Conférence de presse de M. Jean-Marc Fournier, ministre de la Justice
Dévoilement de mesures pour favoriser l'accès à la justice
Version finale
Le jeudi 29 septembre 2011, 15 h
Salle Evelyn-Dumas (1.30),
édifice Pamphile-Le May
(Quinze heures)
M. Fournier: Merci beaucoup d'être ici cet après-midi pour une conférence de presse que je fais avec, je dois dire, beaucoup de plaisir. Et je remercie les gens du ministère qui sont ici, ceux qui sont au ministère encore, qui ont travaillé sur l'annonce que nous faisons aujourd'hui et qui vont travailler très fort sur les suites de l'annonce d'aujourd'hui.
Mesdames messieurs, dans les médias, les propos des citoyens à l'égard de la justice nous sont régulièrement rapportés. Ils ont la perception que la justice coûte trop cher et qu'elle est trop lente, que la justice n'est pas pour la classe moyenne. Une expression propre au monde de l'éducation fait de plus en plus de chemin dans le monde de la justice, on parle maintenant de décrochage judiciaire. Comme ministre de la Justice, cette situation touchant l'accès à la justice m'interpelle particulièrement, et je peux vous dire qu'elle interpelle tous les acteurs du monde judiciaire. Pour faire face au défi, j'entends déployer un Plan Accès Justice. Le Plan Accès Justice est une série de mesures qui seront graduellement mises en place afin de favoriser l'accès à la justice. Ce que l'on veut, c'est que ce soit moins long, moins cher.
D'abord, il nous faut augmenter la cadence des causes entendues et jugées. Comme je l'ai déjà annoncé, j'entends proposer à l'Assemblée nationale des modifications législatives de façon à hausser le nombre de juges de la Cour du Québec de 270 à 290. Nous appuyons et attendons également la Cour supérieure qui a entrepris une démarche similaire auprès du gouvernement fédéral. Nous entendons aussi simplifier la procédure en matière familiale. Bon an, mal an, les affaires familiales représentent entre 25 % et 30 % des dossiers civils devant les tribunaux de première instance. Nous travaillons à mettre au point des mesures qui visent à faciliter le rajustement des pensions alimentaires pour enfants. À cet égard, nous souhaitons mettre en place un service d'aide à la révision des pensions alimentaires pour enfants, ce que nous appellerons assez couramment à l'avenir le SARPA. L'objectif: moins de procédures judiciaires et donc moins de frais.
La réponse à la question de l'accès à la justice ne saurait être complète sans que notre système d'aide juridique ne soit bonifié. Je crois que nous pouvons améliorer le système d'aide juridique. Par contre, nous n'avons pas les moyens de l'amener là où plusieurs le voudraient, mais nous devons éviter le gel. Un mouvement, même léger, nous rappellera le rôle majeur que celui-ci joue pour la justice. Rappelons que le Québec se distingue entre autres par le fait qu'il octroie 46 % de toutes les demandes d'aide juridique approuvées annuellement au Canada. D'aucuns souhaitent un rattrapage majeur dans ce domaine, mais, à défaut de pouvoir aller aussi vite et aussi loin que nous le voudrions, nous pouvons avancer en additionnant les petits pas. Je proposerai bientôt une légère bonification des seuils d'admissibilité. Cette bonification s'ajoutera à l'indexation des seuils qui est dorénavant annuelle depuis la réforme de 2006.
Parler d'aide juridique, c'est évidemment se soucier du sort des plus démunis, mais il nous faut aussi poser des gestes qui rejoindront la classe moyenne. Nous devrons analyser toutes les pistes qui s'offrent à nous pour mieux servir l'ensemble des citoyens du Québec, peu importent leurs tranches de revenus. Parmi les solutions que j'entrevois, une assurance juridique étendue permettrait aux gens non admissibles à l'aide juridique de recourir aux services d'un avocat. J'entends donc lancer la réflexion à cet égard, en collaboration avec nos partenaires de justice et nos partenaires économiques, nommément les institutions financières.
L'accessibilité à la justice réside aussi dans une meilleure compréhension par le citoyen de ses droits, pour qu'il puisse les faire valoir, et des recours à cette disposition. Combien de litiges auraient pu être résolus par la connaissance qui favorise l'entente entre les partis et limite les abus procéduraux? En santé, nous appellerions cela de la prévention. Nous menons présentement un projet pilote dans trois centres de justice de proximité implantés à Rimouski, Québec et Montréal, qui servent de lieu d'orientation pour les citoyens. Mieux informé, le citoyen est plus à même de régler une situation problématique avant que celle-ci ne s'aggrave et que le recours aux tribunaux devienne nécessaire. Nous allons apprendre de l'expérience. À terme, je souhaite que nous puissions trouver une formule où nos concitoyens pourront bénéficier, dans chaque région du Québec, d'un centre accès justice pour les orienter.
