(Quatorze heures trente-huit minutes)
M. Bérubé : Bonjour, tout le
monde. Au nom du Parti Québécois, à notre tour de vous faire part de nos
commentaires quant à la politique en matière d'immigration de la Coalition
Avenir Québec, qui est intimement liée à l'avenir du français. D'abord, une
grande victoire pour le Parti québécois. En 2018 puis en 2022, on demandait qu'à
l'entrée on parle français. Et il faut se souvenir que François Legault
demandait à l'origine que ce ne soit pas un critère fondamental. C'est un
virage important. On s'en réjouit. Ce n'était pas le cas il y a quelques
années. Il faut quand même rappeler un certain nombre de choses.
D'abord, l'OQLF, grande organisation, l'Office
québécois de la langue française, nous indique que l'immigration francophone,
même à 100 % francophone, ne va pas jouer un rôle fondamental dans l'inversion
du déclin. Ça, de façon scientifique, données probantes, ça ne suffira pas.
Mais regardons les mesures qui ont été mises en place et les objectifs du
gouvernement de la CAQ.
D'abord, souvenons-nous qu'en 2018 l'engagement,
c'était 40 000 immigrants. 2018. 2022, c'était 50 000. Donc, on
normalise les taux de Jean Charest et de Philippe Couillard sur le Parti
libéral du Québec. Ça se fait en douce, hein, ça devient 50 000. C'est le
chiffre qui a été choisi. Et le premier ministre nous dit : Au-delà de 50 000,
c'est suicidaire, c'est la louisianisation si on n'a pas tous les pouvoirs.
Depuis la dernière élection, malgré 90 députés, le gouvernement du Québec
n'obtiendra pas tous les pouvoirs.
Alors, ce qu'il nous présente aujourd'hui,
c'est ce qu'il peut faire avec ce qu'il a. Ça n'empêche pas le Canada d'arriver
maintenant avec 500 000 immigrants par année, et, pour suivre, bien,
le Québec va devoir augmenter de façon significative avec tous les défis que ça
représente. La capacité d'accueil, elle existe, c'est la capacité de bien
intégrer les gens à l'expérience québécoise, à notre société, de bien les
accueillir, de les franciser, de trouver un appartement, des places en CPE, de
trouver une façon qu'ils soient heureux chez nous. Je n'ai pas entendu parler
de la régionalisation de l'immigration. C'est une mesure que le Parti québécois
propose depuis des années : 25 % dans les régions du Québec. Je n'ai
rien entendu là-dessus.
Comment le gouvernement du Québec va
réussir à nous expliquer qu'ils n'auront plus deux engagements : le 40 000
en 2018, le 50 000 en 2022? Et même, je vous suggère que, même s'il
indique 60 000, avec le Programme de l'expérience québécoise, c'est plutôt
70 000, et, à terme, ça sera 100 000. Donc, il met la barre haute en
matière de mesures de francisation pour y arriver.
Quelques questions. Comment on va mesurer
l'inversion du déclin du français? Quel organisme, quel outil va pouvoir nous
dire que c'est fait? Est-ce que c'est l'OQLF, est-ce que c'est une nouvelle
instance? C'est une bonne question. Qui va trancher ça? Parce que, si on écoute
le gouvernement de la CAQ, tout est historique. Moi, je suis d'avis, pour avoir
étudié en histoire, qu'il vaut mieux que ce soit un tiers indépendant qui dise
ça, que ça soit le promoteur de la mesure. Alors, avant que ce soit historique,
il va falloir vérifier un certain nombre de choses.
Au début, le gouvernement disait : On
va stopper le déclin. Puis là, ensuite, ils ont réalisé que ce n'était pas
assez : On, va inverser le déclin. Je vous suggère que l'augmentation de l'immigration
n'est pas une solution qui va régler tout ça. Pierre Fortin a déposé un rapport
au gouvernement du Québec qui indique que, si on augmente l'immigration, bien,
on augmente autant les demandes pour du loyer, pour la francisation, pour des
infrastructures. Donc, ça ne règle rien. Et Pierre Fortin est cité de façon
aléatoire par le gouvernement, mais pas là-dessus. Il devrait peut-être le
faire.
