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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Thursday, October 2, 1997 - Vol. 35 N° 12

Audition des sous-ministres de la Sécurité publique et de la Justice concernant l'administration des sentences et la réinsertion sociale des délinquants


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Table des matières

Remarques préliminaires

Exposé du Vérificateur général

Exposé du sous-ministre de la Sécurité publique

Exposé du sous-ministre de la Justice

Discussion générale

Remarques finales


Autres intervenants
Roger Lefebvre
M. Lévis Brien
Mme Diane Barbeau
M. Michel Côté
M. Pierre Marsan
M. Michel Létourneau
*Mme Louise Pagé, ministère de la Sécurité publique
*Mme Isabelle Demers, Commission québécoise des libérations conditionnelles
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures neuf minutes)

Le Président (M. Chagnon): Alors, je déclare la séance ouverte, la séance de la commission de l'administration publique, dont le mandat se définit comme suit: la commission est réunie afin d'entendre le sous-ministre de la Sécurité publique et le sous-ministre de la Justice concernant l'administration des sentences et la réinsertion sociale des délinquants conformément à la Loi sur l'imputabilité des sous-ministres et des dirigeants d'organismes publics.

Je vais demander au secrétaire s'il y a des remplacements ou s'il y a une participation de membres temporaires.

(9 h 10)

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Lefebvre (Frontenac) et M. Williams (Nelligan) ont été désignés membres temporaires pour la séance.


Remarques préliminaires


M. Jacques Chagnon, président

Le Président (M. Chagnon): Alors, nous aurons des remarques d'ouverture de quelques minutes. J'essaierai d'être le plus bref possible pour nous permettre d'entrer dans le vif du sujet le plus rapidement. L'exposé du Vérificateur général, une dizaine de minutes, l'audition du sous-ministre de la Sécurité publique, une vingtaine de minutes, un mot du sous-ministre de la Justice, une dizaine de minutes, et ensuite nous procéderons à l'étude détaillée du rapport du Vérificateur général, rapport qui a été déposé – le tome I du rapport – pour l'année 1996-1997 et dont le chapitre 3 porte sur l'administration des sentences et la réinsertion sociale des délinquants.

Puisque c'est la première fois que nous avons des moyens de communication avec l'extérieur qui sont aussi sophistiqués que ceux que nous avons actuellement – nous avons la télévision – vous me permettrez, par souci pédagogique, de rappeler aux gens qui pourraient nous écouter que cette commission, la commission de l'administration publique, est une commission qui fonctionne depuis six mois, qui est à l'essai, dont l'essai, semble-t-il, risque de se perpétuer après la fin de son mandat, à la fin d'octobre, dont l'objet particulier est la reprise, et la recherche, et le travail d'approfondissement du rapport du Vérificateur général et aussi, entre autres, parfois, lorsqu'il s'agit de dossiers à caractère administratif, de dossiers soulevés par l'ombudsman du Québec, sans compter évidemment les rapports que nous fournissent les commissions comme la Commission de la fonction publique et d'autres chiens de garde, je dirais, qui sont pour l'Assemblée nationale des éléments extrêmement importants pour pouvoir faire en sorte d'améliorer le travail de l'ensemble des députés.

Vous retrouverez sur cette commission des membres des deux formations politiques, et le vice-président, M. Côté, le député de La Peltrie, et d'autres membres qui sont avec nous ici, qui sont de l'une ou l'autre des formations politiques. Le travail que nous faisons, un travail qui consiste à chercher à améliorer la qualité de notre administration, à s'assurer que la population québécoise puisse en avoir finalement pour le maximum des deniers qu'elle paie et qu'elle paie largement à l'administration publique, notre travail, donc, consiste à chercher quelles ont été les failles de certaines administrations lorsqu'elles ont été soulevées par le Vérificateur général et à suggérer des recommandations à l'Assemblée nationale, recommandations qui sont débattues par l'Assemblée et qui éventuellement deviennent un ordre de la Chambre au gouvernement.

Nous représentons ici non pas l'exécutif, mais nous représentons le législatif, c'est-à-dire les membres élus de l'Assemblée, les députés. L'exécutif, le gouvernement comme tel et ses représentants, plusieurs des membres ici qui sont des sous-ministres, ont, par les pouvoirs de cette commission, la possibilité sinon l'obligation, s'il s'agissait de vous convoquer – mais ça n'a pas été le cas, mesdames, messieurs – de pouvoir rendre compte de votre administration. C'est le principe même de l'imputabilité de l'administration publique qui fait la force et qui aussi crée le dynamisme que cette commission a démontré depuis maintenant six mois.

Trêve de notions pédagogiques, pour les gens qui nous écouteraient et qui se demanderaient ce qui va se passer ici dans les quelques heures qui vont suivre, eh bien, c'est encore une fois une étude approfondie, une étude plus exhaustive du rapport du Vérificateur général, particulièrement sur une partie de son rapport, le chapitre 3 du rapport qui a été déposé au début décembre et qui porte sur l'administration des sentences et la réinsertion sociale des délinquants. Nous avons devant nous les plus hauts fonctionnaires de ce dossier qui vont nous expliquer ce qui se passe dans ce dossier-là.

Alors, j'inviterais tout de suite, sans plus tarder, le Vérificateur général, M. Breton, à nous faire part des recommandations qu'il a émises au moment du dépôt de son rapport, au mois de décembre. M. le Vérificateur.


Exposé du Vérificateur général


M. Guy Breton

M. Breton (Guy): Merci, M. le Président.

Le Président (M. Chagnon): J'ai dit «au mois de décembre», mais c'est au mois de juin. Je m'excuse.

M. Breton (Guy): Merci, M. le Président. Mesdames, messieurs, en plus des vérifications financières menées annuellement au ministère de la Sécurité publique et au ministère de la Justice, nous avons effectué, au cours des sept dernières années, des vérifications d'optimisation des ressources et des suivis de nos constatations et recommandations dans plusieurs secteurs d'activité de ces ministères. Les résultats de ces interventions ont d'ailleurs été présentés dans mes rapports annuels antérieurs. Le tome I de mon rapport annuel de cette année présente dans le chapitre 3 les résultats de notre vérification concernant l'administration des sentences et la réinsertion sociale des délinquants. Nos travaux ont pris fin en mars 1997.

Au Québec, les sentences de moins de deux ans sont administrées par le gouvernement provincial, tandis que celles de deux ans et plus ressortissent du gouvernement fédéral. Le ministère de la Sécurité publique alloue annuellement plus de 225 000 000 $ à la garde des détenus, à la surveillance et à la réinsertion sociale des délinquants. De son côté, le ministère de la Justice perçoit chaque année près de 60 000 000 $ en revenus d'amendes.

Dans le cadre de ce mandat, nous avons vérifié que le ministère de la Sécurité publique et celui de la Justice ont bien mis en place des mécanismes efficaces pour administrer adéquatement les sentences imposées par les magistrats. Ainsi, nous avons examiné les trois types de sentences généralement imposées par les juges, à savoir la détention, l'ordonnance de probation et l'amende. Nous avons également cherché à savoir si les programmes d'intervention du ministère de la Sécurité publique visent la réinsertion sociale des délinquants tout en garantissant la protection de la société. Enfin, nous avons examiné les travaux de la Commission québécoise des libérations conditionnelles afin de vérifier que ses critères de décision sont appliqués uniformément.

Les principaux messages découlant de cette vérification sont les suivants: les établissements accordent des sorties aux détenus de plus en plus hâtivement sous forme d'absences temporaires prématurées. Par ailleurs, les directives du ministère stipulent que les motifs humanitaires invoqués pour accorder des absences temporaires devraient s'en tenir au soutien de la famille, à des événements importants, au maintien de l'emploi, etc. Pourtant, la surpopulation carcérale incite les établissements à relâcher des détenus sous prétexte de motifs humanitaires, et, même si la Commission refuse une libération conditionnelle, il arrive que l'établissement accorde à l'individu une absence temporaire.

La Commission des libérations conditionnelles ne s'assure pas que les critères de décision sont appliqués uniformément. Nous avons noté des variations étonnantes entre les trois régions visitées quant au nombre et à la nature des conditions de libération.

Le Président (M. Chagnon): ...régions visitées?

M. Breton (Guy): Québec, Montréal et Trois-Rivières.

Le Président (M. Chagnon): Merci.

M. Breton (Guy): Les agents de programme d'encadrement en milieu ouvert, PEMO, ne font pas toujours respecter les conditions associées à l'absence temporaire des contrevenants. Par ailleurs, les agents de probation ne parviennent pas non plus à faire respecter les conditions de libération imposées aux contrevenants et ils n'avisent pas toujours les autorités concernées quand les règles de libération ont été enfreintes. Même si le ministère de la Sécurité publique affiche une philosophie de réinsertion sociale, il ne s'assure pas que ses agents produisent une évaluation et un plan d'intervention réellement adapté aux besoins de chaque détenu. En outre, les activités propres à favoriser la réhabilitation, à savoir formation, ateliers, thérapie, séjour en maison de transition, varient considérablement d'un établissement à l'autre. Certains contrevenants condamnés à des amendes sont dirigés vers les établissements de détention parce que le ministère de la Justice ne consacre pas assez d'efforts à la perception. Pourtant, les mesures de remplacement – travaux compensatoires et détention – coûtent cher au trésor québécois.

La condamnation d'un individu nécessite l'intervention de plusieurs agents du système pénal, soit les policiers, les substituts du Procureur général, les magistrats et les employés des services correctionnels. Or, tous ces efforts risquent d'être annihilés si les sentences rendues par le tribunal ne sont pas respectées. Il s'ensuit que des criminels risquent d'être indûment libérés, que certains sont susceptibles de remettre en cause le caractère sérieux de la peine imposée et que la population pourrait perdre confiance dans le système pénal. Pour les fins de la rencontre d'aujourd'hui, nous considérons que la commission de l'administration publique a fait un choix judicieux en retenant ce sujet, compte tenu notamment de la visibilité du sujet et de l'importance des lacunes relevées.

En terminant, j'aimerais souligner la collaboration obtenue de tous les intervenants rencontrés dans l'exécution de nos travaux de vérification et je vous assure de mon entière collaboration pour faire en sorte que les travaux de cette commission parlementaire soient les plus utiles possible dans l'exercice de la présente reddition de comptes. Merci, M. le Président.

(9 h 20)

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie, M. le Vérificateur général. J'inviterais maintenant M. Gagné, Florent Gagné, le sous-ministre de la Sécurité publique. Vous pourrez commencer par nous présenter les gens qui vous accompagnent, évidemment.


Exposé du sous-ministre de la Sécurité publique


M. Florent Gagné

M. Gagné (Florent): Merci, M. le Président. Alors, juste avant de vous présenter les gens qui m'accompagnent, j'aimerais peut-être vous dire d'emblée que je suis honoré d'être devant cette commission. C'est ma première expérience, mais j'ai suivi depuis la loi 198 tout le débat qui entourait l'imputabilité des sous-ministres et je dois dire d'emblée que la nécessité de transparence en matière de gestion des fonds publics et l'obligation de reddition de comptes est une valeur que je partage entièrement. Quand je constate l'opinion que la population se fait souvent de la fonction publique, je me dis qu'une commission comme celle-ci est peut-être un des outils qui vont permettre d'éclairer davantage la population sur ce qu'on fait, la complexité des dossiers et le cadre général qui entoure souvent la prise de décision dans les dossiers.

M. le Vérificateur général vient de faire état des principales constatations de son rapport. Je peux comprendre le citoyen qui est chez lui présentement et qui nous écoute, je peux comprendre qu'il développe un sentiment d'insécurité vis-à-vis de certaines choses qui ont été dites. Mais je pense que la journée d'aujourd'hui nous permettra sinon de le rassurer, tout au moins d'apporter un éclairage plus large et le contexte plus large qui est le nôtre et dans lequel nous agissons chaque jour.

Alors, je suis accompagné aujourd'hui de Mme Louise Pagé, qui est la sous-ministre associée responsable des services correctionnels, donc au coeur du mandat de la commission d'aujourd'hui; de M. Jean-Louis Lapointe, sous-ministre associé aux services à la gestion et qui pourra, pour des questions, disons, plus générales, d'ordre financier, nous assister aujourd'hui; de M. Charles Côté, qui est assis derrière, sous-ministre associé responsable de la sécurité civile – sécurité et protection; de Mme Isabelle Demers également, qui est présidente de la Commission québécoise des libérations conditionnelles, qui est avec nous, de même que de son vice-président, M. Réginald Day; et il y a tout un ensemble de collaborateurs qui relèvent de chacun des sous-ministres associés ou de la présidente que je viens de nommer et qui pourront donc, j'espère, nous accorder un coup de main aujourd'hui.

J'aimerais, si vous permettez, M. le Président – et peut-être dans le même esprit pédagogique qui a été le vôtre dans votre propos d'ouverture – donner un petit peu le cadre général, présenter un peu le ministère de la Sécurité publique. Et, de façon plus précise, évidemment, mon propos s'adressera à l'objet de la réunion d'aujourd'hui, à savoir le rapport du Vérificateur général sur l'administration des sentences et la réinsertion sociale. Mais je voudrais que la commission se sente bien libre, si c'est son souhait, de poser des questions dans d'autres domaines.

Alors, si vous permettez...

Le Président (M. Chagnon): Vous avez 20 minutes, et bien libre à vous d'en disposer comme vous le voulez.

M. Gagné (Florent): Bien. Merci. J'apprécie cette liberté, ce qui nous permettra de situer peut-être le cadre général.

Alors, je voudrais dire peut-être quelques mots de la mission du ministère de la Sécurité publique. Avant que j'arrive à ce ministère, j'avais une perception un petit peu qui était celle des clichés qui circulent souvent: ministère de la police, ministère des prisons, ministère un peu dur où les choses se font un peu comme au régiment. Depuis mon arrivée, depuis trois ans maintenant, j'ai évolué énormément sur cette perception. J'ai constaté que la sécurité publique, au fond, est beaucoup plus que les clichés souvent qu'on véhicule dans la population. Je comprends qu'une telle perception puisse être possible, mais la sécurité publique est au coeur, en fait, de la mission de l'État. C'est un des fondements de la mission de l'État. Je serais malhabile de donner des priorités et de dire que c'est plus important que l'éducation ou la santé, mais je pense qu'on peut dire de façon très certaine que c'est une mission fondamentale. Dans l'ordre chronologique d'organisation des sociétés, c'est probablement la première chose que les sociétés font, c'est de mettre un peu d'ordre, de se donner un ordre moral, tout au moins, un ensemble de règles, un aspect normatif de leur système de valeurs, des règles de conduite qui font en sorte que la vie en société est possible.

Fondamentalement, la mission du ministère tourne autour de cette notion absolument fondamentale d'un certain ordre social qui doit présider à l'organisation et à l'évolution de toute société. Il en va de même dans la vie des individus qui, du berceau jusqu'à la mort, cherchent toute leur vie, au fond, des sentiments de sécurité – sécurité dans la famille, sécurité à l'école, sécurité dans la rue, sécurité dans le loisir, sécurité non seulement de sa personne, mais sécurité de ses biens aussi – et la mission fondamentale du ministère repose sur l'importance de ce concept. La mission consiste à assurer la protection de la population contre le crime et les menaces à sa sécurité. C'est la définition la plus générale qu'on peut donner. Elle se traduit de façon plus précise par des interventions dans les domaines suivants: la prévention, la détection et la répression de la criminalité et des infractions aux lois applicables.

L'administration des décisions des tribunaux – c'est plus précisément le sujet d'aujourd'hui qui nous occupera – constitue un des éléments de mandat en termes de sentence mais aussi de réinsertion sociale des contrevenants. Le soutien et le conseil aux différents intervenants du système de justice, et la protection des personnes, et la sauvegarde des biens en cas de sinistre, c'est tout le secteur sécurité civile, si vous voulez, du ministère de la Sécurité publique. Le ministre de la Sécurité publique dispose à cet égard de pouvoirs importants que je n'énumérerai pas parce que ce serait trop long, mais tout simplement les grandes rubriques: en matière de police, en matière de déontologie policière, en matière de détention, en matière de sécurité civile, en matière d'incendie, en matière de décès – c'est tout le volet coroner qui relève également du ministre de la Sécurité publique – en matière d'alcools, de courses et de jeux – je crois que vous avez eu l'occasion d'entendre la Régie des alcools il y a quelques jours – et certaines dispositions, certains pouvoirs également qui lui viennent directement du Code criminel et qui sont délégués, au fond, au ministre provincial responsable de la Sécurité publique. Alors, ce corpus législatif nous donne tout un ensemble de pouvoirs qui prennent la forme des différents programmes que le ministère administre.

Je voudrais peut-être dire un mot sur la clientèle du ministère. La clientèle, c'est virtuellement tous les citoyens du Québec qui un jour ou l'autre peuvent être interpellés par des problématiques de sécurité: soit qu'ils ont besoin de protection ou soit qu'ils ont malheureusement été contrevenants et que le système de justice doit les sanctionner. De façon plus particulière, il y a des clientèles plus spécifiques aussi, l'ensemble des corps policiers, évidemment. Les municipalités, qui sont des employeurs de policiers, constituent, pour le ministère, des clientèles, je dirais, privilégiées aussi. Alors, c'est l'ensemble des citoyens, mais, de façon plus corporative ou organisée, les corps policiers, les municipalités.

Nous devons, bien sûr, vivre avec des phénomènes. L'impact de la criminalité, l'obligation d'administrer les décisions des tribunaux dans le respect de l'indépendance des juges et des droits des prévenus et des personnes incarcérées, ça fait partie de nos contraintes. Ce que je constate après quelques années dans ce ministère, c'est que, en ce qui concerne le volet institutionnel, c'est-à-dire les réformes, que ce soit de l'organisation policière dans la sécurité civile ou dans les prisons, c'est un ministère qui n'est pas plus difficile et pas plus facile qu'un autre ministère. C'est un ministère qui a des grandes problématiques, mais je pense que nous avons le personnel compétent pour les aborder et que nous pouvons assez bien nous défendre sur le plan institutionnel.

(9 h 30)

Il y a peut-être une caractéristique que j'aimerais signaler à cette commission et à la population qui nous écoute, que dans le quotidien nous vivons des problématiques souvent très sévères reliées à des urgences souvent empreintes d'émotivité, de subjectivité ou de présence, je dirais, de valeurs fortes. On sait toute l'importance que notre société attache à la vie humaine, l'importance que notre société attache aux droits de propriété. Alors, quand on parle d'attentat à la vie, de criminalité qui peut s'attaquer également non seulement à la personne, mais à la propriété, c'est toujours empreint, je dirais, d'une charge émotive très forte de la part des citoyens qui nous interpellent. C'est la même chose en matière de sentence, dont nous parlerons plus tard aujourd'hui.

Je connais le sentiment de la population vis-à-vis la gestion qu'on peut faire. C'est une perception qui est souvent fondée sur des motifs qui sont émotifs, subjectifs, qui n'en sont pas moins importants pour autant et qu'il ne faut pas moins respecter. Mais je pense que ça fait partie aussi des données du décor général qu'on doit avoir en tête pour comprendre, pour bien comprendre ce qu'on fait, ce qu'on fait bien, ce qu'on fait un peu moins bien aussi, d'avoir toujours à l'esprit qu'on le fait dans un cadre qui est beaucoup plus que normatif, d'appliquer une règle de faire ou de ne pas faire, mais qui nous renvoie immédiatement à un système de valeurs qui est très fort, qui est très interpellant. Et ça, je dois dire que, pour le ministre, bien sûr, qui est l'autorité suprême du ministère, mais également pour les fonctionnaires supérieurs et l'ensemble des fonctionnaires du ministère, c'est une réalité qui est extrêmement exigeante. Je pense que les gens ont peu d'idée de la complexité et de la lourdeur de la charge émotive qui peut accompagner la gestion de certains dossiers. Voilà pour la mission.

En ce qui concerne la structure du ministère, sans aller dans le détail, je vais simplement mentionner peut-être les grands programmes et puis je mettrai un petit peu l'emphase sur le programme des services correctionnels.

Nous avons, bien sûr, une Direction générale des services à la gestion qui a pour mandat de coordonner de façon ministérielle l'ensemble des dossiers qui concernent principalement l'administration, les ressources financières, matérielles, gestion du personnel, qui est dirigée par M. Lapointe qui est juste à ma droite, dont le budget est de quelque 12 000 000 $ au moment où se parle. Cette direction générale, donc, plus staff, comme on dit dans le métier, a pour mandat d'assister les autres directions et d'assister le sous-ministre et le ministre de la Sécurité publique.

La Sûreté du Québec constitue le deuxième grand programme du ministère de la Sécurité publique. Bon, c'est en soi un programme extrêmement important en raison de l'argent, des fonds qui y sont consacrés. C'est 287 000 000 $ et, si on ajoute les montants perçus autrement, c'est un budget en tout de 386 000 000 $ à la Sûreté du Québec sur un total de 714 000 000 $ pour le ministère. Donc, c'est un élément extrêmement important du ministère qui compte quelque 5 000 employés, environ.

Quatrième programme – je reviendrai sur le troisième qui est les services correctionnels; je vais le garder pour la fin pour pouvoir élaborer un peu plus – du ministère est la Direction générale de la sécurité et de la prévention dirigée par M. Côté. Son mandat consiste à conseiller le ministre en matière d'organisation policière, de prévention de la criminalité, de sécurité publique et de protection de la population contre les sinistres, également. Y est également rattaché le mandat d'une unité autonome de services, c'est-à-dire le Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale qui est situé à Montréal et qui effectue des analyses pour des fins légales. Cette direction assure également des services de sécurité et de gardiennage dans les édifices publics, de même que la protection des personnalités politiques. Le budget de la direction générale est de 38 000 000 $ avec 572 personnes.

Enfin, la Direction générale des services correctionnels qui constitue le programme 3 de notre ministère a essentiellement pour mandat, au fond, d'administrer les décisions des tribunaux et les demandes des autres intervenants judiciaires en favorisant auprès des personnes qui lui sont confiées la prise en charge de leurs responsabilités. On aura l'occasion plus tard dans la journée d'expliquer de façon plus fondamentale cette philosophie qui nous anime. Deuxième élément de mandat: d'éclairer les intervenants judiciaires sur tous les aspects devant permettre l'imposition des mesures non sentencielles et sentencielles appropriées. Et, enfin, troisième élément de mandat: favoriser la réinsertion sociale des contrevenants, des personnes contrevenantes.

Cette direction est composée de 2 850 personnes. Essentiellement, 2 000 personnes sont des agents des services correctionnels, des agents de probation, également, qui interviennent auprès des contrevenants. Elle dispose d'un budget de 215 000 000 $. M. le Vérificateur parlait de 225 000 000 $ tantôt. On se comprend, c'est parce qu'on n'a pas la même année de base. Mais essentiellement 216 000 000 $, ce qui représente 35 % de l'ensemble du portefeuille de la Sécurité publique et 66 % du ministère si on exclut la Sûreté du Québec. Alors, vous voyez l'importance, au fond, en termes relatifs de cette direction générale, en termes à la fois financiers et en termes de personnel.

Également, le ministère de la Sécurité publique, le ministre, comme vous le savez, a d'autres fonctions qui relèvent de lui: la Régie des alcools, la Commission québécoise des libérations, l'Institut de police, le Commissaire à la déontologie, le Comité de déontologie et le Bureau du coroner. Alors, tout ça constitue un peu l'univers du ministère de la Sécurité publique.

J'en viens maintenant, de façon plus directe, au rapport du Vérificateur général sur le secteur correctionnel. Je voudrais dire d'abord, M. le Président, que le ministère est engagé depuis quelques années, depuis 1994, trois ou quatre ans maintenant, dans un vaste chantier de réforme du système correctionnel qui a pris d'abord la forme de changements structurels au sein du ministère, sur lesquels, je pense, il n'y a pas lieu de s'étendre beaucoup et qui n'ont pas fait l'objet de commentaires de la part du Vérificateur, et des aspects fonctionnels du système.

Mais, de façon plus fondamentale, ces dernières années nous avons amorcé une réforme plus profonde souvent baptisée dans le ministère «le virage correctionnel» – c'est peut-être une mauvaise expression, mais c'est celle qu'on emploie – et qui nous amenés, au fond, à se poser des questions assez fondamentales sur la façon dont notre société traite sa criminalité, comment on se compare avec d'autres sociétés dans le monde et quelle est la voie de l'avenir étant donné les problèmes qui nous interpellent.

Au moment où cette réflexion a débuté, le ministère était confronté à des enjeux majeurs en regard de la protection de la société face aux contrevenants. L'efficacité des solutions existantes plafonnait. Tout le monde le sait ici, je crois, parce qu'on a l'occasion d'en parler souvent, le contexte budgétaire est de plus en plus difficile. Les comparaisons avec d'autres pays, aussi, nous amenaient, nous forçaient à nous questionner sur les approches traditionnelles qui avaient été les nôtres. La chaîne de production du système de justice pénale, du policier qui arrête quelqu'un, le système de justice qui le sanctionne et le service correctionnel qui applique les décisions des tribunaux, manquait, à notre sens, d'intégration.

Alors, c'est à partir, au fond, de ces constats assez généraux – et on aura l'occasion d'entrer dans le détail plus tard aujourd'hui – que s'est graduellement imposée la nécessité de réformer le système correctionnel en s'inspirant notamment de ce qui se faisait aussi dans d'autres sociétés dans le monde, d'autres sociétés évoluées comme la nôtre. Le contexte qui était le nôtre à ce moment-là et qui nous a amenés, au fond, à se poser les questions, c'est qu'au cours des 10 dernières années qui avaient précédé, donc en gros la période de 1985 à 1995, les admissions en détention avaient augmenté de 100 %. Alors, on ne peut rien faire du tout, ou regarder les choses, ou on peut s'interroger. On a plutôt choisi de s'interroger. Mais c'est des chiffres qui étaient assez interpellants, pour prendre un mot à la mode.

Au cours des quatre dernières années qui avaient précédé, cette augmentation avait été de 7,5 %. De 1991 à 1995 – je vous donne ces chiffres parce que je pense que c'est important de partir sur certaines bases solides – l'augmentation de la demande en détention – on définira un petit peu tard ce qu'on entend par demande en détention, c'est à la fois le nombre de personnes, mais la longueur évidemment des sentences qui fait en sorte que tout ça fait une notion de demande, d'une pression sur le système carcéral – y compris en milieu ouvert, donc pour les programmes de réinsertion sociale, de maisons de transition, etc., avait augmenté, elle, de 28 %.

Le système correctionnel s'est ajusté dans les années quatre-vingt-dix, autant que possible, à ces augmentations par l'ajout de ressources, notamment en détention. Le système était passé à ce moment-là de 2 700 places à 3 500, avec des investissements de quelque 183 000 000 $, des investissements qui ont consisté à rénover, à bâtir dans certains cas des centres de détention. Le ministère avait aussi, pour faire face à ces chiffres que je viens de donner, à ces augmentations de la pression, sous la responsabilité à ce moment-là de M. Ryan qui était ministre de la Sécurité publique, présenté à l'Assemblée nationale la loi 147 qui faisait en sorte que les services correctionnels pouvaient permettre la libération progressive à partir du sixième de la peine plutôt que le tiers.

(9 h 40)

Alors, c'était un ensemble d'ajustements qui avaient été à la fois, donc, physiques dans les établissements au niveau de la législation pour faire face au phénomène. Malgré ces ajustements, nous nous retrouvions, en 1994, 1995, 1996, à peu près dans la même situation de pression sur le système que celle que voulaient corriger les éléments que je viens de mentionner, de sorte qu'on voyait progressivement qu'on s'embarquait dans un cercle presque sans fin où la demande appelle des places, les places appellent la demande, un peu un système à l'américaine où finalement on ne voyait pas le bout.

On a plutôt eu tendance à regarder, à ce moment-là, dans les autres sociétés évoluées, ce qu'on fait. On a regardé un petit peu dans tous les pays de l'Europe de l'Ouest, des pays qui ont le même degré d'avancement, je dirais, que le nôtre, ce qui se fait également du côté des provinces canadiennes, dans le reste de l'Amérique du Nord. On a tiré des leçons de ce qu'on a vu ailleurs, que, à criminalité égale... Parce que la criminalité n'est pas tellement différente d'un pays à l'autre, quoi qu'on en dise et quoi qu'on en pense. Quand on regarde de façon approfondie les statistiques, on constate que la criminalité est à peu près égale dans tous les pays d'Europe. Les crimes peuvent varier d'un pays à l'autre, il y a peut-être plus de vols d'automobiles en Angleterre, plus d'un autre type de criminalité en Italie, mais de façon générale la criminalité est à peu près semblable.

Le traitement qu'on en fait, lui, est fort différent. On aura l'occasion d'y entrer peut-être de façon plus approfondie cet après-midi. Il y a des pays qui, face à la criminalité, ont le réflexe d'incarcérer. D'autres ont d'autres réflexes. D'autres sociétés évoluées comme la nôtre ont d'autres réflexes que d'incarcérer. Et la prison est, pour une partie, beaucoup plus petite que chez nous de l'ensemble de la correction qui est apportée à la délinquance. Il y a d'autres types de mesures qui sont amenées. Alors, on s'est dit: Si d'autres sociétés évoluées le font, peut-être que ce seront des pistes de réflexion qui seront intéressantes aussi pour nous.

Alors, on s'est orientés, à partir de ça, résolument vers un système où la répression devait prendre moins de place. Il y avait aussi un contexte ici, au Québec, qui était, à notre avis... On peut évidemment se tromper, je sais qu'il y a d'autres opinions, peut-être même au sein de cette commission, dans les milieux universitaires, dans des milieux correctionnels ailleurs, mais nous en étions arrivés à la conclusion que le contexte général au Québec nous permettait, sans trop de risques, de s'orienter vers une approche appelons-la plus européenne par rapport à l'approche très répressive à l'américaine.

D'abord, plusieurs éléments de contexte étaient favorables à cette révision. Nous avions noté avec grand intérêt une diminution de la criminalité au cours des trois dernières années. C'est-à-dire qu'on est en 1995 à ce moment-là. Je pense que 1991 a été l'année record de la criminalité. Les statistiques ont monté constamment jusqu'à 1991. En 1992, ça a commencé à casser. La courbe tend à descendre continuellement, y compris les dernières statistiques et y compris pour les crimes violents, malgré la perception populaire. Je suis persuadé que, si on demande à 10 personnes dans la rue, il y en a au moins neuf qui vont nous répondre qu'elles sont persuadées qu'il y a plus de violence et de crimes violents aujourd'hui qu'il y a cinq ans ou 10 ans. C'est une perception avec laquelle évidemment nous devons composer, mais les statistiques de la criminalité démontrent qu'il y a une baisse très significative. Alors, nous voyions à ce moment-là un peu de lumière de ce côté, un élément qui était de nature à atténuer le risque, parce qu'il faut quand même reconnaître qu'il y a toujours un risque à prendre un pari, dans un sens ou dans un autre. On a toujours le risque de le perdre. Mais c'était un élément contextuel qui nous encourageait à aller dans cette direction.

Deuxième élément de contexte favorable à un virage correctionnel vers moins de répression, la diminution des comparutions qui a été de 28 % entre 1992 et 1994. Ça, c'est les comparutions devant les tribunaux, les gens qui sont amenés, donc, pour être sanctionnés par les tribunaux. Une baisse assez significative. Et cette baisse s'est poursuivie, je crois que le chiffre est 8,7 % en 1995. En tout cas, au niveau des causes criminelles à la Cour du Québec, c'est le chiffre que j'ai trouvé. Je n'ai peut-être pas l'ensemble, mais c'est quand même l'élément majeur en ce qui nous concerne. Donc, non seulement la criminalité baisse, mais on le voit, on le constate devant les tribunaux, les comparutions baissent également, 28 % sur une période de trois ans et un 8,7 % additionnel en 1995, deuxième élément d'encouragement.

Troisième élément d'encouragement, le Code de procédure pénale – vous le savez parce que certains parlementaires qui sont ici ont travaillé sur cette réforme – a été amendé de façon à ce que les défauts de paiement d'amende amènent moins de gens en prison. On a encore du chemin à faire là-dessus – on aura l'occasion d'en parler avec mon collègue de la Justice aujourd'hui – mais c'est un premier geste qui a été posé par l'Assemblée nationale de nature à enlever de la pression sur le système carcéral, notamment en donnant des pouvoirs plus grands au percepteur d'amendes. Ça, ça a été fait il y a quelques années par la loi 92.

Quatrième élément d'encouragement ou de contexte qui nous encourageait à aller dans cette direction-là, il y a eu une modification très importante au Code criminel – je crois que c'est le chapitre LV maintenant du Code criminel – et ça, suite à des études très poussées sur l'administration des sentences. Le Code criminel a été amendé pour réserver la détention aux contrevenants représentant un danger pour la société. Le Code a ajouté la possibilité pour le tribunal de condamner un contrevenant à une ordonnance d'emprisonnement, mais avec sursis d'application. Comme ça se fait dans certaines sociétés ailleurs, le juge peut condamner une personne à un an de prison, mais la sentence n'est pas exécutée, sous réserve bien entendu que la personne respecte un certain nombre de conditions. Toute la philosophie pénale, à ce moment-là, était de garder la prison, au fond, comme un peu l'élément ultime de correction et que d'autres mesures devaient aussi s'appliquer.

Il y a aussi – je pense qu'on serait malhonnêtes de ne pas le mentionner – le contexte des finances publiques. Comme sous-ministre, comme sous-ministre associé, nous devons composer avec beaucoup d'objectifs. Certains sont d'apparence contradictoire. C'est notre métier d'essayer de les réconcilier autant que possible ou de trouver les solutions les plus adéquates. Mais je pense qu'il faut honnêtement, sans détour, dire que le contexte budgétaire qui est celui du gouvernement du Québec, la priorité que le gouvernement a mise sur la lutte au déficit qui apporte donc dans l'ensemble des ministères une pression à diminuer les ressources qu'on consacre à nos missions respectives, est un élément de contexte que, comme sous-ministre, je me dois évidemment de considérer, même si dans un monde idéal j'aimerais ne pas tenir compte d'une perception, d'une priorité comme celle-là que je n'ai pas à juger comme fonctionnaire, dont j'ai simplement à tenir compte dans mon travail. Alors, c'est un élément évidemment dont il fallait tenir compte.

Finalement, on a tenu compte aussi de l'expertise – on aura l'occasion d'en parler aujourd'hui – très développée des services correctionnels déjà dans les programmes en milieu ouvert. Souvent, les gens pensent que les services correctionnels administrent essentiellement ou s'occupent de gens qui sont à l'intérieur des murs, alors que la réalité est tout autre. Il y a beaucoup plus de gens à l'extérieur, même indépendamment des libérations progressives qui peuvent être données par nos services, en probation, en libération conditionnelle. Pour une personne qui est en dedans, il y en a trois ou quatre qui sont à l'extérieur, dans d'autres formes de programmes. Donc, les services correctionnels avaient déjà développé une expertise très grande dans la gestion à l'extérieur des murs, si je peux m'exprimer ainsi, et c'est un élément d'encouragement.

Autre élément. La population du Québec a des caractéristiques comme n'importe quelle population dans le monde. Une de ces caractéristiques, c'est qu'elle vieillit. Il y a bien des désagréments au fait de vieillir. Il y a aussi d'immenses avantages, de par ce que j'entends dire des gens qui ont pris leur retraite récemment. Mais une des caractéristiques pour nous sur le plan de la sécurité publique qui est intéressante, c'est que la criminalité baisse à mesure que les gens vieillissent, ce qui est un encouragement. Il y a moins de gens dans la «bracket» 18-35 ans – vous me permettrez l'anglicisme, avec mes excuses – et 18-35 ans est la strate de population qui est la plus génératrice de criminalité. Or, Dieu merci, cette strate de population, dans l'ensemble de la population du Québec, est en diminution, de sorte qu'on peut penser que la criminalité pour les prochaines années va diminuer. On a constaté qu'elle diminuait. Il y a peut-être bien des causes que les criminologues pourront étudier. Je serais bien incapable de vous les donner, mais il y a sûrement une cause très observable comme celle-ci qui est le vieillissement de la population.

(9 h 50)

Alors, l'ensemble de ces facteurs, M. le Président, nous a amenés à évoluer vers un système correctionnel qui met davantage l'accent sur la réinsertion sociale et qui nous permet, donc, de... Je résumerais très rapidement que l'objectif, au fond, de cette réforme, c'est la nécessité de passer d'un traitement de la criminalité trop axé sur la répression – on verra des chiffres un peu plus tard aujourd'hui; nous sommes parmi les sociétés qui emprisonnent le plus au monde, après les Américains – et l'incarcération vers un traitement – à partir des éléments d'encouragement que je viens de donner – davantage axé sur la prévention, la résolution des conflits, le recours plus fréquent aux alternatives à l'incarcération, l'incarcération devant être dorénavant perçue et utilisée comme une mesure de dernier recours réservée autant que possible aux seuls individus qui menacent la sécurité du public. Et on aura l'occasion dans les chiffres, notamment, puis dans les types de clientèles qui font l'objet d'absence temporaire de voir si ce principe-là est respecté, si le principe que la prison doit être réservée, autant que possible, aux seuls individus qui menacent la sécurité publique a été observé.

Alors, voilà l'essentiel de la réforme. On aura l'occasion... Parce que je constate que le temps passe vite et je voudrais permettre, M. le Président, que l'échange s'amorce. Je voudrais simplement dire que, en ce qui concerne le rapport du Vérificateur général, nous en avons évidemment pris connaissance avec le plus grand intérêt, comme vous savez. Et je pense, d'abord, qu'il faut se réjouir que le rapport du Vérificateur ne remet aucunement en cause l'orientation fondamentale dont je viens de parler et qui consiste donc à aller vers un système plus ouvert, un système où on mettrait l'accent sur d'autres types de peines que l'incarcération. Le rapport ne contient aucunement – à moins que je l'aie mal lu – de condamnation à cet effet ou d'indication à l'effet que cette orientation fondamentale qui est la nôtre devrait être changée.

Cependant, le rapport soulève un certain nombre de points que nous reconnaissons et qui, s'ils étaient corrigés – et c'est notre intention de faire tout ce qui est possible pour les corriger – sont plutôt de nature à consolider et nous permettre de mieux atteindre les objectifs, au demeurant très exigeants, que nous nous sommes fixés et pour lesquels nous avons une foi profonde. Nous avons déjà, au mois de juillet dernier, donc quelques semaines après le dépôt – je crois que votre dépôt était en mai ou début juin, M. le Vérificateur – mis en forme un plan de réponse aux différents éléments soulevés par le Vérificateur de façon à ce que ce plan correctif des lacunes qui ont pu être observées soit diffusé dans l'ensemble de notre système et qu'on y arrive.

Je voudrais peut-être dire, par voie de conclusion, que les sociétés qui, comme nous, ont passé à travers des réformes comme celle-là ont mis quand même un certain nombre d'années. Je ne dis pas ça pour décourager personne, mais je dis ça simplement pour bien illustrer que le rapport de M. le Vérificateur général est arrivé dans un contexte où la réforme est à ses premières années. Un pays comme l'Allemagne a mis 10 ans avant que son système devienne complètement à maturité, passé d'un système où l'incarcération était le centre de son approche correctionnelle vers un autre type où on a fait chuter considérablement le nombre de personnes en détention avec un système de sécurité publique qui se défend parmi tous les pays du monde. D'autres pays ont mis des périodes plus longues ou plus courtes.

Mais je veux simplement dire que, au moment où le Vérificateur a pris un cliché de notre système, nous étions en phase de démarrage avec, évidemment, vous connaissez la résistance, parfois, aux changements, les difficultés opérationnelles qui se posent de façon tout à fait normale. Donc, ce n'est pas pour implorer la clémence, mais c'est simplement pour vous dire notre détermination à continuer à la lumière de ce qui a été dit et avec la conviction profonde que nous arriverons aux objectifs élevés que nous nous sommes fixés pour le plus grand bien de la population. Merci.

Le Président (M. Chagnon): Merci beaucoup, M. Gagné. Maintenant, j'inviterais le sous-ministre de la Justice, M. Bouchard, à prendre la parole. Évidemment, sur le sur le sujet mentionné, sujet de la recherche du Vérificateur général, l'aspect qui nous touche davantage au ministère de la Justice, c'est toute la question des amendes, des amendes non payées, entre autres. Alors, vous êtes un peu accessoire au principal, si je peux m'exprimer ainsi, dans la commission, mais quand même un élément important des points qui ont été soulevés. Alors, M. Bouchard.


Exposé du sous-ministre de la Justice


M. Michel Bouchard

M. Bouchard (Michel): Merci, M. le Président. Je suis heureux, pour une fois, d'être l'accessoire au principal. Vous conviendrez que j'ai été informé, de façon très récente, de l'intention de cette commission de pouvoir bénéficier des renseignements que pouvait fournir aux membres de cette commission le ministère de la Justice, et j'en suis heureux. Je fais miennes les remarques d'introduction que faisait tout à l'heure mon collègue de la Sécurité publique sur l'importance d'une telle démarche pour notre fonctionnement de société.

Contrairement à mon collègue, je suis entouré d'une très petite équipe ce matin. L'exercice m'apprendra si j'ai fait preuve d'un manque de prudence ou de trop d'audace, mais les gens qui m'entourent sont des personnes qui connaissent bien le sujet de la perception des amendes. Je vous présente d'emblée le directeur général délégué aux services de justice, Me Simon Marcotte, et Mme Line Bergeron qui est la directrice de la vérification interne.

Comme vous venez de le constater, mes remarques sont très, très brèves et ont pour but de dresser un tableau assez rapide de la façon dont, au ministère de la Justice, la perception des amendes est effectuée et d'entamer un début de réponse aux remarques très pertinentes, je dois le dire, formulées dans le rapport du Vérificateur général sur les lacunes constatées, et que nous reconnaissons, dans cet aspect de la perception des amendes au ministère de la Justice.

Dans le domaine de l'administration des sentences, qui est ce matin l'objet premier de cette commission, le ministère de la Justice n'a d'autre responsabilité que celle de la perception des amendes. Une fois que l'infractaire – jargon utilisé chez nous pour désigner la personne qui comparaît devant les tribunaux en matière pénale ou criminelle – ou la personne qui a commis une infraction sort du système judiciaire, une fois la sentence prononcée, l'exécution de cette sentence relève du ministère de la Sécurité publique et le ministère de la Justice n'a pratiquement aucun droit de regard. Et c'est bien comme ça, c'est bien de cette façon que nous entendons le fonctionnement de notre système judiciaire.

