une chose. Mais sur des investissements en construction de plus de 18 000 000 000 $ en 1987 au Québec, les clients sont loin d'être tous des consommateurs au sens de la loi du même nom. Le Code civil, lui, qui doit constituer la base des rapports contractuels dans une société, ne doit pas être plus équitable pour l'un que pour l'autre. Il doit tenir compte d'un ensemble de circonstances qui n'ont certainement pas toutes constitué la préoccupation majeure des auteurs de l'avant-projet. C'est pourquoi dans une introduction à son mémoire qui a pu vous sembler longue mais qui n'est encore que schématique, l'ACMQ a tenté de présenter une image d'ensemble de ce qu'est en réalité l'industrie de la construction et souligner la complexité des rapports contractuels auxquels donne lieu la réalisation du plus courant des contrats. Nous avons dit, par exemple, qu'il n'était pas rare de voir une quarantaine d'entreprises de construction, fabricants et fournisseurs, entrepreneurs généraux et sous-traitants, ou même entrepreneurs principaux, intervenir à un moment ou à un autre de l'exécution d'un même chantier, et que les types de clients et d'ouvrage envisagés, tout comme l'origine et les fonctions des personnes qu'on y retrouve, les matériaux et appareils utilisés, sont également fort divers.

Comme l'industrie de la construction a considérablement évolué depuis le début du XXe siècle, il faut absolument que le nouveau Code civil que l'on nous donnera constitue d'abord une constatation de cette évolution, que les préjugés favorables n'y aient pas cours et que l'on s'en tienne à des règles qui soient à la fois simples, complètes, claires, cohérentes et assez souples pour être adaptables à la réalité évolutive et qui soient par dessus tout génératrices d'équité et d'équilibre dans les prestations. Je demanderais maintenant à Me Jacques Théoret, président-directeur général du CERACQ de vous présenter au nom de l'ACMQ certaines propositions sur le contenu d'un futur Code civil avec lequel nous risquons, comme industrie, de devoir vivre, si l'on en croit l'expérience du passé, pour quelques décennies à venir.

M. Théoret (Jacques): Mme la Présidente, avec évidemment un peu de regret, je serai forcé d'être bref et de m'en tenir à résumer les propositions les plus fondamentales qu'avance l'ACMQ dans son mémoire et aussi à limiter de façon systématique les explications à leur sujet. J'espère cependant que nous pourrons compléter par les échanges qui suivront.

D'abord, je pense qu'il est important d'insister sur le fait que l'ACMQ demanderait au législateur de faire la distinction entre, d'une part, le contrat d'entreprise et, d'autre part, le contrat de services professionnels assortis plutôt quant à lui d'une obligation de moyen. C'est ici la notion même de contrat d'oeuvre qu'avancent les rédacteurs de l'avant-projet que nous mettons en cause, préférant les distinctions qu'avait proposées à ce sujet l'Office de révision du Code civil.

Outre les difficultés de vocabulaire que nous avons soulignées pour passer au sujet de la caducité de l'offre quant aux articles 1431 et suivants de l'avant-projet, l'ACMQ voudrait tenter d'encadrer la notion de délai raisonnable que véhicule l'article 1434. À cet égard, nous suggérons que si une soumission ne stipule pas de délai de validité, le propriétaire-client ait 30 jours pour signifier son acceptation et l'entrepreneur, 60 jours pour signifier la sienne à un

sous-entrepreneur soumissionnaire. Après ces délais, l'auteur de la soumission devrait être admis à refuser l'acceptation qui lui serait alors signifiée ou à la retirer lui-même sans avoir à se justifier. Dans les semaines qui suivent la présentation d'une offre, en effet, les circonstances d'un entrepreneur soumissionnaire peuvent très facilement changer. L'entrepreneur, lui aussi, doit pouvoir dans toute la mesure du possible planifier ses travaux, prévoir ses besoins de main-d'oeuvre et être capable aussi de soumissionner sur d'autres contrats.

Au sujet maintenant de l'article 1444 de l'avant-projet, l'ACMQ est d'accord pour dire que l'entrepreneur ne doit pas être admis à retirer sa soumission ou même, sauf dans des circonstances extraordinaires, à demander l'annulation d'un contrat pour cause d'erreur sur la valeur des travaux à exécuter. Nous soutenons cependant que l'erreur manifeste, si elle est sérieuse, doit, pour des raisons d'équité, donner ouverture au retrait de son offre par le soumissionnaire sans pénalité avant acceptation de la soumission par son destinataire.

