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Version préliminaire

43e législature, 1re session
(29 novembre 2022 au 10 septembre 2025)

Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.

Pour en savoir plus sur le Journal des débats et ses différentes versions

Le mercredi 19 mars 2025 - Vol. 47 N° 90

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out


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Journal des débats

11 h 30 (version non révisée)

(Onze heures quarante minutes)

Le Président (M. Allaire) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de l'économie et du travail ouverte. Je vous souhaite à tous la bienvenue. Et je demande, naturellement, comme à l'habitude, d'éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques, s'il vous plaît, toujours important.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Lakhoyan Olivier (Chomedey) est remplacée par Mme Prass (D'Arcy-McGee) et M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Leduc (Hochelaga-Maisonneuve).

Le Président (M. Allaire) : Merci, Mme la secrétaire. Alors, je vous donne un aperçu de l'ordre du jour de ce matin. On a deux présentations, donc deux groupes. On va débuter avec la Fédération... la Fédération, pardon, des travailleurs et travailleuses du Québec, on va enchaîner ensuite avec l'Association du transport urbain du Québec.

Alors, je souhaite la bienvenue à notre premier groupe. Merci d'être là. Je vais vous laisser vous présenter à tour de rôle, peut-être avec votre titre, et vous pouvez débuter votre exposé de 10 minutes, va s'ensuivre une période d'échange avec les parlementaires.

Mme Picard (Magali) : Merci. Merci, M. le Président. Magali Picard, présidente de la FTQ. Je suis accompagnée...

Mme Picard (Magali) : ...de Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ, et de Me Guillaume Lavoie, qui est avocat et, bien sûr, conseiller à la FTQ. Je tiens à vous dire d'entrée de jeu que c'est rare, que Denis Bolduc et moi siégeons en même temps dans une commission parlementaire, mais, vu l'importance du projet de loi et de la situation, on a décidé d'être ensemble aujourd'hui.

M. le ministre, je dois... «M. le ministre», pardon, M. le Président, je dois vous dire que, plutôt gênée d'être ici aujourd'hui et de voir qu'on occupe autant le temps des parlementaires pour s'occuper d'un projet de loi qui est complètement inutile, antidémocratique et... au lieu de s'occuper des travailleurs et travailleuses de la population en général. On vit actuellement une période sans précédent. Un président américain qui nous menace, hein, des tarifs dans des secteurs économiques névralgiques. Les chiffres du gouvernement nous disent que jusqu'à 160 000 travailleurs et travailleuses qui sont à risque de perdre leur emploi, plusieurs l'ont déjà perdu. On est dans une période inflationniste où la population a de la misère à joindre les deux bouts. Alors, on devrait être en train de travailler tous ensemble ici, là, les partis de l'opposition, les syndicats, le monde des affaires. On devrait être en train de faire Équipe Québec et d'être capable d'amener des solutions, des stratégies pour répondre aux besoins de la population et des travailleurs et des travailleuses. Au lieu de ça, bien, on est obligés d'être ici aujourd'hui pour venir débattre d'un projet de loi qui est complètement, je le répète, inutile, un projet de loi qui ne tient pas la route des tribunaux, un projet de loi qui est une menace, un affront total, brutal envers les travailleurs et travailleuses. On a un code du travail au Québec qui fait l'envie de toutes les provinces canadiennes. Moi, je suis convaincue que René Lévesque doit se retourner dans sa tombe aujourd'hui quand il voit ce qu'on est en train de faire avec son code du travail.

Ça, au nom de quoi? Bien, ça, le ministre ne nous l'a pas encore dit. C'est quoi, le besoin du ministre? Qu'est-ce que le ministre a besoin qu'il n'était pas capable de faire avec nous? Depuis deux ans, un peu plus de deux ans que je suis présidente de la FTQ, il n'y a pas de discussion qu'on n'a pas été capables d'avoir. Quand ça a été le temps de demander à la FTQ de laisser un siège à la CNESST pour accueillir un autre partenaire syndical, parce qu'on parlait de prévention en santé et sécurité puis qu'il fallait que le secteur public soit représenté, le ministre du Travail m'a appelé pour me dire : Magali, t'accepterais-tu? Ce n'est pas facile d'enlever un poste, mais il m'a promis ça pour quelques mois seulement, puis : On va revenir, puis je vais doter un poste de chaque côté, on a accepté ça, on a été bons joueurs. Finalement, le «quelques mois» est rendu à près d'une année, puis on n'a toujours pas de projet de loi omnibus qui nous donne ça, là. Ça fait que, de toute évidence, on va faire un autre débat tantôt là-dessus.

Mais, chose certaine, c'est qu'on nous envoie des projets de loi. On nous dit, hein, on nous dit être les rois du dialogue social. Le ministre Boulet nous dit souvent ça : C'est important, le dialogue social. On est... Il y a bon puis con, là, tu sais. Moi, d'avoir un dialogue social sur des projets de loi afin de savoir si tout le monde a de la tarte aux pommes, on risque de s'entendre, mais, quand c'est un projet de loi comme celui-là, c'est drôle, il n'y en a pas, de dialogue social. Par contre, on apprend, de la part d'un journaliste de Trois-Rivières, le 23 décembre, qu'il y a une entrevue, puis, tout d'un coup, le chat sort du sac, là, notre ministre s'en vient avec un projet de loi épouvantable, la pire attaque depuis 2003. Puis je pense que 2003, c'était de l'article 45, n'allait même pas aussi loin que l'article... que le projet de loi qu'on a devant nous aujourd'hui. Et là, bien, c'est drôle, là, au nom, bien sûr, de travailler avec les collègues du cabinet, on ne peut pas partager, puis il y a un niveau de confidentialité qu'on doit garder. C'est drôle, sur d'autres, on est capables d'avoir un dialogue intelligent. Là, on n'en a pas, bien sûr parce qu'il n'y a rien d'intelligent dans ce projet de loi là.

On nous dit : Ce n'est pas comme le 107 du fédéral. Le 107 du fédéral, c'est du n'importe quoi. Non, bien sûr, mais on ne parle pas, bien entendu, du volet du pouvoir spécial du ministre. Ça, on n'en parle pas beaucoup. Ça, ça va plus loin que le 107. Moi, j'apprends que le ministre du Travail dit, à micro fermé, à bien des gens : Pourtant, la présidente de la FTQ, Magali, a été d'accord que le ministre du Travail au fédéral utilise le 107. Peut-être que je n'ai pas expliqué assez longuement mon raisonnement au ministre, peut-être qu'on ne s'est pas compris. Ce que j'ai expliqué et ce qu'on a jasé, le ministre et moi, c'est qu'il n'a pas le choix, le ministre, d'agir et d'intervenir quand il y a un 107 dans un code du travail. Pourquoi? Parce qu'il y a des employeurs qui se présentent en négociation collective. Et ce qu'ils souhaitent, c'est d'avoir l'intervention d'un ministre pour venir... et d'un arbitre pour venir décréter des conditions. Ils ne négocient pas. Ils s'assoient sur leurs deux mains, arrivent avec des reculs épouvantables, avec des offres lamentables, puis ils se disent : Moi, j'attends, là, les travailleurs n'auront pas d'autre choix, ils n'auront pas d'autre choix que de prendre la rue. Et là la pression ne sera plus sur nous, va être sur le ministre pour qu'il intervienne. Là, on nous dit : Bien non, mais ce projet de loi là va faire en sorte que, pour... pour que ce soit moins long, les débats, hein, que la...

Mme Picard (Magali) : ...sois plus rapide, plus efficace au nom de la population. Au nom de la population, on a besoin de ce projet de loi là.

Je pense que c'est tout simplement de la diversion pour tout le travail qui n'a pas été fait par ce gouvernement-là pour la population. On vit une crise de la vie chère, où les gens ont de la misère à se loger, à payer leur panier d'épicerie, où ils ont de la misère à joindre les deux bouts. Elles sont où, les mesures structurantes pour la population? C'est drôle, on n'en parle pas. Bien non, on amène un projet de loi, vous, qui va venir aider la population. Dans quelles circonstances? Dans quelles... Et là arrêtez de me parler du cimetière, s'il vous plaît, venez me parlez, là, d'un conflit qui n'a pas eu de raison d'être, là, et que... Dans quelles circonstances, combien de fois le ministre est venu cogner à la porte des centrales syndicales ou des syndicats pour dire : Il y a un enjeu très précis, là, où on ne parle pas de la sécurité puis la santé, de ça, mais qu'on a un besoin puis qu'on doit en parler? Combien de fois il s'est fait dire non, le ministre, de la part des syndicats? On ne nous a jamais consultés. Jamais. Et je suis la première, au CCTM, qui a dit : Ça se peut, ça se peut, dans des circonstances, qu'on doit et qu'on devrait négocier des services essentiels. Le ministre le sait très bien, je l'ai dit ouvertement. Jamais on n'a eu de demande puis qu'on s'est assis pour des demandes particulières. Jamais.

Par contre, là, on fait plaisir à qui? On fait plaisir au patronat. Vous avez eu combien d'associations patronales qui sont venues ici? Combien vous ont dit que ce projet de loi là n'était pas utile? Zéro. Non, parce que j'ai compris qu'il y en a que, hein, leur femme de ménage ne pouvait pas venir, c'était ben épouvantable, là, hein, ça, au nom de laisser des travailleurs dans la rue, là, puis de dire aux travailleurs qu'on va venir sabrer dans leur pouvoir et leur droit le plus légitime, enchâssé dans notre Constitution.

Et là, bien, on n'a pas non plus d'avis juridique de la part du ministre, hein, il ne nous en a pas déposé. Moi, je vais vous dire quelque chose, puis ça devrait... c'en est un, avis juridique, puis, d'après moi, le ministre est très conscient de cet avis juridique là. Ce que ça dit, c'est : «On estime que les dispositions du chapitre 5.3.1 du Code du travail, qui limitent le droit de grève en cas d'atteinte disproportionnée à la sécurité sociale, économique et environnementale sont susceptibles de contrevenir aux principes établis par la jurisprudence.» Et là, bien, il parle de chef Dickson, du renvoi relatif à l'Alberta. Donc ça, c'en est un. Dans le même avis, on dit également qu'au niveau du droit, ça déborde, c'est trop large, le projet de loi, que ça déborde du cadre établi par le droit international.

Le ministre est très, très au fait de ça, très au fait de ça. On fait diversion ici. C'est insultant, puis c'est insultant pour les travailleurs, c'est insultant pour l'intelligence de la population de leur dire qu'on leur vient en aide. En quoi on aide la population? Et depuis quand que les travailleurs syndiqués qui décident de se prévaloir de leur droit de grève ne font plus partie de la population? C'est ça que le ministre nous dit : Ils ne font pas partie de la population, ce monde-là, qui vivent une crise inflationniste, qui sont obligés, parce qu'ils font affaire avec des employeurs qui ne respectent pas au minimum l'augmentation du coût de la vie puis qu'ils veulent se battre, qui doivent se battre? Il n'y a personne qui est content d'aller prendre la rue, personne n'est content d'aller prendre la rue. Et on leur dit quoi? Vous êtes dérangeant, vous empêchez la vie sociale. Puis ça ne sera pas politique, non, non, non, on va y aller par décret, puis, après ça... Des décrets, là, il y en a un, voisin, aux États-Unis, qui s'amuse à faire des décrets, actuellement, puis ça, ça va complètement à l'encontre de nos valeurs, au Québec, et de cette fierté qu'on a d'avoir un code du travail, qui n'est peut-être pas parfait mais qui fait quand même l'envie d'une grande population et de d'autres pays qui regardent ce qu'on a au Québec. Vraiment, c'est ça qu'on avait besoin, présentement, d'arriver avec un projet de loi comme celui-là?

Moi, je vous dirais, là, je suis extrêmement, personnellement, déçue, déçue de voir qu'on en est là, déçue parce que je suis arrivée à la FTQ, il y a deux ans, en me disant : J'ai envie d'avoir un ton différent, j'ai envie de faire des entrevues différentes, j'ai envie qu'on élève, on élève notre dialogue puis qu'on travaille différemment. Puis force est de constater, là, qu'on n'est pas rendu là. Il faut encore sortir les gros bras, il faut encore venir ici puis s'engueuler parce qu'on n'est pas capables de travailler différemment. Moi, qu'on ne me parle plus de dialogue social, quand on arrive avec un coup bas comme celui-là, qui sort de nulle part, qu'on ne vienne plus me parler de ça. Puis c'est dommage. Et là je parle beaucoup de la CAQ et de l'absence du travail qu'ils ont fait pour la population, puis que ça, c'est du tape-à-l'oeil. Il y a quand même certains ministres, à la CAQ, avec qui on est capable de s'asseoir et de faire du dialogue social, donc je ne veux pas mettre tout le monde dans le même bain, mais là, là, présentement, ça, pour moi, c'est une atteinte, c'est... Il y a plein d'hypocrisie qui vient avec ça, c'est frustrant, ce n'est pas à la hauteur de ce qu'on s'attend d'un ministre du Travail qui a tellement à faire. Il me reste 30 secondes... ça va... qu'il reste autant à faire pour 160 000 personnes, et toute la population du Québec est inquiète. On serait plus utile à faire autre chose, présentement.

• (11 h 50) •

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci, Mme Picard. On va débuter la période...

Le Président (M. Allaire) : ...échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre, comme je l'ai dit tantôt, vous avez 11 minutes.

M. Boulet : Merci, M. le Président. D'abord, vous remercier, Mme Picard, pour votre présence, M. Bolduc, Maître Lavoie, pour la présentation que vous venez de faire. Je comprends la déception. En même temps, je vais y aller de façon un peu télégraphique parce que je suis limité dans le temps, pour mes commentaires.

Mais la conjoncture d'instabilité actuelle est un motif additionnel d'intervenir justement pour donner de la stabilité à une population qui est souvent affectée par des conflits de travail. Puis je vous donnerai un exemple qui est manifeste, vous en connaissez plusieurs, et c'est ce qui intéresse ce projet de loi là, que les besoins de la population, particulièrement les personnes qui sont vulnérabilisées par les grèves, puissent être considérées. C'est cet équilibre-là que nous recherchons. Ce n'est pas pour les travailleurs, ce n'est pas pour les employeurs, c'est pour la population que ce projet de loi là a été conçu.

Il n'y a pas eu, évidemment, de consultations formelles, Mme la Présidente, Mme Picard. Mais, souvenez-vous, au Comité consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, le 12 septembre, l'année dernière, on a parlé de mon intérêt, de ma réflexion pour le maintien de services dans les conflits de travail, dans la foulée du conflit ferroviaire. Je me souviens des échanges que nous avons eus. Et je n'ai pas prêté d'intentions à personne à l'égard de cet échange-là. Mais vous saviez tous que je réfléchissais.

Évidemment, à Québec, il y a un privilège pour les parlementaires. C'est un projet de loi qui a 11 articles. Donc, je ne pouvais pas identifier et dire précisément ce qu'allait être le contenu du projet de loi. Et, le 7 février 2025, donc avant le dépôt, parce qu'il y avait eu l'entrevue avec les médias, avec Radio-Canada, j'ai eu un échange avec les quatre, la CSN, la FTQ, la CSQ et la CSD, et on a parlé de maintien de service. Pas dans un contexte de conflit de travail qui pouvait avoir des impacts préjudiciables sur la population. Il y a eu le dépôt, deux semaines plus tard, et il y a eu un échange téléphonique suite au dépôt, là où vous aviez pu prendre connaissance du contenu.

Quand vous dites, dans vos conclusions, «pouvoir discrétionnaire», je suis en désaccord avec ça. Le gouvernement ne décide pas. C'est le Tribunal administratif du travail qui est indépendant et impartial. Suite à l'adoption d'un décret, le tribunal peut décider si les critères prévus dans la loi sont rencontrés. Il pourrait décider que non. Et, s'il décide que oui, les parties vont négocier des services minimums à maintenir en cas de conflit de travail. Ce tribunal-là, il est reconnu, il est aussi présidé, et c'est des personnes qui sont objectives. Donc, ce n'est pas une discrétion gouvernementale.

Il y a des concepts qui sont clairs, c'est le bien-être de la population, qui ça s'exprime par une sécurité qui ne doit pas être affectée de manière disproportionnée.

Le «préjudice grave ou irréparable», c'est imprécis, «importante incertitude», nous dites-vous. Si c'est imprécis, faites-nous des recommandations. Il y a des recommandations qui ont été faites par d'autres groupes.

C'est des concepts reconnus. Moi, de me dire : C'est des concepts flous, c'est faux. La jurisprudence a... et dans le corpus jurisprudentiel québécois, c'est des termes qui ont fait l'objet d'interprétations.

Notion de services essentiels. L'intégralité du régime des services essentiels est maintenue, Mme Picard, en santé, en services sociaux, pour les organismes gouvernementaux et ministères. On crée un régime parallèle, vous le savez, on en a déjà parlé, de maintien de service minimum en cas de conflit. La France l'a fait en éducation. Puis c'est en éducation, parce que, si vous ne voulez pas que je vous parle du cimetière, ou de transformation alimentaire, ou de transport scolaire, ou de transport collectif, mais en éducation, l'interruption de services éducatifs pour des enfants à besoins particuliers, ça a des répercussions permanentes sur leur développement. Est-ce qu'on peut discuter de maintien de service minimum? Ce n'est pas tout dans le champ gauche, ce qui est dans ce projet de loi là. Et, les services essentiels, c'est un critère qui n'était pas suffisamment...

M. Boulet : ...clair ou suffisamment large pour nous permettre de maintenir des services minimums dans d'autres secteurs où il n'y a aucune couverture, aucune obligation de maintien de services essentiels.

Vous nous parlez de l'Organisation internationale du travail. Vous le savez, vous m'avez entendu le dire, le Comité des libérations syndicales le reconnaît, ce concept-là de services minimums ou services minima. Il est appliqué en France dans tous les conflits en matière d'éducation.

Vous nous référez aussi à l'article 107 du Code canadien du travail. Vous l'avez lu, Mme Picard, l'article 107 du Code canadien du travail. Ça, là, moi, je trouve que c'est un article qui est libellé de façon extrêmement large, beaucoup moins précis que notre projet de loi, qui n'utilise aucun critère pour guider et qui permet des pouvoirs au ministre fédéral du travail qui peuvent être considérés comme étant discrétionnaires, mais je ne me mêlerai pas des débats qui sont amorcés devant les tribunaux concernant l'article 107. C'est la raison pour laquelle on a utilisé des critères pour le maintien des services minimums et des critères qui nous permettent aussi de demander un arbitrage, mais après que la conciliation-médiation aura été infructueuse et évidemment sous réserve d'une démonstration d'un préjudice grave ou irréparable.

107, Mme Picard, c'est : «Le ministre peut prendre les mesures qu'il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui surgissent.» Puis, à ces fins, «il peut déférer au conseil toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu'il juge nécessaires». On n'a pas ça dans le projet de loi n° 89. On a un 107 qui est ordonné, qui est respectueux des critères jurisprudentiels, qui contient des balises, qui permet que ce projet de loi là permette l'utilisation d'outils dans des circonstances exceptionnelles, au cas par cas, une fois, deux fois, quelques fois par année, peut-être même pas. Et le dialogue social nous permet de régler la plupart des dossiers. Et je le sais, vous le faites, vous utilisez beaucoup les services de conciliation-médiation qui sont dans notre ministère, avec aussi de l'expertise pour améliorer les climats de relations de travail.

Alors, Mme Picard, moi, je suis convaincu qu'il faut continuer de dialoguer. Puis le dialogue, ce n'est pas à sens unique. J'ai voulu discuter de défis économiques, de défis communs vendredi dernier, j'ai été contraint de ne pas le faire. Il faut se respecter. Il faut faire nos débats de manière ordonnée, de la manière la plus saine possible.

Et, ceci dit, il y a des avis juridiques... évidemment, mais qui sont protégés par le sceau de la confidentialité, là. Je ne sais pas ce à quoi vous faites référence, mais tous les projets de loi sont analysés, font l'objet d'un examen des risques constitutionnels. Ce projet loi... de loi là n'en fait pas exception. C'est la raison pour laquelle on a mis beaucoup de barrières, beaucoup de balises pour éviter que ce soit considéré comme une règle. C'est véritablement exceptionnel. C'est dans des circonstances où, à chaque dossier... puis ce n'est pas des secteurs qui vont être concernés par le maintien de services minimums, c'est cas par cas, négociation par négociation, et ce devra être justifié pour le bénéfice d'une démonstration devant le Tribunal administratif du travail.

Alors, voilà, en gros, c'est... c'est ce que je voulais partager avec vous. Je ne sais pas combien...

Mme Picard (Magali) : ...est-ce que je peux répondre?

Le Président (M. Allaire) : Il reste une minute 40. C'est la prérogative du ministre. Est-ce que vous souhaitez...

Mme Picard (Magali) : Oui, mais c'est parce que... (panne de son) ...n'ont pas le droit de répondre aux questions. Si c'est ça, on va quitter, là.

Le Président (M. Allaire) : Ce n'est pas le cas. Ce n'est pas le cas du tout. En fait, c'est... c'est...

M. Boulet : Non, non, mais c'est parce que vous ne faites pas de recommandations. Ça fait que c'est difficile pour moi d'embarquer...

Mme Picard (Magali) : ...

M. Boulet : Non, mais...

Le Président (M. Allaire) : Juste...

M. Boulet : Puis je vais vous laisser le reste du temps, mais...

• (12 heures) •

Le Président (M. Allaire) : Wô! Juste un instant. Un instant. Un instant, M. le ministre, là. Juste vous rappeler les règles parlementaires. Il appartient aux différents groupes parlementaires de gérer leur propre temps comme ils le souhaitent. Donc, ce n'est pas une question que vous... que personne ne souhaite que vous répondiez, c'est les règles parlementaires. Vous avez eu votre exposé de 10 minutes. Maintenant, c'est le temps du ministre. Donc, il peut utiliser le temps comme il le souhaite. M. le ministre, la parole est à vous...


 
 

12 h (version non révisée)

M. Boulet : …puis, Mme Picard, c'est parce que vous recommandez le retrait pur et simple, alors que le dialogue implique de faire des recommandations puis de proposer des précisions. Alors, moi, c'est complété. Puis, Mme Picard, vous pouvez utiliser bien sûr le reste.

Le Président (M. Allaire) : Il vous reste 1 min 25 s. La parole est à vous, Mme Picard.

Mme Picard (Magali) : Très bien. Merci beaucoup. Alors, M. le Président, le ministre nous dit d'entrée de jeu qu'il fait ça pour raccourcir, qu'il fait ça au nom des travailleurs qui sont pris dans des conflits interminables, d'autant plus avec la situation économique actuelle et les menaces, tout ça. C'est comme si c'était pour vraiment raccourcir les conflits.

Êtes-vous en train de me dire que le 107, avec le rail, les ports et Poste Canada… que ça a raccourci, que ça a fait en sorte que nos gens ont des contrats de travail décents, qu'ils sont de retour au travail, qu'ils sont motivés, qu'ils sont dans des situations qui sont… qui sont favorables? Actuellement, ça ne fait qu'allonger les conflits. Pourquoi? Parce que les partis se présentent aux tables, puis il y en a une qui ne négocie pas et qu'ils attendent que la pression soit sur le ministre. Donc, ça, d'entrée de jeu, c'est complètement erroné comme affirmation.

Ensuite, vous dites que les avis juridiques, bon, ça reste confidentiel. Tant mieux. Sauf que je pense que votre devoir, c'est quand même de les lire et de les analyser avant d'amener un projet de loi. Là, je comprends que vous le savez très bien. Vous savez très bien que ça ne tiendra pas la route devant les tribunaux. Les avis que vous avez reçus vous le disent tous.

Par contre, la décision va arriver dans 10, 12 ans, vous ne serez plus là. Pendant ce temps-là, il y a un paquet de travailleurs, eux, qui vont être frustrés puis qui n'auront pas des conditions de travail à la hauteur de ce qu'ils méritent d'avoir et qui ne suivront pas le coût de la vie… puis va continuer à s'appauvrir. Je comprends qu'après pris votre carrière vous allez revenir probablement un avocat patronal, puis qu'ils vont être contents de vous accueillir, mais là, pour l'instant, votre travail, c'est de le faire pour tout le monde et vous laissez tomber une grande partie des travailleurs actuellement, puis c'est insultant.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci. Ça met fin à ce bloc d'échange. Je cède la parole à l'opposition officielle. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, vous avez six 6 min 56 s.

Mme Cadet : Merci. Bonjour, Mme Picard, bonjour, M. Bolduc et Maître Lavoie. En fait, je commencerais justement par l'avis… L'extrait de l'avis juridique que vous avez lu plus tôt. Je ne sais pas si vous pouvez élaborer aussi. Est-ce que c'est un avis que vous êtes en mesure de déposer à la commission?

Mme Picard (Magali) : Non, malheureusement, c'est un avis qu'on a reçu.

Mme Cadet : O.K. Je comprends.

Mme Picard (Magali) : Il y en a par contre qu'on va pouvoir vous faire parvenir. Mais là, pour l'instant, non. C'est une information privilégiée que j'ai reçue, alors, mais tous les avis, hein, on a consulté un paquet de groupes, tout le monde est de la… est à la même… au même endroit, là. Ce projet de loi là, autant… Puis je pense que, Guillaume, tu peux confirmer que la journée… Si jamais vous allez de l'avant avec ce projet de loi là puis qu'il était adopté, la première journée, il y a une plainte qui va être déposée à l'OIT' là. On est prêt, là.

Mme Cadet : O.K. Oui, Me Lavoie.

M. Lavoie (Guillaume) :Oui, effectivement, bien, parce qu'il a beaucoup été question… on a été à l'écoute hier des commissions parlementaires. Et notamment, madame, vous avez posé des questions relativement au comité de la liberté syndicale.

Mme Cadet : Oui. C'était la prochaine que j'allais poser.

M. Lavoie (Guillaume) :Et ce qu'il faut retenir, à notre avis, c'est que le Comité de la liberté syndicale, c'est facile un peu de faire notre propre interprétation ou d'essayer de voir comment il s'applique dans les pays, où le modèle de relation de travail n'est pas le même. Mais ce qu'il faut surtout retenir, c'est que la Cour suprême du Canada a interprété les décisions du Comité de la liberté syndicale. Elle les a interprétées dans le contexte canadien, à la fois dans le renvoi sur l'Alberta et à la fois dans l'arrêt Saskatchewan. Et je vais laisser la Cour suprême, parce que c'est ce que prévoit le Code du travail actuellement, La Cour suprême nous dit que le Comité de la liberté syndicale de l'OIT tient pour essentiel les services qui préviennent une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la santé, dans tout ou partie de la population. Alors, les notions imprécises, trop larges que le ministre amène avec le projet de loi débordent totalement de l'interprétation qu'a faite la Cour suprême des décisions du Comité de la liberté syndicale.

Mme Cadet : Oui, bien là, je pense que vous référez, donc, aux décisions du Comité de la liberté syndicale, donc, sur les services essentiels. Ce que j'ai saisi, de certains intervenants hier, c'est qu'il y a aussi eu des travaux du Comité de la liberté syndicale sur les services minimalement requis, avec, bon, une interprétation différente. Est-ce que vous vous êtes penchés sur ces travaux-là?

M. Lavoie (Guillaume) : Bien, c'est que ces mêmes décisions là ont été interprétées par la Cour suprême, et la Cour suprême a limité au contexte canadien, au contexte de vie, de sécurité et de… et de santé.

Mme Cadet : D'accord. Merci. Un peu plus tôt, Mme Picard, donc vous disiez… donc vous avez énoncé, donc, que le projet de loi est inutile. En fait, j'aimerais vous entendre sur les dispositions actuelles du Code du travail qui permettraient, selon vous, d'atteindre les objectifs du projet de loi.

Mme Picard (Magali) : C'est le Code du travail qui nous régit depuis plus de 40 ans. Donc, je pense qu'il a fait ses preuves, hein? Quand on regarde, au Québec, que plus de 95 % des négociations collectives se terminent avec une poignée de main. Alors, on parle d'une minorité des fois où c'est des conflits. Lorsqu'on a des conflits, parce que justement le ministre n'a pas ces prérogatives-là, et qu'il n'y a pas ce pouvoir spécial là, bien, autant la partie patronale que syndicale, lorsque les discussions achoppent, oui, il y a des lock-out, il y a des grèves, mais le seul moyen d'y arriver, c'est de s'asseoir, puis de négocier, puis de trouver une voie de passage. Et là, on essaie d'éviter ça avec ce projet de loi là, de donner un pouvoir, une force extraordinaire aux patrons, hein, de justement arriver là de mauvaise foi. Donc, je ne sais pas si…

Mme Picard (Magali) : ...tu veux ajouter quelque chose, mais il n'y a rien dans notre code actuel qui a besoin d'être amendé. Il répond parfaitement à nos besoins. C'est clair que... on le sait que les patrons sont très, très excités de tout ça, là, mais j'aurais voulu entendre, de leur côté, autre que des périodes de grève, en quoi notre Code du travail ne répond pas aux attentes actuelles.

Mme Cadet : Me Lavoie.

M. Lavoie (Guillaume) :Bien, en fait, ce qu'on demande, c'est que, s'il y a des besoins particuliers auxquels le Code du travail ne répondrait pas, que le ministre les identifie, qu'il s'assoit avec nous, on est prêt à travailler. Mais actuellement, dans le projet de loi, le ministre n'identifie pas un besoin particulier. Le projet de loi tire dans toutes les directions. Encore une fois, les notions qui sont introduites sont trop larges, on vise l'ensemble des secteurs d'activité, à quelques exceptions près. Donc, le projet de loi faillit à la tâche d'identifier un besoin réel et urgent qui serait celui visé par le projet de loi. On ne sait pas ce qu'il vise. Si on nous dit ce que le projet de loi vise...

Mme Picard (Magali) : La porte est ouverte, on l'a dit à maintes reprises. Et là j'entends encore ces enfants qui sont... qui ont des mesures d'adaptation, pour qui c'est vraiment extrêmement pénible de vivre et d'être désorienté, de ne pas être capable de suivre le pictogramme. Je les ai tous entendus, mais la porte est ouverte. On n'a pas besoin d'un projet de loi comme celui-là pour être capable de s'asseoir puis en avoir un, dialogue social, mais un vrai dialogue social.

Donc, vraiment, là, pour moi, c'est une insulte de se faire dire qu'on a besoin de ça pour être capable de répondre à des besoins ciblés qui sont très rares et avec lesquels on a déjà dit qu'on était prêt. Et je pense que vous avez entendu nos collègues des autres centrales également dire la même chose. La porte est ouverte. Jamais on n'est venu nous voir pour nous dire, de façon réelle : Il faut s'asseoir puis régler cette situation-là. Donc, oui.

Mme Cadet : Justement, sur ces besoins, donc, très précis, effectivement, vous l'avez mentionné, l'article 4 du projet de loi est rédigé dans des termes, donc, extrêmement larges et généraux. Est-ce que, donc, vous pouvez, donc, donner, donc, quelques exemples de comment un tel article, donc, pourrait être mieux ciblé? Puis je pense que, Mme Picard, vous avez mentionné qu'au CCTM, vous avez dit, donc ça se peut que, dans certaines circonstances, qu'on devrait négocier des services essentiels. Là, avec le temps qu'il nous reste, là...

