To use the Calendar, Javascript must be activated in your browser.
For more information

Home > Parliamentary Proceedings > Assembly Proceedings > Journal des débats (Hansard) of the National Assembly

Advanced search in the Parliamentary Proceedings section

Start date must precede end date.

Skip Navigation LinksJournal des débats (Hansard) of the National Assembly

Version finale

33rd Legislature, 2nd Session
(March 8, 1988 au August 9, 1989)

Tuesday, December 20, 1988 - Vol. 30 N° 83

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Dix heures douze minutes)

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!

Un moment de recueillement.

Veuillez vous asseoir.

Nous allons procéder aux affaires courantes.

Déclarations ministérielles.

Présentation de projets de loi. M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: M. le Président, avec le consentement de l'Opposition et des membres de l'Assemblée, évidemment, je vous demanderais d'appeler l'article b, du feuilleton, s'il vous plaît.

Projet de loi 207

Le Président: À l'article b, j'ai reçu le rapport du directeur de la législation sur le projet de loi 207, Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l'île de Montréal. Le directeur de la législation a constaté que les avis n'ont pas été publiés conformément aux règles de fonctionnement des projets de loi d'intérêt privé. Étant donné le consentement de cette Assemblée, j'aimerais déposer, quand même, le rapport de ce projet de loi d'intérêt privé.

À l'article b du feuilleton, ce matin, M. le député de Marquette présente le projet de loi d'intérêt privé 207, Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l'île de Montréal. L'Assemblée accepte-t-elle de s'en saisir? M. le leader de l'Opposition.

M. Gendron: Adopté.

Le Président: Adopté. M. le leader du gouvernement.

Renvoi à la commission de l'aménagement et des équipements

M. Gratton: M. le Président, je fais motion pour que le projet de loi soit déféré à la commission de l'aménagement et des équipements et pour que le ministre des Affaires municipales en soit membre.

Le Président: Cette motion de renvoi est-elle adoptée?

M. Gendron: Adopté.

Le Président: Adopté. M. le leader du gouvernement, y a-t-il d'autres présentations de projets de loi?

M. Gratton: Non, M. le Président.

Le Président: Dépôt de documents. M. le ministre des Finances.

Comptes publics pour l'année financière

terminée le 31 mars 1988 et Rapport financier 1987-1988 du ministère des Finances

M. Levesque: M. le Président, conformément à l'article 72 de la Loi sur l'administration financière, j'ai l'honneur de déposer en deux copies les comptes publics du gouvernement pour l'année financière terminée le 31 mars 1988, et également en deux copies, le rapport financier 1987-1988 du ministère des Finances.

Le Président: M. le ministre des Finances, tous vos rapports sont maintenant déposés.

Toujours à l'étape des dépôts de documents, M. le ministre de l'Énergie et des Ressources.

M. le ministre de la Sécurité publique, à l'étape des dépôts de documents.

Rapports annuels du BPCQ et du ministère du Solliciteur général

M. Marx: Oui, M. le Président. J'ai l'honneur de déposer le rapport annuel 1987-1988 du Bureau de la protection civile du Québec. Aussi, j'aimerais déposer le rapport annuel 1987-1988 du ministère du Solliciteur général, devenu depuis ministère de la Sécurité publique.

Le Président: M. le ministre de la Sécurité publique, vos deux rapports sont maintenant déposés.

M. le ministre responsable du Commerce extérieur.

Rapport annuel du ministère du Commerce extérieur et du Développement technologique

M. Gobeil: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer le rapport annuel 1987-1988 du ministère du Commerce extérieur et du Développement technologique.

Le Président: M. le ministre, votre rapport est maintenant déposé.

M. le leader du gouvernement, au nom du ministre de l'Énergie et des Ressources, toujours à l'étape des dépôts de documents.

Rapports annuels du ministère de l'Énergie et des Ressources et de la REG

M. Gratton: M. le Président, je voudrais déposer le rapport annuel 1987-1988 du ministère de l'Énergie et des Ressources, de même que le rapport annuel 1987-1988 de la Régie de l'électricité et du gaz.

Le Président: M. le leader du gouvernement, vos deux documents sont maintenant déposés. Est-ce qu'il y a d'autres dépôts de documents?

Dépôts de pétitions. M. le député de Bertrand.

Empêcher la commercialisation du dimanche

M. Parent (Bertrand): M. le Président, je dépose l'extrait d'une pétition adressée à l'Assemblée nationale par 89 pétitionnaires travailleurs et travailleuses de Les câbles Canada Itée et Culinar inc, des comtés de Beauce et de Vanier. L'intervention réclamée se résume ainsi: "Que l'Assemblée nationale légifère rapidement dans le but d'empêcher la commercialisation du dimanche."

Une voix: Bravo!

Le Président: M. le député de Bertrand, votre pétition est déposée.

À l'étape des dépôts de rapports de commissions, je voudrais interpeller M. le député de Laval-des-Rapides.

Étude détaillée du projet de loi 80

M. Bélanger: M. le Président, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission des affaires sociales qui a siégé les 9 et 19 décembre 1988 afin de procéder à l'étude détaillée du projet de loi 80, Loi modifiant la Loi sur le ministère de la Santé et des Services sociaux. Le projet de loi a été adopté.

Le Président: M. le député de Laval-des-Rapides, votre rapport de commission est maintenant déposé.

Est-ce qu'il y a d'autres rapports de commissions?

Ce matin, il n'y aura pas d'interventions portant sur une violation de droit ou de privilège ou sur une question de fait personnel.

QUESTIONS ET RÉPONSES ORALES

Je suis prêt à reconnaître la première principale, ce matin, à M. le député de Taillon. M. le député de Taillon, en principale.

Quand les règlements sur l'affichage seront-ils connus?

M. Filion: Merci, M. le Président. En dévoilant hier la première partie du secret de Fatima, c'est-à-dire le projet de loi, en moins de quinze minutes, lors de sa conférence de presse, le ministre responsable de la loi 178 s'est contredit à plusieurs reprises, notamment au sujet de la prédominance, de la formule "extérieur-intérieur" et spécifiquement au sujet de la question des territoires ou ghettos linguistiques.

Le ministre a commencé par dire qu'il n'y aurait aucune limite territoriale, qu'à Chicoutimi ou à Pointe-Claire l'affichage intérieur et extérieur serait soumis aux mêmes conditions. Quelques minutes plus tard, le ministre recon- naissait la possibilité de créer des ghettos linguistiques pour les entreprises de plus de 50 employés. Or, manifestement, le gouvernement ignore où il s'en va. Manifestement, les contenus des règlements toujours non rédigés voguent au gré des réactions des médias, du caucus, de tous et chacun.

Ma question s'adresse au ministre responsable de la loi 178. Je voudrais savoir, étant donné qu'on plaidait, hier, l'urgence d'un encadrement juridique, quand ces règlements seront-ils connus?

Le Président: M. le ministre délégué aux Affaires culturelles.

M. Rivard: Ce qui était important et ce qui est important actuellement, M. le Président, c'est d'adopter le projet de loi 178 parce qu'il fait suite à un jugement de la Cour suprême qui nous dit que, dans le comportement qui était celui de la loi 101 eu égard à l'affichage commercial, il y avait trop d'intolérance, il y avait trop d'intransigeance.

Le projet de loi 178 dit clairement - il faut que je le répète - que, premièrement, l'affichage extérieur se fait uniquement en français; deuxièmement, l'affichage à l'intérieur des commerces se fait obligatoirement en français; troisièmement, il est possible - c'est un choix, c'est une option pour le commerçant - d'utiliser une autre langue et cette option doit être conforme, d'une certaine façon, à l'option, au choix, à la demande du consommateur. Ce qui est important, c'est cela. (10 h 20)

II y a dans la loi deux articles qui parlent de réglementation. Il y en a un, en particulier, qui parie de nette prédominance et un autre qui parie de la réglementation qui doit être mise en vigueur par l'Office de la langue française et qui définirait les conditions auxquelles une grande surface, un grand commerce pourrait avoir la possibilité d'utiliser une deuxième langue. Cette réglementation viendra en son temps.

Le Président: M. le député de Taillon, en additionnelle.

M. Filion: M. le Président, je voudrais rappeler au ministre que ses vidéo-clips ne sont pas des gros vendeurs actuellement. Ma question était simple: Quand ces règlements seront-ils connus? Est-ce que le ministre responsable admet que, tant que ces règlements seront au stade de la deuxième partie du secret de Fatima, il est impossible pour la population, il est impossible pour les parlementaires que nous sommes de discuter de son projet de loi qui, à sa face même, est inapplicable en introduisant trois concepts artificiels?

Le Président: M. le ministre délégué aux Affaires culturelles.

M. Rivard: M. le Président, j'ai expliqué au député de Taillon, hier, que le Parti québécois avait mis au monde une loi compliquée, complexe, où l'on voit à la fois l'intention première qu'il y ait du français partout, mais aussi l'intention seconde qui est d'appliquer cette loi au contexte et au réalisme québécois. Je souligne au député de Taillon que, dans la loi de 1977, la loi 101, il existait des concepts qui appelaient des définitions, par exemple, à l'article 24, la prédominance. C'est vous qui avez mis cela dans la loi, la prédominance, et vous avez pris des années... Que je sache, il n'y a pas de définition précise de la prédominance dans le règlement actuel de l'Office de la langue française.

Le Président: M. le député de Taillon, en additionnelle.

M. Gendron: Rapidement, question de règlement.

Le Président: Question de règlement, M. le leader de l'Opposition.

M. Gendron: Vous savez, l'article est très clair. Un ministre doit dire au moins un mot de la question posée. Il vient de terminer - c'est pour cela que je le fais à la fin - et il n'a pas traité une seconde d'un des éléments de la question posée. Je sais bien qu'on peut dire à peu près n'importe quoi, mais il faut au moins toucher un élément de la question posée. La question portait sur les règlements et non sur la loi 101 qu'il a de la difficulté à comprendre.

M. Gratton: M. le Président.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: Sur la question de règlement.

Le Président: Sur la question de règlement.

M. Gratton: C'est une question d'opinion, à savoir si le ministre répond aux éléments de la question ou non.

Des voix: Non, non.

M. Gratton: Bien oui! On a des opinions différentes sur un tas de sujets et notamment sur celui-là, je n'apprends rien à personne. Et je semble apprendre à l'Opposition que l'article 81 dit: Aucun rappel au règlement ne peut être fondé sur le fait que la réponse à une question est insatisfaisante. Je ne sais pas ce que le leader de l'Opposition veut faire, s'il veut interrompre la bonne marche des débats, mais sa question de règlement n'était pas fondée.

Le Président: M. le député de Taillon, je vais vous reconnaître pour une autre question additionnelle. Et vous aurez toutes les questions additionnelles nécessaires pour qu'on réponde à votre question. M. le député de Taillon, en additionnelle.

M. Filion: M. le Président, j'aimerais que le ministre responsable de la loi 178 - je pense que c'est ainsi qu'on va l'appeler maintenant - arrête de finasser et réponde un peu plus aux questions légitimes de l'Opposition qui représente les préoccupations des citoyens aujourd'hui, au Québec.

Le Président: Votre question.

M. Filion: Ma question est simple, je vais la lui répéter une troisième fois. Quand les règlements seront-ils connus? Ces règlements sont finalement inconnus de tout le monde. Le ministre admet que seul le dépôt de ces règlements va permettre une discussion de son projet de loi qui, à sa face même, est inapplicable à cause du fait qu'il introduit trois concepts artificiels. Est-ce qu'il peut répondre à ma question?

Le Président: M. le ministre délégué aux Affaires culturelles. M. le ministre.

M/ Rivard: J'ai toujours des problèmes, M. le Président, avec les préambules du député de Taiilon et, en particulier, lorsqu'il dit qu'il parle au nom des Québécois. Je ne sais pas si le député de Taillon, quand il fait cela, le fait comme membre de l'Opposition de cette Chambre ou comme membre du Parti québécois qui, lors d'un certain congrès national, a affiché, en matière linguistique, une intransigeance qui a été soulignée par tous comme étant intolérable.

Pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, M. le député de Taillon, je voulais me servir de deux concepts, les mêmes concepts au sujet desquels vous parlez de je ne sais pas quoi, de non-clarté....

Le Président: Brièvement, M. le ministre.

M. Rivard: ...d'artificialité. Le concept de la prédominance, vous l'aviez mis dans l'article 24 de la loi 101 et le concept de la distinction entre extérieur et intérieur, vous l'aviez, dès 1977, dans l'article 60. Lorsque vous avez quitté le pouvoir en 1985 à la suite des élections que vous savez...

Le Président: Conclusion, M. le ministre.

M. Rivard: ...vous n'aviez toujours pas défini par règlement ce que ça voulait dire.

Le Président: M. le député de Taillon, en additionnelle.

M. Filion: Incroyable, M. le Président!

Quand les règlements seront-ils connus? Je pense que ce sont des mots qui sont dans le dictionnaire. Ce n'est pas compliqué. Pourquoi ces territoires linguistiques, ces ghettos linguistiques que vous avez évoqués hier dans votre conférence de presse? Répondez donc à mes questions.

Le Président: M. le ministre délégué aux Affaires culturelles. M. le ministre.

M. Rivard: Je n'ai, en aucune façon, utilisé de tels mots "territoires, ghettos linguistiques". Et, en ce qui concerne la réglementation, elle viendra, comme je l'ai dit tout à l'heure, en son temps.

Le Président: M. le chef de l'Opposition, en additionnelle.

M. Chevrette: M. le Président, si les règlements viennent à un moment X, entretemps, il y a un vide juridique. Quelle est l'urgence d'adopter une loi en cette Chambre sous prétexte qu'il y a un vide juridique si le vide juridique persiste tant et aussi longtemps que les règlements ne seront pas connus?

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: M. le Président, d'abord, je voudrais simplement signaler au chef de l'Opposition... Je lui ai dit que je vérifierais la déclaration qu'il a faite hier - je peux me permettre de lui répondre - quand il m'a contredit sur le fait qu'il n'avait jamais dit que l'affichage unilingue français... Je le réfère à la page 5629...

M. Gendron: Question de règlement, M. le Président.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président: Question de règlement, M. le leader de l'Opposition.

M. Gendron: Oui, très simplement. L'article 79 dit: "La réponse à une question doit être brève, se limiter au point qu'elle touche..." Que je sache, sur la question additionnelle, d'abord, qui s'adressait à l'irresponsable de la langue française...

Des voix: Ah, ah!

M. Gendron: ...c'est le premier ministre qui répond et, en conséquence, on n'a jamais demandé...

Des voix: Ah, ah!

Le Président: À l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Gendron: ...au premier ministre de faire une correction par rapport aux galées d'hier.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Votre question de règlement, M. le leader de l'Opposition.

M. Gendron: Ma question de règlement. Très simplement, nous ne croyons pas que le premier ministre peut se lever en cette Chambre... Il a le droit de se lever à la suite de questions posées à la période de questions, mais les compléments de réponse, c'est après la période de questions. Quant aux corrections à la suite de quelque chose dit hier, nous aussi, on a accès aux galées, on a droit encore à ça. Dans ce sens-là, on peut très bien aller vérifier ce qui se passe. Le premier ministre n'a pas à apporter des corrections à une question qui n'est pas posée aujourd'hui.

Une voix: Ça fait mal pareil.

M. Bourassa: M. le Président, pour compléter la réponse. J'ai le droit de répondre d'une façon additionnelle. Je dis simplement, en passant, que si on lit le texte d'hier...

Le Président: M. le premier ministre... M. Bourassa: Oui.

Le Président: ...si c'est la réponse à la question de M. le chef de l'Opposition, je vous reconnais le droit de parole. Si c'est en complément ou en additionnelle sur une question qui a été posée hier à la fin de la période de questions, je vais vous reconnaître pour que vous puissiez apporter les éléments additionnels à la question posée par M. le chef de l'Opposition hier.

M. Bourassa: J'aurai l'occasion de démontrer le flagrant délit de mensonge du chef de l'Opposition.

Des voix: Hé! Hé!

Une voix: Qu'il retire ses paroles.

Le Président: Avant que je vous reconnaisse, M. le chef de l'Opposition, M. le premier ministre, ce sont des propos qui ne sont pas permis en cette Chambre.

M. Bourassa: D'accord.

Le Président: Je vous demanderais de les retirer.

M. Bourassa: Flagrant délit d'inexactitudes.

Une voix: Une utilisation abusive de la langue.

M. Bourassa: M. le Président, ce que je veux dire, c'est que...

M. Chevrette: Un peu de dignité! Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Cela dit, M. le premier ministre. (10 h 30)

M. Bourassa: M. le Président, encore une fois, nous sommes d'accord, le chef de l'Opposition et moi-même. Ce que je veux lui dire, c'est qu'il y a beaucoup de commentaires qui sont faits sur la question du vide juridique, le dépôt du projet de loi. Ce que je veux dire au chef de l'Opposition, c'est que, dans le jugement, à la page 32, il est bien dit que la clause dérogatoire ne peut avoir un effet rétroactif. Nous sommes donc obligés de procéder parce que, si nous ne procédons pas, l'unilinguisme anglais... Je pense que personne en cette Chambre - on a ce consensus au Québec; M. Camille Laurin s'y référait hier - aucun député en cette Chambre n'est d'accord avec l'unilinguisme anglophone, non pas pour brimer la liberté d'expression, mais pour des raisons culturelles évidentes. Alors, ce que je dis à l'expert juridique, le député de Taillon qui connaît bien son droit, c'est que, dans le jugement, il n'y a pas d'effet rétroactif à la clause dérogatoire. Si le gouvernement n'agit pas, il y a ce vide qui permet toutes les formes d'affichage. C'est pourquoi nous sommes obligés... Je rencontre ce soir le Mouvement Québec français qui veut me faire reporter... Je les comprends et je les respecte. J'ai trouvé le temps de les rencontrer. Cet après-midi, je rencontre les dirigeants des grandes entreprises également. J'essaie d'être le plus disponible, mais il y a des réalités juridiques incontournables qui justifient l'action immédiate du gouvernement.

Le Président: M. le chef de l'Opposition, en additionnelle.

M. Chevrette: Au-delà de l'ordre du jour du premier ministre, M. le Président, la question était la suivante. Compte tenu du fait qu'il y a un vide juridique et que vous vous sentiez obligé d'agir rapidement - en ce qui regarde l'extérieur, c'est le maintien de la loi 101 par l'utilisation du "nonobstant" - quant à l'intérieur, et c'est là où le bât blesse, vous dites vous-même que, tant et aussi longtemps que les règlements ne seront pas entérinés, il n'y aura pas de poursuites possibles puisqu'il n'y aura pas de règlements sur lesquels on pourra s'appuyer. À ce moment-là, qu'est-ce qui vous empêche d'utiliser la technique légale qu'on vous suggérait, une certaine forme de statu quo temporaire, et, comme mon collègue Godin l'avait fait en 1983, de faire venir les groupes pour qu'ils s'expriment sur des règlements qui vont lier le Québec pour longtemps et qui risquent d'être la clef de l'anglicisa-tion?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: La question du chef de l'Opposition est compréhensible. Je lui ai dit que, à l'occasion de la commission plénière, nous pourrons examiner ces différents aspects: la question de la mise en application des règlements, la question de la protection, l'aspect de l'unilinguisme français lorsque c'était nécessaire. Il y aura moyen de discuter en commission plénière quand la loi commence à s'appliquer par rapport à la publication ou à l'acceptation des règlements. J'espère que le chef de l'Opposition sera rassuré à ce moment-là.

Le Président: M. le chef de l'Opposition, en additionnelle.

M. Chevrette: M. le Président, est-ce que le premier ministre prend l'engagement ferme de consulter tous les 'intéressés avant de mettre en application une réglementation aussi dangereuse sur le maintien de la langue française au Québec?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: Le chef de l'Opposition dit tous les intéressés. Cela peut être une liste très longue. Ce que je lui dis c'est que, sur le plan légal, nous allons établir une situation bien claire. On pourra discuter en commission plénière, pour rassurer ceux qui craindraient une application prématurée. Les modalités de la publication, les conditions de consultation, nous aurons amplement l'occasion de discuter à ce moment. Ce qui est important pour rassurer l'Opposition ou ceux qui pourraient être inquiets, c'est qu'il n'y ait pas d'application prématurée de la loi, indépendamment des règlements. Ceci peut se faire par des dispositions législatives.

Le Président: M. le député de Taillon, en additionnelle.

M. Filion: En espérant que le ministre responsable de la loi 178 aura retrouvé la langue.

Le Président: Votre question. À l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Taillon, votre question.

M. Filion: Je voudrais savoir du ministre responsable de la loi 178, qui ne veut pas me répondre sur les divisions territoriales et les nouveaux ghettos linguistiques, en vertu de quel

principe dans le projet de loi l'on fait en sorte que les certificats de francisation d'une entreprise commerciale de 50 employés et plus deviennent une prime à l'anglicisation? J'aimerais que le ministre m'explique le raisonnement qui a servi à faire en sorte que dans le projet de loi on dise que, si une entreprise de plus de 50 employés obtient son certificat de francisation, ça lui donne la possibilité d'afficher aussi en anglais à l'intérieur de son commerce.

Le Président: M. le ministre délégué aux Affaires culturelles.

M. Rivard: Ce qui est important, M. le Président, dans cet article de la loi 178 c'est l'effet. Une entreprise de 50 employés et plus au Québec est obligée, et il n'y a rien de changé là-dessus, d'avoir un certificat de francisation. Elle entre en négociation avec l'Office de la langue française pour établir ce qui, d'après l'Office de la langue française, correspond à un vrai programme de francisation, c'est-à-dire un programme qui va amener l'entreprise à fonctionner d'une façon réelle et durable en français.

Au cours de cette négociation, ce que dit dans le fond l'article auquel vous faites référence, c'est qu'il faudra que l'Office de la langue française s'assure, par exemple, qu'au plan de la langue d'accueil et des services, et je sais que le député de Taillon tient beaucoup à cet élément, la langue utilisée par ce grand commerce soit le français. Deuxièmement, étant donné que ce grand commerce dispose pour faire sa publicité de moyens qui sont beaucoup plus importants que le petit commerce...

Le Président: En conclusion, M. le ministre.

M. Rivard: ...via la publicité nationale, les catalogues, les dépliants, etc., l'intention, c'est de s'assurer que ce grand commerce n'utilisera pas le français là où ça ne correspond pas à un besoin d'information chez la clientèle, ou plutôt...

Le Président: Monsieur...

M. Rivard: ...n'utilisera pas l'anglais ou une autre langue là où ça ne correspond pas aux besoins du consommateur.

Le Président: M. le député de Taillon, en additionnelle. M. le député de Taillon.

M. Fition: Le ministre responsable de la loi 178 ignore-t-il que le suivi des certificats de francisation est tellement défaillant - et tout le monde le lui dit, y compris l'Office de la langue française - qu'en accollant maintenant une prime au bilinguisme à l'entreprise qui a son certificat de francisation on en fait maintenant des certificats de bilinguisation?

Le Président: M. le ministre délégué aux Affaires culturelles.

M. Rivard: Je pense que le député de Taillon fait référence au passé. Nous sommes en train depuis plusieurs mois - et cela avait été commencé par ma prédécesseure - de réviser tout le processus de francisation de l'entreprise. Notre intention est claire, notre engagement est clair, c'est de faire en sorte qu'au sein de la grande entreprise, puisque c'est de celle-là qu'on parle, on travaille en français et on serve la clientèle en français. Nous sommes en train de relancer le processus.

Le Président: Principale? Je vais reconnaître M. le député de Verchères, en principale.

Le projet de loi 178 et la solidarité ministérielle

M. Charbonneau: Le premier ministre peut-if nous dire si les règles de la solidarité ministérielle et de la ligne de parti vont s'appliquer pour le projet de loi 178?

Le Président: M. le premier ministre. M. le premier ministre.

M. Bourassa: Je trouve que la question est très opportune, étant donné que le vote aura lieu demain. Je me serais attendu qu'elle provienne du chef de l'Opposition. Je trouve un peu bizarre qu'elle vienne du député de Verchères. Mais, ce qui compte, c'est que la question soit justifiée.

Je voudrais dire au député de Verchères que j'ai quand même déjà répondu à cette question. Je ne crois pas, selon la tradition constitutionnelle, je ne connais aucun précédent pour ce qui a trait à la solidarité ministérielle. La politique présentée est celle du gouvernement. Je ne vois pas comment - même si je comprends très bien la position où se trouvent certains de mes collègues, je l'ai dit encore plusieurs fois, hier soir notamment - sur le plan théorique à tout le moins, la suspension des libertés fondamentales... Même si on peut discuter - j'aurai l'occasion de l'expliquer dans mon exposé lorsque je parlerai à l'Assemblée nationale - de la pertinence - avec tout le respect qu'on doit à la Cour suprême, d'inclure le discours commercial dans la liberté d'expression, H reste que la loi du pays - c'est ce que je disais l'autre jour au député de Terrebonne - décrète maintenant que le discours commercial fait partie de la liberté d'expression. (10 h 40)

C'est avec cette décision que nous avons à composer, cette décision que nous devons admettre. Donc, je comprends certains de mes collègues, très profondément perturbés par une décision comme celle-là dans la mesure où elle conclut à une clause dérogatoire qui se trouve à suspendre des libertés fondamentales de leur

communauté, de la communauté qu'ils représentent. J'ai eu l'occasion d'expliquer pourquoi je me croyais justifié, avec mes collègues, de le faire. Cela étant dit, ce n'est pas parce que la situation est extrêmement difficile, complexe et délicate que le principe de la solidarité ministérielle ne s'applique pas.

Le Président: M. le député de Verchères, en additionnelle.

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Est-ce qu'on comprend bien le premier ministre, qu'il n'y aura pas de ministres qui pourront s'abstenir ou voter contre et demeurer au sein du cabinet? Est-ce qu'on doit comprendre cela de la réponse du premier ministre?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: La question du député de Verchères est prématurée.

Le Président: M. le député de Verchères, en additionnelle.

M. Charbonneau: M. le Président, il faut se comprendre. Le premier ministre nous a donné une réponse, on essaie de savoir quelle est sa signification. Je lui repose la question: Est-ce qu'on doit comprendre de la première réponse du premier ministre que les ministres '■ne pourront pas s'abstenir ou voter contre et demeurer au sein du cabinet? C'est clair!

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: Je crois avoir été assez limpide dans ma réponse. Quant au reste, je dis simplement que, pour les autres questions, je réfère le député à l'article 117, paragraphe 2°...

M. Gratton: L'article 77.

M. Bourassa: ...l'article 77, paragraphe 2° - je me fie à mon expert parlementaire qui est à mes côtés - sur les questions hypothétiques, sur les questions spéculatives.

M. Gratton: C'est ça.

M. Bourassa: Le chef de l'Opposition s'apprête à me poser une question additionnelle, alors, avec tout le plaisir que ça veut dire pour moi, je lui laisse la parole.

Le Président: M. le chef de l'Opposition, en additionnelle.

M. Chevrette: M. le Président, le plaisir est d'amener le premier ministre à donner un élément de réponse. La question est la suivante et elle n'est pas hypothétique. Hier soir, il y a eu un vote enregistré sur le dépôt même de ce projet de loi. Tous les ministres anglophones étaient absents et tous les députés anglophones se sont retirés de cette salle. Est-ce que...

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le chef de l'Opposition, votre question.

M. Chevrette: M. le Président, je retire la dernière partie, il y en avait au moins un, je me souviens.

Cela dit, cela a peu d'importance, c'est la solidarité ministérielle qui compte en ce qui concerne la question et il n'y avait aucun ministre anglophone de présent. Est-ce que le premier ministre considère que l'abstention calculée ou pas constitue un acte de solidarité?

Le Président: M. le premier ministre.

M. Bourassa: D'abord, je répète au chef de l'Opposition, puisque normalement la question devait venir de lui, que la solidarité ministérielle est indivisible. Je lisais, ce matin, un journaliste très respecté qui me suggérait, pour dénouer l'impasse, que je puisse permettre possiblement l'abstention à mes collègues. Je cherche encore un précédent dans la tradition constitutionnelle qui nous gouverne comme système politique qui pourrait permettre à un chef du gouvernement de ne pas considérer la solidarité ministérielle comme un tout, comme étant indivisible. J'aimerais bien, parce que je comprends les collègues qui pourraient - j'espère que ça n'arrivera pas... Je comprends très bien les collègues de mon gouvernement qui représentent une communauté. Je pense à la communauté anglophone notamment. Je comprends très bien leur attitude vis-à-vis de la décision du gouvernement par rapport à leur communauté. Mais j'ai répondu tantôt au député de Verchères.

Quant au vote d'hier, je dis au chef de l'Opposition - je crois que le leader peut facilement confirmer mon point de vue là-dessus - qu'il s'agit du dépôt du projet de loi. C'est pour permettre la discussion. C'est différent, M. le Président, que de voter sur le principe. Quand on vote sur le principe, c'est une décision de fond. Mais est-ce que le chef de l'Opposition aurait voulu... Qu'est-ce que justifient ces conciliabules constants, au sein du Parti québécois?

Des voix:...

Le Président: M. le premier ministre. En conclusion, M. le premier ministre.

M. Bourassa: Si vous voulez comprendre, essayez d'écouter. Est-ce que le chef de l'Opposition aurait voulu que j'impose la règle de la solidarité ministérielle simplement sur le droit de discuter de cette question? Le dépôt, si je comprends bien, donne le droit de discuter. Et,

même sur le droit de discuter, je comprends que vous êtes un peu confus sur la liberté d'expression, sur ce que cela représente. Vous avez toujours été un peu confus là-dessus. Mais je crois qu'il faut distinguer et je termine, M. le Président...

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bourassa: II faut distinguer entre un vote sur le principe d'une loi et un vote pour pouvoir discuter de ce principe. Cela me paraît élémentaire.

Le Président: M. le whip de l'Opposition, en principale.

Le premier ministre du Manitoba et l'accord du lac Meech

M. Brassard: M. le Président, dans un geste non équivoque, le premier ministre du Manitoba a torpillé - c'est l'expression utilisée dans les journaux de ce matin - délibérément l'accord du lac Meech. La raison invoquée: Par la solution que le gouvernement du Québec a apportée au problème linguistique à la suite du jugement de la Cour suprême de jeudi dernier, le Québec, dit-il, violerait l'esprit du lac Meech. Il pousse même l'effronterie et l'outrecuidance jusqu'à invoquer les droits des minorités alors qu'on a assisté il n'y a pas si longtemps dans l'Ouest à l'anéantissement des droits des communautés francophones. Il faut le faire! Il ne faut pas être gêné, comme on dit. Le ministre responsable du dossier constitutionnel, enfin, le deuxième après Jean-Claude Rivest...

Des voix: Ha, ha!

Le Président: M. le whip de l'Opposition, votre question, s'il vous plaît!

M. Brassard: Le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes reconnaît-il que, finalement, pour le Canada anglais, ce qui importe dans l'accord du lac Meech, c'est la dualité linguistique comme caractéristique fondamentale du Canada et du Québec et que cela signifie concrètement pour le Québec d'accorder, de donner suite aux demandes de la communauté anglophone et que la notion de société distincte, comme on l'a toujours prétendu de ce côté-ci, n'est qu'un hochet insignifiant, un élément purement décoratif? Est-ce qu'il ne reconnaît pas que, pour le Canada anglais, l'accord du lac Meech signifie trois choses? Premièrement, donner satisfaction à toutes les demandes des anglophones du Québec; deuxièmement, ne rien donner aux minorités francophones hors Québec et, troisièmement, que la société distincte demeure vide de sens.

Des voix: Bravo!

Le Président: M. le ministre de la Justice et délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.

M. Rémillard: M. le Président, il est dommage que, de fait, on fasse le lien entre l'entente du lac Meech et ce projet de loi 178 sur la langue au Québec. C'est dommage, et 1 faut comprendre quand même cette décision du premier ministre Fil mon dans son contexte. Ce que faisait le gouvernement du Manitoba, c'était une discussion préliminaire qui aurait amené ensuite à des audiences publiques, probablement à la fin janvier ou au début février, et à un vote, ensuite, au mois de mars ou avril. Alors, on va voir ce qui va se passer et, s'il s'agit simplement de donner un certain délai pour permettre une discussion plus sereine dans ce contexte, on peut dire: Très bien, attendons un peu plus longtemps pour voir ce qui va se passer. Mais N est quand même dommage qu'on établisse ce lien entre l'entente du lac Meech et la situation que nous prenons quant à la protection de la langue française. (10 h 50)

Le Président: M. le whip de l'Opposition, en additionnelle.

M. Brassard: M. le Président, ce n'est pas moi qui fais le lien entre l'accord du lac Meech et le projet de loi 178, c'est le premier ministre du Manitoba. Est-ce que le ministre ne reconnaît pas que, pour le Canada anglais, l'accord du lac Meech ne sera acceptable qu'à la condition qu'au Québec on accorde tout ce que demande la communauté anglophone du Québec, qu'on soit d'une générosité sans limite à son égard et qu'à la condition que les communautés francophones du Québec ne voient pas leurs droits respectés hors Québec et prendre une forme concrète? Est-ce qu'il ne reconnaît pas que, pour le Canada anglais, l'accord du lac Meech ne sera acceptable qu'à ces conditions?

Le Président: M. le ministre de la Justice et délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes. M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, le député de Lac-Saint-Jean parle du Canada anglais. Je voudrais simplement lui dire qu'il s'agit d'une province, le Manitoba. Tout à l'heure, il le mentionnait lui-même et je suis d'accord avec lui, on n'a pas de leçon à recevoir de quiconque au Canada sur le sort que nous donnons à nos minorités et, en particulier, on n'a pas à en recevoir du Manitoba, je pense que c'est très clair.

D'autre part, tant que l'entente du lac Meech ne sera pas sanctionnée, ne fera pas partie de cette constitution du Canada pour reconnaître que nous sommes une société distincte et que ce pays est fondé sur deux communautés linguistiques, les francophones et les

anglophones, tant que ce ne sera pas reconnu, le Québec n'ira pas s'asseoir à une table de discussion constitutionnelle formelle pour refaire la constitution du Canada.

Le Président: M. le whip de l'Opposition, en additionnelle.

M. Brassard: M. le Président, justement, compte tenu de la vision très claire du Canada anglais sur l'absence de portée concrète de la notion de société distincte, comment le gouvernement du Québec peut-il continuer à soutenir, comme l'a fait le premier ministre récemment, que, si l'accord du lac Meech avait été en vigueur, il n'aurait pas eu besoin de recourir à la clause "nonobstant"? Comment peut-il soutenir une chose pareille alors qu'on se rend compte que l'interprétation du Canada anglais sur la société distincte, c'est de dire: On est d'accord à la condition que cela ne veuille rien dire, que ce soit insignifiant et vide de sens.

Le Président: M. le ministre de la Justice et délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: M. le Président, on ne peut pas se référer à l'accord du lac Meech pour discuter de ce projet de loi, puisqu'il n'est pas en application. Donc, la question est hypothétique. Et on n'avait pas à le considérer puisqu'il n'était pas en application. Donc, on ne l'a pas considéré. Cependant, c'est dommage que l'entente du lac Meech ne soit pas encore en application, parce qu'il y a aussi des droits pour les francophones hors Québec. Il y a des droits pour des minorités, que ce soient les droits des francophones hors Québec ou les droits de la minorité anglophone au Québec. Mais il y a des droits qui peuvent être protégés en fonction d'une charte des droits et libertés que nous avons. Et l'entente du lac Meech est là pour s'ajouter à cette charte, non pas pour aller à l'encontre de la charte. Elle est là pour parfaire cette charte en donnant un instrument qui permet d'interpréter la charte en fonction d'un aspect global qui se rapporte à la société. C'est cela que vous avez dans l'entente du lac Meech et c'est de cela qu'on a besoin le plus tôt possible dans la constitution du Canada.

Le Président: Je vais reconnaître Mme la députée de Maisonneuve pour une question principale.

L'indexation des prestations de l'aide sociale

Mme Harel: Merci, M. le Président. En 1982, au pire de la pire crise des pays industrialisés, le gouvernement précédent versait tous les trois mois l'indexation de l'aide sociale aux plus démunis. En 1986, durant l'année des vaches grasses du ministre des Finances, le gouvernement libéral abolissait l'indexation aux trois mois et l'établissait au 1er janvier seulement. Le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu peut-il cesser de jouer à la cachette avec cette question fondamentale? Le ministre peut-il dissiper le doute qu'il entretient depuis des semaines sur l'indexation, c'est-à-dire sur la nécessité de mettre la maigre subsistance de nos concitoyens à l'abri de l'augmentation du coût de la vie?

Le Président: M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

M. Bourbeau: M. le Président, je suis très heureux de voir que l'Opposition se préoccupe de l'indexation des prestations d'aide sociale, elle qui a refusé d'indexer les allocations familiales en 1985, tant les allocations pour personnes handicapées que les allocations de base. Elle avait également limité les augmentations d'indexation des allocations familiales pour les années 1984 et 1983, ce dont elle ne s'est jamais vanté.

M. le Président, en ce qui concerne les prestations d'aide sociale, j'ai dit à la députée de Maisonneuve, il y a quelques jours, que les sommes d'argent prévues pour les indexations sont dans le budget du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu et qu'il n'est pas question de les retirer.

Le Président: Je reconnais M. le député de Sainte-Anne en principale.

Programmes d'égalité en emploi pour les membres des communautés culturelles

M. Polak: Merci, M. le Président. Ma question s'adresse au ministre délégué à l'Administration et président du Conseil du trésor et concerne les programmes d'accès à l'égalité. Comme on le sait, les membres des communautés culturelles sont une composante importante de notre société. Il faut bien le constater, les membres des communautés culturelles peuvent faire l'objet de discrimination lorsqu'ils recherchent des emplois et posent leur candidature pour ces emplois. Ma question au ministre est la suivante: Est-ce qu'il peut nous indiquer ce que fait concrètement le gouvernement pour faciliter, aux membres des communautés culturelles, l'accès à l'emploi dans la fonction publique?

Le Président: M. le président du Conseil du trésor.

M. Johnson: M. le Président, je rappellerai que c'est le gouvernement précédent qui a introduit, en 1982, les programmes d'égalité en emploi pour les membres des communautés culturelles, au gouvernement du Québec. L'objec-

trf qui avait alors été fixé consistait en une présence de 9,5 % des communautés culturelles dans la fonction publique. Nous avons donc hérité de ce programme, y compris la responsabilité d'en évaluer les effets, ce qui a été complété à l'automne 1986. Nous avons alors constaté, malheureusement, que les progrès ne sont pas assez importants, les communautés culturelles ne représentant encore que moins de 4 % de l'effectif de la fonction publique.

Les moyens qui sont en place aujourd'hui et qui pourraient être renforcés font en sorte que l'Office des ressources humaines, par exemple, expédie systématiquement, aux associations culturelles des autres ethnies, des non parlant français, les avis de concours et de dotation d'emploi, que la plupart du temps les membres des jurys d'évaluation comprennent au moins un membre qui est issu des communautés culturelles lors de l'embauche, la détermination des critères d'embauché d'un candidat, que les ministères ont la responsabilité de soutenir l'apprentissage du français - évidemment, condition essentielle d'exercice dans la fonction publique - et qu'il y a maintenant des ouvertures afin de permettre, dans le cadre des emplois occasionnels, aux membres des communautés culturelles de se joindre à la fonction publique. Mais nous avons également découvert que la démarche n'était pas suffisamment encadrée et, il me ferait plaisir, M. le Président - je vois que c'est un peu long - de revenir, le cas échéant, si l'occasion m'en est donnée, pour expliquer ce que nous pouvons faire de plus.

Le Président: Je vais reconnaître Mme la députée de Groulx, en additionnelle.

Mme Bleau: M. le Président, j'aimerais demander au ministre quand il entend mettre ces programmes en application pour les membres de communautés culturelles.

Le Président: M. le président du Conseil du trésor.

M. Johnson: M. le Président, ce que j'indiquais fait appel à un échéancier qui nous amène, pour certains gestes concrets, à la fin de 1989. Nous avons déjà procédé - et c'est complété - à l'analyse des employés qui viennent des communautés culturelles, dans la fonction publique. Nous aurons à compléter, d'ici le printemps, l'analyse du marché, donc de la disponibilité des membres des communautés culturelles à se joindre à la fonction publique. Cela doit se faire sur la base du recensement de 1986, évidemment. Nous avons à examiner, d'ici six mois, le système d'emploi, la méthode employée pour embaucher les gens, mais nous avons surtout, récemment, retenu - et ça aide à cibler l'action - quelle est la clientèle que nous visons véritablement. Et nous avons arrêté, parmi huit ou neuf définitions de clientèles, celle constituée de gens de minori- tés visibles et celle dont la langue maternelle n'est pas le français. Ce sont là les deux clientèles spécifiques vers lesquelles nos efforts porteront.

Le Président: M. le député de Mercier, en additionnelle.

M. Godin: Est-ce que le ministre a des chiffres à nous proposer ou à nous soumettre quant aux résultats de sa performance en ce qui concerne l'entrée des minorités culturelles dans le gouvernement? Est-ce qu'il suit le dossier de près ou bien juste à tous les ans?

Le Président: M. le président du Conseil du trésor. (11 heures)

M. Johnson: J'applaudis moi aussi, l'intérêt du député de Mercier dans cette question et je partage son souci. Comme ministre responsable des 50 000 employés et plus de la fonction publique, il m'apparaft important que la fonction publique reflète la réalité du Québec. À ce titre, nous avons découvert, alors que la cible fixée par le gouvernement précédent était de 9,5 % d'effectifs, que nous en sommes à 3,9 %. Je dirais que, depuis octobre 1986 à mars 1988, pour répondre spécifiquement à la question, alors qu'on a pu constater un gel virtuel des effectifs dans la fonction publique, il y a eu une croissance mince, mais une croissance des effectifs venant des communautés culturelles, de 2017 à 2080. C'est très peu, mais, pendant ce temps-là, la fonction publique ne croissait pas. Deuxièmement et finalement, oui, M. le leader de l'Opposition, il faut savoir que la détermination à savoir si un employé du secteur public est un membre ou pas d'une communauté culturelle repose sur sa divulgation volontaire de son statut. Nous ne pouvons pas forcer les gens à indiquer si, oui ou non, ils se considèrent membres de communautés culturelles.

Le Président: Je vais reconnaître, en septième principale, M. le leader de l'Opposition.

Session plus courte au collège Mahe-Victorin

M. Gendron: Dans une lettre, récemment, au ministre de l'Enseignement supérieur, le Conseil des collèges soulignait l'importance de respecter la règle de 82 jours de classe, jugeant celle-ci comme étant essentielle pour valider une session collégiale. Le ministre a lui-même exigé, d'ailleurs, que les jours perdus lors de la grève étudiante soient repris afin que la session ait partout une durée de 82 jours de classe, tel que prescrit dans le règlement sur le régime pédagogique des études collégiales. Le ministre peut-il dès lors nous expliquer comment le collège Marie-Victorin a pu donner, lui, en 1987 et 1988 et probablement au cours d'années antérieures, à plusieurs centaines d'étudiants, un programme

régulier de diplôme d'études collégiales en lettres, bien sûr, au dire du collège, s'étalant sur des sessions d'une durée moyenne de 56 jours l'automne et de 48 jours l'hiver?

Le Président: M. le ministre de l'Éducation et ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science.

M. Ryan: Ainsi que les députés le savent, j'avais été saisi, il y a plusieurs mois, d'allégations sur certaines pratiques administratives du collège Marie-vïctorin. J'ai fait faire une enquête par un expert du ministère de l'Éducation, M. Pouliot, lequel m'a remis un rapport il y a à peu près un mois et demi. Dans son rapport, M. Pouliot conclut que certaines pratiques du collège Marie-vïctorin n'étaient pas conformes à l'idée qu'on devait s'en faire. Il a présenté des recommandations. Je l'ai déjà indiqué à cette Chambre, ses recommandations présentent des problèmes au point de vue légal. J'ai confié aux services juridiques des deux ministères que je dirige l'examen de toutes les implications légales de cette question et je peux assurer le député d'Abitibi-Ouest que, dès que nous aurons terminé le travail très absorbant que nous avons dû faire ensemble depuis deux mois autour du projet de loi 107, ce sera l'une de mes premières priorités de clore ce dossier en janvier.

Le Président: Fin de la période régulière des questions et réponses orales.

Je vais maintenant procéder aux votes reportés. Il n'y en a pas ce matin.

Motions sans préavis.

Avis touchant les travaux des commissions. M. le leader du gouvernement.

Avis touchant les travaux des commissions

M. Gratton: M. le Président, trois commissions siégeront aujourd'hui. D'abord, après les affaires courantes jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures à 24 heures, à la salle Louis-Joseph-Papineau, la commission de l'éducation poursuivra l'étude du projet de loi 107 et pourra, si elle le termine, aborder l'étude détaillée du projet de loi 58, Loi modifiant la Loi sur le ministère de l'Éducation. Aux mêmes heures, à la salle Louis-Hippolyte-Lafontaine, la commission du budget et de l'administration poursuivra l'étude détaillée du projet de loi 70, Loi sur les caisses d'épargne et de crédit; donc, ce matin, cet après-midi et ce soir. Et, après les affaires courantes jusqu'à 13 heures et de 15 heures à 18 heures, à la salle du Conseil législatif, la commission de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation poursuivra l'étude détaillée du projet de loi 100, Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole.

M. le Président, en dérogation à l'article concernant la convocation des intéressés dans le cadre de l'étude détaillée des projets de loi d'intérêt privé et avec, évidemment, le consentement des membres de l'Assemblée, notamment de l'Opposition, je voudrais donner les avis suivants: que, le jeudi, 22 décembre 1988, après les affaires courantes jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures à 24 heures, à la salle Louis-Joseph-Papineau, la commission de l'aménagement et des équipements entendra les intéressés et procédera à l'étude détaillée des projets de loi d'intérêt privé suivants dans l'ordre indiqué: d'abord, le projet de loi 255, Loi modifiant la charte de la ville de Montréal, et, ensuite, le projet de loi 207, Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur IHe de Montréal, qui a, d'ailleurs, été déposé ce matin. Le vendredi 23 décembre 1988, après les affaires courantes jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18 heures et, si nécessaire, de 20 heures à 24 heures, à la même salle, ladite commission entendra les intéressés et procédera à l'étude détaillée du projet de loi 258, Loi modifiant la charte de la ville de Québec.

Le Président: Quant aux avis faits par M. le leader du gouvernement, est-ce qu'il y a consentement, M. le leader de l'Opposition?

M. Gendron: II y a consentement.

Le Président: II y a consentement. M. le leader du gouvernement. Renseignements sur les travaux de l'Assemblée, M. le leader de l'Opposition?

M. Gendron: Non.

Le Président: Est-ce qu'il y a autre chose, M. le leader du gouvernement?

Nous allons procéder aux affaires du jour. M. le leader du gouvernement, je vous reconnais.

M. Gratton: Oui, M. le Président, tel que le stipule la motion adoptée hier, je vous prie d'appeler l'article 17 du feuilleton, s'il vous plaît.

Projet de loi 178 Reprise du débat sur l'adoption du principe

Le Président: À l'article 17 du feuilleton, il s'agit de la reprise du débat proposant l'adoption du principe du projet de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française, qui avait été ajourné hier par M. le leader adjoint du gouvernement. Je suis prêt à reconnaître le premier intervenant, Mme la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles.

Mme Lise Bacon

Mme Bacon: M. le Président, nous intervenons dans un débat qui historiquement au Québec a pris toute son importance du fait que

la langue française au Québec constitue en soi une démarche d'affirmation à la fois collective et individuelle. Pour ma part, j'estime qu'à ce stade-ci du débat il est essentiel d'enlever tout élément dramatique autour de la question linguistique. L'avenir de la langue française au Québec dépend, d'abord et avant tout, de ceux et celles qui en font usage, et j'estime encourageantes l'ensemble des statistiques se rapportant à cette question qui indiquent une nette progression tant quantitative que qualitative de l'usage du français au Québec.

Qu'il s'agisse de la langue du travail, de la langue utilisée à la maison ou à l'école ou de celle utilisée aussi dans les administrations publiques et parapubliques, il n'y a pas de doute dans mon esprit que l'utilisation massive et croissante de la langue française au Québec ne fait que refléter cette volonté d'une société majoritairement francophone qui s'identifie à cette spécificité québécoise sans, pour autant, rejeter les droits et besoins des minorités anglophones et allophones. À cet égard, M. le Président, l'éditeur adjoint du quotidien La Presse exprime de façon pertinente, dans son édition du 10 décembre dernier, l'état de la situation quant à la démarche de cette affirmation, affirmation collective et individuelle du Québec, quand il dit ceci: "Le Québec est reconnu comme une société libre, démocratique, accueillante, tolérante, qui reconnaît à tous les citoyens le droit à la liberté d'expression dans leur langue, même s'il a jugé nécessaire de recourir à une loi pour protéger son identité culturelle et linguistique".

M. le Président, depuis la Révolution tranquille des années soixante, période qui donna naissance au ministère des Affaires culturelles, la prise de conscience des Québécois de leur identité culturelle connaît une croissance constante. Cette prise de conscience doit aussi tenir compte de la réalité sociolinguistique. Au Québec, nous sommes 80 % de francophones, mais, sur le continent, le rapport de forces est largement inversé; d'où l'état toujours fragile de nos progrès dans les efforts de francisation. C'est exactement dans ce sens que le gouvernement du Québec a entrepris sa propre démarche dans la définition d'une politique globale en matière linguistique. Lors de la dernière campagne électorale, en 1985, notre formation politique s'est engagée à améliorer la qualité de vie économique, la qualité de vie sociale et culturelle au Québec et ce, pour l'ensemble de la population. C'est ainsi que l'action du gouvernement du Québec fut axée autour de trois priorités: la force de son économie, la paix sociale et la stabilité politique. (11 h 10)

Quant à la question linguistique, le gouvernement du Québec estime qu'elle doit transcender tous les secteurs qui caractérisent notre vie de société. La société québécoise diffère spécifiquement par son histoire, par sa culture. C'est pourquoi elle s'est dotée de lois et de moyens susceptibles de répondre à des objectifs de développement de la langue française, tout en tenant compte d'une caractéristique propre au Québec, soit sa diversité.

Cette diversité, le Québec en est fier, du fait qu'il est devenu une terre d'accueil pour les communautés autres que francophone. La structure d'accueil des immigrants, le réseau d'institutions sociales, d'institutions culturelles favorisent la promotion des cultures autres que francophone dans des domaines aussi divers que l'éducation, les loisirs, l'économie, confirmant ainsi que ces cultures constituent une force au sein d'une société distincte et majoritairement francophone.

L'État québécois et la majorité francophone du Québec n'ont jamais nié le droit des autres communautés d'exprimer pleinement leur culture. C'est là une question de bon sens qui se reflète à travers notre mode de vie. Bien au contraire, cette majorité apprécie l'apport des autres cultures qui contribuent à la diversité québécoise.

Cependant, des impératifs socioculturels, comme la protection du visage français, la promotion de notre langue, constitueront toujours une ligne de démarcation dont nulle communauté ne pourra se soustraire à cause d'une certaine peur d'altérer le sens de la culture française au Québec. Il y va aussi de l'affirmation de l'identité culturelle du Québec de promouvoir son visage français. Depuis qu'il a été élu le 2 décembre 1985, le gouvernement du Québec a agi de façon responsable dans le dossier linguistique.

L'ancien gouvernement du Parti québécois n'était pas en mesure d'agir en fonction de cette diversité puisqu'il gérait une idéologie qui le conduisait à une étroitesse telle dans ses politiques et orientations qu'il ne tenait pas compte ou très peu des communautés autres que francophone. Le gouvernement du Québec n'a pas été insensible jusqu'à maintenant aux revendications des groupes culturels. À cet égard, notre gouvernement a tenu deux importants engagements sur la question linguistique. D'une part, afin de mieux reconnaître les communautés anglophone et allophones, le gouvernement a accordé l'amnistie aux étudiants illégalement inscrits aux écoles anglaises. D'autre part, le gouvernement a présenté la loi 142 à l'Assemblée nationale en 1986, loi qui visait à assurer aux anglophones l'accès dans leur langue aux services dans le réseau de la santé. Pourtant, la situation du français au Québec ne s'est pas altérée outre mesure, non plus que son visage a pu être défiguré en raison de ces deux mesures législatives.

M. le Président, la question linguistique continuera de faire l'objet d'un dialogue constant et ce, dans la mesure où elle transcendera les lignes des différentes formations politiques. La langue française ne doit pas être l'apanage d'un parti politique quel qu'il soit, mais plutôt appartenir à tous ceux et celles qui la parlent. De même, l'on conviendra que la responsabilité de la

protection et de la promotion d'une langue de qualité ne revient pas uniquement à l'État. Une part importante revient tout naturellement aux organismes socio-économiques ou culturels de notre société et, à la limite, à chacun des citoyens et des citoyennes qui composent les groupes économiques ou culturels du Québec.

Pour sa part, le gouvernement du Québec a un rôle de gardien et de promoteur de cette langue. Depuis qu'il a été élu, notre gouvernement a assuré ce rôle de catalyseur en matière culturelle dans son ensemble et pour les questions qui touchent l'économie en général. Tel était l'essentiel du mandat qui nous avait été confié par la population en décembre 1985.

Enfin, le gouvernement du Québec appuie sans réserve le point de départ de la Charte de la langue française qui se trouve tout naturellement inscrit dans son préambule, laquelle charte fait de la langue française une "langue distinc-tive d'un peuple majoritairement francophone", ce qui "permet au peuple québécois d'exprimer son identité". L'Assemblée nationale a reconnu cette volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle s'est résolue à faire du français la langue de l'État et de la loi, aussi bien que la langue habituelle et normale du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Conformément à l'esprit de la Charte de la langue française, le gouvernement du ^Québec a poursuivi cet objectif dans un esprit, de justice, dans un esprit d'ouverture, dans le respect des institutions de la communauté québécoise d'expression anglaise et des minorités allophones dont elle reconnaît l'apport précieux au développement du Québec.

Pourtant, cette reconnaissance des autres minorités linguistiques au Québec n'a pas empêché le gouvernement de tenir compte de l'environnement linguistique culturel et particulier du Québec en donnant à la société québécoise des moyens additionnels de défense et de protection de son identité. En 1988, nous en sommes rendus à un point où la francisation des entreprises est bien comprise tant par les dirigeants que par les employés oeuvrant dans tous les secteurs de l'activité économique.

La législation québécoise à l'égard de l'entreprise est claire. La loi demande aux grandes et aux moyennes entreprises de procéder à l'analyse de leur situation linguistique et d'appliquer s'il y a lieu, un programme de francisation qui a pour but la généralisation de l'utilisation du français à tous les niveaux de l'entreprise. Ce volet de la Charte de la langue française était destiné à contrer un problème historique dans l'économie québécoise et ce, en ce que les entreprises utilisaient couramment l'anglais dans leurs communications aussi bien orales qu'écrites.

Le dynamisme du français au Québec se manifeste également dans le secteur de l'éducation, secteur où on a, justement, remarqué que le phénomène de l'immigration s'accentue. Le gouvernement du Québec a dû être très sensible à l'intégration des Néo-Québécois à la majorité francophone. Le gouvernement québécois semble aussi avoir réussi à atteindre un objectif fondamental quant à la fréquentation de nos institutions scolaires dans le secteur français. En effet, la proportion des élèves inscrits à l'école primaire à l'enseignement du français a atteint plus de 89 % de la population totale fréquentant l'école primaire. De plus, on a noté une augmentation de l'enseignement du français chez les jeunes allophones. Selon le Conseil de la langue française, en 1986-1987, 64 % des enfants aliophones étaient inscrits au secteur français, comparativement à environ 20 %, il y a quelque dix ans. On a donc une nette progression du français dans ce secteur d'activité, ce qui augure bien pour les générations à venir.

Quant aux organismes régissant la Charte de la langue française, j'ai mentionné à plusieurs reprises, à l'époque où j'assumais la responsabilité de l'application de la Charte de la langue française, que l'ensemble du processus de traitement des plaintes ou des demandes d'enquête provenant de citoyens ou de groupes de citoyens devait être restauré. Le problème se situait, d'abord et avant tout, dans les méthodes de sélection, de classification, de traitement des plaintes qui étaient expédiées à l'Office de la langue française, lesquelles devaient être aussi listées par informatique et envoyées à la Commission de la protection de la langue française afin d'être jugées acceptables sur le plan juridique et dirigées vers le Procureur général.

Le gouvernement du Québec demeure sensible quant au dynamisme du français au Québec. À cet égard, quatre principes guident son action en vue de la promotion et de la protection de la langue française. Premièrement, il est acquis que le français est la langue normale, habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Deuxièmement, le territoire québécois doit conserver son visage français. Troisièmement, révolution démographique du Québec et, en particulier, les équilibres démographiques entre les groupes linguistiques peuvent être assurés par des politiques d'immigration et d'intégration qui sont appropriées. Quatrièmement, la société québécoise reconnaît les droits et les institutions de ces minorités linguistiques.

À cet égard, M. le Président, la majorité francophone reconnaît que les pas accomplis par les minorités du Québec en vue de s'intégrer à la culture francophone furent réels au cours des dernières années. Le présent gouvernement désire que le dialogue se poursuive pour faire en sorte qu'un rapprochement toujours plus réel ou plus visible entre les principales communautés linguistiques du Québec, se réalise. (11 h 20)

Au sujet de l'affichage commercial, M. le Président, le consensus semble établi dans la

société québécoise, à savoir que le français soit obligatoire et prioritaire. Le rôle du gouvernement est de s'assurer qu'un consensus suffisamment large se concrétise dans le cadre de la protection et de la promotion de la langue française et d'assurer le respect des minorités auprès des francophones.

Pour y parvenir, il est clair que le gouvernement compte sur ce sentiment d'assurance, ce sentiment de confiance que les Québécoises et les Québécois ont en leur identité culturelle et qui est en constante progression et cela, dans un contexte d'équilibre et de maturité que nous constatons déjà au Québec. Mais, au-delà des modalités d'application en faveur d'une option linguistique ou d'une autre, le gouvernement du Québec est profondément convaincu que sa capacité d'être et de devenir une société toujours plus moderne est importante, aussi bien pour la majorité francophone que pour les autres minorités. En ce sens, le gouvernement du Québec se doit de préserver la langue et la culture françaises au Québec en allant jusqu'à la limite de ses possibilités pour respecter les autres minorités linguistiques. La réponse du gouvernement du Québec se situe dans une perspective de justice et d'équité que notre formation politique a affirmée et affirmera davantage dans sa politique d'ensemble à venir, au début de 1989, et ce, en conformité avec les valeurs qui sont profondément ancrées au sein de la société québécoise.

Du même coup, le gouvernement ajoute qu'il entend demeurer également ouvert à l'égard de ces minorités qui contribuent chaque jour à l'enrichissement de son patrimoine, tant économique que social et culturel. C'est facile d'adopter une attitude bornée; on dit noir, on dit blanc, on dit bon, on dit méchant, on dit tout en français, rien en anglais. C'est facile aussi de régler les problèmes en tout ou bien quand on n'a pas la responsabilité de ta décision, mais cela ne reflète pas la réalité.

Maintenant que la décision est prise et qu'elle sera adoptée, il est temps, je pense, pour tout le monde d'être réaliste. Je trouve profondément ambigu, pour ne pas utiliser un autre terme, je sais que le député de Taillon me regarde... L'Opposition péquiste a joué les vierges offensées, le défenseur de la veuve et de l'orphelin, quand on sait que la loi 101, dans ce qu'elle a mis de l'avant, est pleine de cas d'exception et ça, le député de Taillon le sait. Notre proposition est fondée sur le bon sens; elle est fondée sur l'équilibre de la réalité québécoise. Je sens déjà que la population comprend la position gouvernementale.

Aujourd'hui, dans son projet de loi - il est important de bien saisir la perspective de ce débat - le gouvernement doit protéger le visage français du Québec, promouvoir l'épanouissement de la culture française d'ici et ici. Toutefois, l'apport considérable des différentes minorités linguistiques se doit d'être pris en considération.

La solution que nous proposons va en ce sens. C'est une solution d'équilibre, une solution dynamique, une solution qui fait appel au respect et à la maturité des diverses communautés linguistiques au Québec. C'est pourquoi I m'ap-paraît important que nous adoptions cette solution et je l'espère unanimement, M. le Président.

Le Vice-Président: Alors, nous allons poursuivre ce débat avec l'intervention de M. le député de Taillon.

M. Claude Filion

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Quel discours de la vice-première ministre qui, on le sait, a été responsable du dossier de la loi 101 pendant un certain temps! D'abord, avant d'être responsable du dossier de la loi 101, elle a voté contre la loi 101 en 1977. Deuxièmement, pendant qu'elle était responsable de la loi 101, elle est arrivée avec deux projets de loi à l'Assemblée nationale: le projet de loi 140 qui visait à bâillonner les organismes chargés de défendre et de promouvoir la langue française au Québec et le projet de loi 142 qui visait à conférer des droits aux anglophones pour leurs services de santé et leurs services sociaux, alors que les mêmes droits n'existent pas pour la communauté francophone au Québec. Quel beau discours, mais, malheureusement, c'est un discours qui n'est soutenu par absolument aucune décision concrète qu'a prise ce gouvernement depuis trois ans.

Encore une fois, je pense que le discours illustre un peu la tendance angélique suicidaire du gouvernement de dire: On est beaux, on est forts au Québec. Bien sûr, la communauté francophone se porte bien, sauf que cela a pris les savants juges de la Cour suprême pour vous rappeler que le français était menacé au Québec. Sinon, on aurait pu croire que cette constatation vous avait échappé. Finalement, ce qu'on entend, M. le Président, de toutes les interventions de l'autre côté de la Chambre, ce sont des mots qui sont utilisés à l'intérieur d'un double langage continuel qui a commencé durant la campagne électorale, qui s'est poursuivi dans le programme électoral du Parti libéral et, croyez-le ou non, double langage qui s'illustre même dans les notes explicatives du projet de loi.

Vous savez, M. le Président, j'ai eu l'honneur, au nom de l'Opposition officielle, de déposer le projet de loi 191 qui contenait également deux clauses dérogatoires aux chartes québécoise et canadienne. Le gouvernement libéral a déposé hier un projet de loi qui contient également deux clauses dérogatoires à ces chartes. Pour bien montrer jusqu'où peut aller le double langage et la confusion des libéraux, dans les notes explicatives du projet de loi 191, on décrit le projet de loi. Ce n'est pas un communiqué de presse de M. Poupart; ce sont les notes

descriptives du contenu du projet de loi, qui sont généralement rédigées à la base de façon juridique, mais pour être compréhensibles. Dans le projet de loi 191, il y a deux clauses dérogatoires et le dernier paragraphe le dit clairement: "Le projet de loi a pour objet d'insérer dans la Charte de la langue française des dispositions expresses donnant effet aux articles 58 et 69 indépendamment des dispositions de l'article 3 de la Charte des droits et libertés et de celles de l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1982 (...) et ce, afin de maintenir les dispositions actuelles de la charte qui prévoient..." Donc le projet de loi 191 dit clairement qu'il faut soustraire la Charte de la langue française à l'application de la Charte des droits et libertés de la personne.

Le gouvernement libéral, par la voix de son ministre responsable de la loi 178, parce qu'il n'y a plus de l'autre côté de la Chambre de ministre responsable de la loi 101, dans ses notes explicatives, nous dit ceci pour décrire ces deux clauses dérogatoires: "Enfin, ce projet comporte une disposition visant à assurer la sécurité juridique de certaines des règles qu'il propose." Cela peut paraître insignifiant, mais ceux qui suivent le débat linguistique depuis le début savent à quel point la rédaction mielleuse des notes explicatives du projet de loi déposé par le ministre recèle cette espèce d'équivoque, d'ambivalence, de confusion, de jonglerie et d'acrobatie que le gouvernement libéral montre en matière linguistique depuis qu'il a pris le pouvoir le 2 décembre 1985 et cela - je l'ai expliqué à de multiples reprises en cette Chambre, ce n'est pas mon intention d'y revenir - à cause du double langage électoral du premier ministre lors de la campagne électorale, qui s'est poursuivi durant trois ans. Trois ans durant lesquels, évidemment, le gouvernement libéral n'a strictement rien fait pour défendre, promouvoir et faire rayonner la langue française au Québec. Rien!

La première mesure concrète, véritable qui aurait pu favoriser le français aurait été l'introduction de clauses dérogatoires claires et nettes aux dispositions sur l'affichage. Mais le bilan net du projet de loi que nous sommes en train d'étudier, le projet de loi 178, contenu à l'article 58.1 du projet de loi, évidemment à l'article 1 du projet de loi, est de faire en sorte de permettre l'affichage bilingue à l'intérieur. On aura beau jeter de la poudre aux yeux des citoyens et citoyennes du Québec, on aura beau sortir des formules entortillées, enfirouâpées, faire les manèges qu'on veut pour créer l'impression d'un cirque, il restera que le bilan clair et net du projet de loi 178, c'est de permettre l'affichage bilingue à l'intérieur des commerces. Et cela, pour la langue française au Québec, c'est un net recul. (11 h 30)

On sait que, de l'autre côté, en ce qui concerne certains ministres anglophones, il y a des questions existentielles qui se posent. Je ne suis pas d'accord avec eux, mais je les com- prends. S'ils examinent le projet de loi 178 clairement, non pas de façon pessimiste ou optimiste, mais de façon réaliste, le bilan net de la loi 178 est de faire en sorte d'introduire, par l'intérieur des commerces l'anglicisation de ces mêmes commerces et cela, ça restera inadmissible. En dehors de toutes les théories, de toutes les conférences de presse, de tous les dérapages du ministre, de toutes les bulles du premier ministre et de toutes les tentatives pour ramasser tout le monde en même temps, il restera que c'est cela, le bilan net. Et je défie n'importe qui en cette Chambre de se lever pour dire le contraire. Il n'y a rien dans le projet de loi pour favoriser le français d'aucune façon. Au contraire, on légitime, on légalise l'entrée de l'anglais dans l'affichage, avec tout ce que cela comporte. Donc, il s'agit d'un net recul pour le fait français au Québec.

De plus, cette disposition, ce bilan va directement à rencontre des objectifs énoncés dans le préambule de la loi 101, à savoir de faire du français la langue commune et habituelle des communications, du commerce et des affaires. Avec l'affichage bilingue maintenant introduit par le gouvernement libéral, on admet que la langue commune, le dénominateur commun, notamment pour les immigrants, c'est l'anglais. Et cela restera au-delà de toutes les péripéties du caucus libéral, au-delà des déclarations des ministres francophones ou anglophones, le bilan net du projet de loi 178.

De plus, cette solution pernicieuse que contient le projet de loi 178, à cause de la formule intérieur-extérieur qu'on a adoptée, revient à dire que l'âme québécoise est maintenant semblable à un visage à deux faces. Je vais vous le dire, M. le ministre, cela ne peut pas durer au Québec. Et de la même façon que la loi 22 n'a pas duré longtemps, je vous dis que le projet de loi 178, qui sera probablement adopté avec la loi du nombre, ne durera pas longtemps non plus parce qu'à la base, cela n'a pas de sens, cela envoie des messages confus, obscurs et alambiqués à tout le monde en même temps.

C'est cela, le projet de loi 178: un visage à deux faces, probablement le reflet de l'embarras du premier ministre dans le dossier linguistique, qu'il avait confié, à l'époque, à un animateur de radio et qui s'est poursuivi pendant trois ans. Jamais on n'a vu chez cet homme, qui pourtant est le seul dirigeant d'un pays francophone, le Québec, le commencement d'une ombre de conviction. Il aurait pu trancher. Il nous a entretenus pendant quelques semaines de son embarras vis-à-vis de la liberté d'expression, des droits individuels et des droits collectifs. Comme s'il n'avait pas saisi que, finalement, les droits collectifs sont beaucoup plus que la somme des droits individuels des citoyens, de la même façon qu'une collectivité est beaucoup plus que la somme des individus. Comme si le premier ministre, dans une jonglerie, avait tenté de ramener dans un tout ces deux concepts qui sont

pourtant bien différents et sur lesquels il fallait opérer un choix. C'est dans ce sens que je comprends les ministres anglophones qui sont déçus et frustrés dans leurs attentes légitimes parce que le premier ministre d'un côté de la bouche les a entretenus des plus grands espoirs basés sur un programme de parti politique qui ne se tenait pas debout, qui était, comme je l'ai déjà dit, un cube de Rubik tronqué. Parce que c'était cela, le programme politique du Parti libéral.

Bref, on dit maintenant à l'ensemble des Québécois que nous sommes un visage à deux faces, selon qu'on est de l'intérieur ou de l'extérieur. M. le Président, ça ne peut pas résister au temps. Cela ne peut pas résister à l'analyse. Cela ne peut pas résister à l'application. C'est pour ça qu'on peut, dès maintenant, prédire que la loi 178 ira dans les placards probablement plus rapidement encore que la loi 22, une loi qui ne se tient pas debout parce qu'elle n'est pas fondée sur des convictions. Voilà ce qui manque de l'autre côté de la Chambre.

On s'est préoccupé de garder le caucus ensemble, de perdre le moins de députés possible, le moins de militants possible, de perdre le moins possible dans les sondages. Mais, bon Dieu, on ne peut pas gouverner un pays comme le Québec en se fiant uniquement aux sondages! Il faut, à un moment donné, exprimer, comme tous les premiers ministres - sauf M. Bourassa, sauf le premier ministre actuel - l'ont fait avant le député de Saint-Laurent, comme M. Lévesque le faisait d'une façon claire, affirmer ses convictions. Et, quand on est convaincu soi-même, on peut convaincre les autres. Mais comment voulez-vous convaincre la population du Québec que cette solution est la bonne alors que le premier ministre lui-même n'est pas convaincu de rien dans le dossier linguistique?

On vient de saper les fondements, l'objectif premier de la Charte de la langue française en invoquant qu'il y a un jugement de la Cour suprême qui vient de nous tomber dessus. Mais le jugement de la Cour suprême, ça fait longtemps qu'on le dit au premier ministre, cela fait longtemps qu'il sait qu'il s'en vient le jugement de la Cour suprême. C'est pour ça que l'Opposition avait déposé le projet de loi 199, que l'Opposition a déposé le projet de loi 191. Ce n'est pas une nouvelle. Mais là, profitant de l'impact du jugement de la Cour suprême, le premier ministre et le gouvernement libéral essaient de nous faire avaler cette espèce de couleuvre linguistique qui n'est basée, finalement, sur rien d'autre qu'un compromis artificiel pour garder la formation politique libérale en vie. C'est ça, M. le Président, le projet de loi 178.

Et c'est pour ça d'ailleurs que ce projet de loi est infecté de contradictions, de très nombreuses contradictions, et je vais vous en citer quelques-unes. Comment le premier ministre et le gouvernement peuvent-ils justifier la nécessité de maintenir le visage français du Québec si, à l'intérieur, on permet l'anglicisation et la bilinguisation des commerces? Comment faire pour expliquer aux immigrants, aux commerçants, aux francophones et aux anglophones qu'i est nécessaire de protéger le visage français si, à l'intérieur, on permet l'anglicisation? C'est comme demander... Finalement, comment pourrait-on demander à un individu d'avoir des activités physiques saines s'H ne mange pas de façon saine et si l'intérieur de son corps n'est pas sain? Et, encore une fois, il s'agit là d'une comparaison boiteuse mais c'est pour bien montrer qu'on ne peut pas garder l'ambiguïté à l'intérieur et, en même temps, insister sur la nécessité que tout soit clair et limpide à l'extérieur.

Contradiction également, M. le Président, quant à la liberté d'expression et ça, évidemment, c'est le défaut de la solution du premier ministre, n'ayant pas tranché dans le vif du sujet, n'ayant pas tranché entre les droits collectifs et les droits individuels, mais continuant à parler des deux. Par exemple, quand ça fart son affaire, il va nous parler de droits individuels; quand ça fait son affaire, il va nous parler des droits collectifs. Mais ce faisant, H méprise, à la fois les droits collectifs et la liberté d'expression. Parce que si le premier ministre croit véritablement à la liberté d'expression, il ne peut pas la limiter comme H le fait dans le projet de loi et tracer à l'intérieur des commerces une ligne artificielle sur l'affichage selon qu'il est vu de l'extérieur ou selon qu'il n'est pas vu de l'extérieur. C'est comme dire aux commerçants: ce qu'il y a dans les environs de votre comptoir, c'est votre liberté d'expression mais ce qu'il y a dans les environs de votre vitrine, ce n'est pas la liberté d'expression. (11 h 40)

Le premier ministre cherche à justifier sa position alambiquée en utilisant, quand ça fait son affaire, les droits collectifs, quand ça fait son affaire, les droits individuels. Je lui dis que, ce faisant, H méprise à la fois les droits individuels dont il parte et les droits collectifs dont il parle. Et ça, c'est une contradiction inhérente au projet de loi qui va faire en sorte que ce projet de loi, M. le Président, ne peut pas. sociologiquement, rester longtemps au Québec. Il sera probablement adopté, ils sont quand même un peu plus nombreux que nous autres de ce côté-ci de la Chambre, mais il ne pourra pas... Ce n'est pas un compromis acceptable parce qu'il n'est pas clair, il n'est pas limpide et H n'est pas basé sur des convictions.

