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Conférence de presse de M. Mario Dumont, Chef du Parti Action démocratique du Québec

L'exode des cerveaux

Version finale

Wednesday, April 15, 1998, 10 h 36

Salle Evelyn-Dumas (1.30), édifice Pamphile-Le May

(Dix heures trente-six minutes)

M. Dumont: J'ai tenu à rendre public aujourd'hui un document qui est le fruit de quelques semaines de travail – même de plusieurs semaines de travail – sur un thème qui n'est pas, au Québec, très hautement documenté parce qu'il n'a pas fait l'objet, au fil des derniers mois, des dernières années, d'un débat public très intense mais qui pourtant, au niveau de ses conséquences à long terme pour l'avenir du Québec, a des impacts considérables, c'est celui de l'exode des cerveaux.

Toute personne, j'ai l'impression, qui a eu ces dernières années des retrouvailles après 10 ans ou 15 ans de graduation de l'école secondaire a vu quelques-uns de ses collègues parmi les plus talentueux, qui étaient gradués en sciences ou en médecine, qui arrivaient directement des États-Unis au moment des retrouvailles. Toutes les personnes qui connaissent des entreprises dans le domaine du hi-tech vont vous dire combien, pour le recrutement de la main-d'oeuvre, ils subissent la compétition des États-Unis, entre autres.

Et le parallèle que je fais souvent c'est celui de si on avait, il y a 100 ans, vidé le Québec de ses ressources naturelles sans compensation, on aurait dit: C'est épouvantable. Parce qu'il y a 100 ans, la richesse des nations c'était le bois, c'étaient les mines, c'étaient les ressources naturelles. En 1998, la richesse des nations, c'est le savoir. C'est les meilleurs cerveaux qui sont une des plus grandes richesses, une source de création de richesses importantes et quand on les voit quitter notre pays sans compensation, bien, c'est une perte extrêmement considérable.

En fait, on a été, au Québec, scandalisé de laisser aller le minerai 0,01 $ la tonne, on devrait s'arracher les cheveux pour nos meilleurs cerveaux quitte, après qu'on ait payé, nous, pour les former... et il faut faire quelque chose là-dessus et c'est pour ça que je tiens à lancer le débat public sur la question de l'exode des cerveaux.

L'état de la situation, évidemment, il n'y a pas – c'est très difficile d'en avoir – de statistiques simples, compilées globalement qu'on peut mettre dans un tableau pour faire un portrait total de l'affaire. Ce qu'on a, c'est une série de données qui vont toutes dans le même sens, qui nous indiquent toutes l'existence du phénomène. Entre autres, Statistique Canada qui, en 1995, disait que 24 % des titulaires de doctorat – donc un titulaire de doctorat sur quatre – avaient quitté le Canada; chez ceux qui ont une maîtrise, c'est 10 %, évidemment la plupart au profit des États-Unis, spécialement dans des domaines d'avenir – la gestion, l'informatique, la santé – particulièrement du côté de la recherche.

Au niveau de la santé, évidemment, on voit le phénomène du côté de la pénurie de médecins qui est en train d'être vécue. Là-dessus aussi il y a différents instituts, différentes associations qui ont donné des chiffres, on nous parle de 630 médecins qui ont quitté le Québec entre 1991 et 1996, contre 340 qui sont revenus.

Dans les technologies de pointe, c'est particulièrement fort. L'Association canadienne de technologie de pointe est formelle là-dessus, beaucoup de ces activités de recherche de main-d'oeuvre se heurtent à la compétition américaine. Une grande partie des diplômés – 77 %, en fait, des diplômés – dans des secteurs comme l'informatique, les ingénieurs de pointe sont intéressés à s'en aller davantage vers les États-Unis, et c'est des réalités, évidemment, qui affectent la capacité des entreprises québécoises de garder la meilleure main-d'oeuvre.

Les motivations, parce que si on veut s'attaquer au problème, il faut voir qu'est-ce qui motive les gens à quitter. Évidemment, les salaires futurs, le pouvoir d'achat qui découle des jobs. Donc, c'est autant le salaire futur que les taux d'imposition qui sont un facteur important, les opportunités d'avancement, les avantages sociaux de toutes sortes et, pour s'attaquer à ça, bien, je pense qu'il y a deux, trois éléments qu'on ne peut pas passer sous silence.