Mme Picard (Magali) : Bien, c'est clair que je ne ferai pas ça en commission parlementaire parce que ça implique des travailleurs et travailleuses qui sont syndiqués avec d'autres syndicats, d'autres centrales, mais on est quand même tous unanimes. L'exemple qui a été donné par le ministre plus tôt, on en est très conscients, là. Tu sais, donc, c'est clair qu'on n'est pas prêts à faire en sorte qu'il n'y en ait plus, de moyens de pression, que les travailleurs n'aient plus... c'est encore le droit le plus légitime avec lequel on est capables de faire évoluer et d'arriver souvent avec des ententes qui sont respectables. Mais il demeure qu'à l'intérieur de ce code-là, il y a effectivement, hein, des petites parcelles. Il y a des fois où, avec du gros bon sens puis avec des bonnes volontés, on est capable de dire : Dans ce cas-là, hein, on est capables. Mais je ne voudrais pas... j'en ai, des exemples, mais que je ne partagerai pas, mais il y a certainement lieu d'être capable de s'asseoir à une table intersyndicale avec le ministre, on le fait dans d'autres circonstances, puis être capables d'adresser ces situations-là puis de s'entendre. C'est clair qu'on est prêtes à ça. On a cette maturité-là.

Mme Cadet : Merci beaucoup, Mme Picard. Je laisse la parole à... je cède la parole à ma collègue de D'Arcy-McGee.

Le Président (M. Allaire) : Mme la députée, la parole est à vous.

Mme Prass : Merci, M. le Président. Vous mentionnez, bien, comme vos collègues l'ont fait, qu'il n'y a pas eu de consultation de façon préalable, pas grande recommandation à part retirer le projet de loi. Donc, si ces consultations auraient eu lieu, qu'est-ce que... quelle aurait été votre ouverture? Quelles sont les discussions que vous auriez ou les suggestions et les recommandations que vous aurez faites en amont de la production du projet de loi?

Mme Picard (Magali) : Bien, les discussions se seraient arrêtées à ce qu'on vient de parler présentement, là, aux quelques cas d'exception où on doit porter une attention particulière, ou, même si ce ne met pas la sécurité ou la santé de la population en danger, qu'il y a des effets, hein, qui sont très graves, qui auraient des préjudices graves sur ces individus-là, ces enfants-là. C'est la seule discussion qu'on aurait pu avoir parce qu'on ne créera pas un problème où n'y en a pas, il n'y en a pas, de problème avec le code actuel. C'est qu'on n'est pas en train de dire, là, que... puis, je le répète, là, que les femmes de ménage ne peuvent pas prendre les transports en commun. Tu sais, je veux dire, il y a des choses qui se sont dites ici qui démontre à quel point c'est dangereux d'amener un projet de loi comme celui-là.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Ça termine ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. On poursuit avec le deuxième groupe d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 2 min 19 s.

M. Leduc : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour à vous trois et à la belle délégation qui nous accompagne derrière vous. Le ministre du Travail, j'ai appris à bien connaître, ça fait à peu près sept ans de collaboration, une douzaine de projets de loi, puis ce n'est pas tout noir ou tout blanc. Tu sais, j'ai voté contre plusieurs de ses projets de loi, mieux il y a eu des réformes, comme le RQAP, le travail des enfants à 14 ans, la reconnaissance des stagiaires, mais est-ce que vous pensez qu'avec ce projet de loi là, il n'est pas un peu en train de gâcher son héritage comme ministre du Travail?

• (12 h 10) •

Mme Picard (Magali) : C'est très bien dit. M. le Président, c'est exactement ce qu'il se passe. Moi, le ministre du Travail, depuis mon arrivée en poste depuis deux ans, je lui parle régulièrement et je vais... très honnêtement, je lui texte, il me revient rapidement. On avait vraiment un dialogue qui, selon moi, démontrait cette ouverture-là du travail ensemble puis d'être capable d'évoluer. On n'est pas toujours d'accord, mais on se parle. Mais là, il y aura eu un avant puis un après le projet de loi n° 89. Moi, la confiance, elle n'est plus là. Je ne peux pas concevoir, en 2025...

Mme Picard (Magali) : ...2025 qu'on nous dépose un projet comme ça, qui est une attaque épouvantable. Puis n'essayons pas de dire que non, non, c'est moins pire que le 107, là. On ne parle jamais du pouvoir spécial du ministre. Ça, c'est drôle, on n'en parle pas. Alors, c'est vraiment décevant, vous avez raison, c'était censé être un legs du ministre, mais il y a autre chose. Il y a un projet de loi en prévention, également, qu'on attend désespérément, qui nous a été promis, hein, avant l'hiver, mais là, bon, Santé puis Éducation ne sont pas d'accord, puis ça coûterait trop cher, ce serait juste bon pour le privé, mais pas chez nous, tu sais. C'est un peu ce qu'on voit aussi dans ce projet de loi là. Un arbitre pourrait décréter les conditions d'emploi des entreprises privées, mais pas celles du gouvernement. Donc, c'est bon pour tout le monde, sauf pour chez nous. Finalement, la vérité, c'est que ce n'est pas bon pour personne, ce projet de loi là, on n'en a pas besoin.

M. Leduc : Très rapidement, qu'est-ce que ça va avoir comme influence dans les différentes tables de négo, le fait d'avoir maintenant une espèce d'épée de Damoclès pour être imposé la...

Mme Picard (Magali) : Un recul épouvantable. On revient en arrière, on revient plus de 40 ans en arrière. On est en train d'enlever l'équilibre dans les relations de travail, dans le droit de la négociation collective. Il y a des gens, actuellement... Quand des travailleurs décident de se voter, hein, pour aller en grève, c'est parce qu'ils ont tout essayé, et là ils se disent : On n'a plus rien à perdre. Mais là, là, c'est là, habituellement, où les parties démontrent à quel point elles sont rendues au bout du rouleau. On veut s'asseoir, c'est le temps, là, on est à la fin du processus. Et là, en enlevant ça puis en laissant le ministre faire un décret, qu'il y ait le tribunal qui s'en mêle, qu'il y ait un médiateur qui s'en mêle, un arbitre qui décide...

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci, ça met fin à ce bloc d'échange avec le deuxième groupe d'opposition. On poursuit avec le député de Jean-Talon. Vous avez 53 secondes.

M. Paradis : Je vous résume : absence totale de consultation, un projet de loi inutile parce que le Code du travail a déjà ce qu'il faut faire, on confère d'importants pouvoirs discrétionnaires au ministre, en violation de la liberté d'association et en violation du droit international. Il y a des gens qui sont venus ici dire : C'est merveilleux, ce projet de loi là, ça va être bon pour la stabilité des relations de travail au Québec. Pour les quelque 800 000 travailleurs affectés, pourriez-vous nous dire, vous, ce que vous pensez de la stabilité que ça va apporter dans les relations de travail?

Mme Picard (Magali) : C'est complètement l'inverse. Il n'y en aura plus, de stabilité, parce que ce qu'on est en train de donner à l'employeur, c'est exactement la stratégie pour faire reculer les négociations collectives puis ne pas donner des augmentations ou de suivre le coût de la vie, en s'assoyant sur leurs deux mains puis en mettant de la pression sur le ministre. Parce qu'il y aura des conflits, et c'est un recul. Donc, tous ces gens-là sont perdants, et les travailleurs syndiqués et les non-syndiqués, parce que les non-syndiqués suivent souvent ce qu'on va négocier dans les entreprises. Donc, c'est un recul pour tous les travailleurs et travailleuses du Québec.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Ça met fin à ce bloc d'échange avec le député Jean-Talon. M. le député de Saint-Jérôme, vous avez 53 secondes, également.

M. Chassin :Peut-être une question très simple, parce qu'évidemment on se retrouve à avoir une perspective sur un projet de loi qui est peut-être partagée, mais. En même temps, on ne veut pas reculer, d'accord. Est-ce que vous vous dissociez des événements de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain?

Mme Picard (Magali) : On n'est... jamais encouragé la violence, d'aucune façon, mais d'aucune façon. On ne soutient pas ça. Il y a un vidéo qu'on pourra...

M. Chassin :Vous la dénonceriez?

Mme Picard (Magali) : Bien, on l'a fait depuis, depuis... à chaque entrevue que j'ai fait depuis ce temps-là. Mais ce qu'il y avait de violent, cette journée-là, c'était un projet de loi, hein, ce n'est pas les travailleurs qui se sont rassemblés, je m'excuse.

L'autre chose : il y a un vidéo qui circule, actuellement, on voit la personne qui a brisé la fenêtre. Elle n'est pas... Aucun des syndicats n'est capable d'identifier cette personne-là, donc elle n'est pas de notre gang. Elle est de quelle gang, je ne le sais pas, mais elle n'est pas de la nôtre. Et c'est tout à fait dommage. Et ce n'est pas ce que les travailleurs ont voulu démontrer, cette journée-là. Ne détournons pas l'attention, s'il vous plaît.

Le Président (M. Allaire) : Merci au député de Saint-Jérôme. Ça met fin à l'ensemble des blocs d'échange avec le groupe qui était avec nous, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. M. Bolduc, Mme Picard, M. Lavoie, merci pour votre présence.

Nous allons suspendre les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 15)

(Reprise à 12 h 20)

Le Président (M. Allaire) : Alors, nous allons reprendre les travaux. Nous sommes prêts à poursuivre. Nous accueillons notre prochain groupe, l'Association du transport urbain du Québec. Alors, bienvenue! Je vais laisser vous... Je vous laisse le soin de vous présenter, en fait, avec votre titre complet. Puis vous pouvez commencer votre exposé de 10 minutes. Va s'ensuivre une période d'échange, là, avec les parlementaires. La parole est à vous.

M. Chitilian (Harout) : Merci, M. le Président. Donc, Harout Chitilian, directeur général de l'Association du transport urbain du Québec, accompagné par Mme Véronique Lafond, qui est la directrice adjointe. Et on va prendre le temps aujourd'hui de vous faire un court exposé sur notre mémoire pour le projet de loi n° 89.

Avant tout, chers membres de la commission, nous vous remercions de nous recevoir aujourd'hui afin de présenter la position de l'ATUQ sur le projet de loi n° 89.

Nous représentons les neuf sociétés de transport en commun du Québec, ainsi qu'EXO, qui desservent les principales villes et assurent 99 % des déplacements à travers la province.

Nos membres transportent annuellement près de 235 millions de passagers et parcourent 178 millions de kilomètres pour offrir un service essentiel à des milliers de citoyens. Pour plusieurs, le transport en commun est la seule option de mobilité : les gens qui vivent dans la précarité économique, les personnes en situation de handicap, les étudiants, travailleurs à faibles revenus ainsi que les aînés. Une interruption prolongée des services aurait des conséquences immédiates graves et...

M. Chitilian (Harout) : ...et irréversible parce qu'ils limiteront l'accès aux soins de santé pour les patients et rendraient impossible pour les travailleurs du secteur de la santé de se rendre au travail. Ils risquent également des pertes d'emploi pour les travailleurs dépendants du transport collectif. Il y aura également un impact sur l'éducation, notamment pour les élèves et étudiants qui utilisent le transport en commun pour se rendre à l'école. Une hausse importante du trafic automobile compromettant la circulation des véhicules d'urgence dans les grandes villes. Et, surtout, les services de transport collectif sont appelés en cas de catastrophe naturelle ou d'évacuation d'urgence pour agir comme une solution de mobilité, donc cela compromettrait cette solution également.

Nous saluons l'initiative du législateur visant à mieux protéger les besoins de la population lors des conflits de travail touchant les services de transport en commun et nous croyons que le p. l. 89 représente un pas dans la bonne direction pour concilier les droits des travailleurs et les besoins essentiels des usagers, en particulier les plus vulnérables. L'ATUQ réitère que nous ne remettons aucunement en question le droit de grève, un droit fondamental et reconnu. Toutefois, ce droit ne doit pas priver la population de services essentiels au bien-être collectif. Le p. l. 89 établit un cadre où le Tribunal administratif du travail encadre les services minimaux, garantissant ainsi un juste équilibre entre les droits des travailleurs et la nécessité de préserver l'accessibilité au service minimum. Le projet de loi propose un modèle équitable qui ne suspend pas le droit de grève, mais impose plutôt le maintien des services définis par négociation entre les parties ou, à défaut, par décision du tribunal. Ainsi, les travailleurs peuvent exercer leur droit tout en évitant une rupture complète du service public.

Par le passé, certains de nos membres ont été reconnus comme offrant des services essentiels à la population. L'argument alors retenu par les tribunaux est que l'absence de transport en commun durant une grève créerait une augmentation importante de la circulation automobile, compromettant l'accès des véhicules d'urgence et mettrait ainsi en danger la santé et la sécurité publique. C'est souvent le cas dans les villes où opèrent des sociétés de transport, comme à Montréal ou à Laval, parce que... mais nous représentons neuf sociétés de transport dans différentes conditions, dans différentes géographies, avec des différentes tailles de population, et l'enjeu reste parce que force est d'admettre que, lorsque les sociétés du transport ne sont pas reconnues comme offrant des services essentiels, l'absence complète de service minimum durant une grève vient atteinte de façon disproportionnée et injuste des droits de la population. Le législateur se devait donc agir pour les protéger.

Le transport en commun répond à plusieurs besoins de la population, évidemment au niveau de la mobilité, mais également à des besoins économiques, sociaux et environnementaux. En ce sens, les différentes mesures prévues au p. l. 89 pourraient être nécessaires dans un conflit de travail au sein d'une société de transport. Plus spécifiquement, pour les mesures relatives aux services à maintenir pour assurer le bien-être de la population, bien que le p. l. 89 ne définit pas pour le moment ce qu'on entend par «services assurant le bien-être de la population», les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment de celle des personnes en situation de vulnérabilité, nous sommes d'avis, en considérant l'esprit du p. l. 89, que l'industrie du transport collectif entre dans cette catégorie de services. En effet, n'avoir aucun service minimum de transport en commun durant un conflit de travail entraîne plusieurs atteintes.

Et là je vais vous donner quelques exemples spécifiques. Les travailleurs qui gagnent moins de 30 000, 50 % de ces travailleurs, selon une étude d'IRIS, datant de janvier 2024, prennent le transport collectif comme moyen de déplacement. Les personnes qui utilisent nos services de santé et nos services sociaux, 15 % de ces personnes utilisent le transport collectif comme moyen de déplacement, selon l'Institut statistique du Québec. Plusieurs travailleurs qui travaillent dans le réseau de la santé utilisent le transport collectif comme moyen pour se rendre au travail, et on ne peut pas se permettre une situation d'avoir une rupture de service complète pour cette population également. Dans les grands centres, ce sont fréquemment les sociétés de transport qui offrent également le transport scolaire intégré aux écoliers, notamment au niveau secondaire, et un conflit de travail sans service minimum...

M. Chitilian (Harout) : ...de transport en commun brimerait une partie des étudiants qui n'ont pas d'autre alternative que le transport en commun pour se rendre à l'école.

Et la majorité des sociétés de transport ont également des ententes avec des municipalités, des résidences pour aînés ou des organismes comme la Croix-Rouge pour assurer le déploiement d'autobus et d'un chauffeur en cas d'incendie, de force majeure ou de catastrophe naturelle entraînant des évacuations. En cas de conflit de travail, sans service minimum, ces services critiques et indispensables pourraient être compromis, mettant en danger des vies humaines.

Ainsi, malgré que l'ATUQ reconnaît l'importance du droit de grève, à la lecture de ces exemples concrets, nous sommes d'avis que le législateur n'avait pas d'autre choix que d'intervenir pour trouver une solution où les droits de la population sont respectés tout en protégeant les droits des travailleurs. Pour cette raison, nous accueillons positivement le p.l. 89.

En terminant, nous croyons toutefois qu'il y a une opportunité d'amélioration de ce projet de loi, car présentement, une période de moins 15 jours sans service minimum est possible entre la décision du tribunal sur l'assujettissement aux services à maintenir et celle sur la suffisance des services minimaux. Cette période sans transport collectif risque de compromettre les objectifs du projet de loi.

Nous proposons une solution : permettre aux syndicats de déposer une liste préliminaire des services minimaux à maintenir dès la décision du tribunal sur l'assujettissement. Cela éviterait une interruption complète des services pendant la période de négociation et permettrait de protéger immédiatement les citoyens, surtout les plus vulnérables.

En conclusion, l'ATUQ soutient l'adoption du p.l. 89 car il constitue une avancée importante dans la protection des usagers du transport en commun tout en respectant les droits des travailleurs. Il est essentiel de garantir un cadre structuré supervisé par un organisme indépendant afin d'assurer la continuité des services minimums. Nous affirmons que le transport collectif joue un rôle clé dans la mobilité, l'économie et la cohésion sociale. Nous encourageons donc la commission à adopter un cadre législatif garantissant un équilibre entre le droit de grève et la nécessité de maintenir les services minimums.

Nous vous remercions pour votre attention et restons disponibles pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. Chitilian. Nous allons débuter la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre. La parole est à vous pour 11 minutes.

M. Boulet : Oui, merci beaucoup à l'ATUQ, M. Chitilian, Mme Lafond, pour, un, votre présence, deux, la qualité de votre mémoire, le temps et l'énergie que vous avez consacrés évidemment.

On voit que parfois il y a des projets de loi qui polarisent. J'estime beaucoup l'approche que vous avez parce qu'elle est totalement concordante avec les objectifs du projet de loi, M. Chitilian. C'est une quête d'équilibre entre l'exercice d'un droit de grève ou d'un droit de faire un lock-out dans les secteurs où c'est permis de le faire et des besoins parfois fondamentaux d'une population. Et le transport collectif, vous le dites bien, vous le considérez comme un service essentiel. En tout cas, c'est certainement un service qui assure une cohésion humaine, sociale et économique à tous égards.

• (12 h 30) •

Il y a des statistiques qui me... qui m'impressionnent. Quand vous dites que plus de 50 % des individus qui gagnent moins de 30 000 $ utilisent le transport en commun quotidiennement - j'ai souvent utilisé cet exemple-là, mais sans m'inspirer de la statistique, je disais, bon, des personnes à faibles revenus - c'est pour aller au travail, c'est pour aller à l'hôpital, c'est pour recevoir un service médical. Mais, pour tant de besoins qui sont nécessaires à combler, services sociaux, 15 %, dans le secteur de la santé, beaucoup l'utilisent, le transport scolaire. C'est aussi... Il faut penser aux parents des enfants qui sont soit en situation de handicap ou des parents d'enfants qui ont des besoins particuliers, qui ne peuvent pas aller travailler, qui doivent, des fois, télétravailler puis qui ne peuvent pas subvenir, en télétravaillant, aux besoins de leurs enfants. Il y a tellement d'exemples...


 
 

12 h 30 (version non révisée)

M. Boulet : ...mais ce qui me... ce qui me réconforte dans votre mémoire aussi, c'est que vous revenez à la base d'un projet de loi qui est humainement simple, c'est juste de s'assurer que des conflits de travail ne blessent pas, n'irritent pas. Là, vous m'avez parlé de vies humaines en danger, mais, au-delà de ça, il faut que la population sache que le gouvernement les protège, protège cette population-là, assure sa sécurité sociale ou économique. Donc, il y avait ce commentaire-là que je voulais partager avec vous. Puis la liste syndicale, M. Chitilian, je veux juste... Vous comprenez très bien le mécanisme du projet de loi, le premier outil, là, c'est-à-dire le maintien de services minimums en cas de conflit. Il y a un décret gouvernemental, mais, après ça, tout le processus décisionnel appartient au parti et au Tribunal administratif du travail. Et, dès le décret, il y a une période de temps. On a parlé de 15 jours. Est-ce qu'à la fin de l'étude détaillée ce sera encore 15 jours? Mais c'est vraiment pour que les partis s'approprient la définition des services essentiels. Ce n'est qu'à défaut d'entente que le Tribunal administratif du travail, s'il a jugé que les critères de la loi étaient rencontrés, aura la juridiction de déterminer ces services essentiels là.

Évidemment, les parties peuvent s'entendre et le tribunal peut décider que la suffisance des services ne répond pas aux critères prévus dans la loi, mais la liste à laquelle vous faites référence, puis je suis convaincu que vous avez la même compréhension que moi, ça s'applique dans le contexte d'un régime de services essentiels, là, il n'est pas ici, dans ce nouveau régime là de maintien de services minimums. Mais le transport en commun, c'est un service public, il est soumis aux critères restreints d'atteinte à la santé ou de menace à la santé et sécurité de la population, et là le transport en commun va bénéficier d'un critère élargi, c'est-à-dire du bien-être à la population. Et vous avez très bien mis le doigt dessus. C'est un régime de maintien de services minimums en cas de conflit, quand la population subit des préjudices qui sont, tel que prévu dans la loi, disproportionnés.

Dans les...  Pour le reste, est-ce qu'il y a d'autres pistes d'amélioration? Peut-être. Je ne le sais pas, M. Chitilian, mais c'était surtout la liste syndicale, hein, qui vous préoccupait?

M. Chitilian (Harout) : Oui. Je vais laisser Mme Lafond expliquer, justement, plus précisément.

M. Boulet : Oui, allez-y sur la liste.

Mme Lafond (Véronique) : Oui. En fait, notre préoccupation, c'était vraiment la période entre le moment où le Tribunal administratif du travail décide que les parties sont assujetties. Et le 15 jours où les parties ont la possibilité de négocier, quels seront les services minimums au terme duquel, s'il n'y a pas entente, le tribunal peut se prononcer. Donc, c'est un minimum 15 jours pour cette négociation-là et qui peut être plus long si, éventuellement, il y a une audition au Tribunal administratif du travail. Donc, pendant cette période-là, malgré que le tribunal a considéré que les parties être assujetties, il n'y a pas de service minimum. Et ce qu'on a démontré, là, ce qu'on a mis de l'avant dans le mémoire, les dommages qui peuvent être faits vis-à-vis de la population, 15 jours, ça peut être long puis ça peut être des dommages importants qui sont mis en place.

Ça fait que la proposition qu'on faisait, c'était justement de s'inspirer du régime des services essentiels où il y a une liste qui est déposée par le syndicat. Ce n'est pas nécessairement une entente, celle-ci pourrait être négociée par la suite, mais il y a, au moins, un minimum qui est mis en place tout de suite, dès que le tribunal détermine qu'il y a assujettissement. J'ai entendu d'autres parties proposer d'autres solutions, avoir un délai plus court que le 15 jours, et tout ça, nous, la proposition qu'on faisait, c'était de s'inspirer de ce qu'il y a déjà au niveau des services essentiels.

M. Boulet : O.K. Je comprends très bien. Puis le délai le plus court est une recommandation qui mérite une attention puis une réflexion de notre part. Je comprends très bien, puis c'est une idée qui est intéressante, en fait, vous voulez éviter qu'il y ait des dommages importants à la population pendant cette période-là. C'est sûr que, quand il y a le décret gouvernemental, c'est une des parties qui peut demander au tribunal de déterminer s'il y a un respect des critères obligeant le maintien de service minimum. C'est sûr que ça peut être demandé par la société de transport. Est-ce que le syndicat va se soumettre et présenter une liste de services à maintenir? Je ne dis pas non, mais c'est sûr que ce n'est pas parfaitement compatible...

M. Boulet : ...il faut savoir que le tribunal a aussi le pouvoir, dans le projet de loi, de nommer un accompagnateur des parties pour négocier cette liste de services essentiels là. Puis, à la limite, s'il y avait des circonstances exceptionnelles, le tribunal pourrait rendre une décision qui est compatible avec ce que vous dites, là. Merci beaucoup, Mme Lafond. Merci beaucoup, M. Chitilian.

Le Président (M. Allaire) : Oui, Mme la députée de Huntingdon, la parole est à vous.

Mme Mallette : Juste une petite question de curiosité. Ce serait quoi les villes, dans le fond, que vous représentez comme organisme de transport? Est-ce que paouvez-vous me nommer un peu avos membres?

M. Chitilian (Harout) : Oui, oui, certainement. Donc, on va aller systématiquement, donc, Saguenay, Québec, Lévis, Trois-Rivières, Sherbrooke, Montréal, Laval, Longueuil, Gatineau, et Exo représentent les 82 municipalités de la...

Mme Mallette : Exo fait partie aussi de votre association.

M. Chitilian (Harout) : Exact.

Mme Mallette : Et je vous remercie.

Le Président (M. Allaire) : Ça va? Merci. Excellent. Donc, on poursuit avec l'opposition officielle, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, vous avez 6 min 56 s.

Mme Cadet : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Chitilian.  Bonjour, Mme Lafond. Merci d'être avec nous en commission, nous exposer votre perspective. Je vais y aller moi aussi, donc, sur la recommandation que vous faites, donc, dans votre mémoire à la page 5, sur la liste des services à maintenir que le syndicat pourrait déposer. Vous avez dit, Mme Lafond, que, dans le fond, il y a un processus similaire, donc, qui a lieu dans le cadre du maintien des services essentiels. Pouvez-vous, en fait, étayer, donc, le processus actuel et de voir comment celui-ci pourrait s'arrimer au nouveau régime qui est introduit par le projet de loi?

Mme Lafond (Véronique) : Oui, en fait, le syndicat dépose une liste au niveau des services essentiels, une liste de services minimums qu'il propose de mettre en place. Et donc il y a une négociation, par la suite, pour déterminer la suffisance de cette liste-là. Mais il y a déjà une base, et, sur cette base-là, l'employeur peut avoir recours, en fait, aux ressources pour respecter ce service minimum là qui est proposé, ce service essentiel là qui est proposé par le syndicat. Donc, il y a une disposition dans le Code du travail qui fait en sorte que, quand on va chercher des ressources pour répondre à cette proposition-là des services essentiels, ce n'est pas contraire, ce n'est pas en termes de briseur de grève. Donc, le dépôt de la liste donne ouverture à aller chercher ces ressources-là pour donner ce service essentiel là. 

Mme Cadet : Est-ce que c'est un dépôt qui est systématique, je veux dire, est-ce c'est une mesure qui est obligatoire, qui fait partie du processus actuel? Parce qu'ici vous dites, donc, le syndicat pourrait déposer la liste, donc, aurait la possibilité de le faire.

Mme Lafond (Véronique) : En fait, au niveau des services essentiels, ma compréhension, tu sais, ce n'est pas systématique, là, mais je ne suis pas une experte en droit du travail, mais ma compréhension auprès de nos membres, c'est que ce n'est pas nécessairement systématique. Mais c'était une possibilité qu'on trouvait intéressante, considérant qu'elle provenait du syndicat, puis ça mettait la table pour quelque chose, pour... durant la période... fans la période où on est en train d'essayer de s'entendre.

Mme Cadet : O.K. Effectivement, donc, ce ne serait, donc, imposé, donc, par l'employeur...

Mme Lafond (Véronique) : Tout à fait.

Mme Cadet : ...étant donné, donc, l'iniquité des relations entre les deux parties. Donc, c'est le syndicat qui aurait la possibilité de pouvoir émettre cette liste avant qu'il y ait une entente.

Mme Lafond (Véronique) : Exactement.

Mme Cadet : Et puis là, donc, vous dites, en fait, au moins... la période serait d'au moins l15 jours. Ma compréhension des dispositions du projet de loi, c'est qu'en fait cette période-là serait plutôt d'au plus 15 jours, donc, de négociations.

Mme Lafond (Véronique) : Oui, en fait, ce que ce qu'on veut dire par au moins 15e jours, c'est que, si on ne s'entend pas, il y a nécessité de retourner auprès du Tribunal administratif du travail. Donc, la nécessité d'avoir une date d'audience, la période d'audience, et tout, donc, ça peut aller au-delà du 15 jours. C'était dans ce sens-là.

• (12 h 40) •

Mme Cadet : O.K. Je comprends bien. Ensuite, donc, évidemment, nous, vous êtes arrivés, donc, dans votre mémoire, avec quelques exemples, quelques exemples ici. Donc, comment est-ce que vous distinguez, parce qu'évidemment, donc, bon, vous parlez, donc, des travailleurs dépendant du transport en commun, l'accès aux soins médicaux et services sociaux pour certains, bon, pour certains membres de la population qui auraient besoin de transport en commun pour pouvoir y accéder, les travailleurs hospitaliers, le transport scolaire qui est assuré par les sociétés de transport dans les grands centres. Donc, ici, donc, selon vous, parce que je sais que vous le donnez à titre d'exemple, mais pour bien saisir comment est-ce que vous percevez l'article 4 qui est introduit dans le projet de loi.

Donc, tous ces exemples-là, donc, selon vous, devraient se retrouver, donc, devant le Tribunal administratif du travail, advenant, donc, un conflit de travail, donc, pour lequel, donc, il n'y aurait pas d'issue, là, et qu'il faudrait négocier des services minimalement requis. Donc, c'est ce type de service là que vous vous auriez en tête.

Mme Lafond (Véronique) : Bien, en fait, c'est vraiment... c'est un exercice d'équilibriste, là, de trouver la voie de passage entre les droits des travailleurs qu'on considère très, très importants, mais les droits de la population qu'on considère importants aussi. Ça fait que c'est sûr que, dans la définition de service pour le bien-être de la population, les droits fondamentaux de cette population-là doivent être considérés, donc, le droit de pouvoir travailler, le droit d'aller... pour une partie de la population, c'est leur seule façon d'aller à leurs rendez-vous médicaux. Donc, c'est ces droits-là qu'on considère quis doivent être considérés. Et dans la...

Mme Lafond (Véronique) : ...qui est introduit, là, on considère qu'effectivement ça répond à cette définition-là, au niveau du transport collectif.

Sinon, la question de la suffisance des services qui seraient requis, si on regarde au niveau, par exemple, des services essentiels, donc, il y a certaines de nos sociétés, dans les grandes villes, notamment Montréal, qui sont assujetties aux services essentiels, donc on a un petit peu une idée de ce que sont ces services minimums là. Et puis ça représente à peu près deux, trois heures, le matin, en pointe, deux, trois heures à la fin de la journée, en pointe du soir, et, dans les grandes villes, là, il y a aussi quelques heures complètement à la fin de la journée pour ramener les travailleurs. Donc, c'est vraiment très, très ponctuel et très, très précis. Donc, même s'il y a des gens qui ont des besoins de voyager le reste de la journée, ce n'est pas couvert. Donc, il y a quand même, tu sais, un certain... un certain inconvénient pour la population, mais, au moins, ils ont une porte de sortie pour répondre à leurs besoins, ils ont une possibilité d'avoir leur droit à la mobilité pour dans ces périodes très, très précises là. Et je précise aussi ce que c'est habituellement du lundi au vendredi. Donc, on a un peu une idée de ce à quoi pourraient ressembler les services minimums, là, si c'était applicable, là.

Mme Cadet : Donc, votre perception de ce qui devrait se retrouver ici dans le projet de loi, donc, on est loin du simple désagrément ou ce qui a été évoqué hier, par exemple, en commission parlementaire, mais, vraiment, vous dites, donc, qu'il y a un cadre, donc... peut-être, donc,qui serait un peu plus soutenu que ce que prévoit déjà le Code du travail. Donc, vous voyez, donc, la pertinence d'ajouter des dispositions supplémentaires, mais comprenez très bien, étant donné, donc, l'exercice d'équilibrage, qui est essentiel, que ça ne couvre pas l'ensemble des désagréments qui seraient causés par l'interruption des services de transport.

