Point de presse de M. Jean-Marc Fournier, ministre de la Justice et de M. Yves Bolduc, ministre de la Santé et des Services sociaux
Version finale
Le jeudi 14 juin 2012, 14 h
Salle Bernard-Lalonde (1.131),
hôtel du Parlement
(Quatorze heures cinq minutes)
M. Bolduc: Bien, écoutez, merci d'être venus ici cet après-midi dans le cadre de la Commission mourir dans la dignité.
Vous savez qu'il y a eu un rapport qui a été fait, un rapport qui a été unanime, qui a été bien reçu au niveau des parlementaires, et, dans cette commission, il y avait plusieurs recommandations. Une des premières recommandations, c'est l'organisation des services que, moi, je vais faire, c'est-à-dire l'organisation au niveau des soins palliatifs, la première ligne, les soins à domicile, et tout ce qui fait l'organisation des services au niveau de mourir dans la dignité. Il y avait un deuxième aspect qui était la question de l'aide médicale à mourir, et puis, ça, ça va être traité par mon collègue Jean-Marc.
Pour ce qui s'agit de la commission en tant que telle, très bien reçue. Ça fait quand même un certain consensus au Québec que ça a été la commission qui a été la plus écoutée, dans laquelle on a eu le plus de mémoires et dans laquelle il y a eu des recommandations qui étaient quand même importantes.
Au niveau de l'organisation des services, au Québec, on fait déjà beaucoup de choses. Entre autres, c'est la recommandation pour les lits de soins palliatifs, c'est un par 10 000 personnes, on est déjà rendus à 690. Donc, il nous en manque une centaine qui devront être développés au cours des prochaines années, jusqu'en 2015. Pour ce qui s'agit des soins à domicile, il y a une politique qui est en place, et on veut augmenter les services à domicile pour permettre aux gens le plus possible de mourir à domicile, dans le contexte de mourir dignement.
Également, il y a l'évaluation au niveau de nos soins à domicile, l'évaluation au niveau des soins palliatifs qui va être faite. Donc, du côté du ministère de la Santé et des Services sociaux, je vous dirais que les recommandations sont relativement, peut-être pas faciles, mais faisables en termes d'applicabilité.
Par contre, du côté de l'aide médicale à mourir, c'est un nouveau concept. C'est un concept qui est très juridique et c'est un concept sur lequel on doit s'attarder, et, justement, pour en discuter, je vais laisser mon collègue Jean-Marc Fournier, parce que ça relève vraiment du ministère de la Justice.
M. Fournier: Merci, Dr Bolduc. Mesdames messieurs, merci d'être là. Je vous présente Me Ménard, qui est à ma gauche, que je vais vous présenter avec plus d'égards à la toute fin de ma présentation mais des égards qu'il mérite.
Donc, voilà pour l'approche que nous devons avoir à l'égard de l'aide médicale à mourir. Les recommandations qui touchent des enjeux importants, autant sur le plan social, éthique et médical, soulèvent aussi des questions fondamentales d'ordre juridique. Avant d'entreprendre l'étude plus approfondie, donc, des recommandations de la commission, l'approche que nous avons choisie consiste à procéder à une analyse juridique préalable.
À travers les 24 recommandations, la commission pose notamment des conditions rigoureuses pour obtenir une aide médicale à mourir et propose qu'un projet de loi pour l'encadrer soit présenté à l'Assemblée nationale, au plus tard, en juin 2013. La commission recommande que le Procureur général du Québec, notamment, donne une orientation au Directeur des poursuites criminelles et pénales afin qu'un médecin ayant pratiqué une aide médicale à mourir, conformément aux critères qui seraient prévus par la loi, ne puisse pas faire l'objet de poursuites criminelles.
