(Quinze heures trente-trois minutes)
Mme David : Bonjour.
Écoutez, je vous rencontre tout simplement parce que j’ai déposé cet après-midi
une motion qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Et j’en
suis très contente, en fait, parce que ma motion se voulait, en fait, dénuée de
toute partisanerie, mais, en même temps, je voulais qu’elle soit claire sur le
rôle du Conseil du statut de la femme. En fait, on est allés chercher certains
éléments de la motion dans les documents mêmes, dans la loi constitutive du
conseil, et je voulais rappeler que le Conseil du statut de la
femme — organisme, vous le comprendrez, très important à mes yeux, et
ce, depuis longtemps — est un organisme essentiel, qui doit demeurer
libre de toute ingérence politique.
Et vous ne serez pas étonnés que je vous
dise, comme je l’ai dit à satiété vendredi dernier, je crois que, dans ce
cas-ci, il y a eu clairement ingérence, il y a eu nominations précipitées. Normalement,
les groupes de femmes ont un mois pour soumettre des candidatures. Le plus important,
la Fédération des femmes du Québec, a eu trois jours pour soumettre des
candidatures, ce qui revient à dire qu’on ne leur demande pas de candidature.
Ça ne me paraît pas normal.
Je dis cela et je veux être extrêmement
claire, ça n’est pas une critique ou une attaque aux quatre personnes qui ont
été nommées. J’en connais plusieurs, ce sont des personnes, tout le monde le
dit d’ailleurs, de grande valeur, qui ont de la crédibilité. Donc, le problème
n’est pas là. Le problème, c’est de nommer très rapidement, en court-circuitant
les procédures habituelles, quatre personnes qui vont exactement dans le sens
que le gouvernement souhaite aller, c’est-à-dire sa charte de la laïcité. Donc,
je voulais simplement mettre les choses bien au clair sur le sens de la motion.
Maintenant, je vais tout de suite vous
dire, puisque vous allez me le demander, qu’est-ce que je vais faire avec la
motion libérale. Alors, je vais vous dire deux choses. La première, c’est que
je vais l’appuyer. La deuxième, c’est que je n’ai pas du tout aimé, cet
après-midi, la tournure des débats. C’est un débat qu’on devrait essayer de
faire, autant que possible, avec dignité, avec un petit peu d’impartialité si
c’est possible, avec pas trop de partisanerie, parce que, franchement, les
accusations qui fusent d’un côté et de l’autre... Vous savez, j’ai assez
d’expérience pour savoir que tous les gouvernements nomment des gens qu’ils
espèrent voir aller un peu dans leur sens. Tous les gouvernements, un jour ou
l’autre, et c’est pareil quand les libéraux étaient au pouvoir, ont un peu de
proximité avec des gens qu’ils ont nommés. Je pense à l’ancien président du
BAPE, par exemple, pour les libéraux.
Donc, peut-être que, là, l’idée, ce n’est
pas commencer à se faire la leçon mutuellement. Ça va lasser la population très
vite, ça. Moi, ça me lasse déjà, personnellement. L’idée, c’est… je pense que
vraiment, là, la semaine dernière, à sa face même, il y a eu maladresse. Je
pense que le gouvernement, oui, pourrait surseoir à ces quatre nominations,
laisser le conseil avoir la réunion qu’il est censé avoir, si on en croit Mme
Miville-Dechêne, vendredi, et puis laisser les choses aller à un rythme normal.
Donc, demain, j’interviendrai, bien sûr,
dans le débat entourant la motion, mais personnellement je ne le ferai pas dans
une optique partisane. J’ai vu ce que ça donnait cet après-midi, ce n’est pas intéressant
pour le public, ni pour les femmes d’ailleurs. Voilà.
Journaliste : Est-ce que ça ne
prouve pas que les femmes font de la politique de la même façon que les hommes?
Mme David : Ça leur arrive,
oui.
Journaliste : Ils tombent bas
à ce point-là? Elles tombent… Il ne faut pas que ce soit…
Mme David : Je pense que,
quand on est dans le monde politique, j’imagine qu’à un moment donné, c’est
difficile de résister, pour certains et certaines, à ce qu’on appelle, en
général, les coups en bas de la ceinture, mais honnêtement, là, je ne le
souhaite vraiment pas. Je trouve que, dans un débat qui touche les femmes… la
charte de la laïcité touche beaucoup de femmes. On a un gouvernement où ce sont
des femmes, sauf M. Drainville, mais la ministre de la Condition féminine, Mme
Marois, on a des députées de l’opposition. J’aimerais ça que… Je ne sais pas,
j’aimerais ça qu’on fasse les débats, oui, bien sûr, mais avec dignité, tout le
monde.