Ce qui m'amène aujourd'hui à vous parler de la pièce maîtresse de notre Plan Accès Justice, pièce que j'ai déposée ce matin à l'Assemblée nationale, soit l'avant-projet de loi sur le Code de procédure civile. Cet avant-projet de loi propose une réforme majeure du Code de procédure civile actuel. Les dispositions proposées permettront de faire en sorte que les délais et les coûts de la justice soient proportionnels aux résultats attendus. Pour favoriser l'accès à la justice, nous proposons une implication accrue des juges dans le processus judiciaire. Ce point est fondamental. D'une part, le tribunal s'assurera que les modes alternatifs de règlement des différends tels que la médiation, la négociation ou l'arbitrage auront été considérés par les parties. D'autre part, le juge, toujours, veillera à ce que les interrogatoires préalables et l'utilisation des expertises soient mieux encadrés.
Nous allons aussi procéder au rehaussement du seuil d'admissibilité à la Cour des petites créances afin de permettre aux citoyens d'obtenir justice à peu de frais. Le nouveau code proposera de faire passer la valeur maximale des créances de 7 000 $ à 10 000 $, dans un premier temps, puis à 15 000 $, trois ans après l'entrée en vigueur du nouveau code.
Afin de faciliter la compréhension de la proposition, nous avons produit, en collaboration avec l'organisme Éducaloi, un document synthèse de l'avant-projet de loi, et je vous invite donc à le consulter comme outil de référence. Pour que nous parvenions à une justice plus rapide, plus efficace et moins coûteuse, certaines des dispositions proposées sont audacieuses. Trop, au goût de certains; pas assez, selon d'autres. En tout temps, lors de nos réflexions et analyses, nous avons cherché un point d'équilibre. Un équilibre entre, d'une part, les moyens dont doivent disposer les avocats pour protéger les intérêts de leurs clients, et, d'autre part, les modalités qui rendent la justice accessible à des coûts et dans des délais raisonnables.
Évidemment, je suis conscient que ces propositions, comme pour tout changement majeur, vont soulever des inquiétudes. Je ne m'attends pas à ce que toutes les propositions fassent l'unanimité. Mais, comme je l'ai dit au dernier congrès du Barreau, je procède par avant-projet de loi pour permettre à l'ensemble des intéressés de formuler des commentaires et de faire d'autres suggestions. Je suis persuadé qu'à long terme la modernisation du code sera un gain formidable pour tous: bien sûr, les juges, les avocats, les notaires, les greffiers, les huissiers qui vivent avec ce code, mais surtout, surtout pour nos concitoyens. En tant que ministre de la Justice, mon objectif premier est de rendre la justice accessible à tous les citoyens. C'est ce qui motive l'annonce d'aujourd'hui.
En terminant, pour la portion française, je vous invite à consulter le site www.planaccesjustice.ca, qui sera en ligne incessamment, où vous retrouverez toute l'information utile sur les mesures annoncées aujourd'hui, dont évidemment celles relatives à l'avant-projet de loi sur le Code de procédure civile.
Quelques mots en anglais. For the general public, the question of access to justice can be summed up in a few words: too long, too expensive. To address this issue, we are presenting the Justice Access Plan.
First, increase the pace at which cases are heard and decided. In short, more judges.
Second, modernize procedures as announced with the tabling of the draft bill today. The draft bill gives judges increased powers to limit examinations and cross-examinations, set guidelines for experts testimony and limit the time and expense of each trial, increases the small claims limit from $7 000 to $10 000, in the first time, and to $15,000 in three years after adopting the Code.
Third, establish a service for the review of child support payment with a stream line and less costly procedure.
Fourth, define new rules for financial eligibility to make access to legal aid easier.
Five, analyze the possibility of a legal insurance plan working with legal and finance specialists.
Six, assess the work of the three pilot projects neighbourhood Justice Center with the aim of establishing a Justice Access Center in each region of Québec.
Voilà pour les propos préliminaires. Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.
La Modératrice (Mme Marie-Andrée Brassard): Josée Thibeault.