La troisième contradiction du projet de loi. Le premier ministre nous dit: On n'a pas voulu instaurer le concept de la prédominance de l'affichage à l'extérieur parce que ce n'était pas applicable et c'était trop compliqué, la grosseur des lettres, la grosseur des affiches, la couleur des affiches, etc. Alors, la prédominance, on ne

pouvait pas l'appliquer à l'extérieur des commerces. Mais, en ce qui concerne l'intérieur des commerces, là, il retient le concept de la prédominance. Il nous dit: Ce que je ne pouvais pas faire à l'extérieur, je vais le faire à l'intérieur. On peut prêter au premier ministre beaucoup de qualités, mais ce n'est sûrement pas Houdini. Il ne peut pas faire de magie, surtout sur une question comme celle de la langue. Si la prédominance dans son esprit est applicable à l'intérieur, bien, elle peut être applicable à l'extérieur. Si, dans son esprit, la prédominance n'est pas applicable à l'extérieur, bien, elle n'est pas plus applicable à l'intérieur.

C'est pour ça que je répète, M. le Président, que le concept de la prédominance est un autre concept, mais hautement farfelu, qui nous ramène à peu près à l'époque des tests linguistiques de la loi 22, un concept qui n'est basé sur rien. Et une loi qui n'est basée sur rien de valable, bien, elle ne marche pas. Nous autres, M. le Président, nous aurons fait notre travail. Le projet de loi 178 sera probablement voté, mais il y a des gens qui vont vivre avec ce projet de loi. Il y a des commerçants qui attendaient que les élus du peuple se décident pour faire leur choix. Mais comment ces commerçants-là, cette population-là va-t-elle faire pour faire un choix sur une formule aussi alambiquée que celle-là et ce concept de la prédominance? On a vu, d'ailleurs, un reportage intéressant à la télévision cette semaine. Avec la couleur des lettres, on peut envoyer des messages qui ont plus d'impact, même s'ils sont plus petits. Le premier ministre sait ça. Lui-même, qui a vu atterrir sa loi 22 dans la poubelle, il devrait savoir que toutes les formules alambiquées ne fonctionnent pas et, à la base, dans ces formules alambiquées, outre cette notion d'extérieur et d'intérieur qui n'est basée sur rien, il y a aussi ce concept de la prédominance.

Bonne chance aux inspecteurs de la Commission de protection de la langue française! Je ne sais pas quelle sorte de formation on va donner à ces gens-là. Déjà, ils ne sont pas nombreux. Déjà, l'Office de la langue française n'a pas de ressources. Déjà, les ministres responsables, l'ex-ministre responsable de la loi 101 ou, devrais-je dire, le ministre responsable de l'ex-loi 101 a coupé dans les budgets des organismes. Il ne faut pas s'imaginer que les inspecteurs chargés d'appliquer la loi, ce sera "jojo" pour eux. Cela n'a pas de sens. En plus de ça, qu'est-ce qu'ils vont dire, les inspecteurs, quand ils vont rencontrer un commerçant qui aura fait la même chose à l'extérieur qu'à l'intérieur? Comment justifier auprès du vrai monde, dans la vraie vie de tous les jours, l'application de ces concepts-là?

Déjà, les commerçants... Et ils l'ont dit à pleine page. C'est pour ça, d'ailleurs, que le président d'Alliance Québec le reprenait: Mieux vaut le statu quo à toutes formes de compromis. C'est pour ça que le tout le monde, finalement, l'a dit au gouvernement libéral, mais eux ont préféré sauver les meubles de leur formation politique. Mais ce faisant, ils sèment les germes d'une discorde linguistique. Ils sèment les germes d'une discorde sociale parce que la langue, c'est une matière fragile, parce que la langue, oui, c'est une question émotive, et c'est une bonne chose que ce soit une question émotive, parce qu'on serait encore ici... 84 % de la population au Québec, si la langue n'était pas une question émotive et si nos ancêtres avant nous ne s'étaient pas battus pour la langue-Bien oui, c'est une question émotive, mais ça n'empêche pas qu'il faut la traiter autrement qu'avec des chiffres, autrement qu'avec des sondages, autrement qu'en négociant avec des éléments de son caucus ou en négociant même avec les réactions des médias pour savoir comment les gens achèteraient ça. C'est pour ça que le premier ministre a tenu un langage différent selon qu'il s'est adressé à la population, au lendemain du jugement de la Cour suprême, lors de sa conférence de presse hier et encore en Chambre à tous les jours, parce que le premier ministre jauge; il jauge les réactions des médias, il jauge ce qui se passe à l'intérieur de son parti. Il joue, finalement, avec des droits collectifs et des droits individuels que, par ailleurs, de l'autre côté de la bouche, il dit être très importants. Si c'est très important, on ne joue pas avec. On choisit, on décide, on tranche; on met ses culottes, ce que le premier ministre n'a pas fait et on en voit maintenant le résultat.

Autre contradiction, ce projet de loi est bourré de contradictions; il est inapplicable, confus, complexe, bourré de contradictions. Autre contradiction, le projet de loi introduit une distinction sibylline entre les commerces de plus de 50 employés et ceux de moins de 50 employés. Voulez-vous bien me dire, quelqu'un de l'autre côté, en vertu de quoi on pourrait justifier une telle distinction, selon qu'on se trouve chez Discus, à Québec, une chaîne qui emploie peut-être 12 employés sur la rue Saint-Jean, ou chez Discus, à Montréal, qui en emploie peut-être 55? êtes-vous capable d'apporter un commencement de logique à une distinction comme celle-là? Il n'y en a pas. N'en cherchez pas, il n'y en a pas, et c'est pour ça qu'il fallait trancher dans le vif, et c'est pour ça que, de ce côté-ci de la Chambre, nous avons dit: Affichage unilingue français, autant à l'extérieur qu'à l'intérieur, sans créer de distinctions artificielles qui, finalement, vont jeter tout le monde dans la plus parfaite des confusions. Il n'y a pas de distinction, n'en cherchez pas. Selon qu'on travaille pour un Eaton qui emploie peut-être 30 employés ou un Eaton, à Montréal, où if y en a 200, on aurait deux régimes de droits différents. Incroyable! Incroyable, mais vrai! C'est ce que le projet de loi 178 vient faire et je remarque qu'il y a des gens en face qui viennent de s'en rendre compte. Je les invite à lire le projet de loi 178 avant qu'il soit trop tard, M. le Président.

Une autre contradiction et, là-dessus, le ministre responsable de l'ex-loi 101 est absolument remarquable. Il nous a dit ceci, hier, en conférence de presse... Il ne s'en souvenait pas, ce matin, en Chambre, mais il a dit ceci hier en conférence de presse: Vous savez, on veut protéger les activités dans les grandes chaînes à Chicoutimi. Mais, d'abord, d'où vient le danger pour les entreprises de Chicoutimi dans le contexte actuel? Il n'y en a pas. La loi est claire actuellement pour les gens de Chicoutimi, de Trois-Rivières ou de Rimouski. Pour les régions qui n'ont pas encore été marquées par l'affichage bilingue, il n'y en a pas de problème actuellement. Dans ces régions, il s'agit d'appliquer la loi, ce que vous avez fait défaut de faire pendant trois ans. La loi est claire et il n'y a pas de problème. Vous dites: II faut protéger Chicoutimi, mais ce sont vos propres amendements à la loi 101 qui font en sorte que, dorénavant, toutes les entreprises de moins de 50 employés, même à Chicoutimi, vont pouvoir se "bilinguiser", et vous admettez ça. Et il y a des gens en face qui vont voter pour ça, qui vont voter pour permettre l'anglicisation et la "bilin-guisation" dans des coins où il n'y a même pas de présence anglophone, M. le Président. C'est ça, le projet de loi. C'est ça, le projet de loi, M. le Président, réveillez-vous!

Donc, à partir... Je respecte les autres droits de parole en cette Chambre. Je respecte la langue des autres...

Le Vice-président: Un instant, s'il vous plaît! Un instant! Tout d'abord, je demanderais la collaboration des députés pour laisser chacun s'exprimer librement. Dans un deuxième temps, je demanderais aux intervenants de ne pas s'adresser directement à une autre formation politique, mais toujours à la présidence. Vous avez la parole.

M. Filion: Oui, M. le Président. Cela leur fait mal parce qu'ils viennent de réaliser ce que je disais tantôt, que le bilan net du projet de loi est de permettre l'anglicisation à l'intérieur des commerces. C'est ça, la réalité. Le projet de loi, tel que rédigé, va faire en sorte que, dans toutes les régions du Québec, l'affichage bilingue sera permis à l'intérieur des commerces. Qu'on se le dise et qu'on appelle les choses par leur nom, même si le premier ministre a de la difficulté à le faire. (11 h 50)

Donc, autre contradiction. On dit: On veut protéger Chicoutimi mais c'est le projet de loi qui affecte les régions. Ce n'est pas la loi 101 telle qu'elle existe actuellement. Il s'agirait tout simplement de l'appliquer. Donc, on veut protéger Chicoutimi mais, en même temps, l'une des régions les plus affectées en matière d'affichage commercial, c'est la région de Montréal. Et dans la région de Montréal, le projet de loi n'a strictement et absolument aucune solution. Loin de parer à la menace réelle, et surtout, je dis bien surtout, centrée à Montréal mais qui existe aussi dans l'Estrie et dans l'Outaouais, le projet de loi vient créer des menaces additionnelles dans toutes les régions du Québec. C'est ça, le projet de loi 178. Qu'on appelle les choses par leur nom.

Autre contradiction, et elle est particulièrement suave. Cela démontre bien d'ailleurs à quel point, lorsqu'on base une décision sur des principes amochés comme celui d'un compromis politique, on peut arriver à toutes sortes de choses. Croyez-le ou non, le projet de loi dit ceci: Pour une entreprise, un commerce dans ce cas-ci puisqu'on parle uniquement d'affichage, pour un commerce de 50 employés ou plus, donc qui est soumis au certificat de francisation, il sera nécessaire d'obtenir son certificat de francisation pour avoir le droit à l'affichage bilingue à l'intérieur. Celle-là est particulièrement forte.

D'une part, il faut savoir, M. le Président, qu'une fois que les certificats de francisation sont accrochés aux murs des commerces comme des autres entreprises, il n'y a à peu près pas de suivi qui est fait par l'Office de la langue française. J'ai, dans mon comté, une grosse entreprise. J'ai rencontré des dirigeants syndicaux qui m'ont dit: On a notre certificat de francisation, mais la volonté politique s'étant relâchée depuis trois ans au Québec, on s'en ressent dans l'usine et on recommence à travailler en anglais chez nous.

Donc, il n'y a pas de suivi au certificat de francisation mais on dit ceci dans le projet de loi: Quand une entreprise aura son certificat de francisation, on lui donne un permis, une "licence" si l'on veut, pour l'affichage en anglais à l'intérieur de son commerce.

En deux mots, quand on obtient son certificat de francisation, on obtient une prime au bilinguisme qui fait en sorte que notre certificat de francisation devient un certificat d'anglicisa-tion. C'est pour vous montrer à quel point, quand on dépose une solution entortillée, une solution mal foutue, on peut aboutir à des réalités qui n'ont aucun sens. En voilà une qui est absolument, mais complètement, inadmissible alors que dans le secteur du français au travail, il aurait fallu faire des efforts véritables pour relancer le français au travail comme le prévoyait d'ailleurs le projet de loi 191.

Le ministre responsable de l'ex-loi 101 sait fort bien que le français au travail est la clé de voûte de la défense, de la promotion et du rayonnement de la langue française au Québec. Il le sait fort bien. Mais, par le biais de ces certificats de francisation qui contiendront un boni au bilinguisme, on vient défaire le peu qu'on avait en ce qui concerne les entreprises, les commerces de plus de 50 employés. Cela, M. le Président, c'est particulièrement inadmissible. Je dois vous dire que de ce côté-ci de la Chambre c'est particulièrement inadmissible. Il aurait fallu, en matière de français au travail, utiliser

les dispositions contenues dans le projet de loi 191 pour faire en sorte de relancer le français au travail au Québec, et je le répète, il est extrêmement important que le français au travail puisse recevoir une assise juridique valable pour faire en sorte qu'au Québec, ce soit possible de travailler en français.

Donc, le projet de loi 178 ne contient aucune obligation contractuelle. Il ne contient aucune obligation en ce qui concerne les objectifs intermédiaires. Il ne contient aucune obligation en ce qui concerne des mécanismes pour le respect des droits des travailleurs. Où sont les dispositions visant à contrer la loi fédérale C-72? Nulle part dans le projet de loi. Il n'y a aucune disposition concrète qui viserait à favoriser le français au travail. On a complètement passé à côté.

Par le biais de ces certificats de francisation qui vont devenir des certificats d'anglicisa-tion, on vient détruire le peu d'efforts, le peu de résultats qu'on avait obtenus en matière de français au travail au Québec. Voilà le résultat net du projet de loi 178.

Maintenant, j'aimerafs entretenir les membres de cette Chambre, au sujet du fond de l'affichage, sur les messages qui sont envoyés par l'affichage bilingue. Pour bien des gens, vous savez, ajouter un peu d'anglais sur l'affichage ce n'est pas tellement grave, ce n'est pas tellement important. Ceux qui se promènent régulièrement à Montréal peuvent voir les effets néfastes de l'affichage bilingue. Je voudrais, concrètement, vous dire ceci, M. le Président. D'abord, une affiche bilingue: Serveuse demandée, "waitress wanted". Quel est le message qu'on envoie à l'immigrant par l'affichage bilingue? Le message qu'on envoie à l'immigrant, il est naturel, il est normal. Bon Dieu, pourquoi te forcerais-tu pour apprendre le français? On va mettre l'anglais sur la pancarte et l'anglais est déjà la langue qui assure la plus grande mobilité en Amérique du Nord. C'est évident que l'immigrant va avoir tendance à s'intégrer au milieu anglophone plutôt qu'au milieu francophone.

Déjà, chez les 26 000 immigrants qui ont été accueillis au Québec l'an dernier, il y en a 18 000 qui ne parlent pas français, 18 000 qui n'ont pas la connaissance de la langue française. Comment pensez-vous que ces gens vont vouloir s'intégrer à la communauté francophone si, par l'affichage, on leur envoie le message qu'au Québec ça se passe en deux langues? Impossible. N'importe qui d'entre nous, qui émigrerait ailleurs et qui verrait qu'on a le choix entre deux langues, prendrait la langue qui lui donne le plus de mobilité, la langue qui lui donne le plus de chance d'apporter du pain et du beurre sur la table pour nourrir sa famille. Cette langue, en Amérique du Nord, c'est l'anglais. Il faudrait être naïf ou jovialiste fou pour croire qu'il en serait autrement. Il faut un message clair aux immigrants, qu'au Québec ça se passe en français. Si ce message clair n'est pas perçu, comme c'est le cas actuellement, les immigrants vont continuer à faire ce qu'ils font maintenant à 70 %, c'est-à-dire qu'ils vont s'intégrer à la communauté anglophone. Ce sont les statistiques qui sont claires, 72 % des immigrants qui laissent leur langue maternelle choisissent la langue anglaise au Québec. Pour renverser cet état de choses, il faudrait que le gouvernement libéral se tienne debout un peu et envoie un message clair aux immigrants, mais l'affiche bilingue envoie le message contraire à l'immigrant.

Deuxièmement, l'affiche bilingue envoie aussi un message à la communauté anglophone. Il y a encore beaucoup - vous savez, j'en ai rencontré en allant faire un tour pour rencontrer mes amis de l'Association des francophones de l'ouest de 111e de Montréal - d'anglophones qui ne disent pas un mot de français. Je n'arrive pas à croire qu'ils ne savent pas encore le français, mais il y a encore beaucoup d'anglophones qui ne disent pas un mot de français. C'est un fait. Le message qu'envoie l'affiche bilingue aux anglophones, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'apprendre le français. De toute façon, on va mettre l'anglais sur l'affichage et tu vas pouvoir te débrouiller en anglais. Ce sont des messages, ce sont des symboles, ce sont des ondes qu'on envoie, que le gouvernement envoie, pas n'importe qui, que le gouvernement envoie avec son projet de loi autant à la communauté anglophone qu'à tous ces immigrants qui viennent de plus en plus nombreux, qui viendront de plus en plus nombreux au Québec. Tout ça, dans un contexte démographique qu'on connaît bien et un contexte géographique qu'on connaît et je n'ai pas besoin de répéter la nécessité d'intégrer nos immigrants À la communauté francophone, sinon on va manquer le bateau. Je pense que les gens le savent fort bien.

Troisièmement, M. le Président, l'affiche bilingue contient aussi un message, plus pernicieux celui-là, un message que je n'accepte pas, à la communauté francophone. Le message est: Ta langue est sur l'affiche, mais tu sais, la vraie langue est là, elle aussi. Moi, je suis fier d'être français et je suis fier de réafficher en français. Quand je vais à Madrid, M. le Président, on affiche en espagnol et les Espagnols sont fiers de l'être. Si on va à Athènes, ce sera en grec. Si on va à Rio de Janeiro, ça va être en portuguais. Et c'est normal d'afficher ce que nous sommes, sans créer de distinction artificielle. (12 heures)

II est normal pour un peuple qui vient ajouter son identité à cette grande mosaïque internationale qui fait le plaisir de vivre sur cette planète, il est normal pour le peuple français québécois de s'afficher et d'afficher sa culture. Rien ne me désole plus que de constater que dans le Vieux-Québec on retrouve déjà des affiches unilingues anglaises et bilingues. Rien ne me désole plus que de voir que maintenant, avec le projet de loi 178, on aura légalement le droit

de faire cet affichage anglais, cet affichage bilingue, alors que les Américains, les Européens qui viennent nous voir le font pour retrouver cette saveur française au Québec, cette petite France au Québec. C'est d'ailleurs pour ça que le ministre du Tourisme a autorisé des annonces qui ont paru dans des magazines américains importants comme le Time. Qu'est-ce qu'elles disaient aux Américains? Venez au Québec "and get the French taste". Je pense que je ne me trompe pas sur les mots, peut-être qu'il s'en souviendra exactement. On vend le Québec ailleurs en disant: On a notre caractère français. Notre saveur française; venez nous voir et venez vivre, venez constater notre générosité, notre joie de vivre, notre caractère latin, nos habitudes, nos façons de nous engueuler, mais nos façons d'avoir du plaisir. C'est ça vivre en français au Québec, M. le Président.

Donc, un message confus aux immigrants, aux anglophones et aux francophones. Cela est inacceptable dans le contexte actuel. Peut-être que dans 20 ou 30 ans on pourrait, de ce côté-ci ou de l'autre côté de la Chambre, tenir un langage différent. Mais, dans le contexte politique, géographique, économique et démographique actuel, on n'a pas le droit d'envoyer ce type de messages. Je les répète rapidement: démographique, on connaît notre taux de dénatalité et l'importance d'intégrer les immigrants; sur le plan politique, on connaît la loi C-72 qui vise carrément à "bilinguiser" municipalités et syndicats au Québec; on connaît aussi, dans le contexte politique, les conséquences de l'affaiblissement de la volonté politique de l'autre côté, ce que cela a donné dans les faits: processus de francisation des entreprises qui stagne, multiplication des infractions à la loi 101, etc. Bref, au Québec, dans le contexte actuel, en 1988, ce n'est pas le temps; on n'a pas le droit de prendre la chance d'envoyer des messages semblables, aussi confus à tout le monde, en même temps. En 2010, ce sera peut-être différent, si on avait au moins avancé un petit peu sur le plan du français au travail, si on avait avancé un petit peu pour faire du français la langue de l'informatique, comme le projet de loi 191 le stipulait, si on avait fait les progrès que ce peuple aurait eu le droit de faire durant cette période. Mais dans le contexte actuel, puisqu'un projet de loi est toujours un texte qui répond à des circonstances, dans les circonstances actuelles, ce projet de loi représente un grave danger pour la collectivité québécoise. Nulle part je n'ai entendu un argument qui pourrait justifier autre chose.

Deuxièmement, toujours sur le fond des choses, la solution tarabiscotée et alambiquée que dépose le gouvernement n'est pas applicable. C'est normal, quand on part de principes aussi écorchés, quand on part d'un raisonnement aussi superficiel que le nombre de députés et le programme du Parti libéral, qu'on ne puisse faire autre chose que d'arriver avec une solution inapplicable. Déjà, il est difficile, sans volonté politique, de faire respecter la loi 101 et, maintenant, avec des dispositions sur l'affichage bilingue à l'intérieur, ça deviendra à peu près totalement inapplicable: extérieur-intérieur... Qu'est-ce qui arrive avec les marchandises qui sont à dix pieds, qui sont affichées à la fois pour les gens à l'intérieur et à l'extérieur? Vous imaginez-vous le type de discussions folles entre un inspecteur de la Commission de protection de la langue française et un commerçant quand viendra le temps de décider si l'affiche est vue de l'extérieur ou si elle s'adresse au public qui est à l'intérieur? Cela n'a pas de sens, ce n'est pas fondé. Cela ne se tient pas debout; ça ne marche pas en hiver et ça ne marche pas en été. C'est ça que contient le projet de loi 178.

Qu'est-ce qui arrive des kiosques qui sont ouverts? On ne prévoit rien de ce côté-là. Comment mesurer la prépondérance du français? C'est une trouvaille du bunker "toute prédominance du français". Je l'ai dit tantôt. Est-ce que ça veut dire qu'il va y avoir une affiche unilin-gue française et, à côté, une affiche unilingue anglaise et qu'il faut que l'affiche unilingue française soit plus grosse que l'affiche unilingue anglaise? Est-ce que cela veut dire que pour la couleur et la grosseur des lettres, l'endroit où c'est placé... On le sait, cela a de l'importance dans la mise en marché, l'endroit où on inscrit notre sollicitation.

On ne peut pas arriver à légiférer intelligemment à partir d'un concept comme celui de la prédominance. Il me semble que ce n'est pas nécessaire d'avoir fait un cours classique pour réaliser cela. Il faut qu'une loi se tienne debout un petit peu. Quand les causes vont arriver devant les tribunaux, probablement dans dix ans, avec le gouvernement de l'autre côté... Les poursuites aux infractions, ça prend du temps. Je questionnerai d'ailleurs là-dessus un peu plus tard, M. le Président. Quand cela va arriver devant les tribunaux, les juges vont être pris à essayer de jauger une nette prédominance. Déjà, on ne connaît pas les règlements. Cela n'a pas de sens. Je pense qu'en énonçant tout simplement ce qui est contenu dans le projet de loi les gens comprennent aisément que cela ne se tient pas debout. La grosseur des lettres, la disposition physique, la couleur du lettrage. Est-ce que la partie française doit être rédigée avant la partie anglaise? Le rouge va sortir plus fort que le gris. Bref, ce n'est pas possible de mesurer le concept de prédominance et son application concrète, et c'est d'ailleurs probablement pour cela qu'on n'a pas encore vu le début des règlements. J'ai hâte de voir vos règlements de l'autre côté. Appliquer une loi aussi mal foutue avec les règlements qu'ils vont nous sortir, tenez-vous bien! Peut-être que c'est à ce moment-là que le ridicule va tuer le projet de loi, d'ailleurs. Peut-être que c'est en rédigeant les règlements qu'ils sont en train de se rendre compte que cela ne se tient pas debout. J'ai hâte

de voir ces règlements. Je pense que cela va être un immense éclat de rire qui va accompagner le dépôt de ces règlements, et je ne blâme pas le gouvernement de prendre son temps pour les déposer. Ils doivent être embarrassés, gênés de déposer une réglementation qui va découler d'une loi semblable. En tout cas, moi, je serais gêné comme ministre, comme premier ministre de déposer une réglementation semblable.

Deuxièmement, quoi qu'on en dise, je défie n'importe qui de me dire le contraire. J'ai dit tantôt et je le répète, l'effet net du projet de loi est de permettre le bilinguisme à l'intérieur des commerces. Mais cela, ça veut dire partout. Pas seulement à Montréal, où déjà la situation est grave, mais partout en province, dans tous les coins, même ceux qui sont relativement bien protégés. Il serait fou de croire que les grandes entreprises comme Eaton, La Baie, Provigo, Sears, Zellers - le champion, Zellers - vont se mettre à faire du matériel publicitaire de deux, trois ou huit sortes selon les négociations qui auront lieu avec l'Office de la langue française, qui a déjà beaucoup de difficulté simplement avec la loi actuelle. Ce qu'on peut prévoir dorénavant, c'est que, par le biais de ces magasins-là qui n'ont pas toujours 50 employés et plus... Je donnais l'exemple tantôt de Discus: quand viendra le temps de faire sa publicité, cela va être la même publicité à Montréal que sur la rue Saint-Jean à Québec. Allez donc voir en sortant d'ici pour le "fun", pour le plaisir de la chose, allez voir cette publicité et venez me dire que ce projet de loi n'encouragera pas de grandes chaînes, de grandes entreprises, qui, souvent, ont leur siège social à l'extérieur du Québec, à faire leur affichage partout, pour Montréal et partout ailleurs au Québec en même temps. Ce sera un geste rationnel et économique de leur part. Dans bien des cas, ce sera un geste légal de leur part, puisque le projet de loi le permet.

Qu'on arrête de finasser avec la langue comme le fait le premier ministre de temps à autre en disant: Vous savez, il sera toujours permis d'afficher en français. Bien oui, merci, M. le premier ministre. Merci, M. le premier ministre de nous avoir conservé ce droit d'afficher dans notre langue. Le premier ministre a passé deux périodes de questions là-dessus à essayer de nous amadouer en disant: Vous savez, les commerçants vont continuer à avoir le droit d'afficher en français. Ce serait bien le restant, torieux! Que le premier ministre du Québec soit obligé pendant deux périodes de questions de nous entretenir d'une façon aussi complaisante que celle-là est inacceptable et inadmissible pour un chef de gouvernement, qui est bien plus que le chef du Parti libéral. Ce serait bon de lui rappeler de temps en temps, lui qui est pris dans son cube Rubik de programmes, qui est pris dans son caucus, qu'il est aussi le chef d'un gouvernement. Donc, le bilinguisme va s'étendre partout au Québec par le biais de cette dispo- sition. (12 h 10)

Également, je l'ai mentionné tantôt, je veux le mentionner à nouveau, mais rapidement, l'affichage bilingue à l'intérieur aura un impact majeur sur le français, langue de travail. C'est simple, le commerçant qui a un affichage bilingue et qui cherche un vendeur ou une vendeuse, qu'est-ce qu'il va exiger de ce candidat ou de cette candidate, sinon le bilinguisme? D'ailleurs, la personne qui va obtenir l'emploi ne se sen-tira-t-elle pas justifiée d'aborder les gens en anglais, puisque l'anglais fait partie de l'environnement du commerce? Donc, impact sur le français comme langue de travail et impact sur le français comme langue de service.

Là-dessus, cette semaine, en Chambre, j'ai déposé une étude menée pour le compte de l'Office de la langue française qui démontrait qu'environ 65 % des répondants jugeaient que le fait que leur affichage unilingue soit français constituait une incitation à utiliser le français au travail. C'est normal. Si on vit dans un environnement bilingue, on va avoir tendance à utiliser deux langues. Si on vit dans un environnement unilingue français, on va avoir tendance à parler français, à répondre en français. Et, là-dessus, le gouvernement nous a répondu qu'il n'avait pas fait d'études, qu'il n'avait pas mesuré les impacts de l'affichage bilingue sur ces deux notions importantes que sont le français au travail et le français, langue de service. Et déjà ce n'est pas facile dans bien des cas et dans certains coins du Québec de se faire répondre en français. Est-ce que le vendeur ne serait pas encore plus justifié de me demander en anglais "What do you want? What can I do for you?", si l'environnement de son commerce était bilingue? C'est évident.

Et sur le français au travail, je voudrais ajouter un élément. Vous savez, il y a deux tiers des francophones au Québec qui ne parlent qu'une langue. C'est une réalité. Et, de l'autre côté, on a l'autre réalité, soit une montée de l'exigence du bilinguisme dans l'embauche. Alors, faites un plus deux, M. le Président. Est-ce que, finalement, cela ne nous conduirait pas à marginaliser ces deux tiers des francophones, ces deux tiers des 84 % de la population du Québec qui ne parlent que le français? D'ailleurs, est-ce que ce ne serait pas les amener, finalement, à bâtir au Québec un beau pays qui serait bilingue? C'était le rêve de Pierre Elliott Trudeau que vous transportez encore: un beau pays bilingue. Mais le bilinguisme d'un pays, cela n'existe pas. Comme il a été bien dit cette semaine, le bilinguisme, dans le contexte actuel, au Québec, c'est le passage transitoire du français au français et à l'anglais et, ensuite, à l'anglais. Mais examinez les conséquences des dispositions qui sont contenues sur le français au travail. Tous ces francophones unilingues de mon comté et de vos comtés qui ne parlent pas l'anglais et qui vont aller déposer des demandes d'emploi

chez des commerçants vont se faire dire: Vous savez, dans mon commerce, il faut parler anglais. Tout le monde veut faire des affaires. Les commerçants - j'ai déjà eu des commerces - veulent faire des sous, ils veulent faire des affaires. Si le gouvernement leur dit: Tu peux afficher dans les deux langues, on peut être sûr que les commerçants vont vouloir aller chercher le maximum de clientèles possible pour faire le maximum de transactions possible, c'est normal. Alors, leur ouvrir la porte, c'est leur dire: Entrez dedans, avec toutes les conséquences que cela implique.

M. le Président, autre point. Vous m'indiquez qu'il ne me reste que dix minutes. C'est bien peu pour une matière aussi importante que celle que nous sommes en train d'étudier, à la vapeur, avant Noël, alors qu'on a pris un an pour étudier la loi 101. Un an en commission parlementaire - le député de Roberval n'était pas là - pour étudier la loi 101 et un mois pour apporter des petites modifications que le ministre des Communautés culturelles de l'époque avait proposées. Mais là on veut nous faire faire ça à la vapeur, en 48 heures, M. le Président. On me donne une heure pour parler. C'est bien peu. Et deux heures en commission pour faire l'examen détaillé du projet de loi. Cela n'a pas de sens. Je pense que, si les gens d'en face n'en sont pas conscients maintenant, ils ne le seront jamais.

Donc, je voudrais ajouter qu'il y a aussi un autre effet qui n'est pas toujours visible. Je pense que le député de Bourget doit être sensible à ça. Tous les linguistes s'accordent pour le dire. L'affichage bilingue a un effet d'intoxication sur la qualité du français dans l'affichage. Tous les linguistes sont unanimes à ce sujet-là. C'est un fait qu'on peut admettre. Mais le gouvernement est complètement insensible à cette question. Il n'a même pas fait les études appropriées pour arriver à cerner l'impact des dommages qui seront faits au tissu social et à la langue française au Québec.

M. le Président, ce que je dis aux gens d'en face, c'est que le Québec n'a pas le droit, aujourd'hui, de prendre le risque que veut nous faire courir le premier ministre. Le Québec n'a pas le droit, dans les circonstances actuelles, et je le répète, de prendre la chance avec la survie de notre collectivité. Ce projet de loi 178 est mal foutu, mal ficelé, mal bâti, mal pensé et le résultat d'un compromis politique inacceptable. Et, en ce sens-là, on a vu les dommages que causait le simple affaiblissement de la volonté politique depuis trois ans.

Je voudrais peut-être en profiter pour rappeler aux gens d'en face les dommages considérables qui ont été faits depuis le 2 décembre 1985. Déjà le gouvernement libéral a perdu toute crédibilité en matière linguistique à tel point que même un chroniqueur respecté de la Gazette écrivait que le plus grand irritant linguistique au Québec c'était le premier ministre lui-même. Et quand on regarde ce qu'il nous dépose, on ne peut pas faire autre chose, une fois encore, qu'être d'accord avec le milieu anglophone qui dit que le plus grand irritant c'est le premier ministre lui-même qui jongle, mais d'une façon malhabile, avec quelque chose d'aussi fragile que la langue.

Qu'est-ce qu'il a fait ce gouvernement-là pour perdre sa crédibilité en trois ans, en plus de son double langage électoral où même le premier ministre - il n'aime pas ça que je le lui rappelle - avait dit que le gouvernement du Parti québécois avait martyrisé la communauté anglophone? C'est probablement juste avant de dire qu'il était pour modifier la loi 101. Ils ont adopté la loi 142. Ils ont amnistié les élèves "illégaux" en donnant au ministre de l'Éducation un pouvoir de dérogation aux règles générales. Ils ont coupé les budgets des syndicats qui, au premier chef, M. le Président - et j'ai vu le travail de ces gens-là sur le terrain - allaient dans les entreprises pour stimuler un processus de francisation qui ne fonctionnait pas. Ils n'ont pas, durant l'année 1986, fait respecter la loi 101. Le député de D'Arcy McGee, à l'époque, nous disait: Je ne poursuis pas parce que c'est devant les tribunaux. Il avait inventé un nouveau principe juridique. Non-respect, donc, de la loi 101, non-poursuite des infractions contre la loi 101 et surtout, à titre d'illustration - à quel point faut-il être irresponsable? - financer des avocats qui travaillent contre nous. Je pense que ce n'est pas nécessaire pour moi, M. le Président, de revenir sur l'indigne épisode du financement des avocats d'Alliance Québec. Mais je dois vous dire que c'est la première fois qu'on voyait un gouvernement, un peuple se tirer dans les jambes comme l'a fait le gouvernement. Et ce n'est pas surprenant qu'ils aient perdu leur cause à la Cour suprême. Après avoir financé les avocats d'Alliance Québec, ils ont fait défaut en Cour suprême de justifier la nécessité de l'exclusivité du français dans l'affichage. Et, comme l'ont bien dit d'autres avant moi, le Québec a perdu par défaut en Cour suprême, et c'est écrit en toutes lettres dans le jugement de la Cour suprême. (12 h 20)

En terminant, M. le Président, je fais un dernier appel aux gens d'en face. Je fais appel à leur conscience, je fais appel au fait qu'ils sont dépositaires de la volonté populaire qu'ils ne connaissent pas. Je leur dis ceci. Vous avez pris quatre mois pour décider de la couleur de la margarine. Est-ce que vous ne voudriez pas prendre un mois pour décider de la question linguistique et entendre les intervenants? Vous avez pris six mois pour niaiser dans le dossier des heures d'ouverture des commerces, probablement que vous allez prendre encore six mois pour tergiverser dans ce dossier, et ça va faire un an, et vous ne voudriez pas prendre une couple de mois pour qu'on aille en commission parlementaire entendre les intervenants qui ont des choses à dire sur un projet de loi qui les

affecte dans ce qu'on a de plus vital, autant la communauté anglophone que la communauté francophone et les immigrants? Comment expliquer que vous avez tergiversé sur des questions comme la couleur de la margarine? Mais quand même! Tenez-vous debout un peu, bon Dieu! Ouvrez la porte du salon rouge! Faites en sorte que les intervenants viennent vous expliquer pourquoi le projet de loi 178 est une menace pour le français qui, déjà, recule, dans les faits, depuis trois ans. On a pris un an, l'ex-député de Bourget, à l'époque, a pris un an en commission parlementaire pour entendre tout le monde. Le ministre des Communautés culturelles a pris un mois en 1983 pour apporter des modifications, par la loi 57, à la loi 101. Et vous ne voudriez pas, avec nous, aller de l'autre côté, vous transporter au salon rouge et prendre le temps qu'il faut pour entendre les intervenants et prendre une décision éclairée sur le projet de loi 178? Non, vous préférez, en 36 heures, où le leader du gouvernement nous accorde deux heures pour examiner en détail le projet de loi à l'étape de l'examen détaillé du projet de loi, deux ou trois heures, peut-être que je viens de gagner une heure, bien ce sera ça de pris...

Une voix:...

M. Filion: Ce sera ça de pris, M. le Président. Si je peux encore les convaincre, si je ne les ai pas convaincus, que, sur le fond, ils ont tort, au moins ils conviendront, comme tributaires de la volonté populaire, que notre devoir est d'aller entendre cette volonté populaire s'exprimer. Si vous avez raison, bien, vous aurez raison. Mais une chose est certaine, c'est qu'aujourd'hui, en décembre 1988, ça fait trois ans que vous êtes au pouvoir, vous n'avez pas utilisé ces trois années-là pour bâtir, pour bâtir le consensus qui aurait fait en sorte que votre solution soit acceptable par une majorité de la population au Québec. Pendant trois ans, vous n'avez rien foutu. Le premier ministre a gardé sa solution pour lui, comme un secret de Fatima. Il la dépose et il s'attendrait maintenant, alors qu'il n'a convaincu personne, que les gens disent: Bien oui, vous avez raison, M. le premier ministre. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne un gouvernement. Si vous êtes convaincus, allez convaincre, mais votre conviction, on ne l'a pas vue depuis trois ans. Le premier ministre a commencé à s'exprimer un peu sans conviction depuis trois jours sur cette question-là et il espère passer à travers à coups de sondages et de compromissions politiques inacceptables. Merci.

Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole à M. le ministre de l'Énergie et des Ressources et député de Mont-Royal.

M. John Ciaccia M. Ciaccia: M. le Président, encore une fois je me trouve dans un débat linguistique. C'est le troisième débat linguistique de ma carrière politique. Premièrement, permettez-moi de vous dire que j'accepte la décision de la Cour suprême. J'accepte le principe de la prépondérance du français pour donner le visage linguistique au Québec et j'accepte le principe de la liberté d'expression. Je crois aux droits fondamentaux et j'ai toujours soutenu que nos lois doivent être assujetties aux chartes des droits. Vous comprendrez que la décision de notre gouvernement m'a désappointé et qu'elle me cause beaucoup d'angoisses. Au cours des derniers jours, j'ai réfléchi à cette décision et à ma décision personnelle dans ce débat. Je voudrais vous faire part de mes réflexions.

L'histoire des débats linguistiques est vraiment une histoire triste. Ces débats ont toujours causé des remous et des déchirements dans notre société, des deux côtés de la Chambre et parmi les différents groupes de notre société. La communauté francophone s'est sentie et se sent menacée. Je le comprends et la Cour suprême a accepté qu'il règne une inquiétude à l'égard de la survie de la langue française. Quand on parle de survie, on parle de l'identité même d'une personne ou d'un groupe; on touche l'âme même de chaque individu dans cette collectivité. En tant que non francophone, je n'ai pas vraiment le droit de dire que ces craintes sont mal fondées; je dois plutôt essayer de convaincre de ce que nous devrions faire pour enlever ces craintes. Les solutions proposées par les différents gouvernements ont toujours été contestées par les minorités et il s'est créé, du côté francophone, une sorte de perception de la minorité anglophone, que cette minorité ne comprenait pas les préoccupations des francophones.

I understand the anger and the frustrations of the English-speaking community. I fought for the application of the judgement in its entirety. I tried to get our Government to accept this policy. My efforts and those of many of my colleagues were not entirely successful. The Government's decision excludes the use of another language on exterior signs and, to be able to apply the use of French only on exterior signs, the Government has chosen and has been obliged to introduce a notwithstanding clause. Without this clause, this issue would hâve returned to the courts. I am disappointed and sorry about this décision and I certainly understand the initial reaction of the English-speaking community, which was also my reaction.

The English-speaking community has been fighting this language issue since at least 1974, and without satisfaction. My experience has shown me that confrontation has not worked. We continue to give the wrong messages to the French-speaking community. The English-speaking community seems to strenghten the perceptions in the francophone community that it does not understand the concerns and fears over their

language. That is not to the feeling of everyone, but that is the perception, the messages that are sent to the community, that English Quebeckers are not really concerned sufficiently with their needs to protect the French-speaking community and to do it in a tangible way. (12 h 30)

I think that we have the obligation to change that perception. There is obviously a psychological barrier between the two communities and perhaps we must reverse our approach. Rather than tell the French-speaking community that their fears are ill-founded let us try and convince them that they will not be threatened by our acts.

What can I do? What can we all do? Well, the lessons of 1974 and of 1977 are clear to me. The demonstrations, the confrontations of 1974 led to a very difficult period in our history. I do not want, by our reaction, to repeat that history. Perhaps a gesture of generosity, understanding and tolerance is needed on our part, even though we may feel that the Government has let the English-speaking community down. Progress has been made. This is not the only issue that divides us. We have been showing leadership in Canada, we have been working together Of course, this issue is a problem. And yes, perhaps it could have been avoided but it has not been avoided. But are we going to tear our society apart because of it? Are we going to weaken our community and our province? Because that is what we are doing now. Someone must make the first move to end the language wars.

I have mentioned that we have made great progress in our society. The executive of my riding association has supported this Government policy. As you all know, I am of Italian origin and, in 1968, I was present during the language riots in Saint-Leonard. In 1988, the leaders of the Italian community have written to me and have asked "de demeurer au sein du cabinet et de continuer à bien représenter les intérêts des Québécois, y compris ceux de notre communauté."

This is quite a remarquable change in attitudes over the years. (S'exprime en italien)

So, what are my responsibilities at this particular time and on this particular issue? To leave and abandon the people that I represent or to stay and keep on fighting? I believe in individual rights. In 1976, I almost felt that I was a voice in the desert, fighting for individual rights. I do not believe the issue today is really individual rights. I can believe that it is, but if the francophone community sees it in another way, then I have to convince them of that other way and of my point of view.

There is too much distrust and I believe that if I left I would institutionalize this distrust "et je ne veux pas institutionnaliser la méfiance. Il y a trop de méfiance dans notre société".

I believe that we are not going to be creating a climate of harmony and understanding by confrontation. And the question that we can ask ourselves is: What is the spectacle that we are creating of our society, to Quebeckers, to the rest of Canada and to the rest of the world? I believe that by staying I can do more than by leaving.

Je vais continuer à travailler au sein de cette Assemblée, avec le gouvernement, et je vais continuer à me battre pour mes convictions. Je fais appel à la générosité et à la compréhension de tous les groupes de notre société.

Le Vice-Président: Je vais maintenant céder la parole à M. le député de Gouin.

M. Jacques Rochefort

M. Rochefort: Oui, merci, M. le Président. Le projet de loi 178 relance le Québec, donc son Assemblée nationale, pour une nouvelle fois, dans une crise linguistique majeure. Crise linguistique de la même nature que celle que nous avons connue à l'occasion du "bill" - comme on l'appelait à l'époque - 63 et de la loi 22. Cette loi 178 s'inscrit dans la foulée de ces lois linguistiques qui ont plongé le Québec et l'Assemblée nationale du Québec dans une crise politique et linguistique majeure. Pourquoi, M. le Président? Parce que le projet de loi 178, comme la loi 22, comme la loi 63 n'apporte pas les garanties suffisantes, solides, attendues en ce qui concerne, à la fois, la protection du fait français au Québec et son développement, sa progression, sa croissance.

Tant au chapitre de la loi 63 qu'au chapitre de la loi 22, c'est comme si le projet de loi 178 correspondait à une société où, finalement, on ne se retrouve pas avec 80 % de francophones et 15 % à 18 % d'anglophones et d'allophones. C'est plutôt comme si on se retrouvait dans une société où finalement l'écart serait de beaucoup réduit ou si on se retrouvait dans un Québec où il y aurait deux grosses communautés qui ne seraient pas si différentes en nombre que ça. C'est ça le problème du projet de loi 178, et c'était ça le problème du projet de loi 22, et c'était ça le problème de la loi 63. Donc, cette crise vient briser cette paix linguistique importante sur laquelle nous avons tous capitalisé, quel que soit le côté de cette Chambre que nous occupons. La paix linguistique qu'a apportée la loi 101 dans tout le Québec, dans toutes les communautés, dans tous les domaines d'activité de la vie en société, nous avons tous capitalisé là-dessus. Cela a apporté, cela a généré une paix sociale importante, une paix économique fort importante.

Cela a été un facteur de choix d'investissements pour des entreprises, de venir ici parce qu'il y avait une paix linguistique plutôt qu'ailleurs. Cela a été un facteur de développement, de progrès à tous les points de vue pour le Québec parce que ce projet de loi 101, qui est devenu loi depuis 1967, apportait les garanties

requises, les garanties nécessaires, les garanties essentielles de protection, de développement et de progression de la langue française au Québec. C'est pour ça, M. le Président, que la loi 101, on peut dire, aujourd'hui, que ça a marché. (12 h 40)

Si le projet de loi 178 nous replace, nous relance dans une crise, dans des moments de très grande passion, dans des périodes d'affrontement, de confrontation, c'est, dans un premier temps, parce que le peuple québécois est inquiet, profondément inquiet quant à son avenir parce qu'il se sent menacé. Je vois, M. le Président, des collègues qui me disent que non, ils ne se sentent pas menacés. Si les Québécois considéraient qu'il s'agissait là d'une question qui n'était pas menaçante, qui était un peu banale, on pourrait être pour ou contre le projet de loi 178, mais il ne soulèverait pas cette crise, ces passions, ces affrontements qui existent au Québec depuis quelques jours, même ici à l'Assemblée nationale. Je pense que c'est un fait objectif qu'il faut reconnaître; je dis et j'affirme que si les Québécois réagissent de cette façon, c'est premièrement parce qu'ils se sentent inquiets comme peuple, profondément inquiets et menacés quant à leur avenir. Cette menace, tout le monde la reconnaît, même les procureurs du gouvernement du Québec mandatés par M. le premier ministre. Ils sont allés en Cour suprême pour tenter de convaincre les juges que le fait français au Québec était menacé. C'est écrit dans leur plaidoyer et c'est écrit dans le * jugement, c'est reconnu.

D'ailleurs, M. le Président, nous sommes menacés en deux points de vue, j'en ai parlé la semaine dernière. D'abord, en termes de nombre, et je ne fais pas allusion simplement aux francophones, mais à l'ensemble des Québécois, donc aux personnes qui vivent au Québec. Le peuple québécois est menacé quant au nombre. Il n'y a aucun démographe qui, actuellement, analysant la situation démographique actuelle et à venir du Québec, conclut a une hypothèse que le Québec connaîtra une croissance importante. Au contraire, les plus optimistes nous disent qu'on ne devrait pas trop diminuer; ceux qui se situent entre les deux nous disent qu'on pourrait perdre à peu près 1 000 000 de citoyens d'ici une cinquantaine d'années; ceux qui sont considérés comme les pessimistes du groupe arrivent à des conclusions selon lesquelles on pourrait même perdre, d'ici une cinquantaine d'années, entre 1 500 000 et 1 800 000 Québécois. Aucun démographe ne conclut à une sécurité collective quant à l'existence du peuple québécois, quant à la croissance du nombre. C'est une donnée importante et avec laquelle nous devons vivre, que nous devons prendre en considération dans l'analyse que nous faisons.

Deuxièmement, sur le plan linguistique, le Québec est effectivement aussi menacé en ce qui concerne sa langue, sa culture. Nous sommes 6 500 000 Québécois, à peu près 5 500 000 de parlant français dans une mer de 250 000 000 de citoyens dont la langue première est la langue anglaise, avec ce que ça représente comme force dans les moyens de communication de toute nature, dans leur capacité de faire pénétrer cette culture et cette langue dans chacun de nos foyers, y compris dans les foyers francophones. Nous devons ajouter que malgré les nombreux efforts que les Québécois ont faits pour bien intégrer les immigrants qui arrivent chez nous, à la société québécoise, personne ici en cette Chambre, malgré les grands succès que nous avons obtenus, ne peut dire: Mission accomplie, c'est réglé. Nous avons encore aujourd'hui des problèmes comme société, comme Assemblée nationale et, vous, comme gouvernement quant à l'intégration des hommes et des femmes qui choisissent de venir vivre au Québec. Cela aussi représente d'une certaine façon, aux yeux d'un bon nombre de Québécois, une menace, une inquiétude.

Autant il faut dire oui au multiculturalisme au Québec, et c'est ce que nous vivons de plus en plus avec l'arrivée d'un grand nombre d'immigrants de différentes souches et c'est une des fiertés, une des réussites du Québec, autant on ne pourrait admettre qu'on se retrouve dans une situation de multiethnie. Il faut en être très conscients, tous et chacun d'entre nous. En ce sens, il faut bien voir et lire dans ces deux principes les problèmes qui demeurent des défis pour les membres de l'Assemblée nationale, pour le gouvernement, pour l'ensemble des Québécois et des Québécoises quant à l'intégration des immigrants à la société québécoise. Oui, les Québécois sont inquiets, ils sont menacés. Et je considère qu'ils ont raison. Je suis personnellement inquiet quant à la survie du peuple québécois en termes de nombre, et j'inclus tout le monde: pour moi, le peuple québécois, c'est tout le monde qui vit au Québec. Oui, je suis profondément inquiet quant à l'avenir de la langue et de la culture françaises ici, au Québec. Avant de tenter de solutionner le problème que nous avons, il faut nous convaincre de cette situation, de cet état de fait et en tenir compte.

Deuxièmement, si les Québécois se retrouvent plongés au coeur d'une nouvelle crise linguistique, c'est parce qu'en même temps qu'ils se sentent inquiets et menacés, ils considèrent, et avec raison, qu'ils font tout en leur possible pour ouvrir grandes leurs portes, pour respecter le plus possible à tous points de vue les Québécoises et Québécois qui sont la minorité au Québec, donc les parlant anglais, les gens de la communauté anglophone. Les Québécoises et Québécois francophones considèrent qu'ils font tout en leur possible pour respecter, pour vivre en harmonie avec les citoyens de la communauté anglophone. Donc, comme le disait le ministre des Relations intergouvernementales, comme l'a dit le premier ministre, les Québécoises et Québécois n'ont pas de leçon à recevoir de personne ici, au Canada ni d'ailleurs dans le

monde quant à la façon de traiter leur minorité. Cela aussi ajoute à la dimension de crise quand, en même temps, on se dit: Qu'est-ce qu'on fait qui n'est pas correct à l'endroit de notre minorité? Est-ce qu'on la traite moins bien qu'ailleurs au Canada? Est-ce que les anglophones au Québec sont moins bien traités que les francophones ne le sont dans les autres provinces canadiennes? Est-ce que la minorité anglophone du Québec est moins bien traitée ici que toute autre minorité dans le monde? Non. Et c'est cela qui ajoute au climat de crise, au climat de tension parce que les Québécois sont profondément convaincus. Cela fait partie de notre fierté, je l'affirme, de traiter notre minorité de la façon dont nous la traitons. M. le Président, je ne parlerai jamais de générosité. Ce n'est pas un cadeau, ce n'est pas de la générosité, c'est une ouverture, c'est la volonté de vivre en harmonie, la volonté de vivre conjointement au Québec. Je n'ai aucune indication que ça changera et je pense qu'il n'y a aucun danger que ça change un jour. Cela aussi, il faut que cela soit clair dans notre tête quand on aborde la question et il faut qu'on soit en mesure d'en tenir compte quand on aborde cette question.

Devant la nouvelle situation créée par le jugement de la Cour suprême, que nous propose-t-on? En même temps qu'on nous dit - le premier ministre nous le dit souvent: La majorité est menacée au Québec, la langue française est menacée, l'avenir du peuple québécois est menacé, et qu'on nous explique que nous sommes menacés dans notre langue, dans notre culture et dans notre avenir comme peuple, la solution pour faire face à la menace aura pour effet direct d'ajouter de l'anglais dans le décor linguistique du Québec. Qu'on fasse un débat pour savoir si ce sera un peu plus, un peu moins, patati, patata, c'est un peu secondaire, l'important étant de dire: Devant cette menace à laquelle est confronté le peuple québécois, la réponse du gouvernement du Québec, c'est: Oui, les Québécois sont menacés. Et notre façon d'apporter une solution et de répondre à cette menace, c'est de mettre un peu plus d'anglais dans la société québécoise. J'appelle cela y aller à l'envers de la situation normale que nous aurions dû vivre et suivre devant un tel problème.

Je reconnais que le projet de loi 178 protège le visage français du Québec. Je le reconnais et je suis heureux qu'une telle solution ait été retenue quant à l'affichage extérieur. Je ne vous cacherai pas, parce que, comme je vous l'ai dit tantôt je suis inquiet, que j'ai aussi eu des inquiétudes quant aux décisions qui pouvaient être prises par rapport à cela. Par ailleurs, si le visage français du Québec est important, il faut aussi parler de la vie au Québec. Et si regarder un panneau-réclame, une affiche, c'est le visage français et qu'il faut le conserver, n'oublions pas que les heures que nous passons dans les établissements commerciaux, cela commence à faire partie de la vie. On est beaucoup plus longtemps à l'intérieur d'un commerce qu'à l'extérieur. En ce sens, je pense que la décision qui est prise envoie un message négatif quant à la volonté que nous devrions tous ensemble partager qu'au Québec, c'est-à-dire qu'il faut que cela se passe en français, tant chez les immigrants qui arrivent et qui sont en phase d'intégration à la société québécoise que che2 nos enfants, chez les francophones. (12 h 50)

M. le Président, j'ai des jeunes enfants qui apprennent à lire. Chaque fois qu'on voit quelque chose qui est écrit en anglais, ma fille veut tout lire, alors, il faut lui expliquer que r-e-a-d-y, cela se dit "ready" et cela veut dire "prêt". Elle me dit: Mais pourquoi, papa, on ne me montre pas cela à mon école, je suis juste en deuxième? Voilà de la confusion qu'on instaure et voilà de la confusion qu'il y aura dans la fréquentation des établissements commerciaux où l'affichage pourra être bilingue. Et, là-dessus, ne fafinons pas. Si nous adoptons des règles qui permettront que l'affichage soit bilingue à l'intérieur des commerces, que personne ici ne se lève et ne vienne me dire: Mais n'ayez crainte, personne ne le fera. Si on fait cela, c'est parce qu'on veut répondre à une demande. Il y a des gens qui souhaitent le faire et qui n'ont pas les possibilités juridiques de le faire à l'heure où nous nous parlons. Nous leur donnons les possibilités juridiques. Et que personne, ici, en cette Chambre, ne vienne me faire croire qu'il n'y a pas de danger, que personne ne va utiliser ce droit.

D'autre part, le premier ministre qui nous a dit: Oui, mais vous l'aviez fait au Parti québécois pour les commerces de moins de quatre employés, cela représente 67 % des commerces. Probablement, je n'ai pas fait le décompte avec lui, mais je prends sa parole. Par contre, M. le Président, est-ce qu'on ne pourrait pas s'entendre pour dire que l'activité commerciale s'exerce probablement en proportion inverse, soit à 67 % dans les 33 % qui restent? Pensons, chacun d'entre nous, dans nos activités commerciales, est-ce qu'on ne passe pas plus de temps dans les grandes surfaces que dans les petits commerces de moins de quatre employés? M. le Président, je considère que, là aussi, c'est un argument gentil, sympathique dans un débat politique, mais qui, sur le fond, n'apporte pas de réponse aux inquiétudes et à la menace que crée le projet de loi 178.

Et là-dessus, M. le Président, je passe rapidement sur les problèmes d'application que ça créera, sur les difficultés d'application que nous rencontrerons, sur les poursuites que ça pourrait impliquer. Par ailleurs, on nous dit qu'on donnera un délai de deux ans pour permettre à tout le monde de s'ajuster à cette nouvelle loi. Pourquoi un délai si long? On nous dit qu'on connaîtra un jour les règlements qui vont nous dire concrètement comment ça va s'appliquer. On va nous faire adopter une loi où ce sont les règlements... Le ministre délégué à la langue ne cesse de se référer aux règlements qui découlent de la loi

101 pour nous prouver qu'un règlement précise drôlement une loi et il nous demande en même temps de voter sa loi sans connaître les règlements d'application. Lui-même, le ministre délégué à la langue, hier, en conférence de presse où il présentait son projet de loi - de trois pages, comme il dit, ce n'est pas si compliqué que ça - s'est trompé deux fois. Et il voudrait qu'on soit sécurisé tant par le contenu que par les engagements qu'il prend quant à la nature des règlements qui en découleront. M. le Président, je dis non. Si nous considérons que le peuple québécois est menacé, si nous considérons que la langue française est menacée, la réponse ne peut être: On va ajouter de l'anglais a ça. Cela n'a pas de bon sens de dire que la solution, pour faire face à la menace qui guette le peuple québécois, qui guette la culture française québécoise, c'est d'apporter et d'ajouter de l'anglais à ça.

M. le Président, je considère qu'au fond, ce qu'on fait aujourd'hui du côté de la majorité libérale, c'est de prendre un pari sur l'avenir. On prend une chance sur la langue, sur la culture et sur l'avenir du peuple francophone. Comme si, M. le Président, on pouvait jouer l'avenir du peuple francophone au poker. On prend une chance. Mais si, dans 50 ans, vous vous êtes trompés et que nos petits-enfants et leurs enfants... Ce n'est pas dans huit siècles, ça là. Cela s'en vient. On va connaître nos petits-enfants. Il y a des chances qu'on connaisse leurs enfants. Si, dans 50 ans, vous vous êtes trompés et que cela a des effets néfastes sur l'avenir du peuple québécois, qu'est-ce que vous ferez? Vous ferez un mea culpa du centre d'accueil où vous serez? M. le Président, on ne prend pas de chances. On n'a pas le droit de prendre de chances avec l'avenir d'un peuple, avec l'avenir de sa culture. M. le Président, c'est aujourd'hui qu'il faut peut-être mettre la ceinture et les bretelles, mais surtout ne pas prendre de chance. Cette vision, cette attitude, cette orientation, comme je l'ai dit, découle d'une vision jovialiste des affaires. Allons donc, ce n'est pas si grave, inquiétons-nous pas, ça n'ira pas si pire. Et le ministre des Relations intergouvernementales nous dit: Moi, avec ça, je vais même franciser le visage de Québec. Oui, allons voir ce que ce sera dans les commerces, à l'intérieur, à Québec, compte tenu du nombre de touristes qui visitent Québec. Deuxièmement, admettons qu'il aurait raison encore, est-ce que ça n'ajoute pas à cette création de deux Québec, Montréal et le reste du Québec? Il y a déjà trop de gestes qui sont posés, qui ont tendance et pour effet et pour conséquence de créer deux Québec. La dernière des choses qu'il faut faire quand on est un peuple de 6 500 000 habitants et qu'il y a presque un Québécois sur deux qui vit dans la grande région de Montréal, la dernière des choses quand on veut que ce peuple soit fort, soit uni, soit solide, c'est de poser des gestes qui auront pour effet et pour conséquence de créer deux Québec.

M. le Président, je conclus en disant que je considère que cette réponse à la menace pourtant reconnue par tous est une réponse qui aura pour effet de prendre une chance, de faire un pari sur notre avenir, et c'est un pari auquel je ne suis pas prêt à souscrire. Je suis trop inquiet, trop convaincu de la menace que vous partagez qui guette l'avenir du peuple québécois comme l'avenir du fait français au Québec pour qu'on nous invite aujourd'hui à prendre encore une fois une chance sur cet avenir. On a pris trop de chances sur l'avenir du peuple francophone du Québec, M. le Président, et on n'a pas le droit de nous inviter aujourd'hui à prendre une nouvelle chance.

M. le Président, je conclus en disant que, non seulement il ne faut pas prendre cette chance, mais, de grâce, ne limitons pas les gestes que nous avons a poser à une question d'affichage intérieur ou extérieur. Il faut que le ministre de l'Éducation consacre toutes les sommes requises à l'amélioration du français dans les écoles. Il a déposé un plan l'an dernier. Il nous a dit, il y a quelques semaines: Je n'ai plus d'argent, on essaiera d'en trouver d'autre. Il faut qu'il ait l'argent, il faut que nous posions tous les gestes que nous sommes en droit et en devoir de poser pour mieux intégrer les immigrants à la société francophone. Ce n'est que par tous ces gestes fort dynamiques et solides que nous pourrons mettre toutes les chances de notre côté quant à notre avenir, quant à notre survie et surtout quant à notre progrès. Merci.

Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole à M. le ministre de l'Environnement et député de Nelligan.

M. Clifford Lincoln

M. Lincoln: Merci, M. le Président. Doug Morris est le nom d'un Québécois de Cowans-ville qui, il y a plusieurs années, avait émigré en Colombie britannique où je l'ai rencontré, au bord de la mer, à Océan Park, à côté de Vancouver. C'était un libéral convaincu du credo libéral, qui avait apporté avec lui, au-delà de sa province natale, ses convictions profondes pour la défense des droits individuels, du respect de l'individu dans la société, du respect de l'individu, surtout dans le cas d'une minorité. Il m'avait convaincu, alors que j'étais beaucoup plus jeune, il y a 30 ans, de devenir libéral, malgré qu'en Colombie britannique les libéraux étaient très rares. Nous allions dans les villes prêcher ce message qui est toujours resté profondément ancré en moi, que les libertés individuelles, le respect des plus faibles dans la société, des minorités, c'est le credo même de tout parti libéral.

Si je suis du Parti libéral du Québec aujourd'hui, c'est que j'ai un attachement certain et profond envers le Québec, et j'en suis cons-

cient. Je suis profondément attaché, comme nouveau Québécois, au Québec, cette terre qui a été tellement généreuse de me donner son accueil, la chance et l'honneur de servir ici, au Parlement du Québec, au sein du Conseil des ministres. En même temps, c'est aussi parce que ce parti est axé, dans l'article 1 même de sa charte, sur toute la question du respect fondamental des droits individuels, du respect des droits humains et fondamentaux. C'est pourquoi je suis en politique aujourd'hui, surtout. (13 heures)

Comme vous le savez, je viens de IHe Maurice, un tout petit pays dans l'océan Indien, aussi petit que le Canada et le Québec sont grands. Il y a quelque chose qui nous rejoint, une culture d'abord française et, ensuite, la conquête anglaise qui est venue remuer les passions, remuer les choses, laisser aussi de bonnes choses, un système judiciaire britannique, un système parlementaire britannique, mais, en même temps, une double culture. J'ai vécu depuis mon plus bas âge dans les deux cultures. Je parlais aussi trois langues. Je lisais Hector Malot, Gerbault, Saint-Exupéry et, plus tard. Victor Hugo, Molière, Rostand. En même temps, je savais apprécier Stevenson, Conan Doyle, Scott, Wordsworth, Shelley, Shakespeare. Pour moi, il n'y avait pas de contradiction là-dedans. Pour moi, la langue servait de trait d'union entre les races. Je venais moi-même d'une famille bicul-turelle et je m'y plaisais.

J'ai vécu plusieurs années en Colombie britannique et le fait français me manquait pardessus tout. Je cherchais un cinéma en français, un film de Lelouch ou de Jacques Tati. On ne pouvait pas en trouver. Je cherchais une librairie française pour me trouver un livre en français. Je cherchais quelque chose d'indéfinissable qui était un ferment de culture. Je suis venu trouver ça par choix au Québec, un carrefour de culture où il y avait quelque chose, un ferment, un piquant, un flair, où je pouvais retrouver certaines valeurs que j'avais connues étant jeune.

On m'a appelé un leader de la faction ou du monde anglo-québécois. Je ne me considère le leader de personne. Je suis seulement leader de moi-même, de mes idées. Je ne représente aucune faction, aucun groupe. Pour moi, la chose la plus triste serait que ce débat qui nous retient aujourd'hui devienne un débat anglo-franco parce que je pense que ce serait la chose la plus malheureuse qui pourrait nous arriver, qui nous déchirerait au plus profond de nous-mêmes. Il ne faut pas que la langue devienne un sujet de discorde, mais plutôt un trait d'union entre les groupes.

J'ai un attachement profond au Québec et je sais que c'est différent du vôtre, vous qui êtes nés ici pour la plupart. Je comprends que vos attaches vont ancestralement dans les générations de plusieurs centaines d'années, mais je peux vous dire qu'à ma façon j'aime aussi le Québec. C'est ma terre comme c'est la vôtre. J'ai choisi d'y vivre et j'ai choisi de porter une reconnaissance au Québec qui m'a accueilli avec tant de chaleur et de générosité.

Dans le caucus libéral, je n'ai toujours connu que des amis. On peut avoir des opinions différentes sur la question de la langue. C'est clair que certains députés ont des vues tout à fait opposées aux miennes, mais je respecte ces vues et je les comprends avec le plus profond respect. Qui suis-je pour leur dire comment défendre le Québec, eux dont les familles, les ancêtres ont quitté les leurs pour cette terre du Québec depuis des centaines d'années? Qui suis-je, moi, comme nouveau Québécois, pour leur dire quoi faire?

En même temps, j'espère apporter un nouveau point de vue, un point de vue un peu différent, mais qui n'est pas inamical, bien au contraire. Dans le caucus libéral, je n'ai connu que des frères et des soeurs. J'ai connu un attachement profond et un respect mutuel des différentes options et opinions, des autres C'est la même chose au Conseil des ministres. Et, là, je vais dire quelque chose que je dis sans flatterie, parce que je le pense profondément: Le premier ministre est tiraillé par toutes sortes d'opinions qui le jugent d'une façon ou d'une autre, certaines très défavorablement et d'autres favorablement. Moi, j'ai retrouvé en lui - et je ne l'ai même pas appuyé pour le leadership, je peux le dire en toute franchise - un homme humain, un homme décent, un homme disponible, un homme à l'écoute de nous tous. Je ne connais, dans le Conseil des ministres, que de bonnes choses. J'ai eu mes discussions; on s'est cogné la tête dans certaines circonstances - c'est sûr que la nature humaine est comme ça - mais, en même temps, nous ne sommes jamais sortis de là déchirés parce que lui, cet homme, a réussi à faire du caucus et du Conseil des ministres un instrument de fraternité, de collégialité remarquable et, pour ça, je lui en suis très reconnaissant.

Je suis devenu candidat libéral en 1980 et celui qui est venu parler lors de ma mise en candidature, c'est un de mes grands amis d'aujourd'hui, Michel Gratton, le leader du gouvernement. Je ne l'avais jamais rencontré mais, par coïncidence, nos deux discours ont porté sur le même thème: les libertés individuelles, le respect des droits fondamentaux dans une société, l'avenir des minorités et le devoir du pouvoir de penser à celui qui est plus faible dans la société. Michel et moi, sans nous connaître, avons fait le même discours dans les principes et dans le sens profond de nos paroles. Nous sommes restés depuis de très grands amis et, s'il y a une question qui nous unit, c'est bien celle-là. Au fil de notre activité, de notre engagement politique, c'est toujours ce qui nous a retenus par-dessus tout.

L'enjeu, ici, n'est pas un enjeu d'affichage, ce n'est pas un enjeu d'anglophones et de francophones, c'est un enjeu de société qui va au

plus profond même de l'engagement politique, c'est-à-dire dans la façon dont on conçoit les libertés et les droits individuels, les droits fondamentaux d'une société. Ce n'est pas une affaire d'affiches en noir, en blanc, en rosé ou en vert, mais c'est la question du droit d'un individu de vouloir mettre quelque chose sur une affiche s'il le veut.

La décision de la Cour suprême est issue d'un appel qui va très loin dans le temps, en février 1984, où, après cinq ans de labeurs qui ont retenu onze juges les plus éminents de notre société, les arbitres mêmes que nous avons choisis pour arbitrer sur les questions d'équité, de justice dans la société, et qu'on dit les arbitres les plus objectifs qui soient allant jusqu'à la sommité même de nos juges de la Cour suprême, ont dit: Oui, les gens à qui on a retiré le droit d'afficher avaient un droit fondamental, une liberté d'expression et cela a été consacré dans les jugements successifs de la Cour supérieure, de la Cour d'appel, enfin de la Cour suprême, lis ont dit: Oui, nous pensons que la langue française, comme l'a dit le député de Gouin, est menacée, vulnérable, mais malgré cela, nous ne pensons pas que ce soit un objectif qui devrait faire dire qu'on doit restreindre, malgré tout, cette liberté d'expression qui est fondamentale. Faisons un accomodement afin que la langue française menacée, vulnérable, soit plus protégée, qu'elle soit prédominante, mais ne restreignons pas les droits des autres.

Là, nous avons appliqué une clause "nonobstant" et cela me désole par-dessus tout parce que pour moi, c'est tout ce qu'il y a de contraire à mon engagement personnel de dire que nous avons une liberté et pour des raisons quelconques, quelles qu'elles soient, on les restreint, on les retire, on les soustrait. S'il faut appliquer une clause "nonobstant" dans la Loi 107 pour continuer des droits ancestraux qui étaient déjà là pour les parfaire, pour les solidifier, j'en suis. Mais si c'est pour soustraire de ces droits, je suis tout à fait en désaccord. Certains diront, les anglophones, parce que c'est le cas des anglophones, mais cela ne m'intéresse pas qu'ils soient des anglophones, ça pourrait être des Chinois, des Italiens, des francophones, ça pourrait être n'importe qui, ce sont des humains pour moi d'abord. Ils avaient un droit avant. Certains ont dit: Mais là, on leur a donné la moitié de ce qu'ils voulaient, ils devraient être satisfaits. Mais retournons un petit peu en arrière. Voyons ce qu'était la question avant la loi 101. Ces gens-là avaient un verre d'eau plein. Là, on dit: On leur donne quelque chose. Ils ont gagné. On va leur donner un verre d'eau à moitié. On dit: Ils ont gagné. Mais eux disent qu'ils ont perdu le verre d'eau plein qu'ils avaient avant, qui était un droit qu'ils avaient eu au fil des siècles et que vous avez retiré par une loi qui a été déclarée par les sommités de l'équité et de la justice dans notre société comme étant tout à faire contraire à la justice et l'équité.

Donc, ce n'est pas un demi-verre qu'ils devraient gagner. Il faut qu'ils gagnent le verre plein pour qu'ils reviennent à la situation où ils étaient avant les jugements. C'est comme si vous disiez: Je vous avais prêté 20 $ à une date quelconque. Je veux que vous me repayiez mes 20 $. Vous dites: Non, pour une raison quelconque, je ne peux pas vous les donner, ce n'est pas le temps. Je vais vous en donner 10 $ et, ensuite, on verra. (13 h 10)

C'est tout le principe fondamental du respect d'un droit qui était acquis et qui est consacré aujourd'hui. Là, on dit: Même la Cour suprême dans son jugement consacre la légalité de la clause "nonobstant". Soit! Mais ce n'est pas une question juridique, parce que les juges, dans leur sagesse, ont dit, après avoir examiné la chose, après cinq ans d'examen, que, malgré tout, il y a un droit fondamental qui doit être respecté, que le restreindre irait au-delà des objectifs de la préservation de la langue française, malgré son caractère vulnérable et menacé.

Donc, on a saisi ce pouvoir des juges, par ce pouvoir juridique, on a nié ce jugement de la Cour suprême qui vient d'arriver. Cela m'étonne et je trouve cela un peu paradoxal que des juges qui travaillent dans ce domaine d'équité et de justice prennent cinq ans pour arriver à une décision et que nous, dans cinq jours, du 15 au 20 décembre, nous disions: Les juges, vous avez fait ça, mais nous les politiciens, dans cinq jours, on va retirer ce que vous avez donné dans cinq ans de travail.

Je ne peux pas être d'accord avec cela ni avec le principe que, demain, j'ai une maison qu'on me retire. Je vais en cour plaider qu'on ne me retire pas ma maison, et la cour me dit: Oui, vous avez droit à cette maison. Et le jour que la cour me dit cela, on me dit: Pour des raisons quelconques, on va vous rendre le terrain seulement, la maison viendra plus tard. Je trouve cela inéquitable, inacceptable.

In my beiief, rights are rights are rights. There is no such thing as inside rights and outside rights. No such thing as rights for the tall and rights for the short. No such things as right for the front and rights for the back, or rights for East and rights for West. Rights are rights and always will be rights. There are no partial rights. Rights are fundamental rights. Rights are links in a chain of fundamental values that bind ail individuals in a Society that wants to be équitable, and just, and fair. Rights are bridges that unité people in a society through a set of fundamental values, and the minute you deny those rights, you withdraw that bridge, and create a gap between members of that society by denying those fundamental rights that bind them together.

Rights are that delicate balance that equates the chances of people in a society, so that there is an équation between the rich and

the poor, between the powerful and the weak, between the majorities and the minorities, between the State and the individual. Whoever tampers with a very délicate machtnery of equity and justice in a society, which are expressed through rights, sets in motion a chain of events which someone more audacious may tamper with even more. That chain of events could be disastrous for a society whose beliefs are based on a sense of equity and justice for ail.

All of us are human beings first. We are not francophone, anglophone, rich, poor, weak and strong, first, we are human beings with rights. And for me, I will fight until my last breath for the right of some person to do something that society says he has that right to do and, in that case, that person, be he English or French or Chinese or whatever, has that right to paint that sign on the exterior of his building, and I do not think it should be denied.

Je pense à une grande famille: six enfants. Dedans, il y a cinq enfants qui sont francophones de souche, et la famille en a adopté un autre qui vient d'ailleurs, d'un endroit où il a appris et où il a vécu en anglais. Là, il faut faire un mariage de tous ces enfants. Ils se battent parfois. Les uns l'appellent le maudit "bloke"; le maudit "bloke" les appelle les "pea soup". Ils se battent, mais ils s'entendent. Ils réussissent à vivre ensemble comme nous vivons ensemble. Un jour, pour la Noël, le 15 décembre, le papa et la maman, aux cinq plus grands, donnent une grosse bicyclette avec 12 vitesses; au plus petit, le petit adoptif, ils donnent une petite bicyclette, mais on lui dit: Pour certaines raisons, tu vas faire rouler ta bicyclette dans le garage, la porte fermée. Et il dit: Je veux rouler dans la rue. J'ai envie de faire de la bicyclette avec vous, les plus grands. C'est ça qu'il veut. Il ne veut pas faire de la bicyclette derrière une porte fermée. Et c'est ce qu'on vient dire aujourd'hui à ces gens qui sont anglophones ou autres: Allez, affichez à l'intérieur, mais soyez sûrs que ce n'est pas vu du public. Mettez un rideau. C'est ça que notre règlement va dire. Bouchez ça pour qu'on ne le voie pas. Mais lui, il dit: Ma langue, ce n'est pas une plaie dans la société. Pourquoi autant m'humilier?

