(Treize heures deux minutes)
Mme Beaudoin (Rosemont): Alors, du côté de l'opposition officielle, notre interprétation de ce projet de loi, c'est que c'est le vide total, c'est que la montagne, une autre fois, accouche d'une souris, que c'est un projet qui est décevant, qui ne change rien à l'état actuel des choses, qui consacre le statu quo, qui ne clarifie rien, alors qu'il aurait fallu un geste audacieux, un geste courageux et que, pour opérer un vrai changement, pour donner de réelles balises, de réelles indications, une vraie pierre d'assise, il aurait fallu amender la charte pour y affirmer les valeurs fondamentales de la nation québécoise comme le fait le projet de loi que nous avons déposé l'automne dernier. Dans ce projet de loi ci, le projet n° 94, c'est la charte telle qu'on la connaît, à laquelle tout est subordonné, qui a préséance. Donc, ce projet de loi n° 94 ne reprend que l'état actuel des choses et du droit.
Mme Hivon: Ma collègue vient en effet de vous dire clairement qu'il n'y absolument rien de nouveau dans ce projet de loi là et, en outre, c'est le maintien du cas-par-cas. Vous avez vu tout à l'heure M. le premier ministre, lorsqu'on lui a posé des questions sur des situations précises, a dit qu'il ne pouvait aborder les situations précises parce qu'il serait là pendant des heures et des heures. Eh bien, justement, si, aujourd'hui, on avait des réponses claires, le premier ministre serait en mesure de donner des réponses claires à des situations précises. Or, c'est tout à fait absent de ce projet de loi là.
Il y aurait prétendument deux nouveautés dans le projet de loi. On parle des articles 4 et des articles 6. Alors, j'aimerais qu'on les aborde.
L'article 4 dit que «tout accommodement doit respecter la Charte des droits et libertés de la personne, notamment [...] le principe de la neutralité religieuse de l'État». Alors, c'est une manière totalement insidieuse parce qu'il n'y a absolument rien dans la Charte des droits et libertés, à l'heure actuelle, qui parle de neutralité de l'État, alors que, dans l'article 4, on dit qu'on doit se fier, via le «notamment», à ce principe qui serait déjà dans la Charte, ce qui n'est pas du tout le cas.
Et, lorsqu'on aborde l'article 6, le fameux article sur le visage découvert, bien évidemment, ce serait une nouveauté si on s'arrêtait à la fin du premier alinéa, mais il faut continuer et voir qu'il y a un deuxième alinéa qui permet, encore une fois, le maintien du statu quo puisqu'on vient dire qu'il peut toujours y avoir des accommodements raisonnables, et, même, la règle serait qu'il y a des accommodements raisonnables puisqu'on vient dire: L'accommodement doit être refusé. Donc, en principe, il serait accepté. Il devrait être refusé si des motifs liés à la sécurité, la communication ou l'identification le justifient. Donc, la règle demeure qu'un accommodement peut tout à fait être accordé, et, en outre, le fardeau repose sur les épaules de l'État de montrer pourquoi il ne pourrait être accordé.
Mme Beaudoin (Rosemont): En conclusion, je dois dire que ce n'est pas, contrairement à ce qu'a dit le premier ministre, une solution québécoise, mais bien une solution canadienne et qui est celle, donc, du multiculturalisme. Et ce que nous souhaitons, c'est qu'à la commission parlementaire qui va étudier ce projet de loi... nous souhaitons donc des consultations pour que la société civile puisse s'exprimer et que le débat, donc, ait lieu en commission parlementaire. Voilà.
M. Dutrisac (Robert): Mme Beaudoin, Mme Hivon, le Conseil du statut de la femme voit, dans l'article 4, une grande avancée pour l'égalité des hommes et des femmes. Ils disent que dorénavant l'État va devoir subordonner tout accommodement à cette égalité-là. Ce n'est pas votre lecture?
Mme Beaudoin (Rosemont): D'une part... et je voudrais seulement dire à propos... avant de laisser Véronique répondre sur cette question précise, que le Conseil du statut de la femme, je suis un peu étonnée, parce que le premier ministre Charest a dit, pendant la conférence de presse, puis vous étiez là, qu'en ce qui concerne le port des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique il était d'accord avec ce port de signes religieux ostentatoires. Or, le Conseil du statut de la femme, sa position est affirmée dans un document qui a servi même de base à la détermination de notre propre politique, et c'est donc curieux, ne retrouvant rien de tout ça, et le premier ministre ayant affirmé le contraire en conférence de presse, que Mme Pelchat accepte ce projet de loi là.