Quant aux contrats avec l'administration publique, je le dirai très brièvement, l'entrepreneur qui devrait, comme l'ont dit les tribunaux, vérifier que toutes les formalités ont été observées pour s'assurer de la validité de son contrat avec l'administration, faute de quoi le contrat lui-même peut être déclaré nul et de nullité absolue. À ce sujet, nous suggérons que le contrat devrait plutôt être susceptible de confirmation, surtout dans les cas où les parties et notamment l'entrepreneur ne peuvent pas être remises dans l'état qui était le leur au début.

Le contrat de construction, Mme la Présidente, nous soutenons également que c'est un contrat d'adhésion au sens strict d'ailleurs de l'article 1423 de l'avant-projet de loi. Le contrat de construction est très souvent un contrat d'adhésion. Il est intéressant et nous retenons l'esprit des articles 1483 et 1484 qui disent à ce moment-là que les clauses illisibles, incompréhensibles ou abusives pourraient être révisées. Soulignons seulement que ces articles doivent aussi, quant à nous, s'appliquer à l'État et aux organismes qui s'y rattachent et, dans tous les cas, même si le contrat n'en est pas un d'adhésion au sens strict.

Concernant le sujet de l'entrepreneur principal et de ses sous-traitants, l'entrepreneur principal doit, en toutes circonstances, conserver la direction sur les sous-traitants, puisqu'il a de toute façon la responsabilité des travaux dont ils sont chargés. Les sous-traitants ne doivent donc pas, comme le suggère l'article 2174 proposé, pouvoir réclamer du client le paiement de leurs créances directement. C'est une chose à laquelle l'ACMQ s'opposerait dans l'avant-projet de loi.

Quant à la réception d'ouvrage, sujet qui a été traité quelquefois depuis ce matin aussi, les articles 2175 à 2177 de l'avant-projet comportent des idées fort intéressantes, celles d'exécution substantielle et de réception, mais il faudrait définir ce qu'on entend par exécution substantielle et établir des délais qui soient de rigueur pour la réception de l'ouvrage et le versement des sommes retenues une fois les travaux ainsi achevés et reçus.

Sur la question des fiducies, en particulier concernant les ouvrages résidentiels, et sur l'obligation de détenir les fonds retenus en fidéicommis, en vertu de l'article 2188 proposé, nous la rejetons, parce qu'irréaliste et paralysante en termes de "liquidités", par exemple, en même temps que très imprécise, tout comme les dispositions proposées, en particulier cette obligation de détenir les fonds en fiducie, sans aucun détail quant aux obligations qui en découleraient et même quant aux pénalités qui pourraient en résulter.

Sur la responsabilité de l'entrepreneur - et c'est là quand même le coeur et le noeud de cet avant-projet de loi et aussi de la présentation de l'ACMQ - l'avant-projet de loi traite de cette question de façon fort confuse. On n'a qu'à consulter les articles 2165, 2178 et 2179, 2183 à 2185, pour voir que le concept de garantie est utilisé un petit peu à toutes les sauces. C'est pourquoi le mémoire de l'ACMQ, aux pages 57 à 62, avance deux propositions, l'une concernant les défectuosités ou vices mineurs, et l'autre la perte de l'ouvrage causée par un vice de construction qui nous semble clair, facile de compréhension et tout à fait équitable.

En un peu plus de détails, dans les quelques minutes qui me restent, Mme la Présidente, quant aux défectuosités et aux vices mineurs, nous soutenons qu'avis écrit de leur découverte doit être donné en toute diligence par ce client propriétaire et, au plus tard, dans les 30 jours, sous peine de déchéance de l'action, sinon la défectuosité risque de s'aggraver et de toute façon c'est l'entrepreneur qui, ayant à la réparer, aura plus de réparations que nécessaire à faire. L'action, dans ces cas-là, devrait être prise au plus tard un an après la découverte de la défectuosité, s'il y a lieu, et toute action devrait être irrecevable plus de deux ans après la réception. Le régime général de preuve s'appliquerait dans ce cas-là, et les délais seraient de rigueur. C'est le premier volet de notre proposition sur la question de la responsabilité.

