Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
13rd Legislature, 1st Session
(November 5, 1912 au December 21, 1912)
Wednesday, November 6, 1912
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable C. F. Delâge
La séance est ouverte à 3 heures.
Présentation de pétitions:
Les pétitions suivantes sont présentées devant la Chambre:
- de la ville de Magog, demandant une loi amendant sa charte (M. Bissonnet);
- de la compagnie The Avenir and Melbourne Railway Co., demandant une loi amendant sa charte (M. Bissonnet);
- de Louis T. Haggin et autres, demandant une loi les constituant en corporation sous le nom de "La Compagnie de chemin de fer Alma et Jonquières" (M. Carbonneau);
- de la ville de Grand'Mère, demandant une loi amendant sa charte (M. Delisle);
- de la ville de Hull, demandant une loi amendant sa charte (M. Gendron);
- de Joseph Cohen, demandant une loi autorisant le barreau de la province de Québec à l'admettre au nombre de ses membres (M. Finnie);
- de Morton Lewis Sands et autres, demandant une loi les constituant en corporation sous le nom de "Brethren Church of the Province of Quebec", pour la célébration du culte divin à Montréal et dans d'autres régions de la province (M. Finnie);
- d'Alphonse Vachon et autres, demandant une loi érigeant en municipalité de village de Salaberry certain territoire compris dans le comté de Québec (M. Fortier);
- d'Émile Roy et autres, demandant une loi amendant la charte de la commission scolaire de Montréal (M. Galipeault);
- de Stephan Ferdinand Adalia et autres, demandant une loi constituant en corporation le Quebec and North Eastern Railway (M. Gendron);
- de Joseph-Fabien Bugeaud, demandant une loi autorisant le barreau de la province de Québec à l'admettre au nombre de ses membres (M. Kelly);
- de Frederick W. Evans, exécuteur testamentaire de feu Walter Drake, demandant une loi confirmant ses pouvoirs et ratifiant certains actes de vente (M. Létourneau, Montréal-Hochelaga);
- de la corporation du village du Sault-au-Récollet, demandant une loi amendant sa charte et ratifiant certains contrats (M. Létourneau, Montréal-Hochelaga);
- d'Alphonse Turcotte et autres, demandant une loi les constituant en corporation (M. Létourneau, Montréal-Hochelaga);
- d'Urgel Charbonneau et autres, demandant une loi amendant la charte de la ville de Pointe-aux-Trembles (M. Létourneau, Montréal-Hochelaga);
- de l'honorable C.-E. Dubord et autres, demandant une loi constituant en corporation la municipalité du village de Salaberry (M. Létourneau, Québec-Est);
- du révérend Robert Lagueux et autres, demandant une loi les constituant en corporation sous le nom de "Compagnie du cimetière Saint-Charles" (M. Létourneau, Québec-Est);
- de Napoléon Drouin et autres, demandant une loi amendant la charte de la ville de Québec (M. Létourneau, Québec-Est);
- de J.-B. Morissette et autres, demandant une loi autorisant le bureau des commissaires d'écoles catholiques romains de la cité de Québec à contracter un emprunt pour fins scolaires, à savoir l'achat de livres scolaires (M. Létourneau, Québec-Est);
- des révérends pères Franciscains et autres, demandant la constitution en corporation de la communauté des Servites de Marie (M. Lévesque);
- de la commission scolaire de la ville de la Longue-Pointe, demandant certains pouvoirs spéciaux (M. Lévesque);
- d'Edmond-Joseph Paquette et autres, demandant une loi ratifiant et confirmant certains actes de vente (M. Mercier);
- de Thomas Dechène et autres, demandant une loi les constituant en société mutuelle sous le nom de la "Fédération ouvrière mutuelle du Nord" (M. Petit);
- de la ville de Trois-Rivières, demandant une loi amendant sa charte (M. Tessier, Trois-Rivières);
- de Henry Timmins et autres, demandant une loi les constituant en corporation sous le nom de "Huntingdon and Hemmingford Railway Co." (M. Walker).
Composition des comités permanents
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) présente le premier rapport du comité spécial chargé de dresser une liste des députés qui feront partie de chacun des comit&e acute;s permanents de la Chambre, lequel rapport se lit comme suit:
Votre comité a élu l'honorable M. Taschereau son président et rapporte la liste suivante des députés devant faire partie des comités:
Ordres permanents: Les honorables MM. Caron, Devlin, Mackenzie; MM. Bernier, Campbell, Cousineau, Godbout, Létourneau (Hochelaga), Mercier, Mousseau, Pilon, Reed, Sylvestre, Tellier, Tessier (Trois-Rivières).
Bills privés: Les honorables MM. Caron, Devlin, Mackenzie, Taschereau; MM. Bernier, Bérubé, Bissonnet, Bullock, Carbonneau, Caron (Matane), Cousineau, Daigneault, D'Auteuil, Delisle, Demers, Finnie, Fortier, Francoeur, Gadoury, Galipeault, Gault, Gendron, Godbout, Gosselin, Kelly, Langlois (Montréal-Saint-Louis), Langlois (Saint-Sauveur), Lavergne, Leclerc, Lemieux, Lesieur Desaulniers, Létourneau (Québec-Est), Lévesque, Mayrand, Mercier, Mousseau, Ouellette, Patenaude, Péloquin, Perron, Pilon, Prévost, Reed, Robert (Beauharnois), Robert (Rouville), Robillard, Sauvé, Scott, Séguin, Slater, Smart, Stein, Sylvestre, Tellier, Tessier (Rimouski), Tessier (Trois-Rivières), Therrien, Tourigny, Turcot, Vilas, Walker.
Chemins de fer et canaux: L'honorable Sir Lomer Gouin et les honorables MM. Allard, Décarie, Devlin, Kaine, Mackenzie, Taschereau; MM. Bissonnet, Bouchard, Bullock, Campbell, Carbonneau, Caron (Matane), Daigneault, D'Auteuil, Finnie, Gadoury, Gault, Gendron, Gosselin, Grégoire, Kelly, Labissonnière, Langlois (Montréal-Saint-Louis), Langlois (Saint-Sauveur), Lavergne, Leclerc, Lesieur Desaulniers, Létourneau (Hochelaga), Létourneau (Québec-Est), Lévesque, Mayrand, Mercier, Morin, Morisset, Mousseau, Ouellette, Patenaude, Perron, Petit, Pilon, Prévost, Reed, Robert (Beauharnois), Robillard, Sauvé, Scott, Séguin, Sylvestre, Tanguay, Tansey, Tessier (Rimouski), Tessier (Trois-Rivières), Tourville, Turcot, Vilas, Walker.
