(Quinze heures dix-sept minutes)
M. Khadir
: Alors,
j'attire votre attention sur deux questions qui ont été posées aujourd'hui en
Chambre, l'une par ma collègue critique en matière santé du PQ et l'autre par
moi-même, sur les frais accessoires. À chaque fois, le ministre de la Santé a
prétendu, devant l'Assemblée, devant son président, devant des centaines de
milliers de personnes qui vont possiblement l'écouter, que la loi permet les
frais accessoires. Je crois que le ministre est dans une erreur grossière. C'est
une ignorance inexcusable ou c'est un... disons, c'est une inexactitude
délibérée pour induire le public en erreur.
La réalité, c'est qu'à chaque fois que des
patients ont poursuivi le gouvernement du Québec pour son inaction devant des
frais accessoires interdits au sens de la loi canadienne sur l'assurance
maladie ces patients-là ont gagné plusieurs millions de dollars en recours
collectif contre le gouvernement, dont un jugement récemment, puis l'autre
remonte même au milieu des années 2000. Je prends pour preuve l'allusion qui en
est faite par la longue lettre écrite par Me Ménard, avocat, Jean-Pierre
Ménard, qui a écrit au ministre fédéral de la Santé pour lui demander d'agir,
puisque le gouvernement québécois et la RAMQ, par complaisance, par
insouciance, permettent à des médecins de contrevenir à la loi et de facturer
des... en fait, ce qui est évalué aujourd'hui à quelque 50 millions de
dollars en frais accessoires supplémentaires que paient les patients, les
patientes québécois pour différentes choses, dont on pourrait rentrer dans le
détail.
L'autre élément qui induit le public en erreur,
que le ministre répète, c'est que c'est parce que les médecins doivent couvrir
leurs frais en clinique. J'ai déposé en commission parlementaire ce matin une
grille tarifaire de la RAMQ pour les honoraires des médecins. Ça, c'est la
grille des majorations qu'on donne aux médecins qui, en cabinet privé,
facturent certains actes par rapport aux mêmes actes facturés éventuellement en
CLSC ou en établissement public. Et, dans la colonne ici, à gauche, j'indique,
pour les bénéfices des journalistes et des parlementaires, que, comme vous
voyez, systématiquement, il y a des majorations. J'ai souligné les actes les
plus fréquents et importants. C'est des majorations qui vont de 20 %
jusqu'à 60 %. En fait, l'essentiel... 64 %. L'essentiel des actes
qu'opère un médecin, c'est vraiment aux alentours de 50 %, quand on fait
une moyenne sur leur salaire.
Donc, il est inexact, erroné, ça induit la
population en erreur de dire que les médecins ont besoin de ces frais accessoires
pour couvrir les frais. On les majore déjà de, en moyenne, 40 % pour
couvrir les frais. C'est plusieurs centaines de milliers de dollars par
cabinet, quand il y a deux, trois médecins. Parfois, c'est plusieurs millions
de dollars, plusieurs millions de dollars. Les cliniques d'ophtalmologie, ça se
chiffre en millions. Et, au total, on estime à au-dessus de 50 millions de
dollars ces frais, alors que c'est déjà couvert dans la généreuse rémunération
que reçoivent les médecins et les majorations en cabinet privé.
M. Caron (Régys)
:
Comment se fait-il, M. Khadir, que ces frais-là soient chargés depuis 1970,
depuis que la Loi sur l'assurance maladie existe? Est-ce à dire que, depuis
1970, les médecins versent dans l'illégalité?
M. Khadir
: Bien, c'est
le fait d'un petit nombre de gens. Ça s'est répandu dernièrement. Là, les
groupes qui sont à la défense des patients dénombrent un peu plus de
150 bureaux et cliniques privés qui le pratiquent, mais ce n'est pas quelque
chose qu'effectuent tous les médecins. C'est une minorité. C'est comme si le ministre...
la logique du ministre, c'est de dire : On a une loi qui interdit de
voler, mais, comme il y a des voleurs, bien, moi, je vais légaliser le vol pour
le baliser, pour ne pas qu'il y ait de trop gros vols, qu'on ne dévalise pas
les banques à plusieurs millions de dollars, mais dévaliser quelqu'un de quelques
dizaines ou centaines de dollars, ce n'est pas grave. C'est une logique qui est
défaillante, c'est une logique inadmissible, c'est une logique qui est
immorale.