J'aurais préféré fondamentalement - je le dis en toute sincérité - que tout reste comme c'était, plutôt que de faire quelque chose qui est encore plus humiliant et dire: À l'intérieur, vous êtes permis, mais à l'extérieur, ne vous affichez pas, parce que, cela, ça nous fait mal. Je ne pense pas que ce soit ce que les francophones pensent. Je réalise comment la sécurité et la menace qui est devenue une perception ancrée dans le milieu francophone fait en sorte qu'on croie que le visage français va disparaître si on permettait ce droit.

Je pense différemment, mais je respecte profondément vos opinions. Ce que je n'accepte pas, c'est qu'on soustraie ce droit de façon que je considère arbitraire. Je pense que le visage linguistique du Québec, comme l'ont dit les juges de la Cour suprême, doit refléter la réalité du Québec. La réalité du visage du Québec, c'est en grande majorité francophone. Chicoutimi ne va jamais changer. Montréal, dans son rôle le plus gros, ne va jamais changer. Mais il y a aussi des endroits où les anglophones vivent. Eux aussi ont le droit d'avoir leur langue quelque part à l'extérieur, pour pouvoir se sentir valorisés dans leur peau.

Je ne vois rien de mal là-dedans. Si demain matin la Cour suprême fédérale, où il y a une majorité d'anglophones, pour une raison quelconque décidait que dans les langues officielles... on allait dire: On peut afficher en français à l'intérieur mais, surtout, n'affichez pas en français à l'extérieur parce que nous, on est majoritaires. On a trouvé une excuse pour vous dire... vous seriez outrés et moi aussi, parce que je ne pense que ce soit équitable.

Donc, je pense que dans ces choses, parfois, on est majoritaires ici, parfois, on est minoritaires. Il faut réaliser que tous, partout dans le monde, nous sommes majoritaires ou minoritaires, mais nous sommes d'abord des individus et des humains. Que nous soyons anglophones ou francophones, on se retrouve partout devant les mêmes choix fondamentaux qui reviennent à l'individu.

Pour moi, c'est un choix déchirant parce que je suis profondément libéral, attaché à ce gouvernement qui a fait de belles choses au Québec et qui continue de le faire. J'ai reçu des messages très nombreux de toutes sortes de gens, surtout des jeunes qui m'ont dit: Continuez au ministère de l'Environnement. Nous acceptons ce que vous êtes en train de faire. Nous acceptons votre message. On veut continuer à travailler ensemble. Continuez. C'est beaucoup plus gros qu'une affaire d'affiche. Après avoir réfléchi j'ai été obligé de me dire: Pour moi, comme libéral, c'est mon engagement fondamental qui est en jeu et je dois le respecter, malgré toute la peine que ça me fait d'avoir à ne pas partager les vues de mon parti qu'autrement je partage tout à fait. Je me considère toujours très solidaire du premier ministre, de tous mes collègues, quelle que soit leur opinion, même si elle diffère complètement de la mienne et je dirai même de mes opposants du Parti québécois.

Peut-être qu'on peut se crier, le député de Verchères et moi, mais, en fin de compte, nous sommes tous des Québécois qui cherchons la même chose: faire mieux marcher le Québec, faire mieux vivre le Québec dans son essor le plus complet.

En fin de compte, il faut vivre avec soi. Il faut vivre avec sa conscience. Je suis ainsi fait. Il faut que je vive avec ma conscience. Je vais avoir à prendre une décision malheureuse pour nous tous. Ce sera malheureux pour moi et ce le sera pour tout le monde. Parce que je dois vivre avec moi-même et avec ma conscience, je ne pourrai pas souscrire à ce projet de loi. La

chose qui me peinera le plus, en prenant cette décision, c'est que ce soit vu comme une lutte entre francophones et anglophones. Cela niera tout ce que j'ai essayé de faire. Et ce que j'essaie de faire, c'est de faire représenter dans notre société ce message d'unité entre tous les groupes qui forment notre société. (13 h 20)

Le Vice-Président: Y a-t-il consentement à ce que M. le ministre termine son intervention pendant quelques minutes?

M. Lincoln: Je vais prendre une ou deux minutes; j'ai fini.

Le Vice-Président: Consentement, M. le ministre.

M. Lincoln: Je voudrais vous demander, vous tous ici qui êtes Québécois, de penser que nous avons à faire chemin ensemble. Cette bicyclette qui est dans le garage derrière la porte, elle aussi a le droit, son petit droit, au chemin. Je sais que votre chemin avec vos grandes bicyclettes est rempli, comme un de mes collègues me le disait, de beaucoup d'autobus qui viennent de l'Amérique du Nord et qui sont si effrayants lorsqu'on est un petit peuple de quelques millions d'habitants, mais en même temps il faut voir quelque chose de positif dans tout cela.

Le Québec, pour moi - je sais qu'il est menacé dans sa culture à cause de (a démographie - mais c'est aussi un Québec vibrant. J'ai ici avec moi mon chef de cabinet, Brigitte Bourque, mon attachée de presse, Marie-Andrée Jobin, plusieurs autres de mon cabinet peut-être qui écoutent, tous des jeunes entre 25 et 30 ans, dynamiques, confiants en eux, plusieurs bilingues, qui se sentent à l'aise à Québec dans leur peau parce que c'est leur territoire, mais en même temps ils se sentent à l'aise à New York, à Denver, à Amsterdam, qui se sentent confiants dans l'avenir, qui sont dynamiques entre tous, qui sont les plus valorisants de tous les jeunes que j'ai rencontrés dans tout le Canada, qui font des choses remarquables et, pour moi, c'est cela le Québec de demain. Il ne faut pas qu'on se terrorise aussi avec cette histoire d'être menacés de partout. Il faut voir aussi le côté positif des choses. Jamais le Québec n'a été aussi vibrant, aussi dynamique, aussi confiant en lui, aussi puissant dans son pouvoir de faire des choses, d'avancer, d'affronter des défis comme le libre-échange et d'autres choses. Il ne faut pas avoir peur d'avancer des droits, même si cela fait quelque chose, même si cela nous coûte quelques petits sacrifices.

En terminant, je voudrais vous dire que, dans cette décision très malheureuse que je vais prendre aujourd'hui, je reste d'abord fondamentalement attaché à mes idéaux de libéral. Je vais rester comme membre du caucus libéral et je veux aussi rester comme membre de ce Parlement du Québec parce que, moi aussi, à ma façon, je suis un Québécois attaché à cette terre profondément. Cette année a été une année très éprouvante pour moi. Ma femme repose en terre québécoise; c'est le plus grand tribut que je puisse faire au Québec. Le Québec continuera d'être une terre qui va réunir les gens au lieu de les désunir. Il faut qu'on continue à travailler ensemble, à chercher des mécanismes, et après le déchirement de ce vote, de tout ce qui s'est passé ici, j'espère qu'on va recommencer à essayer des solutions de travail ensemble. Surtout, n'ayons pas peur des affiches extérieures, cela ne va pas changer le monde; cela se fait ailleurs dans le monde. N'ayons pas peur de nous avancer. N'ayons pas peur de nous afficher, de nous ouvrir au monde. N'ayons pas peur, surtout, d'être nous-mêmes parce que nous sommes confiants en nous-mêmes. N'ayons pas peur de nous parler, ne soyons pas méfiants l'un envers l'autre.

Donc, mon message à vous tous, c'est un message de confiance dans l'avenir, c'est un message en vue de regarder, je l'espère, bientôt, une autre façon de faire revaloir ces droits que nous restreignons aujourd'hui, parce que ces droits sont beaucoup plus qu'une affiche, ce sont des droits fondamentaux qui vont au plus profond d'une société. Une société qui est forte, confiante et qui se respecte se doit de les respecter. Merci beaucoup pour tout votre accueil.

Le Vice-Président: M. le député de Shef-ford.

M. Paré: Si vous le permettez, M. le Président, je vais demander la suspension des débats étant donné qu'il reste seulement six minutes sur le temps qui m'est alloué.

Le Vice-Président: Très bien. Puisque nous arrivons pratiquement à l'heure de suspension, nous allons dès maintenant suspendre nos travaux qui reprendront cet après-midi à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 25)

(Reprise à 15 h 5)

La Vice-Présidente: À l'ordre, s'il vous plaît!

Vous pouvez vous asseoir. Nous allons reprendre le débat concernant l'adoption du principe du projet de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française. Là-dessus, je suis prête à reconnaître le premier intervenant. Oui, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Jacques Brassard

M. Brassard: Mme la Présidente, à regarder évoluer le premier ministre du Québec depuis quelques mois et quelques semaines, on en arrive

à la conclusion que le premier ministre avait une stratégie par rapport à cette question centrale qu'est la question linguistique au Québec. Cette stratégie était la suivante: D'une part, il lui fallait donner satisfaction à la communauté anglophone du Québec tel que promis lors de la campagne électorale et comme on le retrouve également dans le programme du Parti libéral. Introduire la liberté de choix en matière d'affichage à l'intérieur comme à l'extérieur. C'était ça l'objectif avoué, poursuivi par le gouvernement et par le premier ministre.

D'autre part, H s'agissait pour lui d'obtenir la ratification de l'accord du lac Meech auquel il tenait beaucoup pour entrer dans l'histoire. C'était là la stratégie connue du premier ministre du Québec sur cette question. Est arrivé, jeudi dernier, le jugement de la Cour suprême. Je ne m'attarderai pas sur le contenu de ce jugement de la Cour suprême du Canada, mais on sait qu'encore une fois la loi 101 a subi un assaut dévastateur, qui faisait suite à d'autres assauts déjà connus dans le passé. Cette fois-ci, ça concernait l'affichage commercial.

La Cour suprême décrétait que les dispositions de la loi 101, en cette matière, étaient contraires à la liberté d'expression et que, par conséquent, elles étaient invalides et inopérantes, inconstitutionnelles. À la suite de ce jugement, Mme la Présidente, à la surprise, j'en suis persuadé, du premier ministre, des réactions populaires très vives, très vigoureuses se sont exprimées spontanément un peu partout au Québec. Cela a donné lieu, bien sûr, à des événements spectaculaires comme le rassemblement monstre au Centre Paul-Sauvé à Montréal, mais également un peu partout au Québec à des manifestations quasiment spontanées de citoyens et de citoyennes pour protester et pour exprimer leur indignation à l'endroit du jugement de la Cour suprême. Chez nous, dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, par exemple à Jon-quière, plus de 1000 personnes, dimanche dernier, ont défilé dans les rues et ont manifesté leur indignation par rapport au jugement de la Cour suprême. Cela a été le cas en Abitibi-Témis-camingue également, mais aussi on le sentait lorsqu'on rencontrait des gens dans la rue, dans les centres commerciaux, dans les milieux de travail, à nos bureaux de comté. On sentait qu'il y avait une indignation très vive, très forte de la population du Québec face au jugement de la Cour suprême.

Ce sont ces réactions très vives, très vigoureuses de la population qui ont dérangé le premier ministre, qui ont perturbé sa stratégie, qui l'ont embarrasse. Il a dû, en dernier recours, à la dernière minute, modifier sa stratégie initiale qui, je le rappelle, était la suivante: donner satisfaction à la communauté anglaise, conformément au programme de son parti, et obtenir la ratification de l'accord du lac Meech. C'était sa stratégie, au départ. Il a dû modifier sa stratégie. Qu'est-ce qui l'a obligé à modifier sa stratégie? Ce sont les réactions populaires, très vives, spontanées, les réactions instinctives du peuple du Québec qui a senti la menace. Alors, il a modifié sa stratégie. Aux anglophones, à la communauté anglaise du Québec, il a décidé d'en donner un peu moins qu'il devait en donner au départ. Il a décidé d'en donner un peu moins, il leur en donne tout de même et un gros morceau.

Pour ce faire, il a été obligé forcément d'en enlever aux francophones, ce n'était pas prévu à l'origine. À cause de la réaction très vive du peuple québécois, il s'est vu contraint de modifier sa stratégie et d'en donner moins qu'il ne le prévoyait aux anglophones. Forcément, pour ce faire, il a dû en enlever aux francophones. On s'est rendu compte que l'appétit de la communauté anglophone du Québec était on ne peut plus vorace et immense que leurs revendications étaient intransigeantes, c'était le tout ou rien. On veut tout, tout de suite, tel que prévu, tel qu'inscrit dans le programme du Parti libéral.

On se retrouve présentement avec des démissions de ministres anglophones du cabinet québécois. Curieuses de démissions, toutefois, qu'on pourrait qualifier de démission à l'extérieur, mais on reste à l'intérieur. C'est un peu en parallèle avec la solution bâtarde du premier ministre en matière linguistique. On voulait tout du premier ministre. Sous la pression des francophones québécois indignés du jugement, le premier ministre ne peut pas leur donner tout. Il leur donne beaucoup, mais il ne peut pas leur donner tout. Mais comme les anglophones du cabinet et du Québec voulaient tout, ils sont insatisfaits et il y en a quelques-uns qui démissionnent: démission à l'extérieur, mais on reste à l'intérieur. J'entendais l'eX-ministre de l'Environnement, le député de Nelligan, faire la comparaison suivante: Écoutez, cela ressemble un peu à un père de famille qui a six enfants, cinq qui sont de lui et un autre qu'on a adopté - c'est la comparaison qu'il faisait - et à Noël, on leur donne des bicyclettes, cinq belles bicyclettes à douze vitesses aux cinq enfants légitimes et à l'enfant adopté, une petite bicyclette en l'obligeant à faire du vélo à l'intérieur du garage.

C'est une comparaison extrêmement boiteuse, Mme la Présidente, parce que, quand on regarde la communauté anglophone du Québec, sur le plan de l'affichage, peut-être qu'on peut parler de bicyclette, mais quand on regarde l'ensemble de la communauté anglophone et la place qu'elle occupe en Amérique du Nord et les privilèges qu'elle détient au Québec, elle a peut-être une petite bicyclette à l'intérieur du garage, mais devant la maison, elle a une Hariey Davidson. Parce que, pour continuer la comparaison du député de Nelligan, dans le garage, on ne pourrait pas mettre les universités anglophones, les cégeps anglophones, les postes de radio anglophones, les journaux anglophones, les postes de télévision anglophones et les institutions culturelles anglophones, il serait trop

petit, il n'y aurait pas de place. C'est une comparaison qui n'est en aucune façon conforme à la réalité. Mais comme c'était tout ou rien, évidemment, il y a du mécontentement et des démissions.

Quant à l'accord du lac Meech, je le répète, je l'ai dit ce matin, c'est maintenant torpillé au Canada anglais. Pourquoi? Parce qu'au Canada anglais, on était d'accord avec l'entente du lac Meech à trois conditions. Je les reprends, c'est important. On était d'accord avec l'accord du lac Meech à trois conditions. Premièrement, qu'on donne aux anglophones du Québec tout ce qu'ils demandent, qu'on leur donne satisfaction totalement et complètement. Deuxièmement, qu'on ne donne rien aux communautés francophones hors Québec. Et, troisièmement, que la notion de société distincte, dont on se targue en face, demeure une notion vide de sens, insignifiante, un hochet, un bibelot, un élément décoratif dans la constitution. À ces trois conditions, oui, on est prêts à ratifier l'accord du lac Meech. Mais si cela veut dire quelque chose d'autre, là, on torpille et on sabote.

Quand on regarde tout cela, évidemment, on est fascinés, attirés, par les démissions récentes de ministres anglophones du Conseil des ministres. Mais, quand on regarde la réalité et qu'on se pose la question: Quel est le groupe qui perd au Québec? Quel est le groupe perdant? Quel est le groupe qui subit un recul sur le plan linguistique? Quel est le groupe qu'on oblige à faire un retour en arrière, au Québec, sur le plan linguistique? C'est nous. Ce sont les francophones.

Des voix: Bravo!

M. Brassard: Parce que c'est cela qu'on nous contraint de faire par rapport à la loi 101 et aux dispositions de la loi 101 qui existaient en matière d'affichage depuis 1977. On nous oblige à retourner en arrière. Le seul groupe perdant au Québec - je le dis au député de Bourget - dans cette question, c'est le groupe francophone. C'est nous qui perdons.

Une voix: Et ils restent assis. Une voix: Et ils sourient, en plus.

M. Brassard: Ne nous laissons pas fasciner, éblouir par les démissions de quelques ministres anglophones du Conseil des ministres. Il ne faudrait pas que ça masque la réalité. C'est un événement camouflage. Cela camoufle la réalité. La réalité est que c'est la communauté francophone du Québec qui perd dans cette affaire. Elle est la seule qui perd parce que la communauté anglophone, elle, y gagne, Mme la Présidente. Elle fait des gains dans cette question. Ah, ça ne satisfait pas les ministres anglophones! J'en conviens. Ils donnent leur démission là-dessus parce qu'ils voulaient tout.

Mais c'est la seule communauté qui y gagne. Et, pendant ce temps-là, les francophones libéraux du caucus applaudissent, Mme la Présidente. J'ai été extraordinairement étonné. J'ai écouté le discours du député de Nelligan et, à la fin, il a été ovationné. Il a été applaudi à tout rompre. Par qui? Par les députés francophones du Parti libéral. Oui, on perdait... C'étaient les francophones qui perdaient...

Une voix: C'est dégueulasse!

La Vice-Présidente: S'il vous plaît! M. le chef de l'Opposition, avant de vous reconnaître, je vais attendre que le calme soit revenu. S'il vous plaît! Sur une question de règlement, M. le chef de l'Opposition.

M. Chevrette: Mme la Présidente, j'escompte beaucoup qu'en vertu de l'article 2 du règlement, le pouvoir conféré à la présidence de l'Assemblée nationale d'accorder le privilège qui est dévolu, aux articles suivants, au député qui a la parole, de pouvoir s'exprimer en toute liberté comme l'ont fait ceux qui l'ont précédé en cette Chambre, Mme la Présidente.... On a toléré quelque assertion que ce soit de la part des députés ministériels sans les arrêter d'aucune façon. Depuis le matin, c'est le deuxième collègue qui prend la parole en cette Chambre qui a été arrêté dans son discours. Le critique de l'Opposition en matière de langue a été arrêté, Mme la Présidente, durant sa réplique à 11 heures ce matin. C'est la deuxième fois qu'on prend la parole et ça fait deux fois qu'on nous dérange. S'il vous plaît, respectez notre droit de parole comme nous allons respecter le vôtre.

Des voix: Bravo!

La Vice-Présidente: Je demande la collaboration de la Chambre. Nous sommes maintenant à l'intervention du député de Lac-Saint-Jean et j'aimerais qu'on respecte son droit de parole. M. le député de Lac-Saint-Jean. (15 h 20)

M. Brassard: Oui, Mme la Présidente, et je vais continuer. Les francophones du Québec perdaient. Les francophones du Québec reculent avec cette solution et ce projet de loi. Qu'est-ce que trouvent à faire les députés libéraux francophones? Ils applaudissent celui qui dit que nous n'avons pas assez, que la communauté anglophone n'a pas assez, que les francophones n'ont pas été suffisamment dépouillés. Et on applaudit. Je trouve ça inconvenant...

Une voix: Honteux.

M. Brassard: ...honteux, de la part des députés libéraux d'ainsi ovationner celui qui dit que la communauté anglophone n'a pas assez, n'a pas suffisamment, que nous n'avons pas assez donné, que nous ne nous sommes pas assez

dépouillés au bénéfice de la communauté anglophone, et ils applaudissent. C'est quand même l'inconvenance quasiment suprême, Mme la Présidente, et je dis: Au moins ils auraient dû être silencieux devant le discours du député de Nelligan. De grâce, Mme la Présidente, je dis aux députés libéraux francophones: Si vous n'avez pas le courage de démissionner parce que votre communauté, à laquelle vous appartenez, subit un recul et un retour en arrière sur le plan linguistique par le projet de loi 178, si vous n'avez pas le courage de démissionner, au moins ne sombrez pas dans le ridicule et la honte en applaudissant ceux qui, au moins, ont le courage de démissionner parce que, disent-ils, leur communauté n'a pas obtenu suffisamment et que le programme du Parti libéral n'a pas été respecté intégralement. Ayez au moins la fierté, si vous ne démissionnez pas, de ne pas vous associer par vos applaudissements et votre ovation à un discours qui non seulement trouve que ce n'est pas grave que la communauté francophone perde du terrain et recule, mais qui juge que l'appétit vorace de la communauté anglophone n'est pas encore satisfait.

Une voix:...

M. Brassard: Je vois le député, Mme la Présidente...

Une voix: Si vous voulez parler, votre droit de parole, vous le prendrez...

Une voix: II n'est pas à sa place.

M. Brassard: Je vois le député de Laval-des-Rapides qui n'est pas à son siège. D'abord, s'il veut parler, il s'en ira à son siège...

Une voix: Qu'il se prononce...

M. Brassard: ...et aussi le député de Bour-get, à son siège, parce que je ne me laisserai pas bâillonner par les francophones libéraux qui n'ont pas le courage de leurs convictions.

Des voix: Bravo!

M. Brassard: Si ça vous donne satisfaction et si ça vous satisfait de voir reculer la communauté à laquelle vous appartenez et que vous représentez en cette Chambre, si vous n'avez pas le courage de dire non à une solution qui fait reculer votre communauté et qui fait reculer le peuple québécois, ayez au moins le courage du silence quand quelqu'un se lève en cette Chambre et qu'il vient dire aux francophones: Vous ne nous avez pas donné assez, donc je quitte le Conseil des ministres. Mme la Présidente...

M. Chevrette: Mme la Présidente, je m'excuse. Question de règlement.

La Vice-Présidente: Question de règlement, M. le chef de l'Opposition.

M. Chevrette: C'est la deuxième fois, Mme la Présidente, que je me lève depuis 20 minutes pour le respect du droit de parole de mon collègue. Cette fois-ci, même des ministres sont intervenus. S'il vous plaît, on va vous laisser parler, mais vous allez nous laisser dire ce qu'on pense profondément et à partir de principes basés sur les droits collectifs des Québécois francophones. S'il vous plaît, ayez la décence de nous laisser aller.

La Vice-Présidente: Question de règlement, M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: Oui, sur la question de règlement, Mme la Présidente. Si on respectait mieux le règlement de l'autre côté et qu'on s'abstenait de s'adresser directement aux membres de l'Assemblée nationale, comme vient de le faire le chef de l'Opposition et comme le faisait tantôt le whip en chef de l'Opposition, cela éviterait peut-être bien les provocations et les réactions. L'article 35 paragraphe 4° interdit à un député qui a la parole de s'adresser directement aux membres de l'Assemblée et il me semble que cela aussi devrait être respecté, Mme la Présidente.

M. Brassard: Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Oui, je vais vous reconnaître. Cela étant dit, je demande la collaboration de la Chambre. Je demande à M le député de Lac-Saint-Jean de bien vouloir continuer.

M. Brassard: Oui, Mme la Présidente. Je dis que les faits sont là. La solution qu'a choisie le gouvernement en matière linguistique constitue, à n'en pas douter, et on aura beau faire tous les discours qu'on veut, on aura beau faire tous les maquillages possibles, les faits sont là: la solution et le projet de loi déposé et étudié en cette Chambre constituent un recul inacceptable pour la communauté francophone du Québec par rapport à ce qui existait dans la loi 101. On sait maintenant que la revendication nationale des francophones du Québec était de rétablir la loi 101 dans toute son intégralité, dans toute sa plénitude.

C'était ce qu'on demandait au premier ministre. On lui demandait d'avoir le courage d'aller dans cette direction et de restaurer la loi 101 dans toutes ses dispositions, et il n'a pas voulu le faire. Il a préféré une solution tarabiscotée, alambiquée, bâtarde. Mais je dis aux députés francophones du Parti libéral: Vous pouvez bien l'accepter, cette solution, vous pouvez bien rester dans le caucus libéral, ne pas démissionner, mais, au moins, Mme la Présidente, et je conclus là-dessus, n'en soyez pas fiers.

Le Président: Je remercie M. le whip de l'Opposition. Toujours en continuité du débat sur la motion proposant l'adoption du principe du projet de loi 178, je vais maintenant reconnaître M. le premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, on ne s'étonnera pas si j'emploie un ton quelque peu différent de celui qui nous a précédé.

Je voudrais d'abord situer ce débat, qui prend évidemment un sens historique d'une certaine façon, dans un contexte plus général. Je voudrais d'abord mettre en relief les éléments positifs de la société québécoise depuis quelques années, le redressement spectaculaire des finances publiques, de l'économie, les relations du travail beaucoup plus calmes, les relations fédérales-provinciales plus harmonieuses. Ce sont des actifs pour la société québécoise qu'il est important de noter.

Évidemment, dans le problème linguistique, immédiatement, on fait des comparaisons. On se pose des questions. Comment se fait-il que, dans le domaine linguistique, le gouvernement ou le chef du gouvernement ne soit pas aussi habile, pas aussi apte, pas capable de trouver aussi facilement des solutions qu'il en trouve dans l'économie avec son équipe et dans les autres secteurs, dans le domaine social et culturel? Comment se fait-il que le gouvernement que je dirige n'ait pas la même efficacité que dans les autres secteurs?

M. le Président, je réponds à cette question avec un peu d'histoire sur ce qui est arrivé au Québec depuis 25 ans, depuis que le Québec est devenu une société plus ouverte et, en même temps, plus inquiète. Il y a 25 ans, début de la révolution tranquille, alors que le Québec, en 1960, entre dans le XXe siècle. On sait qu'avec M. Lesage, on se souvient des tensions qui existaient immédiatement aussitôt que le Québec s'est ouvert, les tensions qu'on trouvait dans la société québécoise sur notre avenir, sur notre progrès, sur notre dynamisme. Quelques années par la suite, on a eu le problème qui s'est posé d'une façon concrète: la question de Saint-Léonard. (15 h 30)

J'entendais hier avec beaucoup d'intérêt un homme d'affaires, un ancien journaliste, à rémission Le Point, qui se référait aux problèmes qui existaient à ce moment-là pour le premier ministre du temps, M. Daniel Johnson, dont j'ai le grand privilège d'avoir un des fils dans mon équipe, le président du Conseil du trésor, privilège partagé par l'autre parti puisqu'un autre de ses fils a été ministre durant plusieurs années et premier ministre. M. Daniel Johnson, toujours très lucide, alors qu'on lui demandait quelle est la solution au problème de Saint-Léonard, au problème de la conciliation des liens entre les droits individuels et collectifs, disait, honnête, intellectuellement lucide: Je n'en vois pas de solution pour le Québec, pour concilier droits individuels et collectifs. À tout le moins, on n'en voit pas facilement et je suis totalement d'accord avec lui.

Mais là j'ai un jugement de la Cour suprême sur la table. Il faut que j'en trouve une solution. Il faut que mon gouvernement trouve une solution pour concilier les droits individuels et collectifs. M. le Président, on peut continuer dans l'histoire récente avec M. Jean-Jacques Bertrand qui, lui aussi, a essayé de concilier les droits individuels et collectifs, d'arbitrer entre les droits individuels et collectifs. Il a arbitré du côté des droits individuels. À quel coût pour lui, quel coût politique, quel coût humain? On n'a pas à se souvenir des attaques très dures dont il a été personnellement l'objet. J'entendais hier, avec émotion, son épouse Mme Gabrielle Bertrand, qui incarne à son mieux la sincérité, la générosité, la sagesse. Elle a connu ce qu'était le débat linguistique au Québec, Mme Bertrand, de très proche puisqu'elle était l'épouse.

J'étais touché par ce qu'elle a dit: La solution de M. Bourassa est raisonnable. M. le Président, dans les temps très difficiles que connaît la politique québécoise, il y a toujours quelques bons moments. C'est un temps très difficile ces jours-ci. Mais entendre Mme Bertrand, hier soir, c'était un bon moment pour moi.

Continuons, M. le Président. Élu en 1970, quelques semaines par la suite, conscient de la situation fragile sur le plan linguistique, je m'attelais à la tâche en rencontrant notamment des dirigeants d'entreprises. Je me souviens d'un cas concret, General Motors, pour essayer d'implanter dans cette entreprise le français comme langue de travail. Quelques années par la suite, on se souvient des débats sur la loi 22 où, encore une fois, comme mes prédécesseurs, j'ai essayé de concilier les droits individuels et collectifs, et ce n'était pas facile. On ne peut pas dire que le pouvoir fédéral, à ce moment-là, faisait preuve d'un excès de compréhension pour le Québec, contrairement à la situation que nous connaissons aujourd'hui avec M. Mulroney du gouvernement fédéral qui, lui, paraît faire preuve de compréhension et d'ouverture vis-à-vis du Québec.

Je devais décider et essayer de concilier ces droits individuels et collectifs. Il y a eu beaucoup d'opposition, on s'en souvient. Un geste historique a quand même été posé, l'un des gestes dont je suis le plus fier, c'est d'avoir été le premier - c'est M. Michel Brunet, historien, qui le disait lui-même - dans l'histoire du Québec à faire du français la seule langue officielle.

Continuons, M. le Président, avec l'histoire récente du Québec. Le Parti québécois a pris le pouvoir en 1976. Le Parti québécois a fait voter la loi 101, la Charte de la langue française. On entendait hier le père de la loi 101, celui qu'on considère comme le père de la loi 101, le Dr

Camille Laurin qui admettait très franchement qu'il y avait quand même une évolution de la société québécoise avec la position du gouvernement. Même s'il n'en était pas satisfait, c'est évident, il admettait une évolution.

On note que M. Laurin était le père de la loi 101, une loi essentielle, fondamentale, mais que M. Lévesque n'a jamais insisté pour en être le père. L'attachement de René Lévesque aux droits individuels demeure un exemple pour l'ensemble des citoyens du Québec. Parfois, il ne paraissait pas tellement à l'aise avec certaines restrictions de la loi 101. C'est pourquoi, d'ailleurs, il a insisté pour donner la préséance à la Charte des droits et libertés sur la loi 101. On sait que c'est le leadership de René Lévesque qui a fait que la Charte des droits et libertés - c'est ce qui explique le problème que nous avons aujourd'hui - ait préséance sur la loi 101. Pour René Lévesque, la liberté était la valeur suprême. Il en avait connu le prix comme correspondant de guerre quand il avait parcouru le continent et qu'il avait vu tous ces peuples qui combattaient pour la liberté. Mais comme responsable de la collectivité québécoise, il avait finalement accepté un arbitrage en faveur des droits collectifs.

Il y a une quinzaine de mois, dans le dernier volume qu'il publiait, il révélait encore une fois son attachement à cette valeur de la liberté des droits individuels, en suggérant lui-même - cela fait partie de son héritage - un assouplissement de la loi 101. Je n'ai rien entendu depuis le début du débat, de votre côté - cela m'inquiète - sur la liberté individuelle, je ne sais pas si le député de Mercier a parlé, mais je n'ai rien entendu, certainement pas par l'orateur qui m'a précédé. Le père fondateur considérait que c'était la valeur suprême. Il en connaissait le prix. C'est étonnant que ceux qui lui succèdent ont l'air à rejeter du revers de la main cette valeur fondamentale, essentielle dans notre civilisation.

Je voudrais, évidemment, maintenant, conclure ce bref survol de l'histoire par l'élection de 1985. J'ai été élu avec une équipe sur un programme du parti qui accordait la priorité - sans la prohibition - aux français. Il y avait un engagement très clair. On entend très souvent, depuis quelques semaines: Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas agi dès son élection? Pourquoi n'a-t-il pas profité du momentum qui suit toujours une élection pour appliquer la solution de la priorité ou du bilinguisme ou du programme du parti dans la mesure où ça peut s'appliquer d'une façon concrète? J'ai attendu le jugement de la Cour d'appel comme je l'avais promis. Après tout, il s'agit d'une question vitale et essentielle pour l'avenir du Québec. Il était important de connaître l'interprétation des tribunaux. Entre-temps, nous avons agi dans certains secteurs. Nous avons agi avec le ministre de l'Éducation pour la question des illégaux. Nous avons agi avec la ministre de la

Santé et des Services sociaux pour donner à la minorité anglophone des services hospitaliers dans sa langue, loi qui avait été combattue férocement par le Parti québécois, mais que, soudainement, maintenant, on semble accepter puisqu'elle ne fait pas partie du projet de loi 191. Ce n'est pas moi qui vais vous blâmer d'évoluer dans le sens de la justice individuelle. Je trouve que c'est un élément encourageant, non seulement pour le Parti québécois, mais pour l'ensemble de la société, de voir ce parti qui, dans son discours public, n'accorde aucune importance aux droits et aux libertés fondamentaux. (15 h 40)

Dans cette question concrète, de la loi 142, il a décidé de faire volte-face. Nous avons donc décidé à la suite du jugement de la Cour d'appel, pour des raisons compréhensibles sur le plan technique, if y avait un autre jugement dans le domaine linguistique qui allait en Cour suprême, qu'il fallait donc également nous rendre en Cour suprême. Nous ne pouvions pas avoir un jugement sur l'unilinguisme sans en avoir un sur la question du bilinguisme.

Le 15 décembre dernier, nous avons eu le jugement et le même défi se posait à celui qui vous parle au caucus, au gouvernement. Comment concilier les droits individuels et les droits collectifs? Plusieurs options s'offraient à nous. Le bilinguisme? À ce moment-là, nous pouvions mettre en péril d'une certaine façon les droits collectifs. La société québécoise, on le sait, est vulnérable à plusieurs égards: elle est vulnérable sur le plan du nombre, nous sommes moins de 2 % en Amérique du Nord, elle est vulnérable sur le plan du déclin démographique. Le député de Verchères me posait la question ces jours-ci: Qu'est-ce que vous allez faire pour la dénatalité? On a raison de s'inquiéter. Je lui ai dit que c'était la principale source d'inquiétude. Je me demande pourquoi vous n'essayez pas d'accorder la priorité au redressement démographique avant de vous lancer dans l'indépendance. Si la chute de la natalité se poursuit d'une façon aussi dramatique, vous allez faire l'indépendance pourquoi et avec qui? C'est là le vrai défi de la force du Québec. Ce n'est pas de chambarder les structures, mais de faire en sorte que nous ayons un avenir comme peuple. Votre objectif est un peu déphasé quand vous voyez cette réalité incontournable qui caractérise le Québec d'aujourd'hui. Donc, le bilinguisme ne pouvait pas être accepté et le bilinguisme, comme on le sait, n'est pas le programme du Parti libéral.

Le statu quo, c'est un peu ce que propose, contrairement au père fondateur, si j'ai bien compris, le Parti québécois actuel sous son chef. Le statu quo, nous croyons qu'il se trouve à brimer d'une façon non nécessaire certains droits individuels. Je n'ai pas l'intention dans ce discours qui a quand même son importance de me mettre à réfuter les propos du chef de l'Opposition selon lesquels j'enlevais aux francophones

le droit d'afficher uniquement dans leur langue. J'aurai d'autres occasions pour le faire documents en main. Mais ce que je dis quand même, c'est que nous croyons, nous, de ce côté-ci de la Chambre, que cela fait partie de la philosophie fondamentale du Parti libéral, que nous ne pouvons pas rejeter les droits individuels indistinctement.

C'est vrai qu'il y a eu des amendements proposés par le député de Mercier, des amendements, admettons-le, quand même importants pour assouplir la loi 101, probablement plus importants que ceux que nous voulons apporter dans ce débat. Nous ne sommes pas les premiers à toucher à la loi 101. Vous avez été les premiers à y toucher d'une façon encore plus importante et en étant l'objet de critiques comme nous le sommes par les mouvements nationalistes. Le député de Mercier a été durement attaqué par les mouvements nationalistes, par la Société Saint-Jean-Baptiste, parce qu'il a voulu tenir compte - il sait ce que c'est, personnellement, les libertés individuelles - des libertés individuelles. Nous ne sommes pas les premiers à toucher à la loi 101. Vous nous avez ouvert la voie. Nous continuons l'oeuvre du Parti québécois avec l'esprit de son père fondateur. Je me réfère encore une fois à la suggestion qui était contenue dans son volume.

M. le Président, nous avons essayé de trouver une formule qui puisse précisément servir de point d'équilibre - j'aime mieux utiliser l'équilibre - parce que c'est exactement ce qu'on essaie de faire. Deux valeurs fondamentales s'affrontent et quand il y a deux valeurs fondamentales qui s'affrontent, il faut faire un choix, rechercher l'équilibre entre les deux. Il y a un arbitrage inévitable. Partout ailleurs en Amérique du Nord, l'arbitrage aurait été du côté des droits individuels.

J'avais un arbitrage à faire. Je l'ai fait avec beaucoup de réticence parce qu'il n'y a pas de précédent, au Québec et nulle part ailleurs, d'un premier ministre et d'un gouvernement qui se trouvent à suspendre des libertés fondamentales. On peut dire ce qu'on veut du jugement, on peut critiquer le jugement, mais il reste clair que la loi du pays, à la suite de ce jugement, c'est que le discours commercial fait partie des libertés fondamentales. Comme citoyens, nous ne pouvons pas choisir les lois avec lesquelles nous sommes d'accord et refuser les lois avec lesquelles nous sommes en désaccord. Vous avez énoncé votre respect de la Cour suprême. Vous avez dit vous-mêmes que la Cour suprême était apte à décider du contenu de la société distincte. D'ailleurs, sur la question des ordres professionnels, la Cour suprême a rendu une décision favorable à la loi 101. Mais la Cour suprême a décidé d'inclure le discours commercial dans la liberté d'expression, la liberté fondamentale.

Donc, sur le plan des principes, c'était une décision extrêmement difficile. La tradition du parti, la raison et le coeur faisaient en sorte qu'on devait essayer de préserver au maximum ces droits individuels. Nous avons donc essayé, avec une formule, de tenir compte des deux. Mais, finalement, lorsqu'il a fallu arbitrer entre les libertés fondamentales et les droits collectifs, j'ai arbitré du côté des droits collectifs en acceptant d'appliquer la clause dérogatoire.

Je le répète, je crois que je suis le seul chef de gouvernement en Amérique du Nord qui avait la justification morale d'agir de la sorte, parce que je suis le seul chef en Amérique du Nord qui est à la tête d'une communauté très minoritaire dans l'ensemble du continent. Qui peut le mieux et qui doit le plus défendre, protéger et promouvoir la culture française, si ce n'est le premier ministre du Québec? M. le Président, comme je viens de le dire, j'ai pris la décision avec beaucoup de réticence.

Il fallait donc trouver une formule qui, parce qu'elle doit tenir compte de ces deux valeurs fondamentales, n'est nécessairement pas facile d'application. On voit que la loi 101 n'est pas facile d'application, avec des centaines d'articles. J'ai cherché un précédent dans d'autres sociétés où une loi va aussi loin pour réglementer les libertés individuelles. Des milliers et des dizaines de millliers de commerces. Nous avons ouvert la voie, nous aussi, de ce côté avec la loi 22, la langue de travail. Énormément de boulot a été fait là-dessus. Le Dr Camille Laurin, au mois de septembre 1977, me rendait hommage lui-même en disant que j'avais permis l'adoption de la loi 101, extrêmement difficile d'application pour couvrir toutes les situations.

À la télévision, il y a quelques semaines, on rapportait la situation d'un village en Gaspésie où la presque totalité des habitants est d'origine anglophone. Dans cette enclave, ils ne peuvent pas utiliser la langue du foyer, la langue maternelle pour eux, qui est l'une des deux langues officielles du Canada. Il y a des situations comme celle-là qu'il va falloir regarder sans toucher en aucune façon aux principes fondamentaux. C'est la même chose dans Pontiac-Témis-camingue. Pas question de toucher aux objectifs de sécurité culturelle des Québécois. J'ai fait la preuve de ma volonté de protéger mes compatriotes mais il y a quand même place pour assouplir la loi, comme vous l'avez fait vous-mêmes il y a quelques années. (15 h 50)

M. le Président, je me permets bien humblement de faire une demande à tous ceux qui - et c'est leur droit et je les respecte et ils sont essentiels dans le fonctionnement de la démocratie - trouvent que la formule n'est pas appropriée, d'essayer de faire un effort de recherche pour en trouver une meilleure qui tienne compte des droits et des libertés fondamentales. Je m'adresse à celui qui pense que c'est facile et je lui demande un instant de penser à son ancien chef, celui qui l'a nommé au Conseil des ministres. Il va comprendre que c'est moins facile qu'il le dit.

M. le Président, nous avons essayé de trouver une formule qui tienne compte de ces libertés qu'un très petit nombre de peuples possèdent. Nous sommes l'une des rares sociétés à avoir cette liberté. Tous les jours, des peuples combattent pour l'obtenir. Et c'est pourquoi, dans le Parti libéral, c'est une valeur qui est importante pour nous. Et c'est pourquoi aussi nous devons en tenir compte. Nous devons tenir compte des droits collectifs, je l'ai dit tantôt. Je regrette beaucoup le départ de certains de mes collègues. Je les comprends, mais j'aurais souhaité qu'ils restent avec nous pour continuer à combattre pour leur cause. J'aurais souhaité qu'ils restent dans le gouvernement pour continuer à combattre à la fois pour les droits collectifs et les droits individuels.

We need the English-speaking community in this province. They have their place. I know it is a tough moment for them. My govemment is asking them, as I said, an enormous concession on grounds of principles. I am asking them practically to understand the position, to under-stand the unique situation of Québec in North America and to understand that I have to take a décision between protecting the French culture which is an asset, not only for Québec but for Canada. If Canada is an original country on this continent, it is because we have a strong French culture. And I want to keep in this province a strong French culture because, at the same time, I am working for a strong Canada.

M. le Président, certains diront peut-être que j'ai été trop loin dans la défense de mes compatriotes. Je leur réponds que je n'avais pas le choix. Je le répète, ce choix a été dur sur le plan des principes, encore plus, étant donné la philosophie du Parti libéral, les fondements mêmes de notre parti, son histoire. Et c'est parce que je n'avais pas le choix que, en conscience, j'ai décidé ce qui me paraissait vital pour l'avenir de notre collectivité.

Des voix: Bravo!

Le Président: Je remercie le premier ministre. En continuité sur le débat pour l'adoption du principe du projet de loi portant le numéro 178, je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition. M. le chef de l'Opposition.

M. Guy Chevrette

M. Chevrette: M. le Président, la consistance dans le discours assure souvent la crédibilité d'un homme, quel que soit le titre ou le poste qu'il occupe. Nous venons d'entendre un discours où le premier ministre actuel se fait le champion des libertés fondamentales. Il se fait le champion, je dis bien, défenseur également du député de Mercier qu'il prend à témoin, mais il ne faudrait pas que le premier ministre du Québec prenne tous les Québécois pour des naïfs, M. le Président. Les Québécois se rappelleront que c'est à la demande même de ce premier ministre que le même député de Mercier fut arrêté, une nuit, en brimant complètement les droits les plus fondamentaux, les libertés les plus fondamentales, à la suite de sa demande au premier ministre canadien d'établir la Loi sur les mesures de guerre. C'est le même premier ministre québécois qui se fait le champion et qui plaide pour la liberté d'expression des compagnies à capital-actions qui vient de nous faire un discours sur les libertés fondamentales individuelles. C'est le même premier ministre qui, à la tête d'un gouvernement, suspend les effets de la Charte des droits et libertés de la personne eu égard à la loi 107, qui fait en sorte que, nonobstant la Charte des droits et libertés de la personne, celle-ci ne s'appliquera pas dans le cas de la liberté de conscience. Et il se fait le champion défenseur des libertés fondamentales. M. le Président, il faut le faire.

Les gens doivent bien se demander ce qui se passe en cette Chambre depuis quelques heures, depuis quelques jours. Je vais essayer, moi aussi, de le leur expliquer un peu, sans faire une longue histoire. On va s'en tenir exclusivement à la vie politique de l'actuel premier ministre et des gouvernements qu'il a présidés.

Je rappellerai à nos concitoyens que nous avons eu un jugement de la Cour suprême, que le plus haut tribunal, dit-on, du pays dit que la langue française est vulnérable au Québec. Ce jugement de la Cour suprême nous dit également qu'avec une clause "nonobstant", une clause dérogatoire, on peut restaurer la loi 101 qui a assuré aux Québécois, à l'ensemble du peuple francophone, une paix linguistique au Québec depuis onze ans, et ça c'est dans le jugement même de la Cour suprême de façon très explicite. Les Québécois doivent donc se demander ce qui arrive pour que, tout à coup, il y ait du monde qui se rassemble, il y ait des déclarations à l'emporte-pièce qui soient faites, il y ait un bâillon à l'Assemblée nationale, une suspension des règles, M. le Président.

Mais que se passe-t-il? Cette paix linguistique est momentanément troublée. Pourquoi est-elle troublée, M. le Président? Parce que l'actuel premier ministre du Québec, à la tête de son gouvernement, a décidé de ne pas restaurer la loi 101, mais d'en diminuer les effets, et si bien que les grands perdants dans tout ça, c'est la communauté francophone québécoise. C'est ça, fondamentalement, qui arrive. Mais le monde va dire: Mais, on ne comprend pas; comment se fait-il que ce soit la majorité francophone québécoise qui est la grande perdante et que ce sont des ministres anglophones qui démissionnent? Voilà la question que les gens se posent, comme mes concitoyens qui nous écoutent se demandent ce qui se passe au Québec. Comment se fait-il que des anglophones démissionnent et que des milliers, des dizaines de milliers de Québécois se réunissent au centre Paul-Sauvé, dans les rues à Chicoutimi, à Jonquière, à

Rouyn-Noranda? Comment se fait-il que les francophones s'agitent et que ce soient des ministres francophones qui démissionnent?

Des voix: Anglophones.

M. Chevrette: Anglophones qui démissionnent. M. le Président, ma liberté d'expression, je dois l'avoir, je l'ai donnée au premier ministre, même de la part de son ministre pancanadien. Si des ministres anglophones démissionnent, il doit y avoir une raison. S'il y a autant de monde au Québec qui s'agite, c'est parce qu'il y a une raison. La raison est la suivante. C'est que le premier ministre du Québec a déposé une solution, une solution, dit-il, basée sur des droits fondamentaux, oui, fondamentaux, des droits collectifs et des droits individuels. (16 heures)

Je respecte, je considère véritablement que ce sont deux droits qu'on va examiner ensemble effectivement, et je vais expliquer pourquoi il y a des ministres anglophones qui quittent et des francophones au Québec qui s'agitent. M. le Président, la loi 101 nous accordait l'unilinguisme français partout, en dedans et en dehors, l'affichage français commercial en dedans et en dehors, M. le Président, à l'exception de la clause 60 sur laquelle on va revenir pour essayer de finasser. M. le Président, je veux avoir le même respect à mon droit de parole que le premier ministre a eu en cette Chambre. Est-ce clair?

Le Président: C'est votre droit, M. le chef de l'Opposition.

M. Jolivet: Faites-le respecter.

Le Président: Tout à l'heure, M. le premier ministre a eu tout le loisir de s'exprimer, il n'a été dérangé en aucun moment et je voudrais que le chef de l'Opposition ait le même droit.

M. Gratton: Question de règlement, M. le Président.

Le Président: Sur une question de règlement, M. leader du gouvernement.

M. Gratton: Je veux bien et j'invite tous mes collègues à effectivement respecter le droit de parole du chef de l'Opposition, mais je ferai remarquer que le ton employé par le premier ministre et celui du chef de l'Opposition entraînent évidemment des réactions différentes.

M. Gendron: M. le Président, sur la question de règlement.

Le Président: Sur la question de règlement, M. le leader de l'Opposition.

M. Gendron: Quand même, si, justement, le fond est plus important que la forme, le premier ministre du Québec a au moins laissé voir que les libertés individuelles l'intéressaient. Il a laissé voir ça. On en reparlera. Il ne me semble pas que ce soit une question de règlement de dire: Oui, c'est vrai qu'on aura une liberté d'expression, mais à condition que ce soit le ton du premier ministre. Il me semble que, s'il y a quelque chose de fondamental qui nous appartienne, c'est de s'exprimer de la façon dont on l'entend et sur le ton qu'on veut utiliser. Est-ce clair?

Le Président: Oui. Bon. Mais il y a plus que ça. Il y a une règle du décorum. J'ai accordé la parole à une personne. Le droit de parole du premier ministre a été respecté dans sa totalité, durant plus de 30 minutes, et je voudrais que le chef de l'Opposition ait le même droit.

M. Chevrette: M. le Président, je vais afficher mes convictions sur le ton que je voudrai bien utiliser.

Le Président: Je vous le reconnais.

M. Chevrette: Je vous dirai qu'il y a deux valeurs en cause. Il y a un droit collectif fondamental et le premier ministre lui-même l'a reconnu: Je suis à la tête - et les bretelles s'étiraient - du seul gouvernement en Amérique du Nord où je réponds d'une majorité francophone dit-il. C'est un droit collectif fondamental, la survie d'un peuple, M. le Président. Je pense que cela ne peut être mis en cause par personne. Je pense que le premier ministre le reconnaît lui-même en utilisant la clause "nonobstant" en ce qui regarde l'affichage extérieur. Là, pour beurrer la tartine, comme il l'a toujours fait durant 18 ans de vie politique, ne pas être capable de se brancher au plan linguistique, il a dit: II y a aussi des valeurs fondamentales. C'est là que le bât blesse. Il essaie de faire croire à la population du Québec que le droit d'affichage en français ou en anglais est devenu une valeur aussi fondamentale que la liberté de conscience, que la liberté totale d'expression, que les droits humains, par exemple, la liberté de religion, imaginez-vous... Je suis bien prêt à concevoir que l'affichage commercial est un volet de la liberté d'expression, mais qu'on ne vienne pas faire accroire à l'ensemble de la population du Québec, M. le Président, que le droit à l'affichage commercial est devenu une des valeurs fondamentales inaliénables au Québec. C'est du charriage pur et simple que fait le premier ministre qui induit ainsi en erreur la population, M. le Président. C'est inacceptable de la bouche d'un premier ministre, j'en suis convaincu.

M. le Président, le premier ministre n'a pas été capable de faire un choix entre les principes ou les valeurs collectives du peuple francophone ou les droits individuels. Il n'a pas été capable de se brancher. Et, comme d'habitude, sans

principe, sans conviction, qu'est-ce qu'il a fait? Il a décidé d'aller jouer à l'essuie-glace: Si je donne un petit peu là et si je donne un petit peu là, on s'en sortira peut-être comme ça. On se retrouve avec les deux communautés insatisfaites.

J'écoutais l'ex-ministre de l'Environnement qui a donné sa démission comme ministre nous dire tantôt: Je préférerais - et ce n'est pas moi qui parle - le statu quo de la loi 101 à la formule présentée par l'actuel premier ministre. Là, M. le Président, le choeur de l'Armée rouge s'est mis à battre et à applaudir. Pourtant, l'ex-ministre de l'Environnement était en train de dire au premier ministre du Québec: Vous n'avez pas encore été capable de faire le choix entre un droit collectif fondamental et des valeurs individuelles que vous reconnaissez. C'est ce que le député de Nelligan et le ministre de l'Environnement disait à son premier ministre, et le choeur de l'Armée rouge d'applaudir, M. le Président. Sombrer dans le ridicule à ce point! Vendredi soir, à Droit de parole, j'étais dans la même salle que M. Blaikie qui disait la même chose, pour et au nom de la communauté anglophone. Il disait: Le choix que le premier ministre du Québec fait n'en est pas un, il ne tranche pas entre une volonté d'un droit collectif et les volontés d'appliquer des droits ou le respect des valeurs individuelles.

Et on préférerait, encore une fois, le statut quo c'est-à-dire la loi 101. La loi 101 avait ce mérite d'être claire, d'avoir fait un choix. Est-ce qu'il y a une honte au Québec, comme formation politique, de dire que, nous, nous avons fait un choix, nous avons fait le choix du droit collectif de sauvegarder notre langue. Nous avons fait ce choix. Les anglophones du Québec savent très bien que notre formation politique n'a pas d'ambiguïté. On ne cherche pas à faire miroiter dans l'affichage commercial aux anglophones du Québec qu'on n'est ni pour ni contre, bien au contraire. Ils savent de quel bois on se chauffe, ils savent quels sont nos principes de base. Et je suis convaincu qu'ils nous respectent profondément là-dessus.

Ce que le premier ministre a voulu faire, c'est de ménager le chou et la chèvre. Une formule ni chair ni poisson. Comme d'habitude sur le plan linguistique. Mais un masque est tombé aujourd'hui. C'est qu'il a admis au tout début de son exposé qu'il fallait qu'il trouve une solution. Vous vous rappellerez il y a six ou sept mois le même premier ministre disait qu'il avait trouvé la formule. Le masque est tombé. Il a attendu encore à la dernière minute et, sans avoir de principe, sans conviction, il a essayé de pondre, comme d'habitude, une solution qui déplaît à tout le monde. Mais ce n'est pas vrai qu'on va laisser passer, par exemple, ce qui est en train de s'accréditer. Écoutez, M. le Président, des démissions de ministres anglophones. Pourquoi? Que disent les ministres anglophones? Parce qu'ils ont quand même obtenu des assouplissements à la loi, alors que la majorité francophone est victime à ce moment-là. Ils disent non, notre appétit est plus grand que ça. Je démissionne parce que je n'ai pas obtenu le bilinguisme intégral qui signifie l'anglicisation à moyen terme, c'est clair, et très rapidement. Ils démissionnent pour ça.

Mais que font ceux et celles, les champions petits nationalistes de corridor, qui se devaient de défendre le français comme droit collectif, qui ont essayé d'en faire pleurer des dizaines au cours des semaines qui sont passées? Est-ce qu'il y a eu des démissions parce que le premier ministre du Québec a annoncé une diminution des droits linguistiques face à la majorité francophone? Aucune. Ce sont ceux qui ont obtenu plus qui posent des gestes de démissionnaires. Ceux qui ont obtenu moins, assis bien confortablement dans leur petite chaise, applaudissent à tout rompre les discours qui font primer les droits individuels en matière d'affichage sur les droits collectifs. C'est ce à quoi on a assisté ce matin, M. le Président. Des larmes de crocodile, purement et simplement. C'est inacceptable.

M. le Président, le premier ministre s'est servi aussi, dans son laïus sur l'histoire, de notre père fondateur. J'aimerais que le premier ministre affiche une honnêteté intellectuelle. Comme premier ministre du Québec, c'est un peu inconcevable qu'on se permette des écarts sur le plan de l'honnêteté intellectuelle.

Que disait le père fondateur en matière d'affichage bilingue, M. le Président. À La Presse, le 14 octobre 1987 - ce n'est pas longtemps, M. le Président, avant que M. René Lévesque quitte ce monde - il disait: Le retour de l'affichage bilingue serait catastrophique. Est-ce que le premier ministre du Québec pourrait être honnête intellectuellement pour se rappeler les propos les plus frais du père fondateur? Est-ce que le premier ministre du Québec pourrait se rappeler ce que M. Lévesque répondait lorsque Alliance Québec lui demandait de changer l'affichage bilingue? René Lévesque dit non à Alliance Québec. (16 h 10)

Avec les services qu'ils ont, vous ne me ferez pas croire, M. le Président, que le premier ministre du Québec n'est pas capable de citer correctement le père fondateur. René Lévesque a dit: Pas question d'amender la loi 101 dans un avenir prévisible concernant l'affichage bHingue Québec n'est pas prêt à modifier la loi 101, a dit René Lévesque. Il y a toujours des limites. Quand on veut citer quelqu'un, on s'organise au moins pour le citer honnêtement, correctement. C'est impossible. C'est exactement comme la formule Dion, me souligne un de mes collègues. On s'ingéniait à vouloir dire que c'était la formule Dion, alors que Dion disait lui-même que ce n'est pas ça qu'il avait dit. M. le Président, quand on parle des deux côtés de la bouche, c'est ce qui arrive. Les Cyniques disaient à l'époque, je pense, que c'est quand il se tait qu'il dit la

vérité.

Nous avons un projet de loi vicieux, pernicieux et hypocrite. Hypocrite en ce sens que c'est rendu que le certificat de francisation va devenir la licence à la bilinguisation, imaginez-vous. C'est fort! Il faut le faire! Vicieux en ce sens qu'il donne l'illusion de gain à la majorité francophone alors que c'est le seul groupe qui perd. Pernicieux, parce qu'il essaie de faire croire qu'on a mis en balance des droits individuels vis-à-vis des valeurs fondamentales, alors que ce n'est pas le cas du tout. La liberté d'affichage n'est qu'un volet de la liberté d'expression.

Là, le premier ministre voudrait, dans un discours plutôt à éléments historiques, se congratulant, nous faire sentir un peu coupables. Eh bien messieurs du pouvoir et mesdames, sachez qu'on ne se sent nullement coupables. On ne se sent pas coupables d'être la seule communauté en Amérique du Nord à traiter sa minorité avec autant de condescendance qu'on le fait. M. le Président, nommez-moi une minorité qui a son système scolaire de l'élémentaire, de la maternelle, de la pré-maternelle à l'université. Nommez-moi une communauté qui a ses services de santé en anglais. Nommez-moi une communauté qui a ses postes de radio, de télévision, ses journaux dans sa langue. Nommez-moi une communauté où le gouvernement amnistie même les illégaux. Nommez-moi une minorité qui a droit aux services de santé en anglais. Nommez-moi une communauté au monde qui est mieux traitée par les Québécois majoritairement francophones sur ce coin de terre. Nommez-m'en une et je commencerai à me sentir coupable. Mais ce n'est pas vrai que vous allez développer chez nous un sentiment de culpabilité parce qu'on veut protéger la langue française, et ce, non pas en ménageant le chou et la chèvre, mais en se donnant tous les outils nécessaires, les outils indispensables pour sauver le français dans le continent nord-américain.

Nous sommes le seul ilôt où nous sommes majoritaires, est-ce clair? Chaque bord de nous, chaque côté de nous, ce sont des anglophones. Qu'ont-ils fait pour les droits de leurs minorités, eux? Rien. Rien, M. le Président. J'étais insulté, pour ne pas dire révolté, hier, quand j'ai entendu le premier ministre du Manitoba. Où sont les francophones au Manitoba? 90 %, 95 % sont au cimetière. Les droits sont complètement bannis. On a même gagné un jugement de la Cour suprême et trouvé un moyen de s'y dérober.

Nous n'avons aucune leçon à tirer de personne et, comme formation politique, nous sommes fiers de dire qu'en matière de langue d'affichage, nous avons opté pour les droits collectifs des Québécois francophones. M. le Président, nous ne parions pas des deux côtés de la bouche et je vais vous le démontrer. Le 17 octobre 1987, il y a à peine un an, le premier ministre du Québec disait: Si les nouveaux immigrants dont nous avons absolument besoin n'ont pas un message très clair que la société québécoise est principalement francophone, qu'elle n'est pas bilingue, ils auront un intérêt économique à aller du côté de l'anglais. Il l'a déclaré au cours d'une entrevue accordée au Soleil. M. le Président, le même premier ministre tient de beaux discours dans ses entrevues. Quand arrive le temps fondamental de faire des choix pour assumer la cohérence de ses propos antérieurs avec les droits fondamentaux, là, c'est autre chose; ce sont les calculs stratégiques qui priment.

Donc, je dis au premier ministre du Québec: S'il vous plaît, vos appels à la tolérance, à la générosité, ça fait longtemps que ces appels ont été compris des Québécois. Ce qu'ils vous demandent comme premier ministre - c'est l'appel que je lui lance - c'est de pouvoir, pour une fois, avoir assez de colonne vertébrale et un discours assez clair pour ne pas illusionner les communautés ethniques, pour ne pas faire en sorte de créer des rêves irréalisables, si ce n'est que d'en arriver à avoir un Québec anglicisé? Peut-il, pour une fois, avoir le discours et la volonté politique assez forts pour assurer que ce Québec demeure la propriété des francophones?

Le Président: Je remercie M. le chef de l'Opposition. Le prochain intervenant sur le même débat, c'est-à-dire la motion proposant l'adoption du principe du projet de loi 178, est M. le ministre de la Sécurité publique. M. le ministre, vous avez maintenant la parole.

M. Herbert Marx

M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais dire que j'ai passé toute ma vie au Québec, à Montréal. Je suis né à Montréal. J'y ai grandi et je me souviens du Montréal des années quarante, cinquante et soixante, un Montréal où le français n'était jamais respecté. C'était: The Men's Swimming Club à St. Helen's Island, je ne pense pas que c'était même ITIe Sainte-Hélène; c'était Bell Téléphone Company of Canada, le Montréal Light, Heat and Power; c'était tout ça durant le temps de ma jeunesse, jusqu'aux années soixante et soixante-dix, alors que cela a commencé à changer.

J'ai toujours trouvé cela injustifiable et j'ai toujours compris combien il était difficile pour mes compatriotes francophones d'accepter tout ça, mais il faut admettre, M. le Président, que cela a beaucoup changé depuis les années quarante, cinquante, soixante et soixante-dix. C'est complètement changé à Montréal. Je pense qu'on peut vraiment dire de Montréal que c'est une ville essentiellement française.

En ce qui concerne les droits linguistiques, quand j'ai commencé mon cours de droit à l'Université de Montréal, en 1964, en première année nous avons eu ce cours de droit constitutionnel où j'ai appris, pour la première fois, qu'on avait enlevé, en 1890, au Manitoba des

droits linguistiques aux francophones. Je n'ai jamais compris comment on avait pu faire ça; j'estimais que c'était inconstitutionnel. Cela a pris encore beaucoup d'années avant qu'un jugement dise que ce l'était.

J'ai aussi étudié les droits des Franco-Ontariens en ce qui concerne le règlement 17. J'ai trouvé ça très injuste, et même plus que ça. Quand on lit ce qu'on a fait en Ontario, au début du XXe siècle, on voit que c'était vraiment raciste. On parle toujours des orangistes, c'était ça aussi, j'imagine. J'ai étudié toute cette question et j'ai même fait une étude sur les droits linguistiques dans la Constitution canadienne, comme thèse de troisième année en droit.

Cela fait maintenant environ 30 ans que je travaille ou que je fais des études dans les institutions francophones au Québec. Je suis tout à fait d'accord pour que le Québec soit français, que le visage soit français, mais pas à 100 %. Il n'y a pas une ville au monde, ces jours-ci, où c'est 100 % dans une langue ou dans une autre. Allez, par exemple, à New York, vous allez voir le visage espagnol, le visage chinois, le visage anglais, etc. Ce n'est pas à 100 % américain ou anglais. On ne peut pas s'attendre que le Québec, étant donné qu'il y a des anglophones, des allophones et des immigrants, soit français à 100 %. Le visage français du Québec, je pense que c'est une donnée qui ne va pas changer. La 101 est toujours la loi telle qu'interprétée par les tribunaux.

(16 h 20)

La loi 101, comme toute autre loi, est la loi telle qu'interprétée par la Cour supérieure, la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada. En ce qui concerne l'affichage, nous avons eu des jugements de la Cour supérieure, de la Cour d'appel du Québec et de la Cour suprême du Canada. Nos tribunaux et surtout la Cour suprême du Canada nous a dit que la liberté d'expression inclut la liberté d'expression commerciale et cela, en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et aussi en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. La Cour suprême du Canada a dit - c'est très clair dans le jugement - qu'on peut exiger le français partout et même une nette prédominance du français, mais une nette prédominance sans prohibition. La cour a dit, comme les autres cours inférieures, qu'une loi dans laquelle on fait la prohibition totale d'une langue est une loi qui va à rencontre de la liberté d'expression, qui va à rencontre de nos deux chartes, c'est-à-dire la charte québécoise et la charte canadienne.

Le projet de loi 178 ne respecte pas la Charte québécoise des droits et libertés. Dans cette loi, on suspend la liberté d'expression. En effet, celle-ci est suspendue par deux clauses "nonobsant" l'une pour la charte québécoise et l'autre pour la charte canadienne. C'est pour cette raison que je ne peux pas voter pour ce projet de loi.

Lorsque j'étais professeur de droit constitutionnel à l'Université de Montréal, j'ai toujours enseigné à mes étudiants que j'étais contre l'usage d'une clause "nonobstant" pour mettre de côté des libertés fondamentales. J'ai été commissaire à la Commission des droits de la personne du Québec durant cinq ans et j'étais contre l'usage de la clause "nonobstant" qu'on trouve dans la charte québécoise. Lorsque j'étais député de l'Opposition, j'ai toujours été contre l'utilisation de ces clauses "nonobstant" et j'ai fait des discours en cette Chambre contre le "nonobstant", lors du débat sur la loi 111, par exemple. J'ai écrit des articles contre l'utilisation d'une telle clause.

Depuis qu'on m'a nommé ministre, je n'ai pas changé, je suis la même personne, avec les mêmes idées, les mêmes principes et 1 s'agit d'une question de conscience. Je ne peux pas maintenant, parce que je suis ministre faire un virage de 180° du jour au lendemain. Comment est-ce que je vois cela? Je vois cela de la même façon que l'éditorialiste du Devoir, le 17 décembre 1988: le français partout mais sans brimer les droits des autres communautés. C'est la raison essentielle pour laquelle je ne peux voter pour ce projet de loi.

Je comprends que c'est un dossier difficle et que c'est un vote difficile, très difficile pour moi, mais il y a eu d'autres votes difficiles en cette Chambre. Je me souviens du vote sur la motion contre le rapatriement de la constitution en 1981. C'est un vote qui a déchiré notre caucus; nous étions dans l'Opposition. Je me souviens que la Cour suprême du Canada, à l'époque, a dit: Oui, le Canada peut rapatrier la constitution unilatéralement sans le Québec, c'est légal mais cela va à rencontre des conventions constitutionnelles. J'ai voté avec le gouvernement du Parti québécois de l'époque pour cette motion parce que j'ai cru, j'étais convaincu que cela allait à rencontre de notre constitution d'agir de cette façon. Je suis encore convaincu que nous avons bien fait de voter pour cette motion.

Il y a le vote sur le lac Meech, la résolution qui a été adoptée en cette Chambre. Je suis d'accord que le Québec est une société distincte, c'est tellement évident. Et je suis d'accord qu'il faut améliorer la formule d'amendement, qu'on donne plus de pouvoir sur l'immigration au Québec, qu'on fasse des modifications en ce qui concerne les nominations au Sénat et à la Cour suprême du Canada. Pour moi, le lac Meech est essentiel, et c'est pourquoi j'encourage mes collègues du Manitoba à voter une résolution pour donner suite aux engagements en ce qui concerne l'adoption de l'entente du lac Meech. Je pense que ce serait une erreur historique pour la Législature du Manitoba que de prendre comme prétexte la loi 178 pour ne pas voter cette résolution de l'entente du lac Meech. C'est essentiel. Ce sera bon pour le Canada et pour le Québec. Et cela va permettre au Québec d'entrer dans la constitution.

I would ask Manitoba not to turn its back on Québec, not to push Québec into a corner, not to isolate Québec. I think the Meech Lake Accord is a good accord. It is good for Canada, it is good for Québec. It will allow Québec to enter the Constitution. It will avoid having Québec outside again. And I think it would be an historical error for Manitoba not to adopt the Meech Lake Accord. Therefore, I really would like to ask our colleagues in the Manitoba Legislature to move this dossier along and to vote for the Meech Lake Accord.

Mr. Speaker, I was elected in 1979 for the first time, reelected in 1981 and in 1985. On each occasion, I promised my electors that I would do my best to lift the prohibition on signs where you can have French and another lan-guage. Now, Bill 178 suspends this freedom of expression. There are two "notwithstanding" clauses in Bill 178: one to suspend the freedom of expression provision in the Québec Charter of Rights and one to suspend it in the Federal Charter of Rights.

I tried my best in Cabinet, I tried my best in caucus that this would not happened, and it did happened. But, as I pointed out a few minutes ago, I have always been against the suspension of fundamental civil liberties with a "notwithstanding" clause. I was against it as a professor of Constitutional Law at the University of Montréal. I was against it as commissionner at the Québec Human Rights Commission. I was against it during my six years in. Opposition. And, as a minister, I have not changed, I still have the same views. I am the same person, I have the same principles as I had before I was a minister. And, consequently, I have no choice whatsoever but to vote against this Bill and, in fact, not to vote with the Government. It is impossible for me at this time to make a 180° turnabout. I just cannot do it, it is a question of conscience, it is a question of principle.

In closing, Mr. Speaker, when the dust faits sometime after the holidays, we will have to pick up the pieces. And, to tell you the truth, I am very optimistic about our place in Québec. I am very optimistic about Québec. I am very optimistic about Montréal. I think we have a terrifie province and a terrifie city. And I think that those of us who are against what is happening today must work within our democratie institutions to lift this last prohibition on the use of the English language. It is only a prohibition on outside signs, but it is an important prohibition. And I think that if we ail work together within our democratie institutions, we will bring about the necessary change in the months to corne. Merci. (16 h 30)

Le Président: Je remercie M. le ministre de la Sécurité publique. Si vous le permettez, je vais maintenant reconnaître le prochain intervenant sur la motion proposant l'adoption du principe du projet de loi 178. Il s'agit d'un député de la formation de l'Opposition, M. le député de Terrebonne. M. le député de Ter-rebonne, vous avez maintenant la parole.

M. Yves Blais

M. Biais: Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord, je vais prendre une minute pour dire qui je suis comme être humain. Je suis, bien sûr, un souverainiste et c'est connu. Je suis pour la souveraineté du Québec. Je suis Québécois à fleur de peau, à fleur de lys, à fleur d'espoir de ce pays en devenir. Et je suis aussi Québécois à fleur de bataille pour l'obtenir, ce pays. Cependant, cela ne m'empêche pas de porter un jugement respectueux dans le contexte actuel, et d'essayer de raisonner le plus possible cette chose qu'on ne devrait pas discuter aujourd'hui. Bien sûr, si nous étions souverains, nous n'aurions pas cette discussion. Vu que nous ne le sommes pas, nous devons en discuter. Parce qu'à travers le monde, tous les pays souverains ont des lois 101 de façon intrinsèque dans leur constitution. Partout dans le monde, la majorité qui habite un pays a, in facto, de facto, prima facie, sa langue qui domine partout.

D'ailleurs, le seul tribunal au monde qui a dit que le véhicule était porteur des droits fondamentaux, de la liberté, c'est le tribunal de la Cour suprême du Canada. Aucun autre tribunal au monde, ni aux États-Unis, ni en Europe, ni où que ce soit, n'a dit que le véhicule était porteur des droits fondamentaux. D'ailleurs en 1983, nous avons tenu une commission parlementaire pour faire quelques modifications à la loi 101. Nous avons été un mois en commission parlementaire parce que nous avons demandé aux gens de venir s'exprimer sur les petits changements que nous faisions à l'époque. Et ce n'est pas la façon dont on procède aujourd'hui, en vitesse et avec des bâillons, pour légiférer de façon substantielle sur la loi 101. En commission parlementaire, la Commission des droits de la personne du Québec demandait que l'affichage soit dans les deux langues.

La Commission des droits de la personne du Québec demandait au ministre responsable de l'époque, M. Godin, que l'affichage soit dans les deux langues à l'extérieur, avec priorité au français. M. Wolde-Giorghis, qui était le spécialiste, amenait un rapport de M. Clare Beckton d'Angleterre qui disait, lui, que ça faisait partie des droits fondamentaux. C'était un constitution-naliste. À ce spécialiste, M. Godin posait la question suivante: La question que je pose au ministre est sur la langue d'expression dans l'affichage commercial. Les deux avis que vous me donnez - c'est-à-dire celui du spécialiste d'Angleterre et celui de la Commission des droits de la personne qui le réclamait - en dehors de ces documents, avez-vous trouvé des jugements canadiens, américains, québécois ou européens qui pourraient nous amener à conclure qu'il faut faire cette modification que vous

à-dire que l'affichage soit bilingue parce que ça comporte des droits fondamentaux? Aucun autre document n'existe, dit-il. Je dois vous répondre, M. le ministre, que nous n'avons pas trouvé de tel jugement. Il n'y a aucun jugement dans le monde qui dit que le véhicule est porteur des droits fondamentaux.

Comment se fait-il que la Cour suprême canadienne soit la seule cour du monde qui dise, la seule cour du monde dont les juges disent que l'affichage est porteur des droits et libertés? Tous les autres tribunaux du monde disent: Non. Comme tous les tribunaux du monde disent: Non, ce n'est pas porteur des droits fondamentaux. Le véhicule n'est pas porteur des droits fondamentaux. Pourquoi, ici, dit-on ça? Depuis quand une compagnie qui a des actions en Bourse, une personne morale, a-t-elle des droits fondamentaux? Ce sont les personnes qui occupent dans cette compagnie ou qui la forment qui ont des droits fondamentaux. Ce n'est pas la compagnie elle-même. Et l'extériorisation d'une raison sociale, c'est la personne morale qui met dehors son nom. C'est ça que les tribunaux ont dit partout. Ce n'est pas moi qui parle.

Tous les tribunaux du monde disent que le véhicule n'est pas porteur de droits fondamentaux. Mais ici, pourquoi il en est ainsi? Pourquoi y a-t-il encore exception pour le tribunal canadien? Parce que le tribunal canadien, de façon générale, doit défendre les lois canadiennes et les droits fondamentaux du peuple canadien "coast to coast", et Québec, qui en est une partie géographique, subit les jugements de la Cour suprême "coast to coast". Les cours, dans tous les pays du monde, disent que les droits collectifs, dans leur fondement, ne comportent pas, dans le véhicule de transmission de la pensée, les droits fondamentaux. Et ici, parce que le Québec est une minorité canadienne, le jugement va à rencontre des autres jugements à travers le monde pour favoriser la majorité canadienne. C'est pour ça qu'il y a une clause "nonobstant" et que les juges nous disent de s'en servir. C'est pour ça. Il faudrait que les gens qui se sentent mal à l'aise regardent les jugements des autres cours du monde. Aucune autre cour du monde n'a rendu un jugement de cette sorte. Il me semble que si le monde entier dit que c'est normal qu'il en soit contraire à ce que la Cour suprême a dit, il doit y avoir quelqu'un, quelque part, qui a raison.

