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(Dix heures douze minutes)
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît!
Un moment de recueillement.
Veuillez vous asseoir.
Nous allons procéder aux affaires courantes.
Déclarations ministérielles.
Présentation de projets de loi. M. le leader du gouvernement.
M. Gratton: M. le Président, avec le consentement de
l'Opposition et des membres de l'Assemblée, évidemment, je vous
demanderais d'appeler l'article b, du feuilleton, s'il vous plaît.
Projet de loi 207
Le Président: À l'article b, j'ai reçu le
rapport du directeur de la législation sur le projet de loi 207, Loi
concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur
l'île de Montréal. Le directeur de la législation a
constaté que les avis n'ont pas été publiés
conformément aux règles de fonctionnement des projets de loi
d'intérêt privé. Étant donné le consentement
de cette Assemblée, j'aimerais déposer, quand même, le
rapport de ce projet de loi d'intérêt privé.
À l'article b du feuilleton, ce matin, M. le député
de Marquette présente le projet de loi d'intérêt
privé 207, Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des
déchets sur l'île de Montréal. L'Assemblée
accepte-t-elle de s'en saisir? M. le leader de l'Opposition.
M. Gendron: Adopté.
Le Président: Adopté. M. le leader du
gouvernement.
Renvoi à la commission de l'aménagement
et des équipements
M. Gratton: M. le Président, je fais motion pour que le
projet de loi soit déféré à la commission de
l'aménagement et des équipements et pour que le ministre des
Affaires municipales en soit membre.
Le Président: Cette motion de renvoi est-elle
adoptée?
M. Gendron: Adopté.
Le Président: Adopté. M. le leader du gouvernement,
y a-t-il d'autres présentations de projets de loi?
M. Gratton: Non, M. le Président.
Le Président: Dépôt de documents. M. le
ministre des Finances.
Comptes publics pour l'année
financière
terminée le 31 mars 1988 et Rapport financier
1987-1988 du ministère des Finances
M. Levesque: M. le Président, conformément à
l'article 72 de la Loi sur l'administration financière, j'ai l'honneur
de déposer en deux copies les comptes publics du gouvernement pour
l'année financière terminée le 31 mars 1988, et
également en deux copies, le rapport financier 1987-1988 du
ministère des Finances.
Le Président: M. le ministre des Finances, tous vos
rapports sont maintenant déposés.
Toujours à l'étape des dépôts de documents,
M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.
M. le ministre de la Sécurité publique, à
l'étape des dépôts de documents.
Rapports annuels du BPCQ et du ministère du
Solliciteur général
M. Marx: Oui, M. le Président. J'ai l'honneur de
déposer le rapport annuel 1987-1988 du Bureau de la protection civile du
Québec. Aussi, j'aimerais déposer le rapport annuel 1987-1988 du
ministère du Solliciteur général, devenu depuis
ministère de la Sécurité publique.
Le Président: M. le ministre de la Sécurité
publique, vos deux rapports sont maintenant déposés.
M. le ministre responsable du Commerce extérieur.
Rapport annuel du ministère du Commerce
extérieur et du Développement technologique
M. Gobeil: M. le Président, j'ai l'honneur de
déposer le rapport annuel 1987-1988 du ministère du Commerce
extérieur et du Développement technologique.
Le Président: M. le ministre, votre rapport est maintenant
déposé.
M. le leader du gouvernement, au nom du ministre de l'Énergie et
des Ressources, toujours à l'étape des dépôts de
documents.
Rapports annuels du ministère de
l'Énergie et des Ressources et de la REG
M. Gratton: M. le Président, je voudrais déposer le
rapport annuel 1987-1988 du ministère de l'Énergie et des
Ressources, de même que le rapport annuel 1987-1988 de la Régie de
l'électricité et du gaz.
Le Président: M. le leader du gouvernement, vos deux
documents sont maintenant déposés. Est-ce qu'il y a d'autres
dépôts de documents?
Dépôts de pétitions. M. le député de
Bertrand.
Empêcher la commercialisation du
dimanche
M. Parent (Bertrand): M. le Président, je dépose
l'extrait d'une pétition adressée à l'Assemblée
nationale par 89 pétitionnaires travailleurs et travailleuses de Les
câbles Canada Itée et Culinar inc, des comtés de Beauce et
de Vanier. L'intervention réclamée se résume ainsi: "Que
l'Assemblée nationale légifère rapidement dans le but
d'empêcher la commercialisation du dimanche."
Une voix: Bravo!
Le Président: M. le député de Bertrand,
votre pétition est déposée.
À l'étape des dépôts de rapports de
commissions, je voudrais interpeller M. le député de
Laval-des-Rapides.
Étude détaillée du projet de loi
80
M. Bélanger: M. le Président, j'ai l'honneur de
déposer le rapport de la commission des affaires sociales qui a
siégé les 9 et 19 décembre 1988 afin de procéder
à l'étude détaillée du projet de loi 80, Loi
modifiant la Loi sur le ministère de la Santé et des Services
sociaux. Le projet de loi a été adopté.
Le Président: M. le député de
Laval-des-Rapides, votre rapport de commission est maintenant
déposé.
Est-ce qu'il y a d'autres rapports de commissions?
Ce matin, il n'y aura pas d'interventions portant sur une violation de
droit ou de privilège ou sur une question de fait personnel.
QUESTIONS ET RÉPONSES ORALES
Je suis prêt à reconnaître la première
principale, ce matin, à M. le député de Taillon. M. le
député de Taillon, en principale.
Quand les règlements sur l'affichage seront-ils
connus?
M. Filion: Merci, M. le Président. En dévoilant
hier la première partie du secret de Fatima, c'est-à-dire le
projet de loi, en moins de quinze minutes, lors de sa conférence de
presse, le ministre responsable de la loi 178 s'est contredit à
plusieurs reprises, notamment au sujet de la prédominance, de la formule
"extérieur-intérieur" et spécifiquement au sujet de la
question des territoires ou ghettos linguistiques.
Le ministre a commencé par dire qu'il n'y aurait aucune limite
territoriale, qu'à Chicoutimi ou à Pointe-Claire l'affichage
intérieur et extérieur serait soumis aux mêmes conditions.
Quelques minutes plus tard, le ministre recon- naissait la possibilité
de créer des ghettos linguistiques pour les entreprises de plus de 50
employés. Or, manifestement, le gouvernement ignore où il s'en
va. Manifestement, les contenus des règlements toujours non
rédigés voguent au gré des réactions des
médias, du caucus, de tous et chacun.
Ma question s'adresse au ministre responsable de la loi 178. Je voudrais
savoir, étant donné qu'on plaidait, hier, l'urgence d'un
encadrement juridique, quand ces règlements seront-ils connus?
Le Président: M. le ministre délégué
aux Affaires culturelles.
M. Rivard: Ce qui était important et ce qui est important
actuellement, M. le Président, c'est d'adopter le projet de loi 178
parce qu'il fait suite à un jugement de la Cour suprême qui nous
dit que, dans le comportement qui était celui de la loi 101 eu
égard à l'affichage commercial, il y avait trop
d'intolérance, il y avait trop d'intransigeance.
Le projet de loi 178 dit clairement - il faut que je le
répète - que, premièrement, l'affichage extérieur
se fait uniquement en français; deuxièmement, l'affichage
à l'intérieur des commerces se fait obligatoirement en
français; troisièmement, il est possible - c'est un choix, c'est
une option pour le commerçant - d'utiliser une autre langue et cette
option doit être conforme, d'une certaine façon, à
l'option, au choix, à la demande du consommateur. Ce qui est important,
c'est cela. (10 h 20)
II y a dans la loi deux articles qui parlent de réglementation.
Il y en a un, en particulier, qui parie de nette prédominance et un
autre qui parie de la réglementation qui doit être mise en vigueur
par l'Office de la langue française et qui définirait les
conditions auxquelles une grande surface, un grand commerce pourrait avoir la
possibilité d'utiliser une deuxième langue. Cette
réglementation viendra en son temps.
Le Président: M. le député de Taillon, en
additionnelle.
M. Filion: M. le Président, je voudrais rappeler au
ministre que ses vidéo-clips ne sont pas des gros vendeurs actuellement.
Ma question était simple: Quand ces règlements seront-ils connus?
Est-ce que le ministre responsable admet que, tant que ces règlements
seront au stade de la deuxième partie du secret de Fatima, il est
impossible pour la population, il est impossible pour les parlementaires que
nous sommes de discuter de son projet de loi qui, à sa face même,
est inapplicable en introduisant trois concepts artificiels?
Le Président: M. le ministre délégué
aux Affaires culturelles.
M. Rivard: M. le Président, j'ai expliqué au
député de Taillon, hier, que le Parti québécois
avait mis au monde une loi compliquée, complexe, où l'on voit
à la fois l'intention première qu'il y ait du français
partout, mais aussi l'intention seconde qui est d'appliquer cette loi au
contexte et au réalisme québécois. Je souligne au
député de Taillon que, dans la loi de 1977, la loi 101, il
existait des concepts qui appelaient des définitions, par exemple,
à l'article 24, la prédominance. C'est vous qui avez mis cela
dans la loi, la prédominance, et vous avez pris des années... Que
je sache, il n'y a pas de définition précise de la
prédominance dans le règlement actuel de l'Office de la langue
française.
Le Président: M. le député de Taillon, en
additionnelle.
M. Gendron: Rapidement, question de règlement.
Le Président: Question de règlement, M. le leader
de l'Opposition.
M. Gendron: Vous savez, l'article est très clair. Un
ministre doit dire au moins un mot de la question posée. Il vient de
terminer - c'est pour cela que je le fais à la fin - et il n'a pas
traité une seconde d'un des éléments de la question
posée. Je sais bien qu'on peut dire à peu près n'importe
quoi, mais il faut au moins toucher un élément de la question
posée. La question portait sur les règlements et non sur la loi
101 qu'il a de la difficulté à comprendre.
M. Gratton: M. le Président.
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Gratton: Sur la question de règlement.
Le Président: Sur la question de règlement.
M. Gratton: C'est une question d'opinion, à savoir si le
ministre répond aux éléments de la question ou non.
Des voix: Non, non.
M. Gratton: Bien oui! On a des opinions différentes sur un
tas de sujets et notamment sur celui-là, je n'apprends rien à
personne. Et je semble apprendre à l'Opposition que l'article 81 dit:
Aucun rappel au règlement ne peut être fondé sur le fait
que la réponse à une question est insatisfaisante. Je ne sais pas
ce que le leader de l'Opposition veut faire, s'il veut interrompre la bonne
marche des débats, mais sa question de règlement n'était
pas fondée.
Le Président: M. le député de Taillon, je
vais vous reconnaître pour une autre question additionnelle. Et vous
aurez toutes les questions additionnelles nécessaires pour qu'on
réponde à votre question. M. le député de Taillon,
en additionnelle.
M. Filion: M. le Président, j'aimerais que le ministre
responsable de la loi 178 - je pense que c'est ainsi qu'on va l'appeler
maintenant - arrête de finasser et réponde un peu plus aux
questions légitimes de l'Opposition qui représente les
préoccupations des citoyens aujourd'hui, au Québec.
Le Président: Votre question.
M. Filion: Ma question est simple, je vais la lui
répéter une troisième fois. Quand les règlements
seront-ils connus? Ces règlements sont finalement inconnus de tout le
monde. Le ministre admet que seul le dépôt de ces
règlements va permettre une discussion de son projet de loi qui,
à sa face même, est inapplicable à cause du fait qu'il
introduit trois concepts artificiels. Est-ce qu'il peut répondre
à ma question?
Le Président: M. le ministre délégué
aux Affaires culturelles. M. le ministre.
M/ Rivard: J'ai toujours des problèmes, M. le
Président, avec les préambules du député de Taiilon
et, en particulier, lorsqu'il dit qu'il parle au nom des
Québécois. Je ne sais pas si le député de Taillon,
quand il fait cela, le fait comme membre de l'Opposition de cette Chambre ou
comme membre du Parti québécois qui, lors d'un certain
congrès national, a affiché, en matière linguistique, une
intransigeance qui a été soulignée par tous comme
étant intolérable.
Pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, M. le
député de Taillon, je voulais me servir de deux concepts, les
mêmes concepts au sujet desquels vous parlez de je ne sais pas quoi, de
non-clarté....
Le Président: Brièvement, M. le ministre.
M. Rivard: ...d'artificialité. Le concept de la
prédominance, vous l'aviez mis dans l'article 24 de la loi 101 et le
concept de la distinction entre extérieur et intérieur, vous
l'aviez, dès 1977, dans l'article 60. Lorsque vous avez quitté le
pouvoir en 1985 à la suite des élections que vous savez...
Le Président: Conclusion, M. le ministre.
M. Rivard: ...vous n'aviez toujours pas défini par
règlement ce que ça voulait dire.
Le Président: M. le député de Taillon, en
additionnelle.
M. Filion: Incroyable, M. le Président!
Quand les règlements seront-ils connus? Je pense que ce sont des
mots qui sont dans le dictionnaire. Ce n'est pas compliqué. Pourquoi ces
territoires linguistiques, ces ghettos linguistiques que vous avez
évoqués hier dans votre conférence de presse?
Répondez donc à mes questions.
Le Président: M. le ministre délégué
aux Affaires culturelles. M. le ministre.
M. Rivard: Je n'ai, en aucune façon, utilisé de
tels mots "territoires, ghettos linguistiques". Et, en ce qui concerne la
réglementation, elle viendra, comme je l'ai dit tout à l'heure,
en son temps.
Le Président: M. le chef de l'Opposition, en
additionnelle.
M. Chevrette: M. le Président, si les règlements
viennent à un moment X, entretemps, il y a un vide juridique. Quelle est
l'urgence d'adopter une loi en cette Chambre sous prétexte qu'il y a un
vide juridique si le vide juridique persiste tant et aussi longtemps que les
règlements ne seront pas connus?
Des voix: Bravo!
Le Président: M. le premier ministre.
M. Bourassa: M. le Président, d'abord, je voudrais
simplement signaler au chef de l'Opposition... Je lui ai dit que je
vérifierais la déclaration qu'il a faite hier - je peux me
permettre de lui répondre - quand il m'a contredit sur le fait qu'il
n'avait jamais dit que l'affichage unilingue français... Je le
réfère à la page 5629...
M. Gendron: Question de règlement, M. le
Président.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président: Question de règlement, M. le leader
de l'Opposition.
M. Gendron: Oui, très simplement. L'article 79 dit: "La
réponse à une question doit être brève, se limiter
au point qu'elle touche..." Que je sache, sur la question additionnelle,
d'abord, qui s'adressait à l'irresponsable de la langue
française...
Des voix: Ah, ah!
M. Gendron: ...c'est le premier ministre qui répond et, en
conséquence, on n'a jamais demandé...
Des voix: Ah, ah!
Le Président: À l'ordre! À l'ordre, s'il
vous plaît!
M. Gendron: ...au premier ministre de faire une correction par
rapport aux galées d'hier.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Votre question de règlement, M. le leader de l'Opposition.
M. Gendron: Ma question de règlement. Très
simplement, nous ne croyons pas que le premier ministre peut se lever en cette
Chambre... Il a le droit de se lever à la suite de questions
posées à la période de questions, mais les
compléments de réponse, c'est après la période de
questions. Quant aux corrections à la suite de quelque chose dit hier,
nous aussi, on a accès aux galées, on a droit encore à
ça. Dans ce sens-là, on peut très bien aller
vérifier ce qui se passe. Le premier ministre n'a pas à apporter
des corrections à une question qui n'est pas posée
aujourd'hui.
Une voix: Ça fait mal pareil.
M. Bourassa: M. le Président, pour compléter la
réponse. J'ai le droit de répondre d'une façon
additionnelle. Je dis simplement, en passant, que si on lit le texte
d'hier...
Le Président: M. le premier ministre... M. Bourassa:
Oui.
Le Président: ...si c'est la réponse à la
question de M. le chef de l'Opposition, je vous reconnais le droit de parole.
Si c'est en complément ou en additionnelle sur une question qui a
été posée hier à la fin de la période de
questions, je vais vous reconnaître pour que vous puissiez apporter les
éléments additionnels à la question posée par M. le
chef de l'Opposition hier.
M. Bourassa: J'aurai l'occasion de démontrer le flagrant
délit de mensonge du chef de l'Opposition.
Des voix: Hé! Hé!
Une voix: Qu'il retire ses paroles.
Le Président: Avant que je vous reconnaisse, M. le chef de
l'Opposition, M. le premier ministre, ce sont des propos qui ne sont pas permis
en cette Chambre.
M. Bourassa: D'accord.
Le Président: Je vous demanderais de les retirer.
M. Bourassa: Flagrant délit d'inexactitudes.
Une voix: Une utilisation abusive de la langue.
M. Bourassa: M. le Président, ce que je veux dire, c'est
que...
M. Chevrette: Un peu de dignité! Des voix: Ha, ha,
ha!
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Cela dit, M. le premier ministre. (10 h 30)
M. Bourassa: M. le Président, encore une fois, nous sommes
d'accord, le chef de l'Opposition et moi-même. Ce que je veux lui dire,
c'est qu'il y a beaucoup de commentaires qui sont faits sur la question du vide
juridique, le dépôt du projet de loi. Ce que je veux dire au chef
de l'Opposition, c'est que, dans le jugement, à la page 32, il est bien
dit que la clause dérogatoire ne peut avoir un effet rétroactif.
Nous sommes donc obligés de procéder parce que, si nous ne
procédons pas, l'unilinguisme anglais... Je pense que personne en cette
Chambre - on a ce consensus au Québec; M. Camille Laurin s'y
référait hier - aucun député en cette Chambre n'est
d'accord avec l'unilinguisme anglophone, non pas pour brimer la liberté
d'expression, mais pour des raisons culturelles évidentes. Alors, ce que
je dis à l'expert juridique, le député de Taillon qui
connaît bien son droit, c'est que, dans le jugement, il n'y a pas d'effet
rétroactif à la clause dérogatoire. Si le gouvernement
n'agit pas, il y a ce vide qui permet toutes les formes d'affichage. C'est
pourquoi nous sommes obligés... Je rencontre ce soir le Mouvement
Québec français qui veut me faire reporter... Je les comprends et
je les respecte. J'ai trouvé le temps de les rencontrer. Cet
après-midi, je rencontre les dirigeants des grandes entreprises
également. J'essaie d'être le plus disponible, mais il y a des
réalités juridiques incontournables qui justifient l'action
immédiate du gouvernement.
Le Président: M. le chef de l'Opposition, en
additionnelle.
M. Chevrette: Au-delà de l'ordre du jour du premier
ministre, M. le Président, la question était la suivante. Compte
tenu du fait qu'il y a un vide juridique et que vous vous sentiez obligé
d'agir rapidement - en ce qui regarde l'extérieur, c'est le maintien de
la loi 101 par l'utilisation du "nonobstant" - quant à
l'intérieur, et c'est là où le bât blesse, vous
dites vous-même que, tant et aussi longtemps que les règlements ne
seront pas entérinés, il n'y aura pas de poursuites possibles
puisqu'il n'y aura pas de règlements sur lesquels on pourra s'appuyer.
À ce moment-là, qu'est-ce qui vous empêche d'utiliser la
technique légale qu'on vous suggérait, une certaine forme de
statu quo temporaire, et, comme mon collègue Godin l'avait fait en 1983,
de faire venir les groupes pour qu'ils s'expriment sur des règlements
qui vont lier le Québec pour longtemps et qui risquent d'être la
clef de l'anglicisa-tion?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Bourassa: La question du chef de l'Opposition est
compréhensible. Je lui ai dit que, à l'occasion de la commission
plénière, nous pourrons examiner ces différents aspects:
la question de la mise en application des règlements, la question de la
protection, l'aspect de l'unilinguisme français lorsque c'était
nécessaire. Il y aura moyen de discuter en commission
plénière quand la loi commence à s'appliquer par rapport
à la publication ou à l'acceptation des règlements.
J'espère que le chef de l'Opposition sera rassuré à ce
moment-là.
Le Président: M. le chef de l'Opposition, en
additionnelle.
M. Chevrette: M. le Président, est-ce que le premier
ministre prend l'engagement ferme de consulter tous les
'intéressés avant de mettre en application une
réglementation aussi dangereuse sur le maintien de la langue
française au Québec?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Bourassa: Le chef de l'Opposition dit tous les
intéressés. Cela peut être une liste très longue. Ce
que je lui dis c'est que, sur le plan légal, nous allons établir
une situation bien claire. On pourra discuter en commission
plénière, pour rassurer ceux qui craindraient une application
prématurée. Les modalités de la publication, les
conditions de consultation, nous aurons amplement l'occasion de discuter
à ce moment. Ce qui est important pour rassurer l'Opposition ou ceux qui
pourraient être inquiets, c'est qu'il n'y ait pas d'application
prématurée de la loi, indépendamment des
règlements. Ceci peut se faire par des dispositions
législatives.
Le Président: M. le député de Taillon, en
additionnelle.
M. Filion: En espérant que le ministre responsable de la
loi 178 aura retrouvé la langue.
Le Président: Votre question. À l'ordre! À
l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Taillon, votre
question.
M. Filion: Je voudrais savoir du ministre responsable de la loi
178, qui ne veut pas me répondre sur les divisions territoriales et les
nouveaux ghettos linguistiques, en vertu de quel
principe dans le projet de loi l'on fait en sorte que les certificats de
francisation d'une entreprise commerciale de 50 employés et plus
deviennent une prime à l'anglicisation? J'aimerais que le ministre
m'explique le raisonnement qui a servi à faire en sorte que dans le
projet de loi on dise que, si une entreprise de plus de 50 employés
obtient son certificat de francisation, ça lui donne la
possibilité d'afficher aussi en anglais à l'intérieur de
son commerce.
Le Président: M. le ministre délégué
aux Affaires culturelles.
M. Rivard: Ce qui est important, M. le Président, dans cet
article de la loi 178 c'est l'effet. Une entreprise de 50 employés et
plus au Québec est obligée, et il n'y a rien de changé
là-dessus, d'avoir un certificat de francisation. Elle entre en
négociation avec l'Office de la langue française pour
établir ce qui, d'après l'Office de la langue française,
correspond à un vrai programme de francisation, c'est-à-dire un
programme qui va amener l'entreprise à fonctionner d'une façon
réelle et durable en français.
Au cours de cette négociation, ce que dit dans le fond l'article
auquel vous faites référence, c'est qu'il faudra que l'Office de
la langue française s'assure, par exemple, qu'au plan de la langue
d'accueil et des services, et je sais que le député de Taillon
tient beaucoup à cet élément, la langue utilisée
par ce grand commerce soit le français. Deuxièmement,
étant donné que ce grand commerce dispose pour faire sa
publicité de moyens qui sont beaucoup plus importants que le petit
commerce...
Le Président: En conclusion, M. le ministre.
M. Rivard: ...via la publicité nationale, les catalogues,
les dépliants, etc., l'intention, c'est de s'assurer que ce grand
commerce n'utilisera pas le français là où ça ne
correspond pas à un besoin d'information chez la clientèle, ou
plutôt...
Le Président: Monsieur...
M. Rivard: ...n'utilisera pas l'anglais ou une autre langue
là où ça ne correspond pas aux besoins du
consommateur.
Le Président: M. le député de Taillon, en
additionnelle. M. le député de Taillon.
M. Fition: Le ministre responsable de la loi 178 ignore-t-il que
le suivi des certificats de francisation est tellement défaillant - et
tout le monde le lui dit, y compris l'Office de la langue française -
qu'en accollant maintenant une prime au bilinguisme à l'entreprise qui a
son certificat de francisation on en fait maintenant des certificats de
bilinguisation?
Le Président: M. le ministre délégué
aux Affaires culturelles.
M. Rivard: Je pense que le député de Taillon fait
référence au passé. Nous sommes en train depuis plusieurs
mois - et cela avait été commencé par ma
prédécesseure - de réviser tout le processus de
francisation de l'entreprise. Notre intention est claire, notre engagement est
clair, c'est de faire en sorte qu'au sein de la grande entreprise, puisque
c'est de celle-là qu'on parle, on travaille en français et on
serve la clientèle en français. Nous sommes en train de relancer
le processus.
Le Président: Principale? Je vais reconnaître M. le
député de Verchères, en principale.
Le projet de loi 178 et la solidarité
ministérielle
M. Charbonneau: Le premier ministre peut-if nous dire si les
règles de la solidarité ministérielle et de la ligne de
parti vont s'appliquer pour le projet de loi 178?
Le Président: M. le premier ministre. M. le premier
ministre.
M. Bourassa: Je trouve que la question est très opportune,
étant donné que le vote aura lieu demain. Je me serais attendu
qu'elle provienne du chef de l'Opposition. Je trouve un peu bizarre qu'elle
vienne du député de Verchères. Mais, ce qui compte, c'est
que la question soit justifiée.
Je voudrais dire au député de Verchères que j'ai
quand même déjà répondu à cette question. Je
ne crois pas, selon la tradition constitutionnelle, je ne connais aucun
précédent pour ce qui a trait à la solidarité
ministérielle. La politique présentée est celle du
gouvernement. Je ne vois pas comment - même si je comprends très
bien la position où se trouvent certains de mes collègues, je
l'ai dit encore plusieurs fois, hier soir notamment - sur le plan
théorique à tout le moins, la suspension des libertés
fondamentales... Même si on peut discuter - j'aurai l'occasion de
l'expliquer dans mon exposé lorsque je parlerai à
l'Assemblée nationale - de la pertinence - avec tout le respect qu'on
doit à la Cour suprême, d'inclure le discours commercial dans la
liberté d'expression, H reste que la loi du pays - c'est ce que je
disais l'autre jour au député de Terrebonne -
décrète maintenant que le discours commercial fait partie de la
liberté d'expression. (10 h 40)
C'est avec cette décision que nous avons à composer, cette
décision que nous devons admettre. Donc, je comprends certains de mes
collègues, très profondément perturbés par une
décision comme celle-là dans la mesure où elle conclut
à une clause dérogatoire qui se trouve à suspendre des
libertés fondamentales de leur
communauté, de la communauté qu'ils représentent.
J'ai eu l'occasion d'expliquer pourquoi je me croyais justifié, avec mes
collègues, de le faire. Cela étant dit, ce n'est pas parce que la
situation est extrêmement difficile, complexe et délicate que le
principe de la solidarité ministérielle ne s'applique pas.
Le Président: M. le député de
Verchères, en additionnelle.
M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Est-ce qu'on
comprend bien le premier ministre, qu'il n'y aura pas de ministres qui pourront
s'abstenir ou voter contre et demeurer au sein du cabinet? Est-ce qu'on doit
comprendre cela de la réponse du premier ministre?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Bourassa: La question du député de
Verchères est prématurée.
Le Président: M. le député de
Verchères, en additionnelle.
M. Charbonneau: M. le Président, il faut se comprendre. Le
premier ministre nous a donné une réponse, on essaie de savoir
quelle est sa signification. Je lui repose la question: Est-ce qu'on doit
comprendre de la première réponse du premier ministre que les
ministres '■ne pourront pas s'abstenir ou voter contre et demeurer
au sein du cabinet? C'est clair!
Le Président: M. le premier ministre.
M. Bourassa: Je crois avoir été assez limpide dans
ma réponse. Quant au reste, je dis simplement que, pour les autres
questions, je réfère le député à l'article
117, paragraphe 2°...
M. Gratton: L'article 77.
M. Bourassa: ...l'article 77, paragraphe 2° - je me fie
à mon expert parlementaire qui est à mes côtés - sur
les questions hypothétiques, sur les questions spéculatives.
M. Gratton: C'est ça.
M. Bourassa: Le chef de l'Opposition s'apprête à me
poser une question additionnelle, alors, avec tout le plaisir que ça
veut dire pour moi, je lui laisse la parole.
Le Président: M. le chef de l'Opposition, en
additionnelle.
M. Chevrette: M. le Président, le plaisir est d'amener le
premier ministre à donner un élément de réponse. La
question est la suivante et elle n'est pas hypothétique. Hier soir, il y
a eu un vote enregistré sur le dépôt même de ce
projet de loi. Tous les ministres anglophones étaient absents et tous
les députés anglophones se sont retirés de cette salle.
Est-ce que...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît! M. le chef de l'Opposition, votre
question.
M. Chevrette: M. le Président, je retire la
dernière partie, il y en avait au moins un, je me souviens.
Cela dit, cela a peu d'importance, c'est la solidarité
ministérielle qui compte en ce qui concerne la question et il n'y avait
aucun ministre anglophone de présent. Est-ce que le premier ministre
considère que l'abstention calculée ou pas constitue un acte de
solidarité?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Bourassa: D'abord, je répète au chef de
l'Opposition, puisque normalement la question devait venir de lui, que la
solidarité ministérielle est indivisible. Je lisais, ce matin, un
journaliste très respecté qui me suggérait, pour
dénouer l'impasse, que je puisse permettre possiblement l'abstention
à mes collègues. Je cherche encore un précédent
dans la tradition constitutionnelle qui nous gouverne comme système
politique qui pourrait permettre à un chef du gouvernement de ne pas
considérer la solidarité ministérielle comme un tout,
comme étant indivisible. J'aimerais bien, parce que je comprends les
collègues qui pourraient - j'espère que ça n'arrivera
pas... Je comprends très bien les collègues de mon gouvernement
qui représentent une communauté. Je pense à la
communauté anglophone notamment. Je comprends très bien leur
attitude vis-à-vis de la décision du gouvernement par rapport
à leur communauté. Mais j'ai répondu tantôt au
député de Verchères.
Quant au vote d'hier, je dis au chef de l'Opposition - je crois que le
leader peut facilement confirmer mon point de vue là-dessus - qu'il
s'agit du dépôt du projet de loi. C'est pour permettre la
discussion. C'est différent, M. le Président, que de voter sur le
principe. Quand on vote sur le principe, c'est une décision de fond.
Mais est-ce que le chef de l'Opposition aurait voulu... Qu'est-ce que
justifient ces conciliabules constants, au sein du Parti
québécois?
Des voix:...
Le Président: M. le premier ministre. En conclusion, M. le
premier ministre.
M. Bourassa: Si vous voulez comprendre, essayez d'écouter.
Est-ce que le chef de l'Opposition aurait voulu que j'impose la règle de
la solidarité ministérielle simplement sur le droit de discuter
de cette question? Le dépôt, si je comprends bien, donne le droit
de discuter. Et,
même sur le droit de discuter, je comprends que vous êtes un
peu confus sur la liberté d'expression, sur ce que cela
représente. Vous avez toujours été un peu confus
là-dessus. Mais je crois qu'il faut distinguer et je termine, M. le
Président...
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Bourassa: II faut distinguer entre un vote sur le principe
d'une loi et un vote pour pouvoir discuter de ce principe. Cela me paraît
élémentaire.
Le Président: M. le whip de l'Opposition, en
principale.
Le premier ministre du Manitoba et l'accord du lac
Meech
M. Brassard: M. le Président, dans un geste non
équivoque, le premier ministre du Manitoba a torpillé - c'est
l'expression utilisée dans les journaux de ce matin -
délibérément l'accord du lac Meech. La raison
invoquée: Par la solution que le gouvernement du Québec a
apportée au problème linguistique à la suite du jugement
de la Cour suprême de jeudi dernier, le Québec, dit-il, violerait
l'esprit du lac Meech. Il pousse même l'effronterie et l'outrecuidance
jusqu'à invoquer les droits des minorités alors qu'on a
assisté il n'y a pas si longtemps dans l'Ouest à
l'anéantissement des droits des communautés francophones. Il faut
le faire! Il ne faut pas être gêné, comme on dit. Le
ministre responsable du dossier constitutionnel, enfin, le deuxième
après Jean-Claude Rivest...
Des voix: Ha, ha!
Le Président: M. le whip de l'Opposition, votre question,
s'il vous plaît!
M. Brassard: Le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes reconnaît-il que, finalement,
pour le Canada anglais, ce qui importe dans l'accord du lac Meech, c'est la
dualité linguistique comme caractéristique fondamentale du Canada
et du Québec et que cela signifie concrètement pour le
Québec d'accorder, de donner suite aux demandes de la communauté
anglophone et que la notion de société distincte, comme on l'a
toujours prétendu de ce côté-ci, n'est qu'un hochet
insignifiant, un élément purement décoratif? Est-ce qu'il
ne reconnaît pas que, pour le Canada anglais, l'accord du lac Meech
signifie trois choses? Premièrement, donner satisfaction à toutes
les demandes des anglophones du Québec; deuxièmement, ne rien
donner aux minorités francophones hors Québec et,
troisièmement, que la société distincte demeure vide de
sens.
Des voix: Bravo!
Le Président: M. le ministre de la Justice et
délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.
M. Rémillard: M. le Président, il est dommage que,
de fait, on fasse le lien entre l'entente du lac Meech et ce projet de loi 178
sur la langue au Québec. C'est dommage, et 1 faut comprendre quand
même cette décision du premier ministre Fil mon dans son contexte.
Ce que faisait le gouvernement du Manitoba, c'était une discussion
préliminaire qui aurait amené ensuite à des audiences
publiques, probablement à la fin janvier ou au début
février, et à un vote, ensuite, au mois de mars ou avril. Alors,
on va voir ce qui va se passer et, s'il s'agit simplement de donner un certain
délai pour permettre une discussion plus sereine dans ce contexte, on
peut dire: Très bien, attendons un peu plus longtemps pour voir ce qui
va se passer. Mais N est quand même dommage qu'on établisse ce
lien entre l'entente du lac Meech et la situation que nous prenons quant
à la protection de la langue française. (10 h 50)
Le Président: M. le whip de l'Opposition, en
additionnelle.
M. Brassard: M. le Président, ce n'est pas moi qui fais le
lien entre l'accord du lac Meech et le projet de loi 178, c'est le premier
ministre du Manitoba. Est-ce que le ministre ne reconnaît pas que, pour
le Canada anglais, l'accord du lac Meech ne sera acceptable qu'à la
condition qu'au Québec on accorde tout ce que demande la
communauté anglophone du Québec, qu'on soit d'une
générosité sans limite à son égard et
qu'à la condition que les communautés francophones du
Québec ne voient pas leurs droits respectés hors Québec et
prendre une forme concrète? Est-ce qu'il ne reconnaît pas que,
pour le Canada anglais, l'accord du lac Meech ne sera acceptable qu'à
ces conditions?
Le Président: M. le ministre de la Justice et
délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes. M.
le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, le
député de Lac-Saint-Jean parle du Canada anglais. Je voudrais
simplement lui dire qu'il s'agit d'une province, le Manitoba. Tout à
l'heure, il le mentionnait lui-même et je suis d'accord avec lui, on n'a
pas de leçon à recevoir de quiconque au Canada sur le sort que
nous donnons à nos minorités et, en particulier, on n'a pas
à en recevoir du Manitoba, je pense que c'est très clair.
D'autre part, tant que l'entente du lac Meech ne sera pas
sanctionnée, ne fera pas partie de cette constitution du Canada pour
reconnaître que nous sommes une société distincte et que ce
pays est fondé sur deux communautés linguistiques, les
francophones et les
anglophones, tant que ce ne sera pas reconnu, le Québec n'ira pas
s'asseoir à une table de discussion constitutionnelle formelle pour
refaire la constitution du Canada.
Le Président: M. le whip de l'Opposition, en
additionnelle.
M. Brassard: M. le Président, justement, compte tenu de la
vision très claire du Canada anglais sur l'absence de portée
concrète de la notion de société distincte, comment le
gouvernement du Québec peut-il continuer à soutenir, comme l'a
fait le premier ministre récemment, que, si l'accord du lac Meech avait
été en vigueur, il n'aurait pas eu besoin de recourir à la
clause "nonobstant"? Comment peut-il soutenir une chose pareille alors qu'on se
rend compte que l'interprétation du Canada anglais sur la
société distincte, c'est de dire: On est d'accord à la
condition que cela ne veuille rien dire, que ce soit insignifiant et vide de
sens.
Le Président: M. le ministre de la Justice et
délégué aux Affaires intergouvernementales
canadiennes.
M. Rémillard: M. le Président, on ne peut pas se
référer à l'accord du lac Meech pour discuter de ce projet
de loi, puisqu'il n'est pas en application. Donc, la question est
hypothétique. Et on n'avait pas à le considérer puisqu'il
n'était pas en application. Donc, on ne l'a pas considéré.
Cependant, c'est dommage que l'entente du lac Meech ne soit pas encore en
application, parce qu'il y a aussi des droits pour les francophones hors
Québec. Il y a des droits pour des minorités, que ce soient les
droits des francophones hors Québec ou les droits de la minorité
anglophone au Québec. Mais il y a des droits qui peuvent être
protégés en fonction d'une charte des droits et libertés
que nous avons. Et l'entente du lac Meech est là pour s'ajouter à
cette charte, non pas pour aller à l'encontre de la charte. Elle est
là pour parfaire cette charte en donnant un instrument qui permet
d'interpréter la charte en fonction d'un aspect global qui se rapporte
à la société. C'est cela que vous avez dans l'entente du
lac Meech et c'est de cela qu'on a besoin le plus tôt possible dans la
constitution du Canada.
Le Président: Je vais reconnaître Mme la
députée de Maisonneuve pour une question principale.
L'indexation des prestations de l'aide sociale
Mme Harel: Merci, M. le Président. En 1982, au pire de la
pire crise des pays industrialisés, le gouvernement
précédent versait tous les trois mois l'indexation de l'aide
sociale aux plus démunis. En 1986, durant l'année des vaches
grasses du ministre des Finances, le gouvernement libéral abolissait
l'indexation aux trois mois et l'établissait au 1er janvier seulement.
Le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu
peut-il cesser de jouer à la cachette avec cette question fondamentale?
Le ministre peut-il dissiper le doute qu'il entretient depuis des semaines sur
l'indexation, c'est-à-dire sur la nécessité de mettre la
maigre subsistance de nos concitoyens à l'abri de l'augmentation du
coût de la vie?
Le Président: M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu.
M. Bourbeau: M. le Président, je suis très heureux
de voir que l'Opposition se préoccupe de l'indexation des prestations
d'aide sociale, elle qui a refusé d'indexer les allocations familiales
en 1985, tant les allocations pour personnes handicapées que les
allocations de base. Elle avait également limité les
augmentations d'indexation des allocations familiales pour les années
1984 et 1983, ce dont elle ne s'est jamais vanté.
M. le Président, en ce qui concerne les prestations d'aide
sociale, j'ai dit à la députée de Maisonneuve, il y a
quelques jours, que les sommes d'argent prévues pour les indexations
sont dans le budget du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu et qu'il n'est pas question de les
retirer.
Le Président: Je reconnais M. le député de
Sainte-Anne en principale.
Programmes d'égalité en emploi pour les
membres des communautés culturelles
M. Polak: Merci, M. le Président. Ma question s'adresse au
ministre délégué à l'Administration et
président du Conseil du trésor et concerne les programmes
d'accès à l'égalité. Comme on le sait, les membres
des communautés culturelles sont une composante importante de notre
société. Il faut bien le constater, les membres des
communautés culturelles peuvent faire l'objet de discrimination
lorsqu'ils recherchent des emplois et posent leur candidature pour ces emplois.
Ma question au ministre est la suivante: Est-ce qu'il peut nous indiquer ce que
fait concrètement le gouvernement pour faciliter, aux membres des
communautés culturelles, l'accès à l'emploi dans la
fonction publique?
Le Président: M. le président du Conseil du
trésor.
M. Johnson: M. le Président, je rappellerai que c'est le
gouvernement précédent qui a introduit, en 1982, les programmes
d'égalité en emploi pour les membres des communautés
culturelles, au gouvernement du Québec. L'objec-
trf qui avait alors été fixé consistait en
une présence de 9,5 % des communautés culturelles dans la
fonction publique. Nous avons donc hérité de ce programme, y
compris la responsabilité d'en évaluer les effets, ce qui a
été complété à l'automne 1986. Nous avons
alors constaté, malheureusement, que les progrès ne sont pas
assez importants, les communautés culturelles ne représentant
encore que moins de 4 % de l'effectif de la fonction publique.
Les moyens qui sont en place aujourd'hui et qui pourraient être
renforcés font en sorte que l'Office des ressources humaines, par
exemple, expédie systématiquement, aux associations culturelles
des autres ethnies, des non parlant français, les avis de concours et de
dotation d'emploi, que la plupart du temps les membres des jurys
d'évaluation comprennent au moins un membre qui est issu des
communautés culturelles lors de l'embauche, la détermination des
critères d'embauché d'un candidat, que les ministères ont
la responsabilité de soutenir l'apprentissage du français -
évidemment, condition essentielle d'exercice dans la fonction publique -
et qu'il y a maintenant des ouvertures afin de permettre, dans le cadre des
emplois occasionnels, aux membres des communautés culturelles de se
joindre à la fonction publique. Mais nous avons également
découvert que la démarche n'était pas suffisamment
encadrée et, il me ferait plaisir, M. le Président - je vois que
c'est un peu long - de revenir, le cas échéant, si l'occasion
m'en est donnée, pour expliquer ce que nous pouvons faire de plus.
Le Président: Je vais reconnaître Mme la
députée de Groulx, en additionnelle.
Mme Bleau: M. le Président, j'aimerais demander au
ministre quand il entend mettre ces programmes en application pour les membres
de communautés culturelles.
Le Président: M. le président du Conseil du
trésor.
M. Johnson: M. le Président, ce que j'indiquais fait appel
à un échéancier qui nous amène, pour certains
gestes concrets, à la fin de 1989. Nous avons déjà
procédé - et c'est complété - à l'analyse
des employés qui viennent des communautés culturelles, dans la
fonction publique. Nous aurons à compléter, d'ici le printemps,
l'analyse du marché, donc de la disponibilité des membres des
communautés culturelles à se joindre à la fonction
publique. Cela doit se faire sur la base du recensement de 1986,
évidemment. Nous avons à examiner, d'ici six mois, le
système d'emploi, la méthode employée pour embaucher les
gens, mais nous avons surtout, récemment, retenu - et ça aide
à cibler l'action - quelle est la clientèle que nous visons
véritablement. Et nous avons arrêté, parmi huit ou neuf
définitions de clientèles, celle constituée de gens de
minori- tés visibles et celle dont la langue maternelle n'est pas le
français. Ce sont là les deux clientèles
spécifiques vers lesquelles nos efforts porteront.
Le Président: M. le député de Mercier, en
additionnelle.
M. Godin: Est-ce que le ministre a des chiffres à nous
proposer ou à nous soumettre quant aux résultats de sa
performance en ce qui concerne l'entrée des minorités culturelles
dans le gouvernement? Est-ce qu'il suit le dossier de près ou bien juste
à tous les ans?
Le Président: M. le président du Conseil du
trésor. (11 heures)
M. Johnson: J'applaudis moi aussi, l'intérêt du
député de Mercier dans cette question et je partage son souci.
Comme ministre responsable des 50 000 employés et plus de la fonction
publique, il m'apparaft important que la fonction publique reflète la
réalité du Québec. À ce titre, nous avons
découvert, alors que la cible fixée par le gouvernement
précédent était de 9,5 % d'effectifs, que nous en sommes
à 3,9 %. Je dirais que, depuis octobre 1986 à mars 1988, pour
répondre spécifiquement à la question, alors qu'on a pu
constater un gel virtuel des effectifs dans la fonction publique, il y a eu une
croissance mince, mais une croissance des effectifs venant des
communautés culturelles, de 2017 à 2080. C'est très peu,
mais, pendant ce temps-là, la fonction publique ne croissait pas.
Deuxièmement et finalement, oui, M. le leader de l'Opposition, il faut
savoir que la détermination à savoir si un employé du
secteur public est un membre ou pas d'une communauté culturelle repose
sur sa divulgation volontaire de son statut. Nous ne pouvons pas forcer les
gens à indiquer si, oui ou non, ils se considèrent membres de
communautés culturelles.
Le Président: Je vais reconnaître, en
septième principale, M. le leader de l'Opposition.
Session plus courte au collège
Mahe-Victorin
M. Gendron: Dans une lettre, récemment, au ministre de
l'Enseignement supérieur, le Conseil des collèges soulignait
l'importance de respecter la règle de 82 jours de classe, jugeant
celle-ci comme étant essentielle pour valider une session
collégiale. Le ministre a lui-même exigé, d'ailleurs, que
les jours perdus lors de la grève étudiante soient repris afin
que la session ait partout une durée de 82 jours de classe, tel que
prescrit dans le règlement sur le régime pédagogique des
études collégiales. Le ministre peut-il dès lors nous
expliquer comment le collège Marie-Victorin a pu donner, lui, en 1987 et
1988 et probablement au cours d'années antérieures, à
plusieurs centaines d'étudiants, un programme
régulier de diplôme d'études collégiales en
lettres, bien sûr, au dire du collège, s'étalant sur des
sessions d'une durée moyenne de 56 jours l'automne et de 48 jours
l'hiver?
Le Président: M. le ministre de l'Éducation et
ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science.
M. Ryan: Ainsi que les députés le savent, j'avais
été saisi, il y a plusieurs mois, d'allégations sur
certaines pratiques administratives du collège Marie-vïctorin. J'ai
fait faire une enquête par un expert du ministère de
l'Éducation, M. Pouliot, lequel m'a remis un rapport il y a à peu
près un mois et demi. Dans son rapport, M. Pouliot conclut que certaines
pratiques du collège Marie-vïctorin n'étaient pas conformes
à l'idée qu'on devait s'en faire. Il a présenté des
recommandations. Je l'ai déjà indiqué à cette
Chambre, ses recommandations présentent des problèmes au point de
vue légal. J'ai confié aux services juridiques des deux
ministères que je dirige l'examen de toutes les implications
légales de cette question et je peux assurer le député
d'Abitibi-Ouest que, dès que nous aurons terminé le travail
très absorbant que nous avons dû faire ensemble depuis deux mois
autour du projet de loi 107, ce sera l'une de mes premières
priorités de clore ce dossier en janvier.
Le Président: Fin de la période
régulière des questions et réponses orales.
Je vais maintenant procéder aux votes reportés. Il n'y en
a pas ce matin.
Motions sans préavis.
Avis touchant les travaux des commissions. M. le leader du
gouvernement.
Avis touchant les travaux des commissions
M. Gratton: M. le Président, trois commissions
siégeront aujourd'hui. D'abord, après les affaires courantes
jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures
à 24 heures, à la salle Louis-Joseph-Papineau, la commission de
l'éducation poursuivra l'étude du projet de loi 107 et pourra, si
elle le termine, aborder l'étude détaillée du projet de
loi 58, Loi modifiant la Loi sur le ministère de l'Éducation. Aux
mêmes heures, à la salle Louis-Hippolyte-Lafontaine, la commission
du budget et de l'administration poursuivra l'étude
détaillée du projet de loi 70, Loi sur les caisses
d'épargne et de crédit; donc, ce matin, cet après-midi et
ce soir. Et, après les affaires courantes jusqu'à 13 heures et de
15 heures à 18 heures, à la salle du Conseil législatif,
la commission de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation
poursuivra l'étude détaillée du projet de loi 100, Loi
modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole.
M. le Président, en dérogation à l'article
concernant la convocation des intéressés dans le cadre de
l'étude détaillée des projets de loi
d'intérêt privé et avec, évidemment, le consentement
des membres de l'Assemblée, notamment de l'Opposition, je voudrais
donner les avis suivants: que, le jeudi, 22 décembre 1988, après
les affaires courantes jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18
heures et de 20 heures à 24 heures, à la salle
Louis-Joseph-Papineau, la commission de l'aménagement et des
équipements entendra les intéressés et procédera
à l'étude détaillée des projets de loi
d'intérêt privé suivants dans l'ordre indiqué:
d'abord, le projet de loi 255, Loi modifiant la charte de la ville de
Montréal, et, ensuite, le projet de loi 207, Loi concernant la
Régie intermunicipale de gestion des déchets sur IHe de
Montréal, qui a, d'ailleurs, été déposé ce
matin. Le vendredi 23 décembre 1988, après les affaires courantes
jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18 heures et, si
nécessaire, de 20 heures à 24 heures, à la même
salle, ladite commission entendra les intéressés et
procédera à l'étude détaillée du projet de
loi 258, Loi modifiant la charte de la ville de Québec.
Le Président: Quant aux avis faits par M. le leader du
gouvernement, est-ce qu'il y a consentement, M. le leader de l'Opposition?
M. Gendron: II y a consentement.
Le Président: II y a consentement. M. le leader du
gouvernement. Renseignements sur les travaux de l'Assemblée, M. le
leader de l'Opposition?
M. Gendron: Non.
Le Président: Est-ce qu'il y a autre chose, M. le leader
du gouvernement?
Nous allons procéder aux affaires du jour. M. le leader du
gouvernement, je vous reconnais.
M. Gratton: Oui, M. le Président, tel que le stipule la
motion adoptée hier, je vous prie d'appeler l'article 17 du feuilleton,
s'il vous plaît.
Projet de loi 178 Reprise du débat sur
l'adoption du principe
Le Président: À l'article 17 du feuilleton, il
s'agit de la reprise du débat proposant l'adoption du principe du projet
de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française, qui avait
été ajourné hier par M. le leader adjoint du gouvernement.
Je suis prêt à reconnaître le premier intervenant, Mme la
vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles.
Mme Lise Bacon
Mme Bacon: M. le Président, nous intervenons dans un
débat qui historiquement au Québec a pris toute son importance du
fait que
la langue française au Québec constitue en soi une
démarche d'affirmation à la fois collective et individuelle. Pour
ma part, j'estime qu'à ce stade-ci du débat il est essentiel
d'enlever tout élément dramatique autour de la question
linguistique. L'avenir de la langue française au Québec
dépend, d'abord et avant tout, de ceux et celles qui en font usage, et
j'estime encourageantes l'ensemble des statistiques se rapportant à
cette question qui indiquent une nette progression tant quantitative que
qualitative de l'usage du français au Québec.
Qu'il s'agisse de la langue du travail, de la langue utilisée
à la maison ou à l'école ou de celle utilisée aussi
dans les administrations publiques et parapubliques, il n'y a pas de doute dans
mon esprit que l'utilisation massive et croissante de la langue
française au Québec ne fait que refléter cette
volonté d'une société majoritairement francophone qui
s'identifie à cette spécificité québécoise
sans, pour autant, rejeter les droits et besoins des minorités
anglophones et allophones. À cet égard, M. le Président,
l'éditeur adjoint du quotidien La Presse exprime de façon
pertinente, dans son édition du 10 décembre dernier,
l'état de la situation quant à la démarche de cette
affirmation, affirmation collective et individuelle du Québec, quand il
dit ceci: "Le Québec est reconnu comme une société libre,
démocratique, accueillante, tolérante, qui reconnaît
à tous les citoyens le droit à la liberté d'expression
dans leur langue, même s'il a jugé nécessaire de recourir
à une loi pour protéger son identité culturelle et
linguistique".
M. le Président, depuis la Révolution tranquille des
années soixante, période qui donna naissance au ministère
des Affaires culturelles, la prise de conscience des Québécois de
leur identité culturelle connaît une croissance constante. Cette
prise de conscience doit aussi tenir compte de la réalité
sociolinguistique. Au Québec, nous sommes 80 % de francophones, mais,
sur le continent, le rapport de forces est largement inversé;
d'où l'état toujours fragile de nos progrès dans les
efforts de francisation. C'est exactement dans ce sens que le gouvernement du
Québec a entrepris sa propre démarche dans la définition
d'une politique globale en matière linguistique. Lors de la
dernière campagne électorale, en 1985, notre formation politique
s'est engagée à améliorer la qualité de vie
économique, la qualité de vie sociale et culturelle au
Québec et ce, pour l'ensemble de la population. C'est ainsi que l'action
du gouvernement du Québec fut axée autour de trois
priorités: la force de son économie, la paix sociale et la
stabilité politique. (11 h 10)
Quant à la question linguistique, le gouvernement du
Québec estime qu'elle doit transcender tous les secteurs qui
caractérisent notre vie de société. La
société québécoise diffère
spécifiquement par son histoire, par sa culture. C'est pourquoi elle
s'est dotée de lois et de moyens susceptibles de répondre
à des objectifs de développement de la langue française,
tout en tenant compte d'une caractéristique propre au Québec,
soit sa diversité.
Cette diversité, le Québec en est fier, du fait qu'il est
devenu une terre d'accueil pour les communautés autres que francophone.
La structure d'accueil des immigrants, le réseau d'institutions
sociales, d'institutions culturelles favorisent la promotion des cultures
autres que francophone dans des domaines aussi divers que l'éducation,
les loisirs, l'économie, confirmant ainsi que ces cultures constituent
une force au sein d'une société distincte et majoritairement
francophone.
L'État québécois et la majorité francophone
du Québec n'ont jamais nié le droit des autres communautés
d'exprimer pleinement leur culture. C'est là une question de bon sens
qui se reflète à travers notre mode de vie. Bien au contraire,
cette majorité apprécie l'apport des autres cultures qui
contribuent à la diversité québécoise.
Cependant, des impératifs socioculturels, comme la protection du
visage français, la promotion de notre langue, constitueront toujours
une ligne de démarcation dont nulle communauté ne pourra se
soustraire à cause d'une certaine peur d'altérer le sens de la
culture française au Québec. Il y va aussi de l'affirmation de
l'identité culturelle du Québec de promouvoir son visage
français. Depuis qu'il a été élu le 2
décembre 1985, le gouvernement du Québec a agi de façon
responsable dans le dossier linguistique.
L'ancien gouvernement du Parti québécois n'était
pas en mesure d'agir en fonction de cette diversité puisqu'il
gérait une idéologie qui le conduisait à une
étroitesse telle dans ses politiques et orientations qu'il ne tenait pas
compte ou très peu des communautés autres que francophone. Le
gouvernement du Québec n'a pas été insensible
jusqu'à maintenant aux revendications des groupes culturels. À
cet égard, notre gouvernement a tenu deux importants engagements sur la
question linguistique. D'une part, afin de mieux reconnaître les
communautés anglophone et allophones, le gouvernement a accordé
l'amnistie aux étudiants illégalement inscrits aux écoles
anglaises. D'autre part, le gouvernement a présenté la loi 142
à l'Assemblée nationale en 1986, loi qui visait à assurer
aux anglophones l'accès dans leur langue aux services dans le
réseau de la santé. Pourtant, la situation du français au
Québec ne s'est pas altérée outre mesure, non plus que son
visage a pu être défiguré en raison de ces deux mesures
législatives.
M. le Président, la question linguistique continuera de faire
l'objet d'un dialogue constant et ce, dans la mesure où elle
transcendera les lignes des différentes formations politiques. La langue
française ne doit pas être l'apanage d'un parti politique quel
qu'il soit, mais plutôt appartenir à tous ceux et celles qui la
parlent. De même, l'on conviendra que la responsabilité de la
protection et de la promotion d'une langue de qualité ne revient
pas uniquement à l'État. Une part importante revient tout
naturellement aux organismes socio-économiques ou culturels de notre
société et, à la limite, à chacun des citoyens et
des citoyennes qui composent les groupes économiques ou culturels du
Québec.
Pour sa part, le gouvernement du Québec a un rôle de
gardien et de promoteur de cette langue. Depuis qu'il a été
élu, notre gouvernement a assuré ce rôle de catalyseur en
matière culturelle dans son ensemble et pour les questions qui touchent
l'économie en général. Tel était l'essentiel du
mandat qui nous avait été confié par la population en
décembre 1985.
Enfin, le gouvernement du Québec appuie sans réserve le
point de départ de la Charte de la langue française qui se trouve
tout naturellement inscrit dans son préambule, laquelle charte fait de
la langue française une "langue distinc-tive d'un peuple majoritairement
francophone", ce qui "permet au peuple québécois d'exprimer son
identité". L'Assemblée nationale a reconnu cette volonté
des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la
langue française. Elle s'est résolue à faire du
français la langue de l'État et de la loi, aussi bien que la
langue habituelle et normale du travail, de l'enseignement, des communications,
du commerce et des affaires. Conformément à l'esprit de la Charte
de la langue française, le gouvernement du ^Québec a poursuivi
cet objectif dans un esprit, de justice, dans un esprit d'ouverture, dans le
respect des institutions de la communauté québécoise
d'expression anglaise et des minorités allophones dont elle
reconnaît l'apport précieux au développement du
Québec.
Pourtant, cette reconnaissance des autres minorités linguistiques
au Québec n'a pas empêché le gouvernement de tenir compte
de l'environnement linguistique culturel et particulier du Québec en
donnant à la société québécoise des moyens
additionnels de défense et de protection de son identité. En
1988, nous en sommes rendus à un point où la francisation des
entreprises est bien comprise tant par les dirigeants que par les
employés oeuvrant dans tous les secteurs de l'activité
économique.
La législation québécoise à l'égard
de l'entreprise est claire. La loi demande aux grandes et aux moyennes
entreprises de procéder à l'analyse de leur situation
linguistique et d'appliquer s'il y a lieu, un programme de francisation qui a
pour but la généralisation de l'utilisation du français
à tous les niveaux de l'entreprise. Ce volet de la Charte de la langue
française était destiné à contrer un
problème historique dans l'économie québécoise et
ce, en ce que les entreprises utilisaient couramment l'anglais dans leurs
communications aussi bien orales qu'écrites.
Le dynamisme du français au Québec se manifeste
également dans le secteur de l'éducation, secteur où on a,
justement, remarqué que le phénomène de l'immigration
s'accentue. Le gouvernement du Québec a dû être très
sensible à l'intégration des Néo-Québécois
à la majorité francophone. Le gouvernement
québécois semble aussi avoir réussi à atteindre un
objectif fondamental quant à la fréquentation de nos institutions
scolaires dans le secteur français. En effet, la proportion des
élèves inscrits à l'école primaire à
l'enseignement du français a atteint plus de 89 % de la population
totale fréquentant l'école primaire. De plus, on a noté
une augmentation de l'enseignement du français chez les jeunes
allophones. Selon le Conseil de la langue française, en 1986-1987, 64 %
des enfants aliophones étaient inscrits au secteur français,
comparativement à environ 20 %, il y a quelque dix ans. On a donc une
nette progression du français dans ce secteur d'activité, ce qui
augure bien pour les générations à venir.
Quant aux organismes régissant la Charte de la langue
française, j'ai mentionné à plusieurs reprises, à
l'époque où j'assumais la responsabilité de l'application
de la Charte de la langue française, que l'ensemble du processus de
traitement des plaintes ou des demandes d'enquête provenant de citoyens
ou de groupes de citoyens devait être restauré. Le problème
se situait, d'abord et avant tout, dans les méthodes de
sélection, de classification, de traitement des plaintes qui
étaient expédiées à l'Office de la langue
française, lesquelles devaient être aussi listées par
informatique et envoyées à la Commission de la protection de la
langue française afin d'être jugées acceptables sur le plan
juridique et dirigées vers le Procureur général.
Le gouvernement du Québec demeure sensible quant au dynamisme du
français au Québec. À cet égard, quatre principes
guident son action en vue de la promotion et de la protection de la langue
française. Premièrement, il est acquis que le français est
la langue normale, habituelle du travail, de l'enseignement, des
communications, du commerce et des affaires. Deuxièmement, le territoire
québécois doit conserver son visage français.
Troisièmement, révolution démographique du Québec
et, en particulier, les équilibres démographiques entre les
groupes linguistiques peuvent être assurés par des politiques
d'immigration et d'intégration qui sont appropriées.
Quatrièmement, la société québécoise
reconnaît les droits et les institutions de ces minorités
linguistiques.
À cet égard, M. le Président, la majorité
francophone reconnaît que les pas accomplis par les minorités du
Québec en vue de s'intégrer à la culture francophone
furent réels au cours des dernières années. Le
présent gouvernement désire que le dialogue se poursuive pour
faire en sorte qu'un rapprochement toujours plus réel ou plus visible
entre les principales communautés linguistiques du Québec, se
réalise. (11 h 20)
Au sujet de l'affichage commercial, M. le Président, le consensus
semble établi dans la
société québécoise, à savoir que le
français soit obligatoire et prioritaire. Le rôle du gouvernement
est de s'assurer qu'un consensus suffisamment large se concrétise dans
le cadre de la protection et de la promotion de la langue française et
d'assurer le respect des minorités auprès des francophones.
Pour y parvenir, il est clair que le gouvernement compte sur ce
sentiment d'assurance, ce sentiment de confiance que les
Québécoises et les Québécois ont en leur
identité culturelle et qui est en constante progression et cela, dans un
contexte d'équilibre et de maturité que nous constatons
déjà au Québec. Mais, au-delà des modalités
d'application en faveur d'une option linguistique ou d'une autre, le
gouvernement du Québec est profondément convaincu que sa
capacité d'être et de devenir une société toujours
plus moderne est importante, aussi bien pour la majorité francophone que
pour les autres minorités. En ce sens, le gouvernement du Québec
se doit de préserver la langue et la culture françaises au
Québec en allant jusqu'à la limite de ses possibilités
pour respecter les autres minorités linguistiques. La réponse du
gouvernement du Québec se situe dans une perspective de justice et
d'équité que notre formation politique a affirmée et
affirmera davantage dans sa politique d'ensemble à venir, au
début de 1989, et ce, en conformité avec les valeurs qui sont
profondément ancrées au sein de la société
québécoise.
Du même coup, le gouvernement ajoute qu'il entend demeurer
également ouvert à l'égard de ces minorités qui
contribuent chaque jour à l'enrichissement de son patrimoine, tant
économique que social et culturel. C'est facile d'adopter une attitude
bornée; on dit noir, on dit blanc, on dit bon, on dit méchant, on
dit tout en français, rien en anglais. C'est facile aussi de
régler les problèmes en tout ou bien quand on n'a pas la
responsabilité de ta décision, mais cela ne reflète pas la
réalité.
Maintenant que la décision est prise et qu'elle sera
adoptée, il est temps, je pense, pour tout le monde d'être
réaliste. Je trouve profondément ambigu, pour ne pas utiliser un
autre terme, je sais que le député de Taillon me regarde...
L'Opposition péquiste a joué les vierges offensées, le
défenseur de la veuve et de l'orphelin, quand on sait que la loi 101,
dans ce qu'elle a mis de l'avant, est pleine de cas d'exception et ça,
le député de Taillon le sait. Notre proposition est fondée
sur le bon sens; elle est fondée sur l'équilibre de la
réalité québécoise. Je sens déjà que
la population comprend la position gouvernementale.
Aujourd'hui, dans son projet de loi - il est important de bien saisir la
perspective de ce débat - le gouvernement doit protéger le visage
français du Québec, promouvoir l'épanouissement de la
culture française d'ici et ici. Toutefois, l'apport considérable
des différentes minorités linguistiques se doit d'être pris
en considération.
La solution que nous proposons va en ce sens. C'est une solution
d'équilibre, une solution dynamique, une solution qui fait appel au
respect et à la maturité des diverses communautés
linguistiques au Québec. C'est pourquoi I m'ap-paraît important
que nous adoptions cette solution et je l'espère unanimement, M. le
Président.
Le Vice-Président: Alors, nous allons poursuivre ce
débat avec l'intervention de M. le député de Taillon.
M. Claude Filion
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Quel
discours de la vice-première ministre qui, on le sait, a
été responsable du dossier de la loi 101 pendant un certain
temps! D'abord, avant d'être responsable du dossier de la loi 101, elle a
voté contre la loi 101 en 1977. Deuxièmement, pendant qu'elle
était responsable de la loi 101, elle est arrivée avec deux
projets de loi à l'Assemblée nationale: le projet de loi 140 qui
visait à bâillonner les organismes chargés de
défendre et de promouvoir la langue française au Québec et
le projet de loi 142 qui visait à conférer des droits aux
anglophones pour leurs services de santé et leurs services sociaux,
alors que les mêmes droits n'existent pas pour la communauté
francophone au Québec. Quel beau discours, mais, malheureusement, c'est
un discours qui n'est soutenu par absolument aucune décision
concrète qu'a prise ce gouvernement depuis trois ans.
Encore une fois, je pense que le discours illustre un peu la tendance
angélique suicidaire du gouvernement de dire: On est beaux, on est forts
au Québec. Bien sûr, la communauté francophone se porte
bien, sauf que cela a pris les savants juges de la Cour suprême pour vous
rappeler que le français était menacé au Québec.
Sinon, on aurait pu croire que cette constatation vous avait
échappé. Finalement, ce qu'on entend, M. le Président, de
toutes les interventions de l'autre côté de la Chambre, ce sont
des mots qui sont utilisés à l'intérieur d'un double
langage continuel qui a commencé durant la campagne électorale,
qui s'est poursuivi dans le programme électoral du Parti libéral
et, croyez-le ou non, double langage qui s'illustre même dans les notes
explicatives du projet de loi.
Vous savez, M. le Président, j'ai eu l'honneur, au nom de
l'Opposition officielle, de déposer le projet de loi 191 qui contenait
également deux clauses dérogatoires aux chartes
québécoise et canadienne. Le gouvernement libéral a
déposé hier un projet de loi qui contient également deux
clauses dérogatoires à ces chartes. Pour bien montrer
jusqu'où peut aller le double langage et la confusion des
libéraux, dans les notes explicatives du projet de loi 191, on
décrit le projet de loi. Ce n'est pas un communiqué de presse de
M. Poupart; ce sont les notes
descriptives du contenu du projet de loi, qui sont
généralement rédigées à la base de
façon juridique, mais pour être compréhensibles. Dans le
projet de loi 191, il y a deux clauses dérogatoires et le dernier
paragraphe le dit clairement: "Le projet de loi a pour objet d'insérer
dans la Charte de la langue française des dispositions expresses donnant
effet aux articles 58 et 69 indépendamment des dispositions de l'article
3 de la Charte des droits et libertés et de celles de l'article 2 de la
Loi constitutionnelle de 1982 (...) et ce, afin de maintenir les dispositions
actuelles de la charte qui prévoient..." Donc le projet de loi 191 dit
clairement qu'il faut soustraire la Charte de la langue française
à l'application de la Charte des droits et libertés de la
personne.
Le gouvernement libéral, par la voix de son ministre responsable
de la loi 178, parce qu'il n'y a plus de l'autre côté de la
Chambre de ministre responsable de la loi 101, dans ses notes explicatives,
nous dit ceci pour décrire ces deux clauses dérogatoires: "Enfin,
ce projet comporte une disposition visant à assurer la
sécurité juridique de certaines des règles qu'il propose."
Cela peut paraître insignifiant, mais ceux qui suivent le débat
linguistique depuis le début savent à quel point la
rédaction mielleuse des notes explicatives du projet de loi
déposé par le ministre recèle cette espèce
d'équivoque, d'ambivalence, de confusion, de jonglerie et d'acrobatie
que le gouvernement libéral montre en matière linguistique depuis
qu'il a pris le pouvoir le 2 décembre 1985 et cela - je l'ai
expliqué à de multiples reprises en cette Chambre, ce n'est pas
mon intention d'y revenir - à cause du double langage électoral
du premier ministre lors de la campagne électorale, qui s'est poursuivi
durant trois ans. Trois ans durant lesquels, évidemment, le gouvernement
libéral n'a strictement rien fait pour défendre, promouvoir et
faire rayonner la langue française au Québec. Rien!
La première mesure concrète, véritable qui aurait
pu favoriser le français aurait été l'introduction de
clauses dérogatoires claires et nettes aux dispositions sur l'affichage.
Mais le bilan net du projet de loi que nous sommes en train d'étudier,
le projet de loi 178, contenu à l'article 58.1 du projet de loi,
évidemment à l'article 1 du projet de loi, est de faire en sorte
de permettre l'affichage bilingue à l'intérieur. On aura beau
jeter de la poudre aux yeux des citoyens et citoyennes du Québec, on
aura beau sortir des formules entortillées, enfirouâpées,
faire les manèges qu'on veut pour créer l'impression d'un cirque,
il restera que le bilan clair et net du projet de loi 178, c'est de permettre
l'affichage bilingue à l'intérieur des commerces. Et cela, pour
la langue française au Québec, c'est un net recul. (11 h 30)
On sait que, de l'autre côté, en ce qui concerne certains
ministres anglophones, il y a des questions existentielles qui se posent. Je ne
suis pas d'accord avec eux, mais je les com- prends. S'ils examinent le projet
de loi 178 clairement, non pas de façon pessimiste ou optimiste, mais de
façon réaliste, le bilan net de la loi 178 est de faire en sorte
d'introduire, par l'intérieur des commerces l'anglicisation de ces
mêmes commerces et cela, ça restera inadmissible. En dehors de
toutes les théories, de toutes les conférences de presse, de tous
les dérapages du ministre, de toutes les bulles du premier ministre et
de toutes les tentatives pour ramasser tout le monde en même temps, il
restera que c'est cela, le bilan net. Et je défie n'importe qui en cette
Chambre de se lever pour dire le contraire. Il n'y a rien dans le projet de loi
pour favoriser le français d'aucune façon. Au contraire, on
légitime, on légalise l'entrée de l'anglais dans
l'affichage, avec tout ce que cela comporte. Donc, il s'agit d'un net recul
pour le fait français au Québec.
De plus, cette disposition, ce bilan va directement à rencontre
des objectifs énoncés dans le préambule de la loi 101,
à savoir de faire du français la langue commune et habituelle des
communications, du commerce et des affaires. Avec l'affichage bilingue
maintenant introduit par le gouvernement libéral, on admet que la langue
commune, le dénominateur commun, notamment pour les immigrants, c'est
l'anglais. Et cela restera au-delà de toutes les
péripéties du caucus libéral, au-delà des
déclarations des ministres francophones ou anglophones, le bilan net du
projet de loi 178.
De plus, cette solution pernicieuse que contient le projet de loi 178,
à cause de la formule intérieur-extérieur qu'on a
adoptée, revient à dire que l'âme québécoise
est maintenant semblable à un visage à deux faces. Je vais vous
le dire, M. le ministre, cela ne peut pas durer au Québec. Et de la
même façon que la loi 22 n'a pas duré longtemps, je vous
dis que le projet de loi 178, qui sera probablement adopté avec la loi
du nombre, ne durera pas longtemps non plus parce qu'à la base, cela n'a
pas de sens, cela envoie des messages confus, obscurs et alambiqués
à tout le monde en même temps.
C'est cela, le projet de loi 178: un visage à deux faces,
probablement le reflet de l'embarras du premier ministre dans le dossier
linguistique, qu'il avait confié, à l'époque, à un
animateur de radio et qui s'est poursuivi pendant trois ans. Jamais on n'a vu
chez cet homme, qui pourtant est le seul dirigeant d'un pays francophone, le
Québec, le commencement d'une ombre de conviction. Il aurait pu
trancher. Il nous a entretenus pendant quelques semaines de son embarras
vis-à-vis de la liberté d'expression, des droits individuels et
des droits collectifs. Comme s'il n'avait pas saisi que, finalement, les droits
collectifs sont beaucoup plus que la somme des droits individuels des citoyens,
de la même façon qu'une collectivité est beaucoup plus que
la somme des individus. Comme si le premier ministre, dans une jonglerie, avait
tenté de ramener dans un tout ces deux concepts qui sont
pourtant bien différents et sur lesquels il fallait opérer
un choix. C'est dans ce sens que je comprends les ministres anglophones qui
sont déçus et frustrés dans leurs attentes
légitimes parce que le premier ministre d'un côté de la
bouche les a entretenus des plus grands espoirs basés sur un programme
de parti politique qui ne se tenait pas debout, qui était, comme je l'ai
déjà dit, un cube de Rubik tronqué. Parce que
c'était cela, le programme politique du Parti libéral.
Bref, on dit maintenant à l'ensemble des Québécois
que nous sommes un visage à deux faces, selon qu'on est de
l'intérieur ou de l'extérieur. M. le Président, ça
ne peut pas résister au temps. Cela ne peut pas résister à
l'analyse. Cela ne peut pas résister à l'application. C'est pour
ça qu'on peut, dès maintenant, prédire que la loi 178 ira
dans les placards probablement plus rapidement encore que la loi 22, une loi
qui ne se tient pas debout parce qu'elle n'est pas fondée sur des
convictions. Voilà ce qui manque de l'autre côté de la
Chambre.
On s'est préoccupé de garder le caucus ensemble, de perdre
le moins de députés possible, le moins de militants possible, de
perdre le moins possible dans les sondages. Mais, bon Dieu, on ne peut pas
gouverner un pays comme le Québec en se fiant uniquement aux sondages!
Il faut, à un moment donné, exprimer, comme tous les premiers
ministres - sauf M. Bourassa, sauf le premier ministre actuel - l'ont fait
avant le député de Saint-Laurent, comme M. Lévesque le
faisait d'une façon claire, affirmer ses convictions. Et, quand on est
convaincu soi-même, on peut convaincre les autres. Mais comment
voulez-vous convaincre la population du Québec que cette solution est la
bonne alors que le premier ministre lui-même n'est pas convaincu de rien
dans le dossier linguistique?
On vient de saper les fondements, l'objectif premier de la Charte de la
langue française en invoquant qu'il y a un jugement de la Cour
suprême qui vient de nous tomber dessus. Mais le jugement de la Cour
suprême, ça fait longtemps qu'on le dit au premier ministre, cela
fait longtemps qu'il sait qu'il s'en vient le jugement de la Cour
suprême. C'est pour ça que l'Opposition avait déposé
le projet de loi 199, que l'Opposition a déposé le projet de loi
191. Ce n'est pas une nouvelle. Mais là, profitant de l'impact du
jugement de la Cour suprême, le premier ministre et le gouvernement
libéral essaient de nous faire avaler cette espèce de couleuvre
linguistique qui n'est basée, finalement, sur rien d'autre qu'un
compromis artificiel pour garder la formation politique libérale en vie.
C'est ça, M. le Président, le projet de loi 178.
Et c'est pour ça d'ailleurs que ce projet de loi est
infecté de contradictions, de très nombreuses contradictions, et
je vais vous en citer quelques-unes. Comment le premier ministre et le
gouvernement peuvent-ils justifier la nécessité de maintenir le
visage français du Québec si, à l'intérieur, on
permet l'anglicisation et la bilinguisation des commerces? Comment faire pour
expliquer aux immigrants, aux commerçants, aux francophones et aux
anglophones qu'i est nécessaire de protéger le visage
français si, à l'intérieur, on permet l'anglicisation?
C'est comme demander... Finalement, comment pourrait-on demander à un
individu d'avoir des activités physiques saines s'H ne mange pas de
façon saine et si l'intérieur de son corps n'est pas sain? Et,
encore une fois, il s'agit là d'une comparaison boiteuse mais c'est pour
bien montrer qu'on ne peut pas garder l'ambiguïté à
l'intérieur et, en même temps, insister sur la
nécessité que tout soit clair et limpide à
l'extérieur.
Contradiction également, M. le Président, quant à
la liberté d'expression et ça, évidemment, c'est le
défaut de la solution du premier ministre, n'ayant pas tranché
dans le vif du sujet, n'ayant pas tranché entre les droits collectifs et
les droits individuels, mais continuant à parler des deux. Par exemple,
quand ça fart son affaire, il va nous parler de droits individuels;
quand ça fait son affaire, il va nous parler des droits collectifs. Mais
ce faisant, H méprise, à la fois les droits collectifs et la
liberté d'expression. Parce que si le premier ministre croit
véritablement à la liberté d'expression, il ne peut pas la
limiter comme H le fait dans le projet de loi et tracer à
l'intérieur des commerces une ligne artificielle sur l'affichage selon
qu'il est vu de l'extérieur ou selon qu'il n'est pas vu de
l'extérieur. C'est comme dire aux commerçants: ce qu'il y a dans
les environs de votre comptoir, c'est votre liberté d'expression mais ce
qu'il y a dans les environs de votre vitrine, ce n'est pas la liberté
d'expression. (11 h 40)
Le premier ministre cherche à justifier sa position
alambiquée en utilisant, quand ça fait son affaire, les droits
collectifs, quand ça fait son affaire, les droits individuels. Je lui
dis que, ce faisant, H méprise à la fois les droits individuels
dont il parte et les droits collectifs dont il parle. Et ça, c'est une
contradiction inhérente au projet de loi qui va faire en sorte que ce
projet de loi, M. le Président, ne peut pas. sociologiquement, rester
longtemps au Québec. Il sera probablement adopté, ils sont quand
même un peu plus nombreux que nous autres de ce côté-ci de
la Chambre, mais il ne pourra pas... Ce n'est pas un compromis acceptable parce
qu'il n'est pas clair, il n'est pas limpide et H n'est pas basé sur des
convictions.