D'abord, le sous-financement de la recherche au Québec, la pénurie de carrières intéressantes en recherche, le manque d'investissements en recherche et développement technologiques, c'est évidemment une des raisons qui fait que les chercheurs les meilleurs peuvent être tentés d'aller chercher leurs opportunités d'avancement à l'extérieur du Québec.

La fiscalité, on ne peut pas se le cacher; on ne peut pas se cacher la tête dans le sable. Les taux d'imposition sont de beaucoup plus élevés au Québec et au Canada. Qu'on pense à quelqu'un qui quitte le Québec pour aller travailler chez Boeing à Seattle, bien, c'est 36 % moins d'impôts. À San Francisco, c'est 35 % de moins d'impôts. San Francisco, en passant, c'est le taux d'imposition de Silicon Valley, qui est un des pôles d'attraction en matière de recherche informatique. C'est des facteurs qui vont, évidemment, être considérés au moment d'un choix pour un jeune qui va occuper une première fonction.

La situation de l'économie québécoise est un autre facteur aussi. La difficulté d'investir au Québec, le ralenti avec lequel l'économie du Québec évolue, c'est une autre donnée qui fait que la création d'emplois, la qualité des salaires que les entreprises du Québec sont en mesure d'offrir, bien, est réduite par la surréglementation de notre économie, par le peu d'investissements que le Québec est capable d'aller chercher dans les domaines comme ceux-là.

Les conséquences sont relativement simples, là. Les pertes pour le Québec sont doubles. D'abord, il y a une perte sèche. Si ça a coûté au-dessus de 100 000 $ pour former quelqu'un qui a un doctorat dans ses poches, puis que cette personne-là quitte le Québec, bien, c'est 100 000 $ qu'on a payés pour aller créer des emplois ailleurs. C'est aussi simple que ça.

Deuxièmement, il y a une perte en termes de développement économique. C'est que, dans un monde économique où le savoir est la première richesse, bien, si tu perds une grande partie de ton savoir, si tu perds une grande partie de tes meilleurs éléments, tu perds une de tes ressources premières en matière de développement.

L'autre conséquence économique, c'est les pénuries de main-d'oeuvre; j'en ai parlé tout à l'heure. Dans le domaine de la santé, entre autres, on craint des pénuries de main-d'oeuvre. Le Conseil des ressources humaines dans l'industrie du logiciel estimait que, d'ici trois ans, on va manquer au Canada de 20 000 spécialistes de l'informatique; même chose dans le domaine des sciences de l'administration, des mathématiques.

On est dans des situations de pénurie de main-d'oeuvre où ça va être difficile de combler ces pénuries de main-d'oeuvre là si on ne peut pas améliorer les conditions qui vont permettre à des jeunes de prendre des décisions, au moins à des jeunes du Québec de prendre la décision d'y rester.

L'ADQ émet des éléments de solution, des éléments d'un plan d'action pour redresser la situation. D'abord, une politique de R&D, de recherche et développement beaucoup plus agressive pour d'abord assurer un maillage entre les entreprises privées et les institutions d'enseignement pour un financement supérieur plus adéquat de la recherche; favoriser des alliances stratégiques d'entreprises au niveau, évidemment, de la recherche pour accroître les budgets qui pourront être consentis à la recherche et accorder une participation financière gouvernementale en appui toujours au secteur privé en matière de recherche et développement.

Deuxièmement, une réforme en profondeur de la fiscalité – j'en parle souvent – pour réduire le niveau général des taxes et des impôts, pour que le Québec soit compétitif par rapport à ses principaux concurrents en matière de fiscalité et favoriser l'établissement des jeunes familles, notamment par des mesures visant l'accès à la propriété.

L'accès à la propriété, c'est exactement le contraire de ce qu'on a fait depuis quelques années où, avec le transfert des factures dans les cours des municipalités, on a réduit constamment l'accès des jeunes familles à la propriété.

Troisièmement, dans des secteurs précis comme la santé, les informaticiens, je pense qu'il y a lieu de mettre des stratégies ciblées en collaboration avec les entreprises de ces secteurs-là, avec les institutions de ces secteurs-là pour offrir des opportunités de carrière, des opportunités d'emploi, des opportunités d'avancement plus intéressantes pour les travailleurs qui vont décider de rester au Québec.