Mme Hivon: Et, pour ce qui est de la prétendue nouveauté, comme je vous dirais, la nouveauté, ce serait d'inscrire ce que, nous, on veut qu'il soit inscrit dans la charte, c'est-à-dire qu'il y a une valeur fondamentale au Québec qui est la séparation entre l'État et la religion. Or, il n'y a rien de tel dans le projet de loi. On vient dire que c'est par le principe, qui serait déjà présent dans la Charte des droits, de la neutralité, or il n'est aucunement présent à l'heure où on se parle.
Mme Biron (Martine): Mme Beaudoin, est-ce qu'on comprend que vous voulez... vous n'en voulez pas, de projet de loi, finalement? Vous auriez voulu des amendements à la charte et qu'on ne parle pas de projet de loi?
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Bien, alors, je pense que ce qu'on peut dire, c'est, je vous l'ai dit: Rendez-vous à la commission parlementaire, puisqu'on va pouvoir, à ce moment-là, redéposer les amendements que nous souhaitons à la Charte des droits. Parce que je vous répète que, pour nous, la Charte des droits en l'état... C'est pour ça que ce projet de loi ne change rien dans les faits. C'est qu'il faut d'abord amender la Charte des droits pour qu'il y ait donc une pierre d'assise, des balises claires enfin, etc. Et donc rendez-vous à la commission parlementaire qui aura lieu nécessairement, étant donné...
Mme Biron (Martine): Quand vous parlez de balises claires, vous parlez entre autres d'interdiction des signes ostentatoires?
Mme Beaudoin (Rosemont): Non. Dans un premier temps, ce dont nous parlons, c'est du projet de loi n° 391 qui a été déposé par Mme Marois en novembre dernier et qui dit exactement ceci: La charte doit être interprétée donc de manière à tenir compte du patrimoine historique, des valeurs fondamentales, notamment l'égalité entre les hommes et les femmes, la primauté du français - vous remarquerez qu'il n'y a pas un mot d'ailleurs dans ce projet de loi concernant la primauté du français - et la séparation entre l'État et la religion. Et c'est ça qui ferait la différence. Et le préambule, lui aussi, il y a un autre article qui dit: «Considérant que l'égalité entre les hommes et les femmes, et la primauté du français et la séparation entre l'État et la religion sont des valeurs fondamentales de la nation québécoise.» C'est un texte qui a deux articles, et sans ces deux articles-là, et sans ces amendements à la Charte, nous disons: Il n'y a pas de changement à ce que nous connaissons actuellement par rapport à l'État du droit et à la jurisprudence.
Le Modérateur: Yves Chartrand et ensuite Taïeb Moalla.
M. Chartrand (Yves): Oui. M. Charest a aussi parlé d'une laïcité ouverte.
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui.
M. Chartrand (Yves): Il dit que, bon, lui ne voyait pas de problème à ce qu'il y ait des signes comme le voile sur les lieux de travail. Là, de ce que, moi, je comprends, et les gens du cabinet de Mme Marois l'ont dit, il n'y aurait aucun problème à ce qu'un juge, par contre, une juge puisse porter son voile si elle siège comme telle, que ce n'est pas... Est-ce que vous, au Parti québécois, vous êtes pour une laïcité ouverte dans le sens que je vous le décris, là?
Mme Beaudoin (Rosemont): On est pour la laïcité tout court. Et là, quand vous faites référence à ça, je vous dirais que le projet de loi lui-même et ce que M. Charest a dit en conférence de presse pour préciser justement sa pensée là-dessus, c'est qu'il est en deçà de Bouchard-Taylor puisque, dans une des recommandations de Bouchard-Taylor, il est clairement dit qu'il y a des catégories d'agents de l'État ou de représentants de l'État qui ne peuvent pas arborer de signes religieux ostentatoires, rappelez-vous: les juges, les gardiens de prisons, les procureurs de la couronne, les policiers. Il y avait donc toute une série de recommandations donc de la Commission Bouchard-Taylor. Donc, nous sommes même en deçà de Bouchard-Taylor. Et je vous rappellerai une chose aussi, quelqu'un qui a posé - d'entre vous - la question tantôt à M. Charest, puis à mon avis il n'a absolument pas répondu: Quand la Loi de la fonction publique impose un devoir de réserve aux fonctionnaires en leur disant qu'ils ne peuvent pas porter de signes exprimant leurs convictions politiques dans l'exercice de leurs fonctions, bien, il me semble qu'on peut imaginer qu'on ne doit pas non plus, au nom de ce devoir de réserve, faire en sorte que nos croyances religieuses, elles, puissent être affichées.