Comptes publics: L'honorable Sir Lomer Gouin et les honorables MM. Allard, Caron, Décarie, Devlin, Kaine, Mackenzie, Taschereau; MM. Benoît, Bernier, Bérubé, Bouchard, Bullock, Cousineau, D'Auteuil, Delisle, Demers, Finnie, Gault, Gosselin, Kelly, Langlois (Montréal-Saint-Louis), Lavergne, Lemieux, Mercier, Ouellette, Péloquin, Perron, Prévost, Smart, Tanguay, Tellier, Tessier (Trois-Rivières), Therrien, Tourigny, Vilas, Walker.
Législation et lois expirantes: L'honorable Sir Lomer Gouin et les honorables MM. Décarie, Mackenzie, Taschereau; MM. Bernier, Bérubé, Cousineau, D'Auteuil, Fortier, Francoeur, Galipeault, Godbout, Lavergne, Lévesque, Létourneau (Hochelaga), Mercier, Mayrand, Mousseau, Patenaude, Perron, Prévost, Stein, Sylvestre, Tellier, Tessier (Rimouski), Tessier (Trois-Rivières).
Agriculture et immigration: L'honorable Sir Lomer Gouin et les honorables MM. Allard, Caron, Décarie, Devlin, Mackenzie; MM. Benoît, Bérubé, Bullock, Campbell, Carbonneau, Caron (Matane), Cousineau, Daigneault, Delisle, Demers, Dorris, Francoeur, Fortier, Gadoury, Gendron, Godbout, Grégoire, Labissonnière, Lemieux, Lesieur Desaulniers, Morisset, Mousseau, Morin, Ouellette, Patenaude, Petit, Péloquin, Pilon, Prévost, Robert (Rouville), Sauvé, Scott, Séguin, Slater, Stein, Sylvestre, Tanguay, Tellier, Tessier (Rimouski), Therrien, Tourigny, Tourville, Walker.
Industries: Les honorables MM. Caron et Kaine; MM. Bernier, Bullock, Caron (Matane), Delisle, Dorris, Finnie, Francoeur, Gault, Gosselin, Langlois (Saint-Sauveur), Leclerc, Létourneau (Québec-Est), Morisset, Mousseau, Petit, Robert (Beauharnois), Robillard, Sauvé, Slater, Smart, Tansey, Therrien, Tourigny, Tourville et Vilas.
Privilèges et élections: L'honorable Sir Lomer Gouin et les honorables MM. Décarie et Mackenzie; MM. Galipeault, Lavergne, Mercier, Morisset, Mousseau, Patenaude, Perron, Sauvé, Tellier, Tessier (Trois-Rivières), Vilas.
Adopté.
Adresse en réponse au discours du trône
M. Tessier (Rimouski) propose, appuyé par le représentant de Compton (M. Scott), que l'adresse suivante soit présentée à Son Honneur le lieutenant-gouverneur:
À Son Honneur
le lieutenant-gouverneur
de la province de Québec
Nous, les membres de l'Assemblée législative de la province de Québec, réunis en session, prions Votre Honneur de bien vouloir agréer, avec l'assurance de notre loyauté à Sa Majesté, nos humbles remerciements pour le discours qu'il lui a plu de prononcer afin de faire connaître les raisons de la convocation des Chambres.
M. le Président, on a bien voulu me confier le soin de proposer l'adresse en réponse au discours du trône. C'est un périlleux honneur, un honneur dont mon inexpérience parlementaire et ma faiblesse sentent tout le poids et sous lequel je crains un peu d'être accablé.
Je l'ai accepté avec la plus vive appréhension et parce que je sais que cette inexpérience et cette faiblesse de ma part me donnent doublement droit à l'indulgence et à la bienveillance de cette Chambre.
Je l'ai accepté aussi avec la pensée réconfortante et agréable que cet honneur qu'on me fait reviendra au beau comté qui vient de m'élire pour le représenter ici.
Et, s'il m'est permis, M. le Président, de remonter quelque peu en arrière, je vous dirai que c'est la deuxième fois que le comté de Rimouski reçoit cet honneur dans la personne de son représentant. Il y a 22 ans, en effet, le jeune député d'alors qui faisait ses débuts dans cette même enceinte parlementaire en proposant, comme je le fais aujourd'hui, l'adresse en réponse au discours du trône, venait aussi d'être élu pour le comté de Rimouski. Je porte son nom.
C'était en 1890. Comme aujourd'hui, le Parti libéral administrait avec éclat et succès les affaires de la province. Comme aujourd'hui, il avait à sa tête un chef qu'il était fier de suivre, le grand patriote dont la statue se dresse depuis peu devant ce parlement dont le chef du gouvernement actuel est le successeur et l'héritier à double titre.
Bien des événements se sont succédé depuis. Le Parti libéral a eu ses jours ensoleillés de victoire et il a aussi connu les jours sombres de la défaite. Mais, en toute occasion, il est resté fidèle à ses principes et à son programme, et c'est cette constance et cette fidélité qui lui ont vite reconquis et conservé la faveur populaire.
La tâche d'examiner sommairement la politique générale du gouvernement et le programme de la présente session, tel qu'indiqué dans le discours du trône, m'est rendue particulièrement facile et agréable par le fait que cette politique vient de sortir victorieuse de la récente consultation électorale.
Le Parti libéral, semblable à Antée, qui reprenait vigueur au contact de la terre1, a reçu de son contact avec l'électorat de nouvelles forces. C'est que le peuple est la source première des idées, des traditions et de l'esprit du véritable libéralisme.
La raison de ce succès magnifique est facile à trouver. Le gouvernement a rempli les promesses faites à l'électorat. Les électeurs sont restés fidèles à leurs élus, parce que les élus sont toujours restés fidèles à eux-mêmes.
Un député de l'opposition: Très bien2!
M. Tessier (Rimouski): Nous n'avons pas, en effet, un programme pour la période électorale et un autre pour les assemblées délibérantes. Nous considérons qu'un parti qui abandonne son programme est comme une armée qui abandonne son drapeau; il peut encore représenter des passions, des intérêts, des appétits; il ne représente plus des principes. Pour nous, le premier des principes, c'est de ne jamais promettre que ce que nous pouvons tenir.
Aussi l'électorat de cette province a-t-il tenu compte au gouvernement de tout ce qu'il avait fait pour lui et il a une fois de plus proclamé solennellement la confiance dans une politique raisonnée et sage qui a su réaliser tant de bonnes mesures et saura préparer de nouveaux progrès.
Et je me permettrai, M. le Président, de faire ici une constatation pour moi très importante: c'est que, dans la dernière lutte électorale, le support est venu au gouvernement de toutes les parties et de toutes les classes de la province, comme de toutes les races et de toutes les croyances.
Il lui est venu de l'ouvrier et de l'artisan des villes, reconnaissant de la fondation de ces magnifiques écoles et de la protection que lui accorde, contre les risques inhérents à son travail, la loi équitable votée par cette Chambre durant le dernier Parlement; de la classe moyenne et de la classe aisée, à cause de la magnifique situation financière de la province. Il lui est surtout venu, ce support, de l'agriculteur, reconnaissant pour l'amélioration de la voirie rurale et les multiples encouragements donnés à sa noble profession, et du colon, satisfait de l'essor donné à la colonisation et de la bienveillance du gouvernement à son égard.