Maintenant, quant à la deuxième partie, c'est-à-dire à la perte de l'ouvrage causée par un vice de construction, nous croyons que la notion de solidarité entre architecte, ingénieur et entrepreneur, est dépassée et devrait être éliminée. La présomption de responsabilité peut peut-être exister mais le propriétaire doit pouvoir y renoncer. Pour donner ouverture à cette action, fa détérioration dont il est question - et c'est un terme employé par les auteurs de l'avant-projet - doit entraîner perte totale ou partielle de l'ouvrage, sinon cela devient une défectuosité ou un vice mineur dans notre esprit. Il ne devrait pas y avoir de responsabilité de

l'entrepreneur pour les vices du sol. Il ne devrait pas y avoir de responsabilité présumée du sous-entrepreneur, nous en avons déjà parlé. La perte doit survenir dans les trois ans de la réception et l'action doit être prise dans les deux ans de la perte ou de la période initiale de trois ans au plus tard. (16 h 30)

Les moyens de défense contre la présomption, outre la force majeure et l'erreur ou la défectuosité des expertises et des plans ainsi que le manquement à une obligation de direction ou de surveillance, doivent inclure absolument - c'est quelque chose qui a été reconnu assez décisivement dans certains cas, mais quand même - l'immixtion du client, son acte, son omission, le fait d'un tiers et l'expertise du client ou de ses conseillers.

Avant de clore sur cette question, soulignons ceci. Il ne faut absolument pas que la prescription des recours contre l'entrepreneur ne commence à courir, comme l'avance l'article 2179, qu'à la réception officielle de l'oeuvre. Il n'est pas rare, en effet, qu'une telle réception officielle soit indûment retardée par l'insouciance, l'incurie, la lenteur volontaire, dans bien des cas, du maître de l'ouvrage ou de ses conseillers à certifier le parachèvement total des travaux alors que, de toute façon, il utilise l'ouvrage depuis la réception.

Je pense, Mme la Présidente, que je devrais à peu près conclure sur cela, parce que le temps qu'on avait est écoulé. Il n'est pas absolument essentiel que nous revenions sur le contrat de vente dont il a déjà amplement été question et ces messieurs de l'APCHQ en ont pas mal parlé ce matin. Peut-être juste une dernière note; il est dit à l'avant-projet de loi que les règles proposées pour le contrat de consommation ne s'appliquent pas à la construction. Nous voudrions tout simplement être sûrs que le mot "construction" et, donc, que les règles des articles 2719 et autres, dans ce coin-là, ne s'appliquent pas à des travaux ou à des services de modification, de réparation, d'entretien ou de rénovation à un immeuble, puisque ce sont les mêmes entreprises qui exécutent tous ces travaux. Le même régime devrait donc s'appliquer à tous ces types de travaux. Mme la Présidente, je vais m'arrêter là et nous essaierons de préciser cette matière au cours de la période de discussion. Merci.

La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie. Avec l'acquiescement du député de Marquette, je vais donner la parole tout de suite à l'Opposition officielle et à M. le député de Taillon qui a une obligation pressante après.

M. Filion: Je vous remercie, Mme la Présidente. D'abord, dans le même sens, je voudrais remercier les gens de l'Association de la construction de Montréal et du Québec, M. Morin, Me Théoret, Me Bonenfant et M. Mallette, pour leurs recommandations écrites et également leurs commentaires verbaux. J'ai quelques questions que m'inspire la lecture de leur mémoire.

D'abord, à la page 22, en ce qui concerne l'interprétation du contrat, l'association voudrait retourner au principe actuel du code, c'est-à-dire que le contrat devrait être interprété contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation. Pour vous retrouver, c'est à la page 22 de votre mémoire. D'un autre côté, l'association reconnaît que dans le secteur de la construction, c'est un contrat d'adhésion du fait, notamment, que les documents de soumission qui sont présentes sont destinés à faire partie du contrat lui-même. Ma question est la suivante et elle s'adresse probablement à Me Théoret: Étant donné que vous reconnaissez le fait que le contrat de construction est généralement un contrat d'adhésion, est-ce qu'il ne serait pas plus normal et raisonnable d'interpréter ce contrat contre celui qui l'a rédigé et en faveur de celui qui doit adhérer comme principe général qui est, d'ailleurs, le principe que reconnaît lavant-projet de loi? Sinon, pourquoi devrait-on modifier ce que le bon sens m'inspire? Si c'est un contrat d'adhésion, c'est celui qui l'a rédigé qui a le bon bout du bâton. Donc, dans le doute, essayons de faire pencher la balance de l'autre côté. Je ne sais pas si vous voulez réagir.

M. Théoret (Jacques): Mme la Présidente, la seule inquiétude que nous avons à l'égard de l'article 1477, c'est qu'on ne comprend pas très bien comment le créancier de l'obligation, pour le contrat de construction, peut avoir été appelé à adhérer au contrat. Je ne connais pas beaucoup de propriétaires clients qui aient été forcés de signer un contrat par un entrepreneur. C'est pour cela qu'on dit tout simplement qu'on préfère, en fait, le bon vieil article 1019 avec lequel on est bien habitués et autour duquel il nous semble qu'il n'y a aucun doute possible d'interprétation. C'est le but de la remarque qu'on avait à la page 22.