Mme Lafond (Véronique) : Tout à fait. Effectivement, un travailleur qui doit être au travail à midi mais qui doit se présenter à 8 heures parce que les services minimums qui sont donnés, c'est ça, ça, c'est un désagrément, pour nous. Un étudiant qui a un cours à 14 heures, mais qui doit être là à 8 heures parce que le service minimum, c'est ça, c'est un désagrément, mais de ne pas pouvoir se rendre à son rendez-vous médical, de ne pas pouvoir travailler, de ne pas pouvoir aller à l'école, ça, ça va au-delà du désagrément, puid on pense que c'est important de le considérer, qu'il y ait des dispositions qui considèrent ça puis qui permettent à la population d'avoir des services minimums.

Mme Cadet : Merci. Je vais laisser ma collègue de D'Arcy-McGee compléter.

Le Président (M. Allaire) : Mme la députée, la parole est à vous.

Mme Prass : Merci, M. le Président. Vous mentionnez dans votre mémoire que, par le passé, certains de vos membres ont été reconnus comme offrant des services essentiels à la population. On sait que ça n'a pas été le cas avec le RTC, par exemple, il y a quelques années. Je suis curieuse, quelles sont les circonstances qui ont fait que certains ont été reconnus comme un service essentiel et pas d'autres?

Mme Lafond (Véronique) : En fait, dans le passé, là, avant le changement de loi, en 2019, c'étaient des décrets. Les sociétés de transport étaient couvertes, étaient considérées comme des services essentiels. Avec le changement de la loi puis la présentation, la preuve qui doit être faite au tribunal administratif, le critère, en fait, pour être considéré service essentiel, c'est que ça cause une congestion suffisamment importante pour empêcher la circulation des véhicules d'urgence. C'est ça, le critère pour être considéré service essentiel au niveau du transport en commun. À Montréal, là, c'est assez clair que ça répond à ce critère-là, donc, dans le passé, il n'y a jamais eu de discussion par rapport à ça. Il y a même des ententes entre le syndicat et la société de transport qui reconnaissent que c'est un service essentiel. Dans le cas du RTC, la preuve qu'ils ont faite au tribunal, le juge a considéré...

Le Président (M. Allaire) : ...période d'échange. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, la parole est à vous pour 2min 19 s.

M. Leduc : Merci. Je ne peux pas m'empêcher de prendre un pas de recul, parce que plus tôt, hier, la Fédération des chambres de commerce viennent nous dire : On reconnaît le droit de grève, mais, pour la construction, ça ne fonctionne pas. Après ça, les municipalités sont passées, elles ont dit : On reconnaît le droit de grève, mais pour les bibliothèques, pour les piscines, ça ne marche pas. Après ça, les manufacturiers sont passés, ils ont dit : On reconnaît le droit de grève, mais pour nos manufactures, nous, ça ne marche pas. Puis le gouvernement a dit : Bien là, on reconnaît le droit de grève, mais en éducation puis pour les CPE, ça ne marche pas. Là, vous venez nous dire, vous, aujourd'hui un peu une autre étape : On reconnaît le droit de grève, mais, pour le transport collectif, ce n'est pas possible. Ça fait que nous, on ne peut pas s'empêcher de se dire : Coudon, si tout le monde dit ça, finalement, il n'y en a plus, de droit de grève.

Mme Lafond (Véronique) : Bien, je vais nuancer par rapport à nous, là, je ne peux pas parler pour les autres qui sont venus hier, mais, par rapport aux sociétés de transport, ce qu'on dit, ce n'est pas qu'il n'y a plus de droit de grève, c'est qu'il y a des services minimums qui... de trouver la voie... Mais c'est différent. Il y a une nuance entre ne pas avoir de grève du tout puis d'avoir des services minimums qui répondent aux besoins de la population mais qui permettent quand même aux travailleurs de faire valoir leurs droits.

Donc, comme je disais tout à l'heure, le fait d'avoir des services minimums, c'est quand même contraignant, c'est quand même des enjeux pour la population et pour les sociétés de transport. Puis les gens, là, surtout post-COVID, là, voyagent beaucoup plus hors pointe, donc on a beaucoup d'achalandage hors pointe, ça fait que, là, à ce moment-là, ça, ce n'est pas répondu, mais c'est correct puis c'est quelque chose avec laquelle, et les sociétés de transport, et la population peuvent et doivent vivre pour considérer le droit de grève.

Ça fait que c'est dans ce sens-là que nous, on dit : On considère qu'il doit être maintenu, mais on considère ici qu'il y a aussi d'autres droits qui doivent être considérés, ceux de la population, puis c'est de trouver un équilibre entre ces deux types de...

M. Leduc : Tu sais, dans le milieu de la santé, ils ont, en théorie, le droit de grève, mais je pense que c'est, quoi... il faut qu'ils assument, genre, 90 % des tâches. Il n'y en a pas, de droit de grève, quand vous êtes...

M. Leduc : ...90 % des tâches, il n'est pas effectif. Je ne sais pas qu'est-ce ça serait, là, à peu près le pourcentage dans le transport, mais, on imagine, ce ne serait pas 5 %, 10 %. Ça fait que plus vous avez un élastique qui s'étire sur le taux d'application pour les fameux services minimums, plus votre grève, elle est ineffective et donc elle n'existe pas.

Mme Lafond (Véronique) : Bien, comme je vous dis, de notre côté, là, ce qu'on voit au niveau des services essentiels, c'est deux, trois heures le matin, souvent deux heures en fin de journée, et c'est du lundi au vendredi. Ça fait qu'on est loin du 90 % qu'on peut voir dans... aux services de santé. Il y a vraiment... Il y a vraiment... Ça... En fait, le droit de grève atteint vraiment l'objectif de mettre une pression, d'une pression sur la population...

Le Président (M. Allaire) : Merci.Malheureusement, ça met fin à ce bloc d'échange. M. le député de Jean-Talon, vous avez 53 secondes.

M. Paradis : Vous dites dans votre mémoire et dans votre témoignage que l'absence de services minimums porte atteinte aux droits de la population. Vous nommez quelques cas qui paraissent importants. Est-ce que vous avez des études sur l'ampleur de l'atteinte aux droits de ces gens-là dans le cas où il y a eu des conflits? Parce que vous parlez d'une étude de l'IRIS, mais l'IRIS dit, bien, que certains... ces gens-là utilisent le transport en commun. Sur la portée de l'atteinte des droits, est-ce que vous avez des études, notamment à la suite de la décision, là, de novembre 2024, ici, pour le RTC, à Québec? C'est une grève qui a duré quatre jours. Est-ce que vous avez des études sur l'ampleur de l'atteinte aux droits?

Mme Lafond (Véronique) : On n'a pas ce genre de données là, malheureusement, de façon précise, mais effectivement le parallèle qu'on fait, c'est : si les gens utilisent le transport en commun pour se rendre à leurs rendez-vous médicaux, par exemple, bien, ça fait en sorte que, si ce service-là n'est pas offert, ils ne peuvent s'y rendre. Ça fait que c'est... c'est dans ce sens-là qu'on apporte l'argumentaire. Mais, de façon précise, avec des données, et particulièrement, par exemple, pour le RTC, on n'a pas ce genre de données là. On a des témoignages qualitatifs d'usagers qui ont eu des enjeux, mais pas de façon chiffrée.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci. On enchaîne avec le député de Saint-Jérôme. La parole est à vous. 53 secondes.

M. Chassin :53 secondes. Parce qu'évidement je pense qu'on n'a pas nécessairement besoin d'études, là, on a aussi notre logique pour voir quand ça devient très, très difficile. Puis là, puisqu'on est dans le thème, est-ce que la capacité, par exemple, de... je pense, c'est la FCCQ qui a fait cette proposition-là, la capacité de négocier a priori des services qui seraient suspendus en cas de moyens de pression, des services qui seraient maintenus localement, est-ce que ça pourrait être une solution?

Mme Lafond (Véronique) : On a vu cette proposition-là, mais c'est toute la question de la recherche de l'équilibre, de dire : Pour le moment, le projet de loi répond aux besoins qu'on a identifiés. Donc, il y a... il y a une marge qui est peut-être... qu'il faut voir, à savoir si on peut aller plus loin. C'est sûr que d'avoir de la prévisibilité puis de savoir que le transport en commun serait considéré puis d'avoir la possibilité de négocier en amont dans un climat moins tendu pourrait être intéressant, mais, encore là, le projet de loi tel quel répond quand même à un besoin. Même s'il n'est pas parfait, il nous permet quand même de répondre aux besoins qu'on a identifiés au niveau...

Le Président (M. Allaire) : Excellent. Merci. Je vous invite, les parlementaires, à rester assis, là, on n'est pas suspendus encore, là, s'il vous plaît. Mme Lafond, M. Chitilian, merci vraiment pour votre participation à cette commission. Vous êtes de l'Association du transport urbain du Québec. Alors, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures. Bon dîner, tout le monde. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 49)


 
 

15 h (version non révisée)

(Reprise à 15 h 03)

Le Président (M. Allaire) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît. La Commission de l'économie du travail reprend ses travaux. Encore une fois, prenez le temps d'éteindre l'ensemble de vos appareils électroniques, s'il vous plaît.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out.

Alors, l'horaire pour cet après-midi, nous allons débuter avec le Dr Égide Royer, nous allons ensuite poursuivre avec Thomas Collombat et ensuite poursuivre avec Me Gesualdi-Fecteau et Me Charlebois. Et on va terminer la journée avec Gregor Murray et Mélanie Laroche. Ça va pour tout le monde? Alors, on peut commencer.

Alors, on accueille notre premier groupe. En fait, c'est un chercheur connu et reconnu. M. Royer, bonjour et bienvenue à cette commission. Vous savez, je pense, comment ça se déroule habituellement, donc je vous laisse vous présenter avec votre titre peut-être plus complet et vous pouvez débuter votre présentation de 10 minutes.

M. Royer (Égide) :Merci, M. le Président. Mon nom, c'est Égide Royer, je suis psychologue spécialisé sur la question de la réussite scolaire, particulièrement des jeunes qui présentent des situations de handicap ou des problèmes de comportement à l'école, professeur d'université pendant un certain nombre de décennies aussi. J'en reparlerai dans quelques minutes.

Donc, essentiellement, la présentation, vous allez vois, c'est très... c'est très factuel et c'est très précis...

(Panne de son)

M. Royer (Égide) :Voilà, vous l'avez toujours?

Le Président (M. Allaire) : Oui.

M. Royer (Égide) :Donc, ma présentation va se faire spécifiquement par rapport à l'article 111. 22.3 où, entre autres, je l'ai mis en caractères gras, c'est toute la question des services minimalement requis et pour les personnes qui sont en situation de vulnérabilité. Et ce sur quoi je m'en vais vous... ce sur quoi va porter ma présentation plus particulièrement, c'est surtout la question des gens qui sont en situation de handicap lourd ou handicap sévère et qui fréquentent des maisons d'enseignement, qui fréquentent des écoles spécialisées plus particulièrement. Écoutez, ça va être très précis. Je vais y aller de quatre observations et d'une recommandation. Sachant que... j'ai participé à de nombreuses commissions parlementaires, mais après avoir fait ces observations-là et cette recommandation-là, c'est vraiment dans une perspective d'échange et de répondre à vos questions par rapport à ce qu'on vit présentement au niveau des jeunes qui présentent des difficultés.

Donc, quatre observations. Et avant de vous situer dans la première observation, je vais simplement vous rappeler quelque chose, parce que ça rentre, en ligne de compte, dans l'argumentation que je m'en vais faire ou la présentation que je fais. Ça fait plus de 50 ans que je suis en adaptation scolaire, le terme générique pour parler d'intervention auprès des élèves en difficulté, et je tenais simplement à situer les éléments suivants. J'ai été cinq ans éducateur spécialisé en déficience mentale...

M. Royer (Égide) : ...moyenne et profonde, ce qui implique, carrément, d'intervenir auprès d'enfants très lourdement handicapés. J'ai par la suite été 10 ans dans une commission scolaire comme psychologue scolaire et responsable des services aux jeunes, entre autres les jeunes qui présentaient des situations... en situation de handicap, quatre ans au ministère de l'Éducation comme responsable, professionnel responsable du dossier des services éducatifs aux gens présentant des troubles de comportement et plus de 30 ans à l'université comme chercheur et formateur d'enseignants et spécialisé sur la question des jeunes en difficulté.

Donc, ceci étant dit, la première observation que j'ai à faire, c'est que les jeunes qui sont handicapés au sens de la loi de l'instruction publique, c'est autour de cela dont on va parler aujourd'hui, là, et du régime pédagogique, et même des conventions collectives des enseignants sont les jeunes les plus susceptibles de régresser sur le plan des apprentissages et des comportements lorsqu'il y a une situation d'un arrêt prolongé des services éducatifs. Pour bien vous situer de qui on parle, on parle des jeunes qui ont des troubles graves du comportement. Et, quand je parle de troubles graves du comportement, je pense à des jeunes, donc, qui sont difficilement encadrables et des jeunes qui, souvent, sont très agressifs envers les autres ou envers eux-mêmes, là, par rapport à ce type de situation là. On parle de jeunes qui ont une déficience motrice, organique ou sensorielle grave. On parle de jeunes qui ont une déficience langagière sévère, soit non verbale ou même, à la limite, en tout cas, très partiellement verbale, déficience intellectuelle moyenne, sévère ou profonde. Et, quand on parle de déficience mentale moyenne et profonde, écoutez, on rejoint même des situations de jeunes, là, qu'on appelait, entre guillemets, dans le métier... des troubles envahissants du développement, là, on parle du spectre de l'autisme et tout particulièrement spectre de l'autisme, dont vous entendez parler fréquemment, mais c'est un spectre de l'autisme... donc, j'ai des jeunes qui étaient très lourdement handicapé là-dedans aussi, et des troubles relevant de la psychologie psychopathologie, troubles de santé mentale grave, si vous aimez mieux en termes de... en termes de définition. Pour que vous soyez vraiment au fait de... vraiment au fait du contexte, il y a 54 000, j'arrondis les chiffres, élèves handicapés au Québec selon la loi. On a ici des chiffres de 2022-2023. C'est environ... bien, à peu près 5 % des 1 135 000 élèves. Mais portez bien attention à ceci, 45 % de ces jeunes-là handicapés sont en classe ordinaire, 42 % fréquentent une classe spéciale, 10 % fréquentent une école spécialisée, une école où l'ensemble, presque exclusivement la clientèle, est composé de jeunes lourdement handicapés, et un 3.1 % fréquentent un autre type d'établissement. Ça peut être un centre jeunesse, comme ça peut être, entre autres, particulièrement un centre hospitalier. Ça, ça vous donne le portrait. Ce que je viens de vous dire, c'est que ce sous-groupe de jeunes là, ce sous-groupe de jeunes handicapés, selon les types d'identification que je viens de vous donner, sont nettement les plus susceptibles de régresser en situation d'arrêt du service éducatif.

La deuxième observation, les écoles spécialisées, puis c'est important, offrent de l'enseignement, mais vous vous imaginez bien que ce n'est pas uniquement le programme de français, là, qu'on applique dans ce type d'école spécialisée là, l'offre de l'enseignement au sens de la loi en enseignement public, mais dispensent également des services de réadaptation par rapport à des contextes de handicap lourd et offrent aussi des services thérapeutiques. Là, comme psychologue, je peux vous parler, si je travaille avec des jeunes qui ont une psychopathologie, je travaille avec des gens, carrément, qui ont des problèmes de santé mentale grave, qui peuvent même être dangereux pour eux-mêmes, dangereux pour autrui. Mais, écoutez, là, quand on prend... On peut prendre les situations, entre autres, là, d'anorexie très grave puis on peut prendre des situations en troubles de dépression, de tentative de suicide ou autre, là, mais, quand je parle de psychopathologie, je parle de situations, encore là, qui s'éloignent, qui touchent le sous-groupe particulier de jeunes là qui ont vraiment des problèmes importants.

• (15 h 10) •

La troisième observation. En période de pandémie, moi, j'ai fait partie d'un comité spécial avec un certain nombre de spécialistes qui ont conseillé, entre autres, le ministre, puis on se réunissait, je pense, aux six semaines, durant toute la période de la pandémie. Il y avait des médecins, là, tu sais, il y avait toute sorte de monde, là, qui guettait, qui avait... qu'ils avaient une préoccupation particulière pour les jeunes en difficulté et l'impact de la pandémie sur les jeunes. Écoutez bien, écoutez bien ceci, c'est que, de manière unanime, on avait convenu alors que les écoles spécialisées seraient les dernières à fermer et les premières à ouvrir, directement en fonction de mes deux premières observations concernant l'impact de bris de services éducatifs et de réadaptation, voire de thérapie avec des jeunes qui avaient ce type de difficultés là.

La quatrième intervention. Et là il faut que je parle des parents, là, entre autres. Mais, lors de la dernière grève en éducation, tout particulièrement celle qui a duré cinq semaines, le besoin des services essentiels à offrir aux jeunes dont je viens de parler a été clairement exprimé par des... par les regroupements de parents et par les parents de ces jeunes-là lourdement handicapés. Écoutez, vous pouvez très bien, là, revoir, dans chacun de vos comtés respectifs... il y a une liste d'écoles spécialisées qui existent.

M. Royer (Égide) : …échanger avec les parents qui ont des enfants lourdement handicapés puis demandez-leur le… l'impact que peut avoir ce qu'on a vécu, là, en termes d'arrêt prolongé, que ce soit la COVID ou que ce soit la situation d'une grève prolongée, l'impact sur le comportement, le langage, écoutez, le contexte de régression générale qu'on peut observer par rapport à un bris de service éducatif. Ces parents-là seront à même de le dire. D'ailleurs, je mentionne une des associations de parents qui a déjà fait des communications, là, publiques là-dessus, la Coalition des parents d'enfants à besoins particuliers du Québec.

Donc, quatre observations qui m'apparaissaient essentielles et une recommandation : «Que le projet de loi n° 89 prévoit que les services éducatifs adaptés, enseignement, réadaptation et thérapie…» Donc, ça signifie que… je n'inclus pas uniquement les services d'enseignement, mais j'inclus aussi les services complémentaires professionnels, là, écoutez, ergothérapie, psychologie, orthophonie, et autres, «que les services éducatifs adaptés offerts aux élèves handicapés dans les écoles spécialisées en adaptation scolaire, les écoles publiques et privées…» Je vous rappelle qu'il y a une douzaine, environ 12 ou 13 écoles privées spécialisées pour jeunes lourdement handicapés, qui sont financées présentement à 100 %, d'ailleurs, par le ministère de l'Éducation par entente, que, pour toutes ces écoles-là, elles puissent… les services qu'elles offrent puissent à être reconnus comme services essentiels.

Et je complète avec la liste officielle, là, telle que décrite dans les conventions collectives et l'ensemble de la documentation du ministère, là, au niveau de ce qu'on entend par élève handicapé au sens de la Loi de l'instruction publique. Voilà.

Le Président (M. Allaire) : Parfait. Merci, M. Royer, pour votre présentation. On va débuter la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre, je vous cède la parole. Allez-y.

M. Boulet : Oui. Merci, Dr Royer, vraiment apprécié que vous soyez avec nous par le biais de la visioconférence. J'aimerais ça… Est-ce que c'est moi qui peux le demander, ou vous, M. le Président, qu'on puisse recevoir une copie de sa présentation?

Le Président (M. Allaire) : Assurément. M. Royer, si vous pouvez faire parvenir votre présentation à l'adresse de la commission? Ah! nous l'avons déjà, imaginez-vous donc.

M. Royer (Égide) : Oui, oui… c'était… c'était été envoyé depuis lundi, oui.

Le Président (M. Allaire) : Donc, on va la mettre sur le Greffier, elle sera disponible pour l'ensemble des parlementaires. Merci.

M. Boulet : O.K. Puis, Dr Royer, bien, écoutez ce que vous avez mentionné, Bien, évidemment, je vais avoir l'opportunité d'analyser de manière plus approfondie, mais je trouve que vos propos sont sensés, qu'ils démontrent non seulement votre expérience, mais qu'ils raffermissent votre réputation.

Parce que vous savez que c'était un des guides qui nous a motivés à élaborer un projet de loi, parce que, dans le secteur de l'éducation, il n'y en a pas, de services essentiels, en cas de conflit de travail, il n'y en a pas de services à maintenir. Évidemment, dans notre projet de loi, puis là, je ne vais pas utiliser trop des termes techniques, là, mais le régime des services essentiels est maintenu dans son intégralité, mais on crée un nouveau régime qui vise à maintenir des services pour assurer le bien-être de la population. On parle de services minimalement requis.

Et votre présentation est tout à fait compatible avec les lectures puis les… ce que nous avions fait, là, en amont de l'élaboration du projet de loi. Puis je voudrais tellement vous réécouter puis vous poser des questions. Là, je suis un peu limité dans le temps, mais donc, ce que vous dites, dans l'observation numéro un, c'est que les personnes les plus susceptibles de régresser… Puis là je le dis de mémoire, dans les apprentissages et dans les comportements, lors d'un arrêt des services éducatifs… Moi, je dis souvent «quand les services éducatifs sont interrompus», c'est les enfants handicapés.

Est-ce que c'est bien ce que vous dites? Puis vous dites plus spécifiquement, là, c'est des problématiques de comportement puis des problèmes moteurs. J'aimerais ça que vous mettiez un peu de chair autour de cette observation-là, s'il vous plaît.

M. Royer (Égide) : Je peux donner l'exemple d'un enfant qui a un trouble du spectre de l'autisme, là. Donc, on a… on a une situation, l'enfant a un trouble du spectre de l'autisme. Il peut être à la limite non-verbal, il ne parle pas ou très, très peu. C'est un jeune qui avait certains… À titre d'exemple, c'est un jeune qui… vous le prenez à l'école en septembre, puis c'est un jeune qui est peut-être… huit, neuf, 10 ans, est en école spécialisée. Et c'est un jeune qui… il a besoin d'une routine absolument prévisible. Si vous le sortez de la routine, pour ce jeune-là, en particulier, à titre d'exemple, ce n'est pas… C'est des choses qu'on a vues assez fréquemment, ça peut...

M. Royer (Égide) :...peut générer... Le jeune se désorganise. Ça peut être un jeune qui devient très agressif, c'est un jeune qui fait des crises, mais, dans la mesure où il est inscrit dans une routine... dans un environnement prévisible, une routine prévisible, il a un transport adapté le matin, il se rend à l'école spécialisée, il va porter ses choses, il a son enseignant, tout ça... plus on établit ce genre de routine là... puis on a eu des témoignages, d'ailleurs, de l'automne 2024, là-dessus, là... de l'automne 2023 plutôt, plus cette routine-là est bien établie... éventuellement, ça peut prendre quelques semaines, même, à l'établir si vous êtes enseignant, mais, par la suite, on se retrouve... on a quelque chose qui fonctionne relativement bien. Quand vous brisez cette routine-là et qu'on n'est pas dans une situation de vacances d'été puis ce n'est pas une situation de vacances de Noël, là, c'est le genre de jeune qui va être susceptible de se désorganiser.

Autre exemple très bref, vous avez un jeune qui a un problème énorme de langage, suivi en orthophonie, il a un orthophoniste à l'école spécialisée, on est en rééducation par rapport à un trouble grave de langage, quand vous arrêtez cinq... quatre, cinq semaines, six semaines ce type de réadaptation là, vous avez à reprendre, l'enfant en perd durant cette période-là, parce que les parents peuvent très bien... peuvent très bien avoir à travailler durant cette période-là, et ce n'est pas n'importe qui qui, en termes de gardienne... puis ce n'est pas le CPE, puis il n'y a aucun autre organisme qui est capable de prendre la relève pour dire : Je continue ce type d'intervention là.

Donc, dans la liste de tous les handicaps que je viens de mentionner, et ça, la majorité... écoutez, la majorité de mes collègues vont être d'accord avec ça, c'est établi dans la littérature, le jeune qui va avoir... va manquer cinq semaines, là, d'enseignement en français, c'est une chose, mais manquer cinq semaines ou quatre semaines ou trois semaines de réadaptation, que ce soit en ergothérapie, en orthophonie ou en... même, au niveau... en psychologie, au niveau du comportement, là, ça, ça a un impact beaucoup plus grand. C'est de ça que je veux témoigner aujourd'hui, là, par rapport à la situation.

M. Boulet : Oui, c'est très clair. Puis, en termes de temps, vous dites, bon, cinq semaines, quatre semaines, trois semaines. Si on prend l'exemple de l'enfant qui a le trouble du spectre de l'autisme, après combien de temps, par exemple, avez-vous... est-ce que vous pouvez nous donner un délai qui fait en sorte qu'il va régresser ou qu'il va avoir besoin d'une réadaptation? C'est difficile à dire, hein?

M. Royer (Égide) :Ça va être... Ça va être évidemment... Ça va être évidemment très variable, mais, écoutez, il y aurait... vous allez avoir deux jours de tempête de suite, là, on ne parlera pas de régression, là. Vous allez avoir... On a les vacances de Noël, la famille est préparée à ça, les parents sont préparés, il y a une période de vacances de Noël. Il y a la période des vacances d'été, on arrête pendant deux mois. On va observer même durant l'été ce qu'on appelle la glissade de l'été, on va observer une forme de régression l'été, mais vous avez des terrains de jeux adaptés, il y a des services qui s'appliquent.

Ce qui pose problème, c'est que ces jeunes-là sont 180 jours par année à l'école. Si on a... on est capable de voir, on est capable de prévoir ou on observe qu'on risque d'avoir une période d'enseignement et de réadaptation, là, qui va être... où ça va être... de manière prolongée, on n'aura pas ces services-là, je vous dis simplement qu'on va constater que ces jeunes-là vont régresser durant cette période-là. Donc, est-ce que c'est quantifiable? Écoutez, entre un trouble de langage puis de la déficience mentale profonde, là, on n'est pas dans le même... dans le même environnement. Mais c'est un constat général que ça peut, pour ces jeunes-là, un... ce type de perte de service là, causer carrément un genre de préjudice ou un genre d'impact qui m'apparaît démesuré lorsqu'on a affaire avec des jeunes lourdement handicapés en école spécialisée. Ça touche environ... En tout cas, ce dont j'ai parlé aujourd'hui touche environ 7 000 jeunes, là, sur 1 100 000 au Québec.

• (15 h 20) •

M. Boulet : O.K.Ça me va. Puis, quand vous disiez... il y avait des pourcentages, là, dans votre première observation, 45 % des enfants handicapés sont dans des écoles régulières, 42 % dans... puis vous... je pense, c'était 10 % dans les écoles spécialisées. Est-ce que le 45 % dans les écoles régulières bénéficie aussi de services... évidemment pas de même nature, là, mais de réadaptation, d'accompagnement quelconque? J'aimerais ça vous écouter là-dessus.

M. Royer (Égide) :La question est bonne, parce que j'y ai réfléchi beaucoup, parce qu'on a des... Une école X, mais je donne un nom comme ça, l'école Sainte-Marie, primaire Sainte-Marie de tel endroit à Longueuil, là, c'est un nom fictif, a deux classes spécialisées pour jeunes autistes qui... avec un mandat régional, elle accueille les jeunes autistes de cette région-là, de ce secteur-là. Ma réflexion est à l'effet suivant... était la suivante, c'est que, logiquement, les services pour ces jeunes-là devraient être maintenus, mais, si j'ai une grève ou un conflit de travail... lock-out ou conflit de... lock-out ou grève qui éclate dans une école primaire ordinaire, qui accueille des classes spécialisées, je vois mal comment des enfants lourdement handicapés vont traverser une ligne de piquetage avec leurs enseignants pour se rendre en classe. Donc, c'est pour ça que, pour le moment... parce que je ne suis pas un spécialiste des relations de travail, moi, là, je suis un spécialiste des jeunes qui sont...

M. Royer (Égide) :...en difficulté. Dans un premier temps, tout au moins, je me disais qu'une école spécialisée, c'est une entité, ça, là, là. On peut déterminer si elle offre des services essentiels ou non. Mais dans une école primaire, en disant : Il y a 22 classes dans l'école primaire, mais en lock-out ou en grève, il y a deux classes seulement qui vont être ouvertes, les classes pour jeunes autistes, ça paraît difficilement réalisable ou gérable, là.

M. Boulet : Il y a quand même... là, là dessus, je vais vous parler un peu en avocat, oui, il y a un droit d'accès, là. Tu sais, même dans une entreprise, quelle qu'elle soit, quand il y a un conflit de travail, les personnes qui ont droit d'accès, les cadres, par exemple, ou les personnes non salariées qui ont normalement accès peuvent y accéder.

Ça fait que, c'est sûr que si c'est une école ordinaire, qu'elle soit à Longueuil ou à Sherbrooke ou à Trois-Rivières, s'il y a des classes spécialisées, les partis, selon le projet de loi, après une décision du tribunal administratif déterminant qu'il y a un impact qui n'est pas acceptable sur les élèves en situation de handicap, les partis, le syndicat et le groupe scolaire auraient à déterminer quels seraient les services à maintenir dans un contexte comme celui-là. Vous comprenez? Ça fait que vous vois hocher de la tête. Donc, ça veut dire que... Mais quand vous dites, là, quand vous les distribuez selon les types d'écoles, il y en a... il y en aurait 54 000 au Québec, des élèves en situation de handicap qui varient d'un niveau de gravité à un autre, docteur?

M. Royer (Égide) :Selon la liste... selon la liste comme telle que je vous ai donnée en fonction des définitions, là, c'est les données les plus récentes que j'avais identifiées clairement comme élèves handicapés, comptant même comme plus qu'un élève dans la classe, dans une classe ordinaire s'ils sont intégrés, là...

M. Boulet : Je comprends.

M. Royer (Égide) :...c'est ceux-là. Juste une parenthèse par rapport à votre commentaire sur les ententes, là, d'accès, là. Rappelez-vous de mon grand gars, de mon grand gars de huit ans, là, qui désorganise moindrement que son environnement change, là, et vous êtes l'enseignant qui accueille et qui amène... ou le parent qui va reconduire à l'école dans une situation de conflit de travail son grand gars de huit ans autiste, là, souffrant d'un trouble du spectre de l'autisme, là, vous voyez un peu l'environnement, ce n'est pas exactement ce que j'ai de plus...

M. Boulet : Oui, c'est délicat.

M. Royer (Égide) :...de plus calme comme environnement, nécessairement, là, par rapport à la situation du jeune. C'est pour ça que j'ai... pour le moment, moi, je me suis... au minimum, il faut au minimum aller comme on a fait durant la COVID, aller vers les écoles spécialisées au moins.

M. Boulet : Oui, O.K. O.K., je comprends, il y a un équilibre à maintenir, mais l'impact de l'enfant en situation de handicap, qui est dans une école régulière, qui a à être confronté à un conflit de travail qui dure trois ans, quatre, cinq semaines, il va régresser et va... Par la suite, qu'est ce qu'on fait? Tu sais, il va régresser. Évidemment, les niveaux de régression varient en fonction de chaque enfant en situation de handicap, mais après, par exemple, s'il y a eu un conflit de cinq semaines, qu'est-ce qu'on fait avec un enfant qui a régressé? J'imagine qu'on... Oui, je vous écoute.