Ce support est aussi venu au gouvernement de nos concitoyens de race et de religion différentes, affirmation éclatante de la justice et de l'impartialité avec lesquelles sont traitées toutes les minorités en cette province.
Le résultat manifeste de cette consultation électorale, c'est que le peuple de cette province veut voir se poursuivre l'oeuvre commencée, et cette Chambre constatera avec plaisir, en le lisant, que le discours du trône témoigne de l'intention du gouvernement de ne pas s'arrêter en chemin et de continuer son oeuvre.
Ce regain de vigueur, résultat des élections, se manifestera donc - j'en ai la certitude en parcourant le discours du trône - par de nouvelles lois bienfaisantes et une législation progressive en matière d'éducation, d'agriculture et de colonisation.
La Chambre n'attend pas de moi que je traite à fond, à cette heure, toutes les questions importantes mentionnées dans le discours du trône.
Lorsque ces questions seront soumises à cette Chambre, elles seront, j'en ai la conviction sincère, examinées et discutées par les deux partis avec la dignité et le calme qui conviennent et résolues pour le plus grand bien de notre chère province, que tous nous plaçons au-dessus de notre parti politique respectif.
Ce qu'il importait de constater, c'est que le gouvernement entend continuer son oeuvre et ne pas s'arrêter en chemin. Le progrès sera son mot d'ordre.
Le discours du trône nous indique suffisamment qu'il continuera, dans le domaine de l'agriculture, de l'éducation et de la colonisation, la politique claire, précise et loyale qui a déterminé vers lui, dans l'électorat, un courant de confiance et d'estime.
Un grand résultat est déjà acquis, à la vérité, mais le gouvernement n'a pas terminé sa tâche et il ne serait pas fidèle aux traditions du Parti libéral s'il n'était l'adversaire déclaré d'un statu quo routinier.
Éducation, agriculture, colonisation, telles sont les grandes questions qui continueront d'occuper l'attention de cette Chambre et du pays; telles sont aussi les questions vitales pour la province de Québec et desquelles dépend absolument son avenir.
Toute l'oeuvre passée du gouvernement et tout ce qui lui reste à faire tient dans ces trois mots.
Le gouvernement, soucieux de l'avenir, veut donner aux générations nouvelles un enseignement approprié à l'oeuvre industrielle, commerciale, agricole, un enseignement qui pousse et prépare l'action, d'autant plus nécessaire maintenant que les découvertes de la science ont profondément modifié les conditions de la vie et que le règne du commerce et de l'industrie est advenu.
Il veut améliorer le sort de ceux qui se dévouent à l'éducation de l'enfance et il n'y aura pas une voix dans la province pour l'en blâmer. Cela n'est que juste. L'avenir de la province dépend des générations nouvelles que les instituteurs élèvent dans nos écoles.
Il y a sans doute encore beaucoup à faire dans la voie du progrès, de nombreuses réformes à accomplir. La fréquentation des écoles n'est pas ce qu'elle devrait être et les statistiques révèlent malheureusement un état de choses qu'il serait coupable de chercher à cacher, puisqu'il faut connaître toute l'étendue du mal pour le guérir: c'est qu'il y a dans cette province de trop nombreuses abstentions de l'école. Le mal étant connu et étudié, j'ai confiance que le remède sera appliqué sans faiblesse.
Il y a encore la question de la gratuité des livres.
Toutes ces questions, M. le Président, méritent d'être mises sérieusement à l'étude et loyalement discutées.
Elles doivent être abordées fermement, avec de part et d'autre le respect le plus profond pour toutes les convictions loyales, même les plus éloignées des siennes, car celui-là ne sait pas bien toutes les raisons qu'il a de défendre ses propres idées qui ne comprend pas et ne respecte pas celles de ses contradicteurs. Et j'ai la conviction très forte, M. le Président, que c'est dans cet esprit que tous les membres de cette Chambre discuteront ces questions.
Cette Chambre et le pays espèrent donc, M. le Président, que le gouvernement poursuivra avec persévérance l'amélioration de notre système d'éducation, sans imprudence, mais sans timidité, tout en restant fermement attaché aux institutions libérales et prêt à défendre contre toute atteinte les droits de la société civile.
L'expérience des élections générales récentes prouve que cette ligne de conduite a l'approbation non équivoque de l'immense majorité des électeurs de cette province.
Quant à l'agriculture et à la colonisation, comme représentant d'un comté agricole, je suis heureux de féliciter le gouvernement du développement donné à l'agriculture et de l'essor donné à la colonisation, ces deux grands facteurs de notre prospérité.
La voirie perfectionnée, l'encouragement aux sociétés d'agriculture et à l'industrie laitière, l'ouverture d'écoles ménagères, la protection et l'aide du vrai colon: voilà l'oeuvre accomplie jusqu'à présent.
Évidemment, tout n'est pas encore parfait, mais le discours du trône nous laisse voir que le gouvernement entend ne pas s'arrêter en chemin, qu'il se propose d'apporter à chaque mal le remède nécessaire et qu'il est résolu à ne pas s'immobiliser dans la contemplation du passé.
Le discours du trône en est le sûr garant et le gouvernement peut compter sur l'appui de cette Chambre et du pays pour toutes les mesures tendant à améliorer le sort de l'agriculture et du colon.
Je suis sûr, M. le Président, que c'est aussi l'intention du gouvernement de réaliser ces réformes et ce progrès tout en les subordonnant aux nécessités supérieures de l'équilibre budgétaire, et je me plais à redire ici que jamais la situation financière de notre province n'est apparue plus brillante et plus solidement établie qu'à l'heure actuelle.
Avant de reprendre mon siège, je ne puis passer sous silence un autre fait mentionné dans le discours du trône: je veux parler de l'inauguration solennelle des monuments élevés tout près de cette enceinte à la mémoire de Mercier et Garneau.
Un peuple qui honore ses grands hommes s'honore lui-même, et il convenait, je crois, de signaler l'heureuse initiative du gouvernement en élevant au grand Canadien que fut Mercier cette statue, digne hommage de ses compatriotes.
Je me permets de formuler le désir, déjà exprimé, je crois, devant cette Chambre, que dans un avenir rapproché d'autres monuments seront élevés à Chapleau, Joly de Lotbinière, Chauveau.
Tout comme Mercier, ils en sont dignes. Ces grands hommes ont dû siéger avec éclat dans cette Chambre où bien des fois leurs voix éloquentes se sont fait entendre, toujours au service des causes les plus hautes. Mercier, Chapleau, Joly, Chauveau, ces hommes n'appartiennent pas seulement à leur parti, ils appartiennent au pays. C'est qu'ils furent de leur pays avant d'être de leur parti.