M. Filion: En ce qui concerne les importantes dispositions concernant les immeubles résidentiels, les articles 2089 à 2195, l'association est contre ces dispositions. Mais eu égard à la protection des personnes qui font construire leur résidence ou qui décident de rénover leur demeure, vous proposez une solution, à la page 53 de votre mémoire, qui pourrait être la fourniture d'une garantie ou d'une forme de cautionnement par l'entrepreneur en faveur du client. J'aimerais que vous l'expliquiez. Quelle forme cela prendrait-il? Est-ce que ce serait une espèce de garantie maîtresse qui suivrait l'entrepreneur dans l'ensemble de ses travaux, ou si ce serait une garantie ad hoc spécifiquement pour ce contrat? Est-ce que cela existe ailleurs? Les avantages sont assez évidents pour l'entrepreneur et pour le consommateur, mais mon Dieu! à l'oeil, il ne semble pas y avoir de gros désavan-

tages. Je ne sais pas, mais j'aimerais que vous précisiez cette proposition.

M. Théoret (Jacques): il est évident qu'on n'a pas tellement essayé de regarder les désavantages qu'il pourrait y avoir à l'égard du consommateur au système qui est proposé par l'avant-projet de loi. Les dispositions dont il est question ici nous semblent fort difficiles d'interprétation et risquent d'apporter des difficultés financières importantes à l'entrepreneur, et les solutions dont nous parlons à la page 53, Mme la Présidente, existent déjà jusqu'à un certain point. Le porte-parole de l'Opposition a fait allusion tout à l'heure, en parlant du mémoire de nos prédécesseurs, à ces nombreuses lois qui nous régissent déjà et à ces nombreux règlements qui régissent déjà les entrepreneurs. Il y a moyen de faire quelque chose avec certaines de ces lois, tout de même! Supposons la Loi sur la qualification professionnelle des entrepreneurs de construction; elle est susceptible d'avoir son effet, si on fait le contrôle réel de la compétence et de la solvabilité des entrepreneurs. Je dis bien: Elle est susceptible. Je ne suis pas absolument convaincu qu'on y arrive totalement actuellement, parce que le seul fait qu'il y ait 23 000 permis d'entrepreneurs qui traînent un peu partout dans la province me fait dire qu'on réussit assez bien, assez fort et assez vite certains examens de compétence administrative ou financière. Si cette loi était appliquée de façon raisonnable mais un peu plus approfondie, par exemple quant aux critères de compétence, ce serait déjà une protection pour le consommateur. Sans vouloir aller trop loin de l'autre côté, quelqu'un me disait: Je suis tanné, moi en tant que consommateur, de me faire prendre par le législateur pour un nigaud total. Il ne faudrait quand même pas aller trop loin dans ce sens-là non plus. Les consommateurs ne sont pas tous des imbéciles, les entrepreneurs ne sont pas tous des ligueurs du Sacré-Coeur, je suis d'accord, mais les consommateurs ne sont pas tous des imbéciles non plus.

M. Bonenfant (Claude): Mme la Présidente, j'aimerais ajouter aux explications qui viennent d'être données par Me Théoret qu'un des problèmes que nous avons perçus à la lecture de l'article 2189 est que les termes "immeubles résidentiels" ne sont pas définis. Or, dans l'esprit de beaucoup de gens, quand on pense à un immeuble résidentiel, on pense à l'habitation unifamiliale, au duplex ou au triplex. Mais, il faut penser et nous le pensons parce que nos membres oeuvrent très principalement dans le domaine de la grosse construction, aux immeubles plus importants qui sont aussi des immeubles résidentiels.

Chez ces gens, la pratique existe depuis plusieurs années, les propriétaires, les promoteurs de gros immeubles, de maisons de rapport ou de bâtiments à la fois commerciaux et résidentiels exigent des cautionnements, des garanties; donc, par son libellé, l'article 2189 est beaucoup trop restrictif et met dans le même panier tant le petit consommateur que le grand propriétaire. Or, il faudrait reconnaître qu'il y a des différences de marché dans l'industrie de la construction et il faudrait laisser la porte ouverte à d'autres types de garantie, de protection du client qui, lui, n'est pas nécessairement le petit client mais peut être le grand client corporatif. Merci.

La Présidente (Mme Bleau): M. le député de Taillon.