Donc, très rapidement, la perception des amendes chez nous a connu des moments difficiles. Il faut bien comprendre qu'une amende, c'est d'abord une créance difficile à percevoir en raison de sa nature. Vous avez tous eu, sans en rougir, dans votre vie jusqu'à maintenant, j'imagine, à payer des amendes. Sauf le député de Frontenac, j'imagine, qui n'a jamais commis d'infraction, c'est bien connu, puisque les ministres de la Justice n'en commettent pas...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bouchard (Michel): ...ou n'en ont jamais commis. Ha, ha, ha! Les sous-ministres en commettent. Alors, on commet des infractions, le plus souvent, au niveau du Code de la sécurité routière. Vous vous rappelez qu'en payant cette amende nous avons l'impression que nous n'en avons pas pour notre argent, contrairement à un bien meuble qu'on achète, une folie, un vêtement qu'on se paie et qu'on n'aurait peut-être pas les moyens de se payer, mais au moins on a le vêtement en échange du paiement qui est parfois douloureux. L'amende, elle, on n'a rien pour. Donc, lorsque le créancier doit à l'État une telle somme d'argent, une amende, la perception est rendue difficile en raison de sa nature.

Les moyens ouverts, aussi, aux percepteurs des amendes sont insuffisants. Nous allons voir, au cour de la matinée, la façon dont le ministère de la Justice entend remédier à ces choses. Mais nous ne sommes pas dans une situation où nous pouvons facilement investir des sommes d'argent importantes pour tenter de recouvrer des amendes qui souvent sont peu importantes. Des frais de huissier, des frais de saisie sont en disproportion souvent avec le montant de l'amende. Donc, le ministère de la Justice, pour une amende de 100 $, va hésiter à engager des frais de huissier ou des frais de saisie, importants souvent, pour ensuite constater que les biens saisissables n'existent pas ou encore ont peu de chances d'être rentables.

(10 heures)

Chez nous, au ministère de la Justice, lorsqu'on parle de la perception des amendes, on touche deux secteurs névralgiques. D'abord, ce qui vient au départ, c'est le traitement des constats. Une amende n'existe que parce qu'un policier ou un enquêteur d'un ministère a délivré un constat d'infraction. C'est à la Justice de traiter ces constats. Par la suite, une fois que le système judiciaire a joué son rôle, le constat devient, dans une forte proportion des cas, une amende qui doit être payée à l'État. On évalue, chez nous, environ 50 000 000 $ d'amendes à percevoir annuellement à la suite d'un jugement. Et, dans les 12 premiers mois qui suivent l'imposition de cette amende, on perçoit 66 % de ces amendes.

Donc, à chaque année, il y a une inflation, si vous me permettez l'expression, d'à peu près une quinzaine de millions de dollars en amendes plus difficiles à percevoir. Et, le rapport du Vérificateur général l'a constaté avec justesse, plus une amende a été imposée depuis plusieurs mois, plus elle est difficile à recouvrer, pour toutes sortes de raisons: impossibilité de relocaliser l'infractaire, celui-ci peut décéder ou encore a des dettes importantes qui l'empêchent de rencontrer cette obligation qu'il a envers l'État, souvent l'individu est sur l'aide sociale. Donc, nous avons des difficultés de perception, et plus l'amende, pour employer l'expression, est vieille, âgée, plus elle est difficile à recouvrer.

En moyenne, les amendes au Québec sont de l'ordre de 150 $, et c'est pour cette raison que je vous disais il y a quelques instants que les frais de perception doivent demeurer proportionnels. En moyenne, les gens sont condamnés à 150 $ d'amende, au Québec. Ceux qui ont pratiqué le droit parmi vous, ceux qui connaissent les frais ou qui encore ont eu recours aux services d'huissiers ou d'avocats, vous allez vite comprendre que les frais reliés à la perception sont souvent supérieurs au montant réclamé. C'est un problème important du système judiciaire auquel le ministère de la Justice s'attaque depuis quelques années, les coûts reliés à la perception non seulement des amendes, mais à la perception des créances que le citoyen peut avoir à l'égard d'autres individus, des dettes.

J'ai dit à quelques reprises que le Vérificateur général et le Protecteur du citoyen, dans une certaine mesure, ont dénoncé certaines lacunes au niveau du fonctionnement dans la perception des amendes, mais nous n'avons pas attendu le dépôt du rapport du Vérificateur général pour tenter de remédier à ces lacunes. D'ailleurs, le rapport du Vérificateur général le spécifie à la page 72, où on signale que «le ministère a amorcé l'implantation de certains mécanismes en vue d'améliorer son processus de perception des amendes. Au cours de la dernière année, il a apporté des correctifs à sa procédure d'enregistrement des revenus. Cependant, il est trop tôt pour connaître l'efficacité de ces mécanismes». Au moment où le Vérificateur général a produit ces données, effectivement il était trop tôt. Il est un peu moins tôt, maintenant, mais encore trop tôt.

Je vais cependant – et ça terminera mon introduction de ce matin – vous faire lecture de certains extraits d'une lettre que j'expédiais tout récemment à mon collègue le secrétaire du Conseil du trésor qui, lui aussi, est préoccupé par ce problème, à la Justice, de la perception des amendes qui sont dues à l'État. Vous savez, les sous-ministres de la Justice et les hauts fonctionnaires n'ont pas simplement à répondre aux parlementaires formés en commission, ils ne sont pas simplement imputables à leur égard de la façon dont on opère, mais également des collègues aussi sous-ministres, et avec raison aussi – le secrétaire du Conseil du trésor en est un – veulent savoir ce qui se passe dans notre perception.

Donc, je lui disais – et c'est là-dessus que je terminerai – dans une courte lettre que je lui faisais parvenir au mois de septembre, que nous avions «pris des mesures afin de corriger les irrégularités relatives à la facturation et au recouvrement des revenus et recettes des services judiciaires signalés dans certains rapports, dont celui du Vérificateur général. Et, à cet effet, depuis avril 1997, un comité s'affaire à identifier les carences au niveau du contrôle des recettes et des revenus et à apporter les correctifs qui s'imposent. Il examine, entre autres, la nécessité des activités réalisées, les outils et les systèmes disponibles, la suffisance des contrôles, la tarification des services, la gestion comptable et les besoins en formation. Au début de l'année 1998, certaines mesures devraient être implantées dans les centres de services».

«Au 1er avril dernier – je cite un autre extrait – nous avons résorbé une grande partie des retards de traitement des constats d'infraction. Par son traitement de masse et sa mission exclusive, ce greffe accélère les procédés menant à la transmission des avis de jugement, et nous faisons des gains significatifs à l'égard des entrées de fonds en amendes et frais.»

Nous avons également pu avoir les lumières d'un comité interministériel conjoint, dont a fait état mon collègue de la Sécurité publique tout à l'heure, pour chercher des moyens légaux plus performants de perception. Nous sommes à examiner la légalité des recommandations du comité. Les services juridiques de notre ministère examinent les possibilités légales, en regard notamment de la Charte des droits, sur certaines de ces recommandations-là qui sont assez innovatrices et qui pourraient permettre une meilleure perception des amendes au Québec.

Nous avons également envisagé – et je terminerai là-dessus – au ministère de la Justice, la création d'une unité autonome de services qui verrait à intégrer tous les efforts qui sont faits au ministère de la Justice dans la perception des amendes. Chez nous, il y a différents services. Je serai plus précis tout à l'heure, en réponse à vos questions, si besoin est. Nous sommes à examiner la possibilité de confier à un seul organisme chez nous toute cette responsabilité, à partir du moment où les constats d'infraction délivrés par les policiers-enquêteurs entrent chez nous, au ministère de la Justice, jusqu'au moment où il est possible, pour le ministère, de percevoir, suite à un jugement prononcé par un juge, l'amende qui découle du constat.

Alors, je demeure évidemment à votre disposition pour répondre à tout questionnement que les membres de cette commission pourraient avoir, tout en vous faisant état que, ayant été informé assez récemment du fait que je devais être devant vous ce matin, je n'ai pu, avec mes collaborateurs et collaboratrices, amener tous les documents dont je pourrais avoir besoin pour répondre à votre questionnement, mais je suis ouvert à y répondre dans la mesure de mes connaissances de ce matin, de celles de mes collaborateurs et même à vous fournir des informations par écrit si cette commission en jugeait le besoin. Et j'espère avoir une autre occasion d'avoir à expliquer davantage à cette commission non seulement ce seul aspect de la perception des amendes, mais l'ensemble des travaux et de la mission du ministère de la Justice que vous connaissez, j'imagine, mais qui pourraient aussi faire l'objet de questionnement chez vous. Je vous remercie de votre attention.


Discussion générale

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie beaucoup, M. Bouchard, d'autant plus que j'atteste, comme président de la commission, que nous vous avons demandé presque à la dernière minute de pouvoir venir nous donner un éclairage sur cet aspect quand même important mais relativement mineur par rapport à l'ensemble du restant du dossier. Mais nous vous remercions grandement de cette ouverture que vous nous faites, et personnellement je pense bien que c'est le cas aussi de tous les membres de cette commission. Nous sommes heureux d'au moins avoir pu entendre ce que vous aviez à nous dire et aussi de voir que vous avez des éventuelles modifications à votre système de fonctionnement actuel qui nous permettront justement d'améliorer la situation.

Quant au ministère de la Sécurité publique, j'aurais un certain point de vue qui pourrait être soulevé, suite à la présentation du sous-ministre, M. Gagné. M. Gagné, vous nous avez dit qu'entre 1985 et 1995 le nombre d'incarcérations a doublé, au Québec, malgré le fait que, d'une part, la population, elle, n'a pas doublé et, d'autre part, ce qui est surprenant, malgré le fait que le nombre d'infractions après 1992, que vous nous avez dit, 1992 inclus, a diminué jusqu'à aujourd'hui. Toutefois, ce que constate le Vérificateur général, c'est que, d'une part, les prisons sont non seulement remplies, mais tellement remplies que, malgré la législation apportée par le prédécesseur, M. Ryan, qui a diminué le temps de présence en prison, donc permettant des libérations conditionnelles plus tôt, malgré cela, les gens qui ont des sentences sont remis en liberté rapidement. Et même les gens qui ont des libérations conditionnelles, selon ce que le Vérificateur général nous en dit, lorsque la Commission des libérations conditionnelles leur dit: Non – je ne dirai pas «M. Gagné» – monsieur, vous ne sortez pas de prison, pour des raisons strictement d'espace et d'organisation de l'espace, d'autres autorités pénitentiaires vont prendre de leur propre chef la possibilité ou la disposition de justement disposer des gens qui ont vu leur demande de libération conditionnelle refusée par la Commission.

Moi, je veux bien qu'on tente d'européaniser notre système d'incarcération, mais je vous mentionne qu'en Europe il y a de nombreuses questions pour le moins qui se posent un peu partout dans à peu près tous les pays européens. Je dirais que l'apothéose de ce questionnement a été l'an dernier, lorsque presque 1 000 000 de Bruxellois ont marché dans les rues de Bruxelles pour se plaindre de leur système pénitentiaire, suite à l'affaire Dutroux, et je voudrais bien qu'au Québec on évite ce genre de question là.

J'ai deux collègues qui ont demandé la parole. J'ai M. Roger Lefebvre, député de Frontenac, et M. Lévis Brien, député de Rousseau. Alors, je vais commencer dans l'ordre de ceux qui se présentent et qui demandent la parole. M. le député de Frontenac.


Réforme du système correctionnel

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Je voudrais saluer les collègues, saluer M. le Vérificateur général, MM. les sous-ministres à la Sécurité publique et à la Justice. M. le sous-ministre de la Sécurité publique, M. Gagné, tout à l'heure, a ouvert son intervention en indiquant que le ministère de la Sécurité publique avait à répondre à une mission fondamentale dans un État comme le nôtre, une société démocratique. Il a parfaitement raison, et je l'ai dit à plusieurs reprises, et M. le sous-ministre a même indiqué que, quant à lui, il ne voulait pas placer dans l'ordre si cette mission-là, à savoir protéger la sécurité des citoyens, était plus importante ou moins importante que d'autres missions qui sont de la responsabilité de l'État, entre autres la santé, et je suis d'accord avec lui.

J'ai souvent dit ici, au salon rouge, à l'occasion de commissions parlementaires tout comme à l'Assemblée nationale, que, quant à moi, les missions de l'État fondamentales, les trois plus importantes missions sont la santé, l'éducation et la justice. La justice et la sécurité publique, quant à moi, ça va ensemble. Puis dans quel ordre faut les placer? C'est une question évidemment d'appréciation, mais elles sont, quant à nous, du côté de l'opposition, du Parti libéral, tout aussi importantes l'une que l'autre.

(10 h 10)

Ce que l'on constate malheureusement, c'est que le gouvernement qui est en place depuis septembre 1994 s'attaque à ces grandes missions de façon absolument désordonnée. On a procédé au virage ambulatoire d'une façon brutale et inhumaine et, en matière de sécurité publique, on a procédé au virage carcéral dans l'illégalité au niveau du processus. Ce n'est pas évidemment une illégalité voulue et souhaitée, c'est une illégalité dans les faits, et ça, c'est extrêmement reprochable.

Je voudrais citer le Vérificateur général parce que c'est le rapport du Vérificateur général que l'on discute tous ensemble ici ce matin, M. le Président. Le Vérificateur général, au paragraphe 3.9 de son rapport...

Une voix: Quelle page?

M. Lefebvre: ...à la page 48, a bien cerné le débat auquel nous sommes conviés ce matin. Le Vérificateur général dit ceci. Il en a donné, sauf erreur, lecture tout à l'heure, mais je voudrais le répéter: «La condamnation d'un individu nécessite l'intervention de plusieurs agents du système pénal, soit les policiers, les substituts du Procureur général, les magistrats et les employés des services correctionnels. Or, tous ces efforts risquent d'être annihilés si les sentences rendues par le tribunal ne sont pas respectées.» Et, dans l'évaluation que fait M. le Vérificateur, il démontre de façon claire que plein de sentences ne sont pas respectées.

Évidemment, M. le sous-ministre Gagné – et je le comprends – tente d'interpréter le rapport de M. le Vérificateur comme étant un rapport où on ne retrouve que des reproches, que des recommandations. Il y a beaucoup plus que des reproches, il y a carrément des analyses qui nous amènent à conclure que le virage carcéral s'est fait, se fait, et que ça continue, dans l'illégalité.

Je voudrais rappeler les commentaires qui avaient été faits au moment où, en avril-mai 1996, le ministre de la Sécurité publique du temps, M. Perreault, indiquait son intention de procéder à la fermeture de cinq centres de détention au Québec, décision qui s'inscrivait justement dans la réforme du système correctionnel auquel a fait référence M. le sous-ministre Gagné, tout à l'heure. Je voudrais rappeler les commentaires qui avaient été faits par M. le sous-ministre Carrier. Il disait ceci: «Si ce n'était pas des compressions budgétaires nécessaires, a admis hier le sous-ministre Carrier – c'est le 3 avril 1996 que ce commentaire-là a été fait – nous aurions aimé bénéficier d'une plus longue période de transition.» Voici un aveu d'une personne en autorité qui nous indique que ce qui a guidé le gouvernement du Québec dans cette décision de procéder au virage carcéral, à la réforme du système correctionnel, c'était essentiellement une question d'ordre budgétaire, exactement comme ceux et celles qui analysent le virage ambulatoire en matière de santé. Ceux qui analysent le virage ambulatoire arrivent à la même conclusion, que c'est strictement, malheureusement, une question d'ordre budgétaire.

M. le sous-ministre Gagné, en février 1996, alors qu'il rencontrait des intervenants concernés inquiets de la fermeture d'un centre de détention – et je cite un article de presse que j'ai sous les yeux – indiquait ne pas être absolument certain du succès du virage qu'on entreprenait. Il avait quand même été assez honnête pour l'avouer. À une question qu'on lui posait... C'était, sauf erreur, à Waterloo que ça se passait, ça, cette rencontre entre M. Gagné, les gens qui l'accompagnaient – ses collaborateurs – et des intervenants qui venaient plaider auprès de M. Gagné une mauvaise décision quant à la fermeture éventuelle du centre de détention de Waterloo. Et si ça ne marche pas? faisant référence au projet de la réforme du système correctionnel, interrogeait un employé du centre de Waterloo. M. Gagné de répondre, ignorant qu'un journaliste se trouvait dans la salle: On prend un pari. Il arrive qu'on perde des paris dans la vie. Peut-être que les plus pessimistes auront raison et qu'on se cassera la gueule, mais on veut croire le contraire. Je ne reproche pas ça à M. Gagné, évidemment.

Le constat qu'il faut faire, du côté de l'opposition, lorsqu'on prend le temps de lire le rapport de M. le Vérificateur général, c'est que ça ne s'est pas fait comme on le souhaitait. Le pari a été perdu; maintenant, on pourra se reprendre. J'imagine que c'est ce qu'on me répondra. Mais ça presse, M. le Président. On parle de sécurité publique, on parle de protection des citoyens. C'est fondamental dans une société comme la nôtre.

M. le sous-ministre Gagné disait tout à l'heure que le crime diminue, au Québec. Vous savez, il y a toutes sortes de façons, M. le Président, d'interpréter des statistiques, d'interpréter les chiffres, mais ce qu'il y a de plus révélateur, ce sont les bulletins de nouvelles de tous les soirs. On est malheureusement confrontés à une violence presque constante, dans notre société, qui confronte autant les jeunes que nos plus vieux. En 1990-1991, il y a eu 17 626 condamnations, au Québec. En 1995-1996, il y a eu 28 100 condamnations. Alors, la dernière statistique, c'est celle-ci au niveau des condamnations: 1995-1996, 28 000 condamnations; 1994-1995, 25 900 condamnations. Je ne dis pas que les affirmations de M. Gagné quant à la diminution du crime au Québec sont fausses. Je veux lui rappeler d'autres statistiques que j'ai sous les yeux quant au phénomène de la condamnation et, j'oserais dire, compte tenu des compressions budgétaire imposées à la Sûreté du Québec, entre autres. Je ne suis pas un expert en la matière, mais j'ai l'impression que chez nous il y a de plus en plus de crimes qui restent impunis. Ça, c'est préoccupant.

Vous savez, il n'y a rien de mieux, M. le Président, pour faire la preuve de ce qu'on avance, que de prendre à témoin ceux et celles qui sont impliqués dans le système. Évidemment, on ne peut pas, à ce moment-là, douter de l'objectivité des commentaires, des mises en garde qui sont faites. On pourrait, à la rigueur, prétendre que l'opposition cherche à se faire du capital politique. Je dis tout de suite: Jamais sur un sujet aussi délicat. Jamais lorsqu'on parle de justice puis de sécurité publique, sauf que la responsabilité de l'opposition, c'est de vérifier les commentaires, les mises en garde qui ont été faits par des gens qui sont dans le système et aussi non seulement de les vérifier, mais de les évaluer, de les soumettre aux autorités et d'espérer des réponses qui rassureront la population.

(10 h 20)

Je voudrais rappeler les commentaires extrêmement courageux qui ont été faits par M. Richard Pelletier en février 1997. Ce n'est pas loin, loin, loin, M. le Président, c'est tout récent, ça. M. le directeur du centre de détention d'Orsainville, Richard Pelletier, s'exprimait de la façon suivante: «Au Centre de détention de Québec, la surpopulation carcérale oblige maintenant la direction à mettre à la rue des détenus qui, de mon propre aveu – c'est Richard Pelletier, directeur du Centre de détention de Québec, qui parle – constituent un risque sans cesse plus grand. On en est rendus au stade où il faut sortir des gens dont on sait qu'ils n'ont pas abandonné leur intention de récidive ou celle de poursuivre leur carrière criminelle.» M. Pelletier continuait son analyse du virage du gouvernement du Parti québécois de la façon suivante: «Je dois prendre tellement de décisions sur des libérations prématurées...» Libérations prématurées. M. Pelletier a été assez délicat pour ne pas utiliser le mot «illégales». Alors, prématuré, c'est illégal puis c'est irrégulier. C'est ce à quoi fait référence M. le Vérificateur général à de très nombreuses reprises dans son rapport. «Je dois prendre tellement de décisions sur des libérations prématurées...»

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Oui.

Le Président (M. Chagnon): Lorsque vous parlez de libérations illégales, à quoi faites-vous allusion?

M. Lefebvre: Alors, ce sont des congés temporaires qui sont accordés à des détenus avant qu'ils aient purgé le sixième de leur peine, congés temporaires pour la réinsertion. Alors, lorsqu'on utilise la politique de la réinsertion au niveau des prévenus, il y a une condition qui est prévue dans la loi, que le détenu doit avoir purgé le sixième de sa peine, et, dans certains cas, M. le Président, on ne respecte pas cette condition-là.

J'en veux également comme exemples les libérations conditionnelles avant terme. C'est ce à quoi fait référence, sans le dire, M. le directeur du centre de détention d'Orsainville. Alors, des libérations prématurées. Ce ne sont pas des libérations à risque d'un détenu qui a purgé toute sa peine ou qui répond aux conditions de libération, on parle de libérations prématurées. Maintenant, on libère par l'autre bout, c'est-à-dire les fins de sentence.

M. le Président, je veux rappeler à ceux et celles qui nous écoutent qu'on ne parle pas, ici, contrairement à certaines personnes qui ont voulu faire croire à la population qu'il y a des libérations plus ou moins légales, mais qui concernent des infractions mineures – billets d'infraction de vitesse... Ce n'est pas de ça qu'on parle. M. Pelletier disait ceci: Ça concerne des dossiers plus sérieux: voies de fait, violence de toutes sortes, offenses contre les biens, infractions en matière de drogues. C'est de ça que parle M. Pelletier. Conclusion de l'analyse qu'a faite Richard Pelletier, à qui depuis on a imposé le silence: le directeur affirme qu'il n'a rien contre les politiques libérales en matière de détention: «Le problème, c'est tout ce qu'on ne dit jamais. J'ai horreur de ça. Disons clairement ce qu'il en est à la population, elle devra accepter de vivre avec des gens que nous remettons en liberté prématurément. C'est ça, la vérité.» Ce n'est pas l'opposition qui fait une analyse aussi sévère de la décision qu'a prise de façon absolument désordonnée le gouvernement de procéder à la fermeture... Dans le fond, là, entre nous deux...

Le Président (M. Chagnon): Ça va être difficile que ça reste entre nous deux.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: ...oui, et à ceux et celles qui nous écoutent, ce que je dis, c'est: Il n'y a pas eu de réforme, il y a eu la fermeture de cinq centres de détention. Il y avait déjà une surpopulation carcérale; malheureusement, M. le Président, on a accentué le problème.

M. le Vérificateur général, à différentes reprises dans son analyse, conclut qu'il y a de l'illégalité dans le processus des libérations et temporaires et au niveau des libérations définitives. Le paragraphe 3.26 de son rapport, lorsqu'on parle des absences temporaires qui doivent octroyées à partir de critères précis... Les absences temporaires, M. le Président, on en traite dans la Loi sur les services correctionnels, aux paragraphes 22 et suivants.

En résumé, il peut y avoir des libérations temporaires pour trois raisons: humanitaire, médicale, et également, lorsqu'un directeur de centre de détention à qui on fait une demande de libération pour des raisons humanitaires, il n'a pas à se préoccuper si le prévenu a purgé deux mois, trois mois ou le sixième de sa peine. Pour des raisons humanitaires, on peut libérer temporairement le prévenu le lendemain même de son arrivée dans le centre de détention. Lorsqu'on veut cependant, M. le Président, faire de la réinsertion dans la société, le prévenu doit avoir purgé le sixième de sa peine, et les autorités jouent avec ces règles, et c'est ce que note M. le Vérificateur général.

M. le Vérificateur général, au paragraphe 3.29, dit ceci, page 52 du rapport: «Par ailleurs, lorsqu'un individu se voit refuser sa libération conditionnelle – sauf erreur, vous y avez fait allusion tout à l'heure, M. le Président – il n'est plus admissible à une absence temporaire pour réinsertion sociale. Or, encore une fois, les établissements se servent du code 10.» On dit: C'est pour des raisons humanitaires. Illégal, irrégulier.

Comme 3.31. Puis j'essaie de faire le tour rapidement de la situation pour permettre évidemment à d'autres collègues d'intervenir. J'ai choisi, moi, dans cette première intervention, de faire le tour de toute la question pour qu'on sache ce dont on veut parler, du côté de l'opposition, aujourd'hui. Le 3.31, c'est le Vérificateur général qui parle: «Comme la réduction de peine équivaut au dernier tiers de la sentence totale, nous avons été étonnés de constater qu'elle n'est presque jamais refusée, même aux individus rappelés à l'ordre maintes fois par le comité de discipline.» Autrement dit, on ne répond pas aux conditions d'une libération conditionnelle? Pas de problème, on libère le prévenu quand même. Irrégulier, M. le Président.

Surveillance des délinquants en milieu ouvert. Alors, le problème de la surpopulation carcérale a incité le ministère de la Sécurité publique à privilégier des ressources plus légères pour l'emprisonnement dans toute la mesure du possible. Cependant, le ministère ne s'assure pas que les détenus en liberté probatoire sont suffisamment encadrés. Les agents des programmes d'encadrement ne font pas respecter les conditions associées à l'absence temporaire des contrevenants. Illégal, irrégulier, non conforme aux règles, M. le Président.

Le 3.59: «...la surveillance exercée par les agents de probation n'est pas suffisante pour s'assurer que les contrevenants respectent les conditions de leur libération conditionnelle...» M. le Président, non seulement il y a de l'irrégularité au niveau des libérations conditionnelles... Autrement dit, libérations conditionnelles avant terme, libérations conditionnelles pour de faux prétextes. Pourquoi? Parce qu'il y a de la surpopulation. Pourquoi il y a de la surpopulation? Parce qu'on n'a pas les budgets qu'il faut pour aménager des nouvelles places. Non seulement la libération conditionnelle dans plusieurs cas est faite de façon irrégulière, mais même les libérations conditionnelles correctes, lorsqu'elles s'appliquent à des individus qui se retrouvent, dans les sociétés, dans notre société, en liberté, ces libérations conditionnelles, libérations conditionnelles... Il y a des libérations respectueuses des lois, des critères, mais il y a des conditions à faire respecter par ces prévenus qui ont été libérés et ces conditions-là ne sont pas respectées, ne sont pas reprochées aux détenus.

(10 h 30)

C'est ce que dit le Vérificateur général au paragraphe 3.59 de son rapport, que «la surveillance exercée par les agents de probation n'est pas suffisante pour s'assurer que les contrevenants respectent les conditions de leur libération conditionnelle ou de leur ordonnance de probation». Libérations conditionnelles illégales, conditions des libérations conditionnelles non respectées, ordonnances de probation – ça, c'est un autre volet de la question, M. le Président – non respectées.

Le Président (M. Chagnon): Je vais vous demander de conclure.

M. Lefebvre: Alors, la conclusion, M. le Président, c'est qu'on a pris des chances. On s'est dit: Ça va fonctionner. Mais je suis convaincu qu'on savait à l'avance que ça ne fonctionnerait pas. On s'est dit: Ça passera peut-être inaperçu et personne au Québec ne se préoccupera de cette situation-là. Ce n'est pas le cas, et l'opposition en a parlé, d'autres intervenants en ont parlé, M. le Président, de ce qui se passait dans cette décision de réformer le système carcéral. Et la condamnation la plus sévère, c'est celle de M. le Vérificateur général qui – je conclus – nous indique que, dans toutes les étapes, tous les processus de libération des détenus se font à toutes fins pratiques dans l'illégalité: congés temporaires, libérations conditionnelles, conditions des libérations conditionnelles, probations. Tout ce qui touche la libération du détenu, M. le Président, est fait de façon irrégulière.

Alors, quelle sera la décision que prendra le gouvernement, ici représenté par M. le sous-ministre de la Sécurité publique, M. le Président? Je ne le sais pas. Mais ce que je peux vous dire en conclusion, c'est que l'opposition officielle est extrêmement préoccupée par cette situation-là. Et je conclurai un petit peu en rappelant ce que disait M. le chef de l'opposition, M. Johnson, il y a deux jours. Malheureusement, on en est rendu à ça au Québec, là.

Alors qu'on s'entend tous pour dire que les missions les plus importantes de l'État du Québec sont, je le répète, la santé, l'éducation, la justice, la protection publique, je vous rappellerai ce que disait M. Johnson: C'est plus facile présentement au Québec d'entrer dans un hôpital que de sortir de prison. Il faut voir ce qui se passe dans deux centres hospitaliers depuis deux ou trois jours pour préparer la visite de M. Rochon: on fait du ménage, on retourne les malades qui sont en attente d'une opération chez eux. Alors, plus facile, M. le Président, de sortir de prison que d'entrer dans un hôpital au Québec présentement, malheureusement.

Le Président (M. Chagnon): Merci, M. le député de Frontenac. M. Gagné, et j'aurais ensuite M. Lévis Brien, député de Rousseau, M. Michel Côté, député de La Peltrie, et Mme Barbeau, députée de Vanier.

M. Gagné (Florent): Oui, M. le Président. Alors, quant à ce journaliste qui, d'aventure, était caché derrière le rideau, l'article de presse que vous avez mentionné, M. Lefebvre, je voudrais simplement dire, comme je l'ai répété ce matin, d'ailleurs, dans mon propos d'ouverture, qu'il y a une notion de pari – le journaliste n'avait pas besoin de se cacher, je l'ai dit ici publiquement ce matin – dans toute réforme. Je pense que l'administration publique n'est pas une science exacte, à moins que je me trompe. Et, qu'on soit en éducation, ou en justice, en affaires municipales, ou en affaires culturelles, il y a toujours une appréciation qui est celle des élus qui nous dirigent qui ultimement doivent prendre la décision et l'orientation, celle des fonctionnaires qui les conseillent, et on ne peut jamais affirmer avec certitude, à moins d'être extrêmement téméraire, que les réformes que nous entreprenons seront couronnées de succès.

Cependant, comme je l'ai dit ce matin, étant donné les éléments de contexte que j'ai édictés ce matin et que je ne voudrais pas nécessairement répéter maintenant, les conditions nous apparaissaient favorables aux démarches qui ont été prises et nous apparaissent encore favorables aujourd'hui, et je dirais même de plus en plus. Nous discutons de temps à autre avec nos collègues d'ailleurs dans le monde, y compris des provinces canadiennes. J'étais justement récemment à une rencontre des sous-ministres des autres provinces avec mon collègue de la Justice, ici. Je pense que les démarches, les orientations qui ont été retenues, de plus en plus de services correctionnels ailleurs en Amérique du Nord croient que l'orientation que nous avons retenue est la bonne et essaient de s'en inspirer. D'autres provinces, d'ailleurs, vont dans le même sens que nous, y compris beaucoup de documents de réflexion des autorités fédérales vont exactement dans ce sens-là.

Alors, peut-être qu'il s'agit d'un pari, mais c'est un pari, je crois, qui est assis sur des probabilités qui sont très intéressantes et qui nous permettent de croire que le contribuable peut être rassuré lorsqu'on utilise ses deniers de cette façon-là, sachant que l'alternative est un précipice certain. On l'a vu dans certaines sociétés, on le voit chez nos voisins américains qui ont pris la «tough approach» depuis un certain nombre d'années, de plus en plus de gens, quelque 6 000 000 d'Américains se retrouvent derrière les barreaux, essentiellement des Noirs, des minorités culturelles, des gens qui, normalement, n'ont pas nécessairement à se retrouver là. Plus de criminalité amène plus de prison et plus de prison, criminalité. On sait que la prison n'est pas nécessairement une école de réforme, c'est souvent l'école du crime. Sachant qu'on s'en allait vers un précipice certain...

Je lisais encore dans un article de journal tout récemment, je crois dans Le Devoir la semaine passée, que la seule loi «three strikes», qu'on appelle en Californie – vous faites trois offenses sérieuses et vous avez automatiquement une condamnation à vie – va amener plus de 300 000 personnes dans les prisons californiennes. Ils vont devoir bâtir 200 prisons. Alors, c'est tellement un précipice de se lancer dans une approche comme ça que l'alternative, malgré l'élément de pari qui y est inclus, est à notre avis la meilleure façon de servir les contribuables. Et je suis persuadé personnellement que nous allons, au cours des années... Je sais que c'est des choses qui ne se font pas en six mois ni même en un an ou deux ans, il faut peut-être projeter sur une période de quelques années, mais j'ai bon espoir, et personnellement j'ai vraiment la foi, que nous allons réussir cette réforme.

Quant à l'autre point que soulevait M. le député de Frontenac, l'illégalité dont seraient entourés les gestes que nous posons, évidemment je ne vous surprendrai pas en disant que nous n'avons pas la même opinion, que les libérations conditionnelles, à notre avis, sont données dans un cadre qui est parfaitement légal, dans le respect plein et entier des lois. Les absences temporaires pour fin de réinsertion sociale après le sixième de la peine sont faites de façon parfaitement légale et conforme aux lois qui nous régissent. Les congés médicaux qui peuvent être donnés en tout temps, selon la loi, donc dès le jour 1 de la sentence, sont donnés de façon parfaitement légale.

Il reste les fameux «code 10» – j'y arrive, M. Lefebvre, parce que vous les avez en tête – ou les absences temporaires pour fin dite humanitaire pour laquelle la loi nous autorise de les donner en tout temps, encore une fois, et non pas après le sixième de la peine. L'article de loi 22.4 précise que ces absences temporaires peuvent être données en tout temps. Pour quel motif? La loi dit simplement «humanitaire». Le règlement du ministère spécifie effectivement les rubriques qu'évoquait M. Lefebvre tout à l'heure et qui nous amènent nécessairement à des considérations plus reliées aux congés parce qu'il y a un décès dans la famille ou des raisons vraiment humanitaires. Nous avons utilisé aussi cette notion de code humanitaire – il faut le dire, nous l'avouons sans restriction – pour des raisons de surpopulation.

Nous pensons qu'il est parfaitement légal de faire ça. Nous avons un avis juridique qui est très clair là-dessus, présenté au Procureur général du Québec, je crois que c'était dans les années 1985-1986. Le débat, de toute façon, est devant le tribunal. Je voudrais être prudent là-dessus aujourd'hui parce que vous savez qu'il y a eu une requête qui a été faite par les agents des services correctionnels. Nous avons eu gain de cause en Cour supérieure, mais la chose est présentement en appel. Alors, je voudrais être prudent là-dessus, mais notre prétention, jusqu'à temps qu'un jugement de tribunal dise le contraire, est basée sur un avis juridique très solide que nous avons et est que les absences temporaires pour raison humanitaire, la notion d'humanitaire peut s'étendre également à une raison de surpopulation.

On a fait le relevé de littérature dans certains États européens, il n'est pas humanitaire de mettre deux personnes dans une cellule qui est conçue pour une personne. Il y a des cellules qui sont conçues pour deux personnes, il n'y a pas de problème là. Mais, lorsque des cellules sont conçues pour une personne, il y a beaucoup de littérature qui nous amène à l'interprétation que le motif humanitaire peut être invoqué, très fondé en droit, et donc que nous sommes, à notre avis, en terrain solide là-dessus, jusqu'à preuve du contraire encore une fois, avec la prudence que m'impose le fait que cette question est présentement devant le tribunal.

(10 h 40)

Concernant la question budgétaire, je pense qu'il serait naïf et trompeur d'avouer que cette dimension-là n'entre pas en ligne de compte. Je ne suis pas d'accord, avec tout le respect que je dois à M. le député de Frontenac, que c'est la dimension principale qui nous a aiguillé ou le fondement principal qui a assis notre décision. J'ai évoqué dans mon propos d'ouverture les statistiques de la criminalité, mais les statistiques de l'incarcération aussi, les courbes inquiétantes que nous avions observées au cours des années, malgré les correctifs apportés, des situations encore précaires et, malgré la baisse de criminalité, une pression sur le système carcéral encore élevée. Nous avions un peu le choix de continuer dans cette ligne-là ou de prendre une autre approche.

Comme je l'ai dit dans l'exposé à l'ouverture, le fait que d'autres sociétés ont pris d'autres approches qui n'ont pas mis en péril la sécurité du public... Vous parliez des pays européens. Vous avez cité la Belgique, M. le Président. Bon. Il y a eu des événements extrêmement malheureux qui sont de nature à exacerber le sentiment d'insécurité de la population, mais je pense qu'aucun d'entre nous ne se sent plus insécure dans les rues de Bruxelles, ou de Bruges, ou de Paris, ou de Copenhague que dans les rues de New York ou de Chicago. Pourtant, on emprisonne presque 10 fois plus de monde à New York et à Chicago qu'à Copenhague ou au Danemark. La prison n'est pas un élément de sécurisation de la population, tout au contraire.

Alors, évidemment, la dimension budgétaire est importante. Là-dessus, je voudrais peut-être... Parce que, moi, je suis fonctionnaire, comme vous savez, et je dois composer avec l'ensemble des objectifs gouvernementaux. Il est évident que, dans un monde idéal, si on me demandait de quelles ressources as-tu besoin pour administrer les programmes qui sont ceux du ministère et qu'il n'y ait pas vraiment de limites, la solution facile serait de dire: J'ai besoin de plus de ressources.

J'ai connu les beaux temps de la fonction publique où effectivement notre réflexe était un peu celui-là. Je me souviens qu'un de mes patrons m'avait dit: Si tu n'augmentes pas ton budget de 6 % par année, tu vas passer pour un mauvais gestionnaire. C'est comme ça qu'on est arrivé à des déficits épouvantables. Je pense qu'aujourd'hui la population ne tolère plus des choses comme ça et les gestionnaires publics ne tolèrent plus, non plus, des choses comme ça, pas plus que les hommes politiques des deux formations, je crois, qui nous dirigent.

Donc, on a parlé beaucoup, ces dernières années, en matière de qualité des programmes. Je me souviens que les gourous de l'administration faisaient des cours un peu partout pour parler de la qualité totale et qu'il était important de donner des programmes qui rencontraient tous les critères possibles et imaginables. Personnellement, je pense que, dans le contexte actuel, une telle approche est irresponsable. Les citoyens ne nous pardonneraient pas de gérer d'une façon qui consisterait à dire: Le besoin est tel, les ressources dont j'ai besoin sont de cette nature et, en conséquence, messieurs du Conseil du trésor, pourriez-vous me donner les montants qu'il me faut? Je pense que nous serions des gestionnaires irresponsables de faire ça.

Donc, il faut introduire la dimension budgétaire dans l'administration publique plus que jamais. Ça peut être, dans certains cas, la motivation profonde. Je pense qu'on le reconnaît, on peut trouver des exemples. Nous avons aussi à composer, en matière budgétaire, avec une problématique difficile, mais je pense que la question qu'il faut se poser comme gestionnaires publics, c'est la question de qualité adéquate. Moi, je ne souscris pas au concept de qualité totale parce que je pense qu'à la limite il porte à l'irresponsabilité, mais je souscris à la qualité adéquate.

Nos citoyens ont droit, de par les taxes qu'ils paient, à avoir une qualité adéquate de services. Une qualité adéquate, ça ne veut pas dire le meilleur service possible et imaginable. Ça ne veut pas dire le meilleur, même, qu'on peut trouver ailleurs dans le monde. Ça veut dire une qualité adéquate compte tenu des objectifs que nous nous fixons comme société, compte tenu des seuils de tolérance de la population aussi, tant avoir des gens qui circulent en société qui selon eux devraient être en prison que, de l'autre côté, lorsqu'ils agissent comme contribuables, leur capacité de payer.

Alors, le rôle du gestionnaire public dans tout ça, c'est de réconcilier ces objectifs multiples de façon à ce que nous puissions offrir une qualité non pas totale, mais une qualité adéquate à la population. Je pense qu'en matière budgétaire, avec les contraintes qui sont les nôtres, nous pouvons assurer la population qui nous écoute présentement que les services que nous leur offrons ne sont pas parfaits, nous en sommes conscients, mais je crois qu'ils sont largement adéquats et largement défendables selon les critères et les valeurs qui régissent notre société.

Vous avez également soulevé la question des places. Effectivement, le gouvernement a fermé cinq centres de détention il y a maintenant un an et quelques mois. Je crois que c'était le 1er juillet 1996 précisément, la date de fermeture. On est naturellement porté à faire débouler tous les malheurs qu'on observe sur ces fermetures, alors qu'au fond la réalité est peut-être plus simple. Peut-être plus simple. Ce dont il s'est agi, en réalité, quand on le regarde comme il faut avec les montants qui étaient impliqués et le nombre de places qui ont été touchées par ces fermetures, il s'est agi davantage d'une réorganisation et d'une meilleure efficience du système que d'un rétrécissement du système.

En réalité, si on regarde le nombre de places qu'on a aujourd'hui par rapport au nombre de places que nous avions avant la fermeture des cinq centres, nous parlons d'une différence de 76 places. Nous avons 76 places de moins aujourd'hui qu'avant les fermetures. Vous allez me dire: Vous avez fermé des prisons qui avaient beaucoup plus de places que ça. Avez-vous inventé la quadrature du cercle? Les fermetures de prisons, effectivement, vues en elles-mêmes, strictement parlant, ont fait baisser la population, le nombre de places de 363. Par contre, depuis le 1er juillet, les ajustements de places au centre de détention de Saint-Jérôme de même que l'ouverture de Rivière-des-Prairies nous a permis d'ajouter, le jeu des plus et des moins, 98 places en plus et nous avons un certain nombre de places d'appoint qui ont été développées dans les centres non fermés, c'est-à-dire les 17 autres qui restaient, de 189 places. De sorte que, si on fait cette série de plus et de moins, on a finalement un univers de places qui, à 76 places près, est le même que nous avions auparavant.

Maintenant, 76 places, est-ce que c'est beaucoup ou est-ce que c'est dramatique? Est-ce que ça ne l'est pas? Bien, je pense qu'il faut le mettre un petit peu en relation avec le total qui est de 3 500 que nous avons en détention, mais aussi regarder la population qui n'est pas en détention, dont nous avons la responsabilité, mais qui n'est pas en détention. Et je vous donne rapidement les grands ensembles. Nous avons 3 500 personnes en détention. Aujourd'hui, je ne sais pas quel est le portrait, mais ça doit tourner autour d'un autre 3 500 qui est en libération conditionnelle. C'est donc des gens qui ont fait une partie de leur peine jusqu'à temps qu'ils deviennent admissibles aux libérations conditionnelles, qui ont donc passé devant la Commission des libérations conditionnelles et la Commission les a jugés, sans l'intervention, aucune, du ministère, comme vous le savez, en raison des principes d'indépendance qui nous régissent. Il y a un autre 3 500 personnes qui sont en libération conditionnelle de façon parfaitement légale. Ces gens-là ne causent pas, je crois, de traumatisme de sécurité dans la population. Les gens trouvent ça normal.