M. Royer (Égide) :L'expression qu'on avait, qu'on entendait des enseignants, entre autres, que j'ai entendu, c'est un peu comme si on recommençait l'année, d'une certaine manière, là. On en... replacer des choses. Écoutez, je ne parle pas de traumatismes, là, je ne parle pas d'enfants qui vont être marqués pour la vie parce qu'ils ont manqué quatre, cinq semaines d'école, mais on va avoir à reprendre des choses. C'est comme si on revenait un peu en arrière. Puis là, ça dépend beaucoup des contextes, mais on va avoir à reprendre des choses. J'avais tel grand gars qui commençait... tel grand gars avec une déficience intellectuelle moyenne qui commençait à être propre, là, il commençait à aller à la toilette, là, puis il commençait à être propre, mais là, il avait... l'entraînement à la propreté, c'était à refaire. J'avais tel jeune qui avait commencé à saisir quelques sons, quelques mots, quelques sons des... quelques sons associés à des lettres, et dans un cas de dysphasie très grave, des choses comme ça, bien là, on va être obligé de reprendre ça.

Donc, je ne parle pas de traumatismes, là, je pense simplement que...

M. Boulet : De régression.

M. Royer (Égide) :...dans mon métier, on perd des acquis beaucoup plus... de manière plus importante en termes de perte d'acquis pour ces jeunes-là que si vous êtes assis dans une classe de quatrième secondaire puis qu'il n'y a peu eu de mathématiques pendant cinq semaines.

M. Boulet : Puis, est-ce qu'on peut inéluctablement en conclure que, pour les parents qui assistent à la régression de leur enfant, il y a une conséquence psychologique aussi pour les parents? Vous faisiez référence au regroupement des parents d'élèves handicapés, mais aussi alors à leurs parents effectifs, là. Quel type de conséquence ça engendre chez les parents ou quel type d'impact psychologique?

M. Royer (Égide) :C'est la conséquence de la perte d'un service. Parce que, là, c'est pour ça que même je vous encourage à entendre les regroupements de parents d'enfants lourdement handicapés. Vous savez, à 50 000, 50 000 enfants sur 1 million, ça sera toujours une minorité, ces parents-là, là. C'est pour ça que je me sentais le devoir, entre autres, d'en parler, et...

M. Royer (Égide) :...et, dans ce contexte-là, seulement pour vous souligner que, du côté des parents, c'est évident qu'il y a une surcharge pour les parents. Mais, l'autre élément, c'est de constater qu'on avait des acquis, qui se perdent, qu'on va devoir reprendre et... Parce que n'oubliez jamais la dimension de réadaptation offerte par ces écoles-là.

M. Boulet : O.K. Ça me va. Moi, ça compléterait, docteur. Mais je veux encore une fois vous remercier sincèrement pour la qualité de vos travaux, ce que vous faites comme chercheur reconnu pour le bénéfice de la société. Puis c'est un des volets qui est concerné par le projet de loi n° 89, c'est de s'assurer qu'on considère les besoins de la population, notamment les élèves en situation de handicap, quand il y a des conflits de travail. Puis ce se rend évidemment au Tribunal administratif du travail à déterminer si effectivement il y a un impact qui répond au critère qui est prévu dans le projet de loi. Bien, je vous dis merci, bonjour et au plaisir de vous rencontrer, Dr Royer.

M. Royer (Égide) :Plaisir.

M. Boulet : Merci.

Le Président (M. Allaire) : Merci à vous, M. le ministre. On enchaîne avec l'opposition officielle. Mme la députée de D'Arcy-McGee, la parole est à vous.

Mme Prass : Merci, M. le Président. Je veux sincèrement vous remercier, Dr Royer, pour cet exposé. Je suis moi-même maman d'un petit garçon qui est lourdement atteint du spectre de l'autisme. Et j'ai vécu tout ce que vous avez exposé aujourd'hui, surtout durant la pandémie. J'ai été chanceuse durant la grève, l'école de mon fils n'a pas été affectée. Aucun des professeurs n'a été... ne faisait partie des syndicats qui étaient en grève. Mais j'ai vu, comme vous dites, la perte des atouts que mon fils a... qu'il a pris des mois et des années justement pour qu'il acquérisse ces atouts et qui, en l'espace de quelques semaines, on a vraiment vu ces pertes-là. Et je vous dirais même, il y en a qui ne sont pas revenus, on a essayé de travailler dessus, mais il y a des acquis qui sont perdus.

Comme vous êtes bien au courant, chaque élève avec des besoins particuliers ou avec un handicap a un plan d'intervention personnalisé quand ils sont à l'école, qu'on fait le point avec les parents au cours de l'année, etc. Mais je pense que vous serez d'accord pour dire qu'en situation... un jeune... un jeune dans cette situation-là se retrouve à la maison, à court, moyen, long terme, c'est très difficile pour les parents de prendre la relève de ces plans d'intervention là. Justement parce que, comme vous le mentionniez, que ce soit la routine, que ce soit l'encadrement, que ce soient les connaissances, donc, et les spécialisations dont ils... les services qu'ils offrent à ces jeunes-là, donc je pense que vous serez d'accord, mais je voudrais vous entendre là-dessus, à quel point les parents ne... les parents et la maison ne peuvent pas remplacer le rôle des écoles et des plans d'intervention personnalisés dans cette situation-là.

• (15 h 30) •

M. Royer (Égide) :Moi, ça me semble évident, de toute façon. Votre commentaire m'apparaît tout à fait juste. Écoutez, c'est comme... il y a une question de surspécialisation, là, par rapport... C'est un peu comme quand, là... comme quand... comme parents, si vous consultez un spécialiste d'une spécialité médicale quelconque, de dire : Bien, je suis capable d'aider mon enfant avec un mal de gorge, mais quand il a quelque chose qui relève directement d'un spécialiste qui travaille directement ce type de problème là... vous faites votre possible comme parents, mais quand vous avez un enfant dysphasique ou un enfant qui a un trouble du spectre de l'autisme avec des comportements qui sont à travailler et à apprendre, et quand vous savez que 1 $ en prévention équivaut à 6 $ en intervention...

C'est parce que ma fenêtre, moi, là... Quand j'ai un petit bonhomme de cinq ans ou de six ans, par exemple, qui a un trouble du spectre de l'autisme, j'ai une fenêtre d'intervention à cet âge-là, cinq, six ans, qui est une grande fenêtre. Et je dois en profiter au maximum parce qu'on peut surstimuler, intervenir, il y a toutes sortes de choses qu'on peut faire. Mais, plus le temps passe, plus ça devient plus... un petit... beaucoup plus... ça demande une intervention encore plus intensive. Donc, qu'un spécialiste puisse soutenir... ou des spécialistes, soutenir une intervention intensive dans les premières années m'apparaît quelque chose d'absolument... c'est absolument essentiel. Mais que cette intervention-là cesse pendant plusieurs semaines, il y a objectivement un impact... vous en avez parlé vous aussi, il y a objectivement un impact sur les enfants. Et ça peut être assez long à revenir. Et on aura beau avoir un plan d'intervention, je pense à un plan d'intervention, comme un jeune, si je comprends bien, comme votre enfant, c'est que j'ai plusieurs spécialistes dedans avec des expertises très pointues. Tu sais, on a besoin d'un accompagnement professionnel, pas simplement l'enseignement du français et des mathématiques, là. On a besoin dans un encadrement puis un soutien professionnel. Et, selon moi, ça relève d'un service essentiel que de le maintenir.

Mme Prass : Et, dans ce même sens là, là on sort un petit peu du sujet, mais quand il y a des bris de services pour ces jeunes-là, surtout ceux qui sont dans les écoles ordinaires, disons, bien, ça a le même effet. Ce n'est pas le parent qui peut reprendre le rôle d'offrir le plan d'intervention personnalisé à son jeune. Parce que, comme vous venez de mentionner, il y a différents spécialistes, différents services spécialisés qui leur sont offerts à l'école. Donc, un bris de services peut avoir également les mêmes...


 
 

15 h 30 (version non révisée)

M. Royer (Égide) :…ah oui… peut avoir exactement les mêmes effets. Et ce qui arrive, c'est que vous êtes… On n'est pas dans un contexte où… normalement, vous devez gagner votre vie, là, comme parent au travers de ça. Ce n'est pas comme si c'étaient les vacances de Noël ou les vacances d'été, où, tu sais, mon conjoint prend un mois de vacances, je prends l'autre mois, puis on garde l'enfant. Donc, il y a une question carrément d'organisation familiale là-dessus.

Et, vous savez, c'est parce que vous parlez du mot «bris de service». Je dois faire une courte parenthèse. On a présentement… puis là, je témoigne du secteur éducation, on a présentement 2 400 jeunes en bris de service au Québec, ce qui est absolument… Écoutez, je ne sais pas comment le dire. Je donne une conférence, là, vendredi midi à un congrès… d'apprentissage. J'en reparle encore. 2 400 jeunes qui ne sont pas à l'école à temps plein… qui ne sont pas à l'école du tout ou qui sont à l'école quelques heures semaine à cause de la lourdeur des comportements ou des besoins qu'ils ont comme élève handicapé. Et là, ça, ça a un impact majeur. Mais on a un peu ce même continuum, là, on peut perdre des jours d'enseignement, de réadaptation par rapport à un conflit de travail, mais même présentement, j'en ai 2 400, présentement, où les parents sont obligés d'offrir eux-mêmes un service spécialisé. Et, en tout cas, on est dans le même ordre de problèmes, là, en…

Mme Prass : Puis on se comprend, justement, dépendamment de la lourdeur, de l'handicap de l'enfant, il y a des parents, par exemple, qui vont devoir quitter leur emploi pour devoir rester à la maison à temps plein, parce que leur enfant a… n'a pas d'autonomie. Ils ont besoin d'une supervision 24… 24 sur sept, ce qui peut amener donc perte de revenus, de l'isolement, des enjeux de troubles de santé mentale pour ces parents-là. Donc, ce n'est pas juste les effets que ça a sur les jeunes, mais sur leurs familles et leurs parents également.

M. Royer (Égide) : Oui, je… j'avais avoir orienter mon intervention spécifiquement pour les enfants, être capable de délimiter ce secteur-là. Mais vous avez raison au niveau de l'impact pour les parents, c'est majeur. D'avoir une responsabilité… De la même manière qu'on ne demande pas aux parents d'enseigner la lecture et l'écriture, c'est le travail de l'enseignant, d'enseigner la lecture et l'écriture, le parent appuie, mais imaginez lorsque vous avez un enfant lourdement handicapé, c'est encore plus vrai, là, il y a une expertise qui doit être… qui doit être offerte. Et, selon moi, pour ce sous-groupe de jeunes là, ça devrait correspondre à un service essentiel, comme je le mentionnais. Et toute la question de ceux qui reçoivent ces services-là en école ordinaire, classe spéciale, école ordinaire, ça, normalement, si on était capable d'en venir à une forme d'entente aussi, là, ce serait évidemment… parce que c'est les mêmes besoins, là.

Mme Prass : Oui. Bien, je pense que, comme la discussion que vous avez eue avec le ministre tantôt, les écoles, normalement ont plusieurs entrées. Donc, si vous pouviez avoir un aménagement pour que les jeunes arrivent par une entrée où les grévistes ne sont pas présents, puis les perturbations sont moindres, je pense que ça pourrait être une solution, avec chaque école, trouver une solution à cet effet également.

Je suis curieuse. Dans le cadre de la COVID, justement, les discussions que vous avez eues avec le ministère de l'Éducation, le gouvernement, pour justement déterminer que les écoles spécialisées devraient être les… les derniers à fermer, les premiers à ouvrir. Quelle était cette logique qui a été mise de l'avant justement pour que le gouvernement arrive à cette décision-là?

M. Royer (Égide) :Il y avait la… il y avait la logique, puis ça rejoint certains des éléments que vous venez de mentionner, il y avait la logique de l'enseignement à distance, avec un jeune qui a un trouble du spectre de l'autisme grave, ou un… il a une forme de déficience mentale, bien, tu sais, écoutez, l'enseignement à distance, ça ne peut pas… ça ne faisait pas de sens, là, tu sais, un zoom, là, par rapport à un jeune qui a des besoins importants de réadaptation, là.

Et l'autre élément, c'est que c'était exactement le même argumentaire dont on discute, là… dont je viens de discuter avec le ministre et avec vous, c'est qu'on se retrouve dans une situation où ces jeunes-là ont des besoins continus de réadaptation et de soutien et d'avoir un environnement prévisible. Donc, c'est pour ça qu'autant le… autant le médecin, autant les autres spécialistes qui siégeaient sur le comité… Puis nous autres, on était un comité-conseil pour prendre des décisions. Écoutez, les dernières écoles à fermer, ça devrait des écoles spécialisées et les premières à ouvrir, même au secondaire, Écoles spécialisées aussi sur cet… sur cet argumentaire-là, qui nous apparaissait évident. C'était unanime au niveau des huit ou 10 personnes qu'on était au niveau du comité, c'est comme le soleil se lève à l'Est, là, c'est...

Mme Prass : Et justement, quand on parle de service minimal requis, je pense qu'on se comprend, et avec ce que vous avez mis de l'avant, que ce n'est pas question d'offrir un service de… un service éducatif réduit pour ces jeunes-là, parce que c'est tout ou rien, disons. Donc, ce n'est pas question de… Tu sais, durant une grève ou quoi que ce soit, bien, ils vont recevoir deux journées d'éducation plutôt que cinq. Parce que, comme vous dites, c'est la routine. C'est tellement fondamental à la vie de ces jeunes-là et pour leur bien-être et pour leur parcours. Donc, pour vous, un service minimal requis pour ces jeunes-là, ce serait vraiment de continuer à recevoir un service à temps plein comme ils reçoivent durant…

Mme Prass : ...l'année régulière, disons.

M. Royer (Égide) :Oui, il y a... bien, moi, dans ma perspective à moi, il n'a pas commencé à négocier à la pièce en disant : Bien là, on va enlever deux heures d'orthopédagogie puis on va rajouter une heure de... on va enlever une heure sur deux de ci, une heure... Vous donnez le plein service maximal. En fait, vous seriez chirurgien... vous êtes chirurgienne, à un moment donné, vous dites : Bien là, compte tenu du contexte, on va avoir moins de personnel puis on va faire tel type de... Ça n'a pas de sens. Vous y allez à l'intervention maximale par rapport à des besoins qui sont vraiment importants chez ces jeunes-là.

Ça n'empêche pas, dans l'ensemble du système éducatif, là, de... écoutez, ça n'empêche pas l'ensemble de... l'ensemble du système ou les écoles... l'ensemble des écoles d'un centre  de services scolaire d'avoir un conflit de travail de travail et de fermer la majorité de ses écoles, mais vous dites : Ça, c'est un service privilégié, un peu comme la DPJ ou autre type de service, il ne nous viendrait pas à l'idée de diminuer les services en disant : On va juste prendre un appel sur deux, là, d'enfants signalés, tu sais, ça ne fait pas de sens. Donc, ma recommandation est d'y aller pour le service maximal, autant service complémentaire professionnel que de services d'enseignement.

Mme Prass : Et comme vous venez de mentionner, toute la question des services professionnels, l'école pour des enfants avec des besoins particuliers, ce n'est pas juste une question d'éducation, mais de recevoir des thérapies, également, que ce soit en orthophonie, en ergothérapie, quoi que ce soit. Donc, c'est beaucoup plus large que juste... Donc, ils reçoivent des services par rapport à leur handicap qui vont au-delà de la question de l'éducation, également, donc d'autant plus l'importance qu'ils continuent de recevoir ces services-là.

M. Royer (Égide) :Écoutez, moi, je suis psychologue, membre de l'Ordre des psychologues du Québec, et, écoutez, moi, en milieu scolaire, je suis... je ne sais pas, je suis une grande fille de 13 ans qui est suicidaire, écoutez, comment est-ce que le milieu au complet se mettrait en grève, moi, si j'ai un appel du parent, que je sois en grève ou que je sois... que je sois en grève, je vais intervenir. Il y a une question d'éthique, là, une question de code de déontologie, là. Donc, dans ce contexte-là, quand on parle des jeunes avec une psychopathologie, j'ai des jeunes qui... c'est de l'automutilation, là-dedans, j'ai des des dépressions importantes, j'ai toutes sortes de choses qui relèvent carrément de la thérapie, comme vous venez de le dire. Et, dans ce contexte-là, je ne suis toujours bien pas pour dire aux parents : Allez à l'urgence, là. C'est quelqu'un que je suis comme professionnel, là, donc à qui j'offre un service. Donc, ça va dans ce sens-là.

C'est vraiment un sou- groupe et ce n'est pas... sur 1 million d'élèves, c'est... 1 100 000, c'est vraiment ce 50 000 élèves là, qui, selon moi, est plus susceptible d'avoir des conséquences qui me semblent démesurées par rapport à un conflit de travail.

Mme Prass : Et, justement, en tant que gouvernement, il y a un devoir envers ces jeunes-là, d'autant plus qu'ils ont besoin de cet encadrement-là, de ce plan d'intervention là, de ces services qu'ils reçoivent là. Donc, c'est vraiment... Et je pense que c'est peut-être un petit peu ce qui vous a mené, durant la pandémie, à avoir cette politique envers ces écoles-là, que c'est vraiment un devoir de l'État envers ces jeunes et envers leurs familles de leur offrir un service continu.

M. Royer (Égide) :Hum-hum. Dans l'exemple que je viens de vous donner là, les questions psychopathologie, c'est assistance à personne en danger, là, mon exemple extrême, mais, pour l'ensemble des jeunes qui présentent une situation de handicap, c'est évident que ça me semble être un devoir essentiel, là. Ça relève quasiment de la loi naturelle de dire : Protégeons les jeunes les plus vulnérables dans une situation de conflit de travail. Si j'ai à l'exprimer, je l'exprimerai comme ça, là.

Le Président (M. Allaire) : Sept secondes.

Mme Prass : Bien, je vous remercie énormément, Docteur Royer, puis je pense que je ferai appel à vous dans pas longtemps pour parler d'autres dossiers. Mais, merci beaucoup.

M. Royer (Égide) :Portez-vous bien.

• (15 h 40) •

Le Président (M. Allaire) : Merci, Mme la députée de D'Arcy-McGee. On enchaîne avec le deuxième groupe d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 4min 8s, un peu plus de temps.

M. Leduc : Bien oui, pour récupérer ceux des collègues. Parfait. Bonjour, M. Royer, ça fait plusieurs fois qu'on se voit en commission parlementaire sur le travail des enfants, sur d'autres sujets. J'ai toujours apprécié vos contributions.

Le gouvernement, à ma connaissance, n'a pas testé, pendant la grève, la longue grève des professeurs, il y a un peu plus d'un an, l'argument de la sécurité physique des personnes. Il aurait pu le tester devant les tribunaux, puis peut-être que je me trompe, puis on me corrigera s'il l'a testé, mais, à ma connaissance, il ne l'a pas fait. Puis je vous donne l'exemple de la ville de Québec, quand il y a eu l'arrêt des autobus. Il existe, donc, dans le Code du travail, la possibilité d'aller tester pour dire aux tribunaux : Je pense que c'est un service essentiel. Et les tribunaux ont considéré, dans ce cas-là, que les atteintes n'étaient pas assez importantes, versus le droit de grève, qui découle du droit d'association, qui découle de la charte des droits de la personne. Mais, à ma connaissance, le gouvernement... n'a pas essayé ça, même pas essayé de tester si, par exemple, pour des classes avec des besoins particuliers, ça aurait pu être considéré comme un service essentiel. Ça fait que ça me semble assez particulier qu'aujourd'hui on fait un projet de loi pour réformer de manière, à mon avis, illégale, parce que ça va être défoncé par les tribunaux plus tard, excusez le terme «défoncé», là, mais remis en question par les tribunaux plus tard. Il aurait pu le tester, il ne l'a pas fait. Moi, je ne m'explique pas ça, encore aujourd'hui, qu'il ne l'ait pas fait...

M. Leduc : ...l'année passée, puis là qui passe par un drôle de projet de loi qui jette de l'huile sur le feu. Je ne sais pas si vous avez entendu les audiences plus tôt, avant vous, aujourd'hui, des milieux syndicaux, ça ne passe pas très bien ce projet de loi.

Là où j'aimerais vous entendre aussi, peut-être, M. Royer, c'est, on parle beaucoup de l'intérêt des enfants, avec raison. Moi, je m'intéresse aussi à l'intérêt, bien sûr, des... puis on parle beaucoup des parents aussi, avec raison. Puis je suis chanceux, dans mon comté, j'ai l'Étoile de Pacho qui est installée dans Hochelaga-Maisonneuve, que j'aime beaucoup. Mais j'aimerais qu'on parle aussi de l'intérêt des professeurs puis du personnel scolaire. Est-ce que dans vos rencontres, études, votre terrain, vous avez rencontré des enseignants, des enseignantes avec des groupes à besoins particuliers qui ont voté la grève? Puis qu'est-ce que vous disaient ces personnes-là? Parce que j'ai toujours l'impression qu'on sous-entend que si on est un enseignant avec une classe de besoins particuliers, on n'a pas l'intérêt réel de ces enfants-là à cœur, alors qu'ils passent des heures innombrables par année avec les jeunes. Est-ce que vous avez rencontré, donc, ces personnes-là?

M. Royer (Égide) :Moi, je donne encore beaucoup... Je donne encore beaucoup de formation. Je vais encore beaucoup dans les écoles.

M. Leduc : Bien sûr.

M. Royer (Égide) :Et ça, c'est des échanges que j'ai eus et que j'ai eus avec un certain nombre d'enseignants. Les enseignants et les professionnels, parce que c'est des équipes. Écoutez, c'est des jeunes de classe, jeunes lourdement handicapés. Souvent, vous avez cinq ou six jeunes dans la classe avec, souvent, deux, trois, quatre adultes, dépendamment du contexte. C'est des gens extrêmement impliqués. Il faut vraiment... avoir la vocation, il faut vraiment avoir ça très à cœur. Et, dans ce contexte-là, je n'ai pas eu... Le mot «régression»... ou quand je les ai repris, après un certain nombre de semaines, mes jeunes, j'ai eu du travail à faire avec, j'ai eu ce commentaire-là de manière informelle quand j'ai rencontré des enseignants. Mais dans la mesure où les services sont là et sont disponibles, la plupart du temps, c'est des gens... c'est des enseignants. Les professionnels qui travaillent dedans sont véritablement, entre guillemets, là, dédiés, ils ont ls sont vraiment très impliqués. Et ça ne peut pas faire autrement parce qu'on a... ces gens-là travaillent avec des gens  qui ont des besoins vraiment importants.

M. Leduc : ...

M. Royer (Égide) :Allez-y. Précisez votre question.

M. Leduc : J'allais juste dire, dans ma circonscription, j'ai aussi l'école Irénée-Lussier. Puis, pendant la grève, je suis allé à la ligne de piquetage d'Irénée-Lussier, puis les gens qui étaient là, c'est des gens dévoués. Puis ils se sentaient délaissés par leur gouvernement, délaissés par l'État du Québec. Ça fait que, moi, je veux bien qu'on parle des enfants puis des parents, c'est important, mais qui s'occupe de l'intérêt de ces professeurs-là qui prennent soin des enfants aussi?

M. Royer (Égide) :Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est l'idée qu'on a des situations, quand l'ensemble de l'équipe est là et que les ressources y sont, normalement, on se retrouve dans un contexte où ça a un rôle relativement bien. Mais dans un contexte de conflit de travail...

Le Président (M. Allaire) : Je m'excuse. Malheureusement, c'est tout le temps que nous avons. Je suis vraiment désolé d'être le gardien du temps quand c'est pertinent, naturellement, là. Vous êtes quelqu'un qui a apporté beaucoup par votre expertise, M. Royer. Je vous remercie beaucoup pour votre collaboration à cette commission.

Alors, nous allons suspendre les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 45)

(Reprise à 15 h 50)

Le Président (M. Allaire) : Alors, nous allons reprendre les travaux. On accueille maintenant M. Thomas Collombat. C'est un plaisir de vous avoir avec nous. Je vais vous laisser vous présenter peut-être avec votre titre, là, plus complet, et après ça vous pouvez déjà enchaîner, là, avec votre 10 minutes, là, pour l'exposé. La parole est à vous.

M. Collombat (Thomas) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les députés, merci de m'avoir invité à vous rencontrer dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 89. Je m'appelle Thomas Colombat, et je suis professeur titulaire de science politique et directeur du Département des sciences sociales de l'Université du Québec en Outaouais. Je suis également directeur adjoint et responsable de l'Axe Travail et Emploi du Centre de recherche sur les innovations sociales de crise. J'interviens aujourd'hui à titre de chercheur qui, depuis bientôt deux décennies, se penche sur le rôle sociopolitique du syndicalisme, et plus particulièrement sur la place qu'il occupe dans le développement de la société québécoise. J'aborde cet enjeu en privilégiant une approche à la fois historique et comparative permettant de mettre le Québec en perspective par rapport aux autres sociétés industrialisées.

C'est de ce point de vue que j'observe le projet de loi n° 89 et c'est en raison de cette expertise que ce projet de loi m'inquiète vivement. Mon propos s'articule en trois points. Tout d'abord, je considère que ce projet de loi est une remise en cause fondamentale du droit de grève. Ce faisant, et c'est mon deuxième point, ce projet vient attaquer de façon frontale le syndicalisme comme institution sociale. De ce fait, et c'est mon dernier point, ce projet de loi nuit au caractère distinct de la société québécoise et à son identité...

M. Collombat (Thomas) : ...les possibilités créées par ce projet de loi pour considérablement limiter l'impact d'une grève, voire en imposer la fin, pour des raisons aussi larges que, je cite, «la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population», sont une claire atteinte à l'exercice du droit de grève. Elles pourraient même le vider de sa substance en incitant les employeurs à systématiquement tenter d'en arriver au point où l'intervention du ministre serait possible et ainsi contourner le rapport de force établi par la partie syndicale.

Dans une perspective comparée, cette tentative est d'autant plus surprenante que l'Amérique du Nord est déjà l'une des régions du monde où l'exercice de ce droit est le plus limité. Rappelons que, même au Québec, 60 % de la main-d'œuvre n'a pas accès au droit de grève du fait qu'il n'est offert qu'aux seuls travailleurs et travailleuses syndiqués. Ils et elles ne peuvent par ailleurs y avoir recours qu'à une période limitée, au moment du renouvellement de leur convention collective, et sur des thèmes limités liés à cette même convention.

Les grèves explicitement politiques, sociales ou de solidarité sont ainsi proscrites, ce qui peut nous sembler une évidence ici, mais qui est loin d'être le cas dans d'autres régions du monde. Par ailleurs, les lois sur les services essentiels viennent contraindre encore plus l'exercice de ce droit dans certains secteurs, et des lois spéciales imposant le retour au travail ont été fréquemment adoptées dans les dernières décennies, tel que documenté par les historiens Martin Robert et Martin Petitclerc.

Difficile donc de voir l'urgence de venir encore plus restreindre ce droit, en particulier à l'heure où, malgré une timide recrudescence dans les dernières années, le nombre de conflits de travail reste historiquement bas et où, comme cela est fréquemment rappelé, 95 % des conventions collectives se règlent sans y avoir recours.

Je me permets un commentaire rapide sur le fait que le projet de loi s'applique tant aux grèves qu'aux lock-out. L'idée d'une égalité entre ces deux moyens de pression est tout simplement factice. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le lock-out est interdit dans de nombreuses juridictions qui autorisent par ailleurs le droit de grève. Dans une économie capitaliste, il n'y a pas égalité entre le travail et le capital, et leur donner les mêmes outils contribue donc à maintenir cette inégalité plutôt qu'à la combattre. Les lock-out représentent d'ailleurs une proportion très faible des conflits de travail. Et le simple fait que les organisations patronales aient accueilli favorablement ce projet de loi montre bien que ses impacts se feront ressentir de façon beaucoup plus forte sur la partie syndicale.

C'est ce constat qui me conduit à mon deuxième point. Ce projet de loi constitue une attaque à l'égard du mouvement syndical. En effet, le droit de grève n'est pas qu'un simple outil parmi tant d'autres qu'un syndicat peut utiliser pour faire valoir son rapport de force. Il est le moyen par excellence pour forcer un employeur récalcitrant à reconnaître la validité des revendications syndicales, mais aussi la valeur du travail effectué par les personnes salariées qu'il emploie. Cette notion de valeur du travail est d'ailleurs au cœur de la logique même de la grève et de l'activité syndicale de façon générale. La grève sert à illustrer le caractère essentiel du travail des salariés, sans qui ni les profits du secteur privé ni les services du secteur public ne peuvent exister.

À cet égard, il semble particulièrement ironique, voire cruel, de vouloir encore plus limiter les droits fondamentaux des travailleurs et travailleuses, dont on dit que l'activité est essentielle à la sécurité de la population. La dégradation de leurs conditions de travail qui pourrait en découler rendrait certainement encore plus difficiles leur recrutement et leur rétention.

Il est important de préciser ici que ce n'est pas uniquement la grève effective qui importe au syndicalisme, mais aussi, et souvent surtout, la possibilité de la grève, la menace d'avoir recours à cette arme ultime si la négociation n'avance pas. En sapant la possibilité de la grève, ce projet de loi ne vient pas simplement tenter de limiter d'éventuels excès de conflits particulièrement difficiles, il vient remettre en cause l'ensemble de la logique même de la construction du rapport de force syndical dans toute négociation, qu'il y ait recours à la grève ou pas. Ce faisant, il dénature l'essence même de l'action syndicale et vient redonner le dessus à la partie patronale plutôt que de contribuer à rétablir un équilibre.

Rappelons par ailleurs que la décision de partir en grève n'est jamais prise à la légère et que ses impacts sont considérables pour les travailleurs et travailleuses elles-mêmes. Elle fait l'objet d'une délibération et d'une décision collective qui est par ailleurs l'un des rares exercices démocratiques présents dans les milieux de travail.

Même si son recours est relativement rare, il me semble crucial de souligner le rôle essentiel qu'ont eu plusieurs grèves dans le développement du Québec et du Canada, montrant ainsi le caractère fondamental de ce droit dans la pratique syndicale. C'est par des grèves que les allumettières de Hull ont pu, dès les années 1920, mettre en lumière les enjeux de santé et de sécurité de leur travail et les spécificités des conditions du travail des femmes. C'est paradoxalement à une grève de chômeurs exploités dans des camps de travail forcé que nous devons l'établissement du programme d'assurance-emploi au Canada. C'est grâce aux grèves de l'amiante, de Murdochville, de l'Alliance des professeurs de Montréal et de bien d'autres que les fondations du duplessisme furent ébranlées, créant ainsi les conditions pour l'arrivée de la Révolution tranquille. C'est encore grâce à la grève des travailleurs de la United Aircraft à Longueuil que le gouvernement du Québec adoptera la loi antibriseurs de grève et l'inclusion de la formule Rand au Code du travail.

Ceci m'amène à mon dernier point, à savoir qu'en attaquant de la sorte le droit de grève et le syndicalisme, ce projet de loi altère de façon significative la spécificité des arrangements institutionnels à la base de la société québécoise moderne et nuit ainsi à son identité distincte. Les particularités du Québec au sein de l'ensemble nord-américain ne se limitent en effet pas à la langue française ou au Code civil. En particulier, depuis la Révolution tranquille, le Québec s'est développé...