M. Filion: J'ai une dernière question. Votre dernière recommandation dans votre présentation verbale, qui est reprise dans votre mémoire, est que l'on étende l'exception qui est prévue à l'article 2717, quant à la vente et à la construction d'un immeuble, à tous les travaux de réparation, d'entretien, etc. Si on élargissait l'exception, est-ce que cela ne permettrait pas à tous les vendeurs de portes, de fenêtres, d'auvents, etc. d'agir comme des vendeurs itinérants, au sens des lois sur la consommation? Je me réfère aux pages 72 et 73 de votre mémoire.

M. Théoret (Jacques): Écoutez, si je ne me trompe pas, Mme la Présidente, il y a un article de la Loi sur la protection du consommateur qui n'est pas promulgué, mais il y a un règlement qui dit, justement, aux vendeurs d'auvents et autres patentes semblables: Vous êtes des vendeurs itinérants et vous devez détenir le cautionnement. Là où le bât nous blesse, c'est qu'il n'y a pas de distinction entre le vendeur itinérant qui vend un auvent à toutes les dix maisons et l'entrepreneur qui fait des travaux majeurs de rénovation; quant à nous, nous pensons que le régime normal de responsabilité doit s'appliquer. Soit dit en passant, le régime que nous avons proposé n'est pas un régime plus facile que celui de la protection du consommateur. Ce n'est pas tout d'avoir un cautionnement de vendeur itinérant non plus.

M. Filion: Alors, je vous remercie.

La Présidente (Mme Bleau): Je donne maintenant la parole au député de Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la Justice.

M. Dauphin: Oui, merci beaucoup, Mme la Présidente.

J'aimerais, au nom du ministre de la Justice et de l'équipe de réforme du Code civil, vous souhaiter la bienvenue. Je sais pertinemment que Me Théoret - je ne sais pas si les autres étaient présents - a beaucoup suivi nos travaux jusqu'à maintenant; d'ailleurs, on en voit l'intérêt. Je me souviens de vous avoir vu également lors de la réforme des sûretés, l'année dernière, et on voit l'intérêt que l'Association de la construction de Montréal et du Québec porte à la réforme du

Code civil. (16 h 45)

J'aimerais, premièrement, revenir avec vous sur l'article 2185 de l'avant-projet de loi traitant de la présomption légale de responsabilité. Je sais que vous vous êtes inscrit en faux contre le maintien de cette présomption légale de responsabilité. Cet après-midi, à la suite d'une question de ma part, je n'ai pas été trop chanceux avec ma réponse. J'aimerais vous poser la même question à vous. Que pensez-vous de l'alinéa 2 de l'article 2185 qui permettrait à l'ingénieur, l'architecte ou autres, l'entrepreneur, de pouvoir se décharger de la responsabilité légale ou de la présomption plutôt, qui serait contre ces personnes-là?

M. Théoret (Jacques): Mme la Présidente, il y a deux concepts ici qui vont ensemble et qui, en même temps dans notre esprit, ne doivent pas nécessairement être tous les deux là. Je veux dire qu'il peut y avoir présomption contre laquelle on peut se défendre, mais qu'en plus de la présomption il y ait une solidarité, là, on n'est pas d'accord. On n'est plus d'accord. On n'est plus au début du siècle où quelquefois il y avait, de toute façon il y avait, solidarité et complicité, si on veut le dire comme cela sans que ce soit péjoratif, entre un architecte et un entrepreneur qui faisait tous les travaux. Dans le contexte d'un contrat normal, appel d'offres, soumission, préparation de plans, etc., il est assez rare aujourd'hui que l'entrepreneur ait le choix de l'architecte avec qui il va travailler, que l'architecte, et l'ingénieur même aient le choix de l'entrepreneur avec qui ils vont travailler. Alors, pourquoi mettre ces personnes-là dans la même baignoire et pourquoi l'entrepreneur devrait-il payer solidairement, c'est-à-dire payer pour le tout, si, par exemple, l'architecte a levé les pattes entre-temps ou vice versa? Il y a d'autres moyens. Premièrement, les propriétaires avertis aujourd'hui prennent des informations et des mesures pour se protéger contre, disons, la déconfiture financière des personnes avec qui ils font affaire. Deuxièmement, il faut peut-être se demander pourquoi le propriétaire qui ne le fait pas n'a pas la prudence de le faire. Cela devrait se faire aussi. Il me semble que cette solidarité combinée à une présomption peut, quelquefois en tout cas et même assez, souvent, être cause d'un peu d'insouciance de la part du client donneur d'ouvrage. C'est pour cela que la solidarité, cela nous embête. On n'a pas parlé des ingénieurs parce qu'ils étaient ici ce matin, mais il y a aussi solidarité avec eux et cela peut être très embêtant et pour l'entrepreneur et pour l'ingénieur. Cela peut coûter très cher à l'un ou à l'autre. Je ne vois pas pourquoi il y aurait obligation de payer pour quelqu'un avec qui on n'a pas choisi de travailler.