Donc, en conclusion, c'est un plan d'action qui ne peut pas se faire seulement par le gouvernement, mais qui requiert d'abord qu'on ait la conscience du problème. Et s'il est important de lancer le débat, c'est parce qu'autant le gouvernement que les entreprises doivent être conscients pleinement du coût de l'exode des cerveaux pour commencer à s'y attaquer et, deuxièmement, se donner un plan d'action sur un certain nombre d'années pour être en mesure de garder au Québec notre principale richesse. Notre principale richesse, je pense, c'est nos ressources humaines – tout le monde va le dire – en 1998.

Ça résume ce dont je voulais vous parler ce matin. Vous avez évidemment, dans le document qui a été préparé, un certain nombre de statistiques qui existent sur la question et qui documentent la problématique en question.

Une voix: M. Dumont, vous n'évoquez pas le contexte politique du Québec comme étant une raison de l'exode des cerveaux. Est-ce que ça vous apparaît être quelque chose aussi qui entre en ligne de compte?

M. Dumont: Oui, on l'évoque à la page 6, dans la question de l'économie du Québec. Pour moi, la question de l'incertitude politique, économique, c'est d'abord et avant tout une des choses, l'obsession constitutionnelle est d'abord et avant tout un des facteurs qui ralentit l'investissement, qui fait qu'on a moins d'énergie, moins de temps pour s'attaquer aux autres problèmes et, oui, ça a un impact mais, à mon avis, c'est via le ralentissement économique. C'est que l'incertitude crée un ralentissement économique qui, lui,ne permet pas de donner à des jeunes qui veulent lancer une carrière en sciences ou dans des domaines de pointe d'avoir les opportunités d'emploi auxquelles ils seraient en droit de s'attendre.

M. Thivierge (Jean): Mais, M. Dumont, quand on offre à des jeunes de 22 ans qui sortent de l'université, 21, 22 ans, qui sortent de l'université, des primes d'embauche de 50 000 $, la possibilité d'acheter à un tiers du coût des actions de grandes entreprises qui sont hautement cotées en Bourse, quand on offre des salaires de 75 000 $US en partant, quand on ouvre les frontières comme c'est le cas actuellement aux États-Unis, où on a haussé les quotas pour importer, de partout dans le monde, les informaticiens parce que les Américains en mangent actuellement de ça, est-ce qu'on peut vraiment se battre la coulpe et dire: C'est de notre faute si les jeunes Québécois s'en vont. C'est des conditions qu'à peu près aucune entreprise au Québec ne peut offrir. On parle d'un marché libre des cerveaux, il n'y a aucune entreprise au Québec actuellement, et même peut-être au Canada, qui est en mesure d'offrir les conditions que les sociétés américaines, notamment dans le secteur informatique, sont capables d'offrir. Alors, comment décemment on peut penser que les solutions que vous mettez de l'avant peuvent avoir le moindre impact sur la situation que vous décriez.

M. Dumont: Bien, d'abord, il y a deux éléments de réponse. Si des entreprises aux États-Unis sont prêtes à offrir des rachats d'actions ou des salaires de 75 000 $US au départ, elles sont prêtes à offrir tout ça, c'est parce qu'elles savent que le candidat qu'elles vont chercher, qu'elles viennent chercher à Montréal, à Trois-Rivières ou à Gaspé, elles savent que ce candidat-là, il vaut ça. Les entreprises américaines ne donnent pas des cadeaux parce qu'elles pensent qu'elles vont manger de l'argent avec ça, c'est parce qu'elles savent que la personne en question va développer un logiciel, que le logiciel va se vendre partout au travers la planète, que ça va créer des emplois, que ça va créer du développement dans leur entreprise, donc elles savent que ça vaut quelque chose, et ça, au Québec, il faudrait s'en rendre compte que, quand on laisse partir quelqu'un, parce que, nous autres, on n'est pas capables de lui offrir quelque chose de semblable, bien l'entreprise qui va le chercher, malgré tout ce qu'elle lui offre comme avantages, elle en sort quand même gagnante, elle en sort quand même avec une profitabilité sinon il n'y aurait pas les explosions économiques qu'il y a à Silicon Valley, entre autres.