Mais, M. le Président, il est d'autres monuments que ceux de granit et de bronze, et c'est un de ces monuments que les gouvernements libéraux de cette province ont commencé à édifier et dont le gouvernement actuel, suivant l'exemple de ses devanciers, continue la construction avec constance et énergie. Sur les quatre côtés de ce monument sont inscrits ces mots qui caractérisent l'oeuvre accomplie par le Parti libéral: Éducation, Agriculture, Colonisation, Finances. Oui, l'éducation tirée du marasme; l'agriculture sortie de l'ornière où elle était embourbée; la colonisation encouragée et développée; les finances restaurées.
Un tel monument est plus durable et plus solide que l'airain; il a sa base dans l'estime, la confiance et l'affection du peuple.
Et c'est pourquoi, dès à présent, le gouvernement de cette province et son chef distingué peuvent redire avec vérité ce vers du vieil Horace: "Eregi monumentum aere perennius." J'ai achevé un monument plus durable que l'airain3.
M. Scott (Compton4): M. l'Orateur, en me levant pour seconder l'adresse en réponse au discours du trône, j'aimerais remercier Son Honneur le lieutenant-gouverneur et féliciter le proposeur, le député de Rimouski, pour son habile et éloquent discours. J'aimerais également remercier le premier ministre qui a bien voulu me faire l'honneur, ainsi qu'à mon comté, de me désigner pour seconder cette motion. J'aurais cependant certainement décliné cet honneur si je n'avais été assuré de pouvoir compter sur l'indulgence de mes collègues pour ce premier discours qu'il m'est donné de prononcer.
Tous les députés peuvent être fiers de donner leur appui à l'administration actuelle qui est synonyme d'efficacité et de prospérité. Personne ne doute que le gouvernement actuel est le meilleur que la province ait jamais eu dans toute son histoire; la population l'apprécie et elle l'a clairement démontré lors de la dernière campagne électorale, en mai, en le réélisant avec une majorité plus forte que jamais. Nulle part dans la province de Québec n'apprécie-t-on davantage notre bon gouvernement que dans les Cantons de l'Est, ma région natale, et la population est de toute évidence satisfaite puisque tous les députés élus dans cette région sont des partisans du gouvernement.
Je suis heureux de voir qu'il est fait mention, dans l'adresse, du congrès tenu à Québec, l'été dernier, pour l'étude et le perfectionnement de la langue française. Je crois exprimer le sentiment de la population de langue anglaise qui habite cette province en disant que, comme la langue française est celle de la majorité dans cette province, tout mouvement pour son amélioration sera apprécié par chacun.
Il m'a plu d'apprendre que le gouvernement avait accordé un octroi spécial de $3,000 à la demande de la population de langue anglaise elle-même, et j'espère que cet octroi sera permanent et qu'on l'augmentera, si possible, pour aider à l'enseignement du français dans les écoles anglaises. Je suis moi-même moitié anglais, moitié français et, comme tel, je prends la liberté de juger les sentiments des deux races, et suivant moi, il n'y a pas de manière plus propre à augmenter l'intimité des deux races qu'en enseignant le français aux Anglais.
Le discours du trône fait aussi mention de la commission nommée pour faire enquête sur la vente des boissons enivrantes, et j'attire l'attention des membres de cette commission sur le mal causé par la vente des spiritueux dans les épiceries des villes. C'est la cause d'un grand nombre de cas d'ivrognerie parmi les femmes, car par ce moyen il est facile aux femmes et aux enfants, en achetant des aliments, de se procurer de la boisson. C'est presque comme en mettre sur la table dans chaque maison. J'espère que les commissaires examineront soigneusement cet aspect de la question, mais il est trop tôt pour soulever une discussion à ce sujet. Le gouvernement a pris une bonne initiative en référant toute la question du trafic des liqueurs à une commission indépendante et son rapport sera attendu de tous avec un profond intérêt.
Je félicite le gouvernement sur la façon dont il fait progresser l'instruction dans la province. Il n'y a pas de politique plus progressive que l'instruction et tout pays ou province qui vaut quelque chose aujourd'hui le doit largement à l'instruction. Il a été fait plus pour l'instruction par le gouvernement actuel que par tout autre. Les octrois ont été augmentés pour les écoles de district et un octroi spécial est donné aux inspecteurs, qui est distribué comme prime à l'efficacité de l'enseignement dans chaque district. Le mouvement pour l'amélioration des écoles rurales est un autre fait encourageant. Au lieu de plusieurs écoles inférieures dans chaque district avec des professeurs inexpérimentés, on fait un effort pour avoir une école bien outillée, avec des professeurs compétents, où les enfants seront transportés.
Durant les cinq dernières années, le nombre des écoles modèles a augmenté de 30% et leur efficacité de 50%. Cela est dû grandement aux efforts du gouvernement pour donner aux enfants de meilleurs instituteurs. Les écoles techniques de Montréal et de Québec ont donné aux jeunes gens les moyens d'obtenir une formation dans tous les domaines de la mécanique. Et, avec les écoles des hautes études commerciales que le gouvernement a instituées à Montréal, nous avons lieu de croire que tous nos jeunes Canadiens auront là la meilleure occasion de se qualifier dans leur propre province et d'obtenir par la suite les meilleures positions au monde.
Durant ces dernières années, les octrois aux municipalités pour encourager l'augmentation des traitements aux instituteurs à la campagne ont produit d'heureux résultats. Le gouvernement en mérite des félicitations. Dans les Cantons de l'Est et dans les autres parties de la province, il y a des augmentations notables de ces traitements des instituteurs à la campagne et nous espérons que les professeurs de la province recevront bientôt un salaire digne de leur importante vocation. Et on appréciera davantage l'oeuvre du gouvernement en faveur de l'éducation quand on constatera que durant les années 1905-1906 on a dépensé une somme de $534,460 et que la somme votée pour la présente année fiscale a été de $1,216,597.
Il n'y a rien qui contribue davantage à l'avancement de l'agriculture et de la colonisation que les bons chemins. Le gouvernement l'a compris et il a pris les moyens pour que les municipalités puissent se procurer l'argent dont elles auront besoin pour améliorer leurs chemins. Tout ce que l'on demande à la municipalité c'est qu'elle paie la moitié des intérêts sur une période de 41 ans, tandis que le gouvernement s'engage à payer tout le capital et l'autre moitié des intérêts. Cette politique est très populaire et un grand nombre de municipalités s'en prévalent. Ce n'est qu'une question de quelques années avant que nous ayons de bons chemins en permanence dans toute la province de Québec. Je crois que la loi serait encore plus efficace si le gouvernement se rendait entièrement responsable des emprunts autorisés en vertu de la présente loi.