M. Chartrand (Yves): Bien, il y a une différence quand même entre une petite croix puis un insigne du Parti québécois, là, quand même, là.
Mme Beaudoin (Rosemont): Bien, écoutez, c'est ça, la définition du dictionnaire entre «ostensible» et «ostentatoire», d'une part, et puis «discret», là, c'est la définition du dictionnaire. Alors, voilà. C'est «ostensible», «ostentatoire», on a toujours dit: «Les signes ostentatoires», «les signes ostensibles» et non pas «les signes discrets». Revoyez vos définitions.
M. Moalla (Taïeb): N'est-ce quand même pas une avancée d'affirmer dans le projet de loi - de le réaffirmer ou de l'affirmer - le principe de la neutralité religieuse de l'État et toute la question de, quand on reçoit ou quand on donne le service, ça se fait à visage découvert? Ça, c'est aussi ce que vous demandez, ce n'est pas une avancée, ça, selon vous?
Mme Hivon: Nous, ce qu'on demande, c'est que ce soit clairement affirmé dans la Charte des droits qu'il y a ce principe de neutralité de l'État. Or, ce n'est pas, si vous lisez bien le projet de loi, du tout ça qui est dit. On dit, comme par une espèce de truchement, que tout accommodement doit respecter la charte, notamment le principe, comme s'il était déjà là. En fait, c'est totalement insidieux, il n'est pas là. Ce n'est pas pour rien qu'on a...
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, oui, on a...
Mme Hivon: ...ce n'est pas pour rien qu'on a... On l'a très bien vérifié. Ce n'est pas pour rien qu'on a déposé notre projet de loi, c'est justement pour qu'il soit clairement établi dans la Charte des droits. Or, je ne vois pas comment on peut venir s'appuyer sur ça après pour invoquer quoi que ce soit.
M. Moalla (Taïeb): Mais ce n'est pas une technicalité, ça, dans la mesure où il serait dans une loi qui est votée par tout le monde? Ce n'est pas grave à la fin s'il est sur la charte ou dans une loi? Non?
Mme Hivon: Pas du tout, parce qu'il...
M. Dutrisac (Robert): ...des cours en vertu des chartes justement que la liberté de religion impliquait la neutralité de l'État. C'est pour ça qu'on peut le dire.
Mme Hivon: Tout à fait. Mais c'est pour ça qu'on est en train de dire que tout ce que ça fait, ce projet de loi là, c'est que ça reprend le statu quo, ça consacre la jurisprudence, ça ne va pas plus loin. Et les problèmes qu'on vit quotidiennement et les demandes d'accommodements, et tout ça, c'est justement parce qu'il n'y a pas de principes, de valeurs clairement énoncés. Alors ça, ça ne vient pas du tout énoncer de manière claire cette valeur-là puis ça vient dire que prétendument ce serait dans la charte; ça ne l'est pas. Il n'y a pas un article là-dedans qui vient dire: L'État est neutre. Pas du tout.
M. Moalla (Taïeb): Pour les discussions qui s'en viennent par rapport à ce projet de loi, vous, est-ce que l'idée, c'est d'essayer d'améliorer puis d'inclure ce que vous voulez faire inclure là-dedans ou de rejeter tout de suite en disant: C'est un statu quo, il n'y a rien à discuter?
Mme Beaudoin (Rosemont): Non. Ce qu'on dit, c'est que le degré d'ouverture du gouvernement, eh bien, on le constatera en commission parlementaire, et c'est pour ça que nous demandons à ce qu'il y ait des consultations en commission parlementaire de telle sorte que le débat aura lieu et qu'on pourra juger justement du degré d'ouverture.
M. Chartrand (Yves): Générale? Une consultation générale ou particulière?
Mme Beaudoin (Rosemont): Bien, écoutez, là, ce sera entre les leaders, là, à déterminer.
M. Chartrand (Yves): C'est important, ça veut dire qu'il y a des gens qui pourraient venir...
Mme Hivon: Des consultations importantes.