Nous avons également aussi une population de 3 000 personnes qui sont en travaux communautaires. Nous avons, en absence temporaire, l'équivalent d'à peu près 10 % de nos places. Je vais revenir là-dessus tantôt parce que c'est important de préciser un petit peu. Et j'ai joué un tour à mes services, je leur ai demandé en date d'hier, pas de la semaine passée, pas de demain, je leur ai demandé hier: Combien de personnes avons-nous aujourd'hui en absence temporaire? Et j'ai le tableau ici que je peux même déposer, si vous voulez...

Le Président (M. Chagnon): Nous apprécierions si vous pouviez le déposer à la commission, évidemment.

M. Gagné (Florent): ... – oui, alors je le ferai avec plaisir – en date du 1er octobre 1997, donc, où on nous donne le décompte des places des fameux «code 10» dont on parlait qui, encore une fois, sur le plan légal, peuvent être accordés en tout temps pour des motifs humanitaires, humanitaires comprenant également aussi, selon nous, des notions de surpopulation qui nous amènent, dans le respect des chartes, et tout, à accorder des congés humanitaires.

(10 h 50)

J'avais, hier soir, pour les peines de moins de six mois... On va faire la distinction entre les moins de six puis les plus de six mois. Parce que tout le monde sait que les moins de deux ans sont dans nos centres et les deux ans et plus sont dans les centres fédéraux. Alors, évidemment, ici, je m'arrête aux peines de zéro à deux ans. Alors, les moins de six mois, on avait 121 personnes hier sur un total de 1 620, ça doit faire autour de 8 %, si je calcule bien, je n'ai pas de calculatrice avec moi; et, pour les plus de six mois, nous avions 161 personnes hier soir qui étaient en congé temporaire code 10 pour motif de réinsertion sociale et humanitaire, humanitaire comprenant surpop, 161 sur 1 884. À l'oeil, ça doit faire en bas de 8 %, peut-être 7 % et quelque chose. Donc, pour un total confondu que nous avions 282 personnes hier sur un total de 3 543 qui étaient en absence temporaire.

Maintenant, comme je le disais, il y a d'autres types de personnes qui sont soit en libération conditionnelle ou soit dans d'autres types de sorties à l'extérieur de façon parfaitement légale et acceptable par la population. Il y en a 12 000. Ça n'énerve personne, mais ces 282 qui, à notre avis, sont d'une façon complètement légale, fondée et justifiée amènent beaucoup de problèmes d'interprétation. Oui. Alors, les chiffres sont de 7,5 %, donc, pour les peines de moins de six mois et de 8,5 %. Le Vérificateur général donnait, je crois, autour de 10 %. On parlait de 13 %, de 80 % de 13 % et ça arrivait à 10 %. Vous avez observé sur une plus longue période. Moi, c'est un cliché en date de la journée d'hier, mais c'est des ordres de grandeur, je pense, qui sont à peu près semblables. Donc, je pense qu'on peut... quand on regarde les chiffres comme il faut et sachant aussi que les taux de succès de ces gens-là sont de l'ordre de 95 %.

Il y a évidemment un certain nombre d'échecs, encore une fois, de gens qui ne respectent pas les conditions qui leur ont été édictées à leur départ. M. le Vérificateur général l'a soulevé dans son rapport. L'idéal, évidemment, serait d'avoir 100 % de succès, mais la très grande majorité des personnes que nous mettons en absence temporaire soit pour un motif de réinsertion sociale après le tiers de sa peine soit en libération conditionnelle pour les six mois et plus une fois qu'ils ont passé, ça fait un lot, ça, d'à peu près 19 000 personnes, 3 500 en dedans, la balance à l'extérieur sous une forme ou une autre. Le taux de réussite est de l'ordre de 95 %. De sorte que, lorsqu'on dit: Allons-nous perdre ou gagner notre pari? je pense que nous sommes en train de le gagner malgré le fait que le 5 % d'échec nous fait très mal vis-à-vis de la population, des médias, de l'explication à donner au public. Mais je pense que, dans l'ensemble, nous avons des chiffres qui sont de nature plutôt à nous rassurer qu'à nous inquiéter.

Vous avez également fait état... M. Lefebvre, je ne voudrais pas passer sous silence les déclarations que vous nous avez rappelées de M. Richard Pelletier, du centre de détention de Québec, qui, soit dit en passant, a toute sa liberté de parole encore aujourd'hui, mais qui, comme tout fonctionnaire du gouvernement, a fait le serment de discrétion.

M. Lefebvre: Je vous crois, M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Vous me croyez. Merci beaucoup. Mais M. Pelletier faisait effectivement référence... Et c'est pour ça que je l'apporte, au fond. C'est une anecdote, mais qui nous amène sur quelque chose de plus important. Il y a effectivement des gens, appelons-les «dangereux», même si la notion de dangerosité entre le provincial puis le fédéral, on parle d'un tout autre univers. Nous avons les deux ans et moins. Donc, les tribunaux ont jugé que ces gens-là...

Et j'ai des statistiques, d'ailleurs, sur les peines. 90 % des gens qui font l'objet d'une incarcération le sont pour des peines de six mois et moins. Ça, ce n'est pas notre jugement à nous, c'est le jugement du tribunal. Donc, pour 100 personnes qui passent devant le tribunal, il y en a 90 % qu'on nous envoie pour des peines de six mois et moins. Donc, ce n'est pas des gens que le tribunal a jugés dangereux. Je comprends que M. Pelletier était peut-être dans l'autre 10 %, mais il y en a 90 % que le tribunal lui-même, par le fait qu'il sanctionne pour moins de six mois, n'a pas considérés comme dangereux. Il y a 47 % des peines qui sont pour 30 jours et moins. Je crois que la moyenne est de 19 jours. Alors, il y a une rotation très, très élevée dans nos centres de détention, ce qui nous offre évidemment un bassin de, appelons-les «non dangereux» pour les absences temporaires dont je parlais tantôt qui, en termes quantitatifs, sont en bas de 10 % de notre univers.

Le Président (M. Chagnon): Un sixième de 19 jours, ce n'est pas trop long.

M. Gagné (Florent): Non, ce n'est pas long, mais, si le tribunal l'a condamné à 19 jours, nous serions bien mal avisés de le garder 22 jours. Alors, 90 % sont des six mois et moins et 47 % sont des moins de 30 jours. Alors, quand M. Pelletier parle de gens dangereux, effectivement il y en a qui ont plus que ça, il y en a qui ont plus de six mois, il y en a qui ont 18 mois, qui ont 22 mois, il y en a même qui ont deux ans moins un jour qui sont effectivement sanctionnés. Ces gens-là, dans l'outil que nous nous sommes donné pour gérer les absences temporaires...

Parce que tout ça n'est pas fait sur une base arbitraire ou par ordre alphabétique des détenus, tout ça est fait de façon très savante avec une grille qui nous permet de relâcher les personnes qui représentent le niveau de danger le plus petit. Alors, vous avez une espèce de matrice où le carré de gauche supérieur est la personne est là pour une amende. Elle est là pour la première fois. Elle est non récidiviste, aucun antécédent de violence, etc. C'est la première personne qui va se qualifier à une absence temporaire.

Il arrive aussi que des gens plus dangereux – cette notion étant relative, comme je l'ai dit tantôt – donc qui ont eu des peines plus fortes, soient relâchés en absence temporaire à quelques jours de leur date effective de libération. La personne pourrait être libérée lundi de la semaine prochaine, elle est libérée en absence temporaire pour surpopulation, vendredi. C'est une personne qui a été condamnée à une peine plus grave, donc une personne dangereuse, qui est en absence temporaire. Mais, de toute façon, lundi elle pourrait être libérée parce que c'est sa date de libération effective.

Alors, c'est pour ça que M. Pelletier a techniquement raison de dire que nous relâchons des gens dangereux, entendons par là qui ont eu des peines plus fortes. Mais la grille d'évaluation dont je parlais tantôt le permet lorsque les gens sont à quelques jours de la libération effective. Ils sont pour être libérés dans quelques jours au terme de leur sentence et ils peuvent être effectivement avancés d'une journée ou deux ou de trois jours.

Alors, je pense que, quand on replace les choses dans leur contexte, quand on regarde l'ensemble de la population qu'on gère, les grands ensembles, au fond, le nombre qui est en dedans, qui est en dehors dans des programmes de réinsertion sociale, les absences temporaires données sur une base légale pour toutes les catégories et le quantum mathématique qui nous amène au fait que c'est 10 % des jours de sentence donnée, c'est moins de ça. Pour des gens appliqués à un univers de population, qui ne sont pas des gens qui ont trois assassinats à leur crédit, à des gens qui ont eu de par les tribunaux dans 90 % des cas des peines de moins de six mois et dans 47 % des peines de moins de 30 jours, c'est à ces gens-là qu'on donne des absences temporaires pour moins de 10 %.

Alors, je pense que, quand on explique ça comme il faut à l'ensemble des gens qui s'intéressent à ces questions-là – moi, j'ai eu à le faire, j'ai à le faire de temps en temps par mon métier, mais dans ma famille aussi, on m'interpelle, ou mes amis: J'ai lu dans le journal ce matin telle chose, qu'est-ce qui se passe? – et, quand on explique comme il faut, au fond, le rationnel et l'univers de chiffres qui est le nôtre, les gens finissent par dire que finalement c'est peut-être une gestion qui est fort défendable. Dans un monde idéal, encore une fois, on aurait plus de ressources, on bâtirait plus de prisons, on serait plus sanctionnant, plus sévère, mais je ne suis pas convaincu. La prison, vous savez, c'est comme un médicament, avec un mauvais goût et avec des effets secondaires nombreux, alors je pense qu'il ne faut pas en abuser. Et c'est un peu notre politique.

Le Président (M. Chagnon): Merci, M. Gagné. M. Brien, député de Rousseau.


Profil de la clientèle des services correctionnels

M. Brien: Merci, M. le Président. Vous comprendrez, M. Gagné, que vous avez fait quand même un portrait assez complet de vos services correctionnels. J'ai quand même quelques questions que j'aimerais poser, à savoir vous nous avez donné des statistiques sur les condamnations en termes de moins de six mois, 30 jours et moins. Moi, ce que j'aimerais savoir, puis je pense pour la population du Québec, j'aimerais que vous nous décriviez de façon plus particulière le type de clientèle. Je veux dire par là: Est-ce qu'il s'agit, par exemple, de trafiquants, de vol à l'étalage? Est-ce qu'il s'agit, vous savez, de violence familiale? Quel type de crime est commis par ces gens-là? Et, si vous avez des chiffres en ce qui a trait à la récidive...

Parce que, moi, comme individu, je vais pardonner assez facilement à quelqu'un qui fait une bêtise dans sa vie, sauf que, s'il la fait trois fois puis quatre fois, puis il y a récidive, je me dis que notre système de justice doit à ce moment-là intervenir de façon plus musclée. J'aimerais que vous nous décriviez la clientèle, tout en sachant qu'il y a aussi une forte proportion chez vous de prévenus. Puis, si le temps nous le permet, j'aurais aussi quelques questions supplémentaires, entre autres sur les travaux compensatoires.

(11 heures)

Le Président (M. Chagnon): M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Oui, M. le Président. Je peux peut-être donner quelques éléments, les grands constats, au fond, qui se dégagent de l'analyse un petit peu du profil de la clientèle des services correctionnels du Québec. Les grands constats sont les suivants: c'est qu'une partie de la clientèle a une délinquance ancrée ainsi qu'une criminalité différente en fonction de son statut. Je m'explique. 44% de la population correctionnelle dit avoir des antécédents juvéniles, des gens qui étant plus jeunes se sont déjà inscrits sur les sentiers de la criminalité, 70% ont des antécédents correctionnels provinciaux, c'est donc dire qu'il y a une partie de gens qui nous visitent qui sont des anciens visiteurs de nos centres de détention, une partie relativement élevée, et 17 % ont des antécédents correctionnels fédéraux, donc on peut déduire de ça une criminalité plus sévère, une carrière criminelle, des gens qui reviennent dans les centres provinciaux en deuxième essai, mettons.

En matière de délits, le plus grave pour lequel la clientèle condamnée a été sentencée, on apprend de l'étude de profils qu'on a faite que dans 34 % des cas elle l'a été pour des crimes contre la propriété, 34 % des cas donc...

Une voix: Vous voulez dire des vols par effraction, des choses semblables?

M. Gagné (Florent): Essentiellement, oui, et 19 % pour des crimes reliés à la circulation – la circulation automobile, j'entends – 17 % pour d'autres crimes reliés au Code criminel, 16 % pour des crimes contre la personne, 10 % pour des crimes reliés aux statuts fédéraux et dans 4 % des cas pour des offenses reliées aux lois québécoises, aux règlements municipaux et aux crimes contre l'État. Je ne serais pas capable de vous expliquer ce que crime contre l'État veut dire, mais peut-être que quelqu'un pourrait le faire.

Une voix: Le ministère du Revenu.

M. Gagné (Florent): C'est le Revenu? O.K. Il est toutefois intéressant de souligner que la clientèle sentencée à l'approbation et à la détention se différencie des chiffres que je viens de donner. En effet, on retrouve en pourcentage plus de gens sentencés à l'approbation pour des crimes contre la propriété et des crimes contre la personne. Alors, ça, c'était le premier constat. Donc, une grande partie de la clientèle délinquante est dans une situation de délinquance, je dirais, ancrée et d'une criminalité qui diffère également.

Deuxième constat, c'est que la clientèle correctionnelle se différencie de la population du Québec de la manière suivante: la clientèle correctionnelle est en effet majoritairement de nationalité canadienne, à 94 %; francophone, à 85 %; de sexe masculin, à 92 %, un élément dont il faut tenir compte, où certains groupes minoritaires sont surreprésentés aussi – c'est de plus en plus le cas malheureusement – les autochtones sont pour 7 % de notre population – je pense, bien au-delà du poids relatif qu'ils sont dans la population – et ce qu'on pourrait appeler les sans-abri. On pourrait disserter longtemps sur la notion de sans-abri, mais il y a 7 % de gens, disons, qui ont des caractéristiques à notre avis de malheur social profond, des gens démunis de la société qui, pour une raison ou pour une autre... Et c'est très malheureux, parce qu'on voudrait un jour faire en sorte que ces gens soient dirigés vers d'autres centres que les nôtres, mais il y en a 7 %.

Troisième constat, c'est que la scolarité faible de la clientèle correctionnelle influe sur l'expérience de travail et le type d'emploi occupé. Alors, on voit apparaître un petit peu le cercle vicieux de moins de formation, d'éducation, moins de jobs, plus de criminalité. En effet, on constate que 24 % de la clientèle a atteint une scolarité de niveau primaire et de niveau secondaire I et II, 36 % se sont rendus jusqu'au secondaire III et IV, 25 % jusqu'au secondaire V et 15 % sont allés jusqu'aux niveaux collégial et universitaire. En matière d'emploi, la clientèle correctionnelle, bien qu'apte au travail pour 92 % d'entre elles, dit avoir travaillé de façon continue dans seulement 21 % des cas. Alors, on fait le lien un peu au fond, avec les autres problèmes sociaux, que tout ça est un univers qui se recoupe. Les secteurs d'emplois occupés par la population correctionnelle sont dans les domaines de la construction pour 22 %, journaliers 18 %, restauration 11 %. Ça, c'était le troisième constat sur la scolarité de ces gens-là.

Le quatrième constat, c'est que plusieurs personnes contrevenantes ont eu à faire face à des phénomènes ou à des difficultés très particulières. En effet, 60 % des personnes qui passent dans nos centres de détention ont connu une période de placement durant leur adolescence. Elles ont également, pour 79 % d'entre eux, vécu le décrochage scolaire. Alors, quand nos collègues de l'Éducation mettent de l'importance ou une priorité sur le décrochage scolaire, je pense qu'il y a des répercussions qui vont bien au-delà de l'observation immédiate sur le marché de l'emploi. On le voit dans nos centres de détention, 79 % de nos gens ont connu des problèmes de décrochage scolaire. Notre clientèle a également été dans 19 % des cas victime de violence parentale ou encore victime dans 18 % des cas d'abus sexuels dans leur enfance. Par contre, 28 % de la population correctionnelle dit avoir déjà violenté sa conjointe. Alors, tout le cercle de la violence familiale, dès l'enfance, on voit qu'il se répercute.

Cinquième constat. 30 % de la population correctionnelle affiche des caractéristiques de troubles mentaux et compte des particularités. Alors, ça, c'est extrêmement important que l'échantillon d'humains dont nous avons la garde n'est pas celui qu'on trouve nécessairement dans la population. Un échantillon statistique, 30 %, ce qui est donc beaucoup plus élevé que ce qu'on trouve dans la population, affiche des caractéristiques de troubles mentaux ou a été soigné pour des troubles mentaux. En effet, je peux peut-être élaborer un petit peu là-dessus. Cette portion de la clientèle semble avoir vécu avec plus d'acuité des difficultés durant son adolescence: présence moindre des parents, décrochage scolaire, placement, victimisation, comme on l'a vu tantôt. À l'âge adulte, on remarque également que certains phénomènes sont davantage présents: le non-emploi, l'inaptitude au travail, tentative de suicide, consommation de drogues ou d'alcool.

Sixième constat. 50 % de la population correctionnelle consomme lourdement des drogues et de l'alcool et 13 % est polytoxicomane. Les constats faits pour la clientèle atteinte de troubles mentaux se retrouvent également chez cette clientèle. Alors, il y a un recoupement évidemment entre le fait qu'on ait des antécédents de violence dans la famille, il y a des troubles mentaux qui se manifestent, il y a consommation exagérée ou excessive de stupéfiants ou de drogues.

Dernier constat sur le profil de la population correctionnelle. La population correctionnelle présente des dénominateurs communs en termes d'expression de besoins. En effet, les besoins les plus souvent exprimés concernant le loisir, le travail, la formation scolaire, la croissance personnelle se recoupent souvent dans l'ensemble de nos populations.

Alors, ces résultats confirment la nécessité pour les services correctionnels de consolider chez leur personnel de première ligne la capacité d'évaluation, la capacité également d'établir des liens de confiance, tant auprès de la clientèle que des organismes habilités à rendre service. Alors, ce profil-là et je pense que votre question au fond nous éclairent beaucoup sur aussi le type de comportement que nous, comme ministère, nous devons avoir vis-à-vis ces gens-là que je viens de décrire par quelques indicateurs statistiques. Je pense qu'il serait erroné vis-à-vis une clientèle au fond qui vit des problèmes dramatiques de misère humaine, que ce soit la drogue, la violence familiale, etc., dans beaucoup de cas, il y a d'autres cas qui nous sont naturellement moins sympathiques, j'en conviens, mais essentiellement, statistiquement parlant, nous avons une population correctionnelle qui est en besoin, qui a besoin d'aide. Souvent la criminalité, comme on l'a dit pour le suicide – on en parle beaucoup ces jours-ci à cause des événements fort malheureux qui sont arrivés à Longueuil ces derniers jours et du rapport dont nous parlerons peut-être aussi qu'a fait le coroner sur les suicides dans les prisons – la criminalité, un peu comme le suicide, est souvent un appel au secours.

(11 h 10)

Alors, je pense que ce profil de population doit aussi nous éclairer dans le type de comportement qu'on veut avoir. Est-ce que la solution pour des gens qui vivent tant de misères humaines est de leur en mettre encore plus sur le dos en ayant une approche correctionnelle extrêmement répressive, ou si la correction ne passe pas davantage par des solutions inspirées par plus d'humanisme et plus de générosité, peut-être? Et plus de collaboration aussi avec les autres intervenants du milieu, notamment le ministère de la Santé qui travaille avec nous dans beaucoup de problématiques. C'est un des ministères... À part le ministère de la Justice qui est notre frère, notre parent naturel, je dirais qu'un des ministères avec qui nous avons le plus de relations d'affaires, c'est le ministère de la Santé. Et les statistiques que je viens de donner, je pense, illustrent très bien pourquoi il en est ainsi.


Travaux compensatoires

M. Brien: M. Gagné, j'ai trouvé votre réponse fort pertinente et je pense qu'il y a beaucoup de préjugés, à ce moment-là, auprès de la population, qui peuvent tomber. Parce que, moi, je considère comme vous qu'on doit donner une chance quelque part à quelqu'un. Et puis ce n'est pas en tapant sur la personne avec des mesures coercitives et correctionnelles à outrance qu'on lui donne des chances de réintégrer la société de façon adéquate.

Puis, pour faire un lien avec ça, j'aimerais que vous nous parliez peut-être un peu des travaux compensatoires. De quelle façon ces gens-là peuvent en quelque sorte aider notre société de différentes manières?

M. Gagné (Florent): Oui. Sur les travaux compensatoires, il y a deux dimensions. Il y a la dimension de la nature même des travaux compensatoires, quel type d'activité y est fait, combien de personnes, et je vais peut-être demander à Mme Pagé ou un de ses collaborateurs de nous éclairer de façon plus précise là-dessus, et il y a la dimension importante aussi des travaux compensatoires qui recoupe un peu le débat amorcé ce matin avec mon collègue, Michel Bouchard, sur la question des amendes.

Vous savez que les travaux compensatoires sont des travaux en lieu de non paiement d'amendes. Et il y a toute une dimension des questions qui sont soulevées lorsqu'on aborde la problématique des amendes, mon collègue en a parlé ce matin, mais, nous, du point de vue correctionnel, on est également très préoccupé par cette question-là parce qu'elle nous amène évidemment des travaux compensatoires que nous devons bien sûr financer à même le trésor public. Alors, non seulement il y a perte de l'amende non perçue, mais en plus il faut que l'État mette sur pied des travaux compensatoires et payer au fond.

M. le Vérificateur a fait des calculs très intéressants là-dessus que les gens qui vont en travaux compensatoires – j'ai été frappé par les chiffres, mais je pense qu'ils sont rigoureusement exacts – qui ont des amendes, disons, accumulées de 20 000 $ – je pense que c'est l'exemple qui est donné dans le rapport du Vérificateur – par des travaux compensatoires, ça fait cher de l'heure. Et ça fait, je pense que votre calcul était de 200 000 $ par année et clair d'impôts pour quelqu'un qui aurait accumulé des amendes pour 20 000 $, est passé à travers le système et se ramasse finalement en travaux compensatoires. Au bout d'un certain nombre de mois, son amende est effacée de sorte que ça amène un rendement qui est préoccupant dans le sens que: Est-ce qu'on rend vraiment service à la société? Ce sont des questions qui, dans le cadre des travaux sur le traitement des amendes, devront aussi être regardées.

Les travaux compensatoires, tels qu'on les connaît actuellement, est-ce que c'est une réponse adéquate au problème du non-paiement des amendes? Est-ce qu'on devrait aller plus dans cette direction-là ou moins? Et je vous avoue que j'ai entendu les deux thèses plaidées avec autant d'éloquence d'un côté que de l'autre. Beaucoup de gens disent que peut-être on devrait aller vers l'abolition des travaux compensatoires et trouver des alternatives au non-paiement d'amendes qui sont autres que d'amener l'État à mettre sur pied...

M. Brien: Les travaux compensatoires sont quand même une alternative à l'emprisonnement.

M. Gagné (Florent): Alors, je vais laisser, sur la nature même des travaux, Mme Pagé peut-être vous décrire, plus directement en rapport avec votre question, la nature des travaux dont il est question.

Le Président (M. Chagnon): Voulez-vous vous nommer, Madame?

Mme Pagé (Louise): Louise Pagé, sous-ministre associée à la Direction générale des services correctionnels.

Les travaux compensatoires, il faut les comprendre et les voir pour ce qu'ils sont. Ils sont une façon honorable, pour un individu en difficultés financières, de s'acquitter de sa sentence auprès de la société. Les travaux compensatoires, il y a environ 23 000 personnes par année qui, après analyse de leur situation financière et économique, sont jugées incapables de régler l'amende et pour régler leur amende et pour purger leur sentence vont faire du travail auprès d'environ 6 000 organismes bénévoles. Il y a 23 000 personnes environ par année qui s'acquittent de cette façon-là de leur sentence. Les organismes bénévoles, il y en a 6 000, sont des organismes qui oeuvrent auprès des personnes âgées, auprès des personnes en difficulté, qui organisent des loisirs pour des enfants handicapés, qui travaillent dans certaines institutions du réseau de la santé et des affaires sociales. Pour quelques petits problèmes de santé, j'ai eu à aller faire des exercices à François-Charon, et il y avait là des personnes qui faisaient des travaux compensatoires et qui aidaient les personnes gravement handicapées à pouvoir entrer en piscine et faire leurs exercices. Donc, c'est ce type de travail là que les gens font pour s'acquitter de leur travail.

Nous, au ministère, nous travaillons avec des organismes de référence, c'est-à-dire que nous prenons des dossiers, nous allons vers les organismes de référence et, dépendamment des besoins des organismes bénévoles qui se sont exprimés auprès des organismes de référence, les personnes sont dirigées vers des organismes près de leur lieu de résidence pour s'acquitter de leur travail. Il faut dire que les travaux compensatoires, comme souligné dans le rapport du Vérificateur général, vous pourrez voir une même personne à plusieurs reprises se prévaloir du programme de travaux compensatoires pour s'acquitter de sa sentence. Au-delà de la carrière criminelle ou du profil, ce qui n'est pas l'objet du débat ici, il reste que c'est une alternative à l'incarcération que le juge peut utiliser à plusieurs reprises dans la vie d'une personne pour lui permettre de s'acquitter honorablement de sa dette à l'égard de la société.

M. Brien: Merci. Juste en terminant, en ce qui me concerne, je pense que les travaux compensatoires sont une solution intéressante qui doit être maintenue. Il me semble que, lorsqu'on demande à quelqu'un qui a commis une gaffe importante de réparer en quelque sorte envers la société, d'aider des personnes âgées ou des personnes handicapées ou de collaborer avec un organisme à faire des travaux communautaires, si c'est fait de façon sérieuse, je pense que la personne efface effectivement sa dette envers la société en réparant et en faisant du bien finalement à des gens qui en ont besoin. Merci beaucoup.

Le Président (M. Chagnon): Merci. Mme Diane Barbeau, députée de Vanier.


Prévention auprès des jeunes par des organismes communautaires

Mme Barbeau: Merci, M. le Président. Bonjour à tous, merci d'être avec nous aujourd'hui. D'entrée de jeu, je voulais un peu, par rapport à ce que M. Gagné a dit lui-même d'entrée de jeu, par rapport au rôle de cette commission... J'ai été une fervente supporteure de cette commission parce qu'effectivement, nous, les députés, on a beaucoup de questions par rapport à la gestion et on n'a pas nécessairement les réponses; je suis aussi quelqu'un qui prend la peine d'expliquer à la population, mais aussi de démystifier les préjugés par rapport à la fonction publique que je considère très compétente et très professionnelle. J'en suis toujours d'ailleurs très épatée en commission parlementaire et... Je n'ai rien à vous demander de spécial, ce n'est pas dans un but intentionné, là, c'est vraiment que je le crois et je vous défends auprès de la population. C'est comme n'importe quel autre secteur. Nous aussi, on subit les mêmes préjugés que vous subissez. Alors, je trouve ça important le rôle de cette commission-là. D'ailleurs, vous voyez qu'on n'est pas assis de la même façon que d'habitude justement pour changer les façons de faire.

J'ai beaucoup de questions, mais vu que M. le sous-ministre de la Justice est seulement avec nous ce matin, je vais vous poser mes autres questions plus tard cet après-midi. Vous avez parlé tout à l'heure, M. Gagné, vous avez fait une description des gens que vous avez à incarcérer ou qui transitent par votre système. On a vu qu'il y a une relation assez directe avec d'autres problèmes sociaux dont la pauvreté qui, elle, engendre la violence, le décrochage scolaire, etc. Et les jeunes sont faciles à recruter dans ce contexte-là. Moi, dans mon comté, j'ai des poches de pauvreté, je vois la différence de la criminalité dans le secteur par rapport à ça.

(11 h 20)

Là-dessus, j'aimerais savoir... Parce que la prévention, on est tous pour, sauf que ce n'est pas encore dans nos moeurs et de gestion et de politique également. J'aimerais savoir du sous-ministre, lui, personnellement, ce qu'il pense de la prévention chez les jeunes, notamment par l'entremise des organismes communautaires qui oeuvrent dans le milieu. Il sourit parce qu'il doit savoir où je veux en venir. On va commencer par entendre votre réponse, après ça je vais enchaîner avec ma question.

M. Bouchard (Michel): Merci, Mme la députée de Vanier. Je peux même devancer votre prochaine interrogation au sujet des produits de la criminalité qui pourraient servir notamment à aider les organismes communautaires qui ont comme préoccupation première la prévention de la criminalité surtout chez les jeunes. Votre préoccupation à cet effet est très connue au ministère de la Justice. Je peux même vous faire l'aveu ce matin... Nous sommes à développer actuellement la réglementation qui va donner suite à la loi qui est entrée en vigueur dans les derniers mois concernant l'utilisation des produits de la criminalité, et vos préoccupations sont constamment évoquées lors des travaux des gens qui ont pour objectif de produire, pour les autorités gouvernementales, un projet de règlement quant à la distribution de ces produits de la criminalité. Donc, je peux vous assurer ce matin que vos préoccupations sont véhiculées auprès des gens chargés de cette mission chez nous.

Vous savez, j'ai oeuvré comme procureur de la couronne une quinzaine d'années avant d'accéder aux fonctions de sous-ministre associé aux affaires criminelles au ministère de la Justice. Donc, je connais bien le milieu de ce que j'appellerais les palais de justice. Les gens qui se présentent dans les palais de justice, que ce soit comme témoin ou comme accusé, y vivent une expérience qu'ils souhaitent ne jamais avoir à revivre. Autant chez les témoins que chez les accusés.

Souvent, si nos jeunes étaient mieux informés de la façon dont leur comportement peut et est en mesure de les amener devant les tribunaux, ils pourraient être plus attentifs aux situations qui créent ces comportements qui les amènent devant les tribunaux. Les jeunes n'ont pas toujours conscience de commettre des gestes graves. Je pense que le travail des organismes que vous appuyez notamment est extrêmement important dans notre milieu. On ne peut demander aux seules forces policières, aux juges et aux procureurs de la couronne et aux officiers de justice de supporter seuls l'administration de la justice et la responsabilité de l'administration de la justice au Québec. De plus en plus, les organismes communautaires sont sollicités.

Je me rappelle très bien du thème du Sommet de la Justice de 1992 que le ministère de la Justice avait organisé, qui était La justice: une responsabilité à partager . C'est encore, je pense, un objectif que nous devons avoir en tête de faire en sorte que tous les éléments, toutes les composantes de notre société aient cette responsabilité de faire en sorte que la justice règne au Québec, chez nous. Malheureusement, le contexte budgétaire ne se prête pas actuellement à une aide gouvernementale plus importante aux organismes communautaires.

Vous savez que nous avons à vivre un contexte budgétaire difficile qui nous demande, dans la plupart des cas, d'aller à l'essentiel. Mais ce n'est pas parce que le gouvernement et les autorités du ministère de la Justice ou du ministère de la Sécurité publique ne voient pas là la valeur importante ajoutée au traitement de l'administration de la justice au Québec par les organismes communautaires.

Nous croyons en cette formule qui ferait en sorte que, chez les jeunes notamment, ces organismes sont très bien placés pour aider à la prévention de la criminalité chez les jeunes, aidés en cela par les forces policières qui ont mis dans les dernières années des efforts considérables. De plus en plus, vous avez vu se former chez les corps de police des sections ou des brigades ou des groupes de policiers qui oeuvrent parmi les jeunes non pas en tant que policiers chargés de réprimer, de procéder aux arrestations, mais pour les éduquer, pour leur faire comprendre que les comportements qu'ils adoptent parfois sous le coup de l'instinct ou parce qu'ils s'encouragent l'un et l'autre sont déviants et nuisent à l'ensemble de la population. Le jeune n'a pas toujours conscience des gestes qu'il pose, et les forces policières, dans les dernières années, ont accentué leurs efforts sur l'aide qu'en tant que policiers ils sont en mesure d'apporter dans l'éducation et la prévention auprès des jeunes. Et les organismes communautaires ont emboîté le pas.

Nous, un objectif, c'est de faire en sorte qu'effectivement les produits de la criminalité générés par des arrestations et par des actions policières, qui ont fait les manchettes dans les derniers mois et qui s'attaquent plus particulièrement aux gens qui traditionnellement rendaient le crime rentable, et que maintenant les lois permettent aux forces policières ainsi qu'aux forces de l'administration de la justice de saisir les biens que ces gens-là se sont procurés suite à la Commission d'infraction ou grâce à la Commission d'infraction, que ces biens-là puissent servir notamment aux victimes d'actes criminels et également à faire en sorte d'accentuer nos efforts en matière de prévention de la criminalité. Et ça, c'est une bonne direction que nos gouvernements tant fédéral que provinciaux ont pris dans les dernières années, de faire en sorte que ces argents-là, au lieu de simplement revenir à l'État et au fonds consolidé, servent d'abord un objectif de prévention.

Donc, nous avons une préoccupation importante au ministère de la Justice quant à la prévention. Évidemment, nous ne sommes pas les premiers maîtres d'oeuvre en la matière. Le réseau du ministère de la Sécurité publique a cette responsabilité d'aider les organismes communautaires. Nous faisons notre part. Et je pense qu'avec les produits de la criminalité, nous allons être en mesure d'améliorer notre performance qui, je le concède, n'est pas adéquate jusqu'à maintenant en matière de prévention dans le milieu communautaire.

Mme Barbeau: Je vous remercie de votre réponse. Je suis contente de savoir que mes préoccupations sont connues. Ça a pris juste deux ans à pouvoir mettre l'item «prévention» dans les cinq distributions qui sont: il y a le fonds, il y a les organismes municipaux, il y a la police, le ministère de la Justice, tout ça. Ça a pris juste deux ans, puis le ministre était d'accord. Ça fait que vous comprendrez que je suis un petit peu sur...

Je suis le dossier de près parce que je connais le lobby de la police, et, à chaque fois que j'ai parlé de communautaire, on me ramène la police communautaire. Je n'ai absolument rien contre la police communautaire, je trouve ça fantastique, mais, moi, quand je parle du communautaire, je parle des organismes communautaires. Et vous dites: Il faut qu'ils soient informés, il faut aussi qu'ils soient encadrés. Moi, pour avoir été une présidente de maison de jeunes, je peux juste vous dire, dans un quartier très défavorisé de mon comté, que le travail que ces maisons-là font sur des jeunes, qui autrement seraient des recrues à deux coins de rue, sauve beaucoup d'argent au système pénal et à la justice.

Alors, je me bats encore publiquement aujourd'hui pour que la notion... Parce que de la façon dont ça a été inscrit, c'est: dont l'objet principal est la prévention de la criminalité, notamment auprès des jeunes. Vous comprendrez que, si on s'en tient à la définition stricte, les maisons de jeunes ne sont pas là, hein, et d'autres. Et c'est ça qui fait en sorte que je continue, parce qu'on sait que, des fois, c'est dans les modalités et dans les règlements que tout se décide.

J'aimerais savoir sur le comité: Qui siège sur ce comité? Est-ce qu'il y a des gens qui représentent ces organismes-là? Je comprends que ma position a été rendue publique à ce comité, a été soumise à ce comité, mais, moi, ce dont j'ai encore peur, c'est qu'on restreigne encore puis que ça soit la police communautaire qui reçoive l'argent. Je vous le dis franchement, c'est de ça dont j'ai peur puis je vais me battre jusqu'au bout pour qu'on élargisse la notion de prévention, notamment par l'encadrement des jeunes dans le milieu. Quand je me suis battue pour ça, là, c'est que ce que je dis, c'est que l'argent que ces criminels-là font, ils la prennent dans les milieux, chez les jeunes. Et, moi, je veux que l'argent retourne dans les milieux, chez les jeunes. Alors, c'est pour que je me bats depuis deux ans et demi, là, pour qu'on en arrive à ce que je veux que ça soit: les vrais organismes communautaires.

Parce que la police communautaire, c'est très bien, mais il me semble que ça relève de la police. Et, quand vous dites que c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup d'argent, on coupe partout, on en est conscient, on la fait la job, là, ce n'est pas évident. Mais il ne faut pas oublier que cette loi-là sur la redistribution et l'administration des sommes, elle est aussi renforcée par une loi fédérale qui donne plus de dents, c'est-à-dire que maintenant les agents, les opérations contrôlées qu'ils appellent, vont pouvoir faire la transaction, ce qui va donner une preuve; bon, qui va donner plus d'ouvrage à vous, là, aux procureurs, etc., mais vous allez avoir une partie de l'argent pour le faire, hein? Mais sauf qu'il va y en avoir, de l'argent, là. Là, c'est vrai que ça a l'air de rien aujourd'hui. Ah! Des petits montants – je me suis fait dire ça souvent, là, au cours des deux ans: oui, mais ce n'est pas des gros montants – mais je ne suis pas sûre que ça va rester des petits montants. Alors, je veux être sûre qu'il y a une bonne partie, correcte, qui va aller à ces organismes communautaires là dans le sens large du mot prévention, qui font de la prévention.

Je vous sensibilise encore une fois aujourd'hui parce que je suis sûre que vous avez beaucoup d'influence dans votre ministère, pas mal plus que moi probablement. Alors, je ne vous demande pas de répondre nécessairement, mais je vous donne mon point de vue par rapport à ça. J'y tiens et je vais me battre jusqu'au bout. Ha, ha, ha!

(11 h 30)

Le Président (M. Chagnon): Merci, Mme Barbeau de ce cri du coeur, qui vous honore, d'ailleurs. M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Merci, M. le Président, je voudrais peut-être un peu compléter ce qu'a dit mon collègue en ce qui concerne le ministère de la Sécurité publique. La prévention – et vous faites bien de soulever cette question-là – est une valeur à laquelle nous adhérons profondément parce que, par les chiffres que je cite depuis ce matin, si la prévention pouvait rabaisser ces chiffres-là de 10 %, 15 %, 20 %, je ne sais pas, nous serions, nous, les premiers heureux, évidemment, en plus des milliers de drames humains qui pourraient être ainsi évités. Nous souscrivons entièrement à la notion de prévention et en même temps nous sommes conscients que nous faisons trop peu. Nous faisons trop peu.

Il y a différentes choses qui sont faites. Vous avez parlé de la police communautaire, vous dites que vous êtes d'accord. Je vous remercie parce que, nous, on croit beaucoup à ce concept. On le met de l'avant auprès des organisations policières. Je crois qu'il y a beaucoup de concepts intéressants. Il y en a qui ont donné un petit peu moins de succès aussi, mais il y a certaines expériences de la police communautaire qui sont intéressantes.

On travaille, nous, beaucoup aussi avec les organismes communautaires. Je crois qu'on a une douzaine de millions par année pour travailler avec des organismes pas nécessairement dans la prévention – une partie est dans la prévention – mais à l'intérieur des services correctionnels, et nous espérons que ces organismes-là pourront nous aider non seulement pour accueillir nos clientèles et les remettre sur le droit chemin, mais aussi s'inscrire résolument dans une approche de prévention de la criminalité.

Maintenant, il faut aussi faire attention quand on parle de prévention de la criminalité, les montants d'argent ne sont pas nécessairement aussi la solution magique. Je m'explique. On donnait les chiffres tantôt sur le profil de la population carcérale et on voyait, par exemple, que beaucoup de problèmes familiaux se répercutaient, que la violence dans la famille se répercutait en criminalité, une fois devenu adulte, etc., et que la vraie prévention, dans un cas comme celui-là – le décrochage scolaire, un autre cas qui était donné et qui est générateur de criminalité – la vraie prévention de la criminalité ne consiste pas à donner de l'argent à des organismes – ce qui est, par ailleurs, fort bon, et j'espère qu'on va trouver de l'argent pour en donner le plus possible – mais que la vraie prévention de la criminalité, c'est de faire en sorte qu'il y ait un petit peu moins de décrochage scolaire, un peu moins de violence dans les familles. Alors, autrement dit, la prévention n'est pas seulement l'affaire du ministère de la Justice et l'affaire du ministère de la Sécurité publique, c'est aussi, et beaucoup, et très fortement l'affaire du ministère de l'Éducation, en autant que l'école est concernée, du ministère de la Santé.

Je me souviens même du temps que j'étais au ministère des Affaires municipales. Dans l'urbanisme, on mettait beaucoup de l'avant la beauté des villes, les parcs, la nécessité d'avoir des équipements de loisirs. On forçait presque les élus municipaux à mettre ça dans leur plan d'urbanisme parce que le raisonnement était que le temps libre chez les jeunes doit être passé quelque part et que, si on est dans une ville qui n'a pas de parc, qui n'a pas d'équipement versus une ville qui en a, où il y a des activités de loisirs, etc. Alors, c'est donc dire qu'à peu près tous les ministères du gouvernement ou beaucoup d'intervenants sociaux sont interpellés par la question de la prévention. La question d'y mettre plus d'argent en est une, et je connais votre position aussi là-dessus, mais on voudrait aussi que le fardeau de la prévention ne repose pas seulement sur nos frêles épaules à nous, mais que ce soit un mandat qu'on se donne collectivement. Merci.

Le Président (M. Chagnon): On vous remercie, M. Gagné.

Mme Barbeau: Je «peux-tu» faire juste un petit commentaire rapide?

Le Président (M. Chagnon): Oui.

Mme Barbeau: Je suis parfaitement d'accord avec vous et j'agis de la même façon avec tous les ministères quand il y a quelque chose qui se présente. Ça fait que je peux vous rassurer.

Le Président (M. Chagnon): Vous êtes sûrement connue dans tous les ministères.

Mme Barbeau: Ha, ha, ha!


Mesures de perception des amendes

Le Président (M. Chagnon): Pour revenir au dossier de la Justice, puisque, Mme Barbeau, vous l'avez soulevé, dans les outils de perception concernant les mesures de perception des amendes, je reviens au dossier du Vérificateur général, le 3.101, page 69: «La gestion des créances du ministère s'est détériorée considérablement au cours des trois dernières années. Comme l'illustre le tableau 6 – qui est au bas de la page – les comptes à recevoir relatifs à la perception des amendes ont augmenté de 57 % depuis le 31 mars. Durant la même période, les revenus du ministère ont connu une croissance modérée de 7 %. De plus, bien que la provision pour mauvaises créances ait augmenté de 84 %, le ministère n'a effectué aucune radiation de comptes à recevoir depuis plus de quatre ans.»