La Présidente (Mme Bleau): Merci.

M. Dauphin: ...je comprends très bien ce que vous nous expliquez. Celui qui n'aurait rien à se reprocher, dorénavant, pourrait s'en sortir.

M. Théoret (Jacques): Celui qui n'aura rien à se reprocher devra quand même se défendre. C'est déjà beaucoup. C'est déjà énorme. C'est déjà trop, me dit le président, et je suis d'accord.

M. Dauphin: C'est quand même un peu mieux que le droit actuel. Le droit actuel les met tous les trois sur la brèche.

M. Théoret (Jacques): C'est un peu mieux, mais si on a le Code civil, Mme la Présidente, pour encore 100 ou 120 ans, pourquoi ne pas aller un peu plus loin?

M. Dauphin: C'est toujours la notion de protection du public par opposition... Je comprends très bien votre point de vue, mais ce n'est pas nécessairement facile de savoir où trancher.

Une deuxième question, si vous me le permettez, Mme la Présidente. Dans votre mémoire, aux pages 55 et 62, vous proposez de remplacer les garanties imposées à l'entrepreneur par un système de garanties recoupant une garantie pour vices mineurs et une garantie pour vices majeurs. Quelle différence majeure voyez-vous entre le système avancé par la réforme et celui que vous préconisez?

M. Théoret (Jacques): J'ai dit tout à l'heure que le mot "garantie" dans les textes qui ont été avancés était utilisé un peu à toutes les sauces et qu'une chatte aurait quelquefois pas mal de difficultés à y retrouver ses petits. On n'a donc pas essayé - parce qu'on aurait pu le faire, mais cela aurait été long et ardu - d'interpréter la pensée des rédacteurs. On a présenté plutôt un système qui nous semble simple, et assez facile d'interprétation et qui contient encore la protection du public, entre guillemets, ignorant qu'on connaît depuis 1866 et même depuis notre ami Napoléon et on pourrait remonter plus loin que cela. Ne parlons pas de garanties, parlons de responsabilités. Faut-il automatiquement qu'un entrepreneur se ramène et fasse une réparation sans poser de questions parce que l'acheteur l'appelle et lui dit: II y a quelque chose qui fait défaut? Il faut qu'il aille voir, mais il n'est pas absolument tenu non plus à une garantie sans pouvoir se débattre. Il y a souvent, dans les cautionnements d'exécution, cette clause qui fait que de toute façon, il y a une garantie d'un an ou à peu près, il y a quand même moyen de se débattre. Donc, ne disons pas garantie, disons responsabilité pour les vices mineurs, pour les vices majeurs et on a repris le terme "détérioration" qui est avancé dans l'avant-projet de loi en disant: Une détérioration, mais une détérioration qui entraîne inéluctablement et

éventuellement une perte totale ou partielle de l'ouvrage. Alors là, vous avez deux régimes. Dans le cas des vices mineurs, c'est plus facile, mais c'est plus court. Dans le cas des pertes, c'est peut-être un peu plus difficile pour l'entrepreneur de se défendre. C'est donc assez facile encore pour l'acheteur client, maître de l'ouvrage, d'invoquer la responsabilité. Les délais sont quand même un peu plus longs parce que, évidemment, quand on parle de détérioration qui entraîne perte, cela peut se manifester un peu plus tard que dans les deux ou trois mois qui suivent la réception. C'est aussi simple que cela. Si on se met à rediscuter tous les articles dans lesquels le mot "garantie" est employé dans tout le contrat d'oeuvre, j'y perds mon latin, en tout cas.

M. Dauphin: Merci, Me Théoret. Peut-être une dernière question en ce qui me concerne. Quelles sont vos suggestions relativement au paiement des sous-traitants?

