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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Tuesday, March 18, 1997 - Vol. 35 N° 66

Consultations particulières sur le livre vert intitulé «La réforme de la sécurité du revenu : un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi»


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Rosaire Bertrand, président
Mme Diane Barbeau, présidente suppléante
Mme Louise Harel
M. Christos Sirros
M. Russell Copeman
Mme Marie Malavoy
M. Pierre-Étienne Laporte
Mme Nicole Loiselle
*M. Laurier Boucher, OPTSQ
*M. Claude Leblond, idem
*M. Daniel Jacoby, Protecteur du citoyen
*M. Jean Proulx, Table des regroupements provinciaux d'organismes
communautaires et bénévoles (secteur santé et services sociaux)
*M. André Tanguay, idem
*M. Alain Landry, Conseil communautaire Côte-des-Neiges–Snowdon
*Mme Marie-Paule Garand, idem
*Mme Irène Ranti, idem
*Mme Nicole Beauregard, REPAS – Granby et région
*Mme Nicole Jetté, idem
*Mme Paula Maundcote, idem
*Mme Ginette Morin, idem
*M. Gaétan Ayotte, Comité chômage, aide sociale et
d'entraide économique de la MRC de Bécancour
*Mme Thérèse Spénard, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures dix minutes)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour à tous les membres de la commission et bonjour à nos invités. Mme la secrétaire, est-ce que le quorum est constaté?

La Secrétaire: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je répète le mandat de la commission: la commission des affaires sociales se réunit afin de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur le livre vert intitulé La réforme de la sécurité du revenu: un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi .

Est-ce qu'il y a des remplacements, Mme la secrétaire?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M Parent (Sauvé) sera remplacé par M. Sirros (Laurier-Dorion); Mme Signori (Blainville) par Mme Simard (La Prairie).

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Merci. Tous les membres de la commission et toutes les membres de la commission ont l'ordre du jour. À moins d'avis contraire, l'ordre du jour est adopté. Nous commençons immédiatement nos travaux en recevant les représentants de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec. M. Laurier Boucher, c'est vous qui allez nous faire la présentation? Présentez d'abord la personne qui vous accompagne.


Auditions


Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec (OPTSQ)

M. Boucher (Laurier): Certainement. La personne qui m'accompagne est M. Claude Leblond, de Granby, qui est travailleur social, bien sûr, et qui est membre de notre comité administratif à titre de trésorier.

Je vous rappelle que l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux est un ordre professionnel à titre réservé qui comprend au-delà de 4 200 personnes, pour la majorité des femmes, dans notre profession. Je vous rappelle aussi que les grandes valeurs que nous préconisons, comme professionnels du travail social, sont le respect de la dignité des personnes, des individus, des groupes et des communautés; la croyance en la capacité de ces personnes, groupes et communautés de se prendre en charge et de croître de ce côté-là; des valeurs de solidarité ainsi que des valeurs d'équité et de justice. J'espère que ces valeurs que j'annonce, vous les retrouverez dans les propos que nous tiendrons.

Nous avons déposé notre rapport il y a déjà une couple de mois, en janvier. Depuis ce temps-là, nous avons suivi, bien sûr, attentivement les travaux de la commission. On n'est pas sans savoir qu'il s'est brassé pas mal d'idées autour de cette table. À un moment donné, on s'était même demandé s'il ne fallait pas réviser notre mémoire. Finalement, nous avons décidé de le présenter tel quel parce que les lignes de fond que nous présentons n'ont pas changé.

M. le Président, Mme la ministre, MM. et Mmes les parlementaires, tout d'abord la réforme de la sécurité du revenu qui est proposée par le ministère de la Sécurité du revenu nous semble faire une analyse lucide de notre société en profonde mutation, tant du point de vue du marché du travail que des structures sociales et familiales.

L'Ordre professionnel des travailleurs sociaux est donc en faveur des grandes orientations de cette réforme, laquelle vise à responsabiliser la collectivité autant que les individus face au marché du travail, à intégrer les prestataires de la sécurité du revenu à l'ensemble de la main-d'oeuvre, à favoriser le passage au statut de travailleur, à prévoir un parcours individualisé vers l'insertion à l'emploi, à ramener aux paliers locaux et régionaux les services intégrés de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu, à cibler les enfants des femmes chefs de famille et les jeunes adultes comme clientèles à prioriser par des moyens spécifiques à leur réalité et, enfin, à maintenir un filet de protection sociale pour les personnes qui, en raison de leur âge, de leur état de santé physique ou psychologique ou de leur statut de réfugié, ne pourront vraisemblablement pas intégrer le marché de l'emploi de façon temporaire ou permanente.

Cependant, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec se questionne et peut-être remet en question certains fondements de la réforme, et nous proposerons quelques avenues pour améliorer les moyens qui seront mis en place.

Le message subliminal que nous comprenons dans cette réforme est le suivant: Les emplois sont disponibles. Les assistés sociaux qui le peuvent et le veulent n'ont qu'à bien se préparer à l'emploi. Ils retourneront au travail et tout sera réglé comme par magie. La réalité, pourtant, nous indique qu'il n'y a pas d'emplois salariés pour tous. Le marché du travail est en profonde mutation. Il y a actuellement et, pire encore, il y aura de moins en moins d'emplois salariés de type traditionnel.

Pourquoi, alors, ne pas reconnaître ouvertement que ces transformations s'accélèrent, sont irréversibles et que personne ne peut en prévoir tous les impacts? Miser donc sur la réinsertion à l'emploi seulement comme moyen de réinsertion dans la société active nous paraît irréaliste. Et, à l'instar de plusieurs autres organismes, nous invitons le ministère à nuancer la définition d'emploi et à y ajouter la notion d'activité de travail, ce qui permettrait de reconnaître des tâches productives accomplies par des citoyens dans un but utile pour l'ensemble de la société comme mesures actives d'insertion sociale. Dans ce sens, il nous semble que le concept d'économie sociale pourrait être encore et davantage développé et discuté pour que nous sachions tous de quoi nous parlons. C'est une avenue à explorer, sans être cependant une panacée au développement de l'emploi.

La réforme vise aussi à améliorer le système de sécurité du revenu actuel et tente explicitement de diminuer les barrières qui alimentent les préjugés négatifs à l'égard des prestataires, et nous nous réjouissons de cette intention. Cependant, nous nous inquiétons du caractère obligatoire et des mesures punitives en cas de refus de réaliser ou de terminer un parcours.

Nous souhaitons que le ministère atténue le caractère obligatoire du parcours vers l'insertion à l'emploi en y ajoutant diverses mesures incitatives, qui pourraient être autre chose que des montants d'argent. Il ne faudrait pas oublier, en effet, qu'une grande partie des prestataires actuels sont des personnes qui désirent travailler. Les travailleuses sociales et les travailleurs sociaux connaissent bien la réalité des vies quotidiennes des personnes assistées sociales et connaissent l'importance de l'approche individualisée, du soutien aux forces de la personne pour qu'elle puisse rebâtir sa confiance en elle-même et en autrui. Si les agents d'aide dans les centres locaux d'emploi n'ont pas une formation adéquate pour effectuer ce travail, s'ils n'ont pas non plus les conditions requises, en particulier une charge de dossiers gérable, il y a un grand risque que les droits des assistés sociaux à la dignité, au respect de leur vie privée, pour la reconnaissance de leur admissibilité, soient mis en jeu. De plus, nous remarquons que la réforme ne mentionne aucun mécanisme d'appel des décisions des fonctionnaires, ce qui nous paraît une carence qu'il faudrait combler.

En matière de droit, nous nous questionnons aussi sur l'obligation qui sera faite aux mères assistées sociales d'envoyer leurs jeunes enfants en garderie. Nous comprenons l'intention d'aider les jeunes femmes à retourner au travail, de diminuer les barrières pour y parvenir et, en bout de ligne, de sortir les enfants de la pauvreté. Mais, pourquoi, encore ici, le caractère obligatoire et punitif pour ces femmes seulement? Certaines d'entre elles ne peuvent-elles pas décider de ne pas confier l'éducation de leurs jeunes enfants à l'État sans encourir pour autant une baisse de leurs prestations?

Les mesures préconisées en matière de non-paiement des loyers nous interrogent aussi sérieusement. Le problème est réel, nous en convenons, et nous faisons confiance aux chiffres évoqués dans le livre vert, mais, le mécanisme d'ordonnance enjoignant le ministère de la Sécurité du revenu de prélever le paiement de la composante logement nous paraît abusif, voire infantilisant, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une minorité de prestataires qui négligent d'acquitter leur loyer. Ne serait-il pas pensable d'aborder ce problème par d'autres moyens, des moyens de type médiation, conciliation, arbitrage, qui sont avantageusement utilisés ailleurs pour ce genre de difficultés?

L'expérience des travailleurs sociaux, qui travaillent majoritairement auprès des personnes marginalisées, leur indique depuis longtemps que les problèmes familiaux ou psychosociaux de toxicomanie, d'alcoolisme ou autres ont la pauvreté comme élément causal majeur ou en tout cas comme toile de fond. Autrement dit, c'est précisément de vivre sous le seuil de la pauvreté, de ne pas pouvoir satisfaire leurs besoins de base, qui conduit un grand nombre de personnes à avoir des problèmes psychosociaux graves, et non pas uniquement l'inverse, comme le laisse entendre ce trop court paragraphe du livre vert.

Comment seront déterminés ces cas? Quels types de services recevront-ils? Les organismes et les professionnels du réseau de la santé et des services sociaux seront-ils appelés à collaborer directement avec les CLE? Autant de questions qui laissent grande ouverte cette notion de services psychosociaux préalables, et que nous croyons essentiel d'étayer davantage, car nous soupçonnons qu'il s'agit d'un très grand nombre de cas.

(9 h 20)

Le régime actuel de sécurité du revenu décourage les assistés sociaux à l'entraide mutuelle et à la solidarité, notamment en matière de partage de logement. Nous nous étonnons que le nouveau régime proposé maintienne cette approche en ces temps où tous les citoyens doivent faire preuve de débrouillardise, d'imagination et de solidarité pour affronter les effets des coupures budgétaires, des virages, des contrôles de déficit.

Point n'est besoin de disserter longtemps ou longuement sur les mérites d'une réforme qui propose une simplification administrative des barèmes de la sécurité du revenu. Tous y gagneront: les agents d'aide, en ayant plus de temps pour rencontrer les personnes, et les prestataires, en ayant une meilleure compréhension du système. Mais, la bonne nouvelle s'accompagne malheureusement d'une réduction significative de l'allocation de base, et c'est bien sûr inquiétant pour l'avenir des plus pauvres d'entre nous.

Il ne nous semble pas que l'équité recherchée entre les prestataires de la sécurité du revenu et les travailleurs à faibles revenus doive passer par l'appauvrissement des premiers. Selon nous, la perspective du déficit zéro a déjà amplement puisé dans les goussets des citoyens démunis.

Les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales sont très certainement en faveur de mesures qui favorisent le retour à la vie active des forces de notre société. Malgré les réserves mentionnées plus haut concernant le marché du travail et l'obligation à un parcours, nous croyons essentiel de redonner un véritable espoir à cette génération de sortir de la pauvreté et de réaliser ses projets. Cependant, l'expérience nous dit qu'il est primordial non seulement que les jeunes soient reconnus comme des individus en démarche d'insertion ou de réinsertion, mais que soit respecté leur rythme personnel en tenant compte des divers facteurs de leur vie.

La réforme de la sécurité du revenu, en conclusion, est, dans ses intentions, une nette amélioration par rapport au régime actuel et annonce des orientations qui vont dans une direction porteuse d'espoir. L'Ordre professionnel des travailleurs sociaux s'interroge, par contre, sur l'application de plusieurs de ces éléments. La question du développement local de l'emploi est étroitement liée à la politique active du marché du travail qui n'est pas encore connue. L'impact de l'allocation unifiée pour les enfants et de la création de garderies sera mieux cerné avec la politique sociale qui reste à venir. Et c'est pourquoi l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux reste vigilant et souhaite que ces politiques soient cohérentes avec les orientations préconisées dans la présente réforme.

À la page 6 de notre mémoire, nous vous proposons, Mme la ministre et M. le Président, neuf recommandations que je vais énoncer brièvement: la première, c'est qu'on ajoute à la notion d'emploi la notion d'activité de travail et qu'on développe davantage le concept d'économie sociale; la deuxième, c'est qu'on atténue le caractère obligatoire du parcours vers l'insertion à l'emploi en y ajoutant diverses mesures incitatives; la troisième, c'est qu'on assure aux agents d'aide une formation adéquate pour le suivi individuel des prestataires et que leur charge de dossiers soit adéquate pour effectuer ce travail; la quatrième, c'est qu'un mécanisme d'appel soit prévu pour les prestataires; la cinquième, que les mères de jeunes enfants qui choisissent de les éduquer elles-mêmes puissent le faire sans être pénalisées et sans s'appauvrir davantage; la sixième, qu'en matière de non-paiement de loyer soient mis en place des moyens de type médiation, conciliation et arbitrage; que la notion de services psychosociaux préalables soit beaucoup plus étayée dans toutes ses dimensions; que la perspective du déficit zéro cesse d'appauvrir davantage les prestataires de la sécurité du revenu; et, enfin, que l'on respecte le rythme individuel de chaque personne en parcours d'insertion à l'emploi.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. J'invite maintenant Mme la ministre à débuter l'échange, tout en rappelant à chacune et chacun des membres que nous sommes sur l'alternance. Mme la ministre.

Mme Harel: Bienvenue, M. Boucher et M. Leblond. J'ai des collègues, du côté ministériel, de votre Ordre professionnel, qui aimeraient avoir l'occasion d'échanger avec vous. Alors, je vais faire ça rapidement.

Je comprends, à la page 5, dans vos conclusions, que vous nous dites que la réforme proposée dans ses intentions, c'est une nette amélioration par rapport au régime actuel et l'Ordre s'interroge sur l'application de plusieurs de ces éléments. Alors, sur cette application, peut-être deux, trois choses immédiatement, page 5, concernant les barèmes. Non seulement la réduction du nombre de barèmes, vous parlez d'une réduction significative de l'allocation de base. Là, je ne sais pas à quoi vous faites référence, il n'y a pas de diminution des allocations, des barèmes de base ni des autres barèmes. Alors, pas de réduction pour les barèmes de base ni pour les autres allocations qu'on retrouve lorsqu'il y a un barème de participant ou allocation pour contraintes à l'emploi. Là, le choix est offert dorénavant, soit d'avoir un statut d'invalide ou d'avoir une allocation pour contrainte à l'emploi tout en étant considéré comme apte, et donc chômeur à l'aide sociale. C'est un système neutre justement pour ne pas déséquilibrer les choix qui pourraient se faire et qui seraient en faveur de l'invalidité au détriment finalement d'une participation active. C'est peut-être le premier élément.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Oui, allez-y.

M. Leblond (Claude): Peut-être, Mme Harel, ce qu'on souhaitait... C'est peut-être qu'on aurait souhaité qu'à ce moment-là le barème puisse être le barème qui était le barème de participant et non pas que le barème de base soit basé sur le barème de non-participant. À ce moment-là, on a eu une baisse; pas sur le barème de base, vous avez raison, là, mais sur ce qui était accessible aux personnes qui participaient à des mesures.

Mme Harel: C'est-à-dire qu'avec la réforme il n'y a pas de modification. Je ne sais pas, faites-vous allusion à la loi n° 115, en décembre 1995...

M. Leblond (Claude): Oui.

Mme Harel: ...qui a réduit de 150 $ à 120 $? Mais ce n'est pas dans la réforme. Vous voyez, c'est une mesure de compression, ça, qui date...

M. Leblond (Claude): Préalable à...

Mme Harel: Ça fait déjà un an et demi.

M. Leblond (Claude): O.K.

Mme Harel: Mais il n'y a pas de réduction significative à l'allocation de base dans la réforme; en fait, ce sont les mêmes barèmes.

M. Leblond (Claude): À partir du moment où – en tout cas, dans ma compréhension des choses – on était participant à des mesures d'employabilité dans la loi actuelle, il y avait un supplément qui était remis aux personnes.

Mme Harel: Il est maintenu.

M. Leblond (Claude): Il est maintenu, mais d'une façon différente, et il me semble que, dans les faits, le barème de base devient comme moins élevé.

Mme Harel: Non.

M. Leblond (Claude): Mais peut-être que ma lecture n'est pas adéquate, Mme Harel.

Mme Harel: Non, non, il est maintenu. Donc, c'est un montant de 120 $ par mois; alors, il s'ajoute au barème de base. Et c'est sans doute cet élément qui est introduit à l'effet qu'il pourra y avoir aussi compensation des coûts réels, mais c'est plus dans le parcours, lorsqu'on sort... Parce que, le 120 $, c'est une supplémentation du barème de base, mais on reste toujours assisté social, alors que, le parcours, c'est d'amener vers un autre statut dans le cadre de l'économie sociale: un statut de travail, ou un statut d'étudiant, ou d'apprenti dans le nouveau régime d'apprentissage. Alors, ce n'est pas d'y rester, c'est d'en sortir; donc, d'en sortir non pas avec une supplémentation de participation, mais d'en sortir avec un salaire ou avec un bon d'apprentissage, etc.

Bon. Ceci dit, vous nous signalez également, à juste titre, à la page 3, qu'il n'y a pas d'emplois salariés pour tous. Justement, vous rappelez que, dans le livre vert, on spécifie bien qu'il y a donc une profonde mutation du marché du travail, y compris en termes de précarisation du travail. Mais, le message subliminal, ce n'est pas que les emplois sont non disponibles et que les assistés sociaux n'ont qu'à bien se préparer à l'emploi; le message qui est clairement explicite, c'est qu'il y a des chômeurs à l'aide sociale. C'est comme si ça avait été oublié, ça, au fil des années, que, pas tous, mais une partie importante des personnes qui, depuis 20 ans, demandent l'aide sociale sont des chômeurs. Et, à ce titre-là de chômeur, un chômeur n'est pas responsable du chômage, le chômage est involontaire, mais il y a une espérance d'emploi qui se travaille comme l'espérance de vie.

(9 h 30)

Quand on travaille l'espérance d'emploi et qu'on a 20 ans... À l'aide sociale, il y en a 48 000 qui ont entre 18 et 24 ans; ce sont principalement des garçons. 70 % ont décroché, ce sont des décrocheurs scolaires. Je ne pense pas que le message que la société doive leur lancer, que ce soit formel ou subliminal, c'est que la meilleure façon, c'est de continuer comme ça. Alors, l'idée derrière ça, ce n'est pas tout le monde en même temps – ce ne serait pas crédible, on le dit bien dans le livre vert de toute façon – mais c'est de commencer à faire cheminer dans des parcours individualisés. Et on ne mise pas sur la réinsertion en emploi seulement. Vous nous dites qu'il ne faut pas miser seulement là-dessus, c'est irréaliste, mais, il faut cependant miser sur un projet personnel de vie, sur un parcours individualisé. C'est là-dessus aussi qu'il faut miser pour donner un sens à sa vie. Ce n'est pas possible d'être exclu. Je ne vous dis pas seulement du marché du travail; être exclu du marché du travail, ça n'entraîne pas d'être exclu aussi de la société. Alors, là-dessus, j'aimerais vous entendre. Je pense que vous êtes favorable au parcours individualisé.

M. Boucher (Laurier): Oui, oui. Ça, je pense que, quand on dit qu'il y a des choses qui sont porteuses d'espoir dans votre projet, c'est ça, c'est de préparer surtout le grand nombre de ceux qui peuvent travailler, qui sont jeunes et qui pourraient entrer sur le marché du travail, leur donner l'espoir et leur donner les capacités donc, à travers un parcours individualisé, de faire ça. Mais, en même temps, on ne peut pas se fermer les yeux devant la réalité que le marché de l'emploi change. Il y a beaucoup... en tout cas, s'il y en a qui parlent encore de plein-emploi, je ne sais pas à quelle place ils prennent ça. Moi, j'ai de la difficulté à y croire parce que, tu sais, il va toujours un peu manquer, je pense, des emplois pour tout le monde. Ce qui n'empêche pas, et c'est ça le côté positif de votre projet, de les préparer à ça. Mais, encore là, vous dites: préparer de façon individualisée.

Par ailleurs, il y a des côtés du projet – on les dénonce – où on dit que si on les oblige, si on les pénalise parce qu'ils ne le font pas, est-ce que c'est encore respecter l'individualisation des démarches? On se pose aussi des questions à ce propos-là.

Mme Harel: Oui. Écoutez, un travailleur qui ne va pas travailler là, est-ce que c'est respecter son individualisation que de comprendre que s'il ne va pas travailler il ne sera pas payé? J'imagine, vous, si vous ne remplissez pas les devoirs de votre charge, vous ne serez pas réélu. Des obligations, je ne peux pas imaginer que c'est quelque chose qui, selon vous, va à l'encontre de la liberté. Des obligations, il y en a toujours. Et le fait de prétendre qu'il n'y en ait pas, est-ce qu'il n'y a pas là un danger justement? L'idée – vous savez que présentement il y en a, des pénalités, elles existent depuis huit ans – c'est de regarder comment c'est possible de les corriger. J'ai compris, avec l'analyse qu'on a faite ici, en commission parlementaire, que présentement c'est appliqué d'une manière punitive pour un an, comme si on ne pouvait pas y remédier.

La proposition du livre vert, c'est de faire en sorte qu'à tout moment le jeune, là, à qui on va l'offrir en priorité, entre 18 et 24 ans, à tout moment il participe à un parcours. Un parcours, c'est un projet personnel. S'il n'y participe pas, alors, est-ce qu'il ne se met pas volontairement à l'écart lui-même, finalement? C'est très surprenant de voir ce que ça a déclenché. Dans tous les pays, même les plus progressistes, c'est compris comme allant de soi que le chômage est involontaire mais, si quelqu'un refuse de s'aider, bien, il choisit volontairement d'y rester.

M. Boucher (Laurier): Le problème que...

Mme Harel: Bien, regardez même l'assurance-emploi. Vous savez, si vous perdez votre emploi, vous avez cotisé à l'assurance puis vous ne pouvez même pas aller chercher la moindre prestation. Ce n'est pas rien, ça.

M. Leblond (Claude): Le changement de législation n'était pas nécessairement ce qui était le plus souhaitable au niveau des citoyens. Ça pouvait aider au niveau de la lutte au déficit là, mais les changements à l'assurance-emploi ne sont pas nécessairement le meilleur exemple pour nous guider, en tout cas, dans notre façon de concevoir la notion d'obligation versus le droit des personnes de manger, de se loger et de se vêtir.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Merci. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: À mon tour, j'aimerais accueillir M. Boucher et M. Leblond qui nous parlent aujourd'hui de tout le travail que les travailleurs sociaux font, un milieu que j'ai pu connaître avec M. Boucher. Mais j'aimerais poursuivre un peu sur la discussion qu'on avait par rapport à cette notion d'obligation versus la liberté, parce qu'il me semble que la ministre a dit, à un moment donné: ce n'est pas parce qu'il a des obligations qu'on limite la liberté. C'est peut-être vrai dans le cas où ces obligations découlent d'un choix libre; vous choisissez de travailler, vous avez contracté donc un certain nombre d'obligations par rapport à votre travail. Il est vrai que si vous les remplissez pas, on ne va pas vous faire élire.

J'aimerais qu'on parle un petit peu de l'obligation qui sera faite dans la nouvelle réforme, pour les mères monoparentales sur l'aide sociale, d'être obligées d'envoyer leurs enfants à des mesures de garde ou maternelles, à défaut de quoi il y aurait des pénalités si un parcours ne peut être suivi. Là, il me semble qu'il y a une obligation qui, en tout cas, surprend, pour ne pas utiliser d'autres mots. Vous l'avez soulevé brièvement, j'aimerais vous entendre un petit peu plus sur la logique que vous pouvez voir dans cette obligation qui serait faite dorénavant à ces mères de leur dire finalement: Le choix que vous pourriez faire de rester à la maison à éduquer votre enfant n'est pas valide, vous devez envoyer votre enfant à des mesures de garde pour que vous soyez capables de suivre ces mesures, ces parcours individualisés, sinon, à défaut de quoi on va vous imposer des pénalités pour non-participation à ces parcours.

M. Boucher (Laurier): Moi, je pense que le point de vue de notre réflexion, le départ de notre réflexion sur ça, c'est de dire: Dans les familles où il y a un père et une mère qui sont tous les deux dans la famille, une famille donc biparentale, où les deux conjoints décident de travailler, ce qui se passe d'ordinaire avec les enfants, c'est que, quelque part, il se fait un partage des tâches entre le mari et la femme. Vous me direz que ce n'est pas de même dans tous les foyers, j'en conviendrai, mais, mettons que, dans beaucoup de foyers, ça se passe que le mari et la femme, l'homme et la femme se partagent les tâches, par exemple de la gestion des enfants, de les élever, de voir à leur éducation, etc., et de voir aussi à l'intendance de la maison.

La mère qui vit seule avec ses enfants, qui est dans un parcours d'emploi et qui décide de rester à la maison, souvent, elle, elle n'a personne avec qui partager ces tâches-là. Donc, si on l'oblige, même de façon un petit peu... en forçant un peu, même avec des aspects punitifs, à aller sur le marché du travail, il me semble que c'est d'y aller un peu fort. Par ailleurs, c'est clair que la femme qui reste toute seule à la maison avec ses enfants et qui, déjà, souffre peut-être d'un appauvrissement et peut-être d'un isolement social, je comprends que, à la longue, ce n'est peut-être pas lui rendre service que de ne rien faire pour lui permettre de sortir de la maison. Mais, où on va mettre l'équilibre et comment on va faire ça? Et, nous, il nous semble, du moins, c'est notre lecture de ce qu'on a vu, que de voir un petit peu un parcours obligatoire auquel même il y a des pénalités, si j'ai bien compris, si elles ne vont pas dans ce parcours, il me semble que c'est aller un peu fort. Encore là, c'est une question: Comment inciter et miser d'abord sur l'incitation plutôt que d'imposer et imposer avec punition? C'est ça, l'équilibre qu'il faut faire.

Et, quand Mme Harel parlait tantôt que, oui, bien sûr, former un citoyen, c'est lui donner aussi des responsabilités et que, parce qu'on lui donne des responsabilités, on l'oblige à les respecter, on ne lui enlève pas sa liberté, mais, encore là, avec du monde qui sont de nature un peu fragile peut-être, dont le fonctionnement social est déjà un peu fautif, les embarquer tout de suite de même, ça nous semble un peu fort, à nous.

M. Sirros: Donc, à la base de vos inquiétudes, c'est toute la notion du caractère obligatoire de ces parcours, et quand, de plus, on le jumelle avec une obligation qui est faite à une mère de famille monoparentale ou à un père, en tout cas, à une famille monoparentale d'envoyer son enfant à des mesures de garde pour que la personne soit libre de faire ce parcours-là, vous semblez dire qu'il y a un genre de double obligation qui est un peu limitative quant à la liberté de la personne et donne peut-être aussi un message quant à la valeur que la réforme attache au choix que le parent pourrait faire de l'éducation de son enfant.

M. Boucher (Laurier): Qu'on mette ça de l'avant comme une espèce de projet de société ou voici l'idéal qu'on voudrait atteindre, oui. Mais qu'ensuite on l'applique en forçant chaque personne à le faire, presque au même rythme – ça équivaut quasiment à le faire au même rythme alors qu'on dit que c'est des parcours individualisés – il nous semble y avoir une certaine contradiction dans ça.

(9 h 40)

M. Sirros: Et, si vous entendez aussi la ministre dire qu'il est évident qu'on ne pourrait pas faire passer ces mesures d'employabilité à tout le monde, on n'est pas si irréaliste que ça, on va cibler des personnes, etc., est-ce que la question ne vous vient pas à l'esprit, à ce moment-là: pourquoi ne pas cibler ceux qui sont peut-être le plus motivés et qui pourraient le plus bénéficier de ces mesures-là, c'est-à-dire ceux qui volontairement et spontanément vont les rechercher? Parce qu'ils savent aussi qu'ils ne veulent pas rester assisté social, puis ils veulent s'en sortir. Donc, pourquoi ne pas l'offrir sur une base volontaire, en associant des groupes communautaires et autres à ces démarches-là? Si on sait déjà qu'on n'aura pas la possibilité de passer tout le monde à travers ces mesures-là, pourquoi ne pas les offrir en priorité à ceux qui vont eux-mêmes aller les chercher et de peut-être cibler par la suite les cas plus problématiques, que vous soulevez aussi, les cas ayant des troubles affectifs, des problèmes psychosociaux, des cas marginaux sur lesquels il faudrait aussi jeter un coup d'oeil un peu particulier et différent?

M. Boucher (Laurier): Oui. Sur lesquels aussi il faudrait peut-être faire une espèce de travail psychosocial de base pour les monter à un certain fonctionnement minimal, pour leur permettre ensuite d'entrer dans ces parcours. Sans compter que, si on mise d'abord sur les plus motivés, ça peut avoir aussi un effet d'entraînement pour les autres.

M. Sirros: Et souvent la motivation est facteur de la capacité de la personne de voir clair dans ses affaires personnelles à lui. Donc, si on offre ces parcours à ceux qui sont, en tout cas, le plus motivés ou le plus capables de bénéficier de ces mesures-là, sans en faire une obligation à tout le monde, on pourrait, par la suite, peut-être s'asseoir avec des gens comme vous pour voir quel est le lien et la jonction qui pourraient être faits entre les mesures, les parcours d'employabilité et le travail préalable peut-être nécessaire pour certains cas et les services psychosociaux qui sont offerts. Avez-vous regardé un peu quel genre de lien pourrait exister entre les services sociaux et les CLE?

M. Boucher (Laurier): On sait, par exemple, que les centres jeunesse vous ont offert, dans leur mémoire, une certaine collaboration. Je pense qu'il pourrait y avoir aussi des concertations qui pourraient se faire avec soit les organismes communautaires, soit les CLSC, ceux qui donnent des services déjà dans la communauté, pour avoir des actions complémentaires vis-à-vis de certains individus ou de certains groupes d'individus qui ne sont peut-être pas prêts et donc pas motivés à entrer dans ces choses-là. Et, si on les inscrit de force dans ces parcours-là, on risque peut-être qu'ils se cassent encore la figure et qu'ils vivent une autre expérience d'échec. En tout cas, c'est le danger qu'on y voit.

M. Sirros: Juste rapidement, je sens comprendre, à ce moment-là, qu'un autre type de parcours, entre guillemets, d'employabilité pourrait aussi être un parcours de travail psychosocial. Mais, là, j'imagine que vous aurez un problème fondamental, si ça devient un parcours obligatoire, n'est-ce pas?

M. Leblond (Claude): Je dirais oui, théoriquement, mais, en même temps, il y a déjà des familles qui reçoivent une aide de façon obligatoire via les directions de la protection de la jeunesse, par exemple, les familles où il se vit un problème de négligence, où il se vit une violence, où les parents ne sont pas en mesure de répondre aux besoins des enfants, alors, les travailleuses sociales et les travailleurs sociaux en centre jeunesse ont déjà développé les habiletés pour à la fois travailler avec des clientèles non volontaires dans un objectif d'assurer la protection des enfants. Et il y a des expériences qui sont intéressantes, malgré ce contexte non volontaire, qui se développent peu à peu vers du volontariat en collaboration entre les centres jeunesse et les CLSC, par exemple, ou entre les centres jeunesse et des organismes communautaires qui ont une crédibilité pour les personnes, où effectivement il se développe des habiletés de compétence parentale. Ils sont souvent des préalables.

Je rajouterais un petit élément, M. Sirros. Ce qu'on s'aperçoit, c'est qu'au préalable les individus-parents ont besoin de retrouver espoir en eux comme individu, et espoir dans leur capacité, leur droit aussi de devenir des citoyens à part entière malgré les difficultés qu'ils vivent.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mme la ministre. Aviez-vous...

M. Sirros: Bien, je ne sais pas si la ministre le permettrait, mais je n'ai pas très bien saisi la réponse. Vous êtes en train de me dire que vous accepteriez de travailler avec des gens qui seraient obligés de venir vous voir comme un préalable au maintien de leur prestation sans pénalité. Et vous m'avez parlé de l'obligation qui est faite à certains dans le cadre de la protection de la jeunesse, sauf que là c'est dans un cadre où il y a des écarts par rapport à une norme sociale établie par rapport aux comportements vis-à-vis des enfants, et je vois mal le parallèle entre des gens qui sont victimes, comme disait la ministre, d'une situation d'emploi. Ce n'est pas eux qui sont déviants par rapport à ce que la société décide et la norme vis-à-vis du comportement par rapport aux enfants, donc les obliger à aller chercher de l'aide psychosociale pour être capable de maintenir leur prestation me semble odieux puis je vois mal le parallèle.

M. Boucher (Laurier): C'est moins une question de les obliger que de reconnaître qu'ils ne sont pas prêts immédiatement à être insérés dans ce dont on parle.

M. Sirros: Correct. O.K.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mme la ministre.

Mme Harel: Oui. Alors, rapidement, M. le Président, dans le mémoire, on retrouve un constat, à savoir que le problème de non-paiement de loyer est réel. Vous nous dites cependant que le mécanisme d'ordonnance, proposé lorsqu'il y a défaut pour les loyers à échoir, n'est pas le bon et vous suggérez médiation, conciliation, arbitrage, n'est-ce pas?

Peut-être vous demander: comment on applique ça lorsqu'il y a déguerpissement? Pour qu'il y ait médiation, conciliation, arbitrage, il faudrait, à ce moment-là, que les deux parties... Une médiation, ça se fait entre parties consentantes. Là, vous voyez, on est dans un ordre de problèmes où il y a eu déguerpissement et, comme il n'y a pas de fichier central puis que ce n'est pas notre intention d'en créer un, ça signifie donc que les personnes, qui ont fait défaut finalement de payer le loyer, bien... Vous, ce que vous proposez, c'est que... On leur propose quoi? La médiation? Est-ce que ce serait pour les loyers à échoir ou ceux qui sont déjà échus? Qui les prélèverait? C'est quoi, le mécanisme? C'est un voeu pieux. Moi, j'ai considéré en lisant ça que c'était un voeu pieux. Mais, en pratique, si vous dites que le problème est réel, il faut peut-être plus qu'une solution pieuse.

M. Leblond (Claude): Peut-être qu'on est dans un ensemble de voeux pieux. À ma connaissance par exemple, Mme Harel, il semble que les prestataires de la sécurité du revenu doivent avoir une adresse pour recevoir leur chèque. Alors, s'ils ont déguerpi d'un loyer, ce qui effectivement peut arriver, la fois suivante...

Mme Harel: La Sécurité du revenu ne le sait pas nécessairement. Les systèmes ne se communiquent pas ça.

M. Leblond (Claude): Non, mais vous nous disiez tantôt: Qu'est-ce qu'on fait avec la personne? La question que vous nous posiez, c'est: Qu'est-ce qu'on fait avec les personnes qui ont déguerpi? Au moment où on veut appliquer une mesure pour le paiement du loyer, une mesure de préhension sur le chèque, c'est qu'à ce moment-là on a retrouvé la personne, si je comprends bien, s'il y a un chèque qui est émis.

Mme Harel: C'est-à-dire qu'on ne l'a peut-être pas retrouvée, mais il peut y avoir eu une ordonnance pour la fois d'après, à défaut de quoi le ministère de la Sécurité du revenu ignore même que la personne a... qu'il y a eu non-paiement. Ce ne sont pas des informations qui sont communiquées, ça, entre les réseaux.

M. Leblond (Claude): Mais, quand la personne aura été effectivement retrouvée, est-ce qu'on pourra d'abord amorcer quelque chose qui pourrait être de type médiation, conciliation, arbitrage, avant d'en arriver à un prélèvement automatique? En tout cas, c'était une interrogation qu'on laissait: pourquoi arriver avec une mesure coercitive de la sorte quand ça touche un petit pourcentage de la population – et ça, vous le reconnaissiez – et qu'il y a peut-être d'autres mesures qui peuvent être utilisées auparavant?

