Point de presse de Mme Françoise David, députée de Gouin
Version finale
Le mardi 30 avril 2013, 13 h 16
Salle Bernard-Lalonde (1.131),
hôtel du Parlement
(Treize heures seize minutes)
Mme David: Bonjour. Deux points, aujourd'hui, dans le point de presse que je veux faire avec vous : le premier, la question de LIVAC, le projet de loi qui est sur la table, qui veut quand même améliorer le programme d'indemnisation des victimes; le deuxième point, demande d'enquête publique et indépendante, une fois de plus, sur la question des agissements policiers lors du printemps érable.
Je reviens sur la question du projet de loi concernant le soutien et les indemnisations aux victimes d'actes criminels. Il y a eu un colloque en fin de semaine, beaucoup de personnes se sont exprimées, demandent un meilleur soutien aux victimes. Et je pense que le projet de loi du ministre St-Arnaud contient des éléments intéressants, va dans le bon sens, mais est insuffisant. Et vraiment, aujourd'hui, je veux plaider en particulier pour toutes ces femmes et aussi ces hommes qui sont victimes d'agression sexuelle. Ça s'est souvent passé alors qu'ils étaient très jeunes. Ils demandent, beaucoup plus tard, une indemnisation, qui leur est refusée parce que le délai de prescription, actuellement, est de un an. Le ministre propose deux ans comme délai de prescription dans son projet de loi. À Québec solidaire, ce que nous disons, c'est que, pour toutes les victimes, hommes ou femmes, d'agression sexuelle, il ne devrait pas y avoir de délai de prescription.
Un exemple, qui est arrivé un peu par hasard: ce matin, on a porté à ma connaissance une demande qui est arrivée à mon bureau, justement, du conjoint d'une jeune femme victime d'agression sexuelle à partir de l'âge de neuf ans, mais à qui ça a pris énormément de temps pour comprendre ce qui lui arrivait, pour que l'inconcevable se fraie un chemin dans sa tête et dans son coeur, ce qui fait que tout ça s'est passé il y a de nombreuses années, et c'est maintenant, à l'âge adulte, qu'elle pourrait avoir une indemnisation qui lui permettrait, entre autres, d'obtenir des services psychologiques dont elle aurait un urgent besoin. Ce sont des gens qui n'ont pas beaucoup d'argent.
Ça m'a beaucoup touchée, cette histoire, mais elle est tellement loin d'être unique. Deux chiffres seulement: en 2011, 65 % des victimes qui ont fait une réclamation en vertu de la loi IVAC sont des femmes, étaient des femmes, en 2011; et les victimes d'agression sexuelle comptaient pour le tiers des demandes. C'est quand même important, le tiers, uniquement pour cette catégorie d'infraction. Et la question du délai de prescription, c'est le motif de rejet le plus souvent invoqué par la commission sur l'indemnisation, c'est... dans 35 % des cas, on rejette la demande pour un délai de prescription.
Donc, nous demandons vraiment au ministre de faire preuve de compassion - on est certains qu'il en a - pour toutes ces victimes d'agression sexuelle, dont on sait très bien, les groupes de femmes l'ont démontré, que ça peut être 10 ans, 15 ans, 20 ans plus tard qu'elles demandent une indemnisation. Et le délai de deux ans, de toute façon, est trop court. On demande, à l'instar du rapport Lemieux, qu'il soit porté à trois ans. La Loi sur l'assurance automobile, d'ailleurs, au Québec, a un délai de prescription pour des demandes, là, qui vont jusqu'à trois ans.
On fait un autre... on va faire une autre proposition d'amendement, c'est de considérer comme une victime - même si, évidemment, il n'est pas tué ou blessé - un enfant mineur qui a subi... qui est victime de traumatismes dans des situations de violence conjugale. Les situations de violence conjugale ont, sur les enfants et les futurs adultes, des effets dévastateurs. Ce sont des gens qui ont besoin d'aide.
