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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Wednesday, February 12, 1997 - Vol. 35 N° 55

Consultations particulières sur le livre vert intitulé «La réforme de la sécurité du revenu : un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi»


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Rosaire Bertrand, président
Mme Diane Barbeau, présidente suppléante
Mme Louise Harel
Mme Solange Charest
Mme Nicole Loiselle
M. Russell Copeman
M. Yvon Charbonneau
Mme Monique Simard
M. Jean Garon
*M. Gratien D'Amours, UPA
*Mme Hélène Varvaressos, idem
*M. Gilles Besner, idem
*Mme Marguerite Bourgeois, ODAS
*M. Jean-Claude Rondeau, idem
*M. Bernard Côté, idem
*Mme Claire Bouchard, idem
*Mme Ginette Bergevin, Coalition Droit
*Mme Pauline Cummings, idem
*M. Alain Bédard, idem
*Mme Marie-Claude Bourbeau, idem
*Mme Pierrette Dion, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Quinze heures dix-sept minutes)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Nous recommençons nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux membres de la commission, aux invités et aux personnes qui sont venues assister à la commission. Mme la secrétaire, est-ce que le quorum est constaté?

La Secrétaire: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je rappelle le mandat de la commission. La commission des affaires sociales se réunit afin de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur le livre vert intitulé: «La réforme de la sécurité du revenu, un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi». Est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Alors, M. Marsan (Robert-Baldwin) sera remplacé par Mme Delisle (Jean-Talon); M. Parent (Sauvé) par M. Fournier (Châteauguay); Mme Signori (Blainville) par Mme Simard (La Prairie) et M. Williams (Nelligan) par M. Charbonneau (Bourassa).

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie. Tous les membres ont reçu l'ordre du jour. Nous recevons trois groupes. Nous finissons à 18 heures. Alors, nous sommes prêts à recevoir le premier groupe, l'Union des producteurs agricoles, et, M. D'Amours, je pense que c'est vous qui allez présenter les gens qui vous accompagnent et faire la présentation de 20 minutes?


Auditions


Union des producteurs agricoles (UPA)

M. D'Amours (Gratien): Merci, M. le Président. Alors, les gens qui m'accompagnent sont Gilles Besner et Hélène Varvaressos, qui sont responsables chez nous de la main-d'oeuvre et de la formation agricole. Alors, M. le Président, Mme la ministre, les membres de cette commission.

Alors, l'Union des producteurs agricoles remercie la commission des affaires sociales de lui permettre de présenter sa position en regard du livre vert sur la réforme de la sécurité du revenu.

À première vue, l'impact d'une telle réforme semble peu toucher le secteur de l'agriculture, dont la main-d'oeuvre de première ligne est constituée des producteurs et productrices agricoles propriétaires de leur entreprise, mais quand on y regarde de plus près on se rend compte qu'une bonne partie de la main-d'oeuvre agricole salariée non familiale y travaille «saisonnièrement» et par conséquent passe de l'emploi vers le chômage de façon périodique, avec toutes les répercussions que cela peut avoir à la fois sur les individus et sur les entreprises qui dépendent de cette main-d'oeuvre.

Notre mémoire s'intéresse aussi à la mise en place d'un nouveau réseau de prestation de services qui supportera cette réforme. L'UPA s'est toujours intéressée aux grands débats sociaux qui ont alimenté l'évolution de notre société, notamment en ce qui a trait à la formation en emploi.

Même si peu d'informations sont données dans le livre vert sur la complexité de la structure qui sera mise en place et à laquelle se raccrocheront les services à la sécurité du revenu, il nous apparaît important de soulever les interrogations que nous avons sur cette vaste réorganisation qui s'appuie sur la politique active du marché du travail et sur la politique de régionalisation dont les mécanismes restent encore à préciser.

(15 h 20)

Alors, le livre vert nous présente avec justesse le bilan sombre de notre régime d'aide sociale qui est passé en 25 années d'un régime de dernier recours, avec 33 % des prestataires aptes à travailler, à un régime de chômeurs découragés où 80 % des prestataires sont dits aptes au travail. La modernisation a modifié le travail, l'emploi et l'entreprise; plus rien n'est maintenant acquis ni assuré. La compétitivité, la recherche de performance accrue, la nécessité de tenir compte des marchés mondiaux, toutes ces nouvelles réalités économiques ont été fatales pour les travailleurs non qualifiés et peu instruits, qui ont dû recourir à l'aide sociale et en ont fait un mode de vie pour eux et leurs enfants. Notre filet de protection sociale est devenu, il faut bien se le dire, un piège permanent où la majorité des participants y sont condamnés pour une durée illimitée, sans perspective d'améliorer leur situation d'avenir.

Pire, dans le système actuel, le prestataire n'a aucun intérêt financier à réintégrer le marché de l'emploi pour travailler au salaire minimum et perdre du même coup les avantages divers associés à son statut. Cette situation déplorable dans notre société nécessitait un changement radical de cap et un urgent besoin de transformation en profondeur. En ce sens, nous ne pouvons qu'approuver l'intention du gouvernement de revoir à fond le fonctionnement de ce régime. Le projet sur la table nous apparaît ainsi une bonne base de travail pour amorcer la modernisation de ce programme, en autant que cela ne cache pas un moyen détourné d'appliquer des compressions budgétaires sur le dos des plus démunis.

À cet effet, nous ne pouvons qu'applaudir à l'idée de mettre fin aux distinctions historiques entre les chômeurs officiels et les assistés sociaux aptes au travail. À plusieurs occasions, les employeurs agricoles ont été à même de constater l'incohérence de confiner les assistés sociaux dans des catégories les rendant inadmissibles à des programmes de remise à l'emploi disponibles seulement pour les chômeurs. Par exemple, en traitant les prestataires de la sécurité du revenu à part, on confirme leur statut d'exclus du marché du travail dont l'inemployabilité augmente avec la durée, tendant à devenir permanente, même si une pénurie d'emplois existe, par ailleurs.

Pour soutenir l'organisation de la réforme de la sécurité du revenu, le livre vert nous propose un réaménagement complet du réseau actuel de prestation de services. Certains aspects de la réorganisation seront sans doute intéressants pour la clientèle et répondent bien aux demandes maintes fois réitérées des différents intervenants et partenaires, à savoir, premièrement, l'instauration d'un guichet unique de prestation de services qui intégrerait les divers réseaux actuels des services d'emplois: SQDM, CTQ et éventuellement CHRC, s'il y a entente avec le gouvernement fédéral, bien sûr.

Deuxièmement, la simplification des réseaux de prestation devrait permettre une meilleure articulation des mesures actives d'aide à l'emploi et des mesures passives de soutien du revenu.

Troisièmement, la simplification des programmes et la recherche d'une plus grande cohérence vers la mise en place d'une politique globale intégrant l'emploi et la formation de la main-d'oeuvre. À l'instar des autres intervenants impliqués dans ces grands débats, ces objectifs ont toujours constitué le leitmotiv de notre action dans ces dossiers.

Par contre, cette réorganisation implique une réforme des structures actuelles à propos desquelles le livre vert est avare d'informations précises, mais dont on devine, en toile de fond, les profonds changements que cela impliquera. D'abord, la disparition de la SQDM dans sa forme actuelle, lieu privilégié de consultation de l'ensemble des partenaires, n'aura eu qu'une existence brève de cinq ans, sans avoir pu faire sa marque faute de n'avoir pu gérer l'ensemble des budgets main-d'oeuvre qui auraient dû être transférés par le gouvernement fédéral au Québec. Il est pertinent de se demander si la prochaine structure qui sera mise en place aura le temps et les moyens financiers, à son tour, pour réaliser ses mandats.

En 1992, dans son mémoire présenté à la commission des affaires sociales sur l'énoncé de politique sur le développement de la main-d'oeuvre, l'UPA appuyait fortement le gouvernement du Québec dans son désir de rapatrier le champ de la main-d'oeuvre et de créer la SQDM comme outil de gestion et de développement des politiques de main-d'oeuvre. La mise en place de la SQDM nous apparaissait être cruciale pour le développement économique du Québec car elle impliquait la concertation des acteurs sociaux, économiques et institutionnels dans le développement d'une politique active et cohérente du marché du travail.

Nous comprenons, à travers les bribes d'information présentées dans la réforme de la sécurité du revenu, que les partenaires socioéconomiques sollicités depuis longtemps pour qu'ils s'impliquent davantage dans la gestion des ressources humaines devraient oublier leur rôle de gestionnaires et se contenter plutôt d'un rôle consultatif. De même que les autres partenaires, l'UPA souhaite continuer à jouer un rôle décisionnel à tous les niveaux dans les orientations concernant le développement de la main-d'oeuvre.

Le livre vert est plus explicite sur le modèle de livraison des services intégrés de l'emploi en nous proposant la création d'un réseau de CLE – centre local d'emploi – qui remplacerait les 130 CTQ actuels et les 48 points de service de la SQDM. Chaque CLE serait appuyé par un conseil local de partenaires du milieu chargé d'élaborer un plan d'action local concerté pour l'emploi. Le réseau proposé impliquerait la mise en place d'une centaine de structures partenariales consultatives en région.

Nous nous questionnons sérieusement sur la faisabilité de réussir à maintenir et à motiver une présence au niveau de chaque CLE. L'énergie nécessaire pour assurer la représentation en termes de temps, d'argent et de préparation exigera des efforts énormes pour une structure comme l'UPA, pourtant bien organisée. Qu'en sera-t-il des petits groupes qui voudront prendre leur place et qui essaieront tant bien que mal de suivre la partie? Il n'est fait aucunement mention dans le projet des liens qui seront établis entre les CLE dans une même région et entre les régions.

En agriculture, les problématiques sont sectorielles et sont bien établies sur le plan régional. Ramener toutes les consultations et les définitions de plans d'action sur le plan local nous apparaît totalement dépourvu de bon sens. Pour nous, la décentralisation a ses limites, et le projet sur la table donne un bon exemple des incongruités qui nous attendent et que le projet cherche tant à corriger: l'incohérence des actions, la multiplicité des mêmes interventions non harmonisées, l'absence de fil conducteur et d'unité dans les orientations. En quoi, dans une même région, les problématiques sont si différentes pour que soit justifié le recours à un conseil local des partenaires pour définir des orientations spécifiques locales de développement de main-d'oeuvre?

On peut aussi s'interroger sur notre capacité à véhiculer des positions globales et cohérentes dans un contexte où les CLE se préoccuperont essentiellement des questions d'aide à l'emploi et où une bonne part des préoccupations des agriculteurs et des agricultrices se situe plutôt au niveau de la formation professionnelle et du recrutement de la main-d'oeuvre agricole.

Donc, le financement des activités de formation professionnelle agricole. À ce sujet, on constate, à la lecture de ce projet, que la formation devient un support privilégié à l'individu pour son insertion sur le marché du travail. On semble miser sur des formules diversifiées pour encourager les prestataires à acquérir des qualifications reconnues. En ce sens, nous ne pouvons qu'encourager le recours aux formules d'alternance travail-études et au régime d'apprentissage; il est ainsi urgent que le ministère dégage rapidement les ressources appropriées pour équiper les métiers avec les outils de formation nécessaires prévus dans le cadre du régime d'apprentissage.

L'accent mis sur la formation comme moyen de réinsertion à l'emploi des prestataires de la sécurité du revenu laisse entrevoir des problèmes de financement de la formation pour les personnes qui sont déjà en emploi. Les mesures prévues à cette fin, telles la loi 90 et le crédit d'impôt à la formation, ne s'appliquent pratiquement pas au secteur de l'agriculture.

L'accroissement de la concurrence internationale et l'importance accrue de l'innovation entraînent des réorganisations qui posent des défis importants aux agriculteurs et aux agricultrices. La formation jouera un rôle de premier ordre dans la capacité d'adaptation des entreprises agricoles à l'ouverture des frontières et aux nouveaux marchés. Il y a lieu de s'inquiéter de la stratégie qu'entend adopter le gouvernement pour le financement des activités de formation à l'intention des travailleurs autonomes. Nous espérons que le manque de financement pour les activités de formation à temps partiel en agriculture cette année dans les régions ne soit qu'un problème conjoncturel et ne présage en rien des orientations retenues pour le futur.

Il faut que l'État aide les entreprises à évoluer vers une meilleure qualification des employés. Dans le secteur agricole où, en bonne partie, la main-d'oeuvre se compose principalement des membres de la famille, il faudra prévoir des actions particulières qui tiennent compte de cette réalité spécifique. En effet, supporter la mise en place d'activités de formation continue constitue une action préventive et s'inscrit dans une stratégie globale de développement de l'agriculture. Il ne faut surtout pas attendre que les exploitants agricoles, travailleurs autonomes, perdent à leur tour leur travail par manque de formation pour investir dans la mise à jour et le recyclage des connaissances.

Le secteur agricole est aussi très fortement dépendant de la main-d'oeuvre saisonnière, alors que 88 % de la main-d'oeuvre salariée non familiale occupent un emploi saisonnier ou occasionnel; par exemple, les coûts de main-d'oeuvre dans le domaine de l'horticulture peuvent représenter jusqu'à 50 % du coût total de cette production. Ce secteur en plein développement est particulièrement vulnérable aux pénuries de main-d'oeuvre qui surviennent régulièrement en agriculture. C'est pourquoi depuis plusieurs années près de 80 entreprises horticoles ont recours au programme fédéral de main-d'oeuvre étrangère du Mexique qui leur assure une main-d'oeuvre présente pendant toute la durée de la production.

Plusieurs intervenants s'expliquent difficilement pourquoi il est nécessaire d'importer des travailleurs pour ce type de postes de travail quand le nombre de personnes sans emploi est si élevé. Notre expérience nous a péniblement démontré depuis longtemps qu'il est de plus en plus difficile d'intéresser les Québécois au travail saisonnier agricole aux conditions prévalant sur les marchés actuels. C'est pourquoi ces entreprises, en raison de la nature des productions qui sont exploitées et des contraintes climatiques et d'approvisionnement des marchés qui leur sont imposées, doivent pouvoir compter sur une main-d'oeuvre stable, disponible et intéressée par ce travail, qualités qu'on retrouve difficilement chez les travailleurs locaux. Pourtant, le nombre important d'emplois disponibles et le peu de complexité du travail associé, entre autres, aux récoltes des fruits et légumes devraient être susceptibles d'intéresser les travailleurs qui sont peu qualifiés et qui ont des difficultés d'intégration au travail.

(15 h 30)

Mais ce que l'on a constaté avec les années, c'est que le caractère occasionnel de ces emplois, souvent de courte durée et fractionnés dans le temps avec une rémunération au niveau du salaire minimum, intéresse difficilement les personnes qui sont à l'aide sociale, dont les différentes mesures compétitionnent ce type d'emplois. Par contre, si on laisse la possibilité à ces personnes de conserver leurs prestations en plus de leurs revenus d'emploi, elles manifestent plus d'intérêt pour le travail horticole. Ainsi, le retrait récent de la mesure mois-boni qui permettait aux prestataires de la sécurité du revenu de conserver pendant un certain temps leurs nouveaux revenus d'emploi en plus de leurs prestations, a occasionné une recrudescence de travailleurs qui demandent à leurs employeurs de ne pas déclarer leurs revenus d'emploi.

Pour les entreprises concernées, les exigences de ces travailleurs locaux créent une pression telle que, menacées de manquer de main-d'oeuvre pendant des périodes de récolte, elles n'auront d'autre choix que de faire appel à des courtiers de main-d'oeuvre rémunérés à forfait, dont les opérations sont plus ou moins légales, ou d'adhérer au programme de main-d'oeuvre étrangère du Mexique et espérer obtenir le nombre suffisant de travailleurs pour récolter leurs produits en toute sécurité.

Il est manifeste que ce problème est très complexe à solutionner. Aussi, il faut vous rappeler que toute mesure ou politique affectant la main-d'oeuvre saisonnière aura des effets directs sur le développement de nos entreprises et qu'il faut en peser toutes les conséquences avant de les implanter. Ainsi, il nous apparaît crucial que le projet de réforme permette aux prestataires des gains supplémentaires sans pénalité. On constate toutefois avec déception que les niveaux permis que le nouveau projet nous présente ne rencontrent pas nos demandes et ne représentent qu'une indexation au coût de la vie.

Au dernier congrès de l'UPA, les délégués ont résolu de demander au gouvernement que l'on accorde un statut fiscal particulier à la main-d'oeuvre agricole engagée occasionnellement pour des périodes n'excédant pas six semaines et de faire en sorte que les prestataires des programmes sociaux ne soient pas pénalisés dans leurs prestations s'ils participent à des travaux agricoles de courte durée.

Aussi, en tenant compte de l'esprit de la réforme du régime et de la possibilité de conserver une partie des gains reçus pour un travail en plus des prestations, l'UPA demande que l'on examine une nouvelle façon de calculer les niveaux de revenus de travail permis pour les travailleurs saisonniers en agriculture.

En annualisant les gains permis sans tenir compte des limites mensuelles, nous pensons que les travailleurs prestataires de la sécurité du revenu pourraient se montrer intéressés à intégrer le marché du travail agricole en toute légalité.

Un prestataire de la sécurité du revenu vivant seul et sans aucune contrainte à l'emploi pourrait gagner, selon les nouveaux barèmes, un montant de 202 $ par mois, pour un montant annuel de 2 424 $. Permettre aux seuls travailleurs agricoles saisonniers de cumuler des revenus de 2 424 $ annuellement sans pénalité sur leurs prestations rencontrerait les demandes des producteurs et productrices agricoles. Cette proposition se doit d'être simple d'application et elle présente l'intérêt d'inciter de façon volontaire les assistés sociaux à intégrer le marché du travail de façon graduelle.

Enfin, la réforme fait largement état du soutien et de l'encadrement qui seront fournis au client pour l'accompagner dans une démarche d'insertion vers l'emploi. À cet égard, les conseillers des CLE seront préparés, semble-t-il, à exercer adéquatement cette fonction. Nous sommes particulièrement préoccupés par la place qu'aura le travail agricole comme secteur potentiel d'insertion, dans l'esprit des conseillers. Les stratégies qui seront définies et mises en application dans les CLE devront tenir compte des possibilités d'emplois saisonniers en agriculture, même si les emplois ne sont pas permanents.

L'on sait par expérience que des travailleurs intéressés par l'agriculture y sont systématiquement découragés par les intervenants en emploi et conseillers en orientation en raison de la non-permanence de ces emplois. Il ne faut pas oublier que, dans un contexte de politique cohérente de main-d'oeuvre, il faut conjuguer les stratégies d'insertion des individus avec les besoins de main-d'oeuvre des entreprises.

On pourrait penser, par exemple, que l'agriculture pourrait s'avérer utile et priorisée comme lieu de réalisation de certains apprentissages et habitudes de travail dans le cadre d'une insertion en emploi.

Les emplois sont abondants et certains postes de travail n'exigent que peu de qualifications. À cet effet, l'horticulture est historiquement un lieu d'accueil et d'insertion au travail pour les immigrants récemment arrivés dans la région de Montréal. Ce travail est souvent le premier emploi occupé par un immigrant, pour les raisons que l'on a énumérées ci-dessus, mais surtout parce que les services d'emplois agricoles sont bien organisés et présents dans le milieu agricole et dans les communautés ethniques. Or, le document de consultation mentionne que 42,9 % des prestataires aptes au travail sur l'île de Montréal sont nés hors du Canada, comparativement à 4,9 % pour les autres régions du Québec. Il y a donc là matière à examiner des stratégies spécifiques pour les immigrants qui sont intéressés par l'agriculture.

Le programme de transport des travailleurs agricoles, financé depuis nombre d'années par les gouvernements fédéral et provincial, se voit menacé actuellement dans son opération par le désengagement financier de DRHC. Ce programme est particulièrement important comme outil d'insertion en emploi. Il s'avère, comme tout le monde le sait, qu'il y a peu de possibilité de transport entre les villes et les régions rurales. Le maintien de ce programme s'inscrit dans les meilleurs choix pour réussir des insertions en emploi en horticulture. Une politique globale de main-d'oeuvre doit tenir compte des acquis en ce sens.

Nous ne pouvons passer sous silence la décision récente de DRHC de mettre fin au programme des services d'emplois agricoles après plus de 20 ans au service des entreprises et des travailleurs agricoles. L'UPA est engagée actuellement dans une démarche de réflexion pour s'assurer de maintenir les services offerts aux producteurs et productrices agricoles en matière d'emplois agricoles.

Des années d'expérience nous rappellent que le secteur agricole est vulnérable et souvent confronté à des problèmes de pénurie qui mettent en danger la survie de certaines entreprises et en limitent d'autres à prendre de l'expansion. C'est pourquoi nous croyons que les services d'emplois agricoles peuvent s'avérer une courroie de transmission stratégique pour établir une cohérence et une harmonisation des mesures constituant une politique active du marché du travail dans le secteur agricole. Aussi, à ce titre, il nous apparaît indispensable que des rapports étroits soient établis entre les centres locaux et les SEA et que des discussions s'amorcent sur les possibilités de collaboration.

Donc, en conclusion, le défi posé par la réforme de la sécurité du revenu est considérable. Mais les changements tant attendus commandent un exercice incontournable, dans la situation économique et sociale actuelle. Les solutions proposées présentent un certain intérêt, si l'on tient compte des autres réformes en cours au gouvernement: prestation unifiée pour enfants, assurance-médicaments, et le reste. Cela dit, il nous apparaît que le livre vert soulève beaucoup plus de questions qu'il ne propose de réponses, notamment en ce qui concerne la réforme des structures qui sous-tendent ce projet.

L'idée de décentraliser au maximum les mécanismes de définition des orientations du développement de la main-d'oeuvre nous inquiète particulièrement dans un contexte où temps et argent doivent être comptés et investis judicieusement et au bon endroit. Dans une conjoncture de diminution des capacités financières de l'État, nous espérons qu'on usera de vigilance dans la mise en oeuvre du nouveau régime à venir. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. J'invite maintenant Mme la ministre à commencer l'échange.

Mme Harel: Alors, bienvenue, M. D'Amours, M. Besner et Mme Varvaressos. Alors, Mme Varvaressos, vous êtes directrice du Service de main-d'oeuvre agricole – on y reviendra – ce service qui est menacé actuellement par le désengagement fédéral, je crois?

Mme Varvaressos (Hélène): C'est plutôt M. Besner qui...

Mme Harel: C'est plutôt M. Besner.

Mme Varvaressos (Hélène): Oui, oui.

Mme Harel: M. Besner, vous êtes à l'horticulture, aussi?

M. Besner (Gilles): Non, non, non.

Mme Harel: Vous êtes partout, en fait, si j'ai bien compris? Bon, écoutez, je ne sais pas si ça va vous rassurer, mais j'ai eu l'occasion, lundi, de rencontrer M. Pellerin. Est-ce qu'il a eu l'occasion, lui, de vous parler de la proposition qui est sur la table actuellement, entre les partenaires patronaux, syndicaux, communautaires et le gouvernement en matière de structures? Est-ce que vous êtes au fait des derniers développements?

M. D'Amours (Gratien): Non, je n'ai pas échangé avec M. Pellerin sur la question. On était...

Mme Harel: D'accord. Bon, écoutez, je reprends simplement le fait que, quand je suis arrivée, il y a deux ans maintenant, l'UPA n'était nulle part, n'est-ce pas, à la SQDM, ni sur le conseil d'administration, ni sur les conseils régionaux de la main-d'oeuvre, et j'ai immédiatement tenu à corriger ça, ce qui maintenant amène l'UPA à siéger à part entière avec les autres centrales. J'avais même offert la catégorie à son choix; elle a choisi la catégorie travailleurs; alors, elle siège donc de façon confirmée, un siège sur lequel elle nomme son propre représentant, aussi, dans les conseils régionaux main-d'oeuvre.

(15 h 40)

Alors, c'est là pour rester. La proposition qui est sur la table, qui est faite aux partenaires, est de confirmer ce conseil des partenaires, avec les pouvoirs recherchés; j'ai déjà confirmé les conseils régionaux main-d'oeuvre. Et je comprends que vous cherchez un pouvoir décisionnel aux niveaux national et régional mais que vous avez un peu d'inquiétude sur le partenariat au niveau local.