La troisième contradiction du projet de loi. Le premier ministre
nous dit: On n'a pas voulu instaurer le concept de la prédominance de
l'affichage à l'extérieur parce que ce n'était pas
applicable et c'était trop compliqué, la grosseur des lettres, la
grosseur des affiches, la couleur des affiches, etc. Alors, la
prédominance, on ne
pouvait pas l'appliquer à l'extérieur des commerces. Mais,
en ce qui concerne l'intérieur des commerces, là, il retient le
concept de la prédominance. Il nous dit: Ce que je ne pouvais pas faire
à l'extérieur, je vais le faire à l'intérieur. On
peut prêter au premier ministre beaucoup de qualités, mais ce
n'est sûrement pas Houdini. Il ne peut pas faire de magie, surtout sur
une question comme celle de la langue. Si la prédominance dans son
esprit est applicable à l'intérieur, bien, elle peut être
applicable à l'extérieur. Si, dans son esprit, la
prédominance n'est pas applicable à l'extérieur, bien,
elle n'est pas plus applicable à l'intérieur.
C'est pour ça que je répète, M. le
Président, que le concept de la prédominance est un autre
concept, mais hautement farfelu, qui nous ramène à peu
près à l'époque des tests linguistiques de la loi 22, un
concept qui n'est basé sur rien. Et une loi qui n'est basée sur
rien de valable, bien, elle ne marche pas. Nous autres, M. le Président,
nous aurons fait notre travail. Le projet de loi 178 sera probablement
voté, mais il y a des gens qui vont vivre avec ce projet de loi. Il y a
des commerçants qui attendaient que les élus du peuple se
décident pour faire leur choix. Mais comment ces
commerçants-là, cette population-là va-t-elle faire pour
faire un choix sur une formule aussi alambiquée que celle-là et
ce concept de la prédominance? On a vu, d'ailleurs, un reportage
intéressant à la télévision cette semaine. Avec la
couleur des lettres, on peut envoyer des messages qui ont plus d'impact,
même s'ils sont plus petits. Le premier ministre sait ça.
Lui-même, qui a vu atterrir sa loi 22 dans la poubelle, il devrait savoir
que toutes les formules alambiquées ne fonctionnent pas et, à la
base, dans ces formules alambiquées, outre cette notion
d'extérieur et d'intérieur qui n'est basée sur rien, il y
a aussi ce concept de la prédominance.
Bonne chance aux inspecteurs de la Commission de protection de la langue
française! Je ne sais pas quelle sorte de formation on va donner
à ces gens-là. Déjà, ils ne sont pas nombreux.
Déjà, l'Office de la langue française n'a pas de
ressources. Déjà, les ministres responsables, l'ex-ministre
responsable de la loi 101 ou, devrais-je dire, le ministre responsable de
l'ex-loi 101 a coupé dans les budgets des organismes. Il ne faut pas
s'imaginer que les inspecteurs chargés d'appliquer la loi, ce sera
"jojo" pour eux. Cela n'a pas de sens. En plus de ça, qu'est-ce qu'ils
vont dire, les inspecteurs, quand ils vont rencontrer un commerçant qui
aura fait la même chose à l'extérieur qu'à
l'intérieur? Comment justifier auprès du vrai monde, dans la
vraie vie de tous les jours, l'application de ces concepts-là?
Déjà, les commerçants... Et ils l'ont dit à
pleine page. C'est pour ça, d'ailleurs, que le président
d'Alliance Québec le reprenait: Mieux vaut le statu quo à toutes
formes de compromis. C'est pour ça que le tout le monde, finalement, l'a
dit au gouvernement libéral, mais eux ont préféré
sauver les meubles de leur formation politique. Mais ce faisant, ils
sèment les germes d'une discorde linguistique. Ils sèment les
germes d'une discorde sociale parce que la langue, c'est une matière
fragile, parce que la langue, oui, c'est une question émotive, et c'est
une bonne chose que ce soit une question émotive, parce qu'on serait
encore ici... 84 % de la population au Québec, si la langue
n'était pas une question émotive et si nos ancêtres avant
nous ne s'étaient pas battus pour la langue-Bien oui, c'est une question
émotive, mais ça n'empêche pas qu'il faut la traiter
autrement qu'avec des chiffres, autrement qu'avec des sondages, autrement qu'en
négociant avec des éléments de son caucus ou en
négociant même avec les réactions des médias pour
savoir comment les gens achèteraient ça. C'est pour ça que
le premier ministre a tenu un langage différent selon qu'il s'est
adressé à la population, au lendemain du jugement de la Cour
suprême, lors de sa conférence de presse hier et encore en Chambre
à tous les jours, parce que le premier ministre jauge; il jauge les
réactions des médias, il jauge ce qui se passe à
l'intérieur de son parti. Il joue, finalement, avec des droits
collectifs et des droits individuels que, par ailleurs, de l'autre
côté de la bouche, il dit être très importants. Si
c'est très important, on ne joue pas avec. On choisit, on décide,
on tranche; on met ses culottes, ce que le premier ministre n'a pas fait et on
en voit maintenant le résultat.
Autre contradiction, ce projet de loi est bourré de
contradictions; il est inapplicable, confus, complexe, bourré de
contradictions. Autre contradiction, le projet de loi introduit une distinction
sibylline entre les commerces de plus de 50 employés et ceux de moins de
50 employés. Voulez-vous bien me dire, quelqu'un de l'autre
côté, en vertu de quoi on pourrait justifier une telle
distinction, selon qu'on se trouve chez Discus, à Québec, une
chaîne qui emploie peut-être 12 employés sur la rue
Saint-Jean, ou chez Discus, à Montréal, qui en emploie
peut-être 55? êtes-vous capable d'apporter un commencement de
logique à une distinction comme celle-là? Il n'y en a pas. N'en
cherchez pas, il n'y en a pas, et c'est pour ça qu'il fallait trancher
dans le vif, et c'est pour ça que, de ce côté-ci de la
Chambre, nous avons dit: Affichage unilingue français, autant à
l'extérieur qu'à l'intérieur, sans créer de
distinctions artificielles qui, finalement, vont jeter tout le monde dans la
plus parfaite des confusions. Il n'y a pas de distinction, n'en cherchez pas.
Selon qu'on travaille pour un Eaton qui emploie peut-être 30
employés ou un Eaton, à Montréal, où if y en a 200,
on aurait deux régimes de droits différents. Incroyable!
Incroyable, mais vrai! C'est ce que le projet de loi 178 vient faire et je
remarque qu'il y a des gens en face qui viennent de s'en rendre compte. Je les
invite à lire le projet de loi 178 avant qu'il soit trop tard, M. le
Président.
Une autre contradiction et, là-dessus, le ministre responsable de
l'ex-loi 101 est absolument remarquable. Il nous a dit ceci, hier, en
conférence de presse... Il ne s'en souvenait pas, ce matin, en Chambre,
mais il a dit ceci hier en conférence de presse: Vous savez, on veut
protéger les activités dans les grandes chaînes à
Chicoutimi. Mais, d'abord, d'où vient le danger pour les entreprises de
Chicoutimi dans le contexte actuel? Il n'y en a pas. La loi est claire
actuellement pour les gens de Chicoutimi, de Trois-Rivières ou de
Rimouski. Pour les régions qui n'ont pas encore été
marquées par l'affichage bilingue, il n'y en a pas de problème
actuellement. Dans ces régions, il s'agit d'appliquer la loi, ce que
vous avez fait défaut de faire pendant trois ans. La loi est claire et
il n'y a pas de problème. Vous dites: II faut protéger
Chicoutimi, mais ce sont vos propres amendements à la loi 101 qui font
en sorte que, dorénavant, toutes les entreprises de moins de 50
employés, même à Chicoutimi, vont pouvoir se "bilinguiser",
et vous admettez ça. Et il y a des gens en face qui vont voter pour
ça, qui vont voter pour permettre l'anglicisation et la
"bilin-guisation" dans des coins où il n'y a même pas de
présence anglophone, M. le Président. C'est ça, le projet
de loi. C'est ça, le projet de loi, M. le Président,
réveillez-vous!
Donc, à partir... Je respecte les autres droits de parole en
cette Chambre. Je respecte la langue des autres...
Le Vice-président: Un instant, s'il vous plaît! Un
instant! Tout d'abord, je demanderais la collaboration des
députés pour laisser chacun s'exprimer librement. Dans un
deuxième temps, je demanderais aux intervenants de ne pas s'adresser
directement à une autre formation politique, mais toujours à la
présidence. Vous avez la parole.
M. Filion: Oui, M. le Président. Cela leur fait mal parce
qu'ils viennent de réaliser ce que je disais tantôt, que le bilan
net du projet de loi est de permettre l'anglicisation à
l'intérieur des commerces. C'est ça, la réalité. Le
projet de loi, tel que rédigé, va faire en sorte que, dans toutes
les régions du Québec, l'affichage bilingue sera permis à
l'intérieur des commerces. Qu'on se le dise et qu'on appelle les choses
par leur nom, même si le premier ministre a de la difficulté
à le faire. (11 h 50)
Donc, autre contradiction. On dit: On veut protéger Chicoutimi
mais c'est le projet de loi qui affecte les régions. Ce n'est pas la loi
101 telle qu'elle existe actuellement. Il s'agirait tout simplement de
l'appliquer. Donc, on veut protéger Chicoutimi mais, en même
temps, l'une des régions les plus affectées en matière
d'affichage commercial, c'est la région de Montréal. Et dans la
région de Montréal, le projet de loi n'a strictement et
absolument aucune solution. Loin de parer à la menace réelle, et
surtout, je dis bien surtout, centrée à Montréal mais qui
existe aussi dans l'Estrie et dans l'Outaouais, le projet de loi vient
créer des menaces additionnelles dans toutes les régions du
Québec. C'est ça, le projet de loi 178. Qu'on appelle les choses
par leur nom.
Autre contradiction, et elle est particulièrement suave. Cela
démontre bien d'ailleurs à quel point, lorsqu'on base une
décision sur des principes amochés comme celui d'un compromis
politique, on peut arriver à toutes sortes de choses. Croyez-le ou non,
le projet de loi dit ceci: Pour une entreprise, un commerce dans ce cas-ci
puisqu'on parle uniquement d'affichage, pour un commerce de 50 employés
ou plus, donc qui est soumis au certificat de francisation, il sera
nécessaire d'obtenir son certificat de francisation pour avoir le droit
à l'affichage bilingue à l'intérieur. Celle-là est
particulièrement forte.
D'une part, il faut savoir, M. le Président, qu'une fois que les
certificats de francisation sont accrochés aux murs des commerces comme
des autres entreprises, il n'y a à peu près pas de suivi qui est
fait par l'Office de la langue française. J'ai, dans mon comté,
une grosse entreprise. J'ai rencontré des dirigeants syndicaux qui m'ont
dit: On a notre certificat de francisation, mais la volonté politique
s'étant relâchée depuis trois ans au Québec, on s'en
ressent dans l'usine et on recommence à travailler en anglais chez
nous.
Donc, il n'y a pas de suivi au certificat de francisation mais on dit
ceci dans le projet de loi: Quand une entreprise aura son certificat de
francisation, on lui donne un permis, une "licence" si l'on veut, pour
l'affichage en anglais à l'intérieur de son commerce.
En deux mots, quand on obtient son certificat de francisation, on
obtient une prime au bilinguisme qui fait en sorte que notre certificat de
francisation devient un certificat d'anglicisa-tion. C'est pour vous montrer
à quel point, quand on dépose une solution entortillée,
une solution mal foutue, on peut aboutir à des réalités
qui n'ont aucun sens. En voilà une qui est absolument, mais
complètement, inadmissible alors que dans le secteur du français
au travail, il aurait fallu faire des efforts véritables pour relancer
le français au travail comme le prévoyait d'ailleurs le projet de
loi 191.
Le ministre responsable de l'ex-loi 101 sait fort bien que le
français au travail est la clé de voûte de la
défense, de la promotion et du rayonnement de la langue française
au Québec. Il le sait fort bien. Mais, par le biais de ces certificats
de francisation qui contiendront un boni au bilinguisme, on vient
défaire le peu qu'on avait en ce qui concerne les entreprises, les
commerces de plus de 50 employés. Cela, M. le Président, c'est
particulièrement inadmissible. Je dois vous dire que de ce
côté-ci de la Chambre c'est particulièrement inadmissible.
Il aurait fallu, en matière de français au travail, utiliser
les dispositions contenues dans le projet de loi 191 pour faire en sorte
de relancer le français au travail au Québec, et je le
répète, il est extrêmement important que le français
au travail puisse recevoir une assise juridique valable pour faire en sorte
qu'au Québec, ce soit possible de travailler en français.
Donc, le projet de loi 178 ne contient aucune obligation contractuelle.
Il ne contient aucune obligation en ce qui concerne les objectifs
intermédiaires. Il ne contient aucune obligation en ce qui concerne des
mécanismes pour le respect des droits des travailleurs. Où sont
les dispositions visant à contrer la loi fédérale C-72?
Nulle part dans le projet de loi. Il n'y a aucune disposition concrète
qui viserait à favoriser le français au travail. On a
complètement passé à côté.
Par le biais de ces certificats de francisation qui vont devenir des
certificats d'anglicisa-tion, on vient détruire le peu d'efforts, le peu
de résultats qu'on avait obtenus en matière de français au
travail au Québec. Voilà le résultat net du projet de loi
178.
Maintenant, j'aimerafs entretenir les membres de cette Chambre, au sujet
du fond de l'affichage, sur les messages qui sont envoyés par
l'affichage bilingue. Pour bien des gens, vous savez, ajouter un peu d'anglais
sur l'affichage ce n'est pas tellement grave, ce n'est pas tellement important.
Ceux qui se promènent régulièrement à
Montréal peuvent voir les effets néfastes de l'affichage
bilingue. Je voudrais, concrètement, vous dire ceci, M. le
Président. D'abord, une affiche bilingue: Serveuse demandée,
"waitress wanted". Quel est le message qu'on envoie à l'immigrant par
l'affichage bilingue? Le message qu'on envoie à l'immigrant, il est
naturel, il est normal. Bon Dieu, pourquoi te forcerais-tu pour apprendre le
français? On va mettre l'anglais sur la pancarte et l'anglais est
déjà la langue qui assure la plus grande mobilité en
Amérique du Nord. C'est évident que l'immigrant va avoir tendance
à s'intégrer au milieu anglophone plutôt qu'au milieu
francophone.
Déjà, chez les 26 000 immigrants qui ont été
accueillis au Québec l'an dernier, il y en a 18 000 qui ne parlent pas
français, 18 000 qui n'ont pas la connaissance de la langue
française. Comment pensez-vous que ces gens vont vouloir
s'intégrer à la communauté francophone si, par
l'affichage, on leur envoie le message qu'au Québec ça se passe
en deux langues? Impossible. N'importe qui d'entre nous, qui émigrerait
ailleurs et qui verrait qu'on a le choix entre deux langues, prendrait la
langue qui lui donne le plus de mobilité, la langue qui lui donne le
plus de chance d'apporter du pain et du beurre sur la table pour nourrir sa
famille. Cette langue, en Amérique du Nord, c'est l'anglais. Il faudrait
être naïf ou jovialiste fou pour croire qu'il en serait autrement.
Il faut un message clair aux immigrants, qu'au Québec ça se passe
en français. Si ce message clair n'est pas perçu, comme c'est le
cas actuellement, les immigrants vont continuer à faire ce qu'ils font
maintenant à 70 %, c'est-à-dire qu'ils vont s'intégrer
à la communauté anglophone. Ce sont les statistiques qui sont
claires, 72 % des immigrants qui laissent leur langue maternelle choisissent la
langue anglaise au Québec. Pour renverser cet état de choses, il
faudrait que le gouvernement libéral se tienne debout un peu et envoie
un message clair aux immigrants, mais l'affiche bilingue envoie le message
contraire à l'immigrant.
Deuxièmement, l'affiche bilingue envoie aussi un message à
la communauté anglophone. Il y a encore beaucoup - vous savez, j'en ai
rencontré en allant faire un tour pour rencontrer mes amis de
l'Association des francophones de l'ouest de 111e de Montréal -
d'anglophones qui ne disent pas un mot de français. Je n'arrive pas
à croire qu'ils ne savent pas encore le français, mais il y a
encore beaucoup d'anglophones qui ne disent pas un mot de français.
C'est un fait. Le message qu'envoie l'affiche bilingue aux anglophones, c'est
qu'il n'est pas nécessaire d'apprendre le français. De toute
façon, on va mettre l'anglais sur l'affichage et tu vas pouvoir te
débrouiller en anglais. Ce sont des messages, ce sont des symboles, ce
sont des ondes qu'on envoie, que le gouvernement envoie, pas n'importe qui, que
le gouvernement envoie avec son projet de loi autant à la
communauté anglophone qu'à tous ces immigrants qui viennent de
plus en plus nombreux, qui viendront de plus en plus nombreux au Québec.
Tout ça, dans un contexte démographique qu'on connaît bien
et un contexte géographique qu'on connaît et je n'ai pas besoin de
répéter la nécessité d'intégrer nos
immigrants À la communauté francophone, sinon on va manquer le
bateau. Je pense que les gens le savent fort bien.
Troisièmement, M. le Président, l'affiche bilingue
contient aussi un message, plus pernicieux celui-là, un message que je
n'accepte pas, à la communauté francophone. Le message est: Ta
langue est sur l'affiche, mais tu sais, la vraie langue est là, elle
aussi. Moi, je suis fier d'être français et je suis fier de
réafficher en français. Quand je vais à Madrid, M. le
Président, on affiche en espagnol et les Espagnols sont fiers de
l'être. Si on va à Athènes, ce sera en grec. Si on va
à Rio de Janeiro, ça va être en portuguais. Et c'est normal
d'afficher ce que nous sommes, sans créer de distinction artificielle.
(12 heures)
II est normal pour un peuple qui vient ajouter son identité
à cette grande mosaïque internationale qui fait le plaisir de vivre
sur cette planète, il est normal pour le peuple français
québécois de s'afficher et d'afficher sa culture. Rien ne me
désole plus que de constater que dans le Vieux-Québec on retrouve
déjà des affiches unilingues anglaises et bilingues. Rien ne me
désole plus que de voir que maintenant, avec le projet de loi 178, on
aura légalement le droit
de faire cet affichage anglais, cet affichage bilingue, alors que les
Américains, les Européens qui viennent nous voir le font pour
retrouver cette saveur française au Québec, cette petite France
au Québec. C'est d'ailleurs pour ça que le ministre du Tourisme a
autorisé des annonces qui ont paru dans des magazines américains
importants comme le Time. Qu'est-ce qu'elles disaient aux
Américains? Venez au Québec "and get the French taste". Je pense
que je ne me trompe pas sur les mots, peut-être qu'il s'en souviendra
exactement. On vend le Québec ailleurs en disant: On a notre
caractère français. Notre saveur française; venez nous
voir et venez vivre, venez constater notre générosité,
notre joie de vivre, notre caractère latin, nos habitudes, nos
façons de nous engueuler, mais nos façons d'avoir du plaisir.
C'est ça vivre en français au Québec, M. le
Président.
Donc, un message confus aux immigrants, aux anglophones et aux
francophones. Cela est inacceptable dans le contexte actuel. Peut-être
que dans 20 ou 30 ans on pourrait, de ce côté-ci ou de l'autre
côté de la Chambre, tenir un langage différent. Mais, dans
le contexte politique, géographique, économique et
démographique actuel, on n'a pas le droit d'envoyer ce type de messages.
Je les répète rapidement: démographique, on connaît
notre taux de dénatalité et l'importance d'intégrer les
immigrants; sur le plan politique, on connaît la loi C-72 qui vise
carrément à "bilinguiser" municipalités et syndicats au
Québec; on connaît aussi, dans le contexte politique, les
conséquences de l'affaiblissement de la volonté politique de
l'autre côté, ce que cela a donné dans les faits: processus
de francisation des entreprises qui stagne, multiplication des infractions
à la loi 101, etc. Bref, au Québec, dans le contexte actuel, en
1988, ce n'est pas le temps; on n'a pas le droit de prendre la chance d'envoyer
des messages semblables, aussi confus à tout le monde, en même
temps. En 2010, ce sera peut-être différent, si on avait au moins
avancé un petit peu sur le plan du français au travail, si on
avait avancé un petit peu pour faire du français la langue de
l'informatique, comme le projet de loi 191 le stipulait, si on avait fait les
progrès que ce peuple aurait eu le droit de faire durant cette
période. Mais dans le contexte actuel, puisqu'un projet de loi est
toujours un texte qui répond à des circonstances, dans les
circonstances actuelles, ce projet de loi représente un grave danger
pour la collectivité québécoise. Nulle part je n'ai
entendu un argument qui pourrait justifier autre chose.
Deuxièmement, toujours sur le fond des choses, la solution
tarabiscotée et alambiquée que dépose le gouvernement
n'est pas applicable. C'est normal, quand on part de principes aussi
écorchés, quand on part d'un raisonnement aussi superficiel que
le nombre de députés et le programme du Parti libéral,
qu'on ne puisse faire autre chose que d'arriver avec une solution inapplicable.
Déjà, il est difficile, sans volonté politique, de faire
respecter la loi 101 et, maintenant, avec des dispositions sur l'affichage
bilingue à l'intérieur, ça deviendra à peu
près totalement inapplicable: extérieur-intérieur...
Qu'est-ce qui arrive avec les marchandises qui sont à dix pieds, qui
sont affichées à la fois pour les gens à
l'intérieur et à l'extérieur? Vous imaginez-vous le type
de discussions folles entre un inspecteur de la Commission de protection de la
langue française et un commerçant quand viendra le temps de
décider si l'affiche est vue de l'extérieur ou si elle s'adresse
au public qui est à l'intérieur? Cela n'a pas de sens, ce n'est
pas fondé. Cela ne se tient pas debout; ça ne marche pas en hiver
et ça ne marche pas en été. C'est ça que contient
le projet de loi 178.
Qu'est-ce qui arrive des kiosques qui sont ouverts? On ne prévoit
rien de ce côté-là. Comment mesurer la
prépondérance du français? C'est une trouvaille du bunker
"toute prédominance du français". Je l'ai dit tantôt.
Est-ce que ça veut dire qu'il va y avoir une affiche unilin-gue
française et, à côté, une affiche unilingue anglaise
et qu'il faut que l'affiche unilingue française soit plus grosse que
l'affiche unilingue anglaise? Est-ce que cela veut dire que pour la couleur et
la grosseur des lettres, l'endroit où c'est placé... On le sait,
cela a de l'importance dans la mise en marché, l'endroit où on
inscrit notre sollicitation.
On ne peut pas arriver à légiférer intelligemment
à partir d'un concept comme celui de la prédominance. Il me
semble que ce n'est pas nécessaire d'avoir fait un cours classique pour
réaliser cela. Il faut qu'une loi se tienne debout un petit peu. Quand
les causes vont arriver devant les tribunaux, probablement dans dix ans, avec
le gouvernement de l'autre côté... Les poursuites aux infractions,
ça prend du temps. Je questionnerai d'ailleurs là-dessus un peu
plus tard, M. le Président. Quand cela va arriver devant les tribunaux,
les juges vont être pris à essayer de jauger une nette
prédominance. Déjà, on ne connaît pas les
règlements. Cela n'a pas de sens. Je pense qu'en énonçant
tout simplement ce qui est contenu dans le projet de loi les gens comprennent
aisément que cela ne se tient pas debout. La grosseur des lettres, la
disposition physique, la couleur du lettrage. Est-ce que la partie
française doit être rédigée avant la partie
anglaise? Le rouge va sortir plus fort que le gris. Bref, ce n'est pas possible
de mesurer le concept de prédominance et son application
concrète, et c'est d'ailleurs probablement pour cela qu'on n'a pas
encore vu le début des règlements. J'ai hâte de voir vos
règlements de l'autre côté. Appliquer une loi aussi mal
foutue avec les règlements qu'ils vont nous sortir, tenez-vous bien!
Peut-être que c'est à ce moment-là que le ridicule va tuer
le projet de loi, d'ailleurs. Peut-être que c'est en rédigeant les
règlements qu'ils sont en train de se rendre compte que cela ne se tient
pas debout. J'ai hâte
de voir ces règlements. Je pense que cela va être un
immense éclat de rire qui va accompagner le dépôt de ces
règlements, et je ne blâme pas le gouvernement de prendre son
temps pour les déposer. Ils doivent être embarrassés,
gênés de déposer une réglementation qui va
découler d'une loi semblable. En tout cas, moi, je serais
gêné comme ministre, comme premier ministre de déposer une
réglementation semblable.
Deuxièmement, quoi qu'on en dise, je défie n'importe qui
de me dire le contraire. J'ai dit tantôt et je le répète,
l'effet net du projet de loi est de permettre le bilinguisme à
l'intérieur des commerces. Mais cela, ça veut dire partout. Pas
seulement à Montréal, où déjà la situation
est grave, mais partout en province, dans tous les coins, même ceux qui
sont relativement bien protégés. Il serait fou de croire que les
grandes entreprises comme Eaton, La Baie, Provigo, Sears, Zellers - le
champion, Zellers - vont se mettre à faire du matériel
publicitaire de deux, trois ou huit sortes selon les négociations qui
auront lieu avec l'Office de la langue française, qui a
déjà beaucoup de difficulté simplement avec la loi
actuelle. Ce qu'on peut prévoir dorénavant, c'est que, par le
biais de ces magasins-là qui n'ont pas toujours 50 employés et
plus... Je donnais l'exemple tantôt de Discus: quand viendra le temps de
faire sa publicité, cela va être la même publicité
à Montréal que sur la rue Saint-Jean à Québec.
Allez donc voir en sortant d'ici pour le "fun", pour le plaisir de la chose,
allez voir cette publicité et venez me dire que ce projet de loi
n'encouragera pas de grandes chaînes, de grandes entreprises, qui,
souvent, ont leur siège social à l'extérieur du
Québec, à faire leur affichage partout, pour Montréal et
partout ailleurs au Québec en même temps. Ce sera un geste
rationnel et économique de leur part. Dans bien des cas, ce sera un
geste légal de leur part, puisque le projet de loi le permet.
Qu'on arrête de finasser avec la langue comme le fait le premier
ministre de temps à autre en disant: Vous savez, il sera toujours permis
d'afficher en français. Bien oui, merci, M. le premier ministre. Merci,
M. le premier ministre de nous avoir conservé ce droit d'afficher dans
notre langue. Le premier ministre a passé deux périodes de
questions là-dessus à essayer de nous amadouer en disant: Vous
savez, les commerçants vont continuer à avoir le droit d'afficher
en français. Ce serait bien le restant, torieux! Que le premier ministre
du Québec soit obligé pendant deux périodes de questions
de nous entretenir d'une façon aussi complaisante que celle-là
est inacceptable et inadmissible pour un chef de gouvernement, qui est bien
plus que le chef du Parti libéral. Ce serait bon de lui rappeler de
temps en temps, lui qui est pris dans son cube Rubik de programmes, qui est
pris dans son caucus, qu'il est aussi le chef d'un gouvernement. Donc, le
bilinguisme va s'étendre partout au Québec par le biais de cette
dispo- sition. (12 h 10)
Également, je l'ai mentionné tantôt, je veux le
mentionner à nouveau, mais rapidement, l'affichage bilingue à
l'intérieur aura un impact majeur sur le français, langue de
travail. C'est simple, le commerçant qui a un affichage bilingue et qui
cherche un vendeur ou une vendeuse, qu'est-ce qu'il va exiger de ce candidat ou
de cette candidate, sinon le bilinguisme? D'ailleurs, la personne qui va
obtenir l'emploi ne se sen-tira-t-elle pas justifiée d'aborder les gens
en anglais, puisque l'anglais fait partie de l'environnement du commerce? Donc,
impact sur le français comme langue de travail et impact sur le
français comme langue de service.
Là-dessus, cette semaine, en Chambre, j'ai déposé
une étude menée pour le compte de l'Office de la langue
française qui démontrait qu'environ 65 % des répondants
jugeaient que le fait que leur affichage unilingue soit français
constituait une incitation à utiliser le français au travail.
C'est normal. Si on vit dans un environnement bilingue, on va avoir tendance
à utiliser deux langues. Si on vit dans un environnement unilingue
français, on va avoir tendance à parler français, à
répondre en français. Et, là-dessus, le gouvernement nous
a répondu qu'il n'avait pas fait d'études, qu'il n'avait pas
mesuré les impacts de l'affichage bilingue sur ces deux notions
importantes que sont le français au travail et le français,
langue de service. Et déjà ce n'est pas facile dans bien des cas
et dans certains coins du Québec de se faire répondre en
français. Est-ce que le vendeur ne serait pas encore plus
justifié de me demander en anglais "What do you want? What can I do for
you?", si l'environnement de son commerce était bilingue? C'est
évident.
Et sur le français au travail, je voudrais ajouter un
élément. Vous savez, il y a deux tiers des francophones au
Québec qui ne parlent qu'une langue. C'est une réalité.
Et, de l'autre côté, on a l'autre réalité, soit une
montée de l'exigence du bilinguisme dans l'embauche. Alors, faites un
plus deux, M. le Président. Est-ce que, finalement, cela ne nous
conduirait pas à marginaliser ces deux tiers des francophones, ces deux
tiers des 84 % de la population du Québec qui ne parlent que le
français? D'ailleurs, est-ce que ce ne serait pas les amener,
finalement, à bâtir au Québec un beau pays qui serait
bilingue? C'était le rêve de Pierre Elliott Trudeau que vous
transportez encore: un beau pays bilingue. Mais le bilinguisme d'un pays, cela
n'existe pas. Comme il a été bien dit cette semaine, le
bilinguisme, dans le contexte actuel, au Québec, c'est le passage
transitoire du français au français et à l'anglais et,
ensuite, à l'anglais. Mais examinez les conséquences des
dispositions qui sont contenues sur le français au travail. Tous ces
francophones unilingues de mon comté et de vos comtés qui ne
parlent pas l'anglais et qui vont aller déposer des demandes
d'emploi
chez des commerçants vont se faire dire: Vous savez, dans mon
commerce, il faut parler anglais. Tout le monde veut faire des affaires. Les
commerçants - j'ai déjà eu des commerces - veulent faire
des sous, ils veulent faire des affaires. Si le gouvernement leur dit: Tu peux
afficher dans les deux langues, on peut être sûr que les
commerçants vont vouloir aller chercher le maximum de clientèles
possible pour faire le maximum de transactions possible, c'est normal. Alors,
leur ouvrir la porte, c'est leur dire: Entrez dedans, avec toutes les
conséquences que cela implique.
M. le Président, autre point. Vous m'indiquez qu'il ne me reste
que dix minutes. C'est bien peu pour une matière aussi importante que
celle que nous sommes en train d'étudier, à la vapeur, avant
Noël, alors qu'on a pris un an pour étudier la loi 101. Un an en
commission parlementaire - le député de Roberval n'était
pas là - pour étudier la loi 101 et un mois pour apporter des
petites modifications que le ministre des Communautés culturelles de
l'époque avait proposées. Mais là on veut nous faire faire
ça à la vapeur, en 48 heures, M. le Président. On me donne
une heure pour parler. C'est bien peu. Et deux heures en commission pour faire
l'examen détaillé du projet de loi. Cela n'a pas de sens. Je
pense que, si les gens d'en face n'en sont pas conscients maintenant, ils ne le
seront jamais.
Donc, je voudrais ajouter qu'il y a aussi un autre effet qui n'est pas
toujours visible. Je pense que le député de Bourget doit
être sensible à ça. Tous les linguistes s'accordent pour le
dire. L'affichage bilingue a un effet d'intoxication sur la qualité du
français dans l'affichage. Tous les linguistes sont unanimes à ce
sujet-là. C'est un fait qu'on peut admettre. Mais le gouvernement est
complètement insensible à cette question. Il n'a même pas
fait les études appropriées pour arriver à cerner l'impact
des dommages qui seront faits au tissu social et à la langue
française au Québec.
M. le Président, ce que je dis aux gens d'en face, c'est que le
Québec n'a pas le droit, aujourd'hui, de prendre le risque que veut nous
faire courir le premier ministre. Le Québec n'a pas le droit, dans les
circonstances actuelles, et je le répète, de prendre la chance
avec la survie de notre collectivité. Ce projet de loi 178 est mal
foutu, mal ficelé, mal bâti, mal pensé et le
résultat d'un compromis politique inacceptable. Et, en ce
sens-là, on a vu les dommages que causait le simple affaiblissement de
la volonté politique depuis trois ans.
Je voudrais peut-être en profiter pour rappeler aux gens d'en face
les dommages considérables qui ont été faits depuis le 2
décembre 1985. Déjà le gouvernement libéral a perdu
toute crédibilité en matière linguistique à tel
point que même un chroniqueur respecté de la Gazette
écrivait que le plus grand irritant linguistique au Québec
c'était le premier ministre lui-même. Et quand on regarde ce qu'il
nous dépose, on ne peut pas faire autre chose, une fois encore,
qu'être d'accord avec le milieu anglophone qui dit que le plus grand
irritant c'est le premier ministre lui-même qui jongle, mais d'une
façon malhabile, avec quelque chose d'aussi fragile que la langue.
Qu'est-ce qu'il a fait ce gouvernement-là pour perdre sa
crédibilité en trois ans, en plus de son double langage
électoral où même le premier ministre - il n'aime pas
ça que je le lui rappelle - avait dit que le gouvernement du Parti
québécois avait martyrisé la communauté anglophone?
C'est probablement juste avant de dire qu'il était pour modifier la loi
101. Ils ont adopté la loi 142. Ils ont amnistié les
élèves "illégaux" en donnant au ministre de
l'Éducation un pouvoir de dérogation aux règles
générales. Ils ont coupé les budgets des syndicats qui, au
premier chef, M. le Président - et j'ai vu le travail de ces
gens-là sur le terrain - allaient dans les entreprises pour stimuler un
processus de francisation qui ne fonctionnait pas. Ils n'ont pas, durant
l'année 1986, fait respecter la loi 101. Le député de
D'Arcy McGee, à l'époque, nous disait: Je ne poursuis pas parce
que c'est devant les tribunaux. Il avait inventé un nouveau principe
juridique. Non-respect, donc, de la loi 101, non-poursuite des infractions
contre la loi 101 et surtout, à titre d'illustration - à quel
point faut-il être irresponsable? - financer des avocats qui travaillent
contre nous. Je pense que ce n'est pas nécessaire pour moi, M. le
Président, de revenir sur l'indigne épisode du financement des
avocats d'Alliance Québec. Mais je dois vous dire que c'est la
première fois qu'on voyait un gouvernement, un peuple se tirer dans les
jambes comme l'a fait le gouvernement. Et ce n'est pas surprenant qu'ils aient
perdu leur cause à la Cour suprême. Après avoir
financé les avocats d'Alliance Québec, ils ont fait défaut
en Cour suprême de justifier la nécessité de
l'exclusivité du français dans l'affichage. Et, comme l'ont bien
dit d'autres avant moi, le Québec a perdu par défaut en Cour
suprême, et c'est écrit en toutes lettres dans le jugement de la
Cour suprême. (12 h 20)
En terminant, M. le Président, je fais un dernier appel aux gens
d'en face. Je fais appel à leur conscience, je fais appel au fait qu'ils
sont dépositaires de la volonté populaire qu'ils ne connaissent
pas. Je leur dis ceci. Vous avez pris quatre mois pour décider de la
couleur de la margarine. Est-ce que vous ne voudriez pas prendre un mois pour
décider de la question linguistique et entendre les intervenants? Vous
avez pris six mois pour niaiser dans le dossier des heures d'ouverture des
commerces, probablement que vous allez prendre encore six mois pour tergiverser
dans ce dossier, et ça va faire un an, et vous ne voudriez pas prendre
une couple de mois pour qu'on aille en commission parlementaire entendre les
intervenants qui ont des choses à dire sur un projet de loi qui les
affecte dans ce qu'on a de plus vital, autant la communauté
anglophone que la communauté francophone et les immigrants? Comment
expliquer que vous avez tergiversé sur des questions comme la couleur de
la margarine? Mais quand même! Tenez-vous debout un peu, bon Dieu! Ouvrez
la porte du salon rouge! Faites en sorte que les intervenants viennent vous
expliquer pourquoi le projet de loi 178 est une menace pour le français
qui, déjà, recule, dans les faits, depuis trois ans. On a pris un
an, l'ex-député de Bourget, à l'époque, a pris un
an en commission parlementaire pour entendre tout le monde. Le ministre des
Communautés culturelles a pris un mois en 1983 pour apporter des
modifications, par la loi 57, à la loi 101. Et vous ne voudriez pas,
avec nous, aller de l'autre côté, vous transporter au salon rouge
et prendre le temps qu'il faut pour entendre les intervenants et prendre une
décision éclairée sur le projet de loi 178? Non, vous
préférez, en 36 heures, où le leader du gouvernement nous
accorde deux heures pour examiner en détail le projet de loi à
l'étape de l'examen détaillé du projet de loi, deux ou
trois heures, peut-être que je viens de gagner une heure, bien ce sera
ça de pris...
Une voix:...
M. Filion: Ce sera ça de pris, M. le Président. Si
je peux encore les convaincre, si je ne les ai pas convaincus, que, sur le
fond, ils ont tort, au moins ils conviendront, comme tributaires de la
volonté populaire, que notre devoir est d'aller entendre cette
volonté populaire s'exprimer. Si vous avez raison, bien, vous aurez
raison. Mais une chose est certaine, c'est qu'aujourd'hui, en décembre
1988, ça fait trois ans que vous êtes au pouvoir, vous n'avez pas
utilisé ces trois années-là pour bâtir, pour
bâtir le consensus qui aurait fait en sorte que votre solution soit
acceptable par une majorité de la population au Québec. Pendant
trois ans, vous n'avez rien foutu. Le premier ministre a gardé sa
solution pour lui, comme un secret de Fatima. Il la dépose et il
s'attendrait maintenant, alors qu'il n'a convaincu personne, que les gens
disent: Bien oui, vous avez raison, M. le premier ministre. Ce n'est pas comme
ça que ça fonctionne un gouvernement. Si vous êtes
convaincus, allez convaincre, mais votre conviction, on ne l'a pas vue depuis
trois ans. Le premier ministre a commencé à s'exprimer un peu
sans conviction depuis trois jours sur cette question-là et il
espère passer à travers à coups de sondages et de
compromissions politiques inacceptables. Merci.
Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole
à M. le ministre de l'Énergie et des Ressources et
député de Mont-Royal.
M. John Ciaccia M. Ciaccia: M. le Président, encore une
fois je me trouve dans un débat linguistique. C'est le troisième
débat linguistique de ma carrière politique. Premièrement,
permettez-moi de vous dire que j'accepte la décision de la Cour
suprême. J'accepte le principe de la prépondérance du
français pour donner le visage linguistique au Québec et
j'accepte le principe de la liberté d'expression. Je crois aux droits
fondamentaux et j'ai toujours soutenu que nos lois doivent être
assujetties aux chartes des droits. Vous comprendrez que la décision de
notre gouvernement m'a désappointé et qu'elle me cause beaucoup
d'angoisses. Au cours des derniers jours, j'ai réfléchi à
cette décision et à ma décision personnelle dans ce
débat. Je voudrais vous faire part de mes réflexions.
L'histoire des débats linguistiques est vraiment une histoire
triste. Ces débats ont toujours causé des remous et des
déchirements dans notre société, des deux
côtés de la Chambre et parmi les différents groupes de
notre société. La communauté francophone s'est sentie et
se sent menacée. Je le comprends et la Cour suprême a
accepté qu'il règne une inquiétude à l'égard
de la survie de la langue française. Quand on parle de survie, on parle
de l'identité même d'une personne ou d'un groupe; on touche
l'âme même de chaque individu dans cette collectivité. En
tant que non francophone, je n'ai pas vraiment le droit de dire que ces
craintes sont mal fondées; je dois plutôt essayer de convaincre de
ce que nous devrions faire pour enlever ces craintes. Les solutions
proposées par les différents gouvernements ont toujours
été contestées par les minorités et il s'est
créé, du côté francophone, une sorte de perception
de la minorité anglophone, que cette minorité ne comprenait pas
les préoccupations des francophones.
I understand the anger and the frustrations of the English-speaking
community. I fought for the application of the judgement in its entirety. I
tried to get our Government to accept this policy. My efforts and those of many
of my colleagues were not entirely successful. The Government's decision
excludes the use of another language on exterior signs and, to be able to apply
the use of French only on exterior signs, the Government has chosen and has
been obliged to introduce a notwithstanding clause. Without this clause, this
issue would hâve returned to the courts. I am disappointed and sorry
about this décision and I certainly understand the initial reaction of
the English-speaking community, which was also my reaction.
The English-speaking community has been fighting this language issue
since at least 1974, and without satisfaction. My experience has shown me that
confrontation has not worked. We continue to give the wrong messages to the
French-speaking community. The English-speaking community seems to strenghten
the perceptions in the francophone community that it does not understand the
concerns and fears over their
language. That is not to the feeling of everyone, but that is the
perception, the messages that are sent to the community, that English
Quebeckers are not really concerned sufficiently with their needs to protect
the French-speaking community and to do it in a tangible way. (12 h 30)
I think that we have the obligation to change that perception. There is
obviously a psychological barrier between the two communities and perhaps we
must reverse our approach. Rather than tell the French-speaking community that
their fears are ill-founded let us try and convince them that they will not be
threatened by our acts.
What can I do? What can we all do? Well, the lessons of 1974 and of 1977
are clear to me. The demonstrations, the confrontations of 1974 led to a very
difficult period in our history. I do not want, by our reaction, to repeat that
history. Perhaps a gesture of generosity, understanding and tolerance is needed
on our part, even though we may feel that the Government has let the
English-speaking community down. Progress has been made. This is not the only
issue that divides us. We have been showing leadership in Canada, we have been
working together Of course, this issue is a problem. And yes, perhaps it could
have been avoided but it has not been avoided. But are we going to tear our
society apart because of it? Are we going to weaken our community and our
province? Because that is what we are doing now. Someone must make the first
move to end the language wars.
I have mentioned that we have made great progress in our society. The
executive of my riding association has supported this Government policy. As you
all know, I am of Italian origin and, in 1968, I was present during the
language riots in Saint-Leonard. In 1988, the leaders of the Italian community
have written to me and have asked "de demeurer au sein du cabinet et de
continuer à bien représenter les intérêts des
Québécois, y compris ceux de notre communauté."
This is quite a remarquable change in attitudes over the years.
(S'exprime en italien)
So, what are my responsibilities at this particular time and on this
particular issue? To leave and abandon the people that I represent or to stay
and keep on fighting? I believe in individual rights. In 1976, I almost felt
that I was a voice in the desert, fighting for individual rights. I do not
believe the issue today is really individual rights. I can believe that it is,
but if the francophone community sees it in another way, then I have to
convince them of that other way and of my point of view.
There is too much distrust and I believe that if I left I would
institutionalize this distrust "et je ne veux pas institutionnaliser la
méfiance. Il y a trop de méfiance dans notre
société".
I believe that we are not going to be creating a climate of harmony and
understanding by confrontation. And the question that we can ask ourselves is:
What is the spectacle that we are creating of our society, to Quebeckers, to
the rest of Canada and to the rest of the world? I believe that by staying I
can do more than by leaving.
Je vais continuer à travailler au sein de cette Assemblée,
avec le gouvernement, et je vais continuer à me battre pour mes
convictions. Je fais appel à la générosité et
à la compréhension de tous les groupes de notre
société.
Le Vice-Président: Je vais maintenant céder la
parole à M. le député de Gouin.
M. Jacques Rochefort
M. Rochefort: Oui, merci, M. le Président. Le projet de
loi 178 relance le Québec, donc son Assemblée nationale, pour une
nouvelle fois, dans une crise linguistique majeure. Crise linguistique de la
même nature que celle que nous avons connue à l'occasion du "bill"
- comme on l'appelait à l'époque - 63 et de la loi 22. Cette loi
178 s'inscrit dans la foulée de ces lois linguistiques qui ont
plongé le Québec et l'Assemblée nationale du Québec
dans une crise politique et linguistique majeure. Pourquoi, M. le
Président? Parce que le projet de loi 178, comme la loi 22, comme la loi
63 n'apporte pas les garanties suffisantes, solides, attendues en ce qui
concerne, à la fois, la protection du fait français au
Québec et son développement, sa progression, sa croissance.
Tant au chapitre de la loi 63 qu'au chapitre de la loi 22, c'est comme
si le projet de loi 178 correspondait à une société
où, finalement, on ne se retrouve pas avec 80 % de francophones et 15 %
à 18 % d'anglophones et d'allophones. C'est plutôt comme si on se
retrouvait dans une société où finalement l'écart
serait de beaucoup réduit ou si on se retrouvait dans un Québec
où il y aurait deux grosses communautés qui ne seraient pas si
différentes en nombre que ça. C'est ça le problème
du projet de loi 178, et c'était ça le problème du projet
de loi 22, et c'était ça le problème de la loi 63. Donc,
cette crise vient briser cette paix linguistique importante sur laquelle nous
avons tous capitalisé, quel que soit le côté de cette
Chambre que nous occupons. La paix linguistique qu'a apportée la loi 101
dans tout le Québec, dans toutes les communautés, dans tous les
domaines d'activité de la vie en société, nous avons tous
capitalisé là-dessus. Cela a apporté, cela a
généré une paix sociale importante, une paix
économique fort importante.
Cela a été un facteur de choix d'investissements pour des
entreprises, de venir ici parce qu'il y avait une paix linguistique
plutôt qu'ailleurs. Cela a été un facteur de
développement, de progrès à tous les points de vue pour le
Québec parce que ce projet de loi 101, qui est devenu loi depuis 1967,
apportait les garanties
requises, les garanties nécessaires, les garanties essentielles
de protection, de développement et de progression de la langue
française au Québec. C'est pour ça, M. le
Président, que la loi 101, on peut dire, aujourd'hui, que ça a
marché. (12 h 40)
Si le projet de loi 178 nous replace, nous relance dans une crise, dans
des moments de très grande passion, dans des périodes
d'affrontement, de confrontation, c'est, dans un premier temps, parce que le
peuple québécois est inquiet, profondément inquiet quant
à son avenir parce qu'il se sent menacé. Je vois, M. le
Président, des collègues qui me disent que non, ils ne se sentent
pas menacés. Si les Québécois considéraient qu'il
s'agissait là d'une question qui n'était pas menaçante,
qui était un peu banale, on pourrait être pour ou contre le projet
de loi 178, mais il ne soulèverait pas cette crise, ces passions, ces
affrontements qui existent au Québec depuis quelques jours, même
ici à l'Assemblée nationale. Je pense que c'est un fait objectif
qu'il faut reconnaître; je dis et j'affirme que si les
Québécois réagissent de cette façon, c'est
premièrement parce qu'ils se sentent inquiets comme peuple,
profondément inquiets et menacés quant à leur avenir.
Cette menace, tout le monde la reconnaît, même les procureurs du
gouvernement du Québec mandatés par M. le premier ministre. Ils
sont allés en Cour suprême pour tenter de convaincre les juges que
le fait français au Québec était menacé. C'est
écrit dans leur plaidoyer et c'est écrit dans le * jugement,
c'est reconnu.
D'ailleurs, M. le Président, nous sommes menacés en deux
points de vue, j'en ai parlé la semaine dernière. D'abord, en
termes de nombre, et je ne fais pas allusion simplement aux francophones, mais
à l'ensemble des Québécois, donc aux personnes qui vivent
au Québec. Le peuple québécois est menacé quant au
nombre. Il n'y a aucun démographe qui, actuellement, analysant la
situation démographique actuelle et à venir du Québec,
conclut a une hypothèse que le Québec connaîtra une
croissance importante. Au contraire, les plus optimistes nous disent qu'on ne
devrait pas trop diminuer; ceux qui se situent entre les deux nous disent qu'on
pourrait perdre à peu près 1 000 000 de citoyens d'ici une
cinquantaine d'années; ceux qui sont considérés comme les
pessimistes du groupe arrivent à des conclusions selon lesquelles on
pourrait même perdre, d'ici une cinquantaine d'années, entre 1 500
000 et 1 800 000 Québécois. Aucun démographe ne conclut
à une sécurité collective quant à l'existence du
peuple québécois, quant à la croissance du nombre. C'est
une donnée importante et avec laquelle nous devons vivre, que nous
devons prendre en considération dans l'analyse que nous faisons.
Deuxièmement, sur le plan linguistique, le Québec est
effectivement aussi menacé en ce qui concerne sa langue, sa culture.
Nous sommes 6 500 000 Québécois, à peu près 5 500
000 de parlant français dans une mer de 250 000 000 de citoyens dont la
langue première est la langue anglaise, avec ce que ça
représente comme force dans les moyens de communication de toute nature,
dans leur capacité de faire pénétrer cette culture et
cette langue dans chacun de nos foyers, y compris dans les foyers francophones.
Nous devons ajouter que malgré les nombreux efforts que les
Québécois ont faits pour bien intégrer les immigrants qui
arrivent chez nous, à la société québécoise,
personne ici en cette Chambre, malgré les grands succès que nous
avons obtenus, ne peut dire: Mission accomplie, c'est réglé. Nous
avons encore aujourd'hui des problèmes comme société,
comme Assemblée nationale et, vous, comme gouvernement quant à
l'intégration des hommes et des femmes qui choisissent de venir vivre au
Québec. Cela aussi représente d'une certaine façon, aux
yeux d'un bon nombre de Québécois, une menace, une
inquiétude.
Autant il faut dire oui au multiculturalisme au Québec, et c'est
ce que nous vivons de plus en plus avec l'arrivée d'un grand nombre
d'immigrants de différentes souches et c'est une des fiertés, une
des réussites du Québec, autant on ne pourrait admettre qu'on se
retrouve dans une situation de multiethnie. Il faut en être très
conscients, tous et chacun d'entre nous. En ce sens, il faut bien voir et lire
dans ces deux principes les problèmes qui demeurent des défis
pour les membres de l'Assemblée nationale, pour le gouvernement, pour
l'ensemble des Québécois et des Québécoises quant
à l'intégration des immigrants à la société
québécoise. Oui, les Québécois sont inquiets, ils
sont menacés. Et je considère qu'ils ont raison. Je suis
personnellement inquiet quant à la survie du peuple
québécois en termes de nombre, et j'inclus tout le monde: pour
moi, le peuple québécois, c'est tout le monde qui vit au
Québec. Oui, je suis profondément inquiet quant à l'avenir
de la langue et de la culture françaises ici, au Québec. Avant de
tenter de solutionner le problème que nous avons, il faut nous
convaincre de cette situation, de cet état de fait et en tenir
compte.
Deuxièmement, si les Québécois se retrouvent
plongés au coeur d'une nouvelle crise linguistique, c'est parce qu'en
même temps qu'ils se sentent inquiets et menacés, ils
considèrent, et avec raison, qu'ils font tout en leur possible pour
ouvrir grandes leurs portes, pour respecter le plus possible à tous
points de vue les Québécoises et Québécois qui sont
la minorité au Québec, donc les parlant anglais, les gens de la
communauté anglophone. Les Québécoises et
Québécois francophones considèrent qu'ils font tout en
leur possible pour respecter, pour vivre en harmonie avec les citoyens de la
communauté anglophone. Donc, comme le disait le ministre des Relations
intergouvernementales, comme l'a dit le premier ministre, les
Québécoises et Québécois n'ont pas de leçon
à recevoir de personne ici, au Canada ni d'ailleurs dans le
monde quant à la façon de traiter leur minorité.
Cela aussi ajoute à la dimension de crise quand, en même temps, on
se dit: Qu'est-ce qu'on fait qui n'est pas correct à l'endroit de notre
minorité? Est-ce qu'on la traite moins bien qu'ailleurs au Canada?
Est-ce que les anglophones au Québec sont moins bien traités que
les francophones ne le sont dans les autres provinces canadiennes? Est-ce que
la minorité anglophone du Québec est moins bien traitée
ici que toute autre minorité dans le monde? Non. Et c'est cela qui
ajoute au climat de crise, au climat de tension parce que les
Québécois sont profondément convaincus. Cela fait partie
de notre fierté, je l'affirme, de traiter notre minorité de la
façon dont nous la traitons. M. le Président, je ne parlerai
jamais de générosité. Ce n'est pas un cadeau, ce n'est pas
de la générosité, c'est une ouverture, c'est la
volonté de vivre en harmonie, la volonté de vivre conjointement
au Québec. Je n'ai aucune indication que ça changera et je pense
qu'il n'y a aucun danger que ça change un jour. Cela aussi, il faut que
cela soit clair dans notre tête quand on aborde la question et il faut
qu'on soit en mesure d'en tenir compte quand on aborde cette question.
Devant la nouvelle situation créée par le jugement de la
Cour suprême, que nous propose-t-on? En même temps qu'on nous dit -
le premier ministre nous le dit souvent: La majorité est menacée
au Québec, la langue française est menacée, l'avenir du
peuple québécois est menacé, et qu'on nous explique que
nous sommes menacés dans notre langue, dans notre culture et dans notre
avenir comme peuple, la solution pour faire face à la menace aura pour
effet direct d'ajouter de l'anglais dans le décor linguistique du
Québec. Qu'on fasse un débat pour savoir si ce sera un peu plus,
un peu moins, patati, patata, c'est un peu secondaire, l'important étant
de dire: Devant cette menace à laquelle est confronté le peuple
québécois, la réponse du gouvernement du Québec,
c'est: Oui, les Québécois sont menacés. Et notre
façon d'apporter une solution et de répondre à cette
menace, c'est de mettre un peu plus d'anglais dans la société
québécoise. J'appelle cela y aller à l'envers de la
situation normale que nous aurions dû vivre et suivre devant un tel
problème.
Je reconnais que le projet de loi 178 protège le visage
français du Québec. Je le reconnais et je suis heureux qu'une
telle solution ait été retenue quant à l'affichage
extérieur. Je ne vous cacherai pas, parce que, comme je vous l'ai dit
tantôt je suis inquiet, que j'ai aussi eu des inquiétudes quant
aux décisions qui pouvaient être prises par rapport à cela.
Par ailleurs, si le visage français du Québec est important, il
faut aussi parler de la vie au Québec. Et si regarder un
panneau-réclame, une affiche, c'est le visage français et qu'il
faut le conserver, n'oublions pas que les heures que nous passons dans les
établissements commerciaux, cela commence à faire partie de la
vie. On est beaucoup plus longtemps à l'intérieur d'un commerce
qu'à l'extérieur. En ce sens, je pense que la décision qui
est prise envoie un message négatif quant à la volonté que
nous devrions tous ensemble partager qu'au Québec, c'est-à-dire
qu'il faut que cela se passe en français, tant chez les immigrants qui
arrivent et qui sont en phase d'intégration à la
société québécoise que che2 nos enfants, chez les
francophones. (12 h 50)
M. le Président, j'ai des jeunes enfants qui apprennent à
lire. Chaque fois qu'on voit quelque chose qui est écrit en anglais, ma
fille veut tout lire, alors, il faut lui expliquer que r-e-a-d-y, cela se dit
"ready" et cela veut dire "prêt". Elle me dit: Mais pourquoi, papa, on ne
me montre pas cela à mon école, je suis juste en deuxième?
Voilà de la confusion qu'on instaure et voilà de la confusion
qu'il y aura dans la fréquentation des établissements commerciaux
où l'affichage pourra être bilingue. Et, là-dessus, ne
fafinons pas. Si nous adoptons des règles qui permettront que
l'affichage soit bilingue à l'intérieur des commerces, que
personne ici ne se lève et ne vienne me dire: Mais n'ayez crainte,
personne ne le fera. Si on fait cela, c'est parce qu'on veut répondre
à une demande. Il y a des gens qui souhaitent le faire et qui n'ont pas
les possibilités juridiques de le faire à l'heure où nous
nous parlons. Nous leur donnons les possibilités juridiques. Et que
personne, ici, en cette Chambre, ne vienne me faire croire qu'il n'y a pas de
danger, que personne ne va utiliser ce droit.
D'autre part, le premier ministre qui nous a dit: Oui, mais vous l'aviez
fait au Parti québécois pour les commerces de moins de quatre
employés, cela représente 67 % des commerces. Probablement, je
n'ai pas fait le décompte avec lui, mais je prends sa parole. Par
contre, M. le Président, est-ce qu'on ne pourrait pas s'entendre pour
dire que l'activité commerciale s'exerce probablement en proportion
inverse, soit à 67 % dans les 33 % qui restent? Pensons, chacun d'entre
nous, dans nos activités commerciales, est-ce qu'on ne passe pas plus de
temps dans les grandes surfaces que dans les petits commerces de moins de
quatre employés? M. le Président, je considère que,
là aussi, c'est un argument gentil, sympathique dans un débat
politique, mais qui, sur le fond, n'apporte pas de réponse aux
inquiétudes et à la menace que crée le projet de loi
178.
Et là-dessus, M. le Président, je passe rapidement sur les
problèmes d'application que ça créera, sur les
difficultés d'application que nous rencontrerons, sur les poursuites que
ça pourrait impliquer. Par ailleurs, on nous dit qu'on donnera un
délai de deux ans pour permettre à tout le monde de s'ajuster
à cette nouvelle loi. Pourquoi un délai si long? On nous dit
qu'on connaîtra un jour les règlements qui vont nous dire
concrètement comment ça va s'appliquer. On va nous faire adopter
une loi où ce sont les règlements... Le ministre
délégué à la langue ne cesse de se
référer aux règlements qui découlent de la loi
101 pour nous prouver qu'un règlement précise
drôlement une loi et il nous demande en même temps de voter sa loi
sans connaître les règlements d'application. Lui-même, le
ministre délégué à la langue, hier, en
conférence de presse où il présentait son projet de loi -
de trois pages, comme il dit, ce n'est pas si compliqué que ça -
s'est trompé deux fois. Et il voudrait qu'on soit sécurisé
tant par le contenu que par les engagements qu'il prend quant à la
nature des règlements qui en découleront. M. le Président,
je dis non. Si nous considérons que le peuple québécois
est menacé, si nous considérons que la langue française
est menacée, la réponse ne peut être: On va ajouter de
l'anglais a ça. Cela n'a pas de bon sens de dire que la solution, pour
faire face à la menace qui guette le peuple québécois, qui
guette la culture française québécoise, c'est d'apporter
et d'ajouter de l'anglais à ça.
M. le Président, je considère qu'au fond, ce qu'on fait
aujourd'hui du côté de la majorité libérale, c'est
de prendre un pari sur l'avenir. On prend une chance sur la langue, sur la
culture et sur l'avenir du peuple francophone. Comme si, M. le
Président, on pouvait jouer l'avenir du peuple francophone au poker. On
prend une chance. Mais si, dans 50 ans, vous vous êtes trompés et
que nos petits-enfants et leurs enfants... Ce n'est pas dans huit
siècles, ça là. Cela s'en vient. On va connaître nos
petits-enfants. Il y a des chances qu'on connaisse leurs enfants. Si, dans 50
ans, vous vous êtes trompés et que cela a des effets
néfastes sur l'avenir du peuple québécois, qu'est-ce que
vous ferez? Vous ferez un mea culpa du centre d'accueil où vous serez?
M. le Président, on ne prend pas de chances. On n'a pas le droit de
prendre de chances avec l'avenir d'un peuple, avec l'avenir de sa culture. M.
le Président, c'est aujourd'hui qu'il faut peut-être mettre la
ceinture et les bretelles, mais surtout ne pas prendre de chance. Cette vision,
cette attitude, cette orientation, comme je l'ai dit, découle d'une
vision jovialiste des affaires. Allons donc, ce n'est pas si grave,
inquiétons-nous pas, ça n'ira pas si pire. Et le ministre des
Relations intergouvernementales nous dit: Moi, avec ça, je vais
même franciser le visage de Québec. Oui, allons voir ce que ce
sera dans les commerces, à l'intérieur, à Québec,
compte tenu du nombre de touristes qui visitent Québec.
Deuxièmement, admettons qu'il aurait raison encore, est-ce que ça
n'ajoute pas à cette création de deux Québec,
Montréal et le reste du Québec? Il y a déjà trop de
gestes qui sont posés, qui ont tendance et pour effet et pour
conséquence de créer deux Québec. La dernière des
choses qu'il faut faire quand on est un peuple de 6 500 000 habitants et qu'il
y a presque un Québécois sur deux qui vit dans la grande
région de Montréal, la dernière des choses quand on veut
que ce peuple soit fort, soit uni, soit solide, c'est de poser des gestes qui
auront pour effet et pour conséquence de créer deux
Québec.
M. le Président, je conclus en disant que je considère que
cette réponse à la menace pourtant reconnue par tous est une
réponse qui aura pour effet de prendre une chance, de faire un pari sur
notre avenir, et c'est un pari auquel je ne suis pas prêt à
souscrire. Je suis trop inquiet, trop convaincu de la menace que vous partagez
qui guette l'avenir du peuple québécois comme l'avenir du fait
français au Québec pour qu'on nous invite aujourd'hui à
prendre encore une fois une chance sur cet avenir. On a pris trop de chances
sur l'avenir du peuple francophone du Québec, M. le Président, et
on n'a pas le droit de nous inviter aujourd'hui à prendre une nouvelle
chance.
M. le Président, je conclus en disant que, non seulement il ne
faut pas prendre cette chance, mais, de grâce, ne limitons pas les gestes
que nous avons a poser à une question d'affichage intérieur ou
extérieur. Il faut que le ministre de l'Éducation consacre toutes
les sommes requises à l'amélioration du français dans les
écoles. Il a déposé un plan l'an dernier. Il nous a dit,
il y a quelques semaines: Je n'ai plus d'argent, on essaiera d'en trouver
d'autre. Il faut qu'il ait l'argent, il faut que nous posions tous les gestes
que nous sommes en droit et en devoir de poser pour mieux intégrer les
immigrants à la société francophone. Ce n'est que par tous
ces gestes fort dynamiques et solides que nous pourrons mettre toutes les
chances de notre côté quant à notre avenir, quant à
notre survie et surtout quant à notre progrès. Merci.
Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole
à M. le ministre de l'Environnement et député de
Nelligan.
M. Clifford Lincoln
M. Lincoln: Merci, M. le Président. Doug Morris est le nom
d'un Québécois de Cowans-ville qui, il y a plusieurs
années, avait émigré en Colombie britannique où je
l'ai rencontré, au bord de la mer, à Océan Park, à
côté de Vancouver. C'était un libéral convaincu du
credo libéral, qui avait apporté avec lui, au-delà de sa
province natale, ses convictions profondes pour la défense des droits
individuels, du respect de l'individu dans la société, du respect
de l'individu, surtout dans le cas d'une minorité. Il m'avait convaincu,
alors que j'étais beaucoup plus jeune, il y a 30 ans, de devenir
libéral, malgré qu'en Colombie britannique les libéraux
étaient très rares. Nous allions dans les villes prêcher ce
message qui est toujours resté profondément ancré en moi,
que les libertés individuelles, le respect des plus faibles dans la
société, des minorités, c'est le credo même de tout
parti libéral.
Si je suis du Parti libéral du Québec aujourd'hui, c'est
que j'ai un attachement certain et profond envers le Québec, et j'en
suis cons-
cient. Je suis profondément attaché, comme nouveau
Québécois, au Québec, cette terre qui a été
tellement généreuse de me donner son accueil, la chance et
l'honneur de servir ici, au Parlement du Québec, au sein du Conseil des
ministres. En même temps, c'est aussi parce que ce parti est axé,
dans l'article 1 même de sa charte, sur toute la question du respect
fondamental des droits individuels, du respect des droits humains et
fondamentaux. C'est pourquoi je suis en politique aujourd'hui, surtout. (13
heures)
Comme vous le savez, je viens de IHe Maurice, un tout petit pays dans
l'océan Indien, aussi petit que le Canada et le Québec sont
grands. Il y a quelque chose qui nous rejoint, une culture d'abord
française et, ensuite, la conquête anglaise qui est venue remuer
les passions, remuer les choses, laisser aussi de bonnes choses, un
système judiciaire britannique, un système parlementaire
britannique, mais, en même temps, une double culture. J'ai vécu
depuis mon plus bas âge dans les deux cultures. Je parlais aussi trois
langues. Je lisais Hector Malot, Gerbault, Saint-Exupéry et, plus tard.
Victor Hugo, Molière, Rostand. En même temps, je savais
apprécier Stevenson, Conan Doyle, Scott, Wordsworth, Shelley,
Shakespeare. Pour moi, il n'y avait pas de contradiction là-dedans. Pour
moi, la langue servait de trait d'union entre les races. Je venais
moi-même d'une famille bicul-turelle et je m'y plaisais.
J'ai vécu plusieurs années en Colombie britannique et le
fait français me manquait pardessus tout. Je cherchais un cinéma
en français, un film de Lelouch ou de Jacques Tati. On ne pouvait pas en
trouver. Je cherchais une librairie française pour me trouver un livre
en français. Je cherchais quelque chose d'indéfinissable qui
était un ferment de culture. Je suis venu trouver ça par choix au
Québec, un carrefour de culture où il y avait quelque chose, un
ferment, un piquant, un flair, où je pouvais retrouver certaines valeurs
que j'avais connues étant jeune.
On m'a appelé un leader de la faction ou du monde
anglo-québécois. Je ne me considère le leader de personne.
Je suis seulement leader de moi-même, de mes idées. Je ne
représente aucune faction, aucun groupe. Pour moi, la chose la plus
triste serait que ce débat qui nous retient aujourd'hui devienne un
débat anglo-franco parce que je pense que ce serait la chose la plus
malheureuse qui pourrait nous arriver, qui nous déchirerait au plus
profond de nous-mêmes. Il ne faut pas que la langue devienne un sujet de
discorde, mais plutôt un trait d'union entre les groupes.
J'ai un attachement profond au Québec et je sais que c'est
différent du vôtre, vous qui êtes nés ici pour la
plupart. Je comprends que vos attaches vont ancestralement dans les
générations de plusieurs centaines d'années, mais je peux
vous dire qu'à ma façon j'aime aussi le Québec. C'est ma
terre comme c'est la vôtre. J'ai choisi d'y vivre et j'ai choisi de
porter une reconnaissance au Québec qui m'a accueilli avec tant de
chaleur et de générosité.
Dans le caucus libéral, je n'ai toujours connu que des amis. On
peut avoir des opinions différentes sur la question de la langue. C'est
clair que certains députés ont des vues tout à fait
opposées aux miennes, mais je respecte ces vues et je les comprends avec
le plus profond respect. Qui suis-je pour leur dire comment défendre le
Québec, eux dont les familles, les ancêtres ont quitté les
leurs pour cette terre du Québec depuis des centaines d'années?
Qui suis-je, moi, comme nouveau Québécois, pour leur dire quoi
faire?
En même temps, j'espère apporter un nouveau point de vue,
un point de vue un peu différent, mais qui n'est pas inamical, bien au
contraire. Dans le caucus libéral, je n'ai connu que des frères
et des soeurs. J'ai connu un attachement profond et un respect mutuel des
différentes options et opinions, des autres C'est la même chose au
Conseil des ministres. Et, là, je vais dire quelque chose que je dis
sans flatterie, parce que je le pense profondément: Le premier ministre
est tiraillé par toutes sortes d'opinions qui le jugent d'une
façon ou d'une autre, certaines très défavorablement et
d'autres favorablement. Moi, j'ai retrouvé en lui - et je ne l'ai
même pas appuyé pour le leadership, je peux le dire en toute
franchise - un homme humain, un homme décent, un homme disponible, un
homme à l'écoute de nous tous. Je ne connais, dans le Conseil des
ministres, que de bonnes choses. J'ai eu mes discussions; on s'est cogné
la tête dans certaines circonstances - c'est sûr que la nature
humaine est comme ça - mais, en même temps, nous ne sommes jamais
sortis de là déchirés parce que lui, cet homme, a
réussi à faire du caucus et du Conseil des ministres un
instrument de fraternité, de collégialité remarquable et,
pour ça, je lui en suis très reconnaissant.
Je suis devenu candidat libéral en 1980 et celui qui est venu
parler lors de ma mise en candidature, c'est un de mes grands amis
d'aujourd'hui, Michel Gratton, le leader du gouvernement. Je ne l'avais jamais
rencontré mais, par coïncidence, nos deux discours ont porté
sur le même thème: les libertés individuelles, le respect
des droits fondamentaux dans une société, l'avenir des
minorités et le devoir du pouvoir de penser à celui qui est plus
faible dans la société. Michel et moi, sans nous connaître,
avons fait le même discours dans les principes et dans le sens profond de
nos paroles. Nous sommes restés depuis de très grands amis et,
s'il y a une question qui nous unit, c'est bien celle-là. Au fil de
notre activité, de notre engagement politique, c'est toujours ce qui
nous a retenus par-dessus tout.
L'enjeu, ici, n'est pas un enjeu d'affichage, ce n'est pas un enjeu
d'anglophones et de francophones, c'est un enjeu de société qui
va au
plus profond même de l'engagement politique, c'est-à-dire
dans la façon dont on conçoit les libertés et les droits
individuels, les droits fondamentaux d'une société. Ce n'est pas
une affaire d'affiches en noir, en blanc, en rosé ou en vert, mais c'est
la question du droit d'un individu de vouloir mettre quelque chose sur une
affiche s'il le veut.
La décision de la Cour suprême est issue d'un appel qui va
très loin dans le temps, en février 1984, où, après
cinq ans de labeurs qui ont retenu onze juges les plus éminents de notre
société, les arbitres mêmes que nous avons choisis pour
arbitrer sur les questions d'équité, de justice dans la
société, et qu'on dit les arbitres les plus objectifs qui soient
allant jusqu'à la sommité même de nos juges de la Cour
suprême, ont dit: Oui, les gens à qui on a retiré le droit
d'afficher avaient un droit fondamental, une liberté d'expression et
cela a été consacré dans les jugements successifs de la
Cour supérieure, de la Cour d'appel, enfin de la Cour suprême, lis
ont dit: Oui, nous pensons que la langue française, comme l'a dit le
député de Gouin, est menacée, vulnérable, mais
malgré cela, nous ne pensons pas que ce soit un objectif qui devrait
faire dire qu'on doit restreindre, malgré tout, cette liberté
d'expression qui est fondamentale. Faisons un accomodement afin que la langue
française menacée, vulnérable, soit plus
protégée, qu'elle soit prédominante, mais ne restreignons
pas les droits des autres.
Là, nous avons appliqué une clause "nonobstant" et cela me
désole par-dessus tout parce que pour moi, c'est tout ce qu'il y a de
contraire à mon engagement personnel de dire que nous avons une
liberté et pour des raisons quelconques, quelles qu'elles soient, on les
restreint, on les retire, on les soustrait. S'il faut appliquer une clause
"nonobstant" dans la Loi 107 pour continuer des droits ancestraux qui
étaient déjà là pour les parfaire, pour les
solidifier, j'en suis. Mais si c'est pour soustraire de ces droits, je suis
tout à fait en désaccord. Certains diront, les anglophones, parce
que c'est le cas des anglophones, mais cela ne m'intéresse pas qu'ils
soient des anglophones, ça pourrait être des Chinois, des
Italiens, des francophones, ça pourrait être n'importe qui, ce
sont des humains pour moi d'abord. Ils avaient un droit avant. Certains ont
dit: Mais là, on leur a donné la moitié de ce qu'ils
voulaient, ils devraient être satisfaits. Mais retournons un petit peu en
arrière. Voyons ce qu'était la question avant la loi 101. Ces
gens-là avaient un verre d'eau plein. Là, on dit: On leur donne
quelque chose. Ils ont gagné. On va leur donner un verre d'eau à
moitié. On dit: Ils ont gagné. Mais eux disent qu'ils ont perdu
le verre d'eau plein qu'ils avaient avant, qui était un droit qu'ils
avaient eu au fil des siècles et que vous avez retiré par une loi
qui a été déclarée par les sommités de
l'équité et de la justice dans notre société comme
étant tout à faire contraire à la justice et
l'équité.
Donc, ce n'est pas un demi-verre qu'ils devraient gagner. Il faut qu'ils
gagnent le verre plein pour qu'ils reviennent à la situation où
ils étaient avant les jugements. C'est comme si vous disiez: Je vous
avais prêté 20 $ à une date quelconque. Je veux que vous me
repayiez mes 20 $. Vous dites: Non, pour une raison quelconque, je ne peux pas
vous les donner, ce n'est pas le temps. Je vais vous en donner 10 $ et,
ensuite, on verra. (13 h 10)
C'est tout le principe fondamental du respect d'un droit qui
était acquis et qui est consacré aujourd'hui. Là, on dit:
Même la Cour suprême dans son jugement consacre la
légalité de la clause "nonobstant". Soit! Mais ce n'est pas une
question juridique, parce que les juges, dans leur sagesse, ont dit,
après avoir examiné la chose, après cinq ans d'examen,
que, malgré tout, il y a un droit fondamental qui doit être
respecté, que le restreindre irait au-delà des objectifs de la
préservation de la langue française, malgré son
caractère vulnérable et menacé.
Donc, on a saisi ce pouvoir des juges, par ce pouvoir juridique, on a
nié ce jugement de la Cour suprême qui vient d'arriver. Cela
m'étonne et je trouve cela un peu paradoxal que des juges qui
travaillent dans ce domaine d'équité et de justice prennent cinq
ans pour arriver à une décision et que nous, dans cinq jours, du
15 au 20 décembre, nous disions: Les juges, vous avez fait ça,
mais nous les politiciens, dans cinq jours, on va retirer ce que vous avez
donné dans cinq ans de travail.
Je ne peux pas être d'accord avec cela ni avec le principe que,
demain, j'ai une maison qu'on me retire. Je vais en cour plaider qu'on ne me
retire pas ma maison, et la cour me dit: Oui, vous avez droit à cette
maison. Et le jour que la cour me dit cela, on me dit: Pour des raisons
quelconques, on va vous rendre le terrain seulement, la maison viendra plus
tard. Je trouve cela inéquitable, inacceptable.
In my beiief, rights are rights are rights. There is no such thing as
inside rights and outside rights. No such thing as rights for the tall and
rights for the short. No such things as right for the front and rights for the
back, or rights for East and rights for West. Rights are rights and always will
be rights. There are no partial rights. Rights are fundamental rights. Rights
are links in a chain of fundamental values that bind ail individuals in a
Society that wants to be équitable, and just, and fair. Rights are
bridges that unité people in a society through a set of fundamental
values, and the minute you deny those rights, you withdraw that bridge, and
create a gap between members of that society by denying those fundamental
rights that bind them together.
Rights are that delicate balance that equates the chances of people in a
society, so that there is an équation between the rich and
the poor, between the powerful and the weak, between the majorities and
the minorities, between the State and the individual. Whoever tampers with a
very délicate machtnery of equity and justice in a society, which are
expressed through rights, sets in motion a chain of events which someone more
audacious may tamper with even more. That chain of events could be disastrous
for a society whose beliefs are based on a sense of equity and justice for
ail.
All of us are human beings first. We are not francophone, anglophone,
rich, poor, weak and strong, first, we are human beings with rights. And for
me, I will fight until my last breath for the right of some person to do
something that society says he has that right to do and, in that case, that
person, be he English or French or Chinese or whatever, has that right to paint
that sign on the exterior of his building, and I do not think it should be
denied.
Je pense à une grande famille: six enfants. Dedans, il y a cinq
enfants qui sont francophones de souche, et la famille en a adopté un
autre qui vient d'ailleurs, d'un endroit où il a appris et où il
a vécu en anglais. Là, il faut faire un mariage de tous ces
enfants. Ils se battent parfois. Les uns l'appellent le maudit "bloke"; le
maudit "bloke" les appelle les "pea soup". Ils se battent, mais ils
s'entendent. Ils réussissent à vivre ensemble comme nous vivons
ensemble. Un jour, pour la Noël, le 15 décembre, le papa et la
maman, aux cinq plus grands, donnent une grosse bicyclette avec 12 vitesses; au
plus petit, le petit adoptif, ils donnent une petite bicyclette, mais on lui
dit: Pour certaines raisons, tu vas faire rouler ta bicyclette dans le garage,
la porte fermée. Et il dit: Je veux rouler dans la rue. J'ai envie de
faire de la bicyclette avec vous, les plus grands. C'est ça qu'il veut.
Il ne veut pas faire de la bicyclette derrière une porte fermée.
Et c'est ce qu'on vient dire aujourd'hui à ces gens qui sont anglophones
ou autres: Allez, affichez à l'intérieur, mais soyez sûrs
que ce n'est pas vu du public. Mettez un rideau. C'est ça que notre
règlement va dire. Bouchez ça pour qu'on ne le voie pas. Mais
lui, il dit: Ma langue, ce n'est pas une plaie dans la société.
Pourquoi autant m'humilier?