M. Collombat (Thomas) : ...comme une société où le capitalisme est régulé notamment par la valorisation d'acteurs socioéconomiques de premier plan auxquels l'État accorde non seulement un statut d'interlocuteur dans l'élaboration des politiques publiques, mais aussi une vaste autonomie d'action dans leur domaine de représentation. On pense ici, bien entendu, aux organisations syndicales, mais aussi aux organisations patronales, qui ont dû, en raison de ce modèle, se structurer de façon beaucoup plus importante au Québec que dans le reste du Canada. Ce modèle de développement, parfois qualifié de modèle québécois, a eu un impact reconnu sur de nombreux marqueurs de la distinction québécoise en matière de politiques publiques, depuis les outils de développement économique adoptés par les gouvernements successifs jusqu'aux politiques sociales qui nous caractérisent, telles que notre approche de l'éducation à la petite enfance, de l'équité salariale ou des congés parentaux. Au-delà de cela, il repose sur une autonomie de la sphère des relations du travail au sein de laquelle l'État et, à travers lui, la société québécoise démontrent leur confiance dans les acteurs sociaux à exercer leurs rapports de force dans le cadre de règles établies et déjà fort contraignantes, comme nous l'avons évoqué plus tôt.

C'est ici que le présent projet de loi entre, d'après moi, en contradiction avec l'esprit même du développement du Québec moderne. Non seulement il nuit à l'équilibre des forces en s'attaquant de façon explicite à une seule des deux parties, mais il consacre également une intrusion majeure du pouvoir politique dans la sphère des relations du travail. Ce faisant, il fait des relations du travail un espace non pas seulement politique, mais partisan, où l'autonomie des acteurs sociaux n'est plus reconnue. Dans ce sens, il rompt avec la tendance historique de la société québécoise pour plutôt se rapprocher de celle caractéristique des États-Unis, telle qu'identifiée notamment par le sociologue Barry Eidlin. En effet, au sud de la frontière, le National Labor Relations Board a historiquement été grugé par les nominations et divisions partisanes et a nui à l'établissement de relations du travail saines et autonomes, contribuant ainsi aux fortes inégalités sociales et économiques qui caractérisent cette société. On peut donc parler d'un risque d'américanisation des relations du travail, voire de latino-américanisation, puisque, dans cette autre région sur laquelle j'ai longtemps travaillé, se retrouvent aussi des législations permettant au pouvoir politique de défaire des grèves, voire de les déclarer inexistantes, pour reprendre le vocable mexicain en la matière. Je doute que, dans le contexte actuel, il y ait un appétit réel de la société québécoise à se rapprocher à cet égard des modèles présents dans le reste de notre continent.

Je terminerai en rappelant que l'histoire nous montre que la paix sociale ou la paix industrielle relève rarement de la contrainte. La légalisation de la classe ouvrière, comme l'a appelée l'éminent juriste français Bernard Edelman, a toujours reposé sur un délicat équilibre. Quand les activités syndicales ont été décriminalisées au Canada en 1872, ce ne fut pas le fait d'un gouvernement progressiste mais bien de conservateurs inquiets de voir le potentiel de désordre social pouvant découler d'une restriction abusive des libertés syndicales. Je considère que le projet de loi n° 89 pourrait être un point de rupture dans l'équilibre précaire recherché par la société québécoise moderne. Il remet en cause un fondement essentiel de l'activité syndicale et nuit à la spécificité de notre modèle au sein de l'ensemble nord-américain et ainsi à ce qui nous définit comme société distincte. Pour ces raisons, je recommande respectueusement à cette commission de considérer le retrait de ce projet de loi. Je vous remercie beaucoup de votre attention.

• (16 heures) •

Le Président (M. Allaire) : Merci. On débute la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Boulet : Oui.D'abord, merci, M. Collombat, de votre venue, de votre présentation. De manière tout à fait raisonnée, je pense que vous contribuez au débat. Vous allez peut-être nous faire des recommandations, mais, bon...

Je pense que vous étiez ici, vous avez écouté le Dr Royer aussi, l'impact des conflits de travail. Au-delà des aspects académiques et historiques, je pense qu'il faut aussi penser en termes de modernisation de nos régimes de relation de travail. Il y a eu une pandémie, il y a eu des impacts spécifiques, il y a une pénurie de main-d'oeuvre, il y a un vieillissement démographique. Et c'est constaté, c'est démontré, il y a des impacts des conflits de travail, plus ils sont protégés, évidemment, c'est du cas par cas, c'est circonstanciel, sur des populations. Et une des missions essentielles de l'État, sans faire de jeu de mots, c'est de protéger la population. Puis, si je reviens au Dr Royer, ça me donne l'opportunité de redire qu'en éducation il n'y en a pas, de service essentiel. Il y a un régime de services essentiels en santé, en services sociaux, pour des services publics, ainsi que dans la fonction publique, mais, en éducation, il n'y en a pas. Donc, c'est très clair qu'avec la présentation du Dr Royer on a besoin de protéger les personnes ou les enfants en situation de handicap, leurs parents, les familles à des régressions au niveau comportemental, au niveau des apprentissages et au niveau moteur. Ça fait partie de ce qu'un État moderne doit être. Et c'est... Encore une fois, vous avez fait un...


 
 

16 h (version non révisée)

M. Boulet : …de l'histoire, un peu, une histoire très sommaire des relations de travail, puis j'ai beaucoup de respect pour vos connaissances puis vos recherches. On s'intéresse vraiment aux aspects puis aux répercussions pratiques des conflits de travail. Puis c'est sûr que, 95 %, il faut augmenter ce pourcentage-là. La plupart des conflits de travail sont évités aussi, pas la plupart, mais beaucoup grâce à nos services d'amélioration des relations de travail, d'aide à la négociation ou d'une première ou d'un renouvellement de convention collective de travail, à l'expertise de nos brillants et brillantes conciliateurs, médiateurs, qui aident, qui accompagnent, qui font bénéficier les parties de leur expertise. Et le… puis, si on peut augmenter ce pourcentage-là, tant mieux.

Ceci dit, le nombre de conflits de travail a quand même augmenté de façon plus importante que ce que vous sentiez… soulignez. En 2020, c'était 34, 170 en 2021, 161 en 2022, 230 en 2023 puis 285 en 2024. Alors donc, nous, ce qui nous intéresse, c'est de s'assurer que, notamment en éducation, il y ait la possibilité, dans une loi éventuelle, de s'intéresser aux enfants en situation de handicap, qui sont confrontés aux troubles du spectre de l'autisme ou aux populations qui sont plus vulnérables. Dans le transport collectif, on a vu à quel point les personnes à faibles revenus, en bas de 30 000 $, c'était 50 %, utilisaient le transport collectif pour aller à leur travail, utilisaient le transport collectif pour bénéficier d'un service médical, utilisaient le transport en collectif pour d'autres raisons.

Le transport scolaire, vous connaissez ou vous… peut-être que vous êtes un parent, le transport scolaire, c'est fondamental dans la vie quotidienne d'un enfant et d'un parent pour l'apprentissage, pour la réussite scolaire, pour la persévérance scolaire. C'est super important de s'intéresser à ces personnes-là. C'est important de s'intéresser aux familles endeuillées, puis je le sais qu'il y en a qui n'aiment pas que je fasse référence à ça. Il n'y avait pas de convention, depuis un certain nombre d'années, mais il y avait une cessation des opérations depuis plus ou moins une année. Les familles endeuillées, là, qui nous interpelaient, là, les dépouilles qui s'accumulaient dans des frigidaires, faute de capacité d'intervention pour procéder à l'inhumation, souvent, on faisait référence à la dignité humaine. C'est ça qui nous intéresse, ces dossiers-là.

Les personnes qui ne peuvent pas aller se recueillir dans un cimetière, parce qu'il n'est pas entretenu, puis c'est dangereux. Il y a des problématiques de sécurité. Il y avait eu une crise de verglas, ils ne peuvent pas aller se recueillir sur les pierres tombales parce qu'il y a un conflit de travail. C'est ça qui nous intéresse.

C'est des aspects purement exceptionnels. C'est du cas par cas. Il faut qu'on ait, au Québec, une loi qui nous permette de s'adapter et de conjuguer avec les répercussions négatives sur la population, sur les besoins fondamentaux de la population en cas de conflit de travail. Je comprends les rapports de force. J'en ai souvent parlé avec mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve. Inutile de répéter qu'une grève c'est un moyen de pression pour inciter un employeur à accepter des conditions de travail. Même affaire pour un lock-out, pour inciter un syndicat à accepter des conditions de travail, mais, quand la population… puis vous comprenez le sens commun du terme que j'utilise, est prise en otage, ça ne devient pas admissible. Il faut avoir des mécaniques d'intervention pour s'assurer de protéger les Québécois, Québécoises, assurer la continuité de leurs besoins.

L'interruption des services éducatifs, je reviens au docteur Royer, pendant une certaine période de temps, il y a un effet de régression sur un enfant en situation de handicap. Il y a un impact important sur les parents qui doivent combiner avec du télétravail et qui doivent se substituer à une expertise en matière d'intervention psychologique.

Sur la politisation, M. Collombat, vous me permettrez d'être en désaccord avec vous. Tout ce qu'on fait, c'est dans le cas du premier outil…

M. Boulet : ...c'est un décret. Puis ce n'est même pas le gouvernement qui détermine si le critère prévu à la loi est respecté, que les services minimalement requis pour assurer la sécurité sociale, économique ou environnementale affectés de manière disproportionnée. C'est un Tribunal administratif du travail, que vous connaissez probablement très bien. C'est un tribunal indépendant, impartial, des personnes hypercompétentes. Et je l'ai dit et je le répète, si la décision est négative, on est dans un État de droit puis on respecte le pouvoir judiciaire. Puis c'est une façon de confirmer que ce n'est pas un processus qui est politique. On l'a voulu le plus apolitique possible et indépendant.

Avant d'aller devant le Tribunal administratif du travail, les parties pourront discuter, auront négocié, auront bénéficié des services de conciliation, médiation. Et, si le tribunal administratif conclut à l'application du régime de services minimalement requis, les parties ont le ballon entre les mains. Elles auront à s'asseoir, à négocier pourront bénéficier d'un accompagnement du tribunal pour négocier les services qu'on appelle minimalement requis pour assurer la sécurité de la population. Là, je ne redirai pas le critère, qui est un critère... pas mur à mur, mais qui est un critère écrit de façon suffisamment large pour permettre au tribunal de s'adapter au cas par cas, d'avoir un projet de loi qui s'applique en fonction de chacune des négociations. On nous demande, des groupes, de l'appliquer par secteurs. Non. Ce n'est pas l'approche qu'on a privilégiée parce que l'entrée en avant aurait pu être plus importante à la liberté d'association.

Puis je le sais, c'est quoi, les paramètres de la décision de la Cour suprême du Canada. Puis nous aussi, au gouvernement, on lit la jurisprudence puis on connaît l'histoire des relations de travail. Mais on vit avec des situations concrètes qui requièrent des solutions adaptées. Donc, je suis une personne à faibles revenus, qu'est-ce que vous pouvez faire pour moi? Je suis un enfant qui a le trouble du spectre de l'autisme, qu'est-ce qu'on peut faire pour moi? Je suis une personne qui a des besoins particuliers, qu'est-ce qu'on peut faire pour moi? Je suis quelqu'un d'une famille endeuillée, qu'est-ce qu'on peut faire pour moi? Je pose... Je me pose ces questions-là pour me dire quelle est la meilleure façon de gérer ce type de problématiques là.

Puis, le rapport de force... ce n'est pas de s'immiscer dans le rapport de force. Puis, vous le savez, depuis 2015, il y en a eu, des conflits de travail, et les gouvernements ne peuvent pas faire de lois spéciales. Puis je suis assez fier, puis mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve le sait, depuis 2018, on n'en a pas fait, de lois spéciales. On respecte la libre négociation des parties. Mais, en même temps, on a constaté qu'à des tables de négociation il y a eu parfois des impasses. Et, malgré l'intervention d'un conciliateur-médiateur, on demeure dans cette impasse-là, et la population est indûment affectée, subit des préjudices.

• (16 h 10) •

Dans le cas du deuxième mécanisme, c'est un préjudice grave ou irréparable. C'est des concepts qui ne sont jamais parfaits. Puis, vous le savez, M. Collombat, toute loi est susceptible d'interprétation puis d'application. Parlez à tous les avocats, les conseillers en relations de travail qui sont spécialisés en relations de travail, ils savent que tout est interprétable. Les meilleures conventions collectives de travail, qui sont la loi des parties, sont susceptibles d'interprétations. C'est pour ça qu'on a des griefs. C'est pour ça qu'ultimement, à la terminaison d'un processus de négociation, il y a des différends.

Alors, je le répète, je pense que ce qui résume le mieux ce projet de loi là, c'est son titre. On veut considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out. Et les exemples sont multiples. Ce n'est pas d'avoir un impact. Ce n'est pas d'empêcher l'exercice du droit de grève, comme plusieurs l'ont souligné. Ce n'est pas parce que certains services sont à maintenir dans les services publics, dans certains services sociaux, dans le réseau de la santé, dans la fonction publique, que la grève ne peut pas s'exercer ou que le lock-out ne peut pas s'exercer. Puis, effectivement, il y a moins encore de lock-out que de grèves. Ça ne veut pas dire que...

M. Boulet : ...c'est parce qu'on veut s'attaquer au droit de grève. Au contraire, on veut accélérer le règlement puis on va fournir toute l'expertise qu'on a. Puis il y a des personnes extrêmement compétentes en matière de négociation raisonnée et qui ont des objectifs absolument louables et légitimes.     Alors, j'arrêterais mes commentaires, je sais que mon collègue de Nicolet-Bécancour aurait une question. Donald...

Le Président (M. Allaire) : M. le député de Nicolet-Bécancour, la parole est à vous.

M. Martel : Merci. Merci, M. le Président. M. Collombat... Collombat, votre nom de famille?

M. Collombat (Thomas) : Oui.

M. Martel : Je ne suis pas intervenu depuis le début de ce... les audiences parce que je trouve que le ministre fait un travail remarquable, il est extrêmement attentif aux discours qui sont prononcés. Il reprend chacun des arguments, puis je trouve qu'il est très réfléchi, très... Ça fait que je ne sens pas mon rôle, nécessairement... la pertinence d'intervenir parce qu'il fait un bon travail, mais là il y a quelque chose qui m'achale un peu, puis je voudrais que vous m'expliquiez.

Vous venez ici à titre de professeur. C'est exact? Pour moi, le professeur, c'est l'intellectuel qui regarde une situation puis qui donne son opinion. Par exemple, le gouvernement va déposer un budget, bien, il va y avoir des professeurs de fiscalité ou... qui vont... qui vont émettre leurs opinions. Vous, vous faites votre présentation, qui est votre avis professionnel, mais, à la fin, la dernière phrase que vous dites, vous dites : Je vous demande de retirer le projet de loi. Là, moi, je me dis : C'est qui qui parle? Est-ce que c'est le professeur qui vient donner son opinion intellectuelle sur un sujet ou c'est un militant? Tu sais, que les syndicats ou que les patrons viennent ici puis qu'ils disent : On est d'accord avec le projet de loi, ou que le syndicat dit : On veut retirer, je suis capable de comprendre ça, mais qu'un intellectuel se présente ici pour donner son opinion honnête sur un projet de loi puis qu'à la fin il dise : Je vous demande de retirer, moi, je vois une espèce de conflit entre le militant puis... je ne vous accuse pas, je pose la question...

Des voix : ...

M. Martel : ...je pose la question très honnêtement puis je pense qu'elle est très pertinente. Ça fait que je vous écoute.

Le Président (M. Allaire) : ...la parole est à vous.

M. Collombat (Thomas) : Merci, M. le député, et merci, M. le ministre, pour vos commentaires.

Par rapport à votre question, M. le député, au risque de vous contredire, je ne viens pas présenter une opinion. Mon opinion personnelle comme citoyen n'a pas véritablement d'importance dans cette enceinte. Je viens présenter un avis, une perspective, une analyse du fait de ma qualification professionnelle de politologue, avec une perspective historique, avec une perspective comparée.

La conclusion à laquelle j'en suis arrivé en vertu de l'analyse que j'en ai faite grâce aux outils professionnels et intellectuels dont je dispose comme universitaire depuis plusieurs années est que ce projet de loi n'a pas lieu d'être, et donc je... ma recommandation, c'est de ne pas le considérer. Donc, non, ce n'est pas un avis militant que je vous ai proposé, c'est un avis qui est nourri par les perspectives historiques, sociologiques, politologues qui ont nourri ma réflexion et qui viennent de la recherche en sciences sociales et en sciences humaines.

Pour revenir sur le commentaire du ministre par rapport aux populations vulnérables, et je n'étais pas là pendant l'intégralité de la présentation du docteur Royer, je m'en excuse, je n'ai juste saisi que les derniers moments, j'entends tout à fait la préoccupation pour les populations vulnérables. Personne n'est, évidemment, contre la protection de ces populations-là. Toutefois, et là encore, en lien avec la question de M. le député, la recherche en sciences sociales nous montre que, si ces populations vulnérables là sont dans des situations critiques aujourd'hui, ce n'est certainement pas en raison des quelques grèves qu'il a pu y avoir dans les dernières années, c'est en raison de politiques publiques qui ont été choisies et qui ont désinvesti dans les services à ces populations-là. Et ça, c'est un résultat de la recherche, ça n'est pas une opinion personnelle.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Ça met fin à ce bloc d'échange avec la partie gouvernementale. On enchaîne avec l'opposition officielle, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, 12 minutes 23 secondes.

Mme Cadet : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Pr Collombat. Merci pour votre présence en commission parlementaire.

Je vais d'abord commencer avec, peut-être, une question... Si vous avez suivi les travaux des deux dernières journées, là, j'ai... je me suis beaucoup interrogée sur les travaux du Comité de la liberté syndicale de l'Organisation internationale du travail, qui a, oui, donc, émis, donc, des critères d'analyse qui sont internationalement reconnus...

Mme Cadet : ...en matière, donc, de services essentiels, donc, ceux qui sont intégrés à notre jurisprudence canadienne, donc, l'impact sur la santé, la sécurité de la population, mais qui a aussi entamé, au cours des dernières années, des travaux sur la question des services minimalement requis. J'aimerais savoir, avec votre expertise, si vous vous êtes penché, donc, sur ces travaux-là et à voir, donc, quelle est la légitimité de l'intégration de ce qui est en développement par le comité des libertés syndicales en droit canadien et québécois, bien sûr.

M. Collombat (Thomas) : Merci pour votre question, Mme la députée. Je vais être très honnête et transparent, et, encore une fois, parce que je ne suis pas ici en ma condition personnelle, mais comme universitaire. Je suis familier avec l'Organisation internationale du travail et ses principales documentations, ses principales réglementations. Toutefois, je ne suis pas juriste et je n'ai pas suivi de près... de suffisamment près ces derniers développements pour vous donner un avis éclairé et technique et détaillé sur ces éléments-là. Donc, je préfère laisser mes collègues juristes vous répondre et vous éclairer sur ces points.

Mme Cadet : Parfait. Merci. Merci beaucoup. IL n'y a pas de souci, bien sûr. La deuxième question que j'avais, donc là, dans votre échange avec le ministre, vous avez confirmé que vous n'étiez pas là pour l'intégralité des travaux du Dr Royer... en fait, la présentation, plutôt, du docteur Royer, mais que, bon, vous en avez un peu saisi l'essence. Grosso modo, donc, ce qu'il nous disait, c'est que, par exemple, en fait, lui, sa recommandation comme psychologue et, bon, expert, donc, des enjeux du monde de l'éducation, ce qui pourrait être des services minimalement requis, selon une définition circonscrite dans ce cadre-là, donc, serait d'offrir, donc, des services en continu, donc, ou à peu près, donc, 54 000 élèves sur les 1,1 million qui fréquentent le réseau scolaire, donc, ceux avec des besoins particuliers qui pourraient subir, donc, des régressions.

Je comprends, là, que vous n'avez pas nécessairement, donc, le cadre juridique qui vient avec les travaux du comité de la liberté syndicale, mais peut-être de vous entendre aussi sur, donc, précisément, sur ce type d'exemple là. On en a eu d'autres au cours des dernières journées. Mais puisque ça vient de nous être présenté de façon très explicite, de voir, donc, quel pourrait être ce type de service là bénéficiant, donc, d'un cadre d'analyse distinct de celui des services essentiels lorsqu'une décision est apportée au TAT pour une entente entre deux parties.

M. Collombat (Thomas) : Alors, encore une fois, là, je ne me placerai pas sur le plan de la psychologie de l'éducation ou des sciences éducation. Ce n'est pas mon domaine.

Toutefois, je me permets quand même de répondre à votre question par rapport précisément à ces populations vulnérables ou particulièrement dépendantes de certains services publics pour leur bien-être. Et je reviens au point que j'ai brièvement évoqué précédemment. Ce que la recherche... alors, pas en psychologie de l'éducation, parce qu'encore une fois ce n'est pas mon domaine, mais la recherche en politique sociale, et la recherche sur les services publics, en sciences politiques, montre, c'est que la dégradation des services publics dans les dernières décennies n'est pas liée à des conflits de travail.

Est-ce qu'il y a ponctuellement des situations dans lesquelles les gens sont mis dans des situations problématiques en raison d'un conflit de travail? Très certainement. Mon rôle, c'est de prendre une perspective beaucoup plus large, au risque d'être un petit peu trop historique, et je m'en excuse. Mais concrètement, sur le long terme, les vrais changements ne se font pas là. Les changements se font quand l'État assume précisément sa responsabilité de protection des personnes vulnérables en mettant en place des politiques publiques et des finances publiques adéquates pour protéger ces populations-là.

L'autre préoccupation que j'ai, importante - et le ministre a d'ailleurs évoqué dans ses commentaires les difficultés de recrutement dans ce domaine - s'il y a une chose qui est certaine, c'est que les conditions de travail de ce domaine-là sont en grande partie dues à la mobilisation collective, à la syndicalisation, à la négociation, et parfois à des grèves qui ont eu lieu dans le passé pour améliorer les conditions de travail des travailleurs et travailleuses dans ce domaine. C'est ce qui fait en sorte que ce domaine-là peut être encore attrayant pour des travailleuses et travailleurs. Dans une période où on a de la difficulté à recruter des professionnels dans ce domaine, si, en plus, on vient limiter leur capacité d'améliorer leurs conditions de travail en exprimant véritablement leur mobilisation collective, ça, ça me préoccupe aussi. Parce qu'on sait déjà que, dans le secteur public, les conditions de travail font en sorte que plusieurs professionnels préfèrent aller dans le secteur privé. Si, en plus, leur capacité d'agir collectivement est encore plus limitée, ça me préoccupe par rapport à ces populations vulnérables sur un terme beaucoup plus long et significatif qu'étroitement sur un conflit de travail.

• (16 h 20) •

Mme Cadet : Merci. Soyez rassuré, là, je n'émettais pas une hypothèse, là, comme parlementaire, que les conflits de travail, donc, ont un lien de causalité, là, avec les impacts, les conséquences que peuvent subir les populations vulnérables, là. J'entends... J'entends très bien, donc, le recadrage que vous faites ici, mais ce n'était pas une hypothèse, là. C'était... C'était simplement, donc, pour voir, donc, comment, donc, l'article quatre, en fait, donc, du projet de loi, donc, tel que...

Mme Cadet : ...donc, pourrait être structuré d'une manière à bien saisir quels pourraient être les services minimalement requis, puisque le vocable «vulnérable» est employé dans le libellé du projet de loi actuel.

Là, j'entends que vous n'êtes pas juriste et vous l'avez mentionné, mais c'est sûr que, bon, on a un des cadres... et vous n'êtes pas sans savoir que l'un des cadres qui nous mène, donc, à redéfinir, bon, la notion, donc, d'équilibre, c'est le terme qui a été employé ici par la partie gouvernementale, entre les partis. Bon, c'est la décision de la Cour suprême de 2015, de l'arrêt Saskatchewan, donc, qui... bien, à ce moment-là, donc, oui, donc, a constitutionnalisé le droit de grève, donc qui est venu dire que c'était une composante essentielle de la liberté d'association, et qui est aussi mentionné, bon, que, pour qu'une pièce législative soit légitime, qu'elle porte, donc, le moins... le plus minimalement possible, donc, atteinte, donc, à cette liberté d'association là.

Je comprends que, de votre analyse, donc de votre point de vue, donc, le projet de loi ne rencontrerait pas ces critères, mais ce n'est pas une analyse juridique puisque vous n'êtes pas juriste. Mais est ce qu'au-delà, donc, de votre recommandation de retirer la pièce législative. Est ce que vous auriez vu une autre... un autre moyen de porter le moins atteinte à la liberté d'association, tout en souhaitant, donc, rencontrer les objectifs du projet de loi?

M. Collombat (Thomas) : Je vous remercie de la question et de la façon dont vous l'avez formulée. Je vous dirais que ma perspective comme politologue d'analyse de ce genre de décision là, et donc des fondements politiques et même parfois philosophiques de ce genre de décision là, par rapport à l'exercice du droit de grève, est que l'esprit de ces décisions, de cette jurisprudence et l'esprit général de l'interprétation de plus en plus large, de la place du droit d'organisation collective de syndicalisation et de grève dans l'appareil constitutionnel canadien, est qu'effectivement la façon dont on a limité ces droits-là auparavant, même avant la présentation de ce projet, mais, par exemple, avec la Loi sur les services essentiels, est problématique et qu'elle vient brimer une liberté syndicale qui est considérée comme étant fondamentale. Donc, j'ai de la difficulté à penser que, dans ce contexte là, on vienne encore ajouter à des restrictions qui existent déjà.

Donc, la raison pour laquelle je ne me hasarde pas à proposer des modifications du projet tel qu'il est présenté, je pense que, dans son essence, il risque d'être problématique par rapport à l'esprit des décisions, telle que la décision Saskatchewan de la Cour suprême.

Mme Cadet : D'accord, je vous entends. Maintenant, peut-être entrer justement sur peut-être un terrain plus politique. Donc, dans mes remarques préliminaires hier, donc, je me disais que, justement, donc, le législateur a dû apprivoiser ce nouveau cadre dans lequel, donc, il est habilité à opérer et que ces années d'ajustement là, donc, ont soulevé, au fil du temps, donc, quelques questionnements, dont la question de la légitimité du gouvernement à intervenir. Donc, peut-être vous entendre comme politologue ici. Selon vous, est-ce qu'un gouvernement dûment élu par la population dispose de la légitimité pour intervenir entre deux parties lorsque le conflit se trouve dans une impasse? Donc, est-ce qu'il peut disposer de leviers d'intervention? On voit que c'est le cas dans le Code du travail actuel avec la question des services essentiels. Donc, il en existe, donc, certains leviers. Donc, selon vous, est-ce qu'un gouvernement peut se doter de ce type de leviers là pour intervenir lorsqu'il un conflit se trouve dans une impasse?

M. Collombat (Thomas) : Je vous dirais, et c'était un peu le sens de la présentation que j'ai faite au début de cette rencontre, c'est que le gouvernement intervient déjà beaucoup. En fait, le gouvernement est tout à fait légitime à établir les règles du jeu des relations du travail, et c'est ce qu'il fait. Et, dans un contexte nord-américain et dans un contexte québécois, il le fait de façon déjà très intensive, en déterminant qui peut négocier, comment ils peuvent négocier, quand, à quelle fréquence et à l'intérieur de quelles règles. Donc, on a déjà un appareil de contraintes extrêmement important.

Par contre, ce qu'il est aussi important de considérer, c'est que le Québec, mais aussi d'autres sociétés capitalistes modernes se sont aussi développées suivant l'idée que le dialogue social autonome entre les partis était une plus-value et qu'elle servait la société. Et donc, on peut établir le cadre, mais, à l'intérieur de ce cadre-là, il devrait y avoir une confiance et une autonomie laissée au parti pour négocier afin de faire jouer le rapport de force, pour permettre à ce que des déséquilibres créés par le système économique puissent être corrigés par ces partis, et donc à minimiser l'intervention politique fréquente et au cas par cas.

J'entends très bien que le projet de loi propose de remettre la décision finale dans les mains du TAT, mais elle nécessite au préalable l'intervention du ministre. Donc, à partir de ce moment-là, pour moi, comme politologue, c'est une intervention politique. Je comprends la logique et elle est d'ailleurs...

M. Collombat (Thomas) : ...très... donc, pour le coup, encadré dans le modèle québécois de relations du travail avec l'existence du TAT autonome. Mais cette idée que c'est le ministre qui déclenche le processus fait en sorte que c'est une intervention politique, et d'après moi ça ne va pas dans le sens dans lequel la société québécoise s'est développée à cet égard depuis plusieurs années. C'est un... Ce n'est pas un jugement personnel que je pose, c'est une analyse par rapport à ce qui est dit en histoire économique ou en économie politique.

Mme Cadet : Bien là, vous parlez donc précisément de ce qu'on retrouve à l'article 111.22.4, et que c'est introduit par l'article 4 du projet de loi, où le gouvernement, donc, peut par décret désigner donc l'association accréditée et l'employeur, donc, qui seraient assujettis, donc... la décision du tribunal. Ici, ce qu'on voit dans le régime des services essentiels, c'est que le... en fait, les services publics et ceux qui y sont assimilés, donc, peuvent de par eux-mêmes se rendre au tribunal. Donc, est-ce que... Je comprends que vous n'avez pas voulu faire de propositions précises, mais est-ce que par exemple, pour vous, il y aurait une atteinte moindre si les parties pouvaient elles-mêmes solliciter le Tribunal administratif du travail, sans l'étape de l'émission d'un décret de la part du ministre?

M. Collombat (Thomas) : On serait à ce moment-là dans une situation où oui, de toute évidence, l'intervention politique serait moins directe. Donc, sur ce volet-là du commentaire par rapport au projet, il y aurait une autonomie plus large qui serait laissée. Mais la décision, en partant, de permettre cette ouverture-là est une décision politique et qui, d'après moi, vient déséquilibrer ou vient limiter de façon plus importante le droit d'une des deux parties plutôt que de l'autre.

Le Président (M. Allaire) : 20 secondes.

M. Collombat (Thomas) : Donc, à ce moment-là, c'est plus en amont que je considérerais que c'est une intervention politique.

Mme Cadet : Donc, si... Donc, juste... m'assurer, donc, que j'ai bien saisi, donc, si cette étape-ci, donc, n'existait pas... Là, je comprends qu'on n'a pas eu le temps d'aborder, donc, l'article 5 du projet de loi. Mais, pour vous, donc, il y a quelque chose de fondamental dans l'émission du décret?

M. Collombat (Thomas) : Oui.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Malheureusement, ça fait fin à ce bloc d'échange. On poursuit avec le deuxième groupe d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 4 min 8 s.

M. Leduc : Merci beaucoup, M. le Président. M. Collombat, bonjour. Je suis... Juste un petit mot sur le... l'aspect, là, militant de votre présence ici. Tu sais, juste avant vous, il y a M. Royer, professeur Royer qui est venu défendre une opinion qui était très favorable au projet de loi, puis personne ne l'a traité de militant dans son intervention. Donc, moi, je m'étonne qu'on ait souligné ça à votre égard, je le regrette.