Je sais qu'au niveau local l'UPA, l'UMRCQ, l'UMQ, et parfois sur les mêmes dossiers, sont en rivalité ou, en tout cas, antagonisés, n'est-ce pas? J'imagine que c'est cette raison-là qui vous amène à craindre le niveau local. Mais vous n'avez pas idée à quel point le fait d'atterrir au niveau local donne de l'espoir à des gens. Je pense à RESO, un organisme qui travaille très fort dans le secteur de la Pointe-Saint-Charles et du sud-ouest de Montréal, et qui est venu nous dire, hier, à quel point cet atterrissage au niveau local était indispensable si on veut changer le système dans lequel on est, ce système qui est fait pour gérer des programmes plutôt que pour répondre à des besoins et à des projets de développement du milieu. Mais, en même temps, je comprends que, sur ces questions de structures, je dois vous dire que ça évolue, en tout cas, assez positivement; et votre président, à la première occasion venue, vous en fera sûrement rapport.

Et, en même temps, vous siégez sur des comités sectoriels. Il y avait cinq comités sectoriels il y a deux ans; ce matin, je faisais le point avec les responsables des comités sectoriels, il y en a 27, et un comité sectoriel dont on est très fiers, qui fonctionne très bien, qui est celui qui s'est développé en agriculture et horticulture et qui permet, dans le fond, d'aller chercher un projet, d'intégrer le développement pour ce secteur-là.

Alors, vous nous dites: «Nous, on est intéressés en particulier à la question de la formation», et là j'aimerais peut-être vous entendre sur la formation à temps partiel en agriculture. Est-ce que c'est celle qui relève du ministère de l'Éducation, ça? C'est à la page 5 de votre mémoire, et, comme je ne suis pas informée de ça, si vous pouviez tantôt m'en dire un mot: est-ce que c'est la formation qui est dispensée au niveau des commissions scolaires, au niveau des cégeps? Est-ce que c'est de la formation continue?

Pour ce qui est de la formation en emploi, ce que le gouvernement a choisi, c'est d'amener les entreprises à dépenser l'équivalent de 1 % de leur masse salariale pour la formation de leurs employés. C'est sûr que c'était prudent. L'an dernier, c'étaient des entreprises de 1 000 000 $ de masse salariale. Cette année, ce sont des entreprises de 500 000 $. L'an prochain, 250 000 $. Alors, vous comprenez qu'au fur et à mesure que l'on s'approche du 250 000 $ on va finir par toucher, l'an prochain, 75 % de la main-d'oeuvre.

Je pense que vous dites que les entreprises agricoles sont de taille plus petite et n'ont pas ce niveau de masse salariale, mais, en même temps, je comprends que les comités sectoriels ou même les organismes comme l'UPA peuvent devenir des agents collecteurs. Le règlement est publié dans la Gazette officielle depuis vendredi passé et va donc pouvoir introduire l'idée de plans qui vont vraiment répondre aux besoins de main-d'oeuvre, aux besoins en main-d'oeuvre, aux besoins de main-d'oeuvre, pouvoir corriger la pénurie de main-d'oeuvre. Mais je pense qu'il faut inciter les entreprises, même si c'est modeste, à participer à la formation, dans la mesure, justement, où les plans sont faits par leurs représentants puis correspondent à leurs besoins.

Dans le contexte des demandeurs d'emplois, que nous connaissons, le choix est simple. Les sommes d'argent que nous avons seront essentiellement consacrées aux personnes qui sont en demande d'emploi, aux chômeurs, qu'elles soient prestataires d'assurance-emploi, si on peut avoir les mesures actives, qu'elles soient chômeurs à l'aide sociale ou qu'elles soient sans chèque; il y en a de plus en plus, finalement, qui n'arrivent pas à se rendre éligibles ni à l'un ni à l'autre des deux programmes.

Alors, je pense que l'orientation, c'est d'amener de plus en plus les entreprises à collaborer, à participer. Ça n'empêche pas l'effort du gouvernement. Là-dessus, au niveau des comités sectoriels, je pense que vous avez pu compter sur un financement et compter aussi sur la mise en place, là, des Agri-aides, hein. Je comprends qu'il y a quatre régions qui comptent actuellement sur des comités, ou qu'il y en aura quatre. Le projet est de donner suite, finalement, à la mise en place de ces comités, et ce que je souhaiterais, là, c'est d'échanger avec vous sur comment on peut au mieux vous aider à corriger les effets du travail saisonnier, qui sont compliqués – vous le décrivez – pour les personnes qui sont sur l'aide sociale. Puis, en même temps, on aurait pu ajouter un chapitre aussi pour les personnes qui sont employeurs et qui trouvent ça bien lourd comme fardeau d'avoir des formulaires, là, ça d'épais à remplir en tant qu'employeurs, quand c'est pour cinq semaines, parfois six.

Je comprends que le travail saisonnier, c'est à peu près toujours en bas de 18 semaines, ou autour de ça. Vous avez une proposition, je vais la faire étudier. Vous en avez une qui consiste, si je comprends bien, à permettre des revenus de travail, pas seulement mensuellement, mais annuellement. Vous dites: si, annuellement, on pouvait additionner les revenus permis mensuellement, à ce moment-là, ce serait une incitation, un encouragement, et puis il déclencherait sans doute, dans le calcul que les gens font – légitimement – il déclencherait l'idée que c'est payant. Alors, je vais la faire étudier, mais, en même temps, disons, l'inconvénient qu'elle représente, cette proposition, c'est que la personne reste assistée sociale. Donc, la personne garde son statut d'assistée; elle a un revenu de travail permis, mais elle a toujours un statut d'assistée.

Je comprends qu'il y a aussi d'autres propositions sur la table, entre autres, les comités qui s'appelleraient Agri-aides, qui seraient des organismes sans but lucratif. Et ce qu'on pourrait faire, vous n'en avez pas beaucoup parlé, je ne vous en fais pas grief, c'est tellement nouveau que la plupart des milieux ne voient pas comment ça pourrait se réaliser: c'est la conversion des prestations en subventions salariales. Je comprends que, autant les maraîchers que les fruitiers, que l'horticulture, vous versez l'équivalent du salaire minimum; pourrait être ajouté à ça l'équivalent d'une prestation régulière mensuelle moyenne, auquel cas ça devient un salaire intéressant, avec des avantages sociaux qui sont couverts et ça permet, à ce moment-là, vraiment d'aller chercher une main-d'oeuvre qui est encouragée de travailler. Ça, c'est une manière, en plus, de s'assurer que ces personnes ont un statut de travailleur, travailleuse, assujetti aux Normes et au Code, et, en fait, comme des citoyens à part entière. Alors, est-ce que cette formule-là aussi pourrait vous intéresser?

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): M. D'Amours.

(15 h 50)

M. D'Amours (Gratien): Oui, il y a plusieurs questions, je vais répondre à quelques unes des questions, Mme la ministre, que vous avez posées, je permettrais aux gens qui sont avec moi de répondre à d'autres.

La première question, en ce qui a trait à la décentralisation et la structure locale de concertation, je pense que ce n'est pas une question politique, de s'entendre avec les intervenants régionaux, mais c'est plus que, nous, la question, c'est une préoccupation sectorielle, nous, nos besoins, là-dedans; et de ramener sur un niveau local toute cette discussion, dans une autre dynamique, une dynamique qui est différente – en fait, le mémoire propose une dynamique différente maintenant – c'est que, nous, notre préoccupation, c'est comment on va pouvoir, à travers tous ces CLE là, avoir un discours qui va être harmonisé. En fait, finalement, nous, ce qu'on constate, c'est que, peu importe où on se retrouve, il y a une problématique qui est commune. Et la structure actuelle nous permettait, je pense, d'atteindre nos objectifs au niveau de concertation. Et, évidemment, de pouvoir véhiculer nos préoccupations et de ramener ça à un si grand nombre d'intervenants, pour nous, il va manquer de cohérence tout à l'heure; et si un CLE décide que, pour le secteur agricole, c'est comme ça que ça se passe, puis, tout de suite à côté, eux autres, c'est d'une autre façon qu'ils le font, ça va amener beaucoup, à notre avis, d'incohérence et d'insatisfaction des entreprises agricoles. C'est notre préoccupation. Ce n'est pas par rapport à l'impossibilité de discussion avec ces gens-là.

Sauf que je ne vous cacherai pas que l'expérience des CRCD, où le milieu agricole a souvent un seul siège à travers 60 intervenants, cette expérience-là, je ne vous dirais pas que c'est la meilleure expérience, en tout cas pour véhiculer la problématique du monde agricole, parce qu'il y a beaucoup d'autres problématiques qui sont là, dont le monde municipal, dont vous savez que la loi qui l'a permis permettait la présence de beaucoup de gens du municipal, puis, bon, je pense que c'est conforme à la volonté de la politique de l'époque.

Mais c'est surtout pour une difficulté d'harmonisation, et comment on va pouvoir tout suivre ça, comment on va pouvoir former ces gens-là à bien comprendre toute la problématique, la dimension? Ça va être très pénible puis très coûteux. En tout cas, nous, pour nous autres, c'est ça notre préoccupation.

Une autre question à laquelle je voudrais répondre, c'est... Vous avez abordé la question...

Mme Harel: Me permettez-vous juste de vous demander... Vous, vous voulez le maintien du comité sectoriel, de l'intervention sectorielle. Et en quoi pensez-vous que c'est menacé? Parce qu'il a toujours été entendu que les comités sectoriels, l'intervention sectorielle, où se développe le 1 %, où se développe l'apprentissage, où se développent les projets déjà mis en branle, là, sur la stabilisation de l'emploi pour allonger les périodes, où se développe l'aménagement du temps de travail, etc., vous êtes au courant de tous ces mandats. On appelle ça des mandats nationaux. Il a toujours été confirmé que les mandats nationaux allaient demeurer entre les mains des partenaires nationaux.

M. D'Amours (Gratien): Mais, au niveau des orientations qui vont se prendre au niveau local, comment on va s'assurer de pouvoir tenir tous ces gens-là informés de... en fait, dans les discussions et dans l'évolution des dossiers? À première vue, nous, ça nous apparaît vraiment problématique. Je ne sais pas si, Gilles, là-dessus, t'as quelque chose de supplémentaire, mais, nous, on l'a évalué comme quelque chose de difficile à réaliser.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): M. Besner.

M. Besner (Gilles): Je veux juste prendre un exemple concret, là. J'étais dans une région hier, et on est dans la même dynamique avec les comités sur l'aménagement, où on a, par la loi, là, la possibilité puis l'obligation d'aller sur des comités conjoints. Ce n'est pas d'aller là qui est le problème, mais ce n'est pas la zone politique, comme disait M. D'Amours.

Sauf que, dans une même région, ça va supposer qu'on va être obligés de supporter 50 personnes minimum pour suivre l'ensemble des comités mis en place par les MRC. Et c'est aussi tout ça, dans le fond, qu'on voit venir, là, c'est-à-dire, ce n'est pas juste la cohérence. Il va y en avoir, des problèmes de connexion. Déjà, avec la mise en place des comités sectoriels, avec, en parallèle, l'approche de régionalisation qui a été mise en place, ce n'était déjà pas facile de faire cohabiter le comité sectoriel et les SQDM régionales, de se synchroniser avec nos représentants partout là-dedans. Il y en avait, des tensions, si on ne se conte rien, là. Il va y en avoir encore, et on est prêts à en vivre, de ça. Sauf que, quand on est rendus au niveau local et MRC, en plus, à ce moment-là, on a d'autres difficultés par rapport à ça.

Et, juste de former notre monde, de les supporter, juste ça, c'est déjà tout un mandat. Et, quand on parle de les former – parce que ça va jusque là, dans le fond – on ne peut pas envoyer des gens dans chacun de ces comités-là sans les équiper, sans les former. Et comme on sait qu'on n'a plus de budgets pour la formation, ça ne nous aide pas.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Est-ce que, Mme Varvaressos, vous avez quelque chose à ajouter?

Mme Varvaressos (Hélène): Non, ça va pour ça.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mme la députée de Sherbrooke... de Rimouski, je m'excuse.

Mme Charest: Merci, M. le Président. Bonjour, M. D'Amours, de Trois-Pistoles, c'est ça? Oui? Et M. Besner et Mme Varvaressos. J'ai lu avec intérêt votre mémoire. Et, à la lecture, ce que je me suis dit, c'est que vous aviez le sentiment d'être absents, comme milieu agricole, de ce livre vert.

J'avais le sentiment que vous nous disiez que vous ne vous retrouviez pas à l'intérieur de ce qui était proposé et que vos besoins, il y avait des problèmes, là, pour pouvoir les combler, avec ce qu'on proposait comme fonctionnement et comme structure. Et j'entends vos commentaires sur les CLE locaux. Et je ne sais pas si je vous interprète bien, mais ce que j'interprète, c'est que vous avez comme une crainte de ne pas avoir la capacité, en termes de nombre – pas en termes de capacité comme telle, mais en termes de nombre de personnes qui pourraient vous représenter et assurer le volet agricole au niveau de ces comités locaux-là. Est-ce que je vous interprète bien?

M. D'Amours (Gratien): Gilles, veux-tu compléter?

M. Besner (Gilles): Je pense que ce n'est pas une crainte d'être absents, là. Je veux dire – et Mme Harel l'a bien mentionné – on n'avait peut-être bien pas un siège à la SQDM – ça faisait longtemps qu'on en voulait un, par exemple – mais on a toujours été très présents dans les secteurs main-d'oeuvre et formation professionnelle, et ça fait comme 20 ans – et c'est historique, on dit 20 ans, c'est les 20 dernières années – et on a beaucoup de structures. On n'est pas démunis, ce n'est pas ça qu'on vient dire là, on ne dit pas: On est oubliés, c'est-à-dire qu'on sait que cette réforme-là ne nous touche pas, ne nous vise pas de façon prioritaire. On est plutôt un des acteurs sociaux impliqués là-dedans et qui peut contribuer par rapport à ça.

Moi, à la limite, je dirais que c'est peut-être parce qu'on est très conscients des enjeux et des conséquences possibles des changements qui sont là qu'on pose une certain nombre de questions. Et, entre autres au niveau de la formation professionnelle, on le sait que c'est un changement de cap, j'étais pour dire gouvernemental, oui gouvernemental, mais, quelque part, qui est plus que gouvernemental, c'est-à-dire que le fédéral a le même changement de cap puis, quelque part, tout le monde est accoté sur les orientations de l'OCDE. Mais, de se déplacer de la fonction formation vers la fonction emploi, nous, ce qu'on vous dit là-dessus – et la porte a été ouverte tantôt par Mme la ministre – c'est que, pour le monde agricole – et en même temps c'est aussi la sensibilisation pour d'autres secteurs, et, entre autres, les secteurs autonomes et les travailleurs autonomes. On sait que les gens de la culture ont un peu la même problématique que nous là-dessus.

On dit: Il ne faut pas attendre et ça ne paraît pas demain. Quand, chez Pratt & Whitney, il y a une machine qui est dépassée, l'enjeu est clair, c'est des mises à pied ou le remplacement de l'équipement, avec de la formation qui vient avec. Dans le monde agricole, c'est beaucoup plus pernicieux que ça, je dirais; si on néglige, et on a mis beaucoup d'accent là-dessus dans les cinq, 10 dernières années, d'équiper notre monde au niveau des techniques de production, au niveau de la gestion, au niveau du développement de l'agriculture au Québec, ne pas faire ça, c'est de les condamner à disparaître; et, quelque part, ça va se faire tranquillement, et, surtout en agriculture, c'est rare qu'il y a des faillites officielles, c'est des fermes qui ferment, c'est des liquidations, c'est des encans et c'est du démantèlement d'entreprises, et ça se fait tranquillement une après l'autre; il n'y a pas de licenciement massif qui va paraître dans le journal le lendemain matin. Et nous, on dit: Si on arrête d'équiper notre monde, principalement au niveau de l'informatique, de la gestion et des techniques de production, dans cinq ou six ans, on risque de les avoir comme clientèle qui va rentrer dans le livre vert, parce que là ils vont l'être, en chômage.

Mais on dit: Il y aurait peut-être moyen d'éviter ça. Et, quelque part, parce que qu'on va revenir avec ça à un moment donné, de nous rabattre sur la loi n° 90, on est ouverts à ça, on a toujours appuyé... Ça ne s'appelait pas la loi n° 90, mais le 1 % ou le 1,5 %... Depuis la commission Jean que l'UPA a appuyé ce montant-là. Ce n'est pas qu'on est contre au niveau des principes, sauf qu'on le vit actuellement. Avec la première année, on touche à peu près une dizaine de producteurs, dans une première année, et on est en train de faire sortir les chiffres, même si ce n'est pas facile, mais ce ne sera pas massif, les entreprises agricoles qui auront 250 000 $, non pas de revenus, mais de masse salariale.

Et, quelque part, ce qui est encore plus embêtant, c'est que ceux qui risquent d'avoir, mettons, 500 000 $ de masse salariale, c'est du monde qui vont avoir beaucoup de main-d'oeuvre quotidienne et saisonnière. Un autre problème pour la formation, ça: Comment tu fais pour former du monde qui interviennent ou qui travaillent sur une base quotidienne ou saisonnière? Tu n'as pas le même intérêt que sur un emploi qui risque de durer une couple d'années. Et c'est tous ces problèmes-là qu'on est en train de regarder et, quelque part, on dit: Ça se «peut-u» qu'il ne reste plus de fonds pour de la formation? Un peu comme dans une perspective de prévention, dans le fond, et qu'on ne soit pas poigné dans le curatif dans cinq ans ou dans 10 ans d'ici, avec du monde qui vont aller aboutir dans la bonne zone pour avoir de la formation...

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mais, malheureusement, en parlant de ne plus rester de fonds, il ne reste plus de temps. Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

(16 heures)

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Bonjour, bienvenue. J'aimerais peut-être revenir au niveau de vos inquiétudes pour la SQDM. Parce que je suis contente de constater que la ministre semblait faire un rapprochement et parlait d'évolution positive, parce que l'idée de vouloir retirer le pouvoir décisionnel à la SQDM, ça ne fait pas l'affaire de beaucoup de gens et ça crée un dilemme pour le gouvernement pour la création d'emplois. Parce que le Conseil du patronat est venu nous dire en commission parlementaire que si le gouvernement ne rectifiait pas le tir et lui donnait finalement seulement un rôle consultatif limité, ils auraient peut-être un peu plus de difficultés dans l'avenir à obtenir la collaboration du patronat; et les centrales syndicales sont venues nous dire la même chose: la FTQ, CEQ, CSN. La semaine dernière, M. Gingras, de la CSD, nous a dit clairement que si la SQDM conserve seulement un rôle consultatif, il va y avoir un désintéressement flagrant de la part des collaborateurs du marché du travail.

J'aimerais vous entendre davantage sur vos inquiétudes, s'il n'y a pas, disons, recul de la part du gouvernement et qu'on ne redonne pas le pouvoir décisionnel à la SQDM.

M. D'Amours (Gratien): Bien, écoutez, je vous dirais que l'information que je détiens présentement, c'est que, nous, notre position à ce changement est plutôt au niveau des principes, de la possibilité des gens qui sont là de pouvoir avoir la capacité de décider. Je pense que c'est toute la question de décideur qui est mise en cause. Je pense qu'on a revendiqué depuis plusieurs années la possibilité d'être au conseil d'administration de la SQDM, et je pense qu'on veut continuer à jouer un rôle positif dans ce sens-là. C'est bien sûr, nos inquiétudes, elles sont au niveau des changements qui sont proposés.

Mon président pourrait probablement, peut-être, ajouter des choses, des éléments à la réponse que je peux vous fournir, mais je pense que présentement ce qu'on essaie, bien sûr, ce que je sais de la position que l'on tient présentement, c'est qu'on essaie de maintenir une position où on va avoir un certain pouvoir de décision. Je pense que la SQDM a donné quand même des résultats positifs, et on voudrait que ça continue. Je pense qu'on est ouverts à la discussion, mais c'est bien sûr... Je sais qu'il y a encore eu une rencontre, récemment, que Mme la ministre nous disait. En tout cas, on a espoir que la SQDM va continuer à jouer un rôle positif dans l'avenir.

J'aimerais peut-être répondre, si vous me le permettez, M. le Président, à une des questions de Mme la ministre, tout à l'heure, qui faisait allusion à la difficulté de certains employeurs de remplir toute une pile de paperasse lorsqu'ils ont à embaucher des travailleurs occasionnels, une difficulté, bien sûr, qui est causée justement à cause – on l'a identifié dans notre mémoire – d'un besoin d'ajustement des mesures sociales par rapport aux mesures à l'emploi. À plusieurs reprises, on a demandé de simplifier. Je pense que les employeurs agricoles ne sont pas contre le fait de faire des choses là-dedans, sauf qu'à cause de mesures mal adaptées qui faisaient en sorte que les gens qui venaient travailler dans le secteur agricole, pour une certaine partie, ne voulaient même pas être identifiés, donc ça devenait une difficulté incroyable pour ces gens-là.

Je pense que si on pouvait arriver à simplifier ces choses-là et permettre aussi – je pense que vous avez pris l'engagement d'examiner la proposition qu'on faisait, d'essayer de voir la faisabilité – je pense que ce serait une avenue intéressante pour essayer de, finalement, amener dans la légalité un certain nombre de ces gens-là. Je pense que les employeurs agricoles n'ont pas de réticence à ça. Je pense qu'il faut... Mais, pour ça, il faut qu'on permette que ces gens-là, à cause de la nature de leur emploi qui se fait sur une courte période, qu'on puisse donner l'exemption cumulative prévue sur une plus courte période que ce qui est prévu. Je pense que si on pouvait la ramener à six semaines, c'est ce qui permettrait, justement, de mettre ces gens-là dans la légalité.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je dois revenir à Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Mme Loiselle: Merci. J'aimerais parler de la disparité locale, les différences des régions, parce qu'il y a des gens qui ont attiré notre attention sur le fait qu'il y a peut-être des prestataires qui vont se retrouver... qui vont avoir moins accès à des mesures ou à des emplois que d'autres qui vivent dans des régions où c'est plus dynamique, où les acteurs socioéconomiques sont beaucoup plus implantés sur un territoire; ils créent de l'emploi, beaucoup plus impliqués aussi au niveau local et que, finalement, dépendamment de la région où tu demeures, du territoire où tu demeures, tu as peut-être moins de chance qu'un autre de te voir offrir quelque chose d'intéressant. J'aimerais vous entendre sur ça, sur la disparité locale entre les régions.

M. Besner (Gilles): Dans le fond, votre crainte, c'est de dire: Selon le dynamisme de chacune des MRC, à la limite, là, ou de chacun des CLE...

Mme Loiselle: On sait qu'il y a des régions qui sont plus dynamiques que d'autres au niveau des structures, au niveau des gens, au niveau du partenariat entre les entreprises et le milieu communautaire, où il y a une entraide locale; d'autres régions sont moins dynamiques. Alors, c'est le prestataire, finalement, qui, lui, dans sa région, veut s'en sortir à tout prix, mais il n'a pas les mêmes mesures, il n'a pas la même disponibilité qu'un autre à cause de la région où il demeure. Comment on pourrait, finalement, essayer de faire l'interrégional?

M. Besner (Gilles): Je pense que... Bien, l'interrégional, je ne sais pas. C'est parce qu'il y a deux, trois volets. Mais, je pense que ce n'est pas une vraie crainte, ça, pour nous. C'est-à-dire, à date, on a vécu pendant 15, 20 ans – ça achève, c'est dans un mois – mais avec des services d'emplois agricoles dans chacune des régions. Et, finalement, l'ensemble des personnes qui voulaient travailler en agriculture pouvaient se référer là. C'est sûr qu'il y a des nuances, il y a des dynamismes régionaux différents, mais, ça, on est habitués de vivre avec ça. Mais, quelque part, je me dis: Dans le monde agricole, pour nous, je ne suis pas sûr que c'est un vrai problème. Par contre, ça fait partie des questions qu'on posait tantôt à Mme la ministre, de dire le fait qu'il va falloir impliquer notre monde à travers ces conseils locaux là, c'est ça qui nous questionne par rapport à ça, à toute cette question-là des conseils locaux.

Au niveau de la réalité, je ne suis pas sûr qu'il va y avoir des grandes disparités à cause des structures. Nous, contrairement à d'autres groupes, des groupes sociaux, des groupes populaires, on a une structure de base partout à travers la province. Et ça, si on est capables de la supporter, habituellement, on ne connaît pas de trop grandes disparités entre les régions. Mais le risque est là pareil. Et c'est peut-être finalement plus la distinction entre les CLE en milieu rural et les CLE en milieu urbain où ça risque d'être différent.

Mme Loiselle: Vous avez deviné que je suis de Montréal. C'est quoi, le mois-boni? C'est la première fois que j'entends parler de ça.