À la suite du rapport de la commission, nous avons pris note de certaines considérations juridiques importantes que soulèvent ces recommandations. Une de ces considérations concerne les distinctions possibles, sur le plan juridique, entre trois formes d'intervention à l'égard d'une personne malade en situation de fin de vie: les soins palliatifs, l'interruption volontaire de soins ou traitements nécessaires à la vie et l'aide médicale à mourir. Comme le soulignait la commission ainsi que certains experts entendus, la frontière peut être parfois difficile à tracer entre ces trois types d'intervention. Les recommandations de la commission soulèvent donc un défi sur le plan de la définition juridique de l'aide médicale à mourir par rapport aux pratiques médicales qui existent actuellement en matière de soins de fin de vie.
Notons d'abord que l'aide médicale à mourir peut soulever des questions juridiques, particulièrement par rapport au droit criminel, de juridiction fédérale, qui interdit notamment l'aide au suicide. La commission suggère que l'aide médicale à mourir se situerait plutôt dans la continuité des soins de fin de vie et qu'elle serait associée au soulagement des souffrances. Néanmoins, il demeure qu'il y a des nuances importantes entre l'interruption de soins, c'est-à-dire ne pas poser de gestes, et l'aide médicale à mourir qui signifie qu'un geste soit posé. Lorsque la mort du patient est rendue inévitable en raison de la progression de la maladie, il peut en effet être difficile de fixer avec certitude la frontière entre soulager la souffrance et abréger la vie. Il est aussi important de voir la différence entre l'abréger en ne faisant rien et l'abréger en posant un geste.
Quant à la possibilité d'une orientation du Procureur général à l'intention du Directeur des poursuites criminelles et pénales pour lui indiquer de ne pas prendre de poursuites, cela aussi soulève quelques interrogations, notamment celle-ci: le Procureur général peut-il, par ce pouvoir, aller jusqu'à interdire des poursuites pourtant prévues par le Code criminel? L'autre élément tient dans la prévisibilité de la protection juridique pour le personnel médical suite à une telle orientation, compte tenu que des poursuites citoyennes vont demeurer une possibilité. En somme, nous avons, d'un côté, les motifs légitimes qui ont amené la commission parlementaire spéciale à recommander de reconnaître et d'encadrer le droit à l'aide médicale à mourir et, de l'autre côté, des questions juridiques particulières que cela soulève.
Dans ce contexte, pour apporter l'éclairage le plus complet possible, notre gouvernement a pris la décision de constituer un collège de juristes externes présidé par Me Jean-Pierre Ménard. Juriste d'expérience, Me Ménard est spécialisé en droit médical et très connu. Titulaire d'une maîtrise, il enseigne la responsabilité médicale et la psychiatrie légale à la maîtrise en droit de la santé de l'Université de Sherbrooke de même que le droit de la santé au programme de maîtrise en administration de la santé de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal. Il est membre du Comité permanent du Barreau sur les droits des personnes et membre du Groupe de travail du Collège des médecins et du Barreau du Québec sur les soins appropriés en fin de vie. Me Ménard a reçu plusieurs distinctions honorifiques pour son travail et son engagement dans la défense des droits des personnes vulnérables. D'ailleurs, le Barreau du Québec lui a décerné le titre d'«avocat émérite».
Me Ménard sera assisté de deux juristes externes. Il en a déjà désigné un, connu lui aussi, Me Jean-Claude Hébert. Depuis plus de 30 ans, Me Hébert agit comme avocat plaideur, surtout devant les tribunaux de compétence pénale, administrative et disciplinaire. Me Ménard compte désigner un autre avocat prochainement. Ce groupe sera épaulé par des juristes du ministère de la Justice. Ces juristes pourront consulter d'autres organismes dont l'expertise particulière pourrait être utile dans l'accompagnement du mandat.
Et je termine sur ces éléments d'information en disant que nous avons demandé à Me Ménard et à son groupe de nous produire un rapport sur ces questions juridiques en octobre prochain, de manière à ce que, par la suite, nous puissions en informer la société en général mais évidemment l'Assemblée, parce qu'une fois que la commission parlementaire a fait son rapport, il conviendra que les députés de l'Assemblée puissent aussi s'approprier du rapport et des informations complémentaires qui suivront, dont celles du comité de Me Ménard. Et, à ce moment-ci, je l'invite à vous adresser quelques mots.