Journaliste : Trouvez-vous que
Mme St-Pierre est extrêmement émotive sur ce sujet-là?
Mme David : Extrêmement?
L’est-elle plus que bien d’autres? Je ne sais pas, je me… Je pense qu’elle
s’est sentie attaquée par M. Gendron ce matin, évidemment. Alors, oui, elle
réagit sans doute émotivement, mais, vous savez, ça, l’émotion, c’est assez
partagée entre les partis, là.
Journaliste : Il y a des
sondages qui indiquent des gens qui parlent d’un malaise, ils sont mal à
l’aise, ils voient une femme avec un hidjab, tout ça. Mais est-ce que ça se
peut que, quand il y avait les premiers fonctionnaires noirs, il y en avait peut-être
quelques-uns qui étaient mal à l’aise, c’est-à-dire, si des gens voient une
fonctionnaire enceinte, ils sont peut-être… quelqu’un de mal à l’aise. Quand on
a changé au système métrique, il y avait des gens mal à l’aise. Est-ce que ce
n’est pas le rôle du gouvernement de dire aux gens de ne pas être mal à l’aise,
d’accepter ces gens?
Mme David : Je pense que le
malaise, ce n’est jamais une étude scientifique, et je ne peux pas croire…
J’entendais le ministre parler, à une célèbre émission, dimanche soir, là,
disant : On n’a pas besoin d’étude, écoutez, les citoyens nous disent que…
Moi, je ne trouve pas ça sérieux du tout, du tout. Dans un dossier aussi
émotif — disons-le, oui, c’est normal que ça le soit, ça touche à
l’identité des gens — il faut se fonder sur des études faites par des
chercheurs, disons, le plus objectifs possible, parce que je ne crois pas à
l’objectivité parfaite. Donc, il faut être sérieux, là. Ce dossier-là, il faut
le manier avec énormément de précautions.
Maintenant, il y a des
malaises que je peux très bien comprendre. Il ne faut pas, non plus, les nier.
Ça serait une erreur que de se dire : Tout va toujours très bien, tout est
toujours facile. Il n’y a jamais de choc de cultures, il n’y a jamais de choc
de valeurs. Non, ça, ça serait vraiment de faire de l’angélisme, par exemple.
Mais, entre le fait d’accepter de voir, d’admettre qu’il y a certains malaises
et, après ça, l’utilisation qu’on en fait avec, à certains moments, je dirais
même, des propos assez populistes, c’est le niveau du débat, à certains
moments, pas tout le temps… bien là, je pense qu’il faut se garder une petite
gêne, là.
Et puis, en plus, je dirais : Il faut
être sérieux aussi quand on invoque l’histoire. Moi, il y a une chose qui me
surprend énormément chez le ministre Drainville, et je le lis dans le texte du
Nouveau Rassemblement ce matin : «Nos religieux — hein, «nos» voulant
dire les religieux catholiques des années 60 — ont accepté de laisser
tomber l’habit religieux pour travailler dans les institutions, entre autres
pour enseigner.» C’est faux, c’est juste faux. Ce n’est pas comme ça que ça s’est
passé.
Les religieux ont vécu
Vatican II, Vatican II — bon, certains ont l’âge de s’en
rappeler — qui a été le grand remue-méninges dans l’Église
catholique. Suite à ça, il y a eu cette espèce de tendance, dans l’Église
catholique, à laisser tomber les uniformes, si vous voulez, soutanes, et
cornettes, et toutes ces choses-là. Il n’y a personne, au niveau de l’État, au
niveau des institutions publiques qui a demandé quoi que ce soit aux religieux
québécois. Il est vrai qu’ils ont abandonné la soutane, et l’habit religieux
pour les femmes. Cela dit, je me rappelle qu’un prêtre et une religieuse,
malgré tout, étaient assez reconnaissables dans les années 70, disons. Il faut
se rappeler un petit peu quel était leur habillement, hein, le collet romain
pour les messieurs et puis un petit habit extrêmement sobre avec une croix très
visible pour les dames. Mais, ça, le ministre ne le dit pas, par exemple.
Alors, aller invoquer
que, eux, ils ont accepté et pourquoi est-ce qu’aujourd’hui d’autres
n’accepteraient pas, voilà le genre d’arguments fallacieux où on réécrit
l’histoire et où on se base pour dire : Regardez, ils devraient être
capables, ceux qui s’en viennent ici, qu’ils fassent donc comme les nôtres. Ça,
là, ça vicie complètement le débat et ça accroît le malaise. Moi, je pense
qu’il faudrait, là-dessus aussi, se calmer. Non, ce n’est pas ça qui s’est
passé.