Évidemment, c'est intimement lié à la
langue. Et il me semble que j'ai passé au moins deux ans à travailler sur la
loi n° 96, qui semble n'avoir jamais existé, à telle
enseigne que le ministre le plus proactif a été tassé du comité de suivi sur la
langue. Simon Jolin-Barrette voulait y participer, on lui a dit non. Vous lui
demanderez. Alors, il ne participe plus. Ce qui devait être une loi costaude,
suite au débat à l'interne, est devenu une loi relativement banale, à telle
enseigne que Bernard Drainville, nouveau candidat de la CAQ, dit à vos
collègues anglophones : «It's moderate». En français, «c'est costaud», en
anglais, «c'est modéré».
Une des mesures significatives qui
démontrerait le sérieux de la Coalition avenir Québec, c'est le cégep en
français. Pourquoi? Les nouveaux arrivants qui passent par le primaire et le
secondaire en français, lorsque vient l'âge adulte, donc 17 ans, 18 ans,
19 ans, ils doivent prendre des décisions quant à leur métier, leur lieu d'implantation,
leurs amis, bien, on leur donne le libre choix, et le transfert linguistique
des allophones vers l'anglais est à 43 %. Donc, il est très élevé. Puis on
a même un transfert linguistique de francophones de plus en plus important.
Donc, le gouvernement refuse d'appliquer cette mesure qui est une des plus importantes.
Et, s'il ne veut pas l'écouter de moins,
il peut l'écouter du grand Guy Rocher, une des personnes qui a contribué à
écrire la Loi 101, qui nous dit : C'est la mesure qui nous manque, ne
serait-ce que pour les allophones. Pourquoi on accepte de financer l'anglicisation
du Québec en donnant ce libre choix? Pourquoi on met beaucoup d'efforts au
primaire puis au secondaire et, quand il y a des choix décisifs, bien, on a des
collèges qui sont surpondérés, comme Dawson et d'autres? Pourquoi on ne permet
pas, par exemple, à des allophones de vivre l'expérience en région dans les
collèges francophones? Je vous donne l'exemple du Cégep de Matane, mais il y en
a bien d'autres.
Quand j'entends le premier ministre dire :
Jamais on n'a eu des avancées aussi significatives depuis la Loi 101, le
premier ministre a la mémoire sélective. La loi n° 14
du gouvernement Marois permettait plusieurs avancées, mais le gouvernement
était contre, notamment parce qu'il trouvait que ça allait trop loin,
notamment, la francisation en entreprise. On a perdu un temps précieux
là-dessus, il trouvait que ça allait trop loin.
Mais, le plus important de tout, et je le
gardais pour la fin, 40 000 proposés en disant : C'est le maximum. On
a dit ça en campagne électorale pour se faire élire en 2018, après, 50 000,
comme Jean Charest et Philippe Couillard. Après : C'est suicidaire d'augmenter,
on est rendus à 60 000, 70 000. Il y a 300 000 temporaires
sur le territoire du Québec présentement et ça ne se retrouve pas dans le plan
qui est présenté aujourd'hui. Il y en a sept fois plus que sous les libéraux.
Alors, conclusion, le gouvernement a bien écouté le lobby des affaires et les
chambres de commerce. Ce n'est pas nationaliste, c'est affairiste. Ça rime,
mais ce n'est pas pareil. Alors, pourquoi ne pas nous avoir parlé des
immigrants temporaires? Toutes les questions que j'ai posées à l'étude des
crédits, on ne veut pas répondre à cette question-là. Il y en a sept fois plus
que sous les libéraux, beaucoup plus que l'immigration permanente.
Et, quant au pouvoir, le premier ministre
dit : il y a de l'ouverture à Ottawa. Est-ce que l'avenir du français doit
reposer entre les mains de Justin Trudeau ou de Pierre Poilievre? C'est
ridicule. Le gouvernement est coincé, et ce sera ma conclusion, soit c'est la
marginalisation du Québec à l'intérieur du Canada pour ce qui est de son poids
politique, soit que c'est le déclin de la langue. Et, dans les deux cas, il y a
des conclusions politiques à tirer. Le premier ministre est rendu au bout, au
bout de sa logique, il ne peut plus avancer. Et maintenant qu'il a rompu deux
engagements électoraux sur les seuils, 2018 et 2022, il arrive avec des mesures
qui seront débattues cet automne, mais pas tant que ça.
