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Introduction historique-en

23rd Legislature, 4th Session
(November 7, 1951 au January 23, 1952)

Par Olivier Côté

Le Québec, le Canada et le monde

La prospérité économique et la peur du monde communiste modèlent le Québec des années 1951-1952. Encore dominant à cette époque, l'idéal traditionaliste se situe en décalage avec l'industrialisation et l'urbanisation accélérées de la société québécoise et l'émergence d'idéologies modernistes. Les envolées oratoires de Duplessis sur son attachement à la religion catholique, à la langue française, aux origines glorieuses et aux traditions rurales canadiennes-françaises plaisent aux milieux ruraux et cléricaux, milieux cléricaux qui, à l'exception des réformistes jésuites et dominicains, appuient largement l'Union nationale1.

Le haut clergé catholique, pour une grande part de tendance conservatrice, est tout aussi dévoué à la cause duplessiste, le premier ministre tenant mordicus à conserver les prérogatives sociales de l'Église en éducation et en santé2. Mais, en privé, les relations de l'épiscopat avec Duplessis ne sont pas unanimement cordiales, surtout depuis la mort du cardinal Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve en 1947. « Tout l'épiscopat […] subissait de temps à autre les conséquences de la protection jalouse qu'exerçait Duplessis sur les prérogatives de l'État », résume l'historien Conrad Black3.

À la même époque, nombreux sont les intellectuels, les artistes, les syndicalistes et les hommes politiques qui contestent ouvertement le clériconationalisme de Duplessis, sa consécration de l'alliance de l'Église et de l'État québécois, du séculier et du religieux. Des idéologies modernistes, de moins en moins à la marge de la société, circulent dans certains milieux : le néolibéralisme des intellectuels dans la mouvance de Cité libre, du Devoir et du Parti libéral du Québec; le néonationalisme des historiens comme Guy Frégault, Maurice Séguin et Michel Brunet (Université de Montréal) et surtout d'André Laurendeau4, qui mettent au cœur de la problématique nationale les questions sociales et urbaines; les mouvements de gauche – le Parti ouvrier-progressiste, dont l'orientation est communiste; le Cooperative Commonwealth Federation, anticommuniste et social-démocrate –, qui sont durement réprimés par le régime duplessiste5.

La population québécoise s'accroît rapidement. Le Québec compte maintenant quatre millions d'individus, une augmentation décennale de 21,7 %6. Le baby-boom poursuit sa lancée, alors que les femmes âgées de 15 à 49 ans ont en moyenne 3,84 enfants. Pas moins de 25 % des Québécois ont moins de 10 ans. Et, pour la première fois depuis 30 ans, le solde migratoire du Québec est positif7.

D'autres indicateurs confirment la prospérité économique globale de la province de Québec : le taux d'inflation québécois se situe autour de 0,4 %8; la province connaît le plein emploi (taux de chômage de 3,3 %)9. Mais le tout ne profite guère à la classe ouvrière.

Les investisseurs américains peuvent compter sur les conditions généreuses et libérales du gouvernement de Duplessis dans l'extraction des matières premières : un faible taux de taxation, des coûts d'acquisition abordables (masse salariale moindre, coût de l'énergie compétitif) et une législation du travail favorable à l'entreprise privée, qui se traduit par un environnement de travail très stable plutôt réfractaire aux droits des ouvriers. Les demandes de l'industrie de guerre aux États-Unis ont pour conséquence d'augmenter l'investissement de capitaux américains au Québec, particulièrement dans le secteur de l'exploitation des mines de fer. Sur cette thématique, le chef du Parti libéral, Georges-Émile Lapalme, accuse le gouvernement de l'Union nationale, le 11 août 1951, de brader les richesses ferrières de la province au prix dérisoire d'« un sou la tonne », expression qui deviendra le slogan libéral de la campagne électorale de 195210.

On ne compte qu'une moyenne de 35 grèves par année pour la période de 1945 à 1959, comparativement à 70 sous la gouvernance du Parti libéral d'Adélard Godbout, de 1940 à 194411. Tout de même, pour les années 1951-1952, plusieurs grèves d'importance sont enclenchées, soit celle à la compagnie d'aluminium de Shawinigan (24 février 1951), celle à la Singer Manufacturing de Saint-Jean-sur-Richelieu (6 juin 1951) et celle à l'Imperial Tobacco de Montréal et ailleurs (14 août 1951). En décembre 1951, la Wabasso Cottons de Shawinigan ferme son usine à la suite d'un conflit de travail avec le syndicat de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), qui compte le syndicaliste Michel Chartrand parmi ses membres. La Fédération du travail du Québec s'oppose alors aux « unions de boutique12 », inféodées par le patronat. Le cabinet de Duplessis demande, en réaction, à la Commission des relations ouvrières, de vérifier l'indépendance des formations syndicales.

Des projets d'envergure sont entrepris à la même époque. Le 27 mai 1951, Hydro-Québec commence les travaux de barrage dans la rivière Manicouagan. Par ailleurs, le gouvernement fédéral autorise, le 12 décembre 1951, la création d'une entité administrative pour gérer la construction de la voie maritime du Saint-Laurent, laquelle facilitera le transport des matières premières vers les États-Unis lors de son parachèvement en 1959.

À cette prospérité enthousiasmante de l'après Seconde Guerre mondiale, qui marque l'émergence d'une nouvelle société de consommation et des banlieues planifiées, se superposent les craintes populaires que suscite la guerre froide, celui de la double menace nucléaire et de l'espionnage communiste dans les pays « libres et démocratiques ». Quatre ans après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki par les Américains, en août 1945, l'URSS teste la première bombe A, la RDS-1. En octobre 1951, les Soviétiques mettent au point le réacteur nucléaire et la première bombe à hydrogène13.

Aux États-Unis, les Soviétiques Ethel et Julius Rosenberg, accusés d'avoir livré les secrets de l'arme atomique à l'URSS, sont condamnés à mort pour espionnage, le 5 avril 1951. Cette condamnation s'inscrit dans un climat de psychose d'« infiltration communiste », auquel contribue le sénateur Joseph McCarthy qui dénonce la présumée présence de « communistes »  dès l'année 195014. Au Québec, également, Duplessis et certains autres députés entretiennent une peur du bolchevisme et des idées héritées du socialisme.

La guerre de Corée (1950-1953) est le terreau géopolitique de l'affrontement entre le bloc communiste et le « monde libre », résultante de la politique d'endiguement du communisme du président américain Harry S. Truman, en 1945, et de la stratégie stalinienne d'intégration de pays satellites. Le 14 mars 1951, les troupes de l'Organisation des Nations unies reprennent Séoul; le 22 avril, les forces onusiennes franchissent le 38e parallèle; du 22 au 25 avril, les forces canadiennes résistent aux troupes chinoises. À la fin de la guerre, en 1953, pas moins de 25 000 soldats canadiens auront participé à ce conflit15.

En Indochine française (Vietnam), les forces françaises s'enlisent dans une guerre d'indépendance qui l'oppose, depuis 1946, aux indépendantistes vietnamiens et à l'armée communiste chinoise. L'ancien empire colonial français est, pour l'heure, en train de se désintégrer.

Au Canada, sur la scène politique fédérale, le premier ministre libéral Louis Saint-Laurent demeure bien en selle à la tête du gouvernement, et ce, depuis 1949. Il est l'instigateur de nombreux programmes sociaux qui contribuent à construire l'État-providence fédéral. « Saint-Laurent préside aux destinées de l'État comme un président de compagnie dirige son conseil d'administration, et enregistre chaque année (sauf une) un surplus budgétaire », de commenter l'historien Jean-Paul Couturier16.

Sur la scène mondaine québécoise, le 7 avril 1951, Vincent Auriol, président de la République française, est de passage à Québec. Duplessis profite de la réception organisée en son honneur par le lieutenant-gouverneur Gaspard Fauteux pour faire la promotion de l'immigration française et belge au Canada. C'est aussi l'occasion de constater tout le chemin parcouru entre l'ancien premier ministre Louis-Alexandre Taschereau et Duplessis, qui, entre 1927 et 1936, avaient été de farouches adversaires politiques. Un Taschereau pondéré explique au visiteur français : « M. Duplessis et moi, nous nous sommes battus visière levée, face à face, loyalement. Nous nous sommes donné des coups, mais nous pouvons nous considérer comme des amis, malgré nos divergences d'opinions sur la politique.17 »

Les 8 et 9 octobre 1951, la princesse Élisabeth, future reine Élisabeth II, et le duc d'Édimbourg effectuent une visite officielle de Québec parmi d'autres destinations canadiennes. Ils sont reçus à un dîner d'État au Château Frontenac18. À l'ouverture de la session de 1951-1952, Duplessis et George Carlyle Marler, chef de l'opposition officielle, louent d'ailleurs la présence en terre canadienne de la couronne britannique.

Sur la scène culturelle du Québec, les grands courants internationaux de l'avant-garde soufflent un vent de renouveau artistique : les peintres expressionnistes Paul-Émile Borduas, Jean-Paul Riopelle et Marcelle Ferron, du Refus global (1948), donnent la réplique aux artistes plasticiens dans la mouvance du manifeste de Prisme d'Yeux (1948), d'Alfred Pellan et de Jacques de Tonnancour, plusieurs d'entre eux étant exilés à Paris (Riopelle, Pellan, Borduas). Les romans de Gabrielle Roy, La petite poule d'eau, d'Anne Hébert, Le torrent et, de Roger Lemelin, Les Plouffe, sont moins ruraux qu'urbains; la poésie anglo-montréalaise d'expérimentation et de critique sociale s'exprime avec fougue (recueil collectif Cerberus); sont fondées à Montréal de nouvelles troupes et compagnies théâtrales (le Théâtre du Nouveau Monde, le Rideau Vert). À Québec, en 1951, Jean-Paul Lemieux peint le tableau Les Ursulines. À Paris, le 20 février 1951, Félix Leclerc gagne le grand prix du disque de l'Académie Charles-Cros pour sa chanson Moi mes souliers.

La radio tout comme le cinéma demeurent des médias immensément populaires19. Au début des années 1950, la radio rejoint 90 % de la population, alors que les succès commerciaux des films La petite Aurore, l'enfant martyre (1951); Ti-Coq (1952), Le Rossignol et les cloches (1952) marquent l'appropriation identitaire du cinéma québécois par les Canadiens français.

 

Les parlementaires

À l'ouverture de la session parlementaire, le 7 novembre 1951, on dénombre 82 députés de l'Union nationale, 8 députés libéraux et 2 députés indépendants, sur un total de 92 sièges à l'Assemblée législative.

La maladie frappe des députés, situation qui modifie sensiblement l'équilibre des forces en présence sur le parquet de l'Assemblée. Notons, en l'occurrence, l'absence, du 7 novembre 1951 au 20 décembre 1951, du député libéral Henri Groulx (Montréal-Outremont), qui réduit le nombre de députés d'un Parti libéral déjà affaibli20; celle des députés et ministres Roméo Lorrain (Travaux publics) et Omer Côté (secrétaire et registraire de la province, titulaire du ministère de l'Instruction publique) après les Fêtes de 1951.

