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(Onze heures cinquante-quatre minutes)
M. Derraji : Bonjour, tout le
monde. Très heureux aujourd'hui de prendre la parole, accompagné de Mme Gervaise
Pilon, Dr Sidani et M. Poucet — vous pouvez être proches,
si vous voulez.
C'est une situation très malheureuse que
le Parti libéral, aujourd'hui, dénonce. Il dénonce l'explosion des délais pour
les Québécois en attente d'un conjoint à l'étranger. Aujourd'hui, en période de
questions, j'ai essayé d'interpeller le premier ministre, François Legault, et
la ministre de l'Immigration sur l'attente énorme que ces personnes subissent.
Ils peuvent... ils vont vous partager leur cas, chacun, mais on parle de
presque... plusieurs milliers de personnes qui sont en attente, et les délais s'allongent
mois après mois. Et ils étaient 33 mois, il y a quelques semaines, maintenant,
c'est 41 mois d'attente.
Donc, ce qu'on a demandé, d'une manière
très claire, au gouvernement, c'est de baisser l'inventaire. C'est anormal, c'est
inhumain, c'est cruel, comme disait Dr Sidani, de laisser ces personnes
attendre plus de trois ans avant que leurs familles puissent se réunir. Donc,
je vais céder la parole en premier à Dr Sidani pour vous parler de sa
situation, et, après, à tour de rôle, vous pouvez parler.
M. Sidani (Sacha) : Oui,
merci, M. Derraji. Bonjour, tout le monde. Donc, moi, je m'appelle Sacha
Sidani, j'ai 41 ans, je suis né au Québec, j'ai grandi au Québec, j'ai étudié
au Québec et je travaille au Québec. Je suis gastroentérologue et chercheur au
CHUM, à Montréal. Je fais de mon mieux pour soigner la population québécoise
avec compassion et avec expertise. Je suis aussi professeur de médecine à l'Université
de Montréal et je forme les médecins de demain.
J'ai rencontré ma femme alors que j'étais
en voyage à l'étranger pour visiter des proches et lors d'une conférence. Nous
sommes tombés amoureux, et puis on s'est vus d'abord à distance, par appel
vidéo et par des voyages répétés à l'étranger, et j'ai rapidement su que c'était
la bonne personne avec qui je voulais passer le reste de ma vie. Ma femme, elle
s'appelle Julia, ou Iulia, elle a 35 ans. Elle a commencé à travailler à l'âge
de 16 ans. Elle vient de Russie, et puis elle n'a jamais arrêté de travailler
depuis l'âge de 16 ans, et même pendant ses études universitaires. À l'âge de
21 ans, elle est partie toute seule de son pays pour s'établir aux Émirats
arabes unis, et pour faire une vie meilleure, et pour débuter sa carrière. Et
puis elle travaille, en fait, dans le commerce de vêtements. Et puis elle
est... c'est une personne qui est autonome, qui est travaillante et qui est
débrouillarde.
Depuis qu'on se connaît, elle suit des
cours de français, et moi de russe, et je peux vous affirmer qu'elle a pas mal
plus de talent que moi pour apprendre les langues.
M. Derraji : Combien de délais
d'attente jusqu'à maintenant pour vous?
M. Sidani (Sacha) : On a
déposé notre demande au mois de juillet, donc ça fait déjà plusieurs mois,
mais, imaginez, 41 mois, 41 mois pour l'ensemble, c'est le délai
moyen, maintenant, trois à quatre ans, pour des couples. Imaginez la détresse
physique, mentale, imaginez la séparation, le sentiment de culpabilité qu'on
ressent parce qu'on est impuissant.
M. Derraji : Merci beaucoup.
On va laisser aussi...
