(Onze heures quarante et une minutes)
La Modératrice : Bienvenue à
ce point de presse de la députée de Mercier Ruba Ghazal concernant sa motion
pour commémorer les 75 ans du conflit israélo-palestinien. Prendront la
parole Mme Ghazal, suivie de Nihad Ben Salah, représentante d'Amnistie
internationale Canada, section francophone, suivie de Dyala Hamzah,
représentante de BDS-Québec, et de Corey Balsam, représentant de Voix juives
indépendantes. Mme Ghazal, la parole est à vous.
Mme Ghazal : Merci. Merci
beaucoup, Sandrine. Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui. Je suis très
contente de la motion qu'on vient d'adopter à l'unanimité à l'Assemblée
nationale qui demande à ce qu'il y ait une solution pacifiée négociée entre les
Palestiniens et les Israéliens. Cela dit, je ne peux pas m'empêcher de ne pas
me dire déçue qu'on ne puisse pas mettre dans la motion le mot «Nakba». Nakba,
pour les Palestiniens, ça veut dire catastrophe, puis il commémore, en fait, en
1948, donc il y a 75 ans, quand les Palestiniens ont été expulsés de leur
terre.
Cette année, c'est quand même important,
il faudrait peut-être que, peut-être dans les prochaines années, on s'en
inspire ici aussi, à l'Assemblée nationale, l'ONU, pour la première fois,
commémore la Nakba, donc les 75 ans, et c'est un geste extrêmement
important. Nous, comme élus, ici, à l'Assemblée nationale, on a un devoir de
mémoire.
Au Québec, on dit... notre devise, c'est :
Je me souviens. On se souvient de notre histoire au Québec, mais on se
souvient aussi de situations qui ont été extrêmement graves à l'étranger, à
travers le monde, qu'on pense par exemple à l'Holocauste. À chaque année, nous
commémorons l'Holocauste, à chaque année, nous commémorons le génocide
arménien. Donc, j'espère qu'un jour on va aussi pouvoir commémorer la Nakba,
parce que ça a été une catastrophe importante, notamment dans ma famille.
Chaque Palestinien, même un jeune Palestinien de la diaspora qui habite n'importe
où, que ce soit en Palestine ou à l'extérieur, a une histoire familiale à
raconter.
Moi-même, mes quatre grands-parents ont
été expulsés en pensant qu'un jour ils pourraient revenir. Ils ne sont
jamais... ils n'ont jamais pu revenir. Ils ont perdu leur maison, leur argent,
leur terre et ils ont vécu comme réfugiés palestiniens. En 1948, mon père avait
deux ans. Il nous parle... Évidemment, il ne se rappelle pas de ça, mais il
nous parle de ça. Ma grand-mère, ma «téta», comme on dit en arabe, aussi nous
parle de cette histoire-là. Et moi, j'ai des preuves, j'ai des documents qui
montrent cette histoire que je garde dans mon cœur. Notamment, j'ai ici une
photo d'un papier d'identité, d'un papier d'identité comme réfugiée palestinienne.
C'est moi ici, comme enfant. Je n'avais pas la copie originale que je conserve
précieusement. Et donc c'est une façon aussi pour nous de nous rappeler de
cette histoire-là.
On peut se demander qu'est-ce que le
Québec, qui n'est pas un pays, peut faire. Bien, le Québec peut, en premier,
lieu parler de la situation d'apartheid qui existe en Israël, je pense, tout à
l'heure, Nihad va vous en parler, d'Amnistie internationale, de dénoncer ce qui
se passe, parce que le conflit israélo-palestinien, il faut le voir au niveau
de droits humains. Haroun, le député Maurice-Richard, il fait aussi la bataille
pour que des produits qui sont vendus à la SAQ... que le vin qu'on vend à la
SAQ, où le raisin est extrait sur des terres illégales, qui appartiennent à des
colonies de façon illégale, des colonies israéliennes... La CDPQ, très, très
fière que la CDPQ Infra, donc c'est notre bas de laine, l'argent des Québécois,
on ne peut pas le mettre dans des entreprises qui font, par exemple, de l'entraînement
militaire pour les militaires en Israël. Et j'étais très contente qu'Haroun ait
pu réussir à faire dire à M. Charles Émond qu'ils essaient de se départir...