La composition du Conseil législatif demeure inchangée par rapport à la session précédente. Aucun remaniement ministériel n'est venu modifier la composition du Conseil exécutif.

Au Conseil exécutif, Duplessis occupe les fonctions de procureur général, en plus de celle de premier ministre. Une telle concentration des pouvoirs, combinée à la domination et à la fascination exercées par Duplessis sur ses ministres21, a pour effet de réduire l'influence des autres membres du Conseil exécutif. Pour la session à l'étude, les principaux membres du Conseil sont Onésime Gagnon, ministre des Finances; Laurent Barré, ministre de l'Agriculture; Antonio Barrette, « un vrai travailleur », qui est ministre du Travail; et Roméo Lorrain, ministre des Travaux publics. Omer Côté, « un homme énergique, intelligent, combatif et retors22 », est le secrétaire et registraire de la province.

La session de 1951-1952 en est une de peu d'éclat et de rebondissements. En Chambre, les ministériels s'en tiennent tous à la ligne de parti et défendent avec conviction les orientations de l'Union nationale. Lorsque les questions de l'opposition sont potentiellement compromettantes pour ses ministres, Duplessis s'arroge le droit de répondre à leur place23. Le chef de l'opposition, George Carlyle Marler, s'en tient aux débats d'idées plutôt qu'aux attaques personnelles. Malgré l'approche imminente des élections générales, il tire peu profit des scandales et des controverses qui affectent le gouvernement.

 

Duplessis et l'Union nationale

L'Union nationale est l'affaire d'un seul homme : Maurice Duplessis. Avocat de formation, député du comté de Trois-Rivières à partir de 1927 et premier ministre du Québec de 1936 à 1939 et depuis 1944, Duplessis exerce un contrôle rigide sur son parti. Il est assisté du trésorier du parti et conseiller législatif de la division de Lauzon, Gérald Martineau, qui prélève, pour garnir la caisse électorale, des ristournes auprès des entreprises bénéficiant des contrats du gouvernement24. L'administration générale du parti revient à Joseph-Damase Bégin, dont Duplessis se méfie beaucoup et que celui-ci « […] tolère parce qu'il est irremplaçable25 ».  Les députés unionistes et leurs organisateurs, quant à eux, se contentent souvent de distribuer les « faveurs publiques », soit les contrats et les emplois gouvernementaux26.

Le principal cheval de bataille politique de Duplessis est le juste partage des compétences fédérales-provinciales. Pour lui, l'autonomie provinciale s'inscrit dans le respect intégral du pacte confédératif de 1867 :

Il faut de plus en plus affirmer dans tous les domaines la souveraineté des provinces. Les gouvernements provinciaux sont des gouvernements responsables exerçant le contrôle des subsides conquis après tant de luttes héroïques […]. Nous voulons ici non pas un gouvernement pensionnaire, mais un gouvernement responsable, démocratique, ayant un contrôle entier sur la perception et l'emploi des deniers publics. (20 novembre 1951)

 

Pour plusieurs observateurs, l'autonomie politique et fiscale de Duplessis, plutôt que d'être un projet politique porteur, n'est qu'une simple réaction défensive de l'État provincial contre les réformes centralisatrices prônées par le gouvernement fédéral27.

Sur le plan économique, Duplessis est à la fois libéral et conservateur. Son rejet de toute nationalisation et de toute intervention directe du gouvernement dans l'économie, son utilisation des capitaux américains et anglo-canadiens pour développer la province et créer de nouveaux emplois et sa valorisation des investissements dans les entreprises manufacturières font de lui un défenseur du libéralisme économique, à la manière du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau28. Mais son appui à la production locale de certaines matières premières (produits forestiers) et des produits agricoles (le lait et le beurre particulièrement, par opposition à la margarine étrangère) le rapproche de la tendance économique conservatrice dans sa variante protectionniste.

Conservateur, Duplessis l'est aussi dans son appui à l'agriculture familiale et à l'instauration d'une législation sociale de base29. Il fait du maintien de la prérogative de l'Église dans le domaine social et de l'initiative privée des « institutions investies par la petite bourgeoisie traditionnelle », un contre-modèle à l'État-providence du gouvernement fédéral30.

 Duplessis est également anticommuniste et franchement opposé à la liberté religieuse des Témoins de Jéhovah, qu'il perçoit comme un groupe subversif et criminel. C'est dans ce contexte que le 2 mai 1951, le juge Gordon Cecil MacKinnon accueille favorablement la poursuite en dommages de Frank Roncarelli, qui avait perdu son permis d'alcool à la suite des allégations d'appui aux Témoins de Jéhovah du premier ministre et procureur général Maurice Duplessis. Ce dernier doit rembourser 8 123 $ à ce propriétaire de restaurant de l'avenue Crescent, à Montréal. La cause est toutefois portée en appel par Roncarelli et Duplessis, le premier pour obtenir des dommages-intérêts plus importants et le second, pour faire casser le jugement31.

Duplessis loue néanmoins, en Chambre, la fratrie québécoise existant entre les minorités religieuses (juifs, protestants), qu'il amalgame à de la tolérance interethnique : « Nulle part au monde les minorités ne sont mieux traitées que dans notre province. Et je parle non seulement de la minorité protestante, mais de toutes les minorités. Je crois que c'est un exemple pour tout le Canada et pour le monde entier. » (Duplessis, 18 janvier 1952)

La base électorale de l'Union nationale est diversifiée. Le discours unioniste plaît ouvertement aux élites traditionnelles, aux notables locaux et au clergé des milieux ruraux et des petites villes; son autonomisme courtise les milieux nationalistes; la défense unioniste de la libre entreprise rapproche Duplessis des milieux d'affaires autant francophones qu'anglophones. Au demeurant, son populisme n'est pas sans déplaire à l'électorat ouvrier32. L'organisation du parti peut donc s'appuyer solidement sur cette base.

 

La direction bicéphale du Parti libéral

Le Parti libéral du Québec des années 1948 à 1952 arrive difficilement à se démarquer de son vis-à-vis unioniste, et pour cause : sa défense inconditionnelle du fédéralisme est moins populaire chez les Canadiens français que l'option autonomiste de l'Union nationale. Qui  plus est, l'appui public du premier ministre canadien, le libéral Louis Saint-Laurent, à la politique économique de Maurice Duplessis, en matière de ressources naturelles, plombe l'alliance entre les libéraux fédéraux et les libéraux provinciaux; certains libéraux fédéraux contestent même ouvertement le leadership du chef provincial Georges-Émile Lapalme33. Pour comble, le charisme de Duplessis surpasse celui, combiné, de George Marler et de Georges-Émile Lapalme34.

George Carlyle Marler représente la circonscription de Westmount-Saint-Georges et assume le rôle de chef de l'opposition libérale à l'Assemblée législative35. Né à Montréal le 14 septembre 1901, notaire de formation, vice-président du comité exécutif de la Cité de Montréal de 1940 à 1947, Marler fut auparavant chef intérimaire du Parti libéral de 1948 à 1950. Anglophone et francophile, il possède une bonne maîtrise de la langue française. Il n'est toutefois pas un grand orateur36.

Éditeur et coauteur d'un ouvrage de droit intitulé The Law of Real Property, Marler prône le libéralisme économique, ce qui fait de lui un grand défenseur du droit la propriété privée. Il est opposé à toute intervention étatique dans la sphère économique, bien qu'il ne dédaigne pas dénoncer l'incurie du gouvernement dans l'attribution des terres forestières et des mines, ainsi que l'absence de redevances justes et profitables à l'ensemble de la société québécoise.

Le chef officiel du Parti libéral est toutefois, depuis le 20 mai 1950, Georges-Émile Lapalme (1907-1985). Avocat de Joliette non élu, autrefois député fédéral de Joliette-L'Assomption-Montcalm (1945-1950), il exerce une influence certaine sur la vie politique à l'Assemblée légistative du Québec. On doit à Georges-Émile Lapalme d'avoir intégré aux programmes politiques du Parti libéral la notion de justice sociale, soit l'élargissement de la couverture sociale à tous (soins médicaux accessibles, institution de tribunaux du travail, régime des rentes, logements abordables, etc.)37.

Sur le parquet du Salon vert, Duplessis ne manque pas une occasion de se moquer du caractère inhabituel de la cohabitation de Lapalme et de Marler au sein du Parti libéral. Il cherche à semer la dissension entre eux sur la question de la nationalisation des ressources naturelles en Iran38, Lapalme ayant appuyé cette idée « politiquement dangereuse » (dixit Lapalme) dans une déclaration maladroitement incendiaire publiée dans le Montréal-Matin, Le Devoir et The Gazette39 :

Il [Marler] a approuvé tout ce qu'a dit le chef absent. On se rappelle que le chef absent a dit qu'en voyant l'Iran se battre pour ses riches ressources naturelles, il se demande si la province de Québec ne deviendra pas l'Iran de l'Amérique, quand son parti sera au pouvoir. Il a ajouté qu'il adopterait les méthodes de l'Iran, à l'encontre des capitaux anglais et américains. Voilà ce qu'a dit le chef absent, et le chef de l'opposition n'a pas eu le courage de dénoncer cette déclaration. (19 décembre 1951)

 

Chez les députés libéraux, peu se démarquent durant la session. Seul Arthur Dupré, député de Verchères et maire de Belœil, trouve bonnes grâces aux yeux de Marler. Georges-Émile Lapalme indique à cet effet : « [I]ls étaient là sous la houlette du député de Montréal-Westmount qui, ramassant ses mots et ses impressions, n'allait cueillir dans le paysage qu'un seul fruit : "Il n'est rien que je puisse refuser à Arthur"40.  » Dupré se distingue véritablement en Chambre dans ses attaques agressives contre le gouvernement sur les questions de favoritisme et de patronage. Le député libéral Paul Earl, du comté de Montréal-Notre-Dame-de-Grâce, quant à lui, ne comprend ni ne parle le français, ce qui le handicape fortement pour prendre part aux débats41.

 

Les députés indépendants

Notons la présence en Chambre de René Chaloult (1901-1978), député indépendant de Québec depuis 1944. Ancien député de l'Union nationale dans Kamouraska en 1936, fondateur, avec un groupe de dissidents unionistes, du Parti national en 1937, député nationaliste d'opposition dans Lotbinière en 1939, membre du caucus libéral de 1940 à 1942, puis partisan du Bloc populaire, Chaloult changea souvent de parti, mais demeura toujours fidèle à ses idées.