Mme Harel: Mais, la mesure coercitive, comme vous dites, ne s'appliquerait qu'à un petit pourcentage, seulement s'il y a récidive et seulement si le propriétaire accepte le maintien dans les lieux. Vous voyez bien qu'il y a une contrepartie, là, c'est donnant donnant. Alors, vous, ce que vous nous dites, c'est, en d'autres termes, qu'il y ait médiation, conciliation, arbitrage, mais ça a déjà été, si vous voulez, examiné au niveau d'un tribunal quasi judiciaire qu'est la régie du loyer.

M. Leblond (Claude): Moi, j'aimerais, Mme la ministre, que vous nous... Par rapport à toute la notion du partage du logement, moi, j'ai été très surpris, étonné, avec les propos qu'on avait entendus auparavant, de voir que c'était encore partie prenante, ça, dans le projet de loi, dans la réforme. Et je suis encore surpris aujourd'hui. Les travailleuses sociales, les travailleurs sociaux sont surpris de constater effectivement qu'à la fois au niveau du ministère de la Santé et des Services sociaux, nos régies régionales, nos établissements, nous demandent concrètement de travailler à tisser, retisser le tissu social, les biens entre les personnes, à développer des solidarités pour qu'ensemble on ait un meilleur état de santé, un meilleur bien-être au Québec. À la fois, quand on développe ces moyens-là, qu'il y ait des personnes qui utilisent leur débrouillardise, qui mettent en commun des choses et soient pénalisées, ça me semble discordant.

(9 h 50)

Mme Harel: Oui, mais vous êtes conscient que ça coûterait 127 000 000 $, si tant est que la coupure pour le partage du logement qui existe depuis huit ans était abolie. Et encore faudrait-il à ce moment-là ajouter même à ce 127 000 000 $ la part du barème pour des couples de sexe différent, à défaut de quoi, ils seraient, eux, pénalisés de vivre maritalement alors que, s'ils vivaient comme colocs, à ce moment-là ils recevraient chacun un plein barème. Dans le fond, vous savez, le partage, c'est le barème de couple qui est appliqué à des gens qui cohabitent comme colocs, n'est-ce pas? Alors, c'est de cet ordre-là, c'est un ordre d'environ 150 000 000 $. Parce qu'on y a réfléchi en commission parlementaire, vous n'êtes pas le premier, comme vous vous imaginez, qui nous en parle, là.

M. Leblond (Claude): Non, non.

Mme Harel: Doit-on commencer par des catégories, en particulier les chefs de famille monoparentale par exemple, favoriser leur cohabitation, leur entraide familiale? Bon. En tout cas, chose certaine, vous savez, la commission parlementaire va nous servir à regarder ça de près; mes collègues et moi allons sûrement en reparler et faire des recommandations au gouvernement.

M. Boucher (Laurier): Parce que, dans le monde des affaires, voyez-vous, par exemple la débrouillardise qui s'appelle «joint venture», on applaudit à ça. On dit: C'est donc beau, extraordinaire. Mais, quand il s'agit de personnes pauvres qui font des choses qu'on pourrait assimiler à ça, on trouve étrange de les pénaliser encore. À ce moment-là, si on veut pousser ça un peu plus loin, les gens qui vont aux cuisines populaires, est-ce qu'on va leur couper leurs choses parce qu'ils se débrouillent un peu mieux que ceux qui vont faire leur marché chez Métro ou Provigo? On pourrait se poser la question comme ça aussi.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Merci, M. le Président. Il faudrait peut-être qu'on parle un peu de cette notion que vous introduisez dans votre mémoire, à la page 3, là, à l'effet de nuancer la définition de l'emploi et d'ajouter la notion d'activité de travail. Pouvez-vous expliciter, élaborer un petit peu? Est-ce que vous envisagez la reconnaissance du bénévolat, par exemple, comme activité qui pourrait faire l'équivalent d'un emploi? Comment vous le voyez?

M. Leblond (Claude): On voit ça comme toute activité qui a un apport social, toute activité qui permet à l'individu d'exercer son droit de citoyen et sa responsabilité de citoyen de participer au développement de la société, de la localité, de la communauté dans laquelle il vit. Ça peut être des activités de type bénévole, ça peut être aussi de former d'autres citoyens: alors, pour des mères monoparentales, de s'occuper de leurs enfants, d'éduquer leurs enfants et de les amener à être des citoyens responsables en devenir. C'est tout ce type d'activité. Il nous semble évident, effectivement, que le travail rémunéré, tel que connu maintenant, est à la baisse, là. Il faudra revoir cette notion-là de ce qui est important socialement comme activité et comment ça, ça mérite un salaire ou ça mérite une reconnaissance formelle.

M. Sirros: O.K. Et, un peu dans le même sens, vous parlez aussi de diverses mesures incitatives qui pourraient être autre chose que des montants d'argent. En avez-vous quelques exemples?

M. Leblond (Claude): Peut-être un sur lequel on a plus réfléchi mais qui fait partie de la réalité dans les plus petits milieux: quand on souhaite que des personnes s'insèrent dans un parcours ou qu'elles aillent dans des mesures d'employabilité, il y a toute la notion des transports qui n'est pas facile à l'extérieur des grandes villes, hein, vous savez? Peut-être qu'une des mesures pourraient être de l'ordre du transport qui, en soi, n'est pas une mesure financière, qui pourrait permettre aux personnes de s'insérer mieux dans les activités qu'elles choisiront dans leur parcours individualisé. Il y a probablement d'autres mesures incitatives qui pourraient être développées; on n'est pas allé plus loin, beaucoup, à ce niveau-là.

M. Sirros: Beaucoup de personnes nous ont parlé aussi de la formation nécessaire pour les agents qui auront dorénavant à faire quelque chose comme une relation d'aide un peu avec les personnes, sauf que c'est une relation d'aide obligatoire. Bon, il y a une certaine contradiction. Vous soulevez la question de la formation des agents. Comment vous le voyez? Quel genre de formation vous souhaiteriez voir donner à ces agents-là? Puis, sur quel laps de temps pensez-vous que c'est possible d'envisager la transformation des agents actuels vis-à-vis de ce qu'on leur demande de faire?

M. Boucher (Laurier): On n'a pas vraiment d'idée sur le deuxième volet de votre question mais, sur le premier, c'est clair que ces agents d'aide seront plus que des applicateurs de normes ou des vérificateurs, ça va être des gens qui vont devoir aussi supporter, faire un travail d'accompagnement, de support psychosocial avec ces personnes-là. Je ne peux pas vous dire, à ce moment-ci, si les agents de la Sécurité du revenu, présentement, ont cette formation-là, mais il faudra s'assurer qu'ils l'ont.

Et c'est peut-être aussi un endroit ou une occasion de créer des concertations ou des partenariats avec des organismes sociaux qui existent déjà ou même voire des cliniques privées de psychosocial ou de psychologues pour, soit aider à la formation de ces agents-là ou faire une complémentarité de leur action auprès des prestataires. Quand on parle de services psychosociaux préalables, c'est peut-être ça qu'on veut dire aussi; il pourrait y avoir des échanges de services entre les organismes qui donnent déjà des services psychosociaux, dont c'est le mandat, qui sont habilités, qui ont peut-être des gens mieux formés à faire ça, pour établir une complémentarité avec le travail des agents d'aide sociale.

M. Sirros: Peut-être, en terminant, pensez-vous comme nous que c'est une bonne idée, ce que la ministre annonçait hier, de retarder l'application de tout ça à plus tard pour qu'elle puisse refaire un peu les devoirs nécessaires dans ça?

M. Boucher (Laurier): Oui, on était heureux d'apprendre ça.

M. Sirros: Nous aussi.

M. Boucher (Laurier): Ça montre aussi le sérieux de l'affaire. Je ne pense pas que la ministre veuille se lancer une aventure qui est mal préparée, mal ficelée. Je pense que ça montre aussi qu'elle a été à l'écoute de ce que les gens sont venus dire ici.

M. Sirros: C'est ce qu'on pensait aussi, que c'était une bonne annonce qu'elle nous faisait hier, de retarder tout ça. Alors, M. le Président, pour ce qui est de notre côté, on aimerait remercier les gens pour leur présentation.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie. Oui?

M. Leblond (Claude): Je rajouterais un élément, M. Sirros. Pour que les agents d'aide sociale puissent effectivement devenir des agents de changement et des agents de support aux personnes appauvries, ils devront comme recommencer à bâtir un lien de confiance avec elles, ce qui me semble un défi majeur après toutes ces années de la loi n° 37, d'une part. D'autre part, il faudra que les personnes arrivent à reconnaître, au-delà d'une personne pauvre ou en chômage qu'elles ont devant eux, qu'il y a d'abord une personne apte au travail, qui a pour la plupart du temps déjà exercé un travail, reconnaître ses forces, ses capacités, être capable de lire dans les problèmes psychosociaux développés à cause de la pauvreté et du non-emploi, lire les impacts de la pauvreté, les impacts du non-emploi sur cette personne-là. Je pense que c'est un défi auquel les agents d'aide sociale seront appelés, mais, auquel, comme société, on est appelé, nous aussi, à voir au-delà du pauvre un citoyen, une citoyenne.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie. Une dernière courte intervention, Mme la ministre.

Mme Harel: Oui, M. le Président. Je vais en profiter tout de suite pour signaler à M. Boucher et à M. Leblond, et par la même occasion aux députés de l'opposition... La porte-parole de l'opposition le sait bien, parce que c'est là un sujet sur lequel on est revenu plusieurs fois depuis quelques semaines maintenant: la réforme suit ses étapes, les étapes habituelles. Nous en sommes jusqu'à Pâques, imaginez, en commission parlementaire sur un livre vert. On a toujours dit un «livre vert». Pourquoi vert? Parce que ça veut dire ouvert; sinon, il serait blanc. Vert, ça veut dire ouvert au changement. Alors, ça signifie qu'il faille l'aménager aussi, ce changement. Les étapes à suivre, c'est évident que la première, c'est d'asphalter la piste d'atterrissage. Vous savez, la piste d'atterrissage, il faut la réorganiser.

(10 heures)

L'offre de services, d'emplois, il faut réorganiser ça, c'est tout éparpillé, comme vous le savez, d'une part. D'autre part, il faut simplifier. Il y a 110 mesures-programmes. Ensuite, il faut décloisonner, parce que, actuellement, c'est selon l'étiquette que vous portez.

La première, première chose à faire, c'est déposer et adopter une loi créant le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, confirmant le rôle prépondérant des partenaires du marché du travail: patrons, syndicats, communautaire, et puis aménager les centres locaux d'emploi, et puis faire en sorte que le parcours puisse s'incarner dans des services réorganisés, plus en fonction, comme avant, de l'étiquette que les gens portaient dans le front. Ça, c'est la première étape.

Et l'étape suivante, c'est d'en arriver à réformer l'aide sociale de façon à ce que les personnes en besoin de protection sociale – on revient donc à la question de l'invalidité, de l'âge – puissent être administrées par la Régie des rentes, à leur choix. Et puis, ensuite, c'est de mettre en place ce qu'il faut pour que le parcours individualisé puisse se réaliser sur le plan local, avec le support des plans locaux que les partenaires locaux vont réaliser.

Alors, vous voyez, ce sont des étapes, ça, qui vont l'une dans l'autre s'imbriquer à partir de la clôture de nos travaux en commission parlementaire. Et, en même temps, la philosophie qui est derrière la réforme, je pense que, plus que jamais même, les travaux qu'on a faits nous confirment combien c'est important de faire en profondeur ce changement de philosophie, tout en aménageant au fur et à mesure, là, avec ce qu'on a entendu, des façons de faire – j'y reviendrai, là, avec mes collègues également. Mais on fera des recommandations, évidemment, au gouvernement, parce que cette commission-là nous aura été utile, n'est-ce pas.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie, Mme la ministre. Je vous remercie, messieurs, au nom des membres de la commission. J'invite maintenant les représentants du Protecteur du citoyen à s'approcher.

(Consultation)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, bienvenue, M. Jacoby et les gens qui vous accompagnent. Alors, M. Jacoby, vous présentez les gens qui vous accompagnent et vous pouvez commencer.


Protecteur du citoyen

M. Jacoby (Daniel): Oui, merci, M. le Président. À ma gauche, Me Georges Wentser, qui est responsable du secteur social au bureau du Protecteur du citoyen, et, à ma droite, Me Lucie Lavoie, qui est responsable, directrice de la recherche et des communications. Merci.

Nous avons examiné le projet de réforme de la sécurité du revenu et, sous certains angles, nous l'avons examiné avec également le projet de politique familiale ainsi que par rapport à la réforme de l'éducation, ce qui fait qu'il y a plusieurs des observations dans notre position qui tiennent compte à la fois du livre vert et des deux autres réformes proposées.

D'abord, je dois vous dire que... Je regrette un peu que la consultation sur la réforme se fasse alors qu'entre-temps, depuis les rapports Fortin et Bouchard, il y a eu un certain nombre de mesures qui ont été mises en place ou qui ont été annoncées et qui font que ça vide un peu la consultation de son contenu. Il y a eu évidemment beaucoup de mesures depuis décembre 1995 jusqu'aux annonces qui ont été faites par la ministre récemment de mesures qui entreront en vigueur en avril. Néanmoins, nous partageons substantiellement, nous partageons totalement même les objectifs qui sont poursuivis par la réforme de la sécurité du revenu, principalement l'accroissement de la capacité d'insertion et de réinsertion des prestataires dans le marché de l'emploi, l'option choisie de privilégier d'abord les jeunes et les familles, ainsi que l'objectif de combattre, dans une certaine mesure, la pauvreté chez les enfants. Je pense que ça rejoint, en tant qu'objectif, philosophie, les préoccupations du Protecteur du citoyen.

Par ailleurs, au niveau des moyens qui sont mis de l'avant par le livre vert, nous les partageons, pour plusieurs. Par exemple, ce qui nous apparaît essentiel, comme étant un pivot assez fondamental dans cette réforme, c'est la mise en commun des différents services qui sont actuellement dispensés par les centres Travail-Québec et les points de services de la SQDM, ainsi que les bureaux de l'assurance-emploi. Je pense que les 100 et quelques mesures qui sont ici et là disséminées entre ces trois entités-là ont intérêt à être véritablement mises à la disposition de toutes les personnes qui sont dans le milieu de l'emploi, en recherche d'emploi, et aux travailleurs, que l'on soit prestataire de la sécurité du revenu ou chômeur. Je pense aussi que, même si les structures n'apportent pas en soi des bénéfices comme tels sur le fond des choses, la structure proposée du centre local d'emploi est une structure intégrée qui devrait, par le biais du guichet unique, favoriser et faciliter l'intégration et le maintien en emploi des prestataires de la sécurité du revenu. Je suis aussi parfaitement d'accord avec le fait d'associer la création d'emplois avec le développement de l'économie régionale et locale. Aussi, ce concept de vouloir extraire et rendre un peu autonome la partie des argents qui sont dédiées aux enfants par le biais de l'allocation unifiée m'apparaît une mesure qui, non seulement va mettre toutes les familles à peu près sur le même pied – quand on parle de personnes qui sont économiquement défavorisées, qu'elles soient prestataires de la sécurité du revenu ou pas – mais, en même temps, va permettre un peu, par cette identification, de combattre, j'espère, la pauvreté chez les enfants. Parce qu'il faut se rappeler qu'au Québec, selon les statistiques récentes, il y a un enfant sur cinq qui vit sous les seuils de pauvreté et que l'avenir repose sur les enfants.

Par ailleurs, nous avons plusieurs réserves sur les moyens proposés que je vais résumer. Dans un premier temps, je peux vous dire que nous avons réexaminé aussi des mesures déjà existantes et nous pensons qu'il y a actuellement en oeuvre au niveau de la sécurité du revenu des mesures qui sont absolument irréalistes et causent des injustices énormes. Par exemple, la réduction du compte de banque pour toute personne qui demande de l'aide sociale, tel que ça a été modifié depuis 1996, ceci nous apparaît créer de sérieuses injustices. Et donc, nous demandons, sous cet angle-là, de revenir à la situation antérieure, ou en tout cas de changer le système de façon à ce que, à tout le moins, on prenne en compte les dettes qui sont payées par la personne qui demande la sécurité du revenu ou qui a des chèques en circulation.

(10 h 10)

On a réalisé que, compte tenu du contexte économique depuis quelques années, c'est devenu un problème de masse, toute la question du test d'actifs, de forcer les personnes, dans certains cas, à vendre des biens essentiels. Si l'on prend, par exemple, la situation d'une personne qui a une maison de 80 000 $ où on sait que l'excédent de 60 000 $, il y a 2 % qui est calculé et qui est amputé sur les prestations de sécurité du revenu... Alors, si je prends le cas d'une personne seule, âgée, qui a actuellement le barème de non-disponibilité, ça lui ferait un revenu de 7 200 $ en prestations par année. Par contre, le 20 000 $ excédentaire actuellement est imputé sur le montant de la prestation, d'où une réduction de 4 000 $. Ça veut dire qu'en fait cette personne devrait vivre avec une prestation de 3 200 $ par année, ce qui nécessairement force les personnes, pour pouvoir subvenir à des besoins essentiels, pour pouvoir se nourrir notamment, à vendre des biens qui sont essentiels. Et je ne pense pas qu'à moyen puis à long terme ce soit intelligent de maintenir ce système-là parce qu'on est en train d'enlever des biens essentiels. Que ces gens soient propriétaires, c'est une chose, mais il ne faut pas les pénaliser outre mesure. Je ne pense pas que globalement on s'aide quand on fait ça.

Ensuite, on a pu constater, selon des calculs que nous avons faits, que les propositions ou l'impact de la création de l'allocation unifiée pour enfants pouvait, pour certains cas, notamment pour les familles biparentales avec deux, trois et quatre enfants de moins de six ans, amener des allocations unifiées qui soient inférieures de 117 $ à 1 017 $ selon la taille de la famille. Alors, je pense qu'il y a des calculs qui doivent être révisés parce que, justement, je ne pense pas que ça ait été voulu comme tel étant donné que, par ailleurs, un des objectifs de la réforme, c'est de lutter contre la pauvreté des enfants.

Un autre point sur lequel on n'est vraiment pas d'accord quant aux propositions du livre vert, c'est de vouloir enlever le barème de non-disponibilité aux personnes âgées de 55 ans et plus. Je pense que cette mesure est absolument irréaliste et injuste. Irréaliste parce que déjà, en 1993, nous sommes intervenus dans cette affaire-là et déjà le gouvernement a reconnu que le marché de l'emploi était à peu près inefficace, non performant pour les personnes âgées de 55 ans et plus. Et je crois que, depuis 1993, le marché, quant à ces personnes, ne s'est pas amélioré, il s'est détérioré. Conséquemment, je ne pense pas qu'une telle mesure s'inscrive dans aucun des objectifs de la réforme, du livre vert. Et c'est pour cette raison qu'on propose le retrait de cette proposition.

Également, nous pensons que le livre vert met en relief les contraintes actuellement au niveau des conditions économiques au Québec et il ne faudrait pas que, dans la mise en oeuvre de la réforme, on fasse comme si la responsabilité de l'emploi reposait uniquement sur les épaules des citoyens. À ce titre, je pense qu'on peut dire que, par exemple, il faut arrêter de véhiculer des images négatives sur les assistés sociaux parce qu'on sait qu'ils ne sont pas pleinement responsables... Je ne dis pas qu'il n'y a pas des personnes qui abusent du système, mais, globalement parlant, ce sont les conditions économiques, les restructurations aussi des entreprises et différents facteurs qui font en sorte qu'on a du chômage qui se situe autour de 12 % actuellement au Québec, sans compter évidemment tous les prestataires de la sécurité du revenu qui sont aptes et qui n'ont pas d'emploi. Donc, il faudra faire très attention dans la mise en oeuvre de cette réforme.

Ce que nous pensons aussi, c'est que, à partir du moment où une personne va s'inscrire dans une démarche de parcours individualisé, elle devrait, comme, d'ailleurs, elle l'a actuellement au niveau des mesures désignées, maintenir la prestation, son barème de participation qui est de 120 $.

Quant à l'application des pénalités – quand on parle de pénalité, je ne dis pas retrait du barème, mais véritablement pénalité pour refus – là, je pense qu'il faudra, toujours dans l'application, que l'on soit extrêmement prudent. Au moment où on se parle, les pénalités sont appliquées dans des cas qui sont très définis. Par exemple, pour un refus ou un abandon d'emploi, il y a une pénalité de 150 $, et également dans les cas où des personnes ne participent pas à des mesures de soutien, d'appoint, comme le programme AGIR actuellement; il y a une pénalité également. Mais dans les autres cas, lorsque le ministère donne une instruction pour qu'une personne adhère à une mesure désignée, que ce soit un retour à l'école ou un stage en milieu de travail, il n'y a pas de pénalité. Actuellement, tout ce que ça produit, c'est que la personne ne bénéficie pas du barème de participation, donc qu'elle vit avec le barème de base.

Avec la réforme proposée, il semble, en tout cas, apparent qu'on va généraliser l'application des pénalités dans des secteurs où ça n'existe pas actuellement. Et, sauf certains cas particuliers, je ne suis pas nécessairement contre ces pénalités, mais je pense qu'il faudra faire très attention, parce qu'il faut penser que ces pénalités n'auront de sens que dans la mesure où les agents de sécurité du revenu auront la formation qu'il faut, pourront fournir l'encadrement nécessaire et adéquat et, également, dans la mesure où le système, au niveau des structures et l'intégration des différents services qui sont actuellement dispensés sur le territoire, sera véritablement efficace avec la collaboration du Conseil local des partenaires qui doit établir des programmes d'emploi aux niveaux local et régional. Alors, je pense qu'il va falloir, dans l'application du régime, faire preuve de beaucoup de prudence et éviter l'exercice d'une discrétion qui soit arbitraire de la part des fonctionnaires.

Pour ce qui est des mères de jeunes enfants, je pense qu'il y a là des problèmes sérieux. Il est proposé qu'à compter du mois de septembre les mères de jeunes enfants ne bénéficient plus du barème de non-disponibilité pour les enfants qui ont cinq ans et... jusqu'en l'an 2002, par rapport aux enfants de deux ans. Il y a beaucoup de difficultés là-dedans. D'abord, il faut reconnaître qu'actuellement la culture et les pratiques des bureaux de CTQ vont tout à fait à l'encontre de l'application de telles mesures. Il est bien connu que, dans les CTQ, on invite les mères de jeunes enfants à conserver le barème de non-disponibilité plutôt que de participer à une mesure. Il y a une foule de raisons qui expliquent ça, notamment le fait que les agents sont déjà débordés avec d'autres clientèles. Deuxièmement, il y a un préjugé très favorable à la femme qui garde ses enfants à la maison. Et, en troisième lieu, il y a le fait que, finalement, ce n'est pas une clientèle prioritaire.

C'est toute la culture organisationnelle des CTQ actuellement, et je pense que, pour changer une culture, il va falloir prendre le temps qu'il faut et prendre les moyens qu'il faut. Conséquemment, pour cette raison, entre autres, je pense qu'il n'est pas opportun à ce stade-ci, dès septembre, d'enlever le barème de non-disponibilité aux mères de jeunes enfants. Il y a aussi d'autres raisons qui font qu'il faut assurer une transition. Autant on est d'accord à ce que les jeunes mères de famille puissent réinsérer ou s'insérer dans le marché du travail – il faut s'assurer d'une transition, tant et aussi longtemps que le régime ne sera pas véritablement implanté – autant, tout à l'heure je disais, pour les pénalités, autant il est important, pour ce qui est de la suppression du barème de non-disponibilité pour les mères de jeunes enfants, que le régime soit véritablement implanté dans son ensemble. Donc, je demanderais un moratoire pour le temps de l'implantation jusqu'à temps, vraiment, que le système produise les services qu'il faut.

Maintenant, dans tous les cas et au-delà d'une implantation adéquate de la réforme, je pense qu'aucune pénalité additionnelle ne devrait être, dans le fond, imposée aux mères de jeunes enfants, parce que, lorsqu'on est dans une famille avec des enfants, il y a une différence par rapport à une entité, une personne seule, ou des adultes. C'est que toutes les coupures que l'on va faire, que ce soit par le biais de retrait de barème ou que ce soit par le biais de pénalités, ça va nécessairement avoir un préjudice direct sur les enfants eux-mêmes. Il ne faudrait pas que par le retrait du barème et l'application de pénalités on se retrouve dans une situation où ce sont les enfants, qui, eux, ne sont absolument pas à l'abri et qui ne sont pas tributaires de ce qui se passe, qui subissent finalement des privations parce qu'on aura royalement coupé en enlevant les barèmes ou en créant des pénalités. Je pense que, pour les mères de jeunes enfants, on ne devra jamais appliquer de pénalités.

(10 h 20)

Par ailleurs, pour ce qui est de la scission du chèque, pour ce qui est des loyers qui ne sont pas payés par les prestataires, là-dessus on va sortir un rapport dans quelque temps, mais je pense qu'il est important de songer à revoir cette pénalité pour partage du logement. Nous avons déjà là-dessus produit un rapport. Il y a certains cas qui sont criants. Je vous donne un exemple, pour moi, qui est très clair, c'est lorsque le ménage est composé de deux personnes qui sont toutes les deux prestataires de la sécurité du revenu, c'est absolument injuste, irréaliste et inique que d'enlever, de leur imposer à chacun une pénalité lorsqu'ils vivent ensemble, alors qu'on sait très bien que ce sont des cas extrêmement «borderline».

Aussi, autant le livre vert reconnaît le principe qu'il faut maintenant tenir compte d'une partie de la pension alimentaire avant de réduire la prestation, je pense que la modalité proposée va donner des résultats qui ne sont vraiment pas incitatifs, en ce sens que, si je prends le cas d'une personne, d'une mère qui a un enfant de huit mois, par exemple, qui a un revenu de travail de 125 $ et qui, par ailleurs, reçoit une pension alimentaire de 100 $, tel que le livre vert est aménagé, cette personne ne bénéficiera de rien du tout. Alors, elle n'a pas d'incitatif à sortir, à toutes fins pratiques, du régime de la sécurité du revenu. Donc, je pense qu'il faudrait dissocier l'exemption pour gains de travail et l'exemption pour pension alimentaire, tout en mettant un plafond aussi pour la pension alimentaire.

Par ailleurs, je suis un peu inquiet, moi, de voir ce qui se passe depuis quelques années au Québec, quand il s'agit d'implanter des réformes, de voir que les réformes sont, pour des raisons hâtives et pour d'autres raisons, mal planifiées, on n'est pas prêt, et ça crée des injustices incroyables, des coûts sociaux énormes et des coûts financiers énormes pour le gouvernement, qui doit réparer les pots cassés parce qu'une réforme a été mal planifiée. Il y a beaucoup d'intervenants dans ce dossier-là: la Régie des rentes, le ministère de la Sécurité du revenu et d'autres ministères et organismes. Je pense qu'il y a lieu de s'assurer à ce stade-ci que les outils soient donnés à l'ensemble, les outils, les moyens et les arrimages se fassent entre toutes ces instances-là de façon à ce que la réforme soit implantée avec le moins de bavures, le moins de ratés, le moins de failles possible.

Par ailleurs, une chose qui est assez inquiétante actuellement, c'est la manière dont, dans certains cas, sont appliquées les décisions par les fonctionnaires. Dans certains cas, on a vraiment l'impression, au bureau du Protecteur du citoyen, qu'il y a de l'arbitraire. Et je pense qu'une réforme de cette importance, qui va entraîner des retraits de barèmes, qui va entraîner des pénalités dans certains cas, devrait faire en sorte que les outils mis à la disposition des agents du ministère de la Sécurité du revenu soient des outils qui empêchent l'exercice de l'arbitraire. Actuellement, il existe une directive intelligente dans le manuel qui est remis aux agents et qui explique ce qu'est une démarche intelligente, et cette directive, on la retrouve dans le livre. Mais la loi elle-même ne parle pas des motifs sérieux pour lesquels une personne peut refuser une mesure quelconque.

Alors, ce que je proposerais là-dessus, c'est que la directive fasse partie intégrante de la loi, dans un premier temps, et, deuxièmement, qu'une directive nouvelle soit élaborée qui viendrait illustrer un peu la façon d'appliquer la directive générale. De cette manière-là, on va réduire les risques d'arbitraire dans l'application de la réforme, mais tout en faisant en sorte que les agents de la sécurité du revenu, et je l'ai dit plusieurs fois, il faut leur laisser la possibilité de se servir de leur jugement. Il ne faudrait pas que la directive soit à ce point strappée ou hermétique qu'ils doivent l'appliquer à la lettre, il faut leur laisser une marge de manoeuvre dans l'appréciation des circonstances. Ça m'apparaît extrêmement important.

Et liée à ça également, il y a toute la question des recours. Au niveau des recours, ce que l'on peut constater à la lecture du livre vert, c'est que le citoyen, par rapport à l'allocation unifiée, par exemple, pour enfants, va être un peu déchiré entre la Régie des rentes et le ministère du Revenu. On sait que, pour ce qui est du calcul de base, c'est le ministère du Revenu qui va le faire. On sait que l'admissibilité à l'allocation unifiée va relever de la Régie des rentes. Mais le ministère du Revenu, comme la Régie des rentes, peut se tromper pour une foule de raisons. Et là, dans certains cas, on peut imaginer le citoyen qui, en plus de souffrir la situation dans laquelle il vit comme prestataire de la sécurité du revenu, ou encore personne à faibles revenus, étant donné qu'on reçoit une allocation unifiée d'un certain montant... de se promener dans les dédales, actuellement, de l'administration, c'est extrêmement complexe, on va complexifier les recours. Et ce que je propose, c'est qu'on regarde à instaurer au niveau des recours une espèce de guichet unique également pour qu'une personne ne se promène pas d'un ministère à un autre ministère, et je pense que c'est faisable. Ça supposera que chacun des ministères concernés accepte que ce ne sont pas des empires, qu'ils peuvent déléguer des choses à l'autre, ce qui n'est pas facile avec la culture des organisations, mais je pense que c'est faisable.

Enfin, il y a d'autres choses dont je voudrais parler et qui sont dans le rapport, mais je pense que j'ai épuisé mon temps.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup.

M. Jacoby (Daniel): Je suis prêt à répondre aux questions.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie. Mme la ministre.

Mme Harel: Alors, bienvenue au Protecteur et aux personnes qui l'accompagnent. Je suis contente, Me Jacoby, que l'on puisse vous recevoir en commission parlementaire, je vous le dis bien simplement. Je crois que votre mémoire est le plus complet de tous les mémoires que nous avons reçus à date et je comprends que c'est le fruit de l'expertise qui s'est développée au Protecteur du citoyen à l'égard des personnes qui font appel à votre appui pour se retrouver justement dans le dédale de l'administration gouvernementale. Alors, soyez assuré d'une chose, c'est que votre mémoire, à défaut d'être un livre de chevet, en tout cas va certainement nous être extrêmement utile quant au rapport que mes collègues et moi, du côté ministériel, entendons faire au gouvernement, parce que votre mémoire ramasse, en fait, si vous me permettez cette expression, des suggestions, des recommandations, des constats également que nous avons souvent entendus ici, en commission, parfois plus d'une manière dispersée, et vous vous trouvez, dans ce mémoire, à articuler finalement tout ça.

À la page 6, vous nous dites: «En somme, compte tenu de la situation, il faut d'abord cesser de véhiculer des images négatives sur l'ensemble des prestataires de la sécurité du revenu; il faut ensuite faire preuve de bon sens dans l'application de mesures contraignantes; il faut aussi ne pas pénaliser les prestataires de 55 ans.» Là, vous ajoutez à cela des recommandations précises concernant les chefs de famille monoparentale en nous signalant qu'il faut distinguer les pénalités en cas de refus de parcours du barème de non-disponibilité et, d'autre part, en nous suggérant un moratoire quant au barème de non-disponibilité, de manière à ce que l'ensemble de la réorganisation ait été vraiment implanté et que le tout roule rondement. Alors, on reçoit en tout cas cette recommandation, certainement qu'on va l'examiner.

Cependant, je dois vous signaler qu'au 1er septembre prochain, pour 8 000 des 80 000 familles monoparentales qui reçoivent le barème de non-disponibilité, pour 8 000 d'entre elles, dont l'enfant aura cinq ans avant le 30 septembre et qui débutera à la maternelle cinq ans plein temps, j'ai déjà donné la directive de procéder, mais dans la perspective où ces 8 000 là, vous savez, dans un appareil comme celui de la sécurité du revenu, peuvent être identifiées et être jointes, et il peut y avoir une démarche qui se fasse pour les rendre admissibles, notamment à ce barème de participation de 120 $ qui va compenser, dans le fond, favorablement la perte du barème de 100 $ de non-disponibilité. Alors, je prévois, moi, un scénario qui consiste à offrir en priorité et d'une façon, si vous voulez, particulière, proactive, offrir à ces personnes un accompagnement soit vers une scolarisation ou soit vers une insertion, qui peut être aussi de l'ordre de la compétence parentale; c'est souvent par ce biais-là, me dit-on dans les organismes représentant les chefs de famille monoparentale, c'est souvent par le biais de la compétence parentale que ces chefs de famille sont intéressés à se réinsérer.

(10 h 30)

Ceci dit, évidemment c'est un mémoire qui est extrêmement exhaustif. Peut-être, avant que mes collègues puissent échanger avec vous, j'en profiterais pour échanger sur les recours. Je crois que vous avez raison de nous rappeler que, dans l'application de la loi 37 actuelle, la loi elle-même prévoit, par exemple, que les plans, ce qu'on appelle les mesures désignées, c'est décidé par l'agent, à l'inverse de la réforme, où c'est un parcours individualisé avec un projet personnel qui est réciproquement décidé.

Bon. Alors, il faut modifier la loi. Il faut modifier l'article 76 aussi, qui prévoit que ce plan est sans appel. Bon. Alors, comment aménager les recours? Je sais que ça fait partie de l'expertise souvent du Protecteur de... Est-ce qu'il y a déjà des travaux qui se sont faits sur les recours? Bon, vous nous suggérez actuellement d'introduire l'interprétation qu'on retrouve dans la directive, mais, en même temps, les recours vont exiger sans doute des instances pour les entendre, hein; présentement, c'est une révision interne où... le recours qui est lourd à la Commission des affaires sociales. Faut-il envisager ce qui se fait, par exemple, à l'assurance-emploi, avec les conseils arbitraux qui doivent rendre une décision dans les 30 jours, qui développent une jurisprudence? Comment vous voyez l'aménagement des recours?

M. Jacoby (Daniel): En fait, nous n'avons pas poussé l'analyse plus loin que ça, mais nous sommes en train de réfléchir aux différents scénarios et, d'ici quelque temps, on sera en mesure de proposer différents scénarios possibles. Tout ce que, à ce stade-ci, je dis, c'est qu'il faut, dans le mesure du possible, avoir un guichet unique au niveau des recours, de la même manière qu'on va avoir un guichet unique au niveau de l'offre des services, et ainsi de suite.

Mme Harel: Alors, vous voyez, finalement, un recours qui se développerait comme c'est le cas avec la Commission des affaires sociales, parce que, vraisemblablement, si tant est qu'il n'y a pas d'autres scénarios, c'est devant la Commission des affaires sociales que ça va finir par aboutir?