Donc, il y a beaucoup de choses qu'on peut
faire. La première chose, c'est d'en parler. Je trouve ça vraiment dommage qu'au
Québec il n'y a aucun média qui parle de la Nakba. Donc, moi, comme
Palestinienne, première et unique, je pense, à ce jour, députée à l'Assemblée
nationale, je trouvais que c'était important qu'on en parle. Et voilà. Donc, je
laisse la parole maintenant à mes amis et mes collègues.
Mme Ben Salah (Nihad) : Merci.
D'abord, je vais commencer par peut-être donner une petite idée sur... bon,
tout le monde connaît Amnistie, mais je veux quand même appuyer sur le fait que
c'est un mouvement qui rassemble 10 millions de personnes dans le monde et
que la référence sur laquelle on travaille, à Amnistie, c'est vraiment le droit
international. Notre mission, c'est de défendre les droits humains et de
dénoncer toutes les discriminations basées sur l'ethnie, le genre ou la
religion. Amnistie internationale aussi veille à ce que les dirigeants de ce
monde tiennent leurs promesses en termes de droits humains et se doivent de
rendre des comptes quand ils ne le font pas.
Alors, le 1er février 2022, Amnistie internationale
a publié un rapport qui s'intitule L'apartheid d'Israël contre la population
palestinienne : un système cruel de domination et un crime contre
l'humanité. C'est tout un rapport sur le retour sur plusieurs décennies
d'oppression et de domination. Et ce rapport est un ouvrage référentiel, je
dirais. C'est un ouvrage de 260 pages avec 1 560 références et
notes, et il a été revu par des académiciens, des spécialistes en droit, des
experts de l'ONU.
Pourquoi j'insiste sur ce fait? C'est pour
dire que c'est un rapport qui est basé sur une approche scientifique de la
situation. Amnistie internationale a toujours été en position de réponse
immédiate à des événements qui ont lieu, et puis il y en a plusieurs dans cette
partie du monde, et là il était question de, vraiment, avoir plutôt une
position qui rassemble toutes les informations, tout ce qui s'est passé depuis
1948, donc depuis la Nakba, jusqu'à aujourd'hui, tout ce qui se passe et ce que
le peuple palestinien a subi pendant ces 75 ans. Donc, 260 pages, je
peux vous dire que c'est déjà... c'est même très peu.
Donc, le résultat de cette enquête, qui a
été faite par des chercheurs, donc, d'Amnistie internationale, qui a pris
7 ans, donc des gens qui ont travaillé pendant sept ans là-dessus, le
résultat a été de dire que la discrimination institutionnalisée est
systématique dans les lois politiques et pratiques de l'État israélien... de
l'État d'Israël envers les Palestiniens. Et ce qui existe aujourd'hui, c'est ce
que... c'est ça qui donne au système d'apartheid qu'Amnistie a défini dans son
rapport. J'ajoute ici : quand on parle de différentes lois, on a une loi,
la loi de 2018, c'est une loi de l'État-nation qu'Israël a mise en devant et
qui dit qu'Israël est l'état des juifs et que des juifs. Et donc, c'est une loi
qui dicte toutes les décisions des... enfin, qui légifère toutes les décisions
en Israël.
Donc, ce système de discrimination
institutionnalisée et systématique est une infraction au droit public
international, c'est une atteinte aux droits humains et c'est considéré comme
un crime contre l'humanité. Donc, dès qu'on parle d'apartheid, on dit que c'est
un crime contre l'humanité. Et, pour ceci, c'est vraiment en suivant les lois
internationales qui ont été instaurées, que, je dirais, l'humanité a instaurées
depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Donc, ceci est un apartheid, ceci
est un apartheid selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale,
selon la convention internationale sur l'apartheid et la Convention internationale
sur l'élimination de toutes formes de discrimination.
