(Quinze heures onze minutes)
M. Nadeau-Dubois : Bonjour.
Juste avant la période des questions, scène très révélatrice, le ministre qui
est censé être responsable de la lutte au racisme au Québec n'a même pas été
capable de prononcer le mot «islamophobie». Donc, le mot en «i», semble-t-il,
est banni à la CAQ. Quelques minutes plus tard, le gouvernement bat une motion
de Québec solidaire, une motion très simple qui demandait à ce qu'on
reconnaisse l'existence de l'islamophobie au Québec puis qu'on s'engage à
lutter contre l'islamophobie au Québec.
C'était tellement facile, aujourd'hui,
pour François Legault, pour son gouvernement d'envoyer le message qu'au-delà de
la controverse entourant les propos de Mme Elghawaby ils prennent au sérieux la
question de l'islamophobie au Québec. Ils ont fait la démonstration contraire.
Ça ne les intéresse pas, de lutter contre l'islamophobie, en fait, ils ne
reconnaissent même pas que ça existe.
Islamophobie, je sais que c'est un mot qui
peut avoir l'air de valoir cher au Scrabble, là, mais c'est très simple à prononcer,
c'est très facile à reconnaître. Et on est une semaine à peine après la
commémoration de l'attentat de la mosquée de Québec, on se serait attendu, de
la part de la CAQ, à un réflexe rassembleur pour dire aux Québécois et
Québécoises de confession musulmane qu'on reconnaît ce qui leur arrive, qu'on
reconnaît les crimes haineux dont ils sont victimes puis qu'on est capables, au
Québec, comme Québécois, comme Québécoises, de se donner un plan de match pour
affronter ces problèmes-là. De toute évidence, François Legault a peur de ce
mot-là. Il ne veut pas régler le problème, donc il nie l'existence du problème.
M. Robitaille (Antoine) : Est-ce
que c'est le bon mot, M. Gabriel Nadeau-Dubois?
M. Nadeau-Dubois : Moi, les
débats de mots, là, ça ne m'intéresse pas.
M. Robitaille (Antoine) : Parce
que, même au sein de la communauté musulmane, il y a des gens qui n'aiment pas
le mot. Je pense à Rachad Antonius, à l'UQAM, par exemple. Il y en a qui
disent...
M. Nadeau-Dubois : Il y a de
l'hostilité, de la xénophobie qui existent à l'égard des personnes musulmanes.
Ça existe au Québec, ça existe au Canada, ça existe aux États-Unis, ça existe à
peu près partout dans le monde. L'important, ce n'est pas d'avoir un débat de
mots, c'est de poser des gestes avec conviction pour régler ce problème-là — ce
que disait notre motion aujourd'hui.
M. Robitaille (Antoine) : Si
ce n'est pas un débat de mots, pourquoi vous insistez sur le mot?
M. Nadeau-Dubois : J'insiste
sur le mot parce que, de toute évidence, la CAQ a un problème avec le mot. La
CAQ a un problème avec le mot puis la CAQ a un problème avec le fait d'agir.
M. Laberge (Thomas) : Vous
lui reprochez de ne pas prononcer le mot, vous dites que vous ne voulez pas
faire de débat de mots.
M. Nadeau-Dubois : Ce que je
vous dis, c'est que ce gouvernement-là n'en a rien à faire, de la lutte contre
l'islamophobie, et qu'ils en ont fait la démonstration aujourd'hui.
M. Robitaille (Antoine) : Non,
mais il y a plein de monde qui disent que c'est un mot piégé, là, et même au
sein de la communauté musulmane.
M. Nadeau-Dubois : En quoi c'est
un piège de reconnaître qu'il y a certains groupes dans notre société qui sont
victimes de crimes haineux, qui sont victimes de discrimination, et donc on s'engage
à régler ce problème-là? Le rôle de l'État québécois, le rôle du gouvernement
du Québec, c'est de protéger tous les Québécois, toutes les Québécoises, peu
importe leur religion.