Mme Varvaressos (Hélène): Bien, le mois boni, c'est une mesure qui existait il y a peut-être trois, quatre ans, quelque chose du genre. En fait, c'était une mesure qui permettait à des assistés sociaux de garder certains revenus qu'ils gagnaient pendant, je pense que c'était l'équivalent d'un mois, qui leur permettait de garder leurs prestations, pour à peu près une période d'un mois, quand ils allaient occuper un emploi.

Alors, c'était une mesure qui était quand même assez incitative, moi, je trouve, pour aller intégrer l'emploi. En agriculture, par exemple, ça permettait à des gens d'aller travailler, par exemple... Un bon exemple, c'était dans la récolte des fraises sur l'île d'Orléans. Alors, les gens allaient travailler à la récolte des fraises et n'étaient pas pénalisés dans leurs prestations. Ils appelaient ça... Il y avait... Le mot était mois-boni, l'expression mois-boni.

Alors, ça a été levé finalement il y a à peu près trois, quatre ans, si ma mémoire est bonne.

Mme Loiselle: Le régime d'apprentissage. J'aimerais y revenir parce que vous en parlez dans votre mémoire. Le gouvernement mise beaucoup, dans sa réforme, sur le régime d'apprentissage. Mais on a eu des préoccupations quand le Conseil du patronat est venu nous dire que, actuellement, il y a une entente entre les partenaires du marché du travail et qu'on s'est entendus pour peut-être 1 000 stages et que... finalement, priorité aux jeunes qui terminent une troisième année secondaire puis, s'il reste de la place, s'il y a des ouvertures, c'est les travailleurs en emploi. Les syndicats nous ont dit la même chose.

Alors, ça nous dit que, au niveau des prestataires, il n'y a pas grand place dans le régime d'apprentissage. J'aimerais savoir si vous avez les mêmes craintes à cet égard là.

Mme Varvaressos (Hélène): Bien, effectivement, présentement, on a été ciblé comme un des secteurs d'expérimentation pour le régime d'apprentissage. Alors, on veut le faire dans deux productions, deux métiers qu'on a identifiés dans deux productions agricoles et dans deux régions.

Alors, on a mis en place un comité apprentissage et on a commencé à rencontrer les intervenants régionaux; et, à partir du comité sectoriel, on se questionne beaucoup aussi au niveau de l'organisation, parce que, sur le plan organisationnel pour l'agriculture, ce ne sera pas évident. C'est les transports, tout ça. Comment on organise ça, en campagne, un régime d'apprentissage? Alors, il y a beaucoup de questions qui se posent et il n'y a pas de réponses encore à toutes les questions qu'on a. Ça a été un peu lancé, on n'a pas beaucoup d'outils pour essayer de vendre la formule aux employeurs. Puis, en plus, on sent qu'il y a des choses qu'il va falloir redéfinir, pour nous autres comme agriculture, quelle sorte de... entre autres, la formation des compagnons, ça nous pose un problème. C'est une formation qui est très longue. Quels compagnons en agriculture vont vouloir embarquer dans une formule comme ça, quand on sait qu'en agriculture le compagnon va aussi être souvent le propriétaire de l'entreprise?

Alors, il y a beaucoup de questions qui restent sans réponse pour nous. Et, pour le régime d'apprentissage, entre autres, une des questions qu'on a posées, c'est: Est-ce qu'on va être capables de trouver des jeunes qui vont être intéressés à venir comme apprentis?

Alors ça, c'est une question, bon, on essaie de voir présentement comment ça va s'organiser. Mais ça, c'est une question cruciale. Est-ce que les jeunes vont être plus intéressés à venir faire de la formation professionnelle en apprentissage? C'est une question importante, en plus de celle organisationnelle, la formation des compagnons. Les outils aussi, on sent que présentement, je pense, à la SQDM, ils n'ont pas toutes les ressources qu'il faut pour accélérer la mise en place du régime d'apprentissage. On sent qu'il y a plusieurs métiers qui sont déjà partis et on est un peu comme en attente aussi par rapport au développement des outils.

(16 h 10)

Alors, c'est toutes des mesures qui se mettent en place graduellement, puis on n'a pas toutes les réponses, puis on a comme l'impression aussi, justement, qu'il n'y a personne qui ait de réponse là-dessus. Alors, on se rend compte que, pour notre secteur, il faut les trouver, les réponses. Alors, on discute là-dessus, mais ça ne nous apparaît pas comme très, très évident pour le moment, là.

Alors, on va faire l'expérimentation. On s'est dit: On va l'essayer. Mais on a des craintes un petit peu par rapport à l'intérêt des jeunes et aussi l'intérêt des entreprises. C'est qu'on essaie de voir comment on va inciter les entreprises à embaucher des apprentis. C'est pour ça d'ailleurs qu'on veut faire une recommandation à l'effet, si on pouvait trouver une mesure, un peu comme il se fait en France, d'exonérer les entreprises des cotisations sociales si tu embauches un apprenti. Alors ça, on pense que c'est une mesure, entre autres, qui pourrait intéresser les entreprises à embaucher des apprentis.

Mme Loiselle: D'accord, merci. Il y a mon collègue qui avait une question.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Merci, M. le Président. Messieurs, madame, au sujet des structures, qui sont une préoccupation de beaucoup de groupes qui témoignent devant cette commission, j'ai cru comprendre, dans votre mémoire, que vous exprimez une réserve quant à la décentralisation au niveau des MRC. On a des CLE qui seront probablement basés sur les MRC. Il y aura également, semble-t-il, des centres locaux de développement qui relèveront du ministère du Développement régional, qui, eux autres aussi, seront probablement, selon toute indication de M. le ministre Chevrette, basés également sur les MRC. Vous, vous dites, il me semble, dans votre mémoire, que, rendu à ce niveau local en ce qui concerne le monde agricole, ça peut vous poser des problèmes. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. D'Amours (Gratien): Bien, écoutez. Par rapport à la décentralisation, on n'est pas contre la décentralisation. Je pense que c'est un voeu de la société. Et nous, je pense qu'on ne peut pas dire que ce n'est pas correct, là. Sauf que de créer tant de lieux de concertation, pour nous, à un moment donné, il y a une question aussi d'efficacité, pour nous, d'être capable de... tous ces gens-là qui vont être à ces niveaux-là des MRC, d'être capable de leur donner une formation qui est adéquate par rapport au rôle qu'ils vont avoir à jouer, par rapport aux objectifs, des questions où on donne des orientations au niveau provincial, ça va être tout un travail.

On n'est pas contre qu'il y ait un CLE sur la base d'un territoire de MRC. Non pas. Ce qu'on dit, c'est qu'il faut que le travail que ce CLE va faire se fasse en concertation avec les services d'emplois agricoles qui sont là, puis qui sont sur une base plus régionale. Donc, vous comprenez que, déjà là, sur une base de MRC et base de région, on parle probablement de sept ou huit CLE par service d'emplois agricoles. Puis vous comprenez que ça prend, pour faire le contact avec tout ce monde-là, imaginez-vous l'énergie que ça va prendre! C'est ça qui nous inquiète, nous. C'est surtout cette question-là, pour nous, qui est inquiétante.

M. Copeman: Même avec la présence sur le territoire des CRD, ça vous inquiète quand même, hein? Parce que M. le ministre responsable du Développement des régions mise beaucoup, je crois, sur la possibilité des CRD de coordonner les actions du CLE et du CLD. En tout cas, pour moi, il commence à avoir bien des structures, des niveaux, là. On est tombé un peu dans la «structurite». Mais on verra.

M. D'Amours (Gratien): Le lien avec les CRD, je crois que c'est un bon lieu de concertation, sauf que nous, à l'usage des CRD, ou CRCD, c'est que le nombre de représentants qui est là... souvent, les représentants du secteur agricole, il y en a un à peu près. Et les conseils d'administration sont de 40, 50, dans certains... je connais la Montérégie, où ils sont, je pense, 60; il y a un ou deux intervenants agricoles.

Vous comprenez que si chacun des membres du conseil d'administration, bon, apporte ses préoccupations, vous savez, hein, sur 60, là, qu'on amène une problématique de cette nature-là, en tout cas, il y a des fortes chances que la majorité des intervenants autour de la table ne connaissent pas l'importance... puis aient la connaissance pour faire la discussion qu'il faut par rapport au sujet, souvent, lorsqu'il est pointu.

Donc, vous savez, cette expérience-là, nous autres, autant sur certains dossiers elle peut être intéressante, mais sur des dossiers spécifiques chez nous, en tout cas, on n'est pas à l'aise dedans.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Est-ce que, M. le député de Bourassa, vous avez une question? Oui?

M. Charbonneau (Bourassa): À la page 4 de votre mémoire, Mme, MM. de l'UPA, vous faites ressortir en caractères gras une de vos orientations: «L'UPA souhaite continuer à jouer un rôle décisionnel à tous les niveaux dans les orientations concernant le développement de la main-d'oeuvre». Ce souhait, vous l'exprimez après avoir dit que vous compreniez, à travers des bribes d'information glanées ici et là, que les partenaires socioéconomiques allaient être relégués à un rôle consultatif. Pourriez-vous être plus explicites sur tout ça et nous dire à quoi exactement vous tenez quand vous dites «être décisionnel»? Être décisionnel en ce qui a trait à la conception des programmes? À la gestion des programmes, etc.? Enfin, être plus explicites un peu.

M. D'Amours (Gratien): M. Besner va répondre à la question.

M. Besner (Gilles): Bien, on a abordé tantôt, avec d'autres questions, un peu cette conception-là, par rapport à la nôtre, par rapport à ça. Mme la ministre disait tantôt qu'il y a eu d'autres propositions de déposées lundi, ça, on n'a pas pu jaser avec notre président, mais, quelque part, on est à la même place que les autres acteurs du C.A. de la SQDM par rapport à cette question-là.

Au bout de la ligne, et ce n'est pas juste une question de pouvoir puis ce n'est pas juste une question de structure, nous, on va jusqu'à dire que c'est une question de philosophie, c'est-à-dire, quelque part là-dedans, la politique active du marché du travail, à partir du moment où on dit qu'il faut que les partenaires soient impliqués, soient actifs, on dit qu'on ne va pas être là, juste consultatifs, quand ça fera l'affaire de ceux qui décideront. Et tant qu'à être impliqués, on va l'être jusqu'au bout; je pense que c'est plus ça.

Et, minimalement, au niveau de la conception des orientations puis au niveau des orientations, de la définition des orientations elle-même, la gestion, qu'elle soit décentralisée, ce n'est pas ça qui est le vrai problème, dans le fond, c'est de dire, en termes d'orientations, comment on est associés à ces orientations-là, et ça, on continue à trouver ça important.

M. Charbonneau (Bourassa): Pour enchaîner sur le même filon, je voudrais vous demander si vous ne croyez pas qu'il serait plus opportun de discuter de cet enjeu de manière publique plutôt que d'apprendre que des propositions ont été déposées face à certains partenaires, dont on ne sait pas trop la teneur en tant que propositions, puis que peut-être qu'il y a des ouvertures, etc. Est-ce que ça ne serait pas plus intéressant pour tout le monde d'avoir accès à ces propositions? D'avoir accès au raisonnement de la ministre qui tend à vouloir changer la SQDM? Avoir accès à l'ensemble de l'information ensemble et en discuter sereinement, d'une manière adulte? Et puis si la ministre a de bonnes raisons, je crois que les gens vont cheminer et vont examiner ces raisons à leur mérite.

Négocier avec un dans un comité, dans un demi-comité, etc., il me semble que ce n'est pas sain, ça, comme démarche pour associer les partenaires, que ce soit sur le mode décisionnel ou sous un autre mode à définir, il me semble que ça serait plus sain que ça se fasse publiquement. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Besner (Gilles): Nous, en ce qui nous concerne, en tant que organisation, on a accès aux données et le débat est ouvert, en ce qui nous concerne, et on ne voudrait pas s'ingérer dans d'autres types de mécanismes; et, quand on lit les journaux, le débat est assez ouvert. en ce qui nous concerne.

M. Charbonneau (Bourassa): Donc, à partir du moment où, vous autres, vous savez ce qui se passe, ça va, là?

M. Besner (Gilles): Non, ce n'est pas ça qu'on a dit, on a dit: le débat est ouvert, parce que, dans le fond, les partenaires sont associés au débat; il y a eu des discussions avec les partenaires, et, en ce qui nous concerne, le débat est ouvert. Je ne sais pas ce que c'est pour l'opposition, mais...

M. Charbonneau (Bourassa): Mais, même s'il s'agit des intérêts de peut-être 1 000 000 de personnes, grosso modo, sécurité du revenu, gens en recherche d'emploi, pourvu que, vous autres, vous sachiez ce qui se passe, c'est suffisant comme caractère démocratique à la discussion?

M. Besner (Gilles): Bien, quand on dit «nous autres», c'est l'ensemble du C.A. de la SQDM actuellement, et ça commence à faire pas mal de monde.

M. Charbonneau (Bourassa): Oui, ça fait 12, 15 personnes.

M. Besner (Gilles): Comme représentation. De toute façon, il n'y en aura pas 6 000 000 autour des tables.

(16 h 20)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Madame, messieurs, ça termine cette rencontre. Je vous remercie beaucoup au nom de la commission. J'invite maintenant les représentantes et représentants de l'Organisation d'aide aux assistés sociaux à se présenter.

(Consultation)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): À l'ordre, s'il vous plaît! J'apprécierais qu'on permette aux gens de se présenter à la table tout de suite. À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, Mme Bourgeois, vous voulez nous présenter les gens qui vous accompagnent, pour fins d'enregistrement, et vous avez 20 minutes de présentation.


Organisation d'aide aux assistés sociaux (ODAS)

Mme Bourgeois (Marguerite): D'accord. Je vous présente Mme Claire Bouchard, M. Bernard Côté et Jean-Claude Rondeau qui vont répondre à tour de rôle aux questions, chacun leur tour.

Bonjour, M. le Président. Bonjour, Mme la ministre. Notre corporation, l'ODAS, est un organisme voué à la promotion et à la défense des droits et des intérêts des prestataires de la sécurité du revenu vivant dans le sud-ouest de Montréal.

C'est avec un grand intérêt que l'ODAS a pris acte du dépôt par Mme la ministre Louise Harel du projet de réforme sur la sécurité du revenu «Un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi». À la suite de ce dépôt, nous avons rigoureusement procédé à une lecture critique des propositions ministérielles inscrites dans le livre vert.

Dans un esprit d'ouverture et de recherche de justice sociale, nous désirons ici vous communiquer les résultats de notre réflexion. Notre présentation s'articule autour de 14 thèmes fondamentaux au regard de notre organisation et de ses membres. Ces thèmes sont la conjoncture, l'équité selon la ministre et selon l'ODAS, l'admissibilité, l'aide financière, l'insaisissabilité de la prestation de dernier recours, les femmes monoparentales, la participation dans les structures décisionnelles, l'insertion sociale et économique des jeunes, le remboursement, le travail au noir, l'imposition de prestations de dernier recours, les aînés, les gains de travail permis, la protection des droits et les recours. Malgré toutes nos réticences face à l'expression «dernier recours», notre mémoire l'utilise puisque c'était ce à quoi la réforme accule les Québécois et Québécoises sans ressources.

2.1 Conjoncture. La réforme de la sécurité du revenu s'ajoute aux diverses mesures adoptées par le gouvernement actuel dans le but de réduire l'aide et les ressources disponibles aux prestataires de la sécurité du revenu. Tentons de cerner la conjoncture dans laquelle s'inscrit la réforme proposée par Mme la ministre pour les personnes les plus démunies du Québec, les prestataires de la sécurité du revenu.

L'État se désengage de certaines de ses responsabilités dans les secteurs stratégiques tels que la santé et les services sociaux, l'éducation et la formation professionnelle, la sécurité du revenu, le logement social, l'aide juridique, le régime d'assurance-maladie. L'État procède à un démantèlement de l'État-providence et à la désorganisation de toute la société québécoise.

Le gouvernement poursuit la mise en oeuvre de sa politique d'élimination du déficit. Il procède sans mandat électoral, sans légitimité à d'importantes compressions budgétaires dans des secteurs vitaux pour notre société et ses membres. Ces réductions entraînent dans le réseau public des licenciements de personnel et une diminution des services directs à la population.

Notre économie est en profonde mutation. Le taux de chômage est très élevé, plus particulièrement chez les jeunes de 18 à 30 ans. Le monde du travail est en réorganisation. Le chômage est devenu structurel et non plus conjoncturel. Les entreprises procèdent à des restructurations, ce qui entraîne des licenciements massifs dans leur personnel. Le salaire minimum est trop bas pour permettre aux travailleurs à faibles revenus et non syndiqués d'avoir aussi un revenu décent.

Dans le domaine de l'économie, l'État renonce à exercer les arbitrages requis et il laisse les lois du marché oeuvrer en toute impunité. Comme mesure de relance, il propose le chantier de l'économie sociale. Il invite les prestataires de la sécurité du revenu à y participer activement. Cependant, l'État ne propose aucune politique-cadre pour assurer le développement de l'économie sociale. L'économie sociale constitue-t-elle un miracle pour les naïfs ou, au contraire, une véritable mesure d'insertion socioprofessionnelle? C'est à en douter.

L'État annonce des réformes majeures dans les programmes sociaux, particulièrement dans les domaines de la santé et des services sociaux et dans celui de la sécurité du revenu. Les réformes impliquent une révision de structures organisationnelles existantes dans le secteur public, une réorganisation du monde du travail syndiqué, d'importantes compressions budgétaires pour atteindre l'équilibre financier. Ces réformes vont engendrer des tensions au sein de la population du Québec. Une détérioration de notre tissu social est à prévoir. Les réformes du gouvernement actuel visent à réduire substantiellement l'aide et les ressources disponibles aux aînés et aux prestataires de la sécurité du revenu. Les réformes en cours dans les secteurs de la santé et des services sociaux créent un système de santé à deux vitesses: on a une médecine pour les riches et une pour les pauvres.

L'accessibilité aux ressources du réseau public est de plus en plus compromise pour les démunis. Le gouvernement ferme des hôpitaux, il diminue les services et les programmes disponibles. La récente réforme du régime d'aide juridique a pour effet de réduire significativement, pour les prestataires de la sécurité du revenu, l'exercice de leurs droits.

Au plan des mesures de protection sociale, l'État a resserré les critères d'admissibilité au régime d'assurance-emploi et à la sécurité du revenu. Au cours des dernières années, le ministère de la Sécurité du revenu a limité l'accès aux prestations spéciales. Par suite de l'abrogation du barème de disponibilité, il a réduit de 50 $ la prestation mensuelle de près de 50 000 bénéficiaires en attente de mesures d'employabilité. Il a réduit de 30 $ la prestation mensuelle de près de 40 000 prestataires qui participent à des mesures d'employabilité. Il a diminué l'allocation-logement. Les prestations de la sécurité du revenu ne sont pas indexées. Actuellement, le gouvernement envisage d'augmenter les loyers dans les HLM. Il vient d'abolir le remboursement de la taxe foncière pour les personnes à faible revenu.

Au plan fiscal, l'État a adopté de nombreuses mesures fiscales visant à réduire considérablement le fardeau fiscal des entreprises, ce qui entraîne des pertes de recettes fiscales pour l'État. Afin de compenser une partie de ces pertes de revenus, le gouvernement a accru la charge fiscale des particuliers. Les entreprises exigent de l'État un allégement de leur fardeau fiscal, car un niveau de taxation élevé réduit leur compétitivité face à leurs concurrents, tout en diminuant les fonds nécessaires à la modernisation de leurs infrastructures et à la création d'emplois.

Mais voilà, on observe que la croissance économique n'est plus synonyme de création d'emplois. De plus, les entreprises augmentent significativement leur marge bénéficiaire sans pourtant créer des emplois durables et bien rémunérés. Les entreprises bénéficient de centaines de programmes d'aide étatiques pour les soutenir. Ce sont des milliards de dollars qui sont investis chez elles par le gouvernement. Les entreprises exigent que l'État soit non interventionniste dans le secteur économique et qu'il élimine les dépenses de l'ordre social pour réduire le déficit. Mais, en même temps, elles exigent le maintien des programmes étatiques d'aide financière, technique et fiscale, cette «aide sociale» pour les entreprises.

Facile d'identifier ici les priorités que se donne le gouvernement. Malgré le rapport de sa Commission sur la fiscalité, qui propose des mesures fiscales pour éviter certaines iniquités, le gouvernement refuse de procéder à une réforme en profondeur de la fiscalité. Au lieu de cela, il propose d'abolir les déductions fiscales pour les prestations d'aide de dernier recours. Il modifie les règles touchant les RÉER, il limite les crédits d'impôt pour les personnes qui ont atteint l'âge de 65 ans ou pour celles qui ont des revenus à leur retraite. Que retenir de toutes ces considérations? C'est que les conditions socioéconomiques des plus démunis se détériorent et que le tissus social se dégrade, entraînant de graves conséquences. La volonté qu'a l'État de satisfaire les exigences de ses bailleurs de fonds le rend insensible aux demandes de sa population la moins privilégiée. Par son mépris et son manque de solidarité, le gouvernement contribue à accroître la marginalisation des prestataires de sécurité du revenu et des travailleurs à faible revenu face aux autres québécois.

(16 h 30)

L'équité, selon Mme la ministre et selon l'ODAS. Selon Mme la ministre, entre les québécois et québécoises prestataires de la sécurité du revenu et les québécois et québécoises pauvres, petits travailleurs, l'équité est nécessaire; c'est une ligne maîtresse de son projet de réforme. Le gouvernement a déjà commencé à établir cette équité: coupure de l'allocation-logement pour les familles – parce que les petits travailleurs ne l'avaient pas – obligation de l'assurance médicaments – parce que les petits travailleurs ne l'ont pas – baisse de l'âge des enfants pour considérer l'adulte comme non disponible – parce que les travailleurs ne profitent pas de cette mesure. Nous pourrions allonger ainsi la liste des coupures faites sous le prétexte de l'équité. Nous croyons que Mme la ministre a oublié de regarder l'autre partie du Québec. Pourquoi établit-elle l'équité en visant le niveau de vie le plus bas?

Cette ligne maîtresse de la réforme montre très clairement l'idée de Mme la ministre d'appauvrir davantage les prestataires de la sécurité du revenu, en leur enlevant tout ce qui peut paraître un privilège en comparaison des petits travailleurs. Pour parler d'équité, il faudrait que Mme la ministre tienne compte de tous les Québécois et Québécoises et qu'elle mette en place une vraie réforme de la fiscalité. Nous sommes pour l'équité entre les Québécois et Québécoises, mais pas pour l'équité entre les pauvres et les plus pauvres, de manière à les appauvrir encore plus.

L'admissibilité. Discuter ici d'admissibilité à un programme d'aide, c'est avant tout devoir comprendre la nouvelle direction prise par le livre vert sur la réforme de la sécurité du revenu. Il est proposé que l'aide accordée soit conditionnelle à la participation du parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi. C'est, en d'autres termes, l'introduction formelle du «workfare» au Québec. Nous n'avons pas l'intention d'étudier ici les avantages ni les inconvénients du «workfare».

Nous nous contentons de proposer l'application du modèle français, le revenu minimum à l'intégration, où l'admissibilité comporte une condition unique: s'engager dans un parcours de réinsertion au marché du travail. En conséquence, pas plus qu'au régime d'assurance-emploi, il n'y a d'autres conditions d'admissibilité, comme l'avoir liquide zéro ou le test du logement. Le partage du logement n'y trouve plus de raison d'exister, puisque le système n'en est plus un de sécurité du revenu mais de revenu minimum à l'intégration.

L'aide financière. Rappelons d'abord au gouvernement du Québec l'article 45 de la Charte des droits et libertés de la personne adoptée par l'Assemblée nationale: «Toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d'assistance financière, à des mesures sociales prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent.»

Voyons maintenant ce que le projet de réforme contient au niveau de l'aide financière. Le livre vert propose de maintenir au niveau actuel, à quelques exceptions près, le montant des prestations d'aide de dernier recours. Le montant de la prestation de base est trop faible. D'ailleurs, Mme la ministre elle-même a reconnu que le montant de sa prestation ne permet pas de couvrir les besoins essentiels du prestataire.

Par le maintien des barèmes actuels, le gouvernement contribue à accentuer l'appauvrissement des Québécois et Québécoises les plus démunis de la société. À moyen et à long terme, les prestataires de la sécurité du revenu s'enliseront dans une pauvreté extrême, avec tous les coûts sociaux que la misère engendre. Nous croyons que le gouvernement doit fournir à toute personne dans le besoin les ressources nécessaires pour lui assurer un niveau de vie décent, selon les normes de la province et non selon les normes fantaisistes de nos élus. Afin que soient couverts les besoins essentiels, l'ODAS recommande au gouvernement de hausser les prestations d'aide de dernier recours et d'indexer les barèmes sur une base annuelle.