M. Ménard (Jean-Pierre): Bien, merci, M. le ministre, merci, Dr Bolduc. D'abord, c'est avec plaisir que j'ai... et sans aucune hésitation que j'ai répondu à l'invitation qu'on m'a faite de participer aux travaux du comité externe pour conseiller le gouvernement sur les suites à donner au rapport de la Commission sur la question de mourir dans la dignité.
C'est un enjeu qui est extrêmement important pour la société aussi, pour les citoyens, et les médecins, et l'ensemble de notre société aussi. On touche là à des valeurs très, très, très fondamentales, et la commission, lorsqu'elle a rendu ses recommandations, démontre peut-être l'ampleur aussi de l'intérêt que la société a pour ça. Et ce qui est particulièrement intéressant aussi, c'est de voir que la commission a rendu un rapport unanime, avec des recommandations, donc, qui s'élèvent au-delà de la partisanerie et qui vraiment tendent à refléter ce que la société attend.
Il est bien clair que tout ce débat-là, peu importe les valeurs, l'émotion, les attentes qu'on a, il doit se faire aussi dans un cadre particulier, un cadre qui est difficile aussi, un cadre juridique qui est... jusqu'à maintenant qui a donné lieu à diverses interprétations. Il est extrêmement important, pour la société et les personnes impliquées... on parle d'abord des patients, au premier chef, parlons aussi des médecins et autres professionnels qui leur donnent des services, parlons des gestionnaires du système de santé, des autorités politiques aussi. Il est important que ces problématiques-là puissent être gérées dans la plus grande sécurité possible. Les gens ont des attentes par rapport à ça. Il faut que les patients qui participent à ce processus-là, il faut que leurs proches puissent avoir des règles claires, aient confiance dans le processus. Il faut que les médecins et autres intervenants aient aussi confiance dans le processus. Alors, ce qu'on va travailler à faire, nous, au niveau de notre comité, c'est vraiment d'essayer de réfléchir sur l'élaboration des règles de sécurité les plus simples, les plus fiables puis les plus solides pour permettre aux gens vraiment de bénéficier, je vous dirais, de ce progrès-là en termes de réflexion sociale aussi.
Il faut comprendre que ce qui proposé par la commission, et c'est ce qui a fait peur à beaucoup de monde, mais je pense que, si on comprend bien la commission, c'est comme ça qu'il faut comprendre le message. Ce que la commission a recommandé, ce n'est pas de donner plus de pouvoir à l'État pour contrôler la fin de vie des citoyens, c'est exactement l'inverse. C'est donner peut-être un peu plus de pouvoir aux citoyens pour contrôler le dernier épisode de leur vie, qui peut être le plus important aussi.
Alors, il faut voir... il faut que les citoyens aient confiance dans ce processus-là. Puis on va travailler, nous, sur le plan juridique, à l'articuler. Il y a des défis importants, il y a des questions plus délicates. Il n'y a pas de réponse parfaite pour tout. Mais on va travailler à faire en sorte de conseiller l'ensemble de nos législateurs sur les options les plus sécures, les plus certaines, pour que tout le travail de la commission puisse vraiment donner des résultats concrets pour l'ensemble de la société aussi.
Alors donc, on va... il y a une composante technique, mais on va faire aussi notre possible pour que notre rapport ait aussi des vertus pédagogiques, même si on va parler évidemment de ça sous l'angle juridique aussi, en essayant le plus possible de répondre à toutes les questions qui seront posées.
M. Lessard (Denis): Est-ce que l'application des recommandations suppose des amendements au Code criminel?
M. Ménard (Jean-Pierre): De la manière dont on l'a formulé... dont la commission a formulé ses recommandations, d'après nous, non. La commission s'est fortement inspirée du mémoire du Barreau là-dessus. On l'avait examiné comme il faut. Y a-t-il un chemin par lequel Québec, avec ses pouvoirs constitutionnels, pourrait... jusqu'où que le Québec pourrait-il aller dans ce processus-là? Et on avait identifié un chemin qui nous apparaissait assez clair et assez solide sur le plan constitutionnel sans qu'on n'ait besoin de refaire le grand débat de modifications du Code criminel.