Aujourd’hui, qu’est-ce
qu’on fait avec une situation de diversité culturelle et religieuse? Elle
existe, il faut faire face, oui, prendre des mesures, oui. Est-ce qu’il faut
interdire à tout le monde de porter des signes religieux? À Québec solidaire,
nous disons non.
Journaliste : Est-ce que ce n’est
pas un débat aussi qui vise l’islamisme politique?
Mme David : Pour certains,
sans doute que oui, mais, là aussi, je pense qu’on fait erreur. Alors là, je
vais vous dire quelque chose où j’espère être très claire. Personnellement et
au nom de Québec solidaire, on va toujours lutter contre tous les
fondamentalismes religieux, qui finissent souvent par déboucher, effectivement,
sur une espèce d’appropriation politique, là, d’institutions politiques. Et ça
on peut le voir dans, oui, certains pays dirigés par des islamistes politiques
très radicaux, mais, vous savez, le Tea Party, aux États-Unis, on était dans le
fondamentalisme religieux.
Journaliste : ...comportement
de certains groupes religieux ici en Occident...
Mme David : Exactement. Alors,
lutter contre des tentatives de groupes fondamentalistes religieux de
s’approprier l’institution étatique, oui, il faut faire preuve d’une extrême
vigilance.
Je rappellerai qu’une... au niveau, là...
On est en train de débattre d’une charte de la laïcité de l’État, des
institutions publiques. On n’est pas en train de se donner un plan d’action
contre les fondamentalismes religieux, toutes religions confondues, là. Ne
mêlons pas toutes les questions. On est en train de se demander comment l’État
québécois devrait parachever son processus de laïcisation. C’est ça, la
question qui est posée.
Alors, le ministre
Drainville dit un certain nombre de choses très intéressantes, avec lesquelles
nous sommes d’accord : inscrire la laïcité comme concept important au
niveau de la Charte des droits; baliser les demandes
d’accommodement — quoique c’est déjà fait dans la jurisprudence, mais,
O.K., écrivons-le noir sur blanc dans une loi, pas de problème — donner
et recevoir des services à visage découvert, pas de problème. Mais le problème,
c’est que tout le monde finit par faire le débat sur le port, oui ou non, de
signes religieux par les fonctionnaires et autres employés de l’État.
Parce qu’il y aurait bien d’autres
questions, dans le fond, si on voulait s’amuser : Oui ou non, un soutien
fiscal de l’État au développement des églises? Oui ou non, la prière au début
d’une assemblée municipale? Oui ou non, le crucifix au-dessus de la tête du
président de l’Assemblée nationale? Qu’est-ce qu’on fait avec le cours Éthique
et culture religieuse? On le garde comme il est? On le modifie? Certains
trouvent qu’il y a beaucoup de place... il y a 10 ans de cours et il y a
beaucoup de place à l’étude des religions. Est-ce qu’on est prêts à regarder
ça? Il y en a plein de questions qui touchent la laïcité.
Pourquoi est-ce qu’à la fois le
gouvernement, et certains intellectuels, et certains groupes dans la société
civile mettent tellement d’emphase sur les employés de l’État? Moi, ça, ça me
fascine un peu.
Journaliste : Pourquoi, à
votre avis?
Mme David : Est-ce que c’est
plus facile, dans un sens? Parce que finalement... c’est une hypothèse, hein,
mais la majorité des personnes qui vont être touchées, si jamais un projet de
loi gouvernemental était déposé et adopté, ce qui n’est pas fait, hein, mais la
majorité des personnes qui seraient touchées seraient probablement... on n’a
pas de chiffres, mais on peut penser que ce seraient des femmes portant le
voile.
C’est probablement plus
dérangeant pour un gouvernement de dire : Regardez, le crucifix au-dessus
de la tête du président de l’Assemblée nationale, là, on pourrait juste le
déplacer, hein? Les sondages nous disent : Oui, mais les francophones, ils
ont un peu de misère avec ça, ils ont l’impression que c’est un objet
patrimonial. Et moi, je suis pour le respect des objets patrimoniaux,
religieux, laïques, je n’ai pas de problème avec ça. Mais là on est devant un
objet religieux qui est devenu politique. Moi, je pense qu’un gouvernement qui
se tient debout, il dirait : Regardez, on va le déplacer. Il expliquerait
pourquoi, il rappellerait l’histoire de tout ça. Mais ça, ça demande un effort,
ça demande du courage, des convictions puis ça demande peut-être d’aller
parfois au-delà d’une opinion qui est un peu faite, là, depuis quelques années,
hein, où il faut que la majorité s’affirme, c’est important, etc. C’est
probablement plus facile d’adopter des positions qui, finalement, vont toucher
bien davantage les minorités, et moi, je trouve ça bien regrettable, bien
regrettable. Merci à vous.
(Fin de la séance à 15 h 46)