Je vous rappelle, les médecins, au cours
des dernières années, augmentation de rémunération en moyenne de 40 %. En
plus, il y a une dizaine d'années, ils ont obtenu le droit de s'incorporer,
hein? S'incorporer, ça veut dire : Une partie de leur rémunération n'est
taxée qu'à 50 %. On estime à au-dessus de 100 millions de dollars ce
que les médecins empochent de rémunération supplémentaire, de revenus
supplémentaires en raison de ça. En plus, comme je vous l'ai dit...
M. Caron (Régys)
:
Juste pour l'incorporation?
M. Khadir
: Hein?
M. Caron (Régys)
: Juste
pour l'incorporation?
M. Khadir
: Oui, pour
l'incorporation, parce que vous savez qu'une partie de ce qui est facturé par
la clinique leur est versé en dividendes et les dividendes ne sont imposés qu'à
moitié. Il y a un congé de taxe de 50 % sur les dividendes. Ça, c'est
plusieurs centaines de millions de dollars. Bon, les basses estimations, c'est
100 millions de dollars, mais on pourrait regarder les chiffres ensemble.
Et, en plus, il y a eu la rémunération qui
a été considérablement majorée au cours des dernières années, plus les frais
supplémentaires, la majoration de la rémunération pour les frais de bureau. Où
est-ce que ça va finir, là? Les médecins sont amplement rémunérés, la plupart
des médecins ont même horreur qu'on leur parle de ça, là. C'est le fait d'une
minorité et qui est très influente dans les corporations, hein, dans les
associations corporatistes qui s'adressent au gouvernement. Mais moi, là, je
rencontre régulièrement des médecins sur mon lieu de travail. Ce n'est pas ça,
leurs demandes. Leurs demandes, c'est leurs conditions de travail, c'est
d'avoir des équipes, c'est d'avoir des infirmières, c'est d'avoir accès à la
salle d'op, d'avoir accès à des spécialistes en temps utile, d'avoir du soutien
dans leur travail pour passer du temps avec des patients, ne pas être pogné
avec le clérical ou la bureaucratie. C'est ça que demandent les médecins.
M. Caron (Régys)
:
Est-ce que le ministre s'apprête à légaliser le vol? Vous avez utilisé cette
expression-là.
M. Khadir
: Bien,
cette logique-là, c'est ça, c'est un vol. Regardez, les Québécois paient déjà
deux impôts, O.K.? Un impôt au Québec au fonds de santé pour s'occuper de la
santé, un autre impôt qui va au fédéral et qui revient sous forme de compensation
du fédéral en santé, d'ailleurs qui pourrait nous être privé, c'est le sens de
la lettre de M. Ménard. Pour forcer les gouvernements du Québec à protéger
les patients, là, la population, Me Ménard demande au fédéral de dire au
Québec clairement : Je ne vais plus te payer, je vais t'amputer de ces
frais accessoires que tu permets qu'ils soient facturés par les médecins. Donc,
les Québécois paient déjà deux fois par leurs impôts, puis là on leur demande
de payer une troisième fois. C'est du vol.
M. Caron (Régys)
:
Mais, M. Khadir, je veux bien vous comprendre, là. Le ministre répète que
ça existe depuis 1970.
M. Khadir
: Ce n'est
pas parce qu'il y a des gens qui...
M. Caron (Régys)
:
1970, ça fait presque 50 ans, là.
M. Khadir
: Oui, bien,
ça fait 50 ans...
M. Caron (Régys)
:
Alors, comment se fait-il que, depuis 50 ans, on nous charge quelque chose
d'illégal?
M. Khadir
: Parce que
c'était mineur encore il y a quelques années, mais, depuis une dizaine
d'années, ça prend de l'ampleur sous la pression des affairistes et de la culture
mercantile qui a gagné certaines cliniques privées, d'accord, les privatiseurs
de tout acabit. Là, ça prend des proportions énormes. Les trucs qu'on voit aujourd'hui,
là, 300 $, 400 $ pour des vasectomies ou pour des colonoscopies ou
100 $, 200 $ pour des gouttes, ça n'existait pas il y a une dizaine
d'années. Il y avait des frais accessoires, mais c'était minime, ça fait que
tout le monde passait par-dessus.