Devant ça, les anglophones du Québec, que je respecte, ont toujours dit qu'ils avaient des droits fondamentaux, et c'est vrai qu'ils en ont, mais ils vont trop loin dans leurs revendications. Pour en demander, ils en demandent, mais ils en demandent trop. Ils ne se sont jamais comportés comme une minorité québécoise. Ils se comportent comme une majorité canadienne en terre québécoise et réclament pour eux tous les droits d'une majorité. En tant qu'anglophones du Québec, ils sont privilégiés "mur à mur" au Québec, autant dans le domaine scolaire, social que dans le domaine des communications, visuelles, parlées ou écrites, "mur à mur", ils sont même surprotégés comparativement aux francophones. Pire que ça, tous nos appareils électriques dans nos maisons, tous nos appareils d'utilisation sont unilingues anglais, partout au Québec. Les voitures que nous prenons tous les jours, tout est unilingue anglais. Tout ce qui est technique est unilingue anglais au Québec. Les ordinateurs, etc., tout ce qui est technique, unilingue anglais. Tous nos objets usuels, le fer à repasser, la théière, le grille-pain, tout est en anglais partout, même les commutateurs au Parlement sont unilingues anglais. (16 h 40)

Et on se plaint, Mme la Présidente, on veut plus. Dans cette loi, que les francophones ne se sentent pas coupables. Cette loi que le premier ministre vient de passer, c'est une loi qui nous fait perdre des droits comme majorité québécoise. C'est un autre recul. Ne nous sentons pas coupables, Seigneur! Ne nous sentons pas coupables. Pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi Alliance Québec et la plupart des anglophones nous disent-ils: Nous préférons le PQ et sa solution 101 que n'importe quelle solution bâtarde, dont celle que vient de nous apporter le premier ministre. Pourquoi? Hé bien, voici pourquoi, Mme la Présidente.

Il y a eu une campagne électorale en 1985 et, cette campagne électorale, nous l'avons faite avec franchise. Nous avons dit ce que nous voulions. Nous avons annoncé nos couleurs. Notre annonce, notre réclame était unilingue française. Nous étions francs, clairs et nets. Qu'est-ce que le Parti libéral a fait? Une campagne de duperie, une campagne de tromperie. Duperie et tromperie ne peuvent être autre chose qu'une campagne provocatrice de la paix sociale. Une campagne de duperie et de tromperie ne peut être autre chose qu'une campagne semeuse de déchirement. Cela ne peut être chose qu'une campagne porteuse d'incitation à la manifestation collective. Encore là, il y a eu une grosse manifestation à Montréal et cette manifestation a fait changer le fond de la loi. Elle n'était pas encore prête lorsqu'on est arrivés le lendemain. La manifestation en a fait changer des bouts. Il nous en a concédé encore un petit peu, c'est-à-dire qu'il en a oté un peu moins aux francophones. C'est la campagne électorale qui était porteuse de zizanie. On a fait une campagne trompeuse. On est pris avec des problèmes après. Et cette campagne trompeuse est indigne d'un Parlement. Parce qu'on arrive ici et ça nous déprécie devant le public. J'ai horreur de choses semblables.

Pourquoi a-t-on une loi bâtarde comme celle-là qui ne satisfait personne? Pourquoi? Parce que le premier ministre nous a dit trois choses: Je veux garder le visage français de Montréal et du Québec. C'est très noble. Deuxièmement: Je veux donner plus de bilinguisme aux anglophones du Québec, et, troisièmement: Je veux respecter les droits fondamentaux parce

que je veux mon lac Meech. Il a promis trois choses impossibles à faire. Et on s'est laissé endormir et chloroformer par ça. Je voudrais bien que les députés de la formation politique au pouvoir comprennent qu'il était impossible de faire les trois choses. Il a fallu qu'il en ôte aux francophones pour satisfaire un peu les autres au Québec et, à cause du jugement impossible à défendre que la Cour suprême a rendu, il a fallu qu'il mette un "nonobstant." Là, il nous dit qu'il y aura des règlements touchant l'intérieur des commerces qui vont venir saupoudrer cela de français, d'anglais ou d'autres langues. C'est ce que le règlement va faire.

Mme la Présidente, M. le chef du gouvernement nous disait tantôt: Je suis le seul chef qui avait l'obligation morale de choisir les droits collectifs. Il venait de nous dire un peu avant: Commencez donc par faire des enfants avant de vouloir faire la souveraineté. Vous savez, il a été le seul chef à avoir une décision de cette nature à prendre parce que ce n'est pas la cour de son pays qui a pris la décision à sa place. Si nous étions souverains comme toutes les autres cours du monde, c'est la majorité qui l'aurait emporté et notre Cour suprême aurait dit, comme ailleurs, que le véhicule n'est pas porteur de la liberté d'expression. Toutes les cours du monde disent que le véhicule n'est pas porteur de la liberté.

J'ai du respect pour tous mes confrères, mais je crois qu'ils sont victimes d'un scénario électoral en prévision des élections à venir. Après en avoir ôté aux francophones, après avoir ôté des droits aux francophones et après en avoir donné aux autres, il y a un scénario qui se trame. Durant le discours du premier ministre, il n'y avait aucun ministre anglophone. Ils sont tous sortis. Tous. Il restait quelques députés anglophones. Tous les ministres anglophones sont sortis. Mon dieu! Ils sont tous des Aurore politiques. Ils veulent jouer à l'Aurore politique. En réalité, c'est un scénario pour que les francophones élus dans cette Chambre se sentent coupables de voir ces gens qui viennent de faire une autre victoire sur nos droits collectifs, une autre victoire du bilinguisme à l'intérieur, qui sentent que ce n'est pas suffisant et que, nous, nous nous sentions encore une fois victimes.

Pauvres nous! Nous sommes encore coupables. Bien non, Mme la Présidente, nous ne sommes pas coupables. Si nous sommes coupables de quelque chose, c'est de ne pas nous réveiller plus forts. Nous ne nous tenons pas assez debout. Les députés de cette Chambre sont victimes d'une haute voltige électorale de la part du "bunker". Il faut voir dans ces démissions, démission à l'extérieur, mais soumission à l'intérieur, ce qui rappelle bien la loi. Ce sont des ministres qui démissionnent à l'extérieur pour la parade et la frime, mais qui sont soumis et restent à l'intérieur. Qu'est-ce que c'est que ces démissions de principe? C'est un scénario de haute voltige électorale, machiavélique. Il ne faut pas que nous soyons dupes de ce jeu. J'ai beaucoup de respect, même pour les députés libéraux, beaucoup de respect. Si jamais il y a un mot qui vous blesse, je le retire immédiatement, mais je crois que vous êtes en train de vous faire embaumer tranquillement. On vous ôte votre bon "sang". Dans la période actuelle, c'est nécessaire d'en avoir. Ne vous sentez pas coupables, vous êtes des victimes du système. C'est de la frime. Ce sont des démissions de façade.

Mme la Présidente, je tiens à répéter que je suis fier d'être du Parti québécois qui respecte les minorités. S'il en était autrement, je quitterais le Parti québécois. Mais il y a une chose, par exemple, il faut aussi respecter la majorité. Cette loi porte atteinte à la majorité dans ses droits, ça c'est vrai. Cette loi est porteuse d'un message d'anglicisation pour les nouveaux arrivants. Je pense que c'est assez. Nous sommes le peuple le plus compréhensif, le plus amical, le plus accueillant du monde. Je suis d'accord pour être le plus accueillant, mais je ne veux pas qu'on dise que le peuple québécois est à ce point généreux qu'on peut le ridiculiser. Le citron de notre générosité a été assez pressé. Il n'y a plus de jus à l'intérieur. Il n'y en a plus. Vous avez pressé le citron de notre générosité à un point tel que l'écorce nous en brise les mains. C'est assez. Il faut se tenir debout. Respect de la minorité, oui. Plein coeur, pleine volonté et de plein droit pour eux. Je me battrais pour le contraire, si ça existait. Mais, au moins, de la décence. Respectons dans nos lois la majorité. Merci, Mme la Présidente. (16 h 50)

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Terrebonne. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Beauharnois.

M. Serge Marcil

M. Marcil: Merci beaucoup, Mme la Présidente. J'aimerais amener la discussion à un autre stade. Après tout ce que j'ai entendu depuis deux jours en cette Chambre, je peux vous dire une chose: Je me sens un peu désemparé de vous adresser la parole aujourd'hui. Si une personne au Québec avait eu la chance de devenir pessimiste, cela aurait été ici, à l'Assemblée nationale. À entendre parler les gens sur la peur, sur la possibilité de disparaître comme communauté culturelle francophone au Québec, c'est épouvantable. Je peux vous dire une chose: II ne reste plus grand monde du côté de l'Opposition pour nous écouter. Au Québec, il n'y a rien de nouveau dans ce qu'on a annoncé ni dans la position qu'on a prise.

Depuis 1981, le Parti libéral du Québec parle de poser un geste pour assouplir la loi 101. Ce n'est pas nouveau. Il y a eu 1981, des résolutions du Parti libéral du Québec à son congrès général, à ses conseils généraux. On les a améliorées chaque année. On a pris le pouvoir et tous les Québécois s'attendaient que le

gouvernement libéral du Québec pose un geste. Sauf que personne n'aurait pensé que le gouvernement du Québec serait allé jusqu'à utiliser la clause dérogatoire pour obliger l'affichage uni-lingue français à l'extérieur du Québec. Même M. Laurin, que j'écoutais hier à l'émission Le Point, a été surpris du geste que le gouvernement de Robert Bourassa ait pu poser présentement. Je ne veux pas faire l'analyse de la loi. Il y a des spécialistes pour ça. Je sais une chose, c'est qu'on modifie à peu près trois articles de la charte sur 214 articles. On ne modifie pas la loi 101 en totalité. On ne retire pas la loi 101. On touche à peu près trois articles sur 214 et les trois articles touchent l'affichage commercial au Québec.

On m'a enlevé un droit individuel à moi aussi, comme francophone au Québec. C'est le Parti québécois qui était au pouvoir à l'époque lorsqu'il a amené la loi 101. On m'a demandé, on m'a enlevé le droit au choix de la langue d'enseignement comme francophone. Le gouvernement du temps a bien fait. Ils avaient raison de le faire. Aujourd'hui, 50 % des francophones seraient peut-être dans les écoles anglaises ou dans des écoles italiennes. On a dit: On va enlever le droit individuel aux francophones pour les protéger contre les méchants anglais. C'était ça. Probablement que le gouvernement du temps croyait que les Québécois n'étaient pas assez matures pour se prendre en main. C'est probablement ça. Probablement que le gouvernement du temps s'est dit: Les francophones du Québec, on est tellement peureux, on a tellement peur de l'Amérique du Nord, on a tellement peur de disparaître, on va vous enlever ce droit et on va sortir une loi qui va vous empêcher de faire des choix. C'était ça à l'époque.

Maintenant, on est rendus en 1988. Moi, je suis un francophone du Québec. Je ne parle pas tellement anglais. Je suis fier également d'être québécois francophone, mais je n'ai pas peur de vivre avec d'autres communautés. Je n'ai pas peur non plus de vivre en Amérique du Nord. J'aime le contact avec les communautés ethniques. Ce n'est pas une loi qui va m'obliger à parler ma langue, et ce n'est pas une loi qui va m'obliger à respecter et à protéger ma langue. Je n'ai pas besoin de loi pour protéger ma langue. Je suis capable de le faire tout seul. Je suis capable de l'enseigner également à mes enfants. J'ai vécu une expérience avec des députés de l'Assemblée nationale, il y a deux ans. Nous étions allés en Espagne. Il y avait le député de Saint-Jacques avec nous. Il y avait le vice-président de l'Assemblée nationale. Il y avait également d'autres députés. On est allés en Catalogne, qui est une province espagnole.

On sait que la Catalogne a été le dernier bastion espagnol ou catalan à se défendre contre Franco. En Catalogne, on parie le catalan. Ce n'est pas le castillan. On parle le catalan. Lorsqu'on a rencontré les membres de ce gouvernement, parce qu'ils ont un gouvernement, c'est une province, on leur a posé la question: Comment avez-vous pu sauver cette langue, protéger cette langue? Parce que 90 % de la population catalane utilise le catalan, même s'ils vivent dans une mer de quelque 30 000 000 d'Espagnols. Avez-vous adopté une loi? C'est drôle, le Parlement de la Catalogne a dit non. On n'a pas besoin de loi pour protéger notre langue. On y va par conviction. On y va également par éducation. On enrichit des programmes. On a inculqué la fierté de sa langue à notre population. Aujourd'hui, 90 % des gens parient le catalan et l'utilisent tous les jours. Toutes les institutions parient et utilisent le catalan comme langue officielle.

Nous, nous avons toujours besoin d'une loi pour nous protéger. Comme individu, on a peur de se battre; on a peur d'aller dans un magasin où un anglophone nous parie en anglais. On se plie en deux et on achète au lieu de lui dire: Vous ne voulez pas me parier en français, je change de magasin. On n'a que ça à faire. On a à enrichir nos programmes de français. On a à trouver des moyens pour recevoir des communautés ethniques chez nous.

Hier, en écoutant les discours, je lisais l'Actualité. Je ne veux pas faire de publicité pour l'Actualité, mais il y a un article qui m'a réellement impressionné. C'est le grand défi des Québécois aujourd'hui. Dans 50 ans, la loi 101 va protéger une minorité francophone au Québec, elle ne protégera plus la majorité francophone, on sera en minorité. Si on ne se reproduit pas, si notre taux de natalité se maintient à 1,4, comme il est présentement, qu'est-ce que le Québec sera dans 50 ans? Que sera le Parlement du Québec, l'Assemblée nationale? On va se croire à l'ONU parce que 50 % des députés qui vont siéger ici seront représentants des communautés ethniques. Il y en aura de moins en moins qui vont représenter la communauté francophone, mais ce n'est pas la faute des anglophones, ni celle des communautés ethniques. On a décidé, comme peuple, de ne pas se reproduire aussi fréquemment ou aussi largement que d'autres populations.

Dans cet article, je lisais - parce qu'on parie du problème de pollution dans le monde - qu'aujourd'hui, il y a 5 100 000 000 d'habitants sur la planète et on en prévoit, dans 50 ans, de 8 000 000 000 à 11 000 000 000; c'est du monde! Ce sont des gens. Où vont-ils vivre? Au Québec, comment se reproduit-on? C'est ça le grand défi des Québécois. Tant et aussi longtemps qu'on sera en majorité au Québec, tant et aussi longtemps que les francophones seront en majorité, ils contrôleront leur gouvernement, ils choisiront leur gouvernement. Toutes les populations, le jour où elles ont perdu le contrôle de leur gouvernement, sont disparues. Vous pariez de la Louisiane, de la Nouvelle-Angleterre, c'a toujours été comme ça. Donc, pour moi, le grand défi, c'est la survie de la communauté francophone du Québec. Et cela ne passe pas par une

loi, ça passe par autre chose; ça passe d'abord par la fierté d'être Québécois, par la fierté d'être francophone.

On pourrait jaser longtemps et on va en entendre encore pendant des heures et des heures de la possibilité de modifier la loi 101. Qu'est-ce qu'on fait? On prend l'affichage extérieur et on dit: Maintenant, c'est unilingue français. Pour vous prouver que ça va l'être, pour empêcher que les gens passent à côté, on utilise la clause dérogatoire. On prend l'article 60, qui permet l'affichage bilingue pour tous les commerces de quatre employés et moins - présentement, au-delà 67 % de ces entreprises utilisent cette clause - et on leur dit: Affichage bilingue ou français et dans une autre langue, mais le français en prédominance, ce qui n'existe pas présentement dans la loi. On les oblige à utiliser le français en prédominance et on permet d'utiliser une autre langue. On ne leur dit pas d'utiliser plusieurs langues, on leur dit: Français prédominant et une autre langue de votre choix, le choix de votre clientèle. On n'oblige personne à le faire également. Qu'est-ce qu'il y a de malheureux à poser ce geste dans le but d'établir un certain équilibre entre les communautés culturelles du Québec? La loi 101, telle qu'elle existe, permet aux communautés culturelles du Québec d'afficher et d'écrire dans leur langue, lorsqu'on touche les affaires culturelles et leur religion. La loi 101 ne le défend pas. On le permet.

Les amendements qu'on apporte à la loi 101 ne modifient pas ça. Donc, je pense... Je crois en la maturité des Québécois. J'ai confiance aux Québécois. Chez nous, dans mon comté, j'ai confiance aux gens. Oui, c'est vrai qu'on est majoritairement francophones, à 99 %, qu'on parle français chez nous. Si tous les Québécois se donnaient la main aujourd'hui, au lieu de tout le temps se battre à propos de la langue, si tout le monde se disait: on prend en main notre culture, on va la propager entre nous, on va l'inculquer à nos familles et lorsqu'on ira dans des milieux ethniques, on va exiger qu'on nous serve en français, dans notre langue... Il faut qu'on y tienne par exemple, qu'on ne démissionne pas chaque fois que quelqu'un nous parle dans une autre langue et qu'on décide d'acheter quand même. Si on veut le faire, je vous garantis qu'en 1990 et en 2000, les francophones seront toujours francophones et ils contrôleront toujours leur gouvernement.

Le défi, par exemple, c'est la natalité. C'est le grand défi des Québécois. Je serais très malheureux de voir que, dans 50 ans, on ait une loi qui protège non plus une majorité francophone au Québec, mais plutôt une minorité francophone. Merci, Mme la Présidente. (17 heures)

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Beauharnois. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Shefford.

M. Roger Paré

M. Paré: Merci, Mme la Présidente. En commençant, je veux dire à mon collègue de Beauharnois, que je ne veux pas être obligé de me battre pour me faire servir en français au Québec. On est 84 %, c'est tellement normal que cela n'a pas de bon sens qu'il y ait des discours comme cela: si on n'est pas servi, on sort et on va magasiner ailleurs. Ce n'est pas comme cela que ça marche quand on est chez nous. Le bon sens veut que, quand on est 84 % ou 85 %, une communauté francophone, on soit automatiquement servi en français. C'est comme cela que ça marche. Ce qui n'est pas normal non plus, c'est que pendant que les anglophones gagnent du terrain, les francophones sont devant le Parlement - je suis allé voir, il y a une autre manifestation - pour exiger de pouvoir continuer à vivre en français. On est 85 %, c'est de l'indécence pour un gouvernement d'accepter des choses comme celles-là.

Avant de parler sur le fond du projet de loi 178, je vais reprendre un peu ce qu'a dit le député de Nelligan, ex-ministre de l'Environnement depuis quelques heures. Je vais vous dire que cela ne m'a pas fait brailler et que cela ne me fera pas brailler non plus. Mais je le remercie d'une chose, c'est d'avoir affirmé correctement et ouvertement qu'il n'était pas capable de trouver lorsqu'il est arrivé au Canada, à l'extérieur du Québec, des services en français, qu'il ne pouvait même pas aller voir un film quand il était dans l'Ouest, qu'il ne pouvait même pas se procurer un volume en français. Il a reconnu cela, il a reconnu qu'il y a juste au Québec... Il a décidé de venir au Québec pour avoir du français parce qu'il n'y en a pas ailleurs. Je le remercie d'être venu confirmer ce que, nous, on dit depuis toujours. Les quelques services qu'il y avait...

Il ne faudrait pas oublier quelque chose, il y a eu un jugement qui est sorti au cours de l'année pour la Saskatchewan et l'Alberta concernant justement les droits des minorités francophones des autres provinces. Pourtant, c'était la Cour suprême. Qu'ont fait ces deux Parlements? Ils ont légiféré pour que les francophones n'aient pas de droits. On nous reproche à nous de vouloir nous en donner quand on est une majorité, quand on connaît le comportement des autres dans les autres provinces. C'est inacceptable! Quand le même ministre de l'Environnement nous disait avant de démissionner, qu'il ne trouvait pas acceptable, qu'il se considérait comme sur un petit bicycle dans son petit garage. Est-ce qu'ils en ont, les francophones des autres provinces, des petits bicycles? Ils n'ont pas de petits bicycles ni de petits garages parce qu'ils n'ont pas le droit de vivre en français. Ici, au Québec, c'est quoi, son petit bicycle dans son petit garage?

Il y a un "boutte" de rire du monde. Si son bicycle est petit, c'est pour qu'il puisse le mettre

dans sa valise de Cadillac. Les anglophones au Québec sont la minorité la mieux traitée au monde, avec des universités, des cégeps, des centres d'accueil, le droit de vivre, de se faire servir et de travailler en anglais. Ce sont eux qui sont en petit bicycle? Il faut le faire! Il faut le dire, parce que cela n'a pas de bon sens. Ils ne sont pas en petit bicycle, ils sont en Cadillac. Quand est-ce que vous avez vu des salles d'urgence d'hôpitaux anglophones à Montréal perturbées ou une attente pour le service? Non, mais non, à un tel point que nous, les francophones, si on veut se faire soigner rapidement, on va à l'urgence des hôpitaux anglophones. J'ai eu connaissance d'un cas ce matin, encore, d'une francophone qui devait se faire opérer à l'hôpital du Sacré-Coeur, de Cartierville: neuf mois d'attente. Ce sont nos hôpitaux à nous. Et on veut s'apitoyer sur le sort de la minorité la mieux traitée? Je ne l'accepte pas.

Par contre, ce que j'accepte, c'est que, oui, on traite bien notre minorité. J'accepte cela et je veux que cela continue mais que cela n'aille pas jusqu'à vouloir nous voler notre bicycle à nous autres, par exemple. S'ils ont le droit d'avoir tous ces services, ils ont l'obligation et la responsabilité de nous traiter et d'accepter qu'on soit une majorité et qu'on ait le droit de vivre comme tel.

Ce n'est pas cela qu'ils veulent. Mme Kate Ryan, de l'Association des anglophones de l'Estrie, l'a dit clairement. On s'est parlé, je l'ai vue, j'ai un article ici: "La possibilité de choisir la langue". Aie, c'est quelque chose, hein? Ce qu'ils veulent, c'est tout le gâteau si on les laisse aller. Premièrement, l'affichage bilingue. Quand ils auront cela... Qu'est-ce qu'elle demande aussi, l'Association des anglophones de l'Estrie? De pouvoir augmenter leur nombre en Estrie. Si on accepte cela, c'est le nombre partout... En changeant la clause Canada parce qu'elle a pris la place de la clause Québec pour l'éducation par la clause universelle. Ensuite, que vont-ils demander? Bah, tout simplement d'être traités comme une majorité. Donc, l'affichage et la clause internationale pour la langue d'enseignement pour les nouveaux venus. Ils veulent grossir, ils veulent travailler et vivre en anglais. Ils veulent vivre comme la majorité, c'est cela qui n'est pas acceptable. Et, pour justifier des démissions de l'autre côté, quand on tient un discours, on essaie de mettre deux principes fondamentaux en contradiction: le droit collectif par rapport au droit individuel. Mais quand on gratte et qu'on les écoute comme il faut, c'est un faux débat. Ce n'est pas le droit individuel contre le droit collectif parce que aucun d'eux ne nous a donné un seul cas où le droit individuel fera en sorte que l'anglophone n'a pas son éducation, ses services de santé, ne peut pas travailler dans sa langue et qu'il est pénalisé. Sauf quand on parle des francophones hors Québec. Mais, l'anglophone au Québec, ce n'est pas sur ses droits individuels qu'il est touché.

Ce qu'on défend, quand on les écoute comme il faut, c'est le droit collectif de la minorité anglophone de prendre plus de place. C'est un droit collectif d'une minorité par rapport à un droit collectif d'une majorité. Et, comme gouvernement, on n'a pas d'autre choix que de penser au droit collectif de la majorité spécialement. Quand le premier ministre a reconnu lui-même qu'on était menacés, quand la Cour suprême a reconnu, elle aussi, qu'on était une majorité menacée au Québec, quand on sait cela et quand on sait en plus que la dénatalité nous apporte des risques énormes pour le futur, qu'est-ce qu'on fait? Au moins, on continue à se protéger, et c'est normal. On le fait presque partout ailleurs au monde.

Dernièrement, Mexico a décidé que c'était l'unilinguisme espagnol chez eux. C'est normal et c'est correct. On a le droit de le faire quand on sait ce qu'est l'affichage dans les autres provinces. Il va falloir qu'on arrête de nous leurrer avec le bilinguisme canadien. Le bilinguisme canadien, c'est l'anglais partout, sauf au Québec où on nous impose à la majorité le bilinguisme. C'est cela, et il faut le dire. Cela n'a pas de bon sens de se laisser leurrer comme ça. Parce que ce n'est pas vrai que les droits individuels au Québec sont menacés. C'est la minorité la mieux traitée au monde.

Mais là, à quelques jours de Noël, le premier ministre nous amène un beau cadeau, le projet de loi 178. M. le premier ministre, je vous le dis, votre beau cadeau, cela ne nous intéresse pas. Et ce n'est pas parce qu'on est à la veille des fêtes que vous allez nous passer un sapin parce qu'on n'est pas des dindes. Et cela ne marchera pas comme cela. On n'en veut pas de votre cadeau parce qu'il est empoisonné. Ce cadeau, qu'est-ce que ça veut dire? C'est un recul pour le français au Québec, encore une fois. Tantôt, j'écoutais le premier ministre, dans son intervention, se vanter des reculs qu'on a subis depuis deux ans. Et là, c'est un de plus, et il est tout content de cela. Mais pendant que le français recule, c'est bien sûr que l'anglais avance. Et c'est comme cela que ça va aller.

On a dit dans la presse... Il y a des gens qui ont consulté les autres minorités ethniques. Ils leur demandaient: Qu'est-ce que vous désirez? Ce qu'elles demandent? Elles sont neutres. Regardez-les, c'est vrai, elles affirment leur neutralité. Que le gouvernement leur dise s'il veut un Québec français ou un Québec bilingue, et elles vont suivre. Le gouvernement a la plus belle chance, et il aurait l'appui de l'Opposition et de la population, s'il décidait d'utiliser la clause "nonobstant" pour réellement faire en sorte que le Québec soit français.

Tantôt, je l'écoutais dire: II n'y a pas de solution au problème linguistique au Québec. Oui, il y a une solution. Elle est en application depuis onze ans. C'est la paix sociale au Québec avec la loi 101. La solution, c'est l'application et le respect de la loi 101 en utilisant la clause

dérogatoire, la clause "nonobstant". Ce n'est pas plus compliqué que cela, en maintenant pour notre minorité principale, la minorité anglophone, tous les services dans sa langue. C'est cela, la solution, là où il y a une majorité, de repecter d'abord la majorité, spécialement quand elle est menacée. Oui, il y en a une solution. Il s'agit d'avoir la volonté, mais on ne l'a pas de l'autre côté parce qu'on ne sert pas les intérêts de la majorité. (17 h 10)

La loi 178, c'est bien simple, c'est une voie pernicieuse et hypocrite d'anglicisation. C'est encore une fois l'anglicisation à petits pas. Encore une fois, on fait une démarche pour faire en sorte que l'anglais avance. C'était français partout, maintenant, c'est le français dehors seulement et c'est inacceptable. Ce que cela veut dire, si on voulait, dans une phrase, essayer de donner l'image de ce qu'est le projet de loi 178 en une phrase: Cela fait en sorte qu'à partir de maintenant le français devient une langue de façade. On donne l'impression, l'image que le Québec est français. C'est la langue de façade. C'est la langue qu'on met sur les bâtisses dehors. Mais dès qu'on rentre, qu'est-ce qui arrive maintenant? Eh bien, c'est bilingue. Qu'est-ce que cela va vouloir dire? Quel est le signal qu'on vient de lancer à la population? Le français, langue de façade; l'anglais, langue de commerce! Quand vous rentrez, vous pouvez utiliser l'anglais.

L'anglais dans l'affichage à l'intérieur des commerces, cela voudra dire - les centrales syndicales l'ont dit et elles sont inquiètes - une menace pour le français, langue de travail. Quand on implante le bilinguisme à l'intérieur des commerces pour l'affichage, on vient de donner le signal du bilinguisme tout court. Et si on dit: Vous pouvez venir magasiner en français et en anglais, c'est à un autre article de la loi 101 auquel on touche indirectement: le français, langue de travail. Comment va-t-on pouvoir retenir cela à l'avenir, sachant très bien comment on se comporte dans ce dossier-là? C'est impensable de faire des choses comme ça.

J'entendais le premier ministre dire, je pense que c'est aux nouvelles à la télévision: Est-ce que cela a du bon sens d'empêcher nos petits commerçants de pouvoir s'exprimer en anglais dans leur petit commerce? Eh bien, soyons honnêtes. C'est nous du Parti québécois qui avions modifié la loi 101 pour faire en sorte que les commerces ayant quatre employés et moins puissent utiliser l'anglais pour l'affichage. C'était déjà là. Alors, qu'on ne vienne pas faire croire aux gens que nous avions refusé de reconnaître pour les petits commerces l'utilisation de leur langue, c'était déjà dans la loi 101. Qu'on arrête de charrier sur le dos des gens, c'était déjà là. Et là, maintenant, on utilise le même discours en disant que c'est injuste, que c'est contre la liberté d'expression. Ces pauvres petits qu'on maltraite! C'est ça qu'on vient dire.

On vient faire en sorte de lancer le signal à tout le monde, y compris aux immigrants: le français est la langue de façade et l'anglais est la langue de communication, parce que c'est en dedans que ça se passe quand on va magasiner. C'est en dedans que ça se passe. Cela m'inquiète, spécialement quand on regarde un article de la loi 178. Les entreprises de 50 employés et plus qui doivent avoir leur certificat de francisation, quand vous l'aurez obtenu, comme cadeau, vous pourrez utiliser l'anglais. Allez chercher votre certificat de francisation et vous pourrez afficher et en français et en anglais. Ce sera le bilinguisme. Votre cadeau, votre récompense pour votre certificat de francisation, c'est l'anglais. Belle mentalité toute croche à l'image du premier ministre actuel.

Je reviens là-dessus. Quand on dit que le projet de loi 178 apporte le visage français du Québec, eh bien, là aussi c'est à l'image du premier ministre, visage à deux faces, français à l'extérieur, anglais à l'intérieur. Arrivez dehors et regardez ça: c'est français. Mais, quand vous allez entrer par contre, ce sera anglais. Ce n'est plus la même chose. Comment est-ce qu'on peut faire des choses comme ça? Le premier ministre a tellement l'habitude de déformer des choses qu'il fait accroire aux gens que c'est la formule Dion. Bien non, ce n'est pas la formule Dion. Le politicologue, Léon Dion, fait tout ce qu'il peut pour expliquer que ce n'est pas ça sa formule. Ce n'est pas la formule Dion qu'il est en train de vouloir appliquer, c'est la formule Bourassa. C'est la formule Bourassa. Ce n'est pas la formule Dion. M. Dion va même jusqu'à dire qu'un tel bilinguisme, à son avis, serait hypocrite. C'est le politicologue Léon Dion qui dit que la formule qu'on utilise est l'anglicisation hypocrite. Pourtant, le premier ministre passe son temps à dire que c'est la formule Dion. Ce n'est pas la formule Dion, c'est la formule Bourassa et c'est l'équivalent d'un sida linguistique pour le Québec, parce que c'est par en dedans que ça va se passer. On va faire en sorte que ça va devenir anglais dans les commerces, anglais dans l'affichage, et, après ça, cela sortira bien dehors, vous allez voir.

D'autres commentateurs l'ont dit. C'est la porte ouverte progressivement au bilinguisme et à l'anglicisation. On commence par en dedans et c'est exactement ce qui est en train de se faire. Quand on dit: Bien oui, mais il y a d'autres façons, on peut aider le français. Ouais, on peut aider le français. Pourtant, le ministre de l'Éducation, M. Ryan, disait: II n'y a plus d'argent à consacrer au français dans les écoles. Nos élèves n'ont même pas un dictionnaire et une grammaire chacun. On n'a pas les moyens d'acheter ce qui est essentiel, ce qui est le minimum, au moins, pour une bonne connaissance du français dans nos écoles françaises. Pourtant, on n'a pas d'argent pour ça, mais on en a grassement, énormément, beaucoup, pour Alliance Québec.

Qu'est-ce que fait Alliance Québec? En plus d'avoir amené la cause qui fait qu'on est en train de négocier ici, cet après-midi, c'est-à-dire battre la loi 101 et essayer de la faire tomber par morceaux, c'est eux qui, partout, font tout ce qu'ils peuvent pour qu'il y ait anglicisation. En même temps, à Ottawa, on vote la loi C-72 qui va exactement dans le même sens: l'anglicisa-tion des commerces. On va subventionner pour que les organismes, les milieux de travail utilisent l'anglais au Québec. La loi va exactement dans ce sens-là. Ce qui nous arrive nous aura, au moins, permis de voir ce que voulait dire la société distincte dans l'accord du lac Meech. Cela ne veut rien dire. C'est un gros zéro. Dans les autres provinces, tout le monde acceptait la société distincte, parce qu'on savait que ça ne voulait rien dire. La preuve, c'est que, dès que ça veut dire quelque chose, dès que ça semble vouloir dire quelque chose, dès que ça vient confirmer que le Québec a un visage français et qu'il prend les moyens pour l'affirmer, le confirmer et le conserver, de l'autre côté on dit: On n'embarque plus dans l'accord du lac Meech et la société distincte, parce qu'on ne fera pas ce qu'on veut au Québec; on ne lui imposera pas notre volonté.

Donc, l'accord du lac Meech n'intéresse plus les autres provinces qui ont déjà rejeté le français. Pourquoi? Parce que, de la façon dont on vient de se comporter à l'Assemblée nationale, même si c'est un recul pour le français, ce n'est pas un recul encore assez important. Il y a encore trop de français. Il n'y a pas assez d'anglais. Là, on nous dit: On rejette l'accord du lac Meech. Et c'est tellement vrai et on se moque tellement de nous que tous les partis politiques fédéraux, en campagne électorale et maintenant, continuent de dire: Organisons-nous pour faire signer l'accord du lac Meech et, ensuite, on leur fera la passe de la clause "nonobstant". On va le leur enlever et, ensuite, on pourra faire ce qu'on voudra. Tous les chefs de partis politiques ont dit ça en campagne électorale: La clause "nonobstant", on est contre, mais il ne faudrait pas le dire maintenant, il faut attendre que l'accord du lac Meech soit signé. C'est comme ça qu'on nous traite. C'est inacceptable. Je vous invite à y penser sérieusement, les députés francophones, parce que c'est un recul. Encore une fois, le français recule au Québec. On n'a pas le droit de faire en sorte que le français soit juste une langue de façade. On n'a pas le droit de lancer le signal aux immigrants qui sont prêts à venir du côté de la majorité si on leur dit franchement, ouvertement, carrément, qu'on est accueillants, qu'on est prêts à les accueilir, à leur ouvrir nos écoles, nos hôpitaux, l'Assemblée nationale. On est prêts à leur ouvrir les bras, on est prêts à les accueillir parce qu'ils deviendront membres de notre famille et non pas une menace à notre survie. C'est aussi simple que ça. C'est aussi clair que ça.

J'aurais envie, Mme la Présidente, de finir en citant une phrase - je ne la dirai pas au complet pour ne pas fâcher des gens - que l'on retrouve dans un édifice tout près d'ici, derrière le parlement, sur la rue Saint-Cyrille, au Grand Théâtre de Québec. Cette phrase dit: "Vous n'êtes pas tannés de mourir...", et je ne citerai pas les trois autres mots. Mais n'êtes-vous pas tannés, alors que vous êtes les représentants de 84 % de cette population qui a dit qu'elle voulait vivre en français, qui est déterminée à vivre en français? La preuve, ils sont en train de se faire geler dehors pour nous le dire. N'êtes-vous pas gênés un peu de voter une loi qui nous fait reculer comme collectivité, qui met notre survie en danger encore une fois?

Ce projet de loi 178 ne nous donne rien. C'est un gros zéro pour les francophones. On n'avance pas. On n'a pas plus de moyens de franciser nos entreprises ou même de franciser les immigrants. Il n'y a pas de mesures. Toutes les mesures vont dans le sens de nous minorisef davantage, de nous angliciser davantage. C'est un recul. Ce recul, vous ne pourrez jamais le mettre sur le dos des autres provinces ou d'Ottawa, parce que le projet de loi qu'on est en train de voter, c'est une loi uniquement, strictement québécoise, décidée par 122 personnes ici, en cette Assemblée. Si on recule, si on est menacés, dites-vous que ce sera notre faute. Cela ne dépendra de personne autre que des 122 personnes qui vont voter demain, ici, sur ce projet de loi. (17 h 20)

Si vous votez pour ce projet de loi, vous aurez accepté que le français recule au Québec et c'est inacceptable pour des représentants d'un peuple, à 84 % francophone, menacé, comme l'a reconnu la Cour suprême, et menacé, comme l'a reconnu le premier ministre lui-même. Merci, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Shefford. Je vais maintenant reconnaître M. le ministre des Communications.

M. Richard French

M. French: Merci, Mme la Présidente. Le cardinal de Retz a déjà dit: "II n'y a rien dans le monde qui n'ait son moment décisif, et le chef-d'oeuvre de la bonne conduite est de connaître et de prendre ce moment." Je pense aujourd'hui me retrouver devant un tel moment.

Il est de notoriété publique que M. René Lévesque était quelque peu inconfortable avec certains aspects de la loi 101. "C'est seulement, disait-il lors du débat d'août 1977, à l'usage qu'on découvrira les défauts, s'il y en a, et moi, je suis assez convaincu qu'on en découvrira*. Mais, vous le savez, M. Lévesque était réconforté par la présence, à côté de la Charte de la langue française, de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Ceux et celles qui, comme les députés de Mercier, de Laviolette et

de Gatineau, ont siégé ici avec René Lévesque reconnaîtront le style puisque je vais le citer une fois de plus, et c'est dans le style le plus pur, dans la tradition oratoire, de M. Lévesque: "L'interaction de l'une sur l'autre de ces deux chartes, on l'a laissée complètement libre, de façon qu'on puisse voir, tous ensemble - et c'est l'un des avertisseurs qu'on aura - si on a réussi à préserver, aussi bien du côté des collectivités qui sont en présence ici, au Québec, que du côté des individus qui en font partie, si on a réussi à préserver, comme on le voulait et comme on a tenu à le faire, les droits des uns et des autres."

Un mois plus tôt, dans le même débat, le Dr Camille Laurin, au sujet de la loi 101, vantait la protection de l'autre charte, dans les termes suivants et je cite: "La Charte des droits et libertés de la personne continue de prévaloir sur toute autre loi. Cette même charte garantit tous les droits fondamentaux". Fin de la citation. Maintenant, les deux chartes ont interagi. On a eu des avertissements de la Cour suprême du Canada interprétant la Charte des droits et libertés de la personne du Québec tel que souhaité par M. René Lévesque. Effectivement, comme le prétendait le Dr Laurin il y a onze ans, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec garantit au moins - entre guillemets - "certains droits fondamentaux par rapport à la Charte de la langue française."

D'après la Cour suprême, certains articles de la loi 101, par ailleurs modifiée dans le projet de loi à l'étude, portent atteinte à la liberté d'expression et au droit à l'égalité de tous les citoyens. Les grands responsables de la Charte de la langue française, M. René Lévesque et le Dr Camille Laurin, se servaient de l'existence et de la primauté de la Charte des droits et libertés de la personne pour promouvoir, pour défendre la faisabilité et la légitimité de la Charte de la langue française. Nous savons maintenant que cette dernière va à rencontre de la charte des droits du Québec qui était évoquée dès la naissance de la Charte de la langue française. C'est essentiellement la prohibition de toute langue autre que le français sur l'affichage commercial, quelques exceptions mises à part, qui a été l'objet de la décision de la Cour suprême.

D'après la cour, les documents soumis devant elle "montrent le lien rationnel qui existe entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflètent dans le visage linguistique, mais ils ne démontrent pas que l'exigence exclusive du français posée par les articles 58 et 69 est nécessaire pour atteindre l'objectif législatif ni qu'elle est proportionnée à cet objectif, alors qu'exiger que la langue française prédomine, même nettement, dans l'affichage serait proportionnel à l'objectif de promotion et de préservation d'un visage linguistique français au Québec."

Bref, la Cour suprême dit qu'il n'est pas nécessaire d'exclure, de prohiber, de bannir toute autre langue afin de promouvoir la place propre du français dans la société québécoise.

Je rappelle que ce jugement de la Cour suprême est basé sur son interprétation de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qu'elle a repris largement, mais pas complètement, de deux autres cours. Ce jugement est conforme au programme du Parti libéral du Québec. Ce jugement est conforme aux paroles des trois chefs sous lesquels j'ai eu l'honneur de servir dans le Parti libéral du Québec. Ce jugement est conforme aux engagements que j'ai tenus devant mes commettants à maintes reprises depuis ma nomination comme candidat libéral en octobre 1980. Enfin, ce qui est de loin le plus important, ce jugement reflète parfaitement mes convictions et mes valeurs les plus profondes.

On sait que le gouvernement ne voit pas les choses ainsi. Le projet de loi 178 maintient la prohibition de toute autre langue que le français sur l'affichage commercial extérieur, assortie d'une clause "nonobstant", faisant une dérogation explicite à la Charte des droits et libertés du Québec.

En agissant ainsi, le gouvernement reflète l'opinion d'un bon nombre de Québécois de bonne volonté. Ces Québécois craignent que la présence d'une autre langue, même réduite, sur une affiche nuirait à l'essor et à l'épanouissement du français. Le gouvernement conclut qu'il faut donc exclure toute autre langue sur l'affichage commercial extérieur.

Cependant, pour moi, la prohibition d'un message, du seul fait de la langue dans laquelle ce message est exprimé, constitue un geste lourd de signification. Pour moi, les droits culturels des uns ne peuvent pas consister dans la négation des droits culturels des autres. Parce que c'est bien de cela dont il s'agit. On ne revendique pas plus de liberté d'action, plus d'espace pour le français, on revendique l'absence de toute autre langue. On revendique de la part des marchands, quelle que soit leur langue maternelle, qui voudraient mettre une autre langue sur une affiche, leur liberté négative, l'absence de liberté. (17 h 30)

Maintenant, je ne crois pas vraiment que la problématique de l'affichage constitue la problématique fondamentale pour l'avenir du français au Québec. Les problématiques de fond, les vraies problématiques du français se trouvent ailleurs. Elles se trouvent dans le domaine de la démographie et de la fécondité, où, par ailleurs, la préoccupation sur l'affichage et la signification de cet affichage pour la population immigrante est une considération importante, mais qui, à mon avis, ne justifie pas encore une fois, l'exclusion d'une deuxième langue. Elle se trouve dans le domaine de la technologie. La langue de la technologie est anglaise, particulièrement dans le domaine de la technologie de l'information. La vraie problématique pour l'avenir du français au

Québec se trouve dans le domaine de la culture populaire, particulièrement le cinéma, la télévision, l'industrie du disque, l'industrie du spectacle. Ce sont tous des domaines sur les vrais enjeux desquels j'ai personnellement essayé, à maintes reprises, d'attirer l'attention des Québécois, avant comme après ma nomination comme ministre.

Il nous reste cette question hautement symbolique de l'affichage. Je choisis de refléter l'opinion d'un certain nombre de Québécois qui auraient préféré une mesure qui aurait reflété, dans tes mots de M. Benoit Lauzière du Devoir: "La passion de vivre en français tempérée par le respect des droits fondamentaux", c'est-à-dire, pour citer une fois de plus M. Lauzière, "le français partout, oui, mais pas au prix d'une censure de la liberté d'expression qui empêcherait l'autre d'avoir un visage." Je ne veux pas, par ce geste, empirer une situation tendue. Il est su en démocratie, M. le Président, que les courants d'opinion de la société trouvent leur écho dans le forum parlementaire, même si ceci implique de temps à autre certains sacrifices. Un ministre ou deux morts sur le champ de bataille politique, ça fait une soupape très utile parfois.

Je dois dire que j'ai été très touché, cependant, par l'encouragement que j'ai reçu de mes collègues, des militants du Parti libéral, des ministres, des députés, mes amis adversaires politiques, des citoyens. Parfois, on me faisait valoir qu'il fallait que je reste pour préserver la représentation des minorités au Conseil des ministres. Évidemment, c'est une considération importante. On sait maintenant, et j'en suis très heureux, que le ministre de l'Énergie et des Ressources va rester à son poste. C'est une décision que je respecte au plus haut point. Pour moi, dans mon cas à moi, voter pour ce projet de loi afin de préserver ma voix au Conseil des ministres aurait constitué un geste de désaveu de moi-même. Je n'aurais pas fait un bon représentant, m'ayant désavoué moi-même.

I would like to say a few words to my English speaking fellow citizens. I think you know that my colleagues and I are attempting to express your point of view here, in the National Assembly, with clarity, with vigour and with dignity. But I would like to say two things in particular to you this evening. The first thing is that while you are clearly paying a price in terms of individual rights to live in Québec, I do not think we can honestly say that that price is impossible. Perhaps it is also the moment to think about all of the exceptional things that Québec and only Québec offers all of us. Nowhere else in North America can we live in this extraordinarily distinctive, dynamic, exciting kind of society without for one minute sacrificing all of the cultural and material benefits of the North American main stream which takes place in English.

In fact, we should remember that many members of our society who are French mother tongue feel quite threatened by that enormous North American main stream. And their sense of vulnerability produces measures like the measure that we are debating here today. If the Premier of Québec was unable to respect the letter of the engagements of the party, it is because he - believe me when I tell you this - in his heart and soul, does not believe that the presence of a second language on external commercial signage would be tolerable or would prevent an erosion, would not lead to an erosion of the strength of the french language. I have already said that I do not agree with that point of view, but I am asking you to believe that many people of good will do believe it.

That distinct society, my society - I am very proud of it, with all its frustrations and its imperfections and its many joys... I would like you to see it in all of its aspects. I would like you to recognize it as a society of which you can be very proud. I am. Secondly, I would like to say to you that while the experience of being a minority in a democratic system is not always an easy one, we should perhaps remember that our francophone fellow citizens suffered precisely the same frustrations for decades in the House of Commons of Canada, for decades, at least until the 1960's. And I think that the only way that we can solve our problems, the only way, is the democratic process. So, rejection, cynicism, apathy, these are the easy ways out that solve nothing.

The Charter of the french language, Bill 101, is a faillible human creation attempting to cope with a highly controversial subject. But it does one very important thing for all Que-beckers, it channels enormous potential social conflict into the democratic arena. And we owe it to ourselves, all of us, to keep it there, firmly within the democratic arena. I know that it is very hard for many anglophones who have been raised in the anglo-saxon political culture, to imagine, to even conceive that it is possible to abrogate fundamental rights that are in a charter.

I want you to remember that the francophone community of Québec, because of its special history, because of its special challenges that have been imposed to its survival, has often had to rely in collective means, in collective intervention. And for many of our french speaking fellow citizens, it is more normal, it is more reflexively appropriate that certain kinds of general protections, which we, in the anglo-saxon political tradition, see as violating our individual rights, be put into place because of the wager against the historical odds that francophone Quebeckers have had to make and make repeatedly with each successive generation.

So, I hope that you will find it in yourself, without compromising in anyway your basic principles and your feelings, to understand that this is a question on which there is two sides and that a democratic process invites us to

continue to défend our side of the question, but to respect the other person's point of view on the other side.

M. le Président, le titre dont je suis le plus fier est celui de député de Westmount à l'Assemblée nationale du Québec. Pour moi, ce titre est important. Je le conserve et j'en suis heureux. On ne m'a jamais fait sentir que je n'étais pas à ma place ici. En voyageant autour du monde, j'ai vu d'autres Parlements en action, je n'étais que plus content d'être député en cette Chambre. J'ai des amis ici des deux côtés de la Chambre. Je vais, dans les mois à venir, sans doute m'en faire d'autres, parce que j'aurai plus l'occasion de le faire.

Aujourd'hui, l'Assemblée nationale joue son rôle. Elle permet que l'ensemble des points de vue de la société soient exprimés. Elle le fait dans un minimum de respect et de tolérance mutuelle. Elle nous permet de démarquer nos principes, les uns par rapport aux autres. M. le Président, il n'y a pas beaucoup de sociétés qui pourraient en dire autant. (17 h 40) " Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole à M. le député de Lévis.

M. Jean Garon

M. Garon: M. le Président, ce qui ne cesse de m'étonner au cours de cette journée, ce sont tous les libéraux qui ont combattu René Lévesque aussi férocement et qui veulent, aujourd'hui, devenir ses exégètes, un peu comme si l'Église catholique voulait faire faire son apologétique, que les plus vieux ont étudiée au cours classique, par les communistes. Expliquer la pensée d'un auteur par ses adversaires! J'ai l'impression que les plus mal placés pour expliquer la pensée de René Lévesque sont ceux qui sont situés en face de nous, parce qu'ils l'ont combattu constamment, férocement et, aujourd'hui, ils viennent essayer de dire aux citoyens du Québec: On va vous expliquer sa pensée.

Je dois vous dire que je ne connais pas beaucoup de gens en face de moi qui peuvent expliquer la pensée de René Lévesque. Je peux vous dire que j'ai été très près de M. Lévesque, à faire campagne très près de lui en 1981. J'ai été l'un de ceux qui étaient le plus près de lui en 1981 et je peux vous dire que, durant toute la campagne électorale, une des réalisations dont il était le plus fier, c'était la loi 101, en 1981, avant même les amendements de 1983 et 1984. Alors, ceux qui vont nous dire que M. Lévesque n'était pas fier de la loi 101 sont dans les patates.

J'aurais plutôt aimé que le député de Westmount nous rappelle la campagne qu'il a faite en 1981 pour le "free choice in éducation", le libre choix en éducation. Il pourrait peut-être se rappeler les paroles de René Lévesque qui parlait des "Rhodésiens de Westmount". M. Lévesque, tout le monde s'en souvient, a parlé des "Rhodésiens de Westmount", de la minorité qui voulait imposer sa loi à la majorité au Québec. C'est cela que M. Lévesque a dit et c'est cela qu'il trouvait anormal. C'est pour cela que, quand il parlait de liberté d'expression, il pensait que, comme dans tous les pays du monde, il y a une langue normale, pas une société distincte qui va adopter un régime anormal; mais un régime normal. Comme l'italien est la langue officielle en Italie - sauf au Vatican où le latin a encore droit de cité sur le plan historique - l'allemand en Allemagne, l'anglais en Angleterre, le français en France, M. Lévesque considérait que le français devait être aussi normal au Québec qu'il l'était pour d'autres peuples sur leur territoire. C'est cela, la réalité. Il faut arrêter de nous conter des histoires et essayer de nous faire croire que M. Lévesque n'était pas d'accord avec la loi 101.

Qu'est-ce que c'est que cela? Je ne trouve pas cela très courageux de la part de son principal adversaire qu'est le premier ministre du Québec d'évoquer les paroles de M. Lévesque qui ne peut pas venir lui répondre et lui dire que ce qu'il dit est faux. Je ne trouve pas cela très courageux et c'est à l'image du courage habituel du premier ministre. C'est lui qui a fait une stratégie avec le lac Meech, c'est lui qui s'est écrasé devant toutes les provinces du Canada pour faire passer au lac Meech une société distincte, alors que ce que les Québécois veulent est une société normale et non pas une société distincte où ils ne pourront pas avoir comme langue officielle partout leur langue, le français. Ils veulent une société normale où ils pourront avoir leur langue partout, comme dans les autres territoires du monde où il y a un peuple, parce que essentiellement la seule raison d'être d'un peuple, c'est son âme qui est la langue. Il n'y a pas de peuple s'il n'y a pas de langue.

Aujourd'hui, après avoir sacrifié tout ce qu'on pouvait sacrifier, tout ce que le premier ministre pouvait sacrifier pour le lac Meech, même les frégates du président du Conseil du trésor, on va venir nous faire croire que M. Lévesque aurait appuyé les libéraux, que M. Lévesque, qui a établi le français au Québec avec la loi 101, aurait voulu établir le bilinguisme avec un système intérieur-extérieur, comme un visage à deux faces, alors qu'il était exactement le contraire d'un visage à deux faces? Non, M. le Président. Par exemple, aujourd'hui, des gens vont venir nous dire qu'il était avec le premier ministre dans le lac Meech. Dans les provinces de l'Ouest, qu'il s'agisse de la Saskatchewan, de l'Alberta - et aussi le Manitoba même s'il ne l'a pas signé - ils vont venir nous dire comment cela devrait fonctionner après avoir pris tous les moyens possibles pour assimiler les minorités francophones. Ils nous disent aujourd'hui qu'ils vont essayer de nous montrer l'heure juste dans un lac Meech qui est un mirage où on est en train d'essayer de nous faire croire que la société distincte, qui repose essentiellement sur

le fait qu'on est français, ne pourra pas reconnaître ce caractère comme on le reconnaît à tous les autres peuples du monde.

M. le Président, essentiellement, le vieux rêve de l'anglicisation...

Une voix: Totale!

M. Garon: ...totale du Québec n'est pas parti. Le vieux rêve de l'anglicisation est toujours là. Et faire abstraction aujourd'hui, pour les anglophones, de l'influence américaine... Hier, une jeune fille d'une quinzaine d'années me disait qu'à son école les gens étaient pour la protection et le rétablissement de la loi 101 telle qu'elle est. Je lui ai dit: Pourquoi? Quel est le raisonnement que font les jeunes qui ont 15 ou 16 ans, à votre école? Elle m'a dit: Ils sont très conscients que la langue française est en danger parce qu'il y a une influence considérable de la langue anglaise à cause de la présence américaine. Et parce que cette présence américaine est là, il faut établir un régime de langue française comme régime normal dans le Québec.

Je trouvais extraordinaire que des adolescents de 15 ou 16 ans puissent comprendre cela. Parce que, essentiellement, quand la minorité anglaise vient nous parler, il faudrait avoir un régime anglais-français, bilingue. C'est un régime d'anglicisation parce qu'on ne peut pas faire abstraction du fait que les États-Unis sont à côté de nos portes. On n'est pas sur un territoire particulier ou en Europe où il y a peut-être six, sept, huit ou dix langues qui se côtoient. Aujourd'hui, on est sur un territoire où il y a essentiellement deux langues en Amérique du Nord ou trois langues avec le Sud: l'anglais, l'espagnol et le français. Et quand on regarde ce qui s'est passé...

Une voix:...

M. Godin: M. le Président, voulez-vous rappeler votre collègue de Saguenay à l'ordre, s'il vous plaît, parce que, vraiment... Le silence règne ici chaque fois qu'il n'est pas là.

Le Vice-Président: Un instant! Un instant! À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Lévis, continuez.

M. Garon: Essentiellement, on ne veut pas tenir compte qu'il y a, au sud, à l'ouest et à l'est, un environnement anglophone. On ne veut pas tenir compte de cela. Cet après-midi, j'écoutais le premier ministre, dans un langage que j'ai trouvé épouvantable, reprocher le bas taux de natalité qu'il y a au Québec, alors que les Américains qui ont un bas taux de natalité actuellement songent à se protéger contre l'invasion éventuelle du Mexique par les Espagnols, alors qu'il y a 14 ou 17 États américains - j'ai perdu le compte parce qu'il y en a de plus en plus qui adoptent des lois pour protéger l'anglais - qui adoptent des lois pour protéger l'anglais dans le pays le plus fort au monde, avec une population de 250 000 000... Au sud, il y a une population de 80 000 000 avec 70 % de la population qui ont en bas de 15 ans et qui seront 130 000 000 en l'an 2000, possiblement 250 000 000 à 300 000 000 en l'an 2020 OU 2025. Les Américains veulent se protéger, protéger l'anglais contre l'invasion éventuelle due à l'immigration légale ou illégale des Mexicains vers les États-Unis. Pensez-vous que les Américains ont dit aux Américains: C'est notre faute, on n'a pas un taux de natalité suffisant? Il faudrait régler ça d'abord plutôt que de protéger l'anglais par rapport à l'espagnol.

Le premier ministre, lui, a eu l'insigne courage de dire aux gens qui ont eu le plus haut taux de natalité au monde pendant des générations: C'est peut-être notre faute si on a un taux de natalité qui est plus bas. Il faudrait peut-être s'attaquer à ça. Alors qu'on sait que l'anglicisation au Québec n'est pas due à un taux de natalité des anglais qui est très fort, mais due à une immigration qui, s'il n'y a pas de loi pour protéger le français, va se joindre à la minorité anglaise à cause de l'effet d'osmose qu'il y a en Amérique du Nord. Cela ne prend pas une 500 watts pour comprendre ça. Et, possiblement que ceux qui ont démissionné dans le Parti libéral, qui exigeaient, comme des Rhodésiens, que la minorité dirige, que la minorité ait les mêmes droits que la majorité... (17 h 50)

Le Vice-Président: Un instant! M. le député! À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député. À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député. Un instant. M. le député, s'il vous plaît. Il y a une seule façon... M. le député. MM. les députés, s'il vous plaît! Il y a une seule façon... Un instant! Il y a une seule façon, si vous voulez être en désaccord avec les propos qui sont exprimés à l'Assemblée, c'est, à votre tour, de demander la parole et d'exprimer votre point de vue. C'est la seule façon de procéder. M. le député, s'il vous plaît! M. le député de Saguenay, je vous rappelle à l'ordre une dernière fois. Continuez, M. le député de Lévis.

M. Garon: M. le Président...

M. Gratton: Question de règlement.

Le Vice-Président: Un instant. M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: M. le Président, vous avez tout à fait raison de dire que la seule façon d'exprimer son désaccord avec un opinant, c'est de prendre la parole. Mais je voudrais rappeler au député de Lévis que les règles qui régissent nos travaux nous indiquent comment éviter de provoquer les réactions. Notamment, il est défendu et interdit à un député qui a la parole d'utiliser des propos injurieux, de proférer des

insultes. Je ne veux pas juger les paroles utilisées par le député de Lévis, mais sûrement que les réactions qu'elles ont suscitées avaient autant trait au contenu de ce qu'il disait qu'à l'attitude des membres de l'Assemblée qui ont pu réagir. Tout simplement, M. le Président, il me semble qu'on pourrait faire valoir notre point de vue sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'utilisation de propos comme ceux que je viens d'entendre.

M. Jolivet: M. le Président, sur la question de règlement.

Le Vice-Président: Sur la question de règlement, M. le leader adjoint de l'Opposition.

M. Jolivet: M. le Président, ici, à l'Assemblée, il n'y a personne qui a empêché quiconque de l'autre côté de parler, de dire ce qu'il avait droit de dire. On a été tranquille. On a laissé parler les gens. Je demande que mon collègue ait le même privilège. Il a le droit de dire ce qu'il a à dire et de le dire comme il veut le dire.

M. Gratton: M. le Président.

Le Vice-Président: Sur la question de règlement, M. le leader du gouvernement.

M. Gratton: Je conteste ce que dit le député de Laviolette. Qu'il ait le droit de dire ce qu'il veut, oui, mais de la façon qu'il le veut, non. L'article 35.7° dit bien que le député qui a la parole ne peut se servir d'un langage violent, injurieux ou blessant à l'adresse de qui que ce soit. C'est ça la lettre du règlement et il me semble que nos débats auraient beaucoup plus de valeur si on respectait le règlement.

Le Vice-Président: Les points sont faits. Je vais céder la parole à M. le député de Lévis en demandant aux députés, évidemment, en tout temps, de se conformer au règlement, autant ceux qui sont assis que ceux qui prennent la parole. M. le député de Lévis.

M. Garon: M. le Président, je ne suis pas étonné. Chaque fois que je prends la parole, le gouvernement essaie de faire des interventions pour miner mon temps de parole. Mais qu'il ne se trompe pas, dans le débat qui va avoir lieu, je vais occuper toutes les tribunes que je vais pouvoir occuper pour justement expliquer comment ça se passe. S'il a eu cette pensée de mettre la minorité anglophone sur le même pied que 85 % de la population du Québec qui est francophone, c'est parce qu'il y a des députés francophones qui n'ont pas fait leur travail, qui n'ont rien défendu et qui vont nous faire croire qu'ils vont défendre la langue de travail, qu'ils vont défendre la langue dans les maisons d'enseignement, alors qu'ils ne sont même pas capables de défendre la langue d'affichage, la moins difficile à défendre. Ils veulent nous faire croire qu'on va franciser le Québec alors que, même dans mon comté, le chantier maritime Davie est obligé de faire une plainte à l'Office de la langue française. Alors que le gouvernement du Québec est devenu son seul actionnaire, pardon, que Marine est devenue son seul actionnaire, 65 % de Marine étant contrôlés par le gouvernement du Québec, maintenant, on se plaint qu'on est en train de faire l'anglicisation des chantiers maritimes à Lauzon en exigeant de plus en plus d'anglais, en exigeant de plus en plus de personnel bilingue.

Il y a une plainte devant l'Office de la langue française et le ministre responsable de la langue vient nous dire: On va attendre les analyses, alors qu'il a tout simplement passé un mot d'ordre, comme actionnaire principal des chantiers Davie, à Lauzon, où les gens ont le droit de travailler... Dans la région de Québec, pas à Westmount! On parle de la région de Québec où c'est à peu près à 100 % francophone. On est en train de faire l'anglicisation d'une entreprise où, essentiellement, on est dans un milieu 100 % francophone. Alors, arrêtez de me faire brailler; vous ne me ferez pas pleurer. Je connais le Parti libéral. Je le connais.

Je connais le Parti libéral, oui. Il va essayer de nous faire croire, avec le premier ministre qui est venu reprocher au peuple québécois son taux de natalité, alors qu'il n'y a pas un peuple qui a eu un taux de natalité comme celui-là: avec 12 000 francophones on est devenu 12 000 000. Alors qu'il y a 12 000 francophones qui ont immigré ici entre 1608 et 1760, on est devenus 12 000 000, dont autant sont aux États-Unis qu'au Québec ou au Canada. C'est le peuple qui s'est le plus reproduit au cours de ces périodes et on va venir dire parce que le taux de natalité n'est pas aussi fort actuellement, que c'est à cause du taux de natalité...

Évidemment, le premier ministre est prêt à faire flèche de tout bois parce qu'il ne respecte pas son peuple. Cela paraît dans la loi qu'il est en train de faire, dans un débat escamoté. Je trouve ça extraordinaire. Des gens viennent nous invoquer la liberté de parole. Imaginez! Alors qu'on n'a jamais eu autant de bâillons dans une session, on est en train de bâillonner même le débat qu'ils disent sur la liberté d'expression. Alors qu'il n'y a même pas de règlement de déposé, alors que le président de la Fédération des travailleurs du Québec, la plus grande centrale syndicale au Québec, demande de surseoir au débat justement pour que les gens puissent s'exprimer, alors qu'on est obligés dans la loi 100 sur la protection du territoire agricole de demander quoi? Que les intervenants puissent être consultés, qu'ils représentent les municipalités, les MRC au Québec, les différents groupes qui demandent à être entendus, le gouvernement dit: Non. Et toutes les batailles que nous avons

dû mener durant cette session pour que les gens soient entendus, et on va venir nous dire que c'est ce gouvernement-là qui défend la liberté d'expression? Mon oeil! Jamais un gouvernement n'a si peu défendu la liberté d'expression. Je vais vous dire qu'il va y avoir un débat parce que la question du français, il faut qu'elle se règle et elle ne se réglera pas avec des solutions ni chair, ni poisson, avec un premier ministre qui a un cerveau comme un oeuf à deux jaunes, ne sachant jamais lequel il va fertiliser.

M. le Président, dans les solutions, il y a des solutions normales. Trouvez-moi un pays au monde... Vous aimez ça l'Ontario. Des exemples, trouvez-en. Trouvez-moi un seul pays au monde où c'est "inside-outside"; extérieur-intérieur. Après ça, on se demandera comment il se fait qu'on traite le premier ministre d'avoir une attitude schizophrénique. Parce que ça ne se retrouve nulle part au monde, un système comme ça. J'ai demandé à tous ceux qui sont des allophones dans leur pays comment ça se passe: Demandez aux Grecs si ça se passe autrement qu'en grec en Grèce. Demandez aux Italiens si ça se passe autrement qu'en italien en Italie. Demandez aux Anglais si ça se passe autrement qu'en anglais en Angleterre parce qu'on trouve ça normal, parce que c'est ça une situation normale. Aujourd'hui, quand ceux qui reprochent... Vous voyez de plus en plus d'allophones qui disent: On s'est habitués à vivre dans une société francophone. Évidemment, parce que ça a été exigé pour la première fois avec la loi 101. On s'est habitués à vivre dans une société francophone. On commence à être habitués à vivre dans une société francophone, et on l'accepte. Vous avez remarqué dans ce débat, ce ne sont pas les allophones qui ont fait un grand débat. Autant ils en avaient fait un en 1977 parce qu'on leur avait fait croire qu'en venant au Canada, c'était l'anglais automatiquement... Nous avons établi avec la loi 101 qu'il était normal dans une société comme la société québécoise, où il s'agit essentiellement d'un peuple francophone, le seul vraiment organisé en Amérique du Nord, que le français soit la langue d'enseignement, la langue d'affichage, la langue de travail à tous les niveaux en respectant comme pas un peuple, pas un territoire au Canada ne respecte la minorité française, en donnant plus de droits à la minorité anglaise qu'on n'en trouve nulle part ailleurs au Canada pour les minorités françaises.

Aujourd'hui, le premier ministre a fait un choix. C'est son choix de briser la paix linguistique, de faire en sorte de briser cette paix linguistique, et c'est lui qui sera responsable et en partie également, ses députés francophones qui n'ont pas fait valoir les droits du peuple français. On a entendu des velléités où on a dit: Tel député pourra voter contre ou s'abstenir. Imaginez-vous! Grande bravoure. Il n'y aura pas beaucoup de croix Victoria pour ça. Il n'y aura pas beaucoup de croix "Distinguished Service

Order", DSO pour cette marque de bravoure. Mais essentiellement, aujourd'hui, on est pris avec une situation parce qu'il n'y avait pas d'équilibre dans le caucus du Parti libéral et parce que ceux qui représentaient le groupe anglophone voulaient une situation anormale. Et les francophones n'ont pas occupé la place qu'ils devaient occuper pour défendre le peuple français, le peuple francophone du Québec avec lequel aujourd'hui les allophones veulent partager la langue française. (18 heures)

Ce que l'on combat au fond aujourd'hui comme Opposition, ce sont les dangers d'anglici-sation de notre peuple, qui sont aussi présents en 1988 qu'ils l'ont été au cours des 200 dernières années. C'est ça que nous défendons essentiellement, parce que la vie du peuple québécois comme peuple francophone, sera toujours une vie en danger en Amérique du Nord. C'est pourquoi nous devons prendre tous tes moyens pour protéger la vie de notre peuple, l'âme de notre peuple qui est la langue française, sans empêcher qui que ce soit de parler d'autres langues, mais d'avoir une situation normale d'un peuple normal sur un territoire normal. Aujourd'hui, si on décide de véritablement avoir un statut totalement normal sur le territoire du Québec, qu'est-ce qu'on fera? On décidera en même temps de poursuivre pour avoir la souveraineté du Québec pour faire en sorte que, véritablement, l'avenir du Québec soit protégé pour les années à venir en assumant nous-mêmes nos responsabilités. Il n'est pas normal que l'avenir de notre langue soit décidé par la Cour suprême du Canada qui a une majorité de juges anglophones. Ce n'est pas normal.

Normalement, c'est aux représentants du peuple de définir l'avenir du peuple, l'avenir de sa langue sur son territoire. C'est cela que nous voulons qui soit fait et non pas en trois jours, à la fin de la session, à la veille de Noél, alors que les gens ont le droit de participer à ce débat puisque, essentiellement, c'est un débat qui appartient au peuple du Québec. Je vous remercie, M. le Président.

Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole à M. le ministre de la Justice et ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et député de Jean-Talon.

M. Gil Rémillard

M. Rémillard: Merci, M. le Président. À la suite du jugement de la Cour suprême de jeudi dernier, nous nous retrouvons devant un vide législatif, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de loi, il n'y a plus de règlement qui impose exclusivement le français pour l'affichage. En conséquence, à toutes fins utiles, M. le Président, cela veut dire qu'au moment où nous nous parlons, on peut utiliser la langue pour l'affichage de la façon qu'on veut, sans aucune protection pour le

français. C'est pour cette raison que nous devons réagir le plus tôt possible pour légiférer et donner au français cette protection que nous lui voulons donner, tout en protégeant la liberté d'expression.

M. le Président, ce que la Cour suprême nous dit, c'est que le français est menacé au Québec et la Cour suprême nous dit que protéger le français au Québec, protéger ce visage linguistique, c'est l'expression même que la Cour suprême utilise, est un objectif légitime pour le gouvernement. La cour en arrive à la conclusion qu'une telle protection peut être de donner au français une situation prédominante - elle ajoute même nettement prédominante - sur l'affichage par rapport à une autre langue. Et la cour de dire, dans ce cas, que la preuve présentée à la cour n'a pas démontré qu'il fallait vraiment utiliser l'exclusivité du français pour protéger ce visage linguistique.

C'est donc dire, M. le Président, il faut bien le comprendre, que, d'une part, la Cour suprême consacre la liberté d'expression, liberté des plus fondamentales dans une société démocratique, mais que, d'autre part aussi, la Cour suprême reconnaît qu'on peut aménager l'application de ce droit, de cette liberté d'expression, dans un contexte donné et, en conséquence, en ce qui nous regarde, dans le cas de cette protection qu'on doit donner au français.

M. le Président, c'était donc là la situation qui était la nôtre au lendemain de cette décision de la Cour suprême: d'une part respecter cette liberté d'expression, et, d'autre part, être capables de la situer, de l'aménager dans son application en fonction de ce contexte que nous vivons ici au Québec et qui nous amène à légiférer pour donner une protection au français.

Sur le plan des principes, sur le plan du respect des droits fondamentaux, il est important de se rappeler qu'il n'existe pas de liberté fondamentale qui puisse être appliquée d'une façon absolue. Ces droits, ces libertés que les citoyens veulent se garder, se garantir, face à l'action des gouvernements, c'est le fondement de ce contrat social que nous passons tous ensemble pour vivre ensemble. Nous disons: Nous acceptons de vivre en société, nous acceptons de nous départir de notre pleine liberté, parce que nous voulons profiter, les uns et les autres, de notre vie en commun pour améliorer nos conditions de vie. Mais, en conséquence, qu'est-ce que ça signifie, M. le Président, qu'est-ce que ça signifie? Cela signifie qu'on a certaines limites à nos droits fondamentaux. On ne peut pas conduire à 100 à l'heure dans une zone d'école, on ne peut pas ouvrir un commerce n'importe où, il faut que ça respecte le zonage. Enfin bref, on pourrait donner beaucoup de situations où on est amené à limiter ou à administrer, si vous voulez, le contexte dans lequel on doit situer ces droits fondamentaux. Dans ce contexte-ci, il nous a donc fallu composer avec cette nécessité que nous avons de protéger le visage français du Québec avec l'application de cette liberté d'expression.

Comme ministre de la Justice du Québec, j'avais à conseiller le gouvernement sur les implications légales du projet de loi 178 qui donne la possibilité d'afficher à l'extérieur exclusivement en français et, à l'intérieur, en utilisant une autre langue que le français, à la condition que le français soit nettement prédominant.

Je crois, M. le Président, comme me l'ont dit mes conseillers, qu'il aurait été possible de plaider devant les tribunaux la proposition d'une telle solution: extérieur, exclusivement français, et intérieur, utilisation d'une autre langue que le français à la condition que le français soit nettement prédominant. Nous aurions pu plaider cette solution devant les tribunaux et leur dire: Bien, voici une solution qui est conforme à la décision que vous avez rendue, parce que nous donnons au français une situation nettement prédominante dans l'affichage lorsque nous considérons l'affichage globalement. Nous aurions pu plaider cela. Mes conseillers juridiques m'ont bien dit que nous n'aurions quand même pas cette sécurité juridique que nous devons avoir pour le mieux-être tant de nos communautés et de nos amis anglophones que pour les francophones. Nous aurions pu plaider cette situation, mais nous sommes presque certains que, dans les jours qui auraient suivi la promulgation d'une telle loi, il y aurait eu contestation et on se serait retrouvés encore devant la cour.

M. le Président, c'est dans ce contexte que j'ai été amené à suggérer au gouvernement, à recommander au gouvernement d'utiliser cette clause dérogatoire, cette clause "nonobstant". J'ai eu l'occasion de le dire et je le répète, M. le Président, que je n'aime pas cette clause "nonobstant". J'ai vu cet après-midi mon collègue du Conseil des ministres, le ministre de la Sécurité publique, démissionner en tant que ministre. Cela m'a touché parce que lui et moi avons ensemble fait plusieurs discours et plusieurs interventions contre, justement, cette clause "nonobstant" contre l'utilisation abusive de cette clause "nonobstant". (18 h 10)

Mais, il faut bien comprendre que cette clause "nonobstant" est, en quelque sorte, une clause de dernier ressort que le gouvernement utilise lorsque vraiment il est dans une situation où il doit imposer une volonté politique en fonction d'un contexte sociopolitique qu'il évalue. Donc, il aménage l'application d'un droit fondamental en fonction de son évaluation d'une situation sociale ou politique. Dans ce cas-ci, le gouvernement a pris sa décision et, comme il s'agissait d'utiliser l'exclusivité à l'extérieur strictement pour le français, nous avons dû utiliser cette clause "nonobstant", cette clause qui permet au gouvernement de dire que, en ce qui regarde l'affichage à l'extérieur, cela se fera

exclusivement en français et il ne pourra pas y avoir de contestation judiciaire en fonction du respect des droits et des libertés.