J'aurais préféré fondamentalement - je le dis en
toute sincérité - que tout reste comme c'était,
plutôt que de faire quelque chose qui est encore plus humiliant et dire:
À l'intérieur, vous êtes permis, mais à
l'extérieur, ne vous affichez pas, parce que, cela, ça nous fait
mal. Je ne pense pas que ce soit ce que les francophones pensent. Je
réalise comment la sécurité et la menace qui est devenue
une perception ancrée dans le milieu francophone fait en sorte qu'on
croie que le visage français va disparaître si on permettait ce
droit.
Je pense différemment, mais je respecte profondément vos
opinions. Ce que je n'accepte pas, c'est qu'on soustraie ce droit de
façon que je considère arbitraire. Je pense que le visage
linguistique du Québec, comme l'ont dit les juges de la Cour
suprême, doit refléter la réalité du Québec.
La réalité du visage du Québec, c'est en grande
majorité francophone. Chicoutimi ne va jamais changer. Montréal,
dans son rôle le plus gros, ne va jamais changer. Mais il y a aussi des
endroits où les anglophones vivent. Eux aussi ont le droit d'avoir leur
langue quelque part à l'extérieur, pour pouvoir se sentir
valorisés dans leur peau.
Je ne vois rien de mal là-dedans. Si demain matin la Cour
suprême fédérale, où il y a une majorité
d'anglophones, pour une raison quelconque décidait que dans les langues
officielles... on allait dire: On peut afficher en français à
l'intérieur mais, surtout, n'affichez pas en français à
l'extérieur parce que nous, on est majoritaires. On a trouvé une
excuse pour vous dire... vous seriez outrés et moi aussi, parce que je
ne pense que ce soit équitable.
Donc, je pense que dans ces choses, parfois, on est majoritaires ici,
parfois, on est minoritaires. Il faut réaliser que tous, partout dans le
monde, nous sommes majoritaires ou minoritaires, mais nous sommes d'abord des
individus et des humains. Que nous soyons anglophones ou francophones, on se
retrouve partout devant les mêmes choix fondamentaux qui reviennent
à l'individu.
Pour moi, c'est un choix déchirant parce que je suis
profondément libéral, attaché à ce gouvernement qui
a fait de belles choses au Québec et qui continue de le faire. J'ai
reçu des messages très nombreux de toutes sortes de gens, surtout
des jeunes qui m'ont dit: Continuez au ministère de l'Environnement.
Nous acceptons ce que vous êtes en train de faire. Nous acceptons votre
message. On veut continuer à travailler ensemble. Continuez. C'est
beaucoup plus gros qu'une affaire d'affiche. Après avoir
réfléchi j'ai été obligé de me dire: Pour
moi, comme libéral, c'est mon engagement fondamental qui est en jeu et
je dois le respecter, malgré toute la peine que ça me fait
d'avoir à ne pas partager les vues de mon parti qu'autrement je partage
tout à fait. Je me considère toujours très solidaire du
premier ministre, de tous mes collègues, quelle que soit leur opinion,
même si elle diffère complètement de la mienne et je dirai
même de mes opposants du Parti québécois.
Peut-être qu'on peut se crier, le député de
Verchères et moi, mais, en fin de compte, nous sommes tous des
Québécois qui cherchons la même chose: faire mieux marcher
le Québec, faire mieux vivre le Québec dans son essor le plus
complet.
En fin de compte, il faut vivre avec soi. Il faut vivre avec sa
conscience. Je suis ainsi fait. Il faut que je vive avec ma conscience. Je vais
avoir à prendre une décision malheureuse pour nous tous. Ce sera
malheureux pour moi et ce le sera pour tout le monde. Parce que je dois vivre
avec moi-même et avec ma conscience, je ne pourrai pas souscrire à
ce projet de loi. La
chose qui me peinera le plus, en prenant cette décision, c'est
que ce soit vu comme une lutte entre francophones et anglophones. Cela niera
tout ce que j'ai essayé de faire. Et ce que j'essaie de faire, c'est de
faire représenter dans notre société ce message
d'unité entre tous les groupes qui forment notre société.
(13 h 20)
Le Vice-Président: Y a-t-il consentement à ce que
M. le ministre termine son intervention pendant quelques minutes?
M. Lincoln: Je vais prendre une ou deux minutes; j'ai fini.
Le Vice-Président: Consentement, M. le ministre.
M. Lincoln: Je voudrais vous demander, vous tous ici qui
êtes Québécois, de penser que nous avons à faire
chemin ensemble. Cette bicyclette qui est dans le garage derrière la
porte, elle aussi a le droit, son petit droit, au chemin. Je sais que votre
chemin avec vos grandes bicyclettes est rempli, comme un de mes
collègues me le disait, de beaucoup d'autobus qui viennent de
l'Amérique du Nord et qui sont si effrayants lorsqu'on est un petit
peuple de quelques millions d'habitants, mais en même temps il faut voir
quelque chose de positif dans tout cela.
Le Québec, pour moi - je sais qu'il est menacé dans sa
culture à cause de (a démographie - mais c'est aussi un
Québec vibrant. J'ai ici avec moi mon chef de cabinet, Brigitte Bourque,
mon attachée de presse, Marie-Andrée Jobin, plusieurs autres de
mon cabinet peut-être qui écoutent, tous des jeunes entre 25 et 30
ans, dynamiques, confiants en eux, plusieurs bilingues, qui se sentent à
l'aise à Québec dans leur peau parce que c'est leur territoire,
mais en même temps ils se sentent à l'aise à New York,
à Denver, à Amsterdam, qui se sentent confiants dans l'avenir,
qui sont dynamiques entre tous, qui sont les plus valorisants de tous les
jeunes que j'ai rencontrés dans tout le Canada, qui font des choses
remarquables et, pour moi, c'est cela le Québec de demain. Il ne faut
pas qu'on se terrorise aussi avec cette histoire d'être menacés de
partout. Il faut voir aussi le côté positif des choses. Jamais le
Québec n'a été aussi vibrant, aussi dynamique, aussi
confiant en lui, aussi puissant dans son pouvoir de faire des choses,
d'avancer, d'affronter des défis comme le libre-échange et
d'autres choses. Il ne faut pas avoir peur d'avancer des droits, même si
cela fait quelque chose, même si cela nous coûte quelques petits
sacrifices.
En terminant, je voudrais vous dire que, dans cette décision
très malheureuse que je vais prendre aujourd'hui, je reste d'abord
fondamentalement attaché à mes idéaux de libéral.
Je vais rester comme membre du caucus libéral et je veux aussi rester
comme membre de ce Parlement du Québec parce que, moi aussi, à ma
façon, je suis un Québécois attaché à cette
terre profondément. Cette année a été une
année très éprouvante pour moi. Ma femme repose en terre
québécoise; c'est le plus grand tribut que je puisse faire au
Québec. Le Québec continuera d'être une terre qui va
réunir les gens au lieu de les désunir. Il faut qu'on continue
à travailler ensemble, à chercher des mécanismes, et
après le déchirement de ce vote, de tout ce qui s'est
passé ici, j'espère qu'on va recommencer à essayer des
solutions de travail ensemble. Surtout, n'ayons pas peur des affiches
extérieures, cela ne va pas changer le monde; cela se fait ailleurs dans
le monde. N'ayons pas peur de nous avancer. N'ayons pas peur de nous afficher,
de nous ouvrir au monde. N'ayons pas peur, surtout, d'être
nous-mêmes parce que nous sommes confiants en nous-mêmes. N'ayons
pas peur de nous parler, ne soyons pas méfiants l'un envers l'autre.
Donc, mon message à vous tous, c'est un message de confiance dans
l'avenir, c'est un message en vue de regarder, je l'espère,
bientôt, une autre façon de faire revaloir ces droits que nous
restreignons aujourd'hui, parce que ces droits sont beaucoup plus qu'une
affiche, ce sont des droits fondamentaux qui vont au plus profond d'une
société. Une société qui est forte, confiante et
qui se respecte se doit de les respecter. Merci beaucoup pour tout votre
accueil.
Le Vice-Président: M. le député de
Shef-ford.
M. Paré: Si vous le permettez, M. le Président, je
vais demander la suspension des débats étant donné qu'il
reste seulement six minutes sur le temps qui m'est alloué.
Le Vice-Président: Très bien. Puisque nous arrivons
pratiquement à l'heure de suspension, nous allons dès maintenant
suspendre nos travaux qui reprendront cet après-midi à 15
heures.
(Suspension de la séance à 13 h 25)
(Reprise à 15 h 5)
La Vice-Présidente: À l'ordre, s'il vous
plaît!
Vous pouvez vous asseoir. Nous allons reprendre le débat
concernant l'adoption du principe du projet de loi 178, Loi modifiant la Charte
de la langue française. Là-dessus, je suis prête à
reconnaître le premier intervenant. Oui, M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Jacques Brassard
M. Brassard: Mme la Présidente, à regarder
évoluer le premier ministre du Québec depuis quelques mois et
quelques semaines, on en arrive
à la conclusion que le premier ministre avait une
stratégie par rapport à cette question centrale qu'est la
question linguistique au Québec. Cette stratégie était la
suivante: D'une part, il lui fallait donner satisfaction à la
communauté anglophone du Québec tel que promis lors de la
campagne électorale et comme on le retrouve également dans le
programme du Parti libéral. Introduire la liberté de choix en
matière d'affichage à l'intérieur comme à
l'extérieur. C'était ça l'objectif avoué, poursuivi
par le gouvernement et par le premier ministre.
D'autre part, H s'agissait pour lui d'obtenir la ratification de
l'accord du lac Meech auquel il tenait beaucoup pour entrer dans l'histoire.
C'était là la stratégie connue du premier ministre du
Québec sur cette question. Est arrivé, jeudi dernier, le jugement
de la Cour suprême. Je ne m'attarderai pas sur le contenu de ce jugement
de la Cour suprême du Canada, mais on sait qu'encore une fois la loi 101
a subi un assaut dévastateur, qui faisait suite à d'autres
assauts déjà connus dans le passé. Cette fois-ci,
ça concernait l'affichage commercial.
La Cour suprême décrétait que les dispositions de la
loi 101, en cette matière, étaient contraires à la
liberté d'expression et que, par conséquent, elles étaient
invalides et inopérantes, inconstitutionnelles. À la suite de ce
jugement, Mme la Présidente, à la surprise, j'en suis
persuadé, du premier ministre, des réactions populaires
très vives, très vigoureuses se sont exprimées
spontanément un peu partout au Québec. Cela a donné lieu,
bien sûr, à des événements spectaculaires comme le
rassemblement monstre au Centre Paul-Sauvé à Montréal,
mais également un peu partout au Québec à des
manifestations quasiment spontanées de citoyens et de citoyennes pour
protester et pour exprimer leur indignation à l'endroit du jugement de
la Cour suprême. Chez nous, dans la région du
Saguenay-Lac-Saint-Jean, par exemple à Jon-quière, plus de 1000
personnes, dimanche dernier, ont défilé dans les rues et ont
manifesté leur indignation par rapport au jugement de la Cour
suprême. Cela a été le cas en Abitibi-Témis-camingue
également, mais aussi on le sentait lorsqu'on rencontrait des gens dans
la rue, dans les centres commerciaux, dans les milieux de travail, à nos
bureaux de comté. On sentait qu'il y avait une indignation très
vive, très forte de la population du Québec face au jugement de
la Cour suprême.
Ce sont ces réactions très vives, très vigoureuses
de la population qui ont dérangé le premier ministre, qui ont
perturbé sa stratégie, qui l'ont embarrasse. Il a dû, en
dernier recours, à la dernière minute, modifier sa
stratégie initiale qui, je le rappelle, était la suivante: donner
satisfaction à la communauté anglaise, conformément au
programme de son parti, et obtenir la ratification de l'accord du lac Meech.
C'était sa stratégie, au départ. Il a dû modifier sa
stratégie. Qu'est-ce qui l'a obligé à modifier sa
stratégie? Ce sont les réactions populaires, très vives,
spontanées, les réactions instinctives du peuple du Québec
qui a senti la menace. Alors, il a modifié sa stratégie. Aux
anglophones, à la communauté anglaise du Québec, il a
décidé d'en donner un peu moins qu'il devait en donner au
départ. Il a décidé d'en donner un peu moins, il leur en
donne tout de même et un gros morceau.
Pour ce faire, il a été obligé forcément
d'en enlever aux francophones, ce n'était pas prévu à
l'origine. À cause de la réaction très vive du peuple
québécois, il s'est vu contraint de modifier sa stratégie
et d'en donner moins qu'il ne le prévoyait aux anglophones.
Forcément, pour ce faire, il a dû en enlever aux francophones. On
s'est rendu compte que l'appétit de la communauté anglophone du
Québec était on ne peut plus vorace et immense que leurs
revendications étaient intransigeantes, c'était le tout ou rien.
On veut tout, tout de suite, tel que prévu, tel qu'inscrit dans le
programme du Parti libéral.
On se retrouve présentement avec des démissions de
ministres anglophones du cabinet québécois. Curieuses de
démissions, toutefois, qu'on pourrait qualifier de démission
à l'extérieur, mais on reste à l'intérieur. C'est
un peu en parallèle avec la solution bâtarde du premier ministre
en matière linguistique. On voulait tout du premier ministre. Sous la
pression des francophones québécois indignés du jugement,
le premier ministre ne peut pas leur donner tout. Il leur donne beaucoup, mais
il ne peut pas leur donner tout. Mais comme les anglophones du cabinet et du
Québec voulaient tout, ils sont insatisfaits et il y en a quelques-uns
qui démissionnent: démission à l'extérieur, mais on
reste à l'intérieur. J'entendais l'eX-ministre de
l'Environnement, le député de Nelligan, faire la comparaison
suivante: Écoutez, cela ressemble un peu à un père de
famille qui a six enfants, cinq qui sont de lui et un autre qu'on a
adopté - c'est la comparaison qu'il faisait - et à Noël, on
leur donne des bicyclettes, cinq belles bicyclettes à douze vitesses aux
cinq enfants légitimes et à l'enfant adopté, une petite
bicyclette en l'obligeant à faire du vélo à
l'intérieur du garage.
C'est une comparaison extrêmement boiteuse, Mme la
Présidente, parce que, quand on regarde la communauté anglophone
du Québec, sur le plan de l'affichage, peut-être qu'on peut parler
de bicyclette, mais quand on regarde l'ensemble de la communauté
anglophone et la place qu'elle occupe en Amérique du Nord et les
privilèges qu'elle détient au Québec, elle a
peut-être une petite bicyclette à l'intérieur du garage,
mais devant la maison, elle a une Hariey Davidson. Parce que, pour continuer la
comparaison du député de Nelligan, dans le garage, on ne pourrait
pas mettre les universités anglophones, les cégeps anglophones,
les postes de radio anglophones, les journaux anglophones, les postes de
télévision anglophones et les institutions culturelles
anglophones, il serait trop
petit, il n'y aurait pas de place. C'est une comparaison qui n'est en
aucune façon conforme à la réalité. Mais comme
c'était tout ou rien, évidemment, il y a du mécontentement
et des démissions.
Quant à l'accord du lac Meech, je le répète, je
l'ai dit ce matin, c'est maintenant torpillé au Canada anglais.
Pourquoi? Parce qu'au Canada anglais, on était d'accord avec l'entente
du lac Meech à trois conditions. Je les reprends, c'est important. On
était d'accord avec l'accord du lac Meech à trois conditions.
Premièrement, qu'on donne aux anglophones du Québec tout ce
qu'ils demandent, qu'on leur donne satisfaction totalement et
complètement. Deuxièmement, qu'on ne donne rien aux
communautés francophones hors Québec. Et, troisièmement,
que la notion de société distincte, dont on se targue en face,
demeure une notion vide de sens, insignifiante, un hochet, un bibelot, un
élément décoratif dans la constitution. À ces trois
conditions, oui, on est prêts à ratifier l'accord du lac Meech.
Mais si cela veut dire quelque chose d'autre, là, on torpille et on
sabote.
Quand on regarde tout cela, évidemment, on est fascinés,
attirés, par les démissions récentes de ministres
anglophones du Conseil des ministres. Mais, quand on regarde la
réalité et qu'on se pose la question: Quel est le groupe qui perd
au Québec? Quel est le groupe perdant? Quel est le groupe qui subit un
recul sur le plan linguistique? Quel est le groupe qu'on oblige à faire
un retour en arrière, au Québec, sur le plan linguistique? C'est
nous. Ce sont les francophones.
Des voix: Bravo!
M. Brassard: Parce que c'est cela qu'on nous contraint de faire
par rapport à la loi 101 et aux dispositions de la loi 101 qui
existaient en matière d'affichage depuis 1977. On nous oblige à
retourner en arrière. Le seul groupe perdant au Québec - je le
dis au député de Bourget - dans cette question, c'est le groupe
francophone. C'est nous qui perdons.
Une voix: Et ils restent assis. Une voix: Et ils sourient,
en plus.
M. Brassard: Ne nous laissons pas fasciner, éblouir par
les démissions de quelques ministres anglophones du Conseil des
ministres. Il ne faudrait pas que ça masque la réalité.
C'est un événement camouflage. Cela camoufle la
réalité. La réalité est que c'est la
communauté francophone du Québec qui perd dans cette affaire.
Elle est la seule qui perd parce que la communauté anglophone, elle, y
gagne, Mme la Présidente. Elle fait des gains dans cette question. Ah,
ça ne satisfait pas les ministres anglophones! J'en conviens. Ils
donnent leur démission là-dessus parce qu'ils voulaient tout.
Mais c'est la seule communauté qui y gagne. Et, pendant ce
temps-là, les francophones libéraux du caucus applaudissent, Mme
la Présidente. J'ai été extraordinairement
étonné. J'ai écouté le discours du
député de Nelligan et, à la fin, il a été
ovationné. Il a été applaudi à tout rompre. Par
qui? Par les députés francophones du Parti libéral. Oui,
on perdait... C'étaient les francophones qui perdaient...
Une voix: C'est dégueulasse!
La Vice-Présidente: S'il vous plaît! M. le chef de
l'Opposition, avant de vous reconnaître, je vais attendre que le calme
soit revenu. S'il vous plaît! Sur une question de règlement, M. le
chef de l'Opposition.
M. Chevrette: Mme la Présidente, j'escompte beaucoup qu'en
vertu de l'article 2 du règlement, le pouvoir conféré
à la présidence de l'Assemblée nationale d'accorder le
privilège qui est dévolu, aux articles suivants, au
député qui a la parole, de pouvoir s'exprimer en toute
liberté comme l'ont fait ceux qui l'ont précédé en
cette Chambre, Mme la Présidente.... On a toléré quelque
assertion que ce soit de la part des députés ministériels
sans les arrêter d'aucune façon. Depuis le matin, c'est le
deuxième collègue qui prend la parole en cette Chambre qui a
été arrêté dans son discours. Le critique de
l'Opposition en matière de langue a été
arrêté, Mme la Présidente, durant sa réplique
à 11 heures ce matin. C'est la deuxième fois qu'on prend la
parole et ça fait deux fois qu'on nous dérange. S'il vous
plaît, respectez notre droit de parole comme nous allons respecter le
vôtre.
Des voix: Bravo!
La Vice-Présidente: Je demande la collaboration de la Chambre.
Nous sommes maintenant à l'intervention du député de
Lac-Saint-Jean et j'aimerais qu'on respecte son droit de parole. M. le
député de Lac-Saint-Jean. (15 h 20)
M. Brassard: Oui, Mme la Présidente, et je vais continuer.
Les francophones du Québec perdaient. Les francophones du Québec
reculent avec cette solution et ce projet de loi. Qu'est-ce que trouvent
à faire les députés libéraux francophones? Ils
applaudissent celui qui dit que nous n'avons pas assez, que la
communauté anglophone n'a pas assez, que les francophones n'ont pas
été suffisamment dépouillés. Et on applaudit. Je
trouve ça inconvenant...
Une voix: Honteux.
M. Brassard: ...honteux, de la part des députés
libéraux d'ainsi ovationner celui qui dit que la communauté
anglophone n'a pas assez, n'a pas suffisamment, que nous n'avons pas assez
donné, que nous ne nous sommes pas assez
dépouillés au bénéfice de la
communauté anglophone, et ils applaudissent. C'est quand même
l'inconvenance quasiment suprême, Mme la Présidente, et je dis: Au
moins ils auraient dû être silencieux devant le discours du
député de Nelligan. De grâce, Mme la Présidente, je
dis aux députés libéraux francophones: Si vous n'avez pas
le courage de démissionner parce que votre communauté, à
laquelle vous appartenez, subit un recul et un retour en arrière sur le
plan linguistique par le projet de loi 178, si vous n'avez pas le courage de
démissionner, au moins ne sombrez pas dans le ridicule et la honte en
applaudissant ceux qui, au moins, ont le courage de démissionner parce
que, disent-ils, leur communauté n'a pas obtenu suffisamment et que le
programme du Parti libéral n'a pas été respecté
intégralement. Ayez au moins la fierté, si vous ne
démissionnez pas, de ne pas vous associer par vos applaudissements et
votre ovation à un discours qui non seulement trouve que ce n'est pas
grave que la communauté francophone perde du terrain et recule, mais qui
juge que l'appétit vorace de la communauté anglophone n'est pas
encore satisfait.
Une voix:...
M. Brassard: Je vois le député, Mme la
Présidente...
Une voix: Si vous voulez parler, votre droit de parole, vous le
prendrez...
Une voix: II n'est pas à sa place.
M. Brassard: Je vois le député de Laval-des-Rapides
qui n'est pas à son siège. D'abord, s'il veut parler, il s'en ira
à son siège...
Une voix: Qu'il se prononce...
M. Brassard: ...et aussi le député de Bour-get,
à son siège, parce que je ne me laisserai pas bâillonner
par les francophones libéraux qui n'ont pas le courage de leurs
convictions.
Des voix: Bravo!
M. Brassard: Si ça vous donne satisfaction et si ça
vous satisfait de voir reculer la communauté à laquelle vous
appartenez et que vous représentez en cette Chambre, si vous n'avez pas
le courage de dire non à une solution qui fait reculer votre
communauté et qui fait reculer le peuple québécois, ayez
au moins le courage du silence quand quelqu'un se lève en cette Chambre
et qu'il vient dire aux francophones: Vous ne nous avez pas donné assez,
donc je quitte le Conseil des ministres. Mme la Présidente...
M. Chevrette: Mme la Présidente, je m'excuse. Question de
règlement.
La Vice-Présidente: Question de règlement, M. le
chef de l'Opposition.
M. Chevrette: C'est la deuxième fois, Mme la
Présidente, que je me lève depuis 20 minutes pour le respect du
droit de parole de mon collègue. Cette fois-ci, même des ministres
sont intervenus. S'il vous plaît, on va vous laisser parler, mais vous
allez nous laisser dire ce qu'on pense profondément et à partir
de principes basés sur les droits collectifs des Québécois
francophones. S'il vous plaît, ayez la décence de nous laisser
aller.
La Vice-Présidente: Question de règlement, M. le
leader du gouvernement.
M. Gratton: Oui, sur la question de règlement, Mme la
Présidente. Si on respectait mieux le règlement de l'autre
côté et qu'on s'abstenait de s'adresser directement aux membres de
l'Assemblée nationale, comme vient de le faire le chef de l'Opposition
et comme le faisait tantôt le whip en chef de l'Opposition, cela
éviterait peut-être bien les provocations et les réactions.
L'article 35 paragraphe 4° interdit à un député qui a
la parole de s'adresser directement aux membres de l'Assemblée et il me
semble que cela aussi devrait être respecté, Mme la
Présidente.
M. Brassard: Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: Oui, je vais vous reconnaître.
Cela étant dit, je demande la collaboration de la Chambre. Je demande
à M le député de Lac-Saint-Jean de bien vouloir
continuer.
M. Brassard: Oui, Mme la Présidente. Je dis que les faits
sont là. La solution qu'a choisie le gouvernement en matière
linguistique constitue, à n'en pas douter, et on aura beau faire tous
les discours qu'on veut, on aura beau faire tous les maquillages possibles, les
faits sont là: la solution et le projet de loi déposé et
étudié en cette Chambre constituent un recul inacceptable pour la
communauté francophone du Québec par rapport à ce qui
existait dans la loi 101. On sait maintenant que la revendication nationale des
francophones du Québec était de rétablir la loi 101 dans
toute son intégralité, dans toute sa plénitude.
C'était ce qu'on demandait au premier ministre. On lui demandait
d'avoir le courage d'aller dans cette direction et de restaurer la loi 101 dans
toutes ses dispositions, et il n'a pas voulu le faire. Il a
préféré une solution tarabiscotée,
alambiquée, bâtarde. Mais je dis aux députés
francophones du Parti libéral: Vous pouvez bien l'accepter, cette
solution, vous pouvez bien rester dans le caucus libéral, ne pas
démissionner, mais, au moins, Mme la Présidente, et je conclus
là-dessus, n'en soyez pas fiers.
Le Président: Je remercie M. le whip de l'Opposition.
Toujours en continuité du débat sur la motion proposant
l'adoption du principe du projet de loi 178, je vais maintenant
reconnaître M. le premier ministre.
M. Robert Bourassa
M. Bourassa: M. le Président, on ne s'étonnera pas
si j'emploie un ton quelque peu différent de celui qui nous a
précédé.
Je voudrais d'abord situer ce débat, qui prend évidemment
un sens historique d'une certaine façon, dans un contexte plus
général. Je voudrais d'abord mettre en relief les
éléments positifs de la société
québécoise depuis quelques années, le redressement
spectaculaire des finances publiques, de l'économie, les relations du
travail beaucoup plus calmes, les relations
fédérales-provinciales plus harmonieuses. Ce sont des actifs pour
la société québécoise qu'il est important de
noter.
Évidemment, dans le problème linguistique,
immédiatement, on fait des comparaisons. On se pose des questions.
Comment se fait-il que, dans le domaine linguistique, le gouvernement ou le
chef du gouvernement ne soit pas aussi habile, pas aussi apte, pas capable de
trouver aussi facilement des solutions qu'il en trouve dans l'économie
avec son équipe et dans les autres secteurs, dans le domaine social et
culturel? Comment se fait-il que le gouvernement que je dirige n'ait pas la
même efficacité que dans les autres secteurs?
M. le Président, je réponds à cette question avec
un peu d'histoire sur ce qui est arrivé au Québec depuis 25 ans,
depuis que le Québec est devenu une société plus ouverte
et, en même temps, plus inquiète. Il y a 25 ans, début de
la révolution tranquille, alors que le Québec, en 1960, entre
dans le XXe siècle. On sait qu'avec M. Lesage, on se souvient des
tensions qui existaient immédiatement aussitôt que le
Québec s'est ouvert, les tensions qu'on trouvait dans la
société québécoise sur notre avenir, sur notre
progrès, sur notre dynamisme. Quelques années par la suite, on a
eu le problème qui s'est posé d'une façon concrète:
la question de Saint-Léonard. (15 h 30)
J'entendais hier avec beaucoup d'intérêt un homme
d'affaires, un ancien journaliste, à rémission Le Point, qui se
référait aux problèmes qui existaient à ce
moment-là pour le premier ministre du temps, M. Daniel Johnson, dont
j'ai le grand privilège d'avoir un des fils dans mon équipe, le
président du Conseil du trésor, privilège partagé
par l'autre parti puisqu'un autre de ses fils a été ministre
durant plusieurs années et premier ministre. M. Daniel Johnson, toujours
très lucide, alors qu'on lui demandait quelle est la solution au
problème de Saint-Léonard, au problème de la conciliation
des liens entre les droits individuels et collectifs, disait, honnête,
intellectuellement lucide: Je n'en vois pas de solution pour le Québec,
pour concilier droits individuels et collectifs. À tout le moins, on
n'en voit pas facilement et je suis totalement d'accord avec lui.
Mais là j'ai un jugement de la Cour suprême sur la table.
Il faut que j'en trouve une solution. Il faut que mon gouvernement trouve une
solution pour concilier les droits individuels et collectifs. M. le
Président, on peut continuer dans l'histoire récente avec M.
Jean-Jacques Bertrand qui, lui aussi, a essayé de concilier les droits
individuels et collectifs, d'arbitrer entre les droits individuels et
collectifs. Il a arbitré du côté des droits individuels.
À quel coût pour lui, quel coût politique, quel coût
humain? On n'a pas à se souvenir des attaques très dures dont il
a été personnellement l'objet. J'entendais hier, avec
émotion, son épouse Mme Gabrielle Bertrand, qui incarne à
son mieux la sincérité, la générosité, la
sagesse. Elle a connu ce qu'était le débat linguistique au
Québec, Mme Bertrand, de très proche puisqu'elle était
l'épouse.
J'étais touché par ce qu'elle a dit: La solution de M.
Bourassa est raisonnable. M. le Président, dans les temps très
difficiles que connaît la politique québécoise, il y a
toujours quelques bons moments. C'est un temps très difficile ces
jours-ci. Mais entendre Mme Bertrand, hier soir, c'était un bon moment
pour moi.
Continuons, M. le Président. Élu en 1970, quelques
semaines par la suite, conscient de la situation fragile sur le plan
linguistique, je m'attelais à la tâche en rencontrant notamment
des dirigeants d'entreprises. Je me souviens d'un cas concret, General Motors,
pour essayer d'implanter dans cette entreprise le français comme langue
de travail. Quelques années par la suite, on se souvient des
débats sur la loi 22 où, encore une fois, comme mes
prédécesseurs, j'ai essayé de concilier les droits
individuels et collectifs, et ce n'était pas facile. On ne peut pas dire
que le pouvoir fédéral, à ce moment-là, faisait
preuve d'un excès de compréhension pour le Québec,
contrairement à la situation que nous connaissons aujourd'hui avec M.
Mulroney du gouvernement fédéral qui, lui, paraît faire
preuve de compréhension et d'ouverture vis-à-vis du
Québec.
Je devais décider et essayer de concilier ces droits individuels
et collectifs. Il y a eu beaucoup d'opposition, on s'en souvient. Un geste
historique a quand même été posé, l'un des gestes
dont je suis le plus fier, c'est d'avoir été le premier - c'est
M. Michel Brunet, historien, qui le disait lui-même - dans l'histoire du
Québec à faire du français la seule langue officielle.
Continuons, M. le Président, avec l'histoire récente du
Québec. Le Parti québécois a pris le pouvoir en 1976. Le
Parti québécois a fait voter la loi 101, la Charte de la langue
française. On entendait hier le père de la loi 101, celui qu'on
considère comme le père de la loi 101, le Dr
Camille Laurin qui admettait très franchement qu'il y avait quand
même une évolution de la société
québécoise avec la position du gouvernement. Même s'il n'en
était pas satisfait, c'est évident, il admettait une
évolution.
On note que M. Laurin était le père de la loi 101, une loi
essentielle, fondamentale, mais que M. Lévesque n'a jamais
insisté pour en être le père. L'attachement de René
Lévesque aux droits individuels demeure un exemple pour l'ensemble des
citoyens du Québec. Parfois, il ne paraissait pas tellement à
l'aise avec certaines restrictions de la loi 101. C'est pourquoi, d'ailleurs,
il a insisté pour donner la préséance à la Charte
des droits et libertés sur la loi 101. On sait que c'est le leadership
de René Lévesque qui a fait que la Charte des droits et
libertés - c'est ce qui explique le problème que nous avons
aujourd'hui - ait préséance sur la loi 101. Pour René
Lévesque, la liberté était la valeur suprême. Il en
avait connu le prix comme correspondant de guerre quand il avait parcouru le
continent et qu'il avait vu tous ces peuples qui combattaient pour la
liberté. Mais comme responsable de la collectivité
québécoise, il avait finalement accepté un arbitrage en
faveur des droits collectifs.
Il y a une quinzaine de mois, dans le dernier volume qu'il publiait, il
révélait encore une fois son attachement à cette valeur de
la liberté des droits individuels, en suggérant lui-même -
cela fait partie de son héritage - un assouplissement de la loi 101. Je
n'ai rien entendu depuis le début du débat, de votre
côté - cela m'inquiète - sur la liberté
individuelle, je ne sais pas si le député de Mercier a
parlé, mais je n'ai rien entendu, certainement pas par l'orateur qui m'a
précédé. Le père fondateur considérait que
c'était la valeur suprême. Il en connaissait le prix. C'est
étonnant que ceux qui lui succèdent ont l'air à rejeter du
revers de la main cette valeur fondamentale, essentielle dans notre
civilisation.
Je voudrais, évidemment, maintenant, conclure ce bref survol de
l'histoire par l'élection de 1985. J'ai été élu
avec une équipe sur un programme du parti qui accordait la
priorité - sans la prohibition - aux français. Il y avait un
engagement très clair. On entend très souvent, depuis quelques
semaines: Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas agi dès son
élection? Pourquoi n'a-t-il pas profité du momentum qui suit
toujours une élection pour appliquer la solution de la priorité
ou du bilinguisme ou du programme du parti dans la mesure où ça
peut s'appliquer d'une façon concrète? J'ai attendu le jugement
de la Cour d'appel comme je l'avais promis. Après tout, il s'agit d'une
question vitale et essentielle pour l'avenir du Québec. Il était
important de connaître l'interprétation des tribunaux.
Entre-temps, nous avons agi dans certains secteurs. Nous avons agi avec le
ministre de l'Éducation pour la question des illégaux. Nous avons
agi avec la ministre de la
Santé et des Services sociaux pour donner à la
minorité anglophone des services hospitaliers dans sa langue, loi qui
avait été combattue férocement par le Parti
québécois, mais que, soudainement, maintenant, on semble accepter
puisqu'elle ne fait pas partie du projet de loi 191. Ce n'est pas moi qui vais
vous blâmer d'évoluer dans le sens de la justice individuelle. Je
trouve que c'est un élément encourageant, non seulement pour le
Parti québécois, mais pour l'ensemble de la
société, de voir ce parti qui, dans son discours public,
n'accorde aucune importance aux droits et aux libertés fondamentaux. (15
h 40)
Dans cette question concrète, de la loi 142, il a
décidé de faire volte-face. Nous avons donc décidé
à la suite du jugement de la Cour d'appel, pour des raisons
compréhensibles sur le plan technique, if y avait un autre jugement dans
le domaine linguistique qui allait en Cour suprême, qu'il fallait donc
également nous rendre en Cour suprême. Nous ne pouvions pas avoir
un jugement sur l'unilinguisme sans en avoir un sur la question du
bilinguisme.
Le 15 décembre dernier, nous avons eu le jugement et le
même défi se posait à celui qui vous parle au caucus, au
gouvernement. Comment concilier les droits individuels et les droits
collectifs? Plusieurs options s'offraient à nous. Le bilinguisme?
À ce moment-là, nous pouvions mettre en péril d'une
certaine façon les droits collectifs. La société
québécoise, on le sait, est vulnérable à plusieurs
égards: elle est vulnérable sur le plan du nombre, nous sommes
moins de 2 % en Amérique du Nord, elle est vulnérable sur le plan
du déclin démographique. Le député de
Verchères me posait la question ces jours-ci: Qu'est-ce que vous allez
faire pour la dénatalité? On a raison de s'inquiéter. Je
lui ai dit que c'était la principale source d'inquiétude. Je me
demande pourquoi vous n'essayez pas d'accorder la priorité au
redressement démographique avant de vous lancer dans
l'indépendance. Si la chute de la natalité se poursuit d'une
façon aussi dramatique, vous allez faire l'indépendance pourquoi
et avec qui? C'est là le vrai défi de la force du Québec.
Ce n'est pas de chambarder les structures, mais de faire en sorte que nous
ayons un avenir comme peuple. Votre objectif est un peu déphasé
quand vous voyez cette réalité incontournable qui
caractérise le Québec d'aujourd'hui. Donc, le bilinguisme ne
pouvait pas être accepté et le bilinguisme, comme on le sait,
n'est pas le programme du Parti libéral.
Le statu quo, c'est un peu ce que propose, contrairement au père
fondateur, si j'ai bien compris, le Parti québécois actuel sous
son chef. Le statu quo, nous croyons qu'il se trouve à brimer d'une
façon non nécessaire certains droits individuels. Je n'ai pas
l'intention dans ce discours qui a quand même son importance de me mettre
à réfuter les propos du chef de l'Opposition selon lesquels
j'enlevais aux francophones
le droit d'afficher uniquement dans leur langue. J'aurai d'autres
occasions pour le faire documents en main. Mais ce que je dis quand même,
c'est que nous croyons, nous, de ce côté-ci de la Chambre, que
cela fait partie de la philosophie fondamentale du Parti libéral, que
nous ne pouvons pas rejeter les droits individuels indistinctement.
C'est vrai qu'il y a eu des amendements proposés par le
député de Mercier, des amendements, admettons-le, quand
même importants pour assouplir la loi 101, probablement plus importants
que ceux que nous voulons apporter dans ce débat. Nous ne sommes pas les
premiers à toucher à la loi 101. Vous avez été les
premiers à y toucher d'une façon encore plus importante et en
étant l'objet de critiques comme nous le sommes par les mouvements
nationalistes. Le député de Mercier a été durement
attaqué par les mouvements nationalistes, par la Société
Saint-Jean-Baptiste, parce qu'il a voulu tenir compte - il sait ce que c'est,
personnellement, les libertés individuelles - des libertés
individuelles. Nous ne sommes pas les premiers à toucher à la loi
101. Vous nous avez ouvert la voie. Nous continuons l'oeuvre du Parti
québécois avec l'esprit de son père fondateur. Je me
réfère encore une fois à la suggestion qui était
contenue dans son volume.
M. le Président, nous avons essayé de trouver une formule
qui puisse précisément servir de point d'équilibre -
j'aime mieux utiliser l'équilibre - parce que c'est exactement ce qu'on
essaie de faire. Deux valeurs fondamentales s'affrontent et quand il y a deux
valeurs fondamentales qui s'affrontent, il faut faire un choix, rechercher
l'équilibre entre les deux. Il y a un arbitrage inévitable.
Partout ailleurs en Amérique du Nord, l'arbitrage aurait
été du côté des droits individuels.
J'avais un arbitrage à faire. Je l'ai fait avec beaucoup de
réticence parce qu'il n'y a pas de précédent, au
Québec et nulle part ailleurs, d'un premier ministre et d'un
gouvernement qui se trouvent à suspendre des libertés
fondamentales. On peut dire ce qu'on veut du jugement, on peut critiquer le
jugement, mais il reste clair que la loi du pays, à la suite de ce
jugement, c'est que le discours commercial fait partie des libertés
fondamentales. Comme citoyens, nous ne pouvons pas choisir les lois avec
lesquelles nous sommes d'accord et refuser les lois avec lesquelles nous sommes
en désaccord. Vous avez énoncé votre respect de la Cour
suprême. Vous avez dit vous-mêmes que la Cour suprême
était apte à décider du contenu de la
société distincte. D'ailleurs, sur la question des ordres
professionnels, la Cour suprême a rendu une décision favorable
à la loi 101. Mais la Cour suprême a décidé
d'inclure le discours commercial dans la liberté d'expression, la
liberté fondamentale.
Donc, sur le plan des principes, c'était une décision
extrêmement difficile. La tradition du parti, la raison et le coeur
faisaient en sorte qu'on devait essayer de préserver au maximum ces
droits individuels. Nous avons donc essayé, avec une formule, de tenir
compte des deux. Mais, finalement, lorsqu'il a fallu arbitrer entre les
libertés fondamentales et les droits collectifs, j'ai arbitré du
côté des droits collectifs en acceptant d'appliquer la clause
dérogatoire.
Je le répète, je crois que je suis le seul chef de
gouvernement en Amérique du Nord qui avait la justification morale
d'agir de la sorte, parce que je suis le seul chef en Amérique du Nord
qui est à la tête d'une communauté très minoritaire
dans l'ensemble du continent. Qui peut le mieux et qui doit le plus
défendre, protéger et promouvoir la culture française, si
ce n'est le premier ministre du Québec? M. le Président, comme je
viens de le dire, j'ai pris la décision avec beaucoup de
réticence.
Il fallait donc trouver une formule qui, parce qu'elle doit tenir compte
de ces deux valeurs fondamentales, n'est nécessairement pas facile
d'application. On voit que la loi 101 n'est pas facile d'application, avec des
centaines d'articles. J'ai cherché un précédent dans
d'autres sociétés où une loi va aussi loin pour
réglementer les libertés individuelles. Des milliers et des
dizaines de millliers de commerces. Nous avons ouvert la voie, nous aussi, de
ce côté avec la loi 22, la langue de travail.
Énormément de boulot a été fait là-dessus.
Le Dr Camille Laurin, au mois de septembre 1977, me rendait hommage
lui-même en disant que j'avais permis l'adoption de la loi 101,
extrêmement difficile d'application pour couvrir toutes les
situations.
À la télévision, il y a quelques semaines, on
rapportait la situation d'un village en Gaspésie où la presque
totalité des habitants est d'origine anglophone. Dans cette enclave, ils
ne peuvent pas utiliser la langue du foyer, la langue maternelle pour eux, qui
est l'une des deux langues officielles du Canada. Il y a des situations comme
celle-là qu'il va falloir regarder sans toucher en aucune façon
aux principes fondamentaux. C'est la même chose dans
Pontiac-Témis-camingue. Pas question de toucher aux objectifs de
sécurité culturelle des Québécois. J'ai fait la
preuve de ma volonté de protéger mes compatriotes mais il y a
quand même place pour assouplir la loi, comme vous l'avez fait
vous-mêmes il y a quelques années. (15 h 50)
M. le Président, je me permets bien humblement de faire une
demande à tous ceux qui - et c'est leur droit et je les respecte et ils
sont essentiels dans le fonctionnement de la démocratie - trouvent que
la formule n'est pas appropriée, d'essayer de faire un effort de
recherche pour en trouver une meilleure qui tienne compte des droits et des
libertés fondamentales. Je m'adresse à celui qui pense que c'est
facile et je lui demande un instant de penser à son ancien chef, celui
qui l'a nommé au Conseil des ministres. Il va comprendre que c'est moins
facile qu'il le dit.
M. le Président, nous avons essayé de trouver une formule
qui tienne compte de ces libertés qu'un très petit nombre de
peuples possèdent. Nous sommes l'une des rares sociétés
à avoir cette liberté. Tous les jours, des peuples combattent
pour l'obtenir. Et c'est pourquoi, dans le Parti libéral, c'est une
valeur qui est importante pour nous. Et c'est pourquoi aussi nous devons en
tenir compte. Nous devons tenir compte des droits collectifs, je l'ai dit
tantôt. Je regrette beaucoup le départ de certains de mes
collègues. Je les comprends, mais j'aurais souhaité qu'ils
restent avec nous pour continuer à combattre pour leur cause. J'aurais
souhaité qu'ils restent dans le gouvernement pour continuer à
combattre à la fois pour les droits collectifs et les droits
individuels.
We need the English-speaking community in this province. They have their
place. I know it is a tough moment for them. My govemment is asking them, as I
said, an enormous concession on grounds of principles. I am asking them
practically to understand the position, to under-stand the unique situation of
Québec in North America and to understand that I have to take a
décision between protecting the French culture which is an asset, not
only for Québec but for Canada. If Canada is an original country on this
continent, it is because we have a strong French culture. And I want to keep in
this province a strong French culture because, at the same time, I am working
for a strong Canada.
M. le Président, certains diront peut-être que j'ai
été trop loin dans la défense de mes compatriotes. Je leur
réponds que je n'avais pas le choix. Je le répète, ce
choix a été dur sur le plan des principes, encore plus,
étant donné la philosophie du Parti libéral, les
fondements mêmes de notre parti, son histoire. Et c'est parce que je
n'avais pas le choix que, en conscience, j'ai décidé ce qui me
paraissait vital pour l'avenir de notre collectivité.
Des voix: Bravo!
Le Président: Je remercie le premier ministre. En
continuité sur le débat pour l'adoption du principe du projet de
loi portant le numéro 178, je vais maintenant reconnaître M. le
chef de l'Opposition. M. le chef de l'Opposition.
M. Guy Chevrette
M. Chevrette: M. le Président, la consistance dans le
discours assure souvent la crédibilité d'un homme, quel que soit
le titre ou le poste qu'il occupe. Nous venons d'entendre un discours où
le premier ministre actuel se fait le champion des libertés
fondamentales. Il se fait le champion, je dis bien, défenseur
également du député de Mercier qu'il prend à
témoin, mais il ne faudrait pas que le premier ministre du Québec
prenne tous les Québécois pour des naïfs, M. le
Président. Les Québécois se rappelleront que c'est
à la demande même de ce premier ministre que le même
député de Mercier fut arrêté, une nuit, en brimant
complètement les droits les plus fondamentaux, les libertés les
plus fondamentales, à la suite de sa demande au premier ministre
canadien d'établir la Loi sur les mesures de guerre. C'est le même
premier ministre québécois qui se fait le champion et qui plaide
pour la liberté d'expression des compagnies à capital-actions qui
vient de nous faire un discours sur les libertés fondamentales
individuelles. C'est le même premier ministre qui, à la tête
d'un gouvernement, suspend les effets de la Charte des droits et
libertés de la personne eu égard à la loi 107, qui fait en
sorte que, nonobstant la Charte des droits et libertés de la personne,
celle-ci ne s'appliquera pas dans le cas de la liberté de conscience. Et
il se fait le champion défenseur des libertés fondamentales. M.
le Président, il faut le faire.
Les gens doivent bien se demander ce qui se passe en cette Chambre
depuis quelques heures, depuis quelques jours. Je vais essayer, moi aussi, de
le leur expliquer un peu, sans faire une longue histoire. On va s'en tenir
exclusivement à la vie politique de l'actuel premier ministre et des
gouvernements qu'il a présidés.
Je rappellerai à nos concitoyens que nous avons eu un jugement de
la Cour suprême, que le plus haut tribunal, dit-on, du pays dit que la
langue française est vulnérable au Québec. Ce jugement de
la Cour suprême nous dit également qu'avec une clause
"nonobstant", une clause dérogatoire, on peut restaurer la loi 101 qui a
assuré aux Québécois, à l'ensemble du peuple
francophone, une paix linguistique au Québec depuis onze ans, et
ça c'est dans le jugement même de la Cour suprême de
façon très explicite. Les Québécois doivent donc se
demander ce qui arrive pour que, tout à coup, il y ait du monde qui se
rassemble, il y ait des déclarations à l'emporte-pièce qui
soient faites, il y ait un bâillon à l'Assemblée nationale,
une suspension des règles, M. le Président.
Mais que se passe-t-il? Cette paix linguistique est momentanément
troublée. Pourquoi est-elle troublée, M. le Président?
Parce que l'actuel premier ministre du Québec, à la tête de
son gouvernement, a décidé de ne pas restaurer la loi 101, mais
d'en diminuer les effets, et si bien que les grands perdants dans tout
ça, c'est la communauté francophone québécoise.
C'est ça, fondamentalement, qui arrive. Mais le monde va dire: Mais, on
ne comprend pas; comment se fait-il que ce soit la majorité francophone
québécoise qui est la grande perdante et que ce sont des
ministres anglophones qui démissionnent? Voilà la question que
les gens se posent, comme mes concitoyens qui nous écoutent se demandent
ce qui se passe au Québec. Comment se fait-il que des anglophones
démissionnent et que des milliers, des dizaines de milliers de
Québécois se réunissent au centre Paul-Sauvé, dans
les rues à Chicoutimi, à Jonquière, à
Rouyn-Noranda? Comment se fait-il que les francophones s'agitent et que
ce soient des ministres francophones qui démissionnent?
Des voix: Anglophones.
M. Chevrette: Anglophones qui démissionnent. M. le
Président, ma liberté d'expression, je dois l'avoir, je l'ai
donnée au premier ministre, même de la part de son ministre
pancanadien. Si des ministres anglophones démissionnent, il doit y avoir
une raison. S'il y a autant de monde au Québec qui s'agite, c'est parce
qu'il y a une raison. La raison est la suivante. C'est que le premier ministre
du Québec a déposé une solution, une solution, dit-il,
basée sur des droits fondamentaux, oui, fondamentaux, des droits
collectifs et des droits individuels. (16 heures)
Je respecte, je considère véritablement que ce sont deux
droits qu'on va examiner ensemble effectivement, et je vais expliquer pourquoi
il y a des ministres anglophones qui quittent et des francophones au
Québec qui s'agitent. M. le Président, la loi 101 nous accordait
l'unilinguisme français partout, en dedans et en dehors, l'affichage
français commercial en dedans et en dehors, M. le Président,
à l'exception de la clause 60 sur laquelle on va revenir pour essayer de
finasser. M. le Président, je veux avoir le même respect à
mon droit de parole que le premier ministre a eu en cette Chambre. Est-ce
clair?
Le Président: C'est votre droit, M. le chef de
l'Opposition.
M. Jolivet: Faites-le respecter.
Le Président: Tout à l'heure, M. le premier
ministre a eu tout le loisir de s'exprimer, il n'a été
dérangé en aucun moment et je voudrais que le chef de
l'Opposition ait le même droit.
M. Gratton: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président: Sur une question de règlement, M.
leader du gouvernement.
M. Gratton: Je veux bien et j'invite tous mes collègues
à effectivement respecter le droit de parole du chef de l'Opposition,
mais je ferai remarquer que le ton employé par le premier ministre et
celui du chef de l'Opposition entraînent évidemment des
réactions différentes.
M. Gendron: M. le Président, sur la question de
règlement.
Le Président: Sur la question de règlement, M. le
leader de l'Opposition.
M. Gendron: Quand même, si, justement, le fond est plus
important que la forme, le premier ministre du Québec a au moins
laissé voir que les libertés individuelles
l'intéressaient. Il a laissé voir ça. On en reparlera. Il
ne me semble pas que ce soit une question de règlement de dire: Oui,
c'est vrai qu'on aura une liberté d'expression, mais à condition
que ce soit le ton du premier ministre. Il me semble que, s'il y a quelque
chose de fondamental qui nous appartienne, c'est de s'exprimer de la
façon dont on l'entend et sur le ton qu'on veut utiliser. Est-ce
clair?
Le Président: Oui. Bon. Mais il y a plus que ça. Il
y a une règle du décorum. J'ai accordé la parole à
une personne. Le droit de parole du premier ministre a été
respecté dans sa totalité, durant plus de 30 minutes, et je
voudrais que le chef de l'Opposition ait le même droit.
M. Chevrette: M. le Président, je vais afficher mes
convictions sur le ton que je voudrai bien utiliser.
Le Président: Je vous le reconnais.
M. Chevrette: Je vous dirai qu'il y a deux valeurs en cause. Il y
a un droit collectif fondamental et le premier ministre lui-même l'a
reconnu: Je suis à la tête - et les bretelles s'étiraient -
du seul gouvernement en Amérique du Nord où je réponds
d'une majorité francophone dit-il. C'est un droit collectif fondamental,
la survie d'un peuple, M. le Président. Je pense que cela ne peut
être mis en cause par personne. Je pense que le premier ministre le
reconnaît lui-même en utilisant la clause "nonobstant" en ce qui
regarde l'affichage extérieur. Là, pour beurrer la tartine, comme
il l'a toujours fait durant 18 ans de vie politique, ne pas être capable
de se brancher au plan linguistique, il a dit: II y a aussi des valeurs
fondamentales. C'est là que le bât blesse. Il essaie de faire
croire à la population du Québec que le droit d'affichage en
français ou en anglais est devenu une valeur aussi fondamentale que la
liberté de conscience, que la liberté totale d'expression, que
les droits humains, par exemple, la liberté de religion,
imaginez-vous... Je suis bien prêt à concevoir que l'affichage
commercial est un volet de la liberté d'expression, mais qu'on ne vienne
pas faire accroire à l'ensemble de la population du Québec, M. le
Président, que le droit à l'affichage commercial est devenu une
des valeurs fondamentales inaliénables au Québec. C'est du
charriage pur et simple que fait le premier ministre qui induit ainsi en erreur
la population, M. le Président. C'est inacceptable de la bouche d'un
premier ministre, j'en suis convaincu.
M. le Président, le premier ministre n'a pas été
capable de faire un choix entre les principes ou les valeurs collectives du
peuple francophone ou les droits individuels. Il n'a pas été
capable de se brancher. Et, comme d'habitude, sans
principe, sans conviction, qu'est-ce qu'il a fait? Il a
décidé d'aller jouer à l'essuie-glace: Si je donne un
petit peu là et si je donne un petit peu là, on s'en sortira
peut-être comme ça. On se retrouve avec les deux
communautés insatisfaites.
J'écoutais l'ex-ministre de l'Environnement qui a donné sa
démission comme ministre nous dire tantôt: Je
préférerais - et ce n'est pas moi qui parle - le statu quo de la
loi 101 à la formule présentée par l'actuel premier
ministre. Là, M. le Président, le choeur de l'Armée rouge
s'est mis à battre et à applaudir. Pourtant, l'ex-ministre de
l'Environnement était en train de dire au premier ministre du
Québec: Vous n'avez pas encore été capable de faire le
choix entre un droit collectif fondamental et des valeurs individuelles que
vous reconnaissez. C'est ce que le député de Nelligan et le
ministre de l'Environnement disait à son premier ministre, et le choeur
de l'Armée rouge d'applaudir, M. le Président. Sombrer dans le
ridicule à ce point! Vendredi soir, à Droit de parole,
j'étais dans la même salle que M. Blaikie qui disait la même
chose, pour et au nom de la communauté anglophone. Il disait: Le choix
que le premier ministre du Québec fait n'en est pas un, il ne tranche
pas entre une volonté d'un droit collectif et les volontés
d'appliquer des droits ou le respect des valeurs individuelles.
Et on préférerait, encore une fois, le statut quo
c'est-à-dire la loi 101. La loi 101 avait ce mérite d'être
claire, d'avoir fait un choix. Est-ce qu'il y a une honte au Québec,
comme formation politique, de dire que, nous, nous avons fait un choix, nous
avons fait le choix du droit collectif de sauvegarder notre langue. Nous avons
fait ce choix. Les anglophones du Québec savent très bien que
notre formation politique n'a pas d'ambiguïté. On ne cherche pas
à faire miroiter dans l'affichage commercial aux anglophones du
Québec qu'on n'est ni pour ni contre, bien au contraire. Ils savent de
quel bois on se chauffe, ils savent quels sont nos principes de base. Et je
suis convaincu qu'ils nous respectent profondément là-dessus.
Ce que le premier ministre a voulu faire, c'est de ménager le
chou et la chèvre. Une formule ni chair ni poisson. Comme d'habitude sur
le plan linguistique. Mais un masque est tombé aujourd'hui. C'est qu'il
a admis au tout début de son exposé qu'il fallait qu'il trouve
une solution. Vous vous rappellerez il y a six ou sept mois le même
premier ministre disait qu'il avait trouvé la formule. Le masque est
tombé. Il a attendu encore à la dernière minute et, sans
avoir de principe, sans conviction, il a essayé de pondre, comme
d'habitude, une solution qui déplaît à tout le monde. Mais
ce n'est pas vrai qu'on va laisser passer, par exemple, ce qui est en train de
s'accréditer. Écoutez, M. le Président, des
démissions de ministres anglophones. Pourquoi? Que disent les ministres
anglophones? Parce qu'ils ont quand même obtenu des assouplissements
à la loi, alors que la majorité francophone est victime à
ce moment-là. Ils disent non, notre appétit est plus grand que
ça. Je démissionne parce que je n'ai pas obtenu le bilinguisme
intégral qui signifie l'anglicisation à moyen terme, c'est clair,
et très rapidement. Ils démissionnent pour ça.
Mais que font ceux et celles, les champions petits nationalistes de
corridor, qui se devaient de défendre le français comme droit
collectif, qui ont essayé d'en faire pleurer des dizaines au cours des
semaines qui sont passées? Est-ce qu'il y a eu des démissions
parce que le premier ministre du Québec a annoncé une diminution
des droits linguistiques face à la majorité francophone? Aucune.
Ce sont ceux qui ont obtenu plus qui posent des gestes de
démissionnaires. Ceux qui ont obtenu moins, assis bien confortablement
dans leur petite chaise, applaudissent à tout rompre les discours qui
font primer les droits individuels en matière d'affichage sur les droits
collectifs. C'est ce à quoi on a assisté ce matin, M. le
Président. Des larmes de crocodile, purement et simplement. C'est
inacceptable.
M. le Président, le premier ministre s'est servi aussi, dans son
laïus sur l'histoire, de notre père fondateur. J'aimerais que le
premier ministre affiche une honnêteté intellectuelle. Comme
premier ministre du Québec, c'est un peu inconcevable qu'on se permette
des écarts sur le plan de l'honnêteté intellectuelle.
Que disait le père fondateur en matière d'affichage
bilingue, M. le Président. À La Presse, le 14 octobre 1987
- ce n'est pas longtemps, M. le Président, avant que M. René
Lévesque quitte ce monde - il disait: Le retour de l'affichage bilingue
serait catastrophique. Est-ce que le premier ministre du Québec pourrait
être honnête intellectuellement pour se rappeler les propos les
plus frais du père fondateur? Est-ce que le premier ministre du
Québec pourrait se rappeler ce que M. Lévesque répondait
lorsque Alliance Québec lui demandait de changer l'affichage bilingue?
René Lévesque dit non à Alliance Québec. (16 h
10)
Avec les services qu'ils ont, vous ne me ferez pas croire, M. le
Président, que le premier ministre du Québec n'est pas capable de
citer correctement le père fondateur. René Lévesque a dit:
Pas question d'amender la loi 101 dans un avenir prévisible concernant
l'affichage bHingue Québec n'est pas prêt à modifier la loi
101, a dit René Lévesque. Il y a toujours des limites. Quand on
veut citer quelqu'un, on s'organise au moins pour le citer honnêtement,
correctement. C'est impossible. C'est exactement comme la formule Dion, me
souligne un de mes collègues. On s'ingéniait à vouloir
dire que c'était la formule Dion, alors que Dion disait lui-même
que ce n'est pas ça qu'il avait dit. M. le Président, quand on
parle des deux côtés de la bouche, c'est ce qui arrive. Les
Cyniques disaient à l'époque, je pense, que c'est quand il se
tait qu'il dit la
vérité.
Nous avons un projet de loi vicieux, pernicieux et hypocrite. Hypocrite
en ce sens que c'est rendu que le certificat de francisation va devenir la
licence à la bilinguisation, imaginez-vous. C'est fort! Il faut le
faire! Vicieux en ce sens qu'il donne l'illusion de gain à la
majorité francophone alors que c'est le seul groupe qui perd.
Pernicieux, parce qu'il essaie de faire croire qu'on a mis en balance des
droits individuels vis-à-vis des valeurs fondamentales, alors que ce
n'est pas le cas du tout. La liberté d'affichage n'est qu'un volet de la
liberté d'expression.
Là, le premier ministre voudrait, dans un discours plutôt
à éléments historiques, se congratulant, nous faire sentir
un peu coupables. Eh bien messieurs du pouvoir et mesdames, sachez qu'on ne se
sent nullement coupables. On ne se sent pas coupables d'être la seule
communauté en Amérique du Nord à traiter sa
minorité avec autant de condescendance qu'on le fait. M. le
Président, nommez-moi une minorité qui a son système
scolaire de l'élémentaire, de la maternelle, de la
pré-maternelle à l'université. Nommez-moi une
communauté qui a ses services de santé en anglais. Nommez-moi une
communauté qui a ses postes de radio, de télévision, ses
journaux dans sa langue. Nommez-moi une communauté où le
gouvernement amnistie même les illégaux. Nommez-moi une
minorité qui a droit aux services de santé en anglais. Nommez-moi
une communauté au monde qui est mieux traitée par les
Québécois majoritairement francophones sur ce coin de terre.
Nommez-m'en une et je commencerai à me sentir coupable. Mais ce n'est
pas vrai que vous allez développer chez nous un sentiment de
culpabilité parce qu'on veut protéger la langue française,
et ce, non pas en ménageant le chou et la chèvre, mais en se
donnant tous les outils nécessaires, les outils indispensables pour
sauver le français dans le continent nord-américain.
Nous sommes le seul ilôt où nous sommes majoritaires,
est-ce clair? Chaque bord de nous, chaque côté de nous, ce sont
des anglophones. Qu'ont-ils fait pour les droits de leurs minorités,
eux? Rien. Rien, M. le Président. J'étais insulté, pour ne
pas dire révolté, hier, quand j'ai entendu le premier ministre du
Manitoba. Où sont les francophones au Manitoba? 90 %, 95 % sont au
cimetière. Les droits sont complètement bannis. On a même
gagné un jugement de la Cour suprême et trouvé un moyen de
s'y dérober.
Nous n'avons aucune leçon à tirer de personne et, comme
formation politique, nous sommes fiers de dire qu'en matière de langue
d'affichage, nous avons opté pour les droits collectifs des
Québécois francophones. M. le Président, nous ne parions
pas des deux côtés de la bouche et je vais vous le
démontrer. Le 17 octobre 1987, il y a à peine un an, le premier
ministre du Québec disait: Si les nouveaux immigrants dont nous avons
absolument besoin n'ont pas un message très clair que la
société québécoise est principalement francophone,
qu'elle n'est pas bilingue, ils auront un intérêt
économique à aller du côté de l'anglais. Il l'a
déclaré au cours d'une entrevue accordée au Soleil. M. le
Président, le même premier ministre tient de beaux discours dans
ses entrevues. Quand arrive le temps fondamental de faire des choix pour
assumer la cohérence de ses propos antérieurs avec les droits
fondamentaux, là, c'est autre chose; ce sont les calculs
stratégiques qui priment.
Donc, je dis au premier ministre du Québec: S'il vous
plaît, vos appels à la tolérance, à la
générosité, ça fait longtemps que ces appels ont
été compris des Québécois. Ce qu'ils vous demandent
comme premier ministre - c'est l'appel que je lui lance - c'est de pouvoir,
pour une fois, avoir assez de colonne vertébrale et un discours assez
clair pour ne pas illusionner les communautés ethniques, pour ne pas
faire en sorte de créer des rêves irréalisables, si ce
n'est que d'en arriver à avoir un Québec anglicisé?
Peut-il, pour une fois, avoir le discours et la volonté politique assez
forts pour assurer que ce Québec demeure la propriété des
francophones?
Le Président: Je remercie M. le chef de l'Opposition. Le
prochain intervenant sur le même débat, c'est-à-dire la
motion proposant l'adoption du principe du projet de loi 178, est M. le
ministre de la Sécurité publique. M. le ministre, vous avez
maintenant la parole.
M. Herbert Marx
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais dire que j'ai
passé toute ma vie au Québec, à Montréal. Je suis
né à Montréal. J'y ai grandi et je me souviens du
Montréal des années quarante, cinquante et soixante, un
Montréal où le français n'était jamais
respecté. C'était: The Men's Swimming Club à St. Helen's
Island, je ne pense pas que c'était même ITIe
Sainte-Hélène; c'était Bell Téléphone
Company of Canada, le Montréal Light, Heat and Power; c'était
tout ça durant le temps de ma jeunesse, jusqu'aux années soixante
et soixante-dix, alors que cela a commencé à changer.
J'ai toujours trouvé cela injustifiable et j'ai toujours compris
combien il était difficile pour mes compatriotes francophones d'accepter
tout ça, mais il faut admettre, M. le Président, que cela a
beaucoup changé depuis les années quarante, cinquante, soixante
et soixante-dix. C'est complètement changé à
Montréal. Je pense qu'on peut vraiment dire de Montréal que c'est
une ville essentiellement française.
En ce qui concerne les droits linguistiques, quand j'ai commencé
mon cours de droit à l'Université de Montréal, en 1964, en
première année nous avons eu ce cours de droit constitutionnel
où j'ai appris, pour la première fois, qu'on avait enlevé,
en 1890, au Manitoba des
droits linguistiques aux francophones. Je n'ai jamais compris comment on
avait pu faire ça; j'estimais que c'était inconstitutionnel. Cela
a pris encore beaucoup d'années avant qu'un jugement dise que ce
l'était.
J'ai aussi étudié les droits des Franco-Ontariens en ce
qui concerne le règlement 17. J'ai trouvé ça très
injuste, et même plus que ça. Quand on lit ce qu'on a fait en
Ontario, au début du XXe siècle, on voit que c'était
vraiment raciste. On parle toujours des orangistes, c'était ça
aussi, j'imagine. J'ai étudié toute cette question et j'ai
même fait une étude sur les droits linguistiques dans la
Constitution canadienne, comme thèse de troisième année en
droit.
Cela fait maintenant environ 30 ans que je travaille ou que je fais des
études dans les institutions francophones au Québec. Je suis tout
à fait d'accord pour que le Québec soit français, que le
visage soit français, mais pas à 100 %. Il n'y a pas une ville au
monde, ces jours-ci, où c'est 100 % dans une langue ou dans une autre.
Allez, par exemple, à New York, vous allez voir le visage espagnol, le
visage chinois, le visage anglais, etc. Ce n'est pas à 100 %
américain ou anglais. On ne peut pas s'attendre que le Québec,
étant donné qu'il y a des anglophones, des allophones et des
immigrants, soit français à 100 %. Le visage français du
Québec, je pense que c'est une donnée qui ne va pas changer. La
101 est toujours la loi telle qu'interprétée par les
tribunaux.
(16 h 20)
La loi 101, comme toute autre loi, est la loi telle
qu'interprétée par la Cour supérieure, la Cour d'appel et
la Cour suprême du Canada. En ce qui concerne l'affichage, nous avons eu
des jugements de la Cour supérieure, de la Cour d'appel du Québec
et de la Cour suprême du Canada. Nos tribunaux et surtout la Cour
suprême du Canada nous a dit que la liberté d'expression inclut la
liberté d'expression commerciale et cela, en vertu de la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne et aussi
en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne.
La Cour suprême du Canada a dit - c'est très clair dans le
jugement - qu'on peut exiger le français partout et même une nette
prédominance du français, mais une nette prédominance sans
prohibition. La cour a dit, comme les autres cours inférieures, qu'une
loi dans laquelle on fait la prohibition totale d'une langue est une loi qui va
à rencontre de la liberté d'expression, qui va à rencontre
de nos deux chartes, c'est-à-dire la charte québécoise et
la charte canadienne.
Le projet de loi 178 ne respecte pas la Charte québécoise
des droits et libertés. Dans cette loi, on suspend la liberté
d'expression. En effet, celle-ci est suspendue par deux clauses "nonobsant"
l'une pour la charte québécoise et l'autre pour la charte
canadienne. C'est pour cette raison que je ne peux pas voter pour ce projet de
loi.
Lorsque j'étais professeur de droit constitutionnel à
l'Université de Montréal, j'ai toujours enseigné à
mes étudiants que j'étais contre l'usage d'une clause
"nonobstant" pour mettre de côté des libertés
fondamentales. J'ai été commissaire à la Commission des
droits de la personne du Québec durant cinq ans et j'étais contre
l'usage de la clause "nonobstant" qu'on trouve dans la charte
québécoise. Lorsque j'étais député de
l'Opposition, j'ai toujours été contre l'utilisation de ces
clauses "nonobstant" et j'ai fait des discours en cette Chambre contre le
"nonobstant", lors du débat sur la loi 111, par exemple. J'ai
écrit des articles contre l'utilisation d'une telle clause.
Depuis qu'on m'a nommé ministre, je n'ai pas changé, je
suis la même personne, avec les mêmes idées, les mêmes
principes et 1 s'agit d'une question de conscience. Je ne peux pas maintenant,
parce que je suis ministre faire un virage de 180° du jour au lendemain.
Comment est-ce que je vois cela? Je vois cela de la même façon que
l'éditorialiste du Devoir, le 17 décembre 1988: le
français partout mais sans brimer les droits des autres
communautés. C'est la raison essentielle pour laquelle je ne peux voter
pour ce projet de loi.
Je comprends que c'est un dossier difficle et que c'est un vote
difficile, très difficile pour moi, mais il y a eu d'autres votes
difficiles en cette Chambre. Je me souviens du vote sur la motion contre le
rapatriement de la constitution en 1981. C'est un vote qui a
déchiré notre caucus; nous étions dans l'Opposition. Je me
souviens que la Cour suprême du Canada, à l'époque, a dit:
Oui, le Canada peut rapatrier la constitution unilatéralement sans le
Québec, c'est légal mais cela va à rencontre des
conventions constitutionnelles. J'ai voté avec le gouvernement du Parti
québécois de l'époque pour cette motion parce que j'ai
cru, j'étais convaincu que cela allait à rencontre de notre
constitution d'agir de cette façon. Je suis encore convaincu que nous
avons bien fait de voter pour cette motion.
Il y a le vote sur le lac Meech, la résolution qui a
été adoptée en cette Chambre. Je suis d'accord que le
Québec est une société distincte, c'est tellement
évident. Et je suis d'accord qu'il faut améliorer la formule
d'amendement, qu'on donne plus de pouvoir sur l'immigration au Québec,
qu'on fasse des modifications en ce qui concerne les nominations au
Sénat et à la Cour suprême du Canada. Pour moi, le lac
Meech est essentiel, et c'est pourquoi j'encourage mes collègues du
Manitoba à voter une résolution pour donner suite aux engagements
en ce qui concerne l'adoption de l'entente du lac Meech. Je pense que ce serait
une erreur historique pour la Législature du Manitoba que de prendre
comme prétexte la loi 178 pour ne pas voter cette résolution de
l'entente du lac Meech. C'est essentiel. Ce sera bon pour le Canada et pour le
Québec. Et cela va permettre au Québec d'entrer dans la
constitution.
I would ask Manitoba not to turn its back on Québec, not to push
Québec into a corner, not to isolate Québec. I think the Meech
Lake Accord is a good accord. It is good for Canada, it is good for
Québec. It will allow Québec to enter the Constitution. It will
avoid having Québec outside again. And I think it would be an historical
error for Manitoba not to adopt the Meech Lake Accord. Therefore, I really
would like to ask our colleagues in the Manitoba Legislature to move this
dossier along and to vote for the Meech Lake Accord.
Mr. Speaker, I was elected in 1979 for the first time, reelected in 1981
and in 1985. On each occasion, I promised my electors that I would do my best
to lift the prohibition on signs where you can have French and another
lan-guage. Now, Bill 178 suspends this freedom of expression. There are two
"notwithstanding" clauses in Bill 178: one to suspend the freedom of expression
provision in the Québec Charter of Rights and one to suspend it in the
Federal Charter of Rights.
I tried my best in Cabinet, I tried my best in caucus that this would
not happened, and it did happened. But, as I pointed out a few minutes ago, I
have always been against the suspension of fundamental civil liberties with a
"notwithstanding" clause. I was against it as a professor of Constitutional Law
at the University of Montréal. I was against it as commissionner at the
Québec Human Rights Commission. I was against it during my six years in.
Opposition. And, as a minister, I have not changed, I still have the same
views. I am the same person, I have the same principles as I had before I was a
minister. And, consequently, I have no choice whatsoever but to vote against
this Bill and, in fact, not to vote with the Government. It is impossible for
me at this time to make a 180° turnabout. I just cannot do it, it is a
question of conscience, it is a question of principle.
In closing, Mr. Speaker, when the dust faits sometime after the
holidays, we will have to pick up the pieces. And, to tell you the truth, I am
very optimistic about our place in Québec. I am very optimistic about
Québec. I am very optimistic about Montréal. I think we have a
terrifie province and a terrifie city. And I think that those of us who are
against what is happening today must work within our democratie institutions to
lift this last prohibition on the use of the English language. It is only a
prohibition on outside signs, but it is an important prohibition. And I think
that if we ail work together within our democratie institutions, we will bring
about the necessary change in the months to corne. Merci. (16 h 30)
Le Président: Je remercie M. le ministre de la
Sécurité publique. Si vous le permettez, je vais maintenant
reconnaître le prochain intervenant sur la motion proposant l'adoption du
principe du projet de loi 178. Il s'agit d'un député de la
formation de l'Opposition, M. le député de Terrebonne. M. le
député de Ter-rebonne, vous avez maintenant la parole.
M. Yves Blais
M. Biais: Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord,
je vais prendre une minute pour dire qui je suis comme être humain. Je
suis, bien sûr, un souverainiste et c'est connu. Je suis pour la
souveraineté du Québec. Je suis Québécois à
fleur de peau, à fleur de lys, à fleur d'espoir de ce pays en
devenir. Et je suis aussi Québécois à fleur de bataille
pour l'obtenir, ce pays. Cependant, cela ne m'empêche pas de porter un
jugement respectueux dans le contexte actuel, et d'essayer de raisonner le plus
possible cette chose qu'on ne devrait pas discuter aujourd'hui. Bien sûr,
si nous étions souverains, nous n'aurions pas cette discussion. Vu que
nous ne le sommes pas, nous devons en discuter. Parce qu'à travers le
monde, tous les pays souverains ont des lois 101 de façon
intrinsèque dans leur constitution. Partout dans le monde, la
majorité qui habite un pays a, in facto, de facto, prima facie, sa
langue qui domine partout.
D'ailleurs, le seul tribunal au monde qui a dit que le véhicule
était porteur des droits fondamentaux, de la liberté, c'est le
tribunal de la Cour suprême du Canada. Aucun autre tribunal au monde, ni
aux États-Unis, ni en Europe, ni où que ce soit, n'a dit que le
véhicule était porteur des droits fondamentaux. D'ailleurs en
1983, nous avons tenu une commission parlementaire pour faire quelques
modifications à la loi 101. Nous avons été un mois en
commission parlementaire parce que nous avons demandé aux gens de venir
s'exprimer sur les petits changements que nous faisions à
l'époque. Et ce n'est pas la façon dont on procède
aujourd'hui, en vitesse et avec des bâillons, pour
légiférer de façon substantielle sur la loi 101. En
commission parlementaire, la Commission des droits de la personne du
Québec demandait que l'affichage soit dans les deux langues.
La Commission des droits de la personne du Québec demandait au
ministre responsable de l'époque, M. Godin, que l'affichage soit dans
les deux langues à l'extérieur, avec priorité au
français. M. Wolde-Giorghis, qui était le spécialiste,
amenait un rapport de M. Clare Beckton d'Angleterre qui disait, lui, que
ça faisait partie des droits fondamentaux. C'était un
constitution-naliste. À ce spécialiste, M. Godin posait la
question suivante: La question que je pose au ministre est sur la langue
d'expression dans l'affichage commercial. Les deux avis que vous me donnez -
c'est-à-dire celui du spécialiste d'Angleterre et celui de la
Commission des droits de la personne qui le réclamait - en dehors de ces
documents, avez-vous trouvé des jugements canadiens, américains,
québécois ou européens qui pourraient nous amener à
conclure qu'il faut faire cette modification que vous
à-dire que l'affichage soit bilingue parce que ça comporte
des droits fondamentaux? Aucun autre document n'existe, dit-il. Je dois vous
répondre, M. le ministre, que nous n'avons pas trouvé de tel
jugement. Il n'y a aucun jugement dans le monde qui dit que le véhicule
est porteur des droits fondamentaux.
Comment se fait-il que la Cour suprême canadienne soit la seule
cour du monde qui dise, la seule cour du monde dont les juges disent que
l'affichage est porteur des droits et libertés? Tous les autres
tribunaux du monde disent: Non. Comme tous les tribunaux du monde disent: Non,
ce n'est pas porteur des droits fondamentaux. Le véhicule n'est pas
porteur des droits fondamentaux. Pourquoi, ici, dit-on ça? Depuis quand
une compagnie qui a des actions en Bourse, une personne morale, a-t-elle des
droits fondamentaux? Ce sont les personnes qui occupent dans cette compagnie ou
qui la forment qui ont des droits fondamentaux. Ce n'est pas la compagnie
elle-même. Et l'extériorisation d'une raison sociale, c'est la
personne morale qui met dehors son nom. C'est ça que les tribunaux ont
dit partout. Ce n'est pas moi qui parle.
Tous les tribunaux du monde disent que le véhicule n'est pas
porteur de droits fondamentaux. Mais ici, pourquoi il en est ainsi? Pourquoi y
a-t-il encore exception pour le tribunal canadien? Parce que le tribunal
canadien, de façon générale, doit défendre les lois
canadiennes et les droits fondamentaux du peuple canadien "coast to coast", et
Québec, qui en est une partie géographique, subit les jugements
de la Cour suprême "coast to coast". Les cours, dans tous les pays du
monde, disent que les droits collectifs, dans leur fondement, ne comportent
pas, dans le véhicule de transmission de la pensée, les droits
fondamentaux. Et ici, parce que le Québec est une minorité
canadienne, le jugement va à rencontre des autres jugements à
travers le monde pour favoriser la majorité canadienne. C'est pour
ça qu'il y a une clause "nonobstant" et que les juges nous disent de
s'en servir. C'est pour ça. Il faudrait que les gens qui se sentent mal
à l'aise regardent les jugements des autres cours du monde. Aucune autre
cour du monde n'a rendu un jugement de cette sorte. Il me semble que si le
monde entier dit que c'est normal qu'il en soit contraire à ce que la
Cour suprême a dit, il doit y avoir quelqu'un, quelque part, qui a
raison.