Ma première question: Pourquoi n'avez-vous pas effectué de radiation de comptes à recevoir? Est-ce que vous pensez que ces comptes-là sont toujours susceptibles d'être reçus? Deuxièmement, comme le suggère le Vérificateur général, on en est quand même – ce n'est pas petit, là – à la fin de l'exercice financier sur une base annuelle et non pas sur la base de l'année financière gouvernementale. On avait 137 000 000 $ à recevoir, au 31 décembre 1996, donc l'exercice sur neuf mois au lieu de 12, et il y avait, en principe, une provision pour mauvaises créances de 46 000 000 $, à ce moment-là. Toutefois, elle n'a pas été exercée.

M. Bouchard (Michel): Bon, votre question est très pertinente, et nous sommes, dans une certaine mesure, surtout au cours du dernier exercice financier, un peu tributaires de notre meilleure performance dans notre action à l'égard des constats d'infraction, notamment parce que nous avons injecté des ressources dernièrement et mis des efforts supplémentaires sur le traitement des constats lors de l'entrée au ministère de la Justice, c'est-à-dire immédiatement après le fait que le policier ait procédé à l'arrestation et ait délivré à la personne qui a commis une infraction un constat d'infraction. Nous avons donc amélioré notre performance au niveau du traitement de ces constats d'infraction là lors de l'entrée dans le système judiciaire, créant ainsi des comptes à recevoir en plus grand nombre.

Je reviendrai dans quelques secondes à votre première question: Pourquoi ne pas avoir procédé à cette radiation avant? pour juste vous situer sur une problématique qui fait en sorte que, au cours des derniers exercices financiers, cette disposition, qui crée pour les ministères l'obligation de provisionner leur comptes en souffrance, fait en sorte que, nous, plus on est performants dans l'imposition des amendes plus rapidement par le tribunal, plus il se crée des volumes à percevoir. Et, si nous accusons un retard dans la perception, les mauvaises créances gonflent.

Nous sommes en discussion, nous avons demandé au Contrôleur des finances de procéder à la radiation des comptes de plus de 1 000 $ pour un montant total de 13 000 000 $ et nous sommes dans l'attente d'une réponse, ces comptes ayant été identifiés comme étant potentiellement impossibles à recouvrer, pour différentes raisons.

Le Président (M. Chagnon): De plus de 1 000 $.

M. Bouchard (Michel): Pour un montant de 13 300 000 $ de comptes de plus de 1 000 $ qui s'avèrent être impossibles à recouvrer. C'est sûr que ce n'est pas une mesure de recouvrement qui va nous donner une meilleure performance dans l'objectif que nous avons de faire en sorte que l'État reçoive son dû, mais ça va nous permettre de ramener le niveau des comptes recevables à un plus juste potentiel de recouvrement, compte tenu de l'âge des créances. Nous avons donc procédé et nous sommes en discussion actuellement avec les autorités centrales pour procéder à ces radiations-là pour un montant total de 21 000 000 $.

Le Président (M. Chagnon): Ça comprend le 13 000 000 $?

M. Bouchard (Michel): Y inclus le 13 000 000 $, si les informations qu'on m'a transmises... moins de 1 000 $ étant pour 7 600 000 $ et plus de 1 000 $ pour 13 300 000 $.

Le Président (M. Chagnon): Alors, 20 600 000 $.

M. Bouchard (Michel): Qui sont en processus de radiation. Et, pour maintenant répondre de façon plus directe à votre première question: Pourquoi ne pas l'avoir fait avant? peut-être que c'est une préoccupation que nous n'avions pas, étant donné que la responsabilité n'était pas, à cette époque-là, confiée à chacun des ministères. Maintenant, dans le contexte des enveloppes budgétaires fermées, c'est une préoccupation que nous devons avoir parce que ça nous est imputable au premier chef et que notre mauvaise performance, à ce moment-là, nous amène à connaître un problème budgétaire plus grand. Je pense que c'était une bonne décision des autorités centrales de décentraliser cette préoccupation des comptes en souffrance, des comptes à recevoir pour faire en sorte que les ministères soient maintenant plus proches de cette préoccupation, qu'ils voient à faire en sorte que les comptes non seulement soient mieux perçus, mais que les créances douteuses fassent l'objet de provisions ou encore de radiations, le cas échéant, lorsque les montants en jeu sont importants. C'est donc un aveu de culpabilité que j'enregistre devant vous ce matin à l'effet que cette préoccupation-là n'existait pas dans le ministère, mais je puis vous assurer que, dans le contexte des enveloppes budgétaires fermées, c'est devenu une préoccupation majeure pour le conseil de la direction, qui voit là, si notre performance n'est pas adéquate, un problème budgétaire important se dessiner.

Le Président (M. Chagnon): En fait, si on se résume, à la fin de l'exercice financier, à la fin de l'année financière, disons, non, pas même l'année financière mais l'année de calendrier 1996, vous aviez 137 000 000 $ de comptes à recevoir moins 46 000 000 $ de provisions pour mauvaises créances moins éventuellement 21 000 000 $ pour des créances que vous allez...

(11 h 40)

M. Bouchard (Michel): Radier.

Le Président (M. Chagnon): ...radier. Vous avez donc encore 68 000 000 $ de comptes à recevoir. Et, si vous avez 68 000 000 $ de comptes à recevoir, comment chercherez-vous à les recevoir?

M. Bouchard (Michel): Bon. Alors, j'ai abordé brièvement en introduction les mesures que nous avons déjà commencé à prendre et auxquelles référait notamment le rapport du Vérificateur général. Je vous ai fait lecture de l'extrait d'une lettre qui cherchait à rassurer mon collègue du Conseil du trésor. En fait, notre objectif était de faire en sorte de nous attaquer aux deux étapes les plus importantes: l'entrée dans le système, et, une fois que le tribunal a prononcé sa décision, ça se transforme en amende à être recouvrée par l'État.

Nous connaissions, dans les dernières années, un problème de gestion des dossiers qui entraient parce que les efforts étaient mis à d'autres étapes. Il faut comprendre que les activités au ministère de la Justice consistent essentiellement à s'approprier, dès le moment où le policier a délivré le constat, la responsabilité de le traiter. Une forte proportion des gens qui reçoivent un constat d'infraction au Québec – et c'est 60 % des personnes qui reçoivent un constat d'infraction – paient l'amende sans aucune autre mesure, c'est-à-dire sans recevoir d'autre convocation devant le tribunal ou des rappels d'infraction comme ils existaient auparavant. 60 %, donc, des personnes paient dans les délais prévus par la loi.

Parmi les personnes qui, pour différentes raisons qui peuvent être très valables... – par exemple, la personne considère qu'elle n'a pas à payer cette amende parce qu'elle n'a pas commis d'infraction ou qu'elle veut plaider devant un tribunal – ces personnes-là, donc, ne répondent pas dans les délais impartis et un groupe de personnes parmi ces personnes-là aussi ne s'en préoccupent pas, d'une façon très simple: elles ne répondent pas puis elles disent: Un jour, j'aurai à payer. C'est possiblement arrivé à plusieurs personnes ici. On attend puis on met en oubli, et là les frais s'accumulent.

Même parmi ces personnages-là, on réussit à recouvrer, soit par l'introduction au processus judiciaire ou par perception des amendes grâce aux efforts des percepteurs des amendes, environ 66 % de ces gens-là qui se laissent, en fait, condamner ou qui laissent les délais passer. Mais nous avions accusé un immense retard dans les dernières années et nous avons procédé à l'embauche d'étudiants, à l'été 1996, pour rattraper le retard. Visualisez une partie d'étage au ministère de la Justice où on entreposait des boîtes en attente d'être traitées. Ces boîtes-là contenaient des constats d'infraction des policiers, et le personnel à notre disposition ne suffisait pas toujours à la tâche. Il faisait son train-train quotidien, mais il y avait un surplus. Alors, nous avons décidé, à l'été 1996, de faire profiter d'abord les étudiants d'un emploi dans la fonction publique. Nous avons engagé tout près de 55 ou 56 étudiants que nous avons centralisés au ministère de la Justice et nous leur avons donné comme affectation d'ouvrir ces boîtes, de traiter les constats et de les rendre prêts à la perception devant le tribunal.

L'effort consenti a fait en sorte qu'ils ont rattrapé, à l'intérieur du deux mois et quelques jours de travaux pour lesquels ils avaient été intégrés à notre effectif... Les résultats ont été extraordinaires. Ces gens-là ont traité un volume de 147 947 dossiers, au cours de la période estivale, et les revenus générés ont été de l'ordre de 25 900 000 $.

Le Président (M. Chagnon): J'espère que vous les avez réengagés cet été.

M. Bouchard (Michel): Bien oui! Alors, nous l'avons fait, mais nous avons été encore plus ingénieux l'été dernier. Je vais vous expliquer de quelle façon. Mais, juste pour finaliser sur cette opération que nous avons faite à l'été 1996, le ministre de l'époque et moi avons été rencontrer ces gens-là, et vous auriez dû voir le vent de fraîcheur qu'avait amené cette embauche d'étudiants. D'abord, les jeunes, qui étaient de niveau secondaire V, avaient pris à coeur le mandat qu'on leur avait donné, et on voyait des jeunes de 16 à 18 ans à quatre pattes devant les classeurs en train de traiter les constats d'infraction et, entre eux autres, de parler des constats qu'ils étaient en train de traiter, et les efforts qu'ils ont mis, et le sérieux qu'ils ont mis dans le traitement des dossiers, ce qui a amené des résultats très tangibles, faisant en sorte que d'abord ces jeunes avaient un travail d'été qui leur rapportait quelques milliers de dollars, deuxièmement, qu'ils prenaient conscience de l'importance au Québec de respecter les lois, surtout le Code de sécurité routière, mais aussi des inconvénients qu'un jeune pouvait avoir s'il se mettait à faire de la vitesse au volant, de ce que ça peut coûter comme argent et comme amende. Ces gens-là, donc, nous ont aidés grandement.

Au cours de l'été dernier, nous nous sommes attaqués au deuxième aspect de la problématique chez nous, au niveau de la perception des amendes, c'est-à-dire le fait de maintenant percevoir, une fois que le juge a prononcé l'amende, c'est-à-dire beaucoup plus tard dans le processus, et là nous avons procédé à l'engagement aussi d'étudiants, à l'été 1997, d'une quarantaine d'étudiants, mais à travers la province. Nous avons disséminé à ce moment-là les étudiants à travers les palais de justice où se fait la perception des amendes et, pour un investissement de 75 000 $, ce que nous a coûté l'engagement d'une quarantaine de jeunes étudiants l'été dernier, nous avons perçu des amendes pour un total de 2 000 000 $.

Oui, pour répondre à votre question, j'ai comme objectif et les gens du ministère ont comme objectif de répéter l'expérience, d'abord parce que ça crée des emplois pour les jeunes, et également ça nous permet de rattraper nos retards au cours d'une courte période qui est la période estivale.

D'autres actions – et je terminerai là-dessus – pour répondre à votre question, sont en cours, en plus de la radiation des comptes à recevoir, de ce traitement-là que nous avons apporté pour récupérer les retards. Nous sommes à développer des ententes avec d'autres ministères, dont le ministère du Revenu, pour la compensation gouvernementale. Vous savez, lorsqu'un fournisseur de biens à l'État doit recevoir un paiement de la part d'un ministère et que ce même fournisseur est en défaut de payer à l'État un dû quelconque, nous avons la possibilité, grâce à ces ententes à être développées et qui sont à être finalisées, de faire en sorte que les ministères informent le ministère du Revenu que nous avons une dette envers ce fournisseur, et, si ce fournisseur, lui, a une dette envers le ministère du Revenu, il s'opère une compensation gouvernementale. Donc, nous ne sommes pas dans une situation où nous payons des argents à un fournisseur – entreprise – alors que celui-ci doit de l'argent à l'État.

Nous avons également à développer des mécanismes d'automatisation de la suspension des permis de conduire avec la Société de l'assurance automobile du Québec. Nous allons faire en sorte que cette automatisation de la suspension se fasse, grâce au lien informatique, de façon plus rapide et amène ainsi les débiteurs envers l'État à s'acquitter de leur dû plus rapidement, parce que la suspension d'un permis de conduire, je vous avouerai franchement que c'est une des manoeuvres qui permettent à l'État d'assurer plus rapidement le paiement de ses dettes. Quelqu'un qui perd son permis de conduire peut toujours se risquer à conduire sans...

Le Président (M. Chagnon): Ce qui n'est pas une mauvaise idée. Mais est-ce que vous allez aussi regarder l'utilisation, par exemple, du sabot de Denver?

M. Bouchard (Michel): Là-dessus, c'est intéressant parce qu'il y a beaucoup de pour et de contre dans l'utilisation du sabot de Denver. D'abord, vous savez que le sabot de Denver ne peut être utilisé que sur des voies publiques. Vous ne pouvez pas, si votre voiture est stationnée dans une entrée privée, y apposer un sabot de Denver.

Deuxièmement, contrairement à certaines municipalités, dont Montréal, si ma mémoire est bonne, qui possède des effectifs, ou des gens, ou des brigades qui patrouillent les rues, au ministère de la Justice, nous n'avons pas ce genre d'employés qui se promèneraient à travers les rues et qui, au hasard, pourraient peut-être, en vérifiant une plaque, identifier le propriétaire d'un véhicule qui doit de l'argent à l'État et lui appliquer un sabot de Denver. Donc, nous sommes limités dans ce genre d'opération, et ce n'est pas que nous ne voulons pas nous lancer dans l'opération des sabots de Denver, mais il y a un investissement, en personnel et en coûts, important qui nous fait penser que ce n'est peut-être pas la meilleure façon. Vous savez, au hasard, vérifier si quelqu'un doit de l'argent à l'État et lui apposer un sabot de Denver, il peut se passer beaucoup de journées pendant lesquelles un vérificateur procède et se promène dans les rues et n'est en mesure d'apposer aucun sabot à aucun véhicule. Donc, c'est une mesure qui peut être efficace à certains endroits, dans certaines municipalités, mais, au gouvernement... Enfin, je devrais être très convaincant pour expliquer à mon collègue du Trésor que j'ai besoin de fonds supplémentaires pour créer une brigade disposée aux sabots de Denver.

Le Président (M. Chagnon): Je comprendrais ça, mais...

M. Lefebvre: On peut l'appliquer au gouvernement, le sabot de Denver.

Le Président (M. Chagnon): On en a vu un, sabot de Denver posé récemment – d'ailleurs, dans mon comté – à une voiture de la Sûreté du Québec. Je présume que les gars devaient être très heureux. Peut-être que les gars de la Sûreté du Québec pourraient en avoir, des sabots de Denver, pour justement aller en mettre à vos récalcitrants qui sont disséminés un peu partout sur le territoire du Québec. Mais la suspension du permis de conduire est au moins un élément dont vous pourriez vous servir et qui serait susceptible d'être moins dispendieux, compte tenu du fait d'ailleurs que 63 % de toutes vos amendes sont relatives au Code de la sécurité routière.

M. Bouchard (Michel): Vous avez parfaitement raison. Mais il ne faut pas négliger nos efforts non plus. Vous savez, en 1995, on a suspendu près de 79 000 permis de conduire, au Québec. C'est une mesure que nous utilisons. C'est une mesure que nous voulons utiliser de façon plus intense avec des moyens informatiques qui nous permettraient d'aller plus rapidement, de faire comprendre à celui qui doit de l'argent que sa suspension de permis risque de survenir beaucoup plus rapidement. Mais vous avez parfaitement raison que nos efforts de recouvrement des sommes dues à l'État doivent, entre autres, passer par cette mesure qui est assez contraignante et qui force l'infractaire à payer son dû.

(11 h 50)

Pour terminer, nous avons mis en place, au ministère, en collaboration avec le ministère de la Sécurité publique, un comité. Mais le comité que nous avons mis en place à l'interne a pour but – et c'est vraiment un comité interne – de nous interroger sur: Comment ça se fait que notre performance est si déficitaire au niveau de la perception des amendes? Nous avons en main, je pense, les solutions, peut-être pas miracles, mais les solutions qui vont nous permettre d'être beaucoup plus performants. Nous allons confier à une unité autonome de services, à une unité centralisée, la gestion et surtout la responsabilité du recouvrement des amendes.

Vous savez, chez nous, au départ, c'est une direction générale qui s'occupe de ces dossiers-là, qui ensuite les transfère à d'autres, l'autre direction générale s'occupe de la perception des amendes, et il se crée, chez les percepteurs des amendes, une situation où ils interviennent en bout de piste, et souvent ils ont autre chose à faire parce que ces gens-là aussi oeuvrent à d'autres activités dans le palais de justice. Nous voulons confier à un organisme centralisé chez nous, avec nos mêmes fonctionnaires... On n'ira pas engager un tas d'autres personnes; c'est les mêmes personnes, mais on va les regrouper dans une unité et cette unité-là va se voir imposer des objectifs et va se voir imposer des taux de rendement. Ces gens-là vont devoir répondre au sous-ministre de leur performance dans l'année. Je pense que c'est une bonne solution et que ça répondra en partie au voeu exprimé par le Vérificateur général.

Le Président (M. Chagnon): Avez-vous déjà vérifié l'opportunité de faire faire ce service-là?

M. Bouchard (Michel): Nous avons examiné cette possibilité qu'on pourrait confier à d'autres le soin de percevoir...

Le Président (M. Chagnon): Au secteur privé, j'entends, évidemment.

M. Bouchard (Michel): Oui, c'est ce que je comprenais de votre question. Il y a du pour et il y a aussi du contre. D'abord, les coûts, malgré qu'on pourrait peut-être trouver les possibilités de faire en sorte que les gens, évidemment, avec qui on ferait affaire se satisfassent d'une commission. Mais il y a aussi la façon – et il faut être très prudent – dont le citoyen pourrait être amené à payer son amende. Vous me comprendrez, il faudra faire attention aux moyens qui pourraient être utilisés par ces compagnies-là. Il faudra s'assurer de la légalité de leurs gestes et surtout de la façon dont le citoyen est traité. Ce n'est pas parce qu'un citoyen doit une amende qu'on doit se comporter à son égard comme s'il était un vulgaire individu. Des fois, les amendes ne sont pas payées pour des raisons autres que l'insouciance. Des fois, les amendes ne sont pas payées parce que l'individu n'est pas en mesure de les payer. Alors, nous, nous préférons essayer d'obtenir le paiement de façon volontaire soit par travaux communautaires, soit encore par des paiements étalés. Mais, sans vouloir dénigrer qui que ce soit, certaines agences de recouvrement n'utilisent pas les moyens qu'on voudrait, nous, voir être utilisés.

Mais nous avons aussi d'autres moyens technologiques qui nous permettraient, pour répondre au voeu exprimé par le Vérificateur général, d'aller plus loin que la simple lettre de rappel. Vous savez, le fonctionnaire chez nous qui, de façon constante, cherche à rejoindre par téléphone un débiteur peut, à un moment donné, surtout s'il travaille de jour, ce fonctionnaire-là, et que le débiteur, lui aussi, travaille de jour... Ils ne réussiront jamais à se parler. Quand même il s'essaierait pendant 20 ans, ils ne se parleront jamais au téléphone. Il y a des mécaniques maintenant informatiques, technologiques qui permettent – vous avez peut-être vécu l'expérience – le rappel automatique. Une entreprise va vous rejoindre et l'ordinateur va repérer, et, lorsque l'ordinateur repère qu'on répond à l'appel et non pas que ça sonne engagé, on intervient sur la ligne. C'est le propre de certaines compagnies qui nous vendent à pression, des fois, des produits. Nous allons étudier avec le ministère du Revenu la possibilité de nous intégrer à leur service de rappel téléphonique qui fera en sorte que nos gens chez nous parleront aux gens qui répondent et non pas qu'ils passeront leurs journées à tenter de rejoindre des gens qui ne répondent pas parce qu'ils sont absents. Donc, c'est une autre mesure plus efficace pour faire en sorte que les gens soient plus conscients qu'ils doivent payer leur dû à l'État.

Mais je répète ce que je disais en début d'exposé: C'est souvent des gens qui ont des moyens financiers peu importants et qui ont des obligations importantes qui font en sorte que l'État, avec tous les efforts que les fonctionnaires mettent chez nous pour percevoir les amendes... Ce n'est pas une fonction populaire, chez nous, hein? Percevoir des amendes, ce n'est pas la plus belle job.

Le Président (M. Chagnon): Ni chez vous ni nulle part, probablement.

M. Bouchard (Michel): C'est ça.

Le Président (M. Chagnon): Mais, de toute façon, vous avez mis sur pied – parce que les éléments que vous soulevez sont tout à fait réels et justifiés – un comité qui doit réviser votre procédure. Est-ce que vous auriez l'amabilité de faire parvenir à la commission les éléments nouveaux de la procédure que vous semblez vouloir mettre de l'avant et ainsi d'en donner une copie au Vérificateur général de façon à ce que nous puissions faire le suivi sur cet aspect du dossier qui finalement est mineur par rapport au dossier que nous touchons et qui nous affecte ce matin concernant l'ensemble de la question de l'administration des sentences et, bien sûr, la réinsertion des délinquants? Mais, si ça vous était possible...

M. Bouchard (Michel): Je le ferai avec plaisir, M. le Président. Nous allons faire parvenir au secrétaire de la commission un exemplaire de notre rapport interne.

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie beaucoup, M. Bouchard. Vous avez un mot, M. Gagné?

M. Gagné (Florent): Oui. Sur la question des amendes, M. le Président, je dois dire que le ministère de la Sécurité publique appuie entièrement le ministère de la Justice et je pense qu'on partage le même enthousiasme parce que, en matière correctionnelle, l'impact des amendes est loin d'être non négligeable. Le non-paiement d'amendes, en plus évidemment des difficultés que vient de soulever mon collègue sur le plan strict de la justice, a des impacts non négligeables en matière correctionnelle.

Je vous donne juste quelques statistiques pour illustrer mon propos: 41 % des personnes sentencées le sont pour des délits relatifs à la circulation. Ça ne veut pas dire que 41 % des places dans les prisons évidemment sont occupées par ces gens-là, mais, en termes de sentences, vous voyez que le nombre de sentences est extrêmement élevé pour des gens condamnés pour des délits de circulation. Et, en termes de places occupées, c'est quand même autour de 5 %, selon nos calculs. Le Vérificateur arrivait un peu plus haut dans son rapport, mais autour de 5 %. 5 % de 3 500 places, ça nous donne entre 150 et 200 places qui seraient libérées si aucune personne ne venait en prison pour défaut de paiement d'amende. Si nous arrivions à trouver des solutions alternatives raisonnables, acceptables, acceptées et qui augmenteraient la perception des amendes, nous aurions moins de gens dans nos centres de détention.

Le Président (M. Chagnon): Remarquez qu'avec le nouveau Code civil je pense qu'il n'y a que l'État qui peut emprisonner pour défaut de paiement d'abord, et amende ensuite. Vous auriez défaut de paiement d'un tiers...

M. Gagné (Florent): Les municipalités aussi.

Le Président (M. Chagnon): Les municipalités aussi?

M. Gagné (Florent): Les amendes municipales aussi amènent...

Le Président (M. Chagnon): Mais les individus ont perdu ce droit entre eux.

M. Gagné (Florent): Alors, c'est pour dire que, quand on dit que 5 % des places occupées dans nos centres de détention le sont en raison de condamnations dues à des délits relatifs à la circulation, si ce 200 places nous était libéré, le 282 places en absence temporaire dont je parlais plus tôt, hier soir à minuit, bien, on aurait 200 places de plus peut-être pour accueillir ces gens-là. Alors, évidemment c'est peut-être un peu...

M. Lefebvre: Ça veut dire qu'ils sont en liberté illégale, ça. C'est ça que ça veut dire. Vous êtes en train de faire des aveux, là. Si vous aviez plus de places, il y aurait moins de gens en liberté de façon incorrecte. C'est ça que vous êtes en train de dire.

M. Gagné (Florent): Ce n'est pas du tout... Non, je pense que ça n'a... Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: C'est ça que vous êtes en train de dire, là. C'est très grave, ce que vous dites là, M. Gagné.

Le Président (M. Chagnon): Vous reviendrez après midi, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Si vous aviez plus de places, il y aurait moins de gens en liberté. Vous êtes donc en train d'admettre qu'il y a des gens en liberté irrégulière.

M. Gagné (Florent): Non, ce n'est pas du tout que j'ai dit. J'ai dit que les gens...

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac, on s'égare, là. On reviendra sur ce point-là...

M. Lefebvre: Non, moi, je ne m'égare pas, je le suis puis...

Le Président (M. Chagnon): Tant mieux. Mais je voudrais finir sur le dossier de la Justice et la perception des amendes. Nous reviendrons sur l'aspect que vous avez soulevé ce matin. Je sens que nous allons y revenir. D'ailleurs, cet après-midi, après le député de La Peltrie et le député de Robert-Baldwin, ce sera aussi votre tour de continuer de parler, de questionner nos invités. Mais, en attendant, nous avons le sous-ministre de la Justice. Peut-être y a-t-il d'autres questions concernant le sous-ministre de la Justice. Comme je n'en vois point, je vais vous libérer pour cet après-midi.

M. Lefebvre: Je m'excuse, M. le Président. J'ai l'intention évidemment de revenir, à la reprise des travaux, sur les commentaires de M. Gagné, pour qui j'ai le plus grand respect, même si on est en complet désaccord sur plein d'éléments, et je vais soulever également des questions quant à la perception des amendes ou à la non-perception des amendes. Dans ce sens-là, peut-être que M. le sous-ministre à la Justice aurait intérêt à être là parce que...

Le Président (M. Chagnon): Bien, c'est ça que je pose comme question. Si vous en avez...

M. Lefebvre: C'est possible, M. le Président. C'est possible que j'aie à questionner M. le sous-ministre à la Justice.

Le Président (M. Chagnon): Alors, j'allais vous libérer, mais vous êtes en libération sous condition.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Vous êtes en liberté temporaire, légale. Légale.

Le Président (M. Chagnon): Alors, je vous remercie, M. le sous-ministre. Je vais suspendre jusqu'à cet après-midi, 14 heures.

(Suspension de la séance à 11 h 59)

(Reprise à 14 h 5)

Le Président (M. Chagnon): Alors, réouverture de la commission parlementaire, qui a pour mandat d'entendre le sous-ministre de la Sécurité publique et le sous-ministre de la Justice concernant l'administration des sentences et la réinsertion sociale des délinquants, conformément à la Loi sur l'imputabilité des sous-ministres et des dirigeants d'organismes publics.

Nous nous sommes quittés, ce midi, et j'avais trois intervenants. J'avais d'abord le député de La Peltrie, ensuite le député de Robert-Baldwin et, finalement, le député de Frontenac. J'inviterais le député de La Peltrie à poser ses questions.


Responsabilité à l'égard des prévenus

M. Côté: Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, mesdames, messieurs, à cette commission. Nous sommes très heureux de vous recevoir pour pouvoir échanger avec vous sur certains éléments relatifs au rapport du Vérificateur général.

Le président, ce matin, a mentionné, de même que la députée de Vanier, dans quel état d'esprit on entendait travailler ici, à cette commission. Donc, pour rendre le travail le plus positif possible pour l'ensemble des membres, la commission n'a nullement l'intention de débâtir, mais plutôt de trouver des points positifs puis de continuer, je pense, ensemble à trouver des moyens et d'autres manières de faire afin de rendre la gestion des affaires de l'État des plus transparentes possible et également pour que les Québécois et Québécoises soient les mieux informés du suivi qui peut être accordé puis du sérieux qu'on veut accorder à ce genre de travaux.

Alors, comme je viens de le dire, notre base de travail, c'est le rapport du Vérificateur général. Il produit son rapport deux fois par année, donc c'est à ça qu'on s'en tient, règle générale. Alors, cet avant-midi, on en a parlé, puis, M. Gagné, sous-ministre justement à la Sécurité publique, vous avez mentionné que, lorsqu'il y a des réformes, ce n'est pas toujours facile puis ce n'est pas toujours évident. Il y a souvent des inconnues. Malgré toutes les études, les analyses ou les précautions qu'on peut faire, je pense qu'il y a toujours une partie quand même d'inconnues lorsqu'on aborde un virage quelconque en matière de réforme. Donc, il faut s'ajuster en cours de route, souvent, et c'est pour ça qu'on est ici.

Cet avant-midi, aussi, le député de Frontenac a mentionné à quelques occasions que le rapport du Vérificateur général, dans certaines recommandations, condamnait le virage. En tout cas, moi, je n'ai pas vu, à moins que j'en aie fait une mauvaise lecture, là où le Vérificateur général condamne réellement les nouvelles mesures qui sont mises de l'avant. Ou encore il a parlé souvent d'illégalité, surtout en vertu de 3.26, de 3.29 et de 3.59, bon, des pratiques illégales. En tout cas, j'ai trouvé ces mots-là quand même assez forts puis j'aimerais peut-être que, si le Vérificateur le veut bien, il reprécise, parce qu'on voit dans le rapport que c'est plus en fonction de risques qui pourraient arriver si on continue dans cette manière-là; ou encore qu'on use plus de transparence. C'est plus des recommandations. Alors, je ne pense pas que, dans le rapport, vous ayez mentionné, M. le Vérificateur, qu'il y a eu des pratiques illégales puis j'aimerais peut-être qu'on revienne sur ce point-là de votre part pour apporter des précisions.

(14 h 10)

Mes questions sont plus au niveau du 3.10 du rapport du Vérificateur, en ce qui a trait à la Direction générale des services correctionnels. Alors, la Direction procède annuellement à l'admission de plus de 65 000 personnes. Il y a 57 % de celles-ci qui sont des prévenus, c'est-à-dire des individus en attente d'une sentence du tribunal. Et puis on dit également, à 3.1, que le ministère alloue annuellement 225 000 000 $ à la garde des détenus, à la surveillance et à la réinsertion sociale des délinquants. Moi, ma question, ce serait de savoir: De ce 57 % là des prévenus, il y en a combien dont, une fois la sentence connue, celle-ci est de plus de deux ans, donc ils s'en vont dans des établissements à juridiction fédérale? Parce que, dans un premier temps, aussi longtemps qu'ils n'ont pas eu leur sentence, ils s'en viennent dans les établissement de juridiction provinciale. Est-ce que vous avez des statistiques dans ce sens-là? Ce serait ma première question.

M. Gagné (Florent): Malheureusement, M. le député, on n'a pas ces statistiques-là. Il s'agirait de savoir dans chaque cas – c'est l'objet de votre question, je crois – comment le tribunal a disposé du prévenu qui était devant lui. L'a-t-il tout simplement libéré? Parce que ça arrive. L'a-t-il condamné à une sentence de moins de deux ans, dans lequel cas il s'en vient dans nos services correctionnels? Et, s'il l'a condamné à une sentence de deux ans et plus, il s'en va dans les institutions fédérales. C'est bien l'objet de votre question, n'est-ce pas?

M. Côté: Oui.

M. Gagné (Florent): Alors, nous n'avons pas avec nous ces statistiques-là. J'ignore si elles sont disponibles au ministère de la Sécurité publique, parce qu'il s'agit de savoir un peu le résultat de l'exercice judiciaire. Je ne sais pas si mon collègue de la Justice a des statistiques là-dessus. Nous n'en avons pas, malheureusement.

M. Côté: Est-ce qu'il y a une entente avec le fédéral? Supposons que ces prévenus-là sont condamnés puis que c'est plus de deux ans, par la suite. Est-ce qu'il y a une partie qui est assumée par le fédéral pour cette...

(Consultation)

M. Gagné (Florent): C'est ça. C'est que les prévenus, quel que soit le sort qui leur arrivera au terme de l'exercice judiciaire, sont de la responsabilité provinciale, de sorte que, pour un prévenu qui a commis, disons, une infraction grave et que le tribunal sanctionne au pénitencier fédéral, la partie où il est chez nous, prévenu en attente de son procès ou en attente de sa sentence, est sous notre responsabilité et entièrement payée par les deniers québécois, et ça ne fait pas l'objet d'un remboursement par la partie fédérale.

M. Côté: O.K. Dans le rapport du groupe Facal concernant la Commission québécoise des libérations conditionnelles, on dit que la Commission a aussi juridiction dans de rares cas et lorsqu'il existe une entente avec le gouvernement fédéral sur les détenus qui purgent une peine de plus de deux ans. Ça, est-ce que c'est...

Mme Demers (Isabelle): Il y en a très peu.

Le Président (M. Chagnon): Est-ce que vous pourriez vous nommer, s'il vous plaît?

Mme Demers (Isabelle): En fait... Isabelle Demers...

Le Président (M. Chagnon): Est-ce que vous pourriez vous nommer, s'il vous plaît, pour le bénéfice du livre des débats?

Mme Demers (Isabelle): ...présidente de la Commission québécoise des libérations conditionnelles. Oui, je comprends. Il y en a très peu, effectivement, par une entente parce que, évidemment, toujours à partir du principe où on favorise la réinsertion sociale du détenu dans son milieu, alors, quand il est condamné au fédéral, parfois, après un certain bout de sa sentence, il y a une entente qui est prévue pour que le détenu arrive dans les prisons provinciales, et là on l'entend pour la libération conditionnelle et on statue dans le cadre de sa libération conditionnelle.

M. Côté: O.K. Mon autre question, c'est à 3.17. Vous l'avez abordé un petit peu cet avant-midi, M. Légaré... Pagé? Non, Légaré. Gagné.

Le Président (M. Chagnon): Gagné.


Hausse de la demande de services correctionnels

M. Côté: Alors, depuis 1992, bien que les statistiques démontrent qu'il y a une baisse de la criminalité, la demande de services correctionnels n'a cessé de croître au Québec. Malgré les constats qu'il y a une diminution de la criminalité, comment expliquer qu'on démontre une baisse de la criminalité mais que, par contre, au niveau des services correctionnels, ça semble croître quand même? C'est quoi, là? J'aimerais que vous élaboreriez davantage sur cette incohérence, que je trouve, moi, là.

M. Gagné (Florent): Oui, il y a une contradiction tout au moins apparente et qu'il est peut-être difficile de décortiquer parce que, évidemment, les analyses des phénomènes de criminalité sont complexes. Mais j'ai quand même quelques chiffres ici qui peuvent peut-être nous éclairer pour répondre pourquoi la pression sur le système pénitentiaire continue à être forte alors que la criminalité chute. Je pense qu'au départ il y a toujours une période de temps normale entre l'observation d'une chute de la criminalité, la baisse effective des comparutions devant les tribunaux, la baisse de condamnations et donc, en bout de ligne – parce qu'on est en bout de ligne du système judiciaire – la prison, le dernier maillon, si vous voulez, d'un processus qui commence au niveau policier avec l'arrestation d'une personne. Le système judiciaire fait son travail, les tribunaux et la prison. Alors, il y a peut-être un «time lag», comme on dit en français, entre l'observation d'un phénomène de criminalité et la prison.

Mais il y a peut-être d'autres indications aussi qui nous sont données. Ce qu'on constate, c'est que, effectivement, le nombre des peines tend à diminuer. J'ai ici, pour les personnes... C'est-à-dire, non seulement les peines, mais les personnes qui nous sont confiées. Les prévenus, en 1996-1997 par rapport à l'année précédente, 1995-1996, avaient chuté de 8,5 %. Pour les personnes condamnées, il y a deux sortes de peine, peine continue ou peine discontinue, une peine continue étant tant de mois faits en détention. Une peine discontinue, ça peut être tant de fins de semaine ou tant de samedis, etc. Dans le cas des peines discontinues, il y a eu une baisse de 36 % – c'est très intéressant – et, dans le cas des peines continues, par contre, il y a une augmentation. Alors, on voit que, au niveau des admissions qu'ils nous ont envoyées, il y a une baisse, sauf que les sentences ont tendance à être un peu plus longues.

Je pense que la clé de l'explication, encore là, ce n'est pas très savant, parce qu'il faudrait faire des études très élaborées pour décortiquer ce phénomène-là. Mais il semble que les peines ont tendance à allonger un peu. Les tribunaux, donc, allongent les peines. Ça ne prend pas une grosse augmentation moyenne, une moyenne s'appliquant à l'ensemble de la population, pour exercer une pression sur un système qui est déjà à pleine capacité, en partant. Si c'est un système qui était à 60 % d'occupation en partant, puis qu'il y avait une augmentation ne serait-ce que de quelques jours dans la peine moyenne, on pourrait l'absorber. Mais, pour un système à capacité totale, le fait, par exemple, que les durées de séjour des prévenus sont passées de 11 jours à 14 jours, alors 11 jours à 14 jours, c'est trois jours de plus, mais, appliqué à l'ensemble du bassin de prévenus qu'on a dans une année, ça finit par faire une pression des jours-séjour, un séjour beaucoup plus fort.

La durée de séjour des personnes condamnées est passée de 51,8 jours à 53,8 jours. Alors, encore là, ça, c'est les personnes condamnées. Donc, c'est l'essentiel de notre population qui a eu une augmentation moyenne de deux jours. Quand on parle d'une moyenne sur une seule personne, ce n'est pas significatif, sur 10 non plus, mais, sur l'ensemble de notre population, si la peine moyenne dans un système à pleine capacité est de 51 jours et si cette peine moyenne passe à 53 jours, appliqué à l'ensemble du volume qu'on a, c'est l'explication qu'on a, à ce moment-ci.

Évidemment, c'est des phénomènes qui se produisent parfois sur plusieurs années. Il est difficile de tirer des conclusions. Je voudrais les donner avec toutes les réserves méthodologiques dont je peux être capable. Il y a sûrement des criminologues – j'espère – qui vont nous aider à comprendre ce phénomène-là. Mais on pense qu'avec le temps, si la criminalité continue à baisser, ce qu'on espère fortement, il y aura véritablement une chute des personnes qu'on a déjà observée, mais des peines qui, elles, ont tendance un petit peu à s'allonger, le tout nous amenant une pression supplémentaire.

M. Côté: Ces quelques statistiques que vous avez mentionnées, est-ce que vous pourriez nous les...

Le Président (M. Chagnon): Faire parvenir à la commission?

M. Côté: ...faire parvenir à la commission?

M. Gagné (Florent): Oui, M. le Président, on pourra les faire parvenir à la commission.

Le Président (M. Chagnon): Merci. D'autres questions, M. le député de La Peltrie?

M. Côté: Non. Je ne sais pas si M. le Vérificateur pourrait ajouter quelque chose à ma première partie.

M. Breton (Guy): Alors, M. Côté, en réponse à la remarque que vous avez faite, c'est un fait que notre travail a consisté à examiner les mécanismes de gestion et à déterminer s'ils étaient appropriés ou s'ils respectaient les règles en vigueur. On a donc cherché des directives à l'égard des gestes qui étaient posés, et principalement dans le cas du code 10 qui fait l'objet de la discussion de ce matin et probablement de cet après-midi à nouveau. On n'a pas trouvé de règle qui ouvrait la porte à l'interprétation du code 10 pour des fins humanitaires, «humanitaires» dans le sens que deux personnes incarcérées dans la même cellule, c'est un geste non humanitaire.

Quand on lit la liste de tous les critères ou de toutes les situations qui s'appliquent au code humanitaire, on constate que c'est l'état du détenu ou de sa famille qui est pris en considération quand on accorde ce code humanitaire, et il restait en bas de la liste le dernier qui disait «pour faciliter la réinsertion». Mais nulle part n'y avait-il un code qui disait: «Dû à l'état de la prison qui va créer une situation inhumanitaire, c'est aussi une autre raison.» Bon. Ce n'était pas écrit en blanc et noir dans les règlements, et, nous, nous nous sommes appuyés sur les règlements, ou les listes, ou les codes informatiques, ou la documentation disponible.

(14 h 20)

On nous a dit ce matin qu'il y avait à la fois un avis juridique qui interprétait que c'était une situation inhumanitaire que d'incarcérer deux personnes dans la même cellule et que, en conséquence, c'était une situation qui s'ajoutait à la liste déjà existante. On n'a pas eu accès à ce document lors de notre vérification ni dans les autres conversations qu'on a eues avec le ministère. On nous a dit aussi ce matin qu'il y a déjà eu un premier jugement et que ce jugement était en appel. On nous rappelait d'être assez prudents dans la discussion de ce type de dossier. Mais je rappelle que nous avons cherché à porter des gestes administratifs en fonction de la documentation qui était là, et la documentation que nous avons consultée ne nous permettait pas d'interpréter que c'était une question humanitaire justifiant le code 10 lorsque les prisons sont trop pleines. C'est ce qu'on a dit dans notre rapport, et on a essayé d'être factuels et non pas appréciatifs dans le sens d'évaluation de programmes.

Le Président (M. Chagnon): Merci beaucoup. M. Pierre Marsan, député de Robert-Baldwin.


Effets des compressions budgétaires

M. Marsan: Merci, M. le Président. À mon tour, en parcourant le rapport du Vérificateur général, j'ai constaté qu'il nous indique qu'il y a surpopulation dans les établissements et que ça peut représenter entre 10 % et 20 % de tous les jours d'absence. Je pense que, ce matin, M. le sous-ministre, vous avez également abondé dans le même sens pour dire qu'il y a surpopulation et que, dans certains cas, c'est une des raisons qui font qu'il y a une augmentation du nombre d'absences.

Du même souffle, vous nous avez dit qu'il y avait une réforme en cours au ministère de la Sécurité publique. Nous, nous nous sommes aperçus, au cours des récentes années, que «réforme», ça veut dire «coupures». Si on prend des exemples dans le secteur de la santé, assurance-médicaments, fermeture d'hôpitaux, si on prend l'exemple dans les municipalités – on l'a vu ce midi sur la colline parlementaire – on parle de réforme fiscale dans les municipalités, mais, dans les faits, c'est des coupures. Nous pensons que votre ministère n'est pas épargné et que, dans ce sens-là, la réforme dont nous vous parlez a un seul objet, qui est de couper dans les budgets que vous avez et, par conséquent, de diminuer les services à la population.

La question que j'aimerais vous poser à ce sujet, c'est surtout... C'est à vous. Je ne veux pas savoir ce que le ministre pense, c'est vraiment le fonctionnaire de carrière qui a travaillé pour plusieurs gouvernements. Je voudrais vous demander, M. le sous-ministre à la Sécurité publique, quel est l'impact des coupures, si vraiment les coupures sont beaucoup trop fortes et qu'elles affectent le service à la population, par conséquent.

M. Gagné (Florent): Je pense que j'ai abordé un peu cette question-là ce matin, mais je vais quand même essayer de répondre le mieux possible à votre question. Je pense qu'il serait faux de vous dire que les données budgétaires ne sont pas une partie importante de l'action de l'ensemble des ministères du gouvernement. Le premier ministre, que j'entends comme citoyen, rappelle à tout bout de champ à quel point la lutte au déficit est importante.