L'attentat à la mosquée de Québec, là, c'était
un attentat antimusulman, c'était un attentat, donc, islamophobe. Le
reconnaître, ça ne veut pas dire faire le procès de la société québécoise, ou
du peuple québécois, ou de je ne sais trop quoi, d'ailleurs — il y a
eu des attentats similaires en Ontario — ça veut juste dire être
capable de reconnaître que le problème existe puis poser des gestes pour
réparer ce problème-là.
Notre motion, aujourd'hui, elle était très
facile à adopter. D'ailleurs, le Parti québécois, avec lequel on a quand même
pas mal de débats sur ces enjeux-là, était conjoint sur notre motion. C'est la
preuve que la CAQ aurait pu faire un geste de bonne foi aujourd'hui. Ils ont
refusé de le faire.
M. Duval (Alexandre) : Le
ministre vient de répéter, dans le corridor : Il y a du racisme au Québec,
ou à peu près cette phrase-là.
M. Nadeau-Dubois : Alors,
pourquoi il bat une motion qui veut s'y attaquer?
M. Duval (Alexandre) : Bien,
en fait, c'est que moi, ma question pour vous, c'est : Pourquoi ou quel
effet ça a de parler uniquement de racisme? Parce que l'islam, c'est une
religion, ce n'est pas une origine ethnique, mais là le ministre parle de
racisme. Qu'est-ce que ça change qu'il ne soit pas capable de dire le mot
«islamophobie»?
M. Nadeau-Dubois : Il y a de
l'hostilité, des sentiments négatifs, des discours haineux envers différents
groupes de la population. Il y en a envers la communauté juive, par exemple,
sur la base de la religion. Ça s'appelle l'antisémitisme, ça existe. Je n'ai
pas connaissance d'un débat polarisé sur l'existence de l'antisémitisme, c'est-à-dire
le fait qu'il y a des discours et des gestes haineux discriminatoires envers la
communauté juive parce que ces gens-là pratiquent la religion qu'ils
pratiquent. Pourquoi on n'est pas capable de le reconnaître, à la CAQ, pour une
autre religion, la religion musulmane? Il y a des Québécois, Québécoises de
cette confession-là qui sont victimes de gestes haineux parce qu'ils sont
musulmans, sur la base de leur appartenance religieuse.
Reconnaître ce problème-là et agir pour
l'affronter, c'est ce qu'on demandait à la CAQ aujourd'hui dans une motion qui
aurait pu faire consensus. François Legault a fait la démonstration que ça ne
l'intéresse pas.
M. Duval (Alexandre) : Vous
voudriez quoi dans ce plan de lutte contre l'islamophobie? Ça doit contenir
quoi, ça?
M. Nadeau-Dubois : Bien,
nous, on est ouverts à la discussion. On souhaiterait discuter avec le
gouvernement du contenu de ce plan-là. Ce qu'on souhaitait, aujourd'hui, c'est au
moins un engagement sur l'intention, l'intention, maintenant qu'on a tourné la
page sur la controverse entourant les propos de Mme Elghawaby, de revenir
sur le débat de fond.
Puis le débat de fond, c'est, une semaine
après la commémoration à la mosquée de Québec, là, comment on crée un Québec où
les Québécois, les Québécoises dont c'est la religion, la religion musulmane,
ont toute leur place et ne sont pas victimes d'auteurs de crimes haineux? On le
reconnaît pour d'autres groupes religieux, pourquoi on ne veut pas le
reconnaître pour les communautés musulmanes?
M. Duval (Alexandre) : Mais
vous ne répondez pas tout à fait à ma question. Je comprends que vous êtes
ouvert sur ce que devrait...