Cela dit, parlons du contenu de votre présentation. J'ai été particulièrement accroché sur le bout... quand vous avez dit : La possibilité de faire grève est déjà en soi un élément important dans les relations de travail. Voulez-vous développer un peu là-dessus?

M. Collombat (Thomas) : Bien sûr. Bien, on a parlé d'ailleurs de... et le ministre, dans son commentaire, a évoqué le fameux pourcentage de conflits qui étaient réglés... ou de négociations, pardonnez-moi, qui étaient réglées sans recours à un conflit de travail et a mentionné de façon tout à fait juste le rôle important joué à cet égard par le personnel du ministère du Travail.

Ceci étant dit, l'analyse nous montre aussi qu'un très grand nombre de ces règlements sans recours à un conflit de travail se font à une minute ou deux minutes du déclenchement d'une grève qui a été adoptée, votée par les travailleurs et travailleuses. Donc, cet outil est essentiel dans l'avancement même de la négociation et permet, par sa possibilité, même quand il n'y a pas un exercice concret, de pouvoir enclencher un processus et d'amener les parties à négocier.

Donc, à partir du moment où cette possibilité-là n'existe plus, et sans présumer de la mauvaise foi de personne, mais on peut présumer, surtout dans le contexte actuel des négociations collectives, que plusieurs employeurs seraient tentés de dire : Bien, à partir du moment où il n'y a pas cette menace-là, je ne vais pas avancer, je ne vais pas continuer.

• (16 h 30) •

M. Leduc : Puis, même si la menace, elle n'est pas disparue automatiquement, la possibilité - puis vous faisiez référence à l'aspect politique de la chose - la possibilité d'aller faire une pression à travers directement le ministre ou éventuellement le député du parti au pouvoir de sa région pour dire : Là, moi, j'ai un conflit qui s'en vient, puis ça va toucher la population, etc., cette tentation-là, pour les patrons, elle va être forte, là.

M. Collombat (Thomas) : Je ne généraliserais pas, dans la mesure où il peut y avoir des employeurs plus ou moins enclins à la négociation. Mais le potentiel est là, et le potentiel est là dans la mesure où c'est là aussi où ça va dépendre de la couleur du gouvernement en place, et donc des arrangements, et des alliances, et des proximités qui vont pouvoir exister avec ce gouvernement, d'où ma préoccupation par rapport à l'aspect politique de ces interventions et au fait qu'elles ne permettent... qu'elles nuisent à l'autonomie de la négociation. Elles permettraient, effectivement, d'aller faire jouer le pouvoir politique dans ce rapport de force là, et ça, ça serait quelque chose d'inquiétant.

M. Leduc : On a fait référence du côté de la partie gouvernementale parfois au fait qu'en France, ça existerait, cette limitation-là... du service minimal, etc., mais c'est comme si on oubliait aussi tout le...


 
 

16 h 30 (version non révisée)

M. Leduc : …de choses qui existent dans le droit du travail français. Puis vous dites que vous faites des analyses comparées. Je pense entre autres au droit de grève en France, qui est beaucoup plus large, là. On peut le faire à peu près n'importe quand, on peut faire une grève de solidarité, même si ça ne concerne pas nos propres conditions de travail. Est-ce que c'est quelque chose qu'on pourrait importer ici, tant qu'à faire, si on ouvre la porte aux importations françaises?

Le Président (M. Allaire) : Une minute.

M. Collombat (Thomas) : Je suis toujours très prudent dans les comparaisons internationales de cet ordre, parce que, si on commence à vouloir comparer avec ce qui se passe en France, on va… il va falloir… Ce n'est pas, si vous voulez, un buffet où on peut choisir ce qu'on veut, puis mettre de côté ce qu'on ne veut pas. Effectivement, il peut y avoir une limitation à un certain conflit, mais on a aussi des conventions collectives de branches qui couvrent l'ensemble des salariés, qu'ils soient syndiqués ou pas. On a un droit de grève qui est constitutionnalisé, en France, il est dans le préambule de la Constitution. On a effectivement eu des… aussi des modes de représentation collective dans les entreprises, en plus des organisations syndicales. Donc, il y a beaucoup d'autres choses qui viennent expliquer que ce droit-là spécifiquement est traité de cette façon-là. Donc, il faut être très prudent dans ce genre de grande comparaison et effectivement, regarder la situation de façon beaucoup plus générale.

Le Président (M. Allaire) : Ça termine?

M. Leduc : Ça termine. Merci beaucoup.

Le Président (M. Allaire) : Merci beaucoup, M. Collombat, pour votre contribution à cette commission. Nous allons suspendre les travaux pour permettre à l'autre groupe de s'installer. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 33)

(Reprise à 16 h 39)

Le Président (M. Allaire) : Alors, nous allons reprendre les travaux. On accueille notre prochain groupe. Bienvenue. Là, je vais tenter de ne pas massacrer vos noms, je m'en excuse à l'avance. Mme Rolland, Mme Gesualdi-Fecteau et Mme Visotzky-Charlebois, bienvenue à cette commission. Alors, vous pouvez vous présenter, peut-être mieux prononcer votre nom de famille si je l'ai magané un petit peu, et je m'en excuse à l'avance. Et vous avez 10 minutes pour faire votre exposé, et va s'ensuivre une période d'échange avec les parlementaires. Donc, la parole est à vous.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Parfait. Merci beaucoup, M. le Président. Merci de nous accueillir aujourd'hui. Alors, écoutez, Dalia Gesualdi-Fecteau, je suis avocate, professeure de droit à l'Université Montréal. Je suis accompagnée de ma collègue, Me Anne-Julie Rolland, qui est aussi professeure de droit du travail à l'Université Montréal, et ma collègue Maxine Visotzky-Charlebois, qui est avocate et professeure de droit du travail à l'UQAM.

Alors, on est ici aujourd'hui pour vous présenter un mémoire qui a été soumis et qui contient des observations de huit juristes, experts et expertes du droit du travail national et international et du droit constitutionnel. Je suis consciente que c'est un point intégral qu'on vous a soumis de 40 pages. Vous nous en excuserez, on est bavards, les juristes.

Alors, on aimerait d'entrée de jeu faire part de peut être trois observations, d'entrée de jeu, et je dis d'emblée qui, pour nous, il ne fait pas de doute, évidemment, de la volonté du législateur ici de se conformer aux droits fondamentaux, mais de notre point de vue, les restrictions qui sont posées au droit de grève dans ce projet de loi sont susceptibles d'être contraires aux droits fondamentaux, à la liberté d'association, plus spécifiquement, et vont au-delà de l'obligation de maintenir des services essentiels lorsque l'arrêt de travail risque d'affecter la santé ou la sécurité de la population. Et on pourra revenir à la période d'échange et de questions aux décisions du Comité de liberté syndicale qui a été évoquée, évidemment, pour comprendre un peu la nature et la portée du cadre juridique posé par le droit international.

• (16 h 40) •

De notre point de vue, et c'est la préoccupation qu'on met de l'avant dans le mémoire, c'est que ces restrictions qui sont posées par le projet de loi, qui risquent de poser un défi en termes de respect du droit fondamental de la liberté d'association qui est garanti par les chartes, ouvrent très grand la porte à la prolifération de contestations constitutionnelles et à une judiciarisation accrue des conflits de travail. Parce que, M. le ministre l'a dit à de nombreuses reprises depuis le début des travaux parlementaires, ce sera du cas par cas, mais ce cas par cas aussi va donner ouverture à une analyse par les tribunaux et à une judiciarisation des relations de travail.

Dans un deuxième temps, ce projet de loi là, de notre...

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : …points de vue contribuent à l'inflation, à ce que j'appelle, depuis plusieurs années, l'inflation conceptuelle du droit du travail. L'ajout au Code du travail de concepts comme le bien-être, la sécurité sociale est, de notre point de vue, une source de confusion et d'instabilité juridique. Il y a un réel… il y a un réel risque, de notre point de vue, de complexifier la résolution des conflits de travail et de se tourner de plus en plus devant les tribunaux pour connaître leur issue. Bien qu'on soit des juristes, on met quand même en garde ce risque, parce que, de notre point de vue, c'en est un qui est réel.

Finalement, et je veux le souligner, le projet de loi, de notre point de vue, donne d'importants pouvoirs au gouvernement et au ministre, et ces pouvoirs-là, qui sont conférés au ministre et au gouvernement, soulèvent des enjeux sur le plan de la primauté du droit et de la prévisibilité du droit. M. le ministre, durant les travaux, a fait état du caractère exceptionnel des interventions qui seront faites par le gouvernement ou le ministre en exercice. Nous ne doutons nullement de cette intention au jour d'aujourd'hui. Il subsiste malgré tout, et c'est là-dessus qu'on insiste, une importante indétermination quant à la fréquence et au contexte dans lesquels ces pouvoirs seront utilisés.

Je me permets de souligner que légiférer et, M. le ministre le sait, parce qu'il l'a fait beaucoup, depuis le début de ses mandats, c'est un acte pour la postérité et c'est un acte aujourd'hui qui s'inscrit dans un important contexte d'incertitude. L'inclusion de notre point de vue au Code du travail de pouvoir discrétionnaire, comme ceux qui sont confiés au ministre et au gouvernement par ce projet de loi, pourrait, à terme, avoir pour effet de normaliser les interventions du pouvoir exécutif à l'intérieur des négociations des conflits de travail.

À cet égard, et ça me fera plaisir d'y revenir durant la période de questions, les exemples de l'article 107 du Code canadien du travail, même si on est très conscientes que c'est fortement différent, ce qui est proposé aujourd'hui, sont quand même fort révélateurs. Je passe la parole à ma collègue Me Rolland.

Mme Rolland (Anne-Julie) : Merci. M. le Président, membres de la commission, permettez-moi d'attirer votre attention sur certains éléments de notre mémoire. Et, bon, je vais me… je vais tenter, là, de les résumer brièvement pour expliciter notre analyse juridique. Je vais commencer avec les dispositions qui portent sur l'arbitrage obligatoire. Et, en ce sens-là, trois éléments, à mon sens, méritent d'être soulignés à grands traits.

D'entrée de jeu, il m'apparaît nécessaire d'attirer l'attention de la commission sur le fait que la suppression totale du droit de grève, à laquelle conduit inéluctablement la mobilisation du pouvoir spécial du ministre de décréter l'arbitrage obligatoire, contrevient à la liberté d'association, qui est protégée, comme vous le savez, par les chartes. Et ce constat, membres de la commission, ne laisse place à aucun doute dans mon esprit.

Le fait qu'un mécanisme de règlement des différends se substitue à la grève ne fait pas en sorte que la liberté fondamentale d'association est pour autant respectée. En fait, ce qu'il faut retenir, c'est que ce n'est pas une alternative entre le respect de la grève ou la mise en place d'un mécanisme des différends… de règlement des différends, pardon. Et c'est ce que confirment plusieurs arrêts rendus par la Cour d'appel dans les deux, trois, quatre dernières années, dans la foulée de l'arrêt phare Saskatchewan, dont vous avez certainement entendu parler au cours de la journée d'aujourd'hui.

Donc, les deux étapes pour conclure à la violation de la liberté d'association sont : est-ce qu'il y a une entrave substantielle? Et, le cas échéant, est-ce que cette atteinte-là, elle est justifiée dans une société libre et démocratique? À notre avis, en ce qui a trait à l'imposition de l'arbitrage obligatoire, la réponse à la première question, elle est évidemment affirmative.  Et, en ce sens, il y a un réel enjeu à codifier, à inscrire dans notre droit une telle atteinte. À chaque fois que ce pouvoir-là spécial sera mobilisé, pouvoir qui est exorbitant, il faudra que l'État démontre de façon prépondérante que l'atteinte à la liberté d'association, elle est justifiée. Et cela requiert de démontrer que l'arbitrage obligatoire constitue une atteinte minimale

Et ce sera, à notre avis, un seuil difficilement atteignable si le pouvoir spécial est mobilisé de façon anticipatoire, comme le permet l'actuel article 111.32.2 du projet de loi. À tout événement, dans tous les cas, c'est une évaluation qui sera éminemment factuelle, de sorte que les modifications envisagées conduiront, nous pensons, à une prolifération de contestations judiciaires.

Le… le deuxième élément, pardon, que je veux mentionner est qu'il n'y a pas de limite temporelle à la liberté d'association, de sorte que ce que je viens d'exposer vaut que l'arbitrage soit décrété avant la grève, au début de la grève ou quelques… quelques instants après le déclenchement de la grève, ou…

Mme Rolland (Anne-Julie) : ...après un certain temps.

Le troisième et dernier point sur lequel je veux insister est que l'imposition de l'arbitrage obligatoire en droit international n'est admissible que pour les services essentiels au sens strict et pour ceux qui exercent des fonctions d'autorité au nom de l'État. Or, ces secteurs-là sont actuellement exclus du champ d'application du volet arbitrage obligatoire.

Donc, ça nous amène à conclure que, par sa portée générale, le projet de loi contrevient au droit international, en plus de porter atteinte à la liberté d'association, atteinte à l'égard de laquelle la justification n'ira pas forcément de soi.

Passons maintenant aux services assurant le bien-être de la population. En premier lieu, il faut mentionner que l'imposition du maintien de services minimaux est susceptible de contrevenir aux chartes, en ce sens que des personnes salariées vont se voir retirer le droit de participer pleinement à une action concertée dans le cadre de la négociation de leurs conditions de travail.

Et, comme vous le savez, jusqu'à maintenant, le Québec a toujours préconisé le critère de la santé et la sécurité publique comme unique base pour déterminer les services à maintenir durant un conflit de travail. Et c'est une position qui est conforme aux enseignements du juge en chef Dickson dans le renvoi relatif à l'Alberta de 1987, dont les propos ont été avalisés sans réserve par la majorité de la Cour suprême en 2015 dans l'arrêt Ford Saskatchewan. Pourtant, les critères qui sont retenus dans le projet de loi en ce qui a trait à la sécurité sociale, économique ou environnementale, qui ne trouvent pas d'écho d'ailleurs dans la législation québécoise, vont bien au-delà de ce qui a été jugé jusqu'à maintenant comme pouvant être maintenu durant un conflit de travail, à savoir ce qui est nécessaire pour préserver la santé et la sécurité publique, pour assurer la primauté du droit ou la sécurité nationale.

Eu égard au droit international, le projet de loi ne se limite pas non plus à un service minima de fonctionnement pour éviter une crise nationale aiguë ou pour préserver des services publics d'une importance capitale. Et j'espère vraiment avoir l'occasion de revenir plus amplement durant la période d'échange sur le cas particulier du secteur de l'éducation qui a fait jaser ces derniers jours.

Donc, en ce sens, il y a un risque réel que les nouvelles dispositions ne puissent pas justifier une atteinte à la liberté d'association. Et, en définitive, de façon générale, les modifications envisagées risquent de conduire à un accroissement considérable de la judiciarisation des relations de travail quant à l'opportunité de maintenir des services assurant le bien-être de la population, quant à la suffisance ou la détermination de ces services, quant à l'existence d'un préjudice grave ou irréparable qui permettrait au ministre d'exercer son pouvoir et, ultimement, quant à la conditionnalité même de ces dispositions. Je vous remercie.

Le Président (M. Allaire) : Merci à vous, Me Rolland. On débute la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre. Seize minutes 30 secondes.

M. Boulet : Oui. Merci. Éloquente présentation. Merci de votre présence et de votre contribution.

Évidemment, je ne peux pas passer sous silence que Me Gesualdi-Fecteau a contribué avec nous pour la préparation d'un projet de loi pour lutter contre le harcèlement et les violences à caractère sexuel en milieu de travail. Merci encore. Content de vous revoir.

Puis, évidemment, je me pose toujours la question comment on peut aussi trouver un équilibre entre les personnes qui définissent et les personnes qui doivent agir. Tu sais, une société est faite de personnes. Et j'ai éminemment de respect pour les personnes qui font de la recherche, qui travaillent de la façon dont vous le faites.

• (16 h 50) •

Je vais peut-être être un peu bavard, là, Me Gesualdi-Fecteau. Vous m'avez ouvert la porte à parler, je vais parler un peu, mais j'aimerais ça vous écouter quand même. Vous dites l'équilibre. Parce que, vous le savez, puis je ne répéterai pas devant vous ce que vous m'avez entendu dire à plusieurs reprises, il y a un équilibre entre l'exercice d'un droit soit de grève ou de lock-out et les besoins de la population. Puis, souvent, je me fais dire : Vous portez atteinte aux droits des travailleurs, vous diminuez le rapport de force des syndicats. Comment vous me suggériez, autrement, de trouver un équilibre entre les droits des travailleurs et travailleuses et les besoins souvent fondamentaux d'une population qui est souvent vulnérabilisée par des conflits de travail? Puis, on connaît tous l'arrêt... là, la décision de la Cour suprême en 2015. Mais il y a eu des événements particuliers comme la pandémie, des événements exceptionnels, il y a le vieillissement démographique, il y a la pénurie...

M. Boulet : …main-d'oeuvre. Puis il y a des conflits de travail qui malheureusement engendrent des préjudices qui sont particulièrement sérieux. On reviendra sur les concepts, mais je voudrais rapidement… parce que j'ai quelques questions, Me Gesualdi-Fecteau, puis après ça avec Me Rolland. L'équilibre entre les droits des travailleurs et les besoins de la population, si vous aviez un conseil à me partager.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Écoutez, vous comprendrez que la position qu'on veut occuper aujourd'hui, en tant qu'experts juristes, en tant qu'universitaires, ce n'est certainement pas de faire des recommandations sur comment vous allez légiférer, parce que, je vais vous dire pourquoi... Parce que ce n'est pas le mandat qu'on a aujourd'hui. Si vous m'aviez mandatée pour présider un comité d'experts, j'aurais procédé autrement.

Là, ce que je vous propose comme analyse, ce qu'on vous propose, et on est huit à s'être penchés sur la question, depuis une semaine, c'est vraiment une analyse de la portée du projet de loi eu égard aux droits en vigueur. C'est ça qu'on vous propose. Et ce qu'on pense, et c'est le risque qu'on porte à votre attention, c'est les… ce que ça peut causer sur le plan du climat des négociations et les risques de judiciarisation.

Le risque de judiciarisation est réel. Vous le savez, c'est d'aller devant les tribunaux, c'est de contester, soit par le biais d'une contestation de nature constitutionnelle ou pour définir des nouveaux concepts qui n'existent pas dans notre Code du travail. Et ça, c'est une empilade de décisions des tribunaux, d'allers-retours vers les tribunaux supérieurs, vers les tribunaux de première instance. Et ça, ça crée un climat d'instabilité. Et vous cherchez la stabilité d'un point de vue économique présentement, la judiciarisation, ça crée de l'instabilité dans les négociations.

M. Boulet : Et c'est exactement cette stabilité-là qui est revendiquée par les populations en situation de vulnérabilité. Vous l'avez vécu, vous êtes à Montréal. Les familles endeuillées qui ont invoqué la dignité humaine, qui voyaient les dépouilles s'accumuler dans des frigidaires, des parents, des enfants, avec des besoins particuliers, avec le trouble du spectre de l'autisme ou des enfants en situation de handicap, des personnes qui ne pouvaient pas, parce qu'ils ont des faibles revenus… On nous mentionnait ce matin que 50 % des personnes qui gagnent moins de 30 000 $ profitent du transport collectif. Mais il y a beaucoup d'exemples, Me Gesualdi-Fecteau, puis votre réponse est très claire, puis je la respecte. Mais c'est tout le temps ce qu'un professeur d'histoire m'avait déjà dit, tu vas voir, il y a des définisseurs de situation puis il y a des gens d'action. Puis, dans la position que je suis, je dois agir, puis dans votre position, vous devez définir, ce que vous faites super bien. Puis je comprends que, s'il y avait eu un comité d'experts, vous auriez peut-être fait des recommandations, mais il n'est jamais trop tard.

Le deuxième élément qui m'intéresse, vous parlez d'inflation conceptuelle qui crée de la confusion. Si je vous disais, moi, que ces concepts-là sont éprouvés, ont déjà été analysés puis ils visent à réduire l'entrave, puis ils visent aussi à ce que l'atteinte soit la plus minimale possible. Et entre la confusion, que je nie, et les préjudices à des populations vulnérables, que nous devons atténuer ou éliminer, je choisis la deuxième option. Qu'est-ce que vous me répondez à ça? Êtes-vous d'accord avec moi ou non?

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Écoutez, je vais peut-être laisser mes collègues ensuite réagir. Je ne veux pas monopoliser le micro, là, mais la sécurité économique, prenons ce terme-là. De quoi parle-t-on quand on parle de sécurité économique? De quoi parle-t-on quand on parle de sécurité sociale? Ce sont des termes… et même la question de la population vulnérable, M. le ministre, je vais me permettre de le dire, de mon point de vue, des personnes endeuillées, des enfants lourdement handicapés, il y a, il me semble là, une conceptualisation de la vulnérabilité qui obéit à des principes, je vais me le… je vous le dis avec respect, à géométrie variable.

Et là, je pense que la notion même de vulnérabilité ici est en jeu. De quoi parle-t-on? Et on superpose à ça les trois formes de sécurité qui sont ajoutées dans le projet de loi. Ces termes-là vont devoir être définis, et ce seront les tribunaux qui devront le faire et, comme vous l'avez dit, au cas par cas.

M. Boulet : Mais il n'y a pas une loi, maître, qui ne requiert pas des difficultés d'interprétation ou d'application. Vous le voyez même avec les conventions collectives de travail. C'est la raison pour laquelle il y a des griefs ou des différends, parce qu'il y a des problématiques. Mais, ces termes-là, encore une fois, je veux vous confirmer que ça vise à diminuer l'entrave et à s'assurer que l'atteinte soit la plus minimale possible. Je veux faire des commentaires quand vous dites : Il y a un risque de normalisation des interventions du pouvoir exécutif. On a fait…

M. Boulet : ...extrêmement attention à ce que le pouvoir exécutif ne s'exprime que de façon extrêmement limitée. Vous l'avez vu, il y a deux mécanismes. Le premier, c'est un décret. Mais ce n'est pas le gouvernement qui décide. C'est une des parties qui peut demander au Tribunal administratif du travail, composé de personnes indépendantes et impartiales, qui détermine si les critères sont rencontrés. Si elles ne le sont pas, c'est la décision que nous allons respecter. On est dans un État de droit. Si le tribunal décide que oui, les parties ont à négocier le contenu des services minimalement requis pour assurer la sécurité ou pour éviter que la sécurité de la population ne soit affectée de façon disproportionnée.

Donc, il n'y a pas d'intention et il n'y aura pas de réalité de normalisation de l'intervention du pouvoir exécutif. Au contraire, il faut que ce processus-là soit le plus apolitique possible, le plus indépendant possible.

Et le deuxième mécanisme, c'est la même chose, le préjudice grave ou irréparable. Vous savez que ça a été analysé. Il y a des parties qui nous ont demandé que ce soit «sérieux» plutôt que «grave». Mais, même dans les contextes d'injonction interlocutoire provisoire, c'est des concepts qui ont été analysés fréquemment. Ce n'est pas nouveau. Et, encore une fois, c'est consécutif à l'intervention d'un conciliateur-médiateur, et que ça n'a pas donné de résultats.

Autre commentaire. Je vais aller à Me Rolland après ça. Mais, quand on fait des comparaisons avec 107 du Code canadien du travail, je regrette, là, puis je ne le lirai pas parce que vous êtes trois personnes qui le connaissez bien, il y a tout un écart. En fait, on a voulu donner une intelligence, on a voulu donner des balises. Puis on a utilisé des concepts qui sont vraiment une dégénéralisation de 107 du Code canadien du travail et une diminution considérable de ce qu'on peut appeler un pouvoir discrétionnaire.

Me Rolland, vous dites : Suppression du droit de grève. Je ne vois pas où on supprime le droit de grève. Il y en a qui nous demandent que ça devrait l'être au départ. On n'en est pas là. Et, même pendant la négociation, suivant le premier mécanisme des services minimalement requis et même avant la déférence à un arbitre de différends, dans le deuxième mécanisme, le droit de grève ou, il ne faut pas l'oublier, le droit de lock-out peut s'exercer. Est-ce qu'on est... C'est parce que je veux juste qu'on se comprenne bien. Il n'y a pas suppression du droit de grève.

Mme Rolland (Anne-Julie) : En fait, tout dépend dans quand s'exerce le pouvoir discrétionnaire du ministre, là. Quand on est dans le contexte de l'arbitrage obligatoire, au moment où le ministre mobilisera son pouvoir spécial, il y aura à ce moment-là interruption du conflit. Et c'est en ce sens-là que, tout à l'heure, je vous mentionnais qu'il n'y a pas de limite temporelle à la liberté d'association.

Et, le cas qu'on vous a mentionné dans notre mémoire à cet égard-là, c'est le cas de la loi spéciale qui a visé les juristes de l'État et qui a été adoptée, vous le savez sans doute aussi bien que moi, après plus de quatre mois de grève. Ce qui n'a pas empêché par ailleurs la Cour supérieure et la Cour d'appel de confirmer qu'il y avait eu atteinte à la liberté d'association, malgré le fait que la grève avait pu être exercée pendant un certain temps. Et, en ce sens-là, il n'y a pas de limite temporelle.

Donc, de mon point de vue, si le ministre mobilise son pouvoir pour déférer à l'arbitrage obligatoire, et la conséquence de cette décision-là, qui est discrétionnaire, entraîne l'arrêt de la grève, il y a suppression du droit de grève.

Mais permettez-moi quand même de revenir sur l'élément du Tribunal administratif du travail. Vous mentionnez que c'est un organe indépendant, nous sommes tout à fait d'accord, organe qui a la confiance des parties prenantes, des parties négociantes. Mais, cela dit, il faut quand même mentionner que l'attribution de compétence du Tribunal administratif du travail est tributaire de l'exercice d'un pouvoir spécial qui est conféré, pour ce qui est de l'arbitrage obligatoire, au ministre du Travail ou, pour ce qui est de l'assujettissement des services de bien-être, au gouvernement.

• (17 heures) •

M. Boulet : ...avec vous. Cependant, ce pouvoir-là est assujetti à un préjudice grave ou irréparable à la population. Ce n'est pas un pouvoir qui est purement discrétionnaire, comme ce qui est prévu à l'article 107 du Code canadien du travail.

Puis, autre commentaire, Me Rolland. Mais je vous comprends, là, tu sais, je sais qu'il y a une cessation à ce moment-là de l'exercice du droit de grève. L'entrave substantielle, vous nous partagez votre commentaire, ça va prendre une justification au cas par cas. Moi, là, je le répète, là...


 
 

17 h (version non révisée)

M. Boulet : …que sera tellement exceptionnel qu'année après année ce sera très, très peu utilisé. C'est ma conviction. Et je dis une fois, deux fois, trois fois, peut-être que je me trompe, puis est des critères qui auront à être éprouvés, quand même, par le Tribunal administratif du travail.

Vous référez à une atteinte minimale difficilement atteignable. Puis je reprends votre concept. Vous avez dit «difficilement atteignable». Je suis exactement du même avis que vous. C'est pour ça que le projet de loi doit s'assurer de freiner les interventions, doit s'assurer de limiter autant que possible l'utilisation d'un des deux mécanismes qui est prévu dans le projet de loi. Ça fait que là-dessus, on se rejoint aussi assez bien.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Est-ce que... Est-ce que vous me permettez? Juste peut-être sur 107, parce que je veux brosser le parallèle du pouvoir discrétionnaire. Alors, l'article 107, vous avez tout à fait raison, complètement différent de votre projet de loi. On est d'accord. Maintenant, l'article 107 a été mis dans le Code canadien en 1986. la première fois qu'il a été utilisé pour intervenir pour… pour agir dans une grève, c'était en 2011, une fois, 1986, 2011. En 2024 : Quatre fois.

M. Boulet : Je le sais. Je le sais. Je le sais.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Donc, c'est là-dessus qu'on parle du pouvoir discrétionnaire et on ne doute pas de vos intentions, M. le ministre. On ne doute pas des intentions du législateur au jour d'aujourd'hui. Ce qu'on dit, c'est qu'un pouvoir discrétionnaire conféré à l'exécutif, au gouvernement ou au ministre, qu'on met dans un code du travail, pour agir sur un conflit de travail, c'est une boîte de Pandore qu'on ouvre, qui peut être mobilisé. On ne sait pas à quelle fréquence et on ne sait pas à l'égard de quel contexte.

Et j'insiste sur le principe de prévisibilité, de primauté du droit qui exige que les citoyens, citoyennes, il y ait une égalité devant la loi. Et là ce pouvoir discrétionnaire là pose ce défi-là. Pourquoi? Parce que : Dans quel contexte on va utiliser le pouvoir discrétionnaire? Dans quels secteurs? Pour quels conflits, à quel moment? Bien, tout ça dépend, d'abord, l'activation de ça, c'est la discrétion du ministre ou du gouvernement. Et c'est simplement ça qu'on veut soulever comme étant un enjeu sur le plan des principes de primauté du droit.

M. Boulet : Je le comprends, puis je le respecte, puis je suis assez d'accord. En même temps, c'est une discrétion qui est contrôlée, je le répète, qui est soumise à un respect de critères qui sont bien établis dans la loi, dans la loi en devenir, et qui vont devoir être appliqués au cas par cas par le Tribunal administratif du travail.

Puis je le sais que, si c'était appliqué trop sommairement, de manière trop discrétionnaire, un, ça ne passerait pas la rampe du Tribunal administratif du travail. Et il y a un risque de contestation judiciaire au cas par cas, si c'est appliqué de manière incompatible avec les concepts qui sont dans le projet de loi. Encore une fois, on accroît les risques constitutionnels. Mais je comprends que l'imposition de l'arbitrage obligatoire est un mécanisme où il y a un peu plus un pouvoir discrétionnaire, mais, je le répète, ça doit être précédé par la démonstration d'un préjudice grave ou irréparable.

Et, au Québec, parce qu'il y a des syndicats qui nous ont fait référence à l'importance d'améliorer les processus de négociation en amont… c'est ce qu'on fait constamment par les services, comme je l'ai mentionné, d'amélioration des relations de travail par l'aide à la négociation d'une première ou d'un renouvellement de convention par une expertise, maintenant, qui est reconnue partout, de nos… de nos hommes et femmes qui font de la conciliation médiation.

Ça fait que je suis assez fier que la majorité des dossiers se règlent. Ça appartient aux parties. On ne veut pas s'impliquer, mais il y a une augmentation considérable de conflits et une augmentation considérable de conflits qui ont des impacts malheureusement préjudiciables sur des personnes qui crient parfois leur désarroi et leur vulnérabilité engendrés par ces conflits-là. Ça fait que merci beaucoup, on aura certainement l'occasion de vous reparler puis on… peut-être qu'on se parlera de recommandations potentielles aussi. Me Rolland, merci, Me Gesualdi-Fecteau, aussi, et Me Visotzky-Charlebois aussi. Merci de votre contribution.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci, M. le ministre. On enchaîne avec l'opposition officielle, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, 10 minutes, 24 secondes.