Chaloult est un ardent nationaliste canadien-français anti-impérialiste. Il figure, parmi d'autres intellectuels catholiques et nationalistes, comme signataire du Programme de restauration sociale (1933). Il partage avec l'Union nationale sa doctrine économique protectionniste, son amour de la colonisation comme moteur de développement économique et de la survivance de la « race canadienne-française », de même que son aversion pour la centralisation fédérale. En contraste, il dénonce la mainmise des intérêts étrangers dans l'économie, les abus du capitalisme en matière de conditions ouvrières qui ont pour effet de maintenir les Canadiens français dans un état de sujétion économique :

Nos forêts ne nous appartiennent pas. Elles sont exploitées au profit des étrangers, bien que les bûcherons, les gagne-petit, soient Canadiens français. Nos ressources hydroélectriques, qui sont peut-être notre plus grande richesse, sont aussi exploitées par les étrangers et à leur profit. Nos mines d'amiante appartiennent également à des étrangers. Mais descendez au fond de la mine et vous verrez que ceux qui creusent pour trouver du minerai sont des Canadiens français […] On entend dire parfois que nous sommes porteurs de flambeau. C'est vrai que, proportionnellement à notre population, nous fournissons probablement le plus de missionnaires. Mais comment pouvons-nous exercer une influence quand nous ne sommes pas libres dans notre propre maison? Si nous ne sommes pas maîtres chez nous? (15 janvier 1952)

 

Dans la salle de l'Assemblée législative, Chaloult siège vis-à-vis Maurice Duplessis en compagnie de Marler. Tout juste derrière Chaloult se trouve Daniel Johnson, l'homme de confiance du premier ministre, qui, croit-il, surveille ses allées et venues42.

Fait particulier, pour que ses motions puissent faire l'objet de discussion à l'Assemblée législative, le député indépendant Chaloult n'a d'autre choix que de faire appel à Duplessis, à défaut de l'appui du chef de l'opposition George Marler, le premier ministre secondant habituellement ses motions « parfois en maugréant43 ».

L'autre député indépendant, Frank Hanley (1909-2006), représentant de Montréal-Sainte-Anne, ancien champion de boxe élu en 1948, joue un rôle plutôt effacé en Chambre. Il appuie sans condition le gouvernement unioniste et n'intervient que très rarement.

 

Le discours du trône

Le 7 novembre 1951, le faste du cérémonial du discours du trône traduit bien l'état d'esprit de cette époque prospère, à la fois fidèle à la tradition parlementaire et à la truculence florissante de la modernité. L'Action catholique rapporte :

À 3 heures cet après-midi, 15 coups de canon tirés des hauteurs de la citadelle ont annoncé à la population que les Chambres étaient ouvertes. Le discours du trône a été lu par l'honorable M. Gaspard Fauteux. Pour la première fois depuis 1939, le lieutenant-gouverneur portait l'uniforme du service civil de seconde classe. […] Une foule élégante et nombreuse se pressait sur le parquet de la Chambre haute. La cérémonie qui a marqué l'ouverture de la session a été particulièrement brillante. Jamais depuis le début de la dernière guerre l'on n'avait été témoin de tant de faste et de splendeur à une pareille démonstration. Les vieilles coutumes parlementaires, les rites désuets, les procédures officielles ont été rigoureusement observés. Une magnifique réception a également été offerte à l'hôtel du gouvernement à tous les invités d'honneur44.

 

Le discours du trône affirme avant tout la supériorité de l'État libéral par rapport au modèle communiste, dénégateur des libertés individuelles et du libre exercice des entreprises. Il témoigne de l'importance du respect des droits des ouvriers (liberté d'association), mais selon les balises fixées par le « capital » (le système économique capitaliste) et celles du « bien commun ».

Il met l'accent sur l'importance du conservatisme social – ou traditionalisme – (foi catholique, institutions traditionnelles rurales, importance cardinale de la famille nucléaire) dans le maintien de la cohésion sociale et, en corollaire, d'une politique « familiale  », « sociale » et « nationale » unioniste ancrée dans la doctrine sociale de l'Église.

Le gouvernement unioniste privilégie au premier rang l'agriculture, cette « forteresse de l'ordre et fondement de tout progrès durable ». Dans ce sens, il souhaite adopter des lois qui bonifient le financement agricole (prêt agricole provincial), parachèvent l'électrification rurale, accélèrent la mécanisation des fermes, suscitent la colonisation de nouveaux territoires et facilitent la mise en marché des produits agricoles à juste prix pour les consommateurs et les producteurs. Ce développement agricole passe aussi par le pavage de la voirie rurale.

L'exploitation des forêts et des mines s'inscrit exclusivement dans une logique productiviste. Le gouvernement annonce sur ce plan la construction de routes pour faciliter le transport des extractions minières et des coupes forestières en Abitibi, au Saguenay, en Gaspésie et au Nouveau-Québec. Le gouvernement s'intéresse marginalement aux pêcheries et affirme vouloir faciliter la mise en marché des produits de la pêche.

Sur le plan social, le gouvernement marque sa ferme intention de donner suite à une entente conclue avec le gouvernement fédéral étendant la couverture des pensions de vieillesse aux personnes de 65 ans à 70 ans. Il ambitionne également de bonifier les services de santé « pour toutes les classes de la société » en multipliant la construction d'hôpitaux et de sanatoriums. Il poursuit sa politique d'investissement en matière d'éducation dans la construction et la rénovation des installations d'enseignement en collaboration avec les communautés religieuses. Le gouvernement propose aussi l'amélioration des rapports entre locataires et propriétaires par l'adoption d'une loi.

Ces investissements en matière sociale ne signifient pas pour autant que le gouvernement duplessiste adhère aux principes généraux de l'État-providence fédéral en émergence. Bien au contraire. Dans le discours du trône, il s'oppose à son « paternalisme » et à sa tendance à la centralisation qui compromet, selon lui, l'essence même du libéralisme politique et économique et les traditions « nationales » et « religieuses » du Québec.

Dans son adresse en réponse au discours du trône, le gouvernement de l'Union nationale réaffirme surtout l'importance de l'autonomie provinciale dans l'espace « national » canadien. Comme l'indique Jean-Jacques Bertrand, député de Missisquoi, la politique unioniste est nationale en ce qu'elle est un exemple de collaboration dualiste entre « Français » et « Anglais  », les deux peuples fondateurs du Canada, au sein du système politique fédéral canadien, mais dans l'esprit que ces deux groupes conservent leur autonomie politique. (8 novembre 1951)

George Marler formule ses principales critiques le 14 novembre 1951. Après un bref hommage aux 25 ans de carrière politique de Maurice Duplessis, Marler s'évertue d'abord à défaire la rhétorique électoraliste unioniste selon laquelle l'Union nationale a été la seule instigatrice de lois et d'investissements porteurs pour la société. Il reproche au gouvernement de faire augmenter les coûts de la construction des hôpitaux, des établissements d'enseignement et de divers travaux en agriculture (drainage, extractions du roc, du tuf et de la terre, électrification rurale) en favorisant, dans l'octroi de contrats sans soumissions publiques, les partisans de l'Union nationale. Ceux-ci, affirme-t-il, doivent obligatoirement souscrire à une caisse électorale occulte.

Marler s'interroge sur les écarts salariaux entre les ouvriers du Québec et ceux de l'Ontario, de même que sur la faible rémunération des fonctionnaires, qui ne suit pas l'augmentation du coût de la vie. Il accuse le gouvernement de n'avoir rien fait pour normaliser la situation.

Le chef de l'opposition propose surtout une politique économique avant-gardiste, celle de la transformation des matières premières au Québec et celle de l'imposition d'un loyer plus juste lors de l'octroi de permis d'extraction minière, pour l'Iron Ore en Ungava notamment, tenant compte des conséquences environnementales de sa présence.

L'adresse est adoptée le 16 novembre 1951.

 

Les finances publiques

Après avoir souligné le 100e anniversaire de l'octroi d'une charte royale à l'Université Laval (1852-1952) et vanté les orientations économiques de l'Union nationale, Onésime Gagnon prononce le discours du budget, le 9 janvier 1952. Il souligne qu'à la faveur de l'augmentation de l'impôt sur les corporations et de celui sur les successions, les revenus de l'année fiscale qui se termine s'établissent maintenant à 270 590 400 $. Les « dépenses ordinaires et imputables au capital » s'élèvent à 269 421 000 $, ce qui permet au gouvernement de dégager un surplus global de plus d'un million de dollars. Il peut compter sur un surplus au compte ordinaire de 63 598 400 $, ce qui signifie qu'il n'a pas dépensé l'ensemble des crédits mis à sa disposition lors du dernier exercice financier.

L'augmentation des dépenses de l'État québécois sont attribuables, en grande partie, aux nouveaux besoins des enfants du baby-boom. La construction d'écoles et l'urbanisation accélérée de la province nécessitent l'ajout conséquent de nouvelles infrastructures. En cette année 1951-1952, la Voirie accapare 25,3 % des dépenses; viennent ensuite la Santé avec 13,8 %, l'Instruction publique à 9,5 %, le Bien-être social et Jeunesse avec 8,3 %, et les Travaux publics avec 7,4 %; l'Agriculture et la Colonisation, qui occupent pourtant une place de choix dans le discours du ministre des Finances, ne monopolisent respectivement que 5 % et 4,1 % du budget. Autrement dit, le Québec et l'État se modernisent, mais le discours unioniste, lui, reste fixé dans le temps.

La dette nette du Québec est estimée à 256 millions de dollars, soit une diminution de 52 millions de dollars par rapport aux données en date du 31 mars 1945. Cela correspond à une dette per capita située à 92,48 $, la plus basse du Canada.

Le budget prévisionnel de l'année 1952-1953 s'inscrit dans un contexte préélectoral. Gagnon cherche à montrer aux électeurs qu'il administre son budget en bon père de famille. Il indique que le gouvernement anticipe un surplus global de 1,8 million avec des revenus et des dépenses inférieurs d'une dizaine de millions (revenus à 262 700 000 $; dépenses à 260 848 244 $). Il prévoit une baisse des dépenses surtout concentrée dans le ministère de la Voirie qui accapare maintenant 19,5 % du budget (50,8 millions au lieu de 68,3 millions).

Gagnon enchaîne en parlant de la défense de l'autonomie provinciale, de la poursuite de la construction d'écoles, du maintien du crédit agricole, du parachèvement de l'électrification des zones rurales, de la continuation du développement industriel et minier de la province à la faveur du développement de l'hydroélectricité, d'une politique économique peu interventionniste et tout autant favorable aux ouvriers qu'au capital :

Notre programme, c'est de servir la province sous la direction sage du chef de l'Union nationale, et le résultat de ces dernières années est à lui seul tout un programme. Le programme de l'Union nationale, vous le voyez dans ses œuvres, vous le voyez dans le développement économique et industriel de la province. Il est inspiré par l'unique désir de développer le Québec et d'augmenter la somme de bien-être de la production.

 

En réaction au discours du budget, le 10 janvier 1952, le chef de l'opposition George Marler conteste d'abord le fait que le gouvernement multiplie « les autorisations permanentes » qui consacrent des dépenses non approuvées par l'Assemblée législative, situation qui s'applique singulièrement au ministère de la Colonisation. Il s'en prend surtout au manque de transparence comptable du gouvernement en ce qui a trait aux dépenses et à la présence d'opérations irrégulières visant à masquer des déficits récurrents. Marler croit que ces calculs ont pour conséquence directe l'augmentation de la dette consolidée de 31 000 000 $ depuis l'arrivée au pouvoir de l'Union nationale en 1944.

Marler est interloqué par la diminution anticipée des revenus, explicable par la baisse d'entrée d'argent en provenance de la Commission des liqueurs. Le gouvernement fera-t-il observer la loi des liqueurs ou est-on en présence d'un nouveau subterfuge pour maintenir le niveau des impôts prélevés et « pour cacher les revenus réels », s'interroge-t-il. Pour ce qui est des dépenses de la même année, elles n'incluent pas, selon lui, « toutes les dépenses projetées ». (10 janvier 1952)

Le budget est rapidement adopté le 11 janvier 1952.