Mais à chaque fois que c'était majeur,
comme, par exemple, dans le cas des cliniques d'avortement, et que les femmes
se sont regroupées puis ont fait un recours basé sur l'illégalité, elles ont
gagné, ou dernièrement contre certaines cliniques d'ophtalmo, je ne me rappelle
pas du détail de la... Il y a un autre recours qui a été gagné dernièrement.
Malheureusement, ma mémoire fait défaut. À chaque fois, autrement dit, que
devant quelque chose, une situation grave, les patients se sont regroupés et
poursuivi le gouvernement, ils ont gagné parce que, précisément, c'est illégal.
Alors, prétendre, parce que c'est là
depuis... Écoutez, depuis que je roule, je vois fréquemment sur la route des
gens qui roulent à 130, 140, ce n'est pas une raison de légaliser 140 kilomètres
à l'heure sur l'autoroute. C'est quoi, cette logique défaillante?
M. Caron (Régys)
: Mais
là le ministre dit qu'il veut corriger les abus. Ce n'est pas suffisant. Vous
le croyez ou vous dites : Ce n'est pas suffisant?
M. Khadir
: Bien, je
crois qu'il veut corriger les abus, mais le connaissant, avec son attitude,
très protecteur et mou vis-à-vis les médecins, c'est que ce qui va arriver,
c'est qu'on va légaliser et ouvrir une brèche très grande dans quelque chose
qui n'a pas lieu d'être. Je rappelle, les patients n'ont pas à payer ces
frais-là, on les paie déjà à travers nos impôts. Les médecins sont déjà
largement payés et ils sont compensés pour leurs frais de bureau.
Voulez-vous que je vous donne des exemples
ahurissants? Je pourrais en donner, mais là je pense qu'il ne faut pas se
répéter. C'est illégal, c'est scandaleux comme frais. Les médecins sont déjà
payés et compensés pour les frais de bureau. Qu'est-ce qu'il attend, le
ministre, de dire : Non, basta, c'est tout? On n'a pas besoin d'encadrer,
on n'a pas besoin de baliser quelque chose qui est immoral, tellement immoral
que le Collège des médecins, avant que le ministre change un peu de fusil
d'épaule puis dise : Dans le fond, je vais le légaliser, bien, le Collège
des médecins avait pris des recours puis avait inclus ça dans son code de
déontologie et s'apprêtait à sévir sérieusement à partir de juillet dernier.
C'est à cause du comportement et des tergiversations du ministre, que d'autres
appellent du tataouinage, qu'on en est rendus là, là.
M. Caron (Régys)
: Je
reviens sur 1970. Ce n'est pas parce... Si je vous comprends bien, ce n'est pas
parce que ça existe depuis 1970 que c'était légal,
mais ça existait dans une, comment dire, dans une
proportion tellement infime que personne ne portait attention.
M. Khadir
: C'était
relativement modeste. Jusqu'à il y a une dizaine d'années, c'était relativement
très modeste. Ça ne se chiffrait pas en cinquantaine de millions à l'échelle du
Québec. Je ne le sais pas à quelle hauteur, mais ce n'était pas à tel point
important. Les patients ne se faisaient pas facturer des centaines de dollars,
hein? Ce phénomène de gouttes à 50 $, 100 $, 200 $, c'est
récent.
Alors là, il faut que ça cesse. Et ça
montre toute la complaisance de l'appareil gouvernemental envers les gens
influents et riches, et, même si, moi, je suis parmi ceux-là, je suis médecin,
je suis député, ça me heurte de savoir qu'on me traite différemment, que le ministre
est très fort pour s'abattre contre les petits, je ne sais pas moi, les petits
contracteurs, ou les petits entrepreneurs, ou le petit restaurateur qui ne paierait
pas sa juste part d'impôt ou qui oublierait... qui facturerait quelque chose
erronément, mais, quand il s'agit des amis médecins, ah, bien là, il faut
trouver toutes sortes de moyens pour leur permettre d'atterrir doucement et
qu'on ne leur reproche rien.
Et la plupart des médecins sont d'accord
avec moi. On n'a pas à tolérer ça. Je vous mets au défi... Regardez,
rappelez-vous ROME, c'est un regroupement spontané de 4 000, 5 000
médecins omnipraticiens du Québec qui s'étaient joints à eux pour contester la
loi n° 20, puis allez voir, après trois jours de délibérations pour dire
comment on va rendre le système de santé plus accessible, ils ne demandaient
jamais qu'on augmente ni leur rémunération ni qu'on légalise les frais
accessoires. Pourquoi? Parce qu'ils sont conscients que ça, c'est des
empêchements, c'est des limitations graves à l'accessibilité. Ça fait une
accessibilité à double vitesse : ceux qui peuvent payer 300 $,
400 $ et ceux qui ne peuvent pas.