Alors, quel était le slogan à l'origine: En
prendre moins, mais en prendre soin. Maintenant : En prendre beaucoup
plus, et on n'en parle plus. Et je parle des immigrants temporaires. Ils sont
300 000 sur le territoire du Québec, mais on nous dit : Non, non,
non, ne regardez pas là, regardez là. Ces gens-là travaillent sur le territoire
du Québec. Est-ce qu'ils parlent français? Est-ce qu'ils le parlent à la
maison? Est-ce qu'ils ont une connaissance suffisante? Ils travaillent dans
quel domaine, des domaines à risque, par exemple, comme on a vu dans les
derniers jours? Pourquoi le gouvernement refuse d'aborder cette question-là?
Alors, je me réjouis qu'à l'entrée on demande la connaissance du français, mais
ça ne suffira pas pour inverser le français. Et, si le gouvernement est sérieux
en ces matières-là puis écoutait le Parti québécois, qui connaît ça pour vrai,
qui n'a personne à convaincre à l'intérieur de son caucus de l'importance du
français... Et je sais de source on ne peut plus sûre que, sur ces questions d'immigration,
il y a énormément de débats à l'intérieur de la CAQ, comme il y en a eu en
matière linguistique. Et je ne suis pas convaincu que les trois personnes qui
nous ont présenté le plan tout à l'heure s'entendaient sur les objectifs et sur
les mesures. Et on le verra.
Alors, on va demander de participer à la
commission et on aura notre propre plan qu'on va déposer. Et, sur ce, en
espérant avoir été assez complet, je suis disponible pour vos questions.
Journaliste : Vous auriez
voulu trois scénarios, hein? Un qui diminuait les seuils?
M. Bérubé : 35 000. C'est
la cible de la dernière campagne qui tient compte, effectivement, du fait qu'on
a 300 000 temporaires sur le territoire du Québec. Nous, on le
savait, avec l'équipe qu'on avait à la dernière campagne. Le premier ministre
aussi, il le savait, mais il a quand même choisi de dire 50 000 et de
dramatiser la situation. Alors, c'est certain que, dans notre plan, on va tenir
compte des 300 000. Où sont-ils, dans quel domaine, quelle est leur
connaissance du français, quelle est leur formation? Et je rappelle que, malgré
le terme temporaire, on peut renouveler à l'infini, hein? Une fois, deux fois,
trois fois. Alors, on devient presque que des permanents, ils sont sur le
territoire du Québec.
Journaliste : Bien, sur les
seuils d'immigration permanente, une fois qu'on dit que la plupart des
nouvelles arrivées, qui va nous mener à 60 000, on leur... c'est des
immigrants économiques puis qu'on va leur demander de maîtriser le français,
est-ce que c'est une mauvaise chose de monter de 60 000?
M.
Bérubé
: Non.
Je l'ai dit d'entrée de jeu, c'est ce qu'on demande depuis le début, c'est
qu'au point d'entrée il faut parler le français. Mais il y a quelques années,
M. Legault nous disait que ça ne devait pas être le facteur fondamental,
ça devait être la compétence. Il a complètement changé. Je me suis souvenu de
nos engagements de 2018 et de 2022 et des débats avant et après ses élections.
C'était exactement ce qu'on demandait puis on riait de nous. Alors, on ne rit
plus de nous maintenant, on nous copie. C'est une forme d'hommage, mais ce
n'est pas à propos de nous, c'est à propos de l'avenir du Français. Et si on
est vraiment sérieux dans ce qu'on entreprend, que ce soit en matière
d'immigration, de mesures linguistiques, ça va prendre beaucoup plus que ça.
J'ai l'impression que la loi n° 96, ça devait être
cette loi robuste. On l'a déjà oubliée, ça ne sert pas grand-chose, puis on
recommence à zéro. Je trouve ça très particulier. Alors, le gouvernement de la
CAQ, sur cet enjeu, en oubliant les 300 000 temporaires, est
davantage affairiste que nationaliste.
Journaliste : Auriez-vous
aimé qu'on parle davantage des valeurs québécoises, de la cohésion sociale
au-delà de la simple reconnaissance du français?
M. Bérubé : On n'est jamais
entré là-dedans, nous. On n'est jamais entré là-dedans. Je veux dire...