On voudrait aussi que soient reconnues comme victimes d'actes criminels - et donc possiblement une indemnisation - des personnes québécoises, bien sûr, qui auraient été victimes d'actes criminels à l'extérieur du Québec. Il a été porté à notre attention les cas, par exemple, de coopérantes embauchées par des organismes québécois ou canadiens, qui font des stages de coopération à l'étranger et qui, dans certains pays, subissent des viols pour lesquels elles ne toucheront aucune indemnisation une fois revenues au Québec.
On voudrait aussi inclure, dans la loi, le harcèlement criminel et les menaces de mort de même que les crimes liés à la marchandisation du corps humain, dont le proxénétisme et la traite humaine, et finalement qu'il y ait une révision annuelle de la liste des crimes pour lesquels il peut y avoir indemnisation.
Alors, nous allons, dans la mesure des moyens qui sont les nôtres, participer le plus activement possible à l'étude article par article, donc, de la commission parlementaire qui porte sur le projet de loi du ministre de la Justice et nous allons donc apporter ces amendements.
En deuxième point - et là ça concerne surtout, principalement, le ministre de la Sécurité publique, M. Stéphane Bergeron - nous lui demandons... Ça fait huit mois qu'on lui demande... mais nous répétons, vraiment, avec insistance, notre demande pour une enquête publique et indépendante sur les agissements des corps policiers lors de ce qu'on a appelé le printemps érable. Vous avez vu, bien sûr, qu'un rapport est sorti hier de la Ligue des droits et libertés et de d'autres organismes. Il y a vraiment, dans ce rapport, des faits extrêmement troublants, plus que troublants, des allégations assez traumatisantes. C'est comme si toute la problématique qu'on a vécue et qu'on a vue sur vidéo du matricule 728 s'était répétée, en fait, à une large échelle.
Et moi, je ne parle pas seulement des arrestations de masse. Ce qui m'a le plus frappée dans les extraits du rapport que j'ai lu, c'est le mépris dont certains... évidemment, pas tous, mais dont certains policiers ont fait preuve face à des manifestantes et des manifestants le printemps dernier. Est-ce que c'est une culture répandue, généralisée? C'est ce qu'une enquête publique indépendante nous permettrait de savoir.
Donc, le ministre Bergeron, qui, dans l'opposition, quand même, était assez actif sur le front de la défense du droit de manifester et de s'exprimer, moi, j'aimerais ça le voir aussi actif maintenant pour annoncer, donc, le plus rapidement possible, cette enquête publique et indépendante. Merci.
M. Dutrisac (Robert): Moi, j'aurais une précision sur le délai de prescription, essayer de comprendre, techniquement, comment ça peut fonctionner, suivant des cas, justement, d'abus sexuels dans l'enfance. La plainte se fait plus tard, des fois même se fait trop tard. Parce que, si on parle de victime, il faut bien qu'il y ait un accusé, quelqu'un est déclaré coupable, là.
Mme David: Oui.
M. Dutrisac (Robert): Ça fait que, bon, il y a... Justement, comment ça fonctionnerait dans des cas comme ça, là?
Mme David: Ce que nous proposons, nous, c'est qu'à partir du moment où il a été, évidemment, démontré que cette personne-là a été victime d'agression sexuelle - donc, ça veut dire qu'il y a un procès, il y a quelque chose qui se passe en justice, bien entendu - il n'y ait pas de délai de prescription pour une demande d'indemnisation. Parce que sinon, je pense qu'on va échapper la majorité des victimes d'agression sexuelle. Entre le moment, ou les moments - en fait, souvent, c'est à répétition, là - où les gestes ont été commis, le moment où la victime - et c'est souvent après de nombreuses années - se décide à porter plainte, il y a ensuite procès. Là, le délai de prescription, là, il est passé.