Comme fonctionnaire public, je n'ai pas à juger si cette priorité devrait être la première ou la quatorzième. Je n'ai pas à faire ce jugement-là. Je peux le faire comme citoyen, je le ferai dans la boîte de scrutin au moment opportun puis je poserai le jugement qui est le mien comme citoyen, mais, comme sous-ministre, je n'ai pas à me poser cette question-là, j'ai simplement à dire: À partir d'une telle demande qui est faite par l'autorité politique légitime, constituée, je dois travailler du mieux que je peux pour donner aux citoyens, que nous avons le mandat de servir à travers la mission de notre ministère, ce que j'appelais ce matin un service adéquat, adéquat compte tenu de ce que j'ai.

Je pense que ce qui serait intolérable, c'est qu'on ne donnerait pas un service qui soit adéquat dans notre population. On doit avoir un service qui rencontre les critères qui sont ceux de l'ensemble des sociétés occidentales, et, si tant est que cette qualité de services soit respectée, je ne peux pas dire, comme vous sembliez vouloir m'y amener dans votre conclusion, que la population doit se sentir en danger ou que les coupures ont atteint une ampleur telle qu'elle devrait s'inquiéter de la situation. Je pense que nous sommes dans une situation difficile – ça, je pense que je serais malhonnête de dire le contraire – mais une situation qui est gérable, et les moyens que nous avons pris, notamment l'importante réforme que nous avons mise de l'avant, qui se défend à partir d'une philosophie de traitement de la criminalité qui est très répandue dans beaucoup de pays, notamment européens, indépendamment des coupures budgétaires, peuvent nous amener des avenues de solution très intéressantes. Alors, dans ce sens-là, oui, on a une pression budgétaire assez sévère, comme n'importe quel ministère du gouvernement.

Je souhaiterais, bien sûr, comme gestionnaire, pouvoir disposer de ressources supplémentaires. Je pense que je ne suis pas le seul. Beaucoup de gens dans le gouvernement le souhaiteraient aussi, puis même les ministres le souhaiteraient. Mais les contribuables nous envoient des signaux qui sont dans le sens contraire, et je pense qu'on est finalement redevables à eux et qu'il faut les écouter.


Nombre de places en détention

M. Marsan: M. le Président, j'aimerais que vous nous expliquiez comment vous pouvez concilier que, d'un côté, vous dites: Il y a une surpopulation carcérale – vous êtes aux prises avec une difficulté – puis que, en même temps que vous nous dites ça, vous fermez des établissements de détention. Vous en avez fermé cinq. Comment est-ce qu'on peut concilier ça puis dire: Bien, écoutez, on pense que les services sont quand même adéquats? Me semble qu'il y a une difficulté vraiment, là. Il y a un pas que, moi, je ne peux pas franchir, en tout cas.

M. Gagné (Florent): C'est que l'adéquation des services ne peut sûrement pas être mesurée en termes de places. La solution n'est pas dans plus de prisons, l'approche à l'américaine, qui est un échec. Aux États-Unis, ils ont des prisons, ils en bâtissent à coup de milliards de dollars et ils sont en surpopulation, et plus ils vont en bâtir, plus ils vont être en surpopulation parce que la prison appelle la criminalité, la prison forme la criminalité. L'approche que nous préconisons va à l'envers de ça. C'est de dire: Arrêtons de traiter notre criminalité en mettant la prison comme le moyen principal de traitement de la criminalité.

D'autres sociétés ont un éventail de moyens, pour traiter leur criminalité, qui est à peu près égal, comme je disais ce matin. Les statistiques mondiales démontrent que la criminalité dans les pays occidentaux est à peu près égale, y compris aux États-Unis. Or, aux États-Unis, ils ont pris l'approche de plus de prisons, de plus de peines et de plus de condamnations, alors que d'autres pays ont fait le contraire, et les prisons américaines sont aussi pleines que les prisons au Danemark. La pression est aussi forte, de sorte que, même si on a fermé cinq prisons, si on avait fait le contraire – on en aurait bâti un certain nombre – dans quelques années, elles auraient été pleines, nous aurions été en surpopulation, nous aurions employé le code 10.

(14 h 30)

Il n'y a pas de fin à ce raisonnement-là, et c'est un peu ça qu'on a voulu casser en disant: Si, avec les mesures de contexte favorable dont j'ai parlé ce matin, la baisse de la strate de la population qui est plus génératrice de criminalité – enfin, je ne veux pas passer tous les éléments de ce matin, mais j'en ai nommé un certain nombre – si ces conditions-là nous ouvrent un petit peu la voie sur l'avenir... Il faut travailler beaucoup avec aussi l'ensemble du système judiciaire. Nous avons travaillé beaucoup, dans les deux dernières années, avec nos collègues de la Justice, avec la magistrature aussi qu'on a rencontrée, et, dans le respect évidemment de l'indépendance, qui est un principe sacré dans notre système, on a quand même sensibilisé plusieurs personnes, des juges notamment, à l'effet que la prison ne constituait pas toujours la bonne mesure. Alors, au fond, c'est une question de philosophie, comment on veut traiter... Et la réponse la plus mauvaise, quant à nous, c'est de continuer à bâtir des places en prison parce qu'on est absolument certains... Je parlais de pari, ce matin; bien, un pari qu'on serait certains de ne pas perdre, c'est que, si on avait plus de places, elles seraient remplies et il y aurait une pression au système.

Je peux peut-être vous donner quelques statistiques. Regardez, le meilleur exemple, c'est qu'on avait 2 500 places il y a 10 ans, elles étaient pleines, ça débordait; on en a maintenant 3 500 et quelques, elles sont pleines, ça déborde. Si on en avait 3 900 elles seraient pleines et ça déborderait. Quand on regarde les taux de condamnation, d'incarcération des différents pays, les chiffres sont vraiment frappants. Un pays comme le Japon incarcère 37 personnes par 100 000 habitants – je ne les nommerai pas tous parce que c'est très long – la Turquie, qui n'est quand même pas le pays le plus démocratique au monde, incarcère 80 personnes par 100 000, la Suisse, 80, l'Autriche, 85, l'Italie, 85, l'Allemagne, 85, l'Angleterre est à 100, le Canada est à 115, le Portugal, à 126, et il y a les États-Unis à 500. Et vous voyez, juste du point de vue graphique, je pense qu'on peut en tirer une leçon. Vous avez l'ensemble des pays, puis vous avez les États-Unis.

Et on commence à lire dans les revues scientifiques... Je lisais encore récemment dans le Times Magazine que le Congrès américain, écoutant les sondages de la population qui réclame plus de prisons, a consacré 1 500 000 000 $, je crois, à des nouvelles constructions, notamment pour les juvéniles. Et on s'aperçoit que les États qui ont été les plus répressifs pour se qualifier justement à ces milliards offerts par le Congrès qui a adopté sa loi à partir de sondages et non pas à partir de l'observation – c'est un sondage qui a été fait sur les préoccupations de la population américaine – les États qui ont été les plus répressifs vis-à-vis les jeunes, ceux qui ont bâti le plus de places ou de prisons, ont finalement des taux de criminalité qui ne sont pas meilleurs que les autres.

Alors, finalement tout ça pour dire qu'évidemment c'est un choix. On peut prendre l'approche de plus de places en espérant que la population carcérale ne s'accroisse jamais, mais je pense que la solution n'est pas là. Nous on a plutôt décidé de plafonner, parce que les fermetures, comme je l'ai dit ce matin, en tout et partout, c'est moins 76 places sur l'ensemble du système. Ça ne fait pas une grosse différence. C'étaient des petits centres qui étaient coûteux. Je pense que la décision de gestion était la bonne. Ce n'est pas ça qui a causé la «surpop», parce qu'à 76 personnes près il n'y a pas de lien à faire entre les fermetures de prisons.

Alors, c'est un peu l'esprit, la philosophie qui nous anime. On pense qu'en maintenant les places qu'on a à leur niveau actuel, en travaillant davantage avec le système judiciaire – le processus de déjudiciarisation qui a été amorcé par le ministère de la Justice il y a quelques années est de l'ordre des choses qui sont aidantes – mettre l'accent sur la réinsertion, on pense que ce phénomène va finir pas se résorber.

M. Marsan: Je voudrais faire un court commentaire et je base mon commentaire sur les rencontres qu'on peut avoir avec les gens dans nos circonscriptions, aux bureaux de comté. Je pense que les gens sont toujours inquiets lorsqu'on parle de détenus qui ont commis des crimes de violence, de trafic de drogues, etc., et qu'ils sont dans une liberté qu'ils ne devraient pas avoir; je pense qu'il y a vraiment une inquiétude. Je voulais vous transmettre ce message-là, M. le sous-ministre.


Désinstitutionnalisation des personnes atteintes de maladie mentale

Je voudrais, en terminant... Tantôt, vous nous avez signifié que vous travaillez conjointement avec le ministère de la Justice et aussi le ministère de la Santé; vous savez sûrement, à ce moment-là, que le ministère de la Santé s'apprête à couper de moitié le nombre de lits d'hospitalisation pour les personnes atteintes de maladie mentale. Nous savons par expérience que, lorsqu'on diminue ce nombre de lits, il y a une incidence directe, on pense particulièrement aux patients qui deviennent des sans-abri, qui font de l'itinérance. Est-ce qu'à ce moment-ci vous avez, comme sous-ministre responsable de la Sécurité publique, averti le sous-ministre de la Santé qu'il y a un danger vraiment grave? Et j'ajoute à cela que de plus en plus d'études tendent à confirmer que l'abolition des lits à long terme pour les personnes souffrant de maladies mentales n'est vraiment pas la solution à cause de ces problèmes d'itinérance, à cause de ces problèmes de sans-abri. Est-ce qu'à ce sujet-là vous avez clairement énoncé votre volonté au sous-ministre de la Santé en indiquant vraiment les conséquences d'une telle décision à long terme, de fermer la moitié des lits restants en santé mentale?

M. Gagné (Florent): Oui, M. le Président. D'abord, un bref commentaire. Vous avez bien raison de dire que la population nous envoie des messages d'inquiétude. Vous les ressentez dans vos circonscriptions respectives, nous les ressentons crûment au ministère de la Sécurité publique, bien entendu. Je sais qu'une grande partie de la population a un sentiment d'inquiétude qui peut avoir comme source différents facteurs. Le vieillissement de la population n'est pas étranger à ça; les gens se sentent plus insécures à mesure que les années s'accumulent.

Il y a également le traitement médiatique qu'on fait de la criminalité. Moi, je vous avoue – puis c'est un point important que vous soulevez, l'inquiétude de la population – que le traitement médiatique qu'on fait de la criminalité est assez inquiétant. Quand on est rendu à je ne sais pas combien de canaux sur nos télévisions et que... Aux États-Unis, il y a des canaux qui font 24 heures par jour sur la criminalité, la police, Crime Probe , et puis des affaires comme ça, où on a des émissions avec des prises d'images assez exceptionnelles dans certains cas – je trouve même qu'elles vont à la limite de ce qui est tolérable avec tous les critères d'éthique dans notre société, les gens qui ont eu un accident d'automobile ou qui viennent d'être abattus en face d'une banque ou que sais-je – et la médiatisation à mon avis outrancière qu'on fait de la criminalité...

Parce qu'encore une fois les statistique démontrent, je le dis chaque fois que j'en ai l'occasion, que la criminalité plafonne ou baisse même aux États-Unis, et même pour les crimes violents. Mais questionnez n'importe quelle personne sur la rue qui a écouté hier soir l'émission en question où on fait la revue des événements policiers de la semaine – ici on est chanceux, on a ça en une demi-heure, mais il y a des canaux américains, il y a au moins un canal aux États-Unis qui fait ça 24 heures par jour... Alors, je pense que c'est honnête, légitime, correct de chercher les sources de cette inquiétude dans le comportement qui serait le nôtre vis-à-vis les absences temporaires, etc. Il y a peut-être une partie de ça qui vient de là, nous allons tout faire pour corriger la situation, mais je pense qu'il ne faut pas négliger aussi cette partie-là; le traitement médiatique qu'on fait de la criminalité à mon avis est devenu inquiétant.

Je parlais tantôt aussi que ce sentiment, qu'il faut respecter, de la population vis-à-vis de la criminalité et de la peur que ça peut générer chez eux, on doit le respecter, mais en même temps je pense qu'on ferait erreur de se laisser guider par ça. Je donnais l'exemple tantôt du Congrès américain qui fait des sondages et qui dit quels sont les cinq préoccupations du public américain. Le crime arrive en premier, alors donc on fait des lois sur le crime sans voir objectivement s'il y a une situation chiffrée, démontrée qui les commande. Alors, c'est évidemment un point important que vous soulevez, mais qui doit être traité avec beaucoup de doigté.

La deuxièmement partie de votre intervention, vous avez parlé des politiques du ministère de la Santé, en particulier vis-à-vis des personnes souffrant de problèmes mentaux. Je dois vous dire que nous sommes, nous aussi, en demande par rapport au ministère de la Santé, parce que nous avons constaté, en tout cas les différents ministres de la Sécurité publique qui ont circulé dans les centres de détention au cours des dernières années – puis là je pense qu'on peut remonter au temps des gens qui étaient de la formation politique précédente que l'actuel gouvernement – ont tous, je pense, constaté de visu, parce que c'est le genre de choses qui vous frappe quand vous visitez un centre de détention, qu'il y a des gens qui n'ont pas d'affaire là.

Il y a des gens qui par leur état, les troubles dont ils souffrent, notamment sur le plan mental, ne devraient pas normalement se retrouver en prison. Et, nous, on fait beaucoup d'efforts, comme on dit depuis ce matin, pour essayer de baisser un peu la pression sur le système carcéral. Un des moyens qui nous aiderait à baisser la pression, c'est que les gens qui ont davantage des maladies que des comportements délinquants – ils ont aussi des comportements délinquants souvent amenés par la maladie – on pense qu'ils devraient être d'abord traités comme des gens qui ont besoin de soins de santé.

On fait un appel vibrant à nos collègues de la Santé et la réponse est oui à votre question. On est en communication avec eux autres, on a des comités de travail avec eux autres. On a, par exemple, à Montréal, un organisme qui s'appelle Urgence psycho-sociale qui est un bel exemple de ce qui peut être fait. Il s'agit d'une ressource du milieu qui permet au policier qui vient d'arrêter quelqu'un au coin de Sainte-Catherine et Sanguinet, et qui manifestement aux yeux du policier n'est pas le type de personne qui devrait se ramasser en prison mais devrait peut-être aller en quelque part à cause des problème mentaux dont il peut souffrir, de l'amener à cette ressource qui s'appelle Urgence psycho-sociale. Alors, nous souhaiterions... C'est un bel exemple, ça, qu'on aimerait voir se multiplier à travers tout le Québec de façon à ce que les policiers qui font leur possible et qui ramassent des gens qui manifestement ont besoin de soins les apportent aux endroits appropriés plutôt que dans nos centres de détention parce qu'ils ne savent pas où les mettre à part de là. Alors, la réponse est oui on est en demande et on espère qu'on sera écouté par nos collègues de la Santé.

(14 h 40)

Le Président (M. Chagnon): S'il est arrêté au coin de Sanguinet et Sainte-Catherine, il va presque être arrêté dans la cour intérieure de Parthenais.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Chagnon): J'ai M. le député Frontenac, j'ai Michel Létourneau, député d'Ungava, Mme Barbeau, députée de Vanier et je suis inscrit. Alors, M. Lefebvre.


Gestion des absences temporaires et des libérations conditionnelles

M. Lefebvre: Vous avez, M. Gagné, une tâche extrêmement difficile à remplir. Ce que j'admire à date de vous, là, moi, c'est votre sens de loyauté envers votre ministre, votre gouvernement. On a l'impression que vous croyez ce que vous dites, on a l'impression que vous croyez qu'il n'y a au Québec aucun détenu qui est en liberté irrégulière ou illégale; on a l'impression, à vous écouter, que vous croyez ça vraiment, M. Gagné. Alors, moi, je veux vous féliciter pour votre loyauté envers votre ministre; vous épousez aveuglément les décisions de votre ministre et de votre gouvernement. Alors, dans ce sens-là, je vous salue.

Mais je vous rappellerai, M. Gagné, que vous avez en même temps... Et c'est votre devoir de faire ce que vous faites, vous n'avez pas, vous, droit, vous n'avez pas la même liberté que Richard Pelletier, directeur général du centre de détention d'Orsainville, qui dit des choses très différentes de ce que vous dites. Je vais vous répéter ce qu'a dit M. Pelletier. Et subséquemment, cependant, on lui a probablement imposé le silence, quoi que vous disiez. Bah! Ça fait partie des règles du jeu, ça.

«Le problème, c'est tout ce qu'on ne dit jamais. J'ai horreur de ça [...]. Disons clairement ce qu'il en est à la population; elle devra accepter de vivre avec des gens que nous remettons en liberté prématurément. C'est ça la vérité.» M. Gagné, je vous rappelle que c'est un de vos fonctionnaires qui a lancé ce cri d'alarme à la population du Québec en février 1997. La population est inquiète et elle s'exprime en le disant à ses députés autant dans l'opposition qu'au pouvoir. Les juges s'expriment. Les juges, M. Gagné, face à des situations absolument aberrantes, ont fait des commentaires que l'on ne retrouve pas, règle générale, dans la bouche des juges. Ils ont presque, dans certaines circonstances, porté un jugement sur les décisions politiques en matière de sécurité publique. Le Barreau du Québec, M. Gagné, vous le savez, a lancé également par son ex-bâtonnier, M. Massé, des cris d'alarme.

Et je voudrais rappeler à M. le sous-ministre de la Justice, en passant, le commentaire suivant de Me Massé: Autre effet pervers de l'absence réelle de sanctions – selon le bâtonnier: de plus en plus de gens refusent de payer les amendes auxquelles ils sont condamnés parce qu'ils savent pertinemment qu'ils n'auront pas à faire de prison s'ils refusent de débourser. Ça fait maintenant partie du système. Les gens ont compris, pour ceux qui ont à faire face aux tribunaux de façon régulière, que, s'ils ne paient pas leur amende alors qu'ils ont été condamnés à une amende, et à défaut du paiement de l'amende à une sentence de prison, ils savent très bien que la sentence de prison, ça n'existe pas. Alors, pour quelle raison on paierait l'amende? C'est le bâtonnier du Québec qui faisait ces commentaires-là.

Les journalistes ont fait des analyses extrêmement sévères de ce qui se passe dans le virage carcéral. Le Vérificateur général est un fonctionnaire qui a la responsabilité de porter, tout comme le Protecteur du citoyen, des jugements objectifs sur l'action du gouvernement. Et on aura beau... Je comprends M. le député de La Peltrie qui tente d'interpréter les commentaires de M. le Vérificateur général comme: on ne trouve pas dans le rapport de M. le Vérificateur de jugement quant à la politique globale du virage carcéral. Je suis d'accord avec ça, sauf... Et je ne pense pas que ce soit sa responsabilité; la responsabilité du Vérificateur général, c'est de pointer des éléments très précis, des cas. C'est ce qu'il a fait. Si M. le Vérificateur a décidé, lui, de ne pas tirer de conclusions puis de laisser ça à l'appréciation des parlementaires et d'autres intervenants, bien, c'est sa responsabilité de conclure ou de ne pas conclure, mais il n'y a pas de conclusion ou d'évaluation globale, sauf que, lorsqu'au paragraphe 3.3, M. le Vérificateur dit ceci: «Compte tenu d'un nombre de places limité dans les établissements de détention par rapport aux condamnations à l'emprisonnement imposées par les tribunaux, le ministère ne respecte pas intégralement les peines prévues.» Ça, c'est sévère comme jugement.

Ce que vous répondez, M. Gagné, à cette mise en garde, à cette conclusion de M. le Vérificateur général, vous invoquez la surpopulation comme étant maintenant – et c'est ce que vous avez soumis à l'attention des tribunaux, et je vais être prudent, vous avez raison là-dessus, parce que c'est sub judice jusqu'à un certain point... Sauf que je vous rappelle qu'en invoquant la surpopulation dans les centres de détention, suite à la fermeture de cinq centres de détention, suite à des diminutions de budget, suite à des... Et vous l'avez dit tout à l'heure, ça s'inscrit dans la lutte au déficit du gouvernement du Québec, et là-dessus, je l'apprécie, vous ne jugez pas si c'est correct ou ça ne l'est pas, vous constatez: vous manquez d'argent, vous manquez de places, vous créez donc la surpopulation carcérale et subséquemment vous l'invoquez comme étant une cause humanitaire. M. Gagné, vous savez ce que ça veut dire? Vous invoquez votre propre turpitude. C'est assez exceptionnel et extraordinaire.

Le gouvernement du Québec crée la surpopulation parce qu'il y a un manque de places, manque de budget, etc. – c'est ce que vous nous dites – vous vous tournez de bord en disant: On a décidé de créer de la surpopulation par la force des choses, ou on crée de la surpopulation parce qu'on manque de places, on va se tourner de bord et on va invoquer la surpopulation comme étant une cause humanitaire. C'est gros pas mal, ça là. Ça, ça s'appelle invoquer sa propre turpitude. Vous invoquez, comme sous-ministre à la Sécurité publique, vos propres décisions discutables, erronées, contestables, inacceptables comme étant un motif de libération humanitaire. Je trouve ça gros. Ça, c'est le raisonnement que vous soutenez devant nous aujourd'hui.

Ceci étant dit, vous semblez dire, M. Gagné – mais là, je ne veux pas aller plus loin que ce que vous avez dit – qu'il n'y a aucun cas de liberté irrégulière. M. le député de La Peltrie trouve le mot illégal trop gros. Lorsqu'il y a de la libération ou des congés temporaires, en vertu de la Loi sur les services correctionnels, qui ne sont pas conformes à ce qui est inscrit dans la loi, ça devient quant à moi une liberté illégale. Réglons pour prématurée. Réglons pour irrégulière. Réglons pour non conforme au règlement. C'est quand même illégal. Lorsqu'il y a des libérations conditionnelles avant terme, avant le tiers de la peine ou avant les deux tiers de la peine, ou avant le sixième – ça, c'est les congés temporaires – prescriptions que l'on retrouve dans la loi des libérations conditionnelles des détenus, ce sont des libertés ou des mises en liberté irrégulières, incorrectes, illégales.

Vous dites, M. Gagné, que ça n'existe pas au Québec. Il y a ceux qui parlent et qui ne savent pas ou qui ne savent pas tout – on en est nous, on ne peut pas tout savoir. – puis il y a ceux qui savent puis qui ne parlent pas. Mais je vais vous concéder une chose, vous ne pouvez pas tout savoir, vous aussi. En toute bonne foi, vous ne pouvez pas tout savoir ce qui se passe dans le système. Ça, je comprends ça d'autant plus qu'il y a quelqu'un qui est responsable et ce n'est pas vous, ça; la Direction générale des services correctionnels, M. le sous-ministre, ce n'est pas vous, mais c'est j'imagine quelqu'un avec qui vous êtes en contact régulier.

(14 h 50)

Je voudrais que vous me répondiez, que vous me donniez votre avis sur des cas très précis.

Des détenus en liberté qui s'activent... Je veux vous rappeler, peut-être que vous ne le savez pas, peut-être que le député de La Peltrie ne le sait pas non plus, le 28 février 1996 comparaissait devant l'honorable juge Jean-François Dion un trio assez spécial. Je vais vous le décrire, le trio, moi: Bruno Boucher, Dany Lizotte, Christian Plante, de Beauport – ils n'ont pas comparu devant la cour pour un billet d'infraction, là – auraient été accusés de séquestration de quatre personnes. Assez sérieux comme crime.

Un des trois accusés, M. Plante – écoutez bien, là – avait été condamné à deux mois de prison à la suite d'infractions au Code de sécurité routière. Deux mois de prison. Savez-vous quand est-ce qu'il avait été condamné? La veille! Il a été condamné à la prison le 19 février, puis le 20 février il est en liberté puis il a participé à la séquestration de quatre personnes avec deux autres complices.

Je vous demande, M. Gagné, en vertu de quelle disposition réglementaire ce triste personnage avait-il été remis en liberté? Condamné la veille, remis en liberté le lendemain et impliqué avec deux complices dans la séquestration de trois ou quatre personnes. En vertu de quelle disposition ce M. Plante pouvait-il être remis en liberté? Ça, c'est un cas précis, là. Très concret. Puis après ça on parlera des deux autres lascars qui l'accompagnaient.

M. Gagné (Florent): Alors, M. le Président, je voudrais peut-être répéter ce que j'ai dit ce matin. C'est que le comportement du ministère concernant l'ensemble des absences temporaires nous apparaît fondé en droit; nous en avons la certitude. Nous avons eu gain de cause en Cour supérieure, c'est en appel.

Vous aviez raison de rappeler la prudence qui s'impose, de cette façon, mais j'ai devant moi un avis juridique qui est très clair à cet égard. Et je pense qu'on ne peut pas accepter, en tout cas je ne peux accepter, bien que je respecte l'opinion d'autres personnes, pour ma part, comme gestionnaire public et responsable en tant que sous-ministre de la Sécurité publique, de reconnaître ce que vous voudriez que je reconnaisse, que nous agirions sur une base légale fragile, pour dire le moins – vous avez utilisé plusieurs qualificatifs; je ne peux accepter et les tribunaux disposeront de la question ultimement, mais nous avons des avis juridiques solides.

J'ai ici un extrait de l'avis qui dit: «Nous soumettons que le sens ordinaire des mots "motifs humanitaires" permet, dans le contexte de la Charte des droits et libertés de la personne et des documents internationaux en la matière, d'autoriser une absence temporaire pour le motif que l'on veut éviter de placer deux détenus dans une cellule prévue pour un alors que toutes les autres dispositions régissant les absences temporaires sont respectées.» Et un peu plus loin, on dit: «Le simple fait que l'absence temporaire autorisée par le directeur général semble aller à l'encontre de l'ordre du tribunal ne pose donc aucun problème, puisque cette situation est clairement prévue dans la loi.»

Alors, ça, c'est un extrait d'un avis juridique évidemment qui est très élaboré, mais le tribunal en disposera. Je respecte les points de vue contraire, mais le ministère se sent en grande sécurité juridique vis-à-vis le comportement qui est le sien en matière d'absences temporaires. L'article 24.2 permet, en tout temps, encore une fois, de donner des absences temporaires pour des motifs médicaux ou des motifs humanitaires. Les motifs de réinsertion sociale sont utilisables à partir du tiers de la peine, comme on le sait. Alors, là-dessus je pense que c'est mon point de vue, et c'est le point de vue, je crois, qui est partagé par l'ensemble de l'appareil des services correctionnels du Québec.

M. Lefebvre: Mais, M. Gagné, on ne parle pas ici...

Le Président (M. Chagnon): Un instant, s'il vous plaît! M. Gagné, finissez.

M. Gagné (Florent): C'était l'aspect juridique, mais j'allais élaborer peut-être sur les...

Le Président (M. Chagnon): C'est parce que...

M. Lefebvre: M. Gagné.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Je ne suis pas sûr que vous avez bien compris le cas de M. Plante.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Ce n'est pas de la liberté temporaire ou un congé temporaire.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac. On va revenir. Je voudrais entendre M. Gagné jusqu'à la fin de son commentaire et je vais revenir aussi sur ce que vous voulez soulever.

M. Gagné (Florent): O.K. Alors, quant aux absences temporaires, vous me demandiez, M. le député de Frontenac, si j'ai la certitude que tous les cas se font dans le respect des règles et des règlements. Bon, comme vous l'avez dit de façon fort à propos, je ne peux humainement être au courant de chacun des milliers de cas qui font l'objet de traitement dans notre appareil correctionnel chaque année, mais la conviction que j'ai et les chiffres que je vois m'amènent à conclure – et je pense que c'est largement documenté – que les absences temporaires pour des raisons humanitaires sont en bas de 10 %. M. le Vérificateur disait 10 %, nous, on pense que c'est peut-être un petit peu moins. Je donnais des chiffres ce matin, qu'en date d'hier, le portrait pris hier à minuit était plutôt de l'ordre de 7,9 % appliqué sur une population dont 90 % des gens purgent des peines de six mois et moins, 47 % purgent des peines de 30 jours et moins.

Je regardais juste le ratio dans les absences temporaires, simplement pour les règlements municipaux, ceux qui ont été remis en absence temporaire – c'est sûrement pas ceux que M. Pelletier avait en tête quand il a fait sa déclaration – et ceux pour des infractions aux lois pénales québécoises, c'est 66,8 % des absences temporaires. Alors, ce n'est sûrement pas ceux-là dont M. Pelletier...

Il y a peut-être quelqu'un...

M. Lefebvre: Je m'excuse, M. le Président. Je m'excuse, M. Gagné. Moi, j'ai demandé – M. le Président, si vous permettez – à M. Gagné de répondre à la question suivante: Est-ce qu'il est normal que quelqu'un qui a été condamné le 19 février soit libéré le lendemain ou le jour même? Puis là on ne parle pas d'absence temporaire. Je voudrais, si vous permettez, M. Gagné, pour ne pas qu'on s'écarte, qu'on arrive à des cas particuliers.

Le Président (M. Chagnon): Vous avez un cas tout à fait précis.

M. Gagné (Florent): Oui, je vais arriver au cas précis dont vous parlez, monsieur. Mais c'est important, je pense, de redire au public qui peut être intéressé par ces questions-là que les absences temporaires ne sont pas le lot de l'ensemble des détenus, c'est moins de 10 % et appliqué à des populations qui ont commis des types de délit plus légers.

Je vous disais que 66,8 %, c'est à la fois pour des infractions à des règlements municipaux et à des lois québécoises. Je ne parle pas de voies de fait graves ou d'homicides ici. Et peut-être que... dans la liste, j'en vois un sur 386 ici, pour homicide. D'abord, pourquoi était-il dans notre prison pour homicide? Il y a peut-être d'autres raisons qui l'expliquent.

Alors, on voit finalement que statistiquement la très grande majorité de ces gens-là... On peut toujours trouver un cas et peut-être que M. Pelletier en avait trouvé un. Puis, comme je le disais ce matin, il arrive effectivement – puis ça on le reconnaît sans aucune réserve – que des gens condamnés pour des crimes plus graves mais qui sont presque arrivés à la fin de leur sentence étaient pour sortir disons mercredi prochain puis il arrive un autobus de détenus aujourd'hui; on a besoin de place, ils vont sortir quelques jours avant. Mais il était pour être libre dans quelques jours de toute façon. Et le danger de sécurité publique n'est pas aggravé par le fait qu'il soit libéré deux jours avant.

Quant au cas précis dont vous parlez, évidemment je n'en ai pas la connaissance précise, je n'ai pas pris connaissance du dossier. Je crois comprendre qu'il avait été condamné pour une amende et qu'il a eu un autre délit pour séquestration, mais ce n'est manifestement pas pour ça qu'il avait été condamné dans notre prison. Alors, je ne peux pas commenter évidemment sur ce cas, à moins d'avoir le bénéfice de m'instruire du cas.

Le Président (M. Chagnon): Je ne le connais pas plus que vous, dans le fond, mais, si j'ai bien compris, c'est quelqu'un qui a été condamné le 19 février pour deux mois pour défaut d'avoir payé des amendes au code de la route et le 20...

Une voix: ...prison.

Le Président (M. Chagnon): ...condamné à deux mois de prison, oui, et le lendemain se retrouve devant le tribunal pour une nouvelle condamnation de séquestration. Donc, il était libre à ce moment-là.

M. Lefebvre: Le 18. Il a fait son temps vite!

M. Gagné (Florent): C'est ça. Au fond, il était dans notre centre de détention pour la question des amendes et non pas pour l'autre affaire pour laquelle il a été traduit le lendemain. Alors, il n'y a pas de lien entre les deux. Alors, pour les amendes, peut-être a-t-il payé ses amendes. Je n'en sais rien.

Le Président (M. Chagnon): Il était condamné la veille.

M. Gagné (Florent): Et je n'ai pas étudié le cas, mais il est techniquement possible qu'il sorte le lendemain s'il a payé son amende.

M. Lefebvre: M. Gagné, le juge Dionne lui-même dit: «Je n'en crois pas mes yeux et mes oreilles. Ce monsieur-là a été condamné hier à deux mois de prison et voici qu'il est devant moi aujourd'hui pour un autre crime». Comment se fait-il – et c'est la question que je vous pose... Là, on ne parle pas d'absence temporaire. Il n'a pas fait une demi-journée de prison alors qu'il avait été condamné à deux mois.

Le Président (M. Chagnon): Je peux comprendre que nous n'ayez pas ce cas-là en main.

M. Lefebvre: Est-ce que c'est régulier? Est-ce que c'est correct?

(15 heures)

M. Gagné (Florent): Non, évidemment, je ne connais pas ce cas, mais je vois que, sur le plan technique, c'est parfaitement possible. Quelqu'un peut payer ses amendes en tout temps, hein? Il peut rentrer en dedans, et payer son amende, et sortir, et c'est parfaitement correct.

Le Président (M. Chagnon): Est-ce que vous pourriez le vérifier, s'il vous plaît?

M. Gagné (Florent): Je n'en sais rien, ce qui est arrivé dans ce cas particulier.

Le Président (M. Chagnon): M. Gagné, est-ce que vous pourriez le vérifier, au bénéfice de cette commission, et nous faire parvenir les conclusions que vous aurez trouvées?

M. Lefebvre: Mais je vais vous parler du deuxième...

Le Président (M. Chagnon): Peut-être... Comment il s'appelle, votre premier cas?

M. Lefebvre: M. Plante, Christian Plante, hein?

Le Président (M. Chagnon): Le 19 février.

M. Lefebvre: Le 19 février. Le lendemain, le 20 février, il comparaît devant la cour pour une autre infraction beaucoup plus grave après avoir été condamné.

C'est parce que, vous savez, si on ne donne pas de cas précis, ceux et celles qui nous écoutent vont dire: Bah! l'opposition, elle prétend qu'il y a de la liberté illégale, irrégulière puis elle n'a pas donné un seul cas. On va en donner quelques-uns, M. Gagné.

M. Gagné (Florent): En même temps, si vous permettez, M. le Président...

M. Lefebvre: Moi, je ne considère pas que vous êtes au courant du cas, là, puis que vous essayez de dire à peu près la moitié de ce que vous savez ou de ce que vous ne savez pas, je veux vous citer des cas très précis.

M. Gagné (Florent): Non, je veux simplement mentionner à la commission que, en prenant des cas particuliers comme ça, au vol, on peut induire le public en erreur parce qu'il est parfaitement possible, sur le plan technique, comme dans le cas dont vous parlez, que le type ait soit payé son amende, soit qu'il ait fait appel. Il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer qu'il est dehors le lendemain et que c'est parfaitement correct, mais la population qui nous écoute a l'impression que tel n'a peut-être pas été le cas. Alors, comme je vous dis, je n'ai pas le cas devant moi, je ne le sais pas et je voudrais simplement qu'on s'abstienne de tirer des conclusions abusives à partir d'une non-connaissance du dossier.

Le Président (M. Chagnon): On ne peut pas présumer de quoi que ce soit.

M. Lefebvre: Ce qui est encore plus dangereux, M. Gagné, c'est de nier des évidences telles que celles que l'on lit dans le rapport de M. le Vérificateur général. De nier, ça, c'est encore bien plus dangereux pour la population du Québec que d'essayer de faire croire... Je ne dis pas que c'est votre cas. C'est le cas des ministres pour lesquels vous avez travaillé à date, et Serge Ménard et Robert Perreault. Ça va être probablement la même chose avec Pierre Bélanger. D'essayer de faire croire au monde que le virage carcéral se fait dans le respect total des lois, de la réglementation et des règlements, ça, c'est dangereux lorsqu'on parle comme ça à la population du Québec. La seule façon, pour l'opposition, de faire un travail correct, c'est de citer des cas précis, citer des cas très précis.

Je vais continuer dans ce sens-là. On vient de parler de M. Plante, je vais vous parler de son complice, M. Bruno Boucher. Il a été condamné à six mois de prison, en novembre dernier. Condamné à six mois de prison, écoutez, là, le mois suivant, il obtenait sa liberté conditionnelle.

Une voix: Un sixième.

M. Lefebvre: Non, non. Un sixième, c'est pour les congés temporaires. Condamné à six mois de prison, le mois suivant... Est-ce qu'il n'est pas vrai qu'il aurait dû faire au moins deux mois? Je ne sais pas, là. Ça, c'est le deuxième membre du trio qui s'est retrouvé devant le juge Dionne qui dit ceci: J'ai de la misère à en croire mes oreilles. Le troisième membre du trio...

M. Gagné (Florent): Pour la deuxième fois, là, je comprends mal qu'il ait eu une libération conditionnelle pour une peine de moins de six mois. La Commission a juridiction pour les cas de six mois et plus.

M. Lefebvre: Quand quelqu'un est condamné à six mois de prison, M. Gagné, quel est le temps minimum qu'il doit faire en vertu de nos règles, de nos règlements puis de nos lois...

M. Gagné (Florent): Alors, il doit faire le tiers de...

M. Lefebvre: ...avant d'avoir une libération... Je ne parle pas des congés temporaires.

M. Gagné (Florent): Il doit faire le tiers de sa peine pour avoir une absence temporaire pour motif de réinsertion sociale, et l'absence temporaire peut être donnée en tout temps pour d'autres motifs, à savoir médical ou humanitaire.

M. Lefebvre: Bon. Alors, ce n'est pas le cas, là. M. Boucher, condamné à six mois, le mois suivant, est en liberté totale. Terminé, libération conditionnelle. Moi, je dis que ce n'est pas correct.

M. Gagné (Florent): Était-il en liberté ou était-il en programme de réinsertion sociale? Est-ce que le document que vous avez le précise? Il y aurait lieu de vérifier ça parce que c'est majeur. La réponse est d'un côté ou de l'autre. L'imprécision ou le vague de l'intervention amène ici le public à croire qu'il y aurait eu dérogation, alors qu'à mon sens ce n'est pas le cas.

M. Lefebvre: Non, non. Le juge Dionne...

Le Président (M. Chagnon): Mme Pagé, vous aviez quelque chose à ajouter?

Mme Pagé (Louise): C'est que je m'interroge sur la libération conditionnelle. Pour une sentence de moins de six mois, il n'y en a pas, de libération conditionnelle. Alors, il ne peut pas... Il a pu être placé, en décembre 1996, en absence temporaire parce qu'il a purgé le sixième de sa sentence. Un sixième de six mois...

M. Lefebvre: Madame, il a été condamné à six mois de prison. Le mois suivant, un mois après, il a obtenu sa libération conditionnelle.

Mme Pagé (Louise): Non, c'est impossible.

M. Lefebvre: Ah! Mais c'est ce qui s'est passé. Je ne vous dis pas que, vous, madame, vous êtes d'accord avec ça. Moi, je vous raconte un événement qui s'est passé, là. C'est comme ça que ça s'est passé. Le troisième membre du trio, M. Lizotte, il se trouvait en probation à la suite de l'une de ses nombreuses condamnations pour des vols, des évasions, des voies de fait, des menaces de mort, la possession d'armes, des extorsions. Beau trio. Beau trio! Les trois, selon ce qu'on peut lire, selon les commentaires de M. le juge, étaient en liberté irrégulière par rapport à nos règles. Moi, c'est la conclusion que je tire.

M. Gagné (Florent): Je ne peux souscrire du tout à cette conclusion, M. le Président.

M. Lefebvre: Alors, moi, je parle comme le juge.

M. Gagné (Florent): Écoutez, c'est un article de journal. Le journaliste a-t-il rapporté les propos? Le simple fait qu'une libération conditionnelle ait été accordée pour une peine de moins de six mois est en soi troublant. Je pense qu'on ne peut pas laisser le public sous l'impression que ceci est le cas. Le journaliste a soit mal rapporté la nouvelle... Parce que c'est techniquement impossible qu'une libération conditionnelle ait été donnée dans une telle situation. Alors, je voudrais simplement corriger que, sans connaître le cas, il reste que, à sa face même, l'article n'est pas complet ou exact, ou il est mal rédigé, ou le journaliste n'a pas compris.

M. Lefebvre: Ça voudrait dire que le juge Dionne... Le juge Dionne a compris, lui, que c'était comme ça que ça s'était passé puis il n'en revenait pas. Puis je vais vous donner un autre cas, M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Mais le texte n'a pas été écrit par le juge Dionne, il a été écrit par un journaliste qui croyait avoir compris ce qu'il a bien voulu.

M. Lefebvre: Oui. «Le juge André Bilodeau, un autre juge, a sursauté, hier.» Ça, c'est assez récent, c'est le 10 mai 1997. «Le juge André Bilodeau a sursauté en apprenant que Christian Dion était libre comme l'air depuis le 25 avril après avoir été condamné à 15 mois de prison, pour trafic de stupéfiants, le 7 mars.» Pas des billets d'infraction de vitesse, là, trafic de stupéfiants. Condamné le 7 mars; 25 avril, libre comme l'air. Il se retrouve, un peu comme tout à l'heure, encore une fois devant le juge pour une autre infraction. Le calcul que j'ai fait, c'est qu'il aurait dû faire, ce monsieur-là, au moins 11 semaines de prison, le sixième de sa peine, pour être en congé temporaire. Il l'est, sur le congé temporaire, puis il en a fait à peine, voyez-vous, là, du 7 mars au 25 avril. Puis c'est le juge Bilodeau qui dit: Ça n'a pas de bon sens, puis je ne comprends pas. Il se trouvait en absence temporaire, semble-t-il. C'est ce qu'il a prétendu. Absence temporaire, faut que t'aies au moins fait le sixième de ta peine, sauf pour des raisons humanitaires. Alors, vous allez me répondre que ce monsieur-là avait été libéré pour des raisons humanitaires qui sont probablement la surpopulation carcérale, puis la surpopulation carcérale, c'est provoqué par les décisions du gouvernement qui a coupé dans les budgets de prison. Alors, ça, c'est donc invoquer votre propre turpitude, comme je disais tout à l'heure. Voyez-vous, je la trouve, l'explication, moi, là. Je la trouve, votre explication. Je vais vous dire une chose: j'ai de la misère à vivre avec ça pas mal.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac, les cas que vous soulevez sont...

M. Lefebvre: Troublants.

Le Président (M. Chagnon): ...très possiblement troublants selon vous, pertinents selon d'autres.

M. Lefebvre: Bien, j'espère pour vous également, M. le Président.

Le Président (M. Chagnon): Peut-être, à tout le moins, qu'ils pourraient faire l'objet, de la part du sous-ministre de la Sécurité publique, d'une... «enquête» serait un bien grand mot, mais à tout le moins d'une recherche, une recherche qui pourrait permettre au secrétaire de cette commission et à vous-même d'avoir plus d'information sur des cas particuliers.