M. le Président, sur le plan des principes, dans un premier temps cela peut paraître difficile, mais, lorsqu'on regarde l'application de cette clause dans le contexte où nous l'appliquons, il faut se rendre compte que, tout d'abord, elle est bien spécifique cette utilisation que nous faisons de la clause "nonobstant" et, d'autre part, qu'elle se situe dans le contexte de cet aménagement que nous faisons de la liberté d'expression. La clause "nonobstant" a une application de cinq ans et, dans cinq ans, je suis convaincu que nous aurons à revoir son application. Justement, on a mis dans la constitution canadienne en utilisant cette clause "nonobstant", en permettant cette clause "nonobstant", on a mentionné qu'elle avait une existence de cinq ans pour permettre au gouvernement, à l'Assemblée législative qui la met en vigueur par une loi, permettre de revenir et de faire cette analyse à nouveau du contexte social, politique et économique dans lequel on se situe.

Pour ma part, j'ai toujours dit que nous sommes à évoluer et cette évolution doit se faire en fonction de nos responsabilités de citoyens, de citoyennes, dans le contexte d'une société libre, démocratique. Nous faisons un pas aujourd'hui, un pas qui est important, un pas dans la prise de conscience de nos responsabilités, mais dans cinq ans on réévaluera la situation et on verra comment on peut revoir l'utilisation ou non de cette clause "nonobstant". La Charte de la langue française de la loi 101 sera donc touchée par ce projet de loi 178 et je dois dire, M. le Président, qu'elle sera sensiblement même améliorée quant à sa portée. Il faut bien comprendre que déjà cette possibilité d'afficher dans une autre langue que le français existait depuis le début dans la loi 101. À l'article 60 de la loi 101, on peut voir que les commerces qui ont quatre employés et moins, y compris le patron, peuvent utiliser, dans leur commerce, une autre langue que le français à la condition que le français soit utilisé d'une façon au moins équivalente. C'est une clause importante, parce qu'elle touche plus de 60 % de nos commerces. C'est une clause qui comportait beaucoup d'ambiguïté parce que, d'une part, on disait: "dans le commerce" et on a interprété^ ce "dans" comme voulant dire autant le mur extérieur de l'entreprise ou bien, on l'a vu à maintes reprises - c'est un exemple qu'on a vu dans les journaux ces derniers temps - on mettait un affichage dans la vitrine qui, finalement, était visible de l'extérieur. Cela créerait une situation juridique ambiguë qui était difficile pour tout le monde qui aurait voulu, finalement, se plier à la loi mais qui ne savait pas exactement ce que la loi voulait signifier.

Avec le projet de loi 178, nous clarifions la situation, nous disons: Vous pouvez utiliser une autre langue que le français à la condition que le français soit nettement prédominant à l'intérieur du commerce, peu importe que ce soit 4 ou 20 employés. Cependant, il va falloir que le français ne soit pas simplement équivalent, comme c'est marqué dans l'article 60 de la loi actuelle, il va falloir que ce soit nettement prédominant. D'autre part, ce ne sera pas dans le commerce avec toute l'ambiguïté de ce mot, mais ce sera à l'intérieur du commerce pour la clientèle qui se situe à l'intérieur du commerce. Donc, il y a là une obligation d'affichage à l'intérieur destiné à la clientèle qui se situe à l'intérieur.

On a mentionné bien des cas. J'écoutais les commentaires du côté de l'Opposition qui nous disait: Les centres commerciaux, qu'est-ce qui va se passer? Les centres commerciaux sont prévus textuellement dans la loi. Le centre commercial lui-même est considéré comme extérieur, il n'est pas considéré comme un établissement où on a le droit d'afficher en français et dans une autre langue, donc d'utiliser une autre langue que le français à l'intérieur. Dans les boutiques du centre commercial, à l'intérieur, dans les établissements à l'intérieur du centre commercial, oui, on pourra afficher dans une autre langue que le français, à la condition que le français soit nettement prédominant, mais pas dans le mail, pas dans le centre commercial comme tel. C'est la même chose sur les voies publiques. Il y a donc là, M. le Président, et c'est important de le retenir, une amélioration considérable par rapport à la situation que nous vivons actuellement.

J'entendais l'Opposition qui nous disait: On n'a pas appliqué la loi 101; la loi 101 n'est pas appliquée. Il y a des difficultés à faire appliquer la loi 101. Le gouvernement, de 1977, le gouvernement du Québec qui était à ce moment-là un gouvernement péquiste, avait de la difficulté à la faire appliquer aussi. Pourquoi? Parce qu'il y avait tellement de ces ambiguïtés qui rendaient extrêmement difficile l'application de cette loi. L'article 60 en est un exemple particulièrement important. M. le Président, il faut faire les lois les plus claires possible, en particulier en ce qui regarde ce sujet tellement important de la langue.

Nous allons aussi établir ces règlements qui pourront déterminer les possibilités pour les établissements de plus de 50 employés d'utiliser une autre langue que le français, une réglementation qui viendra cerner au plus près cette possibilité à certaines conditions. Donc, ces grands établissements de 50 employés et plus pourront utiliser une autre langue que le français. Mais, il faut bien comprendre que le terme "prédominance", parce qu'on dit "nettement prédominant", est un terme que nous retrouvons déjà dans la loi 101 à l'article 24. À l'article 24 de la loi 101, on lit textuellement le mot "prédominant", il est là en toutes lettres, il existe. Il n'y a jamais eu de réglementation pour le définir. On a laissé l'Office de la langue française, on a laissé les organismes responsables

appliquer ces notions et voir à leur application un peu partout au Québec, avec les situations ambiguës qu'on connaît fort bien maintenant.

M. le Président, en conclusion, je voudrais insister sur le fait que ce projet de loi 178 est un projet de loi qui, d'une part, respecte notre obligation comme gouvernement québécois, seul gouvernement francophone en Amérique du Nord, notre responsabilité de protéger le visage linguistique français du Québec, de protéger le français comme la Cour suprême nous le dit dans son jugement et, d'autre part aussi, un projet de loi qui aménage dans son application la liberté d'expression. C'est aussi une loi qui utilise la clause dérogatoire, la fameuse clause "nonobstant", mais il faut se souvenir que cette clause a une durée de cinq ans et que, dans ce contexte, éventuellement, nous pourrons revenir et étudier tous ensemble l'opportunité de la reconduire ou d'y mettre fin et revoir nos conditions d'application de ces dispositions concernant l'affichage. (18 h 20)

M. le Président, l'Opposition nous disait aussi, je termine sur ce point, qu'on pourrait faire en sorte que ce projet de loi soit déposé maintenant et l'étudier plus tard. Lorsqu'il serait sanctionné, on pourrait dire qu'il serait rétroactif dans son application au moment de son dépôt. On ne peut pas faire cela, justement parce que nous utilisons la clause "nonobstant" et, parce que nous l'utilisons, nous ne pouvons pas lui donner d'effet rétroactif. Il faut être conséquent avec ce que nous faisons. Nous utilisons une clause "nonobstant" pour faire face à ce vide juridique et la Cour suprême nous dit expressément dans son jugement qu'on ne peut lui donner d'effet rétroactif. Par conséquent, il faut légiférer le plus tôt possible pour qu'on ait des dispositions claires pour que le français soit protégé dans l'affichage partout au Québec. Voilà, M. le Président, l'objectif de ce projet de loi et les grandes dispositions qui nous permettront d'avoir une loi qui nous amènera à faire un pas de plus pour la protection du français, tout en respectant les conditions d'expression qui reviennent à tout Québécois et toute Québécoise. Merci.

Le Vice-Président: Je reconnais maintenant M. le député d'Ungava.

M. Christian Claveau

M. Claveau: Merci, M. le Président. J'ai suivi très attentivement l'ensemble du débat depuis son début hier soir et je peux vous assurer, M. le Président, que je suis stupéfait par les arguments qui sont apportés du côté du gouvernement pour justifier la présentation d'un tel projet de loi. J'écoutais les députés exministres de Nelligan, Westmount et D'Arcy McGee qui ont essayé de nous faire pleurer en nous expliquant jusqu'à quel point était impor- tante pour eux la liberté d'expression, la liberté individuelle de s'exprimer et de pouvoir agir en anglais sur le territoire québécois.

Il y avait des gens qui en avaient la larme à l'oeil dans cette Chambre. Je viens d'écouter aussi le ministre de la Justice, après avoir écouté le premier ministre, et les autres intervenants de l'autre côté. Qu'est-ce qu'on entend? Qu'est-ce que le ministre de la Justice vient de nous servir encore une fois? Un discours de juriste, de points juridiques, par lequel il essaie d'interpréter ou de se donner bonne figure pour faire passer le point de vue légal que lui et son gouvernement ont adopté face à la loi 101. Les seuls arguments que ce gouvernement est capable de nous avancer, M. le Président, ses seuls arguments convaincants sont des arguments strictement de pointillage et de petites questions juridiques, par lesquels on essaie de faire avaler au peuple québécois une montagne énorme, de "nous passer le plus gros sapin" qu'on n'ait jamais essayé de passer à nous, Québécois, à partir d'une argumentation juridique de petite semaine, qui ne résiste même pas à l'analyse.

Car, M. le Président, quoi qu'en dise le jugement de la Cour suprême, quoique veuillent en faire les gens de ce gouvernement, il reste qu'il y a aussi dans ce jugement de la "pogne" pour aller beaucoup plus loin que cela et, si la volonté politique de ce gouvernement était véritablement de régler une fois pour toutes la question linguistique au Québec, la Cour suprême du Canada lui donnait toute la possibilité de le faire. Il n'y a rien dans le jugement en question qui empêche de permettre une application totale de la clause "nonobstant" à l'ensemble de la Charte de la langue française, ce qui aurait permis à ce gouvernement de la restaurer, de lui redonner toute sa vigueur, sa vitalité, sa raison d'être pour qu'aujourd'hui les Québécois francophones, au lieu d'être dans la rue à manifester dans le froid, de se rassembler pour sortir à nouveau la bannière du Québec plus fièrement que jamais, aient l'assurance que ce gouvernement ne tergiversait pas avec la loi 101, avec la langue française.

L'alternative était là. Il n'avait qu'à sauter dessus, à en profiter. La Cour suprême lui lançait la plus belle perche qu'il pouvait prendre pour assurer une fois pour toutes et régler définitivement la question du débat linguistique au Québec. Mais non, qu'est-ce qu'il fait? Il prend la partie la plus vicieuse de l'interprétation qu'on pouvait donner au jugement, l'amène devant cette Chambre en essayant de nous dire que c'était la façon de sauver la langue française alors qu'en réalité, la démarche est des plus pernicieuses que l'on puisse imaginer. C'est cela la réalité du jugement ou de la façon dont le gouvernement interprète le jugement pour faire sa loi.

M. le Président, par contre, lorsque on regarde comment ce gouvernement a agi, de quelle façon et à partir de quelle logique ou de

quelle argumentation il s'est gagné le vote des anglophones ou s'est assuré, du moins, une participation des anglophones au vote de 1985 pour se faire élire, là, on commence à comprendre des choses. Le premier ministre disait d'ailleurs: Je ne comprends pas les anglophones. C'est le gouvernement dans toute l'histoire du Québec qui a eu le plus d'anglophones à son Conseil des ministres. Certes, mais là, ce sera probablement le gouvernement qui n'en aura jamais eu aussi peu, le gouvernement qui va en avoir le moins dans toute l'histoire du Québec avec ce qu'on vient de vivre.

Mais encore là, ne nous laissons pas leurrer par les circonstances. D'abord, je pense qu'il faut comprendre de quelle façon ce gouvernement est responsable de l'ambiguïté et est responsable de la nouvelle vigueur que les Québécois redonnent au débat linguistique, parce que c'est lui qui les a créées en promettant justement des choses en campagne électorale qu'il savait ne pas pouvoir réaliser. En se réfugiant derrière un jugement qui allait venir, le premier ministre était certain, était convaincu ou du moins croyait qu'avec le temps les passions allaient s'apaiser, que cela n'était pas si grave que ça et que, finalement, lorsque le jugement viendrait, les choses seraient calmes et il pourrait faire avaler n'importe quoi aux Québécois. Le premier ministre s'est trompé. Le premier ministre s'est littéralement trompé et le peuple québécois lui en fait la démonstration aujourd'hui. Les Québécois ne laisseront pas bafouer leur langue. C'est clair. Si le gouvernement n'a pas compris le message en fin de semaine, il y a bien des chances qu'il ne comprenne jamais. Mais il y a des gens qui lui ont dit aussi devant les micros, sans se gêner, qu'un gouvernement qui n'était pas capable de respecter sa majorité est un gouvernement qui ne méritait pas de gouverner. C'est ce qui risque d'arriver à ce gouvernement s'il ne comprend pas les vœux de la majorité.

Donc, le gouvernement est responsable de la situation linguistique, du nouveau marasme linguistique dans lequel il a plongé le Québec, marasme linguistique qui avait disparu avec l'apparition de la loi 101, lorsque le gouvernement du Parti québécois avait voté la loi 101 en cette Chambre. D'ailleurs, il faut le répéter. Ces gens avaient voté contre la loi 101 en 1977. C'est clair aussi. Cela fait partie de la démarche. Aujourd'hui, on nous dit: On va essayer de sauver les meubles tant bien que mal, mais ils avaient voté contre la loi 101. Ils n'étaient pas d'accord avec la Charte de la langue française et ils ne le sont pas plus aujourd'hui, c'est évident.

D'autre part, il faut comprendre aussi la dynamique dans laquelle s'inscrit le jugement de la Cour suprême. La Cour suprême du Canada, de par son nom, est une instance pancanadienne, une instance qui voit le Canada d'un océan à l'autre et qui considère le Québec comme une fraction de ce grand tout canadien. Or, ce grand tout canadien est d'abord et avant tout anglais. La majorité canadienne est anglophone. Il n'y a personne qui va contester cela. Il y a juste au Québec où les francophones ont survécu de peine et de misère. Cela n'a pas été drôle, cela n'a pas été donné. C'est de peine et de misère que les francophones ont réussi à se développer, à prendre la place à laquelle ils avaient droit au Québec et à s'imposer comme peuple sur le territoire québécois. Donc, la Cour suprême juge en vertu d'un tout canadien dans lequel nous sommes minoritaires. (18 h 30)

Dans ce sens, la Cour suprême, le gouvernement fédéral, les autres provinces canadiennes, pour utiliser le terme, sont tous convaincus que nous sommes une minorité à l'intérieur du grand tout canadien. Or, nous, nous disons: C'est là le problème. C'est là que ce gouvernement n'a pas compris la dynamique nationale. Nous disons. Au contraire, nous sommes la majorité chez nous, sur le territoire québécois et, quand les anglophones viennent verser des larmes en cette Chambre en disant: Oui, c'est vrai, on ne nous comprend pas, nos droits sont baffoués, c'est clair parce que, dans leur tête et à juste titre dans la logique canadienne, ils sont la majorité. C'est le problème. Alors, faut leur faire comprendre - et le peuple québécois va le leur faire comprendre - qu'ils sont une minorité sur un territoire majoritairement francophone qui s'appelle le Québec. On me dit que mon temps est écoulé.

Le Vice-Président: Alors, M. le député d'Ungava. Malheureusement, nous arrivons à 18 heures trente. Nous devons, à ce moment-ci, suspendre nos débats. Vous avez écoulé neuf minutes sur votre droit de parole. Il vous reste donc onze minutes. Nous reprendrons ces travaux à 20 heures. Nous suspendons donc jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 31)

(Reprise à 20 h 4)

La Vice-Présidente: À l'ordre, s'il vous plaît!

Mmes et MM. les députés, veuillez vous asseoir.

Nous allons reprendre le débat concernant l'adoption du principe du projet de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française. Là-dessus, je suis prête à reconnaître le député d'Ungava, en vous rappelant qu'il reste à votre intervention, M. le député, onze minutes.

M. Claveau: Merci, Mme la Présidente. Alors, rapidement, au moment de la suspension à 18 h 30, j'étais en train d'expliquer que très certainement la cour fédérale, la plus haute instance au pays, juge en vertu d'un concept

pancanadien. Cela fait en sorte que, pour eux comme pour le reste du Canada, les francophones du Québec sont minoritaires à l'intérieur d'un grand tout anglophone. Je comprends la réaction de nos collègues, de nos vis-à-vis ministériels en cette Chambre, alors qu'ils se disent outrés, frustrés par une décision prise par le gouvernement qui, sans tout leur donner, ne leur donne pas encore suffisamment. Ce qu'ils réclament, c'est d'avoir plus que ce qu'on leur donne. Dans ce sens-là, ils disent: Nous, en tant que majoritaires dans le grand ensemble canadien, nous devrions tout avoir. Nous, de notre côté, de la part des gens qui sont dans les rues, qui manifestent, qui expriment de toutes sortes de façons leurs points de vue par rapport à la décision prise par le gouvernement, nous nous situons dans un contexte territorial québécois, là où les francophones sont majoritaires et où il y a une minorité anglophone qui, somme toute, est dans une situation si confortable qu'elle n'a pas à se plaindre.

La réaction des ministres démissionnaires d'aujourd'hui est une réaction d'anglophones majoritaires dans un grand Canada anglophone, là où une partie du territoire, pour des raisons historiques, là où subsistent donc quelques francophones, mais qui sont minoritaires dans l'ensemble du contexte canadien. La Cour suprême juge dans ce sens-là, le gouvernement fédéral réagit dans ce sens-là, le gouvernement du Manitoba a réagi dans ce sens-là, les réflexions qu'on a eues de l'Ontario sont dans' le même sens et les démissions d'aujourd'hui sont dans le même sens aussi.

Alors que nous aurions dû, en tant que francophones qui ont vu diminuer leurs droits, les droits des francophones du Québec ont diminué avec le projet de loi 178 qu'on a sur la table, présenté par ce gouvernement... Nous avons donc incontestablement une diminution des droits, dans la mesure où on introduit quelque chose de nouveau qui s'appelle l'affichage à l'intérieur, donc un affichage bilingue à l'intérieur contre un affichage unilingue à l'extérieur. Façade de théâtre! Déguisement! On nous présente un masque d'Halloween, un visage français avec un derrière de masque anglophone. C'est ça, la réalité. C'est là. On va se promener dans les rues de Montréal et on dit: Ah, que c'est beau, la francophonie! Regardez-moi cette uniformité francophone! Dès qu'on aura passé le perron de la porte, on se retrouvera dans un univers anglophone.

Une voix: Voyons donc!

M. Claveau: C'est la réalité, c'est ce qui va se passer. Qu'est-ce qui se passe ici en Chambre? Quelques ministres anglophones démissionnent parce que, pour eux, dans le concept d'un grand Canada où les francophones sont minoritaires, ils sont frustrés dans leurs droits... Je voyais le député de Nelligan, ici, en cette Chambre cet après-midi, sortir un billet de 20 $ de sa poche, le brandir et dire: Moi, j'ai prêté 20 $, je veux ravoir mon argent, vous ne voulez pas me le remettre, vous voulez m'en remettre une partie. Il faisait aussi ses expériences avec un verre d'eau, style physique ou chimie de secondaire III. Ce que j'ai compris, c'est qu'en 1977, les anglophones du Québec nous ont prêté notre langue, mais que c'était temporaire. Ils nous ont dit: On vous prête un droit, c'est temporaire. Ne vous en faites pas, le PQ, vous ne serez pas éternel. Aujourd'hui, on veut ravoir notre droit et vous ne voulez plus nous le redonner, vous nous en donnez juste une partie. C'est cela que le député de Nelligan nous expliquait.

Où sont les preux et vaillants chevaliers qui, il n'y a pas si longtemps, il y a à peine une semaine ou deux, nous disaient en cette Chambre: Jamais nous n'accepterons que notre parti, le Parti libéral, touche à la loi 101. Que disaient le chevalier d'Iberville, le chevalier de Chambly, le chevalier de Chauveau, le chevalier de Vanier? On se croirait revenus à l'histoire du Canada, style 1760: d'Iberville, Chambly, Chauveau, Vanier, voilà des noms historiques. Que disaient ces gens qui représentent aujourd'hui des noms qui ont eu tant de gloire dans l'histoire du Québec? La semaine dernière, c'étaient les gros bras du Parti libéral qui ne laisseraient jamais toucher à la loi 101, qui n'accepteraient pas que les droits des Québécois francophones soient diminués au Québec. Où sont-ils aujourd'hui? Regardez-les, cela vaut la peine. Si on pouvait braquer les caméras sur eux, on le ferait si le règlement le permettait. Regardez-les applaudir timidement aux propos d'un premier ministre qui propose en cette Chambre une diminution des droits des francophones, se satisfaire d'une demi-mesure, accepter un recul, temporaire probablement.

J'écoutais pas plus tard qu'hier, à la télévision, le député de Vanier qui disait: Vous savez, c'est vrai, j'ai changé d'idée, j'ai compris qu'il valait probablement mieux un compromis historique. Donc, je me suis permis de changer d'idée. Cela valait mieux comme cela. Ces gens-là, hier si fiers, si valeureux, aujourd'hui, sont comme des autruches qui se cachent la tête. Je les voyais applaudir à la démission du député de Nelligan, du député de Westmount, du député de D'Arcy McGee. Ils étaient là: Ah, que c'est dommage, nous les perdons. (20 h 10)

Ce n'est pas perdu, en dehors du Conseil des ministres, toujours en dedans du caucus libéral. En dehors pour être mieux en dedans, c'est la même logique que dans le projet de loi. On sort du Conseil des ministres pour être mieux en dedans, pour continuer à faire le travail entrepris, disait-on. On ne lâchera pas, on va rester là parce qu'on va continuer à faire prôner le principe d'un Canada anglophone uni dans lequel il y a une minorité francophone quelque part, mais une minorité à l'intérieur d'un grand

Canada anglophone. C'est ce que nous n'accepterons pas. Et ces preux chevaliers d'Iberville, de Chambly, de Chauveau et de Vanier, des noms qui devraient ressusciter toutes nos forces historiques, qu'est-ce qu'ils font? Il applaudissent et disent: Que c'est dommage, nous les avons perdus! Que c'est dommage! Et, la larme à l'oeil, ils les regardent s'en aller tout en espérant être nommés à leur place comme ministre, dès que le premier ministre va annoncer son remaniement ministériel. Cela va faire leur affaire. Cela fait des places au Conseil des ministres.

Larmes de crocodile! Opportunisme évident! On va essayer de nous dire aujourd'hui que ces gens sont en train de faire un travail honnête par rapport aux Québécois francophones. Ayez le courage de vos convictions! Levez-vous et dites encore ce que vous disiez il n'y a pas plus de quelques jours: Nous ne laisserons pas le gouvernement toucher à la loi 101, n'ayez crainte, nous sommes là, nous, les francophones du Parti libéral. Regardez-les aujourd'hui applaudir à des demi-mesures, d'une façon servile, vibrer, craindre des démissions et se soumettre au chantage de la minorité de leur caucus qui dit: Ah! Si vous bougez, nous démissionnons. Et maintenant, aujourd'hui, ils disent: Bien, ifs ont démissionné. Ah! Que c'est triste! On ne me fera pas pleurer là-dessus, ce n'est pas vrai.

Une voix: ...pas de coeur! Des voix: Ha, ha, ha!

M. Claveau: Mme la Présidente, il y a des réflexions que j'aime mieux ne pas commenter. Ces gens qui se permettent de nous critiquer, qu'ils aient le courage de leurs convictions, qu'ils aillent jusqu'au bout et qu'ils fassent preuve d'honnêteté envers le peuple du Québec. Et lorsqu'ils disent qu'ils vont défendre les Québécois francophones envers et contre tous pour ne pas toucher à la loi 101, comment peuvent-ils aujourd'hui applaudir à des mesures qui restreignent, qui diminuent les droits de nos compatriotes francophones au Québec? Mme la Présidente, je me plais à penser à ce que serait le comportement de la majorité anglophone s'il fallait qu'il n'y ait que 14 %, 15 % ou 16 % de francophones au Québec parmi 80 % à 85 % d'anglophones. Est-ce qu'on pourrait penser que la Cour suprême rendrait un jugement tel qu'elle a... Est-ce que le gouvernement userait d'une clause "nonobstant"? Lorsque le gouvernement du Manitoba, le gouvernement de la Saskatchewan se sont prévalus de leur majorité en Chambre pour rendre inopérants des dispositions ou des jugements de la Cour suprême quant aux droits historiques des francophones de ces provinces, on a dit: Non, ce n'est pas ça, nous, on légifère, c'est les anglophones, point final. L'Ontario ne s'est pas relevé. Les grands partis fédéraux ne se sont pas montrés surpris. Le gouvernement du Québec, même tout timidement, a dit: Peut-être que vous auriez dû penser à vos minorités, il n'y a personne... Non, parce que c'était normal dans un contexte anglophone mur à mur, dans lequel I y a quelques petits points de discordance francophones. On ne s'est pas offusqué de la décision à Toronto, à Winnipeg, à Vancouver, à Edmon-ton, à Saint-Jean, Terre-Neuve. Non, c'était normal parce que c'était la grande majorité anglophone qui imposait son droit.

Mais, par contre, si la majorité francophone du Québec, elle, veut imposer son droit de pouvoir vivre, travailler, s'afficher, avoir un message français, message clair pour tous les habitants du territoire québécois, là, tout le monde s'offusque. Le lac Meech, c'est plus bon. Tout le monde se permet de s'en mêler. On intervient. On fait des pressions. On démissionne. Ces démissionnaires d'aujourd'hui, tout en respectant leur point de vue... Remarquez, Mme la Présidente, que je respecte beaucoup plus les gens qui se tiennent debout comme Hs le font que ceux qui marchent à genoux comme ceux qui avaient promis de défendre la loi 101 et qui, aujourd'hui, applaudissent à des demi-mesures. Eux, je les respecte plus parce qu'ils se tiennent debout, au moins. Mais qu'est-ce qu'ils font? Ils réagissent par rapport à une mentalité anglophone à l'intérieur d'un tout anglophone dans lequel, au niveau canadien, les Québécois francophones sont minoritaires. Et ça, c'est inacceptable, totalement inacceptable.

Et c'est pour ça, Mme la Présidente, que je le dis, que je l'ai dit et que je continuerai à le dire: Le problème ne sera définitivement résolu que le jour où le Québec pourra pleinement et entièrement légiférer sur son territoire, sans que personne d'autre ne puisse venir s'en mêler et que, de cette façon-là, nous pourrons établir, comme peuple québécois, les véritables lignes maîtresses qui vont permettre de préserver à la fois nos droits collectifs comme société et rassurer les droits individuels de tous et chacun à l'intérieur d'un cadre collectif clair, Mme la Présidente. Je vous remercie.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député d'Ungava. Je reconnais maintenant M. le ministre de l'Éducation.

M. Claude Ryan

M. Ryan: Mme la Présidente, comme tous les membres de cette Chambre, j'ai été profondément travaillé par les événements des derniers jours. D'un point de vue strictement rationnel, je refusais et je refuse encore de penser que la question de l'affichage commercial revêt toute l'importance pour notre avenir que nos débats en sont venus à lui accorder. C'est à l'intérieur de lui-même, dans un contact avec ses sources les plus profondes et dans le développement de ses valeurs intérieures essentielles, qu'un peuple doit trouver et enrichir ses motifs de fierté, de confiance en lui-même et d'espoir.

Nul ne me fera jamais croire que, dans une perspective froidement objective, l'affichage commercial et ses modalités concrètes pourraient être aussi décisifs pour l'avenir d'un peuple que certains en sont venus à le penser et à le proclamer. Je ne suis pas davantage convaincu, je vous le dis en toute simplicité, par l'opinion de la Cour suprême du Canada selon laquelle il existerait un lien vital et essentiel entre le discours commercial et le discours intellectuel, politique, culturel, social ou religieux. Le discours commercial, c'est-à-dire la promotion et la publicité des produits, des biens et des services dans un but lucratif se rattache bien davantage, dans mon esprit, à la liberté du commerce qu'à la liberté d'expression proprement dite. Or, la liberté du commerce, tout en étant un élément très important d'une vision libérale de la société, ne se situe pas au même niveau que les grandes libertés fondamentales que proclament les chartes des droits humains depuis le deuxième conflit mondial.

On ne trouve nulle part la liberté du commerce à l'état explicite dans les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne. Cette liberté fait plutôt partie de ce qu'on appelle les droits économiques et sociaux, lesquels sont également très importants, mais dont la formulation n'a pas encore atteint le même degré de développement et de clarté dans les chartes modernes de droits que les droits dits fondamentaux et, précisément, parce que les droits économiques et sociaux sont beaucoup plus difficiles à codifier, beaucoup plus sujets a variation selon les contextes historiques, sociaux, économiques et politiques que les droits fondamentaux qu'on voudrait voir réaliser sur toute la planète. Le droit à un juste procès, par exemple, ne devrait pas subir d'exception nulle pan: dans le monde. Le droit au respect de sa vie privée est un autre droit fondamental qui ne devrait pas souffrir d'exception. Mais, lorsque l'on parle du droit à l'affichage commercial et même du discours commercial, je pense qu'on peut introduire beaucoup de nuances et que la page 75 du jugement de la Cour suprême est loin d'être le dernier mot en ces matières. Le débat continuera. Je souhaite vivement qu'il continue et je m'engage, pour ma part, à continuer de l'alimenter. (20 h 20)

Je crois aussi, comme l'affirme le juge Jean Beetz dans une opinion fréquemment citée qu'il rendait publique en 1986 au sujet de la cause impliquant la Société des Acadiens et un magistrat du Nouveau-Brunswick, qu'il faut se garder de confondre trop facilement les droits fondamentaux et les droits linguistiques. Il arrive que ces droits coïncident. Il arrive aussi très souvent qu'ils ne coïncident pas. Le droit à la liberté de pensée, le droit à la liberté d'opinion, le droit à la liberté d'expression, le droit à un juste procès que je mentionnais tantôt sont des droits fondamentaux que l'on trouve aujourd'hui évoqués dans toutes les grandes chartes modernes de droits humains. Il arrive beaucoup plus rarement, en contrepartie, que l'on trouve dans des chartes de droits une évocation le moindrement précise des droits dits linguistiques. Les chartes parlent souvent du droit des minorités linguistiques, culturelles et religieuses, du maintien et du développement de leur identité et de leur vie propre, mais elles vont rarement plus loin dans l'explicitât ion de ces droits et, quand elles le font, elles le font généralement dans des sections distinctes de celles où il est question des droits fondamentaux, comme si les auteurs avaient voulu marquer qu'il ne s'agit pas exactement des mêmes réalités.

Prenons l'exemple de la Charte canadienne des droits et libertés qui définit un certain nombre de droits linguistiques parmi lesquels ne figure pas le droit à la liberté du discours commercial, mais ces droits sont inscrits dans la charte à un autre endroit que dans les articles 2 à 15 où il est question des droits tout à fait fondamentaux.

Je ne veux pas dire par là, Mme la Présidente, que les droits linguistiques seraient d'une importance secondaire. Pas du tout. Nous, qui parlons français, avons payé assez cher dans ce pays canadien le prix de notre attachement à notre langue pour savoir combien les droits linguistiques peuvent être également vitaux à nos yeux. Mais autant les droits linguistiques sont importants, autant il est impossible en pratique de les proclamer tout d'un trait, de proclamer tout de go qu'ils existent pour qu'ils soient immédiatement réalisés au même degré partout.

Le cheminement des droits linguistiques, loin d'être une question de principe pur, suit au contraire de très près le cheminement politique, social et culturel de chaque société où ces droits sont appelés à se réaliser. Dans certaines sociétés, on attache plus d'importance, selon les époques et selon les contextes, aux droits linguistiques en matière d'éducation. Dans d'autres, on soulignera les droits linguistiques en matière d'organe de diffusion. Dans d'autres, on parlera de droits linguistiques à propos de la religion. Dans d'autres, on voudra réaliser les droits linguistiques à l'aide de regroupements économiques ou sociaux ou, encore, à travers l'action politique.

Il n'existe pas dans ces choses un modèle unique et uniforme que l'on pourrait appliquer partout en prétendant le tirer directement d'une charte uniforme des droits et libertés qui auraient été proclamée quelque part sur une montagne sainte. Les droits et libertés linguistiques se gagnent de haute lutte par l'action politique, sociale et culturelle. La recherche et la promotion de ces droits donnent souvent lieu à des erreurs de parcours, à des abus de pouvoir, à des renversements historiques parfois insoupçonnés, mais ils ne suivent pas une trajectoire unique qui serait nécessairement la même partout et à toutes les époques.

Ces propos peuvent sembler quelque peu lointains et théoriques mais ils nous aident à comprendre l'évolution qu'a connue le Québec en matière de droits linguistiques depuis quelque 25 ans. Nous avons longtemps vécu au Québec comme si les droits de la minorité anglophone allaient de soi. Pendant longtemps, nous avons reconnu à cette minorité plus de droits, et de manière plus sincère et plus vécue, que toutes les autres provinces canadiennes réunies. Mais, à force d'être généreux, nous avons fini par constater que dans certains domaines, nous l'étions peut-être d'une manière qui dépassait les exigences raisonnables de la justice. En matière scolaire, par exemple, nous avons longtemps pratiqué au Québec une liberté totale de choix entre l'école française et l'école anglaise. Nous avons agi de la sorte jusqu'à ce que nous nous rendions compte pendant les années qui suivirent le deuxième conflit mondial, que notre ouverture d'esprit et notre générosité finissaient par jouer contre nos intérêts collectifs les plus élémentaires, les nouveaux venus au Québec optant très majoritairement pour les écoles de la minorité anglophone.

Pour corriger cette situation, il n'existait guère qu'une solution autour de laquelle un consensus s'était fait même avant l'avènement de la loi 101. Maintenir le droit des véritables anglophones à l'enseignement anglais. Il restait des divergences de vue concernant la définition du véritable anglophone, mais, déjà, dans les années qui avaient précédé la loi 101, un consensus s'était fait à ce sujet: maintenir le droit des véritables anglophones à l'enseignement en anglais, mais obliger tous les autres Québécois, y compris au premier chef les francophones, à fréquenter l'école française. Il y avait dans cette politique, Mme la Présidente, une limitation très importante d'une liberté qui avait été jugée jusque-là fort précieuse, mais cette limitation s'imposait au nom du droit de la société québécoise au maintien de son identité propre.

Il se peut que l'avenir nous ouvre d'autres avenues à ce sujet. Nous n'en savons rien. Mais, pour l'instant, la solution retenue il y a une douzaine d'années produit des résultats très encourageants puisque, désormais, 90 % des élèves inscrits dans les écoles publiques, primaires et secondaires du Québec fréquentent l'école française, tandis que les francophones ne représentent que 84 % de la population totale du Québec. L'évolution récente de la politique québécoise en matière d'affichage public s'explique, elle aussi, par de nouvelles prises de conscience qui se sont effectuées au Québec depuis 25 ans. Pendant longtemps, l'affichage public ne fut soumis au Québec à aucune autre contrainte ou limitation que celles découlant des lois criminelles en matière de pornographie, de violence ou de respect du droit d'autrui à sa réputation.

Cette liberté s'accompagnait souvent et longtemps d'abus déplorables dans le sens de l'unilinguisme anglais. Il fallut légiférer à compter des années soixante pour assurer en cette matière le respect élémentaire des droits de la majorité francophone, qui avaient été longtemps bafoués ou ignorés. Plusieurs soutinrent à l'époque, et je fus l'un de ceux-là, que la loi 101, en imposant l'affichage unilingue français, allait trop loin et brimait les droits individuels. Mais plusieurs, y compris celui qui vous parle, ont découvert en cours de route - et, moi je l'ai fait à travers dix années de vie politique menée dans tous les coins du Québec - deux réalités que j'avais été porté, je l'avoue en toute simplicité, à sous-estimer en 1978, à savoir, premièrement, l'attachement profond des Québécois francophones pour la loi 101 et, deuxièmement, l'identification qui s'est créée dans l'esprit de notre population francophone entre le respect de la loi 101 et la défense de la langue française au Québec.

L'attachement des Québécois francophones à la loi 101 est si fort qu'il n'existe guère d'autre moyen, à mon point de vue, pour améliorer cette loi ou en corriger certaines faiblesses - et il y en a - que la recherche d'un consensus politique capable de donner la force nécessaire à toute proposition significative de changement. La Charte canadienne des droits et libertés proclame l'égalité des deux langues officielles au Canada dans certains domaines, en particulier en matières parlementaire et judiciaire. (20 h 30)

Concernant en particulier l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui garantit l'égalité du français et de l'anglais dans les travaux des Parlements et des tribunaux, M. Trudeau avait souhaité pouvoir étendre à certaines provinces, notamment l'Ontario et le Manitoba, des exigences de cet article qui impose tout simplement l'égalité des deux langues dans les Parlements et devant les tribunaux. Mais les chefs politiques de l'Ontario et du Manitoba ont dû refuser cette invitation de M. Trudeau parce qu'ils sentaient que leur population n'était pas prête à s'engager dans cette voie. Le plus qu'ils purent dire, ce fut qu'ils chercheraient par la méthode évolutive à s'orienter graduellement vers l'objectif auquel ils disaient souscrire, mais dont l'acceptation concrète leur apparaissait hors d'atteinte. Il n'est pas inutile de nous rappeler ces expériences pour discuter de la situation qui nous préoccupe aujourd'hui.

En invoquant comme il l'a fait la clause "nonobstant" pour maintenir l'affichage extérieur en français seulement, le gouvernement n'a fait qu'obéir à une volonté très largement répandue parmi la population. Il n'a fait que constater qu'à ce stade de son évolution, dans l'état actuel de l'opinion publique, la population québécoise tient très fortement au maintien du visage français toujours fragile et dangereusement menacé du Québec. Le gouvernement a exprimé, en agissant ainsi, une conviction très largement répandue parmi ses membres.

Contrairement à mon collègue, le député de D'Arcy-McGee, pour qui j'ai toujours eu le plus profond respect et dont le départ du cabinet me peine d'autant plus que je fus responsable de son entrée dans la vie politique en 1979, je crois que la présence dans la constitution canadienne de la clause "nonobstant" était justifiée et demeure nécessaire pour empêcher que certaines questions à fortes incidences politiques et sociales - je ne pense pas uniquement à la question linguistique - n'en viennent à être réglées trop exclusivement et de manière trop prépondérante par des juges, vu la relative jeunesse et la prolifération récente des chartes de droits, vu aussi les inévitables tensions qui ne peuvent manquer de surgir entre les droits individuels proclamés dans les chartes et les droits collectifs, lesquels connaissent aussi un essor vigoureux en raison du développement phénoménal des communications, de la rapidité instantanée de l'action de la télévision, par exemple. Vu ces tensions qui sont susceptibles de survenir, il doit exister quelque part des soupapes de sûreté comme celles qu'offrent les clauses dérogatoires. Sans cela, le pouvoir politique, sous prétexte de s'astreindre au service de principes abstraits, risquerait souvent d'être réduit à l'impuissance en face de situations devenues explosives.

Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement, s'il avait voulu songer uniquement à sa popularité immédiate, aurait pu se contenter d'invoquer la clause "nonobstant" et de maintenir purement et simplement le statu quo en matière d'affichage. C'était la voie la plus facile, la voie qui nous aurait permis dans l'immédiat de sortir immédiatement de la situation qui s'était créée à la suite du jugement de la Cour suprême. Mais le gouvernement, étant donné les convictions du Parti libéral du Québec, n'a pas voulu rester indifférent à la voix qui se fait entendre en son sein et au sein de la société québécoise où tous, quelle que soit leur origine, leur religion ou leur langue, sont foncièrement égaux. Il n'a pas voulu rester indifférent à l'appel qui lui était adressé dans le sens d'une certaine ouverture et de là découle le deuxième volet de la décision gouvernementale, celui d'une ouverture relative à des formes de présence d'une autre langue dans l'affichage à l'intérieur des établissements commerciaux. Ce n'est pas une décision facile. Elle n'est pas facile à expliquer aujourd'hui. Je pense qu'il faudra la circonscrire. Je pense qu'il faudra définir clairement les modalités de cette manifestation nouvelle d'autres langues à l'intérieur des établissements commerciaux de manière que la présence prédominante du français soit bien assurée, sans être pour autant écrasante ou humiliante pour d'autres langues qui ont également leur dignité et leur valeur à mes yeux.

Je crois qu'au lieu de vouloir déclencher une croisade à propos de ce deuxième volet qui exige plus de prudence et de discernement et au sujet duquel je pense que des débats publics nous seront très utiles à nous, des deux côtés de la Chambre, nous devrions voir cette volonté d'ouverture qui n'est pas du tout l'expression d'une volonté d'asservissement ou d'une volonté de démission. Je pense que nous sommes capables, moyennant toujours une prudence qui m'apparaît nécessaire, autant sur le plan législatif que sur le plan réglementaire, de franchir des pas dans la voie d'une ouverture plus grande. Il me semble que c'est cela, la signification profonde de la décision qui a été annoncée par le gouvernement.

Je pense que le volet par lequel le gouvernement déclare sa volonté de maintenir le visage français du Québec et par lequel il n'hésite pas à recourir à la clause "nonobstant" qui inspirait pourtant des réserves très sérieuses à plusieurs de nos collègues et à de nombreux citoyens de tout le pays, le gouvernement l'a fait clairement, fortement, vigoureusement. Je pense qu'il agira dans le même esprit, avec le même souci de servir la collectivité québécoise et le caractère français du Québec qu'il l'a fait dans les autres décisions qu'il a prises jusqu'à maintenant.

Je souhaite surtout que le gouvernement continue de renforcer son action dans tous les secteurs de l'activité collective, d'abord pour revigorer le français, comme nous essayons de le faire dans notre système d'enseignement par ce plan d'action que nous diffusons dans toutes les écoles du Québec, qui reçoit dès cette année un accueil formidable de la part des milieux d'enseignement. Je pense aussi que nous pouvons accomplir ce premier objectif en travaillant honnêtement à faire une juste place à nos concitoyens d'autres langues et d'autres origines. Merci beaucoup.

Des voix: Bravo!

La Vice-Présidente: Merci, M. le ministre de l'Éducation. Je vais maintenant reconnaître Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Jeanne L. Blackburn

Mme Blackburn: Merci, Mme la Présidente. À entendre le ministre de l'Éducation nous rappeler un certain nombre de choses, dois-je dire, assez fondamentales, on aurait presque cru qu'il irait jusqu'à dire: II aurait fallu adopter la clause dérogatoire pour maintenir le statu quo. Il nous a rappelé des choses pertinentes, intéressantes et j'allais dire aussi fondamentales. D'abord, il nous a rappelé l'attachement des Québécois francophones à la loi 101. Je pense qu'il est important de se rappeler qu'on ne touche pas impunément à la loi 101. Il nous dit également qu'il faudrait que cela fasse consensus autour de ce débat au Québec. Cependant, il a négligé de nous dire comment nous pourrons faire consensus avec quelques heures de débat. J'aurais aimé qu'il nous le dise.

Il nous a dit également - c'est intéressant

à observer parce que s'il avait dit le contraire, il sait très bien qu'on aurait pu le prendre à partie - qu'il était important que les gouvernements maintiennent des moyens pour intervenir à l'occasion, même si cela pouvait avoir comme conséquence de brimer les droits individuels, et donc que les clauses dérogatoires ou dites "nonobstant" sont indispensables dans toute législation.

Il nous a également dit qu'il fallait faire preuve d'ouverture, qu'il fallait permettre l'affichage d'autres langues à l'intérieur des commerces, par exemple, la langue de l'usager, la langue de l'acheteur. Pourtant, le Parti québécois, avec le député de Mercier ministre responsable de la langue, avait permis cette ouverture. Et le premier ministre nous le rappelait, 67 % des commerces, au moment où l'on se parle, peuvent afficher en français à l'extérieur et, à l'intérieur, en français et dans leur langue. Cette ouverture était déjà faite, elle est déjà inscrite dans la loi 101.

Ce matin, le premier ministre nous pariait des libertés individuelles. Il se faisait le champion de la défense des libertés individuelles au Québec. Pourtant, il oubliait de nous dire que les libertés les plus fondamentales, ce qui s'appelle la liberté de conscience, seront proprement niées dans le projet de loi 107 que nous adopterons dans les prochains jours. Pour les gens qui l'ignorent, au Québec, nous aurons des écoles catholiques ou protestantes, mur à mur, avec un projet inspiré des valeurs et des croyances de l'Église catholique. Dans ma région, cela ne pose pas de problème, mais pour les jeunes allophones de la région de Montréal, à la CECM, cela veut dire qu'ils sont baignés dans une école où les valeurs transmises sont des valeurs et des croyances de la religion catholique, indépendamment de leurs propres valeurs religieuses, de leur propre culture religieuse et de leurs propres convictions religieuses. (20 h 40)

Ces enfants sont soumis à un projet éducatif qui est imprégné des valeurs et des dogmes de l'Église catholique ou protestante. Mais comme dans les écoles protestantes, on est un peu moins strict, on a un glissement des jeunes allophones vers les écoles françaises de la PSBGM. Et le ministre de l'Éducation vient nous parler de la nécessité de tout mettre en oeuvre pour s'assurer que les jeunes Québécois maîtrisent bien leur français et que les jeunes allophones s'intègrent bien à la communauté francophone. Premièrement, cela n'est pas vrai. Deuxièmement, la liberté la plus fondamentale d'un individu, la liberté de conscience, sera niée par le biais de la clause "nonobstant" parce qu'il y aura dans la loi 107 une clause dérogatoire qui donnera des privilèges, qui consacrera les privilèges des confessions catholiques et protestantes.

Mme la Présidente, le premier ministre, ce matin, parlait de ce respect des libertés individuelles, de ce respect des libertés d'expression. Comment peut-il avoir cette audace, alors qu'on est en train de disposer, de nuit, d'un projet extrêmement important duquel le ministre de l'Éducation disait: L'attachement des francophones à l'endroit de cette loi... On est en train de disposer d'un projet qui vient amender la loi 101 sans consultation, sans que les gens puissent s'exprimer, alors qu'on bâillonne l'Opposition, qu'on bâillonne le Parlement, alors qu'on bâillonne tous les Québécois, les 20 000 qui se sont présentés au centre Paul-Sauvé. ceux qui sont venus contester dans notre région, ceux qui sont venus sur la colline parlementaire, les représentants d'une vingtaine d'organismes qui rencontrent, Mme la Présidente...

Une voix: ...qu'il prenne donc ses valiums, là.

La Vice-Présidente: Non, non, là, un instant! S'il vous plaît, je demande la collaboration de la Chambre. Mme la députée de Chicou-timi...

M. Godin: Mme la Présidente, est-ce que les députés pourraient reprendre leur place? Il y aurait moins de regroupements et donc moins d'occasions et de tentations de jaser amicalement dans un caucus improvisé. Leurs places sont là-bas, je pense.

La Vice-Présidente: Bien, je remarque effectivement qu'il y a des députés qui ne sont pas à leur siège. Je demanderais... Effectivement, je ne fais pas de différence. Écoutez, un instant! En vertu du règlement de cette Chambre, il est bien spécifié que les députés doivent être à leur siège. Bon, là-dessus... Je demanderais la collaboration de la Chambre. Je veux bien faire respecter le règlement, mais s'il n'y a personne qui m'aide à le faire, ça va être assez difficile. Cela étant dit, Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Merci, Mme la Présidente. Je comprends que ça puisse être dérangeant de se faire dire un certain nombre de vérités. Actuellement, ce que les députés libéraux doivent savoir, c'est que les seuls perdants dans le projet de loi 178 qui est déposé, ce ne sont pas les anglophones, pas les ministres anglophones qui ont démissionné, les seuls perdants, le seul recul, ce sont les francophones du Québec. Le seul recul dans la loi qui nous est soumise, ce ne sont pas les anglophones, ce sont les francophones dont la situation recule. Vous allez me dire: Comment se fait-il que ce sont les anglophones qui démissionnent? Parce qu'ils sont habitués, par tradition, à gagner au Québec. Et là, ils sont en train de reculer. Comme ils pensaient qu'ils gagneraient tout, ils claquent la porte. Sauf que nos députés libéraux francophones sont en train de dire: Bravo, merci, on n'a pas tout perdu. C'est ça qu'ils sont en train de dire. Et Hs en

sont fiers. On n'a pas tout perdu. On est chanceux, Mme la Présidente. On n'a pas tout perdu. On pensait tout perdre. On n'a pas tout perdu. Bravo! C'est ça qu'ils sont en train de nous dire.

Les anglophones, cependant, se sont fait leurrer et je comprends leur déception. Parce que tous les messages du gouvernement du Parti libéral étaient clairs à l'endroit des anglophones. Ils ont tout gagné depuis l'élection du gouvernement libéral, Mme la Présidente. L'amnistie des illégaux, ce sont 1500 jeunes, leurs frères, leurs soeurs, leurs cousins, leurs cousines. Ils ont même introduit dans les dérogations ce que Jean-Pierre Proulx, du Devoir, appelait la clause "ma tante", la conception européenne, napolitaine de la famille où vous incluez tout: le cousin, la cousine, la grande famille. Et c'est ça, les dérogations qu'on accorde actuellement aux jeunes qui veulent fréquenter les écoles anglaises à Montréal. Je vois le député de Roberval. Je ne suis pas sûre qu'il connaisse bien cette situation. La loi 142 qui oblige, dans les hôpitaux de Roberval, de Dolbeau et de Chicoutimi, à offrir un service en anglais.

Une voix: Cela n'a pas de bon sens.

Mme Blackbum: Mme la Présidente, s'il ne connaît pas la loi 142, on peut lui en parler. La même chose, d'ailleurs, dans les centres de services sociaux, les CSS, dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean comme dans toutes les régions. Ils ont dû mettre en plade, s'assurer qu'il y avait en place un service qui permettait de répondre aux anglophones dans nos régions pour les quelques-uns qui pourraient éventuellement se présenter. Je comprends parfaitement les anglophones d'être complètement, tout à fait déçus, parce qu'ils s'attendaient à tout gagner. Parce qu'ils avaient à peu près tout gagné ce qui leur avait été promis par ce gouvernement, ils se sont dit: Ça, on va l'avoir. Et on ne l'a pas eu.

Cependant, Mme la Présidente, les vrais perdants, les seuls perdants, ce sont les francophones. Qu'est-ce que ça veut dire, unilingue français à l'extérieur et bilingue à l'intérieur? Cela veut simplement dire la façade, le faire-semblant, on va dire que c'est français. Mais les vraies affaires, quand on va parler "money", quand on va faire des affaires, quand on va faire du commerce, là ce sera en anglais. C'est ce que cela veut dire. Et le message est clair. Comment pouvez-vous inviter et solliciter les jeunes Québécois francophones à bien maîtriser leur langue quand tout est en train de leur dire que si tu veux gagner ta vie aujourd'hui, il faut que tu parles anglais; il ne faut pas que tu sois bilingue? Ne nous trompons pas, être bilingue au Québec, à Montréal, c'est parler anglais et approximativement d'autres langues. C'est ce que cela veut dire. Il faut aller voir comment ça se passe dans les commerces, dans les fast-foods à Montréal. Vous allez constater que les jeunes francophones avec les jeunes allophones, la langue de communication, c'est l'anglais. Vous n'avez qu'à les observer un peu, qu'ils soient en train de desservir les tables ou venir vous servir, entre eux ils se parlent en anglais. C'est ça, la réalité montréalaise.

Tout à l'heure, le ministre nous parlait, d'ailleurs comme le ministre responsable du projet de loi 178, de faire des distinctions selon qu'on soit à Chicoutimi ou à Montréal. Alors, ça pourrait donner le portrait suivant: À Chicoutimi, unilingue partout; je m'en réjouis. Cependant, qu'est-ce que ça veut dire, le ghetto qu'on va créer à Montréal? Cela veut dire que nos jeunes de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de Rimouski, de l'Abitibi, ne se sentiront plus chez eux à Montréal. Cela veut dire que les personnes âgées vont hésiter à s'y rendre parce qu'à un moment donné, on ne les servira même plus en français, à Montréal. Cela veut dire que les gens de chez nous ne seront plus chez eux au Québec parce qu'on aura réussi à créer deux Québec, un Québec où c'est bilingue, et bilingue c'est anglais, on le sait, bilingue c'est anglais, et un Québec qui sera francophone.

Mme la Présidente, les anglophones ont raison d'être furieux parce que non seulement ce gouvernement a donné tout ce qu'ils attendaient, il en a même donné plus. Ils ont payé les avocats d'AINance Québec dans la cause de Browns pour casser la loi 101. Il ne faut jamais oublier ça. Ils ont payé les avocats d'Alliance Québec pour casser la loi 101. De plus, le Procureur du Québec, et ce n'est pas nous qui le disons, dans le jugement de Browns, rappelle ceci: Toutefois, les documents se rapportant à l'article 1 - je cite le jugement dans la cause de Browns - et à l'article 9.1 n'établissent pas que l'exigence exclusive du français est nécessaire pour atteindre l'objectif législatif, ni qu'elle est proportionnée à cet objectif. Cette question précise n'est même pas abordée dans les documents. En fait, dans son mémoire et dans ses arguments oraux, le Procureur général du Québec n'a pas tenté de justifier l'exigence de l'emploi exclusif du français. Non seulement il payait les avocats de Browns, mais le Procureur du Québec ne défendait pas la nécessité de l'unilinguisme français dans l'affichage à l'intérieur et à l'extérieur. C'est ça que nous dit le jugement de la cour.

Il ne faut pas s'étonner que les anglophones soient mécontents parce que tous les messages convergeaient dans la direction... Le jugement va s'en aller dans la direction qu'on aura souhaitée parce qu'on a payé les avocats des deux bords. C'est ça que cela veut dire. Ce n'est pas étonnant, le jugement qu'on a en main. Il est exactement ce que souhaitait le gouvernement du Parti libéral, parce que, rappelons-le, il a payé les avocats des deux parties. (20 h 50)

Mme la Présidente, la situation du français au Québec est fragile, comme le rappelait tout à

l'heure le ministre de l'Éducation. La situation du français est fragile et extrêmement vulnérable. La tendance va être de choisir la facilité, et la facilité, c'est l'anglicisation. Le projet de loi 178 vient nous dire que, en apparence, c'est français, mais la vraie réalité, lorsqu'on fait du commerce, c'est l'anglais. C'est ce qu'on est en train de nous dire. Mme la Présidente, la situation du français est fragile, mais la responsabilité fondamentale d'un État quel qu'il soit, c'est de protéger les cultures, les cultures minoritaires, parce que, ne l'oublions pas, le français en Amérique du Nord, est une culture minoritaire. Il faut comprendre que toute civilisation, toute culture contribue à l'enrichissement de l'humanité. Je ne comprendrai jamais qu'on comprenne, actuellement, un peu partout dans le monde, y compris probablement chez les députés libéraux francophones, qu'il est important de sauver des espèces animales parce que cela contribue à l'équilibre écologique. Tout le monde comprend ça et tout le monde achète ça, sauf que, lorsqu'il s'agit de la sauvegarde d'une culture, on est incapable de faire le même raisonnement.

Des voix: Bravo!

Mme Blackburn: Pourtant, Mme la Présidente, l'équilibre de l'espèce humaine réside dans la diversité de ses cultures au moins autant que l'équilibre de l'environnement réside dans la survivance de ses espèces. Je pense à tous les efforts qu'on est en train de mener pour sauver les baleines bleues. Une culture serait-elle moins importante? Une culture n'aurait-elle pas un rôle aussi important à jouer dans l'équilibre de l'humanité et dans sa richesse? La culture francophone en Amérique du Nord, c'est une poignée d'habitants qui luttent contre l'envahissement de l'anglicisation et de l'américanisation. Cela rentre chez nous par la télévision, par la radio, par les revues, par les "clippings", par tout ce que vous voulez. On a beau être au Saguenay, en Abitibi ou dans le fin fond de la Gaspésie, c'est la même réalité. On est en train de nous dire: Ce n'est pas grave parce qu'on va laisser l'image, on va faire semblant que ça va se passer en français, alors que la vraie réalité sera l'anglais.

Mme la Présidente, j'aurais souhaité que les députés libéraux francophones aient au moins la même vigueur et la même détermination qu'ont eues les ministres qui ont démissionné. Si on avait eu cette attitude du côté des francophones, elle aurait été au moins correspondante au mouvement qu'on connaît actuellement au Québec. C'est comme s'ils étaient sortis de rien, ces députés-là, puisqu'ils ne font pas attention à tous les mouvements de contestation qui se sont levés très spontanément, un peu partout au Québec. On m'apprenait que, cet après-midi, à Chicoutimi, 1200 jeunes manifestaient.

M. Boulerice: Cela fait juste commencer.

Mme Blackburn: Ces 1200 jeunes estimaient qu'ils fallaient qu'ils sortent parce que, pour eux, c'est primordial la loi 101 et la préservation de la langue au Québec. La loi 101, c'était le minimum. Les anglophones qui sont tenaces et qui n'ont pas l'habitude, il faut le reconnaître, de se voir traiter comme une minorité, réalisent tout à coup qu'ils ont tout, mais qu'il leur en faudrait plus. Ils n'auront de cesse, remarquez bien ce qu'on dit, qu'ils n'aient complètement démoli la loi 101. Ils n'arrêteront pas à moins de ça et vous le savez pertinemment. Ils ne l'ont jamais digéré. Comment voulez-vous qu'une majorité accepte, parce qu'elle est au Québec, de se faire diriger par une minorité francophone, parce que au plan canadien, on est minoritaire? C'est ça la réalité des anglophones au Québec. On ne peut pas la leur reprocher. On ne peut que le constater. Leur attitude est une attitude de majorité. Il ne faut jamais se tromper. Ils ne l'ont jamais accepté et ils n'auront de cesse qu'ils auront cassé la loi, ce qui a amené le ministre démissionnaire, le ministre de la Justice, à payer les avocats d'Alliance Québec pour aller casser la loi. Il ne faut pas oublier que s'il a démissionné, il croyait à sa capacité de pouvoir casser la loi en matière d'affichage.

Mme la Présidente, je rappelle que je souhaiterais que ces députés fassent preuve au moins du même courage que leurs collègues anglophones. Je souhaiterais par-dessus tout que ce gouvernement lève le bâillon qu'il est en train de mettre sur tout ce débat adopté en fin de session, à la veille du congé de Noël, à la sauvette, alors qu'on change une loi qui est fondamentale au Québec. Je souhaiterais qu'on ait au moins, à l'endroit de cette loi, le même égard que celui qu'on a eu lorsqu'on a parlé du financement des universités où on a rencontré et entendu 100 organismes, alors que sur un petit projet de loi qui s'appelle le Conseil permanent de la jeunesse, on en a rencontré plus de 50, alors qu'on vient de passer plus de six semaines en commission parlementaire sur un projet de loi sur l'éducation. Est-ce à dire que lorsque ça concerne la loi 101, c'est moins important?

Mme la Présidente, la loi 101 est fondamentale au Québec. Le minimum qu'on peut souhaiter, c'est qu'elle fasse au moins l'objet d'une commission parlementaire et d'une étude article par article en commission parlementaire comme ça se fait pour la très grande majorité des projets de loi en Chambre, pour tous les projets de loi, à moins, Mme la Présidente, qu'on soit bâillonnés comme c'est le cas actuellement. Je vous remercie.

La Vice-Présidente: Merci, Mme la députée de Chicoutimi. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Chambly.

M. Gérard Latulippe

M. Latulippe: Mme la Présidente, je crois aux valeurs fondamentales de ce pays. Je crois aux libertés fondamentales sur lesquelles ce pays est bâti. Je crois profondément en la liberté d'expression et au respect que l'on doit accorder au jugement des tribunaux de ce pays.

J'ai appris que même si on ne partageait pas l'opinion des juges, il fallait la respecter. Même si je me sens mal à l'aise avec la présente décision de la Cour suprême du Canada, la loi c'est la loi et elle a été interprétée. Je crois cependant que le jugement ultime sur les valeurs fondamentales d'une société revient à la population et non aux juges. Nous vivons au sein d'une démocratie parlementaire d'origine britannique où la volonté du Parlement est la loi ultime du pays. J'accepte que le Parlement en qui j'ai placé ma confiance soit le juge ultime des limites raisonnables qu'un État démocratique et respectueux des valeurs individuelles peut apporter à certains droits et certaines libertés, même dites fondamentales.

L'histoire des francophones d'Amérique nous a laissé de douloureuses plaies et nous les ressentons encore. Il y a moins de 100 ans, 600 000 de nos compatriotes ont émigré vers la Nouvelle-Angleterre. Aujourd'hui, ils n'ont de français que le nom: Bill Tardif, Jeff Robitaille. Dans ma famille, des gens, il y a un certain nombre d'années, ont quitté la Beauce pour l'État du Maine. Aujourd'hui, ils sont séparés de nous plus que par une frontière, mais par une langue, mais par la culture. (21 heures)

L'histoire nous a appris que nous devions avoir le contrôle de nos institutions et de notre gouvernement si nous voulions continuer à vivre et à progresser dans notre langue. Ce n'est pas une affiche qui est en jeu, ni sa grosseur ni sa couleur, ni qu'elle soit à l'intérieur ou à l'extérieur. Moi, je m'en fiche de l'affiche. C'est le fait que mon gouvernement, mon premier ministre décide d'agir dans le sens de la protection de ma langue.

C'est la responsabilité que l'histoire lui confie. La Cour suprême confirme que la langue française est menacée au Québec. Mais nous, Québécois francophones, on le sait tous, on le ressent en chacun de nous. Quand on réalise qu'on ne fait plus d'enfants, on s'inquiète parce que cela a été une façon pour nous de survivre en cette terre d'Amérique durant une période de notre histoire. Quand on voit que les francophones hors Québec ont été assimilés en quelques générations, on se demande à quand notre tour. Personnellement, je suis fier quand je vois un Italien, un Sud-Américain, un Hollandais, un Vietnamien adopter la terre du Québec. J'accepte qu'il aime sa langue et veuille la conserver aussi. Je respecte ses droits de minoritaire au Québec. Je les respecte d'autant plus que je sais ce que c'est que d'être minoritaire.

Cela fait plus de 300 ans que nos ancêtres se battent pour survivre en français au milieu d'une terre d'une autre langue. Mais en même temps, je veux lui donner le goût de notre langue. Quand je vois un petit Vietnamien emmitoufflé, la tuque renfoncée jusqu'aux oreilles, qui joue au hockey, ça me rassure. Si j'entends qu'il parle en anglais à ma fille, ça m'inquiète. Je suis fier que les Québécois francophones aient changé depuis les 25 dernières années. Nous sommes devenus des gens confiants en nous-mêmes. Nous n'avons plus peur de nous lancer en affaires comme jadis. Nous souhaitons tous que nos enfants maîtrisent l'anglais. Nous sommes encore plus fiers s'ils apprennent l'espagnol, l'italien ou l'allemand. Je me sens bien à l'aise avec un homme d'affaires suédois ou un politicien hollandais ou malésien.

J'ai le goût de vendre mes produits sur les marchés de Londres, de New York ou de Singapour et je n'ai pas peur du libre-échange. Mais, malgré tout, je tiens à ma langue, à ma culture, et ça à tout prix. Je demeure inquiet, même si je ne suis pas un indépendantiste. Je me fiche de l'affiche, français, anglais, russe, mais je ne suis pas prêt à donner à mes compatriotes le signal que je n'ai plus la volonté profonde de me servir de mon gouvernement pour protéger et promouvoir ma langue. Je tiens à garder le visage français du Québec. Pourtant, je suis toujours prêt à faire ce petit bout de chemin qui nous permettra, au Québec, de rester unis entre les différentes communautés qui nous composent. Pourtant, je suis prêt à reconnaître que mes amis anglais, italiens ou espagnols ont le droit d'être informés dans une autre langue que la mienne quand ils font leurs achats.

Je suis prêt à permettre que l'affichage, oui, à l'intérieur des commerces puisse se faire dans une autre langue que la mienne, pour autant que le français garde plus d'importance, parce que, tout simplement, je ne suis pas un radical, je cherche un peu l'équilibre entre mes droits et celui des autres. Au fond, c'est un peu ça l'âme du Québec profond. Le Québécois qui est tiraillé entre ses droits individuels, ses droits collectifs, l'ouverture sur le monde et sa sécurité culturelle. Je suis profondément convaincu qu'avec le projet de loi 178, le français ne reculera pas, il progressera même. Je ne sens pas non plus que je brime les droits de qui que ce soit. L'utilisation actuelle de la clause dérogatoire est morale et légitime. Le droit de l'un se termine là où celui de l'autre commence. Nos droits individuels ne sont pas absolus et, dans de nombreux cas, les droits collectifs ont primé lorsque l'intérêt juste et équitable d'une collectivité était en jeu.

Quand, en vertu d'un programme d'accès à l'égalité, on privilégie l'embauche de Noirs dans la police ou de femmes dans la fonction publique, on restreint, jusqu'à un certain point, les droits individuels de d'autres groupes. Ces exceptions se retrouvent dans les deux chartes, québécoise et canadienne, tout de même! Il s'agit là d'excep-

tions, de restrictions que l'on a même enchâssées dans nos chartes de droits et libertés de la personne. La liberté d'expression ne compte-telle pas elle-même différents degrés? La liberté d'expression de nos idées politiques, de nos valeurs culturelles dans la langue de notre choix, est-ce qu'elle revêt la même importance que la liberté d'inscrire sur une affiche la version anglaise d'une raison sociale française?

J'ai eu l'occasion d'aller moi-même dans les pays du sud de l'Amérique. J'ai pu constater ce que c'était que d'être emprisonné, parce qu'on exprime ses idées politiques, ses valeurs culturelles. Les droits et libertés de la personne, ce ne sont pas des droits qui sont enchâssés dans toutes les constitutions. Aux États-Unis, on a enchâssé dans la constitution américaine le droit de propriété. Au Canada, on a choisi de ne pas le faire. Au Québec, on protège contre la discrimination relative à la condition sociale, à l'orientation sexuelle. On a choisi de ne pas le faire dans la charte canadienne. Les droits et libertés fondamentaux sont ceux que l'on décide de se donner. Ils sont tous relatifs, ils ne sont pas absolus. Au fond, j'ai aussi un droit fondamental à la survie de ma langue pour moi et mes enfants. Nous sommes francophones du Québec; nous, francophones du Québec, avons droit à notre sécurité culturelle.

Je souhaite que l'on mette un point final à cette question de l'affiche et de l'affichage pour qu'on regarde en avant, vers où on doit réellement se diriger. Qu'on cesse uniquement de se servir d'un symbole pour dire aux Québécois qu'ils sont en train de perdre leur langue, mais plutôt qu'on leur dise qu'ils ont d'autres moyens, que notre État, que notre gouvernement est capable de nous donner, à part la loi: pas pour protéger notre langue, non pas pour la promouvoir, non pas pour cacher notre langue, mais pour l'aimer, pour améliorer sa qualité, pour faire en sorte que le Québec devienne un centre d'excellence du français, non seulement au Québec, mais dans la francophonie internationale, pour faire en sorte que la langue française des Québécois soit non seulement la langue de la francophonie, mais qu'elle soit aimée par les Anglais, les Italiens, les Espagnols, parce que c'est une langue qui se parle bien, parce que c'est une langue qui s'aime. C'est comme ça qu'on va faire du Québec un peuple uni dans sa diversité.

Je veux que l'on parle moins de protection du français, mais plus de promotion du français. Je pense que nous voulons tous vivre en français au Québec, mais dans une société pluraliste. Je veux que l'on respecte nos droits, mes droits, mais je veux que l'on respecte aussi ceux des autres. C'est ça que nous retrouvons effectivement dans cette décision du gouvernement. Au-delà de l'intérieur-extérieur, s'ouvrir sur le monde et se protéger lui-même, c'est ce dilemme que le Québécois vit. C'est cela être Québécois. (21 h 10)

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Chambly. Je vais maintenant reconnaître Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Louise Harel

Mme Harel: Merci, Mme la Présidente. C'est quand même un paradoxe que, dans les faits, objectivement, en fait, le malheur, c'est que le premier ministre agisse en reculant et que ce soient les députés anglophones qui n'en soient pas contents. Ils n'en sont pas contents parce que le recul n'est pas suffisant. En cette Chambre, les députés francophones de la majorité ministérielle voudraient nous voir applaudir le recul que le premier ministre est en train d'introduire avec le projet de loi 178. Là, il ne faudrait quand même pas confondre, comme certains, dont le premier ministre lui-même... Alors d'autres ont le modèle tout indiqué devant eux pour continuer de confondre et d'introduire des malentendus sur ce qui existait déjà avec la clause qui permettait à des entreprises familiales, de petites entreprises de quatre employés et moins y compris le patron, d'utiliser leur langue, une langue autre que celle de la majorité. Quatre et moins, il faut bien voir que ce sont des dépanneurs ou de petits commerces où on engage la belle-soeur ou le cousin.

C'est bien d'autre chose dont il s'agit. Il s'agit, avec le projet de loi 178, d'un jugement à la Salomon pour ne pas avoir vraiment à choisir, parce qu'en matière de langue, il n'y a pas de centre. Il y a l'une ou l'autre. Pour ne pas avoir vraiment à choisir, le premier ministre a pensé continuer de faire ce qu'il avait déjà entrepris sous son premier régime lorsqu'il a introduit la loi 22, de funeste mémoire, qu'il se plaît à rappeler pour avoir, pour la première fois, fait du français la langue officielle, mais qui, à part cette déclaration, introduisait surtout une réglementation complètement inacceptable, une réglementation qui était suffisamment inacceptable... Imaginez, on amenait des enfants de prématernelle passer des tests dans des sous-sols d'églises et ces tests consistaient à savoir s'ils avaient un usage suffisant de l'anglais pour leur permettre d'entrer à l'école. Ces tests, c'est à peu près ce à quoi vont ressembler les règlements qu'on ne connaît pas encore, mais qui nous seront tout prochainement présentés. Les députés libéraux les appuient déjà sans même les connaître. Ces règlements vont, vous vous rendez compte, prévoir quel lettrage et quel caractères, quel type de pancartes, si c'est sur la même ou s'il y en aura deux et si les lettres devront être de couleur plus vive pour qu'il y ait prédominance ou non. Évidemment, c'est un jugement à la Salomon et c'est malheureux que le député de Chambly et le ministre de l'Éducation...

Le ministre de l'Éducation - je l'écoutais ce soir - me faisait exactement penser à ce qu'il était quand il écrivait des éditoriaux dans Le Devoir. On était d'accord avec ses analyses, puis,

quand arrivaient les conclusions, on aurait dit que cela déraillait, cela dérapait. Je me suis demandé, aujourd'hui, durant le débat, ce qu'un observateur de la fédération internationale des droits humains... Imaginons qu'il y en aurait eu un de passage au Québec qui, dans les galeries, aurait écouté les débats d'aujourd'hui et qui aurait été désireux de savoir plus exactement quelles étaient ces fameuses libertés fondamentales invoquées par les trois ministres démissionnaires pour quitter le cabinet et siéger comme simples députés et qui m'aurait demandé: Mais, de quelles libertés fondamentales s'agit-il? S'agit-il de protestations contre les nombreuses atteintes au droit et à la sauvegarde de l'honneur, de la vie privée, de la réputation des personnes assistées sociales qui sont atteintes par des mesures d'inquisition que le gouvernement continue? Non. Aucun député libéral ne s'est levé en cette Chambre ou en commission pour remettre en question ou simplement pour mettre en doute ce type de contrôle qui s'effectue et qui, pourtant, est discrédité par la Commission des droits de la personne, elle-même. Aucun député libéral ne s'inquiète du sort de ces personnes. Et pourtant, l'article 4 de la charte des droits prône le droit au respect et à la sauvegarde de la vie privée, de l'honneur et de la réputation. S'agit-il de protestations contre la dérogation gouvernementale, dans le projet de loi 107, aux libertés fondamentales telle la liberté de conscience et de religion? Non plus. Il n'y a pas un député libéral, en commission parlementaire ou à l'Assemblée, qui a même posé des questions sur ces dérogations que le gouvernement va bientôt adopter. Non, non. Ces libertés fondamentales, ce sont de nouvelles libertés jusqu'à maintenant inconnues. Elles sont toutes nouvelles. Ces libertés fondamentales sont celles de permettre à des commerces l'affichage bilingue; ce n'est pas peu de chose! La publicité commerciale est maintenant élevée au rang des droits humains. Je peux vous dire que cela ne va pas beaucoup convaincre dans la communauté internationale. Et je ne pense pas qu'il y en ait plusieurs qui proposent d'enrichir les droits de l'homme de cette nouvelle liberté fondamentale d'afficher bilingue. Non, c'est pour la consommation canadienne, cette liberté fondamentale.

Même les Américains n'étaient pas allés aussi loin. Et, dans l'arrêt Victoria Pharmacy, c'est la première fois aux États-Unis, en 1976, que la Cour suprême a introduit cette protection constitutionnelle du Commercial Speech. Encore là, il faut bien voir qu'on est dans le pays de la libre entreprise et que c'était considéré par la cour comme faisant partie de façon intégrée de la liberté d'entreprise, même au point où c'était considéré comme l'un des piliers du système capitaliste. C'est comme cela que cela a été vu par les tribunaux. Et même à la Cour suprême américaine, on a bien pris soin de faire toutes les mises en garde nécessaires pour souligner toutes les différences entre l'expression commer- ciale et toutes les autres formes d'expression politique.

