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Point de presse de Mme Véronique Hivon, porte-parole de l’opposition officielle en matière de justice, et M. Sylvain Pagé, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé publique et de prévention

Version finale

Le jeudi 15 février 2018, 11 h 06

Salle Bernard-Lalonde (1.131), hôtel du Parlement

(Onze heures sept minutes)

Mme Hivon : Bonjour. Merci d'être là. Alors, on a appris hier que le gouvernement, via bien sûr la Société des alcools du Québec en attente de la création de la Société québécoise du cannabis, avait conclu, donc, des lettres d'intention, avait fourni des lettres d'intention à six producteurs de cannabis pour l'approvisionnement en cannabis à partir du 1er juillet prochain.

Ce qui est complètement déconcertant et absolument indécent, c'est qu'on constate que, parmi ces six producteurs qui ont reçu des lettres d'intention, au moins deux d'entre eux sont liés à des paradis fiscaux. On constate, à la lumière même de ce qu'on a pu lire dans Le Journal de Montréal, dans le dossier du bureau d'enquête au mois de janvier, que deux de ces entreprises-là sont effectivement sur la liste des producteurs qui sont financés à partir des paradis fiscaux.

C'est ce que j'ai fait ressortir tout à l'heure en période de questions. Hydropothicaire bénéficie au moins d'un financement de 15 millions qui provient des îles Caïmans et, en plus, il reçoit une partie aussi de son financement de l'Arabie... des Émirats arabes. Ensuite, pour ce qui est de Aurora Cannabis, c'est 32 millions de son financement qui provient du paradis fiscal des îles Caïmans.

Alors, vous pouvez vous imaginer la consternation quand on a constaté qu'alors que toute l'information est disponible, elle est à plein page des journaux, c'est un sujet de débat depuis des semaines, ce qu'on apprend hier, quand le gouvernement annonce que ces lettres d'intention là ont été conclues, c'est que le tiers au moins des entreprises qui vont pouvoir fournir légalement, donc, du cannabis à la Société québécoise du cannabis font affaire avec des paradis fiscaux.

Ce qui est complètement aberrant, c'est qu'un des objectifs de la légalisation du cannabis, c'est de sortir ça des mains du crime organisé. Mais là on n'aura aucun moyen de savoir qui sont les investisseurs dans ces compagnies-là, quelle est la part qui provient des paradis fiscaux. Il n'y aura pas d'identification des investisseurs. Donc, il n'y a rien qui dit que ça ne peut pas non plus être des gens qui proviennent du crime organisé. Donc, c'est complètement hallucinant de voir qu'alors qu'il y a tout un nouveau champ qui s'ouvre, donc, pour les producteurs de cannabis, mais surtout pour le gouvernement du Québec qui va devenir un partenaire de ces entreprises-là, qu'on ne semble pas du tout se préoccuper de cette question-là.

Vous avez entendu, comme moi, les réponses du ministre Leitão tout à l'heure. Il n'en fait absolument pas de cas. Il refuse en plus toute transparence. Hier, on n'a pas été capable de savoir quels avaient été les critères pour octroyer ces contrats-là, pas plus aujourd'hui. Ces ententes-là ne sont pas... C'est des ententes, là, je fais la nuance, ce ne sont pas comme tels les contrats, c'est des lettres d'intention, parce qu'il faut attendre que la loi soit adoptée, bien évidemment, mais on s'entend qu'ils vont devenir des contrats. Donc, aucune transparence, aucun critère, aucune garantie qu'on va travailler pour éviter que ce soit des compagnies liées aux paradis fiscaux, et les indications et les réponses du ministre étaient totalement faibles, à côté complètement de ce qu'on lui demandait ce matin. Et c'est très, très inquiétant de se dire qu'alors que l'information est disponible le gouvernement fait le choix délibéré de faire affaire avec des compagnies qui sont liées aux paradis fiscaux.

Et nous allons aujourd'hui, donc, aller plus loin dans l'étude, qui se déroule en ce moment, du projet de loi sur le cannabis. Alors, je vais laisser mon collègue Sylvain Pagé exposer ce qu'il va faire.

M. Pagé : Bon, alors, merci, Véronique. Alors, vous savez qu'on a commencé l'adoption article par article du projet de loi n° 157. Je veux quand même vous rappeler qu'hier nous avons voté à l'unanimité, 110 à 0, 110-0, c'est plutôt rare, mais une motion qui disait la chose suivante :

«Que l'Assemblée nationale réclame de la Société québécoise du cannabis qu'elle fasse en sorte de s'approvisionner majoritairement auprès de producteurs québécois de cannabis et [qu'elle] s'assure que ses fournisseurs présentent un financement socialement acceptable.»