M. Poucet (Antoine) : Merci, M....
Derraji, excusez-moi. Bonjour à toutes et à tous. Alors, moi, je suis la
personne qui est parrainée. Donc, je suis de nationalité belge, mais je me
considère comme Québécois de cœur. Au contraire de mes deux camarades aujourd'hui
présents, je suis en parrainage interne, donc j'ai la chance d'être avec ma
conjointe, Catherine. Ça fait maintenant trois ans que nous sommes ensemble. Je
poursuis un doctorat en sciences juridiques à l'UQAM. Pour sa part, elle est en
train de faire une maîtrise qualifiante pour devenir enseignante d'univers
social au secondaire. Nous avons déposé notre demande en juin 2022. Ça fait
aujourd'hui plus de 17 mois que nous attendons. Cette demande est bloquée de
façon artificielle par les délais que le gouvernement québécois a imposés.
Pour ceux et celles qui se disent que j'ai
de la chance d'être avec la femme que j'aime, j'en suis bien conscient et je
suis solidaire avec tous ceux et toutes celles qui sont laissés séparés par
cette approche qui est totalement insensible. Voilà, je vous remercie.
Mme Pilon (Marie-Gervaise) : Bonjour.
Merci, M. Derraji. Mon nom, c'est Marie-Gervaise Pilon, je suis
enseignante au collégial. J'ai rencontré mon mari par l'entremise d'un ami sur
un groupe de création littéraire dont j'étais l'administratrice. Je suis tombée
en amour de son âme avant de tomber en amour avec son corps. Très rapidement,
nous savions que nous étions faits l'un pour l'autre. Très rapidement, nous
avons confirmé cet amour et nous nous sommes mariés en 2021 sans savoir où nous
allions vivre. J'ai 46 ans, bientôt 47, mon mari aussi est dans la
quarantaine. Donc pour nous, c'était un peu plus difficile de prendre la
décision parce qu'on avait déjà, à ce moment-là, beaucoup de racines dans nos
pays respectifs. J'ai une carrière, lui également. Mon mari est professeur
d'université. Il est un des rares programmeurs C++. Il a créé lui-même de
toutes pièces un programme de formation de programmeur en jeux vidéo qui a été
pendant longtemps dans le palmarès des programmes au Royaume-Uni. Il enseigne
dans une des plus grosses universités de son pays. Mon mari est anglophone, il
est britannique, mais mon mari, il parle français. Je l'ai abandonné à
Chicoutimi. Il a pris les transports en commun tout seul, comme un grand. Il
était bien fier de lui de se retrouver tout seul dans une brasserie à Labaie.
Mon mari n'est pas une menace au français. Je suis propriétaire de mon condo.
Il y a déjà deux places de stationnement pour mon mari. Mon mari ne causera pas
une crise additionnelle du logement. Alors, quelle est la raison derrière ces
délais interminables? Je trouve absolument inadmissible d'avoir écrit à mon
député et de m'être fait répondre que oui, les immigrants économiques avaient
le droit d'être avec leur conjoint. Moi c'est 41 ans, 41 ans, c'est
insupportable. C'est une ingérence dans ma vie privée et je ne peux pas tolérer
ça. Merci.
M. Derraji : Alors, merci,
tout le monde. Donc, nous sommes prêts à prendre... s'il y a des questions
après ces témoignages.
Journaliste : J'aimerais vous
entendre les quatre sur le fait que Mme Fréchette, en point de presse...
pas en point de presse, au salon bleu, en période de questions, a dit que le
nombre de personnes qui entrent au Québec par regroupement familial est stable
depuis 2013, ne parle pas des seuils du gouvernement du Québec et dit que c'est
au fédéral de traiter les dossiers plus vites et de traiter les dossiers selon
le premier arrivé, premier servi. J'aimerais vous entendre sur les
justifications de Mme Fréchette.
M. Derraji : Oui. Je vais les
laisser parler. Après, je vais venir pour répondre. Vous, allez-y.