Voyez-vous, la définition classique de la liberté d'expression consiste essentiellement en des droits politiques, en la liberté d'expression d'opinions politiques et en des libertés de création artistique et culturelle. C'était cela jusqu'à maintenant, la définition classique.

C'est extrêmement inquiétant de voir l'usage qui va pouvoir être fait maintenant de cette protection constitutionnelle mur à mur dans la publicité commerciale comme indispensable au bon fonctionnement du système économique capitaliste. Jusqu'à maintenant, les droits politiques, les droits d'expression étaient réservés aux personnes qui votaient. Est-ce que les commerces vont réclamer de pouvoir voter? Que va-t-il arriver, par exemple, de la Loi électorale, une loi dont on est si fier dans la société québécoise - le premier ministre lui-même l'invoque tellement souvent - qui interdit le financement des partis politiques par les entreprises? C'est évident qu'il y a là "enfreinte" d'une liberté, celle de pouvoir financer les partis politiques pour pouvoir exprimer des opinions. Et combien d'autres dispositions de notre vie en société peuvent ne plus être à l'abri d'une réglementation? Pensez simplement au tarif des professionnels. Quand on est avocat - comme je le suis et comme l'est le député de Chambly - ou notaire, on ne peut pas faire de la publicité sur ces tarifs. On ne peut pas dire aux gens: Venez me voir, cela va vous coûter moins cher. Il y a une réglementation. Et il y en avait une sur la publicité destinée aux enfants qui, elle aussi, malheureusement, a été écartée en partie, tout au moins. (21 h 20)

Donc, c'est au nom de cette liberté fondamentale nouvelle inconnue jusqu'à maintenant, qui est celle d'afficher bilingue, que la communauté anglophone va inverser les rôles pour prétendre être persécutée. C'est sans doute parce qu'ils ont compris que, jusqu'à maintenant, dans ce psychodrame canadien, quand on est victime, on peut peut-être aller se chercher des droits, mais, voyez-vous, c'est qu'ils ne vont pas convaincre grand monde qu'ils sont plus minoritaires qu'on l'est.

Et, en les écoutant, je me disais: Que la vraie minorité se lève! Et la vraie minorité en Amérique du Nord, eh bien, c'est la majorité francophone du Québec, mais qui fait 2,5 % dans l'ensemble de l'Amérique du Nord. Quand j'entendais M. Turner qui disait à la télévision: Les droits minoritaires linguistiques ne sont pas négociables. Très bien. Lesquels? Ceux de la minorité que nous sommes ou ceux de la minorité qui appartient à la majorité? C'est une minorité choyée. Et j'écoutais leur porte-parole qui ne savait plus exactement - et ça, je ne leur en fais pas grief - dénombrer combien ils étaient. Admettons qu'ils sont plus qu'on pense et au moins 10 %, ce qui fait peut-être 600 000 dans notre société. Pour 600 000, trois universités et

demie, McGill, Concordia, Sir George Williams, Bishop's, trois cégeps, John Abbott, Champlain, Vanier et un quatrième que j'oublie, deux postes de télévision à part tous les autres, les dizaines de postes auxquels ils ont accès, une demi-douzaine de postes de radios, six hôpitaux, des CLSC, un centre de services sociaux à leur disposition. Pour 600 000 personnes, c'est quand même une minorité qui n'est pas trop persécutée.

Et c'est évident, Mme la Présidente, qu'à inverser les rôles, on ne convainc personne. Parce que le vrai test, c'est celui de l'assimilation. Qui assimile qui dans notre société? Et, malheureusement, sur ce test-là, nous ne sommes pas encore gagnants malgré la protection de la Charte de la langue française depuis 1977. Malgré la protection de la Charte de la langue française au moment où on se parle, les transferts linguistiques, c'est-à-dire l'abandon de sa langue maternelle au profit d'une autre langue chez les nouveaux arrivants, trois sur quatre se font en faveur de l'anglais. Et c'est profondément une question qui est l'enjeu de ce dont on discute présentement. Et c'est pour ça que le recul, le jugement à la Salomon...

C'est un jugement à la Salomon que ce projet de loi 178. Le danger, c'est qu'encore une fois, le message n'est pas clair. Pour moi, et je n'ai pas besoin de le répéter, comme le fait, comme s'il n'en était pas convaincu, le député de Rosemont, ministre délégué à la langue, tout le monde est québécois quelle que soit son origine. C'est bien évident. La question c'est: Est-ce qu'on doit tous être francophones? Et là, je mets en garde, quiconque ici de prétendre qu'être francophone ça veut dire uniquement être Canadien français. Et le plus pernicieux, le plus dangereux... Parce que je regrette, moi, les jugements de la Cour suprême, celui-là en particulier, ne m'impressionnent pas. Et je me rappelle d'autres jugements d'autres cours. Je pense, entre autres, au Conseil privé qui a déjà décidé que les femmes n'étaient pas des personnes pour leur refuser, dans les années trente, le droit de voter. Alors, je me dis qu'il y a des fois où les tribunaux se trompent. Et, pendant 60 ans aux États-Unis, les Cours suprêmes ont décidé que la ségrégation raciale était constitutionnelle. Cela leur a pris 60 ans avant de renverser la jurisprudence. Alors, les cours, même les plus hauts tribunaux, peuvent se tromper.

Et je regrette, mais en ce qui me concerne, ça ne m'impressionne pas. Le jugement dans Browns, quand vous lisez textuellement: "II est permis aux francophones de se servir de leur langue usuelle, alors que cela est interdit aux anglophones et aux autres non francophones. Ou fait qu'il touche et affecte différemment les personnes suivant leur langue usuelle, l'article 58, qui traite de l'affichage, crée une distinction fondée sur la langue au sens de la charte québécoise. C'est le plus pervers, finalement, dans ce jugement. Ce qui est pervers, c'est cette idée qu'il n'y a pas de langue commune au Québec. Il y a la langue usuelle des francophones, c'est-à-dire des Canadiens français. Il y a la langue usuelle des anglophones et il y a la langue usuelle des autres. Chacun peut jouir dans sa langue usuelle, qui est comme sa langue maternelle, du même traitement. Il n'y a pas de langue commune et c'est là le plus pervers dans ce jugement.

L'inquiétude que j'ai à l'égard du projet de loi 178, c'est que le message ne soit pas clair encore une fois. Je le répète, j'ai une expérience pas simplement de Montréalaise, mais j'ai une expérience personnelle. Depuis des années, je suis la conjointe d'un Québécois d'origine autre et je sais trop bien, pour vivre fréquemment, familièrement, dans d'autres communautés que celle de la majorité francophone que, si le message n'est pas clair, le choix ne le sera pas non plus. Quant aux nouveaux arrivants qui, à 92 %, s'installent sur le territoire de l'île de Montréal - je le répète, c'est grand, ça, comme le territoire du Luxembourg - sur le territoire de IHe de Montréal qui compte déjà 40 % de non-francophones, donc qui a déjà une difficulté d'intégration des nouveaux arrivants, avec des quartiers où on peut, de la naissance à la mort, se passer complètement de l'usage du français, ce n'est pas suffisant d'avoir le français de façade.

Ce n'est pas suffisant. Le français de façade, ce n'est pas suffisant, comme on se rend compte que ce ne l'est pas non plus de l'apprendre, le français, à l'école. Ce n'est pas non plus parce qu'on apprend l'anglais qu'on est anglophone. On peut parler anglais sans pour autant être anglophone. On dit qu'on parle anglais. Cela vaut aussi pour les enfants des familles immigrantes qui vont à l'école et qui apprennent le français. Ils parlent français. Et, à la maison, quand ce n'est pas la langue maternelle, Mme la Présidente, c'est l'anglais qui devient la langue commune, parce que les nouveaux arrivants en ont une langue maternelle, celle qu'ils ont apprise le plus souvent, comme nous aussi, sur les genoux de leur mère ou de leur père. La deuxième qu'ils vont apprendre sera celle qui va leur permettre de gagner leur vie, de se faire servir, de se promener dans la ville, de se retrouver dans la ville, de voyager, de prendre l'autobus, de se faire servir, de se faire soigner. Le défi, l'enjeu, c'est que la langue commune soit le français, que ce soit notre langue d'usage, que nous devenions tous francophones. Et, quant à cet enjeu, c'est évident que le recul du projet de loi 178 est inquiétant.

Je sais qu'il me reste peu de temps, Mme la Présidente, mais je veux en profiter certainement pour applaudir mes concitoyens qui ont décidé que c'était assez. Ils ont décidé que c'en était assez et qu'ils allaient rester gagnants et n'allaient pas être défaitistes. Le gouvernement ne le sait peut-être pas, mais il a ouvert une "canne de vers", parce que ses règlements, ça va être comme les règlements du "Bill 22". Cela va

l'entraîner dans un cercle absolument inextricable. Les gens n'en veulent pas. C'est de la clarté que la majorité francophone exige de la part du gouvernement. Le député de Nelligan a dit: La langue, c'est un trait d'union entre les groupes. Laquelle? Encore faut-il qu'on parle la même pour pouvoir au moins se parler et pour pouvoir se comprendre.

C'est évident, Mme la Présidente, que pas plus qu'en 1974, en 1988, le gouvernement n'est capable d'aller jusqu'au bout. C'est un premier ministre timoré que l'on a et, malheureusement, il n'est pas capable d'aller jusqu'au bout de l'inévitable, de l'inéluctable nécessité, de la fondamentale nécessité. (21 h 30)

Mme la Présidente, c'est évident que l'anglais ne peut continuer son oeuvre d'assimilation. Nos concitoyens ont décidé de dire non. Ce n'est pas parce que la loi sera adoptée cette semaine que vous pouvez penser que ce sera terminé. Je crois que vous devez comprendre que la résistance ne fait que commencer et que les gens ont déjà trouvé suffisant... Je sais que mon collègue de Mercier va parler après moi et ce que le gouvernement du Parti québécois a obtenu par consensus en 1983, après un mois de commission, les gens considèrent que c'est complet et que c'est là que ça s'arrête. C'est fini et, dorénavant, les gens vont résister. Merci, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Merci, Mme la, députée de Maisonneuve. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Viger.

M. Cosmo Maciocia

M. Maciocia: Merci, Mme la Présidente. Le 15 décembre dernier, la Cour suprême du Canada rendait une décision capitale quant à la langue de l'affichage public et des raisons sociales au Québec. À la lecture de ce jugement, on constate que la cour a clairement reconnu l'existence de deux principes fondamentaux: premièrement, elle a convenu de la nécessité de préserver et de promouvoir la langue française au Québec et, deuxièmement, la cour a décidé que la liberté d'expression incluait l'affichage public et les raisons sociales.

La Cour suprême a donc reconnu, et je cite ici le texte du jugement: "L'objectif de promotion et de préservation d'un visage linguistique français au Québec", page 75. Fait intéressant, Mme la Présidente, on peut voir dans le choix des mots "promotion" et "préservation" une reconnaissance explicite du caractère distinct du Québec, tel que formulé dans l'entente constitutionnelle du lac Meech. La Cour suprême a de plus affirmé que l'usage exclusif du français ne reflète pas la réalité de la société québécoise - toujours à la page 75. Celle-là, nous l'avons toujours reconnue. D'ailleurs, le projet présentement à l'étude démontre ce souci de garantir la permanence et la proéminence du caractère français du Québec tout en respectant les libertés individuelles. En terminant cette courte évaluation des traits saillants de la décision de la Cour suprême, j'aimerais souligner que cette dernière a argué que l'adoption de la clause dérogatoire ou "nonobstant" représentait un exercice légitime. Il faut admettre que le projet de loi devant nous, en ce moment, limite l'exercice d'un droit individuel confirmé par la cour. Le premier ministre a lui-même reconnu que le gouvernement a arrêté son choix sur cette option avec beaucoup de réticences car notre gouvernement est conscient du fragile et combien difficile équilibre à maintenir entre les droits collectifs et les droits individuels.

Pour sa part, l'Opposition nous blâme, M. le Président, elle qui n'a même pas eu le courage politique de recourir à cette disposition constitutionnelle quand elle était au pouvoir, elle qui prône maintenant une solution extrême en matière d'affichage. Je partage l'opinion exprimée par le premier ministre, hier matin, lorsqu'il a affirmé, et je le cite, que, "dans les questions linguistiques, le courage politique ne réside pas dans les solutions extrêmes. Notre politique est en effet le triomphe du gros bon sens". Si l'Opposition persiste à s'enfermer dans une maison des horreurs linguistiques, nous continuerons, quant à nous, à favoriser la création de voies de partage menant à l'établissement d'un système consensuel authentique.

La loi proposée par le gouvernement est l'aboutissement d'un processus difficile, voire même douloureux, mais elle représente un choix conscient, courageux, clair et responsable. Elle dit très simplement que l'affichage public et la publicité commerciale à l'extérieur des établissements ou destinés au public qui s'y trouve de même qu'à l'intérieur des centres commerciaux et des moyens de transport public seront uniquement en français. De plus, à l'intérieur d'un établissement, l'affichage public et la publicité commerciale pourront être faits à la fois en français et dans une autre langue, pourvu qu'ils soient destinés au public qui s'y trouve et que le français y figure d'une manière nettement prédominante.

Il me faut noter que le projet de loi présenté respecte non seulement le programme du Parti libéral, obligation de respecter les droits de la majorité francophone et affichage dans d'autres langues, mais également l'arrêt récent de la Cour suprême. Aussi déchirante qu'elle l'ait été, la décision d'utiliser la clause "nonobstant" s'avère, je le répète, un exercice légitime - ce sont les termes mêmes de la cour - légitime, car elle reconnaît le pouvoir de l'Assemblée nationale du Québec en matière linguistique.

L'ouverture du Québec sur le monde est désormais une réalité mouvante et positive. Qu'on songe au succès d'entreprises comme le Sommet de la francophonie à Québec au mois de septembre 1987 ou, encore, à la tournée triomphale

du Cirque du soleil aux États-Unis. La précarité de sa condition démolinguistique à l'échelle du continent n'a pas empêché le Québec de s'affirmer sur la scène internationale. Elle l'a peut-être même condamné au succès.

Cependant, les Québécois francophones ne doivent pas être les seuls à investir dans le français, à investir dans la langue française. Il y a place pour tous les Québécois, indépendamment de leurs attributs ethniques, religieux et linguistiques. Les membres des communautés culturelles ont plus qu'hier une ferme volonté d'apprendre le français car ils savent que c'est le premier pas d'une intégration à venir. Pour sa part, la communauté italienne est établie solidement sur le territoire québécois depuis le début du siècle. Elle reste la plus importante communauté culturelle en termes numériques. Plus important encore, elle demeure un modèle d'intégration, ayant accepté le caractère français du Québec tout en ayant préservé l'essence de son génie propre, comme sa langue, sa vie familiale, ses institutions socio-économiques, son implication sociale. La communauté italienne reconnaît l'importance du français au Québec en même temps qu'elle laisse une large place aux libertés individuelles.

Mme la Présidente, je suis d'avis qu'il ne faut voir là nulle prétention que la communauté italienne ouvre la voie au Québec en devenir, une terre où devra s'affirmer, comme l'a écrit Léon Dion, et je le cite: "la primauté du français dans le pluralisme culturel." La prise de conscience par les membres des communautés culturelles du caractère français du Québec est en partie imputable au travail inlassable du présent gouvernement, travail qui s'est nettement manifesté par un élargissement des critères d'accès aux COFI. Ces centres de francisation pour immigrants accueillent maintenant des femmes immigrantes ainsi que des personnes en attente du statut de réfugié.

Bien sûr, il reste beaucoup à faire. L'intégration n'est pas aisée quand la langue première du continent nord-américain est l'anglais. Le Québec est nécessairement confronté à la force démographique et économique de ce continent. Cependant, les efforts consentis à la francisation des immigrants ont donné des résultats tangibles. D'ailleurs, la popularité des cours témoigne non seulement d'un désir d'apprendre le français mais, aussi et surtout, de la certitude que cette langue doit être le moyen de communication normal et habituel dans toutes les institutions de cette société. (21 h 40)

Le projet de loi 178 a trait à des aspects précis de la loi 101. Comme le ministre Rivard l'a beaucoup de fois affirmé, il y a plus que l'affichage à considérer. U faut même regarder au-delà de la loi 101. Aussi importante soit-elle, il ne faut pas oublier qu'elle ne peut seule rendre compte de la complexité et de la diversité de la question linguistique. Il faut regarder plus loin, porter notre attention sur des problèmes fondamentaux qui ne peuvent être résolus par des clauses de la loi 101 qu'on pourrait invoquer. Il faut absolument agir relativement à la qualité du français à l'école.

Mme la Présidente, dans les discours publics sur la langue, le Parti québécois a beaucoup parlé de législation et de réglementation, mais M n'a quasiment jamais parlé de la qualité de la langue. Pourtant, le problème de la qualité de la langue est le problème par excellence de la politique linguistique du Québec. La langue française ne mérite d'être défendue, protégée, promue et affirmée que si elle véhicule une culture de prestige, et dans la mesure où elle devient une langue de communication efficace qui permet aux Québécois de mieux vivre, non seulement culturellement, mais aussi économiquement et socialement. C'est désormais une priorité du gouvernement actuel. L'héritage d'une langue de qualité pour les générations futures est un gage de respect, mais aussi de survie. D'autres problèmes auxquels le gouvernement s'est attelé avec sensibilité et compétence sont également importants, à savoir le déclin démographique du Québec et l'intégration des communautés culturelles à la réalité française du Québec. Notre démarche prudente mais progressive, non passionnée mais généreuse, représente la voie du futur pour le Québec, l'espoir d'aujourd'hui, la sérénité de demain.

Dans son livre L'homme de paroles, titre qui rend compte de l'unicité et de la diversité humaine, le linguiste Claude Hagège, voit la langue comme un objet d'attachement, un espace d'appropriation symbolique pour qui la partage avec ses pairs au sein d'une société. L'objectif ultime serait que, chez nous au Québec, la langue française devienne objet d'attachement et espace d'appropriation symbolique pour toutes les diversités culturelles qui l'investiront et la rendront encore plus belle, car elle deviendra ainsi une parole partagée.

Mme la Présidente, avec ces mots, Je termine mon allocution et je dis à tous mes collègues de l'Assemblée nationale qu'y faudrait absolument voter pour le projet de loi 178 parce que c'est une loi qui représente un peu tous les Québécois, et, quand je dis tous les Québécois, je parle de la communauté francophone, des communautés culturelles et de la communauté anglaise. Merci.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Viger. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Mercier.

M. Gérald Godin

M. Godin: Mme la Présidente, cet après-midi à 16 heures, on a entendu un nouveau champion des droits de la personne, le député de Saint-Laurent, premier ministre du Québec, que j'ai connu en d'autres circonstances et qui, précisé-

ment il y a quelques années, 18 ans, en 1970, m'a fait défoncer les portes chez nous à coups de bottes de police. Parfois, j'entends encore le bruit des bottes de police qui défoncent les portes chez nous pour m'amener en prison. Quand j'entends ce jeune homme de Saint-Laurent nous faire des leçons sur les droits de la personne, je me dis: A-t-il oublié son propre passé, d'une part, et, d'autre part, quand peut-il prétendre que le Parti libéral incarne la liberté, alors que le parti péquiste incarnerait les brimades et la domination des autres?

Mon expérience personnelle, qui est celle de 500 personnes qui ont été elles aussi victimes des bottes de police à 5 heures du matin, nous montre que le Parti libéral n'a à donner de leçon à personne à ce sujet-là, encore moins au Parti québécois, parce que ce bruit de bottes là, Mme la Présidente, je l'entends encore et je connais aussi des cas de personnes qui sont encore en institutions psychiatriques à la suite de ces événements d'octobre 1970 provoqués et causés par la décision illégale et tout à fait irrespectueuse des droits de la personne du premier ministre actuel, Mme la Présidente. Donc, les droits de la personne, je connais ça, j'ai appris en prison à quel point ils étaient importants. Je m'en souviens très bien, quand les flics sont arrivés chez nous, je leur ai demandé: Avez-vous un mandat? MM. les policiers m'ont dit: Non, M. Godin, on n'a pas besoin de mandat, cela est suspendu - d'ailleurs, avec un sourire étrange, le sourire des flics nazis envoyés par M. Robert Bourassa, à l'époque, qui voulait mettre les Québécois francophones à leur place et leur faire peur.

Je pense que 500 personnes peuvent témoigner comme moi des mêmes événements et rappeler aux libéraux que leur passé n'est pas aussi vierge ni aussi blanc qu'ils le prétendent à ce sujet. C'est pour ça que, lorsque j'entends les gens de l'autre côté nous dire: Nous, les libéraux, ce sont les droits et, les péquistes, ce sont les brimades, la collectivité qui passe avant les droits des personnes, je dis que c'est de la foutaise et qu'ils devraient avoir honte de parler comme ça, en se rappelant leur propre passé.

Maintenant, je tiens à parler d'un autre aspect de la question qui est celui de la Cour suprême, farcie de libéraux à Trudeau à Ottawa. Nous sommes devant une Cour suprême qui interprète maintenant le "Canada Bill" comme un modèle américain, alors qu'aux États-Unis il y a des processus de nomination des juges qui sont non partisans et qui permettent des discussions longues et approndies concernant les juges à être nommés. Dans notre système, c'est M. Pierre Trudeau qui a nommé ces quatre juges, amis libéraux militants, libéraux de Montréal. On a une cour qui est dans la ligne à Trudeau et pas du tout dans la ligne de la démocratie. C'est pour ça qu'on a des jugements imprévisibles, plein de droits nouveaux et pernicieux, qui confondent les droits de la personne et les droits des enseignes anglaises au Québec.

Je pense aussi qu'on doit rappeler pourquoi. Souvent, nos amis anglais nous demandent: Pourquoi avez-vous si peur de ce qui se passe au Québec? Je leur dis: On a une expérience de l'assimilation. Les francophones du Canada anglais et français savent ce que c'est que d'être assimilés. Chaque jour, le recensement canadien démontre que 1000 francophones hors Québec deviennent anglophones. Ils n'ont pas d'institution et ils n'ont pas l'occasion de parler leur langue, ni de travailler en français. Au Québec même, les chiffres les plus récents démontrent que, malgré la loi 101, deux nouveaux arrivants sur trois choisissent l'anglais encore maintenant et que seulement un sur trois choisit le français. Alors, face à ces situations, face aux expériences prédécentes de Gravelbourg, du Manitoba, de la Saskatchewan et autres, en Ontario en 1917, la loi 22, cela nous montre que le Canada anglais n'a jamais hésité, malgré qu'il dise être respectueux au maximum des droits de la personne, à assimiler les francophones. Donc, face à ces assimilations, de Lowell, Mass. jusqu'à la Louisiane, en passant par Toronto, Gravelbourg, la Saskatchewan et le Manitoba, nous avons développé au Québec une espèce de crainte de disparaître.

Quand nous voyons le gouvernement actuel de M. Bourassa revenir avec des lois qui vont faire reculer le français partout au Québec, nous sommes inquiets. Nous disons à nos amis libéraux: Ouvrez-vous les yeux parce que vous êtes en train de signer, par votre vote bientôt, l'arrêt de mort, le recul du français au Québec. Par conséquent, peut-être qu'un jour vous serez jugés, comme ceux qui ont fait pendre Riel à Ottawa, les Chapleau, Langevin et Caron, comme ceux qui ont hâté la disparition du peuple québécois, parce que vous aurez manqué de vision et de connaissance des dangers qui menacent le français au Québec. Donc, je dis qu'il serait temps que nos amis libéraux s'ouvrent les yeux eux aussi et se rendent compte que l'assimilation, qui a fait disparaître le Canada français hors Québec, menace également maintenant le Québec et que cette loi-là n'est pas un pas en avant pour le francophone, mais plutôt un recul considérable.

En terminant, je vous dirais que lorsqu'on met sur le même pied les droits des saumons et les droits des braconniers, il est sûr qu'on arrive à des décisions qui ne tiennent pas debout et c'est ce que la Cour suprême à Trudeau a fait à Ottawa. Je pense que, dès le début, avec la décision de nommer ces juges, tous des militants libéraux de Montréal, à une Cour suprême qui trancherait dans le vif de la vie culturelle du Québec, c'était prévisible que la Cour suprême mettrait sur le même pied et les saumons et les braconniers et que, tôt ou tard, on dirait: Ah, il faut mettre les braconniers sur le même pied que les saumons parce qu'au fond il faut protéger les droits des braconniers, alors que je pense que les

saumons doivent être protégés plus que les braconniers. Pour moi, le français au Québec, c'est le saumon, et l'anglais nord-américain, c'est le braconnier.

Donc, je dis qu'il faut que les Québécois ne perdent pas de vue que ce projet de loi 178 fart reculer le français, donne plus de chance encore à l'anglais qui est déjà dominant dans tout le continent nord-américain, dans le monde entier. (21 h 50)

J'incite mes collègues libéraux, les nouveaux et les anciens, de Trois-Rivières, de Roberval et de Frontenac à penser un peu aussi, non seulement aux trois ministres anglais qui s'en vont, mais également à leurs compatriotes qui vont perdre du terrain avec leur langue dans tout le Québec. Cette loi "anglifiante" du Québec ne constitue pas du tout un progrès pour le Québec, mais, bien au contraire, un recul considérable. Cela ne va que hâter ce que l'on craint tous, l'assimilation des francophones du Québec dans le grand océan nord-américain anglophone. Donc, je dis à ceux qui nous écoutent encore à cette heure-ci qu'il faut se méfier de cette loi as-similatrice, parce que ce sont les saumons qui sont menacés et non pas les braconniers. Je souhaite que le premier ministre, qui aime tellement les droits des minorités, aime également les droits des saumons francophones du Québec. Mme la Présidente, merci beaucoup.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Mercier. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Harold Peter Thuringer

M. Thuringer: Merci, Mme la Présidente. Depuis jeudi dernier, date où la Cour suprême a rendu sa décision, on a tous et toutes vécu une période intensive et tourbillonnante. Il y a eu des discussions parmi les ministres, au caucus, au conseil général. C'est une période vraiment historique. Les décisions que nous prenons vont avoir des répercussions dans l'avenir. La Cour suprême a tracé des lignes directrices pour une action assez claire de la part du gouvernement du Québec. Après toutes ces réunions et discussions des derniers jours, après les travaux des derniers mois, on vient de déposer un projet de loi qui va nous amener à faire un choix qui respecte les droits de la collectivité d'une part, et les droits des individus d'autre part.

Le premier ministre a eu la responsabilité de prendre cette décision difficile avec son équipe; c'est son job et ce n'est pas facile. Chacun de nous doit prendre ses propres décisions à la lumière de ses valeurs personnelles, face aux espoirs et à la volonté de ses électeurs et au programme du parti et du gouvernement. Ce processus comprend le débat, ici, à l'Assemblée nationale. Au cours des derniers jours, surtout, j'ai beaucoup réfléchi et cela m'a rappelé que cela fait 17 ans que j'ai quitté la

Saskatchewan, et, entre parenthèses, je dois dire que je ne suis pas tellement fier de ce que la Saskatchewan a fait l'an dernier en ce qui concerne la langue de mes concitoyens français là-bas. J'en ai profité pour le rappeler au premier ministre de Saskatchewan et aussi à son Solliciteur général, au moins leur faire part de ce qu'on a vécu et ce qu'on vit, ici, au Québec.

Ma famille et mes six enfants ont bien aimé cette expérience des 17 années qu'on a vécues ici au Québec. Je me sens comme un Québécois et je suis fier de cela. Avec ma famille, on a pas mal discuté de la décision que je vais prendre; j'en ai parlé aussi avec mes amis et, surtout, avec mes collègues francophones qui pensent différemment de moi. Pour moi, être un libéral, c'est être réformiste, être pour le progrès, la tolérance et la liberté d'expression individuelle, parmi d'autres qualités. J'ai vécu des journées difficiles, surtout avec mes amis et les membres francophones de la commission des affaires sociales, parce que, pour plusieurs d'entre eux, ce projet de loi est une démarche assez importante pour sauvegarder leur langue et leur culture qui est fort bien reçue par eux et par moi aussi. Dans ce climat difficile, mais dans un système démocratique, nous prenons notre décision. C'est un système qui ne laisse pas le dernier mot aux tribunaux, par exemple, ce qui est le cas aux États-Unis, mais c'est un processus basé sur le système parlementaire britannique qui donne le dernier mot au gouvernement et au premier ministre.

Madam Speaker, as I have said, the Supreme Court has handed down its decision which clearly sets out the fact that there is a threat to the French language and culture. In its ruling it traces the course of action which takes into account the collective rights to protect the linguistic visage while respecting the rights of freedom of expression of individuals. It should also be noted that the English-speaking com-munity accepts the need to protect the French language and culture. And it supports vigourously programs to improve the quality of French of ail Quebeckers and to provide services in French. And I might add that in the last ten years tremendous tries have been made by the English-speaking community to be part of the Québec society.

Mais la communauté anglaise veut vraiment se sentir partie prenante de cette société québécoise. Ensemble, nous pouvons bâtir le type de société où tous et toutes peuvent se sentir libres et vraiment impliqués.

If I look at the last two hundred years of history of Irving together and working together, despite the difficulties that we are facing today, I am very hopeful about our future. I have experienced the generosity and the collaboration of the French majority and I feel comfortable in it. And I know that we must make additionnai efforts as a minority.

In conclusion, I want to say that just a

year ago.- in fact fifteen months, Madam Speaker - I went before my electorate in NDG, with a platform that included the party policy on language, namely that signs must always be in French but a second language is permitted if desired. In this partial election, this message was made clear to ail Québec. While Bill 178 is a step in the right direction and that it grants the right to pose signs inside commercial establishment that reflect the predominance of French while permitting a second language, however, it does place serious limits on the freedom of expression on the outside of thèse establishments. And further, by using the "not withstand-ing" clause, all legal channels are blocked. Thus, taking ail these elements into account, my conscience, the wishes of my constituents, various minority groups throughout the province and the party policy, I cannot support Bill 178, an Act to amend the Charter of the French language. (22 heures)

And, in closing, j'aimerais au moins rendre hommage à mes collègues qui, cet après-midi, en cette Chambre, ont rendu publique leur décision. Je veux les remercier pour les services qu'ils ont rendus non seulement à notre communauté, mais aussi à tout le Québec. Je veux aussi rendre hommage au ministre de l'Énergie pour le choix qu'il a fait et je suis bien heureux parce qu'il va travailler avec mes collègues et vous tous ici en Chambre. Merci, Mme la Présidente.

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Duplessis.

M. Denis Perron

M. Perron: Mme la Présidente, c'est, bien sûr, comme député de Duplessis que j'interviens ce soir en cette Chambre, mais aussi comme Québécois francophone que je veux dire quelques mots au sujet de cette langue que m'ont donnée ma mère et mon père.

Tout le monde en cette Chambre, Mme la Présidente, et tous les gens de l'extérieur qui me connaissent très bien personnellement savent que je suis un non-fédéraliste. Ils savent aussi que je suis un indépendantiste et ce, depuis plusieurs années. Et pour moi ce qui se passe aujourd'hui, ce qui s'est passé hier en cette Chambre, démontre très bien comment ce gouvernement libéral du Québec procède pour triturer ce que nous, au Québec, nous aimons le plus, soit notre langue française.

Et pour moi, c'est un net recul que de voir en cette Chambre, ce projet de loi 178 apporté par un gouvernement en partie anglophone et en partie francophone. Et ce projet de loi 178 diminue la portée même de la loi 101 votée en 1977. D'ailleurs, Mme la Présidente, je me rappelle très bien avoir participé, et ce de façon concrète, avec le père de la loi 101, M. Camille

Laurin, à faire en sorte que cette loi soit déposée à l'Assemblée nationale. Je me rappelle très bien aussi être intervenu à quelques reprises non seulement en commission parlementaire, mais aussi au salon bleu. Je me rappelle très bien aussi combien de personnes, combien de représentants et de représentantes de groupes sont intervenus pour clarifier la situation, clarifier la loi 101 pour nous permettre de finir par avoir une loi extrêmement potable et bonne pour l'ensemble de la population du Québec. Je me rappelle très bien aussi avoir défendu le principe même de ce que nous avons toujours été. Et je me rappelle très bien que cette loi 101 reconnaissait, en même temps, les droits fondamentaux, les droits acquis de la population anglophone du Québec.

Aujourd'hui, ce projet de loi 178 vient littéralement charcuter, compléter, en pratique, le travail qui a été effectué par la Cour suprême, cette tour de Pise qui penche régulièrement sur le même bord, c'est-à-dire sur le bord des neuf autres provinces canadiennes. Cette loi 101 qui avait permis d'amener ici, au Québec, un climat social intéressant, le gouvernement libéral, par le biais du projet de loi 178, est en train non seulement de la ratatiner, mais de ratatiner aussi, Mme la Présidente, la francophonie du Québec. Nous avons vu ce gouvernement libéral, au cours des trois dernières années, fonctionner en donnant des droits à ce que nous avons appelé les illégaux et ce, par législation, directement ici dans cette Chambre. Nous avons vu ce gouvernement libéral, par la loi 142, donner des droits additionnels - ils les avaient en principe - par législation à la population anglophone du Québec quant à certains services dans les hôpitaux.

Mme la Présidente, s'il y a une personne en cette Chambre qui sait qu'en aucun temps nous n'avons bafoué les droits des anglophones du Québec, c'est bien le député que je suis, c'est bien la personne que j'ai été au cours de toutes ces dernières années où j'ai fait de la politique, soit depuis près de 30 ans. Le plus bel exemple que je peux donner à cette Chambre, c'est qu'en aucun temps les anglophones de la Basse-Côte-Nord du golfe Saint-Laurent entre Kégashka et Blanc-Sablon n'ont été bafoués dans leurs droits. Aujourd'hui, cette population est toujours anglophone et même unilingue anglaise et en aucun temps je n'ai manqué de respect envers ces concitoyens et ces concitoyennes du comté de Duplessis.

Mais, aujourd'hui, le gouvernement libéral manque de respect non seulement envers les anglophones du Québec, mais aussi envers tous les francophones que nous sommes. Il manque même de respect - et ça, les francophones du Parti libéral y contribuent; ils y contribuent largement - envers les députés de cette Chambre, en particulier ceux de l'Opposition officielle, mais aussi envers certains collègues du Parti libéral. J'aimerais que certains d'entre eux se

lèvent et disent carrément et d'une façon intensive ce qu'ils pensent vraiment de ce qui se passe aujourd'hui et de ce qui s'est passé hier en cette Chambre.

Mme la Présidente, depuis trois ans maintenant que siège en face de nous ce gouvernement libéral, on a réalisé combien ce gouvernement n'a pas pris ses responsabilités dans différents domaines, mais en particulier dans le domaine linguistique. Tout le monde sait qu'en 1985 les plaintes déposées auprès de l'Office de la langue française s'élevaient à plus de 1400; on se rend compte, en 1987, soit deux ans plus tard, qu'il y a eu plus de 14 000 plaintes faites à l'Office de la langue française. Ce gouvernement a même contribué à diminuer les pouvoirs de l'Office de la langue française, les pouvoirs donnés à cet office pour entreprendre les poursuites pour étudier chacun des cas. On se rend compte que les problèmes vécus dans le domaine linguistique au cours des trois dernières années ne proviennent pas surtout de commerçants ou encore d'industriels, mais qu'ils proviennent directement de certains membres de ce gouvernement qui ont contribué à ne pas faire respecter la loi 101.

D'autre part, depuis les trois dernières années aussi, mais en particulier au moment où je vous parle, Mme la Présidente, on voit ce gouvernement, qui se dit un gouvernement démocratique, venir ici même en cette Chambre et depuis hier, nous imposer ce que moi, j'appelle le rouleau compresseur, nous imposer comme parlementaires l'adoption d'une loi supposément d'une façon démocratique, mais à l'intérieur d'un laps de temps connu, pendant lequel nous n'aurons vraiment pas l'occasion d'agir comme les législateurs que nous sommes. Quelques heures ici au salon bleu pour dire ce que nous pensons du fond et ce que nous pensons de l'attitude libérale, pour dire ce que d'autres pensent à l'extérieur, qui ne peuvent pas s'exprimer.

Mme la Présidente, je me rappelle très bien qu'en 1977, pendant près de sept mois, nous avons étudié l'ensemble de la loi 101. Nous avions écouté tellement de gens que nous nous étions fait une idée que la loi 101 était correcte. Lorsqu'elle fut approuvée en cette Chambre, le 26 août 1977, je me rappelle que certains d'entre nous avaient la larme à l'oeil à cause de la joie que nous exprimions, à ce moment-là, d'avoir légiféré d'une façon humaine, d'avoir légiféré d'une façon collective, d'avoir légiféré en entendant l'ensemble des représentants et des représentantes de différentes associations du Québec, incluant même Alliance Québec ou des représentants anglophones, parce qu'Alliance Québec n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui. (22 h 10)

Nous voyons qu'à l'extérieur de cette Chambre et, en particulier, en cette Chambre lorsque nous serons en commission piénière pour étudier le projet de loi article par article, nous n'aurons que trois heures pour démontrer nos positions, c'est-à-dire celles de chacun et de chacune d'entre nous. C'est peu de temps, Mme la Présidente, lorsqu'il s'agit de notre avenir.

Nous aurions aimé, bien sûr, en tant que parlementaires, rencontrer en commission parlementaire des représentants et des représentantes des centrales syndicales, des représentants et des représentantes de la Société Saint-Jean-Baptiste du Québec, des représentants et des représentantes du Mouvement Québec français, de l'Union des municipalités du Québec, de l'Union des municipalités régionales de comté, d'Alliance Québec même, pourquoi pas, Mme la Présidente? Mais ce gouvernement, à cause de la suspension de nos règles de procédure en cette Assemblée nationale, permet actuellement que l'on n'entende aucun représentant de ces groupes. Ces gens-là le font par crainte, ces gens-là le font par peur d'entendre d'autres personnes s'exprimer devant les représentants de l'Assemblée nationale.

Quant à moi, Mme la Présidente, soyez assurée d'une chose, puisque je l'ai déjà fait à plusieurs reprises... Je l'ai fart en 1977 lors de la loi 101, je l'ai fait pour d'autres lois passées ici, à l'Assemblée nationale, au cours des douze dernières années où j'ai siégé. Il est important qu'en tant que législateurs, en tant que députés de certains comtés du Québec, nous soyons conscients qu'il est nécessaire, et ce à plusieurs reprises, de protéger les droits collectifs plutôt que les droits individuels. J'entends donc faire le maximum pour que, dans le domaine linguistique, nous donnions primauté aux droits collectifs, et ce malgré que je comprenne très bien certaines attitudes adoptées de l'autre côté de la Chambre face aux droits individuels.

Pour moi, le projet de loi 178, cette législation libérale, démontre que ce gouvernement a deux poids deux mesures, que ce gouvernement est un gouvernement fédéraliste, qu'il est toujours à quatre pattes devant le gouvernement fédéral, qu'il se plie aux attitudes de certaines provinces canadiennes et qu'il se plie, en partie, à certains voeux et demandes exprimés par certaines associations anglophones du Québec.

La nôtre, c'est-à-dire la loi 191 que nous avons déposée en cette Chambre, visait, Mme la Présidente, à restaurer non seulement dans les faits, mais par législation la loi 101 dont de grands pans étaient disparus à cause de la décision de la Cour suprême et à cause de groupes qui étaient même subventionnés par le gouvernement libéral ou par le gouvernement fédéral pour défendre leurs droits devant la Cour suprême et ce, avec notre argent.

Mme la Présidente, comme je le disais tout à l'heure, je suis un indépendantiste et je suis un indépendantiste à l'intérieur de cette Chambre tout comme à l'extérieur de cette Chambre. Comme je le suis à l'intérieur comme à l'extérieur de cette Chambre, ce que je veux au Québec, c'est une loi qui dise qu'à l'intérieur des commerces, c'est en français et qu'à l'extérieur

des commerces, c'est aussi en français. Mais ce n'est pas le cas, actuellement. Tout le monde sait à l'extérieur de cette Chambre, mais je ne suis pas sûr que les libéraux d'en face le sachent, que, lorsque nous allons dans un commerce, peu importe sa grosseur ou son nombre d'employés, ce n'est pas à l'extérieur de ces commerces que l'on achète. Donc, on passe très peu de temps à l'extérieur de ces commerces, mais c'est à l'intérieur que ça se passe et ça, les libéraux le savent. C'est la raison fondamentale pour laquelle ces libéraux ont donné encore un pan, ont encore charcuté un pan de la loi 101 pour donner des droits additionnels aux anglophones.

Mme la Présidente, il est exact qu'à cause du système fédéraliste dans lequel nous vivons - et ce, de façon légale, à cause de la constitution canadienne, à cause de certaines lois comme la loi C-72, une loi fédérale qui impose en pratique dans les usines et dans des gros commerces du Québec le bilinguisme, le bilinguisme à la Trudeau comme le bilinguisme à la Bourassa - on est obligés de se laisser marcher dessus non seulement par le premier ministre du Québec, mais aussi par des représentants de Vancouver, de Toronto, de Winnlpeg, de Saint-John's Terre-Neuve. Les gens d'en face, en particulier les francophones, applaudissent à tout ça. Ils le font même, dans plusieurs cas, avec des sourires que je qualifie de sourires éhontés, Mme la Présidente. Avec ça, on aboutit à des solutions comme la loi 178 déposée par le gouvernement libéral, à des solutions ni chair ni poisson.

Aujourd'hui, ce bâillon nous permet de nous exprimer, bien sûr, mais pas dans le sens où nous le voudrions, pas avec tout le temps que nous voudrions. Ce bâillon va permettre, à l'ensemble des parlementaires que nous sommes, les 120, 48 heures de travail parlementaire seulement pour arriver à étudier notre avenir collectif linguistique. Les libéraux se targuent de nous dire qu'ils sont des démocrates. Mais, pour moi, la façon dont agit le gouvernement libéral représente la démocratie, bien sûr, mais la démocratie à la libérale, représente la non-transparence de ce gouvernement, au cours des dernières années, pour ne pas entendre des groupes intéressés à faire des représentations auprès des législateurs du Québec.

Ce qui est aussi déplorable chez ce gouvernement, Mme la Présidente, c'est de voir qu'il enlève d'une main pour donner de l'autre. Le plus bel exemple que je puisse vous donner, c'est lorsqu'on regarde tous les budgets du gouvernement du Québec qui ont été déposés depuis la présence de ce gouvernement libéral que nous avons en face, soit depuis trois ans. On a vu aussi que certains budgets, certaines subventions destinés aux comités de francisation de différentes usines, de différents commerces ont été charcutés. On a pris cet argent et on l'a transféré à Alliance Québec pour que cet organisme puisse même aller défendre les intérêts des anglophones du Québec devant la Cour suprême, cela avec l'argent des Québécois et des Québécoises et, par surcroît, avec de l'argent qui avait été pris même à l'intérieur des budgets qui servaient à protéger notre loi francophone du Québec.

Mme la Présidente, je n'en reviens pas de la naïveté des collègues libéraux en cette Chambre, de les voir applaudir depuis ce matin au supposé départ de certains libéraux, de les voir applaudir avec un sourire lorsque ces libéraux avaient même obtenu gain de cause dans une grande partie de la loi 178. Mais pourquoi ces libéraux s'en vont-ils? Tout simplement parce qu'ils n'ont pas obtenu tout ce qu'ils voulaient. Je les vois applaudir les collègues libéraux qui s'en vont, tout en sachant que les députés francophones libéraux travaillent actuellement à diminuer la loi française du Québec, à diminuer la loi 101.

On réalise depuis ce midi, Mme la Présidente, que les agissements de ces anglophones qui ont démissionné de leur poste vont servir... Parce qu'on peut bien dire qu'ils ont démissionné, mais on démissionne à l'extérieur, tout en demeurant à l'intérieur. Ce sera la plus belle courroie de transmission que le milieu aura, en passant par ces députés démissionnaires qui restent toujours dans le caucus libéral. On rencontre même un libéral, le député de Mont-Royal, qui, lui, va servir à ces gens au Conseil des ministres pour faire passer les messages réglementaires, etc., au cours des prochains mois.

En conclusion, je voudrais vous dire qu'en ce qui me concerne, Mme la Présidente, je suis extrêmement déçu de voir l'attitude de mes collègues libéraux francophones de cette Chambre. Je ne suis aucunement déçu de ce que moi et mes collègues avons toujours fait en cette Chambre, et ce depuis douze ans, pour permettre que notre loi, que notre Charte de la langue française soit maintenue, que notre Charte de la langue française soit\ aimée et reconnue au Québec. J'espère que, dans les plus courts délais, nous, en tant que parlementaires indépendantistes, nous aurons le choix et que la population nous donnera le choix de revenir comme gouvernement pour rétablir les faits face à la Charte de la langue française du Québec. Merci, Mme la Présidente. (22 h 20)

La Vice-Présidente: Merci, M. le député de Duplessis. Je vais maintenant reconnaître Mme la députée de Vachon.

Mme Christiane Pelchat

Mme Pelchat: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais m'adresser aujourd'hui à l'occasion du débat qui nous occupe aux résidents et aux résidentes du comté de Vachon, soit la ville de Saint-Hubert. Le comté de Vachon est composé de 85 % de francophones, 10 % d'anglophones et 5 % d'allophones. C'est pour tous ces gens que j'aimerais, aujourd'hui, bien humblement,

exprimer mon opinion sur le projet de loi qu'on a déposé hier et sur le débat en cours. C'est aussi en tant que jeune députée que j'aimerais m'adresser à cette Assemblée.

La loi que nous avons devant nous, Mme la Présidente, vous le savez, le ministre Guy Rivard ici présent l'a bien expliqué, fait suite au jugement de la Cour suprême du Canada. Qu'est-ce que l'on retrouve dans ce jugement, Mme la Présidente? Ce que je retiens, moi, de ce jugement, c'est que, premièrement, la liberté d'expression comprend la liberté de s'exprimer dans la langue de son choix. La deuxième chose qui ressort de ce jugement, c'est que la liberté d'expression comprend la liberté d'expression commerciale. La troisième chose qui est dite dans ce jugement et qui m'a frappée, c'est que le français est menacé au Québec. Quatrièmement, une des conclusions du jugement, celle que je retiens le plus, c'est que, pour restreindre la liberté d'expression reconnue dans nos chartes, la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, pour la soustraire à l'application des droits inscrits à ces chartes, le gouvernement aura à utiliser une clause "nonobstant", une clause dérogatoire.

À cela, le gouvernement répond deux choses. Premièrement, l'imposition de l'unilin-guisme français sur les affiches extérieures des commerces avec l'utilisation de la clause "nonobstant" comme l'édicté le jugement de la Cour suprême afin d'éviter qu'on ne se retrouve devant les tribunaux encore une fois d'ici quelques années. La deuxième réponse du gouvernement libéral à ce jugement est la possibilité d'affichage unilingue français seulement à l'intérieur ou la possibilité d'affichage bilingue avec prépondérance au français. C'est la situation, Mme la Présidente.

Mme la Présidente, je suis membre du Parti libéral depuis l'âge de 16 ans. Peut-être que cela fait sourire certaines personnes ici. J'ai 29 ans; alors, cela fait déjà un bon bout de temps que je suis membre du Parti libéral. Pourquoi suis-je membre du Parti libéral depuis l'âge de 16 ans? C'est, d'abord et avant tout, à cause de sa philosophie de base, des prémisses de base du Parti libéral. Je veux juste vous en édicter quelques-unes qui, pour moi, sont vraiment fondamentales. D'abord, l'article 1 de la constitution du programme du Parti libéral...

Une voix: Une religion.

Mme Pelchat: Ce n'est pas tout à fait une religion. Cet article 1 établit d'emblée, d'entrée de jeu, qu'il s'agit d'un parti qui a pour but la protection des droits des individus et la protection des libertés fondamentales. Le Parti libéral est un parti pluraliste. C'est un parti ouvert. C'est un parti qui vise la protection de la culture des francophones, ainsi que l'épanouissement de la culture des anglophones et celle des membres des minorités ethniques. Le Parti libéral du Québec, Mme la Présidente, c'est le parti qui a la chance de compter des représentants de toutes les origines. Je pense que c'est le seul parti au Québec et c'est peut-être le seul parti au Canada, Mme la Présidente, qui peut être fier d'être à ce point représentatif de tous les citoyens du Canada et du Québec. C'est le parti qui vise l'acceptation mutuelle des différences C'est le parti qui s'est fait le défenseur du peuple francophone, de la société québécoise et de toutes ses minorités.

Voilà, Mme la Présidente, le cadre de référence auquel nous devons recourir pour bien saisir l'action du gouvernement du Québec depuis les trois dernières années et particulièrement aujourd'hui. En ce qui me concerne, ce sont là les raisons, et cela va plus loin que cela, ce sont là les valeurs fondamentales qui m'ont amenée à militer au Parti libéral du Québec, mais bien plus, Mme la Présidente, qui m'ont amenée à militer et à me présenter sous la bannière du Parti libéral du Québec à titre de députée à l'Assemblée nationale du Québec.

Je vous ai dit tout à l'heure que je voulais m'adresser particulièrement aux gens du comté chez nous. Ces gens me connaissent bien. Je suis née à Saint-Hubert, dans le comté de Vachon, où j'ai fait mes études primaires et secondaires. J'y vis encore et je suis très fière de vivre dans ce comté. J'aimerais vous rappeler que la ville de Saint-Hubert, avant 1981, était partie intégrante du comté de Taillon, lequel était représenté par l'ex-premier ministre du Québec, René Lévesque. Ces gens me connaissent bien et ils savent une chose en ce qui me concerne, c'est que je suis profondément libérale. Je suis profondément libérale dans le sens le plus pur du mot. Je suis libérale et je suis très attachée au Parti libéral. C'est pour cette raison, Mme la Présidente - je vous le dis, je l'ai dit à mes collègues du caucus, je l'ai dit à plusieurs commettants du comté de Vachon - que je trouve cela difficile, que cela me bouleverse d'avoir à me prononcer, d'avoir à discuter de quelle façon on devrait suspendre des droits et des libertés fondamentales. (22 h 30)

C'est certain qu'on ne peut pas avoir la même vision que l'Opposition, Mme la Présidente. L'hypothèse de base n'est pas la même. On ne parle pas de la même chose. Nous sommes un parti fédéraliste, oui, et nous en sommes fiers. J'entendais le député de Duplessis tout à l'heure dire: C'est un parti fédéraliste. Certainement que nous sommes un parti fédéraliste, certainement que nous apprécions la Fédération canadienne. Non seulement c'est pour cette raison que nous sommes différents, mais nous sommes différents aussi parce que, d'emblée, nous acceptons les différences dans la société québécoise. D'emblée, j'accepte qu'il y ait des anglophones et que je puisse vivre avec les anglophones au Québec. D'emblée, j'accepte de vivre avec les Grecs, avec mon ami Christos Sirros. D'emblée, j'accepte de

vivre avec les Irlandais, avec les Italiens dont je partage l'origine avec beaucoup de fierté, quoique je ne ne parie pas la langue parce que ma mère s'est assimilée très rapidement, à mon avantage, au français, évidemment.

En ce qui me concerne, le débat qui nous occupe, je pense que je vais vous le dire - c'est ce qui me fait le plus mal au coeur, l'Opposition essaie de le faire presque vicieusement - le débat qui nous occupe n'est pas un débat de langue, français-anglais, ce n'est pas cela. En ce qui me concerne, c'est un débat qui devrait se situer à un niveau d'abstraction un peu plus élevé que celui des querelles linguistiques. Pour moi, c'est un débat de fond, c'est un débat qui dit: Est-ce que, oui ou non, nous sommes prêts? C'est la question que le gouvernement se pose et c'est la question que le gouvernement soumet à la population. Est-ce que nous devons, pour protéger notre langue, notre culture, suspendre des droits et des libertés fondamentaux? C'est cela, la question, Mme la Présidente, et c'est cela qui est déchirant. Je ne voudrais pas, et j'implore mes collègues de l'Opposition de ne pas minimiser le départ de certains de nos collègues de la communauté anglophone et les gestes qu'ils ont posés aujourd'hui. Il y a une expression anglaise qu'on emploie ici et mes collègues de l'Opposition l'utilisent volontiers, c'est "cheap". Ce que certains collègues ont fait tout à l'heure à l'endroit de nos collègues, je trouve cela mesquin.

Je vous l'ai dit, je suis une francophone, je suis fière de l'être. Le premier ministre du Québec est un francophone aussi et je pense qu'il fait la preuve qu'il est très fier d'être francophone. Pourtant, je partage entièrement, et le premier ministre du Québec aussi les partage entièrement, les mêmes sentiments et les mêmes principes que M. Clifford Lincoln, député de Nelligan, M. Herbert Marx, député de D'Arcy McGee, M. Richard French, député de Westmount et M. John Ciaccia, député de Mont-Royal. Je pourrais vous les nommer, mes 20 minutes passeraient à nommer tous mes collègues qui partagent ces principes de base des droits et des libertés fondamentaux.

Le premier ministre l'a répété ces derniers jours et je pense qu'il l'a fait d'une façon extraordinaire cet après-midi en Chambre. C'est vraiment avec beaucoup de réticence qu'il en est venu à l'application de la clause dérogatoire que l'on appelle la clause "nonobstant", parce que lui aussi partage les principes de base d'une société qui se veut démocrate et respectueuse des libertés et des droits fondamentaux des individus. Peut-être que certains collègues de l'Opposition, peut-être que d'autres collègues me trouveront idéaliste, mais je pense que je suis plutôt réaliste. Quand je vous dis que je suis blessée que l'on ait à suspendre des droits et libertés d'expression reconnus dans un jugement à la communauté anglophone et aux communautés allophones du Québec. C'est vraiment ce que je ressens et ce que j'ai envie de vous dire ce soir.

J'aimerais aussi dire que je fais totalement confiance au premier ministre du Québec, Robert Bourassa. Il expliquait ce matin pourquoi il estime qu'il ne peut pas ne pas appliquer la clause dérogatoire, c'est-à-dire qu'il ne peut permettre l'affichage bilingue à l'extérieur, avec prépondérance du français. M. Bourassa est sensible au degré d'insécurité culturelle des Québécois en ce moment. C'est ce qui le préoccupe au plus haut point. Je pense que personne en cette Chambre ne peut mettre en doute cette préoccupation profonde du premier ministre du Québec. Pour les Québécois, l'affichage est devenu un symbole et Dieu sait qu'on l'utilise volontiers. Pour les Québécois, l'affichage veut dire la protection de notre culture. Mais, comme le premier ministre du Québec l'a dit, pour le présent gouvernement, l'imposition de l'affichage unilingue français par l'utilisation de la clause "nonobstant" est le moyen le plus adéquat pour maintenir le visage français du Québec et donc pour rassurer les francophones quant à l'avenir de leur culture. M. Bourassa a clairement exprimé que l'élimination de la prohibition d'afficher dans une autre langue que le français à l'intérieur des commerces constitue vraiment un pas en avant pour la reconnaissance des libertés d'expression, et j'y souscris. Pour le premier ministre et le gouvernement, la langue française doit être protégée par rapport à la langue de la majorité en Amérique du Nord; c'est ce qui motive le présent projet de loi.

Mme la Présidente, vous conviendrez avec moi que le degré de sécurité culturelle des Québécois doit passer par d'autres voies que celles que nous sommes forcés, par les circonstances, de suivre aujourd'hui. Je constate que, bien au-delà de l'affichage, les Québécois francophones peuvent sentir et identifier des signes selon lesquels notre culture et notre langue sont en constante croissance dans tous les secteurs de notre économie. Ainsi, les Québécois francophones ont bien en main leur économie. Les entreprises québécoises ayant des francophones à leur tête sont très nombreuses et sont des leaders sur le plan économique. La sécurité culturelle des Québécois francophones passe aussi par l'amélioration de l'enseignement du français dans nos institutions, dans nos écoles. La sécurité culturelle passe aussi par l'augmentation du budget de l'État consacré à la culture. J'aimerais souligner une chose. Depuis que nous sommes arrivés au pouvoir en 1985, en pourcentage, le budget de l'État est passé de 0,55 % à 0,72 %, ce qui est très significatif. La sécurité culturelle passe aussi par la diversification de notre économie, mais encore plus par la solidification de ses bases. J'estime que le présent gouvernement, depuis trois ans, s'est résolument engagé vers l'atteinte de ces objectifs fondamentaux pour révolution de notre société québécoise.

Mme la Présidente, je rêve d'un jour où les Québécois francophones se sentiront à ce point

rassurés qu'on n'aura plus à suspendre des droits et des libertés fondamentales pour qui que ce soit.

Mme la Présidente, tout à l'heure, je vous ai dit qu'il y avait 10 % d'anglophones dans mon comté. J'aimerais m'exprimer dans leur langue quelques minutes, si vous me le permettez.

I would like the English-speaking com-munity of Vachon to understand what we are trying to do at this time. It is difficult for you, I know, to accept the law that we are debating tonight. But I think what you should see in our action is that we are taking a step in favor of freedom of speech which respects the reality of the situation of Québec. I would like to assure them that, as long as I am the MNA of Vachon, I will work to increase the rights of all the minorities of Québec and also, and especially the English-speaking minority, because I feel and I profoundly believe that the English-speaking community of Québec is a richness for Québec and will be even more in the future. (22 h 40)

Je crois qu'avant de porter un jugement sur l'action du gouvernement, Mme la Présidente, on devrait réfléchir calmement sur les choix qu'avait le gouvernement. En tant que députée du comté de Vachon, membre du Parti libéral, je travaillerai en fonction d'accroître le sentiment de sécurité culturelle de mes compatriotes francophones afin que l'on puisse ouvrir notre coeur à l'expression des cultures différentes de la nôtre. Je vous remercie, Mme la Présidente, de votre attention.

La Vice-Présidente: Merci, Mme la députée de Vachon. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Merci, Mme la Présidente. Cela me fait grandement plaisir d'intervenir ce soir dans ce débat important qui se tient ici à l'Assemblée nationale, à peine trois ou quatre jours avant la fête de Noël.

Vous comprendrez, Mme la Présidente, que les conditions dans lesquelles nous avons à débattre un projet de loi aussi important sont d'abord carrément inacceptables. Mme la Présidente, que le projet de loi 178 qui va modifier de façon importante la façon dont on devra vivre en français au Québec de par les modifications qu'on apporte à l'affichage, se fasse dans un cadre où on devra, au cours des prochaines heures... En moins de 48 heures au total, nous aurons à approuver un projet de loi qui vient changer de façon importante et fondamentale comme telle l'affichage au Québec.

Pourquoi, le 20 décembre 1988, se retrouve-t-on ici à l'Assemblée nationale pour discuter d'un tel projet de loi? Bien sûr, il y a eu le jugement de la Cour suprême rendu le 15 décembre. Oui, Mme la Présidente, le jugement de la

Cour suprême rendu le 15 décembre, nous l'attendions depuis deux ans. Voilà deux ans que nous mettons en garde le premier ministre du Québec de se prononcer, de faire son lit, à savoir de quelle façon il avait l'intention de légiférer en matière de langue avant que soit rendu le jugement. Le premier ministre, bien sûr, a choisi d'attendre. Attendre nous a placés dans une situation qui fait en sorte que, à quelques jours d'un ajournement de la session, on est pris avec un débat d'urgence.

Mme la Présidente, je trouve ça carrément inacceptable et je ne pense pas qu'il y ait un parlementaire ici, de quelque côté de la Chambre que ce soit, qui ne pourra pas être d'accord avec ça. Un débat aussi important, amener ça ici à l'Assemblée nationale et demander aux gens de se prononcer en 48 heures, c'est de la folie furieuse.

Dimanche dernier, j'avais l'occasion d'être au centre Paul-Sauvé où se manifestaient quelque 15 000, 20 000 citoyens du Québec, des francophones qui sont venus à la suite de l'invitation qui avait été faite par le Mouvement Québec français et par différents organismes qui veulent protéger le français. Ces gens-là sont venus lâcher un cri d'alarme au gouvernement du Québec et lui dire qu'au Québec on veut que ça se passe en français. J'étais présent, Mme la Présidente. Il n'y avait pas seulement des indépendantistes. Il n'y avait pas seulement des péquistes. Il y avait toutes sortes de monde. Il y avait des jeunes et il y avait des moins jeunes. C'est dommage que plusieurs députés représentants de l'Assemblée nationale, n'aient pas été présents à cette manifestation parce que c'était vraiment être "connecté" sur ce qui se passe au Québec.

Ici, en vase clos, lorsqu'on fait des discours au-dessus des partis politiques - parce que le débat qui prévaut actuellement, j'en ai la profonde conviction, devrait se passer au-dessus des partis politiques - on devrait être capables, en tant que Québécois, de dire ce qu'on a à dire, peu importe la ligne de parti, et d'avoir un vote libre sur un sujet aussi fondamental, d'autant plus qu'on a une courte période de temps que je trouve, et je le répète, inacceptable. Mais, Mme la Présidente, le débat qui prévaut actuellement est un débat qui devrait se situer au-dessus de ça, et ce n'est pas une question de dire: Je suis de tel parti ou de tel autre parti.

Mme la Présidente, j'ai beaucoup de respect pour tous les collègues en cette Assemblée nationale, qu'ils soient des anglophones, des allophones ou des francophones. Je n'ai pas l'intention de relever les propos de qui que ce soit, pas plus des députés anglophones qui se sont prononcés, pas plus que des ministres anglophones qui ont démissionné. Chacun y va avec ses tripes. Chacun y va avec ses convictions personnelles. Il y a une chose dont je suis certain, une chose importante, c'est qu'il y en a qui ont des choses à dire en cette Chambre et

qui ne les diront pas et il y en a qui disent des choses et je pense qu'ils ne les pensent pas vraiment. Je m'explique.

Mes propos vont particulièrement toucher des collègues de cette Assemblée que je côtoie depuis trois ans, les députés libéraux dits de grands nationalistes. Il y a une semaine, ça se promenait dans les corridors pour dire... Je me souviens d'un député, le député de Vanier, qui disait, à la télévision, et cela a été rapporté dans les médias: Les citoyens, les gens de mon comté me disent: Ne touchez pas à la loi 101. Et j'en ai entendu d'autres, d'autres et d'autres. C'est quoi les convictions? On les a jusqu'au moment où un projet de loi est déposé en Chambre et là on change d'idée? Si on a la conviction qu'au Québec ça doit se passer en français, si on a la conviction qu'il faut protéger la langue française, pourquoi ne pas le dire tout haut et tout fort en cette Assemblée? Vous savez, Mme la Présidente, ça aurait pu changer les règles du jeu. Ce n'est pas vrai qu'à 20 députés de ce côté-ci, 20 députés dans l'Opposition, on va renverser le gouvernement qui en compte 99. Les règles du jeu sont établies ainsi. On l'accepte. Il y a eu un verdict, le 2 décembre 1985, et on l'accepte. Mais, dans un débat aussi fondamental, il aurait été important que des députés de l'autre côté, des francophones dits nationalistes, se lèvent et disent ce qu'ils ont à dire et se prononcent de la façon dont ils le vivent dans leurs tripes et au-dessus de toute ligne de parti. Parce qu'à ce moment-là, vous comprendrez que les règles du jeu auraient été changées. Si 20 ou 25 députés du parti ministériel, du Parti libéral, après l'avoir dit au premier ministre, s'étaient levés en Chambre pour dire: Nous ne sommes pas d'accord, je pense qu'on ne serait pas en train d'adopter une loi. Et je me permets de le dire sans vouloir faire de morale à qui que ce soit. Je me permets de dire aux députés libéraux que vous aurez à porter, dans l'avenir, les conséquences de cette loi.

Je ne veux pas dramatiser, Mme fa Présidente, pas plus que je n'aimerais qu'on dramatise de l'autre côté lorsqu'on nous parle des libertés fondamentales. Un instant! Les libertés fondamentales, j'en, suis et je veux bien qu'on les protège. Vous ne me ferez pas accroire que, depuis 1977, depuis onze ans, les libertés fondamentales ont été brimées au Québec. Pourtant la loi 101 était là. Pourtant l'unilinguisme français était là dans l'affichage. Est-ce qu'il y en a qui ont été brimés? Est-ce qu'il y en a qui ont arrêté de vivre au Québec? Est-ce que des anglophones ont été vraiment brimés depuis onze ans? Dites-le-moi. Je suis convaincu que non. (22 h 50)

Depuis une vingtaine d'années que j'oeuvre dans le domaine des affaires, Mme la Présidente, oui, bien sûr, qu'on a à parler anglais dans le milieu des affaires, mais cela n'empêche pas, parce qu'on veut parler anglais, qu'à l'occasion on ait à transiger à l'extérieur du Québec et avec d'autres gens qui sont ici et qui sont des anglophones. Je n'ai rien contre les Anglais ni contre n'importe quelle communauté, mais une chose est certaine et qui doit d'abord primer, c'est comment veut-on que ça se passe au Québec? Pour moi, je veux que ça se passe en français. Il y a un signal à envoyer aux gens. Si, depuis 1977, Mme la Présidente, on a réussi que ça se passe en français, pourquoi ne pas continuer? La seule raison que j'ai entendue de l'autre côté: les libertés des minorités, le respect de ces gens-là. Bien oui, on les respecte énormément. Est-ce qu'ils n'ont pas été respectés depuis onze ans, Mme la Présidente? Ils ont été respectés et même très bien respectés. Je défie qui que ce soit dans cette Assemblée de se lever et de venir dire qu'au Québec les minorités, les anglophones et les allophones, sont maltraités. Je pense qu'on est tous d'accord, mes collègues y ont fait allusion, que ce soit au domaine des services offerts à ces gens-là, on pense aux hôpitaux, aux services d'éducation, aux universités, aux cégeps; tout est là, toute l'infrastructure est là. Cela ne changera pas demain matin. On parle de l'affichage. On parle, Mme la Présidente, de quelque chose qui était là avant aujourd'hui et de quelque chose qu'on veut enlever demain.

Qu'est-ce que le projet de loi 178 vient faire? Il vient changer les règles du jeu de façon importante puisqu'il permettra à l'avenir le bilinguisme à l'intérieur, peu importent les règlements qui seront déposés et, soit-dit en passant, c'est carrément inacceptable que nous ayons à approuver une loi qui fera référence à des règlements qui sont à venir dans trois mois ou dans six mois. Vous conviendrez avec moi qu'il aurait été, à tout le moins, normal que nous ayons les règlements pour être capables de juger à quoi on se réfère. Pour prendre une expression bien québécoise, si on veut être fair-play, si on veut jouer correctement, je pense qu'il aurait fallu avoir les règlements qui l'accompagnent. On ne les a pas.

Mais peu importent les règlements et les dispositions, le signal qu'on va envoyer aux Québécois, particulièrement aux immigrants, va être un signal que ça peut se passer autrement qu'en français au Québec parce qu'on va être capables, à l'intérieur des commerces parce que c'est là que se passe l'activité économique. Ce n'est pas juste à se promener sur la rue Sainte-Catherine, ce n'est pas juste à se promener et à voir les annonces extérieures. Cela, c'est là. D'ailleurs, déjà, les grandes chaînes qui affichent, comme nom, ce n'est pas toujours très québécois, que ce soit Eaton, Simpson, Harvey's. Mais non, on accepte ça et ça va. Ce qui est important, c'est qu'à l'intérieur des commerces l'affichage, la publicité qui va être là soit en français.

Je vais faire une analogie, un exemple pour bien comprendre l'importance de statuer dans une loi et d'envoyer des messages. On est dans la

période des fêtes et on sait qu'il y a eu de la part du gouvernement, l'année passée, une loi qui dit carrément aux gens qui veulent prendre de l'alcool au volant: Ce n'est plus possible parce que si vous vous faites prendre, c'est suspension du permis. Qu'a-t-on voulu signifier par une loi ici à l'Assemblée nationale, par un même gouvernement? On a voulu signifier aux genê qui prennent de l'alcool au volant: Écoutez, ce n'est plus acceptable. Sur le plan de la sécurité, on trouve ça carrément inacceptable. On met une loi et on va punir les gens en conséquence. Assez que le message qui a été envoyé à la population était un message qui a fait changer des comportements.

Allez dans des parties de Noël actuellement, allez dans des bars. Avant de prendre un deuxième, un troisième ou un quatrième verre et de reprendre le volant, les gens y pensent. Il y a une loi, il ne faut pas se faire prendre.

L'exemple que je donne, Mme la Présidente, c'est que, quand un gouvernement décide d'adopter une loi, d'envoyer des messages, c'est important. C'est d'autant plus important lorsqu'il s'agit de la langue que nous voulons protéger. À entendre certains propos dans cette Chambre, depuis hier, on a un peu l'impression, pour ne pas dire beaucoup, on a l'impression que les anglophones sont dans une situation de péril. On a cette impression. Mais, Mme la Présidente, ce ne sont pas les anglophones qui sont en péril au Québec, ce sont les francophones. Si on accepte, et certains députés dans cette Chambre l'ont mentionné, qu'il y a un problème très sérieux actuellement, c'est celui de la démographie; je suis de ceux-là et je pense que le Parti québécois l'a passablement soulevé ces dernières années. S'il y a un problème au Québec, c'est bien celui de la démographie qui fait que le peuple québécois est loin d'être assuré qu'il sera toujours, s'il continue de se reproduire au rythme où il le fait actuellement, qu'il comptera 6 000 000, 6 500 000 d'habitants. Il y a un phénomène qui se passe et qui fait qu'on a un taux de natalité en baisse et qui fait que les Québécois ne seront pas aussi nombreux dans quelques années; et pour contrer, pour combler cela, il y a les immigrants que nous acceptons.

C'est un phénomène important parce que ce ne sera pas dans l'avenir, dans 20 ans, dans 25 ans d'ici... Quel sera le pourcentage des Québécois qui sont là actuellement, et quel sera le pourcentage que formera la population du Québec qui sera formée d'immigrants arrivés ici et qu'on aura accueillis? Le pourcentage va être drôlement important. On va atteindre très rapidement, au Québec, les 40 %, les 50 % de la population formée d'immigrants. Je n'ai absolument rien contre cela. Par contre, à cause de ce phénomène, à cause du nombre des Québécois, on se doit de se protéger. Cela ne veut pas dire de s'enfermer. Cela ne veut pas dire d'être contre tout ce qui bouge en anglais. Mais ça veut dire d'être capable de se donner des règles du jeu, d'avoir des lois qui nous protègent. Et la plus belle réussite dans cette matière a été la loi 101 et cela tout le monde le reconnaît.

J'aimerais bien que les députés libéraux fassent un petit sondage demain, dans leurs comtés, et vérifient par téléphone si les gens, de façon majoritaire, sont d'accord avec le bilinguisme qui va être imposé à l'intérieur des commerces. Je l'ai fait dans mon comté, M. le Président, et je peux vous dire que le message est très clair. On les fait des sondages pour les besoins du parti, c'est très clair. Écoutez ce qui se passe dans la population, c'est très clair aussi. M. le Président, la loi qu'on s'apprête à adopter est un recul important et cela, j'en suis profondément convaincu, un recul important parce qu'on est en train d'adopter des nouvelles règles du jeu qui vont faire en sorte qu'on ne pourra plus revenir en arrière.

Qu'est-ce qui est arrivé depuis 1985? On a laissé porter. On n'a pas porté les plaintes qu'on aurait dû porter. On n'a pas ramené à l'ordre les commerçants qui dérogeaient. On a laissé porter. Le premier ministre du Québec a été nonchalant et je pense que c'est reconnu par tout le monde, tout le monde qui veut être bien objectif. Le premier ministre du Québec a envoyé des messages relativement embrouillés à l'effet qu'on ne porte pas plainte. C'est ce que le premier ministre récolte aujourd'hui. La turbulence des dernières 72 heures, au Québec, ce n'est pas surprenant. La démission des ministres, qu'on a aujourd'hui, M. le Président, ce n'est pas surprenant. S'il y en a un qui doit dire "mea culpa", c'est le premier ministre parce qu'en 1985, dans le programme, en campagne électorale, il a promis des choses. (23 heures)

Le premier ministre du Québec a suscité des attentes. Il a dit à ces gens-là: Le bilinguisme, vous allez l'avoir, faites-nous confiance. Il y en a qui se sont levés parmi les députés et les ministres anglophones pour lui dire: Écoutez, on n'est pas d'accord avec vous et on pose tel geste. Mais pourquoi les anglophones sont-ils choqués, frustrés? Ce n'est pas parce que la loi 101 s'applique - et elle aurait dû continuer de s'appliquer - pas à cause du jugement de la Cour suprême qui était clair et qui faisait plaisir à tout le monde chez les anglophones. Mais pourquoi l'attitude actuelle des anglophones au Québec? Posez-vous la question. C'est parce que le premier ministre a promis autre chose et qu'aujourd'hui il ne livre pas la marchandise parce qu'il est incapable de la livrer. C'est pour cela qu'on assiste à ce à quoi on assiste actuellement et je le déplore. Mais au-dessus de cela et en voulant bien protéger les droits et libertés de chacun, on a aussi la question fondamentale de savoir si on veut protéger l'avenir du peuple québécois, l'avenir des francophones au Québec. On est 6 000 000 ou 5 500 000 francophones dans toute cette mer de l'Amérique du Nord où il y a quelque 275 000 000 ou 300 000 000 de

personnes. Cela veut dire 2 % de tout le monde qui vit en Amérique du Nord. Ce petit peuple compte pour 2 % et il y en a 98 % qui parlent une autre langue qui est l'anglais. C'est normal qu'on veuille se protéger.