La deuxième chose, et je ne suis pas en train de dire que demain matin, avec un plan d'action dans l'espace de six mois, on va revirer la tendance bout pour bout et il n'y en a plus un qui va partir, ce que je suis en train de dire, c'est qu'il y a un certain nombre de leviers qui sont entre les mains du gouvernement du Québec, avec un gouvernement qui est conscient de la valeur ou de la perte qu'encourt l'exode des cerveaux, de la valeur de garder chez nous nos meilleurs talents, bien, il peut renverser progressivement la tendance. Il peut s'occuper de mettre en place des conditions qui vont faire qu'on va ralentir l'exode des cerveaux à la place de l'accélérer.

M. April (Pierre): Est-ce que vous avez fait vos études à partir de statistiques canadiennes?

M. Dumont: Vous avez la personne qui travaille sur les études en arrière, vous pourrez lui demander, mais on a fait les études à partir de tout ce qui existe sur le domaine, tout ce qu'on a pu trouver comme revues de presse, comme groupes, comme associations qui se sont penchés sur la question. On a finalement glané tout ce qui existe, mais il n'y a jamais un bureau de statistiques comme Statistique Canada, le Bureau de la statistique du Québec, qui a pris du début à la fin de suivre ce qui se passe exactement. Ce sont des tendances, je dirais, dans toutes les données qu'on a là-dedans, et il y a la réalité. Moi, je jase avec beaucoup de gens qui sont des propriétaires d'entreprises dans ce domaine-là ou des profs d'université et ils sont unanimes. Ils voient les personnes quitter le Québec.

Je disais tout à l'heure, c'était un exemple, je parlais des gens qui ont eu des retrouvailles dans les dernières années. Moi, j'en ai eu. Ça fait 10 ans, ça fait 15 ans que l'école secondaire est finie et les gens se retrouvent. À peu près tout le monde va vous le dire: Bien, il y en a deux, trois, quatre qui sont rendus aux États-Unis et qui travaillent. Ça, c'est quoi là? Bien, ce sont ceux qui ont fait un doctorat en sciences. C'étaient les bolles dans le domaine des sciences en particulier. Ce sont eux autres qui sont partis. Ça, c'est une perte considérable pour notre société et ça nous questionne sur quel genre d'avenir on est capable au Québec.

Pour moi, le questionnement est beaucoup celui-là: Quel genre d'avenir on prépare pour le Québec. Si on laisse aller nos meilleurs éléments, si on se résigne à ce que notre développement économique ne soit pas capable de leur offrir des opportunités, bien ça s'appelle une société qui va au ralenti. Ça s'appelle une société qui va continuer à s'appauvrir. Alors, il faut refaire du Québec un endroit où, je pense, pour les jeunes Québécois en général, leur premier choix sera de rester au Québec, de fonder une famille au Québec. À partir du moment où tu as des opportunités, que tu as la chance de gagner un salaire décent, de te garder un pouvoir d'achat – parce que le gouvernement ne viendra pas tout te chercher – ton premier choix, c'est de rester au Québec. Et il faut que le Québec soit capable, s'il veut se préparer un avenir décent, d'offrir à ses meilleurs éléments, et ses meilleurs jeunes des opportunités de carrière chez nous.

Une voix: Les statistiques qui sont ici sont, pour la plupart, des statistiques canadiennes. Est-ce qu'il y a un problème spécifique au Québec, d'après vous?

M. Dumont: Oui. Quand on prend la statistique canadienne et quand on a des éléments québécois, les endroits où on est capable de faire des découpages québécois, on s'aperçoit que traditionnellement, c'est encore pire au Québec qu'ailleurs et là, on s'aperçoit que ce n'est plus une question... Il y a quelques années quand on parlait de gens qui quittaient le Québec, c'était beaucoup une question de langue; on disait: C'est les anglophones qui quittent le Québec davantage. Là, on s'aperçoit que ce n'est plus vraiment ça, et d'ailleurs, il y a eu un rapport là-dessus hier. On s'aperçoit que ce n'est plus vraiment ça, l'enjeu. C'est qu'il y a autant de chances qu'un jeune du Saguenay–Lac-Saint-Jean se retrouve en Californie à travailler pour une entreprise d'informatique qu'un jeune anglophone du West Island. Ce n'est plus ça. L'enjeu, c'est vraiment la capacité de donner aux jeunes du Québec des opportunités de construire au Québec, d'avoir un avenir au Québec, de créer de l'emploi au Québec, parce que tu vas avoir des entreprises qui vont avoir la vitalité qu'il faut, tu vas avoir des taux de taxation raisonnables, tu vas avoir des conditions ici où tu vas garder ton meilleur monde.