M. Dutrisac (Robert): Donc, dans ce cas-là, il n'y en aurait pas de...
Mme David: Nous autres, on propose qu'il n'y en ait pas, parce que... Écoutez, si vous avez suivi, juste une minute ou deux, la commission, par exemple, Vérité et réconciliation, bien, on se rend compte que des victimes d'agression sexuelle - dans ce cas-là, des personnes autochtones - révèlent parfois 30 ans, 40 ans, 50 ans plus tard les agressions dont elles ont été victimes. Mais ça, ça ne veut pas dire qu'elles n'en ont pas souffert. En fait, on a bien vu que c'est une souffrance infinie. Et donc ce que les autochtones ont vécu, vivent encore, beaucoup de femmes québécoises le vivent encore maintenant. C'est ça qu'il faut savoir. Et, oui, ça prend du temps à une victime avant, vraiment, d'oser dire: Moi, j'ai été victime d'agression sexuelle.
M. Dutrisac (Robert): Sur la question des... justement, de la marchandisation du corps humain, juste pour... dont le proxénétisme, donc là, la victime serait la prostituée, comme telle, ou le prostitué.
Mme David: Oui.
M. Dutrisac (Robert): C'est ça. Donc, encore faut-il qu'elle se déclare victime, là.
Mme David: Évidemment. Bien, c'est sûr. C'est comme pour n'importe quelle situation de victime.
Vous savez, ce qui me frappe beaucoup quand on parle de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, c'est qu'on se concentre sur les situations de meurtre. Puis je comprends, et les victimes de ces meurtres ont des proches qui réclament de l'aide, et évidemment Québec solidaire comprend, Québec solidaire est d'accord.
Malheureusement, on parle beaucoup moins... en fait, on ne parle à peu près pas des très nombreuses victimes d'agression sexuelle, qu'elles soient commises, ces agressions sexuelles, par qui que ce soit, là. Et pour les personnes concernées, ce qu'il faut savoir, ce qu'il faut comprendre, je pense qu'on le sait, là, maintenant, c'est que les séquelles de ce type d'agression sont immenses, absolument immenses, et durent toute une vie.
Donc, c'est pour ça qu'à Québec solidaire on insiste sur cet aspect-là. Ce n'est pas pour dire que, bien sûr, les proches des victimes de meurtre ne devraient pas avoir droit à une indemnité, mais c'est comme si, ça, tout le monde, en fait, s'entendait pas mal là-dessus. On insiste sur peut-être un autre aspect des choses.
M. Gagné (Louis): Et puis concernant, justement, les cas de femmes qui auraient été agressées, ou d'hommes, là, agressés à l'étranger, est-ce que ça ne pose pas un problème, justement? Parce que j'imagine que c'est assez rare qu'ils réussissent à avoir condamnation ou à avoir un procès. Est-ce qu'il y aurait moyen de reconnaître, à une victime, le statut de victime, même si, pour un peu faire suite à la question de mon collègue, même s'il n'y a pas eu d'accusation?
Mettons, quelqu'un, aussi, qui aurait été agressé il y a 30, 40 ans, souvent, l'agresseur va être décédé puis il n'y a aucune façon pénale de prouver que, oui, il y avait eu un crime, et toujours est-il que la victime n'en demeure pas moins une victime. Est-ce qu'il y aurait moyen de compenser?
Mme David: C'est ça. Écoutez, moi, je pense que c'est une très bonne suggestion. C'est quelque chose que je vais regarder de très près. Vous avez raison de dire qu'il y a des pays, par exemple, où on envoie des coopérants, des coopérantes, là, où le système de justice est plutôt sommaire. Donc...
En tout cas, moi, j'ai eu... j'ai rencontré une personne qui avait été victime de viol dans un pays africain, en fait, il s'en... Je ne suis pas certaine, je ne me rappelle pas si le système de justice là-bas avait condamné l'agresseur, ça, je ne m'en rappelle pas du tout. Je sais que l'organisme dont elle dépendait était convaincu que c'était vrai, que c'était la réalité, mais cette personne n'a pas pu obtenir d'indemnisation du Québec puisque le crime s'était passé ailleurs.
Donc, qu'est-ce qu'il faudrait avoir exactement comme mesures pour s'assurer que le crime a bien eu lieu, mais sans poser des exigences telles qu'évidemment elles ne pourront être jamais rencontrées? Je pense que c'est une excellente question. Je n'ai malheureusement pas la réponse, mais je vais la chercher.
