(Neuf heures cinquante et une minutes)
M. Khadir
: Bonjour.
Bonjour, tout le monde. Aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, Québec Solidaire
va déposer une motion qu'on présente pour une deuxième fois — nous
l'avons fait en octobre — pour demander au gouvernement d'exiger des
transporteurs de pétrole, ceux qui veulent imposer au Québec le passage des
sables bitumineux à travers leurs oléoducs, sachant les graves conséquences environnementales
qu'un accident peut entraîner, sachant les accidents récents, comme à Kalamazoo
aux États-Unis, dans la rivière Kalamazoo, un déversement de 4,3 millions
de litres de mazout, dont encore tout près de 1 million n'a pas été nettoyé par
la compagnie Enbridge.
Considérant donc l'expérience, en plus,
récente, qu'a connue le Québec avec la tragédie du lac Mégantic et l'incapacité
de la compagnie à fournir l'argent nécessaire pour nettoyer les dégâts, nous
demandons au gouvernement d'être prévoyant. Nous l'avons fait en octobre, le Parti
québécois l'a refusé, mais, comme, hier soir, le ministre des Affaires
municipales, je pense, conscient de ce problème, avec la lucidité qu'on lui
reconnaît — je parle de M. Sylvain Gaudreault — et surtout
attentif aux besoins exprimés par les municipalités qui sont très, très
inquiètes des conséquences que ça pourrait entraîner, le passage du pipeline
d'Enbridge...
Donc, nous allons demander aux députés de
l'Assemblée nationale, en toute cohérence, de faire adopter... de demander au
gouvernement fédéral d'adopter rapidement des initiatives permettant de
renforcer le régime de sécurité des pipelines annoncé le 3 juillet 2013 et
exiger, et c'est ça la demande spécifique, que les entreprises qui exploitent
les grandes conduites de pétrole brut déposent une garantie financière minimum
de 1 milliard de dollars et qu'elles fournissent une preuve d'assurance
suffisante pour couvrir l'intégralité des coûts de décontamination dans
l'éventualité où il arrive un déversement pétrolier majeur. Ça, c'est afin
d'éviter les conséquences financières pour le public dans les cas de faillite d'entreprises,
notamment.
Je vous signale qu'hier en commission
parlementaire, ce qui nous a été démontré, c'est que, oui, le renversement du
pétrole... de la direction du flux du pipeline d'Enbridge, ça va être à
l'avantage des raffineries. Donc, les Québécois vont prendre des risques à
l'avantage des compagnies de raffinerie de pétrole. Personne n'a prétendu, même
les promoteurs du projet, qu'il y aura une quelconque différence pour les
Québécois. Le citoyen moyen, là, il n'y aura aucune différence dans sa facture.
C'est la facture des actionnaires des compagnies de raffinerie qui va baisser.
C'est eux qui vont faire les profits.
Nous, on assume les... Si jamais ce coup
de pouce que le gouvernement du Parti québécois veut donner au pétrole sale de
l'Alberta va de l'avant, bien, c'est les Québécois qui en assument les risques,
et je pense que le minimum, c'est de se faire respecter puis d'avoir des
garanties financières, comme n'importe quel acquéreur de maison va devoir...
doit le faire, avoir des garanties suffisantes, hein? La banque exige de n'importe
quel acquéreur que, lorsque vous achetez une maison, vous ayez une assurance
pour couvrir les dommages. De même, si vous êtes en copropriété, vos associés
s'attendent à ce que vous ayez les assurances nécessaires. Je pense que c'est
le minimum pour le faire.
Nous sommes très désolés de voir avec
quelle précipitation, et insistance, et même, je dirais, un certain ridicule
parce que c'est la première fois en cinq ans que je vois des ministres venir se
faire les promoteurs d'un projet. Il y a eu quatre ministres qui sont venus, en
commission parlementaire, parader pour faire le travail de lobbying pour l'industrie
pétrolière. Je trouve ça vraiment incroyable. C'est un coup de pouce inespéré
pour le pétrole le plus sale du monde, le pétrole de l'Alberta. C'est le
pétrole qui est le plus dommageable pour l'environnement, c'est le pétrole qui
cause le plus de gaz à effet de serre dans son cycle de vie, et le gouvernement
du Parti québécois va donner un coup de pouce que même les Américains ou la Colombie-Britannique
n'a pas voulu donner.