Ce qu'il faut savoir, c'est qu'hier j'ai justement déposé une motion... en fait, un amendement à l'article 3 qui décrit la mission de la SQDC et qui reprenait mot à mot l'amendement que nous avons déposé hier, pour que ça soit inscrit clairement dans la loi. Pourquoi? Parce que, nous le savons, c'est une très grande préoccupation qu'on ne veut surtout pas faire par la porte d'en arrière, légaliser, dans le fond, ce qui était illégal via les paradis fiscaux.

Alors, avec tout ce que nous apprenons à l'égard du financement, 40 % des entreprises présentement qui ont reçu, hein, l'autorisation de produire du cannabis, 40 % des entreprises seraient ou sont, parce que c'est ce qu'on dévoile, financées via les paradis fiscaux.

Alors, ce qu'on dit aujourd'hui, j'ai envie de reprendre la grande question qui était posée par un chroniqueur, il y a à peine quelques jours, qui disait : «Le scandale politico-financier de la prochaine décennie est-il en train de se déployer sous nos yeux?» C'est exactement ça la grande question. Et hier le gouvernement a refusé d'inclure notre amendement dans la mission de la société de l'État en disant : Bien, on va reprendre ça un peu plus loin.

Et on va le prendre de quelle façon et est-ce qu'on va accepter d'inclure nommément les paradis fiscaux? On n'a pas de réponse à ces questions-là, et c'est très préoccupant parce qu'il y a manifestement un scandale financier qui risque de déployer sous nos yeux, et le gouvernement réagit de façon très frileuse à cet égard-là. Et nous, on dit : Il faut que ça soit inscrit dans la loi, donc on va revenir à la charge à l'intérieur du projet de loi n° 157.

M. Bellerose (Patrick) : Avez-vous l'impression que le gouvernement n'a tout simplement pas envie de fermer la porte aux paradis fiscaux?

Mme Hivon : Bien, clairement. Vous avez entendu les réponses du ministre Leitão. Je dois vous dire que je ne m'attendais pas à des réponses aussi évasives, à côté de ce qu'on lui demandait ce matin. En fait, il nous a dit : Bien, non, on ne peut pas vérifier ça. On sait que le gouvernement, justement, a refusé de mettre en oeuvre toutes les recommandations du rapport de la commission qui s'est penchée sur la question des paradis fiscaux avec un rapport unanime non partisan et, à travers ça, il a donc refusé de faire maintenant des critères pour entrer en relation commerciale avec l'État, la question d'être lié à des paradis fiscaux.

Mais là on ouvre un nouveau champ d'action qui va être archi bénéfique pour les producteurs, mais dans lequel le gouvernement peut dès maintenant donner ses intentions. Donc, toute la place est là pour dire : On ne tolérera pas de faire affaire avec des producteurs qui sont liés, dont le financement provient de sources anonymes, de paradis fiscaux qu'on n'est pas capables de retracer. Alors, je trouve que, dans le contexte actuel où on dit qu'on veut se battre pour plus de justice fiscale, puis contre les paradis fiscaux, et pour la transparence, on est complètement... le gouvernement va complètement à l'encontre de la volonté des gens.

M. Bellerose (Patrick) : Pourquoi, selon vous, le gouvernement ne ferme pas la porte aux paradis fiscaux dans ce dossier-là?

Mme Hivon : Bien, écoutez, il faut lui poser la question parce que vous avez vu tout ce qui a été soulevé à titre de gens qui sont impliqués dans les compagnies, des lobbyistes et tout ça. Donc, c'est...

M. Bellerose (Patrick) : ...les libéraux, pour vous, qui sont...

Mme Hivon : Il faut... On a tous lu, je pense, les mêmes articles. Le gouvernement doit expliquer, alors que ça dépasse l'entendement de voir qu'on fait ce choix-là de manière complètement claire et assumée. On le sait, c'est à pleines pages des journaux. Ça fait des semaines qu'on en discute, et le gouvernement décide d'aller de l'avant avec des compagnies qui sont financées via les paradis fiscaux. Alors, c'est clair.

M. Lacroix (Louis) : Est-ce qu'il y a quelque chose qui pourrait empêcher, par exemple, le crime organisé d'investir dans des compagnies comme, par exemple, Aurora, ou Hydropothicaire, ou autre?

Mme Hivon : C'est exactement ça que l'on veut, c'est le sens des amendements que Sylvain veut déposer, c'est de dire qu'il ne peut pas y avoir de compagnie qui vont fournir l'État qui ont des liens avec les paradis fiscaux ou dont les investisseurs ne sont pas connus. Il faut avoir de la transparence, il faut connaître ces investisseurs-là. Comme je l'ai dit...