M. Nadeau-Dubois : Bien,
il pourrait y avoir de la sensibilisation, il pourrait y avoir des campagnes
de... donc voilà, de sensibilisation pour déconstruire les préjugés, il
pourrait y avoir des initiatives de dialogue entre les communautés musulmanes
du Québec et le reste des Québécois et des Québécoises. Il y a plein de choses
qu'on peut mettre en place pour déconstruire les préjugés envers un groupe dans
la société, et on aurait été tout à fait ouverts à discuter du contenu de ce
plan-là.
La première étape, c'est de s'entendre au
moins sur l'existence du problème et essayer de s'entendre sur le fait qu'on
veut agir. Moi, ce que je constate, aujourd'hui, c'est que la controverse des
derniers jours, malheureusement, dévoile le fait qu'au fond, là, la lutte aux
sentiments antimusulmans, là, ça n'intéresse pas François Legault. Puis je veux
préciser, ce sentiment-là, il existe ici comme il existe ailleurs, il ne s'agit
pas de dire que c'est plus un problème au Québec qu'ailleurs, au contraire, il
s'agit de dire que le Québec, comme pas mal toutes les sociétés qui lui
ressemblent, doivent relever ces défis-là.
M. Robitaille (Antoine) : Y
a-t-il un lien à faire avec ce que vous avez annoncé ce matin, c'est-à-dire que
Mme Elghawaby, vous demandez son départ, donc? On dirait que vous donnez
un coup à droite, un coup à gauche, là, aujourd'hui.
M. Nadeau-Dubois : Non,
mais, en fait, notre démarche, c'est de dire, et c'est comme ça qu'on l'a
présenté ce matin, là, notre démarche, c'est de dire : Nous, on prend acte
que la stratégie de Justin Trudeau est un échec. Qu'est-ce qu'on fait, comme
indépendantistes qui veulent qu'au Québec on construise une société égalitaire?
Bien, on se relève les manches et on tente ici de créer un consensus, au Québec,
pour une lutte québécoise à l'islamophobie, une lutte qui se ferait en
cohérence avec la spécificité historique du Québec, notre rapport particulier à
la religion, par exemple.
Justin Trudeau a échoué à unir les gens
dans la lutte à l'islamophobie. Ce qu'on souhaitait faire, aujourd'hui, c'est
unir les partis politiques à l'Assemblée nationale pour dire : O.K. là,
Justin Trudeau, ça n'a pas marché son affaire, qu'est-ce que nous, ici, on est
capables de faire pour lutter contre l'islamophobie au Québec? Parce que les
gens qui sont victimes d'islamophobie, là, sur le territoire du Québec, ce sont
des Québécois, ce sont des Québécoises, ils ont droit d'avoir un gouvernement
qui les défend et qui les protège contre la haine.
M. Robillard (Alexandre) : Mais
ce constat d'échec là, vous le faites sur la base simplement du fait que
Mme Elghawaby n'était pas disponible à vous rencontrer dans les délais que
vous souhaitiez?
M. Nadeau-Dubois : Moi,
je fais le bilan de la dernière semaine, puis le bilan de la dernière semaine
et de toute cette controverse-là, c'est qu'on n'a pas avancé collectivement
dans notre lutte à l'islamophobie.
M. Robillard (Alexandre) : Mais
qu'est-ce qui a changé depuis la semaine dernière? Parce que, là, ce que vous
dites, c'est, dans le fond : Notre position change parce que
Mme Elghawababy n'était pas disponible pour nous rencontrer.
M. Nadeau-Dubois : Bien,
j'ai eu l'occasion ce matin d'expliquer ça en détail. C'est-à-dire que, pendant
que les autres partis politiques se précipitaient pour, sans discussion, sans
échange, sans dialogue, demander que madame soit mise à la porte, nous, on a
eu, je pense, une position raisonnable de dire : Bien, O.K., on est en
désaccord total avec les propos puis on va la rencontrer pour...
M. Robillard (Alexandre) : Non,
mais ce n'est pas la même chose, là. Là, ce que vous faites, vous dressez un
constat d'échec sur la base de ses disponibilités horaires.
