Définition
Controverse née à la suite de l'assassinat d'une jeune femme, Blanche Garneau, survenu le 22 juillet 1920 à Québec.
L'affaire prend une dimension politique et parlementaire importante en raison de l'incapacité des autorités à identifier les coupables. Certains journaux et les adversaires politiques du gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau font circuler l'idée d'une ingérence judiciaire, et la rumeur voulant que le ou les meurtriers soient issus de familles politiques influentes protégées par le pouvoir.
Le meurtre
Le 22 juillet 1920, Blanche Garneau quitte la boutique de thé où elle travaille, située sur la rue Saint-Vallier à Québec, pour retourner chez ses parents adoptifs. La jeune femme de 21 ans suit son itinéraire habituel, accompagnée d'Edesse May Boucher. Elles se séparent au bout de la rue Saint-Ambroise, à l'entrée du parc Victoria, mais Garneau ne se rend jamais chez elle1.
Le 28 juillet, son corps est retrouvé dans le parc Victoria, à 45 mètres de la ligne de tramway de la Quebec Railway. Elle a été violée et étranglée2.
Le caractère sordide du meurtre provoque l'indignation populaire3. Dans l'immédiat, aucun suspect n'est appréhendé et la première enquête du coroner ne débouche sur aucune piste. Une deuxième enquête on discovery4, ouverte le 9 décembre 1920, mène à la mise en accusation de deux individus connus de la police. Ils sont cependant acquittés en octobre 1921, après que l'un d'eux a renié ses aveux antérieurs à la barre des témoins5.
L'apparente lenteur de l'enquête entretient les rumeurs relayées par la presse. Les meurtriers seraient protégés, dit-on. Le premier ministre et procureur général du Québec, Louis-Alexandre Taschereau, tenterait d'étouffer volontairement l'affaire. Les ragots mentionnent entre autres les fils des députés libéraux Martin Madden, Arthur Paquet et de Taschereau lui-même6.
Ces rumeurs sont utilisées par les opposants politiques des libéraux, notamment à l'occasion de l'élection fédérale de 1921. Armand Lavergne, adversaire par excellence de Taschereau, y accuse directement ce dernier d'ingérence, accusation relayée par certains journaux. En réaction, le premier ministre intente et gagne des poursuites en diffamation contre le Chronicle et Le Devoir7.
« L'Affaire Roberts »
Jusqu'à l'adoption de la Loi sur l'Assemblée nationale en 1982, la Chambre peut se transformer en tribunal et imposer des sanctions allant jusqu'à l'emprisonnement lorsqu'elle considère que ses privilèges étaient violés.
C'est ce qui survient en octobre 1922 lorsqu'une feuille à scandales hebdomadaire montréalaise, The Axe, publie un bilan des faits. L'éditeur, John H. Roberts, offre 5 000 $ à quiconque apporterait des révélations susceptibles de confondre le ou les coupables du meurtre de Garneau. Ce faisant, il propage des rumeurs populaires, dont celles touchant des députés et hauts fonctionnaires du Parlement. Il demande également au lieutenant-gouverneur d'exiger la tenue d'une commission royale d'enquête sur le meurtre et les accusations de dissimulation8.
Taschereau réagit avec vigueur, jugeant que le refus de Roberts de nommer ses suspects porte atteinte à l'intégrité de l'ensemble des parlementaires et de l'institution politique9. Par une procédure exceptionnelle prévue alors par la Loi sur la Législature, les parlementaires jugent que les accusations de Roberts sont une violation de leurs privilèges. En conséquence, l'orateur lance un mandat d'arrestation contre leur auteur le 30 octobre.
Roberts est appelé à comparaître devant l'Assemblée législative, qui se transforme pour l'occasion en tribunal, où il est alors déclaré coupable d'outrage au Parlement. Les lois en vigueur prévoient alors qu'un contrevenant peut être incarcéré jusqu'à la fin de la session, mais, jugeant cette peine trop légère, Taschereau soumet un projet de loi spécial qui permet de condamner Roberts à un an de prison10.
Cette décision fait du premier ministre la cible de nombreuses critiques. Le chef de l'opposition conservatrice, Arthur Sauvé, lui reproche d'avoir usurpé des fonctions judiciaires. Sauvé appuie en outre la demande de Roberts de tenir une commission royale d'enquête, que Taschereau met finalement en place en novembre 1922. La commission, chargée de faire la lumière sur les allégations d'ingérences judiciaires, conclut que tous les efforts ont été déployés pour identifier les coupables et blanchit les fils des députés Madden et Paquet11.
En conséquence, l'affaire demeure non résolue depuis.
Pour citer cet article
« Affaire Blanche Garneau », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 22 février 2024.
1
François Drouin, « Blanche Garneau : les 100 ans d'une affaire non résolue », Cap-aux-Diamants, no 143, 2020, p. 64.
3
Gilles Gallichan, « Thomas Chapais, la liberté de la presse et les pouvoirs du Parlement », Bulletin de la bibliothèque de l'Assemblée nationale, vol. 23, no 4 (novembre 1994), p. 9.
4
Cette procédure judiciaire permet à un juge de réaliser une enquête pour amasser toutes les informations nécessaires avant d'émettre un mandat contre les coupables.
5
Bernard L. Vigod, Taschereau, Québec, Septentrion, 1996, p. 130.
6
Éric Veillette, L'affaire Blanche Garneau, Montréal, Bouquinbec, 2017, p. 57; F. Drouin, loc. cit.; B. L. Vigod, op. cit., p. 130-131. À cet endroit, Vigod mentionne Joseph Paquette, un député n'existe pas. Il s'agit plutôt d'Arthur Paquet, député de Saint-Sauveur.
7
« M. Armand Lavergne dans son comte », Le Devoir, 14 novembre 1921, p. 2 et « Armand Lavergne Made Grave Election Charges Against Quebec Premier », The Quebec Chronicle, 14 novembre 1921, p. 5; « Découverte du corps de Blanche Garneau », Bilan du siècle, Université de Sherbrooke, (Site consulté le 9 août 2023).
8
B. L. Vigod, op. cit., p. 131
11
F. Drouin, op. cit., p. 65.