Le 2 mai 2023, donc, vous voyez, il y
a quelques jours, Amnestie a sorti un autre rapport qui fait suite, donc, à
celui-là, au premier rapport de février 2022, qui s'appelle Apartheid automatisé.
Et, dans ce rapport, il était question de faire comprendre aux gens comment
est-ce qu'Israël maintient ce système d'apartheid, et par l'utilisation des
technologies de surveillance, sur les Palestiniens.
Donc, ces deux rapports sont des rapports
qui sont vraiment très importants. Comme je disais, surtout le premier, ça
devient un rapport de référence. Et moi, je pousse vraiment tout le monde à
aller voir ce rapport, à le laisser à côté, parce qu'on ne peut pas le lire
d'un seul coup, ce n'est pas possible, il y a beaucoup d'information, mais de
le laisser comme document de référence sur ce qui se passe dans cette partie du
monde.
Donc, c'est important aussi pour le Québec
d'être du bon côté de l'histoire, et, quand je dis... donc, c'est le côté de la
justice et de la défense des droits humains. Ce que ces représentants ont fait
aujourd'hui ou ont montré aujourd'hui par l'approbation de la motion, donc,
présentée par Mme Ghazal est déjà un premier pas, peut-être pas suffisant,
mais c'est déjà un premier pas, parce que peut-être que ça inciterait les gens
à faire une veille constante, à regarder, bien, qu'est-ce qui se passe, de quoi
on parle là, et d'aller chercher, vraiment, des vérités, d'aller chercher des
documents. Et là je vous donne des références que vous devriez vraiment aller
chercher. Donc, la veille, cette veille-là, c'est une veille qui doit être
constante pour savoir ce qui se passe dans cette partie du monde. Je vous
remercie.
Mme Ghazal : Merci.
Mme Hamzah (Dyala) : Je m'appelle
Dyala Hamzah, et je suis professeure d'histoire du monde arabe à l'Université
de Montréal. Je suis Palestinienne du Québec. Et, en tant que Palestinienne du
Québec, j'appartiens à une famille expulsée violemment de chez elle en 1948, et
qui plonge ses racines à Haïfa, à Saint-Jean-d'Acre, à Jérusalem, à Tulkarem.
Au moment de l'épuration ethnique, ce qu'en arabe on appelle la Nakba, ma mère
avait 11 ans. Les stations de son exil seront implacables : Amman,
Damas, Beyrouth, Koweït, puis la France. Elle attendra 40 ans avant de
pouvoir revoir son pays, ravagé par l'occupation et la colonisation, avant de
se réfugier dans la folie. Car la Nakba, et c'est ça qu'il faut bien
comprendre, ce n'est pas un point fixe du passé, ce n'est pas un point, un événement
révolu. La Nakba représente une plaie ouverte il y a 75 ans et qu'une
injustice flagrante, permanente n'a jamais permis de refermer.
C'est donc pour alerter et mobiliser le
public contre un enfer bien réel, bien quotidien, vécu par des millions de Palestiniennes
et de Palestiniens aujourd'hui, c'est pour qu'advienne une solution juste pour
le peuple de Palestine, purgé de sa terre, de son pays il y a 75 ans que,
personnellement, je milite au sein... que je milite pacifiquement au sein de
cette grande coalition québécoise, de cette grande coalition de la société
civile québécoise, BDS-Québec.
BDS-Québec est composée d'organisations
communautaires, féministes, syndicales et de défense des droits de la personne.
On a aujourd'hui avec nous l'une des organisations membres, donc, de notre
coalition, le Centre justice et foi, et son représentant Mouloud Idir. BDS-Québec
dénonce et agit contre l'impunité israélienne en appelant au boycott, au
désinvestissement et aux sanctions à l'égard d'Israël. BDS-Québec est la
réponse solidaire du Québec à l'appel lancé par la société civile palestinienne
au monde entier contre les violations continues des droits du peuple de
Palestine par Israël, contre son oppression et son asservissement, sa division.