M. Lefebvre: Non. Moi, M. le Président, je m'excuse, mais...

Le Président (M. Chagnon): Ah bien, moi, je voudrais vous signaler quelque chose, M. le député de Frontenac. Nous avons, nous, de ce côté-ci de la Chambre, un grand avantage qui s'appelle «l'immunité parlementaire». Je regarde nos témoins, de l'autre côté, qui n'ont pas cette immunité et je me dois de les protéger au cas où, pour une raison ou une autre, ils pourraient faire en sorte de s'ouvrir à certaines poursuites éventuelles.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Chagnon): Je les vois et je les comprends plutôt prudents. Je conçois cette prudence. Je comprends aussi les arguments que vous soulevez, ils sont intéressants. Ils vont dans le sens du rapport du Vérificateur général. Maintenant, si nos témoins – «témoins», c'est un bien grand mot – si nos invités, je dirais – ce serait plus juste – le voulaient bien, ils pourraient éventuellement vous donner des renseignements précis sur les cas que vous avez soulevés, ce qui permettrait pour vous, pour la commission de faire la lumière exacte sur les cas que vous soulevez.

(15 h 10)

M. Lefebvre: Alors, pour être plus précis, là, est-ce que, M. Gagné, sept semaines de prison sur une sentence de 15 mois de prison, vous trouvez ça correct, vous? Je vous demande une opinion. Vous n'avez pas à vous inquiéter des attaques, d'être poursuivi pour ci ou pour ça. L'immunité parlementaire, vous n'auriez pas besoin de ça pour répondre à ces questions-là. On évalue ce qui se passe dans le système carcéral, on évalue ce qui se passe dans nos centres d'incarcération puis on essaie de savoir si la population du Québec ne peut pas se retrouver, peu importe où au Québec, demain matin face à face avec quelqu'un qui est en liberté irrégulière, illégale. On est en train d'évaluer s'il n'y a pas des vendeurs de drogue qui se promènent dans les cours d'école un petit peu partout au Québec, qui auraient été condamnés trois semaines avant, ou il y a quelque trois semaines, ou deux semaines, ou même la veille, puis qui récidivent. C'est ça qu'on est en train d'évaluer. Alors, moi, je donne des noms qui sont déjà publics.

Le Président (M. Chagnon): Mais ces gens-là ont des droits, quand même, et, dans ce sens-là, je pense que...

M. Lefebvre: Absolument. Ils ont des droits, puis les Québécois aussi ont des droits. Ils ont le droit d'être protégés.

Le Président (M. Chagnon): Absolument.

M. Lefebvre: Moi, je suis ici pour protéger les Québécois. Avant de protéger les trafiquants de drogue, je vais protéger les Québécois. Ça ne veut pas dire qu'il faut tomber dans l'abus, je suis d'accord avec le président dans ce sens-là. Je vous rapporte des cas qui ont fait l'objet, M. Gagné, de commentaires de certains juges de la Cour du Québec qui, eux, étaient tout surpris de réaliser que ça s'était passé comme ça, à savoir retrouver devant eux des types qui normalement devaient être derrière les barreaux. Puis il y en a bien d'autres. Il y en a bien d'autres.

En Estrie, un trafiquant d'héroïne – on ne nommera personne – aurait purgé 11 jours de sentence sur 14 mois de prison. Vous savez, je me répète, tant et aussi longtemps qu'on s'en tiendra à des échanges qui touchent au grand volet de la réforme, tant et aussi longtemps qu'on essaiera de se comprendre sur des éléments de la réforme qui peuvent être, de votre côté, valables, pas valables de mon côté à moi, pour 56 raisons...

Vous, vous dites qu'il faut incarcérer moins parce qu'on le fait ailleurs. Je ne vous dis pas que vous avez tort, mais, entre-temps, en attendant que le virage carcéral soit complété, en attendant que la réforme soit complétée... Puis, moi, jamais on ne me fera dire le contraire, il faut respecter les règlements et les lois existants, puis ça, je suis convaincu que vous êtes d'accord avec moi là-dessus, M. Gagné. Et, si l'opposition ne vous soumet pas, ne soumet pas à l'attention du public des cas précis, on prétendra qu'on charrie, de notre côté. Ce n'est pas le cas, M. le Président. Comment se fait-il qu'un trafiquant d'héroïne purge 11 jours d'une sentence exemplaire de 14 mois? M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Bien, il y a au moins un élément où je suis fondamentalement d'accord avec vous, M. le député de Frontenac, c'est que nous devons respecter les lois et les règlements, et c'est ce que nous faisons. Les libérations qui sont faites dans le cadre qui nous régit sont faites de manière légale et bien fondée en droit. Vous soulevez des cas particuliers évidemment pour lesquels il est difficile, comme ça, au vol, de donner des réponses articulées pour la simple et bonne raison qu'on n'a pas nécessairement la connaissance du dossier. Il y a peut-être des motifs qui expliquent pourquoi la situation que vous avez décrite, si elle est réelle... C'est une chose à vérifier, parce qu'il nous arrive de temps en temps de lire dans le journal des choses qui ne sont pas précises à trois chiffres après le point. Alors, faudrait vérifier d'abord la véracité de ce que le journaliste a bien pu vouloir rapporter. Il m'arrive de temps à autre de faire vérifier des cas qui me troublent, et, lorsque le rapport arrive, je vois toujours que la réalité est finalement plus complexe que l'article que j'avais lu dans le journal le matin.

Alors, on a pris note, j'imagine, des cas en question; on pourra les vérifier. Il peut y avoir des raisons pour lesquelles ces gens-là étaient libérés, s'ils étaient bien libérés. Il y a des raisons qui font en sorte que les gens peuvent être libérés. Lorsqu'ils le sont, il ne faut pas penser que ces gens-là sont laissés libres dans le décor. Aussi, nous avons des programmes d'encadrement en milieu ouvert qui sont extrêmement structurants, qui permettent aux gens d'amorcer une réinsertion sociale. Alors, je pense qu'il faut dire au public qu'il peut paraître spectaculaire – et je ne blâme pas du tout M. Lefebvre d'utiliser cette technique – de prendre des cas comme ça, au vol, j'aurais pu, moi aussi, en apporter une couple de douzaines en sens contraire, mais le but, c'est d'informer la population que le tout se fait dans les règles et qu'en tout temps la sécurité du public est assurée.

Le Président (M. Chagnon): M. Gagné, le député de Frontenac a soulevé quelques cas, et je vous ai posé la question à savoir si c'était possible de faire une vérification et de permettre à cette commission d'avoir des renseignements plus précis qui nous permettront de faire jaillir la vérité que vous souhaitez, que nous souhaitons, de façon à faire en sorte que ces cas-là...

M. Gagné (Florent): Bien sûr, M. le Président, nous allons faire...

Le Président (M. Chagnon): Et le député de Frontenac pourra vous en soumettre d'autres éventuellement. Le député de Frontenac comprendra aussi qu'il y a plusieurs collègues qui ont demandé la parole. Je la leur remettrai pour pouvoir revenir à lui plus tard, s'il le juge à propos. J'ai le député...

M. Lefebvre: Un dernier cas, M. le Président.

Le Président (M. Chagnon): Juste... On reviendra, on reviendra, monsieur.

M. Lefebvre: Non, mais c'est parce que ça va dans la même ligne.

Le Président (M. Chagnon): Bien, vous le remettrez au sous-ministre, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Ça va.

Le Président (M. Chagnon): J'ai M. Michel Létourneau, député d'Ungava, Mme Barbeau, députée de Vanier.


Gestion des centres de détention par l'entreprise privée

M. Létourneau: Merci, M. le Président. Pour rester dans le champ de l'incarcération, je vous ai bien entendu, ce matin, et il y a une dimension qu'on n'a pas traitée ou qu'on a traitée de façon rapide. Vous avez parlé de modèle européen, de modèle américain, avec beaucoup d'exemples, et nos voisins de l'Ontario ont décidé de fermer 14 des 17 établissements de détention, de créer cinq mégacentres et d'en confier la gestion à des firmes de sécurité privées. Alors, toute la dimension de la gestion des centres de détention publics par rapport à une gestion éventuelle privée, j'aimerais ça savoir si vous avez fait des scénarios économiques à cet égard-là concernant les vertus de l'un par rapport à l'autre. Deuxièmement, j'aimerais ça savoir si vous êtes branché sur cette expérience-là, s'il y a un suivi qui se fait ou des échanges entre collègues du Québec et de l'Ontario. Par après, j'aurais d'autres questions, notamment en regard de l'utilisation de la haute technologie pour le suivi des prisonniers.

M. Gagné (Florent): Oui, c'est une idée d'actualité, la privatisation de certaines activités qui étaient jusqu'ici entre les mains de l'État, et la privatisation des prisons aux États-Unis, notamment, est très développée. Des firmes, maintenant des multinationales, contractent avec les États pour à la fois construire des prisons, garder les détenus et facturer l'État selon un processus convenu. Il y a quelques provinces canadiennes qui sont en train de regarder cette situation. Je ne sais pas s'il y a des engagements précis de faits à ce moment-ci, mais nous avons également regardé un peu cette question et c'est une question très complexe qui nous amène, en tout cas à ce moment-ci, de la réflexion, à dire plutôt non que plutôt oui.

Les raisons principales sont les suivantes. C'est que, d'abord, même aux États-Unis où la privatisation est peut-être la plus avancée dans le monde – il y a l'Australie aussi, d'autres pays qui s'en vont de ce côté-là – faut bien comprendre qu'il s'agit, au fond, de la dévolution au secteur privé d'une responsabilité de l'État. Mais l'État demeure toujours responsable de la garde des détenus, des services correctionnels, et on contracte avec l'entreprise privée un segment. Mais la responsabilité étatique demeure toujours. Je pense qu'on ne peut pas imaginer un système de vraie privatisation où ce serait finalement l'entreprise privée qui ferait les règles de détention, combien de temps, combien j'en remets en liberté, sous quelles conditions, etc. On ne peut pas imaginer. Alors, on ne parlait, ce matin, à l'ouverture, qu'une des missions tout à fait fondamentales de l'État, c'était d'assurer un certain ordre social, et on ne peut pas imaginer qu'on irait jusque-là. Alors, quand on parle de privatisation, la première chose qu'il faut dire, c'est qu'on ne parle jamais de privatisation de l'activité au même sens qu'on pourrait se départir d'une autre activité d'État.

(15 h 20)

Prenons le domaine de l'assurance automobile, par exemple, qui est entre les mains de l'État. Pour la Société de l'assurance automobile du Québec, on pourrait théoriquement, comme ce fut le cas dans le passé, dire: Ce secteur-là, on en sort complètement et il est remis au secteur privé. Alors, quand on parle de privatisation, on parle plutôt de l'exercice par le secteur privé de certaines responsabilités de l'État. C'est la première nuance qu'il faut faire.

Deuxièmement, dans les expériences américaines – en tout cas, selon les articles que j'ai lus jusqu'à maintenant – la privatisation, c'est fait dans le secteur exclusif ou quasi exclusif de l'hébergement et du gardiennage. Quand on tombe dans les programmes de réinsertion sociale ou d'alternative à l'emprisonnement, là le concept de privatisation s'effrite beaucoup, et c'est essentiellement autour d'un building qui s'appelle un centre de détention, la garde de détenus, des places. Alors, c'est gardiennage et hébergement, essentiellement. Et, comme on le voit depuis ce matin, l'ensemble des services correctionnels, c'est beaucoup plus que le gardiennage et l'hébergement de personnes, c'est un éventail de moyens. Alors, même si on allait résolument du côté de la privatisation, on ne pourrait le faire que pour la partie gardiennage et hébergement. C'est difficile de penser de quelle façon on pourrait privatiser toute la partie réinsertion sociale.

Troisièmement, le privé, d'après les études que j'ai vues... Et puis je suis allé à un colloque très instructif à Toronto, il y a quelque six mois, là-dessus où il y avait l'ensemble des firmes privées à travers le monde qui font ce genre de business. Il y a des représentants d'États américains qui ont souscrit à des expériences comme ça, et on a pu échanger pendant une couple de jours. Ce qu'on constate – puis c'est facile à comprendre – c'est que les firmes privées n'ont pas tellement intérêt à baisser la clientèle. Ce n'est pas leur business, ce n'est pas leur philosophie, elles ne voient pas d'avenir de ce côté-là. Quand on est en business pour détenir des personnes en prison, plus il y en a, mieux c'est, et ce réflexe, qui est un réflexe d'entreprise privée, par ailleurs, fort défendable, que je comprends parfaitement du point de vue économique, se heurte très rapidement à des philosophies comme la nôtre de dire: On doit, comme société, tendre à... Je comprends que c'est difficile, puis les questions qu'on a eues depuis ce matin nous démontrent que c'est effectivement difficile, mais on doit tendre comme société à avoir un système carcéral un petit peu plus léger que celui qu'on a.

Alors, le privé est intéressé à maintenir un certain nombre de places, de telle sorte que je regardais un petit peu les arrangements financiers, les montages financiers qui ont été faits par plusieurs firmes américaines, et, dans les montages financiers qu'on présente aux États à qui on va soumettre le produit, le prix est directement fonction de la quantité de détenus qu'on va garantir. Puis c'est facile à comprendre, encore là, parce qu'on travaille avec l'entreprise privée qui va dire: Bien, je vais mettre tant de millions de dollars pour construire un centre, mon investissement va être amorti sur tant d'années, j'ai un rendement sur mon investissement de tant, et, si tu me donnes 100 $ par place par jour, on va mettre dans le contrat un quantum minimum de temps; et, si d'aventure les tribunaux m'en envoient moins, bien, tu vas quand même payer ça. Alors, tous les montages financiers que j'ai observés – notamment, à ce colloque, on avait donné une dizaine d'exemples – étaient en relation directe avec la garantie qu'on donne d'une clientèle assurée.

Les prix, maintenant. La question qu'on peut se poser, c'est: Est-ce que ça coûte moins cher, ou plus cher, ou égal? Actuellement, les observations qui ont été faites dans la plupart des États américains, c'est que les prix n'ont pas réellement baissé par rapport au public, pour la bonne raison que le public – c'est peut-être la vertu des compressions budgétaires – nous amène quand même à gérer de façon assez stricte. Je regarde un petit peu dans nos centres de détention, par exemple au niveau des repas qui sont servis, on se compare très avantageusement – puis les gens, je pense, sont bien nourris, de façon honnête, en tout cas – dans les prix avec ce qui peut se faire dans les grands réseaux, que ce soit le réseau hospitalier ou... Alors, quand le privé embarque dans un système comme ça, il a de la difficulté à écraser le prix qui est déjà probablement à son plus bas.

Toujours est-il que, peu importent les raisons, les coûts qui ont été observés ne sont pas vraiment en deçà de ce qu'on a observé dans le secteur public, sauf, semble-t-il, les coûts initiaux de main-d'oeuvre, parce que, évidemment, quand on bâtit une prison privée, on la fait gardienner par des agents de services correctionnels privés qu'on engage et qu'il se peut que leur salaire soit plus bas que le salaire conventionné des agents de services correctionnels du Québec. Mais, comme vous savez, en matière de conventions collectives, avec le temps, des conventions viennent à maturité. Mais les expériences sont plutôt neuves. On a observé, dans la phase initiale, une certaine baisse des coûts au niveau des salaires, mais le prix d'ensemble n'est pas sensiblement plus bas que le prix public.

Il se pose, semble-t-il, aussi des problèmes d'éthique assez sérieux, notamment concernant le comportement des détenus. Comment une firme privée va se comporter vis-à-vis d'un détenu qui a un comportement x, y, z? Est-ce qu'une autre firme va se comporter de la même façon dans une prison à 25 km de là? D'une autre façon? Toute l'éthique, au fond, du comportement de la firme vis-à-vis des détenus, des régimes de permissions, on en a parlé abondamment ce matin. Alors, si on était dans un secteur privé où de tels régimes de permissions sont dans les mains de l'entreprise privée, à moins, encore une fois, qu'ils ne soient très normés par l'État, dans lequel cas on retombe un peu dans la même situation que la situation publique, les droits des détenus, etc. Alors, il y a des problèmes d'éthique qui sont loin d'être résolus, de ce côté-là.

Le Président (M. Chagnon): Juste une seconde, M. Gagné. Vous me permettrez de signaler à M. Bouchard et aux membres du cabinet du sous-ministre de la Justice que nous les remercions de leur participation ici, aujourd'hui. J'ai compris qu'il n'y avait pas d'autres questions à leur égard.

M. Lefebvre: Non, ça va. Bon voyage de retour.

M. Bouchard (Michel): Merci, M. le député de Frontenac. Nous avons eu la chance d'être entendus par vous et nous réitérons notre offre de pouvoir vous renseigner davantage sur la situation du ministère de la Justice à votre prochaine convenance. Je vous remercie.

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie beaucoup. Allez, M. Gagné.

M. Létourneau: Peut-être en regard aussi des mégacentres, la concentration. Notamment, c'est le cas en Ontario dans cinq établissements majeurs de détention.

M. Gagné (Florent): Oui. Là-dessus, je pense qu'il faut tendre vers un équilibre dans une certaine concentration. Nous avons nous-mêmes souscrit à une certaine concentration. Quand on parlait de la fermeture de cinq centres, c'étaient cinq petits centres, et ces clientèles-là ont été ramenées vers des unités plus grandes. Donc, il y a une logique administrative certaine à regrouper dans des centres plus grands plutôt que d'avoir dans plusieurs petits centres une certaine clientèle.

Par contre, il y a une limite à ça assez rapidement atteinte, par le fait que nous vivons sur un grand territoire et qu'il serait peut-être difficile de concentrer, même si, sur le plan strictement budgétaire et administratif, ce serait plus simple de les avoir en un seul endroit puis qu'on ait un ou deux mégacentres dans un même périmètre. Alors, je ne sais pas, pour l'expérience ontarienne, sur quoi ils se sont basés pour arriver à cette idée de mégacentres, mais, d'après l'expérience que j'ai, c'est qu'il faut quand même être équilibré dans cette notion de centralisation, et je ne vois pas comment ils pourraient être défendables. On a 17 centres de détention, actuellement – excusez-moi – peut-être qu'on pourrait en avoir 10 ou neuf, des plus gros qui pourraient héberger la même clientèle. Mais il faudrait quand même s'assurer que sur l'ensemble du territoire il y ait une distribution correcte des capacités carcérales. Pardon.

M. Létourneau: Oui. Ha, ha, ha! Je vais vous donner le temps de prendre un peu d'eau. Mais, de toute façon, au niveau de la distribution géographique, simplement vous dire que le comté d'Ungava – vous le savez, d'ailleurs – c'est 57 % du territoire québécois et il n'y a aucun centre de détention qui est là. Vos 17 centres sont dans l'autre 43 %, donc en milieu urbanisé.

Le Président (M. Chagnon): Il n'y a pas de bandits?

M. Létourneau: Pardon? Il n'y a pas...

Le Président (M. Chagnon): Il n'y a pas de bandits?

(15 h 30)

M. Létourneau: Non, c'est ça, il n'y a pas de... Effectivement. Ha, ha, ha! C'est probablement ça. Peut-être que c'est l'air qui...


Utilisation du bracelet électronique

Je parlais de haute technologie, tantôt, voir où en sont les recherches au niveau de la gestion de l'incarcération en fonction de tout ce qui se développe au niveau de la haute technologie. Je regarde chez nous, à la centrale LG 2 – Robert-Bourassa, maintenant – où il y a deux personnes dans la salle de contrôle qui gèrent à peu près 70 % de l'ensemble du réseau hydroélectrique pour tous les Québécois, et je regarde aussi au Japon, où j'apprenais que, pour faire en sorte que les gens des municipalités entourant les grandes villes puissent faire leur effort au niveau du service routier, par exemple, il y a des espèces de petits bidules électroniques qui sont sur les voitures. Donc, quand l'auto arrive dans la municipalité, automatiquement elle est enregistrée en kilométrage le temps qu'elle reste dans cette municipalité-là et, à la fin du mois, l'usager qui reste en banlieue reçoit un compte de, je ne sais pas, moi, tant d'argent pour avoir utilisé les services publics du grand centre.

Alors, au niveau de l'incarcération, je sais qu'on a beaucoup parlé de bracelet électronique ou de gadget semblable comme alternative à l'incarcération. Est-ce que vous pourriez en parler un petit peu et peut-être aussi élargir s'il y a d'autres champs où la haute technologie peut être d'une contribution intéressante?

M. Gagné (Florent): Oui. Il est toujours intéressant de suivre l'évolution de la technologie dans tous les secteurs. Si nous pouvions avoir un peu d'espoir du côté de la technologie pour nous amener à des systèmes de contrôle qui seraient moins coûteux que la prison, mais aussi efficaces, nous en serions bien heureux. Cependant, les observations que nous avons faites jusqu'à maintenant nous amènent à être prudents. Je ne dis pas que c'est une réponse nécessairement pour les 10 prochaines années. Je ne sais pas. Ces choses-là évoluent. On verra aussi comment ça va ailleurs, dans d'autres endroits où on utilise ces systèmes-là.

Mais, à première vue, ce qui semble se produire dans le cas du bracelet électronique est ceci, c'est que le bracelet électronique amène finalement une surpénalisation, dans le sens qu'il est donné à des gens qui, autrement, seraient probablement en programme de réinsertion sociale ou en libération conditionnelle, qui seraient déjà, donc, en dehors des murs. Le bracelet électronique arrive comme étant un outil de contrôle social plus fort que ces mécanismes-là, mais qui n'a pas nécessairement pour effet de sortir du monde de la détention.

La question serait intéressante si on disait, par exemple: Le bracelet électronique va remplacer l'incarcération. Si on donne à 10 % des sentences des bracelets électroniques, bien, ça va faire 10 % de personnes de moins dans les prisons. Si tel était le cas, je pense qu'on aurait quelque chose d'extrêmement intéressant. Mais ce qu'on constate, c'est que ça tend plutôt à remplacer les mesures alternatives à l'extérieur déjà et que c'est plus coûteux que les mesures alternatives qu'on a déjà. C'est quelque part mitoyen entre la prison puis les mesures plus sociales, disons, de sorte que, à la fois, ça accroît le coût, ça accroît le contrôle social. C'est une mesure de contrôle. Évidemment, c'est une prison électronique sans barreau, mais qui restreint à un périmètre qui peut être celui de la maison de l'individu, ou de son quartier, ou quelque chose comme ça. C'est quand même quelque chose qui, donc, amène un nouvel outil de contrôle social qui s'ajoute à la prison plutôt que alléger le système de prison.

Alors, c'est ce qui a été observé dans certaines provinces canadiennes. Je crois que c'est Manitoba, ou Saskatchewan, ou B.C. qui utilisent ça. C'est qu'on n'a pas constaté de baisse de personnes en détention avec l'utilisation du bracelet. Par contre, il y a des gens qui, autrement, se seraient retrouvés dans une mesure plus légère en société qui, eux, se font coller le bracelet par le tribunal.

Alors, c'est dans ce sens-là que, technologiquement, je crois que c'est un outil très intéressant. C'est quelque chose sur lequel on pourrait éventuellement miser. Mais l'application qui en a été faite jusqu'à maintenant nous amène à être prudents et surtout à ne pas voir la solution magique de ce côté-là. Mais, parce que c'est une idée qu'on ne voudrait pas perdre de vue, on continue quand même à suivre les expériences qui peuvent se faire à d'autres endroits. Peut-être qu'à un moment donné on trouvera le bon équilibre à maintenir entre la prison, une mesure intermédiaire qui serait le bracelet électronique et des mesures plus sociales, la réinsertion, etc. Si le bracelet permettait de dégager la première partie, la prison, plutôt que de dégager la deuxième partie, les mesures sociales, je pense que ça deviendrait très intéressant. Alors, c'est un débat qui demeure ouvert.

M. Létourneau: Merci.

Le Président (M. Chagnon): Est-ce qu'il y a d'autres questions, Michel? Alors, Mme Barbeau, députée de Vanier.


Alternatives aux mesures de répression

Mme Barbeau: Merci. J'ai plusieurs styles de question. Je vais commencer, pour être équitable... Comme je vous ai dit, je suis équitable envers tous les ministères. Ça fait que je vais vous parler de prévention à vous aussi, mais je vais en parler d'une autre façon. C'est-à-dire que, au début de votre intervention ce matin, vous avez dit: On est plus axés sur la répression que sur la prévention. Est-ce que vous parliez de la société en général ou de la façon dont vous, vous travaillez dans votre ministère? C'est ça que je n'ai pas compris. Est-ce que vous parliez généralement ou vous disiez: Nous, on est plus axés sur la répression que la prévention, dans notre ministère? Puis, si c'est ça, j'aimerais savoir quels moyens vous entendez favoriser si vous voulez faire de la prévention. Je parle dans votre ministère, là; je ne parle pas dans tous les ministères. Vous pouvez peut-être répondre à la question, puis j'enchaînerai avec les autres questions.

M. Gagné (Florent): Oui. Bien, en ce qui concerne la philosophie du ministère, répression versus réinsertion sociale, etc., je pense que c'est très clair. Le choix du ministère est très arrêté. Il a été rendu public à plusieurs reprises par les différents ministres de la Sécurité publique. Nous pensons que nous avons les moyens de mettre beaucoup moins l'accent sur la répression et de trouver des alternatives. La prévention est un élément parmi d'autres, ce n'est pas le seul, les programmes de réhabilitation, programmes qu'on a en milieu ouvert présentement, sur lesquels, si ça vous intéresse, Mme Pagé pourrait peut-être élaborer. Mais ces éléments-là nous permettent, en fait, de concrétiser notre discours, de dire, au fond, que la voie de l'avenir nous apparaît ne pas résider davantage du côté de la répression mais plutôt davantage de soutien et d'aide aux personnes délinquantes.

Mme Barbeau: Ça va enchaîner avec ma prochaine question, parce que l'autre question, c'est à Mme Pagé. Ce que j'en comprends, c'est que vous allez mettre plus du côté des travaux compensatoires, et tout ça, toute cette panoplie de mesures que vous avez déjà. J'aimerais que vous en parliez un petit peu plus. Dans le concret, c'est quoi? Bon, travaux compensatoires, c'est que les gens qui vont dans des organismes faire du bénévolat. Est-ce qu'il y a d'autres programmes qu'on ne connaît pas et qu'il serait intéressant qu'on connaisse? Puis vous avez parlé de 6 000 organismes bénévoles. Est-ce que c'est des organismes qui reçoivent ou des organismes avec lesquels vous travaillez ou collaborez? Puis c'est quoi, les relations du ministère avec les organismes qui collaborent? À ma connaissance... Je ne suis pas une experte de tout ce qui passe dans votre ministère, loin de là, mais je pense qu'il y a des organismes qui travaillent en collaboration avec vous pour placer les gens et les jeunes aussi, si mon information est bonne.

Mme Pagé (Louise): Votre question touche plusieurs volets. Ce qu'on appelle les travaux compensatoires est réservé à des personnes qui sont sentencées à des amendes et qui ont l'incapacité financière et économique de s'acquitter de leur sentence qui s'est traduite par une amende. Donc, ces gens-là, plutôt que de payer une amende, font des travaux compensatoires une fois qu'ils ont démontré leur incapacité de payer l'amende au percepteur. Ça peut être un percepteur municipal ou ça peut être un percepteur du ministère de la Justice.

Donc, quand une personne est condamnée à une amende, mettons un chiffre de 500 $, et que cette personne-là, suite à l'analyse de sa situation économique, démontre qu'elle n'est pas en mesure de conclure une entente d'étalement de paiements, 5 $ par mois, ou 10 $ par mois, ou je ne sais trop quoi, donc cette personne-là peut voir sa sentence transformée en travaux compensatoires. Son dossier est référé pour faire les travaux compensatoires.

Nous, le ministère de la Sécurité publique, travaillons avec une association qui regroupe les organismes de référence. Les 6 000 organismes, ce sont les organismes communautaires où les gens vont faire les travaux compensatoires. Mais nous ne travaillons pas, nous, avec les 6 000 organismes. Nous travaillons avec ce qu'on appelle des organismes de référence. Les dossiers leur sont acheminés, et là, dépendamment de ce qui s'offre dans le milieu où la personne vit, bien elle peut travailler auprès d'un organisme qui oeuvre auprès des personnes âgées pour les amener faire des loisirs, ou auprès des jeunes, ou aller travailler dans une maison de jeunes, ou travailler dans un centre de réadaptation quelconque.

Ça, c'est pour les travaux compensatoires. Il ne faut pas les confondre avec les travaux communautaires. Une personne peut être sentencée par un juge à une peine de travaux communautaires. Vous pouvez, vous, avoir... Je ne sais pas, vous seriez condamnée pour un délit quelconque et le juge a la possibilité de vous condamner à l'incarcération, donc une peine en milieu fermé – on y reviendra avec les programmes par après – ou vous pouvez être sentencée à purger votre peine en milieu ouvert, donc dans la société. Et vous pouvez aussi être condamnée à faire des travaux communautaires, un certain nombre d'heures. On peut vous dire: Vous êtes sentencée à 200 heures de travaux communautaires.

(15 h 40)

C'est la différence entre les travaux compensatoires et les travaux communautaires. Évidemment, ils se passent dans la société généralement auprès des mêmes organismes communautaires. Les organismes communautaires auprès desquels nous travaillons sont regroupés dans deux associations qui regroupent les centres d'hébergement ou les centres résidentiels. Donc, les travaux communautaires, c'est la même chose que les travaux compensatoires, mais pas pour les mêmes fins.

Les personnes qui sont condamnées à des sentences en milieu ouvert... Bon, je vais faire les milieux fermés, c'est plus facile. Quand une personne est condamnée à de l'incarcération, il y a différents programmes qui sont offerts. Notre philosophie par rapport aux personnes qui sont incarcérées, c'est de les amener à prendre conscience qu'elles ont besoin de faire un changement dans leur comportement pour qu'à leur retour dans la société elles aient un comportement acceptable.

C'est la raison pour laquelle on ne fait pas que de l'hébergement et de la garde sécuritaire des personnes. C'est la raison pour laquelle autant nos agents de services correctionnels que les professionnels qui travaillent en milieu fermé, donc en établissement de détention, doivent travailler auprès des personnes pour les faire évoluer dans l'acceptation de leur problématique et une certaine volonté de changer. Si la personne a un problème de toxicomanie ou un problème d'alcoolisme, notre personnel va travailler à faire prendre conscience à la personne de son problème et va l'aider à demander de l'aide auprès ou des AA qui viennent travailler en établissement de détention ou des institutions pour la désintoxication.

Ces personnes-là aussi, dans le cadre d'un programme d'absence temporaire, peuvent être mises en absence temporaire, mais dans le cadre de ce qu'on appelle un PEMO, ce qui est un programme d'encadrement en milieu ouvert. La personne va être en absence temporaire de l'institution. Elle n'est pas libérée, elle est en absence temporaire de l'institution, mais avec un programme qui doit l'aider à se réinsérer dans la société. Bon.

Généralement, ces programmes-là, c'est pour développer des habiletés au travail. On travaille beaucoup avec la Société québécoise de développement de la main-d'oeuvre et les instances locales pour développer l'employabilité de ces gens-là. Vous avez vu dans le profil ce matin que la scolarité n'est pas très élevée puis les habitudes de travail non plus. On a des problèmes d'analphabétisme aussi, même si certaines personnes ont fait quand même une partie de leur secondaire. Mais secondaire I, là, vous avez beaucoup de difficultés à trouver un travail dans la société. Donc, on travaille avec des organismes bénévoles dans le cadre de ce programme-là ou avec des commissions scolaires pour développer... leur apprendre à lire, à écrire. Après ça, on tente de leur apprendre comment se présenter devant un employeur, comment s'habiller pour se présenter devant un employeur, comment préparer un c.v.

Et ça, ce sont les programmes d'encadrement en milieu ouvert. Donc, ils ont des conditions à respecter pour être maintenus en milieu ouvert et ils doivent faire une démarche aussi avec ou les agents de services correctionnels ou les professionnels agents de probation qui les surveillent. Bon. Dans 95 % des cas, on a un certain taux de réussite. Mais on n'en fera pas des anges, ils resteront des gens qui... On va chercher avec eux à ce qu'ils aient un comportement acceptable selon une certaine norme dans la société.

Ceux qui sont condamnés à faire des sentences en milieu ouvert, donc, c'est des gens qui, par les tribunaux, sont sentencés à une période de probation. Le juge peut dire: Vous allez purger votre sentence. Vous avez une sentence de 14 mois de probation. Le juge accole la sentence de probation en milieu ouvert avec des conditions: Vous devez rentrer à 23 heures. Vous ne devez pas rencontrer votre conjointe. Vous ne devez pas faire ci, vous ne devez pas faire ça. Ils sont suivis par des agents de probation qui voient à ce que les conditions soient respectées. Quand il y a bris de condition, on fait une dénonciation du bris de condition et, dans certains cas, les tribunaux les condamnent et ils réintègrent l'établissement de détention.

Par contre, il faut comprendre... Et je reviens à un point du rapport du Vérificateur général. L'agent de probation qui oeuvre en milieu ouvert, quand il constate un bris ou un manquement à une condition, ça ne conduit pas nécessairement à une réincarcération. Si, dans l'ordonnance de probation, le juge dit: Vous devez vous trouver un travail, et que l'agent de probation constate que la personne ne se cherche pas un travail, elle ne fera pas tout de suite un manquement... dénoncer un manquement, il va plutôt tenter de voir avec la personne c'est quoi, les motifs qui l'amènent à ne pas se chercher un travail. Donc, le travail est en premier un travail d'accompagnement et de conseil auprès de la personne pour l'amener à avoir un comportement différent. Souvent, dans ces cas-là, on se rend compte que c'est parce qu'ils ne savent absolument pas comment compléter un formulaire de demande d'emploi ou parce qu'ils ne sont pas capables de se présenter devant un employeur.

Donc, c'est rapide de dire que, quand il y a manquement à une condition, il faut le dénoncer et réincarcérer la personne. L'agent de probation est un agent de la paix qui a un pouvoir discrétionnaire. Son premier mandat, c'est de voir, en vertu de notre philosophie, à ce que cette personne-là puisse se réintégrer dans la société. C'est bien plus intéressant de voir que, si c'est parce que c'est parce qu'il ne sait pas comment compléter un formulaire, s'il a des problèmes d'écriture, bien on va l'envoyer suivre des cours. Mais, encore là, l'agent de probation, contrairement à ce qu'on laisse entendre, ne fait pas automatiquement une dénonciation.

Donc, il y a tous les programmes de probation, les suivis en probation. Vous avez, comme M. Gagné le soulignait ce matin, les ordonnances d'emprisonnement avec sursis d'application. Alors, il y a des juges qui condamnent des individus à purger leur sentence dans la société sous réserve de certaines conditions. Il y a des personnes qui sont en détention et qui, dans l'évolution de leur sentence, font des programmes de réinsertion sociale. On les confie à des centres d'hébergement ou à des centres résidentiels ou, là, des professionnels du milieu communautaire poursuivent le plan d'intervention correctionnelle.

Le virage qu'on a amorcé a aussi fait en sorte que les services correctionnels ont revu toute leur pratique quant à l'évaluation des personnes qui nous sont confiées. Autant la Commission québécoise des libérations conditionnelles, que le rapport du Vérificateur général, que l'ensemble des intervenants qui travaillent avec nous nous ont fait part qu'il y avait là beaucoup de travail à faire. Les personnes étaient évaluées en détention, elles étaient évaluées en probation, elles étaient évaluées par les ressources communautaires, elles étaient évaluées par plusieurs personnes, mais il n'y avait pas d'intégration des évaluations.

Dans toute notre révision de processus, toute la réflexion qu'on a faite sur la prestation des services et l'encadrement en milieu ouvert, on a statué que toute personne qui va être soumise à une mesure correctionnelle va désormais faire l'objet d'une évaluation. Si c'est une sentence de moins de six mois, l'évaluation aura deux objectifs, c'est-à-dire qu'un premier objectif, ce sera l'administration de la sentence et certaines données quant à la personne pour sa prise en charge à l'établissement de détention. Cette évaluation-là nous permettra de bien cadrer le classement de la personne.

Pour toutes les personnes qui ont une sentence de plus de six mois, qui ont commis un délit contre la personne ou qui ont commis un crime avec violence, ces personnes-là vont faire l'objet d'une évaluation de deuxième niveau, qu'on appelle le deuxième niveau, qui va vraiment beaucoup plus prendre en considération les besoins de la personne, mais sur un continuum de ressources à mettre à sa disposition pour la faire évoluer.

Cette perception, cette évaluation-là qu'on fera de ses besoins vont se traduire dans un plan d'intervention correctionnelle que tous les différents intervenants du système vont mettre en application, à la fois les intervenants du milieu fermé et du milieu ouvert. Donc, il n'y aura plus... C'est-à-dire qu'on va se faire confiance, les gens, les professionnels du milieu carcéral, du milieu ouvert et du milieu des ressources communautaires, pour appliquer le même plan. Et ces outils-là étant déposés dans un dossier de la personne vont permettre autant à la Commission québécoise des libérations conditionnelles qu'aux gens du milieu ouvert de bien savoir c'est qui, la personne qu'ils ont devant eux, parce qu'il va y avoir une évaluation correcte de faite, et quels sont ses besoins à l'intérieur d'un plan d'intervention qui sera appliqué par l'ensemble des intervenants correctionnels. Donc, c'est un peu la façon dont on va travailler avec les ressources communautaires.

Mme Barbeau: Plus de suivi de la personne.

Mme Pagé (Louise): Et beaucoup plus de suivi. Ça va demander, pour nous, de redéployer nos ressources professionnelles et de les reformer, parce que faire de l'évaluation, c'est un acte professionnel. L'élaboration d'un plan d'intervention qui conduit à une modification d'un comportement, c'est aussi un travail de professionnel. Ce n'est pas le fait uniquement des fonctionnaires ou des professionnels du ministère de la Sécurité publique, mais ça peut être aussi le fait des ressources communautaires avec qui on va travailler en partenariat.

Mme Barbeau: Quand vous parlez d'évaluation, c'est une évaluation sur la capacité de la personne de... Je vous pose la question. Vraiment, je ne connais pas comment ça fonctionne chez vous. Vous évaluez par rapport à ses capacités de pouvoir se réintégrer dans la société ou c'est l'évaluation que vous faites chez tous les gens? Je ne sais pas. Je vous pose la question.

(15 h 50)

Mme Pagé (Louise): Je n'ai probablement pas été assez précise. Nos sentences sont de moins de six mois et de plus de six mois. Pour les sentences de moins de six mois, l'évaluation qu'on va faire est une évaluation qui... Toute personne qui a une sentence correctionnelle de moins de six mois est évaluée, mais pour deux objectifs: la prise en charge de cette personne-là, quel âge elle a, est-ce qu'elle a des problèmes de santé, quels sont les services qu'on doit lui donner, est-ce que c'est un... Donc, sa prise en charge comme personne parce qu'on nous confie la garde et on est obligé aussi, en vertu de la loi, d'assurer la garde sécuritaire des personnes. Parfois, pour parler des problèmes de santé mentale et pour faire référence au rapport du coroner sur le suicide, on doit aussi être responsable que la personne ne se suicide pas. Donc, il faut aussi la connaître pour être capable d'assurer sa garde sécuritaire. Et aussi pour la gestion de sa sentence. Ce sont les exigences par rapport à sa sentence.

Par contre, l'évaluation de deuxième niveau, elle, va beaucoup plus loin par rapport aux besoins de cette personne-là. Parce que, là, plus de six mois, on a du temps pour travailler avec elle. L'évaluation, donc, de ces personnes-là a vraiment pour objectif l'élaboration d'un plan d'intervention, c'est-à-dire comment allons-nous accompagner cette personne-là pour faire une certaine évolution qui va la conduire à avoir un comportement plus adapté dans la société. Donc, il faut qu'elle prenne conscience de ses difficultés, il faut qu'elle accepte ces difficultés-là, il faut qu'elle prenne la décision de changer, et ça, c'est de l'intervention psychosociale auprès des personnes pour les amener à changer. Bon, c'est sûr que ça présente des difficultés plus grandes quand vous regardez le profil des personnes qui nous sont confiées.

Mme Barbeau: C'est très instructif.

Mme Pagé (Louise): Avec un plan d'intervention correctionnelle, on va arriver à préciser des besoins sur lesquels on peut apporter des réponses, aussi.

Mme Barbeau: Parce que c'est peu connu, ça, dans la population. On a toujours un peu...

Mme Pagé (Louise): C'est très peu connu.

Mme Barbeau: ...je ne sais pas comment appeler ça, le stéréotype ou le préjugé que c'est des gens dangereux qu'on essaie de réinsérer. C'est un peu comme ça que c'est perçu. Nous, en tout cas, c'est ce qu'on se fait dire: Bien oui, mais, tu sais, s'il tue quelqu'un... Tu sais, les gens, ils ne font pas nécessairement... ils ne comprennent pas. Même nous, des fois, on essaie d'expliquer, mais... C'est ça qui est l'intérêt de ce genre de commission, parce qu'on peut aller plus en profondeur dans chaque ministère.

Mme Pagé (Louise): Mais, nous, il faut dire aussi que – si vous permettez – ...

Mme Barbeau: Oui.

Mme Pagé (Louise): ...quand on met des gens en absence temporaire ou quand on met des gens en programme de réinsertion sociale ou en programme d'accompagnement en milieu ouvert, c'est qu'on a quand même une certaine analyse qui nous permet de penser que cette personne-là peut avoir un comportement. Notre objectif est d'éviter la récidive pendant la période qui est sous surveillance, mais, une fois que la sentence est complétée, je n'ai aucune garantie si ce n'est que de croire que le travail que nous avons fait avec elle l'a amenée suffisamment à prendre conscience de ces problèmes pour qu'elle ne réadopte pas les mêmes comportements. Une personne qui vient d'un milieu défavorisé, qui a un historique familial difficile, qui a peu d'habitudes de travail, qui a des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie, on peut l'amener à faire tout ça, mais, si on n'arrive pas, à sa sortie, à lui trouver une job où elle va pouvoir survivre, bien il faut penser qu'il y a des grands risques à cette personne-là.

Mme Barbeau: Vous faites votre bout, mais ça ne repose pas tout sur vos épaules, le cas de la personne, ce qu'elle a vécu, d'où elle vient, et tout ça.


Introduction de la vidéocomparution

Là, j'aurais une question qui, vraiment, saute dans un autre sujet. Dernièrement, le ministère de la Sécurité publique a parlé qu'il y aurait une collaboration avec la Justice pour implanter les vidéocomparutions. C'est quelque chose qui m'intéresse de savoir pourquoi. Je sais un peu c'est quoi, le concept, mais qu'est-ce que ça va amener de différent? J'aimerais que vous nous en parliez un petit peu, si ça vous va.

