Point de presse de Mme Pauline Marois, chef de l'opposition officielle, M. Stéphane Bédard, leader parlementaire de l'opposition officielle, Mme Marie Malavoy, porte-parole de l'opposition officielle en matière d'enseignement supérieur et en matière de prêts et bourse, et de M. Mathieu Traversy, porte-parole de l'opposition officielle pour la jeunesse et les affaires étudiantes
Version finale
Thursday, May 17, 2012, 22 h 36
Salle Bernard-Lalonde (1.131),
hôtel du Parlement
(Vingt-deux heures trente-six minutes)
Mme Marois: Merci beaucoup, Marie. Nous sommes devant une loi ignoble. C'est un projet de loi qui est un véritable coup de force. C'est une violation grave des droits fondamentaux. C'est un gouvernement qui est à la dérive et qui dérape. L'État s'octroie des pouvoirs abusifs d'interpréter la loi, de la changer, de l'adapter. Du jamais vu.
Il viole le principe de l'indépendance judiciaire. Article 31, on annule les injonctions. Article 24, on décrète ce qui peut être un recours collectif. On écarte le Code de procédure civile. On met le poids de l'application de cette loi sur les épaules des directeurs d'établissement, des professeurs, qui doivent la faire respecter, qui doivent l'appliquer, sans aucune espèce de balise, sans même mentionner les questions de sécurité. Cette loi viole... propose de violer les droits d'association et la liberté d'expression, article 16. On s'attaque même aux parents, parce qu'on devient un contrevenant si on donne un conseil, article 29.
C'est une attaque frontale contre les associations étudiantes. Ce que nous demandons à M. Charest, c'est de retirer son projet de loi. Le premier ministre n'a plus l'autorité, ni l'autorité morale ni la légitimité pour ainsi bafouer les droits.
La Modératice: Questions?
M. Duchesne (Pierre): Mme Marois, la loi a une portée de durée limitée, juillet 2013. Pourquoi est-ce que, selon vous, cette durée-là a été déterminée, est déterminée de cette façon-là?
Mme Marois: Il faudra poser la question au gouvernement. Peut-être veut-il s'assurer de pouvoir passer aux élections avant que la loi ne soit abrogée.
M. Duchesne (Pierre): Est-ce qu'on comprend, donc, qu'une campagne électorale sous le régime de cette loi pourrait avoir un effet sur la mobilisation ou l'absence de mobilisation?
Mme Marois: D'abord, un, ce n'est pas possible parce qu'on l'empêche, à toutes fins pratiques, hein? Bon. Je vous répète qu'à mon point de vue c'est une loi ignoble et je ne peux pas m'imaginer que le gouvernement va adopter cette loi-là. Je ne peux me l'imaginer. Je vous le dis, c'est une attaque frontale à plusieurs points de vue. On confond les responsabilités, les rôles entre le judiciaire et l'exécutif. Je suis absolument estomaquée.
M. Robitaille (Antoine): Pensez-vous qu'elle tient la route, constitutionnellement?
M. Bédard: Je vais vous dire, à l'évidence, non, mais le problème, c'est qu'elle déclare illégaux tous les attroupements. Donc, c'est une loi qui est assimilable à... les pires loi en termes d'attaque à la liberté d'association, à la liberté d'expression. Ça veut dire que même une campagne électorale ne pourrait se tenir sous l'égide de cette... telle loi. Tout regroupement de 10 personnes, étudiants ou non, tout citoyen du Québec qui se retrouve, sans avertir la police et sans dire à la police par quel moyen de transport les gens vont venir, ces gens-là se retrouvent dans l'illégalité. Et là, pendant un an de temps, il serait impossible de tenir une campagne électorale ou même, cet été, d'avoir des attroupements dans les festivals. Cette loi, elle est ignoble, elle démontre tout simplement que le gouvernement a littéralement perdu la raison.
M. Pépin (Michel): Est-ce qu'il y a des précédents, à votre avis, de ce type-là?
M. Bédard: On en a cherché dans les lois spéciales. Vous savez, même les lois les plus imaginatives ne sont pas de cette nature-là. Le fait de donner au ministre... Vous regarderez aux articles, elle donne au ministre le pouvoir de modifier la loi.
Mme Marois: C'est quand même...
M. Bédard: Moi, je n'ai jamais vu ça dans un projet de loi. Le seul pouvoir assimilable qu'on a pu trouver, c'est le DGE, le Directeur général des élections, qui, dans certains cas, peut adapter la loi selon les circonstances parce qu'on ne peut pas la changer en période électorale.
Donc, le gouvernement s'est attribué un pouvoir ultime de modifier personnellement... Le ministre a le pouvoir de modifier la loi et toute loi du Québec, pas seulement la loi actuelle. Vous regarderez l'article 9. Je n'ai jamais vu ça, là. «Le ministre peut - et là ça inclut toutes les lois, donc j'imagine, jusqu'à...