M. Jacoby (Daniel): Ultimement, ultimement, ou éventuellement le nouveau Tribunal administratif du Québec, l'autre réforme. Mais, ceci dit, je pense que, là-dedans, il faut faire attention. Il y a des recours, mais aussi il y a l'application, et je pense que le pivot de... Pour éviter les recours, minimiser les recours et les inquiétudes, que les recours soient justifiés ou pas, c'est qu'il faudra que tout le réseau soit en mesure d'appliquer la loi de manière intelligente, et ceci, ça veut dire un peu plus d'instructions dans les directives, une loi qui soit claire, et ça veut dire une bonne formation au niveau des agents qui, par ailleurs, vont passer de ce qu'ils sont actuellement, des agents de contrôle avant tout – ils ont 350 dossiers par année, mais ils passent plus de 90 % de leur temps à faire de la paperasse et du contrôle... Et pour le rôle de conseil et de suivi au niveau de l'intégration et du maintien en emploi, et tout ce qui est préalable à ça, il va falloir développer chez eux une approche véritablement qui soit adéquate. Et je pense que la clé va reposer là-dessus. Ça aurait pour effet de minimiser, je ne dis pas que ça va les annuler, mais les recours.

Alors, selon moi, la priorité, c'est de leur donner des outils, aux agents, pour faire correctement leur travail dans l'application de la réforme et, ensuite, aménager des recours qui soient simples pour la population et simples pour le gouvernement. Vous savez, les recours, ce n'est pas juste du côté des citoyens, c'est aussi du côté des appareils de l'État. Si vous avez trois, quatre marmitons dans la cuisine de recours, ça coûte trois, quatre fois plus cher de faire un bon repas. Alors, c'est ça, le problème.

Mme Harel: J'ai souhaité, compte tenu que votre mémoire aborde la politique familiale, j'ai souhaité et je sais qu'ils sont présents parmi nous, qu'il y ait des représentants du Secrétariat à la famille. Vous savez, puis je crois que vous en parlez d'ailleurs dans votre mémoire, nommément, vous savez que l'ensemble de l'implantation des mesures relatives à la politique familiale, à savoir l'allocation unifiée, les services de garde et la caisse d'assurance parentale, relève de la responsabilité de ma collègue la ministre de l'Éducation et responsable de la politique familiale. Je m'engage à lui transmettre l'objet de vos recommandations et à les faire analyser, comme c'est le cas actuellement pour un certain nombre de mémoires qui en ont parlé également. Mais je comprends que Mme Marois présentera un projet de loi sur l'allocation unifiée, à l'occasion duquel il y aura sûrement consultation parlementaire, ainsi que sur les services de garde.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie. M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Merci, M. le Président. À mon tour de souhaiter la bienvenue au Protecteur du citoyen ainsi qu'aux personnes qui l'accompagnent.

Peut-être aborder la question, en premier lieu, du barème de non-disponibilité pour les gens de 55 ans et plus. La ministre n'en a pas beaucoup parlé. Vous, vous en avez parlé dans votre mémoire, et je pense que, au risque de repasser à travers l'histoire, vous avez fait état d'un certain cheminement de cette idée depuis maintenant tout près de trois ans et demi, à peu près, qu'un gouvernement précédent qui avait proposé une mesure semblable ait décidé de faire marche arrière, de ne pas procéder. D'ailleurs, je note dans votre mémoire la correspondance du porte-parole de l'opposition d'alors, le député de La Prairie, M. Denis Lazure, qui était porte-parole de l'opposition officielle en matière de main-d'oeuvre et de sécurité du revenu, qui avait dit, à vous, il y a trois ans et quelques, que l'opposition comptait s'opposer avec acharnement aux mesures de baisser ou d'éliminer le barème de non-disponibilité à 55 ans.

Quand vous dites «irréaliste»... moi, je peux comprendre pourquoi vous dites «injuste», mais, quand vous dites «irréaliste», pourquoi vous dites ça? Peut-être que vous pouvez vous expliquer un tout petit peu. Je comprends la notion «justice» ou «équité» là-dedans, mais c'était la notion d'irréalisme des mesures qui m'intriguait un peu.

M. Jacoby (Daniel): Irréaliste en ce sens que la mesure n'est pas du tout arrimée à la réalité du marché de l'emploi. Il faut penser que, jusqu'aux années 1985, les travailleurs âgés étaient protégés relativement, pour une foule de raisons, y compris leur ancienneté, et que les choses se sont détériorées avec les récessions, et ainsi de suite. Aujourd'hui, on est dans une situation où les personnes de 55 ans et plus, généralement, sont incapables de se trouver un emploi. Je comprends qu'il y a un bon nombre d'entre elles qui aimeraient pouvoir faire des emplois communautaires, mais rien ne les empêcherait de le faire si elles choisissaient cette option-là. Il y a aussi tous les changements qui sont intervenus dans la société. Les changements technologiques, particulièrement par les technologies des communications et de l'information, ont fait en sorte que ces travailleurs-là n'ont pas les outils nécessaires aujourd'hui pour pouvoir occuper un emploi stable.

Par ailleurs, on n'a pas vu dans le réseau, autant du côté fédéral que provincial, des programmes véritablement valables et efficaces pour les travailleurs de 55 ans et plus. Pourquoi il n'y en a pas? Bien, c'est parce que... Il y a une raison pour ça. Et, en plus, il faut tenir compte du fait... C'est irréaliste aussi, le fait... parce qu'il y a une certaine... Dans notre société, par les temps qui courent, au Québec comme ailleurs, il y a comme des conflits de générations qui sont alimentés ici et là, très souvent sans le savoir. Mais le simple fait que les employeurs discriminent, d'une manière générale, les personnes âgées, parce qu'elles coûtent plus cher, parce qu'elles sont plus déterminées, elles sont beaucoup moins souples que les jeunes qui ont besoin d'argent, qui sont moins payés, qui sont prêts à se plier à beaucoup de choses... Alors, il y a toute une culture un peu discriminatoire, dans le sens large du mot, qui fait que c'est une barrière systémique, finalement, à l'emploi pour ce groupe de personnes.

Et je pense, finalement, qu'il faut que la mesure, comme je le disais plus tôt... que cette mesure était tout à fait en dehors des objectifs de la réforme. C'est que le livre vert lui-même dit quelque part, et je le cite, à la page 26: «Comme ces prestataires, en raison des difficultés particulières liées à l'âge, ont un accès limité au marché du travail, ils ont été considérés moins prioritaires dans les programmes d'intégration à l'emploi.» Alors, par ailleurs, on dit qu'ils sont moins prioritaires, mais, en même temps, le livre vert propose de leur enlever le barème de non-disponibilité. Alors, ce n'est pas cohérent, je pense, sous cet angle-là. Et d'ailleurs, pour terminer, je dois dire que même Pierre Fortin a dit très clairement qu'il recommandait le maintien du barème de non-disponibilité pour les 55 ans et plus.

(10 h 40)

M. Copeman: La mesure qui change ou qui introduit la notion du caractère obligatoire du parcours versus le caractère volontaire, vous n'en avez pas parlé dans votre mémoire. Vous l'avez peut-être abordé, d'une certaine façon, avec la notion des pénalités. Mais avez-vous fait une réflexion là-dessus? Énormément de groupes qui sont venus devant cette commission ont témoigné qu'il y a un impact même potentiellement négatif en faisant en sorte que ces mesures-là soient de nature obligatoire plutôt que volontaire. Avez-vous une réflexion là-dessus?

M. Jacoby (Daniel): Il y a un danger certain à l'imposition de mesures. Mais le danger de l'imposition des mesures n'existe que dans un contexte où la réforme ne serait pas appliquée avec les outils nécessaires. En d'autres termes, si, au niveau des CLE, on offre des choses qui existent et qui peuvent soit améliorer l'employabilité, soit déboucher, le cas échéant, vers des emplois, qui ne seront pas tous nécessairement stables parce qu'on sait qu'il y a une recrudescence des emplois précaires, et ça fait partie de notre économie et d'autres économies, je pense que la question de la contraignabilité perd de son sens dans la mesure où, par ailleurs, on a un package à offrir véritablement en région aux prestataires de la sécurité du revenu. Et là où ça deviendrait pénalisant et désincitatif, ça serait si on forçait à n'importe quel prix l'imposition de mesures qui ne sont pas adéquates. Donc, je me dis que ça repose essentiellement sur la capacité du gouvernement et des instances du réseau et des instances régionales et locales de développer des programmes de création d'emplois. Évidemment, c'est un peu aléatoire dans le contexte économique, mais ça repose là-dessus. Et s'il fallait que ça ne se passe pas comme ça, je pense que, là, l'imposition de pénalités ou de retrait de barème deviendrait ou risquerait de devenir absolument, je dirais, irréaliste, et injuste aussi.

M. Copeman: Également, vous en avez parlé un tout petit peu, de la notion du barème de non-disponibilité pour les chefs de famille monoparentale avec de jeunes enfants. La ministre, si j'ai bien compris, vient de nous indiquer – puis elle va me corriger si je suis dans l'erreur – que ce barème serait éliminé pour les, semble-t-il, 8 000 familles touchées ou, en tout cas, 8 000 enfants qui vont rentrer à la maternelle à temps plein au mois de septembre, selon les indications ou le livre blanc de Mme Marois. Je veux lier ça à vos commentaires sur la planification, parce que je pense qu'une portion très intéressante dans votre mémoire traite de la question qu'une réforme mal planifiée est une réforme ratée.

On a vu ensemble d'autres réformes dont la planification a été questionnable, le moins qu'on puisse dire. Je sais pertinemment bien, pour une commission scolaire avec laquelle je suis familier sur l'île de Montréal, que c'est bien beau d'annoncer l'arrivée de la maternelle temps plein à partir de septembre, mais la commission scolaire, avec laquelle je suis familier, indique, à l'inscription des jeunes, que le tout est dépendant d'un tollé de choses qu'on ne connaît pas actuellement. C'est bien beau d'offrir sur papier et dans les paroles une maternelle à temps plein, les commissions scolaires ont une certaine mesure de difficultés à vraiment planifier pour la rentrée, qui est septembre. Et je me demande si l'annonce de la mesure d'élimination du barème de non-disponibilité à partir de septembre pour ces enfants de cinq ans – en principe, ils vont rentrer en maternelle à temps plein – n'est pas un terrain glissant en termes... le point que vous avez fait, en termes de planification efficace. Est-ce qu'on risque de briser des droits ou d'affliger les prestataires de la sécurité du revenu par cette mesure par manque de planification?

M. Jacoby (Daniel): Tout est dans la question de la planification stratégique opérationnelle. Si, à compter de septembre, on retire le barème, encore faut-il que plusieurs conditions soient remplies à l'échelle du Québec. Un, qu'il y ait des locaux, et j'ai lu, en tout cas, que plusieurs commissions scolaires se posaient... la Fédération des commissions scolaires se posait des questions sur des questions aussi matérielles que des locaux. Deuxièmement, ça suppose qu'un nouveau programme pédagogique soit élaboré pour le mois de septembre et que ce soit un programme pédagogique qui soit adéquat, dans les circonstances, parce que c'est un gros changement, ça. Il ne faudrait pas que les jeunes qui vont là s'amusent à ne rien faire, parce que ce n'est pas ça qui est derrière ça. Il faut qu'il y ait un programme, il faut un encadrement également. Et c'est pour ça que je me dis: Si on n'est pas prêts là-dessus, il faut faire très attention dans le retrait du barème. Et ce que je disais parallèlement, tout à l'heure, c'est qu'il faudrait, pour la période d'implantation globale, éviter de retirer le barème. Mais je dis dans le mémoire, quelque part, que pendant cette période d'implantation globale – et là je pense aux 8 000 personnes dont parlait la ministre et auxquelles vous faites référence... Ce que nous disons, c'est que, pour la période d'implantation, il y ait un moratoire, à moins que la mère de famille, à l'intérieur d'un an, refuse deux fois, sans raison valable, de s'intégrer à un parcours.

Je pense qu'en mettant ces balises-là ça permettrait au gouvernement en même temps de faire très attention quant à la planification, son implantation réelle, et aussi d'éviter cet automatisme que je déplore un peu, de dire qu'à partir de septembre il y a 8 000 personnes qui vont perdre leur barème, sans savoir s'il va y avoir nécessairement les conditions favorables au niveau scolaire et sans savoir non plus s'il y a des mesures qui sont véritablement disponibles à l'échelle du Québec. Là, je ne parle pas juste d'une région. Il faut que tout le monde soit traité également à l'échelle du Québec, qu'on soit dans le Bas-Saint-Laurent, qu'on soit en Abitibi, qu'on soit sur la rive sud de Montréal ou sur la rive nord du Saint-Laurent, ici. Alors donc, je me dis: Il faut que le gouvernement se dote d'un outil avec des soupapes et de l'oxygène pour justement contrer cette possibilité d'une opération pour laquelle on n'aura pas eu le temps de planifier, d'une manière opérationnelle, la réforme.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, M. Jacoby. Je salue également les personnes qui vous accompagnent. J'aimerais revenir sur une des déclarations que vous faites assez tôt dans votre document et qu'on retrouve dans la feuille synthèse, qui est cette idée de ne pas faire reporter la responsabilité de l'emploi seulement sur les citoyens. À l'occasion d'une réponse au député de Notre-Dame-de-Grâce, vous avez abordé un petit peu ce qui me préoccupe, mais j'aimerais y revenir quand même parce que, dans le livre vert, nous avons bien pris soin, au chapitre où on élabore les moyens choisis pour appliquer la réforme, de parler, dans un premier temps, du Plan local d'action concerté pour l'emploi, avant de parler du parcours individualisé. Et ce n'était pas une distraction, c'était vraiment parce que, dans notre esprit, il y a une responsabilité au moins aussi importante au plan... collective, et je dirais d'abord collective, à faire des efforts, compte tenu de la difficulté de création d'emplois que nous connaissons. Mais, compte tenu de tout cela, malgré tout, il y a une responsabilité locale, donc une responsabilité des partenaires locaux de faire le maximum de ce qu'ils peuvent faire. On ne pense pas que ça aura un effet magique, mais on pense qu'il faut se rapatrier collectivement cette responsabilité au palier local, là où les gens se connaissent et peuvent avoir, probablement, un peu plus d'emprise sur la réalité. Or, vous glissez très vite là-dessus et vous en parlez peu. Je sais bien que votre expertise est au plan de la protection des citoyens comme personnes, en fonction de leurs droits. Mais, étant donné que c'est quand même pour nous un aspect important de la réforme qui ne va pas sans le parcours, qui n'aurait aucun sens sans le parcours, j'aimerais vous entendre me dire comment vous percevez cette approche locale plus collective.

(10 h 50)

M. Jacoby (Daniel): Bien, je pense – je l'ai dit au tout début de ma présentation tout à l'heure – que je trouve que c'est un moyen qui est extrêmement prometteur que de vouloir associer le développement du marché de l'emploi, la stabilisation des emplois, à l'économie locale et régionale. Et je pense que c'est un pivot essentiel. Ce que je dis par ailleurs, c'est qu'il faudra éviter, même si le livre vert le dit très clairement, c'est un jeu à trois, ça, le parcours individualisé... il faudra éviter que dans l'application de la réforme, et c'est surtout là que j'en ai, on fasse, par une mauvaise application de la réforme, porter aux prestataires la seule responsabilité de l'emploi. En somme, ce que nous disons dans notre rapport, et nous n'inventons rien, c'est que la responsabilité individuelle ne réussira pas à être seule à contrer la pauvreté d'un non-emploi. C'est sûr que le livre vert pose les conditions préalables, chronologiques, et ainsi de suite, pour que ça ne se produise pas comme ça. Mais c'est dans ce sens, c'est une mise en garde ou une lumière que j'allume pour dire: Il faut faire très attention. Et c'est pour ça que, par ailleurs, dans certains cas, je propose qu'il y ait un moratoire sur le retrait de barème. Dans certains cas, je dis qu'il ne faut absolument pas qu'il y ait de pénalités ou encore que des pénalités soient reportées jusqu'à l'après-implantation. Mais je pense que ce n'est pas une recette miracle, parce que déjà, en région, il y a des organisations, il y a certains programmes, mais il n'y a pas cette concertation des intervenants ou des acteurs que l'on retrouve, telle que proposée dans le livre vert. Mais c'est sûr que c'est un pivot essentiel, comme sera un pivot essentiel l'intégration des compétences fédérales et provinciales dans ce domaine-là.

Mme Malavoy: Oui, ça va. Je pourrais continuer, mais...

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Il vous reste du temps.

Mme Malavoy: Oui? Bien, je me demandais... Quand vous parlez des employés qui devraient être outillés pour éviter de rendre des décisions arbitraires, est-ce que vous voyez un... Dans l'outillage de ces gens-là, vous voyez quoi? Est-ce que vous voyez un lien avec, entre autres, ce qui va se passer au plan de la concertation locale? Ça fait référence à quoi, l'outillage, précisément?

M. Jacoby (Daniel): L'outillage, c'est... Bien, enfin, il y en a plusieurs. Mais celui qui me préoccupe le plus en termes de possibilité d'arbitraire, c'est l'outillage de ces agents; les agents qui vont s'occuper d'agir en aide et soutien et ceux ou celles qui vont agir en contrôle. Bon. Mais il ne faut pas se leurrer. Dans la réalité, même si on a un agent socioéconomique puis un agent de contrôle, ce monde-là, ils se parlent, ils sont dans les mêmes bureaux; il y a une cloison qui les sépare. Donc, un, s'il n'y a pas suffisamment de mesures disponibles et, deux, s'il y a une mauvaise préparation de ces agents, ce qui va se produire, c'est que: Oui, je vais vous offrir une mesure, qu'on sait très bien irréaliste ou qui ne convient pas, et puis, sachant que le dossier, on va le prendre puis on va le transférer dans le bureau voisin.

Alors, ce que je dis, c'est qu'il faudra qu'on prenne, par exemple, ce que je note à la page 11... Il y a dans les directives du ministère, dans le livre de recettes, une définition de la démarche appropriée. On y dit d'une manière très intelligente: «Une démarche appropriée à la situation s'entend d'activités réalistes et à la mesure des capacités du prestataire. La fréquence, l'intensité, les délais de réalisation, le type de démarche, les particularités régionales (géographie, distances, situation du marché), le niveau d'employabilité, la situation personnelle et familiale...» Tout ceci, ce sont des facteurs qui doivent être pris en compte pour pouvoir proposer une mesure qui soit réaliste et qui ne dépasse pas les capacités du prestataire. Bon. Ça, ici, je peux vous dire que notre expérience nous montre que ce n'est pas connu ou ce n'est pas appliqué parce que... C'est très bien, mais on indique des paramètres. Et c'est difficile pour un agent, dans le feu de l'action, à partir seulement de ça, d'être capable de rendre de bonnes décisions, puis de proposer de bonnes mesures ou, le cas échéant, des retraits... pas des retraits de codes, mais des retraits de barèmes ou encore des pénalités.

Donc, ce que je dis: Il faut que, là-dessus, les outils soient très... Mais, d'abord, il faudrait que ces indicateurs-là, ou ces facteurs, ces paramètres soient inscrits dans la loi comme telle. La loi ne parle que de motifs sérieux. Je pense que c'est fondamental en termes de faire en sorte qu'on applique les mêmes normes à l'échelle du Québec, parce qu'on sait que, quand on a des entités régionalisées, il peut y avoir des discordances entre les régions dans l'application des lois, au départ. Deuxièmement, là, qu'on fasse une directive, du genre directive qu'on retrouve dans les normes, donner une série d'exemples à l'agent, par exemple: Géographie, qu'est-ce que ça peut vouloir dire? On peut donner des exemples. Mais il ne faudrait pas non plus que les exemples soient exhaustifs pour ne pas qu'ils deviennent limitatifs, et laisser aussi une marge de manoeuvre à l'agent de pouvoir, dans des circonstances particulières, appliquer d'autres situations qui ne sont pas prévues dans le livre de recettes. Ça m'apparaît fondamental.

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Il y a un élément intéressant, à la page 30 de votre mémoire, qui nous est venu à l'esprit et qui concerne, encore une fois, la question de la planification, l'arrimage de toutes ces interventions. Il s'agit de la date prévue d'implantation de l'allocation unifiée pour enfants qui, vous indiquez, était pour le 1er juillet. Je sais que ce n'est pas de la compétence de la ministre, mais il est clair dans le livre vert que l'allocation unifiée pour enfants est un élément clé dans toute la réforme. Avec l'annonce du retard de la réforme qui, selon la ministre, n'est pas un retard, parce que ça n'a jamais été prévu pour avant l'automne, mais, quand même, on laissera ça aux interprétations des journalistes et autres, s'il y a vraiment retard ou pas dans l'implantation de la réforme de Mme Harel, n'y a-t-il pas un risque qu'on procède un peu à la pièce? Si l'allocation unifiée pour enfants entre en vigueur le 1er juillet, mais qu'aucun changement de fond n'arrive à notre système de sécurité du revenu avant l'automne, est-ce que ce n'est pas là une indication de la mise en garde que vous avez faite concernant la planification?

M. Jacoby (Daniel): Bien, je pense que ce sont des éléments qui sont intimement reliés et que, s'il y a un pan de la réforme globale... parce que je pense qu'il faut lire la réforme, le livre vert avec la politique familiale et la réforme de l'éducation. Il y a tellement de liens entre eux qu'on ne peut pas. Et c'est un peu comme un jeu d'échecs: si on déplace un pion, ça a un effet sur l'adversaire, et ainsi de suite. Conséquemment, je pense qu'il faut faire extrêmement attention. Et il y a beaucoup d'éléments. Je pense que les risques sont énormes. Il faudra que le gouvernement soit très prudent dans l'implantation de l'ensemble des réformes pour les parties qui sont interreliées.

Il y a aussi, au niveau de l'allocation unifiée pour enfants, toute la problématique de savoir... Ça, c'est basé sur des déclarations de revenus, déclarations de revenus qui vont être faites l'année suivante, en 1998. Et on sait qu'il y a une foule de personnes actuellement, qu'elles soient prestataires ou non de la sécurité du revenu, qui ne font pas de déclaration de revenus, qui n'en ont jamais vu de leur vie, et on va leur demander de faire un rapport d'impôts. Pour des bureaucrates qui travaillent à l'impôt, il n'y a rien là, faire un rapport d'impôts. Moi, je viens de faire le mien, par exemple, je me rends compte que je ne suis plus capable de le faire moi-même. Bon. J'en connais des affaires. Je ne suis plus capable. Puis il est simple, mon rapport. Il y a des choses incompréhensibles. Alors, on peut imaginer que ça... Il va falloir trouver une formule très simplifiée pour toutes ces personnes qui vont déclarer le revenu strictement pour les fins de l'allocation unifiée. Et il faut que ça se fasse, que l'information soit donnée, qu'on donne l'information et qu'on puisse encadrer, non pas envoyer ces gens-là chez H & R Block puis leur faire payer des frais additionnels pour comprendre comment faire une déclaration de revenus, là. Alors, ça, c'est bien important aussi, parce que, ça aussi...

Moi, je le dis, et on le voit, quand des réformes partent mal pour les choses comme ça, on dirait que le malheur s'installe puis ça dure des années. C'est mon expérience depuis quelques années avec quelques réformes; le malheur s'installe pour longtemps. C'est comme s'il y avait l'oeil noir ou des choses comme ça dans la réforme. Mais c'est ça. Ça a l'air de rien, là. Puis je sais que des bureaucrates qui proposent des choses comme ça au gouvernement, ils disent: Il n'y a rien là, des déclarations de revenus, voyons donc! qu'est-ce que c'est ça? pas besoin d'avoir un Ph.D. pour faire ça. Mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas la vraie réalité du monde, ça.

M. Copeman: Encore une fois, votre mémoire est muet sur la question du transfert des gens avec une contrainte sévère à l'emploi ou limitation fonctionnelle au RRQ.

M. Jacoby (Daniel): Oui.

M. Copeman: Je ne sais pas si vous avez une réflexion...

M. Jacoby (Daniel): Nous avons des interrogations là-dessus. D'abord, il est certain qu'il faut penser aussi à l'impact de la réforme de l'assurance-médicaments sur... l'impact de cette réforme sur le régime d'assurance-médicaments. On dit dans le livre vert que les personnes inaptes pourront recevoir une rente de la Régie des rentes plutôt que de continuer à recevoir leurs prestations de la sécurité du revenu. Elles vont donc devenir des rentiers au sens de la Régie des rentes. Ça va comprendre des prestataires qui sont actuellement sur SOFI et ça va aussi comprendre des personnes âgées de 60 ans et plus qui vont possiblement aller chercher un montant. Il ne faudrait pas que, par ce jeu-là, ces personnes se trouvent à perdre, entre guillemets, le bénéfice du régime d'assurance-médicaments pour qui le plafond de coassurance est limité à 200 $. Ça, c'est une chose.

La deuxième chose qui n'est pas claire dans le livre vert, c'est: Comment vont s'exercer ces choix et en vertu de quoi ils vont s'exercer?

Et, troisièmement, il y a toute la question aussi des besoins spéciaux. Le livre vert est muet là-dessus. En tout cas, moi, je n'ai pas vu... Qui va continuer... Prenons la personne qui, actuellement, est dans le programme SOFI, qui reçoit son allocation de la Régie des rentes et qui a des besoins spéciaux. Qui va assumer les besoins spéciaux? Est-ce que ça va être la Régie des rentes ou est-ce que ça va être la sécurité du revenu? Je l'ignore. Je pense qu'il y a des choses à préciser là-dedans.

(11 heures)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Ça va. Mme la ministre.

Mme Harel: Écoutez, M. le Président, ça sera court parce qu'il me reste très peu de temps. Peut-être vous rassurer, si tant est qu'il soit nécessaire de le faire, c'est déjà prévu que les personnes qui vont demander le statut d'invalidité restent, si vous voulez, assujetties à la Loi sur la sécurité du revenu. En fait, la Régie des rentes administre, mais, en fait, ce sont des personnes qui relèvent des programmes d'assistance; ça n'en fait pas des rentiers au sens d'un régime contributoire d'assurance.

Alors, la Régie administre diverses sortes de programmes, autant des programmes d'assistance comme les allocations familiales que d'assurance, donc va administrer ce programme-là pour le bénéfice du Québec mais, en même temps, c'est à la fois pour les besoins spéciaux, à la fois pour l'ensemble, si vous voulez, des allocations, et il va de soi que ce sera le maintien d'un régime qui tentera d'être neutre justement pour ne pas déséquilibrer les choix personnels que des gens feront, soit en faveur d'un statut d'invalidité ou en faveur d'une allocation pour contraintes à l'emploi.

L'idée, c'est de permettre à des personnes handicapées ou à des personnes déficientes qui, actuellement, sont considérées comme inaptes, de choisir d'être aptes avec une allocation pour contraintes à l'emploi ou, pour des raisons qui leur sont personnelles, de faire reconnaître leur statut d'invalides.

Bon. Ceci dit, concernant les agents, il y a sûrement un facteur qui va être déterminant, c'est le suivant: les agents n'auront pas à faire en même temps l'attribution initiale, l'aide financière puis l'employabilité. Vous savez que c'est des modules complètement distincts, réorganisés vraiment de façon, si vous voulez, pas étanche, parce que ça va être le même ministère de l'Emploi et de la Solidarité, mais dans des directions générales distinctes: l'aide financière d'un côté et l'aide à l'emploi avec Emploi Québec de l'autre côté.

Donc, le conseiller à l'emploi, c'est quelqu'un qui fait une démarche avec une personne qui peut être un chômeur à l'aide sociale, un chômeur à l'assurance-emploi ou un chômeur sans chèque. Je pense que ça, ça va réorganiser la culture qui était beaucoup une culture du contrôle, comme vous l'aviez mentionné tantôt.

D'autre part, vous avez dit, dès le début de votre présentation, qu'il y avait eu des compressions, que vous aviez l'impression que ces compressions avaient entaché dans un sens la réforme. La réforme, vous savez, c'est structurant, ce qui est inclus dans la réforme, à savoir que, indépendamment de l'assainissement des finances publiques, indépendamment de l'assainissement des finances publiques, il aurait fallu se réorganiser. Un système où vous avez maintenant une majorité de gens qui sont des chômeurs ne peut pas continuer sur l'erre d'aller comme il était il y a 28 ans, où c'étaient principalement des personnes qui n'avaient pas la capacité de travailler.

Bon, une fois qu'on a dit ça, on est dans un contexte où, sur le plan conjoncturel... Vous voyez, aujourd'hui, il y aura les crédits de ce qu'on pourra dépenser pour l'an prochain. Alors, là-dedans, il n'y aura pas des surprises, parce que le tout a été rendu public en janvier justement pour ne pas qu'on mène une consultation sur une réforme avec des gens qui viennent présenter des mémoires puis qui, en cours de route, nous disent: Oui, mais vous ne l'aviez pas dit, quel serait votre budget.

Le budget qu'on aura dans les crédits d'aujourd'hui, c'est celui qui a été rendu public avant que la consultation commence ici, en commission. Mais, en même temps, c'est un budget qui est coincé... D'autant plus que, malgré qu'on soit sorti d'une récession économique – vous avez un extrait que vous mettez dans votre mémoire, un extrait que tout le monde devrait lire, à la page 4 du rapport de Pierre Fortin, publié en mars dernier – malgré cela, on est coincé parce qu'on a une situation où les transferts fédéraux, au chapitre de l'aide sociale de la santé et de l'éducation, seront cette année coupés de 1 200 000 000 $. Rien de moins, juste pour l'année qui commence le 1er avril.

Avec cette coupure de transferts en 1996-1997 de 636 000 000 $, on est à 1 800 000 000 $. Alors, après, on peut faire toutes sortes de miracles, si vous voulez, mais, à un moment donné, le miracle, c'est si on n'augmente pas le déficit, si on le réduit, et puis si on n'augmente pas les taxes. Le miracle, il a ses limites, d'autant plus que de nouveaux chômeurs viennent joindre les rangs de ceux déjà à l'aide sociale étant donné les resserrements à l'assurance-emploi. On dit, au Québec cette année, que 40 % seulement des chômeurs auront droit à des prestations même s'ils ont cotisé.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mme la ministre, je dois vous interrompre, malheureusement.

Mme Harel: Oui. C'est un contexte... M. le Président, je ne voudrais pas avoir l'air de radoter sur le contexte, mais je ne peux pas faire semblant, comme si je pouvais l'effacer, le contexte est là quand même.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. Une courte réponse, peut-être, une courte réaction.

M. Jacoby (Daniel): Oui. Je suis tout à fait d'accord. Je suis très conscient de la problématique économique et aussi des problèmes de coupures dans les transferts, et tout ça, et je suis sûr qu'on ne peut pas faire de grands miracles, mais je suis convaincu qu'à côté des grands miracles il y a aussi possibilité de faire des petits miracles, puis c'est ce dont ont besoin les personnes qui seront visées par la réforme.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Madame, messieurs, merci beaucoup au nom des membres de la commission.

J'invite maintenant les représentants de la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles (secteur santé et services sociaux). À l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, M. Proulx, c'est vous qui commencez la présentation. Si vous voulez nous présenter la personne qui vous accompagne et procéder à votre 20 minutes.


Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles (secteur santé et services sociaux)

M. Proulx (Jean): Oui. Je suis Jean Proulx, coordonnateur de la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles. Je suis accompagné d'André Tanguay, qui est le coordonnateur de la Fédération des organismes bénévoles d'aide et de soutien aux toxicomanes, qui est un regroupement membre de la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires.

Juste avant de commencer, vous dire un peu qui on est. La Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles regroupe 31 regroupements provinciaux d'organismes communautaires qui interviennent dans le secteur de la santé et des services sociaux. La Table a été mise sur pied dans le contexte de la réforme de la santé et des services sociaux de 1991, qu'on a appelée la réforme Côté, où les organismes communautaires étaient particulièrement interpellés par cette réforme-là. C'est dans ce contexte-là que la Table a été mise sur pied, pour assurer la concertation des organismes communautaires entre eux devant les enjeux que soulevait la réforme pour les organismes communautaires.

Bon. Évidemment, quand on travaille dans le milieu communautaire, on est souvent invité à participer à des consultations comme celle-là, par exemple, et on se butte toujours à un problème assez important, celui d'avoir le temps de faire les choses. Le livre vert est sorti le 15 décembre, on nous demandait de produire un mémoire pour le 21 janvier. Quand on met la période des Fêtes avec ça, ça ne laisse pas beaucoup de temps pour le monde de faire les mémoires. Et, en fait, on aurait aimé produire quelque chose d'un peu plus exhaustif; on ne l'a pas fait, on n'a pas pu le faire, ce qui fait que, dans notre présentation et dans notre mémoire, ce que vous retrouvez aussi, c'est essentiellement... On traite d'un aspect en particulier dans le livre vert, qui est celui du partenariat dont on parle abondamment dans le livre vert et, entre autres, du partenariat avec les organismes communautaires. Donc, c'est de ça dont on va vous parler aujourd'hui.

(11 h 10)

L'autre chose qu'on voulait dire aussi avant de commencer: on trouve pour le moins déplorable que les regroupements d'organismes communautaires qui travaillent auprès des jeunes n'aient pas été invités à cette commission-là quand on considère que, dans le livre vert, il y a quand même une emphase assez importante qui est mise sur les jeunes. On se demande un peu comment ça se fait que les regroupements d'organismes communautaires qui travaillent avec les jeunes n'ont pas pu se faire entendre ici et on déplore cette situation-là.

Avant d'aborder les aspects qui, dans le livre vert, touchent de façon plus spécifique les organismes communautaires et bénévoles, nous tenons d'abord à affirmer que la Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles appuie les principes défendus par la Coalition nationale sur l'aide sociale, à savoir: que toute personne a droit à un revenu décent qui permet de vivre dans la dignité; que toute personne a droit de participer à la société de façon pleine et entière, que ce soit par le travail ou autrement; que l'État est responsable d'assurer une réelle redistribution de la richesse et une véritable politique de création d'emplois de qualité; que le régime de sécurité du revenu doit reposer sur des valeurs démocratiques reconnues dans notre société et que, dans cette perspective, il doit notamment favoriser l'autonomie des personnes et combattre toute forme de discrimination; que l'aide financière doit être dissociée de l'aide à l'emploi et que nous refusons toute mesure qui s'assimile au «workfare» et une démocratisation du système de sécurité du revenu.

La Table des regroupements provinciaux appuie également les trois revendications prioritaires que la Coalition a mises de l'avant, à savoir: que l'on reconnaisse à toute personne le droit à un revenu décent, qui permet de vivre dans la dignité peu importe son aptitude ou son inaptitude au travail; que, dans cette perspective, le gouvernement commence par accorder minimalement et en tout temps une prestation qui corresponde aux besoins essentiels reconnus dans le livre vert sur la sécurité du revenu ainsi que la couverture des besoins spéciaux réels; que la participation à un parcours soit vers l'emploi ou soit d'insertion sociale se fasse sur une base volontaire; que la démocratisation suppose que l'on reconnaisse l'expertise des personnes elles-mêmes, la mise en place de mécanismes d'évaluation indépendants, la reconnaissance des droits des prestataires et l'existence de recours indépendants à tous les niveaux et la reconnaissance du rôle des groupes de défense des droits dans le respect de leur autonomie.

Un élément important du projet de politique de la sécurité du revenu qui nous est soumis a trait à la nécessité de mobiliser les ressources du milieu pour la création d'emplois dans une stratégie de développement local, stratégie qui doit s'appuyer sur le partenariat, notamment avec les organismes communautaires. Cette orientation, qui s'appuie sur la décentralisation et le partenariat, s'inscrit de plain-pied au coeur des stratégies de la plupart des pays occidentaux visant à redéfinir les rapports entre l'État et la société civile.

La Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles, dans le cadre de sa participation à la réforme du système de santé et de services sociaux, a déjà fait valoir son point de vue sur ces questions et souscrit aux principes de la décentralisation et du partenariat. Les organismes communautaires et bénévoles se sont d'ailleurs impliqués d'une façon très active dans leurs nouveaux rapports avec les régies régionales de la santé et des services sociaux. À ce sujet-là, on avait réalisé, en 1995, l'année dernière, un bilan assez exhaustif de cette participation-là, duquel on va s'inspirer dans notre présentation.