L'insaisissabilité de la prestation de dernier recours. La proposition visant à rendre saisissable la composante logement de la prestation d'aide de dernier recours est inacceptable. Cette mesure, en plus de créer un précédent, a pour effet de consolider la position de force des propriétaires face aux locataires prestataires. Elle contribue aussi à soutenir la croyance populaire que les BS sont des mauvais payeurs et qu'une intervention gouvernementale est requise pour régulariser la situation.

Nous déplorons que Mme la ministre ait cédé aux pressions indues de la part de représentants de propriétaires d'immeubles locatifs. Nous soulignons que le groupe de travail du ministère de la Sécurité du revenu a évalué à un très faible niveau le pourcentage des prestataires délinquants en ce qui a trait au non-paiement du loyer.

Nous recommandons au gouvernement de maintenir le principe de l'insaisissabilité absolue et totale de la prestation d'aide de dernier recours. En conséquence, notre organisme s'oppose à l'adoption par l'Assemblée nationale d'un projet de loi visant à amender la Loi sur la Régie du logement et le Code civil du Québec ou tout autre texte législatif qui conférerait à la Régie du logement un pouvoir d'ordonnance lui permettant d'enjoindre le ministre de la Sécurité du revenu à verser au propriétaire la composante du logement de la prestation, composante destinée à couvrir le logement pour les loyers échus ou à échoir.

Femmes monoparentales. Nos principales préoccupations à l'égard de la réforme proposée pour les femmes monoparentales reposent sur deux pôles: la capacité de choisir et la confiance. La capacité de choisir, c'est celle d'éduquer son enfant jusqu'à l'âge de cinq ans, âge auquel il entrera à la maternelle à plein temps. Cette liberté de choix est appelée à disparaître avec la réforme puisque le livre vert propose l'obligation de la garderie dès l'âge de deux ans pour les enfants des familles monoparentales. Dans sa tendance à la libération et dans les efforts pour se décharger de ses responsabilités envers la famille, l'État s'est-il questionné sur les conséquences de sa nouvelle tangente familiale, ses coûts sociaux et les valeurs à transmettre aux générations futures? Notre contexte de coupures nous amène inévitablement à nous arrêter devant ces nouvelles politiques.

La confiance. Toutes les femmes qui travaillent et qui ont un enfant de moins de cinq ans en garderie sont confrontées à un problème généralement chronique et incontournable: la santé et le bien-être des petits. Un enfant malade est systématiquement retourné chez lui par les garderies. Appelées à bénéficier du nouveau parcours individualisé d'insertion et de la formation à l'emploi, les femmes monoparentales devraient avoir droit à des congés pour maladie de l'enfant, et ce, sans pénalisation. Il s'agit très souvent d'un facteur important dans la confiance qu'exprimera une femme monoparentale à l'égard du processus de réinsertion sociale.

L'autre aspect de la confiance d'une mère repose sur la qualité du milieu en garderie. Il est primordial de mettre en place des mesures de contrôle de la qualité environnementale et sociale d'une garderie et d'en publier fréquemment et périodiquement les résultats. Cet aspect de la confiance d'une mère monoparentale sera déterminant quant à la réussite du parcours individualisé vers l'insertion, la formation et l'emploi.

Par manque de temps, on fait sauter à 2.13, page 17. Les gains de travail permis. Nous demandons au gouvernement d'augmenter immédiatement les gains de travail permis pour les personnes vivant de la sécurité du revenu. Il s'agit, selon nous, d'une mesure pouvant favoriser la réinsertion sociale et professionnelle des prestataires, tout en leur permettant de satisfaire financièrement aux besoins essentiels non couverts par l'actuelle prestation de base.

Que les gains permis soient de 202 $ pour une personne seule et de 254 $ pour deux adultes et qu'ils s'ajoutent aux besoins essentiels prévus à l'annexe 12 du livre vert et non aux barèmes établis, ce afin de permettre un réel espoir de retour au travail. Cette perspective active entraînerait un retour progressif sur le marché du travail parce qu'elle serait basée sur des assises financières plus solides. Le fait d'accorder des gains permis dans l'unique but d'atteindre le barème des besoins essentiels, fixés pour une personne seule à 667 $ selon l'annexe 12, signifie que le travail ne permet pas d'envisager un éventuel retour au travail mais plutôt de ne penser qu'à la survie, plus communément appelée «besoins essentiels». En outre, nous demandons que soient indexés les gains permis pour les personnes ayant des contraintes sévères à l'emploi.

Nous demandons au gouvernement de réaffirmer son engagement à reconnaître que les prestataires de la sécurité du revenu sont des Québécois et des Québécoises à part entière et qu'à ce titre ils sont titulaires des droits fondamentaux reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne.

Dans son dernier rapport annuel, le Protecteur du citoyen rappelait que les fonctionnaires du ministère de la Sécurité du revenu ont tendance à oublier la Charte des droits et libertés lorsqu'ils procèdent à des vérifications et à des enquêtes. Dans un cas qu'il relate, le Protecteur du citoyen dit être intervenu auprès du ministère pour le sensibiliser à la nécessité de respecter les droits fondamentaux des citoyens prestataires de la sécurité du revenu.

Nous exigeons donc la présence de dispositions juridiques visant à banaliser les pouvoirs du ministère et de ses fonctionnaires afin d'éviter l'abus de pouvoir. Il est nécessaire d'accroître l'imputabilité des fonctionnaires et du ministère de la Sécurité du revenu. Afin d'y parvenir, le gouvernement pourrait s'inspirer du pacte social suggéré par le Protecteur du citoyen dans son dernier rapport annuel.

Réforme de l'aide juridique. Selon les avocats de pratique privée, la récente réforme du régime d'aide juridique a eu pour conséquence de limiter sérieusement les prestataires de l'aide de dernier recours dans l'exercice de leurs droits. Avec la règle du prétraitement des dossiers par le bureau d'aide juridique local, on assiste à des dénis de justice dans certaines situations. On constate que la possibilité d'exercer efficacement nos droits et nos recours devient de plus en plus symbolique. Nous demandons au gouvernement de procéder aux diverses modifications législatives requises pour permettre aux prestataires de la sécurité du revenu d'exercer leurs droits et recours à travers toutes les démarches et même à l'intérieur de leur parcours.

(16 h 40)

Donc, en conclusion, nous voulons rappeler à la commission certaines réalités que le livre vert semble ignorer consciemment. Le livre vert maintient les clauses d'exclusion de la loi n° 37. Il y ajoute, en plus, les travaux obligatoires. Les changements de structures proposés nous apparaissent comme un effort pour cacher les injustices et les iniquités commises contre près d'un million de citoyens. Nous croyons que les efforts du gouvernement doivent au plus tôt s'orienter vers la construction d'un Québec où règne la justice sociale. Notre problème n'est pas le CTQ, ni le ministère de la Sécurité, ni le ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Le problème, c'est l'emploi. Il n'y est pas réglé par le livre vert et ce dernier propose des coupures de barèmes, mais il ne manifeste aucune véritable politique de création d'emplois.

Les ex-prestataires de sécurité du revenu intégrés à la main-d'oeuvre continueront d'être discriminés comme auparavant. Ces citoyens, Québécois et Québécoises, ne méritent pas de semblable traitement. Nous voulons aussi dire très clairement que le livre vert véhicule tous les préjugés du gouvernement contre nous, les prestataires de la sécurité du revenu. D'après le livre vert, ce n'est pas le Québec qui a trop de citoyens sans travail, c'est la sécurité du revenu qui a trop de prestataires. Ce n'est pas le Québec qui a trop de familles détruites et, par conséquent, trop de familles monoparentales dans la pauvreté, c'est la Sécurité du revenu qui a un pourcentage trop élevé de familles monoparentales.

La solution du gouvernement: Obliger les responsables de ces familles à travailler dès que le dernier enfant a atteint ses deux ans. Ce ne sont pas les patrons qui engagent les travailleurs au noir, ce sont les prestataires de la sécurité du revenu qui travaillent au noir. C'est tout un discours distordu de Mme la ministre pour ne pas toucher le vrai problème, c'est-à-dire le manque d'emplois. Si les problèmes que Mme la ministre, Louise Harel, met au compte de la sécurité du revenu étaient les problèmes du Québec, la solution ne serait pas une réforme de structures administratives, mais une réforme en profondeur de la fiscalité pour que tous les Québécois et les Québécoises contribuent à une équité horizontale et non à une équité qui fait vivre au ras du sol, comme le propose le livre vert.

Le livre vert ne fait que reprendre l'idéologie intergénérationnelle: en 1985, le Parti québécois, en 1986, le Parti libéral et, en 1996, Parti québécois. Plus ça change, plus c'est pareil et plus l'oppression des pauvres continue. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie. J'invite maintenant...

Des voix: Bravo!

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): S'il vous plaît, s'il vous plaît, juste pour l'information des gens dans la salle, il n'est pas de tradition, contrairement à la Chambre, dans les commissions, de manifester d'aucune façon. Mme la ministre.

Mme Harel: Alors, bienvenue à l'ODAS. Je voudrais juste, tout de suite, vous inviter à relire ce que dit le livre vert sur le travail au noir. Je pense que c'est la première fois dans un document gouvernemental où on parle de la consommation au noir. Je trouvais que c'était peut-être un parmi bien d'autres éléments où je comprends que votre lecture a été faite d'une façon, si vous voulez, à peut-être trouver ce que vous y cherchiez. Vous voyez, c'est à la page 19: «La croissance du travail et de la consommation au noir», et, à la page 19, c'est la première fois, je pense, là, qu'on fait valoir qu'il n'y a pas un problème de travail, il y a surtout un problème de consommation au noir. Je suis inquiète, d'une certaine façon, que vous n'ayez pas retenu cet aspect-là. Notamment, je lis ceci: «On estime à plus de 900 000 personnes le nombre de consommateurs qui participent à l'économie au noir et à environ 210 000 le nombre de travailleurs au noir.»

Parmi les personnes qui consomment au noir, en fait, il s'agit essentiellement, comme vous le savez, de personnes qui ont un revenu de plus de 30 000 $, qui ont un revenu stable, qui engagent des personnes au noir. Alors... Bon! C'est un élément, mais j'ai l'impression qu'il est représentatif peut-être d'un certain biais à partir duquel... une certaine tendance à partir de laquelle vous avez lu le livre vert.

Peut-être un mot sur la question du salaire minimum. Le salaire minimum a été augmenté de 12 % en deux ans, 0,65 $ au total; c'est dans un contexte où, comme vous le savez, les salaires industriels moyens, eux, étaient plutôt, disons, stables, pour ne pas dire modérés, modérément en augmentation. Alors, c'est un effort, insuffisant, mais c'est un effort important.

Moi, écoutez, je comprends qu'on puisse être... disons, qu'on puisse pratiquer des solutions différentes. Mais je vous propose ceci: Essayez de me trouver, parmi les 25 pays industrialisés, démocratiques, dont certains sont les plus avancés sur le plan démocratique au monde, ceux qui sont membres d'organisations de coopération et de développement économique – ils sont 25 pays – essayez de me trouver dans un seul de ces 25 pays un pays où l'aide est inconditionnelle. Dans tous les pays – puis j'ai fait faire vraiment un relevé des plus industrialisés, que ce soit... et des plus démocratiques – le Danemark, la Suède, la Finlande, l'Italie... Puis ça, c'est les exemples que j'ai apportés avec moi aujourd'hui.

Dans ces pays-là, il existe deux sortes de régimes: Un régime d'assurance et d'assistance-chômage pour des personnes en chômage, puis un régime dit d'aide sociale, mais uniquement réservé aux personnes qui n'ont pas accès, ni de près, ni de loin, ni par en avant, ni autrement, au marché du travail. Parce que, dans ces pays-là, l'idée, c'est que le chômage, c'est involontaire. On n'est pas responsable du chômage quand on est chômeur.

Puis, en même temps, cependant, on ne peut pas se résigner dans l'idée que c'est inconditionnel et qu'on ne peut rien y faire, parce que là il y a comme une fatalité puis une résignation. Et, dans ces pays-là, elle n'est pas pratiquée. Et je ne vois pas pourquoi, nous, on ne s'inspirerait pas de ce qu'ils font. Où, finalement, ils décident, pas d'investir dans le chômage... On a une grosse industrie de chômage ici. Il y a 11 400 personnes qui gèrent l'industrie de chômage. Tandis qu'eux ont choisi non pas d'investir dans le chômage, mais ils ont choisi d'investir dans les mesures actives: de la formation, de la préparation, de l'insertion, ce que vous appelez «workfare». C'est un parcours qui est presque entièrement, si vous voulez, inspiré par ce qui s'est passé au Danemark dans la grande réforme de l'emploi de 1994. Je peux vous dire que le Danemark est pas mal un pays dont on peut s'inspirer sur le plan de la démocratie puis des relations avec les citoyens.

Et j'imagine que vous avez sûrement pris connaissance, je pense que c'est à la page 42, de ce plan d'action individuel qui, après six mois de chômage, est offert au Danemark. En cas de refus de la part du travailleur, il est considéré comme volontairement chômeur, et ça entraîne inévitablement des conséquences importantes sur le plan financier. C'est le cas aussi avec le régime d'assurance-emploi au Canada. Avec l'équivalent de ce qu'on considère être un refus, dans le fond, de participer, il se considère comme volontairement en chômage. On le présume involontairement chômeur.

Alors, vous me dites que c'est du «workfare». «Workfare», ça vient du mot «work for welfare», c'est-à-dire travailler pour rester assisté. C'est exactement le contraire, là. C'est d'en sortir. Le parcours, ce n'est pas d'y rester. Le parcours, c'est d'en sortir, d'en sortir avec un autre statut, avec un statut d'apprenti. Je sais que vous n'avez pas l'air de penser que l'apprentissage peut être une solution, mais, d'en sortir pour travailler dans l'économie sociale, vous pensez à une politique-cadre. Il me semble que les grands éléments de l'économie sociale ont pourtant été bien définis dans le cadre des travaux du chantier sur l'économie sociale et retenus, finalement, par le Sommet.

Alors, je ne vois pas en quoi c'est du «workfare». Pourquoi ce serait du «workfare» ici et que ça ne le serait pas au Danemark, en Finlande, en Norvège ou ailleurs où c'est considéré comme, finalement, une façon de rester activement proche du marché du travail pour pouvoir, à un moment donné, s'y tailler une place.

Mais si vous me trouvez vraiment un exemple où, d'une façon inconditionnelle – inconditionnelle – de l'aide est versée indépendamment de l'âge et indépendamment de la situation au chômeur, je vous le dis, ça m'intéresse beaucoup.

Vous proposez dans votre mémoire quelque chose qui m'a semblé assez intéressant pour que je demande à connaître plus l'expérience française. Je crois que... Attendez, c'est à la page 7, hein, je crois? Oui. Vous dites... À la page 7, hein, de votre mémoire?

Mme Bourgeois (Marguerite): C'est ça.

(16 h 50)

Mme Harel: C'est ça. Vous dites: «Il est proposé que l'aide accordée soit conditionnelle à la participation au parcours.» Bon. Là, vous nous dites que c'est du «workfare».

Le parcours, ce n'est pas de l'ouvrage, ça. Le parcours, c'est quelque chose que la personne se choisit justement pour avoir le goût d'en sortir. Elle ne travaille pas pendant le parcours. Pendant le parcours, elle décide, si vous voulez, de sortir pour travailler, mais elle ne reste pas assistée dans ce temps-là.

Et vous dites: Nous nous contentons de proposer l'application du modèle français. Bien, le revenu minimum à l'intégration, en fait, c'est le RMI, ça. J'ai fait sortir la documentation là-dessus. Le revenu minimum, en fait, il s'appelle le RMI en France – je ne sais pas si c'est insertion ou intégration – mais, en même temps, je dois vous dire... Revenu minimum d'insertion. Et ce revenu minimum prend en considération les indemnités: pensions, retraites, rentes, pensions alimentaires, les bourses d'étude, les revenus d'activités: salaires, rémunérations, stages de formation, etc. Et ce revenu minimum d'insertion est offert à un groupe, disons, limité de personnes et il est priorisé.

Vous savez qu'en France ils ont priorisé les jeunes, et en particulier les jeunes de 18 – attendez, je ne suis pas certaine si c'est 18-24 – mais ce sont des jeunes qui... Il y a même un projet de loi qui a été adopté cet automne, qui s'intitule «Projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale». Et ce projet de loi, c'est la création d'un itinéraire personnalisé d'insertion professionnelle pour les jeunes en difficulté qui consiste en statut de stagiaire, ou contrat d'apprentissage, ou autres.

Alors, justement, en quoi ce qui se fait là ne doit pas nous inspirer pour justement nous engager dans une autre voie que celle de la fatalité puis de la résignation en disant – on a le même taux de chômage qu'en France, en passant, puis on a le même taux de chômage qu'en Allemagne – alors, pourquoi est-ce qu'on n'essaie pas des moyens qui ont l'air, chez eux en tout cas, de réussir puis d'être bien acceptés?

M. Rondeau (Jean-Claude): Sur le modèle français? Ouais, mais on peut commencer au début. On va commencer par le travail au noir, si tu veux. Parce que, au début, il y a plusieurs questions dans ce questionnement: c'est le travail au noir. Tu pourras me corriger, Bernard, si tu...

M. Côté (Bernard): Je vais y aller après.

M. Rondeau (Jean-Claude): Tu vas y aller après? Si tu veux. C'est le travail au noir. C'est qu'on a surtout visé les gens qui font travailler au noir. C'est qu'ici on a toujours visé la personne assistée sociale; cette personne-là était toujours priorisée par les centres de Travail-Québec. On a dit: Il est temps qu'on se débarrasse de cet élément-là, parce que ça prend quelqu'un pour les faire travailler. Et c'est ça qu'on a priorisé surtout.

Et c'est ça, quand même, qui reste dans votre document, dans votre livre vert. C'est que vous continuez quand même à pousser le préjugé que ce sont les gens qui sont soit chômeurs, soit personnes assistées sociales. Mais vous parlez de «consommateur», mais, «consommateur», c'est très large. Et si c'est le consommateur, c'est tout le monde. Alors, c'est un peu trop ça, là. On trouvait que c'était un peu trop large comme travail.

Le salaire minimum. On sait, tout le monde, que le salaire minimum est toujours trop bas. Et ça, c'est encore bas. Même s'il avait augmenté de 12 % depuis les dernières années, il est encore trop bas pour être un salaire décent, pour que les gens puissent survivre correctement.

Est-ce que tu veux embarquer sur l'aide inconditionnelle?

M. Côté (Bernard): Je vais y aller. Bonjour, Mme Harel! Bonjour, M. le Président! J'aimerais simplement glisser un mot, pour commencer, sur ce qui est du travail au noir puis ce qui a été suggéré dans notre mémoire.

Travail au noir, consommation au noir. Il existe certainement de la consommation au noir; personne ne va le nier. Et la consommation au noir est aussi reconnue en économie comme une conséquence, souvent, d'un prix trop élevé et de la surtaxation qui existe. Il existe, à un moment donné, ce qui s'est passé avec le problème de la cigarette: les taxes étaient trop élevées et il s'est développé une économie au noir.

Il existe pour des gens qui ont un certain revenu, que ce soit la classe moyenne ou particulièrement les pauvres, des gens qui vont se développer pour aller chercher ailleurs. Ce qui est visé, c'est peut-être le travail au noir. Ces travailleurs-là au noir, il en existe malheureusement sur l'aide sociale. Ils ne sont certainement pas majoritaires. Ce sont des gens qui vont peut-être parfois, également, en profiter pour aller chercher des revenus qui restent dans la marge des revenus déclarés, par exemple, pour une personne seule, de 174 $ par mois, ce à quoi elle a droit actuellement.

Mais les travailleurs au noir, actuellement, qui sont souvent les personnes visées, que ce soient les consommateurs au noir, sont toujours les personnes les plus ciblées à travers toutes les mesures qui sont prises. Ce qui n'est jamais ciblé, ce qui n'est jamais visé, c'est les donneurs de travail au noir. Je sais que le gouvernement du Québec n'a pas le pouvoir de criminaliser les donneurs de travail au noir, les employeurs de travail au noir, mais il y en a énormément.

Si on veut commencer à attaquer le mal, aussi bien l'attaquer à sa racine, et attaquer au niveau du travail au noir, c'est attaquer les gens qui donnent le travail au noir ou qui emploient, que ce soient les personnes à revenu moyen de 30 000 $ qui vont engager du monde pour du travail au noir, si ces gens-là ont un risque d'avoir un dossier criminel pour donner du travail au noir, ils vont peut-être y repenser.

Le travailleur au noir peut être ciblé, mais, avant tout, si on cible les gens qui le donnent, qui sont moins nombreux, plus faciles à cibler, plus faciles à poursuivre, c'est des gens qui vont avoir les moyens de payer des amendes, si elles sont imposées, beaucoup plus facilement qu'un travailleur. Si le gouvernement vise à aller chercher des revenus, comme on le fait très souvent, c'est plus facile d'aller les chercher là où il est, l'argent, dans ce domaine-là.

Un des autres points... je pourrais parler du salaire minimum. On a toujours été en retard sur l'Ontario, au Québec, et on a fait un bond relativement important dans les deux dernières années, c'est vrai. Ça aide peut-être également à créer un écart avec les assistés sociaux et à créer, également, un intérêt à quitter, à ce moment-là, l'aide sociale pour un travail au salaire minimum. Si un travail au salaire minimum est équivalent à ce qu'on reçoit sur l'aide sociale, avec ce qui s'en vient au niveau... avec les garderies, avec tous les autres frais, évidemment que ça peut poser un problème. Si le salaire minimum est haussé, qu'il y a un niveau de vie qui peut être relativement acceptable... Parce que évidemment que quelqu'un qui travaille au salaire minimum se retrouve malgré tout en deça des seuils de pauvreté établis par Statistique Canada; ça, on ne se leurrera pas avec un revenu au salaire minimum annuel.

Ce n'est pas une question qui est débattue ici, mais c'est encore très bas, c'est au-dessous des seuils de pauvreté établis ou des seuils de dernier recours établis par l'aide sociale et tel qu'on le retrouve ici, d'ailleurs. Même au niveau des barèmes des besoins essentiels, on reconnaît 667 $ pour une personne seule, les besoins essentiels d'une personne qui vit dans un appartement, mais la personne reçoit actuellement un montant de 500 $; ce n'est pas contesté, c'est dans le livre vert.

Mais quand on parle... Il y a une chose qui m'étonne. Mme la ministre a parlé énormément d'aide inconditionnelle; je ne crois pas que l'accent du mémoire qui a été déposé ici aujourd'hui est de suggérer que l'aide demeure inconditionnelle. Je sais que c'est une des réclamations du Front commun, on le mentionne peut-être dans certains endroits, mais quand on parle des femmes, il y a une notion qui est faite, il y a une mention du «workfare», mais elle n'est pas discutée. Je ne crois pas que le principe de base de discuter... pour les soutiens financiers, ce n'est pas un problème. Pour toutes les autres personnes aptes au travail, qu'il y ait des mesures actives qui soient proposées, c'est très intéressant, qu'il existe des mesures, il en existe un petit peu partout. Les mesures, les personnes qui ont le plus de chances de se retrouver un emploi sont les personnes qui sont scolarisées, à la base.

Mais, maintenant, les mesures d'emploi actives, actuellement, ne s'adressent pas nécessairement aux personnes scolarisées; les expériences de travail ne sont pas nécessairement des expériences de travail importantes, c'est une réinsertion à l'emploi ou un maintien à l'emploi, simplement, ou dans des activités que certains considèrent bénévoles. C'est comme ça que la plupart des personnes considèrent une expérience de travail: être sur l'aide sociale, être bénévole pour aider l'État. Ce n'est pas une vision, ce n'est pas un rééquilibrage des choses. La réinsertion sociale passe peut-être par les mesures actives, mais par où passe-t-elle? Par l'économie sociale?

Le niveau communautaire est entièrement subventionné, presqu'à 90 % ou plus; j'aimerais bien savoir où il va aller chercher des subventions supplémentaires pour engager d'autres personnes et continuer de croître. Le chantier sur l'économie sociale, c'est très beau, c'est très intéressant, mais est-ce que ça va déboucher? Plusieurs posent la question, moi, j'affirmerais la réponse: Non!