Mme Marois: ...prévoir toute autre adaptation nécessaire aux dispositions de la présente loi ainsi qu'aux dispositions de toute autre loi et de ses textes d'application. Elle peut prévoir... La ministre du Loisir, des Sports peut prendre toutes les mesures nécessaires, notamment prévoir les dispositions législatives.»
M. Robitaille (Antoine): À vous écouter, c'est une sorte de loi des mesures de guerre ou...
Mme Marois: On n'a pas osé aller jusque-là, mais c'est sûr que, quand on regarde certains des éléments de la loi, à partir du moment où on viole les droits, où on attaque de front le droit d'association, le droit de manifestation, moi, je crois...
M. Bédard: La liberté d'expression.
Mme Marois: ...la liberté d'expression, je crois qu'on s'en approche.
M. Duchesne (Pierre): Mme Marois, il y a des manifestations à tous les jours à Montréal, plus d'une manifestation par jour souvent, le matin, le soir. Ce soir, il y a des gens qui étaient dans le tunnel Ville-Marie. Donc, il y a des manifestations où on pose des gestes qui ne sont pas permis. Il y a plusieurs personnes au Québec, pas juste des membres de ce gouvernement-là, qui disent: Il faut rétablir l'ordre, on est inquiets de ce qui se passe.
Mme Marois: Écoutez, nous avons toujours été contre la violence, contre des gestes qui sont des gestes de nuisance à l'égard des citoyens et qui ont... qui présentent des risques pour la sécurité des personnes. Nous avons toujours condamné tous ces gestes qui sont posés et qui sont fort malheureux.
Cependant, ce que l'on dit au gouvernement depuis des semaines, depuis trois mois, il a laissé aller les étudiants dans la rue, il n'a rien fait pendant au moins deux mois. Le matin où il se réveille, il annonce des mesures d'atténuation sur les prêts et bourses. Il n'a jamais parlé aux étudiants, il n'a pas discuté avec eux. Il les a laissés aller dans la rue, les laisser s'infiltrer, dans certains cas, par des casseurs. Il se réveille et à quelques semaines de trois mois de grève, il commence à discuter avec eux, sans jamais vraiment aborder la question qui est en cause et ce qu'il fait pour cette question pour laquelle les étudiants sont sortis, qui est la hausse excessive, drastique des frais de scolarité.
Le moyen que choisit le gouvernement est le mauvais moyen. On lui dit depuis quelques semaines: Les injonctions, bien sûr qu'elles doivent être respectées, mais ce n'est pas ce qu'il faut choisir comme moyen si on veut régler le problème. Et là il choisit le pire moyen pour provoquer. C'est provocateur à l'égard des étudiants.
M. Robitaille (Antoine): Pourquoi fait-il ça?
Mme Marois: Demandez-lui la question. Il a... Bien, oui, ma collègue dit: Il a perdu la raison. C'est un gouvernement en déroute, c'est un gouvernement qui n'a plus la capacité de poser un jugement, qui a une certaine hauteur, qui a une certaine distance par rapport aux événements qui sont là. Il s'est fait déborder, et le premier ministre n'a plus l'autorité morale pour agir.
M. Robitaille (Antoine): Est-ce qu'il ne répond pas à la volonté de bien des gens qui disent: Il faut que ça arrête, là, ces manifs-là?
Mme Marois: Je comprends. Moi, je crois qu'il faut que ça arrête, je crois qu'il faut que les jeunes retournent à l'école, je crois que ça n'a aucun sens, ce qui se vit depuis quelques semaines en particulier. Mais le gouvernement n'a jamais pris vraiment les moyens de régler le problème autrement que par des mesures d'ordre juridique. Et la voie qu'il choisit ce soir est une voie inique et ignoble et il ne le réglera pas malheureusement le problème même si je souhaite de tout mon coeur que ça puisse se régler, parce que c'est odieux ce qui se passe actuellement.
M. Duchesne (Pierre): Mais c'est d'une grande gravité, là, à vous écouter. Les moyens parlementaires dont vous disposez sont quand même limités et encadrés, là. Je veux dire, vous aviez... vous n'êtes pas majoritaires au Parlement, là. Vous pouvez faire quoi dans les circonstances?
Mme Marois: Nous, tout ce qu'on peut faire, c'est un appel à la raison au premier ministre et à son gouvernement pour qu'il retire cette loi et qu'il prenne la seule voie possible à mon point de vue. Et vous avez vu les associations étudiantes, vous venez de les voir encore cet après-midi, ils ont été, à mon point de vue, très clairs. Ils étaient prêts à des compromis, ils étaient prêts à recommander les ententes auxquelles ils croyaient être capables d'arriver avec le gouvernement. J'ai cru comprendre, et je ne veux pas les interpréter, qu'ils avaient fait un bon bout de chemin avec Mme Beauchamp.
Alors pourquoi le gouvernement s'obstine-t-il comme ça? Est-ce qu'il veut se faire du capital politique sur une crise qui est sans précédent au Québec? Et, moi, je crois que ça, ce n'est pas acceptable.
(Fin à 22 h 45)