Cependant, pour les organismes communautaires et bénévoles, le partenariat ne doit pas se faire à n'importe quelle condition, il doit reposer sur le respect de l'autonomie des acteurs dans un véritable rapport de négociation qui laisse place à des idées et à des visions différentes. Il doit surtout pouvoir se faire sur une base libre et volontaire.

Dans le projet qui nous est déposé, on peut constater que les organismes communautaires sont particulièrement ciblés dans ce partenariat. Essentiellement, ils sont interpellés à trois niveaux: comme partenaires dans l'élaboration des plans locaux de développement au sein des conseils des partenaires, comme partenaires avec les nouveaux centres locaux d'emploi et, enfin, comme créateurs d'emploi. Cependant, on doit constater également une certaine ambiguïté autour de la notion d'organisme communautaire: tantôt, on semble faire référence à l'ensemble des organismes communautaires, tantôt on fait plutôt référence aux organismes communautaires intervenant spécifiquement dans le domaine de l'employabilité. De qui parle-t-on lorsqu'on parle d'organismes communautaires? Lesquels seront interpellés pour participer aux conseils des partenaires et pour collaborer avec les centres locaux d'emploi? Lesquels seront interpellés en ce qui concerne l'économie sociale? Le moins que l'on puisse dire, c'est que le livre vert n'est pas très explicite à ce sujet et cette question devrait être clarifiée. En attendant, pour les besoins de cette présentation, nous prendrons pour acquis qu'il s'agit de l'ensemble des organismes communautaires et c'est dans ce sens qu'il faudra comprendre nos propos.

Cette invitation, qui est faite aux organismes communautaires de participer à l'élaboration des plans locaux de développement via les conseils des partenaires, et plus spécifiquement de participer à l'identification des objectifs prioritaires, des moyens d'action à retenir et des orientations budgétaires pour le développement et la mise en oeuvre des stratégies locales d'emploi, nous amène à constater que les organismes communautaires apparaissent comme des acteurs incontournables pour l'actualisation de la réforme proposée. Nous y voyons là, d'une part, une reconnaissance des organismes communautaires comme acteurs politiques et une certaine reconnaissance de l'expertise développée par les organismes communautaires qui, depuis des années, interviennent avec des populations aux prises avec des problèmes d'insertion sociale ou d'emploi.

Cette invitation qui leur est faite correspond également à une tendance que l'on peut observer depuis quelques années au sein du mouvement populaire et communautaire québécois, à savoir une volonté de participer de façon plus active au développement de la collectivité, aussi bien sur le plan économique que social ou culturel. On peut penser, par exemple, aux corporations de développement communautaire qui sont impliquées beaucoup au niveau du développement local.

Cependant, notre expérience de participation dans le cadre du processus de réforme dans le domaine de la santé et des services sociaux nous amène à demeurer prudents devant cet appel au partenariat et nous ne saurions souscrire d'emblée au partenariat proposé sans que certains éléments contenus dans le livre vert ne soient clarifiés.

D'abord, nous nous questionnons sur le pouvoir véritable des futurs conseils de partenaires, sur les centres locaux d'emploi. Ceux-ci bénéficieront-ils d'une véritable marge de manoeuvre? L'expérience vécue au sein des régies régionales de la santé et des services sociaux a fait ressortir de façon assez nette la double imputabilité à laquelle étaient soumis les dirigeants et les dirigeantes des régies régionales, à savoir une imputabilité auprès du ministère, d'une part, et une imputabilité auprès des membres du conseil d'administration de la régie régionale, d'autre part. Cette situation a amené souventefois les représentants et les représentantes des organismes communautaires à vivre un sentiment de frustration, voyant leur rôle réduit à celui de «rubber-stamp».

Aussi, si l'on veut assurer une participation importante et signifiante de la part des organismes communautaires comme des autres partenaires, du reste, les conseils des partenaires devront être en mesure de jouer un rôle véritable et pouvoir s'assurer que les orientations qu'ils privilégieront pourront être effectivement mises en oeuvre par les centres locaux d'emploi. Le pouvoir technocratique prendra-t-il le dessus sur la volonté démocratique exprimée au sein des conseils des partenaires? Pour nous, la seule justification valable de la mise en place des conseils des partenaires doit reposer sur une volonté ferme de permettre une plus grande démocratisation du système de la sécurité du revenu, et c'est à cette première condition qu'accepteront de participer les organismes communautaires.

Aussi, avant que les organismes communautaires n'acceptent de participer à ces instances, il nous apparaît primordial que les fonctions, les mandats et les pouvoirs qui seront attribués aux conseils des partenaires soient clairement définis dans la loi. De la même façon, leur composition devra être clairement définie, de même que les modalités de désignation des personnes qui seront invitées à y siéger. À cet égard, nous croyons notamment que les usagers et les usagères devraient être invités à siéger aux conseils des partenaires plutôt que d'être confinés à participer à un simple comité consultatif, comme le prévoit le livre vert. Nous croyons en effet que les usagers et les usagères sont les mieux placés pour exprimer leurs besoins et que, de ce fait, ils devraient pouvoir participer aux orientations qui seront prises si l'on veut s'assurer de répondre à leurs véritables besoins.

Par ailleurs, il nous apparaît loin d'être évident que les organismes communautaires seront disposés à participer aux conseils des partenaires, s'il s'agit pour eux qu'ils doivent cautionner le caractère obligatoire des parcours individualisés d'insertion qui est à la base du projet de réforme qui nous est soumis. Aussi, nous demandons que ce caractère obligatoire soit levé. Dès lors, les organismes communautaires pourraient être disposés à collaborer pour améliorer le sort des personnes exclues du marché du travail et de la société.

Enfin, malgré cette volonté exprimée par les organismes communautaires de participer aux instances locales et régionales de concertation, ceux-ci se butent de façon continue à un problème majeur, celui de pouvoir disposer des ressources nécessaires pour pouvoir participer à ces instances. Les organismes communautaires et bénévoles bénéficient en effet de très peu de ressources pour pouvoir assurer le fonctionnement minimal même de leurs organismes. Aussi, toute participation des instances de concertation vient encore aggraver ce problème. La participation des organismes communautaires et bénévoles dans le cadre de la réforme de la santé et des services sociaux est riche en enseignement à cet égard. Ceux-ci ont en effet été sursollicités pour participer à toutes sortes de concertations, et le prix à payer a souvent été un manque de ressources pour assurer le fonctionnement même de leurs organismes. Cette participation est des plus exigeantes et conduit inévitablement à un état d'essoufflement, voire de découragement.

Les organismes communautaires et bénévoles, dans un esprit de démocratisation du système, veulent bien participer à ces instances, mais la question des moyens se pose avec acuité. Aussi, si l'on veut assurer la participation des organismes communautaires aux conseils des partenaires, il faudra prévoir des modalités de compensation financière pour cette participation, sans quoi les organismes communautaires risquent d'y renoncer. Si la concertation a certes ses vertus, elle comporte aussi des exigences avec lesquelles les organismes communautaires, vu leur manque de ressources, ont beaucoup de difficulté à composer.

(11 h 20)

On nous invite aussi, comme partenaires, à collaborer avec les centres locaux d'emploi. Le livre vert insiste d'une façon importante sur les nécessaires collaborations que devront développer les centres locaux d'emploi avec les organismes communautaires. On peut y lire, à la page 45: «Chaque centre local d'emploi sera invité à favoriser sur son territoire l'action concertée, à analyser les ressources existantes et à consolider si nécessaire les services là où des lacunes sont observées.»

À la page 47, on peut lire, par ailleurs: «Le centre local doit chercher à s'associer des organismes communautaires, à collaborer avec eux dans le cadre de certaines interventions en matière d'emploi et que l'organisation des services des centres locaux d'emploi doit se faire en concertation avec les organismes communautaires de manière à favoriser la complémentarité des actions.»

On est encore plus précis à la page 40, lorsque, s'agissant des parcours individualisés, on dit: «Ce renforcement de l'accompagnement des personnes devra également reposer sur l'établissement de rapports étroits entre les centres locaux d'emploi et les organismes communautaires afin que des services complémentaires à ceux des centres soient plus largement accessibles.»

De façon générale, les organismes communautaires sont disposés à collaborer avec les autres ressources du milieu, qu'il s'agisse des institutions publiques ou d'organismes privés ou communautaires, mais nous nous questionnons sur le rôle qu'on attend des organismes communautaires dans cet appel à la collaboration. S'agit-il d'un nouveau partage de responsabilités par lequel les organismes communautaires seraient tenus d'offrir certains services ou de tenir certains types d'activités, en complémentarité aux services offerts par les centres locaux d'emploi? En d'autres termes, les attentes réciproques de l'État et des organismes communautaires sont-elles les mêmes dans cet appel à la collaboration? C'est une question à clarifier.

Encore une fois, l'expérience vécue par les organismes communautaires dans le cadre de la réforme de la santé et des services sociaux est riche en enseignement. De celle-ci il ressort que l'État a une nette tendance à vouloir utiliser les organismes communautaires davantage comme sous-traitants plutôt que de reconnaître l'apport spécifique des organismes communautaires. Aussi, nous basant sur cette expérience, il nous apparaît important de rappeler ici une caractéristique essentielle propre aux organismes communautaires, celle de leur autonomie d'action.

Les organismes communautaires existent d'abord pour eux-mêmes, c'est-à-dire à partir de la mission qu'ils se sont donnés. Aussi, ils interviennent selon leur volonté propre d'agir et ne sauraient se transformer en sous-contractants de l'État. Un centre de femmes, par exemple, n'a pas comme mission principale d'intervenir au niveau de l'insertion des femmes au marché du travail, ce qui n'exclut pas qu'une telle intervention puisse être faite si la femme le demande, mais il y a une différence fondamentale entre cette façon de faire et se voir attribuer un mandat spécifique d'insertion au travail par un centre local d'emploi, comme on le laisse entendre à la page 45 du livre vert.

Aussi, si les organismes communautaires sont disposés à mettre à contribution l'expertise qu'ils ont développée en matière d'insertion sociale ou d'emploi, leur collaboration avec les centres locaux d'emploi devra se faire, d'une part, sur une base libre et volontaire et, d'autre part, dans le respect intégral de leur autonomie d'action. Les organismes communautaires refusent de se laisser définir par les technocrates; ils revendiquent au contraire qu'on reconnaisse leur contribution pour ce qu'elle est, pour sa valeur intrinsèque et non dans une optique de partage des responsabilités préalablement définie.

On invite aussi les organismes communautaires comme créateurs d'emplois, dans le livre vert, par le biais de l'économie sociale. Il faut d'abord rappeler que la mission première des organismes communautaires intervenant dans le domaine de la santé et des services sociaux n'est pas de créer des emplois mais bien de répondre à des besoins qu'ils ont identifiés en vue d'améliorer les conditions de vie des personnes. Cela dit, il va de soi qu'il y a encore aujourd'hui des besoins énormes qui ne trouvent pas de réponse; si on y répondait, ça aurait pour conséquence de créer des emplois.

Selon le livre vert, c'est entre autres ces besoins que vise à combler l'accent nouveau qu'on met sur l'économie sociale. La question fondamentale qu'il faut poser ici est: Comment entend-on actualiser ce concept de l'économie sociale? S'agira-t-il de demander à des organismes communautaires d'assumer de nouveaux mandats pour répondre à des besoins planifiés par les centres locaux d'emploi ou bien de consolider les organismes communautaires existants en fonction des besoins qu'ils ont eux-mêmes identifiés?

Une partie de la réponse se trouve à la page 36 du livre vert. On peut y lire en effet: «Le secteur de l'économie sociale pourrait être davantage soutenu grâce à la consolidation des emplois existants au sein des organismes communautaires à but non lucratif dont une part significative est présentement financée par les programmes d'employabilité.» Si cette transformation des programmes d'employabilité en subventions salariales correspond aux demandes maintes fois exprimées par les nombreux organismes communautaires qui, faute de financement suffisant, devaient recourir aux programmes d'employabilité, la suite du paragraphe dans le livre vert laisse cependant pour le moins perplexe. On peut y lire, en effet: «Cette consolidation pourrait être assurée grâce à une meilleure canalisation du soutien financier gouvernemental sur la base d'offres de services et d'ententes contractuelles.» Faut-il le répéter, les organismes communautaires ne sont pas et ne veulent pas être des sous-contractants de l'État. Les organismes communautaires répondent déjà à une multitude de besoins qu'ils ont identifiés. Ils souffrent d'un manque chronique de financement pour répondre à la totalité de ces besoins.

La réponse ne saurait donc résider dans de nouveaux appels d'offres, mais bien dans la consolidation de leur financement actuel, approche qui aurait le même effet sur la création d'emplois, puisque les montants supplémentaires qui leur seraient octroyés se traduiraient par l'embauche de nouveaux travailleurs et de nouvelles travailleuses. Aussi, la contribution des organismes communautaires, que ce soit dans les réponses à apporter aux besoins sociaux, ou de santé, ou en matière d'emploi, doit être appréciée à l'ombre de leur identité propre, ce qui constitue d'ailleurs la spécificité de leur contribution à la société québécoise. Si le partenariat suppose l'adhésion des partenaires à des objectifs communs, il doit supposer également le respect de l'autonomie et de la contribution propre de ces partenaires dans la poursuite de ces objectifs. C'est à cette condition que les organismes communautaires pourront participer au nouveau partenariat proposé dans le projet de politique sur la sécurité du revenu.

Les commentaires que nous avons formulés font ressortir que le livre vert demeure très peu précis quant à la contribution qu'on attend des organismes communautaires et que le partenariat qui nous est proposé reste largement à définir. Ces nouveaux rapports entre l'État et les organismes communautaires sont actuellement en train de se définir dans le cadre de la politique de reconnaissance de l'action communautaire autonome au sein du Secrétariat à l'action communautaire autonome.

Ils sont également en train de se définir dans le cadre de la régionalisation du programme de Soutien aux organismes communautaires du ministère de la Santé et des Services sociaux. Nous croyons qu'ils doivent également être mieux définis dans le cadre du partenariat qui nous est proposé et que les organismes communautaires devront être partie prenante de cette démarche de clarification. Nous avons, par ailleurs, indiqué à quelles conditions les organismes communautaires pourraient participer à ce partenariat. D'abord, les mandats et les pouvoirs des conseils des partenaires devront être clairement définis et devront s'inscrire dans un esprit de véritable démocratisation du système de sécurité du revenu.

Nous avons également indiqué que les organismes communautaires n'accepteraient pas de participer à ces instances s'il s'agit pour eux de cautionner une approche coercitive à l'endroit des personnes assistées sociales et qu'à ce titre le caractère obligatoire des parcours individualisés d'insertion devrait être levé. D'autre part, les organismes communautaires n'accepteront pas non plus de participer au partenariat proposé s'il s'agit pour eux de devenir des extensions commodes des services publics. Aussi, ils devront obtenir l'assurance que leur autonomie d'action sera préservée et qu'ils pourront collaborer avec les centres locaux d'emploi sur une base libre et volontaire.

Enfin, pour assurer une participation des organismes communautaires aux instances prévues dans le livre vert, il faudra prévoir des ressources financières pour soutenir cette participation, sans quoi celle-ci risque d'être pour le moins mitigée. C'est à ces conditions seulement que les organismes communautaires accepteront d'apporter leur contribution à la réforme qui nous est proposée.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie, M. Proulx. J'invite maintenant Mme la ministre à débuter l'échange.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Bienvenue à vous-même, M. Proulx, et à M. Tanguay. Bon. Immédiatement, je dois vous dire là qu'il y a dû y avoir un malentendu parmi vos membres parce que, contrairement à ce que vous dites à la page 3 du mémoire, où vous nous dites déplorer le fait que les regroupements provinciaux des organismes communautaires jeunesse, membres de votre Table de regroupements là, ne soient pas invités à participer aux audiences, je comprends que, la semaine prochaine, nous allons recevoir le Regroupement des maisons d'hébergement jeunesse, nous allons recevoir le Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse, nous allons recevoir l'Association des centres jeunesse. Nous avons déjà reçu, dans le cadre de la coalition nationale également, des membres d'autres regroupements. Alors, il y a dû y avoir un malentendu sûrement...

M. Proulx (Jean): Ça ne doit pas faire longtemps que c'est décidé parce que, la semaine passée encore, le Regroupement des maisons d'hébergement jeunesse n'avait pas été invité.

Mme Harel: Je ne sais pas quand ça a été décidé mais, en fait, tout simplement pour vous le signaler.

M. Proulx (Jean): L'important, c'est qu'ils participent.

Mme Harel: En même temps, comme vous le dites, l'important, c'est qu'ils y seront la semaine prochaine. J'ai regardé la liste des membres de la Table de regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles (secteur santé et services sociaux) que vous représentez aujourd'hui et je constatais que certainement au-delà de la moitié de vos membres sont venus en commission parlementaire ou viendront en commission parlementaire...

(11 h 30)

M. Proulx (Jean): Il y en a plusieurs qui sont venus, oui.

Mme Harel: Je dirais au moins la moitié. Alors, ce n'est quand même pas peu, là. Une autre indication, je pense, qui peut être utile aussi, à la page 7, vous nous parlez de modalités de compensation financière pour assurer la participation des organismes communautaires, etc. Vous savez que, cette année, les organismes communautaires autonomes... On va bien s'entendre, là, je pense, dans l'échange qu'on aura dans le mesure, je crois, où on doive les qualifier d'autonomes. Parce qu'il y a des organismes communautaires d'employabilité– main-d'oeuvre qui font partie d'un regroupement différent de celui que vous représentez dans le cadre d'une coalition et qui veulent être partie prenante sans poser les conditions que vous posez, vous, dans votre mémoire.

Il y a donc, d'une part, la coalition très élargie, je dirai, de dizaines, pour ne pas dire de presque une centaine d'organismes communautaires en employabilité– main-d'oeuvre; d'autre part, il y a le communautaire autonome. Vous savez qu'on est à préparer une politique de reconnaissance de l'action communautaire autonome. Un comité interministériel a été mis sur pied suite au comité ministériel du développement social, la semaine passée, et va donc nous conduire par étapes successives vers une politique de reconnaissance de l'action communautaire autonome. À distinguer, n'est-ce pas, de la politique en matière d'économie sociale et à distinguer des entreprises d'insertion qui, comme vous le savez, ont eu droit à leur propre comité interministériel et à un rapport qui va permettre de bien les positionner dans la réorganisation des services de deuxième ligne pour les chômeurs de longue durée. Bon.

C'est 8 000 000 $ que leur communautaire autonome s'est partagé cette année. Pensez, par exemple, aux corporations de développement communautaire elles-mêmes, là. Les regroupements de différents organismes se sont partagé 500 000 $; les CDC, comme on dit. Je regardais les membres de la Coalition nationale sur l'aide sociale, ils se sont partagé plus de 1 000 000 $ et, le Front commun, avec ses différentes composantes, il s'est partagé pas loin de 300 000 $. Alors, on ne peut pas faire grief certainement de ne pas avoir enclenché un financement de l'action communautaire autonome qui n'avait jamais existé dans le passé, y compris les organismes de défense des droits, là, ceux qui, jusqu'à maintenant, ne trouvaient jamais une porte d'entrée. Je pense autant au FRAPRU qu'à la Fédération des femmes, qu'au Front commun des personnes assistées sociales, qu'à la Ligue des droits et libertés. Bon, on pourrait les multiplier.

Alors, là, il faut être clair: il n'y aura pas de jetons de présence aux conseils des partenaires. Ça, c'est sûr et certain. Ce n'est pas un «side line», si vous voulez, le Conseil des partenaires. Et, vont s'y retrouver finalement, au niveau local, des gens qui vont venir de milieux différents, autant le milieu institutionnel, CLSC, commissions scolaires, autant des gens d'affaires bénévoles, des gens du milieu syndical aussi, autant des gens du milieu communautaire à l'employabilité–main-d'oeuvre, des gens du milieu municipal aussi. Alors, c'est dans le livre blanc de mon collègue M. Chevrette, qui va être rendu public très prochainement, c'est dans ce livre blanc que vous allez trouver réponse aux questions que vous posez sur le niveau local, puisque le Conseil local des partenaires va être associé au Centre local de développement.

Vous savez déjà que les CDEC, à Montréal, ont demandé d'être reconnus comme étant ces centres locaux de développement. Déjà, des rencontres ont eu lieu avec mon cabinet, de l'Emploi et de la Solidarité, l'inter-CDEC, et ça évolue bien, ça va bon train. Et, donc, on s'achemine vers un ministère de l'Emploi et de la Solidarité, des partenaires patronaux-syndicaux communautaires au niveau national et régional qui sont l'équivalent de ceux actuellement qui se retrouvent au sein des conseils d'administration de la SQDM, et ce sont là les partenaires qui, au niveau national et régional, vont poursuivre l'implication, la concertation qui est commencée. Ça se trouvera au niveau du développement local, essentiellement, avec un plan local d'action concertée et un fonds, n'est-ce pas, un fonds local, puisque la gestion par programme va être remplacée par une gestion par fonds – fonds local, régional, national – avec, donc, marge de manoeuvre pour réaliser des résultats et non pas pour amener des gens à participer à des programmes. C'est ça, les changements, si vous voulez, les plus importants.

Alors, essentiellement, c'est au niveau de la consultation du livre blanc, je pense, que votre travail va se poursuivre sur le plan local. Mais, en ce qui me concerne, moi, je suis bien décidée à continuer de soutenir les corporations de développement communautaire qui ont développé une expertise plus horizontale donc plus en fonction de la problématique du milieu qu'en fonction des problématiques gouvernementales. Voilà essentiellement l'approche qui sera développée.

M. Proulx (Jean): Vous dites: Il n'y aura pas de jetons de présence. En fait, ce qu'on dit dans le mémoire – puis on se base sur l'expérience qu'on a vécue en santé et services sociaux – avec la réforme, on le sait, c'est épouvantable comment les organismes communautaires ont été sollicités pour travailler sur des comités de ci, sur des comités de ça. Bon. Et, le problème qui se pose, puis les groupes n'arrêtent pas de demander ça, ils disent: Là, on veut bien participer – puis je pense que les instances nationales, les instances régionales, le communautaire a, depuis la réforme, en 1991, dit: Oui, c'est important et on veut s'inscrire dans un nouveau partenariat – on est d'accord avec ça et on veut participer, il n'y a pas de problème avec ça, sauf que, dans la vraie vie, là, bien, celui qui part de sa maison de jeunes, par exemple, ou de son centre de femmes, ou peu importe son type de groupe, quand il part pour aller travailler deux jours par semaine sur une instance régionale ou locale, ou quand il est appelé à aller travailler sur des tables de concertation, il n'est pas dans son groupe pendant ce temps-là. C'est un problème majeur. C'est ça qu'on est en train de dire ici.

Et, oui, on veut bien participer aux conseils des partenaires, je pense que les gens vont être intéressés à y participer, mais il faut tenir compte de cet élément-là. Parce que les gens, quand ils partent, des fois, c'est 50 % des ressources de la boîte qui s'en vont; quand tu as deux personnes dans un groupe communautaire, là, bien c'est 50 % des ressources qui partent d'un coup sec.

Mme Harel: Oui, mais là vous me parlez plus d'une problématique sectorielle en regard peut-être de la santé et des services sociaux. Moi, je vous dis: Au niveau local, ils n'auront pas à se déplacer parce que...

M. Proulx (Jean): Ils n'auront pas à se déplacer.

Mme Harel: ...c'est au niveau du territoire que ça va se passer. D'autre part, les corporations de développement communautaire ont toutes reçues, depuis deux ans, et c'est un protocole sur trois ans, un financement qui leur assure, aux corporations de développement communautaire, qui assure aux tables régionales femmes, qui assure aussi aux maisons d'hébergement jeunesse qui ne l'étaient pas encore, d'avoir un financement en attendant que leur ministère respectif se trouve à ouvrir, si vous voulez, les budgets.

Alors, je pense qu'il y a eu, en fait, un financement comme jamais du secteur communautaire autonome. Dans le cadre du communautaire en employabilité– main-d'oeuvre, c'est plus au sein de la Coalition qui est soutenue par l'ICEA, l'Institut canadien d'éducation des adultes; et, là encore, la Coalition va bénéficier d'un financement de 50 000 $. Alors, c'est plus par ce biais-là. Et je pense, entre autres, aux carrefours jeunesse-emploi qui ont bénéficié d'un financement aussi pour leur regroupement, leur réseau; je pense à l'association des CEMO. Je pense que c'est plus à ce niveau-là. Puis il doit y avoir un membership. On ne peut pas financer des superstructures si les membres pour lesquels ces structures existent ne sont pas prêts eux-mêmes à y payer une contribution.

M. Proulx (Jean): Bien, je suis d'accord. Je ne remets pas en cause ici le financement qui a été octroyé aux CDC, par exemple, ou à d'autres groupes – même dans le secteur de la santé et des services sociaux, le financement des groupes est en augmentation depuis le début de la réforme – mais, je pense qu'effectivement, ce que vous dites: les CDC sont des instances que les groupes se donnent, représentatives à un niveau local et elles doivent, elle jouent... Ça fait partie de leur mandat, je suis d'accord avec ça. Mais, il n'y en a pas partout; il y en a 17 ou 22, au Québec, actuellement.

Mme Harel: Oui, il y en avait 17 au début; ça va quand même en augmentant. C'est important, cependant, que cette augmentation-là ne se fasse pas de façon débridée, parce que, quand il y a du financement, des fois, un peu tout le monde veut porter la nouvelle...

(11 h 40)

M. Proulx (Jean): Je suis très au courant du dossier.

Mme Harel: ...étiquette. On a déjà une entente à l'effet que, pour être reconnu... Déjà, c'est évident qu'à Montréal il n'y en a pas, de CDC, de corporations de développement communautaire, malgré qu'il y ait des tables de développement local, communautaire, etc. Je pense que c'est peut-être une question de temps pour qu'il y ait un arrimage qui se fasse entre ce qui existait déjà comme regroupements, des tables qui regroupaient le communautaire au niveau local, notamment dans les centres urbains, et l'association des corporations de développement communautaire.

Mais, l'idée, c'est de doter tous les milieux concernés de ce genre de tables qui permet aussi, dans le fond, de ne pas juste gérer en fonction strictement d'un programme de gouvernement, mais qui permet de se donner une problématique en regard des besoins de la population locale.

M. Proulx (Jean): C'est ça. Mais, au moment où on se parle, il n'y en a pas partout. En tout cas, il faudrait... C'est dans ce sens-là qu'il faudrait voir comment... Parce que, s'il y en a 22, des CDC, actuellement, sur le territoire des MRC... Il y a 95 MRC au Québec, je ne sais pas trop, il y a pas mal de territoires où je ne sais pas comment le communautaire va faire pour aller participer à ces instances-là. C'est le problème qu'on soulève ici, finalement.

La Présidente (Mme Barbeau): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Merci. À mon tour de vous souhaiter la bienvenue. Moi, je veux, d'entrée de jeu, vous féliciter parce que, si vous êtes capables de vous retrouver dans cette pluie d'acronymes, de structures, de niveaux, c'est déjà quelque chose. Parce qu'on est rendu avec un livre vert qui est ouvert, de la ministre de l'Emploi; un livre blanc, de M. Chevrette, qui va jouer dans les structures; un livre blanc, de Mme Marois, qui va toucher les allocations unifiées pour enfants et autres. C'est une pluie de livres, ouverts ou pas, une pluie d'acronymes: les CLE, les CAD, les comités aviseurs, les conseils des partenaires, dans, semble-t-il, une orientation, un énoncé de politique sur la réorganisation des services gouvernementaux. Le 23 janvier, les éléments de base.

On ne trouve, à la rubrique Organisation projetée au palier local , le centre local d'emploi, que le conseil d'administration du centre local de développement et le comité aviseur du CLE. Donc, le comité aviseur, tandis qu'il y a un conseil local de partenaires qui, selon la ministre, va être associé au conseil local de développement. Ne pas confondre avec Carrefour jeunesse-emploi ou autres. En tout cas.

Cette pluie de structures, on a eu des intervenants qui se sont interrogés là-dessus. Je ne sais pas si vous, qui représentez le milieu d'organismes populaires communautaires, avez une réflexion là-dessus. On peut le voir d'une façon ou d'une autre; on peut voir peut-être une façon de tenter de concerter des choses. Moi, je pense que la multiplicité des choses rend vos travaux plus difficiles. Peut-être que je me trompe, là, mais je ne sais pas si vous avez une réflexion là-dessus.

M. Tanguay (André): Dans le secteur de la santé, que, nous, on a particulièrement vécu et qu'on vit encore pour un certain nombre de mois ou d'années, il y a un effet pervers à la réforme, c'est que nous étions tous très près de nos membres. Alors que le gouvernement a voulu rapprocher le réseau public de la population, il nous a éloigné de nos membres. Le fait que je sois ici, ce matin, je ne réponds pas au téléphone de mon organisme. Et c'était un peu l'approche tout à l'heure. Ce n'était pas l'idée d'avoir des jetons de présence et d'être rémunéré pour un travail, mais c'était de tenir compte de la fragilité des organismes communautaires par rapport au réseau public, c'était l'approche de tenir compte des organismes communautaires et de cette difficulté qu'ils ont souvent à suivre la complexité des structures.

Et c'est pour ça qu'on recommandait tout à l'heure que le gouvernement fasse un effort pour la simplification des structures et bien préciser où sont les pouvoirs de décision, de façon à ce que l'on perde moins de temps, parce qu'on n'est pas équipés pour perdre du temps. Malheureusement ou heureusement, je ne le sais pas. C'était une de nos recommandations ici, de s'assurer, par exemple, que pour les conseils locaux, les pouvoirs soient clairs, que ce soit le plus précis possible avant de mettre dans le milieu des structures, de façon à ce qu'il y ait le moins de perte de temps possible.

Nous comprenons, par contre, de mieux en mieux aussi que c'est plus facile à dire qu'à faire, simplifier les structures autant au niveau de la santé. C'est une réforme, dans un cas comme dans l'autre, extrêmement complexe, qui touche énormément d'éléments, donc ça ne se fait pas non plus facilement, mais, c'était la partie de simplifier pour les organismes communautaires les structures décisionnelles d'approche en précisant bien qui fait quoi, de façon à ce que nous soyons plus à l'aise dans le processus ou dans quelque processus de réforme que ce soit.

La Présidente (Mme Barbeau): M. Proulx, vous vouliez ajouter.

M. Proulx (Jean): Oui. Je pense effectivement, et on ne le mentionne pas nommément dans notre mémoire, qu'il va falloir effectivement préciser, à notre avis, les fonctions du Conseil des partenaires avec les conseils locaux de développement, les centres locaux de développement, avec la réforme de décentralisation. Mme Harel a dit tout à l'heure qu'il y aurait une articulation mais, en tout cas, ça, il va falloir que ce soit effectivement... Et je ne pense qu'il puisse s'agir d'avoir deux instances différentes dans un territoire de MRC. Je ne sais pas comment vous pensez l'articuler, vous me répondrez peut-être tout à l'heure mais, pour répondre à votre question plus précisément, je pense que, en tout cas, dans le domaine de la santé et des services sociaux, les organismes communautaires sont en accord avec une décentralisation, avec des structures plus proches des besoins de la population. Je pense que, là-dessus, il y a un accord à peu près général.

Mais, par contre – et ça, on le soulève dans notre mémoire – il va falloir que ces instances-là, ce ne soit pas bidon. C'est ça, finalement, la grosse affaire. En santé et services sociaux, on a eu un peu cette impression-là, sur les conseils d'administration des régies régionales, par exemple, où on s'est impliqué massivement, dans ces instances-là, en disant: On régionalise, le pouvoir s'en vient plus proche; on va travailler à partir des besoins de la population, on va participer à ça. Donc, vraiment dans un esprit de partenariat. Ce dont on se rend compte, c'est que, finalement, il y a encore pas mal d'affaires qui se décident à Québec puis, finalement, ton conseil d'administration de régie, il fait quoi? Bien, il fait du «rubber stamping». C'est la question de la double imputabilité qu'on soulève dans le mémoire. Donc, les conseils des partenaires articulés avec les centres locaux de développement, en tout cas, il faudra voir comment ça se fait. Oui, on est bien prêt à participer là-dedans si ça s'inscrit vraiment dans une démocratisation du système où les gens vont avoir de quoi à dire, vont participer pour vrai et non pas faire... Il faut que ça serve à quelque chose, autrement dit. Puis, surtout l'articulation avec les centres locaux d'emploi aussi. Ça va être quoi, les pouvoirs de chacun dans ça? Ça va être comme important que ce soit clarifié. C'est ce qu'on dit, nous.

La Présidente (Mme Barbeau): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Copeman: Oui. Par rapport à cette action de partenariat, vous tenez des propos assez durs, à la page 12 de votre mémoire, les conclusions, en disant essentiellement que ça prendrait des ressources de plus pour être capables de répondre à ce genre d'appel à un partenariat, pour qu'il ne soit pas bidon, pour qu'il serve à quelque chose. Je veux bien que la ministre ait tenté de vous convaincre que votre milieu est assez bien financé, j'ai l'impression un peu, dans votre mémoire, que vous ne partagez pas tout à fait cette impression-là. En tout cas, vous en êtes venus à la conclusion qu'il faudra des ressources, et j'imagine que c'est des ressources supplémentaires pour soutenir cette participation. Est-ce que...

M. Proulx (Jean): C'est ce qu'on a dit: soutenir la participation des représentants du communautaire. Mme Harel a dit: Bien, les CDC sont là. On dit: Oui, mais il y en a 22 ou 17 au Québec actuellement et il y a 95 territoires de MRC. Il va falloir trouver une solution pour les autres territoires si on veut assurer la participation du communautaire, pour les raisons qu'on a énoncées tout à l'heure.

(11 h 50)

M. Copeman: Puis, pour vous, une partie de la solution, c'est des ressources additionnelles pour soutenir cette action communautaire.

M. Proulx (Jean): Cette participation-là.

M. Copeman: Au sujet du Conseil des partenaires, je reviens à cette notion de «rubber stamp» versus une plus grande démocratisation du système. C'est une belle phrase, ça, «une plus grande démocratisation du système». Qu'est-ce que ça veut dire pour vous, vraiment? C'est une belle phrase, c'est un «catch word», on l'utilise beaucoup, mais, dans la pratique, dans le pratico-pratique, dans le quotidien, qu'est-ce que vous voulez dire par ça?

M. Proulx (Jean): La démocratisation du système, ça veut dire que les gens qui participent à des instances... Ça veut dire, d'une part, rapprocher les structures; c'est déjà quelque chose qui va dans ce sens-là, à mon avis. Mais, ça veut dire surtout, ce qu'on disait tout à l'heure, ça veut dire que quand on participe là, ça veut dire que les gens qui s'impliquent, sur ces conseils des partenaires, on doit prendre en considération ce qu'ils ont à dire.

Ces structures-là, plus locales... On s'en va vers des structures de plus en plus locales, pourquoi? Le principe de base, c'est que les gens qui sont plus proches des besoins de la population vont être en mesure de mieux trouver les solutions. C'est le principe de base qu'il y a à ça. Sauf, ce qu'on a vécu en santé et services sociaux. Tout à l'heure, ce qu'on disait, c'est que si on veut mettre ces structures-là sur pied dans les territoires locaux, ce avec quoi on est d'accord, il faut que ces structures-là et les décisions qui se prennent là, qu'il y ait un véritable pouvoir qui puisse s'exercer là. C'est ça que ça veut dire, une véritable démocratisation. Ça veut dire que c'est en opposition à une logique technocratique qu'on connaît au Québec depuis pas mal d'années, où, finalement, c'est un appareil technocratique qui décide plutôt que ça soit des gens qui participent à des instances. C'est ça la démocratisation, c'est la participation des personnes, d'une population à l'identification de ses besoins et à l'élaboration des solutions pour répondre à ces besoins-là. C'est ça la démocratisation. Quand on parle de démocratisation, c'est ça.