Mme Thibeault (Josée): M. Fournier, on a justement l'exemple, en ce moment, d'un procès qui semble être très long et coûter très cher où le... à Montréal, où la valeur des biens qui pourraient être gardés à la fin est rendue à la moitié de ce qu'elle était au début, si j'ai bien compris.
Est-ce que... Qu'est-ce qui ferait que... Comment est-ce qu'on pourrait en arriver à ce que ça soit moins long et moins cher avec ces mesures-là? Parce que, finalement, les avocats coûtent cher et ils font plusieurs procédures. Et qui peut décider à la place des avocats que les gens embauchent?
M. Fournier: Vous allez avoir un commentaire, je suis persuadé, de certains membres du Barreau, pas tous, mais certains membres du Barreau qui vont dire que le code que nous proposons, le projet de loi que nous avons vient... intervient dans la liberté qu'ils ont de décider du sort de leur cause. En même temps, le Barreau souligne aussi que nous devons prendre des mesures pour faciliter l'accès à la justice. Nous avons, je crois, trouvé un point d'équilibre, c'est ce que je disais.
Un des points majeurs, pour répondre à votre question, c'est le rôle accru que nous demandons aux juges de jouer. Je tiens à souligner d'ailleurs que ce projet, qui est sur la table aujourd'hui, n'a pas été travaillé derrière des... en petits groupes, là. On a discuté beaucoup à la table justice avec la magistrature, le Barreau, Chambre des notaires. Il y a beaucoup de monde qui sont intervenus.
Ce que nous souhaitons, et on a bien vu que c'était le geste qu'il fallait poser: faire intervenir le juge dès le début. Je disais tantôt, d'abord pour voir les moyens alternatifs, parce que maintenant, les moyens alternatifs vont devenir le premier chapitre du nouveau code de procédure. C'est quelque chose de fondamental. Il va... Non seulement on va... le juge va pouvoir s'interroger et interroger les parties: Est-ce que les efforts ont été faits dans ce sens-là?, ce qui est nouveau.
Deuxièmement, le juge va travailler avec les parties pour faire le plan de match de la cause au début. Autrement dit, dès le début de l'instance, là, le juge intervient pour dire: On a une cause de x montant d'argent, vous avez l'intention de faire quoi? Vous avez l'intention de prendre combien de temps? Vous avez l'intention d'avoir combien d'interrogatoires? Combien d'expertises? Favoriser l'expertise unique plutôt que la multiplicité?
Donc, le coeur, la base de cette transformation, c'est l'intervention du juge qui intervient auprès et des avocats et des parties pour que tout le monde sache dès le départ quel est le plan de match et qu'il soit suivi, plutôt qu'il y ait une multiplicité de procédures qui interviennent au fil du temps. Voilà un peu un des outils qui nous sert à répondre aux cas que vous avez mentionnés.
Mme Thibeault (Josée): Est-ce que ce n'est pas un peu une sorte de révolution qui risque justement de créer des résistances du côté de la magistrature comme du côté des...
M. Fournier: Je ne croirais pas, du côté de la magistrature, pour être franc. Par contre, je peux admettre que - et je l'ai dit au Barreau et je l'ai dit au congrès du Barreau, je l'ai dit à la rentrée judiciaire, autant à Montréal qu'à Québec, je ne l'ai pas caché - je m'attends à ce que certains membres du Barreau ne soient pas tellement favorables à ce qu'on change les façons de faire. D'abord, tout changement, peu importe dans quel secteur, vient toujours un peu, là, bousculer les gens. J'en suis bien conscient. Mais c'est un avant-projet de loi. Donc, tout le monde a l'occasion de venir intervenir, de venir proposer des choses et aussi d'absorber, là, les changements que, je pense, on peut qualifier d'audacieux, qui sont là-dedans.
On n'a pas beaucoup le choix. Si on veut... Puis le Barreau, puis beaucoup de membres du Barreau parlent eux-mêmes de décrochage judiciaire. Alors, on peut nommer le problème sans chercher de solutions ou bien on nomme le problème et on cherche des solutions. Et, parmi les solutions, il y a celle où on dit aux parties: Vous êtes maîtres de votre dossier, mais il y a un cadre général à respecter. Par exemple, pour revenir à votre question - je m'excuse d'être long, mais ça m'intéresse - il y avait, dans le code, une notion de proportionnalité. Elle existe, mais elle n'est pas obligatoire, elle n'est pas suivie, elle n'a pas de moyens d'en assurer l'application. L'intervention du juge dès le départ permet de faire, de réaliser cette règle de proportionnalité. Ça semble complexe, la règle de proportionnalité. En mots simples, ça veut dire quoi? Ça veut dire: si je poursuis pour 40 000 $, ce n'est pas vrai qu'on va avoir des expertises puis des contre-interrogatoires qui nous amènent à 70 000 $. Il faut qu'on sache, au départ, ce que ça veut dire, quels moyens d'action seront pris, quelle preuve on veut mettre de l'avant. Et les parties doivent savoir à quels frais, dès le départ, on les... ils vont faire face.