Devant ça, les anglophones du Québec, que je respecte, ont
toujours dit qu'ils avaient des droits fondamentaux, et c'est vrai qu'ils en
ont, mais ils vont trop loin dans leurs revendications. Pour en demander, ils
en demandent, mais ils en demandent trop. Ils ne se sont jamais
comportés comme une minorité québécoise. Ils se
comportent comme une majorité canadienne en terre
québécoise et réclament pour eux tous les droits d'une
majorité. En tant qu'anglophones du Québec, ils sont
privilégiés "mur à mur" au Québec, autant dans le
domaine scolaire, social que dans le domaine des communications, visuelles,
parlées ou écrites, "mur à mur", ils sont même
surprotégés comparativement aux francophones. Pire que ça,
tous nos appareils électriques dans nos maisons, tous nos appareils
d'utilisation sont unilingues anglais, partout au Québec. Les voitures
que nous prenons tous les jours, tout est unilingue anglais. Tout ce qui est
technique est unilingue anglais au Québec. Les ordinateurs, etc., tout
ce qui est technique, unilingue anglais. Tous nos objets usuels, le fer
à repasser, la théière, le grille-pain, tout est en
anglais partout, même les commutateurs au Parlement sont unilingues
anglais. (16 h 40)
Et on se plaint, Mme la Présidente, on veut plus. Dans cette loi,
que les francophones ne se sentent pas coupables. Cette loi que le premier
ministre vient de passer, c'est une loi qui nous fait perdre des droits comme
majorité québécoise. C'est un autre recul. Ne nous sentons
pas coupables, Seigneur! Ne nous sentons pas coupables. Pourquoi en est-il
ainsi? Pourquoi Alliance Québec et la plupart des anglophones nous
disent-ils: Nous préférons le PQ et sa solution 101 que n'importe
quelle solution bâtarde, dont celle que vient de nous apporter le premier
ministre. Pourquoi? Hé bien, voici pourquoi, Mme la
Présidente.
Il y a eu une campagne électorale en 1985 et, cette campagne
électorale, nous l'avons faite avec franchise. Nous avons dit ce que
nous voulions. Nous avons annoncé nos couleurs. Notre annonce, notre
réclame était unilingue française. Nous étions
francs, clairs et nets. Qu'est-ce que le Parti libéral a fait? Une
campagne de duperie, une campagne de tromperie. Duperie et tromperie ne peuvent
être autre chose qu'une campagne provocatrice de la paix sociale. Une
campagne de duperie et de tromperie ne peut être autre chose qu'une
campagne semeuse de déchirement. Cela ne peut être chose qu'une
campagne porteuse d'incitation à la manifestation collective. Encore
là, il y a eu une grosse manifestation à Montréal et cette
manifestation a fait changer le fond de la loi. Elle n'était pas encore
prête lorsqu'on est arrivés le lendemain. La manifestation en a
fait changer des bouts. Il nous en a concédé encore un petit peu,
c'est-à-dire qu'il en a oté un peu moins aux francophones. C'est
la campagne électorale qui était porteuse de zizanie. On a fait
une campagne trompeuse. On est pris avec des problèmes après. Et
cette campagne trompeuse est indigne d'un Parlement. Parce qu'on arrive ici et
ça nous déprécie devant le public. J'ai horreur de choses
semblables.
Pourquoi a-t-on une loi bâtarde comme celle-là qui ne
satisfait personne? Pourquoi? Parce que le premier ministre nous a dit trois
choses: Je veux garder le visage français de Montréal et du
Québec. C'est très noble. Deuxièmement: Je veux donner
plus de bilinguisme aux anglophones du Québec, et, troisièmement:
Je veux respecter les droits fondamentaux parce
que je veux mon lac Meech. Il a promis trois choses impossibles à
faire. Et on s'est laissé endormir et chloroformer par ça. Je
voudrais bien que les députés de la formation politique au
pouvoir comprennent qu'il était impossible de faire les trois choses. Il
a fallu qu'il en ôte aux francophones pour satisfaire un peu les autres
au Québec et, à cause du jugement impossible à
défendre que la Cour suprême a rendu, il a fallu qu'il mette un
"nonobstant." Là, il nous dit qu'il y aura des règlements
touchant l'intérieur des commerces qui vont venir saupoudrer cela de
français, d'anglais ou d'autres langues. C'est ce que le
règlement va faire.
Mme la Présidente, M. le chef du gouvernement nous disait
tantôt: Je suis le seul chef qui avait l'obligation morale de choisir les
droits collectifs. Il venait de nous dire un peu avant: Commencez donc par
faire des enfants avant de vouloir faire la souveraineté. Vous savez, il
a été le seul chef à avoir une décision de cette
nature à prendre parce que ce n'est pas la cour de son pays qui a pris
la décision à sa place. Si nous étions souverains comme
toutes les autres cours du monde, c'est la majorité qui l'aurait
emporté et notre Cour suprême aurait dit, comme ailleurs, que le
véhicule n'est pas porteur de la liberté d'expression. Toutes les
cours du monde disent que le véhicule n'est pas porteur de la
liberté.
J'ai du respect pour tous mes confrères, mais je crois qu'ils
sont victimes d'un scénario électoral en prévision des
élections à venir. Après en avoir ôté aux
francophones, après avoir ôté des droits aux francophones
et après en avoir donné aux autres, il y a un scénario qui
se trame. Durant le discours du premier ministre, il n'y avait aucun ministre
anglophone. Ils sont tous sortis. Tous. Il restait quelques
députés anglophones. Tous les ministres anglophones sont sortis.
Mon dieu! Ils sont tous des Aurore politiques. Ils veulent jouer à
l'Aurore politique. En réalité, c'est un scénario pour que
les francophones élus dans cette Chambre se sentent coupables de voir
ces gens qui viennent de faire une autre victoire sur nos droits collectifs,
une autre victoire du bilinguisme à l'intérieur, qui sentent que
ce n'est pas suffisant et que, nous, nous nous sentions encore une fois
victimes.
Pauvres nous! Nous sommes encore coupables. Bien non, Mme la
Présidente, nous ne sommes pas coupables. Si nous sommes coupables de
quelque chose, c'est de ne pas nous réveiller plus forts. Nous ne nous
tenons pas assez debout. Les députés de cette Chambre sont
victimes d'une haute voltige électorale de la part du "bunker". Il faut
voir dans ces démissions, démission à l'extérieur,
mais soumission à l'intérieur, ce qui rappelle bien la loi. Ce
sont des ministres qui démissionnent à l'extérieur pour la
parade et la frime, mais qui sont soumis et restent à
l'intérieur. Qu'est-ce que c'est que ces démissions de principe?
C'est un scénario de haute voltige électorale,
machiavélique. Il ne faut pas que nous soyons dupes de ce jeu. J'ai
beaucoup de respect, même pour les députés libéraux,
beaucoup de respect. Si jamais il y a un mot qui vous blesse, je le retire
immédiatement, mais je crois que vous êtes en train de vous faire
embaumer tranquillement. On vous ôte votre bon "sang". Dans la
période actuelle, c'est nécessaire d'en avoir. Ne vous sentez pas
coupables, vous êtes des victimes du système. C'est de la frime.
Ce sont des démissions de façade.
Mme la Présidente, je tiens à répéter que je
suis fier d'être du Parti québécois qui respecte les
minorités. S'il en était autrement, je quitterais le Parti
québécois. Mais il y a une chose, par exemple, il faut aussi
respecter la majorité. Cette loi porte atteinte à la
majorité dans ses droits, ça c'est vrai. Cette loi est porteuse
d'un message d'anglicisation pour les nouveaux arrivants. Je pense que c'est
assez. Nous sommes le peuple le plus compréhensif, le plus amical, le
plus accueillant du monde. Je suis d'accord pour être le plus
accueillant, mais je ne veux pas qu'on dise que le peuple
québécois est à ce point généreux qu'on peut
le ridiculiser. Le citron de notre générosité a
été assez pressé. Il n'y a plus de jus à
l'intérieur. Il n'y en a plus. Vous avez pressé le citron de
notre générosité à un point tel que l'écorce
nous en brise les mains. C'est assez. Il faut se tenir debout. Respect de la
minorité, oui. Plein coeur, pleine volonté et de plein droit pour
eux. Je me battrais pour le contraire, si ça existait. Mais, au moins,
de la décence. Respectons dans nos lois la majorité. Merci, Mme
la Présidente. (16 h 50)
La Vice-Présidente: Merci, M. le député de
Terrebonne. Je vais maintenant reconnaître M. le député de
Beauharnois.
M. Serge Marcil
M. Marcil: Merci beaucoup, Mme la Présidente. J'aimerais
amener la discussion à un autre stade. Après tout ce que j'ai
entendu depuis deux jours en cette Chambre, je peux vous dire une chose: Je me
sens un peu désemparé de vous adresser la parole aujourd'hui. Si
une personne au Québec avait eu la chance de devenir pessimiste, cela
aurait été ici, à l'Assemblée nationale. À
entendre parler les gens sur la peur, sur la possibilité de
disparaître comme communauté culturelle francophone au
Québec, c'est épouvantable. Je peux vous dire une chose: II ne
reste plus grand monde du côté de l'Opposition pour nous
écouter. Au Québec, il n'y a rien de nouveau dans ce qu'on a
annoncé ni dans la position qu'on a prise.
Depuis 1981, le Parti libéral du Québec parle de poser un
geste pour assouplir la loi 101. Ce n'est pas nouveau. Il y a eu 1981, des
résolutions du Parti libéral du Québec à son
congrès général, à ses conseils
généraux. On les a améliorées chaque année.
On a pris le pouvoir et tous les Québécois s'attendaient que
le
gouvernement libéral du Québec pose un geste. Sauf que
personne n'aurait pensé que le gouvernement du Québec serait
allé jusqu'à utiliser la clause dérogatoire pour obliger
l'affichage uni-lingue français à l'extérieur du
Québec. Même M. Laurin, que j'écoutais hier à
l'émission Le Point, a été surpris du geste que le
gouvernement de Robert Bourassa ait pu poser présentement. Je ne veux
pas faire l'analyse de la loi. Il y a des spécialistes pour ça.
Je sais une chose, c'est qu'on modifie à peu près trois articles
de la charte sur 214 articles. On ne modifie pas la loi 101 en totalité.
On ne retire pas la loi 101. On touche à peu près trois articles
sur 214 et les trois articles touchent l'affichage commercial au
Québec.
On m'a enlevé un droit individuel à moi aussi, comme
francophone au Québec. C'est le Parti québécois qui
était au pouvoir à l'époque lorsqu'il a amené la
loi 101. On m'a demandé, on m'a enlevé le droit au choix de la
langue d'enseignement comme francophone. Le gouvernement du temps a bien fait.
Ils avaient raison de le faire. Aujourd'hui, 50 % des francophones seraient
peut-être dans les écoles anglaises ou dans des écoles
italiennes. On a dit: On va enlever le droit individuel aux francophones pour
les protéger contre les méchants anglais. C'était
ça. Probablement que le gouvernement du temps croyait que les
Québécois n'étaient pas assez matures pour se prendre en
main. C'est probablement ça. Probablement que le gouvernement du temps
s'est dit: Les francophones du Québec, on est tellement peureux, on a
tellement peur de l'Amérique du Nord, on a tellement peur de
disparaître, on va vous enlever ce droit et on va sortir une loi qui va
vous empêcher de faire des choix. C'était ça à
l'époque.
Maintenant, on est rendus en 1988. Moi, je suis un francophone du
Québec. Je ne parle pas tellement anglais. Je suis fier également
d'être québécois francophone, mais je n'ai pas peur de
vivre avec d'autres communautés. Je n'ai pas peur non plus de vivre en
Amérique du Nord. J'aime le contact avec les communautés
ethniques. Ce n'est pas une loi qui va m'obliger à parler ma langue, et
ce n'est pas une loi qui va m'obliger à respecter et à
protéger ma langue. Je n'ai pas besoin de loi pour protéger ma
langue. Je suis capable de le faire tout seul. Je suis capable de l'enseigner
également à mes enfants. J'ai vécu une expérience
avec des députés de l'Assemblée nationale, il y a deux
ans. Nous étions allés en Espagne. Il y avait le
député de Saint-Jacques avec nous. Il y avait le
vice-président de l'Assemblée nationale. Il y avait
également d'autres députés. On est allés en
Catalogne, qui est une province espagnole.
On sait que la Catalogne a été le dernier bastion espagnol
ou catalan à se défendre contre Franco. En Catalogne, on parie le
catalan. Ce n'est pas le castillan. On parle le catalan. Lorsqu'on a
rencontré les membres de ce gouvernement, parce qu'ils ont un
gouvernement, c'est une province, on leur a posé la question: Comment
avez-vous pu sauver cette langue, protéger cette langue? Parce que 90 %
de la population catalane utilise le catalan, même s'ils vivent dans une
mer de quelque 30 000 000 d'Espagnols. Avez-vous adopté une loi? C'est
drôle, le Parlement de la Catalogne a dit non. On n'a pas besoin de loi
pour protéger notre langue. On y va par conviction. On y va
également par éducation. On enrichit des programmes. On a
inculqué la fierté de sa langue à notre population.
Aujourd'hui, 90 % des gens parient le catalan et l'utilisent tous les jours.
Toutes les institutions parient et utilisent le catalan comme langue
officielle.
Nous, nous avons toujours besoin d'une loi pour nous protéger.
Comme individu, on a peur de se battre; on a peur d'aller dans un magasin
où un anglophone nous parie en anglais. On se plie en deux et on
achète au lieu de lui dire: Vous ne voulez pas me parier en
français, je change de magasin. On n'a que ça à faire. On
a à enrichir nos programmes de français. On a à trouver
des moyens pour recevoir des communautés ethniques chez nous.
Hier, en écoutant les discours, je lisais l'Actualité.
Je ne veux pas faire de publicité pour l'Actualité,
mais il y a un article qui m'a réellement impressionné. C'est
le grand défi des Québécois aujourd'hui. Dans 50 ans, la
loi 101 va protéger une minorité francophone au Québec,
elle ne protégera plus la majorité francophone, on sera en
minorité. Si on ne se reproduit pas, si notre taux de natalité se
maintient à 1,4, comme il est présentement, qu'est-ce que le
Québec sera dans 50 ans? Que sera le Parlement du Québec,
l'Assemblée nationale? On va se croire à l'ONU parce que 50 % des
députés qui vont siéger ici seront représentants
des communautés ethniques. Il y en aura de moins en moins qui vont
représenter la communauté francophone, mais ce n'est pas la faute
des anglophones, ni celle des communautés ethniques. On a
décidé, comme peuple, de ne pas se reproduire aussi
fréquemment ou aussi largement que d'autres populations.
Dans cet article, je lisais - parce qu'on parie du problème de
pollution dans le monde - qu'aujourd'hui, il y a 5 100 000 000 d'habitants sur
la planète et on en prévoit, dans 50 ans, de 8 000 000 000
à 11 000 000 000; c'est du monde! Ce sont des gens. Où vont-ils
vivre? Au Québec, comment se reproduit-on? C'est ça le grand
défi des Québécois. Tant et aussi longtemps qu'on sera en
majorité au Québec, tant et aussi longtemps que les francophones
seront en majorité, ils contrôleront leur gouvernement, ils
choisiront leur gouvernement. Toutes les populations, le jour où elles
ont perdu le contrôle de leur gouvernement, sont disparues. Vous pariez
de la Louisiane, de la Nouvelle-Angleterre, c'a toujours été
comme ça. Donc, pour moi, le grand défi, c'est la survie de la
communauté francophone du Québec. Et cela ne passe pas par
une
loi, ça passe par autre chose; ça passe d'abord par la
fierté d'être Québécois, par la fierté
d'être francophone.
On pourrait jaser longtemps et on va en entendre encore pendant des
heures et des heures de la possibilité de modifier la loi 101. Qu'est-ce
qu'on fait? On prend l'affichage extérieur et on dit: Maintenant, c'est
unilingue français. Pour vous prouver que ça va l'être,
pour empêcher que les gens passent à côté, on utilise
la clause dérogatoire. On prend l'article 60, qui permet l'affichage
bilingue pour tous les commerces de quatre employés et moins -
présentement, au-delà 67 % de ces entreprises utilisent cette
clause - et on leur dit: Affichage bilingue ou français et dans une
autre langue, mais le français en prédominance, ce qui n'existe
pas présentement dans la loi. On les oblige à utiliser le
français en prédominance et on permet d'utiliser une autre
langue. On ne leur dit pas d'utiliser plusieurs langues, on leur dit:
Français prédominant et une autre langue de votre choix, le choix
de votre clientèle. On n'oblige personne à le faire
également. Qu'est-ce qu'il y a de malheureux à poser ce geste
dans le but d'établir un certain équilibre entre les
communautés culturelles du Québec? La loi 101, telle qu'elle
existe, permet aux communautés culturelles du Québec d'afficher
et d'écrire dans leur langue, lorsqu'on touche les affaires culturelles
et leur religion. La loi 101 ne le défend pas. On le permet.
Les amendements qu'on apporte à la loi 101 ne modifient pas
ça. Donc, je pense... Je crois en la maturité des
Québécois. J'ai confiance aux Québécois. Chez nous,
dans mon comté, j'ai confiance aux gens. Oui, c'est vrai qu'on est
majoritairement francophones, à 99 %, qu'on parle français chez
nous. Si tous les Québécois se donnaient la main aujourd'hui, au
lieu de tout le temps se battre à propos de la langue, si tout le monde
se disait: on prend en main notre culture, on va la propager entre nous, on va
l'inculquer à nos familles et lorsqu'on ira dans des milieux ethniques,
on va exiger qu'on nous serve en français, dans notre langue... Il faut
qu'on y tienne par exemple, qu'on ne démissionne pas chaque fois que
quelqu'un nous parle dans une autre langue et qu'on décide d'acheter
quand même. Si on veut le faire, je vous garantis qu'en 1990 et en 2000,
les francophones seront toujours francophones et ils contrôleront
toujours leur gouvernement.
Le défi, par exemple, c'est la natalité. C'est le grand
défi des Québécois. Je serais très malheureux de
voir que, dans 50 ans, on ait une loi qui protège non plus une
majorité francophone au Québec, mais plutôt une
minorité francophone. Merci, Mme la Présidente. (17 heures)
La Vice-Présidente: Merci, M. le député de
Beauharnois. Je vais maintenant reconnaître M. le député de
Shefford.
M. Roger Paré
M. Paré: Merci, Mme la Présidente. En
commençant, je veux dire à mon collègue de Beauharnois,
que je ne veux pas être obligé de me battre pour me faire servir
en français au Québec. On est 84 %, c'est tellement normal que
cela n'a pas de bon sens qu'il y ait des discours comme cela: si on n'est pas
servi, on sort et on va magasiner ailleurs. Ce n'est pas comme cela que
ça marche quand on est chez nous. Le bon sens veut que, quand on est 84
% ou 85 %, une communauté francophone, on soit automatiquement servi en
français. C'est comme cela que ça marche. Ce qui n'est pas normal
non plus, c'est que pendant que les anglophones gagnent du terrain, les
francophones sont devant le Parlement - je suis allé voir, il y a une
autre manifestation - pour exiger de pouvoir continuer à vivre en
français. On est 85 %, c'est de l'indécence pour un gouvernement
d'accepter des choses comme celles-là.
Avant de parler sur le fond du projet de loi 178, je vais reprendre un
peu ce qu'a dit le député de Nelligan, ex-ministre de
l'Environnement depuis quelques heures. Je vais vous dire que cela ne m'a pas
fait brailler et que cela ne me fera pas brailler non plus. Mais je le remercie
d'une chose, c'est d'avoir affirmé correctement et ouvertement qu'il
n'était pas capable de trouver lorsqu'il est arrivé au Canada,
à l'extérieur du Québec, des services en français,
qu'il ne pouvait même pas aller voir un film quand il était dans
l'Ouest, qu'il ne pouvait même pas se procurer un volume en
français. Il a reconnu cela, il a reconnu qu'il y a juste au
Québec... Il a décidé de venir au Québec pour avoir
du français parce qu'il n'y en a pas ailleurs. Je le remercie
d'être venu confirmer ce que, nous, on dit depuis toujours. Les quelques
services qu'il y avait...
Il ne faudrait pas oublier quelque chose, il y a eu un jugement qui est
sorti au cours de l'année pour la Saskatchewan et l'Alberta concernant
justement les droits des minorités francophones des autres provinces.
Pourtant, c'était la Cour suprême. Qu'ont fait ces deux
Parlements? Ils ont légiféré pour que les francophones
n'aient pas de droits. On nous reproche à nous de vouloir nous en donner
quand on est une majorité, quand on connaît le comportement des
autres dans les autres provinces. C'est inacceptable! Quand le même
ministre de l'Environnement nous disait avant de démissionner, qu'il ne
trouvait pas acceptable, qu'il se considérait comme sur un petit bicycle
dans son petit garage. Est-ce qu'ils en ont, les francophones des autres
provinces, des petits bicycles? Ils n'ont pas de petits bicycles ni de petits
garages parce qu'ils n'ont pas le droit de vivre en français. Ici, au
Québec, c'est quoi, son petit bicycle dans son petit garage?
Il y a un "boutte" de rire du monde. Si son bicycle est petit, c'est
pour qu'il puisse le mettre
dans sa valise de Cadillac. Les anglophones au Québec sont la
minorité la mieux traitée au monde, avec des universités,
des cégeps, des centres d'accueil, le droit de vivre, de se faire servir
et de travailler en anglais. Ce sont eux qui sont en petit bicycle? Il faut le
faire! Il faut le dire, parce que cela n'a pas de bon sens. Ils ne sont pas en
petit bicycle, ils sont en Cadillac. Quand est-ce que vous avez vu des salles
d'urgence d'hôpitaux anglophones à Montréal
perturbées ou une attente pour le service? Non, mais non, à un
tel point que nous, les francophones, si on veut se faire soigner rapidement,
on va à l'urgence des hôpitaux anglophones. J'ai eu connaissance
d'un cas ce matin, encore, d'une francophone qui devait se faire opérer
à l'hôpital du Sacré-Coeur, de Cartierville: neuf mois
d'attente. Ce sont nos hôpitaux à nous. Et on veut s'apitoyer sur
le sort de la minorité la mieux traitée? Je ne l'accepte pas.
Par contre, ce que j'accepte, c'est que, oui, on traite bien notre
minorité. J'accepte cela et je veux que cela continue mais que cela
n'aille pas jusqu'à vouloir nous voler notre bicycle à nous
autres, par exemple. S'ils ont le droit d'avoir tous ces services, ils ont
l'obligation et la responsabilité de nous traiter et d'accepter qu'on
soit une majorité et qu'on ait le droit de vivre comme tel.
Ce n'est pas cela qu'ils veulent. Mme Kate Ryan, de l'Association des
anglophones de l'Estrie, l'a dit clairement. On s'est parlé, je l'ai
vue, j'ai un article ici: "La possibilité de choisir la langue". Aie,
c'est quelque chose, hein? Ce qu'ils veulent, c'est tout le gâteau si on
les laisse aller. Premièrement, l'affichage bilingue. Quand ils auront
cela... Qu'est-ce qu'elle demande aussi, l'Association des anglophones de
l'Estrie? De pouvoir augmenter leur nombre en Estrie. Si on accepte cela, c'est
le nombre partout... En changeant la clause Canada parce qu'elle a pris la
place de la clause Québec pour l'éducation par la clause
universelle. Ensuite, que vont-ils demander? Bah, tout simplement d'être
traités comme une majorité. Donc, l'affichage et la clause
internationale pour la langue d'enseignement pour les nouveaux venus. Ils
veulent grossir, ils veulent travailler et vivre en anglais. Ils veulent vivre
comme la majorité, c'est cela qui n'est pas acceptable. Et, pour
justifier des démissions de l'autre côté, quand on tient un
discours, on essaie de mettre deux principes fondamentaux en contradiction: le
droit collectif par rapport au droit individuel. Mais quand on gratte et qu'on
les écoute comme il faut, c'est un faux débat. Ce n'est pas le
droit individuel contre le droit collectif parce que aucun d'eux ne nous a
donné un seul cas où le droit individuel fera en sorte que
l'anglophone n'a pas son éducation, ses services de santé, ne
peut pas travailler dans sa langue et qu'il est pénalisé. Sauf
quand on parle des francophones hors Québec. Mais, l'anglophone au
Québec, ce n'est pas sur ses droits individuels qu'il est
touché.
Ce qu'on défend, quand on les écoute comme il faut, c'est
le droit collectif de la minorité anglophone de prendre plus de place.
C'est un droit collectif d'une minorité par rapport à un droit
collectif d'une majorité. Et, comme gouvernement, on n'a pas d'autre
choix que de penser au droit collectif de la majorité
spécialement. Quand le premier ministre a reconnu lui-même qu'on
était menacés, quand la Cour suprême a reconnu, elle aussi,
qu'on était une majorité menacée au Québec, quand
on sait cela et quand on sait en plus que la dénatalité nous
apporte des risques énormes pour le futur, qu'est-ce qu'on fait? Au
moins, on continue à se protéger, et c'est normal. On le fait
presque partout ailleurs au monde.
Dernièrement, Mexico a décidé que c'était
l'unilinguisme espagnol chez eux. C'est normal et c'est correct. On a le droit
de le faire quand on sait ce qu'est l'affichage dans les autres provinces. Il
va falloir qu'on arrête de nous leurrer avec le bilinguisme canadien. Le
bilinguisme canadien, c'est l'anglais partout, sauf au Québec où
on nous impose à la majorité le bilinguisme. C'est cela, et il
faut le dire. Cela n'a pas de bon sens de se laisser leurrer comme ça.
Parce que ce n'est pas vrai que les droits individuels au Québec sont
menacés. C'est la minorité la mieux traitée au monde.
Mais là, à quelques jours de Noël, le premier
ministre nous amène un beau cadeau, le projet de loi 178. M. le premier
ministre, je vous le dis, votre beau cadeau, cela ne nous intéresse pas.
Et ce n'est pas parce qu'on est à la veille des fêtes que vous
allez nous passer un sapin parce qu'on n'est pas des dindes. Et cela ne
marchera pas comme cela. On n'en veut pas de votre cadeau parce qu'il est
empoisonné. Ce cadeau, qu'est-ce que ça veut dire? C'est un recul
pour le français au Québec, encore une fois. Tantôt,
j'écoutais le premier ministre, dans son intervention, se vanter des
reculs qu'on a subis depuis deux ans. Et là, c'est un de plus, et il est
tout content de cela. Mais pendant que le français recule, c'est bien
sûr que l'anglais avance. Et c'est comme cela que ça va aller.
On a dit dans la presse... Il y a des gens qui ont consulté les
autres minorités ethniques. Ils leur demandaient: Qu'est-ce que vous
désirez? Ce qu'elles demandent? Elles sont neutres. Regardez-les, c'est
vrai, elles affirment leur neutralité. Que le gouvernement leur dise
s'il veut un Québec français ou un Québec bilingue, et
elles vont suivre. Le gouvernement a la plus belle chance, et il aurait l'appui
de l'Opposition et de la population, s'il décidait d'utiliser la clause
"nonobstant" pour réellement faire en sorte que le Québec soit
français.
Tantôt, je l'écoutais dire: II n'y a pas de solution au
problème linguistique au Québec. Oui, il y a une solution. Elle
est en application depuis onze ans. C'est la paix sociale au Québec avec
la loi 101. La solution, c'est l'application et le respect de la loi 101 en
utilisant la clause
dérogatoire, la clause "nonobstant". Ce n'est pas plus
compliqué que cela, en maintenant pour notre minorité principale,
la minorité anglophone, tous les services dans sa langue. C'est cela, la
solution, là où il y a une majorité, de repecter d'abord
la majorité, spécialement quand elle est menacée. Oui, il
y en a une solution. Il s'agit d'avoir la volonté, mais on ne l'a pas de
l'autre côté parce qu'on ne sert pas les intérêts de
la majorité. (17 h 10)
La loi 178, c'est bien simple, c'est une voie pernicieuse et hypocrite
d'anglicisation. C'est encore une fois l'anglicisation à petits pas.
Encore une fois, on fait une démarche pour faire en sorte que l'anglais
avance. C'était français partout, maintenant, c'est le
français dehors seulement et c'est inacceptable. Ce que cela veut dire,
si on voulait, dans une phrase, essayer de donner l'image de ce qu'est le
projet de loi 178 en une phrase: Cela fait en sorte qu'à partir de
maintenant le français devient une langue de façade. On donne
l'impression, l'image que le Québec est français. C'est la langue
de façade. C'est la langue qu'on met sur les bâtisses dehors. Mais
dès qu'on rentre, qu'est-ce qui arrive maintenant? Eh bien, c'est
bilingue. Qu'est-ce que cela va vouloir dire? Quel est le signal qu'on vient de
lancer à la population? Le français, langue de façade;
l'anglais, langue de commerce! Quand vous rentrez, vous pouvez utiliser
l'anglais.
L'anglais dans l'affichage à l'intérieur des commerces,
cela voudra dire - les centrales syndicales l'ont dit et elles sont
inquiètes - une menace pour le français, langue de travail. Quand
on implante le bilinguisme à l'intérieur des commerces pour
l'affichage, on vient de donner le signal du bilinguisme tout court. Et si on
dit: Vous pouvez venir magasiner en français et en anglais, c'est
à un autre article de la loi 101 auquel on touche indirectement: le
français, langue de travail. Comment va-t-on pouvoir retenir cela
à l'avenir, sachant très bien comment on se comporte dans ce
dossier-là? C'est impensable de faire des choses comme ça.
J'entendais le premier ministre dire, je pense que c'est aux nouvelles
à la télévision: Est-ce que cela a du bon sens
d'empêcher nos petits commerçants de pouvoir s'exprimer en anglais
dans leur petit commerce? Eh bien, soyons honnêtes. C'est nous du Parti
québécois qui avions modifié la loi 101 pour faire en
sorte que les commerces ayant quatre employés et moins puissent utiliser
l'anglais pour l'affichage. C'était déjà là. Alors,
qu'on ne vienne pas faire croire aux gens que nous avions refusé de
reconnaître pour les petits commerces l'utilisation de leur langue,
c'était déjà dans la loi 101. Qu'on arrête de
charrier sur le dos des gens, c'était déjà là. Et
là, maintenant, on utilise le même discours en disant que c'est
injuste, que c'est contre la liberté d'expression. Ces pauvres petits
qu'on maltraite! C'est ça qu'on vient dire.
On vient faire en sorte de lancer le signal à tout le monde, y
compris aux immigrants: le français est la langue de façade et
l'anglais est la langue de communication, parce que c'est en dedans que
ça se passe quand on va magasiner. C'est en dedans que ça se
passe. Cela m'inquiète, spécialement quand on regarde un article
de la loi 178. Les entreprises de 50 employés et plus qui doivent avoir
leur certificat de francisation, quand vous l'aurez obtenu, comme cadeau, vous
pourrez utiliser l'anglais. Allez chercher votre certificat de francisation et
vous pourrez afficher et en français et en anglais. Ce sera le
bilinguisme. Votre cadeau, votre récompense pour votre certificat de
francisation, c'est l'anglais. Belle mentalité toute croche à
l'image du premier ministre actuel.
Je reviens là-dessus. Quand on dit que le projet de loi 178
apporte le visage français du Québec, eh bien, là aussi
c'est à l'image du premier ministre, visage à deux faces,
français à l'extérieur, anglais à
l'intérieur. Arrivez dehors et regardez ça: c'est
français. Mais, quand vous allez entrer par contre, ce sera anglais. Ce
n'est plus la même chose. Comment est-ce qu'on peut faire des choses
comme ça? Le premier ministre a tellement l'habitude de déformer
des choses qu'il fait accroire aux gens que c'est la formule Dion. Bien non, ce
n'est pas la formule Dion. Le politicologue, Léon Dion, fait tout ce
qu'il peut pour expliquer que ce n'est pas ça sa formule. Ce n'est pas
la formule Dion qu'il est en train de vouloir appliquer, c'est la formule
Bourassa. C'est la formule Bourassa. Ce n'est pas la formule Dion. M. Dion va
même jusqu'à dire qu'un tel bilinguisme, à son avis, serait
hypocrite. C'est le politicologue Léon Dion qui dit que la formule qu'on
utilise est l'anglicisation hypocrite. Pourtant, le premier ministre passe son
temps à dire que c'est la formule Dion. Ce n'est pas la formule Dion,
c'est la formule Bourassa et c'est l'équivalent d'un sida linguistique
pour le Québec, parce que c'est par en dedans que ça va se
passer. On va faire en sorte que ça va devenir anglais dans les
commerces, anglais dans l'affichage, et, après ça, cela sortira
bien dehors, vous allez voir.
D'autres commentateurs l'ont dit. C'est la porte ouverte progressivement
au bilinguisme et à l'anglicisation. On commence par en dedans et c'est
exactement ce qui est en train de se faire. Quand on dit: Bien oui, mais il y a
d'autres façons, on peut aider le français. Ouais, on peut aider
le français. Pourtant, le ministre de l'Éducation, M. Ryan,
disait: II n'y a plus d'argent à consacrer au français dans les
écoles. Nos élèves n'ont même pas un dictionnaire et
une grammaire chacun. On n'a pas les moyens d'acheter ce qui est essentiel, ce
qui est le minimum, au moins, pour une bonne connaissance du français
dans nos écoles françaises. Pourtant, on n'a pas d'argent pour
ça, mais on en a grassement, énormément, beaucoup, pour
Alliance Québec.
Qu'est-ce que fait Alliance Québec? En plus d'avoir amené
la cause qui fait qu'on est en train de négocier ici, cet
après-midi, c'est-à-dire battre la loi 101 et essayer de la faire
tomber par morceaux, c'est eux qui, partout, font tout ce qu'ils peuvent pour
qu'il y ait anglicisation. En même temps, à Ottawa, on vote la loi
C-72 qui va exactement dans le même sens: l'anglicisa-tion des commerces.
On va subventionner pour que les organismes, les milieux de travail utilisent
l'anglais au Québec. La loi va exactement dans ce sens-là. Ce qui
nous arrive nous aura, au moins, permis de voir ce que voulait dire la
société distincte dans l'accord du lac Meech. Cela ne veut rien
dire. C'est un gros zéro. Dans les autres provinces, tout le monde
acceptait la société distincte, parce qu'on savait que ça
ne voulait rien dire. La preuve, c'est que, dès que ça veut dire
quelque chose, dès que ça semble vouloir dire quelque chose,
dès que ça vient confirmer que le Québec a un visage
français et qu'il prend les moyens pour l'affirmer, le confirmer et le
conserver, de l'autre côté on dit: On n'embarque plus dans
l'accord du lac Meech et la société distincte, parce qu'on ne
fera pas ce qu'on veut au Québec; on ne lui imposera pas notre
volonté.
Donc, l'accord du lac Meech n'intéresse plus les autres provinces
qui ont déjà rejeté le français. Pourquoi? Parce
que, de la façon dont on vient de se comporter à
l'Assemblée nationale, même si c'est un recul pour le
français, ce n'est pas un recul encore assez important. Il y a encore
trop de français. Il n'y a pas assez d'anglais. Là, on nous dit:
On rejette l'accord du lac Meech. Et c'est tellement vrai et on se moque
tellement de nous que tous les partis politiques fédéraux, en
campagne électorale et maintenant, continuent de dire: Organisons-nous
pour faire signer l'accord du lac Meech et, ensuite, on leur fera la passe de
la clause "nonobstant". On va le leur enlever et, ensuite, on pourra faire ce
qu'on voudra. Tous les chefs de partis politiques ont dit ça en campagne
électorale: La clause "nonobstant", on est contre, mais il ne faudrait
pas le dire maintenant, il faut attendre que l'accord du lac Meech soit
signé. C'est comme ça qu'on nous traite. C'est inacceptable. Je
vous invite à y penser sérieusement, les députés
francophones, parce que c'est un recul. Encore une fois, le français
recule au Québec. On n'a pas le droit de faire en sorte que le
français soit juste une langue de façade. On n'a pas le droit de
lancer le signal aux immigrants qui sont prêts à venir du
côté de la majorité si on leur dit franchement,
ouvertement, carrément, qu'on est accueillants, qu'on est prêts
à les accueilir, à leur ouvrir nos écoles, nos
hôpitaux, l'Assemblée nationale. On est prêts à leur
ouvrir les bras, on est prêts à les accueillir parce qu'ils
deviendront membres de notre famille et non pas une menace à notre
survie. C'est aussi simple que ça. C'est aussi clair que ça.
J'aurais envie, Mme la Présidente, de finir en citant une phrase
- je ne la dirai pas au complet pour ne pas fâcher des gens - que l'on
retrouve dans un édifice tout près d'ici, derrière le
parlement, sur la rue Saint-Cyrille, au Grand Théâtre de
Québec. Cette phrase dit: "Vous n'êtes pas tannés de
mourir...", et je ne citerai pas les trois autres mots. Mais n'êtes-vous
pas tannés, alors que vous êtes les représentants de 84 %
de cette population qui a dit qu'elle voulait vivre en français, qui est
déterminée à vivre en français? La preuve, ils sont
en train de se faire geler dehors pour nous le dire. N'êtes-vous pas
gênés un peu de voter une loi qui nous fait reculer comme
collectivité, qui met notre survie en danger encore une fois?
Ce projet de loi 178 ne nous donne rien. C'est un gros zéro pour
les francophones. On n'avance pas. On n'a pas plus de moyens de franciser nos
entreprises ou même de franciser les immigrants. Il n'y a pas de mesures.
Toutes les mesures vont dans le sens de nous minorisef davantage, de nous
angliciser davantage. C'est un recul. Ce recul, vous ne pourrez jamais le
mettre sur le dos des autres provinces ou d'Ottawa, parce que le projet de loi
qu'on est en train de voter, c'est une loi uniquement, strictement
québécoise, décidée par 122 personnes ici, en cette
Assemblée. Si on recule, si on est menacés, dites-vous que ce
sera notre faute. Cela ne dépendra de personne autre que des 122
personnes qui vont voter demain, ici, sur ce projet de loi. (17 h 20)
Si vous votez pour ce projet de loi, vous aurez accepté que le
français recule au Québec et c'est inacceptable pour des
représentants d'un peuple, à 84 % francophone, menacé,
comme l'a reconnu la Cour suprême, et menacé, comme l'a reconnu le
premier ministre lui-même. Merci, Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: Merci, M. le député de
Shefford. Je vais maintenant reconnaître M. le ministre des
Communications.
M. Richard French
M. French: Merci, Mme la Présidente. Le cardinal de Retz a
déjà dit: "II n'y a rien dans le monde qui n'ait son moment
décisif, et le chef-d'oeuvre de la bonne conduite est de connaître
et de prendre ce moment." Je pense aujourd'hui me retrouver devant un tel
moment.
Il est de notoriété publique que M. René
Lévesque était quelque peu inconfortable avec certains aspects de
la loi 101. "C'est seulement, disait-il lors du débat d'août 1977,
à l'usage qu'on découvrira les défauts, s'il y en a, et
moi, je suis assez convaincu qu'on en découvrira*. Mais, vous le savez,
M. Lévesque était réconforté par la
présence, à côté de la Charte de la langue
française, de la Charte des droits et libertés de la personne du
Québec. Ceux et celles qui, comme les députés de Mercier,
de Laviolette et
de Gatineau, ont siégé ici avec René
Lévesque reconnaîtront le style puisque je vais le citer une fois
de plus, et c'est dans le style le plus pur, dans la tradition oratoire, de M.
Lévesque: "L'interaction de l'une sur l'autre de ces deux chartes, on
l'a laissée complètement libre, de façon qu'on puisse
voir, tous ensemble - et c'est l'un des avertisseurs qu'on aura - si on a
réussi à préserver, aussi bien du côté des
collectivités qui sont en présence ici, au Québec, que du
côté des individus qui en font partie, si on a réussi
à préserver, comme on le voulait et comme on a tenu à le
faire, les droits des uns et des autres."
Un mois plus tôt, dans le même débat, le Dr Camille
Laurin, au sujet de la loi 101, vantait la protection de l'autre charte, dans
les termes suivants et je cite: "La Charte des droits et libertés de la
personne continue de prévaloir sur toute autre loi. Cette même
charte garantit tous les droits fondamentaux". Fin de la citation. Maintenant,
les deux chartes ont interagi. On a eu des avertissements de la Cour
suprême du Canada interprétant la Charte des droits et
libertés de la personne du Québec tel que souhaité par M.
René Lévesque. Effectivement, comme le prétendait le Dr
Laurin il y a onze ans, la Charte des droits et libertés de la personne
du Québec garantit au moins - entre guillemets - "certains droits
fondamentaux par rapport à la Charte de la langue française."
D'après la Cour suprême, certains articles de la loi 101,
par ailleurs modifiée dans le projet de loi à l'étude,
portent atteinte à la liberté d'expression et au droit à
l'égalité de tous les citoyens. Les grands responsables de la
Charte de la langue française, M. René Lévesque et le Dr
Camille Laurin, se servaient de l'existence et de la primauté de la
Charte des droits et libertés de la personne pour promouvoir, pour
défendre la faisabilité et la légitimité de la
Charte de la langue française. Nous savons maintenant que cette
dernière va à rencontre de la charte des droits du Québec
qui était évoquée dès la naissance de la Charte de
la langue française. C'est essentiellement la prohibition de toute
langue autre que le français sur l'affichage commercial, quelques
exceptions mises à part, qui a été l'objet de la
décision de la Cour suprême.
D'après la cour, les documents soumis devant elle "montrent le
lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue
française et le fait d'assurer que la réalité de la
société québécoise se reflètent dans le
visage linguistique, mais ils ne démontrent pas que l'exigence exclusive
du français posée par les articles 58 et 69 est nécessaire
pour atteindre l'objectif législatif ni qu'elle est proportionnée
à cet objectif, alors qu'exiger que la langue française
prédomine, même nettement, dans l'affichage serait proportionnel
à l'objectif de promotion et de préservation d'un visage
linguistique français au Québec."
Bref, la Cour suprême dit qu'il n'est pas nécessaire
d'exclure, de prohiber, de bannir toute autre langue afin de promouvoir la
place propre du français dans la société
québécoise.
Je rappelle que ce jugement de la Cour suprême est basé sur
son interprétation de la Charte des droits et libertés de la
personne du Québec, qu'elle a repris largement, mais pas
complètement, de deux autres cours. Ce jugement est conforme au
programme du Parti libéral du Québec. Ce jugement est conforme
aux paroles des trois chefs sous lesquels j'ai eu l'honneur de servir dans le
Parti libéral du Québec. Ce jugement est conforme aux engagements
que j'ai tenus devant mes commettants à maintes reprises depuis ma
nomination comme candidat libéral en octobre 1980. Enfin, ce qui est de
loin le plus important, ce jugement reflète parfaitement mes convictions
et mes valeurs les plus profondes.
On sait que le gouvernement ne voit pas les choses ainsi. Le projet de
loi 178 maintient la prohibition de toute autre langue que le français
sur l'affichage commercial extérieur, assortie d'une clause
"nonobstant", faisant une dérogation explicite à la Charte des
droits et libertés du Québec.
En agissant ainsi, le gouvernement reflète l'opinion d'un bon
nombre de Québécois de bonne volonté. Ces
Québécois craignent que la présence d'une autre langue,
même réduite, sur une affiche nuirait à l'essor et à
l'épanouissement du français. Le gouvernement conclut qu'il faut
donc exclure toute autre langue sur l'affichage commercial
extérieur.
Cependant, pour moi, la prohibition d'un message, du seul fait de la
langue dans laquelle ce message est exprimé, constitue un geste lourd de
signification. Pour moi, les droits culturels des uns ne peuvent pas consister
dans la négation des droits culturels des autres. Parce que c'est bien
de cela dont il s'agit. On ne revendique pas plus de liberté d'action,
plus d'espace pour le français, on revendique l'absence de toute autre
langue. On revendique de la part des marchands, quelle que soit leur langue
maternelle, qui voudraient mettre une autre langue sur une affiche, leur
liberté négative, l'absence de liberté. (17 h 30)
Maintenant, je ne crois pas vraiment que la problématique de
l'affichage constitue la problématique fondamentale pour l'avenir du
français au Québec. Les problématiques de fond, les vraies
problématiques du français se trouvent ailleurs. Elles se
trouvent dans le domaine de la démographie et de la
fécondité, où, par ailleurs, la préoccupation sur
l'affichage et la signification de cet affichage pour la population immigrante
est une considération importante, mais qui, à mon avis, ne
justifie pas encore une fois, l'exclusion d'une deuxième langue. Elle se
trouve dans le domaine de la technologie. La langue de la technologie est
anglaise, particulièrement dans le domaine de la technologie de
l'information. La vraie problématique pour l'avenir du français
au
Québec se trouve dans le domaine de la culture populaire,
particulièrement le cinéma, la télévision,
l'industrie du disque, l'industrie du spectacle. Ce sont tous des domaines sur
les vrais enjeux desquels j'ai personnellement essayé, à maintes
reprises, d'attirer l'attention des Québécois, avant comme
après ma nomination comme ministre.
Il nous reste cette question hautement symbolique de l'affichage. Je
choisis de refléter l'opinion d'un certain nombre de
Québécois qui auraient préféré une mesure
qui aurait reflété, dans tes mots de M. Benoit Lauzière du
Devoir: "La passion de vivre en français tempérée
par le respect des droits fondamentaux", c'est-à-dire, pour citer une
fois de plus M. Lauzière, "le français partout, oui, mais pas au
prix d'une censure de la liberté d'expression qui empêcherait
l'autre d'avoir un visage." Je ne veux pas, par ce geste, empirer une situation
tendue. Il est su en démocratie, M. le Président, que les
courants d'opinion de la société trouvent leur écho dans
le forum parlementaire, même si ceci implique de temps à autre
certains sacrifices. Un ministre ou deux morts sur le champ de bataille
politique, ça fait une soupape très utile parfois.
Je dois dire que j'ai été très touché,
cependant, par l'encouragement que j'ai reçu de mes collègues,
des militants du Parti libéral, des ministres, des
députés, mes amis adversaires politiques, des citoyens. Parfois,
on me faisait valoir qu'il fallait que je reste pour préserver la
représentation des minorités au Conseil des ministres.
Évidemment, c'est une considération importante. On sait
maintenant, et j'en suis très heureux, que le ministre de
l'Énergie et des Ressources va rester à son poste. C'est une
décision que je respecte au plus haut point. Pour moi, dans mon cas
à moi, voter pour ce projet de loi afin de préserver ma voix au
Conseil des ministres aurait constitué un geste de désaveu de
moi-même. Je n'aurais pas fait un bon représentant, m'ayant
désavoué moi-même.
I would like to say a few words to my English speaking fellow citizens.
I think you know that my colleagues and I are attempting to express your point
of view here, in the National Assembly, with clarity, with vigour and with
dignity. But I would like to say two things in particular to you this evening.
The first thing is that while you are clearly paying a price in terms of
individual rights to live in Québec, I do not think we can honestly say
that that price is impossible. Perhaps it is also the moment to think about all
of the exceptional things that Québec and only Québec offers all
of us. Nowhere else in North America can we live in this extraordinarily
distinctive, dynamic, exciting kind of society without for one minute
sacrificing all of the cultural and material benefits of the North American
main stream which takes place in English.
In fact, we should remember that many members of our society who are
French mother tongue feel quite threatened by that enormous North American main
stream. And their sense of vulnerability produces measures like the measure
that we are debating here today. If the Premier of Québec was unable to
respect the letter of the engagements of the party, it is because he - believe
me when I tell you this - in his heart and soul, does not believe that the
presence of a second language on external commercial signage would be tolerable
or would prevent an erosion, would not lead to an erosion of the strength of
the french language. I have already said that I do not agree with that point of
view, but I am asking you to believe that many people of good will do believe
it.
That distinct society, my society - I am very proud of it, with all its
frustrations and its imperfections and its many joys... I would like you to see
it in all of its aspects. I would like you to recognize it as a society of
which you can be very proud. I am. Secondly, I would like to say to you that
while the experience of being a minority in a democratic system is not always
an easy one, we should perhaps remember that our francophone fellow citizens
suffered precisely the same frustrations for decades in the House of Commons of
Canada, for decades, at least until the 1960's. And I think that the only way
that we can solve our problems, the only way, is the democratic process. So,
rejection, cynicism, apathy, these are the easy ways out that solve
nothing.
The Charter of the french language, Bill 101, is a faillible human
creation attempting to cope with a highly controversial subject. But it does
one very important thing for all Que-beckers, it channels enormous potential
social conflict into the democratic arena. And we owe it to ourselves, all of
us, to keep it there, firmly within the democratic arena. I know that it is
very hard for many anglophones who have been raised in the anglo-saxon
political culture, to imagine, to even conceive that it is possible to abrogate
fundamental rights that are in a charter.
I want you to remember that the francophone community of Québec,
because of its special history, because of its special challenges that have
been imposed to its survival, has often had to rely in collective means, in
collective intervention. And for many of our french speaking fellow citizens,
it is more normal, it is more reflexively appropriate that certain kinds of
general protections, which we, in the anglo-saxon political tradition, see as
violating our individual rights, be put into place because of the wager against
the historical odds that francophone Quebeckers have had to make and make
repeatedly with each successive generation.
So, I hope that you will find it in yourself, without compromising in
anyway your basic principles and your feelings, to understand that this is a
question on which there is two sides and that a democratic process invites us
to
continue to défend our side of the question, but to respect the
other person's point of view on the other side.
M. le Président, le titre dont je suis le plus fier est celui de
député de Westmount à l'Assemblée nationale du
Québec. Pour moi, ce titre est important. Je le conserve et j'en suis
heureux. On ne m'a jamais fait sentir que je n'étais pas à ma
place ici. En voyageant autour du monde, j'ai vu d'autres Parlements en action,
je n'étais que plus content d'être député en cette
Chambre. J'ai des amis ici des deux côtés de la Chambre. Je vais,
dans les mois à venir, sans doute m'en faire d'autres, parce que j'aurai
plus l'occasion de le faire.
Aujourd'hui, l'Assemblée nationale joue son rôle. Elle
permet que l'ensemble des points de vue de la société soient
exprimés. Elle le fait dans un minimum de respect et de tolérance
mutuelle. Elle nous permet de démarquer nos principes, les uns par
rapport aux autres. M. le Président, il n'y a pas beaucoup de
sociétés qui pourraient en dire autant. (17 h 40) " Le
Vice-Président: Je cède maintenant la parole à M.
le député de Lévis.
M. Jean Garon
M. Garon: M. le Président, ce qui ne cesse de
m'étonner au cours de cette journée, ce sont tous les
libéraux qui ont combattu René Lévesque aussi
férocement et qui veulent, aujourd'hui, devenir ses
exégètes, un peu comme si l'Église catholique voulait
faire faire son apologétique, que les plus vieux ont
étudiée au cours classique, par les communistes. Expliquer la
pensée d'un auteur par ses adversaires! J'ai l'impression que les plus
mal placés pour expliquer la pensée de René
Lévesque sont ceux qui sont situés en face de nous, parce qu'ils
l'ont combattu constamment, férocement et, aujourd'hui, ils viennent
essayer de dire aux citoyens du Québec: On va vous expliquer sa
pensée.
Je dois vous dire que je ne connais pas beaucoup de gens en face de moi
qui peuvent expliquer la pensée de René Lévesque. Je peux
vous dire que j'ai été très près de M.
Lévesque, à faire campagne très près de lui en
1981. J'ai été l'un de ceux qui étaient le plus
près de lui en 1981 et je peux vous dire que, durant toute la campagne
électorale, une des réalisations dont il était le plus
fier, c'était la loi 101, en 1981, avant même les amendements de
1983 et 1984. Alors, ceux qui vont nous dire que M. Lévesque
n'était pas fier de la loi 101 sont dans les patates.
J'aurais plutôt aimé que le député de
Westmount nous rappelle la campagne qu'il a faite en 1981 pour le "free choice
in éducation", le libre choix en éducation. Il pourrait
peut-être se rappeler les paroles de René Lévesque qui
parlait des "Rhodésiens de Westmount". M. Lévesque, tout le monde
s'en souvient, a parlé des "Rhodésiens de Westmount", de la
minorité qui voulait imposer sa loi à la majorité au
Québec. C'est cela que M. Lévesque a dit et c'est cela qu'il
trouvait anormal. C'est pour cela que, quand il parlait de liberté
d'expression, il pensait que, comme dans tous les pays du monde, il y a une
langue normale, pas une société distincte qui va adopter un
régime anormal; mais un régime normal. Comme l'italien est la
langue officielle en Italie - sauf au Vatican où le latin a encore droit
de cité sur le plan historique - l'allemand en Allemagne, l'anglais en
Angleterre, le français en France, M. Lévesque considérait
que le français devait être aussi normal au Québec qu'il
l'était pour d'autres peuples sur leur territoire. C'est cela, la
réalité. Il faut arrêter de nous conter des histoires et
essayer de nous faire croire que M. Lévesque n'était pas d'accord
avec la loi 101.
Qu'est-ce que c'est que cela? Je ne trouve pas cela très
courageux de la part de son principal adversaire qu'est le premier ministre du
Québec d'évoquer les paroles de M. Lévesque qui ne peut
pas venir lui répondre et lui dire que ce qu'il dit est faux. Je ne
trouve pas cela très courageux et c'est à l'image du courage
habituel du premier ministre. C'est lui qui a fait une stratégie avec le
lac Meech, c'est lui qui s'est écrasé devant toutes les provinces
du Canada pour faire passer au lac Meech une société distincte,
alors que ce que les Québécois veulent est une
société normale et non pas une société distincte
où ils ne pourront pas avoir comme langue officielle partout leur
langue, le français. Ils veulent une société normale
où ils pourront avoir leur langue partout, comme dans les autres
territoires du monde où il y a un peuple, parce que essentiellement la
seule raison d'être d'un peuple, c'est son âme qui est la langue.
Il n'y a pas de peuple s'il n'y a pas de langue.
Aujourd'hui, après avoir sacrifié tout ce qu'on pouvait
sacrifier, tout ce que le premier ministre pouvait sacrifier pour le lac Meech,
même les frégates du président du Conseil du trésor,
on va venir nous faire croire que M. Lévesque aurait appuyé les
libéraux, que M. Lévesque, qui a établi le français
au Québec avec la loi 101, aurait voulu établir le bilinguisme
avec un système intérieur-extérieur, comme un visage
à deux faces, alors qu'il était exactement le contraire d'un
visage à deux faces? Non, M. le Président. Par exemple,
aujourd'hui, des gens vont venir nous dire qu'il était avec le premier
ministre dans le lac Meech. Dans les provinces de l'Ouest, qu'il s'agisse de la
Saskatchewan, de l'Alberta - et aussi le Manitoba même s'il ne l'a pas
signé - ils vont venir nous dire comment cela devrait fonctionner
après avoir pris tous les moyens possibles pour assimiler les
minorités francophones. Ils nous disent aujourd'hui qu'ils vont essayer
de nous montrer l'heure juste dans un lac Meech qui est un mirage où on
est en train d'essayer de nous faire croire que la société
distincte, qui repose essentiellement sur
le fait qu'on est français, ne pourra pas reconnaître ce
caractère comme on le reconnaît à tous les autres peuples
du monde.
M. le Président, essentiellement, le vieux rêve de
l'anglicisation...
Une voix: Totale!
M. Garon: ...totale du Québec n'est pas parti. Le vieux
rêve de l'anglicisation est toujours là. Et faire abstraction
aujourd'hui, pour les anglophones, de l'influence américaine... Hier,
une jeune fille d'une quinzaine d'années me disait qu'à son
école les gens étaient pour la protection et le
rétablissement de la loi 101 telle qu'elle est. Je lui ai dit: Pourquoi?
Quel est le raisonnement que font les jeunes qui ont 15 ou 16 ans, à
votre école? Elle m'a dit: Ils sont très conscients que la langue
française est en danger parce qu'il y a une influence
considérable de la langue anglaise à cause de la présence
américaine. Et parce que cette présence américaine est
là, il faut établir un régime de langue française
comme régime normal dans le Québec.
Je trouvais extraordinaire que des adolescents de 15 ou 16 ans puissent
comprendre cela. Parce que, essentiellement, quand la minorité anglaise
vient nous parler, il faudrait avoir un régime anglais-français,
bilingue. C'est un régime d'anglicisation parce qu'on ne peut pas faire
abstraction du fait que les États-Unis sont à côté
de nos portes. On n'est pas sur un territoire particulier ou en Europe
où il y a peut-être six, sept, huit ou dix langues qui se
côtoient. Aujourd'hui, on est sur un territoire où il y a
essentiellement deux langues en Amérique du Nord ou trois langues avec
le Sud: l'anglais, l'espagnol et le français. Et quand on regarde ce qui
s'est passé...
Une voix:...
M. Godin: M. le Président, voulez-vous rappeler votre
collègue de Saguenay à l'ordre, s'il vous plaît, parce que,
vraiment... Le silence règne ici chaque fois qu'il n'est pas
là.
Le Vice-Président: Un instant! Un instant! À
l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le
député de Lévis, continuez.
M. Garon: Essentiellement, on ne veut pas tenir compte qu'il y a,
au sud, à l'ouest et à l'est, un environnement anglophone. On ne
veut pas tenir compte de cela. Cet après-midi, j'écoutais le
premier ministre, dans un langage que j'ai trouvé épouvantable,
reprocher le bas taux de natalité qu'il y a au Québec, alors que
les Américains qui ont un bas taux de natalité actuellement
songent à se protéger contre l'invasion éventuelle du
Mexique par les Espagnols, alors qu'il y a 14 ou 17 États
américains - j'ai perdu le compte parce qu'il y en a de plus en plus qui
adoptent des lois pour protéger l'anglais - qui adoptent des lois pour
protéger l'anglais dans le pays le plus fort au monde, avec une
population de 250 000 000... Au sud, il y a une population de 80 000 000 avec
70 % de la population qui ont en bas de 15 ans et qui seront 130 000 000 en
l'an 2000, possiblement 250 000 000 à 300 000 000 en l'an 2020 OU 2025.
Les Américains veulent se protéger, protéger l'anglais
contre l'invasion éventuelle due à l'immigration légale ou
illégale des Mexicains vers les États-Unis. Pensez-vous que les
Américains ont dit aux Américains: C'est notre faute, on n'a pas
un taux de natalité suffisant? Il faudrait régler ça
d'abord plutôt que de protéger l'anglais par rapport à
l'espagnol.
Le premier ministre, lui, a eu l'insigne courage de dire aux gens qui
ont eu le plus haut taux de natalité au monde pendant des
générations: C'est peut-être notre faute si on a un taux de
natalité qui est plus bas. Il faudrait peut-être s'attaquer
à ça. Alors qu'on sait que l'anglicisation au Québec n'est
pas due à un taux de natalité des anglais qui est très
fort, mais due à une immigration qui, s'il n'y a pas de loi pour
protéger le français, va se joindre à la minorité
anglaise à cause de l'effet d'osmose qu'il y a en Amérique du
Nord. Cela ne prend pas une 500 watts pour comprendre ça. Et,
possiblement que ceux qui ont démissionné dans le Parti
libéral, qui exigeaient, comme des Rhodésiens, que la
minorité dirige, que la minorité ait les mêmes droits que
la majorité... (17 h 50)
Le Vice-Président: Un instant! M. le député!
À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député. À
l'ordre, s'il vous plaît! M. le député. Un instant. M. le
député, s'il vous plaît. Il y a une seule façon...
M. le député. MM. les députés, s'il vous
plaît! Il y a une seule façon... Un instant! Il y a une seule
façon, si vous voulez être en désaccord avec les propos qui
sont exprimés à l'Assemblée, c'est, à votre tour,
de demander la parole et d'exprimer votre point de vue. C'est la seule
façon de procéder. M. le député, s'il vous
plaît! M. le député de Saguenay, je vous rappelle à
l'ordre une dernière fois. Continuez, M. le député de
Lévis.
M. Garon: M. le Président...
M. Gratton: Question de règlement.
Le Vice-Président: Un instant. M. le leader du
gouvernement.
M. Gratton: M. le Président, vous avez tout à fait
raison de dire que la seule façon d'exprimer son désaccord avec
un opinant, c'est de prendre la parole. Mais je voudrais rappeler au
député de Lévis que les règles qui régissent
nos travaux nous indiquent comment éviter de provoquer les
réactions. Notamment, il est défendu et interdit à un
député qui a la parole d'utiliser des propos injurieux, de
proférer des
insultes. Je ne veux pas juger les paroles utilisées par le
député de Lévis, mais sûrement que les
réactions qu'elles ont suscitées avaient autant trait au contenu
de ce qu'il disait qu'à l'attitude des membres de l'Assemblée qui
ont pu réagir. Tout simplement, M. le Président, il me semble
qu'on pourrait faire valoir notre point de vue sans qu'il soit
nécessaire de recourir à l'utilisation de propos comme ceux que
je viens d'entendre.
M. Jolivet: M. le Président, sur la question de
règlement.
Le Vice-Président: Sur la question de règlement, M.
le leader adjoint de l'Opposition.
M. Jolivet: M. le Président, ici, à
l'Assemblée, il n'y a personne qui a empêché quiconque de
l'autre côté de parler, de dire ce qu'il avait droit de dire. On a
été tranquille. On a laissé parler les gens. Je demande
que mon collègue ait le même privilège. Il a le droit de
dire ce qu'il a à dire et de le dire comme il veut le dire.
M. Gratton: M. le Président.
Le Vice-Président: Sur la question de règlement, M.
le leader du gouvernement.
M. Gratton: Je conteste ce que dit le député de
Laviolette. Qu'il ait le droit de dire ce qu'il veut, oui, mais de la
façon qu'il le veut, non. L'article 35.7° dit bien que le
député qui a la parole ne peut se servir d'un langage violent,
injurieux ou blessant à l'adresse de qui que ce soit. C'est ça la
lettre du règlement et il me semble que nos débats auraient
beaucoup plus de valeur si on respectait le règlement.
Le Vice-Président: Les points sont faits. Je vais
céder la parole à M. le député de Lévis en
demandant aux députés, évidemment, en tout temps, de se
conformer au règlement, autant ceux qui sont assis que ceux qui prennent
la parole. M. le député de Lévis.
M. Garon: M. le Président, je ne suis pas
étonné. Chaque fois que je prends la parole, le gouvernement
essaie de faire des interventions pour miner mon temps de parole. Mais qu'il ne
se trompe pas, dans le débat qui va avoir lieu, je vais occuper toutes
les tribunes que je vais pouvoir occuper pour justement expliquer comment
ça se passe. S'il a eu cette pensée de mettre la minorité
anglophone sur le même pied que 85 % de la population du Québec
qui est francophone, c'est parce qu'il y a des députés
francophones qui n'ont pas fait leur travail, qui n'ont rien défendu et
qui vont nous faire croire qu'ils vont défendre la langue de travail,
qu'ils vont défendre la langue dans les maisons d'enseignement, alors
qu'ils ne sont même pas capables de défendre la langue
d'affichage, la moins difficile à défendre. Ils veulent nous
faire croire qu'on va franciser le Québec alors que, même dans mon
comté, le chantier maritime Davie est obligé de faire une plainte
à l'Office de la langue française. Alors que le gouvernement du
Québec est devenu son seul actionnaire, pardon, que Marine est devenue
son seul actionnaire, 65 % de Marine étant contrôlés par le
gouvernement du Québec, maintenant, on se plaint qu'on est en train de
faire l'anglicisation des chantiers maritimes à Lauzon en exigeant de
plus en plus d'anglais, en exigeant de plus en plus de personnel bilingue.
Il y a une plainte devant l'Office de la langue française et le
ministre responsable de la langue vient nous dire: On va attendre les analyses,
alors qu'il a tout simplement passé un mot d'ordre, comme actionnaire
principal des chantiers Davie, à Lauzon, où les gens ont le droit
de travailler... Dans la région de Québec, pas à
Westmount! On parle de la région de Québec où c'est
à peu près à 100 % francophone. On est en train de faire
l'anglicisation d'une entreprise où, essentiellement, on est dans un
milieu 100 % francophone. Alors, arrêtez de me faire brailler; vous ne me
ferez pas pleurer. Je connais le Parti libéral. Je le connais.
Je connais le Parti libéral, oui. Il va essayer de nous faire
croire, avec le premier ministre qui est venu reprocher au peuple
québécois son taux de natalité, alors qu'il n'y a pas un
peuple qui a eu un taux de natalité comme celui-là: avec 12 000
francophones on est devenu 12 000 000. Alors qu'il y a 12 000 francophones qui
ont immigré ici entre 1608 et 1760, on est devenus 12 000 000, dont
autant sont aux États-Unis qu'au Québec ou au Canada. C'est le
peuple qui s'est le plus reproduit au cours de ces périodes et on va
venir dire parce que le taux de natalité n'est pas aussi fort
actuellement, que c'est à cause du taux de natalité...
Évidemment, le premier ministre est prêt à faire
flèche de tout bois parce qu'il ne respecte pas son peuple. Cela
paraît dans la loi qu'il est en train de faire, dans un débat
escamoté. Je trouve ça extraordinaire. Des gens viennent nous
invoquer la liberté de parole. Imaginez! Alors qu'on n'a jamais eu
autant de bâillons dans une session, on est en train de bâillonner
même le débat qu'ils disent sur la liberté d'expression.
Alors qu'il n'y a même pas de règlement de déposé,
alors que le président de la Fédération des travailleurs
du Québec, la plus grande centrale syndicale au Québec, demande
de surseoir au débat justement pour que les gens puissent s'exprimer,
alors qu'on est obligés dans la loi 100 sur la protection du territoire
agricole de demander quoi? Que les intervenants puissent être
consultés, qu'ils représentent les municipalités, les MRC
au Québec, les différents groupes qui demandent à
être entendus, le gouvernement dit: Non. Et toutes les batailles que nous
avons
dû mener durant cette session pour que les gens soient entendus,
et on va venir nous dire que c'est ce gouvernement-là qui défend
la liberté d'expression? Mon oeil! Jamais un gouvernement n'a si peu
défendu la liberté d'expression. Je vais vous dire qu'il va y
avoir un débat parce que la question du français, il faut qu'elle
se règle et elle ne se réglera pas avec des solutions ni chair,
ni poisson, avec un premier ministre qui a un cerveau comme un oeuf à
deux jaunes, ne sachant jamais lequel il va fertiliser.
M. le Président, dans les solutions, il y a des solutions
normales. Trouvez-moi un pays au monde... Vous aimez ça l'Ontario. Des
exemples, trouvez-en. Trouvez-moi un seul pays au monde où c'est
"inside-outside"; extérieur-intérieur. Après ça, on
se demandera comment il se fait qu'on traite le premier ministre d'avoir une
attitude schizophrénique. Parce que ça ne se retrouve nulle part
au monde, un système comme ça. J'ai demandé à tous
ceux qui sont des allophones dans leur pays comment ça se passe:
Demandez aux Grecs si ça se passe autrement qu'en grec en Grèce.
Demandez aux Italiens si ça se passe autrement qu'en italien en Italie.
Demandez aux Anglais si ça se passe autrement qu'en anglais en
Angleterre parce qu'on trouve ça normal, parce que c'est ça une
situation normale. Aujourd'hui, quand ceux qui reprochent... Vous voyez de plus
en plus d'allophones qui disent: On s'est habitués à vivre dans
une société francophone. Évidemment, parce que ça a
été exigé pour la première fois avec la loi 101. On
s'est habitués à vivre dans une société
francophone. On commence à être habitués à vivre
dans une société francophone, et on l'accepte. Vous avez
remarqué dans ce débat, ce ne sont pas les allophones qui ont
fait un grand débat. Autant ils en avaient fait un en 1977 parce qu'on
leur avait fait croire qu'en venant au Canada, c'était l'anglais
automatiquement... Nous avons établi avec la loi 101 qu'il était
normal dans une société comme la société
québécoise, où il s'agit essentiellement d'un peuple
francophone, le seul vraiment organisé en Amérique du Nord, que
le français soit la langue d'enseignement, la langue d'affichage, la
langue de travail à tous les niveaux en respectant comme pas un peuple,
pas un territoire au Canada ne respecte la minorité française, en
donnant plus de droits à la minorité anglaise qu'on n'en trouve
nulle part ailleurs au Canada pour les minorités françaises.
Aujourd'hui, le premier ministre a fait un choix. C'est son choix de
briser la paix linguistique, de faire en sorte de briser cette paix
linguistique, et c'est lui qui sera responsable et en partie également,
ses députés francophones qui n'ont pas fait valoir les droits du
peuple français. On a entendu des velléités où on a
dit: Tel député pourra voter contre ou s'abstenir. Imaginez-vous!
Grande bravoure. Il n'y aura pas beaucoup de croix Victoria pour ça. Il
n'y aura pas beaucoup de croix "Distinguished Service
Order", DSO pour cette marque de bravoure. Mais essentiellement,
aujourd'hui, on est pris avec une situation parce qu'il n'y avait pas
d'équilibre dans le caucus du Parti libéral et parce que ceux qui
représentaient le groupe anglophone voulaient une situation anormale. Et
les francophones n'ont pas occupé la place qu'ils devaient occuper pour
défendre le peuple français, le peuple francophone du
Québec avec lequel aujourd'hui les allophones veulent partager la langue
française. (18 heures)
Ce que l'on combat au fond aujourd'hui comme Opposition, ce sont les
dangers d'anglici-sation de notre peuple, qui sont aussi présents en
1988 qu'ils l'ont été au cours des 200 dernières
années. C'est ça que nous défendons essentiellement, parce
que la vie du peuple québécois comme peuple francophone, sera
toujours une vie en danger en Amérique du Nord. C'est pourquoi nous
devons prendre tous tes moyens pour protéger la vie de notre peuple,
l'âme de notre peuple qui est la langue française, sans
empêcher qui que ce soit de parler d'autres langues, mais d'avoir une
situation normale d'un peuple normal sur un territoire normal. Aujourd'hui, si
on décide de véritablement avoir un statut totalement normal sur
le territoire du Québec, qu'est-ce qu'on fera? On décidera en
même temps de poursuivre pour avoir la souveraineté du
Québec pour faire en sorte que, véritablement, l'avenir du
Québec soit protégé pour les années à venir
en assumant nous-mêmes nos responsabilités. Il n'est pas normal
que l'avenir de notre langue soit décidé par la Cour
suprême du Canada qui a une majorité de juges anglophones. Ce
n'est pas normal.
Normalement, c'est aux représentants du peuple de définir
l'avenir du peuple, l'avenir de sa langue sur son territoire. C'est cela que
nous voulons qui soit fait et non pas en trois jours, à la fin de la
session, à la veille de Noél, alors que les gens ont le droit de
participer à ce débat puisque, essentiellement, c'est un
débat qui appartient au peuple du Québec. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole
à M. le ministre de la Justice et ministre délégué
aux Affaires intergouvernementales canadiennes et député de
Jean-Talon.
M. Gil Rémillard
M. Rémillard: Merci, M. le Président. À la
suite du jugement de la Cour suprême de jeudi dernier, nous nous
retrouvons devant un vide législatif, c'est-à-dire qu'il n'y a
plus de loi, il n'y a plus de règlement qui impose exclusivement le
français pour l'affichage. En conséquence, à toutes fins
utiles, M. le Président, cela veut dire qu'au moment où nous nous
parlons, on peut utiliser la langue pour l'affichage de la façon qu'on
veut, sans aucune protection pour le
français. C'est pour cette raison que nous devons réagir
le plus tôt possible pour légiférer et donner au
français cette protection que nous lui voulons donner, tout en
protégeant la liberté d'expression.
M. le Président, ce que la Cour suprême nous dit, c'est que
le français est menacé au Québec et la Cour suprême
nous dit que protéger le français au Québec,
protéger ce visage linguistique, c'est l'expression même que la
Cour suprême utilise, est un objectif légitime pour le
gouvernement. La cour en arrive à la conclusion qu'une telle protection
peut être de donner au français une situation prédominante
- elle ajoute même nettement prédominante - sur l'affichage par
rapport à une autre langue. Et la cour de dire, dans ce cas, que la
preuve présentée à la cour n'a pas démontré
qu'il fallait vraiment utiliser l'exclusivité du français pour
protéger ce visage linguistique.
C'est donc dire, M. le Président, il faut bien le comprendre,
que, d'une part, la Cour suprême consacre la liberté d'expression,
liberté des plus fondamentales dans une société
démocratique, mais que, d'autre part aussi, la Cour suprême
reconnaît qu'on peut aménager l'application de ce droit, de cette
liberté d'expression, dans un contexte donné et, en
conséquence, en ce qui nous regarde, dans le cas de cette protection
qu'on doit donner au français.
M. le Président, c'était donc là la situation qui
était la nôtre au lendemain de cette décision de la Cour
suprême: d'une part respecter cette liberté d'expression, et,
d'autre part, être capables de la situer, de l'aménager dans son
application en fonction de ce contexte que nous vivons ici au Québec et
qui nous amène à légiférer pour donner une
protection au français.
Sur le plan des principes, sur le plan du respect des droits
fondamentaux, il est important de se rappeler qu'il n'existe pas de
liberté fondamentale qui puisse être appliquée d'une
façon absolue. Ces droits, ces libertés que les citoyens veulent
se garder, se garantir, face à l'action des gouvernements, c'est le
fondement de ce contrat social que nous passons tous ensemble pour vivre
ensemble. Nous disons: Nous acceptons de vivre en société, nous
acceptons de nous départir de notre pleine liberté, parce que
nous voulons profiter, les uns et les autres, de notre vie en commun pour
améliorer nos conditions de vie. Mais, en conséquence, qu'est-ce
que ça signifie, M. le Président, qu'est-ce que ça
signifie? Cela signifie qu'on a certaines limites à nos droits
fondamentaux. On ne peut pas conduire à 100 à l'heure dans une
zone d'école, on ne peut pas ouvrir un commerce n'importe où, il
faut que ça respecte le zonage. Enfin bref, on pourrait donner beaucoup
de situations où on est amené à limiter ou à
administrer, si vous voulez, le contexte dans lequel on doit situer ces droits
fondamentaux. Dans ce contexte-ci, il nous a donc fallu composer avec cette
nécessité que nous avons de protéger le visage
français du Québec avec l'application de cette liberté
d'expression.
Comme ministre de la Justice du Québec, j'avais à
conseiller le gouvernement sur les implications légales du projet de loi
178 qui donne la possibilité d'afficher à l'extérieur
exclusivement en français et, à l'intérieur, en utilisant
une autre langue que le français, à la condition que le
français soit nettement prédominant.
Je crois, M. le Président, comme me l'ont dit mes conseillers,
qu'il aurait été possible de plaider devant les tribunaux la
proposition d'une telle solution: extérieur, exclusivement
français, et intérieur, utilisation d'une autre langue que le
français à la condition que le français soit nettement
prédominant. Nous aurions pu plaider cette solution devant les tribunaux
et leur dire: Bien, voici une solution qui est conforme à la
décision que vous avez rendue, parce que nous donnons au français
une situation nettement prédominante dans l'affichage lorsque nous
considérons l'affichage globalement. Nous aurions pu plaider cela. Mes
conseillers juridiques m'ont bien dit que nous n'aurions quand même pas
cette sécurité juridique que nous devons avoir pour le
mieux-être tant de nos communautés et de nos amis anglophones que
pour les francophones. Nous aurions pu plaider cette situation, mais nous
sommes presque certains que, dans les jours qui auraient suivi la promulgation
d'une telle loi, il y aurait eu contestation et on se serait retrouvés
encore devant la cour.
M. le Président, c'est dans ce contexte que j'ai
été amené à suggérer au gouvernement,
à recommander au gouvernement d'utiliser cette clause
dérogatoire, cette clause "nonobstant". J'ai eu l'occasion de le dire et
je le répète, M. le Président, que je n'aime pas cette
clause "nonobstant". J'ai vu cet après-midi mon collègue du
Conseil des ministres, le ministre de la Sécurité publique,
démissionner en tant que ministre. Cela m'a touché parce que lui
et moi avons ensemble fait plusieurs discours et plusieurs interventions
contre, justement, cette clause "nonobstant" contre l'utilisation abusive de
cette clause "nonobstant". (18 h 10)
Mais, il faut bien comprendre que cette clause "nonobstant" est, en
quelque sorte, une clause de dernier ressort que le gouvernement utilise
lorsque vraiment il est dans une situation où il doit imposer une
volonté politique en fonction d'un contexte sociopolitique qu'il
évalue. Donc, il aménage l'application d'un droit fondamental en
fonction de son évaluation d'une situation sociale ou politique. Dans ce
cas-ci, le gouvernement a pris sa décision et, comme il s'agissait
d'utiliser l'exclusivité à l'extérieur strictement pour le
français, nous avons dû utiliser cette clause "nonobstant", cette
clause qui permet au gouvernement de dire que, en ce qui regarde l'affichage
à l'extérieur, cela se fera
exclusivement en français et il ne pourra pas y avoir de
contestation judiciaire en fonction du respect des droits et des
libertés.