Et c'est pour ça qu'on demande aussi que les usagers et les usagères soient partie prenante du Conseil des partenaires et non pas sur un comité consultatif. Parce que c'est eux autres qui les vivent, les problèmes. C'est eux autres qui ont les besoins, c'est pour eux autres qu'on travaille, alors ils devraient être là pour dire ce dont ils ont besoin et participer aux discussions. Là, on s'en va vers une démocratisation.

M. Copeman: Autrement dit, il faut que ce soit des agents décideurs et non pas... Est-ce que c'est essentiel pour vous que ce soit des décideurs et non pas du consultatif?

M. Proulx (Jean): Pour moi, ça va jusque-là. Mais, entendons-nous aussi, quand on parle de décentralisation, ça ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'État; ça ne veut pas dire ça non plus. Il y a des paliers. Je pense qu'on revendique aussi d'avoir un État national; ça ne veut pas dire qu'on envoie tout, qu'on pitche tout dans les localités. Il n'y aura pas 95 Québec. Ce n'est pas ça qu'on dit non plus, mais qu'il y ait une certaine marge de manoeuvre, une certaine latitude pour travailler sur des aspects qui les concernent. Ça prend une politique nationale, c'est bien sûr.

La Présidente (Mme Barbeau): M. Tanguay, je pense que vous voulez...

M. Tanguay (André): Oui. Je pense qu'il y a une marge tout à fait considérable entre le discours politique, que nous respectons, et le plancher décisionnel. Il y a une bureaucratie qui a l'habitude de fonctionner, depuis 30 ans, d'une certaine façon et qui est, mon Dieu, difficile à changer. Quand on conteste certaines choses, on est des critiqueux et on se faire mettre un peu de côté, alors qu'on cherche à trouver des organismes communautaires plus dociles, qui acceptent, qui disent oui, etc. On vit tout ce processus de structures. Au point où on a dû, la semaine dernière, à notre Fédération, faire sortir un avis juridique pour interpréter la loi, de façon à ce qu'un employé d'une régie, qui disait que l'approche de la régie était illégale, puisse changer son opinion. Alors, vous avez, en politique, un discours, vous avez une loi et vous avez toute une structure qui interprète. Et, quand on est rendu au niveau plancher, mon Dieu qu'il y a une différence entre le discours très honnête, à mon avis, du monde politique et la réalité qu'on vit. Et on pense qu'il doit y avoir au niveau des personnes, au niveau plancher, des organismes qui soient davantage décisionnels. C'est ce qu'on a voulu dire dans le document.

La Présidente (Mme Barbeau): Il vous reste peut-être une ou deux minutes. C'est beau? Mme la ministre, il vous restait deux minutes.

Mme Harel: Il y a un document qui vient d'être produit par la SQDM sur la question du développement local et, si vous voulez, des parcours d'insertion dans le cadre du développement local. Je vous le dis parce qu'on entend souvent un grief du côté de l'opposition à l'effet qu'il y a une multiplicité de structures. Moi, je me dis souvent: La dictature, il n'y a rien de plus simple que ça, puis, en même temps, malgré les apparences, rien de plus inefficace, parce que tout est paralysé ou quasi quand c'est juste une personne qui peut décider. Sous des apparences de décider vite et puis de faire ça efficace, finalement, c'est le contraire, c'est l'inertie qui s'installe parce que les gens n'ont pas été mis à contribution.

Il y a, je pense, peut-être un élément à clarifier sur les conseils des partenaires et les centres locaux de développement. C'est la même chose, hein! Les conseils locaux de partenaires vont être le conseil d'administration des centres locaux de développement. Les centres locaux de développement, est-ce que ça sera la même appellation mur à mur? Je ne suis pas certaine. Je pense que les CDEC, à Montréal, vont garder leur appellation CDEC et vont avoir un mandat, vont être investis, si vous voulez, de la mission des centres locaux de développement. L'idée, c'est d'avoir des personnes qui viennent d'horizons différents, du milieu patronal, syndical, communautaire, institutionnel, CLSC, commissions scolaires, directeur de CLE, justement, des gens pas habitués à travailler ensemble mais qui vont devoir le faire dorénavant pour se donner des objectifs de résultats et non pas pour dire à la fin de l'année: J'ai dépensé tout mon argent, j'ai géré mes programmes.

Il faut transformer. Ce n'est pas simple, la culture de 30 ans dont vous parliez, M. Tanguay, c'est une culture très verticale. C'est une culture de programmes normés, mur à mur. On fait pareil en Abitibi, sur la Côte-Nord puis à Montréal. Alors, passer de cette culture de programmes normés, où les gens doivent fitter dans les critères de programmes, à une culture où on se donne des objectifs de résultats au niveau local puis au niveau régional, en disant: Voilà l'argent qu'on a cette année. On n'a pas tout ce qu'on voudrait mais, en priorité, voilà à quoi on va l'utiliser. Je pense que c'est un gros, gros virage et je pense que le communautaire autonome est important.

Vous avez raison de signaler qu'il y en a 17 ou 19 – je pense que ça a augmenté – mais il y en a aussi, je pense, dans l'antichambre, qui attendent d'être reconnus, et qui existent déjà, qui sont déjà implantés. Je trouve prudent que le Regroupement des corporations de développement communautaire veuille y aller, si vous voulez, en faisant vraiment une intégration aux objectifs et à la culture justement de citoyenneté. C'est ça, finalement, que le milieu communautaire autonome veut développer.

Alors, ceci dit, c'est quelque chose qui n'est pas évident. Vous avez votre expérience. En lisant votre mémoire, je me rends compte que l'expérience dans le secteur santé et services sociaux, c'est une expérience qui a ses limites aussi. Il n'est pas sûr qu'il n'y a pas un peu de déficit démocratique là-dedans là, parce qu'on ne sait pas, tout compte fait, ici, dans les commissions parlementaires ou au Parlement, qui prend vraiment ultimement les décisions et comment. Mais, c'est des pas en avant, ça, pour aller plus loin. Je comprends que, dans la réforme de la main-d'oeuvre, on voudrait aller un peu plus loin que celle de la régie régionale seulement.

La Présidente (Mme Barbeau): Merci, Mme la ministre. Est-ce que vous voulez dire un petit mot en terminant? Est-ce que vous avez un commentaire?

M. Proulx (Jean): Bien, je voulais être sûr que j'ai bien compris. Vous dites que les conseils des partenaires vont êtres les conseils d'administration des centres locaux de développement. C'est une décision qui est prise, ça, oui? Il n'y aura pas deux structures parallèles?

La Présidente (Mme Barbeau): Alors, on vous remercie.

Mme Harel: Exactement.

La Présidente (Mme Barbeau): Au nom de tous les membres de cette commission, nous vous remercions de votre contribution à ce débat.

Alors, je suspends les travaux à cet après-midi, 15 heures.

(Suspension de la séance à 11 h 59)

(Reprise à 15 h 41)

La Présidente (Mme Barbeau): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, c'est le Conseil communautaire Côte-des-Neiges–Snowdon. La commission reprend ses travaux, d'abord. Bienvenue. Alors, je demanderais au porte-parole ou à la porte-parole de s'identifier et de présenter les gens qui l'accompagnent, et ensuite de procéder à la présentation.


Conseil communautaire Côte-des-Neiges–Snowdon

M. Landry (Alain): Je vous remercie. Mon nom est Alain Landry, président du Conseil communautaire de Côte-des-Neiges–Snowdon, un quartier à Montréal, et il y a Mme Marie-Paule Garand, à mes côtés, qui est notre coordonnatrice, qu'on appelle, ou directrice, et Mme Irène Ranti, directrice de l'organisme Club-AMI, un organisme qui regroupe et qui vient en aide à des gens qui ont des problèmes de santé mentale, situé dans notre quartier à Montréal.

D'abord, je vous salue et je vous remercie beaucoup, Mme la ministre et les membres de la commission, d'avoir accepté de nous rencontrer et d'étudier nos propositions. On a quand même – on s'en rend compte en lisant notre petit mémoire – beaucoup de choses à vous dire sur cette réforme de l'aide sociale. J'espère que vous avez le texte et que vous pourrez suivre avec moi.

Notre Conseil, à Côte-des-Neiges, c'est une table de quartier qui regroupe 26 associations, ou 25 associations et une institution pour être plus précis, et nos membres sont principalement des organismes qui oeuvrent à l'amélioration des conditions et de la qualité de vie des résidents dans Côte-des-Neiges. On regroupe et défend les intérêts de citoyens habituellement moins favorisés, notamment les personnes à faibles revenus et les familles immigrantes.

Brièvement, je voulais vous expliquer la petite démarche qu'on a faite pour arriver ici cet après-midi. Il y a d'abord eu, en assemblée mensuelle, en assemblée générale de nos associations, une étude, une discussion un peu libre sur la proposition de réforme; de là a été décidé de produire un mémoire. Un comité de travail a étudié et a écrit un mémoire. Ce texte-là a été adopté à une nouvelle assemblée et, hier encore – et ça pourra peut-être nous faciliter les échanges tantôt – en préparant cette présentation-là, on a pris la peine de discuter avec une collègue d'un organisme du quartier qui vient en aide quotidiennement aux assistés sociaux et aux immigrants dans le quartier, le groupe Projet Genèse, qui est venu présenter ici, et elle nous a bien présenté le genre de cas, de problématiques qu'on vit chaque jour dans notre quartier.

Les raisons qui nous amènent ici, c'est d'abord le nombre important de bénéficiaires de la sécurité du revenu dans notre quartier; les chiffres que j'avais, c'est 6 609 ménages, en 1994, et non pas individus ou juste 6 609, comme c'est écrit dans notre texte. Donc, il y a un nombre important de bénéficiaires, malheureusement. La deuxième raison, c'est qu'on croit que l'insuffisance de revenus, c'est, pour les personnes pauvres, le facteur premier d'une mauvaise santé et d'une qualité de vie insatisfaisante. On croit aussi que le régime de la sécurité du revenu a déjà subi sa part de compressions lors des dernières années. On croit aussi qu'un organisme comme nous, qui regroupe des gens, des intervenants locaux, il est bon de vous faire quelques commentaires, en particulier en ce qui concerne le développement local et la décentralisation des actions qui visent à favoriser l'emploi.

Même si je vais couper par rapport au texte que vous avez, j'aimerais vous présenter un petit peu plus notre quartier. Alors, il y a 91 000 personnes à Côte-des-Neiges; ça a donc une taille... Même si c'est un quartier de ville, c'est aussi gros qu'une ville comme Sherbrooke, au Québec. C'est un quartier cosmopolite: 72 % ou 73 % de la population est d'origine, entre guillemets, autre que française ou britannique, qui est l'appellation qu'il y a dans le recensement de Statistique Canada. C'est séparé: à peu près un tiers des gens de notre quartier ont le français comme langue maternelle, le quart ont l'anglais, et 41 % de la population du quartier a une autre langue maternelle. Je signale toutefois que, malgré cela, il y a seulement 4 % des répondants au recensement qui disaient ne connaître ni le français, ni l'anglais.

C'est aussi un quartier qui a toujours accueilli les immigrants. Bien, enfin, «toujours», depuis au moins la Deuxième Guerre mondiale. Présentement, on dit que 43 % de la population est née hors du Canada, et cette proportion-là, à Montréal, c'est 23 %, et, au Québec, c'est 8 % ou 9 %. Bon. C'est un peu ça, là. Il y a même certains secteurs du quartier où la proportion de nouveaux arrivants est encore plus imposante. Dans un secteur de recensement, c'est même un ménage sur cinq qui était arrivé au cours des trois dernières années, en 1991. Donc, dans certains secteurs, cette dynamique-là est importante.

Bon. Là comme ailleurs, à Montréal, le nombre de personnes et de familles à faibles revenus est important. Dans Côte-des-Neiges, il y a un revenu moyen qui peut être plus élevé qu'à Montréal, 38 000 $ comparé à 34 000 $ à Montréal, mais il reste que 38 % de la population est considérée à faibles revenus. Et, nous, on se rend compte ou on veut relever, si on nous permet la comparaison, que ces 34 864 personnes à faibles revenus, ça correspond au double de la population totale d'un quartier comme Pointe-Saint-Charles à Montréal, qui est un quartier auquel on pense souvent quand on parle de pauvreté. Alors, même si notre quartier a des éléments de mieux-être, il reste qu'en nombre absolu, le nombre de personnes qui ont besoin de ressources ou qui vivent là est important.

On parle aussi, dans notre portrait, d'un contraste qui se vit dans notre quartier, un contraste entre le sud puis le nord, ce que, nous, on appelle entre le haut et le bas de la côte. C'est effectivement plus au sud du quartier, près de l'Université de Montréal ou aux abords de la ville de Westmount, qu'on retrouve un plus grand nombre de ménages à revenus élevés, tandis qu'au sud du quartier il y a plus de nouveaux arrivants puis plus de pauvreté qui se vit. Puis, on a aussi un contraste avec les municipalités voisines qui entourent Côte-des-Neiges, qui sont effectivement plus riches. On est effectivement entouré des villes Mont-Royal, Outremont, Westmount, Hampstead et Côte-Saint-Luc. C'est une réalité. Peut-être que si ces gens-là pouvaient un jour... Si on peut favoriser l'entraide, ça peut être une force, mais le contraste est là pour l'instant.

Bon. En terminant, c'est aussi un quartier qui vit des conditions de logement assez difficiles: 40 % des logements du quartier ont besoin de réparations, dont certaines réparations importantes. Ça, c'est malgré le fait que la construction, là, est assez récente. C'est aussi un quartier de locataires: 83 % des gens ne possèdent pas leur logement mais le louent, et c'est un quartier d'immeubles et non pas un quartier de duplex ou de triplex, comme c'est le cas dans d'autres quartiers de Montréal. Le loyer est assez cher. Le loyer moyen à Côte-des-Neiges, c'est 592 $, alors qu'à Montréal il est de 529 $; c'est donc un écart assez important par rapport même au budget-type qui est reconnu dans le livre vert, aux annexes.

C'est un peu le résumé du quartier que je voulais vous présenter. Maintenant, Marie-Paule, Mme Garand, va vous présenter nos commentaires sur l'orientation de la réforme. Je suis en page 3, moi, pour ceux qui suivent.

Mme Garand (Marie-Paule): Alors, c'est ça. Donc, on commençait un petit peu ce chapitre-là, on avait le goût de vous transmettre une citation, mot pour mot, d'une bénévole qui travaille dans un groupe de personnes âgées. Donc, on a fait la discussion autour du contenu de la réforme. Cette femme-là, ce qu'elle s'est dit, c'est: «Pourquoi ceux qui décident ne savent pas puis que ceux qui savent ne peuvent pas décider?» Bon. C'est ce qui spontanément lui venait au sujet du projet de réforme. Elle émettait aussi l'hypothèse que, si les décideurs politiques avaient connu l'état de pauvreté dramatique auquel les gens sont confrontés quotidiennement, ils n'auraient pas pu imaginer une réforme comme ça.

Nous, on était finalement assez d'accord avec ça. On pense que, comme c'est proposé dans le livre vert, ça va aggraver beaucoup les conditions de vie déjà dramatiques de plusieurs personnes. Nous, on ne pense pas, comme on a pu l'entendre dire au sujet de cette réforme-là, qu'elle est sociale-démocrate ou progressiste, excepté le fait de faire progresser l'appauvrissement davantage puis aussi de faire encore progresser la misère des gens. On va vous expliquer un petit peu plus loin pourquoi on pense que c'est à ça que pourrait conduire cette réforme-là.

On pense que les orientations de la réforme qui nous est proposée ressemblent beaucoup à celles qui ont été adoptées par les États-Unis plus récemment; elle poursuit aussi les mêmes objectifs, c'est-à-dire non pas d'améliorer finalement les conditions de vie des personnes mais, avant tout, de répondre à des impératifs économiques, néolibéraux, qui n'appartiennent pas seulement au Québec mais qui sont dictés par des organismes internationaux aussi peu sociaux-démocrates, progressistes ou soucieux du mieux-être des populations puis des communautés locales que l'OCDE, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

(15 h 50)

Et il y a aussi que tout l'exercice de la réforme s'est placé, dès le début du livre vert, dans la poursuite et l'atteinte de l'objectif du déficit zéro dès l'an 1999-2000. Ce qu'on voit aussi à travers cette proposition-là, c'est à qui ça va coûter, ce déficit zéro, et surtout quel prix ces gens-là vont payer pour ça? Nous, on pense que le gouvernement aurait pu et qu'il aurait dû faire d'autres choix dans cette réforme-là.

On voit trois grands axes principaux autour desquels la réforme s'articule. On voit que la réforme veut responsabiliser les individus à leur condition de pauvreté puis aussi à la pauvreté de leurs enfants. On y voit l'obligation de participer sous peine de pénalités. On voit aussi le désengagement de l'État et le transfert vers les communautés locales des responsabilités de l'État en matière de programmes sociaux. C'est ce que la réforme appelle le partage des responsabilités avec les organismes communautaires; selon nous, ça ressemble davantage à un transfert du contrôle social des populations démunies vers les groupes communautaires puis les localités. À ce sujet-là, on va revenir aussi un petit peu plus loin dans le mémoire.

On a l'impression que le gouvernement émet l'hypothèse qu'en rendant la situation des prestataires et de leurs familles tellement précaire, tellement intolérable, qu'en mettant en péril leur intégrité physique et psychologique, ces personnes-là ne vont pas avoir d'autre choix que de s'intégrer au marché de l'emploi, un marché qui s'est vidé de plus en plus de ses emplois, puis qu'en divisant les prestataires de la sécurité du revenu en deux catégories – les invalides ou les inaptes et l'autre catégorie qui est les aptes au travail – les aptes vont être intégrés à l'ensemble de la main-d'oeuvre disponible et qu'ils vont devenir une main-d'oeuvre captive forcée de s'intégrer au marché du grand chantier de l'économie sociale. Alors, c'est ce que, nous, on voyait un petit peu comme orientation dans la réforme et on va revenir sur chacun de ces chapitres-là au cours de notre présentation.

M. Landry (Alain): Je continue. La réforme pourrait donc appauvrir. La compréhension qu'on a de la réforme, c'est que la prestation de certaines catégories de prestataires va être réduite. On comprend mal que le gouvernement continue de s'acharner sur les plus pauvres, car le régime de la sécurité du revenu a déjà subi sa part de compressions ces dernières années. On rappelle notamment l'abolition de la gratuité des médicaments, qui fait que les bénéficiaires de l'aide sociale défraient, jusqu'à un plafond de 200 $ par année, 25 % du coût de leurs médicaments; l'abolition du barème de disponibilité; la réduction du barème de participants – des réductions, des abolitions qui entraînent des pertes de 50 $ par mois dans un cas, puis 30 $ par mois dans l'autre – et la réduction de l'allocation-logement, la perte d'une somme de 30 $ par mois, en moyenne.

Avec la réforme actuelle, on voit les réductions suivantes: «Les personnes de 60 ans ou plus – et là je cite le texte de la réforme – qui seraient admissibles à la sécurité du revenu recevront dorénavant une prestation équivalente appelée "allocation des aînés". Cette allocation sera administrée par la Régie des rentes du Québec.» Ces prestations correspondront au barème de non-disponible qui existe présentement. Le problème, c'est que ce barème est actuellement accordé dès l'âge de 55 ans. Donc, les personnes entre 55 et 60 ans recevront des prestations réduites de 100 $ par mois. Nous ne sommes pas d'accord avec cette réduction des prestations aux personnes qui ont entre 55 et 60 ans. On critique aussi la réduction de 100 $ par mois pour des chefs de famille monoparentale ayant des enfants de trois à six ans, parce que l'obligation de participer à un parcours d'insertion, de formation et d'emploi équivaut au retrait du barème de non-disponibilité. On va traiter plus loin dans notre présentation de la mise en application prévue de ces parcours, mais notons déjà notre opposition aux pénalités contre les chefs – habituellement des mères – de famille monoparentale.

Il y a aussi des pénalités financières pour les personnes non inscrites dans un parcours d'insertion, c'est-à-dire une pénalité de 150 $ par mois, pendant un an, à laquelle s'ajouterait une deuxième pénalité de 150 $ pour un deuxième refus, pour un total de 300 $ par mois. On décrie de telles réductions de revenus pour les gens qui, il faut le savoir, sont les plus pauvres. Pour ces gens, ça va signifier probablement se nourrir encore moins bien, ne plus être en mesure de payer le loyer, recourir aux services populaires de distribution d'aliments ou de vêtements, ou y recourir encore plus souvent. La pauvreté est pourtant le facteur premier de mauvaise santé. Si on appauvrit ces gens, c'est à d'autres problèmes qu'il faudra bien faire face.

On a maintenant quelques commentaires sur les immigrants puis les revendicateurs de statut de réfugié. On s'inquiète si les réfugiés en attente de statut auront droit à l'allocation unifiée pour enfants. On cherche la réponse à cette question qui est si importante pour ces familles. «La réforme propose, en effet – citation une autre fois – de couvrir les besoins des enfants au moyen d'une allocation pour enfants complètement distincte de la sécurité du revenu. Cette allocation unifiée remplacera les allocations familiales.» Or, les réfugiés en attente de statut n'ont pas droit aux allocations familiales. Ces personnes recevront-elles des prestations plus élevées que les prestations de base? Se pourrait-il que le gouvernement force ces familles ayant des enfants à vivre avec les mêmes revenus qu'un ménage qui est composé exclusivement d'adultes? Pour des raisons humanitaires et parce que, pour moi ou pour nous, le bon sens le commande, nous demandons de corriger cette situation et d'accorder aux familles de réfugiés en attente de statut des revenus similaires à ceux des autres familles prestataires de la sécurité du revenu et d'avoir l'allocation unifiée pour enfants.

Par ailleurs, depuis novembre 1996, les réfugiés en attente de statut n'ont plus accès au barème de participant qu'on a présentement. Ça les exclut des mesures de formation et de développement de l'employabilité, ce qui est en soi grave et important.

Je voudrais aussi m'attarder à la mesure de francisation, les organismes communautaires qui offrent des cours de français qui sont destinés à ces nouveaux arrivants. Puis le critère de participation à ces cours, les fameuses mesures RADE, c'est justement de pouvoir être considéré comme participant. Donc, en sachant qu'environ un revendicateur de statut sur deux est accepté et qu'il devient un résident permanent, il importe, selon nous, que ces derniers apprennent le français le plus tôt possible. De plus, la participation à des cours de français offerts par les associations communautaires est un bon moyen de faciliter leur intégration à la collectivité et à la société québécoise, ce qui donc n'est plus possible depuis quelques mois dans les associations pour les réfugiés, les revendicateurs de statut.

Alors, les objectifs dont je viens de parler sont partagés par les dirigeants des organismes communautaires et par le ministère de l'Immigration. Ce que je demande aujourd'hui, c'est: Est-ce que le ministre de la Sécurité du revenu ou le ministère, dis-je, pourrait s'ajuster et redonner accès, aux réfugiés en attente de statut, aux cours de français?

Bon. Par ailleurs, le livre vert traite assez longuement de l'aide sociale et des personnes nées hors du Canada. On y note, par exemple, je cite que «les nouveaux arrivants de la dernière décennie s'intègrent beaucoup moins rapidement et beaucoup plus difficilement au marché du travail que leurs prédécesseurs». Quand on a lu ces sections-là dans le projet de réforme, Mme Harel, notre premier réflexe, ça a été de remarquer que les nouveaux arrivants ne sont pas le seul groupe social pour qui la dernière décennie a été difficile. Et la réforme nous dit d'ailleurs que le taux d'assistance augmente. Il augmente, par exemple, de 9 % en 1989 à 12 % en 1996.

Mais, fondamentalement, ce qui nous déçoit, c'est de... Combien?

La Présidente (Mme Barbeau): Il vous reste trois minutes.

M. Landry (Alain): Oh, mon Dieu!

La Présidente (Mme Barbeau): Ça passe vite. Je ne veux surtout pas vous presser, mais il y a 20 minutes de présentation.

M. Landry (Alain): O.K. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Barbeau): Vous pourrez revenir par après avec les réponses aux questions.

M. Landry (Alain): Je vous remercie. Alors, pour l'instant, ce qui nous inquiète, c'est qu'on ait critiqué assez fortement l'aide sociale qui est donnée aux nouveaux arrivants, mais qu'il y ait peu de mesures spécifiques pour corriger cela. Et, si l'idée est de retoucher à la politique d'immigration, bien, on croit que l'exercice pourrait en valoir la peine, mais c'est à cela qu'il faudrait s'atteler. Bon. En tout cas, on pourra ajuster.

Mme Garand (Marie-Paule): Bon. Comme il faut se dépêcher, on tenait quand même à vous parler des parcours individualisés vers l'insertion, la formation et l'emploi que, pour raccourcir, on pourrait appeler un PIIFE. Donc, on pense que ce concept-là de parcours, c'est un concept intéressant. L'idée, par exemple, pour les chercheurs d'emploi toutes catégories confondues, finalement, qu'ils aient accès aux mêmes services, on trouve ça intéressant. Sauf que, bien sûr, comme beaucoup d'autres vous l'ont mentionné aussi, à quoi vont mener ces parcours-là si, comme vous le reconnaissez aussi à l'intérieur du livre vert, les emplois existent de moins en moins, qu'on fait fasse à un chômage élevé, à un marché du travail qui exige de nouvelles compétences, à des licenciements massifs, des abolitions de postes, etc.? Et on se serait attendu aussi à ce qu'il y ait une politique gouvernementale en matière de création d'emplois qui vienne avec donc pour assortir ces parcours-là de débouchés, d'issues réelles.

(16 heures)

On craint aussi que les parcours, ce soit un peu comme... Bon. Même si on fait le constat d'un échec relatif des mesures d'employabilité, qui étaient au départ un concept qui pouvait sembler intéressant aussi, on craint que ces parcours ressemblent à des programmes d'employabilité réformés, c'est-à-dire qu'on inscrive des gens dans des parcours qui finalement sont des mesures occupationnelles qui ne débouchent pas vraiment sur des issues.

Il y a aussi toute la question de l'obligation de participer. On dit dans le livre vert, et je cite, que: «Le parcours sera mis en vigueur graduellement selon la capacité d'offrir des occasions réelles d'insertion dans le cadre du plan local.» Fin de la citation. Nous rajoutons: Sauf pour les 18-24 ans, pour qui ces parcours vont être obligatoires dès l'adoption du régime, même si les capacités de leur offrir des occasions réelles d'insertion n'existent pas. Alors, est-ce que c'est une manière plus ou moins subtile de remettre en cause la parité avec les jeunes? Pourquoi cible-t-on les jeunes? Et pourquoi aussi cible-t-on en deuxième catégorie les femmes chefs de famille, en fait, les chefs de famille monoparentale, c'est-à-dire très majoritairement des femmes?

Ce qu'on remet beaucoup en question, en fait, ce avec quoi on n'est pas d'accord, c'est toute la question des pénalités assorties à ces mesures. Selon nous, les mesures d'insertion et de réinsertion à l'emploi, ça devrait plutôt être assorti de bonifications au revenu. Ça devrait être des mesures volontaires et progressives aussi qui permettent aux gens de faire une insertion ou une réinsertion progressive. Notamment dans le cas, par exemple des parents chefs de famille monoparentale. Ce qu'on pense aussi, c'est que les parcours devraient permettre un éventail plus large d'insertion que la seule insertion à l'emploi. Il y a différentes façons de s'insérer, de s'intégrer à une vie communautaire, par exemple, et on ne pense pas que l'emploi puisse être la seule façon d'intégrer des gens d'une façon active.

On est inquiet aussi des droits démocratiques des prestataires. Actuellement, dans les bureaux, les agents sont débordés. Les gens, les prestataires ne sont pas satisfaits des services et de la façon dont ils sont traités. Selon la personne avec qui on discutait hier matin, qui travaille quotidiennement et qui est présente dans les bureaux d'aide sociale, qui accompagne les gens, les prestataires d'aide sociale sont facilement traités ou soupçonnés d'être des fraudeurs; par contre, ils font face aussi à beaucoup de coupures injustifiées et qui ne correspondent pas à l'actuelle loi ou aux actuels règlements. On a donc l'impression aussi qu'il va falloir en arriver à faire ce qu'on pourrait appeler une mise à niveau, une formation des agents et des conseillers aussi pour qu'ils arrivent, dans le cadre d'un parcours individualisé, à offrir du support, du soutien et des conseils à des personnes en démarche d'insertion dans une gamme aussi large de parcours possible.

La Présidente (Mme Barbeau): Malheureusement, le temps est déjà dépassé. Ça passe vite. Mais, je suis certaine que les membres de la commission ont déjà pris connaissance du mémoire au complet et vous allez pouvoir revenir dans vos réponses aux questions. Alors, on va procéder tout de suite. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, mais c'est parce qu'il y a d'autres groupes et il y a un fonctionnement. On ne veut surtout pas vous enlever la parole. Alors, Mme la ministre.

Mme Harel: Bienvenue au Conseil communautaire Côte-des-Neiges-Snowdon, M. Landry, Mme Ranti, du Club-AMI. Tantôt, je vous demanderai de nous faire connaître les services que le Club-AMI rend depuis 20 ans.

Mme Ranti (Irène): Presque 15 ans.

Mme Harel: Presque 15 ans.

Mme Ranti (Irène): Je l'espérais.

Mme Harel: Et Mme Garand. Écoutez, le ton était pas mal donné dans votre mémoire, à la page 3, quand vous dites: «Les orientations de la réforme du gouvernement du Québec ressemblent, à quelques mesures près, à celles adoptées par les États-Unis.» Ça, là, je dois vous dire que, quand j'ai vu ça, j'ai pensé qu'il y avait de l'inflation, un peu d'inflation, pas verbale mais écrite. Je ne sais pas si vous savez ce qui a été adopté aux États-Unis cet été.

M. Landry (Alain): Mme Garand le connaît bien.

Mme Harel: C'est l'aide sociale pour cinq ans...

Mme Garand (Marie-Paule): Oui.

Mme Harel: ...et, après ça, c'est fini pour le restant de la vie. Ça veut dire que ça dure max cinq ans. Alors, si vous trouvez que ça ressemble à ça, là, je vais vous dire une chose... Aujourd'hui, les crédits, c'est-à-dire le livre des dépenses du gouvernement pour la prochaine année a été rendu public, puis il y en a pour 4 236 000 000 $. Et je vous rappelle qu'aux États-Unis, après cinq ans, c'est fini pour tout le monde. Présentement, les États américains ne donnent, pour la plupart d'entre eux, de l'aide sociale qu'aux familles monoparentales seulement. Les personnes seules ne reçoivent rien. Si vous trouvez que ça ressemble, je vais vous dire une chose: On a un problème, là. Vous voyez, il y a 116 000 ménages à soutien financier qui ont été indexés au 1er janvier dans tout le Canada. Vous allez me dire que c'est seulement la catégorie des 116 000 ménages mais, dans tout le Canada, en 1997, il n'y a aucune province, aucune juridiction qui n'a fait aucune indexation. On a beau l'avoir fait, nous, partielle, on est les seuls à l'avoir fait.

Des fois, quand on se regarde, on se désole, mais, quand on se compare, on se console. Je ne sais pas si vous avez été informés de ce qui se passe en Ontario, avec l'annonce qui a été faite au mois de janvier, où ce sont les locataires qui vont financer, par les municipalités, 50 % du financement de l'aide sociale. Vous avez idée que, dorénavant, en Ontario, 50 % du financement de l'aide sociale le sera par les municipalités. Qui, pensez-vous, financent les municipalités? Ça dépendra, pour chaque municipalité, du nombre d'assistés sociaux. Avec les chiffres que vous nous donnez, je me rends compte que ça ne coûterait pas cher à Westmount, ou à Hampstead, ou à Côte-Saint-Luc, puis ça coûterait pas mal cher dans Côte-des-Neiges, parce que c'est des locataires. C'est là où il est le plus susceptible d'y avoir des personnes qui sont en besoin d'aide de dernier recours.

Alors, je pense qu'on doit faire attention. En même temps qu'on peut très bien avoir des critiques légitimes, il ne faut pas tomber dans les excès qui discréditent ce qu'on dit. Je vous écoute là, M. Landry.

La Présidente (Mme Barbeau): M. Landry.

M. Landry (Alain): J'écoutais la deuxième partie de votre intervention; ça me donne l'impression que c'est un peu ce courant-là ou, malheureusement, cette espèce de compétition entre les divers États ou entre les provinces pour ne plus soutenir financièrement ces gens-là qui nous inquiète. En page 3, on parle des orientations. Probablement que Marie-Paule voudra développer, mais on parle des orientations de la réforme. Il est certain qu'on n'a pas étudié en détail les législations de chaque État américain puis les vôtres, puis qu'on n'a pas d'avance établi que la réforme proposée ici équivaut à ce que le pire politicien du sud des États-Unis propose; ce n'est pas ça notre but, ça, je peux vous l'assurer. Mais, quelque part, quand vous nous dressiez le portrait du nombre d'États ou de provinces qui commencent à resserrer la vis, c'est à ça qu'on réfère, ça nous inquiète profondément comment, nous, on peut continuer à garder des objectif de solidarité sociale à travers ça.

Mme Harel: Je vais vous dire, moi, le livre vert, savez-vous par quelle expérience il a été inspiré? Par deux expériences. On les retrouve pages 41 et 42. L'expérience du Danemark, en 1994. Le gouvernement danois n'est pas réputé pour être réactionnaire, c'est un pays social-démocrate scandinave. Le gouvernement danois a procédé à une réforme du marché du travail en définissant les modalités du plan d'action individuel. Et, en France, vous savez sûrement qu'il y a une loi qui a été adoptée l'automne dernier et qui prévoit de transformer l'allocation d'assistance en salaire d'activité, de manière à soutenir l'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Tantôt, vous parliez: Pourquoi les jeunes?. Pourquoi les jeunes? Parce qu'il y en a 48 000 présentement, qui ont entre 18 et 24 ans, qui sont principalement des garçons et qui sont à 70 % des décrocheurs. Mme la députée de La Prairie, depuis qu'on a débuté nos travaux, voulait savoir c'étaient qui, ces jeunes-là. On a fait faire un profil pour avoir le portrait, pour se rendre compte que c'est les décrocheurs qui, finalement, à 18 ans, s'en vont sur l'aide sociale. Et, pour la plupart de ces jeunes-là, c'est comme une bouée de sauvetage, le fait d'avoir un parcours individualisé. Ils vont nous dire souvent: Dites-nous quoi faire, on va le faire. C'est des jeunes qui ont besoin d'être encadrés. C'est des jeunes qui souvent, dans leur environnement, n'ont pas trouvé la fermeté qu'il fallait. Et puis, pourquoi les jeunes? Parce qu'à 20 ans, après avoir décroché, être sur l'aide sociale, il y a un danger d'y rester. Et, si on pense que c'est une vie, à 20 ans, je pense que ça peut être, à 40 ans, quelque chose qui donne beaucoup de colère aux gens d'avoir l'impression d'avoir été abandonnés.

(16 h 10)

Moi, je regarde à la page 11, parce que je me dis: C'est quoi les solutions? Bon. Pour vous, le parcours, c'est de l'employabilité réformée. Les agents... Vous regardez la situation telle qu'elle se présente. Présentement, les agents appliquent la loi 37, la loi 37 existe depuis huit ans. La loi 37 confondait l'aide financière puis l'employabilité. Là, vous savez, on s'en va vers un système complètement distinct: d'un côté, les conseillers à l'emploi avec ceux de la SQDM, ceux du MSR, et, éventuellement – on peut l'espérer – ceux aussi des centres d'emploi du Canada, les trois permettant de tout réorganiser des services complètement éparpillés, totalement cloisonnés et, en plus de ça, il y en a 110. Alors, avez-vous idée? Personne ne se retrouve là-dedans. Donc, l'idée, c'est de simplifier.