 

Faits marquants de la session

Lors de la session 1951-1952, 161 projets de loi, surtout de nature privée, sont présentés à l'Assemblée législative. De ce nombre, 155 ont été sanctionnés par le lieutenant-gouverneur. La plupart des projets de loi viennent modifier des lois antérieures en fonction de la nouvelle réalité socioéconomique. Ils se situent en continuité de lois qui demeurent perfectibles.

Georges-Émile Lapalme, bien qu'absent en Chambre, décrit bien l'ambiance qui règne alors au Salon vert : « Siéger en face de Duplessis n'était pas de tout repos. Le gouvernement, c'était lui. La Chambre, c'était lui; il en était le maître, je dirais même le propriétaire. Les règlements, c'était lui. À tel point que le président de la Chambre n'a jamais rendu une décision favorable à l'Opposition45

Il faut dire, au demeurant, que l'opposition se heurte à de nombreux sujets intouchables qui cantonnent son action. L'éducation, l'agriculture et la colonisation sont en effet des domaines incritiquables, à cause de leur association avec le traditionalisme canadien-français. Celui qui critique l'action gouvernementale en ces domaines est inévitablement rabroué au nom des intérêts supérieurs de la nation46.

 

Les pensions de vieillesse

            Dès la rentrée parlementaire, le 8 novembre 1951, le gouvernement unioniste adopte en priorité le projet de loi 2 sur l'assistance aux personnes âgées. Cette mesure sur les pensions de vieillesse constitue une bonification de l'ancien programme, négocié par le gouvernement Taschereau en 1935 et pour la première fois mise en œuvre par Duplessis en 1936 conjointement avec le gouvernement fédéral47.

Le nouveau programme de pension est la résultante d'échanges cordiaux, d'abord durant la conférence de Québec de 1950 et ensuite sur une base bilatérale entre l'ensemble des provinces et le gouvernement fédéral dans le cadre de la conférence sur les pensions de vieillesse (23 mai 1951), sur le partage des compétences et la répartition des coûts financiers en matière de législation sociale. Le gouvernement québécois a notamment défendu le principe voulant que les provinces, autonomes sur le plan politique, avaient des droits égaux à Ottawa. Son refus de transférer entièrement au gouvernement fédéral le domaine des pensions constitue un jalon majeur dans le maintien de l'autonomie de la province en matière de compétences constitutionnelles48.

Cette loi prévoit le versement d'allocations, « exemptes de taxes et insaisissables », aux personnes « dans le besoin » âgées de 65 à 69 inclusivement. Le gouvernement québécois paie 50 % du coût des allocations et le fédéral, l'autre moitié. C'est le fédéral qui fixe le montant des allocations. Auparavant, la loi québécoise ne prévoyait le versement de pensions qu'à partir de l'âge de 70 ans.

Pour Duplessis, la loi provinciale constitue une alternative crédible à l'État-providence dans sa sauvegarde de la « responsabilité personnelle » des particuliers et dans le caractère parcimonieux de l'action gouvernementale.

Le Québec se dote donc d'un nouvel organisme, la Commission des allocations sociales, qui aura la responsabilité de fixer les seuils de revenus donnant droit aux allocations pour les personnes âgées et qui gérera aussi la distribution de « l'assistance aux aveugles » et les « allocations maternelles » (allocations familiales).

Duplessis donne à la Commission le pouvoir discrétionnaire d'« accorder des allocations dans certains cas sympathiques qui rencontreront l'esprit de la loi », s'inspirant ici de l'amendement de 1947 à la loi des mères nécessiteuses.

Le chef de l'opposition, George Marler, bien qu'il soit d'accord avec l'objectif général de la loi, ses bienfaits dans le « domaine de la justice et de la sécurité sociale », craint que cette loi ne devienne un prétexte au détournement politique de fonds publics, une occasion partisane pour le régime duplessiste d'exercer son favoritisme. Dans cette perspective, Marler exige que les cas spéciaux soient rendus publics dans la Gazette officielle. Il souhaite, tout comme le député libéral de Montréal-Verdun Lionel-Alfred Ross, que la loi à adopter accorde un droit d'appel aux décisions de la Commission et que la législation sociale de l'Union nationale soit élargie pour inclure les infirmes.

Duplessis n'est pas réceptif aux demandes des libéraux. Il rejette la notion de droit d'appel sous prétexte qu'elle est illégale dans le cadre constitutionnel actuel. Il se refuse à rendre publics les cas spéciaux en vertu du droit à la vie privée des familles. Au final, à toutes les lectures, le projet de loi reçoit l'appui de l'ensemble des députés. Il est sanctionné le 15 novembre 1951.

 

Une législation sociale

La législation sociale, telle que mise de l'avant par l'Union nationale, est fermement enracinée dans la notion de charité chrétienne plutôt que dans la notion de justice sociale, si chère au Parti libéral. Elle pose comme principe l'aide ciblée aux plus démunis, de préférence à l'universalisation de la couverture sociale.

Le projet de loi 33 consacre le renforcement du système de santé, qui est entièrement privé à cette époque. Le gouvernement souhaite accorder un budget de six millions de dollars sur trois ans pour l'établissement de centres de diagnostic (radiographie, tests divers), ce qui fait l'unanimité chez tous les députés de la Chambre.

L'objectif fondamental du projet est de renforcer l'accessibilité aux soins de santé, d'abord dans les grands centres (Montréal, Québec), puis en périphérie, en évitant l'utilisation des hôpitaux, trop coûteuse pour les patients, où la pratique est inaccessible aux médecins de famille et qui sont alors particulièrement encombrés.

La loi répond à une certaine volonté de charité chrétienne. La législation autorise, entre autres choses, les médecins de famille à référer leurs clients aux centres de diagnostic, dont l'utilisation est gratuite pour les gens à revenus modestes. Il s'agit aussi de sauvegarder le rôle traditionnel assumé par le médecin de famille49, rôle compromis par la prise en charge des patients dans les hôpitaux par les médecins spécialistes, et ce, tout en assurant l'accès des Québécois aux soins spécialisés.

Autant l'Union nationale que le Parti libéral et René Chaloult se gardent bien toutefois d'appuyer l'instauration d'un système de médecine d'État. Rappelons d'ailleurs qu'en 1945 Duplessis fit abolir la Commission d'assurance-maladie de Québec, dont le mandat était d'étudier l'instauration d'un programme universel50. Le projet de loi reçoit finalement la sanction royale le 19 décembre 1951.

D'autres lois adoptées à l'unanimité confirment le soutien de l'État envers les familles et les personnes vulnérables, dont :

  • le projet de loi 12 relatif aux maladies mentales, sanctionné le 4 décembre 1951, qui autorise le gouvernement à assumer les coûts de la construction, de l'agrandissement et de l'aménagement d'hôpitaux pour les malades mentaux et de la formation de spécialistes en maladie mentale jusqu'à concurrence de 10 millions de dollars;
  • le transfert, par la loi sur l'assistance publique (loi 34) sanctionnée le 19 décembre 1951, de la responsabilité financière en matière de soin et d'hospitalisation gratuits des « indigents » des municipalités rurales vers le gouvernement provincial, lequel assume désormais, avec les institutions religieuses, 85 à 90 % du coût total de la facture ;
  • le projet de loi 44 relatif à l'exécution de certains jugements en matière alimentaire, qui reçoit la sanction royale le 23 janvier 1952 et qui consent aux femmes non divorcées51, dont les maris fuient leurs responsabilités familiales, le droit de les poursuivre en justice dans la province où ils se trouvent pour réclamer leur pension alimentaire en vertu d'une entente qui entérine les échanges de renseignements entre les provinces ;
  • une réforme partielle de la loi sur la Régie des loyers (projet de loi 30), qui vise à concilier les intérêts divergents des locataires et des propriétaires. Cette loi est sanctionnée le 4 décembre 1952.

L'Assemblée législative promulgue aussi l'extension, jusqu'au 1er août 1951, de l'aide financière temporaire accordée aux sinistrés de l'incendie de Rimouski. En revanche, les victimes de la tempête dévastatrice du littoral gaspésien (22 novembre 1951) et celles de l'incendie à Sept-îles (20 décembre 1951) n'auront droit à aucune aide spéciale au-delà du soutien moral unanime de l'Assemblée législative.

 

Le développement rural

En matière de développement rural, le gouvernement unioniste est particulièrement prolifique sur le plan législatif, même si la quantité de projets de loi adoptés ne fait que confirmer le conservatisme économique du gouvernement.

Le projet de loi 7, qui entérine l'octroi de 10 millions de dollars supplémentaires à l'Office du crédit agricole (total du budget imparti : 96 millions de dollars), est susceptible d'augmenter le nombre de prêts accordés aux agriculteurs. Malgré les protestations des députés libéraux Marler et Dupré, le gouvernement maintient le plafond de 6 000 $ par prêt pour encourager l'agriculture familiale, porteuse des traditions séculaires canadiennes-françaises, au détriment de l'agriculture industrielle, laquelle nécessiterait des capitaux plus substantiels52. La loi reçoit la sanction royale le 4 décembre 1951.

Le projet de loi 8 institue, quant à lui, un comité d'enquête de trois membres pour étudier les problèmes agricoles, comité d'enquête qui avait fait partie des demandes de l'Union catholique des cultivateurs (UCC). Le comité sera chargé d'étudier les problèmes relatifs à la production, à la vente et à la distribution des produits agricoles à juste prix pour le producteur et le consommateur. Il a pour mission de proposer de nouveaux marchés aux produits agricoles et les meilleures possibilités de mise en marché.

Pour l'opposition, il s'agit d'une loi éminemment électoraliste qui vise à séduire la « classe agricole ». Malgré un long débat houleux, le projet de loi est adopté à l'unanimité et la loi est sanctionnée le 19 décembre 1951. Les recommandations du comité mèneront ultimement à la création de l'Office des marchés agricoles en 1956.

 

La forêt

La loi sur l'exploitation rationnelle de certains territoires forestiers (projet de loi 15) fixe le seuil minimum de vente des réserves de bois à 500 $ le mille carré et exige des compagnies forestières la protection des forêts contre les incendies et le paiement de diverses redevances à la province. Cette loi confirme donc le maintien du régime forestier productiviste.

Le chef de l'opposition, George Marler, s'oppose à cette mesure parce qu'il considère qu'elle cède les ressources naturelles « à des prix dérisoires ». (20 novembre 1951) Il fait remarquer que les conditions de vente des réserves de bois de la loi ne reflètent pas le marché du bois. Il propose que l'ensemble des ventes soient faites aux enchères, ce à quoi Duplessis réplique que cette méthode favorisait autrefois « la vente de feu » de nos forêts, le favoritisme et la constitution de compagnies monopolistiques, amies du régime en place.

Le premier ministre défend surtout le pouvoir d'allocation du gouvernement qui lui permet de « mieux » répartir les coupes à bois et l'emploi entre les régions. Il se transforme en apôtre de l'équilibre entre écologie et productivité. Le député René Chaloult croit, au contraire, que le régime forestier du gouvernement risque de compromettre l'existence des forêts québécoises d'ici 20 à 25 ans.