M. le Président, sur le plan des principes, dans un premier temps
cela peut paraître difficile, mais, lorsqu'on regarde l'application de
cette clause dans le contexte où nous l'appliquons, il faut se rendre
compte que, tout d'abord, elle est bien spécifique cette utilisation que
nous faisons de la clause "nonobstant" et, d'autre part, qu'elle se situe dans
le contexte de cet aménagement que nous faisons de la liberté
d'expression. La clause "nonobstant" a une application de cinq ans et, dans
cinq ans, je suis convaincu que nous aurons à revoir son application.
Justement, on a mis dans la constitution canadienne en utilisant cette clause
"nonobstant", en permettant cette clause "nonobstant", on a mentionné
qu'elle avait une existence de cinq ans pour permettre au gouvernement,
à l'Assemblée législative qui la met en vigueur par une
loi, permettre de revenir et de faire cette analyse à nouveau du
contexte social, politique et économique dans lequel on se situe.
Pour ma part, j'ai toujours dit que nous sommes à évoluer
et cette évolution doit se faire en fonction de nos
responsabilités de citoyens, de citoyennes, dans le contexte d'une
société libre, démocratique. Nous faisons un pas
aujourd'hui, un pas qui est important, un pas dans la prise de conscience de
nos responsabilités, mais dans cinq ans on réévaluera la
situation et on verra comment on peut revoir l'utilisation ou non de cette
clause "nonobstant". La Charte de la langue française de la loi 101 sera
donc touchée par ce projet de loi 178 et je dois dire, M. le
Président, qu'elle sera sensiblement même améliorée
quant à sa portée. Il faut bien comprendre que déjà
cette possibilité d'afficher dans une autre langue que le
français existait depuis le début dans la loi 101. À
l'article 60 de la loi 101, on peut voir que les commerces qui ont quatre
employés et moins, y compris le patron, peuvent utiliser, dans leur
commerce, une autre langue que le français à la condition que le
français soit utilisé d'une façon au moins
équivalente. C'est une clause importante, parce qu'elle touche plus de
60 % de nos commerces. C'est une clause qui comportait beaucoup
d'ambiguïté parce que, d'une part, on disait: "dans le commerce" et
on a interprété^ ce "dans" comme voulant dire autant le mur
extérieur de l'entreprise ou bien, on l'a vu à maintes reprises -
c'est un exemple qu'on a vu dans les journaux ces derniers temps - on mettait
un affichage dans la vitrine qui, finalement, était visible de
l'extérieur. Cela créerait une situation juridique ambiguë
qui était difficile pour tout le monde qui aurait voulu, finalement, se
plier à la loi mais qui ne savait pas exactement ce que la loi voulait
signifier.
Avec le projet de loi 178, nous clarifions la situation, nous disons:
Vous pouvez utiliser une autre langue que le français à la
condition que le français soit nettement prédominant à
l'intérieur du commerce, peu importe que ce soit 4 ou 20
employés. Cependant, il va falloir que le français ne soit pas
simplement équivalent, comme c'est marqué dans l'article 60 de la
loi actuelle, il va falloir que ce soit nettement prédominant. D'autre
part, ce ne sera pas dans le commerce avec toute l'ambiguïté de ce
mot, mais ce sera à l'intérieur du commerce pour la
clientèle qui se situe à l'intérieur du commerce. Donc, il
y a là une obligation d'affichage à l'intérieur
destiné à la clientèle qui se situe à
l'intérieur.
On a mentionné bien des cas. J'écoutais les commentaires
du côté de l'Opposition qui nous disait: Les centres commerciaux,
qu'est-ce qui va se passer? Les centres commerciaux sont prévus
textuellement dans la loi. Le centre commercial lui-même est
considéré comme extérieur, il n'est pas
considéré comme un établissement où on a le droit
d'afficher en français et dans une autre langue, donc d'utiliser une
autre langue que le français à l'intérieur. Dans les
boutiques du centre commercial, à l'intérieur, dans les
établissements à l'intérieur du centre commercial, oui, on
pourra afficher dans une autre langue que le français, à la
condition que le français soit nettement prédominant, mais pas
dans le mail, pas dans le centre commercial comme tel. C'est la même
chose sur les voies publiques. Il y a donc là, M. le Président,
et c'est important de le retenir, une amélioration considérable
par rapport à la situation que nous vivons actuellement.
J'entendais l'Opposition qui nous disait: On n'a pas appliqué la
loi 101; la loi 101 n'est pas appliquée. Il y a des difficultés
à faire appliquer la loi 101. Le gouvernement, de 1977, le gouvernement
du Québec qui était à ce moment-là un gouvernement
péquiste, avait de la difficulté à la faire appliquer
aussi. Pourquoi? Parce qu'il y avait tellement de ces ambiguïtés
qui rendaient extrêmement difficile l'application de cette loi. L'article
60 en est un exemple particulièrement important. M. le Président,
il faut faire les lois les plus claires possible, en particulier en ce qui
regarde ce sujet tellement important de la langue.
Nous allons aussi établir ces règlements qui pourront
déterminer les possibilités pour les établissements de
plus de 50 employés d'utiliser une autre langue que le français,
une réglementation qui viendra cerner au plus près cette
possibilité à certaines conditions. Donc, ces grands
établissements de 50 employés et plus pourront utiliser une autre
langue que le français. Mais, il faut bien comprendre que le terme
"prédominance", parce qu'on dit "nettement prédominant", est un
terme que nous retrouvons déjà dans la loi 101 à l'article
24. À l'article 24 de la loi 101, on lit textuellement le mot
"prédominant", il est là en toutes lettres, il existe. Il n'y a
jamais eu de réglementation pour le définir. On a laissé
l'Office de la langue française, on a laissé les organismes
responsables
appliquer ces notions et voir à leur application un peu partout
au Québec, avec les situations ambiguës qu'on connaît fort
bien maintenant.
M. le Président, en conclusion, je voudrais insister sur le fait
que ce projet de loi 178 est un projet de loi qui, d'une part, respecte notre
obligation comme gouvernement québécois, seul gouvernement
francophone en Amérique du Nord, notre responsabilité de
protéger le visage linguistique français du Québec, de
protéger le français comme la Cour suprême nous le dit dans
son jugement et, d'autre part aussi, un projet de loi qui aménage dans
son application la liberté d'expression. C'est aussi une loi qui utilise
la clause dérogatoire, la fameuse clause "nonobstant", mais il faut se
souvenir que cette clause a une durée de cinq ans et que, dans ce
contexte, éventuellement, nous pourrons revenir et étudier tous
ensemble l'opportunité de la reconduire ou d'y mettre fin et revoir nos
conditions d'application de ces dispositions concernant l'affichage. (18 h
20)
M. le Président, l'Opposition nous disait aussi, je termine sur
ce point, qu'on pourrait faire en sorte que ce projet de loi soit
déposé maintenant et l'étudier plus tard. Lorsqu'il serait
sanctionné, on pourrait dire qu'il serait rétroactif dans son
application au moment de son dépôt. On ne peut pas faire cela,
justement parce que nous utilisons la clause "nonobstant" et, parce que nous
l'utilisons, nous ne pouvons pas lui donner d'effet rétroactif. Il faut
être conséquent avec ce que nous faisons. Nous utilisons une
clause "nonobstant" pour faire face à ce vide juridique et la Cour
suprême nous dit expressément dans son jugement qu'on ne peut lui
donner d'effet rétroactif. Par conséquent, il faut
légiférer le plus tôt possible pour qu'on ait des
dispositions claires pour que le français soit protégé
dans l'affichage partout au Québec. Voilà, M. le
Président, l'objectif de ce projet de loi et les grandes dispositions
qui nous permettront d'avoir une loi qui nous amènera à faire un
pas de plus pour la protection du français, tout en respectant les
conditions d'expression qui reviennent à tout Québécois et
toute Québécoise. Merci.
Le Vice-Président: Je reconnais maintenant M. le
député d'Ungava.
M. Christian Claveau
M. Claveau: Merci, M. le Président. J'ai suivi très
attentivement l'ensemble du débat depuis son début hier soir et
je peux vous assurer, M. le Président, que je suis stupéfait par
les arguments qui sont apportés du côté du gouvernement
pour justifier la présentation d'un tel projet de loi. J'écoutais
les députés exministres de Nelligan, Westmount et D'Arcy McGee
qui ont essayé de nous faire pleurer en nous expliquant jusqu'à
quel point était impor- tante pour eux la liberté d'expression,
la liberté individuelle de s'exprimer et de pouvoir agir en anglais sur
le territoire québécois.
Il y avait des gens qui en avaient la larme à l'oeil dans cette
Chambre. Je viens d'écouter aussi le ministre de la Justice,
après avoir écouté le premier ministre, et les autres
intervenants de l'autre côté. Qu'est-ce qu'on entend? Qu'est-ce
que le ministre de la Justice vient de nous servir encore une fois? Un discours
de juriste, de points juridiques, par lequel il essaie d'interpréter ou
de se donner bonne figure pour faire passer le point de vue légal que
lui et son gouvernement ont adopté face à la loi 101. Les seuls
arguments que ce gouvernement est capable de nous avancer, M. le
Président, ses seuls arguments convaincants sont des arguments
strictement de pointillage et de petites questions juridiques, par lesquels on
essaie de faire avaler au peuple québécois une montagne
énorme, de "nous passer le plus gros sapin" qu'on n'ait jamais
essayé de passer à nous, Québécois, à partir
d'une argumentation juridique de petite semaine, qui ne résiste
même pas à l'analyse.
Car, M. le Président, quoi qu'en dise le jugement de la Cour
suprême, quoique veuillent en faire les gens de ce gouvernement, il reste
qu'il y a aussi dans ce jugement de la "pogne" pour aller beaucoup plus loin
que cela et, si la volonté politique de ce gouvernement était
véritablement de régler une fois pour toutes la question
linguistique au Québec, la Cour suprême du Canada lui donnait
toute la possibilité de le faire. Il n'y a rien dans le jugement en
question qui empêche de permettre une application totale de la clause
"nonobstant" à l'ensemble de la Charte de la langue française, ce
qui aurait permis à ce gouvernement de la restaurer, de lui redonner
toute sa vigueur, sa vitalité, sa raison d'être pour
qu'aujourd'hui les Québécois francophones, au lieu d'être
dans la rue à manifester dans le froid, de se rassembler pour sortir
à nouveau la bannière du Québec plus fièrement que
jamais, aient l'assurance que ce gouvernement ne tergiversait pas avec la loi
101, avec la langue française.
L'alternative était là. Il n'avait qu'à sauter
dessus, à en profiter. La Cour suprême lui lançait la plus
belle perche qu'il pouvait prendre pour assurer une fois pour toutes et
régler définitivement la question du débat linguistique au
Québec. Mais non, qu'est-ce qu'il fait? Il prend la partie la plus
vicieuse de l'interprétation qu'on pouvait donner au jugement,
l'amène devant cette Chambre en essayant de nous dire que c'était
la façon de sauver la langue française alors qu'en
réalité, la démarche est des plus pernicieuses que l'on
puisse imaginer. C'est cela la réalité du jugement ou de la
façon dont le gouvernement interprète le jugement pour faire sa
loi.
M. le Président, par contre, lorsque on regarde comment ce
gouvernement a agi, de quelle façon et à partir de quelle logique
ou de
quelle argumentation il s'est gagné le vote des anglophones ou
s'est assuré, du moins, une participation des anglophones au vote de
1985 pour se faire élire, là, on commence à comprendre des
choses. Le premier ministre disait d'ailleurs: Je ne comprends pas les
anglophones. C'est le gouvernement dans toute l'histoire du Québec qui a
eu le plus d'anglophones à son Conseil des ministres. Certes, mais
là, ce sera probablement le gouvernement qui n'en aura jamais eu aussi
peu, le gouvernement qui va en avoir le moins dans toute l'histoire du
Québec avec ce qu'on vient de vivre.
Mais encore là, ne nous laissons pas leurrer par les
circonstances. D'abord, je pense qu'il faut comprendre de quelle façon
ce gouvernement est responsable de l'ambiguïté et est responsable
de la nouvelle vigueur que les Québécois redonnent au
débat linguistique, parce que c'est lui qui les a créées
en promettant justement des choses en campagne électorale qu'il savait
ne pas pouvoir réaliser. En se réfugiant derrière un
jugement qui allait venir, le premier ministre était certain,
était convaincu ou du moins croyait qu'avec le temps les passions
allaient s'apaiser, que cela n'était pas si grave que ça et que,
finalement, lorsque le jugement viendrait, les choses seraient calmes et il
pourrait faire avaler n'importe quoi aux Québécois. Le premier
ministre s'est trompé. Le premier ministre s'est littéralement
trompé et le peuple québécois lui en fait la
démonstration aujourd'hui. Les Québécois ne laisseront pas
bafouer leur langue. C'est clair. Si le gouvernement n'a pas compris le message
en fin de semaine, il y a bien des chances qu'il ne comprenne jamais. Mais il y
a des gens qui lui ont dit aussi devant les micros, sans se gêner, qu'un
gouvernement qui n'était pas capable de respecter sa majorité est
un gouvernement qui ne méritait pas de gouverner. C'est ce qui risque
d'arriver à ce gouvernement s'il ne comprend pas les vux de la
majorité.
Donc, le gouvernement est responsable de la situation linguistique, du
nouveau marasme linguistique dans lequel il a plongé le Québec,
marasme linguistique qui avait disparu avec l'apparition de la loi 101, lorsque
le gouvernement du Parti québécois avait voté la loi 101
en cette Chambre. D'ailleurs, il faut le répéter. Ces gens
avaient voté contre la loi 101 en 1977. C'est clair aussi. Cela fait
partie de la démarche. Aujourd'hui, on nous dit: On va essayer de sauver
les meubles tant bien que mal, mais ils avaient voté contre la loi 101.
Ils n'étaient pas d'accord avec la Charte de la langue française
et ils ne le sont pas plus aujourd'hui, c'est évident.
D'autre part, il faut comprendre aussi la dynamique dans laquelle
s'inscrit le jugement de la Cour suprême. La Cour suprême du
Canada, de par son nom, est une instance pancanadienne, une instance qui voit
le Canada d'un océan à l'autre et qui considère le
Québec comme une fraction de ce grand tout canadien. Or, ce grand tout
canadien est d'abord et avant tout anglais. La majorité canadienne est
anglophone. Il n'y a personne qui va contester cela. Il y a juste au
Québec où les francophones ont survécu de peine et de
misère. Cela n'a pas été drôle, cela n'a pas
été donné. C'est de peine et de misère que les
francophones ont réussi à se développer, à prendre
la place à laquelle ils avaient droit au Québec et à
s'imposer comme peuple sur le territoire québécois. Donc, la Cour
suprême juge en vertu d'un tout canadien dans lequel nous sommes
minoritaires. (18 h 30)
Dans ce sens, la Cour suprême, le gouvernement
fédéral, les autres provinces canadiennes, pour utiliser le
terme, sont tous convaincus que nous sommes une minorité à
l'intérieur du grand tout canadien. Or, nous, nous disons: C'est
là le problème. C'est là que ce gouvernement n'a pas
compris la dynamique nationale. Nous disons. Au contraire, nous sommes la
majorité chez nous, sur le territoire québécois et, quand
les anglophones viennent verser des larmes en cette Chambre en disant: Oui,
c'est vrai, on ne nous comprend pas, nos droits sont baffoués, c'est
clair parce que, dans leur tête et à juste titre dans la logique
canadienne, ils sont la majorité. C'est le problème. Alors, faut
leur faire comprendre - et le peuple québécois va le leur faire
comprendre - qu'ils sont une minorité sur un territoire majoritairement
francophone qui s'appelle le Québec. On me dit que mon temps est
écoulé.
Le Vice-Président: Alors, M. le député
d'Ungava. Malheureusement, nous arrivons à 18 heures trente. Nous
devons, à ce moment-ci, suspendre nos débats. Vous avez
écoulé neuf minutes sur votre droit de parole. Il vous reste donc
onze minutes. Nous reprendrons ces travaux à 20 heures. Nous suspendons
donc jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 31)
(Reprise à 20 h 4)
La Vice-Présidente: À l'ordre, s'il vous
plaît!
Mmes et MM. les députés, veuillez vous asseoir.
Nous allons reprendre le débat concernant l'adoption du principe
du projet de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française.
Là-dessus, je suis prête à reconnaître le
député d'Ungava, en vous rappelant qu'il reste à votre
intervention, M. le député, onze minutes.
M. Claveau: Merci, Mme la Présidente. Alors, rapidement,
au moment de la suspension à 18 h 30, j'étais en train
d'expliquer que très certainement la cour fédérale, la
plus haute instance au pays, juge en vertu d'un concept
pancanadien. Cela fait en sorte que, pour eux comme pour le reste du
Canada, les francophones du Québec sont minoritaires à
l'intérieur d'un grand tout anglophone. Je comprends la réaction
de nos collègues, de nos vis-à-vis ministériels en cette
Chambre, alors qu'ils se disent outrés, frustrés par une
décision prise par le gouvernement qui, sans tout leur donner, ne leur
donne pas encore suffisamment. Ce qu'ils réclament, c'est d'avoir plus
que ce qu'on leur donne. Dans ce sens-là, ils disent: Nous, en tant que
majoritaires dans le grand ensemble canadien, nous devrions tout avoir. Nous,
de notre côté, de la part des gens qui sont dans les rues, qui
manifestent, qui expriment de toutes sortes de façons leurs points de
vue par rapport à la décision prise par le gouvernement, nous
nous situons dans un contexte territorial québécois, là
où les francophones sont majoritaires et où il y a une
minorité anglophone qui, somme toute, est dans une situation si
confortable qu'elle n'a pas à se plaindre.
La réaction des ministres démissionnaires d'aujourd'hui
est une réaction d'anglophones majoritaires dans un grand Canada
anglophone, là où une partie du territoire, pour des raisons
historiques, là où subsistent donc quelques francophones, mais
qui sont minoritaires dans l'ensemble du contexte canadien. La Cour
suprême juge dans ce sens-là, le gouvernement
fédéral réagit dans ce sens-là, le gouvernement du
Manitoba a réagi dans ce sens-là, les réflexions qu'on a
eues de l'Ontario sont dans' le même sens et les démissions
d'aujourd'hui sont dans le même sens aussi.
Alors que nous aurions dû, en tant que francophones qui ont vu
diminuer leurs droits, les droits des francophones du Québec ont
diminué avec le projet de loi 178 qu'on a sur la table,
présenté par ce gouvernement... Nous avons donc incontestablement
une diminution des droits, dans la mesure où on introduit quelque chose
de nouveau qui s'appelle l'affichage à l'intérieur, donc un
affichage bilingue à l'intérieur contre un affichage unilingue
à l'extérieur. Façade de théâtre!
Déguisement! On nous présente un masque d'Halloween, un visage
français avec un derrière de masque anglophone. C'est ça,
la réalité. C'est là. On va se promener dans les rues de
Montréal et on dit: Ah, que c'est beau, la francophonie! Regardez-moi
cette uniformité francophone! Dès qu'on aura passé le
perron de la porte, on se retrouvera dans un univers anglophone.
Une voix: Voyons donc!
M. Claveau: C'est la réalité, c'est ce qui va se
passer. Qu'est-ce qui se passe ici en Chambre? Quelques ministres anglophones
démissionnent parce que, pour eux, dans le concept d'un grand Canada
où les francophones sont minoritaires, ils sont frustrés dans
leurs droits... Je voyais le député de Nelligan, ici, en cette
Chambre cet après-midi, sortir un billet de 20 $ de sa poche, le brandir
et dire: Moi, j'ai prêté 20 $, je veux ravoir mon argent, vous ne
voulez pas me le remettre, vous voulez m'en remettre une partie. Il faisait
aussi ses expériences avec un verre d'eau, style physique ou chimie de
secondaire III. Ce que j'ai compris, c'est qu'en 1977, les anglophones du
Québec nous ont prêté notre langue, mais que c'était
temporaire. Ils nous ont dit: On vous prête un droit, c'est temporaire.
Ne vous en faites pas, le PQ, vous ne serez pas éternel. Aujourd'hui, on
veut ravoir notre droit et vous ne voulez plus nous le redonner, vous nous en
donnez juste une partie. C'est cela que le député de Nelligan
nous expliquait.
Où sont les preux et vaillants chevaliers qui, il n'y a pas si
longtemps, il y a à peine une semaine ou deux, nous disaient en cette
Chambre: Jamais nous n'accepterons que notre parti, le Parti libéral,
touche à la loi 101. Que disaient le chevalier d'Iberville, le chevalier
de Chambly, le chevalier de Chauveau, le chevalier de Vanier? On se croirait
revenus à l'histoire du Canada, style 1760: d'Iberville, Chambly,
Chauveau, Vanier, voilà des noms historiques. Que disaient ces gens qui
représentent aujourd'hui des noms qui ont eu tant de gloire dans
l'histoire du Québec? La semaine dernière, c'étaient les
gros bras du Parti libéral qui ne laisseraient jamais toucher à
la loi 101, qui n'accepteraient pas que les droits des Québécois
francophones soient diminués au Québec. Où sont-ils
aujourd'hui? Regardez-les, cela vaut la peine. Si on pouvait braquer les
caméras sur eux, on le ferait si le règlement le permettait.
Regardez-les applaudir timidement aux propos d'un premier ministre qui propose
en cette Chambre une diminution des droits des francophones, se satisfaire
d'une demi-mesure, accepter un recul, temporaire probablement.
J'écoutais pas plus tard qu'hier, à la
télévision, le député de Vanier qui disait: Vous
savez, c'est vrai, j'ai changé d'idée, j'ai compris qu'il valait
probablement mieux un compromis historique. Donc, je me suis permis de changer
d'idée. Cela valait mieux comme cela. Ces gens-là, hier si fiers,
si valeureux, aujourd'hui, sont comme des autruches qui se cachent la
tête. Je les voyais applaudir à la démission du
député de Nelligan, du député de Westmount, du
député de D'Arcy McGee. Ils étaient là: Ah, que
c'est dommage, nous les perdons. (20 h 10)
Ce n'est pas perdu, en dehors du Conseil des ministres, toujours en
dedans du caucus libéral. En dehors pour être mieux en dedans,
c'est la même logique que dans le projet de loi. On sort du Conseil des
ministres pour être mieux en dedans, pour continuer à faire le
travail entrepris, disait-on. On ne lâchera pas, on va rester là
parce qu'on va continuer à faire prôner le principe d'un Canada
anglophone uni dans lequel il y a une minorité francophone quelque part,
mais une minorité à l'intérieur d'un grand
Canada anglophone. C'est ce que nous n'accepterons pas. Et ces preux
chevaliers d'Iberville, de Chambly, de Chauveau et de Vanier, des noms qui
devraient ressusciter toutes nos forces historiques, qu'est-ce qu'ils font? Il
applaudissent et disent: Que c'est dommage, nous les avons perdus! Que c'est
dommage! Et, la larme à l'oeil, ils les regardent s'en aller tout en
espérant être nommés à leur place comme ministre,
dès que le premier ministre va annoncer son remaniement
ministériel. Cela va faire leur affaire. Cela fait des places au Conseil
des ministres.
Larmes de crocodile! Opportunisme évident! On va essayer de nous
dire aujourd'hui que ces gens sont en train de faire un travail honnête
par rapport aux Québécois francophones. Ayez le courage de vos
convictions! Levez-vous et dites encore ce que vous disiez il n'y a pas plus de
quelques jours: Nous ne laisserons pas le gouvernement toucher à la loi
101, n'ayez crainte, nous sommes là, nous, les francophones du Parti
libéral. Regardez-les aujourd'hui applaudir à des demi-mesures,
d'une façon servile, vibrer, craindre des démissions et se
soumettre au chantage de la minorité de leur caucus qui dit: Ah! Si vous
bougez, nous démissionnons. Et maintenant, aujourd'hui, ils disent:
Bien, ifs ont démissionné. Ah! Que c'est triste! On ne me fera
pas pleurer là-dessus, ce n'est pas vrai.
Une voix: ...pas de coeur! Des voix: Ha, ha, ha!
M. Claveau: Mme la Présidente, il y a des
réflexions que j'aime mieux ne pas commenter. Ces gens qui se permettent
de nous critiquer, qu'ils aient le courage de leurs convictions, qu'ils aillent
jusqu'au bout et qu'ils fassent preuve d'honnêteté envers le
peuple du Québec. Et lorsqu'ils disent qu'ils vont défendre les
Québécois francophones envers et contre tous pour ne pas toucher
à la loi 101, comment peuvent-ils aujourd'hui applaudir à des
mesures qui restreignent, qui diminuent les droits de nos compatriotes
francophones au Québec? Mme la Présidente, je me plais à
penser à ce que serait le comportement de la majorité anglophone
s'il fallait qu'il n'y ait que 14 %, 15 % ou 16 % de francophones au
Québec parmi 80 % à 85 % d'anglophones. Est-ce qu'on pourrait
penser que la Cour suprême rendrait un jugement tel qu'elle a... Est-ce
que le gouvernement userait d'une clause "nonobstant"? Lorsque le gouvernement
du Manitoba, le gouvernement de la Saskatchewan se sont prévalus de leur
majorité en Chambre pour rendre inopérants des dispositions ou
des jugements de la Cour suprême quant aux droits historiques des
francophones de ces provinces, on a dit: Non, ce n'est pas ça, nous, on
légifère, c'est les anglophones, point final. L'Ontario ne s'est
pas relevé. Les grands partis fédéraux ne se sont pas
montrés surpris. Le gouvernement du Québec, même tout
timidement, a dit: Peut-être que vous auriez dû penser à vos
minorités, il n'y a personne... Non, parce que c'était normal
dans un contexte anglophone mur à mur, dans lequel I y a quelques petits
points de discordance francophones. On ne s'est pas offusqué de la
décision à Toronto, à Winnipeg, à Vancouver,
à Edmon-ton, à Saint-Jean, Terre-Neuve. Non, c'était
normal parce que c'était la grande majorité anglophone qui
imposait son droit.
Mais, par contre, si la majorité francophone du Québec,
elle, veut imposer son droit de pouvoir vivre, travailler, s'afficher, avoir un
message français, message clair pour tous les habitants du territoire
québécois, là, tout le monde s'offusque. Le lac Meech,
c'est plus bon. Tout le monde se permet de s'en mêler. On intervient. On
fait des pressions. On démissionne. Ces démissionnaires
d'aujourd'hui, tout en respectant leur point de vue... Remarquez, Mme la
Présidente, que je respecte beaucoup plus les gens qui se tiennent
debout comme Hs le font que ceux qui marchent à genoux comme ceux qui
avaient promis de défendre la loi 101 et qui, aujourd'hui, applaudissent
à des demi-mesures. Eux, je les respecte plus parce qu'ils se tiennent
debout, au moins. Mais qu'est-ce qu'ils font? Ils réagissent par rapport
à une mentalité anglophone à l'intérieur d'un tout
anglophone dans lequel, au niveau canadien, les Québécois
francophones sont minoritaires. Et ça, c'est inacceptable, totalement
inacceptable.
Et c'est pour ça, Mme la Présidente, que je le dis, que je
l'ai dit et que je continuerai à le dire: Le problème ne sera
définitivement résolu que le jour où le Québec
pourra pleinement et entièrement légiférer sur son
territoire, sans que personne d'autre ne puisse venir s'en mêler et que,
de cette façon-là, nous pourrons établir, comme peuple
québécois, les véritables lignes maîtresses qui vont
permettre de préserver à la fois nos droits collectifs comme
société et rassurer les droits individuels de tous et chacun
à l'intérieur d'un cadre collectif clair, Mme la
Présidente. Je vous remercie.
La Vice-Présidente: Merci, M. le député
d'Ungava. Je reconnais maintenant M. le ministre de l'Éducation.
M. Claude Ryan
M. Ryan: Mme la Présidente, comme tous les membres de
cette Chambre, j'ai été profondément travaillé par
les événements des derniers jours. D'un point de vue strictement
rationnel, je refusais et je refuse encore de penser que la question de
l'affichage commercial revêt toute l'importance pour notre avenir que nos
débats en sont venus à lui accorder. C'est à
l'intérieur de lui-même, dans un contact avec ses sources les plus
profondes et dans le développement de ses valeurs intérieures
essentielles, qu'un peuple doit trouver et enrichir ses motifs de
fierté, de confiance en lui-même et d'espoir.
Nul ne me fera jamais croire que, dans une perspective froidement
objective, l'affichage commercial et ses modalités concrètes
pourraient être aussi décisifs pour l'avenir d'un peuple que
certains en sont venus à le penser et à le proclamer. Je ne suis
pas davantage convaincu, je vous le dis en toute simplicité, par
l'opinion de la Cour suprême du Canada selon laquelle il existerait un
lien vital et essentiel entre le discours commercial et le discours
intellectuel, politique, culturel, social ou religieux. Le discours commercial,
c'est-à-dire la promotion et la publicité des produits, des biens
et des services dans un but lucratif se rattache bien davantage, dans mon
esprit, à la liberté du commerce qu'à la liberté
d'expression proprement dite. Or, la liberté du commerce, tout en
étant un élément très important d'une vision
libérale de la société, ne se situe pas au même
niveau que les grandes libertés fondamentales que proclament les chartes
des droits humains depuis le deuxième conflit mondial.
On ne trouve nulle part la liberté du commerce à
l'état explicite dans les chartes canadienne et québécoise
des droits et libertés de la personne. Cette liberté fait
plutôt partie de ce qu'on appelle les droits économiques et
sociaux, lesquels sont également très importants, mais dont la
formulation n'a pas encore atteint le même degré de
développement et de clarté dans les chartes modernes de droits
que les droits dits fondamentaux et, précisément, parce que les
droits économiques et sociaux sont beaucoup plus difficiles à
codifier, beaucoup plus sujets a variation selon les contextes historiques,
sociaux, économiques et politiques que les droits fondamentaux qu'on
voudrait voir réaliser sur toute la planète. Le droit à un
juste procès, par exemple, ne devrait pas subir d'exception nulle pan:
dans le monde. Le droit au respect de sa vie privée est un autre droit
fondamental qui ne devrait pas souffrir d'exception. Mais, lorsque l'on parle
du droit à l'affichage commercial et même du discours commercial,
je pense qu'on peut introduire beaucoup de nuances et que la page 75 du
jugement de la Cour suprême est loin d'être le dernier mot en ces
matières. Le débat continuera. Je souhaite vivement qu'il
continue et je m'engage, pour ma part, à continuer de l'alimenter. (20 h
20)
Je crois aussi, comme l'affirme le juge Jean Beetz dans une opinion
fréquemment citée qu'il rendait publique en 1986 au sujet de la
cause impliquant la Société des Acadiens et un magistrat du
Nouveau-Brunswick, qu'il faut se garder de confondre trop facilement les droits
fondamentaux et les droits linguistiques. Il arrive que ces droits
coïncident. Il arrive aussi très souvent qu'ils ne coïncident
pas. Le droit à la liberté de pensée, le droit à la
liberté d'opinion, le droit à la liberté d'expression, le
droit à un juste procès que je mentionnais tantôt sont des
droits fondamentaux que l'on trouve aujourd'hui évoqués dans
toutes les grandes chartes modernes de droits humains. Il arrive beaucoup plus
rarement, en contrepartie, que l'on trouve dans des chartes de droits une
évocation le moindrement précise des droits dits linguistiques.
Les chartes parlent souvent du droit des minorités linguistiques,
culturelles et religieuses, du maintien et du développement de leur
identité et de leur vie propre, mais elles vont rarement plus loin dans
l'explicitât ion de ces droits et, quand elles le font, elles le font
généralement dans des sections distinctes de celles où il
est question des droits fondamentaux, comme si les auteurs avaient voulu
marquer qu'il ne s'agit pas exactement des mêmes
réalités.
Prenons l'exemple de la Charte canadienne des droits et libertés
qui définit un certain nombre de droits linguistiques parmi lesquels ne
figure pas le droit à la liberté du discours commercial, mais ces
droits sont inscrits dans la charte à un autre endroit que dans les
articles 2 à 15 où il est question des droits tout à fait
fondamentaux.
Je ne veux pas dire par là, Mme la Présidente, que les
droits linguistiques seraient d'une importance secondaire. Pas du tout. Nous,
qui parlons français, avons payé assez cher dans ce pays canadien
le prix de notre attachement à notre langue pour savoir combien les
droits linguistiques peuvent être également vitaux à nos
yeux. Mais autant les droits linguistiques sont importants, autant il est
impossible en pratique de les proclamer tout d'un trait, de proclamer tout de
go qu'ils existent pour qu'ils soient immédiatement
réalisés au même degré partout.
Le cheminement des droits linguistiques, loin d'être une question
de principe pur, suit au contraire de très près le cheminement
politique, social et culturel de chaque société où ces
droits sont appelés à se réaliser. Dans certaines
sociétés, on attache plus d'importance, selon les époques
et selon les contextes, aux droits linguistiques en matière
d'éducation. Dans d'autres, on soulignera les droits linguistiques en
matière d'organe de diffusion. Dans d'autres, on parlera de droits
linguistiques à propos de la religion. Dans d'autres, on voudra
réaliser les droits linguistiques à l'aide de regroupements
économiques ou sociaux ou, encore, à travers l'action
politique.
Il n'existe pas dans ces choses un modèle unique et uniforme que
l'on pourrait appliquer partout en prétendant le tirer directement d'une
charte uniforme des droits et libertés qui auraient été
proclamée quelque part sur une montagne sainte. Les droits et
libertés linguistiques se gagnent de haute lutte par l'action politique,
sociale et culturelle. La recherche et la promotion de ces droits donnent
souvent lieu à des erreurs de parcours, à des abus de pouvoir,
à des renversements historiques parfois insoupçonnés, mais
ils ne suivent pas une trajectoire unique qui serait nécessairement la
même partout et à toutes les époques.
Ces propos peuvent sembler quelque peu lointains et théoriques
mais ils nous aident à comprendre l'évolution qu'a connue le
Québec en matière de droits linguistiques depuis quelque 25 ans.
Nous avons longtemps vécu au Québec comme si les droits de la
minorité anglophone allaient de soi. Pendant longtemps, nous avons
reconnu à cette minorité plus de droits, et de manière
plus sincère et plus vécue, que toutes les autres provinces
canadiennes réunies. Mais, à force d'être
généreux, nous avons fini par constater que dans certains
domaines, nous l'étions peut-être d'une manière qui
dépassait les exigences raisonnables de la justice. En matière
scolaire, par exemple, nous avons longtemps pratiqué au Québec
une liberté totale de choix entre l'école française et
l'école anglaise. Nous avons agi de la sorte jusqu'à ce que nous
nous rendions compte pendant les années qui suivirent le deuxième
conflit mondial, que notre ouverture d'esprit et notre
générosité finissaient par jouer contre nos
intérêts collectifs les plus élémentaires, les
nouveaux venus au Québec optant très majoritairement pour les
écoles de la minorité anglophone.
Pour corriger cette situation, il n'existait guère qu'une
solution autour de laquelle un consensus s'était fait même avant
l'avènement de la loi 101. Maintenir le droit des véritables
anglophones à l'enseignement anglais. Il restait des divergences de vue
concernant la définition du véritable anglophone, mais,
déjà, dans les années qui avaient
précédé la loi 101, un consensus s'était fait
à ce sujet: maintenir le droit des véritables anglophones
à l'enseignement en anglais, mais obliger tous les autres
Québécois, y compris au premier chef les francophones, à
fréquenter l'école française. Il y avait dans cette
politique, Mme la Présidente, une limitation très importante
d'une liberté qui avait été jugée jusque-là
fort précieuse, mais cette limitation s'imposait au nom du droit de la
société québécoise au maintien de son
identité propre.
Il se peut que l'avenir nous ouvre d'autres avenues à ce sujet.
Nous n'en savons rien. Mais, pour l'instant, la solution retenue il y a une
douzaine d'années produit des résultats très encourageants
puisque, désormais, 90 % des élèves inscrits dans les
écoles publiques, primaires et secondaires du Québec
fréquentent l'école française, tandis que les francophones
ne représentent que 84 % de la population totale du Québec.
L'évolution récente de la politique québécoise en
matière d'affichage public s'explique, elle aussi, par de nouvelles
prises de conscience qui se sont effectuées au Québec depuis 25
ans. Pendant longtemps, l'affichage public ne fut soumis au Québec
à aucune autre contrainte ou limitation que celles découlant des
lois criminelles en matière de pornographie, de violence ou de respect
du droit d'autrui à sa réputation.
Cette liberté s'accompagnait souvent et longtemps d'abus
déplorables dans le sens de l'unilinguisme anglais. Il fallut
légiférer à compter des années soixante pour
assurer en cette matière le respect élémentaire des droits
de la majorité francophone, qui avaient été longtemps
bafoués ou ignorés. Plusieurs soutinrent à
l'époque, et je fus l'un de ceux-là, que la loi 101, en imposant
l'affichage unilingue français, allait trop loin et brimait les droits
individuels. Mais plusieurs, y compris celui qui vous parle, ont
découvert en cours de route - et, moi je l'ai fait à travers dix
années de vie politique menée dans tous les coins du
Québec - deux réalités que j'avais été
porté, je l'avoue en toute simplicité, à sous-estimer en
1978, à savoir, premièrement, l'attachement profond des
Québécois francophones pour la loi 101 et, deuxièmement,
l'identification qui s'est créée dans l'esprit de notre
population francophone entre le respect de la loi 101 et la défense de
la langue française au Québec.
L'attachement des Québécois francophones à la loi
101 est si fort qu'il n'existe guère d'autre moyen, à mon point
de vue, pour améliorer cette loi ou en corriger certaines faiblesses -
et il y en a - que la recherche d'un consensus politique capable de donner la
force nécessaire à toute proposition significative de changement.
La Charte canadienne des droits et libertés proclame
l'égalité des deux langues officielles au Canada dans certains
domaines, en particulier en matières parlementaire et judiciaire. (20 h
30)
Concernant en particulier l'article 133 de la Loi constitutionnelle de
1867, qui garantit l'égalité du français et de l'anglais
dans les travaux des Parlements et des tribunaux, M. Trudeau avait
souhaité pouvoir étendre à certaines provinces, notamment
l'Ontario et le Manitoba, des exigences de cet article qui impose tout
simplement l'égalité des deux langues dans les Parlements et
devant les tribunaux. Mais les chefs politiques de l'Ontario et du Manitoba ont
dû refuser cette invitation de M. Trudeau parce qu'ils sentaient que leur
population n'était pas prête à s'engager dans cette voie.
Le plus qu'ils purent dire, ce fut qu'ils chercheraient par la méthode
évolutive à s'orienter graduellement vers l'objectif auquel ils
disaient souscrire, mais dont l'acceptation concrète leur apparaissait
hors d'atteinte. Il n'est pas inutile de nous rappeler ces expériences
pour discuter de la situation qui nous préoccupe aujourd'hui.
En invoquant comme il l'a fait la clause "nonobstant" pour maintenir
l'affichage extérieur en français seulement, le gouvernement n'a
fait qu'obéir à une volonté très largement
répandue parmi la population. Il n'a fait que constater qu'à ce
stade de son évolution, dans l'état actuel de l'opinion publique,
la population québécoise tient très fortement au maintien
du visage français toujours fragile et dangereusement menacé du
Québec. Le gouvernement a exprimé, en agissant ainsi, une
conviction très largement répandue parmi ses membres.
Contrairement à mon collègue, le député de
D'Arcy-McGee, pour qui j'ai toujours eu le plus profond respect et dont le
départ du cabinet me peine d'autant plus que je fus responsable de son
entrée dans la vie politique en 1979, je crois que la présence
dans la constitution canadienne de la clause "nonobstant" était
justifiée et demeure nécessaire pour empêcher que certaines
questions à fortes incidences politiques et sociales - je ne pense pas
uniquement à la question linguistique - n'en viennent à
être réglées trop exclusivement et de manière trop
prépondérante par des juges, vu la relative jeunesse et la
prolifération récente des chartes de droits, vu aussi les
inévitables tensions qui ne peuvent manquer de surgir entre les droits
individuels proclamés dans les chartes et les droits collectifs,
lesquels connaissent aussi un essor vigoureux en raison du développement
phénoménal des communications, de la rapidité
instantanée de l'action de la télévision, par exemple. Vu
ces tensions qui sont susceptibles de survenir, il doit exister quelque part
des soupapes de sûreté comme celles qu'offrent les clauses
dérogatoires. Sans cela, le pouvoir politique, sous prétexte de
s'astreindre au service de principes abstraits, risquerait souvent d'être
réduit à l'impuissance en face de situations devenues
explosives.
Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement, s'il avait voulu songer
uniquement à sa popularité immédiate, aurait pu se
contenter d'invoquer la clause "nonobstant" et de maintenir purement et
simplement le statu quo en matière d'affichage. C'était la voie
la plus facile, la voie qui nous aurait permis dans l'immédiat de sortir
immédiatement de la situation qui s'était créée
à la suite du jugement de la Cour suprême. Mais le gouvernement,
étant donné les convictions du Parti libéral du
Québec, n'a pas voulu rester indifférent à la voix qui se
fait entendre en son sein et au sein de la société
québécoise où tous, quelle que soit leur origine, leur
religion ou leur langue, sont foncièrement égaux. Il n'a pas
voulu rester indifférent à l'appel qui lui était
adressé dans le sens d'une certaine ouverture et de là
découle le deuxième volet de la décision gouvernementale,
celui d'une ouverture relative à des formes de présence d'une
autre langue dans l'affichage à l'intérieur des
établissements commerciaux. Ce n'est pas une décision facile.
Elle n'est pas facile à expliquer aujourd'hui. Je pense qu'il faudra la
circonscrire. Je pense qu'il faudra définir clairement les
modalités de cette manifestation nouvelle d'autres langues à
l'intérieur des établissements commerciaux de manière que
la présence prédominante du français soit bien
assurée, sans être pour autant écrasante ou humiliante pour
d'autres langues qui ont également leur dignité et leur valeur
à mes yeux.
Je crois qu'au lieu de vouloir déclencher une croisade à
propos de ce deuxième volet qui exige plus de prudence et de
discernement et au sujet duquel je pense que des débats publics nous
seront très utiles à nous, des deux côtés de la
Chambre, nous devrions voir cette volonté d'ouverture qui n'est pas du
tout l'expression d'une volonté d'asservissement ou d'une volonté
de démission. Je pense que nous sommes capables, moyennant toujours une
prudence qui m'apparaît nécessaire, autant sur le plan
législatif que sur le plan réglementaire, de franchir des pas
dans la voie d'une ouverture plus grande. Il me semble que c'est cela, la
signification profonde de la décision qui a été
annoncée par le gouvernement.
Je pense que le volet par lequel le gouvernement déclare sa
volonté de maintenir le visage français du Québec et par
lequel il n'hésite pas à recourir à la clause "nonobstant"
qui inspirait pourtant des réserves très sérieuses
à plusieurs de nos collègues et à de nombreux citoyens de
tout le pays, le gouvernement l'a fait clairement, fortement, vigoureusement.
Je pense qu'il agira dans le même esprit, avec le même souci de
servir la collectivité québécoise et le caractère
français du Québec qu'il l'a fait dans les autres
décisions qu'il a prises jusqu'à maintenant.
Je souhaite surtout que le gouvernement continue de renforcer son action
dans tous les secteurs de l'activité collective, d'abord pour revigorer
le français, comme nous essayons de le faire dans notre système
d'enseignement par ce plan d'action que nous diffusons dans toutes les
écoles du Québec, qui reçoit dès cette année
un accueil formidable de la part des milieux d'enseignement. Je pense aussi que
nous pouvons accomplir ce premier objectif en travaillant honnêtement
à faire une juste place à nos concitoyens d'autres langues et
d'autres origines. Merci beaucoup.
Des voix: Bravo!
La Vice-Présidente: Merci, M. le ministre de
l'Éducation. Je vais maintenant reconnaître Mme la
députée de Chicoutimi.
Mme Jeanne L. Blackburn
Mme Blackburn: Merci, Mme la Présidente. À entendre
le ministre de l'Éducation nous rappeler un certain nombre de choses,
dois-je dire, assez fondamentales, on aurait presque cru qu'il irait
jusqu'à dire: II aurait fallu adopter la clause dérogatoire pour
maintenir le statu quo. Il nous a rappelé des choses pertinentes,
intéressantes et j'allais dire aussi fondamentales. D'abord, il nous a
rappelé l'attachement des Québécois francophones à
la loi 101. Je pense qu'il est important de se rappeler qu'on ne touche pas
impunément à la loi 101. Il nous dit également qu'il
faudrait que cela fasse consensus autour de ce débat au Québec.
Cependant, il a négligé de nous dire comment nous pourrons faire
consensus avec quelques heures de débat. J'aurais aimé qu'il nous
le dise.
Il nous a dit également - c'est intéressant
à observer parce que s'il avait dit le contraire, il sait
très bien qu'on aurait pu le prendre à partie - qu'il
était important que les gouvernements maintiennent des moyens pour
intervenir à l'occasion, même si cela pouvait avoir comme
conséquence de brimer les droits individuels, et donc que les clauses
dérogatoires ou dites "nonobstant" sont indispensables dans toute
législation.
Il nous a également dit qu'il fallait faire preuve d'ouverture,
qu'il fallait permettre l'affichage d'autres langues à
l'intérieur des commerces, par exemple, la langue de l'usager, la langue
de l'acheteur. Pourtant, le Parti québécois, avec le
député de Mercier ministre responsable de la langue, avait permis
cette ouverture. Et le premier ministre nous le rappelait, 67 % des commerces,
au moment où l'on se parle, peuvent afficher en français à
l'extérieur et, à l'intérieur, en français et dans
leur langue. Cette ouverture était déjà faite, elle est
déjà inscrite dans la loi 101.
Ce matin, le premier ministre nous pariait des libertés
individuelles. Il se faisait le champion de la défense des
libertés individuelles au Québec. Pourtant, il oubliait de nous
dire que les libertés les plus fondamentales, ce qui s'appelle la
liberté de conscience, seront proprement niées dans le projet de
loi 107 que nous adopterons dans les prochains jours. Pour les gens qui
l'ignorent, au Québec, nous aurons des écoles catholiques ou
protestantes, mur à mur, avec un projet inspiré des valeurs et
des croyances de l'Église catholique. Dans ma région, cela ne
pose pas de problème, mais pour les jeunes allophones de la
région de Montréal, à la CECM, cela veut dire qu'ils sont
baignés dans une école où les valeurs transmises sont des
valeurs et des croyances de la religion catholique, indépendamment de
leurs propres valeurs religieuses, de leur propre culture religieuse et de
leurs propres convictions religieuses. (20 h 40)
Ces enfants sont soumis à un projet éducatif qui est
imprégné des valeurs et des dogmes de l'Église catholique
ou protestante. Mais comme dans les écoles protestantes, on est un peu
moins strict, on a un glissement des jeunes allophones vers les écoles
françaises de la PSBGM. Et le ministre de l'Éducation vient nous
parler de la nécessité de tout mettre en oeuvre pour s'assurer
que les jeunes Québécois maîtrisent bien leur
français et que les jeunes allophones s'intègrent bien à
la communauté francophone. Premièrement, cela n'est pas vrai.
Deuxièmement, la liberté la plus fondamentale d'un individu, la
liberté de conscience, sera niée par le biais de la clause
"nonobstant" parce qu'il y aura dans la loi 107 une clause dérogatoire
qui donnera des privilèges, qui consacrera les privilèges des
confessions catholiques et protestantes.
Mme la Présidente, le premier ministre, ce matin, parlait de ce
respect des libertés individuelles, de ce respect des libertés
d'expression. Comment peut-il avoir cette audace, alors qu'on est en train de
disposer, de nuit, d'un projet extrêmement important duquel le ministre
de l'Éducation disait: L'attachement des francophones à l'endroit
de cette loi... On est en train de disposer d'un projet qui vient amender la
loi 101 sans consultation, sans que les gens puissent s'exprimer, alors qu'on
bâillonne l'Opposition, qu'on bâillonne le Parlement, alors qu'on
bâillonne tous les Québécois, les 20 000 qui se sont
présentés au centre Paul-Sauvé. ceux qui sont venus
contester dans notre région, ceux qui sont venus sur la colline
parlementaire, les représentants d'une vingtaine d'organismes qui
rencontrent, Mme la Présidente...
Une voix: ...qu'il prenne donc ses valiums, là.
La Vice-Présidente: Non, non, là, un instant! S'il
vous plaît, je demande la collaboration de la Chambre. Mme la
députée de Chicou-timi...
M. Godin: Mme la Présidente, est-ce que les
députés pourraient reprendre leur place? Il y aurait moins de
regroupements et donc moins d'occasions et de tentations de jaser amicalement
dans un caucus improvisé. Leurs places sont là-bas, je pense.
La Vice-Présidente: Bien, je remarque effectivement qu'il
y a des députés qui ne sont pas à leur siège. Je
demanderais... Effectivement, je ne fais pas de différence.
Écoutez, un instant! En vertu du règlement de cette Chambre, il
est bien spécifié que les députés doivent
être à leur siège. Bon, là-dessus... Je demanderais
la collaboration de la Chambre. Je veux bien faire respecter le
règlement, mais s'il n'y a personne qui m'aide à le faire,
ça va être assez difficile. Cela étant dit, Mme la
députée de Chicoutimi.
Mme Blackburn: Merci, Mme la Présidente. Je comprends que
ça puisse être dérangeant de se faire dire un certain
nombre de vérités. Actuellement, ce que les députés
libéraux doivent savoir, c'est que les seuls perdants dans le projet de
loi 178 qui est déposé, ce ne sont pas les anglophones, pas les
ministres anglophones qui ont démissionné, les seuls perdants, le
seul recul, ce sont les francophones du Québec. Le seul recul dans la
loi qui nous est soumise, ce ne sont pas les anglophones, ce sont les
francophones dont la situation recule. Vous allez me dire: Comment se fait-il
que ce sont les anglophones qui démissionnent? Parce qu'ils sont
habitués, par tradition, à gagner au Québec. Et là,
ils sont en train de reculer. Comme ils pensaient qu'ils gagneraient tout, ils
claquent la porte. Sauf que nos députés libéraux
francophones sont en train de dire: Bravo, merci, on n'a pas tout perdu. C'est
ça qu'ils sont en train de dire. Et Hs en
sont fiers. On n'a pas tout perdu. On est chanceux, Mme la
Présidente. On n'a pas tout perdu. On pensait tout perdre. On n'a pas
tout perdu. Bravo! C'est ça qu'ils sont en train de nous dire.
Les anglophones, cependant, se sont fait leurrer et je comprends leur
déception. Parce que tous les messages du gouvernement du Parti
libéral étaient clairs à l'endroit des anglophones. Ils
ont tout gagné depuis l'élection du gouvernement libéral,
Mme la Présidente. L'amnistie des illégaux, ce sont 1500 jeunes,
leurs frères, leurs soeurs, leurs cousins, leurs cousines. Ils ont
même introduit dans les dérogations ce que Jean-Pierre Proulx, du
Devoir, appelait la clause "ma tante", la conception européenne,
napolitaine de la famille où vous incluez tout: le cousin, la cousine,
la grande famille. Et c'est ça, les dérogations qu'on accorde
actuellement aux jeunes qui veulent fréquenter les écoles
anglaises à Montréal. Je vois le député de
Roberval. Je ne suis pas sûre qu'il connaisse bien cette situation. La
loi 142 qui oblige, dans les hôpitaux de Roberval, de Dolbeau et de
Chicoutimi, à offrir un service en anglais.
Une voix: Cela n'a pas de bon sens.
Mme Blackbum: Mme la Présidente, s'il ne connaît pas
la loi 142, on peut lui en parler. La même chose, d'ailleurs, dans les
centres de services sociaux, les CSS, dans la région du
Saguenay-Lac-Saint-Jean comme dans toutes les régions. Ils ont dû
mettre en plade, s'assurer qu'il y avait en place un service qui permettait de
répondre aux anglophones dans nos régions pour les quelques-uns
qui pourraient éventuellement se présenter. Je comprends
parfaitement les anglophones d'être complètement, tout à
fait déçus, parce qu'ils s'attendaient à tout gagner.
Parce qu'ils avaient à peu près tout gagné ce qui leur
avait été promis par ce gouvernement, ils se sont dit: Ça,
on va l'avoir. Et on ne l'a pas eu.
Cependant, Mme la Présidente, les vrais perdants, les seuls
perdants, ce sont les francophones. Qu'est-ce que ça veut dire,
unilingue français à l'extérieur et bilingue à
l'intérieur? Cela veut simplement dire la façade, le
faire-semblant, on va dire que c'est français. Mais les vraies affaires,
quand on va parler "money", quand on va faire des affaires, quand on va faire
du commerce, là ce sera en anglais. C'est ce que cela veut dire. Et le
message est clair. Comment pouvez-vous inviter et solliciter les jeunes
Québécois francophones à bien maîtriser leur langue
quand tout est en train de leur dire que si tu veux gagner ta vie aujourd'hui,
il faut que tu parles anglais; il ne faut pas que tu sois bilingue? Ne nous
trompons pas, être bilingue au Québec, à Montréal,
c'est parler anglais et approximativement d'autres langues. C'est ce que cela
veut dire. Il faut aller voir comment ça se passe dans les commerces,
dans les fast-foods à Montréal. Vous allez constater que les
jeunes francophones avec les jeunes allophones, la langue de communication,
c'est l'anglais. Vous n'avez qu'à les observer un peu, qu'ils soient en
train de desservir les tables ou venir vous servir, entre eux ils se parlent en
anglais. C'est ça, la réalité montréalaise.
Tout à l'heure, le ministre nous parlait, d'ailleurs comme le
ministre responsable du projet de loi 178, de faire des distinctions selon
qu'on soit à Chicoutimi ou à Montréal. Alors, ça
pourrait donner le portrait suivant: À Chicoutimi, unilingue partout; je
m'en réjouis. Cependant, qu'est-ce que ça veut dire, le ghetto
qu'on va créer à Montréal? Cela veut dire que nos jeunes
de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de Rimouski, de l'Abitibi, ne
se sentiront plus chez eux à Montréal. Cela veut dire que les
personnes âgées vont hésiter à s'y rendre parce
qu'à un moment donné, on ne les servira même plus en
français, à Montréal. Cela veut dire que les gens de chez
nous ne seront plus chez eux au Québec parce qu'on aura réussi
à créer deux Québec, un Québec où c'est
bilingue, et bilingue c'est anglais, on le sait, bilingue c'est anglais, et un
Québec qui sera francophone.
Mme la Présidente, les anglophones ont raison d'être
furieux parce que non seulement ce gouvernement a donné tout ce qu'ils
attendaient, il en a même donné plus. Ils ont payé les
avocats d'AINance Québec dans la cause de Browns pour casser la loi 101.
Il ne faut jamais oublier ça. Ils ont payé les avocats d'Alliance
Québec pour casser la loi 101. De plus, le Procureur du Québec,
et ce n'est pas nous qui le disons, dans le jugement de Browns, rappelle ceci:
Toutefois, les documents se rapportant à l'article 1 - je cite le
jugement dans la cause de Browns - et à l'article 9.1
n'établissent pas que l'exigence exclusive du français est
nécessaire pour atteindre l'objectif législatif, ni qu'elle est
proportionnée à cet objectif. Cette question précise n'est
même pas abordée dans les documents. En fait, dans son
mémoire et dans ses arguments oraux, le Procureur général
du Québec n'a pas tenté de justifier l'exigence de l'emploi
exclusif du français. Non seulement il payait les avocats de Browns,
mais le Procureur du Québec ne défendait pas la
nécessité de l'unilinguisme français dans l'affichage
à l'intérieur et à l'extérieur. C'est ça que
nous dit le jugement de la cour.
Il ne faut pas s'étonner que les anglophones soient
mécontents parce que tous les messages convergeaient dans la
direction... Le jugement va s'en aller dans la direction qu'on aura
souhaitée parce qu'on a payé les avocats des deux bords. C'est
ça que cela veut dire. Ce n'est pas étonnant, le jugement qu'on a
en main. Il est exactement ce que souhaitait le gouvernement du Parti
libéral, parce que, rappelons-le, il a payé les avocats des deux
parties. (20 h 50)
Mme la Présidente, la situation du français au
Québec est fragile, comme le rappelait tout à
l'heure le ministre de l'Éducation. La situation du
français est fragile et extrêmement vulnérable. La tendance
va être de choisir la facilité, et la facilité, c'est
l'anglicisation. Le projet de loi 178 vient nous dire que, en apparence, c'est
français, mais la vraie réalité, lorsqu'on fait du
commerce, c'est l'anglais. C'est ce qu'on est en train de nous dire. Mme la
Présidente, la situation du français est fragile, mais la
responsabilité fondamentale d'un État quel qu'il soit, c'est de
protéger les cultures, les cultures minoritaires, parce que, ne
l'oublions pas, le français en Amérique du Nord, est une culture
minoritaire. Il faut comprendre que toute civilisation, toute culture contribue
à l'enrichissement de l'humanité. Je ne comprendrai jamais qu'on
comprenne, actuellement, un peu partout dans le monde, y compris probablement
chez les députés libéraux francophones, qu'il est
important de sauver des espèces animales parce que cela contribue
à l'équilibre écologique. Tout le monde comprend ça
et tout le monde achète ça, sauf que, lorsqu'il s'agit de la
sauvegarde d'une culture, on est incapable de faire le même
raisonnement.
Des voix: Bravo!
Mme Blackburn: Pourtant, Mme la Présidente,
l'équilibre de l'espèce humaine réside dans la
diversité de ses cultures au moins autant que l'équilibre de
l'environnement réside dans la survivance de ses espèces. Je
pense à tous les efforts qu'on est en train de mener pour sauver les
baleines bleues. Une culture serait-elle moins importante? Une culture
n'aurait-elle pas un rôle aussi important à jouer dans
l'équilibre de l'humanité et dans sa richesse? La culture
francophone en Amérique du Nord, c'est une poignée d'habitants
qui luttent contre l'envahissement de l'anglicisation et de
l'américanisation. Cela rentre chez nous par la
télévision, par la radio, par les revues, par les "clippings",
par tout ce que vous voulez. On a beau être au Saguenay, en Abitibi ou
dans le fin fond de la Gaspésie, c'est la même
réalité. On est en train de nous dire: Ce n'est pas grave parce
qu'on va laisser l'image, on va faire semblant que ça va se passer en
français, alors que la vraie réalité sera l'anglais.
Mme la Présidente, j'aurais souhaité que les
députés libéraux francophones aient au moins la même
vigueur et la même détermination qu'ont eues les ministres qui ont
démissionné. Si on avait eu cette attitude du côté
des francophones, elle aurait été au moins correspondante au
mouvement qu'on connaît actuellement au Québec. C'est comme s'ils
étaient sortis de rien, ces députés-là, puisqu'ils
ne font pas attention à tous les mouvements de contestation qui se sont
levés très spontanément, un peu partout au Québec.
On m'apprenait que, cet après-midi, à Chicoutimi, 1200 jeunes
manifestaient.
M. Boulerice: Cela fait juste commencer.
Mme Blackburn: Ces 1200 jeunes estimaient qu'ils fallaient qu'ils
sortent parce que, pour eux, c'est primordial la loi 101 et la
préservation de la langue au Québec. La loi 101, c'était
le minimum. Les anglophones qui sont tenaces et qui n'ont pas l'habitude, il
faut le reconnaître, de se voir traiter comme une minorité,
réalisent tout à coup qu'ils ont tout, mais qu'il leur en
faudrait plus. Ils n'auront de cesse, remarquez bien ce qu'on dit, qu'ils
n'aient complètement démoli la loi 101. Ils n'arrêteront
pas à moins de ça et vous le savez pertinemment. Ils ne l'ont
jamais digéré. Comment voulez-vous qu'une majorité
accepte, parce qu'elle est au Québec, de se faire diriger par une
minorité francophone, parce que au plan canadien, on est minoritaire?
C'est ça la réalité des anglophones au Québec. On
ne peut pas la leur reprocher. On ne peut que le constater. Leur attitude est
une attitude de majorité. Il ne faut jamais se tromper. Ils ne l'ont
jamais accepté et ils n'auront de cesse qu'ils auront cassé la
loi, ce qui a amené le ministre démissionnaire, le ministre de la
Justice, à payer les avocats d'Alliance Québec pour aller casser
la loi. Il ne faut pas oublier que s'il a démissionné, il croyait
à sa capacité de pouvoir casser la loi en matière
d'affichage.
Mme la Présidente, je rappelle que je souhaiterais que ces
députés fassent preuve au moins du même courage que leurs
collègues anglophones. Je souhaiterais par-dessus tout que ce
gouvernement lève le bâillon qu'il est en train de mettre sur tout
ce débat adopté en fin de session, à la veille du
congé de Noël, à la sauvette, alors qu'on change une loi qui
est fondamentale au Québec. Je souhaiterais qu'on ait au moins, à
l'endroit de cette loi, le même égard que celui qu'on a eu
lorsqu'on a parlé du financement des universités où on a
rencontré et entendu 100 organismes, alors que sur un petit projet de
loi qui s'appelle le Conseil permanent de la jeunesse, on en a rencontré
plus de 50, alors qu'on vient de passer plus de six semaines en commission
parlementaire sur un projet de loi sur l'éducation. Est-ce à dire
que lorsque ça concerne la loi 101, c'est moins important?
Mme la Présidente, la loi 101 est fondamentale au Québec.
Le minimum qu'on peut souhaiter, c'est qu'elle fasse au moins l'objet d'une
commission parlementaire et d'une étude article par article en
commission parlementaire comme ça se fait pour la très grande
majorité des projets de loi en Chambre, pour tous les projets de loi,
à moins, Mme la Présidente, qu'on soit bâillonnés
comme c'est le cas actuellement. Je vous remercie.
La Vice-Présidente: Merci, Mme la députée de
Chicoutimi. Je vais maintenant reconnaître M. le député de
Chambly.
M. Gérard Latulippe
M. Latulippe: Mme la Présidente, je crois aux valeurs
fondamentales de ce pays. Je crois aux libertés fondamentales sur
lesquelles ce pays est bâti. Je crois profondément en la
liberté d'expression et au respect que l'on doit accorder au jugement
des tribunaux de ce pays.
J'ai appris que même si on ne partageait pas l'opinion des juges,
il fallait la respecter. Même si je me sens mal à l'aise avec la
présente décision de la Cour suprême du Canada, la loi
c'est la loi et elle a été interprétée. Je crois
cependant que le jugement ultime sur les valeurs fondamentales d'une
société revient à la population et non aux juges. Nous
vivons au sein d'une démocratie parlementaire d'origine britannique
où la volonté du Parlement est la loi ultime du pays. J'accepte
que le Parlement en qui j'ai placé ma confiance soit le juge ultime des
limites raisonnables qu'un État démocratique et respectueux des
valeurs individuelles peut apporter à certains droits et certaines
libertés, même dites fondamentales.
L'histoire des francophones d'Amérique nous a laissé de
douloureuses plaies et nous les ressentons encore. Il y a moins de 100 ans, 600
000 de nos compatriotes ont émigré vers la Nouvelle-Angleterre.
Aujourd'hui, ils n'ont de français que le nom: Bill Tardif, Jeff
Robitaille. Dans ma famille, des gens, il y a un certain nombre
d'années, ont quitté la Beauce pour l'État du Maine.
Aujourd'hui, ils sont séparés de nous plus que par une
frontière, mais par une langue, mais par la culture. (21 heures)
L'histoire nous a appris que nous devions avoir le contrôle de nos
institutions et de notre gouvernement si nous voulions continuer à vivre
et à progresser dans notre langue. Ce n'est pas une affiche qui est en
jeu, ni sa grosseur ni sa couleur, ni qu'elle soit à l'intérieur
ou à l'extérieur. Moi, je m'en fiche de l'affiche. C'est le fait
que mon gouvernement, mon premier ministre décide d'agir dans le sens de
la protection de ma langue.
C'est la responsabilité que l'histoire lui confie. La Cour
suprême confirme que la langue française est menacée au
Québec. Mais nous, Québécois francophones, on le sait
tous, on le ressent en chacun de nous. Quand on réalise qu'on ne fait
plus d'enfants, on s'inquiète parce que cela a été une
façon pour nous de survivre en cette terre d'Amérique durant une
période de notre histoire. Quand on voit que les francophones hors
Québec ont été assimilés en quelques
générations, on se demande à quand notre tour.
Personnellement, je suis fier quand je vois un Italien, un
Sud-Américain, un Hollandais, un Vietnamien adopter la terre du
Québec. J'accepte qu'il aime sa langue et veuille la conserver aussi. Je
respecte ses droits de minoritaire au Québec. Je les respecte d'autant
plus que je sais ce que c'est que d'être minoritaire.
Cela fait plus de 300 ans que nos ancêtres se battent pour
survivre en français au milieu d'une terre d'une autre langue. Mais en
même temps, je veux lui donner le goût de notre langue. Quand je
vois un petit Vietnamien emmitoufflé, la tuque renfoncée
jusqu'aux oreilles, qui joue au hockey, ça me rassure. Si j'entends
qu'il parle en anglais à ma fille, ça m'inquiète. Je suis
fier que les Québécois francophones aient changé depuis
les 25 dernières années. Nous sommes devenus des gens confiants
en nous-mêmes. Nous n'avons plus peur de nous lancer en affaires comme
jadis. Nous souhaitons tous que nos enfants maîtrisent l'anglais. Nous
sommes encore plus fiers s'ils apprennent l'espagnol, l'italien ou l'allemand.
Je me sens bien à l'aise avec un homme d'affaires suédois ou un
politicien hollandais ou malésien.
J'ai le goût de vendre mes produits sur les marchés de
Londres, de New York ou de Singapour et je n'ai pas peur du
libre-échange. Mais, malgré tout, je tiens à ma langue,
à ma culture, et ça à tout prix. Je demeure inquiet,
même si je ne suis pas un indépendantiste. Je me fiche de
l'affiche, français, anglais, russe, mais je ne suis pas prêt
à donner à mes compatriotes le signal que je n'ai plus la
volonté profonde de me servir de mon gouvernement pour protéger
et promouvoir ma langue. Je tiens à garder le visage français du
Québec. Pourtant, je suis toujours prêt à faire ce petit
bout de chemin qui nous permettra, au Québec, de rester unis entre les
différentes communautés qui nous composent. Pourtant, je suis
prêt à reconnaître que mes amis anglais, italiens ou
espagnols ont le droit d'être informés dans une autre langue que
la mienne quand ils font leurs achats.
Je suis prêt à permettre que l'affichage, oui, à
l'intérieur des commerces puisse se faire dans une autre langue que la
mienne, pour autant que le français garde plus d'importance, parce que,
tout simplement, je ne suis pas un radical, je cherche un peu
l'équilibre entre mes droits et celui des autres. Au fond, c'est un peu
ça l'âme du Québec profond. Le Québécois qui
est tiraillé entre ses droits individuels, ses droits collectifs,
l'ouverture sur le monde et sa sécurité culturelle. Je suis
profondément convaincu qu'avec le projet de loi 178, le français
ne reculera pas, il progressera même. Je ne sens pas non plus que je
brime les droits de qui que ce soit. L'utilisation actuelle de la clause
dérogatoire est morale et légitime. Le droit de l'un se termine
là où celui de l'autre commence. Nos droits individuels ne sont
pas absolus et, dans de nombreux cas, les droits collectifs ont primé
lorsque l'intérêt juste et équitable d'une
collectivité était en jeu.
Quand, en vertu d'un programme d'accès à
l'égalité, on privilégie l'embauche de Noirs dans la
police ou de femmes dans la fonction publique, on restreint, jusqu'à un
certain point, les droits individuels de d'autres groupes. Ces exceptions se
retrouvent dans les deux chartes, québécoise et canadienne, tout
de même! Il s'agit là d'excep-
tions, de restrictions que l'on a même enchâssées
dans nos chartes de droits et libertés de la personne. La liberté
d'expression ne compte-telle pas elle-même différents
degrés? La liberté d'expression de nos idées politiques,
de nos valeurs culturelles dans la langue de notre choix, est-ce qu'elle
revêt la même importance que la liberté d'inscrire sur une
affiche la version anglaise d'une raison sociale française?
J'ai eu l'occasion d'aller moi-même dans les pays du sud de
l'Amérique. J'ai pu constater ce que c'était que d'être
emprisonné, parce qu'on exprime ses idées politiques, ses valeurs
culturelles. Les droits et libertés de la personne, ce ne sont pas des
droits qui sont enchâssés dans toutes les constitutions. Aux
États-Unis, on a enchâssé dans la constitution
américaine le droit de propriété. Au Canada, on a choisi
de ne pas le faire. Au Québec, on protège contre la
discrimination relative à la condition sociale, à l'orientation
sexuelle. On a choisi de ne pas le faire dans la charte canadienne. Les droits
et libertés fondamentaux sont ceux que l'on décide de se donner.
Ils sont tous relatifs, ils ne sont pas absolus. Au fond, j'ai aussi un droit
fondamental à la survie de ma langue pour moi et mes enfants. Nous
sommes francophones du Québec; nous, francophones du Québec,
avons droit à notre sécurité culturelle.
Je souhaite que l'on mette un point final à cette question de
l'affiche et de l'affichage pour qu'on regarde en avant, vers où on doit
réellement se diriger. Qu'on cesse uniquement de se servir d'un symbole
pour dire aux Québécois qu'ils sont en train de perdre leur
langue, mais plutôt qu'on leur dise qu'ils ont d'autres moyens, que notre
État, que notre gouvernement est capable de nous donner, à part
la loi: pas pour protéger notre langue, non pas pour la promouvoir, non
pas pour cacher notre langue, mais pour l'aimer, pour améliorer sa
qualité, pour faire en sorte que le Québec devienne un centre
d'excellence du français, non seulement au Québec, mais dans la
francophonie internationale, pour faire en sorte que la langue française
des Québécois soit non seulement la langue de la francophonie,
mais qu'elle soit aimée par les Anglais, les Italiens, les Espagnols,
parce que c'est une langue qui se parle bien, parce que c'est une langue qui
s'aime. C'est comme ça qu'on va faire du Québec un peuple uni
dans sa diversité.
Je veux que l'on parle moins de protection du français, mais plus
de promotion du français. Je pense que nous voulons tous vivre en
français au Québec, mais dans une société
pluraliste. Je veux que l'on respecte nos droits, mes droits, mais je veux que
l'on respecte aussi ceux des autres. C'est ça que nous retrouvons
effectivement dans cette décision du gouvernement. Au-delà de
l'intérieur-extérieur, s'ouvrir sur le monde et se
protéger lui-même, c'est ce dilemme que le Québécois
vit. C'est cela être Québécois. (21 h 10)
La Vice-Présidente: Merci, M. le député de
Chambly. Je vais maintenant reconnaître Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Louise Harel
Mme Harel: Merci, Mme la Présidente. C'est quand
même un paradoxe que, dans les faits, objectivement, en fait, le malheur,
c'est que le premier ministre agisse en reculant et que ce soient les
députés anglophones qui n'en soient pas contents. Ils n'en sont
pas contents parce que le recul n'est pas suffisant. En cette Chambre, les
députés francophones de la majorité ministérielle
voudraient nous voir applaudir le recul que le premier ministre est en train
d'introduire avec le projet de loi 178. Là, il ne faudrait quand
même pas confondre, comme certains, dont le premier ministre
lui-même... Alors d'autres ont le modèle tout indiqué
devant eux pour continuer de confondre et d'introduire des malentendus sur ce
qui existait déjà avec la clause qui permettait à des
entreprises familiales, de petites entreprises de quatre employés et
moins y compris le patron, d'utiliser leur langue, une langue autre que celle
de la majorité. Quatre et moins, il faut bien voir que ce sont des
dépanneurs ou de petits commerces où on engage la belle-soeur ou
le cousin.
C'est bien d'autre chose dont il s'agit. Il s'agit, avec le projet de
loi 178, d'un jugement à la Salomon pour ne pas avoir vraiment à
choisir, parce qu'en matière de langue, il n'y a pas de centre. Il y a
l'une ou l'autre. Pour ne pas avoir vraiment à choisir, le premier
ministre a pensé continuer de faire ce qu'il avait déjà
entrepris sous son premier régime lorsqu'il a introduit la loi 22, de
funeste mémoire, qu'il se plaît à rappeler pour avoir, pour
la première fois, fait du français la langue officielle, mais
qui, à part cette déclaration, introduisait surtout une
réglementation complètement inacceptable, une
réglementation qui était suffisamment inacceptable... Imaginez,
on amenait des enfants de prématernelle passer des tests dans des
sous-sols d'églises et ces tests consistaient à savoir s'ils
avaient un usage suffisant de l'anglais pour leur permettre d'entrer à
l'école. Ces tests, c'est à peu près ce à quoi vont
ressembler les règlements qu'on ne connaît pas encore, mais qui
nous seront tout prochainement présentés. Les
députés libéraux les appuient déjà sans
même les connaître. Ces règlements vont, vous vous rendez
compte, prévoir quel lettrage et quel caractères, quel type de
pancartes, si c'est sur la même ou s'il y en aura deux et si les lettres
devront être de couleur plus vive pour qu'il y ait prédominance ou
non. Évidemment, c'est un jugement à la Salomon et c'est
malheureux que le député de Chambly et le ministre de
l'Éducation...
Le ministre de l'Éducation - je l'écoutais ce soir - me
faisait exactement penser à ce qu'il était quand il
écrivait des éditoriaux dans Le Devoir. On était
d'accord avec ses analyses, puis,
quand arrivaient les conclusions, on aurait dit que cela
déraillait, cela dérapait. Je me suis demandé,
aujourd'hui, durant le débat, ce qu'un observateur de la
fédération internationale des droits humains... Imaginons qu'il y
en aurait eu un de passage au Québec qui, dans les galeries, aurait
écouté les débats d'aujourd'hui et qui aurait
été désireux de savoir plus exactement quelles
étaient ces fameuses libertés fondamentales invoquées par
les trois ministres démissionnaires pour quitter le cabinet et
siéger comme simples députés et qui m'aurait
demandé: Mais, de quelles libertés fondamentales s'agit-il?
S'agit-il de protestations contre les nombreuses atteintes au droit et à
la sauvegarde de l'honneur, de la vie privée, de la réputation
des personnes assistées sociales qui sont atteintes par des mesures
d'inquisition que le gouvernement continue? Non. Aucun député
libéral ne s'est levé en cette Chambre ou en commission pour
remettre en question ou simplement pour mettre en doute ce type de
contrôle qui s'effectue et qui, pourtant, est discrédité
par la Commission des droits de la personne, elle-même. Aucun
député libéral ne s'inquiète du sort de ces
personnes. Et pourtant, l'article 4 de la charte des droits prône le
droit au respect et à la sauvegarde de la vie privée, de
l'honneur et de la réputation. S'agit-il de protestations contre la
dérogation gouvernementale, dans le projet de loi 107, aux
libertés fondamentales telle la liberté de conscience et de
religion? Non plus. Il n'y a pas un député libéral, en
commission parlementaire ou à l'Assemblée, qui a même
posé des questions sur ces dérogations que le gouvernement va
bientôt adopter. Non, non. Ces libertés fondamentales, ce sont de
nouvelles libertés jusqu'à maintenant inconnues. Elles sont
toutes nouvelles. Ces libertés fondamentales sont celles de permettre
à des commerces l'affichage bilingue; ce n'est pas peu de chose! La
publicité commerciale est maintenant élevée au rang des
droits humains. Je peux vous dire que cela ne va pas beaucoup convaincre dans
la communauté internationale. Et je ne pense pas qu'il y en ait
plusieurs qui proposent d'enrichir les droits de l'homme de cette nouvelle
liberté fondamentale d'afficher bilingue. Non, c'est pour la
consommation canadienne, cette liberté fondamentale.
Même les Américains n'étaient pas allés aussi
loin. Et, dans l'arrêt Victoria Pharmacy, c'est la première fois
aux États-Unis, en 1976, que la Cour suprême a introduit cette
protection constitutionnelle du Commercial Speech. Encore là, il faut
bien voir qu'on est dans le pays de la libre entreprise et que c'était
considéré par la cour comme faisant partie de façon
intégrée de la liberté d'entreprise, même au point
où c'était considéré comme l'un des piliers du
système capitaliste. C'est comme cela que cela a été vu
par les tribunaux. Et même à la Cour suprême
américaine, on a bien pris soin de faire toutes les mises en garde
nécessaires pour souligner toutes les différences entre
l'expression commer- ciale et toutes les autres formes d'expression
politique.