(17 heures)

J'aimerais simplement terminer sur une petite chose, le modèle français. Il y a des choses très intéressantes dans le modèle français, que je ne connais pas malheureusement à fond et que vous devez certainement mieux maîtriser que moi. Mais, au niveau de la formation, il y a certainement beaucoup à faire encore ici. Et, ici, ce qu'on suggère actuellement est particulièrement intéressant et particulièrement intelligent... Et j'aimerais bien mentionner, si ce n'était pas compris, qu'il y a un brin d'ironie dans ce que je mentionne: envoyer les gens sur les prêts et bourses – qui ont plus de 18 ans – pour se former, c'est s'assurer qu'ils soient endettés. Si jamais il n'y a pas un emploi à l'autre bout, le gouvernement va être responsable des prêts et bourses, ça va être une conséquence économique à supporter pour le gouvernement; et peut-être qu'il faudrait s'assurer que tous les agents qui vont être embarqués dans des programmes de parcours individualisés, qui sont dans les CLE, qui travaillent dans les centres Travail-Québec, qui ont une formation extraordinaire à l'heure actuelle, vont savoir très bien diriger ces jeunes-là ou les personnes qui auront à être impliquées vers ce qui sera vraiment un emploi important et que ça ne fera pas le cas, actuellement, de ce qui s'est passé avec – je m'excuse, je cherche le nom – qui a été confié à la CECM, le programme avec les entreprises, dans la région de Montréal, où ils ont formé énormément de techniciens dans un domaine, mais ils n'en ont plus besoin; la collaboration avec l'entreprise a été oubliée.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie. Mme la députée de La Prairie.

Mme Simard: Très rapidement, M. le Président. Bonjour, Mme Bourgeois et votre groupe. Juste... Quand même, je pense que c'est important, parce que votre réflexion sur le travail au noir est de dire: Bon. Il faut bien s'attaquer aux bonnes personnes. Je pense que c'est compris. D'ailleurs, la Commission sur la fiscalité fait des recommandations dans ce sens-là.

Ici, je pense que ce qu'il faut regarder... Il y a beaucoup d'information, peut-être que ça vous a échappé. Il reste que les assistés sociaux ne peuvent pas être la cible principale, parce qu'on mentionne bien que, des personnes qui en effectuent, les assistés sociaux sont les moins nombreux, il n'y en a que 7,2 %. Donc, je pense que c'est important, parce que c'est vrai que c'est véhiculé très largement, alors que la réalité est tout autre. Alors, c'est important. C'est dans le livre vert, c'est à la page 20.

Bon. Au début, vous avez dit: On a fait une lecture critique du livre vert. Ha, ha, ha! Oui, on peut voir que vous avez un bon nombre de critiques sur un certain nombre de choses. Peut être vous rassurer. En tout cas, aujourd'hui, on apprend que, bon, en ce qui concerne les HLM, il n'y aura pas d'augmentation. Ça devrait, je pense, rejoindre vos préoccupations. Je pense qu'on a bien compris aussi vos préoccupations concernant les groupes d'âge de 55-59 ans, aussi.

Il y a une chose où vous revenez. Vous parlez beaucoup, comme d'autres, de la question du libre choix des femmes. Bon. D'abord, vous savez que l'établissement des services de garde, ça va se faire de façon progressive à partir de septembre prochain et ça va s'échelonner, là, pour les enfants de deux ans, jusqu'en 1999. Donc, c'est clair que c'est par étapes.

Vous parlez d'un libre choix, mais je vous repose la question: Le problème, est-ce que c'est vraiment le libre choix, pour vous, ou est-ce que c'est le fait qu'il y a une diminution du revenu qui est associée à ça, où il n'y a pas assez de revenus? Parce que... Je vous demande de considérer la situation de travailleuses, dans certains cas monoparentales, aussi: Est-ce que la question du libre choix se pose pour elles? Non, elle ne se pose pas vraiment. Et est-ce que ce n'est pas davantage la préoccupation du maintien du revenu qui vous préoccupe beaucoup plus que la question du libre choix, qu'elle puisse rester avec son enfant?

Et vous vous questionnez aussi sur la qualité des services de garde. Je pense que, ça, on doit tous être préoccupés de ça, mais je pense qu'on peut donner l'assurance que les services de garde qui seront établis seront des services de qualité accessibles à tous. Et vous soulevez, par exemple, bon: Est-ce qu'il ne faudrait pas considérer voir le problème des maladies d'enfants, d'avoir des congés, et tout ça? Je suis d'accord avec vous. Il ne devrait pas y avoir de différence là, si on dit que le plus possible il faut rapprocher, au fond, les conditions des deux, qu'on doit pouvoir répondre à ce type de problème-là.

Mais, fondamentalement, est-ce que votre préoccupation, ce n'est pas essentiellement le revenu, plus que la question du libre choix? Parce que pourquoi alors ne pas la poser pour toutes les femmes dans la société, au fond? Parce qu'il y en a. Ce n'est pas toutes les travailleuses qui ont des gros salaires. Il y en a qui ont des salaires assez modestes aussi mais qui font le choix de travailler et qui doivent, après le congé de maternité, qui souvent n'est pas très long – il va être plus long d'ici quelque temps, avec la nouvelle assurance parentale – elles doivent retourner au travail. Alors, j'aurais beaucoup d'autres questions à vous poser, mais je pense que le temps me manque, là.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): En une minute, Mme Bourgeois, vous êtes capable de nous faire ça, de nous répondre? Ha, ha, ha!

Mme Bourgeois (Marguerite): Une minute. Parmi la consultation des membres qu'on a, femmes monoparentales avec jeunes enfants, le libre choix est vraiment demandé par eux autres. Il n'y a pas juste le point de vue du revenu, du chèque, parce que beaucoup de femmes se disent: Bien, pourquoi, quand on a un bébé, on ne peut pas le suivre jusqu'à l'âge de 5 ans, être capables de tout lui donner les soins... Quand on a vu qu'il y a tellement de garderies où il y a eu des enfants, pas nécessairement... c'est-à-dire des enfants de familles monoparentales, pas nécessairement assistées sociales, mais aussi de petits travailleurs, qui n'ont vraiment pas eu les soins nécessaires dont ils avaient besoin dans les garderies, puis ça cause vraiment un problème, puis tous nos membres qui ont des jeunes enfants se posent ces problèmes-là. Ce n'est pas juste le fait du chèque.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Bonjour et bienvenue. Je peux peut-être continuer dans la même lignée, au niveau des familles monoparentales. Je peux peut-être poser la question différemment que le gouvernement ne cesse de poser aux groupes qui viennent nous voir, c'est de demander au gouvernement: Pourquoi mettre le caractère obligatoire pour les chefs de familles monoparentales? Pourquoi retirer le barème de non-disponibilité, leur retirer le 100 $? Pourquoi avoir mis en place l'allocation unifiée qui... Ce sont les enfants de l'aide sociale, les petits enfants de l'aide sociale qui sont les plus perdants, avec l'allocation unifiée. Pourquoi, finalement, s'acharner sur les mères de familles monoparentales quand les statistiques démontrent que ce sont les mères de familles de l'aide sociale qui font le plus d'efforts pour s'en sortir, qui participent le plus aux mesures d'employabilité, qui participent le plus au rattrapage scolaire?

Moi, la réponse que j'ai pour les ministériels, c'est qu'on veut faire des économies sur les familles qui sont les plus pauvres parmi les plus pauvres au Québec. Et ça, ça a été démontré. À date, il y a environ 30 groupes qui sont venus nous voir; il y a seulement trois groupes qui sont à peu près en accord avec le caractère obligatoire et punitif du gouvernement. Tous les autres groupes sont venus dénoncer le caractère des pénalités et disent au gouvernement que, s'il va dans ce sens-là, il fait fausse route. Même M. Camil Bouchard a dit que tout le caractère obligatoire et punitif avec pénalités pour les 18-24 ans et pour les chefs de familles monoparentales va amener la démotivation, va créer un climat de méfiance et va faire, finalement, que des gens qui sont moins motivés que d'autres vont aller en demande de parcours individualisés pour ne pas être pénalisés, quand peut-être d'autres, plus motivés, pourraient y aller. Quand le gouvernement, aussi, n'est même pas capable aujourd'hui de répondre à la demande... Parce qu'il y a plein de gens qui veulent participer, mais ils n'ont pas assez d'offres, et il n'est même pas capable de faire la preuve qu'à la fin du parcours il va y avoir des emplois pour ces gens-là. Alors, on retourne encore peut-être dans les mesures où on embarque dans une mesure, puis, en bout de piste, à la fin de la mesure, il n'y a pas d'emplois, d'emplois durables. Hier, on rencontrait l'Association des juristes en droit social, puis ils nous disaient qu'ils avaient analysé les programmes d'insertion puis les mesures d'employabilité qu'on retrouve dans le livre vert et que, pour eux, finalement, il n'y a rien de bien, bien différent et que c'est seulement le langage puis le vocabulaire qui ont changé, et puis que, si le gouvernement ne retirait pas ces mesures d'appauvrissement qu'on retrouve dans le livre vert, que, finalement, ce qu'on a devant nous, ce n'est pas vraiment une réforme, mais c'est une façon maquillée de diminuer les dépenses du gouvernement sur le dos des prestataires de l'aide sociale.

Moi, je pense qu'il ne faut pas détacher la loi 115 – vous en parlez dans votre mémoire – parce qu'il y a eu des effets dans la vie de tous les jours des prestataires, des effets assez dévastateurs. La loi 115, c'est une loi qui a été dure, c'est une loi qui a pénalisé les prestataires, et j'aimerais revenir sur les avoirs liquides, parce que vous travaillez, vous, avec les gens, sur le terrain. Le fait, maintenant, qu'on exige qu'on arrive à l'aide sociale avec pas un sous en poche, ça fait quoi dans la vie des gens, ça?

Mme Bouchard (Claire): C'est ça, c'est que le problème, c'est que, quand les personnes, il y en a qui ont peut-être travaillé 30 ans, 35 ans, 25 ans, puis là il arrive, je ne sais pas, moi, la compagnie ferme. Ça fait que là, ce qu'il faut faire, c'est complètement liquider l'argent. Mais, dans le fond, eux autres, ils ont travaillé pour ce qu'ils ont eu dans la vie. Ça fait que là, ce que le gouvernement veut, c'est: liquide tout ce que tu as, vends tout, rends-toi au seuil de pauvreté direct, puis là je vais t'aider. Mais pourquoi attendre qu'il soit rendu en bas au complet pour l'aider et non l'aider quand il en a besoin? Je comprends que le monsieur, il a peut-être une maison de 200 000 $, il a peut-être un char de 20 000 $, 30 000 $, mais le monsieur a travaillé pour, quand même, dans sa vie. Ça fait que là, la malchance qui arrive, c'est que la compagnie va fermer, puis là, ce qui arrive, c'est qu'il faut complètement te mettre à zéro. Ça fait que, dans le fond, ce n'est pas correct, au niveau de la liquidation de l'argent, pour que ça arrive à zéro.

Mme Loiselle: Ce n'est pas une mesure, aussi, qui fait que ça augmente le nombre de ce qu'on appelle les sans chèque? Il y a des gens, finalement, qui ne veulent pas tout perdre puis qui décident qu'ils n'iront pas faire de demande à l'aide sociale, pour qu'on n'augmente pas le nombre des sans chèques, finalement?

Mme Bouchard (Claire): Bien oui, ça va les augmenter.

Mme Loiselle: Vous le voyez, vous autres, sur le terrain, ça?

Mme Bouchard (Claire): Bien oui, parce que, dans le fond, ça les augmente. Puis en plus de ça, ce qui écoeure, c'est que, quand on appelle au gouvernement, ils disent: Ah oui! ils ont le droit de se prendre un régime épargne retraite de 60 000 $. Ça fait que, prends ton argent, mets-le dans un régime épargne retraite, pas de problème, tu as le droit à l'aide sociale. C'est quoi la différence? Il va liquider son argent, ça fait qu'il y a quelque chose qui ne marche pas à quelque part.

(17 h 10)

Mme Loiselle: On disait même, nous, on avait mis la main sur un document du ministère qui disait que, si le gouvernement allait avec une telle mesure, que, finalement, il amènerait des gens honnêtes, disons, à agir illégalement, parce que, pour se protéger et protéger ses enfants ou sa famille, pour se garder un petit montant, finalement, puis que c'est le gouvernement qui poussait les gens à peut-être cacher un petit peu d'argent pour se protéger. Parce que, bon, il y a des choses qui arrivent dans le quotidien, il y a des bris de réfrigérateur, il y a des enfants qui perdent leurs bottes, il y a plein de choses comme ça, puis, quand tu as les poches vides, il faut que tu trouves de l'argent pour les payer.

Je pense qu'il faut revenir sur le fait que de plus en plus, avec des mesures qui ont été mises en place, les prestataires, finalement, ne sont plus capables, ils n'arrivent plus; ils n'arrivaient déjà pas, là ils arrivent encore moins. Les effets de l'assurance-médicaments. Parce que vous en parlez, sur ça, et, moi, je veux vous entendre, parce que vous êtes des gens qui travaillez avec les prestataires, avec des familles. C'est quoi, les effets de l'assurance-médicaments pour les prestataires, là, qui ne sont pas capables de payer la contribution financière?

Mme Bourgeois (Marguerite): C'est que la fameuse contribution financière qu'il faut donner, de 50 $, si elle était échelonnée... mais non, là, c'est directement. Comme moi, le 6 janvier, il a fallu que je donne tout de suite mon 50 $ parce que sinon je ne pouvais pas avoir mes médicaments pour mon diabète. Mais, par contre, en donnant 50 $ tout de suite, j'ai dû couper de 50 $ dans la nourriture. Ça fait qu'il ne m'en est pas resté beaucoup. J'avais le choix: je me faisais soigner mon diabète ou je mangeais. Si je mange, mon diabète rempire; je me rentre à l'hôpital; et si je soigne adéquatement mon diabète puis que je ne mange pas tous les fruits et légumes dont j'ai besoin, je me rentre à l'hôpital également. C'est...

Mme Loiselle: C'est un cercle vicieux; vous aggravez votre santé, en bout de piste.

Mme Bourgeois (Marguerite): Là, il va falloir que je recommence au mois d'avril.

Une voix: Ah, O.K. M. Rondeau.

M. Rondeau (Jean-Claude): Ce qui est intéressant, c'est que, quand même, dans l'annexe 12, on n'en discute même pas, de ces médicaments-là.

Mme Loiselle: Non, vous avez raison.

M. Rondeau (Jean-Claude): Et non seulement ça, mais, présentement, il y a déjà sur le bureau une baisse des barèmes, de toute façon, parce que l'impôt foncier va disparaître au mois d'avril. Et, à ce moment-là, les personnes vont avoir encore 10 $ de moins par mois, sur des barèmes tellement bas qu'ils n'assureront pas leur propre survie. Et alors qu'est-ce que les gens vont faire? Ceux qui sont très malades, naturellement, ne prendront pas leurs médicaments et ils vont se retrouver à l'hôpital; et les personnes qui sont capables de faire un peu quelque chose, ils vont faire du travail au noir parce que c'est la seule façon de s'en sortir.

Et ça fait des années qu'on dit, nous autres, au gouvernement – c'est pas quelque chose de nouveau... Depuis, je ne sais pas, probablement les années 1985, les années quatre-vingt, qu'on dit: Faites en sorte que les gens puissent en sortir. Pas mettre des barrières partout. Il y a tellement de formalités au gouvernement présentement que c'est pratiquement impossible pour une personne de fonctionner honnêtement. Je le dis bien.

Il faut bien dire que le gouvernement crée la fraude, au Québec, comme c'est là, et c'est ça qu'il faut empêcher, là. Il faut travailler avec la société. On travaille avec du monde, pas avec des ordinateurs, pas avec des machines; on travaille avec du monde. Et c'est ça que le gouvernement, il faudrait qu'il apprenne à un moment donné.

Mme Loiselle: Je reviens au tableau 12, les besoins essentiels reconnus, là. Vous avez raison. Toute la notion santé n'a pas été ajoutée à ça. Il y a un groupe qui nous l'a fait remarquer hier. Ils ont rajouté comme un 18 $ ou 20 $ de plus au 667 $, là, disons, pour une personne seule. On parle que, pour combler les besoins essentiels, avec la prestation, on peut aller chercher des revenus de travail permis. Vous en parlez dans votre mémoire.

Moi, j'aimerais savoir... Parce que, à plusieurs groupes à qui j'ai posé la question, ils m'ont dit non, qu'ils ne pensent pas que la majorité des prestataires, étant donné la situation, là, l'emploi, le taux de chômage qui n'arrête pas de monter – on est rendus à 12,2 %, à comparer à l'année passée, à 10 %, puis à Montréal, c'est encore plus alarmant que ce qui se passe ailleurs – moi, j'aimerais savoir, là, est-ce que c'est possible pour les prestataires, dans une majorité imposante, là, d'aller se chercher les revenus de travail permis pour finalement aller se chercher un petit peu d'argent pour se loger, là, pour les besoins essentiels, finalement?

M. Rondeau (Jean-Claude): Il y a une minorité qui est capable d'aller le chercher; on ne dit pas que tout le monde peut aller chercher, mais il y en a une minorité qui est capable d'aller le chercher. Et cette minorité-là, présentement, est brimée, parce que souvent c'est du travail précaire, sur appel, et la personne va faire 300 $ un mois, le mois suivant, va faire 150 $.

Et la façon dont l'aide sociale fonctionne, c'est que cette personne-là va se retrouver avec des démarches à faire pendant une semaine auprès de son agent d'aide sociale, et cette démarche-là va la démotiver à travailler correctement. Et ces personnes-là vont faire en sorte que, à un moment donné, elles vont dire: Pour quelle raison je continue à me casser la tête, à m'évertuer à faire un travail alors que l'aide sociale ne me reconnaît même pas ma volonté de me sortir de l'aide sociale?

Parce qu'il y en a beaucoup qui espèrent s'en sortir avec ça. Ils disent: Je commence un travail précaire, je commence une petite «jobine», là, puis ils disent: Peut-être que je vais être capable de m'en sortir dans un an, six mois, un an; je vais être capable de m'en sortir. Mais l'aide sociale n'aide pas personne dans ce domaine-là. C'est tatillon, c'est pas croyable! Et, à ce moment-là, la personne se démotive et elle dit: Bien, pour quelle raison que je me fendrais le cul pour aller travailler? Elle dit: Je vais rester chez nous, je vais faire un petit peu de travail pour le barème minimum, qui est présentement de 174 $, je vais rester là, je ne sortirai pas plus, parce que ça ne me donne rien de travailler plus pour ça.

Et un petit travail... 174 $ pour une personne seule, ce n'est pas beaucoup. Il faut bien penser que c'est peut-être seulement quelques heures par semaine, ça. Alors, il faut vraiment penser. Et ce qu'on demande, nous, c'est que, si elle veut vraiment aider les gens à s'en sortir, qu'on leur permette au moins de commencer le 200 $ à 667 $, et à ce moment-là les gens vont pouvoir vraiment vouloir se sortir de l'aide sociale.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): M. Côté.

M. Côté (Bernard): Et j'aimerais juste rajouter quelque chose, c'est peut-être une des clientèles que je rencontre très fréquemment. Et ces gens-là, ce qu'il y a de plus triste, que ce soient des femmes monoparentales ou autres, ils ont toujours un barème fixe. À partir du moment où ils le dépassent, et c'est souvent le cas, ça devient une gestion tout à fait affreuse. C'est difficile et ils ne peuvent pas se sortir de l'aide sociale à court terme. Ils se ramassent très rapidement... La femme qui a un enfant a dépassé le barème. Qu'est-ce qui s'est passé? Elle a fait 50 $ de plus, 70 $ de plus, un mois. La personne est honnête, elle a toujours tout déclaré à l'aide sociale. Mais, malheureusement, le petit 50 $ de plus qu'elle a fait, il a été dépensé. Ce qui se passe au bout de six mois, au bout de huit mois, il y a une dette qui vient de s'accumuler, elle est diminuée de 56 $ par mois sur son chèque d'aide sociale, en plus du fait que souvent, étant donné qu'elle a des revenus approximativement les mêmes, on fait une moyenne sur six mois, on diminue son chèque d'autant. Alors là, ça équilibre ce qu'elle va chercher avec ses revenus.

Elle fait ça pendant un an, et travailler ne lui donne pas l'impression de s'améliorer, mais l'impression d'avoir à se battre avec le système à chaque fois. Et des personnes comme ça, je n'en ai pas rencontré une, je n'en ai pas rencontré deux, je n'en ai pas rencontré 10, j'en ai rencontré des dizaines qui essaient de se débattre, qui doivent essayer d'améliorer leur système avec des agents, avec des agentes. Et le plus triste de l'histoire, c'est qu'il y a des agents et des agentes plus compréhensifs qu'ils ne devraient l'être. Mais les agents, ils n'ont pas une durée de vie très longue à leur poste; il y a un autre agent qui arrive après et qui corrige la situation, et la personne se retrouve avec une réclamation qu'elle n'avait pas au début parce qu'elle avait un agent trop compréhensif. Et on parle de personnes très honnêtes qui déclarent leurs revenus régulièrement. Et dans ces cas-là, d'ailleurs on le mentionnait tout à l'heure, majoritairement, des femmes monoparentales avec des enfants, qui font des efforts.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): M. le député de Bourassa. Vous n'avez pas fini? Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Mme Loiselle: Vous venez de parler des agents dans les CTQ. Hier, on a eu une discussion avec différents groupes qui nous ont démontré que ce n'est pas la majorité, mais que souvent les prestataires, quand ils se présentent dans les centres Travail-Québec, ils font face à de la rigidité, à de l'incompréhension. Il devrait y avoir un changement peut-être de culture ou de mentalité, si on veut faire avec ces agents-là de vrais professionnels, conseillers en emploi. Vous, vous dites dans votre mémoire qu'actuellement ils n'ont ni formation ni les compétences requises pour assumer ce rôle. Vous dites même: De l'aveu même de la ministre.

Mais, si on veut vraiment, avec ce qu'on a devant nous comme proposition gouvernementale, faire des conseillers en emploi, de vrais professionnels en emploi, des gens qui vont accompagner, qui vont soutenir... Si on se dit qu'ils n'ont pas le caractère de mettre la pénalité, on oublie tout contrôle qu'ils doivent faire, mais disons qu'ils ont le rôle d'être un vrai conseiller en emploi, comme on le retrouve dans le réseau, les gens qui accompagnent, qui font le suivi, qui font de l'entraide en même temps, pour vous, j'ai l'impression qu'il va falloir que ces gens-là reçoivent une formation assez approfondie pour arriver à devenir des professionnels en emploi.

M. Côté (Bernard): Je ne voudrais pas être cynique, mais je considère qu'à l'heure actuelle c'est impossible. Je ne sais pas quelle formation, je ne sais pas à quel endroit ils vont prendre l'argent pour investir dans la formation... Ce n'est pas avec les cours de formation de 1 % qu'ils donnent à leurs agents actuellement sur la relation d'aide avec une personne... Quand, par surcroît, ces pauvres agents là ont un «case load» de 500 dossiers par mois. Il y a trois ans, c'était 350; il y a 10 ans, c'était peut-être 200 qu'ils avaient. Ils ont des contraintes économiques, on augmente leurs dossiers. Si les conseillers en emploi ont le même «case load», qu'est-ce qu'ils vont pouvoir faire? Comme un médecin en urgence, se débrouiller pour les renvoyer chez eux? Ça va être exactement la même chose.

Et la première chose importante pour quelqu'un qui a à se retrouver un emploi, qui a perdu son emploi et qui a quand même une situation psychologique qui est difficile à assumer, surtout si la personne a une famille, c'est un lien de confiance. Mais même l'agent qui voudrait donner un lien de confiance, même l'agent qui aurait les compétences pour le faire va devoir se buter à de la frustration dans son propre travail parce qu'il n'aura pas la capacité de donner les acquis qu'il a parce qu'il a un «case load» tout à fait énorme. Et je suis convaincu que des agents dans cette situation-là, il y en a des centaines à travers le réseau des centres Travail-Québec du Québec.

Et je suis sûr que vous en avez déjà entendu parler, Mme la ministre, et je suis sûr que vous voudriez pouvoir faire quelque chose. J'aimerais bien savoir quoi et comment. Mais c'est nécessaire si on veut créer au-moins un climat de confiance dans le travail à l'heure actuelle.

Mme Harel: Est-ce que vous attendez que je réponde tout de suite?

Mme Loiselle: Mais là on est dans notre temps de parole, là.

La Présidente (Mme Barbeau): M. le député de Bourassa. M. le député de Bourassa, il vous reste à peu près 4 min 30.