Si le projet de loi 15, qui reçoit la sanction royale le 4 décembre 1951, modèle les balises gouvernementales du partage privé des forêts publiques québécoises, inversement, le projet de loi sur l'acquisition de certains territoires forestiers (projet de loi 21) entérine l'expropriation de terrains forestiers privés en fonction de « l'intérêt public ». Par mesure protectionniste, le gouvernement s'autorise à confisquer certaines terres localisées dans les comtés de Rimouski et de Saguenay pour éviter que les propriétaires ne vendent leur bois directement aux États-Unis, au détriment de la petite industrie locale et, singulièrement, des papetières.

Marler est plutôt en désaccord avec cette mesure qui est contraire au libéralisme économique. Il plaide que ce projet de loi risque de consacrer le pouvoir arbitraire du gouvernement d'exproprier toute propriété comme bon lui semble dans l'ensemble de la province. Le projet de loi est finalement sanctionné le 19 décembre 1951.

 

La margarine

Tout aussi protectionniste, mais électoraliste dans son objectif de courtiser les électeurs ruraux53, l'arrêté ministériel sur la margarine, qui fait suite à la loi de 1949, vise à limiter la vente de ce produit au Québec. Le gouvernement souhaite taxer les huiles végétales « pour que l'on soit obligé de vendre la margarine au même prix que le beurre » (Duplessis, le 11 janvier 1952). L'enjeu est de protéger le producteur laitier contre une concurrence déloyale et le consommateur, de fausses représentations commerciales.

 

Les mines

Les 19 et 20 décembre 1951, il est question de la concession minière de l'Iron Ore dans l'Ungava. Le chef de l'opposition croit qu'il est possible d'augmenter les redevances de cette compagnie minière et de transformer les matières premières au Québec. Cette dernière proposition reçoit l'appui du député indépendant René Chaloult qui va jusqu'à proposer une plus grande implication des élites économiques canadiennes-françaises. Dans un « maîtres chez nous » pré-Révolution tranquille, le chef de l'opposition déclare avec assurance que « le temps est passé où il fallait faire appel à l'étranger pour obtenir des capitaux ». (20 décembre 1951)

Fort de l'appui moral du premier ministre du Canada, appui qu'il avait obtenu le 26 février 1951, Duplessis rétorque que les redevances de l'Iron Ore sont beaucoup plus avantageuses qu'il n'y paraît et que la transformation des matières premières, notamment de l'amiante dont le Québec contrôle 85 à 90 % de la production mondiale, ne peut se faire « sans marché suffisant ». Dans le cas, dit-il, où une loi exigerait que la matière brute soit nécessairement transformée au Québec, le risque serait trop grand que les États-Unis, en guise de représailles, instaurent des tarifs protectionnistes; et, comme il est dangereux pour la libre entreprise que l'État s'implique dans l'économie, selon la doctrine économique conservatrice que partage la députation unioniste, il vaut mieux ne pas intervenir en cette matière. Duplessis ne propose pas en conséquence de nouvelle loi réformatrice.

 

Problèmes métropolitains

Si les lois adoptées à l'Assemblée législative concernent souvent les zones rurales, forestières et minières, elles ne négligent pas pour autant le développement urbain et les problèmes qu'il suscite. Il faut dire que le Québec de 1951 compte un taux d'urbanisation de 66,8 %54. À la demande des autorités municipales de Montréal, en vertu d'un amendement à la charte de la métropole, le gouvernement crée un comité d'études qui s'intéressera particulièrement à la répartition équitable des coûts des services avec les municipalités avoisinantes, à la circulation automobile et au système de taxi55.

 

Des balises législatives chrétiennes

Certaines lois visent à maintenir la moralité chrétienne56 par un contrôle social plus étroit des relations entre les hommes et les femmes. Par exemple, le projet de loi 35, qui modifie le code municipal, donne aux conseillers municipaux le contrôle des salles de danse, soit le pouvoir de les interdire et de restreindre leurs activités. Il reçoit la sanction royale le 23 janvier 1952.

Un autre sujet qui préoccupe l'opposition libérale est celui de la consommation démesurée de boissons alcoolisées et de ses conséquences. Les 15 et 16 novembre 1951, les députés Paul Earl, Dave Ross et Marler proposent, à l'instar des évêques pétitionnaires qui ont recueilli plus de 700 000 signatures à l'été 1951, l'application rigoureuse de la Loi des liqueurs, soit un contrôle plus strict de la vente de l'alcool, des heures d'ouverture des clubs et des heures de fermeture des grills57, et la diminution progressive du nombre de permis d'alcool.

Duplessis réplique que la principale réforme envisageable est celle de l'individu et qu'une politique prohibitionniste serait sans effet. Il souligne qu'il est disposé à donner les pleins pouvoirs d'intervention à la Sûreté provinciale et à la police municipale de Montréal pour faire régner l'ordre. Il fait grand cas, en Chambre, de la fermeture de la « barbotte » de Côte-de-Liesse par 50 policiers. Le journaliste Gérard Filion insiste, dans Le Devoir, sur l'absurdité de cette action gouvernementale : « Pourquoi fermer la barbotte de la Côte-de-Liesse et laisser opérer celle de Saint-Léonard58?  » Il faudra attendre le 18 janvier 1952 avant que Duplessis propose, avec l'approbation de Chaloult et de Marler, la réduction stricte des permis d'alcool.

Sur la question des jeux de hasard, le premier ministre est tout aussi rigoriste. Soulevant une question de privilège, le 20 novembre 1951, Duplessis revient sur une saisie policière de billets, la veille, pour un tirage au sort qui devait avoir lieu au Colisée de Québec. Le premier ministre explique qu'il a appliqué le Code criminel en matière de jeux de hasard et qu'il a agi en fonction de la volonté des évêques qui « ont déjà publié une lettre collective défendant les jeux de bingo ».

Fait aussi débat à l'Assemblée législative, le 11 décembre 1951, la question de l'ouverture des magasins montréalais Eaton, Morgan, Simpson, Ogilvy et autres magasins à rayons le jour de l'Immaculée Conception, fête catholique. Dans une question de privilège, le député indépendant René Chaloult qualifie cette situation de bravade capitaliste à la morale catholique. Le gouvernement choisit de ne pas agir pour l'instant, évoquant le respect du domaine de compétence de la municipalité de Montréal.

 

Le péril rouge

D'autres lois et interventions reflètent bien le climat de guerre froide, la peur des communistes qui teintent les perceptions de la société de l'époque.

Le premier ministre, qui cumule également la fonction de procureur général, souhaite étendre à cette époque l'application de la loi du cadenas (1937) pour fermer les maisons « reconnues comme foyers communistes ». Il fait la chasse « aux agents de Moscou » à la manière du sénateur américain Joseph McCarthy en vue de maintenir la paix sociale.

Le 30 novembre 1951, dans une question de privilège, Duplessis se réjouit du refus d'accréditation d'un syndicat (« union ») « communiste » à la Canadian Westinghouse de Trois-Rivières, refus qui s'inscrit dans une stratégie offensive concertée entre le clergé, les groupes nationalistes et les centrales syndicales catholiques contre les organisations syndicales les plus militantes59. Duplessis affirme que cette union avait pour but de semer des idées révolutionnaires et de favoriser « le sabotage, le désordre et l'athéisme ». Il a mandaté Me Noël Dorion pour « pousser les choses » auprès de la Commission des relations ouvrières, avec pour résultat net, affirme Duplessis, « que les communistes se sont sauvés, qu'ils ont renoncé à demander la certification de leur union ». L'action du premier ministre et le dénouement de l'histoire suscitent les applaudissements nourris des députés de l'Assemblée législative.

Le projet de loi 54 concernant l'usurpation des charges publiques est tout aussi révélateur du climat de suspicion vis-à-vis des présumés partisans communistes. Il a pour objectif immédiat

d'empêcher Henri Binder, membre du Labor Progressive Party et présumé agent propagandiste de la cause communiste, de se présenter aux élections municipales et de conserver son siège au conseil municipal de Montréal, siège qu'il a remporté en décembre 1951; fait à noter, Binder avait déjà été reconnu coupable d'avoir fait circuler des pamphlets contre la guerre, contre le recrutement et d'avoir encouragé la désaffection. À dessein, la loi que propose Duplessis restreint grandement les « mesures dilatoires » dans les procédures en contestation de l'élection d'un conseiller municipal. Dès que la Cour supérieure rend un jugement déclarant criminelle une personne, cette dernière doit quitter ses fonctions publiques. Il s'agit de l'exécution immédiate d'un jugement provisoire. L'application générale de la loi vise surtout à empêcher la candidature aux élections de personnes ayant un casier judiciaire. Anticommuniste, la loi protège, au dire de Duplessis, « l'ordre public, la décence et la morale » contre les rouges et les criminels. (20 décembre 1951) La loi est adoptée sans aucune opposition et sanctionnée le 23 janvier 1952.

En complément, un autre projet de loi, qui fait l'unanimité, interdit aux « criminels » de siéger à l'Assemblée législative. En deuxième lecture, Marler demande tout de même que soient exclus de la loi les gens trouvés coupables d'homicide involontaire dans un accident d'automobile, proposition qui reçoit une fin de non-recevoir de Duplessis. (22 janvier 1952) Le projet de loi sera sanctionné par le lieutenant-gouverneur le 23 janvier 1952.

 

Protéger le patrimoine juridique, culturel et historique des Canadiens français

Des lois protègent le patrimoine juridique, culturel et historique des Canadiens français. D'abord, le projet de loi 11 concernant la refonte des lois de la province – il s'agit de la première refonte en dix ans – marque la création d'une commission qui devra présider à la révision juridique du Code civil, « élément protecteur du caractère ethnique des Canadiens français », note Duplessis. Les parlementaires, Chaloult, Duplessis et Marler en tête, insistent singulièrement sur l'importance d'employer une langue qui sauvegarde l'« esprit français » du Code civil. Le projet de loi est sanctionné le 3 décembre 1951, mais il faudra attendre au 27 janvier 1955 avant que soit créé l'Office de révision du Code civil, présidé par le juge à la retraite Thibaudeau Rinfret, dont l'objectif sera d'adapter le Code civil aux besoins de la vie moderne60.

Un autre projet de loi, le bill 42, fait l'unanimité et modifie la loi de 1922 qui a consacré la création de la Commission des monuments historiques. Il clarifie les concepts de monuments et de sites historiques, de même qu'il amorce leur classification et celle des immeubles qui les entourent. Il permet l'expropriation, à des intérêts privés, des monuments et des immeubles adjacents en fonction de leur protection. Le projet de loi confirme aussi l'embauche de deux nouveaux membres à la Commission des monuments historiques, qui s'ajoutent aux sept membres déjà en fonction. Au final, il marque la réactivation de cet organisme « à l'activité très réduite » et une nouvelle protection du patrimoine canadien-français. La loi est sanctionnée le 23 janvier 1952.