M. Poucet (Antoine) : Alors,
premièrement, par rapport au seuil, c'est ce qu'on se fait répondre par le
gouvernement fédéral. Donc, moi, quand j'ai passé un appel à ma députée, la
réponse que j'ai reçue, c'est : Écoutez, nous, au fédéral, on freine les
demandes de regroupement familial parce que c'est ce que le Québec nous
demande. Le Québec impose des quotas, et donc on essaie de ne pas les dépasser.
Pour ce qui est du fait que le Québec a
admis par le passé le même nombre de personnes dans cette catégorie-là, je
pense que ce que la ministre oublie de prendre en compte, c'est l'évolution
démographique, le fait que, bien, on vit dans un monde internationalisé, et que
les chiffres changent. Il y a de plus en plus de gens qui vont rencontrer des
conjoints qui n'ont pas la même nationalité qu'eux, et que le gouvernement
devrait être conscient que le monde évolue, change et devrait donc adapter ses
politiques de façon à répondre à la réalité de ses citoyens, de ses citoyennes.
M. Derraji : Vous voulez
ajouter quelque chose, ou c'est bon, je peux répondre?
Pour moi, aujourd'hui, la ministre de
l'Immigration a manqué d'empathie. Les trois personnes qui sont en face de vous
aujourd'hui, c'est des Québécois impliqués qui travaillent, un
gastroentérologue, professeur, chercheur. Je pense qu'au lieu de répondre avec
des statistiques et des chiffres et des courbes, elle aurait dû au moins de
montrer un peu d'empathie.
Derrière les chiffres que j'ai mentionnés
aujourd'hui, il y avait beaucoup de détresse et des vies séparées. Donc moi, je
n'achète pas ses arguments. Ce n'est pas vrai que c'est uniquement la cause du
fédéral. Mme la ministre le sait très bien. C'est depuis l'arrivée de la CAQ au
pouvoir qu'il y a ce problème. Et mois après mois, on le voit, les délais
augmentent. Nous sommes rendus à 41 mois et une liste d'inventaire, dont
38 000 personnes. Venant d'un gouvernement qui a accepté au-delà de
400 000 travailleurs étrangers, ils s'attendent à quoi? C'est normal
que ces gens vont avoir à faire des demandes d'avoir leur conjoint ou
conjointe. Et ces gens, s'ils veulent ramener des conjoints parce qu'ils ont
fait ce choix, c'est leur vie privée. Bien, ces gens vont être intégrés et ils
vont rester au Québec. ...quand on parle de la régionalisation, nous avons le
meilleur exemple que ces gens vont aider à la régionalisation et aussi à
l'enracinement de ces gens qui viennent de l'extérieur.
Journaliste : ...rencontrer
la ministre pendant votre déplacement à Québec?
M. Derraji : Non, ce n'était
pas... Il n'a pas... La ministre n'a pas démontré.... En fait, la demande n'a
pas été faite pour être honnête. La demande n'a pas été faite. Vous voulez
ajouter quelque chose? Allez-y.
Mme Pilon (Marie-Gervaise) : Je
voudrais ajouter quelque chose spécifiquement parce qu'Antoine Poucet, le Dr
Sidani et moi-même sommes membres du collectif Québec réunifié. Je tiens à
mentionner qu'au cours des derniers 24 heures les demandes d'adhésion à
notre collectif ont explosé. Nous sommes maintenant au-dessus de 1
000 membres. Et ce collectif a commencé depuis déjà deux ou trois
semaines... trois semaines, je crois, à contacter le bureau de la ministre
Fréchette pour nous demander une rencontre. Nous attendons toujours que Mme Fréchette
elle-même accepte de nous rencontrer, mais, par contre, ils ont effectivement
accepté de nous donner une rencontre avec l'équipe de son cabinet. Donc,
j'espère qu'il va y avoir quelque chose de différent demain, car c'est demain
le jour de la rencontre, mais j'avoue que l'intervention de la ministre
d'aujourd'hui me donne peu d'espoir.