Je conclus en disant que ce que nous réclamons actuellement, c'est tout simplement la restauration de la loi 101 dans son application. Même si on envisage que des nouvelles règles du jeu vont être en vigueur le 1er janvier avec le libre-échange, où on aura davantage de dialogues nord-sud et avec les anglophones, il eût été préférable de renforcer la loi 101. Il eût été tout au moins recommandé que le premier ministre réinstaure la loi 101 et non pas ce qu'il fait actuellement. Je vous remercie, M. le Président.

Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole à M. le député de Pontiac.

M. Robert Middlemiss

M. Middlemiss: Merci, M. le Président. C'est avec des sentiments partagés que je prends la parole ce soir sur le projet de loi 178. Je crois que l'Opposition ne devrait pas être tellement surprise de notre position vis-à-vis de la langue. La plupart se souviennent, au moment de l'adoption de la loi 57, en 1983, lorsque ces gens formaient le gouvernement et que nous étions dans l'Opposition... Je pense que les discours étaient les mêmes: on demandait de reconnaître les droits fondamentaux, pas seulement ceux des anglophones. Ce ne sont pas seulement les anglophones qui désiraient mettre une autre langue sur une affiche, soit à l'intérieur ou à l'extérieur. Il y a certainement des francophones en affaires qui voudraient, s'il y a un besoin, s'il y a une clientèle, qui seraient intéressés à utiliser une autre langue. Il ne faudrait certainement pas attribuer le besoin d'une deuxième langue sur une affiche seulement à un anglophone ou à un allophone. Ce pourrait certainement être un francophone dans le monde des affaires.

On parle d'affiches. Je pense que j'aimerais mieux parler, vu que c'est un sujet tellement émotionnel, un sujet tellement important, un sujet qui, surtout au Québec, à cause de cette fragilité de la langue française parce que nous sommes entourés d'anglophones, de 20 000 000 d'anglophones au Canada, de 250 000 000 d'anglophones aux États-Unis... Je pense que la menace, c'est de là qu'elle vient, sauf que les effets pour tenter de nous protéger, c'est ici au Québec que nous sommes obligés de prendre des moyens pour nous assurer que le français va continuer d'être employé. Mais c'est qui? Ce sont les non-francophones, au Québec, qui sont soumis à certaines choses. Je pense que les choses ont changé. Déjà, il était difficile pour les francophones qui étaient majoritaires ici, au Québec, de travailler dans leur langue et de se faire servir dans leur langue, mais les choses ont changé. La loi 101 a aidé, mais avant il y a eu la loi 22. Est-ce que cela aurait été aussi facile pour le gouvernement du PQ d'adopter la loi 101 s'il n'avait pas eu la loi 22? Et Dieu sait le prix politique qu'a payé le gouvernement libéral en 1976 pour avoir fait ce pas. D'accord, il y a des anglophones que je représente qui le reprochent encore aujourd'hui à ce gouvernement libéral. Mais, aujourd'hui, je les représente et je vais les représenter et les défendre, eux aussi.

Ce que je trouve un peu malhonnête de la part des gens de l'Opposition, c'est que, lorsqu'ils étaient au pouvoir, lorsqu'ils avaient la loi 101, j'ai l'impression qu'ils avaient mis la loi là, mais qu'ils n'avaient pas les outils, les suivis pour s'assurer qu'elle était bien appliquée. Je vais vous donner un exemple. Dans mon comté, sur 20 municipalités, il y en a 17 qui auraient le statut de municipalité bilingue et qui, depuis peut-être 1960, ont un affichage en anglais seulement. Qu'est-ce qui est arrivé durant le règne du PQ? Jusqu'en 1985, jamais un inspecteur n'est allé vérifier pour dire à ces gens qu'ils étaient hors la loi. Mais, depuis qu'on est au pouvoir, malheureusement pour moi, ces gens viennent me voir et disent: Mr. Middlemiss, you promised that you people will make changes to Bill 101, so that I would be allowed to use another language than French on signs. We are 90 % English-speaking, Mr. Middlemiss. Do you feel that it is normal for us to hâve signs only in French? Je dois leur dire: Non, ce n'est pas normal qu'on demande cela à une population de 90 %. Mais, aujourd'hui, il n'y en a pas de français. Ce sont peut-être des gens qui, il y a quelques années, lorsqu'on leur a demandé de mettre des affiches bilingues, ont dit: Non, jamais. Mais, aujourd'hui, on a fait un grand chemin. D'un non pour une affiche bilingue, on est rendu au point où ces gens sont prêts à dire oui. Ils sont prêts à accepter le programme qu'on leur offrait comme Parti libéral: Oui, on va accepter d'afficher en anglais pour autant qu'il y ait du français et du français prioritaire. Donc, est-ce que ces gens n'ont pas fait un bon bout de chemin?

C'est pour cela que je disais tout à l'heure que mes sentiments sont partagés. J'ai fait deux élections en disant à ces gens: Nous allons vous permettre l'affichage à l'intérieur et à l'extérieur. Je ne blâme pas M. Bourassa, le premier ministre. Moi, je préfère encore et j'aurais préféré le programme du parti, mais c'est moi. M. Bourassa, c'est le premier ministre. Il doit composer avec tous les députés du côté ministériel, la population et, j'en suis certain, le point de vue de l'Opposition. Et, dans sa sagesse, à tort ou à raison, il nous a fait une proposition à laquelle je vais adhérer, sauf que j'ai demandé, et on m'a assuré qu'on ferait une vérification pour savoir si, dans le cas des municipalités où il y a 90 % ou 70 % d'anglophones, on pourrait permettre à ces gens-là de mettre de l'anglais sur une affiche à l'extérieur. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. On l'a pour des

municipalités. Il y a des municipalités au Québec avec 50 % d'anglophones et 50 % de francophones, auxquelles on donne un statut qu'on appelle un statut bilingue, un statut qui leur permet de faire les choses dans les deux langues. (23 h 10)

Soit dit en passant, je dis bilingue et peut-être que je ne devrais pas utiliser ce mot, parce que c'est le mot que l'Opposition veut utiliser. Ils veulent utiliser le mot "bilingue" parce que au Canada on parle d'un Canada bilingue, et c'est le français et l'anglais. Qu'est-ce qu'on dit? Dans l'affichage, le français nettement prédominant et une autre langue. Ce n'est pas une imposition. Le député de Bertrand, tout à l'heure, disait: On va imposer le bilinguisme à l'intérieur des établissements. C'est faux. Et je pense que le premier ministre l'a mentionné. Qu'est-ce qu'on dit? On va permettre l'utilisation d'une autre langue que le français pour autant que le français est nettement prédominant.

M. le Président, comme je le disais, ce n'est pas ce que je voulais. Il y a une autre chose que je voudrais dire et qui me fait beaucoup de peine. C'est de voir nos collègues, nos collègues qu'on dit des anglophones... Moi aussi, je suis souvent appelé un anglophone. Je n'ai aucune honte à être appelé un anglophone parce que je suis certainement fier de mes racines anglophones comme je suis aussi fier de mes racines francophones. J'aimerais vous raconter une petite anecdote qui m'est arrivée en 1981. Lorsque je suis arrivé ici, en 1981, j'ai eu l'occasion de prendre la parole pour la première fois, et un député du PQ est venu me voir et m'a dit: Toi, es-tu Québécois? J'ai dit: Oui. Il a dit: Tu n'es pas Québécois? J'ai dit: Pourquoi? Il a dit: Ton nom, c'est Middlemiss; pourtant, tu parles français comme nous autres, mais ton nom est Middlemiss. J'ai dit: Regarde là, peut-être que je peux t'expliquer quelque chose. Si, au moment où mes parents se sont mariés, il y avait eu la loi 89 de l'année 1980 qui donnait à l'épouse le choix de garder son nom de famille, qu'elle peut donner son nom de famille à son enfant, dans ce cas-là, mon nom serait Robert Cardinal. Il m'a dit: Ah! là, tu serais un Québécois. Et ce n'était pas par malice. Il croyait ça. Et c'est ça que je veux dire aux gens de l'autre côté. On ne parle pas d'anglophones, on est tous ici pour représenter la population et j'espère qu'on est tous des Québécois.

Dans mon comté, il y a des Hodgen, des Young, et c'est la troisième ou quatrième génération. Ils sont là depuis 1840 ou avant. Ils ont colonisé. Ils sont aussi et se sentent comme des Québécois. Ils n'ont pas la même langue maternelle, mais ils se sentent à 100 % Québécois. J'espère que l'Opposition va être plus tolérante et qu'on ne nous reprochera pas, surtout le député de Lac-Saint-Jean qui nous le reprochait, d'avoir félicité et applaudi le ministre de l'Environnement après son discours. Je crois que ce que le ministre de l'Environnement a fait, c'est qu'il a exposé exactement ce qu'il ressentait et c'était pour des droits. Ils ont dit: Ce ne sont pas les droits des francophones, ce ne sont pas les droits des anglophones, ce ne sont pas les droits des grands et des courts, des gens à l'est et à l'ouest, ce sont des droits. Et je pense que son discours va certainement rassurer la communauté anglophone du Québec, rassurer aussi la communauté francophone du Québec, parce qu'elle a un grand respect pour lui. Puis, on nous reproche de l'avoir applaudi, de l'avoir félicité. Je pense qu'il nous a fait un très bon discours, un bon discours honnête, franc, comme il l'est, et de se faire reprocher ça, je pense que c'est une chose qui manque un peu de tolérance, de décence même.

Que l'Opposition nous dise: Nous autres on préfère garder la loi 101 intacte, c'est leur droit le plus sacré. Mais je vais vous dire une chose: Je vous garantis que s) on avait osé faire ce que vous voulez cela n'aurait pas été encore assez. On n'aurait jamais pu vous satisfaire même en remettant la loi 101 telle qu'elle était avant. Jamais vous n'auriez admis que nous autres on pouvait faire ça. On ne serait pas allés encore assez loin. Donc, chacun sa façon de faire les choses. Comme je disais, M. le Président, je sens que je vais voter pour cette loi. Je suis déchiré, énormément déchiré. J'accepte et on va tenter de régler un problème dans mon comté. Je mets encore une fois ma confiance à savoir qu'on va être capable de me permettre de bien représenter et de bien remplir les promesses que j'ai faites à ma population.

Je suis issu d'une famille, un père anglophone protestant, une mère francophone catholique, tout un mélange. J'étais jeune, heureusement que mes parents ont décidé de m'envoyer à l'école française. Je jouais avec les Français et on disait: On va les avoir les Anglais. Je m'en souviens. Une chose dont je me souviens le mieux, c'est que dans une école catholique, on nous enseigne le catéchisme par coeur, on dit: Dieu est bon. Dieu est juste. Obéissez aux commandements de Dieu et de l'Église et vous avez la garantie d'aller au ciel. On m'a enseigné ça pendant cinq, six ans. J'arrive en septième année, c'est le vicaire qui vient nous faire des leçons. La première leçon: Tous les protestants s'en vont chez le diable. Ah! mon Dieu! J'ai dit: M. le vicaire, ça ne se peut pas. Moi, mon père est protestant. Toute ma vie, depuis que je suis à l'école, vous m'avez enseigné Dieu est juste. Dieu est bon. Obéissez aux commandements de Dieu et aux commandements de l'Église et vous Irez au ciel; mon père fait ça. Donc, vous essayez de me dire que la justice de Dieu c'est qu'il faut venir au monde catholique. Il m'a dit: Dehors.

Je dois dire qu'aujourd'hui... Non, non. C'est la vérité que je vous dis, ce n'est pas un mensonge. Mais on a évolué depuis ce temps. Aujourd'hui, ce n'est pas nécessaire d'être catholique, chrétien encore c'est acceptable. Ce

n'est plus hors de l'Église, pas de salut. Donc, on a évolué. Je voudrais simplement dire que dans le domaine linguistique, dans le domaine du respect des communautés et des individus, j'espère qu'on pourra faire cette évolution, l'évolution qu'on a faite au point de vue de la religion. Il y a un mot - pas parce que je suis plus religieux qu'un autre - où on dit: Aime ton prochain comme toi-même. Notre prochain peut être un anglophone, il peut être un Japonais, il peut être un Russe, Italien, tout ça. On dit: Aimez-vous les uns les autres. Il ne faudrait pas commencer à dire: II faut s'aimer parce qu'on est anglophone, il faut s'aimer parce qu'on est francophone parce qu'on n'arrivera jamais à régler les problèmes qui nous affectent tous et chacun. (23 h 20)

Si on a tous, les 122 membres de l'Assemblée nationale, choisi la politique, que ce soit avec un parti ou avec l'autre, n'est-ce pas vouloir améliorer la qualité de la vie de nos concitoyens, des gens qu'on représente. Qu'ils soient anglophones, francophones, allophones, on est là pour les représenter tous. On est ici pour débattre des projets de loi qui devraient normalement améliorer leur qualité de vie. En terminant, c'est ça que je voudrais bien que les derniers orateurs du côté de l'Opposition puissent démontrer, même si on n'est pas d'accord, que c'est un débat sérieux, qu'on est tous, d'un côté comme de l'autre, intéressés à s'assurer que tous les Québécois puissent avoir une bonne qualité de vie et que la majorité francophone qui, elle, est sensible, est craintive pour sa langue soit assurée qu'on se donne les outils et les moyens pour promouvoir la langue française. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire, pour promouvoir, d'enlever à quelqu'un. Je pense que c'est mieux de promouvoir.

Juste un petit message en passant. J'ai été chanceux, je suis né d'un père anglophone et d'une mère francophone. Je ne me souviens pas quelle langue j'ai parlé la première, mais je souhaite que tout Québécois, tout Canadien ait cette chance d'apprendre une langue seconde, que ce soit le français pour l'anglophone ou l'anglais pour le francophone. C'est fort important, sans mettre de côté sa langue maternelle, sa culture, soit-elle anglophone ou francophone. Si le risque d'être assimilés est grand, il faut dire que j'aurais pu être assimilé facilement dans une telle famille. Je dois vous dire que je suis chanceux, mais je pense que tout le monde peut le faire. Je ne suis pas une exception et ma soeur n'est pas une exception, avec un père francophone et une mère anglophone, nous sommes quatre enfants francophones et anglophones et il y a six petits-enfants. Est-ce que c'est un recul? Non. Je crois que c'est possible de le faire. Il ne faut pas avoir peur, il faut avoir confiance. Il faut fournir le plus d'efforts possible pour s'assurer de mieux enseigner, de mieux préserver la langue française sans toutefois enlever des droits, que ce soit à des anglo- phones ou à des allophones. Cela n'aiderait certainement pas à améliorer le sort ou à garantir que la francophonie va continuer à exister ici.

En tout cas, M. le Président, comme je vous le disais, j'aurais parlé avec une plus grande gaieté de coeur, si on avait choisi le programme du Parti libéral. On ne l'a pas fait. Toutefois, j'ai confiance qu'une autre fois, je pourrai certainement accomplir une partie de la promesse que j'ai faite à mes commettants à propos de la langue d'affichage. Merci beaucoup.

Le Vice-Président: Nous allons maintenant poursuivre avec l'intervention de M. le député de Mille-Îles.

M. Jean-Pierre Bélisle

M. Bélisle: Merci, M. le Président. Sans détour, avec sérénité et avec solidarité, dans le respect des minorités ethniques qui composent le Québec et de la majorité francophone qui a son foyer national au Québec, je voterai pour le projet de loi 178 car, à mon avis, il s'agit du seul et valable compromis possible assurant, d'une part, le maintien exclusif du visage français à l'extérieur, deuxièmement, la prépondérance du français avec une autre langue à l'intérieur, le tout assorti d'une clause "nonobstant" qui protège l'ensemble des dispositions du projet de loi.

C'est surtout à cause d'un jugement à la fois remarquable et historique que nous en sommes venus, ce soir, à débattre du projet de loi 178. Le jugement est clair, complet, sans ambiguïté. Gain majeur pour le Québec, il accorde la garantie constitutionnelle totale au Québec sur sa sécurité culturelle par l'utilisation d'une clause "nonobstant", et ce, n'en déplaise à l'Opposition, à l'intérieur de la fédération canadienne, à l'intérieur du Canada.

Ce même jugement établit de façon non équivoque - il s'agit là également d'une première - la liberté totale d'expression sous toutes ses formes. Également, ce même jugement est avant-gardiste parce qu'il édicté la primauté de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne au-dessus de toute loi au Québec, reconnaissant ainsi une sorte de statut de charte quasi constitutionnelle, voire même constitutionnelle à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne sur le même pied que la charte canadienne. Ce même jugement est également porteur de changements, M. le Président, parce qu'il touche à des valeurs fondamentales de notre société. Certains ont dit qu'il s'agissait là du gouvernement par les juges. Je pense que la réaction est un peu normale, compte tenu que ce n'est que très récemment que nos cours ont eu à interpréter les règles fondamentales en matière de liberté et de droits fondamentaux.

Ce dont il faut se souvenir, c'est que le

jugement actuel est l'aboutissement d'une démarche sociale et sociétale. La cour a adopté, pour la première fois, le courant de pensée de la Cour suprême américaine en s'arrogeant le droit de faire des choix de valeurs fondamentales. Il s'agit là d'un nouveau rôle que la cour s'est attribué mais en fonction des chartes constitutionnelles qui sont incluses dans la Constitution canadienne et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. De là, M. le Président, la conclusion toute simple, la nécessité maintenant pour les Législatures provinciales et fédérale de corriger, s'il y a lieu, et d'exprimer très clairement les valeurs de chacune des sociétés dans chacune de leur juridiction par le biais de choix politiques. C'est ce que l'Assemblée nationale fait ici ce soir.

Il est évident que le judiciaire ne peut remplacer notre fonction législative et l'Exécutif et d'autre part, nous de l'Assemblée nationale, nous des Législatures provinciales nous ne pouvons abdiquer notre obligation de décider en transférant notre obligation en se disant: Les cours vont décider pour nous ce que signifie la liberté d'expression, la liberté de religion et la liberté d'association. J'en viens à cette notion de liberté, non seulement à la liberté d'expression mais à la liberté au sens large du terme. La liberté individuelle est conditionnée toujours par la liberté de l'autre. Ma liberté s'arrête là où la liberté de l'autre commence. Appliqué au domaine de l'affichage, le but d'une affiche commerciale, d'un affichage commercial ce n'est pas d'agresser les autres, on ne met pas un placard dans une vitrine pour agresser quelqu'un qui passe sur une rue, sur un trottoir, c'est fait dans le but d'informer le passant, le client, dans le but de conclure une transaction commerciale.

Si je fais référence, M. le Président, à ce que le député de Bertrand disait tantôt quand il nous parlait de la raison sociale et des raisons sociales du restaurant Harvey's ou du restaurant McDonald, je suis sûr que le client ou le passant ne conclut pas une transaction commerciale en voyant à l'extérieur du commerce une affiche qui indique dans la langue et maintenant obligatoirement dans la langue française en vertu du projet de loi 178 un nom. C'est seulement pour l'identification du nom de la personnalité légale. Selon moi, si c'est là l'essence de l'affichage commercial, il faut accorder aux autres la même liberté et les mêmes droits que nous les francophones nous nous sommes vu accorder il y a déjà au-delà de douze ans. Et je m'explique. M. le Président. En 1976 - un jugement qui n'a pas été porté devant la Cour suprême du Canada - la Cour d'appel du Québec rendait un jugement dans la cause Procureur général de la province de Québec et Dominion Stores Ltd., un cas très anodin. Vous allez comprendre le parallèle. Il s'agissait d'un vulgaire jambon en conserve empaqueté en Pologne. Bien oui, il était empaqueté en Pologne, il venait d'ailleurs, l'étiquette était en polonais. Il n'y avait aucune indication du contenu, il n'y avait rien pour informer le consommateur.

(23 h 30)

La province de Québec avait adopté, en vertu de la Loi sur les produits agricoles, les produits marins et les aliments, un règlement, le règlement 683 qui disait - écoutez bien, M. le Président - à l'article 38: "Dans toute inscription, l'usage du français est obligatoire et aucune inscription rédigée en une autre langue ne doit l'emporter sur celle rédigée en français." Déjà, on donnait une indication qu'il devait y avoir une prépondérance du français.

Voyons ce que le juge Bélanger a dit dans ce jugement. Cela s'applique textuellement à la distinction entre la raison sociale en français à l'extérieur, et à l'intérieur, prépondérance du français, avec également une autre langue. Le juge Bélanger disait: "Le pouvoir de réglementer les inscriptions ou indications du conditionnement des produits, leur étiquetage, est évidemment relié au pouvoir de prescrire une mesure propre à assurer la loyauté des ventes, un contrat est loyal si les deux parties ont fait des représentations véridiques et précises que chaque partie a pu comprendre, il n'y a rien de surprenant à ce que le législateur exige qu'un minimum d'informations sincères soient fournies sur chaque produit au consommateur et, règle générale, le législateur prend pour acquis que ces informations seront données dans la langue des consommateurs, à défaut de quoi l'étiquetage ne remplit pas son rôle. Je suis d'avis que le pouvoir de préciser par règlement que les informations devraient être données, dans une certaine proportion, dans la langue de la grosse majorité des consommateurs, s'insère de la loi.

N'est-ce pas tout à fait logique, M. le Président, que dans le projet de loi 178 nous ayons la même règle qui soit confirmée douze ans plus tard, à l'intérieur des commerces pour les minorités ethniques, pour notre minorité allophone devenue très importante au Québec, soit d'avoir le droit de conclure des transactions commerciales en étant informées dans leur langue? La liberté que j'ai, c'est également la liberté des autres. Ceci dit, M. le Président, il me semble que c'est très clair.

M. le Président, je ne pourrai, à cause du peu de temps qui m'est alloué, brosser d'autres aspects de la situation, mais ce que je peux dire en terminant, c'est que l'ensemble du projet de loi 178 tente d'assurer et de maintenir la paix sociale au Québec et de clore la déstabilisation du climat social qui dure par les contestations judiciaires depuis au-delà de 30 ans dans le domaine linguistique. C'est assurément une façon pour nous de confirmer la primauté du français.

M. le Président, nous n'avons pas la certitude d'avoir les solutions toutes faites Quand j'écoute les gens de l'Opposition, il est bien évident qu'ils ont le syndrome de détenir toute la vérité, mais selon moi seules les personnes insensées ou fanatiques ont la prétention

d'avoir toute la vérité. Le Parti québécois a tenté de se faire passer, au cours des années 1976 à 1985, comme étant le gardien de la bible linguistique au Québec. La loi 101 était pour eux le nec plus ultra, mais elle comportait des failles et on ne l'a pas dit aux Québécois intentionnellement. De 1976 à 1985, on n'a pas poursuivi parce qu'on donnait des instructions précises aux officiers qui étaient chargés de l'application de la loi sur la langue de ne pas poursuivre, pour la simple raison que, si l'on poursuivait en vertu des dispositions de la loi, c'était faire la preuve publique que la loi 101 avait des failles, que ce n'était pas une protection mur à mur.

Si l'on relit le projet de loi 1, M. le Président, en 1977, on voulait établir une clause dérogatoire. À la suite des pressions faites par l'Opposition, le Parti québécois a décidé politiquement de la retirer. Le Parti québécois a assumé la responsabilité politique de modifier complètement et de faire que les libertés individuelles passaient au-dessus des libertés collectives. En 1982, au mois de décembre, ils ont voulu modifier à nouveau la situation. Je vais vous lire un court passage de Marc-André Bédard, ministre de la Justice de l'époque, page 6293, 1er décembre 1982, du Journal des débats de l'Assemblée nationale: "II me paraît essentiel que, dans une société démocratique comme la nôtre, ces droits - on parle des articles 1 à 9 de la charte québécoise - soient eux aussi prépondérants et que cette prépondérance, ainsi que celle déjà existante des articles 9 à 38 s'appliquent tant aux lois antérieures que postérieures à la charte."

Ce que je sais, M. le Président, pour en avoir parlé aux députés de l'Opposition, c'est qu'il n'y a jamais eu de caucus de l'Opposition pour discuter de cette modification à la charte. Alors, c'est par négligence que la loi a été modifiée.

En conclusion, M. le Président, personnellement, j'ai vécu un événement enrichissant depuis deux ou trois semaines. Dans ce débat historique, en écoutant les autres, en tentant de soupeser les opinions divergentes face à mon opinion personnelle, j'ai vécu dans le Parti libéral du Québec la preuve vivante que la recherche de la justice, de l'équité, du compromis dans le calme, la sérénité et le respect de l'autre est une chose tout à fait possible.

Il ne me reste qu'à souhaiter, en cette époque de réjouissances qui est l'époque des fêtes, en cette époque de solidarité et de fraternité, l'expression suivante à tous ceux qui sont dans cette Chambre: paix sur terre aux hommes de bonne volonté et, en paraphrasant, paix sur cette terre riche et généreuse du Québec aux Québécois et aux Québécoises de bonne volonté. Merci, M. le Président.

Une voix: Bravo!

Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le député de Saint-Jacques.

M. André Boulerice

M. Boulerice: M. le Président, la Loi sur l'Assemblée nationale, dans son préambule, dit: "Considérant que l'Assemblée nationale, par l'intermédiaire des représentants élus qui la composent, est l'organe suprême et légitime d'expression et de mise en oeuvre de ces principes..." Le bâillon pour cette loi, M. le Président. "Considérant - c'est dans la Loi sur l'Assemblée nationale - qu'il incombe à cette Assemblée, en tant que dépositaire des droits et des pouvoirs historiques et inaliénables du peuple du Québec, de le défendre contre toute tentative de l'en spolier ou d'y porter atteinte..."

Qu'est-ce que cette Assemblée nationale fait, avec un gouvernement libéral? Elle foule, pile sur la loi fondamentale qui est la Loi sur l'Assemblée nationale, M. le Président. Si le sujet n'était pas si triste, je dirais que le gouvernement nous a offert un très beau spectacle, très bien monté, avec une habile mise en scène, très habile mise en scène, un psychodrame avec même des petites allures de James Bond 007, quoique le premier ministre n'ait pas nécessairement le physique de l'emploi.

On a créé un écran de fumée par des démissions de ministres. Il y avait même des pleureuses qui s'arrachaient les cheveux comme au temps de la Rome Antique; un psychodrame dans ce siècle du visuel et de l'image où le message est subliminal de la part du gouvernement. On a tenté d'accréditer la thèse que les perdants sont les anglophones en disant: Regardez, ils s'en vont, on a vraiment été méchants envers eux! Bon, vous autres, les francophones, taisez-vous! Jouons sur le sentiment de culpabilité avec lequel on a toujours écrasé la majorité francophone. Attention, majorité francophone dans le seul petit bout de territoire qui lui reste, parce que cette majorité francophone au Québec, c'est une illusion d'optique, elle est 40 fois minoritaire en Amérique du Nord! (23 h 40)

Donc, on joue habilement avec des messages subliminaux faits par les gens de marketing du parti gouvernemental, du Parti libéral, pour accréditer la thèse: Eh bien, écoutez, on leur a assez tapé sur le dos, ces pauvres anglophones. Donc, tenez-vous tranquilles, vous autres, les francophones. Et essayons d'anesthésier - parce que cela a toujours été le propre du Parti libéral, d'anesthésier - anesthésions les francophones, essayons de leur faire oublier que c'est véritablement eux les vrais perdants dans cette loi-là. C'est eux qui perdent.

Ce qui est le plus épouvantable, M. le Président, c'est que les députés francophones, chers compatriotes, vos collègues francophones se prêtent à cette farce surréaliste, se font complices... Les députés francophones se font complices de ce maquillage politique, M. le

Président, qui est d'un machiavélisme jamais égalé à ce jour. Message subliminal, M. le Président. On ne parle pas d'interdiction. Le premier ministre, notre suave premier ministre, l'homme des compromis, disait-on. Non! L'homme des compromissions, oui. Et le premier ministre parle de prohibition; il est en train de se prendre pour l'Elliott Ness de la langue française, M. le Président... De prohibition.

Il ne faut pas avoir fait longtemps de psycholinguistique pour connaître la force des mots, M. le Président. On voit bien toute la subtilité du message gouvernemental libéral. Mais les Québécois ne sont pas fous, ce message-là ne prendra pas. Votre prohibition, quant à moi, je préfère la prohibition à votre gin de l'anglicisa-tion, comme vous voulez nous le proposer.

La minorité, M. le Président, je le dis et je le répète pour la nième fois dans cette Chambre, nous sommes 40 fois minoritaires en Amérique du Nord. Que la vraie minorité se lève! Bien, c'est nous. Les anglophones sont la majorité sur ce continent. Et il n'y a personne qui va me faire brailler sur leur disparition éventuelle, c'est faux! C'est totalement faux!

Comme le disait ma collègue, on est prêt à donner 100 $ ou 150 $ à de vraies oeuvres de charité, non pas à Alliance Québec, pour sauver les baleines bleues en voie de disparition dans le fleuve Saint-Laurent, mais, s'il y a une espèce en tant que peuple, M. le Président, qui est en voie de disparition et qui serait en mesure d'avoir une protection, c'est bien la minorité francophone d'Amérique du Nord. Je regrette que le député d'Iberville ne soit pas ici, dont le père est natif de l'État du Rhode Island en Nouvelle-Angleterre où tant des nôtres ont immigré. Le député d'Iberville pourrait nous dire ce que c'est l'assimilation, c'est ce qui est arrivé aux centaines de miliers de nos compatriotes et leurs descendants qui peuplent la Nouvelle-Angleterre. Il pourrait peut-être nous raconter aussi un autre exemple de sa vie personnelle. Quand sa fille a étudié au Bishop Collège et qu'après elle est retournée à l'Université de Montréal, elle l'avouait elle-même, elle cherchait ses mots en français. C'est le danger de l'assimilation, M. le Président, le danger pour notre culture; la langue est ce qui a fait notre culture, malgré les chiffres tronqués qu'a donnés tantôt la députée de Vachon.

Le monde de la culture était là, dimanche, unanime à dénoncer ce gouvernement. Je vais reprendre d'ailleurs les paroles du président de l'Union des artistes, M. Serge Turgeon, qui disait: Si les anglophones ont un problème à nous reconnaître, nous, au Québec, ça, c'est leur problème, on n'en fera pas, nous, notre problème. Et il avait drôlement raison. La foule, d'ailleurs, l'a applaudi à tout rompre.

Je suis fatigué, M. le Président, je suis tanné, en bon québécois, nous, les Boulerice, qui sommes arrivés ici en 1686, sommes obligés de quêter à genoux le moindre de nos droits, vaincus en 1760, écrasés en 1837. On s'est réfugiés, d'ailleurs, sur les terres de ma famille pour éviter les balles des armées d'occupants anglais. Rappelez-vous votre histoire, ne l'oubliez pas parce qu'un peuple qui oublie son histoire est condamné à la revivre. Rappelez-vous donc la devise du Québec, "Je me souviens", ça vous donnerait peut-être un peu plus de confiance. Porteurs d'eau dans notre propre pays jusque, peut-être, au début des années soixante où, là, le Parti libéral méritait de porter son nom, mais ça s'est éteint par la suite. En 1969, j'étais déjà à une première manifestation contre une loi linguistique; en 1974, la loi 22, dont on assiste d'ailleurs à la seconde version aujourd'hui, parce que c'est une loi 22 qu'on nous propose. J'en ai marre, comme la grande majorité des Québécois, d'être obligé de me battre quotidiennement. Que la députée de Dorion se taise, c'est moi qui parie! Quand ce sera son tour, elle parlera. J'en ai marre, comme la majorité des Québécois, d'être obligé de quêter mes droits, quand c'est normal pour tous les pays, M. le député de Rosemont, futur ancien député de Rosemont.

Je les ai entendus chanter le multiculturalisme. Je me souviendrai toujours de la confidence que me faisait le sénateur Gigantès qui me disait: Le multiculturalisme, ça a été inventé par Pierre Elliott Trudeau pour faire accepter aux Ukrainiens de l'Alberta que la deuxième langue officielle au Canada était le français. Je les entends faire ce beau discours. Je les entends vulgairement draguer les communautés culturelles, téter le vote des communautés culturelles. Qui était à Port-au-Prince pour défendre les droits humains en Hafti? Ce n'était pas la députée de Bourassa, c'étaient les députés du Parti québécois. Qui était au Chili pour défendre la démocratie? Ce n'était pas un député libéral, à qui j'ai été obligé d'arracher de force une motion d'appui, c'étaient les députés du Parti québécois. Vous les trouvez bien beaux et bien fins quand arrive le temps des élections; après ça, on sait ce que vous faites avec eux. Vous n'avez aucune sympathie pour leurs problèmes, mais vous vous érigez en grands défenseurs. La statue de la liberté, on a l'impression que c'est chacun des députés libéraux qui s'est drapé dedans et qui se prend pour elle.

Par contre, à l'exemple de la vraie statue dans le port de New York, vous aurez besoin de vous faire faire un ravalement par tout le monde parce que ça commence à tomber, cette histoire-là. Bâillon, M. le Président! Bâillon sur l'Opposition! On n'a que quelques minutes, des séances de fin de nuit, avec l'attitude chauve-souris du gouvernement, M. le Président, pour faire voter une loi qui engage l'avenir du Québec comme tel, avec un projet de loi dont on connaîtra les règlements dans six mois et l'application graduellement dans deux ans. Quel maquignonnage alentour de ça! Dans sa grande naïveté, le député de Pontiac, tantôt, vient de nous livrer un élément de maquillage, de maquignonnage qui

est en train de se faire, quand il a dit: Oui, le premier ministre a évoqué l'hypothèse de regarder le statut des villes qui auraient 60 % ou 70 % d'anglophones. Ah! voilà! Relisez les épreuves, gens de la presse, relisez les épreuves attentivement, le chat est sorti du sac rapidement. Regardez! J'en donne ma langue au chat, c'est le cas de le dire. Regardez l'enregistrement visuel du discours du député de Pontiac, M. le Président, et vous verrez ce qui s'est passé. (23 h 50)

M. le Président, il y a beaucoup d'enseignement - et je connais l'intérêt pour la culture de la part du choeur de l'armée rouge. La Fontaine a écrit une magnifique fable qui s'appelle "Le Serpent et la Lime". Vous allez comprendre que le serpent est de l'autre bord. "On raconte qu'un serpent, voisin d'un horloger - et c'était pour l'horloger un mauvais voisinage - entra dans sa boutique et cherchant à manger n'y rencontra pour tout potage qu'une lime d'acier qu'il se mit à ronger. Cette lime lui dit, sans se mettre en colère: Pauvre ignorant! Que prétends-tu faire? Tu te prends à plus dur que toi, petit serpent à la tête folle. Plutôt que d'emporter de moi seulement le quart d'une obole, tu te romprais toutes les dents, je ne crains que celles du temps. Ceci s'adresse à vous, esprit du dernier ordre qui, n'étant bon à rien, cherchez surtout à mordre. Vous vous tourmentez vraiment, croyez-vous que vos dents impriment leur outrage sur tant de beaux ouvrages? Ils sont pour vous d'airain, et de diamant."

Vous avez bien compris le message. Vos dents n'arriveront pas à mordre et à charcuter ce à quoi...

Et je vais conclure grâce à l'aide du "teleprompter" de Sainte-Anne, l'ineffable et rocambolesque député qui se promène, parce que c'est dommage, chers Québécois et Québécoises, que vous ne voyiez pas ce qui se passe à l'Assemblée nationale, vous ne voyez que l'intervenant. Vous auriez vu le député de Sainte-Anne se promener avec un petit carton rouge marquant deux minutes. Vous auriez vu tantôt des scènes d'un dramatique - on se demandait si ce n'était pas tel téléroman qu'on nous passe à la télévision - les députés se précipitaient sur la députée de Vachon, l'entourant d'affection et l'embrassant les larmes aux yeux pour avoir pris la défense de la langue française, alors qu'elle et tous ses complices en Chambre sont en train de faire tout à fait le contraire.

Vous allez en porter le poids politique. Et le poids politique de cela va se résumer malheureusement et uniquement pour vous à la perte de votre siège comme député. Puis vous mériteriez pire que cela parce que vous jouez avec les poignées de la tombe de la seule collectivité française d'Amérique qui a des chances d'être capable de vivre un peu dans sa langue sur ce continent. Vous jouez avec cela, vous en riez, vous faites des farces avec cela. Mme la députée de Dorion, vous riez de cela. M. le député de

Bourget, vous-même vous me l'avez avoué tantôt qu'il y aurait une conséquence politique de votre geste. Vous-même tantôt vous me l'avez avoué, M. le Président. Cela n'enlève pas les bons sentiments que je peux avoir pour vous, mais, attention, chacun dans son comté, il y en a qui vont avaler leurs biscuits là-dedans. On va voir ce qui va arriver au député de Taschereau, on va voir ce qui va arriver au député de La Peltrie, on va voir ce qui risque peut-être de vous arriver, M. le député de Sainte-Anne, le jovialis-te. Vous ne le voyez pas, il est debout et pointe comme s'il avait un revolver. Belle image pour un parlementaire! C'est cela qui se passe dans le cirque de l'autre côté, gens du Québec. C'est cela qui se passe, mais que, malheureusement, la caméra ne montre pas. Politiciens sérieux! Voyons donc! Politiciens à la défense de vos droits! Mais Gilles Vigneault l'a dit: Comment pouvons-nous faire confiance à des gens à qui nous ne l'avons jamais accordée sur la langue? Sur la langue, aucun sondage ne s'est trompé. Quand on demandait: quel était le parti qui défend le mieux les droits linguistiques des Québécois francophones, la réponse a toujours été le Parti québécois, dans tous les sondages. Cette loi est encore aujourd'hui la loi la plus populaire qui ait jamais été votée dans ce pays du Québec.

M. le Président, je vais vous lire quelque chose: Des exemples récents nous ont d'ailleurs montré que l'avenir de la francisation continue d'être menacé, du moins dans certains secteurs de la société. Des attaques renouvelées ont été portées contre la Charte de la langue française au Québec. Ces attaques très vives ont pu engendrer une certaine confusion et de profonds malaises dans l'opinion francophone, d'autant plus qu'elles s'employaient souvent avec habileté à activer, à actualiser un sentiment de culpabilité collective. Fait naturel dans une collectivité qui n'est pas encore habituée à ces nouveaux objectifs et qui peut ressentir une certaine gêne à les affirmer avec toute la force et la vigueur que manifestent depuis des siècles d'autres collectivités qui n'ont pas été soumises aux mêmes contraintes que le Québec.

Qui a dit cela, M. le ministre irresponsable de la langue? C'est la Commission de la langue française, en 1981-1982. Déjà elle sentait les attaques vicieuses d'Alliance Québec que vous avez subventionné.

M. le Président, vous me demandez de conclure. Durant les heures les plus sombres de l'occupation nazie en France...

Des voix: Ah! Ah!

M. Boulerice: Ah oui. Joseph Kessel avait écrit son merveilleux chant des partisans, chant de la résistance. Il disait: "II existe des pays où les gens ont un pays et peuvent rêver." M. le Président, j'aurai un jour mon pays, le Québec, et j'en ai d'autant plus la conviction que sur les

25 000 personnes qu'il y avait à Montréal dimanche dernier, au minimum - et d'ailleurs aucun député libéral, ils avaient trop peur, ils se cachaient la face - au minimum, M. le Président, la moitié était des jeunes en bas de 20 et 25 ans. C'est l'encouragement qu'il existe des pays où les gens ont un pays et peuvent rêver. Donc, un jour, pas si loin, nous aurons ce pays du Québec, ce pays français et le mépris se terminera une fois pour toutes. Nous pourrons vivre enfin chez nous, dans notre langue, gouvernés par nos lois et non pas par la cour d'un pays voisin. Ce jour-là est beaucoup plus près que certains d'entre vous le croient et cette journée-là je serai à l'image de tous les Québécois, M. le Président, et je conclus, je serai cette journée-là à l'image de tous les Québécois, tous les Québécois parce que vous essayez de leur faire croire qu'ils ne sont pas gentils. Ce sera un élan de générosité envers tous les autres peuples qui habitent chez nous et ceux qui habitent ailleurs. Le coq aura chanté trois fois demain, M. le Président. On verra si le député de Sainte-Marie trahira une troisième fois la population du centre-sud et du plateau Mont-Royal par son vote.

Le Vice-Président: Je cède maintenant la parole à Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.

Mme Louise Robic

Mme Robic: Merci, M. le Président. Depuis lundi nous avons entamé un débat émotif et passionné sur le projet de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française du Québec. Si j'interviens dans ce débat, c'est que plusieurs intervenants chez les députés de l'Opposition ont exprimé leur préoccupation concernant la place des membres des communautés culturelles dans ce débat et le rôle que ces derniers ont à jouer pour le maintien de notre société francophone. Je me vois dans l'obligation de rectifier certains faits. Le débat, on s'en est rapidement rendu compte, fait également jouer des notions fondamentales tel l'équilibre difficile à réaliser entre les libertés individuelles et collectives. Je voulais également m'exprimer sur ce sujet, (minuit)

M. le Président, nous venons tout juste de fêter le 40e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je fais partie d'une formation politique qui a promulgué la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. De plus, l'article 1 du programme du Parti libéral du Québec souligne que notre parti est composé de personnes qui professent la liberté de l'individu et les droits individuels.

Il est alors facile de comprendre le déchirement qui nous a tous habités, alors que nous avons eu à trancher sur une question aussi fondamentale que le choix entre les libertés auxquelles nous croyons de façon viscérale et les droits de la collectivité francophone, majoritaire sur son territoire québécois, mais minoritaire sur le continent nord-américain.

Notre société québécoise francophone est menacée. La Cour suprême l'a constaté. Le dilemme auquel nous avons à faire face est ainsi doublement difficile à résoudre. Au sein du Parti libéral du Québec, chacun de nous a pu, au cours des discussions au Conseil des ministres, lors des caucus et durant le conseil général, exprimer sa pensée dans le respect des opinions des autres. C'est d'ailleurs ce qui fait la beauté et la force de ce parti où toutes les tendances peuvent s'exprimer librement.

À partir de ce débat ouvert et franc, nous avons pu prendre les décisions rationnelles qui s'imposaient, sans toutefois taire ce qui vient droit du coeur. Il nous fallait assurer la survie de l'un des deux peuples fondateurs de ce pays et, avec ce projet de loi, c'est ce que nous tentons de faire. Cependant, nous avons pris ces décisions dans le respect le plus juste des droits fondamentaux, en conservant le fragile équilibre entre droits individuels et collectifs.

La situation avec laquelle nous vivons aujourd'hui s'explique cependant, en grande partie, par l'inaction de l'Opposition qui, alors au pouvoir pendant dix ans, ne s'est pas acquittée de son mandat. Oh, ces gens disent de belles choses, s'offrent de belles envolées, mais, lorsqu'ils en avaient la chance, ils n'ont pas livré leur marchandise. Bien au contraire, quand je les entends nous accuser, je voudrais leur rappeler certaines choses.

M. le Président, c'est le ministre responsable de l'application de la loi 101, le député de Mercier aujourd'hui, qui méritait le prix Déméritas comme personnalité de l'année ayant le moins contribué à affirmer une volonté politique pour ce qui est de l'application de la loi 101. C'est également sous un Parti québécois au pouvoir que le ministre de l'Éducation a coupé les classes d'accueil. C'est le ministre de l'Immigration, député de Mercier, qui, en ouvrant le bureau du Québec à Hong Kong, vantait les mérites de Montréal comme étant une ville bilingue, ouverte aux deux cultures, anglophone et francophone. C'est écrit là.

Lorsque j'ai pris la direction du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, en décembre 1985, après dix années de pouvoir du Parti québécois, j'ai été scandalisée du peu de travail effectué par mon prédécesseur. Rien n'avait été fait pour favoriser l'intégration des immigrants au sein de la majorité francophone. Les seuls programmes de francisation alors offerts étaient les programmes financés en totalité ou en partie par le gouvernement fédéral.

Face à cette réalité navrante, j'ai fait de la francisation et de l'intégration des immigrants ma priorité. J'ai créé des programmes, comme le programme d'aide à la francisation des immigrants, le PAFI, qui subventionne des groupes

des communautés culturelles. C'est le message que je leur dis: Francisez les membres de votre communauté à travers notre programme PAFI. Nous avons créé, M. le Président, le premier programme québécois de francisation des immigrants, afin de rejoindre le plus grand nombre d'immigrants laissés pour compte par ceux qui forment aujourd'hui l'Opposition officielle. Les femmes étaient particulièrement exclues des programmes. Et, M. le Président, comment peut-on demander aux immigrants d'intégrer la société d'accueil francophone si on ne donne pas à tous les membres de la famille les outils nécessaires pour qu'ils se francisent?

Le gouvernement que je représente a également pris le pari de franciser les revendicateurs du statut de réfugié. Je vous rappelle, messieurs de l'Opposition, que c'est le groupe à qui votre Conseil des ministres avait refusé qu'on donne des cours de français, prétendant que, de toute façon, ils parlaient déjà anglais. L'un des résultats malheureux de cette politique, c'est qu'en 1986, lors d'une révision administrative qui a permis d'accorder le statut de résident permanent à ces personnes, pas moins de 80 % avaient effectivement choisi l'anglais comme langue de communication. C'est une responsabilité lourde de conséquences que doit assumer le Parti québécois.

En 1987, nous avons mis sur pied des cours de français à l'intention des revendicateurs. Ô surprise, M. le Président, ces gens se sont empressés de se mettre en ligne afin de s'inscrire à nos cours! La demande a dépassé nos espérances. Nous avons même dû ajouter de nouvelles sommes dans ces programmes.

M. le Président, ce sont des résultats positifs et concrets. Il est réconfortant de réaliser que, lorsqu'on offre des services, ils sont appréciés et que, lorsqu'on donne des outils, ils sont utilisés. Cela s'est aussi vérifié lorsque nous avons mis de l'avant deux programmes d'aide au rapprochement des cultures, autre volet complètement oublié par l'Opposition.

Lundi, le député de Taillon indiquait que 72 % des immigrants choisissaient l'anglais comme langue de communication, M. le Président, les données du ministère des Communautés culturelles et de rimmigrantion m'indiquent plutôt que près de six immigrants sur dix qui arrivent au Québec ont soit déjà une connaissance pratique du français ou sont touchés par nos cours de francisation. Il faudrait que l'Opposition arrête de prétendre qu'elle seule a le mot juste quand il s'agit de la langue. Les réalisations du gouvernement libéral depuis 1985 n'ont pas à souffrir des comparaisons avec le travail fait par l'ancien gouvernement du Parti québécois.

Vous me permettrez, M. le Président, de rêver tout haut à la situation dans laquelle nous serions aujourd'hui si le gouvernement du Parti québécois s'était vraiment consacré à la francisation des immigrants. Ceux-ci ne seraient pas perçus aujourd'hui comme une menace à la culture française au Québec. Si le Parti québécois avait fait entre 1976 et 1985 autant que le gouvernement du Parti libéral depuis trois ans, le malaise des francophones du Québec serait déjà atténué.

Il est intéressant de noter, alors que le député de Taillon indiquait que l'on ne fait rien pour franciser les immigrants au Québec, que son collègue de Mercier profitait, justement, de l'étude des crédits supplémentaires du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration pour me féliciter du travail accompli dans ce domaine. Je voudrais assurer le député de Mercier, ainsi que tous les députés de cette Chambre et tous les Québécois que je vais continuer de me battre afin de poursuivre l'intégration déjà amorcée des immigrants au sein de la société québécoise francophone. (0 h 10)

M. le Président, il est, toutefois, évident que je ne peux réussir toute seule, que le gouvernement ne peut pas tout faire. Voilà pourquoi j'en profite pour lancer un message à tous les Québécois francophones. Il faut que notre société d'accueil tende la main aux immigrants afin qu'ils se sentent bienvenus au sein de notre société, tende la main aux immigrants et aux membres des communautés culturelles qui arrivent ici et qui enrichissent de façon si précieuse le Québec. Je dis que nous comprenons l'importance qu'ils accordent au maintien de leur langue et de leur culture d'origine. Le gouvernement a, d'ailleurs, mis en place un programme de maintien des cultures d'origine justement dans ce but. M. le Président, les membres des communautés culturelles doivent aussi comprendre que la langue et la culture françaises sont aussi importantes pour nous que leur propre langue et culture le sont pour eux.

Toutes ces personnes ont choisi librement de venir s'établir au Québec. Elles l'ont fait en connaissance de cause, sachant qu'elles y trouveraient une société distincte et francophone. Elles doivent s'associer à nous afin de participer à l'épanouissement de la culture française sur le continent nord-américain. C'est ensemble, M. le Président, que Québécois francophones, anglophones et allophones assuront à chaque jour le développement économique, social et culturel du Québec. C'est ensemble, Québécois de toutes origines, que nous devons assurer le maintien et la promotion de cette société distincte dont la langue française doit être le dénominateur commun. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président: Je reconnais maintenant M. le député de Nicolet.

M. Maurice Richard

M. Richard: M. le Président, la Cour suprême du Canada rendait publique jeudi dernier sa décision sur un sujet très important pour la population du Québec et de mon comté, soit celui

de la langue. Les honorables juges de la Cour suprême ont apporté des réponses claires, nettes et, pour une fois, précises sur plusieurs questions litigieuses en regard de la Charte de la langue française.

Nous allons, si vous le permettez, M. le Président, regarder ensemble les grandes lignes de cette importante décision. Tout d'abord, la compétence du Québec en ce qui a trait à la langue. Ce jugement confirme la juridiction québécoise sur la langue dans les domaines qui lui sont reconnus par des textes légaux, des textes législatifs. On a également fait le point sur la liberté d'expression comme sur le principe du droit à l'égalité, M. le Président. D'une façon particulière, ce jugement écrit confirme la liberté d'expression en vertu de l'article 2, entre autres, de la charte canadienne insérée dans la constitution du Canada et à l'intérieur de la charte du Québec. On retrouve à cet article 2 ce droit fondamental dans toute démocratie du pouvoir fondé sur la liberté d'expression. La Cour suprême ajoute que la loi 101, dans ses différentes dispositions en ce qui regarde l'affichage commercial, limite la portée de ce droit fondamental qu'est la liberté d'expression. Le plus haut tribunal du pays reconnaît, cependant, que le français est menacé sur notre territoire, sur le territoire du Québec. Devant cette menace suspendue au-dessus de nos têtes, la Cour suprême affirme qu'il est de notre devoir, à nous, législateurs, de prendre les moyens à notre disposition pour promouvoir le visage français de notre Québec à tous.

La Cour suprême s'est aussi penchée d'une façon particulière sur les articles de la Charte de la langue française touchant de près la langue d'affichage commercial dans les établissements et ailleurs. En résumé, M. le Président, et pour être clair, la Cour suprême nous dit qu'on ne peut interdire une autre langue et que le français peut être mis en évidence par des moyens que nous avons, des moyens légaux reconnus. Les articles de la Charte de la langue française reliés directement à l'affichage des établissements commerciaux sont devenus caducs, Inapplicables, ce qui nous place actuellement devant un vide juridique important. Il n'y a plus de droit, en fait, qui existe au Québec sur l'affichage des commerces en regard de l'utilisation de la langue. Il n'y a plus de protection pour notre langue française.

Devant cet état d'urgence, M. le Président, le gouvernement libéral du Québec par la voix de notre chef, M. Robert Bourassa, a annoncé à notre population, à la population du Québec, dimanche, il y a quelques jours, la solution qui s'est traduite, 24 heures plus tard, par le dépôt du projet de loi que nous traitons ce soir, le projet de loi 178, intitulé Loi modifiant la Charte de la langue française. Ce projet de loi accorde l'exclusivité du français en tout temps à l'extérieur des établissements commerciaux, avec la prédominance du français à l'intérieur des commerces, mais permet l'utilisation facultative d'une langue seconde qui n'est pas nécessairement l'anglais. Cette notion de nette prédominance du français qui s'appliquera à l'intérieur des commerces sera définie par règlement avec précision et d'une façon stricte. Il est clair que l'affichage intérieur sera destiné seulement et uniquement à la clientèle de l'intérieur de l'établissement commercial en cause. Donc, finis, M. le Président, ces affichages publicitaires dans la vitrine destinés non pas au public de l'intérieur, mais aux gens de l'extérieur. Cette ambiguïté qui existe depuis l'adoption de la Charte de la langue française en 1977 est finalement écartée par ce projet de loi 178.

M. le Président, si nous faisons référence au document de la Charte de la langue française, à l'article 60, il est fort intéressant d'y constater que les entreprises... Avant cela, je dois vous dire qu'il y a quelques jours je ne connaissais pas cet article. Un de nos collègues, le député de Viau, M. Bill Cusano, en transit entre Montréal et le parlement, s'est arrêté dans un des bons restaurants du Québec, dans mon comté, le long de l'autoroute 20. Arrivé au parlement, il m'apporte deux copies d'un napperon qui était bilingue avec "Seasons' greetings" et "Meilleurs voeux de joyeuses fêtes". Il me dit, tout en badinant: Regarde Maurice, cela, c'est dans ton comté, un comté que tu identifies comme étant à 99,9 % francophone. J'étais un peu surpris de voir que c'était le cas sauf que, lorsqu'on regarde en profondeur la loi, la charte, on s'aperçoit que le commerçant a tout à fait raison, c'est tout à fait légal, il a tout à fait le droit.

Je vais vous faire la lecture, M. le Président, de l'article 60. "Les entreprises employant au plus quatre personnes, y compris le patron, peuvent afficher a la fois en français - et cela, c'est depuis 1977, M. le Président - et dans une autre langue dans leur établissement. Toutefois, le français doit apparaître d'une façon au moins aussi évidente que l'autre langue." Donc, on reconnaît à l'intérieur de la charte depuis 1977 que l'affichage en équivalence dans une langue seconde est permis.

Vous constatez sûrement, M. le Président, que le blâme pour ce qui est du commerçant, qu'il soit dans mon comté ou dans tout autre comté du Québec, ne peut être jeté sur les honnêtes commerçants, hommes ou femmes qui ont profité tout simplement d'une permissibilité dans la loi, de ce qu'on pourrait appeler un trou dans la loi, pour pratiquer d'une façon tout à fait légale directement une forme de bilinguisme. Il s'agissait tout simplement d'afficher à l'intérieur et dans certains cas d'afficher à l'intérieur pour une publicité extérieure.

J'écoutais, en fin de semaine, M. le Président, les différents reportages télévisés sur les réactions à la suite de l'annonce des intentions du gouvernement du Québec. On s'inquiétait aussi, M. le Président, sur le type d'affichage

commercial que nous pourrions retrouver dans les centres commerciaux. Dans le cas du comté de Nicolet, que ce soit dans le centre commercial de Nicolet, de Saint-Grégoire ou de Gentilly, la solution que nous apportons, M. le Président, est la suivante. Nous allons permettre, à l'intérieur du commerce seulement, une langue seconde, mais tout en identifiant très clairement que la langue française devra être prédominante, ce qui n'est pas le cas dans l'article 60. À l'article 60, on dit: "aussi évidente", donc l'équivalence. Ce n'est pas le cas, nous disons: Priorité, prédominance française et on aurait la permission d'ajouter une langue seconde, que ce soit l'anglais, l'italien, le portugais ou une autre. Cela, c'est l'intérieur.

En ce qui a trait aux centres commerciaux à l'extérieur du centre commercial, ça devra être entièrement en français. J'entends réfléchir: "L'intérieur, le mail? Le mail devra être entièrement, à 100 % en français. Le seul endroit où il y a une forme de concession, c'est à l'intérieur. Pour tenir compte de la liberté des gens à l'intérieur du commerce du propriétaire, il y a la possibilité, toujours avec prédominance française, d'y ajouter une langue seconde. Pour les centres commerciaux, c'est très clair, c'est très défini: l'image du français extérieur est à son entier et à 100 %. (0 h 20)

Parlons maintenant de l'affichage commercial dans les transports publics comme les autobus, les quais d'embarquement ou de débarquement du métro, entre autres, à Montréal. On retrouve cette même constance caractérisée par le présent projet de loi 178, c'est-à-dire la règle de l'unilinguisme français, le français unique. Il n'est pas question d'affiche bilingue dans un endroit public extérieur autre qu'à l'intérieur même d'un commerce quel qu'il soit au Québec.

Les entreprises de plus de 50 employés seront visées par l'article 136 et devront afficher en français à l'intérieur de leurs commerces, à moins de se conformer aux conditions et modalités de l'Office de la langue française qui déterminera, par voix de règlement, la possibilité d'émettre ce qu'on appelle un certificat d'accréditation.

L'exigence de l'unilinguisme français à l'extérieur des établissements commerciaux pour l'affichage publicitaire et les raisons sociales nécessitait une clause dérogatoire, ce qu'on appelle la clause "nonobstant", pour justement contrer toute nouvelle action ou, en fait, éliminer la possibilité qu'on se retrouve encore dans toute la mécanique devant les tribunaux. L'état actuel des choses implique d'une façon impérative la nécessité pour le Parlement du Québec, pour nous, comme législateurs, de mettre en place un mécanisme législatif efficace, et ce sans délai, pour combler le vide juridique. La langue française présentement au Québec est tout simplement sans protection surtout en ce qui a trait principalement à l'affichage des établissements commerciaux.

Très simplement, M. le Président, le gouvernement décide que, dans la rue, à l'extérieur du commerce, l'affichage se fera uniquement en français et qu'ainsi un des éléments symboliques et intrinsèquement importants du visage français sera réaffirmé et mis en valeur. Par ailleurs, le gouvernement est d'avis qu'à l'intérieur de son commerce, le commerçant de toute origine, qu'il soit portugais, vietnamien ou autre, et de toute langue maternelle vit plus intensément son droit de communiquer avec sa clientèle et d'utiliser, en plus du français obligatoire, la langue de son choix pour renseigner sa clientèle sur sa marchandise ou son produit, mais toujours avec la prédominance du français. Le consommateur, quant à lui, a droit à l'information la plus complète afin de faire un choix le mieux éclairé possible. Le gouvernement rend donc possible, à l'intérieur du commerce, l'utilisation d'une autre langue, pour autant que le français soit toujours présent et prédominant. C'est donc du français partout et avant tout. C'est ça notre option comme gouvernement.

J'aimerais vous citer un éditorialiste de La Presse, M. Claude Masson, qui, en parlant de notre chef, M. Robert Bourassa, disait ceci: "II surprend tout le monde en recourant à la fameuse clause dérogatoire dite "nonobstant" pour forcer l'unilinguisme français à l'extérieur des commerces, clause que même le Parti québécois n'avait pas osé employer."

Je me permettrai, M. le Président, une citation de notre collègue, le ministre responsable de la Charte de la langue française, M. Rivard, qui disait: II n'est pas question de remettre en cause la Charte de la langue française dont le préambule et l'affirmation des droits linguistiques fondamentaux constituent un pacte conclu entre l'Assemblée nationale, entre nous, et la société québécoise. Ce pacte doit donc être respecté. Mais il convient néanmoins de garder à l'esprit que le français au Québec n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais l'affaire d'une seule loi. La langue est le mode d'expression d'une collectivité, une manifestation de sa façon de vivre et de sa culture. Présente dans tous les aspects de la vie et, comme la vie, changeante et en constante évolution, la langue ne saurait se laisser emprisonner dans une seule loi au Québec. Ce que nous faisons, M. le Président, c'est l'équilibre entre la protection du visage français et la sécurité culturelle de la majorité francophone, et aussi le respect des droits de la plus importante minorité au pays, cet autre élément de notre société distincte. Le Québec est unique en son genre, il est différent des autres. Nous le savons. Nous nous distinguons notamment par notre langue, notre tissu social, nos lois, notre culture, nos traditions et le fait français constitue, avec le fait anglais, une des caractéristiques fondamentales du Québec. Nous formons, c'est vrai, un peuple unique et magnifique. Nos richesses culturelles sont inestimables. Notre défi de société est d'en vivre pleinement

et, surtout, harmonieusement.

M. le Président, je suis fier d'être un Québécois et, aujourd'hui, je remercie particulièrement mes parents, mon père et ma mère, de m'avoir permis d'apprendre la plus belle langue du monde, le français.

Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le député de Jonquière.

M. Francis Dufour

M. Dufour: Merci, M. le Président. Quand on parle d'un sujet aussi important à cette heure avancée, au début de la nuit, on est en droit de s'interroger à savoir si c'était vraiment le moment choisi délibérément par le parti gouvernemental, le Parti libéral, pour amener un sujet de cette importance en discussion.

On assiste aujourd'hui au résultat de trois ans de laxisme et de laisser-faire de ce gouvernement, il aurait eu beau, pendant ces trois ans, prendre des décisions importantes, légiférer et décider ce qu'il adviendra de cette langue. Cet après-midi, en écoutant le premier ministre, nous avons assisté à un cours d'histoire, mais une histoire raccourcie, bien sûr. Il se prétendait, à un certain moment, l'héritier du regretté René Lévesque, le premier chef du Parti québécois, expremier ministre du Québec, et je ne lui reconnais pas cette légitimité. S'il y en a qui ont frappé cette personne pour venir par la suite se targuer, essayer de se prétendre les héritiers de cette personne... il n'y a plus rien à y comprendre. Lorsqu'on écoute les gens d'en face qui nous disent: Nous, les grands démocrates, nous, les sauveurs, les "sauvegardeurs" des libertés individuelles, et vous, en parlant de nous, les gens qui sont prêts à briser ou à brimer les libertés de l'ensemble de la population, à ce moment-là, on se dit que c'est peut-être prendre un peu les gens pour des poires. Ceux qui nous écoutent et qui suivent nos débats ne pourront jamais accepter pareille prétention.

Il n'y aucune honte à défendre sa langue. Il n'y a aucune illégitimité parce que c'est légitime de défendre sa langue envers et contre tous. C'est peut-être ce qui nous distingue, mais c'est aussi ce qui fait que nous sommes des Québécois et des Québécoises ancrés, enracinés dans le sol québécois, parce qu'on parle cette langue. C'est elle qui est menacée, ce n'est pas la langue anglaise. Lorsqu'on entend les intervenants, à multiples reprises nous qualifier d'intolérants, je peux vous assurer que l'expérience que j'ai dans la vie politique, ma vingt-sixième année comme élu, je pense que je n'ai pas de leçon à recevoir du Parti libéral ni des gens qui sont en face. Vingt-six ans au service de ses concitoyens, ça veut dire de la tolérance, de l'acceptation, de l'accueil, d'autant plus que la première fois que j'ai été élu maire d'une municipalité qui s'appelait, à ce moment-là, la ville d'Arvida, il y avait plus de 20 % d'allophones. J'ai appris à vivre avec ces gens comme ils ont appris à vivre avec moi, et ce n'est pas parce que je parlais français qu'on ne pouvait pas se comprendre.

Je pense qu'une fois pour toutes, ce qu'il faut dire aux gens qui veulent venir vivre au Québec c'est d'abord que ça se passe en français. Il n'est pas question de donner un message tout croche comme le fait le premier ministre depuis trois ans. Rappelons-nous, il n'y a pas si longtemps, il y a deux ou trois mois: J'ai des solutions, pas de problème. Attendez, quand on aura le jugement en main, vous allez voir! Qu'a-t-on vu? Un serpent, quelqu'un qui n'a pas d'épine dorsale, quelqu'un qui, en fait, a mélangé tout le monde. À vouloir ménager le chou et la chèvre et ménager tout le monde, on passe pour quelqu'un qui ne sait pas où il va, qui ne fait pas sa job. Il doit d'abord être le premier ministre du Québec et non pas un partisan d'une formation politique. (0 h 30)

II y a des fois où il faut choisir. Parfois c'est déchirant de choisir mais mettre ses culottes puis les porter, à ce moment-là, on fait preuve de leadership et on fait preuve de direction. C'est le message qu'on doit donner aux francophones et aussi à l'ensemble de la population du Québec. On n'a pas à s'excuser ni à accepter de recevoir des leçons du Parti libéral du Québec actuel et de ceux qui forment le gouvernement. Ils parlent des libertés individuelles; oui, au détriment même des libertés collectives.

On peut en parler des libertés individuelles; je pense qu'on avait des raisons de croire que le gouvernement avait été assez loin quand il a amnistié les illégaux dans les écoles. À ce moment-là, on est allé assez loin. Quand on accepte d'angliciser et de "bilinguiser" les hôpitaux d'une région où il y a 99,2 % de francophones et 0,8 % de personnes autres, des anglophones, c'est cela qu'on fait. Radio-Québec, le porte-parole de l'ensemble de la nation ou des idées du Québec et de notre entité, on l'a enlevé! Pensez-vous que ce n'est pas faire preuve d'une certaine intolérance quand on enlève des instruments de culture et de développement? On vient nous dire: Oui, il faudrait renforcer et il faudrait forcer les gens à parler mieux français. Il faudrait leur dire cela: Parlez mieux français et on va vous donner cela.

J'ai entendu plusieurs intervenants surtout des anglophones, qui sont venus nous dire: II faudrait que vous protégiez votre langue en leur montrant à mieux parler le français. Quels sont les budgets qui ont été accordés depuis trois ans pour cela? C'est un gouvernement d'escompte et de vente. C'est un gouvernement de marchands. On vend tout aujourd'hui. On vend la culture comme on vend presque les racines, ce qu'on a de plus profond. C'est quoi, cette question de libertés individuelles, quand on parle de l'affichage bilingue? Cela n'a pas d'affaire du tout à

l'individu comme tel. Après on peut dire: Cela peut toucher les individus. Mais qu'est-ce qu'on défend au départ? Ce sont les marchands qui ont contesté la loi 101, il n'y a pas beaucoup d'individus dans leur vécu qui ont conteste. Alliance Québec est un groupe, ce n'est pas un individu qui prend le flambeau et qui vient contester la loi. Il a contesté la loi et le premier ministre Bourassa avait compris que c'était important, la langue. Il avait nommé la vice-première ministre qui n'a pas été capable de mener son travail à bon port, donc, il a confié cela - il savait que la langue était malade, cela faisait trois fois qu'elle était attaquée par des jugements, cela faisait trois fois qu'elle était contestée - et il a nommé un ministre délégué aux Affaires culturelles parce que normalement, un médecin, ça soigne, ça ausculte et ça donne des remèdes. Normalement un médecin n'est pas un fossoyeur, ce n'est pas celui qui décide de couper et d'enlever, c'est normalement la personne qui essaie de sauver des choses.

Quand je regarde le résulat, je vois qu'il n'a pas fait son travail. Son travail, c'était de renforcer cette langue. On lui a dit comment on devait le faire, en employant une clause qui s'appelle "nonobstant". Tout le monde sait que c'est en dépit des deux chartes, soit la charte canadienne et la charte québécoise, qu'on a le droit de se protéger. La cour l'a dit. On peut s'appuyer sur des jugements. Mais non, on vient nous dire qu'il faut bien sauver tout le monde. C'est beau. Il ne faut pas brimer notre, minorité quand on sait que nous sommes une minorité sur tout le continent, nous sommes une minorité dans une majorité au point de vue du Canada. À ce moment-là, ce qu'on avait à prendre comme décision...

Le premier ministre va dire ailleurs: Si mon gouvernement ne fait rien pour protéger la culture et la langue française, qui le fera? Les gens dans la rue, M. le Président. C'est eux qui vont le faire et qui vont les protéger. Faire porter sur 20 - je peux inclure le député indépendant de Gouin - 21 députés tout le fardeau de démontrer la nécessité de parler français au Québec au point de vue de la quantité ou du nombre, est-ce que vous pensez que c'est juste que 21 personnes portent ce fardeau? C'est pour cela qu'on assiste depuis trois ou quatre jours à des manifestations qui vont aller en augmentant.

J'ai vu des lois, j'en ai vécu, je pense que je suis assez vieux pour avoir vu ce qui s'est passé dernièrement ou dans les dernières années concernant des lois. Il y a des lois où le gouvernement s'est foutu de la population qui a voté des lois par la force, mais qui ont été aussi "scrapées" ou enlevées, décolées correct, qui ont été changées parce que cela ne répondait pas aux aspirations profondes des Québécois et des Québécoises. Ces lois-là ont sapré le camp.

La loi 178, je vous prédis qu'il va lui arriver la même chose. C'est impensable qu'on laisse dans les mains... Parfois on dit que la politique est trop importante pour laisser cela aux politiciens, et on dit cela de beaucoup de choses pour parodier, mais sur la question de la langue, c'est le peuple qui doit avoir le dernier mot, c'est lui que ça intéresse. C'est lui qui est d'abord le dernier juge: le premier et le seul juge, dans le fond. Une loi qui, au départ, fait l'objet d'autant de contestations,. qui fait l'objet d'un ralliement aussi grand, mériterait de la part des députés et des ministériels beaucoup plus de considération et de réflexion.

Le député de Gouin a offert ceci au gouvernement: "Pourquoi ne pas protéger la langue pour le temps que l'on se retirera, au lieu de l'adopter à la vapeur comme on le fait"? Après, on ira consulter les gens, et seulement après une commission parlementaire, on pourra dire ce que l'on veut. On a beaucoup reproché au député de Mercier son attitude démocrate et d'ouverture envers les gens puisqu'il a touché à la loi 101, mais après une commission parlementaire qui a duré un mois. À ce moment-là, il n'y a pas eu de contestation; on avait une forme et la paix sociale. Ce n'est pas vers cela que l'on se dirige actuellement.

En fait, il y avait dans cette loi 101 toutes les raisons du monde de trouver les solutions qui ont été amenées. On n'a pas demandé au premier ministre d'innover. On ne lui a pas demandé de se sauver, d'essayer d'adopter cela à la dernière seconde, en cachette. Ce n'est pas nous qui avons décidé que le jugement sortait le 15 décembre; mais c'était prévisible qu'il allait sortir un jour. C'était le temps qu'il réfléchisse et qu'il se convainque qu'il devait prendre une décision. Bien non, cela le poigne. Il s'est fait poigner à son propre jeu. Il reçoit du pouvoir et il ne veut pas l'exercer. Il n'est pas capable de l'exercer. Il n'a pas ce qu'il faut pour l'exercer, parce que, d'abord, cela prend de la volonté pour faire ce job-là. Cela prend des gens qui ont des orientations; pour ne pas qu'ils se laissent aller au gré des vents, cela prend un timonier et un capitaine. Ce n'est pas ce qu'il fait, il se laisse aller à tous les vents. Tant qu'il n'y a pas de problème, cela va pas pire.

On peut dire que depuis trois ans, il a été au-dessus de la vague et même en dessous de la vague; on ne l'a vu nulle part. Mais chaque fois qu'il se présente un problème, que ce soit sur les heures d'ouverture, que ce soit sur la question de la langue d'affichage, il ne l'a plus du tout; il est complètement déconnecté de la réalité. Il ne suit pas du tout. D'ailleurs, il se cache en arrière; il envoie les autres en avant et il prend des décisions qui ne satisfont personne.

On aurait été les plus heureux du monde d'accepter de travailler avec le gouvernement à renforcer la loi 101; on le lui a même offert. On a demandé: Pourquoi ne vous décidez-vous pas à renforcer la loi 101? Pourquoi ne prenez-vous pas la clause? Les membres de ma formation auraient été heureux de voter avec le gouverne-

ment. Au moins, il aurait travaillé pour la majorité. Ce n'est pas un signe d'intolérance que de se respecter et de demander aux autres de nous respecter. Je pourrais vous conter des expériences de voyages où j'ai eu l'occasion de voir des gens d'autres nationalités, des anglophones d'autres provinces, où pendant dix jours ils ont refusé systématiquement de parler un mot de français. Un mot de français. Je vous le dis. J'ai assisté à des conférences organisées par des Français - pas des Québécois, des Français de France - qui ont été obligés de les donner en anglais parce qu'il y avait dix francophones et un anglophone dans le milieu. Ils n'ont jamais accepté aucune concession. Que ça se passe en anglais! Est-ce là un signe de tolérance? Regardez ce qui se passe dans les autres provinces. Vous pensez qu'ils sont aussi généreux envers leur minorité francophone? Vous n'avez qu'à regarder ce qui se passe un peu partout et vous verrez qu'il n'y a pas beaucoup d'institutions, comme il y en a ici au Québec, qui favorisent et qui permettent aux anglophones... Et on ne leur en veut pas. Ils ont leurs journaux, leurs stations de radio, de télévision. On n'est pas jaloux de cela, on veut qu'ils continuent à vivre, mais on dit: Au Québec, cela se passe en français. Il me semble que c'est clair. C'est un message court et facile à comprendre. (0 h 40)

Quand on va dans les autres pays, on parle la langue du pays. Je n'ai jamais vu... et j'ai voyagé même dans le Canada qui est si généreux. Les belles montagnes Rocheuses. On ne commencera pas à faire pleurer tout le monde. J'en ai vu, des pleurs, ce soir, sauf qu'on n'est pas pour faire les "Patofs". Regardons donc comment ça se passe dans les autres provinces. Je vous mets au défi. Promenez-vous en dehors du Québec, même à Montréal. Vous allez voir que vous avez de grosses chances qu'on vous parle en anglais. "Speak white", comme on dit. On ne parle pas français; on parle en anglais et c'est peut-être un peu acceptable. Cela ne m'offusque pas, on va aux États-Unis, on parle en anglais. Si vous allez dans d'autres pays. Vous allez en Autriche, on ne vous parle ni en anglais, ni en français. Comme par hasard, ils parlent une autre langue, et c'est acceptable. Les affiches ne sont ni en français ni en anglais, elles sont dans la langue du pays, en allemand. Mais si vous ne connaissez pas la langue, vous allez être mal pris. C'est évident qu'il y a des mots que vous ne comprenez pas et vous allez demander des renseignements et vous allez vous débrouiller. Vous allez en Angleterre, c'est la même chose. C'est quoi, cette folie-là?