Et vous nous dites que ce qu'on doit offrir finalement à tout le monde, c'est un seuil de revenu minimum sous lequel aucun individu ne peut être placé. Et, vous l'évaluez, ce seuil de revenu, à peu près à l'équivalent des besoins essentiels qui sont couverts au Soutien financier mais qui ne le sont pas au programme APTE. Vous dites: «Ces besoins essentiels étant eux-mêmes en deça des coûts réels.» Vous dites: «Au moins, ceux-là, il faudrait les compenser.» Juste un chiffre, un ordre de grandeur, parce que, comme ça revient dans beaucoup, beaucoup, beaucoup de mémoires, j'ai fait analyser à combien ça correspondrait si on voulait aller de l'avant. Vous voyez, c'est 760 000 000 $. Alors, c'est l'ordre de grandeur, si vous voulez, que ça prendrait pour modifier la loi 37 qui est en vigueur depuis huit ans sur la question des barèmes.

On n'a pas l'intention de modifier les barèmes. Il va y avoir un barème de participation. La réforme ne modifie pas les barèmes. Ce qu'elle modifie, c'est l'offre de services pour, dans le fond, permettre à quelqu'un, contrairement à ce qui est le cas... Actuellement, la loi 37 prévoit: L'agent choisit la mesure. La personne ne peut pas choisir, elle ne fait pas un parcours individualisé, elle n'a pas un projet personnel de vie, elle se fait imposer une mesure désignée. Et la loi prévoit aussi qu'elle n'a même pas d'appel ou de recours. L'article 76 prévoit que c'est final et sans appel.

Alors, ce qu'il faut changer derrière ça, c'est justement l'idée qu'on peut faire faire quelque chose à quelqu'un qui ne correspond ni à ses besoins, ni à ses désirs, ni à sa motivation. Alors, le parcours, c'est une façon de se réaliser, de réussir sa vie. Le parcours, ça ne veut pas dire l'emploi automatiquement, mais, un parcours, ça peut vouloir dire cependant une formation, ça peut vouloir dire aussi le sentiment d'être utile, parce que la personne va comprendre que c'est elle qui va être gagnante.

Pourquoi on commence avec les jeunes? Parce qu'on ne peut pas commencer avec tout le monde. Ça serait formidable. En même temps, si on annonçait que c'est tout le monde, tout le monde saurait que ça veut dire personne, parce qu'on ne peut pas le faire avec tout le monde, il faut réorganiser, il faut qu'il y ait une piste d'atterrissage, comme je dis, là, puis qu'on adopte une loi du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, puis qu'on réorganise les services publics, puis qu'on ouvre le guichet unique qui va être ouvert indépendamment de l'étiquette, puis qu'on les organise, les parcours, puis que ça se mette en branle. Alors, ça ne peut pas se mettre en branle avec tout le monde en même temps. Ceux qui veulent pourront y accéder, mais, les 18-24 ans, ce sera en priorité.

Alors, voilà. Comme je vous le dis, c'est certain que ça suppose qu'il y ait un nouvel esprit. Là, présentement, vous nous dites – et on l'a entendu beaucoup – c'est une culture de contrôle, c'est comme des enquêtes de crédit. Dans le fond, les gens ne sentent pas que quelqu'un est là pour les aider, mais les gens ont le sentiment que quelqu'un est là pour les caler. Alors, c'est ça qu'il faut changer.

La Présidente (Mme Barbeau): Je pense que, Mme Garand, vous vouliez parler? Voulez-vous parler? Bien, allez-y, vous pouvez répondre.

Mme Garand (Marie-Paule): Oui, c'est ça. C'est que je pense que le rapport de confiance a été très, très miné aussi. Par exemple, quand vous dites qu'il faut changer, qu'il faut modifier les mentalités, tout ça, il faut aussi un rapport de confiance pour ça. Ce qu'on voit quotidiennement dans le rapport, par exemple, des agents dans l'application des mesures, dans les choix qu'ils font pour les personnes dans le système actuel, dans la façon dont ils n'écoutent pas les gens non plus... Bon, il y a toute sortes de raisons: ils n'ont pas le temps, ils sont débordés, etc. Ça fait que ce rapport de confiance n'est pas là non plus. Et c'est nécessaire, je pense, pour que la personne entre dans un parcours individualisé, qu'on lui dise qu'elle peut exercer un choix, il faut qu'elle se retrouve en situation de confiance aussi. Comment cette situation de confiance là peut s'exercer si, par exemple, il n'y a pas de droit d'appel? Si le choix...

Comment faire, comment déterminer, comment vous, comment chacun des bureaux, comment s'assurer que ça va véritablement être la personne qui va pouvoir le faire, ce choix-là, que le choix qu'elle va décider de faire dans son parcours... Et puis, quand vous dites que ce n'est pas nécessairement l'emploi au bout, donc on peut d'abord penser que la personne, elle va être là très, très longtemps, dans un parcours, s'il n'y a pas d'emploi, si ça ne mène pas à ça, donc le choix est d'autant plus important. Alors, comment on va faire pour assurer à ces gens-là que son choix va pouvoir être véritablement respecté s'il n'y a pas aucun mécanisme d'appel, s'il n'y a pas, nulle part, un endroit où cette personne-là peut en exercer un, droit, et le faire savoir?

Mme Harel: Il faut des mécanismes d'appel.

Mme Garand (Marie-Paule): Et si la mesure, et si le choix de parcours, c'est le même agent qui administre son chèque qui va lui dire ce choix-là. Ça, c'est des choses qui ne sont pas claires pour nous, là, et dont on n'a aucun élément autre que votre parole et vos intentions, mais on ne le sait pas. Puis...

Mme Harel: C'est-à-dire que c'est dit clairement, cependant, dans le livre vert, c'est dit très, très, très clairement que ça ne serait pas la même personne. Et ça, il n'y a pas d'ambiguïté là-dedans, c'est dit à plusieurs reprises. C'est même repris dans le tableau qui fait le bilan de tout ce qui est proposé. Vous le retrouvez, ça, la distinction entre le conseiller à l'emploi et le conseiller à l'aide financière. Vous le retrouvez très clairement, attendez... Tableau comparatif, page 68. C'est ça. «Le conseiller d'aide à l'emploi assume l'offre des mesures actives et de la référence.» De l'autre côté, «le conseiller d'aide financière assume les fonctions de livraison, d'ajustement et de contrôle de l'aide financière». Et on y dit aussi, ailleurs, attendez... Donc, c'est vraiment... Je sais qu'on le dit, je vais essayer de...

Mme Garand (Marie-Paule): À la page 69, je pense, puis je l'ai vu ailleurs aussi un peu plus... dans un encadré gris.

Mme Harel: À la page 69. Oui, c'est ça, vous avez raison. Oui, c'est ça. Je pense que c'est un élément majeur, c'est un élément extrêmement important, parce que l'idée derrière, c'est de donner un service équivalent aux personnes, indépendamment de leur étiquette: qu'elles soient sans chèque, qu'elles soient prestataires d'assurance-emploi ou chômeurs à l'aide sociale. C'est ça la philosophie qui est derrière.

Et là, ce dont on discute présentement, c'est: quel type de recours? Alors, il y a le Protecteur du citoyen, ce matin, qui a proposé une façon d'y arriver en introduisant dans la loi elle-même les directives actuelles sur la notion d'emploi raisonnable, de refus justifié. Bon. Il y a aussi d'autres organismes qui nous ont proposé qu'on s'inspire des conseils arbitraux de l'assurance-emploi, conseils arbitraux qui ont développé de la jurisprudence et qui ont, dans un délai de 30 jours, à prendre une décision. Alors, vous voyez, il y a divers recours. Mais, chose certaine, pour nous, il y a un chapitre sur les recours qui va s'écrire dans cette réforme.

La Présidente (Mme Barbeau): Le temps imparti pour le côté ministériel est terminé. Je pense que M. le député d'Outremont, s'il n'y a pas d'opposition... Il n'est pas membre de la commission, est-ce que j'ai le consentement?

Mme Harel: Consentement.

La Présidente (Mme Barbeau): Allez-y, M. le député d'Outremont.

(16 h 20)

M. Laporte: Oui. Merci, Mme la Présidente. Oui, bonjour, je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes des gens qui représentez beaucoup de groupes communautaires de mon comté et avec lesquels, d'ailleurs, j'ai des relations assez suivies. En lisant votre mémoire, aux pages 5 et 6, j'ai été un peu choqué d'apprendre, enfin, de lire, de prendre connaissance de ce que vous y dites. Vous dites: «Par ailleurs, depuis novembre 1996, les réfugiés en attente de statut n'ont plus accès au barème de participant, ils seraient exclus des mesures de formation et de développement de l'employabilité. Or, ces organismes communautaires offrent des cours de français particulièrement destinés aux nouveaux arrivants et le critère de participation à ces cours est justement de pouvoir être considéré participant.»

Moi, j'en ai visité beaucoup de ces organismes communautaires et je suis allé dans bon nombre de classes de français, où on enseigne le français. Évidemment, ce ne sont pas des programmes qui sont nommément des programmes de francisation, c'est plutôt des programmes d'insertion sociale, mais la francisation... Puis, on le sait ça, d'ailleurs, à partir des études qui ont été faites, que la connaissance du français, que la maîtrise du français contribue à l'insertion des gens sur le marché du travail ou, même si ce n'est pas sur le marché du travail, à leur insertion au sein de la société d'accueil. Donc, je suis assez étonné d'apprendre que ces personnes-là, ou ces groupes sociaux là, ou ces catégories sociales là ne pourront plus profiter de l'aide, disons, dont ils profitaient antérieurement, d'autant plus que vous mentionnez que dans 50 % des cas les requérants au statut de réfugié, finalement, obtiennent gain de cause.

Je dois dire qu'un investissement qui est rentable dans 50 % des cas dans un portefeuille, des titres qu'il y a dans le portefeuille ou des personnes qui font partie de la population – si je peux me servir de l'analogie boursière – c'est un investissement qui est fort rentable. Si vous réussissez 50 fois sur 100 à obtenir les résultats visés, vous êtes un assez bon investisseur. Donc, il me semble que, même dans le cas où il n'y aurait que 50 % des gens qui deviendraient effectivement des citoyens canadiens, ce serait tout à fait justifié de leur fournir l'aide financière pour qu'ils apprennent le français. Et puis, que ça les aide à s'insérer sur le marché du travail, souhaitons-le, mais, en tout cas, dans les réseaux sociaux, par ailleurs.

Donc, je voudrais avoir vos commentaires là-dessus parce que je vous répète que, lorsque j'ai lu ça, ça m'a fâché un peu, puis ça m'a attristé parce que j'ai vu de mes yeux vu combien les organismes communautaires font du bon travail dans mon comté. Je me dis qu'à la suite de cette décision-là, évidemment, leur efficacité serait diminuée. Alors, je voudrais avoir vos commentaires là-dessus.

M. Landry (Alain): Je ne suis pas étonné, M. Laporte, que vous connaissiez les activités communautaires de francisation des immigrants en étant un résident chez nous, à Outremont ou à Côte-des-Neiges, puis en étant un élu. Je sais qu'aux commissions parlementaires, étudier un projet comme ça, j'imagine... On me dit qu'il y a moins de partisanerie. Je suis certain que si le représentant de notre comté était de l'autre parti, probablement qu'il aurait la même sympathie puis la même connaissance. Plusieurs associations – je crois qu'il y a une dizaine d'organismes, puis même le CLSC de Côte-des-Neiges – offrent des activités de francisation des immigrants, puis je pense qu'on a développé un modèle intéressant, dans notre quartier, de francisation puis de préparation à l'emploi, mais aussi d'intégration à une communauté, autant que faire se peut. À 90 000 dans un quartier urbain, c'est certain que ce n'est pas un rang, mais il y a là quelque chose d'intéressant.

Les réfugiés, depuis l'automne, ne peuvent plus participer à ces cours-là. Et ça marchait aussi, il y avait comme une course à «mon coupon» durable pour aller à ces activités-là parce qu'ils avaient à peu près 100 $ de plus. Alors, on déplore fortement que ce soit coupé. Et, curieusement, aucun de nous trois – moi, je suis dans un comité d'aide aux locataires; Mme Ranti, en santé mentale; Marie-Paule coordonne la table de quartier – n'organise de telles activités mais il s'en organise dans plusieurs groupes: des groupes de loisirs, des groupes d'aide aux assistés sociaux, dans plusieurs types d'associations. C'est quelque chose qu'on déplore. On espérait peut-être même aujourd'hui avoir un petit appui, un petit soutien moral ou une petite promesse qu'on changerait ça.

Et je profite de votre question pour signaler que le premier problème qu'on aborde dans cette section-là, en page... c'est la question des familles. Et ça, ça me semble encore pire. C'est-à-dire que dorénavant cette allocation unifiée pour enfants, de penser que des réfugiés, des gens en attente du statut de réfugié, qui ont deux, trois, quatre enfants, vivraient avec le même revenu que deux adultes... Et, à cet effet-là, on sait qu'il y a un organisme... Nos associations sont aussi membres d'un organisme plus spécialisé sur ces questions-là, qui s'appelle la Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés, puis on sait qu'eux sont prêts à venir témoigner aussi. Je sais que tous, comme élus, à cette commission-ci, vous avez extrêmement de boulot, mais, s'il y avait un autre organisme qui pourrait apporter un éclairage sur une couple de dizaines de milliers de personnes qui risquent de vivre des conditions financières très difficiles, cet organisme-là est prêt à venir expliquer en quoi c'est important de faire attention à ça.

Mme Harel: M. le député d'Outremont, me permettez-vous? J'avais demandé qu'on vérifie quel était l'application, pour bien qu'on voit quelle est la nature du problème, si tant est qu'il y en ait un. Ce qu'on m'a dit, c'est que la personne a toujours accès aux cours de francisation. L'organisme reçoit toujours la subvention qui est modeste là, la subvention de RADE. La différence, c'est que la personne, elle participe aux cours de francisation, l'organisme reçoit la subvention, mais elle n'a pas le barème de 120 $ de plus de participant.

Mme Garand (Marie-Paule): Je pense que... Bon. À Côte-des-Neiges, il existe aussi une table de concertation qui s'appelle la Table accueil et adaptation des nouveaux immigrants, Table qui a rencontré M. Boisclair en novembre dernier. Et, autant pour les mesures en employabilité que pour la mesure RADE, les organismes ne reçoivent pas... C'est-à-dire que si les gens, les revendicateurs du statut de réfugié sont inscrits dans leurs cours, ils ne vont pas recevoir de sous pour...

Mme Harel: D'accord. Donc, ça va s'appliquer. Voilà. Écoutez, c'est la bonne nouvelle.

Mme Garand (Marie-Paule): C'est ça, ils sont sur l'article 25.

Mme Harel: Ça va être la bonne nouvelle de votre retour, là. Mais, à partir du 1er avril, j'ai signé puis ça va être modifié, ça va revenir avec le financement que les organismes avaient auparavant.

Mme Garand (Marie-Paule): C'est-à-dire que, ce que vous nous dites, c'est qu'à partir du 1er avril les groupes communautaires qui donnent, dans le cadre de RADE, par exemple, des mesures de francisation, des cours de francisation, vont pouvoir recevoir encore les subventions pour les inscriptions des revendicateurs du statut de réfugié.

Mme Harel: On me confirme que oui. En sortant d'ici, je m'en venais à une réunion du comité de direction du ministère et, si tant est que ce n'est pas le cas, je vous le ferai savoir par l'intermédiaire du cabinet, mais je suis certaine que c'est le cas parce que la directive a été envoyée exactement – nous sommes mardi – vendredi après-midi.

M. Landry (Alain): Ce qui va rester, c'est le fait que les participants n'ont pas, comme avant, une bonification avec la mesure RADE.

Mme Harel: Oui. Mais ça, je comprends que c'est une des... Ça, c'est une des réalités qui nous met à égalité avec les autres provinces, puisque c'est l'équivalent en Ontario, l'équivalent ailleurs, je pense, sans exception, étant donné...

La Présidente (Mme Barbeau): Mme la ministre...

Mme Harel: ...que dorénavant, à 100 %, Québec doit payer comme les autres provinces, étant donné qu'Ottawa s'est complètement retiré. Ah, mon Dieu, excusez-moi!

La Présidente (Mme Barbeau): Merci, c'est juste que...

Mme Harel: Je vais consentir, je m'excuse.

La Présidente (Mme Barbeau): ...Mme la ministre est sur le temps de l'opposition là.

Mme Loiselle: C'est correct, parce que c'est une clarification importante pour le groupe qui est ici.

La Présidente (Mme Barbeau): O.K. c'est beau. Est-ce que vous avez d'autres choses à ajouter? C'est vous, madame, qui avez d'autres choses à dire?

Mme Garand (Marie-Paule): Il y a Mme Ranti, à qui on avait accordé de faire une présentation, mais...

Mme Ranti (Irène): Je savais qu'il y aurait une question dans ce sens-là.

Mme Garand (Marie-Paule): Mais j'aimerais ça quand même avoir une petite clarification juste avant de terminer concernant les familles des revendicateurs de statut de réfugié qui n'ont pas actuellement droit aux allocations familiales. Est-ce que, à ce moment-là, comme les autres prestataires d'aide sociale, on va retirer de leur prestation ce qu'on alloue habituellement aux enfants? Comme ils ne reçoivent pas d'allocation familiale, ils ne recevraient pas non plus l'allocation unifiée pour enfants...

Mme Harel: Ils vont la recevoir, ça, je peux vous le confirmer là. Je ne veux pas non plus profiter du...

Mme Loiselle: Ça serait un non-sens si ce n'était pas applicable.

Mme Harel: Non, mais c'est le ministère de la Sécurité du revenu qui va le leur faire parvenir. Ça coûte 7 300 000 $, cette mesure-là. Alors, c'est la couverture, si vous voulez, des besoins des enfants, la couverture des besoins essentiels qui va être payée par le ministère de la Sécurité du revenu.

La Présidente (Mme Barbeau): Alors, Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Mme Loiselle: Si je comprends bien, l'allocation unifiée pour enfants va être accordée au statut de réfugié?

Mme Harel: C'est bien ça.

Mme Loiselle: Comme tout autre citoyen québécois, famille.

Mme Harel: Je vais vous lire exactement... Je vous laisse peut-être continuer, je vais le trouver...

Mme Loiselle: Non, non, mais je pense que c'est important.

(16 h 30)

Mme Harel: ...puis je vais vous en faire lecture.

Mme Loiselle: Ça marche. Bonjour, premièrement; bienvenue à cette commission. J'aimerais peut-être revenir au niveau des jeunes, parce que, bon, vous joignez votre voix à tous les groupes au niveau du caractère, de l'approche coercitive avec pénalités; vous êtes contre. Pourquoi on cible les gens... Certains groupes nous ont dit: Vous ciblez, un, les jeunes, après les familles monoparentales, c'est discriminatoire, de prendre une catégorie de personnes et de les cibler. Si on dit que les citoyens sont à part entière, dont les bénéficiaires de l'aide sociale, pourquoi cibler des catégories?

Bien, j'irais même plus loin. Il faut se poser la question: Pourquoi le gouvernement prend-il cette approche-là, avec pénalités, quand les études le disent que, un, c'est contre-productif, c'est démotivant, ça ne peut pas créer un lien de confiance avec l'agent? Bien au contraire, c'est de la méfiance qui va s'installer. Ça favorise aussi un comportement de soumission, puis ça peut aussi, dans certains cas, amener des gens qui sont peut-être un petit peu moins motivés que d'autres à prendre la place d'un autre, finalement, parce qu'on sait très bien qu'il n'y aura pas des parcours pour tout le monde. Puis on l'a dit tantôt, les parcours n'amèneront pas nécessairement un emploi. Alors, il faut se poser la question.

Vous autres, vous allez même plus loin, vous dites que, finalement, si le gouvernement s'entête à aller avec cette approche-là, de pénalités, et obligatoire, c'est que c'est peut-être une façon un peu indirecte de retirer la parité aux jeunes. Vous le dites dans votre mémoire. J'aimerais vous entendre davantage sur ça, parce qu'il y a quelques groupes qui ont attiré notre attention sur ça.

Mme Garand (Marie-Paule): Bon, c'est ça. Tantôt, Mme Harel tentait de répondre un peu à ça en disant: Pourquoi les jeunes? Et c'est beaucoup... Je pense que c'est un ensemble de facteurs, le décrochage scolaire, mais pas juste de la mauvaise volonté, mais pas juste... Bon. À Côte-des-Neiges, on voit aussi un taux de chômage, par exemple, pour certains jeunes, notamment les jeunes des communautés noires anglophones, qui va jusqu'à 65 %. C'est six jeunes sur 10 qui sont sans emploi. Et on ne sait pas trop quelle sorte d'emplois ont les quatre autres, non plus, de ces jeunes-là. Bien sûr qu'il y a du décrochage scolaire et tout ça, bien sûr que ces jeunes-là sont unilingues anglophones, beaucoup, mais, en même temps, pour les... Par exemple, tantôt, on a parlé de francisation des nouveaux arrivants. Il n'existe pas, pour les gens qui sont ici, au Québec, depuis plusieurs générations, de lieu pour apprendre le français pour que, par exemple, leurs parents puissent se franciser. Ils n'ont pas accès à de la francisation gratuite. Donc, c'est un ensemble de facteurs. Et je pense que, quand on parlait des parcours, une intégration progressive, une intégration qui n'est pas punitive, mais qui est incitative, par exemple, à des parcours, en tout cas, nous semble une solution plus appropriée.

Mme Loiselle: Vous travaillez beaucoup avec des familles de différentes communautés dans le quartier Côte-des-Neiges. J'aimerais vous entendre, parce qu'on a posé la question à Genèse quand ils sont venus, parce qu'il va y avoir un impact au niveau de la liberté de choix d'une mère, d'un parent...

Mme Garand (Marie-Paule): Oui.

Mme Loiselle: ...qu'on lui retire progressivement, avec les années, quand l'enfant va avoir deux ans... Ça va avoir un impact, parce que le rôle d'un parent dans certaines communautés, c'est très important, que la personne doit rester à la maison avec les enfants jusqu'à un certain âge, et tout ça. J'aimerais vous entendre, peut-être madame, sur l'impact que ça pourrait avoir sur certaines familles de différentes communautés, le fait obligatoire, à un moment donné, où la mère devra sortir de la maison.

Mme Garand (Marie-Paule): Bien, c'est ça. Ce qu'on dit aussi, c'est que, de un, pour toutes les familles, par exemple... comme société, on n'a pas fait le choix que c'était la meilleure idée de remettre, finalement, tous ces parents-là, ces chefs de famille là au travail. Par contre, dans cette réforme-là, on propose de remettre une catégorie spécifique de parents, donc celle sur la base de c'est quoi, sa source de revenus, donc la sécurité du revenu, et sur la base de son statut familial aussi, chef de famille monoparentale. Donc, ça, on n'est pas d'accord qu'ils se voient imposer ça, qu'on cible cette catégorie-là de gens.

Pour les jeunes familles immigrantes, pour les familles immigrantes avec enfants, il y a les conditions dans lesquelles elles arrivent. On ne pense pas nécessairement que c'est... Effectivement, il y a des questions culturelles, mais il y a aussi des questions de s'intégrer. Donc, le noyau familial de pouvoir comme être en famille, on pense que ça peut avoir... Si, en même temps qu'on veut s'établir, on a aussi à faire le saut culturel, de faire garder ses enfants et de s'intégrer dans un parcours, c'est comme beaucoup de choses à faire en même temps dans un parcours d'intégration.

Peut-être qu'Alain a des éléments de réponses supplémentaires.

M. Landry (Alain): Oui, peut-être deux petits éléments. Le premier, c'est qu'effectivement, quand, nous, on regardait cette réforme-là, on s'est dit: Probablement que dans certains milieux culturels de notre quartier la réflexion sur se séparer... que la mère se sépare de ses enfants plus tôt, on ne sera peut-être pas rendu là et ce serait important de prendre plus de temps. Et ça, il y a eu un grand acquiescement chez les différents représentants d'organismes, y compris des organismes comme Golden Age, l'Association des groupes ethniques.

Mais, par contre, on voit des expériences pratiques où on donne du soutien ou des services aux nouvelles familles arrivantes, immigrantes, pour qu'il y ait un peu de répit, faire garder leurs enfants, ou pour qu'il y ait une sociabilisation ou qu'il y ait des apprentissages qui soient faits par les jeunes enfants de deux ans, de trois ans. Puis même, dans un projet, dans une rue, la rue Mountain Sights, dans un secteur très défavorisé du quartier, il y a un projet où on a commencé à faire des activités de gardiennage avant deux ans.

Mais ce que je remarque, c'est que ces initiatives-là sont: un, volontaires; deux, encouragées par un réseau, par le bouche à oreille; puis, trois, faites graduellement. Tu sais, ces gens-là ont même pris la peine de laisser la maman avec l'enfant pendant deux heures la première fois, pendant 45 minutes la deuxième fois, puis c'est après deux ou trois visites que l'enfant est coupé. Il y a toutes sortes de petites attentions de même qui sont prises pour mieux coller, pour sécuriser des familles pour qui, culturellement, ça pourrait être un choc. Naturellement, si une réforme dit: Là, maintenant, à quatre ans, à cinq ans, c'est important d'aller travailler, vous les faites garder, ça ne respectera pas ce rythme-là ou ça ne permettra pas des adaptations.

Mme Loiselle: Je vais peut-être, parce qu'il me reste... Ah! Bonjour.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Bonjour.

Mme Loiselle: J'ai juste quelques secondes. Je vais laisser la ministre, peut-être, vous répondre...

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): C'est ça.

Mme Loiselle: ...pour clarifier la situation de l'allocation unifiée pour les revendicateurs en attente de statut.

Mme Harel: Alors, M. le Président, pour ce qui est des familles de revendicateurs de statut de réfugié, sauf celles dont la demande d'établissement sur place a été acceptée en principe, pour celles dont la demande d'établissement sur place a été acceptée, c'est donc l'allocation unifiée, qui sera administrée par la Régie des rentes, qui va s'appliquer. Pour toutes les autres familles de revendicateurs de statut de réfugié, prévoir, dans le nouveau régime de sécurité du revenu, une majoration du barème équivalente à l'actuelle portion des prestations d'aide sociale accordées à l'égard des enfants, prévoir en conséquence un transfert de 7 300 000 $ aux crédits des programmes d'aide sociale sur une base annuelle. Alors, c'est ça qui est prévu. C'est que ce soit intégré dans, si vous voulez, l'aide sociale aux familles de revendicateurs de statut de réfugié.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Une très courte.

Mme Loiselle: Oui, c'est ce qui ressort actuellement pour parents-familles?

Mme Harel: C'est l'équivalent des prestations d'aide sociale accordées à l'égard des enfants.

Mme Loiselle: O.K., actuellement?

Mme Harel: Oui.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Avec l'accord des deux côtés, le député d'Outremont aurait une courte, petite...

M. Laporte: Mais c'est juste un petit commentaire sur la question que vous posez dans votre mémoire, à savoir: Pourquoi ceux qui décident ne savent pas et ceux qui savent ne peuvent pas décider?

La ministre étant, comme moi, une sociologue, je pense qu'on sait pourquoi, on sait pourquoi c'est comme ça. C'est que ceux qui décident ou ceux qui savent ou ceux qui croient savoir ont tendance à croire que ceux qui savent ne savent pas. C'est le phénomène d'ignorance multiple, là.

Des voix: Ha, ha, ha!

(16 h 40)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Alors, je vous remercie beaucoup. Je remercie monsieur et mesdames. J'invite maintenant les représentantes du Regroupement des personnes assistées sociales de Granby et région à se présenter.

(Consultation)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): S'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, Mme Beauregard, c'est vous qui présentez les gens qui vous accompagnent, et je vous invite à débuter votre présentation.


Regroupement des personnes assistées sociales de Granby et région (REPAS – Granby et région)

Mme Beauregard (Nicole): C'est Nicole Jetté qui va présenter...

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): C'est Nicole Jetté?

Mme Beauregard (Nicole): Oui.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Alors, Mme Jetté, si vous voulez présenter d'abord les personnes qui sont à la table.

Mme Jetté (Nicole): Alors, à ma droite, c'est Mme Paula Maundcote et, à ma gauche, c'est Mme Ginette Morin et Mme Nicole Beauregard. Ce sont trois femmes qui vivent le quotidien de la réalité des personnes assistées sociales.

Alors, pour nous, c'est clair que nous sommes le Regroupement des personnes assistées sociales de Granby, donc nous sommes des personnes assistées sociales, soit vivant le quotidien ou en étant en solidarité avec les personnes assistées sociales. On existe depuis 1989, comme Regroupement. C'est évident qu'on a eu le privilège comme groupe de vivre, dès le début de la loi 37, et de suivre l'évolution de la loi 37 au quotidien, avec ses conséquences déshumanisantes, et aussi, comme groupe, nous sommes membres du Front commun des personnes assistées sociales.

C'est clair que nous voulons une réforme de la sécurité du revenu, mais celle-ci doit affirmer haut et fort le droit de vivre avec dignité, même si nous nous retrouvons forcées de recourir à l'aide de dernier recours. Je fais juste un commentaire: Ne cherchez pas dans le mémoire ce qui est dit parce que, tantôt, Mme la Présidente a dit que tous les commissaires avaient lu les documents avant – nous avons cru en ça – même comme organisme avant de venir, donc nous ne lirons pas le mémoire, mais notre intervention est très liée au mémoire puisqu'on disait dans le mémoire que nous partions du vécu des personnes assistées sociales et ce sont des personnes assistées sociales qui vont apporter leur vécu.

Donc, nous voulons une réforme qui dit, qui affirme le droit de vivre dans la dignité pour les personnes pauvres, mais on s'oppose à toute prétendue réforme qui maintient les pratiques actuelles discriminatoires dans la loi 37, que ça s'appelle la taxe du partage du logement, les méthodes de calcul du test d'actifs et de contributions parentales et l'imposition des pensions alimentaires. On s'oppose aussi à une réforme qui appauvrit puis pénalise sous prétexte que les prestataires sont responsables, donc coupables d'être pauvres. Puis on s'oppose aussi à une réforme qui... même s'il y a un discours de revalorisation, on continue à utiliser les personnes assistées sociales comme des boucs émissaires, donc à entretenir le mépris. C'est dans ce sens-là qu'on perçoit les pénalités liées aux parcours puis aussi l'intensification des contrôles.

Pour l'ensemble des personnes assistées sociales, même si, dans son livre vert, Mme Harel prend bien le soin de dire que 93 % des prestataires se conforment aux conditions d'attribution à l'aide, en même temps, elle dit: Il faut augmenter les contrôles. Alors, pour nous, quand il y a une conformité de 93 %, je ne crois pas que c'est une justification d'augmentation de contrôles.

En tout cas, c'est dans ce contexte, avec notre expérience, qu'aujourd'hui on vient vous partager notre préoccupation de vie et notre préoccupation pour la vie, car nous refusons de croire que l'État québécois et sa population veuillent asservir les personnes victimes du marché du travail, victimes des différentes réformes, des différentes organisations de société, qu'on veuille asservir ces personnes-là aux lois de l'économie seulement. C'est pourquoi on exige une politique de redistribution de la richesse et non de la pauvreté.

Alors, afin de comprendre pourquoi les personnes assistées sociales ont le sentiment de vivre une sorte d'apartheid social au Québec, nous prendrons le temps d'accueillir des expériences vécues par des femmes pauvres en chair et en os. Nous écouterons en premier le partage de Paula.

Mme Maundcote (Paula): La pauvreté: un mur de mépris. En 1986, suite à mon divorce dû à la violence, j'ai été forcée de demander de l'aide sociale comme mère avec un fils de huit ans; de plus, j'étais enceinte de ma fille. En 1989, j'ai quitté la campagne pour la ville afin d'avoir plus facilement accès à des services. À ce moment-là, je me suis rendu compte que j'étais une pauvre. Tout autour de moi reflétait que je n'étais pas compétente dans la vie. J'avais honte de mon état. Je demeurais dans un petit trois et demie avec mon fils et ma fille. J'ai porté de vieux vêtements. Afin que les enfants ne crèvent pas de faim, j'ai même volé de la nourriture. J'avais honte, je me suis senti coupable, mais je n'avais pas le choix.

Ma situation précaire a amené mon fils de 15 ans à poser des gestes de révolte avec d'autres jeunes dans la même situation que la nôtre. Ils ont vendu de la drogue, vandalisé des maisons et même volé chez moi de la nourriture à plusieurs reprises. Mon fils a commencé le trafic de la drogue pour avoir de l'argent de poche; par la suite, il est devenu consommateur. Malgré tous ces problèmes, j'ai eu la chance que mon fils ne décroche pas de l'école et réussisse son secondaire V.

Je suis aussi très impliquée dans l'éducation de ma fille de 10 ans. Je croyais, en 1997, que j'étais respectée, mais, suite à une réunion que j'ai convoquée à l'école, parce que ma fille était souvent harcelée par les autres enfants, j'ai compris que ce n'était pas vrai. Au cours de cette rencontre, les membres du comité sont allés loin dans nos vies privées. Ils ont décidé d'interdire que ma fille vienne à la maison pour le dîner. J'ai expliqué que je n'avais pas toujours de la nourriture pour mettre dans un sac, car, pour économiser, j'ai fait mon pain et de la soupe. Le comité m'a dit d'acheter un thermos. J'avais fait mon possible avec le pain et la soupe, mais, pour eux, je manquais de compétence parce que je n'avais pas un thermos.

Rosie a reçu un bicycle de son père. Il n'est pas neuf mais en bonne état. Ma fille était très fière de sa bicyclette. Les enfants à l'école lui ont dit: C'est de la merde. Par la suite, ils ont vandalisé la bicyclette, l'ont jetée par terre et, finalement, ils l'ont emballée avec du papier de toilette. Maintenant, à cause du mépris d'autres enfants, Rosie a honte et elle ne veut rien savoir de sa bicyclette. Par l'école, elle a expérimenté très, très jeune et sans comprendre les conséquences des préjugés et de l'exclusion de la société.

Suite à ces situations et beaucoup d'autres, pour garder l'équilibre, je dois m'adresser à de nombreux professionnels dans les domaines de la santé et du service social. Par ailleurs, au REPAS de Granby, j'ai appris que, même si je suis une pauvre, je reste une personne à part entière, avec le droit au respect, à la dignité, à la fierté. Je souhaite que la réforme reconnaisse les droits des personnes assistées sociales sans aucune forme de discrimination.

(16 h 50)

Mme Jetté (Nicole): Alors, nous, on se pose des questions: En quoi le parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi ébranle le mur de mépris auquel les familles et les enfants se butent? Avec l'allocation unifiée, on va sortir les enfants des statistiques de l'aide sociale mais non de la pauvreté, puisque des milliers de familles assistées sociales se retrouveront plus pauvres.

Une autre situation que nous considérons discriminatoire est illustrée par Ginette. Celle-ci a reçu le témoignage de France et Annie.

Mme Morin (Ginette): Ce témoignage, je le fais au nom de toutes les France et Annie du Québec.

Je suis une monoparentale fière d'avoir élevé mon enfant dans la dignité, le respect, la fierté et la confiance. Sa période d'adolescence a été traversée sans bavure ni contrainte. Je suis une mère comblée. Je n'avais jamais pensé qu'à 44 ans les problèmes commenceraient avec ma fille. En juin 1996, suite à un secondaire réussi, Annie se lance dans la recherche d'un emploi et décide d'aller vivre avec son ami. En décembre 1996, découragée de ne pas trouver de travail, Annie dépose une demande d'aide sociale pour survivre à ses besoins. Afin de vérifier son admissibilité, même si elle a 19 ans, on demande les revenus de sa mère pour calculer la contribution parentale puisque Annie ne remplit pas les conditions d'adulte autonome. Nicole nous présente la méthode de calcul appliquée pour déterminer cette contribution.