(17 h 20)

M. Charbonneau (Bourassa): Mme la Présidente, mesdames, messieurs. On sent que votre mémoire est ancré dans la connaissance des réalités. Ce n'est pas un mémoire de bureaucrate ou de technocrate, c'est un mémoire de gens qui sont aux prises avec des réalités vivantes et pénibles. Mais ce n'est pas parce qu'on n'est ni technocrate ni bureaucrate qu'on ne voit pas clair. On s'aperçoit de ça aussi en lisant votre mémoire. L'État se désengage, l'État procède au démantèlement de l'État-providence et à la désorganisation de la société québécoise; l'État renonce à exercer des arbitrages requis dans le domaine de l'économie et il laisse les lois du marché oeuvrer en toute impunité. Vous avez 10, 15 affirmations qui montrent que vous voyez clair actuellement, et vous avez un diagnostic très réaliste. «Les conditions socioéconomiques des plus démunis se détériorent – page 6 – le tissu social se dégrade, entraînant de graves conséquences.» Il y a une notion de fracture, là, qui émerge.

Alors, je pense que c'est un mémoire qui est rafraîchissant dans un certain sens et qui devrait renforcer la ministre dans le combat incessant qu'elle mène face à ses partenaires économiques au Conseil des ministres, qui devrait la renforcer, lui apporter des données, lui apporter du vécu, de sorte qu'elle puisse encore vibrer davantage face à ses partenaires et peut-être, à un moment donné, infléchir ces gens-là et leur faire regarder la colonne «revenus» et non seulement la colonnes «coupures».

Pour ne pas décevoir la ministre, je vais aborder une question relative à 2.7 dans votre mémoire, c'est-à-dire les structures. La ministre semble toujours dire, quand elle en a l'occasion, que ce sont là des questions de structures, c'est secondaire. Les structures, c'est un peu comme le robinet, ça. Je peux parler du bassin, mettre bien de l'eau dans le bassin, faire l'énumération de tout le monde qui a soif, mais, si on ne pose pas de robinet, qui va pouvoir utiliser cette eau-là? Alors, la ministre a dit: Ce n'est pas important, les structures... structures, etc.

Vous dites: «La réforme ne prévoit, dans les instances décisionnelles, ni mécanisme ni règle de droit visant à assurer la représentativité des organismes voués à la promotion», etc. Vous dites que c'est une «forme d'exclusion face aux exclus, cela renforce l'exclusion sociale des prestataires. Il est impératif que les prestataires soient associés à la planification et à la gestion» – planification et gestion.

Je voudrais vous entendre quant aux endroits où vous aimeriez que des organismes représentatifs de votre milieu soient présents dans l'ensemble du système. Où est-ce que vous voulez que votre voix soit prise en compte de manière décisionnelle, comme vous le suggérez ici?

M. Rondeau (Jean-Claude): C'est que, quand même, on veut avoir une voix décisionnelle dans cet organisme-là. Présentement, il n'y a rien qui oblige... aucun communautaire à l'intérieur, à toutes fins pratiques, pour prendre des décisions. Et les pénalités, comme vous pouvez voir, ça va être... La formation va se donner dans les fameux CLE, et les CLE ne représenteront pas les gens comme nous qui font la défense des groupes et des personnes assistées sociales.

C'est ça que, nous autres, on dit. Il faut que la personne soit représentée, qu'elle soit protégée à l'intérieur. On parle aussi des sans-emploi, qui auront le même problème, quand même. On ne parle pas seulement des personnes assistées sociales, on parle des sans-emploi et des chômeurs, comment seront-ils reçus dans ces endroits-là et quelle sera la défense qu'ils recevront? Est-ce qu'on parle... On a parlé de comités d'usagers, dans le rapport... pas Bouchard, dans les structures de CLE, je ne me rappelle pas d'avoir vu cette structure, donc ça n'existe pas comme tel. Il n'y a rien, en fait, qui va faire en sorte... On va se retrouver à l'extérieur face à des décisions souvent arbitraires, avec des petites cliques régionales et à l'intérieur desquelles on ne pourra pas se défendre.

La Présidente (Mme Barbeau): Alors, je suis désolée, mais c'est ce qui met fin à cette présentation. Alors, merci, mesdames et messieurs, de votre présentation. Ç'a été intéressant. Malheureusement, j'ai été un petit peu absente, mais je suis sûre... J'ai lu votre mémoire, c'est très intéressant.

Je demanderais à la Coalition Droit de prendre place le plus rapidement possible, s'il vous plaît.

(Consultation)

La Présidente (Mme Barbeau): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Je vous demanderais de prendre place, s'il vous plaît. À l'ordre, s'il vous plaît! Nous devons continuer les travaux. Je demanderais aux gens, s'il vous plaît, de reprendre leur place et que l'on puisse continuer les travaux.

Alors, je demanderais au porte-parole de la Coalition Droit de s'identifier et d'identifier les personnes qui l'accompagnent, s'il vous plaît, et vous pourrez procéder à votre présentation.


Coalition Droit

Mme Bergevin (Ginette): Bonjour, Mme Barbeau, bonjour, Mme Harel. Mon nom est Ginette Bergevin. Je suis coordonnatrice au Centre des femmes de la basse-ville à Québec et je représente aujourd'hui la Coalition Droit avec mes collègues ici présents.

La Présidente (Mme Barbeau): Est-ce que vous pouvez juste les nommer, s'il vous plaît, pour les fins des débats?

Mme Bergevin (Ginette): Oui. Tout à fait. Donc, il y a Mme Pauline Cummings, du Regroupement des organismes de promotion et de défense des droits des personnes handicapées de la région 03, Mme Marie-Claude Bourbeau, du groupe Auto-psy, M. Alain Bédard, du Mouvement personne d'abord, et Pierrette Dion, du Mouvement personne d'abord, qui vont, au cours de notre présentation, faire un bout.

Donc, pour vous présenter un peu notre présentation, on va commencer par présenter la Coalition. Ensuite, nous vous présenterons différentes parties de notre mémoire: sur la démocratie, quelques points sur ce qu'on pense sur le livre vert, mais, particulièrement, ce qui nous importe, c'est de vous parler de nos recommandations. On fera un point sur les femmes et... Il y aura deux points particuliers aujourd'hui, particulièrement sur les femmes et l'aide sociale et sur les personnes handicapées, parce que, dans la région de Québec, aucun groupe de femmes et aucun groupe de personnes handicapées n'a été retenu, et nous trouvions important que ces groupes puissent s'exprimer. Et nous terminerons avec l'histoire de Jacques et Julie.

Donc, je commence. La Coalition Droit regroupe 19 groupes de la région de Québec, des groupes de femmes, des groupes populaires, des groupes communautaires et de syndicats. On s'est regroupés parce qu'on était préoccupés et même inquiets concernant la réforme à venir. On s'est regroupés depuis février 1996. Droit signifie dignité, respect et autonomie pour les individus sans travail.

Donc, concernant la démocratie. Après 10 mois d'attente, le livre vert de la réforme de l'aide sociale sortait finalement en décembre 1996. Nous apprenions en même temps que la consultation sur cette réforme qui concerne 800 000 personnes et qui est un enjeu de société extrêmement important se ferait sur invitation particulière et que la liste était déjà établie. Il fallut beaucoup de pressions et de coups de téléphone pour faire reconnaître qu'un nombre impressionnant de groupes avaient été oubliés. Malgré tout ce travail à la veille de Noël, seulement certains groupes auront le droit d'être entendus; beaucoup n'ont pas su qu'ils devaient signifier leur intérêt. Dans tout ce processus, la démocratie en a pris un coup.

Lorsqu'on se permet d'exclure, Mme Harel, des représentants et des représentantes des personnes assistées sociales qui ont une expertise pertinente et sans égale dans ce domaine, tel le Regroupement des femmes sans emploi du nord de Québec et que l'on invite quatre associations de propriétaires qui ne connaissent rien à la réalité des gens vivant d'aide sociale, on affiche ses couleurs et on démontre qu'on n'est pas progressifs.

Nous faisons donc le constat, parce que c'est avec quand même assez de colère que les groupes ont exprimé tout ceci, nous faisons le constat que vous avez fait le choix de l'exclusion et que la démocratie, parfois, ne s'adresse qu'à ceux et celles avec qui vous êtes en accord. C'est un précédent dangereux.

Si je passe au point suivant: qu'est-ce qu'on pense du livre vert? Donc, en assemblée générale, les membres de la Coalition ont exprimé quelques points positifs et plusieurs points négatifs concernant le livre vert. Il y a deux points principalement qu'on retiendrait: Premièrement, la question du Conseil des partenaires, où nous nous sommes dit que peut-être ça pourrait être intéressant que des groupes de personnes assistées sociales soient représentés. Mais, pour l'instant, on n'a pas de garantie. Mais c'est peut-être un point où ça pourrait être plus intéressant.

Au niveau des pensions alimentaires, il y a une avancée là, malgré que les sommes ne soient pas suffisantes et que c'est un peu bizarre que plus l'enfant vieillit, plus la somme qu'on peut garder diminue. Donc, comme c'est très insuffisant, c'est des avancées partielles, mais c'est quand même des petits points positifs.

(17 h 30)

Au niveau des points négatifs. Comme d'habitude, malheureusement, on responsabilise les individus de leur sort, mais pas le système dans lequel ils sont. On ne parle pas beaucoup de qualité de vie et de respect des besoins essentiels.

Dans ce livre vert là, on met les personnes au service de l'économie. On les contrôle, on les étiquette, on exclut les personnes handicapées, on les punit et on les coupe. Mettons que ce n'est pas un très bon constat.

Ce que, nous, on veut. On veut une société qui a des principes, Mme Harel. On dit que toutes les mesures qui appauvrissent ne devraient pas voir le jour, et toutes mesures qui enrichissent les riches aussi.

Le gouvernement a la responsabilité d'assurer une répartition équitable des richesses. On doit reconnaître que toute personne a droit à son autonomie. On doit reconnaître le droit à la citoyenneté, c'est-à-dire le droit de participer à la société de façon pleine et entière, que ce soit par l'emploi ou autrement. On doit instaurer une démocratisation des structures administratives.

Nous revendiquons, en ce qui concerne la citoyenneté, que soient garantis 15 500 $ minimum en revenu à toute personne seule, et que ce soit ajusté quand c'est des familles; que l'implication d'une personne par le travail salarié ou autre soit reconnue dans la société. On sait qu'actuellement l'ensemble des groupes communautaires et populaires s'entendent pour dire qu'il n'y a pas assez d'emplois pour tout le monde. Même le Conseil du patronat est en accord avec ça. Donc, ainsi, ces activités liées au développement de la société civile, comme l'éducation des enfants, l'implication dans les organismes communautaires pourraient être valorisées.

En ce qui concerne les jeunes. La reconnaissance de l'autonomie des jeunes adultes par l'abolition de la contribution parentale, il est essentiel que le soutien soit volontaire et sans pénalité.

En ce qui concerne le logement. La reconnaissance du droit de toutes les personnes à un logement convenable à prix abordable; ce qui veut dire que la Sécurité du revenu devra remettre aux personnes assistées sociales une somme qui représente le coût réel pour le paiement de leur loyer; le contrôle universel et obligatoire des loyers et de l'enregistrement des baux; la construction de nouveaux logements sociaux, avec des loyers plafonnés à 25 % du revenu, incluant tous les services; l'abolition de la coupure pour partage du logement.

En ce qui concerne la santé. Il est essentiel d'avoir un système de santé public gratuit et universel pour tous et toutes associé à un régime d'assurance-médicaments public universel et gratuit pour toutes les personnes sous le seuil de la pauvreté – je crois que, au niveau médiatique, actuellement on entend suffisamment parler de ce qui se passe et de l'hécatombe que cause l'assurance-médicaments – assujetti à un contrôle étatique des coûts des produits pharmaceutiques. Il faut réévaluer les prestations spéciales de façon à rembourser les coûts réels des services et des produits.

Je passerai donc... D'autres revendications et recommandations viendront plus tard. Les groupes de personnes handicapées pourront identifier ça par eux-mêmes.

Sur le point des femmes et de l'aide sociale. En 1993, le Secrétariat à la condition féminine du gouvernement du Québec a publié une politique, la politique en matière de condition féminine, dans laquelle on reconnaissait qu'il y avait féminisation de la pauvreté au Québec.

Au Canada, entre 1971 et 1986, la pauvreté chez les salariés a augmenté cinq fois plus chez les femmes que chez les hommes, soit dans une proportion de 160,4 % contre 28,3 %. Elle explique clairement comment, par la spécificité de la réalité des femmes, c'est-à-dire ayant la charge des enfants, étant sous-payées, qu'elles soient sur le marché du travail ou sur l'aide sociale, elles sont toujours les plus pauvres. Avec la crise de l'emploi actuelle, la situation des femmes se détériore et la réforme de l'aide sociale va participer à cette détérioration des conditions de vie des femmes et de leurs enfants.

Vous disiez, il n'y a pas si longtemps, Mme Harel, que le gouvernement du Québec était devenu le père virtuel des enfants à l'aide sociale. Moi, je vous dirais plutôt que la sécurité du revenu est devenu le conjoint violent, menaçant et contrôlant pour les femmes, particulièrement les chefs de familles monoparentales. Je dirais que, si la sécurité du revenu est devenu le père des enfants, je crois qu'il va falloir qu'on vous signale à la DPJ parce que ces enfants-là sont négligés fortement. Ce conjoint qui ne leur reconnaît aucune autonomie va les obliger à faire un retour au travail ou aux études, même si elles souhaiteraient éduquer leurs enfants. Et si elles refusent, ce conjoint va les violenter en leur coupant 150 $ par mois. Dans le cas des femmes ayant passé leur vie à la maison avec leurs enfants et qui considèrent qu'elles ont fait leur part, eh bien, à 55 ans, elles auront l'obligation de se trouver un emploi.

À ceci s'ajoutent la coupure pour partage du logement, la coupure pour vie maritale, et quoi encore? Le mot pour ça, c'est la violence économique. Pourtant, en 1993, dans les engagements gouvernementaux de la politique en matière de condition féminine, le ministère de la Sécurité du revenu s'engageait à contribuer à la réduction de la pauvreté des familles monoparentales prestataires de la sécurité du revenu. Pour que le gouvernement respecte ses engagements, il doit augmenter les prestations d'aide sociale rapidement pour qu'elles atteignent le seuil du revenu minimal. Il doit aussi offrir des parcours d'études adaptées pour les femmes, c'est-à-dire sur une période plus longue avec moins d'heures par semaine, ce qui assurerait leur succès.

Il doit dès à présent travailler à une réforme du marché du travail qui valorise le respect des femmes, par exemple en donnant des amendes très sévères aux employeurs qui congédient des femmes enceintes, etc. Il doit reconnaître leur autonomie et leur liberté de choix. Les femmes doivent avoir le choix, elles doivent être considérées comme des citoyennes à part entière, dont la maternité est un plus pour notre société et non un poids. Cela pourrait répondre au souhait, d'ailleurs, de M. Bouchard, qui s'inquiétait il n'y a pas si longtemps que les femmes ne fassent plus d'enfants. Je passerais la parole à Mme Pauline Cummings.

Mme Cummings (Pauline): Bonjour, Mme Barbeau, Mme Harel, mesdames et messieurs. Le Regroupement des organismes de promotion 03 regroupe 20 associations de personnes handicapées oeuvrant dans la région administrative 03. Il a pour mandat principal de promouvoir les intérêts et défendre les droits des personnes handicapées.

La réforme propose que l'État reconnaisse les capacités ou le désir des personnes présentant des contraintes sévères à l'emploi de développer leur employabilité, mais aussi de permettre à celles qui veulent faire reconnaître une invalidité permanente de devenir prestataires de la Régie des rentes du Québec plutôt que des prestataires de la sécurité du revenu.

Dans le milieu des personnes handicapées, cette option gouvernementale soulève un certain nombre d'appréhensions quant aux incidences possibles d'un tel choix sur la préservation des acquis et sur la perception que retiendraient la population en général et d'éventuels employeurs vis-à-vis des personnes handicapées, soit des invalides ou des personnes ayant des contraintes sévères à l'emploi, donc peu ou pas employables. Nous vous demandons donc de changer ces vocables pour «personnes ayant des limitations fonctionnelles» ou encore «personnes handicapées», ce qui correspond beaucoup mieux à leur réalité.

De prime abord, nous constatons un manque de transparence dans les procédures et les mécanismes à venir. Le gouvernement procède simultanément à une réforme de la Régie des rentes et à une réforme de la sécurité du revenu. On demande aux citoyens de prendre position sur des éléments manquants et sur des enjeux inconnus, faute de connaître et de pouvoir identifier quelles seront les applications réelles et concrètes de la réforme de la Régie des rentes.

De plus, tel que présenté dans le document de consultation de la réforme de la sécurité du revenu, nous ne retrouvons aucun avantage à passer de statut de contraintes sévères à l'emploi tout en continuant à être soumis au test de besoins, revenus et actifs. Faut-il rappeler que le montant maximum alloué pour les personnes présentement prestataires de la Régie des rentes et âgées de moins de 65 ans est de 870,89 $ par mois et que ces personnes ont droit à un certain montant en banque? Pourquoi vouloir créer deux catégories de personnes à la Régie des rentes? Dans les faits, la seule différence connue entre l'allocation d'invalidité et la prestation de la sécurité du revenu, pour une personne handicapée, est la perte du droit de participation à des mesures actives volontaires d'insertion à l'emploi.

Nous voudrions également porter à votre attention certaines questions non répondues dans le document et qui soulèvent de vives inquiétudes dans le milieu des personnes handicapées. Advenant que des personnes handicapées optent pour un statut d'invalidité, première question: Les personnes bénéficiant des services sociaux professionnels d'intégration en emploi – ça c'est les SATH, les plateaux de stages, les stages en milieu de travail régulier – est-ce qu'elles vont conserver leurs services et leur allocation de fréquentation?

Deuxième question: Au niveau de l'assurance-médicaments, auront-elles droit au carnet de réclamation fixant leur cotisation maximum à 50 $ par tranche de trois mois? On sait que ce n'est pas le même barème à la Régie des rentes.

Pourront-elles, si elles le désirent, passer d'un statut d'invalidité permanente à un statut d'assistée sociale? Autrement dit, le statut d'invalidité permanente est-il... je dirais, permanent, mais c'est-à-dire irréversible? Pourront-elles se prévaloir des services de main-d'oeuvre spécialisée tels que les SEMO? On sait que présentement la clientèle des SEMO est à 80 % composée des bénéficiaires de la sécurité du revenu. Puis, finalement, la dernière question: Renoncent-elles pour toujours à réintégrer le marché du travail?

Nous avons également certaines inquiétudes quant au statut de bénéficiaire de la sécurité du revenu avec contraintes sévères à l'emploi. D'une part, ces personnes ne sont pas incluses dans la clientèle des centres locaux d'emploi. Dans le livre vert, à la page 46, lorsqu'on parle de la clientèle des centres locaux d'emploi, on parle des personnes aptes au travail. Est-ce à dire que les personnes handicapées seront systématiquement dirigées vers les ressources de réadaptation et les services spécialisés de main-d'oeuvre pour avoir accès au marché du travail, ou encore fortement encouragées à joindre les rangs de la Régie des rentes? Auront-elles droit au parcours individualisé vers l'emploi? Comment seront-elles accueillies par les conseillers des CLE?

(17 h 40)

Nous tenons à faire une mise en garde au ministère de l'Emploi et de la Solidarité à l'effet que les personnes handicapées doivent être considérées d'abord et avant tout comme des citoyens à part égale ayant droit aux mêmes services que l'ensemble de la population. Il serait inacceptable que les personnes handicapées soient ignorées ou négligées dans les différentes mesures d'employabilité sous prétexte qu'elles possèdent un statut de contraintes sévères à l'emploi.

D'autre part, les personnes handicapées ont des besoins qui doivent être reconnus indépendamment de leur situation d'emploi. Il est donc primordial de leur garantir les avantages liés à la condition d'une personne ayant des contraintes sévères à l'emploi, advenant qu'elles retournent à la sécurité du revenu après une expérience d'emploi. Compte tenu que la possibilité d'avoir recours à une allocation d'invalidité permanente n'a aucun avantage pour la personne handicapée, nous nous questionnons sérieusement sur les motivations réelles du gouvernement à offrir une telle option et, pour l'instant, nous demandons un moratoire sur la possibilité de transférer à la Régie des rentes tant et aussi longtemps que la réforme de la Régie des rentes n'aura pas été adoptée.

En ce qui concerne, en terminant, l'allocation supplémentaire pour contraintes temporaires à l'emploi, le nouveau régime maintient les critères actuels pour les personnes ayant la garde d'un enfant handicapé et qui ne fréquente pas l'école ou qui est âgé de moins de six ans. Lorsque l'on considère le peu de soutien offert aux familles de personnes handicapées, le manque de service de répit-gardiennage, les difficultés à trouver des gardiennes spécialisées avant et après l'école, nous pensons qu'il serait juste d'élargir cette catégorie en y incluant également les personnes ayant la garde d'un enfant d'âge scolaire.

De plus, la personne ayant la responsabilité d'un adulte présentant une déficience et qui exige une présence continue, en l'absence d'occupation ou de services réguliers de jour, devrait aussi pouvoir bénéficier de ce statut. Je vais passer la parole à M. Alain Bédard, du Mouvement personne d'abord.

M. Bédard (Alain): Mme la Présidente, Mme Harel, madame, messieurs. Mme la ministre, ce n'est pas la première fois qu'on se rencontre. Vous vous souvenez, au printemps dernier, nous vous avons déjà exprimé nos inquiétudes face à l'annonce du transfert des personnes soutien financier à la Régie des rentes.

Nous n'étions pas les seuls. Plus de 90 organismes ont appuyé la demande de moratoire face au transfert. Je vous avais remis un jardin collectif pour vous dire que nous, les personnes vivant avec une déficience, étions d'abord des personnes et que nous n'étions pas des légumes.

Mme Harel, je pensais qu'on s'était bien compris. Vous nous aviez dit que l'enfer est parsemé de bonnes intentions. Aujourd'hui, nous comprenons que, dans la réforme, la bonne intention est que vous nous laissez le choix, et l'enfer, c'est que c'est à nous de prendre la décision. C'est vrai, Mme Harel, se demander: Qui je suis? Une personne invalide ou pas? ce n'est pas le paradis; en plus que, des fois, je serais un invalide pour un ministère et en même temps une personne capable pour un autre.

Nous, ce qu'on vous dit aujourd'hui, c'est que c'est la responsabilité de l'État de défendre l'égalité et le respect pour chaque citoyen, et chacun a un potentiel. L'État doit porter un message positif.

Mme Harel, vous allez nous dire: Oui. Mais je vous laisse le choix. Nous, on vous dit: Donnez l'exemple. Nous, on croit que de laisser le choix ou pas, c'est du pareil au même. Ce sont des décisions politiques qui paraissent bien dans les chiffres. La réforme que vous nous proposez renferme plein de sous-entendus. Vous divisez les personnes assistées sociales. On vous dit: Attention! Ces décisions causent des blessures sur nous, puis ça dure longtemps, et plus longtemps qu'un mandat politique. Souvent, nous, autrefois, il n'y a pas si longtemps, l'État nous avait dit aussi qu'on n'était pas capables, qu'on était des arriérés mentaux. Mais ce que vous semblez oublier, c'est toute notre volonté, notre capacité, comme bon nombre de personnes assistées sociales qui veulent s'en sortir.

Vous savez, Mme Harel, une personne qui vit avec une déficience intellectuelle, ça ne veut pas dire qu'elle est invalide. On est plus lent pour apprendre, mais plusieurs d'entre nous prouvent à chaque jour qu'ils sont capables. Encourager nos apprentissages puis comprendre que l'on se développe tout au long de notre vie. Au lieu de ça, on a coupé dans la mesure de rattrapage scolaire, l'alphabétisation et l'apprentissage à l'intégration sociale, puis ça, c'est important pour nous. Mettre des moyens pour que l'on puisse montrer notre potentiel, c'est ça, le rôle du ministère de l'Emploi. Le handicap, c'est souvent la société qui le crée, mais ça a changé puis les citoyens et d'autres ministères ont investi dans notre intégration puis pour faire avancer les mentalités.