Je ne crois pas que cela soit une interférence dans le travail des avocats. Je crois que cela vient une façon de préparer la présentation des preuves, de la procédure pour que le justiciable, à la fin du jour, finisse par se dire: Quand je vais obtenir un jugement, il va me rester quelque chose auquel j'avais droit.
La Modératrice (Marie-Andrée Brassard): Alain Laforest
M. Laforest (Alain): Est-ce que vous ne craignez pas, M. Fournier, quand vous dites que les juges vont intervenir - vous savez comment les avocats sont susceptibles et cherchent toujours le petit moyen pour aller en appel - que ça va permettre justement plus d'appels?
M. Fournier: Il y a déjà un certain nombre... Je vous parle - pour le juge, là - de la capacité d'intervenir dès le départ. Après ça, les parties... Puis honnêtement, l'expérience dont je parle ici, là... Je n'ai pas eu l'occasion de vous le dire, mais il y a eu un projet pilote à Longueuil, qui a été effectué, où il y a l'intervention du juge, qui se fait dès le début. En fait, les délais ont été coupés par... ont été divisés en trois, et je pense que les coûts ont été divisés par deux, mon souvenir, là, si je me souviens bien. Chez les citoyens, je pense que le taux de satisfaction était autour de 90 % et, chez les avocats, autour de 83 %. Donc, on ne part pas... on n'est pas en train de partir dans quelque chose qui n'a jamais été essayé. Ça a été essayé, ça a fonctionné.
Est-ce que les gens vont vouloir procéder à des appels? Les règles seront faites de manière à ce qu'il faut jouer ce jeu-là. Je ne crois pas qu'il y aura une contestation de la légalité du code éventuellement lorsqu'il sera adopté. Il y aura des possibilités en certaines matières. Par exemple, lorsqu'on dit que, pour certaines matières, c'est deux heures permises d'interrogatoire au préalable, dans d'autres, 50. Il reste toujours une possibilité au juge d'accorder pour que ce soit plus long. Encore faut-il en faire la preuve de la nécessité, et je vous rappelle toujours qu'il y a eu au préalable l'intervention du juge pour voir quelles étaient les procédures qu'on mettrait de l'avant.
Je crois qu'il y a suffisamment de souplesse dans ce que nous proposons pour que les avocats y trouvent leur compte, même si, pour certains, cela pourrait au départ sembler être une transformation majeure.
M. Laforest (Alain): Votre objectif pour le faire adopter, c'est quand?
M. Fournier:
En ce moment, nous déposons un avant-projet de loi, puis c'est important pour moi de le dire pourquoi j'ai choisi de faire un avant-projet de loi: malgré qu'on ait discuté avec des autorités du Barreau, on n'a pas discuté avec tous les membres du Barreau, et je suis très respectueux de l'opinion qu'ils vont vouloir émettre; même chose pour la Chambre des notaires, les huissiers. Alors... et il y a certains groupes à l'extérieur qu'on a consultés mais pas tous forcément. Et, comme c'est un grand changement, alors on va faire des consultations générales probablement autour du mois de janvier. Donc, ça permet à tout le monde de se saisir du document, d'y réfléchir, de préparer des réactions. Je souhaiterais qu'après cette consultation générale... mon souhait, là, je souhaiterais qu'il y ait pas mal de monde heureux et qu'on puisse ensuite passer en projet de loi. On verra comment les suggestions qu'ils nous font... vers quel chemin ça nous donne ou sur quel chemin on doit aller.
Je crois qu'on a fait un exercice qui me semble d'équilibre. On va écouter ce que les gens ont à dire. J'aimerais pouvoir déposer, et peut-être que ça, c'est trop ambitieux, mais j'aimerais pouvoir déposer le projet de loi quelque part comme au mois de juin, en 2012, donc après avoir écouté les commentaires, avoir absorbé le tout, être capable de le mettre dans un projet de loi par la suite.