Le discours du trône fait référence au paiement du reste de l'emprunt de 1882. Il faut féliciter le gouvernement pour le succès qu'il a obtenu avec sa politique financière au cours des 15 dernières années. Durant cette période, les sources de revenus de la province ont permis de réduire considérablement la dette et il est gratifiant pour ceux qui ont les intérêts de la province à coeur, de voir qu'au cours du mois de juillet dernier le trésorier a pu payer $2,400,000 avec les surplus accumulés, sans avoir à contracter un nouvel emprunt. C'est la première fois dans l'histoire de la province que l'on obtient un résultat semblable et la province de Québec est la seule, jusqu'ici, à avoir réussi à accomplir cela depuis la Confédération. Cela renforcera considérablement son crédit auprès des marchés financiers internationaux si plus tard il lui faut négocier un emprunt permanent.
Nous voyons partout des signes de prospérité, de croissance et de développement dans la province de Québec; des progrès constants sont réalisés, tant au point de vue démographique qu'au point de vue des ressources, et la province occupera bientôt le premier rang dans la Confédération.
Il n'y a pas de doute que l'administration actuelle est la meilleure qu'ait eue notre province. Souhaitons que cette situation se continue encore longtemps et que notre province occupe le premier rang pour toujours le conserver.
M. l'Orateur, j'éprouve beaucoup de plaisir à seconder la motion de l'honorable député de Rimouski.
M. Tellier (Joliette) félicite les proposeur (M. Tessier) et secondeur (M. Scott) non seulement pour continuer l'usage, mais parce que tous deux se sont particulièrement bien acquittés de leur tâche.
Le député de Rimouski (M. Tessier) s'est tenu à la hauteur de la réputation des membres de sa famille qui l'ont précédé dans l'enceinte parlementaire. Il a le droit d'être fier de son succès, bien digne, en effet, de celui que son père avait remporté en pareille circonstance, il y a 22 ans.
Quant au discours du trône, il m'enthousiasme moins. Beaucoup de mots et peu d'idées. Il contient, comme toujours, ce que le gouvernement ne fait pas au lieu d'être un exposé véridique de la politique ministérielle. Rien de neuf et beaucoup de réchauffé, voilà en deux mots le résumé du discours du trône que le gouvernement met dans la bouche de notre vice-roi. C'est maigre et c'est chiche, mais il faut bien accepter ce que la main mesquine d'un premier ministre soi-disant libéral offre en pâture aux élus du 15 mai dernier.
Est-ce pour cela que le proposeur l'ignore presque complètement et lui a substitué un dithyrambe sur le respect du Parti libéral pour son programme? C'est une théorie à laquelle il a cessé de croire depuis longtemps et dont quelques-uns, même du côté ministériel, doutent. Vieillir est un triste avantage qui a ses compensations. Vingt années d'expérience politique me rappellent bien des gouvernements et plusieurs programmes.
Il y a longtemps que je ne crois plus que le programme du Parti libéral soit le même, avant comme après les élections, et au pouvoir comme dans l'opposition.
Que de choses l'on avait promises au peuple, de 1892 à 1897, qui sont encore écrites peut-être dans la charte libérale, mais que le gouvernement ne veut pas ou n'ose pas réaliser! On avait promis d'abolir les taxes. Elles sont aujourd'hui quatre fois plus lourdes que du temps des "taxeux".
On avait juré la mort du Conseil législatif qu'on attaquait et considérait comme un lien inutile et dispendieux avec le gouvernement. D'ailleurs, n'est-ce pas un député de la famille Tessier qui a déjà présenté une motion visant à abolir le Conseil législatif et Spencer Wood? Mais, lorsque les libéraux ont pris les rênes du pouvoir, ils ont vite relégué aux oubliettes l'abolition de la Chambre haute.
Il avait l'impression, étant donné que la division de Lanaudière avait été laissée vacante si longtemps, que le gouvernement était décidé d'abolir graduellement le Conseil en ne comblant pas les sièges à mesure qu'ils devenaient vacants. Mais, à sa grande surprise - c'était trop beau pour être vrai - et probablement à la surprise générale, le gouvernement a décidé, il y a quelques jours, d'offrir ce siège à M. Bérard, avocat et ex-associé du premier ministre de cette province5, alors qu'il avait été laissé vacant durant deux ans après le départ du député de Drummond (l'honorable M. Allard). Il fallait, sans doute, obliger les amis.
On avait dit au peuple que Spencer Wood coûtait trop cher et qu'il fallait abolir son budget, mais ce budget augmente d'année en année et l'on semble ignorer complètement la promesse téméraire de 1897.
Et en matière d'instruction publique? Le député de Montréal-Saint-Louis (M. Langlois) pourrait en dire plus long que moi sur la fidélité du Parti libéral à remplir les promesses qu'il a faites avant de prendre le pouvoir. J'ai hâte de savoir ce que le gouvernement va faire des revendications du député de Saint-Louis sur ce chapitre.
En somme, le discours du trône n'est que du réchauffé, excepté le paragraphe concernant la pluie et le beau temps. Ce sont les mêmes vantardises depuis 10 ans.
Mais passons sous silence tant de serments trahis ou oubliés pour constater si les méthodes administratives du gouvernement libéral sont en progrès. On dépense beaucoup d'argent soi-disant pour l'éducation. Ce serait très bien si les ministres, en dispensant des subsides, pouvaient mettre de côté les mesquines considérations de politique et de parti. Ne s'est-il pas trouvé un certain M. Devlin pour aller faire entendre aux électeurs de Joliette que, pour avoir une école normale, il serait convenable qu'ils cessent de voter pour le chef de l'opposition? De plus, le gouvernement manque de générosité dans la création de ces écoles. Il ne fait guère mieux que d'accorder un subside aux communautés religieuses qui veulent bien construire à leurs frais des écoles normales dont le premier ministre s'attribue ensuite tout le mérite. Ces subventions sont de $6,000 par an et avec cela une institution se charge de construire l'école, de donner un certain nombre de bourses et de donner l'enseignement. Il faut souvent que les corporations publiques et privées viennent au secours des communautés pour leur permettre de fonder les écoles dont nous avons besoin pour l'instruction des jeunes filles qui se destinent à l'enseignement. À Joliette, la municipalité et l'évêché ont été obligés de mettre la main au gousset pour rendre acceptable à une institution locale l'octroi du gouvernement.
Quant aux 40 subventions accordées à des académies commerciales, elles apparaissent bien dans les documents publics comme ayant été payées par le gouvernement, mais le rapport du surintendant de l'Instruction démontre de son côté qu'il n'y a pas 40 maisons qui suivent le cours commercial que sont censées donner ces académies. C'est-à-dire que le gouvernement encourage la construction de belles bâtisses, mais qu'il néglige l'esprit enseignant qui devrait les habiter. Ici encore, les soucis électoraux font que ces octrois sont distribués surtout dans le but de capter les votes en telle ou telle paroisse plutôt que pour donner un généreux élan à la cause de l'éducation.
Lors de la dernière campagne électorale, les candidats libéraux en ont eu long à dire, sur les "hustings", à propos des deux importantes questions de la colonisation et de l'agriculture. Le discours du trône dit aussi que la colonisation et l'industrie laitière sont en progrès. Il le dit, mais ne le prouve pas. Comme question de fait, l'on constate que le nombre d'acres de terre concédés pour les fins de la colonisation va toujours diminuant chaque année.