Voyez-vous, la définition classique de la liberté
d'expression consiste essentiellement en des droits politiques, en la
liberté d'expression d'opinions politiques et en des libertés de
création artistique et culturelle. C'était cela jusqu'à
maintenant, la définition classique.
C'est extrêmement inquiétant de voir l'usage qui va pouvoir
être fait maintenant de cette protection constitutionnelle mur à
mur dans la publicité commerciale comme indispensable au bon
fonctionnement du système économique capitaliste. Jusqu'à
maintenant, les droits politiques, les droits d'expression étaient
réservés aux personnes qui votaient. Est-ce que les commerces
vont réclamer de pouvoir voter? Que va-t-il arriver, par exemple, de la
Loi électorale, une loi dont on est si fier dans la
société québécoise - le premier ministre
lui-même l'invoque tellement souvent - qui interdit le financement des
partis politiques par les entreprises? C'est évident qu'il y a là
"enfreinte" d'une liberté, celle de pouvoir financer les partis
politiques pour pouvoir exprimer des opinions. Et combien d'autres dispositions
de notre vie en société peuvent ne plus être à
l'abri d'une réglementation? Pensez simplement au tarif des
professionnels. Quand on est avocat - comme je le suis et comme l'est le
député de Chambly - ou notaire, on ne peut pas faire de la
publicité sur ces tarifs. On ne peut pas dire aux gens: Venez me voir,
cela va vous coûter moins cher. Il y a une réglementation. Et il y
en avait une sur la publicité destinée aux enfants qui, elle
aussi, malheureusement, a été écartée en partie,
tout au moins. (21 h 20)
Donc, c'est au nom de cette liberté fondamentale nouvelle
inconnue jusqu'à maintenant, qui est celle d'afficher bilingue, que la
communauté anglophone va inverser les rôles pour prétendre
être persécutée. C'est sans doute parce qu'ils ont compris
que, jusqu'à maintenant, dans ce psychodrame canadien, quand on est
victime, on peut peut-être aller se chercher des droits, mais,
voyez-vous, c'est qu'ils ne vont pas convaincre grand monde qu'ils sont plus
minoritaires qu'on l'est.
Et, en les écoutant, je me disais: Que la vraie minorité
se lève! Et la vraie minorité en Amérique du Nord, eh
bien, c'est la majorité francophone du Québec, mais qui fait 2,5
% dans l'ensemble de l'Amérique du Nord. Quand j'entendais M. Turner qui
disait à la télévision: Les droits minoritaires
linguistiques ne sont pas négociables. Très bien. Lesquels? Ceux
de la minorité que nous sommes ou ceux de la minorité qui
appartient à la majorité? C'est une minorité
choyée. Et j'écoutais leur porte-parole qui ne savait plus
exactement - et ça, je ne leur en fais pas grief - dénombrer
combien ils étaient. Admettons qu'ils sont plus qu'on pense et au moins
10 %, ce qui fait peut-être 600 000 dans notre société.
Pour 600 000, trois universités et
demie, McGill, Concordia, Sir George Williams, Bishop's, trois
cégeps, John Abbott, Champlain, Vanier et un quatrième que
j'oublie, deux postes de télévision à part tous les
autres, les dizaines de postes auxquels ils ont accès, une demi-douzaine
de postes de radios, six hôpitaux, des CLSC, un centre de services
sociaux à leur disposition. Pour 600 000 personnes, c'est quand
même une minorité qui n'est pas trop persécutée.
Et c'est évident, Mme la Présidente, qu'à inverser
les rôles, on ne convainc personne. Parce que le vrai test, c'est celui
de l'assimilation. Qui assimile qui dans notre société? Et,
malheureusement, sur ce test-là, nous ne sommes pas encore gagnants
malgré la protection de la Charte de la langue française depuis
1977. Malgré la protection de la Charte de la langue française au
moment où on se parle, les transferts linguistiques, c'est-à-dire
l'abandon de sa langue maternelle au profit d'une autre langue chez les
nouveaux arrivants, trois sur quatre se font en faveur de l'anglais. Et c'est
profondément une question qui est l'enjeu de ce dont on discute
présentement. Et c'est pour ça que le recul, le jugement à
la Salomon...
C'est un jugement à la Salomon que ce projet de loi 178. Le
danger, c'est qu'encore une fois, le message n'est pas clair. Pour moi, et je
n'ai pas besoin de le répéter, comme le fait, comme s'il n'en
était pas convaincu, le député de Rosemont, ministre
délégué à la langue, tout le monde est
québécois quelle que soit son origine. C'est bien évident.
La question c'est: Est-ce qu'on doit tous être francophones? Et
là, je mets en garde, quiconque ici de prétendre qu'être
francophone ça veut dire uniquement être Canadien français.
Et le plus pernicieux, le plus dangereux... Parce que je regrette, moi, les
jugements de la Cour suprême, celui-là en particulier, ne
m'impressionnent pas. Et je me rappelle d'autres jugements d'autres cours. Je
pense, entre autres, au Conseil privé qui a déjà
décidé que les femmes n'étaient pas des personnes pour
leur refuser, dans les années trente, le droit de voter. Alors, je me
dis qu'il y a des fois où les tribunaux se trompent. Et, pendant 60 ans
aux États-Unis, les Cours suprêmes ont décidé que la
ségrégation raciale était constitutionnelle. Cela leur a
pris 60 ans avant de renverser la jurisprudence. Alors, les cours, même
les plus hauts tribunaux, peuvent se tromper.
Et je regrette, mais en ce qui me concerne, ça ne m'impressionne
pas. Le jugement dans Browns, quand vous lisez textuellement: "II est permis
aux francophones de se servir de leur langue usuelle, alors que cela est
interdit aux anglophones et aux autres non francophones. Ou fait qu'il touche
et affecte différemment les personnes suivant leur langue usuelle,
l'article 58, qui traite de l'affichage, crée une distinction
fondée sur la langue au sens de la charte québécoise.
C'est le plus pervers, finalement, dans ce jugement. Ce qui est pervers, c'est
cette idée qu'il n'y a pas de langue commune au Québec. Il y a la
langue usuelle des francophones, c'est-à-dire des Canadiens
français. Il y a la langue usuelle des anglophones et il y a la langue
usuelle des autres. Chacun peut jouir dans sa langue usuelle, qui est comme sa
langue maternelle, du même traitement. Il n'y a pas de langue commune et
c'est là le plus pervers dans ce jugement.
L'inquiétude que j'ai à l'égard du projet de loi
178, c'est que le message ne soit pas clair encore une fois. Je le
répète, j'ai une expérience pas simplement de
Montréalaise, mais j'ai une expérience personnelle. Depuis des
années, je suis la conjointe d'un Québécois d'origine
autre et je sais trop bien, pour vivre fréquemment,
familièrement, dans d'autres communautés que celle de la
majorité francophone que, si le message n'est pas clair, le choix ne le
sera pas non plus. Quant aux nouveaux arrivants qui, à 92 %,
s'installent sur le territoire de l'île de Montréal - je le
répète, c'est grand, ça, comme le territoire du Luxembourg
- sur le territoire de IHe de Montréal qui compte déjà 40
% de non-francophones, donc qui a déjà une difficulté
d'intégration des nouveaux arrivants, avec des quartiers où on
peut, de la naissance à la mort, se passer complètement de
l'usage du français, ce n'est pas suffisant d'avoir le français
de façade.
Ce n'est pas suffisant. Le français de façade, ce n'est
pas suffisant, comme on se rend compte que ce ne l'est pas non plus de
l'apprendre, le français, à l'école. Ce n'est pas non plus
parce qu'on apprend l'anglais qu'on est anglophone. On peut parler anglais sans
pour autant être anglophone. On dit qu'on parle anglais. Cela vaut aussi
pour les enfants des familles immigrantes qui vont à l'école et
qui apprennent le français. Ils parlent français. Et, à la
maison, quand ce n'est pas la langue maternelle, Mme la Présidente,
c'est l'anglais qui devient la langue commune, parce que les nouveaux arrivants
en ont une langue maternelle, celle qu'ils ont apprise le plus souvent, comme
nous aussi, sur les genoux de leur mère ou de leur père. La
deuxième qu'ils vont apprendre sera celle qui va leur permettre de
gagner leur vie, de se faire servir, de se promener dans la ville, de se
retrouver dans la ville, de voyager, de prendre l'autobus, de se faire servir,
de se faire soigner. Le défi, l'enjeu, c'est que la langue commune soit
le français, que ce soit notre langue d'usage, que nous devenions tous
francophones. Et, quant à cet enjeu, c'est évident que le recul
du projet de loi 178 est inquiétant.
Je sais qu'il me reste peu de temps, Mme la Présidente, mais je
veux en profiter certainement pour applaudir mes concitoyens qui ont
décidé que c'était assez. Ils ont décidé que
c'en était assez et qu'ils allaient rester gagnants et n'allaient pas
être défaitistes. Le gouvernement ne le sait peut-être pas,
mais il a ouvert une "canne de vers", parce que ses règlements,
ça va être comme les règlements du "Bill 22". Cela va
l'entraîner dans un cercle absolument inextricable. Les gens n'en
veulent pas. C'est de la clarté que la majorité francophone exige
de la part du gouvernement. Le député de Nelligan a dit: La
langue, c'est un trait d'union entre les groupes. Laquelle? Encore faut-il
qu'on parle la même pour pouvoir au moins se parler et pour pouvoir se
comprendre.
C'est évident, Mme la Présidente, que pas plus qu'en 1974,
en 1988, le gouvernement n'est capable d'aller jusqu'au bout. C'est un premier
ministre timoré que l'on a et, malheureusement, il n'est pas capable
d'aller jusqu'au bout de l'inévitable, de l'inéluctable
nécessité, de la fondamentale nécessité. (21 h
30)
Mme la Présidente, c'est évident que l'anglais ne peut
continuer son oeuvre d'assimilation. Nos concitoyens ont décidé
de dire non. Ce n'est pas parce que la loi sera adoptée cette semaine
que vous pouvez penser que ce sera terminé. Je crois que vous devez
comprendre que la résistance ne fait que commencer et que les gens ont
déjà trouvé suffisant... Je sais que mon collègue
de Mercier va parler après moi et ce que le gouvernement du Parti
québécois a obtenu par consensus en 1983, après un mois de
commission, les gens considèrent que c'est complet et que c'est
là que ça s'arrête. C'est fini et, dorénavant, les
gens vont résister. Merci, Mme la Présidente.
La Vice-Présidente: Merci, Mme la, députée
de Maisonneuve. Je vais maintenant reconnaître M. le député
de Viger.
M. Cosmo Maciocia
M. Maciocia: Merci, Mme la Présidente. Le 15
décembre dernier, la Cour suprême du Canada rendait une
décision capitale quant à la langue de l'affichage public et des
raisons sociales au Québec. À la lecture de ce jugement, on
constate que la cour a clairement reconnu l'existence de deux principes
fondamentaux: premièrement, elle a convenu de la nécessité
de préserver et de promouvoir la langue française au
Québec et, deuxièmement, la cour a décidé que la
liberté d'expression incluait l'affichage public et les raisons
sociales.
La Cour suprême a donc reconnu, et je cite ici le texte du
jugement: "L'objectif de promotion et de préservation d'un visage
linguistique français au Québec", page 75. Fait
intéressant, Mme la Présidente, on peut voir dans le choix des
mots "promotion" et "préservation" une reconnaissance explicite du
caractère distinct du Québec, tel que formulé dans
l'entente constitutionnelle du lac Meech. La Cour suprême a de plus
affirmé que l'usage exclusif du français ne reflète pas la
réalité de la société québécoise -
toujours à la page 75. Celle-là, nous l'avons toujours reconnue.
D'ailleurs, le projet présentement à l'étude
démontre ce souci de garantir la permanence et la proéminence du
caractère français du Québec tout en respectant les
libertés individuelles. En terminant cette courte évaluation des
traits saillants de la décision de la Cour suprême, j'aimerais
souligner que cette dernière a argué que l'adoption de la clause
dérogatoire ou "nonobstant" représentait un exercice
légitime. Il faut admettre que le projet de loi devant nous, en ce
moment, limite l'exercice d'un droit individuel confirmé par la cour. Le
premier ministre a lui-même reconnu que le gouvernement a
arrêté son choix sur cette option avec beaucoup de
réticences car notre gouvernement est conscient du fragile et combien
difficile équilibre à maintenir entre les droits collectifs et
les droits individuels.
Pour sa part, l'Opposition nous blâme, M. le Président,
elle qui n'a même pas eu le courage politique de recourir à cette
disposition constitutionnelle quand elle était au pouvoir, elle qui
prône maintenant une solution extrême en matière
d'affichage. Je partage l'opinion exprimée par le premier ministre, hier
matin, lorsqu'il a affirmé, et je le cite, que, "dans les questions
linguistiques, le courage politique ne réside pas dans les solutions
extrêmes. Notre politique est en effet le triomphe du gros bon sens". Si
l'Opposition persiste à s'enfermer dans une maison des horreurs
linguistiques, nous continuerons, quant à nous, à favoriser la
création de voies de partage menant à l'établissement d'un
système consensuel authentique.
La loi proposée par le gouvernement est l'aboutissement d'un
processus difficile, voire même douloureux, mais elle représente
un choix conscient, courageux, clair et responsable. Elle dit très
simplement que l'affichage public et la publicité commerciale à
l'extérieur des établissements ou destinés au public qui
s'y trouve de même qu'à l'intérieur des centres commerciaux
et des moyens de transport public seront uniquement en français. De
plus, à l'intérieur d'un établissement, l'affichage public
et la publicité commerciale pourront être faits à la fois
en français et dans une autre langue, pourvu qu'ils soient
destinés au public qui s'y trouve et que le français y figure
d'une manière nettement prédominante.
Il me faut noter que le projet de loi présenté respecte
non seulement le programme du Parti libéral, obligation de respecter les
droits de la majorité francophone et affichage dans d'autres langues,
mais également l'arrêt récent de la Cour suprême.
Aussi déchirante qu'elle l'ait été, la décision
d'utiliser la clause "nonobstant" s'avère, je le répète,
un exercice légitime - ce sont les termes mêmes de la cour -
légitime, car elle reconnaît le pouvoir de l'Assemblée
nationale du Québec en matière linguistique.
L'ouverture du Québec sur le monde est désormais une
réalité mouvante et positive. Qu'on songe au succès
d'entreprises comme le Sommet de la francophonie à Québec au mois
de septembre 1987 ou, encore, à la tournée triomphale
du Cirque du soleil aux États-Unis. La précarité de
sa condition démolinguistique à l'échelle du continent n'a
pas empêché le Québec de s'affirmer sur la scène
internationale. Elle l'a peut-être même condamné au
succès.
Cependant, les Québécois francophones ne doivent pas
être les seuls à investir dans le français, à
investir dans la langue française. Il y a place pour tous les
Québécois, indépendamment de leurs attributs ethniques,
religieux et linguistiques. Les membres des communautés culturelles ont
plus qu'hier une ferme volonté d'apprendre le français car ils
savent que c'est le premier pas d'une intégration à venir. Pour
sa part, la communauté italienne est établie solidement sur le
territoire québécois depuis le début du siècle.
Elle reste la plus importante communauté culturelle en termes
numériques. Plus important encore, elle demeure un modèle
d'intégration, ayant accepté le caractère français
du Québec tout en ayant préservé l'essence de son
génie propre, comme sa langue, sa vie familiale, ses institutions
socio-économiques, son implication sociale. La communauté
italienne reconnaît l'importance du français au Québec en
même temps qu'elle laisse une large place aux libertés
individuelles.
Mme la Présidente, je suis d'avis qu'il ne faut voir là
nulle prétention que la communauté italienne ouvre la voie au
Québec en devenir, une terre où devra s'affirmer, comme l'a
écrit Léon Dion, et je le cite: "la primauté du
français dans le pluralisme culturel." La prise de conscience par les
membres des communautés culturelles du caractère français
du Québec est en partie imputable au travail inlassable du
présent gouvernement, travail qui s'est nettement manifesté par
un élargissement des critères d'accès aux COFI. Ces
centres de francisation pour immigrants accueillent maintenant des femmes
immigrantes ainsi que des personnes en attente du statut de
réfugié.
Bien sûr, il reste beaucoup à faire. L'intégration
n'est pas aisée quand la langue première du continent
nord-américain est l'anglais. Le Québec est nécessairement
confronté à la force démographique et économique de
ce continent. Cependant, les efforts consentis à la francisation des
immigrants ont donné des résultats tangibles. D'ailleurs, la
popularité des cours témoigne non seulement d'un désir
d'apprendre le français mais, aussi et surtout, de la certitude que
cette langue doit être le moyen de communication normal et habituel dans
toutes les institutions de cette société. (21 h 40)
Le projet de loi 178 a trait à des aspects précis de la
loi 101. Comme le ministre Rivard l'a beaucoup de fois affirmé, il y a
plus que l'affichage à considérer. U faut même regarder
au-delà de la loi 101. Aussi importante soit-elle, il ne faut pas
oublier qu'elle ne peut seule rendre compte de la complexité et de la
diversité de la question linguistique. Il faut regarder plus loin,
porter notre attention sur des problèmes fondamentaux qui ne peuvent
être résolus par des clauses de la loi 101 qu'on pourrait
invoquer. Il faut absolument agir relativement à la qualité du
français à l'école.
Mme la Présidente, dans les discours publics sur la langue, le
Parti québécois a beaucoup parlé de législation et
de réglementation, mais M n'a quasiment jamais parlé de la
qualité de la langue. Pourtant, le problème de la qualité
de la langue est le problème par excellence de la politique linguistique
du Québec. La langue française ne mérite d'être
défendue, protégée, promue et affirmée que si elle
véhicule une culture de prestige, et dans la mesure où elle
devient une langue de communication efficace qui permet aux
Québécois de mieux vivre, non seulement culturellement, mais
aussi économiquement et socialement. C'est désormais une
priorité du gouvernement actuel. L'héritage d'une langue de
qualité pour les générations futures est un gage de
respect, mais aussi de survie. D'autres problèmes auxquels le
gouvernement s'est attelé avec sensibilité et compétence
sont également importants, à savoir le déclin
démographique du Québec et l'intégration des
communautés culturelles à la réalité
française du Québec. Notre démarche prudente mais
progressive, non passionnée mais généreuse,
représente la voie du futur pour le Québec, l'espoir
d'aujourd'hui, la sérénité de demain.
Dans son livre L'homme de paroles, titre qui rend compte de
l'unicité et de la diversité humaine, le linguiste Claude
Hagège, voit la langue comme un objet d'attachement, un espace
d'appropriation symbolique pour qui la partage avec ses pairs au sein d'une
société. L'objectif ultime serait que, chez nous au
Québec, la langue française devienne objet d'attachement et
espace d'appropriation symbolique pour toutes les diversités culturelles
qui l'investiront et la rendront encore plus belle, car elle deviendra ainsi
une parole partagée.
Mme la Présidente, avec ces mots, Je termine mon allocution et je
dis à tous mes collègues de l'Assemblée nationale qu'y
faudrait absolument voter pour le projet de loi 178 parce que c'est une loi qui
représente un peu tous les Québécois, et, quand je dis
tous les Québécois, je parle de la communauté francophone,
des communautés culturelles et de la communauté anglaise.
Merci.
La Vice-Présidente: Merci, M. le député de
Viger. Je vais maintenant reconnaître M. le député de
Mercier.
M. Gérald Godin
M. Godin: Mme la Présidente, cet après-midi
à 16 heures, on a entendu un nouveau champion des droits de la personne,
le député de Saint-Laurent, premier ministre du Québec,
que j'ai connu en d'autres circonstances et qui, précisé-
ment il y a quelques années, 18 ans, en 1970, m'a fait
défoncer les portes chez nous à coups de bottes de police.
Parfois, j'entends encore le bruit des bottes de police qui défoncent
les portes chez nous pour m'amener en prison. Quand j'entends ce jeune homme de
Saint-Laurent nous faire des leçons sur les droits de la personne, je me
dis: A-t-il oublié son propre passé, d'une part, et, d'autre
part, quand peut-il prétendre que le Parti libéral incarne la
liberté, alors que le parti péquiste incarnerait les brimades et
la domination des autres?
Mon expérience personnelle, qui est celle de 500 personnes qui
ont été elles aussi victimes des bottes de police à 5
heures du matin, nous montre que le Parti libéral n'a à donner de
leçon à personne à ce sujet-là, encore moins au
Parti québécois, parce que ce bruit de bottes là, Mme la
Présidente, je l'entends encore et je connais aussi des cas de personnes
qui sont encore en institutions psychiatriques à la suite de ces
événements d'octobre 1970 provoqués et causés par
la décision illégale et tout à fait irrespectueuse des
droits de la personne du premier ministre actuel, Mme la Présidente.
Donc, les droits de la personne, je connais ça, j'ai appris en prison
à quel point ils étaient importants. Je m'en souviens très
bien, quand les flics sont arrivés chez nous, je leur ai demandé:
Avez-vous un mandat? MM. les policiers m'ont dit: Non, M. Godin, on n'a pas
besoin de mandat, cela est suspendu - d'ailleurs, avec un sourire
étrange, le sourire des flics nazis envoyés par M. Robert
Bourassa, à l'époque, qui voulait mettre les
Québécois francophones à leur place et leur faire
peur.
Je pense que 500 personnes peuvent témoigner comme moi des
mêmes événements et rappeler aux libéraux que leur
passé n'est pas aussi vierge ni aussi blanc qu'ils le prétendent
à ce sujet. C'est pour ça que, lorsque j'entends les gens de
l'autre côté nous dire: Nous, les libéraux, ce sont les
droits et, les péquistes, ce sont les brimades, la collectivité
qui passe avant les droits des personnes, je dis que c'est de la foutaise et
qu'ils devraient avoir honte de parler comme ça, en se rappelant leur
propre passé.
Maintenant, je tiens à parler d'un autre aspect de la question
qui est celui de la Cour suprême, farcie de libéraux à
Trudeau à Ottawa. Nous sommes devant une Cour suprême qui
interprète maintenant le "Canada Bill" comme un modèle
américain, alors qu'aux États-Unis il y a des processus de
nomination des juges qui sont non partisans et qui permettent des discussions
longues et approndies concernant les juges à être nommés.
Dans notre système, c'est M. Pierre Trudeau qui a nommé ces
quatre juges, amis libéraux militants, libéraux de
Montréal. On a une cour qui est dans la ligne à Trudeau et pas du
tout dans la ligne de la démocratie. C'est pour ça qu'on a des
jugements imprévisibles, plein de droits nouveaux et pernicieux, qui
confondent les droits de la personne et les droits des enseignes anglaises au
Québec.
Je pense aussi qu'on doit rappeler pourquoi. Souvent, nos amis anglais
nous demandent: Pourquoi avez-vous si peur de ce qui se passe au Québec?
Je leur dis: On a une expérience de l'assimilation. Les francophones du
Canada anglais et français savent ce que c'est que d'être
assimilés. Chaque jour, le recensement canadien démontre que 1000
francophones hors Québec deviennent anglophones. Ils n'ont pas
d'institution et ils n'ont pas l'occasion de parler leur langue, ni de
travailler en français. Au Québec même, les chiffres les
plus récents démontrent que, malgré la loi 101, deux
nouveaux arrivants sur trois choisissent l'anglais encore maintenant et que
seulement un sur trois choisit le français. Alors, face à ces
situations, face aux expériences prédécentes de
Gravelbourg, du Manitoba, de la Saskatchewan et autres, en Ontario en 1917, la
loi 22, cela nous montre que le Canada anglais n'a jamais hésité,
malgré qu'il dise être respectueux au maximum des droits de la
personne, à assimiler les francophones. Donc, face à ces
assimilations, de Lowell, Mass. jusqu'à la Louisiane, en passant par
Toronto, Gravelbourg, la Saskatchewan et le Manitoba, nous avons
développé au Québec une espèce de crainte de
disparaître.
Quand nous voyons le gouvernement actuel de M. Bourassa revenir avec des
lois qui vont faire reculer le français partout au Québec, nous
sommes inquiets. Nous disons à nos amis libéraux: Ouvrez-vous les
yeux parce que vous êtes en train de signer, par votre vote
bientôt, l'arrêt de mort, le recul du français au
Québec. Par conséquent, peut-être qu'un jour vous serez
jugés, comme ceux qui ont fait pendre Riel à Ottawa, les
Chapleau, Langevin et Caron, comme ceux qui ont hâté la
disparition du peuple québécois, parce que vous aurez
manqué de vision et de connaissance des dangers qui menacent le
français au Québec. Donc, je dis qu'il serait temps que nos amis
libéraux s'ouvrent les yeux eux aussi et se rendent compte que
l'assimilation, qui a fait disparaître le Canada français hors
Québec, menace également maintenant le Québec et que cette
loi-là n'est pas un pas en avant pour le francophone, mais plutôt
un recul considérable.
En terminant, je vous dirais que lorsqu'on met sur le même pied
les droits des saumons et les droits des braconniers, il est sûr qu'on
arrive à des décisions qui ne tiennent pas debout et c'est ce que
la Cour suprême à Trudeau a fait à Ottawa. Je pense que,
dès le début, avec la décision de nommer ces juges, tous
des militants libéraux de Montréal, à une Cour
suprême qui trancherait dans le vif de la vie culturelle du
Québec, c'était prévisible que la Cour suprême
mettrait sur le même pied et les saumons et les braconniers et que,
tôt ou tard, on dirait: Ah, il faut mettre les braconniers sur le
même pied que les saumons parce qu'au fond il faut protéger les
droits des braconniers, alors que je pense que les
saumons doivent être protégés plus que les
braconniers. Pour moi, le français au Québec, c'est le saumon, et
l'anglais nord-américain, c'est le braconnier.
Donc, je dis qu'il faut que les Québécois ne perdent pas
de vue que ce projet de loi 178 fart reculer le français, donne plus de
chance encore à l'anglais qui est déjà dominant dans tout
le continent nord-américain, dans le monde entier. (21 h 50)
J'incite mes collègues libéraux, les nouveaux et les
anciens, de Trois-Rivières, de Roberval et de Frontenac à penser
un peu aussi, non seulement aux trois ministres anglais qui s'en vont, mais
également à leurs compatriotes qui vont perdre du terrain avec
leur langue dans tout le Québec. Cette loi "anglifiante" du
Québec ne constitue pas du tout un progrès pour le Québec,
mais, bien au contraire, un recul considérable. Cela ne va que
hâter ce que l'on craint tous, l'assimilation des francophones du
Québec dans le grand océan nord-américain anglophone.
Donc, je dis à ceux qui nous écoutent encore à cette
heure-ci qu'il faut se méfier de cette loi as-similatrice, parce que ce
sont les saumons qui sont menacés et non pas les braconniers. Je
souhaite que le premier ministre, qui aime tellement les droits des
minorités, aime également les droits des saumons francophones du
Québec. Mme la Présidente, merci beaucoup.
La Vice-Présidente: Merci, M. le député de
Mercier. Je vais maintenant reconnaître M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce.
M. Harold Peter Thuringer
M. Thuringer: Merci, Mme la Présidente. Depuis jeudi
dernier, date où la Cour suprême a rendu sa décision, on a
tous et toutes vécu une période intensive et tourbillonnante. Il
y a eu des discussions parmi les ministres, au caucus, au conseil
général. C'est une période vraiment historique. Les
décisions que nous prenons vont avoir des répercussions dans
l'avenir. La Cour suprême a tracé des lignes directrices pour une
action assez claire de la part du gouvernement du Québec. Après
toutes ces réunions et discussions des derniers jours, après les
travaux des derniers mois, on vient de déposer un projet de loi qui va
nous amener à faire un choix qui respecte les droits de la
collectivité d'une part, et les droits des individus d'autre part.
Le premier ministre a eu la responsabilité de prendre cette
décision difficile avec son équipe; c'est son job et ce n'est pas
facile. Chacun de nous doit prendre ses propres décisions à la
lumière de ses valeurs personnelles, face aux espoirs et à la
volonté de ses électeurs et au programme du parti et du
gouvernement. Ce processus comprend le débat, ici, à
l'Assemblée nationale. Au cours des derniers jours, surtout, j'ai
beaucoup réfléchi et cela m'a rappelé que cela fait 17 ans
que j'ai quitté la
Saskatchewan, et, entre parenthèses, je dois dire que je ne suis
pas tellement fier de ce que la Saskatchewan a fait l'an dernier en ce qui
concerne la langue de mes concitoyens français là-bas. J'en ai
profité pour le rappeler au premier ministre de Saskatchewan et aussi
à son Solliciteur général, au moins leur faire part de ce
qu'on a vécu et ce qu'on vit, ici, au Québec.
Ma famille et mes six enfants ont bien aimé cette
expérience des 17 années qu'on a vécues ici au
Québec. Je me sens comme un Québécois et je suis fier de
cela. Avec ma famille, on a pas mal discuté de la décision que je
vais prendre; j'en ai parlé aussi avec mes amis et, surtout, avec mes
collègues francophones qui pensent différemment de moi. Pour moi,
être un libéral, c'est être réformiste, être
pour le progrès, la tolérance et la liberté d'expression
individuelle, parmi d'autres qualités. J'ai vécu des
journées difficiles, surtout avec mes amis et les membres francophones
de la commission des affaires sociales, parce que, pour plusieurs d'entre eux,
ce projet de loi est une démarche assez importante pour sauvegarder leur
langue et leur culture qui est fort bien reçue par eux et par moi aussi.
Dans ce climat difficile, mais dans un système démocratique, nous
prenons notre décision. C'est un système qui ne laisse pas le
dernier mot aux tribunaux, par exemple, ce qui est le cas aux
États-Unis, mais c'est un processus basé sur le système
parlementaire britannique qui donne le dernier mot au gouvernement et au
premier ministre.
Madam Speaker, as I have said, the Supreme Court has handed down its
decision which clearly sets out the fact that there is a threat to the French
language and culture. In its ruling it traces the course of action which takes
into account the collective rights to protect the linguistic visage while
respecting the rights of freedom of expression of individuals. It should also
be noted that the English-speaking com-munity accepts the need to protect the
French language and culture. And it supports vigourously programs to improve
the quality of French of ail Quebeckers and to provide services in French. And
I might add that in the last ten years tremendous tries have been made by the
English-speaking community to be part of the Québec society.
Mais la communauté anglaise veut vraiment se sentir partie
prenante de cette société québécoise. Ensemble,
nous pouvons bâtir le type de société où tous et
toutes peuvent se sentir libres et vraiment impliqués.
If I look at the last two hundred years of history of Irving together
and working together, despite the difficulties that we are facing today, I am
very hopeful about our future. I have experienced the generosity and the
collaboration of the French majority and I feel comfortable in it. And I know
that we must make additionnai efforts as a minority.
In conclusion, I want to say that just a
year ago.- in fact fifteen months, Madam Speaker - I went before my
electorate in NDG, with a platform that included the party policy on language,
namely that signs must always be in French but a second language is permitted
if desired. In this partial election, this message was made clear to ail
Québec. While Bill 178 is a step in the right direction and that it
grants the right to pose signs inside commercial establishment that reflect the
predominance of French while permitting a second language, however, it does
place serious limits on the freedom of expression on the outside of
thèse establishments. And further, by using the "not withstand-ing"
clause, all legal channels are blocked. Thus, taking ail these elements into
account, my conscience, the wishes of my constituents, various minority groups
throughout the province and the party policy, I cannot support Bill 178, an Act
to amend the Charter of the French language. (22 heures)
And, in closing, j'aimerais au moins rendre hommage à mes
collègues qui, cet après-midi, en cette Chambre, ont rendu
publique leur décision. Je veux les remercier pour les services qu'ils
ont rendus non seulement à notre communauté, mais aussi à
tout le Québec. Je veux aussi rendre hommage au ministre de
l'Énergie pour le choix qu'il a fait et je suis bien heureux parce qu'il
va travailler avec mes collègues et vous tous ici en Chambre. Merci, Mme
la Présidente.
La Vice-Présidente: Merci, M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce. Je vais maintenant reconnaître M. le
député de Duplessis.
M. Denis Perron
M. Perron: Mme la Présidente, c'est, bien sûr, comme
député de Duplessis que j'interviens ce soir en cette Chambre,
mais aussi comme Québécois francophone que je veux dire quelques
mots au sujet de cette langue que m'ont donnée ma mère et mon
père.
Tout le monde en cette Chambre, Mme la Présidente, et tous les
gens de l'extérieur qui me connaissent très bien personnellement
savent que je suis un non-fédéraliste. Ils savent aussi que je
suis un indépendantiste et ce, depuis plusieurs années. Et pour
moi ce qui se passe aujourd'hui, ce qui s'est passé hier en cette
Chambre, démontre très bien comment ce gouvernement
libéral du Québec procède pour triturer ce que nous, au
Québec, nous aimons le plus, soit notre langue française.
Et pour moi, c'est un net recul que de voir en cette Chambre, ce projet
de loi 178 apporté par un gouvernement en partie anglophone et en partie
francophone. Et ce projet de loi 178 diminue la portée même de la
loi 101 votée en 1977. D'ailleurs, Mme la Présidente, je me
rappelle très bien avoir participé, et ce de façon
concrète, avec le père de la loi 101, M. Camille
Laurin, à faire en sorte que cette loi soit déposée
à l'Assemblée nationale. Je me rappelle très bien aussi
être intervenu à quelques reprises non seulement en commission
parlementaire, mais aussi au salon bleu. Je me rappelle très bien aussi
combien de personnes, combien de représentants et de
représentantes de groupes sont intervenus pour clarifier la situation,
clarifier la loi 101 pour nous permettre de finir par avoir une loi
extrêmement potable et bonne pour l'ensemble de la population du
Québec. Je me rappelle très bien aussi avoir défendu le
principe même de ce que nous avons toujours été. Et je me
rappelle très bien que cette loi 101 reconnaissait, en même temps,
les droits fondamentaux, les droits acquis de la population anglophone du
Québec.
Aujourd'hui, ce projet de loi 178 vient littéralement charcuter,
compléter, en pratique, le travail qui a été
effectué par la Cour suprême, cette tour de Pise qui penche
régulièrement sur le même bord, c'est-à-dire sur le
bord des neuf autres provinces canadiennes. Cette loi 101 qui avait permis
d'amener ici, au Québec, un climat social intéressant, le
gouvernement libéral, par le biais du projet de loi 178, est en train
non seulement de la ratatiner, mais de ratatiner aussi, Mme la
Présidente, la francophonie du Québec. Nous avons vu ce
gouvernement libéral, au cours des trois dernières années,
fonctionner en donnant des droits à ce que nous avons appelé les
illégaux et ce, par législation, directement ici dans cette
Chambre. Nous avons vu ce gouvernement libéral, par la loi 142, donner
des droits additionnels - ils les avaient en principe - par législation
à la population anglophone du Québec quant à certains
services dans les hôpitaux.
Mme la Présidente, s'il y a une personne en cette Chambre qui
sait qu'en aucun temps nous n'avons bafoué les droits des anglophones du
Québec, c'est bien le député que je suis, c'est bien la
personne que j'ai été au cours de toutes ces dernières
années où j'ai fait de la politique, soit depuis près de
30 ans. Le plus bel exemple que je peux donner à cette Chambre, c'est
qu'en aucun temps les anglophones de la Basse-Côte-Nord du golfe
Saint-Laurent entre Kégashka et Blanc-Sablon n'ont été
bafoués dans leurs droits. Aujourd'hui, cette population est toujours
anglophone et même unilingue anglaise et en aucun temps je n'ai
manqué de respect envers ces concitoyens et ces concitoyennes du
comté de Duplessis.
Mais, aujourd'hui, le gouvernement libéral manque de respect non
seulement envers les anglophones du Québec, mais aussi envers tous les
francophones que nous sommes. Il manque même de respect - et ça,
les francophones du Parti libéral y contribuent; ils y contribuent
largement - envers les députés de cette Chambre, en particulier
ceux de l'Opposition officielle, mais aussi envers certains collègues du
Parti libéral. J'aimerais que certains d'entre eux se
lèvent et disent carrément et d'une façon intensive
ce qu'ils pensent vraiment de ce qui se passe aujourd'hui et de ce qui s'est
passé hier en cette Chambre.
Mme la Présidente, depuis trois ans maintenant que siège
en face de nous ce gouvernement libéral, on a réalisé
combien ce gouvernement n'a pas pris ses responsabilités dans
différents domaines, mais en particulier dans le domaine linguistique.
Tout le monde sait qu'en 1985 les plaintes déposées auprès
de l'Office de la langue française s'élevaient à plus de
1400; on se rend compte, en 1987, soit deux ans plus tard, qu'il y a eu plus de
14 000 plaintes faites à l'Office de la langue française. Ce
gouvernement a même contribué à diminuer les pouvoirs de
l'Office de la langue française, les pouvoirs donnés à cet
office pour entreprendre les poursuites pour étudier chacun des cas. On
se rend compte que les problèmes vécus dans le domaine
linguistique au cours des trois dernières années ne proviennent
pas surtout de commerçants ou encore d'industriels, mais qu'ils
proviennent directement de certains membres de ce gouvernement qui ont
contribué à ne pas faire respecter la loi 101.
D'autre part, depuis les trois dernières années aussi,
mais en particulier au moment où je vous parle, Mme la
Présidente, on voit ce gouvernement, qui se dit un gouvernement
démocratique, venir ici même en cette Chambre et depuis hier, nous
imposer ce que moi, j'appelle le rouleau compresseur, nous imposer comme
parlementaires l'adoption d'une loi supposément d'une façon
démocratique, mais à l'intérieur d'un laps de temps connu,
pendant lequel nous n'aurons vraiment pas l'occasion d'agir comme les
législateurs que nous sommes. Quelques heures ici au salon bleu pour
dire ce que nous pensons du fond et ce que nous pensons de l'attitude
libérale, pour dire ce que d'autres pensent à l'extérieur,
qui ne peuvent pas s'exprimer.
Mme la Présidente, je me rappelle très bien qu'en 1977,
pendant près de sept mois, nous avons étudié l'ensemble de
la loi 101. Nous avions écouté tellement de gens que nous nous
étions fait une idée que la loi 101 était correcte.
Lorsqu'elle fut approuvée en cette Chambre, le 26 août 1977, je me
rappelle que certains d'entre nous avaient la larme à l'oeil à
cause de la joie que nous exprimions, à ce moment-là, d'avoir
légiféré d'une façon humaine, d'avoir
légiféré d'une façon collective, d'avoir
légiféré en entendant l'ensemble des représentants
et des représentantes de différentes associations du
Québec, incluant même Alliance Québec ou des
représentants anglophones, parce qu'Alliance Québec
n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui. (22 h 10)
Nous voyons qu'à l'extérieur de cette Chambre et, en
particulier, en cette Chambre lorsque nous serons en commission
piénière pour étudier le projet de loi article par
article, nous n'aurons que trois heures pour démontrer nos positions,
c'est-à-dire celles de chacun et de chacune d'entre nous. C'est peu de
temps, Mme la Présidente, lorsqu'il s'agit de notre avenir.
Nous aurions aimé, bien sûr, en tant que parlementaires,
rencontrer en commission parlementaire des représentants et des
représentantes des centrales syndicales, des représentants et des
représentantes de la Société Saint-Jean-Baptiste du
Québec, des représentants et des représentantes du
Mouvement Québec français, de l'Union des municipalités du
Québec, de l'Union des municipalités régionales de
comté, d'Alliance Québec même, pourquoi pas, Mme la
Présidente? Mais ce gouvernement, à cause de la suspension de nos
règles de procédure en cette Assemblée nationale, permet
actuellement que l'on n'entende aucun représentant de ces groupes. Ces
gens-là le font par crainte, ces gens-là le font par peur
d'entendre d'autres personnes s'exprimer devant les représentants de
l'Assemblée nationale.
Quant à moi, Mme la Présidente, soyez assurée d'une
chose, puisque je l'ai déjà fait à plusieurs reprises...
Je l'ai fart en 1977 lors de la loi 101, je l'ai fait pour d'autres lois
passées ici, à l'Assemblée nationale, au cours des douze
dernières années où j'ai siégé. Il est
important qu'en tant que législateurs, en tant que députés
de certains comtés du Québec, nous soyons conscients qu'il est
nécessaire, et ce à plusieurs reprises, de protéger les
droits collectifs plutôt que les droits individuels. J'entends donc faire
le maximum pour que, dans le domaine linguistique, nous donnions
primauté aux droits collectifs, et ce malgré que je comprenne
très bien certaines attitudes adoptées de l'autre
côté de la Chambre face aux droits individuels.
Pour moi, le projet de loi 178, cette législation
libérale, démontre que ce gouvernement a deux poids deux mesures,
que ce gouvernement est un gouvernement fédéraliste, qu'il est
toujours à quatre pattes devant le gouvernement fédéral,
qu'il se plie aux attitudes de certaines provinces canadiennes et qu'il se
plie, en partie, à certains voeux et demandes exprimés par
certaines associations anglophones du Québec.
La nôtre, c'est-à-dire la loi 191 que nous avons
déposée en cette Chambre, visait, Mme la Présidente,
à restaurer non seulement dans les faits, mais par législation la
loi 101 dont de grands pans étaient disparus à cause de la
décision de la Cour suprême et à cause de groupes qui
étaient même subventionnés par le gouvernement
libéral ou par le gouvernement fédéral pour
défendre leurs droits devant la Cour suprême et ce, avec notre
argent.
Mme la Présidente, comme je le disais tout à l'heure, je
suis un indépendantiste et je suis un indépendantiste à
l'intérieur de cette Chambre tout comme à l'extérieur de
cette Chambre. Comme je le suis à l'intérieur comme à
l'extérieur de cette Chambre, ce que je veux au Québec, c'est une
loi qui dise qu'à l'intérieur des commerces, c'est en
français et qu'à l'extérieur
des commerces, c'est aussi en français. Mais ce n'est pas le cas,
actuellement. Tout le monde sait à l'extérieur de cette Chambre,
mais je ne suis pas sûr que les libéraux d'en face le sachent,
que, lorsque nous allons dans un commerce, peu importe sa grosseur ou son
nombre d'employés, ce n'est pas à l'extérieur de ces
commerces que l'on achète. Donc, on passe très peu de temps
à l'extérieur de ces commerces, mais c'est à
l'intérieur que ça se passe et ça, les libéraux le
savent. C'est la raison fondamentale pour laquelle ces libéraux ont
donné encore un pan, ont encore charcuté un pan de la loi 101
pour donner des droits additionnels aux anglophones.
Mme la Présidente, il est exact qu'à cause du
système fédéraliste dans lequel nous vivons - et ce, de
façon légale, à cause de la constitution canadienne,
à cause de certaines lois comme la loi C-72, une loi
fédérale qui impose en pratique dans les usines et dans des gros
commerces du Québec le bilinguisme, le bilinguisme à la Trudeau
comme le bilinguisme à la Bourassa - on est obligés de se laisser
marcher dessus non seulement par le premier ministre du Québec, mais
aussi par des représentants de Vancouver, de Toronto, de Winnlpeg, de
Saint-John's Terre-Neuve. Les gens d'en face, en particulier les francophones,
applaudissent à tout ça. Ils le font même, dans plusieurs
cas, avec des sourires que je qualifie de sourires éhontés, Mme
la Présidente. Avec ça, on aboutit à des solutions comme
la loi 178 déposée par le gouvernement libéral, à
des solutions ni chair ni poisson.
Aujourd'hui, ce bâillon nous permet de nous exprimer, bien
sûr, mais pas dans le sens où nous le voudrions, pas avec tout le
temps que nous voudrions. Ce bâillon va permettre, à l'ensemble
des parlementaires que nous sommes, les 120, 48 heures de travail parlementaire
seulement pour arriver à étudier notre avenir collectif
linguistique. Les libéraux se targuent de nous dire qu'ils sont des
démocrates. Mais, pour moi, la façon dont agit le gouvernement
libéral représente la démocratie, bien sûr, mais la
démocratie à la libérale, représente la
non-transparence de ce gouvernement, au cours des dernières
années, pour ne pas entendre des groupes intéressés
à faire des représentations auprès des législateurs
du Québec.
Ce qui est aussi déplorable chez ce gouvernement, Mme la
Présidente, c'est de voir qu'il enlève d'une main pour donner de
l'autre. Le plus bel exemple que je puisse vous donner, c'est lorsqu'on regarde
tous les budgets du gouvernement du Québec qui ont été
déposés depuis la présence de ce gouvernement
libéral que nous avons en face, soit depuis trois ans. On a vu aussi que
certains budgets, certaines subventions destinés aux comités de
francisation de différentes usines, de différents commerces ont
été charcutés. On a pris cet argent et on l'a
transféré à Alliance Québec pour que cet organisme
puisse même aller défendre les intérêts des
anglophones du Québec devant la Cour suprême, cela avec l'argent
des Québécois et des Québécoises et, par
surcroît, avec de l'argent qui avait été pris même
à l'intérieur des budgets qui servaient à protéger
notre loi francophone du Québec.
Mme la Présidente, je n'en reviens pas de la naïveté
des collègues libéraux en cette Chambre, de les voir applaudir
depuis ce matin au supposé départ de certains libéraux, de
les voir applaudir avec un sourire lorsque ces libéraux avaient
même obtenu gain de cause dans une grande partie de la loi 178. Mais
pourquoi ces libéraux s'en vont-ils? Tout simplement parce qu'ils n'ont
pas obtenu tout ce qu'ils voulaient. Je les vois applaudir les collègues
libéraux qui s'en vont, tout en sachant que les députés
francophones libéraux travaillent actuellement à diminuer la loi
française du Québec, à diminuer la loi 101.
On réalise depuis ce midi, Mme la Présidente, que les
agissements de ces anglophones qui ont démissionné de leur poste
vont servir... Parce qu'on peut bien dire qu'ils ont démissionné,
mais on démissionne à l'extérieur, tout en demeurant
à l'intérieur. Ce sera la plus belle courroie de transmission que
le milieu aura, en passant par ces députés démissionnaires
qui restent toujours dans le caucus libéral. On rencontre même un
libéral, le député de Mont-Royal, qui, lui, va servir
à ces gens au Conseil des ministres pour faire passer les messages
réglementaires, etc., au cours des prochains mois.
En conclusion, je voudrais vous dire qu'en ce qui me concerne, Mme la
Présidente, je suis extrêmement déçu de voir
l'attitude de mes collègues libéraux francophones de cette
Chambre. Je ne suis aucunement déçu de ce que moi et mes
collègues avons toujours fait en cette Chambre, et ce depuis douze ans,
pour permettre que notre loi, que notre Charte de la langue française
soit maintenue, que notre Charte de la langue française soit\
aimée et reconnue au Québec. J'espère que, dans les plus
courts délais, nous, en tant que parlementaires indépendantistes,
nous aurons le choix et que la population nous donnera le choix de revenir
comme gouvernement pour rétablir les faits face à la Charte de la
langue française du Québec. Merci, Mme la Présidente. (22
h 20)
La
Vice-Présidente: Merci, M. le
député de Duplessis. Je vais maintenant reconnaître Mme la
députée de Vachon.
Mme Christiane Pelchat
Mme Pelchat: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais
m'adresser aujourd'hui à l'occasion du débat qui nous occupe aux
résidents et aux résidentes du comté de Vachon, soit la
ville de Saint-Hubert. Le comté de Vachon est composé de 85 % de
francophones, 10 % d'anglophones et 5 % d'allophones. C'est pour tous ces gens
que j'aimerais, aujourd'hui, bien humblement,
exprimer mon opinion sur le projet de loi qu'on a déposé
hier et sur le débat en cours. C'est aussi en tant que jeune
députée que j'aimerais m'adresser à cette
Assemblée.
La loi que nous avons devant nous, Mme la Présidente, vous le
savez, le ministre Guy Rivard ici présent l'a bien expliqué, fait
suite au jugement de la Cour suprême du Canada. Qu'est-ce que l'on
retrouve dans ce jugement, Mme la Présidente? Ce que je retiens, moi, de
ce jugement, c'est que, premièrement, la liberté d'expression
comprend la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix. La
deuxième chose qui ressort de ce jugement, c'est que la liberté
d'expression comprend la liberté d'expression commerciale. La
troisième chose qui est dite dans ce jugement et qui m'a frappée,
c'est que le français est menacé au Québec.
Quatrièmement, une des conclusions du jugement, celle que je retiens le
plus, c'est que, pour restreindre la liberté d'expression reconnue dans
nos chartes, la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne, pour la
soustraire à l'application des droits inscrits à ces chartes, le
gouvernement aura à utiliser une clause "nonobstant", une clause
dérogatoire.
À cela, le gouvernement répond deux choses.
Premièrement, l'imposition de l'unilin-guisme français sur les
affiches extérieures des commerces avec l'utilisation de la clause
"nonobstant" comme l'édicté le jugement de la Cour suprême
afin d'éviter qu'on ne se retrouve devant les tribunaux encore une fois
d'ici quelques années. La deuxième réponse du gouvernement
libéral à ce jugement est la possibilité d'affichage
unilingue français seulement à l'intérieur ou la
possibilité d'affichage bilingue avec prépondérance au
français. C'est la situation, Mme la Présidente.
Mme la Présidente, je suis membre du Parti libéral depuis
l'âge de 16 ans. Peut-être que cela fait sourire certaines
personnes ici. J'ai 29 ans; alors, cela fait déjà un bon bout de
temps que je suis membre du Parti libéral. Pourquoi suis-je membre du
Parti libéral depuis l'âge de 16 ans? C'est, d'abord et avant
tout, à cause de sa philosophie de base, des prémisses de base du
Parti libéral. Je veux juste vous en édicter quelques-unes qui,
pour moi, sont vraiment fondamentales. D'abord, l'article 1 de la constitution
du programme du Parti libéral...
Une voix: Une religion.
Mme Pelchat: Ce n'est pas tout à fait une religion. Cet
article 1 établit d'emblée, d'entrée de jeu, qu'il s'agit
d'un parti qui a pour but la protection des droits des individus et la
protection des libertés fondamentales. Le Parti libéral est un
parti pluraliste. C'est un parti ouvert. C'est un parti qui vise la protection
de la culture des francophones, ainsi que l'épanouissement de la culture
des anglophones et celle des membres des minorités ethniques. Le Parti
libéral du Québec, Mme la Présidente, c'est le parti qui a
la chance de compter des représentants de toutes les origines. Je pense
que c'est le seul parti au Québec et c'est peut-être le seul parti
au Canada, Mme la Présidente, qui peut être fier d'être
à ce point représentatif de tous les citoyens du Canada et du
Québec. C'est le parti qui vise l'acceptation mutuelle des
différences C'est le parti qui s'est fait le défenseur du peuple
francophone, de la société québécoise et de toutes
ses minorités.
Voilà, Mme la Présidente, le cadre de
référence auquel nous devons recourir pour bien saisir l'action
du gouvernement du Québec depuis les trois dernières
années et particulièrement aujourd'hui. En ce qui me concerne, ce
sont là les raisons, et cela va plus loin que cela, ce sont là
les valeurs fondamentales qui m'ont amenée à militer au Parti
libéral du Québec, mais bien plus, Mme la Présidente, qui
m'ont amenée à militer et à me présenter sous la
bannière du Parti libéral du Québec à titre de
députée à l'Assemblée nationale du
Québec.
Je vous ai dit tout à l'heure que je voulais m'adresser
particulièrement aux gens du comté chez nous. Ces gens me
connaissent bien. Je suis née à Saint-Hubert, dans le
comté de Vachon, où j'ai fait mes études primaires et
secondaires. J'y vis encore et je suis très fière de vivre dans
ce comté. J'aimerais vous rappeler que la ville de Saint-Hubert, avant
1981, était partie intégrante du comté de Taillon, lequel
était représenté par l'ex-premier ministre du
Québec, René Lévesque. Ces gens me connaissent bien et ils
savent une chose en ce qui me concerne, c'est que je suis profondément
libérale. Je suis profondément libérale dans le sens le
plus pur du mot. Je suis libérale et je suis très attachée
au Parti libéral. C'est pour cette raison, Mme la Présidente - je
vous le dis, je l'ai dit à mes collègues du caucus, je l'ai dit
à plusieurs commettants du comté de Vachon - que je trouve cela
difficile, que cela me bouleverse d'avoir à me prononcer, d'avoir
à discuter de quelle façon on devrait suspendre des droits et des
libertés fondamentales. (22 h 30)
C'est certain qu'on ne peut pas avoir la même vision que
l'Opposition, Mme la Présidente. L'hypothèse de base n'est pas la
même. On ne parle pas de la même chose. Nous sommes un parti
fédéraliste, oui, et nous en sommes fiers. J'entendais le
député de Duplessis tout à l'heure dire: C'est un parti
fédéraliste. Certainement que nous sommes un parti
fédéraliste, certainement que nous apprécions la
Fédération canadienne. Non seulement c'est pour cette raison que
nous sommes différents, mais nous sommes différents aussi parce
que, d'emblée, nous acceptons les différences dans la
société québécoise. D'emblée, j'accepte
qu'il y ait des anglophones et que je puisse vivre avec les anglophones au
Québec. D'emblée, j'accepte de vivre avec les Grecs, avec mon ami
Christos Sirros. D'emblée, j'accepte de
vivre avec les Irlandais, avec les Italiens dont je partage l'origine
avec beaucoup de fierté, quoique je ne ne parie pas la langue parce que
ma mère s'est assimilée très rapidement, à mon
avantage, au français, évidemment.
En ce qui me concerne, le débat qui nous occupe, je pense que je
vais vous le dire - c'est ce qui me fait le plus mal au coeur, l'Opposition
essaie de le faire presque vicieusement - le débat qui nous occupe n'est
pas un débat de langue, français-anglais, ce n'est pas cela. En
ce qui me concerne, c'est un débat qui devrait se situer à un
niveau d'abstraction un peu plus élevé que celui des querelles
linguistiques. Pour moi, c'est un débat de fond, c'est un débat
qui dit: Est-ce que, oui ou non, nous sommes prêts? C'est la question que
le gouvernement se pose et c'est la question que le gouvernement soumet
à la population. Est-ce que nous devons, pour protéger notre
langue, notre culture, suspendre des droits et des libertés
fondamentaux? C'est cela, la question, Mme la Présidente, et c'est cela
qui est déchirant. Je ne voudrais pas, et j'implore mes collègues
de l'Opposition de ne pas minimiser le départ de certains de nos
collègues de la communauté anglophone et les gestes qu'ils ont
posés aujourd'hui. Il y a une expression anglaise qu'on emploie ici et
mes collègues de l'Opposition l'utilisent volontiers, c'est "cheap". Ce
que certains collègues ont fait tout à l'heure à l'endroit
de nos collègues, je trouve cela mesquin.
Je vous l'ai dit, je suis une francophone, je suis fière de
l'être. Le premier ministre du Québec est un francophone aussi et
je pense qu'il fait la preuve qu'il est très fier d'être
francophone. Pourtant, je partage entièrement, et le premier ministre du
Québec aussi les partage entièrement, les mêmes sentiments
et les mêmes principes que M. Clifford Lincoln, député de
Nelligan, M. Herbert Marx, député de D'Arcy McGee, M. Richard
French, député de Westmount et M. John Ciaccia,
député de Mont-Royal. Je pourrais vous les nommer, mes 20 minutes
passeraient à nommer tous mes collègues qui partagent ces
principes de base des droits et des libertés fondamentaux.
Le premier ministre l'a répété ces derniers jours
et je pense qu'il l'a fait d'une façon extraordinaire cet
après-midi en Chambre. C'est vraiment avec beaucoup de réticence
qu'il en est venu à l'application de la clause dérogatoire que
l'on appelle la clause "nonobstant", parce que lui aussi partage les principes
de base d'une société qui se veut démocrate et
respectueuse des libertés et des droits fondamentaux des individus.
Peut-être que certains collègues de l'Opposition, peut-être
que d'autres collègues me trouveront idéaliste, mais je pense que
je suis plutôt réaliste. Quand je vous dis que je suis
blessée que l'on ait à suspendre des droits et libertés
d'expression reconnus dans un jugement à la communauté anglophone
et aux communautés allophones du Québec. C'est vraiment ce que je
ressens et ce que j'ai envie de vous dire ce soir.
J'aimerais aussi dire que je fais totalement confiance au premier
ministre du Québec, Robert Bourassa. Il expliquait ce matin pourquoi il
estime qu'il ne peut pas ne pas appliquer la clause dérogatoire,
c'est-à-dire qu'il ne peut permettre l'affichage bilingue à
l'extérieur, avec prépondérance du français. M.
Bourassa est sensible au degré d'insécurité culturelle des
Québécois en ce moment. C'est ce qui le préoccupe au plus
haut point. Je pense que personne en cette Chambre ne peut mettre en doute
cette préoccupation profonde du premier ministre du Québec. Pour
les Québécois, l'affichage est devenu un symbole et Dieu sait
qu'on l'utilise volontiers. Pour les Québécois, l'affichage veut
dire la protection de notre culture. Mais, comme le premier ministre du
Québec l'a dit, pour le présent gouvernement, l'imposition de
l'affichage unilingue français par l'utilisation de la clause
"nonobstant" est le moyen le plus adéquat pour maintenir le visage
français du Québec et donc pour rassurer les francophones quant
à l'avenir de leur culture. M. Bourassa a clairement exprimé que
l'élimination de la prohibition d'afficher dans une autre langue que le
français à l'intérieur des commerces constitue vraiment un
pas en avant pour la reconnaissance des libertés d'expression, et j'y
souscris. Pour le premier ministre et le gouvernement, la langue
française doit être protégée par rapport à la
langue de la majorité en Amérique du Nord; c'est ce qui motive le
présent projet de loi.
Mme la Présidente, vous conviendrez avec moi que le degré
de sécurité culturelle des Québécois doit passer
par d'autres voies que celles que nous sommes forcés, par les
circonstances, de suivre aujourd'hui. Je constate que, bien au-delà de
l'affichage, les Québécois francophones peuvent sentir et
identifier des signes selon lesquels notre culture et notre langue sont en
constante croissance dans tous les secteurs de notre économie. Ainsi,
les Québécois francophones ont bien en main leur économie.
Les entreprises québécoises ayant des francophones à leur
tête sont très nombreuses et sont des leaders sur le plan
économique. La sécurité culturelle des
Québécois francophones passe aussi par l'amélioration de
l'enseignement du français dans nos institutions, dans nos
écoles. La sécurité culturelle passe aussi par
l'augmentation du budget de l'État consacré à la culture.
J'aimerais souligner une chose. Depuis que nous sommes arrivés au
pouvoir en 1985, en pourcentage, le budget de l'État est passé de
0,55 % à 0,72 %, ce qui est très significatif. La
sécurité culturelle passe aussi par la diversification de notre
économie, mais encore plus par la solidification de ses bases. J'estime
que le présent gouvernement, depuis trois ans, s'est résolument
engagé vers l'atteinte de ces objectifs fondamentaux pour
révolution de notre société québécoise.
Mme la Présidente, je rêve d'un jour où les
Québécois francophones se sentiront à ce point
rassurés qu'on n'aura plus à suspendre des droits et des
libertés fondamentales pour qui que ce soit.
Mme la Présidente, tout à l'heure, je vous ai dit qu'il y
avait 10 % d'anglophones dans mon comté. J'aimerais m'exprimer dans leur
langue quelques minutes, si vous me le permettez.
I would like the English-speaking com-munity of Vachon to understand
what we are trying to do at this time. It is difficult for you, I know, to
accept the law that we are debating tonight. But I think what you should see in
our action is that we are taking a step in favor of freedom of speech which
respects the reality of the situation of Québec. I would like to assure
them that, as long as I am the MNA of Vachon, I will work to increase the
rights of all the minorities of Québec and also, and especially the
English-speaking minority, because I feel and I profoundly believe that the
English-speaking community of Québec is a richness for Québec and
will be even more in the future. (22 h 40)
Je crois qu'avant de porter un jugement sur l'action du gouvernement,
Mme la Présidente, on devrait réfléchir calmement sur les
choix qu'avait le gouvernement. En tant que députée du
comté de Vachon, membre du Parti libéral, je travaillerai en
fonction d'accroître le sentiment de sécurité culturelle de
mes compatriotes francophones afin que l'on puisse ouvrir notre coeur à
l'expression des cultures différentes de la nôtre. Je vous
remercie, Mme la Présidente, de votre attention.
La Vice-Présidente: Merci, Mme la députée de
Vachon. Je vais maintenant reconnaître M. le député de
Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Merci, Mme la Présidente. Cela me
fait grandement plaisir d'intervenir ce soir dans ce débat important qui
se tient ici à l'Assemblée nationale, à peine trois ou
quatre jours avant la fête de Noël.
Vous comprendrez, Mme la Présidente, que les conditions dans
lesquelles nous avons à débattre un projet de loi aussi important
sont d'abord carrément inacceptables. Mme la Présidente, que le
projet de loi 178 qui va modifier de façon importante la façon
dont on devra vivre en français au Québec de par les
modifications qu'on apporte à l'affichage, se fasse dans un cadre
où on devra, au cours des prochaines heures... En moins de 48 heures au
total, nous aurons à approuver un projet de loi qui vient changer de
façon importante et fondamentale comme telle l'affichage au
Québec.
Pourquoi, le 20 décembre 1988, se retrouve-t-on ici à
l'Assemblée nationale pour discuter d'un tel projet de loi? Bien
sûr, il y a eu le jugement de la Cour suprême rendu le 15
décembre. Oui, Mme la Présidente, le jugement de la
Cour suprême rendu le 15 décembre, nous l'attendions depuis
deux ans. Voilà deux ans que nous mettons en garde le premier ministre
du Québec de se prononcer, de faire son lit, à savoir de quelle
façon il avait l'intention de légiférer en matière
de langue avant que soit rendu le jugement. Le premier ministre, bien
sûr, a choisi d'attendre. Attendre nous a placés dans une
situation qui fait en sorte que, à quelques jours d'un ajournement de la
session, on est pris avec un débat d'urgence.
Mme la Présidente, je trouve ça carrément
inacceptable et je ne pense pas qu'il y ait un parlementaire ici, de quelque
côté de la Chambre que ce soit, qui ne pourra pas être
d'accord avec ça. Un débat aussi important, amener ça ici
à l'Assemblée nationale et demander aux gens de se prononcer en
48 heures, c'est de la folie furieuse.
Dimanche dernier, j'avais l'occasion d'être au centre
Paul-Sauvé où se manifestaient quelque 15 000, 20 000 citoyens du
Québec, des francophones qui sont venus à la suite de
l'invitation qui avait été faite par le Mouvement Québec
français et par différents organismes qui veulent protéger
le français. Ces gens-là sont venus lâcher un cri d'alarme
au gouvernement du Québec et lui dire qu'au Québec on veut que
ça se passe en français. J'étais présent, Mme la
Présidente. Il n'y avait pas seulement des indépendantistes. Il
n'y avait pas seulement des péquistes. Il y avait toutes sortes de
monde. Il y avait des jeunes et il y avait des moins jeunes. C'est dommage que
plusieurs députés représentants de l'Assemblée
nationale, n'aient pas été présents à cette
manifestation parce que c'était vraiment être "connecté"
sur ce qui se passe au Québec.
Ici, en vase clos, lorsqu'on fait des discours au-dessus des partis
politiques - parce que le débat qui prévaut actuellement, j'en ai
la profonde conviction, devrait se passer au-dessus des partis politiques - on
devrait être capables, en tant que Québécois, de dire ce
qu'on a à dire, peu importe la ligne de parti, et d'avoir un vote libre
sur un sujet aussi fondamental, d'autant plus qu'on a une courte période
de temps que je trouve, et je le répète, inacceptable. Mais, Mme
la Présidente, le débat qui prévaut actuellement est un
débat qui devrait se situer au-dessus de ça, et ce n'est pas une
question de dire: Je suis de tel parti ou de tel autre parti.
Mme la Présidente, j'ai beaucoup de respect pour tous les
collègues en cette Assemblée nationale, qu'ils soient des
anglophones, des allophones ou des francophones. Je n'ai pas l'intention de
relever les propos de qui que ce soit, pas plus des députés
anglophones qui se sont prononcés, pas plus que des ministres
anglophones qui ont démissionné. Chacun y va avec ses tripes.
Chacun y va avec ses convictions personnelles. Il y a une chose dont je suis
certain, une chose importante, c'est qu'il y en a qui ont des choses à
dire en cette Chambre et
qui ne les diront pas et il y en a qui disent des choses et je pense
qu'ils ne les pensent pas vraiment. Je m'explique.
Mes propos vont particulièrement toucher des collègues de
cette Assemblée que je côtoie depuis trois ans, les
députés libéraux dits de grands nationalistes. Il y a une
semaine, ça se promenait dans les corridors pour dire... Je me souviens
d'un député, le député de Vanier, qui disait,
à la télévision, et cela a été
rapporté dans les médias: Les citoyens, les gens de mon
comté me disent: Ne touchez pas à la loi 101. Et j'en ai entendu
d'autres, d'autres et d'autres. C'est quoi les convictions? On les a jusqu'au
moment où un projet de loi est déposé en Chambre et
là on change d'idée? Si on a la conviction qu'au Québec
ça doit se passer en français, si on a la conviction qu'il faut
protéger la langue française, pourquoi ne pas le dire tout haut
et tout fort en cette Assemblée? Vous savez, Mme la Présidente,
ça aurait pu changer les règles du jeu. Ce n'est pas vrai
qu'à 20 députés de ce côté-ci, 20
députés dans l'Opposition, on va renverser le gouvernement qui en
compte 99. Les règles du jeu sont établies ainsi. On l'accepte.
Il y a eu un verdict, le 2 décembre 1985, et on l'accepte. Mais, dans un
débat aussi fondamental, il aurait été important que des
députés de l'autre côté, des francophones dits
nationalistes, se lèvent et disent ce qu'ils ont à dire et se
prononcent de la façon dont ils le vivent dans leurs tripes et au-dessus
de toute ligne de parti. Parce qu'à ce moment-là, vous
comprendrez que les règles du jeu auraient été
changées. Si 20 ou 25 députés du parti ministériel,
du Parti libéral, après l'avoir dit au premier ministre,
s'étaient levés en Chambre pour dire: Nous ne sommes pas
d'accord, je pense qu'on ne serait pas en train d'adopter une loi. Et je me
permets de le dire sans vouloir faire de morale à qui que ce soit. Je me
permets de dire aux députés libéraux que vous aurez
à porter, dans l'avenir, les conséquences de cette loi.
Je ne veux pas dramatiser, Mme fa Présidente, pas plus que je
n'aimerais qu'on dramatise de l'autre côté lorsqu'on nous parle
des libertés fondamentales. Un instant! Les libertés
fondamentales, j'en, suis et je veux bien qu'on les protège. Vous ne me
ferez pas accroire que, depuis 1977, depuis onze ans, les libertés
fondamentales ont été brimées au Québec. Pourtant
la loi 101 était là. Pourtant l'unilinguisme français
était là dans l'affichage. Est-ce qu'il y en a qui ont
été brimés? Est-ce qu'il y en a qui ont
arrêté de vivre au Québec? Est-ce que des anglophones ont
été vraiment brimés depuis onze ans? Dites-le-moi. Je suis
convaincu que non. (22 h 50)
Depuis une vingtaine d'années que j'oeuvre dans le domaine des
affaires, Mme la Présidente, oui, bien sûr, qu'on a à
parler anglais dans le milieu des affaires, mais cela n'empêche pas,
parce qu'on veut parler anglais, qu'à l'occasion on ait à
transiger à l'extérieur du Québec et avec d'autres gens
qui sont ici et qui sont des anglophones. Je n'ai rien contre les Anglais ni
contre n'importe quelle communauté, mais une chose est certaine et qui
doit d'abord primer, c'est comment veut-on que ça se passe au
Québec? Pour moi, je veux que ça se passe en français. Il
y a un signal à envoyer aux gens. Si, depuis 1977, Mme la
Présidente, on a réussi que ça se passe en
français, pourquoi ne pas continuer? La seule raison que j'ai entendue
de l'autre côté: les libertés des minorités, le
respect de ces gens-là. Bien oui, on les respecte
énormément. Est-ce qu'ils n'ont pas été
respectés depuis onze ans, Mme la Présidente? Ils ont
été respectés et même très bien
respectés. Je défie qui que ce soit dans cette Assemblée
de se lever et de venir dire qu'au Québec les minorités, les
anglophones et les allophones, sont maltraités. Je pense qu'on est tous
d'accord, mes collègues y ont fait allusion, que ce soit au domaine des
services offerts à ces gens-là, on pense aux hôpitaux, aux
services d'éducation, aux universités, aux cégeps; tout
est là, toute l'infrastructure est là. Cela ne changera pas
demain matin. On parle de l'affichage. On parle, Mme la Présidente, de
quelque chose qui était là avant aujourd'hui et de quelque chose
qu'on veut enlever demain.
Qu'est-ce que le projet de loi 178 vient faire? Il vient changer les
règles du jeu de façon importante puisqu'il permettra à
l'avenir le bilinguisme à l'intérieur, peu importent les
règlements qui seront déposés et, soit-dit en passant,
c'est carrément inacceptable que nous ayons à approuver une loi
qui fera référence à des règlements qui sont
à venir dans trois mois ou dans six mois. Vous conviendrez avec moi
qu'il aurait été, à tout le moins, normal que nous ayons
les règlements pour être capables de juger à quoi on se
réfère. Pour prendre une expression bien
québécoise, si on veut être fair-play, si on veut jouer
correctement, je pense qu'il aurait fallu avoir les règlements qui
l'accompagnent. On ne les a pas.
Mais peu importent les règlements et les dispositions, le signal
qu'on va envoyer aux Québécois, particulièrement aux
immigrants, va être un signal que ça peut se passer autrement
qu'en français au Québec parce qu'on va être capables,
à l'intérieur des commerces parce que c'est là que se
passe l'activité économique. Ce n'est pas juste à se
promener sur la rue Sainte-Catherine, ce n'est pas juste à se promener
et à voir les annonces extérieures. Cela, c'est là.
D'ailleurs, déjà, les grandes chaînes qui affichent, comme
nom, ce n'est pas toujours très québécois, que ce soit
Eaton, Simpson, Harvey's. Mais non, on accepte ça et ça va. Ce
qui est important, c'est qu'à l'intérieur des commerces
l'affichage, la publicité qui va être là soit en
français.
Je vais faire une analogie, un exemple pour bien comprendre l'importance
de statuer dans une loi et d'envoyer des messages. On est dans la
période des fêtes et on sait qu'il y a eu de la part du
gouvernement, l'année passée, une loi qui dit carrément
aux gens qui veulent prendre de l'alcool au volant: Ce n'est plus possible
parce que si vous vous faites prendre, c'est suspension du permis. Qu'a-t-on
voulu signifier par une loi ici à l'Assemblée nationale, par un
même gouvernement? On a voulu signifier aux genê qui prennent de
l'alcool au volant: Écoutez, ce n'est plus acceptable. Sur le plan de la
sécurité, on trouve ça carrément inacceptable. On
met une loi et on va punir les gens en conséquence. Assez que le message
qui a été envoyé à la population était un
message qui a fait changer des comportements.
Allez dans des parties de Noël actuellement, allez dans des bars.
Avant de prendre un deuxième, un troisième ou un quatrième
verre et de reprendre le volant, les gens y pensent. Il y a une loi, il ne faut
pas se faire prendre.
L'exemple que je donne, Mme la Présidente, c'est que, quand un
gouvernement décide d'adopter une loi, d'envoyer des messages, c'est
important. C'est d'autant plus important lorsqu'il s'agit de la langue que nous
voulons protéger. À entendre certains propos dans cette Chambre,
depuis hier, on a un peu l'impression, pour ne pas dire beaucoup, on a
l'impression que les anglophones sont dans une situation de péril. On a
cette impression. Mais, Mme la Présidente, ce ne sont pas les
anglophones qui sont en péril au Québec, ce sont les
francophones. Si on accepte, et certains députés dans cette
Chambre l'ont mentionné, qu'il y a un problème très
sérieux actuellement, c'est celui de la démographie; je suis de
ceux-là et je pense que le Parti québécois l'a
passablement soulevé ces dernières années. S'il y a un
problème au Québec, c'est bien celui de la démographie qui
fait que le peuple québécois est loin d'être assuré
qu'il sera toujours, s'il continue de se reproduire au rythme où il le
fait actuellement, qu'il comptera 6 000 000, 6 500 000 d'habitants. Il y a un
phénomène qui se passe et qui fait qu'on a un taux de
natalité en baisse et qui fait que les Québécois ne seront
pas aussi nombreux dans quelques années; et pour contrer, pour combler
cela, il y a les immigrants que nous acceptons.
C'est un phénomène important parce que ce ne sera pas dans
l'avenir, dans 20 ans, dans 25 ans d'ici... Quel sera le pourcentage des
Québécois qui sont là actuellement, et quel sera le
pourcentage que formera la population du Québec qui sera formée
d'immigrants arrivés ici et qu'on aura accueillis? Le pourcentage va
être drôlement important. On va atteindre très rapidement,
au Québec, les 40 %, les 50 % de la population formée
d'immigrants. Je n'ai absolument rien contre cela. Par contre, à cause
de ce phénomène, à cause du nombre des
Québécois, on se doit de se protéger. Cela ne veut pas
dire de s'enfermer. Cela ne veut pas dire d'être contre tout ce qui bouge
en anglais. Mais ça veut dire d'être capable de se donner des
règles du jeu, d'avoir des lois qui nous protègent. Et la plus
belle réussite dans cette matière a été la loi 101
et cela tout le monde le reconnaît.
J'aimerais bien que les députés libéraux fassent un
petit sondage demain, dans leurs comtés, et vérifient par
téléphone si les gens, de façon majoritaire, sont d'accord
avec le bilinguisme qui va être imposé à l'intérieur
des commerces. Je l'ai fait dans mon comté, M. le Président, et
je peux vous dire que le message est très clair. On les fait des
sondages pour les besoins du parti, c'est très clair. Écoutez ce
qui se passe dans la population, c'est très clair aussi. M. le
Président, la loi qu'on s'apprête à adopter est un recul
important et cela, j'en suis profondément convaincu, un recul important
parce qu'on est en train d'adopter des nouvelles règles du jeu qui vont
faire en sorte qu'on ne pourra plus revenir en arrière.
Qu'est-ce qui est arrivé depuis 1985? On a laissé porter.
On n'a pas porté les plaintes qu'on aurait dû porter. On n'a pas
ramené à l'ordre les commerçants qui dérogeaient.
On a laissé porter. Le premier ministre du Québec a
été nonchalant et je pense que c'est reconnu par tout le monde,
tout le monde qui veut être bien objectif. Le premier ministre du
Québec a envoyé des messages relativement embrouillés
à l'effet qu'on ne porte pas plainte. C'est ce que le premier ministre
récolte aujourd'hui. La turbulence des dernières 72 heures, au
Québec, ce n'est pas surprenant. La démission des ministres,
qu'on a aujourd'hui, M. le Président, ce n'est pas surprenant. S'il y en
a un qui doit dire "mea culpa", c'est le premier ministre parce qu'en 1985,
dans le programme, en campagne électorale, il a promis des choses. (23
heures)
Le premier ministre du Québec a suscité des attentes. Il a
dit à ces gens-là: Le bilinguisme, vous allez l'avoir,
faites-nous confiance. Il y en a qui se sont levés parmi les
députés et les ministres anglophones pour lui dire:
Écoutez, on n'est pas d'accord avec vous et on pose tel geste. Mais
pourquoi les anglophones sont-ils choqués, frustrés? Ce n'est pas
parce que la loi 101 s'applique - et elle aurait dû continuer de
s'appliquer - pas à cause du jugement de la Cour suprême qui
était clair et qui faisait plaisir à tout le monde chez les
anglophones. Mais pourquoi l'attitude actuelle des anglophones au
Québec? Posez-vous la question. C'est parce que le premier ministre a
promis autre chose et qu'aujourd'hui il ne livre pas la marchandise parce qu'il
est incapable de la livrer. C'est pour cela qu'on assiste à ce à
quoi on assiste actuellement et je le déplore. Mais au-dessus de cela et
en voulant bien protéger les droits et libertés de chacun, on a
aussi la question fondamentale de savoir si on veut protéger l'avenir du
peuple québécois, l'avenir des francophones au Québec. On
est 6 000 000 ou 5 500 000 francophones dans toute cette mer de
l'Amérique du Nord où il y a quelque 275 000 000 ou 300 000 000
de
personnes. Cela veut dire 2 % de tout le monde qui vit en
Amérique du Nord. Ce petit peuple compte pour 2 % et il y en a 98 % qui
parlent une autre langue qui est l'anglais. C'est normal qu'on veuille se
protéger.