M. Nadeau-Dubois : Je ne
suis pas sûr de comprendre. Je pense que vous confondez. Je ne suis pas sûr de
comprendre votre question, en fait.
M. Robillard (Alexandre) : Bien,
en fait, vous, vous dressez un constat d'échec de l'initiative de
M. Trudeau de mandater Mme Elghawaby dans la lutte à l'islamophobie.
Et donc, aujourd'hui, vous arrivez puis vous dites : Moi, je dresse un
constat d'échec de cette démarche-là, mais la seule chose qui a changé, c'est
les disponibilités dans l'agenda de Mme Elghawaby.
M. Nadeau-Dubois : Non,
non.
M. Robillard (Alexandre) : Donc,
j'essaie juste de comprendre le cheminement, puisque la raison que vous
donnez...
M. Nadeau-Dubois : Non,
mais le cheminement est très clair. Le cheminement est très clair, là, j'ai
passé 25 minutes avec vos collègues pour l'expliquer.
M. Robillard (Alexandre) : Ah!
je vous ai écouté. Je vous ai écouté, je n'ai juste pas eu la chance de vous
poser de question avant.
M. Nadeau-Dubois : Le
cheminement est très clair. Ce que je vous dis, c'est que nous, condamner des
gens avant même de leur avoir parlé, on ne fait pas ça. On a tendu la main pour
dialoguer et, hier, on a appris que ce dialogue-là n'aurait pas lieu. Devant
ça, on en arrive à la conclusion... devant l'impossibilité, donc, du dialogue,
que Mme Elghawaby n'est pas la bonne personne pour lutter contre l'islamophobie
au Québec.
Une fois qu'on a pris acte de ça,
qu'est-ce qu'on fait? Bien, on se retourne et on dit : Ici au Québec,
devant l'échec de la stratégie de Justin Trudeau, comment, comme Québécois,
comme Québécoises, on est capables de lutter contre l'islamophobie? Quand
François Legault dit : Ce n'est pas au Canada à nous dire comment lutter
contre le racisme, la discrimination au Québec, je ne suis pas en désaccord
avec lui, sauf que l'étape d'après, c'est de le faire par nous-mêmes, ici, au
Québec. C'est la motion qu'on déposait aujourd'hui, et François Legault a
décidé que ça ne l'intéressait pas.
M. Robillard (Alexandre) : Et,
si Mme Elghawaby, elle avait pu vous rencontrer dans les délais que vous
souhaitez, est-ce que vous auriez dressé le même constat d'échec de ça?
M. Nadeau-Dubois : Avec des «si»,
on met Paris en bouteille. Si la rencontre avait eu lieu, on aurait dialogué,
on aurait discuté. Je ne sais pas quelle aurait été la conclusion à laquelle on
serait arrivés, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'on ne peut pas
dialoguer tout seul. Puis, quand la perche tendue pour le dialogue ne nous
revient pas, malheureusement, la seule conclusion qu'on peut tirer, c'est que
c'est un échec.
Et donc, à partir de maintenant, moi,
l'appel que je lance... maintenant que beaucoup de gens arrivent à la
conclusion — je ne suis pas le seul — que la stratégie de
Justin Trudeau est un échec, maintenant qu'on a dit ça, qu'est-ce qu'on fait?
On baisse les bras, on abandonne, on dit : Ah! ça, l'islamophobie, là, ça
ne nous intéresse pas, au Québec? Non. Moi, je refuse que la lutte à
l'islamophobie soit victime, au fond, de la controverse de la dernière semaine,
parce que je pense que c'est important puis qu'il ne faut pas jeter le bébé
avec l'eau du bain. Je pense que cette lutte-là, il faut la faire, au Québec, et
moi, comme indépendantiste, je pense que la nation québécoise est assez mature,
assez forte pour affronter ce défi-là.