Il faut se rappeler que le Code criminel est de compétence fédérale, mais l'administration de la justice est de compétence provinciale. Puis les directeurs des... c'est-à-dire le Procureur général a une certaine marge d'appréciation dans la décision de déposer les poursuites criminelles. C'est très balisé, là, mais il a l'espace. Et le... ce qu'on avait fait, au niveau du Barreau, puis la commission a bien suivi ce processus-là aussi, il y a un chemin où il est possible pour Québec de faire beaucoup, d'occuper beaucoup de terrain là-dedans. Alors, on va peut-être travailler à étoffer davantage encore ou bien baliser ce terrain-là sur le plan...
M. Fournier: ...un instant, sur la question, parce qu'elle est fondamentale, enfin, surtout la réponse que vous donnez. Il y a des chemins, il faut s'assurer qu'il n'y ait pas trop d'espaces chaotiques sur ce chemin. Et, ce qu'il faut donner, c'est de l'assurance juridique. Et il y a certaines notions, je le notais tantôt, sur... moi, je suis le Procureur général. Alors, quand j'ai des orientations à donner au DPCP, la question qui se pose, c'est: Quelle est l'étendue de ce pouvoir d'orientation? Est-ce qu'il peut aller jusqu'à prohiber des poursuites qui peuvent être prises en vertu d'un Code criminel qui est toujours là?
Alors, il y a des chemins, mais encore faut-il bien baliser ce chemin, en vérifier s'ils tiennent bien la route jusqu'au bout. Parce qu'à la fin du jour il y a des gens, du vrai monde, des vrais patients, des vraies familles, des vrais médecins qui ne demandent pas mieux que de pouvoir poser des gestes. Encore faut-il être sûrs de la valeur juridique du geste qu'ils ont à poser. Et c'est ça l'éclairage qu'on doit se donner dans le grand débat qu'on aura par la suite.
Mme Thibeault (Josée): Quel est, Me Ménard... Vous semblez avoir déjà beaucoup étudié le dossier. Quel est, à votre avis, le moment, l'aspect le plus problématique justement?
M. Ménard (Jean-Pierre): Bon. Écoutez, l'aspect constitutionnel en est un. O.K. Peut-être, là, je vous dirais celui qui est peut-être le plus... peut-être celui où les contours sont peut-être les moins clairement définis. Alors, il faut... Oui, moi, j'ai fait un effort très important de réflexion là-dessus. Nous, on pense que... là, je m'inspire des travaux qu'on a faits lors du... avant la commission, les travaux qu'on a faits au niveau du Barreau du Québec, mais je n'engage pas le Barreau là-dessus, là, mais, notre rapport, vous le verrez, le rapport dit bien qu'est-ce que ça dit.
Le comité du Barreau concluait qu'il y avait une marge, un espace suffisant pour que Québec puisse le faire. C'est un rapport qui était unanime aussi, là, alors on était donc... puis on était des juristes de toutes origines, mais c'est clair qu'on va peut-être ré-étoffer encore davantage ça, même si j'ai peu de doute que notre idée change, parce que, écoutez, on n'a pas fait ça à la légère non plus.
Puis, évidemment, quand on proposait ce genre d'affaires là aux législateurs, ce n'était pas par sympathie ou par élan de générosité. On s'est dit: Est-ce que juridiquement c'est concevable, c'est possible? Est-ce que le Procureur général du Québec a un espace? Puis, on pense... on pensait que oui. Mais peut-être qu'on va peut-être rajouter une... on avait la ceinture, peut-être des petites bretelles, on va peut-être mettre des bretelles plus larges un peu peut-être aussi là-dessus parce que, le but, c'est de sécuriser le processus, O.K.? Il faut que les gens, il faut que les citoyens, la société aient confiance dans le processus, et non pas que ce soit attaquable à la première occasion. Parce que n'oublions pas que, ce débat-là, il met aussi en cause des principes importants au niveau de la société puis des valeurs qui sont parfois très contradictoires chez certaines personnes aussi. Puis, il y a... même s'il y a un consensus très fort pour aller vers, je vous dirais, une ouverture très balisée et très contrôlée, il reste que le principe même, il y a des gens évidemment qui seront...