La modératrice (Mme Marie-Andrée Brassard): Geneviève Lajoie.
Mme Lajoie (Geneviève): Vous avez dit: Nous n'avons pas les moyens de l'amener là où plusieurs le souhaitent. Qu'est-ce que vous voulez dire par: «Nous n'avons pas les moyens»?
M. Fournier: Bien, vous savez, dans le domaine de l'aide juridique, les gens voudraient qu'on investisse beaucoup, beaucoup, beaucoup plus d'argent, qu'on relève les seuils à un niveau très élevé. Si vous me demandiez à moi-même, comme citoyen, sur la rue, je vous dirais: Moi aussi. Comme ministre de la Justice, avec les budgets que nous avons, il faut aussi se demander comment on est capables de bouger, qu'est-ce qu'on est capables de faire. Ça nous prend plus de juges, ça coûte de l'argent. Il y a différents moyens qui sont mis de l'avant.
Alors, pour ce qui est de l'aide juridique, moi, je disais aux groupes qui nous parlaient de ça, dont le Barreau et d'autres, je disais: Écoutez, il y a une chose que je sais, l'aide juridique, ce qui a été dur pendant de nombreuses années, c'est le gel. Pendant des dizaines d'années, il y a eu un gel, et ça a fait en sorte que le programme d'aide juridique n'occupe plus la place qu'il devrait occuper. Mais, quand il y a un gel, c'est tout un choc budgétaire d'essayer de revenir en arrière. En 2006-2010, là, il y a eu la réforme, il y a eu des rehaussements de seuils. L'indexation est maintenant prévue, ce qui n'était pas le cas avant. C'était un gel complet.
Moi, je dis qu'il faut qu'on se donne tous, dans le domaine de la justice, le mandat de faire bouger ces seuils d'aide juridique. J'annonce à l'avance que ce sera léger et je le fais pour une bonne raison: je ne veux pas que les gens perçoivent dans ce que je dis que ce sera le pactole et qu'on est capables de tout faire. Mais je veux qu'on se passe le message nous-mêmes au gouvernement, et c'est pour ça que j'ai poussé, que je pousse au gouvernement. On ne peut pas accepter un gel. On n'a peut-être pas les moyens de faire des grandes enjambées mais on est capables de faire des petits pas, et, tant qu'on fait des petits pas, je crois qu'on garde le concept d'aide juridique avec sa vraie valeur.
J'ai associé au concept d'aide juridique, qui touche une partie de la population, l'assurance juridique qui est très importante. Maintenant, tout le monde en parle, c'est rendu le nouveau sujet, tout le monde parle de ça maintenant. Il faut essayer de voir ce que ça veut dire. Alors, il faut remettre le monde juridique, les institutions financières aussi au rendez-vous, voir jusqu'où on peut aller là-dedans. Parce que forcément on peut revoir les procédures, on peut revoir la cadence et le nombre de juges mais, à la fin, il y a aussi du monde qui disent: Est-ce que, moi, j'ai les moyens? Alors, tout ça est un tout, hein? Si vous avez un centre accès justice dans votre région, vous pouvez en savoir un peu plus, poser quelques questions. Si je sais déjà à l'avance combien ça me coûte, est-ce que j'ai un programme qui me permet de le payer? En même temps, n'oubliez pas qu'il faut mettre ça en lien avec l'intérêt que les gens peuvent avoir d'utiliser des modes alternatifs de règlement qui sont évidemment moins coûteux que ne le serait une cause devant les tribunaux comme il se faisait avant.
Alors, c'est un peu... Je ne sais pas si je réponds à votre question, mais c'est tout un ensemble. Tu sais, j'aurais fait que le... je ne ferais... aujourd'hui, je sais bien, je fais une présentation sur le projet de loi ou l'avant-projet de loi, c'est sur un des éléments du Plan Accès Justice. Mais, comprenez-moi bien, ça ne peut pas être que ça, même si c'est majeur. Il y a plusieurs éléments qu'il faut faire. Et, notamment, lorsqu'on parle au Barreau... Moi, je sais bien que si j'étais en pratique, je me dirais: Bon, on change toutes mes façons de faire, mais y en a-tu d'autres gestes posés? Parce que je veux bien faire... Moi, j'interpelle les gens à changer, dans le fond, puis j'imagine que les gens vont me regarder puis ils vont dire: Toi, le gouvernement, est-ce que tu changes? Oui, je change. On va se donner plus de juges, on va de donner des moyens avec l'aide juridique, on va se donner des moyens avec l'assurance juridique, on va essayer de voir comment on peut faire ça, on va essayer de se donner des centres accès.