Il ne s'agit pas de faire le procès de
quiconque, encore moins de nous-mêmes, il s'agit de dire : On n'a pas
besoin de personne d'autre que nous-mêmes pour lutter ici sur cette base-là,
d'où cette idée d'un plan d'action. Si la CAQ avait eu des propositions
alternatives à faire pour avancer dans la lutte à l'islamophobie, on en aurait
discuté.
M. Robillard (Alexandre) : Qu'est-ce
que c'est, selon vous, l'islamophobie, justement?
M. Nadeau-Dubois : C'est
l'hostilité, c'est la haine à l'égard des personnes de confession musulmane
parce qu'elles sont musulmanes, comme l'antisémitisme est la haine, l'hostilité
envers les personnes juives parce qu'elles sont juives.
M. Robitaille (Antoine) : Mais,
M. Nadeau-Dubois, pour certains, critiquer, par exemple, l'Iran, tu sais...
M. Nadeau-Dubois : Pas pour
moi.
M. Robitaille (Antoine) : ...soutenir,
par exemple, les mouvements de révolte en Iran, c'est de l'islamophobie, et Mme
Elghawaby a quasiment dit ça, là.
M. Nadeau-Dubois : Je ne sais
pas à qui vous faites allusion, mais parlons de mon parti. Québec solidaire, on
est le seul parti politique dont l'ensemble du caucus a parrainé des
prisonniers politiques iraniens, tu sais. Je veux dire, ce n'est pas une
compétition, là, mais moi, je suis très fier de la solidarité qu'on a affichée...
M. Robitaille (Antoine) : Mais
vous, c'est une ligne que vous mettez, ceux qui diraient...
M. Nadeau-Dubois : ...à
l'égard des femmes et, de plus en plus, des hommes iraniens qui, en ce moment,
luttent contre un régime islamiste, un régime théocratique absolument
dictatorial et sanguinaire. Et nous, on a fait ça, dans les derniers mois, en
même temps que lutter contre l'islamophobie, parce qu'en fait on est des
défenseurs des droits humains.
M. Robillard (Alexandre) : Mais
le regroupement pour la laïcité, hier, a envoyé une lettre, là, signée par
200 personnes, puis sa présidente, Mme El-Mabrouk, disait que le terme
islamophobie ouvrait la porte, là, justement, à des dérives puis des risques de
censure à la liberté d'expression. Elle, justement, s'opposait à l'utilisation
de ce terme-là, sur la base que c'est ça, là, ça peut empêcher les critiques
envers la religion musulmane.
M. Nadeau-Dubois : Bien, on
est dans une société démocratique où les idées s'échangent. Moi, je prends acte,
je respecte son opinion. Ce n'est pas la nôtre. Nous, on juge qu'il faut nommer
les problèmes pour les régler.
M. Robillard (Alexandre) : Est-ce
que c'est le bon mot pour faire consensus?
M. Nadeau-Dubois : Il y a un
groupe de Québécois, Québécoises qui sont victimes de crimes haineux et de
discours haineux parce qu'ils sont musulmans. Sur la base de leur confession
religieuse, ils sont victimes de gestes haineux et de crimes haineux.
Je répète encore une fois : Ce
problème-là n'est pas pire au Québec qu'ailleurs au Canada ou ailleurs dans le
monde, mais il existe. Est-ce qu'on est capable de le reconnaître et surtout
d'agir pour y remédier? Une fois qu'on a fait le tour des propos de
Mme Elghawaby, une fois que tout le monde les a condamnés, et on le fait, qu'est-ce
qu'on fait?
M. Robillard (Alexandre) : Est-ce
que ce mot-là n'est pas un peu galvaudé, justement, à cause du débat qu'elle a
provoqué elle-même avec ses propos?
M. Nadeau-Dubois : Moi, je
constate qu'il y a des gens qui ont de la difficulté à reconnaître ça depuis
bien avant la controverse.
M. Côté (Gabriel) : Vous
dites qu'il y a une forme spécifique d'islamophobie au Québec, comme il y a une
forme particulière ailleurs? Non, ce n'est pas ça que vous dites?