Mais la réforme propose un retour en arrière; elle donne le message à la société que les personnes handicapées sont redevenues des machines hors d'usage. C'est non, Mme Harel. On a fait un bout de chemin durant toutes ces années, et ce bout de chemin, on l'a fait avec tout le monde. Moi, j'ai vécu en famille d'accueil, en foyer de groupe. Aujourd'hui, je vis en appartement avec ma femme, puis j'ai eu à me battre contre ces préjugés. Ça a été difficile; même pour me marier, le curé ne voulait pas à cause, justement, de ces préjugés, parce qu'on n'était pas comme les autres, il ne nous croyait pas capables. Ça va faire 10 ans au mois de mai qu'on est mariés. En regardant seulement la différence, on trouve des barrières, mais ce qu'on vous demande, c'est seulement de regarder les capacités au lieu de les limiter, puis ça serait pour tout le monde, nous y compris.

Mme la ministre, j'aimerais connaître votre intention là-dessus. On vous dit, dans notre mémoire, que de transférer à la Régie des rentes, ça n'apporte rien à la personne. Dites-nous vraiment qu'est-ce que cela apporte pour votre gouvernement. Mme la ministre, les programmes d'alphabétisation FIS, l'ancien PIVC, feront-ils partie des mesures de rattrapage scolaire?

Enfin, on souhaite sincèrement que le gouvernement ne retournera pas en arrière, que vous serez solidaire et jouerez votre rôle. Pensons-y, ce n'est pas une question de statistiques, mais de la vie de personnes dont il est question. Merci beaucoup. Je vais donner la parole à Marie-Claude Bourbeau.

La Présidente (Mme Barbeau): Malheureusement, le temps est déjà dépassé, puis je ne voulais surtout pas vous arrêter, monsieur, parce que c'était très émouvant. Alors, je suis obligée malheureusement maintenant... parce qu'il y a plusieurs minutes... Est-ce que c'est long, parce qu'on est déjà plusieurs minutes...

Mme Bergevin (Ginette): Bien, je pense que Marie-Claude pourrait prendre le temps... un cinq minutes. Elle a tout préparé ça. Elle s'est donné la peine...

La Présidente (Mme Barbeau): Si chaque côté est d'accord.

Une voix: D'accord.

La Présidente (Mme Barbeau): O.K.

Mme Bourbeau (Marie-Claude): Merci.

La Présidente (Mme Barbeau): Il y a un accord. Allez-y, madame.

Mme Bourbeau (Marie-Claude): Merci. Bonjour, monsieur... Bonjour, Mme Harel. Bonjour, mesdames. Je vais présenter l'histoire de Jacques et Julie, selon ce que le livre vert veut former, un jour, là. Une histoire qui sera fictive, pour le moment, l'histoire de Jacques et Julie.

Je me présente. Je suis Julie Laroche. Je suis mariée à Jacques Survivant. Il y a 10, 12 ans, nous étions sur l'aide sociale, dans le secteur «soutien financier». Nous avons vu arriver la nouvelle réforme avec appréhension. Nous avons cherché à trouver un emploi, sans succès. Dans les entrevues, je tremblais des mains. J'étais aussitôt refusée. Vous savez ce que c'est: les gens ont des préjugés à l'égard des malades, surtout envers ceux qui ont des problèmes psychologiques. Ils ont peur. Qu'auraient dit les autres employés si cet employeur m'avait engagée? Celui-ci veut avoir des employés qui soient toujours présents au travail. Avec moi, il en a douté.

(17 h 50)

J'ai demandé à un travailleur social de m'aider, côté emploi. J'ai abouti en programme d'aide dont je ne me souviens plus du nom. Le médecin m'a appuyée dans la démarche pour revenir aux études. Mais voilà, après avoir commencé, je suis devenue enceinte. Tout allait bien. Après ma grossesse, j'ai accouché d'un beau poupon. Le malheur, c'est que ma famille a voulu faire adopter ce bébé. Bref, mon mari et moi nous retrouvions seuls presque du jour au lendemain. Cette période critique s'est allongée sur plusieurs mois où nous n'avions plus fait de démarches pour travailler. Même si nous avons vu venir la réforme, nous n'avions plus l'énergie pour trouver une solution ou des solutions à ce qui pouvait arriver une fois la réforme décidée.

Que faire maintenant? Faisons le tour du problème, ai-je dit à mon mari. Si l'on décide de ne pas travailler, ce sera pour toujours. La réforme ne nous laisse pas le choix. Alors, nous aurons à nous soumettre à la Régie des rentes. Nous serons donc déclarés invalides. Mais si, toi, Jacques, tu décides de travailler, ce sera à tes risques. Qu'arrivera-t-il si tu devenais malade ou que tu avais un accident qui t'empêcherait de travailler pour de bon? Si tu travaillais et que, moi, je décidais, vaille que vaille, d'être sous la rente d'invalidité?

Dernier choix: tous les deux, nous déciderions de travailler. Que décide-t-on? Je choisis l'invalidité, pour ma part. Qu'en penses-tu? Je respecte ton choix, dit Jacques. Moi, je cherche du travail, de mon côté. Jacques prend un rendez-vous avec le CLE. Il leur explique qu'il avait des années d'études de secondaire V. Il souhaite devenir gérant dans une compagnie de nettoyeurs-presseurs. Il leur dit qu'il va se présenter dans une telle compagnie. Il va leur montrer son diplôme. S'il est accepté, il travaillera pendant quelques années. Ensuite, avec cette expérience qu'il aura acquise, il fera application pour devenir gérant.

Deux semaines plus tard, je commence à ronger mon frein car le fameux appel que Jacques attend ne vient pas. Je suis impatiente car j'ai hâte d'en avoir des nouvelles, comme Jacques. Bon, j'ai fini par me faire à l'idée que l'appel ne viendra peut-être pas. Alors, la tension est tombée. Mais combien va-t-on faire durer cette attente? Encore quelques mois? Quelques années? Ah non, alors! Certaines personnes me demandent des nouvelles du CLE pour Jacques. Je suis en peine de leur répondre. Ça fait trois mois maintenant. La tension de l'attente a tendance à revenir. Quelle lutte sur moi-même!

Jacques, frustré, appelle la CLE et les enjoint de lui donner une réponse, mais ils reportent celle-ci à plus tard. Ça devient vieux, car maintenant ça fait plus de six mois que nous attendons.

C'est bien beau, mais les revenus n'augmentent pas pendant ce temps. Un pauvre chèque de la Régie des rentes, c'est peu pour deux. Nous avons dû faire affaire à des organismes de charité. Mais quêter de la nourriture, des vêtements, quelle déveine! Comme il faut piler sur son orgueil pour en arriver là!

Ça fait un an. Rien n'a changé. J'ai décidé de faire une enquête avec Jacques. Combien de personnes ont une situation semblable? Plus que je le pense. Chacune des personnes rencontrées démontrait une telle désapprobation que ma décision à l'idée de faire signer une pétition s'est renforcée. Je suis allée un peu partout. Je choisissais des endroits stratégiques: églises, écoles, centre d'achats, banques, etc., pour faire appuyer ma pétition. J'ai fini par la présenter au CLE puis aux gens des médias puis à des gens éminents du gouvernement. Les jours passaient. La révolte qui nous tenaillait était à son comble car les choses piétinaient.

On nous a laissé entendre que l'on examinerait sérieusement ma pétition, ou celle de Jacques. Ça fait maintenant 10 ans de cela. On attend... sans plus attendre.

Voilà. Je laisse la parole à Ginette Bergevin maintenant.

Mme Bergevin (Ginette): Je conclurais rapidement en disant que nous croyons que c'est encore possible pour le gouvernement, avec de la volonté et du courage, de faire autre chose que des coupures et d'appauvrir encore les personnes assistées sociales, parce qu'on veut que notre société soit une société où il y a une meilleure répartition des richesses. Merci.

La Présidente (Mme Barbeau): Merci. Mme la ministre.

Mme Harel: Oui. Alors, bienvenue, M. Poulin, que j'ai déjà rencontré...

Une voix: ...M. Poulin. C'est M. Bédard.

Mme Harel: Il n'est pas là? Attendez, c'est M. Bédard. C'est le Mouvement personne d'abord. M. Bédard et Mme Dion, et Marie-Claude Bourbeau, d'Auto-psy, c'est bien ça? Je reviendrai sur l'histoire, parce que je comprends que vous l'avez rédigée en vous disant que c'est ça qui pouvait arriver. On va revenir là-dessus, si vous voulez bien. Mme Bergevin, et vous êtes accompagnée par...

Mme Bergevin (Ginette): Pauline Cummings, du Regroupement des organismes de promotion, le ROP-03.

Mme Harel: Juste un petit mot peut-être, Mme Bergevin. En début de présentation du mémoire, vous me reprochiez d'avoir invité quatre organismes représentant des associations de propriétaires de logements, sur les 109 que nous allons entendre, que nous avons plutôt invités à présenter des mémoires en commission parlementaire. Alors, ces 109, comme vous le savez, c'est un ordre, comme on dit, une motion de l'Assemblée nationale. Mais les quatre, vous voyez, ça représente 5 %. Et je me disais: c'est quand même important de se dire que 95 % ou presque vont représenter, donc, le point de vue de gens concernés soit à titre personnel, comme certains d'entre vous l'avez exprimé aujourd'hui, ou parce qu'ils sont concernés par l'emploi à titre d'associations syndicales, communautaires ou patronales.

Mme Bergevin (Ginette): Pourquoi avoir exclu certains groupes, à ce moment-là? Parce que les quatres associations de propriétaires étaient dans le premier 60, madame.

Mme Harel: Je ne sais pas, là. Je pense que, Mme la présidente, je vais vous demander, par ailleurs... Ce n'est pas... Je pense que vous avez quand même eu une bonne grosse demi-heure. Ça fait que je vais prendre un petit cinq minutes.

Alors, ici, vous savez, la commission parlementaire, on y reviendra; mais, chose certaine, je comprends qu'il y a 109 organismes qui sont invités, et c'est une des grosses commissions parlementaires. La loi 37, j'ai fait sortir les chiffres, et je pense qu'il y en avait eu 107, ou quelque chose comme ça, il y a déjà 10 ans de ça.

Ceci dit, là, ce que j'ai compris, en tout cas de ce que vous présentez aujourd'hui, d'abord, ce que je comprends, c'est que à aucun moment vous n'avez parlé de ce que vous vivez maintenant.

Maintenant, vous êtes considérés comme des inaptes. N'est-ce pas? C'est-à-dire, donc, dans la loi, la catégorie est «apte» et «inapte». Et c'est bien, bien, bien important, parce que tantôt, quand vous avez dit: On n'est pas dans votre livre vert, parce que, dans votre livre vert, quand vous parlez des aptes, vous n'avez pas précisé que les handicapés étaient dedans. Bien, je vais vous dire une chose: c'est parce que je prends pour acquis que les handicapés sont aptes.

Pourquoi je prends ça pour acquis? Je prends pour acquis qu'ils sont considérés comme des personnes à part entière. Moi, j'ai une personne dans mon environnement professionnel qui s'appelle le premier ministre. Et lui, ce n'est pas parce qu'il est handicapé qu'il n'arrive pas à travailler. Vous le voyez bien aller!

Alors, je me suis dit... En fait, vous avez interprété le livre vert comme si le fait de faire un parcours, quand on est apte au travail, ça excluait les personnes handicapées. Non, justement, parce que les personnes handicapées sont considérées comme pouvant être des personnes aptes. Qu'est-ce que c'est, la différence?

D'abord, la Régie des rentes du Québec, la réforme qui est introduite ne concerne que les personnes qui y contribuent. La Régie des rentes, elle a comme plusieurs missions. Elle a une mission par rapport aux cotisations de gens qui contribuent, et, par rapport à cette mission-là, il y a une réforme. Alors, elle ne touche pas le reste, la Régie, elle fait des allocations familiales, etc., ça ne fait pas partie de la réforme, ça.

Ce qui fait partie de la réforme de la Régie des rentes... Puis c'est important que cette réforme-là se fasse rapidement, pour la bonne raison que ça faisait depuis neuf ans que la caisse se vidait parce que le gouvernement n'avait pas eu le courage, avant, d'augmenter les cotisations pour s'assurer que ce n'est pas nos petits-enfants qui allaient être obligés de se saigner à blanc pour nous payer notre pension.

Donc, la Régie des rentes, quand vous me dites: Attendez la réforme de la Régie des rentes, c'est comme si on était programmés AM puis FM, ça ne se rejoint pas. La Régie des rentes, la réforme qui se fait présentement, c'est sur la contribution des personnes dans le régime d'assurance.

(18 heures)

Quand on dit d'administrer, de faire administrer l'allocation d'invalidité, l'allocation pour enfants puis l'allocation des aînés, ça, ça concerne à peu près 350 000 à 400 000 personnes qui actuellement se retrouvent dans les «case load», dont on nous a dit tout l'après-midi qu'ils étaient bien trop gros, que ça n'avait pas de bon sens, que ça, finalement, c'étaient des personnes, les enfants, il y en a 250 000, les aînés, il y en a plusieurs dizaines de milliers, les personnes institutionnalisées, actuellement, il y en a 8 000, imaginez, hébergées, et celles qui choisiront ou que leur milieu choisira, parce que toutes les personnes déficientes intellectuelles ne sont pas invalides... Mais il y a des invalides qui ne sont pas des déficients intellectuels, il y a des invalides qui sont des déficients intellectuels. L'invalidité, ça n'a pas à voir avec la limitation fonctionnelle ni la déficience intellectuelle. L'invalidité, ça a à voir avec le fait que l'on est... pour toutes sortes de raisons, mais il y en a des dizaines de milliers de personnes, qui sont, par exemple, des trisomiques ou des autistiques, des personnes qui vont, leur vie durant, avoir besoin de protection sociale.

Le choix qui est fait dans le livre vert, c'est de dire: il y a d'un côté les personnes qui veulent rester dans l'emploi. Vous, quand vous me parliez tantôt, je me disais que ce que vous me décriviez là, c'est quasi l'incapacité actuelle des personnes inaptes d'avoir des mesures de formation ou d'insertion. Vous le savez, c'est 2 %, c'est-à-dire que 98 % ne peuvent pas en avoir.

Mme Bergevin (Ginette): Est-ce qu'ils sont identifiés dans les CLE, Mme Harel, pour... bien, est-ce que dans les CLE il y a quelque chose qui dit que les personnes handicapées vont pouvoir avoir accès à des parcours d'insertion, accès à l'emploi, tout ça? Y «a-tu» des choses qui démontrent ça, qui nous permettraient d'avoir des assurances?

Mme Harel: Bien, madame, c'est Mme Bergevin, je pense, hein?

Mme Bergevin (Ginette): Oui.

Mme Harel: Bien, Mme Bergevin, oui, parce que ce sont des personnes aptes au travail. Là, présentement...

Mme Cummings (Pauline): Mais si elles ont le statu de contraintes sévères à l'emploi, est-ce que vous considérez qu'elles sont aptes au travail?

Mme Harel: Certes, oui. Dans aptes...

Mme Cummings (Pauline): O.K. Parce que avant on parlait de apte et inapte.

Mme Harel: Là, le mot «inapte», oubliez-le, il disparaît.

Mme Cummings (Pauline): Mais, lorsque vous parlez de apte au travail, dans la clientèle CLE...

Mme Harel: Chez les aptes au travail, il y a donc des personnes qui sont aptes mais qui ont des contraintes temporaires, parce qu'elles vont accoucher.

Mme Cummings (Pauline): ...ça inclut les... oui, mais des contraintes sévères.

Mme Harel: Attendez, on y vient. Il y a des aptes, ça fait la grande catégorie. Hein, dans la grande catégorie des aptes, il y a des personnes qui ont des contraintes temporaires. Elles peuvent avoir un certificat médical parce qu'elles ne peuvent pas travailler, ou qu'elles vont accoucher, ou parce qu'elles ont le soin, l'entretien d'un parent, ou elles sont familles d'accueil. Ça, c'est temporaire.

Et puis il y a des personnes qui peuvent avoir des contraintes sévères. Je vais le regarder. Vous me dites: on aimerait que ce soient des limitations fonctionnelles. Je vais juste vérifier si «limitations fonctionnelles», c'est assez englobant pour englober toutes les personnes qui peuvent avoir des contraintes sévères à l'emploi, mais ce sera dorénavant des personnes aptes. Il n'y aura plus, comme maintenant, des supposées inaptes, dans lesquelles on a mis les handicapés. C'est ça, la situation de la loi 37 qui va changer.

Les personnes handicapées ou celles qui ont une limitation fonctionnelle, je ne sais pas quel terme vous utilisez...

Mme Cummings (Pauline): Contraintes sévères à l'emploi, mais on va utiliser celui que vous utilisez présentement.

Mme Harel: Bon, alors, si vous utilisez contraintes sévères à l'emploi...

Mme Cummings (Pauline): Ce n'est pas nous, c'est vous.

Mme Harel: ...des personnes aptes, des personnes qui veulent rester à l'emploi, qui veulent faire un parcours, qui veulent relever du CLE... Tandis que celles qui disent, ou pour elles-mêmes ou encore... Moi, je reçois des lettres de parents qui disent: Mon grand enfant a 50 ans, 40 ans, et, pour toutes sortes de raisons, il a des couches, je dois m'occuper de lui; j'ai peur de mourir, ne sachant pas s'il n'aura pas des formulaires à remplir, comme c'est le cas maintenant. La personne, finalement, qui va considérer que c'est l'allocation d'invalidité... Il y en a des personnes là actuellement qui demandent l'invalidité à la Régie des rentes. Mais encore faut-il avoir contribué, avoir travaillé et avoir payé des cotisations, et c'est un test qui est très, très compliqué, qui est difficile à obtenir.

Tandis que là, le test d'invalidité va être un test qui va être plus simple que celui de la Régie des rentes, mais, en même temps, c'est certain qu'à ce moment-là c'est volontairement que la personne va dire, et c'est volontairement aussi que, si elle se sent mieux, elle va pouvoir dire: Non, moi, je veux revenir parce que je veux pouvoir faire mon parcours.

Mme Cummings (Pauline): ... donc.

Mme Harel: Oui, c'est les mêmes... écoutez, vous l'avez dit vous-même dans votre mémoire, c'est les mêmes barèmes et les mêmes prestations spéciales. Ça ne sera pas celles de la Régie, ce n'est pas un programme d'assurance-invalidité, c'est un programme d'assistance-invalidité, vous voyez la différence? Assurance, vous avez cotisé pour, l'assistance, ça vient de l'impôt des contribuables. Ça va être un programme d'assistance-invalidité, mais avec les mêmes prestations que maintenant. Il n'est pas question de payer 187 $, comme vous le dites, pour l'assurance-médicaments. L'assurance-médicaments, c'est en fonction du revenu des personnes, de toute façon.

Mme Cummings (Pauline): Pourquoi donner le choix si ça ne change strictement rien?

Mme Harel: Bien, ça change beaucoup pour bien des gens. Ce que ça change, là, dans la vraie vie de bien des gens, c'est un gros soulagement. Il y a bien du monde qui sont contents. Si vous voyiez les lettres que je reçois des gens qui disent: Enfin, moi, là, ou mon grand enfant ou en fait... C'est une personne qui, pour toutes sortes de raisons... Ça, il faut que vous sachiez qu'il y a des gens qui sont très contents, parce qu'ils disent: Enfin, je vais pouvoir faire reconnaître mon invalidité.

M. Bédard (Alain): Ça va être un peu comme une deuxième étiquette, hein. On se sent déjà étiquetés quand on cherche un emploi pour essayer de débarquer de l'aide sociale. Si on dit qu'on est à la Régie des rentes, on va être encore comme une deuxième étiquette qui va être encore plus grosse.

Mme Harel: Mais ce n'est pas la même chose. Si vous êtes à la Régie des rentes, c'est parce que vous ne vous cherchez pas un emploi. C'est ça la différence. Si...

M. Bédard (Alain): Bien, on devient un membre inutile, comme ça, pour la société.

Mme Harel: Bien, inutile... Attendez, là. Un instant. Ça veut dire quoi? Si vous pensez qu'être utile c'est seulement travailler... Oui, dans n'importe quelle société, il y a des personnes qui seront toujours en profond besoin de protection sociale. Est-ce que les malades sont inutiles dans une société? Est-ce que les enfants sont inutiles? Est-ce que les aînés sont inutiles? Non. Est-ce que les invalides sont inutiles? Non. Mais les invalides ont le droit de faire reconnaître leur invalidité.

Mme Dion (Pierrette): Vous savez, Mme Harel, je pense que le questionnement des gens par rapport aux étiquettes, c'est que c'est eux qui vivent avec ces étiquettes-là, hein. Ils ont vécu depuis des années les étiquettes, et on sait que c'est les principales barrières à l'emploi, justement. En donnant des termes comme «contraintes sévères à l'emploi», quel employeur aura envie d'engager une personne qui vit avec une déficience intellectuelle?

Mme Harel: Bon. Bien, dites-moi, à ce moment-là, quel est le terme qui conviendrait le mieux. Il me semblait préférable à «inapte». J'imagine qu'entre «inapte» et «contraintes sévères à l'emploi» vous dites ni l'un ni l'autre.

Mme Dion (Pierrette): Non, madame. Nous, ce qu'on vous demande, c'est que les gens vous demandent d'avoir un statut de prestataires, comme tout le monde, et d'avoir une reconnaissance par rapport aux limitations fonctionnelles, donc une allocation supplémentaire pour la limitation fonctionnelle avec laquelle ils vivent.

Mme Harel: Donc, ce serait allocation pour limitation fonctionnelle.

Mme Dion (Pierrette): C'est ça.

Mme Harel: Ça serait ça? Bon. Alors, ça exprimerait mieux, je pense, ce que je veux faire puis ça vous conviendrait mieux dans ce que vous souhaitez, dans ce par quoi vous souhaitez être reconnus.

Mme Dion (Pierrette): C'est ça, puis on souhaite...

Mme Harel: Donc, allocation pour limitation fonctionnelle. Bien, c'est de ça dont il s'agit, mais vous comprenez que les personnes sont aptes, à ce moment-là, elles sont aptes, mais elles ont des limitations fonctionnelles dont il faut tenir compte dans les allocations supplémentaires, comme on en tient compte avec les contrats d'intégration au travail. On en tient compte avec les contrats d'intégration. Vous êtes favorables aux contrats d'intégration au travail?

Mme Dion (Pierrette): Oui.

Mme Harel: Bon. Alors, on en tient compte avec les contrats d'intégration au travail. Si vous voulez, on peut appeler ça allocation pour intégration au travail.

Mme Dion (Pierrette): C'est ça. Mais, moi, je pense qu'au niveau du caractère d'invalidité il faudrait éliminer aussi ce statut d'invalidité, finalement, qui ne correspond pas aux personnes qui vivent avec des déficiences.

Mme Harel: On ne parle pas de la même chose. Les personnes qui voudront avoir un statut d'invalidité ne sont pas des personnes qui voudront avoir un parcours d'insertion, de formation ou d'emploi, ce sont des personnes... et il y en a dans notre société. Il y en a. Alors, pourquoi leur enlever la possibilité?

Vous savez, dans nos bureaux de comté, on reçoit des personnes qui sont des invalides de la Régie des rentes, et elles ne se pensent pas diminuées. Au contraire, elles ont soit eu un accident de travail ou, enfin, bien d'autres raisons qui les ont amenées à réclamer ce statut d'invalidité.

Mme Dion (Pierrette): Mais qu'est-ce que ça apporte à la personne d'avoir un statut d'invalidité présentement, là? Moi, je ne vois pas d'apport, là.

Mme Harel: Bien. Ce que ça...

Une voix: Ça règle son cas une fois pour toutes.

Mme Harel: Bien sûr. Ce que ça apporte à cette personne-là, c'est que, si la personne est invalide, ça la reconnaît dans ce qu'elle est. Si elle désire se faire reconnaître invalide, là, ça signifie donc qu'à ce moment-là elle va avoir un statut de rentier, là. L'invalidité, c'est comme une rente, ça, madame.

Mme Cummings (Pauline): Elle n'aura ni le montant qui va avec ni... Elle va continuer à être soumise au test de besoins, revenus et actifs. Donc, elle va avoir le titre sans les avantages.

Mme Harel: Pourquoi? Quel montant?

Mme Cummings (Pauline): Quand on parle, là... Bon. Elle va recevoir le 690 $, là, le même montant qu'à la sécurité du revenu. D'accord?

Mme Harel: Oui.

Mme Cummings (Pauline): Si elle était... Bon. Le montant, à la Régie des rentes, le montant maximum pour les personnes en bas de 65 ans, là, c'est 800 $ et quelque chose. Donc, le montant est différent.

Mme Harel: Mais... Attendez. Les personnes l'ont payé, elles ont contribué. C'était sous forme de cotisations.

Mme Cummings (Pauline): Donc, c'est de la charité.

Mme Harel: Puis ce n'est pas 800... C'est de la charité...