Alors, vous voyez, il y a... c'est un ensemble de gestes qu'on doit poser pour que le monde qui vit dans... avec la justice, qui sont les acteurs de la justice se disent: Bien, écoute, il y a un mouvement. En ce moment, tout le monde fait le constat qu'il y a un problème de décrochage judiciaire. Alors, moi, je tends la main pour qu'on se mette tous ensemble à travailler sur le Plan d'Accès Justice.
La Modératrice (Mme Marie-Andrée Brassard): Patrice... Excuse-moi Denis... Patrice Bergeron.
M. Bergeron (Patrice): Là, M. Fournier, vous allez, grosso modo, changer le rapport de force finalement dans le système judiciaire. Pour contrer le décrochage scolaire, vous allez accroître le pouvoir des juges, c'est ça? «Scolaire», excusez-moi, c'est un lapsus. Décrochage judiciaire.
M. Fournier: Il n'y a pas de... Non, non, c'est fait... c'est exprès.
M. Bergeron (Patrice): Vous allez accroître le pouvoir des juges?
M. Fournier: C'est exprès. Tout le monde connaît le décrochage scolaire, on connaissait peu le décrochage judiciaire, mais ceux qui vivent dans le milieu connaissent bien la situation. Il y a plusieurs choses qu'il faut faire. À l'égard du Code de procédure civil que nous proposons, le nouveau code que nous proposons, il y a une dimension fondamentale qui est celle de l'intervention rapide du juge qui se saisit de la cause avec les parties et analyse au début... assure au début que les moyens qui seront pris ne seront pas excessifs par rapport à la cause elle-même, par rapport à la complexité, par rapport aux montants qui sont exigés là-dedans.
Alors, le... oui, c'est sûr qu'il y a un rôle important auquel... on donne au juge. Augmenter la juridiction de la Cour des petites créances, c'est aussi une façon de répondre au décrochage judiciaire. Il faut savoir qu'aujourd'hui il y a des gens qui décident, qui ont une créance de 20 000 $, qui décident de la réduire à 7 000 $ pour pouvoir passer à la Cour des petites créances pour éviter les frais qui sont avec. Alors, ça fait partie du décrochage judiciaire, ces éléments-là.
Tout ce que j'ai dit sur la cadence des jugements, bien, les gens, ils voient ça aussi. Quand je dis: Trop cher, trop long, ce sont des... c'est une façon de dire rapidement les causes du décrochage judiciaire. On essaie de répondre à cette problématique-là.
M. Bergeron (Patrice): Les juges auront plus de pouvoirs, là, dans... il y aura un nouveau rapport de force, là...
M. Fournier: Ah! Les juges vont avoir... Je ne sais pas si on appelle ça du pouvoir. Ils vont avoir un rôle à jouer dans le déroulement de la procédure pour s'assurer que la règle de proportionnalité est appliquée. Ça, c'est évident que c'est ce qu'on leur demande. On leur demande de jouer aussi un rôle pour vérifier, avant que vous saisissiez le tribunal selon le mode habituel, quel est les gestes... quels sont les gestes que vous avez posés avec les modes alternatifs de règlement? Est-ce que vous avez fait de la conciliation? Qu'en est-il de l'arbitrage? Alors, juste de mettre les parties face à ça, c'est déjà une certaine révolution.
La Modératrice (Mme Marie-Andrée Brassard): Denis Lessard.
M. Lessard (Denis): Vous avez parlé de décrochage...
M. Fournier: Judiciaire.
M. Lessard (Denis): ...judiciaire. Pouvez-vous décrire un peu? C'est des gens qui abandonnent avant de se rendre à procès? C'est des gens qui ne vont même pas soulever leurs problèmes? Qu'est-ce que c'est?
M. Fournier: Tout ce qu'on lit sur le décrochage judiciaire... Il y a d'abord les parties qui abandonnent l'exercice de leurs droits. Il y a des gens qui considèrent que ce sera trop long, trop cher et qu'ils ne le feront pas. Il y a des gens qui - c'est l'exemple que je donnais tantôt - qui réduisent leur créance pour utiliser, par exemple, la Cour des petites créances. Ça, les gens nous disent sept, à 10, à 15. Là, il y a une limite toujours où on peut aller parce qu'à un moment donné... Parfois, plus c'est dispendieux, ça peut être aussi plus complexe, et là est la question d'équilibre. Il faut non seulement avoir accès à un juge pour régler sa cause, mais il faut le faire selon les moyens de droit. Et les avocats, c'est leur travail. Alors, on essaie de trouver le point d'équilibre. Mais, objectivement, lorsqu'on parle de décrochage judiciaire, c'est soit des gens qui réduisent leur créance ou qui ne l'exercent pas.