Mme Thibeault (Josée): Personnellement, vous, est-ce que vous vous situez quelque part dans le débat, entre l'amélioration des soins palliatifs et l'aide médicale à mourir, ou est-ce que vous avez...
M. Ménard (Jean-Pierre): Ce qui arrive, c'est, écoutez, nous... puis, écoutez, j'en ai mis beaucoup sur cette contradiction-là aussi, plus là je vais parler plus en mon nom personnel, mais il y a comme une contradiction entre les soins palliatifs puis l'aide médicale à la mort. Puis, les gens qui ont voulu le faire, je pense que c'est... on comprend mal ces problématiques-là. Ce que... Les soins palliatifs, je pense que c'est... il y a un consensus très fort qu'il faut les développer, puis qu'on ne... pas à une aide médicale à la mort, on parle de peut-être 2 %, 3 % des gens, pas plus que ça. Alors, si on regarde un peu ce qui se passe dans d'autres juridictions... Alors donc, la majorité des gens ne recourront pas à ce processus-là. La majorité des gens vont recourir au processus habituel, où on s'en va dans sa fin de vie avec les soins palliatifs qui vont avec.
Sauf qu'il y a une partie des gens pour qui les soins palliatifs ne fonctionnent pas, des gens qui n'en veulent pas, des gens qui ne veulent pas aller jusqu'au bout des soins palliatifs, alors c'est là qu'à un moment donné la composante soins palliatifs n'épuise pas tout le débat, O.K.? Puis là qu'est-ce qu'on fait juridiquement quand les gens ne veulent plus des soins palliatifs, ou ne veulent pas les avoir, ou les soins palliatifs ne leur donnent pas les bénéfices attendus puis souhaitent en finir aussi? En fin de compte, c'est... il n'y a pas de contradiction entre les deux du tout, du tout, O.K., puis il ne faut pas en faire une, il ne faut pas aller dans les chapelles là-dedans.
Nous, ce qu'on a développé, c'est... Dans ces matières-là, là, c'est des choses qui sont tellement privées, O.K., autrement dit, notre fin de vie, c'est tellement personnel comment on voit ça, qu'il faut respecter absolument, de façon non négociable, le droit des gens qui sont contre toutes les formes d'aide médicale à mourir. Il faut respecter, de façon absolue, le droit de ces personnes-là, comme il faut respecter aussi le droit des gens qui pensent autrement. C'est vraiment un choix tellement personnel que c'est difficile pour quiconque d'imposer ses choix à l'autre ou dire: Vous, vous n'avez pas accès à ça ou, vous, vous ne ferez pas ça comme ça. Alors, c'est un peu ça...
M. Laforest (Alain): Vous, Me Ménard, qui êtes un spécialiste du droit et connaissez très bien le domaine médical, est-ce que vous craignez le test de la Cour suprême?
M. Ménard (Jean-Pierre): Non. Bien, regardez, ce qu'on va s'arranger, c'est... écoutez, essentiellement, c'est... Regardez bien, on pense d'abord que la Cour suprême a failli, en 1993, décidé de ne pas ouvrir la porte à cinq contre quatre, dans un jugement qui était très d'époque. On a dit, en 1993... C'était le juge en chef qui avait rédigé l'opinion de la majorité. Il disait: Écoutez, la société n'est pas prête à ça, il n'y a personne dans la société qui approuverait ça. On est 19 ans plus tard. Ce qui apparaissait comme le support principal de la Cour suprême n'est plus là, là. On a, au Québec particulièrement, ce rapport de cette commission-là qui reflète un consensus très large appuyé par des sondages, appuyé par toutes sortes de données, appuyé par des groupes professionnels tels le Collège des médecins, l'Ordre des infirmières, le Barreau du Québec. l'Ordre des travailleurs sociaux, etc. Notre société a évolué.