Si jamais on avance avec ça, il y a un
minimum à respecter pour le Québec, mais je rappelle au gouvernement encore, je
rappelle à la population que, quand on veut sortir du pétrole, bien, ce n'est
pas ça qu'il faut faire. Quand on encourage l'exploitation du pétrole puis on
en facilite l'accès, en fait, ce qu'on fait, c'est qu'on perpétue la domination
du pétrole sur notre économie, on perpétue la dépendance de nos emplois au
pétrole puis, en fait, on décourage toute tentative de renverser la vapeur,
toute tentative de voir émerger des énergies alternatives, des modes de
transport alternatifs. En fait, on est en train de se tirer dans le pied.
M. Lafille (Julien)
:
Est-ce que le fait, justement, qu'il y ait quatre ministres qui viennent, les
uns à la suite des autres, défendre un tel projet, est-ce que ça ne montre pas
qu'il y a peut-être un intérêt économique supérieur pour le Québec ?
M. Khadir
: Il y a un
intérêt économique inférieur, oui. Inférieur, c'est vrai, c'est le mot. Oui, il
y a des emplois en jeu dans l'Est de Montréal, en jeu dans le sens que le Parti
québécois, qui a les comtés de l'Est de Montréal, dans sa vision à courte vue
qui le caractérise depuis quelques années, ne voit pas au-delà des nécessités
immédiates de l'électoralisme aux prochaines élections. Ce n'est pas en
fonction des prochaines élections qu'il faut réfléchir à l'avenir du Québec, ce
n'est pas en fonction de un ou deux comtés, c'est en fonction de la pérennité
des emplois pour les Québécois et la prospérité du Québec à long terme. Ce
qu'un gouvernement responsable aurait fait à la place du Parti québécois, donc
ce que Québec solidaire aurait fait, c'est que nous aurions empêché que notre
argent soit utilisé…
Vous savez qu'actuellement les Québécois
paient 350 millions de dollars par année en congé fiscal pour appuyer l'industrie
pétrolière. Une partie de ces ressources-là, on l'aurait consacrée à faire la
transition économique vers une autre économie où on pourrait offrir des emplois
de qualité aux travailleurs et aux travailleuses de l'Est de Montréal, dans un
autre secteur moins dépendant. Ça va prendre du temps, cinq ans, 10 ans, 15
ans, mais il faut commencer aujourd'hui si on veut y arriver.
C'est sûr que le Parti québécois est pris
dans sa logique à courte vue électoraliste de dire : Aïe! Ne vous
inquiétez pas, il n'y a rien qui va changer pour vous. Non. De manière
responsable, si Québec solidaire était au pouvoir, était en commande, nous
dirions à ces… Nous allons assurer la transition du secteur économique de l'Est
de Montréal pour que vous ne soyez pas dépendants du pétrole et que vous ne
subissiez pas le chantage du secteur pétrolier. On l'a entendu encore hier, là,
des différentes manières, un discours internalisé par les ministres qui
reflétait ce chantage : si vous ne faites pas ça, si vous ne nous donnez
pas des bonbons, du pétrole à meilleur coût, on s'en va.
M. Lafille (Julien)
:
Pourtant, le porte-parole d'Enbridge vous dit, hier, que Kalamazoo l'a rendu
très humble, qu'ils se sont regardés dans un miroir, dans le fond. Vous ne le
croyez pas du tout?
M. Khadir
: Bien, j'aimerais
bien les croire, mais ils n'ont pas encore... ils contestent 750 000
barils de pétrole brut qui est dans le fond de la rivière. L'agence de
protection environnementale américaine dit : Non, non, non, c'est à vous à
nettoyer. Eux, refusent de le faire. Un. Radio-Canada, tout récemment, en mai dernier,
rapportait qu'une quasi-totalité des stations de pompage d'Enbridge ne
respectent pas les règles pourtant assez, je dirais, complaisantes, de l'office
national de l'énergie canadienne, 160... les chiffres, je... 115 sur 125,
quelque chose comme... je m'excuse, 117 sur 125. 117 de leurs stations de
pompage n'étaient pas conformes. Plus de la moitié de leurs stations de pompage
n'ont pas de bouton d'urgence encore. On fait face à une compagnie qui est
encore assez irresponsable.