Je conclus en disant que ce que nous réclamons actuellement,
c'est tout simplement la restauration de la loi 101 dans son application.
Même si on envisage que des nouvelles règles du jeu vont
être en vigueur le 1er janvier avec le libre-échange, où on
aura davantage de dialogues nord-sud et avec les anglophones, il eût
été préférable de renforcer la loi 101. Il
eût été tout au moins recommandé que le premier
ministre réinstaure la loi 101 et non pas ce qu'il fait actuellement. Je
vous remercie, M. le Président.
Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole
à M. le député de Pontiac.
M. Robert Middlemiss
M. Middlemiss: Merci, M. le Président. C'est avec des
sentiments partagés que je prends la parole ce soir sur le projet de loi
178. Je crois que l'Opposition ne devrait pas être tellement surprise de
notre position vis-à-vis de la langue. La plupart se souviennent, au
moment de l'adoption de la loi 57, en 1983, lorsque ces gens formaient le
gouvernement et que nous étions dans l'Opposition... Je pense que les
discours étaient les mêmes: on demandait de reconnaître les
droits fondamentaux, pas seulement ceux des anglophones. Ce ne sont pas
seulement les anglophones qui désiraient mettre une autre langue sur une
affiche, soit à l'intérieur ou à l'extérieur. Il y
a certainement des francophones en affaires qui voudraient, s'il y a un besoin,
s'il y a une clientèle, qui seraient intéressés à
utiliser une autre langue. Il ne faudrait certainement pas attribuer le besoin
d'une deuxième langue sur une affiche seulement à un anglophone
ou à un allophone. Ce pourrait certainement être un francophone
dans le monde des affaires.
On parle d'affiches. Je pense que j'aimerais mieux parler, vu que c'est
un sujet tellement émotionnel, un sujet tellement important, un sujet
qui, surtout au Québec, à cause de cette fragilité de la
langue française parce que nous sommes entourés d'anglophones, de
20 000 000 d'anglophones au Canada, de 250 000 000 d'anglophones aux
États-Unis... Je pense que la menace, c'est de là qu'elle vient,
sauf que les effets pour tenter de nous protéger, c'est ici au
Québec que nous sommes obligés de prendre des moyens pour nous
assurer que le français va continuer d'être employé. Mais
c'est qui? Ce sont les non-francophones, au Québec, qui sont soumis
à certaines choses. Je pense que les choses ont changé.
Déjà, il était difficile pour les francophones qui
étaient majoritaires ici, au Québec, de travailler dans leur
langue et de se faire servir dans leur langue, mais les choses ont
changé. La loi 101 a aidé, mais avant il y a eu la loi 22. Est-ce
que cela aurait été aussi facile pour le gouvernement du PQ
d'adopter la loi 101 s'il n'avait pas eu la loi 22? Et Dieu sait le prix
politique qu'a payé le gouvernement libéral en 1976 pour avoir
fait ce pas. D'accord, il y a des anglophones que je représente qui le
reprochent encore aujourd'hui à ce gouvernement libéral. Mais,
aujourd'hui, je les représente et je vais les représenter et les
défendre, eux aussi.
Ce que je trouve un peu malhonnête de la part des gens de
l'Opposition, c'est que, lorsqu'ils étaient au pouvoir, lorsqu'ils
avaient la loi 101, j'ai l'impression qu'ils avaient mis la loi là, mais
qu'ils n'avaient pas les outils, les suivis pour s'assurer qu'elle était
bien appliquée. Je vais vous donner un exemple. Dans mon comté,
sur 20 municipalités, il y en a 17 qui auraient le statut de
municipalité bilingue et qui, depuis peut-être 1960, ont un
affichage en anglais seulement. Qu'est-ce qui est arrivé durant le
règne du PQ? Jusqu'en 1985, jamais un inspecteur n'est allé
vérifier pour dire à ces gens qu'ils étaient hors la loi.
Mais, depuis qu'on est au pouvoir, malheureusement pour moi, ces gens viennent
me voir et disent: Mr. Middlemiss, you promised that you people will make
changes to Bill 101, so that I would be allowed to use another language than
French on signs. We are 90 % English-speaking, Mr. Middlemiss. Do you feel that
it is normal for us to hâve signs only in French? Je dois leur dire: Non,
ce n'est pas normal qu'on demande cela à une population de 90 %. Mais,
aujourd'hui, il n'y en a pas de français. Ce sont peut-être des
gens qui, il y a quelques années, lorsqu'on leur a demandé de
mettre des affiches bilingues, ont dit: Non, jamais. Mais, aujourd'hui, on a
fait un grand chemin. D'un non pour une affiche bilingue, on est rendu au point
où ces gens sont prêts à dire oui. Ils sont prêts
à accepter le programme qu'on leur offrait comme Parti libéral:
Oui, on va accepter d'afficher en anglais pour autant qu'il y ait du
français et du français prioritaire. Donc, est-ce que ces gens
n'ont pas fait un bon bout de chemin?
C'est pour cela que je disais tout à l'heure que mes sentiments
sont partagés. J'ai fait deux élections en disant à ces
gens: Nous allons vous permettre l'affichage à l'intérieur et
à l'extérieur. Je ne blâme pas M. Bourassa, le premier
ministre. Moi, je préfère encore et j'aurais
préféré le programme du parti, mais c'est moi. M.
Bourassa, c'est le premier ministre. Il doit composer avec tous les
députés du côté ministériel, la population
et, j'en suis certain, le point de vue de l'Opposition. Et, dans sa sagesse,
à tort ou à raison, il nous a fait une proposition à
laquelle je vais adhérer, sauf que j'ai demandé, et on m'a
assuré qu'on ferait une vérification pour savoir si, dans le cas
des municipalités où il y a 90 % ou 70 % d'anglophones, on
pourrait permettre à ces gens-là de mettre de l'anglais sur une
affiche à l'extérieur. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. On
l'a pour des
municipalités. Il y a des municipalités au Québec
avec 50 % d'anglophones et 50 % de francophones, auxquelles on donne un statut
qu'on appelle un statut bilingue, un statut qui leur permet de faire les choses
dans les deux langues. (23 h 10)
Soit dit en passant, je dis bilingue et peut-être que je ne
devrais pas utiliser ce mot, parce que c'est le mot que l'Opposition veut
utiliser. Ils veulent utiliser le mot "bilingue" parce que au Canada on parle
d'un Canada bilingue, et c'est le français et l'anglais. Qu'est-ce qu'on
dit? Dans l'affichage, le français nettement prédominant et une
autre langue. Ce n'est pas une imposition. Le député de Bertrand,
tout à l'heure, disait: On va imposer le bilinguisme à
l'intérieur des établissements. C'est faux. Et je pense que le
premier ministre l'a mentionné. Qu'est-ce qu'on dit? On va permettre
l'utilisation d'une autre langue que le français pour autant que le
français est nettement prédominant.
M. le Président, comme je le disais, ce n'est pas ce que je
voulais. Il y a une autre chose que je voudrais dire et qui me fait beaucoup de
peine. C'est de voir nos collègues, nos collègues qu'on dit des
anglophones... Moi aussi, je suis souvent appelé un anglophone. Je n'ai
aucune honte à être appelé un anglophone parce que je suis
certainement fier de mes racines anglophones comme je suis aussi fier de mes
racines francophones. J'aimerais vous raconter une petite anecdote qui m'est
arrivée en 1981. Lorsque je suis arrivé ici, en 1981, j'ai eu
l'occasion de prendre la parole pour la première fois, et un
député du PQ est venu me voir et m'a dit: Toi, es-tu
Québécois? J'ai dit: Oui. Il a dit: Tu n'es pas
Québécois? J'ai dit: Pourquoi? Il a dit: Ton nom, c'est
Middlemiss; pourtant, tu parles français comme nous autres, mais ton nom
est Middlemiss. J'ai dit: Regarde là, peut-être que je peux
t'expliquer quelque chose. Si, au moment où mes parents se sont
mariés, il y avait eu la loi 89 de l'année 1980 qui donnait
à l'épouse le choix de garder son nom de famille, qu'elle peut
donner son nom de famille à son enfant, dans ce cas-là, mon nom
serait Robert Cardinal. Il m'a dit: Ah! là, tu serais un
Québécois. Et ce n'était pas par malice. Il croyait
ça. Et c'est ça que je veux dire aux gens de l'autre
côté. On ne parle pas d'anglophones, on est tous ici pour
représenter la population et j'espère qu'on est tous des
Québécois.
Dans mon comté, il y a des Hodgen, des Young, et c'est la
troisième ou quatrième génération. Ils sont
là depuis 1840 ou avant. Ils ont colonisé. Ils sont aussi et se
sentent comme des Québécois. Ils n'ont pas la même langue
maternelle, mais ils se sentent à 100 % Québécois.
J'espère que l'Opposition va être plus tolérante et qu'on
ne nous reprochera pas, surtout le député de Lac-Saint-Jean qui
nous le reprochait, d'avoir félicité et applaudi le ministre de
l'Environnement après son discours. Je crois que ce que le ministre de
l'Environnement a fait, c'est qu'il a exposé exactement ce qu'il
ressentait et c'était pour des droits. Ils ont dit: Ce ne sont pas les
droits des francophones, ce ne sont pas les droits des anglophones, ce ne sont
pas les droits des grands et des courts, des gens à l'est et à
l'ouest, ce sont des droits. Et je pense que son discours va certainement
rassurer la communauté anglophone du Québec, rassurer aussi la
communauté francophone du Québec, parce qu'elle a un grand
respect pour lui. Puis, on nous reproche de l'avoir applaudi, de l'avoir
félicité. Je pense qu'il nous a fait un très bon discours,
un bon discours honnête, franc, comme il l'est, et de se faire reprocher
ça, je pense que c'est une chose qui manque un peu de tolérance,
de décence même.
Que l'Opposition nous dise: Nous autres on préfère garder
la loi 101 intacte, c'est leur droit le plus sacré. Mais je vais vous
dire une chose: Je vous garantis que s) on avait osé faire ce que vous
voulez cela n'aurait pas été encore assez. On n'aurait jamais pu
vous satisfaire même en remettant la loi 101 telle qu'elle était
avant. Jamais vous n'auriez admis que nous autres on pouvait faire ça.
On ne serait pas allés encore assez loin. Donc, chacun sa façon
de faire les choses. Comme je disais, M. le Président, je sens que je
vais voter pour cette loi. Je suis déchiré,
énormément déchiré. J'accepte et on va tenter de
régler un problème dans mon comté. Je mets encore une fois
ma confiance à savoir qu'on va être capable de me permettre de
bien représenter et de bien remplir les promesses que j'ai faites
à ma population.
Je suis issu d'une famille, un père anglophone protestant, une
mère francophone catholique, tout un mélange. J'étais
jeune, heureusement que mes parents ont décidé de m'envoyer
à l'école française. Je jouais avec les Français et
on disait: On va les avoir les Anglais. Je m'en souviens. Une chose dont je me
souviens le mieux, c'est que dans une école catholique, on nous enseigne
le catéchisme par coeur, on dit: Dieu est bon. Dieu est juste.
Obéissez aux commandements de Dieu et de l'Église et vous avez la
garantie d'aller au ciel. On m'a enseigné ça pendant cinq, six
ans. J'arrive en septième année, c'est le vicaire qui vient nous
faire des leçons. La première leçon: Tous les protestants
s'en vont chez le diable. Ah! mon Dieu! J'ai dit: M. le vicaire, ça ne
se peut pas. Moi, mon père est protestant. Toute ma vie, depuis que je
suis à l'école, vous m'avez enseigné Dieu est juste. Dieu
est bon. Obéissez aux commandements de Dieu et aux commandements de
l'Église et vous Irez au ciel; mon père fait ça. Donc,
vous essayez de me dire que la justice de Dieu c'est qu'il faut venir au monde
catholique. Il m'a dit: Dehors.
Je dois dire qu'aujourd'hui... Non, non. C'est la vérité
que je vous dis, ce n'est pas un mensonge. Mais on a évolué
depuis ce temps. Aujourd'hui, ce n'est pas nécessaire d'être
catholique, chrétien encore c'est acceptable. Ce
n'est plus hors de l'Église, pas de salut. Donc, on a
évolué. Je voudrais simplement dire que dans le domaine
linguistique, dans le domaine du respect des communautés et des
individus, j'espère qu'on pourra faire cette évolution,
l'évolution qu'on a faite au point de vue de la religion. Il y a un mot
- pas parce que je suis plus religieux qu'un autre - où on dit: Aime ton
prochain comme toi-même. Notre prochain peut être un anglophone, il
peut être un Japonais, il peut être un Russe, Italien, tout
ça. On dit: Aimez-vous les uns les autres. Il ne faudrait pas commencer
à dire: II faut s'aimer parce qu'on est anglophone, il faut s'aimer
parce qu'on est francophone parce qu'on n'arrivera jamais à
régler les problèmes qui nous affectent tous et chacun. (23 h
20)
Si on a tous, les 122 membres de l'Assemblée nationale, choisi la
politique, que ce soit avec un parti ou avec l'autre, n'est-ce pas vouloir
améliorer la qualité de la vie de nos concitoyens, des gens qu'on
représente. Qu'ils soient anglophones, francophones, allophones, on est
là pour les représenter tous. On est ici pour débattre des
projets de loi qui devraient normalement améliorer leur qualité
de vie. En terminant, c'est ça que je voudrais bien que les derniers
orateurs du côté de l'Opposition puissent démontrer,
même si on n'est pas d'accord, que c'est un débat sérieux,
qu'on est tous, d'un côté comme de l'autre,
intéressés à s'assurer que tous les
Québécois puissent avoir une bonne qualité de vie et que
la majorité francophone qui, elle, est sensible, est craintive pour sa
langue soit assurée qu'on se donne les outils et les moyens pour
promouvoir la langue française. Je ne pense pas qu'il soit
nécessaire, pour promouvoir, d'enlever à quelqu'un. Je pense que
c'est mieux de promouvoir.
Juste un petit message en passant. J'ai été chanceux, je
suis né d'un père anglophone et d'une mère francophone. Je
ne me souviens pas quelle langue j'ai parlé la première, mais je
souhaite que tout Québécois, tout Canadien ait cette chance
d'apprendre une langue seconde, que ce soit le français pour
l'anglophone ou l'anglais pour le francophone. C'est fort important, sans
mettre de côté sa langue maternelle, sa culture, soit-elle
anglophone ou francophone. Si le risque d'être assimilés est
grand, il faut dire que j'aurais pu être assimilé facilement dans
une telle famille. Je dois vous dire que je suis chanceux, mais je pense que
tout le monde peut le faire. Je ne suis pas une exception et ma soeur n'est pas
une exception, avec un père francophone et une mère anglophone,
nous sommes quatre enfants francophones et anglophones et il y a six
petits-enfants. Est-ce que c'est un recul? Non. Je crois que c'est possible de
le faire. Il ne faut pas avoir peur, il faut avoir confiance. Il faut fournir
le plus d'efforts possible pour s'assurer de mieux enseigner, de mieux
préserver la langue française sans toutefois enlever des droits,
que ce soit à des anglo- phones ou à des allophones. Cela
n'aiderait certainement pas à améliorer le sort ou à
garantir que la francophonie va continuer à exister ici.
En tout cas, M. le Président, comme je vous le disais, j'aurais
parlé avec une plus grande gaieté de coeur, si on avait choisi le
programme du Parti libéral. On ne l'a pas fait. Toutefois, j'ai
confiance qu'une autre fois, je pourrai certainement accomplir une partie de la
promesse que j'ai faite à mes commettants à propos de la langue
d'affichage. Merci beaucoup.
Le Vice-Président: Nous allons maintenant poursuivre avec
l'intervention de M. le député de Mille-Îles.
M. Jean-Pierre Bélisle
M. Bélisle: Merci, M. le Président. Sans
détour, avec sérénité et avec solidarité,
dans le respect des minorités ethniques qui composent le Québec
et de la majorité francophone qui a son foyer national au Québec,
je voterai pour le projet de loi 178 car, à mon avis, il s'agit du seul
et valable compromis possible assurant, d'une part, le maintien exclusif du
visage français à l'extérieur, deuxièmement, la
prépondérance du français avec une autre langue à
l'intérieur, le tout assorti d'une clause "nonobstant" qui
protège l'ensemble des dispositions du projet de loi.
C'est surtout à cause d'un jugement à la fois remarquable
et historique que nous en sommes venus, ce soir, à débattre du
projet de loi 178. Le jugement est clair, complet, sans ambiguïté.
Gain majeur pour le Québec, il accorde la garantie constitutionnelle
totale au Québec sur sa sécurité culturelle par
l'utilisation d'une clause "nonobstant", et ce, n'en déplaise à
l'Opposition, à l'intérieur de la fédération
canadienne, à l'intérieur du Canada.
Ce même jugement établit de façon non
équivoque - il s'agit là également d'une première -
la liberté totale d'expression sous toutes ses formes. Également,
ce même jugement est avant-gardiste parce qu'il édicté la
primauté de la Charte québécoise des droits et
libertés de la personne au-dessus de toute loi au Québec,
reconnaissant ainsi une sorte de statut de charte quasi constitutionnelle,
voire même constitutionnelle à la Charte québécoise
des droits et libertés de la personne sur le même pied que la
charte canadienne. Ce même jugement est également porteur de
changements, M. le Président, parce qu'il touche à des valeurs
fondamentales de notre société. Certains ont dit qu'il s'agissait
là du gouvernement par les juges. Je pense que la réaction est un
peu normale, compte tenu que ce n'est que très récemment que nos
cours ont eu à interpréter les règles fondamentales en
matière de liberté et de droits fondamentaux.
Ce dont il faut se souvenir, c'est que le
jugement actuel est l'aboutissement d'une démarche sociale et
sociétale. La cour a adopté, pour la première fois, le
courant de pensée de la Cour suprême américaine en
s'arrogeant le droit de faire des choix de valeurs fondamentales. Il s'agit
là d'un nouveau rôle que la cour s'est attribué mais en
fonction des chartes constitutionnelles qui sont incluses dans la Constitution
canadienne et de la Charte des droits et libertés de la personne du
Québec. De là, M. le Président, la conclusion toute
simple, la nécessité maintenant pour les Législatures
provinciales et fédérale de corriger, s'il y a lieu, et
d'exprimer très clairement les valeurs de chacune des
sociétés dans chacune de leur juridiction par le biais de choix
politiques. C'est ce que l'Assemblée nationale fait ici ce soir.
Il est évident que le judiciaire ne peut remplacer notre fonction
législative et l'Exécutif et d'autre part, nous de
l'Assemblée nationale, nous des Législatures provinciales nous ne
pouvons abdiquer notre obligation de décider en transférant notre
obligation en se disant: Les cours vont décider pour nous ce que
signifie la liberté d'expression, la liberté de religion et la
liberté d'association. J'en viens à cette notion de
liberté, non seulement à la liberté d'expression mais
à la liberté au sens large du terme. La liberté
individuelle est conditionnée toujours par la liberté de l'autre.
Ma liberté s'arrête là où la liberté de
l'autre commence. Appliqué au domaine de l'affichage, le but d'une
affiche commerciale, d'un affichage commercial ce n'est pas d'agresser les
autres, on ne met pas un placard dans une vitrine pour agresser quelqu'un qui
passe sur une rue, sur un trottoir, c'est fait dans le but d'informer le
passant, le client, dans le but de conclure une transaction commerciale.
Si je fais référence, M. le Président, à ce
que le député de Bertrand disait tantôt quand il nous
parlait de la raison sociale et des raisons sociales du restaurant Harvey's ou
du restaurant McDonald, je suis sûr que le client ou le passant ne
conclut pas une transaction commerciale en voyant à l'extérieur
du commerce une affiche qui indique dans la langue et maintenant
obligatoirement dans la langue française en vertu du projet de loi 178
un nom. C'est seulement pour l'identification du nom de la personnalité
légale. Selon moi, si c'est là l'essence de l'affichage
commercial, il faut accorder aux autres la même liberté et les
mêmes droits que nous les francophones nous nous sommes vu accorder il y
a déjà au-delà de douze ans. Et je m'explique. M. le
Président. En 1976 - un jugement qui n'a pas été
porté devant la Cour suprême du Canada - la Cour d'appel du
Québec rendait un jugement dans la cause Procureur général
de la province de Québec et Dominion Stores Ltd., un cas très
anodin. Vous allez comprendre le parallèle. Il s'agissait d'un vulgaire
jambon en conserve empaqueté en Pologne. Bien oui, il était
empaqueté en Pologne, il venait d'ailleurs, l'étiquette
était en polonais. Il n'y avait aucune indication du contenu, il n'y
avait rien pour informer le consommateur.
(23 h 30)
La province de Québec avait adopté, en vertu de la Loi sur
les produits agricoles, les produits marins et les aliments, un
règlement, le règlement 683 qui disait - écoutez bien, M.
le Président - à l'article 38: "Dans toute inscription, l'usage
du français est obligatoire et aucune inscription rédigée
en une autre langue ne doit l'emporter sur celle rédigée en
français." Déjà, on donnait une indication qu'il devait y
avoir une prépondérance du français.
Voyons ce que le juge Bélanger a dit dans ce jugement. Cela
s'applique textuellement à la distinction entre la raison sociale en
français à l'extérieur, et à l'intérieur,
prépondérance du français, avec également une autre
langue. Le juge Bélanger disait: "Le pouvoir de réglementer les
inscriptions ou indications du conditionnement des produits, leur
étiquetage, est évidemment relié au pouvoir de prescrire
une mesure propre à assurer la loyauté des ventes, un contrat est
loyal si les deux parties ont fait des représentations véridiques
et précises que chaque partie a pu comprendre, il n'y a rien de
surprenant à ce que le législateur exige qu'un minimum
d'informations sincères soient fournies sur chaque produit au
consommateur et, règle générale, le législateur
prend pour acquis que ces informations seront données dans la langue des
consommateurs, à défaut de quoi l'étiquetage ne remplit
pas son rôle. Je suis d'avis que le pouvoir de préciser par
règlement que les informations devraient être données, dans
une certaine proportion, dans la langue de la grosse majorité des
consommateurs, s'insère de la loi.
N'est-ce pas tout à fait logique, M. le Président, que
dans le projet de loi 178 nous ayons la même règle qui soit
confirmée douze ans plus tard, à l'intérieur des commerces
pour les minorités ethniques, pour notre minorité allophone
devenue très importante au Québec, soit d'avoir le droit de
conclure des transactions commerciales en étant informées dans
leur langue? La liberté que j'ai, c'est également la
liberté des autres. Ceci dit, M. le Président, il me semble que
c'est très clair.
M. le Président, je ne pourrai, à cause du peu de temps
qui m'est alloué, brosser d'autres aspects de la situation, mais ce que
je peux dire en terminant, c'est que l'ensemble du projet de loi 178 tente
d'assurer et de maintenir la paix sociale au Québec et de clore la
déstabilisation du climat social qui dure par les contestations
judiciaires depuis au-delà de 30 ans dans le domaine linguistique. C'est
assurément une façon pour nous de confirmer la primauté du
français.
M. le Président, nous n'avons pas la certitude d'avoir les
solutions toutes faites Quand j'écoute les gens de l'Opposition, il est
bien évident qu'ils ont le syndrome de détenir toute la
vérité, mais selon moi seules les personnes insensées ou
fanatiques ont la prétention
d'avoir toute la vérité. Le Parti québécois
a tenté de se faire passer, au cours des années 1976 à
1985, comme étant le gardien de la bible linguistique au Québec.
La loi 101 était pour eux le nec plus ultra, mais elle comportait des
failles et on ne l'a pas dit aux Québécois intentionnellement. De
1976 à 1985, on n'a pas poursuivi parce qu'on donnait des instructions
précises aux officiers qui étaient chargés de
l'application de la loi sur la langue de ne pas poursuivre, pour la simple
raison que, si l'on poursuivait en vertu des dispositions de la loi,
c'était faire la preuve publique que la loi 101 avait des failles, que
ce n'était pas une protection mur à mur.
Si l'on relit le projet de loi 1, M. le Président, en 1977, on
voulait établir une clause dérogatoire. À la suite des
pressions faites par l'Opposition, le Parti québécois a
décidé politiquement de la retirer. Le Parti
québécois a assumé la responsabilité politique de
modifier complètement et de faire que les libertés individuelles
passaient au-dessus des libertés collectives. En 1982, au mois de
décembre, ils ont voulu modifier à nouveau la situation. Je vais
vous lire un court passage de Marc-André Bédard, ministre de la
Justice de l'époque, page 6293, 1er décembre 1982, du Journal
des débats de l'Assemblée nationale: "II me paraît
essentiel que, dans une société démocratique comme la
nôtre, ces droits - on parle des articles 1 à 9 de la charte
québécoise - soient eux aussi prépondérants et que
cette prépondérance, ainsi que celle déjà existante
des articles 9 à 38 s'appliquent tant aux lois antérieures que
postérieures à la charte."
Ce que je sais, M. le Président, pour en avoir parlé aux
députés de l'Opposition, c'est qu'il n'y a jamais eu de caucus de
l'Opposition pour discuter de cette modification à la charte. Alors,
c'est par négligence que la loi a été modifiée.
En conclusion, M. le Président, personnellement, j'ai vécu
un événement enrichissant depuis deux ou trois semaines. Dans ce
débat historique, en écoutant les autres, en tentant de soupeser
les opinions divergentes face à mon opinion personnelle, j'ai
vécu dans le Parti libéral du Québec la preuve vivante que
la recherche de la justice, de l'équité, du compromis dans le
calme, la sérénité et le respect de l'autre est une chose
tout à fait possible.
Il ne me reste qu'à souhaiter, en cette époque de
réjouissances qui est l'époque des fêtes, en cette
époque de solidarité et de fraternité, l'expression
suivante à tous ceux qui sont dans cette Chambre: paix sur terre aux
hommes de bonne volonté et, en paraphrasant, paix sur cette terre riche
et généreuse du Québec aux Québécois et aux
Québécoises de bonne volonté. Merci, M. le
Président.
Une voix: Bravo!
Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le
député de Saint-Jacques.
M. André Boulerice
M. Boulerice: M. le Président, la Loi sur
l'Assemblée nationale, dans son préambule, dit:
"Considérant que l'Assemblée nationale, par
l'intermédiaire des représentants élus qui la composent,
est l'organe suprême et légitime d'expression et de mise en oeuvre
de ces principes..." Le bâillon pour cette loi, M. le Président.
"Considérant - c'est dans la Loi sur l'Assemblée nationale -
qu'il incombe à cette Assemblée, en tant que dépositaire
des droits et des pouvoirs historiques et inaliénables du peuple du
Québec, de le défendre contre toute tentative de l'en spolier ou
d'y porter atteinte..."
Qu'est-ce que cette Assemblée nationale fait, avec un
gouvernement libéral? Elle foule, pile sur la loi fondamentale qui est
la Loi sur l'Assemblée nationale, M. le Président. Si le sujet
n'était pas si triste, je dirais que le gouvernement nous a offert un
très beau spectacle, très bien monté, avec une habile mise
en scène, très habile mise en scène, un psychodrame avec
même des petites allures de James Bond 007, quoique le premier ministre
n'ait pas nécessairement le physique de l'emploi.
On a créé un écran de fumée par des
démissions de ministres. Il y avait même des pleureuses qui
s'arrachaient les cheveux comme au temps de la Rome Antique; un psychodrame
dans ce siècle du visuel et de l'image où le message est
subliminal de la part du gouvernement. On a tenté d'accréditer la
thèse que les perdants sont les anglophones en disant: Regardez, ils
s'en vont, on a vraiment été méchants envers eux! Bon,
vous autres, les francophones, taisez-vous! Jouons sur le sentiment de
culpabilité avec lequel on a toujours écrasé la
majorité francophone. Attention, majorité francophone dans le
seul petit bout de territoire qui lui reste, parce que cette majorité
francophone au Québec, c'est une illusion d'optique, elle est 40 fois
minoritaire en Amérique du Nord! (23 h 40)
Donc, on joue habilement avec des messages subliminaux faits par les
gens de marketing du parti gouvernemental, du Parti libéral, pour
accréditer la thèse: Eh bien, écoutez, on leur a assez
tapé sur le dos, ces pauvres anglophones. Donc, tenez-vous tranquilles,
vous autres, les francophones. Et essayons d'anesthésier - parce que
cela a toujours été le propre du Parti libéral,
d'anesthésier - anesthésions les francophones, essayons de leur
faire oublier que c'est véritablement eux les vrais perdants dans cette
loi-là. C'est eux qui perdent.
Ce qui est le plus épouvantable, M. le Président, c'est
que les députés francophones, chers compatriotes, vos
collègues francophones se prêtent à cette farce
surréaliste, se font complices... Les députés francophones
se font complices de ce maquillage politique, M. le
Président, qui est d'un machiavélisme jamais
égalé à ce jour. Message subliminal, M. le
Président. On ne parle pas d'interdiction. Le premier ministre, notre
suave premier ministre, l'homme des compromis, disait-on. Non! L'homme des
compromissions, oui. Et le premier ministre parle de prohibition; il est en
train de se prendre pour l'Elliott Ness de la langue française, M. le
Président... De prohibition.
Il ne faut pas avoir fait longtemps de psycholinguistique pour
connaître la force des mots, M. le Président. On voit bien toute
la subtilité du message gouvernemental libéral. Mais les
Québécois ne sont pas fous, ce message-là ne prendra pas.
Votre prohibition, quant à moi, je préfère la prohibition
à votre gin de l'anglicisa-tion, comme vous voulez nous le proposer.
La minorité, M. le Président, je le dis et je le
répète pour la nième fois dans cette Chambre, nous sommes
40 fois minoritaires en Amérique du Nord. Que la vraie minorité
se lève! Bien, c'est nous. Les anglophones sont la majorité sur
ce continent. Et il n'y a personne qui va me faire brailler sur leur
disparition éventuelle, c'est faux! C'est totalement faux!
Comme le disait ma collègue, on est prêt à donner
100 $ ou 150 $ à de vraies oeuvres de charité, non pas à
Alliance Québec, pour sauver les baleines bleues en voie de disparition
dans le fleuve Saint-Laurent, mais, s'il y a une espèce en tant que
peuple, M. le Président, qui est en voie de disparition et qui serait en
mesure d'avoir une protection, c'est bien la minorité francophone
d'Amérique du Nord. Je regrette que le député d'Iberville
ne soit pas ici, dont le père est natif de l'État du Rhode Island
en Nouvelle-Angleterre où tant des nôtres ont immigré. Le
député d'Iberville pourrait nous dire ce que c'est
l'assimilation, c'est ce qui est arrivé aux centaines de miliers de nos
compatriotes et leurs descendants qui peuplent la Nouvelle-Angleterre. Il
pourrait peut-être nous raconter aussi un autre exemple de sa vie
personnelle. Quand sa fille a étudié au Bishop Collège et
qu'après elle est retournée à l'Université de
Montréal, elle l'avouait elle-même, elle cherchait ses mots en
français. C'est le danger de l'assimilation, M. le Président, le
danger pour notre culture; la langue est ce qui a fait notre culture,
malgré les chiffres tronqués qu'a donnés tantôt la
députée de Vachon.
Le monde de la culture était là, dimanche, unanime
à dénoncer ce gouvernement. Je vais reprendre d'ailleurs les
paroles du président de l'Union des artistes, M. Serge Turgeon, qui
disait: Si les anglophones ont un problème à nous
reconnaître, nous, au Québec, ça, c'est leur
problème, on n'en fera pas, nous, notre problème. Et il avait
drôlement raison. La foule, d'ailleurs, l'a applaudi à tout
rompre.
Je suis fatigué, M. le Président, je suis tanné, en
bon québécois, nous, les Boulerice, qui sommes arrivés ici
en 1686, sommes obligés de quêter à genoux le moindre de
nos droits, vaincus en 1760, écrasés en 1837. On s'est
réfugiés, d'ailleurs, sur les terres de ma famille pour
éviter les balles des armées d'occupants anglais. Rappelez-vous
votre histoire, ne l'oubliez pas parce qu'un peuple qui oublie son histoire est
condamné à la revivre. Rappelez-vous donc la devise du
Québec, "Je me souviens", ça vous donnerait peut-être un
peu plus de confiance. Porteurs d'eau dans notre propre pays jusque,
peut-être, au début des années soixante où,
là, le Parti libéral méritait de porter son nom, mais
ça s'est éteint par la suite. En 1969, j'étais
déjà à une première manifestation contre une loi
linguistique; en 1974, la loi 22, dont on assiste d'ailleurs à la
seconde version aujourd'hui, parce que c'est une loi 22 qu'on nous propose.
J'en ai marre, comme la grande majorité des Québécois,
d'être obligé de me battre quotidiennement. Que la
députée de Dorion se taise, c'est moi qui parie! Quand ce sera
son tour, elle parlera. J'en ai marre, comme la majorité des
Québécois, d'être obligé de quêter mes droits,
quand c'est normal pour tous les pays, M. le député de Rosemont,
futur ancien député de Rosemont.
Je les ai entendus chanter le multiculturalisme. Je me souviendrai
toujours de la confidence que me faisait le sénateur Gigantès qui
me disait: Le multiculturalisme, ça a été inventé
par Pierre Elliott Trudeau pour faire accepter aux Ukrainiens de l'Alberta que
la deuxième langue officielle au Canada était le français.
Je les entends faire ce beau discours. Je les entends vulgairement draguer les
communautés culturelles, téter le vote des communautés
culturelles. Qui était à Port-au-Prince pour défendre les
droits humains en Hafti? Ce n'était pas la députée de
Bourassa, c'étaient les députés du Parti
québécois. Qui était au Chili pour défendre la
démocratie? Ce n'était pas un député
libéral, à qui j'ai été obligé d'arracher de
force une motion d'appui, c'étaient les députés du Parti
québécois. Vous les trouvez bien beaux et bien fins quand arrive
le temps des élections; après ça, on sait ce que vous
faites avec eux. Vous n'avez aucune sympathie pour leurs problèmes, mais
vous vous érigez en grands défenseurs. La statue de la
liberté, on a l'impression que c'est chacun des députés
libéraux qui s'est drapé dedans et qui se prend pour elle.
Par contre, à l'exemple de la vraie statue dans le port de New
York, vous aurez besoin de vous faire faire un ravalement par tout le monde
parce que ça commence à tomber, cette histoire-là.
Bâillon, M. le Président! Bâillon sur l'Opposition! On n'a
que quelques minutes, des séances de fin de nuit, avec l'attitude
chauve-souris du gouvernement, M. le Président, pour faire voter une loi
qui engage l'avenir du Québec comme tel, avec un projet de loi dont on
connaîtra les règlements dans six mois et l'application
graduellement dans deux ans. Quel maquignonnage alentour de ça! Dans sa
grande naïveté, le député de Pontiac, tantôt,
vient de nous livrer un élément de maquillage, de maquignonnage
qui
est en train de se faire, quand il a dit: Oui, le premier ministre a
évoqué l'hypothèse de regarder le statut des villes qui
auraient 60 % ou 70 % d'anglophones. Ah! voilà! Relisez les
épreuves, gens de la presse, relisez les épreuves attentivement,
le chat est sorti du sac rapidement. Regardez! J'en donne ma langue au chat,
c'est le cas de le dire. Regardez l'enregistrement visuel du discours du
député de Pontiac, M. le Président, et vous verrez ce qui
s'est passé. (23 h 50)
M. le Président, il y a beaucoup d'enseignement - et je connais
l'intérêt pour la culture de la part du choeur de l'armée
rouge. La Fontaine a écrit une magnifique fable qui s'appelle "Le
Serpent et la Lime". Vous allez comprendre que le serpent est de l'autre bord.
"On raconte qu'un serpent, voisin d'un horloger - et c'était pour
l'horloger un mauvais voisinage - entra dans sa boutique et cherchant à
manger n'y rencontra pour tout potage qu'une lime d'acier qu'il se mit à
ronger. Cette lime lui dit, sans se mettre en colère: Pauvre ignorant!
Que prétends-tu faire? Tu te prends à plus dur que toi, petit
serpent à la tête folle. Plutôt que d'emporter de moi
seulement le quart d'une obole, tu te romprais toutes les dents, je ne crains
que celles du temps. Ceci s'adresse à vous, esprit du dernier ordre qui,
n'étant bon à rien, cherchez surtout à mordre. Vous vous
tourmentez vraiment, croyez-vous que vos dents impriment leur outrage sur tant
de beaux ouvrages? Ils sont pour vous d'airain, et de diamant."
Vous avez bien compris le message. Vos dents n'arriveront pas à
mordre et à charcuter ce à quoi...
Et je vais conclure grâce à l'aide du "teleprompter" de
Sainte-Anne, l'ineffable et rocambolesque député qui se
promène, parce que c'est dommage, chers Québécois et
Québécoises, que vous ne voyiez pas ce qui se passe à
l'Assemblée nationale, vous ne voyez que l'intervenant. Vous auriez vu
le député de Sainte-Anne se promener avec un petit carton rouge
marquant deux minutes. Vous auriez vu tantôt des scènes d'un
dramatique - on se demandait si ce n'était pas tel
téléroman qu'on nous passe à la télévision -
les députés se précipitaient sur la députée
de Vachon, l'entourant d'affection et l'embrassant les larmes aux yeux pour
avoir pris la défense de la langue française, alors qu'elle et
tous ses complices en Chambre sont en train de faire tout à fait le
contraire.
Vous allez en porter le poids politique. Et le poids politique de cela
va se résumer malheureusement et uniquement pour vous à la perte
de votre siège comme député. Puis vous mériteriez
pire que cela parce que vous jouez avec les poignées de la tombe de la
seule collectivité française d'Amérique qui a des chances
d'être capable de vivre un peu dans sa langue sur ce continent. Vous
jouez avec cela, vous en riez, vous faites des farces avec cela. Mme la
députée de Dorion, vous riez de cela. M. le député
de
Bourget, vous-même vous me l'avez avoué tantôt qu'il
y aurait une conséquence politique de votre geste. Vous-même
tantôt vous me l'avez avoué, M. le Président. Cela
n'enlève pas les bons sentiments que je peux avoir pour vous, mais,
attention, chacun dans son comté, il y en a qui vont avaler leurs
biscuits là-dedans. On va voir ce qui va arriver au député
de Taschereau, on va voir ce qui va arriver au député de La
Peltrie, on va voir ce qui risque peut-être de vous arriver, M. le
député de Sainte-Anne, le jovialis-te. Vous ne le voyez pas, il
est debout et pointe comme s'il avait un revolver. Belle image pour un
parlementaire! C'est cela qui se passe dans le cirque de l'autre
côté, gens du Québec. C'est cela qui se passe, mais que,
malheureusement, la caméra ne montre pas. Politiciens sérieux!
Voyons donc! Politiciens à la défense de vos droits! Mais Gilles
Vigneault l'a dit: Comment pouvons-nous faire confiance à des gens
à qui nous ne l'avons jamais accordée sur la langue? Sur la
langue, aucun sondage ne s'est trompé. Quand on demandait: quel
était le parti qui défend le mieux les droits linguistiques des
Québécois francophones, la réponse a toujours
été le Parti québécois, dans tous les sondages.
Cette loi est encore aujourd'hui la loi la plus populaire qui ait jamais
été votée dans ce pays du Québec.
M. le Président, je vais vous lire quelque chose: Des exemples
récents nous ont d'ailleurs montré que l'avenir de la
francisation continue d'être menacé, du moins dans certains
secteurs de la société. Des attaques renouvelées ont
été portées contre la Charte de la langue française
au Québec. Ces attaques très vives ont pu engendrer une certaine
confusion et de profonds malaises dans l'opinion francophone, d'autant plus
qu'elles s'employaient souvent avec habileté à activer, à
actualiser un sentiment de culpabilité collective. Fait naturel dans une
collectivité qui n'est pas encore habituée à ces nouveaux
objectifs et qui peut ressentir une certaine gêne à les affirmer
avec toute la force et la vigueur que manifestent depuis des siècles
d'autres collectivités qui n'ont pas été soumises aux
mêmes contraintes que le Québec.
Qui a dit cela, M. le ministre irresponsable de la langue? C'est la
Commission de la langue française, en 1981-1982. Déjà elle
sentait les attaques vicieuses d'Alliance Québec que vous avez
subventionné.
M. le Président, vous me demandez de conclure. Durant les heures
les plus sombres de l'occupation nazie en France...
Des voix: Ah! Ah!
M. Boulerice: Ah oui. Joseph Kessel avait écrit son
merveilleux chant des partisans, chant de la résistance. Il disait: "II
existe des pays où les gens ont un pays et peuvent rêver." M. le
Président, j'aurai un jour mon pays, le Québec, et j'en ai
d'autant plus la conviction que sur les
25 000 personnes qu'il y avait à Montréal dimanche
dernier, au minimum - et d'ailleurs aucun député libéral,
ils avaient trop peur, ils se cachaient la face - au minimum, M. le
Président, la moitié était des jeunes en bas de 20 et 25
ans. C'est l'encouragement qu'il existe des pays où les gens ont un pays
et peuvent rêver. Donc, un jour, pas si loin, nous aurons ce pays du
Québec, ce pays français et le mépris se terminera une
fois pour toutes. Nous pourrons vivre enfin chez nous, dans notre langue,
gouvernés par nos lois et non pas par la cour d'un pays voisin. Ce
jour-là est beaucoup plus près que certains d'entre vous le
croient et cette journée-là je serai à l'image de tous les
Québécois, M. le Président, et je conclus, je serai cette
journée-là à l'image de tous les Québécois,
tous les Québécois parce que vous essayez de leur faire croire
qu'ils ne sont pas gentils. Ce sera un élan de
générosité envers tous les autres peuples qui habitent
chez nous et ceux qui habitent ailleurs. Le coq aura chanté trois fois
demain, M. le Président. On verra si le député de
Sainte-Marie trahira une troisième fois la population du centre-sud et
du plateau Mont-Royal par son vote.
Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole
à Mme la ministre des Communautés culturelles et de
l'Immigration.
Mme Louise Robic
Mme Robic: Merci, M. le Président. Depuis lundi nous avons
entamé un débat émotif et passionné sur le projet
de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française du
Québec. Si j'interviens dans ce débat, c'est que plusieurs
intervenants chez les députés de l'Opposition ont exprimé
leur préoccupation concernant la place des membres des
communautés culturelles dans ce débat et le rôle que ces
derniers ont à jouer pour le maintien de notre société
francophone. Je me vois dans l'obligation de rectifier certains faits. Le
débat, on s'en est rapidement rendu compte, fait également jouer
des notions fondamentales tel l'équilibre difficile à
réaliser entre les libertés individuelles et collectives. Je
voulais également m'exprimer sur ce sujet, (minuit)
M. le Président, nous venons tout juste de fêter le 40e
anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je
fais partie d'une formation politique qui a promulgué la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne. De plus,
l'article 1 du programme du Parti libéral du Québec souligne que
notre parti est composé de personnes qui professent la liberté de
l'individu et les droits individuels.
Il est alors facile de comprendre le déchirement qui nous a tous
habités, alors que nous avons eu à trancher sur une question
aussi fondamentale que le choix entre les libertés auxquelles nous
croyons de façon viscérale et les droits de la
collectivité francophone, majoritaire sur son territoire
québécois, mais minoritaire sur le continent
nord-américain.
Notre société québécoise francophone est
menacée. La Cour suprême l'a constaté. Le dilemme auquel
nous avons à faire face est ainsi doublement difficile à
résoudre. Au sein du Parti libéral du Québec, chacun de
nous a pu, au cours des discussions au Conseil des ministres, lors des caucus
et durant le conseil général, exprimer sa pensée dans le
respect des opinions des autres. C'est d'ailleurs ce qui fait la beauté
et la force de ce parti où toutes les tendances peuvent s'exprimer
librement.
À partir de ce débat ouvert et franc, nous avons pu
prendre les décisions rationnelles qui s'imposaient, sans toutefois
taire ce qui vient droit du coeur. Il nous fallait assurer la survie de l'un
des deux peuples fondateurs de ce pays et, avec ce projet de loi, c'est ce que
nous tentons de faire. Cependant, nous avons pris ces décisions dans le
respect le plus juste des droits fondamentaux, en conservant le fragile
équilibre entre droits individuels et collectifs.
La situation avec laquelle nous vivons aujourd'hui s'explique cependant,
en grande partie, par l'inaction de l'Opposition qui, alors au pouvoir pendant
dix ans, ne s'est pas acquittée de son mandat. Oh, ces gens disent de
belles choses, s'offrent de belles envolées, mais, lorsqu'ils en avaient
la chance, ils n'ont pas livré leur marchandise. Bien au contraire,
quand je les entends nous accuser, je voudrais leur rappeler certaines
choses.
M. le Président, c'est le ministre responsable de l'application
de la loi 101, le député de Mercier aujourd'hui, qui
méritait le prix Déméritas comme personnalité de
l'année ayant le moins contribué à affirmer une
volonté politique pour ce qui est de l'application de la loi 101. C'est
également sous un Parti québécois au pouvoir que le
ministre de l'Éducation a coupé les classes d'accueil. C'est le
ministre de l'Immigration, député de Mercier, qui, en ouvrant le
bureau du Québec à Hong Kong, vantait les mérites de
Montréal comme étant une ville bilingue, ouverte aux deux
cultures, anglophone et francophone. C'est écrit là.
Lorsque j'ai pris la direction du ministère des
Communautés culturelles et de l'Immigration, en décembre 1985,
après dix années de pouvoir du Parti québécois,
j'ai été scandalisée du peu de travail effectué par
mon prédécesseur. Rien n'avait été fait pour
favoriser l'intégration des immigrants au sein de la majorité
francophone. Les seuls programmes de francisation alors offerts étaient
les programmes financés en totalité ou en partie par le
gouvernement fédéral.
Face à cette réalité navrante, j'ai fait de la
francisation et de l'intégration des immigrants ma priorité. J'ai
créé des programmes, comme le programme d'aide à la
francisation des immigrants, le PAFI, qui subventionne des groupes
des communautés culturelles. C'est le message que je leur dis:
Francisez les membres de votre communauté à travers notre
programme PAFI. Nous avons créé, M. le Président, le
premier programme québécois de francisation des immigrants, afin
de rejoindre le plus grand nombre d'immigrants laissés pour compte par
ceux qui forment aujourd'hui l'Opposition officielle. Les femmes étaient
particulièrement exclues des programmes. Et, M. le Président,
comment peut-on demander aux immigrants d'intégrer la
société d'accueil francophone si on ne donne pas à tous
les membres de la famille les outils nécessaires pour qu'ils se
francisent?
Le gouvernement que je représente a également pris le pari
de franciser les revendicateurs du statut de réfugié. Je vous
rappelle, messieurs de l'Opposition, que c'est le groupe à qui votre
Conseil des ministres avait refusé qu'on donne des cours de
français, prétendant que, de toute façon, ils parlaient
déjà anglais. L'un des résultats malheureux de cette
politique, c'est qu'en 1986, lors d'une révision administrative qui a
permis d'accorder le statut de résident permanent à ces
personnes, pas moins de 80 % avaient effectivement choisi l'anglais comme
langue de communication. C'est une responsabilité lourde de
conséquences que doit assumer le Parti québécois.
En 1987, nous avons mis sur pied des cours de français à
l'intention des revendicateurs. Ô surprise, M. le Président, ces
gens se sont empressés de se mettre en ligne afin de s'inscrire à
nos cours! La demande a dépassé nos espérances. Nous avons
même dû ajouter de nouvelles sommes dans ces programmes.
M. le Président, ce sont des résultats positifs et
concrets. Il est réconfortant de réaliser que, lorsqu'on offre
des services, ils sont appréciés et que, lorsqu'on donne des
outils, ils sont utilisés. Cela s'est aussi vérifié
lorsque nous avons mis de l'avant deux programmes d'aide au rapprochement des
cultures, autre volet complètement oublié par l'Opposition.
Lundi, le député de Taillon indiquait que 72 % des
immigrants choisissaient l'anglais comme langue de communication, M. le
Président, les données du ministère des Communautés
culturelles et de rimmigrantion m'indiquent plutôt que près de six
immigrants sur dix qui arrivent au Québec ont soit déjà
une connaissance pratique du français ou sont touchés par nos
cours de francisation. Il faudrait que l'Opposition arrête de
prétendre qu'elle seule a le mot juste quand il s'agit de la langue. Les
réalisations du gouvernement libéral depuis 1985 n'ont pas
à souffrir des comparaisons avec le travail fait par l'ancien
gouvernement du Parti québécois.
Vous me permettrez, M. le Président, de rêver tout haut
à la situation dans laquelle nous serions aujourd'hui si le gouvernement
du Parti québécois s'était vraiment consacré
à la francisation des immigrants. Ceux-ci ne seraient pas perçus
aujourd'hui comme une menace à la culture française au
Québec. Si le Parti québécois avait fait entre 1976 et
1985 autant que le gouvernement du Parti libéral depuis trois ans, le
malaise des francophones du Québec serait déjà
atténué.
Il est intéressant de noter, alors que le député de
Taillon indiquait que l'on ne fait rien pour franciser les immigrants au
Québec, que son collègue de Mercier profitait, justement, de
l'étude des crédits supplémentaires du ministère
des Communautés culturelles et de l'Immigration pour me féliciter
du travail accompli dans ce domaine. Je voudrais assurer le
député de Mercier, ainsi que tous les députés de
cette Chambre et tous les Québécois que je vais continuer de me
battre afin de poursuivre l'intégration déjà
amorcée des immigrants au sein de la société
québécoise francophone. (0 h 10)
M. le Président, il est, toutefois, évident que je ne peux
réussir toute seule, que le gouvernement ne peut pas tout faire.
Voilà pourquoi j'en profite pour lancer un message à tous les
Québécois francophones. Il faut que notre société
d'accueil tende la main aux immigrants afin qu'ils se sentent bienvenus au sein
de notre société, tende la main aux immigrants et aux membres des
communautés culturelles qui arrivent ici et qui enrichissent de
façon si précieuse le Québec. Je dis que nous comprenons
l'importance qu'ils accordent au maintien de leur langue et de leur culture
d'origine. Le gouvernement a, d'ailleurs, mis en place un programme de maintien
des cultures d'origine justement dans ce but. M. le Président, les
membres des communautés culturelles doivent aussi comprendre que la
langue et la culture françaises sont aussi importantes pour nous que
leur propre langue et culture le sont pour eux.
Toutes ces personnes ont choisi librement de venir s'établir au
Québec. Elles l'ont fait en connaissance de cause, sachant qu'elles y
trouveraient une société distincte et francophone. Elles doivent
s'associer à nous afin de participer à l'épanouissement de
la culture française sur le continent nord-américain. C'est
ensemble, M. le Président, que Québécois francophones,
anglophones et allophones assuront à chaque jour le développement
économique, social et culturel du Québec. C'est ensemble,
Québécois de toutes origines, que nous devons assurer le maintien
et la promotion de cette société distincte dont la langue
française doit être le dénominateur commun. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président: Je reconnais maintenant M. le
député de Nicolet.
M. Maurice Richard
M. Richard: M. le Président, la Cour suprême du
Canada rendait publique jeudi dernier sa décision sur un sujet
très important pour la population du Québec et de mon
comté, soit celui
de la langue. Les honorables juges de la Cour suprême ont
apporté des réponses claires, nettes et, pour une fois,
précises sur plusieurs questions litigieuses en regard de la Charte de
la langue française.
Nous allons, si vous le permettez, M. le Président, regarder
ensemble les grandes lignes de cette importante décision. Tout d'abord,
la compétence du Québec en ce qui a trait à la langue. Ce
jugement confirme la juridiction québécoise sur la langue dans
les domaines qui lui sont reconnus par des textes légaux, des textes
législatifs. On a également fait le point sur la liberté
d'expression comme sur le principe du droit à l'égalité,
M. le Président. D'une façon particulière, ce jugement
écrit confirme la liberté d'expression en vertu de l'article 2,
entre autres, de la charte canadienne insérée dans la
constitution du Canada et à l'intérieur de la charte du
Québec. On retrouve à cet article 2 ce droit fondamental dans
toute démocratie du pouvoir fondé sur la liberté
d'expression. La Cour suprême ajoute que la loi 101, dans ses
différentes dispositions en ce qui regarde l'affichage commercial,
limite la portée de ce droit fondamental qu'est la liberté
d'expression. Le plus haut tribunal du pays reconnaît, cependant, que le
français est menacé sur notre territoire, sur le territoire du
Québec. Devant cette menace suspendue au-dessus de nos têtes, la
Cour suprême affirme qu'il est de notre devoir, à nous,
législateurs, de prendre les moyens à notre disposition pour
promouvoir le visage français de notre Québec à tous.
La Cour suprême s'est aussi penchée d'une façon
particulière sur les articles de la Charte de la langue française
touchant de près la langue d'affichage commercial dans les
établissements et ailleurs. En résumé, M. le
Président, et pour être clair, la Cour suprême nous dit
qu'on ne peut interdire une autre langue et que le français peut
être mis en évidence par des moyens que nous avons, des moyens
légaux reconnus. Les articles de la Charte de la langue française
reliés directement à l'affichage des établissements
commerciaux sont devenus caducs, Inapplicables, ce qui nous place actuellement
devant un vide juridique important. Il n'y a plus de droit, en fait, qui existe
au Québec sur l'affichage des commerces en regard de l'utilisation de la
langue. Il n'y a plus de protection pour notre langue française.
Devant cet état d'urgence, M. le Président, le
gouvernement libéral du Québec par la voix de notre chef, M.
Robert Bourassa, a annoncé à notre population, à la
population du Québec, dimanche, il y a quelques jours, la solution qui
s'est traduite, 24 heures plus tard, par le dépôt du projet de loi
que nous traitons ce soir, le projet de loi 178, intitulé Loi modifiant
la Charte de la langue française. Ce projet de loi accorde
l'exclusivité du français en tout temps à
l'extérieur des établissements commerciaux, avec la
prédominance du français à l'intérieur des
commerces, mais permet l'utilisation facultative d'une langue seconde qui n'est
pas nécessairement l'anglais. Cette notion de nette prédominance
du français qui s'appliquera à l'intérieur des commerces
sera définie par règlement avec précision et d'une
façon stricte. Il est clair que l'affichage intérieur sera
destiné seulement et uniquement à la clientèle de
l'intérieur de l'établissement commercial en cause. Donc, finis,
M. le Président, ces affichages publicitaires dans la vitrine
destinés non pas au public de l'intérieur, mais aux gens de
l'extérieur. Cette ambiguïté qui existe depuis l'adoption de
la Charte de la langue française en 1977 est finalement
écartée par ce projet de loi 178.
M. le Président, si nous faisons référence au
document de la Charte de la langue française, à l'article 60, il
est fort intéressant d'y constater que les entreprises... Avant cela, je
dois vous dire qu'il y a quelques jours je ne connaissais pas cet article. Un
de nos collègues, le député de Viau, M. Bill Cusano, en
transit entre Montréal et le parlement, s'est arrêté dans
un des bons restaurants du Québec, dans mon comté, le long de
l'autoroute 20. Arrivé au parlement, il m'apporte deux copies d'un
napperon qui était bilingue avec "Seasons' greetings" et "Meilleurs
voeux de joyeuses fêtes". Il me dit, tout en badinant: Regarde Maurice,
cela, c'est dans ton comté, un comté que tu identifies comme
étant à 99,9 % francophone. J'étais un peu surpris de voir
que c'était le cas sauf que, lorsqu'on regarde en profondeur la loi, la
charte, on s'aperçoit que le commerçant a tout à fait
raison, c'est tout à fait légal, il a tout à fait le
droit.
Je vais vous faire la lecture, M. le Président, de l'article 60.
"Les entreprises employant au plus quatre personnes, y compris le patron,
peuvent afficher a la fois en français - et cela, c'est depuis 1977, M.
le Président - et dans une autre langue dans leur établissement.
Toutefois, le français doit apparaître d'une façon au moins
aussi évidente que l'autre langue." Donc, on reconnaît à
l'intérieur de la charte depuis 1977 que l'affichage en
équivalence dans une langue seconde est permis.
Vous constatez sûrement, M. le Président, que le
blâme pour ce qui est du commerçant, qu'il soit dans mon
comté ou dans tout autre comté du Québec, ne peut
être jeté sur les honnêtes commerçants, hommes ou
femmes qui ont profité tout simplement d'une permissibilité dans
la loi, de ce qu'on pourrait appeler un trou dans la loi, pour pratiquer d'une
façon tout à fait légale directement une forme de
bilinguisme. Il s'agissait tout simplement d'afficher à
l'intérieur et dans certains cas d'afficher à l'intérieur
pour une publicité extérieure.
J'écoutais, en fin de semaine, M. le Président, les
différents reportages télévisés sur les
réactions à la suite de l'annonce des intentions du gouvernement
du Québec. On s'inquiétait aussi, M. le Président, sur le
type d'affichage
commercial que nous pourrions retrouver dans les centres commerciaux.
Dans le cas du comté de Nicolet, que ce soit dans le centre commercial
de Nicolet, de Saint-Grégoire ou de Gentilly, la solution que nous
apportons, M. le Président, est la suivante. Nous allons permettre,
à l'intérieur du commerce seulement, une langue seconde, mais
tout en identifiant très clairement que la langue française devra
être prédominante, ce qui n'est pas le cas dans l'article 60.
À l'article 60, on dit: "aussi évidente", donc
l'équivalence. Ce n'est pas le cas, nous disons: Priorité,
prédominance française et on aurait la permission d'ajouter une
langue seconde, que ce soit l'anglais, l'italien, le portugais ou une autre.
Cela, c'est l'intérieur.
En ce qui a trait aux centres commerciaux à l'extérieur du
centre commercial, ça devra être entièrement en
français. J'entends réfléchir: "L'intérieur, le
mail? Le mail devra être entièrement, à 100 % en
français. Le seul endroit où il y a une forme de concession,
c'est à l'intérieur. Pour tenir compte de la liberté des
gens à l'intérieur du commerce du propriétaire, il y a la
possibilité, toujours avec prédominance française, d'y
ajouter une langue seconde. Pour les centres commerciaux, c'est très
clair, c'est très défini: l'image du français
extérieur est à son entier et à 100 %. (0 h 20)
Parlons maintenant de l'affichage commercial dans les transports publics
comme les autobus, les quais d'embarquement ou de débarquement du
métro, entre autres, à Montréal. On retrouve cette
même constance caractérisée par le présent projet de
loi 178, c'est-à-dire la règle de l'unilinguisme français,
le français unique. Il n'est pas question d'affiche bilingue dans un
endroit public extérieur autre qu'à l'intérieur même
d'un commerce quel qu'il soit au Québec.
Les entreprises de plus de 50 employés seront visées par
l'article 136 et devront afficher en français à
l'intérieur de leurs commerces, à moins de se conformer aux
conditions et modalités de l'Office de la langue française qui
déterminera, par voix de règlement, la possibilité
d'émettre ce qu'on appelle un certificat d'accréditation.
L'exigence de l'unilinguisme français à l'extérieur
des établissements commerciaux pour l'affichage publicitaire et les
raisons sociales nécessitait une clause dérogatoire, ce qu'on
appelle la clause "nonobstant", pour justement contrer toute nouvelle action
ou, en fait, éliminer la possibilité qu'on se retrouve encore
dans toute la mécanique devant les tribunaux. L'état actuel des
choses implique d'une façon impérative la nécessité
pour le Parlement du Québec, pour nous, comme législateurs, de
mettre en place un mécanisme législatif efficace, et ce sans
délai, pour combler le vide juridique. La langue française
présentement au Québec est tout simplement sans protection
surtout en ce qui a trait principalement à l'affichage des
établissements commerciaux.
Très simplement, M. le Président, le gouvernement
décide que, dans la rue, à l'extérieur du commerce,
l'affichage se fera uniquement en français et qu'ainsi un des
éléments symboliques et intrinsèquement importants du
visage français sera réaffirmé et mis en valeur. Par
ailleurs, le gouvernement est d'avis qu'à l'intérieur de son
commerce, le commerçant de toute origine, qu'il soit portugais,
vietnamien ou autre, et de toute langue maternelle vit plus intensément
son droit de communiquer avec sa clientèle et d'utiliser, en plus du
français obligatoire, la langue de son choix pour renseigner sa
clientèle sur sa marchandise ou son produit, mais toujours avec la
prédominance du français. Le consommateur, quant à lui, a
droit à l'information la plus complète afin de faire un choix le
mieux éclairé possible. Le gouvernement rend donc possible,
à l'intérieur du commerce, l'utilisation d'une autre langue, pour
autant que le français soit toujours présent et
prédominant. C'est donc du français partout et avant tout. C'est
ça notre option comme gouvernement.
J'aimerais vous citer un éditorialiste de La Presse, M.
Claude Masson, qui, en parlant de notre chef, M. Robert Bourassa, disait ceci:
"II surprend tout le monde en recourant à la fameuse clause
dérogatoire dite "nonobstant" pour forcer l'unilinguisme français
à l'extérieur des commerces, clause que même le Parti
québécois n'avait pas osé employer."
Je me permettrai, M. le Président, une citation de notre
collègue, le ministre responsable de la Charte de la langue
française, M. Rivard, qui disait: II n'est pas question de remettre en
cause la Charte de la langue française dont le préambule et
l'affirmation des droits linguistiques fondamentaux constituent un pacte conclu
entre l'Assemblée nationale, entre nous, et la société
québécoise. Ce pacte doit donc être respecté. Mais
il convient néanmoins de garder à l'esprit que le français
au Québec n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais
l'affaire d'une seule loi. La langue est le mode d'expression d'une
collectivité, une manifestation de sa façon de vivre et de sa
culture. Présente dans tous les aspects de la vie et, comme la vie,
changeante et en constante évolution, la langue ne saurait se laisser
emprisonner dans une seule loi au Québec. Ce que nous faisons, M. le
Président, c'est l'équilibre entre la protection du visage
français et la sécurité culturelle de la majorité
francophone, et aussi le respect des droits de la plus importante
minorité au pays, cet autre élément de notre
société distincte. Le Québec est unique en son genre, il
est différent des autres. Nous le savons. Nous nous distinguons
notamment par notre langue, notre tissu social, nos lois, notre culture, nos
traditions et le fait français constitue, avec le fait anglais, une des
caractéristiques fondamentales du Québec. Nous formons, c'est
vrai, un peuple unique et magnifique. Nos richesses culturelles sont
inestimables. Notre défi de société est d'en vivre
pleinement
et, surtout, harmonieusement.
M. le Président, je suis fier d'être un
Québécois et, aujourd'hui, je remercie particulièrement
mes parents, mon père et ma mère, de m'avoir permis d'apprendre
la plus belle langue du monde, le français.
Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le
député de Jonquière.
M. Francis Dufour
M. Dufour: Merci, M. le Président. Quand on parle d'un
sujet aussi important à cette heure avancée, au début de
la nuit, on est en droit de s'interroger à savoir si c'était
vraiment le moment choisi délibérément par le parti
gouvernemental, le Parti libéral, pour amener un sujet de cette
importance en discussion.
On assiste aujourd'hui au résultat de trois ans de laxisme et de
laisser-faire de ce gouvernement, il aurait eu beau, pendant ces trois ans,
prendre des décisions importantes, légiférer et
décider ce qu'il adviendra de cette langue. Cet après-midi, en
écoutant le premier ministre, nous avons assisté à un
cours d'histoire, mais une histoire raccourcie, bien sûr. Il se
prétendait, à un certain moment, l'héritier du
regretté René Lévesque, le premier chef du Parti
québécois, expremier ministre du Québec, et je ne lui
reconnais pas cette légitimité. S'il y en a qui ont frappé
cette personne pour venir par la suite se targuer, essayer de se
prétendre les héritiers de cette personne... il n'y a plus rien
à y comprendre. Lorsqu'on écoute les gens d'en face qui nous
disent: Nous, les grands démocrates, nous, les sauveurs, les
"sauvegardeurs" des libertés individuelles, et vous, en parlant de nous,
les gens qui sont prêts à briser ou à brimer les
libertés de l'ensemble de la population, à ce moment-là,
on se dit que c'est peut-être prendre un peu les gens pour des poires.
Ceux qui nous écoutent et qui suivent nos débats ne pourront
jamais accepter pareille prétention.
Il n'y aucune honte à défendre sa langue. Il n'y a aucune
illégitimité parce que c'est légitime de défendre
sa langue envers et contre tous. C'est peut-être ce qui nous distingue,
mais c'est aussi ce qui fait que nous sommes des Québécois et des
Québécoises ancrés, enracinés dans le sol
québécois, parce qu'on parle cette langue. C'est elle qui est
menacée, ce n'est pas la langue anglaise. Lorsqu'on entend les
intervenants, à multiples reprises nous qualifier d'intolérants,
je peux vous assurer que l'expérience que j'ai dans la vie politique, ma
vingt-sixième année comme élu, je pense que je n'ai pas de
leçon à recevoir du Parti libéral ni des gens qui sont en
face. Vingt-six ans au service de ses concitoyens, ça veut dire de la
tolérance, de l'acceptation, de l'accueil, d'autant plus que la
première fois que j'ai été élu maire d'une
municipalité qui s'appelait, à ce moment-là, la ville
d'Arvida, il y avait plus de 20 % d'allophones. J'ai appris à vivre avec
ces gens comme ils ont appris à vivre avec moi, et ce n'est pas parce
que je parlais français qu'on ne pouvait pas se comprendre.
Je pense qu'une fois pour toutes, ce qu'il faut dire aux gens qui
veulent venir vivre au Québec c'est d'abord que ça se passe en
français. Il n'est pas question de donner un message tout croche comme
le fait le premier ministre depuis trois ans. Rappelons-nous, il n'y a pas si
longtemps, il y a deux ou trois mois: J'ai des solutions, pas de
problème. Attendez, quand on aura le jugement en main, vous allez voir!
Qu'a-t-on vu? Un serpent, quelqu'un qui n'a pas d'épine dorsale,
quelqu'un qui, en fait, a mélangé tout le monde. À vouloir
ménager le chou et la chèvre et ménager tout le monde, on
passe pour quelqu'un qui ne sait pas où il va, qui ne fait pas sa job.
Il doit d'abord être le premier ministre du Québec et non pas un
partisan d'une formation politique. (0 h 30)
II y a des fois où il faut choisir. Parfois c'est
déchirant de choisir mais mettre ses culottes puis les porter, à
ce moment-là, on fait preuve de leadership et on fait preuve de
direction. C'est le message qu'on doit donner aux francophones et aussi
à l'ensemble de la population du Québec. On n'a pas à
s'excuser ni à accepter de recevoir des leçons du Parti
libéral du Québec actuel et de ceux qui forment le gouvernement.
Ils parlent des libertés individuelles; oui, au détriment
même des libertés collectives.
On peut en parler des libertés individuelles; je pense qu'on
avait des raisons de croire que le gouvernement avait été assez
loin quand il a amnistié les illégaux dans les écoles.
À ce moment-là, on est allé assez loin. Quand on accepte
d'angliciser et de "bilinguiser" les hôpitaux d'une région
où il y a 99,2 % de francophones et 0,8 % de personnes autres, des
anglophones, c'est cela qu'on fait. Radio-Québec, le porte-parole de
l'ensemble de la nation ou des idées du Québec et de notre
entité, on l'a enlevé! Pensez-vous que ce n'est pas faire preuve
d'une certaine intolérance quand on enlève des instruments de
culture et de développement? On vient nous dire: Oui, il faudrait
renforcer et il faudrait forcer les gens à parler mieux français.
Il faudrait leur dire cela: Parlez mieux français et on va vous donner
cela.
J'ai entendu plusieurs intervenants surtout des anglophones, qui sont
venus nous dire: II faudrait que vous protégiez votre langue en leur
montrant à mieux parler le français. Quels sont les budgets qui
ont été accordés depuis trois ans pour cela? C'est un
gouvernement d'escompte et de vente. C'est un gouvernement de marchands. On
vend tout aujourd'hui. On vend la culture comme on vend presque les racines, ce
qu'on a de plus profond. C'est quoi, cette question de libertés
individuelles, quand on parle de l'affichage bilingue? Cela n'a pas d'affaire
du tout à
l'individu comme tel. Après on peut dire: Cela peut toucher les
individus. Mais qu'est-ce qu'on défend au départ? Ce sont les
marchands qui ont contesté la loi 101, il n'y a pas beaucoup d'individus
dans leur vécu qui ont conteste. Alliance Québec est un groupe,
ce n'est pas un individu qui prend le flambeau et qui vient contester la loi.
Il a contesté la loi et le premier ministre Bourassa avait compris que
c'était important, la langue. Il avait nommé la
vice-première ministre qui n'a pas été capable de mener
son travail à bon port, donc, il a confié cela - il savait que la
langue était malade, cela faisait trois fois qu'elle était
attaquée par des jugements, cela faisait trois fois qu'elle était
contestée - et il a nommé un ministre
délégué aux Affaires culturelles parce que normalement, un
médecin, ça soigne, ça ausculte et ça donne des
remèdes. Normalement un médecin n'est pas un fossoyeur, ce n'est
pas celui qui décide de couper et d'enlever, c'est normalement la
personne qui essaie de sauver des choses.
Quand je regarde le résulat, je vois qu'il n'a pas fait son
travail. Son travail, c'était de renforcer cette langue. On lui a dit
comment on devait le faire, en employant une clause qui s'appelle "nonobstant".
Tout le monde sait que c'est en dépit des deux chartes, soit la charte
canadienne et la charte québécoise, qu'on a le droit de se
protéger. La cour l'a dit. On peut s'appuyer sur des jugements. Mais
non, on vient nous dire qu'il faut bien sauver tout le monde. C'est beau. Il ne
faut pas brimer notre, minorité quand on sait que nous sommes une
minorité sur tout le continent, nous sommes une minorité dans une
majorité au point de vue du Canada. À ce moment-là, ce
qu'on avait à prendre comme décision...
Le premier ministre va dire ailleurs: Si mon gouvernement ne fait rien
pour protéger la culture et la langue française, qui le fera? Les
gens dans la rue, M. le Président. C'est eux qui vont le faire et qui
vont les protéger. Faire porter sur 20 - je peux inclure le
député indépendant de Gouin - 21 députés
tout le fardeau de démontrer la nécessité de parler
français au Québec au point de vue de la quantité ou du
nombre, est-ce que vous pensez que c'est juste que 21 personnes portent ce
fardeau? C'est pour cela qu'on assiste depuis trois ou quatre jours à
des manifestations qui vont aller en augmentant.
J'ai vu des lois, j'en ai vécu, je pense que je suis assez vieux
pour avoir vu ce qui s'est passé dernièrement ou dans les
dernières années concernant des lois. Il y a des lois où
le gouvernement s'est foutu de la population qui a voté des lois par la
force, mais qui ont été aussi "scrapées" ou
enlevées, décolées correct, qui ont été
changées parce que cela ne répondait pas aux aspirations
profondes des Québécois et des Québécoises. Ces
lois-là ont sapré le camp.
La loi 178, je vous prédis qu'il va lui arriver la même
chose. C'est impensable qu'on laisse dans les mains... Parfois on dit que la
politique est trop importante pour laisser cela aux politiciens, et on dit cela
de beaucoup de choses pour parodier, mais sur la question de la langue, c'est
le peuple qui doit avoir le dernier mot, c'est lui que ça
intéresse. C'est lui qui est d'abord le dernier juge: le premier et le
seul juge, dans le fond. Une loi qui, au départ, fait l'objet d'autant
de contestations,. qui fait l'objet d'un ralliement aussi grand,
mériterait de la part des députés et des
ministériels beaucoup plus de considération et de
réflexion.
Le député de Gouin a offert ceci au gouvernement:
"Pourquoi ne pas protéger la langue pour le temps que l'on se retirera,
au lieu de l'adopter à la vapeur comme on le fait"? Après, on ira
consulter les gens, et seulement après une commission parlementaire, on
pourra dire ce que l'on veut. On a beaucoup reproché au
député de Mercier son attitude démocrate et d'ouverture
envers les gens puisqu'il a touché à la loi 101, mais
après une commission parlementaire qui a duré un mois. À
ce moment-là, il n'y a pas eu de contestation; on avait une forme et la
paix sociale. Ce n'est pas vers cela que l'on se dirige actuellement.
En fait, il y avait dans cette loi 101 toutes les raisons du monde de
trouver les solutions qui ont été amenées. On n'a pas
demandé au premier ministre d'innover. On ne lui a pas demandé de
se sauver, d'essayer d'adopter cela à la dernière seconde, en
cachette. Ce n'est pas nous qui avons décidé que le jugement
sortait le 15 décembre; mais c'était prévisible qu'il
allait sortir un jour. C'était le temps qu'il réfléchisse
et qu'il se convainque qu'il devait prendre une décision. Bien non, cela
le poigne. Il s'est fait poigner à son propre jeu. Il reçoit du
pouvoir et il ne veut pas l'exercer. Il n'est pas capable de l'exercer. Il n'a
pas ce qu'il faut pour l'exercer, parce que, d'abord, cela prend de la
volonté pour faire ce job-là. Cela prend des gens qui ont des
orientations; pour ne pas qu'ils se laissent aller au gré des vents,
cela prend un timonier et un capitaine. Ce n'est pas ce qu'il fait, il se
laisse aller à tous les vents. Tant qu'il n'y a pas de problème,
cela va pas pire.
On peut dire que depuis trois ans, il a été au-dessus de
la vague et même en dessous de la vague; on ne l'a vu nulle part. Mais
chaque fois qu'il se présente un problème, que ce soit sur les
heures d'ouverture, que ce soit sur la question de la langue d'affichage, il ne
l'a plus du tout; il est complètement déconnecté de la
réalité. Il ne suit pas du tout. D'ailleurs, il se cache en
arrière; il envoie les autres en avant et il prend des décisions
qui ne satisfont personne.
On aurait été les plus heureux du monde d'accepter de
travailler avec le gouvernement à renforcer la loi 101; on le lui a
même offert. On a demandé: Pourquoi ne vous décidez-vous
pas à renforcer la loi 101? Pourquoi ne prenez-vous pas la clause? Les
membres de ma formation auraient été heureux de voter avec le
gouverne-
ment. Au moins, il aurait travaillé pour la majorité. Ce
n'est pas un signe d'intolérance que de se respecter et de demander aux
autres de nous respecter. Je pourrais vous conter des expériences de
voyages où j'ai eu l'occasion de voir des gens d'autres
nationalités, des anglophones d'autres provinces, où pendant dix
jours ils ont refusé systématiquement de parler un mot de
français. Un mot de français. Je vous le dis. J'ai assisté
à des conférences organisées par des Français - pas
des Québécois, des Français de France - qui ont
été obligés de les donner en anglais parce qu'il y avait
dix francophones et un anglophone dans le milieu. Ils n'ont jamais
accepté aucune concession. Que ça se passe en anglais! Est-ce
là un signe de tolérance? Regardez ce qui se passe dans les
autres provinces. Vous pensez qu'ils sont aussi généreux envers
leur minorité francophone? Vous n'avez qu'à regarder ce qui se
passe un peu partout et vous verrez qu'il n'y a pas beaucoup d'institutions,
comme il y en a ici au Québec, qui favorisent et qui permettent aux
anglophones... Et on ne leur en veut pas. Ils ont leurs journaux, leurs
stations de radio, de télévision. On n'est pas jaloux de cela, on
veut qu'ils continuent à vivre, mais on dit: Au Québec, cela se
passe en français. Il me semble que c'est clair. C'est un message court
et facile à comprendre. (0 h 40)
Quand on va dans les autres pays, on parle la langue du pays. Je n'ai
jamais vu... et j'ai voyagé même dans le Canada qui est si
généreux. Les belles montagnes Rocheuses. On ne commencera pas
à faire pleurer tout le monde. J'en ai vu, des pleurs, ce soir, sauf
qu'on n'est pas pour faire les "Patofs". Regardons donc comment ça se
passe dans les autres provinces. Je vous mets au défi. Promenez-vous en
dehors du Québec, même à Montréal. Vous allez voir
que vous avez de grosses chances qu'on vous parle en anglais. "Speak white",
comme on dit. On ne parle pas français; on parle en anglais et c'est
peut-être un peu acceptable. Cela ne m'offusque pas, on va aux
États-Unis, on parle en anglais. Si vous allez dans d'autres pays. Vous
allez en Autriche, on ne vous parle ni en anglais, ni en français. Comme
par hasard, ils parlent une autre langue, et c'est acceptable. Les affiches ne
sont ni en français ni en anglais, elles sont dans la langue du pays, en
allemand. Mais si vous ne connaissez pas la langue, vous allez être mal
pris. C'est évident qu'il y a des mots que vous ne comprenez pas et vous
allez demander des renseignements et vous allez vous débrouiller. Vous
allez en Angleterre, c'est la même chose. C'est quoi, cette
folie-là?