M. Derraji : Et juste pour
clarifier une chose très importante... Moi, ce que je demande au gouvernement
Legault d'une manière très, très claire... C'est le premier ministre qui est
responsable parce que c'est lui qui a choisi les seuils, qu'il a choisis. C'est
que les gens qui sont là, c'est des êtres humains, c'est des vies. Donc, ce que
je lui demande, c'est d'agir très rapidement et baisser l'inventaire parce que
c'est inacceptable avoir 38 000 personnes qui attendent. Le nombre de personnes
explose jour après jour et le nombre de délais. C'est inhumain que ces gens
doivent attendre maintenant au-delà de 41 mois. Merci. C'est bon? Merci.
...tu veux ajouter quelque chose?
M. Sidani (Sacha) : En fait,
si je peux rajouter quelque chose, c'est qu'avec la réponse de la ministre
Fréchette aujourd'hui, ce qu'on comprend, c'est que des couples, comme les
nôtres, comme le mien, ils sont considérés comme indésirables au Québec. Comme
si on ne méritait pas d'être... de faire notre vie et notre petite famille, de
fonder notre petite famille au Québec, et ça, c'est désolant. Et on a
l'impression qu'implicitement le gouvernement veut comme un peu décider de nos
vies pour nous-mêmes et décider un peu de qu'est-ce qu'on doit faire. Comme si
le fait d'avoir épousé quelqu'un à l'étranger n'est pas conforme à être un bon
Québécois docile et parfait, et que, donc, il faut nous sanctionner pour ceci.
Vous savez, Mme la ministre et M. le premier ministre, que beaucoup de citoyens
Québécois choisissent de passer des séjours à l'étranger, que ce soit quelques
semaines, quelques mois, quelques années, ceci contribue au rayonnement du
Québec, ceci contribue à former des relations internationales, et que plusieurs
personnes, pendant ces séjours, ont rencontré l'âme sœur, ont même fondé des
familles parce qu'ils sont restés un certain temps. Est-ce que ces citoyens
Québécois là n'ont pas le droit de rentrer au bercail avec leur famille un
jour?
Journaliste : Avez-vous songé
partir, par exemple en Ontario ou devenir résident de l'Ontario, faire venir
votre conjoint, votre conjointe à l'intérieur d'un an puis après revenir vous
établir au Québec?
M. Sidani (Sacha) : Bien sûr.
Bien sûr, j'y ai réfléchi, mais ce n'est pas mon souhait. Mon souhait... Et je
me suis bâti une carrière au Québec et je soigne la population québécoise. Je
suis plus de 2 000 patients Québécois, qui sont suivis par mes
soins... sous mes soins en spécialité et je n'ai pas envie de les abandonner.
Ça, c'est d'une part, et puis, d'autre part, je ne veux pas non plus me faire
dicter par le gouvernement où est-ce que je voudrais aller vivre et fonder ma
famille. Vous savez, je suis médecin et oui, je suis capable... Je suis quand
même privilégiée, je le conçois, et je suis capable de me trouver du travail à
l'étranger. Vous savez, des médecins, il en manque pas mal partout, dans
plusieurs provinces canadiennes et dans plusieurs pays à l'étranger aussi. Mais
ce n'est pas mon souhait. Je suis Québécois. Je suis né au Québec. J'ai grandi,
et j'ai étudié, et je vis au Québec.
M. Derraji : Un dernier point
pour conclure. Et, merci, tout le monde. Aujourd'hui, le message est très
clair. Nous avons un médecin gastroentérologue, professeure, un chercheur. Ce
sont des Québécois. Ce que je demande au gouvernement Legault, c'est agir
rapidement parce que les 38 000 ne peuvent plus attendre. Donc,
maintenant, j'espère que le gouvernement Legault va tout faire pour baisser les
seuils, parce qu'on ne veut pas perdre ces gens, parce qu'ils peuvent... mais
ils veulent rester au Québec. Ils contribuent à l'économie du Québec. Et c'est
ce qu'on lui demande. Merci beaucoup.
(Fin à 12 h 9)