En 1908, on en a vendu 292,000 acres; en 1909, 220,000 acres; en 1910, 124,000 acres et en 1911, 119,000 acres. Des progrès ont été réalisés, mais dans la mauvaise direction.
Le colon devient un sujet très rare. On ne donne plus de lettres patentes aux colons qui en font la demande. À vrai dire, on se contente quelquefois d'accorder quelques-unes de ces lettres à des colons qui les ont demandées depuis des années.
Le problème provient du fait que l'on s'entête à mettre deux maîtres sur les mêmes lots, le maître du sol et le maître du bois, dont les intérêts sont opposés. Et le gouvernement sacrifie toujours le premier au second, parce que le second est son ami généreux dans les temps d'élections.
Que le gouvernement adopte plutôt la sage politique de séparer le domaine de la colonisation du domaine forestier et on enlèvera ainsi les entraves à la colonisation.
Sa politique en matière agricole n'a certainement pas été un succès l'an dernier, parce que nos exportations sont considérablement réduites par rapport à celles de l'année antérieure. La principale industrie agricole de cette province, l'industrie laitière, n'est-elle pas aussi plus prospère en apparence qu'en réalité? Les cultivateurs vendent les produits laitiers plus cher qu'autrefois, c'est vrai, mais, d'autre part, des statistiques indiquent que nos exportations de beurre et de fromage diminuent. Là encore, où est le progrès? On parle de l'organisation d'un bureau de statistiques. J'espère qu'on n'oubliera pas la statistique agricole.
Le gouvernement se propose d'amender la loi des chemins. L'opposition n'a pas combattu ni critiqué le principe de cette loi, mais elle a déclaré que le gouvernement laissait trop à l'initiative des municipalités pour que sa politique de voirie soit jamais effective. Il n'y a guère que deux coins de la province qui profitent des avantages de la loi des chemins. On devrait la modifier de façon à ce que tout le monde en profite sur la rive nord comme sur la rive sud du Saint-Laurent et, pour cela, il faudra que le gouvernement assume une initiative plus grande, et c'est son devoir de le faire.
Que dire maintenant des rapports de commissions spéciales que le gouvernement dépose ou promet de déposer sur le parquet de la Chambre? Il soumet le rapport du comité chargé de la refonte du code municipal, mais il ne nous dit pas ce qu'il se propose d'accepter des suggestions faites par les commissaires. Il refuse ici encore d'assumer la part de responsabilité qu'un gouvernement doit prendre pour lui et il laisse à la députation de lui suggérer ce qu'il y a de bon et de nuisible aux Chambres; le gouvernement se tient à la disposition de ceux qui voudront prendre la peine de lui indiquer ce que l'on pourrait faire.
Une autre commission travaille, c'est celle des licences. Et les ministres, que font-ils? Chaque fois qu'une question embarrassante se présente, au lieu de penser par eux-mêmes, ils font penser les autres, mais c'est la province qui paye. Cela permet souvent de donner des places à des amis. Quelle autorité plus compétente, pourtant, que celle du Trésor pour juger des lacunes ou des avantages de la loi des licences?
J'ai déjà dit ce que je pensais de l'érection du monument Mercier. On a voulu devancer le jugement de l'histoire en élevant prématurément un monument à la mémoire d'un homme dont la carrière et les idées sont encore très discutées. Il n'en est pas de même du monument élevé à la mémoire de Garneau par l'intelligente et patriotique générosité de M. Amyot. Le geste du grand industriel québécois est une vraie leçon donnée aux hommes du pouvoir. Il a accompli à lui seul le devoir qui incombait au gouvernement, celui de faire les honneurs du bronze à l'une des gloires sans tache de notre race. C'est le premier ministre qui aurait dû proposer l'érection du monument Garneau et ce sont les députés libéraux qui auraient dû payer de leurs deniers la statue élevée à l'ancier chef de leur parti.
Le discours du trône laisse entendre que la province n'emprunte plus et que nous payons même une partie de nos dettes avec nos revenus. Ce n'est pas l'exacte vérité, bien loin de là! Nous avons payé une partie de nos dettes depuis cinq ans, c'est vrai; mais nous l'avons payée avec les millions reçus du Pacifique et du gouvernement fédéral qui nous devaient eux-mêmes des sommes considérables. À un moment donné, le Canadien Pacifique devait $7,000,000 à la province, tandis que le gouvernement fédéral devait $2,394,000, pour un total de $9,394,000, et les intérêts sur ces montants ont été payés. Pourtant, si nous avons réduit notre passif, c'est en réduisant aussi notre actif et c'est comme si l'on n'avait absolument rien fait. Et, lorsque le gouvernement se vante de ne plus emprunter, il trompe le peuple délibérément. Il n'ose pas emprunter, mais il garantit les obligations d'intermédiaires qui empruntent pour lui, et il paye même en tout ou en partie les intérêts sur ces sommes ainsi empruntées. C'est ainsi que l'on garantit l'emprunt nécessaire à l'amélioration de la voirie et les emprunts pour la construction des grosses bâtisses, telles que la prison de Bordeaux et l'École des hautes études. Si toutes les obligations contractées par la province par des intermédiaires étaient mises au compte du passif, au lieu d'une diminution de la dette, il y aurait augmentation considérable. C'est, en somme, en mettant le peuple sous de fausses impressions de ce genre que l'on a obtenu les succès que l'on attribue à la politique du gouvernement et que le gouvernement a pu remporter la victoire en mai dernier.
Le peuple a jugé, c'est vrai, mais le peuple révise parfois ses jugements et, quand il se rendra bien compte jusqu'à quel point l'on abuse de sa confiance, il se ressaisira et rendra un verdict bien différent de celui de mai dernier.
Je souhaite au gouvernement de comprendre bientôt que la chose publique doit être administrée avec des méthodes d'affaires aussi rigoureuses que celles qui font la fortune des corporations privées.
L'honorable M. Gouin (Portneuf et Saint-Jean): Je suis particulièrement heureux de féliciter le proposeur et le secondeur de l'adresse en réponse au discours du trône. Ils ont fait de très beaux et de très éloquents discours.
Ce n'est pas parce que c'est l'habitude que j'accomplis ce devoir envers les deux nouveaux députés qui ont fait si brillamment leurs débuts dans l'enceinte parlementaire. Ils ont mérité tous les éloges; ils se sont acquittés de leur tâche de façon admirable.
Le député de Rimouski (M. Tessier) n'est pas un étranger en cette Chambre: il appartient à une ancienne lignée qui a tracé dans la carrière publique la route qu'il a si bien suivie. Les Tessier ont laissé dans les annales parlementaires un souvenir qui attache et que l'on respecte. Le député de Rimouski est leur héritier à juste titre: son éloquence, son assurance, sa fermeté, sa prudence, lui font honneur. Il est évident que la lignée a encore progressé; j'en félicite sa famille, son comté et sa province.