On a dit: On va adopter des lois et ces lois-là, on va les faire
adopter avec le moins d'irritants possible. J'écoutais tout à
l'heure mon collègue de Nicolet. Il se basait sur un communiqué
gouvernemental, sur un communiqué de presse. Le gouvernement du
Québec dépose le projet de loi 178, Loi modifiant la Charte de la
langue française. Il lisait ce qui était dans le
communiqué. Ce n'est pas une loi, ça, que de dire aux gens ce
qu'il va y avoir dans les règlements. Dans le projet de loi, ce n'est
pas ça qu'on dit. On dit que ça prend des règlements. On a
dit qu'on ne ferait plus de règlements, qu'on serait tranquilles. Vous
allez voir quand on va prendre le pouvoir, vous allez être tranquilles.
Vous allez vivre... On va vous en enlever, des irritants.
Mais je n'ai jamais vu un gouvernement gouverner autant par
règlements. Ils en adoptent, des règlements. Le gouvernement
"run" ou conduit par des règlements. Sur la langue, vous pensez que
ça va arrêter comme ça? C'est quoi, la hauteur de
l'affiche? Est-ce que c'est en dedans? Est-ce que c'est extérieur?
Faut-il se cacher? On va mettre une tente sur le West Island pour vous montrer
que ça va parler anglais en dedans, parce que, là, c'est
dangereux, il ne faut pas le faire.
En tout cas, il faut caricaturer. C'est extravagant, cela n'a pas de bon
sens. S'il fallait qu'on accepte d'être aussi intolérant... Si la
minorité des autres provinces était aussi exigeante que la
minorité d'ici, au Québec, ce serait invivable. On ne dit pas
qu'on veut les écraser. Au contraire, ce sont des gens avec qui on a
vécu. Ce n'est pas parce qu'on veut parler français et qu'on
tient à notre langue qu'on est contre les autres. Qui nous fait croire
ça? À partir de quels principes ces gens viennent-ils essayer de
nous ostraciser, de nous placarder ou de nous peinturer dans le coin?
Ce n'est pas ça, la règle du jeu. La règle au
Québec, c'est que ça se passe en français. C'est ça
qu'on dit. Après ça, on pourra s'entendre avec les autres. Je
vous dis que si vous êtes un immigrant, si vous êtes de
l'extérieur, vous allez voir comment ça se passe.
J'écoutais ce que disait tout à l'heure la ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration: Vous savez, j'ai pris mon
ministère tout à l'envers. Et elle est découragée,
parce qu'on n'a rien fait. C'est pour ça qu'ils se sont fait
élire, pour travailler. Ils ne sont toujours pas pour rien faire. C'est
quoi, cette folie?
J'entends tous les ministres dire qu'il n'y avait rien de fait avant eux
autres. Tout le monde disait qu'on en faisait trop. Je ne comprends plus rien.
Je ne comprends rien là-dedans. Dans les années passées,
j'ai travaillé avec l'ancien gouvernement. J'ai travaillé avec
celui-là et je travaille avec les autres. Depuis 1957, je suis un peu ce
qui se passe au gouvernement. On a dit du gouvernement du Parti
québécois qu'il en avait trop fait. Quand on écoute les
ministres, il n'y avait rien de fait. Mais, c'est quoi, cette folie-là?
Les finances n'allaient pas, ils prennent le pouvoir et ça va bien.
Miracle! C'est le secret de Fatima, c'est certain! Je pense que cela doit
être dénoncé. On n'a pas le droit d'accepter des choses
semblables. C'est de la folie furieuse. On est dans le temps des fêtes.
On se serait attendu que quelqu'un améliore les choses que ces gens
nous ouvrent la vole, nous amènent quelque part et nous
défendent... qu'ils soient des défenseurs. Au mois de
décembre, il me semble que c'est ça, on a besoin d'un sauveur. Ce
n'est pas ce qu'on a obtenu. Malheureusement, avec ce qui se passe aujourd'hui,
on est en train de détruire l'instrument qui nous relie les uns aux
autres, les uns par rapport aux autres. Cet instrument s'appelle la langue.
Cela s'appelle l'affinité culturelle. Cela s'appelle les racines les
plus profondes. Cela s'appelle nos ancêtres. Cela s'appelle nos enfants,
et cela veut dire aussi ceux qui nous succéderont. C'est ce que fait la
langue. Cela relie les gens les uns aux autres. C'est l'instrument le plus
profond qu'on a actuellement. Mais ce gouvernement nous fait reculer
vis-à-vis de cela. Il essaie de nous dire: Vous autres, vous êtes
des pas bons; vous autres, vous êtes des gens intolérants, cela
dépend de vous autres... À vouloir tout sauver, on va voir
comment cela va se passer. On peut se dire une chose, c'est que si on pense
qu'on a tué la langue ou qu'on l'a diminuée ou reculée, je
répète ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que,
sûrement, si vous n'acceptez pas que la bataille se fasse à
l'intérieur du parlement, elle va se faire dans la rue. Et moi, je ne le
souhaite pas. Parce que je pense que c'est important la paix sociale. Mais le
peuple a le droit de se battre pour ses racines les plus profondes et ce
à quoi il croit. C'est cela la "fondamental ité" et la
légitimité la plus importante qu'on a à défendre
aujourd'hui. Malheureusement, ce gouvernement reconnaît qu'on doit faire
cela à la sauvette, dans un temps qui n'est pas propice à la
discussion, mais, malheureusement pour lui, il aura à vivre avec les
conséquences. Merci, M. le Président.
Le Vice-Président: Nous allons poursuivre avec M. le
ministre délégué aux Mines et aux Affaires
autochtones.
M. Raymond Savoie
M. Savoie: M. le Président, comme la majorité de
mes confrères et la majorité, je crois, des
Québécois et Québécoises, on a assisté
depuis bientôt 36 heures à un débat en cette
Assemblée où on a pu prendre connaissance de la position du Parti
libéral du Québec et de la position du Parti
québécois. Le Parti québécois nous arrive et nous
dit qu'il nous fait la clause "nonobstant" sur le tout, une clause "nonobstant"
sur l'extérieur, sur l'intérieur, afin de protéger
l'affichage au Québec. Même si la Cour suprême du Canada a
décidé que ce droit d'afficher était un droit fondamental
lié à l'article 3 de la Charte québécoise des
droits et libertés.
M. le Président, je ne les crois pas. Je ne crois pas que le
Parti québécois défende réellement cette position.
Je ne crois pas que le Parti québécois croie que ce soit une
option valable. Je pense, comme la majorité des Québécois
et Québécoises, qu'il y a là démagogie pure et
simple. Je ne crois pas ces gens, d'abord, parce qu'eux-mêmes ne l'ont
pas fait. Dès le début, dès l'introduction de la loi 101,
on a fait bien attention à l'aspect de l'affichage, on a fait bien
attention à l'aspect de l'introduction d'une clause "nonobstant". En
1982 et 1983, lorsque les poursuites étaient en cours, il y a eu
débat en cette Assemblée sur cette question, et la clause
"nonobstant" a été mise de côté parce que ces gens
ne croyaient pas qu'il était nécessaire d'intervenir avec une
clause "nonobstant" pour protéger l'article 58. Ils ne le croyaient pas
parce qu'ils ne l'ont pas introduite, mais ils ne le croyaient pas aussi parce
qu'ils savaient fort bien que l'introduction d'une clause "nonobstant", ce
n'était pas faisable. Ils savaient fort bien que cela ne
refléterait pas la réalité du Québec, qui fait en
sorte qu'il y a 1 000 000 de non-francophones sur une population de 6 000 000.
Dès 1982, ils se sont inclinés devant ce fait qu'ils ne pouvaient
pas introduire une clause "nonobstant" de façon globale et
générale. Cela ne reflétait pas la réalité;
cela ne reflétait pas ce qu'est le Québec. Pourquoi le Parti
québécois s'oppose-t-il à la position du Parti
libéral, en alléguant cette position qu'il n'a même pas vu
à adopter lui-même, qu'il n'a même pas voulu mettre en
pratique? Je vais vous le dire pourquoi. Parce que le Parti
québécois est en faillite. Il est en faillite, il est devenu une
ombre, un écho d'une époque où il avait une raison
d'être, où il pouvait ne s'attacher qu'à la langue,
qu'à la défense de notre culture parce qu'à ce
moment-là, c'était un débat valable. (0 h 50)
Aujourd'hui, il y a une autre tournure, il y a une autre
réalité, et ces gens le constatent. Tout ce qu'ils peuvent faire,
c'est de revenir avec cet écho de leurs moments de gloire pendant
lesquels leur flamme a brillé, mais qui, aujourd'hui, est, à
toutes fins utiles, éteinte. Ils ne reviendront plus au pouvoir, je peux
vous l'assurer. Ils ne reviendront plus au pouvoir parce que la raison
fondamentale de leur existence n'est plus. Ils procèdent aujourd'hui
sans direction, sans structure véritable, sans intervention de fond
à l'étude de nos projets de loi. Je le constate, je participe
avec eux régulièrement à des commissions et à des
enquêtes. On les voit crier et revenir à leurs anciens cris,
à leurs anciennes orientations, comme si c'étaient des vaches
sacrées et, aujourd'hui, on doit intervenir sur la langue. Eh bien! une
petite étincelle et ils se rallient en proposant une solution
indéfendable, même de leurs propres aveux. On pourrait retourner
dans les débats de cette Assemblée, retourner dans la direction
de leurs anciens chefs et leur chef de file et on constaterait facilement
qu'ils sont incapables de défendre la position qu'ils détiennent
aujourd'hui. Du criage de leur part! C'est incroyable entendre ce qui s'est dit
dans cette Assemblée aujourd'hui de leur part. C'était honteux de
connaître leur position telle que transmise par eux, par certains
députés, je pense au député de Lévis.
Je n'ai jamais vu une exposition aussi honteuse d'une telle position du Parti
québécois. Traiter du dos de la main le ministre de
l'Environnement de Rhodésien, arriver et alléguer...
Alléguer d'une façon démagogique que ni le Québec,
ni le Parti libéral du Québec ne savaient où ils s'en
allaient. Comme s'ils avaient la vérité et que nous nagions dans
la noirceur. Ils se réfugient derrière une espèce
d'onanisme intellectuel sans direction, sans chef, sans orientation, pour ne
rien dire, finalement. Ils veulent faire peur aux Québécois, ils
veulent faire peur à tous ceux et celles qui participent à ce
débat, mais ils n'y arrivent pas, cela ne décolle pas, cela ne
fonctionne pas parce que l'orientation que nous nous sommes donnée,
l'orientation que nous avons affirmée est la plus sûre.
Le jugement que nous avons reçu aujourd'hui est un
véritable tremblement de terre. Il dit que l'affichage est un droit
fondamental. Qu'est-ce que cela veut dire, par exemple, pour l'Abitibi, la
région que je représente, le comté d'Abitibi-Est, la
région de l'Abitibi-Témiscamin-gue? Cela veut dire, par exemple,
qu'un Polonais québécois qui est là depuis deux ou trois
générations, à l'intérieur de son dépanneur,
ne peut pas utiliser une affiche polonaise parce qu'il dessert une
clientèle polonaise. Il ne peut pas, à l'intérieur de son
commerce, s'exprimer dans sa langue. À l'extérieur, nous sommes
intervenus et nous lui avons dit: En français seulement. Je pense que la
majorité de mes concitoyens et concitoyennes de
l'Abitibi-Témiscamingue, pour ce qui est de l'affichage
extérieur, est d'accord pour dire que, oui, on va mettre de
côté l'article 3 de la charte pour dire qu'effectivement le visage
français du Québec l'emporte. Mais à l'intérieur,
dans ces cas d'exception, est-ce qu'on va dire à cet honnête
homme, cette honnête femme: Non, pour respecter la loi, vous n'avez pas
le droit d'afficher dans votre langue. Je ne le crois pas et je ne crois pas
que c'est la volonté de la majorité des Québécois
et des Québécoises, parce qu'on sait maintenant que le gros de la
lutte, la grande orientation que nous avons prise dès 1960
collectivement est enracinée, qu'elle est indestructible. Bien
sûr, il faut être vigilant, il ne faut jamais cesser d'être
vigilant et de renforcer le plus qu'on peut l'ensemble de nos
éléments culturels. Par contre, à travers cela, il faut
refléter la réalité du Québec. Il faut tenir compte
de ces cas d'exception, de ces minorités qui ont le droit, à
l'intérieur de leur commerce, d'afficher, oui, en français
d'abord et, ensuite, dans leur langue.
Au Québec comme en France, le français subit actuellement
des pressions énormes de la part de l'anglais et, pour la France
également, de l'allemand. Ce n'est pas irréversible. On sait
qu'on doit être vigilant et on va l'être comme la majorité
des Québécoises et des Québécois l'est. Je crois
qu'aujourd'hui, en 1988 et bientôt 1989, l'attitude y est. On est bien
ancré, on s'est bien entendu avec nos concitoyens que le français
doit prédominer. Cette coexistence qui existe aujourd'hui, cette
prédominance qui existe chez nous est essentielle. Elle est
ancrée dans nos moeurs. L'attitude d'arriver aujourd'hui et de repousser
du revers de la main en disant on va tout annuler... ce n'est pas raisonnable
et on le sent. On le sent, viscéralement on le sent. On est allé
aussi loin qu'on pouvait aller en disant oui à une clause nonobstant
pour l'affichage extérieur, mais une tolérance d'abord en disant:
Le français prédominant à l'intérieur avec
l'existence, avec la coexistence d'une autre langue sur la même affiche.
C'est une position qui est simple, c'est une position qui est claire. C'est une
position qui relie la majorité des Québécoises et des
Québécois. Dans ce constat, lorsqu'on se revire de bord et qu'on
regarde la position du Parti québécois, les mensonges qu'il nous
conte, la présentation qu'il nous fait et qui, finalement, n'est pas
fondée ni dans les faits, ni dans les orientations, comme l'histoire le
démontre... Je pense qu'effectivement on peut être fier de la
position qu'on a prise et on pourrait se tourner résolument vers
l'application de cette orientation.
Un historien qui, je crois, s'appelait Arnold Toynbee, certainement un
des grands historiens de ce siècle, a dit que pour ce qui est de
l'évolution culturelle, il était difficile de prévoir
l'avenir, par exemple, du peuple américain. Il était difficile
également de prévoir la survivance d'un peuple comme les Belges,
les Irlandais mais il a dit, je le cite: Je suis sûr de deux, par
exemple, les Chinois à cause de leur nombre et le fait français
en Amérique du Nord. C'est parce que chez nous, c'est installé
dans nos moeurs et je suis convaincu que, malgré que ça va
demeurer, que ça sera toujours une lutte et que ça demandera
toujours une attitude agressive, le fait français en Amérique du
Nord, au Canada et bien certainement au Québec, est là pour y
demeurer, pour prospérer et pour croître. Nous avons dû,
avec énormément de regrets, appliquer une clause "nonobstant"
avec le déchirement que cela a produit. Les Grecs disaient que la
démocratie - parce que ça vient d'eux, démocratie est un
mot grec, démos le peuple et kratos le pouvoir - était la
tyrannie de la majorité. Effectivement, dans ce cas, on peut le
constater. La majorité a décidé qu'il était plus
important de protéger sa langue dans un contexte difficile. On a
adopté une clause "nonobstant" et, comme mes autres collègues, je
demande à ceux, finalement, à qui on a enlevé un droit
aujourd'hui fondamental, c'est-à-dire l'affichage extérieur, de
l'accepter dans un contexte historique où justement le Québec
doit poser des gestes, où justement le Québec doit s'assurer, en
dehors de tout doute, que son orientation et sa position au chapitre de la
défense de la langue et du visage français soient
irréprochables. (1 heure)
Avec cette orientation, je suis confiant que
le fait français, avec, évidemment, les orientations que
proposent les intervenants anglophones, à notre avis, va satisfaire
l'ensemble de l'État québécois. Et je suis convaincu
également que ce projet de loi, lorsqu'il sera adopté, lorsque
les règlements seront déposés, fera, bien sûr,
l'objet d'une acceptation de la grande majorité des
Québécois et des Québécoises, et cela, je crois,
pour le mieux-être de la majorité, mais, quand même, avec un
respect, avec une tolérance, avec un souhait de participation envers nos
minorités.
M. le Président, il me fait plaisir de souscrire à cette
orientation que nous avons prise aujourd'hui. Je regrette
énormément le départ de trois de nos confrères et
je souhaite ardemment qu'ils continuent à travailler au sein du Parti
libéral, afin de représenter davantage nos minorités
culturelles. Je vous remercie, M. le Président.
Le Vice-Président: M. le député de
Lavio-lette.
M. Joiivet: M. le Président, je voudrais poser une
question au député. Je sais que l'article 213 est suspendu pour
le moment, mais, s'il y avait consentement, je pourrais lui poser une
brève question, quelque chose de très rapide-Une voix:
Non.
Le Vice-Président: M. le député, il y a eu
un ordre de l'Assemblée et je suis obligé de suivre la motion qui
a suspendu la règle de l'article 213 que vous voulez invoquer.
Généralement, vous pouvez, de consentement évidemment,
mais, dans ce cas-ci, la règle a été suspendue par
l'Assemblée, donc elle ne s'applique pas.
M. Joiivet: Je sais, M. le Président, que c'est de
consentement, et ce n'est pas du consentement du ministre que je parlais,
c'était du consentement de l'Assemblée, parce que je savais bien
que c'était l'Assemblée.
M. Lefebvre: Pas de consentement.
M. Joiivet: II n'y a pas consentement à ce que je lui
demande combien il y avait d'employés dans le dépanneur?
Le Vice-Président: Un instant. Il n'y a pas de
consentement. Je comprends que vous voulez déroger et que vous demandez
le consentement pour déroger aux règles adoptées, il n'y a
pas de consentement, donc la procédure s'applique intégralement.
Je reconnais maintenant, comme prochain intervenant, M. le député
de Dubuc.
M. Hubert Desbiens
M. Desbiens: Merci, M. le Président. Nous nous retrouvons
encore une fois, pour la quatriè- me fois en vingt ans, plongés
dans une crise linguistique au Québec. Évidemment, le
prétexte du projet de loi 178 que nous étudions, ce qui fait que
nous nous retrouvons plongés dans cette crise, c'est un jugement de la
Cour suprême, mais ce n'est pas ce jugement en soi qui crée la
crise. S'il y a un jugement de la Cour suprême, c'est qu'il s'est
trouvé des gens pour contester une loi, au Québec, qu'on appelle
la Charte de la langue française, la loi 101 adoptée en 1977.
Après deux tentatives, celle de 1968, avec le projet de loi 63, celle de
1974, avec le projet de 22, la troisième, qui est devenue la loi 101, la
Charte de la langue française, a permis aux Québécois et
aux Québécoises de vivre une accalmie bienfaisante dans le
domaine linguistique au Québec. Pourquoi se retrouve-t-on aujourd'hui
encore à l'Assemblée nationale, mais surtout dans la population
québécoise, en état de crise linguistique? Peu importe que
le gouvernement nous oblige, la baïonnette dans le dos, à voter ce
projet de loi à la vapeur, en pleine fin de session, à l'approche
de Noël, dans l'espoir que tout ça passe en douce, malgré ce
désir, cet espoir du gouvernement, évidemment, cette crise ne
fait que commencer.
Si le gouvernement avait voulu régler rapidement et à la
satisfaction de la majorité de la population du Québec, une
majorité francophone de 84 %, il aurait pu le faire avec l'appui de
l'Opposition en votant tout simplement, en restaurant et en respectant
l'intégrité de la loi 101 telle qu'elle était et en y
introduisant tout simplement une motion, celle du "nonobstant", celle dont, de
toute façon, la Cour suprême a reconnu la validité au
Québec. Qu'est-ce qui fait qu'on se retrouve encore en crise
linguistique? C'est parce que des citoyens au Québec se sont
prévalus de leurs droits pour se retrouver en cour et contester la
validité d'une clause après d'autres groupes qui avaient
contesté, depuis 1977, différentes parties, différents
morceaux de la loi 101. Alors il s'est trouvé d'autres groupes pour
contester, cette fois-ci, sur l'affichage bilingue. Mais tout cela n'est que
symptomatique et cela ne cessera pas, M. le Président. On va
régler cette partie et après cela il va s'en trouver d'autres
pour aller gruger un autre morceau de la loi 101. Quand on en aura grugé
un autre et qu'on aura eu satisfaction, on en entreprendra un autre
jusqu'à ce que la loi 101 soit bien détruite et surtout
jusqu'à ce que la volonté - mais ça le peuple
québécois est là pour en disposer autrement - du
conquérant de 1760 soit satisfaite.
C'est de là que ça part. On n'a pas à se le cacher.
On a beau essayer de se fermer les yeux c'est là le fond de la question,
c'est depuis 1760 que l'avenir du français est remis en cause au
Québec, au Canada d'abord et au Québec ensuite. On n'a pas
à se le cacher. Il faut tout de même accepter de voir les choses
telles qu'elles sont. L'histoire ne commence pas, comme le premier ministre l'a
mentionné cet après-midi, en 1760.
L'histoire du Québec est en marche depuis 455 ans bientôt.
Le peuple québécois comme peuple, avant même la
conquête, avait commencé déjà à vouloir
exprimer sa souveraineté face aux Français à
l'époque. Quand la conquête a eu lieu, en 1760, c'est bien
sûr que le conquérant, comme c'était normal, selon les
usages des conquérants, a voulu et a trouvé que le moyen le plus
normal était d'imposer sa langue au Canada conquis, le Canada qui
était le Québec à l'époque. Les instructions sont
venues en 1763 au gouverneur Murray d'agir en conséquence. Celui-ci, on
le sait, l'histoire nous l'a enseigné, a essayé d'appliquer en
douceur ces messages et ces ordres d'Angleterre, espérant de cette
façon mieux atteindre encore son objectif d'assimilation. Mais c'est
Francis Brooke, à l'époque, qui disait qu'il faudrait peu
à peu rendre l'anglais le langage de la cour du gouverneur. La noblesse,
qui ne peut obtenir de faveur que par lui le rendrait bientôt langage
universel.
On sait qu'on a gagné quelques échelons en 1774 quand
l'Angleterre, devant la peur de perdre l'ensemble de ses colonies
d'Amérique et pendant la guerre de Sécession américaine,
nous a accordé l'Acte de Québec. Mais en 1791, l'Acte
constitutionnel n'a pas davantage rétabli au Canada la langue
française. Au gouvernement britannique de l'époque, Fox disait
que les distinctions nationales doivent disparaître à jamais et
Pitt disait au gouvernement britannique également que la division de la
province, à l'époque le Canada évidemment, est
probablement le meilleur moyen d'atteindre cet objectif. Cet objectif s'est
poursuivi et a continué de se poursuivre. On retrace d'autres
parlementaires britanniques en 1810 quand le gouverneur Craig, ici au Canada,
insiste sur la nécessité d'assimiler les Canadiens
français. C'est en 1834 qu'au gouvernement britannique encore on entend
des propos comme "La nation canadienne n'est qu'un nain rabougri qui a
dépassé la fleur de l'âge et est sur le point de sombrer
dans le néant. Très peu de temps s'écoulera avant que nous
n'entendions sonner le glas de cette prétendue nation." (1 h 10)
C'est aussi le Parlement britannique qui a décidé,
à partir du rapport Durham, qui avait conclu à la
nécessité de les assimiler, de l'Acte de l'union. Toujours le
même objectif. Depuis 1760 que cela dure. Cela a continue et la
Confédération est née avec en arrière de la
tête le même objectif. Depuis la Confédération que
l'on poursuit le même objectif. Si cela a des chances de convaincre, il
s'agit de regarder Statistique Canada et de voir comment progressivement s'est
éteint le français partout au Canada, sauf au Québec
encore, à ce jour.
Quand on compare les statistiques, la proportion des Canadiens d'origine
française dans chacune des provinces du Canada, dont la langue est
maintenant l'anglais, on constate par exemple qu'à
rîle-du-Prince-tdouard, en 1921, la proportion des Canadiens d'origine
française qui parlaient l'anglais n'étaient que de 1,9 %; en
1971, elle est de 71 %. En Nouvelle-Ecosse, la proportion de Canadiens
d'origine française dont la langue est maintenant l'anglais était
de 4,4 %, en 1971, à 66 %. Au Nouveau-Brunswick c'était 0,8 % et
en 1971 à 15 %. En Ontario, les francophones d'origine qui continuaient
de parler la langue anglaise n'étaient que de 4,9 %, en 1971, cette
proportion s'est transformée à 52 %. Au Manitoba, elle
était en 1921 de 1,6 % alors qu'en 1971, les Français d'origine
qui étaient passés à la langue anglaise, autrement dit,
étaient de 54 %. En Saskatchewan, de 6,8 % en 1921, les Français
d'origine qui parlent l'anglais en 1971 sont de 71 %. En Alberta où ils
étaient de 11,2 %, 76 % sont passés à l'anglais. En
Colombie britannique où il y avait 12 % en 1921, les Canadiens d'origine
française qui sont passés à l'anglais sont de 88 %. C'est
comme cela que se fait l'assimilation.
C'est là que, progressivement, la bilinguisa-tion amène
une langue. Et les Français d'origine et les francophones ne font pas
exception. Faites appel à tous les neurologues, psychologues,
psychiatres, linguistes de renommée de toute origine ethnique et de tout
groupe linguistique, et la conclusion est toujours la même: il n'y a pas
deux langues qui peuvent exister et coexister sur un pied
d'égalité. Il y en a toujours une des deux qui prend le dessus.
Dans le cas présent, étant donné la situation
géographique du Québec, étant donné aussi sa
situation démographique dans le grand tout nord-américain
où nous sommes environ 5 000 000 sur quelque 260 000 000, alors quelle
langue, si on commence à mettre le doigt dans le tordeur du bilinguisme,
prendra le dessus à la longue? C'est cela que je demande à mes
collègues du gouvernement, mes collègues députés,
représentant comme moi cette société francophone à
84 % au Québec, de considérer et de bien peser.
Je suis allé faire un tour au cégep Rose-mont, qui est un
cégep multiethnique, constitué de beaucoup d'immigrants,
où j'ai rencontré un jeune Vietnamien qui me faisait visiter le
cégep. Et ce jeune Vietnamien, à brûle-pourpoint, me
demandait combien il y avait de Français au Québec. J'ai dit: On
est 84 % de la population, on est 5 500 000 sur 6 500 000. Il est resté
tout étonné d'apprendre cela. Aussi étonné que j'ai
été évidemment de penser qu'on pouvait ignorer qu'au
Québec, c'étaient les Français d'origine qui
étaient majoritaires à 84 %. Je lui ai demandé ce qui lui
faisait croire qu'on était un petit groupe minoritaire, comme il en
avait l'impression. Il me dit: Je reste dans le coin de Côte-des-Neiges,
quand je sors dehors, je vois de l'anglais, puis quand je rencontre des gens
dans la rue, ils parlent en anglais. Alors, je croyais qu'on était un
petit groupe très minoritaire.
Alors, vous voyez l'influence de l'entourage quand vient le temps pour
un immigrant de s'en venir vivre au Québec. S'il a constamment sous les
yeux de l'anglais, s'il côtoie et entend
constamment de l'anglais, le résultat, ce sera que lui-même
constatera que le français - parce que c'est un Vietnamien de langue
française - auquel il voulait s'intégrer au départ,
puisque c'était sa langue aussi dans son pays, il croira que c'est une
langue de minoritaires. Donc, c'est le message qu'avait lu le jeune homme de
seize ou dix-sept ans. C'est le message qu'il lisait. C'est ce qu'il comprenait
du Québec.
Alors, le message était aussi vrai en 1977, quand on a
voté la loi 101, et il est aussi vrai aujourd'hui. Autant aujourd'hui il
est vrai de constater que le message qui est envoyé à nos
immigrants, c'est celui qui va s'imprégner dans leur esprit et c'est
pour ça qu'il est absolument important et essentiel. L'affichage, c'est
la vitrine du pays et la vitrine de la langue. C'est la vitrine de ce que les
arrivants vont constater et trouver.
C'est donc depuis 1760 qu'on se retrouve dans cette situation où
le conquérant, de façon normale, a voulu et continue de vouloir
imposer sa langue. C'est cela. On peut très bien nous traiter
d'intolérants. D'ailleurs, nous traiter à la fois
d'intolérants, comme la ministre des Communautés culturelles et
de l'Immigration et, dans la même phrase, nous donner un exemple de notre
tolérance, puisqu'on a accepté de faire des assouplissements
à la loi 101, par l'article 60, entre autres, et qu'on vienne maintenant
essayer d'imposer et d'indiquer dans cette nouvelle loi cette modification a la
Charte de la langue française, que le bilinguisme est accepté au
Québec, c'est le bras dans le tordeur et tout le reste va y passer.
C'est ça qu'il est important de retenir et c'est ce que nous dit
l'histoire.
C'est ça que nous disent tous ceux qui ont étudié
les phénomènes d'acquisition des langues par le cerveau humain.
Le cerveau des Québécois n'est pas différent du cerveau de
tout autre être humain. Une langue étrangère qui est
apprise et pratiquée par les classes les plus influentes d'une nation et
encore, en plus, par toute une nation, cessera d'être une langue
étrangère; elle deviendra une langue commune et éliminera,
par dialectisation ou endettement, l'ancienne langue nationale. C'est un
exemple de ce que je disais tantôt, de la part d'un linguiste.
Mais tant qu'un peuple n'est envahi que dans son territoire, il n'est
que vaincu. Mais s'il se laisse envahir dans sa langue, c'est fini. C'est
là notre responsabilité aujourd'hui, ici, à
l'Assemblée nationale, devant ce projet de loi qui vient insidieusement
compléter l'oeuvre, mettre en place tous les éléments qui
sont de nature à réaliser ce grand projet d'assimilation du
peuple francophone et qui vient compléter ce qui s'est passé, ces
derniers mois, à Ottawa, un projet de loi qui est aussi une loi, la loi
C-72 que vous connaissez et qui vise, selon les propos mêmes de M.
D'Iberville Fortier à Hull, en novembre dernier, alors qu'il invitait
tous les hommes d'affaires, les dirigeants des milieux d'affaires à
contribuer à l'objectif tracé par la loi C-72; à renforcer
au Québec la place de l'anglais comme langue d'économie et comme
langue du travail. (1h20)
Vous voyez où est-ce qu'on va gruger tantôt dans la loi
101? On commence à nous avertir via Ottawa. Les raisons qui font que je
voterai contre, et quoi que pense et quoi que veuille l'actuel premier ministre
du Québec, quoi qu'il s'imagine, il vient d'ouvrir une "canne" de vers
qui n'est pas prête à se refermer; qu'il ne se l'imagine pas. Il
avait pourtant vécu la loi 22, les suites de la loi 22 parce qu'on n'en
connaît pas encore les règlements. Vous savez que c'est là
que les problèmes vont se mesurer, au centimètre, au
millimètre, on ne le sait pas encore, on le saura à ce
moment-là. On est obligé de voter malheureusement. Certains le
font de gaieté de coeur, semble-t-il, sans même en connaître
les résultats.
Je voudrais, M. le Président, apporter ces motifs et ces raisons
que je crois valables et soumettre à l'attention de mes collègues
des deux côtés de l'Assemblée nationale, parce que je suis
fermement convaincu que le geste qu'on pose en adoptant le projet de loi C 178
- on va les appeler C tantôt aussi, comme cela va là - c'est
justement le commencement de la fin si on n'y fait pas attention.
De l'autre côté, on nous dit: Comment justifier... Combien
de temps, M. le Président?
Le Vice-Président: 20 secondes.
M. Desbiens: Une seule minute. Oh! M. le Président,
j'aurais aimé pouvoir reprendre les propos de certains de mes
collègues, j'aurais aimé parler de la stratégie fort
habile - pour cela, on peut se fier au premier ministre du Québec -
qu'il a montée pour faire croire aux francophones qu'ils étaient
les privilégiés par ce projet de loi, alors que les anglophones
étaient les maltraités. Malheureusement vous m'indiquez qu'il ne
me reste qu'une minute, mais je voudrais dire quand même, avec
l'ex-ministre de l'Environnement, député de Nelligan, que je
félicite - au moins les députés anglophones d'avoir eu le
courage de défendre leurs droits - il l'a dit lui-même, il ne faut
pas avoir peur de défendre ses droits. Je suis parfaitement d'accord
avec tout ce qu'il a dit. Il est en faveur du respect des minorités, des
plus faibles dans la société alors, M. le Président, moi
aussi, je suis en faveur de cela. Le plus faible, ici au Québec, c'est
la langue française. Le plus faible en Amérique du Nord, c'est la
langue française. Il parle trois langues, je voudrais bien pouvoir en
faire autant. J'ai deux fils qui en parlent trois. Lorsqu'il dit que la langue
est un trait d'union, j'aurais voulu aussi lui dire que la langue, pourvu que
ce soit la même, peut être trait d'union; mais ma langue, comme
l'ex-ministre l'a dit, ce n'est pas une plaie, ma langue n'est pas une plaie
pas plus que la sienne n'est une plaie.
Tout ce que j'aurais voulu ajouter, M. le
Président, c'est qu'on n'est pas intolérants. Mes
collègues ont soulevé plusieurs arguments. Il s'agit de voir tout
ce qui a été fait pour les minorités anglophones entre
autres, au Québec.
Je terminerai, si vous me le permettez, en deux secondes, par cette
déclaration qui est brève et qui correspond très bien aux
sentiments que j'éprouve: ce que nous voulons, c'est un Québec
français; c'est notre volonté comme peuple. Nous le voulons pour
nous-mêmes pour échapper à notre condition de minoritaires.
Nous le voulons aussi pour les autres, pour tous ces immigrants qui viennent
enrichir notre communauté nationale et qui trouveront ainsi les moyens
de vivre pleinement la vie au Québec. Nous le voulons pour le Canada
anglais, qui, dans sa lutte pour son identité culturelle - parce qu'il
en a une lui aussi - a le droit de trouver à côté de lui un
peuple qui aura su défendre sa langue et sa culture. Nous le voulons
pour les Américains des États-Unis qui apprendront ainsi qu'entre
voisins d'un même continent, le dialogue des langues et des cultures peut
se pratiquer aussi d'égal à égal. Nous le voulons enfin
pour toutes les langues et pour toutes les cultures qui, partout dans le monde,
subissent la même pression que la nôtre et qui puiseront dans nos
luttes et dans nos succès, la preuve que le combat est nécessaire
et que la victoire est possible. Merci, M. le Président.
Le Vice-Président: Je reconnais maintenant M. le
député de Taschereau.
M. Jean Leclerc
M. Leclerc: Merci, M. le Président. J'ai
écouté avec attention les remarques et les arguments du
député de Dubuc. Je vous avoue bien humblement qu'il faut
être à court d'argumentation pour devoir remonter à la
bataille des Plaines d'Abraham pour justifier son opposition à la loi
178 que nous avons devant nous.
Je suis, moi, en accord avec la loi 178 déposée par le
gouvernement qui propose la protection du visage français du
Québec et la non-prohibition de l'utilisation d'une autre langue dans
l'affichage intérieur, toujours, mais toujours en gardant la
prépondérance du français. Et malgré le fait que
l'Opposition ait voulu faire croire à la population, à maintes
reprises depuis le début du débat, que nous avons
consacré, comme gouvernement, le bilinguisme de l'affichage
intérieur, vous savez, M. le Président, qu'il n'en est rien.
D'abord, parce que nous exigeons partout au Québec, la
prépondérance du français, mais ensuite parce qu'il est
évident que dans les régions du Québec majoritairement
francophones, en aucune façon une autre langue ne sera utilisée
dans l'affichage intérieur des commerces. Pourquoi, par exemple, un
commerçant de Chicoutimi, où la clientèle est presque
à 100 % francophone, aurait-il intérêt à se servir
d'une autre langue que le français à l'intérieur de son
commerce? Par conséquent, en aucune façon nous ne proposons aux
Québécois le bilinguisme partout au Québec quant à
l'affichage intérieur. Cependant, là où des
Québécois anglophones, chinois, portuguais d'expression,
italiens, par exemple, M. le Président, décideront qu'ils veulent
se servir d'une seconde langue à l'intérieur de leur commerce,
ils pourront le faire, en s'assurant toujours que le français sera
prépondérant.
M. le Président, comme la majorité des
Québécois d'origine francophone et d'expression francophone, je
suis un nationaliste fier de ses origines, de sa langue et de sa culture et je
ne crois pas avoir, en ces matières, de leçon à recevoir
du Parti québécois. Je suis également, comme la grande
majorité des Québécois d'expression francophone, ouvert,
tolérant et respectueux de mes concitoyens de langue anglaise et de mes
concitoyens allophones. Là, je crois que nous avons, nous les
libéraux, des leçons à donner aux membres du Parti
québécois. Membres du Parti québécois qui
cultivent, depuis le début de ce débat, le mépris,
l'intolérance et qui cherchent par tous les moyens, à faire
descendre les Québécois dans la rue pour retrouver une
crédibilité perdue.
J'ai vu, il n'y a pas si longtemps, comme vous sans doute, M. Parizeau
devant 12 000 personnes au centre Paul-Sauvé, triomphant, alors qu'il
n'y a même pas une année, H n'était même pas capable,
dans mon comté, de remplir un sous-sol d'église. Je vois
là, et vous en conviendrez, M. le Président, un opportunisme de
mauvais aloi. Que fait le projet de loi 178? Il repose sur la
réalité du Québec, la réalité du
Québec qui veut que nous formions tous ensemble, les
Québécois, une majorité francophone et une minorité
anglophone. Majorité francophone qui, elle, est minoritaire en
Amérique du Nord. Les Nord-Américains d'expression anglaise sont
majoritaires en Amérique du Nord et minoritaires au Québec. Ce
qui découle de cet état de fait, ce qui découle de cette
réalité, c'est que nous avons le devoir, comme gouvernement,
comme Québécois également, de protéger le
français. Nous sommes, et le premier ministre l'a
répété souvent, le seul gouvernement élu par des
francophones en Amérique du Nord et c'est notre devoir de
protéger le fait français, mais c'est également notre
devoir de prohiber le moins possible nos concitoyens d'expression autre que
française. En cela, le projet de loi 178 améliore la loi 101 du
fait qu'elle ne prohibera plus l'affichage dans une seconde langue à
l'intérieur des commerces, dans la mesure où, toujours, le
français sera prépondérant. (1 h 30)
Devant ce constat, comment pouvons-nous expliquer, M. le
Président, la position du Parti québécois, eux qui, alors
que le député de Mercier, en 1983, présentait à
l'Assemblée nationale des adoucissements, eux qui le faisaient en se
disant sensibles aux minorités du Québec
parce qu'en 1983, ils ont permis à 67 % des commerces d'afficher
dans les deux langues? Alors que nous introduisons par la lof 178 de nouveaux
assouplissements toujours en étant sensibles aux minorités du
Québec, on nous accuse de vouloir bilinguiser le Québec. Comment
se fait-il que de deux gestes à tout le moins similaires, on puisse les
associer à des comportements à ce point différents?
Comment se fait-il que lorsqu'ils ont assoupli la loi 101, ils l'ont fait pour
être sensibles aux minorités alors que, nous, nous le ferions pour
bilinguiser le Québec? Vous voyez là, M. le Président, un
non-sens évident. Vous voyez là, - et le premier ministre en a
fait état souvent, - que la loi 178 est dans le même cheminement
finalement que les assouplissements à la loi 101 qu'a votés le
Parti québécois avec l'assentiment de l'Opposition d'alors pour
des assouplissements de la loi 101.
Ce qui est le plus étrange quand on y pense, c'est que la
position actuelle du Parti québécois contre notre loi 178 repose
sur la protection du français, dit-il, sur le développement du
français au Québec. Ce qui est le plus amusant quand on y pense,
lorsqu'on a écouté attentivement les débats que nous
tenons depuis deux jours, ceux-là même qui se présentent
à nous, qui se présentent à la population comme les grands
défenseurs de la langue française, ceux-là même que
nous écoutons depuis deux jours, parlent souvent plus mal, font souvent
beaucoup plus de fautes de français, utilisent beaucoup plus de mots
anglais dans leur discours que nos collègues anglophones de
Jacques-Cartier, de D'Arcy McGee, de Westmount, de Nelligan.
J'ai écouté attentivement mes collègues anglophones
qui nous ont fait part qu'ils n'appuyaient pas notre projet 178. Ils l'ont fait
dans un français qui devrait faire rougir les députés du
Parti québécois, qui devrait faire rougir ces
députés qui se prétendent les grands défenseurs de
la langue française au Québec. M. le Président, j'ai pris
quelques notes. Je serai bref. Le député de Dubuc nous a
parlé de "canne" de vers tantôt. C'est un beau mot
français. Le député de Verchères hier nous a
parlé que des francophones seraient "poignes" pour travailler en
anglais. Est-ce que ce n'est pas beau ce mot-là? Et c'est comme
ça depuis deux jours. Ces grands défenseurs de la langue
française parlent moins bien le français que nos anglophones qui
se sont exprimés dans des termes, dans des phrases qui sont à peu
près parfaites alors que c'est leur second langage et que, pour
certains, c'est leur troisième. Je me dis qu'il faut avoir un certain
culot pour se présenter comme les grands défenseurs de la langue
française. Ils n'ont pas de leçon à nous donner quant
à leur façon de parler le français. Ce ne sont pas, M. le
Président, des modèles de tolérance. Quand le
député de Shefford et le député de Lac-Saint-Jean
nous ont reproché d'applaudir notre collègue de Nelligan qui
venait démocratiquement nous faire savoir sa position à
l'Assemblée nationale, je trouve qu'il s'agit-là d'un geste de
mépris que je n'avais jamais vu encore en trois ans en cette Chambre.
Voudraient-ils, ces députés de l'Opposition, que nous nous
mettions à nous haïr les uns les autres dans le Parti
libéral?
Le Parti libéral est le seul parti au Québec qui regroupe
les francophones, les anglophones et les allophones. Le débat que nous
avons mené sur la Loi 178 en fut un difficile, mais jamais, au cours de
tous les débats que nous avons tenus, que ce soit en caucus, en conseil
général ou ici à l'Assemblée nationale, jamais nos
députés quelle qu'ait été leur position envers la
loi 178, jamais le ton, jamais les mots, jamais le discours n'ont
été déplacés. Tous les députés ont
fait valoir leur point de vue et tous les députés ont
été respectés par leurs collègues libéraux.
Est-ce que je dois comprendre que les députés du Parti
québécois voudraient qu'on se comporte comme eux, M. le
Président, alors qu'ils sont 21 seulement et qu'une moitié ne
regarde même pas l'autre moitié?
Donc, M. le Président, nous avons vécu, depuis deux jours,
un débat difficile. Ce fut un débat quand même enrichissant
parce que tout le monde à l'intérieur du Parti libéral a
pu s'exprimer franchement, a pu faire valoir son point de vue à ses
collègues de l'Assemblée nationale et à la population. Si
je peux me rasseoir à la fin de mon intervention en étant
optimiste quant à l'avenir du Québec, c'est que je sais que la
grande majorité de nos concitoyens sont comme les députés
libéraux, ce sont des gens tolérants. C'est ce qui me fait dire
qu'un bon jour nous viendrons a bout de cette question linguistique. Mais c'est
en continuant de se parler entre Québécois et non en proposant
des comportements intolérants à nos concitoyens, comme le fait le
Parti québécois, que nous y parviendrons. Je vous remercie.
Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le
député de Rousseau.
M. Robert Thérien
M. Thérien: Merci, M. le Président. En raison de
l'heure, je dois d'abord remercier mon parti et mes collègues
d'être tolérants et de me permettre d'intervenir ce soir et de
parler particulièrement du comté de Rousseau, qui est un
très bel exemple de cohabitation multiethnique. Le comté de
Rousseau, en plus d'avoir deux vocations majeures tels l'agriculture et le
tourisme, se compose d'au-delà de dix ethnies qui représentent
à peu près 10 % de la population. M. le Président, je ne
me présente pas ici comme spécialiste constitutionnaliste, mais
plutôt comme quelqu'un sur le terrain qui a travaillé pendant six
ans pour une municipalité à titre de maire et trois ans comme
député déjà. Je veux vous dire jusqu'à quel
point j'ai une certaine pratique de l'application de certaines lois.
M. le Président, avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais
juste vous faire remarquer le niveau des intervenants et des interventions des
deux côtés de la Chambre. De ce côté-ci de la
Chambre, nous avons des interventions basées sur la
réalité, l'émotion, le déchirement d'une situation
qui est conforme à la réalité. De l'autre
côté de la Chambre, il y a des interventions basées sur la
confrontation. On veut dire aux gens: II y a un groupe de plus forts, un groupe
de moins forts et on va donner plus de droits à l'un qu'à
l'autre. J'ai écouté à peu près tous les
intervenants et de l'autre côté de la Chambre on passe son temps
à nous dire: II y a des gens qui sont là, ils méritent
plus de droits et d'autres moins.
Je pense, M. le Président, qu'avec la loi 178 le message est
clair. On dit aux Québécois: C'est le français qui
prédomine. Le message est clair, même les éditorialistes
commencent - ils l'ont fait hier, ils l'ont fait ce soir à
différents canaux de télévision - à
reconnaître le fait que la décision est ferme et claire. C'est le
français, le français à l'extérieur et, à
l'intérieur, le français prédominant et une autre langue,
par respect de la réalité québécoise.
Bien entendu, on a tout intérêt de l'autre
côté à mêler le débat, à parier de
l'ensemble du programme de la langue. Je peux vous dire, M. le
Président, que chaque citoyen, et très peu ont appelé au
bureau de comté... Je demandais leur numéro de
téléphone et je les appelais et une dizaine à peine de ces
gens-là disaient: Ne touchez pas à la loi 101. Là, je leur
demandais: De quelle loi 101 me parlez-vous? L'unilinguisme français
dans les commerces, à l'intérieur. Et là je leur disais:
Savez-vous que, dans le comté de Rousseau en particulier, 95 % des
commerces ont moins de quatre employés et que c'était permis
d'afficher en français et dans une autre langue? On touche à
quoi? On touche à quoi? 67 % des commerces au Québec avaient
cette possibilité-là. Aujourd'hui, on dit qu'on vient de faire
quelque chose, qu'on vient de toucher... Je pense qu'il faut replacer le
débat.
Je ne veux pas aller plus loin dans ce genre d'intervention parce que je
pense que mes collègues l'ont très bien fait. (1 h 40)
Je veux vous parler du comté de Rousseau et, en particulier, de
la ville de Rawdon où on vient d'ouvrir, il y a quinze jours, en
présence de Mme la ministre des Communautés culturelles, une
maison multiethnique. À Rawdon, il y a dix ethnies, en particulier la
plus grosse communauté russe du Québec. Tous ces gens vivent en
français et parlant une ou deux autres langues. Ils sont parfaitement
d'accord avec cela. Je suis convaincu qu'ils sont blessés par le genre
de débat que ces gens font, leur disant un peu comme le
député de Nelligan cet après-midi: Est-ce une honte de
parler ou d'intervenir à l'occasion dans une autre langue? M. le
Président, vous le demanderez à Mme la ministre des
Communautés culturelles et aux gens qui les entourent, ces gens
se sont adaptés merveilleusement à la société
québécoise. Il faut faire confiance aux gens qui arrivent chez
nous.
On a dit: On va être très prudent. Eux, je suis sûr
qu'ils ne parleront pas français. C'est faux, M. le Président. Il
y en a des exemples. J'invite les députés de l'Opposition
à venir à Rawdon. Ils vont constater que ces dix ethnies
différentes acceptent de vivre en français. De grâce,
respectons-le. Le message du premier ministre du gouvernement a
été des plus clairs. On s'affiche en français. À
l'intérieur, l'obligation du français, prédominance. Je ne
veux pas revenir sur ce que l'autre parti a fait en 1983. Je pense que la
baloune est dégonflée. Lorsqu'on dit aux gens tout ce que
permettait la loi 101, on s'aperçoit que la clientèle
était moins vierge qu'espéré. La baloune,
terminé.
Je reviens à Rawdon. À ma grande surprise, j'ai
visité les écoles francophones et anglophones. Dans les
écoles anglophones, on a 40 % du temps consacré à
l'apprentissage du français. Est-ce que ce sont des gens qui refusent le
français? Faux! Toutefois, dans les écoles francophones,
lorsqu'on voulait enseigner l'anglais en première année,
scandale, trahison! La période de confrontation est terminée. On
est à la période où il y a un réalisme. Ce
réalisme est d'intervenir lorsque le français peut être
menacé, comme le jugement l'a dit, comme notre gouvernement est
intervenu, comme le premier ministre a pris une décision ferme. Mais, M.
le Président, tenir des discours comme les gens de l'Opposition en
tiennent, je peux vous dire que c'est inviter les immigrants à venir
chez nous puis leur foutre une claque sur la gueule quand ils entrent, en leur
disant: Écoutez, on va vous donner certains droits, mais à nos
conditions.
Mais il faut faire confiance aux immigrants, aux anglophones, ils
veulent vivre en français C'est un message d'espoir qu'il faut leur
lancer. On va baliser les lois, d'accord. Il faut être prudent, d'accord.
Je pense que c'est le message qu'on a laissé. Il faut que le
débat soit serein et honnête lorsque l'enjeu parle de l'affichage.
Je me rappelle que l'année passée les gens de l'Opposition
craignaient qu'on laisse la possibilité d'afficher à
l'extérieur dans une autre langue. On disait: II faut préserver
le visage. Le visage, M. le Président, il est préservé.
Ils sont rendus maintenant à l'âme. Vous savez que c'est dur
à vérifier, l'âme. Quand on sait que l'âme a
été tachée du péché originel, même
celle de ceux qui ont créé la loi, parce qu'ils avaient
adopté l'article 60 qui permettait un affichage dans une autre langue...
Je peux leur dire que je les félicite. Ils ont bien fait de mettre cet
article par respect des gens. Mais lorsque les gens apprennent de mon bureau
que pour 67 %, dont 95 % de mon comté, il n'y a aucun changement La
baloune est dégonflée parce que c'est une amélioration. En
plus, par mesure de sécurité, il y a la clause "nonobstant". Ce
n'est pas agréable
de mettre une clause "nonobstant", c'est vrai, on suspend certaines
libertés, sauf que sur le plan collectif on a dû prendre cette
décision.
Moi, M. le Président, je veux vous ramener à mon
comté. Je suis enrichi de représenter une clientèle qui
est capable de m'apporter certaines valeurs dans le respect et sur tout
l'honnêteté d'un débat qui est faussé par des
partisans, par des gens qui s'ennuient de certaines manifestations au bon
gré de la vérité. Que ces gens-là se
promènent; ils seraient surpris de voir que les anglophones, les jeunes
en particulier, souhaitent apprendre le français, souhaitent parler
français et souhaitent vivre en français, mais dans le respect.
M. le Président, comme tous mes collègues, je suis convaincu
d'une chose, c'est que la loi va être très bien acceptée,
sauf qu'il va falloir faire comprendre à nos amis immigrants ou
anglophones qu'on respecte les droits des personnes, mais qu'on respecte aussi
les droits d'une collectivité, qui peuvent être menacés. M.
le Président, j'aurais aimé continuer, on manque de temps. Je
remercie encore une fois mes collègues de m'avoir permis de m'exprimer
et de parler d'un merveilleux comté qui vit une cohabitation
basée sur le respect, et en français, M. le Président.
Merci.
Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le
député de Laviolette.
M. Jean-Pierre Jolivet
M. Jolivet: Merci, M. le Président. Je serai le
dix-neuvième député du Parti québécois
à prendre la parole. Je dois vous dire qu'à l'heure qu'il est, 1
h 45, ce n'est pas avec joie ni avec plaisir que je prends la parole à
ce moment-ci, dans la mesure où je pense qu'un débat comme
celui-ci, aussi important qu'il soit, mériterait qu'il se fasse dans des
conditions meilleures que celles que nous avons actuellement. Vous avez
au-dessus de votre fauteuil, M. le Président, vous ne pouvez pas vous
retourner mais vous l'avez certainement vue, une fresque, un tableau de Charles
Huot. Vous reconnaîtrez très bien, pour l'avoir examiné
à plusieurs occasions, un débat chargé
d'émotivité, un débat chargé de difficultés,
puisque le tableau représente la décision de savoir quelle langue
on parlerait en ce parlement. Jamais les débats sur la langue n'ont
été des débats faciles. Cela a toujours été
des débats où on faisait allusion, de part et d'autre, à
des positions diamétralement opposées. Déjà, ici en
cette Chambre, le premier ministre en particulier a fait mention de l'histoire
telle qu'il a voulu la présenter, mais souvenez-vous du premier projet
de loi qui a été présenté en cette Chambre. Il n'y
a pas grand monde qui s'en souvient. C'est le député de
Saint-Jean, qui était vice-président de l'Assemblée
nationale à l'époque, qui l'a présenté, lui qui
était ministre de l'Éducation sans être élu ici en
cette Chambre, parce que nommé par le premier ministre de
l'époque en 1968. Il avait le titre de projet de loi 85. Le
deuxième projet de loi qu'il a présenté, parce que
celui-ci est mort au feuilleton et n'a pas été rappelé,
s'est appelé le projet de loi 63. Allez voir votre histoire et vous
allez savoir que Jean-Guy Cardinal a présenté le premier projet
de loi ici, le projet de loi 85. Le deuxième, le projet de loi 63, a
fait l'objet d'une manifestation monstre à travers le Québec.
Puis, il y a eu le projet de loi 22 avec le gouvernement qui nous a
précédés et le projet de loi 101 avec le gouvernement dont
j'ai eu ia chance et le bonheur d'être membre et avec lequel j'ai
travaillé.
M. le Président, d'autres ont fait mention de leurs origines. Moi
aussi, je pourrais utiliser mes origines personnelles et parler de mon
grand-père maternel, du nom d'Anatole Poirier, qui est de la famille
franco-ontarienne des déportés de l'Acadie, M. le
Président. Ce sont des gens qui ont vécu avec beaucoup
d'anxiété et d'angoisse des décisions qui ont
été prises par des gouvernements extérieurs au
Québec. Au Canada, à l'époque, il y avait le Haut-Canada
et le Bas-Canada. Je pourrais vous parler de ma grand-mère, qui
était la femme d'Anatole Poirier, Victoria Papineau, qui était de
la descendance de Louis-Joseph Papineau.
Vous ne m'empêcherez pas, M. le Président, comme individu,
après avoir vécu dans un milieu comme celui-là, avec mon
père, dans les années quarante, qui a fait partie du Bloc
populaire, d'avoir des idées et de les défendre. Je ne me ferai
jamais le défenseur des idées des autres; je vais me faire le
défenseur de mes propres idées. Que les autres défendent
leurs propres idées, parfait! Qu'ils le fassent dans la dignité,
dans l'émotivité, dans les difficultés du moment, parfait!
Jamais je n'émettrai, face à une personne qui aura d'autres vues
que les miennes, des propos qui auront pour but de détruire la personne
en tant que personne.
Mais vous allez me permettre de penser que, si cette personne a des
positions à défendre, c'est parce qu'elle a aussi une histoire.
Moi, j'en ai une comme individu. Mon histoire m'indique, pour avoir
été prof d'histoire du Canada à l'époque, qu'en
maudit d'avoir des livres, comme on en avait à l'époque, de
Laviolette, vous vous en souvenez tous, nous avons décidé, comme
professeurs de niveau secondaire dans les années soixante, de faire,
à partir de livres qui étaient meilleurs que celui de Laviolette,
un vrai livre de l'histoire du Québec, dans les circonstances que nous
avions vécues, dans les années difficiles de la colonisation du
Québec. J'ai une histoire, j'ai des convictions et c'est ce que je
cherche à défendre. Mais vous me permettrez aussi, en même
temps, de dire que je suis déçu de voir que, dans ma propre
région, à presque 100 %, 90 % francophone, il y a des gens qui
acceptent aujourd'hui, par naïveté politique ou par jeu
politique...
C'est un mot que je n'aime jamais employer, M. le Président.
Quand on dit: J'ai un rôle à
jouer. Je n'ai pas de rôle à jouer ici à
l'Assemblée nationale. Ce n'est pas vrai. J'ai un travail à
faire, selon mes convictions. Ce n'est pas parce que j'emploie un ton plus
solide, plus fort que par le fait même je suis un épouvantable
criard. J'ai une voix comme cela. La Providence m'a doté de cette voix
et je l'utilise. Je peux l'utiliser comme je l'utilisais avec mes
étudiants. Je peux baisser le ton, faire en sorte que les gens disent,
comme lorsque j'ai lu la pétition lundi matin ici: Plus fort. Pour une
première fois, je me faisais dire ici en cette Chambre de parler plus
fort. Pourtant, je n'ai pas de difficulté à parler plus fort; je
parle fort naturellement.
Mais, je veux défendre avec conviction ce à quoi je pense,
sans aucune naïveté, non plus, de ma part, en vous disant que la
crainte que j'ai est toujours la même. Je ne connais pas, dans
l'histoire, un peuple qui a été dans sa vie conquis qui voudrait
que le conquérant, par tous les moyens à sa disposition, le lui
fasse d'abord savoir; deuxièmement, lui indique qu'il veut avoir tous
les pouvoirs; troisièmement, ne voudrait pas être une
minorité dans une majorité, parce qu'il pense être une
majorité. Il a raison, ce peuple, cette nation, de se considérer
comme majoritaire au Canada. Mais, malheureusement, l'histoire a voulu qu'au
Québec, il soit minoritaire. Mais cela ne m'empêche pas de penser
que moi, ici, je suis majoritaire, tout en sachant que je suis minoritaire dans
le reste du Canada.
Une fois ces constatations fartes, qu'on vienne aujourd'hui me dire: Je
démissionne de mon poste de ministre, je démissionne à
l'extérieur du Conseil des ministres, mais je reste à
l'intérieur du Parti libéral... J'ai des convictions assez
puissantes, parce qu'il y a des gens qui ont pris ces décisions à
l'Assemblée nationale, dans mon propre parti, et cela m'a fait mal. J'ai
signé la démission d'un de mes collègues, confrère
et ami, Pierre Marois. Je m'en souviendrai toujours, M. le Président.
Des gens m'ont demandé: Pourquoi as-tu signé sa démission?
Parce qu'en vertu de la loi il faut une signature. Deuxièmement, je me
suis dit: Si ce n'est pas moi, c'est un é autre. Troisièmement,
parce que je lui ai dit: Si tu es décidé, je vais t'aider
à accomplir le geste que tu veux poser. Il a démissionné
de l'Assemblée nationale à tous les titres. Dans d'autres cas,
ils sont devenus indépendants pour défendre leur position. Mais
qu'on vienne me faire accroire...
Je les respecte. Je suis capable de dire que le député que
j'estime, le député de Westmount, a pris une décision qui
le concerne, tout comme mon collègue ici en arrière, le
député qui a décidé de voter contre le projet de
loi. Je le respecte. Je peux croire qu'il a vraiment raison. Mais je peux aussi
me poser de sérieuses questions quant à la stratégie qui
peut être décidée quelque part. J'ai le droit de le penser
et de le dire à tout vent. Je pense qu'il y a des démissions
basées sur des convictions. Mais je sais aussi, quand je regarde le
ministre de l'Énergie et des Ressources, voir que peut-être
à ne démissionne pas pour d'autres raisons, parce qu'on sait que
c'est peut-être le seul canal qu'ils auront pour faire connaître
leur point de vue, parce qu'ils n'auront de cesse que le jour où ils
auront obtenu complètement les pouvoirs qu'ils voulaient.
Je suis, cependant, peiné de voir que des gens qui se disent
nationalistes francophones acceptent ça sans dire un mot, en disant:
Écoutez, nous avions une loi 101 qui protégeait des choses, qui
donnait des garanties et qui, aujourd'hui par une décision de la cour,
passe à un autre secteur, c'est-à-dire qu'aujourd'hui I y a des
gens qui décident d'enlever des pouvoirs à ceux qui en avaient,
qui sont des francophones. On en donne, mais, malheureusement pour ceux qui
quittent, pas assez à l'autre minorité, anglophone. Cela je le
conçois et je le vois. Et quand je vois mon ex-collègue,
l'ex-ministre Yves Beaumier dire, dans Le Nouvelliste d'aujourd'hui:
"Bourassa a l'angoisse de la décision et la passion du pouvoir", je dis
la même chose que lui. Nous avons devant nous un calcul politique d'une
personne qui a décidé de dire: Combien de personnes vais-je
perdre? Combien de votes vais-je perdre si je prends telle décision?
Combien de personnes, combien de votes vais-je perdre si je prends telle autre
décision?
Le premier ministre a décidé ainsi. Il a le droit et le
pouvoir, de le faire mais j'ai le droit et le pouvoir de le critiquer, de dire
que je n'accepte pas ça, de lui dire que je réagis difficilement
et vigoureusement face à mes collègues libéraux de ma
propre région qui ont laissé le député de Nicolet
parler en leur nom, mais qui, eux, ont réagi dans les journaux, à
la radio et à la télévision de chez nous, surtout le
député de Trois-Rivières qui est allé dire qu'il
était enthousiasmé par la décision du premier ministre.
Cela me fait de la peine. Pourquoi? Parce qu'ici, en cette Chambre, nous avons
adopté un projet de loi sur les services de santé et les services
sociaux. Quelle est la personne dans la région de la Mauricie, à
90 % ou 95 % francophone, qui a défendu les employés des centres
d'accueil, des centres de services sociaux, des CLSC, des hôpitaux, de
l'ensemble de ces services contre la possibilité de bilinguisation des
postes? C'est la réalité dans ma région. Allez voir les
journaux de l'époque, allez voir la télévision, allez voir
les radios de l'époque, qu'est-ce qui est arrivé? Le
député de Laviolette a fait une sortie contre les
velléités du Conseil régional de la santé et des
services sociaux en disant qu'au bout de la course on pourrait congédier
des personnes parce que des personnes à la réception, à
l'admission, à l'information n'étaient pas capables de donner de
l'information dans les deux langues, alors qu'on pouvait, comme on l'a toujours
fait dans les centres hospitaliers et ailleurs, avoir des personnes qui parlent
l'anglais, des personnes qui parlent le
français et même, dans certaines circonstances, d'autres
langues si nécessaire et, par le moyen de la discussion à
l'intérieur de ce centre, donner des services à une population
qui en a besoin dans des circonstances urgentes. Qui l'a défendu? Le
député de Laviolette.
Je ne fais pas confiance et je ne ferai confiance d'aucune façon
aux députés libéraux pour défendre ces causes dans
notre région parce qu'ils ne l'ont pas fait. Et ça, M. le
Président, il me semble que j'ai le droit, comme député
d'une région, de le faire savoir, comme le faisait savoir, d'ailleurs,
la caricature du journal Le Nouvelliste, encore aujourd'hui, de Delatri
qui montre le premier ministre avec deux faces: d'un côté, une
tarte venant des anglophones et, de l'autre côté, une tarte venant
des francophones et indiquant exactement le problème de cet homme qui a
l'angoisse de la décision et la passion du pouvoir. Il fait des calculs
politiques sur le dos de ceux qui forment la majorité au Québec
et il va le regretter un jour, mais, malheureusement, la population du
Québec va aussi avoir des difficultés en cours de route. Le
député de Taschereau, mon ineffable collègue, dit que nous
espérons, que nous fomentons des troubles au Québec. Ce n'est pas
mon désir, ce n'est pas mon souhait. Comme député d'une
région qui a été capable de faire valoir ses points de
vue, nous n'avons pas besoin de ça. (2 heures)
Mais je peux vous dire que cela a été spontané, ce
qui a été fait la fin de semaine dernière. Cela a
été fait spontanément par des gens qui ont compris qu'il y
avait des dangers. Il a beau dire que c'est le Parti québécois
qui a fait cela, je dois lui dire que, s'il avait eu le courage comme
nationaliste d'être avec nous, il aurait compris que ce n'était
pas vrai, ce qu'il est en train de dire. Il y a au Québec, à
l'extérieur, des gens qui font des pressions sur l'intérieur et,
à l'intérieur ici, des gens qui sont en train de donner des
messages à l'extérieur qui sont vraiment dangereux.
Il me semble que ce n'est pas difficile de faire comprendre cela au
premier ministre qui lui-même disait en Ontario que le bilinguisme sur
les artères de Montréal en particulier était un danger
d'anglicisation. Ce n'est pas Jean-Pierre Jolivet qui dit cela. C'est le
premier ministre du Québec lui-même. C'est un danger. Le
bilinguisme est le début de l'anglicisation. C'est le transfert d'une
langue à une autre. C'est d'une langue à une autre dans des
circonstances où on l'étend à tout le Québec.
On a beau, de l'autre côté, nous faire mention de l'article
60, quand on considère que c'est dans des bâtisses et dans des
lieux de quatre employés et moins, dans des lieux où c'est
familial en particulier, dans des lieux où, justement, on nous reproche
aujourd'hui d'avoir fait, après l'utlisation de la Charte de la langue
française des correctifs nécessaires. C'est correct de le faire
de même, mais pas de l'étendre à l'ensemble du
Québec, dans tous les centres commerciaux, dans toutes les
bâtisses, alors qu'on sait très bien que ceux qui vont chez les
dépanneurs et dans des petites bâtisses représentent un
pourcentage de la population différent des centres commerciaux. Cela
représente quoi? 4 %, 5 % ou 6 % de la population qui utilisent ces
lieux. Ce n'est pas comme dans un grand centre commercial. Allez voir dans le
temps des fêtes ce que sont les centres commerciaux.
Le député de Rousseau faisait mention de son comté.
Je pourrais faire mention du mien aussi. Je pourrais faire mention de celui de
La Tuque. J'ai parlé avec des gens de La Tuque, je vais être
honnête avec vous, M. le Président. De la même façon,
si on parlait du Saguenay-Lac-Saint-Jean, certainement les problèmes ne
sont pas les mêmes qu'à Montréal. Vous comprendrez cela
très bien, pas de difficulté. Mais le jour où Zellers,
Simpsons-Sears, Eaton ou les grandes chaînes de La Baie et les autres
désireront faire des envois dans chacun de leurs locaux dans tout le
Québec, les gens ne parleront plus de la même façon parce
qu'on aura, à ce moment-là, compris, contrairement à ce
que dit le député de Rousseau, que, dans tout cela, il y a
quelque chose qui est vicié au départ et qui est dangereux. C'est
ce à quoi nous invitons les gens.
L'éditorialiste du journal Le Nouvelliste d'aujourd'hui,
Sylvio Saint-Amant, intitulait son article "Sérieuse menace". Il
terminait en disant: "Comme le projet de loi 178 est très complexe et
qu'il dépendra d'une réglementation non moins complexe, il serait
ardemment souhaitable que M. Bourassa reporte après la période
des fêtes cette pièce législative excessivement importante
pour l'avenir du Québec, plutôt que de recourir à la
matraque."
Ce que nous disons au premier ministre, la vice-première ministre
nous l'a indiqué dès le premier discours, ici en cette Chambre,
à l'arrivée au pouvoir du Parti libéral: Nous allons
légiférer moins, nous allons légiférer mieux et
nous allons éviter la réglementation. Nous allons même
passer une loi contre la réglementation. M. le Président, nous
sommes rendus, au moment où on se parle, avec un projet de loi dont la
réglementation ne sera connue que peut-être dans six mois et dont
on ne connaîtra l'application que dans deux ans parce qu'on dit que sa
pleine vigueur sera deux ans après. Les gens auront deux ans pour se
préparer à la mise en vigueur de cette loi.
Comment se fait-il que, nous, comme députés, contrairement
à ce que disait le député de Trois-Rivières qui
n'est pas capable d'aller dire aux journalistes: Je les ai, les
règlements, entre les mains... Parce que le ministre lui-même, ce
matin, nous disait qu'il ne les avait pas, qu'il ne les déposerait pas
immédiatement, que ce serait peut-être dans deux mois, trois mois
ou six mois. Souvenez-vous, M. le Président, qu'il y a des dangers
potentiels d'élection à cette date-là. Cela veut dire que
ce sera reporté encore
plus loin. Donc, quand allons-nous connaître les
règlements, d'après vous? Fort probablement après les
élections, puis dans des circonstances où on aura des
difficultés à les discuter, parce que les règlements, une
fois que la loi sera adoptée, vous savez ce que cela veut dire:
prépublication de 45 jours où on peut faire valoir nos points de
vue sans nécessairement avoir de commission parlementaire et, en fin de
compte, application par décret, et c'est directement envoyé pour
la publication finale.
M. le Président, nous en sommes donc cette nuit, plutôt,
devrais-je dire, ce matin, à la fin de ce débat, au moment de la
réplique du ministre. Nous aurons l'occasion de nous revoir lors de
l'étude détaillée du projet de loi, lors de l'adoption du
projet de loi lui-même. Mais soyez assuré, M. le Président,
qu'à toutes les étapes nous allons, comme membres de
l'Opposition, faire valoir la position de l'ensemble des gens que nous
représentons. Et nous sommes plus nombreux que ne le pense le
député de Rousseau, parce qu'il ne devrait pas oublier qu'un
nommé Trudeau a déjà dit, au mois de mai 1976, que le
Parti québécois - il disait cela au Japon - était une
particule. Cette particule-là avait pris le pouvoir le 15 novembre 1976,
au bien-être de l'ensemble des Québécois. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président: Je vais maintenant reconnaître M.
le ministre délégué aux Affaires culturelles pour
l'exercice de son droit de réplique.
M. Guy Rivard (réplique)
M. Rivard: M. le Président, nous sommes rendus au dernier
moment du débat sur l'adoption du principe du projet de loi 178. Tout au
long de ce débat, nous avons vu que, dans cette Chambre, il y a deux
visions du Québec. La première est déprimante et
pessimiste. Elle utilise des leitmotivs négatifs. C'est,
évidemment, celle de ces gens qui, depuis 20 ans, veulent séparer
à tout prix le Québec du Canada, ces gens qui souhaitent nous
convaincre qu'au Québec il faut se sentir mal. Cette vision parle de
recul, de dégradation de la situation en matière linguistique. Le
chemin parcouru depuis 25 ans par notre société, par sa
majorité francophone et par le français, ne fait pas l'affaire de
ces gens. Leur discours ne tient pas compte de ce progrès. Cette vision
du Québec d'aujourd'hui est celle qu'ont adoptée les
représentants de l'Opposition au cours de ce débat. Quand ils se
sont exprimés sur le projet de loi 178, les députés de
l'Opposition ont conservé cette attitude défaitiste et
morose.
Certains ont qualifié le projet de grand danger pour la
société québécoise. On a dit au gouvernement: Ne
prenez pas de chance. Ces leitmotivs ne peuvent que stimuler l'expression de
mécontentement et se solder par la somme absolue de toutes les
expressions possibles de déprime. Ces leitmotivs encouragent le
sentiment de l'oppression à la suite de la conquête. Encore une
fois, ces idées sont véhiculées, au premier chef, par des
gens qui n'ont qu'une idée en tête: promouvoir
l'indépendance du Québec. Ces leitmotivs méprisent les
Québécois et leur capacité de s'ajuster à tous les
aspects de la réalité nouvelle du Québec. Ils veulent
engendrer la peur, le pessimisme, la certitude que les francophones sont en
train de se faire avoir et que le français va disparaître au
prochain lever du soleil.
À cette vision déprimante et pessimiste du Québec
et des gens qui y habitent, il faut opposer une autre vision en parfait accord
avec le Québec de 1988. C'est une vision libérale qui mise sur la
capacité et la confiance en eux-mêmes des Québécois.
C'est une vision moderne axée sur la croissance et le
développement du Québec. C'est une vision optimiste qui veut que
l'on puisse vivre en français dans un Québec ouvert sur le monde.
C'est une telle vision qui est à la racine du programme du Parti
libéral du Québec auquel j'appartiens. Notre objectif, dit ce
programme, est de voir grandir une société florissante et
dynamique en Amérique du Nord et non une collectivité
étriquée et repliée sur elle-même. Cette
société distincte par sa langue et sa culture, nous la voulons
fraternelle et prête à assumer, sans réserve, les valeurs
et l'apport de la communauté anglophone et des autres communautés
culturelles établies sur le territoire.
Nous devons aujourd'hui réviser la loi linguistique à la
suite du jugement de la Cour suprême. Celle-ci a reconnu que nous
pouvions le faire, car le français au Québec est fragile. On se
rappelle que la Cour surprême a reconnu que cet objectif est important et
légitime, et a déclaré que le Québec a la
compétence requise pour légiférer dans le domaine
linguistique.
De même, la cour a affirmé que, dans la loi, on devait
tenir compte de la réalité sociolin-guistique du Québec.
Le projet de loi que nous avons déposé aujourd'hui assure un
équilibre entre deux valeurs fondamentales pour les
Québécois de toutes origines: la promotion de la culture
française et le respect des droits et des libertés des personnes.
Il s'agit là de valeurs et de principes qui sont au coeur de la
philosophie du Parti libéral et du gouvernement qui en émane.
La décision historique que le gouvernement vient de prendre
préservera le caractère français du Québec en
garantissant la présence du français partout et avant tout.
L'affichage extérieur se fera uniquement en français. L'affichage
à l'intérieur des commerces se fera obligatoirement en
français. Il sera possible, mais non obligatoire - c'est un choix pour
le commerçant - d'utiliser une autre langue et ce choix devra être
conforme, d'une certaine façon, à la demande du consommateur.
Mais l'utilisation facultative d'une autre langue sera permise pour
autant que le français
soit prédominant. La liberté d'expression des
commerçants, comme celle des consommateurs, est donc respectée.
Voilà une décision simple, une décision
compréhensible, une décision de plus en plus perçue comme
juste et de bon sens.
Aujourd'hui, nous avons assisté à la démission de
trois collègues du Conseil des ministres. Les mots lourds de sens et
empreints de modération et de dignité qu'ils ont utilisés
pour expliquer leur geste ont suscité chez nous l'admiration pour leur
courage et les convictions manifestées. Ces démissions m'ont
personnellement touché. Je m'étais souvent assis avec ces
collègues pour discuter de langue et de droits, et je savais qu'ils
étaient déchirés par cette question.
J'ai été profondément ému et j'ai
réalisé jusqu'à quel point l'exercice de la politique
pouvait cimenter une équipe. Nous avons vécu ensemble un moment
riche de fraternité. Quelle surprise, quel ébahissement
d'entendre le député de Lac-Saint-Jean nous dire qu'il
était inconvenant, qu'il était honteux de la part de
députés libéraux francophones d'ovationner ce grand homme,
le ministre de l'Environnement, à la suite de sa remarquable et
émouvante allocution mettant un terme à sa carrière de
ministre! Il n'y a qu'une façon de qualifier ce geste inouï:
ça manque de classe.
Tout au long de ce débat, vous avez parlé, somme toute, de
ces mauvais Québécois que nous sommes à vos yeux. Vous
avez parlé d'une langue; nous avons parlé des gens qui la
parlent. Vous avez parlé de guerre; nous avons parlé d'harmonie.
Vous avez crié; nous avons patiemment expliqué. Vous vous
êtes réfugiés dans le passé; nous avons
regardé l'avenir.
La fierté pour ma langue, pour mon drapeau, pour ce coin de pays,
je la porte dans mon âme de Québécois. Je n'ai pas besoin
de crier pour la démontrer. Je la vis tous les jours et c'est avec
fierté que je défends aujourd'hui ma langue et que je propose
l'adoption du principe de ce projet de loi. Merci.
Des voix: Bravo!
Le Vice-Président: Le débat étant
terminé à cette étape-ci de l'étude du projet de
loi, est-ce que l'Assemblée est maintenant prête à se
prononcer sur l'adoption du principe du projet de loi 178? M. le leader adjoint
du gouvernement.
M. Lefebvre: M. le Président, je demande le vote par appel
nominal.
Le Vice-Président: Donc, un vote par appel nominal,
reporté à la prochaine période des affaires courantes. M.
le leader adjoint du gouvernement.
M. Lefebvre: M. le Président, je fais motion pour ajourner
les travaux à ce matin, 10 heures.
Le Vice-Président: Cette motion est-elle
adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président: Adopté. En conséquence,
les travaux de l'Assemblée nationale sont ajournés à ce
mercredi 21 décembre, à 10 heures.
(Fin de la séance à 2 h 15)