 

Favoritisme, patronage et fonction publique

En Chambre, George Marler et Arthur Dupré pourfendent le patronage et le favoritisme présumés du gouvernement unioniste et exigent le rétablissement des soumissions publiques dans l'octroi des contrats gouvernementaux.

Dès le discours sur l'adresse, dans les discussions sur les Comptes publics (décembre 1951), puis dans les débats sur le budget (10 janvier 1952), Marler sonne la charge. Le chef de l'opposition fait la nomenclature des mécanismes de patronage qui consacrent la mauvaise utilisation de l'argent des contribuables par l'Union nationale : la présence de nombre de commissions et de comités inutiles; les nominations politiques d'anciens organisateurs unionistes dans des emplois gouvernementaux; l'absence de soumissions publiques pour les contrats gouvernementaux; le caractère élevé du prix des services et des achats pour le gouvernement; et la présence d'une caisse électorale occulte à laquelle les entrepreneurs qui ont obtenu des contrats gouvernementaux ont l'obligation de contribuer.

Plus particulièrement, le 18 décembre 1951, Marler accuse le gouvernement de népotisme dans l'embauche des employés de la Commission du salaire minimum, tous issus de la mouvance conservatiste-unioniste; le 11 janvier 1952, il cite l'exemple des projets de drainage, attribués pour plus de la moitié à un seul entrepreneur, dont les prix furent peu avantageux pour le gouvernement; le 15 janvier, il accuse le gouvernement d'attribuer les contrats de construction des écoles à des partisans unionistes; le 16 janvier, Dupré incrimine le ministre de l'Agriculture, Laurent Barré, d'avoir remplacé le directeur de la betteraverie de Saint-Hilaire, Louis Pasquier, par un organisateur politique de l'Union nationale61; le 17 janvier, l'opposition mentionne que le gouvernement favorise l'entretien « des routes d'amis de l'Union nationale » et que les ingénieurs du ministère de la Voirie « cèdent à des pressions politiques », de telle sorte que les coûts des travaux sont plus grands au Québec qu'en Ontario.

À toutes ces attaques, Duplessis et ses ministres répliquent que du temps des libéraux le favoritisme dans l'octroi des contrats était tout aussi présent, exemplifié par les coûts finaux beaucoup plus élevés des appels d'offres publics, dont les devis favorisaient l'achat des produits des « amis du régime »; que, par ailleurs, les coûts élevés dans l'attribution des contrats s'expliquent par une politique de décentralisation des achats favorable aux régions, aux petites entreprises et à l'emploi, politique que le politologue Vincent Lemieux qualifie de favoritisme dans l'octroi « de contrats et d'achats liés à l'activité gouvernementale62 ». La réplique agressive suivante d'un Duplessis piqué au vif est typique : « Qu'est-ce que veut l'opposition? Elle voudrait que ses amis obtiennent des contrats plantureux comme autrefois. Elle s'ennuie de ce qu'on a appelé "la petite suce à patronage". C'est cet ennui paralysant, émotionnant, émouvant qui lui fait tenir de pareils propos. »  (11 janvier 1952)

Semblable est le débat entourant la question de la rémunération salariale de la fonction publique, question qui préoccupe l'opposition depuis l'élection de l'Union nationale en 1948. Le premier point qui achoppe, dès l'examen des comptes publics en décembre 1951, est celui de la fixation du salaire des fonctionnaires en fonction de la hausse du coût de la vie. Les députés George Marler, Arthur Dupré et René Chaloult évoquent notamment la difficulté des employés pères de famille à assumer pleinement leur rôle de pourvoyeurs. Ils dénoncent le favoritisme unioniste dans l'embauche et dans la fixation des salaires, l'absence d'échelle salariale rationnelle et le maintien, à l'emploi du gouvernement, de fonctionnaires rentiers dont la condition empêche le plein emploi.

À la modernisation de la fonction publique québécoise, qui implique nécessairement une expansion de la taille de l'État, et à l'argument de l'augmentation des salaires en fonction du coût de la vie, Duplessis oppose sa vision paternaliste :

L'honorable M. Duplessis (Trois-Rivières): Les fonctionnaires ont d'autres avantages que ceux qui ont été énumérés jusqu'à présent. Par exemple, le cadeau du jour de l'An est passé de $3 à $25.

M. Marler (Westmount-Saint-Georges): Si le gouvernement ne paie pas suffisamment ses employés, comment veut-il avoir le personnel qu'il faut? Et comment peut-il compter sur son personnel? Ils ne peuvent montrer beaucoup d'enthousiasme à voir le salaire des autres augmenter alors que le leur reste le même. Le premier ministre a parlé de $7,000,000 d'augmentation des salaires, et pourtant beaucoup d'employés touchent le même salaire qu'en 1944, bien que le coût de la vie ait doublé. (4 décembre 1951)

 

Des ministres – Laurent Barré et autres –  affirment par surcroît que la détermination de classes d'emplois est amorcée et qu'une échelle salariale existe bel et bien dans les ministères, ce qui laisse l'opposition dubitative.

Finalement, à la veille de Noël et en prévision des élections, le gouvernement unioniste accorde une augmentation globale du salaire des fonctionnaires québécois en vertu du projet de loi 53, « par suite d'une promotion et de la connaissance de qualifications nouvelles de certains employés » (20 décembre 1951), puisée à même un budget supplémentaire du fonds consolidé du revenu. Marler s'oppose à la façon dont le gouvernement procède en dehors des estimés budgétaires. Au vote, 62 sont favorables à la loi, tandis que les 7 députés libéraux présents en Chambre s'y opposent lors des deuxième et troisième lectures. La loi est sanctionnée le 23 janvier 1952.

 

Le rapport de la commission d'enquête sur l'effondrement du pont Duplessis

Le 31 janvier 1951, le pont Duplessis s'était effondré dans la rivière Saint-Maurice et avait causé la mort de huit personnes. Le 18 février 1951, Duplessis avait institué une commission d'enquête, présidée par les juges Lippé et Dansereau, sur les causes de la catastrophe, sans toutefois lui donner pour mandat de déterminer les responsables de la chute du pont, comme le demandait, à la session précédente, une motion du chef de l'opposition George Marler. Finalement, le 21 novembre 1951, le rapport exonère le gouvernement et les entrepreneurs de tout blâme.

Le rapport de la commission d'enquête met de l'avant la thèse du sabotage et « une cause scientifiquement inconnue » pour expliquer l'effondrement du pont. En réaction, Marler met en lumière, dans une motion déposée le 28 novembre 1951, la partialité de Léon Méthot. Ce vice-président du comité exécutif central du Parti conservateur au Québec et reconnu comme supporteur de l'Union nationale, plaide Marler, assumait à la fois le rôle d'avocat-conseil de la commission et d'avocat du Service des travaux publics, donc était juge et partie dans cette histoire.

Le chef de l'opposition est interloqué par le fait que l'acier utilisé dans les plaques du pont effondré résistait mal aux chocs et aux basses températures. Il mentionne que le rapport de la commission d'enquête ne glisse mot de cet élément de preuve, qu'elle n'a jamais convoqué d'experts pour déterminer les causes de l'effondrement, que le gouvernement n'a jamais effectué d'analyse convaincante sur les débris du pont, alors qu'un précédent rapport, soumis par la Dominion Bridge au gouvernement lors de précédents travaux de réparation des fissures du pont, faisait état des faiblesses du pont. Il accuse les fonctionnaires de ne pas être intervenus malgré « l'avertissement clair donné par les fissures de février et de mars 1950 et par le rapport de la Dominion Bridge ». Il dénonce surtout la commission d'avoir mis de l'avant la possibilité d'un sabotage pour obscurcir les éléments de preuve incriminants pour le gouvernement.

Duplessis est évasif dans ses réponses aux attaques de Marler. Bien qu'il défende la probité des commissaires et les conclusions éclairantes du rapport, il tente, pour l'essentiel, de transformer les questions de fond de Marler en attaques personnelles. Duplessis se pose ici en victime d'un bourreau immoral :

Est-ce qu'on va prétendre qu'un citoyen de Trois-Rivières, élevé à Trois-Rivières, y ayant toujours vécu, aimant les gens de Trois-Rivières, y ayant des amis ou des parents, n'a pas donné le meilleur de lui-même dans la construction de ce pont? Est-ce qu'on va prétendre qu'un homme sérieux, honnête et dévoué comme le ministre des Travaux publics n'a pas donné le meilleur de lui-même, se rendant, sans y être obligé, à de nombreuses reprises sur les lieux des travaux durant la construction de ce pont-là? […] il [Marler] a accompli une besogne qui répugne à un homme de bien […] il retourne le fer dans le cœur de ceux qui ont souffert. Il évoque avec une apparente complaisance les souvenirs d'un malheur qui les a affligés profondément. (28 novembre 1951)

 

De nouveau, le 23 janvier 1952, Marler demande au gouvernement si « les plans et devis au sujet de la qualité de l'acier ont été modifiés comme le demandait la Dominion ». Mais Duplessis use de la figure sophistique du sabotage par les communistes pour se laver de toute responsabilité, idée de complot communiste qu'il a fait sienne en d'autres circonstances63 : « Chacun sait que les espions russes se rencontrent, courent le monde et qu'ils se livrent partout à des sabotages. Au Canada comme aux États-Unis, une foule d'avions tombent ces temps-ci sans que l'on puisse définir les causes des chutes ou prennent en feu sans raison apparente. Seulement ceux qui ferment les yeux sur ce qui se passe peuvent ne pas voir le travail des communistes. »

 

Commission Massey et autonomie provinciale

            Est déposé, le 1er juin 1951, le rapport de la commission royale d'enquête du gouvernement fédéral sur l'avancement des lettres, des arts et des sciences au Canada (commission Massey). Ce rapport consacre la centralisation fédérale du champ de compétence culturel et des télécommunications, de même qu'il encourage l'investissement fédéral dans les universités canadiennes. Il suscite des réactions particulièrement vives à l'Assemblée législative64.

Le 15 novembre 1951, le député indépendant René Chaloult craint que l'investigation du champ universitaire par le fédéral fasse tache d'huile en éducation (enseignement primaire et secondaire), champ de compétence provincial. Du rapport, il apprécie tout de même sa « très haute valeur spirituelle », sa reconnaissance du caractère « bi-ethnique » du Canada et sa volonté de contrer l'américanisation par un « sain nationalisme canadien ».

Duplessis, reconnu pour son autonomisme provincial, ne propose pas de nouvelles mesures pour contrecarrer la mise en application des recommandations du rapport Massey. À la proposition du député René Chaloult qui, à l'instar d'un mémoire de la Chambre de commerce de Montréal, suggère d'instaurer un impôt provincial de 5 % pour bonifier le financement aux universités, déductible sur l'impôt fédéral65, Duplessis préfère le statu quo dans l'immédiat. Il ne veut pas se mouiller sur le financement fédéral des universités pour éviter que ses adversaires l'accusent « d'affamer les universités ». Il compte plutôt aborder cette question de front après les élections de l'année 195266.