Et pourquoi ils en feraient autrement? Ils
font tellement de profit que, si un accident arrive, même si ça coûte
1 milliard, comme c'est arrivé à Kalamazoo, ça ne leur pèse pas très
lourd. C'est ça, la logique. Je ne dis pas qu'ils le font méchamment, mais c'est
la logique avec… Ils font les calculs, ils se rendent compte qu'avec les
profits qu'ils font ils n'ont pas besoin vraiment de respecter l'environnement
puis ils n'ont pas besoin de prendre des précautions outre mesure. S'il
arrivait un malheur, bien, ils vont payer, mais le malheur est subi par les
gens. C'est notre... Regardez, Enbridge, ça passe en dessous de la rivière
Outaouais. S'il arrivait un malheur, là, c'est toute l'île de Montréal et notre
approvisionnement en eau qui est menacé.
M. Journet (Paul)
: Mais
est-ce que... Vous parlez des stations non conformes et d'un manque de
collaboration, comportement critiquable d'Enbridge. Mais est-ce que la cible de
vos critiques, ce devrait être Enbridge ou les réglementations en vigueur? Là,
je... Par exemple, pour les stations non conformes... Je ne connais pas bien le
dossier. Est-ce que c'est Enbridge qui viole le règlement ou si c'est le règlement
qui est trop laxiste?
M. Khadir
: Bien, le règlement
n'est pas très sévère, mais même les règlements, au niveau peu sévère qu'ils
sont, Enbridge ne les respecte pas, c'est-à-dire les propres réglementations de
l'office national de l'énergie, actuellement, dans 117 des 125 stations de
pompage, suivant le reportage de Radio-Canada, ils sont en violation, Enbridge
est en violation. Donc, ils ne respectent même pas le règlement en vigueur. D'accord?
On leur a rappelé à plusieurs reprises :
Écoutez, vous prétendez que, s'il arrivait un accident, on a des processus
automatiques qui ferment les valves. Mais il y a plus de la moitié de leurs
stations de pompage qui n'ont pas de bouton, qui n'ont pas de bouton, de valve
d'urgence. Donc, il y a des problèmes, pour cette compagnie-là, à respecter les
règles déjà en vigueur ou à démontrer qu'ils sont vraiment soucieux. Bon!
M. Journet (Paul)
: Ils
ne sont pas dignes de la confiance qu'ils demandent?
M. Khadir
: Bien, je
pense... Regardez, règle générale, on sait que l'industrie pétrolière, on l'a
vu avec BP… Ce n'est pas juste Enbridge, là, c'est toute une culture d'une industrie
qui est tellement puissante, qui a un lobby sur les politiciens, un contrôle
tellement puissant qu'ils ne s'enfargent pas trop dans les détails et dans le
respect des préoccupations des citoyens.
Mais c'est à nous, collectivement, maintenant
qu'on le sait, maintenant qu'on a vu ce qui s'est passé au lac Mégantic, maintenant
qu'on a l'expérience des États-Unis avec les déversements dans le Kalamazoo,
d'être plus exigeants, exactement comme on l'a vu avec l'unique député du Parti
québécois, l'unique ministre qui a vraiment démontré une attitude, je dirais,
courageuse et un minimum protecteur du bien citoyen, du bien collectif. C'était
le ministre Gaudreault, en fin de séance, hier, de la commission.
Il est venu dire qu'il faut absolument
respecter les principes d'acceptabilité sociale, de protection de l'environnement,
la sécurité des citoyens et aussi l'impact économique. Puis, d'entrée de jeu,
il a affirmé qu'il faut absolument prévoir un fonds de prévoyance. C'est pour
ça que nous déposons ce matin une motion pour que, si jamais le Parti
québécois, malgré toute la logique et le bon sens, donne ce coup de pouce
inespéré pour les sables bitumineux, un coup de pouce que les Américains n'ont
pas donné, un coup de pouce que la Colombie-Britannique, là, n'a pas donné… Ça
sera finalement le Parti québécois, avec toutes ses prétentions écologiques,
qui va le donner, qui va renforcer la domination du pétrole sur notre économie.