La Coalition BDS-Québec salue, applaudit
et soutient aujourd'hui l'engagement de la députée de Québec solidaire, Ruba
Ghazal, qui travaille peuple québécois, qui œuvre inlassablement pour traduire
cette reconnaissance de la Nakba par la société civile, en reconnaissance de la
Nakba par la classe politique.
La Coalition BDS-Québec invite Québec à
être, donc, en phase avec sa société civile, à choisir le côté du droit et de
la justice. Israël, aujourd'hui, est un pays accusé devant la Cour
internationale de justice de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
Une pléthore de rapports d'organisations de défense des droits de la personne
l'accuse d'avoir établi un régime d'apartheid. On vient d'entendre notre
collègue Nihad Ben Salah de l'organisation Amnistie internationale. Ce pays,
Israël, s'est récemment doté, même, d'une loi fondamentale qui proclame, qui
revendique son droit au racisme, la fameuse loi Israël, État-nation du peuple
juif, dont la représentante d'Amnistie internationale a parlé également. Et,
aujourd'hui, Israël est gouverné à l'extrême droite par des colons, qui,
rappelons-le, sont des repris de justice qui déclarent leur haine des Arabes
palestiniens et qui appellent à leur éradication.
La moindre des choses aujourd'hui, pour finir,
c'est qu'au Québec on déclare le 15 mai journée commémorative de la Nakba,
comme vient de le faire l'ONU tout récemment, et comme l'ONU s'apprête à la
commémorer, cette Nakba, très officiellement, très solennellement, le
15 mai prochain. Merci.
Mme Ghazal : Merci. Merci
beaucoup.
M. Balsam (Corey) : Merci.
Bonjour. Je m'appelle Corey Balsam. Je suis le coordonnateur national de Voix
juives indépendantes, une organisation avec des membres et des chapitres à
travers le Canada et le Québec qui milite pour la justice et la paix en Israël,
Palestine, et contre toutes formes de racisme. En tant qu'organisation juive,
dont un grand nombre des membres ont perdu de la famille et leur maison
familiale dans l'Holocauste, il est primordial pour nous de souligner les
tragédies du passé, quelles que soient les victimes et les coupables.
La Nakba a eu lieu en partie du fait que
les communautés juives de l'Europe cherchaient à se protéger de leur oppresseur
européen en créant leur propre État. La tragédie, cependant, est que la
Palestine était déjà habitée, dotée d'une société extrêmement enracinée et
riche sur le plan culturel, ce qui a entraîné le nettoyage ethnique, entre 1947
et 1948, qu'ils appellent la Nakba.
Alors, non, on ne peut pas célébrer le 75e anniversaire
d'Israël cette année, d'autant plus que le gouvernement israélien d'extrême droite
crée une situation encore plus effroyable pour les Palestiniens et les
Palestiniennes, et ne recule devant rien pour maintenir un système d'apartheid,
de suprématie juive et de colonialisme.
Je tiens donc à remercier et saluer la
députée Ruba Ghazal, qui a déposé cette motion aujourd'hui et qui poursuit
cette très importante lutte pour la commémoration de la Nakba et pour la fin de
l'apartheid, et ce, malgré tous les défis et les dénis auxquels les
Palestiniens et les Palestiniennes sont confrontés.
La Nakba a bel et bien eu lieu il y a
75 ans et cela doit être reconnu, y compris à l'Assemblée nationale du
Québec. Mais la Nakba perdure et n'a jamais, en fait, cessé. Elle se poursuit
avec chaque frappe aérienne sur Gaza qu'on a vu les derniers jours, même
aujourd'hui, chaque enfant palestinien tué, ça aussi, on a vu les derniers
jours, chaque maison démolie et chaque attaque par les forces israéliennes dans
un lieu de culte.
Nous ne voulons pas d'un monde de racisme,
de violence et de haine. Nous voulons un monde de solidarité et des droits
humains pour tous. Merci.
Mme Ghazal : Merci. Merci
beaucoup.
La Modératrice : Merci beaucoup.
(Fin à 11 h 58)