En réplique à la proposition de Chaloult de créer un impôt, Duplessis s'inquiète de la réaction des évêques et de l'atteinte qu'elle porterait à l'indépendance financière de la province :

Si on accepte la proposition de la Chambre de commerce, on se trouvera à approuver cet impôt contre l'opinion des évêques. De plus, il y a une tendance à Ottawa, chez les bureaucrates surtout, que les provinces sont des gouvernements de retailles, à 5 % ou à 4 % ou à 3 %, alors qu'Ottawa serait un gouvernement à 95 % ou à 98 %. On ne peut pas accepter 5 % dans un domaine où nous prétendons avoir priorité. (15 novembre 1951)

 

En coulisse, Duplessis considère que les subventions fédérales aux universités constituent une intervention outrancièrement dangereuse du gouvernement fédéral dans un champ de compétence provincial. À son avis, le gouvernement provincial peut faire face à ses obligations, à la condition expresse que le gouvernement fédéral répartisse équitablement les pouvoirs de taxation. Dans l'immédiat, Duplessis accepte temporairement l'argent fédéral;  il délègue à un comité conjoint fédéral-provincial, composé de Douglas Charles Abbott et d'Onésime Gagnon, le soin de déterminer la répartition et la distribution du financement fédéral aux universités67. Il faudra attendre l'année 1954 avant que le gouvernement crée un véritable impôt provincial.

Dans un autre contexte, le 20 décembre 1951, en guise de réplique à l'Office national du film, qu'il considère comme un organe de diffusion du communisme, Duplessis mentionne qu'il compte poursuivre le financement du service québécois de ciné-photo, qui produit des films moraux chrétiens et des films promotionnels sur le Québec. Ce service marque les premiers balbutiements de la politique culturelle québécoise avant que les recommandations de la commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels (rapport Tremblay68) soient appliquées.

En revanche, le gouvernement unioniste refuse d'ouvrir des agences commerciales de la province à l'étranger (Londres, Paris, Rome), malgré les demandes répétées du député indépendant René Chaloult, qui y voyait une manière de contrecarrer la publicité « désastreuse », sur le Québec, du ministère de l'Immigration canadien à l'étranger.

En cette session de 1951-1952, la seule mesure législative adoptée qui s'inscrit dans une stratégie autonomiste est celle du changement du titre de trésorier provincial en ministre des Finances, le 29 novembre 1952.

 

Les bons mots de la session

Duplessis n'a de cesse d'attaquer la crédibilité de l'opposition par des quolibets et des boutades. Le 9 novembre 1951, durant l'étude au comité plénier de la loi sur l'assistance aux

personnes âgées (bill 2), Marler complimente le premier ministre sur le fait qu'il soit de bonne humeur. La réplique de Duplessis est tout à la fois révélatrice de sa finesse d'esprit et de son assurance en Chambre : « Je suis toujours de bonne humeur, je ne puis pas regarder l'opposition sans rire. »

Le 13 novembre 1951, lors de discussions consacrées aux prêts agricoles, le député libéral Arthur Dupré compare l'Union nationale à ce médecin qui dit à son patient qu'il aurait besoin, pour survivre, de deux pilules, mais qui lui en prescrit une seule. Ce à quoi Duplessis rétorque habilement par une phrase assassine : « Cette pilule vaut tout de même mieux que le chloroforme libéral. »

Le 11 janvier 1951, dans un échange à trois entre Marler, Barré et Duplessis, le député Laurent Barré fait allusion au développement, par le Collège Macdonald, de « plantes hâtives » et de « moyens de détruire les mauvaises herbes ». Duplessis saisit la balle au bond pour attaquer le chef absent Georges-Émile Lapalme : « Le Conseil de recherches a fait des études sur "Lapalme". Il a trouvé que c'est une plante qui pousse en Afrique et qui sèche au Canada. » Marler, peu décontenancé, de défendre métaphoriquement son chef : « On s'apercevra bientôt que c'est un arbre fort. »

Durant l'adresse en réponse au discours du trône, le député René Chaloult rend un vibrant hommage à Duplessis pour ses 25 ans de carrière. À court d'images évocatrices, le député Chaloult, flagorneur, mentionne que Duplessis aurait sans doute été nommé cardinal du temps de Richelieu69. Un Duplessis cultivé, outrecuidant, de renchérir : « Le cardinal Richelieu était un Duplessis. »

Quelques situations particulières en Chambre étonnent. D'abord, ce débat sur la distribution des petits numéros de plaques minéralogiques, censés permettre aux dirigeants de l'Union nationale et aux amis du régime de ne pas être punis pour toute infraction au code de la route. Il semble bien, à l'aune de l'échange suivant, que la situation soit beaucoup plus grise que ne le laisse croire la rhétorique politique libérale :

M. Marler (Westmount-Saint-Georges): Comment procède-t-on cette année avec les petits numéros?

L'honorable M. Gagnon (Matane): La liste des petits numéros ne change pas énormément d'année en année. Nous écrivons à ceux qui en avaient l'an dernier pour leur demander s'ils désirent les conserver. Je dirai même qu'hier un homme charmant, un député de l'opposition, est venu me voir pour obtenir un petit numéro et j'ai été heureux de le lui accorder.

M. Rochon (Montréal-Saint-Louis): Le député, c'est moi. Mais je tiens à faire une mise au point. Le petit numéro, ça n'était pas pour moi mais pour un prêtre qui m'avait demandé ce service. Moi, les petits numéros, ça ne me dit rien et je n'en veux pas.

L'honorable M. Duplessis (Trois-Rivières): Je comprends que le député trouve que la pratique des petits numéros est condamnable et qu'il veut placer un prêtre dans une mauvaise situation.

(Rires)

M. Marler (Westmount-Saint-Georges): En ce qui me concerne, j'ai un numéro dans les 260,000. Si j'avais un petit numéro, j'aurais peur que les gens me prennent pour un de ces gens de l'Ungava! Pourquoi m'a-t-on envoyé un formulaire spécial alors que j'ai déjà mon numéro?

L'honorable M. Duplessis (Trois-Rivières): Je comprends le chef de l'opposition. Les petits numéros se voient facilement. Et ceux qui ont quelque chose à cacher n'aiment pas à être vus, remarqués. Le gouvernement a eu la délicatesse de faciliter à des gens qu'il connaît l'émission de leur permis. C'est tout et c'est simple.

Une formule spéciale a été envoyée au chef de l'opposition par délicatesse et par courtoisie, pour lui éviter des déplacements. Le geste ne se répétera pas, parce qu'il n'est pas apprécié.

 

Une autre anecdote surprenante : le fait que Maurice Duplessis se porte garant du projet de loi privé du journaliste Pierre Laporte, neveu du marchand de salaisons et ancien député libéral Alfred Leduc dont l'entreprise, Compagnie E. et A. Leduc Ltée, est menacée d'être expropriée par le gouvernement fédéral pour la construction du tunnel de la rue Atwater à Montréal. Cette expropriation porterait atteinte au patrimoine familial de la famille Leduc. La loi concernant la Compagnie E. et A. Leduc Ltée est finalement sanctionnée le 19 décembre 1951, et cela, malgré l'opposition du chef libéral George Marler70.

Un dernier fait cocasse de la session est le pari que Marler prend avec Duplessis sur le dénouement de leurs élections respectives. Marler mise un dollar que sa majorité dans le comté de Westmount sera plus grande que celle du premier ministre, lequel accepte le défi lancé par le chef de l'opposition. Pour connaître le dénouement de cette histoire, il faut se référer à l'introduction générale de la session 1952-1953, section des faits divers, faits cocasses.

 

Critique des sources

Par Olivier Côté

La Tribune de la presse en 1951-1952

Le président de la Tribune de la presse est le journaliste Pierre Laporte du Devoir; le vice-président, Dostaler O'Leary, appartient au journal La Patrie; Henri Dutil, du Soleil, est le secrétaire-trésorier. Sont aussi membres de la Tribune : Guy Beaudry, du Montreal Daily Star; Maurice Bernier, du Montréal-Matin; Hervé Biron, du Nouvelliste; Paul Bouchard, de La Nation; Calixte Dumas, de L'Action catholique; Amédée Gaudreault, de La Tribune; Charles Hamel, du Canada; S. Kearnes, dont l'affiliation n'est pas connue; Arthur-W. Langlais, de La Presse; Jacques Monnier, de L'Événement-Journal; Charles-Eugène Pelletier, du Droit; Marcel Thivierge, du Devoir; Jacques Verrault, de L'Action catholique; Abel Vineberg, de The Gazette71.

En cette année 1951-1952, aucun parlementaire n'a de critique à formuler aux courriéristes. Dans le contexte des vœux de fin d'année de la séance du 20 décembre 1951, Marler et Chaloult louangent le « travail formidable » accompli par les journalistes de la tribune parlementaire.

Les journalistes auraient tout de même tendance à embellir le niveau de langue employé par les députés pour leur plus grand bénéfice : « En lisant le journal, beaucoup de députés se rendent compte qu'ils ont parlé mieux qu'ils ne pensaient, et c'est là le grand mérite des journalistes », affirme René Chaloult, le 20 décembre 1951.

En ce qui a trait à la reconstitution des débats72, certains extraits divergent aussi sensiblement, selon qu'ils aient été rapportés dans L'Action catholique ou dans Le Devoir. Ainsi, Le Devoir du 9 janvier 1952, à la page 5, ne rend pas compte du même ordre des discours pour ces discussions sur les pensions alimentaires que L'Action catholique et Le Soleil du même jour. Mais, pour l'ensemble, on peut conclure que les débats reconstitués de la session 1951-1952 constituent un portrait fidèle de ce qui s'est dit dans l'arène parlementaire.

 

Notes de l'introduction historique et de la critique des sources

1. Conrad Black, Maurice Duplessis, Montréal, Les Éditions de l'Homme, tome 1, 1999, p. 277.

2. Évidemment, il faut exclure de cette tendance Mgr Charbonneau, qui était intervenu en faveur des grévistes d'Asbestos, en 1949, au détriment de la position du régime duplessiste.

3. C. Black, Duplessis…, p. 377.

4. André Laurendeau (1912-1968) est un grand intellectuel québécois, qui fut à ses heures musicien, romancier, dramaturge, essayiste, journaliste et homme politique. Il fut successivement directeur de la revue L'Action nationale (1937-1943; 1948-1954), chef et député élu du Bloc populaire (1944-1947), éditorialiste, rédacteur en chef adjoint et rédacteur en chef du Devoir de 1947 à 1968. Il coprésida par ailleurs la commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme de 1963 jusqu'à ce qu'il décède subitement, le 1er juin 1968.

5. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec…, p. 210 et p. 347-358.

6. Ibid., p. 212.

7. Ibid., p. 222.

8. Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain (Le Québec depuis 1930), Montréal, Boréal, 1989, p. 204.

9. Ibid., p. 309.

10. Conrad Black, Duplessis, Montréal, Éditions de l'Homme, 1997, p. 275.

11. Ibid., p. 462.

12. Une « union de boutique » est un syndicat qui s'inspire du nationalisme traditionnel canadien-français, qui est peu agressif sur le plan des revendications ouvrières et qui est généralement non affilié aux syndicats internationaux. Gérald Fortin, « Le nationalisme canadien-français et les classes sociales », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 22, no 4, 1969, p. 531.