Une voix: Le gouvernement québécois a une politique de recherche et développement: il donne des avantages fiscaux, il a une stratégie. Qu'est-ce que vous allez faire spécifiquement qui va être mieux que ce que le gouvernement fait maintenant?

M. Dumont: Oui. Sur la question de la recherche et du développement, je sais que le gouvernement du PQ se targue beaucoup d'investir énormément. Mais il reste que tu prends l'ensemble des pays industrialisés, le Québec est en retard: le Québec n'investit toujours pas 2 % de son PIB en R&D, et c'est un des facteurs qui sont très largement mentionnés. L'absence de centres de recherche avancés, l'absence de fonds en recherche, c'est un des facteurs qui sont mentionnés comme manque d'opportunités pour des jeunes de rester au Québec. Et, dans le secteur de la santé, je peux vous en parler pour en avoir dans ma propre famille, il y a des chercheurs québécois qui restent au Québec, qui vont même chercher des fonds de recherche aux États-Unis. Donc, l'investissement en recherche, au Québec, est encore au ralenti.

Une voix: Et qu'est-ce que le gouvernement peut faire? Quels sont les leviers du gouvernement dans ce domaine? Qu'est-ce qu'il peut faire qu'il ne fait pas maintenant spécifiquement?

M. Dumont: En R&D, je pense qu'on a dans notre plan d'action des éléments: d'abord, le maillage plus serré entre les entreprises privées et les institutions d'enseignement, particulièrement universitaires, dans le développement de centres de recherche, dans l'amélioration des activités de recherche; favoriser les alliances stratégiques entre des entreprises parce que, présentement, les entreprises de taille moyenne ne sont pas suffisamment grandes pour avoir des centres de recherche. Mais si, dans le même domaine d'activité, les entreprises se mettaient ensemble... L'idée des grappes, c'était un peu le départ de ça. Mais d'arriver à avoir des centres de recherche communs comme ça se fait ailleurs, là, tu peux amener des fonds, diriger davantage de fonds vers la recherche et accroître la participation gouvernementale: quand le secteur privé est prêt à aller de l'avant avec la recherche, l'appuyer d'une participation gouvernementale.

Il faut voir ce que ça coûte: l'exode des cerveaux, sur une période de quatre, cinq ans, comme on l'a calculé, on parle d'un 80 000 000 $ que le Québec a perdus en pertes sèches; pas en pertes de développement économique, juste en termes de formation, de gens formés qui n'ont pas travaillé au Québec, juste en formation de gens qui n'ont pas travaillé au Québec. Alors, c'est au moins un 80 000 000 $ qu'on pourrait avoir de disponible, celui-là, pour le réinvestir pour garder nos gens, sauf que les retombées économiques de garder ses meilleurs éléments, en termes de développement économique, c'est impossible à mesurer.

Ça vaut quoi d'avoir quelqu'un qui va développer chez vous un logiciel de pointe? Qu'est-ce que ça vaut? Ça vaut quoi, du monde qui développe des choses comme Softimage, de les garder chez nous? C'est impossible à évaluer. C'est immense.

Une voix: Mais comment est-ce que le gouvernement peut attirer les maillages entre les entreprises et les institutions d'enseignement? Comment est-ce qu'il peut favoriser les alliances stratégiques? Est-ce qu'il leur donne de l'argent? Est-ce qu'il crée des instituts? Comment?

M. Dumont: Bien, il y a toutes sortes de façons. Effectivement, le gouvernement peut devenir... Souvent, on s'aperçoit que le gouvernement, quand il veut être le déclencheur de quelque chose, peut donner un certain nombre d'avantages à court terme qui permettent que les maillages se fassent. Puis une fois que c'est fait, bien, les alliances demeurent. Les universités, c'est des institutions qui sont privées mais qui sont financées très, très largement, au-dessus de 80 %, par le gouvernement.

Donc, c'est des leviers où le gouvernement – sans revenir à la politique interventionniste de garrocher des subventions – peut quand même intervenir pour au moins essayer de redonner des pistes de solutions pour remettre le Québec sur la bonne voie de ce côté-là.