M. Théoret (Jacques): En fait, ce que nous avons dit dans le mémoire quant au paiement des sous-traitants, c'est surtout que nous nous opposions à cet article où on ne parlait pas des sous-traitants nommément, mais où je pense on parlait des collaborateurs, on a cru que cela incluait les mots "sous-traitants". On s'opposerait donc à ce que le sous-traitant puisse aller se faire payer directement par le client. Je n'ai pas la référence en tête exactement. Attendez un peu, c'est l'article 2174. On dit: "Les collaborateurs qui sont intervenus dans l'exécution du contrat, ont le droit de réclamer du client le paiement de leurs créances, jusqu'à concurrence de ce que le client doit au professionnel..." Est-ce qu'il ne faut pas reconnaître aussi que le professionnel doit normalement, si on parle de l'entrepreneur comme étant, dans ce cas-ci le professionnel, avoir un certain contrôle sur ces réclamations, pour toutes sortes de raisons qui sont d'ailleurs exposées dans notre mémoire et, en particulier, parce que les sommes d'argent que réclame ou réclamerait directement le sous-traitant ne sont peut-être pas encore toute dues ou représentent un supplément que le sous-traitant calcule lui être dû, mais que l'entrepreneur quant à lui prétend ne pas lui être dû. Il ne faudrait quand même pas que le client annule les recours d'un entrepreneur contre un sous-traitant.

Quant au paiement des sous-traitants, je ne crois pas que cela présente, de façon générale, un problème majeur. Ce qui représente peut-être un problème majeur, c'est l'abus dans les retenues qui sont faites au départ par le client et quelquefois par un entrepreneur principal. Cela représente énormément de sous et cela peut être, de fait, la différence entre un profit et une perte économique dans l'exploitation d'une entreprise qui est spécialisée et généralement sous-traitante.

On a parlé, l'année dernière, avec cette sous-commission, M. le député de Marquette en particulier, de privilèges. On a fait des propositions à ce sujet. D'ailleurs, vous vous rappellerez l'unanimité des associations de la construction, les 15 000 entrepreneurs généraux, sous-traitants, fournisseurs de matériaux, etc., qui étaient venus vous dire: Ne brûlez pas le privilège tel qu'on le connaît. Améliorez-le, mais pas de la façon dont vous voulez l'améliorer dans le projet sur les sûretés. C'est ça, le secret. Les gens de notre industrie s'arrangent normalement ensemble pour se faire payer, c'est ce qui arrive dans la très grande majorité. Il faut une protection supplémentaire. Cela peut être le privilège, s'il n'y en a pas d'autres; cela peut être aussi, dans une certaine proportion, le cautionnement des obligations de l'entrepreneur pour gages, matériaux et services.

M. Dauphin: Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bleau): Je donnerai la parole à Me Gariépy qui a aussi une petite question à vous poser.

M. Gariépy: Pour Me Théoret. Aux pages 18 à 20 de votre mémoire, vous traitez des contrats administratifs, des contrats avec des administrations parapubliques et du problème, quand le contrat se trouve à être annulé pour vices de forme. Vous déplorez le fait qu'il n'y ait pas de solution pour... Parce qu'à quelques reprises, je crois, il y a eu des précédents où l'entrepreneur n'aurait pas été indemnisé pour l'ouvrage déjà fait. Je me demandais si les articles suivants ne répondraient pas au problème que vous soulevez. Si on regarde l'article 1465 qui traite de la nullité du contrat, le deuxième alinéa oblige chacune des parties à restituer à l'autre les prestations reçues et, à l'article 1747, on dit: Si la restitution des prestations est impossible, elle se fait par équivalent. Est-ce que cela pourrait répondre à ces appréhensions soulevées dans votre mémoire? (17 heures)

M. Théoret (Jacques): Je ne pense pas, Mme la Présidente, parce que dans l'état actuel des choses, le moindre défaut dans le respect des formalités en porte la nullité absolue. Je pense que cela passe par-dessus toute disposition du Code civil. C'est un principe de droit administratif. J'ai relu récemment l'ouvrage de Mme Rousseau-Houle à ce sujet. J'ai hâte de voir ce qu'elle en fera maintenant qu'elle a été élevée à la magistrature. Elle fait dans son ouvrage... Et c'est d'ailleurs une solution que nous reprenons à ce sujet-là dans notre mémoire, il ne faut quand même pas exagérer. Ce n'est pas parce qu'un obscur sous-ministre adjoint, dont le nom est apparu quelque part dans la Gazette officielle, n'a pas signé une autorisation ou une demande d'octroi au Conseil du trésor pour la commission scolaire de Saint-Loin-Loin, que l'entrepreneur