Mme Jetté (Nicole): Je crois qu'à l'ensemble des commissaires on vous a distribué un tableau qui s'intitule Calcul contribution parentale . C'est la situation de France et d'Annie. France est une femme qui reçoit un salaire brut de 20 800 $ par année et de 13 520 $ après impôt. Arrivant à la sécurité du revenu, Annie, pour calculer la contribution de sa mère, on prend son revenu brut avant déductions d'impôts. On considère que France peut vivre avec le 9 862 $ sur le 20 800 $ brut, donc France a 10 938 $ de luxe. Elle doit, sur ce montant-là, partager 40 % avec sa fille, ce qui fait une moyenne de 364,60 $. Donc, Annie est acceptée à l'aide sociale, reçoit de la sécurité du revenu, 21,40 $, et France, sa mère, doit lui remettre 364,60 $.

Si Annie avait poursuivi ses études au cégep, comme sa mère souhaitait, elle aurait été éligible également, la mère, à... elle aurait été soumise au calcul de contribution parentale pour les prêts-bourses. Vous avez, de l'autre côté du tableau, ce que signifie pour les prêts-bourses... Les prêts-bourses prennent le salaire après déductions d'impôts de la mère, et on dit que la mère, ça lui prend 11 755 $ pour vivre; elle a un surplus de 1 765 $. Mais, automatiquement, il y a un 2 660 $ qui est enlevé parce que Annie est aux études. Donc, la mère n'a pas un sou à donner comme contribution parentale. Et après, quand on compare le revenu familial, Annie à l'aide sociale, si on prend ce qui reste à la mère après avoir donné à Annie le montant, ce qui lui reste, c'est le 762,06 $ et, si elle était aux études, elle aurait 1 126,66 $.

Alors, c'est pour expliquer. Pour nous, c'est discriminatoire. Même dans les situations, au Québec, où il y a des contributions parentales, quand on est sur l'aide sociale, ça coûte plus cher aux parents s'ils ont des jeunes sur l'aide sociale que s'ils sont aux études.

Mme Morin (Ginette): Ma fille est donc informée qu'elle est acceptée à la sécurité du revenu. Son chèque, 21,40 $ par mois. Ma contribution, 364,60 $ par mois. On l'avise également que, si je refuse, elle doit me poursuivre en cour. Étant donné mes revenus, je suis dans l'impossibilité de continuer à subvenir aux besoins de ma fille. Je refuse donc de payer la contribution exigée. L'agent continue de me harceler par des lettres enregistrées. Suite à deux refus formels de ma part, Annie subit l'acharnement de l'agent pour qu'elle entreprenne des poursuites contre moi. Ma fille refuse de telles démarches car elle sait que je ne peux pas lui donner le montant demandé. Après trois mois, Annie finit par signer un engagement de poursuite car, d'après l'agent, c'est la seule voie possible pour obtenir le chèque d'adulte.

Au cours de tout ce ballottement, notre relation mère-fille s'est complètement détériorée. Annie venait chez moi durant mon absence, me volait, prenait l'argent dans la petite caisse dont j'ai la responsabilité pour les loisirs de l'usine. Ordinateur, CD, radio, etc., tout disparaissait. Tout fut vendu pour survivre. Cela a duré trois mois. J'ai perdu toute confiance en ma fille. J'ai dû la mettre à la porte, exiger les clés de mon logement, limiter ses visites. J'ai mal car j'aime ma fille. Je pleure souvent. Je ne dors plus. Mon travail s'en ressent; accident de travail, absences. Je suis sur les nerfs, je n'en peux plus. Je n'ai plus d'appétit et j'ai le mal de vivre. Dois-je laisser le travail que je fais depuis 10 ans et tomber sur l'aide sociale? Je n'en peux plus. Je suis révoltée. Je ne vois pas de porte de sortie.

Je ne comprends pas pourquoi un enfant a le droit d'avoir un permis de conduire à 16 ans, de voter à 18 ans, mais qu'à 19 ans on lui refuse le droit de vivre sa propre vie si elle ne travaille pas. Trouvez-en des jobs au lieu de démolir les jeunes. Je suis fatiguée, anéantie. J'ai peur de l'avenir pour Annie et pour moi. À cause du système pourri, ma fille est devenue délinquante. À l'aide sociale, on lui dit: Si tu sortais de prison ou si tu étais enceinte de 20 semaines, tu aurais de l'aide sans contrainte. C'est ça, le système et la nouvelle réforme? Inciter les jeunes à devenir ce qu'Annie est devenue, une délinquante? Quelle belle réforme, Mme Harel! Annie a obtenu un chèque de 396 $. Un jour, elle m'a dit: Pourquoi vivre si je rends malheureux les gens qui m'entourent? Pour ma part, je me demande pourquoi donner la vie à des enfants si on leur refuse l'espoir?

Mme Jetté (Nicole): On se souvient, en 1988, de certains discours de M. Paradis, qui était alors le ministre qui soutenait la réforme de la sécurité du revenu. Il avait justifié la contribution parentale comme mesure pour favoriser la solidarité familiale. On sait par expérience que, par cette mesure aussi, beaucoup de jeunes adultes ont été exclus de l'aide sociale parce que les parents faisaient trop d'argent. Avant 1988, ils avaient droit à un pauvre 195 $, c'était dramatique et tragique. Après la contribution parentale, ils n'avaient plus droit à aucun sou.

Quand on se retrouve aussi avec l'obligation d'avoir de l'aide de dernier recours, les personnes qui font appel à l'aide de dernier recours réalisent que les gouvernements deviennent très inventifs pour identifier des sources de revenus dont les pauvres bénéficient sans le savoir. Vous avez un autre tableau qui s'appelle le test d'actifs – M. le Président me fait signe qu'il ne reste que trois minutes – je le résume.

C'est une femme qui, à 49 ans, après avoir travaillé, en faisant du temps supplémentaire, de 20 à 30 heures par semaine, a pu se payer une maison. Elle travaillait au salaire minimum. À 49 ans, elle perd son travail, manque d'emploi à l'usine. Chômage, aide sociale. Elle arrive à l'aide sociale, évaluation municipale de la maison, 76 800 $ et quelques. Elle a droit à une maison de 60 000 $. Donc, elle a du luxe pour 16 340 $ qu'on taxe à 24 % par année, c'est-à-dire 2 % par mois. Son chèque est coupé de 326,80 $, son barème est de 490 $ à compter du 1er avril, il lui reste 163,20 $. Sur le reste du tableau, vous avez le détail des dépenses essentielles qu'elle a à faire. Elle est obligée de payer ses taxes municipales, elle est obligée de payer ses assurances, elle est obligée de payer son électricité. Avant d'arriver à pouvoir se nourrir, elle a un déficit de 119,64 $, qui est à la deuxième page, et, quand elle se nourrit un peu, paie ses médicaments et le transport, elle a un déficit de 431,31 $, et là elle ne s'est pas habillée et elle n'a eu aucune vie sociale. Comment vit cette femme? Je laisse la parole à Nicole sur ce que signifie pour elle cette expérience d'avoir trop d'argent.

Mme Beauregard (Nicole): Solitude. Seule, je me sens seule. On m'a tout enlevé. Même le droit d'aimer. Je n'ai plus la force de lutter. Mes rêves se sont envolés. Je n'ai plus de dignité. Les rues sont désertes. J'ai peur. Mes voisins ne sont plus mes amis. À qui parler de cette détresse? À qui parler de tant de colère et de tant de rage au coeur? On joue le dernier acte et je ne pourrai en arrêter le dénouement. Ce n'est pas une comédie, c'est une tragédie parce que je sais qu'à la fin on me prendra la vie.

(17 heures)

Mme Jetté (Nicole): En conclusion, il est clair que nous refusons de nous agenouiller devant le dieu du déficit zéro. Nous croyons que tout le monde au Québec a le droit de vivre, nous croyons que le gouvernement a une responsabilité et que l'ensemble de la population a une responsabilité. Et, pour nous, une réforme de la sécurité du revenu doit améliorer les conditions de vie des personnes assistées sociales et non les maintenir dans l'état actuel et, encore moins, d'aggraver l'état actuel. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. J'invite maintenant Mme la ministre à débuter.

Mme Harel: Alors, merci, Mme Jetté. Vous nous présentez trois situations, n'est-ce pas. Je crois que c'est Paula, c'est bien ça? C'est Mme Beauregard...

Mme Jetté (Nicole): Mme Beauregard est au bout de la table.

Mme Harel: Oui, et puis c'est Mme Morin. Voilà. Et ce sont trois situations qui, toutes trois, je vous rappelle, sont survenues, soit en 1986 pour Paula, et à partir de là, en fait. Mme Morin, je comprends qu'Annie, ça s'est produit, ça, l'automne dernier, en 1996, c'est bien ça?

Mme Jetté (Nicole): C'est en décembre 1996 qu'elle a fait sa demande à la sécurité du revenu.

Mme Harel: Voilà. Et je vérifiais depuis quand c'était en vigueur, ça. On me dit que c'est en vigueur, la loi 37, depuis huit ans, la contribution parentale, malgré que c'est dans le Code civil, l'obligation alimentaire, depuis, paraît-il, Napoléon. Ce serait dans la coutume de Paris, qui aurait été déménagée ici, et ce serait dans le Code civil adopté en 1867, me dit-on, et l'obligation alimentaire entre parents. Vous savez qu'avant ça comprenait aussi les grands-parents, mais, finalement, le ministre de la Justice a décidé que les grands-parents n'avaient plus cette obligation-là. Ça reste entre parents, parents et enfants, ou vice versa.

Alors, là, je comprends, et je vous remercie, c'est la première fois... Vous savez, on a toujours l'impression... C'est commencé depuis le 29 janvier, la commission parlementaire, et on a souvent presque l'impression de tout avoir entendu. C'est normal que les groupes de défense des droits, qu'ils soient de Bécancour comme celui qui vous suivra, ou qu'ils soient de Côte-des-Neiges comme celui qui vous a précédées, ou qu'ils soient de Hochelaga-Maisonneuve, ou qu'ils soient de Pointe Saint-Charles, en fait, disent souvent des choses qui sont pareilles. Ce serait surprenant d'ailleurs que ce ne le soit pas. Alors, on a ce sentiment d'entendre des choses qui sont répétées. Mais c'est la première fois qu'on nous parle de la contribution parentale avec un exemple. Et je comprends que votre exemple démontre que depuis que c'est appliqué, et j'ai fait vérifier pour être bien certaine, la contribution parentale exigée à l'aide sociale est beaucoup plus exigeante que celle exigée aux prêts-bourses. Alors, ça, je comprends que c'est à cause du revenu, le revenu brut puis le revenu net, entre autres, et que c'est à cause aussi des autres sortes d'exemptions. Alors, soyez certaines d'une chose: ça, ici, ça va faire partie de ce qu'on va regarder dans la liste qu'on avait déjà, si vous voulez, commencé à préparer du côté ministériel, mais on va ajouter cette question de la contribution parentale. Il y a une égalité de traitement à introduire. Définitivement, c'est difficile, bien difficile de comprendre pourquoi c'est à l'aide sociale plus qu'aux prêts-bourses qu'on va chercher de la contribution des parents.

Ceci dit, votre jeune, maintenant, vous dites qu'elle est en difficulté. Qu'est-ce que vous souhaitez pour elle, Mme Morin? Qu'est-ce que vous souhaiteriez? Le système que vous souhaiteriez, ce n'est certainement pas qu'elle reste sur l'aide sociale le restant de sa vie. Qu'est-ce que vous souhaiteriez pour elle?

Mme Morin (Ginette): Bien, moi, je souhaite qu'elle travaille, qu'elle se trouve un travail, ou qu'elle aille sur un parcours, mais qu'elle ne soit pas punie si elle va sur un parcours ou, si elle ne peut pas y aller, qu'elle soit coupée de 150 $. Ce n'est pas ça que je veux. Je veux qu'elle se trouve un travail, mais il faut en créer, du travail. Elle n'en a pas. Il n'y en a pas.

Mme Harel: Bon. Là, vous me dites qu'elle a un secondaire V...

Mme Morin (Ginette): Oui.

Mme Harel: ...fini...

Mme Morin (Ginette): Oui.

Mme Harel: ...général.

Mme Morin (Ginette): Oui.

Mme Harel: Ce n'est pas dans un secteur professionnel. Elle n'a pas un métier présentement.

Mme Morin (Ginette): Non, non, pas du tout.

Mme Harel: Bon. Vous savez que l'espérance d'emploi, c'est comme l'espérance de vie, ça, il y a des manières de s'aider pour vivre plus longtemps puis il y a des manières de s'aider pour être capable de travailler. Et avoir un diplôme général, c'est comme, de ce temps-ci... ça n'a pas la même, si vous voulez, portée qu'un diplôme professionnel. C'est évident qu'un diplôme professionnel, ça peut aider. Est-ce qu'elle a vu une ressource à l'emploi, un conseiller à l'emploi? Je ne vous parle pas du... Là, je comprends qu'elle a maintenant sa prestation, hein.

Mme Morin (Ginette): Oui.

Mme Harel: Elle a son plein montant.

Mme Morin (Ginette): Elle l'a eu à partir du mois de mars, vers le 15 mars qu'ils étaient supposés lui donner.

Mme Harel: Bon. Ça lui a été donné pour des motifs qu'elle n'avait pas contribution parentale. C'est pour ça?

Mme Jetté (Nicole): Étant donné le refus formel de la mère, même si l'agent l'obligeait à aller poursuivre sa mère, dès qu'elle est allée voir l'avocat, et, quand on parle de l'information des agents, c'est un exemple concret... quand elle est allée voir l'avocat pour poursuivre sa mère et qu'elle a dit à l'avocat dans quel contexte l'agent l'avait forcée à signer, l'avocat a communiqué avec l'agent pour dire qu'il n'avait pas le droit; il avait à respecter. Donc, c'était à l'agent de faire la demande que le ministre poursuive la mère, s'il décide de poursuivre une femme qui a 20 800 $ brut par année, mais que la fille ne pouvait pas être obligée si elle ne voulait pas, parce qu'elle ne voulait pas. Mais elle a été dans la situation de signer sous la menace de l'agent et c'est l'avocat qui l'a informé de ses droits sur ce plan-là.

Mme Harel: J'apprécierais, étant donné que vous avez décidé d'apporter, si vous voulez, à la considération publique ce cas-là, j'imagine, Mme Morin, que vous accepteriez que vous m'envoyiez, par fax ou autrement, justement cette décision-là – par votre fille, peut-être – de l'agent.

Mme Morin (Ginette): Parfait.

Mme Harel: Bon. D'autre part, sur la question relative... Mais je termine avec votre fille, là. Est-ce qu'il y a un service externe de main-d'oeuvre pour jeunes? Vous savez, un SEMO-Jeunes. Ou un club de recherche d'emploi. Ou est-ce qu'elle a vu... Il n'y a pas de Carrefour jeunesse-emploi, je pense encore, hein.

Mme Morin (Ginette): Non.

Mme Harel: Bon. Ça doit être en préparation. Qui est-ce qui est susceptible... c'est peut-être Mme Jetté...

Mme Morin (Ginette): Oui, Mme Jetté peut répondre.

Mme Harel: ...qui peut me répondre à cette question-là. Dans la région de Granby, qui donne des services d'accompagnement aux jeunes?

Mme Jetté (Nicole): Il existe SEMO. Carrefour jeunesse-emploi vient de commencer à fonctionner. Mais Annie, en étant allée à l'aide sociale, c'est clair que, depuis décembre, des agents n'ont pas eu le temps de regarder avec elle son intérêt pour l'emploi. On regardait avec elle les revenus de sa mère, la poursuite de sa mère. Ça a été tout. Le peu de temps que l'agent avait de libre, ça a été l'éligibilité d'Annie, puis d'en donner le moins possible. Alors, sur ce plan-là, Annie n'a eu aucun support depuis décembre. Et, au contraire, elle a été dans la situation d'être sous pression. Sa mère était une personne extrêmement importante pour elle. Et même la relation avec sa mère s'est détériorée à partir de cette situation-là. Donc, Annie se retrouve beaucoup plus seule, en mars 1997, qu'elle l'était avant, je ne sais pas quelle date en décembre, d'aller frapper au centre Travail-Québec.

Mme Harel: Alors, reprenons-le. Parce que la réforme n'est pas appliquée encore, là. On ne peut pas dire que ça, c'est Annie qui est devenue délinquante à cause de la réforme. La réforme, c'est une consultation sur un livre vert. Un livre vert, ça veut dire que c'est encore ouvert aux changements. Donc, c'est une réforme dont les outils pour l'implanter s'en viennent. Bon.

Alors, là, reprenons ça en disant qu'elle aurait vu son conseiller à l'emploi, qui aurait été différent du conseiller à l'aide financière. Comme vous savez, ce sont des modules complètement distincts. On en a parlé un peu avant, peut-être, que vous vous présentiez. Et j'ai retrouvé, c'est à la page 39, où on dit clairement: «Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté: l'offre des services d'orientation, de préparation et d'intégration à l'emploi sera faite différemment de l'offre qui a trait aux services d'ajustement du revenu et de contrôle.» Alors, c'est deux conseillers différents dans des modules distincts, puis ça va être des services distincts. Alors, je reprends. Donc, il y aurait eu un conseiller ou une conseillère à l'emploi qui aurait vu Annie puis qui aurait dit à Annie: Qu'est-ce que tu veux faire dans la vie? Vraisemblablement. Ou Annie aurait été référée au Carrefour jeunesse-emploi, ou elle l'aurait été au SEMO-Jeunes qui, tous les deux... Ma collègue, Mme la députée de Sherbrooke, m'a dit que c'est elle-même qui a inauguré, d'ailleurs, le Carrefour jeunesse-emploi dernièrement. Bon. Ceci dit, je pense bien qu'Annie elle-même doit être désireuse de faire ce qu'il faut pour essayer de trouver quelque chose, j'imagine.

Mme Morin (Ginette): Oui, parce qu'elle a toujours travaillé durant les vacances scolaires, justement. Elle a toujours travaillé. Ça fait qu'elle s'est toujours cherché du travail parce que son but, c'est de travailler. Et puis, même, son but plus tard, elle veut peut-être aller plus loin dans les études.

(17 h 10)

Mme Harel: Écoutez, moi, je vous remercie, en tout cas, Mme Morin, d'avoir accepté de nous présenter la situation. Soyez certaine que je vais faire vraiment analyser. Je ne pense pas pouvoir écarter la contribution parentale, mais au moins une égalité de traitement avec ce qui se fait dans le régime des prêts-bourses. C'est ça qu'on va regarder de près.

L'autre chose, c'est peut-être – avant qu'on me dise que mon temps est fini – qu'on regarde la question du test d'actifs, le test d'actifs, le test de la maison. Alors, c'est donc le test d'actifs à partir de la valeur permise et de l'évaluation municipale. C'est bien ça?

Mme Jetté (Nicole): Oui. Nicole me demande de répondre pour ces questions.

Mme Harel: Très bien. Bon. On y indique un déficit mensuel. Le déficit mensuel, il est comblé comment?

Mme Jetté (Nicole): En s'endettant, Mme Harel. Cette personne-là s'endette parce qu'elle dit: Ce qu'il me reste, je me suis battue toute ma vie, j'ai travaillé pour m'acheter une maison, c'était ma sécurité de vieillesse. Et là l'agent lui dit: Bien, vendez votre maison, c'est bien simple. Pour elle, ce qu'elle vit, elle arrive à l'aide sociale – c'est au mois de... c'est cet automne – elle arrive à l'aide sociale.

Mme Harel: Est-ce que c'est après un veuvage ou si c'est après la perte d'un emploi?

Mme Jetté (Nicole): Perte d'emploi, fin de chômage.

Mme Harel: Après une perte d'emploi. Me permettez-vous de vous demander votre âge?

Mme Beauregard (Nicole): J'ai 49.

Mme Harel: À 49. Alors, vous avez eu une perte d'emploi qui était après plusieurs années ou si c'est...

Mme Beauregard (Nicole): J'ai fait 15 ans au même endroit. Après ça, ça a été du travail à temps partiel que j'avais. Puis j'ai changé deux ou trois fois d'emploi parce que c'était juste du travail à temps partiel, sur appel, vraiment à temps partiel.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je m'excuse, Mme la ministre.

Mme Harel: Je vous remercie. Écoutez, je vais vous dire tout de suite, M. le Président, je pense que des témoignages comme ceux que vous nous apportez là aujourd'hui, c'est terriblement convaincant de la nécessité de faire des changements et ça nous donne les outils qu'il faut, parce que, au-delà des statistiques ou des chiffres, il y a des vérités quotidiennes des vies humaines. Et on va regarder ça de près, je vous le promets.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. J'invite maintenant Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Mme Loiselle: Merci, M. le Président. Mesdames, bonjour, bienvenue. Pour revenir au document pour lequel vous êtes ici finalement, La réforme de la sécurité du revenu , je vais revenir sur le caractère... Vous avez fait des témoignages, tantôt, bouleversants au niveau des familles monoparentales, ce que certaines femmes doivent vivre suite à de la violence conjugale, suite à des ruptures difficiles, où des femmes et des enfants se retrouvent dans la rue, le conjoint est parti, aucun sens des responsabilités, et on doit aller frapper, parce qu'on n'a pas le choix, à la porte de l'aide de dernier recours.

Les statistiques le démontrent. Actuellement, sur une base volontaire, les familles monoparentales, en grande majorité des femmes, vont sur une base volontaire de façon importante, demandent des mesures d'employabilité et font le pas vers l'effort pour s'en sortir sans qu'il y ait d'obligation. Le Conseil du statut de la femme nous a démontré des statistiques, même les statistiques qu'on retrouve à la sécurité du revenu, la Fédération des femmes du Québec aussi nous a fait la même démonstration. Le Conseil de la famille et d'autres groupes sont venus nous dire aussi que, pour des femmes, surtout des jeunes mères, pour qui, tout au long de leur vie, il n'y a rien qui a fonctionné, depuis le jour où elles ont ouvert les yeux, leur vie n'a jamais bien fonctionné, soit qu'elles ont vécu des problèmes importants d'inceste ou de violence à la maison, et tout ça, la plus belle chose qu'elles aient réalisée, ces femmes-là, c'est d'avoir un enfant et, pour elles, leur valorisation se retrouve dans leur enfant et elles se sont comme créé une place dans la société avec leur enfant.

Moi, j'aimerais revenir pour vous entendre davantage sur tout le caractère du libre choix qu'on retire, si vous voulez, de façon indirecte par l'obligation, le caractère obligatoire progressif, avec les années, jusqu'à l'âge de deux ans. On commence cette année à cinq ans. Le fait qu'on cible les monoparentales comme deuxième phase de la réforme, j'aimerais vous entendre. Si le gouvernement ne retire pas le caractère obligatoire avec les pénalités... Vous travaillez avec des familles – vous nous l'avez démontré. Ce serait quoi, les conséquences de se retrouver avec une réforme de l'aide sociale qui a un caractère coercitif avec pénalités? Vous savez c'est quoi? le barème de non-disponibilité qui enlève 100 $, tout ça là. Puis l'allocation unifiée, vous en avez parlé tantôt; Mme Ruth Rose et le Conseil de la famille sont venus nous démontrer que, pour les familles monoparentales à l'aide sociale avec de jeunes enfants en bas de six ans, elles sont perdantes avec l'allocation unifiée, elles vont recevoir moins d'argent. Alors, j'aimerais vous entendre sur les conséquences si ça reste tel quel.

Mme Jetté (Nicole): Un aspect peut-être positif de la loi 37, c'est la non-disponibilité accordée aux parents d'enfants de moins de six ans. Ce que ça signifie pour des gens qui sont non disponibles à l'aide sociale à cause d'un enfant, ça donnait la liberté à ces femmes-là d'aller sur des mesures, de développer leur employabilité, ou de rester à la maison. Et si, un jour, elles commençaient des études au cégep, ce qu'on a eu souvent, et qui, à cause de l'enfant, ne pouvaient pas les continuer, elles revenaient chez elles et elles n'avaient pas la pénalité que les autres, qui étaient disponibles... allocation participante et non participante.

La catégorie qui n'avait pas la pénalité de la non-participation, parce qu'elle laissait une mesure avec motif, c'étaient les femmes ayant des enfants, ou des hommes ayant des enfants de moins de six ans. Là, on enlève, on veut passer ça à deux ans. On commence à cinq ans et on va aller jusqu'à deux ans, les mettre non participantes et mettre l'obligation. Beaucoup de familles monoparentales sont allées, des femmes sont retournées – je dis des femmes parce que c'est plus des femmes qui sont dans cette situation-là – sont retournées aux études, ont participé à des mesures, même les EXTRA qu'on dénonce, nous, comme groupe. Elles ont participé parce que ça leur permettait de sortir de chez elles, elles avaient leurs frais de garde assumés. Mais elles pouvaient revenir à la maison sans avoir la pénalité et c'est ce qui leur permettait d'être actives dans des organismes communautaires ou de retourner aux études.

Donc, si on enlève cette capacité de revenir pour raison valable... ces jeunes femmes là, ce n'est pas vrai qu'elles restent à la maison parce qu'elles veulent être coupées de la société. Elles font un choix. Comment être participantes dans la société? Est-ce que c'est en restant à la maison avec mon enfant ou si c'est en faisant autre chose? Dans la loi actuelle, la loi 37, ça permet ce choix-là, en restant pauvre parce que les barèmes sont trop bas, mais ça permet ce choix-là. En l'enlevant, c'est un recul à comparer à ce qui existe actuellement et, déjà, on a une analyse assez critique de ce qui existe actuellement. Alors, ce serait triste qu'il y ait, en plus, ce recul-là au niveau de la réforme.

Mme Loiselle: En sachant qu'actuellement les femmes monoparentales à l'aide sociale font déjà des efforts importants de participation, en sachant aussi, en regardant ce qui se passe autour, qu'il n'y en a pas de création d'emplois, que le gouvernement n'a rien mis en place au niveau d'une véritable politique d'emploi – c'est plutôt des pertes, à chaque semaine c'est des compagnies qui ferment – et que le gouvernement, finalement, impose cette approche-là aux familles et aux jeunes, en sachant qu'il n'est pas capable, ni lui, de répondre finalement à la demande parce que même actuellement le gouvernement n'a pas assez de mesures pour répondre aux participants qui veulent participer, alors, pourquoi pensez-vous qu'il nous a présenté une telle approche?

Mme Jetté (Nicole): C'est-à-dire, quand on a terminé en disant qu'on ne voulait pas, nous, se mettre à genoux devant le dieu déficit zéro, je pense que ce que je comprends, moi, des personnes qui sont au pouvoir et de beaucoup d'autre monde, c'est qu'à un moment donné on ne voit que le déficit zéro et on ne réfléchit pas aux conséquences d'autres situations.

L'obligation est inexplicable pour nous. L'incitation, l'encouragement, la confiance, je pense que le témoignage de Paula, c'est qu'il faut qu'on retrouve une confiance. Il faut que les gens qui sont dans la situation d'être victimes de la désorganisation du monde du travail, de l'échec du système scolaire.... On parlait tantôt qu'il y a beaucoup de décrocheurs; les jeunes qui se retrouvent à 18 ans à l'aide sociale, c'est des décrocheurs du système scolaire. Mais est-ce que c'est la faute juste des jeunes ou si c'est parce qu'on a un système scolaire et un système économique – quand on regarde la situation rapportée par Paula comme famille – qui font que ces jeunes-là n'ont pas de place à l'école? Pour nous, c'est clair que l'obligation est inacceptable. Pourquoi ce motif-là revient? Bien, je pense que c'est... Je ne vois qu'une raison d'économie, là. Je ne suis pas contre, théoriquement, le déficit zéro, mais je suis contre le fait que le déficit zéro mette des gens dans des situations comme on a eues la semaine dernière: un homme de 39 ans qui nous arrive avec un texte de pétition, le droit à l'euthanasie pour les personnes pauvres au Québec, et qui nous demande de le signer. Et c'est un texte de cinq paragraphes: Étant donné que, étant donné que, étant donné que, je demande – et il avait été le premier à signer – l'euthanasie légale pour les pauvres au Québec. Donc, ça, là, on le sait, ça n'a pas de bon sens que le déficit zéro amène tout près de 20 % de la population du Québec, parce que c'est plus large que les personnes assistées sociales, à se poser la question: On «a-tu» encore une place dans la société du Québec?

(17 h 20)

Mme Loiselle: J'aimerais aborder peut-être un autre aspect de la réforme qui nous est présentée, au niveau du non-paiement des loyers. La semaine dernière, on a rencontré plusieurs groupes qui nous disaient: Non, n'allez pas dans ce sens-là. Et des associations de propriétaires aussi nous disaient: Bien, là, il y a un problème, il faut le régler; c'est peut-être une avenue possible, ce que vous nous proposez, le pouvoir d'ordonnance. Il y a même eu un regroupement, la CORPIQ, qui a eu l'honnêteté, vraiment je l'admets, de nous dire que le dépôt direct, avec la possibilité du versement préautorisé, pourrait amener certains propriétaires à dire: Bien, écoute, si tu veux loger ici, si tu veux signer ton bail, tu me signes la demande aussi pour le versement préautorisé pour la composante logement. Vous, dans votre région, pensez-vous que ça pourrait, parce qu'il y a différents... Tout le monde se connaît dans certaines régions. Il y a un groupe qui nous a dit: Bien, nous, dans notre région – je pense que c'est le Témiscamingue – on ne pense pas que le problème pourrait survenir. Dans une grande région comme Montréal – je pense que la CORPIQ visait surtout la grande région de Montréal – il y a peut-être une possibilité qu'il y ait un abus. Dans votre région, pensez-vous qu'il y ait un certain danger?

Mme Jetté (Nicole): Que les propriétaires demandent le paiement direct?

Mme Loiselle: Au moment du bail, disent: Oui, mais tu me signes la demande.

Mme Jetté (Nicole): Il y a une très bonne solidarité entre propriétaires dans la région de Granby et, déjà, on demande aux personnes assistées sociales d'avoir des endosseurs pour leur signer un bail. On refuse parce que... on fait une enquête parce qu'elles sont sur l'aide sociale. Et, à Granby, les personnes assistées sociales ont encore peur. Parce que les propriétaires sont des gens bien vus dans la société. Donc, les personnes assistées sociales n'ont pas la même force. Mais c'est une bonne association entre les propriétaires. Et il y a des propriétaires qui le feraient, qui n'attendent que ça d'une certaine façon.

Et pourtant le non-paiement des loyers... Comment se fait-il que, dans les logements sociaux, dans les coopératives d'habitation, les personnes assistées sociales paient leur loyer et que, dans le privé, elles ne le paient pas? Il y en a environ 1 % au niveau des HLM ou autres qui ne sont pas payés parce que c'est des gens qui ont des problèmes en santé mentale et qui ont de la difficulté avec la réalité. Dans le privé, elles ne le paient pas; c'est parce qu'elles ont plus de problèmes? Elles n'ont pas l'argent. Elles ont à choisir. Si je ne paie pas l'Hydro, l'électricité est coupée, donc je vais payer l'Hydro, je ne paierai pas mon loyer. Le mois suivant, je ne paierai pas mon téléphone, je vais payer mon loyer. Elles sont dans la situation de toujours choisir à quel créancier elles vont être obligées de donner quelque chose puis à quel autre elles ne pourront pas le donner. Elles vivent cette situation-là continuellement. Donc, le non-paiement de loyer, le problème, ce n'est pas que les personnes assistées sociales ne veulent pas le payer, elles n'ont pas les moyens. Donc, s'il y a une aide au logement, c'est en créant des logements sociaux et en favorisant la coopérative d'habitation. Et la majorité des personnes assistées sociales, comme l'ensemble... on va rejoindre la moyenne des autres citoyens qui ne paient pas leur loyer.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mesdames, comme vous le disait Mme la ministre, au nom de tous les membres de la commission, vos témoignages ont été très, très, très appréciés. Merci beaucoup.

Mme Jetté (Nicole): Est-ce que je pourrais juste terminer avec une question sans que Mme la ministre me réponde? Quand elle dit que c'est très différent entre le conseiller à l'emploi et le conseiller à l'aide financière, j'aimerais juste savoir – si, un jour, vous pouvez me répondre, ce n'est pas nécessaire aujourd'hui – lequel des deux conseillers va commander la coupure du 150 $ au parcours. Moi, j'aimerais juste savoir ça. S'il n'y a pas de lien, c'est lequel des deux qui commande la coupure du 150 $?

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. J'invite maintenant le représentant et la représentante du Comité chômage, aide sociale et d'entraide économique de la MRC de Bécancour à s'approcher.

(Consultation)

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): À l'ordre, s'il vous plaît! M. Ayotte, si vous voulez présenter la personne qui vous accompagne et commencer votre présentation de 20 minutes, et je vous ferai signe quand il restera quatre ou cinq minutes.


Comité chômage, aide sociale et d'entraide économique de la MRC de Bécancour

M. Ayotte (Gaétan): Merci beaucoup, M. le Président. Je voudrais présenter Mme Thérèse Spénard, qui a travaillé à l'élaboration du mémoire du Comité chômage, aide sociale et d'entraide économique de la MRC de Bécancour.

M. le Président, Mmes et MM. les députés ainsi que Mme la ministre, bonjour. Mon nom est Gaétan Ayotte, je suis un assisté social apte. Une vingtaine de personnes assistées sociales sont venues nous appuyer pour vous dire qu'elles sont en accord avec le mémoire que nous vous présentons.

Le Comité chômage, aide sociale et d'entraide économique de la MRC de Bécancour est un organisme sans but lucratif incorporé depuis juin 1982. Notre territoire comprend 17 petites municipalités. Nous sommes un groupe de personnes assistées sociales, chômeuses et sans emploi membres du Front commun des personnes assistées sociales du Québec. Notre groupe, présentement, a fait près de 3 200 interventions environ du 1er avril 1996 au 18 mars 1997.

La réalité des personnes assistées sociales vivant en milieu rural. Nous nous situons loin de tous les services essentiels, quelle que soit la direction. Il vous faudra une heure avant de rejoindre un grand centre. Les personnes assistées sociales doivent pratiquement posséder une automobile. Si elles n'en ont pas, elles sont aux dépens des autres: parents, amis ou services de taxi. Que ce soit la personne qui a un sérieux problème de santé et qui nécessite de consulter un spécialiste ou même d'aller à l'hôpital, elle se doit de se déplacer sur une distance de plus de 45 km minimum. Imaginez les coûts occasionnés. Nous avons un CLSC pour les soins de santé qui donne accès à une salle d'urgence ouverte 24 heures par jour, sept jours/semaine. Si, un vendredi soir, vous êtes malade et que vous consultez un docteur du CLSC et qu'il vous donne une prescription de médicament, eh bien, nous voilà encore obligés de nous déplacer vers une ville pour avoir un service de pharmacie.

En milieu rural, le besoin de banques alimentaires est essentiel. Depuis trois ans, le Comité chômage, aide sociale et d'entraide économique de la MRC de Bécancour distribue des paniers de Noël. La demande est passée de 31 familles en 1994 à 110 familles en 1996, et dont la demande n'a pas été satisfaite car elle se situait à 134 demandes. Donc, une augmentation de 442 % seulement en trois ans. Nous offrons aussi un service de vestiaire et de meubles usagés. Ce service profite à beaucoup de familles assistées sociales, sans emploi et à faibles revenus de notre territoire. Depuis la mise en place de l'assurance-médicaments, nous côtoyons des familles assistées sociales et plusieurs personnes âgées qui doivent choisir entre se soigner, manger ou payer leur loyer ou leur hypothèque. À quand les banques de médicaments? Le gouvernement n'a pas prévu ce service ou encore laisse-t-il le champ libre au marché noir?