Mme Biron (Martine)
:
Le ministre semble dire dans ses réponses aujourd'hui qu'il faudrait faire le
tri entre ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas. Qu'est-ce que vous
comprenez de ça?
M. Khadir
: Moi, je
comprends simplement que le ministre essaie, par ses tergiversations, par ses
manoeuvres, de justifier l'intolérable. On n'a pas à accepter, on n'a pas à
faire le tri de ce qui est déjà payé. Je vous rappelle, c'est déjà payé. La grille
que mon collègue vous a soumise, tous les frais de bureau sont déjà escomptés,
majorés à 40 % en moyenne pour les cabinets privés. Pourquoi il faudrait
que les patients en paient davantage? Pourquoi, après tous les avantages, les
augmentations, les congés fiscaux déjà accordés à cette minorité de médecins
qui font une si mauvaise presse à la profession, qui nuisent à la réputation du
corps médical et que le ministre vient aujourd'hui, en quelque sorte, protéger
par son tataouinage?
M. Caron (Régys)
: Vous
avez donné l'exemple de la colonoscopie. Elle ne figure pas dans la grille que
vous nous avez remise.
M. Khadir
: Non, parce
que ça, c'est la grille des médecins généralistes; ça, c'est les omnis. Pour
les colonoscopies, c'est pareil, les médecins...
M. Caron (Régys)
:
C'est le même principe?
M. Khadir
: C'est le
même principe. Quand c'est fait au bureau privé, il y a une majoration. Je ne
connais pas... Je peux essayer de le demander, je pourrais les avoir
facilement.
Une voix
: ...
M. Khadir
: Hein?
M. Caron (Régys)
: On
nous dit que c'est 500 $ dans un cabinet privé.
M. Khadir
: Non. Les
frais accessoires demandés. Là, cette grille-là, ce n'est pas les frais
accessoires, c'est la majoration accordée par la RAMQ. C'est ce que la RAMQ
paie au médecin en supplémentaire pour tenir compte que ça se fait en cabinet
puis qu'il y a des coûts. Il faut payer pour leur location, pour les
secrétaires, pour l'infirmière. Donc, c'est déjà inclus dans le coût.
M. Caron (Régys)
: La
rémunération...
M. Khadir
: Ça, c'est
la rémunération de la... ça, c'est ce que paie la RAMQ. Les frais accessoires,
c'est au-dessus de ça, en sus de ça. C'est ça qui est intolérable.
M. Caron (Régys)
:
Est-ce que vous pensez qu'il va procéder par règlement plutôt que par
amendement à la loi?
M. Khadir
: Bien,
c'est ce qu'il nous dit, là. Il essaie de trouver le moyen parce qu'il sait qu'il
y a une forte opposition à ça. Là, il n'a pas présenté son amendement, comme
c'était prévu la semaine passée, et là je ne sais pas quelle manoeuvre il fait,
comment est-il en train de négocier tout ça derrière des portes closes, alors
que ça concerne des centaines de milliers de patients. Ça compromet
l'accessibilité à des centaines de milliers de Québécois, ceux qui n'ont pas
les moyens de payer 200 $, 300 $, 400 $...
M. Caron (Régys)
: S'il
passait par règlement, il aurait, comment dire, un «free ride», là, il...
M. Khadir
: Bien oui,
il pourrait décider. Et, si on a un médecin, si on a Québec solidaire, c'est
sûr qu'on... par règlement, on va arrêter tout ça. Mais, si c'est un médecin
complaisant comme lui, mou avec sa profession, bien, là, on va avoir le
problème qu'on a.
Puis le gouvernement précédent, malheureusement,
n'a pas été mieux. M. Hébert, quand il était en dehors du pouvoir, il
faisait partie, comme moi, des médecins pour la justice sociale, il se
préoccupait de ça. Quand je l'ai questionné ensuite, quand on a proposé la
motion, en commentaire, il a dit : Oui, il faut absolument interdire ça.
D'accord, mais ils n'ont rien fait, parce que le poids, malheureusement, du
lobby de cette petite minorité de médecins est très fort. Merci.
(Fin à 15 h 31)