13. Jean Provencher, Chronologie Québec : 1534-2007, Montréal, Boréal, 2008, 375 p.

14. Don Gillmor, Canada : A People's History, Toronto, McClelland and Stewart, 2001, p. 219.

15. Ibid., p. 225.

16. Jacques Paul Couturier, Un passé composé : le Canada de 1850 à nos jours, Moncton, Éditions d'Acadie, p. 286.

17. Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps (tome II : 1944-1959), Montréal, Fides, 1973, p. 389.

18. R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 411.

19. On parle d'une consommation moyenne de 12 films par année. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec…, p. 387.

20. Le Montréal-Matin du 5 décembre 1951, à la p. 3, note que le député de Montréal-Outremont,  M. Henri Groulx, n'a pas occupé son siège depuis  le début de la session. C'est ce qui explique le nombre de sept députés de l'opposition. Pourtant, L'Action catholique du 8 novembre 1951 précisait, en p. 2, « La physionomie de la Chambre était la même que lors de la dernière session. Aucun changement dans le diagramme. Aucune vacance parmi la députation ».

21. Ibid., p. 262-263.

22. Ibid., p. 256.

23. Ibid., p. 263.

24. C. Black, Duplessis…,  p. 248.

25. Ibid., p. 264.

26. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec…, p. 362-363.

27. Jacques Beauchemin, «Politisation d'un nationalisme ethniciste dans le Québec duplessiste  », dans Michel Sarra-Bournet, Les nationalismes au Québec  du XIXe au XXIe siècle, Québec, PUL, 2001, p. 117.

28. Jocelyn Létourneau, « Saisir Lapalme à travers les enjeux d'une époque. Notes sur le développement économique du Québec », dans  Jean-François Léonard, George-Émile Lapalme, Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1988, p.43-44. Michel Sarra-Bournet écrit sur cet aspect : « Peu différent de celui de Taschereau, son modèle de développement économique visait à créer de l'emploi en attirant les investisseurs étrangers. Paradoxalement, ce libéralisme économique contribuait à déposséder les Canadiens français de la maîtrise de leur économie. » Michel Sarra-Bournet, « Maurice Duplessis », Dictionnaire biographique du Canada, site Internet : http://www.biographi.ca/

29. M. Sarra-Bournet, « Maurice Duplessis »…

30. Jacques Beauchemin postule plutôt que l'autonomie provinciale de Duplessis, ses luttes constitutionnelles visaient la défense de la régulation sociale libérale plutôt que du traditionalisme. Beauchemin, « Politisation d'un nationalisme… », p. 125.

31. De 1946 à 1953, Duplessis engage 1 665 poursuites contre les Témoins de Jéhovah, ayant trait surtout au non-respect des règlements municipaux, ce qui laisse un goût amer de persécution religieuse. C. Black, Duplessis…, p. 302; Michel Sarra-Bournet, L'affaire Roncarelli : Duplessis contre les Témoins de Jéhovah, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986, 196 pages.

32. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec…, p. 361-362.

33. Georges-Émile Lapalme cite la déclaration suivante du premier ministre Louis Saint-Laurent, laquelle contredit la position du Parti libéral du Québec : « … quant à moi, bien que j'habite la province de Québec, je ne me plains pas de dispositions  qui ont été prises en vue d'exploiter ces ressources. Je sais, certains de mes amis ont reproché à l'administration provinciale le marché qu'elle a conclu. Pour ma part, je suis plutôt porté à croire qu'il faut la féliciter d'avoir conclu des ententes qui marquent le début de l'exploitation de la région. » Louis Saint-Laurent se rétractera, mais, comme l'indique Lapalme, « Maurice Duplessis garda toujours dans sa poche le texte de la bienheureuse félicitation qu'il avait reçue, et jusqu'à sa mort, en Chambre et dans la province, il asséna à notre parti, régulièrement et sans répit, l'argument massue qu'il lisait partout avec les accents de la volupté. » Georges-Émile Lapalme, Le vent de l'oubli (mémoires, tome II), Ottawa, Leméac, 1970, p. 85 et 93.

34. Vincent Lemieux, Le Parti libéral du Québec : alliances, rivalités et neutralités, Sainte-Foy, PUL, 1993, p. 98.

35. Ibid., p. 71.

36. René Chaloult, Mémoires politiques, Montréal, Éditions du Jour, 1969, p. 70.

37. Ibid., p. 118-119.

38. Le 15 mars 1951, le gouvernement iranien propose de nationaliser la production du pétrole en expropriant l'Anglo-Iranian Oil. Le 30 avril, alors que le Parlement iranien approuve cette décision gouvernementale, les pays occidentaux imposent un embargo aux sociétés pétrolières sur l'achat du pétrole iranien. Le 21 août, le médiateur américain W. Averell Harriman menace de suspendre l'aide américaine si le gouvernement iranien ne parvient à aucun accord avec la Grande-Bretagne. La question ne sera résolue qu'en 1956, à la faveur des forces occidentales, avec l'emprisonnement du premier ministre Mohammad Mossadegh et son désaveu par le shah d'Iran. 

39. R. Chaloult, Mémoires…,  p. 98-99.

40. Ibid., p. 56.

41. Ibid., p. 58-62 et p. 181.

42. R. Chaloult, Mémoires politiques…, p. 184.

43. Ibid., p. 182.

44. L'Action catholique, 8 novembre 1951, p. 2.

45. Raymond Paradis, Nous avons connu Duplessis, Montréal-Nord, Éditions Marie-France, 1977, p. 26.

46. G.-É. Lapalme, Le vent…, p. 117.

47. M. Sarra-Bournet, « Maurice Duplessis »…

48. Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard écrivent pourtant : « […] en 1950-1951, il [le gouvernement fédéral] obtient l'accord de toutes les provinces pour amender la constitution de manière à détenir l'autorité sur les pensions de vieillesse, dont il assume entièrement le coût et qui deviennent universelles. » P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec…, p. 379.

49. Dans la campagne québécoise, il y avait trois personnages importants : le curé, le médecin de famille et le notaire. C'est partiellement pour garantir le maintien des piliers traditionnels de la société que Duplessis soutient la loi sur les centres diagnostics.

50. M.-S. Bournet, « Maurice Duplessis »….

51. À cette époque, la province de Québec est fermement alignée sur les pratiques de l'Église catholique : elle interdit le divorce judiciarisé, bien que dans les faits les gens se séparent.

52. Dans ce débat, le gouvernement sert un avertissement aux industriels du Québec pour protéger les terres arables au potentiel agricole du développement industriel et ainsi sauvegarder le traditionalisme canadien-français : « J'espère que les industriels de la province de Québec et du pays réaliseront le danger d'établir de grandes industries sur les ruines de l'agriculture […] Il ne faut pas encourager les industries à s'établir en pleine campagne, parce que cela favorise le déracinement des cultivateurs. » (Duplessis, 13 novembre 1951)

53. C. Black, Duplessis…, p. 291.

54. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec…, p. 276.

55. R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 423.

56. La moralité chrétienne est ici autant unioniste que libérale et ses principaux gardiens sont les autorités religieuses.

57. Un grill est un restaurant qui sert des viandes grillées et des boissons alcoolisées; une salle de danse y est généralement attenante.

58. Cité dans R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 414.

59. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec…, p. 358.

60. Voir à ce sujet l'introduction aux débats de la session 1954-1955.

61. Dupré accuse aussi l'Union nationale de saborder l'industrie de la betterave en accordant des prix trop bas aux agriculteurs, de sorte qu'ils réduisent leur production. Dupré : « Il y a sabotage par les moyens suivants: une mauvaise publicité, des efforts pour détruire l'association de la betterave, le refus de payer un prix raisonnable et justifié aux producteurs de betterave, la destitution du gérant, la nomination d'un contrôleur qui est organisateur politique, la diminution du nombre des agronomes spécialisés dans cette culture et le changement dans le système de comptabilité pour cacher les profits aux cultivateurs […] Toutes les publications fournies aux cultivateurs par le ministère de l'Agriculture ont laissé planer un doute sur le succès de cette entreprise. Les cultivateurs sérieux n'ont pu faire autrement que de se poser des questions, de se demander s'il valait la peine de s'organiser pour produire de la betterave. » (16 janvier 1952)

62. V. Lemieux, Le Parti libéral...,  p. 82.

63. Entre autres au sujet « […] des trésors polonais enfermés sous bonne garde au Musée de la province, au sujet de certains postes radiophoniques, contre l'hôtel de ville, de Montréal, pour l'entrepose de mitraillettes, pour le renversement de son régime ». G.-É. Lapalme, Le vent de l'oubli…, p. 83.

64. L'historien Robert Rumilly écrit sur le rapport de la commission : « Les commissaires adoptent la distinction suggérée par le Père Lévesque entre l'éducation, que la constitution réserve aux provinces, et la culture, champ libre où l'État fédéral peut s'engager. Duplessis récuse aussitôt cette distinction spécieuse. Mais le rapport Massey devient la charte des centralisateurs. » R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 401.

65. Le journaliste Pierre Laporte se fait le chantre de cette revendication: « M. Duplessis n'a qu'à décréter un impôt provincial de 5 p.c. sur le revenu et il encaissera près de $10,000,000 [sic] par année. Le contribuable ne paiera rien de plus puisqu'il pourra déduire cette taxe de son impôt fédéral, comme l'y autorise la loi. Seul Ottawa y perdra. Et Québec pourra avec les millions arrachés au gouvernement central – millions qui appartiennent aux provinces – sauver l'autonomie éducationnelle. Si M. Duplessis fait cela, la session 1951-1952 sera vraiment à la gloire de l'autonomie et il en aura le crédit. S'il ne le fait pas et s'il ne trouve pas un autre moyen de régler le problème, sa réputation déjà entamée d'autonomiste aura vécu. » Pierre Laporte, « La session provinciale », Le Devoir, le 5 novembre 1951, p. 4.

66. R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 409-410.

67. Ibid.; C. Black, Duplessis…, p. 353-354.

68. Le rapport Tremblay (1956), publié en quatre volumes, considère que le régime politique de 1867 a pour fonction de faire cohabiter les communautés anglophone et francophone dans une même infrastructure. Il propose une plus grande autonomie des provinces, le transfert conséquent des programmes sociaux du fédéral au provincial et une réforme fiscale du cadre confédératif canadien.

69. Armand Jean du Plessis (1585-1642), cardinal-duc de Richelieu et duc de Fronsac, fut le principal ministre de Louis XIII. Il est considéré par plusieurs historiens comme l'un des principaux fondateurs de l'État moderne français, en raison de ses méthodes de gouvernement ancrées dans la raison d'État et de son féroce combat en faveur du renforcement du pouvoir royal.

70. R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 414.

71. Bibliothèque de l'Assemblée nationale, Les membres de la tribune de la presse : liste chronologique 1871-1989, 1990. Pour de plus amples renseignements sur l'institution de la Tribune de la presse, il faut consulter Jocelyn Saint-Pierre, Histoire de la tribune de la presse à Québec, 1871-1959, Montréal, VLB éditeur, 2007, 315 p.

72. Voir à ce sujet : Gilles Gallichan, « Le Parlement "rapaillé" : la méthodologie de la reconstitution des débats », Les Cahiers des Dix, no 58 (2004), p. 275-296.