On a dit: On va adopter des lois et ces lois-là, on va les faire adopter avec le moins d'irritants possible. J'écoutais tout à l'heure mon collègue de Nicolet. Il se basait sur un communiqué gouvernemental, sur un communiqué de presse. Le gouvernement du Québec dépose le projet de loi 178, Loi modifiant la Charte de la langue française. Il lisait ce qui était dans le communiqué. Ce n'est pas une loi, ça, que de dire aux gens ce qu'il va y avoir dans les règlements. Dans le projet de loi, ce n'est pas ça qu'on dit. On dit que ça prend des règlements. On a dit qu'on ne ferait plus de règlements, qu'on serait tranquilles. Vous allez voir quand on va prendre le pouvoir, vous allez être tranquilles. Vous allez vivre... On va vous en enlever, des irritants.

Mais je n'ai jamais vu un gouvernement gouverner autant par règlements. Ils en adoptent, des règlements. Le gouvernement "run" ou conduit par des règlements. Sur la langue, vous pensez que ça va arrêter comme ça? C'est quoi, la hauteur de l'affiche? Est-ce que c'est en dedans? Est-ce que c'est extérieur? Faut-il se cacher? On va mettre une tente sur le West Island pour vous montrer que ça va parler anglais en dedans, parce que, là, c'est dangereux, il ne faut pas le faire.

En tout cas, il faut caricaturer. C'est extravagant, cela n'a pas de bon sens. S'il fallait qu'on accepte d'être aussi intolérant... Si la minorité des autres provinces était aussi exigeante que la minorité d'ici, au Québec, ce serait invivable. On ne dit pas qu'on veut les écraser. Au contraire, ce sont des gens avec qui on a vécu. Ce n'est pas parce qu'on veut parler français et qu'on tient à notre langue qu'on est contre les autres. Qui nous fait croire ça? À partir de quels principes ces gens viennent-ils essayer de nous ostraciser, de nous placarder ou de nous peinturer dans le coin?

Ce n'est pas ça, la règle du jeu. La règle au Québec, c'est que ça se passe en français. C'est ça qu'on dit. Après ça, on pourra s'entendre avec les autres. Je vous dis que si vous êtes un immigrant, si vous êtes de l'extérieur, vous allez voir comment ça se passe. J'écoutais ce que disait tout à l'heure la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration: Vous savez, j'ai pris mon ministère tout à l'envers. Et elle est découragée, parce qu'on n'a rien fait. C'est pour ça qu'ils se sont fait élire, pour travailler. Ils ne sont toujours pas pour rien faire. C'est quoi, cette folie?

J'entends tous les ministres dire qu'il n'y avait rien de fait avant eux autres. Tout le monde disait qu'on en faisait trop. Je ne comprends plus rien. Je ne comprends rien là-dedans. Dans les années passées, j'ai travaillé avec l'ancien gouvernement. J'ai travaillé avec celui-là et je travaille avec les autres. Depuis 1957, je suis un peu ce qui se passe au gouvernement. On a dit du gouvernement du Parti québécois qu'il en avait trop fait. Quand on écoute les ministres, il n'y avait rien de fait. Mais, c'est quoi, cette folie-là? Les finances n'allaient pas, ils prennent le pouvoir et ça va bien. Miracle! C'est le secret de Fatima, c'est certain! Je pense que cela doit être dénoncé. On n'a pas le droit d'accepter des choses semblables. C'est de la folie furieuse. On est dans le temps des fêtes. On se serait attendu que quelqu'un améliore les choses que ces gens

nous ouvrent la vole, nous amènent quelque part et nous défendent... qu'ils soient des défenseurs. Au mois de décembre, il me semble que c'est ça, on a besoin d'un sauveur. Ce n'est pas ce qu'on a obtenu. Malheureusement, avec ce qui se passe aujourd'hui, on est en train de détruire l'instrument qui nous relie les uns aux autres, les uns par rapport aux autres. Cet instrument s'appelle la langue. Cela s'appelle l'affinité culturelle. Cela s'appelle les racines les plus profondes. Cela s'appelle nos ancêtres. Cela s'appelle nos enfants, et cela veut dire aussi ceux qui nous succéderont. C'est ce que fait la langue. Cela relie les gens les uns aux autres. C'est l'instrument le plus profond qu'on a actuellement. Mais ce gouvernement nous fait reculer vis-à-vis de cela. Il essaie de nous dire: Vous autres, vous êtes des pas bons; vous autres, vous êtes des gens intolérants, cela dépend de vous autres... À vouloir tout sauver, on va voir comment cela va se passer. On peut se dire une chose, c'est que si on pense qu'on a tué la langue ou qu'on l'a diminuée ou reculée, je répète ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que, sûrement, si vous n'acceptez pas que la bataille se fasse à l'intérieur du parlement, elle va se faire dans la rue. Et moi, je ne le souhaite pas. Parce que je pense que c'est important la paix sociale. Mais le peuple a le droit de se battre pour ses racines les plus profondes et ce à quoi il croit. C'est cela la "fondamental ité" et la légitimité la plus importante qu'on a à défendre aujourd'hui. Malheureusement, ce gouvernement reconnaît qu'on doit faire cela à la sauvette, dans un temps qui n'est pas propice à la discussion, mais, malheureusement pour lui, il aura à vivre avec les conséquences. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président: Nous allons poursuivre avec M. le ministre délégué aux Mines et aux Affaires autochtones.

M. Raymond Savoie

M. Savoie: M. le Président, comme la majorité de mes confrères et la majorité, je crois, des Québécois et Québécoises, on a assisté depuis bientôt 36 heures à un débat en cette Assemblée où on a pu prendre connaissance de la position du Parti libéral du Québec et de la position du Parti québécois. Le Parti québécois nous arrive et nous dit qu'il nous fait la clause "nonobstant" sur le tout, une clause "nonobstant" sur l'extérieur, sur l'intérieur, afin de protéger l'affichage au Québec. Même si la Cour suprême du Canada a décidé que ce droit d'afficher était un droit fondamental lié à l'article 3 de la Charte québécoise des droits et libertés.

M. le Président, je ne les crois pas. Je ne crois pas que le Parti québécois défende réellement cette position. Je ne crois pas que le Parti québécois croie que ce soit une option valable. Je pense, comme la majorité des Québécois et Québécoises, qu'il y a là démagogie pure et simple. Je ne crois pas ces gens, d'abord, parce qu'eux-mêmes ne l'ont pas fait. Dès le début, dès l'introduction de la loi 101, on a fait bien attention à l'aspect de l'affichage, on a fait bien attention à l'aspect de l'introduction d'une clause "nonobstant". En 1982 et 1983, lorsque les poursuites étaient en cours, il y a eu débat en cette Assemblée sur cette question, et la clause "nonobstant" a été mise de côté parce que ces gens ne croyaient pas qu'il était nécessaire d'intervenir avec une clause "nonobstant" pour protéger l'article 58. Ils ne le croyaient pas parce qu'ils ne l'ont pas introduite, mais ils ne le croyaient pas aussi parce qu'ils savaient fort bien que l'introduction d'une clause "nonobstant", ce n'était pas faisable. Ils savaient fort bien que cela ne refléterait pas la réalité du Québec, qui fait en sorte qu'il y a 1 000 000 de non-francophones sur une population de 6 000 000. Dès 1982, ils se sont inclinés devant ce fait qu'ils ne pouvaient pas introduire une clause "nonobstant" de façon globale et générale. Cela ne reflétait pas la réalité; cela ne reflétait pas ce qu'est le Québec. Pourquoi le Parti québécois s'oppose-t-il à la position du Parti libéral, en alléguant cette position qu'il n'a même pas vu à adopter lui-même, qu'il n'a même pas voulu mettre en pratique? Je vais vous le dire pourquoi. Parce que le Parti québécois est en faillite. Il est en faillite, il est devenu une ombre, un écho d'une époque où il avait une raison d'être, où il pouvait ne s'attacher qu'à la langue, qu'à la défense de notre culture parce qu'à ce moment-là, c'était un débat valable. (0 h 50)

Aujourd'hui, il y a une autre tournure, il y a une autre réalité, et ces gens le constatent. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est de revenir avec cet écho de leurs moments de gloire pendant lesquels leur flamme a brillé, mais qui, aujourd'hui, est, à toutes fins utiles, éteinte. Ils ne reviendront plus au pouvoir, je peux vous l'assurer. Ils ne reviendront plus au pouvoir parce que la raison fondamentale de leur existence n'est plus. Ils procèdent aujourd'hui sans direction, sans structure véritable, sans intervention de fond à l'étude de nos projets de loi. Je le constate, je participe avec eux régulièrement à des commissions et à des enquêtes. On les voit crier et revenir à leurs anciens cris, à leurs anciennes orientations, comme si c'étaient des vaches sacrées et, aujourd'hui, on doit intervenir sur la langue. Eh bien! une petite étincelle et ils se rallient en proposant une solution indéfendable, même de leurs propres aveux. On pourrait retourner dans les débats de cette Assemblée, retourner dans la direction de leurs anciens chefs et leur chef de file et on constaterait facilement qu'ils sont incapables de défendre la position qu'ils détiennent aujourd'hui. Du criage de leur part! C'est incroyable entendre ce qui s'est dit dans cette Assemblée aujourd'hui de leur part. C'était honteux de connaître leur position telle que transmise par eux, par certains

députés, je pense au député de Lévis. Je n'ai jamais vu une exposition aussi honteuse d'une telle position du Parti québécois. Traiter du dos de la main le ministre de l'Environnement de Rhodésien, arriver et alléguer... Alléguer d'une façon démagogique que ni le Québec, ni le Parti libéral du Québec ne savaient où ils s'en allaient. Comme s'ils avaient la vérité et que nous nagions dans la noirceur. Ils se réfugient derrière une espèce d'onanisme intellectuel sans direction, sans chef, sans orientation, pour ne rien dire, finalement. Ils veulent faire peur aux Québécois, ils veulent faire peur à tous ceux et celles qui participent à ce débat, mais ils n'y arrivent pas, cela ne décolle pas, cela ne fonctionne pas parce que l'orientation que nous nous sommes donnée, l'orientation que nous avons affirmée est la plus sûre.

Le jugement que nous avons reçu aujourd'hui est un véritable tremblement de terre. Il dit que l'affichage est un droit fondamental. Qu'est-ce que cela veut dire, par exemple, pour l'Abitibi, la région que je représente, le comté d'Abitibi-Est, la région de l'Abitibi-Témiscamin-gue? Cela veut dire, par exemple, qu'un Polonais québécois qui est là depuis deux ou trois générations, à l'intérieur de son dépanneur, ne peut pas utiliser une affiche polonaise parce qu'il dessert une clientèle polonaise. Il ne peut pas, à l'intérieur de son commerce, s'exprimer dans sa langue. À l'extérieur, nous sommes intervenus et nous lui avons dit: En français seulement. Je pense que la majorité de mes concitoyens et concitoyennes de l'Abitibi-Témiscamingue, pour ce qui est de l'affichage extérieur, est d'accord pour dire que, oui, on va mettre de côté l'article 3 de la charte pour dire qu'effectivement le visage français du Québec l'emporte. Mais à l'intérieur, dans ces cas d'exception, est-ce qu'on va dire à cet honnête homme, cette honnête femme: Non, pour respecter la loi, vous n'avez pas le droit d'afficher dans votre langue. Je ne le crois pas et je ne crois pas que c'est la volonté de la majorité des Québécois et des Québécoises, parce qu'on sait maintenant que le gros de la lutte, la grande orientation que nous avons prise dès 1960 collectivement est enracinée, qu'elle est indestructible. Bien sûr, il faut être vigilant, il ne faut jamais cesser d'être vigilant et de renforcer le plus qu'on peut l'ensemble de nos éléments culturels. Par contre, à travers cela, il faut refléter la réalité du Québec. Il faut tenir compte de ces cas d'exception, de ces minorités qui ont le droit, à l'intérieur de leur commerce, d'afficher, oui, en français d'abord et, ensuite, dans leur langue.

Au Québec comme en France, le français subit actuellement des pressions énormes de la part de l'anglais et, pour la France également, de l'allemand. Ce n'est pas irréversible. On sait qu'on doit être vigilant et on va l'être comme la majorité des Québécoises et des Québécois l'est. Je crois qu'aujourd'hui, en 1988 et bientôt 1989, l'attitude y est. On est bien ancré, on s'est bien entendu avec nos concitoyens que le français doit prédominer. Cette coexistence qui existe aujourd'hui, cette prédominance qui existe chez nous est essentielle. Elle est ancrée dans nos moeurs. L'attitude d'arriver aujourd'hui et de repousser du revers de la main en disant on va tout annuler... ce n'est pas raisonnable et on le sent. On le sent, viscéralement on le sent. On est allé aussi loin qu'on pouvait aller en disant oui à une clause nonobstant pour l'affichage extérieur, mais une tolérance d'abord en disant: Le français prédominant à l'intérieur avec l'existence, avec la coexistence d'une autre langue sur la même affiche. C'est une position qui est simple, c'est une position qui est claire. C'est une position qui relie la majorité des Québécoises et des Québécois. Dans ce constat, lorsqu'on se revire de bord et qu'on regarde la position du Parti québécois, les mensonges qu'il nous conte, la présentation qu'il nous fait et qui, finalement, n'est pas fondée ni dans les faits, ni dans les orientations, comme l'histoire le démontre... Je pense qu'effectivement on peut être fier de la position qu'on a prise et on pourrait se tourner résolument vers l'application de cette orientation.

Un historien qui, je crois, s'appelait Arnold Toynbee, certainement un des grands historiens de ce siècle, a dit que pour ce qui est de l'évolution culturelle, il était difficile de prévoir l'avenir, par exemple, du peuple américain. Il était difficile également de prévoir la survivance d'un peuple comme les Belges, les Irlandais mais il a dit, je le cite: Je suis sûr de deux, par exemple, les Chinois à cause de leur nombre et le fait français en Amérique du Nord. C'est parce que chez nous, c'est installé dans nos moeurs et je suis convaincu que, malgré que ça va demeurer, que ça sera toujours une lutte et que ça demandera toujours une attitude agressive, le fait français en Amérique du Nord, au Canada et bien certainement au Québec, est là pour y demeurer, pour prospérer et pour croître. Nous avons dû, avec énormément de regrets, appliquer une clause "nonobstant" avec le déchirement que cela a produit. Les Grecs disaient que la démocratie - parce que ça vient d'eux, démocratie est un mot grec, démos le peuple et kratos le pouvoir - était la tyrannie de la majorité. Effectivement, dans ce cas, on peut le constater. La majorité a décidé qu'il était plus important de protéger sa langue dans un contexte difficile. On a adopté une clause "nonobstant" et, comme mes autres collègues, je demande à ceux, finalement, à qui on a enlevé un droit aujourd'hui fondamental, c'est-à-dire l'affichage extérieur, de l'accepter dans un contexte historique où justement le Québec doit poser des gestes, où justement le Québec doit s'assurer, en dehors de tout doute, que son orientation et sa position au chapitre de la défense de la langue et du visage français soient irréprochables. (1 heure)

Avec cette orientation, je suis confiant que

le fait français, avec, évidemment, les orientations que proposent les intervenants anglophones, à notre avis, va satisfaire l'ensemble de l'État québécois. Et je suis convaincu également que ce projet de loi, lorsqu'il sera adopté, lorsque les règlements seront déposés, fera, bien sûr, l'objet d'une acceptation de la grande majorité des Québécois et des Québécoises, et cela, je crois, pour le mieux-être de la majorité, mais, quand même, avec un respect, avec une tolérance, avec un souhait de participation envers nos minorités.

M. le Président, il me fait plaisir de souscrire à cette orientation que nous avons prise aujourd'hui. Je regrette énormément le départ de trois de nos confrères et je souhaite ardemment qu'ils continuent à travailler au sein du Parti libéral, afin de représenter davantage nos minorités culturelles. Je vous remercie, M. le Président.

Le Vice-Président: M. le député de Lavio-lette.

M. Joiivet: M. le Président, je voudrais poser une question au député. Je sais que l'article 213 est suspendu pour le moment, mais, s'il y avait consentement, je pourrais lui poser une brève question, quelque chose de très rapide-Une voix: Non.

Le Vice-Président: M. le député, il y a eu un ordre de l'Assemblée et je suis obligé de suivre la motion qui a suspendu la règle de l'article 213 que vous voulez invoquer. Généralement, vous pouvez, de consentement évidemment, mais, dans ce cas-ci, la règle a été suspendue par l'Assemblée, donc elle ne s'applique pas.

M. Joiivet: Je sais, M. le Président, que c'est de consentement, et ce n'est pas du consentement du ministre que je parlais, c'était du consentement de l'Assemblée, parce que je savais bien que c'était l'Assemblée.

M. Lefebvre: Pas de consentement.

M. Joiivet: II n'y a pas consentement à ce que je lui demande combien il y avait d'employés dans le dépanneur?

Le Vice-Président: Un instant. Il n'y a pas de consentement. Je comprends que vous voulez déroger et que vous demandez le consentement pour déroger aux règles adoptées, il n'y a pas de consentement, donc la procédure s'applique intégralement. Je reconnais maintenant, comme prochain intervenant, M. le député de Dubuc.

M. Hubert Desbiens

M. Desbiens: Merci, M. le Président. Nous nous retrouvons encore une fois, pour la quatriè- me fois en vingt ans, plongés dans une crise linguistique au Québec. Évidemment, le prétexte du projet de loi 178 que nous étudions, ce qui fait que nous nous retrouvons plongés dans cette crise, c'est un jugement de la Cour suprême, mais ce n'est pas ce jugement en soi qui crée la crise. S'il y a un jugement de la Cour suprême, c'est qu'il s'est trouvé des gens pour contester une loi, au Québec, qu'on appelle la Charte de la langue française, la loi 101 adoptée en 1977. Après deux tentatives, celle de 1968, avec le projet de loi 63, celle de 1974, avec le projet de 22, la troisième, qui est devenue la loi 101, la Charte de la langue française, a permis aux Québécois et aux Québécoises de vivre une accalmie bienfaisante dans le domaine linguistique au Québec. Pourquoi se retrouve-t-on aujourd'hui encore à l'Assemblée nationale, mais surtout dans la population québécoise, en état de crise linguistique? Peu importe que le gouvernement nous oblige, la baïonnette dans le dos, à voter ce projet de loi à la vapeur, en pleine fin de session, à l'approche de Noël, dans l'espoir que tout ça passe en douce, malgré ce désir, cet espoir du gouvernement, évidemment, cette crise ne fait que commencer.

Si le gouvernement avait voulu régler rapidement et à la satisfaction de la majorité de la population du Québec, une majorité francophone de 84 %, il aurait pu le faire avec l'appui de l'Opposition en votant tout simplement, en restaurant et en respectant l'intégrité de la loi 101 telle qu'elle était et en y introduisant tout simplement une motion, celle du "nonobstant", celle dont, de toute façon, la Cour suprême a reconnu la validité au Québec. Qu'est-ce qui fait qu'on se retrouve encore en crise linguistique? C'est parce que des citoyens au Québec se sont prévalus de leurs droits pour se retrouver en cour et contester la validité d'une clause après d'autres groupes qui avaient contesté, depuis 1977, différentes parties, différents morceaux de la loi 101. Alors il s'est trouvé d'autres groupes pour contester, cette fois-ci, sur l'affichage bilingue. Mais tout cela n'est que symptomatique et cela ne cessera pas, M. le Président. On va régler cette partie et après cela il va s'en trouver d'autres pour aller gruger un autre morceau de la loi 101. Quand on en aura grugé un autre et qu'on aura eu satisfaction, on en entreprendra un autre jusqu'à ce que la loi 101 soit bien détruite et surtout jusqu'à ce que la volonté - mais ça le peuple québécois est là pour en disposer autrement - du conquérant de 1760 soit satisfaite.

C'est de là que ça part. On n'a pas à se le cacher. On a beau essayer de se fermer les yeux c'est là le fond de la question, c'est depuis 1760 que l'avenir du français est remis en cause au Québec, au Canada d'abord et au Québec ensuite. On n'a pas à se le cacher. Il faut tout de même accepter de voir les choses telles qu'elles sont. L'histoire ne commence pas, comme le premier ministre l'a mentionné cet après-midi, en 1760.

L'histoire du Québec est en marche depuis 455 ans bientôt. Le peuple québécois comme peuple, avant même la conquête, avait commencé déjà à vouloir exprimer sa souveraineté face aux Français à l'époque. Quand la conquête a eu lieu, en 1760, c'est bien sûr que le conquérant, comme c'était normal, selon les usages des conquérants, a voulu et a trouvé que le moyen le plus normal était d'imposer sa langue au Canada conquis, le Canada qui était le Québec à l'époque. Les instructions sont venues en 1763 au gouverneur Murray d'agir en conséquence. Celui-ci, on le sait, l'histoire nous l'a enseigné, a essayé d'appliquer en douceur ces messages et ces ordres d'Angleterre, espérant de cette façon mieux atteindre encore son objectif d'assimilation. Mais c'est Francis Brooke, à l'époque, qui disait qu'il faudrait peu à peu rendre l'anglais le langage de la cour du gouverneur. La noblesse, qui ne peut obtenir de faveur que par lui le rendrait bientôt langage universel.

On sait qu'on a gagné quelques échelons en 1774 quand l'Angleterre, devant la peur de perdre l'ensemble de ses colonies d'Amérique et pendant la guerre de Sécession américaine, nous a accordé l'Acte de Québec. Mais en 1791, l'Acte constitutionnel n'a pas davantage rétabli au Canada la langue française. Au gouvernement britannique de l'époque, Fox disait que les distinctions nationales doivent disparaître à jamais et Pitt disait au gouvernement britannique également que la division de la province, à l'époque le Canada évidemment, est probablement le meilleur moyen d'atteindre cet objectif. Cet objectif s'est poursuivi et a continué de se poursuivre. On retrace d'autres parlementaires britanniques en 1810 quand le gouverneur Craig, ici au Canada, insiste sur la nécessité d'assimiler les Canadiens français. C'est en 1834 qu'au gouvernement britannique encore on entend des propos comme "La nation canadienne n'est qu'un nain rabougri qui a dépassé la fleur de l'âge et est sur le point de sombrer dans le néant. Très peu de temps s'écoulera avant que nous n'entendions sonner le glas de cette prétendue nation." (1 h 10)

C'est aussi le Parlement britannique qui a décidé, à partir du rapport Durham, qui avait conclu à la nécessité de les assimiler, de l'Acte de l'union. Toujours le même objectif. Depuis 1760 que cela dure. Cela a continue et la Confédération est née avec en arrière de la tête le même objectif. Depuis la Confédération que l'on poursuit le même objectif. Si cela a des chances de convaincre, il s'agit de regarder Statistique Canada et de voir comment progressivement s'est éteint le français partout au Canada, sauf au Québec encore, à ce jour.

Quand on compare les statistiques, la proportion des Canadiens d'origine française dans chacune des provinces du Canada, dont la langue est maintenant l'anglais, on constate par exemple qu'à rîle-du-Prince-tdouard, en 1921, la proportion des Canadiens d'origine française qui parlaient l'anglais n'étaient que de 1,9 %; en 1971, elle est de 71 %. En Nouvelle-Ecosse, la proportion de Canadiens d'origine française dont la langue est maintenant l'anglais était de 4,4 %, en 1971, à 66 %. Au Nouveau-Brunswick c'était 0,8 % et en 1971 à 15 %. En Ontario, les francophones d'origine qui continuaient de parler la langue anglaise n'étaient que de 4,9 %, en 1971, cette proportion s'est transformée à 52 %. Au Manitoba, elle était en 1921 de 1,6 % alors qu'en 1971, les Français d'origine qui étaient passés à la langue anglaise, autrement dit, étaient de 54 %. En Saskatchewan, de 6,8 % en 1921, les Français d'origine qui parlent l'anglais en 1971 sont de 71 %. En Alberta où ils étaient de 11,2 %, 76 % sont passés à l'anglais. En Colombie britannique où il y avait 12 % en 1921, les Canadiens d'origine française qui sont passés à l'anglais sont de 88 %. C'est comme cela que se fait l'assimilation.

C'est là que, progressivement, la bilinguisa-tion amène une langue. Et les Français d'origine et les francophones ne font pas exception. Faites appel à tous les neurologues, psychologues, psychiatres, linguistes de renommée de toute origine ethnique et de tout groupe linguistique, et la conclusion est toujours la même: il n'y a pas deux langues qui peuvent exister et coexister sur un pied d'égalité. Il y en a toujours une des deux qui prend le dessus. Dans le cas présent, étant donné la situation géographique du Québec, étant donné aussi sa situation démographique dans le grand tout nord-américain où nous sommes environ 5 000 000 sur quelque 260 000 000, alors quelle langue, si on commence à mettre le doigt dans le tordeur du bilinguisme, prendra le dessus à la longue? C'est cela que je demande à mes collègues du gouvernement, mes collègues députés, représentant comme moi cette société francophone à 84 % au Québec, de considérer et de bien peser.

Je suis allé faire un tour au cégep Rose-mont, qui est un cégep multiethnique, constitué de beaucoup d'immigrants, où j'ai rencontré un jeune Vietnamien qui me faisait visiter le cégep. Et ce jeune Vietnamien, à brûle-pourpoint, me demandait combien il y avait de Français au Québec. J'ai dit: On est 84 % de la population, on est 5 500 000 sur 6 500 000. Il est resté tout étonné d'apprendre cela. Aussi étonné que j'ai été évidemment de penser qu'on pouvait ignorer qu'au Québec, c'étaient les Français d'origine qui étaient majoritaires à 84 %. Je lui ai demandé ce qui lui faisait croire qu'on était un petit groupe minoritaire, comme il en avait l'impression. Il me dit: Je reste dans le coin de Côte-des-Neiges, quand je sors dehors, je vois de l'anglais, puis quand je rencontre des gens dans la rue, ils parlent en anglais. Alors, je croyais qu'on était un petit groupe très minoritaire.

Alors, vous voyez l'influence de l'entourage quand vient le temps pour un immigrant de s'en venir vivre au Québec. S'il a constamment sous les yeux de l'anglais, s'il côtoie et entend

constamment de l'anglais, le résultat, ce sera que lui-même constatera que le français - parce que c'est un Vietnamien de langue française - auquel il voulait s'intégrer au départ, puisque c'était sa langue aussi dans son pays, il croira que c'est une langue de minoritaires. Donc, c'est le message qu'avait lu le jeune homme de seize ou dix-sept ans. C'est le message qu'il lisait. C'est ce qu'il comprenait du Québec.

Alors, le message était aussi vrai en 1977, quand on a voté la loi 101, et il est aussi vrai aujourd'hui. Autant aujourd'hui il est vrai de constater que le message qui est envoyé à nos immigrants, c'est celui qui va s'imprégner dans leur esprit et c'est pour ça qu'il est absolument important et essentiel. L'affichage, c'est la vitrine du pays et la vitrine de la langue. C'est la vitrine de ce que les arrivants vont constater et trouver.

C'est donc depuis 1760 qu'on se retrouve dans cette situation où le conquérant, de façon normale, a voulu et continue de vouloir imposer sa langue. C'est cela. On peut très bien nous traiter d'intolérants. D'ailleurs, nous traiter à la fois d'intolérants, comme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration et, dans la même phrase, nous donner un exemple de notre tolérance, puisqu'on a accepté de faire des assouplissements à la loi 101, par l'article 60, entre autres, et qu'on vienne maintenant essayer d'imposer et d'indiquer dans cette nouvelle loi cette modification a la Charte de la langue française, que le bilinguisme est accepté au Québec, c'est le bras dans le tordeur et tout le reste va y passer. C'est ça qu'il est important de retenir et c'est ce que nous dit l'histoire.

C'est ça que nous disent tous ceux qui ont étudié les phénomènes d'acquisition des langues par le cerveau humain. Le cerveau des Québécois n'est pas différent du cerveau de tout autre être humain. Une langue étrangère qui est apprise et pratiquée par les classes les plus influentes d'une nation et encore, en plus, par toute une nation, cessera d'être une langue étrangère; elle deviendra une langue commune et éliminera, par dialectisation ou endettement, l'ancienne langue nationale. C'est un exemple de ce que je disais tantôt, de la part d'un linguiste.

Mais tant qu'un peuple n'est envahi que dans son territoire, il n'est que vaincu. Mais s'il se laisse envahir dans sa langue, c'est fini. C'est là notre responsabilité aujourd'hui, ici, à l'Assemblée nationale, devant ce projet de loi qui vient insidieusement compléter l'oeuvre, mettre en place tous les éléments qui sont de nature à réaliser ce grand projet d'assimilation du peuple francophone et qui vient compléter ce qui s'est passé, ces derniers mois, à Ottawa, un projet de loi qui est aussi une loi, la loi C-72 que vous connaissez et qui vise, selon les propos mêmes de M. D'Iberville Fortier à Hull, en novembre dernier, alors qu'il invitait tous les hommes d'affaires, les dirigeants des milieux d'affaires à contribuer à l'objectif tracé par la loi C-72; à renforcer au Québec la place de l'anglais comme langue d'économie et comme langue du travail. (1h20)

Vous voyez où est-ce qu'on va gruger tantôt dans la loi 101? On commence à nous avertir via Ottawa. Les raisons qui font que je voterai contre, et quoi que pense et quoi que veuille l'actuel premier ministre du Québec, quoi qu'il s'imagine, il vient d'ouvrir une "canne" de vers qui n'est pas prête à se refermer; qu'il ne se l'imagine pas. Il avait pourtant vécu la loi 22, les suites de la loi 22 parce qu'on n'en connaît pas encore les règlements. Vous savez que c'est là que les problèmes vont se mesurer, au centimètre, au millimètre, on ne le sait pas encore, on le saura à ce moment-là. On est obligé de voter malheureusement. Certains le font de gaieté de coeur, semble-t-il, sans même en connaître les résultats.

Je voudrais, M. le Président, apporter ces motifs et ces raisons que je crois valables et soumettre à l'attention de mes collègues des deux côtés de l'Assemblée nationale, parce que je suis fermement convaincu que le geste qu'on pose en adoptant le projet de loi C 178 - on va les appeler C tantôt aussi, comme cela va là - c'est justement le commencement de la fin si on n'y fait pas attention.

De l'autre côté, on nous dit: Comment justifier... Combien de temps, M. le Président?

Le Vice-Président: 20 secondes.

M. Desbiens: Une seule minute. Oh! M. le Président, j'aurais aimé pouvoir reprendre les propos de certains de mes collègues, j'aurais aimé parler de la stratégie fort habile - pour cela, on peut se fier au premier ministre du Québec - qu'il a montée pour faire croire aux francophones qu'ils étaient les privilégiés par ce projet de loi, alors que les anglophones étaient les maltraités. Malheureusement vous m'indiquez qu'il ne me reste qu'une minute, mais je voudrais dire quand même, avec l'ex-ministre de l'Environnement, député de Nelligan, que je félicite - au moins les députés anglophones d'avoir eu le courage de défendre leurs droits - il l'a dit lui-même, il ne faut pas avoir peur de défendre ses droits. Je suis parfaitement d'accord avec tout ce qu'il a dit. Il est en faveur du respect des minorités, des plus faibles dans la société alors, M. le Président, moi aussi, je suis en faveur de cela. Le plus faible, ici au Québec, c'est la langue française. Le plus faible en Amérique du Nord, c'est la langue française. Il parle trois langues, je voudrais bien pouvoir en faire autant. J'ai deux fils qui en parlent trois. Lorsqu'il dit que la langue est un trait d'union, j'aurais voulu aussi lui dire que la langue, pourvu que ce soit la même, peut être trait d'union; mais ma langue, comme l'ex-ministre l'a dit, ce n'est pas une plaie, ma langue n'est pas une plaie pas plus que la sienne n'est une plaie.

Tout ce que j'aurais voulu ajouter, M. le

Président, c'est qu'on n'est pas intolérants. Mes collègues ont soulevé plusieurs arguments. Il s'agit de voir tout ce qui a été fait pour les minorités anglophones entre autres, au Québec.

Je terminerai, si vous me le permettez, en deux secondes, par cette déclaration qui est brève et qui correspond très bien aux sentiments que j'éprouve: ce que nous voulons, c'est un Québec français; c'est notre volonté comme peuple. Nous le voulons pour nous-mêmes pour échapper à notre condition de minoritaires. Nous le voulons aussi pour les autres, pour tous ces immigrants qui viennent enrichir notre communauté nationale et qui trouveront ainsi les moyens de vivre pleinement la vie au Québec. Nous le voulons pour le Canada anglais, qui, dans sa lutte pour son identité culturelle - parce qu'il en a une lui aussi - a le droit de trouver à côté de lui un peuple qui aura su défendre sa langue et sa culture. Nous le voulons pour les Américains des États-Unis qui apprendront ainsi qu'entre voisins d'un même continent, le dialogue des langues et des cultures peut se pratiquer aussi d'égal à égal. Nous le voulons enfin pour toutes les langues et pour toutes les cultures qui, partout dans le monde, subissent la même pression que la nôtre et qui puiseront dans nos luttes et dans nos succès, la preuve que le combat est nécessaire et que la victoire est possible. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président: Je reconnais maintenant M. le député de Taschereau.

M. Jean Leclerc

M. Leclerc: Merci, M. le Président. J'ai écouté avec attention les remarques et les arguments du député de Dubuc. Je vous avoue bien humblement qu'il faut être à court d'argumentation pour devoir remonter à la bataille des Plaines d'Abraham pour justifier son opposition à la loi 178 que nous avons devant nous.

Je suis, moi, en accord avec la loi 178 déposée par le gouvernement qui propose la protection du visage français du Québec et la non-prohibition de l'utilisation d'une autre langue dans l'affichage intérieur, toujours, mais toujours en gardant la prépondérance du français. Et malgré le fait que l'Opposition ait voulu faire croire à la population, à maintes reprises depuis le début du débat, que nous avons consacré, comme gouvernement, le bilinguisme de l'affichage intérieur, vous savez, M. le Président, qu'il n'en est rien. D'abord, parce que nous exigeons partout au Québec, la prépondérance du français, mais ensuite parce qu'il est évident que dans les régions du Québec majoritairement francophones, en aucune façon une autre langue ne sera utilisée dans l'affichage intérieur des commerces. Pourquoi, par exemple, un commerçant de Chicoutimi, où la clientèle est presque à 100 % francophone, aurait-il intérêt à se servir d'une autre langue que le français à l'intérieur de son commerce? Par conséquent, en aucune façon nous ne proposons aux Québécois le bilinguisme partout au Québec quant à l'affichage intérieur. Cependant, là où des Québécois anglophones, chinois, portuguais d'expression, italiens, par exemple, M. le Président, décideront qu'ils veulent se servir d'une seconde langue à l'intérieur de leur commerce, ils pourront le faire, en s'assurant toujours que le français sera prépondérant.

M. le Président, comme la majorité des Québécois d'origine francophone et d'expression francophone, je suis un nationaliste fier de ses origines, de sa langue et de sa culture et je ne crois pas avoir, en ces matières, de leçon à recevoir du Parti québécois. Je suis également, comme la grande majorité des Québécois d'expression francophone, ouvert, tolérant et respectueux de mes concitoyens de langue anglaise et de mes concitoyens allophones. Là, je crois que nous avons, nous les libéraux, des leçons à donner aux membres du Parti québécois. Membres du Parti québécois qui cultivent, depuis le début de ce débat, le mépris, l'intolérance et qui cherchent par tous les moyens, à faire descendre les Québécois dans la rue pour retrouver une crédibilité perdue.

J'ai vu, il n'y a pas si longtemps, comme vous sans doute, M. Parizeau devant 12 000 personnes au centre Paul-Sauvé, triomphant, alors qu'il n'y a même pas une année, H n'était même pas capable, dans mon comté, de remplir un sous-sol d'église. Je vois là, et vous en conviendrez, M. le Président, un opportunisme de mauvais aloi. Que fait le projet de loi 178? Il repose sur la réalité du Québec, la réalité du Québec qui veut que nous formions tous ensemble, les Québécois, une majorité francophone et une minorité anglophone. Majorité francophone qui, elle, est minoritaire en Amérique du Nord. Les Nord-Américains d'expression anglaise sont majoritaires en Amérique du Nord et minoritaires au Québec. Ce qui découle de cet état de fait, ce qui découle de cette réalité, c'est que nous avons le devoir, comme gouvernement, comme Québécois également, de protéger le français. Nous sommes, et le premier ministre l'a répété souvent, le seul gouvernement élu par des francophones en Amérique du Nord et c'est notre devoir de protéger le fait français, mais c'est également notre devoir de prohiber le moins possible nos concitoyens d'expression autre que française. En cela, le projet de loi 178 améliore la loi 101 du fait qu'elle ne prohibera plus l'affichage dans une seconde langue à l'intérieur des commerces, dans la mesure où, toujours, le français sera prépondérant. (1 h 30)

Devant ce constat, comment pouvons-nous expliquer, M. le Président, la position du Parti québécois, eux qui, alors que le député de Mercier, en 1983, présentait à l'Assemblée nationale des adoucissements, eux qui le faisaient en se disant sensibles aux minorités du Québec

parce qu'en 1983, ils ont permis à 67 % des commerces d'afficher dans les deux langues? Alors que nous introduisons par la lof 178 de nouveaux assouplissements toujours en étant sensibles aux minorités du Québec, on nous accuse de vouloir bilinguiser le Québec. Comment se fait-il que de deux gestes à tout le moins similaires, on puisse les associer à des comportements à ce point différents? Comment se fait-il que lorsqu'ils ont assoupli la loi 101, ils l'ont fait pour être sensibles aux minorités alors que, nous, nous le ferions pour bilinguiser le Québec? Vous voyez là, M. le Président, un non-sens évident. Vous voyez là, - et le premier ministre en a fait état souvent, - que la loi 178 est dans le même cheminement finalement que les assouplissements à la loi 101 qu'a votés le Parti québécois avec l'assentiment de l'Opposition d'alors pour des assouplissements de la loi 101.

Ce qui est le plus étrange quand on y pense, c'est que la position actuelle du Parti québécois contre notre loi 178 repose sur la protection du français, dit-il, sur le développement du français au Québec. Ce qui est le plus amusant quand on y pense, lorsqu'on a écouté attentivement les débats que nous tenons depuis deux jours, ceux-là même qui se présentent à nous, qui se présentent à la population comme les grands défenseurs de la langue française, ceux-là même que nous écoutons depuis deux jours, parlent souvent plus mal, font souvent beaucoup plus de fautes de français, utilisent beaucoup plus de mots anglais dans leur discours que nos collègues anglophones de Jacques-Cartier, de D'Arcy McGee, de Westmount, de Nelligan.

J'ai écouté attentivement mes collègues anglophones qui nous ont fait part qu'ils n'appuyaient pas notre projet 178. Ils l'ont fait dans un français qui devrait faire rougir les députés du Parti québécois, qui devrait faire rougir ces députés qui se prétendent les grands défenseurs de la langue française au Québec. M. le Président, j'ai pris quelques notes. Je serai bref. Le député de Dubuc nous a parlé de "canne" de vers tantôt. C'est un beau mot français. Le député de Verchères hier nous a parlé que des francophones seraient "poignes" pour travailler en anglais. Est-ce que ce n'est pas beau ce mot-là? Et c'est comme ça depuis deux jours. Ces grands défenseurs de la langue française parlent moins bien le français que nos anglophones qui se sont exprimés dans des termes, dans des phrases qui sont à peu près parfaites alors que c'est leur second langage et que, pour certains, c'est leur troisième. Je me dis qu'il faut avoir un certain culot pour se présenter comme les grands défenseurs de la langue française. Ils n'ont pas de leçon à nous donner quant à leur façon de parler le français. Ce ne sont pas, M. le Président, des modèles de tolérance. Quand le député de Shefford et le député de Lac-Saint-Jean nous ont reproché d'applaudir notre collègue de Nelligan qui venait démocratiquement nous faire savoir sa position à l'Assemblée nationale, je trouve qu'il s'agit-là d'un geste de mépris que je n'avais jamais vu encore en trois ans en cette Chambre. Voudraient-ils, ces députés de l'Opposition, que nous nous mettions à nous haïr les uns les autres dans le Parti libéral?

Le Parti libéral est le seul parti au Québec qui regroupe les francophones, les anglophones et les allophones. Le débat que nous avons mené sur la Loi 178 en fut un difficile, mais jamais, au cours de tous les débats que nous avons tenus, que ce soit en caucus, en conseil général ou ici à l'Assemblée nationale, jamais nos députés quelle qu'ait été leur position envers la loi 178, jamais le ton, jamais les mots, jamais le discours n'ont été déplacés. Tous les députés ont fait valoir leur point de vue et tous les députés ont été respectés par leurs collègues libéraux. Est-ce que je dois comprendre que les députés du Parti québécois voudraient qu'on se comporte comme eux, M. le Président, alors qu'ils sont 21 seulement et qu'une moitié ne regarde même pas l'autre moitié?

Donc, M. le Président, nous avons vécu, depuis deux jours, un débat difficile. Ce fut un débat quand même enrichissant parce que tout le monde à l'intérieur du Parti libéral a pu s'exprimer franchement, a pu faire valoir son point de vue à ses collègues de l'Assemblée nationale et à la population. Si je peux me rasseoir à la fin de mon intervention en étant optimiste quant à l'avenir du Québec, c'est que je sais que la grande majorité de nos concitoyens sont comme les députés libéraux, ce sont des gens tolérants. C'est ce qui me fait dire qu'un bon jour nous viendrons a bout de cette question linguistique. Mais c'est en continuant de se parler entre Québécois et non en proposant des comportements intolérants à nos concitoyens, comme le fait le Parti québécois, que nous y parviendrons. Je vous remercie.

Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le député de Rousseau.

M. Robert Thérien

M. Thérien: Merci, M. le Président. En raison de l'heure, je dois d'abord remercier mon parti et mes collègues d'être tolérants et de me permettre d'intervenir ce soir et de parler particulièrement du comté de Rousseau, qui est un très bel exemple de cohabitation multiethnique. Le comté de Rousseau, en plus d'avoir deux vocations majeures tels l'agriculture et le tourisme, se compose d'au-delà de dix ethnies qui représentent à peu près 10 % de la population. M. le Président, je ne me présente pas ici comme spécialiste constitutionnaliste, mais plutôt comme quelqu'un sur le terrain qui a travaillé pendant six ans pour une municipalité à titre de maire et trois ans comme député déjà. Je veux vous dire jusqu'à quel point j'ai une certaine pratique de l'application de certaines lois.

M. le Président, avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais juste vous faire remarquer le niveau des intervenants et des interventions des deux côtés de la Chambre. De ce côté-ci de la Chambre, nous avons des interventions basées sur la réalité, l'émotion, le déchirement d'une situation qui est conforme à la réalité. De l'autre côté de la Chambre, il y a des interventions basées sur la confrontation. On veut dire aux gens: II y a un groupe de plus forts, un groupe de moins forts et on va donner plus de droits à l'un qu'à l'autre. J'ai écouté à peu près tous les intervenants et de l'autre côté de la Chambre on passe son temps à nous dire: II y a des gens qui sont là, ils méritent plus de droits et d'autres moins.

Je pense, M. le Président, qu'avec la loi 178 le message est clair. On dit aux Québécois: C'est le français qui prédomine. Le message est clair, même les éditorialistes commencent - ils l'ont fait hier, ils l'ont fait ce soir à différents canaux de télévision - à reconnaître le fait que la décision est ferme et claire. C'est le français, le français à l'extérieur et, à l'intérieur, le français prédominant et une autre langue, par respect de la réalité québécoise.

Bien entendu, on a tout intérêt de l'autre côté à mêler le débat, à parier de l'ensemble du programme de la langue. Je peux vous dire, M. le Président, que chaque citoyen, et très peu ont appelé au bureau de comté... Je demandais leur numéro de téléphone et je les appelais et une dizaine à peine de ces gens-là disaient: Ne touchez pas à la loi 101. Là, je leur demandais: De quelle loi 101 me parlez-vous? L'unilinguisme français dans les commerces, à l'intérieur. Et là je leur disais: Savez-vous que, dans le comté de Rousseau en particulier, 95 % des commerces ont moins de quatre employés et que c'était permis d'afficher en français et dans une autre langue? On touche à quoi? On touche à quoi? 67 % des commerces au Québec avaient cette possibilité-là. Aujourd'hui, on dit qu'on vient de faire quelque chose, qu'on vient de toucher... Je pense qu'il faut replacer le débat.

Je ne veux pas aller plus loin dans ce genre d'intervention parce que je pense que mes collègues l'ont très bien fait. (1 h 40)

Je veux vous parler du comté de Rousseau et, en particulier, de la ville de Rawdon où on vient d'ouvrir, il y a quinze jours, en présence de Mme la ministre des Communautés culturelles, une maison multiethnique. À Rawdon, il y a dix ethnies, en particulier la plus grosse communauté russe du Québec. Tous ces gens vivent en français et parlant une ou deux autres langues. Ils sont parfaitement d'accord avec cela. Je suis convaincu qu'ils sont blessés par le genre de débat que ces gens font, leur disant un peu comme le député de Nelligan cet après-midi: Est-ce une honte de parler ou d'intervenir à l'occasion dans une autre langue? M. le Président, vous le demanderez à Mme la ministre des

Communautés culturelles et aux gens qui les entourent, ces gens se sont adaptés merveilleusement à la société québécoise. Il faut faire confiance aux gens qui arrivent chez nous.

On a dit: On va être très prudent. Eux, je suis sûr qu'ils ne parleront pas français. C'est faux, M. le Président. Il y en a des exemples. J'invite les députés de l'Opposition à venir à Rawdon. Ils vont constater que ces dix ethnies différentes acceptent de vivre en français. De grâce, respectons-le. Le message du premier ministre du gouvernement a été des plus clairs. On s'affiche en français. À l'intérieur, l'obligation du français, prédominance. Je ne veux pas revenir sur ce que l'autre parti a fait en 1983. Je pense que la baloune est dégonflée. Lorsqu'on dit aux gens tout ce que permettait la loi 101, on s'aperçoit que la clientèle était moins vierge qu'espéré. La baloune, terminé.

Je reviens à Rawdon. À ma grande surprise, j'ai visité les écoles francophones et anglophones. Dans les écoles anglophones, on a 40 % du temps consacré à l'apprentissage du français. Est-ce que ce sont des gens qui refusent le français? Faux! Toutefois, dans les écoles francophones, lorsqu'on voulait enseigner l'anglais en première année, scandale, trahison! La période de confrontation est terminée. On est à la période où il y a un réalisme. Ce réalisme est d'intervenir lorsque le français peut être menacé, comme le jugement l'a dit, comme notre gouvernement est intervenu, comme le premier ministre a pris une décision ferme. Mais, M. le Président, tenir des discours comme les gens de l'Opposition en tiennent, je peux vous dire que c'est inviter les immigrants à venir chez nous puis leur foutre une claque sur la gueule quand ils entrent, en leur disant: Écoutez, on va vous donner certains droits, mais à nos conditions.

Mais il faut faire confiance aux immigrants, aux anglophones, ils veulent vivre en français C'est un message d'espoir qu'il faut leur lancer. On va baliser les lois, d'accord. Il faut être prudent, d'accord. Je pense que c'est le message qu'on a laissé. Il faut que le débat soit serein et honnête lorsque l'enjeu parle de l'affichage. Je me rappelle que l'année passée les gens de l'Opposition craignaient qu'on laisse la possibilité d'afficher à l'extérieur dans une autre langue. On disait: II faut préserver le visage. Le visage, M. le Président, il est préservé. Ils sont rendus maintenant à l'âme. Vous savez que c'est dur à vérifier, l'âme. Quand on sait que l'âme a été tachée du péché originel, même celle de ceux qui ont créé la loi, parce qu'ils avaient adopté l'article 60 qui permettait un affichage dans une autre langue... Je peux leur dire que je les félicite. Ils ont bien fait de mettre cet article par respect des gens. Mais lorsque les gens apprennent de mon bureau que pour 67 %, dont 95 % de mon comté, il n'y a aucun changement La baloune est dégonflée parce que c'est une amélioration. En plus, par mesure de sécurité, il y a la clause "nonobstant". Ce n'est pas agréable

de mettre une clause "nonobstant", c'est vrai, on suspend certaines libertés, sauf que sur le plan collectif on a dû prendre cette décision.

Moi, M. le Président, je veux vous ramener à mon comté. Je suis enrichi de représenter une clientèle qui est capable de m'apporter certaines valeurs dans le respect et sur tout l'honnêteté d'un débat qui est faussé par des partisans, par des gens qui s'ennuient de certaines manifestations au bon gré de la vérité. Que ces gens-là se promènent; ils seraient surpris de voir que les anglophones, les jeunes en particulier, souhaitent apprendre le français, souhaitent parler français et souhaitent vivre en français, mais dans le respect. M. le Président, comme tous mes collègues, je suis convaincu d'une chose, c'est que la loi va être très bien acceptée, sauf qu'il va falloir faire comprendre à nos amis immigrants ou anglophones qu'on respecte les droits des personnes, mais qu'on respecte aussi les droits d'une collectivité, qui peuvent être menacés. M. le Président, j'aurais aimé continuer, on manque de temps. Je remercie encore une fois mes collègues de m'avoir permis de m'exprimer et de parler d'un merveilleux comté qui vit une cohabitation basée sur le respect, et en français, M. le Président. Merci.

Le Vice-Président: Je cède la parole à M. le député de Laviolette.

M. Jean-Pierre Jolivet

M. Jolivet: Merci, M. le Président. Je serai le dix-neuvième député du Parti québécois à prendre la parole. Je dois vous dire qu'à l'heure qu'il est, 1 h 45, ce n'est pas avec joie ni avec plaisir que je prends la parole à ce moment-ci, dans la mesure où je pense qu'un débat comme celui-ci, aussi important qu'il soit, mériterait qu'il se fasse dans des conditions meilleures que celles que nous avons actuellement. Vous avez au-dessus de votre fauteuil, M. le Président, vous ne pouvez pas vous retourner mais vous l'avez certainement vue, une fresque, un tableau de Charles Huot. Vous reconnaîtrez très bien, pour l'avoir examiné à plusieurs occasions, un débat chargé d'émotivité, un débat chargé de difficultés, puisque le tableau représente la décision de savoir quelle langue on parlerait en ce parlement. Jamais les débats sur la langue n'ont été des débats faciles. Cela a toujours été des débats où on faisait allusion, de part et d'autre, à des positions diamétralement opposées. Déjà, ici en cette Chambre, le premier ministre en particulier a fait mention de l'histoire telle qu'il a voulu la présenter, mais souvenez-vous du premier projet de loi qui a été présenté en cette Chambre. Il n'y a pas grand monde qui s'en souvient. C'est le député de Saint-Jean, qui était vice-président de l'Assemblée nationale à l'époque, qui l'a présenté, lui qui était ministre de l'Éducation sans être élu ici en cette Chambre, parce que nommé par le premier ministre de l'époque en 1968. Il avait le titre de projet de loi 85. Le deuxième projet de loi qu'il a présenté, parce que celui-ci est mort au feuilleton et n'a pas été rappelé, s'est appelé le projet de loi 63. Allez voir votre histoire et vous allez savoir que Jean-Guy Cardinal a présenté le premier projet de loi ici, le projet de loi 85. Le deuxième, le projet de loi 63, a fait l'objet d'une manifestation monstre à travers le Québec. Puis, il y a eu le projet de loi 22 avec le gouvernement qui nous a précédés et le projet de loi 101 avec le gouvernement dont j'ai eu ia chance et le bonheur d'être membre et avec lequel j'ai travaillé.

M. le Président, d'autres ont fait mention de leurs origines. Moi aussi, je pourrais utiliser mes origines personnelles et parler de mon grand-père maternel, du nom d'Anatole Poirier, qui est de la famille franco-ontarienne des déportés de l'Acadie, M. le Président. Ce sont des gens qui ont vécu avec beaucoup d'anxiété et d'angoisse des décisions qui ont été prises par des gouvernements extérieurs au Québec. Au Canada, à l'époque, il y avait le Haut-Canada et le Bas-Canada. Je pourrais vous parler de ma grand-mère, qui était la femme d'Anatole Poirier, Victoria Papineau, qui était de la descendance de Louis-Joseph Papineau.

Vous ne m'empêcherez pas, M. le Président, comme individu, après avoir vécu dans un milieu comme celui-là, avec mon père, dans les années quarante, qui a fait partie du Bloc populaire, d'avoir des idées et de les défendre. Je ne me ferai jamais le défenseur des idées des autres; je vais me faire le défenseur de mes propres idées. Que les autres défendent leurs propres idées, parfait! Qu'ils le fassent dans la dignité, dans l'émotivité, dans les difficultés du moment, parfait! Jamais je n'émettrai, face à une personne qui aura d'autres vues que les miennes, des propos qui auront pour but de détruire la personne en tant que personne.

Mais vous allez me permettre de penser que, si cette personne a des positions à défendre, c'est parce qu'elle a aussi une histoire. Moi, j'en ai une comme individu. Mon histoire m'indique, pour avoir été prof d'histoire du Canada à l'époque, qu'en maudit d'avoir des livres, comme on en avait à l'époque, de Laviolette, vous vous en souvenez tous, nous avons décidé, comme professeurs de niveau secondaire dans les années soixante, de faire, à partir de livres qui étaient meilleurs que celui de Laviolette, un vrai livre de l'histoire du Québec, dans les circonstances que nous avions vécues, dans les années difficiles de la colonisation du Québec. J'ai une histoire, j'ai des convictions et c'est ce que je cherche à défendre. Mais vous me permettrez aussi, en même temps, de dire que je suis déçu de voir que, dans ma propre région, à presque 100 %, 90 % francophone, il y a des gens qui acceptent aujourd'hui, par naïveté politique ou par jeu politique...

C'est un mot que je n'aime jamais employer, M. le Président. Quand on dit: J'ai un rôle à

jouer. Je n'ai pas de rôle à jouer ici à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas vrai. J'ai un travail à faire, selon mes convictions. Ce n'est pas parce que j'emploie un ton plus solide, plus fort que par le fait même je suis un épouvantable criard. J'ai une voix comme cela. La Providence m'a doté de cette voix et je l'utilise. Je peux l'utiliser comme je l'utilisais avec mes étudiants. Je peux baisser le ton, faire en sorte que les gens disent, comme lorsque j'ai lu la pétition lundi matin ici: Plus fort. Pour une première fois, je me faisais dire ici en cette Chambre de parler plus fort. Pourtant, je n'ai pas de difficulté à parler plus fort; je parle fort naturellement.

Mais, je veux défendre avec conviction ce à quoi je pense, sans aucune naïveté, non plus, de ma part, en vous disant que la crainte que j'ai est toujours la même. Je ne connais pas, dans l'histoire, un peuple qui a été dans sa vie conquis qui voudrait que le conquérant, par tous les moyens à sa disposition, le lui fasse d'abord savoir; deuxièmement, lui indique qu'il veut avoir tous les pouvoirs; troisièmement, ne voudrait pas être une minorité dans une majorité, parce qu'il pense être une majorité. Il a raison, ce peuple, cette nation, de se considérer comme majoritaire au Canada. Mais, malheureusement, l'histoire a voulu qu'au Québec, il soit minoritaire. Mais cela ne m'empêche pas de penser que moi, ici, je suis majoritaire, tout en sachant que je suis minoritaire dans le reste du Canada.

Une fois ces constatations fartes, qu'on vienne aujourd'hui me dire: Je démissionne de mon poste de ministre, je démissionne à l'extérieur du Conseil des ministres, mais je reste à l'intérieur du Parti libéral... J'ai des convictions assez puissantes, parce qu'il y a des gens qui ont pris ces décisions à l'Assemblée nationale, dans mon propre parti, et cela m'a fait mal. J'ai signé la démission d'un de mes collègues, confrère et ami, Pierre Marois. Je m'en souviendrai toujours, M. le Président. Des gens m'ont demandé: Pourquoi as-tu signé sa démission? Parce qu'en vertu de la loi il faut une signature. Deuxièmement, je me suis dit: Si ce n'est pas moi, c'est un é autre. Troisièmement, parce que je lui ai dit: Si tu es décidé, je vais t'aider à accomplir le geste que tu veux poser. Il a démissionné de l'Assemblée nationale à tous les titres. Dans d'autres cas, ils sont devenus indépendants pour défendre leur position. Mais qu'on vienne me faire accroire...

Je les respecte. Je suis capable de dire que le député que j'estime, le député de Westmount, a pris une décision qui le concerne, tout comme mon collègue ici en arrière, le député qui a décidé de voter contre le projet de loi. Je le respecte. Je peux croire qu'il a vraiment raison. Mais je peux aussi me poser de sérieuses questions quant à la stratégie qui peut être décidée quelque part. J'ai le droit de le penser et de le dire à tout vent. Je pense qu'il y a des démissions basées sur des convictions. Mais je sais aussi, quand je regarde le ministre de l'Énergie et des Ressources, voir que peut-être à ne démissionne pas pour d'autres raisons, parce qu'on sait que c'est peut-être le seul canal qu'ils auront pour faire connaître leur point de vue, parce qu'ils n'auront de cesse que le jour où ils auront obtenu complètement les pouvoirs qu'ils voulaient.

Je suis, cependant, peiné de voir que des gens qui se disent nationalistes francophones acceptent ça sans dire un mot, en disant: Écoutez, nous avions une loi 101 qui protégeait des choses, qui donnait des garanties et qui, aujourd'hui par une décision de la cour, passe à un autre secteur, c'est-à-dire qu'aujourd'hui I y a des gens qui décident d'enlever des pouvoirs à ceux qui en avaient, qui sont des francophones. On en donne, mais, malheureusement pour ceux qui quittent, pas assez à l'autre minorité, anglophone. Cela je le conçois et je le vois. Et quand je vois mon ex-collègue, l'ex-ministre Yves Beaumier dire, dans Le Nouvelliste d'aujourd'hui: "Bourassa a l'angoisse de la décision et la passion du pouvoir", je dis la même chose que lui. Nous avons devant nous un calcul politique d'une personne qui a décidé de dire: Combien de personnes vais-je perdre? Combien de votes vais-je perdre si je prends telle décision? Combien de personnes, combien de votes vais-je perdre si je prends telle autre décision?

Le premier ministre a décidé ainsi. Il a le droit et le pouvoir, de le faire mais j'ai le droit et le pouvoir de le critiquer, de dire que je n'accepte pas ça, de lui dire que je réagis difficilement et vigoureusement face à mes collègues libéraux de ma propre région qui ont laissé le député de Nicolet parler en leur nom, mais qui, eux, ont réagi dans les journaux, à la radio et à la télévision de chez nous, surtout le député de Trois-Rivières qui est allé dire qu'il était enthousiasmé par la décision du premier ministre. Cela me fait de la peine. Pourquoi? Parce qu'ici, en cette Chambre, nous avons adopté un projet de loi sur les services de santé et les services sociaux. Quelle est la personne dans la région de la Mauricie, à 90 % ou 95 % francophone, qui a défendu les employés des centres d'accueil, des centres de services sociaux, des CLSC, des hôpitaux, de l'ensemble de ces services contre la possibilité de bilinguisation des postes? C'est la réalité dans ma région. Allez voir les journaux de l'époque, allez voir la télévision, allez voir les radios de l'époque, qu'est-ce qui est arrivé? Le député de Laviolette a fait une sortie contre les velléités du Conseil régional de la santé et des services sociaux en disant qu'au bout de la course on pourrait congédier des personnes parce que des personnes à la réception, à l'admission, à l'information n'étaient pas capables de donner de l'information dans les deux langues, alors qu'on pouvait, comme on l'a toujours fait dans les centres hospitaliers et ailleurs, avoir des personnes qui parlent l'anglais, des personnes qui parlent le

français et même, dans certaines circonstances, d'autres langues si nécessaire et, par le moyen de la discussion à l'intérieur de ce centre, donner des services à une population qui en a besoin dans des circonstances urgentes. Qui l'a défendu? Le député de Laviolette.

Je ne fais pas confiance et je ne ferai confiance d'aucune façon aux députés libéraux pour défendre ces causes dans notre région parce qu'ils ne l'ont pas fait. Et ça, M. le Président, il me semble que j'ai le droit, comme député d'une région, de le faire savoir, comme le faisait savoir, d'ailleurs, la caricature du journal Le Nouvelliste, encore aujourd'hui, de Delatri qui montre le premier ministre avec deux faces: d'un côté, une tarte venant des anglophones et, de l'autre côté, une tarte venant des francophones et indiquant exactement le problème de cet homme qui a l'angoisse de la décision et la passion du pouvoir. Il fait des calculs politiques sur le dos de ceux qui forment la majorité au Québec et il va le regretter un jour, mais, malheureusement, la population du Québec va aussi avoir des difficultés en cours de route. Le député de Taschereau, mon ineffable collègue, dit que nous espérons, que nous fomentons des troubles au Québec. Ce n'est pas mon désir, ce n'est pas mon souhait. Comme député d'une région qui a été capable de faire valoir ses points de vue, nous n'avons pas besoin de ça. (2 heures)

Mais je peux vous dire que cela a été spontané, ce qui a été fait la fin de semaine dernière. Cela a été fait spontanément par des gens qui ont compris qu'il y avait des dangers. Il a beau dire que c'est le Parti québécois qui a fait cela, je dois lui dire que, s'il avait eu le courage comme nationaliste d'être avec nous, il aurait compris que ce n'était pas vrai, ce qu'il est en train de dire. Il y a au Québec, à l'extérieur, des gens qui font des pressions sur l'intérieur et, à l'intérieur ici, des gens qui sont en train de donner des messages à l'extérieur qui sont vraiment dangereux.

Il me semble que ce n'est pas difficile de faire comprendre cela au premier ministre qui lui-même disait en Ontario que le bilinguisme sur les artères de Montréal en particulier était un danger d'anglicisation. Ce n'est pas Jean-Pierre Jolivet qui dit cela. C'est le premier ministre du Québec lui-même. C'est un danger. Le bilinguisme est le début de l'anglicisation. C'est le transfert d'une langue à une autre. C'est d'une langue à une autre dans des circonstances où on l'étend à tout le Québec.

On a beau, de l'autre côté, nous faire mention de l'article 60, quand on considère que c'est dans des bâtisses et dans des lieux de quatre employés et moins, dans des lieux où c'est familial en particulier, dans des lieux où, justement, on nous reproche aujourd'hui d'avoir fait, après l'utlisation de la Charte de la langue française des correctifs nécessaires. C'est correct de le faire de même, mais pas de l'étendre à l'ensemble du Québec, dans tous les centres commerciaux, dans toutes les bâtisses, alors qu'on sait très bien que ceux qui vont chez les dépanneurs et dans des petites bâtisses représentent un pourcentage de la population différent des centres commerciaux. Cela représente quoi? 4 %, 5 % ou 6 % de la population qui utilisent ces lieux. Ce n'est pas comme dans un grand centre commercial. Allez voir dans le temps des fêtes ce que sont les centres commerciaux.

Le député de Rousseau faisait mention de son comté. Je pourrais faire mention du mien aussi. Je pourrais faire mention de celui de La Tuque. J'ai parlé avec des gens de La Tuque, je vais être honnête avec vous, M. le Président. De la même façon, si on parlait du Saguenay-Lac-Saint-Jean, certainement les problèmes ne sont pas les mêmes qu'à Montréal. Vous comprendrez cela très bien, pas de difficulté. Mais le jour où Zellers, Simpsons-Sears, Eaton ou les grandes chaînes de La Baie et les autres désireront faire des envois dans chacun de leurs locaux dans tout le Québec, les gens ne parleront plus de la même façon parce qu'on aura, à ce moment-là, compris, contrairement à ce que dit le député de Rousseau, que, dans tout cela, il y a quelque chose qui est vicié au départ et qui est dangereux. C'est ce à quoi nous invitons les gens.

L'éditorialiste du journal Le Nouvelliste d'aujourd'hui, Sylvio Saint-Amant, intitulait son article "Sérieuse menace". Il terminait en disant: "Comme le projet de loi 178 est très complexe et qu'il dépendra d'une réglementation non moins complexe, il serait ardemment souhaitable que M. Bourassa reporte après la période des fêtes cette pièce législative excessivement importante pour l'avenir du Québec, plutôt que de recourir à la matraque."

Ce que nous disons au premier ministre, la vice-première ministre nous l'a indiqué dès le premier discours, ici en cette Chambre, à l'arrivée au pouvoir du Parti libéral: Nous allons légiférer moins, nous allons légiférer mieux et nous allons éviter la réglementation. Nous allons même passer une loi contre la réglementation. M. le Président, nous sommes rendus, au moment où on se parle, avec un projet de loi dont la réglementation ne sera connue que peut-être dans six mois et dont on ne connaîtra l'application que dans deux ans parce qu'on dit que sa pleine vigueur sera deux ans après. Les gens auront deux ans pour se préparer à la mise en vigueur de cette loi.

Comment se fait-il que, nous, comme députés, contrairement à ce que disait le député de Trois-Rivières qui n'est pas capable d'aller dire aux journalistes: Je les ai, les règlements, entre les mains... Parce que le ministre lui-même, ce matin, nous disait qu'il ne les avait pas, qu'il ne les déposerait pas immédiatement, que ce serait peut-être dans deux mois, trois mois ou six mois. Souvenez-vous, M. le Président, qu'il y a des dangers potentiels d'élection à cette date-là. Cela veut dire que ce sera reporté encore

plus loin. Donc, quand allons-nous connaître les règlements, d'après vous? Fort probablement après les élections, puis dans des circonstances où on aura des difficultés à les discuter, parce que les règlements, une fois que la loi sera adoptée, vous savez ce que cela veut dire: prépublication de 45 jours où on peut faire valoir nos points de vue sans nécessairement avoir de commission parlementaire et, en fin de compte, application par décret, et c'est directement envoyé pour la publication finale.

M. le Président, nous en sommes donc cette nuit, plutôt, devrais-je dire, ce matin, à la fin de ce débat, au moment de la réplique du ministre. Nous aurons l'occasion de nous revoir lors de l'étude détaillée du projet de loi, lors de l'adoption du projet de loi lui-même. Mais soyez assuré, M. le Président, qu'à toutes les étapes nous allons, comme membres de l'Opposition, faire valoir la position de l'ensemble des gens que nous représentons. Et nous sommes plus nombreux que ne le pense le député de Rousseau, parce qu'il ne devrait pas oublier qu'un nommé Trudeau a déjà dit, au mois de mai 1976, que le Parti québécois - il disait cela au Japon - était une particule. Cette particule-là avait pris le pouvoir le 15 novembre 1976, au bien-être de l'ensemble des Québécois. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président: Je vais maintenant reconnaître M. le ministre délégué aux Affaires culturelles pour l'exercice de son droit de réplique.

M. Guy Rivard (réplique)

M. Rivard: M. le Président, nous sommes rendus au dernier moment du débat sur l'adoption du principe du projet de loi 178. Tout au long de ce débat, nous avons vu que, dans cette Chambre, il y a deux visions du Québec. La première est déprimante et pessimiste. Elle utilise des leitmotivs négatifs. C'est, évidemment, celle de ces gens qui, depuis 20 ans, veulent séparer à tout prix le Québec du Canada, ces gens qui souhaitent nous convaincre qu'au Québec il faut se sentir mal. Cette vision parle de recul, de dégradation de la situation en matière linguistique. Le chemin parcouru depuis 25 ans par notre société, par sa majorité francophone et par le français, ne fait pas l'affaire de ces gens. Leur discours ne tient pas compte de ce progrès. Cette vision du Québec d'aujourd'hui est celle qu'ont adoptée les représentants de l'Opposition au cours de ce débat. Quand ils se sont exprimés sur le projet de loi 178, les députés de l'Opposition ont conservé cette attitude défaitiste et morose.

Certains ont qualifié le projet de grand danger pour la société québécoise. On a dit au gouvernement: Ne prenez pas de chance. Ces leitmotivs ne peuvent que stimuler l'expression de mécontentement et se solder par la somme absolue de toutes les expressions possibles de déprime. Ces leitmotivs encouragent le sentiment de l'oppression à la suite de la conquête. Encore une fois, ces idées sont véhiculées, au premier chef, par des gens qui n'ont qu'une idée en tête: promouvoir l'indépendance du Québec. Ces leitmotivs méprisent les Québécois et leur capacité de s'ajuster à tous les aspects de la réalité nouvelle du Québec. Ils veulent engendrer la peur, le pessimisme, la certitude que les francophones sont en train de se faire avoir et que le français va disparaître au prochain lever du soleil.

À cette vision déprimante et pessimiste du Québec et des gens qui y habitent, il faut opposer une autre vision en parfait accord avec le Québec de 1988. C'est une vision libérale qui mise sur la capacité et la confiance en eux-mêmes des Québécois. C'est une vision moderne axée sur la croissance et le développement du Québec. C'est une vision optimiste qui veut que l'on puisse vivre en français dans un Québec ouvert sur le monde. C'est une telle vision qui est à la racine du programme du Parti libéral du Québec auquel j'appartiens. Notre objectif, dit ce programme, est de voir grandir une société florissante et dynamique en Amérique du Nord et non une collectivité étriquée et repliée sur elle-même. Cette société distincte par sa langue et sa culture, nous la voulons fraternelle et prête à assumer, sans réserve, les valeurs et l'apport de la communauté anglophone et des autres communautés culturelles établies sur le territoire.

Nous devons aujourd'hui réviser la loi linguistique à la suite du jugement de la Cour suprême. Celle-ci a reconnu que nous pouvions le faire, car le français au Québec est fragile. On se rappelle que la Cour surprême a reconnu que cet objectif est important et légitime, et a déclaré que le Québec a la compétence requise pour légiférer dans le domaine linguistique.

De même, la cour a affirmé que, dans la loi, on devait tenir compte de la réalité sociolin-guistique du Québec. Le projet de loi que nous avons déposé aujourd'hui assure un équilibre entre deux valeurs fondamentales pour les Québécois de toutes origines: la promotion de la culture française et le respect des droits et des libertés des personnes. Il s'agit là de valeurs et de principes qui sont au coeur de la philosophie du Parti libéral et du gouvernement qui en émane.

La décision historique que le gouvernement vient de prendre préservera le caractère français du Québec en garantissant la présence du français partout et avant tout. L'affichage extérieur se fera uniquement en français. L'affichage à l'intérieur des commerces se fera obligatoirement en français. Il sera possible, mais non obligatoire - c'est un choix pour le commerçant - d'utiliser une autre langue et ce choix devra être conforme, d'une certaine façon, à la demande du consommateur.

Mais l'utilisation facultative d'une autre langue sera permise pour autant que le français

soit prédominant. La liberté d'expression des commerçants, comme celle des consommateurs, est donc respectée. Voilà une décision simple, une décision compréhensible, une décision de plus en plus perçue comme juste et de bon sens.

Aujourd'hui, nous avons assisté à la démission de trois collègues du Conseil des ministres. Les mots lourds de sens et empreints de modération et de dignité qu'ils ont utilisés pour expliquer leur geste ont suscité chez nous l'admiration pour leur courage et les convictions manifestées. Ces démissions m'ont personnellement touché. Je m'étais souvent assis avec ces collègues pour discuter de langue et de droits, et je savais qu'ils étaient déchirés par cette question.

J'ai été profondément ému et j'ai réalisé jusqu'à quel point l'exercice de la politique pouvait cimenter une équipe. Nous avons vécu ensemble un moment riche de fraternité. Quelle surprise, quel ébahissement d'entendre le député de Lac-Saint-Jean nous dire qu'il était inconvenant, qu'il était honteux de la part de députés libéraux francophones d'ovationner ce grand homme, le ministre de l'Environnement, à la suite de sa remarquable et émouvante allocution mettant un terme à sa carrière de ministre! Il n'y a qu'une façon de qualifier ce geste inouï: ça manque de classe.

Tout au long de ce débat, vous avez parlé, somme toute, de ces mauvais Québécois que nous sommes à vos yeux. Vous avez parlé d'une langue; nous avons parlé des gens qui la parlent. Vous avez parlé de guerre; nous avons parlé d'harmonie. Vous avez crié; nous avons patiemment expliqué. Vous vous êtes réfugiés dans le passé; nous avons regardé l'avenir.

La fierté pour ma langue, pour mon drapeau, pour ce coin de pays, je la porte dans mon âme de Québécois. Je n'ai pas besoin de crier pour la démontrer. Je la vis tous les jours et c'est avec fierté que je défends aujourd'hui ma langue et que je propose l'adoption du principe de ce projet de loi. Merci.

Des voix: Bravo!

Le Vice-Président: Le débat étant terminé à cette étape-ci de l'étude du projet de loi, est-ce que l'Assemblée est maintenant prête à se prononcer sur l'adoption du principe du projet de loi 178? M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: M. le Président, je demande le vote par appel nominal.

Le Vice-Président: Donc, un vote par appel nominal, reporté à la prochaine période des affaires courantes. M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: M. le Président, je fais motion pour ajourner les travaux à ce matin, 10 heures.

Le Vice-Président: Cette motion est-elle adoptée?

Des voix: Adopté.

Le Vice-Président: Adopté. En conséquence, les travaux de l'Assemblée nationale sont ajournés à ce mercredi 21 décembre, à 10 heures.

(Fin de la séance à 2 h 15)

Document(s) related to the sitting