Le secondeur n'a pas eu moins de succès. Il appartient au groupe de nos concitoyens qui ont si éloquemment parlé, le 15 mai dernier, dans les Cantons de l'Est. Il vient de cette partie de la province dont les gens disent avec raison qu'elle est le jardin de la province de Québec. Nous constatons qu'il y a unanimité de pensée dans les Cantons de l'Est: le goût des couleurs est évidemment aussi le même dans ce jardin puisque tous les députés qui en viennent sont des libéraux. À tous comme à tous les nouveaux députés en cette Chambre je souhaite la plus cordiale bienvenue parmi nous.
Je salue aussi avec beaucoup de plaisir le retour du chef de l'opposition à son siège. Je souhaite de l'y voir encore longtemps, aussi longtemps du moins qu'il résistera aux voix qui l'appellent sur d'autres rives, d'après ce que nous disent les rumeurs. Le chef de l'opposition a chanté la même chanson au sujet du discours du trône: il le trouve très maigre. Pour lui le passé n'est rien et l'avenir ne l'occupe guère. Nos amis de la gauche sont juges de première instance. Il y a lieu d'appel de leur jugement; mais le peuple est le juge suprême dont le jugement est sans appel. C'est lui qui juge en dernier ressort et c'est lui qui nous a donné le témoignage que nous avions une excellente administration.
Le peuple aux dernières élections a approuvé non seulement notre politique depuis que nous avons directement les rênes du pouvoir, mais celle de toutes les administrations depuis 1897 dont nous avons accepté la succession sans bénéfice d'inventaire. Le 15 de mai, nous avons eu le témoignage que nous avions raison de nous réclamer de ceux qui nous ont précédés comme de compter sur les oeuvres de notre propre administration. On dit que nous avons deux politiques, une dans l'opposition et une autre au pouvoir. Quel article de notre programme avons-nous renié aux dernières élections? Quelle partie n'avons-nous pas réalisée? Des taxes, on nous chante la même chanson, que nous les avons augmentées en dépit de nos engagements. Le chef de l'opposition a parcouru la province en chantant ainsi. Le peuple nous a entendus à notre tour. Nous lui avons exposé notre dossier et notre administration. Il a jugé que les récriminations de nos adversaires n'étaient pas fondées et que nous avions accompli les promesses libérales faites depuis 1897.
On nous reproche de n'avoir pas aboli le Conseil législatif, tandis que c'était, dit-on, un article de notre programme dans l'opposition. Mais sommes-nous allés devant le peuple dans les dernières consultations populaires avec le projet d'abolir le Conseil? C'est là la question. Il n'y a pas que le Parti libéral qui ait exprimé le désir un jour d'abolir le Conseil législatif. En 1879, le Parti conservateur manifestait ce désir par l'entremise de M. Mathieu, devenu juge plus tard6. Le chef de l'opposition est-il lui-même en faveur de cette abolition? Il y a sept ans que nous n'avons pas promis de l'abolir et le peuple a jugé que nous avions raison de maintenir cette attitude.
Quant au nouveau titulaire pour le siège de Lanaudière, c'est un bon citoyen, un homme respectable, un avocat de valeur, qui a du jugement et une excellente réputation. Avant longtemps, le chef de l'opposition et ses collègues seront à même de nous féliciter de ce choix que nous avons fait dans la personne de l'honorable L.-P. Bérard. Quand cette vacance se prolongeait, le chef de l'opposition critiquait; maintenant qu'elle est remplie, il trouve encore à redire.
Le chef de l'opposition prétend aussi que l'abolition de Spencer Wood est dans le programme des libéraux. Je siège ici depuis 1897 et je n'ai jamais été en faveur de l'abolition de Spencer Wood. Moins que jamais suis-je disposé à voter une telle mesure. Depuis la dernière session, j'ai visité presque toutes les provinces de la Confédération et j'ai constaté que toutes, elles se font un point d'honneur de donner à leur lieutenant-gouverneur une résidence convenable. C'est surtout le cas d'Ontario qui vient de vendre l'ancienne résidence de son lieutenant-gouverneur et qui lui en construit une autre de plus de $1,000,000. Il en est de même de Winnipeg, de Victoria. En tenant compte de notre situation au seuil même de notre pays, il faut admettre que nous ne pouvons pas consentir à donner à notre lieutenant-gouverneur une résidence moins convenable que celle des autres provinces de la Confédération. Pourquoi en serait-il autrement pour Québec?
Quant au programme scolaire de 1897, nous avons fait tout notre possible pour le mettre en pratique. Nous n'avons rien renié de ce programme dans cette province. Nous pouvons démontrer que depuis 1905 nous avons dépensé plus que tous les gouvernements antécédents. En 1905, le gouvernement dépensait $483,000; en 1911, $989,000 et en 1912, $1,300,000. En 1910, il y avait dans cette province 225 institutrices qui recevaient un traitement moindre que $100 par année. En 1911, il y en avait 105. En 1912, d'après les statistiques recueillies jusqu'ici, il n'y a qu'une institutrice qui reçoive un traitement annuel moindre que $100 et c'est dans une école de Témiscouata.
Les écoles d'agriculture ont eu leur large part de l'encouragement du gouvernement pour l'instruction des jeunes gens. Les écoles d'Oka et de Sainte-Anne de la Pocatière ont reçu de nouvelles subventions qui leur ont permis d'améliorer leur situation. Le nombre des élèves a augmenté. Il y a trois ans, nous n'avions pas 100 élèves dans nos trois écoles d'agriculture. Il y en a maintenant 200. L'école de Sainte-Anne a été inaugurée il y a trois semaines, l'école nouvelle que l'on doit à la générosité du gouvernement. Il y a quatre ans, il n'y avait pas 25 élèves; maintenant il y en a plus de 72 et l'on doit en refuser. Il y a quatre ans l'école de Saint-Hyacinthe avait seulement 200 élèves; en 1911, elle en avait 324; en 1912, 658. Il en est de même des écoles ménagères qui font des progrès appréciables.
Les écoles techniques et l'École des hautes études commerciales, qui n'existaient pas en 1905, ont dépassé nos espérances. Le nombre des élèves y est plus considérable que celui que l'on avait espéré à pareille date. Les élèves du jour et du soir dans ces écoles sont au nombre de plusieurs centaines actuellement. Il y a 56 élèves à l'École des hautes études commerciales, 540 à l'École technique de Montréal et 309 à celle de Québec.
Les académies sont maintenant au nombre de 40. On nous dit que quelques-unes ne se conforment pas à la loi et qu'elles reçoivent quand même l'octroi qui leur est destiné. Nous sommes en mesure d'affirmer que toutes seront en état de se conformer à la loi sous peu et que dans le cas contraire leur subvention leur sera enlevée.