Oui, M. Thivierge.

M. Thivierge (Jean): Vous dites: C'est pire, au Québec que dans le reste du Canada, mais je n'ai pas vu... Je suis allé très rapidement dans la lecture du document, mais je n'ai pas vu que vous ayez mis en relief le fait – enfin, je ne sais pas si vraiment c'est un fait avéré – mais on a déjà évoqué que le Québec n'avait pas sa juste part des budgets de recherche. Nos impôts qui s'en vont à Ottawa, on a souvent dit – puis je pense que les libéraux l'ont déjà reconnu, je ne suis pas sûr. Je pense que vous autres aussi, vous l'aviez déjà reconnu – qu'on touche peut-être autour de 11 %, 12 %, peut-être 15 %. Je ne sais pas trop, là, mais...

M. Dumont: C'est rendu à 16 %, 17 %, mais c'est quand même en bas de notre proportion.

M. Thivierge (Jean): Je n'ai pas les chiffres, là, mais les budgets de recherche du fédéral sont répartis dans l'ensemble du pays et on n'en toucherait pas notre juste part. Est-ce que ça, il n'y a pas un facteur...

M. Dumont: Oui, il y a là aussi un élément. Quand on parlait tout à l'heure de l'investissement au Québec en recherche et développement, c'est clair que, sur l'ensemble de l'investissement fédéral en recherche et développement, le Québec n'obtient pas ce qu'on pourrait appeler, entre guillemets, sa juste part. En tout cas, la part qui refléterait son PIB. Et c'est un autre des éléments, le fait d'aller chercher le maximum du fédéral en R&D. C'est un autre fait qui entre en ligne de compte.

Par contre, dans la R&D fédérale, il y a deux choses. Il y en a une partie qui vient des demandes d'entreprises québécoises. Et ça, ça a aussi à voir avec le dynamisme de l'économie québécoise, le nombre de projets qui peuvent être soumis. Et là-dessus aussi, il faut travailler, parce qu'on ne se cachera pas que l'économie de la Colombie-Britannique puis celle de l'Ontario, à l'heure actuelle, disons qu'ils sont dans un boum un peu plus impressionnant que ce qu'on voit au Québec.

Une voix: M. Dumont, quand on parle avec des jeunes diplômés qui ont quitté et quand on regarde, je me fie même à vos statistiques, on s'aperçoit que le salaire représente souvent le grand avantage ou le grand attrait de partir, d'aller aux États-Unis. J'aimerais savoir en quoi une politique de recherche et de développement plus agressive, une meilleure fiscalité, va changer cette perception-là. J'aimerais savoir également, est-ce que, à votre avis, les entreprises québécoises font tout en leur possible pour garder nos cerveaux également?

M. Dumont: Je vais répondre à la dernière question, pour commencer, sur ce que les entreprises font. J'ai l'impression, et je l'ai dit d'entrée de jeu, que le débat sur l'exode des cerveaux ne se fait pas, donc qu'il n'y a pas grand-monde qui se préoccupe de ça et que, là-dessus, le gouvernement, en plus de son rôle en matière de R&D, en plus des investissements qu'il peut créer, peut avoir un rôle de leadership pour secouer un peu tout le monde et dire: Attention à ça, là, il faut garder notre monde. Et ça, il y a un rôle de leadership qui est indéniable et qui n'est pas joué parce qu'on n'en parle même pas de ce thème-là. Et c'est important de lancer le débat à cause de ça.

Sur la question des salaires, ce qu'on regarde quand on va se choisir un emploi, c'est le pouvoir d'achat. En bout de ligne, le salaire est une chose, mais ce qu'on regarde c'est le pouvoir d'achat. C'est-à-dire, je vais aller travailler à telle place. Est-ce que je vais pouvoir m'acheter tel type de voiture? Est-ce que je vais pouvoir avoir une piscine, investir dans une maison? Qu'est-ce qui va me rester comme argent au bout? Donc, 75 000 $, si tu es imposé a 54 % et 75 000 $ si tu es imposé à 32 %, ce n'est pas le même 75 000 $ qui tombe dans le fond de ta poche. Et c'est là-dessus que la fiscalité a un rôle à jouer. C'est beau de dire qu'on va taxer tout le monde, qu'on va surtaxer tout le monde. À un certain moment, ta population la plus mobile, tes payeurs de taxes les plus mobiles, ceux qui parlent les deux langues, qui ont un gros diplôme ou qui peuvent avoir des jobs n'importe où, tu vas perdre des joueurs. Il y en a qui vont dire: Moi, mon pouvoir d'achat qui reste avec ce salaire-là... Donc, il y a les deux côtés. Il y a de conscientiser les gens à la valeur de quelqu'un, donc quel genre de salaire on va lui offrir, et il y a le rôle du gouvernement au niveau de sa fiscalité de dire: Combien il va en rester dans ses poches?