D'ailleurs, c'est assez ironique, parce qu'à l'étude des crédits j'ai posé la
question à la ministre de l'Immigration. Je lui ai dit : Quand vous avez quitté
le Parti québécois, le cabinet de Jean-François Lisée, il me semble que c'était
à cause de la charte des valeurs. Elle me dit : Oui. Mais là vous vous
retrouvez dans le parti de la loi n° 21 puis un de
vos collègues à la table du Conseil des ministres, c'est lui qui l'a amené.
Donc, ce n'est plus un enjeu maintenant? C'est leur truc à eux. Nous, ce qui
est important, c'est la connaissance du français, la capacité de s'intégrer à
l'emploi puis aussi en région. J'insiste là-dessus, ça fonctionne bien, la
régionalisation. À Matane, là, le collège de Matane, la moitié des étudiants,
ils sont Français ou de l'île de La Réunion. Ils travaillent partout dans la
ville. C'est fascinant. L'intégration est là, ils sont appréciés, ils font
partie de nos vies. On les aime terriblement. J'aurais aimé avoir un objectif
de régionalisation, je n'en ai pas, à moins d'avoir mal entendu, mais j'ai
vraiment écouté avec attention.
Journaliste : Ils sont rendus
à 24 % maintenant.
M. Bérubé : 24 %?
Journaliste : 24,7 %.
M.
Bérubé
:
Est-ce qu'on a des cibles? Puis, encore une fois, qui va juger qu'on a atteint
les objectifs? Est-ce que c'est l'OQLF? Est-ce que c'est le nouveau commissaire
à la langue française? Je ne le sais pas. Moi, je... Il ne suffit pas que le
premier ministre dise que c'est historique puis qu'on n'a jamais rien fait
avant lui et que rien n'existait avant lui pour que ça suffise. Il faut être
capable de valider ça. Et là, évidemment, il manque d'autres choses, il manque
les mesures en langues de promotion de la langue. Et le message qu'on envoie
aussi, c'est que le français doit être une langue de prestige, une langue de
promotion, une langue rayonnante, une langue vivante. Puis là il y a des
efforts qu'on peut faire, mais sur lesquels on n'a aucun contrôle.
Je parlais avec le président de
l'Université du Québec, Alexandre Cloutier, dans les dernières heures. Je l'ai
croisé dans une activité. Il parlait des fonds fédéraux. Ils vont
essentiellement dans les universités anglophones. Ça, c'est du prestige pour
les sujets de recherche, pour le rayonnement de la science, le rayonnement des
sciences humaines. Ça, on ne contrôle pas ça. Alors, le Québec fait le maximum
qu'il peut avec ce qu'il a, mais ça ne suffira pas.
Journaliste : Je veux revenir
sur ce que M. Bourassa a dit par rapport à la cohésion sociale, que ce
n'était pas votre dossier. Votre chef a déjà dit que le modèle d'Immigration au
Québec pouvait contribuer à la montée des extrêmes lorsqu'on était à
50 000. Est-ce qu'à 60 000 on contribue à la montée des extrêmes?
M. Bérubé : Je n'ai pas
souvenir de cette déclaration, mais ce n'est pas... vous l'avez davantage, mais
je vais le poser dans des termes différents. Les partis ont des philosophies
différentes. Québec solidaire, je les écoutais, tant qu'il y a du monde, ils
entrent. Moi, je pense que la vraie responsabilité, c'est d'être capable de
bien accueillir les gens selon notre capacité. Vous savez que les groupes
communautaires de Montréal, ils s'adressent à nous, pas à Québec solidaire,
pour nous dire : Gérez ça un peu parce que ça va être compliqué. On n'a
pas les ressources pour bien accueillir les gens. Alors, c'est une question,
pour moi, pas de valeur, c'est une question de bien accueillir les gens et ça
passe par... Je vous le dis, là, la ministre a mis la barre haute sur la
francisation, là, j'ai hâte de voir c'est qui, ces enseignants-là. Puis ils
n'ont même pas pris tous les budgets fédéraux qu'ils avaient. Le logement, il
faut loger ces personnes, et la capacité de travailler. Donc, il y a aussi
toutes ces mesures-là.
Alors, les valeurs, le premier ministre
avait l'air amusé que vous lui posiez les questions tout à l'heure. Moi, je
pense que, vous habitez sur le territoire du Québec, vous êtes un Québécois, et
un des vecteurs importants, c'est la langue commune, le français. Ce serait ma
réponse.
Journaliste
: Merci
beaucoup.
(Fin à 14 h 52)