Mme Cadet : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mesdames, merci beaucoup de nous partager votre expertise aujourd'hui. C'est très éclairant. Je pense que je vais commencer sur la question d'arbitrage obligatoire parce qu'on a moins eu l'occasion de l'aborder avec ceux qui vous ont précédés. Et c'est également le sujet sur lequel nous nous sommes laissés… en fait, vous vous êtes laissé dans votre échange avec le ministre, et notamment, donc, sur la question de l'emploi, donc, de… du…

Mme Cadet : ...du pouvoir discrétionnaire. J'aimerais vous entendre donc sur la constitutionnalité de cet emploi-là en droit du travail et surtout en regard du poids que ce pouvoir-là occupe en regard de l'imposition unilatérale de conditions de travail. Je vous explique. On le sait, donc, bon, depuis, bon, 2015, donc, la question, donc, des lois spéciales... de la constitutionnalité des lois spéciales, donc, est de plus en plus fragilisée, notamment parce qu'il y a l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, mais aussi parce qu'il y a la question de... la question de l'imposition unilatérale, donc, de conditions de travail. C'est ce qu'on a d'ailleurs vu dans l'arrêt Saskatchewan, où, à ce moment-ci, donc, la décision qui était contestée devant les tribunaux portait sur le projet de loi adopté et ensuite sanctionné en 2008 au Saskatchewan... en Saskatchewan, où, en cas, donc, de désaccord dans les services essentiels octroyés à la population, l'employeur pouvait, de façon unilatérale, donc, imposer quels seraient ces services. Et c'est d'ailleurs cet élément-là qui a été fortement remis en question.

Donc, j'aimerais, donc, vous entendre, donc, sur ce cadre-là et comment le... comment, donc, cet exercice-là, donc, doit normalement être encadré et sa... le poids qu'il occupe, là, lorsqu'on... lorsque ces décisions-là, donc, sont contestées devant les tribunaux en regard de la question des positions unilatérales.

Mme Rolland (Anne-Julie) : En fait... Merci pour votre question. La raison pour laquelle le droit de grève a été constitutionnalisé en 2015, c'est justement parce qu'il permet aux personnes salariées de négocier leurs conditions de travail. C'est une arme économique de dernier recours. Et c'est pour cette raison-là que, d'entrée de jeu, je vous mentionnais que l'imposition d'un arbitrage obligatoire - et j'exclus les cas, les secteurs très restreints où on a jugé que c'était permis, l'exemple évident, les policiers, par exemple - constitue une atteinte à la liberté d'association. Et c'est pour cette raison-là que je vous mentionnais qu'il ne faut pas considérer que c'est une alternative, soit l'exercice de la grève ou la substitution de la grève par un mécanisme de règlement des différends.

Et, en ce sens-là, selon ma compréhension de l'état du droit actuel, si on décrète un arbitrage obligatoire, il y aura donc atteinte à la liberté d'association, et c'est en suite de ça, dans un deuxième temps, si on veut qu'il y aura une obligation pour l'État de justifier le recours à l'arbitrage obligatoire. Et, bon, il y a un test, là, que vous connaissez peut-être, là, qui devra être rempli. Pardon?

Mme Cadet : ...

Mme Rolland (Anne-Julie) : Oui, exactement. Que, bon, l'État poursuit un objectif urgent et réel et que, l'atteinte, elle est proportionnelle, et c'est à ce niveau-là que va s'évaluer le mécanisme de substitution, le mécanisme de règlement des différends. Et là, la jurisprudence est assez claire en termes de critères qu'il faut respecter pour que ce mécanisme-là soit valable. Et c'est, entre autres, en raison des lacunes des mécanismes d'arbitrage que les deux dernières lois spéciales qui ont été adoptées au Québec, en 2017 dans l'industrie de la construction et le cas que je mentionnais tout à l'heure, les juristes de l'État, les deux lois spéciales ont été invalidées sur cette base-là, en raison des paramètres, disons, insuffisants, là, si je simplifie, du mécanisme de règlement des différends.

Mme Cadet : D'accord. Oui, Me Gesualdi-Fecteau.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Je vais peut-être passer la parole à ma collègue qui va peut-être vous éclairer sur la question du comité de la liberté syndicale. Ça me semble important.

Mme Cadet : Oui. On peut... On peut aller tout de suite là-dessus. Oui.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Ça me semble important, parce qu'on en a beaucoup parlé. Je pense qu'il faut préciser certaines choses sur la portée des décisions du comité de la liberté syndicale et comment il peut éclairer le législateur ici dans le cadre des travaux parlementaires.

Mme Cadet : Merci.

• (17 h 10) •

Mme Visotzky-Charlebois (Maxine) : Parce que c'est vrai qu'il est question, donc, devant le CLS, du maintien des services… fonctionnement, mais c'est possible dans trois situations. La première, c'est essentiellement les services essentiels, là, qu'on connaît, au sens strict du terme. La deuxième situation, c'est des services, donc, qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme, mais où les grèves atteignent une certaine ampleur et durée. Et on considère alors là que ça pourrait provoquer une crise nationale aiguë qui menacerait les conditions normales d'existence de la population.

Et la troisième situation, on parle de services publics d'importance primordiale. Puis les activités qui sont discutées devant le CLS, il est question d'activités portuaires, de débardage, de transports en commun, de métro, de transport par rail, où ça, ce sont déjà tous des éléments qui sont inclus, là, dans nos notions de service public, que ce soit le Code canadien ou le Code du travail. Il est aussi question du secteur de l'éducation, mais, dans ce cas-là, on parle d'une grève prolongée…

Mme Visotzky-Charlebois (Maxine) : …c'est pour ça qu'on dit que les dispos envisagées dans le projet de loi, telles qu'elles sont formulées, sont trop larges et débordent du cadre établi par le droit international.

Mme Cadet : Merci beaucoup pour ces précisions. Parce qu'effectivement je m'en allais, donc, sur cette question-ci, puis je reviendrai peut-être avec des précisions quant à la question précédente que j'ai posée. Ici, donc, je comprends, donc, bon, crise nationale aiguë, donc les services essentiels tels que nous les connaissons, Services publics d'importance primordiale. Et, pour le secteur de l'éducation, en matière, donc, de grève prolongée, est-ce qu'il y a des... Bien, en fait, est-ce qu'il y a un cadre lorsqu'on parle donc de grève prolongée selon le droit international?

Mme Rolland (Anne-Julie) : En fait, c'est une question de contexte, et je pense que c'est un bon exemple, celui-là, pour illustrer les enjeux que posent les dispositions telles que rédigées actuellement dans le projet de loi. Je prends l'exemple des dernières grèves des enseignantes, à l'automne 2023, la durée de la grève a varié d'une association à l'autre, variant de quelques jours à quelques semaines selon l'association. Est-ce dire que le gouvernement, en tenant pour acquis qu'il se conforme au droit international, là, aurait pu mobiliser le pouvoir que lui confère l'éventuel article 111.22.4? Pour une association, mais pas pour l'autre? Puisque, dans un cas, on n'est pas en présence de grèves prolongées.

Et vous voyez que c'est un exemple concret qui met en cause le principe d'égalité devant la loi, qui rejoint le principe de primauté du droit qui est enchâssé dans la constitution. Parce qu'on se retrouve avec des associations différentes, mais qui négocient dans le cadre d'un même conflit de travail et qui négocient les conditions de travail d'une même catégorie d'emploi, qui se verraient, hypothétiquement, bien sûr, là, mais assujetties à un régime juridique différent. Et c'est pour cette raison-là qu'on pense que le projet de loi met en cause des enjeux fondamentaux tels que ceux de la primauté du droit et de l'égalité devant la loi.

Mme Cadet : Merci beaucoup. Oui, vous vouliez… poursuivre.

Une voix : Non, allez-y.

Mme Cadet : Parfait. Merci. Je vais revenir, donc, à la question de l'emploi du pouvoir exécutif, dont nous avons discuté un peu plus tôt. Je ne sais pas si vous avez entendu, donc, votre prédécesseur, donc, je lui posais la question sur laquelle… sur… je posais, donc, la question, donc, concernant l'émission d'un décret. Donc, vous l'avez mentionné à 111.22.4, qui est prévu à… qui est introduit par l'article 4 du projet de loi. Donc : «Le gouvernement peut, par décret, donc, désigner l'association accréditée et l'employeur à l'égard desquels le tribunal peut déterminer si les services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out.»

Votre prédécesseur, pour lui, donc, la question de l'émission du décret, pour cet article-ci, contribuait à une certaine politisation du dossier. On le sait, donc, dans notre régime de services essentiels, donc, ce mécanisme-là n'existe pas. Donc, le tribunal peut d'office, s'il, bon, croit que… bon, le… que les conditions, donc, sont remplies, ou les parties elles-mêmes peuvent saisir le tribunal, pour qu'il y ait détermination de ces services essentiels, donc en regard, donc, des critères qui sont bien établis. Donc, selon vous, est-ce que l'émission du décret en tant que telle ajoute un risque accru quant à… bon, on a parlé de politisation plutôt, là, mais est-ce que vous pensez qu'ici, donc, il y a… en fait, quel mécanisme, selon vous, aurait une atteinte la plus minimale possible à la liberté d'association en l'espèce?

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Dans les deux interventions qui sont proposées, autant sur le plan des services de bien-être que pour le… ce qui s'appelle… la section qui s'appelle sur le pouvoir spécial, on assiste à un glissement. Historiquement, quand l'État a voulu intervenir dans des conflits de travail, il le faisait par le biais d'une loi spéciale, qui était débattue en Chambre et qui était l'issue d'un processus démocratique. Ici, ce qui nous semble risqué, c'est qu'il y a un glissement entre le pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif, qu'on soit dans un décret gouvernemental ou dans l'intervention du pouvoir du ministre de déférer à un arbitre pour déterminer les conditions de travail, c'est ça, le problème. C'est le glissement entre le pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif, et, ce faisant, le caractère discrétionnaire, c'est de ça… c'est de ça dont on parle. Et la question de la primauté du droit, la prévisibilité du droit, l'égalité devant la loi, ce sont des piliers de notre démocratie. Et on est conscients que, oui, le TAT aura le pouvoir, en termes de services de bien-être, de se prononcer, mais, en amont, ça part de l'activation d'un pouvoir de l'exécutif.

Mme Cadet : Oui…

Le Président (M. Allaire) : 20 secondes.

Mme Cadet : Merci. Donc, s'il n'y avait pas l'émission d'un décret, selon vous, il y aurait une atteinte moindre à la liberté d'association à cet article-là?

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est-à-dire qu'on a déjà un régime de services essentiels, dans la loi, qui est encadrée. Et là, ce qu'on fait avec cette première partie là, du projet de loi, c'est qu'on superpose un nouveau régime…

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : …et qui… et j'insiste là-dessus…

Le Président (M. Allaire) : Merci… merci, merci.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : …pourra se faire…

Le Président (M. Allaire) : Peut-être poursuivre si le député d'Hochelaga-Maisonneuve souhaite que vous vous terminiez votre réponse. La parole est à vous, M. le député, pour 3 min 28 s.

M. Leduc : Terminez donc votre réponse.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Alors, je vais vous donner l'exemple, on en a… on entendu, ce matin, la question des services de transport en commun. Alors, par exemple, à la STM, à Montréal, il y en a, des services essentiels qui sont encadrés par les dispositions qui existent présentement dans le Code du travail. Alors, on pourrait assister à un cas où on essaie d'abord de faire avaliser des services essentiels dans ce qui existe déjà dans le code, puis, si ça ne marche pas, on passe à la deuxième étape, c'est-à-dire par le biais d'un décret, l'intervention du TAT. Quand on parle… quand on fait état de la confusion, de la complexité, du risque de judiciarisation, l'exemple des transports en commun est un exemple patent de notre point de vue.

M. Leduc : Donc, en ayant établi un régime parallèle, il vient un peu comme en contradiction avec le régime principal des services essentiels, ou le dialogue n'est pas très clair entre les deux, là.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Bien, c'est-à-dire que ce qu'il fait, c'est qu'il superpose un régime, hein, il superpose un régime à... On avait des services essentiels balisés. Maintenant, on a des services de bien-être avec trois formes de sécurité qui sont… Et, dans certains secteurs, on pourrait imaginer que c'est l'un ou l'autre qui pourrait intervenir, et voir les deux successivement.

M. Leduc : On y va à la carte, finalement.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Et les deux… ou les deux successivement…

M. Leduc : …ou les deux en même temps. Qu'est-ce qui va se passer, dans les prochains jours, prochaines semaines, si, par malheur, le projet de loi est adopté, au niveau du TAT? Parce que, là, on parlait tantôt des critères qui sont extrêmement larges. Comment ça va marcher? Est-ce qu'ils vont au TAT devoir se pencher d'avance sur l'interprétation de ces critères-là? Est-ce qu'ils vont attendre d'avoir un cas? Est-ce que vous êtes familiers un peu, là, avec le milieu?

Mme Rolland (Anne-Julie) : À entendre les propos du ministre, ça n'arrivera pas de sitôt, puisque c'est un pouvoir qui ne sera exercé que de façon exceptionnelle. Donc, on peut penser que ça prendra un certain temps, mais le Tribunal administratif du travail, en tant que tribunal, se prononcera sur des faits qui lui seront amenés, et va donc interpréter ces nouvelles dispositions là, qui n'ont pas d'équivalent dans la législation, sauf peut-être, j'en conviens, la notion de préjudice grave ou irréparable, et va devoir, à l'aune du cas qui lui sera soumis, interpréter ces nouvelles dispositions là, ces nouveaux concepts.

M. Leduc : Quant aux délais, moi, je mets mon petit 2 $ sur le fait que, s'il y a la grève de… générale des éducatrices en CPE, ce délai va être appliqué extrêmement vite. On verra bien. Qui vivra verra. Est-ce que c'est…

Le Président (M. Allaire) :

M. Leduc : Merci. Est-ce que c'est réaliste de penser… On a une annonce même aujourd'hui, par les collègues, notamment, de la FTQ, ça va être contesté le jour un de son adoption, ce… cette loi-là. On pense que ça va… Une Cour suprême, ça dure quoi, à peu près 10 ans avant de se rendre là, grosso modo, quelles sont les chances de succès d'une contestation?

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Écoutez, on ne va pas se prononcer sur les risques de succès d'une contestation. Ce serait très mal avisé de notre part. Mais ce qu'on… ce qu'on sait, par contre, c'est qu'à chaque décision du TAT, à chaque fois que le ministre active son pouvoir spécial, ça pourra faire l'objet d'une contestation sur la base des chartes. Et le cas par cas, c'est ça, le risque, et le ministre l'a évoqué à plusieurs fois dans le cadre des travaux ici, ce sera du cas par cas, et c'est ce cas par cas là, et on le voit avec l'article 107 du Code du travail, je répète, pas du tout la même chose que le projet de loi qui est devant nous, mais chaque intervention du ministre va donner l'objet à une décision sur le plan de la conformité de cette action-là, qui a été prise aux chartes.

M. Leduc : Donc, en plus de la contestation de la loi, il y aura aussi une possible contestation à chacune des décisions du ministre.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est tout à fait possible. C'est ça, le risque de judiciarisation, et c'est à ça qu'on vous met en garde.

Le Président (M. Allaire) : Merci.

M. Leduc : Merci.

Le Président (M. Allaire) : Malheureusement, ça met fin à ce bloc d'échange. On poursuit avec la députée de Jean-Talon, 2 min 38 s.

M. Paradis : Vous êtes trois ici avec nous, mais, en réalité, vous êtes huit experts et expertes dans les matières du projet de loi à nous informer aujourd'hui de risques très importants si on adopte ce projet de loi là. Vous nous… vous attirez, en fait, notre attention sur le troisième paragraphe de l'article 111.32.2, où on dit que «la grève ou le lock-out en cours prend fin à la date et à l'heure indiquée dans l'avis que le ministre a transmis s'il estime qu'une grève ou un lock-out cause ou menace de causer un préjudice grave.»

• (17 h 20) •

Ça, vous nous dites… en fait, vous mettez des mots là-dessus, puis je trouve ça intéressant. Vous dites que ça, c'est une suppression du droit de grève. Et vous nous rappelez qu'en soi une suppression du droit de grève, c'est une violation, c'est une… c'est une violation grave d'un droit garanti par les chartes, comme l'ont répété la Cour suprême, la Cour d'appel à quelques reprises. C'est exactement ce qui s'était passé dans l'affaire Saskatchewan. Et vous dites que, si on fait ça dans un projet de loi, c'est une banalisation d'une violation au droit. C'est bien ce que vous nous dites?

Mme Rolland (Anne-Julie) : Tout à fait. C'est une banalisation en ce sens qu'on vient codifier, on vient inscrire dans notre droit une disposition qui a…

Mme Rolland (Anne-Julie) : ...le potentiel, si elle est mobilisée, de porter atteinte à la liberté d'association, tout à fait.

M. Paradis : Le ministre nous dit, c'est ça qu'il a dit dans l'échange avec vous, il a dit :  Oui, mais, croyez-moi, ça va être exceptionnel. Est-ce que vous vous voyez quelque part dans l'article 111.32.2, que c'est écrit ça, que ça va être exceptionnel?

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est le risque d'inscrire. Et je répète, c'est un risque, ce n'est pas un risque avéré au moment où on se parle, mais c'est un risque d'ouvrir un pouvoir discrétionnaire comme celui-là et qu'il soit mobilisé de façon indéterminée. Et l'exemple de l'article 107 en est un excellent, adopté et introduit en 1986, utilisé une fois en 2011, quatre fois en 2024.

M. Paradis : Et vous nous dites qu'à chaque fois que le ministre va prendre cette décision-là, ça va entraîner une prolifération de recours judiciaires, et c'est l'État, donc ça va donner beaucoup de beau travail aux avocats, parce qu'à chaque fois il va falloir faire la preuve que c'était justifié, cette décision-là. C'est bien ce que vous nous dites. Donc, ce n'est pas de la stabilité que vous prédisez, c'est beaucoup, beaucoup d'activités devant les tribunaux.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est ce qu'on essaie de vous démontrer dans notre mémoire, qui fait près de 50 pages.

M. Paradis : Et non seulement des tribunaux nationaux, mais aussi éventuellement internationaux parce que c'est une violation du droit international que vous... à laquelle vous pointez aussi.

Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Il n'est pas impossible que le Comité de la liberté syndicale soit saisi. D'ailleurs, une des décisions sur le secteur de l'éducation émane du Canada.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci. Ça met fin à l'ensemble des blocs d'échange. Me Rolland, Me Gesualdi-Fecteau, Me Visotzky-Charlebois, merci énormément pour votre belle contribution à cette commission.

On suspend les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 23)

(Reprise à 17 h 29)

Le Président (M. Allaire) : Alors, nous allons reprendre les travaux. On accueille le dernier groupe de cette journée. M. Murray, Mme Laroche et M. Jalette, bienvenue à cette commission. Je vous laisse le soin de vous présenter avec votre titre complet si vous le souhaitez et je vous cède la parole, là, tout de suite après, là, pour votre 10 minutes d'exposé. Va s'ensuivre une période d'échange avec les parlementaires. La parole est à vous.

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, M. le Président, M. le ministre, messieurs, mesdames les députés, merci d'abord de nous recevoir dans le cadre de ces consultations particulières sur le p.l. n° 89. Mon nom est Mélanie Laroche. Je suis accompagné de mes collègues Gregor Murray, Patrice Jalette. Nous sommes tous les trois professeurs titulaires à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal et nous sommes chercheurs également au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail. Donc, nous ne sommes pas juristes, nous l'annonçant d'entrée de jeu et nous venons, pour cette fin de journée, vous donner certaines observations très axées sur nos recherches en matière de relations de travail, négociation collective et très inspirée, je vous dirais, par la thèse du livre qu'on fait lire à tous nos étudiants en relations industrielles, et ça s'appelle Why a balance is best. Donc, nos commentaires vont être beaucoup axés sur l'équilibre des forces dans le système de relations de travail.

Donc, je vais céder tout de suite la parole à mon collègue Patrice, qui va exposer les principes fondateurs du système de relations de travail, mais aussi vous montrer une analyse fine de la performance du système de relations de travail sur plusieurs décennies et donc pas basé uniquement sur quelques années récentes marquées par une conjoncture particulière, mais vous montrez ce degré de performance là. Et j'enchaînerai avec les implications, les grandes implications qui découlent de ce projet de loi là. Et Gregor pourra terminer cette présentation.

M. Jalette (Patrice) : Merci. Bonjour, tout le monde. Notre système de relations de travail est guidé par des principes fondamentaux comme la négociation de bonne foi, la paix industrielle, l'équilibre entre les parties ou l'encadrement des conflits d'intérêt public.

• (17 h 30) •

Le principe de la liberté des parties est probablement le plus fondamental de tous. Cette liberté se concrétise dans la négociation collective par la capacité des parties d'accepter ou de refuser les propositions qui leur sont soumises par leur vis-à-vis et son corollaire, le recours possible à un arrêt de travail. Selon ce principe, les parties les mieux placées pour juger de ce qui est bon pour elles, ce sont les parties qui sont à la table de négociation. D'après notre analyse des données du ministère, le système québécois de négociation collective demeure performant et nous ne voyons aucun dysfonctionnement qui pourrait justifier des changements comme ceux préconisés dans le projet de loi n° 89.

Trois constats. Entre 2001 et 2022, 92.6 % des négociations se concluent sans arrêt de travail, soit à la table de la négociation directe de la conciliation-médiation...


 
 

17 h 30 (version non révisée)

M. Jalette (Patrice) : …ou de l'arbitrage. Quant à la proportion des négociations impliquant un arrêt de travail, elle s'élève pour la période à 7,4 %.

Deux : bien que les arrêts de travail demeurent le… demeurent toujours l'exception, leur fréquence varie dans le temps. La remontée constatée au cours des dernières années est facilement explicable par la pénurie de main-d'œuvre et l'inflation, et n'a jamais atteint les sommets observés dans les années 1970 et 1980.

Trois : les… la variation des arrêts de travail et des hausses salariales s'expliquent généralement par le contexte économique. Les arrêts de travail seront moins fréquents et les concessions syndicales les plus fréquentes au cours des périodes de ralentissement économique, tandis que les arrêts de travail augmenteront et les gains syndicaux surviendront durant les périodes de croissance. La négociation collective, dans un contexte d'économie de marché comme le nôtre, obéit à des cycles qui vont s'équilibrer à long terme. Bref, le système fonctionne. Il est flexible, car il est capable de s'adapter aux conjonctures économiques et sociales et de refléter les priorités des parties à la négociation.

Mme Laroche (Mélanie) : Merci beaucoup. Donc, si j'enchaîne maintenant avec les principales implications qu'on voit dans ce projet de loi là, en fait, j'ai axé mon intervention sur cinq implications majeures. Et ces risques-là, qui découlent du projet de loi, s'inscrivent dans une rupture du régime actuel de relations de travail, à notre sens. Donc, on invite évidemment les membres de la commission, le gouvernement à une prudence par rapport à ces risques-là.

Donc, première implication, prudence face à un encadrement du droit de grève qui pourrait être excessif et qui va distinguer le Québec à l'échelle internationale. Donc, dans notre mémoire, on a insisté sur le fait que le droit de grève était plus encadré et beaucoup plus limité ici, au Québec, qu'ailleurs dans le monde. Et on a aussi une obligation de maintenir la paix industrielle pendant toute la durée de la convention collective, qui est aussi la plus longue au monde, il faut se le dire. La durée des conventions collectives, au Québec, c'est la durée la plus longue constatée dans le monde. Donc, on a un exercice du droit de grève qui s'exerce moins fréquemment qu'ailleurs sur la planète.

Avec le p.l. 89, en plus des professions qui n'ont pas du tout le droit de grève, en plus de l'encadrement du régime des services essentiels, on veut… finalement, on propose d'élargir le nombre de conflits qui vont être considérés, mais on introduit aussi un flou, hein? Je pense que nos collègues juristes, juste avant nous, ont quand même mis en évidence, là, la… des notions imprécises qui sont dans le projet de loi.

Et, dans notre position, ce qu'on constate, c'est qu'il y a un problème de mesure aussi, qui va être difficile à résoudre avec le projet de loi. Qu'est-ce qu'on entend par «affecter de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique et environnementale»? Comment on va mesurer les désagréments à ces formes de sécurité là de la population, sans prendre en considération aussi dans l'analyse tous les bénéfices qui découlent des conflits de travail et que la population en sera privée, en fait?

Donc, on a démontré que la négociation collective et le droit de grève qui y est associé exercent un effet d'entraînement qui permet d'améliorer les conditions de travail, pas seulement dans le milieu visé par le conflit, mais aussi dans d'autres milieux syndiqués, et aussi dans des milieux non syndiqués. Donc, il faut éviter, à notre sens, cette concurrence-là entre les droits des travailleurs syndiqués, qui exercent leur droit de grève, et ceux de la population, parce que la population bénéficie aussi ultimement des gains qui sont générés par la négociation collective.

Deuxième implication, prudence face à un niveau d'interventionnisme étatique et d'incertitude inégalé dans la dynamique des négociations collectives. Donc, vous avez parlé beaucoup avec nos collègues juristes des nouveaux pouvoirs octroyés au ministre du Travail dans le projet de loi. Et ces principes-là vont à l'encontre du principe de la libre négociation des partis. Règle générale, dans notre système, l'État s'immisce très peu dans les négociations collectives et demeure à l'extérieur du conflit de travail, surtout dans le secteur privé.

Là, ce qu'on constate, avec le p.l. 89, c'est une nouvelle capacité du pouvoir exécutif de mettre, lorsqu'il va le juger nécessaire, un chapeau de joueur et non plus uniquement d'arbitre, et ce, de manière imprévisible à tout moment du processus de négociation. Ce qui va dépouiller à notre sens les parties à la négociation de toute prévisibilité stratégique possible. Et ça risque d'introduire beaucoup d'incertitudes dans le processus de négociation collective. Par exemple, face au risque de la suspension du droit de grève, ou du lock-out, ou de l'imposition d'un arbitrage obligatoire, l'une des deux parties pourrait souhaiter ne pas négocier et attendre une certaine intervention du ministre, ce qui pourrait contribuer, finalement, à court-circuiter les effets d'un conflit de travail. Et c'est ce qu'on a démontré dans le mémoire, c'est le fameux effet de…

Mme Laroche (Mélanie) : ...cause, la négociation collective.

Troisième implication : prudence face à une politisation accrue des relations de travail dans le secteur privé. Si le projet est adopté tel quel, les représentations politiques auprès du ministre du Travail vont inévitablement faire désormais partie de la stratégie de négociation collective. Donc, et à ce propos, on a quand même déjà des études qui portent sur un autre sujet, c'est sur l'adoption des lois spéciales qui étaient beaucoup plus utilisées avant le fameux arrêt de 2015, mais qui nous permettent déjà d'anticiper que l'interventionnisme étatique pourrait être plus ou moins prononcé selon le caractère majoritaire ou minoritaire du gouvernement, selon l'agenda, l'idéologie politique ou le programme politique qui va être en place au sein du gouvernement. Donc, il faut se poser la question : Est-ce qu'on veut vraiment d'un système de relations de travail qui est plus politisé, et dont la dynamique pourrait varier selon la couleur du gouvernement qui va être au pouvoir?

Quatrième implication : prudence face à des mécanismes qui ne permettront peut-être pas de régler les véritables problèmes des parties en matière de relations de travail. Donc, le projet de loi impose ultimement un recours à l'arbitrage des différends, un mécanisme de dernier recours parce qu'il prive les parties de leur droit de décider du contenu des conventions collectives, mais surtout des solutions à apporter à des véritables problématiques qui sont vécues dans les milieux de travail. En règle générale, les arbitres sont assez disposés à aborder des questions sur lesquelles ils peuvent aligner leurs recommandations, donc là où il y a des comparables, c'est-à-dire sur les matières... les enjeux salariaux ou les avantages sociaux, mais ils vont être beaucoup plus réticents à faire des recommandations sur des questions comme l'organisation du travail ou toute autre question qui se retrouve finalement au cœur de l'organisation des performances des entreprises ou de la cohésion sociale qui est nécessaire pour assurer une compétitivité durable. Donc, c'est précisément sur ces enjeux-là que portent les longs conflits de travail, et c'est précisément sur ce type de conflit qu'on pourrait demander l'intervention du ministre.

Donc, à l'issue du processus qui est proposé, peut-être que le conflit va être terminé, peut-être qu'on aura moins dérangé la population...

Le Président (M. Allaire) : En terminant.

Mme Laroche (Mélanie) : ...mais les personnes et les problèmes, eux, ne seront pas réglés.

Le Président (M. Allaire) : Merci.

Mme Laroche (Mélanie) : La cinquième implication, bien, je pourrai la mentionner en période de discussion.

Le Président (M. Allaire) : Excellent, parfait! Merci de votre collaboration. On débute la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre, vous avez 16 minutes.

M. Boulet : Merci. Merci de votre présentation, de votre temps, de votre énergie, de votre intérêt aussi. Je vais vous permettre, Mme Laroche, de parler de votre cinquième point, là, en autant que ce soit limité dans le temps, par respect pour les autres groupes qui étaient limités par 10 minutes, là. Je ne sais pas, une minute, une minute et demie, là, mais j'aimerais vous entendre.

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, en fait, la dernière implication pour nous, c'est une prudence face à un pouvoir accru qu'on laisse à l'exécutif, mais un pouvoir qui pourrait être inutile dans un sens, parce qu'il y a déjà un coffre à outils ministériel qui est déjà bien garni pour aider les partis à la négociation. Pour nous, c'est clair, dans... il y a différents mécanismes qui permettent une intervention proactive en matière d'aide à la négociation, et c'est là pour nous où il faudrait le plus agir, donc en amont du conflit. S'il y a conflit de travail, c'est parce qu'il y a des problèmes à la négociation et c'est là où il faudrait mettre plus d'emphase pour régler ces problématiques-là. Donc, il y a plusieurs... il y a plusieurs mécanismes qui sont prévus dans le Code du travail et, à notre sens, il y a aussi des mécanismes institutionnels au Québec qui existent, qui pourraient pourraient contribuer à aborder les problématiques et les cas particuliers dont il est question depuis le début de cette commission-là et qui pourraient être abordés entre partenaires sociaux. Et je ne pense pas que ce projet de loi là soit nécessaire pour solutionner ces cas particuliers. Voilà.

• (17 h 40) •

M. Boulet : O.K. Je comprends bien. Au-delà de mes remerciements, vous me permettrez de faire un certain nombre de commentaires, mais, encore une fois, je trouve, comme les personnes qui vous ont précédés, c'est le ton que j'apprécie. C'est ça, la discussion, c'est ça le dialogue. Puis j'aime bien, Mme Laroche, quand vous référez au volume, le «why balance is best». En fait, c'est l'équilibre que nous recherchons tous et toutes ensemble, et c'est ce qui nous a guidés, qui nous a motivés dans la préparation de ce projet de loi là. L'équilibre, ce n'est pas de mettre les uns contre les autres, c'est de...

M. Boulet : ...de s'assurer d'une saine harmonie ou d'une saine symbiose entre les droits des uns et les droits des autres. Et il y a les salariés, oui, parce que vous faites beaucoup référence aux salariés, les syndicats font référence aux syndicats, mais il y a aussi les employeurs dans cette équation-là. Puis, au-delà des grèves, même s'il y en a plus, il faut aussi référer au lock-out. Puis le lock-out, évidemment, il ne bénéficie pas de la même protection constitutionnelle que la grève, mais n'oublions pas, parce qu'il y a des PME puis il y a beaucoup de petits entrepreneurs puis beaucoup de petites entreprises syndiquées.