Puis le jugement de Sue Rodriguez, de 1993, qui était le jugement clé, était un jugement à cinq contre quatre, d'époque. Autres juges, autre société, autres valeurs, évolution; on pense que la Cour suprême serait prête à revoir, peut-être, ça avec un oeil différent. Puis par ailleurs aussi, c'est qu'on va tenter de baliser tout ça juridiquement aussi, bien baliser ça avec des choix de mots appropriés, des termes qui vont dire qu'est-ce qu'il faut que ça dise aussi mais qui vont être bien concordants avec le reste du droit, avec les chartes aussi parce qu'il y a des enjeux de charte importants là-dedans, extrêmement importants. Puis, la charte, elle donne des droits aux citoyens aussi par rapport à ça. Et donc on va vraiment travailler à sécuriser ça pour que la Cour suprême puisse tester ça en toute sérénité aussi, avec une assez bonne assurance - comme juriste, comme avocat qui fait du litige, je vous dirai qu'il ne faut jamais gager sur l'issue des causes qu'on fait - mais avec un relative assurance que ça va bien fonctionner.
Le Modérateur: Jocelyne Richer.
Mme Richer (Jocelyne): Oui, pour M. Fournier. Si vous obtenez l'assurance que vous êtes en terrain solide sur le plan juridique et constitutionnel, est-ce qu'il faut tenir pour acquis que vous allez demander au DPCP de ne pas poursuivre un médecin qui aurait aidé un patient à mourir?
M. Fournier: Alors, la première étape sera d'abord de fournir, associé au rapport qui existe, qui est sur la table, puis qui est documenté, et avec une bonne tournée, il nous semble important d'ajouter l'éclairage juridique plus pointu parce que des questions sont quand même présentes. Alors, on va essayer de donner tout l'éclairage possible.
Et ensuite, l'étape qui suit, c'est que l'Assemblée nationale s'en saisisse. Alors, plus simplement, les membres de l'Assemblée qui sont dans la commission, qui ont fait leur rapport, mais l'Assemblée, il y a plein de députés de l'Assemblée qui veulent s'approprier ce débat-là, qui veulent participer. Ce n'est pas un... ce n'est pas un des sujets, je dirais, traditionnels et usuels de nos débats à l'Assemblée nationale. Plusieurs n'étaient pas membres de la commission mais voulaient pouvoir en dire un mot. Et donc c'est pour ça que je disais que l'étape préalable qu'on faisait aujourd'hui, c'était de fournir du matériel pour éclairer le débat qu'auront les parlementaires et, de ce débat-là, va nous amener vers des chemins qui pourront être plus précis sur comment on y arrive.
Alors, je ne peux pas commenter aujourd'hui pour savoir si nous irions vers l'orientation du DPCP pour une des raisons. Avant de vous répondre ça, il faut s'assurer que c'est le bon chemin.
Mme Richer (Jocelyne): ...qui va décider au bout du compte? L'Assemblée nationale, le gouvernement, vous?
M. Fournier: Ah! Bien, il est sûr que, lorsqu'il y a une loi qui a à être déposée, elle va venir de l'Exécutif, hein, du gouvernement. En ce moment, avant de procéder à cette étape-là, nous croyons plus utile que ce soit un débat de toute l'Assemblée. Ce n'est pas une... D'ailleurs, la commission en a fait état, je pense. À l'image même de la commission ou au-delà de la partisanerie des débats, c'est un enjeu de société qui interpelle tout le monde, et, je vais vous dire, au premier titre, nos collègues de l'Assemblée qui n'étaient pas sur la commission, qui veulent dire leurs mots là-dessus. Et je pense que c'est le passage le plus approprié pour permettre, lorsque le geste législatif sera posé, qu'il soit celui qui soit le mieux accepté. Je le dirais parce que c'est une question d'ordre moral fondamentale, mais j'ajouterais, dans la foulée de ce que Me Ménard vient de dire en parlant du jugement dans Rodriguez sur est-ce que c'était un jugement d'époque et à quelle époque sommes-nous, et, pour documenter cette époque où nous sommes, encore faut-il que les représentants du peuple puissent se l'approprier.