M. Lessard (Denis): Vous aviez des chiffres tantôt sur la satisfaction des avocats. Est-ce qu'on peut penser... Avez-vous des chiffres sur combien? Est-ce que la moitié des litiges ne se rendent jamais à...
M. Fournier: Bien, non, parce que c'est difficile d'avoir le portrait des causes qui ne sont jamais inscrites. Par contre, je vous encourage à le faire, mais vous allez... Au premier coup de téléphone au Barreau, ils vont vous répondre de la même façon, ou chez plusieurs avocats. Tout le monde dans le domaine juridique savent bien qu'il y a une problématique concernant l'accès à la justice et qu'il y a de plus en plus de gens qui ne cognent plus à la porte des bureaux d'avocats. Je ne dis pas que plus personne n'y va. Ce n'est pas ce que je dis, là. Mais je dis qu'il y a des gens qui ont des droits, qui ne les exercent plus.
Moi, comme ministre de la Justice, je me sens interpellé par ça, et je dis: Qu'est-ce qu'on fait? Alors, il y a des avocats qui vont dire: Tu changes mes façons de faire. Moi, la... ce que je crois que nous faisons ici, c'est de dire aux avocats: Les citoyens vont y gagner. Ils vont aller cogner à votre porte. Ils vont recommencer à cogner à votre porte s'ils peuvent comprendre dès le début que l'exercice ne sera ni trop long ni trop cher et sera raisonnable par rapport à la créance ou au droit qui est soulevé.
M. Lessard (Denis): Et, juste pour distinguer, parce que c'est un peu imbriqué dans les communiqués, le nombre de juges, ça, ça n'a rien à voir avec l'avant-projet de loi.
M. Fournier: Exactement.
M. Lessard (Denis): L'aide juridique, le rehaussement des seuils, ça n'a rien à voir avec l'avant-projet de loi...
M. Fournier: C'est ça. Exact. Ici, ce que j'ai présenté... C'est pour ça qu'on l'a fait sur deux pages, dans le fond. La raison pourquoi je m'intéresse à vous dévoiler non seulement le projet de loi d'aujourd'hui et ses grandes lignes, mais de l'insérer dans un Plan Accès Justice, c'est parce que c'est important de voir que, malgré le caractère audacieux de l'avant-projet de loi sur le Code de procédure civile, si ce n'était que ça, ce ne serait pas la réponse complète. Et même avec tout le Plan d'Accès Justice, je ne suis pas sûr que c'est la réponse complète totale, mais c'est certainement une façon de lutter contre les problèmes de décrochage judiciaire.
Et c'est aussi une façon - je le disais tantôt - de parler... Le Code de procédure, ça interpelle d'abord les avocats et les juges, hein, on se comprend, si on est devant la... on prend la cause. C'est eux qui sont les premiers visés. Et c'est une façon de dire: Bien sûr que je tends la main. Il y aura un effort chez vous. C'est un changement. Ça va amener un effort. Comme gouvernement, comme société, nous allons, nous aussi, faire des efforts. Nous allons, nous aussi, poser des gestes de manière à ce qu'on comprenne bien que, tous ensemble, on est capables de quelque chose. Et je pense que le dialogue qu'on va bâtir, vous savez, je pense, ça va être un dialogue ouvert. Je l'ai dit tantôt, on va dire: Bah! Ça, c'est trop, ça, ce n'est pas assez, il va y avoir différents arguments qui vont être soulevés. Mais, au total, ne nous mettons pas la tête dans le sable. Tout le monde de la justice sait que nous devons poser des gestes. Nous nommons les gestes et essayons de nous entendre sur ceux qu'il faut poser et travaillons à les réaliser.
Mme Brassard (Marie-Andrée): Est-ce que votre échéancier de réalisation pour les mesures d'accès à la justice est le même pour que l'avant-projet de loi?
M. Fournier: Non. Non. L'avant-projet de loi a sa dynamique propre évidemment...
Mme Brassard (Marie-Andrée): Les mesures, c'est pour quand?