M. Nadeau-Dubois : Non, non,
non. Au contraire.
M. Côté (Gabriel) : Bien, vous
avez dit qu'il est déterminé par notre rapport historique à la religion.
M. Nadeau-Dubois : Non, non,
non, vous avez confondu, puis c'est très important... vous confondez deux de
mes déclarations. J'ai dit : L'islamophobie existe au Québec, comme elle
existe ailleurs au Canada, comme elle existe, en fait, dans bien des sociétés
occidentales en ce moment. Par contre, je pense que la lutte à
l'islamophobie, ici, on doit la faire dans un contexte spécifique. Le rapport
des Québécois à la religion, par exemple, fait en sorte que, pour bien
comprendre nos débats sur la laïcité, il faut comprendre l'histoire du Québec,
puis donc cette lutte à l'islamophobie au Québec doit prendre en considération
cette spécificité historique québécoise. C'était tout l'angle mort, d'ailleurs,
des propos de Mme Elghawaby, qui, je pense, ne voyait pas cette spécificité
historique.
M. Côté (Gabriel) : Mais
juste... C'est quoi, notre rapport à la religion?
M. Nadeau-Dubois : Bien, les
Québécois, dans la foulée de la Révolution tranquille, ont eu un rapport très
conflictuel avec la religion, avec les autorités religieuses. Ça, ce rapport-là
que les Québécois, Québécoises ont eu, dans leur histoire, à la religion, ça
nous distingue quand même par rapport au reste de l'Amérique du Nord. Et, quand
on a ces débats-là sur le port de signes religieux, la laïcité, l'islamophobie
au Québec, il faut tenir en compte cette spécificité-là. On se comprend bien?
M. Côté (Gabriel) : Est-ce
que ça voudrait dire qu'il y a certains citoyens québécois...
M. Nadeau-Dubois : J'ai
l'impression que je dis précisément le contraire de ce que vous semblez avoir
compris. Je ne dis pas que les Québécois sont plus islamophobes. Je suis en
train, depuis tantôt, d'expliquer précisément la thèse inverse.
M. Côté (Gabriel) : Moi, j'essaie
de comprendre le lien que vous faites entre la lutte à l'islamophobie puis le
rejet de la religion catholique au Québec dans les années 60, dans un
autre contexte historique.
M. Nadeau-Dubois : O.K., je
vais vous donner un exemple. Si quelqu'un, d'aventure, cas fictif, disait :
Les gens qui sont contre la loi n° 21 au Québec
sont tous islamophobes, moi, je pense que ça, ce serait mal comprendre la
réalité historique du Québec, où il y a bien des gens qui ont des forts
sentiments critiques de la religion et que ce n'est pas en soi de
l'islamophobie, bien au contraire.
Il y a une particularité historique dans
notre rapport, comme Québécois, à la religion qui fait en sorte qu'on aborde
ces enjeux-là différemment de comment ils sont abordés dans le Canada anglais.
Il faut lutter contre l'islamophobie au Québec en comprenant ce rapport
historique spécifique des Québécois à la religion. C'est ça, d'ailleurs, qui a
manqué dans les déclarations de Mme Elghawaby. Je pense qu'on voyait bien qu'il
y avait un manque de compréhension de cette réalité-là.
Maintenant qu'on a fait le tour de la
question de Mme Elghawaby, on revient au Québec. Qu'est-ce qu'on fait, comme
Québécois, comme Québécoises, avec nos institutions politiques pour lutter
contre ce problème-là? C'est la question qu'on pose. C'est la motion qu'on
déposait aujourd'hui, avoir un plan de lutte québécois contre l'islamophobie. Parce
que moi, comme indépendantiste, je refuse de laisser cette lutte-là à Justin
Trudeau, qui, de toute évidence, est incapable de le faire de manière
rassembleuse. La controverse des dernières semaines en a été l'illustration
absolument éloquente.