Journaliste : Mais comment on peut, Mme Hivon... Dans le dossier du vin, par exemple, il y a sûrement des vignobles... dans le dossier du vin, il y a sûrement des vignobles qui sont financés par des gens qui sont à même les paradis fiscaux, puis on achète quand même leur vin, puis on le vend à la SAQ, là.

Ça fait que quel fonctionnement vous proposez pour empêcher ça, à part déchirer votre chemise puis dire : Il ne faut pas, il ne faut pas, il ne faut pas.

Mme Hivon : Bien, c'est faisable, c'est tout à fait faisable de dire : On va regarder quels sont les... bien, il faut demander de la transparence de la part des compagnies, c'est aussi simple que ça. Donnez-nous la liste de vos investisseurs, soyez transparents, puis ça va être une condition pour laquelle... qui va être sine qua non de la possibilité de signer une lettre d'intention avec nous. Est-ce que c'est quelque chose qui se fait tous azimuts en ce moment? Non. C'est justement, c'est le temps d'innover puis de commencer.

Journaliste : On a de la misère à refuser des contrats de déneigement, parce que ce sont des compagnies qui ont déjà été mêlées à de la collusion, puis finalement on leur donne, parce qu'il y a d'autres mécanismes possibles. Est-ce qu'on va être capable de le faire dans le dossier du cannabis?

Mme Hivon : Mais c'est sûr que, si on n'essaie pas puis on baisse les bras, on ne réussira jamais. Comment on va faire pour enrayer ça, cette économie qui provient des paradis fiscaux? Il faut bouger, puis là le Québec a l'opportunité de le faire. Il se réfugie toujours derrière le grand frère fédéral. Là, il a l'opportunité de le faire, de dire : On veut de la transparence, on veut savoir qui est derrière et tout.

La Modératrice : Juste un instant. M. Pagé va devoir quitter pour aller en commission. Mme Hivon va continuer à répondre à vos questions.

M. Pagé : Moi, je dois y aller, justement pour aller dire clairement au gouvernement qu'il faut être beaucoup plus vigilant. Alors, merci.

M. Croteau (Martin) : Mais comment est-ce possible de faire ça à la pièce juste pour l'industrie du cannabis et pas, par exemple, pour des entreprises de déneigement, l'exemple de François qui... dans lesquelles, théoriquement, un investisseur basé dans un paradis fiscal pourrait investir de l'argent? Alors, pourquoi faire ça strictement pour l'industrie du cannabis?

Mme Hivon : Nous, on voudrait qu'ils le fassent pour tout. Vous avez sans doute lu les recommandations, justement, de la commission. Il faut que ces pas-là se franchissent et qu'il y ait des premiers pas, notamment avec les sociétés d'État, qu'elles n'investissent plus dans les paradis fiscaux. C'est toutes des choses qui doivent se faire.

Pourquoi pas le faire? Pourquoi pas dire : Là, il y a un nouveau champ d'action qui commence, où les risques sont très grands de retrouver du crime organisé par la porte d'en arrière, parce qu'on n'a pas la liste des investisseurs, parce qu'on ne sait pas d'où proviennent ces investisseurs, puis pire, parce qu'on sait d'entrée de jeu qu'ils sont liés à des paradis fiscaux? Il faut franchir un premier pas, hein? Alors, je me dis : Pourquoi on ne le fait pas là, alors que la preuve est noir sur blanc, alors que tout le monde parle d'un scandale qui est en train de s'écrire sous nos yeux? Puis là le gouvernement nous dit : Ah! on va embarquer les deux pieds là-dedans parce qu'on a décidé de continuer d'être laxistes. Pour nous, ça ne tient pas la route.

Journaliste : Les producteurs de cannabis, là, ce qu'ils vont dire, bien, ce qu'ils disent déjà, c'est qu'au nom de quoi une industrie qui est légale, au nom de quoi vous allez empêcher les paradis fiscaux d'investir dans cette industrie-là uniquement, alors que ça se fait déjà dans plein d'autres d'industries? Pourquoi eux seraient différents si c'est légalisé?

Mme Hivon : Parce qu'on a le droit. Parce qu'on a tout à fait le droit, au Québec, de dire : Voici les critères de sélection pour ce nouveau champ d'action qui s'ouvre devant nous avec la légalisation du cannabis. Le Québec a tout à fait le droit de dire : Voici les critères qu'on met de l'avant pour le choix des entreprises qui vont devenir des fournisseurs de l'État québécois.