Alors, vous voyez, c'est un peu tout ça. Alors, il y a des étapes à franchir. Le rapport nous proposait un dépôt de projet de loi pour juin 2013, alors on s'inscrit dans cette foulée-là pour qu'on sache le plus possible comment cela peut être fait en toute sécurité juridique - le ministre de la Justice qui vous parle - sécurité juridique et aussi que ce soit dans l'acceptation sociale la plus grande. Alors, voilà le débat qui est devant nous, un peu d'éclairage avant de faire ce débat-là.
Le Modérateur: Julie Dufresne.
Mme Dufresne (Julie): C'était un peu ma question. Dans quelle mesure est-ce que votre gouvernement a la volonté de respecter l'échéancier, de suivre la majorité des recommandations du rapport?
M. Fournier: Tantôt, le Dr Bolduc vous parlait de toutes les facettes qui sont plus de l'ordre de la santé, qui ne concernent pas, je dirais, l'ordre juridique, dans lequel il vous disait qu'on était déjà lancés là-dedans. Alors, dans quelle mesure le gouvernement veut donner suite? Il y donne déjà suite et c'est déjà annoncé. Même des échéanciers ont été mentionnés là-dessus.
Sur la question de l'aide médicale à mourir et du contexte juridique dans lequel cela s'inscrit, nous souhaitons qu'il y ait une participation de l'Assemblée, et un débat là-dessus, et plus d'éclairage sur les chemins les plus sûrs. Et, une fois que nous aurons le portrait assuré au niveau juridique, une acceptation, enfin, une nouvelle époque - je pense que c'est l'expression que je voudrais utiliser, dans la foulée de Me Ménard - qu'on soit capables de démontrer une nouvelle époque par rapport à il y a 20 ans, on sera en mesure de pouvoir poser les autres gestes. Mais c'est étape par étape.
Le Modérateur: Dernière en français, Jean-Luc Lavallée. Ensuite en anglais.
M. Lavallée (Jean-Luc): Ne craignez-vous pas que ça puisse engendrer un nouveau conflit avec Ottawa, si vous trouvez une façon d'aller de l'avant en contournant, disons, le Code criminel?
M. Fournier: Non. Franchement, on n'est pas à l'étape de se demander si c'est un conflit avec Ottawa. On va se demander, comme l'a fait le rapport du Barreau et les recommandations du comité qu'il y avait des chemins possibles de faire, disons, à la québécoise, appelons ça comme ça. Alors, on veut s'assurer de la sécurité juridique autour de ça. Ça, c'est le premier aspect.
Ce que l'on vous annonce aujourd'hui, dans le fond, dans la foulée du rapport puis un peu à l'instance du rapport, c'est que cette réflexion-là ne se fait pas par rapport à Ottawa. Elle se fait au Québec, avec les Québécois, comme société québécoise. C'est comme ça que s'inscrit la démarche d'aujourd'hui, s'inscrivaient les recommandations du rapport et va s'inscrire la suite de nos gestes, comme ceux qu'on pose aujourd'hui.
M. Lavallée (Jean-Luc): Le Code criminel, c'est un obstacle qu'il faut contourner? Diriez-vous ça? Parce que les membres des commissions disaient que c'en n'était pas un.
M. Fournier: Je dirais qu'il y a des questions qui doivent être bénéficiées d'une réponse plus étoffée puisque, lorsqu'on se demande les nuances sur l'interruption de traitements ou sur l'aide médicale, il y a une vie qui est raccourcie, parfois, sans poser un geste, dans l'autre cas, en posant un geste. Certains soulèvent que cela peut avoir des conséquences. Nous demandons au groupe de Me Ménard, justement, de nous donner les paramètres juridiques les plus clairs pour nous dire en quel territoire nous sommes.
Le Modérateur: Pas d'autres questions? Merci tout le monde.
(Fin à 14 h 29)