Ça fait que ce n'est pas de mettre en confrontation les salariés avec la population ou de mettre en confrontation, peut-être que vous le pensiez sans mentionner, les employeurs avec la population. Non, c'est de s'assurer que l'exercice de droits fondamentaux ou constitutionnels, dans le cas des syndicats, c'est la grève, dans le cas des employeurs, c'est un lock-out, même si ce n'est pas constitutionnel, donc un équilibre avec les droits de la population qui est souvent sans aucun outil pour se débattre dans des conflits de travail qui engendrent des préjudices ou des dommages importants. Puis je sais qu'il n'y en a pas beaucoup de cas concrets, et c'est la raison pour laquelle je reviens sur la circonstance exceptionnelle qui va permettre au législateur d'intervenir. Puis ce n'est pas une loi spéciale, une loi spéciale, elle est inconstitutionnelle. Et on peut-tu se permettre de réfléchir au Québec à des façons nouvelles d'aborder les relations de travail? Vous avez vous-même fait référence à la pénurie de main-d'œuvre puis à l'inflation, ajoutez aussi la pandémie. C'est quand même des circonstances extraordinaires qui ont mis en exergue les répercussions que des conflits prolongés pouvaient avoir sur une population. C'est ça qui nous interpelle. Ce n'est pas de lutter contre un ou contre l'autre, c'est de s'assurer d'avoir la meilleure harmonie possible.

Et je reviens, je pense que c'est vous qui le mentionniez... non, c'est M. Jallette, on a un système de négociation au Québec qui est performant. Vous avez dit : Un système de négociation qui fonctionne au Québec. Ah! il y a des syndicats qui sont venus me dire : Là où vous devriez mettre votre énergie, c'est améliorer le régime de négociation. Mais j'apprécie votre commentaire parce que j'y adhère totalement. On a mis en place une équipe au ministère, puis vous le savez, vous les connaissez, amélioration des relations de travail, on fait de l'aide dans les négociations. Nos conciliateurs, médiateurs, puis il n'y a pas des données, mais il y en avait, entre 2014 et 2020, contribuent de façon importante à éviter au Québec des conflits de travail. Vous le mentionniez, M. Jallette, 74 % ou 7 % de conflits de travail, c'est ça qu'on veut. Il faut même l'abaisser, ce pourcentage-là, il faut penser en termes d'alternatives de négociations ou de règlement de litiges. On traîne la patte sur d'autres pays. Ça, ça m'interpelle. Ça, ça m'intéresse. Puis ma sous-ministre qui est avec moi travaille avec une équipe de renom qui fait un travail extraordinaire. C'est comme ça qu'on se distingue au Québec, en évitant les conflits, en faisant de la négo raisonnée. Ça fait que c'est important pour moi de le mentionner.

Vous disiez : Bon, on se distingue au Québec, puis ça, c'est vous, Mme Laroche. Quant à l'exercice du droit de grève, vous pensez probablement à des grèves pendant les durées de conventions collectives dans certains pays. Et quel pays? Pouvez-vous, peut-être, en identifier deux ou trois où ils peuvent faire la grève pendant la durée de vie de la convention?

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, dans le mémoire, on a mis certains exemples. Il y a la France notamment, il y a l'Angleterre, il y a l'Italie, l'espagnol... l'Espagne, excusez, c'est le soir.

M. Boulet : C'est un nouveau pays, ça.

Mme Laroche (Mélanie) : Oui, voilà. Donc il y a différents pays, mais c'est complexe, hein, de comparer les régimes de relation de travail. Donc, tu sais, si on veut prendre certains... parce que j'entends depuis le début de la commission qu'en France on assure des services minimums, mais en France ils peuvent sortir quand ils veulent en grève aussi. Donc, il faut faire attention quand on compare les régimes de relation de travail tellement.

M. Boulet : Tellement, tellement. Puis vous avez raison, puis je suis d'accord avec vous, puis même quand on se compare avec le reste du Canada, tu sais, il y en a qui disent : 90 % des conflits sont au Québec, mais, en même temps, le taux de syndicalisation est plus élevé au Québec que dans le reste du Canada. Puis...

M. Boulet : ...est beaucoup plus élevé au Québec qu'il l'est, par exemple, aux États-Unis, ça fait que c'est sûr que ça a un impact sur le nombre de négos et sur le nombre de conflits de travail. Puis je n'ai pas fait ce jeu de comparaisons là. Tu sais, on... je ne peux pas dire on a eu 282 ou 200... ou 382 conflits en 2020, j'ai lu des personnes qui référait à au-delà de 700 parce qu'ils tenaient compte des conflits par accréditation syndicale. Ça fait que c'est sûr que faire des comparaisons, Mme Laroche, je suis d'accord, c'est un jeu qui est périlleux.

Je veux revenir, là. Les notions imprécises, convenez avec moi, puis le groupe qui vous a précédés le comprenait, là, mais, tu sais, il y a deux mécanismes. Le premier mécanisme sur la notion de disproportionné, bien, je le dis, là : «l'effet sur la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population», moi, je dis tout le temps, doit être significatif, puis ça ne peut pas être évidemment de quoi qui est moins significatif. Puis, tu sais, il y en a qui pensent que ça peut être un inconfort ou un désagrément, on s'éloigne beaucoup, beaucoup. Ce n'est pas le but du projet de loi. Il faut que la population vive des répercussions significatives. Puis je vais le répéter constamment.

Quant au deuxième mécanisme, la notion de préjudice grave ou irréparable, vous la connaissez, c'est dans des contextes d'injonction interlocutoire, provisoire. Ça a été interprété puis appliqué. Mais Mme Laroche, puis M. Jalette, puis Gregor... M. Murray, toute nouvelle loi, si elle est adoptée à l'Assemblée nationale, fait l'objet d'interprétations. Que ce soit une convention ou peu importe le document contractuel, ou l'accord commercial, ou la loi, il y a des mésententes. Le français est une langue imparfaite. Toutes les langues le sont, d'ailleurs.

Je ne nie pas non plus que la négo fait en sorte qu'on améliore des conditions de travail, je le sais. Pour ceux qui ont mis la main à la pâte puis mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve en a négocié, il en a même négocié des deux côtés. Puis on le sait, que ça génère une bonification des conditions de travail.

Ceci dit, il y a un commentaire que vous avez fait sur l'arbitrage. Évidemment, l'arbitrage ici, il est consécutif à une conciliation-médiation infructueuse, il est soumis à la démonstration d'un préjudice grave ou irréparable à la population, mais je vous ai entendu dire, Mme Laroche, un arbitre ne peut pas s'impliquer au-delà. Tu sais, parce que même quand des parties, là, indépendamment de notre p.l., font une demande de nomination d'un arbitre au ministre du Travail avant de déférer, il y a un formulaire qui est rempli, puis les deux parties indiquent les sujets sur lesquels il y a un différend, et l'arbitre a l'autorité de déterminer le contenu de la convention collective en s'intéressant aux sujets qui font l'objet du différend et en utilisant des critères que vous connaissez, qui sont dans le Code du travail ou dans la Loi sur le régime de négociation dans le secteur municipal, mais il n'y a rien qui empêcherait un arbitre, ou un médiateur, ou un tiers d'aider les parties à revoir une organisation de travail, ça peut s'exprimer par des horaires, des mécanismes de plantation, et tout ça fait généralement partie de la convention collective, des plans de formation, qu'est ce qu'on fait dans le contexte de changement technologique? Est-ce que je vous ai compris qu'un arbitre avait des pouvoirs limités à cet égard là? Ah, O.K., O.K., je n'avais juste pas bien saisi. Mais l'arbitre, on sait que c'est une personne qui fait l'objet d'une recommandation consensuelle par les associations patronales et les centrales syndicales, des profils soumis par le Comité consultatif du travail et de la main-d'œuvre, et donc ça nous assure d'une impartialité puis d'une objectivité.

Le niveau... L'attentisme dans les négos, ça, j'ai de la misère à le saisir. Puis là c'est soit un de vous trois, là, mais qu'est ce que vous pensez que le projet de loi peut avoir comme impact sur l'attentisme auquel, je pense, c'est vous Mme Laroche, les partis vont attendre. Ils vont attendre quoi?

• (17 h 50) •

Mme Laroche (Mélanie) : Mais il y a des exemples assez récents, là, qui nous montrent que cette stratégie-là est utilisée par les employeurs.

M. Boulet : Comme?

Mme Laroche (Mélanie) : Le dernier conflit ferroviaire. 107. Votre projet de loi, c'est différent, je le sais.

M. Boulet : J'espère. Merci de le dire.

Mme Laroche (Mélanie) : Mais les employeurs, dans le ferroviaire, au moment du dépôt de l'avis de lock-out, ont aussi demandé l'intervention du ministre la même journée. Donc, c'est un exemple récent qui démontre qu'un changement ou un pouvoir qui peut être...

Mme Laroche (Mélanie) : …exercé par un ministre, devient un élément de la stratégie de relations de travail et de négociation collective.

M. Boulet : Je le comprends, puis moi aussi, je l'ai pensé comme ça, que c'était une stratégie patronale de décréter un lock-out, puis je le comprends, puis de ne pas négocier à la table, mais 107, ce n'est pas notre projet de loi, puis notre projet de loi ne pourrait pas générer la même application que 107, c'est… 107, c'est… il peut décider tout ce qui est de nature à favoriser la bonne entente. Puis il peut ordonner… il peut ordonner à peu près ce qu'il veut au Conseil canadien des relations industrielles. On est dans deux univers, on est dans un univers, dans ce projet de loi là, où il y a des balises, qui peuvent être précisées, j'en conviens, ce n'est jamais d'une clarté absolue, mais on n'est pas dans le même univers. O.K., mais je comprends l'attentisme. En fait, 107 peut générer des stratégies, par exemple, patronales, d'attendre, de ne pas trop négocier en attendant que le ministre utilise 107. Surtout que, oui, je comprends très bien ce point-là. Oui, vous vouliez M. Murray, moi, je vous laisse vous exprimer.

M. Murray (Gregor) : Oui, simplement pour revenir, et je conviens tout à fait que nous avons un excellent service de médiation et de conciliation.

M. Boulet : Merci.

M. Murray (Gregor) : Et ça, c'est clair, et depuis longtemps, on avait une approche proactive aux relations du travail pour l'amélioration des relations du travail. Nous sommes très portés sur les pratiques des négociateurs et des négociatrices, mais il faut faire attention à… C'est ce que je vais décrire comme un peu de pensée magique à l'égard de l'arbitrage. Vous vous mettez dans la position d'un arbitre ou d'une arbitre, qui est là, et l'avenir de l'entreprise en dépend, du jugement, parce qu'un conflit qui perdure, normalement, ce n'est pas : Moi, je veux 5 % et je vous offre 4 %. Il y a des questions plus graves, et les arbitres hésitent à se substituer aux parties en mettant leur jugement. C'est plutôt le travail de médiateur ou de conciliateur qui cherche à amener les parties… Mais c'est ce que nous, nous incite à la prudence, et à votre lecture de la prudence, c'est de dire : En quoi les parties perdent de l'autonomie pour développer des solutions aux problèmes qu'ils sont en train d'identifier? Et je pense qu'on est tous d'accord sur ce point-là, mais le recours à l'arbitrage, dans un conflit, notamment de secteur privé, soulève cet enjeu de manière importante et peut faire partie des stratégies de négociation, à disons : Est-ce qu'on veut de l'arbitrage? Est-ce qu'on ne veut pas de l'arbitrage?

M. Boulet : Mais c'est intéressant ce que vous soulevez, parce que… pardon?

Le Président (M. Allaire) : Une minute.

M. Boulet : …on est sur la même longueur d'onde. Il faut mettre l'accent sur le processus de négociation, vous l'avez dit, qui fonctionne bien, puis les alternatives de résolution de litiges, c'est notamment la conciliation, médiation. Il faut mettre tous les oeufs dans ce panier-là et se dire que la convention, ultimement, c'est la loi des partis, ça leur appartient. Ce n'est que dans le cas… dans les cas exceptionnels où il y a un préjudice grave ou irréparable à la population, que là, ça s'imposerait. Donc, les cas stratégiques, à mon avis, sont pratiquement impensables. La politisation accrue, on a voulu ça le plus apolitique possible, le plus près des enseignements du jugement de la Cour suprême du Canada dans Saskatchewan. Et c'était un projet de loi… On débute les consultations particulières. On va faire une étude détaillée. Si vous avez des recommandations, n'hésitez pas à échanger avec mon équipe. Merci beaucoup de votre participation.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. le ministre. On enchaîne avec la députée de Bourassa-Sauvé. Vous avez 10 min 24 s. La parole est à vous.

Mme Cadet : Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois, M. Murray, Mme Laroche et M. Jalette. Merci de nous partager votre expertise en relations industrielles. Donc, je vais essayer, donc, d'en tirer le mieux profit au cours de ces 10 prochaines minutes. Je vais peut-être, donc, y aller, M. Murray, donc sur vos derniers propos. En fait, donc, vous disiez que l'arbitre, donc, hésitera, donc, à se substituer aux parties, si, d'aventure, donc, un conflit, donc, devait se retrouver devant un arbitre, là, en vertu, là, de l'emploi de l'article 5 du projet de loi. Selon vous, quel est… Et c'est pour ça que je parle donc de votre expertise en relations industrielles, quel rôle cet outil-là pourrait jouer dans les stratégies de négociation…

Mme Cadet : ...des parties? Sachant que, bon, il serait possible que cet outil-là soit utilisé dans les circonstances exceptionnelles, donc, on a parlé donc de préjudices graves ou irréparables, est-ce que les parties se diraient : Moi, je n'ai pas envie que l'arbitre, justement, prenne cette décision-là à ma place, parce que, bien, ça va être une décision assez insatisfaisante qui va se baser sur les précédents? Donc, nous comme parties, on est mieux de s'entendre, si on en arrive vraiment à ce moment-là de la négociation, plutôt que de se faire imposer en fait, donc, une décision de la part d'un arbitre qui va être plutôt timide dans les décisions, là, qu'il va prendre donc en se basant presque exclusivement sur les précédentes conventions collectives négociées.

M. Murray (Gregor) : Je vais passer votre question...

Mme Cadet : Parfait.

M. Murray (Gregor) : ...à Mme Laroche, qui pense à la négociation collective 24 heures par jour.

Mme Cadet : Parfait, parfait. Ça me fait grandement plaisir.

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, je l'ai annoncé tantôt, l'arbitrage de différends, c'est un mécanisme de dernier recours, et c'est à l'encontre de l'autonomie des parties en matière de négociations collectives, et, quand on regarde le recours à l'arbitrage de différends dans le secteur privé, il n'est à peu près pas utilisé, hein, les deux parties doivent être d'accord. On ne veut pas perdre le contrôle sur des décisions qui sont souvent névralgiques pour l'entreprise, qui vont marquer l'avenir de l'entreprise, on ne veut pas que ce soit un tiers... Puis j'ai entendu des choses depuis le début de la commission qui m'ont vraiment surprise. Tu sais, on a même suggéré d'aller plus loin dans l'arbitrage puis de dire : Bien, on va y aller sur l'offre finale. C'est quelque chose qui à mon sens va à l'envers du bon sens, là.

Donc, on a des questions complexes. Si on regarde les derniers conflits dans le secteur public, là, ce n'est pas une question d'enjeu salarial, là, c'était une question qui touchait sur les questions d'évolution de la pratique, l'encadrement de l'organisation du travail. C'est des questions puis des enjeux qui sont terriblement complexes.

Patrice, je pense que tu voulais ajouter quelque chose sur l'arbitrage.

M. Jalette (Patrice) : Oui, oui. Bien, simplement revenir avec le fait qu'il n'y a rien, effectivement, qui empêche l'arbitre d'intervenir, il n'y a pas de limites, bien, posées, sinon les critères qui sont dans le Code du travail. Et ce n'est pas une question d'illégitimité, l'action des arbitres est très légitime, mais généralement, pour le dire comme ça, c'est... les arbitres vont se garder une petite gêne...

Mme Cadet : Oui.

M. Jalette (Patrice) : ...c'est-à-dire, avant d'imposer des changements, ils n'imposeront pas une réorganisation complète de l'entreprise.

Puis mon collègue Gregor parlait de la pensée magique par rapport à l'arbitrage. L'arbitrage, ça règle le problème de la grève, ça grève... ça règle le problème peut-être aussi des... de la population, mais ça ne règle pas le problème des parties, hein. Le problème, ce n'est pas la grève, c'est un problème de négociations, et c'est là-dessus qu'il faut jouer, et non pas sur les conséquences ou les symptômes, là.

Mme Cadet : Oui, certainement, puis, parce que le ministre l'a mentionné dans l'échange qu'il a eu avec vous, donc vous n'êtes pas le premier groupe à nous parler des mesures qui... en fait, qui devraient être prises en amont, là, j'en ai bien pris note, pour éviter, là, justement que les conflits, donc, généraient un... dégénèrent donc à un point où il y a arrêt de travail, donc il y a impact sur la population.

Peut-être juste, donc, vous... non, donc une précision sur la question précédente que je viens de poser ici. Donc, vous le dites, bon, on l'a dit, donc, l'arbitre, donc, va se garder donc une petite gêne ici. Donc, pour m'assurer, est-ce que vous pensez que ça peut être une espèce de, bon, d'épée de Damoclès, là, si on veut se dire... Par exemple, on dit, là, à 111.32.2 : «Le ministre peut - donc - s'il estime qu'une grève ou un lock-out cause ou menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population et que l'intervention d'un conciliateur et médiateur s'est avérée infructueuse, déférer le différend à un arbitre.» Donc, j'imagine que le ministre, à ce moment-là, donc, informerait les parties, disant : Bien, écoutez, on en arrive à ce point-là, je... À ce moment-ci, attention, donc ça se peut que je défère le différend à un arbitre, que j'utilise donc ce pouvoir, donc, spécial, exceptionnel.

• (18 heures) •

Donc, jusqu'à quel point vous pensez, en termes de relations industrielles — donc, je ne souhaite pas de poser ma question sur le plan juridique ici — que, bien, pour les parties, donc, quand elles arrivent donc à ce point-ci, se disent : Là, vous savez quoi? Là, on va négocier, parce qu'on ne veut pas se rendre à un arbitrage? Ce qu'on a bien compris de votre part, c'est qu'on... dans la grande majorité des cas, donc, ça ne se rend pas à l'arbitrage, lorsque c'est possible de le faire. C'est ce qu'on a vu d'ailleurs, donc, dans l'étude du projet de loi n° 88, juste avant celui-ci, et... Donc, on fait tout pour éviter de se rendre donc à cette étape-ci, qui...  qui est plate, qui n'est pas à l'avantage d'aucune des deux parties, parce que, vous l'avez dit, les éléments sur lesquels on négocie et pour lesquels c'est plus difficile de s'entendre, ce ne sont pas des éléments qui sont de nature salariale. Donc, jusqu'à quel point ça peut jouer ce rôle-là d'épée de Damoclès de dire : Bien, nous, on va négocier, parce qu'on veut utiliser notre recours à la libre négociation plutôt que d'avoir une décision qui, oui...


 
 

18 h (version non révisée)

Mme Cadet : ...neutre, indépendante de la part d'un arbitre. Donc, ce n'est pas une imposition d'une loi spéciale avec la négociation, l'imposition, plutôt, là, de clauses de conventions collectives, mais on veut s'assurer de nous-mêmes choisir quelles seront les prochaines prochaines clauses de notre convention collective.

Mme Laroche (Mélanie) : Le projet de loi n° 89 est déposé dans une conjoncture bien particulière. Donc là, je vais prendre le temps de l'expliquer. En 10 minutes, ce n'est pas toujours facile d'expliquer la logique inextricable d'un système de relations de travail. Mais là, ce projet de loi là, il est déposé dans une circonstance bien particulière, dans une circonstance où, oui, il y a une augmentation du nombre de conflits de travail, dans une circonstance où, oui, il y a eu des gains syndicaux dans les dernières... dans les dernières années, dans les derniers mois récents, mais il faut aussi dire que les syndicats au Québec sortent de 40 ans d'années, 40 années de négociation ultraconcessives, O.K., et on n'a jamais intervenu pour essayer de rétablir le rapport de force entre la partie patronale et syndicale. Donc, on est dans une circonstance particulière où là, oui, il y a eu des gains syndicaux qui ont été formulés, là, qui ont été réalisés dans les dernières années, et il faut faire attention à l'équilibre fragile du système de relations de travail au Québec, parce que oui, il y a la négociation décentralisée, mais il y a aussi tout un mécanisme de dialogue social qui vient orienter les grandes orientations du Québec en matière de développement des compétences de la main-d'œuvre, en matière de formation professionnelle, et tout ça tient ensemble. Donc, c'est un système de nature hybride. Donc, il faut faire attention à cet équilibre fragile, là.

Pour répondre à votre question directement : Est-ce que ça va constituer une épée de Damoclès qui est suffisante? Ça va dépendre comment ce pouvoir-là va être utilisé, et on ne le sera jamais tant et aussi longtemps que le pouvoir exécutif va l'exercer. Qui sera au pouvoir aux prochaines élections? Moi, je ne le sais pas, je n'ai pas de boule de cristal, puis j'imagine que chacun d'entre vous avez une opinion différente à ce sujet là, mais on ne sait pas qui aura ce pouvoir-là entre les mains, on ne saura pas comment ce pouvoir discrétionnaire là va être utilisé. Et est-ce que ça va devenir une stratégie pérenne de certaines parties pour éviter les conflits de travail? Peut-être. Est-ce que ça sera si exceptionnel? Peut-être. Mais peut-être que ce ne le sera pas non plus.

Et ce que mes collègues juristes faisaient valoir dans leurs interventions tout à l'heure, c'est que l'article 107, quand il a été écrit au niveau du fédéral, là, l'utilisation qui était préconisée, ce n'était pas celle qui a été... qui a été en 2024, donc il n'a pas été écrit dans cet esprit-là. Donc, peut-être qu'aujourd'hui on a un article qui est plus clair que l'article, que l'article 107 au fédéral, peut-être que, dans la tête du législateur, à ce moment précis, ce sera des utilisations extraordinaires, mais les recherches puis l'expérience nous montrent qu'un pouvoir discrétionnaire, bien, ça varie dans le temps puis, la façon dont tu vas être utilisé, c'est dangereux. Donc, l'écrire dans un projet de loi, c'est à notre sens aussi très risqué.

Mme Cadet : M. Murray, vous voulez intervenir?

M. Murray (Gregor) :  Et si le temps me permet. Simplement pour dire que, depuis quelque temps, nous menons des groupes de discussion auprès des travailleurs sur les transitions climatiques. Sur les groupes de discussion, on était un peu ébahies par le degré de cynisme et d'aliénation des personnes qu'on rencontrait, autrement dit les travailleurs, votre électorat, nos collègues, nos concitoyennes, concitoyens qui disent : Ah, mais c'est normal, les inégalités, les disparités de pouvoir, ainsi de suite, on n'attend pas un retour. Très intéressant. Et moi, je m'inquiète, si on est en train de leur dire en plus : Un des outils que vous avez, à savoir le droit d'association et de grève, va être limité. Ils vont dire : Ah, mais je le savais, c'est comme ça notre société. Et c'est... Il y a un écart réel entre les recours constitutionnels, et la judiciarisation, et le reste, et c'est ce qui se place... c'est ce qui se passe sur le plancher, dans les cafétérias des lieux de travail au Québec. Et i y a un degré d'aliénation et il faut faire attention dans les projets de s'assurer qu'on n'est pas en train de limiter le droit d'association et le droit de grève des personnes quand ils le voient. Et il faut le baliser, bien sûr.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Malheureusement, mais je suis désolé, M. Murray.

Mme Cadet : Merci beaucoup.

Le Président (M. Allaire) : Ça met fin à ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. On enchaîne avec le deuxième groupe d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 3 min 28 s.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Tantôt, il y avait un échange intéressant entre vous et le ministre sur la comparaison avec le 107...

M. Leduc : ...le fédéral. Le ministre disait : Non, non, non, mon projet de loi, ça ne va pas générer les mêmes effets que le 107. Puis vous faisiez comparaison avec ce qu'on a vécu, donc, dans le milieu de la grève du rail, si je ne me trompe pas. Est-ce que vous partagez l'enthousiasme du ministre qui dit qu'il n'aura pas du tout les mêmes effets que 107, son projet de loi?

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, on est d'accord que les deux mécanismes sont différents, là. Puis, je veux dire, mes collègues juristes l'ont assez étudié puis ils m'ont convaincu que c'était différent. Donc, je ne vais pas aller à l'encontre de mes collègues juristes. Mais là où les deux univers parallèles se rencontrent, par contre, c'est sur le pouvoir discrétionnaire qui est donné à l'exécutif. Là, ça, pour moi, c'est l'élément de risque, puis j'ai déjà, dans ma réponse précédente, fait état de ce risque très sérieux qu'on met dans l'engrenage puis dans le système de relations de travail.

M. Leduc : Puis sur cette évolution d'un réflexe patronal de s'asseoir en quelque sorte sur les mains en espérant et souhaitant ou voir réclamant une intervention politique, c'est quelque chose qu'on pourrait voir se multiplier suite à l'adoption du projet de loi n° 89?

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, le risque, il est là. Le risque, il est évident. À partir du moment où il y a un pouvoir discrétionnaire, bien, le système est fait d'une façon qu'on peut être influencée, qu'on peut faire des représentations auprès du ministre, puis le ministre va pouvoir décider s'il intervient ou pas, s'il décrète, hein, puis s'il va de l'avant avec le pouvoir qui lui... que le projet de loi lui concède, là.

M. Leduc : Je ne sais pas si vous avez écouté les interventions depuis hier, mais tous les groupes patronaux, sans exception, sont venus nous dire essentiellement la même chose : Oui, oui, oui, c'est important le droit de grève, mais dans mon secteur, c'est difficilement applicable, puis. etc. Mais quand vous additionnez ça, tout ce beau monde là, les municipalités, les sociétés de transport, les manufacturiers, finalement, il ne reste plus bien, bien de monde pour qui le droit de grève va être respecté dans son intégralité. Donc, merci de nous indiquer que c'est un danger imminent ou, en tout cas, quelque chose à vérifier dans le futur.

Je voudrais qu'on parle un peu du fameux tableau. Puis je pense que vous l'avez évoqué en ouverture, à la page 11, tu sais, sur la recrudescence des fameux... le nombre d'arrêts de travail au Québec, depuis un an ou deux, ça avait chuté avec la pandémie puis ça repart. Puis vous joignez un autre tableau par la suite, qui est la hausse des salaires négociés, qui suit essentiellement l'IPC, finalement, l'indice des prix à la consommation. Est-ce que je comprends que vous faites, dans le fond, l'argumentaire que le retour ou l'augmentation, la relative augmentation du nombre d'arrêts de travail au Québec depuis quelques années s'analyse au regard du retour de l'explosion du coût de la vie? On doit faire un lien entre ces deux choses là?

M. Jalette (Patrice) : Bien, pour moi, c'est clair. Puis même quand vous regardez le tableau qui part peut-être dans les années 70 ou peut être avant, notamment les grèves, c'est lié avec les périodes inflationnistes notamment. Et vous voyez aussi que les augmentations de salaire sont beaucoup moins en période de récession, hein, ça varie tout le temps. Les augmentations salariales sont liées au contexte économique. C'est clair, là.

Mme Laroche (Mélanie) : Si on peut... si on peut rassurer nos employeurs, c'est que le retour du balancier dans le système de relations de travail se fait toujours. Donc, même sans projet de loi, ils vont finir par retrouver des salaires qui sont augmentations de salaire qui sont moins importantes que ce qui est négocié à l'heure actuelle dans un contexte inflationniste.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Ça met fin à ce bloc d'échange. M, Murray, désolé. On enchaîne avec le député de Jean-Talon. Vous avez 2 min 38 s.

• (18 h 10) •

M. Paradis : Vous êtes trois experts en relations industrielles et en travail. Vous êtes indépendants. Vous nous démontrer, chiffres et tableaux à l'appui, que les arrêts de travail demeurent l'exception au Québec, que les hausses de salaire négociées suivent en gros l'indice des prix à la consommation, donc s'adaptent à la conjoncture. Vous dites qu'il y a déjà un encadrement fort du droit de grève et que, là, ce projet de loi là nous amène vers un niveau... je vous cite, vers un niveau d'interventionnisme étatique et d'incertitude inégalé et vers une politisation accrue des relations de travail dans le secteur privé. Vous concluez en disant, je vous cite : «Le gouvernement vient déstabiliser les rapports entre les parties patronales et syndicales au Québec». Je vous cite toujours : «Cette réforme va à l'encontre des objectifs recherchés du système de relations de travail, soit la paix industrielle et la stabilité, l'équilibre entre les parties, la négociation collective, la liberté de négocier, une intervention étatique minimaliste». Je vous cite toujours : «Cette réforme législative nous apparaît tout à fait inopportune car, en introduisant une grande incertitude, elle constitue une distraction inutile par rapport aux priorités auxquelles les parties patronales et syndicales sont confrontées actuellement», et là vous décrivez le contexte des relations de travail au Québec. C'est fort, ce que vous dites. Mais donc, selon vous, pourquoi le ministre arrive avec un tel projet de loi, si c'est ça, selon vous, les effets?

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, moi, je ne peux pas répondre à la place du ministre, mais vas-y.

M. Jalette (Patrice) : Bien, exactement. La réponse courte, c'est : Demandez au ministre. Il va vous le dire...

M. Paradis : bien là, je ne peux pas interpeler le ministre, mais je… mais inquiétez-vous pas que, dans l'étude détaillée, on va le faire, mais avez-vous… Mais avez-vous des hypothèses? Qu'est-ce qui fait qu'on arrive avec un projet de loi qui a ces effets-là aujourd'hui, là?

Mme Laroche (Mélanie) : Bien, il y a… il y a un changement de paradigme en relation de travail depuis la pandémie, là. Tu sais, il faut quand même l'avouer, il y a plus de conflits de travail. Il y a eu la ronde de négociation dans le secteur public, aussi, donc du… un dérangement probablement un peu plus grand qu'à l'ordinaire. Donc, c'est un nouveau paradigme, parce que ce qui se passait, réellement, dans la… dans l'univers des relations de travail, c'était… ça a été 40 années de négociations ultra concessives. Puis là on n'a pas eu l'espace pour faire toute la démonstration du compromis négocié dans le... dans le mémoire, mais il faut savoir que les employeurs, pendant ces 40 années là de négociations ultraconcessives, ont mieux tiré leur épingle du jeu que les organisations syndicales, en termes de flexibilité, de compétitivité, et très peu de gains ou de… de contreparties pour les parties syndicales.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci. Merci beaucoup. Restez assis tout le monde. M. Murray. Mme Laroche, M. Jalette, merci énormément pour votre contribution à cette commission.

Alors, la commission ajourne ses travaux au jeudi 20 mars 2025, après les avis touchant les travaux des commissions, où elle poursuivra son mandat. Merci, tout le monde!

(Fin de la séance à 18 h 13)


 
 

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