M. Dutrisac (Robert): Sur la question des révélations à la commission Charbonneau d'aujourd'hui, il y avait une question de... bon, on en a appris pas mal sur le financement illégal. En tout cas, selon ces allégations-là, il y aurait une large part du financement des partis traditionnels qui se ferait illégalement, d'une part. Il y a aussi le fait que ce financement illégal là a aussi eu lieu durant le référendum de 1995. J'aimerais avoir vos réflexions là-dessus.
Mme David: Bien, je pense que vous ne serez pas étonnés de savoir qu'à Québec solidaire le financement illégal, ça ne fait même pas partie du vocabulaire, ça... On n'est jamais concernés d'ailleurs, vous avez remarqué, hein, même par des rapports qui parlent des situations depuis 2006. Jamais Québec solidaire n'est accusé de quoi que ce soit. Donc, si les faits qui ont été portés ce matin à l'attention de la commission Charbonneau s'avèrent exacts... je laisse quand même les choses un petit peu au conditionnel, il est déjà arrivé qu'on voit, à la commission Charbonneau, des témoins plutôt moins fiables que plus, mais, s'il s'avère que les faits révélés ce matin sont exacts, bien, c'est encore une fois la preuve qu'il faut vraiment, vraiment éradiquer la culture de corruption et de collusion dans la classe politique, vraiment, et ça veut dire que des personnes devront se présenter devant la justice. C'est illégal. C'est illégal et c'est immoral, c'est tout. Maintenant, évidemment, il faudra voir si les faits sont avérés.
Je vous indique aussi que, dans deux jours, nous allons déposer un projet de loi pour demander que le délai de prescription pour toutes ces situations-là soit le même, dans le fond, que celui sur lequel la commission Charbonneau se penche, c'est-à-dire 15 ans.
Mme Prince (Véronique): Sentez-vous l'appui des autres partis là-dessus? Avez-vous l'impression...
Mme David: C'est ce que nous allons voir.
Mme Prince (Véronique): Pour l'instant, vous n'avez pas eu d'écho?
Mme David: Non.
Mme Prince (Véronique): Merci.
Mme David: Merci.
M. Gagné (Louis): Concernant le rapport sur la répression policière, comment, vous, de façon générale, vous qualifieriez, là, le travail, le printemps dernier, des policiers du SPVM? Parce que, selon... bien, selon le rapport ou les auteurs, on a l'impression qu'il y avait comme un système, peut-être, de répression systématique. Est-ce que, selon vous, ce sont des cas isolés sur lesquels il faut se pencher ou le travail dans l'ensemble pose problème?
Mme David: Moi, je me situerais, personnellement, quelque part entre les deux. Je pense qu'il y a eu trop de situations problématiques pour qu'on parle seulement de quelques cas isolés, mais je ne dirais pas non plus que la totalité des manifestations ont été mal encadrées par la police. J'en ai fait pas mal; dans beaucoup de cas, ça s'est très bien passé, de part et d'autre, du côté de la police et du côté des manifestants, et, dans d'autres cas, franchement, il y a eu des dérapages policiers. Et voilà pourquoi on a besoin d'une enquête.
On a besoin d'une enquête pas seulement pour sévir à l'égard de policiers ou policières qui seraient allés trop loin dans les gestes posés et dans le mépris, on a besoin d'une enquête pour répondre à la question que vous posez: Y a-t-il, à la ville de Montréal, y a-t-il, aussi à la Sûreté du Québec, une culture, malheureusement, qui serait un peu trop généralisée, là, d'impunité, de mépris de tout ce qui s'appelle manifestants? Si oui, bien là on va travailler à la formation, on va faire de la prévention, on va changer la manière de voir le travail policier. Si ça n'est pas une culture généralisée, bien, à ce moment-là, prenons les bons moyens pour que les éléments policiers qui font mal leur travail soient sanctionnés. Et il y a seulement une enquête publique et indépendante qui va nous le dire.
Journaliste: Merci.
Mme David: Merci à vous.
(Fin à 13 h 32)