Le Président (M. Chagnon): On s'éloigne un peu du rapport du Vérificateur général, mais ça va sûrement...

Mme Barbeau: Je ne serai pas la première. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Chagnon): Non. Ce n'est pas la première fois. Mais ce n'est pas grave, c'est d'intérêt public. Ce n'est pas grave.

M. Gagné (Florent): Oui. C'est une question qui s'adresse évidemment au ministère de la Sécurité publique, mais de même qu'au ministère de la Justice. J'aurais aimé que mon collègue de la Justice soit ici pour répondre à cette question. Alors, je vais bien humblement essayer de vous éclairer un petit peu, mais sachant qu'on travaille de façon extrêmement étroite avec la Justice.

Bon, l'idée de la vidéocomparution n'est pas nouvelle, nouvelle parce que certaines provinces canadiennes, je crois, le Manitoba et une autre province, la Colombie-Britannique, l'utilisent déjà pour permettre à des contrevenants de comparaître devant le tribunal par le voie électronique d'une caméra, ce qui permet d'éviter, entre autres choses, les frais de transport entre les centres de détention et le palais de justice pour certaines procédures judiciaires. Évidemment, ce n'est pas possible pour l'ensemble. On ne pourrait pas faire un procès au complet à travers ce système, mais il y a beaucoup de procédures où les témoins ne sont pas requis, où le Code criminel nous permet d'utiliser la vidéocomparution.

Alors, on n'a pas implanté encore au Québec cette technique-là, bien qu'on travaille avec le ministère de la Justice. L'objectif bien humble qu'on s'est donné, c'est d'essayer d'avoir pour le début de la prochaine année, c'est-à-dire le début de 1998, quelques endroits où on pourrait mettre en place un système de vidéocomparution. Le Code criminel a été amendé le printemps passé pour ne plus requérir de façon obligatoire le consentement de l'accusé pour les procédures pour lesquelles c'est permis. Alors, c'est un amendement, qui, je crois, va faciliter l'implantation de cette technique.

Il y a évidemment une résistance, notamment de certains membres du Barreau. Le ministère de la Justice va travailler là-dessus, c'est un secteur que nous connaissons moins. Mais, même si la technique peut apparaître rébarbative ou que la résistance au changement normal s'applique dans cette situation comme d'autre chose, nous sommes confiants que nous pourrons procéder avec quelques exemples que nous pourrons ensuite multiplier.

J'entendais l'autre jour, lors d'une conférence fédérale-provinciale, le sous-ministre de la Justice du Manitoba faire état un petit peu de leur expérience à eux. Il ne rendait pas compte en termes de nombre d'endroits ou de personnes qui sont passées, mais en termes de comportement à la fois de la magistrature et des délinquants vis-à-vis cette technique qui les relie. J'ai été personnellement impressionné par les propos fort positifs qu'il a tenus.

Contrairement à ce qu'on peut penser, souvent les gens disent: Ça va apporter une distance entre le tribunal et la personne qui doit comparaître devant le tribunal, une distance physique, bien sûr, mais plus qu'une distance physique, les gens n'auront pas l'impression de faire partie du même exercice. Et, là-dessus, il nous a rassurés beaucoup en disant que l'expérience des gens qu'ils ont interrogés, tant du côté de la magistrature que du côté des détenus qui ont utilisé ce système, est très profitable. Le fait que les gens, par exemple, travaillent avec un moniteur qui est très près d'eux lorsqu'ils comparaissent devant une caméra et où ils voient le juge de très proche, et le juge, de son côté, voit l'incarcéré, contrairement à la perception première qu'on peut avoir, au lieu de percevoir un éloignement, il disait que la plupart des gens percevaient plutôt un rapprochement.

Alors, c'est intéressant de savoir ça. C'est un peu peut-être la magie de la télévision, mais qui fait en sorte que, même si, à première vue, on se dit: C'est un peu bizarre que quelqu'un soit à quelques kilomètres d'un palais de justice pour une question aussi importante qu'une infraction qui fait l'objet d'examen par un tribunal à ce moment-là, l'expérience semble tout autre, d'après ce qu'on a observé dans les provinces qui l'ont essayée.

(16 heures)

Alors, ces études-là vont peut-être nous aider à convaincre les plus récalcitrants, notamment certains membres du Barreau qui ont tendance peut-être à résister, de leur dire: Bien, essayons-le et peut-être que finalement tout le monde va s'en trouver rassuré. Je me souviens du temps au gouvernement où on entrait les appareils de traitement de texte, ou des choses comme ça, et les secrétaires faisaient des griefs pour ne pas en avoir. Aujourd'hui, essayez donc d'enlever le traitement de texte à une secrétaire. Alors, quand la technologie, au fond, arrive dans un secteur, s'installe, ça dérange les habitudes, mais, avec le temps, ça devient partie du décor et, après, on ne s'en passerait plus. Alors, j'espère qu'on va pouvoir progresser de ce côté-là.

Mme Barbeau: Peut-être spécifier, pour ceux qui nous écoutent, puis je veux voir si j'ai bien compris ce qu'est la vidéocomparution, c'est que simultanément la personne est dans sa cellule ou, en tout cas, en prison, et on la voit sur un moniteur au palais de justice, et vice versa.

M. Gagné (Florent): Exactement.

Mme Barbeau: Elle peut communiquer directement, mais elle n'est pas sur place, elle est restée dans sa cellule. C'est ça?

M. Gagné (Florent): Exactement. Alors, il s'agit d'aménager, au fond, un espace, une salle au Centre de détention, disons, de Québec, ici, où le système est installé, et la personne, plutôt que d'être déplacée de sa cellule, embarquée dans le fourgon cellulaire pour aller au palais de justice pour une comparution qui parfois dure 30 secondes – c'est remis, ou on fixe une date, ou que sais-je – avec les attentes, et tout, puis la nécessité du transport, les problèmes de sécurité, la personne est déplacée de sa cellule vers la salle en question qui est équipée pour ça et, au palais de justice, les moyens de communication réciproque sont installés de sorte que tout le monde se voit et s'entend. L'expérience semble heureuse, en tout cas, là où on l'a essayée, et j'espère bien qu'avec nos collègues de la Justice on pourra avancer dans ce dossier-là.

Mme Barbeau: Je vous remercie.


Gestion des absences temporaires et des libérations conditionnelles (suite)

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie, Mme la députée de Vanier. Je voudrais revenir sur la question des libérations conditionnelles. Des libérations conditionnelles, on en a presque 8 000 par année. Il y a un comité composé de deux personnes qui étudie chacun des cas de libération conditionnelle, et, dans chacune des institutions pénitentiaires, on va avoir une étude de cas qui va se faire lorsque les cas se présentent. On a remarqué – du moins, le Vérificateur général a remarqué – que le nombre moyen, par exemple, de conditions respectées était non pas uniforme, était très différent dépendamment si on était à Montréal, à Québec ou à Trois-Rivières. Il y a l'un de ces trois exemples où, du moins, l'approche répressive est sûrement plus élevée, puisque, si le nombre moyen de conditions respectées est de deux et trois dans les régions visitées A ou B, il est de quatre dans C; pourcentage de dossiers sans conditions, 0 % dans cette région; pourcentage de dossiers exigeant une thérapie, 77 % contre 28 % ailleurs; pourcentage des dossiers exigeant emploi ou étude, 69 % là plutôt que 44 % ailleurs. Comment vous expliquez l'espèce d'hétérogénéité des conditions pour la libération conditionnelle?

Mme Demers (Isabelle): Bien, en fait, pour rappeler un petit peu d'abord la mission de la libération conditionnelle, nous, on a une mission de protéger la société, d'une part, tout en favorisant la réinsertion sociale. Alors, la Commission québécoise des libérations conditionnelles intervient au niveau de la sentence du détenu au tiers de la sentence, et là-dessus je fais référence, entre autres, à ce que disait M. Lefebvre, tout à l'heure. C'est que, nous, on agit au tiers de la sentence quand l'individu est condamné à une sentence de six mois et plus. Alors, si l'individu sort trois semaines après le début de son incarcération puis qu'il sort à moins du sixième de sa sentence, nous, on ne l'a même pas vu. Je veux dire, il tombe sous notre juridiction à partir du moment où il atteint le tiers de sa sentence pour les cas de six mois et plus; les moins de six mois, on ne les voit pas.

M. Lefebvre: Six mois juste.

Mme Demers (Isabelle): Six mois et plus.

Le Président (M. Chagnon): Six mois juste et plus.

M. Lefebvre: Six mois.

Mme Demers (Isabelle): Six mois, on les prend, six mois et plus.

M. Lefebvre: Alors, quand quelqu'un est condamné à six mois, il doit faire au moins deux mois avant une libération conditionnelle, pas un congé temporaire.

Mme Demers (Isabelle): Non. L'absence temporaire, ça, c'est au sixième. Nous, on agit au tiers de la sentence. Ça veut dire que, à partir du moment où il atteint le tiers de sa sentence, nous, on le voit à ce moment-là, il tombe sous notre juridiction.

M. Lefebvre: La question précise, madame: Pour quelqu'un qui a été condamné...

Le Président (M. Chagnon): Bien, ce n'est pas vous qui posez les questions, M. le député. Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Non, c'est pour éclaircir le cas que madame a soulevé. Pour quelqu'un qui a été condamné à six mois de prison, il ne peut pas y avoir de libération conditionnelle avant qu'il ait purgé deux mois.

Mme Demers (Isabelle): Non, effectivement.

M. Lefebvre: Alors, le cas que j'ai soumis tout à l'heure, et vous étiez présente...

Mme Demers (Isabelle): C'était une absence temporaire. Ça ne pouvait pas être une libération conditionnelle, parce qu'on ne l'avait pas vu.

M. Lefebvre: Moi, je dis que c'est une absence irrégulière et incorrecte.

Mme Demers (Isabelle): Ha, ha, ha! C'est votre interprétation. Nous, on considère que c'est...

M. Lefebvre: Oui, je vous comprends, madame. Je vous comprends, madame.

Mme Demers (Isabelle): Parce que, nous, on ne l'a pas vu.

Le Président (M. Chagnon): Revenons à nos moutons.

Mme Demers (Isabelle): Pour revenir à nos moutons, en fait, quand on siège et qu'on entend le détenu au tiers de sa sentence, nous devons évaluer si la personne est apte à réintégrer la société ou pas. Alors, quand vous dites: Il y a des différences de conditions en fonction des dossiers, on se rend compte que, dans certaines régions, il y a plus de conditions, dans d'autres régions il y en a moins, bon, faut comprendre d'abord que les conditions vont aussi en fonction du projet de sortie de l'individu. Quand Mme Pagé, tout à l'heure, parlait que son personnel à elle se charge d'élaborer un plan d'intervention, ce plan d'intervention là va servir au projet de sortie de l'individu. Nous, évidemment que c'est extrêmement important pour rendre notre décision parce que, dépendamment de la criminalité de l'individu, le projet de sortie doit être adéquat, et ce projet de sortie là, lorsqu'on accorde la libération conditionnelle, c'est assorti de certaines conditions qu'on impose.

Dépendamment des régions, les ressources communautaires qui aident l'individu à réintégrer la société sont différentes, et dans les grands centres il y a plus de ressources communautaires que tu vas en avoir dans les petits centres.

Le Président (M. Chagnon): Les trois régions visitées, on l'a dit plus tôt, c'est Montréal, Québec et Trois-Rivières.

Mme Demers (Isabelle): Montréal, Québec, Trois-Rivières.

Le Président (M. Chagnon): On parle de régions où les conditions sont assez similaires, probablement.

Mme Demers (Isabelle): Oui, mais, dans certaines régions, notamment à Trois-Rivières, t'as quand même certaines maisons de transition, t'as des ressources communautaires qui vont être plus adéquates pour certains facteurs de criminalité par rapport à d'autres qui vont être moins adéquates. Alors, quand on regarde le niveau de conditions qui est imposé, évidemment ça part aussi de l'évaluation qui est faite de l'individu.

On a un problème en rapport avec l'évaluation de l'individu parce qu'on part, nous, évidemment quand on siège, d'un dossier. À ce moment-là, dans le cadre de la révision des processus qui se fait aux services correctionnels, ils vont mettre plus l'accent sur l'évaluation de l'individu, ce qui va nous aider, nous, à déterminer les conditions adéquates pour le projet de sortie de l'individu. Alors donc, comme on l'avait dit dans notre réponse au Vérificateur général, la disponibilité et le nombre de ressources dans la région où on entend les causes, c'est un facteur qui influence les décisions, et les décisions aussi au niveau des conditions. Il y a le projet de sortie qui est aussi important et sur lequel actuellement travaille la Direction des services correctionnels qui influe en rapport avec le nombre de conditions qu'on peut imposer.

Enfin, il ne faut quand même pas oublier non plus que les commissaires qui siègent – nous, on est un tribunal administratif – ont effectivement un pouvoir discrétionnaire. Ils ont quand même une certaine indépendance qu'on se doit de respecter. Alors, comme n'importe quel tribunal, les juges ont un pouvoir discrétionnaire, donc il y a une partie de subjectivité.

Le Président (M. Chagnon): Est-ce que vous êtes satisfaite de la qualité des informations que vos commissaires reçoivent avant de prendre des décisions?

Mme Demers (Isabelle): Évidemment, on en a eu, des discussions avec les services correctionnels. On avait un peu de problèmes à ce niveau-là, dépendamment des régions. Il y a certains endroits où la qualité de l'évaluation était peut-être un petit peu moins bien que dans d'autres régions. Alors, de concert avec les services correctionnels, on s'est entendus pour qu'ensemble on détermine les informations nécessaires à la prise des décisions des commissaires, ce qui va aider par la suite quand va arriver le temps d'évaluer le projet de sortie et d'élaborer un projet de sortie et un plan d'intervention.

Le Président (M. Chagnon): Quelles sont, selon vous, les informations nécessaires que les commissaires devraient avoir pour prendre leurs décisions?

Mme Demers (Isabelle): En fait, comme on disait tout à l'heure, il va y avoir une évaluation maintenant de deuxième niveau pour les six mois et plus. Cette information-là de deuxième niveau, ce qu'il est important de savoir pour nous, c'est d'abord la prise de conscience de l'individu parce que, nous, quand on regarde les motifs sur lesquels on se base pour évaluer l'individu, ils sont prévus dans la loi à l'article 23. Faut évaluer, donc, le comportement du détenu, ses habiletés à remplir ses obligations, ses projets. Comme Mme Pagé parlait tout à l'heure, le projet peut être de se trouver un emploi, le retour aux études ou des choses comme ça, ses relations familiales et sociales. C'est extrêmement important pour nous de savoir si l'individu a un domicile quand on va le mettre en libération conditionnelle parce que, aussi curieux que ça puisse paraître, on a beaucoup de jeunes qui se présentent devant la Commission, et, quand on leur demande où est leur domicile, ils n'en ont pas. C'est très surprenant. C'est des jeunes dans la vingtaine, et on se rend compte qu'ils n'ont pas de domicile. Alors, faut s'assurer qu'ils ont un endroit où aller, les emplois antérieurs quand ils en ont eu, leurs aptitudes au travail quand évidemment les personnes devraient se trouver un travail, leur casier judiciaire. Évidemment que les antécédents...

Pour nous, comme notre mission, c'est de protéger la société aussi en favorisant la réinsertion sociale, c'est extrêmement important d'évaluer, à partir de ses antécédents judiciaires, le potentiel de récidive de l'individu. Alors donc, son casier judiciaire, pour nous, est important, sa conduite pendant une période d'absence temporaire, et c'est à ça beaucoup que sert l'absence temporaire, notamment. C'est de voir comment l'individu se comporte en absence temporaire pour finalement voir si, en libération conditionnelle, il va avoir un comportement adéquat. Alors donc, c'est à peu près en gros, là, les informations...

(16 h 10)

Le Président (M. Chagnon): Le rapport de police, ça ne vous est pas important?

Mme Demers (Isabelle): Le rapport de police...

Le Président (M. Chagnon): Ce n'est pas important pour vous?

Mme Demers (Isabelle): Le rapport de police, je vais vous dire, actuellement, c'est difficile de l'avoir, parce qu'il faut faire attention, il y a deux choses. On retrouve actuellement dans les dossiers la version policière. La version policière, c'est ce que soit l'agent de services correctionnels ou le professionnel au dossier a réussi à obtenir du corps de police qui a travaillé dans le dossier. Donc, le sergent-détective qui a travaillé dans le dossier va donner sa version sur l'individu, la criminalité de l'individu, s'il a été impliqué dans des milieux criminalisés ou autres. Ça, c'est la version policière que l'on retrouve au dossier.

Le Président (M. Chagnon): Les motifs du juge pour invoquer sa sentence...

Mme Demers (Isabelle): On n'a pas ça. Ça, on ne l'a pas.

Le Président (M. Chagnon): Ce ne serait pas nécessaire?

Mme Demers (Isabelle): Bien, en fait, idéalement, ce serait bon de les avoir, sauf que le...

Le Président (M. Chagnon): Mais c'est des documents publics, là. Vos commissaires pourraient les avoir.

Mme Demers (Isabelle): Bien, c'est parce que c'est un problème de logistique.

Le Président (M. Chagnon): Comment ça?

Mme Demers (Isabelle): Bien, c'est parce que, en fait, ça, ça se retrouve dans le dossier du procureur de la couronne et ça voudrait dire qu'il faudrait...

Le Président (M. Chagnon): Ça ne se retrouve pas dans le dossier du procureur de la couronne, là. Le procureur de la couronne ne peut pas avoir dans son dossier les motifs invoqués par le juge sur...

Mme Demers (Isabelle): Bien, c'est des motifs invoqués dans le jugement que vous me parlez?

Le Président (M. Chagnon): Oui.

Mme Demers (Isabelle): Mais c'est parce que les jugements, on ne les a pas au dossier.

Le Président (M. Chagnon): Mais comment pouvez-vous avoir des commissaires aux libérations conditionnelles qui ne connaissent pas les conclusions du jugement de leur client?

Mme Demers (Isabelle): Bien, en fait, non, on ne réussit pas à avoir le jugement.

Le Président (M. Chagnon): Vous n'avez pas ça.

Mme Demers (Isabelle): Non.

Le Président (M. Chagnon): Vous ne pensez pas que ça devrait être absolument nécessaire?

Mme Demers (Isabelle): Bien, je vais vous dire que, comme disait tout à l'heure M. Gagné, dans un monde idéal, ce serait...

Le Président (M. Chagnon): Ah! on ne parle pas d'un monde idéal, là, on vous parle du monde dans lequel la société doit être protégée des gens sur lesquels vous prenez des décisions pour faire en sorte de les réinsérer dans la population en cas de libération conditionnelle. Il me semble que vos commissaires devraient être le mieux équipés possible pour pouvoir prendre les décisions les plus susceptibles d'être socialement acceptables et il me semble que le rapport de police... Vous me dites: Ce n'est pas possible de l'avoir. Les raisons de la sentence par le juge, vous ne les avez pas. Vous avez des problèmes. Quand même que vous auriez l'intérêt et l'intention de votre client pour savoir s'il a une famille, s'il a le goût d'aller travailler ou pas, c'est peut-être intéressant, il pourrait bien vous conter n'importe quoi, mais, si vous n'avez pas les éléments sentenciels de la condamnation, vous avez un problème.

Mme Demers (Isabelle): Bon. À cela, je vous répondrais que c'est toute une question de transcription des jugements, parce que souvent il y a des jugements oraux, là. On ne se retrouve pas en civil, on est en criminel et pénal et souvent les jugements sont oraux.

Le Président (M. Chagnon): Sur le banc.

Mme Demers (Isabelle): Alors, la transcription des jugements, ce serait très coûteux.

Mais, ceci étant dit, je vais vous dire, si ça peut vous rassurer, que les commissaires qui siègent sont des gens qui ont quand même une formation adéquate pour le faire. À venir jusqu'à date, comme je vous disais, si on pouvait l'avoir, ce serait parfait, mais, même si on ne l'a pas, ça ne nous empêche pas de faire notre travail. Et à cela je vous dirais que nos statistiques révèlent qu'il y a 91 % des cas qui ne récidivent pas. Donc, en libération conditionnelle, ça se passe très bien. Alors, on a quand même un bon taux de réussite. À 91 %, ça veut dire neuf sur 10 qui ne récidivent pas. Les gens sont capables de faire quand même leur travail sans avoir le jugement ou les motifs du juge pour rendre la sentence.

Par ailleurs, le rapport de police, là c'est une autre affaire, mais c'est un problème aussi. C'est que, bon, dépendamment des corps de police, il y en a qui disent que c'est confidentiel, donc ils ne veulent pas nous donner leur rapport de police.

Le Président (M. Chagnon): Avez-vous des procédures de contrôle de qualité?

Mme Demers (Isabelle): Actuellement, on en a certains et on va en élaborer d'autres pour répondre à la demande du Vérificateur général. On a des indicateurs de gestion qui sont déjà en place, mais qu'on va accentuer, c'est-à-dire qu'on va faire mensuellement. Alors, ça veut dire que chaque mois le commissaire va avoir un rapport de gestion sur le taux d'octroi, le taux de refus, donc il va avoir vraiment le portrait de ses décisions.

Par ailleurs, on est en train de revoir l'interprétation de nos critères d'octroi et les conditions qui se rattachent aussi à ça de façon à interpréter d'une manière plus uniforme l'ensemble des critères sur lesquels se basent les commissaires pour rendre leurs décisions.

Le Président (M. Chagnon): Les commissaires prennent des recommandations et formulent des recommandations.

Mme Demers (Isabelle): Je m'excuse, je ne comprends pas tellement.

Le Président (M. Chagnon): Les commissaires, dans le cadre de leur travail de probation, formulent des recommandations.

Mme Demers (Isabelle): Non, on ne formule pas de recommandations, on octroie ou on n'accorde pas la libération correctionnelle. Et, quand on n'accorde pas la libération conditionnelle, on explique pourquoi on ne l'accorde pas, la libération conditionnelle. Et le principal motif de refus, d'après nos statistiques, le principal motif pour lequel on refuse la libération conditionnelle, c'est que le projet de sortie, donc le plan d'intervention, pour nous n'est pas adéquat en fonction de la criminalité de la personne.

Le Président (M. Chagnon): M. le Vérificateur général.

M. Breton (Guy): J'aimerais que madame nous dise si le 91 % qui ne récidive pas, c'est durant la période de libération ou s'il ne récidive pas du tout, on ne le revoit plus jamais.

Mme Demers (Isabelle): Ah non, c'est durant la libération conditionnelle, parce que, par après, on n'a pas le contrôle. Nous, c'est à partir du tiers de sa sentence jusqu'aux trois tiers de sa sentence.

Le Président (M. Chagnon): C'est-à-dire que vous avez 10 % des gens qui ont des sentences de six mois à deux ans et qui, lorsque vous les mettez en libération conditionnelle, vous reviennent.

Mme Demers (Isabelle): Ce n'est pas tout à fait ça. Je veux dire, ils peuvent...

Le Président (M. Chagnon): C'est quoi? Ha, ha, ha!

Mme Demers (Isabelle): La question que pose le Vérificateur, c'est que, nous, on regarde du tiers aux trois tiers. O.K.? Donc, ça veut dire... Oui, c'est vrai.

Le Président (M. Chagnon): Six mois à deux ans.

Mme Demers (Isabelle): Dans une certaine mesure, oui. Il y a à peu près un 9 % de gens qui reviennent parce qu'ils récidivent à l'intérieur de cette période-là.

Le Président (M. Chagnon): C'est beaucoup, c'est énorme, 10 % de gens qui sont en cas de récidive sur une période de huit mois.

Mme Demers (Isabelle): Sur la période du deux tiers au trois tiers.

Le Président (M. Chagnon): Bien, c'est beaucoup. Ha, ha, ha! S'il fallait que, je ne sais pas, moi, on soit obligé de retirer du marché 10 % des produits faits sur une base d'utilisation pendant huit mois de temps, ce serait épouvantable.

Mme Demers (Isabelle): Bien, écoutez, je respecte votre interprétation, mais, sur le nombre qu'on voit, nous, on considère qu'on a un bon résultat quand même.

Le Président (M. Chagnon): Quand vous faites une recommandation négative, c'est parce que vous jugez que la personne n'est pas apte à retourner, donc qu'elle est un cas de récidive potentielle plus grand.

Mme Demers (Isabelle): Potentielle.

(Consultation)

Le Président (M. Chagnon): Ça va?

Mme Demers (Isabelle): Je m'excuse. Oui.

Le Président (M. Chagnon): Alors, pour vous, c'est un cas de récidive potentielle plus grand. La Commission des libérations prend la décision que l'inculpé X n'aura pas le droit à sa probation.

Mme Demers (Isabelle): Non, non, ce n'est pas ça. En fait, quand on refuse, c'est qu'on considère que soit l'individu n'est pas apte à réintégrer la société... Ça peut être, comme je vous disais...

Le Président (M. Chagnon): Alors, un individu qui n'est pas apte à réintégrer la société, un individu qui est susceptible d'être un cas plus lourd de récidive... Est-ce que vous en avez, des cas qui ont été libérés quand même, malgré votre recommandation?

Mme Demers (Isabelle): Oui.

Le Président (M. Chagnon): Pourquoi?

Mme Demers (Isabelle): Bien, nous, à ce moment-là, ce n'est pas... Je veux dire, ils ont été libérés pour des motifs humanitaires, d'après ce que je peux comprendre dans l'interprétation de la Direction des services correctionnels.

Le Président (M. Chagnon): Alors, pour vous, un cas lourd, un cas qui est difficilement résinsérable... réins... réins... ouais...

Mme Demers (Isabelle): Réinsérable. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Chagnon): ...ayant un problème de réinsertion dans la société, un cas de récidive, plus lourd que votre statistique de 19 %...

Mme Demers (Isabelle): Bien, en fait, je ne sais pas, peut-être que je me suis mal exprimée, mais c'est neuf sur 10 qui réussissent, parce que c'est 91 %.

Le Président (M. Chagnon): Alors, 10 % de taux d'échec, dans le fond...

Mme Demers (Isabelle): Sur 100 %.

Le Président (M. Chagnon): ...ce qui est élevé, dans un cas comme ça, sur huit mois de... Tu sors des gens puis un cas sur 10 va te revenir, là, c'est fort.

Mais enfin, je reviens à ma question de fond. Vous avez pris une décision, il y a de vos commissaires qui ont pris la décision que Mme Unetelle ou M. Untel ne devrait pas être libéré sous condition pour la bonne et simple raison qu'il est susceptible d'être un cas lourd, un cas de récidive, un cas de non-réinsertion dans la société dans la situation où il est, et les gens le libèrent quand même pour des raisons humanitaires. Expliquez-moi ça.

Mme Demers (Isabelle): Bien, là, écoutez, là-dessus, ce que je vous répondrais, c'est que, en fait, quand on refuse, l'individu, à partir de ce moment-là, il revient sous la juridiction de la Direction des services correctionnels. Donc, ce n'est plus nous qui avons à surveiller le cas, là, c'est la Direction des services correctionnels.

Le Président (M. Chagnon): Non, mais quelqu'un quelque part prend une décision, là. Vous, vous avez pris une décision. Il y a deux commissaires qui sont, selon ce que vous me dites, des gens qui ont des connaissances appropriées pour faire le travail, qui ont la formation pour faire ce travail-là, qui tirent des conclusions qui sont celles que vous nous suggérez, à l'effet qu'une telle ou un tel ne devrait pas avoir droit à sa probation parce qu'il est un cas lourd susceptible largement de récidive, deuxièmement, un cas qui est un cas de désinsertion sociale, un cas difficilement réinsérable dans la société, et vous connaissez des cas qu'on a libérés.

(16 h 20)

Mme Demers (Isabelle): Bien, je ne les connais pas personnellement, là, mais, oui, il y a des cas qui...

Le Président (M. Chagnon): Non, non, mais – ha, ha, ha! – je ne vous demande pas de les fréquenter.

Mme Demers (Isabelle): Je comprends. Statistiquement parlant, oui, il y en a. Mais là-dessus...

Le Président (M. Chagnon): Mais on ne parle pas de statistiques, on parle de gens, d'individus dehors, qui sortent. Vous avez trouvé que ces gens-là étaient dangereux; ils sortent.

Mme Demers (Isabelle): C'est ça. Oui.

Le Président (M. Chagnon): M. Gagné.

M. Gagné (Florent): M. le Président, peut-être là-dessus, parce que je comprends que, Mme la présidente, elle brûle d'envie de dire que ce n'est pas son rayon, et elle a raison, parce que, une fois que la Commission des libérations conditionnelles a rendu un verdict dans un sens ou dans un autre, je comprends bien que la Commission ne se soucie pas de savoir ce qui est arrivé à l'individu. Mais vous avez raison de le constater parce que je crois que le Vérificateur général a relevé quelques cas. Je dois dire que c'est quand même très exceptionnel, ici.

Le Président (M. Chagnon): Il y en aurait un que ce ne serait pas compréhensible.

M. Gagné (Florent): Je sais. Bien, ça peut être compréhensible. Je m'explique. Comme je l'ai dit depuis le début ce matin, il y a des absences pour des raisons médicales et humanitaires qui peuvent être données en tout temps à toute personne, y compris à quelqu'un qui a eu un non de la Commission des libérations conditionnelles la veille. Il se peut que la personne soit malade, ait à aller à l'hôpital, et elle aura une absence temporaire pour ce motif-là. Je ne sais pas le cas ou les cas que le Vérificateur a pu relever, qui sont très minimes, encore une fois, mais il est techniquement possible que ce soit ça, l'explication.

L'autre explication possible, c'est que nous avons des gens qu'on appelle «en PEMO» dans notre langage interne, en programme d'encadrement en milieu ouvert. Alors, c'est quelqu'un qui est déjà à l'extérieur, mais qui continue à purger sa sentence. Il n'est pas libéré conditionnellement. Il n'est pas libéré de sa sentence, il la purge dans un programme à l'extérieur. L'individu va très bien, l'individu fait...

Le Président (M. Chagnon): Mais, si l'individu allait si bien que ça, la Commission des libérations conditionnelles ne vous donnerait pas...

M. Gagné (Florent): Je comprends. Il peut arriver différentes raisons, parce que la Commission est libre de ses mouvements, de ses actes. Elle n'a pas à nous rendre compte, on n'a pas à lui rendre compte. Il peut arriver que le commissaire, ce matin-là, trouve qu'il n'y a pas l'information qu'il faut au dossier, je ne sais pas quoi, et qu'il réponde non à la question qui lui est posée. Cette personne-là était dehors hier dans un programme en milieu ouvert, avait un excellent comportement depuis le début et, quelques semaines plus tard, elle va se qualifier pour une absence temporaire pour l'un ou l'autre des trois motifs qui nous sont permis par la loi, malgré le fait qu'elle ait essuyé un refus de la Commission des libérations conditionnelles.

Mais, encore une fois, ce sont des exceptions. On n'a pas de chiffres statistiques sur ce nombre de cas, mais ce sont des cas très marginaux et qui, encore une fois, peuvent s'expliquer par ce que je viens d'évoquer.

Le Président (M. Chagnon): Est-ce que vous pourriez nous informer...

M. Gagné (Florent): Je ne sais pas le cas précis des cas qui ont été soulevés par le Vérificateur.

(Consultation)

M. Gagné (Florent): On va demander à Mme Pagé peut-être de donner une information.

Le Président (M. Chagnon): C'est troublant.

Mme Pagé (Louise): Pardon?

Le Président (M. Chagnon): C'est assez troublant quand t'entends ça, là.

M. Gagné (Florent): À première vue, oui. Sans explication, c'est troublant.

Mme Pagé (Louise): À première vue, vous avez raison. Mais je vais vous donner l'exemple d'une personne qui a besoin de suivre une cure de désintoxication. Ça ne se fait pas en milieu fermé. On est obligé de la mettre en absence temporaire pour motif médical ou motif humanitaire, puisque la cure de désintox va se faire dans un centre spécialisé. Donc, cette personne-là qui se serait vu refuser sa libération conditionnelle mais qui doit suivre son programme de désintox forcément va être placée en absence temporaire.

Le Président (M. Chagnon): J'aimerais que vous me fournissiez...

Mme Pagé (Louise): Mais on pourrait vous fournir le... Et vous allez voir le nombre et les motifs.

Le Président (M. Chagnon): Le nombre de personnes dont c'est le cas, qui se sont vu refuser une libération conditionnelle, qui ont quand même été libérées malgré tout, et le pourquoi. Je ne veux surtout pas avoir les noms.

Mme Pagé (Louise): Non. Je veux juste préciser, M. Chagnon. Elles ne sont pas libérées, ces personnes-là. Non, non, non. Les personnes qui se sont vu refuser la libération conditionnelle ne sont pas libérées de leur sentence. Elles purgent leur sentence, et il se peut que dans le temps elles soient mises en absence temporaire de l'institution. Mais elles ne sont pas libérées.

Le Président (M. Chagnon): Oui, mais là on va se comprendre. Quelqu'un qui est dangereux pour la société, qui est mis en absence temporaire... C'est un langage, vous me comprendrez, un petit peu technocratique, hein? Absence temporaire de la prison pour quelqu'un qui est susceptible d'être dangereux pour la société, aussi bien dire qu'il est dehors. Et je ne cherche pas à jouer sur les mots puis je ne cherche pas à... Imaginez-vous.

Je vais vous poser la question différemment: Lorsqu'il est à l'hôpital ou lorsqu'il est en désintoxication, est-ce qu'il y a un personnel de la Sécurité publique qui l'accompagne tout le temps?

Mme Pagé (Louise): Non.

Le Président (M. Chagnon): Alors donc, cette personne-là est en liberté. C'est ça, la liberté.

M. Gagné (Florent): En liberté mais non libérée. C'est parce que c'est important de savoir que, techniquement, une sentence peut être purgée à l'intérieur ou à l'extérieur.

Le Président (M. Chagnon): Libérée, pour la population...

M. Gagné (Florent): Mais, lorsque la Commission donne une libération conditionnelle, la personne est libérée, alors qu'elle ne l'est pas lorsqu'elle est en absence temporaire.

Le Président (M. Chagnon): Oui, mais, lorsque la Commission des libérations conditionnelles refuse la libération conditionnelle et que la même personne se retrouve en dehors des murs – pour des raisons qui peuvent être médicales, qui peuvent être de désintoxication, je comprends bien – ma question est la suivante: Dans ces cas-là, lorsque les gens sont hors les murs, les gens qui représentent une menace pour la société, une menace de récidive, une menace pour l'ensemble de la société, est-ce que ces gens-là sont accompagnés à temps plein par un agent de la Sécurité publique? Vous me dites non. Bien, je vous dis: Il y a un problème à quelque part.

M. Gagné (Florent): C'est parce que, là, on présume que la personne qui a essuyé un refus de la Commission québécoise des libérations conditionnelles est nécessairement une personne dangereuse. Elle peut avoir essuyé un refus pour bien d'autres raisons, y compris que le dossier n'était pas complet au moment où le commissaire l'a regardé. Il peut y avoir différentes raisons qui amènent le commissaire... Elle a parlé de la discrétion des commissaires, et on a observé...

On donnait l'exemple d'un cas, de quelqu'un qui est en programme extérieur de formation ou de travail ou qui doit aller à l'hôpital régulièrement pour des traitements, etc., qui a essuyé effectivement un refus et qui doit quand même continuer à recevoir les traitements ou à suivre son programme en milieu ouvert dans lequel... Mais ceci ne signifie pas une libération. Faut bien comprendre, là, que...

Le Président (M. Chagnon): Je comprends que, théoriquement, on n'est pas libéré de sa peine, mais, dans la pratique, les gens qui sont en dehors de prison et qui peuvent prendre un autobus, aller à l'hôpital, sortir de l'hôpital s'ils se sentent mieux, retourner chez eux, aller ailleurs, aller dans une taverne, faire n'importe quoi, ce sont des gens libres. Lorsque je posais la question à la responsable des libérations conditionnelles, elle me donnait les raisons et les motifs qui faisaient en sorte qu'on empêchait des libérations conditionnelles, et ces motifs-là, c'étaient des motifs d'ordre humanitaire, dans le fond, pour protéger la société. J'ai de la misère avec ça.

M. Gagné (Florent): Mais c'est parce que, là, on axe le cas sur le degré de dangerosité. Il peut arriver que la Commission québécoise des libérations conditionnelles refuse la libération à quelqu'un au motif, par exemple, qu'il n'est pas suffisamment mature pour être complètement libre dans la société. Mais cette même personne qui n'est pas, pour ce motif-là, admissible ou admise à une libération conditionnelle par la Commission peut – j'espère, en tout cas – pouvoir continuer à bénéficier de programmes de réinsertion, de programmes qui vont justement accroître cette maturité, et peut-être que, dans un deuxième essai devant la Commission des libérations, ayant suivi avec succès des programmes en milieu ouvert, des programmes de formation, des programmes d'encadrement, elle aura acquis la maturité et que le commissaire, ce matin-là, dira oui plutôt que non.

Maintenant, si on avait quelqu'un qui a été refusé pour un motif de dangerosité et qu'il était libéré le lendemain, il y aurait un problème, je pense.

Le Président (M. Chagnon): Bien, c'est ce que je soulève.

M. Gagné (Florent): Mais c'est sous réserve d'examen des cas. Mais je pense qu'on ne peut pas, a priori, faire ce raisonnement-là.

Le Président (M. Chagnon): Je suis inquiet. Le moins que je puis dire, c'est que je suis inquiet.

M. Gagné (Florent): On va essayer de vous rassurer.

Le Président (M. Chagnon): J'aimerais que vous calmiez mes inquiétudes en me fournissant ce que je vous demandais, c'est-à-dire le nombre de fois, la liste, les raisons pour lesquelles d'abord les recommandations étaient négatives et quels sont les événements qui ont pu faire en sorte que des gens ont été suspendus de peine ou libérés, en tout cas, de leur incarcération. J'essaie de tomber dans du langage pour qu'on se comprenne. Enfin, ils n'étaient pas en prison.

C'est parce que, à partir du moment où une société se permet, s'offre un service qu'il m'apparaît tout à fait logique, décent et normal d'avoir, une commission des libérations conditionnelles et des commissaires, il m'apparaît plutôt étrange que, lorsque l'on a deux commissaires qui se penchent sur le cas Machin X, Y ou Z et qui tirent une conclusion, un peu plus tard quelqu'un d'autre utilise... Lorsque les commissaires, dis-je, ont tiré la conclusion que quelqu'un n'était pas susceptible d'être réinséré dans la société, que ce soit le directeur de la prison ou un autre qui prenne la décision de le remettre quand même dehors, ça ne fait pas beaucoup de sens et j'aimerais avoir éventuellement, le plus rapidement possible, les explications à ce phénomène. C'est le moins que je puisse dire.

M. Marsan. Mme Demers. Je m'excuse.

(16 h 30)

Mme Demers (Isabelle): Je m'excuse. Si je pouvais me permettre de compléter un petit peu, faut comprendre aussi que, lorsqu'on refuse un individu en libération conditionnelle, ce n'est pas uniquement parce que la personne est dangereuse, ça peut être parce que la personne, au moment où elle se présente devant nous, elle n'avait pas suffisamment de motivation, qu'elle avait démontré une incapacité à respecter des engagements ou n'a pas respecté certaines conditions, parce que, quand elles ont des conditions, il y a des conditions qui sont, je dirais, essentielles, d'autres qui sont utiles. Alors, il y a cet aspect-là aussi dont il faut tenir compte. Ce n'est pas uniquement des gens qui sont dangereux, là, faut faire attention.

Le Président (M. Chagnon): On verra ça plus tard.

Mme Demers (Isabelle): D'accord. Ha, ha, ha! Merci.

Le Président (M. Chagnon): Merci. Alors, M. le député de Robert-Baldwin, suivi du député de Frontenac.


Mesures correctives au ministère de la Sécurité publique

M. Marsan: Merci, M. le Président. Nous sommes ici depuis tôt ce matin et, à écouter tous les commentaires que nous avons reçus du ministère de la Sécurité publique, on dirait que tout va bien. Je pense que vous avez sûrement bien fait vos leçons, vos devoirs, que vous étiez bien préparés, sauf que je ne crois pas que tout va bien au ministère de la Sécurité publique. Je prends le rapport du Vérificateur général et je m'aperçois qu'au niveau de la gestion, entre autres, ça ne va pas si bien que ça.

Je prends quelques recommandations: nous avons recommandé au ministère de la Sécurité publique de gérer les absences temporaires avec le souci de respecter les sentences imposées, nous avons également recommandé au ministère de la Sécurité publique de prendre les mesures appropriées afin que les commissaires disposent de toutes l'information nécessaire concernant les individus qui se présentent devant eux – ils n'ont pas l'information – dans 45 % des dossiers examinés, la surveillance exercée par les agents de probation n'est pas suffisante, les décisions des commissaires et du tribunal à l'égard des délinquants en libération conditionnelle et en probation ne sont pas respectées dans 27 % des cas sans qu'il y ait intervention appropriée, et ainsi de suite. Dans 40 % des cas examinés, les agents n'interviennent pas de façon appropriée en matière de réinsertion sociale, et on peut continuer ainsi de suite.

La question que, nous, l'ensemble des députés, nous voulons savoir, c'est: D'abord, est-ce que vous reconnaissez les lacunes du Vérificateur? Allez-vous les corriger? Il y en a plusieurs. Et à quel moment vous pouvez revenir devant nous, nous dire: Oui, ça a été corrigé. Et sûrement qu'ensuite on demandera au Vérificateur de confirmer si vraiment les lacunes, les nombreuses lacunes identifiées au ministère de la Sécurité publique ont été corrigées, oui ou non.

M. Gagné (Florent): Bien, d'abord, je dois dire que, personnellement, j'ai fait une lecture évidemment extrêmement intéressée du rapport du Vérificateur général et que je n'en suis pas sorti découragé. Je pense que le fait que le Vérificateur général ne remet aucunement en cause les grands axes qui ont été privilégiés par le ministère de la Sécurité publique, la philosophie carcérale qui est la nôtre, est une très grande source d'encouragement. Par contre, vous avez raison de parler de lacunes, et j'aime bien le choix du mot parce que c'est précisément ce dont il s'agit. Il y a certaines lacunes, sur le plan opérationnel, qui ont été détectées. Certaines sont graves, certaines ne sont pas graves du tout, et, si on avait eu un peu plus de temps pour en parler au Vérificateur, je suis convaincu qu'il aurait été d'accord avec nous autres.