Alors, on peut baisser les bras puis dire : C'est une grande fatalité de la vie, puis on va laisser les scandales s'écrire sous nos yeux. Mais on peut prendre ses responsabilités puis dire : Non, là, on met un holà à tout ça puis, pour cette nouvelle industrie là, bien, voilà, on va demander des règles très claires, des garanties très claires, de la transparence. Il faut commencer quelque part, puis là je pense que c'est le temps de commencer, surtout qu'on voit à quel point les paradis fiscaux sont liés aux entreprises productrices de cannabis.

M. Dion (Mathieu) : Il n'y a pas une responsabilité qui vient aussi des entreprises? C'est un peu ce que M. Leitão dit, finalement, ça revient un peu aux entreprises de prendre cette responsabilité de s'assurer que les investisseurs sont légitimes.

Mme Hivon : Bien, les entreprises, c'est certain qu'elles ont des responsabilités, mais l'État a la plus grande responsabilité de décider qu'il va contracter et qu'il va s'approvisionner auprès d'entreprises qui montrent patte blanche. Les entreprises, elles n'ont qu'à décider qu'elles vont montrer patte blanche, qu'elles vont se détacher d'investisseurs qui ne montrent pas patte blanche. C'est aussi simple que ça.

C'est un grand privilège qu'on est en train de donner à ces entrepreneurs et ces entreprises-là. Alors, c'est au Québec de dire : On a tout à fait la marge de manoeuvre pour exiger des garanties et de la transparence.

Journaliste : Mais l'effet domino de ça, ça va être, bon, on s'intéresse à l'industrie du cannabis, on va dire que la Société québécoise du cannabis peut juste faire affaire avec des compagnies transparentes, mais il va y avoir ensuite les mêmes exigences envers les autres.

Mme Hivon : Bien, tant mieux.

Journaliste : Est-ce que vous êtes prêts à demander à même toutes les compagnies québécoises, des fleurons : Mettez toute la transparence, on veut savoir d'où viennent tous vos investisseurs?

Mme Hivon : C'est important que toute cette réflexion-là se fasse et qu'on franchisse les pas un à la fois. Puis là on a l'opportunité d'en franchir un important dans une industrie où on sait que les problèmes sont déjà là, sous nos yeux. Alors, on estime que c'est indécent de ne pas accepter de faire ce pas-là à l'heure actuelle.

M. Robitaille (Antoine) : Est-ce qu'il y a déjà des mécanismes à la Société des alcools du Québec pour s'assurer que... Je reprends un peu la question de tout à l'heure.

Mme Hivon : Je ne le sais pas.

M. Robitaille (Antoine) : Vous ne savez pas?

Mme Hivon : Je ne peux pas vous dire, non.

Journaliste : Mais pourquoi d'abord on n'est pas exigeants... Tu sais, l'alcool est là, là on parle que le cannabis, c'est grave, c'est dangereux, ça fait peur. Pourquoi on n'a pas d'exigence pour l'alcool? Pourquoi? Justement, on ne le sait même pas comment la SAQ fonctionne.

Mme Hivon : Bien, vous retournerez voir dans le rapport sur les paradis fiscaux de la commission parlementaire, on parle justement de l'importance que les sociétés d'État s'éloignent de contrats avec des entreprises qui ont des paradis fiscaux. On a ce pouvoir-là aussi de dire qu'on va tranquillement s'éloigner de ça. Il n'y a pas eu de suite du gouvernement par rapport à ça, mais c'est quelque chose qui a été abordé puis qui a été recommandé. Il faut commencer quelque part. Nous, on demande qu'on commence maintenant.

M. Robitaille (Antoine) : Si on le fait pour le cannabis, il faudrait le faire pour toutes les substances.

Mme Hivon : Bien, en fait, il faut commencer quelque part, et puis nous, on pense qu'il faut que les sociétés d'État se responsabilisent, donc ça veut dire, bien sûr, la Société des alcools, les autres sociétés d'État, pour qu'on s'éloigne des paradis fiscaux.

Journaliste : Mais juste préciser, la Société québécoise du cannabis va être une filiale de la SAQ. Donc, si vous voulez le mettre dans une loi, il va falloir que la SAQ embarque.

Mme Hivon : Mais on peut le mettre via les amendements aussi que Sylvain propose, à partir même de la mission de la société québécoise, mais je suis d'accord qu'une approche, l'approche la plus cohérente possible serait la meilleure possible.

Mais nous, aujourd'hui, on est très déçus de la réponse du gouvernement qui ne reconnaît même pas le problème, qui refuse de faire preuve de transparence, qui refuse de nous dire les critères de sélection, qui refuse de nous dire qui sont les investisseurs de ces compagnies-là. Puis c'est nous qui lui disons : Écoutez, c'est à la face même des journaux, aussi, toutes ces informations-là. Merci.

(Fin à 11 h 22)

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