Bien, si ce mal-là, le Parti québécois le fait, bien, au minimum, qu'on ait un
fonds de prévoyance de 1 milliard pour réparer les dégâts.
M. Journet (Paul)
:
Pardonnez-moi si je vous demande de vous répéter, mais, pour le fonds de
prévoyance, vous voudriez donc qu'il soit de 1 milliard. Financé par qui,
à quelle hauteur et utilisé à quelles fins et décidé par qui?
M. Khadir
: Un fonds,
comme les garanties qu'on exige des minières, pour réparer maintenant, là, pour
réparer les dégâts de leurs projets.
Pour ce qui est d'Enbridge, ça voudrait
dire, considérant ce qu'on sait... mais regardez juste ce qui s'est passé, le
déversement... un déversement un tant soit peu majeur, comme aux États-Unis,
c'est 1 milliard. Donc, de déposer une garantie financière de 1 milliard,
une garantie financière et, ensuite, de démontrer qu'il a toutes les assurances
nécessaires pour pouvoir rencontrer toutes les conséquences financières en cas
de faillite de l'entreprise. D'accord? Il y a une chose que d'avoir l'argent de
côté, mais on a vu avec MMA... s'ils ont des garanties financières, mais
finalement ils sont en faillite puis ces garanties ne sont plus valides, bien,
il faut au moins avoir des assurances pour couvrir.
M. Journet (Paul)
: C'est
le fédéral ou c'est… Ça ne devrait pas être le fédéral qui devrait être responsable
de ça?
M. Khadir
: Bien,
écoutez, c'est le Québec... Le Québec a... Moi, je n'accepte pas cet aveu
d'impuissance d'un gouvernement qui se dit souverainiste. Je vous ai expliqué,
hier, qu'il y a toutes sortes de moyens législatifs réglementaires, y compris
sur les redevances, comme le fait la Colombie-Britannique. La Colombie-Britannique,
c'est comme ça qu'elle dissuade le passage de Northern Gateway, pour le moment.
Mme Nadeau (Jessica)
: Mais
est-ce que ça pourrait donc être régi par règlement comme tel?
M. Khadir
: Bien sûr.
Mme Nadeau (Jessica)
: Ça
pourrait être un règlement québécois qui...
M. Khadir
: Ça peut
être une exigence du Québec. Vous voulez avoir notre acceptabilité sociale? Déposez-le.
Peu importe à quel niveau ce fonds est géré, fédéral ou provincial, ce n'est
pas ça, l'important. On demande... oui, on demande au gouvernement fédéral de
faire les démarches pour mieux encadrer et pour permettre aux municipalités
comme au gouvernement provincial des différentes provinces de pouvoir exiger
ça.
Mais, en dehors de ça, mettons qu'on ne
peut pas compter sur la collaboration d'un gouvernement fédéral comme Harper,
qui est vendu aux intérêts pétroliers, le Québec a des moyens. Le Québec peut
dire : Écoutez, si vous voulez avoir notre appui, si vous voulez qu'on
vous accompagne, notre collaboration, voici ce que vous devez faire au niveau
fédéral. Allez mettre de l'argent de côté.
M. Journet (Paul)
:
Est-ce qu'il y a déjà eu… Une dernière vite, vite, là, oui. Est-ce
qu'il y a déjà eu, à votre connaissance, des juridictions qui ont demandé et
obtenu un fonds de prévoyance de la part d'une pétrolière?
M. Khadir
: Je n'ai
pas connaissance de ça, mais je pense que c'est tout à fait impertinent. Des
accidents comme ceux de Kalamazoo puis de Lac-Mégantic, on n'en avait pas
connus. Que ça n'ait pas existé... Que des choses essentielles, logiques, des
mesures de prudence qui sont destinées à protéger les citoyens n'aient pas été
prévues dans le passé, c'est très déplorable. On doit s'en désoler aujourd'hui.
Maintenant qu'on sait, ça serait irresponsable de ne pas le faire. Puis je vous
rappelle que l'industrie pétrolière a une influence sur les politiciens depuis
longtemps. Leur lobby est très puissant. Cherchez un peu dans nos documents,
vous allez voir.
(Fin à 10 h 5)