Mme Cummings (Pauline): Je ne le sais pas, là. C'est parce que vous dites...

Mme Harel: Bien. Je m'excuse, là, mais, à un moment donné, il y a plein du monde dans le monde qui aimeraient ça être dans une société où il existe ce que vous appelez de la charité.

(18 h 10)

Mme Cummings (Pauline): Notre crainte, Mme Harel, c'est que, lorsque les personnes vont se présenter dans les centres locaux d'emploi, on leur dise: tu es une personne handicapée, tu peux aller à la Régie des rentes, pourquoi tu ne t'en vas pas là, laisse la chance à ceux qui sont plus aptes à travailler. Et c'est ça, notre crainte; la réelle crainte, elle se situe là.

Mme Harel: Bon, ça, à ce moment-là, vraiment, je trouve ça bien intéressant, parce que cette crainte-là, à ce moment-là, il faut travailler pour qu'il y ait des recours et que ça ne se passe pas comme vous le décrivez, parce que, ça, je dois vous dire que rien n'est jamais parfait puis il y a des risques, et ce risque-là, il ne doit pas être écarté; et pour s'assurer que ce risque-là ne se produise pas, il faut absolument qu'on introduise la capacité d'avoir un recours; ça, c'est bien important. Mais parlez-moi de recours, dites-moi lesquels on devrait apporter, mais ne me dites pas qu'on devrait empêcher une personne qui dit, moi, je veux me faire reconnaître invalide, qu'on devrait l'empêcher.

M. Bédard (Alain): Mme Harel, je voudrais savoir ce que vous allez faire avec la situation d'un couple chez qui il y en a un qui ne peut pas travailler, il veut s'en aller à la Régie des rentes, puis l'autre est apte à aller travailler. Qu'est-ce que vous allez faire avec ça?

Mme Harel: Bien, qu'est-ce qu'on fait présentement? Une personne est supposée être inapte et elle peut avoir un conjoint qui est apte, n'est-ce pas? Alors, vous la connaissez la situation présente?

M. Bédard (Alain): Ouais, présentement, sur l'aide sociale, on dit que s'il y en a un qui est soutien financier puis que l'autre est apte, on donne un chèque pour soutien financier.

Mme Harel: Voilà.

M. Bédard (Alain): Mais là, s'il y en a un qui est transféré à la Régie des rentes puis l'autre est à l'aide sociale, ça ne fera pas pareil, ça, là.

Mme Harel: Pourquoi? Regardez, vous, là, maintenant, ça s'appelle soutien financier, mais vous savez très bien que la catégorie, c'est inapte et apte, hein?

M. Bédard (Alain): Ouais.

Mme Harel: Donc, cette catégorie-là, inapte, c'est vous-même qui avez plaidé avec des arguments convaincants qu'elle devait disparaître, cette catégorie inapte dans laquelle on retrouvait toutes sortes de monde différent. Donc, des personnes invalides puis des personnes handicapées qui n'ont rien à voir avec le statut de rentier.

M. Bédard (Alain): Ouais, êtes-vous d'accord, ce n'est pas la même bâtisse, la Régie des rentes puis l'assisté social?

Mme Harel: Non, mais je vais vous dire...

M. Bédard (Alain): D'où il va venir, le chèque?

Mme Harel: Écoutez, ça, par l'informatique, je vous dis, ce n'est aucun problème. Le chèque, d'abord, il vient de la même poche, c'est-à-dire des contribuables; ça, c'est de l'impôt qui est perçu dans les salaires que les gens obtiennent chaque semaine. Alors, l'argent de la Régie des rentes, il va venir du gouvernement, puis l'argent de la sécurité du revenu, il vient du gouvernement.

M. Bédard (Alain): Mais est-ce qu'on va recevoir deux chèques, pour un couple?

Mme Harel: De toute façon, présentement, ce que vous receviez, quand il y avait un couple, c'était un seul chèque, n'est-ce pas?

M. Bédard (Alain): Ouais.

Mme Harel: Mais, en même temps, vous êtes conscient que la personne qui était, disons, apte n'avait quasiment pas de chance de faire de la formation, de l'insertion ou de l'emploi, hein? Elle était quasi empêchée, là. Au moins, reconnaissons qu'il pourra y avoir des situations, dans un couple, qui soient différentes. L'un des deux pourra, comme votre exemple, se faire reconnaître invalide et l'autre pourra se faire reconnaître comme une personne apte au travail, mais qui a une allocation pour limitation fonctionnelle. La situation va permettre de reconnaître les personnes dans ce qu'elles sont, ce qui n'est pas le cas maintenant.

Mme Dion (Pierrette): Vous savez, en disant que les personnes sont invalides, en donnant le choix d'invalidité aux personnes, c'est de renforcer aussi, dans notre société, que les personnes handicapées ou autres ne sont pas capables de travailler; c'est une des principales barrières.

Mme Harel: Bien, voyons donc! C'est le contraire. On dit qu'elles vont être aptes, qu'elles vont faire partie des catégories «aptes» et qu'elles vont être dans un parcours d'insertion, de formation et d'emploi.

Mme Dion (Pierrette): Mais vous savez que présentement déjà les gens sont pénalisés au niveau de la formation à l'intégration sociale, au niveau de l'alphabétisation, c'est des mesures qui ne sont même plus reconnues comme faisant partie d'un parcours individualisé, si vous voulez. Est-ce qu'on va les reconnaître maintenant?

Mme Harel: Attendez. Si vous me parlez d'un parcours individualisé, je vous dirais, il n'existe pas encore, en tout cas à la sécurité du revenu.

Mme Dion (Pierrette): Est-ce que la formation à l'intégration sociale, l'alphabétisation, vont faire partie du parcours individualisé?

Mme Harel: Oui.

Mme Dion (Pierrette): Est-ce que les services socioprofessionnels des centres de réadaptation, vous savez, les stages en milieu intégré, vont faire partie aussi du parcours individualisé? Parce que ça fait partie du cheminement de la personne.

Mme Harel: Bon. J'ai justement rencontré le mouvement associatif des personnes handicapées vendredi passé pour justement examiner toutes ces questions-là, M. Lavigne, en particulier, Richard Lavigne et Lucie...

Une voix: ...

Mme Harel: ...c'est ça, et ce qu'on examine, c'est quel est l'arrimage qui va se faire. Parce que vous savez que les SEMO sont à l'Emploi et Solidarité, les centres de travail adapté, les contrats d'intégration au travail sont à l'Office des personnes handicapées. Alors, comment faire en sorte qu'on ait une sorte d'intégration des efforts et des ressources qui se font présentement, y compris dans les services professionnels? Alors, là, il y a diverses hypothèses, et puis on va avoir l'occasion, le 4 mars, de passer une journée là-dessus, avec les organismes qui vont venir nous présenter leurs propositions.

Mme Bergevin (Ginette): Alors, est-ce qu'à ce moment-là le barème de participant va être accordé, c'est-à-dire est-ce que le 120 $...

Mme Harel: Oui, je le pense.

Mme Bergevin (Ginette): ...est-ce que les gens qui vont participer vont avoir une augmentation de 120 $?

Mme Harel: Il est maintenu, le barème de participant.

Mme Bergevin (Ginette): Oui?

La Présidente (Mme Barbeau): Malheureusement, le temps imparti au parti ministériel est terminé. Alors, je vais passer la parole maintenant au député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Merci, Mme la Présidente. Merci et bienvenue, mesdames, messieurs. Moi, je ne suis pas ici pour vous faire des leçons, en tout cas, moi, je suis ici pour vous écouter. En vous écoutant, une chose est devenue claire, c'est que ce n'est pas clair, hein? Et ça, il va falloir que la ministre, soit dans la loi ou par ailleurs, clarifie énormément de choses. Parce que si, après avoir lu le livre vert, on a une telle confusion qui règne, ça ne s'annonce pas bien, hein? Il y a, à ma connaissance, au moins un, deux, trois, quatre, cinq, peut-être six autres groupes représentant le milieu associatif des personnes handicapées à venir; certainement, au moins un minimum de six qui ont présenté des mémoires. J'espère qu'on va tous les entendre; ce n'est pas moi qui prends ces décisions-là. Je souhaite qu'on les entende tous. Il y a la... Fédération des Mouvements personne d'abord, l'OPHQ, l'ARAQ, la COPHAN, et je pense qu'il va falloir que, comme parlementaires, on soit très prudents envers les témoignages que viennent nous livrer ces groupes-là.

La suggestion que vous faites, peut-être de changer même la terminologie... Moi, j'ai appris dans les deux dernières années que la terminologie est très importante; les étiquettes, comme M. Bédard a dit, sont très importantes. Et si le milieu associatif vient à un consensus que «contraintes sévères à l'emploi» n'est pas le bon terme, que «limitation fonctionnelle» est mieux, ou même la définition, qui est dans la loi, assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, hein... Il y a plusieurs possibilités, en tout cas, de comment on va procéder dans la loi pour tenter de clarifier ces situations-là. Moi, je pense que c'est essentiel qu'on les clarifie, parce que sinon, ça va nous mener dans des situations de confusion que personne ne souhaite, je pense.

La question que vous avez posée – je ne sais pas si c'est vous, Mme Bergevin, ou quelqu'un d'autre – c'est quoi, l'avantage de passer au RRQ? Je pense que c'est une question clé, là. La ministre a tenté de répondre d'une façon. Chose certaine, il faut s'assurer qu'il n'y ait pas de désavantages. La ministre dit que... Le test de moyens, il est où dans tout ça? Je ne le sais pas; il va falloir que ça soit clair. Les besoins spéciaux. En passant de la sécurité du revenu à la Régie des rentes, est-ce que les avantages reconnus pour les besoins spéciaux sont maintenus? Ça, c'est une question à répondre, puis il faut que la réponse soit dans la loi, quant à moi, pas dans, malheureusement, des déclarations de la ministre. Moi, de ce côté de la table, je prends pour acquis... je me méfie un tout petit peu des déclarations ministérielles. C'est mon rôle de le faire. Ce qui est en noir et blanc, ça me rassure beaucoup plus. Les paroles prononcées en l'air, là, ça disparaît assez vite, hein?

(18 h 20)

La contribution maximale pour la franchise puis la coassurance, selon l'assurance-médicaments, est-ce que c'est maintenu si une personne fait le choix de passer à l'invalidité? Le caractère permanent de ce choix-là, est-ce qu'il est réversible? La ministre dit oui, mais il faut que ce soit clair dans la loi que c'est réversible. Parce que peut-être qu'il va y avoir des gens qui vont, pour toutes sortes de raisons conjoncturelles, vouloir passer un bout de temps sur le régime d'invalidité, mais ils ne veulent pas être bloqués là. Ça, c'est certain.

Si le marché du travail s'améliore, si les conditions s'améliorent, si sa condition personnelle change, il faut permettre la possibilité de passer vers un statut où on peut avoir accès à un parcours individualisé. Ça, c'est toutes des questions où il faut, quant à moi, avoir des réponses très claires. Et vous faites bien de les soulever. Vous êtes, à ma connaissance, parmi les premiers groupes qui représentent en partie les personnes handicapées, et il faut être très sensible.

Dans votre mémoire, vous parlez de toute la question des préjugés. Ça sous-tend beaucoup de vos interventions, hein? Est-ce que vous pensez... Parce que, moi, j'essaie de comprendre votre réticence. Si on avait des réponses à toutes les questions que je viens de vous poser, là, en ce qui concerne le choix d'opter soit pour l'invalidité ou de rester dans le régime d'aide sociale.

Mme Bergevin (Ginette): C'est ça que vous posez comme question, finalement. Pourquoi les gens résistent à cette question-là?

M. Copeman: Oui.

Mme Bergevin (Ginette): Peut-être que Pierrette pourrait nous dire exactement pourquoi les gens n'aiment pas ça, se retrouver dans cette situation-là.

M. Copeman: C'est où le problème? Si on pouvait clarifier dans la loi toutes les questions que je viens de vous énumérer, les questions d'ordre technique, là, est-ce que le choix fondamental entre les deux régimes vous pose des problèmes? Parce que ça, c'est essentiel.

La ministre, je pense – ce n'est pas moi qui vais défendre la ministre, là; ce n'est pas mon rôle – mais je pense qu'elle, elle pense que c'est du progrès, là. Mais, vous, vous semblez dire que ce n'est pas du progrès. Mais ça, c'est le point essentiel.

Mme Dion (Pierrette): On est loin du progrès, c'est de la régression, moi, je pense. C'est de la régression, là, qu'on est en train de faire là. Il y a des politiques, hein, vous le savez, au Québec, qui ont été adoptées. On n'a pas besoin d'aller dans les autres pays, là, on va s'entendre, à regarder aux politiques présentement qu'on a ici. Je pense qu'il faut regarder au niveau de la part égale.

En 1984, hein, le gouvernement s'est donné une politique de valorisation des rôles sociaux des personnes. Puis j'ai peut-être envie de vous lire quelques petits passages de cette politique-là qui me semblent importants à retenir. Puis je pense qu'on n'a pas pris en considération ces principes-là.

Bon. «On doit promouvoir l'autonomie des personnes handicapées; on doit maintenir et développer leurs capacités résiduelles; on doit favoriser leur accès aux équipements collectifs; favoriser leur intégration aux activités considérées comme normales dans notre société; assurer peu à peu à prise en charge par l'État des coûts entraînés par un handicap».

Donc, les gens qui se retrouvent à l'aide sociale, qui vivent avec des limitations fonctionnelles... Vous savez que présentement ce n'est pas toutes les personnes, hein, qui sont considérées inaptes au travail; il y a des personnes qui sont aptes, qui vivent avec des limitations et qui ne reçoivent pas un supplément. Ils devraient avoir accès à un supplément; c'est pour ça qu'on parle au niveau de catégoriser davantage par rapport à la réalité des personnes, la réalité de vivre avec une limitation fonctionnelle.

«Les personnes handicapées peuvent et doivent bénéficier des conditions de vie courantes pour les autres citoyens». Donc, si on regarde aussi au niveau d'impératifs humains et sociaux, quand Alain nous disait qu'un ministère allait nous considérer capables puis un autre pas capables, c'est que le ministère de la Santé et des Services sociaux s'est aussi doté d'une politique, hein, pour reconnaître la capacité des personnes, dont le principe de compétence des individus.

On part du principe que les personnes ont des compétences. On ne part pas du principe que les personnes ont des contraintes sévères à l'emploi. On parle d'un principe de capacité. Donc, il faut partir d'un principe que les personnes ont des capacités à développer, un principe de capacité à aller travailler.

À ce moment-là, l'image sociale qu'on donne à notre société – puis ça, c'est le rôle du ministère de l'Emploi de le donner, hein – je pense qu'il y a d'autres ministères qui se l'ont donné, qui se sont appropriés ces principes-là. Je pense que c'est au tour du ministère de l'Emploi de le faire.

M. Copeman: Moi, je comprends ça. Je comprends très bien. Ce que je comprends un peu moins – là je vous le dis en toute honnêteté – c'est en quoi est-ce que la possibilité de faire le choix fait entrave à tout ce que vous venez de lire? Est-ce qu'il n'y en a pas – moi, je vous dis tout honnêtement – dans la société québécoise actuelle, des personnes soit avec des limitations fonctionnelles, soit avec des contraintes, des personnes handicapées qui ne se souhaitent pas reconnues invalides, qui disent, à un moment donné dans leur vie, là: Moi, je prends la décision que je ne peux plus travailler? Pas que je ne peux plus contribuer à la société québécoise, là, il y a une différence.

Mme Bergevin (Ginette): Je pense qu'ici il y a deux groupes de personnes handicapées qui viennent vous dire que, eux autres, ce n'est pas ça qu'ils veulent.

M. Copeman: O.K.

Mme Bergevin (Ginette): Parce que ça risque de les contraindre à se retrouver au statut d'invalidité plutôt que d'avoir accès à des programmes. Dans un contexte où c'est difficile, il y a une crise de l'emploi, on ne fera pas d'efforts particuliers, parce que c'est plus difficile peut-être de placer sur le marché du travail une personne handicapée qu'une autre. Donc, on ne fera pas d'efforts particuliers parce que, déjà, il faut en mettre beaucoup ailleurs. Et, à cause de ça, s'ils se retrouvent... ils vont vivre de la pression pour se retrouver au statut d'invalide, et c'est là que ça va causer des problèmes. Donc, si on maintient un statut global de «apte», à ce moment-là, il va avoir moins de problèmes.

Mais c'est sûr que vous allez effectivement entendre d'autres groupes de personnes handicapées ici et vous allez pouvoir additionner les remarques de chacun sur cette question-là. Et vous allez entendre que beaucoup de personnes handicapées préfèrent le statut «apte» que de se retrouver à la Régie des rentes avec un statut d'invalide.

Ça, c'est clair. Sauf que j'ai bien aimé quand même la remarque de Mme Harel, tout à l'heure, qui disait que dans notre société tout le monde ne peut pas être reconnu parce qu'il est salarié.

M. Copeman: Oui.

Mme Bergevin (Ginette): Hein? Et ça, c'est une de nos revendications, c'est-à-dire qu'il soit reconnu que des personnes ont un apport – on est tous des citoyens, des citoyennes du Québec et on a tous un apport – à ce moment-là, on est tous utiles dans la société et qu'il faut reconnaître aussi ce statut-là plutôt que mettre de la pression pour que tout le monde retourne sur le marché du travail. Particulièrement, nous, on se demande beaucoup, en tout cas, je ne sais pas si vous avez une réponse sur le fait que les femmes, à partir de 55 ans, vont devoir se chercher un emploi. Moi, je me dis: Ces femmes-là ont fait un bout de chemin; elles ont éduqué leurs enfants, elles ont travaillé fort dans cette société-là pour éduquer une génération, pourquoi est-ce qu'on les oblige à retourner sur le marché du travail? Sur ça, je me pose des questions.

M. Copeman: Ouais. Ce n'est pas à moi de répondre au nom du gouvernement. Je peux vous dire qu'on pose les mêmes questions. On ne les pose pas juste pour les femmes; on les pose pour les hommes aussi; on les pose pour les femmes monoparentales qui vont être obligées de suivre un parcours si elles ont des enfants à partir de deux ans. Ça, la question se pose aussi. On pose les mêmes questions. On attend les réponses. De temps en temps, elles sont moins satisfaisantes que d'autres.

Mais je veux revenir parce que c'est une question de fond, là. Si je vous ai bien compris, vous craignez – dans la conjoncture actuelle, encore pire! – la possibilité que de la pression soit mise sur des personnes handicapées pour les embarquer dans le régime invalidité. C'est ça, votre crainte, là, fondamentale?

C'est parce que ça pose effectivement un problème. Si une personne est capable d'exercer un libre choix, libre et éclairé, ça me préoccupe moins. Mais si vous dites que votre préoccupation, c'est qu'un conseiller en quelque part va dire: Écoutez, là, taux de sans emploi, taux de chômage de 12 %; vous êtes une personne handicapée; moi, je vous conseille d'aller directement à la Régie des rentes du Québec. C'est ça que vous craignez, là, en partie?

Une voix: Entre autres.

M. Bédard (Alain): Le choix, moi, je pense que le choix que vous nous donnez, Mme la ministre, là, c'est clair pour nous: c'est soit... C'est sûr... Nous, qu'est-ce dont on a peur vraiment, là, c'est qu'on sait que si on reste au ministère de l'Emploi, on a le choix, dans le fond, de rester au ministère de l'Emploi puis avoir des ressources puis avoir de l'aide pour se trouver de l'emploi, ou carrément s'en aller à la Régie des rentes pourrir comme une patate pourrie puis rien foutre de la vie. C'est ça le choix, dans le fond, que vous nous donnez, avec un choix de non-retour, en réalité. Peut-être que vous allez dire qu'il y a un choix de retour, mais avec une barrière barrée dont seule vous avez la clé.

M. Copeman: O.K. Mais je pense que c'est essentiel qu'on vous écoute là-dedans, là. Ce n'est pas moi qui vais porter jugement sur ce point de vue. On va vous écouter; on va écouter d'autres groupes là-dessus. Puis j'espère que la ministre va respecter les points de vue des groupes, parce que c'est essentiel.

(18 h 30)

M. Bédard (Alain): C'est facile aussi de créer des lois. C'est facile pour des ministres de créer des lois. Mais quand on n'a pas vécu sur l'aide sociale, on ne sait pas vraiment ce qu'est la pauvreté. Avec un gros compte à la banque, avec le salaire que vous avez, nous autres, là, on n'a même pas le tiers de ça pour vivre, puis il faut faire vivre, puis il faut se payer les médicaments dont on a besoin. Ça fait que pensez-y avant de créer des lois. Pensez aux plus pauvres démunis. Merci.

M. Copeman: Je pense que c'est un excellent conseil. Au niveau du parcours d'insertion et la formation, etc., moi, je sais que beaucoup de groupes, des personnes handicapées, lancent la critique que, même actuellement, les mesures d'employabilité ne sont pas accessibles, accessibles dans le sens physique, dans le sens même... Est-ce que ce problème... Peut-être que vous pouvez nous en parler un tout petit peu, de ce problème-là. Est-ce qu'il n'y a pas un danger que l'accessibilité pour les handicapées soit mise en cause, même à l'intérieur d'un parcours d'insertion, formation et emploi? Est-ce que c'est réel, cette crainte-là?

M. Bédard (Alain): Il y a beaucoup de jobs qui sont créés. Ils disent: Il y en a, des jobs. Mais, «Christ!» ça prend un secondaire V. Bientôt, ça va prendre un secondaire V pour ramasser un petit cure-dent dans les boîtes dans les toilettes. Franchement, là, créez-en, des emplois pour ceux qui ne l'ont pas, le secondaire V, qui veulent travailler. Vous allez peut-être faire baisser l'aide sociale. Encore bien plus simple, plus facile!

M. Copeman: Madame, oui?

M. Cummings (Pauline): Oui, je pense que présentement c'est évident que, au niveau des personnes handicapées, là, la grosse majorité a un statut d'inapte au travail, et quand elles se présentent aux centres Travail-Québec présentement, là, les mesures d'employabilité, elles ont bien de la misère à les avoir. Et on n'est pas certain présentement, c'est ce qui nous inquiète, entre autres, c'est le fait qu'on parle de donner le choix aux personnes d'avoir un statut d'invalidité, d'aller à la Régie des rentes. On se dit: Elles ne sont déjà pas desservies présentement. Elles n'ont pas la possibilité d'aller à la Régie des rentes. Elles ne sont présentement pas desservies par les centres Travail-Québec. Imaginez si on donne une porte de sortie, en plus, ça risque d'être très, très dangereux.

M. Copeman: O.K. Un commentaire, Mme la Présidente, si vous permettez. Toute la question de la Régie des rentes du Québec, la réforme qui est entreprise par le gouvernement, je pense que c'est également un excellent point.

On a soulevé, pendant la commission parlementaire sur la réforme de la Régie des rentes du Québec, la crainte – parce qu'on en parlait même à ce moment-là – de transférer une partie de la clientèle invalide, et, en tout cas, ça peut, je pense, brouiller les cartes, effectivement. Il faut regarder ça attentivement.

Je sais, Mme la Présidente, que notre collègue d'en face, le député de Lévis, souhaitait poser une question. Nous, de ce côté, on est prêts à lui prêter un peu de notre temps pour qu'il puisse le faire.

La Présidente (Mme Barbeau): Bien, il vous reste deux minutes de votre temps, là, alors, M. Garon, s'il vous plaît, soyez très bref.

M. Garon: Oui. Ce n'était pas pour poser une question. C'était pour faire un commentaire. J'étais très content d'entendre votre témoignage. Si vous ne savez pas quoi faire dans la vie, faites des avocats, parce que vous plaidez bien.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Garon: On est dans des domaines qui sont très complexes, et je pense que vous avez contribué par votre témoignage à mieux faire ressentir les différents aspects qui vous touchent puis qui vous concernent dans la proposition. Moi, je pense que si la ministre fait... puis si le gouvernement a demandé d'entendre des gens, avec autant de mémoires, qui sont venus, c'est pour avoir un meilleur éclairage sur ce qui est proposé. Alors, comme, moi, ma devise, ça a toujours été: Le succès est toujours le fruit du dernier essai, alors... nous convaincre de ce que vous pensez que les membres de la commission devraient être convaincus.

M. Copeman: On a bien fait de...

La Présidente (Mme Barbeau): Ha, ha, ha! Alors, là-dessus, je vous remercie, monsieur et mesdames. Alors, j'ajourne les travaux de la commission à jeudi, 13 février, 10 heures. Merci.

(Fin de la séance à 18 h 33)


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