Dans certains États américains, il y a des déductions pour l'achat d'une première propriété et d'autres éléments qui entrent en ligne de compte qui font que quand tu prends l'impôt global qui est payé par des gens qui vont investir là-bas, ce ne sont pas des minces différences. C'est des différences extrêmement considérables.

M. Thivierge (Jean): M. Dumont, je pense que vous lisez sans doute les journaux financiers et depuis un bon nombre d'années. Moi, je vois dans les journaux financiers entre autres que les profits des entreprises et notamment les entreprises qui sont en développement accéléré, on parle des entreprises auxquelles vous faites référence, les entreprises de pointe, les profits augmentent, sont importants, la progression est assez rapide, mais ces entreprises-là – on parle de salaires, là – n'ont pas augmenté les salaires de façon importante. On a l'impression à vous écouter que les entreprises n'ont pas une très grande responsabilité dans la situation. Je comprends que la fiscalité peut être un facteur alourdissant et peut avoir un impact sur la décision de rester ou de partir mais il n'en demeure pas moins que, depuis quelques années, au Québec, on n'a pas vu que les entreprises de pointe, qui accumulent des profits qu'ils réinvestissent sans doute, aient augmenté substantiellement les salaires de ces gens-là qui, finalement, décident de partir.

Je veux dire, vous ne parlez pas beaucoup de la responsabilité des entreprises.

M. Dumont: Bien, je viens d'en parler. En ce qui me concerne, c'est un effet combiné du salaire qui doit être offert et de la fiscalité.

Je veux dire, ce que les gens regardent, c'est le pouvoir d'achat, bien, le pouvoir d'achat, c'est un effet combiné.

Et ce que les entreprises ont comme responsabilité, c'est sûrement de voir à ce que leurs meilleurs éléments demeurent au Québec.

Mais comment, nous, comme acteurs politiques, on peut contribuer à ça, bien, je pense que c'est de faire réaliser, c'est de mettre, sur la place publique, les coûts de la perte qui est encourue par l'exode des cerveaux et de faire réaliser aux gens qu'il faut se donner la main pour faire quelque chose pour ça. On ne peut pas...

Je ne pense pas que le gouvernement va passer une loi pour obliger les gens à offrir des meilleurs salaires. C'est pour ça que je disais que le rôle d'un gouvernement qui est conscient de l'exode des cerveaux de ce côté-là, c'est un rôle de leadership, c'est un rôle... Et c'est de vraiment faire sentir à la jeunesse du Québec que c'est une place d'avenir, qu'on peut faire des affaires au Québec puis que les entreprises de travaux de technologie peuvent réussir, vont offrir des salaires compétitifs et que la fiscalité va, elle aussi, être compétitive.

Ce n'est pas un élément. C'est un ensemble d'éléments qui peuvent amener la correction d'une situation comme celle-là et pour lesquels tout le monde a une responsabilité, sûrement pas seulement le gouvernement. Les entreprises ont une responsabilité. Tout le monde a une responsabilité.

M. April (Pierre): ...qu'on n'en a pas d'argent pour la santé, on n'en a pas d'argent pour s'occuper des affaires sociales, on n'a pas d'argent pour l'éducation, on n'a pas d'argent pour rien. On a l'obsession du déficit zéro. Tout le monde semble d'accord avec ça, au Québec. Et puis, là, vous arrivez avec une mesure qui pourrait sauver à moyen terme et à long terme l'économie du Québec, mais on n'a pas les moyens de se la payer. Qu'est-ce qu'on fait?