M. Fournier: Certaines mesures seront, dès... enfin, la plupart des mesures vont arriver durant la session présente, sauf celui sur les centres de proximité. On a trois centres de justice de proximité qui existent. Ce sont des projets pilotes, j'en reparlerai un petit peu plus tard durant la session, mais on les veut évaluer, puis je vous dirai ça pendant la session, comment on va le faire. L'objectif, c'est d'essayer de voir comment on peut... avec les trois, quels sont les plus performants. L'objectif, c'est d'ici un an ou deux, qu'on soit capables d'établir le constat et de bâtir, dans chaque région du Québec, faire évoluer le centre de justice de proximité en un centre accès justice et que les gens puissent aller découvrir là-dedans quelle est la nature initiale de leur problématique.
Il y a un lien à faire entre ça et les règlements des différends par les modes alternatifs, parce que plus on connaît au début la nature de notre problème, plus on sait quels sont les impacts majeurs et les procédures que ça risque d'amener, plus on est à même de se poser une question: Est-ce que je vais devant la cour ou je choisis soit la conciliation, soit l'arbitraire? Tout ça est un peu imbriqué l'un dans l'autre.
Et je conclus, même si c'est long, imaginons que nous avons avec... et l'aide juridique et l'assurance juridique, si on réussit à trouver la formule qui fonctionne - ce n'est pas simple, j'annonce à l'avance, ce n'est pas simple - si on réussit à la développer, il risque d'y avoir plus de causes. S'il y a un décrochage et qu'on vise un raccrochage, forcément, il y a plus de monde, là. Et là il ne faut pas qu'on devienne avec un embâcle. Conséquemment, c'est là où la première partie du code me semble très importante, là où on parle des modes de règlements alternatifs. Tout ça vit les uns avec les autres.
La Modératrice (Mme Marie-Andrée Brassard): Kevin Dougherty.
M. Dougherty (Kevin): I, from time to time, have covered court cases and one thing that I've noticed, I mean, you talked about adding more judges, that's fine. But, often, I've seen, you know, cases where some motorcycle enthusiast has a lawyer who's living, you know, far away, and he is very... he is got all kind of different things, and it seems that, you know, there are delays that... you know, it's in his interest to delay the case it would seem, and there are several cases have gone for years and years, you know, and the people died, you know. Now, is that something that can be dealt with what you are proposing?
M. Fournier: Yes. The fact that... and we had a pilot project in Longueuil, two or three years ago, where the judge, the involvement of the judge was important at the beginning of the case. What the judge do with this involvement, he looks at the parties and he said: What do you intend to do? How much time do you want to put in it? Is there going to be expertise and things like that? So, that all the parties know, at the beginning, what is happening. And the role of the judge will not only be to get involved at the beginning to know what will happen but to follow the case and to see if they respect the plan they had at the beginning. So, it's like an opportunity for all the parties to make their common plan.
We have to serve justice together, and, of course, like I said in French, for lawyers, it's a big evolution, some will say a revolution. But we must think of the interest of all the society, and defending the interest of his own client, for him to know at the beginning how much time, what is going to be the cost is serving the interests of his client and, at the same time, serving the interests of all the society.
M. Dougherty (Kevin): You talk about legal insurance and, as you say, it wouldn't be easy. Does that exist anywhere? And, you know, we have the example of health insurance, but it's a different thing.
M. Fournier: Yes. We are not considering... Thank you for the question. We are not considering a public insurance. We are considering, of course, a private insurance. There is some insurance that are existing right now. The Barreau du Québec proposes, under his supervision, proposes some. You might think, you know, when you have a warranty of your house and things like that, sometime there are insurance with it. There are many insurance - just to make an «aparté» - there are many insurances coming with your credit card. Nobody knows it but they're there.
One thing for sure is there's a place to talk about that. The Supreme Court Chief Justice, at the last congress of Canadian Bar said: We've got to look at this solution of insurance, judiciary insurance, because you've got all the middle class who cannot easily access to justice, and so... She's not the first one to say that, but we want to invest and research on that, and we are going to go with our partner in the judicial system, but also financial institutions. The economic world of our society must get involved in that study so that we can give an answer for that. And I think that it's not just a question of insurance, it's not just of question of new procedure. It's also a question of how many judges you've got. It's all of that, all of those measures that make a start to change the situation and bring back people defending their rights.
M. Dougherty (Kevin): O.K. Merci.
M. Fournier: Merci beaucoup.
(Fin à 15 h 33)