(17 h 30)

Dernièrement, la ministre Louise Harel annonçait des coupures dans les transports en ambulance et en taxi. Pour ce qui est du premier transport, il est défrayé par l'aide sociale seulement s'il est reconnu comme nécessaire par le médecin de l'urgence de l'hôpital. La ministre devrait relire la loi et les règlements actuels car c'est présentement cela, son fonctionnement. En ce qui concerne le transport en taxi, les personnes assistées sociales qui y ont accès doivent avoir un document de leur médecin traitant ou spécialiste attestant de la nécessité de ce moyen de transport et précisant que celui-ci est le seul disponible compte tenu de l'état médical de cette personne. Dans le milieu rural, une personne assistée sociale qui ne possède pas de véhicule et qui ne peut avoir recours à une personne pour la conduire doit se prévaloir de ce service vu qu'il n'y a pas d'autres transports en commun, ni autobus, ni Orléans Express. Si l'objectif de la sortie médiatique sur ce sujet par la ministre Louise Harel était d'augmenter les préjugés envers les personnes assistées sociales en les mettant abuseurs du système pour mieux passer sa réforme, elle a sûrement réussi, malheureusement.

Notre position par rapport à la réforme. L'emploi. La réforme ne tient aucunement compte encore une fois que, dans le milieu rural, il n'y a pas d'emplois disponibles et qu'elle ne va sûrement pas dans le sens d'en créer.

Les catégories à l'aide sociale. La ministre nous mentionne qu'il n'y aura plus de catégories à l'aide sociale. Mais de quelle façon va-t-elle s'y prendre? En expédiant les personnes Soutien financier, les personnes âgées de plus de 60 ans ainsi que les enfants à la Régie des rentes, ce sera sous des chapeaux différents: les malades, Régie-invalidité; les personnes de 60 ans et plus, allocation aux aînés; et les enfants, allocation unifiée pour enfants. De cette manière, lors des prochaines élections, on pourra nous dire que le nombre de personnes assistées sociales a diminué de façon importante. Mais que deviendront ces personnes?

Mme Spénard (Thérèse): Maintenant, M. le Président, je vais présenter les propositions que nous faisons à Mme la ministre.

Par rapport au revenu social garanti, la ministre Louise Harel a repris une proposition de notre organisme provincial, le Front commun des personnes assistées sociales du Québec. Ce revenu social garanti est basé sur l'individu. Cela est un progrès en soi, mais il y manque le montant adéquat, et nous insistons sur le fait que ce revenu social garanti doit être universel pour toutes et tous. Chaque personne devrait pouvoir gagner jusqu'au seuil de pauvreté de Statistique Canada avant de commencer à être imposée sur son revenu de travail.

Par rapport aux besoins spéciaux. Pour ce qui est du transport médical, l'aide sociale paie actuellement 0,135 $ du kilomètre, et cela n'a jamais changé, il nous semble pourtant, depuis que la loi existe, d'aide sociale. Il serait grand temps que ça change. Les fonctionnaires reçoivent actuellement, après vérification, 0,34 $ du kilomètre. Si le gouvernement considère ce dernier montant comme étant normal pour défrayer leurs déplacements, nous ne nous y objectons aucunement. Par contre, nous exigeons une hausse importante du transport médical à l'aide sociale qui doit augmenter à 0,25 $ du kilomètre minimum.

Pour ce qui est des coûts demandés pour les personnes qui devront se servir du taxi, nous sommes totalement en désaccord et nous en exigeons immédiatement le retrait.

En ce qui concerne, entre autres, les lunettes, nous n'avons jamais trouvé une monture à 20 $ pièce et nous considérons ce montant ridicule. Une hausse est indispensable, car on ne porte pas des lunettes par choix... pour la forme, on les porte par choix... Moi, si je n'en ai pas, je ne suis pas capable de lire aujourd'hui.

Tous les autres besoins spéciaux devraient aussi être révisés. Autant les chaussures orthopédiques, les orthèses, les prothèses dentaires que les délais pour avoir droit aux services dentaires, voici quelques exemples parmi tant d'autres.

Par rapport à la contribution parentale, il faut l'enlever, la contribution parentale qui divise les familles, alors que d'autres ministères encouragent l'entraide familiale. En exemple, en ce qui concerne les personnes âgées, on suggère fortement que les familles les prennent à leur charge.

La pension alimentaire. La pension alimentaire pour les enfants a été reconnue par les tribunaux comme ne devant pas être considérée comme un revenu. Il se doit que l'aide sociale harmonise sa loi, elle aussi, en ne la comptant plus du tout. Il ne faut pas qu'il y ait de coupures, ni en partie ni en totalité.

Le dépôt volontaire. Nous sommes contre le dépôt volontaire du chèque et de la possibilité que les propriétaires fassent saisir les chèques d'aide sociale pour se payer. Cela ouvrirait une porte à n'importe qui pour saisir le chèque afin de se rembourser une somme due. Arrêtez de partir du principe que les personnes assistées sociales ne savent pas gérer leur chèque. Avec seulement 500 $ par mois pour une personne seule classée non participante, faites l'expérience pendant quelques mois de l'impossibilité de faire cet exercice financier.

Les remboursements d'une dette à l'aide sociale. Les remboursements, lorsqu'une dette a vraiment été faite, devraient tenir compte du chèque donné. Le montant ne devrait pas dépasser, par exemple, 50 $ par mois. Il ne faut pas qu'il y ait une charge d'intérêts en surplus, car, en comparaison des compagnies frauduleuses envers le gouvernement, quand elles paient leurs dettes, elles ne paient pas l'intérêt pourtant.

L'assurance-médicaments. Le gouvernement, s'il ne veut pas avoir des voleurs, des personnes plus malades ou des suicides sur la conscience, il se doit d'enlever immédiatement son assurance-médicaments pour les personnes assistées sociales et les personnes âgées. Saviez-vous qu'une famille de deux adultes sur l'aide sociale, qui prennent tous les deux des médicaments, ils doivent payer à tous les trois mois 100 $. Ils ont le choix entre se soigner ou être encore plus malades, ou peut-être payer le loyer, mais ne pas se soigner. Avec les chèques d'aide sociale qui sont déjà minimes et qu'on veut encore diminuer, on va vous donner un exemple concret... Par exemple, un chèque d'aide sociale, avec la nouvelle loi, serait de 750 $ pour deux adultes; l'assurance-médicaments, par exemple, le 1er avril, où on devrait payer cette partie, 100 $; il va rester au couple 650 $ pour tout payer les autres frais.

La formation des agents d'aide sociale. Le gouvernement devrait engager des groupes de personnes assistées sociales pour former les agents d'aide sociale et les directeurs de bureaux pour leur apprendre à être un peu plus compréhensifs, moins zélés et plus humains. L'administration et les formules sont trop nombreuses, ce qui mélange les personnes assistées sociales et aussi les agents.

Notre conclusion. En espérant que les membres de la commission ainsi que Mme la ministre Louise Harel et le gouvernement prennent conscience du bon sens et de la réalité des personnes assistées sociales, qui sont rendues à ce jour à 800 000 personnes, nous tenons à vous informer du constat actuel, que vous nous laissez seulement trois droits fondamentaux: celui d'exister et non de vivre, de la mémoire et du droit de vote. La devise du Québec, c'est Je me souviens .

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Je vous remercie beaucoup. J'invite maintenant Mme la ministre à débuter l'échange.

Mme Harel: Bienvenue, M. Ayotte et Mme Spénard. Ce n'est pas votre première commission parlementaire, Mme Spénard.

Mme Spénard (Thérèse): Non.

Mme Harel: M. Ayotte, est-ce la première?

M. Ayotte (Gaétan): C'est la première, oui.

Mme Harel: Oui. Et les personnes qui vous accompagnent, de Bécancour?

M. Ayotte (Gaétan): Il y en a qui ont déjà assisté à des commissions parlementaires.

Mme Harel: Bon. Il y a un aspect qui m'a surprise dans votre mémoire, c'est à la page 3, concernant les transports en ambulance et en taxi. Vous semblez penser que c'est déjà appliqué, le fait que ce soit pour des raisons médicales que le transport en ambulance est autorisé ou le transport en taxi. Je suis surprise que vous ayez cette information-là parce que, en fait, dans la loi, ce n'est pas le cas, ni dans le règlement. C'est pour ça d'ailleurs que dans la Gazette officielle on vient de prépublier un règlement. Puis vous allez comprendre pourquoi.

Si je vous dis que les coûts d'ambulance durant les six dernières années, les coûts d'utilisation des transports par ambulance, ça a augmenté de 89 %, alors que le nombre des ménages a augmenté... Vous savez qu'après la récession de 1989... vous savez que la récession de 1989, elle a été, selon les économistes, plus dure que celle des années trente, et, entre 1990 et 1995, il y a eu 90 000 nouveaux ménages à l'aide sociale, 205 000 personnes, puis ça a coûté presque 1 000 000 000 $. Mais, encore là, quand on me donnait les augmentations de transports par ambulance, j'ai pensé que c'était dû à l'augmentation du nombre de ménages. En fait, le nombre des ménages a augmenté de 37 %, mais le transport par ambulance, lui, de 89 %, et le coût du transport ambulancier, lui, a augmenté de 156 %. Ce n'est pas encore requis sauf pour les personnes de 65 ans.

(17 h 40)

Alors, c'est vrai ce que vous dites, qu'il y a une attestation qui est demandée, médicale, pour le transport ambulancier des personnes de 65 ans et plus, mais ça ne l'était pas jusqu'à maintenant. Vous voyez, quand on pense qu'un coût par ambulance, c'est 250 $, on n'imagine pas que ça coûte si cher, prendre l'ambulance. Le coût moyen, la moyenne des coûts était de 115 $, mais le maximum remboursable, c'est jusqu'à 250 $, puis je pense que ça va monter à 275 $. Selon les évaluations qui ont été faites, c'est environ 30 % des transports par ambulance qui étaient jugés non justifiés. C'était utilisé surtout dans la région de Montréal. Parce que j'ai fait vérifier: Est-ce que c'est... En région, peut-être, ça s'explique à cause des déplacements, et tout ça. Non, pas du tout. Imaginez-vous, c'est même sur l'île de Montréal où ça a été une progression absolument vertigineuse du transport ambulancier qui n'était pas justifié, finalement. Au point où je reçois même encore des lettres, parce que ce n'est pas encore appliqué, ça, mais je reçois des lettres, encore dernièrement, d'un hôpital, Joliette, le directeur de l'hôpital qui m'écrit en disant: Écoutez, on a vraiment, on assiste vraiment à des abus dans l'utilisation du transport ambulancier; est-ce qu'il serait possible d'exiger, comme pour les personnes de 65 ans, qu'il y ait une signature du médecin? Alors, je voulais que vous le sachiez parce que ce que vous dites qui existe, ça va exister, mais ça n'existe pas maintenant.

M. Ayotte (Gaétan): Je vais vous répondre. Dès maintenant, il existe à Bécancour, il est en vigueur à Bécancour. Le centre Travail-Québec de Bécancour le met en application immédiatement.

Mme Harel: Bon, ça, je vais le vérifier, parce que c'est la première nouvelle que j'en ai. Mais pensez que, l'an dernier, il se sera utilisé 61 000 transports par ambulance de personnes assistées sociales; 61 000, c'est du monde, hein, qui prennent l'ambulance.

Mme Spénard (Thérèse): L'exemple, Mme Harel, que je vous amènerai, c'est un exemple vécu, que j'ai vécu moi-même avec une autre personne. J'ai accompagné une personne qui a demandé qu'on appelle l'ambulance et qu'on a amenée à l'hôpital. La personne était assistée sociale et a dû payer la facture d'ambulance, qui était effectivement de 250 $. Mais il avait un problème qui n'était pas d'ordre d'hôpital, on a refusé le paiement de l'ambulance, il a dû l'assumer. Et les paiements de taxi doivent être préautorisés, pas seulement pour les 60-65 ans, que tu aies l'âge que tu voudras, si tu es dans la catégorie apte au travail... En tout cas, je pense que Bécancour a toujours été exceptionnelle. Depuis j'y vis, 15 ans, je suis née là, mais ça fait 15 ans que je suis au groupe qui existe... Et je dois vous dire que, si on n'essayait pas de le passer, pour être Soutien financier et remplir des papiers médicaux à tous les mois – je suis allée hier à Montréal pour voir mon spécialiste – il n'y a pas une fois où il n'y a pas un papier qui n'est pas correct, supposément; on trouve toujours quelque chose. Je dois avoir une bebite, moi, je ne sais pas...

Mme Harel: Écoutez, je vous promets que je vais faire la vérification.

Mme Spénard (Thérèse): Ça serait intéressant avec Bécancour, vous auriez du fun.

Mme Harel: Mais, à ma connaissance... Je vais demander au cabinet de faire la vérification, mais toutes les informations que j'ai sont à l'effet que ça ne se pourrait pas, parce que la loi puis le règlement ne le prévoyaient pas.

Mme Spénard (Thérèse): Et même je sais que dans notre région, depuis trois ans, nous, avec le CLSC qui a un service d'urgence 24 heures, sept jours/semaine, une personne qui appelle pour avoir un service ambulancier ne peut se rendre à l'hôpital qu'avant d'avoir passé au CLSC. Moi, ma belle-mère, quand elle est tombée malade juste avant de décéder, on l'a amenée en premier au CLSC et, ensuite...

Mme Harel: Oui, mais elle a 65 ans, elle a plus de 65 ans.

Mme Spénard (Thérèse): Non, que ce soit même un accident quasi mortel, vous devez passer au CLSC avant qu'on vous hospitalise, qu'on vous amène dans un hôpital, compte tenu de notre région éloignée. Que vous fassiez une heure, direction que vous voulez, dans notre coin, il n'y en a pas d'hôpital, ce n'est pas compliqué.

Mme Harel: Oui, mais là c'est peut-être une livraison de services de santé...

Mme Spénard (Thérèse): On est l'exception.

Mme Harel: ...dont j'ignore les modalités, étant donné la situation de Bécancour.

Mme Spénard (Thérèse): J'ai toujours appelé ça le «centre mou du coeur du Québec», il n'y a rien!

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Le quoi?

Mme Harel: Le centre nu.

Mme Spénard (Thérèse): Le centre mou du coeur du Québec, il n'y a rien. Il y a nous autres.

Une voix: Le centre mou du coeur!

Mme Harel: Mais, en même temps, il y a une nouvelle région de l'autre côté qui va se développer, la région de Victoriaville, la région des Bois-Francs.

Mme Spénard (Thérèse): C'est à une heure, c'est à une heure pareil.

Mme Harel: Bon. Deux, trois choses vite avant qu'il me dise que mon temps est fini. Vous savez sûrement que les enfants, actuellement, de troisième rang, de quatrième rang, on n'en tient pas compte, tandis qu'avec la politique familiale... ça coûte quand même 30 000 000 $, ça, prendre en compte les enfants, pas seulement de premier et deuxième rangs, parce que, actuellement, après deux enfants, tu n'en as plus à l'aide sociale... alors qu'avec la politique familiale les enfants de troisième rang, les enfants de quatrième rang, la famille va recevoir pour eux le plein montant, ce qui n'est pas du tout le cas maintenant.

Ensuite, vite, vite, vite, les besoins spéciaux pour le transport, vous aviez raison, et j'ai signé un décret – normalement, c'est dans la Gazette – pour exiger la hausse que vous nous demandez, qui va être appliquée. C'est celle qui est conforme au ministère des Transports. Celle du ministère des Transports s'applique pour le transport bénévole. Alors, c'est la même qu'on va utiliser. Puis on va s'ajuster au fur et à mesure. À chaque année que le ministère des Transports va l'ajuster, ça va être automatiquement ajusté.

L'autre chose, le dépôt volontaire. Faites attention. Le dépôt volontaire, ça a peut-être du méchant, mais ça a du bon. Je peux vous dire qu'il y a des personnes qui m'écrivent en disant: Surtout, ne nous l'enlevez pas, et qui l'utilisent et qui sont contentes, vraiment, des hommes puis des femmes. C'est un mode de paiement. Je peux comprendre qu'il faille faire de l'éducation, à savoir que c'est un mode de paiement. Vous savez, c'est comme un chèque, le dépôt volontaire, vous pouvez l'arrêter n'importe quand, vous pouvez l'arrêter plus qu'un chèque, vous pouvez l'arrêter la veille. Et jamais il ne doit être obligé.

En même temps, il ne faut pas mélanger le fait que le propriétaire fasse saisir les chèques d'aide sociale pour se payer – vous marquez ça, là. Ça ne se peut pas avec le dépôt volontaire. C'est impossible avec le dépôt volontaire. Si, Mme Spénard, M. Ayotte, ça se produit, que c'est à votre connaissance, n'importe quoi qui ressemblerait à ça, je vous conjure de me le faire savoir. Ça doit être possible de me le faire savoir? Parce que j'ai eu, depuis le 1er janvier, quatre cas, et je dois vous dire que ça a été tout de suite corrigé. Et les institutions financières ont su que, si jamais ça recommençait, ça pourrait être retiré, ça, le dépôt volontaire.

Mais le dépôt volontaire, à l'origine, c'était pensé aussi pour des personnes qui sont très contentes, très, très contentes. Parce qu'il peut arriver que, le jour du chèque, elles aient besoin d'aller à l'hôpital ou il y a un enfant qui soit malade. Il y a toutes sortes de raisons qui fassent que... Elles sont en sécurité aussi. C'est un mode de paiement qui était largement répandu pour les allocations familiales, pour la Régie des rentes, pour tout, tout, tout. Alors, pourquoi on aurait mis de côté les personnes assistées sociales en disant: Tout le monde peut l'avoir, sauf vous?

Il n'y a pas possibilité d'aller saisir. Et l'ordonnance dont il est question dans le livre vert, n'oubliez pas, c'est: lorsqu'il y a eu défaut de paiement, le propriétaire va à la Régie du loyer – il ne se fait pas justice lui-même, il faut qu'il aille à la Régie – il faut qu'il ait une ordonnance de la Régie, et c'est la condition, pour ne pas qu'il y ait d'éviction, il faut qu'il y ait maintien dans les lieux. Vous êtes conscients de ça, hein?

Mme Spénard (Thérèse): Nous sommes conscients...

Mme Harel: Parce que, sinon, le propriétaire, il peut aller à la Régie et puis il va simplement obtenir que son locataire soit évincé. Au moins, là, il obtient qu'il y ait une partie du budget – mais c'est la composante logement, ce n'est pas nécessairement le loyer au complet – qui va lui être versée pour les loyers à échoir. Il faut qu'il fasse un sacrifice de ce qui est dû. Alors, vous voyez qu'il y a du donnant, donnant des deux côtés. Et c'est pour des gens qui ont des problèmes de paiement. Les problèmes de paiement, là, ce n'est pas des gens qui ont des familles. J'ai vérifié. C'est surtout des jeunes, puis c'est des personnes seules, puis c'est des jeunes, souvent, qui ont des problèmes d'alcoolisme puis de toxicomanie aussi. Puis ce n'est pas parce que c'est en partie parce qu'ils prennent l'argent pour d'autres choses.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Quelques commentaires avant qu'on passe à Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

M. Ayotte (Gaétan): Oui, et surtout sur les loyers. Vous dites que c'est les jeunes qui ont des problèmes à payer leur loyer. Mais, à 396 $ par mois, parce qu'ils partagent un logement justement parce qu'ils ne sont pas capables d'arriver, avec 396 $, à payer leur loyer, je ne peux pas dire que c'est la toxicomanie ou l'alcool qui les empêche de payer leur loyer.

Mme Harel: Ça dépend à combien ils partagent. Si vous me dites que c'est parce qu'ils partagent... alors, si c'est deux jeunes qui paient 400 $ par mois, ça revient à chacun à 200 $.

M. Ayotte (Gaétan): Oui, mais, déjà, ils retirent 396 $. Parce que la coupure de partage du logement, c'est 104 $, qui s'applique aux deux personnes assistées sociales.

Mme Harel: Oui. Bon. Mais ça lui coûte 200 $. Vous allez me dire...

M. Ayotte (Gaétan): Ça lui coûte 200 $...

Mme Harel: ...il lui reste juste 196 $.

M. Ayotte (Gaétan): ...il lui reste 196 $...

Mme Harel: Oui.

M. Ayotte (Gaétan): ...pour payer la moitié du téléphone, la moitié de l'électricité, puis sa bouffe.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mme la députée de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Mme Loiselle: Oui, merci. Bonjour.

M. Ayotte (Gaétan): Bonjour.

(17 h 50)

Mme Loiselle: Dans la même veine, sur le dépôt direct, le dépôt volontaire, le fait qu'on peut avoir le versement préautorisé sur une base volontaire. Il y a un groupe, la semaine dernière, qui nous disait: Peut-être que vous devriez mettre en place une campagne d'information auprès des prestataires de l'aide sociale pour qu'ils sachent bien que c'est sur une base volontaire qu'on s'entend avec le propriétaire, lors de la signature d'un bail, pour le versement du loyer, le versement préautorisé dans le compte de banque, et pas que les gens pensent que, finalement, le propriétaire arrive et dise: Bon, bien, maintenant, le gouvernement accepte le versement préautorisé; vu que ton chèque s'en va directement dans ton compte de banque, signe-moi-le. Pensez-vous qu'on devrait aller dans ce sens-là, mettre en place une campagne d'information pour que les gens connaissent bien leurs droits, ou laisser ça à la discrétion de regroupements comme vous, comme le vôtre?

Mme Spénard (Thérèse): Ce que je vais vous répondre, et je vais revenir avec la position qu'on a: Oui, il y a du bon peut-être à un dépôt volontaire, et le groupe reste contre de toute façon parce que les gens, informés ou non, malheureusement, la pression d'un propriétaire va passer avant l'information qu'il a reçue du gouvernement. J'ai déjà des gens que je côtoie, dans la famille ou des amis, qui sont propriétaires et qui ont donc hâte de mettre la mainmise sur un beau chèque d'aide sociale. Je sais que ce n'est pas supposé, sauf que, légalement... La personne, elle ne paie pas son loyer pendant deux mois. Donc, le troisième mois, le propriétaire peut dire: Je vais à la Régie du loyer – ça fait trois mois que tu ne me paies pas mon loyer – pour pouvoir faire une saisie sur le chèque d'aide sociale – au bout de trois mois, je parle. Le problème qu'on a en région...

Mme Harel: Mme Spénard, je m'excuse, mais ça, ce n'est pas possible du tout, du tout, puis ce n'est même pas prévu nulle part, nulle part, et c'est impossible, ils ne peuvent pas faire saisir le loyer.

Mme Spénard (Thérèse): Ils peuvent saisir...

Mme Harel: Ils ne peuvent pas faire saisir le chèque.

Mme Spénard (Thérèse): C'est-à-dire...

Mme Harel: Non, non.

Mme Loiselle: ...10 minutes, là.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): S'il vous plaît! Allez-y, madame.

Mme Spénard (Thérèse): En tout cas, moi, pour terminer, le problème que j'ai... Et tantôt, vous en avez parlé, Mme Harel, vous avez parlé d'aller à la Régie du logement. Bon, c'est sûr que le Québec est grand. Ce serait le fun que vous visitiez Bécancour, parce que, pour nous, la Régie du logement, c'est un mille dans n'importe quelle direction, parce que, dépendant de la paroisse où tu es, tu es relié à un autre secteur. On n'a plus droit, par l'aide juridique, à un avocat pour aller à la Régie du logement, et ça, ça a été – ça, je ne l'ai malheureusement pas aujourd'hui, ça a été prouvé par avocat. Pour avoir droit à l'aide juridique... On ne peut pas aller à la Régie du logement accompagné d'un avocat qui sera dédommagé par l'aide juridique. Ce serait à mes frais. Je n'ai pas d'argent, quand je suis sur l'aide sociale, pour payer un avocat pour venir me défendre mes causes, parce que, pendant trois mois, je n'ai peut-être pas payé mon loyer parce que j'étais surchargée ailleurs ou j'ai eu x raisons. Je n'aurai pas, jamais, cette possibilité-là.

Et, de plus en plus, il est peut-être... En tout cas, ici, c'est peut-être moins évident. C'est sûr, tous les jours, vous avez juste les groupes qui viennent. J'ai déjà vu des gens... c'est la caisse populaire qui voulait saisir. J'ai déjà eu... personnellement, il y a déjà eu la possibilité d'avoir un dépôt volontaire. Je remonterais à 10 ans en arrière. C'était surprenant, on m'a ôté ce dépôt-là de façon très rapide. Mais la caisse qui disait: Tu as 10 jours de retard, on va déjà au moins se prendre 100 $ d'avance sur ton paiement, c'est tout ce que tu as dans ton compte. Bien, là... Mais la caisse pensait déjà avoir le pouvoir de le faire. Je ne vous dis pas que c'est dans la loi, mais, dans la pratique de tous les jours, par exemple, là, c'est autre chose. C'est ça.

Mme Loiselle: Mais la caisse populaire était votre propriétaire?

Mme Spénard (Thérèse): Oui, j'ai une hypothèque, je suis propriétaire.

Mme Loiselle: Ah! O.K. O.K.

Mme Spénard (Thérèse): Donc, c'est comme un propriétaire à quelque part, tant que je lui dois. Mais un propriétaire va faire la même chose, il va signer le bail... Et ils sont prêts à faire les pressions. Je veux dire, quand une personne... J'ai vu un salarié de groupe de personnes assistées sociales se faire choisir: Oui, tu peux rester ici, tu n'es pas assisté social, puis tu n'es pas Noir, tu es correct, je t'accepte dans mon groupe, dans mon bloc. Aïe! je veux dire, c'est rendu loin. Ça fait que, pour signer mon bail, qu'est-ce qu'ils vont me demander? D'ailleurs, tantôt, j'entendais Granby qui disait: Il y a des propriétaires qui demandent qu'il y ait quelqu'un qui va cautionner ton bail, pour être sûrs d'être payés. Ils vont le faire avec le dépôt volontaire, ils vont dire: Vous avez le droit. L'information ne s'applique pas juste auprès des personnes assistées sociales. Ils vont dire: Bien, fais ton dépôt volontaire puis arrange-toi pour qu'on ait les chèques.

Donc, le dépôt rentre le 1er dans le compte. Mais, moi, j'ai un chèque qui passe le 1er et vous êtes sûrs que le propriétaire, le 1er, avant que la caisse ouvre, il va y être pour l'avoir, son argent, avant que, toi, tu aies le choix de dire: Ce mois-ci, j'en donne rien que la moitié au propriétaire; je ne suis pas capable, j'ai mes médicaments à payer. Je veux dire, comme exemple, ce mois-ci, le 1er avril, c'est les fameux paiements-maladie, de médicaments – je prends beaucoup de médicaments – et j'y ai droit au total à chaque 1er du mois. Moi, ce n'est pas compliqué, mais que j'y aille au mois d'avril, je lui donne son 50 $, à la pharmacienne, qui doit gérer, elle n'a pas le choix. Mais, moi, ça veut dire que j'ai mon hypothèque qui passe, j'ai mes taxes, et j'ai mes taxes municipales qui arrivent. Alors, là, c'est comme... Bien, peut-être que je ferais retarder mes taxes municipales, mais je ne peux pas choisir, elles arrivent toutes ensemble. Puis je me dis: Ça, ça va arriver, et je suis sûre qu'il y a des propriétaires qui font faire tellement de pressions, et qui n'arriveront malheureusement pas aux oreilles des gens et qui ne nous arriveront même pas à nos oreilles, comme groupe, pour les défendre, ces gens-là. C'est une crainte qu'on a puis on trouve qu'il faudrait peut-être très bien l'évaluer avant de l'ouvrir. C'était plus dans ce sens-là qu'on l'amenait.

Mme Loiselle: J'aimerais peut-être revenir... Vous faites mention de l'assurance-médicaments, vous en parlez beaucoup dans votre mémoire, même que vous dites au gouvernement de reculer sur ça. Je ne reviendrai pas sur les coupures à la loi n° 115, n° 84, vous connaissez les conséquences de ça. Vous savez aussi que, quand on joue avec les barèmes et qu'on les retire, la conséquence de ça aussi, c'est que, bon, on retire de l'argent aux gens. Quand on se met à diminuer ou retirer des barèmes, c'est ce qui arrive, c'est que les gens ont moins d'argent en poche, on coupe à quelque part dans la prestation. Il y a la diminution de l'allocation-logement. Je ne sais pas si, dans votre région, les familles ont été très affectées par ça. Mais ça se vit comment, chez vous, le fardeau de l'assurance-médicaments? Parce que, dans la région de Montréal – moi, je suis Montréalaise – il y a même le groupe Jeunesse au soleil qui a mis en place un fonds d'entraide pour les personnes à faibles revenus qui vivent sous le seuil de la pauvreté pour les aider à aller chercher leurs médicaments. Ça se vit comment, vous, le fardeau de l'assurance-médicaments dans votre région?

Mme Spénard (Thérèse): Tantôt, dans la présentation qu'on vous a faite, on vous disait: À quand les banques de médicaments? C'est ça que ça veut dire.

Mme Loiselle: Qu'est-ce que vous voulez dire par ça, oui?

Mme Spénard (Thérèse): On a de plus en plus de gens...

Mme Loiselle: Le marché noir?

Mme Spénard (Thérèse): ...qui nous appellent et qui viennent d'avoir... Bon, ils sont tombés malades, le médecin leur prescrit un médicament, c'est le 27 du mois: Je n'ai pas d'argent et je n'ai jamais payé mon 50 $, je sais qu'on va me le réclamer, je n'ai pas l'argent; connaissez-vous quelqu'un qui va me le payer? On n'en a pas, nous autres non plus, on est un groupe... Malheureusement, on n'en a pas, de fonds. Mais qu'est-ce qu'on lui dit? Fais-toi pas soigner, attends le 1er avril pour aller chercher ta prescription? On ne le sait plus par quel bout le prendre. Mais ça, c'est de plus en plus régulier dans notre groupe qu'on reçoit des téléphones.

Et on n'a pas le choix de la pharmacie en plus. Bien, il y en a deux dans tout le secteur. Dans 17 municipalités, il y a deux pharmacies. On en a une qui a été plus généreuse que d'autres, qui nous a permis des fois, à la fin du mois, de dire... Bon, je vais accepter un chèque qui va être daté du 1er, mais c'est parce qu'elle te connaît, ça fait des années que tu vas là. Un nouvel arrivant, ils n'accepteront pas son chèque parce qu'ils ne connaissent pas la validité. Ils supposent que le chèque ne passera probablement pas, là. C'est plate, mais c'est ça.

On a beaucoup de cas de maladie, on en a dans notre groupe, des gens qui sont malades, il n'y a pas juste moi. Et c'est toujours le problème, c'est: Quand on va arriver à payer les deux bouts? Parce que c'est la priorité, je n'ai pas le choix, il faut que je les prenne, mes pilules. Je veux dire, moi, je peux vous les montrer dans ma sacoche, j'en prends 17 par jour. «J'ai-tu» le choix d'aller les chercher ou pas? J'ai le choix d'être un poids pour la société en m'en allant à l'hôpital, c'est carrément ça, mon choix, et, je veux dire... Moi, je ne veux pas le vivre, parce que je sais ce que ça va me faire vivre comme santé. Donc, j'assume, je vais les chercher. Mais c'est sûr que j'ai mis mes taxes municipales de côté pour le mois d'avril, elles étaient à payer le 31 mars. C'est clair que le secrétaire municipal, je l'ai appelé, puis il a dit: Bien, là... Le 1er mai, on paiera les taxes municipales puis, là, on va payer les médicaments. Parce que je n'ai pas le choix, il faut que j'échelonne les choses. Malheureusement, il faut faire un choix entre se soigner ou bien payer d'autres comptes. On ne l'a pas, l'argent. Je veux dire, c'est sûr, on n'a pas le choix. Et c'est régulier, des cas... Des cas de médicaments, de plus en plus, on en a, de problèmes par rapport à ça.

M. Ayotte (Gaétan): Je veux juste finir sur l'assurance-médicaments. Dans le concret, qu'est-ce que ça veut dire? C'est que la MRC de Bécancour, c'est une MRC qui n'est pas favorisée pour le travail et on a beaucoup de gens sur l'aide sociale. Ils ne sont pas capables de se payer des médicaments. Il y a un diabétique qui n'a pas été capable de se payer de l'insuline, il a été obligé d'être hospitalisé parce que son diabète était trop haut, il était en train de tomber dans le coma diabétique. Il y a une autre personne qui fait des dépressions et qui a besoin d'antidépresseurs. Elle n'est pas capable de se les payer. Mais elle «paranoïe», par exemple, dans sa résidence. Elle nous lance des cris d'alarme: Je vais me tuer. Mais tu fais quoi? Elle n'est pas capable de se les payer, ses antidépresseurs. On est rendus à ce point-là avec l'assurance-médicaments.

Mme Loiselle: Vu que le temps est presque écoulé, juste une petite minute, je veux vous entendre sur l'allocation d'invalidité, le transfert à la Régie des rentes du Québec. Il y a certains groupes qui nous ont dit que, bon, il n'y avait aucun avantage pour eux d'être transférés et qu'ils perdraient des droits et que c'était pour accentuer leur exclusion de la société. Vous autres, c'est quoi, votre positionnement face à ça, même si les gens ont le choix, ils font un choix puis ils peuvent revenir sur leur décision?

Mme Spénard (Thérèse): Les gens ont le choix. En tout cas, moi, ce que je me dis, je me dis: Les gens ont le choix. Est-ce que c'est seulement la première année...

Mme Loiselle: Pardon?

Mme Spénard (Thérèse): Est-ce que c'est seulement pendant la première année de transfert d'une loi à l'autre, soit de la loi 37 à la nouvelle loi, et qu'est-ce que ça va donner? Par exemple, moi, je suis Soutien financier, si je m'en vais à la Régie-invalidité, qu'est-ce que ça change demain? On me dit: Non, ça ne change rien, tu as toujours le même montant, les mêmes barèmes. Un, je change totalement au niveau de qui va me gérer. C'est quoi, la loi qui me régit? Donc, il va falloir que j'apprenne quelque chose. Est-ce que ça va être la loi de la Régie des rentes, d'invalidité, qu'il va falloir que j'apprenne pour connaître mes droits aussi? Je vais recommencer.

(18 heures)

Nous, c'est clair, le mot d'ordre, c'est de dire: Restez à l'aide sociale, on la connaît, cette loi-là, on va être capables de vous défendre. Mais, après, malheureusement, on recommencera l'école. Parce que là, c'est ça, on ne le sait pas, on ne le sait malheureusement pas. C'est le mot d'ordre qu'on a lancé: Restez à l'aide sociale, on connaît très bien cette loi-là, je pense qu'on est capables de vous défendre aussi, très bien. Ça va être le meilleur choix parce qu'on ne sait pas dans quoi on s'en va. Autant garder la même chose. Ce qu'on nous dit dans la loi, c'est que ça va être la même chose. Si c'est la même chose, pourquoi nous envoyer ailleurs? À part que baisser le nombre de personnes assistées sociales, on ne voit pas d'autre avantage.

Mme Loiselle: Merci beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Mme Spénard, M. Ayotte, merci beaucoup pour vos témoignages et vos recommandations.

Une voix: J'aurais une question à poser à la ministre.

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Les travaux sont ajournés jusqu'à...

Une voix: Oui, mais...

Le Président (M. Bertrand, Charlevoix): Vous la lui poserez tout à l'heure. Les travaux sont ajournés jusqu'à mercredi 19 mars, à 15 heures.

(Fin de la séance à 18 h 1)


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