Nous ne regrettons aucun des octrois accordés au point de vue de l'éducation. Nous n'avons pas regardé à la couleur des requérants. Les subventions ont été égales à tous ceux qui les ont demandées.
La colonisation fait aussi des progrès et nos adversaires refusent de l'admettre. Comme preuve, je puis citer le témoignage de l'abbé I. Caron, missionnaire colonisateur dans l'Abitibi. Il en est de même dans tous les centres de colonisation. Il se donne actuellement beaucoup plus de lettres patentes depuis 1905 qu'il n'en a été octroyé avant cette date. Alors qu'on n'accordait que 682 titres en 1897, on en donnait 1,899 l'an dernier.
M. Tellier (Joliette): Et qu'est-ce que cela prouve?
L'honorable M. Gouin (Portneuf et Saint-Jean): Qu'est-ce que cela prouve!
M. Tellier (Joliette): Oui, vous savez bien que vous pouvez donner et que de fait vous donnez des titres à des terres occupées depuis 25, 50 et même 100 ans.
L'honorable M. Gouin (Portneuf et Saint-Jean): Mais c'était la même chose autrefois, et il se donnait beaucoup moins de lettres patentes. La comparaison est de beaucoup favorable à l'administration actuelle. Ce sont tous de vrais colons à qui les terres sont données et qui se dévouent au triomphe de cette cause dans notre province.
Le chef de l'opposition prétend que la province de Québec recule au point de vue de la production du beurre et du fromage. Il se base sur la diminution des exportations. La production augmente. Les statistiques le prouvent. En 1910, le Canada avait une production de 59,875,000 livres de beurre; sur cette quantité, Ontario avait 13,609,000 à son crédit; et la province de Québec, 37,346,000 à elle seule: plus de la moitié de toutes les autres provinces réunies. Le revenu de cette vente a rapporté aux cultivateurs de notre province $10,000,000. Il n'est pas étonnant que le chiffre de ses exportations diminue si l'on considère l'augmentation de notre population et ce que nous vendons aux provinces de l'Ouest dont la production ne peut encore égaler celui de la consommation.
Notre politique des bons chemins va bien. La loi de 1911 a été appliquée à peu près dans tous les comtés de la province, et pas seulement dans les régions éloignées, comme le dit le chef de l'opposition. Jusqu'ici, 273 municipalités ont fait la demande d'emprunt et 106 en ont profité. Cette année, environ $2,000,000 seront dépensés par les municipalités pour l'amélioration de la voirie. C'est l'intention du gouvernement de perfectionner la loi des chemins qui a été adoptée à la dernière session. Le gouvernement se rendra responsable des emprunts des municipalités qui n'auront à payer que leur part d'intérêt, soit 2%, au gouvernement, au lieu des intérêts des institutions financières privées. Nous croyons que de cette façon la loi présentera encore de plus grands avantages.
La Commission du code municipal a fini son travail et le chef de l'opposition prétend que nous devrions accepter son rapport en bloc. Nous ne sommes pas en faveur de cette doctrine. Les commissaires nous soumettront ce rapport et nous en prendrons ce que nous trouverons juste et raisonnable. C'est la Chambre qui doit juger cela, en définitive.
Nous n'avons pas engagé notre liberté de juger la question des licences en créant la commission d'enquête sur les liqueurs enivrantes. Ce sont les députés qui sont responsables au peuple de la législation et le gouvernement, contrairement aux prétentions de l'opposition, n'entend pas laisser à des commissions irresponsables au peuple le droit de légiférer sur une question quelconque. Ces commissions sont chargées de faire les études que tous les députés n'ont pas le temps de faire et de soumettre le résultat de leurs travaux à la Chambre.
Je suis surpris de l'attitude du chef de l'opposition au sujet du monument Mercier. Pourquoi n'a-t-il pas, comme d'habitude, une mentalité plus large? Pourquoi se livre-t-il à des passions trop petites pour lui? Le Parti libéral ne doit rien à la mémoire de Cartier, qui fut même violent et injuste à l'égard des chefs libéraux de son temps, et cependant cela n'a pas empêché un gouvernement libéral, des chefs libéraux, de s'unir et d'aider au mouvement pour lui élever un monument grandiose. Nous n'avons pas hésité à voter de l'argent. Nous nous sommes placés au-dessus des mesquines passions de parti. Je croyais le chef de l'opposition capable d'agir ainsi. En élevant un monument à Mercier, nous n'avons pas devancé le jugement de l'histoire, nous avons simplement obéi à une pulsation du coeur du peuple de cette province. Alors, pourquoi nous le reprocher?
Le chef de l'opposition est disposé à élever des monuments à la gloire de ceux qui écrivent l'histoire et, cependant, il n'était pas à la cérémonie du monument Garneau! Quant à nous, nous avons pensé que, s'il était beau, s'il était grand d'élever un monument à celui qui a écrit notre histoire comme Garneau, il était beau, il était grand d'élever un monument aussi à ceux qui l'ont faite, cette histoire: Cartier et Mercier étaient de ceux-là.
(Applaudissements)
M. l'Orateur lit l'adresse et la met au vote.
Des voix de la droite: Adopté.
L'adresse est adoptée7.
Nomination de l'Orateur suppléant
L'honorable M. Gouin (Portneuf et Saint-Jean) propose, appuyé par le représentant de Drummond (l'honorable M. Allard), que M. Joseph-Adolphe Tessier, député du district électoral des Trois-Rivières, soit nommé président des comités généraux de la Chambre et Orateur suppléant.
Adopté.
Subsides
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose, appuyé par le représentant de Québec-Ouest (l'honorable M. Kaine), que, mardi prochain, cette Chambre se forme en comité pour prendre en considération les subsides à accorder à Sa Majesté.
M. Tellier (Joliette) demande au trésorier (l'honorable M. Mackenzie) quand il prononcera son discours sur le budget.
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) lui répond qu'il sera prêt à le prononcer dans une semaine.
La proposition est adoptée.
Voies et moyens
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose, appuyé par le représentant de Québec-Ouest (l'honorable M. Kaine), que, mardi prochain, cette Chambre se forme en comité pour considérer les voies et moyens de payer les subsides accordés à Sa Majesté.
Adopté.
La séance est levée à 5 h 30.
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NOTES
1. Antée, géant dans la mythologie grecque, fils de Poséidon et de Gaïa (la Terre), reprenait force chaque fois qu'il touchait le sol.
2. Paroles ironiques, selon L'Événement (7 novembre, p. 1), en réponse à un léger lapsus de M. Tessier.
3. Horace, Odes, III, 30, 1.
4. Discours prononcé en anglais (La Presse et L'Action, 7 novembre).
5. M. Louis-Philippe Bérard faisait partie de l'étude Gouin, Lemieux, Murphy, Bérard et Perreault.
6. Il s'agit de Michel Mathieu, député conservateur de Richelieu de 1875 à 1881.
7. Adopté sur division, d'après L'Événement et L'Action; unanimement, d'après Le Soleil et le Devoir.