M. Lachance (Nicolas) : Est-ce
que, dans le fond... je ne veux pas, là, inventer des choses, mais le contexte
historique fait qu'il y a certains Québécois qui ont décidé de rejeter les
religions, la religion catholique, mais dans l'ensemble, finalement, dans le
discours, c'est... qu'ils rejettent l'ensemble des religions peut faire d'eux
accidentellement des islamophobes?
M. Nadeau-Dubois : Non, ce
n'est pas ce que je dis. En fait, depuis tantôt, je défends précisément l'idée
inverse, que faire ce raisonnement-là, théorique, que vous venez d'esquisser...
M. Lachance (Nicolas) : Mais
maladroitement, sans le vouloir?
M. Nadeau-Dubois : Non, mais
moi, je pense que faire ce raisonnement-là, c'est justement ne pas comprendre
le contexte spécifique au Québec. L'histoire des Québécois et Québécoises avec
la religion, c'est une histoire qui est complexe, et on ne peut pas la
simplifier comme ce serait une simplification dans l'hypothèse que vous venez
d'émettre, là.
M. Laberge (Thomas) : Mais ce
que vous venez de décrire, là, par rapport à l'histoire spécifique du Québec,
ce n'est pas justement là où on voit les enjeux liés au terme «islamophobie»,
comme mon collègue le pointait précédemment, où, justement, pour beaucoup de
gens, on assimile la critique d'une religion à de l'islamophobie? Vous, ce que
vous dites, au fond, ce que je comprends, c'est que les Québécois,
historiquement, sont critiques des religions...
M. Nadeau-Dubois : Bien, le
moment de la Révolution tranquille, oui.
M. Laberge (Thomas) : ...donc
nécessairement peuvent être critiques de l'islam, mais qu'il y a des gens qui
ne font pas cette distinction-là, sans doute un peu comme Mme Elghawaby, qui
assimilent la critique de la religion musulmane à de l'islamophobie. Et c'est
ce que plusieurs critiquent à propos de ce concept-là.
M. Nadeau-Dubois : Bien, la
définition usuelle, là, largement acceptée de l'islamophobie, là, ce n'est pas
la critique de la religion, c'est la haine ou l'hostilité envers les individus
parce qu'ils pratiquent une religion. L'antisémitisme, c'est l'hostilité, la
haine envers certains individus parce qu'ils pratiquent la religion juive.
Donc, ça n'a rien à voir avec critiquer. Par exemple, dans le cas de l'antisémitisme,
on peut critiquer les orientations politiques ou les décisions politiques de l'État
d'Israël, ce n'est pas nécessairement de l'antisémitisme.
M. Laberge (Thomas) : Vous
savez qu'il y en a qui utilisent cet argument-là. Il y en a qui disent que ce
qui est Israël, c'est de l'antisémitisme.
M. Nadeau-Dubois : Exact.
Dans ce cas-là, nous, on dit : Un instant, il faut distinguer les deux, et
on n'est pas antisémitistes pour autant. Il faut distinguer les deux.
Journaliste
: Il y a
votre position, puis il y a la position...
M. Nadeau-Dubois : Oui, mais
moi, je suis ici pour défendre ma position, vous comprenez?
M. Duval (Alexandre) : On a
une ministre responsable de l'Homophobie au Québec. Est-ce que, considérant l'attitude
du ministre responsable de la Lutte contre le racisme, il n'y aurait pas lieu
de se poser la question si un ministère responsable d'autres choses... Parce
que racisme, religion, il y a quelque chose qui nous échappe, en tout cas, moi,
qui m'échappe, dans les déclarations du ministre.
M. Nadeau-Dubois : Oui, bien,
moi, je pense que le ministre qui est responsable de lutter contre le racisme,
de manière générale, je pense qu'on peut étendre son mandat et dire : C'est
le porteur de ballon, au gouvernement du Québec, qui devrait prendre en charge
l'ensemble de ces phénomènes-là. Nous, on pense que le plan de lutte qu'on
proposait aujourd'hui aurait pu être sous sa responsabilité, parce que ça fait
partie, de manière générale, de la lutte aux discours haineux, puis à la
discrimination, puis à la xénophobie qui doit se mener au Québec. Nous, on n'aurait
pas eu de problème à ce que ce plan de lutte là ait été, donc, piloté par le
ministre actuel.