Mme Beaudoin (Rosemont): Des consultations importantes. C'est parce que je suis une nouvelle députée, M. Chartrand, alors je connais mal les procédures parlementaires.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Grant (John): Just a technical question, first of all. Normally, the decision about consultations, public or otherwise, is decided at the moment that the law is tabled in the House. What did the Government's leader say today when you asked for consultations?
Mme Beaudoin (Rosemont): Well, I don't know. We'll have to ask Stéphane Bédard, our leader. I don't know. That's why I answered to Mr. Chartrand that it's... I don't know. So, that's why we... What we know, though, is that we want some consultations during this parliamentary commission because the civil society has a word to say, and for us it will be very, very important to see the degree of openness of the Government because, what we said is: We want this to be included.
M. Grant (John): The Government talks about the State neutrality and they say: Because we're neutral you can't wear a niqab at work but you can wear hidjab, or a cross, or a Star of David. Is that suitable for you?
Mme Hivon: Well, I think your question totally indicates what we are saying now: it's that, if there was something new and if we were really doing something about the neutrality of the State, then all those questions would be settled, and it would not only be concerning the niqab, it would be concerning all the other religious signs. So, I think, in itself, it's a demonstration that this Bill doesn't change anything.
M. Dougherty (Kevin): Mme Pelchat, from the Conseil du statut de la femme, has the same... had shared some, maybe, of your preoccupations. She does want something done about religious signs, and she wants a secular State. But she's also said, she said to the Opposition: Please, adopt this, because it's clear, we have clear guidelines.
Mme Beaudoin (Rosemont): Well, we don't think so. And Mrs. Pelchat, when she says that she doesn't want obvious religious signs in the civil service, well, we say as she does, and I don't understand why she likes this project, because there is nothing in it about that, and nothing in it that goes in that direction.
M. Dougherty (Kevin): The idea, you know, we have... we have a system of... we have... In the present Charter, there's a number of rights, I can't remember exactly how many right now, but, you know, you can't discriminate against, based on sex, religion, pregnancy, you know, and so on, and sexual orientation, but there's no hierarchy. And what you want to do is create a hierarchy. Does that work with our system of law, Mme Hivon?
Mme Hivon: We're not talking about hierarchy. We're talking about including those fundamental values in the Charter, not in a bill like this that is subordinate to the Charter, in the preamble of our Charter. That's what we're asking for.
M. Dougherty (Kevin): And, so, there will still be the same equality of rights...
Mme Hivon: But it would be a clear... it would be a clear consecration, a clear consecration of the neutrality of the State, and that would be a big, big step forward.
Mme Plante (Caroline): Is there anything about this bill that you do like?
Mme Hivon: For us, there's nothing new.
Mme Beaudoin (Rosemont): There's nothing in it.
Mme Hivon: There's nothing. It's the actual... the present situation put in a bill. Really. So there's nothing different than what the case law says, than... what's the state now. So, we don't like the state of things now, so...
Mme Plante (Caroline): They say it's, you know, what, clarification of rules, guidelines. Do you think that, right now, this is better than nothing?
Mme Hivon: We don't see any clarification in this bill.
Mme Montgomery (Angelica): When this Bill talks about banning women with the face covering from educational services, health services, government support programs, as women, does this cause you any anxiety of banning women from educational and health services?
Mme Beaudoin (Rosemont): You know, I think there is a problem with article 6, as Véronique said. Maybe she can say it in English, I don't know, because it's difficult sometimes to say things in English when we don't speak English every day, but I think those women are banishing themselves from society. You know, that's why I don't have any anxiety. When you wear a burqa or a niquab, it's certainly not because you want to communicate with anybody else. It's just because you want to be alone and you don't want to have any interactions with anybody. Even Jack Straw said that one day. That's one of the very interesting things he said one day when he was Minister in Great Britain.
M. Grant (John): One more thing. Most of this sort of legislation is always tested in the courts sooner or later. What do you think the courts will say about the intention of the legislator in this particular case?
Mme Hivon: It's very difficult to predict what the courts will say, and we are not going to go into this today.
Mme Beaudoin (Rosemont): No. We won't even try.
Mme Hivon: You can ask the Government. I'm sure they a lot of «avis juridiques» on that topic.
Mme Beaudoin (Rosemont): Merci.
Mme Hivon: Merci.
(Fin à 13 h 19)