Je vous donne un exemple. On mentionne quelque part que les agents de probation, lorsqu'ils rencontrent les individus, ne font pas toujours les rapports nécessaires au dossier, etc. Quand on sait le travail que ces gens-là ont à faire, je vais vous avouer que, pour moi, sous-ministre, c'est une faute bien vénielle de ne pas faire son papier alors qu'il y a des personnes qui attendent à la porte pour les rencontrer. Mais, ceci étant dit, on prend quand même avec énormément de sérieux les lacunes soulignées par le Vérificateur général, et, dès la publication du rapport, il y avait eu, même avant la publication, un certain nombre de rencontres avec les représentants du Vérificateur général.

J'avais demandé à Mme Pagé, de façon accélérée, de préparer un plan d'action pour tenir compte de chacune des remarques du Vérificateur général. Nous avons ce plan d'action en date du 4 juin dernier, donc à peine quelques semaines après le dépôt du Vérificateur. Nous avons identifié chacune des lacunes techniques, opérationnelles, des suggestions qui sont faites et, en regard de chacun des points soulevés par le Vérificateur général, nous avons les mesures correctives qui pourraient s'imposer, parfois avec la même insistance ou dans la même ligne que ce à quoi nous invite le Vérificateur, parfois avec des nuances, compte tenu des contraintes qui sont les nôtres. Mais je pense que je ne voudrais pas laisser l'impression à cette commission, comme vous avez dit, que tout va bien, qu'il n'y a pas de problème. Non, nous sommes conscients que nous faisons simplement notre possible avec les moyens qui sont les nôtres.

Nous croyons que nous offrons un service qui est adéquat, il y a des lacunes à corriger, nous nous sommes donné un plan en date du 4 juin dernier, soit quelques semaines après le dépôt du rapport, pour mettre en oeuvre des correctifs qui pourraient s'imposer, et évidemment le Vérificateur général est invité, même s'il n'a pas besoin d'invitation pour le faire, à venir nous revisiter. On sait qu'il le fera très aimablement à nouveau lors des prochaines années pour vérifier si les points ont été observés, alors...

(Consultation)

M. Gagné (Florent): C'est ça. Et on me rappelle que les correctifs qui avaient déjà été soulevés dans des rapports antérieurs du Vérificateur – je crois que c'était en 1990-1991 – ont fait l'objet de corrections, de sorte que je crois que c'est votre souhait, M. le Président, que le plan d'action soit déposé. Nous le faisons. Vous excuserez la forme, parce que c'est un plan très opérationnel où on travaille chaque point et les mesures correctives qui vont avec, mais ça nous fait plaisir de le déposer à cette commission. Nous pouvons vous assurer que les efforts seront mis pour apporter le plus grand nombre de correctifs possible.


Document déposé

Le Président (M. Chagnon): Nous vous remercions beaucoup.

M. Marsan: Moi, je voudrais, en terminant, M. le Président, souligner, en tout cas, que, si le Vérificateur a pris la peine de passer un chapitre au grand complet sur la gestion à l'intérieur du ministère de la Sécurité publique, c'est sûrement qu'il avait de bonnes raisons. Quand on lit la qualité des recommandations qu'il fait, je pense qu'il y a des lacunes – et je répète le mot «lacunes» – qui sont très importantes et qui doivent être corrigées dans les plus brefs délais.

Vous avez fait allusion à un plan d'action déposé en date du 4 juin. Est-ce que ce serait possible ou est-ce que ce serait disponible pour les membres de la commission? Ce serait peut-être un pas dans la bonne direction, en attendant qu'on puisse avoir un suivi un peu plus définitif de votre part et de la part du Vérificateur général, s'il vous plaît.

M. Gagné (Florent): Oui. Je viens tout juste d'informer M. le président qu'on pouvait déposer le plan en question.

M. Marsan: Alors, je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Chagnon): Merci, M. le député de Robert-Baldwin. M. le député de Frontenac.


Nombre de places en détention (suite)

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Je disais tout à l'heure que, dans un échange comme celui auquel on s'est astreints aujourd'hui, un échange intéressant au niveau des principes, lorsqu'on veut arriver à des conclusions pratiques, si on se contente de faire de la philosophie de part et d'autre... M. le sous-ministre, avec ses collaborateurs et collaboratrices, les députés, particulièrement du côté de l'opposition, a des réserves sur ce qui a été dit aujourd'hui, et les députés ministériels en ont peut-être autant mais ont moins de liberté de parole et de manoeuvre. Je ne mets pas en question la loyauté des députés du pouvoir, mais des députés du pouvoir, ça s'exprime avec un petit peu moins de liberté contre les gestes de leur gouvernement, puis je comprends ça, ça fait partie du jeu politique. Alors, lorsqu'on arrive à un constat comme celui-là, à savoir qu'il y a des théories qui s'opposent, il faut s'en remettre à des témoins objectifs, à ceux et celles qui sur la place publique ont émis leur opinion, en l'occurrence, dans ce dossier-là, sur la décision qu'a prise le gouvernement de faire supposément un virage carcéral, supposément une réforme du système correctionnel. Est-ce que c'est vrai, oui ou non, ça? Nous, du côté de l'opposition, on dit non, mais il faut s'en remettre à des témoins objectifs.

Des témoins objectifs, M. le Président, il y en a d'autres que ceux auxquels on a fait référence tout à l'heure. On a parlé des juges, on a parlé de M. le Vérificateur général – on est à discuter de son rapport aujourd'hui – on a parlé évidemment des journalistes. Il y en a d'autres qui se sont prononcés sur ce qui se passe: les agents de la paix, le Syndicat des agents de la paix. En juillet 1995, avant même la fermeture de cinq centres de détention, voici ce que disait M. Escola que vous connaissez sûrement: Faute de places dans les prisons, la moitié des contrevenants condamnés à purger leur peine les fins de semaine sont renvoyés chez eux, révèle M. Escola, président du Syndicat des agents de la paix. Dans la majorité des cas – de 50 % à 60 % – ils n'ont qu'à se présenter au centre de détention, à signer puis à s'en aller. C'est ça, les sentences de fin de semaine, puis, sauf erreur, M. le Vérificateur général n'en parle pas beaucoup, des sentences de fin de semaine. Je le comprends.

Est-ce qu'Escola a rêvé ça, lui? Est-ce que c'est vrai, ce qu'il dit, ou pas, que 60 %, en 1995 – imaginez-vous, là – faute de places, des sentences de fin de semaine, à toutes fins pratiques, ne sont d'aucune façon exécutées? Le prisonnier se présente, le sentencé se présente: Je suis venu vous saluer, M. le gardien, je signe comme de quoi je me suis présenté puis je m'en retourne à la maison. Sa conjointe l'attend dans l'automobile, elle sait que ça fonctionne de même. On s'en retourne à la maison, c'est réglé, la sentence de fin de semaine. Et on sait très bien que les sentences de fin de semaine, ça peut être des sentences de deux mois, de trois mois, de six mois à être purgées de façon consécutive ou non à chaque fin de semaine. Chaque fin de semaine, 45 jours de prison, soit les samedis et dimanches, consécutifs ou à toutes les deux fins de semaine. La réalité des choses, c'est que les sentences de fins de semaine, pour 60 % des cas, selon le Syndicat des agents de la paix, ça n'existe pas.

(16 h 40)

M. le Président, je voudrais rappeler à M. le sous-ministre de la Sécurité publique, en espérant qu'il répétera si son ministre n'écoute pas aujourd'hui les travaux de la commission – puis je le comprendrais... J'espère que le sous-ministre lui dira, lui rappellera les propos extrêmement sévères que tenait – j'en ai parlé tout à l'heure en référence à la perception des amendes – l'ex-bâtonnier du Québec, M. Masse. Sentences sans prison , 20 février 1997. Alors, depuis juillet 1995 – on a vu tout à l'heure le jugement extrêmement sévère, je viens d'en parler, du Syndicat des agents de la paix – est-ce que ça s'est amélioré? On a éliminé cinq centres de détention. Il y a 300 et quelques places de moins qu'on a récupérées en doublant les cellules dans certains cas, puis, parce qu'on a doublé les cellules, maintenant on invoque le surpeuplement.

Le Président (M. Chagnon): M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Oui. Évidemment, vous avez cité une déclaration de M. Escola. J'ai eu l'occasion de rencontrer et d'entendre beaucoup de déclarations de M. Escola. C'est un chef syndical qui s'occupe de son affaire et qui fait des déclarations qui sont souvent inspirées par d'autres motifs nécessairement que l'intérêt public, des motifs parfois syndicaux. Il peut y avoir de ça dans ses propos, mais je ne veux pas minimiser la question. Je voudrais quand même vous parler du 60 % des sentences de fin de semaine qui ne seraient pas purgées.

Je dois vous dire là-dessus: Bon, je ne sais pas si le 60 % est vrai ou pas, je n'ai pas de chiffres aujourd'hui et le Vérificateur, comme vous l'avez rappelé vous-même tantôt, n'a pas examiné cette partie-là, de sorte que je n'ai pas ce qu'il faut pour répondre, mais le 60 % doit être quand même relié à une très grande partie des condamnations de fin de semaine qui sont liées à des infractions pour circulation routière. Évidemment, ces gens-là, je dois vous dire, pour être très franc avec vous, qu'on ne commencera pas – ha, ha, ha! – à vous faire accroire qu'on les détient très longuement.

On a parlé du dossier des amendes, aujourd'hui. Fondamentalement, ce que le ministère croit, c'est ceci: c'est qu'on ne devrait pas avoir de gens en prison – notre ministre l'a répété à plusieurs reprises – pour des infractions reliées au Code de la route. Or, beaucoup des sentences de fin de semaine et du 60 % dont vous parlez... J'aimerais bien voir le chiffre, dans ce 60 %, combien sont reliées à des amendes non payées pour des délits de circulation au Code de la sécurité routière, on en trouverait probablement une très, très grande partie, et il est vrai que ces gens-là ne font pas très longtemps dans les centres de détention.

Je pense qu'il devient indéfendable... Nous l'avons dit à nos collègues de la Justice, le ministre de la Sécurité publique l'a déclaré – pas l'actuel ministre, le précédent, M. Perreault, l'avait déclaré – qu'il est anormal qu'on retrouve des gens condamnés à la prison pour non-paiement d'amendes. Il nous faut, comme société, trouver des alternatives. On a eu l'occasion d'en parler ce matin avec mon collègue Michel Bouchard, il faut trouver des alternatives. Il y a des sociétés où il n'y a personne qui va en prison pour non-paiement d'amendes reliées au Code de la route, des sociétés européennes qu'on considère, par ailleurs, très évoluées. Alors, on peut monter en épingle, pour des raisons syndicales ou autres, des chiffres comme ceux-là, mais je pense qu'il faut aussi, dans un cadre plus général qui est celui de la gestion de l'ensemble des peines qui nous sont confiées avec les ressources quand même limitées qui sont les nôtres, mettre des priorités et personnellement j'ai de la misère à mettre les amendes pour infractions à la sécurité routière au haut des priorités des places en détention.

Le Président (M. Chagnon): Si la loi prévoit des peines de prison, pourquoi ne pas amender la loi, dans ce cas-là?

M. Gagné (Florent): C'est précisément l'objectif que nous recherchons. Nous avons déjà, comme je l'ai mentionné ce matin dans mon propos d'ouverture, présenté à l'Assemblée nationale, qui l'a adopté, un projet de loi, il y a deux ans, modifiant le Code de procédure pénale pour faire en sorte qu'il y ait moins d'amendes, mais il y en a encore trop. Nous voulons, par des mesures que nous sommes à élaborer avec le ministère de la Justice, en arriver à proposer à cette Assemblée, à l'Assemblée nationale, une législation qui peut-être nous amènera dans un jour prochain au résultat qu'il n'y aura plus personne dans les centres de détention, ni le samedi, ni en fin de semaine, ni tout le temps, pour des seules raisons reliées au non-paiement des amendes. Il y a d'autres sanctions que la société peut imaginer et qui seraient beaucoup plus efficaces et moins gaspilleuses des précieuses ressources qui sont les nôtres.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. le Président, vous savez, j'ai autant le goût de croire M. Escola qui parle au nom des agents de la paix, qui vit à tous les jours la conséquence des politiques que vous mettez en place ou que vous ne mettez pas en place. Quant à la crédibilité de M. Escola, je trouve ça aventureux, de la part du sous-ministre, de mettre en cause la crédibilité de quelqu'un qui nous révèle des choses qu'il vit à tous les jours sous prétexte que les gardiens de prison revendiqueraient des conditions de travail plus intéressantes, plus correctes. M. Escola conterait des histoires au monde? C'est ça, la conclusion de M. le sous-ministre de la Sécurité publique?

Vous savez, M. le Président, j'étais absolument convaincu que le sous-ministre allait me répondre, parce que c'est à peu près ce qu'il nous dit depuis le début de l'avant-midi: Les seuls cas de liberté irrégulière ou illégale sont des billets d'infraction. Voyons donc! Escola disait ceci – je l'avais prévu, que vous me répondriez ça, j'avais gardé ce petit bout-là pour votre réponse: Les agents de la paix décident qui reste et qui part en fonction des feuilles de route des contrevenants – feuilles de route, contrevenants. Il faut tenir compte du niveau de criminalité, explique M. Escola. Ce sont les gardiens de prison qui font office d'agents de libération. C'est ça qu'il dit. Nous aurons plus tendance à garder un récidiviste.

Un récidiviste, c'est un citoyen qui a connu un écart de conduite et qui a une job et une famille. On ne parle pas de billets d'infraction, M. Gagné, là, on parle de choses extrêmement sérieuses. Et j'ai autant le goût de croire M. Escola, moi, que n'importe qui qui est ici aujourd'hui. Il nous dit, en deux mots: Les sentences de fin de semaine, c'est de la frime. Et il explique plus loin, dans l'opinion qu'il a donnée à un journaliste... Puis c'est un secret de Polichinelle que les avocats savent ça. Les avocats de défense savent très bien que, dans certaines circonstances, en plaidant coupable dans le district X,Y,Z, la prison est surpeuplée. Sentence fin de semaine, ils savent très bien, tout le monde sait ça, dans le palais de justice, que le client de Me Untel ne fera pas un jour de prison. Tout le monde sait ça, sauf vous. C'est ce que je dois comprendre de votre témoignage, M. le sous-ministre Gagné.

Le Président (M. Chagnon): M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Vous m'avez mal compris, M. le député, parce que ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. Je ne veux pas du tout prétendre que M. Escola a des propos irresponsables, j'ai dit simplement qu'il est un leader syndical.

M. Lefebvre: Vous avez dit qu'il avait des propos syndicaux.

M. Gagné (Florent): J'ai dit qu'il est un leader syndical, et un leader syndical ne s'exprime pas comme un sous-ministre, comme un ministre, comme un député. Chacun a sa vision de voir la société en fonction du métier qu'il exerce, c'est tout à fait normal. Je ne vois aucun problème à ça et je ne pense pas qu'on peut faire dire à des propos comme ceux-là qu'il s'agit d'un jugement d'irresponsabilité à l'égard de M. Escola. En tout cas, ce n'est absolument pas ce que j'ai voulu dire. Mais j'ai voulu dire que ses propos doivent être compris en fonction du métier qui est le sien, que je respecte, qui est tout à fait honnête.

M. Lefebvre: Oui, puis c'est justement parce qu'il est un gardien de prison...

M. Gagné (Florent): Je n'ai pas terminé, M. le Président.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac, on va écouter...

M. Gagné (Florent): Je n'ai pas terminé.

M. Lefebvre: ...et qu'il est le président de l'association des gardiens...

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: ...qu'il sait de quoi il parle.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac, je voudrais écouter M. Gagné. Il peut répondre?

M. Gagné (Florent): Alors, c'était la première correction que je voulais faire, que mes propos n'étaient pas un jugement d'irresponsabilité envers M. Escola, d'aucune façon, mais qu'il fallait comprendre ses propos avec l'habit qu'il porte, de même qu'il faut comprendre les miens et les vôtres avec l'habit que nous portons respectivement. C'est normal qu'il en soit ainsi, d'ailleurs.

M. Lefebvre: Oui, mais, M. Gagné, si vous me permettez de vous interrompre là-dessus, là...

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac – ha, ha, ha! – est-ce que M. Gagné...

M. Lefebvre: Non, non, mais, M. le Président, on ne peut pas dire n'importe quoi puis s'en aller avec ça. Moi, je ne suis pas un gardien de prison, puis vous non plus.

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac, je vous rappelle à l'ordre. On veut écouter M. Gagné.

M. Gagné (Florent): Deuxièmement, j'ai trouvé bien responsable justement la citation que vous avez donnée de M. Escola, que vous avez lue dans votre deuxième intervention où vous dites: On a plus tendance à garder à l'intérieur les gens dangereux et qui récidivent que quelqu'un – je crois que je n'ai pas le libellé précis – qui a une famille, en tout cas, bon. Précisément, c'est ce qu'on dit depuis ce matin, et je suis content que M. Escola ait dit ça. C'est que les sentences de fin de semaine sont précisément du genre de personnes du deuxième ordre plutôt que du premier ordre, de sorte qu'il est normal...

Mais tout ça démontre encore une fois la nécessité d'utiliser la prison dans notre système de façon responsable et avec parcimonie. On a abusé de la prison. Le cas des amendes pour fins de circulation, qui composent sans doute une grande partie de votre 60 %, est un bel exemple qui doit nous encourager à multiplier les efforts pour que justement on ne soit plus dans cette situation où des gens qui n'ont pas d'affaire en prison nous sont envoyés et qu'on soit dans la situation de les remettre en liberté parce que la société devrait trouver des alternatives. C'est ce à quoi nous nous acharnons avec le ministère de la Justice, notamment pour les amendes, et j'espère qu'il y aura des propositions à l'Assemblée nationale dans un avenir assez proche là-dessus.

(16 h 50)

Le Président (M. Chagnon): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Mais, M. le Président, je suis convaincu que le sous-ministre à la Sécurité publique sera d'accord avec moi que, en attendant que la réforme du système correctionnel soit en place, soit complétée, on a l'obligation de respecter les lois existantes, les règles existantes, les règlements existants, et c'est ce que plein de gens reprochent au gouvernement, à son ministre de la Sécurité publique, y compris M. le Vérificateur général, de ne pas respecter les règles toujours en vigueur. Pour certains intervenants, la sentence est encore plus sévère, le virage correctionnel, ou la réforme du système correctionnel, ou le virage carcéral, ça n'existe pas. Ce n'est que de la poudre aux yeux, un prétexte pour justifier des compressions budgétaires de plus ou moins 16 000 000 $ dans le système carcéral, un peu comme ce qui s'est passé à l'intérieur du système de santé où plein d'analystes arrivent également à la conclusion que le virage ambulatoire, à toutes fins pratiques, ça se limite à des compressions budgétaires, pour le moment.

Je voudrais rappeler à M. le sous-ministre, à ceux et celles qui nous écoutent, à vos collaborateurs, collaboratrices, le jugement extrêmement sévère de l'ex-bâtonnier du Québec. Ce n'est pas un membre de l'opposition, ça, ce n'est pas un politicien, ça, il ne cherche pas à prendre le pouvoir à la prochaine élection, lui, il ne cherche pas à renverser démocratiquement 100 ans de gouvernement; il a la responsabilité, comme bâtonnier, de protéger le public. C'est, entre autres, le rôle du Barreau du Québec et de son bâtonnier. «Vous le paierez au centuple», avertit le bâtonnier du Québec. «Si vous ne respectez plus les sanctions, les gens ne respecteront plus le droit pénal ni même criminel.» M. le bâtonnier a prédit «que les économies réalisées à court terme sur le dos du système de sanction des crimes auraient des répercussions sur l'avenir de la société. "Vous le paierez au centuple en répercussions sociales."

«Me Masse, qui était de passage hier à Jonquière – ça, c'est le 20 février – a sonné l'alarme sur l'état du système des sanctions. Il a mis ces sentences sans prison en perspective avec les nouvelles directives administratives qui ont pour effet – ça, c'est le bâtonnier du Québec qui dit ça, là – de remettre en liberté des gens avec quelques jours de peine d'incarcération». Il a donné l'exemple, entre autres, d'un trafiquant d'héroïne qui a purgé 11 jours d'une sentence de 14 mois. J'en ai parlé cet après-midi.

M. le Président, le bâtonnier conclut de la façon suivante: pour Me Masse, «le gouvernement donne l'impression qu'il n'y a plus rien d'autre d'important dans la société que de réduire les dépenses, peu importent les conséquences. À son avis, le problème des sanctions...» Vous allez me dire, M. le sous-ministre, que le bâtonnier a des intérêts à parler comme il parle là; je ne crois pas. J'espère que vous ne me répondrez pas ça. «À son avis, le problème des sanctions dans la société a été abordé à l'envers: on s'est demandé combien il fallait économiser pour ensuite calculer le nombre de places qui devaient être réduites dans les institutions carcérales.»

Alors, question très simple: Quel est l'intérêt du bâtonnier, sinon de protéger l'intérêt public, sinon d'envoyer un message au gouvernement de tenir de tels propos? C'est la question que je pose à M. le sous-ministre.

M. Gagné (Florent): Bien, écoutez, l'intérêt du bâtonnier, je l'ignore. Quel est son intérêt? Sans doute qu'il est motivé, comme vous venez de le mentionner, par l'intérêt public. Il s'agit de l'expression d'une opinion qu'on doit respecter. Nous sommes dans une société où tout le monde est invité à exprimer ses idées. Je suis persuadé qu'on peut trouver autant d'opinions en sens contraire qui nous permettraient de voir que c'est un débat qui est loin d'être facile. On peut toujours lui faire son procès en deux phrases et quart, mais je pense que la réalité est beaucoup plus complexe que ça. Et, comme on l'a exposé à plusieurs reprises depuis ce matin, le ministère se trouve dans une situation où il doit faire l'administration des sentences dans un contexte qui est quand même difficile. C'est un contexte qui en lui-même est difficile, même indépendamment des compressions budgétaires auxquelles vous avez fait allusion. Ce n'est pas le domaine le plus facile du gouvernement. J'ai beaucoup d'admiration...

Vous avez parlé qu'on pouvait philosopher, mais que la philosophie n'était pas tout. Je peux vous dire que les 2 800 agents de services correctionnels qui chaque jour travaillent avec les détenus, leur servent les repas, les font circuler ne font pas de la philosophie, ils font du terrain pratique, et c'est de ces gens-là qu'on s'inspire, notamment de la citation que vous avez donnée de M. Escola, qui doit nous guider de façon à faire les choses de façon pondérée.

Alors, on peut évidemment, puis je respecte ces opinions-là, dire: Bien, «c'est-u» juste une question de coupures? Nous essayons de faire en sorte que ce soient bien d'autres choses qu'une question de coupures. Nous avons une philosophie carcérale qui est bien assise sur des principes dont nous avons parlé abondamment ce matin, et je pense que la population n'a pas à s'inquiéter outre mesure pour l'avenir. Il peut y avoir des ratés dans le système comme dans tout système, il y a des 747 qui s'écrasent même si c'est la plus belle machine qu'on ait inventée jusqu'à maintenant, il y a toujours des ratés, mais les ratés ne doivent pas, surtout, faire condamner l'ensemble du système qui les a produits.

M. Lefebvre: M. le Président, je voudrais rappeler...

Le Président (M. Chagnon): Une dernière intervention, M. le député?

M. Lefebvre: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Chagnon): J'ai un autre intervenant après, et on pourrait lever l'assemblée.

M. Lefebvre: Oui. Je voudrais rappeler à M. le sous-ministre les commentaires qui ont été faits par un journaliste du Soleil , M. Samson, qui disait, le 5 juin 1997, suite à la publication du rapport du Vérificateur général: «Richard Pelletier a lancé un cri d'alarme. Il s'est aussitôt fait dire de la boucler par ses supérieurs. Les directeurs des 17 centres québécois en sont au point de devoir libérer prématurément des détenus à qui la Commission des libérations conditionnelles a refusé quelques jours plus tôt leur congé. Le ministre de la Sécurité publique, Robert Perreault, ne pouvait heureusement museler le Vérificateur général.»

Vous venez de dire en conclusion, M. le sous-ministre, quelque chose qui est extrêmement pertinent. Moi, écoutez, je ne doute pas de la bonne foi du sous-ministre, M. le Président. Ils ont une responsabilité extrêmement lourde, lui et son gouvernement, lui et son ministre, et c'est ce que disait le journaliste Samson: «Le ministre de la Sécurité publique, Robert Perreault, ne pouvait heureusement museler aussi le Vérificateur. Il est maintenant dans l'obligation d'apporter des correctifs, sinon – ce n'est pas moi qui dis ça – il pourra être tenu responsable – et, en sous-entendu, tout le gouvernement – par les victimes de crime commis par des individus qui auraient dû se trouver derrière les barreaux.»

J'espère que le sous-ministre de la Sécurité publique est conscient d'une telle mise en garde, à savoir que les prétentions du sous-ministre, c'est que tout va bien, que personne n'est en liberté irrégulière, illégale ou incorrecte. Mais, si, par hypothèse et malheureusement, demain matin on était confronté à une situation comme celle décrite par M. Samson, j'espère que le sous-ministre est bien conscient qu'en fin de journée aujourd'hui il a une très lourde responsabilité. Puis il nous a expliqué aujourd'hui que tout est correct.

M. le Président, dernière question à M. le Vérificateur général. Vous faites, dans votre rapport, M. le Vérificateur général, 13 recommandations.

Le Président (M. Chagnon): Juste une seconde. Je pense que M. Gagné voulait commenter.

M. Gagné (Florent): ...qu'il n'y ait pas de confusion dans l'esprit du public qui nous écoute, que le sous-ministre n'a pas dit aujourd'hui que tout était correct. En réponse à la question qui m'a été posée par un député un petit peu plus tôt, j'ai fait l'admission que les lacunes soulevées dans le rapport du Vérificateur général étaient admises par le ministère et qu'il y a un plan de correction qui, dès le 4 juin, donc quelques jours après le rapport du Vérificateur, a été conçu par le ministère. J'ai invité M. le Vérificateur général à nous surveiller au cours des prochains mois et des prochaines années, et je suis certain qu'il n'a pas besoin de mon invitation pour le faire.

(17 heures)

Alors, je ne voudrais pas laisser l'impression que j'aborde la chose un peu cavalièrement en disant que tout va bien dans le meilleur des mondes. On a une responsabilité qui est extrêmement exigeante, on a une clientèle qui est difficile, pour les caractéristiques que j'ai données ce matin, les gens font leur possible, on a des situations très pénibles qu'on a vécues récemment, il y a même des membres de notre personnel qui se sont fait assassiner – il faut dire le mot – alors, dans ce contexte-là, je ne voudrais pas qu'on me fasse dire que je dis que tout va bien dans le meilleur des mondes. Je dis que nous faisons le mieux avec ce que l'on a, et je crois que le mieux doit signifier, en l'occurrence, un service très adéquat qui est donné et qui se compare très avantageusement à des sociétés modernes, à des sociétés européennes, même à d'autres provinces canadiennes et sans aucun doute aux États-Unis, qui sont nos voisins.

Alors, dans ce contexte-là, je pense qu'on peut vraiment rassurer la population, et surtout, avec tout le respect, M. Lefebvre, que je vous dois, on ne doit pas me faire dire que je dis que tout va bien dans le meilleur des mondes. Il y a des lacunes, nous avons déposé un plan, nous allons faire notre possible pour les corriger, pour nous améliorer.

Le Président (M. Chagnon): Merci, M. Gagné. Votre question au Vérificateur général, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Oui. M. le Président, je n'ai pas prétendu que le sous-ministre avait répondu de façon cavalière, j'ai tout simplement dit qu'il s'en est tenu à une ligne tracée probablement dans la journée d'hier puis qu'il l'a maintenue. C'est sa vision des choses. Le sous-ministre se contente d'interpréter le rapport de M. le Vérificateur général comme étant des lacunes; il y a beaucoup plus que ça dans le rapport.

Le Président (M. Chagnon): C'est quoi, votre question, au juste, M. le député?

M. Lefebvre: J'ai droit à un préambule, M. le Président.

Des voix: Ha, ha, ha!


Mesures correctives au ministère de la Sécurité publique (suite)

M. Lefebvre: Du côté de l'opposition, on se répète, on prétend qu'il aurait dû y avoir avant le virage, supposément virage carcéral, réforme du système correctionnel, les mesures alternatives que sont la prévention, la réinsertion. Mais des vraies politiques de prévention, des vraies politiques de réinsertion, ça n'a pas été fait.

M. le Président, je voudrais savoir de M. le Vérificateur général, qui a, à travers son volumineux rapport, fait 13 recommandations précises qui touchent à peu près toutes les questions qu'on a abordées aujourd'hui... Il y en a, quant à moi, qui sont plus importantes que d'autres; je pense à l'absence temporaire. C'est la recommandation qu'on retrouve au paragraphe 3.45. Je pense à la recommandation 3.83 qui recommande des gestes très concrets en regard de la surveillance des prisonniers mis en liberté ou des sentencés mis en liberté. Je voudrais savoir de M. le Vérificateur général, en prenant pour acquis que le ministère, que le gouvernement ne peut pas...

Moi, là, quand bien même qu'on me dirait: Ça va se faire dans les six prochains mois, tout ce qu'il y a là-dedans, je ne croirais pas ça. En prenant pour acquis que ça ne peut pas se faire comme on le souhaiterait, quelles sont, M. le Vérificateur, les recommandations sur lesquelles vous insistez le plus? Quelles sont les corrections auxquelles vous tenez le plus et qui doivent être apportées dans les plus brefs délais, M. le Vérificateur général? Je prends pour acquis qu'il y en a peut-être des plus importantes que d'autres, dans votre esprit comme dans le mien.

Le Président (M. Chagnon): M. le Vérificateur général.

M. Breton (Guy): Je préférerais vous dire que ma plus grande suggestion, c'est que le plan qui a été développé soit réalisé dans les plus brefs délais, de sorte qu'on aurait couvert l'essentiel de ce qu'on a dit dans ce rapport. Je pense que, s'il y a déjà un plan sur la table avec des mesures spécifiques, il y a déjà un pas de fait, et les chances de le mettre en place, tout au moins, peuvent être évaluées à brève échéance parce que déjà on sait où le ministère veut aller, que déjà on pourra voir assez rapidement s'il y va.

En ce sens, je pense que je vais me contenter de vous donner cette réponse. Je n'ai pas envie de recommencer l'analyse du dossier et de vous dire: Je préfère la troisième recommandation par rapport à la première. Déjà, qu'il y ait un plan, personnellement, je trouve ça satisfaisant parce que le processus de correction ou le processus d'amélioration est déjà en place, est débuté depuis le mois de juin et qu'on a entre les mains quelque chose de concret sur lequel on peut s'appuyer pour voir si ça fonctionne, de sorte que, relativement à brève échéance, on pourra déjà mesurer l'état d'avancement des correctifs.

M. Lefebvre: Dernière question, M. le Président. Est-ce que, M. le Vérificateur général, vous, là, vous vous sentez habilité, en droit d'intervenir en cours d'année – je dis bien «intervenir» – publiquement si, par hypothèse, vous réalisez que ce plan-là n'est pas exécuté comme il devrait l'être? Est-ce que, en plus d'intervenir auprès du ministère de la Sécurité publique, vous vous sentez... Et avez-vous l'intention de le faire, d'intervenir publiquement pour qu'on sache, nous, du côté de l'opposition, et que tous ceux et celles qui sont concernés par ce dossier-là sachent que vous considérez que ce qui devait se faire ne se fait pas? Est-ce que vous allez intervenir publiquement?

M. Breton (Guy): C'est-à-dire que, par le texte de loi, il y a un article qui prévoit que je puisse intervenir avec un rapport spécial lorsque je juge que la situation est urgente, importante et qu'elle doit être connue par l'Assemblée nationale. Jusqu'à maintenant, on n'a jamais utilisé cet article. D'autre part, d'une façon mécanique, si vous voulez, nous allons toujours faire un suivi dans les 18 mois ou 24 mois après avoir déposé un rapport afin de mesurer l'état d'avancement des correctifs apportés. On pourra sans doute activer ce processus de 18 à 24 mois. Puisque maintenant on publie à tous les six mois, ça nous laisse un peu plus de jeu. Pour l'instant, je vais me commettre sur ce qu'on fait, naturellement. Bien sûr que, s'il se développait quelque chose d'extraordinaire, on pourrait toujours, parce que le texte de la loi le permet, mais je vous dirai qu'aujourd'hui je n'en vois pas la nécessité.

M. Lefebvre: Merci, monsieur.

Le Président (M. Chagnon): Merci, M. le député de Frontenac. M. le député de La Peltrie.


Travail des agents de probation

M. Côté: Merci, M. le Président. Moi, j'ai deux questions rapides. Ma première question, c'est relatif à 3.59 dans le rapport du Vérificateur, et elle s'adresse à Mme Demers, ma question. On soulève, à 3.59, que la surveillance qui est exercée par les agents de probation n'est pas suffisante. Vous avez parlé tout à l'heure de concentration des évaluations.

Le Président (M. Chagnon): Mme Pagé.

M. Côté: C'est Mme Pagé, pardon, qui a parlé de ça. Excusez-moi. Vous avez parlé de concentration des évaluations. Est-ce que ça va diminuer l'effort requis? Puis, conséquemment, est-ce que ça va permettre aux agents de consacrer beaucoup plus de temps puis assez de temps pour couvrir tous leurs dossiers, au fond, ou le suivi de leurs dossiers?

Mme Pagé (Louise): Je vais plaider coupable, je n'écoutais pas le début de votre question et je ne pourrais répondre adéquatement à votre question. Je vous prierais, s'il vous plaît, de me répéter la question.

M. Côté: Oui, ça va me faire plaisir, madame. Alors, à 3.59 du rapport du Vérificateur général, là où on mentionne que la surveillance qui est exercée par les agents de probation n'est pas suffisante, on dit que, dans 45 % des dossiers examinés, la surveillance exercée par les agents de probation n'a pas été suffisante, puis vous avez parlé tout à l'heure de concentration des évaluations qui pourrait peut-être contribuer à diminuer les efforts qui sont requis par les agents afin de consacrer assez de temps pour couvrir l'ensemble des dossiers qu'ils ont à suivre. Est-ce que ça va permettre aux agents d'exercer un travail qui va couvrir beaucoup plus l'ensemble des dossiers?

Mme Pagé (Louise): Effectivement. Par rapport à l'évaluation, le fait de revoir nos modes d'évaluation avec deux niveaux d'évaluation et d'éliminer tous les dédoublements d'évaluation qui se faisaient dans le système, nous estimons que ça va libérer du temps professionnel des agents de probation ou des conseillers spécialisés en milieu correctionnel pour améliorer leur travail auprès des personnes. Donc, oui, on pense que l'évaluation devrait nous remettre du temps, en raison notamment de l'élimination des dédoublements, puisque la personne était évaluée à plusieurs étapes par des personnes différentes sans continuité. La personne, désormais, qui va avoir une sentence correctionnelle, dès la sentence correctionnelle, va être confiée à un professionnel qui va en assurer la responsabilité sur l'ensemble de la période où cette personne-là nous est confiée. Donc, cette personne-là peut évoluer de la détention à la probation, au suivi en milieu ouvert, et donc l'évaluation va être faite au point de départ. Un plan d'intervention correctionnelle va être fait si c'est une sentence de plus de six mois, si c'est un crime contre la personne et s'il y a des antécédents de violence, donc la personne va être suivie sur un continuum. Et on pense que, si le travail est bien fait dès le point de départ, l'ensemble des intervenants qui ont à agir auprès de cette personne-là vont pouvoir s'appuyer sur un document de qualité professionnelle.

Juste pour spécifier, parce que je l'ai déjà dit tout à l'heure, on souligne que l'ensemble des manquements ne sont pas tous signalés de la part des agents de probation. Je voudrais souligner que, sur la période du 1er avril 1996 au 31 mars 1997, donc l'exercice précédent, il y a 1 045 avis de manquement qui ont été inscrits dans les dossiers des personnes contrevenantes. Donc, des professionnels ont constaté des manquements. Si on décompose ces 1 046 manquements là, il y avait des bris de conditions dans 659 cas et, dans ces 659 cas, les procureurs de la couronne n'ont porté des accusations que dans 244 cas. Donc, sur les 1 046 avis de manquement qui ont été signalés par les professionnels, il y en a 659 qui étaient pour des bris de conditions, donc quelqu'un qui avait manqué à ses conditions.

(17 h 10)

Et, avec le processus que je vous expliquais tout à l'heure, où ce n'est pas nécessairement la première fois qu'on dit: Bien, là, écoute, ça fait trois, quatre fois qu'on te l'explique, tu viens encore de manquer, on va vraiment faire un signalement. Dans ces cas-là, il y a eu 244 accusations, et, dans 12 cas, il y a eu refus de la part de la couronne de procéder, et, dans 483 cas, l'analyse du dossier par la couronne a démontré que c'était non indiqué de poser des accusations. Donc, il reste que les gens ne font peut-être pas parfaitement leur travail, la nature humaine étant ce qu'elle est. Comme je me plais à dire à tout le monde, tout le monde est parfait, sauf nous, aux services correctionnels; on va essayer de s'améliorer.

M. Côté: Mais la concentration de l'évaluation va permettre d'en couvrir un peu plus, de dossiers, plus efficacement.

Mme Pagé (Louise): Tout à fait. On pense récupérer du temps pour améliorer le travail des professionnels.

M. Côté: Mon deuxième commentaire, c'est pour M. Gagné. D'abord, je vous remercie d'avoir remis votre plan d'action suite à la demande du député de Robert-Baldwin... là-dedans, et effectivement les 13 recommandations qui avaient été faites par le Vérificateur général sont bien listées, avec des échéanciers. Je pense que c'est exactement ça qu'on préconise pour pouvoir exercer un suivi qui va nous permettre d'atteindre justement les résultats puis faire les vérifications également des recommandations qui sont effectuées.

Donc, moi, ma proposition serait que j'aimerais que, je ne sais pas, périodiquement – parce que je vois qu'il y a des échéanciers jusqu'en 1998-1999 – on fasse parvenir à la commission les résultats de votre plan d'action au niveau des échéanciers, et au bureau du Vérificateur général également, pour exercer, d'une manière continue peut-être, les travaux que vous allez faire ou les mesures que vous allez mettre en oeuvre. Et puis je suis persuadé aussi que, en agissant rapidement, votre très bonne volonté pour donner suite aux recommandations du Vérificateur général et pour vous donner les moyens aussi pour en arriver à apporter les corrections qui sont nécessaires, ça démontre, ça, votre prise de responsabilités, vous et votre équipe, en ce qui concerne parfois des lacunes. Il n'y a rien de parfait, mais, lorsqu'on peut les corriger... Puis c'est des échanges à cette commission-ci qui nous permettent aussi d'aller, je pense, d'une manière un peu plus ouverte et transparente, assurer une gestion encore plus efficace des affaires de l'État. Merci.

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie, M. le député de La Peltrie. Peut-être avez-vous des remarques finales, puisque nous allons avoir terminé cet exercice dans quelques minutes.


Remarques finales


M. Florent Gagné

M. Gagné (Florent): Bien, je voudrais simplement dire que j'ai énormément apprécié l'échange d'aujourd'hui, même si dans certains cas on a insisté – et je pense que c'était normal qu'on le fasse – pour obtenir des réponses à des questions qui sont très importantes pour la population et pour lesquelles il faut s'assurer, comme gestionnaires publics, que nous avons les réponses adéquates. Je crois personnellement que nous avons certainement un certain nombre de correctifs à apporter, mais que, somme toute, nous sommes bien partis et que nous avons une réforme correctionnelle qui est bien en route. Maintenant, comme ça s'est fait dans d'autres pays, je pense qu'on ne peut pas anticiper le produit d'une telle réforme en quelques mois ou même quelques années. Il faut, je pense, prévoir à long terme, s'assurer que les mentalités évoluent et qu'on pourra ainsi faire améliorer les choses.

Je voudrais dire, peut-être, en terminant, que nous avons évidemment un travail, nos centrales, de coordination générale du service correctionnel, Mme Pagé, comme sous-ministre directement responsable de ça, et moi, comme sous-ministre en titre du ministère, et les autres qui nous accompagnent. Je voudrais simplement dire qu'une des choses qui m'ont peut-être impressionné le plus depuis mon arrivée, depuis maintenant trois ans, au ministère de la Sécurité publique, c'est la très grande qualité du personnel, qui fait un travail extrêmement difficile. Je connais beaucoup de gens qui disent: Moi, jamais je ne ferais ce travail-là, d'être agent de services correctionnels dans les centres de détention, avec les clientèles qu'on a, d'être agent de probation, etc., et nos gens le font, je dirais, de manière remarquable et admirable. J'ai été frappé de voir à quel point la notion de vocation qu'on a un petit peu perdue, au cours des dernières années, on la retrouve, cette notion de vocation, très largement répandue dans notre personnel, notamment aux services correctionnels, et je voudrais le remercier publiquement, surtout avec les malheurs qui l'accablent, au moment où on se parle, mais qui ne doivent pas nous distraire des objectifs très élevés que nous nous sommes fixés et de notre détermination d'y arriver dans les meilleurs délais. Je vous remercie, M. le Président, pour le temps que vous nous avez accordé pour pouvoir instruire la population de ces choses.


M. Jacques Chagnon, président

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie, M. Gagné, ainsi que toutes les personnes qui vous accompagnent. Je l'ai fait un peu précédemment, mais je voudrais remercier in absentia le sous-ministre de la Justice et les gens qui l'ont accompagné aussi, le Vérificateur général, ses assistants.

Cette étape est un peu particulière, évidemment, le contenu étant plus susceptible d'être questionnable, questionné et sûrement plus explosif que d'autres sujets que nous avons déjà abordés. Mais il n'empêche pas moins que, si la journée vous est apparue peut-être un peu plus longue qu'une journée normale, c'est quand même moins pire qu'une crise amérindienne ou qu'un...

M. Lefebvre: Kahnawake.

Le Président (M. Chagnon): ... – ha, ha, ha! – désastre au Lac-Saint-Jean, enfin toutes des choses que vous avez eu à vivre de près ou de loin, ou presque, dans vos fonctions. Alors, j'imagine que vous en ressortirez quand même vivants. Et, finalement, la seule chose que je vous souhaite, c'est de ne plus recomparaître devant nous.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Chagnon): Je vous remercie beaucoup et j'ajourne sine die. Merci. J'invite mes collègues à rester ici pour qu'on puisse faire les briefings rapidement.

(Fin de la séance à 17 h 17)


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