M. Lachance (Nicolas) : Mais
je reviens sur cette nuance-là entre le racisme, l'islamophobie, vous avez
aussi parlé d'antisémitisme, mais, tu sais, l'antisémitisme, ça reste que, oui,
c'est une religion, mais surtout ça vise spécifiquement les gens d'un même
peuple, là. L'islamophobie, là, j'essaie de voir la nuance entre... Tu sais, le
ministre parle de racisme, mais les gens qui pratiquent l'islam, il y en a de
toutes les races, là. Donc, c'est cette nuance-là que moi aussi, j'ai de la
difficulté à faire, entre pourquoi ça serait du racisme...
M. Nadeau-Dubois : Écoutez,
vous lui poserez la question.
M. Lachance (Nicolas) : Mais
vous, quelle nuance vous faites de ça?
M. Nadeau-Dubois : Bien, moi,
ce que je vous dis, c'est que l'islamophobie, c'est le sentiment négatif, l'hostilité,
ça peut même aller jusqu'à la haine envers certains individus sur la base de
leur confession religieuse.
M. Lachance (Nicolas) : Mais
est-ce que c'est du racisme, selon vous, ou de l'islamophobie?
M. Nadeau-Dubois : Bien là,
est-ce que c'est une forme de racisme? En tout cas, c'est une forme de haine, c'est
une forme de xénophobie, ça, c'est absolument certain.
M. Lachance (Nicolas) : Parce
que le débat, là, il l'a sur les réseaux sociaux, là, on le voit, il y a même
plein d'analystes, tout le monde s'obstine, là : est-ce que l'islamophobie,
c'est une forme de racisme?
M. Nadeau-Dubois : Moi, les
débats conceptuels m'intéressent assez peu. Moi, ce que je veux, là, c'est que
le gouvernement du Québec... Puisque justement on semble tous s'entendre sur le
fait que Justin Trudeau, sa stratégie est un échec, là, bien, que le
gouvernement du Québec reconnaisse qu'il y a certains Québécois, certaines
Québécoises qui sont victimes de discours ou de gestes haineux sur la base de
leur confession religieuse, l'islam, qu'on reconnaisse ce problème-là et qu'on
se donne un plan de lutte pour régler ce problème-là. La CAQ a échoué à passer
ce test aujourd'hui.
Journaliste : Mais,
justement, est-ce qu'on ne se perd pas dans la sémantique de parler d'islamophobie?
M. Nadeau-Dubois : Bien, si
le gouvernement faisait juste reconnaître le problème, personne ne se perdrait
dans la sémantique.
M. Duval (Alexandre) : Si,
éventuellement, il devait y avoir un plan de lutte contre l'islamophobie,
faudrait-il éviter d'emprunter le chemin d'Ottawa, à savoir nommer une
représentante spéciale ou une conseillère spéciale? Est-ce qu'il faudrait
écarter cette idée-là?
Une voix : Ce matin, vous
étiez ouvert.
M. Nadeau-Dubois : Oui, bien,
c'est ça, tu sais, nous, on n'a pas d'opposition de principe à l'idée qu'un
éventuel plan comme celui-là, disons... qu'un des éléments de ce plan-là, ce
soit qu'il y ait une personne en charge de conseiller le gouvernement
là-dessus. C'est une idée qui mérite certainement d'être étudiée, mais nous, on
ne voulait pas rentrer dans les détails, aujourd'hui, on voulait d'abord s'entendre
sur le fait qu'on identifie le problème puis ensuite se donner un plan pour
régler ce problème-là. Merci beaucoup.
(Fin à 15 h 35)