M. Dumont: Bien, moi, je vous dirais: On n'a pas les moyens, là, je pense qu'on n'a pas les moyens de perdre notre principale richesse naturelle. On a dit au Québec, à une certaine époque, qu'on n'avait pas les moyens de laisser partir notre minerai à un sou. Je ne peux pas croire qu'on a les moyens aujourd'hui de laisser partir nos diplômés qui nous ont coûté au-dessus de 100 000 $ à former, puis qui ont un doctorat, puis qui ont les meilleures études, puis qui sont capables de générer du développement économique. Il me semble qu'on ne doit pas avoir les moyens de les laisser partir.

Je ne suis surtout pas, je le répète, en train de dire qu'il faut que le gouvernement reparte des subventions, des programmes artificiels. Il faut qu'il change les conditions de base qui vont faire que le Québec va être un endroit d'avenir pour ces gens-là. Et puis ce n'est pas en cachant le problème, ce n'est pas en faisant semblant que tout va bien au Québec, ce n'est pas en prenant un exemple d'exception ici et là qu'on va solutionner le problème. C'est en se mettant les yeux vis-à-vis des trous puis en reconnaissant les problèmes qui existent et en disant: Bon bien maintenant, qu'est-ce qu'on fait pour progressivement renverser la vapeur?

Une voix: M. Landry avait déjà dit que le gouvernement va couper les impôts après que le déficit zéro est atteint, et vous autres, vous voulez couper les impôts. Est-ce que ça va créer encore des coupures dans les services de l'État ou est-ce que ça va créer un plus grand déficit?

M. Dumont: Oui, là, il faudrait revoir toute la politique de gestion que l'ADQ préconise. D'abord, l'idée qu'il faut attendre que le déficit soit à zéro pour couper les impôts, je n'embarque pas là-dedans, pas du tout. Quand tu coupes les impôts, le monde, ils ont de l'argent dans leurs poches, ils le remettent dans l'économie et c'est moins d'aide sociale et c'est des nouveaux revenus pour l'État.

Deuxièmement, à l'ADQ, on pense que le gouvernement est une machine. On a coupé présentement, on a fermé des hôpitaux, on a coupé des services directs à la population. On n'a pas fait le grand ménage dans le gouvernement. Je pense encore que la taille de l'État, le gouvernement lui-même, l'administration pourrait être réduite de 25 %, faire un grand ménage là-dedans. Bell a réduit son personnel considérablement, puis ce qu'on entend aujourd'hui c'est que c'est plus efficace depuis qu'il y a 10 000 ou 15 000 personnes de moins. Il se perd moins de temps et les affaires vont plus rondement.

Je suis convaincu que, dans le gouvernement, il y aurait un sérieux ménage à faire aussi et que les choses iraient plus rondement. Donc, là, on parle d'un mode de gestion radicalement différent et qui permettrait, justement, de dégager la marge de manoeuvre pour arrêter de surtaxer les gens et protéger autant que possible le service à la base, le service direct à la population. Une voix: Vous avez dit que l'exode des cerveaux c'est un problème parmi les francophones autant que chez les anglophones maintenant mais les statistiques qu'on a vues aujourd'hui ou hier démontrent aussi qu'il y a quand même un phénomène d'anglophones qui ont une bonne éducation qui partent qui est assez prononcé. Est-ce qu'il y a un problème spécial là-bas?

M. Dumont: D'abord, réglons une chose. Les anglophones ont une mobilité encore plus grande et les anglophones sur le continent nord-américain, côté mobilité, ils ont une mobilité qu'on pourrait appeler, entre guillemets, quasi parfaite. Donc, c'est sûr que c'est un incitatif, mais ce que j'ai dit tout à l'heure c'est que, il y a dix, quinze ans, quand on parlait de ce sujet-là, c'était seulement une affaire, c'était strictement ou à peu près strictement une affaire de langue.

Quand on parlait de l'exode des jeunes du Québec, on disait que c'était les jeunes anglophones, puis ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ça, ça a changé. On s'en aperçoit aujourd'hui. C'est peut-être encore vrai pour différentes raisons, peut-être parce qu'ils sont plus mobiles, mais le problème est rendu plus large que celui-là, il est devenu vraiment une question d'attraction d'une main-d'oeuvre très qualifiée vers un autre marché.

On a fait le tour? Je vous remercie. Bonne fin de journée.

(Fin à 11 h 6)

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