lui, qui de bonne foi et sans avoir aucune possibilité d'être sûr d'avoir vérifié si toutes les formalités avaient été observées, fait un trou de 500 000 $ ou de 1 000 000 $ ne doit pas être payé. Son choix, c'est qu'il aurait eu le droit, je parle d'un cas vécu qui est dans les livres de jurisprudence, pour se faire payer, de poursuivre personnellement les membres de la commission scolaire qui lui avaient accordé le contrat. Il n'aurait probablement pas été très populaire sur le parvis de l'église le dimanche suivant. Cela est le problème. C'est un des problèmes. Nous disons c'est évident qu'il ne faut pas être imprudent avec les fonds de l'État, et nous reconnaissons bien ce principe. Mais il ne faut quand même pas non plus pouvoir se prévaloir de cela comme d'une espèce d'excuse et quelquefois cela peut devenir aussi, comme on le sait malheureusement, des batailles de basse politique. Cela peut être embêtant. Nous croyons que dans certains cas, les tribunaux au moins devraient pouvoir confirmer la validité d'un contrat plutôt que de ne pas avoir d'autre choix que de simplement déclarer la nullité absolue, c'est-à-dire, de faire comme si depuis le début, s'il n'y avait jamais eu de trou. L'entrepreneur ne sera pas payé. Je sais bien que le trou ne servira pas beaucoup à la commission scolaire, mais il a quand même travaillé et, normalement, il a payé ses ouvriers et son équipement entre-temps.

La Présidente (Mme Bleau): J'ai une petite question à vous poser. En matière de vente résidentielle, vous considérez les règles proposées trop contraignantes et vous nous demandez de les réviser. Avez-vous des suggestions à nous faire à cet égard?

M. Théoret (Jacques): Vous vous référez, Mme la Présidente, à cette partie du mémoire qui traite des fonds en fiducie, de l'obligation de détenir en fiducie tout argent au-dessus de 3000 $, etc., et/ou de cet autre chapitre qui traite de la vente des ouvrages résidentiels. Je pense comme Me Bonenfant l'a souligné très à propos tout à l'heure, que la première chose à retenir, c'est qu'on ne définit pas ce qu'est un ouvrage résidentiel. On ne le sait pas, quant à nous, et je ne sais pas comment la magistrature ou les tribunaux l'interpréteront. Est-ce qu'on ne parle que d'une ouvrage totalement résidentiel, partiellement résidentiel? Est-ce qu'on parle d'une tour de 40 étages ou de travaux de construction résidentielle de trois ou quatre étages ou moins, etc.? On ne le sait absolument pas. Le type d'ouvrage résidentiel a donc son importance. Il est probable, comme on l'a dit tout à l'heure, il est plausible que les consommateurs les plus démunis, si vous voulez, aient droit à une certaine protection dans ces cas-là, mais du côté d'un autre type d'ouvrage résidentiel, ce n'est plus la même chose, c'est le cours normal des affaires et il ne devrait pas y avoir de règles plus contraignantes qu'il ne le faut.

Quant à la fiducie elle-même, je termine là-dessus, on a dit et répété depuis ce matin seulement, en tout cas que les fiducies existaient ailleurs dans les autres provinces du Canada. Il est vrai que cela existe. Il ne s'est pas avéré que ce soit nécessairement un exemple à suivre. Je ne vous embêterai pas avec certaine documentation, mais cela me ferait plaisir de la communiquer. J'ai dans ma bibliothèque portative, en arrière, quelques articles sur l'application réelle de ces clauses de fiducie, qui ne sont d'ailleurs même pas précisées, quant à nous, dans l'avant-projet de loi et qui nous laissent à penser que ce n'est pas toujours la vie en rose non plus.

La Présidente (Mme Bleau): Nous aimerions que vous nous soumettiez ces articles. Je pense que la commission serait intéressée à les regarder. Je passe la parole au député de Marquette pour le mot de la fin.

M. Dauphin: Encore une fois, nous aimerions remercier l'ACMQ pour la préparation, la présentation et la clarté avec laquelle cela nous a été présenté et vous dire, comme on a eu l'occasion de le dire à d'autres groupes, qu'on est toujours au stade d'un avant-projet de loi. Nous allons travailler cela encore une fois et je suis persuadé que l'équipe qui m'accompagne et qui s'occupe de la réforme du Code civil, en ce qui concerne actuellement les obligations, va analyser et étudier cela avec beaucoup d'intérêt. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Bleau): On vous remercie, messieurs.

M. Morin: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Bleau): J'ajourne les travaux au mardi 1 er novembre, 10 heures. Vous aviez quelque chose à nous dire?

M. Morin: Oui, je voulais vous remercier de votre attention, Mme la Présidente, messieurs et vous souligner que notre département relatif au droit ainsi Me Jacques Théoret du CERACQ sont à votre entière disposition pour vous aider à rédiger le projet final. On vous remercie.

La Présidente (Mme Bleau): Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 17 h 7)

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